Le Metier Du Maitre De Musique D'eglise Du Xvie Siecle Au Debut Du Xixe: Activites, Sociologie, Carrieres (Epitome Musical) (French and Italian Edition) 9782503589626, 2503589626

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Le Metier Du Maitre De Musique D'eglise Du Xvie Siecle Au Debut Du Xixe: Activites, Sociologie, Carrieres (Epitome Musical) (French and Italian Edition)
 9782503589626, 2503589626

Table of contents :
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Bernard DOMPNIER. LE MÉTIER DE MAÎTRE DE MUSIQUE, ENTRE NORMES ET PRATIQUES
Bastien MAILHOT. L’EXERCICE DU MÉTIER DE MAÎTRE DE MUSIQUE DANS LES « PETITES ÉGLISES » : SIMPLE DIFFÉRENCE DE DEGRÉ OU STATUT SINGULIER?
Thomas LECONTE. LE MAÎTRE DE MUSIQUE DE LA CHAPELLE DU ROI : HIÉRARCHIE, PRÉROGATIVES ET FONCTIONS
François CAILLOU. LES MAÎTRES DE MUSIQUE DES ÉGLISES DE PARIS DANS LA SECONDE MOITIÉ DU XVIIIe SIÈCLE
Émilie CORSWAREM. DE L’EFFICACITÉ D’UN MODÈLE LOCAL : ÊTRE MAÎTRE DE CHANT À LA CATHÉDRALE SAINT-LAMBERT DE LIÈGE (1581-1650)
Youri CARBONNIER. « UN JEUNE HOMME SE PRÉSENTE POUR ÊTRE MAÎTRE DE MUSIQUE » DÉBUTER DANS LA CARRIÈRE AU XVIIIe SIÈCLE
Nicolò MACCAVINO. MAESTRI DI CAPPELLA E LA LORO ATTIVITÀ SVOLTA NEI SECOLI XVII E XVIII IN ALCUNE ISTITUZIONI MUSICALI DELLA SICILIA ORIENTALE: ACIREALE, CALTAGIRONE, NOTO E PIAZZA ARMERINA
Sylvie GRANGER. ITINÉRANCE OU STABILITÉ DES MAÎTRES DE MUSIQUE DE 1790, À TRAVERS LA BASE PROSOPOGRAPHIQUE MUSÉFREM
Érik KOCEVAR. L’ORGANISTE DE COLLÉGIALE ET DE CATHÉDRALE AUX XVIIe ET XVIIIe SIÈCLES : RÉFLEXIONS SUR LE STATUT D’UN DES HOMMES-CLÉ DES CÉRÉMONIES RELIGIEUSES EN FRANCE
Galliano CILIBERTI. UN IMPRESARIO IN CHIESA: IL MAESTRO DI CAPPELLA A ROMA E NELLO STATO PONTIFICIO NEL SEICENTO
Christophe MAILLARD. LE MAÎTRE DE MUSIQUE DANS LES VILLES OÙ RIVALISENT DEUX CORPS DE MUSIQUE PRESTIGIEUX À LA FIN DU XVIIIe SIÈCLE
René DEPOUTOT. MAÎTRE DE MUSIQUE D’ÉGLISE À NANCY AU XVIIIe SIÈCLE: DU CHOEUR DE LA PRIMATIALE À LA SALLE DU CONCERT ET DE LA COMÉDIE
Thierry FAVIER. LE MAÎTRE DE MUSIQUE D’ÉGLISE ET LE CONCERT EN PROVINCE AU XVIIIe SIÈCLE
Jean DURON. LE MAÎTRE ET SON OEUVRE: LA NÉCESSITÉ D’UN CLASSEMENT, L’ESPOIR D’UNE PRÉSERVATION
Laurent GUILLO. LES MAÎTRES DE CHAPELLE ENTRE INSTITUTION ET ÉDITION (XVIIe-XVIIIe SIÈCLES)
Nathalie BERTON-BLIVET. LE MAÎTRE DE MUSIQUE ENTRE PUBLIC ET ÉDITION (XVIIe-XVIIIe SIÈCLES)
Xavier BISARO. L’ENFANCE DE L’ART: LES MAÎTRES DE MUSIQUE ET L’ENSEIGNEMENT DU PLAIN-CHANT AU XVIIIe SIÈCLE
Aline SMEESTERS. COLLABORATIONS DE POÈTES NÉO-LATINS ET DE COMPOSITEURS DE MUSIQUE À L’ÉPOQUE MODERNE: DEUX CAS D’ÉTUDE
Jean DURON. LE MAÎTRE THÉORICIEN AUX XVIIe ET XVIIIe SIÈCLES : L’APPRENTISSAGE DE LA COMPOSITION MUSICALE
Jean-Paul C. MONTAGNIER. LA MESSE POLYPHONIQUE EN LIVRE DE CHOEUR COMME OUTIL PÉDAGOGIQUE
Bernard HOURS. CONCLUSION. MAÎTRE DE MUSIQUE, UNE FONCTION AU PROFIL MOUVANT
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LE MÉTIER DU MAÎTRE DE MUSIQUE D’ÉGLISE (XVIIe-XVIIIe SIÈCLES) : ACTIVITÉS, SOCIOLOGIE, CARRIÈRES

Centre d’études supérieures de la Renaissance Université de Tours / UMR 7323 du CNRS Centre de musique baroque de Versailles Collection « Épitome musical » dirigée par Philippe Vendrix et Philippe Canguilhem Editorial Committee: Hyacinthe Belliot, Vincent Besson, Camilla Cavicchi, David Fiala, Daniel Saulnier, Solveig Serre, Vasco Zara Advisory board: Andrew Kirkman (University of Birmingham), Yolanda Plumley (University of Exeter), Jesse Rodin (Stanford University), Richard Freedman (Haverford College), Massimo Privitera (Università di Palermo), Kate van Orden (Harvard University), Emilio Ros-Fabregas (CSIC-Barcelona), Thomas Schmidt (University of Huddersfield), Giuseppe Gerbino (Columbia University), Vincenzo Borghetti (Università di Verona), Marie-Alexis Colin (Université Libre de Bruxelles), Laurenz Lütteken (Universität Zürich), Katelijne Schiltz (Universität Regensburg), Pedro Memelsdorff (Chercheur associé, Centre d’études supérieures de la Renaissance–Tours) Layout: Agnès Delalondre (Centre de musique baroque de Versailles) Couverture Musiciens à la collégiale St Pierre de Lille, dans François-Casimir Pourchez, Description des réjouissances qui se sont faites en la ville de Lille, 1729, Lille, Bibliothèque municipale, ms E 16, p. 58.

ISBN : 978-2-503-58962-6 E-ISBN 978-2-503-58963-3 DOI 10.1484/M.EM-EB.5.120366 ISSN 2565-8166 E-ISSN 2565-9510 Dépôt légal : D/2020/0095/321 © 2020, Brepols Publishers n.v., Turnhout, Belgium – CESR, Tours, France. All rights reserved. No part of this publication may be reproduced, stored in a retrieval system, or transmitted, in any form or by any means, electronic, mechanical, photocopying, recording, or otherwise, without the pior permission of the publisher. Printed in the E. U. on acid-free paper.

LE MÉTIER DU MAÎTRE DE MUSIQUE D’ÉGLISE (XVIIe-XVIIIe SIÈCLES) : ACTIVITÉS, SOCIOLOGIE, CARRIÈRES

Textes réunis par Bernard Dompnier et Jean Duron

Centre d’études supérieures de la Renaissance Centre de musique baroque de Versailles Centre d’Histoire Espaces et Cultures (Université Clermont Auvergne)

BREPOLS

PRÉSENTATION Bernard DOMPNIER, Jean DURON

Étrange métier que celui de maître de musique des cathédrales et collégiales aux XVIIe et XVIIIe siècles, dont les fonctions mêmes sont difficiles à cerner ! Les musicologues ont surtout retenu que le maître composait, les historiens qu’il avait la charge des enfants de chœur. Deux activités qui, a priori, peuvent sembler difficilement compatibles dans la pratique et qui sont toutefois réunies dans la plupart des cas, même si le vocabulaire utilisé pour désigner l’emploi de celui qui les exerce, loin d’être uniforme dans toutes les églises, suggère que l’accent peut être placé différemment selon les cas : au titre de maître de musique, dont il faudrait démontrer qu’il est le plus usité, est souvent préféré celui de maître des enfants, maître de la psallette, maître de chapelle, maître du chœur, voire maître de la maîtrise. Il existe cependant un dénominateur commun à tous ces hommes (car on ne rencontre point de femmes dans ce métier) : le maître – il y en a toujours un seul par église – appartient à la catégorie des dépendants du chapitre, lequel lui délègue plus ou moins largement la responsabilité de ce que l’on dénommera en première approche la qualité sonore des offices, c’est-à-dire le chant et la musique. Dans une vue perspective couvrant une histoire pluriséculaire, on pourrait sans doute considérer que le maître assume à l’époque moderne des tâches qui, dans un passé désormais révolu, avaient été celles du chanoine chantre, toujours présent parmi les dignitaires du chapitre mais limitant alors son rôle à une supervision de l’exécution des cérémonies. Schématiquement, du chapitre originel dont les membres s’acquittaient personnellement – et presque sans auxiliaires – de la récitation, de la psalmodie et du chant de l’office, on est insensiblement passé à une délégation quasi générale des diverses obligations du chœur, et l’émergence de la figure du maître de musique constitue l’une des manifestations de ce processus. L’institution de semi-prébendes dans la majorité des églises capitulaires le montre bien aussi, qui correspond à une réduction du nombre des places canoniales de manière à disposer des fonds nécessaires à la rémunération de clercs appelés à épauler les chanoines dans l’exécution des offices, voire à se substituer à eux quand ils ne savent ou ne peuvent chanter, ou quand ils sont tout simplement absents. L’organisation de l’espace du chœur à l’époque moderne rend

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BERNARD DOMPNIER, JEAN DURON

elle-même compte de ces réalités, avec ses « hautes » stalles où siègent les chanoines et ses « basses » stalles où prend place la cohorte des auxiliaires du culte. Le maître fait partie de ce personnel, dont l’augmentation numérique suffirait à rendre nécessaire un minimum de coordination pour l’accomplissement des fonctions en bon ordre. Mais la présence du maître trouve aussi sa justification dans la nécessité de prendre en charge la formation musicale, l’instruction scolaire et l’éducation religieuse et morale des enfants de chœur, qui vivent en internat à la psallette et doivent être préparés au rôle qu’ils auront à tenir dans les cérémonies, dans le respect des usages locaux. De plus, le développement de la musique figurée, le fréquent recrutement de musiciens professionnels qu’elle suppose, tout comme les enjeux de prestige que lui assignent les chanoines, requièrent la présence d’un homme capable d’assurer la meilleure exécution des œuvres du répertoire de l’église et de le renouveler aussi de manière continue. C’est assurément là la principale raison pour expliquer le soin apporté par les chapitres au choix d’un maître compétent, capable à la fois de respecter les usages locaux - auxquels les chanoines sont immanquablement attachés – et d’insuffler une nouveauté musicale de nature à maintenir voire accroître la renommée du chapitre. La conjonction de toutes les exigences auxquelles doit répondre le maître fait indiscutablement de celui-ci la figure centrale du dispositif des musiques d’église. Mais c’est dire aussi que l’exercice du métier appelle une gamme étendue de compétences, ce qui pourrait expliquer que les carrières entièrement dévolues à cet emploi soient plus nombreuses que celles où la fonction ne constitue qu’une étape d’une vie professionnelle. Et ceux qui quittent un poste de maître de musique ne le font la plupart du temps que parce que la qualité de leurs propres productions les fait aspirer à donner la mesure de leurs talents sur d’autres « scènes » qu’un chœur de cathédrale, et tout particulièrement sur celle d’un opéra. Il en résulte un étrange paradoxe. Les maîtres que les études musicologiques ou historiques mentionnent le plus fréquemment sont pour la plupart des hommes qui ont quitté cette activité au cours de leur vie pour se tourner vers un autre type de musique, l’Église n’ayant représenté pour eux qu’un tremplin avant une carrière ultérieure souvent brillante. C’est dire en d’autres termes que, mises à part de solides monographies régionales ou plus souvent locales, l’historiographie ne propose qu’une vision très partielle, voire déformée, des réalités d’un métier qui comptait simultanément plusieurs centaines de professionnels dans l’ensemble du territoire de la France. Le projet de tenir un colloque pour tenter une approche méthodique de la figure du maître de musique est né de ce constat, avec la conviction que la diversité des tâches dévolues à ce personnage-clé des musiques d’église supposait de réunir des compétences variées en musicologie, en histoire sociale et culturelle, mais aussi en histoire des institutions ou de l’éducation, de manière à ne laisser échapper aucune des facettes du métier. Bien plus, tout en centrant le propos sur la France, il semblait utile que d’autres contributions – en nombre nécessairement limité – fournissent un éclairage

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PRÉSENTATION

complémentaire destiné à mettre en relief les spécificités du modèle français. C’est de ce colloque, qui s’est réuni du 8 au 10 novembre 2017 au Centre de musique baroque de Versailles à l’initiative de son Atelier de recherche et du Centre d’histoire Espaces et Cultures (Université Clermont Auvergne), que rend compte ce volume. Les deux équipes qui en sont à l’origine mûrissaient le projet depuis de longues années, sur la base d’une solide expérience commune de recherche entre musicologues et historiens sur les musiques et musiciens d’Église de la France moderne, expérience née dans une collaboration autour de la mise en valeur du patrimoine musical de la cathédrale du Puy-en-Velay et concrétisée par des colloques d’histoire du culte comme par la publication des œuvres de Louis Grénon, expérience renforcée encore durant plusieurs années par la participation commune au projet MUSÉFREM (Musiques et musiciens d’Église dans la France moderne), soutenu par l’ANR. La rencontre sur les maîtres, personnages centraux du dispositif, représente de la sorte le point d’aboutissement de nombreux échanges, enquêtes et travaux antérieurs qui, au fur et à mesure de leur développement, ont tous attisé la curiosité sur ce métier si particulier. Les communications présentées au colloque, auxquelles ont été jointes quelques contributions complémentaires destinées à élargir les questionnements, sont rassemblées dans le présent volume, dont la structure traduit le large éventail des thématiques abordées. Un premier ensemble de textes, attentifs aux questions institutionnelles et coutumières, permet la mise en évidence des traits distinctifs du métier de maître, audelà de la diversité des situations, de la Chapelle royale aux modestes collégiales de province ou aux églises des grandes paroisses parisiennes, en passant évidemment par les cathédrales. Les interrogations se font plus sociologiques dans une deuxième partie, qui s’attache au parcours des maîtres, qu’il s’agisse du recrutement, du déroulement des carrières ou des changements de postes, fréquents pour beaucoup de membres de la profession. Les chapitres suivants examinent les facettes musicales de l’activité des maîtres qui, loin d’être de simples exécutants des prescriptions capitulaires, disposent d’une marge d’initiative qui en fait de véritables « entrepreneurs » de musique dans leur église mais aussi, tissant des liens avec des professionnels extérieurs à celle-ci, jouent un rôle parfois marquant dans la vie culturelle locale. La quatrième section s’attache à un aspect central du métier de maître, celui des rapports avec la musique écrite, qu’il s’agisse du patrimoine des églises, qu’ils gèrent et utilisent pour les offices, ou des traces qu’ils laissent de leurs propres œuvres, notamment par l’édition, à laquelle seule une minorité d’entre eux accède. Enfin, la dernière partie examine à nouveaux frais la fonction d’éducation musicale qu’assument les maîtres auprès des enfants qui leur sont confiés, ouvrant de solides perspectives sur les méthodes d’enseignement et sur la fonction culturelle du maître dans la société d’Ancien Régime. Première approche globale du métier de maître de musique, ce livre, nourri de multiples travaux monographiques, peut à certains égards prétendre à offrir une synthèse. Mais il se veut aussi – et peut-être surtout – une invitation à prolonger les

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questionnements qui le traversent et à mettre en chantier de nouveaux travaux permettant une meilleure évaluation d’un métier tout à fait singulier dans le champ des professions culturelles de la France moderne.

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LE KALÉIDOSCOPE D’UNE PROFESSION

LE MÉTIER DE MAÎTRE DE MUSIQUE, ENTRE NORMES ET PRATIQUES Bernard DOMPNIER

On sait que dans les sociétés d’Ancien Régime l’individu se définit principalement par son appartenance à un groupe social ou professionnel, constat qui vaut particulièrement pour les gens de métier, qui tirent leurs revenus de leur activité, manuelle ou intellectuelle. Aussi les histoires du travail et des travailleurs ont-elles fait une large place à la présentation des divers statuts qui régissent les métiers, jurés, réglés ou libres 1. Or force est de constater qu’il est difficile de situer les musiciens d’église dans les typologies proposées qui, même les plus fines, ne mentionnent pas explicitement cette profession. Les intéressés eux-mêmes ont parfois témoigné des inconvénients d’une position échappant aux classifications, comme le fait le sieur Dupont, musicien de Chartres, dans la lettre qu’il adresse à Necker à l’occasion de la préparation des États généraux de 1789 : Les particuliers qui composent ces corps [de chantres et de musiciens] sont des êtres amphibies ; qui si on considère leurs fonctions journalières, l’habit qu’ils portent et le célibat qu’on les force de garder peuvent être rangés dans l’ordre ecclésiastique ; mais qui ne sont pourtant que des laïcs déguisés sous l’habit clérical, puisque les neuf dixièmes d’entre eux ne sont point engagés dans les ordres, et ne sont pas même tonsurés. […] Croyant qu’étant essentiellement attachés au service d’un chapitre et composants ce que l’on appelle le Bas Cœur, ils étoient dans le cas de nommer un député conjointement avec la seconde partie des ecclésiastiques de ce chapitre, ils ont négligé de se joindre aux habitans de leur ville qui forment le Tiers État, lesquels ont voté sans eux. Et comme lorsque ces musiciens ont voulu voter avec le surplus des ecclésiastiques du Bas Cœur, on les a congédiés en leur opposant l’art. X du 24 janvier, qui ne parle en effet que des ecclésiastiques engagés dans les ordres. Il se trouve donc dans le royaume environ 3 000 sujets de sa majesté qui n’auront concourru, ni comme gens d’Église ni comme membres du Tiers État à dresser des cahiers de doléance et a nommer des députés 2.

1. 2.

Outre le classique François Olivier-Martin, L’Organisation corporative de la France d’ancien régime, Paris, Sirey, 1938, on consultera notamment Abel Poitrineau, Ils travaillaient la France. Métiers et mentalités du XVI e au XIX e siècle, Paris, Armand Colin, 1992. Archives nationales (AN), Collection générale des procès-verbaux, mémoires et autres pièces concernant les députations à l’Assemblée nationale de 1789, vol. 45, p. 407, « Lettre de Edme Dupont, musicien haute-contre de la cathédrale de Chartres, à Necker, directeur général des finances, 12 mars 1789 ». Sur Dupont, voir sa notice dans la base MUSÉFREM : https://philidor.cmbv.fr/ark:/13681/1hdkx5xyrvgnzebqi6j6/not-436539. Les ressources de

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« Amphibies » puisqu’ils semblent clercs alors qu’ils sont laïcs (mais il y a aussi parmi eux des ecclésiastiques), les musiciens d’église sont également dans un statut ambigu pour être tantôt bénéficiers et tantôt gagistes, tout en disposant fréquemment de revenus de plusieurs types. Si la remarque vaut pour tous, elle s’applique particulièrement à ceux d’entre eux qui occupent les emplois de maîtres de musique, tant il est difficile de les ranger dans des catégories rigoureusement définies, du point de vue du statut comme des activités quotidiennes. Leurs obligations sont fixées par leurs employeurs – les chapitres canoniaux – sur la base de traditions propres à chacun, parfois amendées marginalement, pratique dont il résulte une diversité de situations concrètes qui semble rendre vaine toute tentative de comparaison. Les études qui vont au-delà de l’approche monographique (une église particulière) ou biographique (un maître, le plus souvent célèbre) sont d’ailleurs à peu près inexistantes. Toutefois, le renouveau récent des recherches sur les musiciens d’église et le recours à la démarche prosopographique engagent à surmonter les obstacles et à tenter de cerner les caractères fondamentaux de la profession de maître de musique. Si l’on ne peut ignorer les singularités de chaque cas particulier, la construction d’une histoire pleinement sociale du groupe – mettant en évidence les dénominateurs communs et proposant des typologies des variables – doit demeurer un objectif. Les pages qui suivent, que l’on voudra bien considérer comme une simple contribution à un tel projet, s’attachent principalement aux contrats, baux et autres conventions d’engagement des maîtres. Ces documents, emblématiques de la diversité des situations, informent principalement sur le mode local d’articulation des tâches liées à la fonction. Mais le vocabulaire employé et les clauses de rémunération renseignent aussi sur le statut assigné au maître par les chanoines. Évidemment, l’intérêt des contrats se trouve démultiplié par leur mise en série, même lorsqu’il ne s’agit que d’un échantillon limité, comme c’est le cas dans cette étude. Loin de prétendre apporter des réponses aux questions abordées, ces pages ont pour principale finalité d’aider à penser dans sa complexité le métier de maître de musique.

cette base ont amplement été utilisées dans cet article pour les données à caractère biographique. Il convient donc de remercier tous ses contributeurs pour les informations qu’ils livrent généreusement aux chercheurs. Évoqué dans le texte cité, l’article X du « Règlement fait par le roi en exécution de ses lettres de convocation des États généraux », daté du 24 janvier 1789, prévoit la réunion d’une double assemblée dans les chapitres séculiers d’hommes : une première doit permettre aux chanoines d’élire un député « à raison de dix chanoines présents, et au-dessous » ; la seconde, visée par le texte de Dupont, rassemble « tous les ecclésiastiques engagés dans les ordres, attachés par quelque fonction au service du chapitre » et élit un député par tranche de vingt participants. Comme le souligne l’auteur, rien n’est prévu pour les dépendants laïcs des chapitres. Le « Règlement » est reproduit dans l’Introduction du volume Archives Parlementaires de 1787 à 1860 - Première série (1787-1799), éd. Émile Laurent et Jérôme Mavidal, t. I (États généraux. Cahiers des sénéchaussées et bailliages), Paris, Librairie Administrative P. Dupont, 1879. p. 544-550 (ici, p. 545) ; www.persee.fr/doc/arcpa_00000000_1879_num_1_1_1417.

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ENTRE NORMES ET PRATIQUES

MAÎTRE DES ENFANTS DE CHŒUR, MAÎTRE DE MUSIQUE À l’époque moderne, le maître est investi le plus généralement de multiples fonctions, qui ressortissent globalement de trois types d’activité 3 : l’instruction musicale des enfants, la direction du chœur et la composition. Toutefois, la liste des attributions de chaque maître, telle qu’elle est établie lors de son engagement ou dans les règlements capitulaires, diffère sensiblement selon les lieux ou, pour le moins, hiérarchise de manière spécifique les attentes des chanoines des diverses églises. Sans exagérer la portée de ces variantes dans la déclinaison des tâches, il convient sans doute aussi de ne pas les tenir pour insignifiantes. L’enseignement de la musique aux enfants de chœur constitue assurément une constante des contrats d’engagement des maîtres et une des charges principales de l’emploi puisque cet enseignement doit être dispensé chaque jour, matin et soir le plus souvent, ce qui représente ordinairement un total quotidien de deux à trois heures. Parfois les obligations sont précisément définies, comme dans ce contrat de Brioude qui évoque en 1688 l’« art de plain chant, musique et composition » 4, ou dans celui que la Sainte Chapelle de Dijon signe avec Pierre Pollio en 1751 et qui donne pour missions au maître d’apprendre aux enfants « le plein chant, la musique, le contre point ou chant sur le livre avec la composition de musique, et généralement tout ce qui concerne cet art » 5. Un texte relatif à Notre-Dame de Paris indique même que, au-delà des apprentissages fondamentaux, les enfants reçoivent une formation du « goût » 6. Explicitement les connaissances musicales sont liées à leur mise en pratique au chœur. L’enseignement des « cérémonies » est ainsi associé à celui de la musique et, pour permettre aux enfants d’être prêts à tenir leur partie, des répétitions sont prévues les veilles des fêtes, en ménageant toutefois les jeunes voix, précise-t-on à Paris 7. La corrélation établie avec la fonction cérémonielle des enfants témoigne que l’enseignement musical des maîtrises ne représente nullement une fin en soi, mais bien un instrument au service de la beauté des actions liturgiques. Le maître est chargé de garantir que les garçons qui lui sont confiés rempliront parfaitement le rôle cultuel qui leur est assigné ; les leçons de musique en sont une condition, comme en est une autre la formation qu’il assure à la décence des postures et à l’harmonie des

3.

4. 5. 6. 7.

Sur les origines de la fonction, David Fiala, Etienne Anheim, « Les maîtrises capitulaires et l’art du contrepoint du XIVe au XVIe siècle », Analyse Musicale, 69 (2012), p. 13-20 (https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs01074175/document). Pour le cas parisien, Anne-Marie Yvon-Briand, La Vie musicale à Notre-Dame de Paris aux XVII e et XVIII e siècles, thèse de l’École nationale des Chartes (dactyl.), Paris, 1949, p. 4. Bail Louis Eyssamas à la collégiale Saint-Julien de Brioude (1688), transcrit dans Bernard Dompnier (dir.), Les Bas chœurs d’Auvergne et du Velay. Le métier de musicien d’Église aux XVII e et XVIII e siècles, Clermont-Ferrand, Presses Universitaires Blaise Pascal (PUBP), 2010, p. 386-388. Archives départementales (AD) Côte-d’Or, G 1141 (document communiqué par Érik Kocevar, que je remercie vivement). Almanach Dauphin ou Tablettes royales du vrai mérite des artistes célèbres, Paris, année 1776. Cité dans Yvon-Briand, La Vie musicale, op. cit., p. 45. Règlement de la maîtrise de 1680, transcrit dans Yvon-Briand, La Vie musicale, op. cit., p. 295.

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déplacements, qu’il contrôle par une surveillance étroite des enfants durant les cérémonies, sous le regard attentif des chanoines. La vigilance à la conduite des enfants à l’église renvoie elle-même à une mission plus globale du maître, celle de les éduquer à la piété et à la vertu, en d’autres termes d’en faire de bons chrétiens, voire de leur faire adopter un comportement calqué sur celui des clercs. Le régime de l’internat, en vigueur dans la quasi-totalité des maîtrises, même pour les garçons dont la famille habite à quelques pas de l’église, facilite l’accoutumance à ces règles de vie qui prennent progressivement le tour d’un habitus au cours des huit à dix années que dure leur présence à la maîtrise 8. Les contrats d’engagement des maîtres sont nombreux à inscrire leur fonction d’éducateurs au premier rang de leurs missions, avant même de dresser la liste de ce qui est attendu d’eux en matière d’enseignement musical. Le contrat de Pierre Simoneau à Bourges en 1664 lui prescrit de « monstrer et enseigner aux enffans de cœur […] à prier Dieu, les eslever en sa crainte, iceux instruire en la piété et bonnes mœurs, les tenir dans la modestie et bienséance, et encorre leur apprendre la muzique, plain-chant […] »9. Celui de Georges Fauchier à Clermont en 1709 lui demande d’« enseigner et instruire dans la piété, vertu, cérémonies de l’église et dans l’art de musique, chant et faux-bourdon »10. La hiérarchie des obligations ne semble pas subir de modifications au cours des décennies puisqu’en 1754 le chapitre du Puy demande à Louis Grénon d’« élever [les enfants] à la piété et bonnes mœurs, leur faire garder la modestie requise, leur apprendre les cérémonies qu’ils doivent observer dans le chœur »11. D’une certaine manière, le maître est investi d’une fonction qui est celle du parfait père chrétien selon l’esprit de la Réforme catholique ; les exigences sont élevées, mais leur mise en œuvre exclut tout excès de sévérité, comme le stipule le règlement parisien de 1738 : Le maître de musique aura un soin paternel des enfans, les traitera avec douceur, corrigera leurs fautes sans aigreur ni emportement, sera attentif aux petites infirmitez qui pourront leur survenir et en donnera avis sur-le-champ à MM. les intendans 12.

8. 9. 10. 11. 12.

Bernard Dompnier (dir.), Maîtrises et chapelles aux XVII e et XVIII e siècles. Des institutions musicales au service de Dieu, Clermont-Ferrand, PUBP, 2003. Cité dans Marie-Reine Renon, La Maîtrise de la cathédrale Saint-Étienne de Bourges du XVI e siècle à la Révolution, Saint-Amand, imp. Bussière, 1982, p. 91. Transcription du contrat dans Dompnier, Les Bas chœurs d’Auvergne, op. cit., p. 383-385 (ici, p. 383). Transcription du contrat dans Bernard Dompnier (dir.), Louis Grénon. Un musicien d’Église au XVIII e siècle, Clermont-Ferrand, PUBP, 2005, p. 173-174 (ici, p. 174). Règlement de la maîtrise de 1738, transcrit dans Yvon-Briand, La Vie musicale, op. cit., p. 308. Le règlement de 1680 contenait des indications analogues, mais l’accent des justifications données était sensiblement différent : « Le maistre les considérera avec un soin paternel, comme dépositaire d’une chose qui sert si utilement à l’Esglise. C’est pourquoi il doit les estimer, ne les point traiter avec mépris […] » (Ibid., p. 297). Celui de 1738 détaille beaucoup plus précisément ce qui est attendu du maître, insistant sur la dimension proprement éducative de sa fonction. De tels règlements, qui fournissent une synthèse des tâches du maître, constituent une source de premier ordre pour une vue globale de celles-ci. Outre ceux de Paris, on peut aussi consulter ceux de Bourges, transcrits dans Renon, La Maîtrise de la cathédrale Saint-Étienne, op. cit., p. 253-254 et 257-258.

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ENTRE NORMES ET PRATIQUES

Il n’est pas certain que tous les maîtres aient disposé des compétences et qualités requises pour l’exercice de cette mission éducative, dont l’aspect central dans leurs tâches se traduit par le titre qui leur est souvent donné (« maître de la psallette », « maître des enfants de chœur »). Certains usent de violence à l’égard des enfants, tel le tyran brutal qu’évoque Grétry dans ses Mémoires 13 ; d’autres manquent d’autorité et laissent s’installer une sympathique anarchie dans la maison de la maîtrise. L’incapacité à régenter la petite troupe conformément aux normes définies par le chapitre est peutêtre le plus fréquent motif de renvoi des maîtres ; pour le moins il en est un des principaux, bien avant les insuffisances en matière musicale. Nombreux sont les maîtres qui ne cachent pas leur peu d’attrait pour cette fonction, qui exige une présence de tous les instants – de la surveillance des repas ou des récréations à celle du dortoir –, qui suppose une appétence pour les fonctions pédagogiques et qui détourne des activités proprement musicales, notamment de composition. De plus, le contrôle tatillon des chanoines, qui semblent en permanence en embuscade pour repérer les manquements dans l’exercice de ces tâches, finit souvent d’en dégoûter les maîtres. Beaucoup aspirent à être déchargés de cette responsabilité, pour laquelle ils estiment souvent le maître de grammaire ou de latin – le second pédagogue en charge des enfants de chœur – plus apte qu’ils ne le sont eux-mêmes. Dans certaines églises importantes d’ailleurs, même si le maître de musique ne perd jamais toute responsabilité d’ordre éducatif, une division des tâches est établie. Tel est le cas à Notre-Dame de Paris, où le règlement de 1738 précise : Le maître de latin est spécialement chargé du dépôt des mœurs des enfans. C’est luy qui doit principalement les former à la piété, les instruire de ce qui regarde la religion, étudier leurs inclinations et leur vocation, déraciner les mauvaises habitudes et faire fructifier les bonnes 14.

Mais un tel partage des responsabilités, qui implicitement porte témoignage de la valeur alors accordée à l’activité proprement musicale, suppose que le maître de grammaire bénéficie d’une totale confiance du chapitre et exerce sa fonction de manière relativement durable. Or les maîtres de grammaire, que les sources permettent rarement de connaître, semblent peu stables dans leur emploi, peut-être parce que celui-ci est souvent mal rémunéré. Dans plusieurs cathédrales, où ce sont des membres du bas chœur ou des étudiants du séminaire qui remplissent la fonction durant

13. 14.

André-Ernest-Modeste Grétry, Mémoires, ou Essais sur la musique, Bruxelles, Aug. Wahlen, 1829, t. 1, p. 29-34. Transcrit dans Yvon-Briand, La Vie musicale, op. cit., p. 310. Le vocabulaire employé dans les documents parisiens désigne d’ailleurs clairement le personnage qui nous intéresse comme « maître de musique » (ou plus anciennement « magister musice », « magister symphoniæ » ou « symphoniarca », Ibid., p. 3). Ce principe de partage des tâches entre deux personnes semble assez général dans les églises de Paris (voir la contribution de François Caillou dans ce volume, p. 75-87). Une étude méthodique de la terminologie utilisée au fil du temps serait à entreprendre à partir des sources elles-mêmes, les travaux publiés se montrant insuffisamment attentifs à cet aspect.

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quelques mois, au mieux quelques années, avant de céder la place à un de leurs collègues, l’éducation des maîtrisiens ne peut reposer principalement sur eux. Le plus fréquemment, le maître de musique n’obtient du chapitre qu’une décharge partielle des tâches matérielles, telle la surveillance du réfectoire ou l’accompagnement des promenades hebdomadaires ; en définitive, c’est bien lui qui demeure en règle générale le responsable en titre de l’éducation des enfants. Dans beaucoup de contrats de maîtres de musique, les obligations de composition – que l’on pourrait être tenté de considérer comme premières puisque le recrutement se fait fréquemment sur le critère des compétences en ce domaine – n’apparaissent que brièvement dans l’énumération des tâches, quand elles ne sont pas totalement passées sous silence 15. S’il n’est pas surprenant que les chapitres des petites collégiales ne mentionnent pas d’obligations de ce type, car ils n’attendent rien de leur maître en la matière, l’absence d’indications est plus inattendue pour les cathédrales où une activité de composition des maîtres est attestée par ailleurs, comme c’est le cas pour Bourges, Clermont ou Le Puy. Vraisemblablement, le recrutement fondé sur les compétences du musicien donnait une garantie suffisante sur son activité d’écriture à venir. L’hypothèse se trouve confortée par la pratique courante d’une remise au chapitre, par le maître qui part, des pièces composées durant son séjour, pour lesquelles il reçoit parfois une gratification supplémentaire, ou du moins le remboursement du prix du papier. Tel est le cas à Notre-Dame de Paris 16. À la cathédrale de Béziers, le contrat de Joseph Valette, à la fin du XVIIe siècle, porte explicitement qu’il doit laisser « toute la musique qu’il aura faite pendant ledit temps » de sa charge, manière de formaliser une coutume sans doute générale mais le plus souvent tacite 17. Il arrive toutefois que les obligations de composition du maître soient précisément définies lors de sa réception : en 1756, le contrat de Jean-Étienne Pradines, l’un des successeurs de Valette, mentionne la production annuelle d’une messe, de trois psaumes des vêpres, d’un Magnificat et d’un motet pour une fête ; de plus, il est aussi prévu qu’au cours du contrat seront composées d’autres pièces, notamment des antiennes de la Vierge et un Pange lingua 18. Le rôle du maître dans le chœur n’est pas le plus simple à définir, tant les notations à ce sujet sont brèves et souvent difficiles à interpréter. Lorsque Louis Grénon est engagé au Puy en 1754, il lui est ainsi demandé de « faire chanter des motets les jours 15. 16.

17. 18.

À Béziers, l’obligation de composer est stipulée dans les contrats dès le début du XVIIe siècle (Alex et Janine Bèges, La Vie musicale à Béziers, Béziers, Imp. Borreda, 1982, t. 1, « La chapelle de musique de la cathédrale Saint-Nazaire. 1590-1790 », p. 66). Yvon-Briand, La Vie musicale, op. cit., p. 61. À Béziers, cette clause du paiement du papier est incluse dans le contrat de Joseph Valette de Montigny. Ce bail est transcrit dans Bèges, La Vie musicale à Béziers, op. cit., t. 1, p. 159-160, ici p. 160. La collection du chapitre, ainsi constituée, doit être distinguée de celle conservée à la maîtrise, dont le maître a la garde durant son séjour et qui fait l’objet d’un inventaire à son arrivée et à son départ. Bèges, La Vie musicale à Béziers, op. cit., t. 1, p. 160. Ibid., p. 161. À la Sainte Chapelle de Dijon, Pollio doit composer chaque année « huit pièces de musique, sçavoir une messe pour les fêtes décanales, une autre messe pour les jours ordinaires, les six autres pièces seront hymnes, pseaumes, cantiques ou motets […], toutes lesquelles pièces seront signées de lui » (contrat de 1760).

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qu’on a accoutumé d’en faire chanter comme aussy toute la musique nécessaire à ladite église les jours qu’on a accoutumé d’en avoir ». La formulation ne permet pas de connaître la part relevant de sa propre composition et celle empruntée au répertoire de la cathédrale ; surtout, l’expression « faire chanter » – que l’on rencontre ailleurs aussi, comme à Béziers – laisse planer un doute sur la fonction précisément exercée : s’agit-il de diriger la musique ? Éventuellement de faire tenir des répétitions avant les cérémonies ? La direction stricto sensu n’est pas nécessaire lorsque le groupe des musiciens, toujours réduit, est réuni autour du lutrin, mais quelques mentions des textes, comme le règlement de la cathédrale Notre-Dame de Paris en 1788 (« toutes les fois qu’il en sera besoin »19), laissent entendre que la pratique existe ; pour le plain-chant, le maître donne sans doute ordinairement la note au chanoine ou au chantre qui doit entonner. L’existence de répétitions demeure pour sa part très incertaine puisqu’elle n’est jamais explicitement mentionnée et que des documents évoquent la distribution de leurs parties respectives aux divers musiciens au début de l’office seulement 20. Il est en revanche évident que le maître doit veiller au bon déroulement du dispositif cérémoniel, pour tout ce qui concerne le chant et la musique, conformément aux usages propres de l’église qui l’emploie, et aussi transmettre aux musiciens les desiderata capitulaires relatifs au déroulement des offices. Il est parfois aussi chargé de veiller à l’assiduité des musiciens et chantres, en lien avec le « ponctueur », fonction qu’il exerce parfois en personne 21. Son autorité sur le corps des musiciens se trouve confirmée par le rôle qui lui est souvent assigné dans leur recrutement, à la demande des chanoines, qui s’en remettent ainsi à son expertise 22. La place accordée aux cérémonies du culte dans les fonctions du maître ne doit pas être tenue pour l’apanage des grandes églises ; la très modeste collégiale de Murat, dans le diocèse de Saint-Flour, lorsqu’elle recrute Jean Célarier en 1626, lui demande ainsi de « gouverner et maistrizer la musique » 23. LES MODALITÉS ET LES CONDITIONS DE L’ENGAGEMENT Le recrutement des maîtres obéit à des règles diverses selon les églises, pour autant qu’il soit possible de parler de règles puisque, selon les dates, les procédures peuvent

19. 20. 21. 22.

23.

Yvon-Briand, La Vie musicale, op. cit., p. 93 (à propos de Jean-Baptiste Dugué). Voir notamment Bernard Dompnier, « “Descendre de leurs stalles pour entrer dans le chœur de musique”. Les choriers, le plain-chant et la musique », Les Langages du culte aux XVII e et XVIII e siècles, éd. Bernard Dompnier, Clermont-Ferrand, PUBP, 2020, p. 315-336. Marc Signorile, Musique et société : le modèle d’Arles à l’époque de l’absolutisme. 1600-1789, Genève-Paris, Minkoff, 1993 (« La vie musicale des provinces françaises », 8), p. 43-45. On trouve une belle série de témoignages sur ce rôle du maître dans les correspondances publiées par Bèges (La Vie musicale à Béziers, op. cit., t. 1, p. 105-133), qui montrent notamment que c’est à lui que s’adressent le plus volontiers les musiciens qui souhaitent être recrutés par le chapitre. La remarque vaut aussi pour la sélection des enfants de chœur, dont il est fréquemment chargé par le chapitre d’évaluer les qualités vocales. Transcription du contrat dans Dompnier, Les Bas chœurs d’Auvergne, op. cit., p. 385-386 (ici, p. 386).

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changer dans un même établissement. Lorsque le poste devient libre, les chanoines peuvent le proposer à un membre de leur bas chœur ou prendre contact avec un maître en fonction ailleurs, qu’ils espèrent débaucher par la promesse d’une rémunération plus élevée. Les puys de musique, concours de composition qui se déroulent à intervalles plus ou moins réguliers dans diverses villes telles que Rouen, Caen, Le Mans ou Saintes, permettent pour leur part à des musiciens en quête de poste de faire connaître leurs talents, d’acquérir une renommée auprès des chapitres et de se placer ainsi sur le marché 24. Le plus ordinairement toutefois, lorsque la place de maître est à pourvoir, le chapitre se met en quête de candidats, soit grâce au réseau de relations des chanoines dans d’autres villes, soit par des annonces publiées dans la presse ou des affiches aux portes des églises 25. Si le poste est brutalement vacant (départ inopiné du maître, décès), un intérim est confié à un musicien du lieu en attendant que la procédure de recrutement ait abouti. Aux candidats qui se manifestent pour la place, il est ordinairement demandé de produire une pièce originale de musique, qu’ils peuvent apporter ou envoyer et qui sera chantée au cours d’un office, ce qui confirme l’importance attachée par les chapitres aux qualités musicales des aspirants à la fonction de maître. Parfois, la présentation des compositions prend le tour d’un véritable concours, avec mise en compétition des musiciens intéressés, appelés à écrire un motet sur un texte imposé par les chanoines ; mais dans d’autres cas un seul candidat est invité à présenter une pièce, et la procédure est ensuite réitérée s’il n’est pas retenu. La décision du recrutement appartient au chapitre dans son entier, parfois après une pré-sélection opérée par un ou plusieurs chanoines. À Notre-Dame de Paris, une commission constituée de trois dignitaires choisit le maître, l’assemblée capitulaire se contentant le plus souvent d’entériner leur proposition ; à Béziers, c’est le « précenteur » ou le « succenteur » qui choisit un à trois noms proposés pour la décision finale 26. Il peut arriver que le choix fasse l’objet d’âpres discussions entre les chanoines 27. Apparemment, les cathédrales prestigieuses sont celles qui recourent le plus volontiers au concours, sans doute par principe, et non moins certainement parce que leur poste de maître attire plus de candidats. Plus généralement, il faut tenir compte de la loi de l’offre et de la demande, c’est-à-dire des variations du « stock » de maîtres en attente d’un premier poste ou d’une mutation d’une part, et des emplois qui viennent à vaquer de l’autre. Les cathédrales et les collégiales de quelque envergure constituant un ensemble de 200 à 300 églises environ pour l’ensemble du royaume, le

24.

25. 26. 27.

Connus par divers travaux ponctuels, les puys de musique mériteraient une étude méthodique, attentive notamment au rôle qu’ils ont joué dans la carrière des musiciens primés. Rapide mise au point sur le sujet dans Thierry Favier, Le Motet à grand chœur. Gloria in Gallia Deo, Paris, Fayard, 2009, p. 467-468. Dans ce volume, voir la contribution d’Aline Smeesters, p. 329-360. Exemples pour Bourges dans Renon, La Maîtrise de la cathédrale Saint-Étienne, op. cit., p. 90-91 ; pour Paris, Yvon-Briand, La Vie musicale, op. cit., p. 86 ; pour Toul, Gustave Clanché, La Musique, le chœur, le bas chœur de la cathédrale de Toul (documents historiques), Toul, Imp. Moderne, 1935, p. 117. Bèges, La Vie musicale à Béziers, op. cit., t. 1, p. 63-64. Parfois le chapitre ne suit pas les propositions (Ibid., p. 67). Signorile, Musique et société : le modèle d’Arles, op. cit., p. 37.

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nombre de places vacantes chaque année ne peut être que limité, et le marché de l’emploi est donc nécessairement national, ce qui impose souvent de longues distances entre deux emplois successifs au cours de la carrière. Nombreux sont les maîtres réputés à construire ainsi leur carrière par déplacements successifs pour accéder à des postes de plus en plus prestigieux au fur et à mesure que leur renommée s’affermit. Mais cette règle générale souffre toutefois de multiples exceptions, surtout si l’on quitte le petit groupe des musiciens les plus célèbres. Tout d’abord, certains maîtres n’adoptent pas ce schéma de carrière et demeurent attachés à la même église leur vie durant. Par ailleurs, certains chapitres, sans exclure les recrutements de maîtres inconnus, préfèrent chaque fois que cela est possible confier la charge à un musicien local, formé au sein même de leur maîtrise, car les chanoines le connaissent depuis l’enfance, sont assurés de ses qualités et savent aussi qu’il possède parfaitement toutes les subtilités du cérémonial de leur église. La conjonction de ces deux types de comportement – de la part du musicien et de celle du chapitre – donne naissance à des carrières sédentaires, comme celle d’Henri Hardouin qui, reçu enfant de chœur à la cathédrale de Reims vers 1735, y devient maître de musique en 1749, poste qu’il occupe jusqu’en 1790 28. Quelle que soit la diversité de leur déroulement, les carrières commencent à peu près toutes de la même manière et les profils des maîtres sont très proches au moment où ils accèdent à leur premier poste. Il s’agit d’hommes jeunes qui, après avoir eux-mêmes été formés dans une maîtrise, ont ensuite passé quelques années sans s’éloigner de celle-ci, participant au chant des offices au sein du bas chœur et continuant sans doute à se perfectionner en composition dans l’ombre du maître. L’accès au premier poste se situe souvent aux alentours de 20 ans, comme pour François Giroust nommé à Orléans à dix-neuf ans, Louis Grénon au Puy à vingt, Charles Hérissé à Meaux à vingt et un ; Jean-François Le Sueur n’a même que dixsept ans lorsqu’il devient maître à la cathédrale de Sées 29. Cela signifie donc que, loin de constituer l’aboutissement d’un itinéraire de musicien d’église – en qualité d’instrumentiste ou de chanteur –, le métier de maître correspond à un parcours spécifique et constitue le débouché naturel pour les anciens enfants de chœur qui ont manifesté les qualités les plus brillantes en matière de composition 30. Il est difficile d’évaluer l’importance des exceptions à cette règle. Elles correspondent tout d’abord aux situations où le chapitre décide de confier la maîtrise à un musicien de

28. 29. 30.

Jean Leflon, Henri Hardouin et la musique du chapitre de Reims au XVIII e siècle, Reims, Matot, 1933. On doit toutefois préciser que Hardouin a fait acte de candidature pour la maîtrise de la cathédrale de Chartres en 1753, qu’il a été retenu pour le poste, mais que le délai de réflexion qu’il a alors sollicité l’a fait évincer. Le constat est amplement confirmé par les données prosopographiques que l’on peut réunir sur des musiciens moins illustres, notamment la cohorte des maîtres en activité à la fin de l’Ancien Régime. Voir à ce sujet la base de données MUSÉFREM, déjà citée et, dans le présent volume, la contribution de Youri Carbonnier, p. 105-118. On rappellera que, dans de nombreuses églises, certains enfants sont invités à faire chanter une ou plusieurs de leurs compositions lorsqu’ils arrivent au terme de leur formation, ce qui permet d’apprécier localement leurs aptitudes ; voir dans ce volume le texte de Jean Duron, p. 361-380.

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son bas chœur ou à son organiste 31 ; mais elles se rencontrent aussi avec quelques cas de musiciens devenant maîtres sur le tard dans une autre église que celle où ils exerçaient : Pierre Malidor occupe ainsi divers emplois de serpent à partir de 1761 avant d’être recruté en 1784, alors qu’il a déjà quarante et un ans, comme maître à la collégiale Saint-Amable de Riom ; par malchance pour lui, le corps de musique y est bientôt supprimé et il reprend alors en 1789 un poste de serpentiste à la cathédrale de Clermont, n’ayant ainsi dirigé une maîtrise que durant une très brève étape de sa longue carrière. Vraisemblablement, seules les églises faiblement réputées pour leur musique recrutent ainsi des maîtres ayant préalablement occupé un emploi différent 32. Une fois qu’il a arrêté son choix, généralement transcrit dans son registre de délibérations, le chapitre, représenté par un ou plusieurs de ses dignitaires et éventuellement d’autres chanoines, formalise l’engagement par un contrat qui définit les obligations du maître et indique les ressources qui lui sont allouées pour ses fonctions. Quelle que soit sa nature précise – acte conclu devant notaire ou rédigé sous seing privé – l’acte est le plus souvent désigné comme un bail de la maîtrise 33. Juridiquement, le maître embauché se trouve ainsi assimilé au preneur d’un bien foncier ou immobilier, à qui le bailleur cède pour une durée déterminée un bien qui lui appartient – la maison de la maîtrise – en échange d’un certain nombre d’obligations, très éloignées évidemment de celles qui se rencontrent ordinairement dans ce type 31.

32. 33.

Pour les recrutements dans le bas chœur, voir Georges Escoffier, Entre appartenance et salariat, la condition sociale des musiciens de province au XVIII e siècle, thèse dactyl., Paris, EPHE, 1996 (pour Le Puy) ; mais aussi, pour Arles, Signorile, Musique et société : le modèle d’Arles, op. cit., p. 49. Parmi les cas les plus intéressants, on trouve celui de Louis-Nicolas Fromental, entré à la maîtrise de la cathédrale de Rouen en 1718 et choisi comme maître dès 1728 par le chapitre, qui l’envoie immédiatement se perfectionner à Paris durant six mois (Amand Collette et Adolphe Bourdon, Histoire de la maîtrise de Rouen, Rouen, imp. Espérance Cagniard, 1892 ; reprint L’Harmattan, Paris, 2000, p. 129). On peut aussi relever le cas de Gaspard Le May, à Rennes, qui obtient en 1777 une promesse d’engagement pour l’année suivante et reçoit en attendant une place du bas chœur (renseignement aimablement communiqué par Marie-Claire Mussat). À Toul, lorsque le chapitre de la cathédrale accorde en 1782 la maîtrise à François Bidaut, auparavant membre du bas chœur, il lui offre une formation préalable de trois mois à Paris pour se perfectionner en composition (Clanché, La Musique, le chœur, le bas chœur, op. cit., p. 143). À Notre-Dame de Paris, l’organiste Antoine Calvière devient maître en 1734 (Yvon-Briand, La Vie musicale, op. cit., p. 93). Il conviendrait sur ce point de conduire une étude méthodique, en tenant notamment compte des niveaux de rémunération. Parfois les maîtres appartenant à cette catégorie obtiennent un surplus de revenu en continuant d’exercer en même temps leur activité antérieure (voix, serpent, voire orgue). À l’évidence, le terme s’inscrit dans un contexte économique où le modèle de la gestion de propriétés rurales demeure le système de référence. On soulignera que ce modèle garde toute sa vigueur jusqu’à la fin de l’Ancien Régime : lorsque les chanoines de la cathédrale de Luçon réforment en 1787 l’administration de leur maîtrise, ils décident que « l’entretien de la psallette seroit mise au bail et que ferme en seroit consentie à un musicien sûr et irréprochable » (Philippe Praud, Le Chapitre cathédral de Luçon au XVIII e siècle. Son organisation économique, Luçon, Patrimoine Éditions, 1998, p. 49). En dépit de l’usage courant des termes « bail » ou « bailler », un examen plus attentif des contrats d’engagement montre que certains d’entre eux ne les utilisent pas, même si apparemment leur contenu ne diffère guère des autres. Parfois, les conditions de l’engagement sont décidées par le chapitre seul, sans que le maître ait même à signifier son consentement, comme à Annecy où le chapitre inscrit dans ses registres l’élection d’un nouveau maître, ajoutant immédiatement « aux conditions toutes fois suyvantes… », et le maître est invité à signer l’acte (Marie-Thérèse Bouquet, Musique et musiciens à Annecy. Les maîtrises. 1630-1789, Ambilly-Annemasse, Éditions franco-suisses, 1969 (« Mémoires et documents publiés par l’Académie salésienne », 81), p. 187-188). Une étude approfondie de la géographie et de la chronologie des formules employées, ainsi que des spécificités rédactionnelles liées à chacune d’elles, mériterait d’être menée.

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d’acte puisqu’il s’agit ici du soin et de l’éducation des enfants de chœur 34 ; dans les termes actuels du droit, le système s’apparenterait plutôt à celui d’une régie 35. Recruté sur le critère de ses compétences musicales, le maître se trouve ainsi immédiatement confronté à une hiérarchie des tâches qui place au premier plan des fonctions de formation et plus encore de gestion. Non seulement, en effet, il s’agit d’éducation chrétienne et d’instruction musicale des jeunes maîtrisiens, comme on l’a déjà évoqué, mais aussi de leur entretien matériel : le maître, qui est tenu de résider dans la maison de la maîtrise avec les enfants, a en charge leur vie quotidienne, qu’il s’agisse du chauffage, de la nourriture, du vêtement ou de la santé, avec l’aide d’une servante 36. Le chapitre lui octroie pour les dépenses afférentes une dotation, en partie en nature (du froment, du seigle, du vin) et en partie en argent, qu’il doit gérer au mieux des besoins. Preneur du bail de la maison, il est donc aussi intendant des revenus que le chapitre assigne à la psallette. Si beaucoup de maîtres manquent d’appétence pour les tâches d’éducation des enfants, il va sans dire qu’ils sont encore plus nombreux à se résigner avec difficulté à l’administration matérielle de la maîtrise, d’autant que leur propre rémunération est souvent incluse en partie dans la dotation globale. Tout comme les activités d’éducation, le bon entretien de la maison fait l’objet de la surveillance du chapitre, qui loin de sembler ignorer la lourdeur de la charge, apporte éventuellement un complément financier en cas de renchérissement des denrées nécessaires, voire dispense temporairement des tâches de gestion un maître débutant 37. Parfois, des allègements de la charge sont obtenus par le maître 38 et, dans de rares églises, le soin de la maison est dissocié de manière permanente de la fonction de maître pour être confié à un sous-

34.

35.

36.

37. 38.

Le contrat d’engagement de Jacques Foncès à la cathédrale d’Albi en 1773 use d’une intéressante périphrase pour définir les obligations du maître : « Luy avons baillé et baillons la charge, régime et gouvernement tant de la maîtrise dudit chapitre que des enfants de chœur de ladite église » (Françoise Talvard, « Être musicien pendant la Révolution : Jacques Foncès (1744-1813), maître de musique de la cathédrale d’Albi », Revue de musicologie, 94, n° 2 (2008), p. 513-530, ici, p. 528). Le terme de bail ne correspond qu’assez improprement à sa définition usuelle. Selon Furetière (1690), « bailler à ferme, à loyer, à cens et rentes, c’est donner à quelqu’un la jouissance d’une terre, d’une maison, moyennant certain prix par an, à certaine rente et redevance ». Or, en échange du bien qu’il reçoit (la maison), le maître ne verse pas une redevance annuelle, mais fournit des prestations (entretien et éducation des enfants, participation aux offices). Dans le cas qui nous intéresse, « le maître de musique est […] le chef d’exploitation d’un service de la cathédrale, comme d’autres ont la charge des terres agricoles » (Georges Escoffier, « Les emplois de maître de musique des cathédrales au XVIIIe siècle », Revue de musicologie, 94, n° 2 (2008), p. 325-345, ici p. 333). Dans la mesure où le maître possède une relative autonomie de gestion, la notion de régie – qui ne vaut toutefois que dans le champ du droit public – semble la plus appropriée. À titre d’exemple, on citera le contrat de Pierre Pollio à la Sainte Chapelle de Dijon en 1760, qui indique que sa première obligation est « de bien nourrir, chauffer, éclairer, blanchir de toute sorte de linges, tant ceux servants à leur personne, qu’autres, les six enfans de chœur de la Ste Chapelle, suivant leur condition, les conduire à l’église à tous les offices, les reconduire à la maitrise aprez iceux, et les faire manger régulièrement à sa table ». Tel est le cas à la cathédrale de Bourges à l’occasion du recrutement d’Étienne-Michel Delaplace en 1769 (Renon, La Maîtrise de la cathédrale Saint-Étienne, op. cit., p. 111). Jean-Claude [?] Josse obtient un sous-maître à Saintes ; il en va de même pour Étienne-Jérôme Laudun à Béziers ou pour Louis Bétizy à Boulogne.

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maître 39. Parfois aussi, comme à Notre-Dame de Paris à partir du milieu du XVIIe siècle au moins, ce sont des chanoines qui sont désignés comme intendants 40. Sans doute cette pratique peut-elle être lue, dans une perspective de longue durée, comme l’indice d’une évolution vers une pleine reconnaissance de l’activité musicale des maîtres, en règle générale cumulée avec d’autres très prenantes et jugées peu gratifiantes. La complexité du statut du maître est encore renforcée par le fait qu’une partie de ses revenus complémentaires relève d’autres types de relations juridiques avec le chapitre. Tout d’abord, à côté des sommes qui lui sont allouées de manière indifférenciée pour les enfants et pour lui-même, le maître perçoit fréquemment une rémunération en argent – ses « émoluments » – qui lui est spécifiquement attribuée. À certains égards, ses conditions de travail l’apparentent d’ailleurs à ce qu’est la situation actuelle du salarié (fourniture des instruments de travail par l’employeur, qui fixe aussi – au moins partiellement – les horaires d’exécution des tâches) 41. Cette part de revenu correspond, au moins tacitement, aux autres fonctions que la tutelle des enfants et la gestion de la maison, et plus particulièrement aux activités de composition. Preuve en est donnée par l’augmentation de son montant lorsque le chapitre décide de s’attacher un musicien réputé 42. Comme d’autres membres du bas chœur, le maître jouit aussi fréquemment des revenus d’un bénéfice, qui lui apporte un autre complément de ressources. Dans beaucoup de cathédrales, il entre dans le groupe restreint des semiprébendés, alors que dans d’autres il reçoit une place de « vicaire » ou est nommé titulaire d’une ou plusieurs des chapellenies de l’église 43. Il doit évidemment accomplir les devoirs qui sont ceux de ces bénéficiers, autant que le permet sa responsabilité principale ; ainsi, lorsque Brillaud Dangelliers obtient le poste de la cathédrale de Toul, il est en même temps reçu comme « vicaire, à charge de faire les heures, de porter chape quand il n’y a point de musique, et autres fonctions compatibles avec les fonctions de la musique »44. Parfois l’attribution de tels bénéfices est de règle, parfois

39.

40. 41. 42. 43.

44.

Dans certains cas, le maître doit rémunérer lui-même le sous-maître s’il désire en recruter un (voir par exemple le contrat de Louis Eyssamas à Brioude en 1688, transcrit dans Dompnier, Les Bas chœurs d’Auvergne, op. cit., p. 387). On notera que, dans certaines régions, de nombreuses collégiales disposent de manière permanente d’un emploi de sous-chantre aux fonctions multiples ; il est tout à la fois maître de grammaire, gestionnaire de la maison, membre du bas chœur et suppléant du maître lors de ses absences ; parfois cet homme à tout faire remplace le maître de manière permanente. L’existence de cette fonction, loin de correspondre à un niveau élevé de ressources dédiées à la musique et à la maîtrise, traduit au contraire une modicité de moyens. Voir Bastien Mailhot, « Les sous-chantres des collégiales du diocèse de Clermont. Approche d’une fonction musicale originale », Les Bas chœurs d’Auvergne, op. cit., p. 43-64 ; id., Les Enfants de chœur des églises du Centre de la France. Les institutions capitulaires d’éducation et leurs élèves aux XVII e et XVIII e siècles, Clermont-Ferrand, PUBP, 2018. Yvon-Briand, La Vie musicale, op. cit., p. 69-81. Au fil du temps, ces deux chanoines exercent une tutelle croissante sur la maîtrise et sur le maître. Sur ces questions, Escoffier, « Les emplois de maître de musique », art. cit. Signorile, Musique et société : le modèle d’Arles, op. cit., p. 42. Ce type de revenus n’est pas propre aux maîtres, d’autres musiciens et chantres en sont également pourvus. Dans certaines églises, ces bénéfices répartis entre les membres du bas chœur sont liés à une sorte de chapitre à l’autonomie toute relative par rapport à celui des chanoines. Tel est le cas à Paris (chapitre de Saint-Jean-leRond, Saint-Denis-du-Pas), à Chartres (Saint-Piat) ou encore au Puy (Saint-Mayol). Clanché, La Musique, le chœur, le bas chœur, op. cit., p. 119.

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aussi elle se fait quelques mois ou quelques années après la prise de fonction ; il arrive même qu’elle ne soit nullement automatique, permettant alors une augmentation de traitement en fonction du degré de satisfaction du chapitre. Il faut encore ajouter que, comme tous les membres des chapitres et des bas chœurs, les maîtres ont droit à des rémunérations liées aux actes du culte auxquels ils participent, dénommées « distributions » le plus souvent et prélevées sur les revenus de la mense capitulaire ou sur ceux de fondations pieuses. Déterminé par des règlements du chapitre, le montant alloué à chacun ne peut être perçu sans une présence effective aux cérémonies correspondantes, qui est vérifiée par le ponctueur. Toutefois des dispenses particulières sont assez fréquemment accordées aux maîtres, par exemple pour leur permettre d’achever une nouvelle composition à la veille d’une grande fête. Au total, les ressources du maître sont globalement de trois types, qu’il est tentant de faire correspondre terme à terme à chacune des grandes branches de son activité, même si les situations concrètes présentent à peu près toujours des imbrications qui résistent à toute tentative de classification rationnelle. Au moins pour la satisfaction de l’esprit, on pourrait ainsi considérer que les revenus en nature et en argent liés au bail rémunèrent la gestion de la maison et la formation des enfants, tandis que les émoluments sont à mettre en rapport avec l’activité de composition et que les rentes des bénéfices et les distributions rétribuent les diverses fonctions dans le chœur. UN MUSICIEN D’ÉGLISE PARMI D’AUTRES ? À coup sûr, le statut juridique du maître ne trouve aucun équivalent dans les rangs du bas chœur. Certains musiciens sont en effet exclusivement des salariés, généralement dénommés gagistes ; ils voisinent au cours des offices avec des chantres, bénéficiers pour les uns, simples habitués en attente d’un bénéfice pour les autres 45. L’équilibre entre ces diverses catégories diffère dans chaque église, et la rémunération des membres du bas chœur y obéit aussi à des usages propres. En dépit de la variété des statuts, la position institutionnelle et financière d’aucun autre musicien ne revêt la complexité de celle des maîtres. En même temps, les maîtres partagent à d’autres égards la condition de l’ensemble des musiciens d’église. C’est dire que le profil propre du métier, hérité pour partie de la tradition, acquiert aussi progressivement certaines spécificités à l’époque moderne, notamment dans le jeu des rapports, tant harmonieux que conflictuels, que les maîtres entretiennent avec les chapitres qui les emploient. Au rang des traits communs entre tous les musiciens, le premier qui mérite d’être souligné est incontestablement une identique dépendance des chapitres. Comme celui du bas chœur, le recrutement des maîtres est soumis à la décision des chanoines, qui prennent les contacts préliminaires, auditionnent les candidats, s’informent de leurs 45.

Tous ont toutefois en commun de percevoir un supplément de revenus grâce aux distributions et gratifications liées à la présence à certains offices.

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compétences et de leurs mœurs et tranchent finalement souverainement. Les clauses du contrat qui est alors passé, on l’a vu, sont également arrêtées par le chapitre, même si les variations de la rémunération en argent laissent entendre que certains musiciens sont en mesure de négocier cette part de leurs revenus. Plus que ce dernier point – certains des chanteurs les plus réputés semblent bien procéder de même –, la différence tient à la présence d’un véritable contrat pour le maître, et non pour les autres musiciens, à l’exception des sous-chantres – là où la fonction se rencontre – et de certains organistes 46. Un document écrit n’existe donc que lorsque le chapitre confie un bien de valeur au musicien qu’il recrute (la maison, l’orgue), d’où le terme usuel de bail ; pour tous les autres l’accord se conclut oralement. L’existence de ce contrat, qui inclut généralement une clause précisant la durée de l’engagement – le plus souvent de trois à six ans, plus rarement neuf et exceptionnellement jusqu’au décès du musicien – ne donne toutefois pas au maître la garantie qu’il restera en poste jusqu’au terme prévu puisque le chapitre, s’il est insatisfait de la manière dont il remplit ses obligations, n’hésite pas à procéder à une rupture unilatérale de la convention 47. Peut-être un peu parce que les sources de l’historien conservent davantage la trace des conflits que des idylles, les relations entre les maîtres et leurs employeurs semblent fréquemment houleuses, même si l’on peut évidemment relever des cas de parfaite entente 48. Les chapitres apparaissent le plus souvent intraitables sur le respect de leurs directives, admonestent les maîtres à propos de l’accomplissement de leurs tâches éducatives 49, les reprennent sur leur conduite morale ou leurs absences au chœur et contestent parfois le goût de leurs compositions, avant de les renvoyer sans hésitation, à moins que l’intéressé ne préfère choisir de partir. La situation de subordination des maîtres leur rend à peu près impossible toute négociation sur la définition des tâches, si l’on excepte ceux qui parviennent à se faire décharger du soin des enfants. Tout indique donc que leur sort est sensiblement identique à celui des autres musiciens. Si différence il y a, elle réside plutôt dans le fait que les attentes sont plus grandes à l’endroit du maître, ce qui multiplie les possibilités de conflictualité. Les monographies fondées sur des archives abondantes, et notamment sur des séries continues de délibérations capitulaires, permettent de prendre la mesure de ces mésententes récurrentes. L’exemple de Béziers est éloquent à cet égard 50 : Jean Gaubert s’en va en 1646 à la suite d’un conflit relatif à sa servante ; Veyrien est renvoyé

46. 47. 48.

49. 50.

Sur ce point, voir la contribution d’Érik Kocevar dans le présent volume, p. 169-179. Certains contrats incluent une clause de préavis dans le cas où l’une ou l’autre des parties souhaite le rompre (trois mois dans le bail de Joseph Valette à Béziers en 1693. Bèges, La Vie musicale à Béziers, op. cit., t. 1, p. 160) ; mais ce n’est pas le cas le plus général. L’attribution d’un canonicat à un maître à la fin de sa carrière constitue assurément la meilleure preuve de satisfaction et d’estime de la part du chapitre employeur. Mais de telles promotions, dont bénéficient par exemple Pierre Tabart ou Sébastien de Brossard à Meaux, semblent très rares. Il serait souhaitable qu’en soit entrepris un recensement méthodique. À Paris, Lallouette est accusé de « négligence » (Yvon-Briand, La Vie musicale, op. cit., p. 109). Notre documentation est ici fournie par Bèges, La Vie musicale à Béziers, op. cit., t. 1, p. 65-76. On trouverait

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en 1662 pour s’être opposé à un chanoine ; Valette est prié de chercher un autre poste en 1692 après s’être marié. Curieusement, après ce départ le chapitre recrute Claude Denuys qui a accumulé les réprimandes dans son poste précédent à la collégiale de Beaune, dont il a été licencié en 1689 ; il l’est aussi de la cathédrale de Béziers en mai 1701, après un premier renvoi en 1700 suivi de sa réintégration ; son successeur Gilly est congédié en 1704, jugé incapable d’enseigner et de composer ; Jean-Baptiste Moreau, recruté après lui, ne fait qu’une brève apparition en 1705. Le chapitre, sans doute faute de bons candidats, reprend alors Denuys, qui part régler des affaires familiales à Beaune en 1713 et laisse sa place vacante de longs mois ; à son retour, les griefs s’accumulent contre lui et il est de nouveau renvoyé en 1719 pour trop d’indifférence aux remontrances des chanoines : Le sieur Denuys […] est demeuré si incorrigible que toutes les représentations qu’on luy a faites ont eu un finiès [i.e. une issue ?] tout à fait opposé à celluy que le chapitre devoit espérer. Le chapitre, piqué du peu d’attention du sr Denuits à touttes les représentations qu’il luy a fait faire depuis un très long temps […], par cette raison et autres à luy connues quil se réserve d’expliquer en temps et lieu s’il est besoin, a unanimement délibéré qu’il donnoit congé au sr Denuits tout présentement.

Son successeur – Balmier ou Palmier –, recruté en 1726, ne reste que quelques années, et c’est de nouveau Denuys qui occupe la place jusqu’en 1732, date à laquelle le chapitre, considérant qu’il a rempli la charge de nombreuses années « avec fidellité, exactitude et applaudissement universel », décide de lui octroyer une pension (il a alors 71 ans) 51 ; Joseph Florens, reçu pour lui succéder en dépit d’avis très divergents sur ses capacités de composition, abandonne le poste au bout de trois ans. Les décennies suivantes semblent beaucoup plus calmes, les chanoines étant sans doute plus heureux dans leurs recrutements ; seul le renvoi de Jean Combes, en réalité parti pour un emploi plus rémunérateur, trouble la quiétude des rapports entre les chanoines et leur maître durant cette période 52. Il est ainsi évident que le chapitre de la cathédrale de Béziers peine fréquemment à trouver un maître conforme à ses vœux. Faut-il en chercher la raison dans la relative marginalité de cet établissement par rapport aux grands foyers musicaux du royaume ? L’argument ne vaut guère puisque, comme on le sait, le Languedoc, fort d’un dense réseau de cathédrales, dispose de surcroît d’une intense activité musicale profane, par exemple à l’occasion des réunions des États provinciaux ; d’ailleurs plusieurs des maîtres cités n’ont pas une origine régionale. S’agit-il alors d’une particulière malchance dans les recrutements ou d’une instabilité

51. 52.

pour d’autres villes des exemples analogues à celui retenu ici. Pour Bourges, voir ainsi Renon, La Maîtrise de la cathédrale Saint-Étienne, op. cit., p. 97, 105, 113-114. L’attribution d’une pension aux maîtres à qui l’âge interdit l’exercice de leurs fonctions est assez courante, ce qui montre que la conflictualité n’est pas la règle générale. Dans certains cas toutefois, il apparaît qu’il peut aussi s’agir d’une manière – plus élégante que d’autres – de se séparer d’un maître. Bèges, La Vie musicale à Béziers, op. cit., t. 1, p. 70-75.

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inhérente au métier de maître ? De telles explications, qui ne peuvent être totalement écartées, ne doivent pas masquer deux autres éléments, qui ne sont pas propres à la situation biterroise : la susceptibilité des chanoines à l’égard de tout ce qui peut ressembler à un défaut d’obéissance ou de respect d’une part 53 et, de l’autre, le niveau très élevé des attentes qu’ils placent dans leur maître. Sur ce dernier point, il est révélateur que les manquements qui sont relevés ne touchent ordinairement qu’à une partie des fonctions, au total sans doute trop nombreuses pour être parfaitement accomplies par un seul homme. Il est ainsi intéressant de noter qu’au moment où le turbulent Denuys, si souvent admonesté et même renvoyé, quitte définitivement le métier pour raison d’âge il se trouve des chanoines pour regretter qu’on ne le garde pas quelques années supplémentaires, estimant que ses qualités de compositeur sont nettement supérieures à celles du candidat qu’on s’apprête à lui substituer54. Lorsqu’ils sont écartés de leur emploi, la plupart des maîtres semblent accepter la décision capitulaire, considérant sans doute que la précarité fait partie des aléas de leur métier. Ils se mettent alors en quête d’un autre poste, non sans avoir parfois déjà pris des contacts ailleurs lorsque les relations avec leur employeur ont commencé à se détériorer. L’arrivée de Louis Grénon à la cathédrale de Clermont a ainsi vraisemblablement été précédée de contacts noués au cours des mois précédents sur fond de difficultés entre le maître et le chapitre du Puy, au service duquel il était alors. Toutefois, il arrive qu’un maître tente de contester son licenciement en portant l’affaire devant la justice. Pour rares qu’ils soient, les cas existent, comme le montre le « mémoire » rédigé par Claude-Amable Roussignol, maître à la collégiale Saint-Pierre de Lille en 1786 55. Accusé de ne pas nourrir correctement les enfants, il a protesté avec une « chaleur » excessive auprès d’un des deux chanoines « maîtres de fabrique » qui assurent la tutelle de la maîtrise. La situation s’est alors envenimée et il a été congédié sans que les chanoines acceptent d’entendre sa version des faits. Alors qu’il cherchait à continuer ses fonctions, il en a été empêché par une délégation du chapitre, accompagnée « d’une foule de trois cens personnes de la lie du peuple ». Il estime alors qu’il n’a d’autre choix que de porter l’affaire devant la justice royale : Devois-je dévorer en silence les outrages dont on m’accabloit ? Devois-je me laisser dépouiller sans me plaindre ? Devois-je laisser consommer la ruine de ma fortune, de

53.

54. 55.

L’attitude des chanoines ne saurait être totalement séparée de la morgue avec laquelle les nobles (on trouve un certain nombre de membres de ce groupe social dans les chapitres de quelque importance) traitent les roturiers. De plus, il semble bien que l’accès des maîtres à des semi-prébendes, qui leur permet une quasi-identification à des chanoines, ne fait que renforcer chez les membres du chapitre le besoin de marquer leur supériorité. Bèges, La Vie musicale à Béziers, op. cit., t. 1, p. 74. Mémoire pour Me Roussignol, Prêtre, ancien Maître de Musique de la Cathédrale de Verdun, et Maître de Musique actuel de la Collégiale de St. Pierre de la Ville de Lille (signé Lagarde), Lille, L. Danel, [1786], 34 p. (BnF, imprimés, 4-FM-28538). Né à Riom en 1744, Roussignol fait partie des musiciens qui accèdent tardivement à un emploi de maître : longtemps semi-prébendé à la collégiale Saint-Amable de sa ville natale, il occupe son premier poste de maître à la cathédrale de Verdun, dans des conditions qui demeurent inconnues. En 1784 il obtient sur concours le poste vacant à la collégiale Saint-Pierre de Lille.

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mon honneur, de mon état, sans réclamer contre l’injustice qui m’enlevoit tous ces biens à-le-fois ?

Débouté d’une première demande de provision qui aurait permis de geler la situation en attente du jugement définitif, il soutient dans le mémoire évoqué qu’il ne pouvait « être valablement destitué sans cause légitime ». Roussignol estime en effet qu’il « seroit scandaleux, il seroit contraire aux premiers principes de la Religion, de permettre que les Chapitres transformassent en un despotisme révoltant la Juridiction correctionnelle qu’ils ont sur leurs Membres ». Dans son cas, le traitement dont il a été la victime est particulièrement révoltant en raison de son statut de prêtre : Quel seroit donc dans le système que j’ai à combattre, quel seroit l’état d’un Prêtre pourvu d’un Office ecclésiastique ! Réduit en quelque sorte à la condition de valet, pourra-t-il prétendre à jouir de la considération dont l’ordre public exige qu’il soit honoré ? Toujours incertain de son sort, il devra donc s’occuper plutôt à flatter les fantaisies, les passions de ses supérieurs, qu’à remplir avec zèle les fonctions de son état.

Les traités des jurisconsultes – poursuit le mémoire – prouvent amplement que les bénéfices ecclésiastiques ne peuvent être retirés à leurs détenteurs de manière arbitraire, c’est-à-dire sans décision de justice. Et Roussignol s’attache alors à démontrer que l’emploi de maître relève pleinement du droit des bénéfices : le maître ne peut être comparé « à un simple Gagiste, à un Carillonneur » puisque ses « fonctions ont pour objet d’exercer et d’enseigner la science, de donner à nos hymnes, à nos prières la majesté que le Chant leur imprime ». À la collégiale Saint-Pierre, de surcroît, l’une des chapelles de l’église est liée à l’emploi de maître ; celui-ci en perçoit les revenus, est revêtu de l’aumusse à sa réception et installé dans une stalle de chapelain, et non de musicien. Si les sources ne permettent pas actuellement de connaître la suite des démêlés de Roussignol avec le chapitre lillois, il est certain que l’issue de la procédure ne lui fut pas favorable : nommé pour lui succéder le 27 avril 1787, François-Joseph Schorn conserve le poste jusqu’à la Révolution 56. À vrai dire, le combat du maître déchu avait peu de chances de se conclure à son avantage, la puissance des chapitres rendant généralement vaines les tentatives du type de la sienne, peu nombreuses au demeurant ; à l’appui de sa requête, il ne trouve lui-même qu’une seule affaire capable de faire jurisprudence en sa faveur, celle d’Urbain Mabile contre les chanoines de la cathédrale de Nantes en 1771. Le plus souvent donc, les maîtres doivent se résoudre à accepter leur renvoi quand il est décidé par le chapitre, en dépit de leur intime conviction d’être victimes d’une décision « arbitraire », peut-être seulement plus mal vécue à la fin de

56.

Les informations réunies sur Roussignol indiquent qu’il aurait été curé d’Estournel (Nord) de 1791 à 1793, puis qu’il aurait fini ses jours dans le département de l’Allier.

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l’Ancien Régime qu’antérieurement. On est tenté d’ajouter que le curriculum antérieur de Roussignol explique en partie qu’il déploie des efforts désespérés pour conserver son emploi ; il n’appartient pas à la catégorie de ceux qui courent avec succès de poste en poste depuis leurs vingt ans, mais n’est entré dans la carrière que sur le tard; il appréhende donc à juste titre de ne pas retrouver un emploi du même type, d’autant qu’il n’a sans doute qu’une pratique limitée de la composition – il n’évoque jamais cet aspect de la fonction dans son mémoire –, handicap indiscutable à l’étape où il se trouve. Si elle n’occupe pas une place centrale dans les contrats d’engagement, l’activité de composition constitue toutefois un élément décisif dans le recrutement des maîtres, sans doute de manière croissante au cours des deux derniers siècles de l’Ancien Régime. Elle joue aussi un rôle important dans les relations entre le chapitre et le maître, et ce dernier construit de plus en plus sa renommée sur les compétences qui lui sont reconnues en ce domaine. Fonction exclusivement assurée par le maître – rares sont les sources qui mentionnent des pièces produites par d’autres catégories de musiciens d’église, alors qu’à peu près tous y ont été formés –, elle peut être considérée comme le véritable marqueur du métier, peut-être surtout dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. Les chanoines sont attentifs à la qualité des compositions de leur maître et à la réputation de celui-ci dans le domaine musical, qu’ils considèrent évidemment comme un moyen d’accroître le prestige de leur église 57. Cela se vérifie dès l’étape du recrutement, pratiqué ordinairement sur concours, avec généralement présentation d’une pièce écrite sur un texte imposé. Mais les débauchages de maîtres réputés, les augmentations de gages pour attirer les meilleurs ou les clauses imposant un nombre annuel de nouvelles pièces constituent autant d’indices de l’importance attachée à la qualité des compositions qui accompagnent les offices. La nouveauté du dernier siècle de l’Ancien Régime tient à un environnement culturel stimulant pour la création, par l’émergence de lieux profanes où les musiciens peuvent mettre en valeur leurs compétences et, pour les meilleurs d’entre eux, acquérir une reconnaissance qui dépasse le cadre de leur province. Tel est le cas du Concert spirituel de Paris, qui fait place dans ses programmes à des œuvres d’un certain nombre de maîtres des grandes cathédrales ; Nicolas Gaumay, maître à Bourges, obtient ainsi les faveurs du public parisien dès la décennie 1720 à travers le Concert spirituel 58. Dans les académies de musique et institutions analogues des principales villes de province, le maître en fonction à la cathédrale joue aussi régulièrement un rôle important, comme on peut par exemple le vérifier avec François Giroust qui, à peine nommé à la cathédrale d’Orléans en 1756, redonne

57.

58.

Favier, Le Motet à grand chœur, op. cit., p. 388-393 et 467. L’auteur souligne que la composition et l’exécution de motets à grand chœur non seulement renforcent le prestige de l’institution, mais contribuent aussi à l’affirmation de son identité, voire à celle de la ville. Le lien entre compositions du maître et prestige de l’église où il exerce se vérifie clairement lorsqu’une ville compte plusieurs églises disposant d’un corps de musique. Voir à ce propos la contribution de Christophe Maillard dans le présent volume, p. 205-219. Renon, La Maîtrise de la cathédrale Saint-Étienne, op. cit., p. 101-102.

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vie à l’académie de musique du lieu et en prend la direction 59. Le « goût » musical, nourri par les concerts et par les comptes rendus qu’en donne une presse alors en essor, se développe dans les élites du XVIIIe siècle, et les principales cérémonies religieuses extraordinaires font elles-mêmes l’objet de jugements de la part de ce public 60. D’une certaine manière, les chanoines participent par leurs recrutements à la construction des renommées, cherchent à tirer bénéfice de choix judicieux d’engagement et sont conduits à des concessions au goût dominant. Mais, d’un autre côté, ils craignent aussi une perte de leurs traditions propres, une dilution de la spécificité des musiques d’Église et une théâtralisation des cérémonies du culte 61. D’où certains de leurs revirements à l’égard de leurs maîtres, recrutés pour leur renommée mais parfois considérés après quelque temps comme trop imprégnés d’esprit profane. Plus précisément, il semble bien que des clivages internes existent souvent au sein des chapitres à propos de la musique et que les brutales ruptures avec des maîtres réputés soient à imputer à l’existence de majorités canoniales mouvantes à propos du type de musique à associer au culte ; Jean-François Le Sueur fait sans doute les frais d’un revirement de ce type en 1787 lorsqu’il doit quitter lui aussi le poste de Notre-Dame de Paris. Si beaucoup de chanoines participent du conservatisme culturel qui prévaut dans le clergé au XVIIIe siècle, d’autres – plus engagés sans doute dans les cercles de sociabilité des élites – partagent les aspirations nouvelles en matière musicale. À certains égards, la situation des maîtres se trouve fragilisée par ces évolutions. Mais, d’un autre côté, leur renommée et leur carrière gagnent dès lors en autonomie par rapport aux employeurs. La figure du musicien compositeur s’impose progressivement sur la scène sociale ; son identité est moins associée à la fonction de maître d’une église, même s’il s’agit encore de la situation la plus fréquente, et il acquiert progressivement le statut d’artiste, dont sont mis en avant l’inspiration, voire le génie, alors qu’il avait longtemps été considéré comme un artisan, exclusivement héritier d’un savoir et de règles traditionnelles 62. À cet égard, le choix de Campra, qui abandonne en 1700 sa place de maître à Notre-Dame de Paris pour pouvoir plus librement s’adonner à des genres variés hors de la dépendance d’un chapitre, pourrait être considéré comme un tournant caractéristique dans ce processus 63.

59. 60. 61.

62. 63.

Autres exemples dans Favier, Le Motet à grand chœur, op. cit., p. 404-435, 455-456, 469. Dans le présent volume, voir le cas de Joseph-Antoine Lorenziti à Nancy, présenté par René Depoutot, p. 221-241, ainsi que la contribution de Thierry Favier, p. 243-259. Favier, Le Motet à grand chœur, op. cit., p. 479-498. Voir aussi Thierry Favier et Manuel Couvreur (dir.), Le Plaisir musical en France au XVIII e siècle, Sprimont, Mardaga, 2006. Favier, Le Motet à grand chœur, op. cit., p. 460. Sur le « conservatisme esthétique » du clergé, ibid., p. 500-507. La défiance semble s’exercer particulièrement à l’égard du grand motet, composition la plus prestigieuse que peut offrir un maître, mais aussi la plus coûteuse, la plus susceptible d’épouser le goût du temps et, de surcroît, faisant appel à un nombre important de musiciens extérieurs, dont la moralité suscite des inquiétudes chez les chanoines. Ibid., p. 473. Ibid., p. 445.

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LA SOLIDE IMPLANTATION DES CLERCS DANS LE MÉTIER L’évolution du statut social du musicien est volontiers mise en relation avec une autre, tenue pour son corollaire logique, la présence croissante de laïcs parmi les maîtres, alors que la fonction était, de longue date, occupée principalement par des prêtres, ou du moins par des clercs. Au XVIIe siècle, le recrutement privilégiait les hommes d’Église, et le célèbre Annibal Gantez écrit même dans un chapitre où son horreur du mariage le dispute à sa misogynie, que « femmes, pommes et noix sont choses qui gastent la voix » ; il conseille donc au candidat à une place de musicien d’Église d’« espouser un Bréviaire »64. Beaucoup plus pragmatique, dans un ouvrage publié la même année, le chanoine Bordenave n’écarte pas la présence de maîtres mariés, à condition qu’ils « témoignent en leur mariage une volupté chaste, prudente et consciencieuse », sans cacher toutefois sa nette préférence pour le recours à des clercs 65. Les listes de maîtres conservées pour les XVIIe et XVIIIe siècles montrent clairement que la plupart des églises recrutent majoritairement des ecclésiastiques, que les règlements locaux l’imposent explicitement ou non. Encore dans les dernières années de l’Ancien Régime, les maîtres en activité sont surtout des hommes qui ont opté pour l’état clérical. Cela se vérifie dans les églises parisiennes 66, mais aussi dans beaucoup de cathédrales et de collégiales de province 67. Il est vrai toutefois que se rencontrent aussi tout au long des deux siècles des laïcs, le plus souvent mariés 68. Parfois les chanoines sont en quelque sorte mis devant le fait accompli, comme lorsque Joseph Valette, recruté en 1689 par la cathédrale de Béziers à l’âge de vingt-quatre ans après avoir suivi un parcours traditionnel d’enfant de chœur, annonce en 1692 son intention de se marier et en demande l’autorisation au chapitre, conscient de la relative incongruité de son projet : La nécessité indispensable dans laquelle je me trouve de me marier, m’a déterminé à vous présenter ce mémoire en forme de placet où sont contenues les raisons qui peuvent m’attirer l’agrément et le consentement que j’ay aujourd’huy l’honneur de demander à votre illustre Corps 69.

64. 65.

66. 67. 68.

69.

Annibal Gantez, L’Entretien des musiciens, Auxerre, Jacques Bouquet, 1643, p. 34. Jean de Bordenave, L’estat des églises cathédrales et collégiales, où il est amplement traitté de l’institution des chapitres et chanoines, des offices divins […], Paris, Vve Mathurin Du Puis, 1643. Ce passage est cité dans Bernard Dompnier, « Un code des ‘bonnes pratiques’ musicales au milieu du XVIIe siècle. L’Estat des églises cathédrales et collégiales du chanoine Jean de Bordenave », Réalités et fictions de la musique religieuse à l’époque moderne. Essais d’analyse des discours, éd. Thierry Favier et Sophie Hache, Rennes, PUR, 2018, p. 217-228 (ici, p. 226). Voir dans le présent volume la contribution de François Caillou, p. 75-87. Voir dans le présent volume la contribution de Sylvie Granger, p. 155-167. Les maîtres laïcs demeurés célibataires semblent très rares, tant il est vrai que l’état clérical « simple », c’està-dire avec réception de la tonsure seulement, présente plus d’avantages que l’état laïc pour faire carrière dans les musiques d’église. C’est bien la décision de se marier qui conduit à renoncer à l’état clérical ou à l’abandonner. Il convient de relever à cet égard que les pages du traité que Bordenave consacre à la question des maîtres laïcs n’envisagent que le cas des hommes mariés. Texte reproduit dans Bèges, La Vie musicale à Béziers, op. cit., t. 1, p. 68-69.

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Pour plaider sa cause, Valette souligne que sa future femme est bien dotée et qu’elle ne sera donc pas à charge de l’église ; bien au contraire, il disposera de plus de revenus pour les fréquentes dépenses extraordinaires de la maîtrise. De surcroît, si les chanoines jugent « qu’il n’est pas de la bienscéance à un homme marié de porter le surpelis », Valette s’offre de paraître au chœur sans ce vêtement et il se déclare même prêt à renoncer aux revenus des obits attachés à la charge qu’il occupe. Enfin, il ne manque pas de faire valoir que d’autres églises ont des maîtres mariés, citant les exemples régionaux des cathédrales de Toulouse, Narbonne et Montpellier. Mais le chapitre n’est pas prêt à accepter cette situation nouvelle et l’invite à chercher une autre place, qu’il obtient peu de temps après, précisément à Narbonne. Toutefois, les années passant, les chanoines de Béziers tempèrent leurs exigences et recrutent à diverses reprises des maîtres mariés. C’est le cas d’abord de Jean-Baptiste Moreau en 1705 ; puis, en 1730, lorsque Denuys est réintégré après avoir été chassé quelques années plus tôt, il est désormais marié lui aussi, ce qui ne semble pas constituer un obstacle à son retour, la seule condition posée étant qu’il participera aux offices « avec les habits ordinaires » et non en surplis, vêtement de chœur distinctif des clercs 70. Mais la persistance d’une majorité de clercs parmi les maîtres interdit de conclure que les chapitres préfèrent progressivement recruter des laïcs. D’ailleurs, si l’on considère les obligations qui sont celles des maîtres, il est aisé de comprendre que l’engagement d’un ecclésiastique présente de nombreux avantages. Institutionnellement tout d’abord, dans les églises où la musique est assurée par le corps des chantres, comme c’est le cas d’un certain nombre de cathédrales de la moitié méridionale du royaume, tous ceux qui prennent place dans le chœur sont des ecclésiastiques ; à leur différence, le maître peut ne pas avoir été formé sur place, mais il paraît incongru qu’un laïc soit investi d’une autorité sur le groupe des clercs dans le cadre des offices ; aussi recrute-t-on toujours un ecclésiastique comme maître. L’exemple de la cathédrale du Puy en fournit une parfaite illustration. Ailleurs, lorsque les musiciens sont des gagistes et, pour partie au moins, des laïcs, un même type de raisonnement prévaut bien souvent pour des raisons de dignité des fonctions liturgiques, qui mêlent des considérations de convenance et de morale. Là aussi, les chapitres ne sont pas très enclins à donner un rôle cérémoniel important à un homme qui siégera dans le chœur « avec les habits ordinaires », selon les termes utilisés à Béziers, et qui n’offre pas les mêmes garanties de comportement personnel que les clercs. On sait en effet que les chanoines, qui portent généralement un jugement dépréciatif sur les musiciens laïcs courant de place en place pour des gages, tiennent souvent leurs mœurs pour

70.

Ibid., p. 63-73. À la même époque, le chapitre de la cathédrale de Rouen découvre aussi que son maître, Jacques Lesueur, ancien enfant de chœur et clerc, est marié depuis plusieurs années à son insu ; il lui est seulement demandé de demeurer désormais hors de la maîtrise et, à sa mort, survenue l’année suivante, il est décidé de ne plus recruter que des maîtres qui soient prêtres (Collette et Bourdon, Histoire de la maîtrise de Rouen, op. cit., p. 124-125).

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suspectes. A fortiori ils hésitent à confier le poste de maître à l’un d’eux ; même lorsqu’il s’agit d’un clerc « étranger », ils ne l’engagent d’ailleurs pas sans avoir obtenu de solides garanties du chapitre qui l’employait précédemment, ou de quelque autre instance religieuse. Dans le même registre, le recrutement d’un ecclésiastique semble assurer que son obéissance aux directives des chanoines et sa déférence pour leur autorité seront plus complètes, car – surtout s’il est passé par un séminaire – il est formé au respect des hiérarchies propres au monde ecclésiastique, à la différence du laïc qui n’appartient pas à ce monde. On ne peut non plus oublier que les fonctions du maître auprès des enfants, loin de se limiter à l’enseignement de la musique, font une large place à l’éducation chrétienne, tâche pour laquelle les prêtres semblent plus parfaitement compétents. Un motif d’ordre économique vient s’ajouter aux précédents pour favoriser le recrutement de clercs comme maîtres de musique. Comme le stipulent leurs contrats, des bénéfices tels qu’une semi-prébende ou des chapellenies sont fréquemment associés à la fonction, ce qui exclut – en théorie au moins – d’accorder le poste à des laïcs, à moins d’organiser un complexe système de compensations. Bien plus, l’augmentation de rémunération des maîtres au cours de l’exercice de leur charge est ordinairement assurée par l’attribution progressive d’autres bénéfices mineurs. Pour les chanoines, ceux-ci relèvent toutefois d’un type particulier : non résignables in favorem, ils correspondent à la rémunération d’une prestation et ne donnent aucun droit particulier 71. À la cathédrale d’Orléans, les émoluments du maître intègrent ainsi les revenus de la semi-prébende de Saint-Vrain associée à son emploi ; lorsque Louis Bachelier, recruté l’année précédente, cherche à faire valoir en 1732 que ces derniers doivent venir en supplément aux 26 livres hebdomadaires qu’on lui a promises, le chapitre démontre, preuves à l’appui, que la pratique n’a jamais été celle-ci 72. Son argumentaire, qui renvoie au « décret » de création des cinq semi-prébendes en 1644, souligne précisément « que de tels bénéfices sont purement stipendiaires et qu’ils n’ont été créés que pour tenir lieu de gages, ad stipendia persolvenda », avant d’ajouter : Il est vray qu’un pareil usage serait abusif s’il s’agissoit de bénéfices ordinaires et proprement dits, dont les fonctions étant spirituelles sont inestimables à prix d’argent ; mais s’agissant ici de bénéfices d’un ordre inférieur, qui ne demandent que des talens naturels ou acquis, tels que sont une belle voix ou la science de la Musique ; talents dont l’exercice est appréciable, rien n’empêche que la rétribution attachée à ces mêmes exercices quoiqu’érigés en titres n’entre en compensation des gages auxquels ces talents méritoient d’être aprétiés.

71.

72.

Certains juristes et certains règlements tiennent même ces bénéfices pour « amovibles ad nutum capituli ». Cette question est traitée de manière plus développée dans Bernard Dompnier, « Accroître la musique sans dépenser davantage. Les chapitres du XVIIIe siècle et la rémunération des bas chœurs », La Circulation de la musique et des musiciens d’église. France, XVI e-XVIII e siècles, éd. Xavier Bisaro, Gisèle Clément et Fañch Thoraval, Paris, Garnier, 2017, p. 247-269. AD Loiret, Fonds Jarry, 2 J 1768.

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En d’autres termes, les bénéfices dont jouissent les maîtres ne rétribuent que leurs compétences techniques et ne doivent être tenus que pour des composantes de leur rémunération ; juridiquement, ils font eux aussi partie des « gages ordinaires » qui leur sont attribués. Avancé dans ce cas pour bloquer une revendication d’ordre pécuniaire, le même raisonnement capitulaire peut valoir aussi lorsque les semi-prébendés tentent de faire valoir que leur état les apparente à celui des chanoines. D’une manière générale, l’octroi de bénéfices permet de limiter le prélèvement à effectuer sur les revenus de la mense capitulaire pour la rétribution du maître, selon un procédé utilisé depuis longtemps pour l’entretien des bas chœurs et des maîtrises. Les semi-prébendes accordées aux maîtres ou à d’autres officiers du chœur sont ainsi, comme le rappelle leur dénomination, des portions de prébendes canoniales supprimées pour permettre l’augmentation de l’effectif du personnel employé dans le culte 73. Un tel système de rémunération n’a rien pour surprendre dans un contexte où la circulation des espèces monétaires manque de fluidité et où chacun cherche à vivre au maximum de ses propres ressources; les chapitres, pleinement intégrés à cette économie, rétribuent en partie les maîtres par délégation d’une portion de leurs biens, à laquelle correspondent des revenus spécifiques. Mais la place prise par les bénéfices mineurs dans la dotation des musiciens peut aussi être lue de manière un peu différente : pour les chanoines qui désirent donner plus d’ampleur à la musique, tant par souci de prestige que pour céder au goût du temps, le procédé permet de contenir la pression que représente ce poste de dépenses dans le budget de la mense capitulaire, sur lequel pèse déjà le coût des gagistes. En ce sens, mieux vaut recruter des clercs que des laïcs pour accroître la solennité musicale des cérémonies car la gamme des moyens de rétribution des premiers est plus étendue. En corollaire, il est aussi possible d’étendre le service des chantres bénéficiers à la musique figurée, alors qu’il est impensable de demander à un gagiste laïc de participer au plain-chant. Une autre possibilité consiste, par un total changement de paradigme, à fusionner tous les revenus des chapellenies et autres bénéfices mineurs dans une « bourse commune », sur laquelle repose alors la rétribution de l’ensemble des acteurs du chant et de la musique. Cette solution présente l’avantage de permettre de recruter et de renvoyer en toute liberté l’ensemble des personnels du chœur, sur le seul critère des compétences musicales, indifféremment au statut clérical ou laïc de chacun; elle permet aussi d’accorder une rémunération liée aux seuls talents et d’accroître les émoluments des maîtres ou autres musiciens que l’on veut durablement s’attacher. Des réformes fondées sur de telles options, qui bouleversent le mode pluriséculaire de fonctionnement des bas chœurs, sont mises en œuvre dans quelques églises – ou pour le moins esquissées – au cours des dernières décennies de l’Ancien Régime, en dépit de la fréquente opposition qu’elles rencontrent chez les intéressés en fonction 74. 73. 74.

L’exemple d’Orléans, qui vient d’être cité, constitue toutefois une exception à cette règle générale puisque les semi-prébendes créées en 1644 le sont non par suppression de prébendes mais par réunion de chapelles. Dompnier, « Accroître la musique », art. cit., p. 263-267 (avec les exemples des cathédrales de Blois, Nantes, Toul).

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BERNARD DOMPNIER

Sauf lorsque de telles réformes sont menées à leur terme, ce qui est assez rare, la rémunération des bas chœurs semble de plus en plus appuyée sur des bénéfices, solution la plus économique. Aussi le recrutement de clercs est-il privilégié, notamment pour la fonction de maître, qui correspond aux émoluments les plus élevés et suppose de ce fait le recours à une gamme étendue de types de ressources. C’est ce contexte qui explique que le chapitre de la cathédrale de Toul décide, en plein XVIIIe siècle, de ne plus recruter que des prêtres comme maîtres. On est donc très loin d’une évolution linéaire qui conduirait progressivement à une prédominance des laïcs dans la fonction à la fin de l’Ancien Régime. *** Finalement, l’étude des contrats d’engagement des XVIIe et XVIIIe siècles renvoie l’image d’une complexité de la figure du maître, ou plutôt d’une grande diversité des figures. Chaque église a ses traditions propres, qui règlent durablement ses choix en matière de recrutement des maîtres et de définition de leurs fonctions. Globalement, il est principalement attendu d’eux qu’ils prennent en charge les enfants de chœur, tâche qui inclut non seulement leur formation musicale, mais aussi leur éducation à la piété et à un comportement chrétien. Mais il est non moins évident que beaucoup de maîtres n’acceptent cette charge qu’avec réticence, sauf peut-être dans les collégiales de faible importance, qui d’ailleurs ne cherchent pas à attirer des maîtres renommés. Dans les grandes églises – principalement les cathédrales –, le maître est parfois statutairement déchargé du soin des enfants et de la gestion de la maison où ils résident, tâches confiées à un autre dépendant du chapitre. Quand ce n’est pas le cas, en négociant avec les chanoines ou en s’acquittant imparfaitement de ce volet de leur contrat, les maîtres arrivent parfois à en être dispensés. Mais il ne s’agit pas de la situation la plus fréquente. L’insistance mise par les chapitres sur la gestion du groupe des enfants de chœur révèle le paradoxe de l’emploi de maître. Alors que les attentes musicales ne sont que brièvement évoquées dans les contrats, c’est pourtant un musicien que les chapitres recrutent pour l’emploi. Les critères de choix entre les candidats, que le chapitre mette ou non en place un concours, témoignent de l’attention exclusive accordée aux compétences en composition ; de son côté, l’obligation de remettre au chapitre les pièces écrites durant l’exercice de la fonction, montre aussi que les chanoines souhaitent actualiser de manière continue le répertoire de leur église pour maintenir, voire accroître, l’éclat des cérémonies, avec une préférence marquée pour les musiques spécifiquement écrites pour elle. Le phénomène s’amplifie assurément au cours de l’époque moderne, et tout particulièrement au XVIIIe siècle lorsque la musique devient objet de jugements esthétiques de la part des élites sociales. La renommée des maîtres se construit dès lors davantage sur leur capacité à satisfaire le goût musical, et il en découle – du moins pour les plus brillants d’entre eux – une émancipation par rapport à leurs employeurs, qui se manifeste par la facilité à passer de place en place ou à

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ENTRE NORMES ET PRATIQUES

quitter la sphère de la musique d’Église pour celle des spectacles profanes. Leur activité musicale, à l’égard de laquelle les attentes des chapitres vont croissant, permet aussi aux maîtres les plus réputés d’acquérir une image sociale d’artiste qui les soustrait toujours un peu plus à l’emprise des institutions ecclésiastiques. Pour ceux que leur parcours ne conduit pas aux plus hautes marches de la renommée, qu’ils restent toute leur vie durant dans la même cathédrale ou qu’ils changent de poste plusieurs fois durant leur carrière, le quotidien est fait des leçons aux enfants – qu’éventuellement ils nourrissent aussi, surveillent et conduisent en promenade –, mais également d’un travail de composition, effectué durant les heures dérobées aux autres tâches ou au sommeil. Lorsqu’elles ont été conservées, leurs œuvres portent témoignage d’une musique qui contribue non seulement à la dignité et à la solennité des offices, mais aussi à la communication de l’émotion religieuse propre à chaque fête. L’attention portée à l’émergence d’un jugement esthétique sur les compositions des maîtres ne peut en effet conduire à oublier qu’elles sont d’abord destinées à s’intégrer dans des cérémonies. Et ce rappel invite aussi à considérer la figure du maître sous un autre angle et à retrouver de la sorte l’unité profonde de ses fonctions. Qu’il forme la voix des enfants, qu’il leur inculque les règles d’un comportement de bon chrétien ou qu’il compose des pièces de musique, toute son activité s’organise autour des cérémonies liturgiques dont, successeur de l’ancien chantre, il garantit le bon déroulement à bien des égards. Cette dimension de l’emploi, qui donne une cohérence au long inventaire de devoirs disparates que doit accomplir le maître, est aussi la moins développée dans les contrats, qui ne l’évoquent qu’à travers des notations succinctes et éparses, telles que l’énumération des présences au chœur ou la nécessité de « faire chanter » à certaines fêtes. Indubitablement, le rôle du maître au chœur demeure hélas le point aveugle de la connaissance du métier. Le poids de la tradition dans le monde capitulaire conduit évidemment à retirer de l’étude des contrats d’engagement des maîtres une impression générale d’immutabilité de leur condition durant les deux derniers siècles de l’Ancien Régime. Et sans doute ne s’agit-il pas seulement d’une impression. Toutefois, plus on élargit l’échantillon de contrats soumis à l’analyse, plus s’affirment des nuances entre eux, plus semblent aussi se vérifier des évolutions, qu’on ne saurait toutefois tenir pour assurées sans toutes les vérifications nécessaires, comme le montre la question de la prétendue place croissante des laïcs dans le métier. Si certitude il y a que celui-ci, dont les contours sont finalement si mal assurés, se modifie à l’époque moderne, ce sont surtout les rapports compliqués avec les chanoines employeurs qui en donnent la conviction : les conflits quasi incessants, pour des motifs variés, doivent assurément être lus comme autant d’indices d’une absence de certitudes partagées sur les devoirs du maître, et donc d’une construction non aboutie de la profession. Mais pouvait-elle l’être au vu de l’ampleur des attentes des employeurs et des aspirations de maîtres, de surcroît dans un cadre budgétaire toujours contraint ?

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L’EXERCICE DU MÉTIER DE MAÎTRE DE MUSIQUE DANS LES « PETITES ÉGLISES » :

SIMPLE DIFFÉRENCE DE DEGRÉ OU STATUT SINGULIER ?

Bastien MAILHOT

S’il est désormais fermement établi que la plupart des chapitres de chanoines entretiennent une maîtrise capitulaire aux deux derniers siècles de l’Ancien Régime, il est tout aussi certain que ces maîtrises sont de profils et d’importances extrêmement divers, ce qui en fait des objets d’histoire aussi passionnants que complexes à étudier. Face à une historiographie qui s’est, logiquement, plus intéressée aux maîtrises des grandes églises 1, il paraît important, pour ne pas dire indispensable, de porter intérêt à la multitude des structures plus modestes qui, à leur manière, faisaient, elles aussi, vivre ce monde musical des XVIIe et XVIIIe siècles. Mais de quoi parle-t-on au juste ? En effet, il s’agit là d’une démarche très subjective que celle consistant à classer les maîtrises. La difficulté ne se pose pas tant si l’on considère les deux extrémités de l’échiquier, des grandes cathédrales 2 aux plus petits chapitres ruraux qui pour certains ne sont composés que d’une dizaine de capitulants et n’entretiennent ni musiciens ni enfants de chœur 3. Elle se pose en revanche concernant l’important « entre-deux » au sein duquel se trouve une multitude de profils, particulièrement parmi les collégiales. Par « petites églises », on entendra donc ici celles qui rétribuent un maître ayant à sa charge un groupe d’enfants de chœur compris entre deux et quatre, plus rarement six 4, et dont les sources montrent un investissement relativement limité

1. 2. 3.

4.

Les études concernant la musique des petits chapitres sont rares. On citera tout de même Georges Escoffier, « La maîtrise de la collégiale de Beaujeu au XVIIIe siècle : Un dispositif musical et institutionnel minimal », Revue de musicologie, 78/1 (1992), p. 150-160. Encore qu’elles soient également d’importance très diverse si l’on considère l’ensemble du territoire. Les cathédrales de Tulle et de Chartres sont, par exemple, difficilement comparables, notamment sur le plan musical Plusieurs chapitres du diocèse de Clermont ont ce profil. C’est le cas par exemple des chapitres Saint-Pierre de Verneuil (1 doyen, 1 chantre et 6 chanoines) et Notre-Dame du Broc (1 doyen, 1 chantre et 10 chanoines). Voir à ce propos Antoine-Clément Chaix de Lavarene, « Histoire de Monseigneur de Bonal et du diocèse de Clermont pendant son épiscopat », Mémoires de l’Académie des sciences, belles lettres et arts de Clermont-Ferrand, 27 (1885), p. 412. S’il peut être un indice pertinent de la puissance d’un chapitre, l’effectif de la maîtrise ne l’est pas systématiquement. Certains chapitres entretiennent 6 enfants sans pour autant pouvoir soutenir la comparaison avec les grandes églises en termes de moyens mis en œuvre..

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BASTIEN MAILHOT

dans l’institution 5 ainsi qu’un niveau de formation plus élémentaire 6. Par souci de synthèse, le choix a été fait de restreindre la zone étudiée aux diocèses du centre de la France, un espace précédemment étudié 7 et au sein duquel la plupart des collégiales correspondent au profil décrit 8. Il est également important de préciser que le choix a été fait d’inclure dans cette réflexion les collégiales urbaines de Clermont qui, si elles ne sont pas à proprement parler de petites églises 9, ont, en termes de musique et de gestion de la maîtrise, de nombreux points communs avec les petits chapitres, compte tenu du poids et de l’influence de la proche cathédrale. Pourquoi ces églises doivent-elles susciter notre intérêt ? D’abord parce que l’étude de ces lieux et de leur fonctionnement amène à reconsidérer l’ensemble des éléments structurant la maîtrise. On y observe d’abord une organisation singulière au sein de laquelle les enfants reçoivent un enseignement adapté à la taille de la structure d’accueil même si des points communs avec les églises importantes existent. On y voit aussi évoluer un autre type de maître de musique, une approche différente de ce métier si spécifique dont l’intérêt historique est l’objet du présent ouvrage. Le maître de musique, c’est le pilier de la maîtrise, « sa cheville ouvrière » pour reprendre l’expression de Philippe Loupès 10, celui sur qui reposent les plus lourdes responsabilités. Ce constat, on le verra, caractérise sans doute encore plus les maîtres des « petites églises ». C’est donc à partir de l’exemple des églises du centre de la France qu’on propose d’esquisser le profil du métier de maître de musique dans le cadre spécifique des « petites églises » en observant aussi bien les singularités que les points communs avec les maîtres exerçant dans des structures importantes. Les différentes responsabilités du maître (administration, enseignement général et musical des enfants) seront étudiées dans un premier temps, puis l’on s’intéressera au profil sociologique à travers le parcours professionnel, ce qui permettra d’évoquer aussi bien la question de l’itinérance que celle de la rémunération. Le rôle musical de ces maîtres, sur lequel les sources disent peu de choses, sera abordé brièvement dans un troisième temps.

5. 6. 7. 8.

9. 10.

En termes de personnels par exemple. Voir Bastien Mailhot, Les Enfants de chœur des églises du centre de la France. Les institutions capitulaires d’éducation et leurs élèves aux XVIIe et XVIIIe siècles, Clermont-Ferrand, Presses Universitaires Blaise Pascal, 2018, p. 103-137. Voir à ce propos Bastien Mailhot, Musique et musiciens des collégiales du diocèse de Clermont aux XVII e et XVIII e siècles, mémoire de master, Université Blaise Pascal, Clermont-Ferrand, 2 vol, 230 p. ainsi que le travail de thèse cité en note précédente. À l’exception cependant de la collégiale Saint-Amable de Riom qui présente un profil particulier. Bien qu’elle ne puisse pas être considérée comme une grande église au même titre que les cathédrales de notre espace géographique (Clermont, Limoges, Bourges, Nevers, Autun, Le Puy-en-Velay), elle est suffisamment éloignée de celle de Clermont pour ne pas en subir une concurrence forte et bénéficie d’un rayonnement régional assez large. De ce fait, il est également peu pertinent de la considérer comme une petite église. La collégiale Notre-Dame du Port jouit par exemple d’un certain prestige, notamment par l’importance de son culte marial. Philippe Loupès, « Les psallettes aux XVIIe et XVIIIe siècles. Étude des structures », Maîtrises et chapelles aux XVII e et XVIII e siècles, des institutions musicales au service de Dieu, éd. Bernard Dompnier, Clermont-Ferrand, Presses Universitaires Blaise Pascal, 2003, p. 28.

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DANS LES PETITES ÉGLISES

Les « petites églises » du centre de la France aux XVIIe et XVIIIe siècles. (Données Bastien Mailhot, CHEC. Cartographie : Isabelle Langlois et Bastien Mailhot, Clermont-Ferrand, 2018. Ne figurent sur cette carte que les églises répondant aux critères définis en introduction de l’article, ainsi que les cathédrales de chacun des diocèses.)

LES RESPONSABILITÉS DES MAÎTRES Observons, dans un premier temps, l’étendue des responsabilités qu’endossent les maîtres dans ces structures. Le premier constat qui peut être fait, c’est qu’ils sont souvent bien seuls. Au sein d’une maîtrise, un personnel d’importance variable encadre les enfants, à commencer par un groupe d’enseignants dont le nombre varie en fonction de l’importance du chapitre et parmi lesquels on retrouve les maîtres de musique, de grammaire, d’écriture, de latin et parfois d’autres musiciens à qui l’on 39

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demande de dispenser des leçons de leurs instruments respectifs. Dans cet ensemble, c’est le maître de musique qui doit rendre des comptes au chapitre et c’est aussi celui dont la tâche est la plus lourde et la plus variée. Il est d’abord le premier personnage au contact des enfants jouant à la fois un rôle d’enseignant, d’éducateur, d’intendant et, dans certains cas, d’administrateur et même de comptable. Sur ce point, comme le montrent bien les contrats ou les actes d’engagement, les maîtres en exercice dans les cathédrales ne sont pas les plus mal lotis et les responsabilités sont clairement plus étendues dans les églises modestes disposant d’effectifs d’encadrement réduits. À la collégiale Saint-Sylvain de Levroux 11 par exemple, le contrat de Louis Guérard, signé le 1er septembre 1778 12, précise que ce dernier aura la charge « de nourrir quatre enfants de chœur choisis par le chapitre » et qu’il sera tenu de leur enseigner, en plus de la musique, « les instruments qu’il sçait ainsi que la lecture, l’écriture et le catéchisme ». S’il est tout de même déchargé de l’enseignement du latin, que les enfants suivent au collège de la ville, le contrat nous apprend qu’il incombe également au maître que les enfants « se rendent exactement à touttes les heures des offices […], aient leur tenues propres » et soient instruits « des fonctions qu’ils auront à faire au chœur ». Et ce n’est pas tout puisque la fin du bail mentionne qu’il sera également tenu « de faire blanchir tout le linge de la maîtrise même celui des enfants et les aubes dont ils sont vestus au chœur ». Ce contrat montre à la fois l’importance d’une charge qui allie enseignement, éducation, formation et intendance, tout en soulignant l’étendue de cette charge dans les petites structures. Les choses sont bien différentes dans les cathédrales où l’office du maître chargé principalement de l’enseignement musical est peut-être moins lourd, un constat qui peut être fait dans les contrats dont on dispose pour les cathédrales de Bourges, Nevers, Clermont, Le Puy ou Limoges. Par ailleurs, dans ces mêmes cathédrales, le programme de la journée des enfants laisse sans doute plus de temps au maître pour s’adonner à l’activité de composition prévue dans son contrat, comme on peut le voir à la cathédrale de Bourges à partir d’une reconstitution de la journée type des enfants de chœur : Emploi du temps des enfants de chœur de la cathédrale de Bourges les jours simples 13

5h30 6h-7h

11. 12. 13. 14.

Lever des enfants Habillage pour se rendre à l’office des Matines (domestiques) Participation aux Matines 14 (excepté les jours simples)

Levroux est une commune du département de l’Indre située à une vingtaine de kilomètres au Nord de Châteauroux. AD Indre, G 138, Coll. Saint-Sylvain de Levroux, Contrat d’engagement du sieur Guérard comme maître de musique, 1er septembre 1778. Les parties grisées correspondent aux moments de la journée pour lesquels nous sommes certains de la présence du maître auprès des enfants. Cet emploi du temps a été établi à partir du règlement de la maîtrise. Voir AD Cher, 8 G 143, Cath. de Bourges, Règlement pour la maîtrise des enfants de chœur, 21 avril 1769. La présence du maître auprès des enfants au cours des offices n’est pas précisée dans ce règlement mais les contrats stipulent tous sans exception que le maître est tenu « de conduire et reconduire les enfants à toutes

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7h-8h 8h-8h30 8h30-9h 9h-10h 10h-11h30 11h30-12h 12h-12h30 12h30-13h 13h-14h 14h-14h30 14h30-14h45 14h45-15h30 15h30-16h 16h-17h 17h-18h 18h-19h 19h-19h30 19h30-20h30 20h30 21h

Leçon de grammaire pour les petits enfants de chœur. Les grands révisent pendant ce temps Le maître de grammaire laisse les enfants. Ces derniers continuent à travailler le latin en autonomie Nettoyage des souliers Préparation des leçons du canon et du martyrologue. Participation à la Grand-messe. Leçon de musique avec le maître Temps consacré à l’étude Dîner Courte récréation Balayage de la salle d’étude par l’un des grands enfants. Leçon de grammaire des grands enfants. Les petits en profitent pour faire leurs devoirs et apprendre leurs leçons. Cours de lecture des grands enfants aux petits et devoirs. Habillage et préparation pour l’office de Vêpres Participation à Vêpres Pause, prise d’un goûter Apprentissage de la musique, étude des leçons de chant sur le livre et de fleurtis, mais aussi de la composition. Répétition au maître lors de son retour des vêpres Leçon d’écriture et d’arithmétique (Entre Pâques et la Toussaint seulement) Leçon de musique avec le maître Récréation Souper Heure du coucher en hiver Heure du coucher en été

Comme on le voit à partir de cet emploi du temps, le maître à Bourges est secondé par un maître de grammaire dont les obligations sont larges. Ce dernier est chargé d’enseigner la lecture aux enfants ainsi que « la grammaire latine comme française »15. Il est en outre responsable de l’enseignement religieux et de l’apprentissage des rites et usages liturgiques de l’église, donc du cérémonial 16. Selon Anne-Marie Yvon-Briand, qui a étudié la maîtrise de la cathédrale Notre-Dame de Paris, « c’est luy qui doit principalement former les enfants à la piété, les instruire de ce qui regarde la religion, étudier leurs inclinaisons et leur vocation, déraciner les mauvaises habitudes et faire fructifier les bonnes »17. En plus de ce rôle pédagogique, les maîtres de grammaire

15. 16. 17.

les heures de l’office divin qui se font dans l’église » tout en « veillant à ce qu’ils soient attentifs au chœur ». Voir par exemple le projet de contrat établi avant la nomination de Joseph-Pierre Tissier en remplacement d’Étienne-Michel Delaplace en 1771, AD Cher, 8 G 143, Cath. de Bourges, Projets de baux ou traités avec les maîtres de musique de la cathédrale de Bourges, XVIIIe siècle. Ibid. Ce qui correspond à la description qu’en fait Marc Signorile à la cathédrale d’Arles à savoir « un prêtre chargé de la formation intellectuelle et spirituelle et des enfants ». Voir Marc Signorile, Musique et société : Le modèle d’Arles à l’époque de l’absolutisme, 1600-1789, Genève, Minkoff, 1993, p. 56. Anne-Marie Yvon-Briand, La Vie musicale à Notre-Dame de Paris aux XVII e et XVIII e siècles, thèse de l’École nationale des Chartes (dactyl.), Paris, 1949, p. 113.

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sont souvent impliqués dans l’encadrement et la surveillance des petits choristes. Ceux qui vivent à la maîtrise sont d’ailleurs dans l’obligation de se trouver aux repas, aux récréations et aux promenades. À la cathédrale de Clermont, il n’est pas rare que le grammairien remplace son collègue musicien lors de la promenade hebdomadaire, ce dont rendent compte de nombreuses pièces comptables pour le XVIIIe siècle 18. Enfin, ces mêmes documents nous apprennent qu’il peut aussi être amené à jouer, ponctuellement, un rôle de gestionnaire. C’est le cas en 1775 lorsqu’Antoine Vallière, chanoine semi-prébendé et maître de grammaire à la cathédrale de Clermont, se voit remettre par le chapitre l’importante somme de 821 livres « pour être employée au ménage de la maîtrise »19. On l’aura compris, sans maître de grammaire, comme c’est le cas dans la plupart des églises modestes, ces différentes charges reviennent au maître de musique. Cette polyvalence, qui rappelle un peu celle de nos professeurs des écoles aujourd’hui, a-t-elle pour conséquence un enseignement général plus rudimentaire ? Il est difficile de répondre de manière catégorique à cette question car cela dépend grandement des maîtres et de leur formation initiale, mais il est évident qu’un maître de musique n’a pas été spécifiquement formé pour enseigner la lecture, l’écriture ou l’arithmétique. L’exemple de Pierre Jamart est intéressant à ce propos. Maître de musique de la collégiale de Billom 20 jusqu’à la Révolution, il effectue une reconversion professionnelle comme instituteur dans la commune voisine de Saint-Julien-deCoppel où il est tenu « d’apprendre à lire, écrire ainsi que les éléments du calcul et ceux de la morale » aux jeunes gens du canton. Un document du même dossier apporte des précisions sur les compétences de Jamart, montrant qu’on lui a bien appris les principes de base de l’arithmétique et qu’il a continué à les enseigner en tant que maître, mais qu’une remise à niveau est tout de même nécessaire : Le citoyen Jamart est en état d’enseigner à lire. Il a d’assez bons principes d’écriture. Il calcule avec facilité l’addition et la soustraction. Mais il ne pourrait enseigner la multiplication et la division sans étudier de nouveaux ces deux règles qu’il nous a déclaré avoir un peu perdu de vue depuis un an, faute d’occasion d’en donner des leçons 21.

L’enseignement de la lecture et de l’écriture (celle du texte et non point de la musique) apparaît également bien plus aléatoire dans les églises modestes. À la collégiale NotreDame-du-Port de Clermont au XVIIIe siècle, c’est au maître de musique, lorsqu’il y en a un, que revient cet enseignement, ce qui donne des résultats contrastés puisque le chapitre a régulièrement recours à un maître-écrivain pour certains enfants arrivant en 18. 19. 20. 21.

AD Puy-de-Dôme, 3 G sup 691, Cath. de Clermont, Comptabilité du baile (1775-1776). Ibid. Commune du département du Puy-de-Dôme située à une vingtaine de kilomètres à l’Est de ClermontFerrand. AD Puy-de-Dôme, L 2163, extrait du registre des délibérations du jury d’instruction public de l’arrondissement de Clermont-Ferrand, 1er thermidor An IV. Document communiqué par Côme Simien que je remercie.

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fin de cursus sans être en capacité de signer 22. En septembre 1716, les chanoines chargent le baile « de procurer d’urgence au grand enfant de chœur un écrivain pour lui apprendre à écrire »23, une mention qui suffit à mesurer l’écart de niveau existant avec les cathédrales où il n’est guère imaginable qu’un enfant ne sache écrire au terme de son cursus. En fait, pour les chapitres modestes, il ne s’agit pas de faire de chaque enfant un spécialiste. On retrouve ici les principes de Charles Démia pour qui l’instruction des enfants n’a pas pour but « de les pousser dans la perfection de l’écriture », mais d’en faire avant tout « des hommes laborieux pourvus des connaissances appropriées à leur destination »24. Enfin, le niveau musical des enfants peut être un indicateur pertinent. Les registres capitulaires évoquent parfois les talents de compositeur de certains d’entre eux, ce qui constitue une preuve tangible de l’efficacité de l’enseignement dispensé dans les maîtrises. Lorsque l’on parcourt les registres capitulaires des petits chapitres on trouve, il est vrai, très peu de mentions de ce type même lorsque l’enseignement de la composition fait partie des obligations du maître 25. Ces mentions apparaissent de manière plus fréquente dans les chapitres d’envergure moyenne et les registres capitulaires de la collégiale Saint-Amable de Riom en donnent quelques beaux exemples 26. Mais c’est dans les cathédrales qu’ils sont les plus nombreux. À Chartres, au cours du XVIIIe siècle, « c’est à toutes les pages des registres capitulaires que l’on trouve mention d’enfants sollicitant la permission de chanter quelques morceaux de leur composition »27 et, à Rouen, les enfants ne reçoivent leur congé d’aube qu’après avoir présenté au chapitre une pièce de musique de leur composition 28. À partir de ces exemples, il serait aisé d’imaginer un niveau d’enseignement musical allant crescendo au fur et à mesure que l’on progresse dans la hiérarchie des églises, puis de mettre cela en relation avec le niveau des maîtres. Cela n’est cependant pas totalement satisfaisant puisqu’il faut tenir compte des moyens mis à leur disposition, du temps dont ils disposent, des priorités fixées par le chapitre en matière d’enseignement et de l’importance de l’effectif de la maîtrise, sachant que la composition est enseignée en priorité aux 22.

23. 24. 25. 26.

27. 28.

L’église Notre-Dame-du-Port étant également paroissiale, les enfants de chœur participent régulièrement aux enterrements comme témoins, ce qui permet de vérifier leur maîtrise de l’écriture par leur capacité à signer les actes. Il apparaît que l’enseignement de l’écriture est tardif dans ce chapitre et que tous les enfants n’en bénéficient pas. Voir à ce propos Mailhot, Les Enfants de chœur, op. cit., p. 124-137. AD Puy-de-Dôme, 4 G 436, Coll. N.-D du Port, registre capitulaire, délibération du 22 septembre 1716. Gabriel Compayré, Charles Démia et les origines de l’enseignement primaire, Paris, P. Delaplane, 1905, p. 23. C’est le cas par exemple à la collégiale Notre-Dame et Saint-Martin de Châteauroux. Les contrats des maîtres de musique contiennent systématiquement l’enseignement de la composition mais aucune mention concernant des compositions d’enfant n’a pu être relevée dans les sources. L’exemple de Gilles Ollier est intéressant à ce propos. Lorsqu’il demande à sortir de la maîtrise riomoise en 1721, il précise qu’il est « sur de sa partie et sait maime composer en musique comme il l’a fait voir par la messe et les vespres qu’il a desjia fait chanter dans cette église ». Voir AD Puy-de-Dôme, 26 G 3, registre capitulaire, délibération du 11 décembre 1721. Jules-Alexandre Clerval, L’ancienne maîtrise de Notre-Dame de Chartres du V e siècle à la Révolution, Chartres, C. Poussielgue, 1899, p. 113. Armand Colette et Adolphe Bourdon, Histoire de la maîtrise de Rouen, Paris, impr. de E. Cagniard, 1892 ; rééd. Paris, L’Harmattan, 2000, p. 87.C. Poussielgue, 1899, p. 113.

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enfants qui se destinent au métier de maître de musique. Il faut enfin avoir à l’esprit que la très grande majorité, pour ne pas dire l’intégralité, des maîtres de musique qui exercent dans les petites églises, et qui sont des musiciens compétents, ont reçu leur formation dans ces lieux, ce qui permet de relativiser quelque peu. À ce stade de l’étude, il apparaît assez clairement que plus l’on descend dans la hiérarchie des églises, plus le maître de musique se doit d’être un enseignant au sens large et pas uniquement un professeur de musique. Mais il convient d’aller au-delà de l’aspect pédagogique et de s’intéresser aussi à la question de l’administration de la maîtrise. En effet, dans la première moitié du XVIIe siècle, il est relativement courant que le maître de musique soit responsable de la gestion complète de l’institution, comptabilité comprise. C’est le cas notamment à la cathédrale de Paris où, face aux nombreux problèmes rencontrés, le chapitre décide d’alléger quelque peu cette charge. Selon A.M. Yvon-Briand, le sieur Frémart, maître en 1632, sera le dernier à prendre part à l’administration de la maîtrise 29. C’est à partir de là que vont émerger, dans les grandes et moyennes églises, les fonctions de directeur, commissaire du cloître, receveur, intendant et autre recteur 30. Dans les petites églises en revanche, la pratique reste fréquente jusque dans la seconde partie du XVIIIe siècle. Pour preuve, lorsque Pierre Jamart signe son premier contrat de maître de musique à Saint-Aignan en 1769, à dix-neuf ans seulement, il fait part aux chanoines de son peu d’intérêt pour l’administration de la maîtrise, comme le montre une note rédigée à la suite de son acte d’engagement : À l’instant ledit sieur Jamart nous ayant representé que d’un coté n’étant pas au fait de conduire un ménage que de l’autre craignant que les revenus de ladite maitrise ne fussent pas suffisants, il nous prioit de nous charger de la dépense de ladite maitrise, pourquoy il nous abandonnoit meme tout ce qu’il pourra tirer de la communauté des vicaires au moyen duquel abandon il nous demande la somme de 200 livres par an payables de quartier en quartier 31.

Les suppliques adressées par les maîtres de ces églises à l’administration révolutionnaire semblent confirmer la récurrence de ce type de responsabilités et la persistance de certaines tâches administratives. Bien que la situation ait évolué peu à peu au XVIIIe siècle vers un allégement similaire à celui des grandes églises (les chanoines ne s’opposent d’ailleurs aucunement à la demande de Jamart), il s’agit d’un élément supplémentaire pour attester l’ampleur du rôle de ces maîtres. Après avoir observé ces 29. 30. 31.

Yvon-Briand, La Vie musicale, op. cit., p. 68. Le nom varie en fonction des lieux mais les prérogatives sont très comparables. Il s’agit de chanoines chargés par le chapitre de gérer administrativement la maîtrise et de tenir sa comptabilité. Relais important entre le maître de musique et le chapitre, la fonction n’existe pas dans tous les chapitres, notamment les plus modestes. AD Loir-et-Cher, G 446, Coll. de Saint-Aignan, registre capitulaire, délibération du 5 mai 1769. Merci à Christophe Maillard de m’avoir indiqué ce document. Dans ce cas, les revenus d’une vicairie sont certainement attachés à la maîtrise et utilisés pour les frais d’entretien des enfants. Jamart demande donc à ne plus toucher ces revenus et à recevoir uniquement une rémunération fixe de 200 livres.

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différences importantes en matière de pratiques, il convient désormais d’effectuer des comparaisons sur un plan socio-économique. QUEL PROFIL SOCIOLOGIQUE POUR LES MAÎTRES DES PETITES ÉGLISES ? Pour ce qui est de la formation et du parcours professionnel, le profil des maîtres issus des maîtrises modestes se distingue encore une fois assez nettement. D’abord, leur évolution professionnelle apparaît bien plus lente et laborieuse que celle de leurs homologues des cathédrales qui accèdent rapidement à des postes prestigieux. En effet, une part importante des musiciens formés dans les petites structures effectue d’abord une carrière de chanteur ou d’instrumentiste avant de s’établir dans un poste plus prestigieux. Le parcours d’Antoine Sucheyras 32, maître de musique de la petite collégiale de Vertaizon 33 en 1790, est très significatif à ce propos. Enfant de chœur à Lezoux, il est formé au serpent à la fin de son cursus comme cela semble être le cas fréquemment dans ce chapitre 34. Poursuivant une carrière de serpentiste, il passe par plusieurs établissements religieux clermontois, notamment l’abbaye Saint-André puis les collégiales Saint-Pierre et Saint-Genès. Il intègre ensuite le chapitre cathédral, toujours comme instrumentiste, et y reste l’espace de trois ans. C’est en 1781, alors qu’il est âgé de vingt-sept ans, qu’il est engagé comme maître de musique à Vertaizon, ce qui semble correspondre pour lui à un aboutissement puisqu’il occupe toujours le poste neuf ans plus tard. La carrière de Pierre Malidor, largement retracée dans de précédents travaux 35, peut également faire figure d’exemple, lui qui a fréquenté treize établissements comme joueur de serpent ou chanteur avant de se voir proposer en 1784, à l’âge de quarante et un ans, un poste de maître de musique à Saint-Amable de Riom 36. Il faut enfin revenir sur le cas du maître billomois Pierre Jamart car il est singulier. Devenu maître très jeune à l’âge de dix-neuf ans (successivement à Saint-Aignan en Berry 37 puis au collège de Pontlevoy 38) il s’oriente, après seulement une année et

32. 33. 34. 35.

36. 37. 38.

Antoine Sucheyras retrace son parcours de manière précise dans une supplique qu’il adresse au comité ecclésiastique en 1790. AD Puy-de-Dôme, L 2612, Traitements ecclésiastiques et frais de culte, collégiale N.-D. de Vertaizon. Commune située à une vingtaine de kilomètres à l’Est de Clermont-Ferrand. Nous disposons d’un exemple similaire pour ce chapitre en la personne de Claude Bégule, enfant de chœur à Lezoux entre 1777 et 1787 puis serpent dans cette même église jusqu’en 1790. Voir l’itinérance de Pierre Malidor cartographiée dans Bastien Mailhot, « L’itinérance des musiciens auvergnats en 1790 », Les Bas choeurs d’Auvergne et du Velay, le Métier de musicien d’Église aux XVIIe et XVIIIe siècles, éd. Bernard Dompnier, Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise Pascal, 2010, p. 183. Rappelons que le parcours complexe de ce musicien n’a pu être reconstitué que grâce à un important travail collectif et l’apport de nombreux chercheurs dont Nathalie Da Silva, Sylvie Granger, Jean-François Heintzen, Isabelle Langlois, Françoise Talvard et Cyril Triolaire. AD Puy-de-Dôme, 1 G 1497, Archives de l’évêché. Dossier relatif à la suppression de la musique à la collégiale Saint-Amable de Riom en 1786. Actuelle commune de Saint-Aignan-sur-Cher située dans le département du Loir-et-Cher à une cinquantaine de kilomètres à l’Est de Tours. Commune située à une vingtaine de kilomètres au Nord de la précédente.

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demie d’activité, vers des postes d’organiste. Il l’est d’abord à la collégiale Saint-Nicolas de Montluçon pendant deux ans puis à Lezoux pendant quatre ans, et ce n’est qu’en 1776 qu’il retrouve un poste de maître, un peu comme si sa pratique du métier avait été trop précoce et qu’il avait souhaité s’aguerrir, ce qui semble d’ailleurs être confirmé par ses inquiétudes, évoquées plus haut, au moment de signer son premier contrat de maître à Saint-Aignan 39. Tout comme pour Sucheyras, son arrivée à Billom semble également correspondre à un aboutissement puisqu’il occupe toujours le poste quatorze ans plus tard au moment de la fermeture du chapitre 40. Il semble donc bien exister un clivage entre les maîtres des églises les plus importantes et les autres. Alors qu’on note une véritable continuité pour les maîtres des cathédrales qui, pour la plupart, ont été formés dans des structures importantes, d’un rayonnement à peu près équivalent à leur établissement de formation 41, le parcours des anciens pensionnaires de petites maîtrises apparaît plus heurté, plus complexe, comme s’il leur avait été nécessaire de faire leurs preuves avant d’espérer accéder à un poste plus gratifiant. Rares sont, en tout cas, les enfants formés dans des maîtrises petites ou moyennes qui parviennent à prendre la tête d’une maîtrise cathédrale 42 même lorsqu’ils sont de bons musiciens, ce qui semble être de cas de Jamart 43. Cette réflexion sur le parcours professionnel conduit à traiter brièvement la question de l’itinérance. Les cas évoqués précédemment montrent des musiciens qui ont trouvé une stabilité en obtenant un poste de maître, mais ce n’est pas toujours le cas. S’ils parcourent des distances moins importantes que leurs homologues des grandes églises, les maîtres des petits chapitres circulent aussi beaucoup et il n’est pas rare qu’un individu serve cinq ou six établissements d’un même diocèse comme maître de musique en quelques années seulement. Les exemples ne manquent pas à ce propos et l’on ne retracera ici que le parcours de Jean Peyronnet. Engagé à SaintÉtienne de Cébazat 44 pour quatre ans en 1674 45, il en sort seulement deux ans plus tard en juillet 1676 pour se rendre au chapitre de Notre-Dame-du-Port à Clermont où il reste seulement un an 46. Entre 1678 et 1680, on le retrouve à la collégiale

39. 40. 41.

42. 43.

44. 45. 46.

Voir note 31. À propos du parcours de ces deux musiciens, voir également Mailhot, « L’itinérance des musiciens auvergnats », art. cit. Les exemples sont très nombreux. On peut citer celui de Jean Chaptard, enfant de chœur à Clermont qui devient maître de musique de la cathédrale de Nevers dans les années 1670 avant de revenir dans son chapitre de formation, et celui de Louis-Marcel Bayart, maître de musique de la cathédrale de Clermont en 1790, formé à la cathédrale de Noyon puis passé par celles d’Avranches et de Senlis. Aucun exemple de ce type n’a pu être relevé dans la zone étudiée. En plus de s’être vu conféré une maîtrise dès l’âge de 19 ans, ce dernier chante, joue de l’orgue et du violon. Un certificat de travail délivré par les chanoines de la collégiale de Saint-Aignan précise qu’il y a touché l’orgue plusieurs fois « avec applaudissements ». Voir AD Puy-de-Dôme, L 2607, Comité ecclésiastique, département du Puy-de-Dôme, supplique de Pierre Jamart. Commune située dans l’agglomération de Clermont-Ferrand. AD Puy-de-Dôme, 14 G 27, Coll. Saint-Étienne de Cébazat, registre capitulaire, délibération du 13 juillet 1674. Ibid., 4 G 35, Coll. N.-D. du Port, registre capitulaire, délibération du 4 juillet 1677, nomination du sieur Lemasson au poste de maître de musique à la place de Peyronnet.

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d’Ennezat 47, puis de nouveau à la tête de la maîtrise du chapitre du Port de 1680 à 1687 où il semble avoir trouvé un peu de stabilité 48. Clairement, la proximité géographique des collégiales pèse dans les parcours des maîtres de musique, les échanges étant par exemple très fréquents entre les différents établissements religieux clermontois 49. Ce que met en évidence cette petite itinérance, c’est la forte instabilité de ces maîtres. Une instabilité qui peut être observée dans les grandes églises 50 mais dans une moindre mesure. La comparaison, à titre d’exemple, entre le temps moyen de service des maîtres à la cathédrale de Clermont et de ceux de la petite collégiale d’Ennezat sur une cinquantaine d’années est assez éloquente puisqu’il monte à trois ans pour la première et seulement un an et demi pour la seconde. À l’évidence, la plupart des maîtres de musique circulent jusqu’à ce qu’ils aient obtenu un poste leur ouvrant droit à une prébende ou une semi-prébende. C’est aussi, sans doute, ce qui explique une stabilité plus importante dans les grandes églises. Non seulement l’offre se raréfie à mesure que l’on progresse dans la hiérarchie des églises, mais la fonction est également bien plus rémunératrice et prestigieuse, ce qui amène les maîtres de musique à vouloir conserver leur poste plus longtemps. On peut aussi voir resurgir ici la question de la formation de ces petits maîtres mais surtout celle de leurs responsabilités plus étendues en matière d’enseignement, dont peuvent découler plus de motifs d’insatisfaction de la part des chapitres. Pour ce qui est de la rémunération et du niveau de vie, il s’agit d’une question particulièrement complexe concernant les maîtres de musique en raison de l’hétérogénéité des informations disponibles et des nombreux modes de rémunération. Leur condition sociale peut, tout de même, être définie à grands traits sur la base d’éléments divers. Un premier constat peut être fait à partir des inventaires de maîtrises 51 qui permettent de relever le relatif confort de vie proposé au maître par la plupart des établissements. Dans les maîtrises importantes comme dans les plus modestes, ce dernier dispose généralement d’une chambre équipée et confortable 52. Les renseignements collectés sur l’alimentation des enfants permettent de déduire que l’ensemble des maîtres de musique mangent et boivent très correctement 53. S’il existe différents niveaux de condition au sein de la profession, on peut affirmer que chaque

47. 48. 49. 50. 51.

52. 53.

Ibid., 18 G 16, Coll. d’Ennezat, registre capitulaire, délibération du 1er mars 1678. Ibid., 4 G 292-298, Coll. N.-D du Port, registre de comptabilité (1680-1687). On perd sa trace ensuite. Mailhot, Musiques et musiciens, op. cit., p. 32. On se reportera ici au parcours de Louis Grénon qui a occupé des postes prestigieux à Clermont et au Puyen-Velay avant de repartir dans sa ville natale de Saintes. Ces inventaires sont généralement rédigés lors de l’arrivée d’un nouveau maître et associés au contrat d’engagement. On dispose de ce type de documents pour les cathédrales de Bourges et de Limoges mais aussi pour la collégiale de Levroux. Pour la cathédrale de Clermont, un inventaire détaillé est effectué le 20 avril 1791 par les commissaires de la municipalité en vue de la vente des biens nationaux. La différence est tout de même importante en termes d’espace et de richesse du mobilier entre les grandes et les petites maîtrises. Voir à ce propos la comparaison effectuée entre la cathédrale de Clermont et la collégiale de Levroux dans Mailhot, Les Enfants de chœur, op. cit., p. 75-76. Ibid., p. 80-89.

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individu occupant une place de maître de musique s’est largement extrait de sa condition d’origine et bénéficie d’un confort de vie plutôt élevé pour l’époque. Un raisonnement à partir du salaire ne doit pas pour autant être totalement écarté car il permet de préciser la situation sociale du maître et de la replacer dans un contexte plus large. La rémunération du maître est évidemment l’information la plus précise pour pouvoir le situer socialement mais les choses sont compliquées dans la mesure où celles-ci sont fréquemment décomposées en deux voire trois parties : un revenu fixe (en argent ou en nature qui sert en principe à rémunérer la fonction d’enseignement ou de composition), une partie des revenus de la maîtrise (là encore en argent ou en nature et destinés à la nourriture, au chauffage, parfois même au salaire de la servante et du maître de grammaire lorsqu’ils sont présents) et enfin une part des distributions, variable en fonction des moyens du chapitre. Heureusement, afin de pouvoir allouer des pensions aux musiciens, certains administrateurs de départements ont procédé à une estimation en argent de la partie de leurs revenus perçue en nature. Ainsi, pour Antoine Sucheyras, il est précisé en note, sous sa déclaration, que « son traitement étoit d’une prébende évaluée a 1 175 livres à la charge de nourrir les enfants de chœur, cette nourriture ayant été évaluée a 375 livres reste donc net 800 livres » 54. Ce type d’estimation, rarement présente dans la documentation de 1790, est d’une aide précieuse puisqu’elle peut permettre de comparer ce revenu à celui d’autres professions, qu’il s’agisse de musiciens ou d’artisans, à la même époque 55 : Salaire annuel de musiciens comparé à celui d’autres professions à Clermont en 1789

Profession

Salaire annuel en 1789

Louis-Marcel Bayart (maître de musique de la cathédrale) entre 1 300 et 1 500 livres Antoine Sucheyras (maître de musique à Vertaizon)

800 livres

Serpent (cathédrale)

504 livres

Sous-chantre (cathédrale)

432 livres

Maître maçon

396 livres

Organiste (cathédrale)

396 livres

Charpentier

360 livres

Charron

360 livres

Organiste (Coll. N.-D du Port)

192 livres

Évidemment, les revenus des maîtres des cathédrales restent bien supérieurs. On le voit avec Bayart à Clermont dont le revenu propre se situe entre 1300 et 1500 livres net par an, mais les chiffres sont encore plus importants à Chartres ou à Paris.

54. 55.

AD Puy-de-Dôme, L 2612, traitements ecclésiastiques et frais de culte, collégiale Notre-Dame de Vertaizon. Cette échelle des salaires de la ville de Clermont a été établie par Abel Poitrineau dans La Vie rurale en Basse Auvergne au XVIII e siècle (1726-1789), Paris, Presses universitaires de France, 1965, p. 376.

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Tentons à présent de situer la profession en fonction de l’échelle établie par Jean Sgard 56 et comportant six classes 57. Aucun maître de musique actif au cours de cette période ne semble devoir être placé dans la première classe, correspondant à un salaire « ouvrier » de 100 à 300 livres par an, et dans laquelle une bonne partie des musiciens du bas chœur peuvent en revanche être situés. De manière générale, les maîtres qui exercent dans des structures modestes se situent plus vraisemblablement dans la deuxième catégorie, celle des « salaires professionnels » entre 300 et 1 000 livres par an (ouvriers spécialisés, cadres moyens des entreprises, enseignants de collège), une « zone de salaire dans laquelle on trouvera une bonne partie des travailleurs intellectuels »58. Quant aux maîtres expérimentés exerçant dans les églises importantes, et qui bénéficient d’une semi-prébende, ils appartiennent sans doute à la troisième catégorie, celle des salaires de cadres moyens percevant entre 1 000 et 3 000 livres annuellement et dans laquelle « on trouve des salaires de professeurs d’université en début de carrière »59. En définitive, si une synthèse demeure impossible à effectuer tant la profession est hétérogène, les maîtres de musique semblent globalement bénéficier de conditions de vie plutôt aisées, bien supérieures en tout cas à celle de la plupart des autres musiciens, même si l’on reste loin des revenus « bourgeois » que Jean Sgard situe entre 5 000 et 20 000 livres par an. Pour nos maîtres des petites églises, c’est la juste rétribution d’une tâche particulièrement lourde et difficile, parfois ingrate, et qui ne permet une stabilité géographique et financière qu’après de nombreuses années de service. QUEL RÔLE SUR LE PLAN MUSICAL ? Pour finir, il nous faut aborder brièvement le rôle musical de ces maîtres dont les sources disent très peu de chose. Si l’on se réfère à ce qui a été observé précédemment, les maîtres des petites églises passent beaucoup de temps avec les enfants, ce qui permet d’émettre, sans grand risque, l’hypothèse d’une implication moindre dans la direction du chœur et dans la composition de pièces de musique spécifiques 60. L’exemple du sieur Évrard, maître de la collégiale de Beaune semble confirmer ce constat. En effet, une délibération capitulaire du 4 mars 1789 nous apprend que celuici a fait la demande à Jean-Christophe Contat, alors maître de la cathédrale SaintLazare d’Autun 61, de « quelques œuvres de sa composition pour les faire exécuter dans cette église ». La délibération précise que ce même Contat a déjà fourni plusieurs

56. 57. 58. 59. 60. 61.

Jean Sgard, « L’échelle des revenus », Dix-huitième siècle, 14 (1982), p. 425-433. Plus précisément pour la période 1726-1790 au cours de laquelle la monnaie n’a subi aucune mutation. Sgard, « L’échelle », art. cit., p. 426. Ibid. D’autant que les contrats et actes d’engagement ne mentionnent jamais d’obligation en matière de musique à fournir pour le chapitre, ce qui est parfois le cas dans les grandes églises. Les deux villes, situées dans le diocèse d’Autun, sont distantes d’une cinquantaine de kilomètres.

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fois des musiques à la collégiale de Beaune sans contrepartie, ce qui décide les chanoines à lui faire parvenir à Autun « deux douzaines de bouteilles franches de port »62. Évrard n’est-il pas capable de composer ou manque-t-il simplement de temps ? La question reste en suspens, même si ce qui a été vu précédemment tendrait à privilégier la seconde hypothèse. Du reste, il est également important de noter que beaucoup de maîtres des petites églises sont aussi engagés en qualité d’instrumentistes. Pour reprendre les exemples des musiciens cités précédemment, Sucheyras se dit maître de musique et serpent de la collégiale de Vertaizon, et Jamart maître de musique et organiste de la collégiale de Billom, ce qui permet de douter de leur rôle dans la direction de la musique du chœur. À ce propos, on peut donner l’exemple de la collégiale Notre-Dame-du-Port de Clermont. Comme beaucoup de collégiales auvergnates, celle du Port ne fait plus appel au service d’un maître de musique dans la seconde moitié du XVIIIe siècle mais confie l’entretien et la formation de ses enfants de chœur à un sous-chantre, fonction musicale originale qui se distingue à plusieurs égards et notamment par l’absence d’obligations en matière d’enseignement de la composition et de direction du chœur 63. Personne ne semble donc diriger la musique du quotidien à Notre-Dame-du-Port (malgré la présence d’un effectif important de musiciens) ; mais les chanoines font appel chaque année au maître de musique de la cathédrale de Clermont pour solenniser la grande fête de Notre-Dame Souterraine au cours de laquelle sont accueillis d’importants renforts de musiciens 64. Cet exemple, dont on ne saurait tirer une règle générale, indique peut-être le rôle mineur joué par les maîtres dans la musique des « petites églises » en raison principalement de l’ampleur de leur tâche d’enseignement et d’éducation. CONCLUSION On l’a constaté, l’exercice du métier de maître de musique dans une petite structure exige une polyvalence importante, aussi bien du point de vue de la pédagogie que de la gestion. Cela a pour conséquence un niveau d’enseignement plus élémentaire, pour ne pas dire rudimentaire, et se fait au détriment, sans doute, d’une autre facette du métier, celle qui concerne la composition et la direction du chœur. Pour autant, il ne semble pas pertinent de parler d’un statut singulier. Il s’agit toujours du statut commun à tous les maîtres de musique, ce que confirme l’identité des profils. Malgré un

62. 63. 64.

AD Saône-et-Loire, G 2554, délibération capitulaire du 4 mars 1789. Voir la notice personne Evrard réalisée par Sylvie Granger dans la base de données MUSÉFREM : https://philidor.cmbv.fr/ark:/13681/1hdkx5xyrvgnzebqi6j6/not-435008. Voir à ce propos Bastien Mailhot, « Les sous-chantres des collégiales du diocèse de Clermont, approche d’une fonction musicale originale », Les Bas chœurs d’Auvergne, op. cit., p. 43-64. Voir à ce propos Bastien Mailhot, « La célébration de Notre-Dame Souterraine aux XVIIe et XVIIIe siècles. Naissance et développement d’une grande fête en musique », Les Langages du culte aux XVII e et XVIII e siècles, éd. Bernard Dompnier, Presses universitaires Blaise Pascal, Clermont-Ferrand, 2020, p. 337-350.

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parcours plus heurté, les maîtres des « petites églises » sont eux aussi des musiciens aguerris, maîtrisant pour la plupart la composition et disposant de revenus honnêtes qui les placent hiérarchiquement au-dessus de l’ensemble des autres musiciens du lieu où ils exercent. Et c’est d’ailleurs parce que ce statut conserve des attributs distinctifs qu’il va disparaître dans beaucoup de collégiales auvergnates dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, au profit de celui de sous-chantre, musicien moins onéreux et plus flexible, ayant des connaissances suffisantes pour assurer un service musical minimum. Pas de différence de statut donc, mais une vraie différence de degré en revanche, renforcée par l’existence d’une hiérarchie interne au sein de laquelle il semble bien difficile de progresser, à l’image du monde capitulaire et de la société d’Ancien Régime dans laquelle le métier s’intègre parfaitement. Il n’en demeure pas moins que ces « petits maîtres » sont de ceux qui ont le mieux tiré parti des possibilités offertes par l’institution maîtrisienne en termes d’ascension sociale, ce qui n’est déjà pas si mal.

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LE MAÎTRE DE MUSIQUE DE LA CHAPELLE DU ROI : HIÉRARCHIE, PRÉROGATIVES ET FONCTIONS Thomas LECONTE

Pour un maître de musique formé dans une maîtrise capitulaire du royaume de France, accéder à la tête de la Musique de la Chapelle du roi représentait incontestablement une consécration, qui conférait au musicien distingué une autorité enviable. Si les fonctions du véritable chef musical de la maîtrise royale étaient a priori comparables à celle du maître d’une maîtrise de cathédrale ou d’église collégiale, un musicien d’Église, davantage habitué au système capitulaire y découvrait cependant un fonctionnement sensiblement différent, tant au niveau de l’organisation hiérarchique, inhérente au système curial, que de la nature même de ses fonctions, intimement liées au service royal et à l’organisation des offices auxquels le souverain assistait. Jusqu’à l’édit dit de réunion, promulgué en août 1761 dans l’objectif de réorganiser en un seul et même grand corps toute la Musique du roi 1, la Chapelle du roi et son corps de musique suivaient une organisation et un mode de fonctionnement qui n’avaient que peu changé depuis le règne de François Ier. Si l’on se réjouit aujourd’hui d’entendre les motets des musiciens qui furent à la tête de la Musique de la Chapelle du roi, si l’on connaît bien l’organisation de la Musique de la Chapelle et son importance au sein de la Musique du roi 2, il reste parfois difficile de cerner quelle était leur place dans la Maison du roi et, finalement, en quoi consistait réellement leur « métier ». À l’aide de sources variées, notamment des écrits d’ecclésiastiques de la Maison du roi 3 et de notes plus personnelles de chantres de la 1. 2.

3.

Placé sous les ordres du surintendant. Malgré leur nouveau titre de maître, obtenu en raison de la suppression de l’ancienne charge ecclésiastique éponyme, les sous-maîtres perdirent beaucoup de leurs anciennes prérogatives et de leur prestige. Marcelle Benoit, Versailles et les musiciens du roi (1661-1733) : étude institutionnelle et sociale, Paris, Picard, 1971 (sur l’organisation de la Chapelle du roi, voir p. 179-194) ; ead., Musiques de cour (1661-1733) : Chapelle, Chambre, Écurie [recueil de documents], Paris, Picard, 1971. Alexandre Maral, La Chapelle royale de Versailles au temps de Louis XIV : cérémonial, liturgie et musique, Sprimont, Mardaga, 2002 ; 2de éd. Wavre, Mardaga, 2010. Notamment le Cérémonial historique, manuscrit établi et achevé vers 1732 par l’abbé Jérôme Chupperelle à l’intention du maître de la Chapelle-Musique, Mgr de Vauréal, et conservé aux Archives départementales de la Seine-Maritime (AD-76), 28 F 45-48 [désormais abrégé : Chupperelle]. Encore peu exploré, ce précieux manuscrit de près de 1 300 pages en quatre volumes constitue une source de première main sur l’histoire de la Chapelle royale, de son cérémonial, de son corps de musique et de ses prérogatives, pour la défense desquelles

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THOMAS LECONTE

Musique de la Chapelle 4, cette enquête propose ainsi de pénétrer quelques-unes des arcanes de cette institution musicale singulière, pour tenter de mieux comprendre quelles étaient la place et les fonctions véritables de son maître de musique. LA CHAPELLE DU ROI ET SA MUSIQUE Si, dans sa fonction musicale et liturgique, la Musique de la Chapelle du roi pouvait s’apparenter à une maîtrise capitulaire, elle s’inscrivait néanmoins dans une structure organisée de manière clairement différente, tant dans sa hiérarchie que dans son fonctionnement, la première différence étant qu’elle n’était pas dirigée par un chapitre ou un collège de chanoines mais par un clergé de cour, une « monarchie ecclésiale »5 composée de prélats souvent de haut lignage. La structure et l’organisation de la Chapelle du roi sous les derniers rois Bourbon sont bien connues 6. Partie essentielle de la Maison du roi, reflet de la religion du « roi très chrétien », elle est l’une des institutions les plus anciennes de la cour de France. Placée sous l’autorité du Grand Aumônier de France, « le Chef et l’Évesque de la Cour »7, la Chapelle du roi comprenait elle-même deux entités : la Chapelle-Oratoire, qui regroupait les quatre premiers dignitaires ecclésiastiques de la cour 8, ainsi que le personnel officiant ; et la Chapelle-Musique, qui réunissait tout le personnel chargé de la musique de tous les offices et cérémonies religieuses de la cour. Dirigée par un maître 9, également dignitaire de l’Église et Grand officier de la Maison du roi (cinquième et dernier rang dans la hiérarchie ecclésiastique de la cour), la ChapelleMusique se divisait elle-même en deux corps distincts : la Chapelle de Musique ou « des grandes messes » d’une part, constituée d’officiers ecclésiastiques (chapelains et clercs) dont le rôle est de chanter en plain-chant les grand-messes et offices à certains jours solennels du calendrier liturgique, dits « de grande chapelle » (Pâques, Pentecôte, Toussaint, Noël, Rameaux, Jeudi et Vendredi saints), ainsi que les offices de l’Ordre

4.

5. 6. 7. 8. 9.

l’auteur s’appuie sur des arguments historiques mais aussi sur sa propre expérience : aumônier de la Maison du roi depuis 1698, entré à la Chapelle royale en 1702 comme chapelain et chantre de la Musique, il est l’un des témoins directs les plus anciens de l’évolution de l’institution sous Louis XIV et Louis XV. Sur l’abbé Chupperelle, voir Alexandre Maral, La Chapelle royale de Versailles sous Louis XIV, op. cit., 2002, p. 66-67. Notamment les papiers des frères Pierre, Marc-Antoine et Jean-Louis Bêche, chantres de la Musique de la Chapelle depuis la fin des années 1750, auteurs de notes sur la Musique de la Chapelle du roi bien connues des musicologues, conservées à Paris, BnF-Musique, Rés. F 1661 [désormais abrégé : Bêche]. Rédigés, du moins en partie, autour de 1768, ces papiers manuscrits traitent de divers sujets relatifs à l’histoire ou à la vie quotidienne du corps de musique. Sur ces notes, voir notamment Lionel Sawkins, « The brothers Bêche : An Anecdotal History of Court Music », “Recherches” sur la Musique française classique, XXIV (1986), p. 192-221. Voir Benoist Pierre, La Monarchie ecclésiale : le clergé de cour en France à l’époque moderne, Seyssel, Champ Vallon, 2013. Voir Maral, La Chapelle royale…, op. cit., 2002, p. 53-93. Abbé Guillaume Du Peyrat, L’Histoire ecclésiastique de la cour, ou les antiquitez et recherches de la chapelle et oratoire du roy de France […], Paris, Henri Sara, 1645, p. 131. Respectivement : le Grand aumônier, le Premier Aumônier du roi, le Maître de l’Oratoire et le Confesseur du roi. Que l’abbé Chupperelle, dans son Cérémonial historique, nomme « grand maître » et « Sa Grandeur ».

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du Saint-Esprit, célébrés à la Pentecôte, au Jour de l’an et à la Chandeleur ; la Musique de la Chapelle d’autre part, qui regroupait les chantres, en majorité laïcs, et les enfants de chœur chargés de chanter la musique figurée en contrepoint (par opposition au plain-chant). Tandis que les « grandes messes » et les offices solennels nécessitaient le concours des deux corps, par alternance de plain-chant et faux-bourdon, la Musique de la Chapelle interprétait seule les motets « en musique » chantés à la messe ordinaire du roi. La Musique de la Chapelle chantait encore aux vêpres – auxquelles le roi assistait régulièrement – et aux cérémonies extraordinaires qui célébraient les événements dynastiques (naissances, mariages, funérailles), les victoires, etc. LE MAÎTRE ET LE SOUS-MAÎTRE Souvent considérée comme simplement honorifique, la fonction de maître de la Chapelle-Musique avait pourtant, du moins sur le plan moral et hiérarchique, une certaine importance. Son titulaire recevait les serments de tous les officiers de la Chapelle-Musique, se tenait à la gauche du roi lors des offices, « tout joignant le PrieDieu du Roy »10. C’est lui qui présentait au souverain les fameux « Livres du roi », qui renfermaient les textes des motets du sous-maître en quartier, et donc du motet chanté durant l’office : À l’égard de Monseigneur le grand maistre de la Chapelle de musique, sa place a toujours été à la gauche de Sa Majesté, vis-à-vis Monseigneur le grand aumônier, […] pour être à portée de lui présenter le livres [sic] des pseaumes imprimés, quand la Musique en chante un pendant la basse messe, ou les vespres, lorsqu’elle l’ordonne à M. le grand maistre […] 11.

Le maître se devait de protéger les droits de tous les membres du corps, comme le rappelle Chupperelle dans la dédicace de son Cérémonial historique à Louis-Guy de Guérapin de Vauréal, nommé maître de la Chapelle-Musique en 1732 : Les matières, Monseigneur, qu’il [le Cérémonial historique] renferme ne parroisteront [sic] pas inutiles à Votre Grandeur, ni indifférentes à tous Mrs les chapelains de la Chapelle de musique [i.e. chapelains des « grandes messes »] de nos roys, et à tous les musiciens de leur chapelle [i.e. la Musique de la Chapelle], dont elle est, heureusement pour ces deux corps, le grand maistre, le protecteur, le père, et le supérieur 12.

En principe, le maître n’était pas tenu d’avoir de compétences musicales particulières. À la nomination de Mgr de Vauréal, Chupperelle rend néanmoins plusieurs fois 10. 11. 12.

L’État de la France, 1683 (et années suivantes) : voir Érik Kocévar et Yolande de Brossard, Les États de la France (1644-1789). La musique : les institutions et les hommes, Paris, Picard, 2000, “Recherches” sur la Musique française classique, XXX (1999-2000), p. 153. Chupperelle, op. cit., t. II, p. 559-560. Ibid., t. I, p. 5-6.

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hommage à l’attrait du prélat pour la musique et à son réel intérêt pour le corps qu’il dirigeait, critiquant au passage les carences de son prédécesseur, Charles-LouisAuguste Le Tonnelier de Breteuil. Ceci contribua sans doute à justifier la suppression de la charge en août 1761. En matière de musique, le maître de la Chapelle-Musique s’en remettait au sousmaître, hiérarchiquement placé immédiatement sous son autorité. Ce dernier était ainsi le sixième personnage le plus important de la Chapelle du roi, bien qu’il n’ait pas de rang ecclésiastique officiel – la charge n’exigeant pas obligatoirement l’état ecclésiastique. Choisi parmi les meilleurs musiciens du royaume, il était de fait le chef de tout le personnel musical de la Chapelle. Semestrielles jusqu’en 1663 puis réorganisées par quartiers – alternance que l’on ne retrouve pas dans les maîtrises capitulaires, où les maîtres de musique assurent généralement leurs fonctions toute l’année –, ses fonctions exigeaient des compétences à la fois musicales, liturgiques et pédagogiques : il devait composer et faire répéter les motets destinés à être chantés durant son quartier à la Chapelle, diriger la Musique de la Chapelle pendant les offices et cérémonies ordinaires et extraordinaires, participer aux processions, superviser le fonctionnement quotidien du chœur. Il devait également veiller à la formation musicale et à l’éducation morale des enfants de chœur ou pages. Les prérogatives musicales du sous-maître s’étendaient logiquement à l’ensemble du personnel musical de la Chapelle-Musique. Le personnel fixe était composé pour chaque semestre d’une quinzaine de chantres officiers, des quatre chapelains « des grandes messes », ainsi que de l’organiste. À ces officiers s’ajoutaient les huit pages, âgés de huit à dix-sept ans en moyenne, dont le sous-maître a la charge et qui tenaient dans le chœur, jusqu’à la mue, les parties de dessus. Plusieurs offices étaient enfin nécessaires au bon fonctionnement de cette Musique : noteur (chargé de copier le matériel musical nécessaire), imprimeur, porteur d’instruments, pointeur (après 1683), fourrier, sommier, lavandier, etc. En théorie, le sous-maître détenait également tout ou partie d’une charge de compositeur ; dans les faits, cette charge, aux contours un peu flous, semble avoir été plus honorifique qu’effective, le sous-maître étant déjà tenu par ses fonctions de composer les motets destinés à la messe du roi. Les allusions aux rapports, hiérarchiques et fonctionnels, entre maître et sousmaître sont très présentes dans le Cérémonial de Chupperelle – rédigé, rappelons-le, à l’usage du maître –, qui emploie même le ton direct en proposant des sortes d’échanges-types que, selon les occasions, doivent avoir les deux hommes, tant pour la gestion et l’organisation quotidienne du corps, que pour les questions musicales, la conduite musicale des offices, etc. Sans qu’il n’ait officiellement de rang ecclésiastique à la cour, le sous-maître était de fait intégré à la hiérarchie dirigeante de la Chapelle, notamment parce qu’il pouvait être amené à remplacer le maître dans ses fonctions ecclésiastiques :

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il est à propos d’observer qu’à la tête du corps de la Chapelle-Musique étoient ordinairement des cardinaux ou des évêques, lesquels etoient simplement qualifiés du titre de Maitre de la dite Chapelle. Sous eux étoient immédiattement les soumaitres. Ce titre étoit une émanation du premier, il etoit pris dans le même sens, ce qui les constituoit supérieurs en second. Les privilèges des soumaitres étoient fort étendus. En l’absence du Maitre de la ditte Chapelle, ils étoient autorisés à recevoir ou à refuser les sujets qui se présentoient pour estre admis a la Musique du Roy, après les avoir examinés 13.

Le maître étant souvent absent de la cour 14, le sous-maître se retrouvait donc dans la situation de le remplacer et d’assurer ses fonctions, avec les mêmes prérogatives, ce qui renforçait d’autant sa dignité et son autorité. LE RECRUTEMENT DU SOUS-MAÎTRE Il semble que le mode de recrutement des sous-maîtres n’ait jamais été véritablement fixé, évoluant au gré des usages et des circonstances. Au XVIe siècle et au tout début du XVIIe, le recrutement des sous-maîtres se faisait le plus souvent par promotion interne. Depuis François Ier, la charge distinguait en général un musicien ayant montré des capacités particulières au sein de la Chapelle-Musique 15. Ce fut notamment le cas d’Eustache Du Caurroy, qui fut chantre de la Chapelle du roi avant d’en devenir sousmaître en 1578 ; de Nicolas Formé, haute-contre de la Chapelle du roi au plus tard en 1595, sous la direction de Du Caurroy, à qui il succéda en 1609, en alternance avec Eustache Picot. Cette nomination de Picot, ancien maître de musique de la cathédrale de Rouen, dénote une première ouverture. Nommé sous-maître en 1638 en remplacement de Formé, Thomas Gobert était chanoine de la Sainte Chapelle de Paris. Jean Veillot, ancien enfant de chœur, chanoine et maître de musique de Notre-Dame, devint à son tour sous-maître, en survivance d’Eustache Picot, à qui il succède effectivement à la charge en 1651, œuvrant en alternance avec Thomas Gobert. La mort de Veillot (1662) marque le premier recrutement important du règne de Louis XIV, qui réorganisa la charge en quatre quartiers, réduisant le semestre du vieux sous-maître Gobert, rejoint, officiellement le 8 juillet 1663 16, par Henry Du Mont et Pierre Robert, puis, sans doute en 1664, Gabriel Expilly. Rien ne permet de préciser si ce renouvellement s’est fait sur simple nomination royale ou sur concours, comme pourraient le laisser supposer les « essais » dont parle le chroniqueur Jean Loret dans ses vers indigents (et souvent imprécis) :

13. 14. 15 16.

Bêche, op. cit., p. 130. Benoit, Versailles et les musiciens du roi, op. cit., p. 182. Voir Christelle Cazaux, La Musique à la cour de François Ier, Paris, École nationale des Chartes, 2002, p. 71. Voir Journal des bienfaits du roi, tome premier « Qui comprend depuis 1661 jusqu’en 1670 », ms (1687), BnF, manuscrits, Français 7651, f. 65.

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Après les essais qu’on a faits De quantité de Gens parfaits En profession Muzicale, Pour la Chapelle Royale, Par mérite et non par bon-heur, Avoir la Maîtrize et l’honneur, Le Roy, dont l’oreille est sçavante En cette science charmante, Par un vray jugement d’Expert, A choizi Dumont et Robert, Tous-deux rares, tous-deux sublimes, Et tous-deux excellentissimes 17.

Il n’est pas impossible qu’Expilly ait également été recruté sur concours. C’est du moins ce que laisse entendre Pierre Perrin qui, dans la dédicace de ses Cantica pro Capella Regis publiés en 1665, invitait Louis XIV à se ressouvenir du succez qu’ont eu plusieurs de ces Cantiques, lors qu’ils ont esté chantez dans sa Chapelle; entr’autres celuy du Martyr que luy fit entendre le sieur Expilly, lors de sa concurrence à la Maistrise, qui ravit toute vostre Cour, & fit dire à V. M. qu’il avoit combattu avec des armes avantageuses; & en suitte ceux dont il l’a régalée pendant son quartier 18.

Le seul concours avéré est celui du printemps 1683. Pour son installation à Versailles, le roi voulut remplacer Du Mont et Robert, qui l’avaient servi durant vingt ans, et encourager une nouvelle émulation, en faisant appel aux meilleurs « maîtres » du royaume (cathédrales notamment). Tout le déroulement du concours, depuis l’appel, par l’intermédiaire des évêques et des chapitres notamment, à tous les maîtres de musique du royaume, jusqu’au choix final en faveur de Collasse, Goupillet, Minoret et Lalande, est relaté dans le périodique principal du temps, le Mercure galant 19, ce qui souligne la dimension publique de l’événement, et montre la volonté d’émulation mais aussi de transparence et d’ouverture du roi. Le Mercure témoigne d’un concours très structuré, organisé, contrôlé, qui devait permettre un choix aussi objectif que possible, les motets des candidats sélectionnés, composés lors d’épreuves et sur sujets imposés, étant exécutés durant la messe du roi, et donc soumis aux oreilles et au jugement de toute la cour 20. Malgré ces précautions, le choix des lauréats ne put échapper au système courtisan des faveurs, et le roi lui-même imposa son propre choix : 17. 18. 19. 20.

Jean Loret, La Muze historique, lettre du 7 juillet 1663. Sur ce double recrutement, voir Laurence Decobert, Henry Du Mont (1610-1684). Maistre et Compositeur de la Musique de la Chapelle du Roy et de la Reyne, Wavre, Mardaga, 2011, p. 90-91. Pierre Perrin, Cantica pro Capella Regis, Paris, Robert Ballard, 1665, « Epistre au Roy ». Mercure galant, avril 1683, p. 310-318 ; mai 1683, p. 230-232. Jusqu’à susciter quelques anecdotes savoureuses, comme celle de la mésaventure de Jacques Lesueur, maître de musique de la cathédrale de Rouen, dont la musique trop descriptive fit s’esclaffer la cour et le roi luimême : voir Jean-Laurent Le Cerf de La Viéville de Fresneuse, Comparaison de la musique italienne et de la musique françoise, Bruxelles, François Foppens, 1705-1706, 3e partie (1706), p. 139-142.

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Jusques en 1682, il n’y avoit eu que deux Maîtres de la Musique de la Chapelle qui servoient par semestre ; ils se retirèrent en 1683. & Lully à cette occasion proposa au Roy de partager le service de la Chapelle en quartiers, afin qu’un plus grand nombre de Maîtres donnât lieu à une plus grande variété de Musique. Il y eut un concours où il se présenta une vingtaine de Maîtres. Le Roy en choisit huit, & voulut qu’ils fussent enfermez chacun séparément, afin de travailler tous au même Pseaume, qui étoit le Beati quorum. L’émulation qui régnoit entr’eux donna à leurs Ouvrages une égalité de mérite. M. L’Abbé Robert qui se retiroit de la Maîtrise de Musique de la Chapelle du Roy, le supplia de vouloir agréer M. Goupillet. M. l’Archevêque de Rheims21 pria aussi Sa Majesté de recevoir M. Minoret. Lully qui protégeoit M. Colasse obtint aussi un quartier pour luy. Tous ces différens Protecteurs exaltoient beaucoup le mérite des trois nouveaux Maîtres, & voulant en proposer un quatrième, le Roy leur dit : J’ay reçû, Messieurs, ceux que vous m’avez présentez ; il est juste que je choisisse un sujet de mon goût, et c’est La Lande que je prends pour remplir le quartier de Janvier 22.

L’on recruta ainsi deux ecclésiastiques – Goupillet, prêtre, alors maître de la musique de la cathédrale de Meaux ; Minoret, clerc tonsuré, maître de musique de SaintGermain-l’Auxerrois – et deux laïcs – Lalande, formé à la maîtrise de Saint-Germainl’Auxerrois, alors organiste de Saint-Gervais et Saint-Jean-en-Grève ; Collasse, ancien enfant de chœur à Saint-Paul de Reims, mais connu pour ses liens avec Lully. Comme le souligne Marcelle Benoit 23, l’ancien règlement, qui voulait que la charge fût confiée de préférence à un ecclésiastique, se montrait ainsi plus souple et libéral que certaines maîtrises capitulaires, où l’état ecclésiastique était imposé. En 1722 et 1723, en prévision du retour de Louis XV à Versailles, c’est encore le choix du prince qui présida au recrutement. Pour seconder le vieux Lalande, en place depuis quarante ans, le Régent nomma sous-maîtres trois musiciens de son entourage proche. Si deux d’entre eux avaient l’expérience des maîtrises – Nicolas Bernier avait été maître de musique de la cathédrale de Chartres (1694) puis de la Sainte Chapelle de Paris (1704) ; André Campra, maître de Notre-Dame de Paris entre 1694 et 1699 –, on ignore la formation véritable du troisième, Charles-Hubert Gervais, qui fut maître de musique du prince à partir de 1697 environ. Comme l’avait voulu Louis XIV en 1683, et après la longue carrière hégémonique de Lalande, le souhait du Régent était d’encourager une nouvelle émulation 24. Les nominations suivantes se firent à nouveau sans concours, en fonction de la formation, des références ou de la réputation des musiciens choisis, mais aussi sans doute avec une part d’arbitraire 25. Les abbés Madin et Blanchard, nommés respectivement en 1737 et 1738 avaient dirigé des maîtrises (Meaux, Verdun, Tours et Rouen

21. 22. 23. 24. 25.

Charles-Maurice Le Tellier, alors maître de la Chapelle-Musique. Alexandre Tannevot, Préface ou Discours sur la vie et les ouvrages de M. de La Lande, dans Motets de feu Mr De La Lande [...], avec un discours sur la vie et les œuvres de l’autheur […], Paris, Boivin, 1729[-1734], t. I, p. 3 4. Benoit, Versailles et les musiciens du roi, op. cit., p. 183. Voir Thierry Favier, Le Motet à grand chœur : Gloria in Gallia Deo, Paris, Fayard, 2009, p. 269-270. Ibid., p. 296.

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pour le premier ; Saint-Victor de Marseille et cathédrales de Toulon, Besançon et Amiens pour le second). Nommé en 1740 comme survivancier de Campra, successeur de Madin en 1744, Mondonville, laïc, avait quant à lui acquis une solide réputation dans les concerts publics, notamment au Concert Spirituel. Avec le recrutement, en 1758, de Gauzargues, ancien maître de chapelle de la cathédrale de Nîmes, la Musique de la Chapelle repassa entre les mains d’un abbé. Il fut remplacé sans concours en 1775 par François Giroust, ancien maître de musique de la cathédrale Sainte-Croix d’Orléans puis de l’église des Saints-Innocents de Paris 26. Cette disparité dans le processus de recrutement rappela la nécessité du concours. Dans le contexte de l’édit de réunion de 1761, Bêche en appelait à la généralisation de cette pratique objective, précisant les conditions d’obtention des charges respectives de maître de la Musique de la Chapelle et de surintendant de la Musique de la Chambre, et en précisant les compétences musicales nécessaires : Nul ne pourra parvenir à la place de surintendant sans avoir passé par celle de maître. On ne sera admis à celle-cy, qu’après avoir fait entendre douze grands motets de sa composition, qui soient une preuve convaincante d’une capacité reconnüe. La loy du concours, établie jusqu’icy à la Chapelle, est excellente. Chaque aspirant aura la permission de faire exécuter ses productions. Le plus digne l’emportera. Les deux places de maître étant ainsi remplies, chacun d’eux sera tenu de composer encore treize grands motets pour prétendre a la charge de surintendant. L’ancienneté ne sera pas un titre pour avoir la préférence. Elle sera donné au talent le plus marqué 27.

FONCTIONS ECCLÉSIASTIQUES, FONCTIONS MUSICALES Parmi les prérogatives du sous-maître, les sources mettent en avant les fonctions ecclésiastiques : Ces fonctions Ecclésiastiques [du sous-maître] sont de marcher en surplis au-dessus de tous les Chantres de la Musique de la Chapelle du Roy à toutes les Processions où le Roy assiste, ou qu’il fait faire dans le Château où il est présent : soit aux Processions ordinaires comme à la Chandeleur, au jour des Rameaux, à la Fête de Dieu, à la My-Août ; soit aux Processions extraordinaires. Sont aussi d’être en surplis à l’Anniversaire du feu Roy à S. Denis en France, le 14 May, et d’y faire chanter : comme aussi de faire chanter Miserere en faux bourdon le Jeudy saint, auparavant la Cêne 28.

Pour les remplir pleinement, le sous-maître devait être à tout le moins clerc. Dans l’usage, la charge de sous-maître permettait à ses titulaires l’obtention, des mains du roi, de bénéfices d’abbayes parfois importants, qui récompensaient ses services mais 26. 27. 28.

Pour plus de détails sur la succession des différents sous-maîtres, voir ibid., p. 265-275. Bêche, op. cit., p. 138-139. L’État de la France, 1692 (et années suivantes) : voir Kocevar, Y. de Brossard, Les États de la France (1644-1789), op. cit., p. 184.

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aussi concouraient à légitimer sa place dans la hiérarchie ecclésiastique de la cour. Jusqu’au règne de Louis XIV, la plupart des sous-maîtres détenaient de tels bénéfices. L’âge des sous-maîtres abbés culmina sans doute avec le recrutement en 1663 de Robert et Du Mont, aussitôt nuancé par celui d’un sous-maître n’appartenant pas au clergé, Gabriel Expilly, nommé en 1664 (démissionnaire en juillet 1668) 29. Avec le recrutement de deux ecclésiastiques et de deux laïcs, le concours de 1683 marqua une évolution vers une laïcisation progressive de la fonction. Dans la pratique, cette tendance entraîna nécessairement une ambiguïté dans le maintien des fonctions ecclésiastiques du sous-maître, et notamment de sa place auprès du roi mais aussi dans la hiérarchie, ouvrant également la voie à de potentielles tensions avec l’autorité ecclésiastique, parfois même au sein du corps même de la Chapelle-Musique 30. Sans doute est-ce une des raisons pour lesquelles, sous le règne de Louis XV – du moins avant l’édit de réunion de 1761 –, on s’efforça de maintenir, pour une part du moins, la tradition ecclésiastique de la charge, avec la nomination de plusieurs abbés (Madin, Blanchard, Gauzargues). L’état de clerc conférait à un sous-maître une certaine dignité ecclésiastique, à défaut d’un véritable rang dans la hiérarchie. Au sujet de Guillaume Minoret, sousmaître de 1683 à 1714, Bêche souligne : Mr l’abbé Minoret sous maitre de musique avoit droit de porter le surplis avec le manteau long par-dessus à la procession de la Fête-Dieu, ce qui l’assimilloit en quelque manière aux aumoniers du Roi et le mettoit par conséquent au dessus des chapelains de la Musique 31.

Cette dignité était bien évidemment renforcée parce que le sous-maître représentait l’autorité musicale de la partie la plus sacrée de la Maison du roi. Au-delà de ces fonctions ecclésiastiques, le sous-maître était en effet surtout le véritable maître du fonctionnement musical de la Chapelle et le garant de la qualité de la musique chantée durant les offices, que ce fût durant la messe quotidienne du roi ou les jours de « grande chapelle ». À ce titre, son autorité musicale s’étendait sur tous les effectifs musicaux de la Chapelle-Musique, à savoir les chapelains des « grandes messes » et la Musique de la Chapelle. À Versailles, il disposait de deux salles contiguës à la chapelle. À une première salle « où les musiciens s’assemblent », assez vaste, pourvue sur son pourtour de gradins pour les répétitions 32, s’ajoutait un second espace plus petit, destiné à 29. 30. 31. 32.

Alexandre Maral, « L’héritage chrétien », Le Prince et la musique : les passions musicales de Louis XIV, éd. Jean Duron, Wavre, Mardaga, 2009, p. 26. Sur le recrutement d’Expilly, voir Decobert, Henry Du Mont (1610-1684), op. cit., p. 92. Sur le plan hiérarchique par exemple, rappelons que les chapelains des « grandes messes », ecclésiastiques, dépendaient directement du maître. Bêche, op. cit., p. 43. Visible sur le plan de Jacques-François Blondel, Architecture françoise, ou recueil des plans, élévations, coupes et profils des églises, maisons royales, palais […], Paris, Charles-Antoine Jombert, 1756, tome IV, livre VII, planche 9 ; voir William R. Newton, L’Espace du roi : la cour de France au château de Versailles, Paris, Fayard, 2000, plans 29 et 30.

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entreposer les partitions et matériels d’exécution, et à faire répéter les « récits », c’està-dire les passages chantés en solistes : Outre la sale où s’assemblent les musiciens à la Chapelle à Versailles pour la messe du Roy, le Sr Lalande avoit en possession une chambre de l’aparte[me]nt qu’occupe aujourd’huy le Suisse de la Chapelle qui est dans le mesme escalier de la ditte sale. C’ettoit là où il déposoit ses mottets et où il faisoit répetter quelque fois les récits à ceux qu’il ettoit nécessaire de les faire répetter. Après la mort de Mr de Lalande, cette ditte chambre a etté jointe au p[e]t[i]t apartement du Suisse qui en a resté le possesseur. Les maitres de la Musique de la Chapelle ont etté bien duppes de ne pas conserver ce droit. En 1762, Mr l’abbé Gauzargues a voulu revenir sur cela et a demandé qu’à la place de la chambre de l’apartement qu’occupe le Suisse, on dona au maitre de musique une autre chambre particulière en faisant percer une porte dans la ditte sale 33.

Parmi les fonctions musicales du sous-maître, figurait bien sûr celle de composer. Outre la sauvegarde et le respect du répertoire liturgique pour les jours solennels, sa préparation, son adaptation et sa mise en œuvre en fonction des pratiques cantorales (plainchant, faux-bourdon, alternatim avec le grand orgue, etc.), le travail de composition des sous-maîtres proprement dit devait essentiellement se concentrer sur la constitution d’un corpus de « motets et élévations » (i.e. motets à grand chœur et petits motets) pour la messe quotidienne du roi 34. Il n’existe aucun document précis indiquant si un sous-maître nouvellement nommé arrivait à la Chapelle avec un corpus minimal pour la messe du roi, ni aucun décret fixant le nombre de motets et élévations nécessaires à la tenue d’un quartier. Pour les motets, Thierry Favier l’estime à environ vingt-cinq 35, mais il est très probable que les conditions de constitution des répertoires aient évolué au cours du temps, en fonction du contexte dans lequel avait évolué chaque nouveau sous-maître, des musiques sur lesquelles il s’était formé – le plus souvent des messes et motets de style ecclésiastique ancien, qui restaient la norme dans le contexte capitulaire –, mais aussi des différents stades de l’évolution du genre musical emblématique de la messe du roi. Cette évolution du motet pour la messe du roi doit être mise en parallèle avec celle de la Musique de la Chapelle, depuis l’époque de Du Mont et Robert (1663-1683), correspondant à l’invention et à la mise en place des caractéristiques du genre, qui se stabilisèrent et se standardisèrent durant la seconde moitié du règne de Louis XIV et la Régence, jusqu’à la fin du règne de Louis XV 36, au terme de près d’un siècle d’évolution du genre et des impératifs fonctionnels de la messe du roi. 33.

34. 35. 36.

Bêche, op. cit., p. 87. Cette pièce où Lalande « déposoit ses mottets » pourrait être l’une des pièces du petit appartement du rez-de-chaussée, AN 20, localisé par Newton, L’Espace du roi, op. cit., p. 339-340, plan 25, no 20, ou plus vraisemblablement, de l’une des pièces du petit logement AN 64, en attique et galetas, ibid., p. 402-403, plan 31, no 64, auquel on pouvait accéder depuis l’étage de la salle de répétition par un petit escalier accolé à la « serre des bancs et des chaises » (voir Blondel, op. cit.), sur le mur Nord de la chapelle. Sur la constitution et l’évolution des répertoires de motets à la Chapelle entre 1663 et la fin de l’Ancien Régime, voir Favier, Le Motet à grand chœur, op. cit., p. 276-321. Ibid., p. 284. Dans son Essai sur la musique ancienne et moderne, Paris, Philippe-Denis Pierres, Eugène Onfroy, 1780, III,

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Les livrets de Motets et élévations imprimés à l’usage de la famille royale et des courtisans qui assistaient à la messe du roi – dits aussi « Livres du roi » – constituent des indicateurs tangibles de l’évolution du corpus d’un sous-maître. L’importante étude effectuée par Lionel Sawkins 37 sur l’ensemble des Livres du roi existants pour les compositeurs de la Chapelle sous le règne de Louis XIV apporte des informations quant à l’existence et l’organisation du répertoire chanté durant la messe quotidienne du roi 38. Selon les hypothèses de L. Sawkins, un sous-maître arrivait à la Chapelle avec un premier corpus immédiatement disponible. On a vu que cela devrait probablement être nuancé. Une autre hypothèse serait en effet que le compositeur consacrait ses premières années de sous-maître à constituer son répertoire 39, par la composition de nouveaux motets ou la révision d’œuvres écrites durant les différents postes de maître de chapelle qu’il avait précédemment occupés avant de remplir ses nouvelles fonctions à la Chapelle. Au fil des quartiers, les textes des nouveaux motets étaient ajoutés à la suite des anciens dans les Livres du roi, et l’on recomposait pour chaque quartier une table alphabétique intégrant les nouveaux titres. Il est ainsi possible d’estimer le corpus de motets d’un sous-maître en fin de carrière, selon la longueur de celle-ci, à plusieurs dizaines de grands motets. Ainsi, le Livre du roi du dernier quartier assuré par Du Mont (quartier de janvier 1683) 40, après vingt années de service, totalise 69 textes de grands motets. Lalande quant à lui a laissé en près de quarante ans 77 grands motets 41. On distingue dans ces Livres du roi de nombreux textes récurrents : psaumes (de vêpres ou autres), cantiques (Magnificat, Benedictus), hymnes (Te Deum, Veni creator, Christe redemptor, etc.), mais aussi parfois des textes plus spécifiques à tel ou tel quartier 42. Sur le corpus obligé des sous-maîtres, Bêche apporte quelques précisions, en soulignant par exemple que les quatre nouveaux titulaires recrutés après le concours de 1683 durent s’empresser de composer Te Deum et De profundis, pour les cérémonies dynastiques et les funérailles, et « autres motets »43. Si entre 1663 et 1683 les sous-

37.

38. 39. 40. 41. 42. 43.

p. 423-424, Jean-Benjamin de La Borde indique que Mgr de Vauréal, maître de la Chapelle-Musique de 1732 à 1760, posait comme condition préalable la composition de douze motets. Il précise que Charles Gauzargues, lors d’un passage à Versailles en 1757, n’ayant que quatre motets à son répertoire, retourna à Nîmes, composa les autres et obtint le poste de sous-maître. Voir aussi Youri Carbonnier et Jean Duron, Charles Gauzargues (1723-1801) : un musicien de la Chapelle royale entre Nîmes et Versailles, Versailles, Paris, Centre de musique baroque de Versailles, Picard, 2016, p. 43-44. Lionel Sawkins, « Chronology and evolution of the ‘grand motet’ at the court of Louis XIV : evidence from the ‘Livres du Roi’ and the works of Perrin, the ‘sous-maîtres’ and Lully », Jean-Baptiste Lully and the music of the french baroque : essays in honor of James R. Anthony, ed. John Hajdu Heyer, Cambridge, Cambridge University Press, 1989, p. 41-79. Ibid., p. 41-79. Voir Thomas Leconte, « La question instrumentale dans les motets à grand chœur de Pierre Robert », L’Orchestre à cordes sous Louis XIV. Instruments, répertoires, singularités, éd. Jean Duron et Florence Gétreau, Paris, Vrin, 2015, p. 216. Motets et élévations de M. Du Mont, Pour le quartier de janvier, février, et mars 1683, Paris, Christophe Ballard, 1683, Paris, Bibliothèque Sainte-Geneviève, Rés. Vm 18 (12). Voir Lionel Sawkins, Thematic catalogue of the Works of Michel-Richard de Lalande (1657-1726), Oxford, Oxford University Press, 2005, p. 4-5. Reflets potentiels, directs ou plus lointains, du calendrier liturgique. Bêche, op. cit., p. 120 : « À peine ces quatre soumaîtres sont-ils pourvus de leurs charges que leur premier soin est de composer des Te Deum des De prof[undis] et autres motets. Leurs ouvrages subsistent encore. »

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maîtres mirent également en musique de nombreux textes néo-latins, typiques de cette période correspondant à la construction de l’« image » religieuse de Louis XIV, l’examen des Livres du roi des sous-maîtres de 1683 révèle que ce procédé semble avoir été rapidement abandonné à l’installation à Versailles, le roi préférant appuyer son image religieuse sur la figure de David, roi psalmiste, symbole édifiant de l’alliance, à travers la musique, entre Dieu et le roi, constituant enfin l’expression la plus parfaite du caractère sacré du souverain. Durant son quartier, le sous-maître dirigeait en priorité ses propres œuvres. Cette tradition fut à l’origine de la démission de Minoret qui, durant son quartier de 1714, dut céder à la demande du roi qui lui préféra un motet de Lalande : Sur la fin du règne de Louis 14, l’électeur de Bavière se trouvant à Versailles, la Musique de la Chapelle du Roy reçut ordre de Sa Majesté de chanter une fois seulement, la messe en musique du dit électeur. les mottets de Mr l’abbé Minoret, pour lors de quartier à la Chapelle, ne paroissant pas si brillants que ceux de Lalande, le Roy ordon[n]a que le dit Lalande fairoit chanter son mottet Cantate Domino canticum novum. Çela donna un tel dégout à Mr Minoret qui depuis environ 30 ans ettoit maître de musique de la Chapelle, qu’il demanda sa retraite au Roy qui en fut fort aise, et la luy accorda 44.

Les sous-maîtres pouvaient néanmoins être amenés à faire exécuter des motets d’autres compositeurs. Pour les sous-maîtres recrutés en 1683, les motets de Robert, ancien sous-maître, et de Lully, surintendant de la Musique de la Chambre et à ce titre auteur de motets d’extraordinaire, restaient au répertoire et pouvaient être exécutés durant leurs quartiers 45. Un intéressant recueil, copié en 1697 par André Danican Philidor, garde de la bibliothèque de la Musique du roi, propose quant à lui, pour un contingent réduit de la Musique de la Chapelle chantant la messe les jours de départs du roi pour Versailles ou Fontainebleau, des sortes de grands motets réduits composés par des chantres ou musiciens de la Chapelle 46. Sous le règne de Louis XV, la Chapelle s’ouvrit à la musique de musiciens extérieurs au service, et même étrangers à la Musique du roi 47. À la mort de Madin, en 1748, son quartier, laissé vacant pour des raisons financières, fut confié à un chantre de la Musique, qui devait faire exécuter des motets des sous-maîtres récemment décédés (Bernier, Campra, Gervais, Madin), mais aussi de maîtres extérieurs à la Chapelle, comme Jean Gilles, Joseph Michel, Charles Levens, François Pétouille, Louis Homet, etc.48.

44. 45. 46.

47. 48.

Ibid., p. 79. Voir Favier, Le Motet à grand chœur, op. cit., p. 307-309. Motets de Messieurs Lalande, Mathau, Marchand l’aisné, Couprin, et Dubuisson. Qui servent dans les départs de Sa Majesté de Versailles à Fontainebleau et de Fontaineblau à Versailles, avec une petitte musique qui reste pour les messes des derniers jours pendant que toutte la musique prent les devants afin de se trouver touts à la messe du Per jour. Recüeillis par Philidor l’aisné Ordinaire de la musique du Roy et l’un des deux gardiens de la bibliothèque de musique de sa majesté. Fait à Versailles en 1697, Versailles, Bibliothèque municipale, Ms. mus. 18. Voir Favier, Le Motet à grand chœur, op. cit., p. 295-297. Ibid., p. 309-315.

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Outre les nombreuses informations sur le déroulé liturgique et la place de la musique dans les différents offices chantés par la Musique de la Chapelle, Chupperelle livre fréquemment dans son Cérémonial historique de courtes informations qui permettent de mieux cerner le travail pratique et quotidien du sous-maître, et comment s’articulait ce travail avec le maître, le célébrant, etc. Nous nous bornerons à quelques rapides exemples. Ainsi, pour les vêpres de la fête de la Circoncision, « Monsr le maistre de musique a soin de faire les partitions et les parties de ce qu’il y voudra faire chanter en l’honneur du Saint-Sacrement et d’y faire porter les instrumens et les pulpitre[s], dont les symphonistes pourroi[en]t avoir besoin » 49. À de nombreuses reprises, le chantre insiste sur le fait que le sous-maître, logiquement, devait se concerter avec le maître ou le chapelain officiant sur la musique à fournir et à exécuter durant les offices. Ainsi « Mr l’ancien chapelain qui officie au salut en chape, doit estre convenu avec Mr le maistre de musique de quartier de tout ce qu’il fera chanter au salut […] » 50. Pour les Ténèbres du mercredi, dans le cas où elles devaient se chanter devant le roi hors la cour, « Monseigneur le grand maistre de la Chapelle de musique en recevroit l’ordre de Monseigneur le gouverneur du roy et Sa Grandeur le feroit aussitost donner à toute la Musique tant vocale, qu’instrumentale, qui devroit s’y trouver à l’heure marquée avec le maistre de musique de quartier, qui y feroit porter un de ses motets des plus courts, c’est-à-dire, un pseaume des matines […] »51. Le chantre livre au passage des informations pratiques intéressantes sur l’interaction entre les officiants et la Musique, comme par exemple que « tous les trois officiers de l’autel et les trois subalternes restent à genoux pendant que la Musique chante dans la tribune le motet, que le maistre de musique de quartier, a apporté, après lequel il fait encore chanter le Domine salvum fac regem »52. Assez logiquement, le sous-maître devait veiller au bon temps de ses motets. Ainsi, lors des vêpres de l’Annonciation, « Sa Grandeur donnera ordre à Mr le maistre de musique de quartier de finir son motet après la prise du Prétieux Sang »53. Chupperelle précise encore que « comme il doit y avoir un motet avant les vespres, il est nécessaire que toute la symphonie s’y trouve, et Mr le maistre de musique de quartier, qui doit finir son motet d’abord que Mr l’ancien chapelain en surplis et estole, placé au milieu de la tribune, pour lors lui fera signe de finir, affin qu’il puisse chanter Deus in adjutorium meum intende »54. Le chantre donne encore d’innombrables mentions sur la préparation matérielle des offices, comme celle-ci, se rapportant aux Ténèbres du jeudi : Le maistre de musique doit, avant que les ténèbres commencent[,] disposer et préparer les pulpitres des symphonistes, et mettre, dessus, leur partie du pseaume qu’on doit

49. 50. 51. 52. 53. 54.

Chupperelle, op. cit., t. IV, p. 1060. Ibid., p. 1061. Ibid., p. 1119. Ibid., p. 1063. Ibid., p. 1088. Ibid., p. 1089.

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chanter en musique, distribuer aux récitans ce qu’ils auront à chanter, et donner à toutes voix de la Musique tout ce qui leur convient à chacune d’elles 55.

Le sous-maître devait évidemment composer avec différentes contraintes, fonctionnelles, de lieux – la cour de France étant toujours itinérante, même après l’installation à Versailles, et la Chapelle, ambulatoire –, ou même avec des contraintes esthétiques, selon l’évolution des goûts, des pratiques, du souhait du roi, etc. Évoquons par exemple celles auxquelles furent confrontés Du Mont et Robert, qui durent, d’une manière ou d’une autre et avec plus de nuances que ne le laissent entendre les contemporains, se plier à la demande du roi d’ajouter des instruments dans leurs motets 56. Il est en outre évident que les deux sous-maîtres durent s’adapter à l’évolution des effectifs, vocaux et instrumentaux, voulus par Louis XIV au fil des vingt années de leur activité à la Chapelle. Alexandre Tannevot rapporte quant à lui que le roi interdit à Lalande, malgré son envie de les remettre sur le métier, de réviser ses motets, soit pour rendre plus sensibles les progrès que l’Auteur faisoit sous ses yeux, soit pour conserver les grâces et les beautez naïves de ses premières productions, soit enfin par la crainte que cette occupation ne luy prît trop de temps, et ne l’empéchât de composer de nouvelles choses 57.

De nombreux témoignages attestent des rapports directs que le souverain, et tout particulièrement Louis XIV, pouvait entretenir avec ses sous-maîtres, montrant également son intervention dans leur activité à la Chapelle. On le voit par exemple « envoyer quérir à Paris exprès » Du Mont afin qu’il vienne diriger à Fontainebleau les cérémonies lors de la venue du cardinal Chigi en 1664 58. L’on a également gardé la trace de fréquents échanges entre Louis XIV et son cher Lalande. Ainsi, à l’occasion du recrutement de nouveaux organistes, après avoir fait jouer les candidats durant sa messe, « le roy ne manquoit pas tous les jours de dire à M. de Lalande ce qu’il pensoit de l’organiste qui avoit joüé, dont il lui demandoit le nom, et l’endroit, où il joüoit ordinairement de l’orgue »59. Ou encore au sujet des défections des chantres de la Musique, qui entraînèrent l’institution de la « pique » ou du pointeur. Chupperelle rapporte longuement l’échange qui eut lieu entre le roi et son sous-maître, qui tenta de défendre ses musiciens. En voici un extrait : Il est vrai, Sire, que le motet d’aujourd’hui n’a pas si bien été exécuté comme Votre Majesté l’auroit souhaité, parce qu’il nous a manqué plusieurs voix, et trois, ou quatre 55. 56. 57. 58 59.

Ibid., p. 1147. Sur ces contraintes, prétendument à l’origine des retraites de Du Mont et Robert, mais depuis débattues et nuancées, voir notamment Decobert, Henry Du Mont (1610-1684), op. cit., p. 124-125. Tannevot, Préface ou Discours sur la vie, op. cit., p. 5. Voir Jean Lionnet, « Les événements musicaux de la légation du Cardinal Flavio Chigi, été 1664 », Studi musicali, XV, 1-2 (1996), p. 150. Chupperelle, t. II, p. 534.

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symphonistes. – Mais, lui dit le roy, d’où vient tant d’absens ? – Les uns, Sire, envoÿent dire, qu’ils sont malades, et les autres demandent très souvent des congés, qu’ils obtiennent de nous plus facilement, qu’ils ne feroient de M. nostre grand maistre, s’il étoit à la Cour. – Eh bien, dit le roy, j’y veux mettre ordre, et je vous ordonne deux choses : la première, de me donner la liste de ceux qui se sont absentés sans permission ; et les noms des autres, que vous soupçonnez avoir abusé des congés, que vous leur avés donnés. La seconde, je veux que vous me trouviez un moÿen de contenir tous mes musiciens dans leur devoir sans excepter, ni les ecclésiastiques, ni les laïques 60.

DES FONCTIONS ÉDUCATIVES ET PÉDAGOGIQUES Outre ses fonctions strictement musicales, le sous-maître devait pourvoir à l’éducation morale et la formation musicale des pages, mais aussi à leur « entretènement », c’està-dire au logement, à l’habillement et à la nourriture, charge pour laquelle il recevait une somme d’argent 61. Il semble qu’il ne disposait pas d’un logement de fonction officiel 62, et qu’il hébergeait chez lui les pages dont il avait la charge. L’inventaire établi le 31 mai 1684 après le décès d’Henry Du Mont montre ainsi que l’ancien sous-maître possédait encore chez lui plusieurs lits de sangle et le linge nécessaire à l’hygiène des pages. Ainsi, « dans un bas d’armoire estant dans la seconde chambre » de son logement parisien situé dans le passage Saint-Pierre, près de l’église Saint-Paul dont il fut organiste, se trouvaient « dix sept paires de petits draps propres à mettre à des lits d’enfants », très usagés puisque « de toille eslimée », ainsi que onze nappes « de toille », treize serviettes et quatorze douzaines et demie de serviettes ouvrées, six essuie-mains 63. De même, à la mort d’Henry Madin, en 1748, on trouva chez lui, « dans la chambre où couchent Mrs les Pages », « six couchettes à bas piliers, garnies chacune d’une paillasse, de grosse toile grise, d’un matelas couvert de toile à carreaux, d’un traversin de courtil rempli de plumes, de deux couvertures de laine blanche à chacun », ainsi que, « Dans une chambre au deuxième étage […], une grande table de bois de chêne montée sur un pétrin, garnie de six tiroirs aux deux bouts, fermant, pour l’étude des pages, […] lit, paillasse, panier d’osier »64.

60. 61. 62.

63. 64.

Ibid. Sur l’éducation des Pages, voir Benoit, Versailles et les musiciens du roi, op. cit., p. 245-252 ; Grégoire Sharpin, Les Pages de la Musique du roi, mémoire de maîtrise de musicologie, Université de Paris-IV Sorbonne, 1986, chap. III, p. 107-148. Contrairement au surintendant de la Musique de la Chambre qui, du moins à Versailles, avait la jouissance, à la Grande Écurie puis au Grand Commun, d’un appartement pourvu de chambres pour les trois pages dont il avait la charge. Voir William D. Newton, La Petite cour. Services et serviteurs à la Cour de Versailles, Paris, Fayard, 2006, p. 104, 553-555, et plan 26, no 84. AN, MC/ET/LXXXIX/70, 31 mai 1684. Voir Decobert, Henry Du Mont (1610-1684), op. cit., p. 96, 167. AD Yvelines, Scellés de la Prévôté de l’Hôtel, 1 B 233, 4 février 1748 ; voir Bernadette Lespinard, « Henry Madin (1698-1748), sous-maître de la Chapelle Royale, III », “Recherches” sur la Musique française classique, XVI (1976), p. 20.

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Jusqu’à la fin du règne de Louis XIV, l’éducation des pages était de préférence confiée à un ecclésiastique. Une lecture croisée des États de la France 65 et des notes de Bêche 66 permet de reconstituer à qui fut confiée cette fonction importante à partir de 1683. Jusqu’en 1693, Goupillet et Minoret, ecclésiastiques, se la partagèrent par semestre 67. Démissionnaire en 1693, le premier fut remplacé par Collasse, laïc 68, que remplaça à son tour, en 1704, Minoret, qui assura donc cette tâche toute l’année. À la démission de Minoret en 1714, ce fut Lalande (laïc), puis Bernier, puis Campra. « L’âge trop avançé du dit Sr Campra l’ayant mis hors d’ettat de pouvoir gérer davantage la conduitte des dit[s] 6 pages de la Chapelle, Mgr de Vauréal, évesque de Rennes pour lors Supérieur de la Musique de la Chapelle les mit sous la conduitte du Sr abbé Madin maître de musique à la ditte Chapelle […] »69. À la mort de Madin en 1748, cette fonction fut confiée à l’abbé Blanchard, etc. 70. Peut-on supposer que ces fonctions pouvaient être partagées entre plusieurs sousmaîtres, entre les enseignements de nature strictement musicale, qu’un laïc pouvait assurer, et ceux plus spécifiquement éducatifs et moraux ? Ce qui est sûr, c’est que les liens presque paternels qui unissaient les pages et le sous-maître s’incarnaient véritablement, aux yeux même du roi et de la cour, dans leur placement autour de leur mentor lors des exécutions à la Chapelle 71. Tout comme dans une maîtrise capitulaire, le sous-maître de la Chapelle-Musique enfin était assisté dans sa tâche éducative et pédagogique par un maître de grammaire ou précepteur. Sous le règne de Louis XV, le duc de Luynes soulignait que « l’usage a toujours été que ce fût un ecclésiastique qui fût précepteur »72. LE RECRUTEMENT DES MUSICIENS Parmi les fonctions importantes du maître et du sous-maître figurait la tâche, parfois délicate, du recrutement des musiciens, selon une répartition qui reflète le rôle et l’autorité de chacun. Au maître revenait le recrutement des chanteurs ecclésiastiques, à savoir les chapelains des « grandes messes ». Il devait choisir avec soin « des prestres

65. 66. 67. 68. 69. 70. 71. 72.

Voir Kocevar, Y. de Brossard, Les États de la France (1644-1789), op. cit. Bêche, op. cit., p. 88-89. Voir aussi Benoit, Musiques de cour, op. cit., p. 86. Selon Bêche, Collasse avait succédé à Robert dans cette fonction, information en contradiction avec les États de la France. Bêche, op. cit., p. 89. Sur les sous-maîtres chargés de la conduite des pages, voir aussi le tableau établi par Sharpin, Les Pages de la Musique du roi, op. cit., p. 143-146. Comme le montrent plusieurs gravures ou tableaux du temps, ou encore le « Plan de la Tribune du Roy en sa Chapelle de Versailles » dressé par Jean-Baptiste Métoyen, basson de la Musique du roi, en 1773, Versailles, Bibliothèque municipale, Ms. F 87. Voir Norbert Dufourcq, La Musique à la cour de Louis XIV et de Louis XV d’après les Mémoires de Sourches et Luynes (1681-1758), Paris, Picard, 1970 , p. 175. Sur le maître de grammaire, voir Sharpin, Les Pages de la Musique du roi, op. cit., p. 135-142.

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d’une belle prestance, pour servir à l’autel, et qui eussent de belles basses-contres, ou du moins d’agréables basses-tailles »73. S’il n’était pas nécessaire pour leur charge qu’ils « sçachent ou apprennent la musique », il était néanmoins souhaitable que les maîtres aient des notions « de toutes les différentes qualités des voix de la Musique de la Chapelle, que de celles de tous les instrumens », afin d’être en mesure de recruter des musiciens compétents, mais aussi, comme le souligne Chupperelle à plusieurs reprises, de répondre aux questions que le roi pourrait poser sur la musique 74. Le recrutement des enfants revenait, clairement et logiquement, au sous-maître et à son initiative : Lorsque le sous-maître de semestre, ou de quartier avoit besoin de quelques pages de la musique, pour chanter le dessus, ils prenoient aussitost l’ordre du grand maistre, pour en chercher partout dans Paris ou ailleurs, et les prenoient pour remplacer ceux qui étoient dans la muance, auxquels le roy accordoit une gratification honneste, quand on les renvoioit, sans parler de leur science dans la musique et dans la composition, dans plusieurs sortes d’instrumens, puisqu’ils ont toujours eu des maistres d’escriture, de latin, de basses de viole, de clavessin, de théorbes, ou de ceux auxquels ils avoient beaucoup d’inclination. Ces pages étoient nouris, entretenus, habillés, instruits dans la religion et dans la musique 75.

Chupperelle confirme ainsi ce qu’écrivait, près d’un siècle plus tôt, Du Peyrat, qui précisait en outre que le recrutement des chantres laïcs de la Musique de la Chapelle était également l’une des prérogatives des sous-maîtres : L’ancienne coustume de l’Église a esté d’instruire les jeunes enfans à chanter pour le service de Dieu […] ; ce qui mesmes a esté practiqué en la Cour de nos Roys de la première race, lesquels estoient curieux d’avoir en leur Clergé domestique des plus belles voix, et des plus excellens Chantres de leur Royaume ; d’où vient la maxime de la Chapelle de Musique du Roy, que les Sous-maistres soustiennent avoir ce privilège, le Roy marchant à la campagne, de prendre és Eglises Cathedrales, et autres, des lieux par où ils passent, les plus belles voix, et les meilleurs Chantres qu’ils y trouvent, pour les instaler en leur compagnie 76.

Selon Chupperelle, c’était enfin au maître de la Chapelle-Musique que revenait de sélectionner les voix et les symphonistes de la Chapelle qui avaient le privilège d’accompagner le roi et la cour en déplacement, soit dans les résidences royales, soit pour les cérémonies extraordinaires hors la cour. Dans les faits cependant, le roi se réservait le droit d’imposer ses choix, et dès qu’il « trouvoit une belle voix, il la recevoit sur le champ, après l’avoir éprouvée deux

73. 74. 75. 76.

Chupperelle, op. cit., t. II, p. 532. Voir par exemple Chupperelle, op. cit., t. II, p. 566-567. Ibid., p. 525. Du Peyrat, L’Histoire ecclésiastique de la cour, op. cit., p. 484-485.

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ou trois fois »77. Ce que confirme Bêche (avant de faire une description détaillée de la réception) : Louis 14. aimoit passionément la musique, il s’y connoissoit assés bien. Il avoit sagement jugé qu’il ettoit de la plus grande nécessité de conserver l’ençien et exçellent usage, d’entendre plusieurs fois une voix dans la chapelle, avant que de se déterminer à l’adme[t]tre à son service 78.

Pour les musiciens de la Chapelle, être ainsi distingués par le roi « ne laissoit pas d’ajouter une espèce de considération particulière à leur état qui est déjà très honorable par luy-mesme »79. Sous le règne de Louis XIV, pour éviter l’indulgence souvent trop bienveillante des sous-maitres 80, c’est également au roi que les musiciens devaient demander leurs congés, qui « ne manquoit presque jamais de leur en accorder le double en leur ordonant de ne pas manquer après le jour expiré »81. C’est encore le souverain qui veillait à l’assiduité des musiciens de la Chapelle, qui prenait la grave décision de punir les fautifs, et en ultime recours celle de congédier les plus mauvais éléments. Selon Bêche, il y eut dès la fin du règne de Louis XIV, et tout particulièrement sous la direction de Charles-Louis-Auguste Le Tonnelier de Breteuil, maître de la Chapelle-Musique entre 1716 et 1732, des abus. Des pots-de-vin, notamment, eurent pour conséquence l’arrivée à la Chapelle de musiciens incompétents 82. Pour éviter cette situation, « le véritable et seul moyen de parvenir à ne faire que de bonnes acquisitions des voix à la Musique, est de faire revivre l’ençien et excellent usage de les entendre plusieurs fois dans la Chapelle avant que de les admet[t]re au service »83. UNE AUTORITÉ MUSICALE RESPECTÉE Au-delà du cadre, relativement clos, de la Chapelle royale, le sous-maître représentait une autorité musicale dans tout le royaume. Citons ici les exemples de Du Mont et Robert qui, au titre de leurs charges et fonctions à la Chapelle royale, signèrent les approbations officielles de manuels de plain-chant et de livres liturgiques, notamment ceux révisés par Guillaume-Gabriel Nivers 84, par ailleurs, l’un des quatre organistes de la Chapelle recrutés en 1678.

77. 78. 79. 80. 81. 82 83. 84.

Marquis de Sourches, 13 novembre 1709 : voir Dufourcq, La Musique à la cour, op. cit., p. 32. Bêche, op. cit., p. 27. Ibid., p. 30. Chupperelle, op. cit., t. II, p. 535-536. Bêche, op. cit., p. 65. Ibid., p. 28-29. Ibid., p. 29. Voir Cécile Davy-Rigaux, Guillaume-Gabriel Nivers : l’art du chant grégorien sous le règne de Louis XIV, Paris, CNRS Éditions, 2004, p. 310, 320-321.

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Doit-on en conclure que le sous-maître de la Chapelle royale constituait une autorité sur le chant ecclésiastique ? Le fait que ces mêmes sous-maîtres aient fourni des plains-chants sur les hymnes de Jean Santeul pour les réformes liturgiques néogallicanes peut être considéré comme une autre marque de cette autorité des sousmaîtres dans le chant ecclésiastique 85. Pour autant, les motets eux-mêmes, et donc la musique la plus significative de l’activité de compositeur des sous-maîtres, semblent avoir joué un rôle différent et plus nuancé dans cette autorité musicale. En effet, jusqu’à la fin du règne de Louis XIV, la musique entendue à la Chapelle lors des offices royaux était une musique « réservée » au prince et à la cour, et n’avait que peu vocation à être diffusée. Mis à part les exemples des deux recueils de Motets pour la Chapelle du roi de Du Mont et Robert, publiés de manière luxueuse sur « commandement exprès de Sa Majesté » après le départ des sous-maîtres 86, et l’initiative personnelle de Du Mont, qui veilla lui-même à faire éditer chez Ballard la plupart de ses petits motets, aucun corpus complet de motets pour la Chapelle du roi, du moins d’un sous-maître en service 87, n’a connu de diffusion officielle par le biais de l’édition. Jusqu’à la fin du règne de Louis XIV, le plus sûr moyen d’entendre et de connaître véritablement la musique des sous-maîtres était donc d’assister à un office chanté par la Musique de la Chapelle, en présence du roi, dans le cadre liturgique de la cour. À partir de la création, en 1725, du Concert Spirituel, le répertoire sortit peu à peu de la Chapelle pour se diffuser auprès d’un plus large public par le biais du concert. La programmation massive, hors du cadre de la Chapelle royale, des motets des sousmaîtres contemporains, et notamment ceux de Lalande puis de Mondonville 88, hâta la diffusion et l’évolution de ce genre emblématique dans tout le royaume, tant dans un cadre liturgique que de concert 89. HORS DE LA CHAPELLE Si le sous-maître était en son domaine à la Chapelle royale et dans le cadre du service ordinaire, quelle était sa place dans les occasions pour lesquelles la Musique de la 85. 86. 87.

88. 89.

Voir Thomas Leconte, « Un exemple des pratiques néo-gallicanes : le chant des hymnes de Jean Santeul pour les réformes de Paris et de Cluny (ca 1680) », Les Langages du culte aux XVII e et XVIII e siècles, éd. Bernard Dompnier, Clermont-Ferrand, Presses Universitaires Blaise Pascal, 2020, p. 385-386. Motets pour la Chapelle du Roy, mis en musique par Monsieur Du Mont Abbé de Silly & Maistre de la Musique de ladite Chapelle, Paris, Christophe Ballard, 1686, 16 parties séparées. Signalons néanmoins l’édition, posthume, de 40 grands motets de Lalande, à l’initiative de la veuve du compositeur et de son élève François Colin de Blamont : Motets de feu Mr De La Lande Chevalier de L’Ordre de St Michel, Sur-Intendant de La Musique du Roy, Maître de Musique et Compositeur Ordinaire de La Chapelle et de la Chambre de Sa Majesté, Avec un discours sur la Vie et les Œuvres de l’Autheur […], 20 volumes, Paris, Boivin, 1729[-1734] ; ainsi que de deux grands motets d’André Campra : Pseaumes mis en musique à grand chœur dédiés au Roy par Mr Campra, livres premier [Notus in Judæa Deus] et second [Domine in nomine tuo], Paris, Veuve Boivin, Le Clerc, 1737 et 1738. Sur le grand motet au Concert Spirituel, voir Favier, Le Motet à grand chœur, op. cit., p. 323-378. Ibid., p. 379-435.

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Chapelle devait intervenir hors du cadre liturgique ? Quelle était l’autorité du sousmaître dans la hiérarchie musicale de la cour ? Au sein même de la cour mais hors de l’ordinaire de la Chapelle, le sous-maître de la Musique de la Chapelle était régulièrement amené à travailler de concert et en bonne intelligence avec l’autre chef de la Musique du roi, le surintendant de la Musique de la Chambre. Le règne de Louis XIV vit s’amplifier, voire se généraliser, la réunion, pour ces cérémonies extraordinaires, des Musiques de la Chapelle et de la Chambre 90. Les deux corps étaient alors placés sous la battue du surintendant, qui pouvait faire exécuter un motet en musique de sa composition. Selon le cérémonial et les habitudes de la cour, cette distinction concernait à l’origine deux occasions spécifiques : les Ténèbres chantées devant le roi et, lors des funérailles et des bouts de l’an des membres de la famille royale, la prose des morts (Dies iræ) et le De profundis. Là encore, aucun texte normatif ne semble avoir fixé les prérogatives de l’un ou l’autre lors de ces cérémonies, la répartition des tâches se basant essentiellement sur l’usage. On ne sait rien véritablement des relations entre les sous-maîtres de la Chapelle et les surintendants de la Musique de la Chambre sous le règne de Louis XIV, mais il semble que la situation soit restée relativement fluide, les sous-maîtres gardant la prérogative de diriger à l’extraordinaire la Musique de la Chapelle. Une ambiguïté naquit de la faveur que Louis XIV accorda à Lully de diriger régulièrement, à l’extraordinaire, son Te Deum, composé en 1677 pour le baptême de son fils, en présence du roi et de la reine ses parrain et marraine. Cette faveur royale, forcément incontestable, fut à l’origine, après la mort du surintendant et du roi, de ce qui fut sans doute le plus grand conflit de préséances au sein de la Musique du roi, et dont l’enjeu principal était de déterminer qui, des sous-maîtres ou des surintendants, avait la préséance pour diriger le Te Deum devant le roi, mais aussi la prose des morts et le De profundis lors des funérailles royales 91. Tout au long du règne de Louis XV, cette querelle perturba le fonctionnement de la Musique de la cour et mit à mal son organisation, et ne cessa qu’avec l’édit de réunion de 1761 qui, palliant les carences normatives, promulguait une nouvelle organisation de la Musique du roi, placée de manière unilatérale sous l’autorité musicale supérieure du surintendant de la Musique de la Chambre. Enfin, ce trop rapide tableau ne serait pas complet sans évoquer les fonctions et les prérogatives que pouvaient avoir les sous-maîtres de la Musique de la Chapelle hors la cour, qui concourent à montrer à la fois la dignité de la charge et l’autorité musicale qu’elle représentait. En effet, de par la nature itinérante de la Maison du roi, la Chapelle du roi était elle-même ambulatoire, suivant le souverain et intervenant partout où il fallait chanter l’office dans un contexte curial, tant dans les résidences 90. 91.

Ibid., p. 31-37. Voir Thomas Leconte, « Une guerre de cent ans à la Musique du roi : les prérogatives des sous-maîtres de la Musique de la Chapelle face aux ‘injustes prétentions’ des surintendants de la Musique de la Chambre », Réalités et fictions de la musique religieuse à l’époque moderne, éd. Thierry Favier et Sophie Hache, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2018, p. 159-182.

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À LA CHAPELLE DU ROI

royales que dans tous les sanctuaires où l’office était célébré par ses ecclésiastiques. Cette particularité impliquait de fait la préséance de la Chapelle sur le clergé local, et donc de sa Musique sur celle des lieux. Par voie de conséquence, le sous-maître avait, en matière de musique, des prérogatives sur le maître de musique des lieux. C’était le cas des grands couvents parisiens qui accueillaient régulièrement des cérémonies religieuses de la cour, comme ceux des Feuillants pour les Ténèbres, des GrandsAugustins pour les cérémonies de l’ordre du Saint-Esprit, mais aussi de grandes églises, telle Saint-Germain-l’Auxerrois, longtemps considérée comme paroisse royale en raison de sa proximité avec le Louvre. Selon la nature des cérémonies, le cadre liturgique et la hiérarchie ecclésiastique, clergés royal et local pouvaient s’associer, et la Musique du roi devait travailler de concert avec la maîtrise du lieu, comme à la cathédrale de Reims à l’occasion du sacre, ou pour les funérailles royales à l’abbaye de Saint-Denis 92. Le déplacement du roi à Notre-Dame de Paris semble avoir constitué un cas ambigu. C’est en effet dans l’église métropolitaine que le roi, en temps de victoires, entendait traditionnellement le Te Deum dirigé par le maître de musique de la cathédrale. Pour Du Peyrat, malgré les prétentions du clergé de cathédrale, il ne devait y avoir aucune ambiguïté, la Chapelle devant avoir la préséance partout où le roi se déplaçait avec ses ecclésiastiques : De mesme le Roy paroissant dans sa Chapelle, comme il fait maintenant environné de ses Ecclésiastiques, tous les autres Chantres qui ne sont point de sa Chapelle, se doivent taire, et ceder à ceux du Roy, comme aux plus nobles, et qui doivent avoir la preéminence pardessus tous les Chantres de son Royaume 93.

rétorquant même violemment que la Chapelle du roy est ambulatoire, et par tout où sa Majesté oyt le service divin, celebré par les Ecclesiastiques de sa maison ; […] que l’Église de Nostre-Dame de Paris est l’une des principales Eglises de France, mais non la principale ; que le Chapitre d’icelle est l’une des principales compagnies Ecclesiastique du Royaume, mais non la principale […] ; mais au contraire, dés la naissance du Christianisme dans la maison de France, la Chapelle du Roy, […] a tousjours esté la première compagnie Ecclésiastique du Royaume 94.

ajoutant enfin, en s’emportant sans doute un peu, que c’est de la Chapelle du roi que « les principales Églises de France, et notamment celle de Paris […] tiennent le plus parfait chant Ecclésiastique »95.

92. 93. 94. 95.

Saint-Denis ne disposait pas de musique à proprement parler, seulement un clergé de religieux. Le partage se manifestait dans les quatre chapiers chargés du plain-chant, pour moitié appartenant au clergé de Saint-Denis. Du Peyrat, L’Histoire ecclésiastique de la cour, op. cit., p. 131. Ibid., p. 130-131. Ibid.

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THOMAS LECONTE

CONCLUSION Dans le contexte de la France d’Ancien Régime, dans lequel les maîtrises capitulaires formaient un véritable maillage musical, le sous-maître de la Musique de la Chapelle royale apparaît comme un maître de musique singulier. S’inscrivant dans un système de cour hiérarchisé et organisé, s’appuyant sur des compétences musicales solides souvent issues de la tradition maîtrisenne, sa tâche essentiellement – mais pas exclusivement – musicale consistait à la fois à contribuer à la dignité de l’institution la plus haute de la cour, au respect de sa hiérarchie et de sa liturgie, tout en conciliant des nécessités et des impératifs liés au service du roi. Pour autant, il ne nous reste aucun texte véritablement normatif fixant les contours de la charge et le cadre de la fonction, avant tout basée sur l’usage et l’expérience, et qui ont évolué selon les différents profils des titulaires successifs durant les derniers siècles de l’Ancien Régime. Dans cette pluralité, le socle immuable s’incarnait peut-être avant tout à travers les sous-maîtres ecclésiastiques, véritables repères garants de la dignité de la charge et de la fonction, de l’image du corps de la Musique de la Chapelle au sein de la cour, de la Musique du roi, et par là même dans tout le royaume. Considéré comme une autorité musicale incontestable, tant par le prestige, les prérogatives et les privilèges que conférait cette charge de la Maison du roi que par les grandes compétences musicales qu’elle supposait – et que l’on veilla toujours à maintenir –, le sous-maître de la Musique de la Chapelle du roi cristallise ainsi, en quelque sorte, toute la pluralité et la richesse du métier de maître de musique, et même, plus généralement, de musicien d’Ancien Régime.

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LES MAÎTRES DE MUSIQUE DES ÉGLISES DE PARIS DANS LA SECONDE MOITIÉ DU XVIIIe SIÈCLE

François CAILLOU

Dans son Essai sur la musique ancienne et moderne (1780), Jean-Benjamin de La Borde est le premier à présenter des biographies des plus illustres maîtres de musique d’Église parisiens à l’époque des Lumières 1. L’intérêt des historiens de la musique s’est rapidement focalisé sur deux établissements : la cathédrale Notre-Dame et la Sainte Chapelle du Palais, tous deux sur l’île de la Cité 2, tandis que les maîtres de chapelle ou maîtres des enfants de chœur des autres églises de la capitale sont longtemps restés dans l’ombre. L’enquête MUSÉFREM 3, dont l’objectif est de recenser les musiciens d’Église actifs dans le royaume de France en 1790, permet d’en repérer un certain nombre, de connaître leur rémunération et même d’énumérer leurs obligations. Sur leurs origines sociales et le déroulement des carrières, les renseignements font encore défaut, même si quelques portraits peuvent être esquissés. LES ÉGLISES DE PARIS EMPLOYANT UN MAÎTRE DE MUSIQUE Sur les églises de la capitale faisant appel à un maître de musique, un ouvrage anonyme de 1763, l’État ou Tableau de la ville de Paris 4, fournit de précieuses données. L’auteur y dresse un panorama des structures éducatives de la capitale, notamment des maîtrises formant non seulement les enfants de chœur au chant et à la musique, mais aussi à la lecture, à l’écriture et au calcul. Il indique combien d’enfants sont hébergés dans chaque établissement, le nom du ou des maîtres chargés de leur éducation, allant parfois jusqu’à détailler les « prestations » offertes aux familles. Parallèlement, les almanachs musicaux,

1. 2. 3. 4.

Jean-Benjamin de La Borde, Essai sur la musique ancienne et moderne, Paris, chez Ph.-D. Pierres, 1780, 4 vol. Voir notamment : Anne-Marie Yvon-Briand, La Vie musicale à Notre-Dame de Paris aux XVIIe et XVIIIe siècles, 2 vol., thèse pour le diplôme d’archiviste-paléographe, Paris, 1949 ; Michel Brenet, Les Musiciens de la Sainte-Chapelle du Palais, Paris, A. Picard et fils, 1910. Pour « Musiciens d’Église en France à l’époque moderne ». Présentation : http://philidor.cmbv.fr/Publications/ Bases-prosopographiques/MUSEFREM-Base-de-donnees-prosopographique-des-musiciens-d-Eglise-en-1790 État ou Tableau de la ville de Paris, nouvelle édition, Paris, chez Prault père et autres, 1763 (première édition : 1760), p. 130 et suivantes. L’auteur serait l’avocat et censeur royal Jèze.

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FRANÇOIS CAILLOU

publiés à un rythme irrégulier dans les années 1770-1780, signalent les églises où la musique sacrée est particulièrement mise en valeur 5. Ils donnent des listes de chanteurs et d’instrumentistes, en plaçant toujours en tête le maître de musique. Ensuite, les comptes et les délibérations des chapitres et des fabriques paroissiales conservés aux Archives nationales 6 mentionnent des musiciens et indiquent les gages qu’ils touchent. Pour certains lieux, la documentation est malheureusement lacunaire ou la période couverte trop ancienne – pour Saint-Germain-l’Auxerrois, par exemple. Les sources révolutionnaires sont à peu près inexistantes : les tableaux et états de serviteurs des communautés ecclésiastiques, les dossiers de pension et les registres d’arrêtés du District de Paris et du Département de la Seine ont été détruits lors de l’incendie de l’hôtel de ville en 1871, à l’instar des registres paroissiaux et d’état civil. L’État de 1763 énumère cinquante-quatre établissements (dont l’Hôtel-Dieu) délivrant une formation intellectuelle et musicale à des enfants de chœur, mais n’apporte de précisions sur l’organisation de la maîtrise qu’à vingt-huit reprises. Il dénombre vingt-quatre « maîtres » (l’expression sous-entendue est « maître des enfants de chœur »7) et quatre maîtres de musique ou de chapelle. Ces derniers sont attachés à la cathédrale Notre-Dame, à l’église paroissiale Saint-Germain-l’Auxerrois près du Louvre, à celle des Saints-Innocents dans le quartier des Halles et à l’église Saint-Paul dans le Marais. Curieusement, l’auteur omet de signaler que la Sainte Chapelle emploie un maître de musique, se contentant de noter qu’elle accueille huit enfants. Ces quatre institutions majeures salarient aussi un maître de latin. L’État précise les noms des maîtres, qui tous jouissent d’une certaine notoriété : Jean-Baptiste Guilleminot-Dugué à Saint-Germain-l’Auxerrois, Jean-Louis Bordier aux SaintsInnocents et Pierre-Antoine Sénéchal à Saint-Paul. Pour la cathédrale, le nom est laissé en blanc – le maître de l’époque, Antoine Goulet, est pourtant fameux pour ses motets donnés au Concert spirituel. Aucune des huit églises collégiales de la ville n’est dotée d’un maître de musique ou de chapelle. Parmi les églises employant un maître des enfants de chœur, celle de Saint-Louis-des-Invalides sort du lot, car la maîtrise héberge douze enfants : autant qu’à Notre-Dame. Cependant, le sieur Lirondé, chargé de les former, n’est qualifié que de « maître ». Les almanachs musicaux confirment la hiérarchie suggérée par l’État, en rétablissant la Sainte Chapelle à la place qui lui revient, la deuxième derrière la cathédrale. Viennent ensuite les églises paroissiales SaintGermain-l’Auxerrois et des Saints-Innocents. Celle de Saint-Paul, au quatrième rang si l’on adopte les critères de l’État, n’est mentionnée que dans l’almanach de 1779. Signe de sa moindre importance, un seul nom de musicien y figure, celui du maître de musique, l’abbé Claude-Gabriel Brouin.

5. 6. 7.

Almanach musical pour l’année mil-sept-cent-quatre-vingt-trois, Paris, Bureau d’abonnement littéraire, rue SaintAndré-des-Arts, 1783. Existe aussi pour les années 1775, 1776 et 1779. AN, Séries H5 (comptes) et LL (délibérations des chapitres et des fabriques). Cf. infra pour les explications.

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À PARIS

Principales églises parisiennes employant un maître de musique à la fin du XVIIIe siècle 5. Saint-Jacques-de-la-Boucherie 1. Cathédrale Notre-Dame 6. Saint-Paul 2. Sainte Chapelle du Palais 7. Saint-Louis-en-l’Île 3. Saint-Germain-l’Auxerrois 4. Saints-Innocents

Louis Brion de La Tour, Nouveau plan de Paris (extrait), 1782, BnF, Cartes et plans, GE C-3650

L’enquête effectuée depuis 2009 dans la documentation comptable et les délibérations des corps ecclésiastiques et religieux de la capitale permet d’établir une liste d’une centaine de lieux de musique d’Église d’importance très inégale quant aux effectifs de musiciens employés, enfants de chœur inclus. Pour faciliter la comparaison avec l’État, ont été laissés de côté les communautés religieuses (abbayes, prieurés, couvents), les séminaires, les collèges et les chapelles telle celle de l’École royale militaire. Restent quarante-cinq lieux : la cathédrale Notre-Dame et la Sainte Chapelle, huit églises collégiales, trente-trois paroissiales et deux chapelles d’hôpitaux – l’HôtelDieu et les Quinze-Vingts – qui emploient chacune un organiste, quatre chantres et plusieurs enfants de chœur, à l’image des églises paroissiales les mieux dotées en moyens. Les sources manuscrites, plus tardives (années 1770-1780), mettent en évidence l’omniprésence de maîtres des enfants de chœur. Seules les petites paroisses de la capitale, sur l’île de la Cité, n’ont pas de maître attitré : les tâches éducatives, sans doute assez sommaires, sont confiées à un ecclésiastique (vicaire, sous-diacre) ou à un chantre non régulièrement rétribué pour cela. Plusieurs paroisses et collégiales dépourvues de maîtres d’après l’État de 1763 ont en fait un responsable de la psallette attitré. Concernant les maîtres de musique, l’enquête confirme, dans les grandes lignes,

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FRANÇOIS CAILLOU

les données fournies par l’État et les almanachs musicaux. Elle les contredit à deux reprises : alors que l’État ne signale qu’un « maître » (des enfants de chœur) à SaintLouis-en-l’Île et à Saint-Jacques-de-la-Boucherie, les comptes de fabrique révèlent que ces deux fabriques, sous le règne de Louis XVI, salarient un maître de musique des enfants de chœur 8. Les sources de ce type étant plus proches de la Révolution, cette expression témoigne-t-elle d’une importance nouvelle accordée à la musique dans la liturgie à la fin de l’Ancien Régime ? La question reste en suspens en attendant l’analyse de comptes plus anciens. MAÎTRE DE MUSIQUE, MAÎTRE DES ENFANTS DE CHŒUR : DES DISTINCTIONS SUBTILES L’emploi de l’une ou de l’autre expression ne relève pas du hasard, sinon les sources imprimées et manuscrites ne se recouperaient pas avec autant de précision. La musique sacrée occupe incontestablement une place plus éminente dans les églises dotées d’un maître de musique que dans celles n’employant qu’un maître des enfants de chœur. Le Calendrier musical universel de 1789 explique bien ce qui fait la spécificité de la cathédrale, de la Sainte Chapelle et des églises Saint-Germain-l’Auxerrois et des Saints-Innocents : le culte divin y est célébré en musique depuis des siècles – parfois le haut Moyen Âge – grâce à des revenus substantiels affectés à cet effet. Concernant l’édifice voisin du Louvre, l’auteur écrit qu’on « ne connoît pas […] l’époque de la chantrerie dans cette église ; il paroît qu’elle s’y est introduite peu à peu, et par diverses fondations réunies »9. Lors de la réunion du chapitre de Saint-Germain-l’Auxerrois à celui de Notre-Dame en 1744, la « chantrerie » est passée sous la responsabilité de la fabrique, tout en conservant un prestige intact. C’est au XVe siècle que la musique acquiert une dimension exceptionnelle en l’église des Saints-Innocents : En 1474, Louis XI a fondé dans cette Eglise six enfans de chœur, pour y faire le service en musique, ce qui s’exécute encore aujourd’hui, lit-on dans le Dictionnaire historique de la ville de Paris (1779) 10. Ce prince donna pour leur entretien la place qui lui appartenoit sur la Voyerie, dans la rue de la Charronnerie (aujourd’hui de la Ferronnerie) du côté du cimetière de cette Eglise. Cette donation est devenue par la suite très-considérable. Il y a un Maître de musique & des musiciens gagés, & quoi qu’en disent les mauvais plaisans, qui, en parlant d’une méchante musique, la comparent à celle de l’Eglise des SS. Innocens, cette mauvaise plaisanterie porte entièrement à faux. Il est constant que l’on a toujours choisi les plus habiles musiciens pour être les Maîtres de musique de cette Eglise, & que ceux-ci se sont toujours occupés du choix des sujets propres à les seconder. Le célèbre Bordier & ses successeurs prouvent cette vérité 11.

8. 9. 10. 11.

AN., H5 4518/4-6: comptes de fabrique, paroisse Saint-Louis-en-l’Île, 1776-1790 (lacunes) ; H5 4438, compte de fabrique, paroisse Saint-Jacques-de-la-Boucherie, 1780. Calendrier musical universel, Paris, Prault, Leduc, 1789, p. 65. Jean-Joseph Expilly, Dictionnaire historique de la ville de Paris et de ses environs, Paris, chez Moutard, 1779, t. III, p. 358. Calendrier musical universel, Paris, Prault, Leduc, 1789, p. 65.

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À PARIS

Le recours fréquent et généreux à la musique est donc de règle dans ces églises. En période festive, mélomanes et curieux se bousculent dans la nef, attirés par des affiches ou des annonces dans la presse, précise l’Almanach du voyageur à Paris. Cela commence le 21 janvier à Saint-Germain-l’Auxerrois, veille de la Saint-Vincent, l’une des fêtes patronales du lieu, par un Te Deum en grande musique, impliquant le recours à des musiciens externes. Ceux-ci sont encore sollicités le 22. Le jour de Pâques, le public assiste à une grande messe en musique à Saint-Germain-l’Auxerrois et aux SaintsInnocents. Chantres et instrumentistes font encore étalage de leur virtuosité dans l’une et l’autre à la Pentecôte, puis à la Toussaint. La musique résonne à Saint-Germain seulement le 9 juin pour la Saint-Landry et les 30 et 31 juillet à l’occasion de la principale fête patronale. Le jour de Noël donne aussi lieu à des célébrations en musique dans les deux églises. Pour finir, le 27 décembre, les amateurs peuvent assister aux vêpres en grande musique et symphonie en l’église des Saints-Innocents 12. Pour SaintPaul, Saint-Jacques-de-la-Boucherie et Saint-Louis-en-l’Île, la documentation est moins explicite. La seule certitude, au sujet de la première, est que la fonction de maître de musique existe déjà sous le règne de Louis XIII 13. À Saint-Jacques-de-laBoucherie et à Saint-Louis-en-l’Île, elle pourrait être plus récente, ce qui témoignerait, de la part des administrateurs de la fabrique et sans doute du clergé, d’une volonté de donner un plus grand éclat au culte 14. Les maîtres de musique sont-ils réservés aux établissements les plus riches ? S’il n’est pas totalement à négliger, le critère financier n’apparaît pas comme essentiel. Plusieurs paroisses disposant de gros revenus se contentent d’un maître des enfants de chœur. Saint-Sulpice, dont le ressort est très étendu – l’abbé Expilly indique qu’elle est peuplée avec sa succursale du Gros-Caillou de 90 000 habitants – et dont la recette s’élève en 1790 à la somme de 123 888 livres 15, est dans ce cas. Or, les revenus de la fabrique des Saints-Innocents, paroisse peu peuplée (1 500 âmes au début des années 1760), sont presque trois fois moins élevés en 1786 (44 295 livres 16), alors qu’il s’agit d’un des principaux lieux de musique de Paris, qui consacre 15 % de ses dépenses en gages pour le personnel spécialisé (maître de musique, de latin, six chantres, serpent, organiste, facteur et souffleur d’orgues) et en frais d’entretien des enfants. Quelle distinction est-on en droit d’opérer entre les fonctions de maître de musique et de maître des enfants de chœur ? Dans les établissements qui rétribuent un maître de musique, les fonctions peuvent être dissociées, ainsi qu’on l’observe à

12. 13. 14. 15. 16.

Almanach du voyageur à Paris…, année 1784, Paris, chez Hardouin, p. 34-40. AN, Minutier des notaires, étude LXXIII, n° 175 (notaire J. de Saint-Vaast), f. 308 : transaction impliquant Étienne Turgis, chapelain de la chapelle Saint-Julien et maître de musique de la paroisse Saint-Paul, 25 avril 1615. L’expression « maître des enfants de chœur » est encore utilisée en 1772-1773 dans les comptes de SaintJacques-de-la-Boucherie, mais en 1780 c’est « maître de musique des enfants de chœur » qui semble s’imposer. AN, H5 3814/12 : compte de recettes et dépenses, fabrique de la paroisse Saint-Sulpice, 1790. AN, H5 4564 : compte de fabrique des Saints-Innocents, 1786.

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Saint-Jacques-de-la-Boucherie en 1780, à Saint-Louis-en-l’Île en 1780-1781 et à SaintPaul en 1788-1789 17. On suppose qu’au maître de musique incombe l’enseignement de la musique et à son collègue les tâches moins gratifiantes d’encadrement au quotidien d’enfants de chœur plus ou moins disciplinés. Les missions du maître, qu’il soit « de musique » ou « des enfants de chœur », sont vraisemblablement identiques lorsqu’un homme seul est à la tête de la maîtrise. En 1764, Étienne-Pierre-Meunier d’Haudimont est nommé « d’une voix unanime […] maître de musique et des enfans de chœur » (notons l’association des deux expressions) de l’église paroissiale des Saints-Innocents, « pour avoir conduite et gouvernement et instruire lesdits enfans de chœur dans l’art de la musique, aux lieu et place de M. Bordier depuis peu décédé […] aux memes prix, rétributions, clauses et conditions [qu’avec] le dit feu sr Bordier »18. Le fonctionnement est-il si différent à la collégiale Saint-Louis-du-Louvre, où le chapitre charge en 1776 le nouveau maître des enfants de chœur d’« instruire et conduire » les enfants 19 ? Dans le premier comme dans le second cas, le maître a pleine autorité sur les enfants qu’il choisit personnellement ou avec l’assistance de personnalités qualifiées (procédure du concours) et peut faire renvoyer si leur voix ou leur comportement ne convient plus. Le maître de musique est-il plus particulièrement chargé de composer, ce qu’a priori on n’attendrait pas d’un maître des enfants de chœur ? C’est loin d’être évident, comme le prouve l’exemple de l’abbé Laurent Michel, maître des enfants de chœur de la paroisse Saint-Séverin. En 1766, il perçoit une gratification de 72 livres pour « un office de saint Charles fait en plain-chant par M. Tricot »20. L’expression est ambiguë : il n’est pas absurde de supposer, compte tenu de la somme élevée qu’il touche, qu’il n’a pas seulement été rétribué en tant qu’exécutant mais qu’il a retouché l’ouvrage. En 1775, le doute n’est plus permis : les motets O salutaris et Ave verum sont de sa main. En effet, la couverture de la partition porte : « De la composition de Mr. L’Abbé Michel Maître de Musique des Enfans de Chœur de S. Severin à Paris »21. L’abbé avait donc toutes les caractéristiques d’un maître de musique, même s’il n’en portait pas officiellement le titre. Cette porosité entre les deux fonctions trouve une autre illustration à travers le cas de Pierre-Antoine Bardin, nommé le 13 mars 1780 serpent et maître des enfants de chœur de la collégiale Saint-Honoré « sur les témoignages et rapport avantageux du chanoine intendant de la maîtrise des enfants de chœur de la capacité, du caractère

17. 18. 19. 20. 21.

Il reste à effectuer des relevés sur plusieurs années afin de déterminer si ce type d’organisation est habituel ou exceptionnel dans ces églises. AN, LL 761 : livre de délibérations de la fabrique des Saints-Innocents, 1756-1784, 17 septembre 1764. AN, LL 523 : délibérations du chapitre de Saint-Louis-du-Louvre, 1776-1785, 5 novembre 1776. AN, LL 933 : 26 janvier 1766, gratification de 72 livres accordée à M. Michel, en plus de celle de 24 livres, « pour un office de St Charles fait en plain chant par M. Tricot ». O Salutaris et Ave verum. De la composition de Mr. L’Abbé Michel Maître de Musique des Enfans de Chœur de S. Severin à Paris. Dessus Coloré par Bresson-Maillard graveur de l’académie de S. Luc, & dessinateur, coloriste de la Cour en divers ouvrages de cuivre évidé, Paris, 1775. La partition a été vendue aux enchères à Paris en 2016 par la maison Oger-Blanchet.

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À PARIS

et de l’expérience du sr Pierre Antoine Bardin, maître de musique, serpent et maître des enfants de chœur de Saint-Jacques-de-la-Boucherie ». Le chapitre lui attribue 3 000 livres pour ses gages et l’entretien de six enfants de chœur, plus le logement, le chauffage, le blanchissage du linge de table et les gages de la gouvernante, sans compter les distributions manuelles ou casuelles. Dans les années qui suivent, Bardin est qualifié de maître des enfants de chœur dans les délibérations capitulaires. Lui aussi, pourtant, à l’instar de Laurent Michel, tient au titre de maître de musique qu’il portait lorsqu’il était en poste à Saint-Jacques-de-la-Boucherie. En janvier 1790, il se présente comme tel dans une supplique adressée au Comité ecclésiastique en vue d’obtenir une pension et récidive quelques mois plus tard dans une homologation de contrat enregistrée au Châtelet 22. Cet exemple montre que la rémunération d’un maître des enfants de chœur n’est pas nécessairement inférieure à celle d’un maître de musique. L’abbé Bigex, à Saint-Louis-en-l’Île, ne perçoit en 1790 « que » la somme annuelle de 2 903 livres 17 sols : 2 400 livres pour l’entretien des enfants (ce qui comprend leur nourriture, le vin, le bois et les gages des domestiques), 300 livres pour ses honoraires de maître de musique et l’assistance aux messes de fondation et 203 livres 17 sols, sans doute pour des dépenses extraordinaires 23. ESQUISSE D’UN PORTRAIT DE GROUPE Les maîtres des églises paroissiales de la capitale forment une microsociété qu’il est malaisé d’étudier. Ces hommes, prêtres pour la plupart, fréquentent peu les études notariales. Un seul inventaire après décès a pour l’heure été retrouvé : celui du maître de musique de Saint-Germain-l’Auxerrois, Claude Cordelet, mort en 1760. Le plus souvent, on ne dispose d’aucune information sur leur milieu social. Les dates de naissance voire les prénoms nous échappent parfois. Les parcours professionnels sont très difficiles à reconstituer, surtout pour la période précédant le premier engagement parisien – plusieurs maîtres sont en effet des provinciaux. L’ouvrage de La Borde comble certaines lacunes, mais doit être manié avec précaution car les erreurs y pullulent. La conjugaison de toutes les sources 24 permet d’établir le tableau ci-dessous :

22. 23. 24.

AN, DXIX/051/095/10, registre alphabétique ; Y 5190/A : homologation de contrat, 7 mai 1790. AD, H5 4518/6 : compte de fabrique de la paroisse Saint-Louis-en-l’Île, 1790. Ces données sont tirées des notices-document enregistrées dans la base MUSÉFREM. Nous nous dispenserons de renvoyer aux cotes d’archives afin de ne pas alourdir le texte.

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Saint-Germainl’Auxerrois GUILLERY, Claude : actif en 1727/1748 (†) CORDELET, Claude : actif en 1750/1760 (†) GUILLEMINOTDUGUÉ, JeanBaptiste François : actif en 1762/1770 MEUNIER D’HAUDIMONT, Étienne-Pierre : v. 1770/après 1776 LEPREUX, AndréÉtienne : actif entre 1779 et 1783 FOURNIER, PierreJean: actif en 17881789

Saints-Innocents (Saint-Jacques et les Saints-Innocents à partir de 1786) BORDIER, Jean-Louis : 1730/1764 (†) MEUNIER D’HAUDIMONT, Étienne-Pierre : 1764/1769 GIROUST, François : 1769/1775 ROZE, Nicolas : 1775/1780 MEUNIER D’HAUDIMONT, Étienne-Pierre : 1780/1784 LE SUEUR, JeanFrançois : 1784/1786 DEDIEU, abbé (intérim) : 1786 MEUNIER D’HAUDIMONT, Étienne-Pierre : 1786/1793, avec JeanJacques MORINET comme maître des enfants de chœur

Saint-Paul SÉNÉCHAL, PierreAntoine : 1734/1768 († 1772) BROUIN, ClaudeGabriel : 1768/1782 (†) CHERREAU, abbé (intérim) : 1782 BUÉE, AdrienQuentin : 1782/1786 MERLE, Antoine : 1786/actif en 1789 († 1835)

Saint-Louis-en-l’Île

Saint-Jacques-dela-Boucherie (jusqu’en 1786)

DUVIEUX, abbé : actif PICOT : 1764/1773 dès 1763/1776 BARDIN, PierreAUBERT, abbé : Antoine : 1773 (en 1777/1780 survivance de DESPEAUX, Étienne- PICOT)/1780 FOURNIER, JeanZacharie : actif en 1781 François, avec JeanDocumentation lacu- Jacques MORINET comme maître des naire entre 1782 enfants de chœur et 1789 (depuis 1780) : BIGEX, abbé : actif en 1780 ?/1786 1790

Pour ces postes qui offrent la possibilité de se faire connaître et de viser par la suite « plus haut » (la cathédrale Notre-Dame, la Sainte Chapelle du Palais ou la Chapelle royale de Versailles), le bassin de recrutement est large. Au moins neuf individus ont vu le jour dans le Bassin parisien, dont Adrien-Quentin Buée, Pierre-Antoine Bardin, Pierre-Jean Fournier et François Giroust, tous les quatre nés dans la capitale. JeanBaptiste Guilleminot-Dugué et probablement André-Étienne Lepreux ont grandi à Versailles dans un environnement aulique. Deux maîtres viennent de Picardie, l’un des principaux viviers de musiciens d’Église du royaume : Étienne-Zacharie Despeaux et Jean-François Le Sueur. Jean-Louis Bordier a de son côté passé son enfance à l’ombre de la cathédrale d’Évreux, où il pourrait avoir reçu sa formation initiale. Il faut signaler l’existence de ce qui s’apparente à une filière de recrutement bourguignonne, dont Claude Cordelet (Dijon), Étienne-Pierre Meunier d’Haudimont (Toutenant, Saône-et-Loire) et Nicolas Roze (d’un village proche de Chalon-surSaône) sont les plus illustres représentants. Deux autres musiciens bourguignons ayant fait carrière dans la capitale et à la Cour où ils ont connu la gloire ont pu faciliter leur installation et leur ascension : le compositeur Jean-Philippe Rameau et l’organiste Claude Balbastre, restés étroitement liés à leur province natale. Deux musiciens ont

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effectué un plus long chemin : Antoine Merle, natif de Saintes, et l’abbé Bigex, originaire du diocèse d’Annecy 25. Les individus dont on connaît relativement bien le parcours sont issus d’une maîtrise renommée : on ne devient pas maître de musique dans une église de la capitale sans une solide formation à la fois religieuse et musicale. Guilleminot-Dugué, Giroust, Despeaux et Pierre-Jean Fournier ont été enfants de chœur à la cathédrale Notre-Dame de Paris, Bardin à la Sainte Chapelle du Palais sous la direction de l’abbé Doriot. Cordelet et Meunier d’Haudimont ont très vraisemblablement acquis leur savoir dans une psallette de Bourgogne. La Borde livre de précieuses indications sur l’enseignement dispensé à Nicolas Roze à la collégiale de Beaune, où il a été reçu en 1752 à l’âge de sept ans. Jean-Marie Rousseau, de Dijon, engagé comme maître de musique du chapitre l’année suivante, remarque immédiatement les prédispositions de l’enfant pour la composition et l’encourage à cultiver ce talent. Entre 1753 et 1756, Roze conçoit ses premiers motets qu’il fait chanter sous la direction de ce maître éclairé. Après le départ de Rousseau pour Beauvais, le garçon passe sous l’autorité de maîtres intérimaires puis de François-Nicolas Homet (juillet 1756), qui lui interdisent la composition. Subjugué par la « voix superbe » de son élève, ce dernier le voit faire carrière comme chanteur, non comme maître de musique. Nicolas Roze sort de la maîtrise en 1761, s’inscrit au collège avant d’intégrer le séminaire d’Autun. Enfin libéré du carcan beaunois, « pendant les deux ans qu’il y resta, [il] composa la plus grande partie des morceaux de plain-chant adoptés aujourd’hui dans presque tout ce diocèse », rapporte l’auteur 26. Les années d’apprentissage de Jean-François Le Sueur à la collégiale Saint-Vulfran d’Abbeville puis à la cathédrale d’Amiens sont assez bien documentées. De santé fragile, le futur maître de chapelle de Bonaparte fut également un compositeur précoce selon son camarade René Tiron, qui raconte que sa passion pour la musique était telle qu’il restait souvent éveillé une partie de la nuit pour étudier des partitions à la lueur d’une bougie 27. Plus de la moitié des maîtres de musique et des enfants de chœur parisiens répertoriés ont reçu, à l’issue de leur formation, les ordres mineurs ou sacrés 28. La proportion est encore plus élevée dans les cinq églises employant un maître de musique : à part à Saint-Jacques-de-la-Boucherie, tous sont clercs, peut-être plus par obligation que par vocation, car les fabriques n’ont pas pour coutume de confier l’éducation des enfants de chœur à des laïcs 29. Tous ou presque sont des musiciens et pédagogues chevronnés,

25. 26. 27. 28. 29.

Probablement apparenté à François-Marie Bigex (1751-1827), vicaire général de l’évêque d’Annecy (1783), nommé archevêque de Chambéry en 1824. Le diocèse d’origine de l’abbé Bigex est mentionné par OdonJean-Maris Delarc, L’Église de Paris pendant la Révolution française, 1789-1801, Paris, s.n., 1896, t. 1, p. 323. La Borde, Essai, op. cit., t. 3, p. 474-475. La France musicale, dimanche 19 avril 1840, troisième année, n° 16, p. 157-161. Sur l’ensemble des responsables de maîtrise repérés, le rapport est de 19 clercs (dont les deux maîtres de l’Hôtel-Dieu) pour 13 laïcs, soit 6 clercs sur 10 (pour chaque poste, seul le dernier titulaire connu a été pris en compte). Le statut de Pierre-Jean Fournier, dernier (?) maître de musique de Saint-Germain-l’Auxerrois, est incertain.

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ayant déjà travaillé dans au moins une église, toujours une cathédrale ou une collégiale importante – pour autant qu’on puisse le vérifier. Giroust a été maître de musique à la cathédrale d’Orléans, Meunier d’Haudimont à celle de Chalon-sur-Saône, GuilleminotDugué dans les cathédrales de Blois et de Noyon. Bien qu’encore jeune lors de sa réception aux Saints-Innocents en 1784 (vingt-quatre ans), Le Sueur a acquis depuis 1777 de l’expérience dans les cathédrales de Sées, Dijon, Le Mans et à la collégiale Saint-Martin de Tours. Roze a débuté sa carrière musicale à la collégiale de Beaune où il avait été formé, avant d’obtenir un poste plus en vue à la cathédrale d’Angers. Même les administrateurs de la fabrique de Saint-Paul font appel à des musiciens aguerris : avant son embauche, Buée a dirigé la maîtrise de la collégiale Saint-Martin de Tours (où Le Sueur lui succéda), Merle celle des cathédrales de Coutances puis de Tours. L’autorité morale dont jouissent les maîtres de Saint-Germain-l’Auxerrois et des Saints-Innocents incite les chanoines 30 ou les administrateurs de la fabrique à se tourner vers eux lorsqu’ils sont à la recherche d’un maître ou d’un musicien de talent. Ils agissent parfois en agents recruteurs d’autres églises, parfois lointaines, ayant entière « carte blanche ». Le 19 mai 1741, Claude Guillery, maître de musique de SaintGermain-l’Auxerrois, écrit au chapitre cathédral de Rouen au sujet du maître en poste au Mans, François Lassus, candidat à la maîtrise normande. Le connaissant bien pour l’avoir « vu plusieurs fois à Paris », il argumente ainsi en sa faveur : « Il est prêtre et a eu un maître qui étoit un très habile homme ». Il ajoute que « messieurs du Mans l’ont reçu après la mort de Mr [Louis] Bouteiller son maître »31. Son collègue des SaintsInnocents, Bordier, grande figure de la musique sous le règne de Louis XV, se charge de recruter le maître de Nantes : On donne avis que la Place de Maître de Musique de l’Eglise de Nantes est vacante. Ceux qui pourroient y prétendre s’adresseront à M. Bordier, Maître de Musique de l’Eglise des Innocens à Paris. On ne recevra ni gens mariés, ni au-dessus de quarante ans. M. Bordier fera part, aux prétendans, des conditions de cette Place 32.

Dans les années 1760-1780, Guilleminot-Dugué jouit d’une influence extraordinaire. D’un peu partout (Tours, Évreux, Senlis…), chapitres et maîtres de musique lui écrivent pour lui demander de leur dénicher la perle rare à tel ou tel poste. La collégiale de Saint-Martin de Tours admet Adrien-Quentin Buée en la fonction de maître de musique sur sa suggestion en décembre 1768. En 1781, les chanoines de la cathédrale de Bourges vont même jusqu’à le solliciter pour l’achat d’un serpent. Meunier d’Haudimont a de nombreux correspondants en province. Nicolas Savart, l’un des prédécesseurs de Buée à Saint-Martin de Tours, est engagé sur son conseil. Lorsqu’en 30. 31. 32.

Jusqu’en 1744, l’église Saint-Germain-l’Auxerrois a le statut d’église collégiale et paroissiale. Elle demeure par la suite église paroissiale jusqu’en 1793. AD Seine-Maritime, G 4463 : lettre de Claude Guillery au chapitre de la cathédrale de Rouen, 19 mai 1741. Mercure de France, novembre 1761, p. 212.

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1791 Claude Hermant de Saint-Benoist, maître de chapelle de la cathédrale de Vannes, qui vient de composer un hymnaire à l’usage de l’Église constitutionnelle, cherche des cautions intellectuelles susceptibles de l’aider à promouvoir son ouvrage, il s’adresse à plusieurs « célèbres artistes de la capitale », dont Meunier d’Haudimont, toujours maître de musique de la paroisse des Saints-Innocents, qui loue le caractère « mesuré & majestueux » du chant composé par son confrère, capable selon lui d’élever l’âme du croyant 33. Le rayonnement des maîtres parisiens s’explique par leur talent universellement reconnu. Bordier et Guilleminot-Dugué ont eu la chance de diriger leurs œuvres devant le roi. Le 11 décembre 1748, Bordier fait chanter le motet Jubilate Deo lors de la messe à laquelle assiste le souverain à Versailles. Il récidive les 13 et 14 avec un Quemadmodum. En 1755, à Compiègne, en présence de Louis XV, Guilleminot-Dugué préside à l’exécution du psaume Exultate Deo, ce qui lui ouvre les portes du Concert spirituel. À l’exception de Claude Guillery dont les partitions n’ont pas été imprimées et de l’obscur Pierre-Jean Fournier, les maîtres de Saint-Germain-l’Auxerrois et des Saints-Innocents ont tous fait entendre leur musique à la salle du palais des Tuileries. Celui qui a eu le plus de succès (sixième compositeur le plus joué du XVIIIe siècle au Concert spirituel) est paradoxalement l’un des moins célèbres : Claude Cordelet, très apprécié pour son motet à grand chœur Deus noster refugium (1737) et son Confitemini en duo (1745), proposés à de multiples reprises 34. Les maîtres de Saint-Paul n’ont jamais joui d’une telle notoriété. L’abbé Brouin n’a été à l’affiche du spectacle qu’une fois pour son motet à voix seule Jubilate Deo, interprété par Nicolas-Joseph Platel en 1769. Le talent de son successeur Buée a davantage été reconnu : en 1765, alors qu’il est en poste à Coutances, il présente au public le motet Benedic anima mea. Il est encore programmé à quatre reprises, la dernière en 1779 35. Les maîtres de Saint-Louis-enl’Île et de Saint-Jacques-de-la-Boucherie n’ont de leur côté jamais eu les honneurs du Concert spirituel. Dans le cadre de leurs fonctions, tous, y compris Bardin à SaintJacques-de-la-Boucherie, composent de la musique religieuse, en particulier des messes (Bordier en fait graver douze en 1758) et des Te Deum (une spécialité de Lepreux). Certains, avant de prendre en charge une maîtrise, se sont fait connaître par leurs œuvres profanes. Entre 1744 et 1746, Cordelet est l’auteur d’au moins quatre cantatilles – dont la Convalescence du Roy (1744) – et d’airs à chanter d’élégante facture. Guilleminot-Dugué compose vers l’âge de vingt et un ans l’opéra Jupiter & Europe, sur des paroles de Louis Fuzelier. L’ouvrage attire l’attention de la marquise de Pompadour qui le fait représenter à la Cour en janvier 1749 et dans lequel elle interprète le rôle

33. 34. 35.

Nouvel hymnaire parisien, à l’usage des quatre-vingt-quatre Départemens de la République Françoise. Mesuré & phrasé par le Citoyen Saint-Benoist, Maître de Chapelle de l’Eglise Cathédrale du Morbian, Paris, impr. Cl. Simon, 1793. Constant Pierre, Histoire du Concert spirituel, 1725-1790, nouv. éd., Paris, Société française de musicologie, 2000, p. 102. Ibid., p. 138 et 297. Dans cet ouvrage, les œuvres de Buée sont attribuées par erreur au frère d’Adrien Quentin, Pierre-Louis.

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d’Europe 36. Il était encore donné « en société » au temps de Louis XVI selon les Tablettes de renommée des musiciens. De son côté, Meunier Haudimont s’est fait remarquer à Paris, où il a élu domicile vers 1755, grâce à ses ariettes et un Divertissement pour la fête de Madame Le Normant, exécuté en l’abbaye de Port-Royal le 3 octobre 1757 37. Nommé maître de musique des Saints-Innocents en 1764, il ne délaisse pas immédiatement la glorification des puissants puisqu’il est encore chargé, en 1765, de mettre en musique les paroles d’une ode commandée pour l’inauguration de la statue de Louis XV à Reims et d’écrire un divertissement en l’honneur d’une des filles du roi 38. Giroust, Roze, Lepreux et Le Sueur ont suivi des parcours comparables. Le passage par la musique profane constitue donc une étape-clé dans une carrière au service de l’Église : seuls les maîtres capables de composer dans des genres très différents avaient une chance d’être recrutés par une institution ecclésiastique prestigieuse. Ces hommes ont aussi bâti leur réputation sur leurs compétences pédagogiques. Indépendamment de leurs tâches d’encadrement des enfants de chœur (lorsque les fonctions de maître de musique et de maître des enfants de chœur ne sont pas dissociées), tous, pour autant qu’on le sache, donnent des leçons de musique à des jeunes gens de la bonne société, ce qui leur assure un revenu supplémentaire dont l’importance n’est sans doute pas négligeable. Meunier d’Haudimont, Dugué, Giroust, Lepreux et Roze sont cités dans les Tablettes de renommée des musiciens en tant que maîtres de musique vocale et pour le goût du chant. L’Almanach musical de 1783 précise même, pour Roze, qu’il est spécialisé dans le « goût italien ». Bardin, dont le nom n’apparaît pas dans ces publications, est qualifié de professeur de musique en 1794 et dirige sous l’Empire une école secondaire. Plusieurs ont développé une réflexion sur leur art, qu’ils cherchent à « perfectionner » et à rendre accessible au plus grand nombre. L’abbé Bordier a publié en 1759 une Nouvelle méthode de musique, visant un large public mondain 39. En 1780, dans son Essai sur la musique ancienne et moderne, Jean-Benjamin de La Borde donne un aperçu du système d’harmonie développé par Nicolas Roze, inspiré des théories de Rameau. Les principes en sont si clairs, affirme audacieusement La Borde, « que des enfans de huit ans n’y trouvent aucune difficulté »40. Dans son Exposé d’une musique une, imitative et particulière à chaque solennité (1787) rédigé en réponse à ceux qui, dans le chapitre de la cathédrale, critiquent sa tendance à une utilisation excessive de la symphonie, Le Sueur s’occupe moins de pédagogie que d’esthétique 41. 36. 37. 38. 39. 40. 41.

Émile Campardon, Madame de Pompadour et la cour de Louis XV au milieu du XVIII e siècle, Paris, Plon, 1867, p. 113-114. Louis-César de La Baume-Le Blanc de La Vallière, Ballets, opera et autres ouvrages lyriques, par ordre chronologique…, Paris, chez C. J.-B. Bauche, 1760, p. 251. Charles Sarazin, La Place royale de Reims, Reims, L. Monce, 1911, p. 77. La Borde, Essai, op. cit., t. 3, p. 437. Jean-Louis Bordier – et non point Charles-Louis comme mentionné dans la bibliographie de Fétis ; les délibérations des Saints-Innocents, dès sa réception en 1730, indiquent clairement Jean-Louis –, Méthode de musique…, Paris, aux adresses ordinaires, 1759, in-4°. Jean-Benjamin de La Borde, Essai, op. cit., t. III, p. 475. Jean-François Le Sueur, Exposé d’une musique une, imitative et particulière à chaque solennité, Paris, chez la veuve Hérissant, 1787.

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*** Les maîtres des églises parisiennes, catégorie qui comprend les maîtres de musique à proprement parler, signalés dans sept établissements à la fin de l’Ancien Régime (cathédrale Notre-Dame et Sainte Chapelle inclus), et les maîtres des enfants de chœur, présents dans presque toutes les collégiales et églises paroissiales extérieures à l’île de la Cité, forment un groupe d’au moins une trentaine d’individus, dont beaucoup appartiennent au clergé. « L’élite » des églises parisiennes secondaires est constituée de l’ancienne collégiale Saint-Germain-l’Auxerrois, longtemps fréquentée par le roi et la Cour, de l’église paroissiale des Saints-Innocents, démolie en 1786-1787 pour cause d’insalubrité, et un cran en-dessous, des églises paroissiales Saint-Paul, Saint-Louis-en-l’Île et Saint-Jacques-de-la-Boucherie. Dans les deux premières, les maîtres sont des artistes de premier plan, célébrés pour leur talent dans la composition, leurs qualités pédagogiques, voire l’originalité de leur réflexion. Les musiciens au service des trois autres ne font pas tout à fait partie du même monde. Cependant, au niveau qui est le leur, ils effectuent des tâches identiques. Malgré les lacunes considérables de la documentation, des maîtres comme Gabriel-Claude Brouin, PierreAntoine Bardin ou Laurent Michel à Saint-Séverin commencent à se révéler aux chercheurs. Partout ailleurs, les maîtres chargés de l’encadrement des enfants de chœur n’ont pas pour mission de composer, même si certains, sans doute, sont des musiciens compétents qui en auraient la capacité : comme dans beaucoup de petites structures provinciales, la fabrique ou le chapitre leur demande surtout d’enseigner le plain-chant aux enfants et de leur apprendre le cérémonial de la messe et des fêtes liturgiques.

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DE L’EFFICACITÉ D’UN MODÈLE LOCAL : ÊTRE MAÎTRE DE CHANT À LA CATHÉDRALE SAINT-LAMBERT DE LIÈGE (1581-1650) Émilie CORSWAREM

La ville de Liège a souvent été perçue comme un « paradis des prêtres ». C’est ainsi que Lodovico Guicciardini la décrit dans le dernier quart du XVIe siècle 1. La vue du visiteur se heurte aux innombrables clochers de ses édifices religieux qui, pour la plupart, ont résisté au sac de la ville par Charles le Téméraire (1433-1477) en 1468 : celui de l’imposante cathédrale Saint-Lambert, des sept collégiales, de la trentaine d’églises paroissiales 2 sans compter les nombreux monastères et abbayes des ordres religieux venus s’établir dans la cité et dans ses faubourgs particulièrement étendus 3. SAINT-LAMBERT : UNE IMPORTANTE FORCE POLITIQUE ET ÉCONOMIQUE Au XVIIe siècle, le chapitre de Saint-Lambert, fort d’une soixantaine de chanoines, appelés aussi tréfonciers 4, constitue l’un des plus importants et des plus riches de l’Empire 5. Premier corps religieux et politique du pays, représentant à lui seul l’État primaire 6, le chapitre tient farouchement à ses droits spirituels et temporels. Il est investi du droit d’élire l’évêque et entend contrôler les pouvoirs de ce dignitaire 1. 2. 3. 4. 5.

6.

Voir Lodovico Guicciardini, Description de tout le Païs Bas autrement dict la Germanie inférieure, Anvers, Guillaume Silvius, 1567, p. 470. Pour la liste des paroisses de Liège et leur localisation dans la ville, voir Léon Lahaye, « Les paroisses de Liège », Bulletin de l’Institut archéologique liégeois, XLVI (1921), p. 13-15. À ce sujet, voir Sylvie Boulvain, « La fondation de couvents à Liège aux Temps Modernes », Bulletin de l’Institut archéologique liégeois, CX (1999), p. 61-95. Pendant les périodes d’interrègne, l’administration et la garde de l’évêché reviennent aux chanoines en tant que tréfonciers du pays ; cf. Jean Lejeune, Liège et son pays. Naissance d’une patrie (XIII e-XIV e siècles), Liège, Université de Liège-Faculté de Philosophie et Lettres, 1948, p. 235. La plupart des données factuelles relatives au fonctionnement de l’institution et aux statuts du chapitre sont issues de la synthèse opérée dans Alice Dubois, Le Chapitre cathédral de Saint-Lambert au XVII e siècle, Liège, Université de Liège-Faculté de Philosophie et Lettres, 1949, et de l’édition des statuts par la même auteure dans « Les statuts du chapitre cathédral de Saint-Lambert à Liège », Bulletin de la Commission royale d’histoire, CXIII (1948), p. 223-252. Au pays de Liège, on dénombre trois États : l’État primaire, l’État noble et l’État tiers. En tant que premier des trois États, le chapitre cathédral exerce le pouvoir exécutif pendant les périodes d’interrègne ; voir Dubois, Le Chapitre cathédral, op. cit., p. 260-263.

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ecclésiastique qui est en même temps le prince du pays. Liège est en effet à la fois le chef-lieu d’un large diocèse et la capitale d’un État d’Empire sur lequel règne un prince-évêque élu. Pour assumer cette fonction à l’époque ici envisagée, les membres de la famille Wittelsbach se succèdent d’oncle à neveu, liant le sort de la principauté ecclésiastique à la politique de la dynastie bavaroise. Ernest (1581-1612), le premier de cette lignée, réussit à gagner les faveurs des Liégeois au contraire de son successeur, Ferdinand (1612-1650), dont les décisions provoquent la vive opposition d’une partie de ses sujets : la guerre civile menace alors Liège. Tous deux, de même que leurs successeurs, séjournent peu à Liège. Ils possèdent néanmoins un palais résidentiel, dont la reconstruction a été entamée à partir de 1526 et où ils demeurent lorsqu’ils sont présents dans la ville. En cette période où se succèdent les princes étrangers, le chapitre de la cathédrale incarne l’instance soucieuse de veiller à la préservation des droits et des intérêts liégeois. Il représente de ce fait une institution essentielle, d’autant que le souverain positionne souvent ses priorités ailleurs que dans la cité 7. C’est au cœur de la ville, dans le périmètre réduit du quartier marchand, que s’élève la cathédrale Saint-Lambert, faisant face au palais du prince, tout à côté de l’hôtel de ville et de la maison des échevins 8. Dans les ruelles donnant sur la place à l’est de la cathédrale et en bordure de celle-ci, s’agglomèrent les maisons des métiers et les commerces, investis par les marchands et les artisans. Les pouvoirs, principaux pourvoyeurs de musique et de musiciens par ailleurs, se côtoient donc dans un espace pour le moins restreint. Éminente force politique et économique, la cathédrale polarise aussi l’activité rituelle et solennelle de la cité 9. La description ici proposée de l’institution musicale de Saint-Lambert et de la fonction de maître de chant en particulier se nourrit immanquablement des travaux prenant pour objet des établissements religieux du même type 10. La magistrale étude d’Alice Dubois sur le chapitre de la cathédrale Saint-Lambert au XVIIe siècle a quant à elle permis de centrer le propos sur l’activité musicale proprement dite et épargné nombre de recherches en vue de mieux comprendre le fonctionnement général de

7. 8. 9.

10.

Pour une histoire de Liège et des conflits civils au XVIIe siècle, voir Bruno Demoulin et Jean-Louis Kupper, Histoire de la principauté de Liège. De l’an mille à la Révolution, Toulouse, Privat, 2002. Les institutions locales liégeoises ont fait l’objet d’une analyse rigoureuse et détaillée dans Georges Hansotte, Les Institutions politiques et judiciaires de la principauté de Liège aux temps modernes, Bruxelles, Crédit Communal, 1987. Pour une étude de l’usage du son et de la musique dans la ville de Liège, dont est issue en partie cette description, voir Annick Delfosse et Émilie Corswarem, « Les ruptures du quotidien sonore : une stratégie de pouvoir ? L’exemple liégeois dans la première moitié du XVIIe siècle », Mélodies urbaines. La musique dans les villes d’Europe (XVIe-XIXe siècle), éd. Laure Gauthier et Mélanie Traversier, Paris, Presses Universitaires ParisSorbonne, 2008, p. 45-65. Sur le cas de la ville de Liège, voir la thèse de doctorat de Catherine Saucier, Sacred Music and Musicians at the Cathedral, and Collegiate Churches of Liège, 1330-1500, Ann Arbor (Michigan), UMI Dissertation Services, 2005. Sur la musique de Notre-Dame de Tongres, église du diocèse de Liège, voir Eugeen Schreurs, Het muziekleven in de Onze-Lieve-Vrouwekerk van Tongeren (ca. 1400-1797) : een archivalisch georiënteerd onderzoek naar het muziekleven van een middelgrote kapittelkerk in het prinsbisdom Luik binnen haar stedelijke context, thèse de doctorat, Katholieke Universiteit Leuven, 1999, 3 vol.

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l’institution, que l’auteure expose avec une clarté remarquable 11. Il faut aussi, voire surtout, mentionner les travaux de José Quitin, spécialiste de la musique liégeoise post-tridentine et ancien professeur d’histoire de la musique au Conservatoire de musique de Liège, qui a consacré une part considérable de sa vie au dépouillement des archives conservées dans la ville 12. Inlassablement, avec une rigueur qui mérite d’être soulignée, José Quitin a restitué des fragments de carrières, parfois des parcours entiers de musiciens ; il a réalisé les premières transcriptions de musique liégeoise, et livré une analyse critique de la vie institutionnelle des collégiales et de la cathédrale. Au-delà d’une série de précisions et de compléments qu’il restait à apporter à son travail – l’analyse institutionnelle de la cathédrale opérée par Quitin touchant surtout au XVIe siècle 13 et son répertoire manuscrit n’ayant été que peu ou prou étudié par le chercheur, quelques mentions et brèves descriptions mises à part –, la matière pouvait encore être soumise à de nouvelles interrogations, rendues possibles par l’examen de sources que l’archiviste n’avait eu le temps ou l’intérêt de considérer. À titre d’exemples peuvent être mentionnées les chroniques contemporaines, les dédicaces de recueils musicaux et les sources liées au travail opéré par les nonces de Cologne dans les églises liégeoises. À la lumière de celles-ci, une description du fonctionnement de la maîtrise de Saint-Lambert, moins hermétique qu’il n’y paraît a priori, peut être proposée. Les relations de la cathédrale avec les autres églises de la ville peuvent aussi être approchées, et la fonction de maître de chant envisagée dans les liens qu’elle entretient avec les autres corps de l’institution, celui des chanoines en particulier. Dans cette même perspective et en réitérant certains dépouillements opérés par J. Quitin, il s’est donc agi d’interroger à nouveau quelques documents que l’infatigable chercheur avait déjà consultés ou repérés comme riches d’enseignement. LE CANTOR ET LE MAÎTRE DE CHANT : UN RAPPORT HIÉRARCHIQUE À la cathédrale Saint-Lambert, le maître de chant, appelé aussi succentor, se trouve sous l’autorité de l’un des dignitaires du chapitre : le cantor, appelé aussi « grand chantre ». C’est à ce chanoine que revient l’organisation de la musique. Il choisit le maître de chant, nommé ensuite par le chapitre 14. Le fait que le cantor présente le maître de chant au chapitre semble cependant relever plutôt d’une « faveur » que d’une réelle prérogative. En septembre 1633, le cantor tente de prouver, documents à l’appui, son droit à présenter et à nommer le maître de chant de la cathédrale. Il fait voir aux chanoines

11. 12. 13. 14.

Voir note 5. Pour un aperçu complet de ses travaux, voir Malou Haine et Philippe Vendrix, « Bibliographie de José Quitin », Revue belge de musicologie, XLVII (1993), p. 29-42. José Quitin, « Les maîtres de chant de la cathédrale Saint-Lambert aux XVe et XVIe siècles », Revue belge de musicologie, VIII/1 (1954), p. 5-18. L’acception du vocable « maître de chant », ainsi qu’en attestent les fonctions et les prérogatives associées à cette fonction, correspond à celle de « maître de musique ».

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un registre où cette prérogative serait formulée. Le chapitre l’enjoint toutefois à présenter plusieurs candidats qualifiés. Lors de l’assemblée capitulaire du lendemain, tandis qu’une partie des chanoines se prononce en faveur du prétendant au poste proposé par le cantor – un certain Pierre Probus (ca 1600-1664) – certains déplorent qu’il n’ait pas présenté d’autres candidats. Il faut sans doute voir dans ces regrets la volonté du chapitre à maintenir son autorité 15. C’est ce que semblent confirmer d’autres épisodes relevés dans les archives, telle la protestation du chapitre s’agissant encore de ce procédé d’introduction du maître de chant par le cantor en 1644 16. En 1585, les statuts synodaux publiés par le nonce apostolique Giovanni Francesco Bonomi (1536-1587) en visite à Liège 17 rappellent que le cantor doit être expérimenté dans la lecture, le chant et capable de diriger le chœur selon un mode adapté aux circonstances et aux festivités 18. Selon ces mêmes statuts, les chantres doivent donc suivre ses indications ou se référer à celles du maître de chant 19. Si dans la pratique une grande part de l’organisation de la musique est déléguée au maître de chant, c’est néanmoins de l’autorité du cantor qu’elle dépend. C’est lui qui présente au chapitre les nouveaux enfants de chœur, appelés aussi choraux ou duodeni à Liège 20, et qui prend la décision de les renvoyer si nécessaire, comme il peut proposer l’exclusion des chantres les moins doués 21. S’il arrive que le maître de chant 15. 16. 17.

18.

19. 20.

21.

Voir Liège, Archives de l’État, Cathédrale Saint-Lambert, Conclusions capitulaires (ci-après : AEL, CSL, CC), reg. 31, p. 64 (2 septembre 1633) et p. 66 (3 septembre 1633). Voir AEL, CSL, CC, reg. 41, p. 448 (23 juin 1644). Cet exemple concerne la nomination de Lambert Pietkin, proposé pour succéder à Pierre Probus. Le concile de Trente mise beaucoup sur les évêques, tenus d’en promulguer les décrets, de réunir régulièrement des synodes diocésains, de visiter leur circonscription, de rendre compte de leur bonne tenue à Rome, de s’assurer de la moralité de leur clergé, de faire adopter les nouveaux livres liturgiques, etc. Dans les faits cependant, ce sont les nonces apostoliques de Cologne qui entreprennent la visite des églises de la ville et passent leur organisation au crible. Ils exercent une influence dont le prince-évêque ne peut se prévaloir à l’égard du clergé liégeois. En cause, leur impuissance face au privilège d’exemption à l’autorité épiscopale reconnu le 30 mars 1565. Issu de la coutume, ce privilège d’exemption du clergé est ratifié à plusieurs reprises par le Saint-Siège aux XVe et XVIe siècles. À ce sujet, voir AEL, CSL, Chartes et cartulaires, Registres aux bulles des papes, XVe au XVIIe siècles, reg. 51, f. 219. Voir aussi Édouard Poncelet, Cartulaire de l’église Saint-Lambert de Liège, t. 5, Bruxelles, Académie royale des Sciences, des Lettres et des Beaux-Arts de Belgique, 1913, p. 208, n. 3123 et 3124. En 1606, le cantor demande à être libéré des offices en la cathédrale. Il aurait découvert dans d’anciens registres que sa fonction ne l’oblige pas à chanter s’il ne le désirait guère sauf lors des fêtes de la cathédrale où sa charge l’obligeait à être présent et à chanter quelques répons. Les chanoines ne satisfont pas à sa demande ; voir AEL, CSL, CC, reg. 16, f. 121v (15 mars 1606). « De officio cantoris », dans Alfons Van Hove, « Les statuts synodaux liégeois de 1585. Un document inédit de la nonciature de Bonomi à Cologne », Analectes pour servir à l’histoire ecclésiastique de la Belgique, XXXIII (1907), p. 43-44. Selon Antoine Auda, c’est l’adoption fréquente du nombre de douze chanteurs dans diverses maîtrises qui est à l’origine de l’appellation « dozerai » dans le wallon de Liège (et donc, duodenus/i en latin) pour désigner un enfant de chœur ; cf. Antoine Auda, La Musique et les musiciens de l’ancien pays de Liège. Essai bio-bibliographique sur la musique liégeoise depuis ses origines jusqu’à la fin de la principauté (1800), Bruxelles-Liège-Paris, Van Damme et Duquesne, 1930, p. 47. Voir par exemple AEL, CSL, CC, reg. 19, p. 3 (30 juin 1617) : Denis Santquin et Jean de Lexhy, récemment admis comme enfants de chœur doivent se présenter chez le cantor pour faire constater leurs progrès chaque trimestre. S’il s’avère qu’ils ne progressent guère, le cantor a le pouvoir de les licencier. Voir aussi AEL, CSL, CC, reg. 19, p. 122 (25 mai 1618) : le cantor, de concert avec deux autres dignitaires, doit repérer les chantres et les enfants de chœur « incapables et très peu utiles pour le chant » en vue de les renvoyer et d’en chercher d’autres. Pour des exemples du même type, voir notamment reg. 19, p. 46 (22 novembre 1617) ; p. 130 (20 juin

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À LIÈGE

recrute ou licencie lui-même des musiciens, il a l’obligation d’en informer le cantor 22. Lorsqu’il s’agit d’employer occasionnellement des musiciens pour les dimanches et les jours de fête, cette même règle l’emporte. Il n’en va pas différemment pour les instruments. Avant leur intégration définitive, certains instrumentistes sont occasionnellement engagés à la cathédrale sans occuper pour autant de position institutionnelle permanente. Le maître de chant a régulièrement recours à des musiciens extérieurs à l’église pour « contribuer à la beauté de la musique »23. D’aucuns viennent jouer seulement aux dimanches et aux jours de fête 24. En avril 1640, les chanoines interdisent toutefois au maître de chant d’accepter sans leur accord des musiciens étrangers à la cathédrale. Au même titre que tout officier de Saint-Lambert, ils sont donc admis par les chanoines, après approbation du cantor 25. En réalité, nombre de décisions relatives à la musique incombent au chapitre. Outre l’engagement ou le licenciement du personnel musical, c’est lui qui gère les émoluments des musiciens, convient de l’acquisition de nouveaux livres de musique ou d’instruments, rédige les règlements relatifs à la bonne tenue de l’office divin, etc. Cette autorité du chapitre ne signifie pas pour autant que le maître de chant n’a aucun droit de regard sur les décisions relatives à la musique. D’un point de vue hiérarchique, sa position, entre les chanoines et les officiers subalternes du chapitre, suppose plutôt un travail de type collaboratif. Les entités que constituent le corps des dignitaires et celui des officiers subalternes ne sont en effet pas étanches. Les archives donnent une série d’exemples en ce sens. Ainsi, et sans pour autant invalider le rapport hiérarchique tout juste décrit, force est de constater que c’est sous l’impulsion de certains maîtres de chant, Léonard de Hodemont (ca. 1575-1635) en particulier, que l’« orchestre » de Saint-Lambert se développe dans les années 1620. L’église dispose alors de deux cornets, d’un basson, d’une basse de viole, d’un théorbe, de deux orgues et d’un clavecin ou d’un clavicorde. Quelques années plus tard, le chapitre décide d’adjoindre à son ensemble de nouveaux instruments : c’est le cas du violon dont un instrumentiste sera intégré à partir de l’année 1642 à l’« orchestre » de Saint-Lambert. De même, lorsqu’il est question de réformes touchant à la musique, le maître de chant est généralement joint à une « commission », un petit groupe de travail constitué

22. 23.

24. 25.

1618) ; p. 143 (13 juillet 1618) ; reg. 22, p. 242 (1er juillet 1622) ; reg. 32, p. 14 (6 septembre 1634) ; reg. 41, p. 448 (23 juin 1644) et reg. 45, f. 86v (le 11 juin 1650). Voir entre autres AEL, CSL, CC, reg. 21, p. 142 (11 juillet 1620) et p. 195 (16 octobre 1620). Voir par exemple AEL, CSL, CC, reg. 22, p. 56 (21 mai 1621) : des instrumentistes sont engagés pour la fête de l’Ascension. Le maître de chant Léonard de Hodemont demande à être remboursé pour les frais que cette participation a occasionnés. Pour d’autres paiements de ce type, voir Liège, Archives de l’Évêché, Cathédrale Saint-Lambert, Membrum mobilis, B VII 34, f. 15, 23, 23v, 30v, 40, 49, 49v, 50v, 56v, 57, 63v, 70, 77v, 78, 84v et 85. Voir aussi José Quitin, « Un musicien liégeois, Léonard de Hodemont (1575[ ?]-1635). Notes biographiques », La Vie wallonne, XXV (1951), p. 33-36. Voir aussi AEL, CSL, CC, reg. 16, f. 105v (23 décembre 1605) : le marguillier Jacques de Saint-Georges demande que le premier bénéfice vacant soit conféré à son fils, « musicien les dimanches et jours de fêtes, assidu aux fonctions du chœur » ou qu’on lui accorde un salaire. AEL, CSL, CC, reg. 39, p. 279 (18 avril 1640) ; voir aussi Dubois, Le Chapitre cathédral de Saint-Lambert, op. cit., p. 187.

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ÉMILIE CORSWAREM

le plus souvent du doyen, du cantor et de l’un ou l’autre chanoines. Ainsi, dans le cadre de l’immense chantier liégeois visant à la réforme du bréviaire, le maître de chant est associé à la publication séparée de l’office des défunts. En 1623, l’imprimeur liégeois Léonard Streel requiert du chapitre l’autorisation d’imprimer à ses frais cet office récemment révisé en format « petit folio », avec le chant en complément 26. Le chapitre accède à sa demande et recommande, pour le seconder dans ce travail, le chanoine Daniel Raymondi (ca 1558-1634) 27 ainsi que le maître de chant Léonard de Hodemont, « experts en chant »28. LA FONCTION DE MAÎTRE DE CHANT La fonction de maître de chant est confiée à un ecclésiastique. Si le candidat n’est pas encore prêtre lorsqu’il est élu, il doit rapidement recevoir les ordres. Ses émoluments sont issus d’un bénéfice qu’il reçoit en cette qualité. La carrière ecclésiastique à la cathédrale va de pair avec la montée en grade vers le poste de maître de chant. Ainsi, la tradition veut qu’au plus jeune parmi les chantres soit conféré l’autel le moins bien doté des douze bénéfices qui leur sont réservés. Au cours du temps, le musicien a l’opportunité de le résigner à plusieurs reprises au profit d’un autre, plus rémunérateur : depuis les simples autels jusqu’aux canonicats de Saint-Materne ou de la Petite-Table, dont la position se situe entre celle des chanoines tréfonciers et celle des chanoines des collégiales 29.

26. 27.

28. 29.

AEL, CSL, CC, reg. 23, p. 123 (21 juin 1623). Le livre est imprimé sous le titre Officium defunctorum cum cantu quo utitur insignis ecclesia cathedralis Leodiensis, juxta breviarium ejusdem recognitum, Liège, Léonard Streel, 1623. Successivement enfant de chœur, candidat au poste de maître de chant et chantre, le chanoine Raymondi exerce également une série de fonctions administratives à la cathédrale. En 1613, il est nommé Magister ceremoniarum par le nonce Albergati (1566-1634). Ses œuvres littéraires ne laissent aucun doute sur son érudition. Auteur de poèmes latins et français, transcripteur de chroniques relatives à l’histoire locale, Raymondi fait parvenir au cardinal Baronius (1538-1607) une dissertation sur la date de décès de saint Lambert ainsi qu’un opuscule sur la Fête-Dieu. En collaboration avec Lambert Scronx (ca. 1555-1624), il se voit confier l’importante mission de réforme du bréviaire liégeois, placée sous la direction du vicaire général Jean Chapeauville (1551-1617). Les grandes étapes du travail peuvent être suivies dans les archives de la cathédrale de mars 1600 à 1623. Au sujet de Daniel Raymondi, voir notamment Jean Chapeauville (1551-1617) et ses amis. Contribution à l’historiographie liégeoise, éd. critique du texte latin, trad. française et notes philologiques de René Hoven ; introduction et annotations historiques de Jacques Stiennon ; description bibliographique détaillée et notes complémentaires de Pierre-Marie Gason, Bruxelles, Académie royale de Belgique, 2004 (Classe des lettres. Collection des anciens auteurs belges. Collection in-8°, nouvelle série, XII), p. 106-107 et José Quitin, « Raymundi, Daniel », Grove online. Oxford Music Online, http://www.oxfordmusiconline.com (consulté le 2 juillet 2019). AEL, CSL, CC, reg. 23, p. 123 (21 juin 1623). Le recès capitulaire ne donne pas de détails quant aux rôles respectifs de Daniel Raymondi et de Léonard de Hodemont, choisis pour déterminer « sumptu modum cantantis ». Lorsque plusieurs chantres sont candidats à une même prébende, le vote du chapitre les départage. Ainsi, en avril 1584, Henri Jamar, maître de chant et François Gerardinus, chanoine de la Petite-Table, prétendent tous deux à un canonicat de Saint-Materne. Le premier l’obtient et le second se voit promettre la prochaine prébende vacante si toutefois il assure son office de manière convenable ; voir AEL, CSL, CC, reg. 9, p. 29 (11 avril 1584). Voir aussi Bénédicte Even-Lassman, Les Musiciens liégeois au service des Habsbourg, Tutzing, Hans Schneider, 2006, p. 34-35.

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À LIÈGE

Ainsi en 1633, alors qu’il est toujours un simple clerc, Lambert Pietkin (16131696) reçoit d’abord l’autel de Saint-Barthélemy et de Saint-Lambert 30. En 1635, il est doté de l’autel de Saint-Laurent. Il résigne ce bénéfice en 1642, date à laquelle il est nommé chanoine impérial et reçoit l’autel de Saint-Remacle, soit le second par ordre d’importance à la cathédrale. En 1663, Pietkin est enfin nommé chanoine de Saint-Materne, dignité habituellement conférée aux maîtres de chant, dont il occupe la fonction en fait depuis 1640 et en titre depuis 1644 31. La fonction de maître de chant est très rémunératrice. Chaque compterie lui paie des rentes fixes. Ainsi, même s’il dépend du cantor, la Compterie du Grenier 32 lui verse dix-huit muids d’épeautre contre onze à son supérieur 33. Il bénéficie en outre de distributions régulières pour sa présence aux anniversaires, etc 34. Dans les archives, plusieurs termes renvoient au maître de chant : outre l’appellation fréquente de succentor, on relève aussi celles d’intonator et de phonascus. Plus tard dans le XVIIe siècle, major cantus, musices director, simphonascus primus ou monitor choraulium sont utilisés également, selon que l’accent est mis sur sa fonction de directeur musical ou sur son rôle pédagogique. Le maître de chant assume une triple fonction. Il est d’abord responsable de la musique de l’église. À ce titre, il peut être sanctionné personnellement en cas de manque de rigueur. Ainsi, le 7 janvier 1633, l’assemblée capitulaire constate des défections aux premières vêpres de l’Épiphanie et la veille, pendant l’office divin. Des erreurs ont été commises dans le chant et la musique, venant ainsi ternir une fête d’importance. Durant la messe, les musiciens n’ont par ailleurs utilisé ni l’orgue ni les instruments de musique habituels. Le chapitre condamne encore la musique, « triviale », que les chantres se sont permis d’entonner, au grand scandale des fidèles (« trivialem musicam non sine populi scandalo decantarunt »). Il décide de réprimer en premier lieu leur maître de chant Léonard de Hodemont et deux autres musiciens. Ceux-ci se verront privés de

30. 31. 32.

33. 34.

Cet autel ne fait pas partie des douze bénéfices habituellement réservés aux chantres. Il s’agit d’une exception. Au sujet de Lambert Pietkin, voir James M. Anthony, « Pietkin, Lambert », Grove online. Oxford Music Online, http://www.oxfordmusiconline.com (consulté le 2 juillet 2019) et José Quitin, « Lambert Pietkin, maître de chant de l’église cathédrale de Saint-Lambert à Liège, 1613-1696 », Revue belge de musicologie, VI/1 (1952), p. 31-51. À Saint-Lambert, la gestion des revenus est confiée aux « compteries » ou « membres ». Les membres de la fabrique et du meuble pourvoient à l’entretien du bâtiment et du mobilier ; le membre de l’indult gère les revenus des prébendes vacantes ; le membre de l’aumône centralise les activités caritatives du chapitre et les trois membres principaux (la Grande Compterie, le Grenier et les Anniversaires), octroient les paiements des officiers subalternes et des musiciens. Les registres des années 1579 à 1651 ont été consultés. Cependant, ils ne donnent les noms des différents officiers que pour la période 1579-1638. Voir AEL, CSL, Compterie du Grenier, reg. 86 (1579-1580) à 125 (1638). Pour la période circonscrite dans le cadre de cette étude, les registres de paiements au maître de musique n’ont pas été conservés. Toutefois, un exemplaire du XVIIIe siècle fait état de rémunérations reçues de la Compterie du Grenier (paiement annuel, rémunération supplémentaire pour la Saint-Nicolas…), de la Grande Compterie (pour la Saint-Gilles, la fête de Pâques…), de la Compterie des anniversaires (pour la Saint-Jean, le mois de septembre, divers anniversaires…), de l’aumône (pour la Saint-Jean), de la fabrique (pour le Corpus Christi…) ainsi que de plusieurs fondations et confréries ; voir AEL, CSL, Grande Compterie, Revenus de l’intonateur et du maître de musique, reg. 455 (1778). Voir aussi Dubois, Le Chapitre cathédral de Saint-Lambert, op. cit., p. 187.

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salaire pendant un mois. Le cantor et les chanoines directeurs sont quant à eux chargés de rendre un rapport au sujet des chantres qui ont déserté leur devoir ou l’ont négligé sans motif valable. Le chapitre compte obtenir l’autorisation du Saint-Siège pour, au besoin, rendre leurs canonicats et bénéfices amovibles. Ceux-ci ne seraient désormais plus liés à une personne mais bien à un office exécuté diligemment 35. Le maître de chant est en outre responsable de la formation et de la discipline des huit à dix enfants de chœur, pour la plupart issus de modestes familles d’artisans liégeois à l’époque, tant à l’intérieur qu’en dehors de la cathédrale. Si les archives ne mentionnent pas de concours entre plusieurs candidats, une audition précède toutefois leur admission à la maîtrise de Saint-Lambert 36. Les choraux y reçoivent un enseignement musical, religieux et littéraire 37. L’éducation est une préoccupation constante du chapitre. Le succentor et les intonateurs 38 peuvent sanctionner les enfants de chœur si cela s’avère nécessaire, sans pour autant en venir aux mains à l’intérieur de l’église 39. Outre l’établissement de bourses d’étude à destination des choraux, nombreux sont les décrets capitulaires qui témoignent du souci de l’amélioration de leur formation 40. En 1619, les prérogatives du maître de chant sont rappelées à Léonard de Hodemont lorsqu’il est choisi pour succéder à Henri Jamar (1555/1560-1619). Le chapitre l’enjoint à remplir ses fonctions avec diligence. Qu’il veille notamment à bien instruire les enfants de chœur en leur inculquant de bonnes mœurs afin qu’ils se comportent de la façon la plus honnête possible. Si Hodemont remarque des choraux réfractaires ou insolents, des comportements « dissolus » ou des individus progressant trop peu dans le chant, qu’il n’hésite guère à les dénoncer au doyen et au cantor. Ceuxci useront de leur autorité pour les faire renvoyer. Les chanoines ordonnent encore au succentor d’être présent à toutes les heures pour chanter et psalmodier. Il doit figurer au chœur en personne, accompagné de son submonitor 41 et des enfants de chœur. Ces derniers devront faire montre de respect et de dévotion en chantant les divines louanges, de manière à inciter le peuple des fidèles au recueillement 42. 35.

36. 37. 38. 39. 40.

41. 42.

AEL, CSL, CC, reg. 30, p. 345 (7 janvier 1633) ; voir aussi Quitin, « Un musicien liégeois, Léonard de Hodemont », art. cit., p. 42. D’autres menaces de suspension d’émoluments ou de privation de bénéfices pour des raisons similaires peuvent être relevées dans les archives, voir par exemple AEL, CSL, CC, reg. 41, p. 36v (6 janvier 1645). Voir par exemple AEL, CSL, CC, reg. 19, p. 143 (13 juillet 1618) : le choral Jean Roufosse est admis au chapitre après avoir passé une audition. Dubois, Le Chapitre cathédral de Saint-Lambert, op. cit., p. 188. Au sujet de cette fonction d’intonateur, voir infra : « Les intonateurs et le maître de chant », p. 97-98. AEL, CSL, CC, reg. 60, f. 65v (23 juin 1693) ; voir aussi Dubois, Le Chapitre cathédral de Saint-Lambert, op. cit., p. 188. Voir par exemple AEL, CSL, CC, reg. 30, p. 290 (12 novembre 1632) : le cantor expose les principes de la réforme relative aux chantres et aux enfants instrumentistes en vue de faire disparaître les abus et d’instaurer un bon régime. Sur les bourses d’étude à destination des enfants de chœur de la cathédrale, voir la synthèse proposée dans Émilie Corswarem, De la ville à l’église : musique et musiciens à Liège sous Ernest et Ferdinand de Bavière (1581-1650), thèse de doctorat, Université de Liège, 2008, vol. 1, p. 121-123. Sur la fonction de submonitor, voir « Les intonateurs et le maître de chant », p. 97-98. Voir AEL, CSL, CC, reg. 21, p. 41 (26 octobre 1619).

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À LIÈGE

LES INTONATEURS ET LE MAÎTRE DE CHANT Le maître de chant tient sous ses ordres un premier et un second intonateurs, ainsi nommés du fait qu’ils donnent le ton aux deux groupes de chantres et de bénéficiers répartis de part et d’autre du chœur. Dans les faits cependant, il arrive que le maître de chant assume également la fonction de premier intonateur 43. Les intonateurs sont eux aussi choisis par le cantor. Le chapitre les nomme ensuite à leur fonction. Le premier est souvent désigné comme succentor ou second succentor pour éviter la confusion avec le maître de chant, secundus magister cantus, succentor primus minor, simphonacus primus ou encore submonitor choraulium tandis que le second, souvent plus jeune, est appelé subintonator, succentor secondus minor ou intonatorum unus 44. Leur rôle est de seconder le maître de chant dans la préparation des œuvres polyphoniques et dans l’éducation des enfants de chœur 45. Pour certains, la fonction d’intonateur ne représente qu’une étape vers le poste de maître de chant 46. Être nommé succentor consiste en effet souvent en l’aboutissement de la carrière d’un musicien qui a vécu celle-ci à Saint-Lambert dès son plus jeune âge. C’est le cas de nombreux maîtres de chant du XVIIe siècle qui ont souvent figuré parmi les enfants de chœur de la cathédrale. La carrière de Lambert Pietkin, précédemment cité, constitue un bon exemple. En 1630, Pietkin occupe le petit orgue ; il se voit confier le grand orgue deux ans plus tard. Le musicien est nommé premier intonateur en 1640. Il ne lui reste qu’un échelon à gravir afin d’obtenir la charge de succentor, qu’il occupe en titre à partir de 1644 et pendant les trente années suivantes. Les parcours des maîtres de chant Léonard de Hodemont et de Lambert Coolen (ca 1579/1581-1654) se déroulent eux aussi exclusivement à la cathédrale, un court passage à la collégiale Saint-Pierre pour le premier et à la collégiale Saint-Denis pour le second mis à part. D’autres musiciens demeurent à la position hiérarchique d’into43.

44. 45.

46.

Les réponses données en 1627 par les chanoines au nonce Pier Luigi Carafa, en visite à Liège, présentent néanmoins la configuration suivante comme étant la norme : un maître de chant et deux « substituts tant pour la direction de la musique que pour l’instruction des jeunes choristes » ; voir « Questionnaire de Carafa (1627) », édité dans Xavier Van den Steen De Jehay, La Cathédrale de Saint-Lambert à Liège et son chapitre de chanoines tréfonciers, Liège, Impr. Grandmont-Danders, 1880, p. 461. À partir de 1696, les trois fonctions de maître de chant, de premier et de second intonateur se réduisent à deux postes. Désormais, le maître de chant assume également les fonctions de premier intonateur au chœur tandis que le second succentor est parallèlement second intonateur au chœur ; voir José Quitin, « Henri-Guillaume Hamal (1685-1752), musicien liégeois », Revue belge de musicologie, XIX (1965), p. 90. Voir par exemple AEL, CSL, CC, reg. 11, f. 476 (20 janvier 1589) : le chapitre présente une supplique des succentores, Henri Jamar et Jacques Chabot, le premier étant le maître de chant de la cathédrale. Voir AEL, CSL, CC, reg. 47, f. 171 (19 septembre 1654) : le chapitre rappelle leurs devoirs au maître de chant et aux deux intonateurs. Pietkin, « simphonacus primus », Éverard Briffo, « secundus magister cantus » et Antoine Burgarelle, « intonatorum unus », enseigneront aux enfants de chœur le « cantum vero gregorianum » et la « musicam », en leur inculquant autant que possible de bonnes mœurs. Voir aussi « Questionnaire de Carafa (1627) », op. cit., article n. 28 et Dubois, Le Chapitre cathédral de Saint-Lambert, op. cit., p. 187. C’est le cas de Lambert Coolen, qui assume pendant plusieurs années la fonction d’intonateur avant de reprendre la charge de maître de chant ad interim lorsque Léonard de Hodemont sera démis de ses fonctions. Voir José Quitin, « Lambert Coolen, compositeur liégeois v. 1580-1.VI.1654 », Bulletin de la Société liégeoise de musicologie, XLIX (1985), p. 16-18.

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nateur, leur progression ultime consistant à passer du rang de second à celui de premier intonateur. Il semble qu’une différence de taille entre cette fonction et celle de maître de chant réside dans le fait qu’exceptés ceux qui prétendent au poste de succentor, les intonateurs ne fournissent pas de musique au chapitre. De manière générale, on peut constater que le recrutement à Saint-Lambert s’opère en interne. Pour pourvoir aux fonctions de maître de chant et d’intonateur, la cathédrale fonctionne en milieu fermé. Cet état de fait n’est pas propre à la période qui nous occupe ici. La même procédure était déjà globalement en vigueur aux XVe et XVIe siècles 47. La promotion à un poste musical d’importance paraît donc facilitée par les années d’ancienneté dans l’institution. De telles fonctions sont confiées de manière préférentielle à des individus dont on peut bien souvent retracer la quasi-totalité de la carrière à la cathédrale. Qu’y soient organisés des concours, qu’on ait battu la campagne pour recruter des membres de talent est très peu probable. Les archives n’en conservent du moins pas la trace. C’est donc un critère de l’ordre du mérite, luimême fonction des services rendus jusque-là qui prévaut, vraisemblablement allié à l’exigence de certaines aptitudes.

Lambert Pietkin, Sacri concentus, opus tertium, Liège, Guillaume-Henri Streel, 1668 [RISM A/1 P 2343], exemplaire provenant de la collection de Sébastien de Brossard (Bibliothèque nationale de France)

47.

Quitin, « Les maîtres de chant de la cathédrale Saint-Lambert », art. cit., p. 17-18.

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À LIÈGE

LE MAÎTRE DE CHANT ET LE RÉPERTOIRE DE MUSIQUE À LA CATHÉDRALE En tant que responsable de la musique, le maître de chant compose aussi pour la cathédrale. Sont-ce toutefois essentiellement ses œuvres qui résonnent sous les voûtes de Saint-Lambert ou l’institution déploie-t-elle les moyens nécessaires en vue d’enrichir ses collections musicales? Le cas échéant, il convient de déterminer si ces collections se développent à l’initiative d’aucuns de ses membres, et du maître de chant en particulier. Un examen du répertoire de musique conservé pour la cathédrale permet de poser quelques constats. Parmi les œuvres imprimées, une importante proportion paraît à Anvers, chez Phalèse 48. Les principales sources musicales de la cathédrale sont cependant sous forme manuscrite. Le maître de chant assume une fonction clé pour la compilation de ces volumes. À plusieurs reprises, les archives font état de copies de livres de musique par certains d’entre eux, ou par d’autres individus, opérant à l’initiative du maître de chant. Ce sont, tant pour le répertoire imprimé que manuscrit, essentiellement les œuvres des maîtres de chant qui ont subsisté, en tant que témoins du répertoire chanté à la cathédrale. Source emblématique à cet égard, le volumineux Livre de chœur 1 de la cathédrale Saint-Lambert rassemble une cinquantaine de motets à la Vierge, à sainte Anne, à saint Joseph et pour la fête du Corpus Christi. Ces motets, pour quatre à huit voix, sont composés par des maîtres liégeois de la première moitié du XVIIe siècle dont tous – à l’exception de Gilles Hayne (1590-1650) – sont actifs à la cathédrale 49. Le Livre de chœur 1 est joint à un recueil de basse continue à l’orgue contenant une série de motets qui ne correspondent pas à ceux du Livre de chœur 1. Ceci donne à penser qu’il devait exister d’autres livres de chœur à la cathédrale ou, plus simplement, d’autres pièces correspondant à la basse 50. Ces motets supplémentaires sont une fois encore dédiés à la 48.

Léonard Streel est l’unique imprimeur de musique que connaît Liège durant la première moitié du siècle. Ses premières éditions se font l’écho de l’esprit de la Contre-Réforme. Il publie deux livres de chants spirituels à une voix de Remacle et Jean Mohy. Le premier paraît en 1626 sous le titre Les Pleurs de Phylomèle. Il s’agit de la troisième édition d’un ouvrage de poésies pieuses, d’abord paru sous le titre L’Encensoir d’or contenant les prières et pleurs de Messire Remacle Mohy, où sont avec plusieurs beaux pelerinages, oraisons de toutes sortes, propres en toutes occurrences à toutes personnes, & parsemées de plus ardans & attirans traits de devotion […], Liège, Christian Ouwerx, 1600 (rééd. Leyde, 1608). Le second, Le Bouquet aux roses entre les fleurs de chansons spirituelles dont aucunes sont nouvellement tournées de sujects profanes, par Messire Jean Mohy de Rondchamp paraît en 1627. Par la suite, Streel imprime certaines œuvres de musique polyphonique. Les trois premières parties des Sacri concentus de Léonard de Hodemont sont imprimées en 1630 et les deux autres un an plus tard : Sacri concentus 1.2.3.4. et 5. vocum cum basso ad organum, Liège, Léonard Streel, 1630 et 1631– RISM H5670 et H5671. Une autre collection de motets, composés par Pietkin, sort des presses du fils de Léonard Streel, Guillaume-Henri, en 1668 : Sacri concentus 2, 3, 4, 5, 7 & 8 tum vocum, tum instrumentorum […] opus tertium, Liège, Guillaume-Henri Streel, 1668 – RISM P2343. Sur l’imprimerie à Liège, voir Pierre Marie Gason, « Le livre imprimé sous l’Ancien Régime », Florilège du livre en Principauté de Liège du IX e au XVIII e siècle, éd. Paul Bruyère et Alain Marchandisse, Liège, Société des bibliophiles liégeois, 2009, p. 213-227. Liège, Bibliothèque du Conservatoire royal, ms. 35531. Ce Livre 1 a fait l’objet d’une édition critique. Voir Marie-Alexis Colin, Eugeen Schreurs et Philippe Vendrix (éd.), Le Grand livre de chœur de la cathédrale SaintLambert de Liège, Turnhout, Brepols, 2005. Les compositeurs des motets sont Gilles Hayne (1590-1650), Lambert Coolen (ca 1580-1654), Léonard de Hodemont (ca 1575-1636), Lambert Pietkin (1613-1696), Daniel Raymondi (1560-1634) et Henri de Remouchamps (ca 1603-1639). Liège, Bibliothèque du Conservatoire royal, ms. 43437. XVIIe

49.

50.

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Vierge, à sainte Anne, à saint Joseph et au Saint-Sacrement. Certains sont attribués à Lambert Coolen (un Salve Regina et trois Ecce panis angelorum), à Léonard de Hodemont (trois Ecce panis angelorum), à Lambert Pietkin (O Sancta Anna) et à Pierre Lamalle, tous maîtres de chant à Saint-Lambert 51. Un manuscrit inventorié sous le titre Livre de chœur 2 de la cathédrale Saint-Lambert contient quant à lui les offices des fêtes principales de l’année liturgique à Liège – premières et secondes vêpres essentiellement – ainsi que certaines sections de messe pour ces mêmes fêtes – introït et communion surtout 52. Noté en plain-chant, il contient aussi un motet de Lambert Coolen (Gloria Laus / Israel es tu Davidis / Cœtus in excelsis te laudat / Plebs Haebrae tibi). Ce manuscrit est d’un intérêt remarquable pour examiner l’impact des réformes liturgiques en vigueur au XVIIe siècle. L’impression de tels ouvrages coûte cher. Compilés à destination de la cathédrale, modifiés et augmentés au cours du temps, leur usage lui est réservé. Certaines pièces étaient toutefois peut-être copiées à l’usage des collégiales. Les textes propres à l’Église de Liège, tels ceux de son saint patron Lambert, ne peuvent être diffusés bien loin. Dans cette perspective, le choix du manuscrit s’impose naturellement. Les archives livrent toutefois quelques mentions d’achat de musique par les maîtres de chant. Ainsi, en 1621, Léonard de Hodemont demande à être remboursé pour les livres qu’il a financés sur ses propres fonds 53. Le chapitre s’exécute une nouvelle fois en 1625 et en 1627, pour des livres achetés et copiés 54. Durant les années suivantes, le même scénario peut être relevé dans les archives de la cathédrale 55. Sans doute, le maître de chant a-t-il opéré de nombreuses acquisitions car le chapitre décide de dresser l’inventaire des livres de musique acquis par son succentor 56. La musique semble aussi circuler entre les églises de la ville. Il arrive ainsi que des compositeurs liégeois actifs en dehors de Saint-Lambert proposent leurs œuvres à la cathédrale. C’est le cas en 1614 : le maître de chant de la collégiale Sainte-Croix présente des livres de musique à vendre au chapitre 57. La même année, le Liégeois Lambert de Sayve (1549-1619), alors actif dans l’Empire, juge bon d’envoyer à la cathédrale une copie de ses Sacræ cantiones 58, compilation monumentale du travail exécuté 51. 52. 53. 54.

55. 56. 57. 58.

La pièce de Pierre Lamalle apparaît sur le feuillet 15c, qui a cependant été collé de manière à la faire disparaître. Liège, Bibliothèque du Conservatoire royal, ms. 43575. AEL, CSL, CC, reg. 22, p. 56 (21 mai 1621). Liège, Archives de l’Évêché, CSL, Membrum Mobilis, B VII 34, f. 48 (24 mars 1627) : Hodemont reçoit cent patacons. Le patagon (ou patacon) est une monnaie réelle en argent créée par les archiducs Albert et Isabelle au cours de leur seconde émission (1612-1621). Copié par d’autres États, le patagon et ses divisions sont aussi en usage à Liège à partir du premier tiers du XVIIe siècle. Le patacon est aussi appelé impérial d’argent. Sa valeur émise en monnaie de compte équivaut à trois florins brabant-liège et donc à soixante patards brabantliège ou encore à douze florins de Liège. Voir Jean-Luc Dengis, Les Monnaies de la principauté de Liège, t. 3, Wetteren, Moneta, 2006, type n. 1058, p. 94. Liège, Archives de l’Évêché, CSL, Membrum Mobilis, B VII 34, f. 56 (28 février 1628) ; id., f. 78 (30 juillet 1631). AEL, CSL, CC, reg. 26, f. 177 (23 juin 1627). AEL, CSL, CC, reg. 18, p. 153 (18 mai 1614) : les chanoines décident de s’en remettre au cantor et au proviseur du membre du meuble. Lambert de Sayve, Sacræ symphoniæ, quas vulgo motetas appellant, tam de totius anni festis solennibus, quam de tempore, 4.5.6.7.8.9.10.11.12.13.15.& 16. tam vocibus quam instrumentis accommodatæ, Klosterbruck, Böhmen,

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à la cour de l’archiduc Mathias (1557-1619). En 1647, Gilles Hayne, cantor à SaintDenis et maître de chapelle du prince-évêque Ferdinand (1577-1650), offre au chapitre cathédral un exemplaire de la Missa pro defunctis composée pour le passage de la dépouille de Marie de Médicis (1575-1642) par la ville de Liège en 1643 59. Ces éléments témoignent donc du fait que la musique entendue à la cathédrale n’était pas toujours celle de ses maîtres de chant. Ce sont néanmoins bien eux qui la dirigent, à de rares exceptions près. EN GUISE DE CONCLUSION La carrière du compositeur Léonard de Hodemont à la cathédrale, mentionné à plusieurs reprises dans cet article, est caractéristique de l’équilibre fragile et continuellement menacé entre le corps des chanoines et le maître de chant, dont la fonction suppose une indéniable part de liberté. Durant la seconde partie de son office à SaintLambert, le musicien subit des blâmes à répétition. En cause (officiellement tout du moins), les frais occasionnés par ses nombreux achats de livres de musique, et son recours trop régulier à des instrumentistes extérieurs à Saint-Lambert. Mais au-delà de l’argument pécuniaire, ce sont sans doute plutôt les innovations qu’il introduit qui contrarient le conservatisme des chanoines. Le caractère progressiste de certaines de ses œuvres semble radical en comparaison avec les compositions de Lambert Coolen, son successeur au poste de succentor. Sous les motifs formels exprimés par le chapitre, résident donc plus probablement des hésitations esthétiques, voire une opposition aux modes nouvelles. Au début des années 1630, Hodemont avait en effet tenté d’introduire des motets en style concertant, n’ignorant plus les madrigalismes 60. Certaines pièces pour voix seule et instrument, d’autres pour deux voix et basse continue, font pénétrer une musique résolument nouvelle à Liège. Ce sont peut-être ces innovations que le chapitre qualifie de « triviales » en 1633, soit deux ans après la parution de son recueil de motets Sacri concentus 61. Son recueil de villanelles met à l’honneur dix ans plus tard

59. 60. 61.

Johannes Fidler, 1612 – RISM S1126. AEL, CSL, CC, reg. 41, p. 91 (19 décembre 1642). Cet ensemble de sept codex in-quarto se compose d’une Missa pro defunctis, d’un officium defunctorum et d’une série de sequens responsum post missam ad sepeliendum. Il est conservé à la Bibliothèque du Conservatoire royal de Liège, sous la cote ms. 43525. Sacri concentus, op. cit., voir note 48. Au sujet de ce recueil voir Claire Meyer, Les « Sacri concentus » (1630-1631) de Léonard de Hodemont (c. 1580-1636) : analyse et préparation à l’édition critique, thèse de doctorat, Université Paris IV, 2009. Voir supra, note 35. Hodemont a toutefois pu séduire les tréfonciers par des œuvres plus complaisantes, ainsi qu’en témoignent son Kyrie Paschali et le Salve Regina du Livre de chœur I de la cathédrale, écrit pour huit voix à la manière du XVIe siècle et sans grande surprise harmonique. Au sujet du Salve regina, voir José Quitin, « Trois pièces religieuses de Léonard de Hodemont (ca 1575-1636) », Bulletin de la Société liégeoise de musicologie, LXXV (1909), p. 46-48 et supplément musical de ce même numéro, p. 7-15, ainsi que Colin, Schreurs et Vendrix, Le Grand livre de chœur de la cathédrale Saint-Lambert, op. cit., p. 26-44. Au sujet du Kyrie, voir José Quitin, « Kyrie à 5 voix de Léonard de Hodemont », Bulletin de la Société liégeoise de musicologie, XV (1976), p. 39 et supplément musical de ce même numéro, p. 1-8.

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des textes de poésie amoureuse que le compositeur illustre à la mode des madrigalistes italiens, même si l’absence de virtuosité vocale et l’égalité entre les trois voix le rattachent encore au XVIe siècle 62. Le fait que le dédicataire du recueil, Arnold de Wachtendonck (1564-1633), soit cantor de la cathédrale indique sans doute une sensibilité aux procédés de la seconda prattica dans le chef de certains dignitaires. La révocation du maître de chant en 1633 coïncide avec le décès du cantor et freine durablement la pénétration de nouveaux procédés d’écriture à Saint-Lambert. Le titre de cet article fait état d’un « modèle local efficace ». Cette efficacité apparaît évidente en regard de la relative étanchéité de la maîtrise aux conditions défavorables de l’époque : les conflits civils font alors rage dans la cité et la présence des troupes militaires dans la principauté cause d’incontestables dommages aux domaines fonciers des établissements religieux. Cette apparente étanchéité de la maîtrise cathédrale profite incontestablement aux musiciens et permet à la polyphonie de perdurer. Elle induit cependant aussi un certain repli. Jamais les archives de la cathédrale ne font mention du recrutement d’un maître de chant à l’extérieur de la principauté. Rares sont d’ailleurs les membres de l’effectif nés ailleurs qu’à Liège… La mobilité à Liège s’apparente donc plutôt à une circulation locale, depuis les collégiales vers la cathédrale, depuis la cathédrale vers le palais ; elle correspond aussi à une mobilité sporadique, en fonction des exigences cérémonielles qui, le temps d’une occasion donnée, modulent et reconstruisent les effectifs. Le recours à des musiciens étrangers à la ville ne s’impose dès lors pas. La maîtrise de Saint-Lambert se suffit à elle-même. Ce repli ne rime pas pour autant avec déclin car le système mis en place permet également de conserver les individus les mieux doués. Si le rayonnement de l’institution majeure de Liège se cantonne à la ville, son hégémonie est néanmoins sans cesse réaffirmée à l’intérieur de ses murs. La cathédrale conçoit une majorité de cérémonies ; elle s’approprie des événements dont la portée est collective, catalysant les événements solennels de la cité… et donnant aux églises collégiales un modèle de fonctionnement solidement éprouvé. Enfin, le fonctionnement de Saint-Lambert n’est pas sans rappeler la position géographique de la ville de Liège et plus largement de la principauté : une enclave au sein d’un vaste territoire qui se maintient en dehors de lui.

62.

Leonard de Hodemont, Armonica recreatione. Villanelli a tre voci con il basso continuo, Anvers, Pierre Phalèse, 1625 – RISM H5668. Au sujet des villanelles, voir France Lefebvre, « Les villanelles de Léonard de Hodemont, Liège v. 1575-1636 », Bulletin de la Société liégeoise de musicologie, XI (1975), p. 12-19 et du même auteur, Les Villanelles de Léonard Hodemont, Université libre de Bruxelles, mémoire de licence, 1971.

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FAIRE CARRIÈRE

« UN JEUNE HOMME SE PRÉSENTE POUR ÊTRE MAÎTRE DE MUSIQUE » 1

DÉBUTER DANS LA CARRIÈRE AU XVIIIe SIÈCLE Youri CARBONNIER

À l’automne 1781, le chapitre cathédral de Senlis, dont le maître de musique vient de démissionner, sollicite l’aide de Doriot, maître de musique de la Sainte Chapelle à Paris, pour trouver un remplaçant. Celui-ci « offre un de ses élèves âgé de 23 ans, clerc tonsuré, pour être […] maître de musique ». Le jeune Claude-Edme-Emmanuel Nicolon, dit Lenoir, débarque dans la cité capétienne le 8 octobre et, une semaine plus tard, le grand chantre est chargé de fournir des paroles « au jeune homme qui se présente pour être maître de musique afin que l’on puisse juger de ses talents ». Supplantant un autre candidat « au concours », Lenoir est engagé le 27 octobre 1781 2. Ce processus de recrutement présente plusieurs éléments dignes d’attention : le principe du concours de composition, qui n’empêche pas le recours aux recommandations, la jeunesse du candidat, qui semble débuter dans la carrière, et le soutien d’un maître reconnu qui le présente comme un de ses élèves – Lenoir a été enfant de chœur à la Sainte Chapelle de juin 1767 à juin 1777 3. Sont réunis ici les ingrédients classiques des débuts des plus fameux maîtres de musique, passés à la postérité par leurs compositions musicales et par la grâce de biographes qui n’oublient jamais de rappeler que leur héros a débuté à la tête d’une maîtrise à dix-huit ou vingt ans (Rameau à Avignon, mais ce n’est, il est vrai, qu’un intérim, Giroust à Orléans ou Campra à Arles). Certes, Lenoir se révèle un peu plus âgé, mais les places de maîtres de musique ne se présentent pas toujours au moment précis où un jeune musicien quitte la psallette qui l’a formé. Est-ce à dire que l’accession à la tête d’une maîtrise n’est possible que pour les plus doués des enfants de chœur, eux-mêmes à peine sortis de formation ? Un musicien d’Église expérimenté ne peut-il espérer un poste de maître ? Bref, ces exemples sontils représentatifs de toute une profession ?

1. 2. 3.

AD Oise, G 2338, délibération capitulaire du 15 octobre 1781. Toute cette affaire apparaît dans le registre des décisions capitulaires cité, aux dates des 8, 15 et 27 octobre 1781 (dépouillements de Sylvie Granger pour MUSÉFREM). Michel Brenet, Les Musiciens de la Sainte-Chapelle du Palais, Paris, Alphonse Picard et fils, 1910, p. 311 et 316.

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C.-E.-M. Nicolon, dit Lenoir, Fragment d’une Grande Messe à symphonie commencée en août 1785, ms autogr., Dijon, Bibliothèque municipale, ms 1819 © BM Dijon. L’œuvre inachevée s’interrompt ici, à la fin du « Crucifixus » le jour de la mort du compositeur, au terme d’une courte carrière de maître de musique entamée à Senlis moins de quatre ans plus tôt.

L’ensemble des données biographiques rassemblées dans la base MUSÉFREM invite désormais à tenter une réponse à ces questions, en particulier pour le XVIIIe siècle 4. La reconstitution systématique des carrières, bien qu’elle demeure

4.

La base MUSÉFREM - Base de données prosopographique des musiciens d’Église au XVIIIe siècle, consultée le 23 avril 2019, rassemble des données prosopographiques concernant en priorité les musiciens d’Église en activité en 1790, mais on y rencontre également des informations sur des musiciens plus anciens (http:// philidor.cmbv.fr/Publications/Bases-prosopographiques/MUSEFREM-Base-de-donnees-prosopographiquedes-musiciens-d-Eglise-en-1790). L’ensemble des données rassemblées n’est pas encore publié. Dans la suite, les renvois aux notices publiées seront accompagnés de l’url correspondant, tandis que, pour les notices non publiées, sera précisée la personne à l’origine de la notice, sauf pour nos propres recherches.

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DÉBUTER DANS LA CARRIÈRE

souvent marquée par des lacunes (précisément à ce moment charnière), autorise néanmoins, par des repérages fructueux, à dépasser les cas isolés. La base a permis de constituer un corpus inégalement renseigné de cent quarante-huit individus, dont 57 % exercent au sein d’une cathédrale et 39 % dans une collégiale (voir GRAPHIQUE 1). Le reste se répartit entre quelques paroisses où une musique est attestée et la Chapelle royale, où Julien-Amable Mathieu, un des Vingt-Quatre Violons du roi et fils d’un musicien du roi, entame sa carrière de maître à un niveau inhabituellement élevé.

Graphique 1 : Les lieux d’exercice du premier poste de maître de musique (échantillon de 148 individus)

Les cathédrales qui accueillent des maîtres débutants se répartissent un peu partout dans le royaume. Quelques-unes semblent même favoriser les débutants, Le Mans a ainsi vu débuter quatre jeunes maîtres (depuis Louis Bouteiller en 1670, en poste jusqu’en 1725, jusqu’à François Marc en 1783, en passant par François Lassus de 1729 à 1747 et René Lemercier de 1773 à 1782). Quant aux collégiales, il est hasardeux de tirer quelque conclusion que ce soit de l’importance d’un triangle septentrional, entre Flandre, Poitou et Bourgogne, qui correspond à des régions où la densité de collégiales est importante, contrairement au Midi 5. À partir des données ainsi collectées, on se propose de dresser le portrait du maître de musique débutant. Il est possible d’étudier l’âge au recrutement, le poste occupé précédemment, mais aussi la mobilité, l’éloignement depuis la psallette de formation et, de façon moins directe, les arcanes du recrutement. On s’intéressera aussi au temps d’exercice dans ce premier poste (établissement durable ou tremplin passager ?) et à la poursuite de carrière. Enfin, la question des mécanismes de recrutement pourrait être abordée, mais elle s’avère singulièrement ardue, au-delà de quelques trop rares cas aussi bien renseignés que celui de Lenoir.

5.

Philippe Loupès, Chanoines et chapitres de Guyenne aux XVII e et XVIII e siècles, Paris, Éditions de l’École des hautes études en sciences sociales, 1985, p. 41-50 ; Gilles Deregnaucourt et Didier Poton, La Vie religieuse en France aux XVI e, XVII e, XVII e siècles, Paris/Gap, Ophrys, 1994, p. 251-252.

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INDICES ET LACUNES AUTOUR DU RECRUTEMENT DES MAÎTRES DÉBUTANTS Pour la plupart, l’information manque tout simplement, mais on peut parfois compter sur le hasard de correspondances, de témoignages sujets à caution 6 ou d’indices épars et indirects. Ainsi, de Julien Mellier, formé à l’église parisienne des Saints-Innocents, qui semble profiter de l’appui de Jean-François Le Sueur pour obtenir la maîtrise de la cathédrale d’Évreux, à la toute fin de 1785. Le chapitre tarde à réaliser que « les talents de Me Mellier, Maître de Musique, ne paroissoient pas suffisans pour remplir la dite place de Maître de Musique que la Compagnie lui auroit confiée » et, après lui avoir « donné des paroles pour être par lui mises en musique, afin de faire preuve de talent pour la composition » en mars 1787, se résigne à le congédier le 10 décembre 1787, tout en lui laissant le temps de trouver un poste ailleurs, ce qui semble avoir été difficile puisqu’il ne quitte la maîtrise ébroïcienne qu’en mars 1788 7. On réalise que son recrutement s’était déroulé sans examen de ses capacités de compositeur, sans doute grâce à de puissantes recommandations. Le témoignage rédigé par Louis-Étienne Bétizy dans sa supplique de novembre 1790 est précieux à cet égard. Le jeune Briard, né et formé à Meaux, s’installe à Paris pour se perfectionner dans la composition. C’est là, explique-t-il, qu’en 1771, il apprend par voie d’annonce l’existence d’un concours pour la place de maître de musique de la cathédrale de Boulogne 8. Son voyage vers le littoral septentrional est couronné de succès, puisqu’il est reçu le 2 juillet 1771, dans une place qu’il occupe encore en 1790 9. L’autre obstacle majeur réside dans les lacunes qui émaillent la reconstitution des carrières, particulièrement au début de celles-ci, entre la fin de la formation – quand elle est connue – et le premier poste renseigné. Les cas sont nombreux de maîtres qui accèdent à leur fonction après un long silence archivistique : dès lors, s’agit-il vraiment de leur premier poste ? Parfois, la lacune est incomplètement renseignée et laisse émerger des activités non musicales, généralement religieuses ou consacrées aux études. Ainsi, après « quatre ans [d’]études de philosophie et de théologie », Jean-Léger Regnaud est recruté à vingt-quatre ans, en 1763, à la Madeleine de Besançon qui le garde à ce poste jusqu’en 1790, preuve de sa compétence 10. De Charles Gauzargues, 6.

7. 8. 9. 10.

C’est le cas du recrutement de Charles Gauzargues à la cathédrale de Nîmes, en 1751. Les registres capitulaires ne fournissent aucun détail et il faut se rabattre sur le récit que Jean-Benjamin de La Borde laisse trente ans plus tard, qui évoque un appui au sein de la famille du musicien (Youri Carbonnier et Jean Duron, Charles Gauzargues (1723-1801), Paris/Versailles, Picard/CMBV, 2016, p. 33-34). AD Eure, G 1914, délibérations capitulaires des 31 décembre 1785, 7 mars et 10 décembre 1787, 17 mars 1788 ; recherches de Sylvie Granger et de Pierre Mesplé pour MUSÉFREM. Le registre capitulaire nous apprend que les chanoines boulonnais ont décidé de « faire annoncer sans délai par la voix de la Gazette d’Amsterdam la vacance de ce poste » (AD Pas-de-Calais, 1 G 74bis, 4 juillet 1771, recherche de Christophe Maillard pour MUSÉFREM). Betizy, Étienne Louis (1749-1832), dans MUSÉFREM, https://philidor.cmbv.fr/ark:/13681/1hdkx5xyrvgnzebqi 6j6/not-432702, consultée le 23 avril 2019. AN, D XIX 92, n° 792, supplique individuelle, recherches de Cyril Triolaire et de Ségolène Cornec pour MUSÉFREM.

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DÉBUTER DANS LA CARRIÈRE

La Borde prétend qu’il a abandonné la musique pour se consacrer à sa carrière ecclésiastique. En réalité, le jeune homme occupe une place de musicien à la collégiale Sainte-Marthe de Tarascon, qui avait jadis accueilli ses années de formation, en menant en parallèle au séminaire Saint-Charles d’Avignon des études de théologie lui permettant de franchir les différentes étapes du cursus dans les ordres 11. Au demeurant, il n’accède à la maîtrise de la cathédrale de Nîmes qu’à près de vingt-sept ans. L’ÂGE DES DÉBUTS : PLACE AUX JEUNES ? Au sein du corpus, on peut calculer l’âge de cent trente individus au moment où ils accèdent à la maîtrise (voir GRAPHIQUE 2). Le calcul a été effectué de façon automatique uniquement à partir du millésime. Il n’a donc pas été tenu compte de la date exacte de naissance, pas toujours connue – le plus souvent, il faut se contenter de l’année obtenue par soustraction de l’âge déclaré dans un document bien postérieur –, ni de la date exacte d’entrée en fonction, pas systématiquement renseignée. De ce fait, certains individus seraient susceptibles de glisser vers la catégorie d’âge inférieure si leur âge était calculé avec plus de précision ; les résultats obtenus n’en restent pas moins éloquents.

Graphique 2 : L’âge d’accession au premier poste de maître de musique (échantillon de 130 individus)

L’âge moyen d’accession au premier poste de maître de musique est de vingt-huit ans, l’âge médian étant de vingt-cinq ans et demi. En réalité, dans plus de la moitié des cas, le nouveau maître de musique a entre dix-huit et vingt-sept ans, vingt-deux ans

11.

Carbonnier et Duron, Charles Gauzargues, op. cit., p. 27-32.

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étant l’âge qui regroupe la cohorte la plus nombreuse, près de 10 % du total. On peut sans risque d’erreur ajouter Malez, choisi pour Notre-Dame des Doms d’Avignon le 21 août 1724, dont l’âge est inconnu, mais qui, « a cause de sa jeunesse », est recruté à la condition « que la tante resteroit avec luy pour [...] veiller sur son neveu », ce qui semble l’aiguiller vers la limite basse de l’échantillon 12. La jeunesse des maîtres dans leur premier poste, présentée comme un topos attendu, semble donc avérée, mais elle reste toutefois surprenante, quand on connaît les exigences de la place : compétences musicales, dont la composition n’est pas la moindre, autorité sur les enfants de chœur, voire – la chose est moins claire – sur les musiciens, enseignement musical pour les enfants de chœur, gestion financière plus ou moins étendue selon les lieux… toutes responsabilités qu’un homme mûr semble plus à même de porter que ces garçons parfois à peine sortis de l’adolescence 13. Il est certain que ces jeunes gens, tous formés dans des maîtrises capitulaires, auprès de maîtres reconnus – nous y reviendrons –, présentent un solide bagage musical. La plupart des psallettes, du moins les plus importantes, demandent à leurs grands enfants de chœur de composer une œuvre qu’ils dirigent avant de quitter la maîtrise. Parfois, ces « grands garçons » de seize à dix-huit ans assument un rôle d’assistant du maître de musique, comme le « spé » de Notre-Dame de Paris 14. Voilà donc le premier élément d’explication : les jeunes gens ainsi recrutés sont aptes à la composition et à l’encadrement. En outre, leur jeunesse les rend peut-être plus malléables face à des chanoines jaloux de leur autorité : un maître reçu à l’orée de l’âge adulte peut s’avérer plus enclin à l’obéissance, et on pourrait arguer que cette soumission se poursuit par la suite pour expliquer les longues carrières sédentaires de certains. En revanche, le cas de Jean-François Le Sueur à Notre-Dame de Paris constitue un excellent contre-exemple, tout en apportant paradoxalement une explication supplémentaire. En effet, le jeune homme, qui occupe déjà son sixième poste, après les cathédrales de Sées, de Dijon et du Mans, la collégiale Saint-Martin de Tours et la paroisse parisienne des Saints-Innocents – où, durant un an, entre Sées et Dijon, il avait été le sous-maître de Nicolas Roze pour parfaire sa formation –, introduit des innovations musicales qui font dresser les cheveux des capitulants parisiens 15. Pour autant, il n’est pas totalement exclu d’imaginer certains chapitres plus ouverts à la nouveauté tabler sur le recrutement d’un jeune maître de musique pour hisser leur 12.

AD Vaucluse, G 446, cité par Jacques Rodriguez, « La musique et les musiciens à la cathédrale d’Avignon au siècle », “Recherches” sur la musique française classique, XIII (1973), p. 82. L’administration financière des maîtrises capitulaires mériterait une étude approfondie sur une large échelle. On y découvrirait peut-être que, lorsque le maître est très jeune, la gestion financière est confiée à un chanoine. Voir à ce propos l’excellente synthèse de François Caillou et Christophe Maillard, « Musique et musiciens d’Église à la cathédrale Notre-Dame de Paris autour de 1790 », dans MUSÉFREM, http://philidor.cmbv.fr/ musefrem/notre-dame-de-paris, consultée le 23 avril 2019. L’affaire est détaillée dans Jean Mongrédien, Jean-François Le Sueur. Contribution à l’étude d’un demi-siècle de musique française (1760-1830), Berne, Peter Lang, 1980, vol. 1, p. 52-69. Voir aussi Lesueur, Jean-François (17601837), dans MUSÉFREM, https://philidor.cmbv.fr/ark:/13681/1hdkx5xyrvgnzebqi6j6/not-444922, consultée le 23 avril 2019. XVIIIe

13. 14. 15.

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musique à la pointe de la mode : à Paris, avant la tempête, le chanoine Pierre-Louis de Mondran se réjouissait de recruter Le Sueur, « jeune artiste, formé dans le nouveau genre, sans manquer au ton noble que l’Église réclame » 16. Enfin, il ne faut pas négliger l’idée que si un musicien est blanchi sous le harnois, c’est peut-être parce qu’il n’a pas les qualités (ou l’ambition) requises pour être maître. Ainsi, à la cathédrale de Nîmes, François Vidalenche assume les intérims lors des absences de Gauzargues, puis entre la démission de ce dernier et le recrutement de Pascal Boyer. Le chapitre lui demande d’« avoir soin de la maîtrise et faire exécuter la musique »17, jamais il n’est question de lui en confier la direction, bien qu’il semble compétent. Pour tenter une analyse plus fine, on nous permettra un léger écart avec le cas d’un maître quasi débutant. Après moins de deux ans passés à la tête de la maîtrise cathédrale de Dijon (décembre 1768-octobre 1770), Jean Biderman, prêtre, devient vers la fin de 1771 maître à la cathédrale de Nevers. En 1773, il y est victime des attaques d’André Rouen, musicien à la cathédrale et lieutenant du Roi des violons en Nivernais, qui l’accuse d’être « ignorant [des] lois musicales » et finit par obtenir son éviction pour occuper sa place dès janvier 1774 18. Quelles peuvent être les interprétations de cette triste affaire ? Si Biderman semble n’avoir bénéficié d’aucun soutien, c’est peut-être qu’il est considéré par les musiciens du rang comme un personnage sans envergure, parce qu’il n’a pas accédé au poste dans sa jeunesse (il est déjà trentenaire à ses débuts) : on peut imaginer qu’un musicien âgé respecte un maître jeune, parce qu’il lui reconnaît des capacités musicales supérieures. Une autre explication, plus vraisemblable, est que Biderman n’a pas l’autorité naturelle nécessaire à cette charge. Néanmoins, l’imbrication de ce cas dans la querelle autour de la ménestrandise peut enfin inviter à une lecture totalement différente, indépendante des capacités musicales réelles de Biderman. Cette courte période constitue du reste l’unique parenthèse musicale dans la carrière tout ecclésiastique (et bourguignonne) de Biderman 19. Si on se penche sur les cas des maîtres reçus tardivement dans leurs fonctions, on rencontre nombre de cas particuliers, dont plusieurs semblent assurer un intérim ou cumuler plusieurs fonctions musicales. Ainsi, Jean-Baptiste Laroche occupe pendant moins d’un mois le poste de maître de musique de la collégiale Saint-Pierre d’Avignon, en 1771, à l’âge de quarante-cinq ans, alors qu’il émarge toujours parmi les choristes de la cathédrale 20. La situation aurait tout d’un intérim, s’il n’arborait pas le titre de 16. 17. 18.

19. 20.

Mongrédien, op. cit., p. 51. AD Gard, G 1354, délibération capitulaire du 20 décembre 1757. Cette querelle nivernaise s’inscrit dans le conflit entre les ménétriers, menés par le roi des violons, et les musiciens d’Église, en particulier les organistes. Elle est évoquée à titre d’exemple dans L’État actuel de la musique du Roi et des trois spectacles de Paris, Paris, Vente, 1774, p. 20. Sur André Rouen : Rouen, André (17231787 av.), dans MUSÉFREM, https://philidor.cmbv.fr/ark:/13681/1hdkx5xyrvgnzebqi6j6/not-434415, consultée le 23 avril 2019. Biderman, Jean (ca 1740-1776), dans MUSÉFREM, https://philidor.cmbv.fr/ark:/13681/1hdkx5xyrvgnzebqi6j6/ not-48586, consultée le 23 avril 2019. Laroche, Jean-Baptiste (1726-1815), dans MUSÉFREM, https://philidor.cmbv.fr/ark:/13681/1hdkx5xyrvgnzebqi6j6/ not-443646, consultée le 23 avril 2019.

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maître… Jean Savary présente une situation similaire à Saint-Seurin de Bordeaux dont il dirige la psallette du 28 mai 1781 au 28 janvier 1782, à l’âge de soixante-cinq ans 21. Le joueur de basse Jacques Boirac, dit Cupidon, semble plus solidement installé à la maîtrise de la cathédrale de Montpellier, dont il prend la direction à cinquantetrois ans, en 1788 22. Toujours en poste en 1790, aurait-il réellement fait souche si les chapitres avaient continué à vivre et à entretenir leurs corps de musique ? Plusieurs maîtres âgés ajoutent tout bonnement cette charge à leur fonction précédente qu’ils continuent d’exercer en parallèle. Ainsi, c’est vers l’âge de soixantedeux ans que Bernard Begué devient organiste et maître de musique à Saint-Bertrandde-Comminges 23. Comme lui, Claude Methon cumule les deux fonctions durant treize ans à la cathédrale de Viviers 24. Marc-Antoine Lapierre, organiste dès l’âge de dixhuit ans à la cathédrale de Cavaillon, se voit confier en sus la charge de maître de musique vingt-quatre ans plus tard 25. Ce type de cumul, malgré la distance entre la tribune d’orgue et le chœur, suffit à témoigner de la rareté des usages de la musique (autre que le plain-chant) en ces lieux. Quant à Jean-Joseph Richaud, reçu maître de musique du chapitre de Forcalquier à quarante-six ans, il doit également y jouer du serpent, tout en faisant office de diacre à la messe 26… Cette situation, plus encore que les précédentes, pose la question du rôle quotidien exact et réel du maître de musique, en particulier dans des structures musicales de petite taille 27. L’âge des nouveaux maîtres doit cependant être étudié au prisme des fonctions précédemment exercées, lorsqu’elles sont connues. JEUNES PRODIGES ET MUSICIENS BESOGNEUX : LES ORIGINES DES MAÎTRES DÉBUTANTS Les enfants de chœur, en fait des jeunes gens de dix-sept à dix-huit ans, ayant donc perdu leur voix puérile, mais continuant à être comptés parmi les enfants de la psallette, ne constituent qu’un quart du corpus (voir GRAPHIQUE 3). Largement surpassés par les musiciens du rang (50 %) et suivis par les organistes (12 %).

21. 22. 23. 24. 25. 26. 27.

Savary, Jean (1716-1796), dans MUSÉFREM, https://philidor.cmbv.fr/ark:/13681/1hdkx5xyrvgnzebqi6j6/not434254, consultée le 23 avril 2019. Boirac dit Cupidon, Jacques (1735-1792 ap.), dans MUSÉFREM, https://philidor.cmbv.fr/ark:/13681/1hdkx5xyrvgnzebqi6j6/not-432649, consultée le 23 avril 2019. Begué, Bernard (ca 1702-1782), dans MUSÉFREM, https://philidor.cmbv.fr/ark:/13681/1hdkx5xyrvgnzebqi6j6/not490878, consultée le 23 avril 2019. AD Ardèche, L 725, recherche de Damien Marcon pour MUSÉFREM. Lapierre, Marc Antoine (1741-1808), dans MUSÉFREM, https://philidor.cmbv.fr/ark:/13681/1hdkx5xyrvgnzebqi6j6/ not-492006, consultée le 23 avril 2019. Richaud, Jean Joseph (1740-1819), dans MUSÉFREM, https://philidor.cmbv.fr/ark:/13681/1hdkx5xyrvgnzebqi6j6/ not-453988, consultée le 23 avril 2019. À Forcalquier, on compte neuf bénéficiers et trois enfants de chœur : Sylvie Granger, « Musiques et musiciens d’Église dans le département des Alpes-de-Haute-Provence (ex département des Basses-Alpes) autour de 1790 », dans MUSÉFREM, http://philidor.cmbv.fr/musefrem/alpes-de-haute-provence, consultée le 23 avril 2019.

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Graphique 3 : Les fonctions précédant le premier poste de maître de musique (échantillon de 130 individus)

Parmi les quelques autres, on rencontre deux professeurs de musique et cinq non musiciens : un collégien et un étudiant en philosophie qui furent sans doute naguère des enfants de chœur, un professeur de théologie, un sacristain et un maître de grammaire des enfants de chœur de la maîtrise cathédrale de Bordeaux. Ce dernier, qui n’est autre que Nicolas-Vincent Levens, supplée en réalité son père Charles, maître de musique. Ce premier constat détruit donc l’idée selon laquelle les nouveaux maîtres sont en majorité frais émoulus des psallettes qui les ont formés. La plupart exercent quelque temps comme musiciens d’Église avant de signer le premier contrat de maîtrise. C’était sans doute le cas de Nicolon avant d’être reçu à Senlis. Le fait est avéré pour Nicolas-Amon Ancel qui chante la haute-contre à Langres lorsqu’il est recruté à vingt-trois ans à la cathédrale de Châlons [en Champagne], sur recommandation du maître de musique de Notre-Dame de Paris 28. Dans ce domaine, il est intéressant de distinguer les situations des cathédrales et des collégiales. Sur soixante-deux maîtres de musique de cathédrales repérés, la moitié sont précédemment musiciens (dont une dizaine pour lesquels il est précisé choriste, serpent, taille, haute-contre, etc.), dix sont organistes (dont Bertin qui, à Saint-Pierrela-Cour, au Mans, est aussi chargé d’instruire les enfants de la psallette 29) et vingt et un (soit un tiers) sont des enfants de chœur. Parmi ces derniers, certains sont sortis depuis peu et occupent parfois des places qui leur sont réservées. À la cathédrale de Nîmes, le premier enfant est presque immanquablement nommé massier à sa sortie30, ailleurs ils obtiennent une bourse pour étudier au collège ou secondent le maître de

28. 29. 30.

AD Marne, G 725, délibérations capitulaires de la cathédrale de Châlons, 27 avril, 30 mai, 6 et 18 juin 1768, recherches de Françoise Noblat pour MUSÉFREM. Le maître parisien est alors Denis Demongeot. Bertin, Pierre (1759-1824), dans MUSÉFREM, https://philidor.cmbv.fr/ark:/13681/1hdkx5xyrvgnzebqi6j6/not434628, consultée le 23 avril 2019. AD Gard, G 1354, délibération capitulaire du 29 octobre 1755, François Soullier, premier enfant de chœur, est reçu massier « pour avoir servi le temps ordinaire ». Il garde la place jusqu’au 31 octobre 1757, lorsqu’il est reçu au bas chœur.

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musique 31. Ailleurs encore, leur situation est moins nette, mais l’espoir de continuer à servir transparaît dans leur dénomination, comme à Brioude, où les anciens enfants de chœur sont nommés « expectants »32, ou à Beauvais, où ils sont « nourris »33. Au sein des collégiales, les enfants de chœur s’effacent très largement devant les musiciens confirmés regroupés derrière le large éventail des appellations diverses (choriste, chorial, chantre, clerc, psalteur, heurier matinier). Sur quarante-six maîtres, huit seulement (17 %) sont enfants de chœur. Six sont organistes, ce qui est une proportion comparable à celle des cathédrales. Les musiciens s’imposent donc avec près de 70 % des postes. Les cathédrales semblent donc plus enclines à placer des enfants de chœur à la tête de leurs maîtrises que les collégiales. Pour tenter de comprendre cette situation apparemment paradoxale, il faut analyser les lieux d’origine. Tout d’abord, à part Gilles Bellanger à Beauvais 34, aucun n’est recruté dans son lieu de formation – ce qui ne signifie pas que, plus tard, aucun n’y revienne. Tous sont issus des grandes cathédrales richement dotées du Nord du royaume (Amiens, Cambrai, Noyon) ou d’une des trois maîtrises parisiennes les plus renommées : Notre-Dame, la Sainte Chapelle et les Saints-Innocents (cette dernière fournit de jeunes maîtres aux cathédrales de Poitiers, Tours et Évreux). Quatre sont « spé » à Notre-Dame de Paris, parfois jusqu’à un âge étonnamment avancé. Ainsi, Antoine Goulet est encore à la maîtrise métropolitaine de Paris, à vingt-deux ans, lorsqu’il prend la direction de celle de Verdun en 1736 35. Vingt ans plus tard, François Giroust s’empare à dix-huit ans de celle d’Orléans36, Dominique Leuder est âgé de dix-sept ans lorsqu’il décroche la direction de la maîtrise d’Amiens, en 1770 37, et Jean-Louis Fasquel vingt ans lorsqu’il est reçu à Sées en 1788 38. On le voit, la formation est reconnue au point de permettre à des jouvenceaux de lancer leur carrière en prenant la tête de phalanges musicales prestigieuses. En fait, le rôle des maîtres formateurs qui placent leurs élèves sous couvert de conseils donnés – nous avons rencontré François-Robert Doriot dans ce rôle – est primordial. Il explique sans doute que les collégiales, surtout les plus modestes, ne participent pas

31. 32. 33. 34. 35. 36. 37. 38.

C’est le cas, hors du royaume, à Liège, où on distingue les duodeni seniori qui font des études puis reviennent comme joueurs d’instruments et les duodeni mutati qui assistent le maître de chant (le terme duodeni désigne les enfants de chœur). Information orale d’Émilie Corswarem. Voir aussi son article, p. 89-102. Information orale de Françoise Talvard. AD Oise, G 2471 à 2472, registres capitulaires de la cathédrale de Beauvais, 1747-1759, recherches de François Caillou pour MUSÉFREM. Ibid., recherches de François Caillou pour MUSÉFREM. Goulet, Antoine (1714-1782), dans MUSÉFREM, https://philidor.cmbv.fr/ark:/13681/1hdkx5xyrvgnzebqi6j6/not457010, consultée le 23 avril 2019. AD Loiret, 51 J 2, Materiaux receüillis Pour un Coutûmier du chapître de l’Eglise d’Orleans. 1779. à L’usage du Tresors [sic], recherche de François Turellier pour MUSÉFREM. ; AN, LL 23227, registre capitulaire de Notre-Dame de Paris, 1756, recherche de Christophe Maillard pour MUSÉFREM. Georges Durand, « La Musique de la cathédrale d’Amiens avant la Révolution », Bulletin de la Société des Antiquaires de Picardie, 1922, 1er trimestre, p. 443 ; recherches de François Caillou pour MUSÉFREM. Fasquel, Jean Louis (1768-1828), dans MUSÉFREM, https://philidor.cmbv.fr/ark:/13681/1hdkx5xyrvgnzebqi6j6/ not-455882, consultée le 23 avril 2019.

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au recrutement des jeunes espoirs de la musique d’Église. Elles ne disposent probablement pas des réseaux tissés entre les maîtrises de cathédrales. Cette situation peut expliquer également l’importance, pour le recrutement des maîtres débutants, de la proximité, particulièrement nette pour les collégiales. Ainsi, par exemple, François Pichon, jeune maître de Saint-Pierre-la-Cour au Mans, a reçu sa formation à la cathédrale Saint-Julien de la même ville 39. À Vannes, Mathurin Phélippeaux, grand enfant de chœur, annonce au chapitre qu’il est « demandé maître de musique à Guérande »40. En outre, si la formation des enfants de chœur reçus maîtres dans une cathédrale est exogène, ce n’est pas aussi marqué pour les musiciens recrutés à ces mêmes fonctions. Ainsi, trente-huit maîtres (près d’un tiers) débutent dans leur ville de formation, mais pas nécessairement dans l’église qui a accueilli leur apprentissage musical. Il ne s’agit pas uniquement de maîtres nommés juste après la fin de leur formation : vingt-deux de ces maîtres sont en poste dans une cathédrale et nous avons vu qu’un seul (Bellanger) a pris la tête de la maîtrise dont il venait de sortir, ce qui atteste le maintien de contacts, malgré un éloignement temporaire, justifié par le perfectionnement des connaissances ou, plus souvent, pour servir comme musicien. En effet, si les carrières sédentaires existent, nombre de musiciens d’Église changent plusieurs fois de poste au cours de leur carrière, certains se livrant à des itinérances importantes qui leur font traverser le royaume de part en part 41. Les jeunes maîtres de musique ne sont pas en reste et partent chercher fortune ailleurs parfois peu de temps après leur recrutement. LES SUITES DE CARRIÈRE La base MUSÉFREM, en particulier grâce aux reconstitutions de carrières qui accompagnent les suppliques de 1790, permet de connaître avec une précision variable le poste qui suit immédiatement le premier poste de maître de musique de soixantedouze individus (voir GRAPHIQUE 4)42. Sans surprise, quarante et un d’entre eux (soit 57 %) se portent candidats avec succès pour exercer les mêmes fonctions dans une autre maîtrise. La plupart sont restés un à six ans dans leur premier poste : celui-ci apparaît ainsi clairement comme un marchepied pour une carrière qui vole de clocher en clocher vers des églises toujours plus prestigieuses ou plus rémunératrices.

39. 40. 41.

42.

Pichon, François (1741-1836), dans MUSÉFREM, https://philidor.cmbv.fr/ark:/13681/1hdkx5xyrvgnzebqi6j6/not432537, consultée le 23 avril 2019. AD Morbihan, 47 G 6, délibération capitulaire du 16 décembre 1740, recherche d’Olivier Charles pour MUSÉFREM. Sylvie Granger, « Tours et détours des musiciens d’Église dans la France du Centre-Ouest aux XVIIe et XVIIIe siècles », Maîtrises et chapelles aux XVII e et XVIII e siècles. Des institutions musicales au service de Dieu, éd. Bernard Dompnier, Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise Pascal, 2003, p. 291-314 ; Groupe de prosopographie des musiciens, « Les musiciens d’Église en 1790. Premier état d’une enquête sur un groupe professionnel », Annales historiques de la Révolution française, 340 (avril-juin 2005), p. 57-82. La Révolution a mis un terme prématuré à des carrières débutées à la fin de l’Ancien Régime.

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Graphique 4 : Les suites de carrière, après le premier poste de maître de musique (échantillon de 72 individus)

À cet égard, il faudrait étudier de près l’évolution des conditions offertes pour attirer les meilleurs maîtres de musique, ce qui est très complexe puisque le salaire n’est pas la seule donnée à prendre en compte : il faut connaître en particulier les conditions de logement, la charge de travail (avec ou sans l’enseignement de la grammaire aux enfants de chœur, par exemple). À ce premier groupe, on peut ajouter Jean-François Le Sueur, quittant Sées après six mois pour prendre aux Saints-Innocents de Paris un poste de sous-maître qui lui ouvre les portes de la maîtrise de la cathédrale de Dijon l’année suivante. Quatre autres maîtres se hissent à un canonicat – on a intégré Berton, « prêtre au chapitre » cathédral de Poitiers dont il a été le maître durant vingt-six ans, malgré l’ambiguïté de son statut 43 –, généralement là où ils ont exercé. Contrairement au groupe précédent, plutôt jeune, celui-ci est constitué de quadragénaires qui voient ainsi leur stabilité et leur fidélité récompensées. Ainsi, Philippe Fabre devient chanoine hebdomadier à Saint-Flour, où il a exercé la maîtrise pendant environ trois décennies, sans compter les années passées comme musicien du bas chœur ou comme enfant de chœur 44. Thomas-Claude Roulleau reçoit un canonicat en la collégiale Saint-Michel de Beauvais après treize ans de service comme maître à la cathédrale 45. Après dixhuit ans à la cathédrale du Mans, François Lassus siège à la collégiale de Saint-Martin de Trôo 46. Les maîtres devenus chanoines sont certes plus nombreux 47, mais ces quatre hommes présentent la particularité d’avoir assumé la direction d’une seule maîtrise.

43. 44. 45. 46. 47.

Si Berton n’est pas chanoine, il obtient néanmoins la jouissance d’une maison canoniale, conjointement avec son beau-frère. Berton, Thomas-Claude-Ferdinand (1737-1803), dans MUSÉFREM, http://philidor.cmbv.fr/ ark:/13681/1hdkx5xyrvgnzebqi6j6/not-434468, consultée le 23 avril 2019. Fabre, Philippe (ca 1724-1805), dans MUSÉFREM, https://philidor.cmbv.fr/ark:/13681/1hdkx5xyrvgnzebqi6j6/not495365, consultée le 23 avril 2019. Roulleau, Thomas-Claude (ca 1705-1789), dans MUSÉFREM, https://philidor.cmbv.fr/ark:/13681/1hdkx5xyrvgnzebqi6j6/not-494139, consultée le 23 avril 2019. Décès à Trôo en 1766. Lassus, François (ca 1706-1766), dans MUSÉFREM, https://philidor.cmbv.fr/ark:/13681/ 1hdkx5xyrvgnzebqi6j6/not-523764, consultée le 23 avril 2019. L’un des plus fameux est Pollio, qui offre ses manuscrits musicaux au chapitre collégial de Soignies, après y

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Le troisième groupe, enfin, est probablement le plus inattendu, puisqu’il est composé de maîtres de musique qui, au-delà de leur premier poste, se sont fondus dans les rangs des musiciens d’Église – les trois organistes constituent un cas un peu à part, dans la mesure où ils reprennent parfois plus tard la direction d’une maîtrise, comme Simon-Michel Daguet-Girardin à Saint-Flour, ou parce que la direction d’une psallette semble une étape obligée pour un enfant de chœur doué, comme JeanPhilippe Rameau, sans réelle volonté d’y faire carrière. Ce groupe est loin d’être négligeable : il représente près d’un tiers des maîtres débutants. Trois explications de ce qui apparaît comme une rétrogradation sont possibles. La première est l’incompétence, constatée rapidement, qui oblige le jeune homme à regagner le rang. Il faut bien constater qu’elle n’apparaît jamais dans les sources, mais aucun musicien n’a intérêt à la faire connaître lorsqu’il déroule sa carrière en 1790… Le seul indice repéré concerne Julien Mellier, dont les capacités sont mises en doute à la cathédrale d’Évreux qui attend tout de même près de trois ans avant de le renvoyer. Le jeune homme retrouve néanmoins une éphémère place de maître, à la cathédrale de Troyes, grâce à l’appui de Le Sueur 48. L’incompétence n’a rien à voir dans l’éviction de Vincent-François Marre, à la collégiale du Mans, en août 1770 : poussé à la démission pour laisser la place à François Pichon qu’il avait lui-même remplacé en octobre 1768, il accède sans peine à la maîtrise cathédrale de Nantes, où il demeure jusqu’en 1790, preuve de ses capacités à assumer la charge 49. Une santé chancelante constitue la deuxième explication. À Entrevaux, Paul Fabre l’avance pour se démettre de sa charge de maître, après treize ans d’exercice, tout en continuant de servir comme musicien 50. Enfin, des intérêts financiers ou le dégoût d’une place astreignante sont aussi des raisons possibles. Certains chanteurs sont en effet mieux payés que le maître de musique 51. Peut-être est-ce la raison qui pousse Guillaume Berard à revenir à la collégiale de Tarascon pour servir comme musicien après avoir officié quatre ans à la tête de la maîtrise cathédrale d’Orange 52. Comme les maîtres en quête de gloire, la plupart des membres de ce groupe sont restés peu de temps à leur poste de maître de musique : la durée médiane est de deux ans et demi, la moyenne de quatre ans et trois mois, trois individus sont même restés moins d’une année. Seul le cas de René Lemercier est atypique. Après neuf

48. 49. 50. 51. 52.

avoir été reçu chanoine en 1784. Voir Pollio, Pierre-Louis-Marie (1724-1796), dans MUSÉFREM, https://philidor. cmbv.fr/ark:/13681/1hdkx5xyrvgnzebqi6j6/not-486385, consultée le 23 avril 2019. Voir également dans ce volume l’article de Jean Duron, p. 263-280. Arthur-Émile Prévost, Histoire de la maîtrise de la cathédrale de Troyes, Troyes, P. Nouel, 1906, p. 56-57 ; reprint Minkoff, Genève, 1972. Marre, Vincent-François (1744-1817), dans MUSÉFREM, https://philidor.cmbv.fr/ark:/13681/1hdkx5xyrvgnzeb qi6j6/not-436732, consultée le 23 avril 2019. Fabre, Paul (1740-1805 ap.), dans MUSÉFREM, https://philidor.cmbv.fr/ark:/13681/1hdkx5xyrvgnzebqi6j6/not453891, consultée le 23 avril 2019. Marc Signorile, « Les maîtres de chapelle du chapitre cathédral de Saint-Trophime d’Arles aux XVIIe et XVIIIe siècles », “Recherches” sur la musique française classique, XXVII (1991-1992), p. 49. AD Bouches-du-Rhône, 16 G 5, délibération capitulaire du 2 janvier 1747.

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années à la tête de la musique de la cathédrale du Mans, sans reproche apparent, il est écarté pour laisser la place à Jean-François Le Sueur, retrouvant la place de serpent qu’il occupait avant d’être hissé à la maîtrise 53. Sans doute n’était-il pas suffisamment brillant au goût des chanoines. Quelle que soit la suite donnée à la carrière, la durée passée dans le premier poste de maître est généralement assez courte 54. Pour soixante-six individus, la durée moyenne est de six ans et quatre mois, mais la médiane, plus parlante, est de trois ans seulement, indice clair du caractère transitoire du premier poste de maître, début de carrière prometteur pour certains, essai non transformé pour d’autres. CONCLUSION Au terme de cette étude, il apparaît donc que le premier poste de maître de musique d’Église est généralement obtenu par des jeunes gens, ce que les exemples célèbres laissaient prévoir. En revanche, les garçons à peine sortis de la maîtrise qui les a formés ne sont pas majoritaires. Dans un poste à responsabilité, si la jeunesse n’est pas un frein, une expérience complémentaire comme musicien du rang est bienvenue. Certes, le jeu des recommandations de maîtres reconnus, souvent parisiens, sollicités par des chapitres qui peinent à trouver la perle rare, vient fausser ce premier constat, mais c’est de façon somme toute assez marginale. Les maîtres parisiens placent quelques « grands enfants », mais ils soutiennent le plus souvent des musiciens déjà en place, chanteurs ou instrumentistes dans une psallette de cathédrale, qui furent de jeunes choristes et disciples prometteurs et sont désormais des musiciens aguerris, après s’être frottés au quotidien d’une autre église que celle de leurs années de formation. Pourtant, ces soutiens sont parfois injustifiés, confrontant les chapitres à des maîtres incapables de répondre à leurs attentes, qu’il faut pousser vers la sortie de manière suffisamment habile pour ne pas paraître remettre en question le recrutement, censé avoir été mené dans les règles de l’art et avec les précautions d’usage. C’est particulièrement le cas des sélections sans concours de composition préalable. Ces ratés peuvent en partie expliquer qu’un tiers des jeunes maîtres de musique regagnent les rangs moins en vue des musiciens, après une expérience unique de direction. Il ne faut toutefois pas négliger d’autres raisons qui semblent indiquer que les postes de maître de musique d’Église ne sont pas toujours les plus enviables, ni même les mieux rémunérés. Peutêtre certains jeunes ambitieux se sont-ils trouvés confrontés à une réalité qu’ils n’imaginaient pas et qui, il faut l’avouer, nous demeure encore partiellement inconnue.

53. 54.

Lemercier, René (1745-1806), dans MUSÉFREM, https://philidor.cmbv.fr/ark:/13681/1hdkx5xyrvgnzebqi6j6/not454944, consultée le 23 avril 2019. Les carrières interrompues en 1790 n’ont évidemment pas été prises en compte.

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MAESTRI DI CAPPELLA E LA LORO ATTIVITÀ SVOLTA NEI SECOLI XVII E XVIII IN ALCUNE ISTITUZIONI MUSICALI DELLA SICILIA ORIENTALE: ACIREALE, CALTAGIRONE, NOTO E PIAZZA ARMERINA Nicolò MACCAVINO

PREMESSA Ricerche promosse ed effettuate presso biblioteche e archivi di quattro importanti città della Sicilia centro-orientale (Acireale, Caltagirone, Piazza Armerina e Noto) in un arco storico che va dal Seicento all’intero XVIII secolo, hanno permesso di documentare la vivace e interessante attività delle rispettive cappelle musicali, unitamente al ritrovamento di diversi manoscritti musicali e di numerose stampe di libretti. Mentre fra i manoscritti figurano unica di musicisti del calibro di Rincon d’Astorga,1 David Perez 2 e Niccolò Jommelli,3 a cui bisogna aggiungere le composizioni di musicisti locali e non che occuparono incarichi di prestigio in ambito isolano (quali, ad esempio, Alfio Platania senior e junior e Paolo Altieri),4 molti dei libretti a stampa rinvenuti – si tratta in maggioranza di testi di forme oratoriali – non figurano nel Catalogo del Sartori.5 L’idea di concentrare tale indagine nelle istituzioni musicali delle quattro città sopra indicate, è nata dal fatto che, molto spesso, le vicende artistico-biografiche di singoli musicisti (maestri di cappella in particolare) a volte molto frammentarie, sono state ricostruite – veri e propri puzzle – parallelamente alle storie delle singole cappelle, dove, ricoprendo diversi incarichi, sono attivi durante l’epoca presa in considerazione. I risultati, oltre ad evidenziare rapporti tutt’altro che superficiali tra le quattro istituzioni, 1. 2. 3. 4. 5.

Nicolò Maccavino, “Una sconosciuta composizione sacra di Emanuel Rincon D’Astorga: Ave Maris Stella”, Studi musicali, XXVII/1, 1998, p. 89-122. David Perez, Salmi brevi di Vespro, a cura di Nicolò Maccavino con una introduzione di Mauricio Dottori, Palermo, Mnemes, 2003. Nicolò Maccavino, “Un oratorio di Niccolò Jommelli di dubbia attribuzione presso il fondo musicale della cattedrale di Piazza Armerina”, L’Oratorio musicale nel Regno di Napoli al tempo di Gaetano Veneziano (1656ca.1716), a cura di Antonio Dell’Olio, Napoli, I Figlioli di Santa Maria di Loreto, 2016, p. 93-120. Nicolò Maccavino, “Alfio Platania musicista siciliano del XVIII secolo”, in Alfio Platania, Il ritorno di Zorobabelle in Gerusalemme, Dialogo a quattro Voci con Strumenti, a cura di Nicolò Maccavino, Palermo, Alfieri e Ranieri Publishing, 1997, p. VII-XXXV. Claudio Sartori, I libretti italiani a stampa dalle origini al 1800, Cuneo, Bertola & Locatelli, 1990-1994.

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confermati dai continui scambi di cantanti e strumentisti, permettono di poter delineare – grazie al rinvenimento di interessanti documenti archivistici notarili e amministrativi – un quadro abbastanza chiaro relativamente alle origini sociali dei maestri di cappella, dei cantanti e degli strumentisti che di volta in volta vi operarono; come pure trarre informazioni sulla loro provenienza, sulle modalità di reclutamento, sugli spostamenti da una città all’altra, sulle compiti che erano obbligati a svolgere, non trascurando, infine, tutte quelle notizie riguardanti i repertori (religiosi e civili) coltivati e praticati nelle varie istituzioni con cui tali musicisti intessevano rapporti di lavoro. Acireale, Caltagirone, Noto e Piazza Armerina sono quattro splendide cittadine della Sicilia centro-orientale, assai ricche e potenti nei secoli passati. Pur nella loro diversità, esse erano accomunate dal fatto di essere città demaniali e, dunque, non sottomesse ad alcun feudatario. Ciò permetteva loro di avere a disposizione ingenti capitali che, amministrati direttamente dalla influente aristocrazia del luogo, garantiva una certa indipendenza dalla Corte viceregia per cui importanti somme di danaro potevano essere destinate alla realizzazione sia di opere d’arte che impreziosivano le chiese i palazzi e le piazze delle rispettive città (opere che ancora oggi possiamo ammirare), come pure all’allestimento di grandiose feste in occasioni delle principali ricorrenze religiose e civili, dove la componente musicale era di assoluto rilievo.6 La musica, in particolar modo quella sacra, con gli effetti stereofonici della policoralità tanto apprezzati dai siciliani sin dalla fine del XVI secolo, 7 trovava la sua apoteosi nella festa, che compendiava in sé l’idea barocca della musica: 8 essa rifletteva compiutamente le idee di grandiosità e spettacolarità ed era, nel contempo, il riverbero terreno del divino (in quanto armonia delle sfere celesti) e il simbolo e lo strumento del potere del sovrano che mette in scena la propria forza.9 Nella festa (sacra e profana) quella parte di società che nel Seicento e poi nel Settecento deteneva il potere, coglieva l’occasione per autorappresentarsi (e immaginarsi) attraverso la rigida organizzazione dei vari momenti celebrativi (processioni, cavalcate, cortei), esaltata sempre da un denso alternarsi di esecuzioni musicali, il cui acme (in Sicilia) si raggiungeva durante i festeggiamenti dedicati ai santi patroni durante i quali si ascoltavano

6. 7. 8.

9.

Giacomo Pace, “Note sui rapporti tra l’Universitas di Caltagirone e la sua cappella musicale”, Musica sacra in Sicilia tra rinascimento e barocco, a cura di Daniele Ficola, Palermo, Flaccovio, 1988, p. 87-90. Cfr. i saggi contenuti nel Musica sacra in Sicilia…, op. cit. Giovanni Isgrò, Festa, teatro rito nella storia di Sicilia, Palermo, Cavallotto, 1981; id., Feste barocche a Palermo, Palermo, Flaccovio Editore, 1986; Giuseppe Collisani, “Occasioni di musica nella Palermo Barocca”, Musica ed attività musicali in Sicilia nei secoli XVII e XVIII, a cura di G. Collisani e Daniele Ficola, (I Quaderni del Conservatorio V. Bellini di Palermo), I (1988), p. 37-73; Anna Tedesco, Il Teatro Santa Cecilia e il Seicento musicale palermitano, Palermo, Flaccovio Editore, 1992, p. 22-25; ead., “La Serenata a Palermo alla fine del Seicento e il Duca di Uceda”, La Serenata tra Seicento e Settecento: musica, poesia, scenotecnica, a cura di Nicolò Maccavino, Reggio Calabria, Laruffa Editore, 2007, II, p. 547-598. Gino Stefani, Musica e religione nell’Italia barocca, Palermo, Flaccovio Editore, 1975; José Antonio Maravall, La cultura del Barocco. Analisi di una struttura storica, Bologna, Il Mulino, 1985, in particolare le p. 373-407; Antonio Dell’Olio, Drammi sacri e oratori musicali in Puglia nei secoli XVII e XVIII, Galatino (Lecce), Congedo Ed., 2013, p. 23-25.

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inni, messe, mottetti e salmi che si alternavano all’esecuzione di oratori e alla mise en scène di opere in musica.10 Gli amministratori del tempo consapevoli di “quel decoro et honoranze che apporta seco un concerto di bona musica e cappella”11 a partire dagli inizi del Seicento cominciarono a destinare importanti somme di danaro per l’istituzione e il mantenimento in loco di Cappelle musicali con cui far fronte alle numerose esecuzioni musicali previste nel corso dell’anno. L’importanza di simili istituzioni e del fondamentale ‘servizio’ da loro effettuato in seno alla società era tale che perfino nei momenti più difficili se ne garantiva il funzionamento. Emblematiche, a tal proposito, furono le decisioni assunte dagli amministratori di Caltagirone e Acireale, i quali, subito dopo il terribile cataclisma che nel gennaio 1693 aveva duramente colpito entrambe le città (e tutto il Val di Noto), dopo l’iniziale sgomento, pensarono bene di tenere in servizio i membri delle rispettive cappelle o di riassumerli subito dopo, ridimensionandone i salari, tuttavia permettendo loro di svolgere il proprio servizio con regolarità.12 A Caltagirone, in particolare, dove la violenza del sisma fu tale che – come scrisse Pietro Paola Aliotta – le colonne del chiostro della chiesa di San Francesco d’Assisi “traballavano a traverso, come li saltamartini del ciambalo”,13 nel maggio dello stesso anno, essendo stata gravemente danneggiata la chiesa dedicata al Patrono della città, San Giacomo, proprio vicino al tempio distrutto e per ordine di Mons. Francesco Fortezza vescovo di Siracusa, fu fatta costruire una

10.

11. 12.

13.

Luciano Buono, “Forme oratoriali in Sicilia nel Secondo Seicento: il dialogo”, L’Oratorio musicale italiano e i suoi contesti (secc. XVII-XVIII), a cura di Paola Besutti, Firenze, Olschki, 2002, p. 115-139; id., “Sviluppo e diffusione dell’oratorio in Sicilia tra Sei e Settecento”, Dramma scolastico ed oratorio nell’età barocca, a cura di Nicolò Maccavino, Reggio Calabria, Edizioni del Conservatorio di Musica “F. Cilea”, 2019, p. 330-357; Anna Tedesco, “Alcune note su oratori e dialoghi a Palermo e in Sicilia”, Tra Scilla e Cariddi. Le rotte mediterranee della musica sacra tra Cinque e Seicento, vol. I, a cura di Nicolò Maccavino e Gaetano Pitarresi, Reggio Calabria, Edizione del Conservatorio di Musica “F. Cilea”, 2003, p. 203-256; Nicolò Maccavino, “‘Il Diluvio Universale’, dialogo a cinque voci e cinque strumenti di Michelangelo Falvetti”, Tra Scilla e Cariddi…, op. cit., p. 257-296; id., “Forme oratoriali a Caltagirone nel XVIII secolo”, Studi musicali, nuova serie, VI/2 (2015), p. 283-477; id., Il Teatro d’opera a Caltagirone dalla fine del Seicento al primo Novecento, Roma, Ismez, 2012, p. 5-61. Archivio di Stato di Catania sezione di Caltagirone (in sigla ASCg), Ordini, vol. I, c. 288, 20 maggio 1627. Mentre per la cappella musicale acese si può registrare una drastica riduzione dell’organico soprattutto nel settore dei cantanti (cfr. Salvatore Fresta, Musica Sacra ad Acireale tra i secoli XVII e XVIII: la cappella musicale del duomo e le sacre rappresentazioni, Tesi di Diploma di Primo Livello, Istituto Musicale Vincenzo Bellini di Catania, A.A. 2007-2008, p. 12), per quanto riguarda l’istituzione caltagironese i musici, che furono “licentiati” l’11 gennaio “nel qual giorno occorsero le rovine del terremoto” (ASCg., Discarichi, vol. 16, c. 138 n. 251), appena due mesi dopo riottennero l’incarico, sebbene con un salario più che dimezzato; cfr. Luciano Buono, “I Musici della cappella musicale di Caltagirone nel secolo XVII”, Il Canto dell’Aquila, a cura di Luciano Buono, Caltagirone, C.P.E.D., 1990, p. 11-29 (12); Nicolò Maccavino, “La Cappella musicale di Caltagirone dalla fine del XVII ai primi del XIX secolo”, Ceciliana per Nino Pirrotta, a cura di Maria Antonella Balsano e Giuseppe Collisani, Palermo, Flaccovio Editore, 1994, p. 133-144: 133; id., “Le Cappelle musicali di Acireale, Caltagirone e Piazza Armerina tra Sei e Settecento ”, Polifonie e cappelle musicali nell’età di Alessandro Scarlatti, a cura di Gaetano Pitarresi, Reggio Calabria, Edizioni del Conservatorio di Musica “F. Cilea”, 2019, p. 223-291. Pietro Paolo Aliotta, Relazione dell’orribilissimo terremoto accaduto in questo nostro Regno di Sicilia nell’anno 1693, ad undici Gennaro […] in Dalla cronaca di Caltagirone di mastro Francesco Polizzi di Randazzini Gesualdo, Caltagirone, Biblioteca Comunale “E. Taranto” (in sigla: I-Cal-Bcom), Ms. n. inv. 4968, cc. 60-64. L’intera relazione è ora disponibile nel volume Terremotus. “Voci ed echi del terremoto del 1693 nel calatino”, Bollettino. Società Calatina di Storia Patria e Cultura, I (1992), p. 48-51 (50).

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baracca grande […] per averci in quella a solennizzare la festa del nostro glorioso Apostolo e protettore e patrono S. Giacomo Maggiore per entrare et uscire […] lo Santo con la bara grande e cantarissi Vespri, cantarissi messe con lo banco delli giurati e musici.14

Nel luglio dello stesso anno, in occasione dei festeggiamenti patronali, i musici e gli strumentisti della cappella, guidati da Carlo di Mauro,15 furono impegnati nelle esecuzioni musicali di rito culminanti nella messinscena de Il Gela piangente, un “Dialogo pastorale” posto in note da Gaetano Caropreso,16 che sin dai primi mesi del 1694 subentrerà al Di Mauro alla guida della Cappella musicale caltagironese.17 LE CAPPELLE MUSICALI Mentre la cappella caltagironese (istituita nel 1620),18 quella acese (creata nel 1633) 19 e l’istituzione netina (della cui esistenza i primi documenti risalgono al 1614) 20 sono finanziate dai rispettivi Consigli Civici, con (più o meno) regolari stanziamenti ad hoc annuali, la cappella musicale della Chiesa Madre, ora Cattedrale, di Piazza Armerina, di cui si hanno notizie sin dal febbraio 1600,21 deve la sua costituzione iniziale a due precise disposizioni testamentarie. La prima del 2 giugno 1597 è di donna Laura Trigona e Asero, la seconda del 1598 del di lei marito don Marco Trigona, barone dell’Ursitto e della Gatta esponenti di primo piano della nobiltà di Piazza. Entrambi destinavano alla chiesa la maggior parte del loro patrimonio le cui rendite dovevano essere utilizzate per opere di ampliamento e di abbellimento della chiesa oltre che per “decoru et pompa, faustu et musica”.22 Alla eredità Trigona, che sino alla metà del XIX secolo, costituì la principale fonte di sostentamento della cappella, bisogna aggiungere le somme ad essa destinate, provenienti dal Patrimonio Ordinario della chiesa, dall’Arciconfraternita del SS. Sacramento e dall’Amministrazione cittadina. 14. 15. 16. 17. 18. 19. 20. 21.

22.

Archivio Parrocchiale Basilica di San Giacomo (in sigla I-CalAsg), Libri dei Conti dal 1687 al 1714, c. 120v, maggio 1693. Buono, “I Musici della cappella musicale di Caltagirone…”, art. cit., p. 12. Maccavino, “Forme oratoriali a Caltagirone…”, art. cit., p. 297-298. Id., “La Cappella musicale di Caltagirone…”, art. cit., p. 133. Luciano Buono, “La Cappella musicale del senato di Caltagirone dal 1620 al 1650”, Musica sacra in Sicilia, op. cit., p. 111-145 (111-112). Roberto Alosi, “La Cappella musicale del Duomo di Acireale dalle origini al 1800”, Note su note, I/1 (1993), p. 30-68 (30-31); Fresta, Musica Sacra ad Acireale…”, op. cit., p. 6. Alessandro Loreto, Quattro secoli di musica sacra a Noto, Lucca, Lim, 2007, p. 21. Luciano Buono, “Peculiarità istituzionali di due cappelle musicali siciliane nel XVII secolo: Caltagirone e Piazza Armerina”, La cappella musicale nell’Italia della Controriforma, a cura di Oscar Mischiati e Paolo Russo, Firenze, Olschki, 1993, p. 361-369 (366); Nicolò Maccavino, “L’Attività musicale del Duomo di Piazza Armerina nel primo decennio del XVIII secolo”, Bollettino. Società Calatina di Storia Patria e Cultura, 7-9 (1998-2000), p. 117-149 (128); id., “Le Cappelle musicali di Acireale…”, art. cit., p. 228-241 e 286-261; Ilaria Grippaudo, Filippo Milazzo, “ La Serie musicale del fondo Chiesa Madre Collegiata di Piazza Armerina”, Signa vetusta manent, interventi di conservazione e restauro su materiale codicologico musicologico archivistico e libraio dei secoli XIIXVIII (2004-2014), a cura di Giovanni Travagliato, Caltanissetta, Edizioni Lussografica, 2014, p. 33-40. Piazza Armerina, Archivio della Cattedrale (in sigla ACpz), Volume di testamenti, fondatori, costituzioni di vescovi, costruzioni etc., c. 100, cap. LXXV; Buono, “Peculiarità…”, art. cit., p. 366.

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La complessa struttura finanziaria della cappella piazzese emerge anche da due significativi documenti scoperti e resi noti da Luciano Buono. Il primo, del 1610, riguarda alcune disposizioni, emanate dall’allora vescovo di Catania, Bonaventura Secusio, in cui si indicava che per il manutenimento di musica […] doverà contribuire il procuratore dela chiesa [patrimonio ordinario] onze 15 per il maestro di cappella et altri onze 12 per lo organista et la città et compagnia del Ss. Sacramento quel tanto che soleano pagando loro il resto cioè che per la detta musica non si spenda da loro [eredità Trigona] più di onze 40.23

Il secondo, del giugno 1627, è del vescovo Innocenzo Massimi, con il quale autorizzava un aumento dei salari per i musici, rispetto alle somme stabilite 17 anni prima dal Secusio: per supplemento di musica onze 35, per la quale però non si possono in conto alcuno spendere più che onze 90 l’anno, cioè queste onze 35, le onze 40 nelle quali dispensò Monsignor Patriarca [Secusio] e le onze 15 che si pagano sopra la heredità della quondam Lauria [donna Laura] al maestro di Cappella.24

In base a queste testimonianze la struttura della cappella musicale piazzese, nei primi decenni del Seicento, prevedeva una spesa di circa cento onze l’anno suddivisa tra gli amministratori del Patrimonio ordinario della chiesa, l’eredità Trigona, l’Arciconfraternità del SS. Sacramento e l’Amministrazione civica.25 In genere la somma annuale destinata al maestro di cappella era quasi sempre corrisposta in danaro. A volte, però, particolarità tutta piazzese, una parte del suo compenso poteva essere costituita da pagamenti in ‘natura’, come si è potuto constatare in alcuni mandati relativi al 1704 26 e al 1706, quando, delle 18 onze destinate al canonico Nicolò Piccione per “salario ad esso costituitoci come organista e Maestro di Cappella”, dodici furono prelevati “dalli danari della Scalisa”, una proprietà della Chiesa, il resto gli fu corrisposto in “tanto zuccaro”.27 Mentre a Noto e ad Acireale, come a Piazza Armerina, le cappelle avevano sede presso le rispettive chiese Madri, a Caltagirone l’istituzione non aveva una dimora fissa. Inoltre, a differenza della cappella piazzese, le altre, lo si è già anticipato, dipendevano totalmente dai rispettivi Consigli Civici. Essi, infatti, oltre a predisporre le risorse 23. 24. 25.

26.

27.

Ivi, p. 366-367. L’onza ebbe corso in Sicilia fino al 1860 quando fu sostituita dalla lira: 1 onza corrispondeva a 30 tarì; 1 tarì a venti grani; un grano a 6 piccioli. Idem. Tale farraginosa struttura economica caratterizzerà la cappella musicale piazzese per tutti i secoli XVII, XVIII e XIX; ancora nel 1839, infatti, le “spese di musica” sono ripartite fra il Patrimonio Ordinario, l’Arciconfraternita del SS. Sacramento, l’Eredità Trigona e il “Fondo per la Cappella di Musica”; Curia Vescovile di Piazza Armerina, Archivio, Cattedrale S. Maria delle Vittorie, Amministrazione, vol. I, 1839-1840, cc. 6v-7, 9, 19, 22, 29, 159, 205, 282, 286, 288, 290; cfr. Maccavino, Le Cappelle musicali di Acireale…”, art. cit., p. 228-230. ACpz., Ordini Mandati Originali del patrimonio della Chiesa nell’anni 1703-1713, c. 112: “A dì 28 ottobre 1704, […] vi piacerà pagare al Reverendo Canonico don Nicolò Piccione onze sei quali se gli pagano per il primo terzo [… ] di salario ad esso costituito come organista e Maestro di Cappella di detta Chiesa e sono a computo di tutti l’anni passati e questo per il servitio che have fatto e fa in detta Chiesa si pagano dette onze 6 in tanto zuccaro”. Ivi, c. 142: “A dì 15 gennaio 1706”.

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economiche ogni anno, che ne permettevano così il buon funzionamento, decidevano quali musici assumere, i vari obblighi che erano tenuti a rispettare e il salario da corrispondere. Nonostante l’ampia libertà di azione e di scelta da parte dei consigli, tuttavia, sia gli importi da erogare per le cappelle musicali che le varie assunzioni, per essere effettive, dovevano ottenere il placet dell’autorità viceregia che, in seguito all’istanza specifica inoltrata dal Consiglio civico, attraverso il Tribunale del Real Patrimonio, emanava disposizioni specifiche. Emblematica, a tal proposito, è la lettera che i giurati della città di Acireale, il 16 marzo 1652, inviarono al Viceré (don Rodrigo Mendoza, duca dell’Infantado) nella quale visto et si vede con esperienza di quale grande detrimento sia l’aver levato la musica in servizio del culto divino, […] supplichano V.E. voler comandare che possano mettere detta musica col salario di onze trenta almeno, come salario ogn’anno al maestro di Cappella, essendovi in detta Città molti virtuosi di honorata professione.28

L’istanza fu accolta con favore, e il 7 luglio 1652 i giurati “d’ordine del Viceré e del Real Patrimonio”, assegnarono “onze trenta l’anno alli Sacerdoti Reverendi Don Francesco Sfilio e Don Giovanni Battista Gulli Maestri di Cappella”.29 Un altro esempio è dato dalla elezione di Giuseppe Platania (figlio del maestro di cappella Alfio senior) in qualità di secondo violino della cappella caltagironese, la cui richiesta di conferma (inviata il 9 luglio 1761) sarà approvata a Palermo il 4 agosto: In una Vostra carta del 9 dell’iscorso luglio ci rapportavate come ritrovandosi in codesta cappella musicale il salario de’ virtuosi mancante in onze otto ed essendo Giacomo Vitale uno di essi nell’ultimo stato di sua vita […] come da Noi giubilato [messo in pensione] stante la sua vecchiaia, ebbe assegnato il salario di onze 15 all’anno, per ciò dovendosi soddisfare a detti virtuosi il completo del loro salario che è la somma di onze 8 annue, c’implorate l’ordine che subbito [sic] passato a miglior il cennato di Vitale, dalle dette onze 15 se ne assegnassero alli sudetti le onze 8 mancanti per loro salario […]. E poiché rimangono altre 7 onze a complimento delle sudette onze 15, perciò mancando in detta cappella un secondo violino molto necessario, stimate di doversi assegnare dette onze 7 per detto secondo violino, e cioè a D. Giuseppe Platania cui ha servito per più anni senza salario all’Unità, ed in tal forma la cappella resta compita senza esservi necessità di altri Virtuosi. […] Ed avendo Noi e Supremo Patrimoniale Consiglio stimato approvare quel tanto che ci avete colla precalendata Vostra carta rapportato […] v’incarichiamo che dobbiate dare la dovuta e piena esecuzione a tutto ciò allora quando si verificherà la morte del mentovato di Vitale ed allora immetterete nel possesso di amministrazione di detto impiego di secondo violino il sudetto di Platania, facendoli godere tutti li lucri emolumenti, onori, oneri il detto salario di onze 7 ed ogni altro al riferito impiego legittimamente spettante e competente […]. Datum Panormi Die Quarta Augusti 1761.30 28. 29. 30.

Archivio Storico Comunale di Acireale (in sigla ASCa), Materie Diverse, vol. 64, c. 148; cfr. Fresta, Musica Sacra ad Acireale…, op. cit., p. 8. Ibidem. ASCg., Ordini, vol. 10, 1759-1765, c. 264.

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Di rilievo è quanto si verificò (sempre a Caltagirone) nel 1767, subito dopo la morte dell’organista Antonino Triolo. In particolare la richiesta, inoltrata alla corte viceregia l’1 marzo 1768, con cui il senato caltagironese chiedeva la conferma della elezione a organista di Nicolò Mellini (avvenuta l’11 ottobre 1767), il quale, però, si è dichiarato accettar la carica non già con cennato salario di onze 6 annuali ma di quanto da noi verrà stabilito e dover subintrare alla carica di maestro di cappella verificandosi la vacanza […] rimettendo al nostro arbitrio la somma [che] stimeremo assegnarli per suo salario, ed accordandogli la subintranza alla carica di maestro di cappella.31

La richiesta fu accolta e il 5 marzo dello stesso anno i giudici del Tribunale del Real Patrimonio, considerata la necessità di provvedersi del cennato organista, e l’incontrate difficoltà a causa della tenuità del salario onde diveniste ad eligere il cennato di Mellini per organista […] colla subintranza a Maestro di Cappella.32

confermarono in toto l’atto di elezione del Mellini predisposto dal Consiglio Civico, dando disposizione di “pagare al medesimo la somma di altre onze sei annuali in tutto onze 12 di terzo in terzo […] oltre alle 6 onze annuali assegnati al cennato impiego di organista”.33 Il Tribunale del Real Patrimonio, longa manus del potere vicereale, oltre a svolgere anche una certa funzione di controllo sull’operato delle amministrazioni locali, era fra i pochi organismi del Regno in grado di intervenire in caso di soprusi o di azioni ai danni di singoli musici e/o dell’intera istituzione musicale. Fra gli esempi possiamo riportare quanto avvenne a Noto il 9 maggio 1680, allorché Gaetano Carnemolla, eletto maestro di cappella il 29 luglio 1672, fu, improvvisamente e per “vari prestesti”, licenziato dai giurati netini per far posto a Raffaele Cantone. Carnemolla, per nulla intimorito, si rivolse al Viceré, il quale, accolta la sua istanza, tramite il Tribunale del Real Patrimonio, con un ordine del 16 maggio 1680, impose ai giurati netini non solo di reintegrarlo nell’ufficio ricoperto, ma anche di giustificare, entro una precisa data, il loro provvedimento di licenziamento.34 Altrettanto significativa è la controversia che ebbe luogo a Caltagirone, fra la fine del 1712 e gli inizi del 1713, in seguito alla decisione dal parte del Senato civico, di stornare una parte cospicua della somma stanziata per la cappella musicale per completare i lavori di restauro della chiesa Madre. Il provvedimento suscitò l’immediata reazione degli interessati, i quali, per nulla disposti a perdere in un sol colpo la metà dei loro salari, sollecitarono l’intervento del Tribunale del Real Patrimonio, alla 31. 32. 33. 34.

Id., vol. 13, 1764-1770, c. 181. Ibidem. Ibidem. Loreto, Quattro secoli…, op. cit., p. 118-119.

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cui “Secreteria” inoltrarono una veemente lettera. In essa si faceva rilevare che con le 160 onze destinate annualmente per la Cappella, si pagavano cinque voci, due violini e contrabasso e M[aestr]o di Cappella, al numero di dieci persone, al ripartimento delle suddette onze 160 li viene una miseria per ognuno; levandone ora 60 per dote alla Matrice chiesa, verrà un salario che nessun musico ci potrà stare, e saranno costretti tutti di andare via dalla […] Città, con molto loro interesse quando tutti sono stati a pigliare a posta da lontani paesi per il servizio di questa Cappella.35

A parer loro, per di più, la decisione era stata determinata non da una reale necessità, bensì dall’ambiguo comportamento di tre giurati i quali sono nemici mortali di tutta la nobiltà e di tutta la città che non sanno ce altro contrattempo farci, li vogliono livare la cappella di musica, unico trattenimento di questa città e decoro di tutta la nobiltà […] mentre per il disbrigo della Matrice Chiesa bastano li soli Cilij che tutta la nobiltà con sommo gusto concesse […] per il disbrigo di questa.

E siccome i “tre giurati fanno tutto questo per livore e per secondi loro fini e non per zelo”, i musici della cappella, confidando nella “somma giustizia” del Real Patrimonio, implorano l’annullamento del provvedimento e l’ordine immediato di dare “ad ogni musico il suo solito salario” senza licenziarne alcuno; chiedono inoltre, in considerazione dell’esiguità del medesimo, “dodici licenze l’anno per uno […] per andare a procacciarsi i loro decoroso mantenimento alle città e terre vicine ove son chiamati”, impegnandosi, nel contempo, a non assentarsi durante le principali feste della città.36 La richiesta fu accolta con favore dal Regio Tribunale, che con un decreto del 7 febbraio 1713, ordinò ai giurati della città di corrispondere entro quattro giorni il compenso ai musici, diffidandoli per l’avvenire a “removere a nessuno delli musici della sudetta Cappella senza preciso ordine di V.E. [il vicerè], come padrone di tutto e non per meri capricci loro e secondi fini”.37 L’intervento del Regio Tribunale era necessario anche per dirimere contrasti che sorgevano fra gli stessi componenti della cappella, e che gli amministratori locali non volevano o non erano in grado appianare in loco. È quanto accadde ad Acireale nel maggio del 1726, nel momento in cui il musicista Francesco Sapuppo, venuto a conoscenza della scadenza del mandato del maestro di cappella in carica, Giovanni Battista Musumeci, fece pervenire ai membri del consiglio civico di Acireale, la proposta di voler “mantenere la detta cappella per essere virtuoso della professione, con l’istesse obbligazioni, patti e condizioni per onze dieciedotto l’anno”.38 In breve, Sapuppo, pur di ottenere l’incarico, si impegnava ad offrire lo stesso servizio e alle medesime 35. 36. 37. 38.

ASCg.,Ordini, vol. 5, 1700-1729, c. 254. Ibidem. ASCg.,Ordini, vol. 5, 1700-1729, c. 254. ASCa., Materie diverse, vol. 66, c. 135; cfr. Fresta, Musica Sacra ad Acireale…, op. cit., p. 20.

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condizioni, ma chiedendo sei onze in meno rispetto al salario percepito dal Musumeci (e dalla sua compagine di musici) che era di 24 onze. Due giorni dopo, Musumeci, unitamente ai musici della cappella, legati da un contratto settennale con il consiglio civico redatto il 24 gennaio 1726, inviò una lettera con la quale informava i giurati della città, circa l’inesperienza del Sapuppo e dei suoi “musicastri”. Avendo appreso – scrive Musumeci – che il Francesco Sapuppo ha presentato la richiesta di voler servire la Cappella con alcuni musicastri inesperti per onze decidotto all’anno e che dalle V.S. Spettabili fosse stata giustamente provista che si sottoscrivessero tali musici a dovere intervenire, […] ad effetto di non restare defraudato il culto divino; ed in luogo di chiamar concorso, per quello farne fuggir dalle chiese la gente conforme ha sortito in alcune musicate da loro fatte, che in luogo di eccitare divozione sono stata causa del proprio deriso. S’intende ancora che da uno delle VV.SS. Spettabili s’habbia accettato l’offerta non annettendo che il detto Sapuppo non potrà mai provvedere la Cappella con le voci necessarie mentre che lui non have mastro di cappella, né voce di contralto tanto necessaria nelle musicate, ma solamente due tenori e un basso ed un violinista inetto e principiante e tutti (secondo l’esperienza) inesperti […]; e questo è il motivo per il quale il Sapuppo have fatto l’offerta di servire per meno salario mentre vuole ingannare le VV.SS. Spettabili, poiché non solo porterà le suddette voci di musici ed istrumenti inesperti, ma ancora meno voci di quelle che servono al presente, e con ciò non solo non verrà a diminuirsi il salario per lui, ma di vantaggio ad accrescersi.39

Non riuscendo a risolvere la questione autonomamente, i giurati della città richiesero il giudizio del Tribunale del Real Patrimonio il quale, con un ordine del 16 giugno 1726, dispose che non venisse accolta la richiesta del Sapuppo, e si continuasse a seguire ed osservarsi il contratto dell’obbligazione fatto per li anni sette di servire li detti Supplicanti la detta Cappella con il salario di onze ventiquattro l’anno, dovendo li medesimi mantenere per lo riferito tempo d’anni sette nella loro quiete, senza permettergli che se li dasse disturbo alcuno.40

Gli stessi musici, infine, potevano rivolgere istanza direttamente al Viceré per ottenere (o sollecitare) il riconoscimento di un diritto acquisito (quasi sempre di ordine economico) che l’amministrazione civica, nonostante le indicazioni del Tribunale del Real Patrimonio, a volte tardava ad approvare o a riconoscere all’interessato. La supplica del maestro di cappella Giacomo Vitale (del 20 giugno 1741) e il relativo ordine vicereale (datato 1 febbraio 1742), ne sono una vivida testimonianza. Nella richiesta si “esponeva umilmente”, che, avendo svolto servizio negli anni passati, come uno “de’ virtuosi” sia nella “Cappella reale di San Pietro di codesto Real Palazzo” [a Palermo] e poi in quella di Messina

39. 40.

Id., vol. 64, c. 663; cfr. Ivi, p. 21. Id., c. 671; cfr. Ivi, p. 22.

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col salario di onze 36 l’anno, oltre delli proventi che tanto nella città di Palermo, come in Messina gli davano il suo onesto mantenimento, fu ad istanza delli Signori Giurati di questa città [Caltagirone] comandato a dover servire questa Cappella di musica col salario di onze 24 annuali come voce di contralto, e poi con onze 36 come maestro di Cappella e voce di contralto. Doppo però di qualche tempo fu rimosso da dette cariche e poi nuovamente reintegrato col solo salario di onze 20 annue ed il povero esponente fu obbligato contentarsene nonostante che fusse stato di suo grave interesse. Ultimamente però non ostante li tanti e tanti replicati ordini per via del Consiglio Patrimoniale è stato rimosso dal suo impiego senza alcuna considerazione a’ suoi lunghi servizi, e gl’hanno assegnato il tenue salario di onze 10 l’anno a titolo di benservita [sorte di vitalizio] per anni sei. E poiché E.S. l’esponente non può in conto alcuno mantenersi con sì tenue assegnazione e per altro in tutte le Cappelle di musica si stila di lasciar alli virtuosi un decente assegnamento, ha risolto per ciò di ricorrere alla benignità di S.E. acciò si servisse ordinare alli Giurati di detta città acciò dovessero aumentare la benservita sudetta di onze 10 ad onze 18 l’anno per gli enunciati anni sei di fermo, […] da correre dal giorno in cui gli fu fatta tale debole assegnazione di onze 10 annuale acciò almeno così potesse onestamente mantenersi.41

La richiesta, sebbene con qualche piccola variante (di ordine economico), venne accolta dal viceré, il principe Bartolomeo Corsini, il quale dispose che per il corso di anni sei continuo e completi devesi pagare a Giacomo Vitale, supplicante, onze 15 ogn’anno di salario incluse le onze 10 […] assignateli a’ riguardo del suo benservire, ed alli particolari motivi, che l’han mosso a tale assegnazione di dette onze 15 l’anno per l’annunciati anni sei tanto assegnate, senza dar motivo di nuovo ricorso al supplicante.42

MAESTRI DI CAPPELLA Dai pochi documenti sin qui esemplati, emerge chiaramente il ruolo cruciale che la cappella musicale nei secoli XVII e XVIII riveste in seno alle realtà urbane prese in esame, tanto più perché strettamente (e opportunamente) legate – lo si è visto – al “servizio del Culto divino quanto per [il] decoro di [esse] città”. Ne consegue, tout court, la centralità e l’enorme responsabilità che assume la figura del ‘maestro’ chiamato a dirigere e a organizzare in senso lato l’attività di tali cappelle musicali (v. APPENDICE 1, p. 150-152).43 Diverse erano le modalità attraverso cui era possibile contattare e quindi assumere un maestro di cappella e, con esso, cantanti e strumentisti indispensabili per il corretto funzionamento del relativo organismo musicale. Non esistendo in loco scuole di musica, e data l’estrema mobilità dei maestri, sempre alla ricerca di incarichi prestigiosi ma, soprattutto, più vantaggiosi economicamente, per i responsabili delle 41. 42. 43.

ASCg.,Volume di Lettere diverse dal 1730 al 1753, vol. 1, c. 172. Idem. Il 12 febbraio 1748, a seguito di un’ulteriore supplica, il vitalizio di 15 onze l’anno gli viene confermato per altri quattro anni; cfr. ivi, c. 343, 1 febbraio 1748. Oscar Mischiati, “Profilo storico della cappella musicale in Italia nei secoli XV-XVIII”, Musica sacra in Sicilia, op. cit., p. 23-45.

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quattro istituzioni musicali era difficile individuare i maestri a cui affidare la guida della cappella. Quando ciò era possibile, la soluzione più semplice era affidare l’incarico a musici (autoctoni o no) che operavano già in loco. È il caso del ‘maestro’ caltagironese Antonino Campochiaro a cui, nel 1620, i giurati della Città affidarono il compito – dietro un compenso di 54 onze l’anno – di organizzare l’istituenda cappella musicale con l’incarico di “andare in alcuni parti del regno per collocare li cantanti ed instrumenti che ha di tenere”.44 Acese era don Francesco Sfilio, cavaliere gerosolimitano, nel 1633 eletto organista e direttore stabile della cappella musicale, con un compenso annuo di 24 onze,45 così come netino era il canonico Mariano Di Lorenzo, che nel 1614 ottenne l’incarico di maestro di Cappella “con l’obbligo di tenere ditta musica con cantanti […] per havere a cantare in tutti li festi solenni et altri occorrentij ben visti per la città”.46 Proveniente da Alcara Li Fusi (in provincia di Messina) era invece Francesco Bruno che, dal febbraio 1600 al 1610, fu alla guida della cappella musicale della chiesa madre di Piazza Armerina, incarico che 1610 al 1614 fu tenuto da Cornelio Drago, al quale subentrò il piazzese Antonio Il Verso che diresse l’istituzione sino al 1616.47 Una volta individuato il maestro di cappella ed eletto, quasi sempre con un contratto di durata pluriennale,48 oltre ai numerosi ‘obblighi’ che derivavano dal suo mandato – fra questi (come si vedrà meglio più avanti) quello di fornire un certo numero di nuove composizioni all’anno e di organizzare le svariate occasioni che nel 44.

45.

46. 47. 48.

Risale al 29 febbraio 1620 la decisione da parte consiglio civico di destinare una somma di dodici onze a favore di Antonino Chiaramonte “maestro di cappella della musica in conto dello primo terzo del suo salario […] ad effetto di potere detto maestro andare in alcune parti del regno per collocare li cantanti ed instrumenti che ha di tenere stante la plegeria prestita nell’atti di notaio Raffaele Barbadoro”. Il 17 maggio il medesimo consiglio stabiliva di stanziare 250 onze annue per la cappella musicale; cfr. Buono, “La Cappella musicale…”, art. cit., p. 111-145 (111-112). Va tuttavia precisato che prima della istituzione della cappella musicale esisteva una “musica della città”, cioè tutta una serie di manifestazioni musicali predisposte in occasione di importanti feste cittadine la cui organizzazione era affidata, ora occasionalmente ora con assiduità, a maestri di cappella. Fra questi il primo fu Pietro Vinci, esponente di spicco della Scuola Polifonica Siciliana, che fra il 1583 e 1584 fu presente a Caltagirone come “mastro di capella” ricevendo un compenso di sessanta onze l’anno; cfr. Maccavino, “Musica a Caltagirone nel tardo Rinascimento: 1569-1619”, Musica sacra in Sicilia, op. cit., p. 91110 (97). Nel 1583 lo stesso Vinci ricevette altri 12 tarì “ad effetto di comprarj la tanta carta et virmigl[i]uni et rigari detta carta ad effetto di riformari la musica”, segno evidente che egli, in qualità di maestro, era tenuto a comporre nuovi brani per le occasioni festive; cfr. Buono, “Peculiarità…”, art. cit., p. 364. Sebbene risalgano alla seconda metà del XVI secolo le prime notizie su un organismo musicale attivo nella città di Acireale – cfr. Alosi, “La cappella musicale del Duomo di Acireale…”, art. cit., p. 30-68 (30-31) –, è del 1633 appunto la decisione del Consiglio Civico di eleggere don Francesco Sfilio organista e maestro stabile della cappella musicale; cfr. Fresta, Musica Sacra ad Acireale…”, op. cit., p. 6. Loreto, Quattro secoli…, op. cit., p. 84; Di Lorenzo tenne l’incarico – pur con qualche breve interruzione – sino al 1628, anno a partire dal quale non si hanno più sue notizie; (v. APPENDICE 1, p. 150-152). Buono, “Peculiarità…”, art. cit., p. 367-368. Risale al settembre 1632, all’incirca un secolo prima dell’obbligazione del Musumeci con i giurati acesi (1726), la richiesta dei giurati caltagironesi al Viceré, in cui si chiede la possibilità di poter confermare per altri cinque anni Antonino Campochiaro in qualità di “maestro di cappella” con l’obbligo di “formare e tenere con cinque voci e tre istromenti di canto et suono”; ASCg., Ordini, vol. 1, c. 284; cfr. Buono, “La Cappella musicale del senato di Caltagirone…”, art. cit., p. 127-128. È del 21 ottobre 1618, il contratto di durata triennale che il Consiglio Civico di Noto stipula con Mariano Di Lorenzo che dietro un compenso di 20 onze l’anno si impegnava a eseguire e cantare “la musica […] per honori del culto divino et solemnitati delli festi nella matrice ecclesia di Santo Nicolao et SS. Crocifisso” come pure per “la festa di Santo Corrado nel mese di febraro et mese d’Agosto primo vespero et compieta la vigilia, et nel giorno dell’istesso messa, vespero et compieta, in tutta l’ottava la compieta”; Cfr. Loreto, Quattro secoli…, op. cit., p. 34.

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corso dell’anno prevedevano la presenza della cappella –, non di rado e in determinate situazioni (la mancanza in loco di musici e strumentisti era la più comune), poteva ricevere l’incarico di recarsi nelle vicine città, con il compito di individuare virtuosi, cantanti e strumentisti, da impiegare nella cappella di appartenenza. Per tal motivo, ad esempio, il 14 agosto 1632, il maestro di Cappella di Caltagirone, Antonino Campochiaro, riceve un compenso di onze 11 per essersi recato “nella città di Messina, Catania, Siragusa, Licata, Butera et alla Città di Palermo per cercare li voci delli cantanti per d[ett]a cappella”.49 Qualche anno dopo e per lo stesso motivo, Andrea Rinaldi, eletto alla guida della cappella caltagironese nel 1638 (a seguito dell’improvvisa partenza del Campochiaro),50 riceve altre onze 4 “per havere andato nella Città di Messina e Catania per la busca [= ricerca] di certi musici”.51 Tuttavia, in assenza del maestro di cappella, l’incarico poteva essere affidato a un membro della cappella, come avvenne nel settembre del 1634 (siamo sempre a Caltagirone) quando, l’improvviso allontanamento del maestro della cappella (il solito Antonino Campochiaro che, nel frattempo, aveva accettato il medesimo ruolo presso la cattedrale maltese di San Paolo), costringe i giurati della Città a inviare il suonatore di cornetta, Baldassarre Maldonato, nelle città di Piazza Armerina e Licata “per cercare uno mastro di cappella” e con esso “un soprano et uno contralto”.52 Altre volte era lo stesso maestro di cappella a proporre al Consiglio Civico, una ‘lista’ di musici e strumentisti, di cui, nella stipula del contratto di elezione (anche in questo caso di durata pluriennale), egli era garante e responsabile. Una modalità, già osservata ad Acireale nel 1726, in occasione della diatriba Sapuppo-Musumeci, e di cui si hanno testimonianze anche a Caltagirone, come si evince dall’atto di “Elezione dei Musici della Cappella”, redatto il 13 aprile 1729 dal notaio del senato Paolo Lauria, in cui il nuovo maestro di cappella, l’acese Alfio Platania senior, e tutti i membri della cappella, furono eletti per sei anni continui e per un compenso complessivo annuale di 115 onze.53 A volte, però, le scelte compiute dal maestro di cappella – si tratta ancora di Alfio Platania senior che dal 1716 al 1718 guidò la cappella musicale acese –54 potevano 49. 50.

51. 52. 53.

54.

ASCg., Discarichi, vol. 7, c. 444 n. 366; cfr. Buono, “La Cappella musicale del senato di Caltagirone…”, art. cit., p. 127. “Item al sacerdote Don Andrea Rinaldo mastro di Cappella della Musica di questa città onze 6.20 a complimento di onze 15 per mettere in ordine li musici […]”; (ASCg., Discarichi, vol. 9, c. 406 n. 253, 31 agosto 1638). Altre 20 onze le riceve con un mandato del 1 giugno 1638 e sono “per la rata del suo salario corso dal mese di Aprile per tutto il mese di agosto VI Indizione 1638 et anco permettere in ordine li tre cori di Musici nella festa del glorioso Apostolo San Giacomo”; (Ivi, c. 406 n. 254). ASCg., Discarichi, vol. 9, c. 406 n. 256; cfr. Buono, “La Cappella musicale del senato di Caltagirone…”, art. cit., p. 133. Ivi, vol. 7, c. 751 n. 17; cfr. ivi, p. 128. ASCg., Fondo Notarile, Notaio Paolo Lauria, Atti del Senato, 13 Aprile 1729, cc. 198-201v. La cifra annuale era così ripartita: Alfio Platania, maestro di Cappella, onze 24; Pietro Antonio Perez, soprano, onze 20 e tarì 20; Giuseppe Muccio, contralto, onze 15; Filippo Baldi, tenore, onze 10; Giorgio de Filippo, primo violino, onze 12; Giuseppe Perez, secondo violino, onze 4 e tarì 20; Antonio Perticone, terzo violino, onze sei; Domenico Gerbino, violoncello, onze 7 e tarì 10; Giuseppe Crucillà, contrabbasso, onze 7 e tarì 10; Sebastiano Triolo, organo, onze 8 e tarì 10; cfr. idem. Fresta, Musica Sacra ad Acireale…”, op. cit., p. 67-68.

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suscitare del malcontento, come quello palesato in una lettera, inviata dai giurati della città di Acireale al viceré di Sicilia, datata 9 dicembre 1717: essendoci pervenuto a notizia che tra l’altre gabelle imposte a favore di cotesta Città vi è la gabella della farina di grani dieci per ogni salma quale fu imposta per mantenimento di cotesta Cappella di Musica ad effetto di servire il culto divino e dovendosi da Voi l’eletione di D. Alfio Patanè [= Platania] Vinci al quale l’havete eletto per Maestro di Cappella e questo per suoi secondi fini ed interessi have eletto alcuni musici inesperti et ha tralasciato da parte alcuni virtuosi i quali potrebbero dare ogni completa soddisfattione, e detto Patanè Vinci tenendo alcuni suoi discepoli che ha poco tempo che l’insegna a soffiare, li vuole mettere in detta Cappella ad effetto di alcansarsi il salario dei suoi discepoli, motivo che cotesti popoli esclamano di esser abolita detta gabella sopra la farina per essere inconveniente a pagare a chi potrà dare soddisfattione, lasciando indietro li virtuosi che vi sono in cotesta città.55

L’assunzione di un maestro di cappella poteva anche essere determinata da più o meno velate ‘protezioni’ da parte di influenti personalità dell’aristocrazia locale e non, i quali, amanti dell’arte, della poesia e della musica, nell’ambito della propria azione mecenatesca, amavano attorniarsi di artisti e letterati che proteggevano e a cui far affidare incarichi di rilievo, qualora se ne presentasse l’occasione. Pur non esistendo una prova diretta, è assai probabile, che l’elezione di Mario Capuana a maestro della cappella musicale netina (nel 1633), possa essere stata favorita anche da don Pietro Deodato, barone di Frigintini, uno dei nobili più in vista della città e appassionato di musica. Per il barone, a cui don Mariano Di Lorenzo aveva dedicato la sua Opera Quinta edita a Palermo nel 1624),56 Capuana compose e fece eseguire “pro agenda die quadragesima obitus” (avvenuta nel 1643), la sua magistrale Messa da Requiem “octo vocibus alternantibus choris ad organum modulanda” (v. APPENDICE 2, p. 153-154), come si legge nel frontespizio della edizione a stampa realizzata a Venezia, per i tipi di Alessandro Vincenti, nel 1645.57 Che il legame con i Deodato non fosse sporadico ma solido, è 55. 56.

57.

ASCa., Materie diverse, vol. 64, c. 671. Mariano Di Lorenzo, SALMI, MAGNIFICAT, | FALSI BORDONI, E MESSA | a Quattro Voci con il Basso continuo per l’Organo. | DEL CANONICO DON MARIANO | DI LAURENZO DELLA CITTÀ DI NOTO. | Opera Quinta. [Fregio] Panormi, Apud Ioan. Baptistam Maringum. M.DC.XXIIII. Nella dedica, datata “Di Noto à 25 di Aprile 1624, Mariano Di Lorenzo indica don Pietro Deodato “padron mio osservandissimo”. Le parti superstiti di questa silloge (Cantus e Partimento) si conservano presso l’Archivio della Cattedrale di Mdina a Malta (segn. Sez. Mus. Pr. 98); cfr. Daniele Ficola, “Stampe musicali siciliane a Malta”, op. cit., p. 68-86 (75). Mario Capuana, MISSA | OCTO VOCIBUS | duovus alternantibus choris ad organum modulanda | Pro agenda die quadragesima obitus | per illustris | PETRI DEODATO | Baronis Feudorum Frigintini […] cui deus det requiem | auctore | U.I.D. [Utriusque Iuris Doctoris] MARIO CAPUANA | [Fregio] | Venetiis | Apud Alexandrum Vincentium MCDXXXXIIIII. Una copia incompleta in: PL-WRu (Wroclaw, Universytet Wroclawski, Biblioteca Uniwersytecka), Mus. 201. Capuana compose una seconda Messa di Defonti “A Quattro voci”, edita, postuma, assieme alla Compieta, come Opera Quarta, a Venezia nel 1650. Questa messa è stata disposta in partitura dallo scrivente e pubblicata nel volume: Mario Capuana, Bonaventura Rubino, Messe da Requiem di Mario Capuana (1650) e Bonaventura Rubino (1653), a cura di Luciano Buono, Nicolò Maccavino e Gianfranco Nicoletti, Palermo, Mnemes, 1999. Se ne può ascoltare la splendida interpretazione data dal Choeur de Chambre de Namur, diretto da Leonardo García Alarcón, nel CD (RIC 353): Mario Capuana, Bonaventura Rubino, Requiem, edito nel 2014.

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confermato dal contenuto del sonetto, opera del poeta Alessandro Carobene, che si legge, in luogo della dedica, nella Missa octo vocibus, un vero e proprio apprezzamento dell’arte del musicista che “L’Anima del Barone di Frigintini” rivolge “al Dottor Capuana”;58 ma, soprattutto, dal fatto che fu proprio don Bartolomeo Deodato, figlio di don Pietro, a mandare in stampa, postume, le ultime tre raccolte del Capuana, morto nei primi mesi del 1647.59 Nonostante il peso di tale protezione, Capuana subì il disinvolto atteggiamento di alcuni membri del Consiglio Civico netino, i cui membri da sempre, qui e altrove, erano appartenenti al ceto aristocratico. Costoro il 1 ottobre 1635, improvvisamente, licenziarono senza alcun motivo il Capuana, nominando in sua vece Giovanni Battista Scarrozza, figlio di Vincenzo uno dei Giurati della città, al quale, nel mese successivo, portarono a dodici gli anni di durata del contratto appena stipulato, e aumentarono da 22 a 36 onze annuali il salario come maestro di Cappella. Solo l’indignata reazione di uno dei Giurati che, il 7 novembre 1635, aveva inviato una petizione al Tribunale del Real Patrimonio, fece sì che si annullasse la decisione del Consiglio, peraltro svantaggiosa per le finanze della Città, e venisse reintegrato il Capuana nell’incarico di maestro di cappella.60 Nel 1768, a distanza di 133 anni, la decisione da parte del ventenne musicista napoletano Paolo Altieri di scegliere Noto come sua dimora e, soprattutto, sede di lavoro fu favorita dal marchese Michele Zappata y Cardenas e dal sacerdote Salvatore Sinatra (entrambi personalità di spicco della vita culturale netina della seconda metà del XVIII secolo) i quali, nell’intento di rilanciare l’attività della cappella musicale dopo anni di crisi, avevano individuato in lui (e a ragione) il giovane ‘maestro’ capace di realizzare tale ambizioso progetto.61 Una scelta che si rivelò, sin da subito, assai positiva, e il cui frutto eloquente è costituito dal corpus delle oltre 450 opere manoscritte – la maggior parte di genere sacro – attualmente conservato nel ‘Fondo Altieri’ della Biblioteca Comunale “Principe di Villadorata” di Noto, che è quanto ci rimane della sua intensa attività di maestro svolta alla guida della cappella netina dal 1768 al 1820 anno della sua morte.62 58.

59.

60. 61. 62.

Questi i versi del sonetto che compare nel retro del frontespizio: “Queste di flebil suon, di nobil arte, | Che formi, CAPUAN, sacre armonie, | Di quante mai ne publicar le Carte, | Poggian via più immortal l’eterne vie. || Poiché sì dolcemente in lor comparte | Leggiadrissimo stil, maniere pie, | Che del purgante ardor, fa d’ogni parte | Le fiamme ultrici a tormentar restie. || Ansi da quelle al ciel tira sovente | Col canoro pregar, spirto gradito, | Perché goda il riposo eternalmente. || Così (la tua mercé) da me bandito | Cessa il penar, e son le fiamme spente, | Onde il Ciel godo al Sommo sole unito.”. In particolare i Motetti a due, tre, quattro e cinque voci […] Opera Terza (Venezia, 1649), l’Opera Quarta contenenti la Messa di defonti e compieta a 4 voci (Venezia, 1650), e la Messa e motetti a 4 e 5 voci […] Opera Quinta (Venezia, 1650); cfr. Luciano Buono, “Mario Capuana maestro di cappella a Noto ”, Messe da Requiem di Mario Capuana…, op. cit., p. XII; id., “Musiche barocche in onore di S. Corrado”, Corrado Confalonieri, la figura storica, l’immagine e il culto, a cura di Francesco Balsamo e Vincenzo La Rosa, Noto, I.S.V.N.A., 1992, p. 282-284; Loreto, Quattro secoli…, op. cit., p. 91-112. Buono, “Mario Capuana…”, art. cit., p. IX-X; Loreto, Quattro secoli…, op. cit., p. 88-89. Loreto, Quattro secoli…, op. cit., p. 154-156. Ivi, p. 147-242; Alessandro Loreto, “Il ‘caso’ Altieri”, in Paolo Altieri, Lamentazioni della Settimana Santa a 1, 2, 3 e 4 voci dai manoscritti conservati nella Biblioteca Comunale di Noto - Fondo Altieri, a cura di Salvatore Carchiolo,

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Analogamente a Caltagirone può esserci stata l’ala protettiva del barone di Rosabia, don Geronimo Bonanno, dietro l’elezione (nel 1729 lo abbiamo già visto) di Alfio Platania senior alla guida della cappella musicale, il quale, come spesso avveniva in questi casi, mostrò la propria riconoscenza chiedendo e ottenendo dall’aristocratico il privilegio a fare da “patrinus” alla figlia, Maria Concetta Caterina, che nata il 7 dicembre fu battezzata il 12 dicembre 1729.63 Non mancano esempi in cui l’amministrazione fu indotta compiere scelte più o meno obbligate relativamente al maestro di cappella da assumere. È quanto registriamo, ad esempio, a Caltagirone nel novembre 1637, allorquando Andrea Rinaldi fu chiamato per sostituire Antonino Campochiaro, il quale aveva improvvisamente abbandonato la città e l’incarico di maestro di cappella, per trasferirsi ancora una volta a Malta; e ciò nonostante la volontà del senato caltagironese di “volerlo trattenere […] con altri cantanti per altri dieci anni.64 Non era la prima volta che Rinaldi subentrava al Campochiaro; se ne ha notizia già nel settembre 1627, quando don Andrea otteneva l’incarico di “maestro di cappella et della schola di canto fermo e figurato” presso la cappella musicale della cattedrale dei SS. Pietro e Paolo di Mdina,65 l’antica capitale maltese, succedendo al Campochiaro che, di fatto, faceva ritorno a Caltagirone dov’era stato richiamato a dirigere la cappella, di cui era stato, sin dal 1620, il primo direttore.66 Questo secondo soggiorno del Rinaldi fu segnato da una febbrile attività del musicista, impegnato a riordinare e organizzare la cappella, le cui esecuzioni erano state penalizzate dal continuo succedersi di maestri, strumentisti e cantori. Per tale motivo, oltre al salario di sessanta onze l’anno, il 10 aprile 1638 gli vengono pagate quattro onze “per havere andato nella città di Messina e Catania per busca di certi musici per spese d’esso e di compagni”, a cui si devono aggiungere altre 20 onze “per la rata del suo salario corso dal mese di Aprile per tutto il mese di Agosto […] 1638 et anco per mettere in ordine li tri cori di Musici nella festa del glorioso Apostolo San Giacomo”.67 Scelta obbligata fu, ancora una volta, quella compiuta dal Senato caltagironese, nel 1767, alla morte dell’organista della cappella don Antonino Triolo. Non avendo trovato né il sostituto in loco né “chi avesse voluto accettare la carica de’ forestieri a cagione del tenue salario di onze sei […] alla fine riuscì ritrovare don Nicolò Mellini”, il quale accettò l’incarico – lo si è già visto – in cambio di un aumento del salario di organista ma, soprattutto, con la garanzia, confermata dai giudici del Real Tribunale,

63. 64. 65. 66. 67.

Catania, Istituto Musicale “Vincenzo Bellini”, 2005, p. XXXIX-LXIII; Maccavino, “Forme oratoriali a Caltagirone…”, art. cit., p. 369-396. Maccavino, “Alfio Platania musicista…”, art. cit., p. VIII-IX. Buono, “La Cappella musicale del senato di Caltagirone…”, art. cit., p. 131-132. Giovanni Azzopardi, “The Activity and Works of Andrea Rinaldi and Antonio Campochiaro in Malta in the early 17th Century”, [programma di concerto], Vetera Novaque Concertus et Carmina Music, Valletta, Mid-Med Banck Ldt, [1985], p. 37-39. Nicolò Maccavino, “Il primo libro di Mottetti di Andrea Rinaldi”, Bollettino. Società Calatina di Storia Patria e Cultura, 2 (1993), p. 145-161 (146). Buono, “La Cappella musicale del senato di Caltagirone…”, art. cit., p. 132; Maccavino, “Il primo libro di Mottetti di Andrea Rinaldi”, art. cit., p. 151.

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di assumere l’incarico di maestro di cappella “verificandosi la vacanza”.68 Questa si verificò nel 1772, come si apprende da un mandato di pagamento del 28 gennaio, con cui si pagano onze 13 e tarì 20 all’erede di Alfio Platania Maestro di Cappella quale se ne morì sotto li 14 del corrente gennaio e a Don Nicolò Mellini nuovo Maestro di Cappella eletto per la morte di esso Platania in virtù d’elezione d’organista e di Maestro di Cappella […] stipulata agli atti del notar Don Giacomo Maiorana a 11 ottobre 1767.69

Sebbene condizionata la scelta si rivelò lungimirante, poiché il Mellini, originario della città di Nicosia,70 guidò la cappella musicale caltagironese sino ai primi mesi del 1806, donando ampia soddisfazione ai notabili della città, che ebbero modo di apprezzare le sue numerose composizioni (oratori in particolare) scritte ed eseguite in occasione dei festeggiamenti patronali.71 Una dedizione ricambiata dal Senato civico che, proprio nel 1806, gli concesse la “giubilazione”, una sorta di vitalizio simile a quello che nel 1742 era stato accordato a Giacomo Vitale.72 Al suo posto proveniente da Acireale dove ricopriva lo stesso ruolo,73 fu eletto Alfio Platania junior,74 nipote di Alfio senior, il quale per oltre quarant’anni alla guida della cappella musicale – dal 1729 al 1736 e poi dal 1740 al 14 gennaio 1772 – fu il protagonista indiscusso della vita musicale caltagironese, distinguendosi come cembalista e compositore di dialoghi.75 68. 69. 70. 71. 72. 73.

74.

75.

ASCg., Ordini, vol. 13, c. 181. ASCg., Espensioni, vol. 9 (1771-1772), c. 500. Lo si desume dal frontespizio del Componimento drammatico per la solenne incoronazione della prodigiosa immagine di Maria Santissima detta del Popolo, ovvero la nuova, il cui libretto fu stampato nel 1762, ove si legge: musica di Niccolò Mellini, maestro di Cappella della città di Nicosia sua patria”; cfr. SARTORI, n. 6041. Maccavino, “Forme oratoriali a Caltagirone…”, art. cit., p. 431-447. ASCg., Discarichi, vol. 42, 1805-1806, c. 716: “Al Maestro di Cappella giubilato Don Nicolò Mellini onze venti come per dispaccio patrimoniale”. ASCa., Registri di Mandati, vol. 31, 1794 e 1795 e 1796-1797, c. 61v: “Sig. Pietro Fichera di questa città di Aci Reale, v’ordiniamo che delli denari in vostro possesso […] vogliate dare e pagare onze nove, cioè onze 3 e tarì 15 a Don Mariano Pennisi Privitera, per aver supplito le veci del M.° di Cappella Musicale di questa suddetta città stante la morte di Don Leoluca Sorbilli Maestro di Cappella predecesso, ed onze 5 e tarì 15 a Don Alfio Platania Vinci M.° di Cappella nuovamente eletto dallo Spettabile Magistrato in virtù stante la morte del sudetto Sorbilli, quali onze 9 sono per il relativo salario 1795 e 1796, costituito in vigor di Consiglio de 26 novembre 1795 […]. Aci Reale li 15 Giugno 14a indizione 1796”. ASCg., Ordini, vol. 32 (1805-1806), c. 262: “Dispaccio per l’elezione del M.° di Cappella in persona di Platania. […] Con vostra carta del 1° febraro decorso rimetteste l’atto della elezione di Maestro di Cappella di codesta l’attesa giubilazione di Don Nicolò Mellini da questo Supremo Tribunale accordata, stipulata sotto li 31 del mese di gennaro antecedente, in persona di Don Alfio Platania coll’assegnamento del saldo giusta come fu da voi implorato e da questo Consiglio Patrimoniale permesso, come largamente leggesi da esso atto del quale ne chiedete l’approvazione per detta vostra, ed atto meglio si ravvisa dietro la quale provvidiamo die 28 Februaris 1806. Respondit ad mentem: quindi di risposta fi facciamo sapere, che questo Supremo Tribunale resta inteso dell’atto di elezione di M.° di Cappella in seguito del dispaccio de 24 gennaro scorso stipolato nella persona di don Alfio Platania sotto li 31 Gennaro per la giubilazione del suo predecessore D. Nicolò Mellini con detto ordine nostro accordato facendo riconoscere al Platania per M.° di Cappella sudetto col godimento di lucri, salario ed ogn’altro al medesimo spettante asseconda del detto atto, e non altrimenti. Datum Panormi die vigesima prima Marti 1806”; cfr. Nicolo Maccavino, “Cronaca del festino in onore di Lord Bentink: Caltagirone 1813”, Festini caltagironesi del XVII, XVIII e XIX secolo, ed. Vito Dicara e Nicolò Maccavino, Palermo, Cordaro Editore, 1993, p. 69-128 (82 e 96). Maccavino, “Platania musicista…”, art. cit., p. VII-XV.

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Per evitare il ripetersi della insolita situazione venuta a crearsi con il Mellini, il Senato di Caltagirone, cominciò, dunque, ad assegnare delle vere e proprie borse di studio ante litteram a coloro che, ritenuti meritevoli, ne facevano richiesta; e ciò con l’intenzione di favorire (e al più alto livello) la formazione professionale dei musicisti locali che, una volta completato l’iter degli studi, diventati perfetti maestri, potevano essere assunti in seno alla cappella musicale. Sempre il Mellini, che aveva “mantenuto per lo spazio di anni quattro in codesto Conservatorio degli Spersi”76 di Palermo suo figlio Carlo, nel dicembre del 1785 inviava al Senato una supplica, in cui scriveva che vorrebbe ora, per renderlo nella stessa professione perfetto, a mantenerlo per altri anni quattro in Napoli, acciò potesse colà acquistare quel gusto di novità e quella vaghezza di stile, che formano quel tanto che si ricerca per rendersi più gradita l’Armonia. E trovandosi il supplicante impossibilitato acciò fare per ristrettezze di sue facoltà e per il peso di una numerosa famiglia, implora dal Senato che dal Civico Patrimonio si contribuisca al medesimo un’annua pensione per il mantenimento in Napoli del di lui figlio e ciò per remunerazione de’ Servigi dal Padre prestati e per quelli che in caso di restar egli inabilitato, promette far in avvenire il figlio.77

Il Senato – incassato il placet dal Tribunale del Real Patrimonio – accoglie la richiesta accordando al Mellini un soccorso di sole onze 36, de’ quali 18 gli venissero pagate prima della partenza al figlio per provvedere alle spese di viaggio e tutt’altro di cui potesse abbisognare e l’altre onze 18 gli si somministrassero di tempo in tempo dal Senato a misura delle prove, che darà il Giovane di suo talento, rimettendo in questa [città] qualche sua composizione musicale di modo che venisse così pubblico a ritrarne il vantaggio di poter godere in quattro anni di sua dimora in Napoli qualche sua Opera in ciascun anno.78

Nell’ambito delle tipologie di impiego di un maestro di cappella, sono da segnalare anche quelle in cui il maestro veniva assunto per le sue particolari capacità artistiche, come pure, in seguito a una esplicita richiesta di assunzione, che lo stesso inoltrava al vaglio dei membri del Consiglio Civico. Rientra nel primo caso l’elezione di Gaetano Lattuga (o Lattuca), avvenuta il 16 febbraio 1709, “nel quale giorno – come si legge nel mandato di pagamento – incominciò a servire come Maestro di Cappella et organista” nella Chiesa Madre di Piazza Armerina.79 Nato nella stessa città di Piazza, prima 76. 77. 78. 79.

ASCg., Ordini, vol. 16, 1785-1793, c. 26 Ibidem. Ibidem. Il mandato di pagamento è del 25 febbraio 1709 giorno in cui si pagarono “a Don Gaetano Lattuga onze 4 e tarì 15 […] a complimento di onze 6 […] per l’ultimo terzo maturato al primo di maggio delle onze 18 l’anno di salario costituitoci come maestro di cappella et organista […]; ACPz., Ordini Mandati Originali del patrimonio della Chiesa nell’anni 1703-1713, c. 294. Risale al 24 giugno 1709 il pagamento dell’ultimo terzo del suo salario come maestro di cappella; ivi, c. 34. Dalle notizie in nostro possesso ancora nel 1713 il Lattuga occupa il posto di “Maestro di Cappella et organista” della chiesa Madre di Piazza Armerina: “A dì ultimo luglio 6a indizione 1713, onze 6 a Don Gaetano lattuga M.o di Cappella et organista per l’ultimo terzo di suo salario”; ivi, c. 593.

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di ottenere il prestigioso incarico, vi era stato attivo nell’estate del 1700 80 e, poi, nel 1703, impegnato a “sonare il violino e cantare di tenore” in occasione della festa dedicata alla patrona Maria SS. delle Vittorie che si festeggia il 15 agosto.81 Della sua attività di musicista abbiamo testimonianze sin dal 1695. Lo troviamo a Caltagirone (ulteriore conferma degli intensi scambi artistico-musicali esistenti fra le due città), dove il 22 gennaio 1695 aveva sposato Anna Zafferana,82 e, dall’ottobre dello stesso anno,83 aveva iniziato a prestare la propria opera di musicista nella locale cappella musicale: in qualità di violinista e tenore sino al gennaio 1699, 84 dal giugno 1726 al marzo 1729, come maestro di cappella.85 Nel 1705 fu ingaggiato per cantare “nell’intermezzi” del “Dramma musicale” La S. Eugenia “fatto rappresentare nel Teatro dell’Amplissima, e Fidelissima Real Citta di Iaci [Acireale]” per la festa di S. Sebastiano”,86 mentre nel febbraio del 1725 era fra gli interpreti (ricopriva il ruolo di Ludovico Pio imperatore) nel “Dramma morale” di Girolamo Gigli (autore dei versi della Dirindina musicata da Domenico Scarlatti) intitolato La Pietà e la fede in difesa dell’innocenza, posto in musica da Giovanbattista Annone, maestro di cappella dei Benedettini, in occasione della “Solennità di S. Agata” patrona di Catania.87 Indubbiamente il Lattuga era molto apprezzato dagli oculati amministrati piazzesi (e non solo) per le sue performances strumentali e canore, per le quali spesso, durante il 80. 81. 82.

83. 84.

85.

86.

87.

ACPz., Ordini Mandati Originali del patrimonio della Chiesa 1681-1702, c. 969r e c. 971, 31 luglio 1700. ACPz., Ordini Mandati Originali del patrimonio della Chiesa nell’anni 1703-1713, c. 44. Lo si desume da un documento del 22 gennaio 1695, nel quale giorno, nella Chiesa di San Giuliano di Caltagirone, fu celebrato il matrimonio fra “Lattuga Gaetano di Piazza, fu Francesco e fu Rosalia Capra” e “Zafferana Anna, fu Notar Giambattista e di Agata Meli”; I-Cal-Bcom, il manoscritto di Luigi Randazzini, Matrimoni nella Parrocchia di S. Giuliano, lettera “L”. Con un mandato del 31 dicembre 1695 si pagano onze 2 e tarì 10 a “don Giacomo Cortina, Gaetano Lattuga e Francesco Pisano, canto e violino, a conto del loro salario di detto anno”; ASCg., Discarichi, vol. 17, 16931704, c. 36 nn. 206-211; e poi ivi, c. 138 n. 279 (aprile 1697). Ivi, c. 180 n. 223 (aprile 1699) e c. 183v n. 260 mandato del 31 gennaio 1699 in cui si pagano “onze 6 e tarì 20 a Gaetano Lattuga per suo salario di mesi otto corsi dal primo giugno 6a indizione 1698 a tutto gennaro […] 1699 per haver servito la cappella di musica di tenore e violinista”. Il compenso annuo del Lattuga era di 10 onze; ivi, c. 186v, 26 giugno 1698. ASCg., Discarichi, vol. 19, 1724-1739, c. 134v n. 375; 31 agosto 1727: “E più onze 70 tarì 20.5.2 a don Gaetano Lattuca come maestro di Cappella e questi per la rata di loro salario ad ogn’anno compartento pro sua rata di mesi dieci e giorni 15 corsi dalli 15 giugno per tutto il mese d’Agosto”. Il rapporto di lavoro con la città di Caltagirone si interruppe durante il 1729 poiché erano sorti dissapori di ordine economico con gli amministratori della città, come si apprende da un documento del gennaio 1730 (una procura “Pro d. Gaetano Lattuca in persona di d. Xaverij Lattuca” stipulata al cospetto del notaio Giacomo Maiorana) in cui si dichiarava quanto segue: “Io sottoscritto d. Saverio Lattuca confermo haver ricevuto dall’Illustrissimo Sig. D. Giuseppe Chirandà […] onze 8 e tarì 20, quali li ricevo come procuratore di D. Gaetano Lattuca, e sono per haver il detto […] servito nella cappella della dettà città di l’anno 1729 in minor parte e dell’anno 1728 in maggiore parte, e perché non fu in detti anni a pieno pagato secondo la forma dell’elezione fattagli dall’Illustrissimo Senato di detta Città; intanto l’Ill.o Sig.r Chirandà da tesoriero per un ordine espresso havuto da S.E. Viceré di Sicilia, ha pagato a me procuratore di D. Gaetano Lattuca per complimento di quelle [che] era creditore, onze 8 e tarì 20”; ASCg., Fondo Notarile Caltagirone, Notaio Giacomo Maiorana, c. 501. Il libretto stampato a Napoli da Francesco Paci nel 1705, è conservato nella Biblioteca Zelantea di Acireale fra i Melodrammi Recitati in Acireale, vol. I, n. 12; cfr. Salvatore Pennisi, Catalogo delle opere a stampa delle città di Acireale, Acicatena ed Aci S. Antonio dal XVII secolo al 1817, Acireale, Accademia di Scienze Lettere e Belle Arti degli Zelanti Dafnici, 2012, p. 23. Cfr. Fresta, Musica Sacra ad Acireale…”, op. cit., p. 56-57; Maccavino, “ Le Cappelle musicali di Acireale…”, art. cit., p. 234. Un libretto in I-CATc, U.R.Misc.A35.36; cfr. Maria Rosa de Luca, Musica e cultura urbana nel Settecento a Catania, Firenze, Olschki Editore, 2012, p. 40-41.

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suo incarico di maestro di cappella, ricevette degli extra. Nel 1709, ad esempio, durante le funzioni previste per la Settimana Santa e per la Pasqua, il Lattuga fu pagato per avere cantato i “Passij della Domenica delle Palme e Venerdì Santo” e poi nella “Messa cantata […] e Vesperi delli tre giorni di Pasca”.88 Lo stesso avvenne durante le funzioni natalizie, allorché è don Paolo Stivale a suonare l’organo “stante che il Maestro di Cappella D. Gaetano Lattuga cantarìa sì come allo stabilimento di sua elezione”.89 Nella primavera del 1783, e siamo alla seconda evenienza, è il calabrese Leoluca Sorbilli, che si era trasferito prima a Messina e poi ad Acireale, in seguito al terremoto che aveva colpito (il 5 febbraio 1783) Monteleone (odierna Vibo Valentia), a inoltrare ai Giurati acesi la sua richiesta di assunzione. In essa il musicista spiega che nella funesta ricorrenza del terribile tremuoto […] che diroccò dai fondamenti la cara di lui patria e specialmente alcune chiese, ove fondava il di lui mantenimento in qualità di maestro di cappella […], fu costretto, mancandoli il mestiere a cui appoggiata andava la manutenzione e sostegno di sua propria famiglia, di conferirsi in questo Regno per rinvenir l’impiego giusta la propria professione. Di fatti dimorando in Messina, fu domandato e drizzato per la Città di Acireale dove si ricercava un maestro di Cappella per i servigi di quella Collegiata Chiesa in circostanza delle nuove feste della gloriosa Santa Venera, e per servigi di musica che sono d’obbligo in alcune ricorrenze che in Chiesa si festeggia: quivi conferitosi, dopo vari trattati, si convenne il di lui assento con la pensione annua di onze 12 in rapporto alle feste di Santa Venera, ed onze 4 in rapporto a servigi ch’erano di carico al Magistrato Urbano.90

L’istanza fu accolta favorevolmente, come risulta dal contratto stipulato l’8 giugno 1783, in base al quale il Sorbilli si impegnava a comporre in musica in ogn’anno il Dialogo, che suole in circostanza della festa di Santa Venera, per rappresentarsi nell’Aula Giuratoria nel mese di luglio, dirigere le serate, prontuar le carte di musica e dirigere pure il primo e secondo vespero da cantarsi in chiesa e la Messa sollenne, non men nel giorno festivo della Santa, ma nell’ottava ancora e nel 14 poi di Novembre in ogn’anno dirigere e prontuar le carte di Musica e Vespero sollenni […].

Anche in questo caso la decisione dei Giurati di assumere il musicista calabrese si rivelò felice. Sorbilli, infatti, ricambiò la fiducia dando ordine e stabilità alla attività della cappella, e facendosi apprezzare come compositore di dialoghi-oratori, che a partire dal 1783, risuonarono en plein air (per tal motivo denominate ‘serenate’ nei libretti a stampa) “nella Piazza dell’Aula Giuratoria” di Acireale, in occasione della festa di Santa Venera patrona della città. Tali composizioni – la cui esecuzione segnava, qui come in tutta la Sicilia, uno dei momenti più attesi e irrinunciabili fra gli eventi che nel XVIII secolo facevano da corredo alla festa patronale (Sorbilli era ‘obbligato’ a 88. 89. 90.

ACPz., Ordini Mandati Originali del patrimonio della Chiesa nell’anni 1703-1713, c. 294. Maccavino, “ Le Cappelle musicali di Acireale…”, art. cit., p. 234-236. ASCa., Materie Diverse, vol. 66, c. 305; cfr. Fresta, Musica Sacra ad Acireale…”, op. cit., p. 32.

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comporne uno ogni anno) –91 nacquero dalla collaborazione con due importanti letterati del luogo a cui si deve la stesura dei testi poetici: mi riferisco all’accademico zelante Vincenzo Costanzo, detto “l’Inerme”, di cui Sorbilli musicò le serenate Santa Venera (1783), La Sunamite (1784), Mosè salvato dall’onde (1786), Ester (1787), Susanna (1788), La Madre de’ Macabei (1789); e al marchese di S. Dorotea, Francesco Maria Proto “detto fra l’Arcadi di Numero Glaucillo Ermionio Accademico Forte, Etneo, Peloritano, Del Buongusto, Arestuseo, Palladio, Ibleo” a cui si devono le serenate L’Idolo d’Aronne incenerito e La Giaiele, poste in note dal Sorbilli nel 1790 e nel 1791.92 […] SÌ COME ALLO STABILIMENTO DI SUA ELEZIONE Sui compiti e sulle prestazioni richieste ai maestri di cappella che operarono nei secoli da noi presi in considerazione, possediamo documenti che ci permettono di avere un’idea abbastanza precisa di quale fosse lo “stabilimento di sua elezione”, cioè di quali fossero, per contratto, gli obblighi di lavoro a cui un maestro di Cappella doveva far fronte in caso di elezione. Al maestro che svolgeva le sue mansioni in cappelle in cui, come quella maltese, erano presenti scuole annesse alla chiesa cattedrale, si richiedeva innanzitutto (lo si è visto nel caso della elezione di Andrea Rinaldi nel 1627) di insegnare “canto fermo e figurato”. In assenza di tali scuole, l’attività didattica, in linea con la prassi molto diffusa nel Seicento, e in parte anche nel Settecento, con cui si garantiva il ricambio del personale nelle cappelle musicali siciliane (e non solo), si poteva svolgere anche ‘privatamente’. È il caso di Dorotea Conte che, nel 1639, stipulò un accordo con il dottor Mario Capuana, per il quale poneva per un anno il proprio figlio Paolo al servizio del maestro come “canturi di musica”. Capuana si impegnava in cambio ad alloggiarlo nella sua casa e a corrispondergli un salario di 12 onze annue; una clausola prevedeva che ove nel corso di tale periodo Capuana fosse stato rimosso dall’incarico di maestro di cappella a Noto, il contratto sarebbe stato dichiarato nullo. Tre anni dopo (nel febbraio del 1639) il netino Francesco Giordano affidava, sempre al Capuana, il figlio Vincenzo come “canturi di musica” per quattro anni durante i quali il maestro si impegnava a “docere musicam et sonum secundo capacitatem dictis Vincentii”, corrispondendogli per il primo anno un compenso di onze 2 e tarì 12, e per il secondo di onze 5, a patto che il fanciullo cantasse in esclusiva per lui. Negli altri due anni l’allievo sarebbe stato retribuito dalla città “tanto quando cantirà in questa città come anco quando andrà a cantari forastero […] cum alio pacto che motando detto Vincentio vuci sia in electione di detto Capuana di volerlo”.93 91. 92. 93.

Maccavino, “Forme oratoriali a Caltagirone…”, art. cit., p. 295-298. Mentre le musiche di queste serenate, sino a prova contraria, sono andate disperse, se ne conservano, però, le stampe dei libretti attualmente custodite fra le carte della Biblioteca Zelantea di Acireale; cfr. Pennisi, Catalogo delle opere a stampa…, op. cit., nn. 233, 235, 238-239, 241, 243, 245-246. Buono, “Mario Capuana…”, art. cit., p. XI-XII; Loreto, Quattro secoli…, op. cit., p. 90.

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Il 26 gennaio del 1640 il contratto venne annullato poiché Vincenzo Giordano, così come Giambattista Scarrozza, fu assunto in seno alla cappella musicale di Caltagirone con l’incarico di soprano da ottobre 1641 a luglio 1642.94 E ciò a riprova dei frequenti contatti fra le due realtà musicali, che si manterranno costanti anche nel secolo successivo. A distanza di oltre 130 anni – siamo a Caltagirone nel 1772 – un interessante documento registra una simile modalità di trasmissione didattica che vede coinvolti il Maestro di Cappella di Caltagirone, Nicolò Mellini, i responsabili amministrativi della Chiesa Madre di Piazza Armerina e l’“Eunucus” piazzese don Giuseppe Calcagno. In tale documento una ratificatio del 16 luglio, dietro compenso di 45 onze (una somma importante all’epoca) veniva sciolto un precedente contratto fra il Mellini e il Calcagno, dove era stato stabilito che quest’ultimo “dovea pagare al detto di Mellini la medietà delle provenenze di tutte le musicate ed ogn’altro per l’ultimi anni due corsi dalli dalli diecisette gennaro 5a indizione 1772 per tutti li diecisette gennaro 7a indizione 1774”. In cambio il Mellini si era impegnato, per lo stesso periodo di tempo, ad insegnare “al detto di Calcagno a cantare di musica e sonare di cimbalo”. Il tutto accadeva perché era volontà dei fidecommissari di Piazza Armerina assumere il Calcagno per servire [di] tenore la cappella di musica di detta chiesa Madre stante le funzioni di musica con suoi ottavarii e processioni del Corpus Cristi [sic] e Mezzo Agosto, e cantare li due dialoghi in detto Ottavario di Mezzo Agosto con quelle musicate indispensabili.95

Compito principale del maestro, tuttavia, era quello di comporre e/o concertare, di anno in anno, tutta una serie di composizioni, di vario genere e con tipologie di organico assai diversificato, con cui far fronte alla fitta serie di impegni (quasi giornaliera) cui la cappella, di cui egli è il responsabile, era obbligata a intervenire nel corso dell’anno. Ecco, ad esempio, quali erano, nella Noto del 1637, le celebrazioni liturgiche che, durante l’anno, prevedevano la partecipazione della cappella, impegnata nell’esecuzione di messe, vespri, responsori, antifone, compiete e passioni le cui musiche – verosimilmente – erano il frutto dell’estro creativo del locale maestro di cappella: Giorni da cantarse con musica nella chiesa magiore di questa città di Noto: La natività di nostro Signore Giesu Christo, primo vespero e compieta nella vigilia et nel giorno messa, vespro e compieta. Il giorno di S. Stefano messa vespro e compieta. Il giorno di S. Giovanne Evangelista la messa solamente. La Circuncisione di nostro Signore la messa solamente. L’Epifania di nostro Signore la messa solamente. La festa di S. Corrado a 19 di febraro primo vespro e compieta et nel giorno di detto Santo messa, vespro e compieta et per tutta l’ottava le compiete. Tutti la sabbati della quadragesima l’Ave Regina Coelorum overo le letanie della Madonna. La domenica delle palme il Passio. Il giovedì santo la Messa. Il venerdì santo il Passio. Il Sabbato santo la Messa, vespero e compieta. La Pasqua di Resurrettione la messa, vespero et compieta. Il lunedì messa, vespro e compieta. Il martedì 94. 95.

Buono, “I Musici della cappella musicale di Caltagirone…”, art. cit., p. 11-26 (16 e 19). ACPz., Carte varie, 16 luglio 1772.

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la messa. L’Ascensione di nostro Signore la messa. La festa di Pentecoste primo vespro e compieta, messa, secondo vespro e compieta. La sollennità del SS. Sacramento vespro e compieta nella vigilia, il giorno messa, secondo vespro e compieta et per tutta l’ottava le compiete. L’Assumptione della Madonna primo vespro e compieta, il giorno messa, secondo vespro e compieta. Ogni terza domenica d’ogni mese la messa solamente. La festa di tutti i Santi la messa. La festa di Santo Nicolò primo vespro e compieta, il giorno messa, secondo vespro e compieta. Nella festa di Santo Corrado nel mese di agosto il sabbato vespro e compieta, la domenica messa, vespro e compieta et per tutta l’ottava compiete. Nella novena della Madonna nella messa qualche mottetto. Al Santissimo Crocifisso il venerdì di marzo quando si va la processione qualche mottetto et lo miserere.96

A distanza di poco più di un secolo (siamo nel 1766) il numero di celebrazioni religiose alle quali la cappella musicale di Noto era obbligata a intervenire – e con essa il maestro di cappella – si mantiene costante, sebbene risultino ben delineati alcuni specifici interventi; fra questi quelli previsti per L’esposizione delle Quarantore e i servizi per la festa patronale, che oltre al Triduo, il Vespro solenne, e le Messe e le Compiete, ora prevedeva anche la composizione “di un Degalogo [dialogo] ogn’anno” da eseguirsi o per la “festa del Glorioso Protettore S. Corrado che si celebra nel mese di febrajo, ò in quella del mese d’Agosto, ad arbitrio, ed elezione delli d[ett]i Ill.mi Sig.ri Giurati, o Suoj Deputati”.97 Una situazione sostanzialmente simile la troviamo anche a Caltagirone, dove la lunga lista delle feste che prevedevano l’intervento della cappella musicale, si legge in una accorata lettera del 1713 scritta dal parroco della Chiesa Madre il quale, “unitamente coll’altri Parochi” della città, sollecitava l’intervento del “Mastro Giurato del Val di Noto”, in difesa dell’istituzione musicale che rischiava la débâcle economica, con pesanti conseguenze per il “servizio del Culto Divino e funzioni Reali”. In particolare il Sacerdote faceva notare che essendosi il Senato obbligato a solennizzare con detta cappella di Musici moltissime feste especialmente nelle chiese parrocchiali deve celebrare le feste del SS. Natale […], Pasqua, d’Epifania, festa della purificazione della SS. Vergine Maria, funzione delle Palme e tutta la Settimana Santa […] e Pentecoste, festa del Corpus Domini e tutta l’ottava solennità dell’Assunta, come anche per le funzioni delle Rogazioni. Parimenti solennizza la festa del nostro Glorioso Protettore S. Giacomo a 25 luglio, a 11 Gennaro della nostra compatriota la Beata Lucia, degli Apostoli S. Filippo e Giacomo, la festa del SS. Crocifisso nella chiesa Parrocchiale di San Giuliano; il giovedì innanzi Quaresima, il giorno delle ceneri e delle tenebre, il mercoledì Santo, e tutte le terze domeniche dell’anno con più processioni per tutta questa città […] come anche interviene con detti Musici nella deposizione del SS. Sacramento delle 40 ore […], e in occasione di penurie, mortalità, terremoti et altre gravissime urgenze […], tante e sì innumerevoli feste mai potrebbonsi celebrare se si levasse l’assento di detta Cappella di Musica.98

96. 97. 98.

ASn, Consigli civici dell’Università di Noto, vol. 615, cc. 475-476; cfr. Buono, “Mario Capuana…”, art. cit., p. X-XI. ASn, Atti notarili, notaio Giuseppe Pizzi, vol. 7789, 27 novembre 1766, cc. 225-235 (229v); cfr. Loreto, Quattro secoli…, op. cit., p. 71-74. ASCg., Ordini, vol. 5, c. 252.

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Nell’atto di elezione di Alfio Platania senior in qualità di maestro di cappella, e con lui quello dei “Musici della Cappella” di Caltagirone, redatto il 13 aprile 1729 dal notaio Paolo Lauria, si rilevano condizioni contrattuali che fanno eco a quelle appena riferite, con il maestro di cappella e i musici, di cui Platania senior era garante, obbligati a servire detta Città in tutte le funzioni e precise nelle Feste del Corpus Domini, Glorioso Apostolo e Protettore S. Giacomo, Natale e Pasqua di Resurretione nelle quali feste in nessun conto possano mancare con che mancando nell’altri funzioni, con la licenza delle Spett.li Patrizio e Giurati, che pro tempore saranno, si debba scemare a quella per una o più che mancherà la rata del salario per quanto importerà la mancanza dalle funzioni.99

Condizioni di lavoro che ritroveremo – lo abbiamo già visto – nell’atto di nomina (l’8 giugno 1783) del Sorbilli alla testa della cappella musicale acese, e che si individuano con maggiore pregnanza, in un prezioso documento del 7 aprile 1797. In quel giorno, infatti, “vacando l’impiego di Mastro della Musicale Cappella [della] venerabile Chiesa Madre pella morte del fu Don Antonino Valenza maestro di Cappella dell’Istessa”, veniva eletto il “Signor D. Antonino Pittà, figlio del quondam D. Paolo Pittà della città di Piazza in Sicilia, al presente in Napoli Maestro di Cappella del Real Conservatorio della Pietà de’ Torchini”. Come si legge nell’atto di elezione, Antonino Pittà si obbligava a servire sudetta Venerabile Chiesa Colleggiata Madre in tutte e singole sue funzioni musicali come siano la Circoncisione, Epifania, Undeci di Gennaio, Purificazione, S’Agata, Annunciazione di Maria Vergine, Settimana Santa incominciando dalla Domenica delle Palme, Passij, Lezioni nei giorni di Mercoledì e Giovedì Santo, Sabbato Santo, Domenica di Resurrezione, Lunedì e martedì di Pasqua con suoi Vespri, Ascensione, Pasqua di Pentecoste colli giorni successivi di Lunedì e martedì; Santissima Trinità, Corpus Christi e suo ottavario e due processioni; S. Giovanni Battista, Santi Pietro e Paolo, sollennità dell’Assunzione di Maria Vergine dalli quartodeci di Agosto per tutti li ventidue di detto mese con suoi Vespri, processioni, e due Dialoghi in detto ottavari, Natività di Maria SS.ma, tutti li Santi con primo e secondo Vespro, Immacolata Concezione, Santo Natale e suoi giorni successivi; Sollenni Lezioni la notte di Natale; tutti li Santi Apostoli tutte le Terze Domeniche; Littanie in tutti li giorni di sabbato e gl’altri soliti conforme. Sono obbligati gl’altri virtuosi e voci di detta musicale Cappella. Come anche ogn’anno deve comporre un Dialogo a Musica e la composizione indi rappresentata restar deve a detto di Pittà, e similmente ogn’anno deve componere un anno una messa in musica, ed un altro anno un Vespro per ogni sollennità d’ogni anno per ogni sollennità d’ogni anno di Maria SS.ma dell’Assunzione Patrona di questa Città, con che però sudetta Chiesa deve dargli la carta necessaria e pagargli il scribba per copiare detti Dialogo, Messa, e Vespro d’ogn’anno, dovendo ogni Messa e Vespro nuovo d’ogn’anno indi restare per conto di sudetta chiesa e consegnarle doppo della sollennità d’ogni anno al Tesoriero di sudetta Venerabile Chiesa Madre. Deve pure in ogni anno componere due Lezioni nuovi cioè una per la sollennità del Santo Natale, e l’altra per la settimana Santa; com’anche deve servire detta Venerabile Chiesa Collegiata Madre giornalmente in Sonare la canonica secondo le leggi del coro di 99.

ASCg., Fondo Notarile, Notaio Paolo Lauria, Atti del Senato, 13 Aprile 1729, cc. 198-201v; cfr. Maccavino, “Le Cappelle musicali di Acireale…”, art. cit., p. 275-276.

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detta Venerabile Collegiata; ed in tutte quelle feste, e giorni feriali, ed altri che detta Collegiata è solita dover esser servita dell’organista cioè di Messe cantate, Vespri, Compiete, Officio cantato, ed altro non potendo mancare. Ita che non potendo servire detta Chiesa per qualunque legittimo impedimento, o per travarsi in parte forastiera, in tali casi, e ciascheduno di essi sortendo deve sudetto di Pittà a sue spese far servire detta Venerabile Collegiata per sonare la sudetta canonica da persona abile, benvista al Capo del Coro di detta Collegiata per non mancargli il serviggio. Beninteso però, che per le funzioni musicali solenni di detta chiesa Collegiata Madre […] non può né deve mancare, né potrà dimandare permesso e licenza a questi Signori Fidecommissari, e nemeno li medemi potranno accordargli tal permesso, ma soltanto per altre giornate feriali, e feste meno sollenni di quelle si sopra […]. Di patto pure che mancando sudetto di Pittà nei giorni sollenni, e principali come sopra, nei quali si disse non esser lecito al medesimo di prender licenza né di potersele accordare che in tal caso sia lecito a detti Fidecommissari […] a spese ed interesse di sudetto di Pittà far venire un Maestro di Cappella a bellaposta per occorrere a quelle sue mancanze. Da perdurare sudetta elezione, ed obbligazione per lo corso d’anni otto da correre e computarsi detti anni otto dal giorno che detto di Pittà capiterà in questa. Per mercede alla ragione di onze 40 all’anno quali sudetti Signori di Trigona e Savina Fidecommissari come sopra in vigor del presente si sono obligati ed obligano al Sudetto di Pittà assente e per esso al sudetto di Castiglione Procuratore […] pagare di terzo in terzo antecipatamente come è solito pagarsi l’onorario all’altri virtuosi di detta musicale cappella in denaro qui in Piazza ed a loro mandati in pace. Più [i] sudetti Signori s’obligano e promettono a detto di Pittà assente, e per esso al sudetto di Castiglione procuratore […] pagargli onze cinque in denaro per una sol volta all’oggetto sudetto di Pittà farsi il viaggio e portarsi da quella di Napoli in questa di Piazza, in denaro qui in Piazza in pace.100

Oltre a comporre e a predisporre le musiche necessarie,101 di anno in anno, per le diverse occasioni festive previste nel fittissimo calendario liturgico che – lo si è già detto – raggiungeva l’acme proprio durante i festeggiamenti patronali,102 il maestro 100. 101.

102.

Piazza Armerina, Archivio vescovile, Obbligazione, (senza collocazione), 7 aprile 1797. Mentre i maestri di cappella che svolsero la loro attività per buona parte del XVII secolo solevano riunire le loro composizioni (mottetti, messe, salmi e compiete, messe da Requiem) in sillogi che, come si è visto, venivano stampate con l’appoggio economico di mecenati compiacenti, le poche composizioni superstiti, frutto dell’attività svolta dai maestri nelle quattro cappelle da noi prese in considerazione, ci sono giunte manoscritte e custodite nei fondi musicali delle Biblioteche Comunali di Noto (“Principe di Villadorata”, Fondo Altieri) e di Caltagirone (“Emanuele Taranto” Fondo Crescimone-Maccavino); nell’Archivio della Chiesa Madre Collegiata di Piazza Armerina (cfr. Maccavino, “ Le Cappelle musicali di Acireale…”, art. cit., p. 286-291) e nella Biblioteca privata dei Crescimanno d’Albafiorita, oggi casa della contessa Gaetana Bartoli Gravina di Caltagirone (cfr. id., “Musiche strumentali settecentesche nel fondo musicale “Crescimanno d’Albafiorita” a Caltagirone”, Fonti Musicali Italiane, 23 (2018), p. 89-126. Si trattava di feste assai variegate, ricca di momenti spettacolari – come la passeggiata “dei carri con la musica” (v. Fig. 1) – e gli sfarzosi apparati che adornavano le chiese, i palazzi della nobiltà e le principali strade cittadine, dove il sacro e il profano si fondono e tutte le arti – la musica in primis con le esecuzioni (di messe, salmi, mottetti, dialoghi) entro i luoghi sacri ma, soprattutto, en plein air nelle piazze delle città dove si rappresentavano serenate e, talvolta, opere in musica – concorrono per un unico fine: rendere più solenne e spettacolare la festa dedicata al santo Patrono. Per tale motivo, spesso i maestri ricevevano dei pagamenti extra, per far fronte alle sempre più pressanti richieste da parte degli amministratori. Il 3 ottobre 1762, ad esempio, Alfio Platania senior è destinatario di un mandato, con il quale gli si pagano onze 5 e tarì 21 “Per soi travagli straordinari fatti nel componere il Dialogo del Glorioso Apostolo e protettore San Giacomo per la sudetta festa e per la copia d’esso dialogo in musica”; ASCg., Espensioni, vol. 2, 1762-1763, c. 58. Sempre a Caltagirone il 24 luglio 1784 si pagano quasi 60 onze “ad effetto di pagarli per onorari, accesso e recesso e vitto somministrato a Virtuosi in musica per aver questi cantato e sonato in tutte le messe, Vesperi, Dialoghi e dove cantare per

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doveva, inoltre, far fronte a tutta una serie di altre occorrenze celebrative sia ‘private’, che, in genere riguardavano evenienze della nobiltà locale,103 sia ‘pubbliche’, determinate da particolari ricorrenze regali, quali appunto, nozze, genetliaci, incoronazioni, commemorazioni funebri che davano vita a ‘festini’ assai dispendiosi e sfarzosi, prolungati nei giorni, di cui spesso, si stilavano puntuali ragguagli da affidare alle stampe.104 E non mancavano commissioni particolari che potevano giungere da istituzioni musicali viciniori,105 come pure, sebbene più rare, scritture presso teatri dell’opera.106

103.

104.

105.

106.

tutto il presente festino di sudetto Glorioso Apostolo, inclusa in detta somma onze sei da pagarsi a Don Nicolò Mellini M.o di Cappella per di lui servigio straordinario in comporre li Dialoghi siccome per tutt’altro è stato necessario di musica in detta festa, e per le sere di trattenimento, e quattro dialoghi cantati dal principio del corrente luglio […], quali onze 59.16.8 sono a complimento di onze 99.16.8 comprese onze 40 avute con altro mandato del 30 giugno scorso”; ASCg., Espensioni, vol. 23, 1781-1782, c. 23. Risale al 1725 l’esecuzione a Caltagirone de Lo Sposalizio dell’anima con Cristo, “Dialogo A quattro Voci, e più Strumenti”, posto in musica da Giacomo Vitale e cantato nel venerabile monastero di Santo Stefano “Per il Monacato delle Signore Donna Maria e Donna Melchiora Landolina e Gaudioso”; cfr. Maccavino, “Forme oratoriali a Caltagirone…”, art. cit., p. 410. È del 1736 l’esecuzione de Il Trionfo della Religione, “Dialogo a cinque Voci, e più Strumenti” cantato a Piazza Armerina nella chiesa del Venerabile Monastero di S. Giovanni Evangelista “per il monacando della Signora Donna Aleonora Crescimanno”; In Palermo, Appresso Angelo Felicella, 1736; il testo poetico era del sacerdote piazzese Mario Adamo, la musica “del Sig. Don Alfio Platania”; un libretto in I-PLn Misc. A. 176. Cfr. Pennisi, Catalogo delle opere a stampa…, op. cit., p. 37, n. 94. Come scrive Francesco Aprile, nel corso dei festeggiamenti per l’acclamazione di Vittorio Amedeo di Savoia, la sera del 12 gennaio 1714 “per trattenimento erudito volle pure il Senato colla nobiltà […] intervenire a un panegirico […] al quale nel sabato ne seguì un altro più piacevole a ricreazione della mente insieme dell’orecchio: cioè un Dialogo in musica in cui si rappresentavano i pregi della M.a regnante e ‘l giubilo della Città Gratissima da’ personaggi ideali sotto la direzione del Maestro di Cappella il sacerdote D. Antonino Chiaramonte”; cfr. Francesco Aprile, Specialità degli ossequii, e del giubilo della Gratissima Città di Caltagirone nella solenne acclamazione della S.R.M. di Vittorio Amedeo Re di Sicilia […]. Festeggiata nel Gennaro 1714 […], Catania, Stamperia del Bisagni, 1714; ristampa anastatica a cura di Antonino Ragona, Caltagirone, CEPD, 1981, p. 12 e 29. Nel 1728, Alfio Platania senior è il destinatario di un mandato di pagamento del tesoriere della Cappella di Santa Venere di Acireale, con cui il primo agosto 1728, si pagano complessive tre onze e tarì 15 così ripartite: “onze due nella Città di Palermo a don Alfio Patanè [Platania] per la composizione del Madrigale in musica per cantarsi sopra l’organo in honore di detta Gloriosa Santa [Venera] nel giorno di sua festiva […] ed onze 1.15 nella città di Messina per haver fatto stampare detto madrigale al n. di 60 per dispensarsi al pubblico […]”; ASCa., Carte dei Giurati, Mandati, vol. 20, 1727-1728, c. 17v, 1 agosto 1728. E se i fidecommissari di Piazza Armerina commissionarono ancora ad Alfio Platania, negli anni 50 del Settecento, le musiche del dialogo Il ritorno di Zorbabelle in Gerusalemme (il cui manoscritto si conserva fra le carte dell’Archivio della Cattedrale di Piazza Armerina) eseguite in occasione dei festeggiamenti patronali (cfr. Platania, Il ritorno di Zorobabelle…, op. cit.), gli amministratori di Acireale richiesero a don Antonino Valenza “maestro di Cappella della Città di piazza” sino al 1797, la composizione degli oratori Assalonne punito e La Profezia di Isaia rappresentati nel 1776 e nel 1778 in occasione dei festeggiamenti di Santa Venera (cfr. Alosi, “La cappella musicale del Duomo di Acireale…”, art. cit., Catalogo, nn. 30-31; Cfr. Pennisi, Catalogo delle opere a stampa…, op. cit., p. 74, nn. 212 e 214). A sua volta i giurati caltagironesi nel 1796 pagarono onza una e tarì quattro il corriere Salvatore Falcone il quale si era recato ad Acireale per “prendere il Dialogo composto da Alfio Platania Maestro di Cappella”; (cfr. ASCg., Espensioni, vol. 53, 1796-1797, c. 188). Nel 1778, inoltre, fra gli altari della chiesa di Maria SS. della Catena, in occasione della festa del SS. Cuore di Gesù, risuonarono le musiche de L’Esaltazione di Giuseppe “Dialogo a 4 voci, con più strumenti Obbligati” composte da Don Paolo Altieri, che dal luglio 1768 era il maestro di Cappella della chiesa Madre della Città di Noto; (cfr. Maccavino, “Forme oratoriali a Caltagirone…”, art. cit., p. 369-389). Risale al 1735 la rappresentazione “nel Teatro di Malta” de Il Demetrio un “Dramma per musica […] dedicato all’Ill. Sig. Balio Fra Guglielmo Francesco De’ Burnart D’Arvenes de Borage” le cui musiche furono composte da “Alfio Platania” che ancora in quell’anno, e dal 1729, era alla guida della cappella musicale caltagironese; cfr. Maccavino, “Alfio Platania musicista…”, art. cit., p. IX e XXVIII; id., Il Teatro d’opera a Caltagirone, op. cit., p. 18-19. Il libretto di questo dramma (non segnalato nel Sartori) si trova presso la Biblioteca Comunale di Palermo, Misc. CXXXVI A 114.

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Fig. 1 – Alfio Platania senior: La felicità di Caltagirone (Caltagirone, 1744) (Biblioteca privata, per gentile concessione)

In qualità di direttore dell’organismo musicale il maestro, oltre ad essere il responsabile dell’aspetto organizzativo ed esecutivo della cappella, ne era, spesso, anche il garante economico. Infatti oltre predisporre e concertare i brani da eseguire durante le celebrazioni, dava anche indicazioni sui virtuosi “forestieri” – cantanti e strumentisti – che, specie nelle principali festività, venivano temporaneamente assunti per rimpolpare gli organici dell’istituzione musicale o per supplire qualche voce mancante, in modo da poter affrontare le numerose e impegnative esecuzioni previste nell’ambito dei festeggiamenti. E se – come si evince dai mandati di pagamento – nel corso del Seicento buona parte dei musici forestieri – maestri di cappella compresi – veniva ingaggiata per far fronte alle fastose esecuzioni policorali di messe, vespri e mottetti 107 che si alter107.

Con un mandato del 26 luglio 1615 (ASCg., Discarichi, vol. 6, 1610-1620, c. 453 n. 357) a Caltagirone si pagano onze 12 “a don Paolo Candone mastro di Cappella per la parte sua della musica che giunto con Antonio Lo Verso altro maestro di capella hanno fatto nella festa del glorioso Sancto Iacobo […] a tri e quattro chori la vigilia e giorno di festa e della veneratione della reliquia a complimento di onze 28 spese per detta musica per esso Candone tri cantanti foristieri et otto cittadini et per la musica [che] haverà di fari l’ottava e quella che fece nel giorno della morte di detto glorioso Sancto”; per un simile motivo il 28 luglio 1674 se ne pagano altre 27 “a fra Illuminato Ajello M.ro di Cappella di Musica per tanti spesi e pagati a diversi musici forastieri

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navano a quelle più intime con organico ridotto (una-tre-quattro voci) accompagnate dal basso continuo,108 nel XVIII secolo cantanti e strumentisti vennero sempre più assoldati per la mise en scène di opere in musica 109 e, soprattutto, di ‘dialoghi’ le cui musiche, quasi sempre, erano composte dal maestro di cappella titolare che ne era, in un certo qual modo, anche il punto di riferimento economico. Notevole, ad esempio, è quanto accade ad Acireale nel luglio del 1796, allorché, durante i festeggiamenti dedicati a Santa Venera, patrona della città, furono eseguite tre “serenate” – nell’ordine Tobia, Le Nozze di Ruth e Il Sacrificio di Gefte – tutte e tre poste in musica da Alfio Platania junior “maestro di Cappella della sudetta Real Città”.110 Per poter eseguire le tre piéces – e tutte le altre composizioni (“messe e vespri”) previste per la festa – essendo insufficiente il numero dei musicisti della cappella, su indicazione del maestro di cappella, fu necessario assumerne altri, “paesani e forestieri”,111 per i quali si spesero

108.

109.

110.

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per fare tri cori di musici per detta festa [San Giacomo]”; (ASCg., Discarichi, vol. 14, 1668-69 al 1674 e 1675, c. 463v n. 277). Nel 1697, ad Acireale, l’eunuco catanese Antonio Spataro riceve 3 onze e tarì 6 “per suo accesso e recesso, per havere cantato nella festività di Santa Venera e seco portato altre due voci di tenore e basso ed un violinista chiamati don Giuseppe Azzarello, don Gennaro Beninni, e Matteo Dei”; (cito da Fresta, Musica Sacra ad Acireale…”, op. cit., p. 84.); a Piazza Armerina il 9 luglio 1703 si pagano onze 7 e tarì 12 “per la musica della Pentecoste e festa di Pasqua alli musici di Monsignor Ill.mo di Catania e quelli di Piazza […] per havere cantato le Profezie, Passij e giovedì Santo e l’altre feste di Pasca [sic] le messe e i Vespri; ACPz., Ordini Mandati Originali del patrimonio della Chiesa nell’anni 1703-1713, c. 9. Tali esecuzioni, conformemente alla prassi di musica sacra del Seicento, tenevano conto delle svariate esigenze liturgiche e di organico a cui le cappelle musicali dovevano far fronte. Non a caso le numerose raccolte di musica sacra date alle stampe da autori siciliani e/o attivi in Sicilia durante il XVII secolo, venivano assemblate per far fronte a tali disparate occorrenze inserendo brani con organici assai diversificati: vi troviamo la disposizione per doppio coro ‘battente’; quella, più moderna, dello stile concertato (sia ‘concertato misto’ che ‘con il primo [coro] concertato’) dove le voci soliste si oppongono al tutti dei ripieni vocali-strumentali; ma anche composizioni con l’organico ridotto a poche voci (da 2 a 5) sostenute dal basso continuo affidato all’organo a cui, spesso, si aggiungono strumenti ad arco. È quanto si può apprendere da un documento del 10 luglio 1765, in cui Nicolò Carrubba, in qualità di ‘impresario’ si obbligava con il Senato di Caltagirone a fare “rappresentare per tre volte in questa sudetta città per l’imminente solennizzazione delle festa del Glorioso Apostolo Protettore S. Giacomo Maggiore l’opera dell’Adriano in Siria dovendo recitarsi pubblicamente nella quale recitazione devono esservi sei voci, cioè una di Cosmo Abbate, altra Giuseppe Ponti, altra Vincenzo di Castrogiovanni, altra Filippo di Piazza, altra Lorenzo Anfossi ed altra Gaetano di Vizzini […], ed inoltre fare l’intermezzi a tre voci, nelle quali devono essere Donato Miglionico, Lorenzo Anfossi e Vincenzino di Castrogiovanni o altri consimili, dovendo in dette opere ed intermezzi per istrumenti cioè primo violino Santoro di Piazza, secondo violino Caronia di Piazza, e altri consimili; un oboe forastiero e tutti li strumenti paesani di questa musicale cappella e similmente il maestro di Cappella don Alfio Platania, dovendo tutti sudetti musici sì forastieri, come paesani, fare non solo dette opere m’ancora il Dialogo nel fine del Palio, il Vespere, la messa cantata, ed ogni altro more solito; ed alli musici, ed istrumenti e maestro di cappella paesani detto di Carrubba sia oligato pagarci lo straordinario al solito come nell’anni passati in pace alias. Per mercede di tutto quanto necessita per adempiere l’anzidetto, pagare sudetti musici, istrumenti e maestro di cappella, alloggio, mangia, accesso e recesso […]”; ASCg., Relazioni, vol. 6, cc. 55-57; cfr. Maccavino, Il Teatro d’opera a Caltagirone, op. cit., p. 177-178. Pennisi, Catalogo delle opere a stampa…, op. cit., p. 90-92, nn. 257-259. I libretti furono tutti stampati a Messina dallo stampatore Baldassarre D’Amico al quale furono pagate onze 7 e tarì 15 “per suoi dritti [= diritti] di stampatura di no 1500 Dialoghi, cioè no 500 delle Nozze di Ruth, no 500 di Tobia e no 500 del Sacrificio di Gefte, rappresentati tutti [e] tre [i] Dialoghi nel sollenne festino di detta Gloriosa Santa [Venera] terminato a 26 del corrente luglio […]. Oggi 28 luglio 14a indizione 1796”; ASCa., Registri di Mandati, 1795-1796, c. 5v. La documentazione relativa a notizie di tal genere è numerosa e comune alle quattro realtà musicali da noi prese in considerazione, ed essa abbraccia entrambi i secoli XVII e XVIII. Così se a Caltagirone nel giugno 1673 è “fra’ Illuminato Ajello M.ro di Cappella della musica” a ricevere 26 onze “per dover far venire alcuni musici forastieri per la festa sudetta di S. Giacomo” (ASCg., Discarichi, vol. 14, c. 406v, n. 325), a Piazza Armerina,

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complessive 78 onze e tarì 15, somma che, come si apprende nel mandato di pagamento, fu versata direttamente al maestro di cappella “Alfio Platania Vinci […] ad effetto di dividerle alli musici ed istrumenti paesani e forastieri che intervennero per il solenne Festino di detta Gloriosa Santa [Venera] celebrato a 26 del corrente luglio [1796]”.112 Qualche osservazione, infine, relativamente alla modalità e alla scansione temporale con cui potevano avvenire i pagamenti ordinari ai maestri di cappella. Premesso che l’anno amministrativo (o indizione) sino a tutto il XVIII secolo, iniziava il 1o maggio e si concludeva il 30 aprile dell’anno successivo, dai mandati risulta che le amministrazioni preferivano dilazionare nel corso dell’anno il pagamento dei salari ordinari destinati ai maestri, con varie cadenze: bimestrali, quadrimestrali e, poi, soprattutto, a partire dagli anni Sessanta-Settanta del Seicento (e in particolare a Caltagirone), mensili. Emessi sempre per ordine del tesoriere, carica assai delicata anch’essa ricoperta da esponenti dell’aristocrazia locale, i mandati erano solitamente ad personam;113 tuttavia, a partire dagli anni Settanta del Seicento, alcune Amministrazioni

112.

113.

è il maestro di cappella Gaetano Lattuga, a ricevere altre onze 3 e tarì 7 “per la musica della settimana Santa e festa di Pasca [sic] dell’infratto anno 1709, cioè per li Passij della Domenica delle Palme e Venerdì Santo e Messe e Vesperi delli tre giorni di Pasca che sono sette servizi a D. Michele Micciché […] a Don Aloisio Cardamone violino […], al Canonico Don Girolamo Palermo […], a Don Gaspare Santoro violino […], havertendo che il M. o di Cappella Don Gaetano Lattuga cantò detti Passij et in dette Messe e Vespri poiché sonaria il Sig. Barone di Capodarso da noi invitato e per sua devotione, e così al detto Lattuga ci si fa pagamento” (ACPz., Ordini Mandati Originali del patrimonio della Chiesa nell’anni 1703-1713, c. 294). ASCa., Registri di Mandati, 1795-1796, c. 16v. In calce al mandato è riportata la “Nota delli musici che intervennero per festino della Gloriosa S. Venera celebrato a 26 luglio 1796 […] e per l’Ottava di detta Gloriosa Santa celebrata a 2 Agosto 1796”, che riportiamo. 26 luglio: Vincenzo De Dominici, Soprano paesano [= locale], onze 6; Niccolò Pacini, Tenore messinese, onze 6; Saverio Stella, Contralto catanese onze 5; Giuseppe Bruno, Basso di Vizzini, onze 7; Rosario Vasta, Soprano paesano, tarì 18; Diego Di Benedetto, Contralto paesano, tarì 12; Filippo Curcuccio, Basso paesano, tarì 24; Giuseppe Zapullo, primo violino di Piazza [Armerina], onze 15 e tarì 12; Antonio Platania, violino di Messina onze 3 e tarì 20; Giovanni Ungaro (Vagaro?), violino messinese, onze 2; Corrado Pozzo, violino catanese, onze 2 e tarì 14; Giuseppe Pozzo, violino catanese, onze 2 e tarì 14; Rosario Capritti, violino catanese, onze 2 e tarì 14; Emmanuele Nani, violino catanese, onze 2 e tarì 14; Angelo Musumarra, primo violino paesano, onza 1 e tarì 6; Cristofalo Indelicato, violino paesano, onza 1 e tarì 6; Placido Grasso, violino paesano, onza 1 e tarì 6; Francesco Carpinato, per un complimento, onza 1 e tarì 6; Salvatore Toscano, violino paesano, tarì 18; Michele Miraglia, violino paesano, tarì 15; Michele Palma, oboe catanese, onze 3; Carlo Russo, oboe paesano, onza 1 e tarì 24; Andrea Musmeci, Traverso paesano, tarì 24; Sebastiano Arcidiacono, Traverso paesano, onza 1 e tarì 15; Francesco Auteri, Tromba catanese, onze 2 e tarì 15; Antonio La Rosa, Tromba paesana; onza 1; Gaetano Lucci, Violoncello forastiero, onze 3 e tarì 15; Vittorio Indelicato, Contrabbasso catanese, onze 2 e tarì 15; Vincenzo Di Maria, Contrabbasso paesano, onza 1 e tarì 6; Mariano Pennisi, Contrabbasso paesano, onza 1 e tarì 6; Gaetano Grasso, partimentista, onza 1; Per affitto cembalo, tarì 15. 2 agosto: Rosario Vasta, soprano [paesano], tarì 8; Sacerdote Diego Di Benedetto, [Contralto paesano], tarì 5; Sacerdote Filippo Curcuccio, Basso [paesano], tarì 6; Angelo Vadalà, Tenore [paesano], tarì 8; Pietro e Antonio Valerio, dilettanti di Violino, per un complimento, tarì 12; Salvatore Torcano, violino [paesano], tarì 3; Michele Miraglia, violino [paesano], tarì 3; Francesco Tarzinato e Salvatore Gerbino, dilettanti di Flauto, per un complimento, tarì 16; Antonino La Rosa, terza Tromba, tarì 12; Mariano Pennisi e Vincenzo Di Maria, Contrabbassi, tarì 12; Gaetano Grasso, partimentista, tarì 16; Affitto di cembalo, tarì 4; Per copiatura di carte per li tre dialoghi, Messe e Vespri, onze 2. In tutto onze 78 e tarì 15. Con un mandato del 18 luglio 1639 (a Caltagirone) si pagano “onze 20 al sacerdote Antonino Campochiaro successore Maestro di Cappella della Città del detto don Andrea Rinaldo per la rata di mesi otto del suo salario cioè quattro mesi che fece di mandato di detto Rinaldo et altri quattro mesi che servio incominciando dal mese di magio per tutto il mese di agosto VII indizione 1639”; ASCg., Discarichi, vol. IX, 1635-1639, c. 558, n. 119. Il

146

MAESTRI NELLA SICILIA ORIENTALE

– quella caltagironese in particolare – preferirono emettere mandati (sempre scaglionati nel corso dell’anno amministrativo) non più destinati a singoli musicisti, bensì a favore della ‘cappella musicale’, la cui somma in toto veniva, spesso, destinata al maestro di cappella che, poi, la distribuiva ai singoli membri della cappella in base ai diversi contratti di assunzione. Ne consegue che, se ancora nel 1650 il maestro e i singoli componenti (vocali e strumentali) della cappella musicale caltagironese sono destinatari di ordini di pagamento ad personam,114 già nel 1673 il mandato è collettivo ed è emesso a cadenza mensile, come si legge in quello relativo al mese di maggio: E più di onze quattordeci e tarì 7 al Padre Illuminato Ajello M.ro di Cappella onze 1.15, a d. Silvio Mandato organista onze 1.15, a Don Vito Baldi Contralto nella Musica e piffare onze due, a D. Gio Batta Spalletta Tenore onze 2, a d. Gennaro di Alessandro Trombone onza 1.7.10, a don Bonaventura Cantaro violino in detta musica e canto di piffare onza 1 a d. Antonino Chiaramonte canto onze 2.15 a d. Giuseppe Ruffino violino di detta musica tt. 15 et a Franco Pasciuta basso onza due che tutti importano detta somma per loro salari di Musici di detto anno come musici suddetti, n’appare mandato al ultimo di maggio XI ind. 1673.115

Circa un secolo dopo, siamo nel maggio 1762, tempistica e modalità con cui avvenivano i pagamenti ai musicisti della cappella di Caltagirone, sono sostanzialmente simili, sebbene presentino una particolarità che si manterrà sino ai primi anni del XIX secolo. Il mandato, reso disponibile con apposito ordine emesso dal tesoriere del senato è indirizzato al direttore della cappella, il quale poteva incassarlo (“tanto nel proprio, quanto come procuratore delli altri Virtuosi della Cappella Musicale”) 116 solo dopo che, lo stesso maestro e un componente della cappella, non avessero sottoscritto una dichiarazione di veridicità o “fede” (che veniva allegata all’ordine di pagamento; v. Fig. 2),

114. 115. 116.

1o ottobre XIII indizione 1659, il tesoriere della città di Acireale, Giovanni Rosso, ordina che si paghino “al Sacerdote Don Gio. Batta Gulli, onza una e tarì dieci per suo salario […] di mesi dui cioè Agosto e Settembre p. p. come a Maestro di Cappella di questa detta Città”; ASCa, Mandati di pagamento, vol. 10, c. 4. “A dì 15 Gennaio XIV indizione 1706. Spett. Gio. Batta Calascibetta tes. Della Madre Chiesa di questa città di Piazza et a conto del Patrimonio Ordinario, vi piacerà pagare al Canonico D. Nicolò Piccione onze 18 quali se gli pagano cioè onze 6 per il 3o di Gennaio XIII ind. 1705, onze 6 per il terzo di Maggio di detto anno et onze 6 per il primo terzo maturato anticipato al primo di settembre p. p. dall’istesso anno 14a ind. per salario et a complimento di tutti l’anni passati delle onze 18 per salario ad esso costituitoci come organista e Maestro di Cappella di questa chiesa”; ACPz., Ordini Mandati Originali del patrimonio della Chiesa nell’anni 1703-1713, c. 142. Buono, “La Cappella musicale del senato di Caltagirone…”, art. cit., p. 133-144. ASCg., Discarichi, vol. 14, dal 1668-69 al 1674 e 1675, c. 399v, n. 234; per le altre rate; cfr. ivi, nn. 235-244. ASCg., Espensioni, vol. 2, 1722-1763, c. 220: “A 28 maggio 1762. D. Gaspare Aprile, Barone della Cimia, Tesoriero delli introiti di questa Unità di Caltagirone, d’ordine nostro pagate ad Alfio Platania, tanto nel proprio, quanto come Procuratore delli altri Virtuosi della Cappella Musicale di questo Illustrissimo Senato in virtù di due procure nell’Atti di Notar D. Giacomo Maiorana a 28 maggio 1758, e l’altra di Giuseppe Platania altro secondo violino nuovamente assegnato a detta Cappella col salario di onze sette all’anno, come per lettere Patrimoniali date in Palermo a 17 di Agosto 1762 e secute in nostra corte a 30 agosto suddetto, e conservate nel volume 75 foglio 764. E la detta procura del Platania […] onze quattordeci tarì 17 e grana 10 per una mesata di loro salario maturata posposta nel cadente maggio, per haver servito puntualmente come dalle retroscritte fedi […] onze 14:17:10”.

147

NICOLÒ MACCAVINO

Fig. 2 – ASCg., Espensioni, vol. 2, c. 221: “fede” autografa del maestro di cappella Alfio Platania (Per gentile concessione)

in cui si confermava la regolare attività svolta dai singoli musicisti della cappella e dal maestro che la dirigeva. Per cui mentre il maestro di cappella, Alfio Platania, attestava che l’infrascritti musici cioè Cosimino Abbate, Canto; Peppino Carta, Alto; Lorenzo Anfossi, Tenore; Francesco Salvati, Basso; Bernardo Cagnes, Paolo Perticone primi violini; Ferdinando Triolo, Giuseppe Platania, secondi violini; Giobatta Bajarelli primo oboe; Saverio Perticone, secondo Oboe; Andrea Perticone, violoncello; Ignatio Triolo, organista,

avevano “servito” la cappella “con ogni puntualità”, il basso, Francesco Salvati, a sua volta asseriva che “qualmente Alfio Platania” aveva “servito questa musicale cappella per tutto il mese suddetto”.117 Questi ultimi documenti, come del resto tutti gli altri di volta in volta riportati e citati in questo articolo, nonostante le differenze, confermano ulteriormente la centralità e l’importanza che il maestro di cappella rivestiva in seno alle cappelle musicali da noi prese in considerazione. Fonti dalle quali traspare con chiarezza, la fondamentale

117

Ivi, c. 221.

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MAESTRI NELLA SICILIA ORIENTALE

importanza sociale e antropologica (con tutto quello che ciò può significare) che tali istituzioni e, con esse quella dei suoi operatori, maestri di cappella in primis, ricoprivano in seno alla società siciliana del tempo.

149

NICOLÒ MACCAVINO

APPENDICE 1 Elenco dei maestri che hanno prestato servizio nelle cappelle musicali di Acireale, Caltagirone, Noto e Piazza Armerina ACIREALE 118 1633-1645 giu. 1651-giu. 1652 lug. 1652-1654 1654-dic.1667 lug. 1668-dic. 1669 apr. 1670-1690 mag. 1692-dic. 1694 dic. 1694-mag. 1696 lug.-nov. 1696 dic. 1696-apr. 1708 mag. 1708-nov. 1714 dic. 1714-1716 lug. 1716-lug. 1718 dic. 1718-nov. 1720 gen. 1721-apr. 1731 mag. 1731-apr. 1733 mag. 1733-apr. 1734 mag. 1734-apr. 1738 mag. 1738-apr. 1739 mag. 1739-apr. 1740 mag. 1740-apr. 1746 mag. 1746-apr. 1747 mag. 1747-apr. 1748 mag. 1748-apr. 1749 mag. 1749-apr. 1753 mag. 1753-apr. 1754 mag. 1754-apr. 1756 mag. 1756-apr. 1761 mag. 1761-apr. 1762 mag. 1762-apr. 1763 mag. 1763-apr. 1768 mag. 1768-apr. 1775 mag. 1775-apr. 1776 mag. 1776-mag. 1783 giu. 1783-apr. 1794 apr. 1794- apr. 1795 lug. 1795 (solo festa di S. Venera) eletto il 26 nov. 1795 119 nov. 1795 (Festa di S. Venera) 120 118. 119. 120.

Francesco Sfilio Giovanni Battista Gulli Francesco Sfilio e Giovanni Battista Gulli Giovanni Battista Gulli Paolo Bonaventura Francesco Maria Greco Giovanni Battista Platania Francesco Greco Arcangelo Musmeci Giovanni Battista Platania e Francesco Greco Giovanni Battista Platania Salvatore Greco Alfio Platania senior Giovanni Battista Sciacca Giovanni Battista Musumeci Giuseppe Calì Casimiro Carpinato Diego Di Benedetto Francesco Musmeci Alfio Platania senior Giuseppe Musmeci Giuseppe Cavallaro (?) Diego Di Benedetto (?) Giuseppe Cavallaro Giuseppe Calì Giuseppe Cavallaro Giuseppe Calì Diego Di Benedetto Mauro Musmeci Francesco Musmeci Giuseppe Fichera Diego Di Benedetto Mariano Motta Filippo Curcuccio Leoluca Sorbilli Gaetano Grasso Ignazio Moscuzza Alfio Platania junior Gaetano Grosso

Assente, lo sostituiscono; Alosi, “La cappella musicale del Duomo di Acireale…”, art. cit.; Fresta, Musica Sacra ad Acireale…”, op. cit.; Pennisi, Catalogo delle opere a stampa…, op. cit. ASCa., Registri di Mandati, 1795-1796, c. 61v. Ivi, c. 2v: “Sig. D. Pietro Carpinato e Barbagallo tesoriero della Venerabile Cappella della Gloriosa Vergine e Martire S. Venera concittadina tutelare e Patrona di questa città d’Aci Reale, v’ordiniamo pagare […] onze due a Don Gaetano Grasso, quali onze 2 se gli fanno pagare per avere lo stesso supplito le voci del Maestro di Cappella, ed aver somministrato le carte di musica in occorrenza della festività di detta Gloriosa Santa celebrata a 14 novembre p.p. 1795 […]. In Aci Reale oggi li 15 Giugno 14a indizione 1796”. Con un mandato del 30 luglio

150

MAESTRI NELLA SICILIA ORIENTALE

121. 122.

gen. 1796-apr. (?) 1796 mag. 1796-1806.

Mariano Pennisi Privitera Alfio Platania junior

CALTAGIRONE 121 1620- feb. 1623 mar.-ago. 1623 dic. 1624-mar. 1626 mar. 1626-ago. 1627 1627-mar. 1631 apr.-ago 1631 1631- set. 1634 set. 1634-feb. 1635 apr.-ago. 1635 lug. 1636 ago.-nov. 1637 apr.-dic. 1638 1639- lug. 1652 lug. 1653 1653- ago. 1654 lug. 1655 ago. 1659-1667 1668-1670 1670- giu. 1690 1690- ott. 1693 1694-apr. 1704 1704-giu. 1705 lug. 1705-mar. 1706 1706-set. 1713 ott. 1713-apr. 1714 1714-giu. 1726 giu. 1726-mar. 1729 apr.-maggio 1729 apr. 1729-mar. 1736 apr. 1736 mag.-giu. 1736 lug. 1736-giu. 1740 lug. 1740-gen. 1772 gen. 1772-gen. 1806

Antonino Campochiaro Paolo Candone A. Campochiaro Michele Malerba A. Campochiaro Barbarino Costanzo A. Campochiaro Andrea Rinaldi Pietro Velasco Alfio Ducarte A. Campochiaro A. Rinaldi A. Campochiaro Carlo Grimaldi Silvio Mandato Francesco Morgana Illuminato Ajello Antonino Chiaramonte I. Ajello Carlo Di Mauro Gaetano Caropreso Giacomo Vitale Serafino Cantone G. Caropreso A. Chiaramonte G. Vitale Gaetano Lattuga G. Vitale Alfio Platania senior Domenico Gerbino A. Platania senior G. Vitale A. Platania senior Nicolò Mellini

NOTO 122 1614-1628 mag. 1633-set. 1635 ott. 1635 1635-dic. 1646 1646-1663 1663-1772

Mariano Di Lorenzo Mario Capuana Giambattista Scarrozza M. Capuana Corrado Deodato Corrado Bonfiglio

emesso dallo stesso tesoriere si pagano “onze 13 a Don Alfio Platania Vinci Maestro di Cappella Musicale di questa città, quali onze 13 sono a complimento di onze 15 intiero salario di quest’anno 14a indizione 17951796 […] stante l’altre onze due essere state a Don Gaetano Grasso per aver egli adempito le veci del sudetto Platania per la festività di detta gloriosa Santa celebrata a 14 novembre 1795”, ivi, c. 12. Buono, “I Musici della cappella musicale di Caltagirone…”, art. cit.; Maccavino, “La Cappella musicale di Caltagirone…”, art. cit. Loreto, Quattro secoli…, op. cit., p. 118-119; Buono, “Mario Capuana maestro… ”, art. cit, p. XII.

151

NICOLÒ MACCAVINO

123.

lug. 1672-mag. 1680 sino ad ago.1680 set. 1680-apr. 1690 apr. 1690-1711? 1712-1741? nov. 1766-1768 lug. (?) 1768-1820

Gaetano Carnemolla Raffaele Cantone G. Carnemolla R. Cantone Serafino Cantone Antonio Frendi Paolo Altieri

PIAZZA ARMERINA 123 1610-1610 1610-1614 1614-1616 1700- dic. 1708 feb. 1709-1713 gen. 1770-1797 apr. 1797-1839 e seg.

Francesco Bruno Cornelio Drago Antonio Il Verso Nicolò Piccione Gaetano Lattuga Antonino Valenza Antonino Pittà

Allo stato attuale non è possibile fornire un elenco più completo dei maestri che furono attivi nei secoli XVII e XVIII nella cappella musicale della Chiesa Cattedrale di Piazza Armerina, e questo perché l’archivio della Chiesa è oggetto di risistemazione e di riordino dei documenti in esso custoditi, lavori che di fatto hanno impedito il proseguo delle ricerche che si spera di poter riprendere al più presto. Cfr. Peculiarità…”, art. cit.; Maccavino, “L’Attività musicale del Duomo di Piazza Armerina”, art. cit.; id., “ Le Cappelle musicali di Acireale…”, art. cit.

152

MAESTRI NELLA SICILIA ORIENTALE

APPENDICE 2 Mario Capuana, Missa Octo Vocibus (Venezia, 1645): Introitus œ Jœ # Jœ Jœ Jœ œ n œ Jœ Kœ Kœ Jœ œj œj ™ œk œ & b c Œ œ ™ œj œj œj œ œ Œ Choro I

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ITINÉRANCE OU STABILITÉ DES MAÎTRES DE MUSIQUE DE 1790, À TRAVERS LA BASE PROSOPOGRAPHIQUE MUSÉFREM 1 Sylvie GRANGER

« Qui bien est, ne faut qu’il bouge », préconisait Annibal Gantez au siècle précédent, tout en prétendant ailleurs que nul musicien ne peut être estimé s’il n’a voyagé 2. Entre ces deux objurgations contradictoires, les maîtres de musique des églises d’Ancien Régime n’ont cessé d’hésiter, faisant des choix différenciés et parfois évolutifs au cours de leur carrière. La question de l’itinérance des musiciens au sens large n’est évidemment pas nouvelle. Elle a déjà été examinée par de nombreux chercheurs et notamment Denise Launay qui dès 1980 avait produit un article sur « Les musiciens français itinérants au XVIIe siècle »3. Daniel Roche l’évoque succinctement en 2003 dans ses Humeurs vagabondes sous un bel intitulé : « La mobilité sensible »4. Au colloque du Puy-en-Velay d’octobre 2001, j’avais tenté une étude des « Tours et détours des musiciens d’Église dans la France du centre-ouest », à partir d’un échantillon de 98 musiciens exerçant dans dix églises de cinq villes 5. Ce colloque de 2001 « peut, avec le recul, être considéré comme un point de bascule dans l’étude des institutions musicales de l’époque moderne » écrit Xavier Bisaro 6. C’est là que pour la première fois furent esquissés, en marge des débats officiels, les contours d’une enquête systématique sur les musiciens au service de l’Église, partout en France, à la fin de l’Ancien Régime. En cela, ces

1. 2. 3. 4. 5. 6.

MUSÉFREM : MUSiques d’Église en FRance à l’Époque Moderne. Les biographies des maîtres cités dans cet article sont consultables en ligne dans la base de données : http://philidor.cmbv.fr/musefrem/ Annibal Gantez, L’Entretien des Musiciens, Auxerre, chez Jacques Bouquet, 1643 ; réédité et annoté par Ernest Thoinan, Paris, 1878, reprint Minkoff, Genève, 1971. Denise Launay, « Les musiciens français itinérants au XVIIe siècle », La Découverte de la France au XVIIe siècle, Paris, CNRS, 1980, p. 621-633. Daniel Roche, Humeurs vagabondes, de la circulation des hommes et de l’utilité des voyages, Paris, Fayard, 2003, chapitre XII, « La Mobilité sensible », p. 795-857. Sylvie Granger, « Tours et détours des musiciens d’Église dans la France du centre-ouest aux XVIIe et XVIIIe siècles », Maîtrises & Chapelles aux XVII e et XVIII e siècles, des institutions musicales au service de Dieu, éd. Bernard Dompnier, Presses Universitaires Blaise Pascal, Clermont-Ferrand, 2003, p. 291-314. Xavier Bisaro, « D’une historiographie l’autre : éloge par l’exemple de la base de données prosopographique Muséfrem », Catholicisme, culture et société aux Temps modernes, Mélanges offerts à Bernard Dompnier, éd. Cécile Davy-Rigaux, Grégory Goudot, Bernard Hours et Daniel-Odon Hurel, Turnhout, Brepols, 2018, p. 185-196.

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rencontres de 2001 sont en effet à la racine du futur programme MUSÉFREM, que l’on imaginait alors essentiellement fondé sur les archives du Comité ecclésiastique 7, et qui a ensuite dû s’élargir aux documents du même type conservés partout en France 8. Le développement de l’enquête MUSÉFREM et la progressive construction de la base de données prosopographique qui en est l’outil intrinsèque ont depuis lors multiplié les éclairages relatifs à de multiples thèmes. Celui de la mobilité est l’un des premiers bénéficiaires de cette masse de données autrefois dispersées et qu’il est maintenant possible de croiser et d’interroger à l’infini. Il ne s’agit pas ici de seulement noter au passage la commodité – dans le sens de facilité pratique – apportée par cette base de données, mais bien de dire, ou plutôt de redire après Xavier Bisaro, qu’elle induit un « changement de paradigme historiographique »9. Pour l’exprimer plus simplement, les travaux antérieurs qui étudiaient une église ou une ville voyaient arriver et repartir des musiciens qui y exerçaient quelques jours ou quelques années, sans que l’on sache le plus souvent d’où ils arrivaient et vers quelle destination ils s’en allaient. Inversement, la base prosopographique prend l’individu comme unité d’enquête et permet de le considérer de manière non plus statique mais dynamique, selon plusieurs dimensions et temporalités (succession de ses employeurs, constitution et évolution de son environnement familial, de ses réseaux relationnels…). En croisant les données concernant des milliers d’individus différents, l’outil numérique permet de mesurer leurs points communs et leurs divergences, de s’interroger sur leur mobilité ou leur immobilité, de repérer leurs origines et leurs destinations, de dessiner les flux de leurs déplacements et leurs éventuels croisements. Sans que l’enquête, son exploitation et sa publication en ligne ne soient encore terminées, la base prosopographique a déjà permis à des chercheurs appartenant à l’équipe MUSÉFREM de nourrir plusieurs travaux justement consacrés au thème des mobilités musiciennes. Bastien Mailhot en 2010 a produit un riche article sur « L’Itinérance chez les musiciens auvergnats de 1790 » – entendre « chez les musiciens d’Église exerçant en Auvergne » puisque cet article figure dans l’ouvrage collectif dirigé par Bernard Dompnier, Les Bas chœurs d’Auvergne et du Velay 10. En 2016, j’ai réuni et confronté de nombreux cas situés dans des régions très diverses pour un article

7.

8. 9. 10.

Le Comité ecclésiastique, créé dès août 1789, a recueilli en 1790-1792 les dossiers relatifs aux employés – dont les musiciens – des ci-devant chapitres et abbayes du royaume. Ces dossiers forment la sous-série D XIX aux Archives nationales (103 cartons et 12 registres). Toutefois, certains départements et églises sont absents de cette masse documentaire. Sur le début de cette enquête, voir : Groupe de Prosopographie des Musiciens, « Les Musiciens d’Église en 1790. Premier état d’une enquête sur un groupe professionnel », Annales Historiques de la Révolution française, 2005, p. 57-82 et https://journals.openedition.org/ahrf/2075. Les archives utiles se trouvent essentiellement dans la série L des archives départementales (notamment sous les cotes « cultes » des districts et des départements), mais aussi parfois dans les séries G, H, Q et V, et dans certains cas aux archives municipales, sans oublier, exceptionnellement, les archives diocésaines. Bisaro, « D’une historiographie l’autre… », art. cit., p. 186. Bastien Mailhot, « L’Itinérance chez les musiciens auvergnats de 1790 », Les Bas chœurs d’Auvergne et du Velay, le Métier de musicien d’Église aux XVII e et XVIII e siècles, éd. Bernard Dompnier, Clermont-Ferrand, Presses Universitaires Blaise Pascal, 2010.

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général consacré aux déplacements des musiciens d’Église ordinaires au XVIIIe siècle 11. En 2017, un ouvrage entier a été consacré au thème de la circulation de la musique et des musiciens d’Église, en France, entre le XVIe et le XVIIIe siècle 12. Marie-Claire Mussat y analyse avec finesse, à partir de lettres de candidature, les mécanismes qui poussent un musicien à « vicarier » ; tandis que Georges Escoffier examine « les stratégies croisées des musiciens et des chapitres »13. UN ÉCHANTILLON DE 100 MAÎTRES Le présent texte fait le point à un moment où le chantier MUSÉFREM est arrivé à peu près au tiers de son développement. Soucieux d’éviter que ces « tours et détours »14 ne finissent par tourner en rond, il présente des nouveautés de deux sortes. Tout d’abord ne seront pris ici en compte que les « maîtres », et non pas les musiciens d’Église au sens large pouvant exercer des spécialités variées (comme dans toutes les études précédemment évoquées). On considèrera donc uniquement les hommes placés à la tête du corps de musique – avec les nuances déclinées par les terminologies et les usages locaux (maître de musique, de chapelle, maître de chœur, de psallette, des enfants de chœur…). Ensuite le corpus d’étude a été construit exclusivement à partir de la base MUSÉFREM. Les maîtres qui le composent obéissent tous à plusieurs critères. Trois critères de sélection Le premier est l’exercice effectif en 1790 : tous les maîtres retenus sont en poste cette année-là. Le rappel de ce premier critère peut paraître inutilement évident puisque la date de 1790 a dès le début été posée comme point de référence de l’enquête MUSÉFREM. C’est l’occasion de rappeler que la base MUSÉFREM contient de nombreux musiciens légèrement périphériques à 1790 stricto sensu : ils représentent actuellement environ un tiers des notices biographiques publiées. À titre d’exemple, on y trouve des maîtres importants, voire passionnants, dont il aurait été dommage de priver les utilisateurs de la base. Certains sont « retraités », tel Pierre-Louis Pollio, qui après une longue carrière à Dijon, Péronne, Beauvais… est depuis 1784 chanoine de la collégiale Saint-Vincent de Soignies dans les Pays-Bas autrichiens. D’autres ont été « exfiltrés » de la musique d’Église, comme Jean-François Le Sueur, renvoyé de Notre-Dame de Paris en 1787 à cause de son goût jugé immodéré pour la musique à grand orchestre : 11. 12. 13. 14.

Sylvie Granger, « ‘Voyager comme musicien’ au XVIIIe siècle », Voyages et voyageurs aux XVIII e et XIX e siècles, éd. Sylvie Granger et Annick Le Goff-Guilleux, La Province du Maine, (2016/1), p. 97-116. Xavier Bisaro, Gisèle Clément et Fañch Thoraval (dir.), La Circulation de la musique et des musiciens d’Église (France, XVIe-XVIII e siècle), Paris, Garnier, 2017. Marie-Claire Mussat, « ‘Vicarier’ au XVIIIe siècle, nécessité ou choix de vie ? », et Georges Escoffier, « L’Embauche à distance. Les stratégies croisées des musiciens et des chapitres », La Circulation de la musique, op. cit., p. 203-218 et 219-246. Cf. note 5.

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en 1790, il se consacre à la scène lyrique pour laquelle il compose des opéras. Sur ces deux personnages la base est très riche en informations biographiques, pour certaines inédites. Toutefois, ne répondant pas au premier critère, ils ne peuvent être intégrés au corpus constitué pour le présent travail. Il en va de même de quelques maîtres rétrogradés, tel Lazare Goossens à Beaune, que sa santé oblige à redevenir simple musicien en 1788, après avoir fait fonction de maître pendant de longues années. Toujours en activité musicale en 1790 – il joue de la basse au chœur – il est bien entendu de plein droit compté parmi les effectifs 1790 de la base de données 15, mais il a été ôté du corpus ici examiné puisqu’il n’est plus le maître de la collégiale 16. Ont été a fortiori éliminés les maîtres décédés tel Bernard-Aymable Dupuy, maître de musique de la collégiale Saint-Sernin à Toulouse, qui meurt… le 30 décembre 1789. Le second critère adopté a été de ne prendre en compte que les maîtres exerçant dans une église capitulaire, cathédrale ou collégiale. Se sont trouvés éliminés de ce fait les maîtres des paroisses importantes ainsi que les maîtresses de musique ou de chant des abbayes et couvents 17. L’objectif est de conférer davantage de cohérence au corpus, même si l’on n’ignore pas que les contrastes de richesse – et conséquemment d’investissements musicaux – peuvent être abyssaux entre les plus puissantes et les plus modestes de ces églises, qu’elles soient cathédrales ou collégiales. Enfin n’ont été retenus que les maîtres faisant l’objet d’une notice « terminée », c’est-à-dire de maîtres sur lesquels l’enquête a été menée aussi bien que faire se peut 18. La combinaison de ces trois critères a abouti à un corpus d’exactement 100 maîtres répondant aux trois exigences posées 19. C’est donc à partir de cet échantillon de 100 biographies que l’on va tenter de mesurer la part de l’itinérance et celle de la stabilité au cours de la seconde moitié du XVIIIe siècle chez les maîtres de musique des églises capitulaires. Caractéristiques générales et contrastes internes 100, c’est à la fois peu et beaucoup. Les historiens quantitativistes considèrent qu’un échantillon de 100 individus est insuffisant pour fonder une étude statistique. Pour la 15. 16. 17. 18. 19.

Concrètement, le « marqueur 1790 » de sa fiche est activé et elle est nantie du « module MUSÉFREM » spécifique décrivant la situation du musicien à cette date (âge, clerc ou laïc, marié, veuf ou célibataire… etc.). Le maître de la collégiale Notre-Dame de Beaune est alors le sieur Évrard qui précédemment y chantait la haute-contre, et dont la biographie reste mal connue. Par exemple, Catherine Pécune au prieuré fontevriste de Momères près de Tarbes ou Jeanne-Marie Bertrand à l’abbaye du Perray-aux-Nonnains à Écouflant près d’Angers. Publication numérique oblige, les notices biographiques peuvent être modifiées et enrichies à tout moment en cas de nouvelle découverte… D’où les guillemets de rigueur à l’adjectif « terminé ». La plupart des biographies utilisées ici sont d’ores et déjà publiées en ligne. Chiffres au 1er novembre 2017. Huit nouveaux dossiers départementaux ont été terminés et mis en ligne en 2018, et huit autres l’ont été également en 2019. Les notices biographiques des maîtres de ces départements étaient déjà pour la plupart « validées en attente de publication » au moment de la définition des limites du corpus d’étude. Après réflexion, il a été décidé de ne pas chercher à courir après la progression continue de la base de données et d’en rester à ce beau chiffre de 100.

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qualitativiste que je suis au fond, ce chiffre obtenu par hasard s’est révélé une bonne échelle de travail. Il n’est pas inintéressant d’observer qu’à deux unités près il s’agit du même total que celui sur lequel j’avais raisonné en 2001 au colloque fondateur du Puy. Mais si le chiffre est presque le même, la réalité cachée dessous n’a rien à voir et le souligner permet de mesurer les progrès collectivement accomplis. D’abord en 2001 toutes les catégories de musiciens d’Église avaient été additionnées, alors qu’ici il s’agit bien exclusivement de « maîtres ». Ensuite et surtout, en 2001 la plupart des noms n’étaient précisément que des noms, assortis d’un titre et parfois, au mieux, d’un niveau de rémunération. Maintenant on dispose pour la plupart de ces 100 maîtres de vraies biographies, parfois très fournies. Parmi beaucoup d’autres exemples possibles, on peut citer la notice de l’abbé Dugué, dernier maître de NotreDame de Paris, dont le chapeau seul occupe déjà tout l’écran de l’ordinateur, laissant augurer ce qu’il en est de sa biographie elle-même 20. Mais il a été possible de reconstituer de façon aussi précise et détaillée l’itinéraire de vie de certains maîtres exerçant en province comme François Couët (Dijon), Simon-Michel Daguet-Girardin (SaintFlour), Pierre-Louis Desvignes (Chartres), Claude Hermant de Saint-Benoist (Vannes), François-Nicolas Homet (Noyon), François Marc (Le Mans)… et plusieurs autres dont les notices constituent de véritables articles biographiques. Inversement l’échantillon comporte aussi quelques fiches plus minces concernant des maîtres sur lesquels les renseignements font défaut ou sur lesquels un complément d’enquête serait nécessaire. D’emblée, à la simple longueur de leurs biographies, qui vont de 670 à 40 000 signes, on comprend que les nuances sont nombreuses au sein du groupe et que ces 100 hommes n’ont a priori comme point commun que d’être actifs en 1790 21. Ils exercent en 1790 dans des églises par définition toutes différentes puisqu’il n’y a jamais qu’un seul maître dans un corps de musique 22. Ces 100 églises (54 cathédrales et 46 collégiales) sont réparties entre 36 départements différents et 58 diocèses 23. Ces diocèses étant éparpillés des frontières du Nord aux Pyrénées, de la Bretagne à la Haute-Provence, l’échantillon ne peut être soupçonné d’aucun biais lié à une surreprésentation d’une zone géographique ou d’un type d’église 24. Il délivre d’emblée quelques informations importantes sur le profil des hommes concernés. Malgré le

20. 21. 22. 23. 24.

« L’abbé Dugué », en réalité Jean-Baptiste-François Guilleminot-Dugué, né en 1727 à Versailles, a été suivi minutieusement par l’enquête MUSÉFREM jusqu’au 29 novembre 1797. Ce jour-là, il signe une déclaration de non-rétractation de serment à Tournus (Saône-et-Loire), où il réside depuis 1792. On perd alors sa trace. 670 signes : Jean-Pierre Huguet, maître à Saint-Pierre d’Avignon. Un peu plus de 40 000 signes : GuilleminotDugué, cité à la note précédente (chiffres au 1er octobre 2018). Parfois assisté d’un sous-maître, appelé sous-chantre dans certaines régions (Bastien Mailhot, « Les souschantres des collégiales du diocèse de Clermont, Approche d’une fonction musicale originale », Les Bas chœurs d’Auvergne, op. cit., p. 43-64). 54 cathédrales supposeraient 54 diocèses. Si le corpus touche quatre diocèses supplémentaires, c’est que certaines des collégiales dont les maîtres ont été retenus appartiennent à un diocèse dont la cathédrale n’a, elle, pas encore été traitée, comme les collégiales d’Écouis et des Andelys [Eure] qui relèvent du diocèse de Rouen. On note cependant la sous-représentation des diocèses de la lisière Est du pays.

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processus en cours de laïcisation des corps de musique, on découvre qu’ils sont encore majoritairement clercs : 41 sont clercs tonsurés et 16 sont prêtres (soit un total de 57 sur 100), contre 40 laïcs et trois sur lesquels on manque de certitude (ils sont célibataires sans être pour autant qualifiés clairement de clercs). Ils appartiennent à des générations différentes : leurs années de naissance s’échelonnent de 1710 à 1770. Six décennies séparent le doyen, Jean-Pierre Guillaume, maître de la cathédrale d’Orange, de Jacques-Marie Cabaret, à la collégiale Saint-Aignan d’Orléans, le benjamin des maîtres retenus pour la présente étude. Carrières complètes, carrières lacunaires Quand on entre plus avant dans le détail et que l’on s’attelle à scruter de près les biographies réunies, force est de constater que, malgré la richesse de certaines, rares sont celles qui peuvent prétendre être complètes. En s’appliquant à repérer les étapes antérieures à 1790 – donc sans examiner les mécanismes de reconversion, les ruptures et les nouvelles migrations liées à la Révolution – on constate que 41 carrières présentent un bon enchaînement chronologique, ce qui est en soi déjà remarquable. Inversement, 59 comportent au moins une lacune. Cette lacune se place le plus souvent au début de l’itinéraire : soit on ignore où est né et où a été formé le musicien, soit ces deux points sont parfaitement connus, mais ensuite on ignore où se sont situés son ou ses premiers postes. C’est ce second cas de figure qui est le plus fréquent. Le maître évoque parfois sans précision ses débuts : il a été « employé dans plusieurs chapitres supprimés » dit Claude Hermant, le maître de Vannes, dans « différentes églises de France » dit Englebert Vanhecke, le maître de Béthune… Souvent, le musicien n’ayant pas de certificat correspondant et satisfait que son dossier atteigne l’une des barres fatidiques d’ancienneté (vingt ans par exemple), a carrément passé sous silence ses premiers postes : c’est nous qui constatons en mettant toutes les informations disponibles à plat que « le compte n’y est pas », et qu’il subsiste une lacune. La durée de ce hiatus est généralement courte, de l’ordre d’un à quatre ans. La première hypothèse explicative possible est qu’à la sortie de la maîtrise le jeune homme est parti vicarier 25 et que ce sont ces années errantes qui nous manquent. C’est possible. Dans bien des cas, il peut surtout s’agir des années de transition où le jeune musicien sorti de la maîtrise termine ses études (au collège, au séminaire…) en situation d’attente, chantant les dimanches et fêtes dans son église de formation, donnant quelques leçons de musique, touchant des orgues à l’occasion s’il en a acquis

25.

Vicarier : se déplacer d’église en église en y recevant de petites rémunérations, appelées « passades », pour y avoir chanté ou joué. Guillaume-André Villoteau, résumant son passé dans une lettre à Fétis, définit ainsi le terme : « voyager comme musicien, ce qu’en langage de cette profession, dans les cathédrales, on appelait vicarier quand on s’y faisoit entendre » (9 décembre 1825). Voir S. Granger, « ‘Voyager comme musicien’ au XVIIIe siècle », art. cit., p. 97.

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la compétence. Ainsi Claude Hermant de Saint-Benoist, après être sorti de la maîtrise de Notre-Dame de Paris en 1742, reste à proximité et enseigne la musique à quelques élèves. Vite à court d’argent, il cherche à vendre sa basse de violon et son violon, et ce contexte de vaches maigres le fait accuser d’un petit vol commis à la maîtrise. D’où la documentation exceptionnelle de ce moment de transition, en général point obscur de la reconstitution de ces « vies minuscules » selon l’expression d’Arlette Farge… Les lacunes de la base de données s’expliquent donc aisément lorsqu’elles concernent cette période de flou, de statut indéterminé, où le jeune musicien n’est pas encore pleinement entré dans la vie professionnelle. Le corpus étudié ayant été présenté à gros traits, et quelques imprécisions explicitées, il est temps d’examiner les réponses obtenues à la question posée : mobilité ou stabilité ? L’INCONTESTABLE MOBILITÉ MUSICIENNE On mettra à part tout d’abord cinq cas pour lesquels toute réponse est – en l’état actuel des connaissances – impossible. Il s’agit de cinq maîtres pour lesquels seul le poste de 1790 est documenté, sans aucun point de repère en amont, pas même le lieu de leur naissance. Trois maîtres de 1790 sur quatre avaient migré antérieurement On raisonnera donc sur 95 cas. Parmi eux, on observe une stabilité totale dans 10 des carrières complètes et dans 9 des carrières comportant des lacunes. Ce second chiffre est évidemment moins solide que le premier puisque l’on peut toujours soupçonner qu’un épisode d’itinérance a pu se produire justement durant la lacune… ce qui est parfois très vraisemblable en effet, et obligerait alors à ajouter le cas au groupe des maîtres ayant opéré au cours de la vie une mobilité quelconque, de quelque échelle qu’elle soit. Cette catégorie regroupe 31 des carrières complètes et 45 des carrières comportant des lacunes. En clair, dans a minima 75 % des cas, les maîtres de 1790 avaient bougé au moins une fois antérieurement. Ce chiffre peut être regardé comme un minimum solide et incontestable. Il permet de confirmer que la mobilité est une expérience très majoritairement partagée chez les maîtres de musique d’Église de la seconde moitié du XVIIIe siècle 26. Bien sûr, ce chiffre globalisant doit être nuancé : regroupant toutes les échelles de mobilité envisageables, il ne saurait refléter à lui seul la diversité de la réalité. Le seul déplacement avéré est parfois celui qui a mené le jeune garçon, aux alentours de sa 26.

« Vicarier […] est en effet la norme pour cette profession. L’immense majorité des musiciens d’Église sont, au moins une bonne partie de leur vie professionnelle, de grands voyageurs » écrit M.-Cl. Mussat (« ‘Vicarier’ au XVIIIe siècle… », art. cit., p. 203).

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septième année, du village où il avait vu le jour à la ville voisine où il est admis comme enfant de chœur. L’exemple d’Edme Chapotin est représentatif de ce type de cas : né à Courgis en 1725, à trois lieues d’Auxerre, il devient enfant de chœur à Saint-Étienne d’Auxerre pour Pâques 1734 et, à partir de là, il ne quitte plus la cathédrale d’Auxerre, dont il devient sous-maître à seize ans, maître à vingt ans. Archétype du maître de musique d’une stabilité à toute épreuve, il figure pourtant dans ce premier calcul grossier parmi les 31 carrières complètes affectées d’une mobilité quelconque à cause de ces 16 km d’aller simple parcourus dans l’enfance. Il faut donc évidemment affiner l’échelle de la mobilité. On ne peut éviter de se poser ici la question des distances, des moyens de transport et des modes de déplacement, et finalement du temps nécessaire pour parcourir ces distances d’une église à une autre. Pour traiter l’épineux problème des distances, j’ai opté pour les calculer en kilomètres – malgré l’anachronisme, dans l’optique d’obtenir des résultats plus parlants que s’ils étaient exprimés en lieues –, et selon l’itinéraire pédestre le plus direct. Cette hypothèse du déplacement à pied est plausible dans la majorité des cas 27. Il faut garder à l’esprit plusieurs éléments de prudence. D’une part, le choix du mode de transport peut influer sur les distances parcourues. Ainsi, quand Claude Hermant, attesté après Paris à Orléans, quitte cette ville au printemps 1749 pour gagner Vannes où il a été reçu maître de musique, le plus vraisemblable est qu’il ait descendu la Loire en gabarre jusqu’à Nantes, ce qui allait très vite, et qu’il soit ensuite allé à pied ou en voiture de Nantes à Vannes. Cet itinéraire allonge un peu la distance parcourue (environ 410 km au lieu de 380 par les routes terrestres directes), mais il raccourcit de beaucoup le temps de voyage, et l’on sait qu’au siècle précédent il était souvent choisi par Mme de Sévigné pour gagner son château des Rochers, près de Vitré. D’autre part, dans le cas des musiciens, on s’écartait volontiers du droit chemin pour gagner une église à portée de laquelle on passait et qui était susceptible de payer convenablement celui qui s’y « faisait entendre », que ce soit le temps d’une messe seulement, ou durant quelques jours, voire parfois quelques semaines ou mois. Ainsi de Noyon à Poitiers, Jean-Baptiste Drocourt est assurément passé par Paris et Orléans et y a peut-être exercé durant les deux ans et demi de « trou » qu’on observe dans sa carrière, entre sa sortie de la psallette de Noyon à la fin de l’année 1785 et sa réception à la cathédrale de Poitiers au milieu de l’année 1788. Une mobilité d’ampleur contrastée Interrogeons tout d’abord la distance qui sépare le lieu d’origine et le lieu d’exercice en 1790. Les 90 cas connus s’échelonnent de 0 km (quand le maître est en poste en 1790 dans la ville où il est né) à plus de 1 100 km dans le cas du Vénitien Vincent 27.

Roche, Humeurs vagabondes, op. cit., p. 224-226 (« Les Français voyagent à pied… c’est la démarche habituelle de l’horizon immobile… Ce n’est pas forcément faute de moyens… »). Sylvie Granger et Annick Le GoffGuilleux, « Poursuivre l’histoire de la mobilité à l’époque moderne », Voyages et voyageurs…, op. cit., p. 5-15.

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Morosini Benfati, maître à la collégiale Saint-Caprais d’Agen en 1790, qui détient le record de l’échantillon observé. Ils sont 25 à exercer en 1790 dans leur ville natale soit 28 % (ce qui ne veut pas dire qu’ils n’ont pas bougé entre-temps, nous y reviendrons). À leurs côtés, 19 maîtres ont effectué ou semblent avoir effectué une migration de proximité, leur poste de 1790 étant situé à moins de 50 km de leur lieu de naissance. L’addition de ces deux chiffres relativise fortement l’impression de domination manifeste de la mobilité issue du paragraphe précédent. En fait, la moitié des maîtres (44 sur 90 cas connus) exercent en 1790 à moins d’une journée de marche de leur paroisse natale… Dix autres maîtres sont en poste à une distance de 51 à 100 km de leur pays d’origine. Le reste de l’échantillon a parcouru des distances supérieures : vingt-six entre 101 et 500 km, et dix, seulement, plus de 500 km. On pourrait donc retenir que 36 maîtres sur 90 (soit 40 % des cas connus) ont accepté de mettre plus de 100 km entre leur carrière et leur pays natal, leur famille d’origine, c’est-à-dire plus de deux grandes journées de marche acharnée, de dix heures chacune… Aboutit-on aux mêmes proportions si on examine la distance entre le lieu de formation et le lieu d’exercice en 1790 ? La maîtrise ou la psallette dans laquelle le maître a fait son apprentissage de musicien est moins souvent connue que son lieu de naissance. Si l’information est pourtant souvent fournie par les musiciens soucieux de démontrer leur ancienneté (« A l’âge de sept ans il fut reçu enfant de chœur à l’église cathédrale de ladite ville [d’Ypres] où il a resté l’espace de dix ans »28), ils le font parfois en des termes plus pompeux que précis, tel Drocourt, maître à Poitiers qui se vante d’avoir été « élevé depuis l’âge de six ans à l’école de l’harmonie »29, mais omet de dire où ! C’est le dépouillement des registres capitulaires de Noyon qui a permis de localiser son « école de l’harmonie ». Après enquête, on dispose finalement de l’information pour 70 cas, ce qui est loin d’être négligeable. Une constatation s’impose : la proportion de maîtres exerçant en 1790 dans la ville où ils ont été enfants de chœur est assez nettement supérieure (41,5 %) à celle des maîtres exerçant là où ils sont nés (28 %). Cela n’a rien de très étonnant, car d’un côté on naît parfois dans des villages éloignés de tout et où il est radicalement impossible de mener une carrière, même modeste, de musicien, et d’un autre côté avoir été formé dès l’enfance à la liturgie spécifique d’un diocèse est un atout pour y être maître ensuite… Les deux explications se complètent et se renforcent mutuellement. Le nombre de maîtres exerçant en 1790 à plus de 100 km de leur église de formation est exactement le même que le nombre de ceux que la Révolution trouve dans la localité où ils avaient été enfants de chœur (29). Entre les deux, les effectifs sont donc très réduits et on peut s’étonner que 12 maîtres seulement aient trouvé à se placer à 28. 29.

AD Pas-de-Calais : 2 L 3/73, « Déclaration que donne le Sieur Englebert Vanhecke, maitre de musique et bénéficier ataché au cy devant chapitre de la ville de Béthune conformément aux decrets de l’assemblée nationale » [1790]. AD Vienne : L 233, supplique de Jean-Baptiste Drocourt, Poitiers [1790].

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moins de 100 km de leur église de formation (sept à moins de 50 km, cinq entre 51 et 100 km). À part dans les petits diocèses du sud, les distances qui généralement séparent les cathédrales les unes des autres peuvent être un paramètre explicatif à cette faiblesse du recrutement de voisinage. On peut devenir maître en son pays, mais pas chez ses voisins immédiats. Quelle mobilité antérieure à 1790 ? L’un des enjeux des études sur la mobilité est de tenter de saisir le mouvement, et pas seulement des situations figées à un moment M, comme ce qui vient d’être observé en 1790. Que s’était-il passé antérieurement ? Une première idée peut être obtenue en comptant tout simplement le nombre d’églises où a exercé successivement le musicien, à partir de son entrée dans le circuit comme enfant de chœur. On constate, non sans un certain étonnement, que le chiffre obtenu n’est pas spectaculairement élevé : 2,37 en moyenne, soit moins de deux églises et demie par individu (maîtrise comptée) 30. Ils sont 17 seulement à avoir été en poste dans cinq établissements et plus. Ce sous-groupe particulièrement mobile se partage de manière équilibrée entre clercs (9) et laïcs (8), ce qui va à l’encontre de l’assertion de Gantez selon laquelle le mariage stabiliserait le maître de musique 31. Les huit laïcs concernés se sont en effet tous mariés au cours de l’une de leurs étapes antérieures à 1790. En revanche, les cinq hommes ayant été en poste dans quatre établissements sont tous clercs, comme le sont aussi les deux tiers des 17 hommes repérés dans trois lieux successifs, observation qui va dans le sens d’une mobilité effectivement légèrement plus forte chez les clercs. Les chiffres redeviennent équivalents entre clercs et laïcs dans les sous-groupes les plus stables (un ou deux lieux d’exercice connus seulement). Une autre exploration s’est révélée pleine d’enseignement : le poste qui précède celui de 1790 est-il éloigné ou tout proche ? La réponse est assez nette : sur les 67 cas pour lesquels existe un « P-1 » documenté, 38 de ces postes « P-1 » sont situés à moins de 50 km de ce qui sera le poste en 1790, soit plus de la moitié (57 %). En revanche, « P-2 » n’est situé à moins de 50 km que dans 15 des 39 cas documentés (soit 38 %). On peut faire l’hypothèse que ces chiffres sont – au moins pour partie – le reflet de stratégies calculées, et pas seulement le résultat d’une succession de hasards. En 30.

31.

Quelques précisions sur le mode de calcul : ont été pris en compte les établissements d’exercice différents, et non les postes en eux-mêmes (comme par exemple les promotions au sein d’un même chœur). Par ailleurs, quand on revient dans une église où l’on a déjà exercé, ou bien dans l’église où l’on a été formé, après un épisode avéré dans une autre, j’ai opté pour compter à nouveau une unité : ce sont les étapes « physiques » d’une carrière que je cherche à estimer. Les lieux de naissance, qui ne sont pas des « postes », ne sont en revanche pas comptés, d’où les différences apparentes avec les premiers chiffres énoncés précédemment. Gantez estime « que pour arrester un jeune homme, il ne faut que le marier » et raconte que lors d’une des nombreuses étapes de sa carrière de maître, il fut confronté à un chapitre « désirant que je me mariasse afin de m’arrester », ce à quoi il ne sut jamais se résoudre (Gantez, L’Entretien des Musiciens, op. cit., Lettre VII, p. 39 et 37).

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d’autres termes « P-1 » préparerait « P 1790 », et l’on viendrait se placer à proximité du poste convoité – dont chacun ignore, bien sûr, qu’il sera le dernier obtenu au sein de l’ancien régime capitulaire. À une autre échelle temporelle – sur l’ensemble du XVIIIe siècle –, Aurélien Gras fait une observation similaire à Avignon : sur les onze maîtres de la collégiale Saint-Pierre dont le lieu d’exercice précédent est connu, six travaillaient déjà dans une église de la ville 32. Toutefois, parmi les maîtres d’Avignon comme parmi les 100 maîtres de 1790 ici observés, les nuances sont presqu’aussi nombreuses que les trajectoires individuelles. Les « sédentaires voyageurs » Penchons-nous à nouveau sur ces 44 maîtres qui en 1790 exercent à moins d’une journée de marche de leur paroisse natale (25 dans leur ville de naissance, 19 à moins de 50 km). Combien parmi eux avaient entre-temps franchi des distances supérieures ? Neuf maîtres, soit 20 % du groupe des « stables » avaient antérieurement voyagé au-delà de ce rayon de 50 km. Parfois à peine davantage : André Loubaud a fait depuis Apt un aller-retour à Marseille (77 km), où il a exercé six ans, avant de revenir au nid. D’autres fois, l’aventure est à plus longue portée : formé comme enfant de chœur à Notre-Dame de Paris, Jean-Baptiste Guilleminot-Dugué fait ses premières armes de maître à Blois puis à Noyon, avant de revenir à Notre-Dame ; Boirac – surnommé Cupidon – a essentiellement vécu à Montpellier mais il est aussi attesté pendant quelque temps à Bordeaux, à 450 km de là. L’apparence de stabilité obtenue en comparant lieu de naissance/lieu d’exercice en 1790 était donc trompeuse pour 20 % du groupe des « stables ». C’est ce que nous pourrions appeler le « syndrome Grénon » 33 : après avoir bourlingué au loin, le musicien éprouve le désir de revenir au pays natal pour plein d’usage et raison vivre entre ses parents le reste de son âge… Par ailleurs, l’intense circulation de courte amplitude qui anime en permanence le milieu des musiciens d’Église doit toujours être gardée à l’esprit, même si elle est difficilement quantifiable. À l’occasion des fêtes patronales ou des cérémonies extraordinaires, il était considéré comme indispensable d’exécuter des pièces polyphoniques, des « messes en musique », voire des « messes en symphonie » si aux voix venaient s’ajouter des instruments (violes, violons, hautbois…). Des renforts sont alors « mandés » dans les églises ou les villes voisines. Partout les registres capitulaires regorgent dans un sens d’autorisations délivrées au personnel musical de s’absenter pour ce faire, dans l’autre de paiements délivrés aux « musiciens étrangers » venus pour la grande fête. Cette formulation peut prêter à confusion : dans ce contexte, il faut 32. 33.

Aurélien Gras, « Les Musiciens d’Église à Avignon au XVIIIe siècle. Portrait et mobilité du groupe », La Circulation de la musique…, op. cit., p. 283. Bernard Dompnier (dir.), Louis Grénon, un Musicien d’Église au XVIII e siècle, Clermont-Ferrand, Presses Universitaires Blaise Pascal, 2005, 202 pages.

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SYLVIE GRANGER

entendre le terme « étranger » comme un synonyme du mot « extérieur », n’appartenant pas au corps de musique régulier de l’église concernée. Il ne s’agit ni de musiciens non Français (sauf exceptions) ni surtout de « musiciens sans identité » issus du « peuple mobile des colporteurs »34. Au contraire, ils sont souvent parfaitement intégrés à l’institution capitulaire, mais dans une autre église. Ainsi en va-t-il des trois maîtres en poste dans des collégiales environnantes que le chapitre d’Avallon parvient à réunir pour la fête de saint Lazare en 1764 : viennent y « faire leur partie » les maîtres de Vézelay (15 km), de Saulieu (38 km) et même celui de Nuits (101 km) 35. Ces paiements dessinent l’aire d’influence et de relations d’une église, d’une ville. Ainsi, toujours en Bourgogne, la cathédrale d’Auxerre draine-t-elle pour la fête de saint Étienne, selon les années, des musiciens venant de l’abbaye voisine de Pontigny (18 km), mais aussi de Tonnerre (35 km), de Vézelay (43 km), d’Avallon (50 km), de Troyes (75 km) ou exceptionnellement de Nevers (100 km) 36. Ces déplacements peuvent être le fait y compris des mieux ancrés des maîtres, dont la réputation a eu le temps de rayonner sur la contrée environnante. Un bon exemple est le maître d’Auxerre, Edme Chapotin, dont on a vu précédemment qu’il était justement un modèle de stabilité. Régulièrement autorisé par son chapitre à aller participer à des cérémonies à l’extérieur, que ce soit pour y chanter lui-même ou pour y conduire la musique, il obtient par exemple huit jours de congé en août 1778 pour aller à Troyes. En retour, trois musiciens – dont le maître de musique de la cathédrale – viennent de Troyes à Auxerre pour la fête de saint Étienne suivante (août 1779). En juin 1781, c’est en compagnie d’un chanteur haute-contre et de l’aîné des enfants de chœur que le maître retourne à nouveau huit jours aux fêtes de Troyes. On ignore quelle fonction exacte Edme Chapotin allait remplir à Troyes : y faisait-il exécuter ses propres compositions ? À cinq jours d’intervalle, le registre troyen fait écho à l’autorisation délivrée à Auxerre en mentionnant des gratifications versées au chanteur haute-contre et au grand enfant de chœur auxerrois, mais rien n’est dit du maître 37. Même les plus stables des maîtres sont souvent sur les chemins et l’heureuse formule de Madeleine Foisil au sujet du sire de Gouberville pourrait leur être appliquée : eux aussi sont de « sédentaires voyageurs ». *** Ces exercices nécessairement sommaires ont offert quelques exemples des questions qu’il est possible de poser autour du thème de l’itinérance musicienne. Ils esquissent un aperçu de ce qu’il sera possible de faire à partir de la base MUSÉFREM quand ses

34. 35. 36. 37.

Escoffier, « L’Embauche à distance », art. cit., p. 222-223. AD Yonne : G 2156, Comptes du chapitre collégial Saint-Lazare d’Avallon, 1745-1764. À ces trois maîtres extérieurs s’ajoutent le maître d’Avallon – qui est alors Edme Rozerot –, trois chantres locaux et les enfants de chœur de la collégiale. AD Yonne : G 1805, Registre capitulaire de la cathédrale Saint-Étienne d’Auxerre (1773-1776), 4 août 1773, 4 août 1774, 4 août 1775. G 1806, Idem (1777-1780), 4 août 1778. AD Aube : G 1313, Registre capitulaire de la cathédrale Saint-Pierre de Troyes, 1769-1781, 30 juin 1781.

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fonctionnalités de recherche auront été développées comme elle le mérite. D’ores et déjà, ils fournissent des premiers résultats solides, mesurables, quantifiables, allant au-delà des cas exceptionnels ou pittoresques, confirmant ou infirmant certaines idées reçues jusqu’alors régulièrement répétées sans que l’on en ait toujours la preuve bien avérée. On s’est contenté ici de questionner les distances géographiques. Il faudra examiner aussi les autres types de distances, notamment en termes d’effectifs, de niveaux de salaires et – plus difficile à appréhender dans les sources –, de prestige, d’image, de réputation. L’itinérance musicienne scrutée de près est un révélateur efficace des hiérarchies ecclésiales, un reflet des contrastes d’attractivité entre les églises, voire entre les villes. À travers elle se dessine une nouvelle géographie de la France de la fin de l’Ancien Régime avec ses zones restées à l’écart des flux et ses réseaux de centres attractifs.

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L’ORGANISTE DE COLLÉGIALE ET DE CATHÉDRALE AUX XVIIe ET XVIIIe SIÈCLES : RÉFLEXIONS SUR LE STATUT D’UN DES HOMMES-CLÉ DES CÉRÉMONIES RELIGIEUSES EN FRANCE Érik KOCEVAR

Si l’orgue est introduit en France vers 757, lorsque l’empereur byzantin Constantin V envoie un orgue en cadeau à Pépin le Bref, roi des Francs, ce n’est que lors du concile de Milan, en 1287, que son usage est admis officiellement dans la liturgie. L’orgue classique français se développe durant les années 1580 à 1641 pour connaître son apogée pendant les années 1641 à 1750. Les organistes suivent un chemin parallèle à l’évolution de leur instrument : plus les orgues s’agrandissent, plus le niveau technique des organistes monte. Mais l’éclosion des virtuoses favorise aussi la facture d’orgues qui s’adapte aux demandes des organistes. Les grandes églises, collégiales et cathédrales, rivalisent : elles veulent toutes avoir le plus bel instrument et le meilleur organiste du moment pour le faire parler. Cette rivalité est à l’origine du développement d’un véritable statut pour les organistes et les contrats deviennent alors la règle : le rôle de l’organiste est défini plus ou moins précisément dans des documents parfois très complexes et on passe même devant le notaire pour pérenniser la chose. Sinon, l’organiste vient signer au pied de la délibération capitulaire qui vient d’acter sa nomination, après, le plus souvent, un concours qui a opposé plusieurs organistes. La méthode est à peu près la même que pour le recrutement d’un maître de musique, l’autre homme-clé des cérémonies religieuses. La première question qui vient à l’esprit est très simple à formuler : comment devient-on organiste aux XVIIe et XVIIIe siècles ? Soit on naît dans une famille d’organiste et la voie sera toute naturelle : on deviendra organiste à son tour et, le plus souvent, on succédera à son père ou à son oncle. Les dynasties d’organistes comme celles des Beauvarlet, Balbastre, Couperin, Fouquet, Houssu, Marchand, Rameau, Séjean et les dizaines d’autres plus ou moins connues sont là pour le prouver. Soit on ne naît pas dans une famille d’organiste ou de musicien et, dans ce cas, c’est le hasard qui entre en jeu, même si le don est là qui ne demande qu’à éclore et à être cultivé. Prenons un exemple : les Rameau. Sous le patronyme Rameau se détachent bien sûr Jean-Philippe (25/09/1683-12/09/1764) et son frère Claude (01/01/1689-20/05/1761), grands organistes

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ÉRIC KOCEVAR

de cathédrale, l’un à Clermont, le second à Dijon puis Autun, tous deux fils d’un organiste moins connu, Jean Rameau (06/04/1638-12/12/1714), plus modeste organiste de collégiale. Jusque-là, rien de bien original. Mais Jean Rameau, lui, n’est pas fils d’organiste, ni même de musicien : son père, Antoine Rameau (ca 1604-24/08/1667), est un obscur maître carreleur dijonnais, c’est-à-dire un artisan qui ressemelle ou raccommode les vieux souliers. Né vers 1604, il aurait dû être paysan, comme son père, Jean Rameau (ca 1575-ca 21/02/1611), laboureur à La Chaleur puis à Vielmoulin, ou son grand-père, François-Claude Rameau (ca 1550-?), et sans doute leurs ancêtres avant eux dans la région située entre Sombernon et Vitteaux, à une quarantaine de kilomètres à l’ouest de Dijon, mais le hasard a fait qu’il est orphelin très jeune, en février 1611, et qu’il est confié à l’un de ses oncles, Hugues Rameau, vigneron et maître carreleur de son état, installé au faubourg Saint-Nicolas de Dijon 1. Et dans cet environnement, Antoine Rameau devient tout naturellement carreleur à son tour, l’un des plus bas métiers manuels de l’époque. En juin 1630, il épouse bien sûr la fille d’un maître carreleur 2. Mais au début de l’été 1635, une opportunité se présente à lui et il est embauché comme marguillier 3 de la petite paroisse Saint-Médard, c’est-à-dire homme à tout faire : les tâches sont nombreuses, puisqu’il est chargé à la fois d’assurer la garde de l’église et de veiller à la propreté des lieux, au maintien de l’ordre et au bon déroulement des offices, de sonner les cloches pour certaines fondations, etc. Il y a aussi des revenus ponctuels liés à toutes sortes d’activités comme porter les bannières lors de certaines processions, assurer la quête lors de la messe dominicale, récupérer l’argent auprès des familles après les enterrements, entre autres choses. Mais cette fonction, qui assure un revenu régulier, a l’énorme avantage pour lui d’offrir un logis, dans la cour Saint-Vincent, à une vingtaine de mètres de l’église collégiale Saint-Étienne (qui sera érigée en cathédrale en 1731). Le marguillier passe donc, on l’aura compris, une bonne partie de son temps en l’église Saint-Étienne car la petite église Saint-Médard est interdite au public depuis 1571 à cause de sa grande vétusté et des menaces d’effondrement (elle sera finalement démolie en 1680). Les paroissiens ont été « recueillis » en l’église Saint-Étienne qui est ainsi devenue à la fois collégiale et paroissiale. C’est en avril 1638 que naît, cour Saint-Vincent, le quatrième enfant d’Antoine

1.

2. 3.

Voir la vente d’un cellier et d’un jardin attenant à Vielmoulin ayant appartenu à Jean Rameau réalisée entre Denis Bouchot et Hugues Rameau agissant au nom et comme tuteur d’Antoine Rameau, le 21 février 1611, pour régler les frais de la maladie et les frais funéraires du défunt laboureur : en fait, cette vente avait déjà été effectuée, « verbalement », par Jean Rameau sur son lit de mort à Denis Bouchot, laboureur à Avosne, qui avait avancé au malade la moitié du prix de la vente, soit cinq livres (AD Côte-d’Or, 4E39/340). AD Côte-d’Or, 4E2/1168, Contrat de mariage entre Antoine Rameau et Pierrette Chenevet, 2 juin 1630. À Dijon, à cette époque, ce mot ne désigne pas un administrateur de la paroisse, comme à Paris. Voir AD Côted’Or, G 3599, Comptes de Saint-Médard (1614-1654), f. 226v : « Plus luy est passé [audict comptable] la somme de six livres pour les gages de Claude Paul marguillier pour lannee presente commenceant au premier de juillet mil six cent trente quatre et finissant au dernier du present mois de juin mil sept cent trente cinq cy ……… VIlt » ; f. 266r : « Plus passsé audict comptable la somme de six livres pour les gages d’Anthoine Rameau marguillier escheus pour la presente annee commenceant au premier de juillet mil six cent trente cinq et finissant au dernier du present mois de juin mil six cent trente six suivant ses quictances cy ……… VIlt ».

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LE CAS DE L’ORGANISTE

Rameau qui le nomme Jean, peut-être en mémoire de son propre père qu’il a si peu connu 4. Nul doute que le jeune fils d’Antoine Rameau accompagne bientôt son père dans ses tâches quotidiennes en l’église Saint-Étienne et qu’il finit par manifester un vif intérêt pour la musique qu’il entend dans cette église, qu’elle provienne de l’orgue ou des enfants car il y a une maîtrise. Et il ne fait aucun doute que l’enfant est confié à l’organiste, Matthieu Loiseau (?-06/09/1654), titulaire de l’orgue depuis le 1er novembre 1638 5, qui lui enseigne si bien l’art de l’orgue que son élève devient organiste de la collégiale Saint-Étienne dès le 1er mai 1660, à l’âge de vingt-deux ans 6. Et c’est là son premier poste. Nous pourrions raconter la même histoire avec Claude Balbastre (08/12/1724-09/05/1799), dont le père Bénigne (28/11/1670-29/01/1737) n’est pas non plus issu d’une famille de musiciens, mais de maîtres taillandiers, c’est-à-dire de fabricants d’outils tranchants 7 : il devient organiste après avoir étudié avec un ami de sa tante paternelle, Catherine Balbastre, elle-même mariée à un facteur d’orgues, Claude Grantin, chez qui il a dû entendre de la musique et manifester quelque intérêt. Le nom de cet ami : Jean Rameau ! Et, en 1691, le premier poste d’organiste de Bénigne Balbastre est celui de la collégiale Saint-Étienne, après la démission de Jean Rameau qui est bien présent aux côtés des autorités de cette église lors de la nomination de Bénigne Balbastre, et qui non seulement a dû donner son avis mais a aussi dû le recommander très fortement 8. Le poste d’organiste de Saint-Étienne sera aussi le premier poste de Claude Balbastre, fils cadet de Bénigne, qui succédera en mai 1743 9 à son maître, Claude Rameau, en partance pour l’abbaye Saint-Bénigne où, en plus d’un énorme instrument (avec montre de 32 pieds) tout neuf construit par les frères Riepp, on lui offre des gages de 300 livres 10. Nous pourrions encore raconter la même 4. 5.

6.

7. 8. 9. 10.

Dijon, Archives communales, B 501, Saint-Médard, Baptêmes 1635-1649, f. 26r, 6 avril 1638. AD Côte-d’Or, G 3593, Registre de la Paroisse St Medard de Dijon, Commencé le 7. Juin 1637. & finissant le 7. Juillet 1649, f. XXIIIr : « Plus le seizieme dudict mois de fevrier [1639] a este paie vingt cinq livres a Monsieur Mathieu Loiseautz organiste pour un quartier et la pension de cent livres par an a luy accorde pour jouer des orgues suivant le mandement de Messieurs les fabriciens et quictance au bas dudit jour cy …… XXlt ». AD Côte-d’Or, G 623, f. 151. Curieusement, les comptes de l’année 1660 ont été insérés au milieu du registre de comptes de l’année 1650 : ils sont ainsi foliotés du folio 149 au folio 154 ! Si l’on se contente de consulter l’inventaire de la série G, on constate l’absence de comptes pour l’année 1660, alors que ces comptes existent bel et bien ! Cette insertion est d’ailleurs très ancienne et date sans doute de l’époque de leur rédaction, c’està-dire de 1661. Pour plus de détails sur cette famille, voir Érik Kocevar, « Les origines familiales et la jeunesse de Claude Balbastre (1724-1799) », Grand Jeu, 32-34 (2000), p. 9-11. AD Côte-d’Or, 4E2/1042, 10 août 1691, Marché entre Messieurs de Saint-Étienne et Bénigne Balbastre pour toucher leur orgue. Voir infra la transcription de ce document. AD Côte-d’Or, 4E2/2402, 11 mai 1743, Marché entre l’évêque de Dijon, les chanoines de la cathédrale de Dijon, les fabriciens de Saint-Médard et Marie Millot, veuve de Bénigne Balbastre, agissant pour Claude Balbastre, son fils mineur. Le marché passé sous seing privé le 16 juin 1743 entre les Bénédictins de Saint-Bénigne et Claude Rameau pour toucher les orgues de l’église Saint-Bénigne pendant neuf années moyennant 2 700 livres pour les neuf années, soit 300 livres par an, ne nous est connu que grâce au contrôle des actes du bureau de Dijon. Voir AD Côte-d’Or, C 8682, Registre du contrôle des actes du bureau de Dijon (03/07/1746-29/05/1747), f. 174v. : « 9. Du [16 février 1747] marched pour toucher des orgues en leglise St Benigne pendant neuf ans moyennant deux mil sept cent livres pour les neuf ans entre Mrs de St Benigne et Sr Claude Rameau organiste passé pardevant contenant [en blanc] Notaire du 16 juin 1740 contenant [en blanc] Rolles, reçû quatorze livres ».

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ÉRIC KOCEVAR

histoire avec Jean-Jacques Beauvarlet (28/06/1734-05/05/1794), dit « Charpentier », l’un des plus grands organistes français du XVIIIe siècle, dont le père Jean-Baptiste (24/03/1712-07/01/1763), issu d’une longue lignée de commerçants abbevillois, luimême marchand teinturier, quitte sa ville natale pour aller s’installer très loin, à Lyon, non pas comme maître teinturier, comme on aurait pu s’y attendre, mais comme facteur d’orgues et de clavecins et même devenir organiste de l’hôpital de la Charité, sans que l’on sache exactement quand et avec qui il a appris ces métiers. Certes, la grande tante de Jean-Baptiste, Marie Beauvarlet, avait bien épousé en 1669 l’organiste de la collégiale Saint-Vulfran d’Abbeville, Pierre Froissart (ca 1644-13/12/1701), mais il ne l’avait pas connu, étant né en 1712, c’est-à-dire bien après la mort de l’organiste survenue en décembre 1701. On suppose que c’est l’organiste de la paroisse Saint-Gilles, Jacques Noblet (15/05/1684-31/12/1725), titulaire de l’orgue jusqu’à sa mort le 31 août 1725, et son successeur, Charles Héluin, qui lui ont enseigné l’orgue, mais en ce qui concerne la facture d’instruments c’est le mystère le plus complet 11. La seconde question que l’on pourrait maintenant se poser est : comment devienton organiste de collégiale ou de cathédrale ? Si pour une paroisse, il suffit souvent de savoir jouer quelques accords et la ligne du plain-chant pour accompagner aussi bien que possible l’assemblée, au XVIIe siècle, en ce qui concerne les cathédrales, on a recours le plus souvent à un concours, même si les choses évoluent au XVIIIe siècle ; il n’est pas rare que les chanoines nomment un organiste sans concours après avoir simplement consulté un ou plusieurs hommes de l’art, en général des organistes ou des maîtres de musique reconnus de grandes cathédrales. Revenons au concours, qui est une pratique assez répandue, comme pour la nomination des maîtres de musique, même si ce n’est pas une règle absolue. Par exemple, le 26 avril 1634, six mois après la mort de Jehan Titelouze (ca 1563-24/10/1633), un concours est organisé à la cathédrale de Rouen pour nommer un nouvel organiste : trois candidats se présentent et s’affrontent après complies. Un certain Leroy, prêtre de son état, l’emporte face à Jacques Lefebvre et Georges Lévêque : il est reçu comme organiste de la cathédrale par le chapitre avec 400 livres de gages en raison de son talent, plus une gratification de 50 livres pour son retour à Saint-Omer. Sauf que ce prêtre part avec les 50 livres, mais ne revient pas à Rouen pour prendre possession de son orgue 12 ! Un nouveau concours est donc organisé le 19 octobre 1634 qui voit s’affronter cette fois quatre candidats et c’est finalement Jacques Lefebvre (ca 1600-04/02/1645) qui remporte la palme « tant pour jouer de mesure que pour sçavoir les modes du dict orgue, ayant tout à la fois la science et la pratique » et se voit nommer à la succession de l’illustre Jehan Titelouze avec des émoluments annuels de 300 livres 13. Pour ce concours, qui 11. 12. 13.

Pour plus de détails sur Jean-Jacques Beauvarlet et sa famille, voir l’importante biographie à paraître dans la revue L’Orgue en 2020. Armand Collette et Adolphe Bourdon, Notice historique sur les orgues et les organistes de la cathédrale de Rouen, Rouen, impr. E. Cagniard, 1894, p. 20-21. Ibid., p. 21.

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LE CAS DE L’ORGANISTE

s’était déroulé de la façon accoutumée, on avait désigné le jour même une hymne et il avait été demandé aux candidats de la jouer à quatre parties, notes contre notes, ou à deux, trois et quatre temps par note. Les candidats avaient ensuite dû improviser une fugue dans le style rigoureux, en prenant le chant de l’hymne comme thème. Puis ils avaient subi une épreuve écrite consistant à développer une fugue sur un sujet imposé 14. Dans le même lieu, pour un nouveau concours qui est organisé le 28 juillet 1674, on convient que les deux candidats en présence se donneront mutuellement un sujet de fugue à traiter devant quatre chanoines : une fois l’épreuve terminée, le tout est mis sous pli et cacheté avant d’être envoyé à Pierre Robert, sous-maître de la Chapelle royale. Ce sont finalement Henry Du Mont (par ailleurs organiste de la paroisse Saint-Paul de Paris) et l’un de ses collègues de la Musique du roi qui relisent les épreuves et nomment le vainqueur qui n’est autre que Jacques Boyvin (ca 165030/06/1706), qui prend alors possession de l’orgue de la cathédrale de Rouen qu’il occupera jusqu’à sa mort en 1706 15. Jacques Boyvin deviendra l’un des plus grands organistes de cette période et publiera deux importants livres d’orgue en 1689 et 1700, chacun écrit dans les huit tons ecclésiastiques et comprenant au total 120 pièces groupées en 16 suites. Au XVIIIe siècle, même si les concours existent encore ici et là, les chanoines s’en tiennent plutôt à la notoriété des organistes, en prenant quelquefois directement contact avec des organistes réputés et en leur proposant des conditions financières très intéressantes pour les faire venir. C’est le cas par exemple de Joachim Dedoué (169805/09-1756), organiste de la collégiale Sainte-Opportune de Paris, qui quitte la capitale pour être reçu le 23 février 1732 au poste d’organiste de la cathédrale de Bourges où les chanoines lui ont offert des émoluments très alléchants de 486 livres par an, alors que le poste était vacant depuis le 31 juillet 1731 après le départ du précédent titulaire qui ne touchait lui que 150 livres par an. Dedoué n’avait que 75 livres d’appointements à la collégiale Sainte-Opportune et on comprend aisément qu’il n’a pas dû être difficile à convaincre 16. Autre très bel exemple, avec Claude Rameau. Les frères Riepp (Karl Joseph et Ruppert), facteurs d’orgues originaires de Souabe et installés à Dijon depuis 1742, reconstruisent l’orgue de la cathédrale Saint-Lazare d’Autun après que leur devis a été accepté le 9 septembre 1746 par les chanoines. Le 4 septembre 1748, les chanoines décident de s’adresser à Claude Rameau pour expertiser l’orgue qui va être achevé sous huitaine. Une délibération du 19 septembre 1748 indique que l’organiste de Saint-Bénigne est venu à Autun et a visité l’orgue : son rapport est accablant pour les frères Riepp qui, d’après Claude Rameau, n’ont pas exécuté ce qui était porté au marché, en conséquence de quoi il déclare que l’orgue n’est pas recevable. L’organiste de l’abbaye Saint-Bénigne de Dijon se voit allouer la somme de huit louis d’or pour 14. 15. 16.

Ibid., p. 23. Ibid., p. 27. Pour plus de détails sur cet organiste, voir le chapitre qui lui est consacré dans Érik Kocevar, Collégiale SainteOpportune de Paris : Orgues et Organistes 1535-1790, Dijon, l’Auteur, 1996, p. 209-219.

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son voyage et son séjour à Autun et le temps qu’il a passé à la visite de l’orgue 17. Le 24 janvier 1755, l’organiste de la cathédrale d’Autun, un certain Lebœuf, annonce à ses employeurs qu’il quitte son poste : les chanoines décident d’écrire à Dijon et à Paris pour trouver un autre organiste. C’est finalement Claude Rameau qui est retenu et nommé organiste de la cathédrale d’Autun lors d’un chapitre tenu le 2 mars 1755 : il devra toucher l’orgue à la manière accoutumée, l’entretenir en bon état et accord, enseigner l’orgue à un enfant de chœur de son choix, moyennant des gages annuels de… 600 livres ! Le traité est signé le 8 mars 1755 à Autun, pour une durée de neuf années consécutives 18. Là encore, les émoluments ont dû être particulièrement alléchants pour Claude Rameau puisqu’ils représentaient le double de ceux qu’il percevait à l’abbaye Saint-Bénigne de Dijon. Des organistes proposent aussi leurs services à un chapitre lorsqu’ils savent que le poste d’organiste est vacant. Je prends un exemple. Le 21 juillet 1743, les chanoines de la collégiale Notre-Dame de Beaune congédient leur organiste, Edmé Lausserois (23/07/1703-26/09/1758), parce qu’il a passé depuis plusieurs mois une convention avec le chapitre de la Sainte Chapelle de Dijon et que, de ce fait, il « ne paroissoit plus avoir a cœur de venir toucher exactement »19. En clair, l’organiste n’était pas souvent présent à ses claviers. Par la délibération capitulaire du 5 août 1743, nous apprenons que le chapitre a reçu une lettre d’un certain Devaux (sans doute le facteur d’orgues François Devaux) qui l’avertit « qu’il y a actuellement a l’abbaye de Fequan un tres habil organiste qui se fera un plaisir de venir rendre ses services au Chapitre si on veut luy payer son voyage et luy promettre des gages convenables ». Les chanoines chargent alors l’un des leurs de faire savoir au nommé Devaux que « si ledit organiste est aussy habil qu’il le dit, il peut venir, qu’on luy payera soixante livres pour son voyage et qu’on luy donnera quatre cens livres d’appointements, en par luy touchant assidüement & enseignant un des enfants de chœur »20. Il y a aussi le système « fils d’organiste qui succède à son père », ou « élève qui succède à son maître », qui fonctionne très bien car il a l’avantage pour les chanoines de déjà connaître le futur organiste qui a souvent suppléé son père ou son maître. Dans ces deux cas, on évite le concours fastidieux et coûteux puisqu’il faut quelquefois payer le déplacement de certains candidats. Prenons un exemple. En 1758, lorsqu’il faut remplacer François Dagincourt (1684-30/04/1758), organiste de la cathédrale de Rouen, décédé en avril, le chapitre nomme de façon provisoire un organiste en attendant l’organisation d’un concours et fait savoir partout que ce concours aura lieu le 19 août 1758. Deux organistes parisiens désireux de se présenter envoient un courrier aux chanoines : 17. 18. 19. 20.

Jacques Gardien, L’Orgue et les Organistes en Bourgogne et en Franche-Comté au dix-huitième siècle, Paris, Librairie E. Droz, 1943, p. 201-208. Ibid., p. 215-216. AD Côte-d’Or, G 2548, Registre capitulaire de Notre-Dame de Beaune (1731-1745), f. 311v. Ibid., f. 317v.

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LE CAS DE L’ORGANISTE

Messieurs, Monsieur Ingrain organiste de Saint-Étienne-D’umont, et Olivier organiste des grands Augustins se propose d’être admi à votre concours, il arrive souvent que l’on pert son tems en pareille aucasion que l’on reçoit une personne protégé, comme s’est un peu loing, il propose que leur voyage soye payez en leur envoyant ou promettant de leur donné à chacun trois Loüis [144 livres] pour les De domagé de leurs affaires à Paris aussi tot la réponse ils partiront 21.

Comme on le voit ici, faire venir ces deux organistes parisiens pour le concours aurait engendré une dépense considérable de 6 louis, soit 144 livres, pour le chapitre, sans compter les autres candidats. Continuons la procédure. Une fois le concours terminé ou le choix sur recommandation actés par une délibération capitulaire, reste à conclure le marché entre le chapitre, la fabrique et l’organiste. Très souvent, cela se passe devant un notaire. Prenons par exemple le cas de Bénigne Balbastre lorsqu’il passe son cinquième marché avec les responsables ecclésiastiques et laïcs de la collégiale Saint-Étienne et de la paroisse Saint-Médard, le 9 avril 1713 22. L’organiste avait conclu son premier marché le 10 août 1691, pour six années, alors qu’il était âgé de seulement vingt ans, étant né le 28 novembre 1670 ; il s’était même marié au tout début de l’année, le 7 janvier 1691, âgé d’à peine vingt ans 23. Voici le début de ce premier marché qui présente un intérêt sur plusieurs points : Lan mil six cens quatre vingts unze le dixiesme aoust avant midy a Dijon pardevant le sousigne no[tai]re royal fut present en sa personne le Sieur Benigne Balbastre organiste de cette ville y demeurant lequel a convenult faict marchef par cette [présente] avec Messire Claude Fyot coner d’honneur au Parlement de Bourgogne comte de Baujand abbe de St Estienne de Dijon Messieurs Manin tresorier et vicaire perpetuel de la paroisse St Medard Le Compasseur chanoine de lad. eglise tant pour luy que Messieurs les doyen chanoines et Chapitre de ladicte eglise et sous leur bon vouloir et plaisir et Messieurs les conseiller Lantin bastonnier de la paroisse St Medard transferee dans ladicte esglise St Estienne Chanrenault maistre ordinaire en la Chambre des Comptes de Bourgogne et Bresse et Daniel Nicolas procureur a la Cour receveur de ladicte Fabrique tous fabriciens de ladicte fabrique et associes d’icelle et sous leur bon vouloir tous presens et acceptans de par ledict Balbastre pendant le temps et terme de six ans a commencer dez le premier juin dernier et qui finiront a pareil jour iceux revolus de toucher lorgue de ladicte esglise assidument les jours accoustumes bien et deument et ira prendre lordre pour toucher icelle de Mr Menot Me de musique des enfans de cœur de lad esglise a la maniere accoutumee. Sera tenu ledict Balbastre de se perfectionner a bien toucher la partie continue sur la petite orgue et ce dans l’espace d’un an ce present marchef faict moyenant la somme de cent livres par chacun an payable par moitie et demie annee scavoir douze livres dix 21. 22. 23.

Collette et Bourdon, op. cit., p. 32. AD Côte-d’Or, 4E2/1641. La minute de ce marché a été recopiée dans le « Registre quatrieme de la Fabrique de St Medard de Dijon, commencé le 22 juillet 1708 & finissant le 25 aoûst 1743 », AD Côte-d’Or, G 3596, f. 37-38v. AD Côte-d’Or, 2E239/017, Registre de la paroisse Saint-Philibert de Dijon (1690-1691), f. 27 (curieusement, l’acte a été transcrit à la fin du registre de l’année 1690 et non au début de celui de l’année 1691). Voir aussi AD Côte-d’Or, 4E2/2024, Contrat de mariage entre Bénigne Balbastre et Barbe Delapierre, 23 décembre 1690.

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sols par ledict seigneur abbé par lesdicts Sieurs de St Estienne vingt cinq livres et par lesdicts Sieurs de la Fabrique pareille somme de douze livres dix sols et ainsy continuer auxdicts jours pendant la presente dont les premiers payemens commenceront au premier decembre prochain et le second au premier juin se sont prochainement venant dont et de tout ce que dessus les parties sont contentes et la presente faicte sans preiudice audict Sieur Balbastre des droits qui luy pourront apartenir aux fondations et confrairies qui se feront dans ladicte esglise obligent scavoir ledict Seigneur Abbe les revenus de ladicte abbahie Sainct Estienne, lesdicts Sieurs chanoines Le Compasseur ceux dudict Chapitre et lesdicts Sieurs fabriciens ceux de ladicte Fabrique pour la conduitte et garentie pendants lesdicts six ans et led Sieur Balbastre les siens propres sans quil puisse quitter ny abandonner a toucher ladicte orgue sans le consentement desdicts Sieurs le tout par la Cour de la Chancellerie promettant renonçant etc. fait et passe en la sacristie de ladicte esglise es presences du Sieur Jean Rameau aussy maistre organiste de l’esglise NotreDame et Jean Michelin marguillier dudict Sainct Estienne demeurans audict Dijon temoins requis sousigné avec lesdictes parties et notaire la minute est signéé labbé Fyot Manin Le Compasseurs Lantin Chanrenault Nicolas Balbastre Rameau et Prieur notaire royal sousigne ledict Michelin ne signe enquis signe Prieur 24.

Le jeune organiste s’engage donc pour une période de six années à toucher la grande orgue les jours accoutumés, sans aucune précision à ce sujet. Avant le début de chaque service, il devra s’enquérir du ton du jour auprès du maître des enfants, en l’occurrence ici Pierre Menault. Il s’engage aussi à se perfectionner dans la pratique de la petite orgue, qui est un orgue positif, voire portatif, qui est utilisé lors des processions et même lorsque les prêtres de Saint-Étienne officient dans d’autres églises dijonnaises, ainsi qu’il est rappelé dans d’autres conventions. On lui laisse une année pour cet apprentissage. Les gages sont peu élevés puisque seulement de 100 livres par an. À propos du ton du jour, voici une petite anecdote relevée ailleurs. Le 8 mai 1737, les chanoines de la collégiale de Beaune donnent commission au chanoine Loppin « de parler a lorganiste & au joüeur de serpent de ceans & de leur faire entendre q[u]e le Chap[itre] pretend q[u]e lorganiste viendra demander le ton de la musiq[u]e & qu’où lorganiste n’aura pas eù le temps de le demander le joüeur de serpent le luy donnera par le moyen de son instrument »25. Mais le 12 juillet 1737, l’affaire ne semble pas résolue puisque les chanoines font la remarque suivante : Ayant eté observé q[u]e la mesintelligence subsistoit entre lorganiste & le joüeur de serpent de cette eg[lise] en ce q[ue] lorganiste ne vouloit point sassujettir a demander le ton de la musiq[ue] & quil touchoit dabord au hazard d’un ton & q[ue] la musique se trouvoit d’un autre, il a eté delibéré quil seroit ordonné a lorganiste de la p[art] du Chap[itre] de demander le ton avant q[ue] de monter a lorgue, ce q[ue] M[onsieu]r le ch[anoi]ne Loppin a eté invité de luy faire entendre de la p[art] de la Compagnie 26.

24. 25. 26.

AD Côte-d’Or, 4E2/1042. La minute de ce marché a été recopiée dans le « Registre troisieme de la Fabrique St Medard de Dijon, commencé le 14 janvier 1674 & finissant le 8 juin 1708 », AD Côte-d’Or, G 3595, f. 117v-118v. AD Côte-d’Or, G 2548, Registre capitulaire de Notre-Dame de Beaune (1731-1745), f. 145. Ibid., f. 150.

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LE CAS DE L’ORGANISTE

Venons-en maintenant au cinquième marché de Bénigne Balbastre, beaucoup plus intéressant pour nous, car plus précis dans les tâches dévolues à l’organiste. Cette convention, aussi signée devant un notaire, est le parfait exemple du contrat de travail passé entre un organiste et ses employeurs au XVIIIe siècle, même si on en a conservé très peu par suite des diverses destructions occasionnées par la Révolution et les guerres. Dans la plupart des marchés qui subsistent, les tâches ne sont pas détaillées en la minute et on évoque en général simplement la coutume ou la manière accoutumée, ou encore un mémoire, fait en double, qui est remis à l’organiste, le second exemplaire étant conservé dans les archives : malheureusement, aujourd’hui, il est rare de retrouver ces mémoires dans les archives car ils ont quasiment toujours été détruits durant la Révolution, lorsque, en 1792, les archives des églises ont été saisies et qu’un tri, plus ou moins sévère selon les régions, a été effectué. Voici ce document 27 : L’an mil sept cent treize le neufieme jour du mois d’avril a Dijon pardevant les conseillers notaires du Roy gardenottes et tabelions hereditaires et syndicq de la communauté des notaires de laditte ville y résidants soussignés a comparu en personne Benigne Balbastre maitre organiste audit Dijon, lequel a convenu et fait le marchef cy apres avec Messire Claude Fyot conseiller d’honneur au Parlement de Bourgogne abbé de Saint Estienne de Dijon, Monsieur Anthoine Gagne chanoine en laditte eglize a ce deputé par Messieurs les doyens chanoines et Chapitre de la meme eglize, Monsieur Zacharie Michel Manin tresorier et vicaire perpetuel de la paroisse Saint Medard, Monsieur Jean Bernard Chesne conseiller du Roy controlleur general des Decimes en Bourgogne bastonnier et fabricien de laditte paroisse St Medard transferéee dans laditte eglize Saint Estienne et Claude Varenne escuyer conseiller secretaire du Roy Maison Couronne de France en la Chancellerie prest le Parlement de Bourgogne aussy en qualité de fabricien de laditte paroisse tous presents stipulans et acceptans, pour le temps et terme de douze années consecutives commancéés le premier du present mois, et qui finiront a pareil jour lesdittes douze annéés expiréés pendant lequel temps ledit Balbastre promet et s’oblige de toucher bien et deument et convenablement lorgüe et positif de laditte eglize tous les dimanches et festes aux grandes messes vespres et autres jours de seremonie, salut, matines, premieres vespres et autres offices comme il a fait cy devant conformement au chapitre des status de cette eglize concernant les devoirs et obligations de l’organiste meme les jours et veille des festes, qui sont retranchéés ou remises, des saints Apostres, et Evangelistes, des festes de la sainte Vierge y compris celle de la Visistation et Presentation, festes d’Invention et Exaltation de la sainte Croix, celle de la Couronne de Nostre Seigneur, le jour de l’octave de saint Estienne, la veille et le jour de la feste saint Victor et sainte Couronne Martirs, dont les relicques sont en cette eglize, la dedicace de Saint Michel, la feste saint Joseph, les jours memes de dimanche ou des vespres, en Avant et en Caresme lorsqu’une feste doublez se trouvera le lundy suivant, auxquels jours offices processions seremonies particulieres, de cette eglize, ledit Balbastre sera exacte de toucher ladite grande horgue meme la petite lorsquelle sera portéé dans les eglizes ou Mrs de Saint Estienne officiront ou iront en procession sans pouvoir substituer autre en sa place, sinon en cas de maladie ou legitime empechement dont il sera obligé d’avertir ou faire avertir Messieurs auquel cas, il pourra commettre une personne habille pour remplir sa place, 27.

AD Côte-d’Or, 4E2/1641. La minute de ce marché a été recopiée dans le « Registre quatrieme de la Fabrique St Medard de Dijon, commencé le 22 juillet 1708 & finissant le 25 aoûst 1743 », AD Côte-d’Or, G 3596, f. 37-38v.

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ÉRIC KOCEVAR

sera tenu de plus ledit Balbastre et s’oblige d’aller pendant tout le temps de la presente convention deux fois chacque semaine a la Maitrize aux jours et heures qui luy seront les plus commodes pour y donner des lecons et enseigner a toucher et accompagner de la petite orgue a un des enfans de cœur qui luy sera indicqué par le Chapitre sans aucune restribution, ne donnera les clefs de l’orgue et n’en laissera toucher personne sans le consentement desdits Sieurs stipulans, a peine de faire restablir et respondre en son nom des dommages qui pourroient estre faicts ; et ny laissera entrer aucune femme et fille, entretiendra ledit Balbastre les jeux de laditte orgue et du positif d’accord et particulièrement les jeux de hanches, meme les jeux de fonds, lorsqu’ils ne dependeront pas de la facture et grosses reparations, qui pourroient arriver, par accidents sujession de temps, et non par sa faute mais pour y remedier il sera seulement obligé d’en avertir Monsieur l’Abbé ou l’un de Messieurs les fabriciens de laditte paroisse qui sont chargés de ces sorts d’entretiens, et repparations de meme que du souffleur soit pour toucher ou pour accorder, laditte orgue comme du passé, la presente convention ainsy faitte moyennant la somme de deux cent livres, par an qui sera payéé audit Balbastre, pendant tout le temps du present marchef par demye annéé scavoir cinquante livres par Monsieur l’Abbé, cent livres par Messieurs du Chapitre et cinquantes livres par Messieurs de laditte Fabricque de Saint Medard, faisant le tout laditte somme de deux cent livres, a compter du premier dudit present mois, et ainsy continuer de terme en terme et donnéé a autres, pendant lesdittes douze annéés, et outre ce aura ledit Balbastre les droits et distributions ordinaires des fondations confrairies et ceremonies, de laditte eglize comme du passé a la charge de rendre laditte orgue et positif en bon et deü eztat, de son fait, le tout sujet a visitte suivant les stipulations cy dessus sans pouvoir quitter, renoncer ou commettre au present marchef que du consentement desdits Sieurs stipulans, pendant tout le temps cy dessus, a peyne de tous despens dommages et interets, dont et de tout ce que dessus les parties sont contantes et pour la seureté et accomplissement ledit Balbastre oblige tous ses biens presents avenirs generallement quelconques, Mondit Sieur l’Abbé les revenus de son abbeye ledit Sieur chanoine Gagne ceux dudit Chapitre et lesdits Sieurs Manin Chesne et Varenne ceux de la Fabricque par toutes cours royalles qu’il appartiendra renonceant a toutes choses contraires, fait, lut et passé en l’Hostel de Monsieur l’Abbé de Saint Estienne, les ans et jour que dessus et a ledit seigneur Abbé signé avec les autres parties cy dessus nomméés et nous lesdits notaires, estant convenu qu’en cas que ledit Balbastre vint a manquer avant l’expiration du present marchef sa femme et ses enfans ne pouront estre recherchés ny inquietés pour quelques causes et occasion que ce soit pour l’exécution de la presente convention ; la minutte est signéé l’Abbé Fyot, Gagne chanoine Manin, Balbastre, Chesne bastonnier, Varenne Vaudremont notaire syndicq et Fiot notaire soubsignés controllé a Dijon le 29e avril 1713 Reçu trois livres dix sept sols signé Pelletier.

Le fait même que l’engagement de l’organiste pour une durée précise de temps, avec le détail de ses tâches et de sa rémunération, soit passé devant notaire démontre que l’organiste a bien un statut social : ce qu’on appelle « marché » dans le cas présent est tout bonnement ce qu’on appelle aujourd’hui un « CDD », c’est-à-dire un contrat à durée déterminée. Très peu d’officiers d’un chapitre, qu’il soit collégial ou cathédral, signent ce type de document : les organistes et les maîtres de musique sont à peu près les seuls, parfois, comme à la Sainte Chapelle de Dijon, par exemple, c’est aussi le cas pour certains chanteurs. Le marché, appelé aussi bail dans certaines régions, par exemple à Bourges ou à Clermont, est très utilisé à l’époque car il permet aux

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LE CAS DE L’ORGANISTE

chanoines de pouvoir changer régulièrement d’organiste, s’ils ne sont pas satisfaits de son travail, par exemple, ou de son comportement. Les marchés sont souvent conclus pour trois, six ou neuf années consécutives, rarement plus. Dans le cas de Bénigne Balbastre, nous avons vu qu’il était de douze années, mais ses premières conventions avaient été passées chacune pour une durée de six années. Le record est pour JeanPhilippe Rameau qui, le 24 avril 1715, passe un marché avec le chapitre de la cathédrale de Clermont pour toucher l’orgue durant vingt-neuf ans et s’engage à « toucher par luy dudit orgue aux offices, fêtes et solemnitez ordinaires et extraordinaires […] s’oblige à instruire savamment un enfant de chœur ou une autre personne qui lui sera indiquée par les Sieurs du Chapitre, plus sera tenu d’accorder et tenir bien d’accord tous les jeux d’anches du dit orgue »28. Il est clair que les chanoines de Clermont désiraient ardemment conserver leur organiste. Nous savons ce qu’il advint : Jean-Philippe Rameau se lassa très vite de Clermont et quitta définitivement l’Auvergne vers juin 1722, bien avant la fin de son bail ! Du côté de l’emploi du temps, chaque église à ses coutumes et des saints qu’elle vénère plus particulièrement. Par exemple, dans notre étude sur les orgues et les organistes de la collégiale Sainte-Opportune de Paris, nous sommes arrivé au nombre de 257 services par an, uniquement pour l’ordinaire, puisque le casuel est bien sûr impossible à chiffrer. Et encore, dans le cas de cette église, l’organiste ne jouait-il à matines, messe et vêpres que le premier dimanche de chaque mois. Dans le cas de Bénigne Balbastre, par exemple, il s’engage à jouer tous les dimanches de l’année à la messe et aux vêpres, ce qui fait déjà 104 services par an, sans compter toutes les fêtes détaillées dans la convention. Les organistes des collégiales et des cathédrales de France effectuent en moyenne 300 services ordinaires par an. On l’aura bien compris, aux XVIIe et XVIIIe siècles, l’organiste est l’un des deux hommes-clé du bon fonctionnement des services religieux au sein des églises collégiales et cathédrales et les Chapitres dépensent beaucoup d’argent pour s’assurer la meilleure qualité, à la fois des instruments et des hommes qui les touchent. Pour conclure, nous rappellerons simplement les mots du rédacteur du Cérémonial de l’Église Métropolitaine de Besançon qui écrivait, en 1747, dans le chapitre 11 intitulé « De la musique », que la musique avait été « introduite dans l’Eglise afin de rendre le service divin plus magnifique et plus majestueux, d’y attirer les peuples, exciter leur dévotion, nourrir leur piété »29 ! Nul doute que les organistes, quel que soit leur niveau technique, ont toujours rempli cette mission avec beaucoup d’abnégation.

28.

29.

AD Puy-de-Dôme, 3G Sup. 34e. Chapitre Cathédral de Clermont, Culte, Orgue de la cathédrale 1670-1762. « Contrat Rameau Mtre organiste de la cathédrale », contrat partiel, un folio déchiré sur le bord droit, manque le second folio, date absente [24 avril 1715]. La date nous est donnée par le « Registre du contrôlle des actes des notaires du Bureau de Clermont Election de Clermont (23 février 1715-22 juin 1715) », AD Puy-deDôme, 15C 1602, f. 50v°, n° 16, 25 avril 1715. Besançon, Bibliothèque municipale, Ms 113, p. 54.

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L’ENTREPRENEUR DE MUSIQUE

UN IMPRESARIO IN CHIESA: IL MAESTRO DI CAPPELLA A ROMA E NELLO STATO PONTIFICIO NEL SEICENTO Galliano CILIBERTI

“Si puol dir dunque zucca senza sale | Chi prende a fare il Maestro di Cappella | Che ha il pane in vita sol nell’Hospedale”.1 È dunque uno sconsiderato chi si appresta a cominciare la professione di maestro di cappella nella Roma Seicentesca. Lo testimonia in un capitolo autobiografico in versi inviato a Sebastiano Baldini (umanista e letterato legato alla famiglia di Alessandro VII Chigi), un musicista allora all’apice della professione e stimato in tutta l’Urbe: Antonio Maria Abbatini. Da poco festeggiati quarant’anni di duro impegno e di “peregrinazione continua dall’una all’altra delle maggiori cappelle musicali romane” 2 (siamo all’incirca nel 1667), l’insigne e venerando maestro “traccia un consuntivo tutto sommato deprimente della propria vicenda”,3 e soprattutto del rapporto lavoro/guadagno: “quarant’anni adesso | Han terminato ch’io faccio il facchino | E chi mi vuole arrosto, e chi a lesso”,4 aggiungendo più oltre come egli nella sua lunga quanto impegnativa carriera non abbia mai avuto “gran sete” “de denari”, “che di rabbia” sarebbe “morto sicuro”.5 LA DIMENSIONE QUOTIDIANA La vita quotidiana a Roma nel Seicento doveva essere, dunque, abbastanza dura per un maestro di cappella assillato da ingaggi continui quasi sempre mal retribuiti – almeno stando al quadro tracciato da Abbatini. Si pensi che Orazio Benevoli uno dei compositori più importanti del suo tempo, maestro di cappella nelle principali basiliche romane (S. Maria in Trastevere, S. Spirito in Saxia, S. Luigi dei Francesi, Chiesa Nuova, S. Maria Maggiore e S. Pietro in Vaticano), visse in condizioni modeste (abitava in via 1. 2. 3. 4 5.

Antonio Maria Abbatini, [Capitolo autobiografico in versi], in I-Rvat, Chigi L VI 191, f. 221. Pubblicato in Galliano Ciliberti, Antonio Maria Abbatini e la musica del suo tempo (1595-1679). Documenti per una ricostruzione bio-bibliografica, Perugia, Regione dell’Umbria, 1986, p. 426-433: 430. Lorenzo Bianconi, Il Seicento, Torino, EdT, 1982, p. 280. Ivi, p. 87. Abbatini, op. cit., f. 219v; Ciliberti, op. cit., p. 429. Abbatini, op. cit., f. 220; Ciliberti, op. cit., p. 430.

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GALLIANO CILIBERTI

della Lungara davanti ai granai di S. Spirito in una piccola casa di due piani di proprietà di quell’arcispedale dove vi rimase fino alla morte) 6 e morì povero senza mai aver trovato le risorse finanziarie e gli indispensabili patrocini per pubblicare le proprie composizioni. Molti maestri riuscirono a “campare decorosamente” 7 solo grazie alle integrazioni in natura. Al di fuori dell’Urbe, nelle cattedrali dello Stato Pontificio, ad esempio, lo stipendio mensile del maestro di cappella veniva erogato oltreché in scudi anche con generi alimentari di prima necessità quali barili di vino, stara di grano, polli, uova, ecc.8 Questo avveniva perché nei centri periferici la moneta aveva un potere d’acquisto molto diverso rispetto a quello della Capitale dello Stato. I salari dei maestri di cappella operanti a Roma, invece, erano elargiti in scudi e variavano a seconda dei contratti stipulati, diversificati da istituzione a istituzione: si aggiravano in media dai 9 ai 12 scudi al mese.9 Accanto allo stipendio vi erano delle integrazioni. Un supplemento significativo poteva riguardare le spese per l’affitto della casa, solitamente collocata vicino all’istituzione religiosa presso cui il maestro operava. L’appartamento poteva essere di proprietà del capitolo e affidato di volta in volta ai vari musicisti che si alternavano nella direzione della cappella.10 Nella casa vivevano oltre al maestro di cappella e alla sua famiglia anche i pueri cantores per i quali egli riceveva un contributo straordinario per mantenerli. Tenere dei putti era molto conveniente per il maestro di cappella: doveva sì ben vestirli e fornirgli un buon vitto e l’alloggio ma in cambio oltre ad avere una integrazione finanziaria dal capitolo acquisiva tutti i guadagni che questi fanciulli percepivano per le loro prestazioni artistiche durante il periodo di alunnato.11 La corsa per un impiego di direzione (“una rendita spesso minima ma garan12 tita”), il “procacciarsi i soldi per una stampa musicale”, “il procurare a un discepolo un posto in una cappella basilicale”, comportava “una competizione tacita e accanita tra colleghi”.13 Romano Micheli nel novembre del 1644 presentò un memoriale a Innocenzo X, “per riparare alla distruttione della musica” dove si dava dispregiativamente del “musico ordinario” a Stefano Fabri allora direttore della cappella di S. Luigi dei Francesi.14 6.

7. 8.

9. 10. 11. 12. 13. 14.

Alberto Cametti, “La scuola dei pueri cantus di S. Luigi dei francesi in Roma e i suoi principali allievi (15911623). Gregorio, Domenico e Bartolomeo Allegri. Antonio Cifra. Orazio Benevoli”, Rivista musicale italiana, XXII (1915), p. 593-641: 638 e John Burke, “Musicians of S. Maria Maggiore Rome, 1600-1700. A Social and Economic Study”, Note d’Archivio per la Storia Musicale. Nuova serie, II (1984), supplemento, p. 35. Bianconi, op. cit., p. 90. Galliano Ciliberti, “La cappella musicale della Cattedrale di Città di Castello nei secoli XVII-XVIII”, Annali della Facoltà di Lettere e Filosofia dell’Università degli Studi di Perugia. 2 Studi Storico-antropologici, XXIII, nuova serie IX (1985/1986), p. 43-140; Biancamaria Brumana, Galliano Ciliberti, Orvieto una cattedrale e la sua musica (1450-1610), Firenze, Olschki, 1990; eid., Musica e musicisti nella Cattedrale di S. Lorenzo a Perugia (XIV-XVIII secolo), Firenze, Olschki, 1991. Burke, op. cit., p. 15 (Vincenzo Ugolini), 17 (Carlo Cecchelli). Ivi, p. 18 (Giuseppe Corsi). Ivi, pp. 23-29. Bianconi, op. cit., p. 86. Ivi, pp. 86-87. Romano Micheli, [Memoriale a Innocenzo X], I-Rvat, Barberini Latino 5370, f. 155.

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UN IMPRESARIO IN CHIESA

Secondo Giuseppe Ottavio Pitoni la nomina di Paolo Agostini a maestro di S. Pietro in Vaticano (16 febbraio 1626) era stata conferita in seguito ad una sfida musicale da lui lanciata all’allora direttore in carica Vincenzo Ugolini, il quale, avendola rifiutata, venne licenziato.15 Abbatini fu licenziato da S. Maria Maggiore nel 1646 perché “haveva mal trattato di parole” Gregorio Allegri cantore pontificio con cui si era scontrato per l’edizione degli Hymni di Palestrina con il nuovo testo approntato da Urbano VIII.16 Litigio per il primato di una edizione (Abbatini aveva preparato su ordine del papa la “sua” versione aspramente criticata dai Cantori Sistini per motivi di conservatrice supremazia), che costerà al musicista ben due anni e mezzo di non occupazione fissa presso le cappelle romane. Di scontri di questo tipo con il Collegio dei Cantori Pontifici furono vittime anche Agostino Agazzari (un decreto risalente a prima del 1605 non solo proibiva ai Cantori Sistini di cantare sotto la sua direzione, ma anche di eseguire le sue opere tanto che il musicista dovette abbandonare definitivamente Roma) 17 e Orazio Benevoli che ebbe una memorabile lite durata quasi due anni con la cappella pontificia terminata (dopo le scuse dell’insigne maestro) il 28 dicembre del 1666 quando in Cappella Sistina “fu il sig.r Benevoli abbracciato e bacciato da tutti per segno di stima e di affetto essendo, senza offendere alcuno, il Palestrina de nostri tempi” 18 (appellativo importante conferito da coloro che più d’ogn’altri rappresentavano il legame con la tradizione palestriniana).19 L’antagonismo tra i maestri di cappella a Roma era spesso basato anche sulla delazione. La carriera di Giuseppe Corsi fu stroncata per problemi giudiziari: imprigionato il 13 novembre 1677 dopo una serie di Libelli famosi (ovvero la pubblicazione di atti di pubblica accusa diffamatori, per lo più anonimi fatti, probabilmente, da qualche collega invidioso) che lo accusavano del “defloramento” di una “zitella” che poi era saltata “per paura dalla finestra” della sua abitazione.20 Il musicista per questa accusa venne detenuto e torturato: nudo con le mani legate dietro la schiena, fu più volte sollevato con una fune che scorreva su una carrucola fissata al soffitto. Corsi fu poi imprigionato nella rocca del Sant’Uffizio di Narni dal 1677 al 1681 ed esiliato per sempre da Roma.21 15. 16. 17. 18. 19. 20.

21.

Giuseppe Ottavio Pitoni, Notitia de’ contrappuntisti e compositori di musica, a cura di Cesarino Ruini, Firenze, Olschki, 1988, p. 253. I-Rvat, Cappella Sistina, Carlo Mariani, Diario n. 68, f. 51-53v; Ciliberti, Antonio Maria Abbatini…, op. cit., p. 245. Jean Lionnet, “Una svolta nella storia del collegio dei cantori pontifici: il decreto del 22 giugno 1665 contro Orazio Benevolo; origini e conseguenze”, Nuova rivista musicale italiana, XVII (1983), p. 72-103 (86). I-Rvat, Cappella Sistina, Giovanni Battista Vulpio, Diario n. 83, [sub die 28 dicembre 1666]; Lionnet, op. cit., p. 95. Lionnet, op. cit., pp. 95-97. Galliano Ciliberti, Giovanni Tribuzio, ““Un buon virtuoso agitato dalla fortuna, dalla quale sortì vari accidenti”. Giuseppe Corsi: un maestro marsicano nel Seicento europeo”, “E nostra guida sia la Stravaganza”. Giuseppe Corsi da Celano musicista del Seicento, a cura di Galliano Ciliberti e Giovanni Tribuzio, Bari, Florestano Edizioni, 2014, pp. 2-117 (37-38). Ibidem.

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Ma i rapporti tra colleghi non furono regolati solo da competitivo cinismo. Esistono anche dei casi nei quali alcuni maestri rivolsero dei veri e propri omaggi ai compagni di lavoro. Abbatini compose addirittura un Requiem per la morte del figlio di Benevoli nel 1672.22 Per lo svolgimento della prima messa celebrata dal castrato (soprano) pontificio Loreto Vittori il 25 gennaio 1643 nella Chiesa Nuova, i musicisti Stefano Fabri (maestro di cappella di S. Giovanni dei Fiorentini), Virgilio Mazzocchi (maestro di cappella in S. Pietro), Francesco Foggia (maestro di cappella in S. Giovanni in Laterano), Giacomo Carissimi (maestro di cappella in Sant’Apollinare) scrissero per l’occasione importanti composizioni liturgiche secondo quanto testimonia nel 1645 Giano Nicio Eritreo:23 Fabri le parti dell’ordinarium missæ e forse l’introito,24 Mazzocchi il graduale, Foggia l’elevazione e Carissimi l’offertorio. Benché “non sia stato possibile rintracciare composizioni” sui testi del proprium missæ previsti dal graduale romano per il 25 gennaio (festa della conversione di san Paolo apostolo) scritti da questi compositori,25 si possono comunque avanzare delle ipotesi sul tipo di repertorio eseguito. È stato ormai acclarato come queste parti del graduale fossero sovente cantate in cantus firmus o a volte semplicemente lette. In tali casi era prevista l’esecuzione di un mottetto da collocare prima e/o dopo il testo del proprium stabilito per quella festa. Proprio nel 1643 (anno dello svolgimento della prima messa di Loreto Vittori), venne pubblicata dal canonico della cattedrale di Barbarano Florido de Silvestris un’antologia di musiche dedicata a Pompeo Colonna principe di Gallicano che, assieme a Fulvio Alessandro della Corgna duca di Castiglion del Lago, aveva eccezionalmente preso parte (tra i cantori e maestri professionisti) all’esecuzione delle musiche nella Chiesa Nuova per il rito celebrato dal novello sacerdote nonché soprano pontificio.26 Tra gli autori presenti nella silloge del de Silvestris,27 che sarà la “prima di una lunga serie da lui curate”,28 abbiamo guarda caso Fabri, Mazzocchi, Foggia e Carissimi con mottetti la cui destinazione liturgica non è specificata, alcuni dei quali possiedono un testo libero e altri risultano appartenenti a cerimoniali con una tradizione molto antica: 22. 23.

24. 25. 26. 27. 28.

Remo Giazotto, Quattro secoli di storia dell’Accademia Nazionale di Santa Cecilia, vol. 1, Roma, Milano, Accademia Nazionale di Santa Cecilia-Mondadori, 1970, pp. 155-156. Giano Nicio Eritreo [Giovanni Vittorio Rossi], Epistolæ ad diversos, Coloniæ Ubiorum, apud Iodocum Kalcovium & socios, 1645, pp. 265-270 [Liber V, XXVII, Stephano Vaio, Episcopo Cyrenensi, & Archiospitalis S. Spiritus in Saxia Præceptoris] (267-269). Su questa cerimonia si veda Arnaldo Morelli, “Omaggio a un collega: una Messa a 16 voci di Orazio Benevoli in onore di Loreto Vittori”, Tra musica e storia. Saggi di varia umanità in ricordo di Saverio Franchi, a cura di Giancarlo Rostirolla ed Elena Zomparelli, Roma, Istituto di Bibliografia Musicale, 2017, pp. 197-212. Morelli, op. cit., p. 201. Ibidem. Giano Nicio Eritreo, op. cit., p. 268. Floridus Concentus Sacras continens laudes a celeberrimis musices eruditis auctoribus, binis, ternis, quaternis quinisque vocibus suassimis modulis concinnata. Quas in unum collegit R. Floridus Canonicus de Sylvestris a Barbarano, Roma, Andrea Phæi, 1643 [RISM B/I, 16431]. Saverio Franchi, Annali della stampa musicale romana dei secoli XVI-XVIII, vol. I/1: Edizioni di musica pratica dal 1601 al 1650, in collaborazione con Orietta Sartori, Roma, Istituto di Bibliografia Musicale, 2006, pp. 847-850 (849).

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Stefano Fabri Venite exultemus a 2 canti e organo [testo libero da san Bonaventura, Psalterium beatæ Mariæ virginis, psalmus 94]; Congregati sunt a 2 canti, basso e organo [De sancti Machabæi, responsorium]. Virgilio Mazzocchi Nigra sum a 2 canti, 2 bassi e organo [Commune virginum e Commune festorum beatæ Mariæ virginis, antiphona]; Adsunt dies [Aria] a 2 canti, alto, tenore, basso e organo [Benedictio sancti Clavi, hymnus]; 29 Salve Regina a 2 canti, alto, tenore, basso e organo [antiphona]. Francesco Foggia Repleatur os meum a 2 canti e organo [introitus]; 30 Exultantes a 2 canti, basso e organo [testo libero]; Florete flores a 2 canti, tenore e organo [In festo beatæ Mariæ virginis a Rosario, communio]. Giacomo Carissimi Militia est a 2 canti, basso e organo [testo libero]; O beatum virum a 2 canti, alto e organo [In festo sancti Martini episcopi et confessoris, antiphona ad Magnificat].

È probabile che alcuni di questi componimenti fossero stati scelti non tanto per la loro funzionalità liturgica originaria, quanto per il significato peculiare del testo adatto a quella cerimonia. Circa poi la possibile individuazione della messa di Stefano Fabri eseguita per l’occasione, l’unica ad essere pervenuta è una composizione a 8 voci dove alcuni testimoni provengono proprio dalla Chiesa Nuova luogo della celebrazione del rito officiato da Vittori.31 Il cantore sistino fu omaggiato per la medesima circostanza anche da Orazio Benevoli con la sua Missa Victoria (dal cognome di Loreto Vittori) probabilmente eseguita in S. Luigi dei Francesi nel 1643 alla presenza e con la partecipazione attiva del dedicatario.32 Nonostante questi casi di riverente ossequio fra colleghi, l’agonismo tra i maestri di cappella romani costituiva un realtà oggettiva e spesso la possibilità di competere risultava fortemente condizionata dal carattere individuale e dall’aspetto fisico. A proposito dei suoi magisteri, Abbatini manifestò a più riprese la pesantezza degli obblighi gravosi e stressanti che lo opprimevano: a S. Giovanni in Laterano le “molte fatiche” lo costrinsero a tornare “mezzo morto” nella sua nativa Città di Castello 33 mentre a S. Maria Maggiore “per l’impiego continuo” ebbe “paura” d’intisichirsi.34 La stanchezza lamentata dal musicista in più occasioni per il faticoso lavoro

29. 30. 31.

32. 33. 34.

Ulysse Chevalier, Repertorium hymnologicum, t. 1, Louvain, Imprimerie Lefever, 1892, p. 33 (n. 539). Wolfgang Witzenmann, “Tecnica motettistica in Francesco Foggia e Domenico Mazzocchi”, Francesco Foggia “fenice de’ musicali compositori” nel florido Seicento romano e nella storia, a cura di Ala Botti Caselli, Palestrina, Fondazione Giovanni Pierluigi da Palestrina, 1998, pp. 175-195. D-MÜs, SANT Hs 1235 (Nr 1), di mano di Fortunato Santini “Da MS antichissimo della Chiesa Nuova a me / gentilmente imprestato dal Padre [Giovanni Maria] Conca / Prefetto della musica”; I-Rsg, ms. mus. A.241 [probabilmente eseguita per la “messa di Francia” il giorno della festa di santa Lucia (13 dicembre)]; I-Rsc, G Ms. 0124a-e, “Chiesa Nuova”; I-Rsm, 76/10. Morelli, op. cit., pp. 201-210. Abbatini, op. cit., f. 219; Ciliberti, Antonio Maria Abbatini…, op. cit., p. 428. Abbatini, op. cit., f. 219v; Ciliberti, Antonio Maria Abbatini…, op. cit., p. 29.

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che svolgeva con grande impegno, era dovuta probabilmente alla sua consistente “corporatura” 35 (il Pitoni lo definisce “Uomo composto di costumi, e di corpo pingue”).36 Per la festa di san Luigi del 1665 allo scopo di realizzare la cerimonia più fastosa che la Chiesa dei Francesi abbia mai concepito, le cronache del tempo affermano indicativamente quanto il musicista compì “l’ultimo sforzo del suo sapere”.37 Ma sempre di “sforzo” si trattò. Giacomo Bramini maestro di cappella di S. Maria della Consolazione fu per Pitoni “buon virtuoso ma di poca fortuna per essere alquanto deforme nel corpo, cioè gibboso”.38 Ercole Bernabei sempre secondo Pitoni “fu uomo assai inclinato al melanconico”,39 mentre Carissimi risultò “alto di statura, gracile” e ugualmente “inclinato al melanconico”.40 La melanconia, la fatica fisica dovuta alle caducità del corpo (o pingue, o deforme, o gracile) sembrerebbero essere i caratteri principali che emergono dalle descrizioni di questi musicisti. Tale flebile risolutezza nei confronti della vita e soprattutto di un lavoro governato dalla estrema complessità del mercato scandiva l’esistenza quotidiana di artisti che noi oggi conosciamo per lo più dal punto di vista creativo. Una realtà giornaliera difficile che poteva essere aggravata anche da terribili pestilenze come quella verificatasi a Roma tra il 1656 e il 1657 dove “la musica pagò un grave scotto durante le fasi acute” dell’epidemia,41 tanto che “li cantori” e “sonatori” si trovarono “ruvinati” poiché non si potevano far “più musiche”.42 Tullio Cima, eletto maestro di cappella a S. Petronio a Bologna, dopo la partenza da Roma rimase bloccato per più di un anno a Ronciglione, sua città nativa, a causa del contagio e così perse quel posto.43 Altri importanti compositori non ce la fecero come Stefano Fabri maestro di cappella in S. Maria Maggiore che morì prematuramente il 27 agosto 1657.44 Ma la serrata sfida di un maestro con la vita e con il successo aveva origini lontane. Essa avveniva già molto tempo prima di arrivare a dirigere una importante cappella romana. La carriera di qualsiasi musicista era, infatti, pre-determinata da due fattori imprescindibili: le proprie origini sociali e la formazione.

35. 36. 37. 38. 39. 40. 41. 42. 43. 44.

I-CC [I-CCsg], Alessandro Certini, Uomini illustri in lettere, t. 2, manoscritto del XVIII secolo, senza foliazione. Pitoni, op. cit., p. 300-301. Evangelista Dozza, Primi lampi della relatione delle feste, e fuochi di giubilo, fatti risplender nel Teatro di Roma, per la nascita del Real Delfino di Francia, dalla generosità dell’eminentissimo Sig. Card. Antonio Barberini. All’illustrissimo et eccellentissimo Sig. il Sign. Duca Cesarini, Roma, Stefano Cavalli, 1662, senza foliazione. Pitoni, op. cit., p. 300. Ivi, p. 334. Ivi, p. 314. Saverio Franchi, “La musica a Roma al tempo della peste. Dalla Missa in angustiis pestilentiæ di Orazio Benevoli agli oratori per la liberazione dal contagio”, Roma moderna e contemporanea, XIV/1-3 (2006) [La peste a Roma (1656-1657), a cura di Irene Fosi], pp. 227-242. I-Rasv, Segreteria di Stato, Avvisi 103, f. 334, Franchi, op. cit., p. 227, 236. Oscar Mischiati, “La mancata nomina di Tullio Cima a maestro di cappella in San Petronio a Bologna nel 1656”, Tullio Cima, Domenico Massenzio e la musica del loro tempo, a cura di Fabio Carboni, Valeria De Lucca e Agostino Ziino, Roma, Istituto di Bibliografia Musicale, 2003, pp. 211-225. Burke, op. cit., p. 18.

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LE ORIGINI SOCIALI Un impiego nella Città Eterna costituiva un rilevante obiettivo per un giovane che volesse intraprendere una carriera musicale di successo sia attraverso l’ardua conquista di una solida protezione tra principi e cardinali, sia all’interno delle istituzioni ecclesiastiche che garantivano l’ambita rendita fissa anche se non proprio elevata. In tale contesto le origini sociali del musicista e i legami con il contesto di provenienza erano decisivi. Vincenzo Ugolini venne battezzato il 1 novembre del 1578 nella chiesa di S. Maria della Misericordia di Perugia. Il padre Giovanni Battista proveniva da Piscille, una piccola frazione della città. La madre era Gostanza de Lica ma non se ne conosce lo status.45 La famiglia doveva appartenere alla classe “media” della borghesia terriera dato che gli Ugolini possedevano un loro stemma. Nella stessa chiesa di S. Maria della Misericordia fu battezzato il 31 luglio 1585 il nipote di Ugolini, Lorenzo Ratti nato da Girolamo Ratti e Isapaola Ugolini sorella di Vincenzo.46 Ciò indica quanto le politiche matrimoniali fossero perseguite all’interno di un medesimo nucleo sociale ed in particolar modo collocato in un comune contesto geografico, in tal caso la stessa parrocchia. Di tutt’altra estrazione sociale risultava Domenico Massenzio battezzato a Ronciglione il 1 aprile del 1586. Il padre Maxentius de Trevisano alias “il Sordo” faceva il clavarius ossia fabbricava chiavi e serrature (da qui spiegata probabilmente la sua sordità). La madre Elisabetta era figlia di Ambrogio un calderaio, cioè un costruttore di recipienti per liquidi.47 Le famiglie dei genitori di Massenzio erano dunque legate da un medesimo ambito lavorativo, quello artigianale, che in un piccolo paese rurale come Ronciglione significava possedere un certo peso economico. Antonio Maria Abbatini venne battezzato a Città di Castello il 26 gennaio del 1595 nella cattedrale S. Florido. Il padre Giovanni Tommaso di Pietro apparteneva alla parrocchia periferica di S. Patrignano e la madre era madonna Piera di Giovanni Battisti. Sappiamo che la famiglia risultò “onorata e assai civile”.48 Il Passeri dice che la famiglia Abbatini era “di non mediocre condizione; ma scaduta per varij e strani accidenti”. 49 Lo stesso compositore si definì “nobil cittadino” di Città di Castello,50 anch’egli possedeva uno stemma araldico.51 Il fratello di Masso Abbatini, Lorenzo, era un sacerdote e 45. 46. 47. 48. 49. 50. 51.

Biancamaria Brumana, “Vincenzo Ugolini, 1. “Cum basso ad organum”: nuove fonti per lo studio della musica sacra”, Arte organaria e musica per organo nell’età moderna. L’Umbria nel quadro europeo, a cura di Erika Bellini, Perugia, Deputazione di Storia Patria per l’Umbria, 2008, p. 269-302 (275). Ivi, p. 276. Antonella Nigro, Un musicista del Seicento a Roma. Domenico Massenzio da Ronciglione. Il sublime discreto, Milano, Rugginenti, 2012, p. 1-6 e anche Saverio Franchi, “Massenzio, Domenico” sub voce, Dizionario Biografico degli Italiani, 71 (2008) on line. Giacomo Mancini, Memorie di alcuni artefici del disegno che fiorirono a Città di Castello, Perugia, Bartelli, 1832, p. 135. Giovanni Battista Passeri,Vite de’ pittori, scultori ed architetti che [h]anno lavorato in Roma, Roma, Natale Barbiellini, 1772, p. 240. Abbatini, op. cit., f. 218v; Ciliberti, Antonio Maria Abbatini…, op. cit., p. 428. Riportato da Certini, op. cit.

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maestro di cappella della cattedrale di Città di Castello (si spense il 16 giugno del 1620).52 Il ruolo dello zio risultò decisivo per la carriera iniziale di Antonio Maria. Giacomo Carissimi venne battezzato a Marino il 18 aprile del 1605 nella chiesa locale di S. Giovanni dal padre Amico copellaro, ovvero fabbricante di botti e barili, e dalla madre Livia Prosperi una trentenne popolana.53 Anche in questo caso ci si trova di fronte ad una famiglia artigianale che probabilmente aveva una sua importanza sociale nel piccolo centro situato nelle vicinanze di Roma. Antimo Liberati fu battezzato a Foligno il 4 aprile 1617 nella cattedrale di S. Feliciano dal padre messer Pietro Liberati e da madonna Tarquinia.54 Pietro amministrava gli interessi economici di diverse persone, era sia un calcolarius che un procurator, quindi rivestiva una posizione agiata all’interno della città.55 In buona sostanza si può notare come quattro di questi musicisti nati nella periferia pontificia ma in città importanti dello Stato come Perugia (Ugolini, Ratti), Città di Castello (Abbatini) e Foligno (Liberati) appartenessero sostanzialmente ad una classe medio/alta. Gli altri due maestri nati in piccoli centri del Lazio quali Ronciglione (Massenzio) e Marino (Carissimi) provenivano invece da famiglie di artigiani. Ovviamente altri insigni maestri di cappella nacquero nella stessa Roma. Alcuni, però, provenivano da famiglie originarie di altri Stati (o Nazioni come venivano definite tutte quelle terre che erano al di fuori dello Stato Pontificio). Il padre di Gregorio Allegri, Costantino Allegro, era, ad esempio, milanese e a Roma svolgeva le mansioni di cocchiere presso il nobile senese Patrizio Patrizi e sua moglie Pantasilea Crescenzi.56 Il padre di Orazio Benevoli, Robert Venouot, proveniva dalla Lorena e gestiva un negozio di pasticceria nei pressi di S. Luigi dei Francesi davanti alla chiesa della Maddalena nello stabile proprietà dei fratelli Pini.57 I Fabri erano originari della Bretagna. Tra il 1547 e il 1551 rettore della Compagnia e della chiesa di S. Ivo dei Bretoni fu Jean Fabri “chantre et chanoine de Vannes”,58 già rettore de La Selle-en-Coglès.59 Altri Fabri presenti nella Compagnia dei Bretoni a Roma: Olivier Fabri, (1530/46) 60 anch’egli “chantre et chanoine de Vanne” nonché rettore di S. Ivo a Roma; 61 prete François Fabri da Saint-Malo che alloggiò nell’ospedale bretone di Roma nel 1569.62 Probabilmente anche Francesco 52. 53. 54. 55. 56. 57. 58. 59. 60. 61. 62.

Ciliberti, Antonio Maria Abbatini…, op. cit., p. 6-7. Ugo Onorati, “Giacomo Carissimi: Marino, Roma e dintorni”, L’Opera musicale di Giacomo Carissimi. Fonti, catalogazione, attribuzioni, a cura di Daniele Torelli, Roma, Accademia Nazionale di Santa Cecilia, 2014, p. 177195 (178). Fiorella Rambotti, “La musica è una mera opinione e di questa non si può dar certezza veruna”. Antimo Liberati e il suo Diario sistino con una riproduzione della Lettera a Ovidio Persapegi, Perugia, Morlacchi Editore, 2008, p. 11. Ivi, p. 47. Cametti, op. cit., p. 596. Ivi, p. 630-631. Barthélemy-Amédée Pocquet du Haut-Jussé, “La compagnie de Saint-Yves des Bretons à Rome”, Mélanges d’archéologie et d’histoire, XXXVII (1918), p. 201-283 (253, 279). Ivi, p. 36. Ivi, p. 214. Ivi, p.279. Ivi, p. 261.

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Fabri maestro di cappella di Orvieto tra il 1555 e il 1589 (si spense il 27 settembre di quest’anno), doveva provenire dalla Bretagna. Dal matrimonio con Aurelia avrà tre bambini: Pietro (floruit, Orvieto, 1581-1584), una figlia di cui non si conosce il nome (floruit, Orvieto, 1571-1574) e soprattutto Stefano (I) (Orvieto, ?, ante 1560–Loreto 28.VIII.1609), importante maestro di cappella, padre o zio di Stefano (II) Fabri (Roma, 1606c- ivi, 27.VIII.1657).63 Francesco Foggia, battezzato a S. Luigi dei Francesi il 17 novembre del 1603, ebbe come padrino il conte Orazio Carpegna e quale madrina Virgina Mancini Glorieri moglie di don Giulio Glorieri (famiglia di origine francese e naturalmente filofrancese).64 Le famiglie Allegri e Foggia erano dunque legate alla nobiltà romana mentre Benevoli proveniva da una famiglia di immigrati con una tradizione artigiana di successo (i pasticceri) impiantata poi a Roma. Casi a parte quelli di due importanti compositori appartenenti alla nobiltà come Pier Francesco Valentini 65 e Gino Angelo Capponi,66 che per tale ragione non esercitarono mai il magistero in qualche istituzione ecclesiastica romana. A proposito di Valentini, Liberati scrisse che benché fosse un “peritissimo Teorico, e speculativo Musico” nella “prattica” risultò “non troppo vago, e felice” a causa probabilmente del suo nobile lignaggio in quanto “le richezze proprie non gli permettevano d’avvilirsi nel servire, ed essercitarsi nelle Cappelle per prezzo, ch’è ‘l vero stimolo d’approfittarsi in questa Virtù; poiché vextatio dat intellectum”.67 LA FORMAZIONE La formazione di un maestro di cappella operante a Roma nel Seicento risultò innanzi tutto una preparazione di tipo culturale e religioso. Il contratto che stipulò il padre di Giovanni Andrea Angelini Bontempi con Sozio Sozi abate dell’Oratorio Filippino di Perugia per l’educazione del figlio undicenne il 12 dicembre 1635, impegnava il religioso a insegnargli “le buone lettere” e prepararlo cristianamente “e virtuosamente nel modo, e forma, che si usa e costuma in detta Congregatione” filippina.68 Il padre pagava 40 scudi annui per il vitto e l’alloggio purché il figlio attendesse “alle lettere per potersi applicare alla vita religiosa”.69 Della musica nel contratto non viene neanche fatta menzione, sebbene sappiamo che essa fosse molto importante presso 63. 64. 65. 66. 67. 68. 69.

Galliano Ciliberti, “La creazione di un importante centro musicale nella provincia pontificia: la cappella del duomo di Orvieto dal 1550 al 1610”, Orvieto…, ed. Brumana-Ciliberti, op. cit., p. 41-98 (57). Giancarlo Rostirolla, “Vita di Francesco Foggia musicista romano basata sui documenti superstiti” e Saverio Franchi, “La famiglia Foggia vicende biografiche e artistiche”, Francesco Foggia…, op. cit., rispettivamente p. 25-90 e p. 91-124 (97). Pitoni, op. cit., p. 294. Ivi, p. 329. Antimo Liberati, Lettera scritta […] in risposta ad una del sig. Ovidio Persapegi, Roma, Mascardi, 1685, p. 26. Biancamaria Brumana, “Note biografiche”, “Ruscelletto cui rigido cielo”, Studi in occasione del III centenario del musicista Giovanni Andrea Angelini Bontempi (1625-1705), a cura di Biancamaria Brumana, Perugia, Morlacchi Editore, 2005, p. 3-32 (Ivi, p. 9). Ibidem.

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gli oratoriani di san Filippo Neri. Questo bagaglio umanistico appreso in gioventù era estremamente influente sullo status intellettuale di qualsiasi giovane musicista e costituiva un dato caratterizzante nonché decisivo tanto per la carriera che per la produzione del maestro negli anni a venire. Domenico Mazzocchi e Tullio Cima furono dottori “dell’una e dell’altra legge” ovvero laureati in diritto canonico e civile,70 mentre Antimo Liberati esercitò il notariato a Foligno prima di intraprendere la professione musicale.71 La figura di compositore-erudito, educato umanisticamente presso gli ordini religiosi (soprattutto gesuiti e filippini), attento ad unire dotta teoria e profonda pratica, rappresentò il modello culturale preminente per la formazione del “nuovo” musicista operante nell’ambiente controriformistico romano del Seicento. La peculiare situazione intellettuale del maestro di cappella colto, attento alle questioni della ricerca teorica e pratica espresse, del resto, un attributo comune di molti artisti provenienti dall’ambiente culturale e religioso dello Stato Pontificio e qui nati. Abbatini formatosi nella rigorosa cerchia gesuitica del Seminario Romano, soleva organizzare nella propria casa di Roma delle dottissime Lezioni Accademiche alla quale presero parte illustri colleghi (Antimo Liberati, Giovanni Andrea Angelini Bontempi), celebri allievi (Domenico Dal Pane, Angelo Berardi e Giovanni Paolo Colonna), affermati strumentisti (Lelio Colista) quanto insigni teorici (Athanasius Kircher e Arcangelo Spagna).72 Antimo Liberati prese posizione a favore di Arcangelo Corelli in una accesa polemica con Giovanni Paolo Colonna a proposito di una serie di quinte parallele in un passo dell’Allemanda della Sonata opera II n. 3.73 Scrisse diversi trattati teorici ma pubblicò solo la celebre Lettera nel 1685.74 Il famoso cantore pontificio Loreto Vittori fu autore del libretto della propria opera La Galatea (Roma, 1639) e concepì in versi La Pellegrina costante (1647), La Troia rapita (1662), e Le Zittelle cantarine (1663).75 Giovanni Andrea Angelini Bontempi (formatosi culturalmente in ambiente filippino e musicalmente nella cerchia mecenatistica barberiniana con Virgilio Mazzocchi) scrisse trattati in latino, in tedesco ed ebbe il primato di aver associato il concetto di storia con quello di musica: Historia musica è infatti il trattato che egli pubblicò a Perugia nel 1692.76 70. 71. 72. 73. 74. 75.

76.

Pitoni, op. cit., rispettivamente p. 300 e 314. Rambotti, op. cit., p. 14. Ciliberti, Antonio Maria Abbatini…, op. cit., p. 435-495. Galliano Ciliberti, Fiorella Rambotti, “La produzione musicale e gli scritti teorici di Antimo Liberati cantore della Cappella Pontificia (Foligno 1617-Roma 1692)”, Annali della Facoltà di Lettere e Filosofia dell’Università degli Studi di Perugia. 2 Studi Storico-antropologici, XXV, nuova serie XI (1987/1988), p. 85-132. Liberati, op. cit. e Rambotti, op. cit., p. 139-202. Loreto Vittori, [partitura], La Galatea, Roma, Vincenzo Bianchi, 1639 e [libretto], Spoleto, Vittorio Arnazzini, 1655; La Pellegrina costante dramma sacro, Roma, Giovanni Antonio Bertano per Manelfo Manelfi, 1647; La Troia rapita poema giocoso, Macerata, eredi del Grisei e Giuseppe Piccini, 1662; Le Zittelle cantarine comedia, Genova, Pietro Giovanni Calenzani-Roma, Gregorio, e Giovanni Andreoli, 1663. Giovanni Andrea Angelini Bontempi, Historia musica, Perugia, Costantini, 1695.

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Questi casi indicano quanto una solida formazione umanistica generale (con lo studio del latino, della liturgia, della poesia) sottintendesse nel contempo anche una salda preparazione teorica dove la musica fosse primieramente considerata una scienza specifica e dotta dell’insieme dei saperi, nonché profondamente radicata nel passato (da Boezio in poi). La formazione musicale “pratica” la si apprendeva direttamente, esercitando il mestiere. I primi rudimenti potevano avvenire nella stessa città di nascita (come si presume fosse avvenuto per Carissimi a Marino), sovente dal maestro di cappella in carica nella chiesa principale del borgo o anche da qualche vicino congiunto. È il caso di Antonio Maria Abbatini che studiò quasi sicuramente con lo zio Lorenzo, polifonista della cattedrale di Città di Castello. Si deve al giovanissimo Antonio Maria probabilmente la copia di alcuni falsobordoni e di una Missa defunctorum dello zio Lorenzo nel MS 2087 (olim VI.C.14) dell’Archivio Capitolare della Cattedrale di Città di Castello. Si trattò non solo di aiutare lo zio, ma verosimilmente costituì un vero e proprio esercizio di trascrizione. Anche Lorenzo Ratti studiò con lo zio Vincenzo Ugolini. Qui abbiamo un indizio ulteriore di come i giovani musicisti potevano apprendere l’arte della composizione. Il dialogo a 10 voci di Ugolini Homo quidam fecit cenam, viene “ridotto” da Ratti in una versione a 8 voci plausibilmente quale esercizio compositivo.77 Ma il fatto interessante è che poi Ugolini autorizzò suo nipote a pubblicarlo, senza dare importanza all’originale paternità del brano: infatti il mottetto appare nelle Sacræ modulationes … pars secunda pubblicate a Venezia da Alessandro Vincenti nel 1628 come esclusiva opera del Ratti. Stefano Fabri lavorò fin da fanciullo ad Orvieto (1568-1585) sotto la guida del padre Francesco maestro di cappella della cattedrale, istituzione che Stefano servì anche dopo la sua morte. Dal padre dovette apprendere l’arte del canto, del trombone, dell’organo, della composizione e della direzione.78 Altrettanto peculiare è il caso di Francesco Foggia legato “per vincoli di parentela e d’arte” 79 a due altre illustri famiglie di musicisti: i Nanino e gli Agostini. Paolo Agostini sposò Vittoria Nanino figlia di Giovanni Bernardino Nanino. Dal matrimonio nacque Eugenia Agostini che sposò Francesco Foggia. Da questa unione nascerà Antonio. Paolo Agostini sarà discepolo prediletto del suocero Nanino; Francesco Foggia risultò allievo preferito del suocero Agostini; Antonio Foggia studierà con il padre Francesco. Considerando poi che Giovanni Bernardino Nanino era stato scolaro del fratello maggiore Giovanni Maria Nanino “si ha una successione, quasi una scuola “familiare” di magistero contrappuntistico e compositivo”.80 Mentre con Abbatini e

77. 78. 79. 80.

Galliano Ciliberti, “I Dialoghi (c. 1620-1621) di Vincenzo Ugolini: nuovi documenti sugli antecedenti dell’oratorio latino a Roma”, Les Histoires sacrées de Marc-Antoine Charpentier. Origines, contextes, langage, interprétation. Hommage à Patricia M. Ranum, éd. Catherine Cessac, Turnhout, Brepols, 2016, p. 47-62 (49). Brumana, Ciliberti, Orvieto…, op. cit., p. 121 che rimanda ai documenti. Franchi, “La famiglia Foggia…”, art. cit., p. 91. Ivi, p. 91.

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Ratti i saperi musicali vennero appresi grazie agli zii, con Agostini e Foggia ciò accadde tramite una linea “matriarcale” di discendenza che vide protagonisti i rispettivi suoceri. L’alunnato musicale avveniva non solo all’interno della famiglia ma soprattutto nell’ambito dell’attività didattica svolta, come precipuo compito del maestro di cappella, nelle maggiori istituzioni ecclesiastiche romane. Molti pueri cantores discepoli di insigni maestri diventarono a loro volta importanti maestri di cappella e compositori: sono i casi di Vincenzo Ugolini con Giovanni Bernardino Nanino a S. Luigi dei Francesi (1592-1594); di Orazio Benevoli (1617-1623) e di Mario Savioni (1617-1621) con Ugolini a S. Luigi dei Francesi; di Antimo Liberati con Antonio Maria Abbatini a S. Giovanni in Laterano (1628) ammesso grazie all’intercessione del potente canonico folignate Giovanni Maria Roscioli.81 Ma che cosa si studiava per diventare maestro di cappella? Antimo Liberati nella sua Lettera enuclea in modo perentorio quali dovevano essere le conoscenze basilari e imprescindibili da apprendere: “La nostra Schola che deriva […] dal Palestrina, ci dà per primo precetto, che niuno ardisca, né presuma di prender la carica di Maestro di Cappella, se prima non sia possessore di tutto quello che deve sapere un perfetto Scholare”,82 cioè: Che sappia di quante chorde consti il nostro sistema Musico inventato da Guido Aretino; Perché il medemo sovra i sette termini, ò differenze delle Voci, communi anche a i Greci antichi, come disse il Poeta: Septem compacta cicutis fistula, e rimesse alla luce tra’ Latini primamente da S. Gregorio Magno con le sette lettere A.B.C.D.E.F.G; egli applicasse solo sei sillabe, ò note , cioè ut re, mi, fa, fol, la; A chè serva l’institutione della mano dell’istesso Guido? In quante nature sia diviso questo Sistema? Di quanti tetrachordi, & essachordi consti, e perché non più, nè meno? Quante specie di diapason siano racchiuse in detto sistema ? Quante di Diapente, e quante di Diatesseron? Chi formi la Diapason? Di quanti Toni consti la Diapason; di quanti l’Eptachordo maggiore, e minore; di quanti l’Essacordo maggiore, e minore; di quanti la Diapente, di quanti il Tritono, e diapente diminuta; di quanti la Diatesseron maggiore, e minore, di quanti il Ditono, e di quanti il Semiditono? Che cosa sia Tono, & intervallo? Quanti siano i generi della Musica? In qual genere si componga ordinariamente allo stile antico del Pelestrina, e moderno, e quel genere come proceda? Quanti siano i modi ò Toni; e questi che cosa siano, & à chè seruano; E perché siano tanti, e non più, ò meno? Che cosa sia, & operi la divisione harmonica, & aritmetica nel Tono, e perche così detta? Che cosa sia modo maggiore, e modo minore; tempo perfetto; e tempo imperfetto; e che cosa operino le figure in detti tempi, e quali ? Che cosa sia punto di perfettione, di prolatione, d’aumentatione, e di divisione? Che cosa sia proportione, e quali proportioni consideri il Musico à differenza dell’Aritmetico, e Geometra? In quante maniere vengano legate le figure della Musica, ed il loro valore? Che cosa sia Contrapunto sciolto, e che sia il contrapunto obligato, e doppio? Che cosa sia Canone, e con quante osservationi si possa fare? 83

81. 82. 83.

Ciliberti, Antonio Maria Abbatini…, op. cit., p. 20, 24, 26 e Rambotti, op. cit., p. 13. Liberati, op. cit., p. 31. Ivi, p. 31-33.

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LA CARRIERA E IL SUO “ITINERARIO” Se tali “primi precetti” erano necessari non solo “per poter esser Maestro di Cappella” ma soprattutto per “potere render conto di se stesso, e de suoi Scholari”, Liberati evidenzia come vi siano compositori “che non sapendo la metà, ò niuna di queste cose, sono promossi, & occupano forse i più degni posti delle Cappelle Ecclesiastiche dell’Italia (non sò con qual merito)”.84 Ovviamente Liberati non si chiede il perché di questa situazione. Il problema dell’avanzamento professionale e dell’affermazione dei maestri di cappella, non riguardò solo l’aspetto formativo ma anche il sistema di reclutamento. Questi era legato a più complessi e diversificati fenomeni sociali e politici che concernevano lo stretto rapporto tra poteri centrali e periferici dello Stato: i musicisti dovevano sovente dar prova di saper ben operare nelle cattedrali, nelle collegiate e nelle basiliche delle proprie città di origine prima di intraprendere ulteriori scalate professionali di successo. Sin dalla seconda metà del XVI secolo sorsero così le vivaci correnti che dalle basiliche romane si mossero in direzione delle cappelle e dei santuari umbro-marchigiano-laziali (Urbino, Loreto, Fermo, Assisi, Spello, Spoleto, Orvieto, Viterbo, Rieti ecc.) e viceversa. Si crearono in tal modo regole non scritte per un “collocamento” dei musicisti, una sorta di “mercato del lavoro” che diede vita a una circolazione standard (si pensi all’interscambio tra Orvieto con Urbino, tra Perugia con Assisi e Spello, tra Loreto con Roma, ecc.) per la maggior parte degli occupati, animata in ugual misura dal prestigio delle varie sedi, dall’importanza dei luoghi di culto e, quindi, dall’interesse di migliorare la propria professione.85 A proposito di carriere Giuseppe Ottavio Pitoni testimonia con ammirazione nella sua Notizia de’ contrappuntisti come l’anconitano Giovanni Moresi, allievo di Antonio Cifra, “giovinetto d’anni 17 incominciò a fare il maestro di cappella” a Roma in S. Maria in Trastevere.86 Questo, però, fu l’unico exploit del precoce musicista in quanto la sua carriera poi si consumò tutta nella periferia dello Stato (Tivoli), e in particolare nella Marca pontificia, regione da cui proveniva (Camerino, Ascoli, Fermo, Ancona, Loreto, Osimo).87 Quali le ragioni di questa involuzione? Le nomine alle sedi periferiche (spesso lo stesso luogo di nascita o di provenienza del compositore) ebbero sovente il valore di “pre-requisito” o di “tappa intermedia” se già vi era stata un’esperienza romana, indispensabili per ulteriori scalate, magari per ottenere la carica di maestro di cappella in una importante basilica della Città Eterna. Se non si superava questa fase era molto difficile poter sperare di andare o di ritornare a Roma (come si evince, appunto, dalla carriera di Moresi). 84. 85.

86. 87.

Ivi, p. 33. Galliano Ciliberti, “Les “maîtrises capitulaires” à Rome et dans l’État pontifical au XVIIe siècles. Formes d’organisation, circulation des musiciens et stratégies”, Maîtrises & Chapelles aux XVIIe & XVIIIe siècles. Des institutions musicales au services de Dieu, éd. Bernard Dompnier, Clermont-Ferrand, Presses Universitaires Blaise Pascal, 2003, p. 429-452. Pitoni, op. cit., p. 330. Ibidem.

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Fu così per Giovanni Pierluigi da Palestrina (nel 1537 puer cantus in S. Maria Maggiore a Roma, poi dal 1544 al 1551 organista e maestro di canto nel duomo di Palestrina, quindi a Roma – portato dal vescovo della propria città Giovanni Maria Del Monte eletto papa Giulio III – dove divenne il principale compositore di musica sacra del suo tempo) e per i più importanti compositori del secolo successivo.88 In tal senso indicative sono le carriere di alcuni dei maggiori musicisti della scuola post-palestriniana. Stefano Fabri senior dopo essersi distinto come soprano, tenore, quinto, trombone e organista nella cattedrale di Orvieto divenne maestro della cappella Giulia in S. Pietro in Vaticano (26.IV.1599-30.IX.1601), passò a dirigere la cappella di S. Giovanni in Laterano (1603-1608) e, infine, fu a Loreto maestro della S. Casa (23.IX.1608-28.VIII.1609) dove morì.89 Fabio Costantini (1575-1644) iniziò l’attività musicale come bambino cantore, divenendo poi tenore nella Cappella Giulia, dove rimase sino al 1610. Cantò anche a S. Luigi dei Francesi verso il 1605. Tra il 1610 e il 1614 fu maestro di cappella del duomo di Orvieto; negli anni fra il 1615 e il 1618 ricoprì lo stesso incarico nella basilica di S. Maria in Trastevere a Roma. Tornò ad Orvieto dal 1618 al 1622 e poi fu a Roma, Rieti e Tivoli.90 Gregorio Allegri (1582-1652) dopo essere stato putto cantore in S. Luigi dei Francesi a Roma, fu maestro di cappella nella chiesa metropolitana di Fermo dal 1614 al 1627. Solo nel 1628 ottenne il magistero di S. Spirito in Saxia a Roma e poté successivamente entrare nel riservatissimo Collegio dei Cantori Pontifici dove rimase sino alla morte.91 Domenico Allegri (1585-1629) lasciata la cappella di S. Luigi dei Francesi quale contralto (1602) fu dal 1606 al 1609 maestro di cappella della collegiata di S. Maria Maggiore di Spello e poi, dal settembre 1609 all’aprile 1610, maestro di cappella della chiesa di S. Maria in Trastevere. Venne poi nominato maestro della cappella di S. Maria Maggiore, posto che occupò sino all’epoca della sua morte.92 Antonio Maria Abbatini (1595-1679) dopo essere stato giovanissimo maestro di cappella del Gesù di Roma e di S. Giovanni in Laterano fu più volte a dirigere la cappella della sua città natale – Città di Castello (1629-1632, 1636-1640) – con un breve intervallo ad Orvieto (1633-1636), per poi essere di nuovo nella capitale dello Stato ad intraprendere una brillante carriera presso le più importanti basiliche e chiese romane (a più riprese in S. Maria Maggiore, S. Lorenzo in Damaso, S. Maria di Loreto alla Colonna Traiana, S. Luigi dei Francesi).93 88. 89. 90. 91. 92. 93.

Lewis Lockwood, Noel O’Regan, Jessie Ann Owens, “Palestrina [Prenestino, etc.], Giovanni Pierluigi da [‘Giannetto’]”, sub voce in Oxford Music on line. Argia Bertini, Noel O’Regan, “Fabri [Fabbri], Stefano (I)”, sub voce in Oxford Music on line. Mary Paquette-Abt, A Professional Musician in Early Modern Rome: the Life and Print Program of Fabio Costantini, c.1579-c.1644, vol. 1-2, Dissertation PhD, University of Chicago, 2003. Kerstin Helfricht, Gregorio Allegri: Biographie, Werkverzeichnis, Edition und Untersuchungen zu den geringstimmigkonzertierenden Motetten mit Basso continuo, vol. 1-2, Tutzing, Hans Schneider, 2004. Colin Timms, “Allegri, Domenico”, sub voce in Oxford Music on line. Ciliberti, Antonio Maria Abbatini…, op. cit.

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Francesco Foggia (1604-1688), dopo aver avuto i suoi primi incarichi all’estero (presso le corti di Colonia, Monaco e Vienna), fu, appena rientrato in Italia, maestro di cappella di due cattedrali periferiche (Narni e Montefiascone). Solo nel 1636 divenne maestro di cappella in S. Giovanni in Laterano, iniziando in tal modo il suo importante curriculum romano.94 Giacomo Carissimi (1605-1674) fu nel 1623 cantore nel duomo di Tivoli (con il modesto compenso di 1 scudo al mese) dove due anni dopo venne nominato organista. Nel 1628 fu maestro di cappella della cattedrale di Assisi grazie alla protezione del potente vicario apostolico della città Gettulio Nardini 95 e nel 1630 tornò a Roma dove ottenne il magistero di S. Apollinare, carica che ricoprì sino alla morte.96 GLI OBBLIGHI: INSEGNARE, COMPORRE E DIRIGERE Tre erano sostanzialmente gli obblighi del maestro di cappella: insegnare, comporre e dirigere. Tre compiti riassumibili in un’unica azione: saper organizzare. Insegnare Abbatini nella sua autobiografia affermò di aver fatto nei suoi impieghi di maestro di cappella “più di cento allievi, e massime Castrati. | Per tutto il mondo son, fin nel Perù”. Roma ne è “ripiena, | In Cappella Papal sono i Primati”.97 Il maestro di cappella era, infatti, “obligato a tenere li putti”, a “vestirli” decentemente “premiarli” e “mantenerli” a proprie spese. Il capitolo di S. Maria Maggiore, ad esempio, dava ad Abbatini 4 scudi e mezzo al mese per cantorino.98 Spesso era stipulato un vero e proprio contratto tra il capitolo dell’istituzione, il maestro e i genitori del puer (l’età all’incirca era quella compresa tra i 7/12 anni), rogito suggellato da un notaio capitolino. È il caso di alcuni atti stretti dei genitori di pueri cantores. Il 2 gennaio del 1623 Antonio Maria Pasqualini stipulò un contratto con Vincenzo Ugolini maestro di cappella di S. Luigi dei Francesi per l’educazione del figlio di otto anni il famoso soprano Marc’Antonio.99 Il rogito disponeva che Ugolini oltre a ospitare in casa propria il fanciullo (compresi vitto e vestiario eccetto la biancheria a spese del padre) dovesse “insegnarli di cantare contrapunto, e compositione, et anco farlo imparare Grammatica” e anche “farli imparare di sonare”.100 In cambio

94. 95. 96. 97. 98. 99. 100.

Rostirolla, “Vita di Francesco Foggia…”, op. cit. e Franchi “La famiglia Foggia…”, op. cit. Pitoni, op. cit., p. 314. Graham Dixon, Carissimi, Oxford-New York, Oxford University Press, 1986. Abbatini, op. cit., f. 220: Ciliberti, Antonio Maria Abbatini…, op. cit., p. 429-430. Ciliberti, Antonio Maria Abbatini…, op. cit., p. 178. Jean Lionnet, “La musique à Saint-Louis-des-Français de Rome au XVIIe siècle (deuxième partie)”, Note d’Archivio per la Storia Musicale. Nuova serie, IV (1986), supplemento, p. 53-54: 53, doc. 74. Ivi, p. 53.

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Ugolini avrebbe riscosso i proventi delle prestazioni del giovane, prestazioni autorizzate dallo stesso maestro finché “starà sotto” la propria “disciplina e obedienza”.101 Il 1 febbraio 1641 Faustina Gagliarda moglie di Pietro Dal Pane firmò un contratto “super accomodatione pueris Dominici del Pane” (suo figlio) con il capitolo di S. Maria Maggiore.102 L’accordo stabiliva che Abbatini DOVESSE “d’imparare decto pucto di musica, et quello alimentare cioè victo, et vestito eccectuato le biancarie”, che gli consenta di “cantare per Chiese et lochi à suo piacere” ma che “tutti li emolumenti di qualsivoglia sorte” siano dati al maestro di cappella.103 Dello stesso tenore sono i contratti firmati da Teobaldo di Matteo Lasena per conto del figlio Giovanni Pietro (22.I.1641),104 e da Dioniso Pipti per il figlio Urbano (25.X.1643).105 Nei centri minori dello Stato pontificio la situazione non era diversa. Un contratto stipulato a Perugia il 18 luglio 1625 tra Lucantonio Mattioli e Pietro Fantacchiotti rispettivamente maestro di cappella e organista della cattedrale di S. Lorenzo prevedeva che il figlio Angelo di sette anni se fosse stato riconosciuto abile al canto, i due maestri avrebbero dovuto “insegnarli tutto quello, che circa detta virtù si richiede”,106 riservandosi la proprietà vocale dell’allievo. Se poi nel frattempo “qualche Principe o Signore lo chiamasse a se” per la “virtù” della voce così come qualche ordine religioso o qualsiasi altro, il padre avrebbe dovuto ricompensare i maestri di 50 scudi.107 Comporre La composizione era una delle attività principali del maestro di cappella. A Roma quasi tutti i più importanti musicisti formarono allievi altrettanto famosi perpetrando una tradizione che andava a rinnovarsi pur mantenendo la sua continuità. Difficile individuarne i precetti. Antimo Liberati tratteggia alcuni dettami principali richiamando la retorica e la monteverdiana “seconda prattica”: Che quando il Compositor di Musica voglia far un Componimento perfetto bisogna primieramente col proprio intelletto investigar’ il soggetto proportionato à quello che s’hà da spiegare con le parole; poscia fare la sua ossatura, ed’economia delle parti […]. Che il componimento che s’hà da fare sia di modo, ò Tono proportionato delle parole; che il Tema ò soggetto che si propone (à guisa di perfetto Oratore) si senta sempre, benché intrecciato nella diversità de’ pensieri, e d’Episodij harmonici; e che la Musica sia servile alle parole, e non le parole alla Musica, come molti s’ingannano.108 101. 102. 103. 104. 105. 106. 107. 108.

Ibidem. Anne Karin Andrae, Ein römischer Kapellmeister im 17. Jahrhundert: Antonio Maria Abbatini (ca. 1600-1679). Studien zu Leben und Werk, Herzberg, Verlag Traugott Bautz, 1986, p. 280-281, doc. 25. Ivi, p. 281. Ivi, p. 279-280, doc. 24. Ivi, p. 281-282, doc 26. Biancamaria Brumana, “Musica: disciplina scolastica”, Educazione musicale nella scuola, Perugia, Associazione Amici della Musica di Perugia, 1986, p. 60-74 (71). Ibidem. Liberati, op. cit., p. 35-36.

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Ancor più complesso risulta identificare il processo compositivo. Se le voci erano poche sappiamo che il maestro scriveva (direttamente?) le diverse parti in piccoli fogli che poi venivano rilegate insieme. Di solito la prima facciata era bianca a mo’ di frontespizio e così il compositore poteva indicare il titolo del brano, come avviene ad esempio in un piccolo autografo di Orazio Benevoli oggi custodito nel Convento dei francescani di Bologna: Dirupisti Domine. A 4 Bassi. Organo (terza antifona dei secondi vespri della festa di san Pietro e san Paolo).109 Si tratta di 4 fogli piegati insieme dove la parte dell’organo fa da coperta. Questo modo economico e pratico di scrivere la musica (2 bifogli cuciti al centro da un filo di corda grezzo) era una prassi molto diffusa a Roma nel Seicento. L’invitatorium per la Natività di Alessandro Melani Christus natus est nobis, presenta nel primo versetto, che funge da refrain, solo la parte dell’organo (perché sostiene il coro che intona il gregoriano?), mentre negli altri versetti (pari) anche le voci soliste (SAT) scritte in extenso e soprattutto in partitura (formato oblungo).110 Sia la prima (Benevoli) che la seconda (Melani) soluzione hanno una funzione prettamente pratica. Individuano i due modi principali di scrivere musica nella Roma seicentesca e il formato oblungo in partitura dell’invitatorium di Melani costituisce il passaggio ad una pratica musicale di scrittura tipicamente settecentesca rispetto agli scarni bifogli piegati che racchiudevano le parti separate di un mottetto come nell’antifona di Benevoli. Un caso a parte costituiscono, invece, i tre volumi di autografi di Vincenzo Ugolini scoperti a Perugia e relativi ai due magisteri del musicista in S. Luigi dei Francesi (1616-1620, 1631-1638) e nella Cappella Giulia (1620-1626).111 Tale corpus assume particolare rilevanza sul piano del rapporto tra opera d’arte e compositore poiché queste testimonianze non solo tramandano una quantità di autografi e di unica che non ha eguali nel panorama musicale della prima metà del Seicento, ma danno risposta a tutta una serie di questioni legate al metodo di costruzione dell’opera d’arte. Viene a sgretolarsi quel luogo comune, affermatosi come reazione a tante mitizzazioni romantiche, che a priori escluderebbe i compositori di questo periodo da un processo creativo personale, fatto di ripensamenti, oblii, miglioramenti relegandoli alla sottomissione artigianale di una committenza fondata da esclusivi rapporti di produzione e di consumo. Vedendo il ductus convulso di certe pagine di Ugolini si ha proprio l’impressione di una mente immersa nella creatività, di un pensiero più rapido della mano, segno di una genialità e di capacità creative personali non indifferenti. La funzionalità di questi volumi autografi è molto diversa dagli esempi portati prima di Benevoli e Melani. L’intento di Ugolini (come del resto più tardi sarà per i Mélanges autographes di Marc-Antoine Charpentier) è quello di raccogliere in ordine cronologico di composi109. 110. 111.

I-Bsf, FN.B.II.9. D-B, Melani, A. 1 M. Brumana, “Vincenzo Ugolini, 1,…”, op. cit., p. 269-302; Galliano Ciliberti, “Vincenzo Ugolini, 2. Il processo creativo di un compositore del Seicento”, Arte organaria…, op. cit., p. 303-326.

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zione tutte le proprie opere in funzione del proprio lavoro potendo così disporre in ogni momento, sia per l’esecuzione che per la pubblicazione, di un ampio spettro di brani frutto di dure fatiche e dunque espressione di un processo creativo funzionale alle mansioni sociali svolte dall’artista, il suo essere, cioè, maestro di cappella in una basilica romana nel Seicento. Dirigere La condizione sociale ed economica del maestro di cappella, l’eccezionalità del suo compito non riguardava, però, solo una dimensione specificatamente materiale e quotidiana. Il mercato del lavoro era, infatti, intrecciato con un sistema di produzione e di consumo molto competitivo, convulso nel suo svolgersi (a Roma allignava “un affollato calendario liturgico ed extraliturgico”) proprio come Abbatini evidenziava criticamente nella testimonianza autobiografica.112 Domanda e offerta nel loro frenetico vortice del primato delle committenze (lo sfarzo mecenatistico dei pontefici, dei cardinali, degli ordini religiosi, dei principi, della nobiltà, degli ordini religiosi, delle confraternite, degli ambasciatori e delle Nazioni presenti a Roma) era invero riconducibile ad un’unica dimensione simbologica: la cerimonia religiosa, con i suoi complessi elementi di rappresentazione e di manifestazione sacra. Il rito liturgico, il gesto evocante il soprannaturale, lo spazio architettonico e liturgico in cui era collocata la musica 113 e dove si svolgeva il cerimoniale avvenivano nello spettacolo sacro della Roma seicentesca “come su una scena”, costituivano l’affascinante allestimento di un vero e proprio “teatro” 114 “Il binomio musica-apparato”, del resto, esprimeva quel “sintagma fondamentale” 115 della vita artistica romana del XVII secolo “strumento per eccellenza di suggestione e seduzione del pubblico”.116 Le capacità di un maestro di cappella erano quindi valutate in rapporto alla sua abilità di sedure gli ascoltatori, magnificando l’immagine di potere della committenza con la qualità della musica composta, con l’eccellenza della sua esecuzione e soprattutto con la perfetta organizzazione dell’evento. Tutto ciò rappresentava il difficile e impervio terreno in cui si muoveva l’ambito lavorativo del maestro di cappella a Roma, una sorta di ambiguo dominio professionale sospeso tra il quotidiano e l’immaginario, tra il reale e l’effimero. L’evento sonoro e performativo (soprattutto quello che si realizzava nelle chiese romane) costituì un dato significativo e riscontrabile, ad esempio, nei diversi ragguagli dei viaggiatori francesi. Alcune fonti parlano, ad esempio, della qualità della musica ascoltata a S. Giacomo degli Spagnoli, alla Chiesa Nuova e all’Apollinare, altre dell’ese112. 113. 114. 115. 116.

Saverio Franchi, “Feste e spettacoli musicali a Roma sotto il pontificato di Alessandro VII Chigi”, Studi sul Barocco romano. Scritti in onore di Maurizio Fagiolo dell’Arco, Milano, Skira, 2004, p. 257-298 (260). Arnaldo Morelli, Teatro della vista e dell’udito. La musica e i suoi luoghi nell’età moderna, Lucca, Libreria Musicale Italiana, 2017. Franchi, “Feste e spettacoli…”, op. cit., p. 257. Ivi, p. 261. Ivi, p. 257.

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cuzione del Miserere di Allegri nella Cappella Sistina, o dell’improvvisazione del giovane Händel all’organo di S. Giovanni in Laterano.117 L’arte della suggestione, che il fascino della musica sacra (e di chi la faceva) era in grado di suscitare nel pubblico, traspare in una interessante testimonianza del 1693 resa dal francese Antonio Gavin d’Émiliane detto Gabriel in visita a Roma.118 Egli descrive una peculiare esecuzione musicale a S. Maria della Pace: i vespri e la messa che andranno ad essere celebrati, sono patrocinati dalla famiglia Carpegna per suggellare il fidanzamento di un giovane rampollo di tal casato con Agnese Vittorini. Il testimone francese discetta in principio su due teatri che sono stati eretti all’interno della chiesa. Sono in realtà dei palchi ma è interessante l’uso del termine “teatro” perché sottintende ideologicamente un prioritario elemento spettacolare: un teatro è per le voci e l’altro per gli strumenti. Ogni gruppo consta di circa 50 elementi. In più scorge una loggia vicino all’altare dove sono collocate le 4 voci soliste appartenenti ai migliori musicisti di Roma. Gavin nel suo racconto descrive l’atmosfera di trepidante attesa diffusa nella chiesa prima di cominciare i vespri tra il pubblico e i musicisti: le sei di sera (orario di inizio della cerimonia) risultano già passate da 15 minuti; le candele ormai illuminano perfettamente tutto lo spazio sacro; i musicisti sono seduti al loro posto e attendono con impazienza l’avvio della manifestazione. Il sopraggiungere di donna Agnese è annunciato da un servitore al maestro di cappella che, con ansiosa concentrazione, fa cenno ai musicisti di tenersi pronti ad incominciare. Appena la dama si affaccia in chiesa, il maestro di cappella dà finalmente l’attacco agli esecutori che intonano la prima antifona dei vespri del commune delle Vergini: Hæc est virgo sapiens. Gavin parla di musica e non di rito, come se i vespri fossero un moderno concerto e non una celebrazione liturgica. Egli resta entusiasta della bellezza della musica e dell’esecuzione durata ben quattro ore, tempo trascorso con gradevole rapidità. Il giorno seguente, terminato l’ufficio liturgico della mattina, ha luogo l’intervallo per il pranzo. I musicisti si ritirano nella sacrestia dove trovano abbondanti piatti di carne, ottimi vini, acque zuccherate e rinfrescanti. Il biglietto per l’inizio dei secondi vespri (ci voleva, dunque, un biglietto per entrare in chiesa come oggi per gli spettacoli), indicava l’avvio delle cerimonie pomeridiane alle 15. Gavin, da buon straniero, si reca ovviamente con puntualità in chiesa, ma l’ufficio tarda a cominciare a causa del protrarsi a dismisura del pranzo dei musicisti. Solo alle 17, infatti, principia la cerimonia: cambiano i mottetti e le antifone ma tutto si svolge con la stessa intensità della serata precedente. Il racconto di Gavin è interessante: la sua attenta narrazione svela una volta tanto il raro punto di vista del fruitore e per di più non romano. In essa traspare sia la suggestione per l’evanescenza della bellezza della musica che la quotidianità di chi la faceva (il pranzo dei musicisti). Ma c’è un punto, collocato all’inizio della narrazione del 117. 118.

Uno studio dettagliato su questo argomento è in corso di pubblicazione da parte dello scrivente. Antonio Gavin, Histoire des tromperies des prestres et des moines de l’Eglise romaine : où l’on decouvre les artifices dont ils se servent pour tenir les Peuples dans l’erreur, et l’abus qu’ils font des choses de la Religion, Rotterdam, Abraham Acher, 1693, vol. 2, “ Cinquième lettre: Des Fêtes & des Confairies d’Italie ”, p. 4-44.

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viaggiatore francese, che risulta il più avvincente di tutti: l’attenzione alla dislocazione spaziale degli esecutori su due grandi palchi e su una loggia per i solisti nonché l’aver saputo cogliere l’ansia e la concentrazione del maestro di cappella poco prima dell’inizio della cerimonia. Sono due dati significativi e rari (in quanto raccontati in prima persona) che toccano in profondità il problema dell’organizzazione e della concertazione della musica sacra a Roma. La dislocazione dei palchi detti anche “chori” contribuiva a creare “la massima suggestione sonora e visiva” tanto che la loro quantità era sinonimo di “dispendio” e “di fasto organizzativo”: “più era sontuosa la festa, più erano i “chori” di musica”.119 L’esecuzione straordinaria di cui parla Gavin a S. Maria della Pace era un fenomeno molto diffuso nella Città Eterna: esso non riguardava solo le chiese prive di cappella stabile ma soprattutto le grandi basiliche con cappelle fisse rinforzate con elementi esterni per la celebrazione di feste peculiari. La policoralità romana diffusa soprattutto nelle esecuzioni straordinarie trovava la sua linfa, dunque, sia nello sfarzo delle committenze, sia nella capacità dei maestri di cappella di saper creare e poi dirigere musiche che sapessero rispondere a queste esigenze politiche di autorevole esternazione di potere. L’aspetto organizzativo era fondamentale affinché questa macchina così complessa potesse essere messa in moto. Alcuni esempi per capirne il difficile funzionamento. Nell’agosto del 1658 il maestro di cappella di S. Luigi dei Francesi, Antonio Maria Abbatini, aveva dovuto organizzare due esecuzioni straordinarie insolitamente ravvicinate (10 giorni di distanza l’una dall’altra) che richiedevano un numero consistente di esecutori. La prima non era stata programmata, mentre la seconda sì (si trattava della festa del santo titolare della chiesa che si svolgeva sontuosamente ogni anno). Il 15 agosto 1658 Abbatini dovette preparare un Te Deum per la recuperata salute di Luigi XIV.120 L’evento era stato comunicato al maestro all’improvviso, appena arrivata a Roma la notizia della guarigione del sovrano. Abbatini per trovare i musicisti di rinforzo utili per l’esecuzione dovette affittare una carrozza “per andar con prestezza a trovar i musici essendoci solo un giorno di tempo” ed “essendo necessario l’andarci di persona” per convincerli e mettersi d’accordo sulle musiche da eseguire.121 Quel 14 agosto il maestro di S. Luigi dei Francesi faticò molto nello spendere il proprio prestigio personale per costruire un organico adeguato alla solennità della celebrazione: il 15 agosto, infatti, non era solo la data stabilita in fretta e furia dalla Congregazione dei Francesi per allestire il Te Deum di ringraziamento, ma era soprattutto la festa dell’Assunta e molti musicisti erano già impegnati nelle diverse chiese e basiliche per questa ricorrenza. Nonostante ciò Abbatini riuscì a riunire in meno di 24 ore ben 38 musicisti suddivisi in 4 cori (I: 14; II: 11; III: 4; IV: 9), più due insigni colleghi che lo assistevano “per dare la battuta”: 119. 120. 121.

Franchi, “Feste e spettacoli…”, op. cit., p. 260. Galliano Ciliberti, “Qu’une plus belle nüit ne pouvoit précéder le beau iour.” Musica e cerimonie nelle istituzioni religiose francesi a Roma nel Seicento, Castiglion del Lago, Aguaplano, 2016, p. 241. Ibidem.

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UN IMPRESARIO IN CHIESA

Giovanni Marciano, maestro di cappella di S. Giovanni dei Fiorentini, al I coro e Vincenzo Giovannoni, maestro di cappella di S. Lorenzo in Damaso, al II. È lecito chiedersi se l’esecuzione prevedesse solo un Te Deum o, come è ipotizzabile, anche altre musiche (quali mottetti, salmi, antifone) e soprattutto se i musicisti avessero avuto il tempo di provare essendo così numerosi ed eterogenei. Si tenga presente che 10 giorni dopo cadeva anche la solennità di S. Luigi dove si prevedeva musica in abbondanza per i vespri e la messa eseguita da un organico maggiore di 10 unità: 48 musicisti suddivisi in 4 cori (I: 18; II: 13; III: 11; IV: 6) più Giovanni Marciano al I coro “per dare la battuta”.122 Dei 38 esecutori impegnati nel Te Deum, 35 (quindi la quasi totalità) erano già stati ingaggiati anche il giorno della festa di S. Luigi. Ed ancora: Abbatini quel 15 agosto fu in grado di predisporre una parte delle musiche già in programma per il 25 scegliendo solo quelle che avevano avuto una sufficiente messa a punto per ciò che concerne la concertazione e le prove? Alla domanda può, forse, rispondere un caso analogo accaduto nel 1661, quando lo stesso Abbatini diresse per la festa di S. Domenico in S. Maria sopra Minerva due antifone Euge serve bone a 12 tenori e Beatus ille servus a 12 bassi ognuna suddivisa in 4 cori.123 La festa di san Domenico si svolgeva ogni 4 agosto ed è possibile che le due composizioni fossero in programma venti giorni dopo (24-25 agosto) a S. Luigi dei Francesi per la festa del santo titolare. I due brani, infatti, costituiscono rispettivamente le antifone n. 4 e n. 2 dei vespri per san Luigi secondo il rito romano del Commune confessoris non pontificis. Guarda caso le fonti amministrative documentano per la festa del 1661 il pagamento a 9 tenori e a 9 bassi “extra”, facilmente integrati dagli altri musicisti facenti parte della cappella regolare. Nei casi di stretta vicinanza tra cerimonie era logico utilizzare musiche che gli ensembles avessero precedentemente eseguito: è, dunque possibile, che anche nel caso del Te Deum del 1658 potessero essere state predisposte nel programma composizioni già frutto di diverse prove, tanto più che si trattava sostanzialmente del medesimo gruppo di musicisti. Rimane sempre da considerare l’evento straordinario di riuscire ad amalgamare in poco meno di un giorno quasi 40 esecutori. Ciò significa che Abbatini, da considerare tra i primi “organizzatori musicali” e “direttori” in senso moderno, conosceva non solo le capacità artistiche e professionali dei singoli musicisti ma doveva avere oltre ad una grande esperienza in questo campo, anche una grande influenza. CONCLUSIONI La preparazione di eventi con musiche straordinarie era un fenomeno diffuso in tutta la Roma seicentesca e riguardava quei maestri di cappella responsabili della direzione musicale di istituzioni ecclesiastiche dotate di organici regolari che dovevano ricorrere 122. 123.

Ibidem. Ivi, p. 146-148.

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GALLIANO CILIBERTI

“alle prestazioni occasionali di” esecutori “avventizi nelle solennità importanti”.124 Con l’affermarsi del professionismo musicale si ebbe nel corso del XVII secolo una progressiva trasformazione della figura del maestro di cappella in quella di “impresario”: non più solo impegnato a dirigere l’organico regolare della propria istituzione o ad educare i pueri cantores o comporre ma continuamente in grand’affare nel trovare musicisti esterni sul mercato (soprattutto cantori e strumentisti) capaci di eseguire con poche prove musiche a più cori per le celebrazioni straordinarie. Se l’impresariato teatrale nacque e trovò spazio principalmente in terra veneta (per la fondamentale importanza e funzionalità culturale rivestita dai teatri pubblici) a Roma, si diffuse così un altro genere di impresariato, quello per la musica sacra. Naturalmente se l’impresariato teatrale costituiva “un investimento finanziario incerto ed ambiguo” 125 e il melodramma rappresentava una manifestazione culturale dove i costi andavano ammortizzati e dove ognuno doveva “concorre al suo sostentamento pagando di tasca propria il biglietto, il palco o la sedia”,126 l’impresariato per la musica sacra ebbe delle connotazioni ben diverse. Chi pagava erano le istituzioni ecclesiastiche e non il pubblico che assisteva all’evento sacro per ragioni di fede e di culto quale esternazione politico-religiosa della committenza: da qui l’estrema diversità funzionale dell’organizzazione straordinaria della musica sacra rispetto al melodramma. Inoltre l’impresario della musica sacra nella Roma pontificia fu il maestro di cappella, cioè un salariato fisso che attraverso la sua preparazione umanistica e musicale conosceva bene il valore dei cantanti e degli esecutori, e dunque non era esposto alla suscettibilità di questi o alla fortuna o sfortuna dell’opera. Un mondo diverso quello della musica sacra a Roma “atomizzato in mille piccoli centri di potere e d’iniziativa”, plasmato dallo sfarzo mecenatistico dei pontefici e dei loro nipoti e soprattutto dall’affannosa quanto spasmodica volontà di molti cardinali di fornire una immagine raffinata del proprio splendore mecenatistico: le loro sontuose committenze saranno, spesso, lo specchio della perdita del loro potere politico. In questo quadro l’impresariato della musica sacra si impose, sviluppando un processo di produzione artistica estremamente competitivo, dove la domanda continua di prestazioni musicali non soddisfaceva “per entità e stabilità l’offerta”.127 Da qui il decadimento progressivo della figura del maestro di cappella che alla fine del Seicento e per tutto il Settecento abbandonerà l’aspetto di poliedrico intellettuale cultore della scienza teorica della musica e dei saperi umanistici divenendo sempre di più un semplice “artigiano”.

124. 125. 126. 127.

Bianconi, op. cit., p. 87. Ivi, p. 165. Ibidem. Ivi, p. 87.

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LE MAÎTRE DE MUSIQUE DANS LES VILLES OÙ RIVALISENT

DEUX CORPS DE MUSIQUE PRESTIGIEUX À LA FIN DU XVIIIe SIÈCLE

Christophe MAILLARD

On peut lire dans une Relation des cérémonies [pour] la canonisation de sainte JeanneFrançoise Fremiot de Chantal qu’à cette occasion un Te Deum fut chanté à Annecy en présence de l’évêque et il fut très bien exécuté en Musique par le Corps des Musiciens de la Cathédrale & de la Collégiale 1 […]. La musique du Te Deum, celles des grands-Messes, Vêpres & Bénédictions pendant l’octave a été très belle & fort bien exécutée. Elle étoit de la composition de Monsieur l’Abbé Dépolier [sic] Maitre de musique du Chapitre de la Collégiale, homme de goût & de talents. Ç’a été au défaut de celui du Chapitre de la Cathédrale 2.

Faut-il comprendre que le sieur Chrétien Depouilly a été mis en valeur à la suite d’une défection de son homologue de la cathédrale ? L’auteur de la relation semble placer les deux hommes dans une position de rivalité puisque l’absence (vacance du poste, maladie…) de l’un semble permettre le triomphe public de l’autre ? Pour l’auteur, il paraît normal que le maître de musique de la cathédrale compose et dirige ce jour-là. Cette idée de confrontation, théorique ou effective, entre les maîtres et les églises qui les emploient, est parfois évoquée lors de travaux consacrés à la musique d’Église sans jamais être envisagée de manière globale. Marie-Reine Renon écrit dans son ouvrage sur la musique à la cathédrale de Bourges que les corps de musique ou les psallettes « rivalisent sans cesse » 3 sans hélas illustrer cette affirmation par un exemple puisque ce n’est pas son propos. Il est néanmoins possible d’appréhender cette supposée rivalité à travers la bibliographie disponible, à la lumière de travaux qui n’ont pas spécifiquement ce thème comme objet d’étude, ainsi ceux de Philippe Loupès 1. 2. 3.

Il s’agit de la collégiale Notre-Dame-de-Liesse, haut lieu de pèlerinage et nécropole des ducs de Genève qui n’est pas du tout une église de second rang dans le diocèse. Même si Annecy ne se trouve pas alors dans le royaume de France, cet exemple reste emblématique. Relation des cérémonies faites dans la ville d’Anneci pour la solennité de la canonisation de sainte Jeanne-Françoise Fremiot de Chantal fondatrice […] de l’ordre de la Visitation […], Anneci, chez C.-M. Durand, Imprimeur du roi, [1769], p. 39. Marie-Reine Renon, La maîtrise de la cathédrale Saint-Étienne de Bourges du XVI e siècle à la révolution, SaintAmand-Montrond, Imprimerie Bussière, 1982, p. 19.

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CHRISTOPHE MAILLARD

sur les deux principales psallettes bordelaises 4 ou ceux de Benoît Michel sur le « Noël à grand chœur » à Toulouse 5. La publication en ligne sur la base MUSÉFREM de nombreuses synthèses départementales 6 et de notices biographiques de musiciens en poste dans les églises du royaume de France à la fin de l’Ancien Régime permet à présent de mener sur ce sujet des travaux comparatifs et statistiques significatifs 7. Un certain nombre de villes dotées de deux corps de musique de premier plan, l’un à la cathédrale, l’autre dans une collégiale voire une Sainte Chapelle 8 ont été identifiées et les investigations ont tout particulièrement porté sur sept villes dans lesquelles un établissement séculier 9 puissant tient tête à la cathédrale, doté d’un corps de musique approximativement de même taille et notoriété. Villes dans lesquelles rivalisent deux lieux de musique prestigieux.

Bordeaux 10 Bourges Dijon 11 Limoges 12 Poitiers 13 Toulouse 14 Tours 15

4. 5. 6.

7. 8.

9.

10.

Cathédrale Saint-André Saint-Étienne Saint-Étienne Saint-Étienne Saint-Pierre Saint-Étienne Saint-Gatien

Autre établissement Collégiale Saint-Seurin Sainte Chapelle Sainte Chapelle du Roy Collégiale Saint-Martial Collégiale Saint-Hilaire Collégiale Saint-Sernin Collégiale Saint-Martin

Philippe Loupès, « Les deux psallettes bordelaises et leurs prestations musicales au XVIIIe siècle », Dom Bedos de Celles mémorialiste universel de la facture d’orgue, éd. Jean-Pierre Bertin-Maghit, Bordeaux, Presses universitaires de Bordeaux, 2007, p. 155-176. Benoît Michel, Le Noël à grand chœur : une pratique musicale à Toulouse et en terres méridionales (XVII e-XVIII e siècles) : étude historique, institutionnelle, liturgique et esthétique, thèse de doctorat, École Pratique des Hautes-Études, 2012. MUSÉFREM : les biographies d’un certain nombre de maîtres cités dans cet article sont consultables en ligne dans la base de données : https://philidor.cmbv.fr/musefrem/. En avril 2019, trente-sept départements plus Notre-Dame de Paris ont été publiés. Nous remercions Isabelle Langlois de nous avoir communiqué des informations précieuses tirées de ses travaux sur le Cher encore inédits. Tous les exemples qui ne sont pas explicitement référencés dans cet article sont tirés des chapitres départementaux consultés dans la première partie de l’année 2019 ou des notices biographiques des maîtres de musique. Chaque chapitre publié en ligne est accompagné d’indications bibliographiques essentielles. Bernard Dompnier, « Structure et pratique musicales des Saintes Chapelles en France au XVIIIe siècle », Les Chapelles royales. De la gloire de Dieu à la gloire du prince, éd. Mireille-Bénédicte Bouvet et Hélène Say Barbey, Paris, CTHS, 2015, p. 149-158 : « Entendues comme institutions royales ou princières, établies autour de reliques insignes, les saintes chapelles témoignent dans leur définition même d’une volonté politique d’établir en un lieu particulier un service religieux à la fois riche en manifestations et solennel. La charge en est confiée à un chapitre de chanoines, érigé soit dès l’origine soit dans les années qui suivent » (p. 149). Plusieurs collégiales sont d’anciennes abbayes sécularisées comme Saint-Martin de Tours ou Saint-Sernin de Toulouse. En général, les effectifs musicaux dans les abbayes sont limités à l’organiste et au serpent mais on trouve quelques exemples d’établissements réguliers richement dotés. L’abbaye royale de la Sainte-Trinité de Fécamp, en Normandie, offre en 1790 une structure musicale digne d’une cathédrale avec sa quinzaine de musiciens et chantres. En 1788, le maître de musique Dom Guillaume Picheré fait partie des souscripteurs de l’oratorio Carmen Sæculare de François Danican Philidor ; il côtoie dans cette démarche les maîtres de musique de la collégiale de Saint-Quentin et des cathédrales du Mans et de Soissons. Le Carmen sæculare de M. Philidor, tiré des odes d’Horace, a été imprimé chez l’auteur et Sieber en 1784 (Mercure de France, 20 mars 1784, p. 144). Mathieu Gaillard, Musique et musiciens dans le département de la Gironde autour de 1790, http://philidor.cmbv.fr/ musefrem/gironde, (novembre 2016).

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RIVALITÉS INSTITUTIONNELLES

On trouve bien d’autres villes dans lesquelles une collégiale possède un maître de musique et une structure musicale mais cette dernière n’est pas en mesure de rivaliser avec celle de la cathédrale. C’est le cas de la ville du Mans 16. La collégiale Saint-Pierrela-Cour dispose de sept fois moins de revenus que l’église Saint-Julien, et de trois musiciens et quatre enfants de chœur de moins ; surtout, en 1790, le musicien qui fait office de maître de musique, Julien-Marin Letourneau, est un vieux psalteur âgé de soixante-quinze ans. En face, la cathédrale s’enorgueillit de son maître de musique en pleine force de l’âge, François Marc, qui a parcouru le pays en tous sens depuis son Languedoc natal, accumulant expérience et réputation, connu pour sa musique « noble, gracieuse et sans longueurs, [qui] était d’une parfaite convenance avec le culte saint »17. En 1786, le chapitre de la cathédrale de Tours a essayé de le recruter, en vain. Il existe également des villes à la très forte densité d’établissements ecclésiastiques mais où aucun d’entre eux n’est capable de se mesurer musicalement à la cathédrale. C’est le cas de Beauvais où on recense vingt-neuf musiciens et enfants de chœur en 1790 à la cathédrale Saint-Pierre 18. En face, on recense cinq collégiales qui sont toutes dotées d’un bas chœur mais chacun d’entre eux est bien pauvre avec ses deux chantres pour soutenir le service divin, et sans qu’on relève la présence d’un maître de musique. Les matériaux réunis rendent possible l’élaboration de toute une série de questionnements sur la nature des relations musicales entre les chapitres et leurs maîtres de musique, supposément rivaux depuis des temps ancestraux. Le domaine musical est-il un enjeu structurel de leurs affrontements ou bien n’est-il utilisé que comme un moyen parmi d’autres d’affirmer sa suprématie sur la scène locale ? Ne peut-on évoquer ces relations que sous l’angle des rivalités ? Existe-t-il des indices montrant, au contraire, l’existence d’un partenariat, d’actes de collaboration ? Le maître de musique se laisse-t-il instrumentaliser par la compagnie qui l’emploie ? Comment lui-même envisage-t-il ses relations avec son homologue de l’autre établissement supposément rival ? 11. 12. 13. 14. 15.

16. 17. 18.

Sylvie Granger, Musique et musiciens dans le département de la Côte-d’Or autour de 1790, http://philidor.cmbv.fr/ musefrem/cote-d-or, (octobre 2018). Maÿlis Beauvais, Musique et musiciens dans le département de la Haute-Vienne autour de 1790, http://philidor.cmbv.fr/ musefrem/haute-vienne, (octobre 2018). Guillaume Avocat, Musique et musiciens dans le département de la Vienne autour de 1790, http://philidor.cmbv.fr /musefrem/vienne, (mai 2016). Françoise Talvard, Musique et musiciens dans le département de la Haute-Garonne autour de 1790, http://philidor. cmbv.fr/musefrem/haute-garonne, (octobre 2018). Christophe Maillard, Musique et musiciens dans le département de l’Indre-et-Loire autour de 1790, http://philidor. cmbv.fr/musefrem/indre-et-loire, (novembre 2017) ; id., Le Chapitre et les chanoines de la “Noble et insigne Église Saint-Martin de Tours” au XVIII e siècle, thèse de doctorat, Bordeaux-3, 2007, 3 volumes ; id., « Musique et musiciens d’Église à Tours à la fin de l’Ancien Régime », Bulletin de la Société Archéologique de Touraine, LXI (2015), p. 207-216. Sylvie Granger, Musique et musiciens dans le département de la Sarthe autour de 1790, http://philidor.cmbv.fr/ musefrem/sarthe, (mai 2014). Michel Boyer, « Notice biographique, musicale et littéraire sur François Marc, Maître de chapelle de la cathédrale du Mans », Bulletin de la Société d’Agriculture, Sciences et Arts de la Sarthe, Le Mans, 1850, p. 421. François Caillou, Thomas d’Hour et Isabelle Langlois, Musique et musiciens dans le département de l’Oise autour de 1790, http://philidor.cmbv.fr/musefrem/oise, (mars 2019).

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CHRISTOPHE MAILLARD

DES COMPAGNIES CANONIALES QUI S’AFFRONTENT INDIRECTEMENT AUTOUR DE LA FIGURE DU MAÎTRE DE MUSIQUE. Les rivalités de corps ne sont pas exceptionnelles, elles caractérisent la société holiste d’Ancien Régime où les querelles autour des préséances sont légion 19. Une compagnie est dépositaire des privilèges reçus des anciens et d’un héritage immémorial qui, présenté comme une tradition indépassable, ne doit disparaître sous aucun prétexte. On retrouve ce schéma mental dans chaque corps, qu’il soit laïc ou ecclésiastique, dans chaque ville. À Dijon, la Sainte Chapelle a été fondée par le duc de Bourgogne au XIIe siècle et regarde avec hauteur le chapitre d’une cathédrale érigée en 1731 seulement à partir du chapitre d’une ancienne collégiale 20. À Limoges, Saint-Martial fut un des centres majeurs de la polyphonie à l’époque médiévale et même si la collégiale connaît un déclin certain, les manuscrits conservés dans la bibliothèque capitulaire témoignent de la vitalité d’autrefois 21. À Tours, si l’orgueil incommensurable de la collégiale Saint-Martin a été abaissé au début du XVIIIe siècle par l’archevêque, qui a détruit son faux privilège d’immédiation au siège apostolique – belle forgerie médiévale de la prétendue bulle du pape Adéodat au VIIe siècle rattachant l’église SaintMartin à l’exclusive et lointaine autorité pontificale… –, les chanoines ont longuement bataillé ensuite contre le chapitre de la cathédrale afin de ne pas lui être inféodés lors des périodes de vacance du siège épiscopal, tout cela en pure perte 22. Reste malgré tout une formidable puissance spirituelle – les reliques de l’apôtre des Gaules ayant échappé au sac de la collégiale de 1562 par les troupes protestantes du prince de Condé attirent encore des pèlerins –, temporelle – domaines éparpillés de la Bourgogne à l’Anjou –, économique et financière. En 1790, Saint-Martin de Tours déclare 345 000 livres de revenus soit globalement 100 000 livres de plus que le chapitre SaintGatien et règne sur la partie occidentale de la ville (fiefs, maisons, justices seigneuriales…). Le chapitre a même conservé un bureau des décimes particulier 23, fait unique dans les annales de l’Église de France. C’est cette puissance financière qui autorise une collégiale ou une Sainte Chapelle à entrer en concurrence avec la cathédrale sur le marché des maîtres de musique.

19.

20. 21. 22. 23.

Jean-François Solnon, « Hiérarchie et mobilités sociales », Dictionnaire de l’Ancien Régime, éd. Lucien Bély, Paris, P.U.F, 2002, p. 636-638 : « Le goût des préséances n’est pas seulement l’expression de quelque vanité. Il témoigne d’une attention collective à ce qui marque la différence entre les groupes. Y manquer paraît une atteinte au bon ordre social, un coup porté à la respectabilité d’un individu, d’une fonction ». Thierry Favier, « Une messe en ariettes jouée à la Sainte Chapelle de Dijon en 1772 : enjeux stylistiques, éthiques et politiques d’un scandale de province », Maîtrises et chapelles aux XVII e et XVIII e siècles. Des institutions au service de Dieu, éd. Bernard Dompnier, Clermont-Ferrand, Presses Universitaire Blaise Pascal, 2003, p. 248. Claude Andrault-Schmitt (dir.), Saint-Martial de Limoges, Ambition politique et production culturelle (X e-XIII e siècle), Limoges, Pulim, [2006]. Maillard, Le Chapitre et les chanoines…, op. cit., p. 1273-1339. Dans le cadre de chaque diocèse, ce bureau établit la taxe (décimes) à payer pour chacun des bénéficiers. La somme était ensuite versée au roi comme contribution du clergé, parfois de façon extraordinaire. Le chapitre envoie ses commissaires à Paris pour fixer la répartition de l’impôt, comme n’importe quel autre diocèse.

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RIVALITÉS INSTITUTIONNELLES

EN PROPOSANT DE MEILLEURES CONDITIONS DE REVENUS ET DE STATUT Elle permet à certaines compagnies d’entretenir en permanence, dans la capitale ou dans les grandes villes parlementaires, des commissaires capitulaires qui défendent leurs intérêts en justice ou sollicitent des réseaux de protecteurs. C’est ainsi que les deux derniers maîtres de musique de Saint-Gatien et de Saint-Martin de Tours, respectivement Sulpice-Philippe Lejay et Julien-Élie Leroy, sont recommandés aux chanoines dans les années 1784-1787 par l’ancien maître de musique de la cathédrale Notre-Dame de Paris, le célèbre abbé Jean-Baptiste-François Guilleminot-Dugué, sorte de « faiseur de maîtres » dont l’avis est sollicité, non seulement pour le recrutement d’un maître mais aussi pour une haute-contre, un organiste, un serpent, dans le ressort d’un très vaste Bassin parisien – la base MUSÉFREM permet de repérer cette correspondance dans les registres capitulaires des cathédrales de Bourges, Évreux, Blois, Senlis, Noyon, Troyes, Châlons-en-Champagne, Angers, Saint-Malo entre autres 24. La richesse de ces églises rend surtout plus attractive du point de vue financier la place de maître de musique. Les revenus en livres comparés des maîtres de musique en 1790

Cathédrale

Établissement concurrent

Bordeaux

3 000 lt (1791)

Dijon

1 200 lt

2 600 lt, restent après les charges 1 500 livres, outre le logement 1 100 lt

Limoges

684 lt

782 lt

Poitiers

1 049 lt, plus des revenus en nature

2 400 lt, plus le logement

Tours

4 000 lt mais à charge de nourrir les 4 400 lt, mais à charge de nourrir les enfants et le personnel de la psal- enfants et le personnel de la psallette ; lette restent 1 200 livres

Le montant des appointements est relativement proche, on voit même que certaines collégiales proposent des gages plus élevés que la cathédrale comme Saint-Martial de Limoges. Cette quasi-équivalence des revenus pourrait indiquer que les compagnies, ainsi que les musiciens, sont au courant des salaires versés ; néanmoins, un sondage dans les registres capitulaires tourangeaux ne montre aucune réactivité systématique d’un établissement à l’augmentation des gages du maître de musique de l’église rivale. Par ailleurs, la masse de bénéfices dépendant de ces églises les rend tout aussi attractives à un maître qui désirerait faire une carrière ecclésiastique. On peut citer les chapelles et vicariats perpétuels à Saint-Martin de Tours par exemple, Louis Maître, ancien maître de musique de la collégiale demeure vicaire perpétuel jusqu’à la 24.

Les compagnies demandent conseil mais ne suivent pas toujours les préconisations comme en novembre 1784, date à laquelle le chapitre de la cathédrale de Senlis qui vient de congédier sans façon son maître Nicolon (Lenoir), décide de ne pas retenir l’avis des abbés Dugué et Doriot pour suivre plutôt la piste du maître de musique de la cathédrale de Meaux.

209

CHRISTOPHE MAILLARD

suppression du chapitre. Les revenus de ce petit bénéfice restent modestes, mais le musicien peut jouir de la maison de campagne qui en dépend, à proximité de Tours, et où il se retire très souvent. Antoine Merle, qui exerce les fonctions de maître de musique à Saint-Gatien de 1778 à 1786 reçoit la collation en 1784 de la dignité d’archiprêtre d’Outre-Loire, cela nécessite la possession d’un canonicat ad effectum (virtuel, cela ne lui donne pas voix au chapitre). Si en théorie, cette nomination l’élève dans la hiérarchie capitulaire, cela ne suffit pas à effacer une précédente délibération de 1778 qui lui faisait perdre plusieurs places dans l’ordre des processions et lui ôtait le droit « de chanter la sixième leçon »25. On voit que les questions d’honneurs et de préséances jouent aussi un rôle de premier plan dans le déroulement des carrières. Du point de vue financier, cette dignité ne semble pas assurer à l’abbé Merle des revenus suffisants et il réclame la place de secrétaire du chapitre. Cette fonction nécessite une grande disponibilité de temps qui semble totalement incompatible avec ses devoirs quotidiens de maître de musique ; cherchait-il un motif pour quitter Tours ? c’est très probable. On peut se demander s’il n’existait pas un alignement des établissements à propos du statut du maître de musique. À Toulouse en 1789, les maîtres sont laïcs et mariés, leurs prédécesseurs également, du moins dans le cas de la collégiale Saint-Sernin ; à Tours, les deux maîtres sont clercs tonsurés et, dans le cas tourangeau, le fait est avéré au moins depuis le début du XVIIIe siècle si on excepte toutefois la parenthèse de Charles-Joseph Torlez à la cathédrale Saint-Gatien dans les années 1770. Aucune de ces églises ne déroge jamais dans le choix de ses maîtres, tous ont déjà exercé dans cette fonction auparavant et dans des établissements qui ne sont jamais mineurs, on pourrait dire que ces églises choisissent au sein d’un vivier de maîtres de même « standing » : Carrière comparée des derniers maîtres de musique tourangeaux (1768-1790)

Poste précédent « maître de musique de l’Académie royale résidans actuellement en cette ville » [Clermont], 1742 Spé sortant de la psallette de la cathédrale NotreDame de Paris

25.

Poste à Saint- Poste postérieur Poste précédent Poste à SaintGatien Martin Charles Joseph Meurt en place Torlez, avant 1768-1776

JeanChristophe Contat, 17761777

Maître à la cathédrale d’Autun, 17781790

Poste postérieur

Collégiale Nicolas Savart, Maître successiveNotre-Dame de 1768 ment dans les Beaune cathédrales de Saint-Malo, Orléans, Troyes et Tournai Cathédrale de AdrienMaître à la paroisse Coutances Quentin Buée, Saint-Paul à Paris 1768-1782 puis secrétaire capitulaire (1786) et « sous-maître » à Notre-Dame de Paris (éducation musicale des enfants de chœur)

Tours, Archives diocésaines, 3D1/ 1387, Registre de délibérations du chapitre Saint-Gatien de Tours, année 1778.

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RIVALITÉS INSTITUTIONNELLES

Poste précédent Maître à la cathédrale de Coutances

Poste à Saint- Poste postérieur Poste précédent Poste à SaintGatien Martin Antoine Merle, Maître à la 1778-1786 paroisse SaintPaul de Paris, 1786-1790

Maître dans les SulpiceSuppression du collégiales Saint- Philippe Lejay, chapitre Aignan d’Orléans 1787-1790 puis Saint-Étienne de Troyes

Poste postérieur

Maître à la Jean-François cathédrale de Le Sueur, Sées puis à celle 1783-1784 du Mans

Maître à l’église paroissiale des Saint-Innocents de Paris puis à la cathédrale Notre-Dame de Paris

Maître à SaintAignan d’Orléans

Suppression du chapitre

Julien-Élie Leroy, 17841790

Les collégiales Saint-Aignan d’Orléans et Saint-Étienne de Troyes par exemple possèdent des effectifs de musique non négligeables. À Troyes, la collégiale verse plus de 4 000 livres à douze vicaires-musiciens et au maître de musique dans le compte de la fabrique 1785-1786 26. Seul Jean-Christophe Contat sort, à l’âge de dix-neuf ans, d’une psallette, mais il était « spé », c’est-à-dire le plus ancien des enfants de chœur de la cathédrale Notre-Dame de Paris, formé par l’incontournable abbé Guilleminot-Dugué et recommandé par l’archevêque de Paris en personne, Christophe de Beaumont. Les chanoines entendent prendre des précautions en dépit de ce parrainage auguste et décident « qu’on lui demandera que sa mère vienne avec lui pour conduire le temporel de la psallette »27. On peut observer qu’en dehors de trois cas (à la suite d’un décès et de l’interruption de 1790), tous partent pour des postes la plupart du temps plus prestigieux ou mieux rémunérés, Buée est reçu à l’église paroissiale Saint-Paul de Paris, celle du Marais, et il y recommande très probablement Antoine Merle qui arrive à son tour en 1786. On ne relève, dans ce domaine du prestige des maîtres de musique, aucune différence notable entre la cathédrale et la collégiale. EN

OFFRANT AUX MAÎTRES DES EFFECTIFS SUSCEPTIBLES DE METTRE EN VALEUR

LEURS TALENTS DE COMPOSITION

La puissance financière de certaines collégiales ou Saintes Chapelles rend possible l’entretien d’une structure musicale aussi étoffée, diversifiée du point des vue des voix et des instrumentistes que dans la cathédrale qui lui fait face. Les psallettes sont souvent bien fournies. À la collégiale Saint-Martin de Tours, le chapitre dépense en moyenne 18 000 livres par an pour l’entretien de sa musique et de sa psallette ! Il a été possible d’établir des comparaisons d’effectifs pour les villes de Toulouse et de Tours.

26. 27.

AD Aube, 6G 744 (A). Tours, Archives diocésaines, 3D1/ 1385, Registre de délibérations du chapitre Saint-Gatien de Tours, année 1776.

211

CHRISTOPHE MAILLARD

Structure musicale des deux plus importants corps de musique à Toulouse et Tours

Maître de musique

Cathédrale de Toulouse Oui

Collégiale de Toulouse 28 Oui

Cathédrale de Tours Oui

Collégiale de Tours Oui

Chanteurs

2 hautes-contre 2 hautes-tailles 3 basses-tailles

2 hautes-contre 2 tailles 3 basses-contre

2 hautes-contre 2 basses-tailles 1 haute-taille 4 basses-contre

4 basses-contre

Instrumentistes

2 joueurs de basse Basson Serpent Organiste

Joueur de basse Basson Serpent Organiste

Basson et serpent Serpent Organiste

2 bassons et serpents Un joueur d’instruments (violoniste) Organiste

Total des musiciens gagistes

12

Bénéficiers ayant Quatre « prébendes une fonction canto- cantorales » et des rale29 « prêtres de chœur musiciens »

Enfants de chœur

8

11

12

8

On relève neuf 3 bénéficiers Trois semi-prébendes « prébendiers » en chantres (plain-chan- (basse-contre/haute1790 sur un effectif tistes) taille et basse-taille) prévu de dix: 4 prébendes cantorales et six musicales (réception par concours) Dix prêtres de chœur plain-chantiste. 6

10

10

La similitude des effectifs et la répartition des voix et des instrumentistes, ainsi que le nombre d’enfants formés à la psallette est à souligner dans les deux villes même si de petites particularités comme l’absence de haute-contre à Saint-Martin (depuis 1787) ou le nombre important de basses-contre dans cette église peuvent être notées. Il faut cependant remarquer qu’à Poitiers et Limoges, les collégiales Saint-Hilaire et SaintMartial semblent être davantage pourvues en musiciens que la cathédrale : on relève dans les données de la base MUSÉFREM treize musiciens à Saint-Hilaire en 1790 contre neuf à la cathédrale de Poitiers (dont l’organiste), la collégiale Saint-Martial de Limoges forme six enfants de chœur, autant qu’à la cathédrale. Pour les maîtres de musique qui veulent composer, s’assurer d’une telle structure musicale est une condition indispensable, mais pas suffisante, s’ils ont l’intention de faire exécuter des motets ou des noëls à grand chœur. Il faut recourir à des musiciens supplémentaires appelés externes ou étrangers recrutés pour l’occasion afin de 28. 29.

Le maître de musique, Bernard-Aymable Dupuy, est mort en septembre 1789 et n’a pas été remplacé ; sa veuve s’occupe toujours de la maîtrise au moment de la suppression du chapitre. Plusieurs musiciens gagistes n’ont pas été remplacés. C’est l’effectif théorique qui est donné ici. Certains bénéfices ont été réservés aux musiciens et chantres et on relève, dans les actes de fondation, les obligations à la fois musicales et liturgiques des titulaires. Le plus souvent, il faut être prêtre. À la cathédrale de Tours, le groupe de « vicaires-musiciens » ecclésiastiques, très majoritaire au début du siècle a disparu en 1790. À Saint-Martin de Tours, les places de semi-prébendés sont mises progressivement en extinction à partir des années 1750 ; il en reste trois sur huit au moment de la suppression du chapitre.

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RIVALITÉS INSTITUTIONNELLES

rehausser l’événement, à l’occasion d’un Te Deum ou d’un service funèbre à la mémoire d’un membre de la famille royale par exemple. L’usage est fréquent dans ces établissements richement dotés et on relève dans les contrats d’engagement du maître de ces grandes églises des clauses très explicites sur la nécessité de rechercher et de rémunérer des musiciens externes si utiles les jours des grandes fêtes annuelles ou de cérémonies extraordinaires. Pour le maître qui désire montrer l’étendue de son talent, ce n’est pas une contrainte, d’autant plus que le chapitre participe financièrement. À Saint-Martin de Tours, l’usage est de verser au moderator (terme ancien réservé au maître de musique, celui qui modère le chant, signe de décence et de recueillement) la somme de 96 livres aux fêtes patronales de la Saint-Martin d’été (4 juillet) et de la Saint-Martin d’hiver (11 novembre) ; il en est de même lors de la Semaine Sainte pendant laquelle l’office des Ténèbres peut être perçu comme un enjeu pour tout établissement qui compte affirmer la qualité de sa musique, et donc son attractivité. En mars 1768, un chanoine se substitue au maître de musique Nicolas Savart, qui néglige ses devoirs, afin d’organiser les repas qui seront offerts aux musiciens qui viendront chanter le Stabat mater du Jeudi Saint et l’antienne Regina cæli 30. On ne connaît que rarement le nom des externes ; le peu d’informations dont on dispose montre qu’ils peuvent venir d’un vaste Bassin parisien : en juin 1775, c’est une haute-contre de Poitiers et une basse-taille d’Angers qui sont invitées à venir chanter à la Saint-Martin d’été. Finalement, les deux chanteurs arrivent d’Angers et reçoivent chacun 60 livres 31. Ces mêmes contrats prévoient également des clauses obligeant le maître à composer car le chapitre d’une collégiale ou d’une Sainte Chapelle doit soutenir son rang, son prestige et attirer des fidèles dans son édifice de culte en ne proposant pas toujours la même musique. Les chanoines bordelais de la collégiale Saint-Seurin l’avaient bien compris. En juin 1780, les chanoines recrutent leur ancienne hautecontre Claude-Joseph Gautrot en mettant prioritairement en avant dans leur délibération le talent qu’il possède pour la composition qu’ils disent bien connaître. Gautrot a été formé à la psallette de la cathédrale de Paris sous la direction d’Antoine Goulet et de Denis Demongeot. Outre le talent, la raison de ce choix est à relier à l’esprit de compétition qui règne entre Saint-Seurin et Saint-André de Bordeaux, où l’on cherche à recruter des maîtres de musique formés aux meilleures écoles par des maîtres prestigieux, parisiens si possible ou qui ont fait carrière dans la capitale, voire à Versailles. Barthélémy Giraud, maître de musique de Saint-Seurin de 1737 à 1752, part ensuite à Paris, joue du violoncelle à l’Académie royale de musique et au Concert de la Reine avant de revenir à Bordeaux où il est reçu à bras ouverts par le chapitre de la cathédrale en 1779. Déjà, en 1767, le chapitre de Saint-Seurin avait retenu cinq candidats qui postulaient la place de maître de musique de leur église, les enfermant plusieurs jours

30. 31.

Tours, Archives diocésaines, non coté, Registre de délibérations du chapitre Saint-Martin de Tours, année 1768, n° 16. Id., non coté, Registre de délibérations du chapitre Saint-Martin de Tours, année 1775, n° 23.

213

CHRISTOPHE MAILLARD

dans une maison canoniale et les nourrissant le temps qu’ils achèvent la composition d’un ouvrage de leur choix. Leur œuvre protégée par l’anonymat est envoyée à Paris afin d’y être examinée par des « gens de l’art » choisis par le commissaire capitulaire qui réside dans la capitale (leurs noms ne sont malheureusement pas connus). Un mois plus tard, le paquet est ouvert chez le doyen en présence des candidats, c’est Jacques Matoulet qui l’emporte ; il était en poste à la cathédrale de Nantes 32. Pour les chanoines, la fierté est immense de posséder un maître choisi par les éminences parisiennes, pourtant ce n’est guère une garantie de succès comme ils s’en apercevront très vite 33. Afin d’éclairer davantage cette course aux effectifs entre églises rivales, sans doute peut-on évoquer l’itinéraire d’un certain Jean-François Le Sueur, nommé comme moderator de Saint-Martin de Tours en décembre 1783. Ce titre ne lui conviendra pas du tout. Il arrive de la cathédrale du Mans et, comme dans cette église, le jeune homme de vingt-trois ans parvient à convaincre les chanoines de recruter à la fois plus de musiciens gagistes et plus d’externes. Il veut donner davantage d’éclat à la musique jouée en symphonie les jours de grandes fêtes. Pour une partie des chanoines, ce projet peut avoir été perçu comme une des « parades capitulaires » qui permettaient de réaffirmer les finalités mêmes de l’institution 34, au moment où celle-ci est de plus en plus décriée – quelques années plus tard, certains cahiers de doléances proposeront la suppression des collégiales et la fixation du culte et de sa musique dans la seule cathédrale. Le registre capitulaire de l’année 1784 montre l’arrivée de Pierre-Louis-Augustin Desvignes, son élève à la psallette de la cathédrale de Dijon, qui vient jouer du violoncelle et de chanteurs à la tessiture rare dans la collégiale comme des hautes-contre 35. Tout cela coûte fort cher et comme Le Sueur néglige ses fonctions de direction et d’enseignement auprès des enfants de chœur et accumule les dettes, il s’enfuit avant d’être chassé, signant ainsi la fin de l’expérience. Il faut souligner que les registres de la cathédrale ne mentionnent à cette période aucune réaction du chapitre ou du maître de musique Antoine Merle face aux initiatives de Le Sueur. Les effectifs y restent remarquablement stables. Après avoir envisagé le duel joué à distance par deux compagnies autour de la problématique du maître de musique, on peut se poser la question de l’éventuelle instrumentalisation de ce dernier par les chanoines. 32. 33. 34.

35.

AD Gironde, Registre de délibérations capitulaires de la collégiale Saint-Seurin de Bordeaux, 1765-1770. Dans les années qui suivent, il est à plusieurs reprises morigéné par le chapitre pour ses négligences dans la conduite de la psallette, aussi bien dans le domaine musical que financier. Philippe Loupès, Chapitres et chanoines de Guyenne aux XVII e et XVIII e siècles, Paris, Éditions de l’École des hautes études en sciences sociales, 1985, p. 385-393. Il s’agit des moyens mis en œuvre pour redonner force et prestige aux compagnies canoniales (rationalisation de la gestion des temporels afin de regagner une marge de manœuvre financière, mesures disciplinaires plus sévères face aux écarts de certains, relance des finalités propres (pèlerinages par exemple) et solennisation accentuée du service divin par le biais, entre autres, de la musique). Tours, Archives diocésaines, non coté, Registre de délibérations du chapitre Saint-Martin de Tours, année 1784, n° 31.

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RIVALITÉS INSTITUTIONNELLES

À Tours, les investigations dans les registres capitulaires ou parfois dans les archives judiciaires n’ont pas encore mis à jour d’affaires impliquant directement les maîtres de musique de deux églises rivales ; les cas relevés concernent davantage les petits officiers du bas chœur qui sont utilisés, parfois manipulés par les chapitres, en particulier sur le parcours des processions, afin de mettre le désordre dans un contexte de réaffirmation de préséances. Ainsi, lors d’une procession de la Fête-Dieu en 1711, un malheureux porte-croix est happé durement par les manches de sa tunique par des chanoines de la cathédrale qui veulent qu’il pénètre dans le chœur de leur église afin d’y faire la station ; cette dernière s’inscrit dans une des clauses de l’arrêt qui, rendu contre Saint-Martin deux ans auparavant, rabaisse la compagnie puisqu’elle est traitée à l’égale des autres corps. Une seule affaire d’instrumentalisation, survenue à Dijon, peut actuellement être véritablement exploitée : les chanoines de la Sainte Chapelle tirent à boulets rouges sur le maître de musique de la cathédrale afin de crédibiliser, pensent-ils, leur argumentaire lors d’une affaire qui secoua la ville en 1772. L’histoire est relatée par Thierry Favier 36. Certains chanoines de la Sainte Chapelle font éclater un scandale public, en laissant le maître de musique de leur église, Forquet de Damalix, jouer devant les fidèles une « messe en ariettes », c’est-à-dire « dont la musique est empruntée aux airs tendres et lascifs de differens operas ». On fustige alors en ville cette « musique faite pour le théâtre », qui humilie la religion. L’évêque s’en émeut et son promoteur entre en scène. Les puissants réseaux de protection de la Sainte Chapelle se mettent aussi en mouvement (princes du sang, cardinal, ministre de la maison du Roi) mais Forquet de Damalix est sacrifié. Les chanoines jugent néanmoins que cela n’est pas suffisant et ils expliquent dans un mémoire que leur maître de musique s’était cru autorisé à effectuer cette parodie « par les exemples fréquents qu’il en avait eu depuis son arrivée dans cette ville ». En ligne de mire, on retrouve très clairement François Couet, qui est alors en poste à la cathédrale Saint-Étienne. Selon eux, il avait fait chanter des messes et d’autres offices dans le même goût aux dames de la visitation lors de la cérémonie de sainte chantal, à la cathédrale le jour de la Toussaint, et en dernier lieu le jour de la sainte cécile en présence de m. l’évêque.

Aucune partition n’a été retrouvée mais la Sainte Chapelle a mis publiquement en cause l’attitude de l’évêque, qui aurait consenti chez lui ce qui le fait sourciller chez les autres. Est-il possible de trouver dans les archives des traces d’affrontement plus ou moins direct entre les maîtres de musique ? Les différents sondages opérés n’ont rien donné pour l’instant mais François Lesure relate que Jean-François Le Sueur, alors en poste à la cathédrale de Dijon, aurait tenté d’obtenir la place de maître de chapelle 36.

Favier, « Une messe en ariettes… », art. cit., p. 247-270.

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CHRISTOPHE MAILLARD

des États de Bourgogne mais que celle-ci échut finalement à Laurent Dupuy en 1781 37. Ce Dupuy, anciennement en poste à la cathédrale de Coutances puis à la collégiale de Beaune, a signé comme maître de musique de la Sainte Chapelle l’année précédente. Le poste aux États était-il lié selon un usage ancien à celui de la Sainte Chapelle ? Son contrat d’engagement, en tout cas, ne le stipule pas 38. DES

EXEMPLES DE LIENS ET DE COLLABORATION ENTRE LES COMPAGNIES CANO-

NIALES ET LEURS MAÎTRES DE MUSIQUE

Ils sont tout aussi nombreux que les exemples de rivalité et semblent significatifs d’un état d’esprit où les questions de solidarité de corps (positionnement du clergé face aux corps laïcs ou au pouvoir royal) s’entremêlent aux considérations pratiques et à l’intérêt bien senti de chacun. Il n’a jamais existé de frontière hermétique entre les établissements et on peut découvrir quelques parcours de maîtres qui ont servi successivement deux églises rivales. Bernard-Aymable Dupuy, maître de musique à la collégiale Saint-Sernin de Toulouse, a été formé à la cathédrale Saint-Étienne de la même ville et y a d’abord exercé comme chantre avant de changer d’établissement. Cela devait faciliter les contacts et les accommodements, des influences aussi devaient se retrouver, y compris dans la composition. ŒUVRER ENSEMBLE À UNE DES PRINCIPALES FINALITÉS CAPITULAIRES : LA SOLENNISATION DU SERVICE DIVIN. Les cas de collaboration entre les deux grands chapitres d’une même ville sont nombreux en dehors des périodes de tension, en particulier lors des fêtes patronales, comme à Toulouse, le jour de la Saint-Sernin, le 29 novembre et celui de la SaintÉtienne le 26 décembre. Par exemple, les musiciens de Saint-Étienne viennent épauler leurs confrères pour chanter les premières vêpres la veille au soir à SaintSernin, puis le lendemain pour la grand-messe canoniale où était exécuté un motet 39. À Dijon, en novembre 1788, François Couet fait exécuter différents morceaux de sa composition en l’église Saint-Jean-Baptiste, par un orchestre composé de plus de trente musiciens issus à la fois de la cathédrale et de la Sainte Chapelle (au nombre de dix), mais aussi du monde des amateurs et de celui des musiciens de la Comédie, pour la célébration du mariage d’une jeune rosière vertueuse avec un laboureur. Cette fête a 37. 38. 39.

François Lesure, Dictionnaire musical des villes de province, Paris, Klincksieck, 1999, p. 145. AD Côte-d’Or, minutes notariales, 4E 2/ 2470, Bouché, notaire à Dijon, 6 août 1780. En revanche, il est stipulé que le maître devra « apprendre aux enfants le plain chant, la musique, le contrepoint ou chant sur le livre, avec la composition de musique ». Michel, Le Noël à grand chœur…, op.cit, p. 192-193.

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RIVALITÉS INSTITUTIONNELLES

été orchestrée par les élites locales dans le contexte du retour des parlementaires qui avaient été exilés par le roi 40. Ces musiciens des deux églises se connaissent bien à divers titres, le musicien haute-taille Sébastien Mallogé et le basson Louis-François Sagot ont été enfants de chœur à la Sainte Chapelle avant d’intégrer la cathédrale ; Joseph Borget, basse-taille à la cathédrale, assiste au mariage d’un musicien de la Sainte Chapelle, et il a été le parrain du fils d’un autre, enfin ses enfants ont eux-mêmes des parrains musiciens de cette église. Finalement, on comprend pourquoi il a été plutôt aisé à François Couet de présenter en 1791 un plan de réorganisation de la musique au nouvel évêque de Dijon avec six musiciens provenant de la Sainte Chapelle et cinq de la cathédrale. À Tours en 1768, le maître de musique de la cathédrale Saint-Gatien, CharlesJoseph Torlez, participe avec l’assentiment de son chapitre aux deux grandes fêtes patronales de la collégiale Saint-Martin en juillet et en novembre, afin de diriger la musique. Le poste de moderator y est vacant. On ne peut pas savoir s’il a fait jouer et chanter des œuvres de sa composition à cette occasion, il a toutefois offert aux chanoines martiniens sa Méthode pour apprendre la musique – on ignore comment ces derniers interprètent ce don mais ils lui envoient deux chanoines pour le remercier 41… COOPÉRER JUSQU’À S’UNIR ? Au milieu du XVIIIe siècle se déroule à Bourges un épisode peu banal de mutualisation des services de deux maîtres de musique au service d’un seul établissement. Les circonstances sont exceptionnelles. En 1757, l’édifice de la Sainte Chapelle s’est en partie écroulé et les dépenses seraient trop exorbitantes pour le relever. Il est alors question d’une fusion avec la cathédrale. Une des clauses de l’accord porte sur la réunion des deux corps de musique. On pense d’abord que les deux maîtres de musique pourront exercer leurs fonctions « alternativement et par semaine, celui de la sainte Chapelle se plaçant du côté droit au chœur »42. En fait, après d’interminables délibérations, le cardinal-archevêque de Bourges en décide autrement. Il désigne le maître de la Sainte Chapelle, Pierre-Étienne Canneaux, clerc tonsuré du diocèse de Paris, comme nouveau maître de la cathédrale, en précisant qu’il veillera sur l’ancien maître Joseph-Pierre Tissier, formé à la cathédrale. Il est intéressant de pointer l’interventionnisme épiscopal habituellement plutôt absent dans les sources 43. Peu après, le chapitre de la cathédrale de Bourges

40. 41. 42. 43.

Journal de ce qui s’est passé à Dijon à l’occasion de la rentrée du parlement, Dijon et Paris, Kell, 1789, p. 81-83. Tours, Archives diocésaines, non coté, Registre de délibérations du chapitre Saint-Martin de Tours, année 1768, n° 16. Renon, La Maîtrise de la cathédrale Saint-Étienne de Bourges…, op. cit., p. 106-108. En 1786, l’archevêque de Tours s’entremet au service de son chapitre qui est à la recherche d’un maître de musique et entre en relation avec son homologue du Mans au sujet de François Marc, en place à la cathédrale Saint-Julien.

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CHRISTOPHE MAILLARD

pour donner des preuves au Sr TISSIER de [son] amitié et [sa] satisfaction pendant le temps qu’il a été le Me de musique des enfants de l’église, [lui accorde] outre la semi-prébende dont il est pourvu et l’annexe qui y est attachée, et la place de grand sous-diacre, la somme de 10 livres de gages par an 44.

La compensation semble un peu mince mais trois ans plus tard, à la suite du départ de son concurrent, il est rappelé afin d’assurer l’intérim du poste, cela se reproduira plusieurs fois jusqu’en 1778. LE RÔLE PRIMORDIAL DE LA SOCIABILITÉ MUSICIENNE Les liens qui unissaient les maîtres de musique des deux grandes églises toulousaines n’étaient pas superficiels, comme à Dijon. Nicolas-Vincent Levens, maître de la cathédrale de 1746 à 1793, est le fils de celui qui a formé Bernard-Aymable Dupuy à la psallette de la cathédrale de Toulouse, futur maître de musique de la collégiale Saint-Sernin de 1745 à 1789 ; ils se fréquentent tout au long de leur carrière et sont membres tous les deux depuis 1745 de la loge maçonnique Saint-Jean Française qui devient dès 1749 La Française St Joseph des Arts. Trois ans plus tard Levens signe au baptême d’un enfant Dupuy même s’il n’est pas le parrain. En février 1790, enfin, c’est Levens qui dirige les deux chapelles de musique et l’orchestre de la Comédie pour l’exécution du Requiem de Jean Gilles lors du service solennel célébré en l’honneur de Dupuy qui est mort en décembre 1789 – ses fonctions l’y prédisposaient bien évidemment. Ces bonnes relations entre les maîtres de musique toulousains se retrouvent aussi dans la façon dont ils conçoivent leurs interventions sur la scène musicale toulousaine. À lire Benoît Michel, on ne ressent nulle rivalité. Ils partagent les occasions de composer, de diriger publiquement et de montrer l’étendue de leur talent. On peut trouver de nombreux exemples à l’occasion des services que font célébrer les confréries de pénitents ou les confréries de métiers comme celles des avocats ou des négociants. Ces derniers font chanter un noël à grand chœur le jour de l’Épiphanie, leur fête patronale, dans l’église des Jacobins. Faire venir l’un des deux maîtres est une garantie de réussite et de prestige, ainsi que la possibilité de disposer des musiciens de son église ou de son réseau. Une délibération consulaire de décembre 1771 précise bien que « les maîtres de musique des deux églises fairont chanter la muzique alternativement ainsi et de même qu’on le pratique pour mrs les Avocats pour la fête de S. Yves »45. On relève ce type de fréquentation dans d’autres villes comme à Bordeaux. Le maître de la collégiale Saint-Seurin, Jacques Matoulet, projette, avec l’organiste de la cathédrale Jean-

44. 45.

Renon, La Maîtrise de la cathédrale Saint-Étienne de Bourges…, op. cit., p. 109-110. Michel, Le Noël à grand chœur…, op. cit., p. 386.

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RIVALITÉS INSTITUTIONNELLES

Baptiste Feyzeau, de fonder en 1776 une académie de musique 46. Celle-ci connaît un début de réalisation en 1779, on relève parmi les premiers amateurs à s’y être inscrits, Barthélémy Giraud, maître de musique de la cathédrale, tout juste revenu de Paris 47. CONCLUSION En guise de conclusion, on peut rappeler que des investigations supplémentaires seront nécessaires pour bien comprendre la nature des rapports entre les chapitres de ces grandes églises autour de la figure de leur maître de musique. Il semble toutefois qu’on puisse évoquer une situation moins conflictuelle qu’on ne pouvait le croire, d’abord parce que les compagnies canoniales, occupées à contrer les attaques de l’extérieur, se déchirent moins violemment dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. Entourer le culte de tout le faste nécessaire, y compris dans le domaine de la musique, est une nécessité absolue. Ces cathédrales, collégiales et Saintes Chapelles qui partagent la même force de frappe financière, la même structure musicale, le même prestige ont chacune les moyens de choisir soigneusement un maître de musique sur des critères exigeants, particulièrement dans le domaine de la composition. Les exemples de coopération, de mutualisation entre les églises via leurs maîtres de musique sont fréquents. Quant aux maîtres de musique, peu leur importe finalement le statut de l’église qui les emploie s’ils trouvent à la fois le confort financier, de bonnes conditions de travail et la liberté pour mener parallèlement leurs autres activités musicales en ville, pour la plus grande satisfaction et la plus grande gloire de chacun des protagonistes.

46. 47.

Sur ce sujet, voir dans ce volume l’article de Thierry Favier, p. 243-259. Raymond Céleste, Les Anciennes sociétés musicales, Bordeaux, impr. Gounouilhou, 1899, 23 p.

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MAÎTRE DE MUSIQUE D’ÉGLISE À NANCY AU XVIIIe SIÈCLE : DU CHŒUR DE LA PRIMATIALE À LA SALLE DU CONCERT ET DE LA COMÉDIE René DEPOUTOT

Le retour du duc Léopold dans ses États lorrains en 1698 semble ouvrir des perspectives politiques favorables. Le chapitre de Nancy restaure une maîtrise dans la « vieille primatiale »1, recrute un maître de musique en 1700 2 et entreprend la lente construction de la primatiale définitive (1703-1742). Nous sommes pourtant à l’aube de bouleversements politiques majeurs avec la cession, le 13 février 1737, de la Lorraine à la France par François III, puis l’arrivée de Stanislas, duc de Lorraine de transition, sans pouvoir politique jusqu’à sa mort le 23 février 1766, date qui scelle la réunion définitive de la Lorraine à la France. À la différence de Léopold dont l’opéra de Bibiena fut abandonné et le Louvre de Boffrand laissé inachevé, Stanislas mène à bien ses projets d’aménagement urbanistique offrant à Nancy grandeur et modernité saluées notamment par Mozart de passage en 1778. Pour donner corps à ses desseins, il unit le chapitre de la collégiale Saint-Georges à celui de primatiale Notre-Dame de l’Annonciation (1742) et fait élever, sur la nouvelle place Royale (actuelle place Stanislas), le bâtiment de la Comédie et celui de l’Hôtel de ville dans lequel il place la salle du Concert. Enfin, avec la création de l’évêché de Nancy, la primatiale accède au rang de cathédrale (1777). Durant le XVIIIe siècle, la vie musicale nancéienne repose sur trois structures indépendantes dont les sources, abondantes pour la primatiale, fragmentaires pour le domaine privé (Concert et Comédie), rendent complexe l’appréhension de la réalité. L’éloignement de la cour à Lunéville dès 1702, la naissance de l’Académie de musique 1.

2.

À cette date, il s’agit de la seconde primatiale « provisionnelle » utilisée depuis le 1er juin 1609, visible sur le plan de Nancy de Mathäus Merian, n° 12. Un certain nombre d’erreurs se sont glissées dans le texte de Thierry Favier, Le Motet à grand chœur, Paris, Fayard, 2009, p. 68, 404. En réalité, il faut faire état de la collégiale SaintGeorges et de la primatiale Notre-Dame de l’Annonciation devenue cathédrale-primatiale, précédée de deux primatiales provisionnelles. La première provisionnelle dédiée à saint Sébastien, abandonnée dès 1609, avait été vendue à l’Hôtel de ville pour servir d’église à la paroisse Saint-Sébastien. Le sieur Jacques Thomassin, venu de Paris, est reçu le 18 janvier 1700. Voir René Depoutot, Musique en Lorraine aux XVII e et XVIII e siècles. Nancy. Les Hommes, Dictionnaire biographique, Baden-Baden & Bouxwiller, Valentin Koerner, 2013, t. II, p. 696-697.

221

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en 1731, l’installation de la « nouvelle Comédie » en 1755, lieux de spectacles et de divertissements ouverts à un nouveau public d’amateurs, sont autant de facteurs qui modifient l’équilibre des rapports entre la sphère religieuse et la sphère profane. Ils génèrent de nouveaux comportements chez les maîtres de musique d’Église et leur employeur vis-à-vis de la musique profane, tout en confortant le rayonnement de la Musique de la primatiale, principalement celui de son maître de musique ; une réalité patente dans la seconde partie du siècle. Ainsi la création, à la Comédie, d’une œuvre lyrique écrite par un maître de musique de la primatiale ou, quelques années plus tard, la présence régulière d’un autre maître de la primatiale à la tête de l’orchestre du Concert des Amateurs ne surprend plus malgré les rigidités connues du chapitre envers la musique profane, celle de la Comédie en particulier, dans une ville de province, fûtelle la capitale du duché de Lorraine. MAÎTRE DE MUSIQUE, MAÎTRE DE CHAPELLE À LA PRIMATIALE Tout au long du XVIIIe siècle, onze maîtres de musique se succèdent à la primatiale avec une durée moyenne d’exercice assez brève de trois années pour une majorité d’entre eux. Une certaine stabilité est cependant trouvée avec Pierre-Antoine Baudet (1706-1713 puis 1721-1731) 3, Claude-Frédéric Seurat (1743-1756) 4 et surtout JosephAntoine Lorenziti (1763-1789) 5. De l’ensemble des maîtres de musique de cette période, seul P.-A. Baudet est prêtre, prébendé de la primatiale. Tous les autres sont laïcs, mariés (Aubin Thomassin 6, Seurat) ou célibataires (Jean Regnault, Lorenziti) et leurs origines très diverses confirment tant l’attrait du poste de la primatiale de Nancy que la grande mobilité de ce personnel. Seul Léopold Bastien est lorrain 7. Jean Regnault 8, P.-A. Baudet 9, Claude Seurat 10 et Nicolas Boujeardet 11 viennent du royaume de France tandis qu’Arnold Deiehez est né à Liège 12 et J.-A. Lorenziti sur l’île de Majorque 13. 3. 4. 5. 6. 7. 8. 9. 10. 11. 12. 13.

Id., t. I, p. 138. Id., t. II, p. 672-673. L’année de prise de fonction de Lorenziti à Nancy donnée par divers auteurs – 1760 – est inexacte. Voir Depoutot, Musique en Lorraine…, op. cit., t. II, p. 695-696. L’orthographe des noms et prénoms de famille ici utilisée est, dans la majorité des cas, celle des signatures trouvées dans les sources, les minutes notariales en particulier. Bayon, 17 déc. 1740- ?Beauvais, c. 1810. AD Meurthe-et-Moselle, 5 Mi 53/R 2, vue 50. Bayon est le siège de la prévôté du marquisat de Bayon. Favier, op. cit., p. 68, cite le nom de Renaud. La signature au bas du document original atteste celle de Jean Regnault. « prebtre du diocese de Tours maistre de musique à Laon » (1706). Voir Depoutot, Musique en Lorraine…, op. cit., t. I, p. 138-139. Tréveray, 9 juil. 1722-Nancy, ?10 août 1756. AD Meuse, 396 (1E1), vue 142. Mariage à Saint-Nicolas-de-Port le 22 juillet 1749. AD Meurthe-et Moselle, 5 Mi 483/R 25, vue 424. Tréveray est siège de prévôté dans le bailliage de Chaumont. Voir Depoutot, Musique en Lorraine…, op. cit., t. I, p. 163-164. Id., t. I, p. 243-244. Id., t. II, p. 462 et suivantes.

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Issus de familles aisées – Loüis Bastien, père de Léopold, est huissier à Bayon, Pierre Seurat, père de Claude-Frédéric, procureur fiscal à Tréveray – ou d’une famille de musiciens pour J.-A. Lorenziti, ces trois maîtres de musique débutent leur carrière à Nancy, jeunes, respectivement âgés de dix-sept, vingt et un, et vingt-quatre ans, avec, pour certains d’entre eux, une expérience peut-être réduite, mais munis d’« un lot de pièces utiles »14, notamment pour L. Bastien qui fut enfant de chœur. Bien plus, les dix années passées à la maîtrise avaient permis à ce dernier d’acquérir, grâce à une fréquentation journalière, une réelle familiarité avec le rythme des études, les rites liturgiques et les œuvres de musique 15. Déchargé de l’enseignement général (lecture, écriture, calcul) et de l’entretien des enfants de chœur confié, entre autres, à Antoine Jattiot « chantre musicien » du chapitre depuis 1755 16, le maître de musique est responsable de l’éducation des enfants de chœur à la musique, du chœur employé journellement pour chanter les heures, tout en assurant la direction et les répétitions de la Musique composée de chanteurs auxquels s’adjoignent progressivement des symphonistes au cours de la première moitié du XVIIIe siècle. L’ensemble de ces responsabilités est consigné dans un contrat stipulant avec précision la composition annuelle d’un certain nombre d’œuvres 17. STRUCTURES MUSICALES RELIGIEUSES ET CIVILES À NANCY Plusieurs institutions de musique religieuse et de musique de divertissement cohabitent dans le paysage musical nancéien durant le XVIIIe siècle et plus particulièrement à partir du règne éphémère du duc François III 18, une situation connue en Europe puisque Léopold Mozart écrit à Wolfgang : « on donne à Nancy une comédie et un concert et […] je ne peux imaginer que tu ne rendes pas visite à un maître de chapelle […] »19. Recruté comme maître de musique à la primatiale et arrivant à Nancy en 1743, Cl. Seurat avait donc découvert les concerts hebdomadaires de l’Académie de musique 20 et J.-A. Lorenziti, en 1763, les activités de la Comédie alors dirigée par des 14. 15. 16. 17.

18. 19. 20.

Voir Jean Duron, « Les messes en musique de Louis Grénon : regard sur le métier de maître de chapelle », Louis Grénon un musicien d’Église au XVIII e siècle, éd. Bernard Dompnier, Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise Pascal, 2005, p. 111 et suivantes. Voir Jean-Paul C. Montagnier, The Polyphonic Mass in France, 1600-1780, Cambridge, Cambridge University press, 2017, p. 34 et suivantes et p. 105 et suivantes. Voir Depoutot, Musique en Lorraine…, op. cit., t. I, p. 398 et suivantes. Le plus récent contrat connu (1714), celui du sieur Pierre Le Bœuf dit Charleval, énumère les vingt œuvres à écrire chaque année : 2 messes, 2 Magnificat, 4 psaumes, 2 hymnes, 4 motets, 1 Asperges ou Vidi aquam, 1 Litanies à la Vierge, 4 Domine salvum. AD Meurthe-et Moselle, G 602, f. 201v. Les contrats ultérieurs n’ont pas été retrouvés à ce jour. Lunéville, 1708-Vienne, 1765. François-Étienne devenu François III, duc de Lorraine (1729) puis Franz I, empereur du Saint-Empire par son mariage avec Marie-Thérèse d’Autriche (1736). W. A. Mozart, Correspondance, Paris, Flammarion, 1989, t. III, p. 99. Créée en 1731, elle ferme ses portes en 1756. Diverses dénominations font référence à cette structure : Académie de musique et du Concert, Concert de Nancy, puis Académie royale de musique de Nancy, Concert royal de Nancy durant le règne de Stanislas.

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entrepreneurs privés : plusieurs spectacles hebdomadaires de comédies et d’opérascomiques mais aussi des « concerts spirituels »21. De même, encore enfant de chœur âgé de quinze ans, Leopold Bastien 22 ne put ignorer le travail de composition de son maître, Cl. Seurat, sur le divertissement intitulé Le Triomphe de l’Humanité. Il lui succède mais quitte le chapitre dès 1760, impatient de découvrir d’autres horizons, s’illustrant notamment à Paris en 1770 sous le nom de Léopold-Bastien Desormery 23, tandis que Seurat et J.-A. Lorenziti conserveront cette fonction jusqu’à leur décès. Déjà sur le déclin au début du siècle, le chapitre de la collégiale Saint-Georges finance, comme celui de la primatiale Notre-Dame de l’Annonciation, une Musique et une maîtrise. La primatiale entretient une Musique (chœur et symphonie), une maîtrise de six enfants de chœur – huit à partir de 1778, année qui suit la création de l’évêché – et privilégie les compositions de ses propres maîtres pour les célébrations, sans avoir recours aux œuvres éditées de maîtres parisiens ou autres, ce que confirme l’inventaire des œuvres de musique effectué suite à l’arrêté du département de la Meurthe en 1791 24. Un constat qu’il faut quelque peu tempérer dans la mesure où des maîtres de musique et des musiciens « passant » ont fait exécuter, avec la permission du chapitre, des œuvres personnelles au cours de leur bref séjour, à l’exemple du sieur Jacques SaintPaul accompagné de son fils, tous deux rémunérés « pour avoir fait chanter une grande messe en musique » en 1737 25 et du sieur Salomon qui « fait chanter une grand messe […] avec symphonie et plusieurs musiciens etrangers » en avril 1757 26. RELATIONS ENTRE LA COUR DUCALE, L’HÔTEL DE VILLE ET LE CHAPITRE À défaut d’avoir pu obtenir le siège d’un évêché, l’importance politique de l’établissement d’un chapitre primatial accompagné du prestige d’une grande église n’avait pas échappé aux ducs de Lorraine 27. Au cours du XVIIIe siècle, la position et l’autorité du chapitre primatial sont confortées par l’achèvement de la nouvelle église accom-

21.

22. 23. 24.

25. 26. 27.

Voir René Depoutot, « La Comédie, Le Spectacle de Nancy (1755-1792) : une programmation de musique française et germanique », Le Pays lorrain, 114e année, 98 (juin 2017), p. 167 et suivantes. La présence de J.-A. Lorenziti parmi les symphonistes est établie, à moins que ce ne soit celle de son père – c’est peu probable –, lors du passage de Mesdames Adelaïde et Victoire à Nancy en 1761. Grand enfant de chœur proche de sa sortie, il avait fait chanter une messe, son chef-d’œuvre, quelques jours avant le décès subit de son maître. AD Meurthe-et-Moselle, G 814, art. 76. Voir Depoutot, Musique en Lorraine…, op. cit., t. I, p. 134-135. À Nancy, il signe ainsi : Leopold Bastien. Peu de temps après son départ, il utilisera désormais un nom d’emprunt, d’artiste : « L[eo]P[old] B[as]T[ien] Desormery » que l’on peut lire sur certains manuscrits. L’inventaire de la bibliothèque de la maîtrise du 29 novembre 1791 énumère exclusivement des œuvres de Lorenziti, de Seurat et de l’abbé Nicolas Henry. AD Meurthe-et-Moselle, 1 Q 656, liasse B. Voir la transcription du document en ANNEXE, p. 240-241. De la part du chapitre, la terminologie « maître de chapelle » est rare, contrairement à Lorenziti sur les éditions de sa musique de chambre. Ils sont musiciens à la cathédrale de Metz. Voir Depoutot, Musique en Lorraine…, op. cit., t. II, p. 656-657. Ancien maître de musique de la cathédrale de Metz ; ibid., t. II, p. 658. L’évêché ne fut créé qu’en 1777. Voir Christian Pfister, Histoire de Nancy, Paris/Nancy, Berger-Levrault & Cie, 1902, 2e/1974, t. II, p. 665 et suivantes.

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pagné de l’union du chapitre de la collégiale Saint-Georges à celui de la primatiale (1742) puis par la réunion de la Lorraine à la France. Aussi est-il permis de s’interroger sur l’état des relations entre les pouvoirs politiques – la cour ducale ou l’Hôtel de ville de Nancy – et le maître de musique du chapitre, acteur essentiel durant les offices journaliers et les services qui s’y déroulent régulièrement avec un faste plus marqué pour les cérémonies exceptionnelles. Les échanges entre les mondes profane et religieux se concrétisent souvent autour de célébrations voulues par le chapitre auxquelles peuvent être invitées les autorités civiles, à moins que ce ne soient la cour ducale puis royale ou l’Hôtel de ville qui le sollicitent pour des célébrations à l’occasion de la naissance, du décès d’un prince ou d’autres circonstances plus politiques (rentrée de la Cour souveraine, ouverture de la bibliothèque publique, célébration la veille de l’érection de la statue de Louis XV, etc.). Elles revêtent, à l’évidence, un caractère particulier dans ce lieu marqué de solennité et de symboles. Qu’en est-il des interventions du pouvoir politique autour de la musique du chapitre ? Sous le règne de Léopold, les sources connues conservent la trace de quelques échanges seulement entre la cour et le chapitre à propos de la Musique et du maître de musique. Il ne semble pas que le maître de musique ait été sollicité personnellement, le chapitre demeurant l’interlocuteur de la cour grâce, peut-être, à des relations facilitées par certaines proximités, tel le « séjour continuel » du chantre à la cour à Lunéville 28. Pour autant, le duc Léopold soucieux de donner de l’éclat à Nancy, capitale du duché de Lorraine, demeure attentif aux affaires du chapitre. Il tentera en vain, à deux reprises, en 1704 et 1728, d’obtenir la suppression de la Musique pour financer et activer l’achèvement de l’actuelle église cathédrale-primatiale 29. Deux autres épisodes concernent les musiciens sans que le maître de musique ne paraisse impliqué. La protestation (1716) des musiciens de la primatiale consécutive à l’intention d’Henry Desmarest de « les contreindre malgré eux a aller à Lunéville le samedy chaque semaine pendans l’été »30 trouvera la protection du chapitre qui fait connaître son désaccord à Nicolas-François de Lambertye, « préposé » pour la Musique à la cour 31. Quelques années plus tard, en 1722 32 – P.-A. Baudet est maître de musique –, c’est au tour du chapitre, soucieux de « rendre meilleure » sa Musique, de faire appel directement à certains chanteurs de la cour – Pierre Noel 33 et le sieur Boulas – afin qu’ils viennent chanter à Nancy « les dimanches et festes doubles », excepté lorsqu’ils sont de service à Lunéville 34.

28. 29. 30. 31. 32. 33. 34.

Son absence à Nancy dura « plusieurs années », ce qui nuisait « considérablement au bon ordre du chœur » à la primatiale. Nancy, Bibliothèques, ms 600 (29), p. 71, acte du 22 mai 1728. AD Meurthe-et-Moselle, G 602, f. 145v, f. 248v. Nancy, Bibliothèques, ms 600 (29), p. 46. 1682-1741. Premier gentilhomme de la chambre. Voir Alain Petiot, Les Lorrains et les Habsbourg, Aix-enProvence, Mémoire et documents, 2014, t. I, p. 325. À cette date, le chapitre officie dans la seconde primatiale provisionnelle. Voir Depoutot, Musique en Lorraine…, op. cit., t. II, p. 571-572. Nancy, Bibliothèques, ms 600 (29), p. 60.

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Entre le moment où la Musique reprend ses activités à la primatiale (4 février 1700) et le départ de la cour pour Lunéville (2 décembre 1702), soit vingtdeux mois, on relève des rémunérations de chanteur (De Hun) et symphoniste (Henry Derochez 35) de la cour engagés pour divers services à la primatiale s’apparentant à des vacations ou à des services limités. De même l’emploi simultané de Jean Regnault 36, maître de musique de la chapelle de S.A.R. et de la primatiale, paraît secondaire du fait de sa brièveté 37, alors que, sans le départ de Léopold pour Lunéville consécutif à une nouvelle occupation de Nancy par les Français, l’interrogation sur la gestion de cette double fonction serait devenue pertinente. Il n’est pas rare que Stanislas se déplace à la primatiale avec sa propre Musique pour un service lié à un événement exceptionnel (inauguration de la bibliothèque publique, dédicace de la place Royale) ; dans ce cas, celle du chapitre ne semble pas intervenir, excepté pour le plain-chant 38. En réalité, la seule véritable demande adressée à un maître de musique émane de Stanislas. Il s’agit de la commande à Claude Seurat d’une œuvre de circonstance, Le Triomphe de l’Humanité 39. Les ordonnances du duc de Lorraine puis du roi de France pour l’organisation d’un Te Deum, un service, une procession, une messe afin de solenniser un événement particulier ou exceptionnel sont adressées au chapitre ; celles résultant des décisions de l’Hôtel de ville n’échappent pas à la règle. Les relations entre l’Hôtel de ville et l’Église sont particulières. À Nancy, ville moyenne de 26 000 habitants environ, l’Hôtel de ville assure financièrement le fonctionnement des paroisses (chantre, organiste, prédicateur de carême, fourniture de cire, de missels nouveaux, orgue, etc.) et exempte maître de musique et musiciens de la primatiale de la levée des sols des paroisses et des « ustencilles ». De plus, il décide, organise et règle les dépenses des cérémonies tenues le plus souvent à la primatiale, auxquelles il « assiste en corps » et pour lesquelles le personnel est requis ; ainsi les neuvaines à saint Sigisbert afin d’« obtenir […] un tems convenable » pour les récoltes ou encore les processions dans la ville, notamment celles de l’octave de la Fête-Dieu jusqu’en 1766 et de l’Assomption à partir de cette même année. Tambours en tête, elles se déroulent dans un effacement

35. 36.

37. 38. 39.

Voir Depoutot, Musique en Lorraine…, op. cit., t. I, p. 256-257. Voir René Depoutot, « La musique à la cour de Lorraine : du retour de Léopold à l’arrivée de Desmarest », Henry Desmarest (1661-1741), éd. Jean Duron et Yves Ferraton, Wavre, Mardaga, 2005, p. 131 et suivantes. Plusieurs éléments récemment découverts enrichissent sa biographie. Remplacé par Henry Desmarest à Lunéville en 1707 à la tête de la musique ducale, il réapparaît entre 1711 et 1716 comme « valet de chambre des princes » et « officier de S.A.R. », signant aussi plusieurs baux pour son logement. Dans le même temps, « Regnault et sa femme musiciens » touchent des gages à partir du dernier quartier de 1711. Deux enfants, Élisabeth-Charlotte (1712) et Joseph (1714), naissent de son union avec « Marie René Reÿ ». Son devenir, à partir de 1716, reste inconnu. AD Meurthe-et-Moselle, séries B, 3 E et 5 Mi 328/R 7, vues 467 et 642. Contrat signé le 10 octobre 1701. Ibid., G 602, f. 129. Sa démission, au grand désagrément du chapitre, intervient treize mois plus tard. Ibid., G 447, 1702, p. 3. Une pratique connue du temps de Léopold à Lunéville. Voir René Depoutot, « Le Triomphe de l’Humanité, une œuvre de commande de la ville de Nancy à Claude Seurat maître de musique de la primatiale », La Vie culturelle à l’époque de Stanislas, éd. Yves Ferraton, Langres, D. Guéniot, 2005, p. 30 et suivantes.

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ponctuel des limites communautaires. Le cortège constitué de religieux (réguliers et séculiers), de laïcs (corps constitués), foule le sol d’enceintes religieuses (églises, primatiale) et profanes (rues, places), alternant musique sacrée (motets, faux-bourdon, litanies) et musique profane des groupes de « violons » – parmi eux se trouvent des symphonistes de la primatiale – et des régiments militaires (fanfares). Ainsi durant la procession du 15 août 1766 peut-on entendre la musique du régiment « jouant des fanfares alternativement avec le chant des Litanies »40. Deux maîtres de musique, J.-A. Lorenziti de la primatiale et le sieur Gaultier de la Comédie, ont été engagés par l’Hôtel de ville à l’occasion de services funèbres. J.-A. Lorenziti se trouve à la tête des musiciens de la primatiale pour la musique entendue lors du service funèbre solennel de Stanislas, célébré à l’église Saint-Roch, le 26 mai 1766, sans que l’on sache s’il fut l’auteur de pièces originales, ce qui, en regard du montant de la rémunération globale – 248 livres –, ne semble pas être le cas 41. En revanche, dans cette même église, une « Messe de Requiem en musique » fut dirigée par son auteur le 18 juin 1774. L’œuvre émanait d’une commande de l’Hôtel de ville au sieur Gaultier, maître de musique de la Comédie, pour le service funèbre du roi de France, Louis XV 42. Préféré à J.-A. Lorenziti pourtant présent à la primatiale et au Concert des Amateurs, il avait déjà écrit et fait entendre un « motet à grand chœur » à la Comédie en 1772 dans le cadre de « concerts spirituels ». La considération de l’Hôtel de ville pour l’activité créatrice d’un maître de musique semble privilégier la qualité du maître à l’institution qui l’emploie. CHAPITRE ET MONDE PROFANE : DES MOYENS COMMUNS, DES CONTOURS MOINS NETS Les institutions musicales nancéiennes jouent un rôle essentiel dans le domaine de la création et la diffusion des œuvres de musique contemporaine 43. Avec des moyens musicaux sensiblement identiques à ceux de villes françaises de taille correspondante – nombre d’enfants de chœur, de chantres et de symphonistes –, le chapitre de la primatiale donne la préférence aux œuvres nouvelles de ses maîtres de musique lors des offices religieux. Les spectacles de la Comédie et des Concerts conçus pour le divertissement des connaisseurs et des amateurs privilégient les œuvres lyriques et instrumentales entendues à Paris 44 et programment, comme dans d’autres villes du 40. 41. 42.

43. 44.

Pour cette première procession du 15 août 1766, le chapitre avait fait venir, à ses frais, la musique du régiment du roi de France en garnison à Nancy afin de « rendre la cérémonie plus pompeuse ». AD Meurthe-et-Moselle, G 607, p. 315. Nancy, Archives municipales, CC 525, f. 99v et CC 526, cote 362. Ibid., CC 567, p. 124 et CC 569, pièces 5 et 7. Le compositeur touche 311 livres 11 sols pour la composition et l’exécution de cette œuvre. Deux autres sommes ont servi à financer la copie de la messe et à défrayer des musiciens venus de Lunéville et de Toul. L’Hôtel de ville et le chapitre ont organisé, chacun séparément, un service funèbre. Voir Jean Duron, « Les Goûts passagers sont bientôt oubliés », Regards sur la musique au temps de Louis XV, éd. Jean Duron, Wavre, Mardaga, 2007, p. 55 et suivantes. Voir Depoutot, « La Comédie, Le Spectacle de Nancy… », art. cit., p. 173 et suivantes.

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royaume, l’audition de motets à grand chœur ou « psaume en symphonie » dans leurs concerts 45. Chaque structure entretient donc un ensemble instrumental et vocal connu grâce à des sources homogènes pour la primatiale tandis que les informations sont plus rares et dispersées pour l’Académie de musique et la Comédie. Deux constats s’imposent. D’une part, bien qu’un événement exceptionnel puisse rassembler un groupe plus important, les effectifs habituels – entre dix et vingt musiciens – sont faibles 46. D’autre part, une majorité de symphonistes et chanteurs de la primatiale fait partie simultanément, parfois avec des responsabilités différentes, du Concert royal ou de celui des Amateurs et de la Comédie, qu’ils aient d’ailleurs débuté dans l’une ou l’autre structure. Il y a donc une évidente perméabilité entre les différents ensembles qui fonctionnent avec un personnel en partie commun, pratique facilitée par un chapitre suffisamment ouvert pour ne pas exiger des musiciens de choisir entre l’une ou l’autre institution, allant jusqu’à solliciter lui-même des musiciens de l’Académie de musique pour sa propre Musique. La liste des chanteurs et symphonistes du « Concert royal » employés par l’Hôtel de ville au Te Deum célébrant, en 1739, le mariage de LouiseÉlisabeth « Madame Première », fille de Louis XV, avec l’Infant Philippe d’Espagne, recense des musiciens de la primatiale pour plus des deux tiers. Parmi quelques exemples caractéristiques relevons la réception du sieur Dubriole 47, haute-contre chantante de l’« Académie du Concert », dans la Musique de la primatiale en 1739. Jean Morron 48, symphoniste basson, ordinaire à la primatiale (1738-1758) joue au Concert royal (1745-1756) et signe un contrat à la Comédie (1757-1758). Joseph Didillon 49, violon, ordinaire à la primatiale, chante dans le chœur de la Comédie. Le cas d’Ettienne-Benoist Morel (1702-1761) 50 est particulièrement significatif. Ancien enfant de chœur, c’est un musicien complet : chanteur taille ou haute taille, violon et « tres bon orguaniste ». Maître de musique de l’Académie du concert, violoncelle et basse de violon à la Comédie, chanteur à la primatiale assurant régulièrement la fonction de maître de musique intérimaire lorsqu’il y a vacance du poste, il lui avait été en outre proposé la place d’organiste en 1731 51. Enfin, au début de la période révolutionnaire, sept symphonistes de la primatiale – certains sont actifs à la Comédie avant 1789 – signent une pétition en faveur de la création d’une société autogérée (1792) 52.

45. 46. 47. 48. 49. 50. 51. 52.

Voir Thierry Favier, op. cit., p. 406 et suivantes. L’inventaire de 1791 différencie « mottets en simphonies » et « pseaumes en simphonie ». Sur les concerts en province, voir dans ce volume l’article de Thierry Favier, p. 243-259. Voir Depoutot, « La Comédie, Le Spectacle de Nancy… », art. cit., p. 171. Voir Depoutot, Musique en Lorraine…, op. cit., t. I, p. 281-282. Ibid., t. II, p. 544 et suivantes. Ibid., t. I, p. 265 et suivantes. Ibid., t. II, p. 540 et suivantes. Nancy, Bibliothèques, ms 600 (29), p. 140. Firmin Felizard, Jean-Baptiste Lorenziti, François Proutiere, François Jeanmaire, Joseph-Antoine Vuillaume et Charles-Hyacinthe Michelot. Il s’agit pour eux de pallier les carences administratives et financières du directeur, Pierre Maynon Demery.

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Concert et Comédie puisent donc largement dans les ressources stables de la primatiale, ce qui soulage d’autant les finances du chapitre, cette activité supplémentaire permettant aux symphonistes de doubler leurs revenus ; J. Morron touche 500 livres annuelles à la primatiale et 530 livres au Concert. La disparition du Concert royal, fin 1756, conduit d’ailleurs le chapitre à procéder à des augmentations de salaire pour les musiciens concernés après que certains d’entre eux ont déposé des placets pour expliquer leur situation 53. On ne saurait cependant passer sous silence le malaise ressenti par certains symphonistes de la primatiale actifs à la Comédie, troublés quant à leur « sentiment de réligion » et celui de leur « bienséance » envers le chapitre 54. L’engouement du public ou de la cour de Lunéville et de Versailles pour les représentations théâtrales et lyriques ne doit pas dissimuler des tensions persistantes entre partisans et adversaires de la chose théâtrale malgré des invitations au compromis et à la tolérance ; un débat qui « paraît aussi simple qu’insoluble »55. DEUX MAÎTRES LORENZITI

DE MUSIQUE :

CLAUDE-FRÉDÉRIC SEURAT

ET

JOSEPH-ANTOINE

Durant le XVIIIe siècle deux maîtres de musique de la primatiale tiennent une place particulière en raison de la production d’œuvres de musique profane exécutées dans les salles destinées à la musique de divertissement. Claude-Frédéric Seurat fut-il enfant de chœur dans une cathédrale ou une collégiale proche de son lieu de naissance ? C’est possible bien que son nom n’apparaisse ni à Toul ni à Bar-le-Duc ni à Langres 56. À la primatiale, l’inventaire de 1791, trentecinq ans après sa mort, lui reconnaît trente-sept œuvres dont trois « en symphonie » – Hymne, Lætatus sum et Magnificat – des partitions trouvées, pour certaines, incomplètes ou en mauvais état 57. À cette production de musique religieuse, il convient d’ajouter un divertissement : Le Triomphe de l’Humanité 58. 53. 54. 55. 56.

57. 58.

AD Meurthe-et-Moselle, G 816, pièces 61 et 99. Ibid., G 814, pièce 80. Voir aussi Jean Dubu, Les Églises chrétiennes et le théâtre (1550-1850), Grenoble, Presses Universitaires de Grenoble, 1997, p. 187 et suivantes. Voir Simone Reyff, L’Église et le Théâtre, Paris, Cerf, 1998, p. 113 et suivantes. À l’exception de celle d’AntoineHenry de La Fare, évêque de Nancy partisan d’un retour aux « notions d’infamie et d’excommunication » pour les comédiens, la position de ses deux prédécesseurs n’est pas connue. Voir Jean Dubu, op. cit., p. 196-197. Voir Abbé Gustave Clanché, La Musique, le chœur, le bas chœur, de la cathédrale de Toul, Toul, Imprimerie moderne, 1934, 181 p. ; Patricia Franca, « Les Maîtrises des collégiales Saint-Maxe et Saint-Pierre à Bar-le-Duc au XVIIIe siècle », Horizons musicaux en Lorraine, éd. Yves Ferraton, Langres, Guéniot, 2007, p. 72-73, 92. Notre inventaire des registres des délibérations de la cathédrale de Langres (AD Haute-Marne, IIG 62-65) est resté infructueux. « vieux », « vieilles », « en lambeaux ». La partition de cette œuvre a été imprimée, réalisée par Dominique Collin, « graveur ordinaire de la ville de Nancy » : Claude Seurat, Le Triomphe de l’humanité. Divertissement executé par les ordres de l’hotel de ville de Nancy sur le nouveau theatre, le 26 novembre 1755, jour de la dédicace de la statue que sa Majesté polonoise à fait elever a l’honneur de sa Majesté tres chretienne. Seurat Loth. cecinit. Palisot [sic] de Montenoy Loth. scripsit, s.l.n.d. [1755]. Six

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La personnalité marquante de la seconde moitié du XVIIIe siècle demeure JosephAntoine Lorenziti, né sur l’île de Majorque, sur la terre de sa mère, Francesca Saloma ou Salome, épouse de Joseph Lorenziti. Le père, Joseph Lorenziti, né « in sylva hercinia » – en Forêt Noire –, s’installe à Colmar en tant que « musicus » et « virtuosus fidicen » – violoniste virtuose ou habile violoniste – jusqu’à son décès en 1763 59. Il avait précédemment servi le prince Karl-Christian von Nassau-Weilburg comme maître de chapelle, peut-être jusqu’en 1753, année où se produit sans doute un événement particulier dans la vie de cette cour car la première mention assurant sa présence à Colmar date de mai 1754. La commande de portraits à usage privé 60, la proximité avec la haute magistrature à Colmar, la noblesse et la bourgeoisie nancéienne relevées parmi les témoins, parrains et marraines sur les actes paroissiaux, traduisent des usages de personnes de qualité et des relations sociales situées à un niveau élevé. Les liens noués par Joseph-Antoine Lorenziti avec une famille influente et très fortunée de Nancy, récemment anoblie – les Anthoine –, ont été facilités par la présence de messire François-Paschal-Marc Anthoine, chanoine, chantre et secrétaire à la primatiale de Nancy, fils de Marc Anthoine (ca 1686-1768) alors président de la Chambre des comptes de Lorraine 61. Il dédicace aussi quelques œuvres de musique de chambre à des membres de familles nobles, dont l’une réside à Nancy 62, et sa sœur aînée, ÉmilieCatherine, épouse George Josephe Schnÿdre de Warttensee, capitaine au « régiment Pfeiffer-Suisse »63. Joseph-Antoine possède un caractère affirmé, ce qui génère des relations parfois ombrageuses avec certains chanoines ou lui vaut les remontrances du chapitre excédé par ses entorses au règlement, et, parmi elles, un rappel pour « composer plus frequemment de la musique pour léglise »64. Maître de musique, chanteur, violoniste, conducteur de la symphonie de la primatiale et compositeur, il laisse, selon l’inventaire de 179165,

59. 60. 61.

62. 63. 64. 65.

exemplaires imprimés à Nancy en 1755 sont parvenus jusqu’à nous. Voir Depoutot, « Le Triomphe de l’Humanité… », art. cit., p. 34-35. Voir aussi l’édition moderne : Claude Seurat, Le Triomphe de l’Humanité, éd. Jean Duron, Versailles, Éditions du CMBV, 2007. « in sylva hercinia », c. mars 1715-Colmar, 22 nov. 1763. AM Colmar, GG 188, n° 3, f. 78. Joseph-Antoine, Catherine-Émilie, Bernard-Pierre. Ces trois portraits aujourd’hui conservés au Palais des Ducs de Lorraine - Musée Lorrain sont attribués à François Senemont (Nancy, 1720-1782). Messire François-Paschal-Marc Anthoine (Nancy, S.S., 11 mars 1732-Belleville, 23 nov. 1805) officie lors du mariage de George Josephe Schnÿdre de Warttensee avec Catherine-Émilie Lorenziti (Saint-Nicolas-de-Port, 20 sept. 1768). Il est aussi le parrain d’Émilie-Catherine née le 3 juin 1781, fille de Jean-Baptiste Lorenziti. Sa sœur, Catherine Anthoine, est marraine de Catherine-Émilie Schnÿdre, née le 25 juil. 1769, fille du couple Schnÿdre de Warttensee-Lorenziti. AD Meurthe-et-Moselle, 5 Mi 483/R 6, vues 245-246 ; 5 Mi 394/R 70, vue 592 ; 5 Mi 394/R 52, vue 706. Pour la famille Anthoine, voir Marie-José Laperche-Fournel, Les Gens de finance au temps du duché de Lorraine, Nancy, éd. Place Stanislas, 2011, 179 p. Six trio pour deux violons et basse […] œuvre 4 e, « A Monsieur de Turicque » [Paris, Le Duc, s.d., RISM, L 2861] ; Six trio concertants pour violon alto et violoncelle, « A Son Ami Monsieur de Belleville » [Paris, Deroullède, 1790, RISM, L 2864]. En réalité, Pfyffer-Wyher. Ainsi signe-t-il sur l’acte de mariage. Son père était sénateur du canton de Lucerne et sa mère baronne de Zurlauben. AD Meurthe-et-Moselle, G 605, p. 325, 328, actes des 7 octobre et 4 novembre 1769. AD Meurthe-et-Moselle, 1 Q 656, liasse B ; voir ANNEXE. Pour le catalogue complet de ses œuvres, voir René Depoutot, « Lorenziti Familie : Joseph Antoine (A) und sein Bruder Bernard », MGG, Kassel, Bärenreiter, 2004, Bd 11, col. 473475. Voir aussi dans le présent ouvrage, le commentaire de Jean Duron, p. 273.

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plus de cent quarante compositions dans la bibliothèque de la maîtrise, soit l’ensemble de son œuvre de musique religieuse écrite à Nancy, classée entre pièces mobilisant l’ensemble des moyens vocaux et instrumentaux à sa disposition et pièces de « musique courante » de taille plus modeste, a priori « sans simphonie ». Sont destinées aux offices des jours de fête solennelle du calendrier liturgique (Noël, Pâques, Pentecôte, Toussaint) ou à ceux organisés à l’occasion d’événements exceptionnels (paix signée, fête de saint Sigisbert 66, décès d’un prince, etc.) quinze messes « à grand orchestre » dont quatre avec une instrumentation allégée – violons I et II, alto, basse ou « violons et basse » seulement 67 –, ainsi que des œuvres « en symphonie », trois Requiem, quarante et un motets, dix-sept « pseaumes », neuf Magnificat, cinq hymnes 68, trois Te Deum, deux Domine salvum fac Regem, un Libera me Domine. Les pièces destinées aux offices des jours plus ordinaires (messe, complies, vêpres, bénédiction, salut, etc.), et qu’il est possible de lui attribuer avec certitude, comptent vingt messes « courantes », des hymnes « pour toute l’année », trois Magnificat, quatre motets pour les saluts du Saint-Sacrement, trois Asperges me. Quelques commentaires laconiques soulignent un aspect particulier de certaines œuvres : quatre messes à grand orchestre sont intitulées « pastorales », deux en fa majeur et deux en la majeur 69. Deux messes en ré majeur à grand orchestre et l’un des trois Te Deum en symphonie sont dits petits, les hymnes pour toute l’année prévues « en chant sur le livre ». Parfois les sources lèvent un coin du voile sur son activité créatrice et notamment en 1787 avec, le 1er février, une « nouvelle messe » le jour de la fête de saint Sigisbert, une « messe de Paque » le 8 avril et enfin un « nouveau pseaume […] a la Pentecotte le 27 mai »70. Le « pseaume en symphonie » – motet à grand chœur –, Lauda Jerusalem, qualifié de « grand » est vraisemblablement celui qui fut entendu au Concert des Amateurs en 1776 (?) 71, la messe en ut mineur à « grand orchestre » (violons I et II, alto, basse) étant probablement la « Messe a grande symphonie » copiée en 1792, la seule œuvre de musique religieuse qui nous soit parvenue à ce jour 72. 66. 67. 68. 69.

70. 71. 72.

Saint patron de Nancy, capitale du duché de Lorraine. L’éclairage apporté sur les parties de cordes pour l’orchestration de cinq messes ne doit pas faire oublier que l’ordinaire de la Musique se compose, en outre, de hautbois, flûte et basson qui pouvaient doubler certaines parties. Sur l’inventaire, ces « six hymnes en symphonie » – l’une est de Seurat – sont précédées de 21 autres hymnes de « M Lorenziti » qui, sans autre précision, pourraient éventuellement relever de la « musique courante ». Ces tonalités évoquent respectivement celles de deux œuvres pour orgue de Johann Sebastian Bach : la Pastorale en fa majeur [BWV 590] et le Prélude et fugue en la majeur [BWV 536]. Le sujet de la fugue en la majeur possède un lien évident avec celui de la « Sinfonia » d’introduction de la cantate BWV 152 écrite pour le premier dimanche après Noël ; observation due à André Stricker, mon maître. Voir Gilles Cantagrel, Les Cantates de J.-S. Bach, Paris, Fayard, 2010, p. 215 et suivantes. AD Meurthe-et-Moselle, G 863, pièces 157, 158. L’année 1776 est probable, mais supposée. Signalons la présence de la partie vocale de l’antienne à la Vierge Sub tuum præsidium. Voir Claude Fachot, Messes solemnelles, antiennes, répons, vêpres et complies, cantiques et motets, et diverses intonations, le tout recueilli avec soin par Claude Fachot […], Nancy, au séminaire du diocèse susdit, 1781, p. 221 et suivantes. Villers-les-Nancy, Bibliothèque diocésaine de Nancy.

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Pendant plusieurs années, Joseph-Antoine se trouve de surcroît à la tête de la symphonie du Concert des Amateurs, où le « Maitre de chapelle de la Primatiale » est à même de se produire comme violon soliste dans une « symphonie concertante anonyme » en 1772 par exemple 73. Après s’être beaucoup investi au Concert des Amateurs mais peu confiant dans sa viabilité en raison de graves problèmes financiers, sans illusion sur la possibilité d’accéder à un poste de cathédrale plus prestigieux dans une autre ville, peut-être aussi dans l’expectative de développements générés par le récent statut de cathédraleprimatiale, il se tourne vers le chapitre et obtient un contrat « à vie » qui lui est largement favorable (1779) 74. D’UNE PLACE À L’AUTRE : MAÎTRES DE MUSIQUE ET MUSICIENS POLYVALENTS L’Hôtel de ville fait appel aux musiciens des structures musicales actives de la ville et en particulier à ceux de la primatiale puisque la majorité des cérémonies, à sa demande, se déroulent dans cette église. Le double, voire triple emploi de symphonistes et de chanteurs, tant à la primatiale qu’à la Comédie ou au Concert, est particulièrement révélateur d’une frontière souple entre le religieux et le civil. Ainsi l’Hôtel de ville se tourne-t-il vers des musiciens professionnels et amateurs pour des cérémonies publiques afin de solenniser certains événements exceptionnels ou festifs, tels repas et bal des autorités le Dimanche gras. Pour la réception des petites filles de Stanislas de passage en Lorraine en juin 1761, sur les dix-sept musiciens retenus, douze symphonistes et chanteurs appartiennent à l’ordinaire de la primatiale 75. Plus significative encore de l’évolution constatée au cours du XVIIIe siècle est la présence d’un maître de musique de la primatiale à la tête des musiciens des Concerts successifs (E.-B. Morel, J.-A. Lorenziti) ou la création d’une œuvre originale sur la scène de la Comédie (Seurat). Depuis le XVIIe siècle jusqu’aux premières décennies du XVIIIe siècle, les maîtres de musique de la collégiale Saint-Georges et de la primatiale à Nancy ne s’évadent pas du cadre institutionnel et fonctionnel dans lequel ils ont été recrutés. La mort de Léopold (1729) semble clore un monde ancien et la brève résidence de son successeur à Lunéville, François III 76, ouvre la page d’une modernité que Stanislas encouragera. De profonds changements liés à l’évolution des aspirations culturelles du public provoquent une modification de la stratégie des responsables politiques. La naissance de la société de concerts et de spectacles lyriques soutenue par François III (1731) appelle la nécessité de construction d’un bâtiment et d’une salle spécialement destinés aux

73. 74. 75. 76.

Affiches annonces et avis divers pour la Lorraine et les Trois-Evêchés, 16 janvier 1773, p. 9. AD Meurthe-et-Moselle, G 607, p. 445. Nancy, Archives municipales, CC 502, f. 68 et CC 503, pièce 208. Soit dix-sept mois entre le 29 novembre 1729 et le 25 avril 1731.

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spectacles et divertissements ouverts à ce nouveau public d’amateurs ; ils seront inaugurés en 1755. La situation professionnelle du maître de musique de la primatiale subit, elle aussi, de notables changements au cours du XVIIIe siècle. Pierre-Antoine Baudet, dernier maître prêtre, chanoine de la primatiale, a cessé ses fonctions en 1731 et l’interdiction signifiée en 1704 à un maître laïc « qu’il se mariat »77 s’est éteinte avec le recrutement, en 1733, d’Aubin Thomassin 78. J.-A. Lorenziti, célibataire, bénéficie d’une souplesse accrue en dehors de ses obligations comme en témoignent ses sorties le soir officiellement autorisées jusqu’à 22 heures 79. Dès lors le champ des activités du maître de musique de la primatiale s’étend également au monde du spectacle, à l’espace public des salles du Concert et de la Comédie, tout en ne suscitant aucune réaction défavorable de la part du chapitre de Nancy, à preuve l’absence d’une quelconque mention sur les registres des délibérations capitulaires 80. Cela conforte l’idée d’un incontestable intérêt de la part du clergé pour le concert public, bien antérieur à l’investissement effectif de ses maîtres de musique dans les structures établies et alors qu’un ensemble de symphonistes travaille déjà dans les deux institutions. Il est en effet attesté qu’un certain nombre de chanoines auxquels il faut ajouter d’autres ecclésiastiques sont abonnés aux spectacles du Concert de Nancy avant 1750 81. Comme à Metz 82, des chanoines ne fréquenteraient-ils pas aussi les bals à la Comédie ? Le métier de maître de musique d’Église ne se limite plus seulement à la musique religieuse avec la composition de pièces destinées aux célébrations mais tend vers la vision plus large d’une carrière conçue dans sa globalité, embrassant aussi la musique profane. Bien que les situations ne soient pas exactement semblables, un parallèle avec celles de Franz Xaver Richter à la cathédrale de Strasbourg et d’Henri Hardouin à Reims peut néanmoins être établi 83. Avec les « Harmoniphiles », une société d’amateurs, J.-A. Lorenziti est l’un des membres les plus actifs du Concert des Amateurs dont les quelques bases connues sont proches de celles de l’ancien Concert royal de Nancy avec une direction collégiale et la tenue d’un concert hebdomadaire, le lundi, durant la période comprise entre Noël

77. 78. 79. 80. 81. 82. 83.

AD Meurthe-et-Moselle, G 609, M[aîtr]e de musique. Article du règlement du 5 avril 1704. Voir Depoutot, Musique en Lorraine…, op. cit., t. II, p. 695-696. Aubin Thomassin, fils de Pierre Thomassin, maître de musique du chapitre de « Saint Diez en Vosges » (1713). Qualifié de musicien (1717), il s’est marié paroisse Sainte-Croix, le 15 mai 1714. AD Vosges, Edpt419/GG_4-65530, vue 10. AD Meurthe-et-Moselle G 607, p. 232, acte du 12 avril 1763. Voir Marie-Claire Mussat, « L’imbrication des maîtrises dans la vie de la cité. Du religieux au politique : l’exemple de l’Ouest de la France », Maîtrises & Chapelles aux XVII e et XVIII e siècles, éd. Bernard Dompnier, Clermont-Ferrand, Presses Universitaires Blaise Pascal, 2003, p. 242-243. Un état des sommes dues par les abonnés entre 1749 et 1756 énumère chanoines, nobles et avocats. Il va de soi que les chanoines et ecclésiastiques à jour de leur abonnement ne peuvent apparaître dans ce document. AD Moselle, G 452, f. 88. Voir Romain Feist, L’École de Mannheim, Genève, Papillon, p. 107 et suivantes. Voir Patrick Taïeb, « Le Concert de Reims (1749-1791) », Revue de musicologie, 93/1 (2007), p. 17 et suivantes ; Georges Escoffier, « Formes institutionnelles et enjeux sociaux des pratiques musicales : l’exemple du Concert de Grenoble », Revue de musicologie, 87/1 (2001), p. 16 et suivantes.

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et Pâques 84. Pourtant, après des débuts compliqués, fin 1771 ou début 1772, son activité cesse une première fois en 1774 avant de renaître puis fermer définitivement ses portes en 1779. DU

MOTET À GRAND CHŒUR AU DIVERTISSEMENT.

DU

MAÎTRE DE CHAPELLE AU

MAÎTRE DE MUSIQUE DU CONCERT DES AMATEURS

Nous devons à la presse lorraine et parisienne 85 comme à des documents isolés, la connaissance actuelle des éditions des œuvres et d’une partie des activités dirigées par J.-A. Lorenziti, « maître de musique du Concert des Amateurs » où le public vient entendre l’habituel « grand concert vocal et instrumental ». Le programme se compose d’œuvres symphoniques jouées par un « orchestre nombreux » renforcé à l’occasion par quelques musiciens des régiments, principalement pour les vents (clarinette, trompette, cor), ainsi qu’un motet à grand chœur et des pièces vocales plus brèves, habituellement des ariettes et airs détachés d’opéras-comiques.

Programme du Concert des Amateurs de Nancy [1776], Nancy, Bibliothèque Stanislas, ms. 363 (381), n° 4537 © Bibliothèques de Nancy.

84. 85.

Précisions fournies par les Affiches de Lorraine, 26 décembre 1772, p. 234. Almanach musical (1774-1775, 1777-1778, 1781).

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Avec Cl. Seurat, mais plus nettement encore avec J.-A. Lorenziti, l’activité du maître de chapelle de la primatiale s’ouvre à la société civile. Volonté d’indépendance vis-àvis du chapitre, désir d’insertion plus marqué dans la cité, tel peut être interprété l’achat d’une maison située dans l’un des faubourgs très recherché de Nancy par J.-A. Lorenziti. Le maître de la primatiale est sollicité par le pouvoir civil pour ses compétences musicales et parce que sa veine compositionnelle embrasse aussi les genres de la musique instrumentale et de la musique lyrique, en l’occurrence le divertissement, pièce lyrique plutôt brève, destinée à un public présent au Concert ou à la Comédie. Seules deux œuvres lyriques isolées dans la production de ces deux auteurs nous sont connues, alors que leur composition paraît significative d’une ouverture au monde profane. Sur un texte de Charles Palissot de Montenoy à la gloire de Stanislas et Louis XV, Seurat compose Le Triomphe de l’Humanité, en réalité une œuvre de commande de Stanislas financée par l’Hôtel de ville pour l’inauguration de la nouvelle Comédie 86. L’œuvre est créée devant Stanislas et une salle comble, le 26 novembre 1755 à Nancy, après avoir été présentée à Stanislas en audition privée le 27 octobre à Lunéville 87. Au Concert des Amateurs du lundi 4 mars [1776] 88, J.-A. Lorenziti, violon, conduit L’Hiver, son divertissement écrit pour ensemble instrumental, quatre solistes et chœur, sur un livret du Nancéien Christophe Lavo 89. À la différence du texte de Palissot de Montenoy qui, glorifiant Stanislas et Louis XV, ne pouvait heurter les chanoines, celui de Christophe Lavo sur l’Amour, dieu sauvage à la campagne mais plaisir à la ville, fait dire à Cléon quelques lignes qui ont dû occasionner des froncements de sourcils chez certains ecclésiastiques présents : LICIDAS Fuyons cet asyle, Ce triste séjour ; Le plaisir à la Ville/Retourne avec l’amour. CLÉON […] C’est-là qu’avec adresse, Un Amant plein d’ardeur, […] Sa jeune maîtresse Cache en vain son desir Elle a beau rougir

86. 87.

88. 89.

Charles Palissot de Montenoy (Nancy, 1730-Paris, 1814), Prologue en musique, analogue a la cérémonie du jour, Nancy, Pierre Antoine, [1755], p. 9 et suivantes. Nancy, Bibliothèques, Rés. 10 178a. Voir Depoutot, « Le Triomphe de l’Humanité… », art. cit., p. 13 et suivantes. Rien ne vient établir la direction de Seurat à la Comédie lors de la création du Triomphe de l’Humanité. Comme à Lunéville, E.B. Morel, symphoniste violon à l’« Académie de musique du Concert » où il est aussi « batteur de mesure », a pu conduire l’œuvre, évitant à Seurat, de fait, une participation active en tant que maître de musique de la primatiale. L’impression du programme témoigne de préparatifs très avancés de ce concert mais ne saurait préjuger sa tenue ni le programme réellement entendu, dans la mesure où aucun compte rendu ne nous est parvenu. Christophe Lavo, gendre de François Senemont (peintre portraitiste), est « négotiant fabriquant » à Nancy entre 1771 et 1775.

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C’est l’Amour qui la presse, Bientôt de son Amant elle excuse l’ivresse En faveur du plaisir CHŒUR Fuyons cet asyle, &c. » 90.

Extrait du livret de L’Hiver, texte de Christophe Lavo, Nancy, Bibliothèque Stanislas, ms 363 (381), n° 4537 © Bibliothèques de Nancy.

Les rares programmes du Concert des Amateurs connus à ce jour – quelques comptes rendus parcellaires de la presse, un seul programme édité – ne sauraient permettre une quelconque synthèse globale. À partir de ces uniques sources, il est toutefois possible de relever à nouveau la place donnée aux œuvres de compositeurs nancéiens – étaitce une exception ? – le 4 mars [1776] : J.-A. Lorenziti, bien sûr, (Ouverture, L’Hiver, Lauda Jerusalem, motet à grand chœur), Bernard-Pierre Lorenziti (Chaconne), ainsi qu’une « symphonie à grand orchestre » de Valentin Nicolaÿ au concert du 11 janvier 1773 91. Les œuvres programmées offrent aux trois frères Lorenziti l’occasion de mettre 90. 91.

Nancy, Bibliothèques, ms. 363 (381), n° 4537, f. 185-186. Peut-être l’une des Six sinfonies à grand orchestre […] œuvre I re [RISM N 589] de ce compositeur présent à Nancy entre c. 1770 et c. 1804. Voir Depoutot, Musique en Lorraine…, op. cit., t. II, p. 568-569. Il est dit « musicien attaché à la Comedie » en 1774. Nancy, Archives municipales, CC 571, pièce 3, n° 555.

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en lumière leur talent d’instrumentistes en tant que solistes virtuoses : Joseph-Antoine (violon) et Jean-Baptiste (violoncelle) dans une symphonie concertante (11 janvier 1773), Bernard-Pierre (violon) dans un concerto (4 mars [1776]). La presse relève aussi le succès de jeunes prodiges du violon âgés de 10 ans : le « sieur Henry » (1773) et Antoine Lacroix (1775) 92, peut-être des élèves de Joseph-Antoine, interprètes d’un « concerto de violon très difficile ». Enfin, il faut noter que le répertoire cité accorde une large place à la création et, dans une moindre mesure, à la diffusion d’œuvres d’auteurs connus (Carl Joseph Toeschi) ou anonymes (symphonie concertante, concertos pour violon). Malgré le silence des sources, il est peu envisageable que les œuvres symphoniques de compositeurs liés, entre autres, à l’école de Mannheim, aient été inconnues des directeurs du Concert des Amateurs, alors qu’elles étaient jouées à la Comédie 93. Auraient-elles, elles aussi, fait l’objet de programmations dans la salle du Concert ? Nous ne le savons pas. Nous sommes pourtant assurés de la circulation de ces œuvres en Lorraine grâce au périodique messin relatant la prestation de « trois Virtuoses de Manheim, attachés à la Musique de l’Electeur Palatin » à Bar-le-Duc en 1782 94 et, à Metz, celle de la demoiselle Crux, violoniste, une élève d’Ignaz Fränzl 95. Bien que mal renseignée sur la diffusion des œuvres de J.-A. Lorenziti – la programmation du Concert des Amateurs du 4 mars [1776] propose une « Ouverture » et L’Hiver, des œuvres mentionnées dans nulle autre source et probablement restées à l’état de manuscrit –, il est avéré qu’elle s’étend bien au-delà de la primatiale, de Nancy, et de la Lorraine. Deux de ses œuvres religieuses, une Messe à grand orchestre et un Domine salvum fac regem en ut mineur auraient pu avoir été entendues à Paris, à la chapelle des Tuileries en 1782 96, alors que lui-même affirme dans la presse nancéienne, en réponse à une sévère critique des Sei quartetti concertante […] opera IX e 97, « un débit rapide depuis plusieurs années tant en France, qu’en Pays étranger »98 de sa production de quatuors (1778). Effectivement, entre 1764 et 1783, des éditeurs français (Paris, Lyon, Bordeaux) et étrangers (Bruxelles, La Haye) publient plus de 70 œuvres, principalement de musique de chambre (duos, trios et quatuors) mais encore des symphonies aujourd’hui non localisées. J.-A. Lorenziti, maître de chapelle de la primatiale, devient, le temps de l’existence du Concert des Amateurs, l’une des personnalités musicales les plus influentes

92.

93. 94. 95. 96. 97. 98.

En réalité, Claude Antoine Curé Lacroix, violoniste virtuose et marchand de musique (Rambervillers, 9 juin 1765-Lübeck, 18 juin 1806). AD Vosges, Edpt374/GG_10-57946, vue 11. Son grand-père maternel, Alexis-George, était organiste et facteur d’orgues. AD Vosges, Edpt374/GG_9-57917, vue 27. Malgré les erreurs, voir aussi Georg Karstädt, « Lacroix [Croix], Antoine », The New Grove Dictionnary of Music and Musicians, éd. Stanley Sadie, London, Macmillan, sde éd./2001, vol. 14, p. 101. Voir Depoutot, « La Comédie, Le Spectacle… », art. cit., p. 167 et suivantes. Affiches des Evêchés et Lorraine, 31 janvier 1782, p. 34. Ibid., 22 sept. 1785, p. 302. Voir Gilbert Rose, Metz et la musique au XVIIIe siècle, Metz, Serpenoise, 1992, p. 105. Voir Joseph-Antoine Lorenzitti [sic], Messe a grande symphonie en ut mineur Domine Salvum fac regem, éd. Jean Duron, Versailles, Éditions du CMBV, 1999. Paris, Mad. Heina, [1778], [RISM, L 2855]. Nancy, Bibliothèques, Journal de Lorraine et Barrois, n° XIV et XV, avril 1778, p. 143 et suivantes.

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de la ville par ses responsabilités dans une structure de concerts et l’orientation qu’il imprime dans le choix des programmes ; une situation nouvelle dont le chapitre, grâce à la réputation et au rayonnement de son maître, ne peut que tirer bénéfice. CONCLUSION Au cours du XVIIIe siècle et plus précisément à partir de 1730, la vie musicale nancéienne s’inscrit dans le mouvement général de l’évolution esthétique et sociale et du changement profond de la vie culturelle observés en France, notamment avec la naissance du concert public, affectant la nature même du métier de maître de chapelle. Dans la seconde moitié du siècle – le nombre d’années reste limité (1755-1779) –, l’activité créatrice du maître de musique d’Église ne se limite plus aux services exclusifs de la primatiale mais gagne, avec un répertoire spécifique, les salles de la Comédie et du Concert, lieux de divertissement mondain. Les œuvres originales de musique religieuse composées par le maître de musique sont, de ce fait, entendues tout naturellement par les fidèles à l’église primatiale et celles de musique profane par le public au Concert, voire à la Comédie – ne serait-ce pas les mêmes personnes ? – malgré une réticence du chapitre qui se fait toutefois très discrète. De même, figurant sur l’inventaire de 1791, le motet Lauda Jerusalem de J.-A. Lorenziti, prévu au programme du Concert des Amateurs du 4 mars [1776], fut, sans aucun doute possible, également exécuté à la primatiale au cours d’un office. La dissociation des deux mondes est sensiblement moins marquée à l’image des symphonistes, chanteurs et même maîtres de musique de la primatiale circulant d’un ensemble à l’autre pour jouer indifféremment musique religieuse ou profane. De plus, après leurs services à la primatiale, après ceux de la Comédie et du Concert, nombre de ces professionnels actifs dans la vie culturelle nancéienne forment des ensembles éphémères pour faire concert dans les salons de maisons particulières et dispensent des cours d’instrument et de chant. À cet égard, un certain nombre de pièces de musique de chambre, en particulier certains duos et trios publiés par J.-A. Lorenziti, possèdent sans conteste une vocation didactique. L’analyse de l’orientation du répertoire insufflée par J.-A. Lorenziti, « maître [de musique] du Concert des Amateurs », eût été intéressante ; elle est illusoire, la quasitotalité des sources ayant disparu. De plus, sans préjuger les éventuelles erreurs de stratégie – le choix du répertoire serait-il en cause ? –, l’échec incombe aux dirigeants des deux sociétés de Concerts qui ne purent ou ne surent véritablement fidéliser un public à Nancy, tandis que la Comédie réussit, certes avec bien des difficultés, à se maintenir. L’histoire a cependant donné raison à Stanislas, lui qui ferma le Concert Royal de Nancy au profit de la Comédie, jugeant cette dernière « plus du gout general de la ville »99.

99.

Nancy, Archives municipales, BB 27, f. 102v.

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Ainsi observe-t-on un glissement progressif vers une nouvelle compréhension du métier de maître de musique d’Église avec une place croissante donnée au profane. À cet égard, l’attitude du chapitre est primordiale et l’ouverture d’esprit, résignée ou non, dont il semble faire preuve face à cette situation, permet une évolution des rapports entre le monde religieux et le monde civil. Le profane s’immisce parfois dans des détails, telle cette demande du chapitre à Jean-François Vautrin, facteur d’orgues 100, à l’occasion de réparations en 1787, sur la possibilité « d’introduire dans l’orgue un nouveau jeu d’une grosse caisse militaire […] semblable à celui des musiques de régimens »101 que le public et les participants peuvent entendre depuis longtemps, notamment lors de processions qui, en cette occasion, utilisent aussi l’espace public. La seule exception à cet équilibre recherché entre musique religieuse et musique profane est portée par le groupe des chantres laïcs de la cathédrale-primatiale qui, licenciés lors de la suppression des chapitres à la Révolution, relèveront dans les demandes de secours déposées leurs difficultés à vivre « n’ayant appris aucun métier ni profession que celle […] d’être Bas contre et musicien a la ditte Eglise Cathédrale »102, comme l’affirme Louis Momeux, chantre à la cathédrale de Toul. À Nancy, la mort de J.-A. Lorenziti en décembre 1789 clôt pratiquement l’histoire du maître de musique d’Église commencée plusieurs siècles auparavant. Nicolas Boujeardet, son successeur, ancien maître de musique de la cathédrale de « Saint Diez », la refermera définitivement quatre années plus tard, en 1793, à la demande du Directoire du département 103. Plusieurs messes et motets à grand chœur de J.-A. Lorenziti seront à nouveau entendus en 1802 et 1803 à la cathédrale-primatiale, bien vite suivis, en 1804 et 1805, de deux messes-parodies sur la musique de différents auteurs composées par François Bruillard dit Balbâtre, un ancien chanteur haute-contre du chapitre désormais reconverti en marchand de mode 104. Une autre époque.

100. 101. 102. 103. 104.

Voir Depoutot, Musique en Lorraine…, op. cit., t. II, p. 717-718. AD Meurthe-et-Moselle, G 608, p. 86v, acte du 20 septembre 1788. Ibid., L 2439, pièce 51. La dernière délibération du Conseil épiscopal du département de la Meurthe date du 26 juillet 1793. Ibid., L 459, f. 25v. Nicolas Boujeardet avait intégré la musique de la Garde nationale en juin 1792 sur une place vacante. Nancy, Archives municipales, 1 D 6, p. 216. Voir Depoutot, Musique en Lorraine…, op. cit., t. I, p. 125-126 et 175. La musique utilisée dans ces messes provient d’œuvres des compositeurs suivants : Chr. W. Gluck, N. Piccinni, A. M. G. Sacchini, J. Chr. Vogel et Haydn (sic).

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RENÉ DEPOUTOT

ANNEXE Inventaire de la musique conservée à la maîtrise de la cathédrale de Nancy en 1791, AD Meurthe-et-Moselle, 1 Q 656, liasse B, f. [I-III] 29. 9.bre 1791 Primatiale musique Ce jourdhuy vingt neuf novembre mil sept cent quatre vingt onze Nous Jean François Renauld administrateur du Directoire de district de Nancy, commissaire nommé par délibération du même Directoire [...] pour procèder en éxécution de larreté du département de la Meurthe en datte du 10 courant mis en marge. De la requête presentèe par le s[ieu]r Beaujardet 105, au revêtement de linventaire des meubles et effets et ustencilles qui doivent se trouver à la maitrise des enfans de chœur de la paroisse cathédrale de Nancy et portés en celui dressé le 22 mars dernier par M Olry de Lille [...] pour [...] être en exécution de l’arrêté cy dessus remis au s[ieu]r Beaujardet directeur nommé des dits enfans de chœur au lieu et place du s[ieu]r Alexis Aubert 106 qui n’en remplissoit les fonctions que provisoirement, a charge par led[it] s[ieu]r Beaujardet d’en demeurer garant [...] [signatures] A Aubert Boujardet [...] Et de suite en éxécution du dit arrété en datte du 28 novembre présent mais qui ordonne en outre q’ua l’assistance des s[ieu]rs Lorenziti 107 et Mengin 108 musiciens il sera procédé à l’inventaire de la musique laissée à la maitrise par feu le s[ieu]r Lorenziti 109 et que la remise de lad[it]e musique en sera faite audit s[ieu]r Beaujardet [...] nous avons procédé audit inventaire tel q’uil s’ensuit ; scavoir : Messe a grand orchestre de feu m[onsieu]r Lorenziti. ut majeur, une, à grand orchestre ut mineur, une, deux violons alto et basse Re maj[eur] deux, a gr[and] orchestre idem, deux, petites Mi b majeur une, a grand orchestre Mi majeur une, a grand orchestre fa majeur une, pastorale grand orch[estre] idem une, deux violons alto et basse Sol majeur deux, violons et basse La majeur deux, pastorales grand orchestre Si b majeur une, violons et basse Trois messes de morts en symphonie l’une des quelles manque la partition Mottets en simphonie quarante un Pseaumes en symphonie quatre Dixit, un Confitebor, un Béatus [vir], deux Laudate pueri, un Super flumina [Babylonis] un Ecce quam bonum, un Nisi Dominus, un Qui confidunt, un Domine non est ; deux Laudate dominum omnes [gentes], un grand Lauda Jérusalem, un Miserere en deux morceaux détachés du même, un vieux Lae[ta]tus sum, de M[onsieu]r Seurat, dix Magnificats en simphonie dont un de M Seurat ; dix hymnes de M labbé Henry 110, vingt et un hymnes de M Lorenziti, six hymnes en symphonie, de M Lorenziti dont une de M Seurat, trois Te Deum en simphonie dont un petit, deux Dominé grand orchestre, un Libera.

105. 106. 107. 108. 109. 110.

Nicolas Boujeardet, maître de musique à la cathédrale. Organiste à la cathédrale. Jean-Baptiste Lorenziti, frère de Joseph-Antoine Lorenziti, violoncelle dans la musique de la cathédrale. Nicolas-Antoine Mangin, haute-contre chantante à la cathédrale. Joseph-Antoine Lorenziti. Nicolas Henry, prêtre prébendé, chantre présent à la cathédrale-primatiale depuis 1779 et directeur de la maîtrise de 1789 à 1791. Voir Depoutot, Musique en Lorraine…, op. cit., t. I, p. 374-375.

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DE L’ÉGLISE AU CONCERT ET À LA COMÉDIE

Musique courante Vingt messes courantes de M Lorenziti, trois ou quatre vielles messes incomplètes de M Seurat, deux messes de morts sans simphonie, douze mottets pour la bènédiction, trois pseaumes de M Seurat, hymnes pour toute l’année en chant sur le livre, trois magnificat de M Lorenziti, six de M Seurat en lambeaux, huit mottets pour les saluts, six Asperges tant de M Lorenziti que de M Seurat. qui sont toutes les pieces de musique que nous avons trouvées appartenantes à la maitrise ; à l’effet de quoi nous les avons fait remettre dans les armoires ou nous les avions trouvé et avons remis les clefs audit s[ieu]r Beaujardet pour avoir à sa disposition la dite musique [...] Faites clos en ladite maitrise les an et jour susdits en présence des S[ieu]rs Lorenziti, Mengin et Beaujardet qui ont tous signé avec nous et notre secrétaire [...] [signatures] Boujardet Renaul[d] Mangin Lorenziti Michel Lainé.

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LE MAÎTRE DE MUSIQUE D’ÉGLISE ET LE CONCERT EN PROVINCE AU XVIIIe SIÈCLE

Thierry FAVIER

Le développement du concert public en France à l’aube du XVIIIe siècle s’inscrit dans un processus déjà séculaire d’institutionnalisation du champ culturel et contribue à modifier en profondeur les cadres sociaux et institutionnels de la pratique musicale. En effet, la trentaine d’académies de musique qui voient le jour dans la première moitié du XVIIIe siècle, dont certaines s’appuient sur des institutions préexistantes, génèrent une activité musicale régulière et importante qui recompose le paysage musical urbain et nécessite un personnel musical aux compétences spécifiques. Les académies de musique et les diverses formes de concerts à souscription qui leur succèdent offrent de nouveaux emplois en concurrence ou en complément de ceux fournis par les institutions religieuses et civiles. La présente étude propose d’envisager plus spécifiquement la question des rapports entre l’Église et le concert public en province du point de vue du maître de musique. L’heure n’est pas à la synthèse que ni les études sur le concert public ni les nombreuses études sur les maîtrises de province aux méthodes et aux objectifs si divers ne permettent ; mais de récents travaux centrés sur un territoire spécifique ont mis en évidence la fragilité de la situation professionnelle des musiciens et la nécessité dans laquelle ils se trouvaient de multiplier leurs sources de revenus et leurs employeurs 1. À partir de quelques cas, dont on tentera d’évaluer la représentativité et la pertinence, trois perspectives sont privilégiées. La première vise à cerner les différentes modalités de l’inscription du concert public dans la carrière des maîtres de musique d’Église. Les activités de maître de musique d’Église et de concert sont-elles compatibles ? Se succèdent-elles dans la carrière? Dans quel ordre et selon quelle temporalité? L’enquête s’appuie sur des informations biographiques et relève d’une approche prosopographique, sans bénéficier toutefois pour la période concernée d’un ensemble de données comparable à celui proposé par la base prosopographique MUSÉFREM des musiciens d’Église en 1790. Il 1.

Voir essentiellement Sylvie Granger, Musiciens dans la ville : 1600-1850, Paris, Belin, 2002 ; Aurélien Gras, Les Faiseurs de notes. Pratiques professionnelles, identité sociale et mobilités des musiciens dans la Provence et les États pontificaux rhodaniens du XVIIIe siècle, thèse de doctorat en Histoire, Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse, 2018.

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THIERRY FAVIER

est probable qu’un certain nombre d’informations factuelles se trouveront précisées ou rectifiées dans les années à venir et je sollicite la compréhension du lecteur face au caractère fragmentaire et provisoire des résultats de cette première partie. La seconde perspective visera à comprendre et inventorier les motivations de cette inscription à partir de quelques cas pour lesquels des sources suffisamment explicites subsistent. Là encore, il s’agira de donner sens à un faisceau d’informations souvent lacunaires pour reconstruire la réalité de la pratique dans toutes ses composantes et cerner les facteurs économiques et pratiques comme les bénéfices symboliques ou artistiques qui ont conduit les maîtres de musique d’Église à travailler pour le concert public. Je proposerai ensuite d’inverser la perspective et d’étudier le positionnement des institutions religieuses concernées. Dans quelles circonstances les maîtres de musique d’Église ont-ils pu travailler pour le concert ? Parallèlement à la situation du marché et à l’offre disponible, ce questionnement implique de connaître les relations qu’entretiennent les institutions religieuses locales et les élites ecclésiastiques avec les académies de musique. Alors que toutes les académies de musique fonctionnent économiquement sur le principe de la souscription, leurs formes d’organisation sont très variables et dépendent étroitement du contexte urbain dans lequel elles s’épanouissent. Plusieurs études ont montré à quel point la structure sociale des villes mais aussi l’implication et l’aura de figures locales, qu’il s’agisse d’un évêque, d’un gouverneur ou d’un maire, ont conditionné en profondeur les formes d’organisation du concert public. L’impact de ces configurations sur la fonction même du maître de musique reste à évaluer mais on pourra s’interroger sur le rapport des institutions ecclésiales au concert public, sur les relations d’autorité et de dépendance qui les unissent et sur leurs conséquences pour le maître de musique d’Église. Les cas envisagés couvrent une période qui va de 1720 à 1770. Ils se limitent donc essentiellement aux concerts à souscription, c’est-à-dire aux académies de musique et aux sociétés de concerts qui leur succèdent sur le même principe tout en accordant une place croissante aux gagistes. Ni le cas très particulier du Concert spirituel, ni les formes de concerts marchands, qui se multiplient dans les dernières décennies du XVIIIe siècle, ne sont analysés. Le plus souvent mal connues, les sociétés de concert des trois dernières décennies du XVIIIe siècle ont évolué, dans un contexte urbain très différent de celui du début du siècle. Le rôle moindre qu’y ont joué les institutions ecclésiales dans l’élaboration de l’opinion publique et les transformations du marché de la musique, caractérisé par l’inflation de l’offre, rendent beaucoup moins pertinent le questionnement à l’origine de ce travail. INSCRIPTION DU CONCERT DANS LA CARRIÈRE Outre la rareté des informations, l’analyse des modalités de l’inscription du concert dans la carrière des musiciens d’Église se heurte aux nombreuses ambiguïtés que 244

LE MAÎTRE ET LE CONCERT

génère la lecture des travaux anciens sur les maîtrises, particulièrement en ce qui concerne la périodisation et la terminologie. En dépit de données insuffisantes pour permettre une approche sérielle, et de l’impossibilité de les affiner en fonction des lieux et des espaces, il est possible de distinguer quatre configurations dont la représentativité semble globalement décroissante. Dans la majorité des cas, le maître de musique d’Église n’a aucun lien avec le concert, qu’il soit resté toute sa carrière au sein d’un unique chapitre ou qu’il ait occupé successivement plusieurs positions. Cela concerne prioritairement les musiciens d’Église qui ont exercé dans une ou plusieurs villes qui ne disposaient alors d’aucune académie de musique ou société de concert. Ces maîtres travaillaient pour des églises mineures ou à l’écart des grands centres urbains, mais aussi pour les cathédrales prestigieuses de petites villes comme Noyon, Soissons, Meaux, Senlis, Auxerre et beaucoup d’autres dont la population ne dépassait pas les 10 000 habitants. Ils pouvaient également être au service d’établissements ecclésiastiques situés dans des centres urbains plus importants comme Bourges, Saint-Étienne, Valenciennes, Angers ou Cambrai qui semblent n’avoir pas possédé d’académie de musique au cours des premières décennies du XVIIIe siècle. En revanche la plupart des maîtres de musique d’Église de province qui ont terminé leur carrière à Paris ont d’abord travaillé dans des villes qui possédaient alors une académie de musique ou un concert, sans qu’il soit toujours possible de déterminer s’ils ont été en relation d’une manière ou d’une autre avec ces institutions. C’est le cas, par exemple, de Henry Madin, qui a travaillé pour la cathédrale de Tours (ca 1731-1737) avant d’être nommé à la maîtrise de la cathédrale de Rouen puis à la Chapelle royale 2 ; d’Esprit-Joseph-Antoine Blanchard qui fut nommé maître de musique de Saint-Victor en 1717, année de la création du Concert de Marseille, et, plus tard, maître de musique de la cathédrale de Besançon (ca 1730) puis de celle d’Amiens (1734) avant de succéder à Bernier à la Chapelle royale en 1738 3 ; de Charles Gauzargues qui fut maître de musique de la cathédrale de Nîmes entre 1751 et 1758 avant d’intégrer la Chapelle royale 4 ; ou de Nicolas Fanton, qui est signalé à Saint-Seurin de Bordeaux en 1724 et terminera sa carrière à la Sainte Chapelle de Paris à partir de 1746 5. Le deuxième cas concerne des maîtres de musique qui n’ont jamais travaillé pour une institution de concert mais qui ont été amenés à diriger les musiciens du concert dans le cadre des cérémonies religieuses extraordinaires. Cette configuration semble

2. 3. 4. 5.

Voir Jean-Paul C. Montagnier, Un Musicien lorrain au service de Louis XV, Henry Madin 1698-1748, Langres, Dominique Guéniot, 2008, p. 34-41. Bernadette Lespinard, « Blanchard, Antoine, gen. Esprit-Joseph », MGG, Kassel, etc., Bärenreiter, Personenteil 3, 2000, col. 34. Youri Carbonnier et Jean Duron, Charles Gauzargues (1723-1801). un musicien de la Chapelle royale entre Nîmes et Versailles, Paris, Éditions A. et J. Picard, CMBV, 2016, p. 33-45. Dominique Urvoy, « La psallette de Saint-Seurin de Bordeaux », Revue historique de Bordeaux et du département de la Gironde, XV (janvier-mars 1966), p. 10 ; Bernadette Lespinard, « Fanton, Nicolas », Dictionnaire de la musique en France aux XVII e et XVIII e siècles, éd. Marcelle Benoit, Paris, Fayard, 1992, p. 284.

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THIERRY FAVIER

assez fréquente dans les premières décennies du XVIIIe siècle, particulièrement lors des très nombreuses cérémonies organisées pour la naissance du Dauphin en 1729. Dans les villes où s’était établie une académie de musique, institution dont le fonctionnement reposait alors sur la participation active des amateurs issus des élites urbaines et d’un nombre de gagistes variable selon les cas, celle-ci participait à la cérémonie religieuse en tant que corps constitué. C’est ce que montrent les relations imprimées ou les articles de presse qui rendent compte de l’événement en évoquant l’exécution du Te Deum ou du motet à grand chœur par les musiciens d’un établissement ecclésiastique – cathédrale, collégiale ou sainte chapelle – associés à l’académie de musique. Dans ce cas, c’est toujours le maître de musique de l’Église où se déroulait la cérémonie qui dirigeait l’exécution du motet. À l’occasion d’importants événements dynastiques ou de grandes fêtes commémoratives, la même configuration – un maître de musique d’Église dirigeant des musiciens d’Église associés à ceux du concert – pouvait aussi caractériser des cérémonies célébrées dans des églises monastiques et conventuelles qui ne disposaient pas d’une maîtrise et faisaient alors appel à la ou à l’une des maîtrises locales. Très logiquement, les cas renseignés montrent que le maître de musique d’Église sollicité dirigeait la plupart du temps un motet de sa composition. D’un point de vue pratique, l’académie permettait de donner de l’ampleur à l’accompagnement instrumental des Te Deum. Par rapport aux pratiques usuelles de recrutement de musiciens extérieurs, qu’il s’agisse de musiciens passants, de musiciens de la ville ou du régiment, ou de musiciens faisant partie des clientèles aristocratiques, l’académie de musique cumulait les avantages d’un ensemble instrumental exercé et rapidement mobilisable. Officialisée par le pouvoir à travers la publication de lettres patentes et la protection d’une figure locale de la haute aristocratie, l’académie portait une ambition fédératrice, qui symbolisait aussi la civilité et l’identité des élites urbaines et constituait un élément de distinction susceptible d’illustrer la cohésion et la loyauté de la cité vis-à-vis des événements qui touchaient la famille royale. Elle constituait donc un élément de prestige important dans la concurrence que se livraient les grandes institutions religieuses lors des réjouissances dynastiques obligatoires 6. Il faut d’ailleurs noter que plusieurs académies furent créées ou rétablies à l’occasion de la naissance du Dauphin ou peu avant celle-ci et se produisirent dans le cadre des cérémonies religieuses les plus prestigieuses 7. Au cours des décennies suivantes, il semble que les concerts à souscription souvent éphémères qui remplacèrent, dans de nombreuses villes, les académies de musique n’aient pas été dotés de la même fonction identitaire et n’aient pas été sollicités en tant que corps constitués pour être associés à des céré6.

7.

Voir le cas des réjouissances célébrées à Dijon dans : Thierry Favier, « Die Ausstrahlung der Musik der Klöster und Konvente von Dijon im 18. Jahrhundert », Oberschwäbische Klostermusik im europäischen Kontext. Alexander Sumski zum 70. Geburtstag, éd. Ulrich Siegele, Frankfurt am Main, Peter Lang, 2004, p. 67-87 ; id., Le Motet à grand chœur (1660-1792). Gloria in Gallia Deo, Paris, Fayard, 2009, p. 589-594. C’est le cas des académies de musique de La Rochelle (voir Suite de la clef ou Journal historique sur les matières du tems, mars 1730, p. 225); de Clermont-Ferrand (ibid, p. 224); et d’Arles (Fêtes données par l’Académie de musique d’Arles à l’occasion de la naissance de Monseigneur le Dauphin 1729, Arles, Bibliothèque municipale, Ms 424).

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monies religieuses. Il est exceptionnel que les musiciens du concert soient mentionnés dans les relations imprimées des cérémonies extraordinaires et, le cas échéant, ils ne le sont jamais en tant que corps constitué, comme le montre la relation de l’exécution du Te Deum dans l’église métropolitaine d’Avignon en 1751 à l’occasion de la naissance du duc de Bourgogne, qui évoque les forces musicales rassemblées, parmi lesquelles figurent des musiciens « choisis parmi ceux du Concert qu’on y a établi depuis plusieurs années »8. Les maîtres de musique d’Église restèrent cependant en contact avec les musiciens du concert, soit qu’ils aient recruté individuellement des musiciens gagistes qui travaillaient régulièrement pour le concert local, soit, comme le montrent les reconstitutions de carrière mises à jour par l’enquête MUSÉFREM, que des membres du personnel musical du chapitre qui chantaient occasionnellement sous la direction du maître de musique aient été également musiciens du concert 9. Un troisième cas concerne les maîtres de musique qui ont travaillé successivement pour les deux institutions comme Laurent Gervais, Jean-Nicolas Clavis, JacquesJoseph Audibert ou Nicolas-Henri Depoix 10. En dépit du manque de sources, on peut supposer que la plupart d’entre eux avaient été formés dans les maîtrises et débutèrent leur carrière au service d’un établissement ecclésiastique avant de passer au concert. Cependant, le transfert d’une institution à l’autre s’effectue au cours de la carrière indifféremment dans un sens ou dans l’autre et plusieurs maîtres de musique furent nommés à la tête d’importantes maîtrises après avoir dirigé un ou plusieurs concerts, à l’exemple de Charles-Joseph Torlez qui, après avoir été successivement maître de musique des concerts de Grenoble, Clermont et Moulins, termina sa carrière à la tête de la prestigieuse maîtrise du chapitre cathédral de Saint-Martin de Tours, où il exerça de 1768 à 1776 11. Il existe des profils de carrière dans lesquelles les deux fonctions 8. 9. 10.

11.

François Morénas, Relation des réjouissances faites par la ville d’Avignon, pour célébrer la Naissance de Monseigneur le Duc de Bourgogne, Petit Fils de Louis XV dit le Bien Aimé Roi de France et de Navarre les 24, 25, et 26 octobre 1751, Avignon, François-Joseph Domergue, 1751, p. 9. Voir Jean-François Heintzen, « Entre église et concert, la pluri-activité des musiciens moulinois au XVIIIe siècle », Revue de Musicologie, XCIV/2 (2008), p. 309-324. Laurent Gervais a été maître de musique de la cathédrale de Senlis et de Saint-Germain-l’Auxerrois à Paris avant d’exercer la fonction de maître de musique de l’Académie de Rouen puis de celle de Lille, voir JeanPaul C. Montagnier, « Autour de Laurent Gervais (ca 1679-1748), compositeur, claveciniste et pédagogue », Revue belge de Musicologie, LVII (2003), p. 113-132 ; Jean-Nicolas Clavis avait été maître de musique de SaintTrophime d’Arles puis de l’abbaye Saint-Victor de Marseille avant de prendre ses fonctions au concert de Marseille vers 1720, voir Benoît Michel, Le Noël à grand chœur : une pratique musicale à Toulouse et en terres méridionales (XVII e-XIX e siècles). Étude historique, institutionnelle, liturgique et esthétique, thèse de doctorat de l’École Pratique des Hautes Études, 2012, vol. 3, p. 74-79 ; Jacques-Joseph Audibert avait été maître de musique de l’église de La Charité de Marseille et à Notre-Dame de Montpellier avant de devenir maître de musique de l’Académie de Carpentras en 1749, voir Aurélien Gras, op. cit., p. 109, 211, 291 ; Nicolas-Henri Depoix, né en 1711, a été maître de musique de l’église Saint-Pierre de Caen autour de 1750 (Jules Carlez, « La Musique et la société caennaise au XVIIIe siècle : Le Père André. Le concert de Caen », Mémoires de l’Académie nationale des Sciences, Arts et Belles-Lettres de Caen, Caen, F. Le Blanc-Hardel, 1884, p. 131) avant d’être signalé comme maître de musique du concert de Nantes à la fin des années 1750 (Lionel de La Laurencie, L’Académie de Musique et le Concert de Nantes à l’Hôtel de la Bourse (1727-1767), Paris, Société française d’imprimerie et de librairie, 1906, p. 142). Je remercie Sylvie Granger de m’avoir aidé à démêler l’imbroglio biographique des membres de la famille Depoix. Georges Escoffier, « Formes institutionnelles et enjeux sociaux des pratiques musicales au XVIIIe siècle : l’exemple du Concert de Grenoble », Revue de Musicologie, LXXXVII/1 (2001), p. 17.

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THIERRY FAVIER

s’entrecroisent à l’image de celle de Charles de La Combe Desrosiers, maître de musique de la cathédrale d’Arles en 1735 puis maître du Concert de Grenoble avant de retrouver son emploi à la cathédrale d’Arles de 1749 à 1751 12, ou de Pierre-Nicolas Chupin de La Guitonnière, maître de musique du concert de Moulins en 1749, puis maître de la cathédrale Sainte-Cécile d’Albi de 1750 à 1762, qui termina sa carrière au concert de Lyon 13. Le dernier cas concerne le cumul des deux fonctions par un maître de musique attaché à un établissement ecclésiastique et au concert. La rareté des archives institutionnelles des académies de musique et des concerts, comme les nombreuses récriminations des chapitres et des autorités ecclésiastiques concernant la participation de musiciens d’Église au concert, ont pu laisser penser que ce cas de figure était exceptionnel 14. On dénombre cependant plusieurs maîtres de musique d’Église, au service de collégiales ou de cathédrales implantées sur l’ensemble du territoire, dont on est sûr qu’ils travaillèrent conjointement pour les deux institutions et cela sur une période qui couvre tout le XVIIIe siècle. Parmi les cas déjà bien étudiés, on citera évidemment Henri Hardouin à Reims 15, Giroust à Orléans 16, mais ce fut également le cas de musiciens aujourd’hui peu connus comme Jacques-Joseph Audibert, conjointement maître de chapelle de Saint-Seurin de Bordeaux et de l’Académie de musique autour de 1737 17, Laurent Bellissen, nommé maître de musique de Saint-Victor de Marseille alors qu’il est déjà maître du concert 18, Louis Bordery, conjointement maître de chapelle de Saint-Étienne de Lille et directeur du concert vers 1760 19, François Delécraz, maître de la cathédrale d’Annecy et Chrétien Depouilly, maître de la collégiale Notre-Dame d’Annecy, tous deux alternativement maîtres de l’Académie phil12. 13. 14. 15.

16. 17. 18.

19.

Ibid., p. 16. Benoît Michel, op. cit., vol. 3, p. 73-74. C’est ce qu’affirme aussi Aurélien Gras, op. cit., p. 333. Voir Patrick Taïeb, « Le Concert de Reims, 1749-171 », Revue de Musicologie, XCIII/I (2007), p. 7-52. Le cas de Sébastien de Brossard à Strasbourg est ambigu. D’après Yolande de Brossard, il aurait fondé une académie de musique suite à la suppression de la musique de la cathédrale en 1689 et de la suspension de ses gages de maître de chapelle, mais celle-ci ne dit pas si l’académie était encore en activité lorsque Brossard a été rétabli dans ses fonctions à la cathédrale en août 1694. Voir Yolande de Brossard, Sébastien de Brossard : théoricien et compositeur, encyclopédiste et maître de chapelle, 1655-1730, Paris, Picard, 1987, p. 23-26. Jean Duron fait un point intéressant sur les connaissances concernant l’académie de musique fondée par Sébastien de Brossard qui tendent à montrer que Brossard a dirigé conjointement son académie et la maîtrise de la cathédrale de Strasbourg après le rétablissement de celle-ci. Voir Sébastien de Brossard, L’Œuvre dramatique, éd. Jean Duron, Versailles, Éditions du Centre de Musique Baroque de Versailles, 2015, p. VII-XIX. Voir Jack Eby, François Giroust (1737-1799): Composer for Church, King and Commune. Life and Thematic Catalogue, Hildesheim, Olms, 2018, p. 2-32. Voir L’Impromptu d’Aiguillon. Divertissement. mis en musique par le Sr. Audibert maître de musique de la Collégiale St Surin, et de l’Academïe de Bordeaux. Dédié A Madame la Duchesse d’Aiguillon [1737], Agen, Bibliothèque municipale, FP MS 56. Voir André Gouirand, La Musique en Provence et le Conservatoire de Marseille, Marseille, Ruat ; Paris, Fischbacher, 1908, p. 122 ; et Jeanne Cheilan-Cambolin, « L’Académie de Musique ou le Concert de Marseille, 1719-1793 », La Musique dans le midi de la France, XVII e-XVIII e siècles : colloque… Villecroze, 1994 : actes, éd. François Lesure, Paris, Klincksieck, 1996, p. 63. Voir Léon Lefebvre, Le Concert de Lille, Lille, Lefebvre-Ducrocq, 1908 p. 29. Voir aussi, pour Nancy, l’article de René Depoutot dans ce volume, p. 221-241.

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harmonique après 1741 20. En plus de ces quelques cas bien renseignés, il existe des présomptions en faveur de plusieurs autres maîtres qui ont sans doute cumulé les deux fonctions 21. LA RÉALITÉ DU MÉTIER Comprendre les motivations qui poussèrent les maîtres de musique d’Église à intégrer les institutions de concert, à les quitter, ou à cumuler deux emplois à l’Église et au concert, implique de cerner la réalité du travail dans toutes ses composantes, pratiques, économiques, symboliques et, au-delà, d’envisager plus largement le fonctionnement des institutions de concert. Les contrats d’engagement de maîtres de musique révélés par les nombreux travaux consacrés aux maîtrises d’Ancien Régime désignent ceux-ci sous un nombre réduit d’appellations. À la tête de la maîtrise et chargé de l’éducation des enfants, le maître est le plus souvent désigné sous les termes de maître de musique ou maître des enfants, et, plus rarement, par celui de maître de chapelle 22. Cette relative sobriété terminologique, comparée notamment à la grande diversité des appellations qui désignent le personnel composite des autres membres du bas chœur, reflète à la fois la conscience d’un métier appuyé sur plusieurs siècles de tradition et, globalement, la parenté des charges associées à la fonction d’une institution ecclésiale à l’autre, même si les différences liées aux spécificités liturgiques et cérémonielles sont nombreuses. Il n’en est pas de même dans le cas des académies de musique et des concerts, particulièrement au cours de la première moitié du XVIIIe siècle, où il ne semble pas exister de correspondance systématique entre l’appellation et les fonctions. En effet, les rares sources qui nous renseignent sur leur organisation administrative nous montrent à la fois que le maître de musique peut être chargé de fonctions différentes selon les institutions et les époques, mais aussi que des musiciens engagés sous d’autres appellations assurent, en totalité ou en partie, les fonctions de ce que nous appelons un maître de musique. L’idéal académique, qui a porté l’essor du concert public en province, au moins jusqu’à la fin des années 1740, repose sur l’amateurisme musical. Les règlements mettent en évidence le processus d’institutionnalisation du loisir aristocratique à travers la différence entre les académiciens qui appartiennent aux élites urbaines et qui paient pour la musique, et les gagistes, musiciens instrumentistes ou chanteurs rémunérés par l’académie. La plupart des règlements des académies de musique ne

20. 21. 22.

Voir François Lesure, Dictionnaire musical des villes de province, Paris, Klincksieck, 1999, p. 64, art. « Annecy ». Cette académie fut créée en 1741. On citera, par exemple, le cas de Louis Clavis, dans Benoît Michel, op. cit., vol. 3, p. 75. Voir Jean-Jacques Rousseau, « Maistre de chapelle », Dictionnaire de musique [1768], dans Œuvres complètes, vol. V : « Écrits sur la musique, la langue et le théâtre », Paris, Gallimard, p. 881. L’article renvoie à « Maistre de musique » dans lequel Rousseau précise que l’emploi du terme « maître de chapelle » est utilisé en Italie et « commence à passer aussi en France ».

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font aucune référence au recrutement d’un maître de musique. L’organisation administrative des concerts est confiée à des commissaires, tous académiciens. Parmi eux, quelques amateurs sans doute plus passionnés et plus compétents sont chargés de l’organisation musicale des concerts. Parfois dotés du titre spécifique de sous-directeur, secrétaire, syndic, ou inspecteur, ils veillent, seuls ou à plusieurs, au choix de la musique, à l’attribution des rôles, à l’achat, la copie et la gestion des partitions. Il existe de nombreuses variantes entre les statuts conservés des différentes académies mais le principe selon lequel ce que nous appellerions la direction artistique et musicale est toujours dévolue à des académiciens, membres de l’équipe dirigeante du concert, est caractéristique du fonctionnement académique. À titre d’exemple, parmi les trente-huit articles des statuts de l’Académie de Lyon, seul le sixième évoque, dans une formule lapidaire, les modalités de l’exécution de la musique – « L’Inspecteur sera chargé du détail des exercices de l’Académie » –, l’inspecteur figurant parmi les dix officiers de l’académie 23. Mais on pourrait citer également des règlements dans lesquels ces responsabilités, notamment lorsqu’elles regardent le contrôle des gagistes, sont plus détaillées 24. Les rares références à la fonction de maître de musique dans ces règlements montrent que celui-ci était totalement inféodé aux commissaires, soit qu’il les accompagnât dans les tâches organisationnelles, comme le montrent ces trois articles, le premier, tiré du règlement de l’Académie de musique de Bordeaux, le second de celle de Dijon et le troisième de celle de Toulouse : Article IX. Les deux Commissaires directeurs des Concerts auront l’administration de tout ce qui concerne la Musique ; Ils choisiront celle qui devra être executée, regleront la partie que devra faire chacun des Concertants, & ce, de concert avec le Maître de Musique autant qu’il se pourra, & generalement tout ce qui leur semblera utile pour le bon ordre du Concert ; ils distribueront aussi à la fin de chaque Concert la marque aux Gagistes qui s’y seront trouvez, & pointeront ceux qui auront manqué de s’y rendre, dont ils donneront avis tous les mois au Commissaire Secretaire 25. Article XXII. Le secrétaire se chargera du registre des souscriptions et des délibérations, tiendra par inventaire les meubles de l’Académie, les livres et papiers de musique, pour les distribuer et les retirer exactement des mains du maître de musique […] 26.

23. 24.

25. 26.

Léon Vallas, Un siècle de musique et de théâtre à Lyon, 1688-1789, Lyon, P. Masson, 1932, p. 175. Les règlements de l’Académie de musique de Strasbourg, en 1731, précisent ainsi à l’article IV : « L’Inspecteur entrera dans tous les détails qui concerneront l’execution de la Musique, indiquera les choses qui devront être concertées & distribuera les Rôles qui seront donnés assez à l’avance, pour que ceux ou celles à qui on les destinera puissent en être seûrs ». Voir les Statuts et règlemens de l’Académie de musique etablye à Strasbourg, Strasbourg, Guillaume Schmouck, 1731. Le règlement de l’Académie de Dijon établi en 1728 précise à l’article XIX : « Les syndics de l’orchestre ordonneront tout ce qui concerne l’exécution du concert et la distribution des rôles, recevront les plaintes des musiciens, dont ils feront leur rapport à l’assemblée des directeurs pour y être pourvu, veilleront à ce que tous les musiciens fassent leur devoir, à peine d’être privé sur leurs pensions des sommes qui seront arbitrées par la direction, suivant l’exigence des cas, sans espérance d’aucune grâce à cet égard », cité par Joëlle-Elmyre Doussot, Musique et société à Dijon au siècle des Lumières, Paris, H. Champion, 1999, p. 213. Reglemens pour servir a l’Academie de musique de Bordeaux, Bordeaux, s.n., 1727, p. 5. Voir Joëlle-Elmyre Doussot, op. cit., p. 215.

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Article VIII. Fonctions des Commissaires de la Musique. Les Commissaires de la Musique choisiront seuls les Concerts qu’on devra executer, feront copier les Parties nécessaires, seront chargez seuls de la distribution des Rolles, veilleront au bon ordre de l’Orchestre […] 27.

soit qu’il prît en charge l’éducation musicale de sujets susceptibles d’entrer au service de l’académie comme musicien gagiste : Article XXIX. S’il se trouvoit des sujets dans la ville qui par leur voix pussent être utiles à l’Académie, et qui fussent hors d’état de pouvoir payer des maîtres, l’Académie leur en donnera à ses dépens. Elle choisira même dans le nombre de ses Musiciens ceux qui seront les plus habiles pour les enseigner : ils rendront compte aux Directeurs des talents & du progrès des Ecoliers qui leur seront confiés. Le choix de ces Sujets se fera à l’Assemblée des Directeurs 28. Article XV. Pour faciliter le desir que peuvent avoir plusieurs Familles de cette Ville, de faire apprendre la Musique à leurs Enfans, il sera entretenu aux frais du Concert un Maître de Musique qui tiendra son Ecole trois fois la semaine, depuis huit heures du matin jusqu’à midy, dans un lieu choisi par les Sous-Directeurs […] 29.

On voit bien que ces tâches d’enseignement sont totalement distinctes de celles qui concernent la direction de l’exécution musicale et la composition. Le terme de maître de musique, communément utilisé par la musicologie mais rare dans les sources datées des premières décennies du XVIIIe siècle, désigne donc un professionnel qui fait fonction de répétiteur et de batteur de mesure : il a peu l’occasion de composer, il ne choisit pas le répertoire de l’institution et rarement les musiciens avec lesquels il travaille 30. Le contrat que signe Paul Villesavoye lors de son recrutement à l’Académie des Beaux-Arts de Lyon en 1726 est, à ce titre, tout à fait éloquent. Il n’y est fait mention d’aucune obligation ou même possibilité de composer, même si l’on sait que des œuvres de Villesavoye ont été données à l’Académie de musique de Lyon : Je soussigné, Paul Villesavoye, maître de musique, offre à Monseigneur l’Archevêque et à Messieurs les officiers de l’Académie des Beaux-Arts établie en cette ville par lettres patentes du Roy de battre la mesure dans le concert qui s’exécute un jour de chaque semaine dans leur salle de la place des Cordeliers, comm’aussi de me trouver aux

27. 28. 29.

30.

Reglemens de l’Académie de Musique de Toulouse, s.l.n.d., p. 2. Statuts et reglemens de l’Academie de Musique etablie à Nancy. Par Lettres patentes de son Altesse Royale, Nancy, JeanBaptiste Cusson, 1731. Reglement du Concert de Lille, Lille, Charles-Maurice Cramé, 1733. Voir aussi Reglemens de l’Académie de Musique de Toulouse, s.l.n.d., article IX, p. 3 : « Les Commissaires-Censeurs seront chargez de pointer exactement les Musiciens qui n’auront pas pris leur place dans l’Orchestre avant cinq heures. Ils veilleront aussi à l’assiduité des Maîtres que l’Académie donne aux Eleves, & feront les Mandemens pour leur payement. » Cas exceptionnel, les officiers de l’Académie de musique de Marseille reconnaissent explicitement à leur maître de musique une expertise dans le domaine de la composition : « MM. les Musiciens qui désirent faire exécuter au Concert quelques pièces de leur composition seront obligés de les présenter au Maître de Musique », dans Règlemens de l’Académie de musique de Marseille, Marseille, J. B. Boy, 1722 ; cité par Humphrey Burton, « Les Académies de musique en France au XVIIIe siècle », Revue de musicologie, XXXVII (décembre 1955), p. 143.

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Réglemens des concerts qui se font chaque mois, de visiter quand il sera nécessaire les académiciens et académiciennes qui auront besoin de mon ministère pour pouvoir répéter et exercer ce qu’ils auront à exécuter, et généralement de faire tout ce qui dépendra de moi pour la plus grande perfection des concerts. J’offre encore d’assister et de battre la mesure aux répétitions qui seront ordonnées par Messieurs les officiers, d’avoir soin et de répondre en mon propre et privé nom des partitions, des copies tant d’opéra que de motets qui me seront remis par le bibliothécaire, dont je me chargerai par écrit à mesure qu’elles me seront remises 31.

Le titre de maître dont se prévaut Villesavoye apparaît davantage justifié par le professorat qu’il exerce auprès des académiciens que par sa participation limitée à l’exécution musicale au sujet de laquelle il se situe, qui plus est, dans une relation d’infériorité sociale vis-à-vis de la plupart des exécutants. On voit tout ce qui distingue sa fonction de celle d’un des deux fondateurs de l’Académie de musique en 1713, Nicolas-Antoine Bergiron du Fort-Michon, fils d’un avocat au Parlement de Paris, luimême licencié en droit, qui consacra une grande partie de sa vie à la collection musicale de l’Académie de musique et composa ou arrangea de nombreuses œuvres pour les concerts. Selon le Mercure de février 1730, il « conduisit le concert pendant six années entières avec autant de succès que s’il était musicien de profession » 32, ce qui peut s’entendre aussi bien, et non exclusivement, de la direction artistique ou de celle de l’orchestre 33. Quoi qu’il en soit, il faisait partie des dix officiers du concert mentionnés par les statuts, probablement au titre de bibliothécaire, mais aussi d’inspecteur, dans la mesure où il s’agissait de nominations renouvelées annuellement 34. Presque vingt ans après, le contrat d’engagement de Lemyre au Concert de Moulins en 1745, qui lui incombe de « tenir le baton au concert et former autant qu’il dependra de lui les sujets recitants du concert pour l’execution des parties qui leur seront confiées » 35 relève d’une même conception de la fonction. Dans d’autres cas, le maître de musique semble se confondre avec le premier violon ou tout autre instrumentiste auquel est confiée la direction de l’exécution musicale, ce que ne faisait jamais un maître de musique d’Église 36. Le contrat d’engagement de Jacques-Joseph 31. 32. 33. 34.

35. 36.

Lyon, Archives municipales, 3GG 156, p. 3. Mercure de France, février 1730, p. 335. Nicolas-Antoine Bergiron du Fort Michon est couramment cité comme maître de musique de l’Académie de Lyon dans les travaux musicologiques mais aucune source ne lui donne ce titre. D’après Léon Vallas, Bergiron fut nommé bibliothécaire perpétuel en 1755. Voir, La Musique à Lyon au XVIIIe siècle. Tome I : La Musique à l’Académie, Lyon, Éditions de la Revue Musicale de Lyon, 1908, p. 150. Sur ses activités de copiste, d’arrangeur et de compositeur au sein de l’Académie de Lyon, voir Bénédicte Hertz, Le Grand motet dans les pratiques musicales lyonnaises (1713-1773). Étude des partitions et du matériel conservé à la bibliothèque municipale de Lyon, thèse de doctorat, Université Lumière-Lyon 2, 2010 ; « La réception de l’œuvre de Campra en province : l’exemple de Lyon », Itinéraires d’André Campra : d’Aix à Versailles, de l’Église à l’Opéra (1660-1744), éd. Catherine Cessac, Wavre, Mardaga, 2012, p. 139-149 ; « Bergiron de Briou du Fort-Michon (1690-1768) et la bibliothèque musicale du Concert de Lyon », Collectionner la musique : au cœur de l’interprétation, éd. Denis Herlin, Catherine Massip et Jean Duron, Turnhout, Brepols, 2012, p. 181-198. Moulins, Archives municipales, n° 400, Registre des délibérations tant générales que particulières de l’Académie de musique établie par M. Pallu intendant de la généralité de Moulins, 1736-1776, f. 27. C’était certainement le cas de Mondonville en tant que premier violon au Concert de Lille.

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Audibert à l’Académie de musique de Carpentras en 1749 précise que celui-ci devra « faire exécuter les musiques qui luy seront ordonnées et fournies par Monsieur le Directeur ou Commissaire de l’orchestre, et de jouer du violon dans les grands concertos »37. Quoi qu’il en soit, en dépit de la variété des situations en ce qui concerne la répartition de l’ensemble des tâches qui président à l’exécution musicale, il n’existait au sein des Académies de musique aucune fonction qui concentrât l’ensemble de ces tâches et qui puisse être comparable à celle de maître de musique d’Église. Du strict point de vue de l’intérêt du métier, le concert offre cependant au musicien d’Église de nombreuses opportunités pour faire jouer et, éventuellement, composer de la musique profane. En revanche, sa marge de manœuvre, telle qu’elle apparaît dans les statuts et les contrats conservés, apparaît moindre, essentiellement en ce qui concerne le recrutement des musiciens placés sous sa direction ou le choix du répertoire, même si certains chapitres contrôlaient plus que d’autres les activités musicales de leur maître de musique. Il semble que, parallèlement à l’affaiblissement de l’idéal académique qui réglait les premiers concerts et au moindre investissement musical des promoteurs du concert aux profits de musiciens gagistes, la fonction du maître de musique ait été plus valorisante dans les dernières décennies du XVIIIe siècle et qu’il leur ait été conféré plus d’autonomie, notamment dans le domaine de la composition. Du moins, peut-on constater que la réputation de plusieurs sociétés de concerts de la fin du XVIIIe siècle reposait davantage sur l’excellence et la renommée de leur maître de musique, à l’image des concerts du Musée de Bordeaux, dirigé par Franz Beck, ou du Concert d’Orléans dirigé par François Giroust 38. Deux autres critères apparaissent essentiels dans le choix des musiciens d’Église de se tourner vers le concert. Le premier concerne la dimension économique du métier. La thèse récente d’Aurélien Gras a mis en évidence le déséquilibre des salaires parmi le personnel gagiste des concerts établis en Provence et dans les États pontificaux rhodaniens au XVIIIe siècle. Ce déséquilibre s’établit au profit des chanteurs, et particulièrement des chanteuses. Les données partielles concernant d’autres territoires, rassemblées à partir des travaux et des sources publiées, confortent ce résultat. Plusieurs facteurs placent cependant une étude comparative des rémunérations des maîtres de musique d’Église et de concert hors du champ de cet article. Le premier concerne l’absence, déjà évoquée, d’une nomenclature normalisée du personnel musical des académies et la difficulté à cerner la diversité des situations. Le second résulte de l’absence d’étude sérielle, dans un cas comme dans l’autre, et de la difficulté à soumettre les données éparses déjà récoltées à une grille de lecture systématique. Enfin, le fait que

37. 38.

AD Vaucluse, 3 E 26, 2233/2, f° 187. Cité partiellement par Georges Escoffier, op. cit., p. 786 et mentionné dans Aurélien Gras, op. cit., p. 291. Voir Patrick Taïeb, Natalie Morel-Borotra et Jean Gribenski (dir.), Le Musée de Bordeaux et la musique, Mont Saint-Aignan, Publications des Universités de Rouen et du Havre, 2005 ; Jack Eby, op. cit., p. 29-35.

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les gages dévolus aux maîtres de musique ne constituent pas la totalité de leur rémunération, qui peut être augmentée de gratifications exceptionnelles et d’avantages en biens matériels et en commodités, fragilise l’enquête. Sans doute moindre que dans le cas des musiciens d’Église, ces gratifications et avantages existent également pour les maîtres de musique des académies qui pouvaient parfois profiter d’un logement ou bénéficier des largesses des académiciens auxquels ils donnaient des cours. Quelques exemples permettent de montrer la diversité des situations et la difficulté à établir des critères communs nécessaires à une approche comparative. Le contrat d’engagement de Villesavoye en 1726 à l’Académie de Lyon prévoit des gages annuels de 1 800 livres, mais le recrutement concerne le musicien et sa femme chanteuse, et implique toute une série d’obligations. J. Vieillard touche 500 livres de gages annuels de l’Académie de musique de Moulins en 1744, « pour faire exécuter et battre la mesure au concert en qualité de maître de musique » 39. L’engagement déjà évoqué de Lemyre à l’Académie de Moulins l’année suivante promet 600 livres par an. Au concert d’Aix, Barrière est rétribué 300 livres annuelles en 1756 « pour chanter, accompagner, jouer de la basse et faire executer suivant l’exigence des cas » 40. Dans la plupart des cas, on ne sait pas à quelles charges correspondent les gages annuels, ce qui rend toute comparaison fragile. En 1726, Chapin Dubreüil est engagé en tant que maître de l’Académie de musique de Pau pour 200 livres par an 41. Dix ans plus tard, la même Académie recrute comme maître de musique Carville pour 300 livres par an 42 ; Charles Desrosiers perçoit 425 livres au Concert de Grenoble en 1743 43 et le maître de musique Florent reçoit 800 livres de gages du Concert de Montpellier en 1753 44. Ces écarts, sans doute fondés aussi sur une différence de prestige entre institutions, dessinent une fourchette qui va de 300 à 800 livres, tout à fait comparable à celle que couvrent les gages annuels des maîtres de musique d’Église. Le dernier critère est plus difficile à appréhender. Il concerne le bénéfice symbolique et social de l’engagement au concert et dépend du prestige associé à la fonction, de la nature des relations du maître de musique avec les académiciens et des opportunités d’intégration sociale créées par le rayonnement de l’institution. Là encore, aucune comparaison systématique n’est possible avec les maîtres de musique d’Église, dont les relations avec les chapitres étaient extrêmement variables. Les mesures coercitives prises à l’encontre de certains maîtres de musique du concert semblent indiquer que leur statut ne différait pas fondamentalement de celui du maître de musique d’Église, mais il s’agit de cas isolés et on peut faire l’hypothèse que le transfert 39. 40. 41. 42. 43. 44.

Moulins, archives municipales, n° 400, fol. 26. Aix-en-Provence, Bibliothèque municipale, Registre des délibérations de l’Académie de musique, ms 1633, p. 7. Victor Dubarat, « L’Ancienne académie royale en Béarn. L’académie de musique. L’Académie des sciences et des beaux-arts. 1718-1789 », Étude d’histoire locale et religieuse, Pau, Ribaut, 1889, tome 1, p. 151. Voir Lionel de La Laurencie, op. cit., p. 65. Georges Escoffier, op. cit., p. 16. AD Hérault, Estast des fraix du concert, pour le 1er mars 1753, C 1112.

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progressif des compétences musicales « nobles » – composition et programmation – des amateurs aristocrates vers le maître de musique ait contribué à la valorisation de son statut social et à son épanouissement musical. C’est d’ailleurs ce que tend à prouver la demande qu’adresse en 1742 l’abbé Guerry, chanoine et maître de musique de la collégiale de Moulins, afin de continuer à servir comme maître de musique au Concert de Moulins « sans appointements, ny rétribution » 45. L’intérêt d’un transfert de l’église vers le concert, ou l’inverse, nécessitait de la part du maître de musique de prendre en compte, outre les gages annuels contractuels, toute une série de critères dont une partie ne pouvait être appréhendée en amont qu’à travers le conseil de ses pairs mais qui, le plus souvent, s’éprouvaient dans l’exercice du métier 46. Il est probable que la difficulté que nous avons à prendre en compte la réalité du métier de maître de musique en fonction de situations aussi variées ait été éprouvée également par les maîtres de musique de l’époque, ce que tend à démontrer l’extrême mobilité de certains parcours déjà évoqués. L’IMPORTANCE DU CONTEXTE LOCAL Une grande enquête reste à mener sur la participation du clergé, et particulièrement des chanoines, à l’académisme musical et, plus généralement, au concert public. On sait que certaines académies ont compté très tôt des chanoines parmi leurs officiers et que des ecclésiastiques de différents ordres ont pris part aux exécutions musicales, mais on connaît mal l’ampleur du phénomène et sa répartition dans le temps et l’espace. Le contexte local et la qualité des relations entre les élites du concert et les élites ecclésiastiques conditionnaient les échanges entre les maîtrises et les institutions de concert. Avant même d’envisager l’intérêt social et économique que pouvait représenter un recrutement au concert, le maître de musique d’Église devait s’assurer de l’accord de son chapitre, accord qui dépendait en premier lieu de la qualité des relations que les chanoines entretenaient avec les officiers du concert pour lequel il souhaitait travailler. À l’échelon supérieur, la position des évêques, qui avaient les moyens de faire pression sur les chapitres, ne devait pas être négligée. En effet, la question de la valeur morale et éducative du concert a été très diversement appréciée tout au long du XVIIIe siècle. Des évêques et des chapitres lui ont été très favorables dès la création des premières académies de musique, comme le montrent les statuts de l’Académie de Bordeaux qui prévoyaient en 1727 l’entrée au concert sans billet à l’archevêque de la ville, ou les registres conservés de l’Académie de musique de Moulins qui mentionnent les prêtres, chanoines et enfants de chœur sollicités pour les concerts. D’autres y 45. 46.

Moulins, Archives municipales, n° 400, f. 24. Voir, par exemple, les arguments déployés par Auguste Vignot, maître de musique de la cathédrale de Tours, pour faire venir Jean-Baptiste Broquerie, alors à Bordeaux. Voir Broquerie, Jean-Baptiste (ca 1735-1797), dans MUSÉFREM - Base de données prosopographique des musiciens d’Église au XVIIIe siècle, consultée le 23 septembre 2019. https://philidor.cmbv.fr/ark:/13681/1hdkx5xyrvgnzebqi6j6/not-555211.

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furent systématiquement hostiles et ce jusqu’aux dernières décennies du XVIIIe siècle 47. Divers registres capitulaires consignent les récriminations du chapitre contre les musiciens d’Église qui fréquentent le concert, voire s’y produisent, mais aussi contre les maîtres de musique qui s’y rendent, parfois accompagnés des enfants de chœur. Les motivations diverses, pratiques ou personnelles, pèsent souvent sur ces positionnements pour ou contre, mais la principale ligne de fracture est liée à un ensemble de prises de position dans le cadre de la querelle janséniste autour de la réception de la bulle Unigenitus et souligne l’importance du point de vue des évêques. Trois exemples antinomiques mettent en évidence l’incidence du contexte local. Le premier concerne la participation massive et exceptionnelle du clergé local et des enfants de chœur de la collégiale au concert de Moulins au regard de la situation particulière de la cité. Capitale de la province de Bourbonnais, elle-même partagée entre les diocèses de Nevers, Autun, Bourges et Clermont, Moulins était située aux confins du diocèse d’Autun dont elle dépendait, ce qui lui conférait une certaine indépendance par rapport au pouvoir épiscopal. À l’inverse, les évêques de Montpellier et de Marseille, deux villes dont les concerts avaient acquis une grande réputation, sont au cœur des différends que suscite la question de la moralité du concert et en illustrent bien les enjeux et les conséquences sur les musiciens d’Église, notamment les maîtres de musique. En 1718, l’évêque de Marseille, Henri-François-Xavier de Belsunce, publia un Mandement contre les appels qui suscita la réaction du Parlement de Provence, très favorable au jansénisme, sous la forme de deux arrêts, l’un condamnant au feu le Mandement, l’autre ordonnant la saisie temporaire du temporel de l’évêché de Marseille. Suite à la requête en cassation présentée par l’évêque de Marseille au Parlement de Paris, un auteur anonyme publia en 1720 un pamphlet accusateur contre lui, les Illusions, les calomnies, et les erreurs de Monseigneur l’Evêque de Marseille démontrées, dans lequel il était notamment accusé d’avoir célébré une messe pour l’établissement de l’Académie de musique, qui s’était terminée par une bénédiction solennelle « [d]es académiciens et [d]es acteurs » 48. Le renouvellement de l’accusation, enrichi d’une longue citation des Illusions dans l’ouvrage intitulé Histoire du livre des réflexions morales sur le nouveau Testament et de la constitution Unigenitus 49 relança la querelle et entraîna la publication d’une réponse par l’évêque de Marseille, dans laquelle celui-ci se justifiait ainsi : Voicy le fait, Mgr., dont il prend occasion de parler de moy avec si peu de moderation & si peu de verité. Il est de mon interest de vous en instruire, afin que vous jugiés si j’ay merité de pareilles invectives. 47. 48. 49.

Encore en 1769, le chapitre cathédral de Saint-Malo « deffend absolument aux musiciens d’assister aux concerts publics sous peine d’exclusion », AD Ille-et-Vilaine, 1 G 266, 29 oct. 1769. Je remercie Sylvie Granger de m’avoir signalé ce document. Les Illusions, les calomnies et les erreurs de Monseigneur l’Evesque de Marseille démontrées : ou justification des differens Arrêts du Parlement de Provence rendus contre ce Prélat, s.l., s.n., 1720, p. 169. [Jean-Baptiste Cadry], Histoire du livre des réflexions morales sur le nouveau Testament et de la constitution Unigenitus, Amsterdam, Potgieter, seconde partie, 1730, p. 224.

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Des personnnes des plus considerables de Marseille, plusieurs même d’une piété exemplaire, crurent qu’un Concert de Musique, formé à peu près dans le même esprit que l’est le Concert spirituel de Paris, feroit icy un très-bon effet, qu’il y seroit un amusement honnête & innocent pour les personnes distinguées du commun, qu’il contribûroit plus que toute autre chose à faire tomber les Opera & les autres Spectacles profanes reprouvés par l’Eglise, & qui de tous les temps ont été dans cette Ville la source de bien des desordres & de bien des scandales. Ils espererent même que cet établissemen feroit cesser, ou diminuer au moins, des jeux excessifs que la Loy de Dieu & celle du Prince ont proscrit. […] Cet établissement etant fait dans d’aussi pieuses intentions, & avec toutes les précautions nécessaires pour le conserver toûjours dans une exacte regularité, les personnes de consideration qui avoient été choisies pour en être les premiers Directeurs, penserent qu’il étoit de leur pieté, & qu’il étoit convenable, pour faire connoître l’esprit dans lequel on faisoit ce nouvel établissement, de commencer par une action de Religion. Ils me prierent d’aller à cet effet dire la Messe dans l’Eglise des Carmes déchaussés, dont ils avoient eux-mêmes fait le choix, & que ces Religieux, très-reformés en effet, ne se firent, & ne se sont jamais fait depuis, dans d’autres occasions, aucun scrupule de leur prêter. S’il y eût des billets imprimés pour annoncer cette Ceremonie, je l’ignore ; mais en verité mes Messes & mes fonctions ne sont pas assez rares pour que l’on s’avise de les annoncer de la sorte. Je prétai sans peine aux désirs édifians de Messieurs les Commissaires du nouveau Concert, je me rendis aux Carmes déchaussés, j’y célebrai la Messe, comme je l’ai fait plusieurs fois pour les ouvertures de l’Académie des belles lettres. Pendant la Messe on chanta un motet, & à la fin du Te Deum, selon l’usage, je donnai la Benediction, non à des Academiciens volupteux, & à des Acteurs d’Opera, qui étoient positivement exclus du Concert, mais à tout ce qu’il y avoit alors dans Marseille de personnes distinguées par leur naissance et par leur probité 50.

Un article des Nouvelles ecclésiastiques, daté du 1er janvier 1733, reprend l’essentiel de ces faits dans une diatribe à charge contre l’évêque de Marseille et enfonce le clou en concluant l’article par un extrait d’une lettre non publiée du célèbre évêque janséniste de Montpellier, Joachim Colbert de Croissy, dans laquelle celui-ci dénonce « l’abus de la religion » et « le triomphe pour les libertins » que représente l’action de son confrère 51. Il est intéressant de constater que quelques mois plus tard, en novembre 1733, suite au scandale qui avait éclaboussé un enfant de chœur qui participait à un concert donné par l’Académie de musique de Montpellier, Colbert de Croissy avait d’abord défendu au chapitre cathédral de mener les enfants de chœur au concert, avant d’étendre cette interdiction à tous les musiciens du chapitre. Cette interdiction fut très mal reçue par une partie du chapitre qui, en dépit d’une apparente soumission aux injonctions de Colbert de Croissy, refusa d’intervenir auprès des musiciens du chapitre. Il est probable que cette querelle n’eût pas pris une dimension publique si l’affaire du concert de Marseille, qui datait de plus de dix ans, n’avait pas été ravivée par Jean-Baptiste Cadry en 1730 et si Jean-Baptiste Colbert n’avait pas publiquement 50. 51.

Belsunce, Henri-François-Xavier de, Lettre de M. l’eveque de Marseille a M. l’eveque duc de Laon, Marseille, J. P. Brebion, 1732, p. 3. Nouvelles ecclésiastiques, « De Marseille, le 1er janvier », 1733, p. 39.

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désapprouvé son collègue. Quoi qu’il en soit, les deux avertissements de Colbert à son chapitre furent publiés à Paris ; le chapitre publia de son côté les délibérations votées contre son évêque et l’affaire suscita plusieurs articles des Nouvelles ecclésiastiques. L’un d’eux cite nommément les ennemis de l’évêque pour mieux souligner la division du chapitre et le scandale que représentaient, selon les rédacteurs du périodique, les arguments des défenseurs du concert. Le premier avertissement, daté du 13 mars 1734, déploie tous les lieux communs de l’argumentaire janséniste en opposant systématiquement le monde profane et corrompu du concert, assimilé à un spectacle de théâtre ou d’opéra, et celui de Dieu, auquel devraient aspirer ses coreligionnaires 52. Le second avertissement, plus polémique, fut porté au chapitre le 3 novembre de la même année 53. Il dénonce l’hypocrisie des chanoines qui ont paru se ranger aux raisons invoquées par l’évêque mais ont laissé le scandale perdurer. Aucun des deux ne fait spécifiquement référence au maître de musique de la cathédrale et le second nous apprend même que l’évêque avait chargé le sous-chantre, et non le maître de musique, de transmettre l’interdiction aux musiciens. L’affaire montre cependant qu’au-delà du bon-vouloir des chapitres, la possibilité même d’une interaction entre les institutions religieuses et les sociétés de concert dépendait d’enjeux moraux, théologiques et politiques qui pesaient sur l’ensemble des membres du personnel ecclésiastique du royaume, du bas clergé jusqu’aux archevêques. En dépit de nombreuses zones d’ombre, quelques constats peuvent être dressés à l’issue de cette étude. Le premier concerne la grande variété des situations que connaissent les maîtres de musique d’Église par rapport au concert. Nombreux sont ceux qui mènent toute leur carrière sans jamais y travailler, d’autres passent de l’un à l’autre ou cumulent les deux fonctions. Cette variété s’explique avant tout par la grande diversité des situations locales même si les opportunités de travailler conjointement pour une maîtrise et une académie de musique ont principalement concerné des maîtres recrutés par les églises métropolitaines ou les collégiales de grandes villes telles Bordeaux, Marseille, Lille, Nancy, Orléans ou Reims. Le second concerne la difficulté à cerner les contours du métier de maître de musique du concert, non seulement parce que le terme recouvre des conditions d’exercice et des charges différentes, mais aussi parce que les charges et les fonctions que nous considérons comme étant celles d’un maître de musique, sont souvent réparties entre plusieurs personnes de statuts très différents au sein de l’organisation académique. Dans les débuts de l’académisme musical, les fonctions de programmation et de composition sont souvent dévolues à des officiers académiciens alors que la direction de l’exécution musicale est confiée à 52. 53.

I. avertissement de Monseigneur l’Evesque de Montpellier, addressé au chapitre de sa cathedrale, pour le porter à reformer un abus introduit depuis quelque tems parmi les Musiciens de cette Eglise, dans Les Œuvres de Messire Charles Joachim Colbert evesque de Montpellier, Cologne, Aux dépens de la Compagnie, 1740, p. 807-809. II. avertissement de Monseigneur l’Evesque de Montpellier, addressé au chapitre de sa cathedrale, pour le porter à reformer un abus introduit depuis quelque tems parmi les Musiciens de cette Eglise, dans Les œuvres de Messire Charles Joachim Colbert evesque de Montpellier, Cologne, Aux dépens de la Compagnie, 1740, p. 811-822.

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LE MAÎTRE ET LE CONCERT

un gagiste, parfois instrumentiste, chargé souvent aussi de l’éducation musicale des chanteurs et des instrumentistes, gagistes ou académiciens. Les rares cas où les maîtres de musique d’une académie bénéficient d’une autonomie dans la programmation et la composition deviennent plus fréquents au fur et à mesure de l’affaiblissement de l’idéal académique et du recours généralisé à des musiciens gagistes. Le maître de musique d’Église qui souhaitait orienter sa carrière vers le concert devait donc prendre en considération toute une série de critères. Outre la définition précise des charges qui devaient lui être confiées et des conditions économiques afférentes, gages et avantages en nature, il devait aussi tenir compte de la dimension symbolique et sociale de sa nouvelle fonction. La diversité des situations locales rendait cette tâche complexe et l’on peut penser que la difficulté que nous avons à mettre en balance différents emplois de maître de musique d’Église et de concert, était en partie partagée par les maîtres de l’époque. Quoi qu’il en soit, la conception d’une ouverture progressive des maîtrises au monde profane qui aurait permis à un nombre croissant de maîtres de musique d’Église de travailler simultanément pour le concert est à nuancer, à la fois d’un point de vue chronologique et spatial. Les divergences dans le jugement moral porté sur le concert reposent sur une différence d’appréciation de son statut, soit qu’on l’associe à un spectacle et qu’on le rapproche de l’opéra et du théâtre, soit qu’on y voit un plaisir utile, dans la perspective platonicienne de l’union du beau et du bien, susceptible d’éloigner la jeunesse du jeu et des dérèglements. Dans ce dernier cas, le concert a pu être considéré par les autorités ecclésiastiques comme un substitut souhaitable à l’opéra qui suscite une opposition ferme et constante de la part du clergé janséniste. De ce point de vue, il faut noter que l’affaiblissement de l’idéal académique a plutôt renforcé les oppositions, notamment parce que beaucoup de concerts ont organisé des bals pour renflouer leurs finances. Surtout, il est difficile de mesurer l’effet réel du positionnement des autorités ecclésiastiques à l’échelle locale. D’un côté, cet effet paraît peu prégnant dans l’exemple montpelliérain si l’on s’en tient à l’efficacité toute relative des interventions de Colbert de Croissy ; de l’autre, on ne peut mesurer ni la part d’autocensure au sein des chapitres qui dépendaient d’évêques hostiles au concert, ni la responsabilité des chapitres dans les cas d’absence de relations entre leur maître de musique et le concert local. En dépit de situations très diverses, de nombreux indices concordent pour montrer que les interactions furent nombreuses entre les chapitres et les concerts, qu’il s’agisse du recrutement de personnels ecclésiastiques par les institutions de concert, mais aussi de leur présence croissante au concert et des liens entre les répertoires. Au-delà de la participation des maîtres de musique d’Église au concert, on constate à quel point le concert a fondamentalement modifié l’exercice de leur métier, en quoi il les a incités à acquérir la maîtrise de nouveaux styles d’écriture, à se frotter à l’esthétique moderne à travers les nouveaux genres instrumentaux et profanes et à infléchir celle des genres religieux dont ils étaient les héritiers.

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LE MAÎTRE ET LE LIVRE

LE MAÎTRE ET SON ŒUVRE : LA NÉCESSITÉ D’UN CLASSEMENT, L’ESPOIR D’UNE PRÉSERVATION Jean DURON

La fermeture des églises de France durant la Révolution a eu pour conséquence indirecte la destruction de la quasi-totalité des fonds conservés dans les maîtrises capitulaires : outre les livres nécessaires à l’enseignement général, ces institutions conservaient des ouvrages théoriques et pédagogiques 1, des recueils de plain-chant, des partitions imprimées ou manuscrites de musique figurée, des lots de parties séparées, le tout de divers auteurs, ainsi que des instruments de musique. Parmi les partitions, se trouvaient bien sûr les ouvrages du maître en place, probablement rangés à part avec un ordonnancement particulier… Quelques répertoires anciens 2, aujourd’hui conservés, pour la plupart du XVIIIe siècle, témoignent de la richesse de ces collections obéissant à un classement rigoureux et fonctionnel qui permettait au maître de musique de retrouver rapidement sur les étagères d’une grande armoire la messe ou le motet – à chaque fois le conducteur et le matériel pour chaque musicien – qu’il devait faire chanter aux offices du lendemain. Pour avoir une idée concrète de ce que pouvaient être, pour la musique figurée, l’utilisation au quotidien d’un tel volume de papier réglé et son organisation, il est nécessaire d’analyser les différents types de documents dont disposait le maître et qu’il utilisait ou produisait. Comme on le verra plus loin, il doit, dès sa prise de fonction, dresser l’inventaire des partitions que lui ont laissées ses prédécesseurs. Chaque œuvre se présente sous deux états : une partition en grand format, généralement pliée et servant de chemise à un lot de parties séparées pour chaque interprète, chanteur ou instrumentiste. Ces documents peuvent être en bon ou en mauvais état, complets ou incomplets, utilisables ou non. Si le style et la qualité musicale lui conviennent, le maître pourra s’en servir à l’occasion, complétant le cas échéant de sa main les matériels défectueux.

1. 2.

Voir dans ce volume mon autre article, p. 361-380. Voir par exemple le cas remarquable de la maîtrise d’Arles, dont sont conservés des inventaires pour les années 1736, 1749 et 1760 ; cf. Marc Signorile, Musique et société : le modèle d’Arles à l’époque de l’absolutisme (1600-1789), Genève, Paris, Éditions Minkoff, 1993, p. 229-266.

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JEAN DURON

Lors de sa nomination, le maître apporte également son propre portefeuille de musique qu’il avait constitué au cours de ses précédentes fonctions ou, si c’est son premier poste, ce qu’il avait composé sous la houlette de son maître durant les dernières années de sa formation. Pour ces pièces dont il a pu laisser une copie dans les maîtrises précédentes et/ou dans la bibliothèque des chapitres qui l’ont employé, il dispose au moins avec lui d’une partition copiée rapidement, de parties séparées et peut-être d’une belle copie s’il a eu soin de réunir, comme nous le verrons plus loin, ses œuvres dans de beaux cahiers. Dans ses nouvelles fonctions, il s’attache à les faire jouer, du moins si elles conviennent aux effectifs musicaux de la cathédrale, à les arranger si besoin pour un effectif approprié, à les allonger ou raccourcir en fonction des souhaits du chapitre. Enfin, il en compose de nouvelles, ce qui peut lui être stipulé dans son contrat. Pour ces dernières pièces, les objets sont nécessairement plus nombreux : esquisses, brouillons, mises au propre, parties séparées, et éventuellement belles copies de la partition pour lui-même, pour une éventuelle édition, pour laisser une trace de son Grand Œuvre – s’il a entrepris de réunir l’ensemble de ses pièces – ou pour le commanditaire : à Toulouse par exemple, avant de les faire chanter, André Campra avait curieusement l’obligation de présenter ses œuvres au chapitre qui souhaitait en vérifier la durée 3 (on peut se demander comment ces Messieurs, pas forcément musiciens aguerris, pouvaient évaluer la durée de ces pièces sans les entendre). Les documents qui témoignent de cette activité sont extrêmement rares pour ce qui est des maîtrises de France. Les quelques informations disponibles permettent d’analyser différentes situations et les options de rangement prises par le maître, successivement pour les fonds musicaux que possède la maîtrise lorsqu’il prend ses fonctions, pour les rares fonds conservés aujourd’hui, pour ce qui reste de son activité compositionnelle. LE MAÎTRE ET LA BIBLIOTHÈQUE MAÎTRISIENNE L’inventaire réalisé en 1736 par Joseph Boudou, maître de musique de Saint-Trophime d’Arles de décembre 1735 à 1739, donne à voir la logique générale du classement des documents et témoigne en outre très concrètement de l’une des nombreuses tâches qui incombaient aux nouveaux maîtres dès leur prise de fonction 4. Il s’ouvre sur un premier ordre rassemblant un peu moins de 200 œuvres que l’on utilisait – ou que l’on pouvait encore utiliser – à cette époque, la plupart étant anonymes. Parmi les pièces dont le nom du compositeur est précisé, quelques-unes sont dues aux prédécesseurs 3.

4.

« Il ne pourra pas faire chanter aucune nouvelle musique ny motet qu’il ne l’ait auparavant montré à la compagnie », délibération capitulaire du 4 août 1691 (AD Haute-Garonne, LG 18), cité par Norbert Dufourcq, « Les chapelles de musique de Saint-Sernin et Saint-Étienne de Toulouse dans le dernier quart du XVIIe siècle », Revue de Musicologie, vol. 39, n° 115 (juillet 1957), p. 39. Signorile, op. cit., p. 229-242 ; le document est conservé aux AD Bouches-du-Rhône, IV G 62.

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LE MAÎTRE ET SON ŒUVRE

de Boudou : Jean Clavis qui ne dirigea la maîtrise qu’une seule année (fin 1724-1725) est de loin le plus représenté, son nom apparaissant pour dix-sept motets. Du prédécesseur immédiat de Boudou, le Parisien Charles Desrosiers, qui officia lui aussi à Saint-Trophime une année durant (fin 1734-1735), l’inventaire fait état de sept motets. Peut-être plus étonnant dans cette section d’œuvres potentiellement utilisables en 1736, la présence de motets de maîtres arlésiens plus anciens comme Alexandre de Villeneuve (à Arles de fin 1701 à 1707) pour trois pièces, Thierry (début 1697-1699) pour un motet et même Aubert (fin 1676-1678, puis mai 1685-1693) pour la seule messe des morts du registre. Quant à André Campra qui dirigea la maîtrise d’août 1681 à 1683, il figure dans cet inventaire pour six motets en symphonie, mais il est possible que plusieurs de ces pièces ne soient en fait que des copies d’œuvres composées bien plus tard lorsque le compositeur triomphait à Paris – c’est le cas des quelques motets en symphonie de Bernier, Lalande, Desmarest qui figurent dans la liste. Toutefois, nous ne connaissons aucune source parisienne du motet Usquequo Domine de Campra signalé ici. Ce psaume XII, mis en musique par Campra, est connu par une source aixoise 5 : l’œuvre nécessite un petit orchestre comportant seulement trois parties (violon, alto, basse) pouvant correspondre aux effectifs utilisés à Arles. Enfin, le nom de Boudou lui-même n’apparaît dans cette liste que pour trois motets, ce qui n’est pas vraiment étonnant puisqu’au moment où l’inventaire est achevé, le 12 mars 1736, le compositeur n’était à Arles que depuis moins de trois mois 6. Le classement de ce premier ordre propose douze rubriques ; en fait sept principales puisque la plupart font une distinction logique entre les œuvres « en symphonie » pour les grandes fêtes et les pièces « sans symphonie » : Messes en symphonie — sans symphonie Vêpres en symphonie — sans symphonie Motets en symphonie — des processions en symphonie — sans symphonies Petits motets en symphonie Hymnes pour toute l’année Antiennes de la Sainte Vierge et autres Semaine Sainte et le saint jour de Pâques Motets en symphonie oubliés d’être mis dans leur rang.

Ce type de classement permet donc au maître de musique de trouver aisément l’œuvre appropriée pour la cérémonie du jour. Pour chaque pièce, des mentions complémentaires lui donnent des précisions utiles : état du matériel (existence ou non de parties

5. 6.

Aix-en-Provence, Bibliothèque de l’Archevêché, FC ms IV 19. L’inventaire de la maîtrise du Puy-en-Velay établi le 1er mai 1754 lors de la prise de fonction de Louis Grénon est similaire, mais sans classement. Voir Bernard Dompnier (dir.), Louis Grénon : un musicien d’église au XVIII e siècle, Clermont-Ferrand, Presses Universitaires Blaise Pascal, 2005, p. 176-177, « État de la musique ».

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JEAN DURON

séparées), indication de la fête. Une base de travail complète que le maître pourra utiliser à sa guise ou compléter le cas échéant en composant une pièce appropriée au temps liturgique, à l’effectif dont il dispose ou dans un mode permettant un enchaînement correct avec le plain-chant. Un nouvel inventaire, réalisé en 1749, reprend le même ordre. Chaque rubrique correspond à un « portefeuille » numéroté et est scindée en deux grandes sections, « Musiques sans symphonie » et « Musiques avec symphonie », c’est-à-dire avec ou sans orchestre. Comme on le verra plus loin, le classement proposé ici par Boudou pour le fonds de la maîtrise d’Arles semble, somme toute, assez logique et les musiciens feront souvent de même pour leur œuvre personnel. Cette organisation correspond aussi à celle proposée par Sébastien de Brossard dans le catalogue du legs qu’il fit à la Bibliothèque royale, rédigé en 1725-1727 7. Les deux grandes sections de cet ouvrage distinguent les imprimés des manuscrits. Dans chacune d’entre elles, les œuvres musicales sont classées systématiquement en « pour le matin » ou « pour le soir » avec une sous-division relative aux formats des documents, particularité nécessaire au rangement final dans les rayons de la Bibliothèque royale. L’inventaire de Boudou se poursuit par plusieurs suppléments. Le premier rassemble les « Vieilles musiques du chapitre de la Sainte Église d’Arles », classées à peu près de la même manière. Parmi les quelques auteurs nommés, on trouve d’anciens maîtres du XVIIe siècle comme Aubert, déjà cité, mais aussi des musiciens plus anciens comme Marguaillan (à Arles de 1669 à 1676), Ambart qui lui succède quelques mois durant, des compositeurs de cités voisines comme Simian (Marseille) ou Guillaume Poitevin (Aix-en-Provence), ou encore plusieurs pièces vocales de l’organiste Jean Michel (à Arles à partir de 1692) et surtout cinq œuvres d’André Campra qui ne peuvent être considérées comme de « Vieilles musiques ». Cette annexe rassemble donc, plus probablement, des pièces incomplètes ou non utilisables. Un petit addendum rédigé en mars 1739 – soit dix mois avant le départ de Boudou – par le baylon Jullian, prêtre chargé de l’intendance de la maîtrise 8, corrige cette annexe : « Musiques qu’on a séparées des anciennes mais qui peuvent servir », reconnaissant ainsi l’intérêt et une possible utilisation des œuvres de Campra. Le second supplément concerne les « instruments de musique » dont dispose la maîtrise – un violoncelle, deux violons et deux serpents (Jean-Baptiste Vallière, le successeur de Boudou en 1739, ajoute une épinette) – ainsi que des « ardoises » et des « pattes » pour tracer les portées. Enfin, l’inventaire se termine par un catalogue des « Musiques envoyées de Carpentras par M. Boudou » qui nous intéresse plus particulièrement ici. Trente-deux œuvres classées de manière similaire (Motets, Messes, Vêpres, Hymnes et antiennes), parmi lesquelles on s’étonnera de trouver un Cum invocarem de Henry Desmarest, 7. 8.

Sébastien de Brossard, Catalogue de musique théorique et prattique, ms autogr., Paris, BnF-musique, Rés. Vm8 20 ; cf. l’édition de Yolande de Brossard, La Collection Sébastien de Brossard (1655-1730) : catalogue, Paris, Bibliothèque nationale de France, 1994. Signorile, op cit., p. 56.

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probablement une copie de l’édition parisienne gravée par Roussel en 1714 et vendue chez Foucault. Cet inventaire très précieux de Boudou montre donc comment peut être organisée la bibliothèque d’une maîtrise capitulaire du point de vue pratique. Remarquons toutefois l’absence d’œuvres vraiment anciennes, celles de la Renaissance ou même celles du premier XVIIe siècle. L’absence de référence au célèbre Sauvaire Intermet (à Arles de 1590 jusque vers 1595) qui sut toucher plus tard le roi Louis XIII, ou à Nicolas Saboly (de 1642 à 1643) qui produisit tant de Noëls fameux ne peut que nous étonner. Peut-être ces œuvres anciennes que l’on ne pouvait plus jouer au début du XVIIIe siècle, avaient-elles été transférées dans la bibliothèque du chapitre. Autres fonds français Les quelques fonds musicaux des maîtrises qui ont échappé aux destructions révolutionnaires n’indiquent aucun ordre particulier de rangement. Pour celui du Puy-enVelay 9, comme pour celui de la bibliothèque Inguimbertine de Carpentras 10, aucun inventaire ancien n’est connu. Dans ces deux cas remarquables, des apports ont pu être réalisés tardivement, après la Révolution. Le fonds de la bibliothèque du Grand Séminaire de Strasbourg 11, quant à lui, conserve notamment 95 œuvres de Franz Xaver Richter pour la cathédrale strasbourgeoise et 80 d’un certain Petit destinées à l’ancien couvent des Clarisses d’Alspach. Pour Richter, nous ne connaissons aucune classification ancienne. En revanche, pour Petit existe un précieux catalogue thématique 12 qui comprend 180 entrées classées de manière similaire à l’inventaire d’Arles, mais nettement plus précis : les messes, les Requiem, les offertoires, les motets à deux voix, ceux à voix seule, les Magnificat, les Regina cæli, les Salve regina, les Alma, les Ave regina, les Te Deum, les vêpres et pour terminer les litanies de la sainte Vierge. Ces œuvres ont été composées entre 1739 et 1754, date de la mort du maître. Quelques rares fonds de musique religieuse peuvent donner l’illusion d’une collection maîtrisienne – c’est-à-dire d’œuvres pour chœur avec voix d’enfants et un accompagnement de basse continue, parfois avec accompagnement instrumental ou orchestral. C’est le cas de celui d’Aix-en-Provence, mais aussi, du moins partiellement, de celui de Lyon. À Aix, le fonds dit de l’Archevêché, en dépôt à la Bibliothèque Méjanes, regroupe un grand nombre d’œuvres 13. Parmi elles, se trouvent notamment 9. 10. 11. 12. 13.

Voir Georges Escoffier, « Le répertoire de la cathédrale du Puy au XVIIIe siècle : entre provençalité et provincialité », La Musique dans le midi de la France, tome I : XVIIe-XVIIIe siècles, éd. François Lesure, Paris, Klincksieck, 1996, p. 107-131. Voir l’ouvrage de Marie-Paule Piroud, Fonds musicaux anciens : Carpentras-Bibliothèque Inguimbertine, Aix-enProvence, ARCADE, Agence des arts du spectacle Provence-Alpes-Côte d’Azur, impr. 2012. Voir l’excellent ouvrage de Geneviève Honegger et Jean-Luc Gester, Alsace : Catalogue des manuscrits musicaux anciens, Strasbourg, Bibliothèque nationale et universitaire, ARDAM, 1996. Strasbourg, Bibliothèque du Grand Séminaire, Union Sainte-Cécile, M. 165 (fonds d’Alspach). Ce document est publié en fac-similé dans Honegger, Gester, op. cit., p. 165-179. John Hajdu Heyer, The Lure and Legacy of Music at Versailles: Louis XIV and the Aix School, Cambridge (UK), Cambridge University Press, 2014.

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des messes sans instruments de Guillaume Poitevin, maître de musique réputé de la cathédrale Saint-Sauveur. Une part de cet ensemble très important a été copiée par un certain Barraly, probablement Jean-Baptiste Barral, qui assura un intérim comme maître de musique 14. L’un des compositeurs les mieux représentés dans cette collection est Claude-Mathieu Pellegrin, maître à Aix de 1706 à 1712, mais aussi ancien enfant de chœur de la cathédrale 15. La plus grande partie de cette collection est dédiée aux motets en symphonie, œuvres qui ont pu être jouées à Saint-Sauveur lors des fêtes solennelles, mais plus probablement à l’Académie d’Aix, active de 1756 à 1776 16, période durant laquelle furent réalisées les copies de Barral. Rien ne garantit donc que cette collection représente la musique courante de la maîtrise, même si le chœur des chantres de Saint-Sauveur a pu parfois être sollicité à l’Académie. Aucun classement ancien de ces partitions n’est connu. Ce type de fonds musicaux destinés au Concert se retrouve également à Lyon. C’est de loin le plus important pour la France hors Paris. Là, nous disposons d’un inventaire de 1757 du legs de Jean-Pierre Christin à l’Académie des Beaux-Arts dont il fut à la fois bibliothécaire et directeur 17. Ce document est divisé en plusieurs listes où la musique religieuse ne tient qu’une place modeste : motets, opéra, cantates, symphonies. En revanche, l’inventaire de 1754 18 décrit par le menu l’ensemble de la collection de l’Académie, répartie en 18 ordres classés de A à T pour les différents genres d’œuvres. La musique religieuse apparaît dans les ordres suivants : A Motets à grand chœur : 284 œuvres. D Motets à voix seule sans simphonie : 2 motets séparés et un ensemble de 31 motets. E Motets à voix seule et simphonie : 22 motets séparés et un ensemble de 50 motets de divers auteurs. F Motets à deux voix sans simphonie: 3 motets séparés, des litanies de la sainte Vierge et un ensemble de 53 motets de divers auteurs. G Motets à deux voix et simphonie : 4 motets séparés et un ensemble de 24 motets de divers auteurs. H Motets à 3 voix sans simphonie: un De profundis de Bernier, un recueil de 10 motets de Lully et un ensemble de 78 motets de divers auteurs. J Mottets à trois voix et simphonie : 8 motets séparés, un « De profundis en françois », une messe, un recueil de Clerici, un autre de Benoît de Saint-Joseph et un ensemble de 13 motets de divers auteurs. K Oratoires en latin : vide. L Partitions de mottets a 1. 2. 3 et 4 voix avec et sans simphonie: deux recueils de Lotti et Scarlatti.

14. 15. 16. 17. 18.

Aix-en-Provence, Bibliothèque Méjanes, F.C. ms 509 (De profundis), F.C. ms III 15 (Benedictus), entre autres. Le copiste note sur certaines de ces partitions : « appartient à Barraly ». Sur les œuvres de ce compositeur, voir Jean Duron, « Le grand motet à l’époque de Rameau : le cas de ClaudeMathieu Pélegrin (1682-1763) maître de chapelle à la cathédrale St-Sauveur d’Aix-en-Provence », La Musique dans le Midi de la France, op. cit., p. 133-178. Voir Christiane Jeanselme, « L’Académie de musique d’Aix-en-Provence sous l’ancien régime », ibid., p. 71-105. Lyon, Archives municipales, GG 156, pièce 17. Pour une étude détaillée du fonds de musique religieuse, voir Bénédicte Hertz, Le Grand motet dans les pratiques musicales lyonnaises (1713-1773) : étude des partitions et du matériel conservés à la bibliothèque municipale de Lyon, thèse de doctorat, Université Lyon II, 2010. Lyon, Archives municipales, GG 156, pièces 14, 15, 16.

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Comme on le voit, la classification de cette très importante collection n’a aucune utilité liturgique et sert les choix de programmation du Concert lyonnais. Néanmoins, il faut noter que ce fonds comprend certaines œuvres provenant des Jacobins où aurait exercé, comme maître de musique, François Estienne, précédemment à Aix 19. Malheureusement aucun inventaire ancien de cette institution n’a été mis au jour. LE MAÎTRE ET SON GRAND ŒUVRE En abordant cette question, deux observations doivent être faites. Tout d’abord, la musique composée pour les maîtrises n’intéresse guère les éditeurs français des XVIIe et XVIIIe siècles. Hormis les messes que la famille Ballard publie en livres de chœur 20, le marché semble presque inexistant 21, ce qui est une particularité par rapport aux pratiques italiennes ou germaniques. En revanche, le marché est florissant, en France comme à l’étranger, pour ce qui concerne les motets pour un ou plusieurs solistes, basse continue, avec ou sans instruments de dessus, ces œuvres étant plus particulièrement destinées aux couvents ou au concert 22. Ce sont généralement des maîtres de musique qui les composent. Les œuvres chorales pour les maîtrises n’ont donc guère de débouché éditorial aux XVIIe et XVIIIe siècles et les partitions des maîtres restent pour la plupart consignées sur les rayons des bibliothèques maîtrisiennes où elles seront vite reléguées au rang de « vieilles musiques ». Le cas Brossard Conscients de cette destinée incertaine, quelques maîtres de musique d’église ont tenté de résister, chacun à sa manière, aux injures du temps, en cherchant à préserver leur œuvre. Mais ces cas sont extrêmement rares en France. Brossard, comme on l’a vu précédemment, a choisi, à la fin de sa vie, d’abriter une partie de son œuvre à la Bibliothèque royale : en 1725, il en est même l’un des premiers grands donateurs. Mais, c’est un cas particulier. Brossard en effet, ayant publié une part importante de son œuvre, ne visait pas spécialement à perpétuer sa propre production de musique

19. 20. 21.

22.

B. Hertz met en doute son arrivée à Lyon en 1718 comme l’indique Léon Vallas et propose plutôt la période 1721-1722 ; de même pour son lien avec le couvent des Jacobins (Le Grand motet, op. cit., vol. I, p. 428-433). Sur ce sujet, voir Jean-Paul C. Montagnier, The Polyphonic Mass in France, 1600-1780. The Evidence of the Printed Choirbooks, Cambridge, Cambridge University Press, 2017 ; et dans le présent volume l’article du même auteur, p. 381-395, ainsi que celui de Laurent Guillo, p. 281-296. Signalons toutefois à titre d’exemples : Jean-Baptiste Geoffroy, Musica sacra (deux volumes, Paris, Ballard, 1659 et 1661), Étienne Moulinié, Meslanges de sujets chrestiens (Paris, Sanlecque, 1658) et le Cantantibus organis de Gilles Jullien (Premier livre d’orgue, Paris, Richat, L’Esclop ; Chartres, l’auteur, 1690) ainsi que quelques œuvres contenues dans les Cantica sacra de Henry Du Mont (Paris, Ballard, 1652). Sur ces petits motets, voir Nathalie Berton-Blivet, Catalogue du motet imprimé en France (1647-1789), Paris, Société Française de Musicologie, 2011 ; et dans le présent volume, l’article du même auteur, p. 297-316.

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religieuse pour les maîtrises. C’est surtout son cabinet qu’il cherchait à protéger, riche de collections de partitions et d’ouvrages sur la musique de toute l’Europe, qu’il avait su réunir sa vie durant. Néanmoins, nombre de ses propres compositions non publiées, ainsi que quelques manuscrits de ses œuvres éditées et quelques brouillons ou feuillets d’esquisse, ont été joints à cet ensemble 23. Il s’en explique dans son catalogue… avec pudeur : Quoyque je n’aye eu d’abord aucune intention de mettre de mes ouvrages dans ce catalogue, ne les jugeant pas dignes ny capables de figurer avec les ouvrages de tant d’illustres qu’on y trouve : Je n’ay pu cependant me dispenser d’y mettre du moins ceux qui suivent ; les uns parce qu’ils regardent la Théorie de la Musique, les autres, parce qu’ils sont joints et reliez avec des ouvrages d’auteurs illustres ; ceux-cy, parce qu’il a été nécessaire de remplir quelques cartons ou portefeüilles ; ceux la enfin, parce que, peut être, un peu d’amour propre me les a fait juger aussi dignes de paroitre sur ce theatre que beaucoup d’autres qu’on y peut trouver. Quoyqu’il en soit, voicy ceux de mes Ouvrages qu’on trouvera dans ce Catalogue et que je peux fournir à la biblioth. de S.M. si on le juge a propos 24.

Ses partitions manuscrites sont effectivement disséminées dans diverses sections de la partie consacrée aux « Manuscrits » de son catalogue, parfois de manière inattendue. Ainsi le motet Retribue servo tuo [SdB.4] qui lui permit d’obtenir le poste de la cathédrale de Meaux et son Recueil de cantates spirituelles [SdB.recueil.29] figurent à la fin de la rubrique « Théoriciens/Meslanges » 25 consacrée aux « traittez manuscripts touchant la musique ». Il précise la raison de ce classement : Je n’ay mis au reste cet article et les 3 precedents [il s’agit d’œuvres de Pierre Robert, Pierre Bouteiller et Philipp Friedrich Böddecker] dans ces meslanges que parceque, les ayant trouvé apres coup, je ne pouvois les placer ailleurs commodement 26.

Sa Missa quinti toni [SdB.5] appartenait originellement à un recueil, le « Tome 2e » de la section « Musique d’église pour le matin » en format in-8° oblong 27. Ce volume, démantelé aujourd’hui, comprenait jadis neuf messes principalement italiennes. Son Stabat mater [SdB.6] se trouvait lui aussi au sein d’un gros recueil, « Tome 3e » d’un recueil de Treize motets de divers auteurs – pour la plupart italiens –, dans une section intitulée simplement « Partitions » 28. Pour toutes ces œuvres et les autres qu’il est inutile de mentionner ici, la logique du classement est donc contrainte par celle du catalogue et n’a probablement rien à

23. 24. 25. 26. 27. 28.

Voir Jean Duron, L’Œuvre de Sébastien de Brossard (1655-1730) : catalogue thématique, Paris, Klincksieck, 1995. Brossard, Catalogue, op. cit., « Avertissement » à la Table alphabétique, p. CCXV-CCXVII. Ibid., p. 285 ; la rubrique occupe les pages 280-285. Ibid., p. 285. Ibid., p. 322. Ibid., p. 325.

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voir avec la disposition réelle des volumes au sein de la bibliothèque personnelle de Brossard à Meaux. Par ailleurs, il est vraisemblable que la production de compositeur a été beaucoup plus importante que ce qu’il a inséré dans le dépôt fait à la Bibliothèque royale. Tout particulièrement pour les œuvres destinées aux maîtrises de Strasbourg et de Meaux. Comme il l’écrit lui-même, les pièces versées dans cet ensemble représentent des choix assumés ou des hasards d’agencements. Préserver le Grand Œuvre D’autres compositeurs ont choisi une autre voie pour préserver leur production. Le fonds de partitions conservé au Centre de musique sacrée du Puy-en-Velay contient 89 manuscrits de Louis Grénon (ca 1734-1769) 29. Nombre de ces œuvres, écrites de la main de ce compositeur mort très jeune, forment un ensemble complexe, sans classement ancien. La majeure partie est signée de l’auteur et datée souvent avec précision, mentionnant le lieu de composition : Le Puy-en-Velay, Clermont et Saintes, c’est-àdire les trois postes qu’il occupa successivement. Ce lot n’est pas sans poser quelques interrogations. En effet, pourquoi les œuvres composées à Clermont et à Saintes se retrouvent-elles au Puy, qu’il avait quitté en avril 1763 ? Il ne peut s’agir que d’un envoi du musicien lorsqu’il se déclare « indispozé de [s]on corps » peu avant sa mort le 10 janvier 1769, d’un envoi de sa nièce Jeanne Flandrin, son « heritiere universelle » pour « les bons et agreables services, les soins et secours [qu’elle] m’a rendu et rend actuellement » et à laquelle il lègue entre autres tous ses « biens meubles, choses censsées de cette nature », d’un envoi de sa sœur Madeleine Rateau à laquelle il attribue le restant de ses « biens patrimonaux », ou enfin du sieur Dalidet, notaire royal de Saintes 30. Ce legs probable de ces partitions à la maîtrise du Puy témoigne de liens que Grénon put continuer d’entretenir avec les musiciens de la cathédrale, notamment avec le bassoniste Jacques Roche (1729-1802) qui lui avait succédé en 1763. Peut-être une manière d’aider ce musicien qui n’avait jamais exercé auparavant le métier de maître de musique et qui était probablement dépourvu de matériel. Une confiance aussi dans cette institution du Puy jugée probablement plus stable et pérenne que celle de Saintes, et donc plus adaptée à la préservation de son œuvre et à sa mise en valeur. La Bibliothèque nationale de France possède un ensemble d’une trentaine de partitions non classées d’Antoine Merle (1754-1835), maître de musique natif lui aussi de Saintes, en poste successivement à Coutances et à Tours 31. Ce lot de partitions autographes, sans classement d’origine, probablement une petite part de sa production,

29. 30. 31.

Voir Dompnier, Louis Grénon, op. cit., p. 189-193, « Catalogue des œuvres de Louis Grénon ». Ibid. Pour le testament de Grénon, voir p. 180-181. Voir également, dans le même volume, l’article de Bernard Dompnier, « Entre itinérance professionnelle et attachement au pays : essai de biographie de Louis Grénon », p. 17-47. Voir la notice MUSÉFREM de Jean-François Détrée : https://philidor.cmbv.fr/ark:/13681//not-478666.

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témoigne d’une semblable volonté du compositeur de laisser une trace de son œuvre. Comme pour Grénon, les pièces sont signées – la signature est souvent biffée –, datées avec le lieu de composition, comme pour un Benedicam Dominum terminé à Saintes où, ancien enfant de chœur de la cathédrale, il est désormais maître de musique, mais aussi pour les autres pièces réalisées dans ses autres offices. Le cas de Bernard Jumentier (1749-1829) procède un peu d’une logique similaire. Natif d’une petite ville près de Chartres, reçu enfant de chœur à la cathédrale de cette ville, il est nommé maître de musique à dix-huit ans dans la prestigieuse cathédrale de Senlis, puis en 1772 à Coutances et enfin en 1775 à la collégiale de Saint-Quentin 32. Par testament, le musicien lègue sa collection de musique à la ville de Saint-Quentin. Son inventaire après décès contient une Description des ouvrages de composition de Mr Jumentier 33, décrivant cette collection de manuscrits autographes vraisemblablement telle qu'elle était rangée dans la « chambre d’habitation éclairée sur la cour par deux croisées [près d’un] vieux clavecin à queue peint en gris ». L’ensemble comprend 69 entrées comportant parfois plusieurs pièces 34. Jumentier avait entrepris de trier ces papiers et le notaire commence par la description de 53 cartons, la plupart ne contenant qu’une seule œuvre avec la partition et les parties séparées – nombreuses (de 30 à 80 documents) – pour les solistes, le chœur et la symphonie. Trois cartons comportent plusieurs œuvres comme le n° 8 « Deux Sub tuum », le n° 51 « Six Domine salvum » et le n° 53 « Deux Magnificat, un Regina cæli et trois messes ». Ces 53 cartons sont ordonnés en deux séries, les messes tout d’abord pour 8 numéros suivis des « Mottés », tous à grand chœur sauf au n° 43 « Motté à trois voix Laudate pueri ». Dans ces cartons de motets se trouvent curieusement un « Oratorio Quis ab alto » en latin (n° 48), mais aussi une « Messe en Mib » (n° 40). Le Stabat mater, les Te Deum et les Domine salvum apparaissent à la fin de ces motets. Un autre carton (n° 69) est décrit en fin d’inventaire : « Carton contenant différentes compositions et principes de musique et particulièrement les brouillons d’une Messe et d’un O salutaris ». Ce rangement n’était pas achevé en 1829, et l’inventaire se poursuit avec une série de « Partitions » sans carton, qui n’ont visiblement pas encore été classées, certaines étant en cours de composition : des motets, deux messes de requiem, des « Fragments d’une messe à faire sans simphonie » (n° 66), un oratorio (Les Fureurs de Saul), mais aussi de la musique profane, un ballet héroïque, une simphonie, une aria. Dans cette partie du lot se trouvent également deux « Paquets » (n° 63) comportant pour le premier « Trente cahiers de musique composée par Mr Jumentier et un autre

32. 33. 34.

Sur ce compositeur, voir Nicole Desgranges, Bernard Jumentier (1749-1829), maître de musique de la collégiale de Saint Quentin, thèse de doctorat, Paris IV, 1977, 4. vol. Saint-Quentin, Archives municipales, 2 R 2, 28-30 décembre 1829 ; fac-similé dans Desgranges, Bernard Jumentier, op. cit., vol. IV, p. 1952-1959. Comme par exemple au n° 56 : « Un Pater noster, un Credo, un Stabat, un Kirie, un Quare fremuerunt, une messe avec accompagnement de violoncelle, un autre Pater, un Super flumina, un De profundis, une messe en ré majeur, un oratorio en ut, une messe Missi [sic pour Nisi] Dominus ».

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paquet contenant vingt huit cahiers de differents mottes Te Deum, Pie Jesu et autres compositions ». Curieusement ces trois compositeurs ont des liens communs, les deux premiers avec Saintes, les deux derniers avec Coutances. Pure coïncidence ? ou peut-on voir dans ce geste – moins singulier qu’il peut paraître – de léguer tout ou partie de son œuvre, la reproduction d’un modèle de sauvegarde appris chez Grénon et transmis jusqu’à Saint-Quentin quatre-vingts ans plus tard ? Il faudrait enfin évoquer le cas de Joseph-Antoine Lorenziti dont les manuscrits sont restés, après son décès en 1789, dans la maison de la maîtrise de la cathédrale de Nancy. Un inventaire 35 de ce fonds important – aujourd’hui disparu – comprend près de 200 œuvres du maître, mais aussi de son prédécesseur Claude-Frédéric Seurat (vingt-quatre pièces parfois qualifiées de « vieux » motets, « en lambeaux » ou « incomplètes ») et de l’abbé Nicolas Henry (dix pièces). Il fut réalisé en novembre 1791, peut-être par Nicolas-Antoine Mangin son successeur. Cet inventaire se divise en quatre sections correspondant vraisemblablement au classement du compositeur : 19 messes en symphonie (dans lesquelles figurent trois pastorales, probablement des messes de Noël) 41 « Mottets en symphonie » 71 « Pseaumes en symphonie » « Musique courante » (probablement sans symphonie)

Collationner le Grand Œuvre Certains maîtres de musique ont pris d’autres dispositions pour protéger l’avenir de leur œuvre. Au soir de leur vie, ils ont entrepris une mise au propre de leurs partitions, les recopiant – ou les faisant recopier – soigneusement sur du beau papier. Deux collections de ce type sont ainsi parvenues jusqu’à aujourd’hui. La première est celle d’Henri Hardouin (1727-1818) qui passa toute sa vie comme enfant de chœur puis maître de musique à la cathédrale de Reims 36 et qui légua sa collection à la cathédrale de cette ville en mai 1801, bien avant sa mort. Cet ensemble de partitions sans parties séparées appartient aujourd’hui à la maîtrise de la cathédrale. Il peut être consulté à la Bibliothèque Carnegie de Reims où il est déposé. Selon le chanoine Cerf, il se composait en 1872 de plus de 361 œuvres numérotées, soigneusement et assez rigoureusement classées par genres, puis par effectifs et par temps liturgiques. Ces pièces sont aujourd’hui reliées dans de gros volumes numérotés de 1 à 23 avec deux recueils ajoutés : 14 bis « Petit Te Deum » et 17 bis « Psaume Lauda 35. 36.

AD Meurthe-et-Moselle, 1 Q 656. Je remercie très chaleureusement René Depoutot des informations qu’il m’a communiquées sur ce document. Voir aussi la publication qu’il en fait dans le présent volume, p. 240-241. Voir Charles Cerf, La Maîtrise de l’église métropolitaine de Reims et M. l’abbé Hardouin, Reims, V. Geoffroy, 1872 ; Jean Leflon, Henri Hardouin et la musique du chapitre de Reims au XVIIIe siècle, Reims, Librairie Matot, 1933 ; voir aussi l’introduction de Patrick Taïeb dans Henri Hardouin, Six messes à quatre voix, Versailles, Éditions du CMBV, 1994, p. V-X.

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Jerusalem ». La date de cet assemblage en recueils n’est pas déterminée mais, d’après la numérotation des œuvres, Hardouin avait conçu cet ensemble en partitions séparées. Une autre série de recueils, distingués par les lettres (A-G puis X-Z), fut ajoutée par la suite. L’ordonnancement de la série à numéros (celle du legs de 1801) procède de la logique utilitaire exposée plus haut. La collection ayant subi des destructions durant la première Guerre mondiale, nous reprenons ci-dessous le tableau du chanoine Cerf 37. L’ajout des références aux volumes actuels (colonne de droite) permet de constater les nombreuses pertes et les quelques additions après 1872 : Messes à 5 voix, avec symphonie: Messes à 4 voix : Messes à 4 voix : Proses de l’année, à 4 voix : Hymnes à 5 voix, petite symphonie: Hymnes à 4 et à 5 voix : Humani generis. Lætare : O de Noël et Pastores : Stabat mater : Leçons de ténèbres : O Filii et Regina : Te Deum : Magnificat : Motets et Psaumes : Motets au Très-Saint Sacrement : Hymnes à 4 voix au Saint Sacrement: Messe pour les morts et pour les prêtres : Noël, pour l’Avent : Hymnes pendant le temps O de Noël: Divers :

1 22 41 47 83 128 170 178 188 200 209 216 223 232 309 318 322 328 340 343

-

21 40 46 82 127 169 177 187 199 208 215 222 231 308 317 321 327 339 342 361

} } }

}

(vol. 1-6 : 36 messes) (vol. 7 : 9 proses) (vol. 8-10 : 46 hymnes) (manquant) (vol. 11 : 8 Stabat ou fragments) (vol. 12 : 10 Leçons) (vol. 13 : 2 O filii ; 5 Regina) (vol. 14 et 14 bis : 4 Te Deum) (vol. 15 : 6 Magnificat) (vol. 16-23 : 56 motets)

(manquant)

La collection tout aussi remarquable de Pierre-Louis Pollio (1724-1796) procède à peu près de même 38. Ce compositeur originaire de Dijon fut l’élève de Joseph Michel dont il arrangea sur le tard plusieurs motets. Il fit ses premières armes à Péronne, puis exerça à la Sainte Chapelle de Dijon (1751), à Beauvais (1762) et à la collégiale de Soignies (ca 1769) dans les Pays-Bas autrichiens où il terminera sa carrière 39. Il léguera sa collection, mise au propre dans de gros recueils, à cette dernière institution où, pour une part, elle est aujourd’hui conservée 40. 37. 38. 39. 40.

Cerf, La Maîtrise…, op. cit., p. 14. Fabien Guilloux, Inventaire des archives musicales de la collégiale Saint-Vincent de Soignies : (1611) 1700-1890 (1945), Bruxelles, Archives générale du royaume, 2016 ; Myriam Lorette, P. L. Pollio (1724-1796). Maître de musique à la collégiale Saint-Vincent de Soignies, Mémoire de Licence, Bruxelles, Université Libre de Bruxelles, 1989. Pour la biographie de Pollio, voir la notice de MUSEFREM : https://philidor.cmbv.fr/ark:/13681/1hdkx5xyrvgnzebqi6j6/not-486385. Soignies, Musée de la collégiale, Ms 7-12, 14-27.

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Établie par le compositeur lui-même, l’organisation de ces recueils de partitions réalisés entre 1767 et 1782, a été publiée par Fabien Guilloux 41 ; les volumes conservés à la Bibliothèque royale de Bruxelles ont été ajoutés à cette liste : Opera 2a

Hymni, Antiphonæ Majores Adventûs, Vulgo dictæ Ô de Noel, Responsoria Dominicæ Jæ Adventûs, Et Stæ diei Nativitatis Domini [72 hymnes, 2 répons, 7 antiennes]  Soignies, collégiale, Ms 8 Magnificat / Coupés et / journaliers Op. 3a - Liber Tertius [57 Magnificat]  Soignies, collégiale, Ms 9 Magnificat 1a classis, Magnificat 2a classis, Magnificat Minoris ordinis ; Magnificat in Op. 3a falso burdono, Psalmorum, Canticorum altera [47 Magnificat]  Soignies, collégiale, Ms 10 Saluts de l’Avent jusqu’à la Purification Op. 4a - Liber 1us [4 O salutaris, 3 antiennes à la Vierge, 20 Motets pour l’Avent, pour l’après Noël, pour le jour ou après l’Épiphanie, pour la Circoncision, 8 Ave Maria, 8 Genitori, 4 O salutaris, 4 Ave regina, 20 Motets]  Bruxelles, Bibliothèque royale, Ms II 3093 (1) Mus. Saluts de la Purification jusqu’à Pâques Op. 4a - Liber 2us [4 O salutaris, 4 Regina cæli, 20 Motets, 4 Ave Maria, 4 Genitori]  Bruxelles, Bibliothèque royale, Ms II 3093 (1) Mus. Saluts de Pâques jusqu’à la Trinité Op. 4a - Liber 3us [4 O salutaris, 4 Regina cæli, 1 Miserere, 20 Motets, 4 Ave Maria, 4 Genitori, 8 Tantum ergo, 4 Alma, 4 Ave regina, 4 Regina cæli, 1 Miserere, 1 Salve avec orgue]  Bruxelles, Bibliothèque royale, Ms II 3093 (1) Mus. Op. 4a - Liber Quartus Saluts de la Trinité jusqu’à l’Avent [12 O salutaris, 6 Salve regina, 71 motets, 9 Ave Maria, 8 Genitori]  Soignies, collégiale, Ms 11 Op. 4a - Liber Quintus Saluts des morts [13 De profundis, 24 motets, 4 Genitori]  Soignies, collégiale, Ms 12 Op. 5a - Liber Quintus Leçons de Jérémie [27 Leçons de Ténèbres, 6 Passions]  [Bruxelles, Bibliothèque royale, Ms II 3093 (2) Mus] Missæ quindecim, Primæ et Secundæ classis Op. 6a - Primus liber [15 messes, 15 antiennes mariales, 3 proses] [Volume disparu.] Missæ Quindecim, primæ aut secundæ classis abbreviatæ cum Prosis Paschæ, Sti Op. 6a - Primus liber Spiritus, et Sanctissimi Sacramenti [15 messes, 15 antiennes mariales, 3 proses]  Soignies, collégiale, Ms 17 Op. 6a - Secundus liber Messes Courantes pour les dimanches Doubles ou Secondes classes [10 messes]  Soignies, collégiale, Ms 14 Second livre de messes quotidiennes Op. 6a - Tertius liber [14 messes]  Soignies, collégiale, Ms 15 Op. 6a - Editio novissima Missæ vigenti quatuor cum Prosis, antiph. &c et Domine salv. [24 messes, 4 proses, 3 antiennes mariales]  Soignies, collégiale, Ms 16 41.

Guilloux, Inventaire, op. cit., p. 252-255.

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Op. 6a - Pars 3a

Messes et élévations pour les morts [4 messes des morts, 19 élévations]  Soignies, collégiale, Ms 18 Op. 7a - Liber primus Musique Quotidienne hæc die etc., Asperges etc. atta etc. [141 motets, 3 antiennes]  Soignies, collégiale, Ms 19 Op. 7a - Liber secundus Cantiques et Motets d’années Courantes [59 motets]  Soignies, collégiale, Ms 20 Op. 8a - Liber primus Grands et moyens Te Deum, Veni Creator entier [8 Te Deum, 1 Magnificat, 1 O sacrum convivium, 1 Veni creator]  Soignies, collégiale, Ms 21 Op. 8a - Liber secundus Moyens Te Deum sans orgue et Petits avec Orgue [32 Te Deum]  Soignies, collégiale, Ms 22 Op. 9a - Liber primus Livre contenant les vingt quatre premiers psalmes [24 psaumes] Soignies, collégiale, Ms 23 Op. 10a – Tome second Motets, tome second [26 motets]  Soignies, collégiale, Ms 24 [Hors série] Mottets de Monsieur Michel Refondus par / Monsieur Pollio [12 motets]  Soignies, collégiale, Ms 24

À cet ensemble s’ajoute un lot de parties séparées 42. Comme on le voit, ces partitions, toutes soigneusement numérotées et classées en fonction des offices et du temps liturgique, présentent un ordonnancement comparable à celui de Hardouin, mais plus pratique : des antiennes, des proses se trouvent par exemple parmi les messes, probablement pour de légitimes raisons. Ces ouvrages de Hardouin et de Pollio révèlent le dessein des maîtres de musique de préserver leur Grand Œuvre, mais aussi de le transmettre aux générations suivantes. Les Mélanges de Charpentier Les manuscrits de Marc-Antoine Charpentier (1643-1704) dont hérita son neveu Jacques Édouard forment un cas à part pour lequel nous ne connaissons, en France, aucun ensemble comparable. Contrairement aux maîtres de musique faisant carrière dans les institutions ecclésiastiques, le parcours de Charpentier 43 s’avère nettement plus complexe, ce qui peut expliquer la présentation et l’organisation particulière de ses Mélanges autographes qui réunissent à ce jour quelque 550 pièces. En effet, si le compositeur fut chargé de la maîtrise de la Sainte Chapelle de Paris au soir de sa vie (en juin 1698), et auparavant de la musique des Jésuites (1688-1698), il servit aussi dès

42. 43.

Ibid, p. 255-257. Pour la biographie du musicien, voir Catherine Cessac (Marc-Antoine Charpentier, éd. revue et augmentée, Paris, Fayard, 2004) que je remercie à la fois pour l’amitié de la relecture de cette partie et pour les échanges passionnés que nous avons eus à ce sujet.

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son retour de Rome à la Comédie-Française, à l’hôtel de Guise, un peu aussi à la Cour auprès du Dauphin et du duc de Chartres. En outre, il travailla pour plusieurs couvents tels Port-Royal ou l’Abbaye-aux-Bois. Seules les six années au service de la Sainte Chapelle correspondent donc à un service comparable à celui des maîtres de musique d’église étudiés dans cet ouvrage. Chez les Jésuites en effet, que ce soit d’abord à l’église du collège, puis en 1693 à la maison professe de la rue Saint-Antoine, il est difficile de connaître précisément ses fonctions. S’agissait-il de la direction d’une maîtrise ? d’un engagement comme compositeur et comme organisateur des cérémonies, recrutant au cas par cas à la manière italienne 44 des musiciens extérieurs venant de la Cour et/ou de l’Académie royale de musique ? Ces fonctions chez les Jésuites allaient en tout cas bien au-delà de la composition de musique pour les offices, l’amenant à écrire aussi des « histoires sacrées » (oratorios) et même des intermèdes musicaux pour des tragédies latines, parfois de véritables opéras comme son David & Jonathas (1688). À la Comédie-Française comme à l’hôtel de Guise et pour quelques autres commanditaires, il eut à composer également de la musique profane ou instrumentale. Cette carrière multiforme explique en grande partie l’organisation de ces Mélanges, par la nécessité de classer et donc de se retrouver, pour son usage personnel, dans un corpus monumental de partitions les plus diverses, ce qui n’est pas exactement le cas des autres compositeurs étudiés ici. Nous ne reviendrons pas sur le détail de cette collection à laquelle Catherine Cessac a consacré plusieurs travaux érudits 45, nous bornant ici à mettre ce Grand Œuvre en parallèle avec les collections analysées précédemment et à poser les bases d’une réflexion sur cet ensemble. Comme l’a démontré Laurent Guillo 46, les Mélanges se présentent dans des formats voisins (in-fol.) sous forme de cahiers, copiés par Charpentier lui-même sur des papiers avec réglage des portées imprimé – papiers différents suivant leur date d’utilisation. Ces 154 cahiers – plusieurs ont disparu 47 –, plus ou moins volumineux, ont été soigneusement numérotés par le musicien en deux séries, l’une en chiffres romains, l’autre en chiffres arabes, correspondant aux divers patrons du musicien. Le projet d’organisation initial, que Charpentier ne poursuivit pas par la suite, consistait déjà en deux séries, mais l’une était destinée aux « Messes, psaumes et hymnes », l’autre aux « Pieces differentes » 48. Après la mort du compositeur, ces cahiers furent reliés en vingt-huit recueils 49. L’analyse de ces papiers, associée à celle des filigranes, aux caractéristiques de l’écriture du compositeur en constante mutation, et aussi aux

44. 45. 46. 47. 48. 49.

Voir Jean Lionnet, La Musique à Saint-Louis des Français de Rome au XVIIe siècle, numéro spécial de Note d’archivio, Venise, Fondazione Levi, 1986. Notamment Catherine Cessac (dir.), Les Manuscrits autographes de Marc-Antoine Charpentier, Wavre, Mardaga, 2007. Laurent Guillo, « Les papiers imprimés dans les Meslanges : relevés et hypothèses », Les Manuscrits autographes…, op. cit., p. 37-54. Onze dans la première série, douze dans la seconde ; voir Cessac, Marc-Antoine Charpentier, op. cit., p. 499. Informations figurant en tête du premier cahier de chaque série. BnF, musique, Rés. Vm1 259.

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informations historiques sur les exécutions – autant d’éléments de datation 50 –, permet d’entrevoir les conditions de réalisation de ces documents. Cette très soigneuse mise au propre fut non pas copiée sur le tard, comme dans les cas déjà vus de Pollio ou de Hardouin, mais bien au contraire tout au long de sa vie, chaque pièce étant reportée proprement dans ces cahiers peu après sa composition – ces cahiers comportent trop peu d’erreurs, de corrections ou de ratures pour avoir été notés au fil de l’invention. Une méthode de travail logique, mais particulièrement originale. Cela suppose que cet ensemble – uniquement des partitions –, aussi riche soit-il, ne représente qu’une faible partie de l’ensemble des « papiers de musique » de Charpentier, le reste n’ayant malheureusement laissé que quelques rares traces. Ces Mélanges devaient nécessairement s’accompagner d’autres partitions notées sur des papiers moins coûteux : esquisses, brouillons et un « jeu d’usage » comprenant, pour chaque œuvre, une partition et des parties séparées, la partition servant probablement de chemise aux parties comme on l’a vu précédemment. À cela doivent s’ajouter les copies que Charpentier a pu offrir, le cas échéant, à ses commanditaires, notamment pour les œuvres composées pour la Sainte Chapelle – à ma connaissance, aucun de ces documents, qui n’étaient donc pas chez lui, ne nous est parvenu. Le « jeu d’usage » devait représenter un ensemble de documents beaucoup plus volumineux que les Mélanges. Par ailleurs, il était probablement classé différemment, notamment pour la musique religieuse – la part la plus importante de l’œuvre de Charpentier –, soit en fonction du type d’office et/ou du temps liturgique comme chez les maîtres évoqués plus haut, soit en fonction des effectifs. À mon avis, jugés par Charpentier plus commodes que le jeu d’usage, les Mélanges lui servaient probablement, au moins dans un premier temps, à trouver facilement l’œuvre dont il avait besoin pour telle ou telle cérémonie. Un fait me semble autoriser cette hypothèse : pour certaines pièces dont nous avons la preuve d’une réutilisation plus tardive, il est possible que Charpentier n’ait inséré dans ses Mélanges que la version initiale de bon nombre de pièces 51. Quelques cas particuliers peuvent accréditer cette hypothèse qu’il faudrait vérifier œuvre par œuvre. La Missa Assumpta est (H. 11) aurait été composée, semble-t-il, pour la Sainte Chapelle52 : les parties séparées conservées – pour une part autographes – témoignent de remaniements, concernant notamment le nombre de parties instrumentales et la refonte de la partie de dessus (celle des enfants). Ces retouches ont nécessairement dû faire l’objet d’une partition (disparue) 50.

51. 52.

Cette analyse est détaillée par Catherine Cessac (avec la collaboration de Jane C. Gosine, Laurent Guillo et Patricia Ranum), Chronologie raisonnée des manuscrits autographes de Charpentier. Essai de bibliographie matérielle, numéro spécial du Bulletin Charpentier, n° 3 (2010-2013), https://philidor.cmbv.fr/Publications/Base-dedonnees-bibliographique-sur-la-musique-des-XVIIe-et-XVIIIe-siecle-en-France/Faire-unerecherche/(search_text)/cessac+chronologie/(index). Ce n’est pas le cas par exemple de la musique du Malade imaginaire dont on peut suivre les remaniements dans les Mélanges. Voir Marc-Antoine Charpentier, Musiques pour les comédies de Molière, éd. Catherine Cessac, Versailles, Éditions du CMBV, 2019. Voir l’introduction de Marc-Antoine Charpentier, Missa « Assumpta est Maria » (H. 11), éd. Jean Duron, Versailles, Éditions du CMBV, 1994.

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et d’un jeu complet de parties séparées ; l’œuvre remaniée n’a pourtant pas donné lieu à une mise au propre dans les Mélanges. De là, on peut donc penser que l’œuvre contenue dans les Mélanges a servi de matrice à la version remaniée. De même pour le Miserere à 6 voix et sans instruments (H. 193) 53. Là le processus est différent mais conduit au même résultat. La version des Mélanges (initiale ?) a été surchargée d’indications suggérant des doublures instrumentales mais aussi des changements de registres pour les voix. En outre, le titre a été complété par l’expression « des Jésuites ». On peut déduire de là que ces ajouts font état d’annotations de Charpentier se préparant à établir la partition d’une nouvelle version de l’œuvre, réalisée pour les Jésuites, probablement pour un chœur à cinq parties accompagné d’un orchestre à quatre. La partition et les parties séparées de ce remaniement ont disparu et Charpentier n’a pas jugé utile de reporter cette version dans ses Mélanges. Enfin, le cas exemplaire de l’Exaudiat pour le Roy (H. 180) pour chœur à quatre parties et basse continue – et donc sans autres instruments – contient des annotations pour l’adjonction de violons. Celles-ci renvoient explicitement à un « repertoire », ouvrage qui pourrait bien indiquer où se trouvent la partition remaniée et ses parties séparées dans le « jeu d’usage » évoqué plus haut. Là encore, les Mélanges fournissent une première version qui en engendra une seconde avec violons, le compositeur jugeant superflue la copie de cette dernière dans ses beaux cahiers.

Marc-Antoine Charpentier, Récit initial pour basse et basse continue de l’Exaudiat pour le Roy (Mélanges autographes, vol. 11, f. 15v), BnF, musique, Rés. Vm1 259.

À une date inconnue, peut-être entre 1692 et 1699, peut-être même dès 1683 pour certaines de ces pièces, Charpentier décida de repenser l’utilisation de cette réserve de belles partitions, réserve plus commode pour lui, mais aussi pour ceux qui, dans un avenir incertain, auraient le désir de les utiliser. Pour ce faire, il dut à mon avis procéder de la manière suivante, reprenant chaque cahier, le numérotant et remplaçant les pages abîmées par une nouvelle copie (cela concerne généralement et assez logiquement des feuillets extérieurs) 54. Ces Mélanges de musique religieuse, spirituelle, profane ou instrumentale sont assez éloignés des autres collections analysées précédemment. Pour autant, ils montrent une autre manière de gérer le Grand Œuvre. 53. 54.

Pour la numérotation des œuvres de Charpentier, voir H. Wiley Hitchcock, Les Œuvres de Marc-Antoine Charpentier : catalogue raisonné, Paris, Picard, 1982. Voir le tableau proposé en annexe de C. Cessac, Chronologie raisonnée…, op. cit.

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JEAN DURON

CONCLUSION Ces précieux vestiges des anciennes bibliothèques maîtrisiennes nous donnent à voir un peu de l’activité du maître de musique à la fois dans la conduite de son office et aussi dans ce qu’il a de plus intime, son atelier de composition, que l’on découvre tout au long de sa vie depuis sa première prise de fonction jusqu’au moment où il songe, sur le tard, à mettre en ordre ses papiers, à tenter de les protéger de la dispersion et de l’oubli. La gestion de cette masse de papiers divers qui lui ont permis de noter les premières bribes d’idées, de concevoir l’œuvre, de prévoir son exécution et de la fixer pour la postérité nécessite nécessairement un classement. À titre d’exemple, la belle copie des partitions contenues dans les Mélanges de Charpentier comprend plus de 4 000 pages auxquelles il faut ajouter celles des volumes qui ont disparu. Comme il a été vu précédemment, il faut tenir compte également du « jeu d’usage » et des parties séparées. Les exemples analysés ci-dessus ne donnent qu’une vue partielle de ce que pouvait être une bibliothèque musicale que ce soit au travers d’un inventaire de fonds maîtrisien, du catalogue d’un musicien collectionneur ou de la compilation autographe du Grand Œuvre. Dans chaque cas analysé, on retrouve peu ou prou les mêmes constantes de classement sauf chez Charpentier. L’ordonnancement dépend probablement d’usages habituels, de pratiques qui se transmettent de générations en générations, et il trouve sa logique dans la nécessité de pouvoir retrouver rapidement les pièces de genres différents (messes, hymnes, psaumes, antiennes, répons, leçons…), pour un temps liturgique donné, en fonction des effectifs musicaux dont dispose alors le maître et probablement aussi des capacités musicales des interprètes : c’est le cas de la petite version de la Missa Assumpta est de Charpentier où la partie de dessus vocal a été réaménagée pour un enfant de chœur.

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LES MAÎTRES DE CHAPELLE ENTRE INSTITUTION ET ÉDITION (XVIIe-XVIIIe SIÈCLES) Laurent GUILLO

INTRODUCTION Les études qui ont été menées sur l’édition musicale en France du XVIIe siècle au XVIIIe siècle sont très claires à cet égard 1 : lorsqu’il s’agit de documenter l’interaction entre les compositeurs et les imprimeurs, c’est pour le répertoire sacré que les sources sont les plus rares. Pour l’immense majorité des éditions de messes ou de motets, on ignore lequel des deux intervenants est allé trouver l’autre, si le chapitre qui emploie le compositeur a eu ou non un rôle dans la transaction, qui a financé l’édition, si un contrat a été établi, combien d’exemplaires le compositeur a pu recevoir, etc. Il faut se résoudre à collecter nombre d’éléments à la fois ténus et dispersés pour tenter de tracer une image – assez floue, encore – des pratiques qui ont eu cours sous l’Ancien Régime. C’est l’objet de la présente contribution. Pour donner à cette image reconstituée un contour professionnel, nous avons choisi de suivre le processus de la publication d’une œuvre, en évoquant à chaque étape les sources qui permettent de la documenter. Et pour ne pas manquer de citer des exemples intéressants, nous ne ferons pas de coupure trop nette entre maître de chapelle, maître des enfants et organiste. FAIRE PUBLIER SES ŒUVRES… OU PAS ? On peut admettre, sans devoir le justifier abondamment, que pour un compositeur publier ses œuvres est un moyen de concrétiser le sentiment d’estime de soi résultant 1.

En se limitant aux XVIIe et XVIIIe siècles, voir notamment : François Lesure et Geneviève Thibault, Bibliographie des éditions d’Adrian Le Roy et Robert Ballard (1551-1598), Paris, Société française de Musicologie, 1955 ; Laurent Guillo, Pierre I Ballard et Robert III Ballard, imprimeurs du roy pour la musique (1599-1673), Sprimont, Mardaga, Versailles, CMBV, 2003, 2 vol. ; Laurent Guillo, « Les éditions musicales imprimées par Jacques I de Sanlecque, Jacques II de Sanlecque et Marie Manchon, veuve Sanlecque (Paris, c. 1633-1661) », La, la, la… Maistre Henri : mélanges de musicologie offerts à Henri Vanhulst, éd. Christine Ballman et Valérie Dufour, Turnhout, Brepols, Tours, CESR, 2010, p. 257-295 ; Laurent Guillo, Christophe Ballard, imprimeur-libraire en musique sous Louis XIV, 1672-1715, à paraître ; Anik Devriès, Édition et commerce de la musique gravée à Paris dans la première moitié du XVIII e siècle : les Boivin, les Leclerc, Genève, Minkoff, 1976.

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d’un travail dont il est fier, de se faire connaître au-delà de l’institution qui l’emploie, de montrer son savoir-faire à ses pairs et à d’éventuels futurs employeurs, de recevoir quelque argent en échange, ou encore de vanter les qualités d’une maîtrise ou d’un orchestre qui a su créer ses œuvres. Rien, en somme, qui dépasse le cadre d’une saine ambition. Le mouvement qui porte un compositeur à se faire publier est un mouvement assez naturel, à l’origine de milliers de publications. On observe toutefois que nombre de compositeurs, et pas des moindres, ne publient pas, ou seulement très tard. Pourquoi Eustache Du Caurroy (né en 1549), sous-maître de la Chapelle d’Henri IV, comblé de bénéfices et fameux pour son contrepoint, attend-il 1609 pour lancer avec Pierre I Ballard l’impression de ses œuvres 2 ? Voici ce qu’il en dit dans l’épître dédicatoire de ses Preces ecclesiasticæ de 1609, adressée à Henri IV : Si j’ay dormi durant quarante ans que j’ay eu cet honneur d’avoir servi en ma charge vos predecesseurs roys, & à présent vostre Majesté ; ç’a esté les yeux ouverts pour me resoudre de plus en plus sur les difficultez de cette science, par la lecture des bons autheurs & pratique des anciens, outre ce que j’y ay apporté par mon estude & labeur. […] C’est donc en quoy, Sire, ce long sommeil m’a beaucoup aydé, duquel aussi je tire ce contentement d’avoir reservé l’exposition de mes œuvres, jusques à ce siècle rempli de tant de doctes & judicieux personnages…

À le lire, ce silence éditorial ne résultait pas d’une paresseuse négligence, mais du souci de se perfectionner encore, tout en réservant ses ouvrages à une période qu’il juge mieux disposée à l’apprécier. On peut suspecter ici qu’il avait été démarché par Pierre I Ballard car un contrat avait été dressé, qui prévoyait des paiements au compositeur 3. Dans le cas de l’organiste Jean Titelouze, les raisons de ce retard sont autres, à lire les pièces liminaires de ses Hymnes de l’église pour toucher sur l’orgue (1623) : J’ay pensé que la nouveauté qui donne à toutes choses un prix excedant leur valeur feroit naistre à plusieurs le desir de le voir ; mais de peur que n’en estans bien satisfaits, ils ne le mesprisent autant qu’ils l’auroyent favorablement reçeu ; j’ay osé graver vostre nom en son frontispise pour les en empescher. […] Je ne pouvois me resoudre de mettre en lumière ce petit volume sans l’asseurance que mes amis me donnent qu’il sera utile à ceux qui desirent de toucher l’orgue. Cette raison me l’a plustot tiré des mains que l’esperance d’en recevoir de la louange, sçachant bien que parmy les hommes il y a des esprits pointilleux plus prompts à reprendre qu’à comprendre, qui ne peuvent voir aucun ouvrage s’en s’efforcer d’en diminuer le merite…

Titelouze évoque la crainte d’être mal reçu, même s’il est conscient de l’aspect novateur de son travail. Cette excessive (ou fausse ?) modestie et la recherche d’une 2. 3.

Ses Fantaisies, ses Meslanges et ses trois messes suivront en 1610, éditions posthumes puisqu’il meurt en août 1609. Voir Guillo, Pierre I Ballard et Robert III Ballard, op. cit., t. 1, p. 16-17.

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tutelle bienveillante pour promouvoir ou protéger se lisent dans beaucoup d’autres épîtres dédicatoires et constituent des topoï du genre… Titelouze publie encore son Magnificat, ou cantique de la Vierge en 1626 et ses quatre messes la même année, donc à l’âge de soixante-quatre ans environ. Tout cela était fort tardif, tout de même. En 1631, Artus Aux-Cousteaux relève dans l’avis au lecteur de ses Psalmi aliquot que ses pairs ne publient que tardivement : Je sçay bien que les maistres de cette profession ne donnent au public leurs inventions qu’apres avoir estably leur fortune, & qu’ils se voyent avancez en l’aage : soit qu’ils aillent toujours recherchant la perfection, soit qu’ils reservent à leur particulier le fruit de leur travail.

Mais ses raisons de publier sont fort concrètes : Mais je vous diray avecques verité que tout autre sujet m’a porté à ce dessein que la vanité, ny aucune opinion trop grande de moy-mesme. […] Après avoir servy nostre Roy tresjuste par treize années en sa Chapelle de musique [la Sainte Chapelle de Paris], je souhaiterois que ces motets peussent exciter en luy une pensée de quelque rétribution pour moy. Voicy la principale cause de cette edition.

Ces compositeurs invoquent des raisons de ne pas publier autant que des raisons de le faire… Et si tant d’œuvres sont restées manuscrites, c’est non seulement parce qu’en France, publier était un projet complexe et coûteux mais aussi parce que le compositeur n’avait jamais cherché à le faire… Aucune trace chez Sauvaire Intermet d’un quelconque projet de publication, malgré la position prééminente de ce maître dans le Sud durant presque un demi-siècle 4. Un exemple frappant est celui de Michel-Richard de Lalande : ses motets à grand chœur recueillent un succès durable : ils sont chantés à la Chapelle royale jusqu’en 1792 et presque 600 fois au Concert spirituel ; il en existe de nombreuses copies parisiennes ou provinciales au point que certains sont connus par plus de dix sources. Il en existe au moins trois collections importantes copiées de son vivant (la collection Fossard-Philidor, la collection du comte de Toulouse et la collection Cauvin). Mais la publication de quarante d’entre eux ne sera entreprise que par sa veuve, de 1729 à 1734, avec l’aide de François Colin de Blamont, et encore en partition réduite. Pour Lalande, ne pas publier lui permettait de faire les retouches fréquentes dont il était coutumier. Pour sa veuve, elle a sans doute cherché à monnayer ce succès et se garde bien dans la préface de cette édition d’évoquer autre chose que le désir de publier enfin des œuvres qui le méritaient depuis longtemps, en somme de patrimonialiser les œuvres de son mari.

4.

Laurent Guillo, « Un recueil de motets de Sauvaire Intermet (Avignon, c. 1620-1625) : Chicago, Newberry Library, Case MS 5136 », XVIIe siècle, 232 (2006/3), p. 453-475.

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Pour les maîtres qui se décident à publier, l’analyse faite par Jean-Paul C. Montagnier de l’âge des compositeurs de messes à l’époque de leur publication montre que celle-ci est assez tardive, intervenant à un âge moyen de quarante ans 5. Publier avant vingt ans (donc au sortir de l’apprentissage maîtrisien, pour Pierre Cheneveuillet ou Pierre Hugard) est exceptionnel, publier avant trente ans (Jean Mignon, Louis Le Prince, Jean de Bournonville) l’est à peine moins. PUBLIER CHEZ QUEL IMPRIMEUR ? Quand il s’agit de trouver un imprimeur de musique, le cas de la France est très particulier. Alors qu’en Italie et dans les pays alémaniques les villes de moyenne ou grande importance disposent très souvent d’un atelier de typographie musicale, le jeu des privilèges continûment accordés à la famille parisienne des Ballard a résulté pour elle en un monopole de fait presque total durant un siècle (de la mort de Nicolas Du Chemin en 1576 et celle de Robert III Ballard en 1672) 6. À partir de l’exercice de Christophe Ballard, le privilège de seul imprimeur du roi pour la musique est assorti d’un monopole de droit, qui ne sera contourné qu’avec l’usage de plus en plus fréquent de la gravure en musique. Plusieurs théoriciens et compositeurs regrettent cette situation – tels Marin Mersenne dans sa correspondance vers 1635-1636, ou Annibal Gantez en 1643. Mersenne frise l’ironie dans une lettre à Constantijn Huygens de 1647 : C’est chose estrange qu’en un si grand royaume, nous n’ayons que ce seul imprimeur de musique et à peine y a-t-il une ville en Italie où il n’y en ayt quelqu’un. Vous estes de ce costé-là encore plus pauvre que nous, car entre tant de ville qui impriment bons et mauvais livres, vous n’en avez point pour la pauvre musique. Elle sera à ce que je voy toujours miserable en cest pays françois aussi bien qu’en la Turquie 7.

Rares furent, du temps de Pierre I ou de Robert III Ballard, les musiciens qui osèrent s’adresser à leur principal concurrent, l’atelier de Jacques I puis de Jacques II de Sanlecque 8. La contrainte de se rapprocher d’un atelier unique se voit en négatif dans la démarche de Jean de Bournonville. Lorsqu’il devient maître de chapelle à la cathédrale d’Amiens en 1618 ou 1619, il a tôt fait de réaliser qu’il est plus proche de Douai – alors ville des Pays-Bas espagnols – et de son imprimeur Jean Bogard, que de la rue Saint-Jean-de-Beauvais à Paris. Ses Missæ tredecim, publiées par Bogard en 1619 dans

5. 6. 7. 8.

Jean-Paul C. Montagnier, The Polyphonic Mass in France, 1600-1780 : the evidence of the printed choirbooks, Cambridge, Cambridge University Press, 2017, p. 73. Sur l’historique de ces privilèges, voir Guillo, Pierre I Ballard et Robert III Ballard, op. cit., t. 1, p. 23-28. Marin Mersenne, Correspondance…, 1932-1988, 18 vol. ; ici, xv, 1647, éd. Cornelis de Waard et Armand Beaulieu, Paris, Éditions du CNRS, 1983, n° 1585. Un historique de ces tentatives est donné dans Guillo, « Les éditions musicales imprimées par Jacques I de Sanlecque », art. cit.

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un format in-quarto avec une dédicace à François Lefèvre de Caumartin, évêque d’Amiens, lui ont paru une alternative intéressante et moins coûteuse aux in-folio de Pierre I Ballard, à qui il avait pourtant confié l’impression de onze messes entre 1607 et 1618. Peut-être Bogard lui a-t-il fait valoir – à juste titre – que publier à Douai lui donnerait la garantie d’une meilleure diffusion, de l’Angleterre à l’Italie en passant par l’Allemagne et les Pays-Bas espagnols, ce que Pierre I Ballard ne lui assurait en aucune manière. Un autre exemple, inabouti cette fois, de la tentation de faire imprimer un recueil en échappant au monopole parisien peut être vu dans le manuscrit intitulé Cæleste convivium del signor Danielis qui figure dans la collection Brossard 9. Copié soigneusement par Brossard en quatre parties séparées, contenant onze motets de Danielis, un de Charpentier et deux de Brossard, il a tout l’air d’une copie que Brossard aurait préparée vers 1696-1698 pour un imprimeur alémanique, à la fin de son séjour strasbourgeois. Cette contrainte de l’imprimeur quasi unique révèle aussi, en négatif, la volonté de se faire publier coûte que coûte : lorsqu’en 1761 Christophe-Jean-François I Ballard abandonne l’édition des messes en livres de chœur après la parution de la Missa Redde mihi lætitiam de Pierre Hugard, on observe un déport de ce répertoire vers les éditions gravées entre 1758 et ca. 1776, puis vers les éditions au pochoir entre 1775 et la Révolution 10. La difficulté de trouver un imprimeur capable de travailler sur ce répertoire particulier était suffisamment forte pour qu’elle ait suscité l’avènement – très tardif dans le cas des messes – de procédés de substitution. Enfin, le fait que la maison Ballard se soit obstinément tenue au format in-folio pour imprimer ses messes aurait pu dissuader des musiciens de s’y faire publier, ou des chapitres de les financer. Quels que soient les avantages de ce format en termes de lisibilité et de compacité – il n’y a aucun risque de perdre une partie séparée –, il nécessite deux fois plus de papier qu’un format in-quarto à quantité de musique égale 11. Le papier intervenant pour plus de la moitié du coût de revient, passer au format in-quarto génère plus de 25 % d’économie, ce qui n’est pas négligeable, surtout si le chapitre doit pousser à la roue. Les marguilliers ou les chanoines regardant à la dépense l’auront sans doute remarqué. Il est clair que si les imprimeurs de musique avaient été plus nombreux, avec des formats plus variés, les messes imprimées auraient été plus nombreuses. De ce point de vue, l’édition des motets était moins contrainte et ils ont eu en France des formats plus variés (in-4°, in-4° oblong et in-folio).

9. 10. 11.

Paris BnF, musique, Vm1 1272, cf. SdB n° Recueil 25. Numérisé sur Gallica. L’hypothèse d’une « copie » vient de Jean Duron, et nous y adhérons. Voir la liste de ces messes dans Montagnier, The Polyphonic Mass in France, op. cit., p. 288-291. Par exemple, la Missa Ave Maria de Jean de Bournonville nécessite 4,5 feuilles chez Ballard en 1618 et 2,9 feuilles chez Bogard en 1619 (calcul fait sans tenir compte des titres, pièces liminaires ni tables).

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RENCONTRER L’ÉDITEUR OU LUI ENVOYER SES ŒUVRES ? Comment approcher la maison Ballard à Paris ? Pour les messes, un tiers des compositions venait de Paris, et leur auteur n’avait qu’à remonter la rue Saint-Jacques pour aller négocier avec l’un ou l’autre Ballard. Hors de Paris, une moitié des compositions provenait de maîtrises situées au nord d’une ligne reliant Nantes, Tours, Bourges et Beaune, donc dans le tiers septentrional du royaume, maîtrises à partir desquelles le voyage à Paris n’est pas une grosse affaire. Le reliquat, soit environ 15 % des messes, provenait de maîtrises situées plus au Sud 12 et l’absence des maîtrises pourtant prestigieuses de Toulouse, Saint-Émilion, Arles, Avignon et Aix-en-Provence est à cet égard frappante 13. La grande tradition polyphonique des maîtrises du Nord de la France, héritière de l’école franco-flamande, a sûrement joué son rôle dans cette prédominance, mais on peut supposer que la maison Ballard n’a pas démarché les maîtrises méridionales, et qu’elle attendait qu’on la sollicitât. A-t-elle, du reste, jamais démarché des maîtrises ? En octobre 1635, Mersenne regrette qu’il lui « faille attendre d’icy Noël pour deux feuilles de musique, le sieur Ballard s’allant pourmener à Tours, Saumur, Angers etc. » pour achever l’impression de son Traité de l’orgue 14. L’imprimeur était-il parti faire une tournée des maîtrises ? Probablement pas – il n’a rien publié qui provînt de Tours, Saumur ni Angers – alors qu’il avait acquis avant 1621 un office de commissaire de l’artillerie de France, conservé jusqu’en 1625 au moins, qui pouvait l’amener à faire la tournée les dépôts pour en vérifier les poudres, compter les boulets ou qualifier l’outillage. Si aucun Ballard ne vient aux maîtrises, ce sera donc le compositeur qui vient à lui. En laissant de côté le cas très particulier d’Orlande de Lassus séjournant à Paris de mi-avril à mi-juin 1571, on a des traces de divers voyages de compositeurs à Paris, tels Jean Titelouze en 1633 (ses œuvres sont déjà publiées mais sans doute connaissait-il le chemin de la boutique 15), Jacques Huyn en 1641 ou Pierre Menault en 1675 16. Il était aussi possible d’envoyer ses compositions rue Saint-Jean-de-Beauvais, avec une recommandation… Là-dessus les témoignages sont rares, les archives des Ballard ayant brûlé, mais il reste possible de citer les messes ou les motets manuscrits qui se

12. 13. 14. 15.

16.

Ces statistiques ressortent de Montagnier, The Polyphonic Mass in France, op. cit., p. 75-78. L’absence de Lyon est naturelle, la musique polyphonique y étant bannie de la cathédrale Saint-Jean comme des églises sous sa tutelle. Mersenne, Correspondance, op. cit. ; ici, V, 1635, éd. Cornelis de Waard, Paris, Éditions du CNRS, 1959, p. 421. « Je fus marry en passant à Paris, que je n’eux le loisir de vous aller voir. La compagnie de notre voiage me pressa si fort que je ne vis que M. Fremart, M. de La Barre et le Sr Ballard, environ une heure et non plus. Il me dit qu’il se preparoit pour mettre sous la presse le livre du Sr de Cousu… », Mersenne, Correspondance, op. cit. Ici, III, 1631-1633, 2e éd. Cornelis de Waard, Paris, PUF, 1969, p. 361. De Beaune, Pierre Menault demande à aller à Châlons-sur-Marne et de là à Paris, « afin d’avoir de nouvelle musique ». En fait, il s’occupe probablement là de l’édition de sa messe O fœlix parens parue en 1676… Voir Pierre Menault, Messes pour Saint-Étienne de Dijon, éd. Michel Cuvelier, Versailles, CMBV, 1993, p. XII.

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trouvaient dans leur bibliothèque en mai 1750 17 (un petit nombre de ces pièces étaient déjà publiées ou le furent par la suite) : Messe des Morts à grand chœur de M. Campra. Messes des Morts à grand chœur par M. Gille. Offices de Ste Cecile mis en musique par M. Le Tellier 18… de Chalons Messe en musique à 5 p. Gaudete in cœlis, anonyme. Recueil de Leçons de tenebres de différents auteurs. Les Leçons de ténèbres de Lambert. Le Miserere de Lalande. Miserere de Salomon à trois voix. Repons et Leçons de ténèbres de Salomon. Les Leçons de M. Lalouette à 3 voix. Les Leçons de M. Bernier. Le Miserere du même [peut-être son Miserere à grand chœur]. Le Miserere de M. Des fontaines [parisien]. Leçons de Gilles. Leçons de Duluc 19. Motet O crux ave. Motet, Panis angelicus. Motet Languentibus in purgatorio à 2 dessus. O filii à 3 voix de M. Clérambault. Miserere à 3 voix. 1er et 2e livre des Motets de Lalouette, son Miserere en trio. Motets à voix seule de Bassani. Litanies de la Ste Vierge à 4 parties. Les Vespres du Saint-Sacrement. Motets de M. Luigy Mancia. Motets italiens de différents auteurs. Motet de Minoret, Lully et Danielis. Motets à 3 p. de Lully [probablement LWV 77 1-13]. Cinq livres de Motets de differents auteurs. Six livres de repons et d’hymnes pour l’orgue. Elevations et antiennes à voix seule et à 2 parties avec la basse continue de M. Gobert [de la Chapelle royale].

Nul doute qu’il se soit trouvé ici quelques pièces envoyées par des maîtres de chapelle, que l’imprimeur n’a pas jugé pertinent de publier… On peut citer à ce propos le témoin des relations entre un musicien et un imprimeur : la « copie », un manuscrit très propre que le premier fait parvenir au second, et qui peut porter déjà des paginations et des titres courants supposés définitifs. Jean Duron a détecté que deux motets de Sébastien de Brossard conservés dans sa collection sont des « copies » qui n’ont 17. 18. 19.

Voir Laurent Guillo, « La bibliothèque de musique des Ballard d’après l’inventaire de 1750 et les notes de Sébastien de Brossard », Revue de musicologie, 90/2 (2004), p. 283-345 et 91/1 (2005), p. 195-232. Probablement Pierre Le Tellier, maître de chapelle à Châlons-en-Champagne, qui publia une Missa Domine quis habitabit à quatre parties, chez Robert III Ballard, en 1642 ; voir Guillo, Pierre I Ballard et Robert III Ballard, op. cit., t. 2, p 345. Probablement Jean-Baptiste Duluc (av. 1716-1761), maître de chapelle successivement à Notre-Dame de Paris, Tours, Chartres puis Rouen.

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pas été retenues par Christophe Ballard pour son second livre d’Élévations et motets à II et III voix de 1699, et qui ont été ensuite récupérées par le compositeur 20. Certaines des copies sont probablement parvenues aux Ballard avec la recommandation d’un chapitre, d’un notable ou d’un confrère musicien, car en ces matières les appuis sont toujours appréciables. Le compositeur pouvait faire intervenir un ami ou son réseau professionnel ou familial. Là encore, les témoignages sont rares mais on peut supposer que si une œuvre ou un recueil de motets sont publiés avec une dédicace – ce qui arrive rarement pour les messes mais plus systématiquement pour les motets – le dédicataire aura pu être l’entregent du compositeur et de l’imprimeur. Ce point nous amène naturellement au financement de l’édition.

Les messes imprimées chez les Ballard sont exceptionnellement précédées d’un avant-titre portant un encadrement élaboré, au verso duquel se trouve une dédicace.

20.

Il s’agit des motets SdB n° 55 et 47, numérisés sur Gallica (Paris, BnF, musique, Vm1 1082 et 1083).

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Missa Vox exultationis de Pierre Dagneaux (1666), dédicace © Paris BnF.

FINANCER L’ÉDITION, RÉCOMPENSER LE COMPOSITEUR ? Jusque vers 1715, les seuls contrats d’édition repérés pour des messes ou des motets concernent l’édition en 1638 des trois messes de Nicolas Formé par Pierre I et Robert III Ballard et, en 1658, l’édition des Meslanges d’Étienne Moulinié par Jacques II Sanlecque 21. Le premier contrat a été établi pour protéger l’exclusivité de l’œuvre (qui contient une messe à double chœur inhabituelle à cette époque), mais ne contient aucune clause sur les coûts. En cette matière, il faut donc faire l’hypothèse que les modalités d’édition des messes et des motets étaient les mêmes que pour les autres genres de musique : 21.

Le premier contrat est publié par François Lesure, « Un contrat d’exclusivité entre Nicolas Formé et Ballard (1638) », Revue de Musicologie, 50 (1964), p. 228-229. Le second date du 3 septembre 1655 et n’est pas retrouvé ; il est décrit par Pierre-Simon Fournier le Jeune, Traité historique et critique sur l’origine et les progrès des caractères de fonte pour l’impression de la musique… Berne [Paris], 1765, p. 15.

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l’auteur paye à l’imprimeur le papier et une partie des frais d’impression, recevant en retour une partie du tirage qu’il pourra diffuser lui-même ; l’imprimeur garde le reste du tirage pour le vendre dans sa boutique, rembourser le reste de ses frais et faire son bénéfice. Ce fonctionnement – qu’on suppose habituel mais qui reste mal documenté 22 – évolue au XVIIIe siècle dans la mouvance de l’Académie royale de musique, lorsque l’imprimeur achète d’abord l’œuvre au compositeur, par une cession de son privilège d’auteur 23. Avant cela, d’autres modes de financement avaient existé : tel le cas de Du Caurroy dont Pierre I Ballard achète toutes les œuvres pour un montant inconnu, tel le cas de la Maison du Roi quand elle finance des éditions qui doivent être publiées par exprès commandement de Sa Majesté. Ici se voient les recueils de motets à grand chœur de Jean-Baptiste Lully, de Pierre Robert et de Henry Du Mont (chez Christophe Ballard en 1684, 1684 et 1686 respectivement). Il existe donc une diversité de modes de financement ; parmi eux le positionnement de l’édition des messes et des motets reste assez flou, mais l’hypothèse d’un cofinancement habituel par le compositeur ou par son chapitre reste la plus probable, et deux témoignages viennent la soutenir. Annibal Gantez relate : « Mais aujourd’huy nous sommes en un temps que tout est permis & celui qui donne le plus à Ballard ou à Sanlecque fait imprimer ses œuvres » 24. Et en 1771, lorsque Henri Hardouin lance la souscription qui doit conduire à la publication de ses Messes chez François-Vincent Bignon en 1772, il reçoit une gratification de 300 lt du chapitre de la cathédrale de Reims 25, probablement destinée à avancer les frais de gravure. L’étude des dédicaces des messes et des motets est plus riche en témoignages et donne quelques indications. Une liste dressée pour les messes par Jean-Paul Montagnier 26 montre tout d’abord que ces dédicaces sont rares (une quinzaine seulement sur 175 éditions, rééditions non comprises), et qu’un gros tiers d’entre elles sont dirigées vers le chapitre qui emploie le compositeur. Un autre tiers est dirigé vers des notabilités ecclésiastiques que le compositeur voulait remercier (chanoine, abbé, évêque…) ou dont il voulait attirer l’attention ; ne restent que deux dédicaces à des nobles, parmi lesquels Marie de La Guiche de Saint-Géran, de qui Gantez relate qu’il a reçu trente pistoles de présent 27 (unique témoignage d’une rétribution pour une dédicace).

22.

23. 24. 25. 26. 27.

En matière de coûts, on connaît le contrat entre l’organiste François Roberday et la veuve Sanlecque (voir Guillo, Pierre I Ballard et Robert III Ballard, op. cit.) mais ce n’est qu’un contrat de sous-traitance, Roberday recevant la totalité des 500 exemplaires. La correspondance entre Constantijn Huygens et Robert III Ballard parle d’un mémoire (une facture) de l’imprimeur au compositeur (voir Guillo, « Les éditions musicales imprimées par Jacques I de Sanlecque », art. cit., p. 35-38). Les contrats sont plus nombreux au XVIIIe siècle mais ne concernent pas la musique sacrée. Une cession de privilège pour une tragédie en musique coûtait entre 1 000 et 2 000 lt, suivant le compositeur. Gantez, L’Entretien des musiciens, Auxerre, J. Bouquet, 1643, lettre LIII. Voir Henri Hardouin, Six messes à quatre voix, éd. Patrick Taïeb. Versailles, CMBV, 1994, p. XII. Il s’agit de l’édition RISM H 2018. Montagnier, The Polyphonic Mass in France, op. cit., p. 85. Gantez, L’Entretien des musiciens, op. cit., lettre LIII.

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Pour les livres de motets, le relevé fait par Nathalie Berton-Blivet 28 montre que les dédicaces sont beaucoup plus fréquentes, puisque sur 131 publications on en dénombre trente-sept (soit 28 %). 30 % des dédicaces vont à des notabilités ecclésiastiques (en incluant les chanoines), 48 % à des nobles et 22 % à des notables ou des musiciens. Là aussi, le jeu des sollicitations, des récompenses réelles ou supposées a probablement fonctionné 29. L’auteur cite la dédicace du premier livre de motets de Campra à Charles de La Grange Trianon, chanoine de Notre-Dame remercié par le musicien pour lui avoir ouvert la charge de maître de musique de Notre-Dame de Paris. Pour Paolo Lorenzani, la dédicace de ses motets dit son espérance – déçue – d’être nommé au service de Louis XIV. Comme le soulignent tant Nathalie Berton que Jean-Paul Montagnier, la rétribution d’une dédicace pouvait également se traduire par une nomination à un canonicat, ou l’attribution d’un nouveau poste ; inversement une dédicace pouvait être le remerciement du compositeur pour une évolution de sa carrière 30. Deux triangulations se superposent ici : d’une part une triangulation d’acteurs entre le compositeur, son dédicataire et l’imprimeur, d’autre part une triangulation d’échanges, entre une somme d’argent, une sollicitation/rétribution et une évolution de carrière. Beaucoup de combinaisons ont dû exister, même si peu sont clairement documentées, les autres restant parfois hypothétiques. Deux exemples tout de même : la publication d’une messe à six voix par Pierre Menault aurait pu l’aider à passer de Beaune à Châlons-enChampagne, une autre aurait facilité son passage à Saint-Étienne de Dijon. L’écriture de deux messes à six voix par Jean Colin, maître de chapelle à Soissons, aurait pu avoir la même motivation 31. METTRE AU POINT L’ÉDITION ET LA PROTÉGER Voilà notre maître de chapelle et notre imprimeur d’accord sur les termes de leur contrat. Celui-ci, s’il existe, est signé sous seing privé car sur ce plan les archives publiques sont muettes. Le musicien va naturellement insister auprès de l’imprimeur pour que son œuvre soit imprimée correctement et que ses intentions soient fidèlement rendues. Ainsi voit-on Pierre I Ballard, dans un avis au lecteur qui introduit la Quinta pars de la messe à deux chœurs de Nicolas Formé en 1638, s’excuser d’avoir obtempéré au désir du compositeur en répétant le signe de mensuration au début de chaque ligne, et mis les hampes des notes qui se suivent toutes du même côté – toutes précautions inutiles qu’il s’empressera d’abandonner par la suite. En 1686, Léonore 28. 29. 30. 31.

Nathalie Berton-Blivet, Catalogue du motet imprimé en France (1647-1789), Paris, Société française de musicologie, 2011 ; voir aussi son article dans le présent volume, p. 297-316. Ibid., p. XXXI-XXXII. Pour les messes, des exemples avérés ou hypothétiques sont donnés dans Montagnier, The Polyphonic Mass in France, op. cit., p. 83-96. Voir ibid., p. 74.

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LAURENT GUILLO

Gontier, un médecin de Beauvais, se pique de faire imprimer chez Christophe Ballard une messe avec basse chiffrée et avec des indications de « Grand chœur » et de « Petit chœur » traduites dans la typographie du texte. Ces indications sont intéressantes pour appréhender l’exécution des messes à l’époque, d’autant que des instruments sont mentionnés dans la préface. Dix ans après, Sébastien de Brossard passe l’été 1695 à Paris alors qu’il travaille à Strasbourg, pour négocier avec le même imprimeur l’édition des motets qui composent son Prodromus musicalis, et introduire des nouveautés 32 : l’impression en partition in-folio et les indications de tempi en italien avec un lexique adéquat ; une traduction des textes est ensuite ajoutée dans le livre II de 1698. Certaines seront retenues par Ballard et constitueront la marque d’une nouvelle collection de petits motets parue durant une vingtaine d’années. Enfin l’œuvre paraît, au désir du compositeur et au soulagement de l’imprimeur. Elle est souvent protégée par un privilège général obtenu par le premier ou par le second ; il arrive aussi que l’un ou l’autre ait obtenu un privilège spécifique pour ses œuvres sacrées. Le privilège obtenu par Pierre I Ballard le 16 janvier 1609 pour protéger les œuvres d’Eustache Du Caurroy est à cet égard emblématique, tant l’enjeu de cette série de publications était important pour lui. Le cas de Guillaume-Gabriel Nivers est également notable, qui obtient le 31 août 1678 un privilège de trente ans pour toutes ses œuvres « tant de musique que de plain-chant ». Le travail considérable qu’il avait entrepris pour la rénovation du chant grégorien était dès lors efficacement protégé ; un autre privilège lui sera accordé le 30 avril 1697 pour ses travaux sur les livres d’usage du rite romain. INTERVENIR DANS LE CIRCUIT DE LA VENTE ? Une fois imprimés, les messes et les motets suivent une trajectoire assez différente. Les premières sont diffusées directement vers les maîtrises du royaume 33 par l’intermédiaire des catalogues généraux ou spécialisés que diffuse la maison Ballard 34. Elles sont envoyées avec une facture, à moins qu’un organiste, un chanoine, un chantre ou un organiste puisse venir les prendre à l’occasion d’un voyage dans la capitale. Pour les messes gravées ou au pochoir, on trouve quelques annonces insérées dans les périodiques du temps 35. Des envois de messes ou de motets par un libraire à destination des églises peuvent être relevés dans les archives capitulaires : 32. 33. 34. 35.

Sur cet épisode, voir La Collection Sébastien de Brossard 1655-1730 : catalogue édité et présenté par Yolande de Brossard, Paris, Bibliothèque nationale de France, 1994, p. 309. Ce marché est évalué à 130 cathédrales et 500 églises collégiales par John McManners, Church and society in eighteenth-century France, Oxford, Oxford University Press, 1998, vol. 1, p. 399. La liste des messes disponibles chez les Ballard est donnée dans les catalogues généraux de 1683, 1697 et 1704 (tous des bifeuillets in-4°), et dans le catalogue de messes inséré à la fin de la Missa quatuor vocibus cui titulus, Lætitia sempiterna de Jean Mignon, 1707. Voir la liste des annonces repérées dans Montagnier, The Polyphonic Mass in France, op. cit., p. 100-102, pour des messes de Jean-Louis Bordier, Henri Hardouin ou Jean-Marie Rousseau entre 1758 et 1776.

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PUBLIER LA MUSIQUE D’ÉGLISE

Liste chronologique des mentions d’envois de messes ou de motets par des libraires

Acheteur

Date

Libraire

Produit

Jean Titelouze

Mention

1600

[P. Ballard] à Paris

Cathédrale NotreDame de Rouen

1610

Théodore Reinsard à 18 messes Rouen

Guillo 2003, t. 1 p. 74

Cathédrale NotreDame de Rouen ?

1618-1619

Romain de Beauvais Musique à Rouen

AD SeineMaritime : G.2601

Cathédrale NotreDame de Rouen

1626

P. Ballard à Paris

Motets et messes

Église Saint-Nicolas ca.1627 de Rouen

R. de Beauvais à Rouen

Livres d’orgue de Titelouze

AD SeineMaritime : G.7331

Cathédrale NotreDame de Rouen

P. Ballard à Paris

Messes reliées

Guillo 2003, t. 1 p. 187

1638

Musique et motets

Intermédiaire

Cathédrale NotreDame de Rouen

AD SeineMaritime : G.6729

Estienne Sanson, Guillo 2003, t. 1 chanoine p. 187

Église Saint-Maclou 1640-1641 de Rouen

R. de Beauvais et 14 messes R. Malherbe à Rouen

AD SeineMaritime : G.6941

Cathédrale NotreDame de Rouen

1644

R. Ballard à Paris

Motets, messes et chansons

Guillo 2003, t. 1 p. 187

Cathédrale NotreDame de Beaune

1650

[R. Ballard à Paris]

9 messes

Jacques Huyn

Cathédrale NotreDame de Rouen

1658

R. Ballard à Paris

Messes

Michel Yart, orga- Guillo 2003, t. 1 niste p. 187

Cathédrale SaintJulien du Mans

1670

[R. Ballard à Paris]

12 messes

Innocent Boutry

Granger 2002 36

Cathédrale NotreDame de Beaune

1672

[R. Ballard à Paris]

6 messes

Pierre Menault

Guillo 2003, t. 2 p. 393

Cathédrale SaintJean de Besançon

1703

[Chr. Ballard à Paris] 36 messes

Montagnier 2017, p. 20

Cathédrale NotreDame de Rouen

1752-1753

[Chr. J.-Fr. Ballard] à 17 messes Paris

AD SeineMaritime : G.2785

Cathédrale SaintJean de Besançon

Fin XVIIIe

Paris

Legrand 1990, p. 62 37

Messes, surtout François-Robert de J.-L. Bordier Doriot

Guillo 2003, t. 2 p. 393

La lecture de plusieurs de ces documents originaux révèle que la décision de faire acheter de la musique ne dépend jamais du maître de chapelle – qui à cet égard ne peut que conseiller – mais du chapitre, qui gère la cassette. Il arrivait même que des chanoines soient rappelés à leur obligation de renouveler la musique par des achats nouveaux, sur la plainte du maître de musique 38. Les particuliers n’achètent jamais de messe : c’est ce qui ressort clairement d’une étude sur les collections particulières de musique 39. La première raison tient sans doute à la difficulté de les faire chanter chez soi avec le chœur adéquat ; la seconde de

36. 37. 38. 39.

Sylvie Granger, Musiciens dans la ville (1600-1850), Paris, Belin, 2002, p. 63. Amédée Legrand, La Maîtrise de la cathédrale de Besançon : son histoire du Moyen Âge à nos jours, Besançon, Marcel Cêtre, 1990, p. 62. Voir Montagnier, The Polyphonic Mass in France, op. cit., p. 97, qui cite le procès survenu entre Prothade Amidey, maître de chapelle de l’église collégiale de Dôle, et le chapitre, en 1754-1758. Laurent Guillo, « Les bibliothèques de musique privées au miroir des catalogues de vente », art. cit.

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l’impossibilité symbolique de chanter une liturgie officielle de l’Église dans un lieu non consacré. Les motets, quant à eux, suivent des circuits de librairie beaucoup plus classiques. Ils figurent dans les catalogues de librairie au même titre que les airs, les cantates ou la musique instrumentale. Le relevé des ex-libris ecclésiastiques fait par Nathalie Berton 40 montre que les volumes de motets étaient achetés par les cathédrales autant que par les couvents, les monastères, les abbayes et quelques églises. Comme ils ont sur la messe l’avantage de pouvoir aussi se chanter chez soi sans rien nécessiter de plus que l’effectif convenable à un air ou à une cantate, et d’être écoutés au Concert spirituel, ils ont eu leur place – réduite mais bien réelle – dans les collections musicales particulières 41. DONNER AUX MAÎTRISES, ACCROÎTRE ET GÉRER LES COLLECTIONS Une fois publiée, une messe servait fréquemment d’hommage ou de carte de visite à son auteur… De nombreux cas ont été collectés dans les archives capitulaires, où l’on voit l’auteur offrir une ou deux de ses messes récemment publiées soit à son chapitre à titre de remerciement ou d’hommage, soit à un chapitre voisin à titre de publicité, éventuellement pour favoriser une candidature prochaine. Les cas que nous résumons ici sont assez nombreux pour refléter une pratique assez bien établie : Liste chronologique de dons de messes ou de motets par un compositeur

Compositeur

40. 41. 42. 43. 44. 45.

Date

Chapitre récipiendaire

Mention moderne 42

Jean Escobar

1621

Cathédrale de Bordeaux

Bordeaux AD33 : G 294.

Pierre Le Tellier

ca. 1642

Cathédrale de Troyes

Guillo 2003, t. 2 p. 779

Annibal Gantez

1642

Cathédrale de Troyes

Chappée 2003, p. 281 43

Henry Frémart

1646

Cathédrale de Rouen

Collette 1892, p. 122 44

Jean Cathala

1663

Cathédrale de Troyes

Guillo 2003, t. 2 p. 581

Louis Chein

1691

Sainte Chapelle de Paris

Montagnier 2017, p. 88

Claude Mielle

1736

Cathédrale d’Auxerre

Montagnier 2017, p. 99

Claude Mielle

1736

Cathédrale de Rouen

Montagnier 2017, p. 99

Henry Madin

1743

Cathédrale de Rouen

Montagnier 2008, p. 102 45

Henry Madin

1747

Saint-Pierre de Rennes

Montagnier 2008, p. 103

Berton-Blivet, Catalogue du motet imprimé, op. cit., p. XXXV-XXXVII. Voir Laurent Guillo, « Les bibliothèques de musique privées au miroir des catalogues de vente (1700-1775) », communication donnée au colloque Rethinking Music in France during the Baroque Era, Paris-VersaillesRoyaumont, 20-23 juin 2018. Les sources originales sont à rechercher par l’intermédiaire de ces références. Florence Chappée, « Annibal Gantez, auteur de L’Entretien des musiciens (1643) », Maîtrises & chapelles aux XVII e & XVIII e siècles : des institutions musicales au service de Dieu, éd. Bernard Dompnier, Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise Pascal, 2003, p. 270-289. Amand Collette et Adolphe Bourdon, Histoire de la maîtrise de Rouen…, Rouen, E. Cagniard, 1892. Jean-Paul C. Montagnier, Henry Madin (1698-1748) : un musicien lorrain au service de Louis XV, Langres, Éditions Dominique Guéniot, 2008.

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PUBLIER LA MUSIQUE D’ÉGLISE

Une telle pratique s’observe aussi pour des messes manuscrites, telles les deux messes que Henry Frémart dépose devant le chapitre de Notre-Dame de Paris en 1628, pour lesquelles il reçoit 75 lt de rétribution 46. Ce faisant, qu’il s’agisse de messes ou de motets imprimés ou manuscrits, le compositeur participait à l’accroissement des collections musicales de la maîtrise. Cet accroissement par des œuvres publiées par le maître de musique ou par des œuvres reçues de ses confrères s’ajoute à un autre type d’accroissement : le don à la maîtrise par le maître des œuvres qu’il a composées pendant son emploi. De cette pratique souvent attestée, nous ne donnerons qu’un exemple : celui de Pierre Menault qui, partant de Beaune vers février 1676 pour retourner à Châlons-sur-Marne, laisse au chapitre « les motets et messes en musique de sa composition qu’il était obligé de leur laisser » 47. Outre la gestion plus ou moins directe de ces accroissements, le maître de musique est souvent chargé par le chapitre de faire et rédiger l’inventaire de la musique de la maîtrise : celle-ci lui est confiée au début de son contrat et il est supposé la rendre intacte à la fin. Parmi les exemples disponibles, on peut citer l’inventaire de 1633 des livres de musique de la cathédrale d’Amiens, produit par Artus Aux-Cousteaux 48. Comme souvent, il est vu comme une partie des biens de la maîtrise, et la musique doit donc être cherchée parmi les lits, les draps, les écuelles et les pots. Elle apparaît dans des volumes dont les reliures sont mieux décrites que le contenu – il faudra bien pouvoir reconnaître ces volumes dans les inventaires futurs, avec souvent des titres assez génériques (messes, hymnes, Salve Regina, Magnificat…). Le nom des donateurs est rappelé ici ou là, souvent un chanoine (tel Jehan Clericy, chanoine d’Amiens, qui a donné un motet à trente-six parties…) ou un ancien maître, tels Adrien Josselin ou Jehan Boistel, maîtres de chapelle à Amiens au XVIe siècle. Des livres imprimés sont parfois identifiables, telles ces messes d’Orlande ou de Claude Le Jeune, de Du Caurroy ou Bournonville, reliées ensemble et qui ne peuvent sortir que de chez Pierre I Ballard. En matière d’inventaire, c’est sans doute celui de la collégiale Notre-Dame d’Annecy qui donne un aperçu le plus complet de la diversité et de la richesse de ces fonds 49. Il est dressé en 1661 lors de la prise de fonction de Claude-Louis Masson, chanoine et maître de musique, succédant à Sublet. Sa lecture laisse apparaître des strates entremêlées, entre ce qui vient du royaume de France, du duché de Savoie, d’Italie, des pays alémaniques ou accessoirement d’Espagne, entre ce qui est récent et ce qui est vieux, entre ce qui est manuscrit (souvent en plusieurs copies) et ce qui 46. 47. 48. 49.

Paris, AN, LL 297, f. 124r, cité d’après Montagnier, The Polyphonic Mass in France, op. cit., p. 100n. Menault, Messes pour Saint-Étienne de Dijon, p. 13. AD Somme : G.1053. Un extrait est donné dans l’Inventaire sommaire des Archives départementales antérieures à 1790, Somme, Tome V, Archives ecclésiastiques, série G (n° 1 à 1169), rééd.. G. Durand, Amiens, Redonnet fils, 1902. Cet inventaire est commenté et transcrit dans Norbert Dufourcq, « Un inventaire de la musique religieuse de la Collégiale Notre-Dame d’Annecy, 1661 », Revue de Musicologie, 41 (1958), p. 38-59.

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LAURENT GUILLO

est imprimé (plutôt minoritaire), entre ce qu’on doit aux compositeurs de stature internationale tels Lassus et Palestrina et ce qui revient à des maîtres locaux plus ou moins inconnus. Là encore, beaucoup de titres génériques ne laissent paraître aucun nom de compositeur, et il est probable qu’en 1661 seule une faible partie de ce fonds était encore utilisée. Il revenait donc au maître de musique de conserver tout ça, de faire réparer les livres en mauvais état, de suggérer de nouveaux achats, et d’y laisser ses œuvres propres. Et, bien sûr, d’y choisir ce qu’il voulait faire chanter – avait-il la liberté et la curiosité de faire chanter des œuvres anciennes à ses enfants et à ses chantres, pour les entendre ? L’étude de ce riche inventaire montre bien qu’en fait, la meilleure garantie pour une œuvre d’être conservée dans l’avenir était d’être imprimée. La presque totalité des œuvres restées manuscrites sont maintenant perdues, et finalement, pour le maître de musique, se donner les moyens d’être édité a été le meilleur moyen de perpétuer sa propre mémoire.

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LE MAÎTRE DE MUSIQUE ENTRE PUBLIC ET ÉDITION (XVIIe-XVIIIe SIÈCLES) 1 Nathalie BERTON-BLIVET

Lorsqu’il publie ses motets à petits effectifs, le maître de musique les destine généralement à quatre types de publics : une communauté religieuse spécifique et clairement désignée, des dames religieuses ou des chapitres non nommés, des dames religieuses et le concert, enfin les seuls amateurs. À ces différents publics sont associées des caractéristiques musicales ou organisationnelles particulières. Nous allons tenter de les mettre en lumière car elles révèlent le travail particulier auquel se livre le maître de musique afin de répondre au mieux aux attentes de ces publics. À L’USAGE D’UNE COMMUNAUTÉ RELIGIEUSE PARTICULIÈRE Les publications à l’usage d’une communauté religieuse particulière forment une catégorie à part puisqu’elles sont a priori destinées non à un public élargi, mais à une seule communauté religieuse dont elles fixent et transmettent les chants en usage. Quatre recueils appartiennent à cette catégorie : les chants des bénédictines du Calvaire, sortis des presses de Robert III Ballard entre 1637 et 1640 2 ; les Offices divins 3 publiés en 1686 par Guillaume-Gabriel Nivers, qui rassemblent les chants de la jeune communauté

1. 2.

3.

Nous ne prenons en compte dans cette étude que les recueils monographiques parus en France entre 1647 et 1789 et excluons les recueils mixtes qui mêlent musique sacrée et profane ainsi que les publications d’œuvres isolées. Aucun des exemplaires conservés au sein de la communauté ne comporte de page de titre ou de colophon. Sur la musique des bénédictines du Calvaire, voir le chapitre « Le chant du Calvaire (1617-1903) » qui rassemble les contributions de Fabien Guilloux (« Identité et évolution d’une tradition chorale »), Marco Gurrieri (« Les pratiques polyphoniques : l’exemple du Calvaire d’Angers » et Nathalie Berton-Blivet (« Transmission et évolution du répertoire »), dans les actes du colloque Renovamini, une réforme monastique au cœur de la modernité, les Bénédictines de Notre-Dame du Calvaire (Poitiers, 26-27 octobre 2017), éd. Daniel-Odon Hurel, à paraître. Offices divins à l’usage des dames & demoiselles établies par Sa Majesté à Saint Cyr. Dressez selon l’usage romain, conformément au chant de l’église disposé par le sieur Nivers, organiste de la Chapelle du roy, Paris, s.n., 1686 (voir Nathalie Berton-Blivet, Catalogue du motet imprimé en France, Paris, Société française de musicologie, 2011, MI.recueil.58). Afin d’éviter de longues descriptions, nous renvoyons systématiquement à ce catalogue pour la description des recueils (références « MI.recueil. ») ou des pièces (références « MI. »).

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NATHALIE BERTON-BLIVET

de la maison royale de Saint-Louis à Saint-Cyr ; les deux tomes des Chants et motets à l’usage… de la maison royale de Saint Louis à Saint Cyr 4 (1733), qui en constituent une version actualisée, et le Processionnal pour l’abbaye royale de Chelles 5 dont les deux tomes ont été publiés en 1726 par Jean-Baptiste Morin qui était, depuis l’été 1719, maître de la chapelle et de la chambre de Louise-Adélaïde d’Orléans, abbesse de Chelles, et maître de musique de l’abbaye 6. Ici, le prisme uniformisateur et normalisateur de l’édition ne s’exerce pas et ce sont bien, dans leur réalité concrète, les chants et usages des communautés religieuses qui sont fixés sur le papier. Les Offices divins contiennent les plains-chants chantés durant les offices ainsi que six motets en plain-chant musical 7, en notation figurée 8 ou encore en notation mixte 9. La nouvelle édition de ces chants, augmentée par Nicolas Clérambault quarante-sept années plus tard, comporte les mêmes chants dans une notation plus aisée à lire, en rondes et blanches. Les deux tomes comportent de très nombreux motets de Nivers ou de Clérambault, ceux du premier ayant souvent été arrangés par le second 10. Le premier tome contient les messes, vêpres, cérémonies et litanies en usage à Saint-Cyr tandis que le second contient l’ensemble des motets chantés durant les saluts du Saint-Sacrement. Ces pièces sont écrites pour une ou deux voix et un chœur à une ou deux parties, sans basse continue notée, ce qui n’exclut pas la présence d’un orgue, comme le révèlent certaines annotations telle « L’orgüe joue un peu pour laisser reposer les voix »11, qui soulignent par ailleurs une des fonctions usuelles des ritournelles instrumentales. Le Processionnal pour Chelles (1726) se présente du point de vue de la graphie musicale de manière comparable aux Chants et motets puisque les pièces sont notées sur des portées de cinq lignes, en notation figurée. Il comporte pour certaines intonations la partie d’orgue et présente ailleurs les mêmes types d’alternances que dans les Chants et motets entre une ou deux voix et le chœur.

4.

5.

6. 7. 8. 9. 10. 11.

Chants et motets à l’usage de l’église et communauté des dames de la royale Maison de S.t Louis à S.t Cyr. tome premier […], s.l., impr. par Colin, 1733 et Motets à une et deux voix pour tout le chœur, à l’usage de l’église et communauté des dames et demoiselles de la royale Maison de S.t Louis, à S.t Cyr. Tome second, contenant tous les motets qui se chantent aux saluts […], s.l.s.n., 1733 (MI.recueil.71). [Recueil sans titre, Paris, Louis-Hector Hue, 1726] et Processional pour l’abbaye royale de Chelles. […] Seconde partie […], Paris, Louis-Hector Hue, 1726 (MI.recueil.70). C’est à la demande de l’abbesse, qui souhaitait rétablir le chant en son abbaye, que Morin publia ce processionnal où, nous citons l’Avertissement, « il n’y a rien de nouveau que le bon ordre, les vêtures et professions, les secondes parties et basses continues de tout ce qui est en fauxbourdon ou musique simple ». François Turelier, Morin, New Grove on line. Par exemple Ave verum corpus, motet « a l’Eslevation du S. Sacrement », p. 4-5 (voir Berton-Blivet, Catalogue, op. cit., MI.737). Voir Filiæ Jerusalem, motet « de S. Candide Martyr », p. 142-143 (MI.783). Voir Ecce panis angelorum, p. 131-133 (MI.772). Voir O sacramentum sacramentorum, p. 182-188 (MI.815). Comme dans le motet de saint Augustin, Laudemus virum, p. 94-99 (MI.789).

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LA QUÊTE D’UN AUTRE PUBLIC

À DESTINATION DES RELIGIEUSES ET DES CHAPITRES Les recueils publiés explicitement à destination des religieuses ou des chapitres sont plus nombreux puisqu’on en relève vingt (voir ANNEXE 1, p. 314). La présence dans cette liste du recueil de M. Noël, destiné d’après le titre aux « dames religieuses et toutes autres personnes », peut surprendre dans la mesure où l’on pourrait considérer que cette publication devrait être rattachée à la catégorie des recueils destinés tant aux dames religieuses qu’à un public d’amateurs. En fait, la mention « et toutes autres personnes » semble uniquement commerciale dans la mesure où le contenu du recueil tout autant que l’avis aux dames religieuses ne laissent présager qu’une utilisation des motets dans le cadre des offices. De plus, cette mention ne figure plus au titre de la seconde édition, qui confirme ainsi la destination du recueil aux seules dames religieuses. Il en va de même pour la publication de Madin. Nous avons ajouté à cette liste Les Lamentations du prophète Jérémie de Nivers, publiées en 1704. En effet, bien que rien ne l’indique dans cette édition qui ne comporte pas de page de titre 12, il est probable que ces leçons aient été destinées à des religieuses. Les pièces sont écrites pour voix seule sans basse, le format est un petit format « de poche » que les religieuses pouvaient aisément apporter au chœur. Ce format n’est d’ailleurs pas sans faire penser à d’autres publications musicales pour des religieuses, tels par exemple les Chants de l’abbaye-royale de Nostre-Dame du Val de Grâce, publiés en 1660 par Ballard, dont le format est comparable puisque l’exemplaire de la Bibliothèque nationale de France mesure 210 x 155 mm tandis que l’unique exemplaire de l’ouvrage de Nivers mesure 184 x 117 mm 13. Particularités musicales Pour les religieuses La grande majorité des pièces pour les religieuses met en œuvre une ou deux voix solistes accompagnées de la basse continue. Le recueil de Frédéric-Hubert Paulin 14 contient toutefois un motet à deux voix, noté dans les clés de sol2 et fa3 15, qui pourrait surprendre. La notation en fa3 n’a cependant rien qui doive déconcerter car il s’agit d’une des clés usuelles pour la notation du plain-chant que les religieuses lisaient

12. 13.

14. 15.

L’attribution à Nivers est rendue possible grâce au colophon figurant à la dernière page du recueil (MI.recueil.60). Bien que composées pour des voix de femmes, parfois même pour des communautés religieuses spécifiques, les Leçons de Ténèbres de Charles-Henri de Blainville (1758, MI.recueil.4), Michel Corrette (1784, MI.recueil.20), François Couperin (1715ca, MI.recueil.23) et Michel-Richard de Lalande (1730, MI.recueil.38) sont en fait destinées aussi aux concerts et aux amateurs (voir p. 307 sqq). 1er livre de motets… à l’usage des dames religieuses, Paris, auteur, Foucault, 1705 (MI.recueil.62). Dominus regnavit decorem, p. 44-62 (MI.865).16. Sur cette question voir Nathalie Berton-Blivet et Cécile DavyRigaux, « Les religieuses, des destinataires privilégiées du motet dans la France de l’Ancien Régime », 2013, publication en ligne dans HALSHS, halshs-00869931, version 1.

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couramment 16. Henry Du Mont procède de même dans ses Cantica sacra où il propose certaines parties de basse notées en fa3, d’autres en ut3 qu’il justifie en ces termes dans son avis « Au lecteur » : « J’y ay adjousté une basse pour chanter, escrite en hautecontre pour la commodité des voix des filles »17. Parmi ces publications destinées aux religieuses, le recueil de M. Noël contient onze motets pour lesquels un dessus de viole peut être ajouté. L’auteur du recueil dont les motets ont été – d’après l’« Avis aux dames religieuses » – « composés pour les dames du Val-de-Grâce », s’en explique en ces termes : « Ils sont à une voix seule avec la basse continue & de petites ritournelles pour l’orgue ou pour les violes, afin de donner à la personne qui chante le loisir de se délasser »18. Dans cet avis, M. Noël indique différentes manières d’exécuter les motets dont il publie la forme la plus complète, à savoir des pièces pour une ou deux voix et basse continue. Il suggère de remplacer la main droite de l’orgue (et c’est le seul recueil du corpus du motet imprimé en France où cette partie est notée) par un dessus de viole, tout comme il indique que ces pièces peuvent se passer de l’orgue lorsque la communauté religieuse n’en dispose pas 19. Ce type de préoccupations, qui reflète les pratiques musicales variées des couvents féminins, figure également dans la publication de Clérambault et celle de Madin, directement en lien avec des communautés religieuses spécifiques. Les six motets que publie Nicolas Clérambault en 1733 20 proviennent du second tome des Chants et motets de la maison royale de Saint-Louis à Saint-Cyr qui parut parallèlement ; ils sont dédiés à la supérieure et aux religieuses de l’institution et sont édités dans leur forme la plus complète, c’est-à-dire pour deux voix solistes, chœur à deux parties et basse continue (cette dernière n’étant pas présente dans les Chants et motets). Dans son Avertissement, Clérambault indique diverses manières de les chanter, ici encore pour répondre aux différentes pratiques du chant dans les maisons religieuses. Ils peuvent être chantés avec ou sans basse continue, à deux voix ou à voix seule, en chœur ou pas 21. Henry Madin, dont les motets ont été chantés aux saluts par les Cent Filles de la Miséricorde de la rue Censier à Paris, indique lui aussi des effectifs alternatifs :

16. 17. 18. 19. 20. 21.

Sur cette question voir Nathalie Berton-Blivet et Cécile Davy-Rigaux, « Les religieuses, des destinataires privilégiées du motet dans la France de l’Ancien Régime », 2013, publication en ligne dans HALSHS, halshs00869931, version 1. Cantica sacra, Paris, Robert Ballard, 1652 (MI.recueil.25) ; voir Henry Du Mont, Cantica sacra (1652), éd. Jean Lionnet, revue et augmentée par Jean-Yves Hameline et Thomas Leconte, Versailles, Éditions du Centre de Musique Baroque de Versailles, 2008. Motets pour les principales festes de l’année… pour les dames religieuses et toutes autres personnes, Paris, Christophe Ballard, 1687, p. [V] (MI.recueil.61). Noël indique dans le même Avis : « Je me suis attaché à former un chant tendre & naturel, qui put se soutenir comme un air dans les lieux où l’on n’use d’aucun instrument. » (c’est nous qui soulignons). Motets à une et deux voix pour tout le chœur avec la basse continüe pour l’orgue […] P.ere partie contenant six motets […], Paris, l’auteur, [1733] (MI.recueil.17). Voir l’Avertissement de cette publication, p. [IV].

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On peut chanter ces duos sans basse continue et sans simphonie, observant seulement que la seconde partie fasse les petites notes qui font la basse. On peut metre de la simphonie a ceux qui n’en n’ont point en repetant le meme chant a chaque reprise.

et plus loin Pour les bien executer, il faut remarquer ce qui est a Seul, ce qui est a deux marquez par un 2 et doubler ou tripler les parties quand il y a le mot de Tous, ce qui fait un petit chœur 22.

Henry Madin, Motets à deux dessus… chantés aux saluts par les cent filles de la Miséricorde… qui peuvent aussi être chantés par les dames religieuses…, Paris, Vve Boivin, Le Clerc, 1740, p. 14, BnF, musique, Vm1 1155 On remarquera sur la partie de second dessus les petites notes qu’il convient de chanter pour la version sans basse continue, les mentions « seul » et « à 2 » qui signalent l’alternance, l’indication « tous » pour la reprise qui se fait en chœur et non plus à deux voix, enfin, comme le mentionne l’Avertissement, si l’on décide d’ajouter des instruments – et là Madin va plus loin que Clérambault – la symphonie interviendra à la place des voix lors de la reprise. 22.

Henry Madin, Motes à deux dessus […] chantés aux saluts par les cent filles de la Miséricorde […] qui peuvent aussi être chantés par les dames religieuses, Paris, Vve Boivin, Le Clerc, 1740, « Avertissement », p. [II] (MI.recueil.46).

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Du Mont, dont les Cantica sacra sont très majoritairement destinés aux religieuses mais aussi aux chapitres, en raison notamment de la présence de motets à quatre parties pour superius, altus (ut3), tenor (ut4) et bassus (fa4) pour lesquels il ne propose aucune transposition, préconise également une alternance dès lors que ce sera possible : J’ay mis en quelques endroits ce mot Omnes, pour chanter tous, quand il y a deux personnes à une mesme partie et le mot de Solus, afin qu’un chante seul 23.

Cette alternance entre solistes et chœur est valable tant pour les motets pour les religieuses que pour ceux pour les chapitres. Une autre particularité de ces recueils, qui transparaît dans les textes liminaires, est l’attention portée au confort de la voix qui garantit la décence du chant, volontairement simple et expressif. Guillaume-Gabriel Nivers ne dit pas autre chose lorsqu’il précise dans ses « Observations » : Il est à remarquer que lorsqu’on accompagne, il faut estudier & connoistre précisément l’estendue de la voix qui doit chanter, & jouer toûjours un prélude avant tout ce qu’elle doit dire du ton convenable à sa portée, & selon le ton de l’orgue. […] Et ainsi de tous les autres motets à proportion, réhaussant les uns, ou rabaissant les autres, suivant la capacité & l’estendûe des voix, ausquelles il faut entierement s’accomoder & chercher en tout & par tout leur plus grande facilite & commodite pour les faire chanter juste & avec toute la decence possible. Ce qui requiert beaucoup de precaution, de prudence & d’exactitude 24.

Pour les chapitres Du point de vue des effectifs, les recueils destinés aux chapitres collégiaux et cathédraux sont plus variés que ceux pour les religieuses puisque les forces musicales en présence sont plus nombreuses et diversifiées. Dans le cas de Jean-Baptiste Geoffroy, de la Société de Jésus, les motets sont principalement à quatre parties, même si l’on dénombre quelques pièces pour solistes. Dans son « Avis au lecteur studieux », Geoffroy précise comment interpréter ses pièces :

23. 24.

Cantica sacra, op. cit. Guillaume-Gabriel Nivers, Motets à voix seule… et quelques autres motets à deux voix propres pour les religieuses, Paris, l’auteur, 1689, « Observations », p. [V-VII] (MI.recueil.59). Outre les remarques de Noël (voir ci-dessus, p. 300), on relève celles de Du Mont : « J’ay pense obliger le public & particulierement les dames religieuses (qui ayment les motets a peu de voix, aisez a chanter avec la partie pour l’orgue ou pour une basse de viole) […] La pluspart de ces motets se peuvent transposer un ton plus haut ou plus bas, selon la voix ou les instruments. » (« Au lecteur », Cantica sacra, op. cit.) ; Clérambault : « Il ne faut point s’attendre a y trouver beaucoup de travail ; je ne me suis attache qu’au chant et a l’expression. » (« Avertissement », Motets à une et deux voix, op. cit.) ; Madin : « M.r le celebrant aura, s’il luy plait, la bonte de dire l’oraison qui convient a la fin de chaque mottet pour que les dames qui les chantent puissent se reposer. » (« Avertissement », Motes à deux dessus, op. cit.).

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La disposition [des pièces musicales] est telle que l’usage en soit facile et commode, qu’un seul ou deux chœurs chantent ensemble ou que l’autre chœur réponde avec le chant grégorien ou avec ce que l’on appelle faux-bourdon. Les pièces qui sont désignées par des lettres minuscules ou des caractères italiques concernent le premier ou petit chœur et, dans celui-ci, seules doivent chanter les meilleures voix. Quant au second, ou grand chœur, les pièces sont désignées par des lettres majuscules ou un autre caractère et dans celui-ci, tous chantent ensemble, qu’ils ne soient que quatre pouvant suffire pour l’ensemble, ou qu’ils soient plus nombreux. La voix aiguë, que l’on a coutume de nommer superius, peut monter aux notes les plus hautes, ou, si elle ne le peut pas et qu’elle soit plus grave, qu’elle chante seule avec les autres, ou bien, comme disent les musiciens, elle peut réciter soit avec l’orgue soit avec un autre instrument, ou se joindre à la voix grave qu’on appelle basse. La plupart du temps les voix peuvent concerter avec des instruments, violes ou violons, pour les quatre parties, mais aussi parfois deux par deux, de manière égale ou inégale, avec l’orgue, etc, et de même pour un psaume ou une hymne, selon ce qu’il convient, comme indiqué dans chaque cas 25.

Geoffroy apporte ici deux types d’informations. Lorsqu’il indique que ces motets peuvent être chantés « selon ce qu’il convient », le compositeur fait allusion au degré de solennité qui induit différents types d’alternances. Le second type d’informations regarde les effectifs et leur adaptabilité en fonction des lieux et des disponibilités. Geoffroy précise que dans le petit chœur « seules doivent chanter les meilleures voix », et l’on peut imaginer, bien que le compositeur ne le dise pas expressément, qu’il s’agit de solistes. Le superius peut quant à lui chanter ou pas avec le bassus et alterner soit avec l’orgue, soit avec un autre instrument. Enfin, les voix peuvent concerter avec quatre parties instrumentales selon différentes configurations. Les parties instrumentales n’étant pas publiées, elles doivent vraisemblablement doubler ou remplacer le chœur. Les effectifs alternatifs envisagés par le compositeur pour chaque pièce de ses deux recueils sont indiqués au départ de chacune d’entre elles, parfois uniquement dans l’index du recueil, et révèlent toute la richesse de la pratique du chant d’Église : souvent, Geoffroy propose deux versions pour les versets alternant avec le chœur, la première pour le ou les solistes, la seconde pour le chœur, parfois en faux-bourdon ; l’une ou l’autre de ces versions pourra être choisie en fonction du degré de solennité. Cette grande malléabilité relative aux effectifs et aux pratiques est un des traits distinctifs du motet. Les deux recueils de Johann Georg Rauch 26 sont dédiés au chapitre de la cathédrale de Strasbourg dont il était organiste et il est possible, sans que rien ne le prouve, que les motets qu’ils renferment étaient destinés pour partie à cette institution. Ces

25. 26.

Jean-Baptiste Geoffroy, « Lectori musicæ studioso », D.O.M. Musica sacra ad vesperas…, Paris, Ballard, 1659 (MI.recueil.31). Nous remercions Fabien Guilloux pour sa traduction. Johann Georg Rauch, Novæ sirenes sacræ harmoniæ, Augsburg, Johann Jacob Schönigk, 1687 (MI.recueil.63) et Novarum sirenarum sacræ harmoniæ sive mottetæ, Strasbourg, auteur, Johannis Pastorius, 1690 (MI.recueil.64).

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recueils, caractérisés par des types d’effectifs différents, ne comportent que peu de pièces pour chœur à quatre ou cinq parties (trois sur un total de trente pièces en 1687 et deux sur douze en 1690). Le recueil de 1687 se caractérise par un nombre important de pièces accompagnées par un ensemble instrumental comportant deux dessus de violons, alto viola, tenore viola et basso viola, ensemble que l’on peut réduire aux seuls violons. La répartition vocale est assez homogène puisqu’on dénombre onze pièces pour voix graves, quatorze pour voix aiguës dont un quatuor pour voix aiguës, deux duos pour ut1 et fa4. Les pièces de 1690 sont majoritairement destinées aux voix graves puisque parmi les douze pièces du recueil on ne relève qu’un motet pour une tessiture aiguë, un trio pour deux voix aiguës et une basse et une pièce à quatre voix mixtes. Toutes sauf le trio nécessitent, outre la basse continue, deux violons d’accompagnement et un basson qui double de manière non rigoureuse la partie de basse continue. Dans ces deux publications, les effectifs alternatifs sont indiqués au départ de chacune des parties séparées. Les Motets à II, III et IV parties de Du Mont 27 mettent en œuvre des effectifs très divers. En dépit de leur grande variété, ces motets, bien que dédiés au roi et probablement composés pour la Chapelle royale, paraissent pouvoir s’adresser aussi à des chapitres collégiaux et cathédraux ; on relève en effet vingt et un motets pour des voix exclusivement graves, trois pour des voix aiguës et onze pour un effectif mixte. Bien que Du Mont dédie au roi son livre de motets à deux voix 28 et ne le fasse précéder d’aucun avis au lecteur, il est possible que certaines pièces de ce recueil, qui parut cinq années après la nomination du compositeur au poste de sous-maître de la Chapelle du roi, aient été composées pour d’autres institutions que cette dernière, notamment pour des maisons religieuses. Nous relevons en effet dans ce recueil une prépondérance des voix aiguës : la version publiée de dix-huit de ces trente motets s’adresse exclusivement aux femmes (clés de sol2 et d’ut1) et trois à un dessus féminin et une basse notée en clé de fa3, effectif typique des motets pour les religieuses auxquelles ce recueil est donc partiellement destiné ; les Motets à deux voix s’adressent donc tant aux dames religieuses qu’aux chapitres. Les XX leçons de Jérémie… avec un Miserere 29 de Joseph Michel sont également dans ce cas. Comme il nous l’apprend dans l’épître dédicatoire à Louis-Guy de Guérapin de Vauréal, évêque de Rennes et grand maître de la Chapelle-Musique du roi, Michel a composé ce recueil « d’une manière singulière, en multipliant sur les mêmes paroles des chants gracieux, facils et pathétiques, pour la plus grande comodité des différentes 27. 28 29

Motets à II, III et IV parties, pour voix et instruments, avec la basse-continue. De Mr du Mont […], Paris, Christophe Ballard, 1681 (MI.recueil.29) ; voir Henry Du Mont, Motets à II, III et IV parties (1681), éd. Laurence Decobert, Versailles, Éditions du Centre de Musique Baroque de Versailles, 2008. Motets à deux voix, avec la basse-continue. De Mr H. Du Mont, Paris, Robert Ballard, 1668 (MI.recueil.28) ; voir Henry Du Mont, Motets à deux voix (1668), éd. Nathalie Berton-Blivet, Versailles, Éditions du Centre de Musique Baroque de Versailles, 2016. Recueil de XX leçons de Jérémie à une, deux et trois voix, à symphonie et sans symphonie, avec un Miserere, Paris, Vve Boivin, Le Clerc, Dijon, l’auteur, Lyon, de Brettonne, 1735 (MI.recueil.51).

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voix, tant des chapitres, que des communautés religieuses ; ce qu’aucun autheur n’a pratiqué de la sorte »30. C’est donc tant aux dames religieuses qu’aux chapitres qu’il destine sa publication. Les effectifs reflètent cette double destination puisque Michel offre des pièces pour voix féminines et masculines assorties dans certains cas de mentions d’effectifs alternatifs. Deux pièces retiennent notre attention car elles paraissent pouvoir relever directement des pratiques de la collégiale Saint-Étienne de Dijon ou plus vraisemblablement de celle de la Sainte Chapelle de cette même ville où Michel fut maître de musique. Ce sont les pièces qui sont accompagnées par un violoncelle et un basson 31, et, pour la seconde, par un dessus instrumental et un basson auquel il est possible de substituer un violoncelle 32. Dans ces deux institutions, comme dans d’autres collégiales ou cathédrales, les parties d’accompagnement étaient confiées aux basses instrumentales, basson et violoncelle. À la Sainte Chapelle de Dijon, les violons étaient recrutés exceptionnellement pour les grandes solennités 33. Il convient par ailleurs de mettre ces pièces en perspective avec le recueil de motets pour les vêpres de Michel conservé aux Archives historiques de l’archevêché de Dijon 34 qui comporte des pièces accompagnées par les mêmes instruments. Ordonnancement des recueils L’ordonnancement de ces recueils, tant pour les dames religieuses que pour les chapitres, montre des spécificités liées au public auquel ils s’adressent. Trois de ces recueils à destination des dames religieuses livrent des motets pour les saluts du Saint-Sacrement. Ces cérémonies, dont l’ordonnancement varie en fonction des maisons religieuses, comportent généralement trois ou quatre motets suivant l’une des formules suivantes : trois ou quatre motets pour le Saint-Sacrement ; un motet pour le Saint-Sacrement ; un pour la Vierge ; un Domine salvum fac regem ; un motet pour le Saint-Sacrement ; un pour la Vierge ; un en rapport avec la fête du jour ; un Domine salvum fac regem.

Le recueil de Nicolas Clérambault 35 ne comporte aucun motet pour le Saint-Sacrement et paraît de prime abord échapper au cadre de ces cérémonies. Il convient cependant de prendre en considération le fait que ces six motets sont les premiers d’une série

30. 31. 32. 33. 34. 35.

Op. cit., p. [III]. Recueil de XX leçons de Jérémie, op. cit. (MI.1007). Id. (MI.1014). Nous remercions Érik Kocevar qui nous a fourni ces informations sur les effectifs de ces institutions dijonnaises. [Recueil sans titre], ms, 230 x 340 mm, 32 f., non coté. Nous remercions Vincent Morel qui nous a très aimablement communiqué une reproduction de ce recueil. Motets à une et deux voix pour tout le chœur avec la basse continüe pour l’orgue, op. cit. (MI.recueil.17).

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qui aurait dû comporter les trente-six motets de Clérambault figurant au tome 2 des Chants et motets pour la maison royale de Saint-Louis à Saint-Cyr, destinés aux saluts de cette institution et parmi lesquels figurent bien des motets au Saint-Sacrement ; à terme, la série initiée, mais non poursuivie, aurait donc bien proposé des motets permettant de composer des saluts. Henry Madin, dans l’« Avertissement » de son recueil de motets chantés aux saluts par les Cent-Filles de la Miséricorde 36, préconise d’y faire figurer quatre motets, un pour le Saint-Sacrement, un pour la Vierge, un pour la fête du jour et un Domine salvum ; les six motets qu’il publie permettent donc de constituer un salut pour les abbés fondateurs d’ordre, un pour l’Assomption et un pour les fêtes des vierges martyres. Outre la très grande qualité musicale des motets qu’il contient, le recueil de Nivers 37 est, du point de vue de son ordonnancement, extrêmement intéressant. Il rassemble parmi les motets à voix seule une première section qui comporte des motets pour le Saint-Esprit, des élévations, des Magnificat puis des litanies de la Vierge, toutes ces pièces pouvant être utilisées au cours de diverses cérémonies telles que la messe, les vêpres ou les processions. À ce premier groupe succèdent des motets au SaintSacrement, des motets à la Vierge suivis de motets pour divers saints et saintes et enfin dix Domine salvum, cet ensemble permettant de constituer des saluts. Nivers va même plus loin puisqu’il offre également des pièces pour chœur, ce qui permet de ménager l’alternance qu’il a évoquée dans le même texte en ces termes : Quand on chante au salut un motet du saint Sacrement avec le chœur en forme de dialogue, on y met toûjours un motet de la sainte Vierge sans le chœur. Et réciproquement avec un motet de la sainte Vierge en dialogue, on y met un motet du saint Sacrement sans le chœur 38.

Enfin, son recueil est ponctué par deux saluts présentés en tant que tels. Les « Observations » de Nivers, extrêmement développées et précises, constituent une manière de « mode d’emploi » à destination des religieuses et organistes. Après avoir donné les clés de lecture de ses partitions, abordant successivement la transposition, les ornements, les particularismes de la notation musicale, il indique très précisément les fêtes auxquelles il est possible de chanter les différents motets qu’il propose puis comment constituer un salut du Saint-Sacrement. Enfin, la présence à la fin du recueil de L’Art d’accompagner sur la basse continue 39 confirme l’aspect pédagogique de sa publication puisque ce dernier texte s’adresse aux apprentis accompagnateurs ; les religieuses et les maîtres de musique disposent ainsi de tout ce qu’il leur est nécessaire de savoir pour le bon déroulement des chants et des cérémonies. 36. 37. 38. 39.

Motes à deux dessus avec simphonie et sans simphonie au nombre de six, op. cit. (MI.recueil.46). Motets à voix seule… et quelques autres motets à deux voix propres pour les religieuses, op. cit. (MI.recueil.59). Ibid., « Observations ». Ibid., p. 149-170 du recueil.

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D’autres recueils présentent des motets permettant de couvrir un plus ou moins large spectre de l’année liturgique, étant entendu que ces recueils ne livrant pas les chants d’une communauté particulière, ils ne visent bien évidemment pas à l’exhaustivité mais présentent un plus ou moins grand nombre de pièces couvrant une partie de l’année liturgique. Les deux recueils de Geoffroy 40 se complètent puisque le premier présente les pièces pour l’office de vêpres tandis que le second propose des pièces rassemblées par office (complies), temps liturgique (par ex. l’Avent) ou destination (par ex. pour la Vierge, le Saint-Sacrement). Les deux recueils de Rauch 41 sont organisés selon deux critères, les effectifs (ou plus exactement le nombre de parties) et, à l’intérieur de chacune des rubriques ainsi dégagées, par utilisation liturgique, la combinaison de ces deux critères permettant au maître de musique de choisir aisément les pièces dont il a besoin. Le recueil de Michel Lami 42 répond également à ces critères organisationnels. Dans le long « Avertissement » qu’il livre, le compositeur indique : Ces motets sont assez courts, ou du moins on les peut couper aisément pour les chanter à l’office, selon le temps qu’on y veut employer. Si cet essay est bien reçu du public, je donnerai incessamment mon traité de musique d’église & un grand nombre de pièces à l’usage des cathédrales.

Ce qui, joint aux effectifs majoritairement pour des tessitures aiguës, atteste bien de la double destination du volume. Les recueils de Joseph Michel 43 et celui d’Alexandre de Villeneuve 44, qui comportent notamment des leçons de Ténèbres et un Miserere présentent une organisation similaire puisque les trois leçons pour chacun des jours saints sont présentées successivement, suivies du Miserere. POUR LES RELIGIEUSES, LES CONCERTS ET LES AMATEURS Neuf publications affichent une destination pour les maisons religieuses, pour les concerts et les amateurs (voir ANNEXE 2, p. 315).

40. 41. 42. 43. 44.

Geoffroy, D. O. M. Musica sacra. Ad vesperas, op. cit. (MI.recueil.31) et D. O. M. Musica sacra. Ad varias ecclesiæ preces, Paris, Ballard, 1661 (MI.recueil.32). Rauch, op. cit. (MI.recueil.63 et 64). Lami, Cantates, petits motets… et un cantique nouveau… à l’usage des cathédrales, Paris, Witte, Rouen, Cabut, 1720 (MI.recueil.41). Michel, Recueil de XX leçons de Jérémie, op. cit. (MI.recueil.51). Villeneuve, Livre de musique d’église, Paris, auteur, Foucault, 1719 (MI.recueil.69).

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Du point de vue des effectifs, les recueils de Louis-Nicolas Blondel 45, d’Edme Foliot 46 et de Jacques-François Lochon 47 sont mixtes ; celui de Foliot est plus particulièrement destiné aux voix aiguës, choix tempéré par des propositions de transpositions pour des voix masculines. À l’exception d’un motet à deux voix noté dans les clés de sol2 et fa4, le recueil de Christophe Le Menu de Saint-Philbert, dont les pièces ont été chantées au Concert spirituel, est destiné aux voix de femmes. En revanche, le recueil de Louis Lemaire présente des motets chantés au Concert spirituel organisés en séries de saluts, ce qui permet au compositeur de cibler aussi un public de religieuses ; mais les œuvres ont été sans nul doute composées pour le concert. C’est peut-être l’avertissement (de Ballard) figurant en tête du recueil de motets de Lochon qui synthétise le mieux les attentes de l’éditeur, à défaut de celles du musicien, lors de la publication de ces recueils à destinations multiples : Persuadé que la nouveauté plaît toujours, je donne avec plaisir ces motets au public ; les sçavans les ont trouvé[s] d’un si bon goût & les dames religieuses si propres à l’usage du chœur, que j’ose me promettre qu’on leur fera un agréable accueil, d’autant plus que par l’exécution on avouera que l’auteur a trouvé le secret par son génie d’allier le dessein, l’intrigue & l’expression de la musique italienne avec le tour, la délicatesse & la douceur de la françoise 48.

Les recueils de Leçons de Ténèbres de Charles-Henri de Blainville 49, Michel Corrette 50, François Couperin 51 et Michel-Richard de Lalande 52 présentent la particularité de ne comporter que des pièces pour voix de femme vraisemblablement composées pour des maisons religieuses. C’est en tout cas avéré pour les Leçons de Couperin, dont l’auteur affirme dans son Avertissement qu’elles ont été composées pour les religieuses de Longchamp tandis que les Leçons de Lalande ont été chantées au couvent des dames de l’Assomption à Paris par les filles du compositeur 53. Cependant, Couperin, bien que publiant la version originelle de ses pièces pour voix féminines, destine son recueil à un public le plus large possible puisqu’il indique, dans son « Avertissement » :

45. 46. 47. 48. 49. 50. 51. 52. 53.

Louis-Nicolas Blondel, Motets a deux, trois et quatre parties, avec la basse-continue, propres pour les concerts et pour toutes les dames religieuses, Paris, Ballard, 1671 (MI.recueil.5). Edme Foliot, Motets a I, II et III voix avec symphonie et sans symphonie, Paris, auteur, Foucault, 1710 (MI.recueil.30). Jacques-François Lochon, Motets en musique, Paris, Ballard, 1701 (MI.recueil.44). Lochon, « Avertissement », Motets en musique, op. cit. (MI.recueil.44). Blainville, Les Secondes leçons de ténèbres, Paris, auteur, Bayard, Le Clerc, Mlle Castagneri, Le Menu, 1758 (MI.recueil.4). Corrette, Leçons de ténèbres, Paris, aux adresses ordinaires de musique, Le Duc, 1784 (MI.recueil.20). Couperin, Leçons de ténèbres, Paris, auteur, Foucault, 1715ca (MI.recueil.23). Lalande, Les III leçons de ténèbres et le Miserere à voix seule, Paris, Mlle Hue, Boivin, 1730 (MI.recueil.38). Catalogue général de tous les vieux ballets du roy, ms, 1729, f. 28v, F-Avignon/ Ms 1201.

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Quoyque le chant en soit notté sur la clef de dessus, toutes autres espèces de voix pouront les chanter, d’autant que la plus part des personnes d’aujourd’huy qui accompagnent scavent transposer. Je donneray les six autres trois à trois si le public est content de cellescy. Si l’on peut joindre une basse de viole ou de violon à l’accompagnement de l’orgue ou du clavecin cela fera bien.

La démarche de Blainville est identique. C’est ce qu’il suggère dans son « Avertissement » où il précise qu’il a pris soin de noter avec précision les mouvements, les caractères et « le sentiment particulier qui domine dans chaque morceau ». Ces indications ne sont pas à destination des maîtres de musique mais s’adressent aux « personnes encor trop peu expérimentées dans l’art du chant pour en pressentir d’elles mêmes les délicatesses », dans lesquelles il faut voir les amateurs et les apprentis musiciens 54. POUR LES AMATEURS La majorité des recueils de motets imprimés aux XVIIe et XVIIIe siècles ne mentionnent au titre ou dans les pièces liminaires aucun public particulier, signe qu’ils s’adressent au plus grand nombre, notamment le public, nombreux, des amateurs. L’ANNEXE 3 (p. 316) en liste le type d’effectifs mis en œuvre et la mention (systématique, partielle ou absente) d’usage liturgique. Sans surprise, les œuvres sont destinées tant à des voix de femmes qu’à des voix masculines, à l’exception notable des recueils de Boismortier, Jacques de Bournonville et Antonio Guido. Si certains recueils, tels ceux de Nicolas Bernier 55, Joseph de Boismortier 56 ou Jean-François Lallouette 57, comportent de manière systématique une destination liturgique pour chacune des pièces, ce n’est pas le cas des autres recueils dont certains ne mentionnent au titre que l’effectif musical. Du point de vue de l’organisation des pièces dans les recueils, c’est le critère du nombre de voix qui prime. En témoigne le premier livre de Bernier où les motets sont répartis en trois rubriques, les motets à voix seule, ceux à deux puis à trois voix. Ce critère d’organisation vaut pour l’ensemble des recueils listés dans l’ANNEXE 3.

54.

55. 56. 57.

La publication des Leçons de Lalande étant posthume, nous ne pouvons rien affirmer quant aux intentions éventuelles du compositeur ; il en va de même pour le recueil de Corrette qui ne porte aucune mention particulière au titre et ne comporte pas de texte liminaire. Il est cependant probable que sa démarche éditoriale visait un public élargi mais aussi les dames religieuses, comme pourrait le suggérer l’article paru dans le Mercure de France pour annoncer le recueil où on lit que « l’on trouve du même auteur le Credo avec plusieurs élévations & Domine. » (février 1785, p. 191). Nicolas Bernier, Mottets à une, deux et trois voix avec symphonie et sans symphonie, Paris, auteur, Foucault, 1703 (MI.recueil.2) et Motets à une, deux et trois voix avec symphonie et sans symphonie, Paris, auteur, Foucault, 1713 (MI.recueil.3). Boismortier, Motets à voix seule, mêlés de simphonies, Paris, auteur, Boivin, Le Clerc, 1728 (MI.recueil.6). Lallouette, Motets à I, II et III voix, avec la baße-continue, Paris, auteur, Boivin, 1726 (MI.recueil.39).

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« Table », dans Nicolas Bernier, Mottets à une, deux et trois voix avec symphonie et sans symphonie, au nombre de vingt-six, Paris, auteur, Foucault, 1703 (MI.recueil.2), Boston Public Library.

Fait important, la plupart de ces recueils font partie de la collection des partitions infolio que Ballard mit en place en 1695. Le catalogue ci-après, figurant dans un exemplaire de la réédition en 1708 des motets de M. Noël, indique très clairement la coexistence chez l’éditeur de deux collections de motets, l’une en parties séparées inquarto, qui serait globalement réservée aux anciens maîtres, l’autre aux partitions infolio, consacrée aux maîtres modernes 58. Le catalogue de la collection des in-folio le plus tardif qu’il a été possible de localiser figure dans un exemplaire de l’édition du Miserere et [de] l’hymne Veni Creator de Lallouette (1730) et confirme la permanence à cette date de cette collection. Le premier livre de motets de Lallouette, gravé et diffusé chez l’auteur et Boivin depuis 1726, est signalé dans ce catalogue, ce qui implique que Ballard le diffusait probablement ; l’éditeur souligne ainsi la parenté d’esprit entre sa collection et les recueils gravés par la concurrence, comme ceux de Lallouette ou de Bernier. 58.

Sur cet aspect, voir Berton-Blivet, Catalogue…, op. cit., p. LXIII-LXVI.

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LA QUÊTE D’UN AUTRE PUBLIC

« Catalogue des motets imprimez » dans Motets pour les principales festes de l’année ; à voix seule avec basse-continuë & plusieurs petites ritournelles pour l’orgue, ou pour les violes, Paris, Christophe Ballard, 1708 (MI.recueil.61), Wiesentheid (D), Musiksammlung der Grafen von Schönborn-Wiesentheid, L 10.

D’autres catalogues de Ballard indiquent que l’on pouvait acquérir certains livres de sa collection « reliez ensemble », les différents ouvrages étant alors précédés d’une page de titre générale. Les différentes stratégies de diffusion mises en place par Ballard confirment que l’éditeur visait au travers de sa collection de livres de motets in-folio un public diversifié, notamment celui des amateurs et des collectionneurs. Ceci justifie la mention dans les tables de l’effectif et l’abandon de celle de l’usage – voir l’index du recueil de Sébastien de Brossard (1695) ci-dessous –, tout comme le relatif équilibre entre motets pour voix de femmes et d’hommes ainsi que l’apparition de pièces pour voix mixtes. Enfin, il convient de signaler l’existence du recueil atypique des Quatre versets d’un motet composé et chanté par ordre du roy…59 que François Couperin fait publier en 1703. Ce volume constitue un cas particulier puisque le compositeur rassemble des extraits choisis de motets à grand chœur composés à la demande du roi et chantés à la 59.

Quatre versets d’un motet composé et chanté par ordre du roy, en mars 1703. On y a ajoûté le verset Qui dat nivem [… ], Paris, Ballard, 1703 (MI.recueil.21).

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NATHALIE BERTON-BLIVET

Chapelle royale dont Couperin était organiste. Livrant ainsi au public des fragments de ses motets – dont la version à grand chœur est perdue –, Couperin tente de leur donner une publicité qu’ils n’auraient pas eue sans le secours de l’édition et repousse par là même les marges du motet à petits effectifs 60.

« Index », dans Sébastien de Brossard, Élévations et motets à voix seule avec la basse-continue, Paris, Ballard, 1695 (MI.recueil.8).

*** Les éditions de recueils de motets sont révélatrices de liens plus ou moins étroits entre le compositeur et le public auquel le musicien a destiné la publication. Le lien le plus étroit est bien évidemment celui qui unit le compositeur qui, tel Nivers, Clérambault ou Morin, publie les chants de l’institution dont il est le maître de musique. Mais il convient de remarquer que ces publications n’avaient pas pour vocation de circuler en dehors du cadre de l’institution qui les avait vu naître. Lorsqu’elles échappent à ce cadre, comme c’est le cas par exemple des six motets pour les saluts que Clérambault publia en 1733 – qu’il dédia significativement à la supérieure et aux religieuses de Saint-Cyr –, l’ouverture à un public plus large se fait par le biais de suggestions d’adaptation des effectifs. 60.

C’est une démarche comparable qui guida vraisemblablement Desmarest lorsqu’il fit publier sous forme de motet à petit effectif un extrait d’un de ses motets à grand chœur (Adorate eum omnes angeli ejus, dans Meslanges de musique latine, françoise et italienne…, Paris, Ballard, 1726, p. 126-140).

312

LA QUÊTE D’UN AUTRE PUBLIC

Hors de ce contexte très particulier, les cas de figure sont variés. Les compositeurs qui destinent leur publication à un public de religieuses ou aux chapitres tentent de leur en permettre un usage aisé, prenant soin d’organiser leurs recueils de manière à répondre à leurs attentes et à leur en faciliter l’usage. Lorsqu’ils présentent une dédicace, ces recueils peuvent s’adresser, comme dans le cas de Rauch, au chapitre pour lequel le compositeur travaille et l’on peut se demander si ce dernier souhaitait simplement remercier l’institution qui le rétribuait ou s’il en attendait une meilleure reconnaissance, voire le financement intégral ou partiel des frais d’édition. La dédicace constitue effectivement un moyen de remercier un protecteur. En témoigne Joseph Michel qui dédie son recueil à Louis-Guy de Guérapin de Vauréal, grand maître de la Chapelle royale où Michel venait d’être recruté en tant que sousmaître, poste qu’il n’occupa pas en raison de son décès prématuré ; c’est aussi le cas de différentes publications qui sont dédiées soit à l’employeur, soit à un protecteur avéré du compositeur. Le cas d’Alexandre de Villeneuve, qui dédie sa publication à Louise-Adélaïde d’Orléans, l’abbesse de Chelles, montre aussi que la publication peut avoir pour vocation de s’attirer les faveurs du dédicataire, voire d’obtenir un poste. En effet, Villeneuve publie son recueil en 1719, l’année où l’abbesse de Chelles recruta JeanBaptiste Morin en tant que maître de musique de l’abbaye. Il est alors tentant d’inférer que la dédicace à l’abbesse avait pour but d’attirer son attention dans le contexte de ce recrutement. Dès lors que le recueil ne s’adresse plus directement à une institution religieuse, les dédicaces tendent à disparaître et, parmi les quinze recueils de la collection de Ballard, seuls les deux livres de Morin sont dédiés au duc d’Orléans, dont il était ordinaire de la musique. C’est ce que fit également, peut-être avec un trait d’humour, Jean-Joseph Cassanéa de Mondonville, l’un des sous-maîtres de la Chapelle du roi, lorsqu’il dédia ses Pièces de clavecin avec voix ou violon au grand maître de cette dernière institution. Ces pièces, avant d’être des motets aussi réussis soient-ils, sont avant tout des pièces de clavecin avec accompagnement de voix ou de violon qui nous amènent bien loin des recueils destinés aux religieuses et aux chapitres. Un monde, révélateur de l’évolution de la société de ce temps, sépare cette publication, profondément profane, des premières publications destinées aux institutions religieuses.

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NATHALIE BERTON-BLIVET

ANNEXES 1. Liste chronologique des publications à destination des religieuses et des chapitres 1. Henry Du Mont, Cantica sacra, Paris, Ballard, 1652 (MI.recueil.25) 2. Jean-Baptiste Geoffroy, D.O.M Musica sacra ad Vesperas…, Paris, Ballard, 1659 (MI.recueil.31) 3. Jean-Baptiste Geoffroy, D.O.M Musica sacra ad varias ecclesiæ preces…, Paris, Ballard, 1661 (MI.recueil.32) 4. Henry Du Mont, Motets à 2 voix, Paris, Ballard, 1668 (MI.recueil.28) 5. Henry Du Mont, Motets à II, III et IV parties, Paris, Ballard, 1681 (MI.recueil.29) 6. Noël, Motets pour les principales festes de l’année… pour les dames religieuses et toutes autres personnes, Paris, Ballard, 1687 (MI.recueil.61) 7. Johann Georg Rauch, Novæ sirenes sacræ harmoniæ, Augsburg, Schönigk, 1687 (MI.recueil.63) 8. Guillaume-Gabriel Nivers, Motets à voix seule… et quelques autres motets à deux voix propres pour les religieuses, Paris, auteur, 1689 (MI.recueil.59) 9. Gilles Jullien, Premier livre d’orgue… avec un motet de Ste Coecille, Paris, Richard, L’Esclop, Chartres, auteur, 1690 (MI.recueil.37) 10. Johann Georg Rauch, Novarum sirenarum sacrae harmoniae sive mottetae, Strasbourg, Pastorius, 1690 (MI.recueil.64) 11. Pierre Menault, Vespres à deux chœurs, Paris, Ballard, 1693 (MI.recueil.50) 12. Guillaume-Gabriel Nivers, Lamentations du prophète Jérémie, Paris, auteur, 1704 (MI.recueil.60) 13. Frédéric-Hubert Paulin, 1er livre de motets… à l’usage des dames religieuses, Paris, auteur, Foucault, 1705 (MI.recueil.62) 14. Alexandre de Villeneuve, Livre de musique d’église, Paris, auteur, Foucault, 1719 (MI.recueil.69) 15. Michel Lami, Cantates, petits motets… et un cantique nouveau… à l’usage des cathédrales, Paris, Witte, Rouen, Cabut, 1720 (MI.recueil.41) 16. Sébastien de Brossard, Les Lamentations du prophète Jérémie, Paris, Ballard, 1721 (MI.recueil.10) 17. Nicolas Clérambault, Motets à une et deux voix pour tout le chœur avec la basse continüe pour l’orgue […] P.ere partie contenant six motets […], Paris, auteur, Vve Boivin, Le Clerc, 1733 (MI.recueil.17) 18. Joseph Michel, Recueil de XX leçons de Jérémie à une, deux et trois voix, à symphonie et sans symphonie, avec un Miserere, Paris, Vve Boivin, Le Clerc, Dijon, auteur, Brettonne, 1735 (MI.recueil.51) 19. H. M. [Henry Madin], Motes à deux dessus […] chantés aux saluts par les cent filles de la Miséricorde […] qui peuvent aussi être chantés par les dames religieuses, Paris, Vve Boivin, Le Clerc, 1740 (MI.recueil.46) 20. Pierre-Joseph Roussier, Les klas ou carillon de Marseille pour les morts, Paris, de la Chevardière, 1765 (MI.recueil.65)

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LA QUÊTE D’UN AUTRE PUBLIC

2. Liste chronologique des publications à destination des maisons religieuses, des concerts et des amateurs 1. Louis-Nicolas Blondel, Motets a deux, trois et quatre parties, avec la basse-continue, propres pour les concerts et pour toutes les dames religieuses, Paris, Ballard, 1671 (MI.recueil.5) 2. Jacques-François Lochon, Motets en musique, Paris, Ballard, 1701 (MI.recueil.44) 3. Edme Foliot, Motets a I, II et III voix avec symphonie et sans symphonie, Paris, auteur, Foucault, 1710 (MI.recueil.30) 4. François Couperin, Leçons de ténèbres, Paris, auteur, Foucault, 1715ca (MI.recueil.23) 5. Michel-Richard de Lalande, Les III leçons de ténèbres et le Miserere à voix seule, Paris, Mlle Hue, Boivin, 1730 (MI.recueil.38) 6. Louis Lemaire, Motets a une et deux voix, avec symphonie & sans symphonie ; chantez au concert spirituel du chateau des Thuilleries, depuis 1728 jusqu’en 1733. Divisez en dix-huit saluts, Paris, Ballard, 1733 (MI.recueil.43) 7. Christophe Le Menu de Saint-Philbert, Motets sur les principales festes de l’annee, a une et deux voix avec et sans simphonie, dont plusieurs chantes au Concert spirituel, Paris, auteur, 1742 (MI.recueil.42) 8. Charles-Henri de Blainville, Les secondes leçons de ténèbres, Paris, auteur, Bayard, Le Clerc, Mlle Castagneri, Le Menu, 1758 (MI.recueil.4) 9. Michel Corrette, Leçons de ténèbres, Paris, aux adresses ordinaires de musique, Le Duc, 1784 (MI.recueil.20)

315

NATHALIE BERTON-BLIVET

3. Recueils destinés aux amateurs Type d’effectifs

Mentions d’usage liturgique systématiques partielles

Astier (MI.recueil.1)

mixte

Bernier (1703) (MI.recueil.2)

mixte

X

Bernier (1713) (MI.recueil. 3)

mixte

X

Blainville (1758) (MI.recueil.4)

voix féminines

Boismortier (MI.recueil.6)

voix féminines

Bournonville (MI.recueil.7)

voix féminines sauf une pièce

Brossard (1695) (MI.recueil.8)

Campra (livre 1) (MI.recueil.11)

mixte (indications de transpositions) mixte (indications de transpositions) mixte

Campra (livre 2) (MI.recueil.12)

mixte

X

Campra (livre 3) (MI.recueil.13)

mixte

X

Campra (livre 4) (MI.recueil.14)

mixte

X

Campra (livre 5) (MI.recueil.15)

mixte

X

Charpentier (MI.recueil.16)

mixte

X

Brossard (1698) (MI.recueil 9)

aucune X

X X X X X

Colin de Blamont (MI.recueil.18) mixte

X

Couperin (MI.recueil.21)

mixte

X

Couperin (ca 1715), (MI.recueil.23) Guido (MI.recueil.33)

publié pour des voix féminines mais transposition possible voix féminines

La Croix (MI.recueil.72)

mixte

X

Lallouette (MI.recueil.39)

mixte

X

Lorenzani (MI.recueil.45)

mixte

X

Morin (1704) (MI.recueil.54)

mixte

X

Morin (1709) (MI.recueil.55)

mixte

X

Mouret (MI.recueil.57)

mixte

X

Suffret (MI.recueil.66)

mixte

X

Valette de Montigny (MI.recueil.68)

mixte

X

316

X

PRATIQUES D’ENSEIGNEMENT

L’ENFANCE DE L’ART : LES MAÎTRES DE MUSIQUE ET L’ENSEIGNEMENT DU PLAIN-CHANT AU XVIIIe SIÈCLE * Xavier BISARO (†)

Au fil des recherches engrangées depuis les monographies d’érudits du XIXe siècle, le profil type du maître de musique s’est progressivement affiné, et la pluriactivité de cette fonction est apparue comme une de ses principales caractéristiques. Le bénéficiaire d’une charge de maître de musique devait apprendre aux enfants de chœur le chant sur le livre, l’écriture et l’exécution de la musique, composer lui-même de la musique, en diriger l’exécution, conseiller le chapitre dans le recrutement des chantres gagés… sans parler de son rôle d’intendant de la psallette et de relais entre le monde capitulaire et les lieux de musique non ecclésiastiques dans les villes épiscopales d’importance. Aussi indéniables soient-elles, ces occupations illustrées par de nombreuses carrières de maîtres focalisent notre attention sur la part la plus séduisante de leur activité, c’est-à-dire la musique, entendue comme « musique figurée ». Cependant, il existait une tâche inhérente à ce métier, plus ingrate, plus fondamentale aussi et, paradoxalement, moins bien documentée : l’enseignement du plain-chant. Une rapide plongée dans la masse des contrats de maîtres de musique transcrits dans la base de données MUSÉFREM 1 atteste que ces derniers se voyaient confier l’enseignement du chant ecclésiastique auprès des enfants de chœur par le clergé de cathédrales importantes à l’instar de celles de Sées ou de Limoges 2, comme de collégiales mineures telles que celles de Bar-sur-Aube ou de Montluçon 3, et ce dans des provinces couvrant une large partie du royaume. Cette facette du métier de maître de musique est * 1. 2.

3.

Les éditeurs remercient Rémy Campos pour la relecture de ce texte. http://philidor.cmbv.fr/musefrem/. Pour Sées, voir le contrat de Michel Ange Catinot (AD Orne, Registre capitulaire du chapitre cathédral de Sées, non coté, 9 mars 1789 – transcription de Sylvie Granger pour MUSÉFREM) stipulant qu’il devait « apprendre la Musique, plein chant, faux bourdon, chant sur le livre, à tous les Chantres, Musiciens et généralement à tous ceux qui sont ou seront tenus par la suite à chanter dans cette église ». Pour Limoges, voir le contrat de Jean-Baptiste Dupeyroux (AD Haute-Vienne, 3 G 763, 1er décembre 1767 – transcription de Maÿlis Beauvais pour MUSÉFREM) mentionnant « la musique vocalle [et] le plein-chant » comme matières à enseigner aux enfants. Pour Bar-sur-Aube, voir le traité passé entre le chapitre de Saint-Maclou et Étienne Sauvage (AN, F19/1128, 8 mars 1781 – transcription de François Caillou pour MUSÉFREM). À Saint-Nicolas de Montluçon, le chapitre attend d’André Decoubrat qu’il enseigne « le plain chamt et musique à trois ou quatre enfans » (AD Allier, 3 E 14270, n° 125, acte notarié, 12 mai 1688 – transcription de Sylvie Granger pour MUSÉFREM).

319

XAVIER BISARO

pourtant plus difficile d’accès qu’il n’y paraît. En effet, ces contrats se bornent, pour les plus minutieux, à intégrer le plain-chant dans la liste des matières constitutives de l’instruction spécifique à donner aux enfants, conjointement au faux-bourdon, au chant sur le livre et à la musique. Hormis ces mentions laconiques, les indices sur l’enseignement du plain-chant prodigué ou supervisé par les maîtres de musique en milieu capitulaire sont aussi rares que ténus. Afin de sortir de cette impasse documentaire, il faut donc se tourner vers les deux seuls maîtres de musique (au sens que ce vocable revêtait en milieu capitulaire) ayant publié des écrits sur l’enseignement du plain-chant : Sébastien de Brossard (1655-1730) et Henri Hardouin (1727-1808). Bien des aspects de leurs existences rapprochent ces deux hommes. L’un et l’autre furent au service de cathédrales dotées de moyens musicaux respectables, à la tête de maîtrises florissantes, puis finirent chanoines du chapitre qu’ils avaient servi en tant que maîtres de musique. Toutefois, Brossard et Hardouin n’appartenaient pas à la même génération – le second étant né peu avant le décès du premier – et n’eurent pas le même parcours. Hardouin est un rare cas de musicien parfaitement sédentaire puisqu’il fut formé à la psallette de la cathédrale de Reims avant de gravir tous les échelons du bas chœur de cette église. Au contraire, et même si on ignore sa formation musicale initiale, Brossard connut plusieurs environnements de travail à Paris, Strasbourg et Meaux, tout en poursuivant une sorte de périple virtuel par le biais de sa collection d’ouvrages musicaux 4. Leurs écrits concernant l’enseignement du plain-chant sont relativement dissemblables. Mis à part des essais inaboutis de traité et sa correspondance privée avec le chanoine Claude Chastelain 5, Brossard n’aborda le sujet que dans sa Lettre en forme de dissertation a Monsieur Demoz sur sa nouvelle Methode d’écrire le Plain-Chant & la Musique 6. Ce texte d’une trentaine de pages fut rédigé à la demande de l’évêque de Meaux, Henry-Pons de Thiard de Bissy, afin de contester publiquement le bien-fondé de la notation qu’un prêtre savoyard, Jean-François Demoz de La Salle, envisageait de faire adopter à une large échelle 7. Cette notation reprenait des éléments de la notation traditionnelle (têtes de note, hampes) mais en les disposant au-dessus ou dans le texte 4. 5. 6.

7.

Pour une approche générale de ce musicien, voir Jean Duron (dir.), Sébastien de Brossard, musicien, Versailles, Éditions du Centre de Musique baroque de Versailles ; Paris, Klincksieck, 1998. Jean Duron, « Querelles de savants, querelles de chanoines : le cas de Sébastien de Brossard », Réalités et fictions de la musique religieuse à l’époque moderne. Essais d’analyse des discours, éd. Thierry Favier et Sophie Hache, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2018, p. 183-204. Sébastien de Brossard, Lettre en forme de dissertation a Monsieur Demoz sur sa nouvelle Methode d’écrire le PlainChant & la Musique, Paris, Jean-Baptiste-Christophe Ballard, 1729. L’invention de Demoz trouva un autre opposant en la personne de l’abbé Jean Lebeuf, historien et plain-chantiste ayant régulièrement accès aux pages du Mercure de France. Voir Jean Lebeuf, « Lettre sur le Systême de Chant inventé depuis peu par un Prêtre de S. Sulpice », Mercure de France, février 1728, p. 217-238 (poursuivi en novembre 1728, p. 2350-2360 et en décembre 1728, p. 2571-2585). Ces articles seront suivis par une réplique de l’abbé Demoz, « Reponse de M. de Mos, aux Remarques critiques, faites sur le nouveau systême de Chant », Mercure de France, avril 1729, p. 680-686. Voir Xavier Bisaro, « Jean-François Demoz de La Salle – Methode de plein chant selon un nouveau système (1728) », https://www.cantus-scholarum.univ-tours.fr/ressources/sources/methodes-faciles-de-plain-chant/methode1728/ (consulté le 3 mai 2018).

320

L’ENSEIGNEMENT DU PLAIN-CHANT

chanté après en avoir modifié la signification : l’orientation de la hampe indiquait les hauteurs sonores et les têtes des notes l’octave à laquelle elles se rattachaient. Nonobstant sa détermination, la Lettre de Brossard ne révèle qu’indirectement ses idées pédagogiques : ce n’est qu’en réfutant les arguments d’efficacité dans la propagation du plain-chant avancés par Demoz que le chanoine de Meaux énonce une poignée de vues personnelles sur l’apprentissage du plain-chant. Henri Hardouin 8 agit également à la suite d’une commande épiscopale lorsqu’il composa le chant de la liturgie diocésaine de Reims profondément transformée du fait de la promulgation d’un nouveau bréviaire en 1759 9. Comme dans d’autres diocèses 10, l’instauration d’un répertoire rompant avec les usages établis nécessita d’en expliquer la mise en application au travers d’un manuel, la Méthode nouvelle, courte et facile pour aprendre le plain-chant à l’usage du Diocèse de Reims (Charleville, s.n., 1762), dont le rédacteur ne pouvait être que le maître de musique de la cathédrale. La partie didactique de l’ouvrage étant réduite à moins de quarante pages 11, Hardouin n’y délivre que peu de considérations personnelles, ce qui – pour des raisons distinctes de celles de Brossard – limite la possibilité de définir en détail ses idées propres. C’est en s’appuyant sur ce matériau quelque peu elliptique et disparate qu’il faut donc tenter une improbable déduction de la conception que ces deux maîtres de musique pouvaient avoir de l’enseignement du plain-chant. UN CONSERVATISME BIEN TEMPÉRÉ La plus évidente des positions communes à Brossard et Hardouin en cette matière est leur acceptation de la tradition pédagogique du chant ecclésiastique sans que, pour autant, leur attitude soit dénuée de sens critique ni de pragmatisme. À cet égard, Brossard profite de sa récusation de l’invention de Demoz pour livrer une vision nuancée de l’histoire de la notation du chant. Trois âges se dégagent du récit que l’on peut reconstituer à partir de sa Lettre. Tout d’abord, l’époque où le chant se notait – selon Brossard – à la manière des Grecs anciens, autrement dit avec des lettres disposées horizontalement au-dessus du texte à chanter, « ne soulageant aucunement l’imagination, & ne faisant point assez distinguer les Sons graves d’avec les Sons aigues »12. Puis vint l’établissement par Guido d’Arezzo de la notation sur portée et 8. 9. 10.

11. 12.

Sur la carrière de ce musicien, voir Jean Leflon, Henri Hardouin et la musique du chapitre de Reims au XVIIIe siècle, Reims, Matot-Braine, 1934. Breviarium Sanctæ Ecclesiæ Metropolitanæ Rœmensis, Charleville, P. Thesin, 1759, 4 vol. Le missel correspondant ne fut édité qu’à partir de 1770. Le traité de Jean Lebeuf (Traité historique et pratique sur le chant ecclésiastique, Paris, Cl.-J.-B. et J.-Th. Hérissant, 1741) faisait suite à la nouvelle liturgie du diocèse de Paris (brévaire en 1736, missel en 1738). Une même succession s’observe à Noyon avec le traité de Nicolas Oudoux (Méthode nouvelle pour apprendre facilement le plain-chant, Paris, Augustin-Martin Lottin, 1772) pour le diocèse de Noyon (bréviaire en 1764, missel en 1770). Le reste de la Methode est dévolu à une série d’ordinaires de messe (dont huit nouveaux destinés à servir de socle au répertoire diocésain) et diverses pièces. Brossard, Lettre…, op. cit., p. 17.

321

XAVIER BISARO

de la dénomination syllabique des échelons de l’hexacorde, ce que Brossard décrit comme une modification décisive, durable et bénéfique pour la pratique du chant : Cette maniere d’écrire les Notes des Sons sur differentes lignes ou degrez, fut trouvée si utile & si necessaire, que malgré le respect qu’on avoit pour la venerable antiquité, on quitta bien-tôt la maniere d’écrire les Notes des Sons sur une seule ligne ; que l’Echelle de Guy l’Aretin a toûjours été préférée depuis, à tous les Systêmes qu’on a inventez pour remedier à quelques défauts qu’on trouvoit encore dans ce Systéme 13.

Quel que soit le degré d’approximation des informations dont il disposait, Brossard découpe nettement deux âges (l’avant et l’après Guido), le second étant subdivisé entre la période de l’application stricte du système hexacordal et celle – le troisième âge – de son abandon provoqué par l’introduction de la syllabe si. Entre les Anciens et Modernes s’étant affrontés autour de cette dernière innovation au XVIIe siècle 14, Brossard choisit très clairement son parti : Les anciens Maîtres, & particulierement les vieux Pedans, ne manquerent pas de crier contre cette nouvelle Methode & de la critiquer & décrier autant qu’ils purent ; mais, malgré toutes leurs criailleries, le Public l’a trouvée si bonne & si utile, par la facilité qu’elle donne pour nommer toutes les Notes & les solfier : qu’à l’heure qu’il est, on ne se sert plus d’autre Methode que de celle du Si pour montrer & pour apprendre le PlainChant & la Musique, & qu’on auroit de la peine à trouver un Musicien, sur tout parmy les jeunes gens, qui sçache seulement ce que c’est que les Muances. Il n’y a plus qu’en Italie, en Angleterre & en Espagne où l’usage des Muances subsiste peut-être encore 15.

Fort de cette preuve par l’histoire à laquelle il en adjoint d’autres, Brossard se déclare convaincu que les mélodies ne peuvent être lues et chantées qu’à partir du moment où leur modulation est représentée graphiquement par le truchement de l’assimilation de l’aigu et du haut, du grave et du bas. En conséquence, Brossard défend fermement la notation et la solmisation dans leur état moderne, celui du XVIIIe siècle. Prédisant l’échec du système inventé par Demoz, il estime au contraire que Il n’en sera pas de mesme du Système de la septième syllabe SI ; comme elle n’a fait que renouveller, les septem discrimina vocum, des anciens Grecs & des anciens Latins, que par son moyen on a aboly le terrible embarras que causoient les Muances ; que son utilité, par consequent & sa necessité ont été trouvées évidentes & indispensables, & sur tout, comme il n’a fallu faire aucun changement dans les Livres pour la mettre en usage ; ce Système a été reçû avec applaudissement, il subsiste encore (en 1728) & subsistera

13. 14. 15.

Ibid. Voir Xavier Bisaro, « Une Tradition en chantier : les méthodes de plain-chant ‘nouvelles et faciles’ sous l’Ancien Régime », Acta musicologica, LXXXVII/1 (2015), p. 1-29. Brossard, Lettre…, op. cit., p. 7-8. L’observation de Brossard sur la persistance de l’enseignement hexacordal en Italie est corroboré par la littérature théorique produite dans la péninsule en plein XVIIIe siècle. Voir les ouvrages rassemblés dans la base de données Trattati italiani di canto fermo, http://canto-fermo.univ-tours.fr/ (consultation le 3 mai 2018).

322

L’ENSEIGNEMENT DU PLAIN-CHANT

toûjours, tandis qu’il y aura des Musiciens & des Chantres capables de raisonner, & incapables de donner teste baissée dans des chimeres aussi inutiles que vôtre Système 16.

Bien qu’il ne s’exprime pas sur cette question, Hardouin s’inscrit dans cette lignée. Dès la première page de sa méthode, le maître de musique de la cathédrale de Reims expose le système heptacordal, sans ressentir le besoin de le justifier au regard des usages antérieurs.

Henri Hardouin, Methode nouvelle…, op. cit., p. 1.

Tout en concourant à des objectifs respectifs que l’on ne saurait confondre, la Lettre de Brossard et la méthode d’Hardouin permettent de commencer à cerner leurs partis pris de pédagogues vis-à-vis des premiers éléments de l’enseignement du plain-chant. Tous deux professent effectivement un même attachement à un héritage pédagogique séculaire, mais sans se montrer inflexibles. Non seulement Brossard revient à plusieurs reprises et avec enthousiasme sur l’apparition du si – dont il peine d’ailleurs à éclairer l’origine 17 –, mais encore Hardouin et lui restent muets sur les persistances du système hexacordal au XVIIIe siècle 18. Si les muances n’étaient plus de mise, l’utilisation des syllabes za pour sib et ma pour mib fut bel et bien préconisée par la plupart des théoriciens du chant ecclésiastique sous l’Ancien Régime, ce qui pérennisait de fait l’antique fa super hexacordum 19. En se limitant aux décennies précédant les publications de Brossard et d’Hardouin, les méthodes parues entre la fin du XVIIe siècle et le mitan du siècle suivant 20 recourent sans exception à ces syllabes teintées de solmisation 16. 17. 18. 19. 20.

Brossard, Lettre…, op. cit., p. 36. Id., p. 6-7. En dépit de ce silence, Brossard connaissait l’usage de la syllabe za dont il relativise la portée dans son Dictionnaire (« il y en a qui pretendent qu’on la [la syllabe si] doit nommer Sa ou Za pour faciliter l’intonation du Semiton », Dictionnaire de musique, Paris, Christophe Ballard, 1703, article « Sy », non paginé). Les syllabes za et ma combinaient en effet la consonne de leur degré diatonique de rattachement (si et mi) avec la syllabe a du fa marquant le passage d’un hexacorde à l’autre dans l’ancien système de solmisation. Les anonymes Trois methodes faciles pour apprendre le plein-chant en peu de temps (Lyon, Claude Bachelu, 1689 et suiv.), le Manuel ou Abrégé des règles nécessaires pour bien chanter l’office divin… avec une méthode pour apprendre le plain-chant (Saumur, Chez François de Goüy, 1735), les méthodes de Jean Lebeuf (Traité historique et pratique…, op. cit., 1741), Léonard Poisson (1750), Alexis de Sainte-Anne (Methode du chant ecclesiastique, Paris, ChristopheJean-François Ballard, 1752) et François de La Feillée (Méthode nouvelle pour apprendre parfaitement les regles du plain-chant et de la psalmodie, Poitiers, Paris, Jean-Thomas Hérissant, 1747 et suiv.). Parmi ces auteurs, seul Alexis de Sainte-Anne semble indifférent à l’intérêt de ces dénominations supplémentaires, considérant « qu’il ne s’agit tout au plus ici que d’une question de mots » ; Sainte-Anne, Methode du chant ecclesiastique, op. cit., p. 14.

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XAVIER BISARO

hexacordale, à l’exception notable de la méthode de Nivers (1699) 21, autre plain-chantiste armé de solides compétences musicales. La spécificité de ces maîtres de musique en ce qui regarde l’enseignement du plain-chant consisterait donc à employer un socle de notions élémentaires unique, valable tant pour l’apprentissage du plain-chant que pour celui de la musique. Un détail de la méthode d’Hardouin pourrait corroborer cette hypothèse. Dans sa présentation des huit tons ecclésiastiques, le maître de musique rémois insère entre la tonique (« la Note qui termine une Pièce »22) et la dominante (« celle qui se trouve la plus répétée dans le cours d’une Pièce »23), le degré de médiante correspondant à « la Note qui tient le milieu entre la TONIQUE & la DOMINANTE »24. Cette définition rappelant celle donnée par Brossard dans son Dictionnaire 25 n’est pourtant pas totalement vérifiable dans les exemples qui lui font suite. Pour le troisième ton, Hardouin ne peut évidemment diviser en deux tierces la sixte séparant la finale mi de la dominante ut ; la médiante sol ne répond donc pas à la règle initiale en raison de l’irréductibilité du mode III à un ton musical.

Henri Hardouin, Methode nouvelle…, op. cit., p. 14.

Au contraire, la théorie musicale s’immisce dans la présentation du huitième ton (voir ci-dessous). Pour les tons pairs, l’étroitesse de l’intervalle entre la tonique et la dominante empêche d’intercaler une médiante : Hardouin se contente alors des deux premiers repères (tonique-dominante) auxquels il ajoute les limites grave et aiguë de l’ambitus modal, comme on le voit pour le sixième ton. Mais le huitième déroge à ce procédé : il contient bien la tonique sol, la dominante ut, l’ut grave comme limite inférieure d’ambitus, mais aussi le mi bien que cette note soit dénuée de fonction (ce dont Hardouin avait conscience puisqu’il ne lui assigne pas une abréviation comme il le fait pour les notes structurantes).

21. 22. 23. 24. 25.

Guillaume-Gabriel Nivers, Methode certaine pour apprendre le pleinchant de l’Eglise, Paris, Christophe Ballard, 1699. Hardouin, Methode nouvelle…, p. 12-13. Ibid., p. 13. Ibid. Chez d’autres plain chantistes, la médiante est englobée dans l’ensemble des « notes essentielles » de chaque mode ; voir La Feillée, Méthode nouvelle…, op. cit., p. 24. « La Médiante de chaque Ton ou Mode, est la corde qui est une 3e plus haut que la Finalle dans les Modes authentiques ; ou qui partage leur Quinte en deux Tierces. » ; Brossard, Dictionnaire…, op. cit., article « Mediante », non paginé.

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L’ENSEIGNEMENT DU PLAIN-CHANT

Henri Hardouin, Methode nouvelle…, op. cit., p. 15.

La seule justification possible de ce choix résiderait dans la recherche d’une présentation « arpégée » du ton, pour ne pas dire « harmonique », quitte à insérer une note sans définition théorique. Brossard et Hardouin partageraient ainsi une position en matière de plain-chant relativement perméable à des conceptions théoriques inspirées de la musique figurée, et ce en dépit de leur statut canonial ou, dans le cas de Brossard, d’un abandon déjà ancien de ses responsabilités musicales (1709). À LA VILLE COMME AUX CHAMPS Il ne faut pourtant pas exagérer la tendance supposément « musicale » de leur approche de l’enseignement du chant puisqu’un examen poussé de la méthode d’Hardouin conduit à constater sa ressemblance avec nombre de manuels équivalents. Les routines d’intonation chez Hardouin reprennent l’ancestrale technique des exercitia vocum toujours en vigueur en plein siècle des Lumières. Leçon après leçon, l’élève apprenait à décomposer et recomposer des intervalles d’ambitus croissant, et à transposer ces intervalles sur l’échelle diatonique, ce à quoi toutes les méthodes de plainchant contemporaines de celle d’Hardouin invitent leur lecteur. Dans cette série d’exercices, on pourrait à la rigueur relever chez Hardouin une inflexion plus proprement musicale. Plutôt que de se cantonner à la sixte comme intervalle maximum, le Rémois fait le choix de faire travailler l’intervalle de septième qu’il convient, selon lui, de connaître et de « savoir entonner »26 malgré sa rareté dans le plain-chant.

26.

Hardouin, Methode nouvelle…, op. cit., p. 8.

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Henri Hardouin, Methode nouvelle…, op. cit., p. 7-8.

Cette piste finit en impasse puisqu’un manuel pour séminaristes publié à Caen en 1780 et attribué à l’un des directeurs du séminaire de cette ville 27 contient lui aussi des vocalises de septièmes.

La Science pratique du chant de l’Eglise…, op. cit., p. 18.

En somme, seul l’exercice enchaînant des septièmes directes pourrait dénoter chez Hardouin une exigence vocale supérieure, pour ne pas dire étrangère, à celle des plainchantistes de son époque :

27.

La Science pratique du chant de l’Eglise, ou Méthode courte et facile pour apprendre en peu de temps le plain-chant, Caen, P. Chalopin, 1780, p. 18.

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L’ENSEIGNEMENT DU PLAIN-CHANT

Henri Hardouin, Methode nouvelle…, op. cit., p. 9.

La continuation de la méthode du maître de musique s’avère aussi peu atypique. Après l’intonation des intervalles vient le déchiffrage de pièces de plain-chant mot par mot, en chantant d’abord le nom des notes puis les syllabes du texte, ainsi que le suggèrent toutes les méthodes parvenant à ce niveau de détail. Il en va de même pour les conseils généraux donnés par Hardouin dans le but de préciser le style d’exécution adéquat pour le plain-chant 28. Rectitude de l’émission vocale, retenue corporelle, synchronisation des chantres et plénitude du timbre d’ensemble « de manière que toutes les voix réünies semblent n’en faire qu’une »29 : revoici sous la plume d’Hardouin l’habituel portrait du chantre idéal et de sa vox congruens 30 invariablement préconisée dans la littérature traitant de la discipline ecclésiastique à l’époque moderne 31. CONCLUSION Au terme de cette investigation, il n’est guère possible d’avancer des conclusions très nettes quant à un éventuel savoir-faire spécifique des maîtres de musique concernant l’apprentissage du chant ecclésiastique. La prudence reste d’autant plus requise que rien ne permet d’affirmer que Brossard et Hardouin souhaitaient évoquer ou transmettre, au travers de leurs écrits publics, le même enseignement du plain-chant que celui dont bénéficièrent les enfants des psallettes de Meaux et de Reims. Cependant, une observation complémentaire incite à considérer que la pédagogie du plain-chant devait obéir à des modalités assez homogènes quel que fût le niveau ou le type d’instruction. Pour s’en rendre compte, il faut à nouveau se tourner vers la base de données MUSÉFREM qui, malgré son caractère de work in progress, est à ce jour suffisamment 28. 29. 30. 31.

Hardouin, Methode nouvelle…, op. cit., p. 30-31. Ibid., p. 31. Monique Brulin, Le Verbe et la voix : la manifestation vocale dans le culte en France au XVIIe siècle, Paris, Beauchesne, 1998, chapitre VII. Xavier Bisaro, « Beauté du chant, laideur du chantre : esthétique du plain-chant et dressage vocal au XVIIIe siècle », Revue de l’histoire des religions, 227 (2010/1), p. 109-129.

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XAVIER BISARO

développée pour laisser deviner la densité du faisceau des relations entre maîtres d’école et musiciens d’église à la fin de l’Ancien Régime 32. En effet, les conversions de régents d’école en chantres de collégiale ou de cathédrale ne furent pas rares, de même que les reconversions de musiciens en instituteurs au moment de la Révolution. Or, cette porosité générale n’épargnait pas les individus appelés, à un moment ou un autre de leur carrière, aux fonctions de maître de musique. Certains étaient fils de maître d’école (Pierre Gaudrion, collégiale Saint-Martin de Châteauroux, 1786-1791), d’autres exercèrent cette profession avant de se consacrer au service d’une église (André Rouen, cathédrale de Nevers, 1774-1787 ; Paul Fabre, cathédrale d’Entrevaux, 1775-1791 ; Jean-François Brasseux, collégiale Saint-Amable de Riom, 1779-1791). De petits chapitres collégiaux ou des paroisses urbaines proposaient même le cumul des activités de maître des enfants de chœur et de maître d’école (François Isoré, collégiale Saint-Côme et Saint-Damien de Luzarches, 1774-1777 ; Guibert, paroisse SaintBarthélémy à Paris, 1790), ou bien confiaient à leur maître de musique la tâche d’enseigner la lecture, l’écriture et le catéchisme 33. Or, bien que n’ayant pas été personnellement touchés par ce phénomène, Brossard et Hardouin ne pouvaient ignorer les techniques d’initiation au plain-chant en milieu scolaire. Le premier fut sollicité par son évêque pour préparer un Processional à l’usage des paroisses du diocèse de Meaux (1724), ouvrage expressément destiné aux régents d’école assumant la charge de clerc de paroisse, c’est-à-dire de chantre de leur village 34. Pour sa part, Hardouin évoluait dans un diocèse dont les paroisses de la partie septentrionale, correspondant peu ou prou à l’actuel département des Ardennes, recrutaient volontiers des maîtres d’école en leur confiant aussi la responsabilité de maître des enfants de chœur 35. Il est donc très vraisemblable que des maîtres de musique à l’instar de Brossard et Hardouin aient usé, pour le plain-chant en tout cas, de procédés pédagogiques identiques à ceux prévalant dans les petites écoles. En définitive, l’enseignement du chant ecclésiastique constituait une activité pour les maîtres de musique à la fois incontournable, faiblement distinctive et contribuant à l’ouverture de leur profession vers d’autres horizons que celui du cloître capitulaire. Aussi restreint voire décevant soit ce constat, il nous rappelle au moins que la banalité en histoire n’équivaut jamais à l’insignifiance.

32. 33. 34. 35.

Sur l’articulation entre ces métiers à la fin de l’Ancien Régime, voir Xavier Bisaro, « Petites écoles et régents dans la base de données MUSÉFREM », https://www.cantus-scholarum.univ-tours.fr/publications/essais-etnotes-de-travail/petites-ecoles-musefrem/ (consultation le 4 juin 2018). Voir dans ce volume (p. 40 et 47) l’exemple de la collégiale de Levroux étudié par Bastien Mailhot. Si l’on élargit l’observation aux musiciens employés en milieu capitulaire, les rapports à la profession de maître d’école sont encore plus nombreux que pour le seul cas des maîtres de musique. Voir Xavier Bisaro, « Le chanoine au village : Sébastien de Brossard et le Processional à l’usage des paroisses du diocèse de Meaux (1724) », Musique en liberté. Mélanges offerts à Jean Duron, éd. C. Massip, S. Serre, B. Dompnier, Paris, Éditions de l’École des Chartes, 2018, p. 199-211. Voir les résultats de l’enquête prosopographique menée pour ce département par François Caillou, http://philidor.cmbv.fr/musefrem/ardennes (consultation le 4 mai 2018).

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COLLABORATIONS DE POÈTES NÉO-LATINS ET DE COMPOSITEURS DE MUSIQUE À L’ÉPOQUE MODERNE : DEUX CAS D’ÉTUDE Aline SMEESTERS

Le vaste corpus des paroles de musique latines de la première modernité renferme, à côté de nombreux textes transmis par la tradition (textes liturgiques en majorité, mais aussi d’autres textes connus remontant aux différentes périodes de la latinité), un ensemble conséquent de textes composés ad hoc : il peut s’agir de centonisations mettant bout à bout des versets bibliques, souvent légèrement adaptés et éventuellement reliés entre eux par de brefs segments de texte original ; il peut s’agir aussi de compositions entièrement nouvelles, en prose rythmée, en poésie rythmique ou dans les vers quantitatifs typiques de la poésie latine classique. Peu d’informations sont disponibles sur le processus de rédaction de ces textes (qui requérait selon les cas une compétence plus ou moins poussée dans le maniement de la langue latine) et sur les collaborations qui pouvaient exister entre des compositeurs de musique et des auteurs néo-latins de la même époque. Dans cet article, je voudrais poursuivre le défrichement de ce domaine de recherche 1 en exposant deux cas de figure pour lesquels nous disposons d’une documentation conséquente, puisque nous avons à la fois des textes latins complets, les noms du musicien et du poète et, dans une certaine mesure, la date et les circonstances de leur collaboration ; les partitions musicales ne sont malheureusement conservées que pour le premier des deux dossiers. N’étant pas moi-même musicologue, je me contenterai d’éclairer ici, d’une part les circonstances socio-culturelles de la collaboration entre poètes et musiciens, d’autre part la latinité et les caractères stylistiques des textes mis en musique. Les deux cas de figure proposés présentent, comme nous le verrons, un certain nombre de points communs, mais ils relèvent aussi de périodes, de lieux et de contextes culturels très différents (un siècle exactement les sépare) : il s’agira d’abord de la collaboration, à Courtrai dans les années 1570, du musicien André Pevernage avec le poète François Haemus, et ensuite de la collaboration, à Rouen dans les années 1.

Voir les travaux de Jean Duron, et notamment l’article : « Les ‘Paroles de musique’ : quelques réflexions sur la poésie religieuse néo-latine en France sous le règne de Louis XIV », Plain-chant et liturgie en France au XVII e siècle, éd. Jean Duron, Versailles-Paris, 1997, p. 125-184.

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1670, du musicien Jacques Lesueur avec le poète jésuite Jean Commire 2. Pour l’un comme pour l’autre musicien, nous ne savons pas grand-chose de leur formation ; mais comme ils ont probablement été formés dans le même genre de maîtrises musicales que celles dans lesquelles ils ont ensuite travaillé, je m’attarderai aussi sur la formation latine qu’y recevaient les jeunes chanteurs. COURTRAI, ANNÉES 1570 : HAEMUS ET PEVERNAGE Le premier cas d’étude est donc constitué par une série de textes composés à Courtrai dans les années 1570 et parus respectivement dans un recueil de poèmes néo-latins et/ou dans un recueil de motets polyphoniques tous deux publiés en 1578 : les Poemata de Franciscus Haemus et les Cantiones sacræ de Pevernage 3. André Pevernage et la maîtrise de Courtrai André Pevernage 4 est né Harelbeke en 1542 ou 1543 et mort à Anvers en 1591. Nous ignorons tout de sa jeunesse, mais il est probable qu’il a suivi une formation musicale dans une maîtrise dépendant d’une église flamande, peut-être celle de la collégiale Notre-Dame de Courtrai. En 1563, alors qu’il avait une vingtaine d’années, il fut lui-même engagé comme maître de chant à Courtrai (après avoir occupé pendant huit mois un poste similaire à l’église Saint-Sauveur de Bruges). Il allait rester à Courtrai de nombreuses années, jusqu’à ce que les troubles politico-religieux de 1578 l’obligent à quitter la ville. En octobre 1584, il reprit son poste à Courtrai, mais dès le mois d’octobre 1585, il était engagé comme maître de chant de la cathédrale NotreDame d’Anvers. La chapelle musicale de Notre-Dame de Courtrai, sous l’autorité du chanoine cantor, comprenait à cette période, outre le maître de chant – magister cantus ou (sym)phonascus –, six enfants choristes, six chanteurs adultes et un organiste. Le chapitre dirigeait aussi une école capitulaire (école latine), qui recevait des élèves âgés de dix à quinze ans environ et assurait la formation prérequise pour l’entrée à la Faculté des

2.

3. 4.

Jean Commire a également collaboré avec Marc-Antoine Charpentier (pour trois hymnes à Saint Nicaise et un Mementote peccatores) et a publié en 1690 un Idyllium ad modos numerosque musicos accommodatum en l’honneur de l’archevêque de Paris, François de Harlay ; je réserve ces dossiers, encore insuffisamment documentés, pour une étude ultérieure. Les hymnes de Commire en général mériteraient un examen plus approfondi. Cette partie de l’article est une version retravaillée et entièrement refondue des pages 253-272 de mon livre : Aux rives de la lumière. La poésie de la naissance chez les auteurs néo-latins des anciens Pays-Bas entre la fin du XV e siècle et le milieu du XVII e siècle, Leuven, Leuven University Press, 2011. Principales sources : Jean-Auguste Stellfeld, Andries Pevernage : zijn leven, zijne werken, Leuven, de Vlaamsche Drukkerij, 1943 ; R. De Man, « André Pevernage en Kortrijk (1543-1591) », Handelingen van de Koninklijke Geschied- en Oudheidkundige Kring van Kortrijk, 44 (1977), p. 3-42 ; R. De Man, « Nagekomen inlichtingen over André Pevernage », Handelingen van de Koninklijke Geschied- en Oudheidkundige Kring van Kortrijk, 45 (1978), p. 389-394 ; notice d’Ignace Bossuyt dans Nationaal biografisch woordenboek, tome 12, Bruxelles, Palais des Académies, 1987, col. 595-599 ; K. Forney, article « Pevernage, Andreas », Grove Music Online.

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Arts de l’université. Les cours de chant avaient lieu en fin de journée, et les choristes pouvaient donc, quand leur présence n’était pas requise à l’église, suivre les cours de l’école latine ; après la mue de leur voix, certains recevaient du chapitre une aide financière à la poursuite de leurs études 5. André Pevernage s’occupait donc des cours de chant (pour les membres de sa maîtrise, mais aussi pour d’autres élèves dont il percevait alors un minerval) ; il vivait dans la même maison que les six jeunes choristes et était responsable de leur entretien 6. À côté de ses activités d’enseignement, Pevernage s’occupait de la direction du chœur et du programme musical des services de la cathédrale, et il se livrait à la composition. Il était aussi impliqué dans les activités de la confrérie Sainte-Cécile. Cette confrérie, réunissant des musiciens et mélomanes courtraisiens, fut fondée en 1570 7 et se choisissait chaque année, lors de la Sainte-Cécile (22 novembre), un nouveau président qui recevait le titre de « prince » ; entre 1574 et 1617, elle se réunissait dans la chapelle Sainte-Catherine de la collégiale. Comme nous le verrons, Pevernage a composé des motets d’éloge pour les sept premiers « princes » de la confrérie ; on trouve aussi dans ses motets sacrés deux pièces dédiées à sainte Cécile qu’il faut sans doute également rapprocher des activités (célébrations, dévotions…) de la confrérie 8. Les maîtres de chant engagés par les chanoines (avec le statut de vicaires) pouvaient aussi bien être des laïcs que des ecclésiastiques. Une promotion au titre de chapelain pouvait leur assurer un revenu plus confortable : ce fut le cas pour Pevernage qui, en 1564, devint titulaire d’une chapellenie à l’église Saint-Willibrordus de Hulst. En 1569, il fut nommé vicaire perpétuel. Son statut ne lui interdisait pas le mariage et, en 1574, il épousa une veuve du nom de Marie Maech, qui allait lui donner trois enfants.

5.

6.

7.

8.

Les principales sources sur le chapitre, la maîtrise et l’école capitulaire sont : Henry Vercruysse, « L’École chapitrale et les établissements d’enseignement moyen à Courtrai jusqu’à la fin du XVIe siècle », extrait du Bulletin du cercle royal historique et archéologique de Courtrai, 6/2 (1908-09) ; G. Caullet, Musiciens de la collégiale Notre-Dame à Courtrai d’après leurs testaments, Courtrai-Bruges, Flandria, 1911 ; G. Schmidt-Georg, « Die acta capitularia der Notre-Dame Kirche zu Kortrijk als Musikgeschichtliche Quelle », Vlaams Jaarboek voor Muziekgeschiedenis, 1 (1939), p. 21-80 ; J. De Cuyper, I. Bossuyt, « De Acta capituli van de Onze-LieveVrouwkerk te Kortrijk als muziekhistorische bron », Jaarboek Vereniging voor Muziekgeschiedenis Antwerpen (1977), p. 59-100 ; R. De Man, « André Pevernage… », art. cit. ; J. De Cuyper, « De ‘hoge scole’ of ‘latijnsche scole’ van Kortrijk », De Leiegouw, 24 (1982), p. 131-164. Les conditions exactes du contrat de Pevernage nous sont connues par les actes du chapitre (Acta capituli Cortracensis, 22 septembre 1563 (volume des années 1532-1564, f. 260), texte cité par De Man, « André Pevernage », art. cit., p. 26 et Stellfeld, Andries Pevernage, op. cit., p. 11) : Pevernage était tenu de former et de nourrir six choristes sur un fonds annuel de vingt-quatre livres de gros ; il touchait un salaire personnel de huit livres de gros, habitait gratuitement la maison des choristes, percevait un minerval de la part des autres enfants à qui il enseignait la musique et jouissait de tous les autres avantages habituellement liés à sa fonction. Sur cette confrérie : R. De Man, « Kanunnik Roger Braye (1550-1632) schenker van de ‘Kruisoprichting’ door Antoon van Dijk », Handelingen van de Koninklijke Geschied- en Oudheidkundige Kring van Kortrijk, 46 (1979), p. 39-94 (p. 45, 54 et 78-81) ; De Man, « André Pevernage », art. cit., p. 7-8 ; Caullet, Musiciens…, op. cit., p. 3234, p. 160 n. 233 et p. 157 n. 207 et 208 ; Stellfeld, Andries Pevernage…, op. cit., p. 13. Pour la date de 1570 (et non 1569), voir Andreas Pevernage, Cantiones sacræ (1578). Part 3 : the Elogia, ed. Gerald R. Hoekstra, Middleton (Wisconsin), A-R Editions, 2010, p. XVII et XXII note 37. Pevernage, Cantiones…, ed. Hoekstra, op. cit., p. XXII, note 36.

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Le recueil des elogia de Pevernage Les œuvres qui vont nous intéresser ici sont les vingt-cinq motets laudatifs profanes qui clôturent le recueil de Cantiones aliquot sacræ de Pevernage paru à Douai en 1578 9. Les textes sont des poèmes composés en mètres classiques (principalement des distiques élégiaques, mais aussi des distiques combinant selon les cas des hexamètres dactyliques, des dimètres iambiques et des trimètres iambiques) 10 et leur statut littéraire est souligné à la fois par la description qui en est donnée sur la page de titre (addita sunt elogia nonnulla versibus Latinis expressa) et par le fait que les textes (contrairement à ceux des trente-huit motets religieux qui occupent la première partie du recueil) sont réimprimés comme poèmes à la fin du recueil de partitions. Certains de ces elogia sont simplement des poèmes d’éloge à de grandes personnalités contemporaines (Louis de Berlaymont (1), Philippe de Croÿ (2), Marguerite d’Autriche (4)) ou à des personnalités locales (notamment des chanoines de Gand (6), Tournai (7) et Ypres (9b)), tandis que d’autres célèbrent des circonstances précises : inauguration d’un évêque (3), nouvel an (5), première messe d’un prêtre (8, 10, 11), retour de voyage (12), naissance (13, 15), mariage (14). Les éloges 16 à 18 ne sont pas dédiés à une personne précise et sont respectivement l’éloge d’une chanteuse, un blâme de l’ivresse, et un éloge comparé du Brabant et de la Flandre. Enfin, les éloges 19 à 25 célèbrent les sept premiers « princes » (dans les années 1570 à 1576) de la confrérie Sainte-Cécile. Gerald R. Hoekstra a montré 11 comment le recueil de cantiones dans son ensemble, et la collection d’elogia en particulier, pouvaient être interprétés (entre autres fonctions) comme une déclaration de loyauté confessionnelle envers l’Église de Rome et les autorités en place, dans une période particulièrement marquée par les troubles religieux : la lettre dédicatoire est adressée à l’archevêque de Cambrai ; les pièces religieuses suivent l’ordre du calendrier liturgique romain ; enfin les éloges, dont beaucoup sont adressés à des nobles proEspagnols et à des ecclésiastiques, sont classés dans un ordre qui respecte la hiérarchie sociale en vigueur. Les elogia sont aussi un témoignage parlant et assez exceptionnel de l’activité d’un maître de musique de l’époque dans une petite ville flamande et de ses cercles de relations sociales et professionnelles 12. Les textes datables se situent tous 9.

10. 11. 12.

Cantiones aliquot sacræ, sex, septem et octo vocum, quibus addita sunt elogia nonnulla versibus Latinis expressa, tam viva voce, quam omnis generis instrumentis cantatu commodissimæ. Auctore ANDREA PEVERNAGE Cortracensi apud D. Virginis phonasco, Duaci, ex officina Ioannis Bogardi, Typogr. Iurat. sub Bibliis Aureis, anno 1578. Traduction du titre : « Chansons sacrées à six, sept et huit voix, suivies de quelques éloges en vers latins, très adaptées aussi bien au chant de vive voix qu’avec tout type d’instrument ». L’exemplaire de la bibliothèque municipale d’Orléans est accessible en ligne via le site des Bibliothèques virtuelles humanistes (bvh.univ-tours.fr). Notons que les elogia ne sont pas repris dans la deuxième édition des Cantiones sacræ à Francfort en 1602. Voir L. Willems, « A. Pevernage’s Cantiones sacræ van 1578 », overdruk uit het Tijdschrift voor boek- en bibliotheekwezen, 1911 ; Pevernage, Cantiones…, ed. Hoekstra, op. cit. ; Gerald R. Hoekstra, « Andreas Pevernage’s Cantiones sacræ (1578) as a Counter-Reformation Statement of Confessional Loyalty in the Low Countries », Sixteenth Century Journal, 44/1 (2013), p. 3-24. Contrairement à ce que suggère G. R. Hoekstra (« Andreas Pevernage’s Cantiones… », art. cit., p. 8), le titre elogia (« éloges ») ne doit pas être confondu avec elegiæ (« élégies »). Hoekstra, « Andreas Pevernage’s Cantiones… », art. cit. Ibid., p. 8.

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dans les années 1570-1576 (datation qui correspond aussi au style musical des pièces) 13. Les occasions d’exécution des elogia ne sont malheureusement pas documentées avec précision ; Hoekstra suppose qu’ils ont pu être interprétés soit lors de banquets, soit lors de cérémonies (installation du prince, par exemple), soit à l’occasion de messes solennelles (par exemple pour l’ordination de l’évêque de Tournai)14. Dans le recueil de Pevernage, aucun nom d’auteur n’est donné pour ces vingtcinq elogia, mais une confrontation avec les Poemata de Franciscus Haemus (Anvers, 1578) permet d’établir que ce dernier fut l’auteur d’au moins une partie de ces textes. Les Poemata renferment en effet trois poèmes (quasiment) identiques à trois elogia de Pevernage : il s’agit des elogia 4, 9 et 10, sur Marguerite d’Autriche, les frères Canius (de Hondt) et la première messe d’un Roger de Muelnaere 15. Les Poemata de Haemus comptent aussi trois poèmes présentant de fortes similitudes formelles par rapport à trois autres elogia de Pevernage, mais avec des variations à la fois dans le texte et dans les destinataires : sont ici concernés les elogia 11 (sur la première messe de Nicolas Deelloos ; le poème correspondant de Haemus concerne la première messe de Simon Mantheus), 13 (sur la naissance d’un fils de Robert Wullins ; le poème correspondant de Haemus concerne la naissance d’un fils de Petrus Matthaeus) et 14 (sur le mariage de Martin van Loo ; le poème correspondant de Haemus concerne le mariage d’André Pevernage lui-même) 16. Aucune mention n’est donnée par le poète de l’existence de compositions musicales sur base de ces textes. Le poète et le musicien ont donc visiblement collaboré, mais cette collaboration n’est affichée ni par l’un ni par l’autre dans leurs recueils imprimés. Par ailleurs, Haemus a aussi, dans les deux derniers cas, célébré la même circonstance sociale que Pevernage (la naissance du fils de Robert Wullins et le mariage de Martin van Loo) par un autre poème entièrement différent (cf. ANNEXE 1, p. 357-358 pour un tableau d’ensemble avec les références précises des textes). Franciscus Haemus et ses liens avec le monde musical courtraisien Franciscus Haemus (Lille 1521-Courtrai 1585)17 était l’aîné de Pevernage d’une vingtaine d’années. Après des études à l’école capitulaire de Courtrai (1531-1536) et dans

13. 14. 15. 16. 17.

Ibid., p. 7. Pevernage, Cantiones…, ed. Hoekstra, op. cit., p. XIV, XV, XVII-XVIII, XV ; Hoekstra, « Andreas Pevernage’s Cantiones… », art. cit., p. 8-9. Chez Haemus, le prêtre destinataire est nommé Joannes Molinerus. De Muelnare et Molinerus sont deux variantes d’un même nom de famille, que l’on trouve aussi sous la forme « de Meulenaere » ; le changement de prénom reste par contre inexpliqué ; voir Pevernage, Cantiones…, ed. Hoekstra, op. cit., p. XVI. G.R. Hoekstra (« Andreas Pevernage’s Cantiones… », art. cit., p. 7 note 14) n’identifie que quatre poèmes dus à Haemus : ceux à Marguerite d’Autriche, aux frères Canius, à de Muelnaere et à Martin van Loo. Diverses orthographes sont attestées : Franciscus Haemus/Hoemus/Hemus ou Frans Heeme/Heme/de Hem. Principales sources : F. Van de Putte, « Études sur la littérature latine dans la West-Flandre au XVIe siècle. Biobibliographie de Frans Heme », Annales de la Société d’émulation pour l’étude de l’histoire et des antiquités de la Flandre, 4e série, 1 (1876-1877), p. 75-93 ; notice de L. Roersch dans la Biographie Nationale, tome 8, Bruxelles, Bruylant-Christophe, 1884-1885, col. 604-606 ; H. de Vocht, History of the Foundation and Rise of the Collegium Trilingue Lovaniense, 1517-1550, tome 3, Louvain, Librairie universitaire, 1954, p. 512-516.

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les universités de Louvain, Paris et Orléans, il était revenu à Courtrai (v. 1540) pour se consacrer à l’enseignement, d’abord dans son ancienne école en tant que submonitor, puis dans sa propre école latine fondée dans un faubourg de la ville (1546). En 1544, il avait été nommé chapelain ; à une date inconnue, il revêtit la dignité de prêtre. L’enseignant était aussi poète : en 1556, il fit paraître à Lille des Sacrorum hymnorum libri duo, suivis d’une « silve » de poèmes variés 18. Les troubles courtraisiens de la fin des années 1570 le forcèrent lui aussi à quitter quelque temps la ville. En 1578, il fit paraître à Anvers un nouveau recueil de Poemata latins 19, qui sera encore réédité de façon posthume en 1630, avec quelques nouvelles pièces 20. Deux poèmes composés par Haemus à l’occasion du mariage de Pevernage (dont il nous donne la date précise, le 20 juin 1574)21 ne laissent pas de doute sur le fait que les deux hommes se connaissaient personnellement ; mais le talent musical de Pevernage n’est pas spécialement évoqué dans ces textes. Haemus a aussi composé des poèmes funèbres pour le décès de plusieurs musiciens passés par Courtrai au cours de leur vie 22, notamment Adrien Thibaut dit Pickart (1496-1546), maître de chapelle de Charles Quint 23, et Jacobus Vaet (c. 1529-1567), maître de chapelle de l’archiduc Maximilien d’Autriche à Vienne 24. Pour le reste, les Poemata de Haemus ne révèlent pas spécialement un amateur de musique. On sait toutefois qu’il assurait à ses propres élèves l’accès à des cours de chant : en 1557 (avant l’arrivée de Pevernage donc), Franciscus Haemus, alors chapelain de Notre-Dame et professeur privé, est sermonné par le chapitre parce que « les nombreux jeunes gens qu’il nourrit chez lui et qu’il instruit dans les matières grammaticales » reçoivent également des cours de chant dispensés par un vicaire de l’église, sans accord préalable et arrangement financier avec le maître de chant (qui avait théoriquement le monopole de l’enseignement du chant) 25. Nous savons enfin qu’un neveu de Haemus était musicien à la cour de Marguerite de Parme 26. 18. 19. 20. 21. 22. 23. 24.

25.

F. Haemus, Sacrorum hymnorum libri duo. Variorum carminum sylva una, Lille, G. Hamelin, 1556. Id., Poemata… iam primum in lucem edita, Anvers, Christophe Plantin, 1578. Id., Poemata… iam tertio in lucem edita, Courtrai, J. van Ghemmert, 1630 (réédition posthume à la demande des autorités courtraisiennes). Haemus, Poemata, 1578, op. cit., p. 239-240 : In nuptias Andreæ Pevernage apud Cortracenses symphonasci et Mariæ Mæges viduæ 17. Cal. Iulii anno 1574 suivi de In easdem. Voir la liste dans De Vocht, History of the Foundation…, op. cit., tome 3, p. 513 note 3. Haemus, Poemata, 1578, op. cit., p. 32-33 : In obitum M. Adriani Pichart canonici Cortracensis monodia et Eiusdem epitaphium. Originaire d’Ath, Pickart bénéficia d’une prébende de chanoine à Courtrai à partir de 1529 et y résida effectivement à partir de 1542 (cf. Caullet, Musiciens, op. cit., p. 73-87). Haemus, Poemata, 1578, op. cit., p. 115 : In obitum Iacobi Vasii Cæs. Maximiliani archiphonasci. De huit ans plus jeune que Haemus, Vaet avait été formé comme choriste à la maîtrise de Courtrai (1543-1546) avant d’obtenir une bourse pour étudier à l’université de Louvain, puis d’entrer dans la chapelle de Charles Quint et enfin de Maximilien ; cf. S. Sadie ed., The New Grove Dictionary of Music and Musicians, 2nd edition, volume 26, Macmillan Publishers, 2001, p. 196-197 (notice de Milton Steinhardt). Acta Capitularia, 19 janvier 1557 (1532-1564, f. 191-191v) : « vocarunt coram se magistrum Franciscum Hemum capellanum huius ecclesiæ pædagogum privatum et privatim docentem, narrantes quod ad ipsorum notitiam deductum esset quod iuvenes quos domi multos alit et in grammaticalibus instruit etiam et musicam eosdem docere curat per Iacobum du Perchin vicarium locaticium huius ecclesiæ, cum musicam docere pertineat in solidum ad magistrum cantus huius ecclesiæ, nisi de illius consensu alius doceat satisfaciendo eidem magistro

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La correspondance de Jean van Loo La collaboration entre Haemus et Pevernage est documentée, pour deux des poèmes qui nous occupent, par la correspondance de Jean van Loo, prévôt depuis 1562 de l’abbaye augustine d’Eversam près d’Ypres (prévôté des Saints-Pierre-et-Vaast, de l’ordre des chanoines réguliers de saint Augustin) 27. Van Loo, connu comme mécène des poètes de la région, était aussi un grand amateur de musique. Une bonne partie de sa correspondance est conservée par le ms 903 de la bibliothèque universitaire de Gand 28. Les lettres documentant la collaboration de Haemus et Pevernage sur deux des elogia ont déjà été signalées et reproduites dans la littérature secondaire, mais il ne sera pas inutile d’en rediscuter certains aspects ici. Le premier cas concerne l’elogium 4 à Marguerite d’Autriche (repris tel quel dans les Poemata de Haemus et donc très probablement de la plume de ce dernier). Il est documenté par la lettre de Haemus à van Loo du 4 juin 1575 29. Il ressort de cette lettre que Haemus, lors d’une visite à van Loo, avait évoqué avec lui un carmen musicum, que van Loo avait demandé à pouvoir lire. Haemus explique dans sa lettre pourquoi il n’a pas pu satisfaire ce souhait aussi vite que prévu : quand il est passé voir « maître André », celui-ci était parti avec sa femme en emportant le poème en question. Haemus n’a pu en obtenir un nouvel exemplaire que tardivement (nunc demum) 30 – le texte en est adjoint au bas de la lettre (introduit par la mention : exemplar carminis musici hoc habe). La copie du texte a sans doute été fournie à Haemus un peu plus tard par Pevernage lui-même, qui aurait donc été jusque-là en possession du seul exemplaire du poème que Haemus avait rédigé pour lui. En tout cas, Haemus a revu Pevernage avant d’écrire à van Loo, puisqu’il transmet ses salutations un peu plus loin dans sa lettre. La formulation est intéressante : « Notre Pevernage [écrit Haemus] te renvoie son bonjour par mon intermédiaire, et s’excuse de ne pas être venu te voir avec moi la dernière fois : il est en effet désormais marié, et s’en trouve bien lié et

26. 27. 28.

29.

30.

cantus de certa recognitione per munerationem aliquot nummorum… » (cité par G. Schmidt-Goerg, Die Acta…, 1939, p. 60 n° 331). Lettre de Haemus à van Loo du 4 juin 1575 (cf. plus bas) : « … D. Margaretæ Austriæ Parmæ ducis, apud quam nepos meus, musicus non vulgaris, agit ». Voir Monasticon belge, tome III-3, Liège, Centre National de Recherches d’Histoire Religieuse, 1974, p. 655690, spécialement p. 675-678 pour Jean VII van Loo (v. 1530-1594). Ce manuscrit rassemble des lettres de et à Jean van Loo (ainsi que des lettres échangées entre eux par ses amis) qui sont recopiées à la suite l’une de l’autre, dans un ordre non strictement chronologique. Le manuscrit possède une double numérotation des folios, en chiffres romains et en chiffres arabes ; je cite ici selon la numérotation en chiffres arabes. Une note marginale au f. 250 met le lecteur en garde par rapport aux dates apposées par le scribe, qui « non habet rationem styli veteris et novi ». La lettre (incipit : « Quod minus exspectationi tuæ ») se trouve aux f. 290v-291 du manuscrit ; elle a été éditée par Willems, « A. Pevernage’s Cantiones… », art.cit., p. 19-20 et De Man, « André Pevernage en Kortrijk… », art. cit., p. 33-34. Elle est datée de pridie nonas Iunias, donc le 4 juin (notons que De Man imprime erronément Janias et résout mal la date : 14 juin). Début de la lettre : « Quod minus exspectationi tuæ, præsul eruditissime simulque humanissime, nuper fecerim satis ubi a te, Hypram reversurus, discessissem, equidem in culpa non sum. Postquam enim paulo ante meridiem Hypram pervenissem, M. Andream domum discessisse cum uxore audio atque carmen illud musicum, de quo apud te mentionem feceram, abstulisse. Quod nunc demum novum exemplar nactus, mitto ».

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muselé » 31. Hoekstra estime pouvoir en déduire que Pevernage n’avait encore jamais rencontré van Loo 32, mais une telle conclusion me semble loin d’être assurée. Une série de deux lettres 33 concerne le mariage de Martin van Loo, frère de l’abbé. Une note marginale dans le manuscrit nous informe de la date précise et du lieu de cet événement : « Nuptiæ Martini Loæi et Ioannæ Taschiæ peractæ fuere Bergis S. Winnoc 5a Julii 1575 ». Dans la première lettre (qui porte seulement le millésime 1575), Haemus envoie à son correspondant l’épithalame qu’il a rédigé pour son frère, en déplorant de ne pas mieux connaître les futurs époux. Dans la seconde lettre, très brève et datée du 30 juin 1575 34, Haemus envoie à nouveau (rursus) l’épithalame corrigé, ainsi que « la pièce en huit vers mise en musique par notre Pevernage » (effectivement recopiée à la suite de la lettre), pour avoir l’avis de son correspondant 35. Cette pièce de huit vers (texte de l’elogium 14) est une version retouchée et abrégée de l’un des deux épithalames composés par Haemus pour le mariage de Pevernage lui-même un an plus tôt, en juin 1574 36. Le texte de la lettre ne permet pas de savoir si Haemus était lui-même responsable de ce recyclage (il a aussi bien pu être opéré par Pevernage ou par un tiers), mais en tout cas il est clair que la manipulation n’a pas été réalisée à son insu. Cette manipulation était du reste fort simple : quatre vers ont été supprimés, et le premier vers a été remplacé : un seul vers nouveau a donc dû être composé. Les poèmes pour Pevernage seront ensuite repris par Haemus dans les Poemata de 1578, de même que son long épithalame de 66 vers pour Martin van Loo ; l’elogium 14 par contre n’y figurera pas. Enfin, les échanges entre Haemus et van Loo indiquent que le poète avait coutume d’envoyer des poèmes autour du 1er janvier en guise de xenia à son mécène. Nous avons ainsi conservé des poèmes pour le Nouvel An de 1574 37 et de 1575 38. Ces poèmes ne correspondent pas au texte de même sujet mis en musique par Pevernage (elogium 5, intitulé D. Ioanni Loeo præposito Eversamensi calendis Ianuariis), mais il est tentant de supposer, là encore, une collaboration entre les deux hommes 39. 31. 32. 33.

34. 35. 36. 37. 38. 39.

« Pevernagius noster tibi salutem per me rescribit, ac culpam deprecatur quod te nuper una mecum non inviserit : se enim iam duxisse uxorem, illoque capistro plus satis alligatum ». Pevernage, Cantiones…, ed. Hoekstra, op. cit., p. xv. Ms. 903 de l’université de Gand, f. 293 et 294v. La première lettre est éditée dans : Alphonse Roersch, Correspondance inédite de Loaeus abbé d’Eversham, Gand, A. Siffer, 1898, p. 127-129 ; Willems, « A. Pevernage’s Cantiones… », art.cit., p. 20 et De Man, « André Pevernage », art. cit., p. 34 réimpriment la partie de la première lettre qui concerne les poèmes de mariage, et éditent en entier la seconde lettre ainsi que le poème qui l’accompagne. « Pridie calendas Iulias » ; à nouveau De Man résout mal la date, puisqu’il donne le 1er juillet 1575. « Epithalamium meum sub limam utramque renovatum rursus ad te mitto, præsul humanissime, una cum accessione ogdoastici musica a nostro Pevernagio expressi ». cf. ANNEXE 2, p. 358, pour une comparaison des deux textes. Textes d’Haemus reproduits dans : Jacobus Sluperius, Poemata, Anvers, Bellerus, 1575, p. 297-306 (épigramme de présentation à van Loo et poème ad amicos Kal. Ianuariis; voir aussi p. 306-309, la lettre de remerciement de van Loo, datée du 7 janvier 1574). Haemus, Poemata, 1578, p. 188-190 (D. Ioanni Loëo Eversamensi præposito dignissimo Calend. Ianu. anno 75) = ms. 903 f. 254-255, incipit « Prome age ». Dans Pevernage, Cantiones…, ed. Hoekstra, op.cit., p. xv, Hoekstra suggère que Haemus soit aussi l’auteur du poème de Nouvel An mis en musique par Pevernage pour Jean van Loo.

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Autour de sainte Cécile La correspondance de van Loo, couplée aux Poemata d’un autre poète néo-latin de la région, Jacobus Sluperius (chapelain de Westvleteren entre 1569 et 1578) 40, illustre également comment le culte de sainte Cécile rassemblait à cette période poètes et musiciens de Flandre occidentale. Les recherches déjà anciennes d’Edmond vander Straeten ont montré que sainte Cécile fut honorée dans les anciens Pays-Bas comme patronne des musiciens dès la seconde moitié du XVe siècle et que ce culte se développa considérablement au cours du XVIe siècle, assuré par des confréries de « Cecilianisten » ; de telles associations sont attestées notamment, pour les années 1550-1600, à Grammont, à Audenaerde et à Mons 41. De l’autre côté de la frontière française, et notamment en Normandie (Rouen, Évreux), des confréries de sainte Cécile fleurissaient également, et organisaient dès cette époque des concours de composition musicale (sur lesquels je reviendrai dans la seconde partie de cet article). Je n’ai pas rencontré ce type de concours en Flandre : typiquement, les confréries flamandes organisaient des célébrations festives autour du jour de leur sainte patronne, sous la forme d’événements à la fois liturgiques et sociaux ; elles participaient aussi aux processions religieuses (ommegangen) 42. Tous ces événements requéraient bien sûr de la musique, mais suscitaient aussi de la poésie latine (mise en musique ou non, à fonction publique ou privée) : éloges des princes de la confrérie, de sainte Cécile, de la musique, poèmes décrivant ou évoquant les festivités, invitant des amis à y participer… La correspondance de van Loo en offre d’excellents exemples. En 1552, Loaeus (alors âgé de vingt-deux ans environ, déjà entré à Eversam mais encore en attente de son ordination) improvise un poème pour un certain Jean Sylvius, qui célébrait avec lui les « feriæ Cæciliæ » à Eversam ; il se désigne lui-même dans le titre comme Cæcilianista 43. Dans le poème, l’auteur rappelle qu’il est d’usage « apud nos » (à Eversam, ou plus largement dans la région?) de célébrer chaque année la SainteCécile 44 ; il évoque un banquet (symposium) ainsi que de la musique (symphonia, melos) 45. Les Poemata de Sluperius contiennent également un groupe de documents intéressants (p. 310-315) : il s’agit d’une série de quatre poèmes (probablement tous de van Loo) et d’une lettre d’accompagnement de van Loo à Sluperius. Dans la lettre, datée du 8 mars 1573, van Loo explique à Sluperius qu’il lui envoie un carmen Cæcilianicum composé quelques années plus tôt, et qui pourrait intéresser Sluperius 40. 41. 42. 43. 44. 45.

Sluperius, Poemata, op. cit. Sur Sluperius, voir la notice d’Alphonse Roersch dans la Biographie Nationale, tome 22, Bruxelles, Bruylant, 1914-1920, col. 704-708. Edmond vander Straeten, La Musique aux Pays-Bas avant le 19 e siècle, tome 1, Bruxelles, Muquardt, 1867, p. 130-135. Pevernage, Cantiones…, ed. Hoekstra, op.cit., p. XVII. Gand, ms. 903, f. 11v-12v : Ad I. Sylvium philomusum, Cæciliæ ferias apud Eversamios concelebrantem, extemporaneum carmen Loensis Cæcilianistæ (poème daté « Ex Eversamo museo ipsis feriis Divæ Cæciliæ, anno salutis nostræ 1552 »). Ibid., v. 17-18 : « Cæciliæ ferias iam iam celebrare quotannis/moris apud nos est… ». Ibid., v. 19-20 : « Te sine symposium nihil est, symphonia friget ; / te sine nemo melos mittit ab ore suo ».

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en tant que « patron des musiciens » et « disciple des Muses »46. Le premier des quatre poèmes, qui est un poème de dédicace à Sluperius, a sans doute été composé à la même époque que la lettre ; Sluperius est à nouveau qualifié dans le titre de musicorum patronus 47. Cette longue élégie (52 vers) évoque le jour de la Sainte-Cécile, célébré par de la musique vocale et instrumentale 48 ; sous la conduite de Sluperius, déclare le poète, la musique résonne dans l’église, tandis qu’en son absence le phonascus n’est plus rien, et il n’y plus ni symphonie ni chant 49. Qu’entend van Loo par ces déclarations et par le titre de patronus musicorum qu’il attribue à Sluperius ? Il est tentant de supposer que ce dernier avait été chargé, comme poète (et peut-être comme prince d’une confrérie ?), de fournir des textes qui seraient chantés lors de la fête annuelle de la sainte dans l’une des églises ou abbayes de la région. Il est intéressant de souligner le lien étroit que ces textes supposent entre compétences poétiques et musicales dans la célébration de la Sainte-Cécile. Le second poème de la série, intitulé Ad Musicam salutatio 50, est sans doute le « carmen Cæcilianicum » de van Loo à proprement parler (plus vieux donc de quelques années par rapport à la lettre et à l’élégie d’accompagnement). Il s’agit d’une élégie de seize vers développant un vibrant éloge de la musique – repos des hommes, plaisir des dieux et cadeau divin. La taille du poème permet d’émettre l’hypothèse qu’il ait pu servir de paroles de musique (le texte aurait par exemple pu être chanté lors d’une des fêtes de la Sainte-Cécile à l’abbaye d’Eversam). Cette hypothèse est renforcée par le troisième texte poétique, une brève épigramme portant le titre d’« épilogue à tout musicien », et qui semble avoir pour fonction de prévenir contre l’orgueil le chanteur qui sera amené à interpréter le texte précédent : « Tu ne récolteras ici aucune louange humaine : pourquoi/n’as-tu pas plus présentes à l’esprit les paroles que chante ta bouche ? »51. Enfin, le quatrième poème est une brève prière à sainte Cécile, dont le poète espère la faveur et la protection pour l’abbaye d’Eversam 52. Pratiques de production, de transformation et d’impression des textes Revenons sur les différents types de croisements observés entre l’œuvre de Pevernage et celle d’Haemus, pour voir ce que nous pouvons en déduire en termes de pratiques 46. 47. 48. 49. 50. 51. 52.

Sluperius, Poemata, op. cit., p. 314 : « Scripsi ante annos aliquot carmen hoc nostrum Cæcilianicum – carmen, inquam, verius fusum quam elaboratum – quod modo […] ad te mitto […] Gratanter igitur accipe ac lege nostra unice tibi destinata, ut summo Musicorum patrono et Musarum diligentissimo cultori ». Ibid., p. 310 : R. Domino Iacobo Sluperio, amico non vulgari eidemque optimo Musicorum patrono, Ioannes van Loë præpositus Eversamensis dedicat carmen suum Cæcilianicum. Ibid., p. 310, v. 15-16 : « Cæciliæ ob festum contendit nostra iuventus/hunc totum cantu concelebrare diem » ; v. 20 : « iam resonent voces, organa, plectra, chelys ». Ibid., p. 311-312, v. 49-52 : « Te duce mellifluos sacra modulantur in æde/et resonant cantus organa nostra procul/Te sine, phonascus nihil est, symphonia friget/nec fluit e rauco gutture dulce melos ». Notons aussi la similitude de formulation avec les vers 19-20 du poème pour Sylvius cité ci-dessus (note 45). Ibid., p. 312 : Ad Musicam salutatio. Ibid., p. 312 : Epilogus ad quemvis musicum : « Hic nihil humanæ laudis venabere : in ipsa/quin magis occurrat mente, quod ore canis ? ». Ibid., p. 313 : Oratio ad sanctam Cæciliam.

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de production et de diffusion des textes. Dans les trois cas où les poèmes sont quasiment identiques, le processus semble assez facile à reconstituer : Haemus a composé un poème, Pevernage l’a mis en musique. Nous pouvons cependant nous interroger sur l’intention qui a présidé à la composition de ces textes : Haemus les a-t-il écrits d’emblée en tant que textes de musique (les jugeant ensuite assez réussis comme poèmes pour les inclure aussi dans ses Poemata), ou d’abord en tant que poèmes (la décision de les mettre en musique intervenant dans un second temps, à la suggestion d’Haemus, de Pevernage ou d’un commanditaire) ? Quoi qu’il en soit, ces textes remplissaient visiblement le double cahier des charges d’un poème latin et d’un texte de motet. Trois autres cas concernent des recyclages de textes dont le contenu et le destinataire varient. Il n’est alors pas toujours facile de reconstituer exactement les liens de dépendance des textes les uns par rapport aux autres. Dans l’absolu, un recyclage peut aboutir aussi bien à un texte d’égale longueur, plus long ou plus court ; seules les dates des événements peuvent permettre de savoir quel texte est antérieur à l’autre. Nous n’avons de certitude sur les dates que dans un cas (celui des mariages de Pevernage et de Martin van Loo), dont il ressort qu’un poème de 12 vers a été, un an plus tard, transformé en un texte de musique de 8 vers. Dans un autre cas que j’ai eu l’occasion de développer ailleurs 53, celui des naissances des fils de Robert Wullins et de Petrus Matthaeus, la situation semble être inversée : le texte de musique de 8 vers célébrant la naissance du petit Wullins, survenue (si nous acceptons la date proposée par la littérature secondaire, mais qui est loin d’être assurée) pendant l’été 1573 54, aurait été transformé par Haemus quelques mois plus tard, en novembre 1573, en un poème de 16 vers pour la naissance d’un autre enfant (survenue loin de là, à Rome). Nous ne pouvons pas savoir de manière certaine qui était responsable des manipulations sur les textes (qui ne se sont en tout cas pas faites à l’insu de Haemus). Il est tentant de supposer qu’il s’agissait du poète lui-même mais, dans les cas où le texte de musique est second, le recyclage (parfois élémentaire) peut aussi bien avoir été opéré par Pevernage ou par une tierce personne. En tout cas, en termes de diffusion ultérieure des textes, les recyclages ne sont pas affichés : ni Pevernage ni Haemus n’impriment dans un même volume deux textes en bonne partie identiques. Pevernage ne fournit évidemment que les textes qui vont avec les partitions – mais son recueil ne témoigne pas forcément de toutes les compositions, adaptations ou reprises musicales qu’il a peut-être pu réaliser sur des variantes de ces mêmes textes. Haemus pour sa part opère entre les différentes versions d’un poème un choix dont les critères restent à déterminer : le texte le plus long ? le plus ancien ? le plus réussi ? celui dont le destinataire lui est le plus proche ? celui qu’il a 53. 54.

Smeesters, Aux rives de la lumière, op. cit., p. 257-270. Pour le détail, voir Smeesters, Aux rives de la lumière, op. cit., p. 269-270. La date de 1573 est aussi retenue dans Pevernage, Cantiones…, ed. Hoekstra, op. cit., p. XVI et Hoekstra, « Andreas Pevernage’s Cantiones… », art. cit., p. 7.

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composé en première instance pour un usage poétique? Ou tout simplement celui qu’il a composé lui-même, dans les cas où il ne serait pas responsable du recyclage ? En termes stylistiques, le texte des six elogia concernés et des poèmes qui leur correspondent formellement est comparable à presque tous points de vue au reste de la production poétique de Haemus. Les textes des elogia repris tels quels dans les Poemata ne tranchent d’aucune façon par rapport aux poèmes qui les côtoient ; dans les cas de recyclage, rien ne permettrait de prédire laquelle des deux versions a été conçue pour la musique. Par contre, les elogia partagent bien une série de traits qui, sans leur être exclusifs, leur sont communs entre eux : la taille réduite (toujours comprise entre 6 et 12 vers) ; la présence de termes ancrant le discours dans l’ici et maintenant (déictiques en et ecce, adverbes hic et nunc, verbe adesse…) 55 ; la fréquence des impératifs, subjonctifs exhortatifs et questions oratoires, soit à la deuxième personne (interpellation au public, à la Muse, au destinataire, à un saint, au Christ ou à Dieu…), soit à la première personne (le locuteur se questionne et s’encourage luimême) 56 ; et enfin le goût des comparaisons imagées : pour prendre deux exemples, Marguerite est comparée à un myrte dans l’éloge 4, un prêtre à une lampe placée sur une hauteur dans l’éloge 11. On peut donc poser l’hypothèse que ces traits stylistiques, appréciés de toute façon par les poètes néo-latins, soient particulièrement recherchés dans les textes de musique. À cela s’ajoute la question des autres elogia de Pevernage, pour lesquels nous n’observons aucun parallèle dans les Poemata de Haemus, mais dont le style est tout à fait comparable. Faut-il supposer que Haemus est également l’auteur de tout ou partie de ces textes 57 ? Mais pourquoi dans ce cas ne les a-t-il pas inclus dans les Poemata ? Fautil supposer une collaboration du musicien avec un ou plusieurs autres poètes de la région 58 ? Ou bien Pevernage s’est-il lui-même essayé, non pas seulement au recyclage de poèmes existants, mais à la composition poétique latine, éventuellement avec l’aide et la relecture de poètes ? Tout cela pose la question du niveau de latin de Pevernage. Sa formation et ses fonctions au sein de l’Église ne laissent pas de doute sur le fait qu’il disposait certainement d’une maîtrise tout à fait correcte de cette langue. Le style musical des elogia témoigne, selon Hoekstra, d’une grande attention au texte (phrasé qui reflète la structure rhétorique, musique qui accentue la dimension expressive des mots, souci de faire 55. 56.

57. 58.

9a) primus ades ; 11) huc ; huc adsis ; 13) audiit en, audiit ecce, nascitur en, nunc age nunc… ; 14) huc veni. Par exemple : 4) qua te voce feram ?queis cælo laudibus æquem ? ; 9a) Carmine dicamus Canios, age Musa, Latino ; 10) age, conspice… (à Dieu) ; 11) oculos, Deus, deflecte… et respice… (à Dieu) ; huc igitur præsens adsis (au Christ) ; Dellosi, sis decus (au destinataire) ; 13) e vultu nubila deme tuo, grates solve (au destinataire) ; 14) sancte Hymenæe veni ; quin Christe sanci (au dieu Hyménée ; au Christ) ;… L’hypothèse est suggérée par Hoekstra, « Andreas Pevernage’s Cantiones… », art. cit., p. 7 note 14. De Man, « André Pevernage en Kortrijk », art. cit., p. 12-13 suggère le nom de J. Dubois (Silvius, peut-être à identifier avec le Joannes Sylvius rencontré dans la correspondance de van Loo), ami de Haemus, originaire de la même région, un temps professeur de latin à la collégiale de Courtrai, avant de partir pour Bailleul, puis de fonder sa propre école à Lille ; ce Silvius est décédé en 1579 et n’a pas laissé d’œuvre imprimée. Caullet, Musiciens…, op. cit., p. 136, note 1, suggère les noms de Braye et de Sluperius.

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entendre clairement le texte) 59. Mais les connaissances en latin de Pevernage allaientelles jusqu’à lui permettre de maîtriser la métrique quantitative à l’antique, abordée dans les dernières années du cursus complet d’école latine ? La question reste ouverte. On peut enfin se demander quel intérêt il y avait, fondamentalement, pour le poète aussi bien que pour le musicien, à imprimer ce type de pièces liées à une circonstance sociale précise et unique. Dans le domaine poétique, Haemus n’est certainement pas une exception : les recueils de Poemata de cette période sont pleins de pièces occasionnelles pour des proches du poète, quand bien même le cercle plus large des lecteurs n’avait pas d’intérêt particulier pour ces personnes ou ces occasions. L’usage était visiblement bien inscrit dans les mœurs de l’élite socio-culturelle du temps. La même explication peut valoir pour Pevernage, dans la mesure où il fréquentait apparemment les mêmes cercles. Hoekstra évoque l’éventuelle perspective d’une récompense de la part des personnes ayant reçu l’honneur de voir leur pièce imprimée 60 ; c’est possible, voire probable dans le cas des personnalités les plus haut placées, mais pour les personnalités locales, il me semble qu’il est davantage question de signes d’appartenance à un milieu et de reconnaissance symbolique que de récompenses en espèces sonnantes et trébuchantes. Par ailleurs, pour les partitions en particulier, de nouvelles exécutions dans d’autres occasions sociales similaires sont tout à fait imaginables, moyennant de légères modifications textuelles comparables à celles que nous avons pu observer ici. ROUEN, 1675 : COMMIRE ET LESUEUR Dans ce second volet, je m’intéresserai au texte que le poète jésuite Jean Commire composa pour les funérailles du vicomte de Turenne et qui fut mis en musique par Jacques Lesueur à Rouen en 1675. Le texte nous est conservé uniquement de par sa citation par un autre jésuite, Claude-François Ménestrier : l’œuvre de Lesueur est entièrement perdue, et Commire n’intégra pas ce texte dans ses Poemata, sans doute parce qu’il s’agissait d’une centonisation et non d’une composition métrique. Jacques Lesueur et la maîtrise de Rouen Jacques Lesueur fut maître de chant de la cathédrale Notre-Dame de Rouen de 1667 à sa mort en 1693 61. La maîtrise se composait alors de douze enfants, qui vivaient rassemblés dans une maison léguée par un chanoine en 1512. Outre le service de la cathédrale, au XVIIe siècle, la maîtrise d’enfants de Rouen allait régulièrement chanter au-dehors : aux messes du parlement, pour des fêtes de communautés religieuses, chez 59. 60. 61.

Voir Pevernage, Cantiones…, ed. Hoekstra, op.cit., p. xi et Hoekstra, « Andreas Pevernage’s Cantiones… », art. cit., p. 8. Hoekstra, « Andreas Pevernage’s Cantiones… », art. cit., p. 16. Voir Amand Collette, Histoire de la maîtrise de Rouen, Rouen, Cagniard, 1892, p. 68-70, 76, 78, 124-125.

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les Jésuites… Le chapitre veillait à l’instruction de ses jeunes chanteurs, non seulement dans le domaine musical mais aussi en grammaire latine : depuis le XVIe siècle, ils étaient suivis par un « maître de grammaire » différent du maître de musique ; et des bourses étaient prévues pour permettre à certains d’entre eux d’aller étudier à Paris 62. Les archives du chapitre nous donnent le nom d’un « Jacques Reaulx, prêtre de Saint-Amand de Rouen » comme maître de grammaire des enfants de chœur pour les années 1676 et 1678 en tout cas. Elles renseignent aussi différents achats de livre à destination des enfants de chœur : pour l’année 1667, quatre livres de rudiments, un livre de Jean Despautère (grammaire latine), trois catéchismes du jésuite Pierre Canisius et trois livres d’épîtres du saint jésuite François Xavier ; pour l’année 1672, trois dictionnaires du jésuite Charles Pajot 63, ainsi qu’une douzaine de catéchismes et quatre livres de rudiments ; en 1673, huit abrégés de grammaire par Jean Behourt et douze catéchismes 64. Comme on le voit, la composante jésuite de l’enseignement donné aux choristes était relativement marquée ; et le niveau devait correspondre à celui des premières classes (classes de rudimenta) des collèges jésuites. De la vie de Jacques Lesueur, nous savons peu de choses. Il semble qu’il avait été lui-même formé dans la maîtrise de Rouen et qu’il « savait le latin fort bien »65 ; il portait à Rouen le titre de « chanoine des quinze marcs »66. Avant de travailler à Rouen, il avait exercé la même charge à la cathédrale de Lisieux. L’épisode le plus connu de sa vie est celui qui est raconté par Le Cerf de La Viéville : en 1683, Lesueur se présenta au concours pour la chapelle du roi, mais fut en butte aux quolibets de la Cour pour avoir utilisé des figures musicales imitatives trop flagrantes ; revenu à Rouen plein d’amertume, il jeta au feu toute sa vieille musique 67. Dans son Histoire de la Maîtrise de Rouen, l’abbé Collette a reconstitué d’autres bribes de sa biographie, notamment ses liens avec le « puy de sainte Cécile » que j’aborderai plus bas. Il s’avère aussi que Jacques Lesueur épousa une certaine Madeleine Bureau en 1685 mais qu’il n’osa pas en faire part au chapitre de Rouen, de

62. 63. 64. 65. 66.

67.

Ibid., p. 38-40, 60-61, 71 et 96-97. Charles Pajot a produit trois dictionnaires, latin-français (première édition 1636), français-latin (première édition 1645) et latin-français-grec (première édition 1645) (Sommervogel, Bibliothèque de la Compagnie de Jésus, tome 6, col. 91-94). Charles De Robillard de Beaurepaire, Inventaire-Sommaire des archives départementales antérieures à 1790. SeineInférieure. Archives ecclésiastiques – série G (nos 1 à 1566), Paris, Paul Dupont, 1868, p. 328 (G2349), 329 (G2352, G2353, G2356) et 330 (G2358). Jean-Laurent Le Cerf de La Viéville, Comparaison de la musique italienne et de la musique françoise, Bruxelles, Foppens, 1705, III, p. 139, qui donne la description suivante de Lesueur : « homme d’un génie heureux et fécond, et sachant le latin fort bien ». Collette, Histoire de la maîtrise de Rouen, op. cit., p. 70 note 1. À la cathédrale de Rouen étaient rattachés huit « petits chanoines » dits « des quinze marcs », distincts des chanoines du chapitre et comparables plutôt à des chapelains (ibid., p. 8) ; depuis 1578, quatre de ces prébendes étaient réservées aux anciens enfants de la maîtrise (ibid., p. 56). Le Cerf de La Viéville, op. cit., III, p. 139-142. Sur cet épisode, voir aussi : Jean Duron, « Cette musique charmante du siècle des héros », Regards sur la musique au temps de Louis XIV, éd. J. Duron, Wavre, Mardaga, 2007, p. 51-78 (p. 72-74) ; id., « La question musicale à la cour de Louis XIV », Le Prince et la musique. Les passions musicales de Louis XIV, éd. J. Duron, Wavre, Mardaga, 2009, p. 9-20 (p. 15-16).

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peur de perdre son poste. Après plusieurs années, le chapitre eut vent de ce mariage et mena une enquête qui révéla la situation du maître de chant ; Lesueur fut finalement, en 1692, confirmé dans ses fonctions à la condition de résider en dehors de la maîtrise 68. Lesueur fut apparemment un compositeur fort apprécié de ses contemporains ; mais aucune de ses partitions n’est malheureusement parvenue jusqu’à nous. Dans la littérature secondaire, nous trouvons quelques échos de ses compositions : en 1663 (avant sa nomination par le chapitre donc), une messe et une grande symphonie funèbre exécutées dans l’église des Dominicains de Rouen, qui furent très remarquées 69 ; en 1675, la thrénodie pour la mort de Turenne que je développerai ci-dessous ; en 1680, la musique d’une comédie-ballet intitulée Le Mariage de Flore et du Printemps 70, probablement donnée à l’occasion du mariage du dauphin Louis de France avec MarieAnne de Bavière 71 ; en 1683, un motet sur le psaume 70, qui fut chanté à la messe du Roi et moqué par la Cour, et un autre motet sur le psaume 31, composé à l’occasion du concours pour le recrutement des sous-maîtres de la Chapelle royale, que la Cour n’écouta même pas mais qui, après le retour au bercail de Lesueur, « reçut à Rouen mille applaudissements inutiles »72. Jean Commire (1625-1702) 73 à Rouen Le jésuite Jean Commire résida à Rouen à différents moments de sa vie : en 16561660, 1661-1663, 1665-1666 et (cette période est celle qui nous intéresse) en 16701682, années où il occupa successivement les postes de professeur de logique, de physique et de théologie scolastique au collège de Rouen 74. Une lettre de Pierre Bayle du 1er juillet 1672 évoque « le jésuite Commire lecteur en philosophie cette année au collège de Rouen », comme auteur d’une fable latine (il s’agit de la fable Sol et ranæ, 68. 69. 70.

71.

72. 73.

74.

Collette, op. cit., p. 124-125. Ibid., p. 124 note 3. La référence complète du programme est donnée par M. de Beauchamps, Recherches sur les théâtres de France, depuis l’année onze cens soixante-un, jusques à présent, Paris, chez Prault père, 1735, p. 82 : « Le mariage de Flore et du Printems, comédie en musique, en forme de ballet, dédiée à monseigneur Colbert, coadjuteur de Rouen, par le Sueur, maître de musique à Rouen, en 5 actes, in fol., 1680, Rouen, Louis Cabat ». Notons que la même année 1680, le collège jésuite de Rouen présenta comme spectacle de fin d’année une tragédie Daniel accompagnée d’un ballet mêlé de récits sur le thème du mariage du Dauphin ; mais ce ballet ne doit pas être identifié avec celui de Lesueur, car selon le programme, les « airs et pas » du ballet jésuite ont été composés par « M. Bérard, organiste de Ste Croix St Ouen » (cf. Pierre Le Verdier, Ancien théâtre scolaire normand, Rouen, impr. L. Guy, 1904, p XXXV-XXXVI). Le Cerf de La Viéville, op. cit., III, p. 139-142. Sur Jean Commire, voir Sommervogel, op. cit., tome II, col. 1343-1351 et tome IX, col. 98 ; Andrée Thill, La Lyre jésuite : Anthologie de poèmes latins (1620-1730), Genève, Droz, 1999, p. 211 ; une notice biographique retraçant le parcours de Jean Commire, due à Hugues Beylard, est conservée aux archives jésuites de Vanves (merci à Mickaël Deotto pour ces informations). Le collège de Rouen proposait en effet à cette période, non seulement un cursus d’humanités classiques traditionnelles, mais aussi des classes de philosophie et de théologie ; ces dernières regroupaient les élèves du collège et ceux des séminaires de Joyeuse et de Sainte-Nicaise ; voir P. Delattre (dir.), Les Établissements des jésuites en France depuis quatre siècles, Enghien, Institut supérieur de théologie et Wetteren, impr. De Meester frères, 1956, tome IV, p. 526.

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« Le Soleil et les grenouilles ») traitant allégoriquement de la situation politique opposant France et Hollande ; Bayle précise que cette fable est « inimitable pour la beauté des vers et pour l’heureux génie de l’expression » et qu’« on en a fait quantité de traductions en vers français ». Parmi ces traducteurs, on compte Furetière, La Fontaine, et des confrères jésuites comme Dominique Bouhours 75. Commire apparaît donc à cette date comme un poète jouissant déjà d’une certaine renommée et de bonnes relations dans le monde des lettres français. En 1678, Commire publie à Paris la première édition de son recueil de Carmina 76, qui témoigne notamment de ses relations rouennaises et de sa participation aux activités culturelles locales. Deux milieux surtout sont représentés, celui du Parlement (Senatus) de Rouen et celui du chapitre de chanoines de la cathédrale de Notre-Dame. Les bonnes relations du collège et du Parlement devaient notamment être liées au fait que ce dernier assurait les prix distribués aux élèves en fin d’année (de façon régulière à partir de 1679 en tout cas, sans doute déjà plus tôt) 77. En décembre 1672, Commire dédie au conseiller du parlement Charles Ferrare, sieur du Tot, le discours public qu’il prononce à Rouen sur le thème de arte parandæ famæ 78 ; trois poèmes latins sont également adressés au même Charles Ferrare 79. Le président du Parlement Claude Pellot se voit quant à lui adresser quatre pièces poétiques, dont l’une peut être datée de 1672 et l’autre de 1676 80. Du côté de la cathédrale et des milieux ecclésiastiques de Rouen, Commire adresse des poèmes aux chanoines Jean Hamelius (Hamel ou Duhamel, archidiacre d’Eu) 81, Étienne de Fieux (abbé de Beaulieu) 82, Joseph Figuier (sous-chantre) 83 et Bernard Le Pigny (archidiacre de Rouen) 84. Dans ce recueil, nous ne trouvons aucune mention de compositeurs de musique, ni non plus de textes dont nous sachions qu’ils ont été mis en musique. Si la musique n’est pas un des thèmes principaux des Carmina, elle y est tout de même significativement présente. Le poème adressé par Commire à Hamelius a pour thème la méta75. 76. 77. 78. 79.

80. 81. 82.

83. 84.

Correspondance de Pierre Bayle, éd. Élisabeth Labrousse et al., tome 1 (1662-1674), Oxford, Voltaire Foundation, 1999, p. 92-99, spécialement p. 94-95 et 98. Jean Commire, Carminum libri tres ad celsissimum principem Ferdinandum episcopum Paderbornensem, Paris, Simon Bernard, 1678. Le Verdier, Ancien théâtre…, op. cit., p. XXXIII. Dédicace datée de Rouen, huit jours avant les ides de décembre 1672 (Carmina, 1678, p. 214). Commire, Carminum libri tres, op. cit., p. 188 (envoi d’un livre) ; p. 206 (épigramme alors que Ferrare est prince du Puy de musique) ; p. 207 (épigramme sur le don d’un tableau de fleurs). Un autre jésuite, Charles de La Rue, a lui aussi célébré Charles Ferrare en tant que prince du puy de sainte Cécile, en 1671 : Charles de La Rue, Carminum libri quatuor, Paris, Simon Benard, 1680, p. 272. Ibid., p. 13 (paraphrase poétique de Daniel, parue séparément à Rouen en 1676) ; p. 192 (poème emblématique : Symbolum – Lemma) ; p. 199 (épigramme sur un feu d’artifice pour la prise d’Utrecht en 1672) ; p. 200 (sur un discours prononcé par Pellot). Ibid., p. 129 (poème sur la métamorphose d’un musicien en rossignol). Ibid., p. 153 (ode à Étienne de Fieux alors qu’il est prince du puy de sainte Cécile ; poème aussi publié en plaquette, s.l.n.d., cf. Sommervogel, op. cit., n°3bis ss). D’après d’autres sources, Étienne de Fieux a été prince du puy de sainte Cécile en 1673 (Jean-François Pommeraye, Histoire de l’Église cathédrale de Rouen, Rouen, imprimeurs ordinaires de l’Archevêché, 1686, p. 390). Ibid., p. 155 (ode à Joseph Figuier alors qu’il est prince du puy de sainte Cécile). Ibid., p. 171 (ode lui reprochant une arrivée tardive en son manoir de Tolemesnil).

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morphose d’un musicien en rossignol. Quatre poèmes sont en lien direct avec la confrérie « Sainte-Cécile » de Rouen : trois célèbrent le statut de « prince du puy de sainte-Cécile » de leurs destinataires (Charles Ferrare, Étienne de Fieux et Joseph Figuier) ; un dithyrambe sur sainte Cécile évoque les sodales de la confrérie (vers 48) 85. Dans ces divers textes, Commire fait quelques beaux éloges de la puissance de la musique sur les esprits, notamment dans cette description de l’écoute de l’assemblée réunie dans la cathédrale : « la foule, absorbée par le chant des instruments et la douceur des voix,/ ne sembla vivre un long moment qu’à travers ses seules oreilles »86. Un espace de rencontre entre poètes et musiciens : les puys de poésie et de musique Jean Commire et Jacques Lesueur peuvent être tous deux reliés aux deux grands événements artistico-religieux qui marquent la vie culturelle de Rouen à cette période, sur lesquels il ne sera pas inutile de s’attarder un moment : un concours de poèmes, le « puy »87 de l’Immaculée Conception (ou concours des « palinods »88), basé au couvent des Carmes de Rouen, et un concours de composition musicale, le « puy » de sainte Cécile, organisé à la cathédrale de Rouen. Les deux concours sont organisés par des confréries du même nom, qui s’attachent à solenniser respectivement les fêtes religieuses de l’Immaculée Conception de la Vierge (8 décembre) et de la Sainte-Cécile (22 novembre). Sur le puy de l’Immaculée Conception (attesté depuis 1486), nous sommes relativement bien informés 89 ; sur celui de sainte Cécile (attesté depuis 1565), moins de documents sont conservés, mais beaucoup de choses peuvent être reconstituées 90. Si l’objet des deux concours diffère (dans le premier cas, les candidats

85. 86. 87. 88. 89.

90.

Commire, Carminum libri tres, op. cit., p. 157 : In eandem. Dithyrambus. Ode VIII. Commire, Carminum libri tres, op. cit., p. 206 : Ad ill. virum Carolum Ferrarium Totium, senatorem Rothomagensem, Caecilianae sodalitatis tunc principem, v. 3-4 : « Turba inhians cantu fidium et dulcedine vocum / aure diu sola vivere visa sibi est ». Le terme « puy » désigne le lieu élevé (podium, estrade…) d’où étaient lues les poésies (ou interprétées les pièces musicales, dans le cas d’un concours de musique). Le terme « palinod » fait référence au « chant répété » des refrains des chants royaux et des ballades. Particulièrement utiles pour nous sont les statuts de 1614 imprimés l’année suivante, dont les règles restent valables jusqu’en 1732 : Le Puy de la Conception de Nostre Dame fondé au Couvent des Carmes à Rouen. Son origine, érection, statuts et confirmation, s.l., s.n., s.d. (désormais : Statuts). Littérature secondaire : A.-G. Ballin, Notice historique sur l’Académie des Palinods, Rouen, Périaux, 1834 ; J.-A. Guiot, Les Trois siècles palinodiques ou histoire générale des palinods de Rouen, Dieppe etc., publiés pour la première fois, d’après le manuscrit de Rouen, par A. Tougard, tome 1, Rouen, Lestringant ; Paris, Picard, 1898 ; Ch. Guéry, Palinods ou Puys de poésie en Normandie, Évreux, impr. de l’Eure, 1916, p. 11-29 ; plus récemment : Dylan Reid, « Moderate Devotion, Mediocre Poetry and Magnificent Food : the Confraternity of the Immaculate Conception of Rouen », Confraternitas, 7/1 (1996), p. 3-10 ; V. Dottelonde-Rivoallan, « Un prix littéraire à Rouen au XVIIIe siècle », Le Concours de poésie de l’Académie de l’Immaculée Conception à Rouen, 1701-1789, Mont St Aignan, Presses Universitaires de Rouen et du Havre, 2001 (en ligne) ; D. Hüe, La Poésie palinodique à Rouen (1486-1550), Paris, Champion, 2002 ; Dylan Reid, « Patrons of Poetry : Rouen’s Confraternity of the Immaculate Conception of our Lady », The Reach of the Republic of Letters : Literary and Learned Societies in Late Medieval and Early Modern Europe, ed. A. van Dixhoorn et S. Speakman Sutch, Brill, 2008, p. 33-78. Les registres et statuts de la confrérie sont perdus. Principales études : Pommeraye, Histoire de l’Église cathédrale de Rouen, op. cit., p. 25 et 687-689 ; Guéry, op. cit., p. 87-89 ; Collette, op. cit., p. 76-80 ; Dylan Reid, « The Virgin and Saint Cecilia : Music and the Confraternal ‘Puys’ of Rouen », Confraternitas, 8/2, (1997), p. 3-7.

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soumettent des poèmes français et latins dans des genres imposés, célébrant allégoriquement l’immaculée conception de la Vierge 91 ; dans le second, des chansons françaises et des motets latins), ils se déroulent tous deux plus ou moins sur le même modèle et avec les mêmes ingrédients : quelque temps à l’avance, une annonce du concours diffusée à travers une campagne d’affichage ; le jour de la fête religieuse (mais aussi la veille et le dimanche qui suit), des offices solennels ; une ou plusieurs séances publiques de concours, avec (selon les cas) lecture des poésies et interprétation des pièces musicales, et attribution des prix ; et enfin un banquet offert aux membres de la confrérie et aux participants. L’organisation et les dépenses sont à la charge d’un « prince » élu chaque année au sein de la confrérie. Cette fonction honorifique suppose donc des frais importants, ce qui entraîne des tensions au cours du XVIIe siècle. C’est ainsi qu’en 1660 il fut décidé de fixer un plafond de 150 livres aux frais personnellement encourus par les princes de la confrérie Sainte-Cécile, l’éventuel surplus pouvant être pris sur les fonds de la confrérie 92. Quant à la confrérie de la Vierge, le poids financier prohibitif (un forfait de 600 livres est prévu en 1652…) 93 entraîna une disparition complète de la fonction de prince annuel dans la seconde moitié du XVIIe siècle. Après un temps de quasi-arrêt, le concours reprit pourtant (contrairement à ce que l’on lit parfois) et fut à nouveau tenu sur une base quasi annuelle à partir de 1669, comme en témoignent les recueils imprimés de poésies primées 94. Sans doute les frais du concours étaient-ils désormais partagés 95, un membre s’occupant de la direction sans assumer le double lot d’honneurs et de charges financières qui accompagnait le titre de prince 96. Je voudrais ici souligner deux points, l’un relatif au brassage social assuré par les deux concours, l’autre au rôle qu’y jouent la poésie et la musique. D’une part, les personnalités impliquées dans les deux événements (au titre de membres de la confrérie, organisateurs, juges ou candidats) n’appartenaient pas à des cercles distincts 91.

92. 93. 94.

95. 96.

Les genres de poésie proposés au concours dont on observe la présence dans les recueils des années 1670 sont : en français, le chant royal (prix : la palme et le lys), la ballade (prix : le rosier), l’ode (prix : le miroir d’argent), les stances (prix : la tour et le soleil) et le sonnet (prix : l’anneau d’or) ; en latin : l’épigramme (depuis 1614 ; prix : le laurier et l’étoile) et l’ode pontificale (depuis 1624 ; prix : la ruche). La forme de ces pièces est extrêmement codifiée ; et elles doivent toujours, sous le voile de l’allégorie, aboutir à l’éloge de l’immaculée conception de la Vierge. Pommeraye, op. cit., p. 689 et Collette, op. cit., p. 79-80. Guéry, op. cit., p. 22. Cf. Reid, « Patrons of Poetry », art. cit., p. 75. Ballin (Notice historique…, op. cit., p. 35 note 2), déclare avoir connaissance de recueils imprimés pour les années 1669-1676, 1682, 1691-1698. La Bibliothèque nationale de France conserve une bonne partie de ces recueils (sous le titre général Recueil des oeuvres qui ont remporté les prix sur le Puy de l’Immaculée Conception de la Vierge) ; l’état de collection révèle des fascicules qui étaient inconnus de Ballin et complètent en partie la chronologie, pour les années 1677, 1678, 1683, 1689. Malheureusement la BnF ne possède pas les recueils des années 1672-1676. La famille du marquis Pierre de Becdelièvre (dernier prince en titre en 1654) continua à contribuer annuellement à la dépense liée aux prix (selon la Préface historique du recueil Pièces de poésie françaises et latines qui ont remporté les prix à l’Académie de l’Immaculée Conception de la très-sainte Vierge en l’année 1733, Rouen, Cabut, [1733]). Cf. le cas d’Antoine Damiens traité plus bas, et aussi du poète rouennais Rault qui est décrit dans les années 1670 comme « poète fameux et directeur du Palinot de Rouen » ; cf. Fernand Engerand, « Liste des ouvrages de l’abbé de Saint-Martin et de ceux imprimés par ses soins », Bulletin de la Société des Antiquaires de Normandie, 20 (1898), p. 100-160 (p. 140).

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et étanches. Les membres des deux confréries, issus de l’élite locale, provenaient des mêmes milieux ecclésiastiques et parlementaires, et un même individu pouvait appartenir aux deux associations 97. Si la composition de pièces musicales requérait des compétences très spécifiques et qu’en conséquence, les candidats au puy de sainte Cécile se recrutaient surtout parmi les maîtres de musique français, le recrutement des candidats au concours des palinods était remarquablement large : dans les listes de vainqueurs, nous retrouvons non seulement des notables et des ecclésiastiques, mais aussi des membres de la classe moyenne (artisans, marchands…) des adolescents (dont Fontenelle, qui fut primé en 1670 et 1671, alors qu’il avait 13-14 ans et était élève du collège jésuite) et parfois des femmes (dont, en 1640, Jacqueline Pascal, la sœur de Blaise Pascal). Il est déjà bien connu que le chanoine et célèbre musicien Jehan Titelouze fut lui aussi candidat aux palinods et primé pour des « chants royaux » en 1613 et en 1630 98. D’autre part, en dehors des pièces soumises au concours proprement dit, les deux événements laissaient l’un et l’autre une large place à la fois à la musique et à la composition poétique (la musique n’étant à cet égard pas réservée au puy de sainte Cécile, ni la poésie au puy de l’Immaculée Conception). Des deux côtés, le programme des festivités incluait des offices et messes en musique 99 ; la musique pouvait aussi s’inviter au banquet qui rassemblait les participants 100. Et les deux fêtes entraînaient divers types de compositions poétiques périphériques : des poèmes d’invitations aux candidats, qui étaient diffusés sur les affiches d’annonce du concours (une pratique bien décrite pour le concours poétique 101, et que l’on peut supposer aussi pour le concours musical, par comparaison avec les puys de musique voisins de Caen et d’Évreux) 102 ; 97. 98. 99.

100. 101.

102.

Par exemple, Charles de La Rocque, conseiller du parlement de Normandie et chanoine de la cathédrale de Rouen, fut successivement prince du puy de Sainte Cécile en 1585 et prince du Palinod en 1613 (Guiot, Les Trois siècles, op. cit., tome 2, p. 200-201). Maurice Vanmackelberg, « Jehan Titelouze, prix littéraire », “Recherches” sur la musique française classique, 5 (1965), p. 17-26. Pour le puy de l’Immaculée Conception, les statuts de 1614 indiquent qu’à l’office de complies des 7 et 8 décembre au couvent des Carmes, « les psaumes, hymne et cantique seront chantés alternativement en musique, communément appelée faux-bourdon » et qu’après l’office sera chantée « l’antienne Salve Regina en musique, ou autre à l’honneur de ladite Vierge Marie » ; une livraison de chandelles par le prince au maître de musique est prévue ; pour la grand-messe du dimanche suivant, un paiement est prévu pour les musiciens et l’organiste (Collette, op. cit., p. 37-39). Pour le puy de sainte Cécile, « à l’église on exécutait, la veille de la fête, un motet après vêpres en l’honneur de la sainte, et le jour on chantait la messe en musique » ; en 1632, Titelouze fit dresser dans la nef de la cathédrale de Rouen, devant l’orgue, quatre grands théâtres pour l’exécution d’une messe symphonique qu’il avait composée (ibid., p. 78). Reid, « The Virgin and Saint Cecilia », art. cit., p. 3-5. Les statuts de 1614 décrivent précisément le contenu du placard d’annonce du concours, qui doit notamment comporter une soixantaine de vers latins et une soixantaine de vers français (Statuts, op. cit., p. 45), compositions dont les statuts donnent des exemples (ibid., p. 136-140) ; un paiement est prévu pour les auteurs de ces vers (ibid., p. 46). Le puy de musique de Caen fondé en 1671 (Jules Carlez, Le Puy de musique de Caen (1671-1685), Caen, Le Blanc-Hardel, 1886, p. 20-23) prévoit l’impression de deux placards, l’un avec « la lettre pour composer » (le texte du motet proposé), l’autre avec un éloge en vers de sainte Cécile, du Saint-Sacrement, de la musique et du sieur président. Pour le puy d’Évreux fondé en 1575 (voir Elisabeth C. Teviotdale, « The invitation to the Puy d’Evreux », Current Musicology, 52/1 (1993), p. 7-26) , on conserve une demi-affiche de 1667 comportant trois poèmes (un poème latin en hexamètres, une ode française et un sonnet français) à l’éloge du prince de l’année (ibid., p. 17-18).

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des poèmes d’éloges aux princes du puy, sous différentes modalités (sur l’affiche, prononcés le jour du concours 103, composés au moment du décès du prince 104…) ; enfin, des pièces poétiques ou théâtrales pouvaient être interprétées lors du banquet 105. Par contre (si tant est que nous pouvons reconstituer la situation rouennaise par comparaison avec celle d’Évreux), il ne semble pas que des compositions poétiques nouvelles aient été proposées aux musiciens dans le cadre du puy de musique ; les textes des motets latins mis au concours devaient plutôt être tirés de la Bible et de la liturgie traditionnelle 106. L’implication de Lesueur et de Commire dans les deux puys En tant que maître de chapelle de la cathédrale, Jacques Lesueur était directement concerné par le puy de sainte Cécile. Parmi ses attributions devaient en tout cas figurer la réception et l’examen préalable des pièces envoyées par les candidats 107, et la direction de l’exécution musicale des pièces mises au concours 108. En juillet 1673, Jacques Lesueur se plaignit au chapitre d’être calomnié par un musicien de la cathédrale qui l’accusait de malhonnêteté dans l’adjudication des prix – il aurait retenu ou « safrané » certains prix (offert des prix dorés au safran, en conservant pour lui les véritables objets en or ?) et s’en serait adjugé d’autres sous des noms supposés (de candidats absents) 109. De façon moins attendue, nous retrouvons aussi « Mr le Sueur, chanoine des quinze marcs, maître de la musique de la cathédrale de Rouen » comme candidat primé au puy poétique de l’Immaculée Conception. En 1669, Lesueur a ainsi remporté la palme pour un chant royal sur le thème d’une fontaine d’eau douce, ainsi que le 103. 104. 105.

106. 107.

108.

109.

Le jour de l’ouverture du puy de l’Immaculée Conception, les poètes vainqueurs de l’année précédente, appelés au son des trompettes, venaient réciter un compliment en vers au prince (Statuts, op. cit., p. 43). En cas de décès d’un ancien prince de la confrérie de l’Immaculée Conception, le prince en fonction devait contacter les poètes vainqueurs de l’année « afin que chacun d’eux fasse un épitaphe latin et français en l’honneur dudit défunt » (ibid., p. 69-70). Pendant le banquet du puy de la Conception se tenait parfois un concours d’improvisation poétique sur des sujets légers (Reid, « Patrons of Poetry », art. cit., p. 56) ; après le banquet, des pièces de théâtre en l’honneur de la Vierge pouvaient être représentées : des exemples (en français) sont attestés pour 1499, 1520, 1544 et 1546 (ibid. ; aussi Reid, « Moderate Devotion », art. cit., p. 10 note 33). Voir la démonstration de Teviotdale pour Évreux, op. cit. p. 13-19. Collette, op. cit., p. 77. Ce point est confirmé par un extrait de compte de la confrérie Sainte Cécile datant de novembre 1627 qui prévoit un remboursement au « maître des enfants […] pour plusieurs ports de paquets de musique qu’il aurait reçus de divers endroits » (Hercule Grisel, Les Fastes de Rouen. Additions, pièces justificatives, corrections, index et table générale, éd. François Bouquet, Rouen, impr. de H. Boissel, 1870, p. 627-628). Collette, op. cit., p. 78 ; Reid, « The Virgin and saint Cecilia », art. cit., p. 5. L’extrait de compte de 1627 cité ci-dessus prévoit des paiements et gratifications pour les musiciens et chantres qui ont chanté sur le puy et pour les assistants qui ont jugé les œuvres (le jugement se faisait donc sur base de l’exécution musicale des pièces, contrairement à Collette (op. cit., p. 78) qui suggère que seules les pièces primées sont exécutées). Beaurepaire, Inventaire-Sommaire des archives…, Archives ecclésiastiques – série G (n°s 1 à 1566), op. cit., p. 306 (=G2213) : « 11 juillet 1673, Jacques Lesueur, maître de musique de la cathédrale, se plaint des mauvais procédés de Martin Bertheaume, musicien en cette église. Celui-ci l’a calomnié par toute la France, l’accusant d’avoir vilainement retenu et safrané les prix de Sainte Cécile, savoir deux au sieur Minoret, maître de la musique de Rhodez, et un au sieur Fariionet [Farjonnel], maître de la musique de Dijon, et de s’en estre adjugé d’autres sous des noms supposés comme du sieur Costelle, maître de la musique de Poitiers » (aussi cité par Collette, op cit., p. 78).

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rosier pour une ballade sur le thème du rosier sans épines ; ces deux compositions ont été imprimées dans le recueil des œuvres primées de 1669, ainsi qu’un troisième poème français de sa plume, un sonnet « donné » sur la vengeance des femmes de Lemnos 110. Quant à Jean Commire, nous avons déjà évoqué ses poèmes en lien avec la confrérie de sainte Cécile. Les deux odes adressées aux chanoines-princes, qui contiennent des évocations précises du jour de la fête, des confrères, des candidats au concours et du prince en fonction, couplées à un appel à la faveur de la sainte, pourraient bien avoir été imprimées sur les affiches d’invitation, ou encore prononcées en ouverture du puy. Notons que les compositeurs de musique concourant pour les prix sont désignés par Commire sous le nom de vates 111, un terme noble désignant habituellement les poètes dans leur statut de quasi-prophètes. Via d’autres sources, Commire semble aussi devoir être rattaché au puy poétique de l’Immaculée Conception, et ce à différents titres. Contrairement à son confrère jésuite Charles de La Rue, qui imprime dans ses Poemata une ode primée au concours rouennais 112, Commire ne se vante d’aucune victoire. Son nom était toutefois suffisamment rattaché au concours pour qu’en 1700, une invitation versifiée aux poètes les invitât à composer un poème « quale aut Commirium, quale aut cecinisse Ruæum/novimus et novisse juvat… » (« tel que nous savons, et aimons nous souvenir, que Commire et La Rue en ont chanté ») 113. La consultation systématique (que je n’ai pas encore pu mener à bien) des recueils rassemblant les poésies primées dans les années de présence de Commire à Rouen devrait permettre de savoir s’il a ou non remporté des prix à ce puy 114. Les Carmina de Commire comptent bien deux poèmes sur le thème de la conception de la Vierge 115, mais leur forme ne correspond pas aux genres attendus au concours de Rouen ; peut-être la pièce dialoguée a-t-elle été jouée lors d’un des banquets qui clôturaient traditionnellement les festivités, selon une pratique attestée au moins pour le siècle précédent. Le seul texte poétique qui relie clairement Commire au concours 110. 111.

112.

113. 114. 115.

Guiot, Les Trois siècles, op. cit., tome 2, p. 231-232 ; Recueil des œuvres qui ont remporté les prix sur le puy de l’Immaculée Conception de la Vierge, en l’an 1669, présentées à Messieurs les Princes du Puy, Rouen, Laurens Maurry, 1669, p. 3-5, 15-16 et 26. Poème à Joseph Figuier, v. 14 : « donanda claris præmia vatibus » ; poème à Étienne de Fieux, v. 9-10 : « Ergo ferte citi pedem, vates, Harmoniæ non dubium genus ». Une formulation similaire se retrouve dans le poème d’invitation aux musiciens composé en 1674 par le poète rouennais Rault à l’occasion d’un autre puy de musique, celui de Caen ; les deux premiers mots sont : « Adeste vates » (Carlez, op. cit., p. 15-16). L’ode latine par laquelle le jésuite Charles de La Rue (1643-1725) remporta le prix à Rouen en 1670 est reprise dans ses Carminum libri quatuor, op. cit., p. 275 : Virgini sine labe conceptæ. Ode quæ retulit præmium Rothom. Ann. MDCLXX. Remarquons que La Rue remporta la même année un prix du même genre au concours voisin de Caen : Sur l’immaculée conception, ode qui a remporté le prix à Caen l’an MDCLXX (ibid., p. 278). Guiot, Les Trois siècles, op. cit., p. 254-255. Je n’ai pu consulter jusqu’ici que les recueils des années 1669, 1670, 1671 et 1682, qui ne contiennent aucun poème de Commire. Commire, Carminum libri tres, op. cit., p. 27 (De immaculato beatæ Virginis conceptu carmen, 321 hexamètres) et p. 48 (Amor prodromus, pro conceptu illibato beatæ Virginis drama, pièce à quatre personnages (Amor, Parthenius, Gratia et Natura) en 3 parties et 10 scènes).

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est une invitation aux poètes, qu’il encourage à chanter la Vierge et auxquels il promet des prix qui correspondent aux noms de certains des prix distribués à Rouen (palme, lys, rose…) 116. L’éloge final qui vante un Amienus, actif au Parlement (Senatus), a longtemps fait penser que le poème datait de 1645, année où le parlementaire Pierre Damiens était prince du puy de l’Immaculée Conception 117. En réalité, pour des raisons de chronologie, il s’agit probablement plutôt de son fils Antoine Damiens, conseiller au parlement et décédé en 1674 118. Nous l’avons dit, il n’y avait plus officiellement de « prince » après l’année 1654, mais Antoine Damiens a pu faire office d’organisateur du concours ; d’après le poème de Commire, il s’occupa au moins de la distribution des prix et de l’impression des pièces primées. Commire a également pu officier comme juge au concours. Guiot affirme à son propos qu’il fut « juge-né » au puy en tant que régent de rhétorique du collège jésuite de Rouen (poste que Commire occupa en 1661-1663) 119. Si la notation est peut-être anachronique (la notion de juge-né ne semble apparaître dans les règlements qu’en 1769) 120, l’implication active des jésuites dans le jury du concours est probable, au moins pour les pièces latines. Les statuts de 1614 indiquent que la fonction de juge est confiée à la fois à des poètes reconnus et à des théologiens ; ils prévoient aussi des séances séparées pour les pièces françaises et latines 121. La cérémonie pour la mort de Turenne Commire et Lesueur ont donc eu de nombreuses occasions de se croiser à Rouen dans les années 1670, que ce soit en contexte religieux, scolaire ou à l’occasion des deux puys. Toutefois, un seul événement atteste de leur collaboration poético-musicale : la cérémonie pour la mort de Turenne tenue à l’abbaye Saint-Ouen de Rouen en 1675. Le célèbre Henri de La Tour d’Auvergne, vicomte de Turenne, maréchal général des camps et armées du roi, décéda le 27 juillet 1675 lors de la bataille de Salzbach qui opposait la France aux troupes impériales dirigées par Montecuccoli. Son corps fut ramené à Paris et Louis XIV lui accorda l’honneur d’être enterré à Saint-Denis, comme les rois de France. Une première cérémonie eut lieu chez les religieux de SaintDenis le 30 août ; les funérailles officielles furent célébrées à Notre-Dame de Paris le 9 septembre, avec une oraison funèbre par Cosme Roger, évêque de Lombez. Le 116. 117. 118. 119. 120. 121.

Jean Commire, Carmina. Editio novissima, cura P. Sanadon, Paris, J. Barbou, 1753, tome 1, p. 122 : Invitatio ad poetas ut B. Virginis laudes celebrent. Notons que, pour une raison inconnue, le poème n’a pas été repris dans les Carmina de 1678. Le poème de Commire est mentionné dans Ballin, Notice historique, op. cit., p. 81 ; Guiot, Les Trois siècles, op. cit., p. 225 et 273 et dans Précis analytique des travaux de l’Académie royale… de Rouen, 1834, p. 273, où il est chaque fois daté de 1645. Cf. François Farin, Histoire de la ville de Rouen divisée en six parties, 3e édition, Rouen, 1731, tome 1, p. 71 et tome 2, p. 104 et 130. Guiot, Les Trois siècles, op. cit., tome 1, p. 273. Dottelonde-Rivoallan, « Un prix littéraire… », art. cit., §10. Statuts, op. cit., p. 42-60.

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30 octobre, un office fut célébré par Bossuet, avec une oraison funèbre par Jules Mascaron, au couvent des Carmélites du faubourg Saint-Jacques de Paris, où le cœur de Turenne avait été déposé ; une autre oraison encore fut prononcée le 10 janvier 1676 à l’église Saint-Eustache par Fléchier 122. La mort de Turenne fut aussi pleurée dans toute la France et donna lieu à des manifestations diverses. C’est ainsi que son neveu (le jeune et ambitieux EmmanuelThéodose de La Tour d’Auvergne, cardinal de Bouillon) 123 lui fit célébrer des funérailles (messe, oraison funèbre, thrénodie en musique et absoute) dans l’église de son abbaye de Saint-Ouen de Rouen, décorée pour l’occasion, le 15 décembre 1675 124. Le jésuite Claude-François Ménestrier (1631-1705) fut tout particulièrement associé aux honneurs funèbres de Turenne, à la fois à Paris et à Rouen. Il conçut d’abord l’appareil funèbre dressé dans l’église Notre-Dame de Paris pour les obsèques de Turenne le 9 septembre 1675, et en publia le dessein dans une plaquette intitulée « Les Vertus chrétiennes et les vertus militaires en deuil »125. Il prépara aussi un projet de mausolée (apparemment non réalisé) pour le service solennel organisé par les Carmélites pour le cœur de Turenne 126. En décembre, il s’occupa de la décoration de l’église Saint-Ouen, en redéclinant le thème des vertus en deuil 127. Il prononça également l’oraison funèbre en français de la cérémonie rouennaise, dont il publia le texte en plaquette à Paris en 1676 128. La fin de la plaquette (p. 42) annonce déjà la prochaine parution d’un « traité des décorations funèbres », qui sortira en 1683 et dans lequel Ménestrier se souviendra notamment des funérailles parisiennes et rouennaises de 122.

123.

124.

125.

126. 127.

128.

Voir par exemple Camille-Georges Picavet, Les Dernières années de Turenne (1660-1675), Paris, Calmann-Lévy, 1914, p. 438 ; Maxime Weygand, Turenne, Paris, Flammarion, 1929, p. 268-270 ; et plus récemment : Bérénice Rigaud-Hartwig, « Transformation de l’image de Turenne, du XVIIe au XIXe siècle. Histoire des représentations », Annales de l’Est, numéro spécial 2011 : Nouveaux regards sur Turenne, éd. Laurent Jalabert et Cédric Moulis, p. 251-274, spécialement p. 268-271. Emmanuel-Théodose (1643-1715) avait été nommé cardinal dès l’âge de 26 ans (en 1669) et grand aumônier de France deux ans plus tard ; il avait reçu en 1667 l’abbaye Saint-Ouen de Rouen. Voir notamment la notice de Roger Limouzin-Lamothe dans le Dictionnaire de biographie française, Paris, Letouzey et Ané, 1967, tome 6, col. 1323-1325 et les Mémoires de Saint-Simon, éd. A. de Boislisle, tome 26, Paris, Hachette, 1914, p. 479-483 (fragments d’une autobiographie du cardinal de Bouillon). C’est la date donnée par Ménestrier. Le registre du bureau des finances de la généralité de Rouen donne par contre la date du 14 décembre 1675 : « Baudouin du Basset représente que Duhamel, archidiacre, et Féret, intendant du cardinal de Bouillon, sont venus le trouver, comme l’ancien du Bureau, pour prier la Compagnie d’assister au service qui sera célébré le 14 décembre en l’église de Saint-Ouen pour le repos de l’âme du vicomte de Turenne » (Beaurepaire, Inventaire Sommaire des Archives… Séries C et D, op. cit., tome 1, Paris, 1864, p. 171). Sommervogel, op. cit., tome 5, col. 919, n° 66 (sub Ménestrier) : Les Vertus chrestiennes et les Vertus militaires en deuil. Dessein de l’appareil funèbre dressé par ordre du roy dans l’église de Notre-Dame de Paris, le neuvième septembre 1675. Pour la cérémonie des obsèques de très-haut très-puissant prince, Monseigneur Henry de La Tour d’Auvergne, vicomte de Turenne…, Paris, Michallet, 1675. Cf. Claude-François Ménestrier, Des décorations funèbres, Paris, R.-J.-B. de La Caille, 1683, p. 346. Sommervogel, op. cit., tome 5, col. 919, n° 66 (sub Ménestrier) signale : « le recueil […] de la Bibliothèque des Jésuites de Lyon contient un autre projet sur le même sujet, écrit de la main du P. Ménestrier, sous ce titre : Le Deuil des Vertus cardinales sur le tombeau de Monsieur de Turenne. Dessein de la décoration funèbre de l’église de Saint-Ouen, pour la cérémonie du 15 décembre. Claude François Ménestrier, Oraison funèbre du très-haut et très-puissant prince Henry de la Tour d’Auvergne, vicomte de Turenne, maréchal général des camps et armées du roy, colonel général de la cavalerie légère, gouverneur du haut et bas Limousin, etc., prononcée à Rouen dans l’église de l’abbaye de St Ouen le 15. de décembre 1675 par le P. Cl. Fr. M. de la Compagnie de Jésus, Paris, Michallet, 1676.

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Turenne auxquelles il a participé 129. C’est dans ce dernier recueil que Ménestrier cite en entier la « thrénodie composée par le père Commire et mise en musique par le sieur le Sueur maître de musique de Notre-Dame de Rouen », précisant que celui-ci « la fit chanter immédiatement devant l’absoute, après la messe et l’oraison funèbre » (p. 352-354 ; cf. ANNEXE 3, p. 359). Ce texte n’apparaît pas dans les recueils successifs de Carmina de Jean Commire, ce qui s’explique probablement par le fait qu’il s’agit d’une centonisation biblique, qui ne respecte pas la métrique quantitative classique ; et nous n’avons pas non plus de partition imprimée. Ménestrier sauve le texte de l’oubli parce qu’il l’estime susceptible de servir de modèle pour des circonstances du même genre (« Voici les paroles de cette thrénodie, qui pourra servir de modèle à ceux qui en voudront faire »). Il la présente comme semblable à celle composée pour les funérailles de la duchesse d’Altemps Marie Cesi (Rome, église Saint-Apollinaire, 18 décembre 1609), qu’il décrit comme « une espèce de lamentation des termes de l’Écriture » (p. 351-352). Aspects stylistiques du texte La thrénodie de Commire se compose formellement de trois parties (Victoriæ Turennii, Mors Turennii, Sepulcrum Turennii), comprenant respectivement 12, 10 et 7 versets (avec des retours à la ligne à chaque verset). Les versets sont eux-mêmes de longueurs inégales (de 4 à 22 mots) ; certains sont répétés à deux reprises. Ils sont tirés d’une grande variété de livres bibliques, principalement de l’Ancien Testament ; ceux qui reviennent à plusieurs reprises sont les livres de Samuel et des Rois, le premier livre des Maccabées, les Psaumes, Isaïe, Job et le Siracide (= Ecclésiastique). Commire retouche parfois certaines phrases pour les adapter au nouveau contexte, mais la plupart des versets restent facilement identifiables 130. Commire est visiblement parti en quête de passages décrivant des scènes de guerre, de victoire, de mort et de tombeau, sans se préoccuper outre mesure du contexte d’origine des versets utilisés et des souvenirs et associations qu’ils pourraient éveiller dans l’esprit des auditeurs. Ainsi, les actions guerrières de Turenne sont aussi bien assimilées à celles d’un héros biblique comme Judas Macchabée 131, qu’à celles de l’ennemi égyptien lancé à la poursuite de Moïse 132. Commire ne semble avoir aucun problème non plus à appliquer à des êtres humains (qu’il s’agisse de Turenne, de ses ennemis ou du peuple français) des affirmations qui concernaient Dieu (le Dieu guerrier et partisan de l’ancien Testament) 133. Certains versets impliquent des distorsions interprétatives : la remarque de l’épître aux Corinthiens identifiant l’aiguillon de

129. 130. 131. 132. 133.

Ménestrier, Des décorations funèbres, op. cit., voir en particulier les pages 52-53, 165, 277-278, 346-347, 352-354. Les recherches ont été faites sur l’édition en ligne de la Vulgate clémentine (http://vulsearch.sourceforge.net/). Thrénodie, I, 1-3, composés à partir de 1Mcc 2:66, 3:3 et 3:4. Ibid., I, 6-7, tirés de Ex 15:9. Voir par exemple I, 5 (Ps 2:2), I, 8 (Is 34:7), II, 2 (Dt 23 :11), II, 5 (Ps 76:19 et Zach 9:14), III, 2 (2Rg 7:9).

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la mort au péché (1Cor 15:55-56) devient une amère lamentation sur le crudelis stimulus de la mort (II, 6 et 9) ; le mortuus est, et quasi non est mortuus, qui se comprend dans le contexte de la thrénodie de Turenne en lien avec le renom immortel du général (III, 3 et 6), concernait dans le Siracide (30:4) le père laissant après lui un fils qui lui ressemble (alors que Turenne était mort sans enfant). Quant à la « tour de David » d’où pendent mille boucliers, qui sert chez Commire à évoquer le tombeau de Turenne (III, 5), elle décrivait poétiquement, dans le Cantique des Cantiques, le cou de la bien-aimée (4:4) – mais c’était aussi et surtout la forme choisie par Ménestrier pour le mausolée de l’appareil funèbre dressé dans l’église de Notre-Dame de Paris (et peut-être à nouveau à Saint-Ouen) 134. Si nous considérons à présent le texte pour lui-même, sans plus nous soucier de l’origine des versets, nous y retrouvons une série de caractéristiques déjà mises en évidence pour les motets de Pevernage, notamment la présence d’un déictique (ecce, premier mot de la deuxième partie de la thrénodie), de comparaisons imagées (Turenne comme lion, l’ennemi comme aigle…), ainsi que des impératifs, subjonctifs exhortatifs et questions oratoires. Particulièrement remarquable est la variété des modes, des temps, des personnes verbales et des types de phrase (affirmative, exclamative, interrogative). Prenons pour exemple la première des trois parties (cf. ANNEXE 4, p. 360) : la thrénodie débute, dans ses trois premiers versets, comme une narration au passé (« il était un guerrier… ») ; puis le quatrième verset se présente comme une question au présent (« pourquoi l’agitation des peuples ? ») ; le cinquième introduit un pronom à la première personne du pluriel, impliquant désormais l’auditoire (« ils se sont ligués contre nous ») ; suivent une série d’affirmations à la première personne du singulier et au futur, qui donnent la parole à Turenne lui-même, promettant d’anéantir l’ennemi (« je les poursuivrai ») ; les versets 10 et 11 présentent des verbes à la deuxième personne du pluriel de l’impératif, engageant les ennemis à la fuite – on peut les imaginer aussi bien dans la bouche de Turenne que dans celle d’un chœur collectif ; enfin, le verset 12 termine la section par une question (« Qui donc a décidé cela ? »). Comme on le voit, les procédés de dramatisation du récit sont puissants. Sur le plan de la composition musicale (dont la perte nous réduit hélas aux conjectures), on peut imaginer des alternances entre des parties chantées par un soliste et par un ou plusieurs chœurs. Dans un autre contexte, celui des célébrations de la Sainte-Cécile, des effets de ce genre semblent être décrits dans le poème de Commire à Étienne de Fieux : un jeune choriste donne le signal, sa voix claire donnant le ton aux instruments à corde ; un chœur à cent voix lui répond sur des accords variés, prenant plaisir à se diviser et à lutter contre lui-même 135. 134. 135.

Ménestrier, Des décorations funèbres, op. cit., p. 52-53 (où il justifie longuement le choix de cette figure, en référence au nom du vicomte, et aux connotations religieuses, funèbres, militaires et royales de cette tour). Commire, Carminum libri tres, op. cit. p. 153-154, Ad divam Cæciliam Stephano de Fieux, vers 17-22 : « melicus puer/ dat signum, liquido gutture temperans/ argutas citharæ fides/ cui centumgeminis vocibus adsonat/ concentu vario chorus,/ secum et dissidio pugnat amabili » ; cf. aussi le « chœur alterné » (alternus chorus) au vers 55 du dithyrambe pour sainte Cécile (ibid., p. 157-159).

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Il est intéressant de mettre cette composition en réseau avec l’épigramme latine aussi composée par Commire pour la mort de Turenne et parue dans ses Carmina de 1678 136, et avec le discours français prononcé par Ménestrier : on y retrouve, bien évidemment, des motifs communs ; mais aussi des tonalités bien distinctes. Alors que le texte mis en musique est tout en solennité, en émotion, en images vigoureuses, et entraîne collectivement l’assemblée dans une émotion partagée, le poème de Commire, tout en véhiculant les mêmes éloges et émotions, est plutôt un texte ciselé autour de traits d’esprit, d’images sophistiquées et de paradoxes, représentant sa voix singulière face à l’événement. Le discours de Ménestrier est en quelque sorte à michemin des deux : voix singulière au service de l’émotion collective d’une assemblée, il se sert des armes propres au discours rhétorique (figures de style, longues périodes, mots soigneusement choisis…). J’en donnerai deux exemples. Le premier concerne l’instrument de la mort de Turenne – en l’occurrence, un boulet de canon. Les trois textes emploient l’image de la violence de la foudre, mais de façon bien distincte. Dans la thrénodie (II, 5), c’est un avertissement inquiet adressé au grand homme : prends garde, les ennemis ont préparé des pièges, exibit in fulgur iaculum eius (« son trait sortira comme la foudre » : il s’agissait, dans le texte biblique original, Zach 9:14, de la flèche de Dieu jaillissant comme l’éclair). Dans l’épigramme de Commire, le poète se sert d’une expression classique, attestée chez Ovide et Horace, désignant le coup de la foudre, fulmineo ictu 137 (vers 1) et il s’en sert astucieusement pour ajouter une pièce au dossier de la grandeur de Turenne : ce dernier n’aurait pu succomber à un coup moins puissant 138. Ménestrier pour sa part se sert de l’image pour rajouter au pathos glorieux de l’évocation de la dépouille de Turenne, « tristes, mais glorieux restes de ce grand homme, cendres de son corps à demi brûlé par ce violent coup de foudre qui l’enleva à ses triomphes…» (p. 38). Plus parlants encore sont les passages consacrés au deuil des soldats, que Ménestrier décrit en ces termes : « les larmes de toute l’armée, les cris et le deuil des soldats, et l’ardeur qu’ils firent paraître à venger cette mort aux dépens même de leurs vies, firent voir qu’ils avaient perdu leur père aussi bien que leur général » (p. 37-38). La thrénodie fait entendre en acte les lamentations des soldats malheureux, prêts à mourir avec leur général : « Heu, heu ! siccine separat amara mors ! ô mors quam crudelis est stimulus tuus !/ Eamus et nos, eamus et nos, ut moriamur cum eo » (« Hélas, hélas ! c’est ainsi que la mort amère nous sépare ! ô mort, comme ton aiguillon est cruel ! Allons nous aussi, allons nous aussi, pour mourir avec lui », Thrénodie, II, v. 6, 9-10). L’épigramme de Commire, pour sa part, ne s’intéresse à la douleur de l’armée qu’en tant qu’elle prépare la pointe finale du poème : la peine a décuplé les forces des 136. 137. 138.

Commire, Carminum libri tres, op. cit., p. 201 : In obitum magni Turennii quem Gallorum de fœderatis sequuta est victoria. Ovide, Métamorphoses, XIV, 618 et Horace, Odes, III, 16, 11. Commire, Carminum libri tres, op. cit., p. 201 : In obitum, v. 1-2 : « Postquam fulmineo Turennius occidit ictu/Nam telo haud poterat debiliore mori… ».

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soldats et leur a assuré une nouvelle victoire, prouvant ainsi à l’Autriche que la seule ombre de Turenne suffit encore à la vaincre 139. CONCLUSION ET REMARQUES FINALES : MODES ET ENJEUX DE LA COLLABORATION Malgré les différences que présentent les deux milieux socio-culturels et les deux époques étudiés, on retrouve, de part et d’autre, des ingrédients de base similaires : des institutions d’enseignement mobilisant une pratique régulière de la langue latine et de la poésie classique ; une vie liturgique, elle aussi en latin, implantée dans les paroisses, les chapitres et les abbayes ; des maîtrises associées aux églises importantes, où officient maîtres de chant, jeunes choristes, chanteurs et organistes ; des confréries et sociétés d’amateurs de musique, en particulier autour de la figure de sainte Cécile ; et enfin des événements (religieux et/ou sociaux) à célébrer, en vers et/ou en musique, à l’occasion desquels poètes et compositeurs gravitant dans ces différents milieux se côtoient et peuvent être amenés à mettre leurs talents en commun. Ces événements, qu’il s’agisse de fêtes religieuses, mariages, naissances, funérailles, ordinations, promotions, concours… occasionnent souvent à la fois des offices religieux et des festivités extraliturgiques. La collaboration, en de telles occasions, de poètes latins et de musiciens sur la création d’un produit entièrement ad hoc (texte latin nouveau, musique nouvelle), relève probablement davantage de l’exception que de la règle : plus fréquentes ont dû être les reprises, ou encore les compositions sur des textes latins liturgiques pour les messes, sur des textes en langue vernaculaire pour les banquets. Mais les elogia de Pevernage et la thrénodie pour Turenne viennent illustrer cette possibilité. Dans le cas de Turenne, nous savons que la performance était paraliturgique (au sein d’un événement solennel organisé dans une église, mais en dehors de la liturgie proprement dite), ce qui a pu être le cas aussi pour tout ou partie des elogia courtraisiens. Par contre, nous n’avons pas rencontré de paroles latines nouvelles rédigées dans le contexte des concours de compositions musicales. Toute l’attention aussi bien des candidats que des juges était probablement requise par la qualité de la musique, et non par celle du texte (qui, dans le cas des motets latins, était en général puisé dans les textes bibliques et liturgiques). Proposer ou permettre des poèmes néo-latins originaux aurait peut-être été jugé de susceptible de constituer un obstacle ou une gêne (pour les candidats et/ou pour les juges), ou de fausser la comparaison entre les compositions proposées. Il reste que la notion de qualité de la musique incluait visiblement aussi son adéquation au texte (rendu des mots, du sens, de la structure rhétorique). Cela supposait donc, dans l’idéal, une honnête formation latine des intéressés, assurée comme 139.

Ibid., v. 8 et 15-16 : « Maioresque animos fecit ad arma dolor/… / Tu, quantus fuerit Turennius, Austria, disce : sufficit ad clades illius umbra tuas ».

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nous l’avons vu au sein des maîtrises ; mais cette formation n’allait sans doute pas, dans la majorité des cas, jusqu’à leur permettre d’être entièrement à l’aise avec les subtilités de la poésie néo-latine à l’antique (abordées dans les dernières années des études complètes d’humanités). Les « professionnels du latin », quant à eux, et en particulier les professeurs des écoles latines, étaient amenés à fournir des textes latins, en prose ou en vers, à toutes sortes d’occasions, qu’elles soient liées à la vie scolaire, à la vie religieuse ou à la vie socio-culturelle de leur région (y compris donc autour des célébrations musicales de la Sainte-Cécile : éloge du jour, du prince, invitations aux musiciens…). Quand ils choisissaient de rassembler leurs vers en recueil et de les imprimer, ils les soumettaient certainement à un examen approfondi et à un tri sélectif, ne retenant que les plus réussis selon les critères poétiques en vigueur. Qu’un poème ait fait l’objet d’une adaptation musicale n’était visiblement ni un critère de choix, ni une information jugée utile pour le lecteur. Par contre, qu’un poème soit lié à une circonstance sociale éphémère n’était en aucun cas un frein à leur publication. Combien de poèmes de circonstance publiés dans les recueils de Poemata ont-ils peut-être été mis en musique par des maîtres de chant, et interprétés par leur maîtrise à l’occasion d’un événement public ? Nous ne le saurons pour la plupart jamais. Quelles étaient les qualités attendues d’un texte de paroles de musique ? L’analyse de notre corpus, certes réduit, met en évidence quelques caractéristiques communes : textes relativement courts (typiquement une dizaine de vers), à la syntaxe relativement simple ; vivacité du style, fréquence des déictiques, des interpellations, des exclamations, des questions ; recours à des comparaisons imagées, à des termes suggestifs et puissants. Le choix d’une poésie métrique ou non pose question. Pevernage met clairement en évidence la présence de véritables poèmes néo-latins dans son recueil de partitions (en les signalant dans le titre, en les imprimant à part). Mais la façon dont le mètre poétique influence, contraint et/ou inspire la composition musicale reste encore à étudier… Notons pour finir la variété des types de sources susceptibles de nous renseigner sur ces collaborations poético-musicales : recueils imprimés, de partitions d’une part, de poèmes néo-latins d’autre part ; descriptions et relations de cérémonies ; correspondances d’érudits ; comptes, statuts d’associations, actes de chapitre… Des recherches plus approfondies dans les archives (notamment celles des jésuites et celles de l’abbaye d’Eversam), que je n’ai pas encore eu l’occasion de mener, permettraient certainement d’étoffer considérablement les deux dossiers ici présentés.

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ANNEXES 1. Croisement entre les Elogia de Pevernage et les Poemata de Haemus Pevernage, Cantiones aliquot sacræ, 1578 (partie Elogia) N° d’ordre, titre, incipit

Mètre et taille

Haemus, Poemata, 1578 Poèmes quasiment identiques

Poèmes avec fortes similitudes formelles

Poèmes différents composés pour une même occasion

4) D. Margaretæ Austriæ Distiques élégiaques p. 242: In D. MargareParmæ duci 12 vers tam Austriam Parmæ Nympha patris magni ducem 9) Trium fratrum Caniorum encomium, Adriani, Ioannis, Augustini Hyprensium.

p. 297: In treis Canios fratres Adrianum, Ioannem, Augustinum Hyprenses

9a) D. Adrianus Canius Carmine dicamus Canios

9a) Hexamètres dactyl. + trimètres iambiques (=2e mètre pythiambique) 6 vers

Adrianus

9b) D. Ioannes Canius canonicus D. Martini ac pastor D. Petri Proximus a primo

9b) Distiques élégiaques 6 vers

Ioannes canonicus Hyprensis ac pastor D. Petri v. 2 différent

9c) M. Augustinus scriba 9c) Hexamètres Augustinus scriba in curiæ dactyliques + curia Episcopi Augustine licet dimètres iambiques v. 2: at es pour fero er (=1 mètre pythiambique) 6 vers 10) In primitias Distiques élégiaques D. Rogerii de Muelnaere, 8 vers D. Mariæ apud Cortracenses sacellani Vt numquam oppressos

p. 232: In D. Ioannem Molinerum neomystam v. 3 : 2 mots inversés v. 5: respice pour conspice

11) In primitias D. Nico- Distiques élégiaques lai Deelloos, Divi Dona 12 vers tiani apud Brugenses sacellani Huc oculos, supreme Deus

p. 232: In M. Simon Mantheum pariter neomystam Ecce novo se lux Distiques élégiaques, 12 vers v. 3-4 P // v. 5-6 H v. 8-9 P // v. 8-9 H v. 11 P = v. 11 H

13) In ortum filii Roberti Distiques élégiaques Wullins primogeniti 8 vers Audiit en tandem

p. 233 : Gratulatiuncula ad Petrum Matthæum ob filium ei Romæ natum Calend. Novemb. Ann. 1573 Petre tuas Matthæe Distiques élégiaques, 16 vers v. 3-6 P // v. 3-5, 7-8, 15-16 H

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Édition de 1630, p. 280 : D. Roberto Wullins dum ei nasceretur primogenitus Petrus Wullins Sic divi voluere Hendécasyllabes 13 vers

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Pevernage, Cantiones aliquot sacræ, 1578 (partie Elogia) N° d’ordre, titre, incipit 14) In nuptias Martini Loëi et Ioannæ Taschiæ Taschia Loëo iuveni

Mètre et taille

Haemus, Poemata, 1578 Poèmes quasiment Poèmes avec fortes simiidentiques litudes formelles

Distiques p. 242: In élégiaques 8 vers, D. Margaretam Austriam Parmæ ducem

p. 239 : In nuptias Andreæ Pevernage apud Cortracenses symphonasci et Mariæ Mæges viduæ 17 Cal. Iulii anno 1574 Huc ades, Urania Distiques élégiaques, 12 vers vers 2-8 P = vers 2, 5-,8, 11-12 H

Poèmes différents composés pour une même occasion p. 284 : In nuptias Martini Loëi et Ioannæ Taschiæ anno 1575 mense Iulio Quod nunc legitimo Distiques élégiaques, 66 vers

2. Comparaison de l’elogium 14 de Pevernage et du poème In nuptias Andreæ Pevernage de Haemus Textes latins In nuptias Martini Loëi et Ioannæ Taschiæ

Taschia Loëo iuveni virguncula nubit: Huc gressu niveo, sancte Hymenæe, veni. Quin hæc, Christe, tuo sanci bona fœdera nutu: Nubila denigrant nulla quod ipse beas. Ut frondeis hederæ Baccheia dona virenteis, Perdere nec nativum dedidicere decus : Hi duo sic animos per vincla tenacia iungant, Nec temere solvi quæ coiere queant.

In nuptias Andreæ Pevernage apud Cortracenses symphonasci et Mariæ Maeges viduæ 17 Cal. Iulii anno 1574 Huc ades, Uraniæ proles, Helicone relicto : Huc gressu niveo, sancte Hymenæe, veni. Andreas Mariæ, iuvenum decus, omine fausto Iungitur : huc felix ad tua sacra veni. Quin hæc, Christe, tuo sanci bona fœdera nutu : Nubila denigrant nulla quod ipse beas. Ut frondeis hederæ Baccheia dona virenteis, Perdere nec nativum dedidicere decus, Errantesque suis ut prendunt obvia ramis, Nec facile amittunt quod tenuere semel : Hi duo sic animos per vincla tenacia iungant, Nec temere solvi quæ coiere queant.

Traductions Pour le mariage de Martin van Loo et de Jeanne Taschke

Pour le mariage d’André Pevernage, maître de musique de Courtrai, et de la veuve Marie Maech, le 20 juin 1574

Rejoins-nous, fils d’Uranie, en quittant l’Hélicon : Rejoins-nous d’un pas de neige, saint Hyménée. André, gloire de la jeunesse, s’unit sous d’heureux auspices À Marie : viens ici avec joie pour la cérémonie sacrée. Et toi, Christ, approuve et consacre cette belle alliance : Et toi, Christ, approuve et consacre cette belle alliance : Aucun nuage n’assombrit ce que tu favorises. Aucun nuage n’assombrit ce que tu favorises. Comme les feuilles vertes du lierre, dons de Bacchus, Comme les feuilles vertes du lierre, dons de Bacchus, N’ont pas appris à perdre leur éclat natif, N’ont pas appris à perdre leur éclat natif : Et, rampantes, s’accrochent à ce qu’elles rencontrent, Refusant ensuite de lâcher ce qu’elles ont une fois pris : Qu’ainsi ces deux-là joignent leurs âmes par des liens Qu’ainsi ces deux-là joignent leurs âmes par des liens solides solides Et que ce qui a été uni ne puisse aisément être délié. Et que ce qui a été uni ne puisse aisément être délié. La demoiselle Taschke épouse le jeune van Loo : Rejoins-nous d’un pas de neige, saint Hyménée.

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3. Claude-François Ménestrier, Des décorations funèbres, Paris, R.-J.-B. de La Caille, 1683, p. 352-354. (collection particulière)

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4. Transcription et traduction de la première partie de la thrénodie de Turenne par Commire Texte latin Victoriæ Turennii [1] Surrexit vir bellator, fortis viribus a iuventute sua, et præliabatur cum gladio prælia Domini140. [2] Induit se loricam sicut gigas, et castra protegebat gladio141. [3] Similis factus est leoni in operibus suis, et sicut catulus leonis rugiens in venatione vociferavit142. [4] Quare fremuerunt gentes, et populi meditati sunt inania143 ? [5] Adstiterunt reges terræ, et principes convenerunt in unum adversum nos144. [6] Persequar et comprehendam, dividam spolia : implebitur anima mea145. [7] Evaginabo gladium meum, interficiet eos manus mea146. [8] Inebriabitur terra sanguine eorum147. [9] Calcabo carnes illorum sicut uvam in torculari. [10] Ululate naves maris, ululate qui habitatis in insula148. [11] Fugite, properate, salvate animas vestras149. [12] Quis cogitavit hoc super gentem quondam coronatam, cuius negotiatores principes, institores eius inclyti terræ150 ?

Traduction Les Victoires de Turenne [1] Un guerrier s’est levé, rempli de forces depuis sa jeunesse, et il menait avec le glaive les combats du Seigneur. [2] Il a revêtu une cuirasse comme un géant, et il protégeait les camps de son glaive. [3] Il a été rendu semblable au lion dans ses actes, et il a crié comme le petit du lion qui rugit en chassant. [4] Pourquoi les nations ont-elles frémi, et les peuples ont-ils médité de vains plans ? [5] Les rois de la terre se sont dressés, et les princes se sont unis contre nous. [6] Je les poursuivrai et je les attraperai, je distribuerai le butin : mon âme sera comblée. [7] Je dégainerai mon glaive, ma main les tuera. [8] La terre s’enivrera de leur sang. [9] Je foulerai leurs chairs comme le raisin dans le pressoir. [10] Hurlez, bateaux de la mer, hurlez, vous qui habitez sur l’île. [11] Fuyez, hâtez-vous, sauvez vos âmes. [12] Qui a conçu cela contre un peuple jadis couronné, dont les marchands étaient des princes et les trafiquants, des grands de la terre ?

140. 141. 142. 143. 144. 145. 146. 147. 148. 149. 150.

Cf. 1Rg 17:33, 1Rg 18 :17 et 1Mcc 2 :66. Cf. 1Mcc 3:3. Cf. 1Mcc 3 :4. Cf. Ps 2 :1. Cf. Ps 2 :2. Cf. Ex 15 :9. Cf. Ex 15 :9. Cf. Is 34 :7. Cf. Is 23 :1 et 23 :6. Cf. Jr 48 :6. Cf. Is 23 :8.

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LE MAÎTRE THÉORICIEN AUX XVIIe ET XVIIIe SIÈCLES : L’APPRENTISSAGE DE LA COMPOSITION MUSICALE Jean DURON

Depuis leur instauration bien avant le XVIIe siècle, les maîtrises capitulaires représentent, jusqu’à la Révolution, l’école par excellence pour l’enseignement de la musique et plus particulièrement celui de la composition musicale. D’autres cadres peuvent, plus rarement il est vrai, permettre l’émergence de jeunes talents. Ce sont par exemple des leçons particulières qui ont permis à de jeunes gens de bonne famille, voire à des princes de sang, de produire des œuvres de bonne tenue : c’est le cas de la Ménetou 1, la fille de la duchesse de La Ferté, de Sébastien de Brossard, de Jean-Benjamin de La Borde, mais aussi de Philippe, duc de Chartres, le futur régent, et même, bien auparavant, du roi Louis XIII. Les dynasties de musiciens favorisent naturellement ce type de formation et l’on pense bien sûr aux trois fils de Lully, à Jean-Baptiste Boesset, aux Couperin, aux Philidor ou à Colin de Blamont. La pratique professionnelle, qu’elle soit instrumentale ou vocale, incite parfois certains artistes à franchir le pas et à oser composer. Pour ne donner que quelques exemples, l’on citera JeanBaptiste Lully (violoniste et danseur), Louis La Coste (violiste), Antoine Dauvergne, les luthistes, clavecinistes, organistes aussi, mais on trouve ce type de démarche surtout à la fin du XVIIIe siècle, par exemple avec Louis-Henri Mareschal, dit Paisible, aussi avec quelques femmes comme cette Mlle Cécile, pianiste virtuose, qui donna un Concerto au Concert spirituel en 1783, ou Mlle Péan, guitariste. Je n’insiste pas sur ces différentes catégories que j’ai développées ailleurs 2. Quelques très rares compositeurs n’ont pas bénéficié de tels environnements. C’est le cas, remarquable, d’André Cardinal Destouches (1672-1749). On ne lui connaît aucune formation musicale particulière. Élève des Jésuites au collège Louis-le-Grand, il accompagne à 15 ans le père Guy Tachart au Siam, entre chez les mousquetaires du roi à son retour en France, participe 1. 2.

Françoise Charlotte de La Ferté-Senneterre (1679-1745), dite Mademoiselle de Ménetou, claveciniste prodige. Âgée de neuf ans, elle joua devant le roi. Deux ans plus tard, elle publiait un livre d’Airs sérieux à deux par Mademoiselle de Menetou, Paris, Christophe Ballard, 1691. Voir Jean Duron, « La composition de musique en France aux XVIIe & XVIIIe siècles : les premiers pas », La Première œuvre : arts et musique, XV e-XIX e siècles, éd. Vincent Cotro, Véronique Meyer et Marie-Luce PujalteFraysse, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2014, p. 113-144.

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JEAN DURON

au siège de Namur, avant d’entreprendre des leçons de composition avec André Campra (probablement à partir de 1695). Fin 1697, il présentait devant Louis XIV à Fontainebleau, son opéra Issé, qui obtint un succès considérable. Le plus généralement donc, à l’époque moderne, le métier de compositeur s’apprend au sein des maîtrises capitulaires, d’où sont sortis la plupart des grands maîtres de la période, depuis Guillaume Bouzignac et Étienne Moulinié au début du XVIIe siècle, jusqu’à Pierre Desvignes, Grétry, Gossec ou Jean-François Le Sueur à la fin du XVIIIe. Il est inutile de rappeler ici le nom de toutes les célébrités issues de ces institutions ecclésiastiques. Notons seulement que tous les compositeurs de la Chapelle royale jusqu’à François Giroust à la veille de la Révolution ont fait leurs classes dans ces maîtrises. Que ces maîtrises elles-mêmes étaient tenues par d’anciens élèves. L’anecdote que rapporte Sébastien de Brossard sur son propre recrutement à Meaux montre la méfiance des chapitres et surtout des chantres vis-à-vis de maîtres compositeurs non issus des maîtrises : L’an 1698. au mois de Décembre passant par meaux pour m’en retourner de Paris a Strasbourg j’apris comme par hazard que la maitrise de meaux estoit vacante. Je me presenté au Chapitre. J’y fis chanter une messe qu’on trouva assez passable [i.e. « qui n’est ni excellent ni mauvais », Furetière, 1690], cependant il me revint qu’un des musiciens avoit dit qu’il n’estoit pas possible qu’un homme qui n’avoit jamais été enfant de chœur eut fait une Messe de cette force. Cela m’obligea de prier m.rs du chapitre de me faire enfermer et de me donner un sujet pour travailler. Je commencé [sic] sur les deux heures apres midy du lundy, et le mercredy suivant, ce pseaume fut exécuté après la grande messe de maniere que je fus receu avec assez d’aplaudissement, et que le musicien fut obligé de se taire. Pardonnez moi cette petite disgression, j’ay cru que cette histoire ne vous déplairoit pas 3.

Les enfants de chœur compositeurs peuvent postuler rapidement, après leur « lever d’aube », à la direction d’une maîtrise ou à une tribune d’orgue et ils poursuivent leur carrière comme maîtres de musique ou organistes. Certains, pourtant, ne résistent pas, surtout au XVIIIe siècle, à l’attrait de la musique profane, voire de l’opéra, parfois après de longues années d’exercice. Les figures emblématiques d’André Campra et de JeanPhilippe Rameau attestent de ce type de réussite. Mais bien d’autres ont suivi ce chemin, parmi lesquels Michel Pignolet de Montéclair élevé à Langres, Pierre Bouteiller qui quitte la maîtrise de Troyes pour chanter à l’Académie royale de musique. Pour les compositeurs, c’est l’opportunité d’une carrière moins dépendante des institutions, une carrière d’artiste, nouvelle au XVIIIe siècle. Pour l’Académie, c’est la garantie d’un savoircomposer de qualité. Les maîtres de musique d’église sont également les garants d’une bonne qualité de la composition et du respect des règles du métier. Dans les puys de

3.

Sébastien de Brossard, Catalogue des livres de musique théorique et pratique, ms [BnF, musique, Rés. Vm8 20], p. 285 ; pour une édition moderne, voir Yolande de Brossard, La Collection Sébastien de Brossard (1655-1730), Paris, Bibliothèque Nationale de France, 1994.

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L’APPRENTISSAGE DE LA COMPOSITION

musique, ce sont eux qui attribuent les prix ; pour le recrutement en 1711 d’un maître de musique à la cathédrale d’Évreux, le chapitre en appelle à Brossard 4 ; Charles Gauzargues et Esprit-Joseph-Antoine Blanchard, de la Chapelle royale, jugent en 1768 le concours de composition du Concert spirituel. Cette compétence des maîtres de chapelle est reconnue pleinement jusque dans les années 1780, concurrencée alors par des compositeurs issus d’autres formations. Ainsi la classe de composition de l’École royale de chant fut confiée à Jean-Joseph Rudolph, dit « Rodolphe » ; les classes d’harmonie du nouveau Conservatoire à Henri-Montan Berton, Henri Rigel et Jean-Baptiste Rey, les classes de composition à Rodolphe, puis à Charles-Simon Catel ou AndréFrédéric Eler. Aucun musicien d’église parmi eux, pas même le célèbre François Giroust. Les anciens maîtres de chapelle jugèrent probablement ces choix injustes et surtout fâcheux pour la transmission de l’art du beau contrepoint et de la science de musique. C’est peut-être la raison de la publication par Gauzargues en 1797 d’un Traité de composition au contenu très technique et avec de nombreux exemples. L’édition de cet ouvrage intrigue, car il paraît au moment où se discute le contenu des classes de composition du Conservatoire au sein d’une commission réunie autour de Gossec 5. En effet, depuis vingt-trois ans, Gauzargues, qui avait été maître de musique à Nîmes puis à la Chapelle royale, n’exerçait plus aucune charge. Il s’était totalement retiré de la vie publique. Alors pourquoi ce vieil homme oublié, de presque soixante-quinze ans, revient-il à la charge avec un ouvrage luxueusement gravé ? Pourquoi en 1797 ? Le vieux maître qui n’est plus en capacité de postuler au moindre office semble rappeler à la Commission les règles ancestrales du métier. Il achève adroitement son ouvrage par une grande et savante fugue Cantate Domino. Cette pièce fait bien évidemment écho à la fugue Laboravi du Traité de l’harmonie de Rameau, mais elle indique aussi aux jeunes compositeurs les voies de la « vraie composition », peut-être utile dans un avenir radieux où les institutions ecclésiastiques seraient rétablies. DES MAÎTRES RÉPUTÉS POUR L’APPRENTISSAGE DE LA COMPOSITION Nous n’avons que fort peu d’informations concernant les maîtres les plus chevronnés, ceux qui se sont fait une excellente réputation de pédagogues en matière de composition. On ne peut que tenter de dresser une liste en fonction de la qualité et de la quantité d’écoliers qu’ils ont formés. Au tout début du XVIIe siècle, la maîtrise de Narbonne par exemple s’illustra avec deux enfants particulièrement doués qui ont marqué la postérité : Guillaume Bouzignac dont nous connaissons le beau motet O mors, ero mors tua, composé vers 1604 alors qu’il était encore enfant de chœur, et qui fit une brillante carrière itinérante entre Angoulême, Grenoble, Bourges, Rodez et 4. 5.

Voir plus bas, p. 378-380. Pour plus d’informations, voir Youri Carbonnier, Jean Duron, Charles Gauzargues (1723-1801) : un musicien de la Chapelle royale entre Nîmes et Versailles, Paris, Picard, 2016.

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Clermont en Auvergne. Reconnu comme un « bon maître » par Marin Mersenne, ses œuvres sont remarquées, copiées et recopiées jusqu’à Paris 6. Étienne Moulinié, son cadet de douze ans, qui « dans cét Art merveilleux,/ Est un des plus miraculeux »7, se forma dans la même institution et devint par la suite maître de la Musique de Gaston d’Orléans. Nous ne savons malheureusement rien de ceux qui ont instruit ces deux artistes renommés : Dominique Fabre qui officia à Narbonne jusqu’en 1603 et Antoine Robert qui prit sa succession. En revanche, on peut penser que Moulinié, né en 1599, a pu bénéficier, à la fin de son apprentissage à Narbonne, des conseils de Sauvaire Intermet qui prit ses fonctions en 1613. Le théoricien Antoine Parran loue ce musicien dans son Traité de musique de 1639 et certaines pièces de lui surent charmer le roi Louis XIII, « par les oreilles, d’une loüable & ravissante volupté », comme si l’âme des auditeurs « s’estoit toute retirée sur le bord des oreilles »8. Le cas de Guillaume Poitevin (1646-1706) à la fin du XVIIe siècle est mieux connu. Ce maître de chapelle de la cathédrale d’Aix-en-Provence enseigna la composition durant une période exceptionnellement longue de 1667 à sa mort, avec quelques interruptions au milieu des années 1690. Quelques œuvres de lui sont conservées à Aix, d’un style contrapuntique plutôt sévère. Néanmoins, lorsqu’il était encore fort jeune, il sut guider plusieurs jeunes talents vers une musique d’avant-garde, comme notamment Jean Gilles et André Campra, ou plus tard Esprit-Joseph-Antoine Blanchard, Claude-Matthieu Pellegrin, François Estienne, Laurent Bellissen. Tous firent de brillantes carrières, certains à la Chapelle royale, d’autres à Toulouse, Marseille ou Lyon. À Meaux, Sébastien de Brossard fit profiter de son immense connaissance théorique et musicale, de futurs musiciens comme Jean Cavignon, Nicolas Grogniard ou Louis Lemaire desquels nous avons encore aujourd’hui quelques pièces de musique. Dans cette ville qui avait accueilli jadis Philippe de Vitry, ainsi que Pierre Moulu, peut-être élève de Josquin Des Prés, il semble qu’il y ait eu une longue tradition à la fois pour la théorie et l’étude du contrepoint savant. À l’époque qui nous intéresse, des figures comme Pierre Péchon, Pierre Tabart et Brossard lui-même, ont su poursuivre cette entreprise qui se prolongera au XVIIIe siècle avec Henri Madin, auteur d’un Traité de contrepoint simple publié en 1742, et plus tard avec Charles Hérissé à qui l’on proposera plus tard le poste de Notre-Dame de Paris et qui forma plusieurs maîtres de chapelle comme notamment ce François Couët, qui exerça par la suite au Mans et à Dijon. Comme l’on s’y attend, certaines églises parisiennes ont dispensé un enseignement particulièrement fécond. C’est le cas de la Sainte Chapelle du Palais où l’on conservait précieusement une traduction française du traité de Zarlino, et où exerça longtemps le théoricien René Ouvrard, mais aussi ceux de la cathédrale Notre-Dame 6. 7. 8.

Voir le recueil Ms 168 de la Bibliothèque municipale de Tours et le Recueil Deslauriers de la Bibliothèque nationale de France (BnF), musique, Rés. Vma ms 571. Jean Loret, La Muse historique, Paris, Charles Chenault, 1658, p. 77 (25 mai). Anonyme, La Voye de laict ou le chemin des héros au palais de la gloire, Avignon, Bramereau, 1623, p. 221.

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de Paris et de Saint-Germain-l’Auxerrois. Dans cette église, sorte d’antichambre de la Musique du roi, se formèrent Lalande, Marin Marais et tant d’autres. Il est inutile de rappeler la longue galerie des maîtres et des écoliers qui firent carrière dans ces institutions vénérables. Notons toutefois que François Chaperon, dont Marc-Antoine Charpentier fit un portrait pour le moins caustique, a pourtant su guider, à la Sainte Chapelle, les premiers pas de plusieurs musiciens réputés. Nous n’avons malheureusement plus aucune trace de son enseignement ni de sa musique. De tout le royaume, on consultait ces compositeurs pour recruter des maîtres de chapelle. On les invitait pour juger les motets de concours du Concert spirituel. Les jeunes talents venaient de toutes les provinces pour se présenter et recevoir des conseils. À la fin du XVIIIe siècle, le Mercure de France se fait régulièrement l’écho des motets et des messes que les jeunes spe présentent aux fidèles de la Sainte Chapelle et le périodique ne manque pas de vanter les talents pédagogiques du maître, l’abbé François-Robert Doriot, qui avait conçu pour eux « une méthode pour apprendre la composition, […] dépouillée de tous les calculs inutiles pour ses jeunes éleves »9. Parmi ces maîtrises exemplaires, citons également celle de la Chapelle royale où se donnait, du moins au début du règne de Louis XIV, un enseignement de qualité, singulier car en alternance par semestres, sous la houlette de Henry Du Mont et de Pierre Robert, enseignement dont profitèrent par exemple Henry Desmarest ou JeanBaptiste Matho. Ces écoliers bénéficiaient ici d’une situation unique en France, deux maîtres aux styles très différents se partageant les leçons. De plus, ils s’enrichissaient de la musique – et peut-être des recommandations – de Lully dont ils chantaient les motets lors des cérémonies extraordinaires, parfois aussi les opéras. Toutefois, nous ne savons pas comment cet enseignement se poursuivit après 1683. QU’ENSEIGNER ? Gérer l’apprentissage de la composition dans une maîtrise de l’Ancien Régime est une tâche complexe, fort éloignée des pratiques d’aujourd’hui. Un groupe de six à douze enfants aux capacités fort diverses, répartis régulièrement entre six et dix-sept ans, permet d’assurer une continuité à l’institution. Il faut enseigner au nouveau venu les rudiments de lecture du plain-chant, celle de la musique figurée nettement différente, un zeste de latin, un brin de théorie et surtout lui apprendre à poser sa voix, à respirer correctement et à faire les ornements – les « ondoyements » comme dit René Ouvrard – aux cadences. Et donc, faire avant tout un chanteur. Ouvrard explique dans le détail par quels degrés il procède pour les débutants. Il leur faut tout d’abord apprendre « 1. à bien connoitre ses notes. 2. à les bien entonner. 3. en sçavoir la valeur & la juste durée, pour la soumettre à la mesure ou mouvement de la main, enfin 4. à 9.

Jean-Benjamin de La Borde, Essai sur la musique ancienne et moderne, Paris, impr. Ph.-D. Pierres, Eugene Onfroy, 1780, vol. 3, p. 414.

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bien appliquer la lettre [les paroles donc] au chant des notes »10. Plus loin, il explique plus concrètement sa méthode : Dans la longue expérience que nous avons faite pour l’instruction de ceux qui commencent, nous avons remarqué qu’il étoit inutile de les arrêter par des intonations différentes d’intervalles éloignez & que le véritable moyen de leur faire entonner toutes sortes d’intervalles est de les entremesler souvent dans leurs leçons & de ne leur donner d’abord que des chants naturels sur le modele des leçons précédentes suivant la diversité des voix 11.

René Ouvrard, La Musique rétablie, © Bibliothèque municipale de Tours, ms 822, f. 66.

Comme on le voit ci-dessus, le maître donne des exemples pratiques classés par ordre de difficulté : les notes en montant d’ut à la, puis en descendant d’ut à sol, ensuite les valeurs rythmiques pointées et enfin les dièses et les bémols. Pour la musique figurée, Ouvrard préconise même l’utilisation de quelques publications de Ballard, en expliquant méthodiquement sa manière de procéder 12. Au fur et à mesure de cette longue formation d’une dizaine d’années, les écoliers se familiarisent peu à peu avec une théorie plus complexe, avec des œuvres plus difficiles et notamment les motets en style moderne que compose le maître de chapelle 10. 11. 12.

René Ouvrard, La Musique rétablie, ms, Tours, Bibliothèque municipale, ms 822, f. 47. Ibid., f. 66v. Voir dans ce volume, l’article de Jean-Paul C. Montagnier, p. 381-395.

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en rapport avec leurs capacités vocales. Ils abordent également la pratique instrumentale selon leurs talents : l’orgue et la basse continue pour les plus doués bien sûr, car, pour reprendre les termes de Salomon de Caus, « par la cognoissance que l’on a du Clavier, on vient beaucoup plus tost à la pratique de la Composition »13, notamment pour pratiquer les fausses quintes et les feintes. Mais d’autres instruments peuvent être enseignés, le serpent pour ceux dont la voix est ingrate, le violon, le violoncelle 14, la basse de viole, ou même le luth parfois comme à la Chapelle royale. Enfin, ceux (probablement assez rares) qui se destinent au métier de maître, les plus brillants donc, entreprennent avec le maître des cours de composition à la fois pour le plain-chant et la musique figurée. Tout au long de ces dernières années d’apprentissage jusqu’à leur « lever d’aube », ils secondent le maître pour la copie des matériels, pour l’apprentissage des petits, en un mot pour se préparer à l’ensemble des tâches que doit accomplir un maître de chapelle. QUELS OUTILS PÉDAGOGIQUES ? Dès lors, on peut se demander sur quels types d’ouvrages s’appuie, le cas échéant, le maître pour expliquer la théorie et les principes de composition. Les quelques sources d’archives qui mentionnent l’achat d’ouvrages pour les maîtrises ne mentionnent presque jamais l’acquisition de traités de composition. Mais l’on trouve pourtant une « Théorie de la musique » de Salomon de Caus, probablement son Institution harmonique, dans un inventaire à Annecy en 1661 15. Néanmoins, il est possible que ce type d’ouvrages ait pu appartenir non point à la maîtrise, mais à la bibliothèque du chapitre. La question du modèle théorique est particulièrement importante au début du e XVII siècle, lorsqu’un nouveau langage théorique se cherche, s’émancipant de ce que l’on commence à juger alors comme des « erreurs » des Anciens grecs et latins, et se frayant une voie nouvelle tenant compte de la réalité de la musique des praticiens et donc de cette musique moderne qui se répand par tout le royaume. La plupart des nouveaux traités vont plus ou moins en ce sens. Pour le premier XVIIe siècle, on peut classer les théoriciens de la composition en trois groupes distincts : 1° ceux qui continuent de s’appuyer sur les théories de l’Antiquité et de la Renaissance, au premier rang desquels Marin Mersenne dont deux livres de L’Harmonie universelle sont consacrés à la composition. 2° ceux qui cherchent à s’en émanciper, comme Antoine Parran et plus tard La Voye Mignot. 3° ceux qui hésitent et cherchent un compromis, comme Antoine de Cousu.

13. 14. 15.

Salomon de Caus, Institution harmonique, Francfort, Jan Norton, 1615, Seconde partie, p. 29. À Arles par exemple, où un « Role des instruments » de 1736 signale un violoncelle et deux violons « en bon estat » ; voir Marc Signorile, Musique et société : le modèle d’Arles à l’époque de l’absolutisme, Genève, Minkoff, 1993, p. 240. Norbert Dufourcq, « Un inventaire de la musique religieuse de la collégiale Notre-Dame d’Annecy 1661 », Revue de Musicologie, 41 (1958), p. 38-59.

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Tous ne sont pas musiciens professionnels ni même compositeurs, loin de là. Mersenne est un père minime, Parran un jésuite, Salomon de Caus un architecte et La Voye Mignot un géomètre. Seul parmi les précédents, figure un maître de chapelle, Cousu, qui exerça successivement à Noyon et à Saint-Quentin. Dans les générations suivantes, certains maîtres de chapelle vont tenter de rédiger des méthodes plus directes pour apprendre la composition. Mais l’exercice restait difficile et bien peu, au XVIIe siècle et au début du XVIIIe, parvinrent à achever leur entreprise et à la publier. C’est le cas de Cousu qui mourut avant la fin de l’impression de La Musique universelle, ceux d’Ouvrard, de Loulié, de Charpentier, de Brossard et de Nicolas Bernier, dont les traités sont restés manuscrits. Publié en 1667, le Traité de la composition de musique de Nivers fait figure d’exception, mais il est fort court (une soixantaine de pages) et l’auteur, qui n’est pas maître de chapelle, mais se dit « maistre compositeur en musique et organiste », revendique cette concision dans sa préface : « Passons mesme toutes ces questions inutiles et obscures de Theorie ? Je veux estre aussi clair que succint, je ne pretend traiter de la Theorie que simplement, in ordine ad praxim : et cependant mon dessein est d’instruire à fond ». Et il sait la nouveauté de son ouvrage : De dire que nos predecesseurs ont erré en plusieurs points considerables de la Composition, il n’y a rien de si clair et certain ; car par exemple, dites-nous, ô Philosophes du temps jadis, par quelle raison avez-vous defendu absolument deux Tierces majeures ou deux Tierces mineures de suite par degrez conjoints 16 ?

Cette situation semble particulière à la France, car ce type d’ouvrages théoriques et pratiques fleurit en Italie, comme on le voit notamment avec les ouvrages de Giovanni Battista Doni, de Vincenzo Galilei ou plus tard d’Angelo Berardi, l’un des modèles de Brossard. Cet embarras disparaît totalement au XVIIIe siècle lorsque paraît chez Ballard en 1722 le Traité de l’harmonie de Rameau et l’on observe à partir de ce moment une production considérable qui se poursuit jusqu’à la Révolution. Pourtant, l’ouvrage de Rameau n’est pas à proprement parler une méthode pratique de composition et Rameau lui-même n’avait aucunement la charge des enfants d’une maîtrise. En pionnier, il démontre une nouvelle manière de penser l’acte compositionnel, radicalement différent non point de la pratique moderne, mais de l’ancienne théorie musicale. Une manière qui bouleverse peu à peu l’organisation de l’apprentissage et que de vieux maîtres ne parviennent guère à comprendre. Un compositeur comme Brossard par exemple, maître théoricien estimé, continue encore à solmiser au cours de années 1710, ajoutant en toutes lettres le mot fa sur un bémol peu lisible. Il possède pourtant le traité de Rameau, mais il ne fait aucun commentaire sur l’ouvrage dans son Catalogue,

16.

Guillaume-Gabriel Nivers, Traité de la composition de musique, Paris, Robert Ballard, 1667, « Préface », p. 3-4.

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Sébastien de Brossard, Catalogue des livres de Musique Theorique et Prattique, BnF, musique, Rés. Vm8 20, p. 25.

alors qu’il loue chaleureusement l’ouvrage suivant, de Borin, paru la même année : « C’est icy un des bons ouvrages qu’on aye publié, […] il est excellent […] pour ceux qui veullent apprendre les premiers fondemens de la composition »17. Le vieux maître est dépassé par la nouveauté du propos de Rameau.

Sébastien de Brossard, Catalogue des livres de Musique Theorique et Prattique, BnF, musique, Rés. Vm8 20, p. 26.

Sans entrer dans le contenu des nombreux traités de composition qui paraissent alors et qui visent souvent un public amateur, voire les débutants – mais pas spécifiquement les enfants des maîtrises –, je voudrais dire un mot sur ceux de la fin du XVIIIe siècle, souvent très bavards. C’est précisément ce que leur reproche Pierre Denis dans la

17.

Sébastien de Brossard, Catalogue des livres de musique théorique et pratique, ms, Bibliothèque nationale de France (BnF), musique, Rés. Vm8 20, respectivement p. 25 et 26.

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préface de sa traduction du très célèbre Traité de composition musicale de Johann Joseph Fux (1773), qui reçut en France un excellent accueil et qui fut plusieurs fois réédité : La plu-part des Traités de composition sont très bien raisonnés et éblouissent d’abord par un grand étalage d’érudition, mais ils servent plutôt à faire des élégans discoureurs en Musique, que d’habiles Compositeurs 18.

Parmi les maîtres de chapelle qui se risquèrent au genre, Jean-François Le Sueur, qui venait alors, en 1787, de quitter la maîtrise de Notre-Dame de Paris, publia un ouvrage fort original, intitulé Exposé d’une musique une, imitative et particulière à chaque solennité 19. Cet essai s’adresse à « plusieurs de [ses] élèves, maîtres de Chapelle dans la Province » pour leur donner « les Préceptes […] nécessaires pour mettre le plus de Poésie, de Peinture & d’Expression dans leurs Ouvrages ». Abandonnant aux traités de composition traditionnels les fausses quintes, les fausses relations et les fugues, il se place dans un tout autre registre : L’invention, l’ordonnance, le dessein, les proportions, les contrastes & les effets dans ce dessein, la marche & l’ensemble dramatiques sont du ressort des choses que le Compositeur doit traiter 20.

Et Le Sueur de poursuivre par une image édifiante : « Les regrets de Madeleine ne doivent pas être exprimés avec les accens qui peindroient ceux de Vénus sur la mort d’Adonis ». Dix ans plus tard, un autre ancien maître de chapelle, Charles Gauzargues, publiait lui aussi son Traité de composition, évoqué précédemment, rappel des fondamentaux techniques de l’art de composer. LA FINALITÉ D’UN CURSUS Tous les enfants d’une maîtrise ne deviennent évidemment pas compositeurs ou maîtres de chapelle. Loin de là. Au maître de musique la charge de repérer ceux qui ont montré quelques dispositions à ce métier, de leur donner les fondamentaux techniques et les moyens de se forger un style propre par l’écriture mais aussi par l’expérimentation in vivo. L’occasion donc d’inventer sur le papier, de faire exécuter la pièce de musique par les enfants et les chantres – chanteurs et serpentistes de métier qui ne manqueront pas de donner avis et conseils éclairés –, enfin d’affronter les commentaires les plus divers des chanoines. En ce domaine, il y va en effet de la réputation du chapitre et de sa capacité à former d’excellents musiciens qui pourront exercer dans d’autres maîtrises. 18. 19. 20.

Johann Joseph Fux, Traité de composition musicale, Paris, Aux Adresses ordinaires, [ca 1773], « Préface », p. 1. Paris, Vve Hérissant, 1787. Deux autres volumes intitulés Suite de l’essai paraissent la même année. Id., p. 3-4.

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Pas seulement en composant des motets et de la musique figurée, mais aussi du plainchant, des messes polyphoniques, des faux-bourdons. En enseignant lui-même au spe la composition, l’art de la mélodie, les règles du contrepoint, la bonne harmonie, les licences et la théorie la plus moderne. Et pour plaire au chapitre, notamment aux plus jeunes chanoines, avoir une connaissance et une pratique de la musique de son temps. Tout cela sans compter avec le travail quotidien auprès des autres enfants, l’enseignement du chant et des instruments, la préparation des offices, etc. Pour être capable d’assumer parfaitement toutes ces fonctions, il a fallu de longues années au jeune musicien pour maîtriser la composition et se constituer un portefeuille de messes et de motets pour les principales cérémonies de l’Église : les grandes fêtes de l’année liturgique, les messes ordinaires, celles pour les morts, les vêpres du dimanche, etc. Pour toutes ces pièces, il lui faudra prévoir aussi des effectifs différents, à quatre ou cinq parties, avec ou sans instruments 21. Les traces les plus concrètes de cet apprentissage de la composition, relativement rares, se résument aux chefs-d’œuvre de fin d’études qui sont exécutés avec toutes les forces musicales de l’institution au cours d’une messe solennelle, en présence du chapitre. Deux types de sources nous renseignent sur ces événements : les partitions très rares qui sont parvenues jusqu’à nous, et les commentaires qui en sont faits – exclusivement pour le XVIIIe siècle et principalement pour les grandes églises parisiennes – par exemple dans le Mercure de France, où le chroniqueur se plaît à pronostiquer l’avenir du jeune musicien 22. Les quelques partitions qui nous restent de ces jeunes apprentis-compositeurs témoignent d’un métier déjà solide et presque toujours d’une connaissance étonnante de la musique la plus moderne, et ce dans des provinces parfois éloignées de Paris. On évoquera bien sûr le magnifique motet O mors, ero mors composé par Guillaume « Bouzignac a l’age de 17 ans enfant de chœur a Narbonne » – le musicien était né vers 1587. C’est le cas aussi de la longue Missa 4.or Vocibus cum symphonia Dedicata venerabili Capitulo Venetensis anno D.ni 1769 23 (1 600 mesures), avec violons, flûtes et basson, de Jean-Pierre Danigo (1752-1787). Ce jeune sous-diacre de dix-sept ans, qui note sur la page de titre de son manuscrit : « Ex ore infantium perfecisti laudem », avait été l’élève de Claude Hermant de Saint-Benoist (1725-1802) à la cathédrale de Vannes. Cette messe fut choisie trois ans plus tard, fortement remaniée, peut-être pour une cérémonie à Vannes à l’occasion de la translation des reliques de saint Clément de Redon à Rome 24 ; c’est le seul cas connu actuellement de la reprise d’un chef-d’œuvre 21. 22. 23. 24.

Pour un développement de ce sujet, voir Jean Duron, « Le chant des cathédrales : voix, effectifs et répertoire des maîtrises en France au XVIIe siècle », Maîtrises & Chapelles aux XVII e & XVIII e siècles, éd. Bernard Dompnier, Clermont-Ferrand, Presses Universitaires Blaise Pascal, 2003, p. 379-407. Pour plus d’informations, voir Duron, « La composition de musique… », art. cit. L’œuvre est conservée, sans cote, dans la bibliothèque du Grand Séminaire de Vannes ; voir l’édition de Fanny Soulard-Duchet (Versailles, Éditions du CMBV, 2000). Fanny Duchet, « La Missa quatuor vocibus cum symphonia de Jean-Pierre Danigo : œuvre inédite d’un compositeur vannetais inconnu », Société Polymathique du Morbihan, CXXIV (1998), p. 108-121 (120).

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de spe. L’œuvre témoigne d’une bonne connaissance des grands auteurs des années 1760 (Rameau, Mondonville ou Dauvergne). De même, la Messe à quatre parties 25 de Pierre-Louis-Augustin Desvignes (1764-1827), composée à Dijon en 1780, tient compte du style classique alors à la mode de Paris. Elle a été préparée avec les conseils d’un très jeune maître, Jean-François Le Sueur qui, à peine plus âgé que son élève – il n’avait alors que dix-neuf ans –, avait pris ses fonctions l’année précédente ; c’était son premier poste. A contrario, la Missa ‘Laudate pueri Dominum’ de Pierre Hugard (né vers 1727), publiée en livre de chœur chez Ballard en 1744 26, paraît beaucoup plus sage et bien loin de cette modernité. Toutefois, seul chef-d’œuvre de spe publié 27, elle est intéressante à plusieurs titres. Imprimée probablement avec un apport financier du chapitre de Notre-Dame de Paris, cette édition sert en fait les intérêts de l’institution qui peut montrer ainsi la qualité de l’enseignement proposé dans la psallette parisienne, manière de rivaliser avec la Sainte Chapelle, réputée en la matière. Par ailleurs, le style de cette œuvre dépend fortement du format éditorial et des objectifs de diffusion de cette collection destinée aux grandes maîtrises du royaume 28. Il ne représente pas nécessairement le style de l’auteur, élève de Louis Homet. Ces jeunes artistes compositeurs suscitent l’admiration des commentateurs et des biographes. Pas seulement à Paris. Étienne-Joseph Floquet aurait ainsi fait exécuter en 1758, dans la cathédrale d’Aix-en-Provence, une « Messe de sa composition qui lui fit beaucoup d’honneur ». « À peine arrivé à l’âge de dix ans », ajoute le biographe attendri par une telle précocité 29. Malheureusement l’œuvre est perdue, comme la plupart de celles évoquées dans les périodiques de la fin du XVIIIe siècle, concernant principalement des exécutions parisiennes. L’Avant-Coureur se borne par exemple à admirer l’exploit d’un jeune compositeur de la Sainte Chapelle, Pierre-Louis Buée, pour en attribuer finalement le mérite à son maître réputé : « L’on a reconnu dans le jeune compositeur le fruit des leçons qu’il a reçues de M. Doriot, son maître, et maître de musique de cette église »30. La question de la modernité du style de ces premiers chefs-d’œuvre, lorsque nous les avons, est assez surprenante. Elle semble logique dans le cas de Desvignes, son très jeune maître ayant précédemment travaillé avec Nicolas Roze à Paris. Mais elle étonne pour Danigo à Vannes où les occasions d’entendre de la musique moderne devaient être rares. De plus, les œuvres de son maître, Hermant, notamment sa Missa 25. 26. 27. 28. 29. 30.

Manuscrit autographe, BnF, musique, ms 9347 (3). BnF, musique, Vm1 3044. On signalera néanmoins le cas particulier de Pierre Cheneveuillet, né en Auvergne vers 1633. Jeune maître de chapelle de la collégiale d’Ennezat dès le 25 septembre 1652, il publie la même année chez Ballard à Paris une Missa ‘Vota mea Domine’ (perdue). Voir dans ce volume, l’article de Jean-Paul C. Montagnier, p. 381-395. Jean-Charles Levacher de Charnois, « Précis historique sur Etienne-Joseph Floquet, de l’Académie des Philarmoniques », dans Pierre-Louis d’Aquin de Chateau-Lyon, Almanach littéraire, ou étrennes d’Apollon, Paris, chez tous les libraires, 1786, p. 145. Avant-Coureur, n° 30, 25 juillet 1763, p. 469.

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‘Judica causam meam Domine’ de 1779 31, sont plutôt d’un style révolu. De même pour les premiers ouvrages de Louis Grénon lorsqu’il est nommé en 1754 à la cathédrale du Puy-en-Velay : formé à la maîtrise de Saintes, n’ayant guère eu l’occasion de fréquenter les maîtres parisiens, il avait eu néanmoins l’occasion de se familiariser avec les styles de Rameau, de Rousseau et de Mondonville, comme le prouvent les emprunts qu’il fait à ces musiciens dans ses messes 32. À MEAUX, CHEZ MR DE BROSSARD Mais revenons un instant en arrière, dans la maison de la maîtrise de la cathédrale de Meaux, sous Bossuet puis Bissy, chez Mr de Brossard qui officie là de la fin de 1698 à 1715. Là, les écoliers ne manquent guère d’ouvrages théoriques et le maître leur donne à voir tous ceux qu’il a rassemblés : 152 ouvrages imprimés, en toutes langues, de toutes périodes, des anciens comme Aristoxène, Boèce, Kircher, Zarlino, mais aussi des modernes comme de Caus, Parran, La Voye Mignot, Cousu, les ouvrages italiens de Galilei, Penna, Bononcini et Berardi, et de tant d’autres. Il y a aussi les ouvrages théoriques manuscrits, 110 en tout, que Brossard a copiés, fait copier ou acquis, où se trouvent les papiers de Loulié, les Règles de composition de Charpentier, celles de Louis Marchand, des extraits de Glaréan, et tout ce que le maître a pu trouver au cours de ses recherches. Une bibliothèque théorique qui n’a probablement aucun équivalent dans les autres maîtrises de France. Parmi ces liasses de papiers manuscrits, se trouvent quelques feuillets qui intriguent par leur format particulier et aussi par le type de papier utilisé, fort épais, presque du carton. Ils sont un peu éparpillés dans le recueil 5269 des Nouvelles acquisitions françaises du Département des manuscrits de la Bibliothèque nationale de France. Certains d’entre eux, trop grands pour entrer dans la reliure réalisée au XIXe siècle ont été découpés à cette époque en deux parties et placés aléatoirement dans le volume. C’est le cas de ces deux pages (ici reconstituées), reliées aux folios 75bis et 81 du recueil. Cette planche autographe, réalisée avec grand soin, décrit le principe du monocorde et montre les différentes proportions des cordes pour chaque note de la gamme, y compris pour les demi-tons majeurs et mineurs, ainsi que leurs deux niveaux de subdivision jusqu’au comma. À quoi a pu servir un tel document ? La qualité du dessin, la nature du papier et surtout sa taille de plus de 65 cm de hauteur éliminent plusieurs hypothèses : celle de l’esquisse d’une gravure pour une publication envisagée par Brossard ou celle d’un aide-mémoire pour Brossard lui-même. Dès lors, est-ce que 31. 32.

Manuscrit au pochoir, copié par Jean-Bruno Peaucellier, BnF, musique, Rés. F 960 g. Pour plus d’informations sur cette notion de modernité, voir Jean Duron, « Emprunts, imitations, influences. La réception de l’œuvre de Rameau par les compositeurs de musique d’église », La Circulation de la musique et des musiciens d’église. France, XVI e-XVIII e siècle, éd. Xavier Bisaro, Gisèle Clément et Fañch Thoraval, Paris, Classiques Garnier, 2017, p. 105-125. Pour ce qui concerne les choix esthétiques de Grénon, voir l’introduction de Louis Grénon, Les Messes, éd. Jean Duron, Versailles, Éditions du CMBV, 2008.

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l’on ne pourrait pas voir dans cette pièce un document à montrer, par exemple à un petit groupe d’écoliers, pour étayer les explications du maître ? en quelque sorte un outil pédagogique pour la leçon ? Cette hypothèse est d’autant plus plausible que Brossard s’explique à propos d’un autre groupe de documents tout aussi intéressant. Il s’agit d’un Secret pour composer : « Cinq tables par le moyen desquelles on peut composer une et deux voix, sur un sujet donné sans sçavoir les regles de la composition ». C’est un thème récurrent des recherches qui l’occupèrent sa vie durant. Il ajoute : « Je crois en être l’inventeur ». Plus loin, il précise qu’il les a dressées « pour un neveu que j’avois alors et qui promettoit beaucoup, mais le Seigneur me l’enleva à l’age de 21 à 22 ans ». Ce neveu qui demeure avec lui dans la maison de la maîtrise se nomme André de Mésenge. C’est un jeune poète qui écrivit des livrets pour les Cantates spirituelles de son oncle. Il mourut en 1708, ce qui permet de dater ces documents des années précédentes. Si Brossard utilise une telle méthode pour enseigner à son neveu, on peut juger qu’il procédait de même avec ses écoliers. Dans le même recueil, on notera plusieurs tables de grande dimension qu’il intitule Manière de composer un contrepoint simple à 4 parties sans avoir aucune connaissance, non seulement des règles de la composition mais mesme des premiers éléments de musique. Il s’agit d’une méthode de composition par « chiffres ou nottes arithmétiques » décrite en 1650 dans la Musurgia mirifica de Kircher, et que signa-

Sébastien de Brossard, [sans titre], BnF, manuscrits, n.a. fr. 5269, f. 75bis et 81 (reconstitution).

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lait déjà, plus brièvement, Mersenne, dans son Harmonie universelle, ouvrage dont Brossard possédait un exemplaire 33 et qu’il jugeait comme l’« un des meilleurs et des plus curieux de [s]on cabinet »34 :

Marin Mersenne, Harmonie universelle, Paris, Cramoisy, 1636-1637, livre IV « De la composition », p. 275.

Le père minime donne le sens de ces « nombres harmoniques » quelques pages auparavant.

Marin Mersenne, Harmonie universelle, Paris, Cramoisy, 1636-1637, livre IV « De la composition », p. 272. 33. 34.

BnF, musique, Rés. Vma 43. Brossard, Catalogue, op. cit., p. 4.

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En décrivant dans son Catalogue ses propres feuillets, Brossard signale qu’il avait composé de la sorte dans sa jeunesse, « à l’âge de 23 à 24 ans », et qu’il ne faisait « point en ce tems-là de musique à 4. parties que par ce moyen, et cela sans avoir qu’une très légère teinture de musique » 35. Ce n’est pas le lieu de décrire ici en détail l’ensemble de ces tables assez nombreuses et fort différentes les unes des autres. On y trouve des Règles pour faire un bon trio 36, une Méthode pour faire et composer les contrepoints doubles à l’italienne (perdue), des Tables pour la pratique et l’usage des dissonances 37 ou des Leçons de compositions 38. Des matériels pédagogiques donc, comme les deux tables suivantes :

Sébastien de Brossard, Table generalle Pour la Prattique de toutes les Dissonances, BnF, manuscrits, n.a. fr. 5269, f. 35

35. 36. 37. 38.

Brossard, Catalogue, op. cit., p. 4, à propos de tables présentant une Manière de composer un contrepoint simple à 4 parties sans avoir aucune connoissance, non seulement des regles de la composition mais mesme des premiers elements de musique, BnF, manuscrits, n.a. fr. 5269, f. 196-198v. BnF, manuscrits, n.a. lat. 545, f. 283 BnF, manuscrits, n.a. lat. 5269, f. 34-40v. Id., f. 41-53v.

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L’APPRENTISSAGE DE LA COMPOSITION

Sébastien de Brossard, Table des intervalles qui sont en usage dans le chant sur le livre, BnF, manuscrits, n.a. fr. 5269, f. 36

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À la maîtrise de Meaux, la collection de Brossard comportait également nombre de partitions imprimées et manuscrites, que le maître montrait à ses écoliers-compositeurs. Partitions d’époques diverses et de pays différents. Le maître conservait aussi les œuvres de ses enfants de chœur, comme le manuscrit autographe du motet Arma fideles de Louis Lemaire (né vers 1693), « achevé de composer et de copier ce 21 janvier 1713 à 2 heure après midy »39, ou comme ce Non plus ligate de Jean Cavignon, « Pour lors (an 1701.) Enfant de chœur de La cathedralle de Meaux sous Le S.r de Brossard »40. Ce document, copié par Brossard lui-même, montre le type d’exercice de composition qu’il proposait à ses disciples. En recherchant les sources de ce texte néo-latin que l’on ne trouve nulle part en France, je me suis aperçu qu’il provenait en fait de deux motets étrangers, l’un de Cesti que Brossard possédait à la fois en partition et en parties séparées – il l’avait donc fait chanter à Meaux –, l’autre, plus proche du style de l’époque, de Steffani auquel Brossard emprunta d’autres textes, pour ses propres œuvres. Le maître ne possédait pas cette dernière œuvre dont le seul exemplaire connu se trouve aujourd’hui à Berlin. Du moins, il ne l’a pas inséré dans son legs à la Bibliothèque royale. Pour autant, le texte mis en musique par Cavignon contient des variantes qui ne se trouvent que chez Steffani. Qu’en déduire ? sinon que Brossard proposa à son écolier d’étudier le motet de Steffani, et de composer son propre motet dans le style français sur les paroles de l’Italien. Le volume de sa collection devient alors outil pédagogique et sert de modèle à l’élève qui doit bien sûr composer librement une œuvre nouvelle. CONCLUSION : LE CONSEIL DU MAÎTRE Comment ne pas terminer ce regard sur l’enseignement de la composition par ces pages admirables que Brossard rédigea pour aider le chapitre de la cathédrale d’Évreux à choisir son nouveau maître. Nous sommes en septembre 1711 et Brossard doit juger quatre candidats qui ont composé chacun un motet sur le psaume 71, Deus judicium tuum, ainsi qu’une pièce en contrepoint strict à cinq parties sur le plain-chant Postquam magnificus Domini Taurinus amicus 41. Il rédige alors une Responce faite a mr l’abbé de St Martin touchant les 4. motets et les 4 contrepoints qui disputent la maitrise d’Evreux 42 dans laquelle il analyse longuement et avec soin les travaux des postulants. Pour le contrepoint strict, il estime que « pas un de leurs autheurs n’a esté exact à suivre les bonnes et véritables règles de l’ancien contrepoint ». Et il développe soulignant les fautes d’octaves et de quintes parallèles, les mauvais mouvements des sixtes et tierces mineures, les tessitures des voix trop forcées, « l’application pytoyable » des paroles

39. 40. 41. 42.

BnF, musique, Vm1 1625. BnF, musique, Vm1 1177. Les deux œuvres sont conservées à la BnF, musique, Vm1 1178. BnF, manuscrits, n.a. fr. 5269, f. 116-118v.

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L’APPRENTISSAGE DE LA COMPOSITION

du texte, le peu d’exactitude de la prosodie, les fugues qui finissent mal à propos, et l’écriture musicale souvent douteuse. Plus tard, en rédigeant son Catalogue, il se montrera beaucoup plus sévère à propos de celui du quatrième candidat, qui « a des deffauts tres considerables et en quantité, aussi ne le donnay-je pas icy comme un modele a suivre, ny qui merite meme d’estre conservé »43. Quant aux motets, le jugement de sa lettre est plus partagé. Deux candidats ont pour lui « les apparences de jeunes gens qui ont du naturel et du goût et qui sont en estat de se perfectionner avec le temps et du travail mais dont le génie n’a pas encor atteint cette maturité nécessaire pour composer des ouvrages qui se soutiennent également partout ». Le troisième a fait un motet « beau d’un bout à l’autre, tous les chants sont gracieux, son harmonie sage, ses chœurs sont bien fugués, bien battus, bien variés, bien suivis, mais un peu longs ». Mais c’est le quatrième que Brossard juge le meilleur, y compris « dans l’exécution », ce qui laisserait à penser que Brossard l’a fait chanter à Meaux. Il trouve dans cette œuvre : Un fond de science et une supériorité de génie. Il a des beautés dans ses récits, dans ses chœurs, dans la belle disposition de tout son ouvrage qui m’ont surpris et sur le papier et dans l’exécution. […] Il sait mettre en pratique les dissonances de la musique moderne, mais sagement et à propos, et sans cette bizarrerie outrée et affectée, si commune maintenant parmi les compositeurs qui se veulent distinguer du commun.

Malgré ces louanges appuyées, Brossard regrette que le jeune homme ait fait aussi une « faute considérable […] que je ne pardonne pas à ceux que j’élève ; c’est d’avoir mis sur la première sillabe du mot gentes qui est manifestement longue […] une note très brève, ce qui rend la prononciation de ce mot sinon ridicule, du moins très rude et fort choquante ». Dans son Catalogue rédigé une quinzaine d’années plus tard, le compositeur ne relève pas la faute, vantant au contraire le motet « que je trouvay si excellent que je me crus obligé d’adjuger la maitrise en question à son auteur, et j’en ay retenu une copie que j’ay toujours gardée depuis »44. Ce mémoire mériterait d’être analysé en entier tant il révèle les grandes lignes de la pédagogie du maître en matière de composition, tant il donne à voir, concrètement, les conseils qu’il pouvait donner à ses propres écoliers et aussi la délicatesse avec laquelle il pouvait s’exprimer. À la réception de la lettre de Brossard, le chapitre d’Évreux le remercia chaleureusement pour cette analyse, indiquant sans donner leurs noms que les deux premiers, les plus âgés (vingt-sept et trente-cinq ans), avaient été enfants de chœur respectivement à Lisieux et à Caen. Que le troisième qui se nommait Dorléans avait vingt-cinq ans, était déjà maître de musique à Soissons. Nous ne connaissons rien de sa carrière, sinon qu’un de ses grands motets, un Deus in nomine 43. 44.

Brossard, Catalogue, op. cit., p. 344. Ibid.

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tuo, fut copié (en partition et trente parties) pour le Concert de Lyon et exécuté en public dans cette ville 45, probablement assez tardivement, après 1754. Quant au dernier qui a été retenu, il s’agissait de Louis Homet, évoqué précédemment. Maître de chapelle de Saint-Jacques-de-la-Boucherie à Paris, il n’avait alors pas plus de vingt et un ans et avait été élevé, comme le précédent, par le célèbre Nicolas Bernier. Homet et Dorléans étaient donc probablement parisiens. Bernier, ancien enfant de chœur d’Évreux, représentait en effet une excellente référence pour le chapitre, qui l’avait peut-être sollicité avant le concours. Bon maître soucieux de l’avenir de ses écoliers de Saint-Germain-l’Auxerrois à Paris où il avait succédé en 1698 à Jean-François Lallouette, il les aurait alors engagés à postuler. Un appui non négligeable. En terminant sa lettre, le chapitre d’Évreux loua « l’érudition profonde jointe à la manière gracieuse et polie » de Brossard et s’engagea à archiver cette « sçavante leçon pour bien composer », afin de pouvoir y « recourir dans le besoin ».

45.

Lyon, Bibliothèque municipale, FM 133985. Il figure au n° 252 de L’Inventaire des pièces de musique […], ms (Lyon, Archives municipales, GG 156), dans la section « Suitte des motets qui sont entré [sic] dans la bibliothèque du Concert de l’Académie des Beaux Arts depuis le 27e may 1754 ».

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LA MESSE POLYPHONIQUE EN LIVRE DE CHŒUR COMME OUTIL PÉDAGOGIQUE * Jean-Paul C. MONTAGNIER

Afin d’étudier l’enseignement de la musique dans les maîtrises capitulaires d’Ancien Régime, et de la composition en particulier, le chercheur a pour réflexe premier d’aller interroger les ouvrages théoriques, c’est-à-dire ces manuels pédagogiques – comme le célèbre Nouveau traité des regles pour la composition de la musique de Charles Masson, réédité à plusieurs reprises 1 – destinés à aider le maître de musique dans ses leçons dispensées aux enfants de chœur placés sous son autorité. Dans la première moitié du XVIIIe siècle, les ouvrages didactiques disponibles ne couvraient pas tous les aspects de l’art musical, ainsi que le déplorait encore Louis-Joseph Marchand en tête de son Traité du contrepoint simple ou chant sur le livre 2. Si ces textes pédagogiques eurent sans conteste un rôle essentiel à jouer dans la transmission de l’art de la composition aux générations futures, le chant quotidien au chœur ne doit pas être négligé pour autant, puisqu’il permettait aux enfants de mettre en application les leçons de leur maître 3. Marin Mersenne suggérait déjà vivement, « pour apprendre à Composer en peu de temps, […] d’examiner les Compositions des plus excellens Maistres » 4, ainsi que de pratiquer et de mettre en partition « les *

1. 2. 3. 4.

Les numéros de mesure renvoient, lorsqu’elles existent, aux éditions suivantes : André Campra, Messe Ad majorem Dei gloriam, éd. Edmond Lemaître, Paris, Éditions des Abbesses, 1991 ; Pierre Hugard, Missa Laudate pueri Dominum, éd. Gérard Geay, Versailles, Éditions du Centre de musique baroque de Versailles, 2001 ; Henry Madin, Les Messes, éd. Jean-Paul C. Montagnier, Versailles, Éditions du Centre de musique baroque de Versailles, 2003 ; Louis-Joseph Marchand, Missa Quis ut Deus ?, éd. Jean Lionnet, Versailles, Éditions du Centre de musique baroque de Versailles, 2003 ; Claude Mielle, Missa Salva nos, Christe, éd. Jean Lionnet, Versailles, Éditions du Centre de musique baroque de Versailles, 1997 ; Jean Mignon, Les Messes, éd. Inge Forst, Versailles, Éditions du Centre de musique baroque de Versailles, 2010. Charles Masson, Nouveau traité des regles pour la composition de la musique, Paris, Christophe Ballard, 1/16—, 2 /1699, 3/1700, 4/1705. Voir aussi Herbert Schneider, Die französische Kompositionslehre in der ersten Hälfte des 17. Jahrhunderts, Tutzing, Hans Schneider, 1972. Louis-Joseph Marchand, Traité du contrepoint simple ou chant sur le livre, Bar-le-Duc, Richard Briflot, 1739, p. III ; Henry Madin, Louis-Joseph Marchand, Traités du contrepoint simple, textes présentés par Jean-Paul C. Montagnier, Paris, Société française de musicologie, 2004, p. 37. Parran affirmait déjà que « c’est l’usage, & la pratique qui l’enseigne [la composition] » ; voir Antoine Parran, Traité de la musique théorique et pratique, contenant les préceptes de la composition, Paris, Pierre Ballard, 1639, p. 79. Marin Mersenne, Harmonie universelle, Paris, Pierre Ballard, 1636, Livre Quatriesme, « De la composition de Musique », Proposition XXII, « Donner la maniere de Composer des Duos à simple Contre-point : ou l’on void la vraye intelligence des regles de la Composition », p. 262.

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Compositions des bons Maistres » 5. Il est d’ailleurs intéressant de remarquer que René Ouvrard ne conseillait pas davantage à ceux en charge de l’enseignement musical de recourir à des manuels pédagogiques, mais bien plutôt d’ouvrir simplement des livres de chœur pour inculquer à leurs pueri chori les bases de la musique : Quand on les [les enfants] voudra mettre dans les livres nous leur [les maîtres] conseillons de choisir par exemple des messes dont les chants soient naturels, comme celles de Cosset et de d’Helfer. Et pour garder de l’ordre en ce choix, après les leçons précédentes nous conseillons de prendre d’abord une messe par bécarre à la haute clef telle qu’est la messe d’Helfer intitulée Lætatus, & on en donnera toute la note à apprendre ; avant que de mettre à la lettre ; puis on en fera apprendre la lettre. Apres on prendra pour la basse clef, la messe de Cosset intitulée Exultate ; en suite on prendra les messes par bémol à la haute clef, Gaudeamus de Cosset ; & pour la basse clef, Eructavit du même 6.

À suivre Ouvrard, les enfants apprenaient tout d’abord à lire les différentes clés, en commençant par les « clés naturelles » (ut1, ut3, ut4, fa4), pour terminer avec les « hautes clés » (sol2, ut2, ut3 et fa3) nécessaires à la notation des chiavettes. Ensuite, les enfants apprenaient à déchiffrer les divers signes utilisés pour transcrire les lignes mélodiques de la messe étudiée sans tenir compte des paroles de l’Ordinarium missæ. Ce n’est qu’après s’être familiarisés avec la musique, que les enfants pouvaient enfin chanter le texte liturgique. Cette méthode n’avait rien de révolutionnaire et se démarquait directement « des techniques scolaires au premier rang desquelles la division de la lecture en tâches successives » 7 : d’abord dire (solfier) le nom des notes, puis les chanter, enfin les joindre aux paroles qu’elles supportent 8. Du témoignage de René Ouvrard, il ressort que les livres de chœur conservant ces messes polyphoniques n’étaient pas uniquement réservés à rehausser de musique les célébrations des dimanches et fêtes, mais servaient naturellement de support pédagogique pour apprendre les bases du solfège, sinon l’art de la composition, et plus particulièrement celui de la mise en musique de l’Ordinarium missæ. Ainsi avons-nous déjà montré que la Missa Gaudeamus omnes de François Cosset (de Notre-Dame de Reims), qui connut pas moins de quatre éditions entre 1649 et 1725, était un parfait outil pour enseigner ces différentes matières théoriques 9. Les livres de chœur étaient en effet régulièrement fréquentés par les pueri chori qui, à l’instar de tout écolier,

5. 6. 7. 8. 9.

Ibid., Proposition XXIII, « Monstrer que l’on peut user de Dissonances dans les Duos à simple Contrepoint ; & la maniere de composer des Trios, ou des pieces de Musique à trois parties note contre note », p. 268. René Ouvrard, La Musique rétablie depuis son origine, Tours, Bibliothèque municipale, Ms. 822, f° 67, cité d’après Jean Duron, L’Œuvre de Sébastien de Brossard (1655-1730). Catalogue thématique, Versailles, Paris, Éditions du Centre de musique baroque de Versailles, Éditions Klincksieck, 1995, p. 315. Xavier Bisaro, « Une tradition en chantier : les méthodes de plain-chant ‘nouvelles et faciles’ sous l’Ancien Régime », Acta musicologica, LXXXVII (2015), p. 20. Ibid., p. 20-21. Jean-Paul C. Montagnier, The Polyphonic Mass in France, 1600-1780. The Evidence of the Printed Choirbooks, Cambridge, Cambridge University Press, 2017, p. 215-221.

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LA MESSE POLYPHONIQUE, OUTIL PÉDAGOGIQUE

n’hésitèrent pas à les griffonner à l’occasion afin de passer leur ennui. Ces gribouillages vont de la caricature d’un maître particulièrement soporifique ou peu psychologue, aux plaisanteries potaches et puériles 10. Comme autre preuve tangible de l’utilisation des livres de chœur dans l’enseignement technique, nous relèverons encore les chiffrages fantaisistes qu’un enfant crayonna au-dessus de la partie de bassus de la Missa Salva nos Christe de Claude Mielle (de la Sainte Chapelle de Bourges) : [S]

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Claude Mielle, Missa Salva nos Christe, Paris, Jean-Baptiste Christophe Ballard, 1736, p. 8-9 (fac-similé, BnF-musique, Vm1 3046, p. 9).

À l’évidence, la personne ayant inscrit ces chiffrages cherchait soit à faire un véritable exercice harmonique, soit à imiter, voire singer, le maître (ou un enfant déjà avancé dans ses études ?) sans avoir compris la signification des chiffres, soit encore à se moquer de son enseignant : aucun lien logique ne peut en effet être trouvé entre la ligne de basse notée et les chiffrages qui lui ont été ajoutés. Autrement dit, il est impossible de réaliser ce chiffrage sans enfreindre les règles les plus élémentaires du contrepoint et de l’harmonie. De même, si l’espèce de cantus firmus inscrit au bas d’une page d’un exemplaire de la Missa Laudate pueri Dominum de Pierre Hugard (de Notre-Dame de Paris) peut sembler de prime abord plus cohérent, les intervalles mélodiques de neuvième et de septième, ainsi que l’emplacement des barres de mesure laissent songeur.

10.

Ibid., p. 61-65.

383

JEAN-PAUL C. MONTAGNIER

Pierre Hugard, Missa Laudate pueri Dominum, Paris, Jean-Baptiste Christophe Ballard, 1744, BnF-musique, Vm1 3044, p. 11.

Ce cantus peut-il vraiment servir de support à un exercice de contrepoint ? est-ce le fruit d’une explication technique du maître à l’élève ? est-ce le résultat d’une analyse mélodique ? Là encore, le doute est permis. Toutefois, ces indices confirment indubitablement que les livres de chœur étaient employés comme manuels pédagogiques lors de leçons théoriques dispensées dans la salle d’étude par un maître plus ou moins compétent. Outre leur intérêt pour initier les enfants aux arcanes du solfège, les livres de chœur, de par leur nature intrinsèque, étaient très commodes pour inculquer aux plus avancés en âge la façon de mettre en partition les diverses voix de la polyphonie et ainsi les sensibiliser à l’écriture vocale et à la prosodie latine. C’est à force de « partisser » (Mersenne dixit) 11 ces livres de chœur et de chanter les messes ainsi publiées que les enfants s’imprégnèrent progressivement d’un langage musical commun à toutes les maîtrises du royaume et devinrent à même de rédiger leur propre missa en respectant ce langage universel. Nombreux en effet furent les spés qui eurent l’heur de présenter leurs œuvres au cours de célébrations religieuses et ainsi recevoir l’agrément et les encouragements des chanoines. *** 11.

Mersenne, op. cit., voir note 5.

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LA MESSE POLYPHONIQUE, OUTIL PÉDAGOGIQUE

Tout pédagogue sait que pour enseigner la composition, il faut imposer un cadre et des règles précises à l’élève pour le guider et stimuler son imagination, afin de « faire du beau » malgré les contraintes, et d’apprendre à les transgresser occasionnellement sans choquer l’auditeur 12. La messe polyphonique avait un rôle précis à remplir lors du déroulement de la célébration : la musique de l’Ordinarium missæ était d’abord fonctionnelle avant d’être décorative. En conséquence, mettre ce texte en polyphonie, c’était se confronter à nombre d’impératifs et de prescriptions plus ou moins tacites. L’œuvre devait durer idéalement une vingtaine de minutes et ne pas dépasser la demiheure. Chacun de ses cinq mouvements (Kyrie, Gloria, Credo, Sanctus, Agnus Dei) devait obéir à une forme particulière, dictée par la liturgie et le texte lui-même. Bien que ces formes aient connu de rares variantes dans le corpus conservé 13, elles peuvent être schématisées simplement de la manière suivante : - Kyrie : forme ternaire A-B-C (Kyrie 1/Christe/Kyrie 2) - Gloria : forme binaire A-B (Et in terra pax/Qui tollis peccata mundi) - Credo : forme « accumulative » A-B-C-D (Patrem/Et incarnatus est/Crucifixus/Et in spiritum) à partir de ca 1642 ; A-B-C-D-E (Patrem / Et incarnatus est / Crucifixus / Et resurrexit / Et in spiritum) à compter de ca 1699. - Sanctus : forme ternaire avec da capo A-B-C-da capo B (Sanctus/Osanna/Benedictus/da capo Osanna) - Agnus Dei : forme unitaire AA (Agnus Dei… miserere nobis/Agnus Dei… dona nobis pacem) 14.

De plus, la tradition imposait des allégements de texture sur certains versets, comme le Christe, le Crucifixus, le Pleni sunt cæli ou le Benedictus. Ainsi, dans le cadre d’une missa quatuor vocum (le cas le plus répandu au XVIIIe siècle), ces versets étaient parfois chantés par les trois pupitres aigus uniquement, sans la partie de bassus. Enfin, les mots accompagnant les attitudes les plus ostensibles du célébrant, comme l’inclination profonde à Adoramus te, Jesu Christe, Jesum Christum, Et incarnatus est, simul adoratur, etc., exigeaient une écriture étale en homorythmie et des sonorités consonantes afin d’associer la musique aux gestes liturgiques. En somme, aborder le genre de la messe polyphonique, c’était accepter de se conformer à un grand nombre de codes et de contraintes édictés par des siècles de tradition. Ces codes et contraintes servaient de garde-fou salutaire à l’apprenti-compositeur qui était ainsi guidé presque pas à pas dans la rédaction de son œuvre. Autrement dit, jeter sur le papier une messe polyphonique, c’était apprendre à gérer le temps de la musique en proportion du déroulement liturgique, c’était se soumettre aux habitudes ancestrales pour mieux s’en affranchir dans les « passages libres », où aucune prescription venait contraindre l’invention musicale, c’était aussi tenter de se démarquer – ou non – des modèles de ses devanciers. In fine, l’imagination de l’élève ne pouvait que s’en trouver mieux stimulée. 12. 13. 14.

Parran, op. cit., p. 81 : « il n’y a reigle si generale, qu’elle n’aye quelque exception ». Voir notre ouvrage The Polyphonic Mass in France, op. cit., p. 178-185. La reprise du second verset (Agnus Dei… dona nobis pacem) n’était généralement pas notée.

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Dans son Essai sur la musique, André-Ernest-Modeste Grétry détaille une méthode empirique, « en mosaïque », pour écrire de la musique, méthode qui correspond parfaitement à la façon dont un auteur de messe polyphonique pouvait appréhender – sciemment ou non – ce genre séculaire. Relisons Grétry : J’avois même composé un motet en chœur à quatre parties, & une fugue instrumentale, aussi à quatre parties : je m’y étois pris d’une manière si nouvelle pour faire ces deux morceaux qu’un habile maître n’auroit pas désavoués, que je dois les [recte : la] rapporter, ne fût-ce que pour prouver combien l’émulation donne de courage & rend ingénieux. [Pour composer le motet,] Je suivis un autre procédé. J’avois environ cent motets en chœur, imprimés avec les parties séparées. Je m’emparai d’abord de la basse chantante des cent motets, & en les parcourant, je pris tantôt une phrase, tantôt une demi-phrase, selon que mes paroles l’exigeoient. Transposer les tons, ajouter ou diminuer un tems dans une mesure, n’étoit rien pour ma patience : j’avois soin d’écrire sur un papier à part la page & la ligne où j’avois pris cette basse, après quoi, je feuilletai chaque cahier pour y prendre les parties ; si la haute-contre sortoit de son diapason, je savois bien l’échanger avec la taille : enfin le motet fut fait, fut trouvé harmonieux, & ne fut pas reconnu. […] Ma conscience me reprochoit cependant cette manière de composer en mosaïque 15.

Le compositeur, ou l’apprenti-compositeur, désireux de rédiger sa propre missa n’avait pas nécessairement besoin de feuilleter quantité de cahiers pour recueillir ici et là des phrases musicales pour les coudre ensemble : grâce au chant régulier et à l’étude des messes polyphoniques disponibles en livre de chœur, sa mémoire était déjà farcie de formules, de combinaisons contrapuntiques et de motifs variés qu’il pouvait réinvestir plus ou moins machinalement dans son ouvrage. De fait, c’est finalement cette méthode empirique basée sur la mémoire et la pratique quotidienne qui justifie la grande homogénéité des messes publiées par Ballard et alii depuis le début du XVIIe siècle. Toutefois, cette « manière de composer en mosaïque » n’était peut-être pas aussi originale qu’elle n’y paraît : elle faisait écho à la façon dont on enseignait les humanités dans les collèges jésuites des XVIIe et XVIIIe siècles. Ainsi, dans ses ouvrages de référence, De ratione discendi et docendi (1697) et Candidatus rhetoricæ (1712), le père Joseph de Jouvancy reprit à son compte la méthode d’apprentissage utilisée par les intellectuels-pédagogues de l’Antiquité et de la Renaissance, méthode fondée sur l’imitation des bons auteurs 16 : « Tout style se forme par la lecture, l’exercice et l’imitation. […] Il faut lire beaucoup, longtemps et avec soin les bons auteurs, en pesant ce qu’ils disent, en examinant le but qu’ils poursuivent, en observant comment ils s’expriment » 17. Le rhéteur poursuivait : 15. 16. 17.

André-Ernest-Modeste Grétry, Mémoires ou Essai sur la musique, Paris, Liège, L’Auteur, Prault, F. J. Desoer, 1789, p. 32-35. Quintilien, Institution oratoire, traduction nouvelle par C. V. Ouizille, Paris, Panckoucke, 1829-1835, 6 tomes ; Livre X, tome 5 (1832), p. 73-89 (« De imitatione »). Joseph de Jouvancy, De ratione discendi & docendi, Paris, s.n., 1692, rééd. Paris, Jombert et Mongé, 1711. Nous citons d’après Joseph de Jouvancy, De la manière d’apprendre et d’enseigner (De ratione discendi et docendi), traduction par Henri Ferté, Paris, Librairie Hachette et Cie, 1892, p. 12.

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LA MESSE POLYPHONIQUE, OUTIL PÉDAGOGIQUE

On peut encore apprendre un beau passage de Cicéron, l’appliquer à un sujet semblable, ou même contraire, en se servant des mêmes figures, des mêmes périodes, des mêmes transitions, des mêmes liaisons, en suivant enfin, pas à pas, les traces de Cicéron, en n’en changeant seulement que les mots et les idées. […] On prendra une figure, un raisonnement, un lieu commun oratoire tiré de Cicéron, et sur ce modèle on traitera un sujet semblable ou différent 18.

Transposé dans l’art des sons, l’élève-compositeur de messes polyphoniques était invité à appliquer à l’Ordinarium missæ (le « sujet semblable ») les mêmes artifices musicaux (figures, périodes, transitions, liaisons) que son modèle, « en n’en changeant seulement » que tel ou tel paramètre (rythme, métrique, hauteur, harmonie). En somme, la mise en musique linéaire des versets de l’Ordinaire, comme le démontre l’analyse présentée ci-dessous, revenait à « emboîter des éléments simples pour en constituer des éléments de plus en plus complexes » 19. La valeur de l’élève reposait alors sur sa capacité à dépasser son modèle pour en extraire des idées neuves 20, puisque, pour reprendre Quintilien, « imitatio per se ipsa non sufficit » 21. *** La Missa Laudate pueri Dominum de Pierre Hugard, imprimée en 1744 alors que son auteur avait à peine dix-huit ans 22, offre une parfaite illustration de « cette manière de composer en mosaïque ». En tant que senior puer de la cathédrale Notre-Dame de Paris, Hugard chantait depuis une bonne dizaine d’années les messes en livre de chœur, en particulier les plus récentes imprimées par Jean-Baptiste-Christophe Ballard et vraisemblablement celle de Jean-François Lallouette, maître de musique à la Métropole parisienne de 1700 à sa mort en 1728. Il en connaissait donc parfaitement leurs codes, leur langage musical et leurs caractéristiques. Sa Missa fut probablement le chef-d’œuvre de fin de cursus présenté au maître Louis Homet avant de quitter la maîtrise 23. Cette messe dure environ vingt-cinq minutes et laisse filtrer divers emprunts – parfois même des larcins à peine voilés – à ses prédécesseurs ayant contribué à la prestigieuse série des Ballard. Nous avons déjà eu l’occasion de montrer que le début

18. 19. 20. 21. 22.

23.

Id., p. 14, 30. Sur l’imitation des bons modèles, voir encore Joseph de Jouvancy, Candidatus rhetoricæ, Paris, Jean Barbou, 1712, et L’Élève de rhétorique (Candidatus rhetoricæ), traduction par Henri Ferté, Paris, Librairie Hachette et Cie, 1892, p. 6, 16. Jean-Claude Chevalier, « La pédagogie des collèges jésuites », Littérature, 7 (1972), p. 126. Henri Weber, La Création poétique au XVI e siècle en France de Maurice Scève à Agrippa d’Aubigné, Paris, Librairie Nizet, 1955, p. 121. Quintilien, op. cit., p. 74. Un enfant de chœur quittait généralement la maîtrise vers 17-18 ans. Ainsi, le 1er décembre 1734, le jeune Antoine Martin obtint son congé « pour sortir de la maitrise [de la collégiale Saint-Hippolyte de Poligny] ou il est actuellement en qualité d’enfant de chœur a raison qu’il a dix sept ans commencé » ; voir Archives départementales du Jura, Livre de deliberation 1733 a 1765, 12 Gp 69, f. 13. Voir Jean-Paul C. Montagnier, « La messe polyphonique à la cathédrale Notre-Dame de Paris d’Innocent Boutry à Pierre Hugard : styles et traditions », Biblioteca della Rivista di Storia e Letteratura Religiosa, Studi 30 (La Musique d’Église et ses cadres de création dans la France d’Ancien Régime, éd. Cécile Davy-Rigaux), Florence, Leo S. Olschki Editore, 2014, p. 195-213.

387

JEAN-PAUL C. MONTAGNIER

du Credo de Hugard (« Patrem omnipotentem… et invisibilium ») est directement modelé sur celui de la Missa Ad majorem Dei gloriam (1699) de Campra (alors à NotreDame de Paris) et de la Missa Salva nos Christe (1736) de Claude Mielle 24, tandis que sa mise en musique du « Cum sancto Spiritu » donne lieu à une section fuguée au développement motivique remarquable 25, apparentée à celle de la Missa Quis ut Deus (1743) de Louis-Joseph Marchand (de Saint-Maxe de Bar-le-Duc) 26 et, de manière plus lointaine, à celle de la Missa Dico ego opera mea regi (1743) d’Henry Madin (alors à la Chapelle royale) 27. Le verset « Et incarnatus est » (mes. 61-77), quant à lui, renvoie assez nettement à celui de la Missa Veritas (éd. posthume, 1744 ; mes. 54-64) de JeanFrançois Lallouette. Un examen attentif du Gloria révèle que seuls quatre courts versets paraissent librement inventés, la mise en musique des autres ayant été indubitablement décalquée plus ou moins directement d’un ou de plusieurs modèles préexistants. Pierre Hugard, Missa Laudate pueri Dominum : emprunts et influences relevés dans le Gloria.

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*Benedicimus te

14-16

Adoramus te

17-19

22-24

Glorificamus te

20-22

[24-26]

Gratias agimus…

22-33

Domine Deus rex…

33-40

*Domine Fili…

40-46

Domine Deus agnus… (bis)

47-53

*Qui tollis… miserere Qui tollis… suscipe

59-64

*Qui sedes…

70-74

53-59

64-70

Quoniam tu solus…

74-83

Cum sancto Spiritu…

83-155

[7-10]

118-120 [124-130 ?]

27-34 [54-61] 45-51

[61-68] 206-208 fugato

fugato

102-155

230-231

240-242

Numéros de mesure entre crochets carrés : réminiscence possible. Astérisque (*) : verset sans modèle identifié.

24. 25. 26. 27.

Montagnier, The Polyphonic Mass in France, op. cit., p. 226-228. Voir Jean Duron, « La composition de musique en France au XVIIe et XVIIIe siècles. Les premiers pas », La Première Œuvre. Arts et musique XV e-XXI e siècles, éd. Vincent Cotro, Véronique Meyer et Marie-Luce PujalteFraysse, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2014, p. 134-135. Louis-Joseph Marchand, Missa Quis ut Deus ?, Paris, Jean-Baptiste-Christophe Ballard, 1743. Montagnier, « La messe polyphonique à la cathédrale Notre-Dame de Paris », op. cit., p. 206 (exemples, p. 207-209).

388

LA MESSE POLYPHONIQUE, OUTIL PÉDAGOGIQUE

À titre d’exemple, observons le verset « Et in terra pax hominibus bonæ voluntatis ». Afin d’accompagner l’inclination du prêtre, Hugard choisit de reproduire la texture verticale de la missa de Marchand : Y

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Pierre Hugard, Missa Laudate pueri Dominum, Paris, Jean-Baptiste-Christophe Ballard, 1744, p. 8-9.

À l’instar de Grétry, il transposa son modèle de sol mineur à la quinte inférieure, ut mineur, mais en conserva la métrique alla breve, l’ossature harmonique générale et l’énonciation rythmique globale du texte. Le verset de Hugard se distingue cependant légèrement de celui du maître barrois par la conduite mélodique et le débit plus bousculé de « bonæ voluntatis ». Ces larcins ne s’arrêtent pas aux seuls dessins mélodiques ou combinaisons contrapuntiques 28 : Hugard sait aussi s’inspirer de l’économie formelle de ses aînés. Ainsi, dans son premier Kyrie, emprunte-t-il à Campra l’idée de retarder le plus possible la

28.

Ces emprunts sont légion. Mentionnons, en guise d’ultime exemple, le « Et resurrexit » (Credo, mes. 118123) qui fait écho à celui de Madin (Missa Vivat rex, Credo, mes. 393-395) et de Marchand (Missa Quis ut Deus, Credo, mes. 102-105).

389

JEAN-PAUL C. MONTAGNIER

première cadence parfaite, dans le but de ne pas briser l’élan contrapuntique par une ponctuation harmonique trop marquée : il faut en effet attendre les mesures 17-18 pour entendre cette cadence conclusive (chez Campra, elle n’arrive qu’aux mesures 20-21). Bien que le caractère dansant du second Kyrie de Hugard soit totalement différent de celui – solennel – du vieux maître, le jeune auteur y suit son illustre aîné en divisant sa partition en quatre phrases selon un parcours tonal très rationnel. Comparaison de la forme du second Kyrie de la Missa Ad majorem Dei gloriam de Campra et de celui de la Missa Laudate pueri Dominum de Hugard. CAMPRA, Missa Ad majorem Dei gloriam

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HUGARD, Missa Laudate pueri Dominum

Pareillement, dans le Gloria et le Credo de la Missa Laudate pueri Dominum, les cadences parfaites apparaissent aux mêmes endroits que dans la messe de Marchand et, en un moindre degré, que dans la Missa Ad majorem Dei gloriam. Ceci n’est pas pour surprendre puisque Campra a grandement contribué à imposer une approche verset par verset de l’Ordinarium missæ, estompant de la sorte la division traditionnelle en plages plus vastes schématisée ci-dessus. La construction musicale à grande échelle n’étant pas toujours chose aisée pour l’apprenti-compositeur, cette approche linéaire du texte devait certainement lui faciliter la tâche : il n’avait qu’à se laisser guider par l’enchaînement des versets et à se concentrer davantage sur les moyens de traduire en sons les affects véhiculés par les mots. Il ressort de ces observations que si la Missa Laudate pueri Dominum est une œuvre originale, élégante et parfaitement maîtrisée, elle demeure grandement redevable aux messes diffusées dans la prestigieuse série des Ballard, notamment à la Missa Quis ut Deus de Louis-Joseph Marchand, publiée un an avant celle de Hugard. Ce choix de puiser son inspiration dans cette messe fut peut-être motivé par la fréquentation assidue, en tant qu’élève, du Traité du contrepoint simple ou chant sur le livre que ledit Marchand avait livré aux presses en 1739. La Missa de Hugard témoigne encore de la façon dont les auteurs des messes publiées en livre de chœur étaient inconsciemment imprégnés de leur langage particulier, les conduisant certainement à concevoir partiellement « en mosaïque » leurs propres mises en musique de l’Ordinarium missæ. *** En corollaire à cette enquête, il convient de remarquer que les messes publiées en livre de chœur aux XVIIe et XVIIIe siècles figuraient parmi les rares pages chorales à être conçues – ou du moins diffusées comme telles dans tout le royaume – pour un

390

LA MESSE POLYPHONIQUE, OUTIL PÉDAGOGIQUE

ensemble vocal a cappella, sans basse instrumentale notée 29. Ce type de mise en musique de l’Ordinaire permettait donc aux apprentis-compositeurs, et aux maîtres eux-mêmes, de peaufiner leur capacité à manier le contrepoint purement vocal et à combiner les diverses tessitures sans aucun autre artifice. D’ailleurs pouvons-nous peut-être considérer que la plupart des épaves manuscrites de pièces polyphoniques qui nous sont parvenues sans mention d’instruments et sans paroles spécifiques puissent volontiers être extraites de messes a cappella, notamment celles à quatre parties 30. Prenons-en à témoin deux esquisses laissées par Sébastien de Brossard. Il peut paraître curieux que cet auteur connu et respecté en son temps, ayant des contacts solides avec les Ballard, conservant de nombreuses messes en livre de chœur dans sa bibliothèque, et arrangeur d’un grand nombre d’entre elles, ne se soit pas confronté au moins une fois avec le genre de la messe polyphonique. Il ressort toutefois de l’examen attentif des esquisses 22d et e 31 que celles-ci pourraient bien être en lien avec le premier Kyrie et le Christe d’une missa en sol mineur avortée, que Brossard aurait tenté de jeter sur le papier à la suite de ses arrangements de certaines messes d’André Campra, Louis Chein (de la Sainte Chapelle de Paris), Charles d’Helfer (de Saint-Gervais-et-Saint-Protais de Soissons) et Jean Mignon (de Notre-Dame de Paris). L’allure générale de l’esquisse 22d évoque notamment celle du premier Kyrie de la Missa Deliciæ regum (1664) de d’Helfer, du second Kyrie de la Missa Ad majorem Dei gloriam de Campra, et du Kyrie de la Missa Lætitia sempiterna (1707) de Mignon.

Sébastien de Brossard, esquisse 22 d, e, f, BnF-musique, Vm1 925, f° 10 (folioté 62v). Les paroles proposées en italiques ne figurent pas dans la source.

29. 30.

31.

Si le maître de musique souhaitait adjoindre une basse instrumentale à son dispositif vocal, il pouvait déduire cette dernière à partir de la plus grave des parties chantées, selon le principe de la basso sequente. Voir Montagnier, The Polyphonic Mass in France, op. cit., p. 39-42. Dans la France du XVIIe siècle, les pages vocales sans basse continue notée sont plus volontiers à cinq parties, comme le suggère par exemple la lecture du Recueil Deslauriers, BnF-musique, Rés. Vma ms 571. Voir Peter Bennett, Sacred Repertories in Paris under Louis XIII. Paris, Bibliothèque nationale de France, MS Vma rés. 571, Farnham, Ashgate, 2009, p. 174-195 (Appendix 2). Duron, L’Œuvre de Sébastien de Brossard, op. cit., p. 420-421. Ces esquisses sont conservées dans la copie manuscrite (BnF-musique, Vm1 925) que Brossard fit de la messe « Gaudete In D.no semper [Jean] Mignon./ n°. VIII ».

391

JEAN-PAUL C. MONTAGNIER



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LA MESSE POLYPHONIQUE, OUTIL PÉDAGOGIQUE

Les quatre pièces utilisent les mêmes rythmes pointés et un contrepoint en notecontre-note. Si d’Helfer introduit rapidement quelques décalages discrets entre les voix (à la manière de Lassus), Brossard, Campra et Mignon en revanche conservent l’homorythmie générale jusqu’au bout. En outre, l’esquisse 22d obéit à un plan tonal rigoureux, proche de celui de Campra et surtout de celui de Mignon, allant du ton principal (sol mineur) au relatif majeur (si bémol), avant de revenir à la tonique par le biais d’une marche harmonique. Quant à l’économie de l’esquisse 22e, et en dépit des ratures du bassus, elle est comparable à celle du Christe de la Missa Joannes est nomen ejus (1682) de Mignon, ou bien à celle du Christe de la Missa Pulchra ut luna (1689) de Chein (voir ci-dessous). Comme dans la partition de Mignon, l’esquisse 22e (Christe ?) requiert un pupitre de moins que l’esquisse 22d (Kyrie ?), obéissant ainsi à la tradition d’alléger la texture du Christe par rapport à celle des deux Kyrie qui l’encadrent. De plus, cette esquisse 22e exploite un tissu polyphonique en imitation très proche de celui observé dans le Christe de Mignon et de Chein 32. Enfin, l’élan initial du motif mélodique principal de Brossard ressemble à celui de Chein. S’il ne nous a pas été permis de trouver un modèle convaincant pour l’esquisse 22g, lui aussi en sol mineur, il n’est pas impossible que cette dernière ait pu être destinée soit au verset « Et in terra pax hominibus » du Gloria, soit au verset « cujus regni non erit finis » du Credo. Somme toute, si notre intuition s’avérait être la bonne, nous aurions un indice tangible que Brossard ait un temps caressé le projet d’une messe polyphonique à quatre voix en sol mineur, mais que, pour des raisons inconnues, il dut y renoncer. Nous ne pouvons cependant pas non plus écarter la possibilité que ces esquisses aient été des exercices ou des corrigés d’exercices destinés à des élèves en composition. Quelle que soit l’hypothèse retenue, ces fragments attestent d’une méthode d’écriture fondée sur l’imitation plus ou moins fidèle d’un modèle donné, voire d’une « manière de composer en mosaïque », sans que celui qui s’y adonne en ait toujours pleinement conscience 33.

32. 33.

L’allure générale de l’esquisse 22e peut encore être rapprochée de celle du Christe de la Missa Gaudete in Domino semper (éd. 1678 ; mes. 11-22) de Mignon. Peut-être que Brossard, s’apercevant de ses emprunts, fut plus scrupuleux que Grétry et décida d’abandonner ses esquisses composées « en mosaïque ».

393

JEAN-PAUL C. MONTAGNIER

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*** Les messes polyphoniques en livre de chœur étaient omniprésentes dans la vie musicale des maîtrises d’Ancien Régime. Utilisés lors des dimanches et fêtes, ces livres étaient un outil pédagogique incontournable pour instruire les pueri chori dans l’art musical et la composition, sinon encore pour leur inculquer certaines vérités théologiques comme le laisse entendre l’inscription portée en tête du Gloria de la Missa Brevis

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LA MESSE POLYPHONIQUE, OUTIL PÉDAGOGIQUE

oratio de Nicolas Métru (organiste de Saint-Nicolas-des-Champs à Paris et maître de chapelle des Jésuites) : « Dieu est bon et le demon est mauvais tout a fait » 34. C’étaient encore un stimulant non négligeable pour les maîtres de musique – débutants comme Pierre Hugard, ou confirmés comme Sébastien de Brossard – en quête d’inspiration pour travailler sur le texte de l’Ordinarium missæ. Tous, enfants de chœur, maîtres et choristes, chantaient et étudiaient régulièrement les œuvres contenues dans ces livres de chœur. Il n’est donc pas étonnant que tous aient machinalement mémorisé des gestes mélodiques, harmoniques et contrapuntiques qui, le moment venu, passèrent spontanément dans leurs propres compositions sur le texte de l’Ordinaire. Voilà possiblement l’une des raisons pour lesquelles le style des messes a cappella diffusées en France en livre de chœur resta aussi homogène jusqu’à la fin de l’Ancien Régime. C’était nourris de messes polyphoniques et de plains-chants que les musiciens d’église abordaient l’acte de création : pour eux, cette « manière de composer en mosaïque » leur était naturelle et instinctive ; pour Grétry, c’était un acte volontaire et conscient.

34.

Ajout manuscrit dans Nicolas Métru, Missa Brevis oratio, Paris, Robert Ballard, 1662-1663, BnF-musique, Rés. Vma 130, f° 2v.

395

CONCLUSION

CONCLUSION

MAÎTRE DE MUSIQUE, UNE FONCTION AU PROFIL MOUVANT Bernard HOURS

Bien loin de faciliter la tâche à qui voudrait, à partir d’une cohorte probable de 200 à 300 individus en France, dresser un idéal-type du maître de musique, les chapitres qui composent ce livre invitent à la nuance et à la prudence. Au-delà d’un consensus autour du triptyque « enseigner, diriger, composer », force est de reconnaître que la caractérisation du maître de musique se dilue dans une diversité qui l’enrichit en retour. Les analyses les plus globales se fondent désormais principalement sur les données de la base MUSÉFREM, souvent citée dans l’ouvrage. En raison du corpus principalement retenu au départ pour sa constitution, elle circonscrit la recherche sur les maîtres de musique à ceux qui étaient au service de chapitres cathédraux ou collégiaux. Mais nous en voyons aussi qui officient en paroisse à Paris, aux Saints-Innocents. Certains couvents ou monastères ont pu aussi en employer, et c’est probablement le seul espace où des femmes ont pu exercer la fonction, dans des conditions évidemment spécifiques. Des maîtres de musique reçoivent également des commandes de la part de communautés religieuses et composent pour elles offices, motets ou cantiques. Une première incertitude concerne leur dénomination. Dans les contrats d’embauche, « maître de musique » voisine selon une fréquence presque égale avec « maître des enfants », et beaucoup plus rarement avec « maître de chapelle », appellation familière en Allemagne ou en Italie par exemple, plus rarement encore « moderator » comme à la collégiale Saint-Martin de Tours. Tout juste peut-on suggérer que les chapitres qui emploient des « maîtres de musique » ont une vie musicale plus importante, sans que cela suffise à identifier des fonctions différentes. Le risque de confusion est renforcé lorsque l’on sait que, du côté des concerts publics et autres Académies de musique qui fleurissent au début du XVIIIe siècle, le titre désigne d’abord un musicien chargé d’enseigner la musique ou d’en diriger l’exécution, pas un compositeur. Il n’englobe jamais la diversité des tâches d’un maître de musique d’Église. On voit se dessiner, au fil du livre, quelques profils de carrière. Les maîtrises ou psallettes – ici encore règne un certain flottement dans la terminologie – étant jusqu’au XVIIIe siècle et hormis les maîtres particuliers, les seuls lieux où l’on puisse recevoir

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une éducation musicale, tous nos maîtres de musique ont commencé par là. Or, la formation dispensée doit répondre aux attentes de l’institution. Et même si l’on peut supposer, malgré le déficit d’information à ce sujet, qu’elle n’est pas exactement organisée de la même manière partout, la convergence des attentes a dû favoriser une certaine homogénéité. Mais cela ne signifie pas que cette formation initiale soit exclusive ou qu’elle mène directement à la fonction de maître de musique. Ainsi, on découvre tel maître recruté à l’issue d’études de théologie ou de philosophie, tel autre à la fois musicien et séminariste avant d’accéder à la maîtrise. Il n’en reste pas moins que l’on entre jeune dans la fonction : dans plus de la moitié des cas, entre dix-huit et vingt-cinq ans. Et ce constat tendrait à faire penser qu’il s’agit d’un parcours spécifique et non de l’aboutissement d’une carrière de musicien. Encore faut-il apporter deux nuances en rappelant d’une part que les petites maîtrises forment surtout des musiciens dont une minorité accède à la fonction de maître de musique et souvent sur le tard, d’autre part que nombre d’entre eux ont d’abord tenu un emploi de musicien avant d’accéder à la maîtrise. La question du recrutement des maîtres de musique a été examinée ici surtout sous deux angles : ses modalités et la mobilité. En France, le recrutement est d’abord le fait des chapitres. Un regard porté sur la Sicile orientale nous rappelle qu’ailleurs, en raison de la diversification des sources de financement, d’autres instances peuvent intervenir, en l’occurrence les autorités municipales sous le contrôle plus ou moins direct de la vice-royauté. La procédure du concours, relativement simple (le chapitre soumet au candidat les paroles sur lesquelles il doit proposer une composition), n’est pas un hapax dans la France de la deuxième modernité où ce mode de sélection se développe dans des secteurs bien différents : des ingénieurs d’État jusqu’aux cures paroissiales en passant par l’agrégation mise en place au moment de l’expulsion des Jésuites en 1762. Tout en contribuant à la professionnalisation et à la spécialisation du métier puisqu’il valorise d’abord la compétence musicale, le concours n’exclut pas la voie informelle de l’interconnaissance et de la recommandation, qui combine selon des dosages variables la compétence, la réputation et la faveur. Les chapitres cathédraux du Nord de la France recrutent de préférence d’anciens enfants de chœur issus de diocèses de la région. Certains maîtres de musique ont acquis une telle réputation qu’ils sont consultés parfois d’assez loin sur des recrutements en cours, à l’image de Guilleminot-Dugué à la fin du XVIIIe siècle que l’on sollicite depuis Bourges jusqu’à Noyon, et depuis Saint-Malo jusqu’à Châlons-en-Champagne ou encore de Brossard au début du siècle, duquel on conserve l’évaluation de quatre candidats au poste d’Évreux. Quant à la mobilité, malgré les difficultés que l’on a souvent à reconstituer les débuts de carrière, le constat d’une diversité des profils s’impose. Certains, peut-être les plus nombreux, vont commencer par « vicarier » de collégiale en cathédrale au gré de prestations occasionnelles. On ne reste guère plus de six ans dans le premier poste puis l’on en brigue un autre, lorsque - et c’est le cas pour le tiers du groupe analysé à partir de la base MUSÉFREM – on ne (re)prend pas simplement une place de musicien,

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CONCLUSION

parfois plus rémunératrice. La mobilité des maîtres de petites collégiales est également plus fréquente que celle des maîtres exerçant dans des institutions plus prestigieuses. Sans doute n’en va-t-il pas de même selon que l’on est clerc ou laïc. Dans le premier cas, il arrive que le maître soit aussi un prébendier du chapitre. Sa rémunération principale – peut-être unique – lui vient de son bénéfice : d’une part il est probablement moins aisé de permuter un bénéfice que de signer un nouveau contrat auprès d’une autre institution, d’autre part l’acquisition d’une prébende ou d’une semi-prébende marque souvent l’arrêt de la mobilité. Enfin, cette dernière ne doit pas être surestimée aussi bien dans le temps que dans l’espace. Un maître de musique exerce en moyenne dans deux à trois maîtrises au cours de sa carrière. La majorité des maîtres exercent en 1790 dans le voisinage de leur paroisse d’origine ou de leur lieu de formation. On retrouve la même situation en Sicile orientale, où le maître de chapelle est issu du vivier local. Mais la sédentarité a aussi ses attraits : à Toulouse, les maîtres de musique de la cathédrale et de Saint-Sernin restent en place respectivement de 1746 à 1793 et de 1745 à 1789. La diversité des profils de carrière résulte peut-être, dans un certain nombre de cas, d’une plus ou moins grande spécialisation du maître de musique, selon qu’il se considère avant tout comme musicien/compositeur ou qu’il prenne en compte toutes les dimensions possibles de la fonction. Avant même de préciser ce point, il convient peut-être, pour mieux comprendre leur carrière, de prendre en compte également la diversité de leur statut, clérical ou laïc. Les contributions à ce livre multiplient les exemples de maîtres ecclésiastiques, chanoines ou semi-prébendiers dans le chapitre où ils exercent. On est donc tenté de penser que la majorité des maîtres de musique étaient des clercs, d’autant plus que l’idée prévaut assez largement encore que l’éducation des enfants entre naturellement dans la palette des fonctions non seulement ecclésiastiques, mais surtout sacerdotales. À Liège, la fonction est statutairement réservée à un clerc du chapitre. À Paris, les clercs forment presque les deux tiers du groupe. Et cette situation correspond à celle qui l’emporte dans l’ensemble du royaume : toutes catégories confondues, ils formeraient 57 % du groupe. N’oublions pas que leurs « patrons » sont des chanoines, qui pourraient rechigner à se soumettre à un laïc dans le cadre du cérémonial liturgique. De plus, l’attribution d’une semiprébende constitue le moyen le plus commode de rémunérer le maître qui, de ce fait même, ne peut pas être un laïc. Cependant, tel musicien de Chartres affirme en 1789 que « les neuf dixièmes d’entre eux ne sont point engagés dans les ordres ». Il y a une raison à cette apparente contradiction : un entre-deux, celui du maître de musique simple clerc tonsuré, autrement dit apte à être pourvu de bénéfices ecclésiastiques, mais qui a toute l’apparence – sinon le mode de vie – d’un vrai faux-laïc. Ils représenteraient plus des deux tiers des maîtres de musique appartenant au clergé. S’il n’y a donc pas laïcisation du métier à proprement parler, on peut émettre l’hypothèse que ce sont ces clercs de l’entre-deux qui l’emportent. Cette évolution n’est peut-être pas sans analogie avec celle que connaît l’Oratoire à la même époque, où les simples frères

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l’emportent désormais en nombre sur les prêtres. Or, dans les deux cas, ce statut ambigu sert de support à une professionnalisation croissante – à défaut d’être totalement achevée – de l’activité exercée. Cet entre-deux traduit peut-être une autre dimension, celle de la position sociale des maîtres de musique dans une société où les critères de classification sont avant tout le rang et l’honorabilité. Si les maîtres sont issus des maîtrises, c’est que, pour la plupart d’entre eux, ils n’appartiennent pas aux élites qui ont les moyens de procurer des cours de musique particuliers à leurs enfants. Ce raisonnement demanderait pourtant à être vérifié par une enquête approfondie, notamment dans les sources notariales et fiscales. L’honorabilité de la fonction demeurait tributaire du prestige de l’institution où officiait le maître de musique. Dans la reconnaissance dont bénéficiait ce dernier, intervenait certainement le succès de ses compositions, mais peut-être aussi sa réputation de pédagogue. De ces deux éléments, le dernier est le plus difficilement susceptible d’être évalué par l’historien. Reste un élément, les revenus, constitutifs aussi de l’attractivité de la fonction. Force est de constater la difficulté à donner une idée précise de sa rémunération. Les contrats d’engagement garantissent des gages qui semblent s’inscrire dans une fourchette de 300 à 800 livres, comparable aux contrats proposés par les concerts publics ou à des organistes, mais la rémunération de 800 livres a aussi été évoquée comme référence moyenne. Parfois la concurrence entre des institutions rivales peut expliquer des traitements plus confortables : le chapitre cathédral de Bordeaux verse 3 000 livres à son maître de musique à la fin du XVIIIe siècle, quand des collégiales de la ville proposent des rémunérations allant de 1 500 à 2 600 livres. Quelles qu’elles soient, ces sommes ne procurent pas le même pouvoir d’achat à la fin du siècle après une longue période de montée des prix, ou avant cette dernière. De même, elles ne procurent pas les mêmes capacités selon que l’on est clerc ou laïc marié avec charge de famille, ce que les chapitres n’apprécient guère en règle générale. De plus, le revenu total d’un maître de musique ne se réduit pas aux sommes fixées par les contrats. S’y ajoutent les gratifications occasionnelles en rapport notamment avec l’activité de composition ou les cérémonies exceptionnelles. Les émoluments fixes sont composés de revenus de natures diverses : gages, pensions, rentes, y compris des rentes foncières, sans oublier les revenus en nature, destinés à l’entretien des enfants de chœur. L’étude du niveau de vie des maîtres de musique serait à documenter à partir des sources notariées et des inventaires après décès. L’impression domine que la seule rémunération de la fonction de maître de musique ne suffit pas et qu’il doit être tentant – sinon nécessaire – pour eux d’améliorer l’ordinaire grâce à quelque activité musicale parallèle. L’environnement culturel peut offrir – ou non – au maître de musique, l’occasion de doubler sa fonction d’activités profanes, notamment au XVIIIe siècle avec le développement des Académies et concerts publics. La position du maître de musique, dans sa dimension de direction elle-même, est tributaire du contexte institutionnel et social dans lequel il exerce sa fonction. Rome

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constitue un cas exceptionnel, dans lequel, en raison de la présence de la cour pontificale, du nombre d’établissements religieux et des palais cardinalices, les cérémonies en musique sont une vitrine du prestige : ici le maître de musique devient un véritable impresario de spectacles musicaux. Pour revenir à des situations plus communes, si un chapitre peut ordinairement entretenir une petite dizaine d’enfants de chœur et autant de musiciens, le maître aura à diriger des formations plus importantes à l’occasion des cérémonies exceptionnelles pour lesquelles on recrute également des chanteurs et des musiciens extérieurs. L’enjeu essentiel est celui de son autonomie par rapport aux chanoines. Dans un chapitre puissant comme Saint-Lambert de Liège, il est sous l’autorité du chantre, le cantor, qui lui-même doit être capable de diriger le chœur. Mais cela ne signifie pas que le maître n’est pas une force de proposition, pour le recrutement de musiciens, pour l’enrichissement de la bibliothèque, etc. Il n’est pas automatique que son autonomie croisse en proportion inverse de la puissance du chapitre qui l’emploie : dans une petite structure, les chanoines seront peut-être plus facilement enclins à le juger trop dépensier. *** La profession repose sur une diversité de compétences et de missions qui peut selon les cas converger ou diverger. Dans l’idéal, le maître de musique devrait être à la fois un pédagogue et un musicien. Il faut encore prendre en compte deux missions du maître de musique : l’intendance de la maîtrise, peu étudiée ici et dont il est parfois déchargé, la gestion des bibliothèques musicales indispensables tant pour la formation que pour l’exécution, bibliothèques qu’il faut classer, organiser, accroître. Le maître de musique peut enfin remplir une fonction de consultant, notamment en matière liturgique : il est amené selon les cas à réviser les livres liturgiques existants ou à en composer de nouveaux. Cette dimension peu abordée ici doit être d’autant moins négligée que les réformes néo-gallicanes peuvent mettre en concurrence leur expertise avec celle des clercs. L’approche du livre privilégie la dimension musicale. C’est un effet du champ dans lequel il s’inscrit, à l’intersection de l’histoire et de la musicologie ; probablement un effet de source aussi. Mais à plusieurs reprises, nous rencontrons des maîtres qui allient les deux dimensions musicale et pédagogique sans difficulté apparente, tandis que d’autres les vivent comme un écartèlement, s’inscrivant ainsi dans le processus de professionnalisation du musicien comme artiste. Tout en restant dans le champ de la musicologie, vaut-il mieux parler de professionnalisation ou plutôt de la construction d’une expertise aux limites mouvantes ? Les études ici réunies esquissent une approche globale de l’éducation dispensée sous la responsabilité du maître de musique. Qu’il soit doublé d’un maître de grammaire ou non, et que les enfants apprennent ou non le latin à la maîtrise ou dans un collège voisin, l’objectif de l’enseignement non musical n’est pas de leur donner accès au cursus universitaire, mais de leur procurer seulement ce qui est nécessaire à leur état. En cela, les maîtrises ne diffèrent pas fondamentalement des petites écoles du

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temps. Ces dernières dispensent un enseignement profane mais visent d’abord à faire de bons chrétiens. Le chapitre cathédral de Rouen, dans les années 1660-1670, achète pour sa maîtrise plus de catéchismes que de grammaires. De la même manière, les contrats d’embauche stipulent que les enfants devront être éduqués à « la piété et vertu », qu’il faudra leur apprendre « à prier Dieu, les eslever en sa crainte, […] iceux instruire en la piété et bonnes mœurs, les tenir dans la modestie et la bienséance ». L’apprentissage de la musique et du plain-chant n’est le plus souvent évoqué que dans un second temps. Le règlement du chapitre de Notre-Dame de Paris de 1738 rappelle l’exigence de douceur et recommande au maître de se conduire comme un père. De tels conseils ne sont pas originaux. Ils émaillent déjà les règlements de diverses congrégations dédiées aux petites écoles, depuis L’Escole paroissiale de Jacques de Batencourt (1654) jusqu’à La Conduite des Écoles chrétiennes de Jean-Baptiste de La Salle éditée pour la première fois en 1720. Ils attestent la préoccupation éducative au moins du chapitre, sinon des maîtres de musique qui seront effectivement recrutés. Or, pour ceux qui se veulent d’abord musiciens, cette charge peut devenir si pesante – surtout si elle comprend l’intendance de la maîtrise – que certains préfèrent renoncer. Combien ont démissionné pour cette raison ? Aucune estimation n’est avancée ici. Mais on peut en revanche se demander si les maîtres de musique qui, perdant leur emploi à la Révolution, sont devenus maîtres d’école, n’étaient pas, eux au moins, déjà plus pédagogues que musiciens. Cette question du rapport du maître de musique à sa responsabilité éducative globale serait utilement éclairée si l’on en savait plus sur le personnel qui l’accompagne au quotidien, furtivement mentionné ici car peu documenté dans les sources : qu’en est-il exactement du maître de grammaire ? Quelle formation a-t-il ? Qui le recrute ? S’agit-il d’une simple étape dans une carrière ou d’un emploi plus enviable que celui de maître d’école ? Les domestiques du maître de musique sont-ils des auxiliaires d’éducation ? Quel rôle joue la parenté féminine que l’on repère parfois dans son entourage ? Le plain-chant constitue la formation de base dispensée au sein d’une maîtrise, formation très mal documentée sinon par quelques traités. Peu de maîtres de musique ont pris le temps et la peine d’en composer, ce qui peut être interprété de plusieurs manières : la méthode ne faisait-elle pas vraiment débat ? Les maîtres considéraientils cette part de leur travail comme peu gratifiante ? Ils n’en avaient pas le monopole : le maître d’école, souvent en même temps « clerc de paroisse » assumant au village en quelque sorte la fonction de chantre, pouvait aussi enseigner le plain-chant aux enfants. Ce rappel n’est pas anodin, car ils ne sont pas exceptionnels les maîtres d’école reconvertis en chantres de collégiale ou de cathédrale, ou cumulant parfois les fonctions dans des paroisses urbaines ou de petites collégiales. Un peu mieux documenté, l’apprentissage de la composition. Plusieurs contributions nous renseignent sur les supports utilisés à cette fin. Se trouvent notamment mis en valeur le rôle et l’importance des bibliothèques de maîtrises et précisé le type d’ouvrages qu’elles possèdent. L’apprentissage de la composition, en France contrairement

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CONCLUSION

à l’Italie, ne se fait pas, jusqu’au début du XVIIIe siècle, principalement sur des traités imprimés. Curieusement même, leurs rares auteurs ne sont pas majoritairement des maîtres de musique. Mais à partir des années 1720, on assiste à une multiplication très significative de ces ouvrages en même temps que l’édition musicale se développe en France. Néanmoins, les bibliothèques les plus fournies comprennent des traités d’auteurs étrangers, italiens ou allemands notamment. Les manuscrits jouent donc un rôle important, et parmi eux, les livres de chœur qui renferment l’ordinaire des maîtrises, c’est-à-dire les messes polyphoniques. Il faut voir dans ces livres le support pédagogique par excellence, qui porte l’apprentissage non seulement du chant, mais aussi de la composition, celle-ci consistant à reproduire les modèles appris avant de s’en démarquer par sa propre créativité. La messe polyphonique peut ainsi constituer le chefd’œuvre qui marque la fin de la formation, exécutée devant les chanoines. Les maîtrises constituent donc le principal lieu d’enseignement de la composition. Certaines jouent un rôle central comme, à Paris, celles de la Sainte Chapelle, de NotreDame ou de Saint-Germain-l’Auxerrois. Mais il est aussi en province, des maîtres talentueux, souvent mal connus, qui ont formé également des compositeurs de renom. Si les contrats demeurent le plus souvent assez imprécis sur ce que recouvre effectivement la direction du chœur et de la musique au-delà des occasions auxquelles le maître devra officier, ils le sont aussi sur la composition, se contentant au mieux de la seule injonction de laisser sur place les partitions des pièces qui auront été composées pendant la durée d’exercice. Si les destructions sont impossibles à quantifier, il est certain qu’elles ont été importantes à l’époque de la Révolution, par suite de la fermeture des maîtrises et de la suppression des chapitres. Mais quelques inventaires anciens témoignent de l’activité de composition des maîtres de musique bien que leurs œuvres soient perdues, toutes n’ayant pas bénéficié des heureuses circonstances qui ont permis de redécouvrir celles d’un Louis Grénon. Faut-il en conclure qu’ils ne ressentaient guère le souci que leur opus magnum leur survive ? Certes, la musique destinée aux maîtrises ne faisait guère l’objet d’impressions, contrairement aux usages en vigueur en Italie ou en Allemagne, il n’était cependant pas exceptionnel que des maîtres établissent des copies de leurs compositions allant parfois jusqu’à en former des collections ordonnées, voire de les inclure dans leurs dispositions testamentaires. *** L’évolution culturelle a eu une incidence sur les conditions d’exercice. Avec la naissance du concert public au début du XVIIIe siècle, les maîtres de musique se sont souvent ouverts à une activité musicale profane, qu’il s’agisse de composition ou de direction. Ce n’est probablement pas le cas de ceux qui officient dans de petites villes dépourvues de concert public. Mais les porosités sont suffisamment nombreuses pour devenir significatives, depuis les maîtres qui dirigent des musiciens du Concert associés à des musiciens d’Église à l’occasion de cérémonies particulièrement solennelles, jusqu’à ceux qui cumulent les fonctions de direction auprès d’un chapitre d’une part

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et d’un concert public d’autre part, en passant par les transferts successifs et dans les deux sens d’une institution à l’autre, voire à la création d’une Académie de musique. Ces passerelles constituent aussi l’un des révélateurs de la professionnalisation du musicien, facilitée par le recul du rôle des amateurs dans les Académies au profit des gagistes. Les maîtres de musique sont attirés vers celles-là par la reconnaissance de leur expertise et par le prestige de ces sociabilités dominées par les élites urbaines. Qu’il travaille pour un chapitre ou pour un concert public, le maître de musique est d’abord un musicien, et il tend à aller là où sa carrière en profitera le mieux. On a vu comment un Claude Cordelet ou un Jean-Baptiste Guilleminot-Dugué composent, le premier des cantatilles et airs à chanter, le second un opéra que Madame de Pompadour fait représenter à la Cour pour y tenir elle-même un rôle. Cette porosité entre profane et sacré doit probablement être interprétée moins en termes de sécularisation que de professionnalisation et de reconnaissance d’un métier dont l’identité tend à se clarifier. Mais n’oublions pas, non plus, qu’elle est toute relative. D’une part, la majorité des maîtres de musique d’Église se sont tenus à l’écart des concerts publics et ont connu une carrière au sein des seules institutions ecclésiales. D’autre part, ces contacts demeurent sous le contrôle de l’institution dont le regard sur la musique profane et ses sociabilités varie selon les lieux et selon les époques. Enfin, accrue au XVIIIe siècle, cette porosité n’est pas non plus une nouveauté absolue. À la fin du XVIe comme à la fin du XVIIe siècle, des maîtres de musique composaient déjà des pièces profanes. *** Au final, les maîtres de musique forment un groupe social qui intéresse aussi bien la musicologie que l’histoire sociale. Ce groupe ne forme pas un corps, ce qu’il est essentiel de rappeler dans le contexte d’une société où l’individu trouve statut et identité officiels par la communauté ou le corps auxquels il appartient. Il existe parce que des individus suivent des parcours comparables, parcours individuels qui n’excluent pas, bien au contraire, interconnaissances et interrelations. Mais ces itinéraires n’existeraient pas sans les institutions et les corps qui les rendent possibles. Étudier les maîtres de musique c’est donc ouvrir une fenêtre sur une autre dimension de la société d’Ancien Régime : celle de l’individu, de son inventivité et de sa créativité, de ses propres stratégies, de ses réussites et de ses échecs. Mais au-delà des réalités sociales, les maîtres de musique n’apparaissent-ils pas rétrospectivement comme relevant d’un même groupe symbolique ? Ils sont liés par une culture commune et participent de la mise en place et de l’évolution d’un académisme musical par le recours à des conventions d’écriture partagées ou rénovées.

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INDEX DES LIEUX FRANCE Abbeville 83, 172 Agen 163 Aix-en-Provence 254, 265-269, 286, 364, 372 Albi 21, 248 Alspach (près Strasbourg) 267 Amiens 60, 83, 114, 245, 284-285 Angers 84, 158, 209, 213, 245, 286, 297 Angoulême 363 Annecy 20, 83, 205, 248, 295, 367 Apt 165 Arles 41, 105, 246-248, 263-267, 286, 367 Autun 38, 49-50, 83, 170, 173-174, 210, 256 Auxerre 162, 166, 245, 294 Avallon 166 Avignon 105, 109-111, 159, 165, 247, 286 Avosne (près Dijon) 170 Avranches 46 Bailleul (près Hazebrouck) 340 Bar-le-Duc 229, 237, 388 Bar-sur-Aube 319 Bayon (près Nancy) 222-223 Beaulieu (près Rouen) 344 Beaune 25, 49-50, 83-84, 158, 174, 176, 210, 216, 286, 291, 293, 295 Beauvais 83, 114, 116, 157, 207, 222, 274, 292 Besançon 60, 108, 245, 293 Béthune 160, 163 Béziers 16-18, 21, 24-25, 30-31 Billom (près Clermont) 42, 46, 50 Blois 84, 165, 209 Bordeaux 112-113, 165, 206, 209, 213-214, 218, 237, 245, 248, 250, 253, 255, 258, 294, 402 Boulogne (sur-mer) 21, 108 Bourges 14, 16, 21, 25, 28, 38, 40-41, 47, 84, 173, 178, 205-206, 209, 217, 245, 256, 286, 363, 383, 400 Brioude 13, 22, 114 Caen 18, 247, 326, 347, 349, 379 Cambrai 114, 245, 332 Carpentras 247, 253, 266-267 Cavaillon 112 Cébazat (près Clermont) 46 Châlons-en-Champagne 113, 209, 286-287, 291, 295, 400 Chalon-sur-Saône 82, 84 Chambéry 83 Chartres 11, 19, 22, 37, 43, 48, 59, 159, 272, 287, 401 Châteauroux 40, 43, 328 Chaumont 222 Chelles 298, 313 Clermont (-Ferrand) 14, 16, 20, 26, 37-38, 40, 42, 45-48, 50, 170, 178-179, 210, 247, 256, 271, 364 Colmar 230

Compiègne 85 Courgis (près Auxerre) 162 Coutances 84-85, 210-211, 216, 271-273 Dijon 13, 16, 21, 82-84, 106, 110-111, 116, 157, 159, 170-171, 173-178, 206, 208-209, 214-218, 246, 250, 274, 291, 305, 348, 364, 372 Dôle 293 Douai 284-285, 332 Écouflant (près Angers) 158 Écouis (près Rouen) 159 Ennezat (près Clermont) 47, 372 Entrevaux 117, 328 Estournel (Nord) 27 Eu 344 Évreux 82, 84, 108, 114, 117, 209, 337, 347-348, 363, 378-380, 400 Fécamp 174, 206 Fontainebleau 64, 66, 362 Forcalquier (près Sisteron) 112 Grenoble 247-248, 254, 363 Guérande (près Saint-Nazaire) 115 La Chaleur (près Dijon) 170 Langres 113, 229, 362 Laon 222 La Rochelle 246 La Selle-en-Coglès (près Fougères) 190 Le Broc [près Issoire] 37 Le Mans 18, 84, 107, 113, 115, 159, 206-207, 211, 214, 217, 293, 364 Le Puy-en-Velay 7, 14, 16, 19-20, 22, 26, 31, 38, 40, 47, 267, 271, 373 Les Andelys (près Rouen) 159 Levroux (près Châteauroux) 40, 47, 328 Lezoux (près Clermont) 45 Lille 26-27, 247-248, 252, 258, 333-334, 340 Limoges 38, 40, 47, 206, 208-209, 212, 319 Lisieux 342, 379 Lombez (près Toulouse) 350 Longchamp 308 Luçon 20 Lunéville 221, 223, 225-227, 229, 232, 235 Luzarches 328 Lyon 172, 237, 248, 250-251, 254, 267-269, 286, 364, 380 Marseille 60, 165, 245, 247-248, 251, 256-258, 266, 364 Meaux 19, 24, 59, 108, 209, 245, 270-271, 321, 327-328, 362, 364, 373, 378-379 Metz 224, 233, 237 Momères (près Tarbes) 158 Montluçon 46, 319 Montpellier 31, 112, 165, 247, 254, 256-257 Moulins 247-248, 252, 254-256 Murat (près Saint-Flour) 17

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INDEX DES LIEUX

Nancy 29, 221-241, 248, 251, 258, 273 Nantes 27, 33, 84, 117, 162, 214, 247, 286 Narbonne 31, 363-364, 371 Nevers 38, 40, 46, 111, 166, 256, 328 Nîmes 60, 63, 108-109, 111, 113, 245, 363 Nuits-saint-Georges (près Beaune) 166 Noyon 46, 84, 114, 159, 162-163, 165, 209, 245, 321, 368, 400 Orange 117, 160 Orléans 19, 28, 32-33, 60, 84, 105, 114, 160, 162, 210-211, 248, 253, 258, 334 Paris (Académie royale de musique) 213, 277, 290, 362 – (chapelle des Tuileries) 85, 237 – (collège Louis-le-Grand) 277, 361 – (collégiale Saint-Honoré) 80 – (collégiale Sainte-Opportune) 173, 179 – (Concert spirituel) 28, 60, 71, 85, 244, 257, 283, 294, 308, 361, 363, 365 – (Conservatoire) 363 – (couvent de l’Abbaye-aux-bois) 277 – (couvent de Port-Royal) 277 – (couvent des Carmélites, fbg Saint-Jacques) 351 – (couvent des Cent Filles de la Miséricorde) 300, 306 – (couvent des Dames de l’Assomption) 308 – (couvent des Feuillants) 73 – (couvent des Grands-Augustins) 73, 175 – (couvent du Val-de-Grâce) 300 – (École royale militaire) 77 – (Hôtel-Dieu) 77, 83 – (maison professe des Jésuites) 277, 395 – (palais des Tuileries) 85 – (palais du Louvre) 73 – (Notre-Dame) 13, 15, 16-18, 20, 22, 29, 41, 57, 59, 73, 75-78, 82-83, 87, 110, 113-114, 157, 159, 161, 165, 209-211, 287, 291, 295, 350-351, 353, 364-365, 370, 372, 383, 387-388, 391, 404-405 – (Quinze-Vingts) 77 – (Saint-Barthélemy) 328 – (Saint-Denis-du-Pas) 22 – (Saint-Étienne-du-Mont) 175 – (Saint-Eustache) 351 – (Saint-Germain-l’Auxerrois) 59, 73, 76-79, 81-85, 87, 247, 365, 380, 405 – (Saint-Gervais) 59 – (Saint-Jacques-de-la-Boucherie) 77-83, 85, 87, 380 – (Saint-Jean-en-Grève) 59 – (Saint-Jean-le-Rond) 22 – (Saint-Louis-des-Invalides) 76, 79 – (Saint-Louis-du-Louvre) 80 – (Saint-Louis-en-l’Île) 77-78, 80-82, 85, 87 – (Saint-Nicolas-des-Champs) 395 – (Saint-Paul) 67, 76-77, 79-80, 82, 84-85, 87, 173, 210-211 – (Saint-Séverin) 80, 87 – (Saint-Sulpice) 79 – (Sainte Chapelle) 57, 59, 75-78, 82-83, 87, 105, 114, 245, 276-278, 283, 294, 364-365, 372, 391, 405

– (Saints-Innocents) 60, 76-80, 82, 84-87, 108, 110, 114, 211, 399 Pau 254 Péronne 157, 274 Poitiers 114, 116, 162-163, 206, 209, 212-213, 348 Poligny 387 Pontigny (près Auxerre) 166 Pontlevoy (près Blois) 45 Pontoise 288-289 Redon 371 Rambervillers (près Lunéville) 237 Reims 19, 59, 73, 86, 233, 248, 258, 273, 290, 320-321, 323, 327, 382 Rennes 20, 294, 304 Riom 20, 26, 38, 43, 45, 328 Rodez 348, 363 Rouen 18, 20, 31, 43, 57-59, 84, 159, 172-174, 245, 247, 287, 293-294, 329, 337, 341-345, 347-352, 404 Saint-Aignan-sur-Cher (près Tours) 44-46 Saint-Bertrand-de-Comminges 112 Saint-Cyr 298, 300, 306, 312 Saint-Denis 73, 350 Saint-Dié 233, 239 Saint-Émilion 286 Saint-Étienne 245 Saint-Flour 17, 116-117, 159 Saint-Julien-de-Coppel (près Billom) 42 Saint-Malo 190, 209-210, 256, 400 Saint-Nicolas-de-Port (près Nancy) 222, 230 Saint-Omer 172 Saint-Quentin 206, 272-273, 368 Saintes 18, 21, 47, 83, 271-273, 373 Saulieu (près Avallon) 166 Saumur 286 Sées 19, 84, 110, 114, 116, 211, 319 Senlis 46, 84, 105-106, 113, 209, 245, 247, 272 Soissons 206, 245, 291, 379, 391 Sombernon (près Dijon) 170 Strasbourg 233, 248, 250, 267, 271, 285, 292, 303, 320, 362 Tarascon 109 Tarbes 158 Tolemesnil [Tous-les-Mesnils] (près Dieppe) 344 Tonnerre (près Auxerre) 166 Toul 18, 20, 22, 33-34, 227, 229, 239 Toulon 60 Toulouse 31, 158, 206, 210-212, 216, 218, 250-251, 264, 283, 286, 364, 401 Tournus 159 Tours 59, 84, 110, 114, 206-215, 217, 222, 245, 247, 255, 271, 286-287, 399 Toutenant (près Chalon-sur-Saône) 82 Tréveray (près Bar-le-Duc) 222-223 Trôo (près Vendôme) 116 Troyes 117, 166, 209-211, 294, 362 Tulle 37

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INDEX DES LIEUX

Valenciennes 245 Vannes 85, 115, 159-160, 162, 190, 371-372 Verdun 26, 59, 114 Verneuil 37 Versailles 53-74, 82, 85, 213, 229 Vertaizon (près Clermont) 45, 48, 50 Vézelay 166 Vielmoulin (près Dijon) 170 Vitteaux (près Dijon) 170 Vitré 162 Viviers (près Montélimar) 112 BELGIQUE Anvers Ath Audenaerde (près Courtrai) Bruges Bruxelles Courtrai Eversam (près Ypres) Gand Grammont Harelbeke (près Courtrai) La Haye Liège Louvain Mons Soignies Tongres (près Liège) Tournai Westvleteren (près Ypres) Ypres ITALIE Acireale Alcara Li Fusi Ancona Ascoli Assisi Barbarano Romano (Viterbo) Bologna Butera Caltagirone Camerino Catania Città di Castello

99, 330, 333-334 334 337 330 237, 275 329-330, 333-334, 340 335, 337-338, 356 335 337 330 237 89-102, 222, 401, 403 334 337 274-276 90 210, 332-333 337 163, 332, 335

119-152 129 195 195 195, 197 186 188, 199 130 119-152 195 130, 133, 136 189-190, 193, 196

Fermo 195-196 Foligno 190, 192 Licata 130 Loreto 195-196 Marino (près Roma) 190, 193 Messina 127-130, 133, 137, 143, 145 Milano 169 Montefiascone 197 Monteleone, voir Vibo Valentia Narni (près Terni) 185, 197 Napoli 141 Noto 119-152 Orvieto 191, 193, 195-196 Osimo 195 Palermo 127-128, 130-131, 135, 143 Palestrina 196 Perugia 189-192, 195, 198-199 Piazza Armerina 119-152 Rieti 195-196 Roma 92, 183-204, 352, 371, 402 Ronciglione (près Viterbo) 188-190 Siracusa 130 Spello 195-196 Spoleto 195 Tivoli 195-197 Urbino 195 Venezia 131 Vibo Valentia [Monteleone] 137 Viterbo 195 AUTRES Berlin Cologne Francfort Hulst (Pays-Bas) Lübeck Lucerne Majorque Mannheim Mdina (Malte) Munich Nicosie (Chypre) Salzbach (près Baden-Baden) San Paolo (Malte) Utrecht Vienne

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378 91-92, 197 332 331 237 230 222, 230 237 133 197 134 350 130 344 197, 223

INDEX DES NOMS PROPRES Les maîtres de musique ayant exercé, ne serait-ce que pendant une courte période, en institutions ecclésiastiques sont signalés par un astérisque noir (*). Un astérisque gris (*) désigne les compositeurs de musique religieuse n’ayant occupé aucune fonction de maître de musique d’Église. Abbate, Cosimino 145, 148 * Abbatini, Antonio Maria 183, 185-187, 189-190, 192-194, 196-198, 200, 202-203 Abbatini, Giovanni Tommaso 189 * Abbatini, Lorenzo 189, 193 Abbatini, Masso 189 Adamo, Mario 143 Adéodat, pape 208 Agazzari, Agostino 185 Agostini, Eugenia 193 * Agostini, Paolo 185, 194 * Ajello, Illuminato 151 Albert, archiduc d’Autriche 100 Albergati, Antonio 94 Alexandre VII Chigi 183 Aliotta, Pietro Paolo 121 Allegri (famille) 191 * Allegri, Domenico 196 * Allegri, Gregorio 185, 190, 196, 201 Allegro, Costantino 190 * Altieri, Paolo 119, 132, 143, 152 * Ambart [Arles] 266 Amidey, Prothade 293 * Ancel, Nicolas-Amon 113 Anfossi, Lorenzo 145, 148 * Annone, Giovanbattista 136 Anthoine, Catherine 230 Anthoine, Émilie-Catherine 230 Anthoine, François-Paschal-Marc 230 Anthoine, Marc 230 Aprile, Francesco 143 Aprile, Gaspare, barone della Cimia 147 Arcidiacono, Sebastiano 146 Aretino, voir Guido Aristoxène 373 Arvenes de Borage, Guglielmo Francesco de’ Burnart d’ 143 * Astier, Sr [Paris] 316 Astorga, Emanuel Rincon d’ 119 * Aubert [Arles] 265-266 * Aubert, abbé [Paris] 82 Aubert, Alexis 240 * Audibert, Jacques-Joseph 247-248, 253 Auteri, Francesco 146 * Aux-Cousteaux, Artus 283, 295 Azzarello, Giuseppe 145 * Bach, Johann Sebastian 231 * Bachelier, Louis 32

Bajarelli, Giobattista 148 Balbastre (famille) 169 Balbastre, Bénigne 171, 175-179 Balbastre, Catherine 171 * Balbastre, Claude 82, 171 Baldi, Filippo 130 Baldi, Vito 147 Baldini, Sebastiano 183 Ballard (famille) 269, 284-286, 311, 366, 386, 392 Ballard, Christophe 71, 284, 288, 290, 292-293, 308, 310 Ballard, Christophe-Jean-François I 285, 293 Ballard, Jean-Baptiste-Christophe 372, 387 Ballard, Pierre I 282, 284-286, 289-293, 295 Ballard, Robert III 284, 287, 289-290, 293, 297 Balmier, voir Palmier Barbadoro, Raffaele 129 * Bardin, Pierre-Antoine 80-83, 85-87 Baronio [Baronius], Cesare 94 * Barral [Barraly], Jean-Baptiste 268 Barrière (musicien, Aix) 254 Bartoli Gravina di Caltagirone, contessa Gaetana 142 * Bassani, Giovanni 287 Bastien, Léopold, voir Desormery Bastien, Louis 223 Batencourt, Jacques de 404 * Baudet, Pierre-Antoine 222, 225, 233 Baudouin du Basset 351 Bavière, Marie-Anne de 343 Bavière, Maximilien-Emmanuel, électeur de 64 Bavière, voir Wittelsbach * Bayart, Louis-Marcel 46, 48 Bayle, Pierre 343-344 Beauchamps, Pierre-François Godard de 343 Beaumont, Christophe de 211 Beauvais, Romain de 293 Beauvarlet (famille) 169 Beauvarlet, Jean-Baptiste 172 Beauvarlet, Jean-Jacques, dit Charpentier 172 Beauvarlet, Marie 172 Becdelièvre, Pierre de 346 Bêche, Jean-Louis 54, 60-63, 68-70 Bêche, Marc-Antoine 54, 60-63, 68-70 Bêche, Pierre 54, 60-63, 68-70 * Beck, Franz 253 * Begué, Bernard 112 Bégule, Claude 45

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INDEX DES NOMS PROPRES

Behourt, Jean 342 * Bellanger, Gilles 114-115 Belleville, M. de 230 * Bellissen, Laurent 248, 364 Belsunce, Henri-François-Xavier de 256 * Benevoli, Orazio 183, 185-187, 190-191, 194, 199 Benfati, voir Morosini Beninni, Gennaro 145 * Benoît de Saint-Joseph 268 * Berard, Guillaume 117 Berard, (Jean-Joseph ?) 343 * Berardi, Angelo 192, 368, 373 Bergiron du Briou de Fort-Michon, Nicolas-Antoine 252 Berlaymont, Louis de 332 * Bernabei, Ercole 188 * Bernier, Nicolas 59, 64, 68, 245, 265, 268, 287, 309-310, 316, 368, 380 Bertheaume, Martin 348 * Bertin, Pierre 113 * Berton, Henri-Montan 363 * Berton, Thomas-Claude-Ferdinand 116 * Bertrand, Jeanne-Marie 158 * Bétizy, Louis-Étienne 21, 108 Bibiena, Francesco Galli da 221 * Bidaut [Bideault, Bideau, Bideaut], François 20 * Biderman, Jean 111 * Bigex, abbé [Paris] 81-83 Bigex, François-Marie 83 Bignon, François-Vincent 290 Bissy, Henry-Pons de Thiard de 320, 373 * Blainville, Charles-Henri de 299, 308-309, 315-316 * Blamont, François Colin de 71, 283, 316, 361 * Blanchard, Esprit-Joseph-Antoine 59, 61, 68, 245, 363-364 Blondel, Jacques-François 61-62 * Blondel, Louis-Nicolas 308, 315 * Böddecker, Philipp Friedrich 270 Boèce 193, 373 * Boesset, Jean-Baptiste 361 Boffrand, Germain 221 Bogard, Jean 284-285 * Boirac, Jacques, dit « Cupidon » 112, 165 * Boismortier, Joseph de 309, 316 * Boistel, Jehan 295 Boivin, François 310 Bonanno, Geronimo, barone di Rosabia 133 Bonanno, Maria Concetta Caterina 133 Bonaparte, Napoléon 83 * Bonaventura, Paolo 150 * Bonfiglio, Corrado 151 Bonomi, Giovanni Francesco 92 * Bononcini, Giovanni Maria 373 * Bontempi, Giovanni Andrea Angelini 191-192 Bordenave, Jean de 30

* Bordery, Louis 248 * Bordier, Jean-Louis 76, 78, 80, 82, 84-86, 292-293 Borget, Joseph 217 Borin (théoricien) 369 Bossuet, Jacques-Bénigne 351, 373 Bouché (notaire) 216 Bouchot, Denis 170 * Boudou, Joseph 264-267 Bouhours, Dominique 344 Bouillon, cardinal de, voir La Tour d’Auvergne Boulas (chanteur) 225 * Boujeardet [Beaujardet], Nicolas 222, 239-241 Bourgogne, Louis-Joseph-Xavier, duc de (1751-1761) 247 * Bournonville, Jacques de 309, 316 * Bournonville, Jean de 284-285, 295 * Bouteiller, Louis 84, 107 * Bouteiller, Pierre 270, 362 * Boutry, Innocent 293, 387 * Bouzignac, Guillaume 362-363, 371 * Boyer, Pascal 111 Boyvin, Jacques 173 * Bramini, Giacomo 188 * Brasseux, Jean-François 328 Braye, Roger 340 Breteuil, Charles-Louis-Auguste Le Tonnelier de 56, 70 Briffo, Éverard 97 Brion de La Tour, Louis 77 Broquerie, Jean-Baptiste 255 * Brossard, Sébastien de 24, 98, 248, 266, 269-271, 285, 287, 292, 311-312, 314, 316, 320-325, 327-328, 361-364, 368-369, 373-380, 391, 393, 395, 400 * Brouin, Claude-Gabriel 76, 82, 85, 87 * Bruillard, François, dit Balbâtre 239 * Bruno, Francesco 129, 152 Bruno, Giuseppe 146 * Buée, Adrien-Quentin 82, 84-85, 210-211 * Buée, Pierre-Louis 85, 372 Bureau, Madeleine 342 Burgarelle, Antoine 97 * Cabaret, Jacques-Marie 160 Cadry, Jean-Baptiste 256-257 Cagnes, Bernardo 148 Calascibetta, Giovanni Battista 147 Calcagno, Giuseppe 139 * Calì, Giuseppe 150 * Calvière, Antoine 20 * Campochiaro, Antonino 129-130, 133, 146, 151 * Campra, André 29, 59-60, 64, 68, 71, 105, 264-266, 287, 291, 316, 362, 364, 388-393 * Candone, Paolo 144, 151 Canisius, voir Pierre Canius [de Hondt], Adrianus 333, 357 Canius [de Hondt], Augustinus 333, 357

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INDEX DES NOMS PROPRES

Canius [de Hondt], Joannes 333, 357 * Canneaux, Pierre-Étienne 217 Cantaro, Bonaventura 147 * Cantone, Raffaele 125, 152 * Cantone, Serafino 151-152 Capodarso, barone di 146 * Capponi, Gino Angelo 191 Capra, Rosalia 136 Capritti, Rosario 146 * Capuana, Mario 131-132, 138, 151, 153-154 Carafa, Pier Luigi 97 Cardamone, Aloisio 146 Carissimi, Amico 190 * Carissimi, Giacomo 186-188, 190, 193, 197 * Carnemolla, Gaetano 125, 151-152 Carobene, Alessandro 132 * Caropreso, Gaetano 122, 151 Carpegna (famille) 201 Carpegna, Orazio 191 * Carpinato, Casimiro 150 Carpinato e Barbagallo, Francesco 146 Carpinato, Pietro 150 Carrubba, Nicolò 145 Carta, Peppino 148 Carville (maître de musique, Pau) 254 * Catel, Charles-Simon 363 294 * Cathala, Jean * Catinot, Michel-Ange 319 Caumartin, François Lefèvre de 285 Caus, Salomon de 367-368, 373 Cauvin, Gaspard-Alexis 283 * Cavallaro, Giuseppe 150 * Cavignon, Jean 364, 378 Cecchelli, Carlo 184 361 * Cécile, Mlle * Célarier, Jean 17 Certini, Alessandro 188 Cesi, Marie, duchesse d’Altemps 352 * Cesti, Antonio 378 Chabanceau de La Barre, Pierre 286 Chabot, Jacques 97 Chanrenault (maître Chambre des Comptes) 175-176 Chapeauville, Jean 94 * Chaperon, François 365 * Chapotin, Edme 162, 166 * Chaptard, Jean 46 Charles le Téméraire 89 Charles Quint 334 Charleval, voir Le Bœuf * Charpentier, Marc-Antoine 199, 276-280, 285, 316, 330, 365, 368, 373 Chartres, duc de, voir Orléans * Chastelain,Claude 320 294, 391, 393-394 * Chein, Louis Chenevet, Pierrette 170

* Cheneveuillet, Pierre 284, 372 * Cherici [Clerici], Sebastiano 268 * Cherreau, abbé [Paris] 82 Chesne, Jean-Bernard 177-178 * Chiaramonte, Antonino 129, 143, 147 Chigi, Flavio 66 Chirandà, Giuseppe 136 Christin, Jean-Pierre 268 * Chupin de La Guittonière, Pierre-Nicolas 248 Chupperelle, Jérôme 53-55, 65-66, 69-70 Cicéron 387 * Cifra, Antonio 195 * Cima, Tullio 188, 192 * Clavis, Jean-Nicolas 247, 265 Clavis, Louis 249 * Clérambault, Nicolas 287, 298, 300-302, 305-306, 312, 314 Clericy, Jehan 295 Colbert, Jacques-Nicolas 343 Colbert, Jean-Baptiste 257-258 Colbert de Croissy, Charles-Joachim 257, 259 * Colin, Jean 291 Colin de Blamont, voir Blamont Colista, Lelio 192 * Collasse, Pascal 58-59, 68 Collin, Dominique 229 * Colonna, Giovanni Paolo 192 Colonna, Pompeo, principe di Gallicano 186 * Combes, Jean 25 Commire, Jean 330, 341, 343-345, 348-350, 352-354, 359-360 Condé, Louis Ier, prince de 208 Constantin V, empereur 169 * Contat, Jean-Christophe 49, 210-211 Conte, Dorotea 138 Conte, Paolo 138 * Coolen, Lambert 97, 99-101 * Cordelet, Claude 81-83, 85, 406 * Corelli, Arcangelo 192 * Corrette, Michel 299, 308-309, 315 Corsi, Giuseppe 184-185 Corsini, Bartolomeo 128 Cortina, Giacomo 136 * Cosset, François 382 * Costantini, Fabio 196 * Costanzo, Barbarino 151 Costanzo, Vincenzo, detto «l’Inerme» 138 * Costelle (Poitiers) 348 * Couet [Couët], François 159, 215-217, 364 * Couperin (famille) 169, 361 * Couperin, François 299, 308, 311-312, 315-316 * Cousu, Antoine de 286, 367-368, 373 Crescenzi, Pantasilea 190 Crescimanno, Aleonora 143 Croÿ, Philippe de 332

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INDEX DES NOMS PROPRES

Crucillà, Giuseppe 130 237 Crux, Dlle (musicienne) * Curcuccio, Filippo 146, 150 Dagincourt, François 174 * Dagneaux, Pierre 288-289 * Daguet-Girardin, Simon-Michel 159 Dalidet (notaire) 271 * Dal Pane, Domenico 192, 198 Dal Pane, Pietro 198 D’Amico, Baldassarre 145 Damiens, Antoine 346, 350 Damiens, Pierre 350 * Dangelliers, Brillaud 22 * Danielis, Daniel 285, 287 * Danigo, Jean-Pierre 371-372 Dauphin, voir Louis de France * Dauvergne, Antoine 361, 372 319 * Decoubrat, André * Dedieu, abbé [Paris] 82 De Dominici, Vincenzo 146 Dedoué, Joachim 173 Deelloos, Nicolas 333, 357 De Filippo, Giorgio 130 De Hondt, voir Canius Dei, Matteo 145 * Deiehez, Arnold 222 Delapierre, Barbe 175 * Delaplace, Étienne-Michel 21, 41 * Delécraz, François 248 De Filippo, Giorgio 130 De Lica, Gostanza 189 Della Corgna, Fulvio Alessandro, duca di Castiglion del Lago 186 Demery, Pierre Maynon 228 Demia, Charles 43 * Demongeot, Denis 113, 213 * Demoz de La Salle, Jean-François 320-322 Denis, Pierre 369 * Denuys [Denuy, Denuis, Denuits], Claude 25-26, 31 Deodato, Bartolomeo 132 * Deodato, Corrado 151 Deodato, Pietro, barone di Frigintini 131-132 * Depoix, Nicolas-Henri 247 * Depouilly, Chrétien 205, 248 Derochez, Henry 226 * Desfontaines, Jean 287 186 De Silvestris, Florido * Desmarest, Henry 225-226, 265-266, 312, 365 * Desormery, Léopold-Bastien 222-224 Despautère, Jean 342 * Despeaux, Étienne-Zacharie 82-83 * Desrosiers, Charles de La Combe 248, 254, 265 * Destouches, André Cardinal 361 * Desvignes, Pierre-Louis-Augustin 159, 214, 362, 372 De Trevisano, Maxentius, dit Il Sordo 189

Devaux, François 174 Di Alessandro, Gennaro 147 * Di Benedetto, Diego 146, 150 Di Castrogiovanni, Vincenzino 145 Di Castrogiovanni, Vincenzo 145 Didillon, Joseph 228 Di Giovanni Battisti, Piera 189 * Di Lorenzo, Mariano 129, 131, 151 Di Maria, Vincenzo 146 Di Matteo Lasena, Giovanni Pietro 198 Di Matteo Lasena, Teobaldo 198 * Di Mauro, Carlo 122, 151 Di Piazza, Caronia 145 Di Piazza, Filippo 145 Di Piazza, Santoro 145 Di Pietro, Giovanni Tommaso 189 Di Vizzini, Gaetano 145 Doni, Giovanni Battista 368 * Doriot, François-Robert 83, 105, 114, 209, 293, 365, 372 * Dorléans [Soissons] 379-380 * Drago, Cornelio 129, 152 * Drocourt, Jean-Baptiste 162-163 Dubreuil, Chapin 254 Dubriole (chanteur) 228 * Ducarte, Alfio 151 * Du Caurroy, Eustache 57, 282, 290, 292, 295 Du Chemin, Nicolas 284 * Dugué, Jean-Baptiste Guilleminot 17, 76, 82-86, 159, 165, 209, 211, 400, 406 Duhamel (archidiacre) 344, 351 * Duluc, Jean-Baptiste 287 * Du Mont, Henry 57-58, 61-63, 66-67, 70-71, 173, 269, 290, 300, 302, 304, 314, 365 Du Peyrat, Guillaume 54, 69, 73 * Dupeyroux, Jean-Baptiste 319 Dupont, Edme 11-12 * Dupuy, Bernard-Aymable 158, 212, 216, 218 * Dupuy, Laurent 216 * Duvieux, abbé [Paris] 82 Édouard, Jacques 276 * Eler, André-Frédéric 363 Eriteo, Giano Nicio, voir Rossi, Giovanni Vittorio 294 * Escobar, Jean * Estienne, François 269, 364 * Évrard [Beaune] 49-50, 158 * Expilly, Gabriel 57-58, 61 Expilly, Jean-Joseph 78 * Eyssamas, Louis 13, 22 * Fabre, Dominique 364 * Fabre, Paul 117, 328 * Fabre, Philippe 116 Fabri, Aurelia 191 * Fabri, Francesco 190-191, 193 Fabri, François 190

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INDEX DES NOMS PROPRES

Fabri, Jean 190 Fabri, Olivier 190 Fabri, Pietro 191 * Fabri, Stefano I 184, 186-188, 191, 193, 196 Fabri, Stefano II 191 Fachot, Claude 231 Falcone, Salvatore 143 * Fantacchiotti, Pietro 198 * Fanton, Nicolas 245 * Farjonnel, Jacques 348 * Fasquel, Jean-Louis 114 * Fauchier, Georges 14 Felizard, Firmin 228 Féret (intendant) 351 Ferrare, Charles, sieur du Tot 344-345 * Feyzeau, Jean-Baptiste 219 * Fichera, Giuseppe 150 * Fichera, Pietro 134 Fieux, Étienne de 344-345, 349, 353 Figuier, Joseph 344-345, 349 Fiot, notaire 178 Flandrin, Jeanne 271 Fléchier, Esprit 351 * Floquet, Étienne-Joseph 372 * Florens, Joseph 25 Florent (maître de musique, Montpellier) 254 Foggia (famille) 191 Foggia, Antonio 193 * Foggia, Francesco 186-187, 191, 193-194, 197 * Foliot, Edme 308, 315 * Foncès, Jacques 21 Fontenelle, Bernard de 347 * Formé, Nicolas 57, 289, 291 * Forquet de Damalix [Dijon] 215 Fortezza, Francesco 121 Foucault, Henri 267 Fouquet (famille) 169 * Fournier, Jean-François 82 * Fournier, Pierre-Jean 82-83, 85 Fournier, Pierre-Simon 289 François Ier 57 François III, duc de Lorraine [François-Étienne, Franz I] 221, 223, 232 François Xavier, saint 342 Fränzl, Ignaz 237 * Frémart, Henry 44, 286, 294-295 * Frendi, Antonio 152 Froissart, Pierre 172 * Fromental, Louis-Nicolas 20 Furetière, Antoine 21, 344 * Fux, Johann Joseph 370 Fuzelier, Louis 85 Fyot de La Marche, Claude, comte de Bosjan 175-178 Gagliarda, Faustina 198

Gagne, Anthoine 177-178 Galilei, Vincenzo 368, 373 * Gantez, Annibal 30, 155, 164, 284, 290, 294 * Gaubert, Jean 24 * Gaudrion, Pierre 328 * Gaultier [Nancy] 227 * Gaumay, Nicolas 28 * Gautrot, Claude-Joseph 213 * Gauzargues, Charles 60-63, 108, 111, 245, 363, 370 Gavin d’Émiliane, Antonio 201-202 * Geoffroy, Jean-Baptiste 269, 302-303, 307, 314 Gerardinus, François 94 * Gerbino, Domenico 130, 151 Gerbino, Salvatore 146 * Gervais, Charles-Hubert 59, 64 * Gervais, Laurent 247 Gigli, Girolamo 136 * Gilles, Jean 64, 218, 287, 364 * Gilly [Béziers] 25 Giordano, Francesco 138-139 Giordano, Vincenzo 138 Giorgi, Mlle (chanteuse) 234 * Giovannoni, Vincenzo 203 * Giraud, Barthélémy 213, 219 * Giroust, François 19, 28, 60, 82-84, 86, 105, 114, 248, 253, 362-363 Glaréan, Heinrich Loris, dit 373 Glorieri, Giulio 191 * Gluck, Christoph Willibald 239 * Gobert, Thomas 57, 287 * Gontier, Léonore 292 * Goossens, Lazare 158 * Gossec, François-Joseph 362-363 Gouberville, Gilles Picot, sieur de 166 * Goulet, Antoine 76, 114, 213 * Goupillet, Nicolas 58-59, 68 Grantin, Claude 175 * Grasso, Gaetano 146, 150-151 Grasso, Placido 146 * Greco, Francesco 150 * Greco, Francesco Maria 150 * Greco, Salvatore 150 * Grénon, Louis 7, 14, 16, 19, 26, 47, 165, 265, 271-273, 373, 405 * Grétry, André-Ernest-Modeste 15, 362, 386, 389, 393, 395 * Grimaldi, Carlo 151 * Grogniard, Nicolas 364 * Grosso, Gaetano 150 * Guérard, Louis 40 * Guerry, abbé (Moulins) 255 * Guibert (Paris) 328 Guicciardini, Lodovico 89 * Guido, Antonio 309, 316 * Guido d’Arezzo [Aretino] 194, 321-322

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INDEX DES NOMS PROPRES

* Guillaume, Jean-Pierre 160 Guilleminot,voir Dugué * Guillery, Claude 82, 84-85 * Gulli, Giovanni Battista 124, 147, 150 Haemus, François [Franciscus] 329-330, 333-336, 338-341, 357-358 * Hamal, Henri-Guillaume 97 Hamelius [Hamel, Duhamel], Jean 344 * Händel, Georg Friedrich 201 19, 233, 248, 273-274, 276, * Hardouin, Henri 278, 290, 292, 320-321, 323-328 Harlay de Champvallon, François 330 * Haudimont, Étienne-Pierre-Meunier d’ 80, 82-86 * Haydn, Joseph 239 99, 101 * Hayne, Gilles * Helfer, Charles d’ 382, 391-393 Héluin, Charles 172 Henri IV 282 Henry (violoniste) 237 * Henry, Nicolas 224, 240, 273 19, 364 * Hérissé, Charles * Hermant de Saint-Benoist, Claude 85, 159-162, 371-372 * Hodemont, Léonard de 93-97, 99-102 * Homet, François-Nicolas 83, 159 * Homet, Louis 64, 372, 380, 387 Horace 206, 354 Houssu (famille) 169 * Hugard, Pierre 284-285, 372, 381, 383-384, 387-390, 395 * Huguet, Jean-Pierre 159 Hun, de (chanteur) 226 * Huygens, Constantijn 284, 290 286, 293 * Huyn, Jacques * Il Verso, Antonio 129, 152 Indelicato, Cristofalo 146 Indelicato, Vittorio 146 Ingrain (organiste) 175 Innocent X Pamphili 184 * Intermet, Sauvaire 267, 283, 364 Isabelle, archiduchesse d’Autriche 100 * Isoré, François 328 * Jamar, Henri 94, 96-97 * Jamart, Pierre 42, 44-45, 50 Jattiot, Antoine 223 Jeanmaire, François 228 Jèze, de (avocat au Parlement) 75 Jommelli, Niccolò 119 * Josquin Des Prés 364 * Josse, [Jean-Claude ?] 21 * Josselin, Adrien 295 Jouvancy, Joseph de 386-387 Jules III Ciocchi Del Monte 196 Jullian (prêtre) 266 * Jullien, Gilles 269, 314

* Jumentier, Bernard 272 Kircher, Athanasius 192, 373-374 La Barre, voir Chabanceau La Borde, Jean-Benjamin de 63, 75, 81, 83, 86, 108-109, 361 La Combe Desrosiers, voir Desrosiers * La Coste, Louis de 361 237 Lacroix, Alexis-George Lacroix, Claude-Antoine Curé 237 * La Croix, François de 316 La Fare, Antoine-Henry de 229 La Feillée, François de 323 * La Ferté-Senneterre, Françoise-Charlotte de, Mlle de Ménetou 361 La Ferté-Senneterre, Marie-Isabelle de La Mothe-Houdancourt, duchesse de 361 La Fontaine, Jean de 344 La Grange Trianon, Charles de 291 La Guiche de Saint-Géran, Marie de 290 La Guitonnière, voir Chupin Lalande, Marie-Louise de Cury, Mme 283 * Lalande, Michel-Richard de 58-59, 62-64, 66, 68, 71, 265, 283, 287, 299, 308-309, 315, 365 * Lallouette, Jean-François 24, 287, 309-310, 316, 380, 387-388 * Lamalle, Pierre 100 * Lambert, Michel 287 Lambertye, Nicolas-François de 225 * Lami, Michel 307, 314 Landolina e Gaudioso, Maria 143 Landolina e Gaudioso, Melchiora 143 Lantin (bâtonnier) 175-176 * Lapierre, Marc-Antoine 112 * Laroche, Jean-Baptiste 111 La Rocque, Charles de 347 La Rosa, Antonino 146 La Rosa, Antonio 146 La Rue, Charles de 344, 349 La Salle, Jean-Baptiste de 404 * Lassus, François 84, 107, 116 * Lassus, Orlande de 286, 295-296, 393 La Tour d’Auvergne, Emmanuel-Théodose, cardinal de Bouillon 351 Lattuga, Francesco 136 * Lattuga [Lattuca], Gaetano 135-137, 145-146, 151-152 Lattuga [Lattuca], Saverio 136 Lattuga [Lattuca], Xavierii 136 * Laudun, Étienne-Jérôme 21 Lauria, Paolo 130, 141 Lausserois, Edmé 174 La Vallière, Louis-César de La Baume-Le Blanc de 86 Lavo, Christophe 235-236 La Voye Mignot (théoricien) 367-368, 373 Lebeuf, Jean 320-321, 323 Lebœuf, organiste, chanoine 174

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INDEX DES NOMS PROPRES

Le Bœuf, Pierre, dit Charleval 223 Le Cerf de La Viéville, Jean-Laurent 58, 342 Le Compasseur (chanoine) 175-176 Lefebvre, Jacques 172 * Lejay, Sulpice-Philippe 209, 211 * Le Jeune, Claude 295 * Lemaire, Louis 308, 315, 364, 378 * Lemasson [Clermont] 46 * Le May, Gaspard 20 * Le Menu de Saint-Philbert, Christophe 308, 315 107 * Lemercier, René Lemyre (maître de musique, Moulins) 252, 254 Lenoir, voir Nicolon Léopold, duc de Lorraine 221, 225-226, 232 Le Pigny, Bernard 344 * Lepreux, André-Étienne 82, 85-86 * Le Prince, Louis 284 * Leroy, Julien-Élie 209, 211 Leroy (organiste) 172 * Lesueur, Jacques 31, 58, 330, 341-343, 345, 348, 350, 352, 359 * Le Sueur, Jean-François 19, 29, 82-84, 86, 108, 110-111, 116-118, 157, 211, 214-215, 362, 370, 372 Leszczynski, Stanislas 221, 223, 226-227, 232, 235, 238 Le Tellier, Charles-Maurice 59 * Le Tellier, Pierre 287, 294 * Letourneau, Julien-Marin 207 * Leuder, Dominique 114 * Levens, Charles 64, 113 * Levens, Nicolas-Vincent 113, 218 Lévêque, Georges 172 Lexhy, Jean de 92 * Liberati, Antimo 190-192, 194-195, 198 Liberati, Pietro 190 Liberati, Tarquinia 190 76 * Lirondé, Sr [Paris] Loaeus, abbé 337 * Lochon, Jacques-François 308, 315 Loiseau, Matthieu 171 Loppin (chanoine) 176 * Lorenzani, Paolo 291, 316 * Lorenziti, Bernard-Pierre 230, 234, 236-237 230 Lorenziti, Catherine-Émilie Lorenziti, Émilie-Catherine 230 Lorenziti, Jean-Baptiste 228, 230, 237, 240-241 * Lorenziti, Joseph 230 * Lorenziti, Joseph-Antoine 29, 222-224, 227, 229-241, 273 Loret, Jean 57-58 * Lotti, Antonio 268 * Loubaud, André 165 Louis XI 78 * Louis XIII 79, 267, 361, 364 54, 57-59, 61-64, 66, 68, 70-72, 202, Louis XIV 291, 350, 362, 365

Louis XV 54, 59, 61-62, 64, 68, 72, 84-86, 225, 227-228, 235 Louis XVI 78, 86 Louis de France (1651-1711) 277, 343 Louis de France (1729-1765) 246 Louise-Élisabeth de France, « Madame Première » 228 Loulié, Étienne 368, 373 * Lo Verso, Antonio 144 Lucci, Gaetano 146 Lully (famille) 361 * Lully, Jean-Baptiste 59, 63-64, 72, 268, 287, 290, 361, 365 68 Luynes, Charles-Philippe d’Albert, duc de * Mabile [Mabille], Urbain 27 * Madin, Henry 59-61, 64, 67-68, 245, 294, 299-302, 306, 314, 364, 388-389 Maech, Marie 331, 358 Maiorana, Giacomo 134, 136, 147 * Maître, Louis 209 Maldonato, Baldassarre 130 * Malerba, Michele 151 * Malez [Avignon] 110 Malherbe, R. (libraire) 293 * Malidor, Pierre 20, 45 Mallogé, Sébastien 217 * Mancia, Luigi 287 Mancini Glorieri, Virgina 191 * Mandato, Silvio 151 * Mangin [Mengin], Nicolas-Antoine 240-241, 273 Manin, Zacharie-Michel 175-178 Mantheus, Simon 333, 357 * Marais, Marin 365 * Marc, François 107, 159, 207, 217 Marchand (famille) 169 * Marchand, Louis-Joseph 373, 381, 388-390 * Marciano, Giovanni 203 * Mareschal, Louis-Henri, dit Paisible 361 * Marguaillan [Arles] 266 Marguerite d’Autriche 332-333, 335, 340, 357-358 Marguerite de Parme 334 Marie-Adélaïde de France, dite Madame Adélaïde 224 Marie-Thérèse d’Autriche 223 * Marre, Vincent-François 117 Martin, Antoine 387 Mascaron, Jules 351 * Massenzio, Domenico 189-190 Massenzio, Elisabetta 189 Massenzio, Maxentius 189 Massimi, Innocenzo 123 * Masson, Charles 381 * Masson, Claude-Louis 295 Mathias, archiduc d’Autriche 101 * Mathieu, Julien-Amable 107

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INDEX DES NOMS PROPRES

* Matho, Jean-Baptiste 365 * Matoulet, Jacques 214, 218 Mattheus, Petrus 333, 339, 357 Mattioli, Angelo 198 * Mattioli, Lucantonio 198 Maximilien, archiduc d’Autriche 334 * Mazzocchi, Domenico 192 * Mazzocchi, Virgilio 186-187, 192 Médicis, Marie de 101 * Melani, Alessandro 199 Meli, Agata 136 * Mellier, Julien 108 Mellini, Carlo 135 * Mellini, Nicolò 125, 133-135, 139, 143, 151 * Menault [Menot], Pierre 175-176, 286, 291, 293, 295, 314 Mendoza, Rodrigo 124 Ménestrier, Claude-François 341, 351-354, 359 Ménetou, voir La Ferté-Senneterre, Françoise-Charlotte de Merian, Matthäus 221 * Merle, Antoine 82-84, 210-211, 214, 271 Mersenne, Marin 284, 286, 364, 367-368, 375, 381, 384 Mésenge, André de 374 * Methon, Claude 112 Métoyen, Jean-Baptiste 68 * Métru, Nicolas 395 146 Micciché, Michele * Michel, Jean 266 * Michel, Joseph 64, 274, 276, 304-305, 307, 313-314 * Michel, Laurent 80-81, 87 Micheli, Romano 184 Michelin, Jean 176 Michelot, Charles-Hyacinthe 228 * Mielle, Claude 294, 383, 388 Miglionico, Donato 145 * Mignon, Jean 284, 292, 391-394 Millot, Marie 171 * Minoret, Guillaume 58-59, 61, 64, 68, 287, 348 Miraglia [Muraglia], Michele 146 Mohy, Jean 99 Mohy, Remacle 99 Molinarus, Johannes, voir Muelnaere Momeux, Louis 239 * Mondonville, Jean-Joseph Cassanéa de 60, 71, 252, 313, 372-373 Mondran, Pierre-Louis de 111 Montagu, Gautier de 289 Montéclair, Michel Pignolet de 362 Montecuccoli, Raimondo, comte de 350 * Moreau, Jean-Baptiste 25, 31 * Morel, Ettienne-Benoist 228, 232, 235 195 * Moresi, Giovanni * Morgana, Francesco 151

* Morin, Jean-Baptiste 298, 312-313, 316 * Morinet, Jean-Jacques 82 * Morosini, Vincent Charles, dit Benfati 162-163 Morron, Jean 228-229 * Moscuzza, Ignazio 150 * Motta, Mariano 150 * Moulinié, Étienne 269, 289, 362, 364 * Moulu, Pierre 364 * Mouret, Jean-Joseph 316 Mozart, Leopold 223 Mozart, Wolfgang Amadeus 221, 223 Muccio, Giuseppe 130 Muelnaere, Roger de 333, 357 Muraglia, voir Miraglia Musmeci, Andrea 146 * Musmeci, Arcangelo 150 * Musmeci, Francesco 150 * Musmeci, Giuseppe 150 * Musmeci, Mauro 150 Musumarra, Angelo 146 * Musumeci, Giovanni Battista 126-127, 129-130, 150 Nani, Emmanuele 146 * Nanino, Giovanni Bernardino 193-194 * Nanino, Giovanni Maria 193 Nanino, Vittoria 193 Nassau-Weilburg, Karl Christian von 230 Necker, Jacques 11 Nicolas, Daniel 175-176 Nicolaÿ, Valentin 236 * Nicolon, Claude-Edme-Emmanuel, dit Lenoir 105-107, 113, 209 * Nivers, Guillaume-Gabriel 70, 292, 297-299, 302, 306, 312, 314, 324, 368 Noblet, Jacques 172 * Noël, Mr [Paris] 299-300, 310, 314 Noël, Pierre 225 Olivier (organiste) 175 * Ollier, Gilles 43 Olry de Lille 240 Orléans, Gaston d’ 364 Orléans, Louise-Adélaïde d’, abbesse de Chelles 298, 313 * Orléans, Philippe, duc d’ 59, 277, 313, 361 Oudoux, Nicolas 321 * Ouvrard, René 364-366, 368, 382 Ovide 354 Paci, Francesco 136 Pacini, Niccolò 146 Paisible, voir Mareschal Pajot, Charles 342 Palermo, Girolamo 146 * Palestrina, Giovanni Pierluigi da 185, 196, 296 Palissot de Montenoy, Charles 235 Palma, Michele 146 * Palmier [Balmier] [Beaune] 25

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INDEX DES NOMS PROPRES

* Parran, Antoine 364, 367-368, 373, 381 Pascal, Blaise 347 Pascal, Jacqueline 347 Pasciuta, Franco 147 * Pasqualini, Antonio Maria 197 Pasqualini, Marc’Antonio 197 Passeri, Giovanni Battista 189 Patrizi, Patrizio 190 Paul, Claude 170 * Paulin, Frédéric-Hubert 299, 314 361 * Péan, Mlle Peaucellier, Jean-Bruno 373 * Péchon, Pierre 364 * Pécune, Catherine 158 * Pellegrin, Claude-Matthieu 268, 364 Pellot, Claude 344 * Penna, Lorenzo 373 * Pennisi Privitera, Mariano 134, 146, 151 Pépin le Bref 169 Perez, David 119 Perez, Giuseppe 130 Perez, Pietro Antonio 130 Perrin, Pierre 58 Perticone, Andrea 148 Perticone, Antonio 130 Perticone, Paolo 148 Perticone, Saverio 148 * Petit [Alspach] 267 * Pétouille, François 64 * Pevernage, André 329-341, 353, 355-358 * Peyronnet, Jean 46 Phalèse, Pierre 99 * Phélippeaux, Mathurin 115 Philidor (famille) 361 Philidor, André Danican 64 * Philidor, François Danican 206 228 Philippe Ier de Parme, infant d’Espagne * Piccinni, Niccolò 239 * Piccione, Nicolò 123, 147, 152 * Picheré, don Guillaume 206 * Pichon, François 115 Pickart, voir Thibaut * Picot, Eustache 57 * Picot [Paris] 82 Pierre Canisius, saint 342 * Pietkin, Lambert 92, 95, 97-100 Pini (famille) 190 Pipti, Dioniso 198 Pipti, Urbano 198 Pisano, Francesco 136 * Pitoni, Giuseppe Ottavio 185, 188, 195 * Pittà, Antonino 141-142, 152 * Pittà, Paolo 141 * Platania, Alfio, junior 119, 134, 145-146, 150-151 * Platania, Alfio, senior 119, 124, 130-131,

133-134, 141-144, 147-148, 150-151 * Platania, Giovanni Battista 150 * Platania, Giuseppe 124, 147, 148 Platel, Nicolas-Joseph 85 Poisson, Léonard 323 * Poitevin, Guillaume 266, 268, 364 * Pollio, Pierre-Louis 13, 16, 21, 116, 157, 274, 276, 278 Pompadour, Jeanne-Antoinette Poisson, marquise de 85, 406 Ponti, Giuseppe 145 Pozzo, Corrado 146 Pozzo, Giuseppe 146 * Pradines, Jean-Étienne 16 Prieur (notaire) 176 Probus, Pierre 92 Prosperi, Livia 190 Proto, Francesco Maria 138 Proutiere, François 228 Quintilien 387 Rameau (famille) 169 Rameau, Antoine 170-175 * Rameau, Claude 169, 173-174 Rameau, François-Claude 170 Rameau, Hugues 170 Rameau, Jean (1575-1611) 170 Rameau, Jean (1638-1714) 170-171, 176 * Rameau, Jean-Philippe 82, 86, 105, 117, 169, 179, 362-363, 368-369, 372-373 Rateau, Madeleine 271 Ratti, Girolamo 189 * Ratti, Lorenzo 189-190, 193-194 * Rauch, Johann Georg 303, 307, 313-314 Raymondi, Daniel 94 Rault (poète) 346, 349 Reaulx, Jacques 342 * Regnaud, Jean-Léger 108 Regnault, Élisabeth-Charlotte 226 * Regnault, Jean 222, 226 Regnault, Joseph 226 Reinsard, Théodore 293 * Remouchamps, Henri de 99 Renauld, Jean-François 240-241 * Rey, Jean-Baptiste 363 Rey, Marie-René 226 * Richaud, Jean-Joseph 112 * Richter, Franz Xaver 233, 267 Riepp, Karl Joseph 171, 173 Riepp, Rupert 171, 173 * Rigel, Henri 363 * Rinaldi [Rinaldo], Andrea 130, 133, 138, 146, 151 Roberday, François 290 * Robert, Antoine 364 * Robert, Pierre 57-59, 61-62, 64, 66, 68, 70-71, 173, 270, 290, 365 * Roche, Jacques 271

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INDEX DES NOMS PROPRES

Rodolphe, voir Rudolph Roger, Cosme 350 Roscioli, Giovanni Maria 194 Rossi [Giano Nicio Eriteo], Giovanni Vittorio 186 Rosso, Giovanni 147 * Rouen, André 111, 328 Roufosse, Jean 96 * Roulleau, Thomas-Claude 116 Rousseau, Jean-Jacques 249, 373 * Rousseau, Jean-Marie 83, 292 Roussel, Claude 267 * Roussier, Pierre-Joseph 314 * Roussignol, Claude-Amable 26-27 * Roze, Nicolas 82-84, 86, 110, 372 * Rozerot, Edme 166 Rubino, Bonaventura 131 * Rudolph, Jean-Joseph, dit Rodolphe 363 Ruffino, Giuseppe 147 Russo, Carlo 146 * Saboly, Nicolas 267 * Sacchini, Antonio 239 Sagot, Louis-François 217 Saint-Benoist, voir Hermant Sainte-Anne, Alexis de 323 Saint-Georges, Jacques de 93 * Saint-Paul (fils de Jacques) 224 * Saint-Paul, Jacques 224 79 Saint-Vast, J. de (notaire) Saloma [Salome], Francesca 230 * Salomon [Nancy] 224 * Salomon, Joseph-François 287 148 Salvati, Francesco Sanlecque, Jacques I 284, 289-290 Sanlecque, Jacques II 289 290 Sanlecque, Marie Manchon, Vve Sanson, Estienne 293 Santeul, Jean 71 Santoro, Gaspare 146 Santquin, Denis 92 * Sapuppo, Francesco 126-127, 130 * Sauvage, Étienne 319 * Savart, Nicolas 84, 210, 213 * Savary, Jean 112 * Savioni, Mario 194 * Sayve, Lambert de 100 * Scarlatti, Alessandro 268 * Scarlatti, Domenico 136 132, 139, 151 * Scarrozza, Giovanni Battista Scarrozza, Vincenzo 132 Schnÿdre, Catherine-Émilie 230 * Schorn, François-Joseph 27 * Sciacca, Giovanni Battista 150 Scronx, Lambert 94 Secusio, Bonaventura 123 Séjean (famille) 169

* Sénéchal, Pierre-Antoine 76, 82 Senemont, François 230, 235 * Seurat, Claude-Frédéric 222-224, 226, 229, 231-232, 235, 240-241, 273 Seurat, Pierre 223 Sévigné, Marie de Rabutin-Chantal, Madame de 162 * Sfilio, Francesco 124, 129, 150 Silvius, voir Sylvius * Simian [Marseille] 266 * Simoneau, Pierre 14 Sinatra, Salvatore 132 Sluperius, Jacobus 336-338, 340 * Sorbilli, Leoluca 134, 137-138, 141, 150 Soullier, François 113 Sourches, Louis-François Du Bouchet, marquis de 70 Sozi, Sozio 191 Spagna, Arcangelo 192 Spalletta, Gio Battista 147 Spataro, Antonio 145 Stanislas, voir Leszczynski * Steffani, Agostino 378 Stella, Saverio 146 Stivale, Paolo 137 Streel, Guillaume-Henri 98, 99 Streel, Léonard 94, 99 Sublet (maître de musique) 295 * Sucheyras, Antoine 45-46, 48, 50 * Suffret [Paris] 316 Sylvius, Jean [Jean Dubois] 337-338, 340 * Tabart, Pierre 24, 364 Tachart, Guy 361 Tannevot, Alexandre 59, 66 Tarzinato, Francesco 146 Taschia, Ioanna 340, 358 * Thibaut, Adrien, dit Pickart 334 * Thierry [Arles] 265 * Thomassin, Aubin 222, 233 * Thomassin, Jacques 221 Thomassin, Pierre 233 Tiron, René 83 * Tissier, Joseph-Pierre 41, 217-218 * Titelouze, Jehan 172, 282-283, 286, 293, 347 * Toeschi, Carl Joseph 237 * Torlez, Charles-Joseph 210, 217, 247 Toscano [Torcano], Salvatore 146 Toulouse, Louis-Alexandre de Bourbon, comte de 283 * Tricot, Mr [Paris] 80 Trigona, Marco 122-123 Trigona e Asero, Laura 122-123 Triolo, Antonino 125, 133 Triolo, Ferdinando 148 Triolo, Ignatio 148 Triolo, Sebastiano 130

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INDEX DES NOMS PROPRES

Turenne, Henri de La Tour d’Auvergne, dit 341, 343, 350-355, 359-360 * Turgis, Étienne 79 Turicque, M. de 230 Ugolini, Giovanni Battista 189 Ugolini, Isapaola 189 * Ugolini, Vincenzo 185, 189-190, 193-194, 197-199 Ungaro [Vagaro?], Giovanni 146 Urbain VIII Barberini 185 Vadalà, Angelo 146 * Vaet, Jacobus 334 * Valentini, Pier Francesco 191 * Valenza, Antonino 141, 143, 152 Valerio, Antonio 146 Valerio, Pietro 146 * Valette de Montigny, Joseph 16, 24-25, 30-31, 316 Vallière, Antoine 42 * Vallière, Jean-Baptiste 266 * Vanhecke, Englebert 160, 163 Van Loo, Jean 335-338 Van Loo, Martin 333, 340, 338, 358 Varenne, Claude 177-178 Vasta, Rosario 146 Vauréal, Louis-Guy de Guérapin de 55, 63, 68, 304, 313 Vautrin, Jean-François 239 * Veillot, Jean 57 * Velasco, Pietro 151 Venouot, Robert 190 * Veyrien [Béziers] 24

Victoire, Victoire-Louise-Marie-Thérèse de France, dite Madame 224 * Vidalenche, François 111 Vieillard, J. 254 * Vignot, Auguste 255 * Villeneuve, Alexandre de 265, 307, 313-314 * Villesavoye, Paul 251-252, 254 * Villoteau, Guillaume-André 160 Vincenti, Alessandro 131, 193 * Vinci, Pietro 129 * Vitale, Giacomo 124, 127-128, 134, 143, 151 Vitry, Philippe de 364 Vittori, Loreto 186-187, 192 Vittorini, Agnese 201 Vittorio Amedeo di Savoia 143 * Vogel, Johann Christoph 239 Vuillaume, Joseph-Antoine 228 Wachtendonck, Arnold des 102 Warttensee, George Josephe Schnÿdre de 230 Wittelsbach, Ernest de 90 Wittelsbach, Ferdinand de 90, 101 Wullins, Pierre 357 Wullins, Robert 333, 339, 357 * Yart, Michel 293 Zafferana, Anna 136 Zafferana, Giambattista 136 Zappata y Cardenas, Michele 132 Zapullo, Giuseppe 146 * Zarlino, Gioseffo 364, 373

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BIOGRAPHIES DES AUTEURS Nathalie Berton-Blivet, ingénieure d’études au CNRS, est docteure en musicologie et titulaire d’un prix de traverso au CNSMDP. Après avoir consacré son doctorat au petit opéra en France (1668-1723), elle s’attache désormais à l’étude de la musique religieuse et a publié le Catalogue du motet imprimé en France (1647-1789) (SFM, 2011). À l’IreMus, elle collabore à trois programmes de recherches, l’étude et la valorisation de l’œuvre de P.-L. Pollio (1724-1796), l’édition critique des œuvres de Rameau et une édition en ligne d’articles du Mercure galant. Xavier Bisaro (1972-2018 †), était professeur de musicologie à l’Université François-Rabelais de Tours et chercheur au Centre d’Études Supérieures de la Renaissance. Après une thèse dédiée à L’Œuvre liturgique et musicologique de l’abbé Jean Lebeuf (1687-1760), il a consacré plusieurs ouvrages à l’histoire musicale du culte et à l’érudition liturgique dans la France d’Ancien Régime. Il était aussi à l’origine d’un grand projet sur le chant scolaire dans l’Europe moderne (Cantus Scholarum). François Caillou, docteur en Histoire, chercheur associé au laboratoire TEMOS (Le Mans Université), contribue à l’enquête MUSÉFREM (Musiques d’Église en France à l’époque moderne) depuis 2006. Dans ce cadre, ses recherches portent actuellement sur l’Alsace et la région parisienne. Il est l’auteur d’Une administration royale d’Ancien Régime : le bureau des finances de Tours (2 vol., 2005) et a collaboré à l’ouvrage Les Élites urbaines sous l’Ancien Régime. L’exemple de Tours (à paraître). Youri Carbonnier est maître de conférences HDR en histoire moderne à l’Université d’Artois (Arras). Ses recherches portent sur la ville moderne et sur les musiciens au XVIIIe siècle, principalement les musiciens du roi. Il a publié récemment « Les voix de dessus à la Chapelle royale au XVIIIe siècle : castrats, pages et faussets (1715-1792) », Revue de musicologie, 105-2 (2019), p. 245-284 et avec J. Duron, Charles Gauzargues (1723-1801), maître de musique de la chapelle de Louis XV, Paris, Picard, 2016. Galliano Ciliberti enseigne l’histoire de la musique au Conservatoire de Monopoli. Lauréat en Lettres (Perugia), docteur en musicologie (Liège), il a soutenu une thèse de post-doctorat à l’EPHE de Paris. Auteur de nombreux essais et livres, il a obtenu le Premio Bertini Calosso (1998-2000) et l’Idoneità Scientifica Nazionale pour l’enseignement du théâtre, de la musique, du cinéma et de la télévision. Ses travaux portent sur les rapports musicaux entre Rome et Paris ainsi que sur la musique religieuse romaine au XVIIe siècle. Émilie Corswarem est chercheuse qualifiée FRS-FNRS et maîtresse de conférences en musicologie à l’Université de Liège. Ses recherches se concentrent dans le champ de l’histoire sociale de la musique aux XVIe et XVIIe siècles à Rome, à Liège et dans les anciens Pays-Bas. Elle se focalise notamment sur des questions de musique urbaine, de transferts artistiques et de mécénat en lien avec le genre du madrigal italien dans les anciens Pays-Bas et la vie musicale des églises nationales à Rome. Maître de conférences Cum Merito à l’université de Lorraine, membre associé du CRULH, René Depoutot est l’auteur d’articles qui portent principalement sur l’activité musicale en Lorraine ducale puis française (institutions nancéiennes, musiques ducales, transferts culturels) durant la seconde moitié du XVIIIe et le début du XIXe siècles. Il a publié un dictionnaire biographique des musiciens à Nancy aux XVIIe et XVIIIe siècles et prépare un ouvrage sur les Concerts et la Comédie (1731-1811). Bernard Dompnier, professeur émérite d’histoire moderne à l’Université Clermont Auvergne et membre honoraire de l’IUF, est un spécialiste du catholicisme des XVIIe et XVIIIe siècles. Après des travaux sur les ordres religieux, les missions et les confréries, il a orienté ses recherches vers l’histoire des dévotions et vers celle des musiciens d’Église. Il a récemment dirigé la publication du volume Les Langages du culte aux XVIIe et XVIIIe siècles (Clermont-Ferrand, PUBP, 2020). Fondateur et directeur (1989-2007) de l’Atelier d’études du CMBV, Jean Duron travaille sur la musique à l’époque de Louis XIV, principalement aux moyens de son interprétation : effectifs, contrepoint, composition, structures, affects et théorie. Ses travaux concernent notamment les grandes formes (grand motet, tragédie en musique), la musique de la Cour, celle des grandes cathédrales du royaume et, dans tous ces domaines, la question du statut des sources. Thierry Favier est professeur à l’Université de Poitiers, membre du RIHAM (EA 4270). Ses travaux portent sur la musique religieuse française des XVIIe et XVIIIe siècles, les collections musicales privées, le concert, la notion de genre musical dans les transferts culturels, et le rôle de la musique dans le régime d’historicité propre au XVIIIe siècle. Il prépare actuellement un ouvrage sur la dimension sonore globale des fêtes organisées en 1729 pour la naissance du fils de Louis XV.

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BIOGRAPHIES DES AUTEURS

Chercheuse associée au laboratoire TEMOS, Sylvie Granger travaille sur les sociétés provinciales du XVIIIe siècle, villageoises (Souvenirs d’un villageois du Maine, PUR, 2016), et surtout urbaines (Journal d’un chanoine du Mans, PUR, 2013, ou, plus récemment, Danser dans la France des Lumières, PUR, 2019). S’attachant à faire surgir de l’ombre les musiciennes méconnues (Musiciennes en duo, PUR, 2015), elle coordonne la base de données MUSÉFREM (http://philidor.cmbv.fr/ musefrem/). Depuis 1986, Laurent Guillo travaille sur les sources imprimées et manuscrites de la musique francophone sous l’Ancien Régime. Il a élargi ce champ à l’histoire des collections musicales et aux conditions matérielles et légales de l’édition (privilèges, matériel, gravure, copie, pochoir…). Ses recherches relèvent des problématiques de l’Histoire du Livre, approfondissant les composantes technique, intellectuelle et commerciale de l’édition. Il travaille au Centre de Musique Baroque de Versailles. Bernard Hours est professeur d’histoire moderne à l’Université Jean Moulin – Lyon 3. Ses recherches, développées au sein de l’UMR 5190 LARHRA qu’il a dirigée pendant 10 ans, portent sur l’histoire religieuse et politique de la France de la deuxième modernité. Il a travaillé en particulier sur les milieux dévots à la Cour sous le règne de Louis XV et sur l’histoire des ordres religieux, notamment le Carmel féminin. Son dernier livre est consacré à Jean-Baptiste de La Salle (Paris, 2019). Érik Kocevar est musicologue, docteur en Histoire de la Musique et Musicologie (Université de Paris IV-Sorbonne, 1990). Ses recherches concernent principalement la musique dans les églises de France aux XVIIe et XVIIIe siècles : orgues, organistes, enfants de chœur, maître de musique, serpents, carillonneurs. Il a publié Collégiale Sainte-Opportune de Paris : Orgues et Organistes 1535-1790 (1996) et a collaboré à de nombreux recueils collectifs. Il est co-rédacteur en chef de la revue L’Orgue. Thomas Leconte est chercheur au sein du pôle Recherche du Centre de musique baroque de Versailles (CESR, UMR 7323) et responsable éditorial des collections patrimoniales. Après de nombreux travaux consacrés à l’étude historique et musicale des musiques de société du XVIIe siècle français et à la genèse du premier grand motet louisquatorzien, il se concentre plus particulièrement sur les musiques curiales (fonctions, répertoires, pratiques), et notamment sur leurs liens avec le cérémonial. Enseignant l’histoire de la musique au Conservatoire de Reggio Calabria, Nicolò Maccavino a publié notamment Il Teatro d’opera a Caltagirone dalla fine del Seicento al primo Novecento (Rome, 2012), de nombreux articles dans des revues scientifiques et des éditions critiques. Ses recherches portent principalement sur les compositeurs de l’école napolitaine du XVIIIe siècle. Il coordonne pour la Sicile Sud-orientale le projet CLORI-Archivio della Cantata italiana de la Société Italienne de musicologie. Bastien Mailhot est docteur en histoire, enseignant et chercheur associé au Centre d’Histoire « Espaces et Cultures » de l’Université Clermont Auvergne. Sa thèse, publiée en 2018 aux Presses universitaires Blaise Pascal, a pour objet les enfants de chœur et les maîtrises des églises du centre de la France aux deux derniers siècles de l’Ancien Régime. Collaborateur de l’enquête MUSÉFREM, il a couvert les recherches concernant le département du Puy-de-Dôme dont la synthèse est en ligne depuis juin 2020. Christophe Maillard, docteur en histoire moderne (Université de Bordeaux-3), chercheur associé au laboratoire TEMOS (Le Mans Université), enseigne dans le secondaire. Ses recherches portent sur le monde canonial, la liturgie et les musiciens d’Église à la fin de l’Ancien Régime. Il a publié en ligne plusieurs synthèses départementales dans le cadre de l’enquête prosopographique MUSÉFREM. Il est l’auteur d’une thèse sur Le Chapitre et les chanoines de la “Noble et Insigne Eglise de Saint-Martin de Tours” au XVIII e siècle. Titulaire de deux premiers prix du Conservatoire national supérieur de musique de Paris et Doctor of Philosophy in Musicology de Duke University, où il s’est spécialisé dans la musique religieuse de la France baroque, Jean-Paul C. Montagnier est actuellement professeur de musicologie à l’Université de Lorraine (Nancy). Son dernier ouvrage, The Polyphonic Mass in France, 1600-1780. The Evidence of the Printed Choirbooks a été publié par Cambridge University Press en 2017. Aline Smeesters est chercheuse qualifiée du Fonds National belge de la Recherche Scientifique à l’UCLouvain (Louvain-la-Neuve, Belgique), où elle co-dirige le centre de recherche GEMCA (Group for Early Modern Cultural Analysis). Philologue classique de formation, elle mène des recherches dans le domaine de la littérature néo-latine (poésie de circonstance et théories poétiques notamment).

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Table des matières Bernard Dompnier, Jean Duron Présentation

5

Le kaléidoscope d’une profession Bernard Dompnier Le métier de maître de musique, entre normes et pratiques

11

Bastien Mailhot L’exercice du métier de maître de musique dans les « petites églises » : simple différence de degré ou statut singulier ?

37

Thomas Leconte Le maître de Musique de la Chapelle du roi : hiérarchie, prérogatives et fonctions

53

François Caillou Les maîtres de musique des églises de Paris dans la seconde moitié du XVIII e siècle

75

Émilie Corswarem De l’efficacité d’un modèle local : être maître de chant à la cathédrale Saint-Lambert de Liège (1581-1650)

89

Faire carrière Youri Carbonnier « Un jeune homme se présente pour être maître de musique » : Débuter dans la carrière au XVIII e siècle

105

Niccolò Maccavino Maestri di cappella e la loro attività svolta nei secoli XVII e XVIII in alcune istituzioni musicali della Sicilia orientale: Acireale, Caltagirone, Noto e Piazza Armerina

119

Sylvie Granger Itinérance ou stabilité des maîtres de musique de 1790, à travers la base prosopographique MUSÉFREM

155

Érik Kocevar L’organiste de collégiale et de cathédrale aux XVII e et XVIII e siècles : réflexions sur le statut d’un des hommes-clé des cérémonies religieuses en France

169

L’entrepreneur de musique Galliano Ciliberti Un impresario in chiesa: il maestro di cappella a Roma e nello Stato Pontificio nel Seicento

423

183

TABLE DES MATIÈRES

Christophe Maillard Le maître de musique dans les villes où rivalisent deux corps de musique prestigieux à la fin du XVIII e siècle

205

René Depoutot Maître de musique d’église à Nancy au XVIII e siècle : du chœur de la primatiale à la salle du Concert et de la Comédie

221

Thierry Favier Le maître de musique d’Église et le concert en province au XVIII e siècle

243

Le maître et le livre Jean Duron Le maître et son œuvre : la nécessité d’un classement, l’espoir d’une préservation

263

Laurent Guillo Les maîtres de chapelle entre institution et édition (XVII e-XVIII e siècles)

281

Nathalie Berton-Blivet Le maître de musique entre public et édition (XVII e-XVIII e siècles)

297

Pratiques d’enseignement Xavier Bisaro L’enfance de l’art : les maîtres de musique et l’enseignement du plain-chant au XVIII e siècle

319

Aline Smeesters Collaborations de poètes néo-latins et de compositeurs de musique à l’époque moderne : deux cas d’étude

329

Jean Duron Le maître théoricien aux XVII e et XVIII e siècles : l’apprentissage de la composition musicale

361

Jean-Paul C. Montagnier La messe polyphonique en livre de chœur comme outil pédagogique

381

Conclusion Bernard Hours Maître de musique, une fonction au profil mouvant

399

Index des lieux

407

Index des noms propres

410

Biographies des auteurs

421

424