Le Double Portrait De Juda: Genese 38 Et 49, Et La Question De L'identite D'israel a L'epoque Perse 9789042948549, 904294854X

La construction du Pentateuque manifeste l'identite anti-egyptienne d'Israel en s'appuyant sur l'ele

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Le Double Portrait De Juda: Genese 38 Et 49, Et La Question De L'identite D'israel a L'epoque Perse
 9789042948549, 904294854X

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REMERCIEMENT
PRÉFACE
INTRODUCTION GÉNÉRALE

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ÉTUDES BIBLIQUES

LE DOUBLE PORTRAIT DE JUDA Genèse 38 et 49, et la question de l’identité d’Israël à l’époque perse par Dan WANG

PEETERS

LE DOUBLE PORTRAIT DE JUDA

ÉTUDES BIBLIQUES (Nouvelle série. No 93)

LE DOUBLE PORTRAIT DE JUDA Genèse 38 et 49, et la question de l’identité d’Israël à l’époque perse par Dan WANG

PEETERS LEUVEN – PARIS – BRISTOL, CT 2022

Cet ouvrage a reçu le prix Jean et Maurice de Pange. ISBN 978-90-429-4854-9 eISBN 978-90-429-4855-6 D/2022/0602/82 A catalogue record for this book is available from the Library of Congress. © 2022, Peeters, Bondgenotenlaan 153, B-3000 Leuven, Belgium

REMERCIEMENT La Parole de Jésus adressée à la Samaritaine : « Si tu savais le don de Dieu » (Jn 4,10a) pourrait conclure mes années de recherche. Ce don, je ne pourrai jamais en mesurer « la largeur, la longueur, la hauteur et la profondeur » (Ep 3,18). Je reconnais que c’est le Seigneur qui m’accompagne dans ma vocation de scruter l’Écriture sainte : ce chemin intellectuel est un chemin de conversion. Ce livre est une version remaniée et abrégée de ma thèse de Doctorat en Théologie, intitulée « Genèse 38 et 49, et la question de l’identité d’Israël à l’époque perse », soutenue le 25 juin 2021, au Theologicum, Faculté de Théologie et de Sciences Religieuses de l’Institut Catholique de Paris. À mon directeur de thèse, le Professeur Olivier Artus, qui m’a orientée, conseillée et encouragée dans ma recherche, je dois exprimer ma plus vive gratitude. Sur l’itinéraire que j’ai eu la chance de parcourir avec lui, il a posé les repères sans lesquels je n’aurais pas osé m’avancer. Son attention critique et assidue, sa disponibilité, sa patience m’ont permis d’aller au terme de ma démarche. C’est grâce à ses suggestions stimulantes, à la rigueur de ses jugements, que ma thèse a pu finalement prendre forme. Je remercie le Professeur Sophie Ramond (ICP), présidente du jury de thèse, le Professeur Dany Nocquet (IPT) et le Professeur Thomas Römer (Collège de France), lecteurs à titre d’experts extérieurs du jury de thèse, pour leurs précieuses remarques et leurs encouragements. Je dois des remerciements particuliers à Jean-Louis Pierson qui m’a apporté son aide pour exprimer en français mes découvertes, et à Christian Vallois qui a traduit de l’allemand les articles nécessaires à mon travail et m’a initiée à cette langue. Je remercie les sœurs de Bethléem qui m’ont donné le goût et l’amour de l’Écriture sainte et sont à l’origine de mon engagement dans les études bibliques, ainsi que les Pères Arnaud Adrien, Laurent Sentis et Olivier Nguyen du séminaire de Toulon. Merci aux Pères du Collège des Bernardins, Jean-Philippe Fabre, Stéphane Duteurtre et surtout Jean-Louis Deloffre rappelé au Père avant l’aboutissement de mon travail. Je remercie les amis et les professeurs de l’École biblique et archéologique française de Jérusalem pour l’appui qu’ils m’ont offert en vue de la publication de cet ouvrage, spécialement son Directeur le Frère JeanJacques Pérennès, le Père Émile Puech pour sa relecture, le Frère Lukasz

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REMERCIEMENT

Popko pour la correction des deux premiers chapitres, les Frères Marc Leroy et Bernard Ntamak Songué pour la mise en forme, ainsi que Sœur Marie-Reine Fournier pour la réalisation des deux cartes annexées. Je remercie le Frère Paolo Garuti d’avoir accepté ce livre dans la collection « Études Bibliques » qu’il dirige. Je le remercie pour ses conseils avisés. Je remercie les éditions Peeters, en particulier M. Ingemar Spelmans, pour leur assistance éditoriale et technique. Je remercie très vivement le Père Vincent Sénéchal, supérieur des Missions Étrangères de Paris et les membres du Conseil, pour la générosité avec laquelle ils m’ont accueillie durant ces années d’études. Je garderai le souvenir ineffaçable de l’entourage fraternel des Pères Lucien Legrand, Guillaume Lepesqueux, Bernard de Terves, Bruno Lepeu, et du dévouement de l’équipe du service des prêtres étudiants : le Père François Glory et Ghislaine Olive. Ma reconnaissance s’étend à tous les missionnaires des MEP envoyés en Chine. J’exprime toute ma gratitude à mes frères et sœurs chrétiens chinois qui me soutiennent depuis tant d’années. Au moment de la récolte des fruits de notre travail, je suis très émue à la pensée de ceux qui traversent leurs épreuves actuelles dans la fidélité au Seigneur, ces « grains de blé tombés en terre » (cf. Jn 12,24). Mes derniers remerciements, très chaleureux, vont à mes parents, Paul WANG et Thérèse FAN, auxquels je dédie ce livre. Ils ont accepté de laisser « prendre leur fille, leur unique et celle que leur cœur aime » (cf. Gn 22,2) pour la donner au Seigneur. Je reconnais dans ce « Fiat » le don d’eux-mêmes. Jérusalem, Dan WANG

PRÉFACE Si l’ensemble littéraire constitué par les chapitres 37–50 du livre de la Genèse a fait l’objet de nombreuses études, dont les plus récentes ont conclu à l’insertion tardive de ces chapitres dans leur contexte littéraire, les recherches consacrées aux chapitres 38 et 49 de ce livre sont moins nombreuses. Pourtant, ils posent de délicates questions exégétiques : insérés dans l’ensemble narratif Gn 37–50, ces deux chapitres doivent cependant en être distingués par leur thématique et par leur spécificité théologique. De plus, ces textes sont, à l’évidence, opposés par des divergences idéologiques. Celles-ci se déploient autour de deux axes : – D’une part, l’appréciation différenciée du personnage de Juda, mis en cause par le récit de Gn 38, puis extrêmement valorisé par la bénédiction de Gn 49,8-12 ; – D’autre part, l’approche diversifiée de la relation aux étrangers, puisque Gn 38 met en valeur le personnage de Tamar, femme qui est probablement cananéenne, et, ce faisant, témoigne d’un souci d’ouverture de la communauté d’Israël aux étrangers, là où Gn 49 a pour perspective exclusive la destinée des tribus dans le pays promis. Partant de ces constats, la recherche menée par Dan Wang vise donc à préciser la spécificité littéraire et théologique de Gn 38 et de Gn 49, mais également à mettre au jour d’éventuelles interactions entre ces textes dont l’énoncé semble entrer en débat. L’étude qui est ici proposée emprunte les chemins classiques de l’exégèse biblique, articulant les données de la critique textuelle, les apports de la critique des traditions, et enfin ceux de la critique de la rédaction, concernant les étapes plus récentes de la composition du texte. D’une manière plus large, l’ouvrage s’attache également à repérer les « lignes de fracture » de l’histoire de Joseph – opposition Nord/Sud (Joseph versus Juda) ; opposition diaspora/communauté établie en Canaan avec les multiples allers-retours Canaan/Égypte – et à en rendre compte. L’étude menée par Dan Wang, conclut, comme celles qui l’ont précédée sur le même thème, au caractère tardif de l’insertion de Gn 38 et de Gn 49 dans leur contexte littéraire. Mais elle s’attache également à caractériser avec précision les débats que reflète l’insertion de ces textes dans le livre de la Genèse :

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PRÉFACE

– Les bénédictions de Gn 49 permettent d’intégrer dans une logique et dans un cadre qui sont ceux du Pentateuque les récits concernant Joseph, qui, valorisant la diaspora égyptienne, peuvent être qualifiés quant à eux d’« anti-exodiques ». – Gn 38 propose une compréhension « ouverte » de la communauté d’Israël, qui tranche avec celle que reflètent les bénédictions de Gn 49. L’ouvrage de Dan Wang, qui est la publication de sa dissertation doctorale, constitue ainsi une contribution originale et remarquable à la recherche exégétique sur le livre de la Genèse, et plus particulièrement sur les phases les plus tardives de sa composition. Prof. Olivier ARTUS

ABRÉVIATIONS Les abréviations suivantes font référence aux périodiques et aux collections spécialisés dans les études sur l’Ancien Testament et le Proche-Orient ancien1, ainsi qu’à certaines abréviations générales utilisées dans cette recherche. 4Q ‫א‬ A α’ σ’ θ’ ÄAT AB ACF AJBA Ä&L A.J. ArchB AfO AS B BAeg BArR BASOR BBET BDB DDD BETL BJ BJS BH BHQ BHS BI Bib BN BiInS BeO BSac BTB 1

Manuscrits de Qumrân, grotte 4 Codex Sinaïticus Codex Alexandrinus Aquila Symmachus Theodotion Ägypten und Altes Testament Anchor Bible Annuel du Collège de France Australian Journal of Biblical Archaeology Ägypten und Levante Les Antiquités Juidaïques Archaeology and Bible Archiv Für Orientforschung Antiquités Sémitiques Codex Vaticanus Bibliotheca Aegyptiaca Biblical Archeology Review Bulletin of the American Schools of Oriental Research Beiträge zur biblischen Exegese und Theologie Enhanced Brown-Driver-Briggs Hebrew and English Lexicon Dictionary of Deities and Demons in the Bible Bibliotheca Ephemeridum Theologicarum Lovaniensium Bible de Jérusalem Brown Judaic Studies Bible Hébraïque Biblia Hebraica Quinta Biblia Hebraica Stuttgartensia Biblical Interpretation Biblica Biblische Notizen Biblical Interpretation Series Bibbia e Oriente Bibliotheca Sacra Biblical Theology Bulletin

S. SCHWERTNER, 2014.

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BThSt BWANT BZ BZAR BZAW CAT CBET CBQ CBQMS CBR CÉv.S CHANE CJ CRB CTR DBL DCH DJD DSD DWO EA EAO EB EssBib ETR FAT FAT.2 FB FRLANT FV HeBAI HBM Hen. HTB HThKAT HThR HUCA IEJ JAEI JAJSup JANER JANES JBL JBLMS JBQ JBR

ABRÉVIATIONS

Biblisch-theologische Studien Beiträge zur Wissenschaft vom Alten und Neuen Testament Biblische Zeitschrift Beihefte zur Zeitschrift für altorientalische und biblische Rechtsgeschichte Beihefte zur Zeitschrift für die alttestamentliche Wissenschaft Commentaire de l’Ancien Testament Contributions to Biblical Exegesis and Theology Catholic Biblical Quarterly Catholic Biblical Quarterly Monograph Series Currents in Biblical Research Cahier Évangile – Supplément Culture and History of the Ancient Near East Cycle de Joseph Cahiers de la Revue Biblique Criswell Theological Review Dictionary of Biblical Languages with Semantic Domains Dictionary of Classical Hebrew Discoveries in the Judaean Desert Dead Sea Discoveries Die Welt des Orients Les lettres d’El Amarna Égypte Afrique & Orient Études Bibliques Essais Bibliques Études Théologiques et Religieuses Forschungen zum Alten Testament Forschungen zum Alten Testament – 2.Reihe Forschung zur Bibel Forschungen zur Religion und Literatur des Alten und Neuen Testaments Foi et Vie Hebrew Bible and Ancient Israel Hebrew Bible Monographs Henoch Histoire du texte biblique Herders theologischer Kommentar zum Alten Testament Harvard Theological Review Hebrew Union College annual Israel Exploration Journal Journal of Ancient Egyptian Interconnections Journal of Ancient Judaism – Supplements Journal of Ancient Near Eastern Religions Journal of the Ancient Near Eastern Society Journal of Biblical Literature Journal of Biblical Literature – Monograph Series The Jewish Bible Quarterly Journal of the Bible and Its Reception

ABRÉVIATIONS

JHS JNES JNSL JQR JSJ.S JSOT JSOTS JSPE JTS KStTh LAPO LD LHB.OTSt LR LXX MdB NICOT OBO OBO.A OBL OTE OTS OTSSA PÄ PIBA POA PZB RHPR RLC RdQ RStB RSR RThPh RTL SAK SubBi SBL SBL.AIL SBLSymS SBLMS SC SCSt SEÅ Sem. SémBib SEERI SJ SJOT

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Journal of Hebrew Scriptures [Online-Ressource] Journal of Near Eastern Studies Journal of Northwest Semitic Languages Jewish Quarterly Review Journal for the Study of Judaism – Supplements Journal for the Study of the Old Testament Journal for the Study of the Old Testament – Supplement Series Journal for the Study of the Pseudepigrapha Journal of Theological Studies Kohlhammer-Studienbücher Theologie Littératures Anciennes du Proche-Orient Lectio Divina Library of Hebrew Bible. Old Testament Studies Le Livre et le Rouleau La Septante Le Monde de la Bible New International Commentary on the Old Testament Orbis Biblicus et Orientalis Orbis Biblicus et Orientalis – Series Archaeologica Orientalia et Biblica Lovaniensia Old Testament Essays Oudtestamentische studiën Old Testament Society of South Africa Probleme der Ägyptologie Proceedings of the Irish Biblical Association Proche-Orient ancien Protokolle zur Bibel Revue d’Histoire et de Philosophie Religieuses Revue de Littérature Comparée Revue de Qumrân Ricerche storico-bibliche Recherches de Science Religieuse Revue de Théologie et de Philosophie Revue Théologique de Louvain Studien zur altägyptischen Kultur Subsidia Biblica Society of Biblical Literature Society of Biblical Literature – Ancient Israel and Its Literature Society of Biblical Literature – Symposium Series Society of Biblical Literature – Monograph Series Sources Chrétiennes Septuagint and Cognate Studies (Series) Svensk exegetisk årsbok Semitica Sémiotique et Bible St. Ephrem Ecumenical Research Institute Studia Judaica – Forschungen zur Wissenschaft des Judentums Scandinavian Journal of the Old Testament

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Smr SSN StSam SVTP Syr TA TgN TgO TgPJ TgF ThR TM TOB TrEu TSAJ TZ TynB UF VeEc Vg VL VT VT.S WBC WMANT YNER ZABR ZAW

ABRÉVIATIONS

Pentateuque Samaritain Studia Semitica Neerlandica Studia Samaritana Studia in Veteris Testamenti Pseudepigrapha Syriaque Tel Aviv Targum Neofiti Targum Onqelos Targum Pseudo-Jonathan Fragment du Targum du Pentateuque Theologische Rundschau Texte Massorétique Traduction œcuménique de la Bible Transeuphratène Texts and Studies in Ancient Judaism Theologische Zeitschrift Tyndale Bulletin Ugarit-Forschungen Verbum et Ecclesia Vulgate Vertus Latina Vetus Testamentum Vetus Testamentum – Supplements Word Biblical Commentary Wissenschaftliche Monographien zum Alten und Neuen Testament Yale Near Eastern Researches Zeitschrift für altorientalische und biblische Rechtsgeschichte Zeitschrift für die alttestamentliche Wissenschaft

INTRODUCTION GÉNÉRALE Le livre de la Genèse compte 1534 versets dont un tiers environ correspond à l’histoire de Joseph (557 versets, de Gn 36,2 à Gn 50,26)1. La longueur du récit n’est pas le seul motif d’étonnement. Son contenu est également original, car il tranche nettement par rapport à l’histoire patriarcale de Gn 12–36 et celle de la sortie d’Égypte relatée dans le livre de l’Exode. D’une part, Dieu y intervient rarement, ce qui peut le faire apparaître comme « profane » ; et d’autre part, Pharaon et les Égyptiens, ennemis des Hébreux en Ex, accueillent ces derniers et les sauvent de la famine. L’histoire de Joseph se termine en Égypte (‫במצרים‬, Gn 50,26), avec cependant la perspective d’un retour en Canaan. Le Pentateuque présente la sortie d’Égypte comme un événement fondateur2, et cette identité exodique est proclamée principalement dans l’introduction des décalogues en Dt 5,6 et Ex 20,2 en des termes identiques : ‫אנכי יהוה אלהיך אשר הוצאתיך מארץ‬ ‫מצרים מבית עבדים‬. Ces textes « catéchétiques3 » fournissent une clef herméneutique dans le contexte du Pentateuque : ‫ יצא‬+ ‫ ארץ מצרים‬+ ‫בית עבד‬. Par ailleurs, une stricte séparation entre Israël et l’Égypte se manifeste : – Abraham quitte l’Égypte en Gn 12,20 ; – la servante égyptienne de Sara, Agar, et son fils Ismaël sont rejetés de la lignée israélite en Gn 21,10.14 ; – Isaac se voit interdire par le Seigneur de descendre en Égypte en Gn 26,24 ; 1 La place occupée par cette histoire dans la Bible a conduit l’écrivain allemand Thomas Mann à lui consacrer quatre volumes, Joseph und seine Brüder, pour souligner son influence en se focalisant sur le personnage de Joseph. Mann écrit cette tétralogie romanesque entre 1933 et 1943. Il s’agit d’une réécriture de l’histoire de Joseph tirée du livre de la Genèse et que l’auteur transpose à la période amarnienne sous le règne du Pharaon Akhenaton (1353– 1336 av. J.-C.), cf. T. MANN 1952. Le compositeur Andrew Lloyd Webber a même choisi ce sujet pour une comédie créée en 1968 : Joseph and the Amazing Technicolor Dreamcoat. On trouvera une liste des œuvres musicales et littéraires inspirées de l’histoire de Joseph, dans G. BILLON, G. DAHAN, A. LE BOULLUEC 2004, 114-126. 2 Cf. J.L. BERQUIST 2006, 64. Berquist emploie l’expression « a rejection of Egypt » pour décrire cette définition identitaire dans la Torah. 3 L’expression est employée par T. RÖMER 2006, 61-64. 4 Ska remarque à ce propos : Isaac « sera vraiment l’unique patriarche qui soit toujours resté en terre promise, à l’inverse d’Abraham et de Jacob, qui, l’un et l’autre, sont descendus en Égypte (Gn 12,10 ; 46,2-3). Tout compte fait, un Isaac était nécessaire et il devait rester en terre promise pour justifier le droit de ses descendants sur cette terre », J.L. SKA 2016a, 134.

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INTRODUCTION GÉNÉRALE

– Moïse conduit le peuple d’Israël hors d’Égypte et lui-même avec toute la génération née en Égypte meurt dans le désert ; la nouvelle génération, indemne de l’expérience égyptienne, pourra seule accéder à la terre promise. La construction du Pentateuque manifeste ainsi une identité antiégyptienne. En revanche, le cycle de Joseph présuppose des rapports moins conflictuels avec l’Égypte5. Le peuple d’Israël est sauvé par les Égyptiens et il trouve une vie heureuse en Égypte. Ainsi, l’identité exodique du peuple d’Israël confirmée dans le Pentateuque est mise en débat par un cycle de Joseph anti-exodique6. La fin du cycle de Joseph met en concurrence la formation d’un Hexateuque et d’un Pentateuque7. D’une part, Joseph et Josué sont morts tous les deux à l’âge de cent dix ans (Gn 50,22.26 ; Jos 24,29) et la destination finale des ossements du premier permet de relier Gn 50,25 et Ex 13,19 à Jos 24,32 ; il y a donc unité de Gn à Jos8. D’autre part, le parallélisme : discours et mort de Jacob // fin de Moïse (Gn 49–50 et Dt 33–34), contribue à la construction pentateucale détachée du livre de Josué. Cette séparation révèle la présence de deux propositions d’identités concurrentes : une identité d’Israël ancrée dans la Loi9, et une identité qui se définit et se confirme dans la conquête et la possession d’une terre promise10. En 5 G. GALVIN 2011, 61. Il développe particulièrement la comparaison entre Joseph et Moïse, deux leaders du peuple d’Israël et refugiés en Égypte : l’un y a vécu une expérience positive, l’autre négative. Par ailleurs, Nocquet emploie des expressions percutantes : « Gn 37–50 est un Exode à l’envers » (p. 233) ; « L’histoire de Joseph est une histoire de salut inversée, il faut sortir de Canaan pour aller vers la terre promise qu’est l’Égypte » (p. 245-246), cf. D. NOCQUET 2017, 232-249. 6 Cf. A. de PURY, T. RÖMER 1995, 25-34. Boyer remarque que le Pharaon est présenté à la fois comme accueillant et comme un roi oppresseur et violent. Les deux images du peuple d’Israël en Égypte sont également en contraste : la vie heureuse ou la misère, cf. F. BOYER 2008, 139-142. 7 Depuis la publication des théories documentaires, l’œuvre classique de Wellhausen sur l’Hexateuque a été développée plus explicitement par von Rad. Selon ce dernier, les traditions anciennes sur les origines d’Israël se trouvent dans les crédos historiques qui se terminent par la mention de la terre, par exemple, Dt 26,5-9 et Jos 24,2-3, cf. J. WELLHAUSEN 1899 ; G. VON RAD 1938. L’hypothèse d’un projet littéraire portant l’empreinte d’une concurrence entre les rédactions hexateucale et pentateucale a trouvé un appui dans des recherches récentes de Otto et de Achenbach : cf. E. OTTO 2004, 14-35 ; R. ACHENBACH 2003. 8 Jos 24 joue un rôle déterminant pour trancher la question des rédactions hexateucale et pentateucale. Nous présenterons un exposé détaillé sur ce point dans le chapitre I. 9 Ska remarque que la communauté d’Israël postexilique définit son identité moins dans « une ville de pierre » que dans « une ville des mots ». Selon lui, « the basic idea was to create an identity around the observance of the same customs, namely the same Torah ». J.L. SKA 2016b, 121. 10 La divergence des deux identités théologiques est surtout développée par les commentateurs qui soutiennent l’hypothèse d’une rédaction primitivement hexateucale puis

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outre, le parallélisme entre la vie heureuse de Joseph en Égypte et les séjours du roi Joiakîn en Babylone en 2 R 25,27-30 démontre non seulement la possibilité d’une vie heureuse en diaspora11, mais laisse envisager l’existence de cohérences ennéateucales12. Ces remarques montrent l’importance du cycle de Joseph dans le débat sur le pluralisme identitaire des communautés d’Israël et la formation du Pentateuque. Par ailleurs, le récit commence avec les mots ‫( אלה תלדות יעקב‬voici l’histoire de Jacob). En effet, Joseph est introduit tout de suite par ‫יוסף‬ ‫( בן־שבע־עשרה שנה‬Joseph, âgé de dix-sept ans)13. Malgré les intitulés – « le cycle de Joseph » ou « le roman de Joseph », voire « la nouvelle de Joseph »14 –, il est évident que Gn 38 (l’histoire de Juda et de Tamar) et Gn 49 (le discours de Jacob et de sa mort) ne s’insèrent pas naturellement dans le cadre de l’histoire du personnage « Joseph ». Ces deux chapitres ont en commun l’évocation d’un autre personnage – Juda – et l’intérêt pour le pays de Canaan. En outre, ces deux chapitres semblent en tension avec leur contexte d’énonciation, et de manières différentes. Le premier introduit une rupture narrative entre Gn 37,36 et Gn 39,1 : la vente de Joseph en Égypte. Ainsi, Weimar considère ce chapitre problématique comme un « Fremdkörper » dans le contexte de l’histoire de Joseph15. Le deuxième chapitre apporte la révélation d’un double testament de Jacob. En Gn 48 Joseph remplace pentateucale vers le Ve s. av. J.-C., cf. E. OTTO 2000 ; T. RÖMER 2002a, 215-231 ; T. RÖMER 2016, 813-827 ; R. ACHENBACH 2003. Achenbach remarque que l’alliance conclue par Josué à Sichem fait référence à ‫ בספר תורת אלהים‬qui pourrait marquer une nette séparation avec la suite des livres des Juges, de Samuel et des Rois. Selon lui, l’histoire hexateucale rassemble tous les éléments nécessaires au peuple d’Israël pour vivre dans la terre promise, alors que Jg et 1-2 R décrivent une histoire désobéissante. R. ACHENBACH 2007, 258. 11 Cf. M.J. CHAN 2013, 566-577 ; I.D. WILSON 2014, 521-534. 12 Cf. K. SCHMID 1999, 138-165 ; K. SCHMID 2007b, 35-45 ; R.G. KRATZ 2005, 306307 ; P. GIBERT 2005, 355-380 ; B. GOSSE 2002, 189-211. Gibert soutient l’idée d’une narration ininterrompue depuis la création du monde jusqu’à l’exil. Gross voit cette unité littéraire comme allant de la perte du jardin d’Eden à celle de Jérusalem. En revanche, Schmid et Kratz formulent l’hypothèse de la préexistence d’une histoire allant de la naissance de Moïse en Ex 2 à la péricope concernant le dernier roi de Juda Joiakîn en 2 R 25,21. Le lien entre Gn et Ex – Rois aurait été établi durant l’époque babylonienne. Nous devons reconnaître que le parallèle entre Gn 50,22 et 2 R 25,27-30 ne suffit pas pour affirmer une construction ennéateucale, car l’épisode de 2 R 25,27-30 peut résulter d’une rédaction tardive. Néanmoins, ces deux passages sont orientés vers une fin heureuse en diaspora. Nous traiterons cette question à l’issue de notre recherche. L’hypothèse d’un Ennéateuque est très discutée, et nous nous focaliserons plutôt sur les champs de l’Hexateuque et du Pentateuque. 13 Cette discussion entre « tôledôt de Jacob » et histoire de Joseph est développée dans les articles suivants : C. UEHLINGER 2001, 303-305 ; R.J. CLIFFORD 2012, 213-229. 14 Ces divers intitulés correspondant aux différentes étapes rédactionnelles sont mentionnés dans : C. UEHLINGER 2001, 310-327. 15 P. WEIMAR 2008, 5. Les commentateurs (G. VON RAD 1972, 356-357 ; J. GOLDIN 1977, 27 ; B. VAWTER 1977, 385 ; E.A. SPEISER 1981, 299 ; W. BRUEGGEMANN 1982, 307 ;

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Ruben comme légataire d’un double héritage qui est le privilège du fils ainé (Gn 48,22a) alors qu’en Gn 49,8-1216, c’est Juda qui prend la place du fils aîné au détriment de Ruben, de Siméon et de Lévi. En conséquence, ces deux chapitres concernant Juda ne sont pas en cohérence avec leur contexte littéraire. Ils expriment même deux visions totalement différentes du personnage de Juda. Gn 38 contient une critique envers ce dernier, alors que Gn 49 se concentre sur les douze fils d’Israël parmi lesquels Juda occupe une place prééminente. Comment interpréter, dans le contexte du cycle de Joseph, ces deux péricopes apparemment contradictoires focalisées sur le personnage de Juda ? Le comportement de ce dernier tel qu’il est décrit en Gn 38 semble montrer comment l’irruption d’une Cananéenne vient compromettre la mise en œuvre du lévirat. Juda a du mal à admettre que cette obligation puisse s’appliquer à Tamar, une personne étrangère. Son comportement est « clanique », il veut protéger Shélah. En sens inverse, Gn 39* et les chapitres suivants insistent sur l’ouverture de Joseph à l’universel. Ce dernier devient un personnage éminent parmi les nations, particulièrement au sein de la nation égyptienne. Le comportement de Joseph et celui de Tamar manifestent un même esprit d’ouverture à l’universel. On peut résumer ce conflit comme l’opposition entre la vision « clanique » de la religion d’Israël et celle d’une « ouverture aux étrangers » défendue à des titres différents, par Tamar et Joseph. Dans l’évolution du cycle de Joseph, on peut supposer que ce récit en est venu tardivement à fonctionner comme l’apologie de l’ouverture aux étrangers17. La bénédiction réservée exclusivement aux douze fils/tribus d’Israël en Gn 49 revient à une vision centrée sur la terre de Canaan. La critique de la réticence de Juda à entrer en relation avec les cananéens (Gn 38) et l’approbation de l’attitude « pro-égyptienne » de Joseph ont disparu. Le thème de fond est la construction d’un peuple en douze tribus dont certaines ont mérité et d’autres ont démérité. Ainsi, Gn 49 souligne un point de vue théologique différent de la perspective universaliste du cycle de C. WESTERMANN 1987, 49) ont remarqué l’étrangeté de l’emplacement de Gn 38 dans l’ensemble du cycle de Joseph, et nous verrons sa fonction dans cette recherche. 16 Seebass voit une « compétition » entre « la plénitude des nations » (‫ )מלא־הגוים‬en Gn 48,19 et « l’obéissance des peuples » (‫ )יקהת עמים‬en Gn 49,10. Nous traiterons la question de cette concurrence plus tard, cf. H. SEEBASS 1986, 33. 17 On retrouve un débat analogue dans les traditions concernant Moïse qui épouse Çippora, la fille d’un prêtre en Madiân en Ex 2,21 et une femme kushite en Nb 12,1. La généalogie introduite en Gn 25,1-4 a essayé de légitimer les Madianites dans la descendance d’Abraham avec sa troisième femme, Qetura. En revanche, Nb 12,1 mentionne bien un mariage mixte dans le contexte de la diaspora égyptienne, cf. T. RÖMER 2008b, 8-9 ; T. RÖMER 2008a, 148-150.

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Joseph. Le parallélisme entre Gn 49 et Dt 33 assure la suture entre le cycle de Joseph et le Pentateuque. La perspective de l’ouverture à l’universel s’efface, quand celle du retour à la terre cananéenne s’impose avec une bénédiction qui oriente le devenir des tribus vers Canaan. Jusque-là, on a constaté que les chapitres, Gn 38 et l’histoire de Joseph en Égypte (Gn 39* et les chapitres suivants) d’une part et, les chapitres Gn 48–49 d’autre part, sont orientés dans des sens opposés concernant les relations avec les autres nations. Peut-on déduire de cette opposition un travail de relecture théologique lié à l’insertion des récits concernant Joseph dans le cadre narratif plus large du Pentateuque ? C’est la question à laquelle notre recherche se propose de répondre. La présente étude vise à élucider la fonction littéraire, socio-historique et théologique de Gn 38 et de Gn 49 dans le contexte du cycle de Joseph et du Pentateuque. À cette fin, il importe de reconstituer aussi précisément que possible leurs histoires rédactionnelles d’une part et, d’autre part, de resituer ces deux chapitres dans leurs contextes respectifs d’énonciation afin d’éclairer leurs théologies propres. Notre étude s’inscrit dans une approche essentiellement historico-critique qui permettra de formuler des hypothèses sur l’histoire de la composition des deux chapitres. Cette analyse pourrait mettre en évidence une herméneutique intra-biblique révélant une démarche d’actualisation des traditions anciennes18. Mais en raison du genre littéraire particulier auquel appartient Gn 38 – l’histoire de Juda et de Tamar –, nous procéderons aussi à une analyse narrative de cette dernière pour identifier sa fonction dans l’ensemble du cycle de Joseph. Ce type de méthode synchronique servira à évaluer la cohérence narrative de Gn 38. Ces deux approches exégétiques ont des visées différentes : la méthode historico-critique est utile pour affiner le discernement diachronique ; la méthode synchronique19 permettra de saisir l’unité narrative et de repérer la fonction de la rupture introduite par Gn 38 dans l’ensemble de Gn 37–50. Cette étude poursuit donc deux objectifs complémentaires : 18

J.P SONNET 2006, 3-17. Soulignons l’intérêt d’une remarque de Sonnet sur la qualification de « synchronique » : « il n’y a rien en effet de plus ‘diachronique’ qu’un récit, puisqu’une telle communication raconte des actions qui se sont déroulées ‘à travers le temps’ (dia-chronos), et ce à l’aide d’un médium linguistique qui se produit lui-même de manière séquentielle, c’est-à-dire ‘à travers le temps’ ». J.P. SONNET 2008, 48. Tout en reconnaissant la fonction de la méthode narrative, Ska signale l’importance de la « collaboration » des deux : « l’étude synchronique elle-même devrait conduire à s’interroger sur le contexte historique des textes, parce que ceux-ci doivent être lus et interprétés selon les normes qui leur sont inhérentes ». J.L. SKA 2000, 233. 19

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INTRODUCTION GÉNÉRALE

– appréhender et interpréter ces deux chapitres, Gn 38 et Gn 49, porteurs de deux visions différentes sur Juda ; – contribuer à une meilleure connaissance du cycle de Joseph, de son impact et de son implication dans la construction du Pentateuque. L’enquête se développe en cinq chapitres. Le premier propose une synthèse de la recherche récente sur la formation du cycle de Joseph et principalement sur Gn 38 et Gn 49. Les nouvelles recherches sur l’histoire de Joseph fournissent déjà quelques éclaircissements et offrent des perspectives critiques qui permettront de fixer le cadre littéraire, socio-historique et géopolitique. La critique textuelle des deux chapitres souligne la complexité du texte révélée à travers les différents témoins textuels et peut suggérer des indices rédactionnels. Les deux chapitres suivants sont consacrés à l’analyse littéraire détaillée des péricopes sélectionnées. Cette étape vise à mettre au jour l’histoire de la rédaction et le milieu de production. Il sera alors possible de formuler une hypothèse rédactionnelle et d’exploiter les résultats de cette recherche en soulignant les intrications socio-historiques. Par là même cette étude se doit non seulement de proposer une explication de la vision contradictoire du personnage de Juda en Gn 38 et Gn 49, mais également de caractériser la théologie de ces péricopes impliquées dans la formation du cycle de Joseph et dans celle du Pentateuque et, si possible, les rattacher à une époque et à un milieu d’origine. La conclusion générale sera l’occasion d’une relecture synthétique de l’exégèse mise en œuvre dans cette recherche.

CHAPITRE I

L’HISTOIRE DE LA RECHERCHE SUR LA RÉDACTION DU CYCLE DE JOSEPH Pour mieux comprendre et situer Gn 38 et Gn 49 dans leur état actuel, il est nécessaire d’interroger l’histoire de la formation du cycle de Joseph, dont ces deux chapitres sont les témoins. Dans cette présentation des résultats de la recherche, nous nous concentrerons sur la composition du cycle de Joseph en inventoriant les avis formulés à ce sujet par les commentateurs ainsi que ceux émis sur les deux chapitres. Cette étude voudrait démontrer que l’insertion de l’histoire de Joseph dans sa position pentateucale actuelle est postérieure à la composition hexateucale de l’historiographie de Jos 24. Ensuite, sera abordée la datation de l’insertion de l’histoire de Joseph dans son contexte littéraire, en lien avec la composition P, qui est généralement considérée comme assurant la liaison entre le livre de la Genèse et celui de l’Exode. En effet, se pose la question suivante : la suture P Gen-Exode est-elle postérieure ou antérieure au cycle de Joseph ? Puis sera exposée la formation du cycle de Joseph d’après les diverses hypothèses avancées. Enfin, l’étude des deux chapitres posera la question de leur fonction et de leur influence sur le cycle de Joseph, et sur la formation du Pentateuque. En présentant les études qui ont fait avancer la recherche, on soulignera les points de convergence et de divergence des différents courants exégétiques, les avancées de la recherche, ainsi que les questions encore débattues sur lesquelles nous aurons à nous faire une opinion. 1. LE

RÉSUMÉ HISTORIOGRAPHIQUE DE JOS

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1.1. La question des credos1 Jos 24 constitue un paramètre essentiel de la réflexion sur la formation du cycle de Joseph puisque ce dernier est absent de ce résumé historiographique qui récapitule tous les évènements majeurs concernant les patriarches jusqu’à la sortie d’Égypte. 1

22.

Römer définit ces sommaires d’histoire comme « confession de foi ». T. RÖMER 1993,

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CHAPITRE I

Von Rad est le premier à examiner dans la BH les credos2 d’Israël en les identifiant comme des rédactions anciennes. Même s’il remarque déjà l’indépendance du cycle de Joseph3, von Rad propose cependant de comprendre ce dernier comme relevant de la cour de Salomon en définissant cette histoire comme « eine weisheitliche Lehrerzählung » (un récit de sagesse didactique) sur la manière de se comporter face aux autorités. Il considère la présence de l’Égypte comme une référence à la sagesse4. Cette conclusion concernant l’ancienneté de Jos 245 est à mettre en parallèle avec l’hypothèse, formulée lorsque la théorie documentaire était en faveur, de la composition d’un « vieux » Joseph, c’est-à-dire une datation ancienne du cycle de Joseph, malgré l’absence de ce dernier en Jos 24. 2 Selon von Rad, les credos d’Israël sont en Dt 26,5b-9 ; Dt 6,20-24 ; Jos 24,2b-13 ; 1 S 12,8 ; Ps 136 ; Ex 15,4.5.8.9.10a.12-16 ; Ps 78 ; Ps 105 ; Ps 135. Ces credos ont un point commun : ils ne mentionnent pas l’histoire du Sinaï. Seuls Ne 9,13-14 et Ps 105 y font référence, cf. G. VON RAD 1984, 53-56. 3 Cf. G. VON RAD 1984, 59-60. 4 Cf. G. VON RAD 1953, 120-127. Von Rad rapproche le récit de Joseph de l’enseignement des Proverbes et de Siracide pour définir le caractère sapientiel de l’histoire de Joseph. Il résume son propos ainsi : « Die Josephsgeschichte ist eine weisheitlich-didaktische Erzählung, die hinsichtlich ihres Bildungsideales ebenso wie hinsichtlich ihres theologischen Grund-gedankens von starken Anregungen abhängig ist, die von Ägypten ausgegangen waren ». Lemaire partage le même avis en considérant que l’histoire de Joseph est un roman de sagesse. Il écrit : « (…), l’histoire de Joseph, (…) apparaît comme un roman de sagesse destiné à être lu et commenté dans le cadre de l’école royale de Jérusalem ». A. LEMAIRE 2008, 37. Fox cite dans son article les commentateurs qui soutiennent l’aspect sapientiel du cycle de Joseph en ces termes : « the Joseph story as wisdom novella » (p. 1-2). Il rejette l’idée de von Rad sur la place de la littérature sapientielle à la cour royale. Il distingue la sagesse dans le cycle de Joseph de celle de la littérature sapientielle : « There is indeed wisdom in the Joseph story, but it is not the wisdom of Wisdom literature. The concept of wisdom in the Joseph story is affiliated with the pietistic and inspired wisdom of Daniel rather than with the ethical and practical wisdom of Wisdom literature » (p. 40). Selon lui, le concept de sagesse dans l’histoire de Joseph est lié à la piété et inspiré par Daniel plutôt que par la sagesse éthique et pratique de la littérature sapientielle. Mais il ignore le fait que l’histoire de Joseph ne traite pas de la piété des personnages. Nous discuterons de la sagesse de Joseph plus tard en étudiant Gn 39–41. Il est tout même intéressant de souligner l’aspect de la sagesse dans le récit de Joseph, cf. M.V. FOX 2001, 26-41. Schmid a analysé le caractère sapientiel dans l’histoire de Joseph, surtout à travers Gn 50,19-20, en concluant : « The Joseph story thus forms a bridge between the older and the younger wisdom tradition, pointing out the necessity of character formation in order to gain inspired and theological valuable insights », K. SCHMID 2021, 117. 5 On trouve cette observation de l’ancienneté de Jos 24 chez Sperling, pour qui ce récit est daté de l’époque du roi Jéroboam II (vers 786-746 av. J.-C.), cf. D.S. SPERLING 1987, 119136. De son côté, Soggin soutient que Jos 24 comporte certains éléments anciens, datant même d’avant l’époque préexilique, cf. J.A. SOGGIN 1970, 164. Koopmans soutient l’hypothèse que Jos 24 est un chapitre indépendant qui a été composé avant le VIIe s. av. J.-C, cf. W.T. KOOPMANS 1990, 410-413.

L’HISTOIRE DE LA RECHERCHE SUR LA RÉDACTION

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1.2. La remise en question de l’ancienneté de Jos 24 Les recherches récentes posent la question de l’ancienneté de Jos 24. Contrairement à von Rad, Anbar comparant Jos 24 avec Ne 9 montre que Jos 24 est antérieur à ce dernier qui s’ouvre sur la notion du Dieu créateur, alors que Jos 24 se limite aux patriarches6. Mettant les textes en parallèle, il montre que Jos 24 est postérieur ou au moins contemporain de ces passages : Jg 2, Jg 6, 1 S 10 et 1 S 127. Il suppose que Jos 24 a été composé entre la destruction de 587 av. J.-C et la rédaction du livre de Néhémie8. Cette recherche renverse l’idée d’une composition ancienne de Jos 24. Par ailleurs, Otto affirme que la formation de Jos 24 est liée avec la rédaction hexateucale. Il décrit les scribes sadocites postexiliques confrontés à deux documents concurrents : d’une part, celui du rédacteur Dtr, une rédaction dite de Moab (Moabredaktion) qui réunit en une unité littéraire l’ensemble allant de Dt 1,1 à Jos 23,16 et, d’autre part, les écrits sacerdotaux qui comprennent l’ensemble de Gn 1 à Lv 16*. Ces deux sources sont divergentes et contradictoires sur l’histoire originelle d’Israël. Comme Lv 16 se termine par l’épisode du Sinaï et que Dt commence par la montagne de Dieu – Horeb, il était facile de combiner ces deux sources pour former un Hexateuque allant de Gn à Jos9. Deux chapitres ont été ajoutés à la rédaction postexilique de l’Hexateuque, Gn 15 et Jos 24, qui mettent en avant le thème de la promesse de la terre et sa réalisation (cf. Gn 15,18 et Jos 24,13) 10. Otto précise que le but de la création et l’histoire du monde (cf. Gn 1–11) avec la distribution des terres dans le programme post-Dtr (cf. Jos 13–21) s’accomplissent dans la conclusion de l’alliance qui clôt l’Hexateuque en Jos 24 pour que le peuple d’Israël s’établisse dans la Terre promise et y trouve la paix11. Cette conception de la rédaction tardive de Jos 24 conduit à comprendre ce chapitre comme la conclusion de la formation hexateucale postexilique12. 6 Cf. M. ANBAR 1992, 104. Mäkipelto a montré les connections entre Jos 24,2-23 et Ne 9,6-37 pour affirmer que ces sommaires historiques sont des créations littéraires assez tardives qui étaient probablement connues à la fin de la période du Second Temple, cf. V. MÄKIPELTO 2018, 195-197. 7 Cf. M. ANBAR 1992, 105-115. 8 Cf. M. ANBAR 1992, 128-129. 9 Cf. E. OTTO 2011, 99-101. 10 Cf. E. OTTO 2011, 102. De même, Nihan considère que Jos 24 est un passage post-P et post-Dtr qui représente une médiation parmi les diverses traditions d’origine pour composer un résumé de l’histoire passée d’Israël depuis Abraham jusqu’à Josué où Sichem joue un rôle important (Gn 12 et Jos 24), cf. C. NIHAN 2007, 196-197. 11 Cf. E. OTTO 2011, 103. 12 Seters tient la même position : Jos 24 est une addition tardive postérieure à la formation de l’histoire Dtr, et il écrit que « the author of Joshua 24.1-27 is none other than the Yahwist

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CHAPITRE I

Römer soutient la même idée, par une démarche différente de celle des commentateurs précités. Il met en parallèle Josué et Moïse13 car le premier introduit son discours par une formule prophétique en Jos 24,2 : ‫ כה־אמר יהוה אלהי ישראל‬qui le fait apparaître « un prophète comme Moïse » (Dt 18,15). Et à la fin de son discours, les actes de Josué font référence à l’action de Moïse en concluant une alliance avec le peuple d’Israël à Sichem (Jos 24,25-26). Enfin, l’expression ‫( הדברים האלה‬ces paroles, v.26) renvoie au début de Dt, ‫( אלה הדברים‬Dt 1,1) comme si les deux livres, Dt et Jos, étaient inséparables. En conclusion, Römer fixe la rédaction de Jos 24 à l’époque perse en vue de la formation hexateucale14, et il met en parallèle l’expression ‫ בספר תורת אלהים‬en Jos 24,26 avec ‫ בספר תורת יהוה אלהיהם‬en Ne 9,3 pour situer le contexte de ces deux passages au moment de la « publication de la Torah »15. Blum partage cet avis en proposant comme datation le début de la période postexilique16. Dans la suite, il procède à une recherche sur la connexion entre le livre de la Genèse et celui de l’Exode ainsi qu’avec Jos 2417. En accord avec le parallélisme Josué–Moïse tel qu’il est présenté plus haut par Römer, Blum18 discute particulièrement l’expression ‫בספר‬ ‫( תורת אלהים‬Jos 24,26) dont l’emploi de ‫ בספר תורת‬n’apparaît pas avant le livre du Deutéronome. Cet indice suppose une rédaction tardive de Jos 24. Dans le même sens, si « le livre de la Torah » n’est pas appelée ‫ספר תורת משה‬, cela pourrait conduire à supposer l’existence de la rédaction hexateucale19.

of the Pentateuch. However, contrary to the view of earlier literary critics, it was not composed before the DtrH but comes later as an addition (…) », J.V. SETERS 1984, 149. 13 Cf. T. RÖMER 2011b, 30. 14 Cf. T. RÖMER 2011b, 30. Römer conclut en disant : « one way or another, the author of Joshua 24, who is writing in the Persian period, wants to create a Hexateuch and this attempt is prepared for by several texts in the Pentateuch ». Selon lui, le mot ‫( קשיטה‬pièce de monnaie) en Jos 24,32 est un indice important pour la datation, puisqu’il n’est utilisé en Samarie-Judée qu’à partir du Ve s. av. J.-C. En conséquence, il est difficile de dater Jos 24 comme antérieur à cette époque, cf. T. RÖMER 2017b, 206. La même idée est déjà exprimée dans l’article : T. RÖMER 1998, 71-86. 15 T. RÖMER 2011a, 475 ; T. RÖMER 1993, 35. 16 Blum écrit que « wie im einzelnen zu begründen sein wird, dürfte nämlich Jos 24 – und damit Gn 35 – mit einiger Wahrscheinlichkeit nach der Gestaltung von drtG im Zusammenhang der dtr Traditionsbildung konzipiert worden sein. Geschichtlich gelangen wir damit in (früh-)nachexilische Zeit », E. BLUM 1984, 44. 17 Cf. E. BLUM 2006, 89-106. 18 E. BLUM 2006, 99. 19 E. BLUM 2006, 100. Au contraire d’Otto et de Römer qui soutiennent l’hypothèse d’une rédaction hexateucale puis pentateucale, Blum suggère que l’Hexateuque est une composition postérieure au Pentateuque.

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D’ailleurs, Brekelmans qui a effectué aussi une recherche sur Jos 24 aboutit à la même conclusion que les commentateurs cités plus haut en la confirmant par deux observations : d’une part, l’insertion tardive de ce chapitre20 et, d’autre part, une reprise de l’histoire d’Israël21. Toutefois, il présuppose que Jos 24 n’est pas seulement un résumé du passé, mais qu’il s’intéresse encore plus à l’avenir. Il suggère donc plutôt que le Pentateuque et le livre de Josué ont été réunis à un certain moment en un seul grand ensemble littéraire22. Son propos fait allusion à une rédaction ennéateucale (Gn–2 R). Dans la même ligne, Schmid observe l’écrit P en Jos 24 : ‫ארץ כנען‬ (le pays de Canaan, v.3) ; ‫( הר שעיר‬la montagne de Séïr, v.4) ; et les vv.6-7 qui font référence à Ex 14, il conclut qu’il est difficile de dater ce passage comme antérieur au second Temple en 515 av. J.-C. ou à la conquête de l’Égypte par Cambyse en 525 av. J.-C. dont aucun texte n’a été assumé par P23. Il propose de dater la composition de Jos 24 entre la fin du VIe s. et le IVe s. av. J.-C.24. Ces diverses interrogations remettent en question d’une part, la composition rédactionnelle de Jos 24 qui est liée à la formation hexateucale, pentateucale, même ennéateucale et, d’autre part, l’insertion dans ce contexte du cycle de Joseph, qui est absent de Jos 24. Si la rédaction de Jos 24 doit être considérée comme tardive, l’ancienneté du récit de Joseph devient, de ce fait, problématique. 1.3. Un Joseph « récent » ? Avant la remise en question de la datation de Jos 24 sous l’influence de « l’hypothèse documentaire », certains commentateurs ont essayé de se repérer dans le plan de la composition du cycle de Joseph en se référant à l’idée d’un « vieux » Joseph. On distingue deux catégories d’interprétations sur le cycle de Joseph parmi les commentateurs : ceux qui soulignent l’importance de la présence de l’Égypte, et ceux qui posent 20

Cf. C. BREKELMANS 1989, 4. Cf. C. BREKELMANS 1989, 5. 22 Cf. C. BREKELMANS 1989, 5-9. En remarquant que Jos 24,2-4 mentionne les trois patriarches et que les vv.19-20 font référence à l’apostasie d’Israël, Schmid partage l’avis de Brekelmans : « Joshua 24 accordingly seems to look back to Genesis and forward to the book of Kings – a tremendously broad literary horizon that spans the first nine books of the Hebrew Bible ». K. SCHMID 2017a, 152. 23 Cf. K. SCHMID 2017a, 153. On trouve les références de la datation de P dans les articles suivants : A. de PURY 2007, 99-128 ; K. SCHMID 2017b, 13-29. 24 K. SCHMID 2017a, 154. 21

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plutôt la question en termes Nord–Sud, représentés respectivement par Joseph et Juda. D’un côté, Vergote considère que le cycle de Joseph est fondé sur un contexte daté de l’époque ramesside II (environ 1300 av. J.-C.), et qu’il a été repris par J et E25. Cette hypothèse est abandonnée aujourd’hui. En outre, Russell souligne que les hypothèses sous-jacentes à l’histoire concernant la structure sociale et la vie agricole (cf. Gn 41,48) pourraient refléter le nouvel Empire égyptien (vers 1580-1077 av. J.-C.) qui est reconnu comme une période de prospérité sans nier toutefois la possibilité d’une datation tardive du cycle de Joseph26. En s’appuyant sur les parallélismes des épisodes et des thèmes27, Redford penche pour un cycle de Joseph de l’époque saïte, c’est-à-dire du VIIe s. av. J.-C. comme terminus a quo, et au troisième quart du Ve s. av. J.-C. comme terminus ante quem28. Cette proposition laisse une grande latitude au niveau de la datation : environ deux siècles et demi. Tous ces commentateurs soulignent l’importance du contexte égyptien comme point d’appui pour la datation, et ils ne se soucient pas de la fonction du contexte. D’un autre côté, Dietrich fait une lecture allégorique en liant l’histoire de Joseph au contexte historique d’après la séparation entre le Nord et le Sud vers 926 av. J.-C29. Il met en parallèle Joseph et Jéroboam I qui s’est enfui en Égypte, et note également l’analogie entre la succession du royaume du Nord et le conflit entre les frères30. Il conclut que Joseph a le profil d’un roi idéal31. Cette allégorie pose des problèmes. Jéroboam I était roi mais Joseph ne l’était pas ; le premier est rentré en Israël mais le dernier reste en Égypte, ce qui remet en question l’interprétation de Dietrich. En opposition avec von Rad, Kebekus signale l’impossibilité d’une datation correspondant à la cour de Salomon puisque ce dernier n’est pas le roi idéal. Il considère que le fait que Joseph n’est pas un roi mais un vizir suppose déjà une date postérieure à la chute de Samarie (722 av. J.-C.). En conséquence, il estime que la couche de base–Ruben (Ruben-Grundschicht) 25

Cf. J. VERGOTE 1959, 204-213. Cf. S.C. RUSSELL 2009, 74. 27 Cf. D.B. REDFORD 1970, 178-182. 28 Cf. D.B. REDFORD 1970, 241-243. 29 Cf. W. DIETRICH 1989, 63-64. Il voit dans cette allégorie historique le territoire de Benjamin comme frontalier : au Nord avec Ephraïm, lié avec Joseph et au Sud avec Juda. C’est pour cela qu’il joue un rôle important dans l’histoire de Joseph. 30 Cf. W. DIETRICH 1989, 64-66. 31 Cf. W. DIETRICH 1989, 66. 26

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doit être attribuée à l’époque d’Ézéchias où des traditions du Nord sont transférées dans le Sud32. Et le cycle de Joseph résulterait de la « JudaSchicht ». Il accorde une place particulière à Gn 38, Gn 39 et Gn 49 qu’il considère comme « Einzelüberlieferungen »33. Il est difficile, en effet, de fonder une certitude sur le contexte historique à partir du seul personnage de Joseph. Cependant, l’intuition de l’existence d’une couche de base « Ruben » et de celle de « Juda » est intéressante pour illustrer un développement rédactionnel du cycle de Joseph. Ces derniers commentateurs attentifs à la relation Nord-Sud, représentée par le binôme Joseph – Juda, ne répondent pas à la question de la présence de Joseph en Égypte et de l’accueil par les Égyptiens des étrangers de la famille de Jacob. Dans la suite de la recherche, en opposition à l’hypothèse d’un « vieux » Joseph, Römer a essayé de formuler trois arguments en faveur d’une datation tardive du cycle de Joseph34 : – premièrement, à l’époque pré-exilique, « Joseph » est souvent employé pour désigner le Nord d’Israël chez les prophètes avec une connotation négative35. C’est seulement après l’exil qu’il commence à prendre une signification positive ;

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Cf. N. KEBEKUS 1990a, 254-255. Cf. N. KEBEKUS 1990b, 291. Römer émet une objection à ce propos en disant que : « cette lecture n’est guère convaincante, car elle n’explique pas l’enjeu et l’aboutissement de l’histoire de Joseph. (…) le nom seul (Joseph) ne suffit pas pour postuler l’existence d’une histoire telle qu’elle se trouve dans la dernière partie du livre de la Genèse », T. RÖMER 2007a, 178. 34 Cf. T. RÖMER 1992, 83-84. 35 En parlant du cycle de Joseph, Na’aman remarque également que pendant la période monarchique, la maison de Joseph/Joseph désigne souvent la division, et non la fraternité. C’est aussi l’indice d’une rédaction tardive. À propos de l’histoire de Joseph, il écrit : « The reality of the pre-monarchical period had faded when the biblical words were put in writing. Biblical literature, including the historiography, the prophecy and the psalms, was written at a relatively late date, no earlier than the late 8th century, and it reflects the reality of the monarchical period, when the district of Benjamin was an integral part of the kingdom of Judah. No wonder that most of the biblical references to Joseph/House of Joseph indicate the severance, rather than brotherhood, between Benjamin and its two northern brothers, Ephraim and Manasseh », N. NA’AMAN 2009a, 338. Au contraire, Monroe a contesté cette conclusion de Römer en soulignant l’hypothèse que Joseph est l’ancêtre de bet-yosef (la maison de Joseph) qui maintient une position de pouvoir sur les hauts plateaux centraux de Canaan pré- et au début de la période monarchique. L’utilisation occasionnelle dans la Bible du nom bet-yosef en référence au royaume du Nord pourrait constituer un souvenir de cet ancien développement géopolitique, cf. L. MONROE 2021,55-73. 33

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CHAPITRE I

– deuxièmement, les passages qui résument l’histoire du peuple d’Israël dans l’AT ne font pas référence au cycle de Joseph, mis à part le Ps 105 qui est probablement tardif 36 ; – troisièmement, Römer s’appuie sur le travail de Redford qui signale cinquante-deux exemples de mots typiques confirmant l’appartenance de l’histoire de Joseph à une littérature tardive. Il présente plusieurs éléments en faveur de la thèse d’une nouvelle de la diaspora que nous examinerons plus loin37. Ces arguments sont fortement en faveur d’une datation tardive du cycle de Joseph, probablement après l’exil. En faisant référence aux éléments relatifs à la diaspora, Schmid conclut « Historisch ist kaum denkbar, dass diese Motivkonstellation literarisch wirksam werden konnte, solange es keine Israeliten in der Diaspora gab38 ». Selon lui, le terminus a quo de l’histoire de Joseph présuppose la disparition du royaume du Nord en 722 av. J.-C. Et les documents d’Éléphantine laissent supposer que les origines de la diaspora égyptienne pourraient être antérieures à l’époque perse. La présence des Israélites en Égypte peut provenir de trois mouvements de population consécutifs à la destruction du Nord, à l’émigration volontaire ou à la destruction du Sud39, ce qui conduit à situer la possibilité du début de la rédaction du cycle de Joseph juste après la chute de la Samarie et avant l’époque Perse. Par ailleurs, Kunz suppose que le rédacteur du cycle connaît le récit de l’Exode pour composer un anti-exode, ce qui confirme une composition tardive du cycle de Joseph40. Soggin souligne plutôt le fait que l’histoire de Joseph pourrait être le reflet d’une situation historique correspondant à 36 Après un travail détaillé sur le Ps 105, Ramond propose pour ce psaume « une datation postexilique », cf. S. RAMOND 2014, 154. Adda considère le Ps 105 comme une réécriture joséphique visant à réintégrer la Providence divine. En remarquant la discrétion de Dieu dans le cycle de Joseph, elle souligne la particularité de ce psaume « où Dieu devient le seul sujet de tous les verbes à la voix active et le seul auteur du destin de Joseph, qui n’est pas une seule fois sujet grammatical : le fils de Jacob n’est pas plus responsable de ses tribulations qu’il n’est auteur de sa réussite ; il n’est qu’un instrument de Dieu ». Ainsi, le Ps 105 présente Joseph sous un autre jour. Son histoire où l’intervention de Dieu est absente est relue comme si tout s’était passé sous la Providence divine, M. ADDA 2014, 145. 37 Römer rappelle plusieurs éléments : le peuple étranger est accueillant ; le séjour dans le pays étranger est une réussite ; Gn 41 décrit comment un juif peut intervenir dans l’institution égyptienne, ce qui n’est pas concevable avant l’époque perse ; la question de l’impôt se présente en Gn 47,24ss ; Gn 39 est en parallèle avec Pr 1-8, un texte tardif, cf. T. RÖMER 1992, 84. 38 K. SCHMID 2002, 111. 39 K. SCHMID 2002, 111. 40 Cf. A. KUNZ 2003, 228.

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l’époque post-exilique, peut-être à l’époque hellénistique41. L’indépendance politique est impossible, et les prêtres sont compromis avec le pouvoir. Il suppose que l’histoire est datée d’une époque où le rédacteur voudrait confesser sa foi en Dieu comme maitre de l’histoire42. Mais cette remarque ne suffit pas pour expliquer la présence massive de l’Égypte et l’absence de Dieu dans le cycle de Joseph. De plus, si Dieu n’apparaît pas comme acteur de premier plan, la question de la foi ne préoccupe guère les personnages du récit. Diebner pense même pouvoir dater cette histoire de l’époque romaine : l’acceptation du Nord par le Sud est pensable au temps de la conquête d’Israël par les Hasmonéens43. Il a essayé de définir l’identité Israélite à cette époque sans prendre en compte le rôle important joué par Joseph dans un contexte égyptien. Il faut tenir compte de ce que les dernières retouches sur l’ensemble du Pentateuque ont été effectuées avant la traduction grecque, avant 250 av. J.-C. En conséquence, il est difficile d’admettre une datation romaine. Nous pouvons ainsi observer le grand écart entre la datation extrême de Vergote (XIIIe s. av. J.-C.) et celle de Diebner (IIe s. av. J.-C.). Néanmoins, nous remarquons que les derniers commentateurs vont plutôt dans le sens d’un Joseph « récent ». 1.4. Bilan La découverte de la datation tardive de Jos 24 offre deux apports à la recherche exégétique : – premièrement, il est possible désormais de s’interroger sur une rédaction hexateucale dans le processus de formation du Pentateuque ; – deuxièmement, la théorie d’une datation ancienne du cycle de Joseph se trouve dépassée. En conséquence, nous admettons une formation tardive du cycle de Joseph. Quant aux détails de la rédaction, nous formulerons une hypothèse ultérieurement. Cependant même si l’idée d’une rédaction ancienne du cycle de Joseph est abandonnée, nous verrons dans la suite de notre étude, que deux courants, l’un soulignant l’importance du contexte égyptien et l’autre l’opposition Nord–Sud, continuent d’en influencer l’interprétation. 41 De même, Catastini considère que cette histoire se situe au début de l’époque hellénistique, A. CATASTINI 1998, 221. 42 Cf. J.A. SOGGIN 1993a, 344. 43 B.J. DIEBNER 1992, 67.

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CHAPITRE I

2. LA

DATATION DE L’INSERTION DE L’HISTOIRE DE JOSEPH

2.1. La suture P Gen-Exode est-elle postérieure au cycle de Joseph ? Depuis l’usage de « l’hypothèse documentaire », les commentateurs posent les questions de l’indépendance du cycle de Joseph, de sa fonction et de la liaison entre Gn et Ex. Wellhausen considère que P assure la liaison depuis Abraham jusqu’au début d’Exode44, et que l’histoire de Joseph n’est pas le « pont » nécessaire entre Gn et Ex. C’est plutôt l’histoire de Jacob qui fait le lien avec le début d’Ex. Par la suite, Gunkel distingue des unités indépendantes à l’intérieur des récits patriarcaux et il explique que le thème qui les unit est celui de l’immigration, où la descente en Égypte prépare l’Exode45. Il est important de noter que pour Gunkel, le cycle de Joseph ne fait pas partie des récits patriarcaux au départ. Il reconnaît que J et E ont d’abord rassemblé une collection de récits, P représentant un travail ultérieur de relecture46. Il est intéressant d’observer qu’il attribue les versets attribués au P dans l’histoire de Jacob en les nommant : « conte de Jacob »47. Encore une fois, le récit de Joseph apparaît inutile pour assurer la liaison entre Gn et Ex. L’histoire de Jacob suffit. D’ailleurs, von Rad remarque que cette histoire se termine par le retour en Canaan (Gn 50,24). Il en conclut que c’est l’installation en Canaan qui constitue l’élément le plus important pour relier la tradition patriarcale et celle de l’Installation48. Pour lui, c’est P qui fait le lien entre les patriarches et la terre par l’expression « la terre du séjour » (‫ארץ מגור‬, Gn 17,8 ; 28,4 ; 36,7 ; 37,1 ; 47,9 ; Ex 6,4)49. Là encore, on ne trouve pas de lien direct avec le récit de Joseph. En parallèle avec von Rad, Noth propose de considérer l’histoire de Joseph comme une entité indépendante, susceptible d’être narrée pour 44 Cf. J. WELLHAUSEN 1994, 327-332. Quant à la partie concernant la descente de Jacob en Égypte jusqu’à l’envoi de Moïse, il attribue à P Gn 37,2 ; 46,7 ; 47,7-11 ; 47,27b-28 ; 48,3-7 ; 49,28b-33 ; 50,12-13 ; Ex 1,1-7.13-14 ; 2,23-25 ; 6,2-5. 45 Cf. H. GUNKEL 1997, xlv; Ixix. Il évoque une première transmission orale, puis une mise par écrit à partir des différentes traditions : la narration primitive, les légendes patriarcales, l’histoire de Joseph et l’Exode. 46 H. GUNKEL 1997, Ixix. Selon Gunkel, P contient 37,2 ; 41,46a ; 46,6,7[8-27] ; 47,5*.6.711.27b.28 ; 48,3-6 ; 49,1a.28b-33aα.b ; 50,12.13. Il a fait un travail détaillé en indiquant l’appartenance de chaque chapitre à sa source, cf. p. 380. 47 Cf. H. GUNKEL 1997, 465-467. 48 Cf. G. VON RAD 1984, 60. 49 G. VON RAD 1984, 62.

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elle-même50 et qui est secondairement encadrée dans son état actuel dans le Pentateuque pour faire le lien entre deux thèmes fondamentaux : la promesse aux patriarches et la sortie d’Égypte. Noth reconnait l’indépendance de l’histoire de Joseph dans la formation du Pentateuque51. Cette histoire a été insérée tardivement entre l’histoire des patriarches et celle de la sortie d’Égypte. Il considère que le motif de cette insertion est de fournir la raison pour laquelle « Jacob et ses fils sont descendus en Égypte » (cf. Jos 24,4). Ainsi, le récit de Joseph sert d’explication à la descente de la famille de Jacob. Cette étude permet de percevoir que d’une part, l’histoire de Joseph est, dès le début de la recherche exégétique52, considérée comme un récit indépendant et, d’autre part que P a une fonction de liaison permettant de la rattacher aux récits des patriarches, notamment à l’histoire de Jacob. On verra plus tard que cette conception d’une liaison entre l’histoire de Joseph et celle de Jacob va influencer les commentateurs dans leur interprétation de la première et l’identification de sa fonction dans l’ensemble du Pentateuque. 2.2. La suture P Gen-Exode est-elle antérieure au cycle de Joseph ? On a signalé ci-dessus que la découverte du caractère tardif de la rédaction de Jos 24 remet en question l’hypothèse d’une datation ancienne du 50 Noth déclare clairement: « This narrative (Joseph story) as a whole is itself a relatively independent entity which could be, and was, narrated by itself (…) It does not actually belong to any one of the fundamental themes », cf. M. NOTH 1981, 209. 51 Cf. M. NOTH 1981, 208. Noth présente son idée sur l’indépendance de l’histoire de Joseph et son encadrement dans la formation du Pentateuque en disant : « The Joseph story shows itself to be a traditio-historically late construction by its discursive narrative style and by its combination of numerous individual narratives, which in their present context are no longer independent, into a systematically planned and purposively unified composition which represents the most comprehensive, self-contained complex within the entire Pentateuchal narrative ». 52 Même si « l’hypothèse documentaire » a été en partie abandonnée par les commentateurs contemporains, la distinction entre les éléments P et non-P demeure valable jusqu’à aujourd’hui, cf. E. BLUM 2006, 89. Nocquet précise que l’exégèse américaine est restée plus attachée à la théorie documentaire tout en la redéfinissant, elle est plus largement intéressée par des objectifs plus herméneutiques. La recherche israélienne, demeure en partie fidèle à l’hypothèse documentaire mais s’intéresse cependant davantage à l’apport sacerdotal et au code de sainteté. L’exégèse européenne, au sein d’une tendance majoritaire, a pris plus largement distance avec l’hypothèse documentaire en reconnaissant la validité de P et de D. Les autres traditions textuelles sont qualifiées de non-P, cf. D. NOCQUET 2013, 123. Malgré cela, Antiwi a réexaminé les hypothèses documentaires de Redford, de Donner, de Westermann et de Dietrich. Il soutient leur idée selon laquelle P est responsable de l’insertion du cycle de Joseph à la fin du livre de la Genèse, cf. E.K.E. ANTWI 2016, 259-276.

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CHAPITRE I

cycle de Joseph. En conséquence, ce résultat éclaire également la formation du cycle de Joseph par rapport à P. Pola a proposé une hypothèse de délimitation de l’écrit P au sein du Pentateuque. Selon lui, le récit commence par Gn 1,1-2,4a et se termine en Ex 4053. Sa conception suggère une liaison étroite entre Gn et Ex. Il note que la descente de Joseph en Égypte (Gn 37,2 à Gn 41,46a) échappe à Pg54. En raison de l’emploi du même verbe ‫בוא‬, Gn 46,6-7 et Ex 1,1a pourraient ainsi assurer la transition entre l’histoire des patriarches et celle de l’Exode55. De ce fait, on peut déjà supposer une liaison possible de Gn et d’Ex par P sans connaître l’histoire de Joseph. Schmid considère également P comme un document indépendant56. Après avoir examiné la position de tous les commentateurs, il observe un consensus sur le fait que « we can find nothing but fragments of the original Priestly presentation of the story of Joseph57 ». Il souligne ensuite le fait que le cycle de Joseph n’a pas été composé pour l’articulation littéraire des patriarches avec l’Exode58. En effet, en se basant sur l’expression ‫אלה תלדות יעקב‬, il est possible d’établir une descente de Jacob en Égypte sans passer par l’histoire de Joseph (cf. Gn 37,1-2 ; 46,6-7 ; 47,2728 ; 49,1a.29-33 ; 50,12-13). Il conclut que « Thus the connection of the patriarchs and the exodus made by P – without an elaborated Joseph story – indicates that it does not presuppose a pre-Priestly connection of the patriarchs and the exodus in an earlier composition of the story of Joseph59 ». À partir de là, il formule l’hypothèse que les traditions de la Gn et de l’Ex étaient encore séparées dans le Pentateuque pré-sacerdotal, et que c’est P qui aurait assuré la réunion des deux traditions dans la même collection sans recours au cycle de Joseph60. Les récits patriarcaux (Erzväter Erzählungen) et les récits d’Ex (Mose-Ex-Erzählung) étaient 53 T. POLA 1995. En revanche, Otto situe la fin de P en Ex 29,46 où Dieu promet sa présence dans le Sanctuaire. 54 Cf. T. POLA 1995, 282, note 233. 55 T. POLA 1995, 282. 56 K. SCHMID 1999, 372. Il a fait un résumé de P dans le cycle de Joseph en prenant en considération les avis de Römer, de Macchi et d’Uehlinger : 37, (*)1(f.) (; 41,46a) ; 46,6f. (; 8-27[« PS »]) ; 47,(*5-11.*)27f. (48,[*]3-7) ; 49,(*1a.28b.)29-33 ; 50,12f.(.*22.*26), K. SCHMID 2002, 92. 57 K. SCHMID 2006, 45. 58 Cf. K. SCHMID 2006, 47. 59 K. SCHMID 2006, 47. 60 Il écrit : « the patriarchal narrative and the story of the exodus stood next to each other as two competing concepts containing two traditions of the origin of Israel with different theological profiles ». K. SCHMID 2006, 49. Cette idée est également soutenue par Römer, Uehlinger et Otto dans T. RÖMER 1992, 79-83 ; T. RÖMER 2000, 21 ; T. RÖMER 2009a, 70 ; C. UEHLINGER 2001, 310-311 ; E. OTTO 2011, 99-108

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indépendants avant l’exil, et c’est P (PG/PS, Priesterschrift)61 qui, le premier, les a rassemblés dans un même récit allant de Gn 1 à Lv 16*. Römer soutient également l’idée des deux origines indépendantes du peuple d’Israël : l’origine patriarcale et l’origine mosaïque62. Il souligne que « les fréquentes références aux ‘pères’ dans le Dt ainsi que dans l’historiographie Dtr ne renvoient pas aux traditions patriarcales mais aux origines égyptiennes d’Israël (…), cela signifierait que la rédaction dite ‘drt’ dans le Pentateuque ne comprenait probablement pas les récits de la Genèse63 ». Selon lui, « le Pentateuque se caractérise par la cohabitation des mythes d’origine d’autochtonie et un mythe exodique64 ». Comme Schmid, Römer ne reconnaît pas de lien pré-sacerdotal entre les Patriarches et l’Exode65. Il considère que les versets suivants66 Gn 37,12 ; 47,4-7.27 ; 49,29-33 ; 50,12-13 ; Ex 1,1-5a appartiennent à P qui relie Gn et Ex. Il en conclut qu’ils concernent surtout la descente de la 61 Selon Otto, l’écrit P provient d’une combinaison d’un écrit exilique PG (cf. Gn 1– Ex 29*) et des suppléments postexiliques PS (cf. Ex 35– 40 ; Lv 1–3 ; 8–9 puis Lv 4–7 ; 10* ; 11–16), cf. E. OTTO 1997, 1-50. 62 Römer mentionne deux conceptions généalogique (populaire) et vocationnelle (prophético-deutéronomiste) pour désigner les deux origines distinctes du peuple d’Israël en Gn et en Ex, cf. T. RÖMER 2002b, 77. Voir aussi : T. RÖMER 2007, 162-185 ; T. RÖMER 2009, 42 ; T. RÖMER 2010, 27-31 ; T. RÖMER 2015, 61-64. De même, cette opinion a été développée en détail par Schmid. K. SCHMID 2010, 92-155. Par ailleurs, Ben Zvi remarque que les livres de l’Ex, du Lv, des Nb et du Dt se terminent avec l’invocation de l’ensemble du peuple d’Israël. Ex 40,38 et Dt 34,12 sont en parallèle respectivement avec « aux yeux de toute la maison d’Israël » et « aux yeux de tout Israël ». De la même manière, la fin du Lv 27,34 est en parallèle avec Nb 36,13. De ce point de vue, la fin du livre de la Genèse, en se terminant par Joseph en Égypte, demeure à part et garde son unité propre, cf. E. BEN ZVI 1992, 7-8. À l’opposé de la proposition des « deux origines indépendantes », Davies suggère qu’il a pu exister un lien littéraire entre Gn et Ex avant la liaison par P qui pourrait être datée du IXe au VIIIe s. av. J.-C, cf. G. DAVIES 2010, 59-78. Notre étude soutient l’hypothèse de Römer et de Schmid. 63 T. RÖMER 2002c, XXVII. 64 T. RÖMER 2007a, 185. 65 T. RÖMER 2007a, 186. Il précise que « de nombreux sommaires historiques à l’intérieur de la Bible hébraïque font débuter l’histoire avec la situation des Hébreux en Égypte (par ex. Ez 20 ; Ps 78 ; 106 et 136) sans mentionner les Patriarches et lorsque Dieu présente à Moïse le pays vers lequel il doit conduire les Hébreux, ce pays est longuement décrit, mais sans référence aucune à une promesse faite à Abraham, Isaac et Jacob (Ex 3,8) ». Son argument étaye solidement l’hypothèse de deux origines indépendantes du peuple d’Israël et l’impossibilité de la liaison pré-sacerdotale de ces deux dernières, T. RÖMER 2015c, 39. 66 T. RÖMER 1992, 79. Il critique le travail de Wöhrle qui ne retient pour P que Gn 37,1-2* et Gn 41,46a en Gn 37–45, ce qui rend impossible la constitution d’une histoire indépendante de Joseph, cf. T. RÖMER 2019a, 21, n° 17. Selon Wöhrle, la couche P contient les versets suivants : Gn 37,1.2aα ; 41,46a ; 46,6-7 ; 47,7-11.27b.28 ; 48,3-7 ; 49,1a.29a.33aαb ; 50,22 ; Ex 1,6a.7, cf. J. WÖHRLE 2012, 145.

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famille de Jacob, sa mort et son enterrement. Il est donc « logique de penser que le récit P a seulement raconté le séjour de la famille de Jacob sans connaissance de l’histoire de Joseph67 ». De plus, il remarque que « dans des suppléments au texte sacerdotal (Ps), en 46,8ss, Joseph fait simplement partie de la famille de Jacob qui descend en Égypte. Cela signifie que le document P ne contenait pas l’histoire de Joseph68 ». Selon Römer, « The Joseph narrative was inserted at the end of Genesis after the integration of the P-texte, by redactors who wanted to construct a Hexaor a Pentateuch and give some space also to a voice of the Diaspora69 ». L’argument est convaincant. De même, Uehlinger qui prend en compte les textes suivants comme étant la source P avec de légères différences avec Römer : 37,1(-2a ?) ; 41,54b ; 46,6b-7 ; 47,(7b-10)28 ; 49,1aα.29-33 ; 50,12-13…(Ex 1,1-5a etc)70, conclut : « selon cette présentation, le passage de Jacob en Égypte – préalable obligatoire pour l’exode vers la terre promise ! – se fait à la suite d’une famine qui oblige le patriarche et sa famille à l’émigration vers l’Égypte, mais sans qu’il soit question de Joseph71 ». Dans la même ligne, Macchi déclare que « les rares textes généralement considérés comme sacerdotaux entre Gn 37 et 50 permettent de faire le lien entre les Patriarches et l’Exode sans la médiation de Joseph72 ». Selon lui73, P contient 37,1-2 ; 46,6-7 (+ liste de 46,8-26) ; 47,27 ; 49,1a.2933 ; 50,12-13 ; Ex 1,1-5a. Il conclut que nous pouvons « supposer que 67 Römer a exprimé cette idée : « Le roman de Joseph a été introduit très tardivement entre les histoires d’Abram, d’Isaac et de Jacob et l’épopée de l’Exode, sans doute après la création par le milieu sacerdotal d’un lien littéraire entre les ensembles de la Genèse et l’ensemble Exode – Deutéronome* », T. RÖMER 2003, 189, également T. RÖMER 2007a, 179. 68 T. RÖMER 2018a, 245. Rendtorff a déjà exprimé cette idée après un examen de P dans le cycle de Joseph: « One must then in all sobriety conclude that for the exegete who is not convinced beforehand that there must be a P-Joseph story, such does not exist », R. RENDTORFF 1990, 139. Husser observe également que « l’histoire sacerdotale raconte la descente de Jacob et de ses fils dans le Delta sans faire référence à l’histoire de Joseph (voir 37,1-2 ; 46,6-26 ; 47,27-28 ; 49,29-33 ; 50,12-13 ; Ex 1,1-5a) », J.M. HUSSER 2000, 113. Carr isole aussi l’écrit P et Ps qui comprend Gn 37,2 ; (41,46) ; 45,19-21 ; 46,5-7*.827 ; [47,5-6a ; 7-10] ; 47,11.27b-28 ; 49,1a.29-33 ; 50,12-13.22-23.26a, D.M. CARR 1996, 271. Malgré tout, une étude récente de Schmidt remet en question la formation du cycle de Joseph en s’appuyant sur « l’hypothèse documentaire ». L’auteur s’oppose à l’idée que les patriarches et l’Exode aient été reliés pour la première fois par P. Il considère que l’histoire de Joseph et l’Exode existaient avant P, L. SCHMIDT 2012, 19-37. 69 T. RÖMER 2015d, 201. 70 Cf. C. UEHLINGER 2001, 310. 71 C. UEHLINGER 2001, 310. Il est en accord avec Römer en disant : « Il semble que le ‘grand récit’ de l’histoire d’Israël dans sa version Pg (VIe-Ve s. av. J.-C.) ne connaissait pas (encore ?) l’histoire de Joseph ». 72 J.D. MACCHI 1999, 127. 73 J.D. MACCHI 1999, 127.

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le cycle de Joseph fut inséré dans le Pentateuque après les rédactions deutéronomiste et sacerdotale. Au plus tôt donc, à l’époque perse74 ». Les remarques de ces commentateurs présupposent : – d’une part, deux histoires indépendantes sur l’origine du peuple d’Israël, l’histoire patriarcale et celle de Moïse, reliées ensemble pour la première fois par P en soulignant le caractère exodique du Pentateuque ; – d’autre part, P décrit la descente de la famille de Jacob en Égypte en la liant avec le récit de l’Exode sans mentionner l’histoire de Joseph qui est anti-exodique. Il est évident que l’histoire de Joseph n’a pas dans la même approche théologique que le Pentateuque vis-à-vis de l’Égypte75. On en conclut que le cycle de Joseph est une insertion postérieure à la suture P Gen-Exode, et que cette histoire n’a pas du tout été conçue comme une charnière entre Gn et Ex. 2.3. Bilan Considérer que P a assuré la liaison de Gn et de l’Ex sans mentionner le cycle de Joseph confirmerait le caractère tardif de la rédaction de ce dernier. En même temps, Blum et Weingart ont critiqué la présence de P telle qu’elle est présentée entre Gn 37 et Ex 1 par Römer : 37,1 ; 46,6-7 ; 47,27b28 ; 49,1a.28b-33 ; 50,12-13 ; Ex 1,1-5a.7.1376. Selon eux, la position 74

J.D. MACCHI 1999, 127-128. Cogan montre bien le contraste entre la vision positive de l’Égypte dans le cycle de Joseph et l’importance de la sortie d’Égypte dans le reste du Pentateuque. En même temps, il estime que la vision négative de l’Égypte reste tempérée. Il s’appuie sur Dt 23,4-9 où les Ammonites et les Moabites ne sont pas admis dans l’assemblée cultuelle jusqu’à la dixième génération, alors que les Égyptiens sont admis depuis la quatrième génération, cf. M. COGAN 1996, 65-70. 76 La référence de Römer sur P donnée par Blum et Weingart vient de l’article : T. RÖMER 2015d, 200. Blum et Weingart dissent : « It was, however, recently challenged by Thomas Römer, who reconstructs a priestly transition between the Patriarches and the Exodus (Gen 37:1 ; 46:6-7 ; 49:1a,28b-33 ; 50:12-13) (…). In order to do so, Römer has to ascribe some of the material traditionally seen as priestly either to non-P (37:2aβ* ; 41:46a) or post-P (37:2aα ; 48:3-6.7) ». E. BLUM, K. WEINGART 2017, 505. Par ailleurs, Römer mentionne la liste traditionnelle attribuée à P : « Les textes de Gn 37–50 traditionnellement attribués à P sont : 37,1-2* ; 41,46a ; 46,7.8-27 (souvent considéré comme Ps) ; (48,3-6) ; 49,1a.29-33 ; 50,12-13 », dans laquelle il considère que les versets Gn 37,1 ; 41,46a et 48,3 ne sont pas caractéristiques de P, et cela permet d’avoir une notice cohérente avec la descente de la famille de Jacob en Égypte sans mention de Joseph, cf. T. RÖMER 2019a, 20-21, voir des détails de sa pensée sur P dans la note n° 17. 75

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de Römer n’est pas convaincante pour deux raisons77. Premièrement, l’imputation à P du départ brutal de Jacob pour l’Égypte pour y séjourner longtemps alors qu’il vient de s’installer en Canaan (37,1) se heurte au fait que P est sensible à la promesse de la terre. Cette remarque semble fondée. Deuxièmement, selon le propos de Römer, les fils de Jacob restent en Canaan (50,12-13) pour les funérailles de leur père sans mention de leur retour en Égypte, ce qui contredit Ex 178. En outre, Carr intègre l’élément de la famine (41,54b) comme provenant de Ps, ce qui pourrait être une raison suffisante de la descente de Jacob en Égypte. Enfin, comme les frères ne montent en Canaan que pour l’enterrement de Jacob, il est évident qu’ils vont retourner en Égypte. On note que P respecte la cohérence du récit, et surtout que les ajouts de PS viennent le compléter. On relève que cette proposition d’une suture P Gen-Exode antérieure au cycle de Joseph pose évidemment la question de la formation et de la fonction de ce dernier. D’une part, l’avancement de la recherche confirme une rédaction tardive indépendante du cycle de Joseph, ce qui est en cohérence avec le résultat de la découverte de Jos 24. Et d’autre part, à propos de la fonction de P, même s’il existe toujours des variantes mineures sur la détermination de P en Gn 37–50, on doit faire état de la convergence de la théorie documentaire et de la recherche moderne sur un point : les versets attribués à P concernent plutôt l’histoire de la descente de Jacob en Égypte que celle de Joseph. 3. LA

FORMATION DU CYCLE DE JOSEPH

3.1. La question des doublets (Doppelungen) et la solution possible 3.1.1 L’hypothèse documentaire et l’hypothèse des suppléments Depuis le début de la recherche sur le cycle de Joseph, les nombreux doublets79 qui sont l’une de ses particularités retiennent l’attention des commentateurs. Tout d’abord, pour ceux qui sont favorables à l’hypothèse 77

Cf. E. BLUM, K. WEINGART 2017, 505-506. Il est important d’être conscient que Blum et Weingart interrogent non seulement la source P dans le cycle de Joseph, mais également dans la continuité des patriarches – depuis la tradition d’Abraham jusqu’à celle de Jacob, cf. E. BLUM, K. WEINGART 2017, 506. 79 On peut reprendre la liste assez complète des doublets établie par Römer : deux rêves de Joseph ; deux frères qui interviennent en faveur de Joseph (Juda, Ruben) ; deux groupes de caravaniers (Ismaélites, Madianites) ; deux rêves que Joseph interprète en prison : deux rêves de Pharaon ; deux voyages des frères en Égypte ; en deux occurrences, des objets sont cachés dans leurs sacs ; à deux reprises, ils ont une audience devant Joseph ; deux fois, ils sont accusés d’espionnage ; deux fois intervient une réconciliation. Il faut également ajouter 78

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documentaire, ces doublets doivent être interprétés comme la combinaison des deux sources, J et E80. Par la suite, certains commentateurs ont remis en question cette combinaison en proposant l’hypothèse du supplément. Rudolph s’interroge sur l’authenticité de E dans le livre de la Genèse. En opposition avec l’idée d’une combinaison JE, il présuppose l’unité littéraire du cycle en remplaçant E par l’hypothèse des suppléments81. Ainsi, il propose de comprendre les doublets et les répétitions comme un procédé littéraire délibéré du rédacteur, les irrégularités étant plutôt considérées comme des ajouts. Il envisage J comme la source la plus ancienne, sans pouvoir expliquer comment nous pouvons y voir la base du cycle de Joseph. Or, le nom de YHWH est présent seulement en Gn 38 (2×), Gn 39 (8×) et Gn 49 (1×), alors qu’en revanche le nom Elohim s’étale dans tout le récit du cycle de Joseph82. Ne serait-il pas plus pertinent de dire que E maintient l’unité littéraire et que c’est J qui devrait être remplacé par l’hypothèse du supplément ? En revanche, Winnett remarque que E est la base de cette histoire et que cette dernière ne fait pas partie du récit des patriarches au départ83. à cette liste : les deux testaments de Jacob établis avant sa mort en Gn 48 et en Gn 49, cf. T. RÖMER 1992, 78. 80 Wellhausen considère que l’histoire de Joseph contient des éléments anciens résultant de la combinaison de J et E. Il a déjà remarqué que « Joseph here appears always as the pillar of the North-Israelite, the wearer of the crown among his brethren, a position for which he was marked out of his early dreams » (p. 323) et il a observé plus loin que les quatre tribus de Léa – Ruben, Siméon et Lévi, et Juda, attribuées aussi à JE, « are undoubtedly based on occurrences connected with the period of the conquest of the holy land » (p. 324), cf. J. WELLHAUSEN 1994, 323-324. Gunkel précise en outre que J et E ont réuni d’abord une collection de récits avant que P vienne les relier. Il faut reconnaître qu’il est le premier à qualifier l’histoire de Joseph de « Nouvelle » uniquement par sa structure littéraire. D’une part, il soutient la cohérence de cette histoire et son unité littéraire et, d’autre part, il s’en tient à la théorie documentaire en considérant le cycle de Joseph composé de J et E, cf. H. GUNKEL 1997, 380. Dans le même sens, von Rad reconnaît à l’intérieur du cycle de Joseph, les chapitres 37, 39–47 et 50 comme faisant partie de la narration et est d’avis qu’ils ont été composés dans un premier temps avec les sources J et E, cf. G. VON RAD 1972, 347-348. 81 Il se pose la question de l’utilité de la théorie documentaire puisqu’elle ne facilite pas la compréhension du texte. Dans la suite de son travail, il réexamine le nom de Dieu, le nom de Jacob/Israël et les doublets – des critères importants pour la « Quellenkritik » (la critique des source) – présents dans l’histoire de Joseph pour montrer l’insuffisance des éléments pour confirmer la combinaison de J et E, cf. W. RUDOLPH 1993, 145-183. Cette même idée est également développée chez Schmitt qui considère que le cycle de Joseph est un récit de base avec des ajouts successifs, cf. H.C. SCHMITT 1980. 82 Gn 39,9 ; 40,8 ; 41,16.25.28.32.38.49.51.52 ; 42,18.28 ; 43,23.29 ; 44,16 ; 45,5.7.8.9 ; 46,1.2 ; 48,9.11.15.20.21 ; 49,25 ; 50,19.20.24.25. 83 « The J material in the Joseph story can be best understood as in part de novo compositions inserted into a basic E story and in part a recasting of the E story. This makes it unlikely that the J of the Joseph story is the same as the early J of the Abraham-Jacob story », F.V. WINNETT 1965, 16.

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CHAPITRE I

Il considère que l’histoire d’Abraham et de Jacob est fondée sur un « J primitif ». C’est avec « J tardif », probablement au début de la période perse, qu’a été composé le livre de la Genèse en s’appuyant sur « J primitif » et E. Et c’est P qui parachève l’œuvre de « J tardif » et la relie à la « tradition mosaïque » pendant la période postexilique. À ce stade, on constate deux visions différentes du cycle de Joseph : d’un côté, la combinaison de deux sources J et E84 ; d’un autre côté, une unité littéraire avec des suppléments. L’hypothèse documentaire, à laquelle on ne se réfère plus guère aujourd’hui, a conduit, avec l’hypothèse des suppléments, à entrevoir différentes couches rédactionnelles à l’intérieur du cycle de Joseph. 3.1.2 Une unité littéraire L’hypothèse des suppléments se fonde sur le principe d’une unité littéraire du cycle de Joseph qui aurait subi des ajouts. Elle conduit, à l’époque de l’hypothèse documentaire, Redford à faire une lecture synchronique de cette histoire. Il reconnaît « la version Ruben » comme l’origine de l’histoire de Joseph (les chaps. 37 ; 40 ; 42 ; 45 et jusqu’au 47,12 où Jacob et sa famille descendent en Égypte)85. Il nomme les ajouts (les additions en Gn 37 ; 42 ; 43–44) « l’expansion de Juda » ou « le rédacteur d’Israël ». Et enfin, l’histoire est conclue par des ajouts en Gn 46,28-30 ; 48,8-20 ; 47,29-31 ; 50,1-6 et 50,15-2086. Au fond, Redford rejoint l’idée d’une unité littéraire avec les suppléments de Rudolph et de Winnett, et en même temps, il évite de se prononcer sur l’appartenance à J ou à E de l’origine du récit de Joseph. Toutes ces remarques restent, jusqu’à maintenant, d’ordre diachronique. D’autres commentateurs, comme Wénin, ont abordé le cycle de Joseph sur un plan synchronique. Ces commentateurs ont remarqué que le cycle de Joseph possède une cohérence essentiellement narrative87 : l’ascension 84 Il faut noter la difficulté de répartir le cycle de Joseph en deux trames narratives parallèles, malgré l’attachement de certains commentateurs à cette idée. Les deux commentateurs suivants ont essayé de montrer la combinaison de J et E en Gn 37 qui pourrait éventuellement séparer la couche « Ruben » de la couche « Juda », mais cette distinction de JE ne peut pas fonctionner dans toute l’histoire de Joseph, cf. B.J. SCHWARTZ 2012, 263-278 ; J.S. BADEN 2012a, 34-44. 85 Il considère l’origine du récit de Joseph comme étant composé de la version RubenJacob, cf. D.B. REDFORD 1970, 178. 86 Cf. D.B. REDFORD 1970, 178-179. Donner considère également que dans cette histoire, la prédilection pour le chiffre deux qui conduit à faire des doublets, ne résulte pas de l’existence de deux sources différentes, mais vise un but d’accentuation et de retardement de l’action, H. DONNER 1994a, 106-107. 87 Wénin distingue quatre actes : acte I (37,1-36) : la vente de Joseph et sa descente en Égypte ; acte II (38,1–41,53) : voyage de Canaan où vit Juda, vers l’Égypte où il retrouve

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de Joseph (Gn 39–41 avec quelques compléments en 47,13-26) ; le conflit et la réconciliation fraternels (Gn 37,42–45 et 50) ; la descente et l’installation en Égypte (Gn 47 et 48). Cette proposition tient compte des trames narratives de l’histoire, mais elle ignore des tensions importantes du récit ; en particulier, les passages concernant Juda ne sont pas mentionnés88. Cette structure dégage en même temps la possibilité d’une construction postérieure de l’histoire de Juda en Gn 37, 43, 44 et de l’insertion de Gn 38 et 49. L’histoire de Juda, fait-elle partie de ces trames narratives ? Quelle en est la fonction ? Malgré la clarté du récit, l’histoire de la composition ne correspond pas à la succession des actes narratifs. 3.1.3 Évaluation Nous devons nous interroger sur les nombreux doublets. Sont-ils des signes d’une réécriture qui relève d’une histoire diachronique du texte, ou une figure de style pour donner aux scènes une forme binaire ? Römer propose de voir ces doublets comme « des moyens stylistiques89 » ou « a model of successive complementation90 ». Ensuite, il en explique les deux fonctions : « emphatique d’une part, puisqu’il s’agit d’insister sur l’importance de quelque chose. D’autre part, le déroulement de l’histoire est retardé, ce qui augmente le suspense91 ». En effet, il est difficile de déchiffrer chaque doublet comme provenant de deux « sources » différentes et d’une réécriture, puisque l’unité de style d’écriture est respectée ; Joseph ; acte III (41,54–47,27) : les années de famine et les trois voyages en Égypte ; acte IV (47,28–50,26) : autour de la mort de Jacob. Malgré une légère différence par rapport aux trois actes mentionnés ci-dessus, cette proposition de Wénin correspond à la succession narrative du cycle de Joseph, cf. A. WENIN 2004, 7. Certaines observations de Wénin formulées dans cet article ne figurent pas dans son livre Joseph ou l’invention de la fraternité (Genèse 37–50) où l’auteur traite le cycle de Joseph chapitre par chapitre. Nous pouvons également consulter la composition du cycle de Joseph chez Uehlinger, cf. C. UEHLINGER 2009, 245. 88 Privilégiant la narrativité, Lowenthal a même fait un commentaire de Joseph sans prendre en compte Gn 38 et 49,1-27, cf. E.I. LOWENTHAL 1973. Sur le même principe, White suggère « la théorie de l’analyse narrative » sans rien dire sur Gn 38 et 49. De même, Longacre a fourni un travail d’analyse du cycle de Joseph sans prise en compte de Gn 38 et Gn 49–50, cf. H.C. WHITE 1985, 83 ; R.E. LONGACRE 1989 ; P. BEAUCHAMP 2002, 3-13. 89 T. RÖMER 1992, 78 ; T. RÖMER 2013, 18. Ska emploie l’expression « law of scenic duality », cf. J.L. SKA 2002, 35. 90 T. RÖMER 2021, 37. 91 T. RÖMER 1992, 78. À propos de l’interprétation des deux rêves en Gn 40, Wénin considère la répétition comme une technique littéraire : « Elle (la répétition) permet d’observer comment des narrateurs différents racontent une même histoire chacun à sa manière, ce qui conduit le lecteur à s’interroger sur ce qui peut expliquer ces différences ». A. WENIN 2006, 259-273. D’ailleurs, Pénicaud souligne également, du point de vue narratif, l’effet des rêves en doublet sur le lecteur, cf. A. PENICAUD 2004, 5-31.

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en conséquence, nous retiendrons « la fonction stylistique92 » des doublets proposée par Römer. De plus, le cycle de Joseph est très marqué par des rêves en doublet. Shupak explique ce phénomène : « The doubling of a dream – usually a symbolic dream – is known from the ancient Near East and is meant to verify and emphasize the message93 ». En outre, les rêves en doublet sont expliqués par le récit lui-même en Gn 41,25 « Le Pharaon n’a fait qu’un seul songe » et « si le songe de Pharaon s’est répété deux fois, c’est que la chose est bien décidée de la part de Dieu et que Dieu a hâte de l’accomplir » (Gn 41,32). Par conséquent, ces doublets servent des motifs littéraires. Ces observations conduisent à la conclusion que le cycle de Joseph conserve son unité littéraire avec les remaniements tardifs. Les nombreux doublets ne correspondent pas à des éléments parallèles provenant de différentes « sources documentaires », mais sont des moyens stylistiques contribuant au déroulement du récit. Dans la suite de la recherche, nous pourrons dégager deux conceptions différentes du cycle de Joseph : l’une se concentre plutôt sur une composition Nord–Sud, et une autre penche vers la théorie d’une nouvelle de la diaspora. Nous verrons comment ces deux lectures se sont développées en parallèle jusqu’à nos jours. 3.2. Le modèle des fragments Depuis 1975, Rendtorff a promu la renaissance d’un modèle des fragments94. Il postule l’indépendance dans un premier temps des récits patriarcaux transmis pendant une longue période de manière séparée. Selon lui, l’unité du thème de la Promesse (pays, descendance, accompagnement et bénédiction) est la clé pour lier les récits individuels des patriarches 92 Römer réaffirme l’attribution d’une fonction stylistique en 2019, cf. T. RÖMER 2019a, 18. Uehlinger emploie l’expression « un motif littéraire » pour parler des allers et retours des frères entre Canaan et Égypte en vue de « produire un effet de retardement et contribuer à la mise en abîme des frères ». C. UEHLINGER 2001, 318. De la même façon, Silva considère que « la répétition et les double-emplois » sont des procédés stylistiques. A.D. SILVA 1994, 188. Macchi partage également l’avis de Römer à propos des doublets, et il estime que ces répétitions peuvent « servir à insister sur des aspects de la narration ou à maintenir le suspense ». J.D. MACCHI 1999, 123. 93 N. SHUPAK 2006, 111. Pirson et Grossman ont essayé de montrer qu’il s’agit de deux rêves différents de Joseph en Gn 37. Au contraire, un même rêve en doublet, un bon rêve et un mauvais rêve, est présenté en Gn 41, en parallèle avec ceux de Gn 40, cf. R. PIRSON 2001, 561-568 ; J. GROSSMAN 2016, 717-732. 94 Cf. R. RENDTORFF 1990, 57-94.

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au sein d’une grande unité plus large dans le livre de la Genèse. Dans les détails, il observe que ce thème est assez présent dans l’histoire d’Abraham, moins marquant dans celle de Jacob et d’Isaac, et complètement absent dans celle de Joseph95. Cette remarque permet de conclure que le cycle de Joseph ne partage pas la même vision que les autres récits des patriarches. D’ailleurs, Rendtorff considère que la structure de Gn et d’Ex est fondée sur le mot ‫ ברית‬qui est présent dans tous les passages importants de ces deux livres (par exemple : Gn 1–11, Gn 17, Ex 2 et Ex 19–34 et ect.)96. Il est évident que le cycle de Joseph n’est pas dans la lignée de l’Alliance. On a du mal à percevoir la place que lui accorde Rendtorff dans l’ensemble de l’histoire des patriarches. Blum, Kratz et Diebner vont mener la recherche plus loin. Ils appliquent le modèle des fragments dans leurs démonstrations respectives d’une hypothèse rédactionnelle du Pentateuque. 3.2.1 Cycle de Joseph, fin de l’histoire de Jacob ? – la théorie Nord-Sud Blum identifie le premier stade de la formation de l’histoire des patriarches sous l’expression « Die Jakobüberlieferung » qui contient Gn 25–33*, provenant du royaume du Nord durant le règne de Jéroboam I. Cette histoire aurait été étendue pour former une histoire complète de Jacob de sa naissance jusqu’à sa mort (Gn 25–50)97. Son propos amène à la considération suivante : la composition du cycle de Joseph est au service d’un « accomplissement » de la vie de Jacob98. En revanche, Westermann repère deux grandes compositions à l’intérieur du cycle de Joseph : l’une pour l’histoire de Joseph et l’autre pour celle de Jacob. Il remarque que le problème posé en Gn 37 est déjà résolu en Gn 45. Il est donc difficile de considérer Gn 46–50 comme une conclusion globale de l’histoire de Joseph. Ainsi, propose-t-il deux rédactions successives : une histoire de Joseph proprement dite de Gn 37 ; 39–45 avec certaines parties de Gn 46–50 et une conclusion à l’histoire de 95

Cf. R. RENDTORFF 1990, 56. Cf. R. RENDTORFF 1989, 385-393. 97 Il est intéressant de remarquer que les vocables typiquement P selon Driver orientent vers une histoire de Jacob sans Joseph : ‫( גוע‬expirer, Gn 49,33) ; ‫( רכוש‬acquisition, Gn 46,6) ; ‫( רכש‬acquérir, Gn 46,6) ; ‫( נפש‬être, au sens de la personne, Gn 46,15.18.22.25.26.27) ; ‫( מגור‬séjourner, Gn 37,1 ; 47,9) ; ‫( אחזה‬possession, Gn 47,11 ; 48,4 ; 49,30 ; 50,13) et ‫אחז‬ (avoir la possession, Gn 47,27). Cette considération permet d’une part d’envisager la possibilité de l’existence de P sans l’histoire de Joseph et, d’autre part, de rattacher P principalement à l’histoire de Jacob, cf. S.R. DRIVER 1913, 131-133. 98 Briend partage le même avis en disant que « l’histoire de Joseph est incorporée à la fin du cycle de Jacob qui sert de conclusion à l’histoire patriarcale ». J. BRIEND 1998, 433. 96

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Jacob en Gn 46–5099. Il conclut que « The two late insertions, chs. 38 and 49, are not additions to the Joseph story but belong to the conclusion of the Jacob story. Thus understood they are more meaningful and comprehensible100 ». Son observation sur Gn 45 est pertinente car elle résout le problème posé à Gn 37 ; en revanche, son interprétation de Gn 38 et Gn 49 est problématique. La première porte sur Juda et Tamar et l’autre concerne les douze fils d’Israël ; il est difficile d’y voir une interprétation centrée sur Jacob. De son côté, Blum remarque l’indépendance de l’histoire de Joseph, mais également la particularité de Gn 38 et de Gn 49. Il faut noter qu’il rapproche Gn 38 de Gn 34, c’est-à-dire les histoires des frères (Siméon et Lévi, Juda) et Gn 49 de Gn 48, « les deux bénédictions de Jacob ». Blum considère que l’objet de Gn 38 est la naissance des enfants de Juda, et surtout la primauté de Pérèç qui souligne non seulement l’importance de la tribu de Juda mais aussi de la lignée de David101. Dans le même sens, il analyse Gn 49 en soulignant la primauté de Juda par rapport à Joseph102. Ces indices conduisent à discerner l’écriture des Judéens au sein du cycle de Joseph. Cette remarque est intéressante, car elle amène à s’interroger sur l’existence éventuelle d’une lignée « pro-judéenne » dans le cycle de Joseph. Le travail de la critique littéraire de Gn 49 pourra peut-être répondre à cette question. Ensuite, Blum rattache le cycle de Joseph à celui de Jacob pour former « Die Jakobgeschichte ». Il interprète Jacob–Joseph comme une lecture du Nord dans laquelle, nous pouvons repérer aussi la tendance du Sud. C’est la raison pour laquelle, il insiste sur la lecture de l’histoire de Joseph sous l’angle Nord–Sud103. Cette idée influence également la manière dont il considère le cycle de Joseph. C’est la raison pour laquelle, plus tard, il s’opposera à l’hypothèse de la nouvelle de la diaspora que nous exposerons plus loin. 99 Cf. C. WESTERMANN 1987, 22. Garcia Lopez soutient la proposition de Westermann au sujet des deux grandes compositions (d’un côté, Gn 37 ; 39–45 ; et de l’autre côté, Gn 46– 50) dans le cycle de Joseph. En revanche, il considère que les chapitres 46–50 concluent non seulement l’histoire de Joseph, mais également celle de Jacob, F. GARCIA LOPEZ 2005, 119. 100 C. WESTERMANN 1987, 22. 101 E. BLUM 1984, 226. 102 E. BLUM 1984, 228. 103 Dans la suite, nous employons l’expression Nord-Sud pour désigner les tribus du Nord représentées par Joseph et celles du Sud représentées par Juda. En sens inverse, Van Seters propose de regarder la figure de Joseph uniquement comme un personnage de fiction, à contre-courant donc de la théorie Nord-Sud proposée par Blum et de ne pas donner un sens politique au profil de Joseph. Son propos n’apporte pas d’éclairage sur la raison pour laquelle le cycle de Joseph souligne particulièrement les profils de Joseph et de Juda, les représentants respectifs du Nord et du Sud, J. VAN SETERS 2004, 369-370.

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Cette perception Nord–Sud est également partagée et développée par d’autres commentateurs. Wenham remarque que Gn 49 s’intéresse à tous les fils d’Israël, surtout Juda et Joseph, les représentants respectifs du Sud et du Nord104. Artus, en repérant l’opposition entre Gn 38 et Gn 39, se demande s’il ne faut pas y voir une opposition entre deux figures du judaïsme : « Au-delà de la figure de Juda, liée au sud et à Jérusalem, la critique pourrait être destinée au judaïsme judéen, auquel se trouverait opposée une autre figure du judaïsme, représentée par Joseph, figure que le récit viendrait légitimer105 ». De même, Carr interprète les insertions tardives, d’un côté Gn 38 et Gn 49,1b-28 et de l’autre côté Gn 48*, en fonction des intérêts politiques Sud–Nord106. Quant au chapitre 43, dans l’épisode de la coupe, où Juda se propose comme esclave à la place de Benjamin, Ska souligne l’historicité de l’évènement : « Juda devient l’instrument de la réconciliation d’une famille blessée par la discorde. Cette attitude correspond bien au rôle du royaume de Juda après la chute de Samarie107 ». Celui-ci laisse entendre que « l’histoire de Joseph est donc probablement née dans le Nord, puis elle a été transférée dans le Sud108 ». Dans cette hypothèse, Gn 38 et Gn 49 pourraient être postérieurs au récit proprement dit de Joseph, puisque les deux font références à Juda, le représentant du Sud. Au contraire, selon Ede, Gn 38 prend parti pour le royaume du Nord, le récit reflétant les conflits dans les provinces de Yehud et de Samarie109. Notons que les remarques de ces commentateurs n’expliquent ni le contexte général de l’Égypte ni celui de Canaan en Gn 38 et en Gn 49. De son côté, Weingart concentre son travail sur la place de Benjamin entre Joseph et Juda pour montrer que Benjamin appartient finalement à Joseph, ce qui permet de dire, en résumé, que le récit de Joseph est une propagande politique pour le royaume du Nord110. Mais cette hypothèse ignore le discours de Juda en Gn 43,9 et Gn 44,18-34 où Juda se porte garant pour Benjamin et propose de le remplacer comme esclave en Égypte. De plus, il est difficile d’expliquer la place prééminente de Juda en Gn 49,8-12. Dans la même ligne, Levin111aborde également ce sujet délicat du rôle de Benjamin par rapport à Juda et à Joseph, et considère 104 105 106 107 108 109 110 111

Cf. G.J. WENHAM 1994, 345. O. ARTUS 2009a, 53. D.M. CARR 1996, 254. J.L. SKA 2000, 295-296. J.L. SKA 2000, 296. Cf. F. EDE 2016, 78. Cf. K. WEINGART 2014, 244-254 ; 262-265. Cf. Y. LEVIN 2004, 229-230 ; 241.

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que la forme finale de l’histoire de Joseph dans la Genèse se situe peu après le schisme. En outre, les données archéologiques prouvent le transfert de la majorité du peuple de Juda dans le territoire de Benjamin et au Nord après la destruction du Temple en 587 av. J.-C.112 De même, Giffone emploie le thème « Judah’s Bible » qui interprète l’histoire comme si Benjamin et Joseph étaient amenés vers Juda113. Cette vision va à l’encontre de la domination du Nord proposée par Blum. Ces remarques ont l’intérêt de montrer la tension entre Juda (Sud) et Joseph (Nord) au sujet de Benjamin qui se trouve à leur frontière. Par ailleurs, Uehlinger souligne la proximité entre Juda et Benjamin en disant : « on sait bien que la province perse de Yehud hérita de l’ancien royaume, les territoires de Benjamin jadis occupés par Josias114 ». En revanche, Finkelstein propose une délimitation assez restrictive de la province de Yehud à l’époque perse : les zones occupées correspondent à vingt dunams, au centre de l’aire de la « cité de David » soit environ cent personnes115. Même si les résultats des recherches archéologiques ne confirment pas l’étendue de la province de Yehud telle qu’elle est décrite en Esd-Ne, cela n’empêche pas d’apercevoir un jeu à trois, Joseph-Benjamin-Juda, qui pourrait soulever la question du rapport Nord-Sud dans le cycle de Joseph ; toutefois, dans cette hypothèse, le contexte de l’Égypte reste obscur. Ces remarques donnent à voir une sorte de compétition Nord-Sud à l’intérieur du cycle de Joseph, qui pourrait être le reflet de deux rédactions différentes : une histoire proprement dite de Joseph du Nord, transférée par la suite au Sud avec les ajouts sur Juda. Nous examinerons cette hypothèse rédactionnelle dans la partie concernant l’analyse littéraire. La présence massive de l’Égypte devient la question principale qui ne peut pas être résolue par cette hypothèse Nord-Sud. Nous allons donc poursuivre notre recherche en examinant l’hypothèse de la nouvelle de la diaspora et voir quel éclairage elle peut apporter.

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Cf. O. LIPSCHITS 1999, 155-190. L’auteur conclut que la région de Benjamin n’a pas été détruite à l’époque de Jérusalem, apparemment parce que ses habitants se sont soumis aux Babyloniens lors du siège de Jérusalem (701 av. J.-C.). Les Babyloniens avaient clairement intérêt à préserver cette région et à y installer leur centre administratif et économique. Cela explique également le transfert des Judéens dans le territoire de Benjamin après la destruction du Temple. 113 B.D. GIFFONE 2019, 970. 114 C. UEHLINGER 2001, 317. 115 I. FINKELSTEIN 2008, 506-514.

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3.2.2 Cycle de Joseph, débat entre la diaspora égyptienne et la vision tribale ? Au contraire de Blum qui considère Gn 25–50 comme « Die Jakobgeschichte », Kratz préfère comprendre les fragments de Gn 2–35* comme un bloc et le roman de Joseph (Gn 37–50) comme un autre bloc tenant compte de la diaspora en Égypte, qui existait à l’époque perse116. Il remarque que l’histoire primitive et celle des patriarches (Gn 2–35) ne contiennent aucune référence à l’Exode. Ce qui est promis en Gn 12,1-3 a été réalisé par le retour de Jacob sur la terre de son père en Gn 35117. Même s’il reconnaît une certaine continuité entre Gn 2–35 et le début du cycle de Joseph, il considère que le premier ensemble, Gn 2–35, peut être attribué à JG ; et le second, Gn 37–45, à JS118, c’est-à-dire deux rédactions distinctes et indépendantes. Kratz reconnaît trois grandes insertions dans l’histoire de Joseph : Gn 38 et les deux bénédictions de Jacob en Gn 48 et Gn 49119. En raison de l’emploi des noms des fils de Jacob, Ruben, Siméon et Lévi, Juda, Benjamin, Joseph, ces derniers étant déjà présentés en Gn 29–35, il conclut que « That means that the Joseph story, which was dependent on the exposition in Gen. 37, was never independent, but from the start belongs in the context of the patriarchal history120 ». En corrigeant la vision de Noth qui considère le cycle de Joseph comme un récit indépendant qui relie Gn et Ex, il met en évidence une croissance dans la composition du récit : « The narrative did not come into being as a bridge between the patriarchs and the exodus but primarily as a continuation and further conclusion of the patriarchal history: it is used only secondarily as a bridge pillar, as in the Priestly Writing121 ». En effet, selon Kratz nous pouvons remarquer deux parties dans la composition du cycle de Joseph : d’abord, Gn 37–45 (Gn 38 excepté) qui constituent l’histoire primitive au cours de laquelle Jacob et Juda résident sur la terre promise, seul Joseph vivant en Égypte ; et ensuite, Gn 46–50 qui fait la connexion entre Gn et Ex dans lesquels Jacob, Juda et ses frères descendent en Égypte122. 116

Cf. R.G. KRATZ 2005, 279. R.G. KRATZ 2005, 274-275. 118 Kratz a ses propres sigles : JG désigne le yahwiste primitif, et JS désigne le postyahwiste. Il fait cette remarque : « The Yahwistic revision does not continue in the Joseph story; rather, the Joseph story continues the Yahwistic primal history and patriarchal history in Gen. 2–36. In the original stratum of Gen. 37–45 the Joseph story is a post-Yahwistic appendage (JS) », R.G. KRATZ 2005, 278. 119 R.G. KRATZ 2005, 275. 120 R.G. KRATZ 2005, 276. 121 R.G. KRATZ 2005, 276. 122 Cf. R.G. KRATZ 2005, 279. 117

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CHAPITRE I

Il est important de remarquer les dimensions tribale et nationale de cette histoire auxquelles Kratz porte une attention particulière : There is a tendency to build up the tribal and national history more and more strongly after the climax of Joseph’s career in ch. 41. The Reuben-Midian additions in ch. 37, the addition of the sons of Joseph and their blessing in 41.50-52 and ch. 48, the Benjamin passages in chs 42-45, the tribal sayings in ch. 49, and also the addition of the Judah – Tamar narrative in Gen. 38, which centers on the law of levirate marriage, serve this purpose. The way in which the story is increasingly shaped into a national history, to the point of accumulating Joseph’s brothers to become the twelve tribes of Israel in Gen. 37,9; 42,3,13,32 and ch. 49, binds it increasingly into the literary context of the Hexateuch and the Enneateuch123.

Ce propos rejoint un aspect de la problématique de notre étude : l’identité spécifique d’Israël. Mais nous devons poser la question de Gn 38 qui a été compris par Kratz comme une mise en pratique de la loi du lévirat pour accentuer la vision tribale. Il n’a élucidé ni la fonction du contexte du pays cananéen lors de la descente de Juda, ni le rôle des Cananéens dans ce récit. Il est nécessaire d’analyser les détails de ce chapitre pour comprendre son motif rédactionnel, que nous chercherons à identifier dans la suite de notre étude. Kratz rapproche chronologiquement le cycle de Joseph de la situation de l’époque perse124. Alors que la construction de Gn 37–45 est en cohérence avec la situation des communautés d’Israël en Judée et en Samarie, la vente de Joseph en Égypte est un reflet de l’existence des communautés israélites en diaspora qui s’identifient au fils bien-aimé de Jacob (Israël). Kratz confirme que cette histoire laisse entendre la voix de la diaspora égyptienne, comme plus tard, la diaspora babylonienne apportera sa contribution en Jr 24 et Jr 29, ainsi qu’en Esd-Né : « In a way, here we already have the later duality of Alexandrian and Babylonian Judaism in the making125 ». Dans la suite, il remarque que Gn 37–45, qui décrit une vie heureuse de Joseph en Égypte, est en contradiction avec le Pentateuque selon lequel, l’identité du peuple d’Israël est exodique. En conséquence, nous ne pouvons voir l’histoire de Joseph que comme une préhistoire d’Ex en ajoutant Gn 46–50 dont le but, bien évidemment secondaire, est d’assurer la connexion entre les patriarches et l’Ex126. 123 R.G. KRATZ 2005, 278. Luther comprend Gn 38 comme une histoire tribale en considérant que le statut de la prostituée et la loi du lévirat sont des prétextes pour assurer le déroulement du récit, cf. B. LUTHER 1991, 112-118. 124 Cf. R.G. KRATZ 2005, 279. 125 R.G. KRATZ 2005, 279. 126 Cf. R.G. KRATZ 2005, 279.

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Il est important de souligner que Kratz retient dans le cycle de Joseph à la fois la dimension de la diaspora égyptienne et la vision tribale. En même temps, nous devons toujours interroger le statut de Gn 38 : faut-il le cataloguer comme judéo-centriste ou comme une manifestation universaliste ? La composition du cycle de Joseph, est-elle suffisamment précisée avec une division en deux parties (Gn 37–45 et Gn 46–50) ? On note que Kratz suggère une possibilité de « progression » dans la composition, et qu’il ne retient pas la dimension Nord–Sud, proposée par Blum. Par ailleurs, Albertz observe une progression de l’histoire de Joseph qui commence par une histoire originelle de Gn 37–45 (sauf Gn 38 et Gn 39)127. Dans la suite, cette histoire a été élargie jusqu’en Gn 50,22a qui renvoie plutôt au mythe fondateur du royaume du Nord (1 R 12,28)128. Puis, elle a été rattachée à celle de Jacob pour fournir Gn 25–50 qui enveloppe toute la vie de ce dernier129. Enfin, les derniers ajouts sont Gn 38 ; 39 ; 46,1-5a. et P130. Il observe la tension entre la diaspora provisoire et le retour en Canaan, tension qui est une manifestation de la diversité des modes d’existence d’Israël131. Pour Albertz, la diaspora n’est qu’un passage dont la finalité est l’installation en Canaan. Finalement l’histoire de Joseph joue le rôle de pont entre l’histoire des patriarches et celle d’Exode132. 3.2.3 Cycle de Joseph, la Golah égyptienne ? Diebner est venu ensuite soutenir la position de Kratz en montrant la réalité des deux communautés exiliques : La « mésopotamophilie » de la Genèse, avec ses traditions des chapitres 1–35 qui semblent provenir surtout de la Gola mésopotamienne, est élargie par l’apport d’une tradition égyptophile et ainsi adaptée aux conditions politiques réelles que caractérisent deux importantes Golot juives, mésopotamienne et égyptienne133.

Même si Diebner a, comme Kratz, vu Gn 1–35 et le cycle de Joseph comme deux blocs indépendants, il y a entre eux une grande divergence. 127

Cf. R. ALBERTZ 2009, 21-23. Cf. R. ALBERTZ 2009, 24-25. 129 Cf. R. ALBERTZ 2009, 25. 130 Cf. R. ALBERTZ 2009, 25-30. 131 Cf. R. ALBERTZ 2009, 30. 132 L’auteur résume ainsi sa pensée sur la fonction du cycle de Joseph: « die Josephsgeschichte wirkt dadurch als Brücke zwischen beiden, dass in ihr eine zeitweise Abwanderung Israels auβerhalb des ihm zugewiesenen Landes von Gott legitimiert wird », cf. R. ALBERTZ 2009, 30. La même idée a été partagée par Ede: « As the result, they (Gen 46–50) define diaspora in Egypt not as a permanent state for Joseph, but as a transitional stage for Israel », F. EDE 2021, 21. 133 B.J. DIEBNER 1992, 63. 128

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CHAPITRE I

Diebner lit le livre de la Genèse comme deux rédactions de Golot israélites différentes qui ont pour but « tout Israël134 » ; en revanche, Kratz considère Gn 2–35 comme la combinaison de l’histoire primitive avec celle des patriarches, et Gn 37–50, comme un cycle de Joseph rattaché à l’origine à l’histoire des patriarches. Une étude menée en collaboration par de Pury et Römer semble confirmer cette hypothèse de Diebner. Ils considèrent que la Golah babylonienne est « la responsable de la forme actuelle de la Torah et des Nebiim135 » et « que le judaïsme égyptien a réussi malgré tout (…), à y faire entendre sa voix136 » à travers l’histoire de Joseph. Enfin, ils affirment le rôle de cette Golah égyptienne en précisant que : « ce judaïsme ‘libéral’ ne perd pourtant pas ses rapports avec la mère-patrie, puisque Joseph donne des instructions pour que ses ossements soient ramenés en Palestine pour y être ensevelis137 ». Par conséquent, ce Joseph qui reste en Égypte est toujours lié au pays cananéen. Cette référence à la Golah égyptienne est très convaincante, car Dieu y apparaît comme un Dieu universel et « des thèmes israélites classiques tels que l’alliance, l’élection ou l’exclusivisme rituel et religieux138 » en sont absents. En outre, indépendamment de son attention particulière à l’existence des Golot, Diebner partage la vision de Blum sur la présence du Nord et du Sud dans le cycle de Joseph, en particulier dans la composition de Gn 38 : Gn 38 me paraît être un ajout « actualisant » la tradition de Joseph plus Israélite que Judéenne, qui insiste trop sur le rôle dominant de Joseph par rapport à ses frères. Son ascension est en quelque sorte « freinée » par la tradition judéenne du chapitre 38139.

Selon Diebner, une correction postérieure a été opérée par les Judéens sur le cycle de Joseph140. En effet, on doit s’interroger sur le milieu de la 134 Diebner explique la liaison de ces deux traditions en disant : « la nouvelle de Joseph est donc une tradition israélite ajoutée aux traditions judéennes en Gn 1–35, pour qu’un ‘tout Israël’ soit concerné. L’intégration du roman de Joseph dans la Genèse a lieu à une époque où Juda veut intégrer Israël dans le ‘tout Israël’, sans doute après la conquête d’Israël par J. Hyrcan (128 av. J.-C.) » (p. 65) ; dans la suite, il explique : « A la mésopotamophilie de Gn 1–35 correspond une certaine hostilité envers Israël. Cette dernière est corrigée par le roman de Joseph plutôt ISRAËLITE (malgré la réception judéenne) » (p. 66), B.J. DIEBNER 1992, 65-66. 135 A. de PURY, T. RÖMER 1995, 33. 136 A. de PURY, T. RÖMER 1995, 34. 137 A. de PURY, T. RÖMER 1995, 34. 138 A. de PURY, T. RÖMER 1995, 34. 139 B.J. DIEBNER 1992, 62, n° 22. 140 Diebner écrit : « Il est donc tout à fait possible qu’une tradition visiblement israélite comme le roman de Joseph fut revue et soigneusement corrigée par Juda en vue d’une intégration dans un contexte avant tout judéen », B.J. DIEBNER 1992, 63.

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production de Gn 38 qui n’est pas en faveur des Judéens puisque Juda y est critiqué. En conséquence, il est difficile de supposer que l’histoire de Juda et de Tamar soit une production des Judéens en vue d’un équilibre entre la rédaction du Nord (Joseph) et celle du Sud (Juda). Nous examinerons cette question particulièrement dans la critique littéraire de Gn 38. Néanmoins, il est intéressant de remarquer que Diebner maintient cette « coexistence » du Nord et du Sud dans le cycle de Joseph, et qu’en même temps, il admet la possibilité d’« une nouvelle pour la diaspora141 ». Sa remarque sur les différentes voix perceptibles dans le cycle de Joseph est intéressante, mais il ne s’est pas prononcé sur leur fonction par rapport à l’ensemble du livre de la Genèse. 3.2.4 Évaluation Le modèle des fragments a fait progresser la recherche non seulement dans la formation du cycle de Joseph, mais aussi dans celle de l’ensemble du livre de la Genèse où les commentateurs ont repéré des unités indépendantes, en se posant la question de leur formation. En étudiant la composition du cycle de Joseph et sa fonction, surtout dans son rapport avec les récits des patriarches, avec l’ensemble du livre de la Genèse et la liaison entre Gn et Ex, nous découvrons une diversité d’hypothèses. Blum considère que l’histoire de Joseph poursuit l’histoire de Jacob avec l’ensemble de Gn 25–35 pour former le cycle de Jacob. Mais Kratz maintient deux étapes dans la rédaction du cycle, Gn 37–45 et Gn 46–50, en soulignant à la fois la dimension universaliste et la dimension tribale. Albertz suggère plutôt une progression de la composition du cycle de Joseph pour définir la diaspora comme un passage temporaire en vue de faire le lien avec l’Exode et le retour en Canaan envisagé comme étant l’objectif final. En revanche, Diebner suppose l’indépendance des deux communautés de Golot : par rapport à Gn 1–35, représentant les communautés d’Israël dans la Mésopotamie, Gn 37–50 est une production des Golot égyptiennes. Ces différentes visions posent déjà la question de la construction du cycle de Joseph. D’ailleurs, Gn 38 raconte l’histoire de Juda en Canaan, et Gn 39 présente Joseph en Égypte. Ces deux chapitres concernant la relation des deux Israélites avec des femmes étrangères sont peu commentés par ces auteurs. Enfin, Gn 49 n’entre pas dans la vision de la Golah égyptienne, car il se concentre sur les douze tribus d’Israël. Si le cycle de Joseph est interprété selon la tradition égyptophile, comment devons-nous regarder Gn 49 ? 141

B.J. DIEBNER 1992, 64.

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CHAPITRE I

Ce modèle des fragments confirme l’insertion tardive de Gn 38 et Gn 49, l’analyse se limitant toutefois à ces chapitres eux-mêmes sans poser la question de leur fonction particulière. Nous avons rencontré trois interprétations possibles du cycle de Joseph : – une opposition/réconciliation entre le Nord et le Sud, représentés respectivement par Joseph et Juda, les deux pouvant se rejoindre dans l’unité du « tout Israël » ; – une alternance entre l’affirmation de la possibilité de vivre en permanence dans la diaspora égyptienne et l’acceptation du séjour temporaire en diaspora dans la perspective d’un retour en Canaan ; – une coexistence de la Golah babylonienne et de la Golah égyptienne. Nous verrons à la fin de cette recherche dans quelle mesure il est possible de distinguer ces multiples perspectives dans un unique cycle de Joseph. Dans la poursuite de notre étude, nous examinerons les résultats des recherches de commentateurs et d’archéologues sur le contexte égyptien du cycle de Joseph qui débouchent sur l’élaboration d’une nouvelle théorie : la nouvelle de la diaspora. 3.3. La théorie d’une nouvelle de la diaspora Les commentateurs contemporains s’investissent de plus en plus dans l’hypothèse d’une nouvelle de la diaspora qui conduit également à une datation récente de la formation du cycle de Joseph. Il est important de noter que cette hypothèse permet d’une part, d’expliquer la présence massive du contexte égyptien dans le cycle de Joseph et d’autre part, d’identifier la voix de la diaspora égyptienne qui évoque « un Exode inversé »142 selon l’expression de Römer. En poursuivant la recherche, nous distinguerons deux types de positions sur l’interprétation de cette théorie : celles qui s’orientent vers une interprétation exclusivement articulée sur la diaspora et celles qui soulignent la relation entre les communautés d’Israël en diaspora et celles de la Samarie et de la Judée.

142 Römer résume bien cette idée : « Le cycle de Joseph est probablement à dater des VIe-Ve siècles avant notre ère dans la Diaspora égyptienne. Il a été écrit pour donner à celle-ci une identité, un père fondateur, et pour s’opposer à l’impact de l’orthodoxie de Jérusalem par le moyen de la polémique et de l’ironie. À l’Exode officiel, on oppose un Exode inversé », T. RÖMER 1992, 73.

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3.3.1. Unique diaspora ? 3.3.1.1. Les données intra-bibliques Rosenthal avait constaté en 1895 une analogie entre l’histoire de Joseph, le livre d’Esther et celui de Daniel143. Dans la même ligne en 1975, Meinhold a suscité l’idée d’une « nouvelle de la diaspora ». Il a essayé d’établir un parallélisme entre les trois : Joseph, Esther et Daniel, qu’évoquent les différentes communautés d’Israël de la diaspora, respectivement en Égypte, en Perse et à Babylone144. Il souligne davantage l’aspect universaliste du cycle de Joseph145 en remarquant que l’interprétation du cycle de Joseph repose sur l’action de YHWH qui a comme seul objectif de sauver des vies, non seulement celles des Israélites (Gn 45,7) mais aussi celles des Égyptiens, représentants des nations (Gn 50,20)146. Son travail est concentré uniquement sur le thème universalisme/diaspora, et lui-même déclare que « (…) in der Josephsgeschichte mit einer andauernden Diasporaexistenz gerechnet wird147 ». En revanche, l’existence des Cananéens en Gn 38 faisant le lien avec Juda, ce qui pourrait tout à fait entrer dans la perspective universaliste de son propos, n’attire point son attention. Et les chapitres concentrés uniquement sur les fils de Jacob (px. Gn 37, Gn 48 et Gn 49) remettent en question « la diaspora permanente ». Husser a effectué en 2000 un même travail de comparaison avec les écrits juifs tardifs en soulignant que le cycle de Joseph permet à des Juifs résidant en Égypte d’avoir une identité propre au sein du peuple élu à l’époque perse148. Schmid admet également l’idée de la diaspora : « Die 143 L.A. ROSENTHAL 1895, 278-284, surtout 283-284. Deux ans après, pour répondre aux remarques de Reissler, il a publié un autre article pour clarifier certains points entre le livre de Daniel et l’histoire de Joseph, cf. L.A. ROSENTHAL 1897, 125-128. 144 Cf. A. MEINHOLD 1975, 306-324 ; A. MEINHOLD 1976, 72-93. Par ailleurs, Husser et von Heijne soulignent un aspect de l’interprétation des rêves effectuée dans une cour étrangère, respectivement par Joseph et Daniel. Tous deux ont réussi à interpréter les rêves du roi et ont obtenu pour cela une haute fonction en recevant un nom étranger, cf. J.M. HUSSER 1994, 231-261 ; C.V. HEIJNE 2014, 30-46. 145 A. MEINHOLD 1975, 320. 146 Meinhold résume ainsi son interprétation sur le cycle de Joseph: « Die Einigung dieser beiden Tendenzen in der Josephsgeschichte gelingt ihrem Verfasser, indem er für beide Jahwe als Urheber verantwortlich weiβ und indem er beide auf das eine Ziel der Lebensrettung zugehen läβt: Die Ägypter (und die Völker) gewinnen ebenso Leben, wie es den Israeliten zuteil wird. », A. MEINHOLD 1975, 321. 147 A. MEINHOLD 1975, 321. 148 L’auteur a donné une liste de ces écrits juifs : les récits araméens de Daniel (Dn 1–6), le livre d’Esther, le roman araméen d’Ahiqar, l’histoire de Zorobabel rapportée dans un livre apocryphe de la Septante : 1(ou 3) Esdras 3-4, cf. J. M. HUSSER 2000, 116-117. Il conclut : « L’histoire de Joseph a été composée dans la Diaspora juive d’Égypte, vraisemblablement au début de la période perse (vers 500-450) (…) À travers une œuvre comme celle-ci, les

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Josephsgeschichte optiert diesbezüglich offenkundig nicht für die Souveränität Israels als eigenständiges Königtum, sondern wertet auch die Existenz Israels unter fremder Oberherrschaft als mögliche Lebensform, innerhalb derer Israeliten sogar zu hohen Verwaltungsposten aufsteigen können149 ». Ces interprétations illustrent la légitimité de la voix de la diaspora égyptienne à l’époque perse. Par ailleurs, en 2003, Kunz propose eine analoge Thematik du cycle de Joseph avec Dn 1–6 et Est en faveur d’une datation postexilique150. Ces trois passages répondent à la question de la possibilité d’une vie réussie en diaspora, ce qui correspond à la situation postexilique151. Il est important de remarquer que par rapport à Rosenthal et à Meinhold qui se limitent à une lecture intra-biblique, Kunz fait référence aux œuvres littéraires de l’époque ptolémaïque, et même à Flavius Josèphe qui mentionne l’écrit du prêtre et historien égyptien Manéthon du IIIe s. av. J.-C.152 Et il expose l’idée d’anti-exode, ce qui suppose la connaissance de l’Exode par les rédacteurs du cycle de Joseph. Toutes ces recherches confirment la rédaction tardive du cycle de Joseph, à partir de l’époque perse jusqu’à, peut-être, l’époque ptolémaïque. Par ailleurs, l’importance donnée à la relation entre les Israélites et les étrangers reflète bien la situation de la diaspora. Plus loin, nous examinerons les données extrabibliques pour répondre à la question suivante : le cycle de Joseph correspond-il au contexte de la diaspora égyptienne ? Ce dernier en a-t-il influencé la rédaction ?

Juifs résidant en Égypte trouvaient une identité propre au sein du peuple élu : Dieu n’avait-il pas béni leur séjour en terre étrangère et, quoi qu’en pensent leurs frères de Judée, n’étaientils pas appelés eux aussi à servir les desseins de Dieu dans l’histoire ? », J. M. HUSSER 2000, 119. 149 K. SCHMID 2002, 113. 150 Cf. A. KUNZ 2003, 212-215. 151 Cf. A. KUNZ 2003, 216. 152 Manéthon parle des bergers de Jérusalem et les relie aux impurs et aux ennemis de l’Égypte. Cela indique peut-être que le statut de « bergers » des frères de Joseph, abomination pour les égyptiens (cf. Gn 43,32 et 46,34), n’est pas une pure invention. L’auteur compare le cycle de Joseph avec les trois œuvres témoins de l’époque ptolémaïque en Égypte : la stèle de la famine, le décret de Kanope et l’inscription sur la pierre de Rosette, pour montrer leurs convergences et leurs divergences. Il est possible que le(s) auteur(s) du cycle de Joseph ai(en)t eu connaissance de ces documents. A. KUNZ 2003, 216-224. Markl souligne l’aspect de « l’étranger » dans le cycle de Joseph en faisant le lien entre Abraham (Gn 15,13), Joseph (Gn 42,21) et l’Exode (23,9). Il en tire la même conclusion : cette perspective pourrait correspondre à la situation de la diaspora. D. MARKL 2015, 223. Romër l’a également remarqué : « The allusions to the Exodus in the Joseph novella and the ‘mosaization’ of Abram in Gen 15 already presuppose a literary connection of Gen and Exod in the half of the Persian period ». T. RÖMER 2010b, 20.

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3.3.1.2. Les données extrabibliques Dans cette section, on se concentrera principalement sur les recherches de Redford et celles de Aufrère, en intégrant également les données archéologiques recueillies par d’autres chercheurs153. Redford le premier a fourni un travail systématique détaillé sur le contexte égyptien, du début jusqu’à la fin du cycle de Joseph. Voici une liste de ses observations sur les différents sujets évoqués dans le cycle de Joseph : – les appellations spécifiques : l’appellation ‫( סריס‬officier/un haut fonctionnaire, Gn 37,36 ; 39,1 ; 40,2) est attestée à l’époque perse où les hauts plénipotentiaires du roi de Perse résidant en Égypte sont appelés srs n Prs, « l’officier du Perse154 ». Le terme ‫( ארץ העברים‬pays des hébreux, Gn 40,15) est employé par les Égyptiens et d’autres nations pour désigner la terre promise de l’époque saïte à l’époque romaine155. Le mot ‫( פקדים‬commissaires) est un terme technique désignant des gouverneurs d’un district à l’époque perse. Ce terme est utilisé dans les papyri d’Éléphantine pour désigner les fonctionnaires du rang le plus élevé sous les ordres du satrape. Redford conclut que le rédacteur de Gn 41,34 connaît très bien l’organisation provinciale égyptienne156. Au sujet de l’investiture de Joseph en Gn 41,42-43, Redford signale que l’usage artistique de l’or n’est pas antérieur au milieu de la 18ème dynastie157 et Römer suggère que le terme ‫( שש‬lin) vient d’une racine égyptienne identique. Le collier d’or est largement attesté dans l’iconographie égyptienne comme récompense, et non comme symbole d’investiture158. Pour les magiciens (‫ )חרטמים‬que Pharaon a convoqués en Gn 41,8.24 (cf. Ex 7,11.22 ; 8,7.18.19 ; 9,11 ; Dn 1,20 ; 2,2) il y a correspondance avec le titre « prêtre lecteur » en égyptien (hrj-ty). Ils sont identifiés aux fonctionnaires appelés à interpréter les rêves159. En outre, Redford indique que le serment d’un officier comporte souvent l’invocation du « roi », du « gouverneur » ou du « maître » pour 153

Cf. C. GUERIN 2021, 119-137. D.B. REDFORD 1970, 201. 155 D.B. REDFORD 1970, 202. 156 D.B. REDFORD 1970, 207-208. 157 D.B. REDFORD 1970, 208-209. 158 Ce détail a été cité lors de la conférence de Thomas Römer sur le cycle de Joseph prononcée au collège de France le 01.04.2016. Schipper précise qu’une inscription ionienne, datée de la 26e dynastie, mentionne l’investiture d’un étranger par le Pharaon. Ce dernier lui offre un collier (l’or d’honneur), cf. B.U. SCHIPPER 2011, 331-338. 159 Cf. D.B. REDFORD 1970, 203-204. 154

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désigner le Pharaon. L’expression ‫( חי פרעה‬autant que Pharaon est vivant) en Gn 42,15.16 remplace les autres termes dans un serment daté du IXe ou VIIIe s. av. J.-C. qui est très connu au VIIe s. av. J.-C.160. – les rêves : le Papyrus Chester Beatty III BM 10638 (19ème dynastie, XIIIe s. av. J.-C.) comporte une liste de plus de 200 rêves avec des interprétations (souvent allégoriques) et se termine par une prière contre de mauvais démons. Les rêveurs sont catégorisés soit comme compagnons d’Horus (le bon) soit comme compagnons de Seth (le mauvais). Il y a aussi beaucoup de rêves en lien avec le vin161. Par ailleurs, dès l’époque ptolémaïque, l’écriture cryptographique du mot « an, année » emploie le symbole hiéroglyphique de la « vache »162, ce qui est en concordance avec l’interprétation des rêves de Pharaon par Joseph en Gn 41. – l’anniversaire du roi : Gn 40,20 mentionne l’anniversaire du roi, coutume en vigueur à l’époque hellénistique à laquelle remontent les seuls témoignages qui ont pu être recueillis, notamment la Stèle de Rosette (anniversaire du pharaon Ptolémée V en 196 av. J.-C.). Cela n’exclut pas selon Redford, que cette coutume a pu être pratiquée antérieurement en Égypte, à l’époque saïte ou perse163. – le double nom hébreu et égyptien : « sous Ramsès II et Ramsès III, Ben Ozen (le fils d’écoute) est chargé par le roi de surveiller l’exploitation minière à Timna et intervient comme médiateur dans un conflit qui oppose les corvéables Shasou aux contrôleurs égyptiens ». Son nom égyptien est Ra-msès-em-per-Ré (Ramsès dans la maison de Ré)164. Il est possible que le personnage de Joseph soit construit sur le modèle de ces asiates qui font carrière à la cour égyptienne. Le double nom de Ben Ozen, un nom sémitique et un nom égyptien, reflète également la situation de Joseph en Gn 41,45. Par ailleurs, Joseph reçoit un nom égyptien, ‫צפנת‬ ‫( פענח‬Çaphnat-Panéah), dont la transcription signifie probablement « Dieu parle : il est vivant »165, ce qui correspond à l’onomastique de la IIIe période 160

D.B. REDFORD 1970, 223. D.B. REDFORD 1970, 204-205. L’explication du contenu de ce papyrus provient de la conférence de Römer au collège de France sur le cycle de Joseph prononcée le 24.03.2016. 162 D.B. REDFORD 1970, 205. 163 D.B. REDFORD 1970, 206. Redford précise que la célébration de l’anniversaire du Pharaon est restée coutumière à l’époque hellénistique, mais cette cérémonie était peut-être déjà pratiquée en Égypte à l’époque saïte ou Perse. Dans un autre ouvrage, il considère que la connaissance du zodiaque en Gn 37,9, l’adoption de la vache comme symbole de l’année et l’importance accordée à la célébration de l’anniversaire du roi correspondent en Égypte au début de la seconde moitié du premier millénaire av. J.-C, cf. D.B. REDFORD 1992, 426. 164 Cette source a été citée lors de la conférence de Römer au collège de France sur le cycle de Joseph prononcée le 25.02.2016. 165 Cf. D.B. REDFORD 1970, 230; D.B. REDFORD 1992, 424. 161

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intermédiaire de la Basse Époque. En fait, le cycle de Joseph est pénétré par les noms égyptiens : Potiphar (‫ )פוטיפר‬en Gn 37,36 ; 39,1, est un nom d’origine égyptienne, PƷ-dî- PƷ-R’ (celui que Rê donne)166 ; le nom de la femme de Joseph, Asnat (‫)אסנת‬, est Ns-nt en égyptien, ce qui signifie « appartenant à (déesse égyptienne) Neith »167. De plus, le beau-père de Joseph est le grand prêtre de Rê à Héliopolis où résident selon Hérodote (II,3) les plus doctes des Égyptiens. – les échanges commerciaux : les échanges de produits aromatiques entre la Transjordanie et les autres parties du Proche Orient sont documentés depuis le premier millénaire av. J.-C. jusqu’à l’époque ptolémaïque168. Les papyri de Zénon169 (IIIe s. av. J.-C.) en font mention, et le transport de produits du sud de la Transjordanie vers l’Égypte, à l’instar de ce qui est évoqué en Gn 37,25 et en Gn 43,11, est attesté depuis au moins le IVe s. av. J.-C.170 De plus, le recours aux chameaux (Gn 37,35) est très rare. On trouve des références indubitables sous le règne de Shalmanazar III d’Assyrie171 (858 à 824 av. J.-C.). La vente de Joseph comme esclave en Égypte reflète une pratique répandue172. – Enfin, l’embaumement de Jacob durant soixante-dix jours en Gn 50,2-3 correspond à une pratique répandue aux époques Saïte, Perse et Ptolémaïque173. Cette recherche menée par Redford permet de situer l’histoire de Joseph dans un contexte égyptien. 166

Redford précise les quatre attestations de ce nom égyptien : « dans une stèle de l’époque saïte, une translitération en araméen sur une amulette de la même époque, un autre écrit en démotique, encore de la même époque, et finalement une attestation du IIIe siècle avant notre ère », cf. D.B. REDFORD 1970, 228. Par ailleurs, selon Römer, il s’agit du même nom qu’en Gn 41,45.50 et Gn 46,20. « Un rédacteur a transféré ce nom de Gn 45 et Gn 39 (avec une certaine ironie : Joseph échappe à la première femme égyptienne dont le mari porte le même nom que le père de sa future femme égyptienne) », T. RÖMER 2018a, 247248. 167 Cf. D.B. REDFORD 1970, 229. 168 D.B. REDFORD 1970, 193. 169 Pour les textes et les commentaires dans le livre : C. ORRIEUX 1983. À ce que transportait la caravane d’Ismaélites – gomme adragante, baume et ladanum en Gn 37,25, Jacob rajoute pour l’Égypte du miel (‫)דבש‬, des pistaches (‫ )בטנים‬et des amandes (‫)שקדים‬, ces deux derniers produits ne se trouvant pas en Égypte (Gn 43,11), et étant importés du Levant. L’épave d’un bateau retrouvée à Kyrénia à Chypre (vers 300 av. J.-C.) contenait des sacs de 9000 amandes. Cela montre que le ou les rédacteurs du cycle de Joseph savaient très bien ce qui était apprécié et recherché en Égypte. Ce détail a été fourni lors de la conférence de Römer au collège de France sur le cycle de Joseph prononcée le 07.04.2016. 170 D.B. REDFORD 1970, 194. 171 D.B. REDFORD 1970, 195. 172 D.B. REDFORD 1970, 195-200. 173 D.B. REDFORD 1970, 240.

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CHAPITRE I

De son côté, Aufrère souligne que le cycle de Joseph « laisse apparaître d’assez nombreux mots égyptiens sémitisés » dont nous pouvons apercevoir la « couleur locale frappante »174 . Il a surtout confronté les éléments du récit aux preuves archéologiques. Aufrère remarque que le séjour de Joseph chez Potiphar en Gn 39 évoque le conte égyptien des Deux frères qui comporte une scène du même genre175. Quant à la famine, il mentionne également la stèle de la famine176 déjà évoquée par Kunz. De plus, la description du « changement » de Joseph en Gn 41,14b correspond à la pratique du rasage et de l’épilation, et du port de la perruque en Égypte, attesté par le roman de Sinouhé177. L’élévation de Joseph (Gn 41,37-46) correspond à l’investiture du vizir et à la découverte à Saqqâra d’un vizir d’origine sémitique portant le nom d’Aper-El178. En fait, la séparation entre les Égyptiens et les Hébreux (les bergers) en Gn 43,32 rappelle le Roman de Sinouhé où l’Asiate représente l’impureté aux yeux des Égyptiens179. La coupe d’argent (Gn 44,2.5) fait allusion à la divination à la lune en Égypte. Enfin, pour 174

Cf. S.H. AUFRÈRE 1998, 182. La suite de ces données est tirée de son article : cf. S.H. AUFRÈRE 1998, 182-189. 176 La stèle de la famine à Séhel a été découverte en 1889 sur l’île de Séhel près d’Assouan. Le texte se présente comme ayant été écrit sous Djeser, fondateur de la 3ème dynastie, représenté avec Khnom, Sati et Anoukis. En réalité, il a été écrit vers 187 av. J.-C., sous Ptolémée V. Il évoque une famine de sept ans et la consultation par le roi Djeser d’Imhotep, qui est identifié à Joseph. La tradition de la famine de sept ans est connue en Égypte à l’époque ptolémaïque, D.B. REDFORD 1970, 206-207. Deuxièmement, Schipper a confronté l’histoire de Joseph avec le papyrus Berlin 23071 (un papyrus d’Éléphantine conservé au musée égyptien de Berlin, daté du Ve au IVe siècle av. J.-C. à l’époque perse) qui contient la plus ancienne version sur le thème de la famine en Égypte. Ce papyrus appartient à une tradition égyptienne antérieure appelée « le livre du Temple », qui a influencé les autres textes dont la stèle de la famine. Schipper conclut que l’histoire de Joseph est plus proche de ce papyrus que de la stèle de la famine. Aussi, il fait remonter le thème de la famine de sept ans de l’époque ptolémaïque à l’époque perse, cf. B.U. SCHIPPER 2018, 77-78 ; B.U. SCHIPPER 2021, 152-158. L’histoire d’Ahiqar se trouve dans l’article suivant : J.M. LINDENBERGER 1985, 479-507. 177 « Je fus installé dans le domaine d’un fils royal, où il y avait des objets de luxe… vêtement de lin royal, myrrhe et huile royale… faisant disparaître de mes membres les années. Je fus rasé et mes cheveux furent peignés. … Je fus habillé de toile fine et oint d’huile de première qualité… », C. OBSOMER 2005, 52. Mayes a effectué une comparaison minutieuse de l’histoire de Joseph et du roman de Sinouhé, cf. A.D.H. MAYES 2015, 29-32. 178 Ce thème de la réussite d’un sémite à la cour égyptienne est également mentionnée par Shupak : « In particular, one of the most important of these features, the position of Joseph at Pharaoh’s court, suggests that the original Joseph story was based on the autobiography of an Egyptian official of foreign (Semitic) origin », N. SHUPAK 1996, 412. De même, Zivie a noté que la mention Aperia pourrait être Aper-El, “le Apirou de El” et l’a rapproché de Joseph : « Son rôle éminent auprès du Pharaon, malgré une origine sans doute modeste, ne serait pas alors sans rappeler celui de Joseph, dont la Bible nous raconte l’extraordinaire ascension au rang de premier ministre ». A. ZIVIE 1990, 194. 179 Cf. S.H. AUFRÈRE 1998, 186. 175

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l’enterrement de Jacob (Gn 50,2-4), Hérodote (II,86) précise que le corps reste dans le natron pendant soixante-dix jours, et cet épisode reflète encore le roman de Sinouhé où ce dernier veut échapper à l’enterrement pratiqué en Canaan. L’âge de Joseph, 110 ans, coïncide avec l’âge parfait chez les Égyptiens180. Römer suppose que le nom Goshen (‫ )גשן‬vient probablement de l’égyptien Gsm, « un nom attesté depuis le VIIIe siècle avant notre ère et surtout à l’époque saïte (672-525) en tant que nom d’un nôme, le 20e dans la partie est du Delta181 ». Aufrère fait une autre proposition : Goschen est considéré comme le Ouâdi Toumilat, lieu de passage commercial traditionnel entre l’Égypte et l’Asie où réside une population mixte182. Quant à l’accord du Pharaon pour l’installation de la famille de Jacob à Goschen (Gn 47,5a-6b.11), cela fait écho à l’inscription sur la stèle de Kamôsé qui porte un accord entre les Égyptiens et les Hyksôs au sujet des troupeaux égyptiens que les Asiatiques gardaient dans le Delta183. Malgré leurs différences, toutes les suggestions orientent vers le Delta. En outre, il existe d’autres arguments en faveur du contexte égyptien du cycle de Joseph. Il est possible que l’âge de Joseph – 17 ans à l’ouverture du récit (Gn 37,2) – renvoie au chiffre 17 associé au cycle lunaire et à Osiris, les Égyptiens considérant que la mort du dieu Osiris est survenue au 17ème jour du mois184. L’épisode de la citerne (‫ )בור‬se retrouve dans un texte égyptien (papyrus Lansing 7,3) où un paysan qui ne peut payer ses taxes est jeté dans un puits185. La fonction de l’échanson (Gn 40,11.13) est évoquée dans le papyrus de Leyde 348.10.5 comme « celui qui goûte le vin » dont la présence est attestée dès la 18ème dynastie comme fonctionnaire du palais186. Les récits des songes (Gn 37.40.41) évoquent la vision prophétique qui fait partie de la littérature égyptienne187. La recherche du blé en Égypte en Gn 42,2 correspond à la description du papyrus Anastasi VI : 180

Cf. S.H. AUFRÈRE 1998, 189, cf. G. LEFEBVRE 1944, 106-119. T. RÖMER 2018a, 257. 182 Cf. S.H. AUFRÈRE 1998, 187-188. 183 Cf. S.H. AUFRÈRE 1998, 188. 184 Cette indication a été donnée lors de la conférence prononcée par Römer au collège de France sur le cycle de Joseph le 09.03.2016. 185 Cf. A.H. GARDINER 1937b, 104-105. 186 Cf. A.H. GARDINER 1937c, 136. 187 Shupak a effectué un travail spécifique sur l’interprétation des rêves. D’après sa recherche, l’interprétation des rêves est relativement rare dans les sources mésopotamiennes qui se limitent aux œuvres littéraires suméro-babyloniennes. En revanche, la recherche de symboles dans les rêves a été plus largement développée en Égypte et est documentée dans la coutume de l’oniromancie qui vise à prédire l’avenir à partir des rêves, cf. N. SHUPAK 2006, 105-110. 181

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CHAPITRE I

lettre d’un officier des frontières (vers 1200 av. J.-C.)188. L’ensemble de l’histoire de Joseph est interprété finalement comme la providence de Dieu (cf. Gn 50,20) ce qui pourrait indiquer une influence du récit d’Ounamon (daté entre 1075 et 975 av. J.-C.)189 qui insiste sur la providence divine et sur le pouvoir d’Amon à l’étranger. Les données bibliques (2 R 25 et Jr 42–44) et archéologiques sur l’implantation des communautés d’Israël dans le Delta et à Éléphantine confirment la réalité de la présence des Israélites dans la diaspora égyptienne190. De plus, Schipper a comparé l’histoire de Joseph à celle d’Ahiqar191 connue à partir d’une version araméenne récupérée à Éléphantine en 1907 et du papyrus Berlin 23071 pour montrer que cette histoire est une nouvelle de 188 Cf. A.H. GARDINER 1937a, 72-78. Il est écrit dans cette lettre : « Autre communication pour mon maître : nous avons fini de faire passer les tribus des Shasou d’Edom par la forteresse de Merneptah-hotep-her-Maât… afin de leur permettre de se maintenir en vie et de maintenir leurs troupeaux en vie selon le bon plaisir de pharaon, VSF, le soleil parfait de tout pays ». Cela correspond parfaitement à la demande de Jacob en Gn 42,2 : « descendez là-bas et achetez pour nous de là-bas. Ainsi nous vivrons et nous ne mourrons pas ». Cette observation a été formulée par Römer au collège de France lors d’une conférence sur le cycle de Joseph le 07.04.2016. 189 A.H. GARDINER 1981, 61-65. 190 Römer préfère situer l’histoire de Joseph quelque part dans le Delta en raison de la complexité des relations entre les Égyptiens et les Judéens/Israélites car les premiers ont détruit le temple des Judéens dédié à Yahô. Il faut reconnaître que cette question est assez discutée, cf. T. RÖMER 2018a, 244. De même, Mélèze-Modrzejewski localise la descente de la famille de Jacob sur « les bords du Delta oriental, dans la région de steppes, à proximité de Pithôm » ; selon lui, « leur présence est impliquée par les mentions des ‘Apirou sous Thoutmosis III, au milieu du XVe siècle », J. MELEZE-MODRZEJEWSKI 1991, 12. Cet avis sur l’immigration de gens de Canaan dans le Delta est également partagé par Finkelstein et Silberman, cf. I. FINKELSTEIN, N.A. SILBERMAN 2004, 91-92. Par ailleurs, Edelman, Davies et les autres notent que « selon Jérémie 44,1, il y avait des mercenaires stationnés dans des forts du delta égyptien à Tahphanès (Daphné) et Migdol, en aval de Memphis, comme aussi dans la région de Patros, ou en Égypte méridionale. Leurs rangs s’accrurent autour de 580, avec la chute de Jérusalem et le meurtre de Guedalias ». Cela prouve l’existence des juifs dans le Delta et à Éléphantine, D.V. EDELMAN, P.R. DAVIES, C. NIHAN, 2013, 97. De son côté, Piovanelli distingue le troisième oracle de Jérémie prononcé à Patros (JrA 51,15-30/ JrB 44,15-30), le « Pays du Sud » égyptien, du premier (JrA 50,8-13/JrB 43,8-13) adressé à Daphné et du deuxième (JrA 51,1-14/JrB 44,1-14) adressé à tous les Judéens en Égypte. Selon lui, le troisième oracle est un développement du deuxième qui vise une communauté particulière de la diaspora égyptienne qui correspond parfaitement à la colonie d’Éléphantine. Cette observation confirme la distinction entre le Nord du Delta et Patros au Sud, cf. P. PIOVANELLI 1995, 35-49. Pour diverses informations sur « Éléphantine-la-Forteresse » voir J. MELEZE-MODRZEJEWSKI 1991, 21-41 ; P. GRELOT 2008, 41-50. Voir également Annexe 1 : carte d’Égypte. 191 L’histoire de Joseph et celle d’Ahiqar ont des points communs : elles racontent l’abaissement et l’élévation d’un homme sage et juste, capable de donner des conseils au roi, et parvenant à surmonter une crise par ses compétences. Bien que l’histoire d’Ahiqar se situe à la cour d’Assyrie, elle est très connue en Égypte, cf. B.U. SCHIPPER 2018, 76 ; B.U. SCHIPPER 2021, 152-158.

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la diaspora qui confirme l’identité des Israélites en diaspora pendant la période perse192. Au sujet du mariage mixte, Nutkowicz a effectué un travail détaillé sur les archives d’Éléphantine, notamment sur deux documents presque complets témoignant d’une union entre Judéens et Égyptiens : Tamet et Ananyah en date du 9 août 449, et Eshor et Miptahyah du 14 octobre 449193. Les nombreux mariages mixtes attestés confirment cette pratique au sein de la diaspora égyptienne194. Par ailleurs, Bresciani mentionne le document araméen, le papyrus Bauer-Meissner, qui est daté probablement de 515 environ av. J.C. « C’est un contrat de métayage agricole entre un Égyptien et le propriétaire du terrain, un Juif. Le document a été rédigé dans un village appelé Krb, peutêtre dans le Delta occidental195 ». Ce papyrus atteste d’une part, de la présence des Israélites en Égypte et, d’autre part, de leur participation à des échanges commerciaux. En résumé, ces recherches apportent suffisamment d’éléments pour affirmer que l’histoire de Joseph est imprégnée de contexte égyptien et reflète une réalité qui la fait relever de la diaspora égyptienne196. 3.3.2. La question identitaire entre les communautés d’Israël en Égypte et celles de la Samarie-Judée ? Cette voix de la diaspora a été également soutenue par Uehlinger, qui l’envisage d’une autre manière que les commentateurs cités plus haut, qui font uniquement un travail de comparaison avec le livre d’Esther ou 192

B.U. SCHIPPER 2018, 185-201. Les archives d’Éléphantine contiennent des documents sur des mariages mixtes non seulement avec des Égyptiens, mais aussi avec des membres de la communauté araméenne de Syène : une quinzaine de personnes ne portent pas de nom hébreu, au contraire de leurs enfants ; en outre, en douze occurrences, le père porte un nom hébreu mais pas le fils. À la différence des passages bibliques où le droit des femmes est peu protégé, les archives montrent nombre de coutumes empruntées au monde égyptien (héritage, droit du divorce etc.), et concernant surtout la protection des femmes, ou des pratiques originales, par exemple la donation, H. NUTKOWICZ 2008, 125-139. 194 Cf. A. AZZONI 2013, 81-99. 195 E. BRESCIANI 1992, 94. 196 Ska reconnaît le contexte littéraire égyptien du cycle de Joseph, mais il conteste qu’il puisse refléter fidèlement la vie dans la diaspora égyptienne. « Les auteurs de Genèse 37–50 connaissent de l’Égypte ce que tout habitant du pays de Canaan un peu cultivé pouvait savoir. Ils n’ont donc pas nécessairement dû vivre en Égypte à une période particulière pour pouvoir parler de ce pays comme il le font là ». Les éléments présentés dans cette étude semblent suffisants pour emporter la conviction de l’existence de communautés d’Israël en Égypte, J.L. SKA 2001, 40. Nous verrons dans le chapitre V le contexte socio-historique de la composition du cycle de Joseph. 193

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CHAPITRE I

celui de Daniel : « Joseph s’est révélé à notre lecture de Gn 37–50 comme une grande figure identitaire de la diaspora égyptienne, d’abord pour celle-ci puis pour le judaïsme palestinien qui s’interrogeait sur la nature de ses liens avec une diaspora au pouvoir et aux contours variables197 ». Aussi, à l’idée d’une unique diaspora qui s’exprimerait dans le cycle de Joseph, Uehlinger ajoute une interrogation identitaire entre les communautés d’Israël en diaspora et celles de la Samarie-Judée. Il repère en Gn 50 trois versets significatifs : le v.22 distingue formellement Joseph et « la maison de son père » ; le v.24 parle de « vous » au lieu de « nous » (« Dieu interviendra en votre faveur et vous fera remonter ») ; enfin, au v.26, dernier verset de l’histoire de Joseph, les frères vont remonter, mais Joseph meurt et reste en Égypte198. Il remarque également l’expression ‫( גוי גדול‬Gn 46,3, une grande nation) où Dieu encourage Jacob à descendre en Égypte, ce qui pourrait avoir un sens particulier : « vers la fin de sa vie, Jacob est ainsi dissocié de sa terre d’origine pour devenir, lui, le patriarche aussi de la diaspora yahviste en Égypte199 ». Et il souligne la relation particulière entre Joseph et Jacob confirmant que Joseph est « une sorte de second patriarche pour la diaspora tout en soulignant son attachement au premier patriarche ‘Israël’200 ». Il met d’un côté Joseph, le représentant de la diaspora, et de l’autre « les fils de Jacob » qui représentent les communautés d’Israël en Samarie et en Judée. Ainsi, son propos n’épouse pas une problématique Nord–Sud mais vise la relation entre les différentes communautés d’Israël vivant en diaspora et en Samarie/ Judée. À propos de Gn 49, il prend de la distance avec la proposition du « judéo-centrisme de la composition » de Macchi pour privilégier le rôle primitif de Joseph. Il importe de bien identifier ce qui est en jeu dans ce chapitre : est-ce uniquement la primauté de Juda ou de Joseph, ou le statut de l’ensemble des fils de Jacob ? Le propos d’Uehlinger ne se limite donc pas uniquement à la diaspora, mais concerne plutôt la relation entre cette diaspora et la Samarie-Judée. En même temps, il importe d’en reconnaître les limites. Il se focalise sur le rôle de Joseph sans s’interroger sur Gn 38 qui pose aussi la question de la diaspora, et la proposition de Macchi sur le « judéo-centrisme » de Gn 49 n’a pas retenu suffisamment son attention sur le fait que ce chapitre se concentre sur les douze fils d’Israël, la diaspora étant exclue.

197 198 199 200

C. UEHLINGER 2001, 328. Cf. C. UEHLINGER 2001, 321. C. UEHLINGER 2001, 319-320. C. UEHLINGER 2001, 321.

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De son côté, Nocquet soutient également que l’histoire de Joseph est produite par la communauté d’Israël en Égypte après l’exil. Elle correspond aux critiques sur l’exil volontaire en Égypte (2 R 25,22-26 et Jr 42–44), « comme un appel à reconnaître leur place et leur identité de diaspora tout en affirmant leur attachement à la communauté judéenne201 ». Kim a essayé de développer l’idée d’une diaspora comme une identité hybride202 de Joseph à propos de laquelle le récit exprime une sorte de tension entre « l’intérieur » et « l’extérieur », entre ceux qui ont du pouvoir et ceux qui sont en marge. Joseph est celui qui, en Égypte, est à « l’extérieur » (selon la perspective des égyptiens), mais à « l’intérieur » (quand ses frères lui rendent visite) ; et en même temps, il est à « l’extérieur » de ses frères au départ, et à l’intérieur à la fin de l’histoire. Selon Kim, cette identité hybride fait que Joseph n’appartient totalement ni aux égyptiens, ni à ses frères, mais en fait il contribue au bien des deux communautés. En outre, il établit une comparaison entre Joseph et Juda203. Pour lui, Joseph en tant que père d’Ephraïm et de Manassé (le Nord d’Israël) est considéré comme quelqu’un de l’extérieur sous le regard de Juda et des Judéens (le Sud d’Israël). Il analyse les tentations de la vie en diaspora204, puisque Joseph est présenté comme celui qui est bon et vertueux (Gn 39 et Gn 47,1-12), et aussi comme le mauvais qui exerce l’oppression (Gn 47,13-26). Il conclut : « Joseph’s character portrays the Diaspora communities, who have to live with the adversities and temptations of their hybrid identity vis-à-vis oppression, survival, and hope205 ». Römer considère que les deux repas de Gn 37,25 et Gn 43,32-34 sont construits « en miroir ». L’exclusion de Joseph dans le premier pourrait refléter la tension entre les Israélites de la diaspora égyptienne et des descendants de la Golah babylonienne exerçant le pouvoir à Jérusalem (cf. Jr 44). Le deuxième montre la relation de la diaspora égyptienne avec les Judéens de la Samarie-Judée et avec les Égyptiens206. Fondées sur les données d’une unique diaspora, les remarques des commentateurs cités ci-dessus portent non seulement sur l’existence des communautés d’Israël dans la diaspora égyptienne évoquées à l’intérieur du cycle de Joseph, mais surtout sur la relation de ces dernières avec celles de la Samarie-Judée, spécialement celles qui se trouvent en Judée. 201

D. NOCQUET 2002, 32. Cf. H.C.P. KIM 2013, 220. Marzouk considère cette identité hybride comme un moyen de réconciliation entre Joseph et ses frères, cf. S. MARZOUK 2021, 85-101. 203 Cf. H.C.P. KIM 2013, 222. 204 Cf. H.C.P. KIM 2013, 226. 205 H.C.P. KIM 2013, 222. 206 Cf. T. RÖMER 2013b, 15-25. 202

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3.3.3. Évaluation Dès le début de la recherche sur la fonction du cycle de Joseph, la présence de l’Égypte et la réussite de Joseph, un Israélite à la cour, ont retenu l’attention des commentateurs qui ont engagé le débat sur la voix qui s’exprime dans cette histoire : est-ce uniquement la diaspora égyptienne dans son ensemble, ou une diaspora mêlée aux Israélites de Samarie-Judée et en relation avec ceux qui se reconnaîtraient dans l’identité mixte de Joseph ? En tout état de cause, cette proposition concernant la diaspora, suppose une rédaction tardive du cycle de Joseph. Il importe cependant de rester en dialogue avec un courant de pensée s’écartant de l’hypothèse de la diaspora qui sert de toile de fond au cycle de Joseph. La recherche récente de Blum et de Weingart ne soutiennent ni cette dernière thèse, ni la théorie d’un P antérieur au cycle de Joseph, comme ils l’écrivent dans leur article de 2017 intitulé « The Joseph Story : Diaspora Novella or North-Israelite Narrative » : In current biblical research, there is a discernable tendency to date the Joseph Story into the post-exilic period and to interpret it as a reaction to the Diaspora experience. (…) this assertion is untenable. It contradicts the literary historical stratigraphy in the book of Genesis, which proves inter alia that the Joseph Story is a pre-priestly composition. Moreover, the narrative itself does not contain any significant references to a Diaspora situation. A comparison with the Sinuhe Story to which the Joseph Story shows notable parallels and which, from an Egyptian perspective, is also set abroad, provides further confirmation. Stratigraphy, plot, and (especially) pragmatics point to a North-lsraelite origin of the Joseph Story. It is a masterpiece created in the 8th century BCE, most likely in the time of Jeroboam II207.

Cette opinion se situe dans la perspective de la critique des traditions qui cherche à identifier les strates les plus anciennes des textes bibliques, quoi qu’il en soit des étapes plus tardives de la composition littéraire. Ils poursuivent en comparant le conte de Sinouhé à l’histoire de Joseph. Selon eux, ces deux histoires sont en miroir, car les deux protagonistes ont immigré dans un pays étranger, ont été élevés dans une haute position dans une cour étrangère et y ont fondé une famille208. Ce rapprochement permet à Blum et à Weingart de conclure que « If we apply this observation to the Joseph Story, we must conclude that the setting of its plot in a foreign country as such does not necessarily imply a post-exilic background for the composition209 ». Par la suite, ils soulignent que cette remarque ajoute 207 208 209

E. BLUM, K. WEINGART 2017, 521. Cf. E. BLUM, K. WEINGART 2017, 515-516. E. BLUM, K. WEINGART 2017, 516.

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du poids à certaines différences entre l’histoire de Joseph et la littérature indiscutable de la diaspora : Est et Dn qui concernent respectivement les lois particulières et les coutumes alimentaires des Israélites. Mais l’identité religieuse des Israélites est clairement en cause dans ces derniers210. Or l’histoire de Joseph ne pose pas du tout cette question religieuse. Cette remarque mérite qu’on s’y arrête, car le cycle de Joseph est souvent comparé au livre d’Est et à Dn parce que les protagonistes sont des Israélites occupant une place élevée dans une cour étrangère. Or le premier diffère des autres en ce qu’il ne traite pas de la foi en Dieu dans sa spécificité israélite. D’ailleurs l’histoire de Joseph pourrait très bien être inspirée du conte de Sinouhé tout en illustrant la réalité de la vie en diaspora. Il convient malgré tout de remarquer que l’Égypte constitue le principal contexte topographique et narratif du cycle de Joseph, et que la vie heureuse en Égypte est la subversion de la vision du Pentateuque. Il est donc difficile de ne pas traiter de la présence des étrangers dans l’histoire de Joseph. Par la suite, Blum et Weingart proposent deux sujets de réflexion importants211 : premièrement, le thème de la « domination » de Joseph. Ce dernier n’est pas seulement le maître dans la maison de Pharaon (Gn 41,40), mais aussi celui de ses frères (Gn 42,6 ; Gn 50,18b), ce qui souligne particulièrement son rôle. Deuxièmement, ils pointent du doigt le rôle de Benjamin en Gn 42–45. Selon eux, la nouvelle de la diaspora n’explique pas suffisamment le rôle de Benjamin dans le cycle de Joseph. Ils se demandent pourquoi nous n’observons le jeu entre Joseph-Juda-Benjamin que dans cette section et ils concentrent leur regard sur Joseph qui a le « pouvoir » et qui représente le Nord. Ils en concluent que cela reflète l’ambition hégémonique du Nord sur Juda et Benjamin212. En conséquence, Blum et Weingart datent l’histoire de Joseph de l’époque de Jéroboam II. Comme nous l’avons déjà remarqué plus haut, la question de l’Égypte ne peut pas être résolue simplement par la comparaison avec le conte de Sinouhé, mais la proposition de Blum et de Weingart ne répond pas non plus à la question de l’existence de Gn 38 où Tamar, une étrangère joue un rôle important et il ignore également la présence de Pharaon dans le cycle de Joseph213. 210

Cf. E. BLUM, K. WEINGART 2017, 516. Cf. E. BLUM, K. WEINGART 2017, 517-519. 212 Cf. E. BLUM, K. WEINGART 2017, 519. 213 Green dresse un portrait plutôt péjoratif de Pharaon tel qu’il apparaît dans le cycle de Joseph en le présentant comme « a tentative tyrant, a pliable potentate, a determined despot », alors qu’il n’apparaît pas sous des traits négatifs dans l’histoire. De plus, le cycle de Joseph souligne la vie heureuse en Égypte, même si à la fin de l’histoire, l’appel au retour en Canaan est évident pour assurer la liaison avec la sortie d’Égypte au début d’Ex, cf. B. GREEN 1998, 150-171. 211

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En outre, la situation en miroir de Joseph et Benjamin – les bien-aimés de Jacob, n’élucide pas la question de Juda-Joseph-Benjamin en Gn 42–45. En fait, ces remarques de Blum et de Weingart sont surtout intéressantes pour interroger la théorie d’une nouvelle de la diaspora dont on peut tracer ainsi les limites : d’une part, elle ne peut pas expliquer les chapitres, dont Gn 49 fait partie, concentrés sur les douze fils de Jacob et qui omettent les étrangers et, d’autre part, le rôle des étrangers de Gn 38, surtout Tamar, ne fait pas l’objet d’une discussion. 3.4. Bilan Cette enquête illustre deux grandes lignes exégétiques qui se développent en parallèle sur la fonction du cycle de Joseph : ceux qui soutiennent l’opposition Nord–Sud, et ceux qui soulignent plutôt la voix d’une diaspora, celle-ci pouvant être une légitimation de la diaspora égyptienne à côté de la diaspora babylonienne, ou une évocation des relations entre des communautés d’Israël en diaspora et celles de la Samarie-Judée. Nous avons déjà noté que le premier courant ne tient pas compte de la présence de l’Égypte dans le déroulement de l’histoire. Par ailleurs la proposition de la diaspora prend l’Égypte en compte, mais perd de vue les chapitres exclusivement consacrés aux fils d’Israël. Nous entendons explorer une autre voie : la formation du cycle de Joseph n’est-elle pas le témoin de l’évolution des deux propositions rappelées ci-dessus ? Et les deux chapitres, Gn 38 et Gn 49, ne sont-ils pas les représentants de ces deux options : l’universalisme et l’identité spécifique d’Israël ? Aussi nous allons faire le point sur les recherches effectuées autour de ces deux chapitres. 4. LA

FONCTION DE

GN 38

ET DE

GN 49

4.1. Les difficultés d’approche de ces deux chapitres Gn 38 et Gn 49 posent des difficultés exégétiques dès la théorie documentaire214. Il est important de remarquer que l’unanimité des commentateurs 214 Gunkel signale d’emblée que Gn 38 et Gn 49,1-28a ne font pas partie à l’origine du cycle de Joseph. Il attribue ces deux chapitres à la source Jb, c’est-à-dire à une insertion tardive, J. H. GUNKEL 1997, 380. Von Rad remarque également que Gn 38 marque une rupture avec l’ensemble du cycle de Joseph, et qu’en conséquence, le Yahwiste doit se poser la question de l’endroit où il faut insérer cette histoire. Quant à Gn 49, il l’attribue à la source J sans toutefois considérer ce dernier comme le rédacteur, G. VON RAD 1972, 351, 357, 422.

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se fait sur l’insertion tardive de Gn 38 et Gn 49 dans le cycle de Joseph. Leurs recherches fournissent les premiers témoins des hésitations sur la datation et l’identification des rédacteurs de ces deux chapitres. Puis, les chercheurs parviennent tous à la même conclusion sur l’insertion tardive de ces deux chapitres et l’impossibilité de les attribuer à telle ou telle source particulière215. Une remarque de Dietrich définit l’enjeu de ce travail : « Wer die Josephsgeschichte von der Pentateuchfrage abkoppeln und als Kunstwerk für sich behandeln will, muβ letztlich doch Auskunft geben, wie die entstandene Lücke in der Gesamt-Geschichtsschreibung gefüllt werden soll216 ». Plus loin, nous prêterons attention aux recherches récentes concernant ces deux chapitres, et surtout à leurs fonctions dans le cycle de Joseph et à la formation pentateucale. 4.2. Principales hypothèses concernant Gn 38 et Gn 49 4.2.1. Les additions sur Juda Malgré les difficultés d’approches des deux chapitres indépendants, Gn 38 et 49, qui ont peu de liens avec l’ensemble du cycle de Joseph, ils ont un point commun : l’évocation du personnage de Juda. Ainsi, Carr considère l’ensemble de Gn 38, Gn 49,1b-28 et les textes associés comme des additions sur Juda. Il voit ces deux chapitres comme un « contre-courant de Joseph »217 . Cette vision d’une reprise de l’histoire de Joseph par les Judéens est séduisante, mais elle risque de conduire à une surinterprétation du personnage de Juda, puisqu’en Gn 49,1b-28, Juda et Joseph sont tous les deux sujets de la bénédiction, et il est difficile d’y distinguer Noth ne dit rien sur Gn 38 et il considère Gn 49 comme une insertion tardive. M. NOTH 1981, 209, n° 564. Rudolf estime ces deux chapitres comme extérieurs au sujet de l’histoire de Joseph, W. RUDOLPH 1933, 145. 215 Wenham pense que Gn 38 et Gn 48–50 n’appartiennent pas au cycle de Joseph, G.J. WENHAM 1994, 344. Husser considère Gn 38 et Gn 47,29–49,2 comme des passages visiblement ajoutés, J.M. HUSSER 2000, 112-113. De Pury, Römer et Schmid reconnaissent également l’insertion de Gn 38 et Gn 49 sans mentionner la fonction de ces deux chapitres dans le cycle de Joseph et dans la formation du Pentateuque, de même que Wöhrle et Uehlinger, A. de Pury, T. RÖMER, K. SCHMID, 2016, 212 ; 258 ; J. WÖHRLE 2013, 54 ; C. UEHLINGER 2001, 309, n°18. 216 W. DIETRICH 1989, 10. 217 « Together, Genesis 38 and 49: 1b-28 redirect the surrounding Joseph story. Whereas the context develops a narrative world where Joseph’s present dominance is divinely destined, these insertions at the beginning (Genesis 38) and end (Gen.49:1b-28) of the Joseph story implicitly relativize this picture by predicting Judah’s future dominance over his brothers, including Joseph », D.M. CARR 1996, 249. De même, Seters remarque que Gn 38 peut être le reflet de la tradition de Juda, cf. J. VAN SETERS 2004, 371.

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la confirmation d’une supériorité de l’un sur l’autre. Il est donc nécessaire de s’interroger sur la raison pour laquelle Gn 49 maintient cet équilibre entre Juda et Joseph. Les deux chapitres concernant Juda ont été également remarqués par Schmitt qui affirme que « Für eine nachexilische Redaktion von Gen 37-50, die die Sonderstellung Judas betonen will, kommen m.E. daher nur Gen 49 und Gen 38 in Frage218 ». Blum partage la même vision en considérant que Gn 38 est « die Ätiologie judäischer Sippen »219, et surtout que Pérèç est l’ancêtre de la lignée de David220. Et Gn 49 montre la confirmation de la place éminente de Juda. D’ailleurs, Auld suggère de voir l’allusion à David à travers la figure de Juda en Gn 38 et en Gn 49221. Les remarques de ces commentateurs tendent à mettre en valeur cette « tradition de Juda ». Soulignons que cette prise en considération des ajouts sur Juda est pertinente au point de vue de la composition rédactionnelle du cycle de Joseph. Cela suppose, d’une part, la possibilité d’ajouts postérieurs des Judéens sur le personnage de Juda. Et d’autre part, en lien avec une lecture Nord-Sud, cela révèle une histoire primitive nordiste reprise postérieurement par une vision du Sud. Comme nous l’avons déjà évoqué, il est difficile d’admettre Gn 38 comme un chapitre mettant simplement en valeur le personnage de Juda. Ce dernier est assez critiqué par rapport à Tamar, une étrangère, alors qu’au contraire, Gn 49 en fait l’éloge. Ces observations conduisent à distinguer ces deux visions de « Juda ». La simple remarque des ajouts sur Juda ne permet pas de répondre à la question posée par la divergence complète de ces deux chapitres sur Juda. Une analyse littéraire est nécessaire pour déterminer leurs fonctions. Dans la suite de la recherche, nous examinerons les travaux des commentateurs qui ont procédé à des comparaisons intra-bibliques pour en éclairer l’interprétation. 4.2.2. Les enseignements des observations intra-bibliques Wolde fait une observation sur la présence de l’étrangère Tamar en Gn 38, en mettant ce dernier texte en parallèle avec Ruth : deux femmes étrangères donnent une descendance à des Judéens222. Certes, il y a un lien 218

H.C. SCHMITT 2001, 301. Cf. E. BLUM 1984, 225. 220 Cf. E. BLUM 1984, 226. Schmitt remarque que Blum date Gn 38 à l’époque de Josias. En effet, son analyse oriente plutôt une composition post-exilique de ce chapitre, cf. H.C. SCHMITT 2001, 307-308. 221 Cf. G. AULD 2000, 106. 222 E.J. WOLDE 1997, 27. Levin a également inventorié les analogies entre Ruth et Tamar : le lien avec le mariage du Lévirat, la réussite des deux femmes dans des situations inhabituelles etc., cf. C. LEVIN 2009, 279-280. 219

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entre Tamar et Ruth, deux étrangères intégrées au peuple d’Israël en lui donnant des descendants223. Mais ce lien n’explique pas la fonction de Gn 38 dans l’histoire de Joseph. De son côté, Golka a essayé de la dégager de la manière suivante224 : Gn 38 se termine sur la naissance des jumeaux de Juda, et cela est significatif non seulement quant à l’origine et à la préhistoire de la tribu de Juda, mais pour tout Israël. En conséquence, il ne considère pas ce chapitre comme une histoire isolée mais comme faisant partie de Gn 37–50. Toutefois il limite la tradition indépendante originale de Gn 38 uniquement à Gn 37 qui semble suivre le même itinéraire225 : l’envoi, le discernement et la reconnaissance. Quant à Gn 49, Golka remarque non seulement l’équilibre entre Juda et Joseph dans la bénédiction de Jacob, mais aussi l’allusion aux chapitres précédents (Gn 34.35.38). Il conclut que ce chapitre n’est pas une addition secondaire, mais la clé de lecture de l’ensemble du cycle de Joseph226. Cependant son argumentation n’explique pas la raison pour laquelle les dernières paroles de Jacob en Gn 49 concernent non seulement ceux qui ont joué un rôle dans le cycle de Joseph (Ruben, Siméon-Lévi, Juda, Joseph et Benjamin), mais également les six autres fils227. D’ailleurs, Winnett insiste sur l’insertion de Gn 38 avec Gn 39 en faisant le lien avec le récit égyptien des Deux Frères228. Cela implique déjà une interprétation de la situation en miroir de Juda et de Joseph. Dans le même sens, Redford remarque que l’insertion de Gn 38 entre Gn 37 et Gn 39 permet d’établir la comparaison entre la situation de Jacob et Juda d’un côté et celle de Tamar et la femme de Potiphar de l’autre229. Quant 223 Bos observe le lien entre Gn 38, Jg 4,17-22 et Rt 3 : ces trois femmes sont sorties pour rencontrer des hommes, et ces trois étrangères parviennent à retourner la situation dans les trois récits, cf. J.W.H. BOS 1988, 37-39. D’ailleurs, Rutenbeck adopte une approche féministe pour faire l’éloge du courage de Tamar, cf. N.E. RUTENBECK 2011, 1-9. 224 Cf. F.W. GOLKA 2004, 158. 225 Golka a construit le parallèle entre Gn 37 et Gn 38 à partir du modèle de Gn 3 et de Gn 4 : « In the same way as Genesis 4 is based in its structure on ch. 3 (crime – questioning of the culpit – punishment), Genesis 38 is modeled on the selling of Joseph in ch. 37 », F.W. GOLKA 2004, 155. Albertz soutient la même option sur le parallélisme entre Gn 37 et Gn 38 en précisant que Gn 38 est « eine judäische Bearbeitung », cf. R. ALBERTZ 2009, 25-26. 226 F.W. GOLKA 2004, 160. 227 Wénin s’inscrit dans la même ligne en se concentrant uniquement sur la narratologie sans se poser la question de la formation du cycle de Joseph, cf. A. WENIN 2014, 30-33 ; A. WENIN 2005 ; A. WENIN 2004, 5-27 ; A. WENIN 2002, 28-53. 228 F.V. WINNETT 1965, 16. 229 Cf. D.B. REDFORD 1970, 18. La continuité entre ces chapitres sera étudiée plus tard par Ska et Alter, cf. J.L. SKA 2002, 11. Alter va proposer une lecture thématique de Gn 38 en repérant les mêmes thèmes entre Gn 37 et Gn 38, également entre Gn 38 et Gn 39–41, cf. R. ALTER 1999, 11-23.

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à Gn 49, Redford le met en parallèle avec Gn 48 qui évoque aussi la bénédiction de Jacob, et il conclut par l’existence d’un matériel ancien de Gn 49 qui se situe en Canaan, une tradition différente du contexte égyptien230. Cependant il n’est pas allé jusqu’au bout de son analyse, et n’a pas montré jusqu’à quel point Canaan et l’Égypte jouent un rôle dans le cycle de Joseph. Blum regroupe Gn 38 avec les autres histoires des frères (Gn 34 et Gn 35), et à propos de Gn 49, il souligne le parallèle avec Gn 48231. D’ailleurs, Gn 49 est souvent mis en parallèle avec Dt 33 pour la construction du Pentateuque. Les commentateurs s’arrêtent souvent sur les nombreux parallélismes présents dans ces deux chapitres : – Gn 38 est souvent mis en parallèle avec Gn 37 et Gn 39, ou avec les histoires des frères en Gn 34 et 35, et aussi avec le livre de Ruth concernant les femmes étrangères et la mise en pratique de la loi du lévirat ; – Gn 49 est souvent mis en vis-à-vis avec Gn 48 en raison de la double bénédiction de Jacob, et avec Dt 33 qui présente la bénédiction de Moïse sur les onze tribus d’Israël. Mais ces observations n’expliquent leurs fonctions ni à l’intérieur du cycle de Joseph ni dans la formation du Pentateuque. Nous verrons plus tard dans la critique littéraire de Gn 38 qu’il est possible que son/ses rédacteur(s) ai(en)t construit ce chapitre non seulement en parallèle avec Gn 37 et Gn 39, mais aussi avec l’ensemble de l’histoire de Joseph, dans laquelle il s’intègre parfaitement. Le parallélisme de Gn 49 avec Gn 48 et Dt 33 ne suggère-t-il pas la fonction particulière de Gn 49 dans la formation du cycle de Joseph et celle du Pentateuque ? En résumé, ces parallélismes doivent renseigner non seulement sur la composition littéraire de Gn 38 et Gn 49, mais aussi sur leur fonction exégétique.

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« The context of such a blessing in ancient Near Eastern tradition is indeed the scene of a man’s death; but the latter in chapter 49 does not seem to be set in Egypt. The content of the blessing suggests Canaan, and undoubtedly stems from a different tradition to that of the Joseph Story, one in which Jacob died in Palestine without ever going to Egypt. Ignoring its original locale, the Genesis editor took the poem, preceded it by the aetiological blessing of Ephraim and Manasseh drawn from one version of the Joseph Story, and wrote his own preface and conclusion, both of which recapitulate earlier material », D.B. REDFORD 1970, 25. 231 E. BLUM 1984, 225.

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4.2.3. Évaluation Cet inventaire permet d’observer que les commentateurs développent principalement deux sortes de considérations : – soit ils soulignent que ces deux chapitres ajoutés ont trait à Juda pour rééquilibrer la balance entre Juda et Joseph, mais cette option ne donne pas la raison de l’ajout conjoint d’un « anti-Juda » (Gn 38) et d’un « pro-Juda » (Gn 49) ; – soit ils procèdent à des recherches intra-bibliques en repérant des parallélismes entre Gn 38 et 49 et d’autres passages. Mais ce travail se concentre plutôt sur une analyse narratologique sans poser la question de la fonction de ces deux chapitres dans l’histoire de la rédaction. En même temps, nous devons reconnaître que leurs recherches permettent de changer nos regards sur ces deux chapitres qui ont été souvent traités marginalement232. Une étude récente de Clifford s’efforce de démontrer que « Thus the controversial chs. 38 and 49 not only belong to the story, they are essential to its plausibility233 ». Il est donc temps de s’interroger sur leur fonction dans l’histoire de la rédaction. 4.3. Gn 38 et Gn 49 dans le cycle de Joseph et la formation du Pentateuque Nous avons présenté jusqu’à présent les positions des commentateurs sur la formation du cycle de Joseph et leurs visions de Gn 38 et Gn 49. Interrogeons-nous maintenant sur la fonction de ces deux chapitres à l’intérieur du cycle de Joseph et sur la formation du Pentateuque. Pour cela, il faut examiner le contexte rédactionnel dans lequel prend place la formation du cycle de Joseph. 4.3.1. Gn 38 : l’histoire deutéronomiste ? Skinner234et Westermann235considèrent qu’en Gn 38 il s’agit principalement de la question de la procréation d’une descendance. Dans cette perspective, ce chapitre correspond au terme ‫ תולדת‬dans le livre de la Genèse. De son côté, Krüger souligne l’aspect éthique de Gn 38. Il indique que 232 Cf. G.V. RAD 1972 ; D.B. REDFORD 1970 ; G.W. COATS 1976 ; R.E. LONGACRE 1989 ; C. WESTERMANN 1987. 233 R.J. CLIFFORD 2012, 215. 234 Cf. J. SKINNER 1951, 452. 235 Cf. C. WESTERMANN 1987, 52.

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ce chapitre se réfère à Dt 25,5-10, qui évoque la loi du lévirat, et le mariage mixte236. Cela le conduit à opter pour une datation postexilique de Gn 38. Quant à Schmitt, il est en accord avec ce qui est exposé par Krüger sur la question du lévirat, puisqu’il existe un lien évident entre Dt 25, Gn 38 et Rt237. En revanche, il conteste le statut de Tamar en tant que Cananéenne. Selon lui, à l’inverse de ce qui est dit de la femme de Juda, Gn 38 n’a jamais précisé l’identité de Tamar. En conséquence, il ne voit pas Gn 38 comme la contestation d’Esd-Ne238. En repérant les expressions ‫( רע בעיני יהוה‬v.7) et ‫( וירע בעיני יהוה‬v.10) et ses nombreux échos aux livres des Rois et à 2 S 11,27b, surtout à Nb 32,13 (post-P) et Nb 22,34, il suppose que Gn 38 n’appartient pas seulement à l’histoire des patriarches, mais aussi à celle du deutéronomiste. Il en conclut que la rédaction de ce chapitre doit être attribuée au(x) deutéronomiste(s), qui voulai(en)t, comme en Gn 48–50*, réunir le Pentateuque à l’histoire deutéronomiste239. Nous formulerons deux objections à son propos : – premièrement, les deux éléments marginaux, la mention du lévirat et l’expression « mal aux yeux du Seigneur », ne sont pas suffisantes pour confirmer que Gn 38 appartient à la rédaction deutéronomiste. Nous analyserons ces deux sujets en détail dans l’analyse littéraire ; – deuxièmement, par rapport à l’identité de Tamar, le récit ne nous livre que les informations indispensables pour le déroulement du récit. Les éléments donnés au début du Gn 38 sur le départ de Juda à Adoullam, sur son mariage avec une cananéenne, et sur son ami Hirah sont des informations qui fixent l’environnement du récit, dont il découle que Tamar est Cananéenne. En réalité, ce qui est important en Gn 38, c’est l’éloge de Tamar, l’étrangère, et l’intégration de ses descendants dans la lignée davidique. Dans ce contexte, la question qui se pose n’est-elle pas plutôt celle de l’universalisme de ce chapitre puisque Tamar va entrer dans la généalogie de David (Rt 4,12 ; cf. Rt 4,18-22), et donc aussi dans celle de Jésus Christ (Mt 1,3). 236

Cf. T. KRÜGER 1993, 205-226. Cf. H.C. SCHMITT 2001, 304. 238 Cf. H.C. SCHMITT 2001, 304-305. 239 Cf. H.C. SCHMITT 2001, 307-308. Kim a fait une lecture thématique de Gn 38, et il arrive à la même conclusion que Schmitt sur le rôle de Gn 38 qui n’est pas seulement d’intégrer l’histoire de Juda dans le cycle de Joseph, mais aussi « to validate the heirs of David’s Judahite ancestry in the larger Primary Narrative (Genesis-2 Kings) ». En raison de la liaison entre Gn 38 et la généalogie davidique, il intègre Gn 38 dans l’ensemble de Gn–2 R, cf. D. KIM 2012, 560. 237

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En résumé, on ne doit pas lire Gn 38 en se cantonnant dans les limites étroites d’une histoire deutéronomiste, mais on doit plutôt y voir un contraste : l’éloge d’une étrangère et la critique de Juda et de ses fils. De ce fait, une analyse détaillée de Gn 38 devient nécessaire pour l’avancement de cette recherche et la vérification de ces différentes hypothèses. 4.3.2. Gn 49 : le contexte d’une rédaction pentateucale ? Comme nous l’avons déjà vu au départ de notre travail, le discours d’adieu de Josué (Jos 24) résume bien l’histoire des pères au-delà du fleuve jusqu’à la conquête du pays. Il semble que ce chapitre indique une composition d’ensemble de Gn–Jos. À partir de là, Otto suggère l’hypothèse de la préexistence d’un Hexateuque par rapport au Pentateuque. En réalité, le don d’une terre que Dieu a promise à Abraham en Gn 12 ne s’accomplit que dans le livre de Josué (cf. Jos 3–4). Selon Otto, l’ensemble Dt–Jos (hormis Jos 24) constitue une réponse théologique en face de l’exil, dans laquelle le rapport privilégié d’Israël avec la terre est accentué240. Si Jos 24 est la conclusion d’une rédaction hexateucale, il permet de dater après cette dernière l’insertion du cycle de Joseph. Uehlinger a remarqué que le problème que pose Gn 37 sur la vente de Joseph, trouve sa solution en Gn 45,1-8 où Joseph dévoile son identité devant ses frères, mais la suite de la descente de la famille de Jacob en Égypte (Gn 45,9ss), en quittant la terre promise de ses pères, devient « étrange ». Il remarque qu’à la suite de la question « où vivre », Gn 47,29ss se pose une autre question « où reposer après la mort »241. Il considère les différentes préoccupations exprimées à l’intérieur du cycle de Joseph comme la signature de plusieurs couches rédactionnelles en vue d’« une ‘rédaction finale’ de l’Hexa- ou du Pentateuque »242. On observe une hésitation entre les rédactions hexateucale ou pentateucale dans l’ensemble du cycle de Joseph. À l’intérieur du récit, plusieurs trajets aller-et-retour entre Canaan et l’Égypte sont effectués243. Les ossements de Joseph font la liaison entre 240

Cf. E. OTTO 2001, 49-50. Cf. C. UEHLINGER 2001, 309-310. 242 C. UEHLINGER 2001, 310. 243 Le premier voyage des fils de Jacob, Canaan–Égypte–Canaan (42,3.29) ; le deuxième voyage des fils de Jacob, Canaan–Égypte–Canaan (43,15 ; 45,25) ; le troisième voyage, Jacob avec ses fils, Canaan–Égypte (46,7) ; le quatrième voyage des fils de Jacob, Égypte– Canaan–Égypte (50,8.14). Feichtinger note tous les déplacements observables à l’intérieur du cycle de Joseph, selon la narratologie, pour souligner la dimension d’« espace » sans prêter toutefois l’attention à la particularité du déplacement Canaan-Égypte-Canaan qui pourrait participer à la construction hexateucale ou pentateucale, cf. D. FEICHTINGER 2017, 84-104. 241

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CHAPITRE I

Gn 50,25, Ex 13,19 et Jos 24,32244. De plus, nous observons un parallélisme Joseph et Josué du fait de leur âge de 110 ans (Gn 50,22 ; Jos 24,29)245. Albertz remarque également que le champ acheté par Abraham à Ephrôn le Hittite (Gn 23,4.9.20 ; 49,30 ; 50,13) constitue une allusion à la possession du pays de Canaan246. Ces remarques semblent placer le cycle de Joseph dans le cadre d’une rédaction hexateucale où la terre cananéenne devient le but et la conclusion du récit. En même temps, l’ouverture de ‫( אלה תלדות יעקב‬Gn 37,2a) replace le cycle de Joseph dans la structure de la Genèse. La bénédiction de Jacob en Gn 49 semble marquer l’histoire de Joseph du style des patriarches où la bénédiction se transmet du père au fils. Les ‫ תולדת‬et la bénédiction éloignent le récit de Joseph du thème de la possession de la terre, et le replacent dans la structure du Pentateuque centrée sur la Promesse et l’Alliance avec Dieu. D’ailleurs, le parallélisme entre Gn 49 et Dt 33 pourrait être l’aboutissement d’une formation pentateucale, car l’expression ‫( אל־הארץ אשר נשבע לאברהם ליצחק וליעקב‬Gn 50,24b) est en parallèle avec ‫( הארץ אשר נשבעתי לאברהם ליצחק וליעקב‬Dt 34,4). Selon la remarque de Macchi : « Gn 49 appartient non pas aux origines de la tradition tribale mais, bien au contraire, à la phase finale de l’élaboration de la Genèse et du Pentateuque247 ». En effet, un travail méticuleux, le conduit à dater Gn 49 à proximité de la rédaction finale du Pentateuque248. Quant à la bénédiction de Juda (vv.8-12) et à celle de Joseph (vv.22-26), il les comprend dans le contexte de l’édition finale du Pentateuque qui est un compromis entre les milieux judéens et samaritains249. En revanche, Uehlinger brise cette idée de l’équilibre exprimé dans la bénédiction de Juda et de Joseph. Selon lui, la grandeur de Joseph dépasse celle de Juda et, en outre, c’est à Joseph qu’appartient « l’obéissance des peuples »250. Nous verrons l’interprétation de ces deux bénédictions dans la critique littéraire. Néanmoins nous devons remarquer que Macchi et Uehlinger ont discuté de Gn 49 dans le cadre pentateucal. Les remarques de ces commentateurs permettent d’apercevoir les traces de la rédaction hexateucale et pentateucale à l’intérieur du cycle de Joseph. Ainsi se trouve précisée la fonction de Gn 49 qui semble constituer la 244 Albertz développe aussi ce point pour l’hypothèse d’un Hexateuque, cf. R. ALBERTZ 2009, 31. 245 K. SCHMID 2012, 36. 246 Cf. R. ALBERTZ 2009, 30. 247 J.D. MACCHI 1999, 301. 248 J.D. MACCHI 1999, 303. 249 Cf. J.D. MACCHI 1999, 304-305. 250 Cf. C. UEHLINGER 2001, 325-327.

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clôture de la penta-partition du Pentateuque en se plaçant en parallèle avec Dt 33. En revanche, Gn 38 ne participe pas au mouvement de la rédaction pentateucale. 4.3.3. Évaluation Les commentateurs ont posé différents regards sur le processus rédactionnel de ces deux chapitres. Au sujet de Gn 38, les arguments en faveur de l’appartenance à l’histoire deutéronomiste sont assez limités. La conclusion du récit porte plutôt sur l’intégration d’une étrangère et de sa descendance dans le peuple d’Israël qui apparaît en parallèle avec la situation résultant du contexte égyptien du cycle de Joseph. Quant à Gn 49, son parallélisme avec Dt 33 portant les bénédictions respectives de Jacob et de Moïse évoque plutôt l’encadrement du Pentateuque. Ces deux chapitres semblent porter sur deux aspects différents à l’intérieur du cycle de Joseph : l’un souligne l’aspect universaliste inclus dans la formation du cycle de Joseph et l’autre participe à la construction du pentateuque. 4.4. Bilan On relève le caractère tardif de ces deux chapitres. Le point commun de Gn 38 et de Gn 49 est le personnage de Juda qui permet aux commentateurs de proposer l’hypothèse des additions sur Juda. En même temps, il faut souligner le contraste entre un « anti-Juda » (Gn 38) et un « proJuda » (Gn 49). En Gn 38, la critique de Juda conduit à mettre l’accent sur l’éloge de Tamar, alors que Gn 49 valorise ce dernier. L’étude de ces deux chapitres amène à la question suivante : leur composition en contraste estelle homogène à l’intérieur du cycle de Joseph ? La suite de cette étude va essayer d’y répondre. 5. CONCLUSION Nous pouvons dégager quatre éléments saillants de la critique rédactionnelle dans cette histoire de la recherche. Premièrement, la remise en question de l’ancienneté de Jos 24 et la suture P Genèse-Exode opérée antérieurement au cycle de Joseph confortent l’hypothèse de l’insertion tardive de ce dernier à la fin du livre de la Genèse. La description d’une vie heureuse en Égypte contredit l’orientation générale du Pentateuque qui est exodique. Deuxièmement, nous avons pu dégager deux grandes lignes d’interprétation du cycle de Joseph : le « conflit » Nord-Sud et la nouvelle de la diaspora. Cette dernière peut elle-même s’ouvrir dans deux directions :

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CHAPITRE I

– la coexistence des communautés d’Israël en Égypte et celles de Babylone ; – la relation entre les communautés dans la diaspora égyptienne et celles vivant en Samarie et en Judée. Au fond, Gn 38 et Gn 49 ne participent-ils pas à ce débat entre l’universalisme et l’identité spécifique d’Israël ? Et les additions sur Juda n’accentuent-elles pas la tension entre Juda et Joseph, entre le représentant du Sud et celui du Nord ? Nous essaierons de répondre à cette interrogation à la fin de notre recherche. Troisièmement, dans le cycle de Joseph, deux éléments apparaissent discordants : Gn 38 et Gn 49. Le premier relate l’histoire de Juda et de Tamar qui se passe en Canaan ; quant à Gn 49, le discours de Jacob se concentre sur ses douze fils qui ont pour but de retourner en Canaan. L’histoire de Joseph en Égypte se trouve finalement encadrée par ces deux chapitres axés sur Canaan. En conséquence, le récit de Joseph est encadré par deux épisodes cananéens, comme si la véritable histoire se passait en Canaan. En réalité, ces deux chapitres tardifs appartiennent à une histoire de Joseph tardive qui contredit l’identité anti-égyptienne proposée par le Pentateuque. Gn 49 participe à cette identité pentateucale puisqu’il est parallèle à Dt 33, et ces deux chapitres concourent à la formation du Pentateuque qui se focalise sur la sortie d’Égypte et l’installation en Canaan. L’insertion tardive de Gn 49 dans le cycle de Joseph vient-il corriger la vision antiexodique de ce dernier ? Quatrièmement, le parallélisme de Gn 38 avec Gn 39ss dévoile un autre problème sous-jacent : ce chapitre participe-t-il au débat Nord-Sud présent dans l’ensemble du Pentateuque ? Il comporte un aspect critique envers Juda ; or Gn 39 et les chapitres suivants sont en faveur de Joseph ; et Gn 49 est « pro-Juda » et « pro-Joseph ». N’y a-t-il pas un jeu entre Gn 49, Gn 38, Gn 39 et les chapitres suivants ? Et si oui, lequel ? Notre recherche va se poursuivre avec la critique textuelle et la critique littéraire de ces deux chapitres pour essayer d’en identifier leur fonction.

CHAPITRE II

TRADUCTION ET CRITIQUE TEXTUELLE DE GN 38 ET GN 49 La critique textuelle de ces deux chapitres est établie à partir de la BHQ1 afin de donner une traduction littérale. Gn 38 n’est pas attesté dans trois témoins textuels importants, ni dans les manuscrits de Qumrân ni dans le Codex Sinaïticus (‫)א‬. Et « le plus ancien manuscrit de la Septante, le Vaticanus (B), est lacunaire pour presque toute la Genèse (il commence en 46,28)2 ». Le Codex Alexandrinus (A), daté du Ve siècle, servira de référence principale de la LXX3, pour le TM, la BHQ d’après le codex de Léningrad (1008)4, et comme autres témoins textuels le Pentateuque samaritain (Smr)5, la Vulgate (Vg), le Syriaque (Syr) et les Targums (Tg N-O-PJ-F). Pour Gn 49, la Bible d’Alexandrie, fondée sur A montre une grande différence avec le TM : Le texte hébreu de ce chapitre 49 est réputé obscur. Le genre littéraire des ‘bénédictions’ l’apparente à un texte poétique : sa syntaxe et son lexique sont différents de la prose narrative et offrent quelques difficultés insurmontables. Le texte grec, en revanche, est matériellement impeccable et, dans la trentaine de divergences qu’on peut relever, il n’en est aucune qui ne trouve justification et cohérence6.

La critique textuelle de Gn 49 vise à rechercher la cohérence interne du TM malgré les difficultés textuelles et à établir une présentation synoptique, mettant en évidence les divergences entre le TM, le Smr et la LXX, 1 Depuis 2004, l’édition de la BHS (la quatrième édition de la Biblia Hebraica) a été remplacée par la BHQ (la cinquième édition de la Biblia Hebraica), d’après le Codex de Leningrad. Ce dernier a été corrigé à partir de photographies en couleurs du codex prises dans les années 1990. BHQ est publiée sous forme de fascicules séparés. Notre travail est fait d’après la BHQ du livre de la Genèse publiée en 2015 sans pourtant négliger la BHS. A. TAL, BHQ, ‫בראשית‬, 2015. 2 M. HARL 1986, 22. 3 À propos des témoins grecs, nous employons toujours « la LXX » dans notre critique textuelle. En cas de divergences entre le codex Alexandrinus et les autres témoins grecs, le codex Alexandrinus sera désigné A. 4 Le codex de Léningrad est daté de 1008. Il sert de base aux éditions de la BHK, BHS et BHQ. Il contient le plus ancien manuscrit connu témoignant de l’intégralité de la BH. 5 S. SCHORCH 2021. 6 M. HARL 1986, 305.

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pour comprendre leurs différences et leur incidence dans ce chapitre. Ce dernier n’est pas attesté par le Codex Sinaïticus (‫)א‬. Nous retiendrons seulement le Codex Alexandrinus (A) et le Codex Vaticanus (B) et pour le TH, la BHQ, avec un regard sur les Targums, les fragments du Qumrân, la Vulgate et les autres témoins grecs. On relèvera les relations et les influences réciproques entre les différents témoins textuels tout en respectant leur pluralité. L’objectif est de scruter les manuscrits à la recherche d’indices susceptibles d’éclairer le processus rédactionnel. Les variantes suggérées devraient permettre de soulever des questions sur les chapitres étudiés. 1. TRADUCTION ET CRITIQUE TEXTUELLE DE GN 38 :‫ויהי בעת ההוא וירד יהודה מאת אחיו ויט עד־איש עדלמי ושמו חירה‬

1

1

Et il advint en ce temps-là que Juda descendit de chez ses frères, et se rendit auprès d’un homme d’Adoullam du nom d’Hirah.

Le verbe ‫ ויהי‬introduit un indicateur de temps, dont on relève 58 occurrences dans le livre de la Genèse. Dans ce verset, il est avec ‫( בעת ההוא‬en ce temps-là). Mais il est difficile de savoir le moment du récit. Comme Wevers l’a remarqué : « It can hardly refer to the occasion of the preceding verse (37:36), so it must be taken as a general statement whose context is now lost7 ». Le Smr porte quasiment la même leçon que le TM8. Par ailleurs, le verbe ‫ נטה‬au qal a souvent le sens de « tendre, étaler, se rendre » indiquant un changement d’orientation et de direction. Westermann remarque que ‫ויט‬, abrégé avec ‫( אהלו‬sa tente) dans le livre de la Genèse, est complété ici par le mot ‫עד‬. C’est un indice permettant de dire qu’Adoullam est un lieu réel9. La LXX utilise le verbe ἀφίκετο (aoriste indicatif) qui peut se traduire par « arriver, venir ou atteindre », suivi par ἕως πρὸς ; l’ensemble de ces trois mots désigne le fait qu’« il est venu à… ». La version du TM, « tendre vers… » suggère un mouvement dans une direction ; en revanche, la LXX décrit le fait. Malgré ces nuances, le TM, le Smr et la LXX ont retenu la même leçon.

7

J.W. WEVERS 1993, 640. Il n’existe qu’une différence de détail : le TM comporte ‫ ההוא‬et le Smr a ‫ההיא‬. Il est difficile de distinguer dans un manuscrit le waw et le yod. Ce détail n’influence pas la compréhension du texte. Les massorètes ont vocalisé cette forme ‫הוא‬, à lire comme ‫( ִהוא‬un qeré perpétuel), cf, T. RÖMER, J.D. MACCHI 1994, 13. 9 Cf. C. WESTERMANN 1987, 51. Cet emploi se trouve en Gn 26,25 (‫ )ויט־שם אהלו‬et en Gn 33,19 (‫)נטה־שם אהלו‬. 8

TRADUCTION ET CRITIQUE TEXTUELLE DE GN 38 ET GN 49

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Puis, le TM, le Smr ont ‫איש‬, suivis par la Vg, le Syr et les Targums. Mais la LXX a ἄνθρωπόν τινα (un homme qui) pour préciser que Hirah est un homme d’Adoullam. Il est probable que le TM témoigne un texte plus ancien et que la LXX a procédé à une facilitation stylistique en ajoutant τινα. :‫וירא־שם יהודה בת־איש כנעני ושמו שוע ויקחה ויבא אליה‬

2

2

Là, Juda vit une fille d’un (homme) cananéen qui se nommait Shoua. Il la prit et alla vers elle.

Le TM et le Smr disent ‫( ושמו‬et son nom), de même la Vg, les Targums et un manuscrit du Syr. Ces témoins textuels indiquent que « Shoua » est le nom de cet homme cananéen. La LXX utilise l’expression relative ἧ ὄνομα, « Shoua » désigne alors le nom de la fille. Hormis un seul manuscrit du Syr, les autres ont retenu la leçon de la LXX. 1 Ch 2,3 décrit la famille de Juda en précisant que ses fils sont nés de la fille de Shoua, ‫בני‬ ‫( יהודה ער ואונן ושלה שלושה נולד לו מבת־שוע הכנענית‬Fils de Juda : Er, Onân et Shélah. Tous trois lui naquirent de la fille de Shoua, la Cananéenne). Pourquoi la LXX précise-t-elle le nom de la fille ? On pourrait penser qu’elle se fonde sur une Vorlage différente du TM, cependant les autres témoins textuels, appuyés par 1 Ch 2,3, soutiennent la version du TM. Il peut s’agir d’un choix délibéré du traducteur de la LXX qui n’a pas voulu laisser la femme de Juda anonyme. Le TM aurait témoigné d’une leçon plus ancienne que la LXX. Mais il n’est pas exclu que la LXX ait pu lire ‫ ושמה‬au lieu de ‫ושמו‬. :‫ותהר ותלד בן ויקרא את־שמו ער‬ :‫ותהר עוד ותלד בן ותקרא את־שמו אונן‬ :‫ותסף עוד ותלד בן ותקרא את־שמו שלה והיה בכזיב בלדתה אתו‬

3 4 5

3

Elle conçut et enfanta un fils, et il appela son nom Er. 4 Elle conçut encore et enfanta un fils, et elle appela son nom Onân. 5 Elle continua encore et enfanta un fils, et elle appela son nom Shélah ; il était à Keziv quand elle l’enfanta.

v.3 : L’ensemble des vv.3-5 a été écrit selon un parallélisme bien construit. La première difficulté rencontrée concerne la nomination des enfants. Le TM a ‫( ויקרא‬et il appela), de même le Syr et le TgO (‫)וקרא‬. Le Smr a ‫ותקרא‬ (et elle appela), suivi par le TgPJ (‫ )וקראת‬et le TgN (‫)וקרת‬. La LXX (ἐκάλεσεν) et la Vg (vocavit) ne laissent pas exprimer le genre du sujet10. Cette 10 Emerton soulève également cette question : « The majority of Hebrew manuscripts are inconsistent in the gender of the verb that is used in the various verses. Verse 3 has the masculine wayyiqra, in contrast to the feminine wattiqra in verses 4 and 5. However, some Hebrew manuscripts and the Samaritan text have the feminine form in verse 3, and so do the Pseudo-Jonathan and Neofiti texts of the Palestinian Targum. On the other hand, the

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difficulté n’apparaît pas qu’au v.3, mais aussi aux vv.29-30, et plus largement dans tout le livre de la Genèse. La Bible d’Alexandrie souligne cette difficulté de traduction : « Pour les très nombreuses naissances racontées dans la Genèse le seul problème posé au traducteur par le texte hébreu est de respecter, ou de préciser, le genre de la personne qui donne le nom à l’enfant : est-ce le père ou la mère ? (…) On trouvera quelques notes aux versets qui relèvent des prises de position ou des hésitations (par ex. en 4,25.26 ; 38,3.4.5) mais nous n’avons pas systématiquement relevé tous les cas d’ambiguïté11 ». Elle prend position en traduisant ἐκάλεσεν (καλεω à l’aoriste) par « elle » : « ... elle lui donna le nom d’Er... elle lui donna le nom d’Aunan... elle enfanta un fils et lui donna le nom de Sêlôm ». Elle explique ainsi : « le grec n’a pas de sujet exprimé indiquant la personne qui donne le nom aux enfants : on suppose qu’il s’agit de la femme de Juda, sujet des verbes précédents12 ». Westermann adopte la même position en raison du contexte culturel : dans l’antiquité, c’est souvent la mère qui nomme ses enfants13. Notre traduction se fonde sur le TM et le choix de la traduction est susceptible d’affecter la compréhension du corpus étudié. Il est probable que le TM témoigne d’un texte plus ancien sur lequel les autres témoins ont effectué une harmonisation avec la triple répétition « elle nomma ». v.5 : Le TM a ‫( והיה‬et il était), de même les TgO-PJ (‫)והוה‬. Mais le Smr emploie ‫( ויהי‬et c’était) par l’assimilation à l’expression usuelle dans le langage hébraïque, de même α’. La LXX dit αὕτη δὲ ἦν (elle était) en précisant que c’était la femme de Juda qui était à Keziv lorsqu’elle enfantait les enfants. La Vg et le Syr ne disent rien à ce propos. Wevers suppose que c’est le TM qui comporte une erreur de copiste puisque la LXX insiste sur « elle »14. Ce jugement a-t-il besoin d’être davantage justifié ? Le TM peut avoir une signification particulière consistant à souligner que « il (Juda) » n’était pas présent à la naissance de Shélah. On verra dans la critique littéraire que le propos du TM peut avoir un impact sur l’interprétation du verset. En effet, il est probable que la LXX a délibérément choisi de mettre αὕτη δὲ ἦν en gardant la cohérence avec le pronom personnel dans la suite du verset, puisque c’est elle qui enfante les enfants (ἔτεκεν αὐτούς). masculine reading of the majority of Hebrew manuscripts in verse 3 is supported by the Targum of Onkelos, and the Peshitta has the masculine, not only here, but also in verses 4 and 5 ». J.A. EMERTON 1975, 339. 11 M. HARL 1986, 69. 12 M. HARL 1986, 263-264. 13 Cf. C. WESTERMANN 1987, 51. 14 « Gen’s αὐτὴ ἦν insists on the feminine, possible ‫ היתה‬or ‫והיא‬. I suspect that TM contains a copist error ». J.W. WEVERS 1993, 632.

TRADUCTION ET CRITIQUE TEXTUELLE DE GN 38 ET GN 49

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Ensuite, le TM a ‫( בכזיב‬à Keziv), leçon retenue par la LXX (Χασβὶ) et le TgO (‫ )בכזיב‬compris comme un lieu précis. Mais le Smr et α’ disent ‫( בכזבה‬à Kozéva). Ruppert15 propose de comprendre cette leçon comme désignant probablement un lieu en référence avec 1 Ch 4,22, ‫( כזבא‬Kozéva). En revanche, la Vg a cessavit (a cessé), une même leçon retenue par le Syr, le TgPJ (‫ )בפסקת‬et le TgN (‫)דפסקת‬. Ces derniers témoins textuels entrent dans l’ordre de l’interprétation en expliquant que Juda n’a que trois enfants et que sa femme n’a plus enfanté après la naissance de Shélah. Il est possible que le TM soit le témoin de la plus ancienne leçon, interprétée par les autres témoins textuels. À la fin du verset, le TM et le Smr ont ‫( אתו‬lui), leçon retenue par le Syr et les Targums. La LXX dit αὐτούς (les). Le TM et le Smr soulignent que le fait d’être à Keziv ne concerne que la naissance de Shélah. Mais la LXX résumant ces trois versets indique que la naissance des trois fils se passe à Keziv. On verra dans la critique littéraire que cette variante pourrait affecter la compréhension du verset. :‫ויקח יהודה אשה לער בכורו ושמה תמר‬ :‫ויהי ער בכור יהודה רע בעיני יהוה וימתהו יהוה‬

6 7

6

Et Juda prit une femme pour Er son premier-né : et son nom fut Tamar. Et Er, premier-né de Juda, fut mauvais aux yeux de YHWH, et YHWH le fit mourir. 7

Le TM utilise deux fois le tétragramme, de même le Smr et les Targums. La LXX emploie deux noms différents, respectivement κυρίου (κύριος) et ὁ θεός, ce dernier habituellement traduit (‫אל)הים‬. Il est difficile d’expliquer cette différence. La Vg emploie un seul Domini qui est l’indice d’une simplification textuelle. On note aussi que l’expression ‫רע בעיני יהוה‬ est un hapax dans la Genèse. On verra que cette expression peut être un indice rédactionnel. :‫ ויאמר יהודה לאונן בא אל־אשת אחיך ויבם אתה והקם זרע לאחיך‬8 ‫ וידע אונן כי לא לו יהיה הזרע והיה אם־בא אל־אשת אחיו ושחת ארצה לבלתי‬9 :‫נתן־זרע לאחיו‬ :‫ וירע בעיני יהוה אשר עשה וימת גם־אתו‬10 ‫ ויאמר יהודה לתמר כלתו שבי אלמנה בית־אביך עד־יגדל שלה בני‬11 :‫כי אמר פן־ימות גם־הוא כאחיו ותלך תמר ותשב בית אביה‬ 8

Et Juda dit à Onân : “Viens vers la femme de ton frère, et agis en beau-frère pour elle, et fais se lever une descendance pour ton frère”. 9 Onân savait que cette descendance ne serait pas la sienne. Aussi, lorsqu’il allait vers la femme de son frère, il perdait à terre pour ne pas donner une descendance à son frère. 15

« Sam bkebh… in Koseba, vgl. 1 Chr 4,22. Es ist wohl eine Örtlichkeit gemeint (s.u.unter, Auslegung) », cf. L. RUPPERT 2008, 131, note f.

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CHAPITRE II 10

Et ce qu’il avait fait fut mauvais aux yeux de YHWH, et il le fit mourir lui aussi. 11 Et Juda dit à Tamar sa belle-fille : « Demeure veuve dans la maison de ton père, jusqu’à ce que grandisse Shélah mon fils ». Car il se disait : « De peur qu’il ne meure lui aussi comme ses frères ». Tamar alla et demeura dans la maison de son père. »

v.10 : Le TM a ‫( אשר עשה‬ce qu’il avait fait), de même le TgO avec ‫דעבד‬. La LXX a ὅτι ἐποίησεν (en raison de ce qu’il avait fait), la Vg a quod rem detestabilem faceret (à cause de la chose abominable qu’il avait faite). Le Smr a ‫ את‬devant ‫ אשר עשה‬pour introduire l’explication ‫וירע בעיני יהוה‬ (et fut mauvais aux yeux de YHWH). De même, les TgPJ-N ont ‫( מה‬que). Le TM témoigne un texte plus ancien, et les prépositions dans les nombreux témoins textuels ont pour fonction d’expliquer la mort d’Onân. ‫ וירבו הימים ותמת בת־שוע אשת־יהודה וינחם יהודה ויעל על־גזזי צאנו הוא וחירה‬12 :‫רעהו העדלמי תמנתה‬ 12

De nombreux jours passèrent. La fille de Shoua, la femme de Juda, mourut. Juda se consola, et monta auprès des tondeurs de son troupeau. Lui, et Hirah son compagnon Adoullamite à Timna.

Le TM et le Smr ont ‫( בת־שוע‬la fille de Shoua), même leçon dans la Vg, le Syr et les Targums. La LXX dit Σαύα. En effet, la femme de Juda s’appelle Shoua au v.2, et la LXX est en cohérence avec ce dernier. Ensuite, le TM et le Smr ont ‫( רעהו‬son compagnon), de même le Syr et les Targums. La LXX lit ὁ ποιμὴν αὐτοῦ (son berger), et la Vg a opilio gregis (berger du troupeau). Il est possible que la LXX et la Vg aient compris le mot ‫ רעהו‬comme provenant de la racine ‫( ָר ָעה‬paître) d’où dérive le mot ‫( ר ֶֹעה‬le berger). Cette différence résulte de différentes vocalisations. :‫ויגד לתמר לאמר הנה חמיך עלה תמנתה לגז צאנו‬

13

13

Et il fut raconté à Tamar en disant : « Voici, ton beau-père monte à Timna pour tondre son troupeau ».

Le TM a ‫( לתמר‬à Tamar), même leçon dans la Vg, le Syr et les Targums. Le Smr a ‫( לתמר כלתו‬à Tamar, sa belle-fille), suivi par la LXX Θαμαρ τῇ νύμφῃ (Tamar, sa belle-fille), qui ont probablement ajouté l’expression comme assimilation au v.11. Dans ce cas, le TM représente un texte hébraïque plus ancien. ‫ ותסר בגדי אלמנותה מעליה ותכס בצעיף ותתעלף ותשב בפתח עינים אשר על־דרך תמנתה‬14 ‫כי ראתה כי־גדל שלה והוא לא־נתנה לו לאשה׃‬ 14

Et elle ôta les vêtements de son veuvage, et elle se couvrit d’un voile, et elle s’enveloppa et elle s’assit à la porte d’Einaïm, qui est sur le chemin de Timna. Car elle avait vu que Shélah avait grandi et qu’elle ne lui avait pas été donnée pour femme.

TRADUCTION ET CRITIQUE TEXTUELLE DE GN 38 ET GN 49

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Le TM a ‫( ותכס‬et elle se couvrit), de même TgN-PJ (‫)וכסיית‬. Le Smr a ‫( ותתכס‬et elle se couvrit) pour mieux s’accorder avec ‫( ותתעלף‬et elle s’enveloppa). La LXX (περιεβάλετο), le Syr et le TgO (‫ )ואתכסיאת‬ont la même leçon que le Smr. La LXX a dû avoir ‫ ותתכס‬comme Vorlage. La Vg a assumpsit (elle a pris) qui suppose une facilitation lexicale. Ces variantes ne mettent pas en cause le fait que Tamar a mis un voile, mais il faut reconnaître que le Smr, la LXX et le Syr s’accordent mieux avec l’ensemble du verset. Le TM témoigne d’un texte plus ancien qui n’a pas cette harmonisation. Le TM et le Smr ont ‫( בפתח עינים‬à la porte d’Einaïm). La LXX a ταῖς πύλαις Αιναν (aux portes d’Ainan). Le TM et le Smr veulent dire simplement que Tamar se poste à l’entrée d’Einaïm. La LXX a mis « la porte » au pluriel par allusion à la double porte de la ville. Le TgO traduit ‫בפרשות‬ ‫( עינים‬au carrefour d’Einaïm) précisant qu’il s’agit du lieu où les gens se croisent. La Vg a in bivio itineris (au carrefour de la route), sans la mention du lieu Einaïm. Le Syr et le TgN (‫לה בפרשות אורחתה‬, au carrefour de la route) ont la même leçon que la Vg. Le TgPJ traduit ‫בפרשת אורחין דכל‬ ‫( עיינין מסתכלין‬au carrefour de la route où tous les yeux voient) explicitant le jeu de mot sous-entendu ‫( פתח עינים‬la porte des yeux) dans le TM et le Smr. La LXX a ἐκαλλωπίσατο (καλλωπίζω à l’aoriste), « elle s’orne/elle se fit belle », mention absente du TM qui emploie le mot ‫( ותתעלף‬et elle s’enveloppa). Le même verbe est employé en Jdt 10,4 où Judith « se fit belle » après avoir enlevé ses vêtements de veuve pour séduire les hommes. En effet, le mot καλλωπίζω est un hapax dans le Pentateuque. Il est probable que la LXX a voulu suggérer l’attirance de Tamar pour Juda. Les deux-tiers environ des minuscules grecques ont θέριστρον (« le voile » à l’accusatif), mais A retient θερίστρῳ. Le datif permet de mieux préciser le fait que Tamar s’est enveloppée d’un voile. Ces minuscules grecques expliquent : ὅτι μέγας γέγονεν Σηλὼμ (car Shélah avait grandi). Le TM et le Smr ont aussi cette leçon par ‫( כי־גדל שלה‬car Shélah avait grandi). En revanche, dans A, on lit ὅτι μέγας γέγονεν Σηλὼμ ὁ υἱὸς αὐτοῦ (car Shélah, son fils, avait grandi). Cette différence souligne la situation de Shélah comme fils de Juda qui est tenu de se soumettre à la loi du lévirat envers Tamar. L’expression Σηλὼμ ὁ υἱὸς αὐτοῦ est en parallèle avec Σηλὼμ ὁ υἱός μου (Shélah, mon fils) au v.11 soulignant que Juda retient Shélah. Il est possible que A soit une version plus tardive précisant le verset. Puis, le TM et le Smr ont ‫( והוא לא־נתנה לו‬et qu’elle ne lui avait pas été donnée), leçon retenue par le Syr et les Targums. La Vg a et non eum

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CHAPITRE II

accepisset (et elle n’avait pas reçu). La LXX a αὐτὸς δὲ οὐκ ἔδωκεν αὐτὴν αὐτῷ [lui (Juda) ne la lui avait pas donnée], qui vient expliciter que l’action est attribuée à Juda. À la fin du verset, le TM et le Smr emploient ‫( לאשה‬pour femme), de même la Vg, la LXX et les Targums. Mais ce propos est absent dans le Syr. L’emploi de ‫ והוא לא־נתנה לו‬apparaissait peut être suffisamment clair pour qu’il ne soit pas utile de répéter ‫לאשה‬. Mais les autres témoins textuels ont voulu souligner le fait que Tamar n’est pas la femme de Shélah et que la loi du lévirat n’a pas été appliquée. Ainsi, le Syr a essayé d’alléger la fin du verset. :‫ויראה יהודה ויחשבה לזונה כי כסתה פניה‬ 15

15

Juda la vit, et la prit pour une prostituée, car elle avait voilé sa face.

Le TM et le Smr ont ‫( כסתה פניה‬elle avait voilé sa face), de même le TgO (‫ )כסיאת אפהא‬et le Syr. La LXX ajoute : καὶ οὐκ ἐπέγνω αὐτήν (et il ne la reconnut pas). La Vg suit la voie passive en mettant ne cognosceretur (elle n’a pas été reconnue). Le VL est très proche de la LXX avec cooperuerat enim faciem suam et non cognovit eam (car elle avait voilé sa face et il ne la reconnut pas). En réalité, la leçon du TM semble admettre un lien entre le voile et la prostitution : le visage voilé de Tamar fait croire à Juda qu’elle est une prostituée. Mais d’autres passages bibliques montrent qu’une prostituée n’est pas nécessairement voilée (cf. Jr 4,30 ; Ez 23,40). Hamilton remarque que dans la loi des Assyriens, il est interdit à une prostituée de voiler son visage16. Cela ne dit rien de précis sur la société d’Israël, mais fait partie de l’environnement du POA. La version de la LXX pourrait être comprise ainsi : « Juda la vit, et la prit pour une prostituée, car elle avait voilé sa face et il ne la reconnut pas ». Dans ce cas-là, le «‫ » כי‬est plus explicite : Tamar voile son visage dans le but de cacher sa véritable identité, et d’éviter d’être reconnue par Juda. Dans ce cas, le voile n’est plus le symbole de la prostituée, si Juda la considère comme une prostituée, c’est dû au v.14 où Tamar « s’enveloppe et s’assoit à la porte d’Enaïm, qui est sur le chemin de Timna ». Le TgN explique ‫ארום כסיית אפין הוות בבייתיה דיהודה ולא הוה יהודה חכם‬ ‫( יתה‬parce qu’elle était voilée dans la maison de Juda et Juda ne la connut pas). Cette version donne au texte un autre sens : Juda n’a pas reconnu Tamar parce qu’elle avait coutume de porter un voile dans la maison. Juda n’a jamais vu le visage de Tamar. Apparemment, c’est la première fois. Le TgPJ offre une autre possibilité d’interprétation par ‫יתה כעיסת אפין הות‬ 16

Cf. V.P. HAMILTON 1995, 442.

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‫( בביתיה דיהודה ולא הוה יהודה רחים‬parce qu’elle avait l’air en colère dans la maison de Juda et Juda ne l’aima pas). Ces Targums confirment que le voile ne signale pas l’état de prostituée. Malgré la diversité des témoins du passage17, la phrase ajoutée par la LXX et les autres témoins veut expliquer la fonction du voile de Tamar. S’il est difficile d’associer le voile et l’état de prostituée, en revanche c’est le moyen de dissimuler sa véritable identité18. ‫ ויט אליה אל־הדרך ויאמר הבה־נא אבוא אליך כי לא ידע כי כלתו הוא ותאמר מה־תתן־לי‬16 :‫כי תבוא אלי‬ :‫ ויאמר אנכי אשלח גדי־עזים מן־הצאן ותאמר אם־תתן ערבון עד שלחך‬17 ‫ ויאמר מה הערבון אשר אתן־לך ותאמר חתמך ופתילך ומטך אשר בידך ויתן־לה ויבא‬18 :‫אליה ותהר לו‬ :‫ ותקם ותלך ותסר צעיפה מעליה ותלבש בגדי אלמנותה‬19 16

Il se rendit vers elle, sur le chemin et dit : « Viens donc j’irai vers toi. » Car il ne savait pas qu’elle était sa belle-fille. Et elle dit : « Que me donneras-tu si tu viens vers moi ? » 17 Et il dit : « J’enverrai un chevreau du troupeau. » Et elle dit : « Si tu donnes un gage jusqu’à ce que tu l’envoies. » 18 Et il dit : « Quel gage te donnerai-je ? » Et elle dit : « Ton sceau, ton cordon et le bâton qui est dans ta main ». Et il les lui donna, et il alla vers elle, et elle fut enceinte de lui. 19 Et elle se leva, et elle alla, et elle ôta son voile et elle revêtit ses vêtements de veuvage.

v.16 : Le TM, le Smr ont simplement ‫( ויאמר‬il dit). La même leçon est retenue par la Vg et les Targums. La LXX dit εἶπεν αὐτῇ (il lui dit), suivie par le Syr : soit la LXX a lu ‫ ויאמרה‬puisque le mot suivant est ‫ ; הבה‬soit la LXX et le Syr ont voulu préciser le dialogue entre les deux personnages, puisque c’est à elle qu’il s’adresse, mais cette précision n’est guère utile. Une dittographie du ‫ ה‬par un scribe est plus probable et le mot ‫ ויאמרה‬est la Vorlage de la leçon grecque. v.17 : Le TM et le Smr ont ‫( אשלח‬j’enverrai), suivis par le Syr et les Targums. La LXX précise Ἐγώ σοι ἀποστελῶ (je t’enverrai) dont le mot σοι n’a pas d’équivalent dans le TM. La Vg suit la LXX avec mittam tibi (je t’enverrai). A porte ἀποστέλλω au présent. Mais les autres témoins grecs ont ἀποστελῶ (au futur actif, j’enverrai) qui soulignent une action dans le futur. Les autres témoins grecs ont dû corriger A pour s’accorder avec le TM et mieux rendre compte de la logique du discours. Il est évident que la LXX et la Vg ont explicité. 17 Les divergences entre les différents témoins textuels ont été étudiées en détail dans J.R. HUDDLESTUN 2001. 18 Soggin partage le même avis : « The ‘veil’ is part of the dress of a married woman (Jdt. 10.2; 16;9), and not of a prostitute, who, on the contrary, il supposed to be looked at; it is only because of the veil that Judah does not recognize his daughter-in-law ». J.A. SOGGIN 1993b, 282.

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CHAPITRE II

Le TM et le Smr ont ‫( תתן‬tu donnes), suivis par la LXX (δῷς), le TgO (‫)תתין‬, le TgPJ-N (‫)תתן‬. Certains manuscrits de la LXX ont δῷς μοι (tu me donnes), de même le Syr et la Vg, en référence au v.16 qui emploie ‫תתן־לי‬. Dans ce cas-là, la leçon ‫ תתן‬est la plus ancienne avant l’ajout du pronom. v.18 : Le TM a ‫( חתמך‬ton sceau), orthographié ‫( חתימך‬ton sceau) par le Smr. Les détails au v.25 fournissent d’autres éléments pour la critique textuelle du verset. :‫ וישלח יהודה את־גדי העזים ביד רעהו העדלמי לקחת הערבון מיד האשה ולא מצאה‬20 ‫ וישאל את־אנשי מקמה לאמר איה הקדשה הוא בעינים על־הדרך ויאמרו לא־היתה‬21 :‫בזה קדשה‬ :‫ וישב אל־יהודה ויאמר לא מצאתיה וגם אנשי המקום אמרו לא־היתה בזה קדשה‬22 :‫ ויאמר יהודה תקח־לה פן נהיה לבוז הנה שלחתי הגדי הזה ואתה לא מצאתה‬23 20 Et Juda envoya le chevreau par la main de son compagnon, l’Adoullamite, pour prendre le gage de la main de la femme, et il ne la trouva pas. 21 Et il demanda aux hommes du lieu en disant : « Où est la prostituée sacrée qui était sur le chemin d’Einaïm ? » Et ils dirent : « Il n’y avait pas par ici de prostituée sacrée ». 22 Et il revint vers Juda et dit : « Je ne l’ai pas trouvée. Et même les hommes du lieu ont dit qu’il n’y avait pas par ici19 de prostituée sacrée ». 23 Et Juda dit : « Qu’elle les prenne pour elle, de peur que nous soyons objet de mépris. Voici, j’ai envoyé le chevreau et toi, tu ne l’as pas trouvée ».

v.20 : L’emploi du mot ‫( רעהו‬son compagnon) pose le problème du v.12. v.21 : Le TM a ‫( מקמה‬du lieu). Le TgO lit de même ‫אתרה‬. Le Smr emploie ‫( המקומ‬de la place). La LXX a la même leçon avec une légère différence : seul A dit ἐπὶ τοῦ τόπου (sur la place), mais les autres témoins grecs ont ἐκ τοῦ τόπου (du lieu). De même, le Syr, le TgN (‫דאתרא‬, de la place) et le TgPJ (‫אתרא‬, de la place) gardent la même leçon que le Smr et la LXX. La Vg dit loci illius (de cette place). En effet, ces derniers témoins textuels ont procédé à une harmonisation avec le v.22 qui dit ‫המקום‬. Ainsi le TM renvoie à un texte plus ancien alors que les autres témoins ont modifié ‫ מקמה‬pour le mettre en accord avec le v.22. Comme le mot ‫המקום‬ au v.22 est rendu par ἐκ τοῦ τόπου, il est possible que les autres témoins grecs aient modifié A pour rester en harmonie avec ce verset. Ensuite, le TM a ‫( הוא‬elle). Le Smr emploie ‫ ההיא‬avec l’article, de même la LXX dit ἡ γενομένη (celle qui était), et les TgO-PJ (‫דהיא‬, celle qui était) précisant l’identité de la prostituée. La Vg emploie quæ sedebat (celle qui s’asseyait), de même le Syr et le TgN (‫דיתבה‬, celle qui s’asseyait). Ces derniers témoins harmonisent avec le v.14 qui mentionne ‫( ותשב‬et elle 19 Les deux-tiers environ des minuscules grecques ont ὧδε (par-là) comme leçon. Mais A comporte ενταυθα (là). Nous pouvons dire que ce détail n’a aucune conséquence sur la compréhension du texte.

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s’assit). À part le TM et le Smr, les autres témoins explicitent l’identité de la prostituée, Tamar. Le TM et le Smr emploient ‫( בעינים‬dans Einaïm), leçon retenue par la LXX (ἐν Αἰνáν) et le TgO (‫ )בעינים‬pour insister sur le nom du lieu. En revanche, la Vg dit in bivio (au carrefour), suivie par le Syr et le TgN (‫בפרשות‬, au carrefour). Ces versions s’accordent avec le v.14. Mais le TgPJ souligne toujours ‫( בסכות עיינין‬par la vue des yeux) sans prendre en compte le nom du lieu. Enfin, le TM et le Smr lisent ‫( על־הדרך‬sur le chemin), de même la LXX (ἐπὶ τῆς ὁδοῦ) et les Targums, précision absente du Syr et de la Vg, après la mention « celle qui s’assit ». v.23 : Le TM dit ‫( פן נהיה לבוז‬de peur que nous soyons objet de mépris) pour expliquer l’arrêt de l’enquête. La LXX va dans le même sens : ἀλλá μήποτε καταγελασθῶμεν (mais qu’on ne se moque pas de nous20) pour dire que « nous avons fait ce qu’il faut » et que « personne ne doit se moquer de nous ». Le mot ἀλλá n’a pas d’équivalent dans le TM. La LXX a nuancé la justification de Juda. ‫ ויהי כמשלש חדשים ויגד ליהודה לאמר זנתה תמר כלתך וגם הנה הרה לזנונים ויאמר‬24 :‫יהודה הוציאוה ותשרף‬ ‫ הוא מוצאת והיא שלחה אל־חמיה לאמר לאיש אשר־אלה לו אנכי הרה‬25 :‫ותאמר הכר־נא למי החתמת והפתילים והמטה האלה‬ :‫ ויכר יהודה ויאמר צדקה ממני כי־על־כן לא־נתתיה לשלה בני ולא־יסף עוד לדעתה‬26 24

Et il advint environ après trois mois, et il fut raconté à Juda en disant : « Tamar, ta belle-fille, s’est prostituée et même qu’elle est enceinte des prostitutions ». Et Juda dit : « Faites-la sortir et elle sera brûlée ». 25 Comme on l’emmenait, elle envoya vers son beau-père en disant : « De l’homme à qui appartiennent ces choses je suis enceinte ». Et elle dit : « Reconnais, s’il te plaît, à qui sont le sceau, les cordons et le bâton que voici ». 26 Et Juda reconnut et il dit : « Elle est plus juste que moi, puisque je ne l’ai pas donnée à mon fils, Shélah. » Et il ne continua pas de la connaître.

v.24 : Le TM, le Smr et les Targums lisent ont ‫( וגם הנה‬et même voici), mais la LXX lit καὶ ἰδοὺ (et voici) comme le Syr, le passage parlant déjà de ‫( תמר כלתך‬Tamar, ta belle-fille). La Vg emploie seul et (et). Ensuite, le TM lit ‫( לזנונים‬du fait de prostitutions), de même le Smr ‫לזנים‬, propos absent de la Vg, puisque le verset mentionne déjà fornicata (s’est prostituée). La LXX a ἐκ πορνείας (à la suite de la prostitution) au singulier, leçon retenue par le Syr et les Targums. Le pluriel du TM est la conséquence logique du constat que Tamar a commis plusieurs actes de prostitution. Les autres témoins ne font allusion qu’au seul acte de « prostitution » 20

M. HARL 1986, 266.

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CHAPITRE II

entre Juda et Tamar. Wevers a souligné que le verbe ἐκπορνεύω est un néologisme du terme ‫( זנה‬se prostituer)21, unique référence dans le Pentateuque indiquant la spécificité de cette prostitution. v.25 : Le TM a vocalisé ‫( החתמת‬le sceau), ‫ החתים‬dans le Smr qui est en concordance avec le v.18 par l’emploi de ‫חתימך‬. Puis le TM lit ‫( והפתילים‬et les cordons), pluriel retenu dans le TgO en ‫ושושיפיא‬. En revanche, le Smr a ‫( והפתיל‬et le cordon). De même le TgN (‫ )ושושפא‬et le TgPJ (‫ )וחוטיא‬emploient le mot « et le cordon » au singulier. La LXX lit ὁ ὁρμίσκος (le collier) qui correspond aussi au v.18, τὸν ὁρμίσκον (ton collier), de même la Vg armilla (le bracelet) employé au v.18 avec armillam. Il n’est pas certain que le TM garde la plus ancienne leçon, tous les autres témoins ont le singulier : « le sceau » et « le bâton ». La LXX et la Vg sont en harmonie avec le contexte culturel où la parure pouvait être un signe de l’identité. v.26 : Le TM et le Smr emploient ‫( צדקה ממני‬elle est plus juste que moi), de même la Vg (justior me est, elle était plus juste que moi) et le Syr. La LXX lit δεδικαίωται Θαμὰρ ἢ ἐγώ (Tamar est plus juste que moi), remplaçant le pronom par « Tamar » pour rendre la parole de Juda plus explicite. Le TgN ‫( זכאה היא תמר כלתי‬Elle est juste Tamar ma belle-fille) souligne le statut de Tamar par rapport à Juda. Le TgO (‫זכאה מני מעדיא‬, elle est juste, de moi elle est enceinte) et le TgPJ (‫זכיא היא תמר מיני אתעברת‬, elle est juste, Tamar de moi est enceinte) sont plus explicites. Tous les autres témoins ont essayé d’expliciter la parole de Juda. :‫ויהי בעת לדתה והנה תאומים בבטנה‬ :‫ויהי בלדתה ויתן־יד ותקח המילדת ותקשר על־ידו שני לאמר זה יצא ראשנה‬ :‫ויהי כמשיב ידו והנה יצא אחיו ותאמר מה־פרצת עליך פרץ ויקרא שמו פרץ‬ :‫ואחר יצא אחיו אשר על־ידו השני ויקרא שמו זרח‬

27 28 29 30

27

Et il fut au temps où elle enfantait, et voici qu’il y avait des jumeaux dans son ventre. 28 Et il fut pendant qu’elle enfantait : l’un donna une main. Et la sagefemme prit un fil rouge et elle l’attacha à sa main, en disant : « Celui-ci est sorti en premier. 29 Et il fut comme il ramenait sa main, et voici son frère sortit. Elle dit : « Quelle brèche tu as faite pour toi ! » Et il l’appela Pérèç. 30 Et après, son frère sortit, avec ce fil rouge à la main, et il appela son nom Zérah.

v.27 : Un détail attire l’attention : A est le seul témoin lisant ἔτεκεν (à l’aoriste, elle enfanta) au v.27 où les autres témoins grecs ont ἔτικτεν (à l’inaccompli, elle enfantait), les vv.3-5 ont ἔτεκεν pour décrire la naissance des trois fils de Juda. On peut supposer que A qui harmonise ce 21 J.W. WEVERS 1993, 644. Dans ce sens strict, il n’y a d’autre occurrence qu’en Gn 38,24 et Ez 16,16. En effet, Dieu critique sévèrement l’action du peuple d’Israël en la qualifiant de prostitution en Ez 16,16. On mesure ainsi la gravité de l’action de Tamar.

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verset avec les précédents est plus tardif. A est aussi l’unique à traduire καιλιά (utérus, cf. Gn 25,24), alors que les autres témoins ont γαστήρ (ventre/utérus, cf. Gn 16,4.5.11 ; 25,21.23 ; 30,41), plus fréquent en Gn. Or l’emploi de καιλιά en Gn 25,24 renvoie à Jacob et à Esaü dans le ventre de Rébecca, ce qui rappelle la situation identique de Pérèç et de Zérah. A est beaucoup plus soucieux des détails. v.28 : Le TM, le Smr et le TgO (‫ויהב ידא‬, et il donne sa main) écrivent ‫( ויתן־יד‬litt., et il donna une main). La LXX a ὁ εἷς προεξήνεγκεν τὴν χεῖρα (l’un a mis en avant la main) pour signifier qui est « le premier ». La Vg met également l’accent sur unus (un). De la même manière, les TgN-PJ ont tous les deux ‫( ופשט וולדה ית ידה‬le nouveau-né sortit sa main). Ces derniers témoins ont essayé de rendre le verset plus explicite. Le TM emploie ‫( ראשנה‬en premier) comme adverbe, ainsi le Syr, le TgO (‫קדמותא‬, en premier lieu) et le TgPJ (‫בקדמיתא‬, en premier). Le Smr a adjectif, ‫ראישון‬, la forme ketiv de ‫( ראשון‬premier), leçon retenue dans la LXX (πρότερος, premier), la Vg (prior, premier) et le TgN (‫קדמיי‬, premier). Cette variante grammaticale n’affecte pas le sens du verset. v.29 : Le TM a ‫( עליך‬pour toi), suivi par des manuscrits du Syr, le TgO (‫עלך‬, à toi) et le TgPJ (‫ועלך‬, et à toi). Le Smr lit ‫( עלינו‬à nous). La LXX a διὰ σὲ (à travers toi). La Vg lit propter te (pour toi). Ces deux témoins ont aussi employé « toi » comme le TM avec deux prépositions différentes. Ce propos est absent dans le TgN. Il est possible que le TM et les autres témoins aient voulu garder la logique de la parole de la sage-femme avec ‫ פרצת‬à la 2ème personne du singulier, alors que le Smr porte le regard sur ceux qui assistent « nous ». À qui s’adresse la parole de la sage-femme ? Selon une note de la Bible d’Alexandrie, les paroles de l’accoucheuse s’adressent à Zérah et non à Pérèç22. Mais dans la version du TM, le nom du Pérèç provient de ces mots de la sage-femme : ‫( מה־פרצת עליך פרץ‬Quelle brèche tu as faite pour toi). La même racine ‫ פרץ‬revient deux fois. La répétition de la même racine dans le TM suppose que le sens du nom de Pérèç provient de la parole de la sage-femme et en conséquence, cette dernière s’adresse à Pérèç. La LXX emploie deux mots différents, le verbe διακόπτω « briser », et le 22 M. HARL 1986, 267. « Pérèç est l’aîné et figurera le peuple de la Loi. Celui qui a le premier montré ‘sa main’, mais n’est venu qu’en second, figure le peuple chrétien, ‘la main’ symbolisant ‘les œuvres’ du Christ (Eusèbe, Question sur l’Évangile, VII 5-6, PG 22, 908909, repris par Ambroise, Apologie de David 12, avec la note de P. Hadot, SC 239, p. 59-61 : le fil écarlate préfigure le signe de la croix et c’est lui qui ‘a fait brèche’ dans la clôture et les remparts du premier, c’est-à-dire la Loi, comme le fera le Christ selon l’expression de Ep 2,14-16). Cette interprétation suppose que les paroles de l’accoucheuse s’adressent à Zara et non à Pharès ».

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nom φραγμός « clôture ». Cela fait perdre la figure étymologique de l’hébreu (‫ותאמר מה־פרצת עליך פרץ ויקרא שמו פרץ‬, 3× ‫)פרצ‬. De fait, la perte du lien entre le nom Pérèç et l’action de faire une brèche en grec fait que la parole de la sage-femme ne s’adresse plus explicitement à Pérèç. Pour harmoniser la traduction grecque, « Aq has attempted a word for word rendering with τί διέκοψας ἐπὶ σὲ διακοπήν23 » en soulignant deux fois la même racine par διακοπτω comme le TM. Dans la suite, le TM dit ‫( ויקרא שמו‬et il appela son nom), leçon retenue dans le TgO-N (‫)וקרא שמיה‬. Le Smr a ‫( ותקרא את שמו‬et elle appela son nom). Cette leçon est retenue par le Syr et le TgPJ (‫)וקרת שמיה‬24. La LXX (καὶ ἐκάλεσεν τὸ ὄνομα αὐτοῦ, et il/elle appela son nom) et la Vg (vocavit nomen, il/elle appelait son nom) ne tranchent pas ce point. La même variante se trouve également au v.30. Le TM indique que Juda, le père donne les noms à ses deux fils à la fin de cette histoire. Mais le Smr, le Syr et le TgPJ ont gardé le sujet au féminin puisque la sage-femme parle dès le v.29 et cet emploi s’accorde avec ‫ ותקרא את שמו‬tel qu’il est dans le Smr au v.30. v.30 : On note deux détails mineurs. La lecture originale de A a τοῦτο (οὗτος à l’accusatif neutre, cela), et la correction lit τουτον (οὗτος à l’accusatif masculin, lui). La lecture originale souligne plutôt l’évènement de la naissance de Pérèç, et la correction accentue le fait que Zérah est né après lui (Pérèç). A emploie τὴν χειρα (à l’accusatif singulier), en revanche, M (Coislinianus, VIIe) dit τῇ χειρὶ (χείρ au datif singulier), reflétant différents usages du mot ἐπὶ suivi d’un accusatif ou d’un datif. 1.1. Bilan Il n’existe pas beaucoup de variantes importantes entre les différents témoins, le passage étant assez unifié. Regroupons les divergences significatives. Tout abord, des différences dans les pronoms personnels : v.2 : le TM et le Smr : ‫( ושמו‬et son nom) / la LXX : ἧ ὄνομα ; v.3-5 : le TM : ‫ ותקרא – ותקרא – ויקרא‬/ le Smr : ‫( ותקרא‬3×) / la LXX : indéterminant ; 23

J.W. WEVERS 1993, 648, n° 37. Emerton relève également cette question dans son article: « Similarly, in verses 29 and 30, the majority of Hebrew manuscripts have wayyiqra, supported by Onkelos and Neofiti and KAHLE’s manuscript E, but some Hebrew manuscripts have the feminine in verse 29, and the Samaritan text and the Peshitta and Pseudo-Jonathan have the feminine in both verse 29 and verse 30 ». J.A. EMERTON 1975, 333-346. 24

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v.5 : le TM : ‫( והיה‬et il était) / le Smr : ‫( ויהי‬et c’était) / la LXX : αὕτη δὲ ἦν (elle était) le TM et le Smr : ‫( אתו‬lui) / la LXX : αὐτούς (les) ; v.29 : le TM : ‫( עליך‬pour toi) ; la LXX : διὰ σὲ (à travers toi) / le Smr : ‫עלינו‬ (à nous) ; v.29-30 : le TM : ‫( ויקרא שמו‬2×) / le Smr : ‫( ותקרא את שמו‬2×) / la LXX : indéterminant.

Six ajouts de la LXX par rapport au TM ont une fonction de clarification et de précision : v.1 : ἄνθρωπόν τινα (un homme qui) ; v.13 : τῇ νύμφῃ αὐτοῦ (sa belle-fille) ; v.14 : ὁ υἱὸς αὐτοῦ (son fils) ; v.15 : καὶ οὐκ ἐπέγνω αὐτήν (et il ne la reconnut pas) ; v.17 : εγώ σοι ἀποστελῶ (je t’envoie) ; v.21 : ἡ γενομένη (celle qui était) ;

Enfin, les hapax : v.6-7 : l’expression ‫ רע בעיני יהוה‬est un hapax dans le livre de la Genèse ; v.24 : le verbe ἐκπορνεύω est un néologisme du terme ‫( זנה‬se prostituer).

1.2. Conclusion Cette enquête a permis de relever en Gn 38 deux différences majeures entre le TM et les autres témoins : la généalogie (vv.2-5 et vv.29-30) et le voile de Tamar (v.15). Sur le premier point, le TM semble renforcer le sens du texte et la mise en valeur de Juda par rapport à ses enfants en employant ‫ויקרא‬. On verra plus tard l’impact de ces différents pronoms personnels pour l’interprétation de ce chapitre. Sur le deuxième point, la phrase ajoutée par les autres témoins textuels au TM éclaire la fonction du voile en la dissociant de tout rapport avec la prostitution. Ces indices peuvent servir la critique littéraire de ce chapitre. La critique textuelle livre des informations très importantes : l’expression ‫רע בעיני יהוה‬, aux vv.6-7, unique occurrence en Gn, est très présente dans les livres des Rois et des Chroniques. En outre, la LXX a dû inventer le verbe ἐκπορνεύω pour traduire ‫( זנה‬se prostituer), qui n’apparaît qu’une fois en Gn. Ces remarques posent la question de la critique rédactionnelle. Gn 38 a-t-il été conçu sous une forme orale sans référence à l’ensemble du cycle de Joseph ? Ces indices attestent-ils un caractère tardif de la composition du chapitre ? La critique textuelle n’y apporte pas de réponses directes, mais elle permet d’ouvrir des pistes de réflexion à la critique littéraire et à la critique rédactionnelle.

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CHAPITRE II

2. TRADUCTION ET CRITIQUE TEXTUELLE DE GN 49 2.1. Introduction du discours : vv. 1-2 TM=Smr

=A

B

‫ ויקרא יעקב אל־בניו ויאמר האספו ואגידה לכם את אשר־יקרא אתכם‬1 :‫באחרית הימים‬ :‫ הקבצו ושמעו בני יעקב ושמעו אל־ישראל אביכם‬2 1 Et Jacob convoqua ses fils et dit : « Réunissez-vous et je vous raconterai ce qui vous annoncera dans la suite des jours. 2 Rassemblezvous et écoutez, fils de Jacob, écoutez Israël, votre père. 1 Ἐκάλεσεν δὲ Ιακωβ τοὺς υἱοὺς αὐτοῦ καὶ εἶπεν Συνάχθητε, ἵνα ἀναγγείλω ὑμῖν, τί ἀπαντήσει ὑμῖν ἐπʼ ἐσχάτων τῶν ἡμερῶν, 2 ἀθροίσθητε καὶ ἀκούσατε, υἱοὶ Ιακωβ, ἀκούσατε Ισραηλ τοῦ πατρὸς ὑμῶν. 1 Et Jacob convoqua ses fils et dit : « Rassemblez-vous pour que je vous dise ce qui vous arrivera à la fin des jours. 2 Réunissez-vous et écoutez, fils de Jacob, écoutez Israël, votre père. 1 Ἐκάλεσεν δὲ Ιακωβ τοὺς υἱοὺς αὐτοῦ καὶ εἶπεν αὐτοῖς Συνάχθητε, ἵνα ἀναγγείλω ὑμῖν, τί ἀπαντήσει ὑμῖν ἐπʼ ἐσχάτων τῶν ἡμερῶν, 2 συνάχθητε καὶ ἀκούσατε μου, υἱοὶ Ἰακώβ. ἀκούσατε Ἰσραήλ, ἀκούσατε τοῦ πατρὸς ὑμῶν. 1 Et Jacob convoqua ses fils et leur dit : « Rassemblez-vous pour que je vous dise ce qui vous arrivera à la fin des jours. 2 Rassemblez-vous et écoutez-moi, fils de Jacob, écoutez Israël, écoutez votre père.

Des variantes mineures entre A et B attirent l’attention. B explicite en ajoutant le pronom αὐτοῖς (leur). A est plus proche du TM et du Smr qui lisent ‫ויאמר‬. Ensuite, le TM et le Smr utilisent deux verbes différents pour exprimer le sens de « réunir ou rassembler » : ‫ אסף‬et ‫קבצ‬, de même A : συνάχθητε (aoriste passif impératif) et ἀθροίσθητε (aoriste passif impératif). B emploie deux fois le même verbe συνάχθητε. Là encore, A est plus proche du TM et du Smr. B lit ἀκούσατε μου, plus explicite, au lieu de ἀκούσατε de A, avec le TM et le Smr ; mais B emploie trois fois le verbe ἀκούσατε (aoriste actif impératif). Le TM, le Smr et A ont une même leçon, et les variantes de B relèvent d’une harmonisation des deux versets par la répétition de συνάχθητε (2×) et de ἀκούσατε (3×). L’expression « ‫( » באחרית הימים‬dans la suite des jours) est rendue en grec par ἐπʼ ἐσχάτων τῶν ἡμέρων (à la fin des jours). Ces mots ont été compris avec une nuance eschatologique par les Targums : le TgN traduit

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‫( קץ‬le terme) ; le TgO lit ‫( בסוף יומיא‬à la fin des jours). Le TgPJ emploie la même racine ‫ קץ‬avec une précision ‫( קיציא גניזיא‬les temps fixés cachés), ce qui est expliqué par : ‫ומן דאיתגלי איקר שכינתא דייי קיצא דעתיד מלכא‬ ‫( משיחא למיתי איתכסי מיניה‬mais dès que se fut manifestée la Gloire de Shekinah de YHWH, le temps fixé où le Roi Messie devait venir lui fut caché). Le mot « ‫ » אחר‬a simplement le sens de « après » sans pour autant exprimer nécessairement une nuance eschatologique. Seule la confrontation entre les différents témoins pourra, au terme du travail de critique littéraire, peut-être livrer des indices sur la fonction et le sens de ‫הימים‬ ‫באחרית‬. 2.2. Ruben : vv.3-4 TM=Smr

:‫ ראובן בכורי אתה כחי וראשית אוני יתר שאת ויתר עז‬3 Ruben, mon premier-né, tu es ma vigueur et le commencement de ma virilité, abondant en honneur et abondant en force25. 3 Ῥουβὴν πρωτότοκός μου, σὺ ἰσχύς μου καὶ ἀρχὴ τέκνων μου· σκληρὸς φέρεσθαι καὶ σκληρὸς αὐθάδης. 3 Ruben, mon premier-né, toi, ma vigueur et le commencement de mes enfants, dur à supporter, et dur, arrogant. 3

A=B

On peut lire ‫ און‬dans deux sens différents : soit ‫( אוֹן‬la virilité) comme puissance génitrice mâle ; soit ‫( ָאוֶ ן‬malheur) compris par la Vg (principium doloris), le TgN (‫ושרוי צערי‬, le commencement de ma peine), σ’ (αρχη οδθνης) et α’ (και κεφαλιαον λυπης μου). Les parallèles du début de ce verset : ‫ ראובן בכרי‬// ‫ אתה כחי‬// ‫ וראשית אוני‬définissent le sens positif du ‫און‬. Ainsi le Tgpj par ‫( ושירוי קריות הירהורי‬et le commencement de l’épanchement de mon imagination). Notre traduction retient ce premier sens. Dans la LXX, l’expression ἀρχὴ τέκνων μου (le commencement de mes enfants) supprime l’ambigüité de ‫ און‬en mettant en parallèle πρωτότοκός (premier-né) avec ἀρχὴ τέκνων (le commencement des enfants). Cette précision souligne le rôle de premier-né de Ruben. Par ailleurs, l’ambigüité du mot ‫ יתר‬pose des problèmes de compréhension avec un sens négatif « l’excès » et un sens positif « la primeur ». BDB propose de lire « la supériorité » ; DBL suggère le sens de 25 Steiner a effectué une recherche détaillée sur les possibilités de lecture de ‫יתר שאת‬. Pour justifier le choix de la traduction du mot ‫ יֶ ֶתר‬comme adjectif, il a étudié le mot ‫יָ ֵתר‬ (supplémentaire) qui est probablement de l’hébreu mishnéen et qui est remplacé par ‫יוֹתר‬ ֵ en hébreu biblique. Et en araméen, il y a ‫ יַ ִתּיר‬qui est l’équivalent de ‫יָ ֵתר‬, cf. R.C. STEINER 2010, 212.

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CHAPITRE II

« extraordinaire » ; dans le même sens positif, DCH conseille le sens de « prééminence ». En revanche, « Aquila et Symmaque utilisent l’adjectif perissos, ‘qui dépasse la mesure’, ‘remarquable’ ou ‘excessif’26 » pour souligner plutôt le sens négatif. En effet, les significations respectives de ‫ שאת‬et de ‫ עז‬pourraient éclairer le choix de la traduction. ‫ שאת‬a sept occurrences dans la BH pour désigner : 1.] une haute fonction (Ps 62,5) ; 2.] la splendeur (Jb 13,11 ; 31,23) ; 3.] l’acceptation (Gn 4,7) ; 4.] la dignité (Ha 1,7) ; 5.] l’élévation (Jb 41,17). Ce mot vient de la racine ‫נשא‬ (élever) et oriente vers un sens positif. L’hébreu ‫ עז‬a le sens de « puissance, force, pouvoir ». ‫ שאת‬et ‫ עז‬ont un sens positif 27. La traduction comme rôle du premier-né : ‫( יתר שאת ויתר עז‬abondant en honneur et abondant en force), souligne le contraste avec le v.4, puisque Ruben n’a pas su garder la supériorité du statut de fils aîné28. La LXX traduit ‫ יתר‬par σκληρός : « σκληρὸς φέρεσθαι καὶ σκληρὸς αὐθάδης » (dur à supporter, dur, arrogant !29), orientant vers une opinion négative de Ruben dans la logique du v.4 – unique référence dans la BH où ‫ יתר‬est rendu par σκληρός. Ce dernier traduit le plus souvent ‫( קשׁה‬difficile30). La leçon φέρεσθαι (verbe au présent de l’indicatif, passif, supporter) traduit ‫( נשא‬élever, supporter) d’où dérive ‫שׂ ֵאת‬. ְ Le mot αὐθάδης n’a que trois occurrences dans la LXX : Gn 49,3.7 et Pr 21,24. En Pr 21,24, αὐθάδης rend le mot ‫ « יהיר‬orgueilleux », les deux autres occurrences traduisent le mot ‫ עז‬au v.3, adressé à Ruben et au v.7, adressé à Siméon et à Lévi. Les mots ‫ שאת‬et ‫ עז‬ont un sens positif dans la BH, mais sont rendus dans un sens négatif dans la LXX, qui a fait un choix différent des autres témoins grecs à la suite du TM et du Smr31. Tout en gardant la structure du parallélisme et le rôle de de Ruben, premier-né, πρωτότοκός μου // ἀρχὴ τέκνων μου, et en évitant l’ambiguïté du mot ‫און‬, la LXX dévalorise Ruben en mettant en parallèle σκληρὸς φέρεσθαι // σκληρὸς αὐθάδης pour une meilleure cohérence avec le v.4. La LXX ne représente pas un autre texte hébraïque différent du TM. 26

M. HARL 1986, 307. Nous discuterons des différentes options des commentateurs par rapport au v.3 dans la partie concernant la critique littéraire de Gn 49. 28 Macchi voit une continuité avec le v.4 : « le verset 3b ne doit donc pas être compris comme un éloge du statut prééminent de Ruben, mais déjà comme une critique ». J.D. MACCHI 1999, 44. 29 M. HARL 1986, 306. 30 Le mot σκληρὸς traduit 29 fois sur 48 occurrences de ‫ קשׁה‬dans la BH. C’est la seule occurrence où σκληρὸς traduit ‫יתר‬, un indice du sens négatif de ‫ יתר‬dans la LXX. 31 Dans le Qumran, la reconstruction du 4Q Gen-Exoda, frg.15-16, ‫את[ה כחי ]וראשית אוני‬ ‫ יתר שאת ויתר עז‬est lacunaire. 27

TRADUCTION ET CRITIQUE TEXTUELLE DE GN 38 ET GN 49

TM (Smr)

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‫ פחז )פחזת( כמים אל תותר כי עלית משכבי אביך אז חללת יצועי עלה‬4 Débordant32 (Tu as débordé) comme des eaux, ne t’enfles pas, car tu es monté sur les couches de ton père, alors tu as profané ma couche en (y) montant33. 4 ἐξύβρισας ὡς ὕδωρ, μὴ ἐκζέσῃς, ἀνέβης γὰρ ἐπὶ τὴν κοίτην τοῦ πατρός σου, τότε ἐμίανας τὴν στρωμνήν, οὗ ἀνέβης. 4 Tu as débordé comme l’eau, ne bouillonne pas, car tu es monté sur la couche de ton père, tu as alors souillé le lit où tu es monté. 4

A=B

Le mot ‫ פחז‬au début du verset est obscur. BHS et BHQ ont proposé de lire ce mot comme une forme verbale à la deuxième personne du singulier ‫פחזת‬. Cet usage a été attesté par la LXX (ἐξύβρισας, tu as débordé), le Smr (‫)פחזת‬, α’, θ’, σ’, la Vg, le Syr et le TgO (‫על דאזלת‬, depuis que tu es allé). Les témoins de la leçon ‫ פחזת‬soulignent le rôle de Ruben. Le TM décrit un débordement comme s’agissant de l’eau. Supposons ‫ פחז‬comme la leçon la plus ancienne, que les autres témoins textuels ont essayé de rendre plus compréhensible en l’adaptant au mieux au contexte littéraire de Gn 35,2234. Le TM veut signifier le débordement d’ardeur de Ruben comme premier-né, qui provoque sa vanité/orgueil. Un autre détail laisse apparaître une différence : le TM a ‫ אל־תותר‬qui peut être traduit littérairement : « que tu n’excelles plus ». C’est l’unique référence dans la BH de la racine ‫ יתר‬au hifil, jussif à la 2ème personne du singulier. Et ‫ אל‬est la marque de l’impératif négatif 35. On traduit l’expression « ne t’enfles pas ». La LXX a μὴ ἐκζέσῃς (ne bouillonne pas), 32 Le mot vocalisé ‫ ַפּ ַחז‬est un nom masculin singulier, unique occurrence dans la BH. Le seul emploi au féminin avec ‫ ַפּ ֲחזוּת‬est en Jr 23,32. Rubin a montré que la racine peut avoir une dérivation en sud-arabique moderne. Elle a le sens de la « cuisse » qui est une connotation sexuelle. En effet, ce verset critique l’action de Ruben en Gn 35,21-22a, cf. A.D. RUBIN 2009, 499-502. 33 Il est évident qu’il y a une incohérence à la fin du verset ‫יצועי עלה‬. Il existe une confusion entre la 1ère personne du singulier et la 3ème personne du singulier. Steiner propose d’examiner ce problème à partir du changement du mot ‫צוּע י‬ ִ ְ‫ י‬depuis les témoins anciens. Il remarque que 4Q252 a remplacé ce dernier par ‫( יצועיו‬sa couche) (p. 213). Dans la suite, l’auteur a récapitulé les propos des commentateurs et propose une autre interprétation où il rend compte de la synonymie poétique entre ‫ עלה‬et ‫( םינקת‬nourrice) qui est reprise par le Targum Palestinien au sens de « nourrice » en Gn 24,59 et Gn 35,8. L’auteur traduit ‫יצועי עלה‬ par « le lit d’une nourrice » (p. 217). Selon lui, cette traduction correspond bien au contexte où après la mort de Rachel, Benjamin a besoin d’une nourrice (p. 218). R.C. STEINER 2010, 213-218. 34 Macuch fait référence à tous les témoins textuels (sauf au manuscrit de Qumrân) comme à ceux qui sont présentés dans ce travail, mais il aboutit à un résultat complètement différent. Il considère que la leçon telle qu’elle est présentée dans la majorité des manuscrits à la 2ème personne est la version la plus ancienne et que celle qui est retenue par le TM provient d’une erreur de scribe, cf. R. MACUCH 1995, 368. 35 P. JOÜON 1987, §114g, 309-310.

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unique occurrence dans la Bible, et s’accorde mieux avec l’image des eaux (‫)כמים‬. La LXX emploie deux fois le même verbe ἀναβαίνω à la 2ème personne du singulier de l’aoriste indicatif : ἀνέβης (tu es monté). Cet usage est attesté par le TgO (‫סליקתא‬, 2×)36. Et le TgPJ rend le mot ‫ עלה‬du TM par ‫( דיסלקת עלה‬sur laquelle tu montes). Le Syr et la Vg (ascendisti, tu es monté) témoignent de la même leçon que la LXX. En revanche, le TM semble briser l’unité de sens en employant deux fois la racine ‫ עלה‬respectivement par ‫ית‬ ָ ‫( ָע ִל‬tu es monté) et ‫( ָע ָלה‬il est monté). Cet usage est également attesté par le Smr et le TgN. Il faut retenir un détail : le TgN a : « ‫( » כי עלית משכבי אבוך אז חללת יצועי עלה‬car tu es monté sur la couche de ton père ; alors tu as profané ma couche en y montant)37. Hormis le fait que le TgN a l’écriture pleine de ‫אביך‬, c’est l’unique cas où le TgN témoigne exactement de la même leçon que le TM. Le TM devait être la leçon la plus ancienne, que la LXX rend au mieux avec le verbe à la 2ème personne du singulier. La LXX emploie τὴν κοίτην (la couche de), au singulier, alors que le TM est à l’état construit au pluriel avec la forme ‫( משכבי‬les couches de)38. Le Smr et 4Q Gen-Exod a, frg.15-16 (‫ )מש[כבי אבי]ך‬ont la même leçon. La LXX : ἐξύβρισας ὡς ὕδωρ, μὴ ἐκζέσῃς, ἀνέβης γὰρ ἐπὶ τὴν κοίτην τοῦ πατρός σου, τότε ἐμίανας τὴν στρωμνήν, οὗ ἀνέβης (tu as débordé comme l’eau, tu ne bouillonnes pas, car tu es monté sur la couche de ton père, tu as alors souillé le lit où tu es monté) a tous les verbes à la 2ème personne du singulier pour l’action de Ruben, et « la couche » et « le lit » au lieu de « mon lit » en parallélisme au singulier. En conséquence, la LXX a rendu le texte plus cohérent. Le TM semble donc avoir retenu les leçons les plus difficiles – probablement les plus anciennes, que la LXX a quelque peu harmonisées. 2.3. Siméon et Lévi : vv.5-7 TM (Smr)

:‫ שמעון ולוי אחים כלי )כלו( חמס מכרתיהם‬5 Siméon et Lévi, des frères, des instruments de violence sont (ont commis la violence de) leurs glaives.

Le TgO a ‫ארי סליקתא בית משכבי אבוך בכין אחילתא לשיויי ברי סליקתא‬. Traduction donnée par R. LE DÉAUT, M. MCNAMARA, M. MAHER 1968, 487. Cette traduction « est restée en hébreu. Elle n’a pas été traduite en araméen comme Gn 35,22 », n° 2. 38 Ce pluriel pourrait être expliqué par l’appartenance à la catégorie du « pluriel d’extension », cf. P. JOÜON 1965, n°136, 416. Cet emploi au pluriel de ‫ משכבי‬se trouve également en Lv 18,22 ; 20,13. 36 37

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A=B

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Συμεὼν καὶ Λευὶ ἀδελφοί συνετέλεσαν ἀδικίαν ἐξ αἱρέσεως αὐτῶν. Siméon et Lévi, des frères, ils ont accompli l’injustice de leur propre choix. 5

Dans le TM, ‫ כלי‬est compris comme « instrument ». Cette leçon est soutenue également par α’ et la Vg. Avec certaines différences de détails, le Syr, le TgN, le TgPS (‫מאני זיינא‬, instruments d’arme) ont conservé le même sens. La LXX traduit συνετέλεσαν (aoriste indicatif) « ils ont accompli » en lisant ‫ כלו‬comme Vorlage, comme le Smr ‫כלו‬. La différence vient de la difficulté à distinguer wav et yod dans les anciens manuscrits. Le mot ‫( חמס‬violence) est souvent interprété par ἀδικία (l’injustice) dans la Bible (cf. Gn 6,11.13 ; Jg 9,24 ; Ps 7,17 ; 10,5 ; 26,12 ; 57,3 ; 71,14 ; Am 3,10 ; Jl 3,19 ; Jon 3,8 ; Is 60,18 ; Ez 45,9). Ainsi ‫כלי חמס‬ (des instruments de violence) a été rendu par συνετέλεσαν ἀδικίαν (ils ont accompli l’injustice) comme le Smr. Les manuscrits 4Q175 25 et 4Q379 frg.22 ii 11 (l’Apocryphe de Josué) sont les seules occurrences dans les manuscrits non-bibliques de Qumrân de l’expression ‫ כלי חמס‬en accord avec le TM39. L’hapax ‫ מכרתיהם‬pose des problèmes. BDB propose de lire ce mot comme issu de la racine ‫ כור‬II qui veut dire « arme, épée ou couteau ». ‫ מכרה‬pourrait être aussi l’étymologie grecque du mot μάχαιρα (« couteau », cf. Gn 22,6.10). La Vg témoigne du sens « couteau » – bellantia. À part le sens d’« arme », DBL propose trois autres sens : 1] bêche (l’instrument agricole) ; 2] plans, conseils ou machinations ; 3] habitations. Et le TgO a compris le texte au sens d’« habitations40». DCH propose quatre sens pour interpréter le mot ‫ מכרה‬: 1] conseils ; 2] armes ; 3] aiguillons : 4] pillages. Le TgPJ semble soutenir le sens du « pillage » en lisant ‫( למחטוף היא אשתמודעותהון‬spolier est leur caractéristique). Dahood41 et Macuch42 indiquent une autre lecture intéressante ‫מ ְכ ֵרת‬, ַ avec le verbe ‫( כרת‬couper) pour « lame de circoncision ». Cette leçon rappelle directement l’événement de Gn 34. Selon Caquot, le mot ‫ מכרתיהם‬ne peut se justifier que comme dérivé de deux racines, ‫ כרר‬ou ‫מכר‬, qui peuvent conduire aux sens respectifs de 39

E. PUECH 2016, 75-76 ; 86-87. TgO a ‫גיבר ין בארע תותבותהון עבדו גבורא‬ ִ ‫( שמעון ולוי אחין גברין‬Siméon et Lévi sont des frères, des hommes puissants ; dans le pays de leur séjour, ils ont accompli un grand exploit). 41 Cf. M.J. DAHOOD 1961, 54-56. 42 R. MACUCH 1995, 369. En s’appuyant sur les Targums Samaritains, ‫( בקיומיו‬dans leur soulèvement) et ‫( בקטעותם‬dans leur conquête), il considère que la racine de ‫ מכרה‬provient de ‫( כרת‬à couper), non pas de ‫( כרה‬à creuser). 40

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« leurs armes » et de « leurs ruses ou conseils » avec le recours aux autres langues43. Ullendorff a fait recours aux autres langues sémitiques pour confirmer la proposition de la racine ‫ מכר‬dans le sens de « conseil »44. Les explications ci-dessus, malgré des variantes mineures, orientent vers trois sens : « l’arme », la « ruse », ou le « conseil » au sens négatif. Eißfeldt dans la BHS propose de lire ce mot comme ‫יהם‬ ֶ ‫מ ְכ ְמר ֵֹת‬, ִ de la racine ‫מכמר‬, au sens de « appât » dans Is 19,8 et Hab 1,15 et traduit « leurs pièges ». Cette proposition entrerait dans le contexte littéraire de Gn 34,25-31 où Siméon et Lévi ont piégé les Sichémites. Avec ‫חמס‬ (violence), il apparaît préférable de retenir le sens d’« arme » à celui de « piège », d’où la traduction de ‫ מכרתיהם‬par « leurs glaives ». La LXX témoigne d’une leçon sans lien direct avec ‫מכרתיהם‬. Elle explique que Siméon et Lévi ont fait un choix : ἐξ αἱρέσεως αὐτῶν (de leur propre choix). En effet, le mot αἵρεσις (propre choix) est dérivé de la racine αιρεω (détruire ou exécuter), qui permet d’établir un lien – assez ténu – avec ‫מכרה‬. Tov45 propose une autre compréhension du mot ‫מכרתיהם‬. La première lettre ‫ מ‬doit être comprise comme une préposition. Il considère la lecture de la LXX sur la racine ‫( ברר‬être pur) en lisant ‫ כר‬comme ‫בר‬. Young propose une autre possibilité : la lettre ‫ מ‬pourrait être considérée comme un enclitique46, et ‫ כרת‬ferait un jeu de mots avec « kirru » qui renvoie au rite cultuel de la Mésopotamie ancienne. En effet, l’accomplissement de ce rite est indispensable dans la procédure du mariage qui réunit les familles des mariés47. Cela renvoie à la circoncision, condition 43 A. CAQUOT 1981, 116. L’auteur a fait une étude détaillée de Gn 49,5 en parcourant les hypothèses des anciens commentateurs jusqu’à celles des exégètes modernes pour essayer d’éclairer le sens obscur de certains mots et justifier son interprétation. Pour la racine ‫כרר‬, il était : « mekérâ serait dérivé de krr comme megérâ, ‘rabot’, l’est de grr ; la racine krr n’apparaît pas en hébreu, mais en arabe… » ; pour ‫ מכר‬:« beaucoup ont traité mekérôt comme un dérivé de mkr, mais en appliquant à cet hébreu des acceptions tirées d’autres langues sémitiques. Une lignée d’exégèses anciens…, l’expliquent par le syriaque mekar, ‘se marier’ et croient que le verset rappelle l’union projetée entre les Israélites et les Sichémites selon Gn 34. Une autre tradition recourt à l’arabe makara, ‘agir avec ruse’ et ou à l’éthiopien makara, ‘conseiller, décider’, pour traduire ‘leurs ruses’ ou ‘leur conseils’ ». 44 Cf. E. ULLENDORFF 1956, 194. Le propos d’Ullendorff a été critiqué par Cohen qui considère que « l’appel à l’étymologie du sémitique pour élucider la signification d’un vocable spécifique de l’hébreu classique » n’est pas une méthode rigoureuse, cf. M. COHEN 1981, 472. En fait, compte tenu des difficultés que pose le mot ‫ מכרתיהם‬le recours à l’étymologie sémitique n’est qu’un moyen de parvenir à une proposition d’interprétation. 45 Cf. E. TOV 2015, 494. 46 Cf. D.W. YOUNG 1981, 336. 47 Cf. D.W. YOUNG 1981, 340-342. L’auteur renvoie à la loi d’Eshnunna, paragraphe 27 et 28 : « Quand un homme prend la fille d’un autre homme sans demander la permission des parents de cette dernière, et qu’il n’a pas arrangé le Kirru et le contrat du mariage avec

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posée pour le mariage de Dinah en Gn 34,14-17. De plus, le personnage de Saraï a employé le mot ‫ חמס‬vis-à-vis d’Agar pour clamer « l’injustice » qui lui est faite en Gn 16,5 ; Jacob fait de même à l’égard de ses fils48. Dans ce débat, on retient que la LXX avait deux lectures différentes : ‫ מכרתיהם‬et ‫ כלו‬avec le Smr. Tov suppose que le traducteur ne connaissait pas le contexte de Gn 3449. Il s’oppose à l’accord de la LXX avec le TM en traduisant ‫ « כלו‬ils ont commis ». Il poursuit : « However, it would be more sound practice to explain συντελέω in accord with its base meaning, ‘to complete’, ‘exhaust’, as understood by the Old Latin consummaverunt50 ». Tov suppose que la LXX a pu s’écarter délibérément du TM. Son argument est convaincant, seule la confusion vav-yod de ‫ו‬/ ‫ כלי‬est à retenir. TM (Smr) ‫ בקהלם )ובקהלם( אל־תחד‬6b ‫ בסדם )בסודם( אל־תבא )תבוא( נפשי‬6a :‫ וברצנם עקרו־שור‬6d ‫ באפם הרגו איש‬6c ‫)יחר( כבדי )כבודי( כי‬ Que ma personne n’entre pas dans leur conseil, que ma gloire ne se joigne (s’irrite) pas à leur assemblée, car dans leur colère ils ont tué des hommes, et dans leur désir ils ont mutilé des taureaux. 6 εἰς βουλὴν αὐτῶν μὴ ἔλθοι ἡ ψυχή μου, καὶ ἐπὶ τῇ συστάσει αὐτῶν A=B μὴ ἐρείσαι51/ἐρίσαι τὰ ἥπατά μου· ὅτι ἐν τῷ θυμῷ αὐτῶν ἀπέκτειναν ἀνθρώπους, καὶ ἐν τῇ ἐπιθυμίᾳ αὐτῶν ἐνευροκόπησαν ταῦρον. Que mon âme ne vienne pas dans leur conseil, et que mon foie ne se joigne pas/ne s’irrite pas à leur assemblée, car dans leur colère ils ont tué des hommes, et dans leur désir ils ont mutilé un taureau.

Le TM lit ‫ בקהלם‬sans la conjonction wav, de même le TgN ‫בכנישתיהון‬ (quand ils sont rassemblés) et le TgO a ‫( באתכנישיהון‬quand ils sont rassemblés) ; le Smr lit ‫ובקהלם‬, gardant un meilleur parallélisme : – ‫( ב‬6a)/ – ‫( וב‬6b)/ – ‫( ב‬6c)/ – ‫( וב‬6d). La LXX, la Vg, le Syr et le TgPJ (‫ובמכנשהון‬, et quand ils sont rassemblés) appuient le Smr. Le TM a la forme de ‫ תחד‬qui peut être compris dans deux sens proches. Le premier de la racine ‫ יחד‬veut dire « s’unir » ou « se joindre », et le deuxième de la racine ‫חדה‬, « se réjouir ». Le maintien du parallélisme ses parents, même si elle vit des années dans sa maison, elle n’est pas sa femme. S’il fait le contrat du mariage et le Kirru, ensuite il la prend, elle est sa femme ». 48 Cf. D.W. YOUNG 1981, 342. 49 Cf. E. TOV 2015, 494-495. 50 E. TOV 2015, 495, n° 10. Tov donne un exemple en Ez 6,12 : ‫( וכליתי חמתי בם‬il passera ma fureur sur eux) a été traduit par καὶ συντελέσω τὴν ὀργήν μου ἐπʼ αὐτούς en grec. Dieu a mis fin à sa colère. 51 ἐρείσαι est le dérivé de ‫יחד‬. Mais certains manuscrits grecs ont ἐρίσαι, considérés comme témoins de la leçon du Smr, ‫יחר‬.

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avec le début du verset, ‫ בסדם אל־תבא נפשי‬// ‫בקהלם אל־תחד כבדי‬, accepterait le sens de « se joindre à ». Cependant ‫ כבדי‬du TM est au masculin singulier, alors que le verbe ‫ תחד‬est à la 3ème personne du singulier au féminin, pour la racine ‫חדה‬. Mais le TgPJ ‫ איתיחד‬retient ‫יחד‬. Le Smr retient la leçon ‫( יחר‬s’irriter) avec la confusion possible ‫ ר‬et ‫ד‬, et certains manuscrits grecs ont ἐρίσαι avec le Smr en accord avec le genre ‫כבדי‬. Or une majorité des manuscrits grecs ont ἐρείσαι, dérivé de ‫ יחד‬par la BHQ selon Tal. Il est possible que la majorité des manuscrits grecs aient lu ‫יחד‬ comme leur Vorlage avec le TM. Subsistent deux témoins grecs, ἐρίσαι (proche du Smr) et ἐρείσαι (proche du TM). Dans les dictionnaires, ces deux mots sont analysés de la même manière, à l’aoriste optatif du verbe ἐρείδω à la 3ème personne du singulier, pour signifier « fixer fermement ». Tov propose une explication des deux formes : « In the Hellenistic period ι,ει, and η were freely interchanged, and both verbal forms could have been written in the same way. We thus prefer μὴ ἐρίσαι (‘do not contend’, ‘do not challenge’) derived from εριζω, and related to ‫יחד‬, to μὴ ἐρείσαι (‘do not support’) derived from ἐρείδω52 ». Ces différentes leçons grecques ne proviennent pas du changement ι et ει, mais elles sont les témoins de deux Vorlagen différentes : ‫ יחד‬est le Vorlage de ἐρείσαι, et ‫ יחר‬pour ἐρίσαι. Plusieurs mots du TM sont en écriture pleine dans le Smr : ‫ בסדם‬/‫בסודם‬, ‫ תבא‬/‫תבוא‬, ‫ כבדי‬/‫כבודי‬. Le TM lit ‫כּב ִֹד י‬, ְ leçon retenue par α’, la Vg, le TgN-O-PJ. Avec l’écriture défective du TM, la LXX semble avoir lu ‫ְכּ ֵב ִדי‬ « le foie » (cf. Lm 2,11). τὰ ἥπατά μου (mon foie) nomme la partie vitale de l’homme. Watson53 propose la même solution en lisant ‫ כבדי‬comme ‫כּ ֵב ִדי‬. ְ Selon lui, ce mot ne désigne pas seulement « le foie », mais également « le cœur ». L’auteur suggère également de prendre la racine ‫( חדה‬se réjouir) ; et traduit ‫ « בקהלם אל־תחד כבדי‬que mon foie/mon cœur ne se réjouisse pas dans leur assemblée ». Cette proposition ne respecte pas le parallélisme avec le v.6a. Le mot ‫ כבדי‬peut désigner aussi la personne (cf. Ps 16,9). Dans ce cas-là, le TM met en évidence le parallélisme : ‫אל־תבא‬ ‫ נפשי בסדם‬// ‫בקהלם אל־תחד כבדי‬, malgré l’incohérence de genre entre ‫תחד‬ (féminin) et ‫( כבדי‬masculin). La leçon retenue par le Smr et la LXX tend à harmoniser ce verset. Enfin, le mot ‫ שׁור‬peut être lu de différentes façons : soit ‫( שׁוֹר‬des taureaux), soit ‫( שׁוּר‬le mur). Le TgN (‫שורי‬, les murs), le TgJP-O (‫שור‬, le mur), α’ (τειχος), σ’ et la Vg témoignent tous du même sens. Vu le contexte 52

E. TOV 2015, 495, n° 12. La même idée a été présentée par L. RUPPERT 2008, 450-

451. 53

Cf. W.G.E. WATSON 1981, 92-95.

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de Gn 34, nous préférons le sens ‫שׁוֹר‬. Cette leçon est déjà retenue par le TgF (‫בתורא‬, le taureau) et la LXX (ταῦρον, un taureau). Cette dernière a ἀνθρώπους au pluriel pour le singulier ‫ איש‬qui désigne un collectif ; mais elle n’a pas fait de même avec ‫ שׁוֹר‬au singulier pour « les taureaux ». À part ces deux sens, il est également possible de faire le lien avec le mot ugaritique, shôr, qui pourrait désigner « prince ». Cette proposition correspond au contexte littéraire en Gn 34,25 où Siméon et Lévi ont tué tous les hommes de Sichem (cf. ‫ויהרגו כל־זכר‬, et ils ont tué tous les hommes). Le TgN (‫קטילו מלכין‬, ils ont tué des rois) et le TgPJ (‫קטלו מלכא ושולטניה‬, ils ont tué le roi et son gouverneur) ont interprété les hommes tués, comme roi et gouverneur. En résumé, l’incohérence du TM entre ‫ כבדי‬et ‫ תחד‬pourrait trouver une solution dans un échange entre ‫ נפשי‬et ‫כבדי‬. Le Smr a lu ‫ יחר‬au lieu de ‫ תחד‬et atteste un wav à ‫ובקהלם‬, assurant une meilleure structure du verset. La LXX a lu la même construction que le Smr, ἐρίσαι et ἐρείσαι pourraient provenir de deux Vorlagen différentes, témoins d’un texte plus cohérent et plus harmonieux. TM (Smr)

A=B

TM=Smr =A=B

‫ ארור )אדיר( אפם כי עז ועברתם )וחברתם( כי קשתה‬7a Maudite (Noble) soit leur colère, car elle est forte, et leur rage, car elle est dure. 7a ἐπικατάρατος ὁ θυμὸς αὐτῶν ὅτι αὐθάδης, καὶ ἡ μῆνις αὐτῶν ὅτι ἐσκληρύνθη· Maudite soit leur colère, car elle est si arrogante, et leur rage, car elle est dure. :‫ אחלקם ביעקב ואפיצם בישראל‬7b διαμεριῶ αὐτοὺς ἐν Ἰακώβ, καὶ διασπερῶ αὐτοὺς ἐν Ἰσραήλ. Je les répartirai dans Jacob, et je les disperserai dans Israël. 7b

Le TM ‫ ארור‬est le participe passif de ‫ארר‬, lu par la LXX en employant ἐπικατάρατος (adjectif au masculin singulier, maudite). Mais le Smr atteste la leçon ‫( אדיר‬noble), valorisant la colère maudite par le TM et la LXX. Le Smr approuve l’action de Siméon et de Lévi, et ne condamne pas pour leur violence. L’expression ‫( ועברתם‬et leur rage) du TM est bien rendu par la LXX, la Vg, le Syr, le TgO-PJ (‫וחימתהון‬, et leur colère/ardeur) et le TgF (‫ובחימתהון‬, et leur colère/ardeur). Le Smr lit ‫( וחברתם‬et leur rage) manifestant une « liberté » sémantique qui n’affecte pas le sens du texte. Aux vv.5-7 du Smr, les tribus de Siméon et de Lévi ont été, en réalité, punies. La critique littéraire de ce chapitre pose la question d’une possible hésitation du Smr entre la bénédiction et la malédiction.

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CHAPITRE II

Le TM et le Smr utilisent deux mots en parallèle, ‫( חלק‬piel)54 et ‫פוץ‬ (hifil), pour désigner la réalité de la dispersion de Siméon et de Lévi. La LXX emploie aussi deux verbes différents : διαμεριῶ et διασπερῶ. Le parallélisme du TM (‫ אחלקם ביעקב‬// ‫ )ואפיצם בישראל‬est également retenu par la LXX (διαμεριῶ αὐτοὺς ἐν Ἰακώβ // καὶ διασπερῶ αὐτοὺς ἐν Ἰσραήλ). L’unanimité des témoins textuels au v.7b confirmera-telle ou non une insertion tardive de ce demi-verset dans le corpus actuel ? Cette question sera abordée dans la critique littéraire plus loin. 2.4. Juda : vv.8-12 TM (Smr)

A=B

:‫ יהודה אתה יודוך אחיך ידך )ידיך( בערף איביך ישתחוו לך בני אביך‬8 Juda, toi, tes frères te célébreront. Ta main sera (Tes mains seront) sur la nuque de tes ennemis, et les fils de ton père se prosterneront devant toi. 8 Ἰούδα, σὲ αἰνέσαισαν οἱ ἀδελφοί σου· αἱ χεῖρές σου ἐπὶ νώτου τῶν ἐχθρῶν σου· προσκυνήσουσίν σοι οἱ υἱοὶ τοῦ πατρός σου. Juda, toi, puissent tes frères te louer. Tes mains seront sur la nuque de tes ennemis, et les fils de ton père se prosterneront devant toi.

Il est intéressant de remarquer que le nom de Juda (‫ )יהודה‬est mis en jeu de mots avec le verbe ‫( ידה‬louer). Macchi a déjà mentionné la particularité de l’usage de ‫ ידה‬au hifil puisque, hormis quatre exceptions sur une centaine d’occurrences, ce verbe décrit toujours l’action de l’homme envers Dieu55. Les quatre exceptions sont en Ps 45,18 ; Ps 49,19 ; Jb 40,14 et Gn 49,8. Le roi tel qu’il est décrit en Ps 45,18 est considéré comme un dieu au v.7. Ps 49,19 et Jb 40,14 emploient ce verbe au sens ironique pour dire que le riche et Job ne reçoivent aucune louange. La célébration donnée par les frères pourrait souligner le rôle élevé de Juda. L’analyse littéraire devra vérifier si la sentence sur Juda en Gn 49,8-12 revêt un sens ironique ou non. La LXX emploie αἰνέσαισαν (aoriste optatif, qu’ils puissent louer), occurrence unique dans le Pentateuque. Cela confirme peut-être une place prééminente de Juda parmi ses frères. Le pronom ‫ אתה‬est présent dans le TM, le Smr, le TgO (‫את‬, toi), le TgPJ (‫אנת‬, toi) et la LXX (σὲ), mais absent dans la Vg et le Syr, comme facilitation syntactique. Les TgF-N lisent ‫ לך‬qui facilite la structure. À part le TM, le Smr, la LXX, les TgO-PJ et les autres témoins tendent à simplifier l’usage de ‫אתה‬. 54 Les diverses significations possibles du verbe ‫ חלק‬sont données dans l’article suivant : J. KAMHID 1973, 235-239. 55 Cf. J.D. MACCHI 1999, 83.

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Une variante mineure se présente à l’intérieur avec « ta main » rendue par ‫ ידך‬dans le TM, la Vg, le Syr et le TgO, mais au pluriel dans la LXX (αἱ χεῖρές σου) et le Smr ‫( ידיך‬tes mains). TM (Smr) (‫ גור )גר( אריה יהודה מטרף בני עלית כרע רבץ כאריה וכלביא )וכלביה‬9 :‫מי יקימנו‬ Juda est un jeune lion, à cause de la proie, mon fils, tu es monté. Il s’est agenouillé, il s’est couché comme un lion, et tel une lionne, qui le fera lever ? 9 A=B σκύμνος λέοντος, Ἰούδα· ἐκ βλαστοῦ, υἱέ μου, ἀνέβης· ἀναπεσὼν ἐκοιμήθης ὡς λέων καὶ ὡς σκύμνος· τίς ἐγερεῖ αὐτόν ; Juda est un jeune lion, d’une pousse, mon fils, tu es monté. Etant couché, tu as dormi comme un lion, et comme un lionceau, qui l’éveillera ?

Le mot ‫ טרף‬désigne soit ‫( ֶטּ ֶרף‬la proie), soit ‫( ָט ָרף‬branche ou pousse, cf. Gn 8,11). Le mot ‫ ִמ ֶטּ ֶר ף‬avec la préposition ‫ מן‬à sens causatif explique la montée du lionceau et l’image de la chasse du lion, traduit « à cause de la proie ». Cette leçon est retenue par le TM, le Smr, α’, σ’, la Vg et le Syr. La LXX a opté pour le sens de ‫ ָט ָרף‬en employant βλαστοῦ (rameau) pour désigner Juda. Cela fait le lien avec le ῥάβδος (bâton) en Is 11,1 qui pourrait renvoyer déjà à une lecture messianique de la figure de Juda. En 9b, le TM emploie deux images introduites par ‫כ‬, ‫( אריה‬lion) et ‫לביא‬ (lionne). Le mot ‫ לביא‬est ambigu quant au genre, au masculin en Dt 33,20 ; Jb 38,39 ; Is 5,29 et Os 13,8, et au féminin en Nb 23,24 ; 24,9 ; Jb 4,11 ; Is 30,6 ; Jl 1,6 et Na 2,11. Le Smr témoigne du féminin ‫לביה‬, mieux construit avec ‫אריה‬, traduit par « lionne ». La LXX emploie seulement deux mots pour désigner respectivement le lion (λέων) et le lionceau (σκύμνος), tandis que le TM et le Smr utilisent trois mots différents : ‫גור‬, ‫אריה‬, et ‫לביא‬/‫לביה‬. Il est peu probable que la LXX se fonde sur une Vorlage différente du TM, il es plus vraisemblable qu’elle a harmonisé en mettant en parallèle σκύμνος λέοντος Ἰούδα // ὡς λέων καὶ ὡς σκύμνος. TM (Smr)

A=B

(‫ לא־יסור שבט מיהודה ומחקק מבין רגליו )דגליו( עד כי־יבא )יבוא‬10 :‫שילה )שלה( ולו יקהת )יקהתו( עמים‬ Le sceptre ne s’écartera pas de Juda, ni le bâton de commandement d’entre ses pieds (ses étendards) jusqu’à ce que vienne Shiloh, et à lui est l’obéissance (obéiront) des peuples. 10 οὐκ ἐκλείψει ἄρχων ἐξ Ἰούδα, καὶ ἡγούμενος ἐκ τῶν μηρῶν αὐτοῦ, ἕως ἂν ἔλθῃ τὰ ἀποκείμενα αὐτῷ, καὶ αὐτὸς προσδοκία ἐθνῶν. Il ne manquera pas de chef issu de Juda, ni de guide issu de ses cuisses, jusqu’à ce que vienne ce qui lui est réservé, et lui il est l’espérance des nations.

88

CHAPITRE II

v.10a : En grec, deux noms au masculin singulier désignant des chefs se trouvent en parallèle : ἄρχων et ἡγούμενος. Le TM fait mention d’attributs du chef : ‫ שבט‬désigne « un sceptre » et ‫ « מחקק‬un bâton (de commandement) ». En effet, ‫ מחקק‬est le participe poel de ‫ חקק‬au sens d’« inscrire », « graver ». Ainsi ‫ מחקק‬pourra désigner la fonction de « commandant » (cf. Nb 21,18 ; Dt 33,21 ; Ps 60,9 ; 108,9 ; Is 33,22 ; Jg 5,14). ‫ שבט‬désigne également la fonction : BDB propose de lire ‫( שׁ ְֹפ ֵטי‬les juges) (2 S 7,7). Aussi, la LXX rend ces deux images par deux fonctions. Ces termes renvoient au pouvoir et offrent une description vivante d’un gouverneur portant les symboles de sa souveraineté. Les Targums traduisent ces deux mots, respectivement par ‫( מלך‬roi), qui correspond à ἄρχων et par ‫ספר‬ (scribe) parallèle à ‫( חקק‬graver, inscrire). La LXX utilise deux noms désignant précisément « la personne du chef », alors que le TM est moins direct en recourant à deux images : le « sceptre » et le « bâton de commandement ». Puech note la bénédiction de Juda en 4Q252 : « Paraphrasant Gn 49,10, l’auteur joue sur les deux sens de ‫‘ שבט‬sceptre’ et ‘tribu’ en décomposant en ‫‘ שליט משבט‬un souverain issu de la tribu de’, et rejoint par-là la leçon de la Septante οὐκ ἐκλείψει ἄρχων ἐξ Ιουδα ‘il ne manquera pas de chef issu de Juda56 ». Il rapproche 4Q252 de la LXX. Ces termes orientent vers le pouvoir et l’autorité d’une succession de souverains judéens. Ensuite, l’expression ‫מבין רגליו‬, littéralement « d’entre ses pieds », est rendue en grec ἐκ τῶν μηρῶν αὐτοῦ (issu de ses cuisses), de même la Vg. On retrouve la même expression, ἐκ τῶν μηρῶν αὐτοῦ, en Gn 46,26 qui parle de la famille de Jacob, « issus de lui », un euphémisme. L’interprétation de ce passage pourrait avoir deux sens : l’un, « ‫» מבין רגליו‬, décrivant la position du chef assis sur le siège en tenant le bâton entre ses pieds. Mais c’est très peu probable puisque le sceptre est souvent présenté dans la main en iconographie, jamais entre les pieds, et l’autre, « ἐκ τῶν μηρῶν αὐτοῦ » faisant plutôt allusion à la descendance de Juda. Cela renvoie à Dt 28,57 qui dit qu’un enfant est né ‫[ מבין רגליה‬d’entre ses cuisses (de sa mère)]. Au lieu de ‫רגליו‬, le Smr lit ‫( דגליו‬ses étendards) qui pourrait être une confusion entre ‫ ד‬et ‫ר‬, et en même temps, la leçon retenue par le Smr pourrait être le témoin d’une tradition de lecture en soulignant l’importance de la tribu de Juda. En résumé, malgré leurs différences, les diverses nuances dans la description ne changent pas le sens essentiel de ce demi-verset : Juda est celui qui conserve le pouvoir. 56

E. PUECH 2013, 243.

TRADUCTION ET CRITIQUE TEXTUELLE DE GN 38 ET GN 49

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Avant d’entrer dans la complexité de 10b, se pose la question du découpage de v.10. Steiner propose deux manières de lire57 : 1. [ ‫ ]עד כי־יבא שילה ולו יקהת עמים‬,[ ‫]לא־יסור שבט מיהודה ומחקק מבין רגליו‬ 2. [‫]כי־יבא שילה ולו יקהת עמים‬, [‫] לא־יסור שבט מיהודה ומחקק מבין רגליו עד‬ L’auteur souligne que ‫עד‬, traduit par « jusqu’à », « is sometimes used to indicate a point of culmination rather than a point of cessation58 ». Il signale que ‫ עד כי‬n’est pas d’un usage courant en poésie, et il est inhabituel de les mettre ensemble59. Aussi il penche pour la deuxième lecture qui oriente vers deux compréhensions : 2a « ne partira jamais » et 2b « ne part jamais pour toujours »60. Le TgO interprète ce mot ‫ עד‬par ‫( עד עלמא‬à jamais). De plus, l’auteur remarque les mêmes expressions en 2 S 4,14-16, la promesse à David, qu’en Gn 49,10 : ‫( בשבט‬v.14), ‫( לא־יסור‬v.15) et ‫( עד־עולם‬v.16). Gn 49,10 fait allusion à l’oracle dynastique61. D’ailleurs, 2 S 12,10 mentionne aussi ‫ עד־עולם‬et ‫לא־יסור‬. Ce constat permet d’interpréter Gn 49,10 comme une bénédiction ou comme une punition62. Ensuite, il mentionne aussi 1 R 11,38-39 qui fait indirectement allusion à Gn 49,10, en faveur du sens 2b : « même si le sceptre s’écarte de Juda, cela ne sera pas pour toujours »63. Ce dernier passage cite Ez 21,32 qui se rapporte directement à Gn 49,10 en parlant de ‫( עד־בא אשר־לו המשפט‬jusqu’à la venue de celui à qui appartient le jugement). Dans ce cas-là, il faut déchiffrer Gn 49,10b à partir du mot ‫ עד‬pour prendre en compte Ez 21,3264. Za 9,9 ‫( הנה מלכך יבוא לך‬voici que ton roi vient à toi) fait penser à Gn 49,10 et Ez 21,32. Ainsi, l’auteur suppose que Ez et Za ont fait une relecture de ‫שילה‬, qui pourrait avoir plusieurs interprétations pour désigner la venue d’un roi65. 57

Cf. R.C. STEINER 2013, 36. R.C. STEINER 2013, 37. 59 R.C. STEINER 2013, 38. 60 R.C. STEINER 2013, 39. 61 R.C. STEINER 2013, 45-46. 62 R.C. STEINER 2013, 47. 63 R.C. STEINER 2013, 49. 64 R.C. STEINER 2013, 50. 65 R.C. STEINER 2013, 52. Les différentes allusions à Gn 49,10 montrent une continuité de l’interprétation : « These ambiguities did not go unnoticed in the biblical period. During the course of that period, they gave rise to a number of distinct interpretations of the oracle, interpretations that are reflected in the prophecies of Nathan, Ahijah the Shilonite, Ezekiel, and Zechariah. Each interpretation corresponded to a different historical development: the rise of the Davidic dynasty in the time of Nathan; the decline of the Davidic dynasty in the time of Ahijah; the fall of the Davidic dynasty in the time of Ezekiel; and the limited renewal of Davidic leadership in the time of Zechariah. Thus, they allowed the oracle to adapt to the changing fortunes of the House of David, making it possible for each generation to adopt an interpretation that was suited to its own time » (p. 55). 58

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CHAPITRE II

De toutes ces approches intra-bibliques, Ez 21,32 est la plus proche de Gn 49,10 pour le choix des mots, et les autres passages mentionnés sont plus éloignés sur le plan lexical. Contrairement à cet auteur, on privilégie la traduction de 10b par …‫( עד כי־יבא‬jusqu’à ce que vienne) en raison du parallélisme entre ‫ לא־יסור שבט מיהודה‬et ‫ומחקק מבין רגליו‬. Ainsi, l’accent est mis sur ‫שילה‬. v.10b : La lecture du mot ‫ שילה‬est déterminante pour comprendre la sentence sur Juda. La LXX dit τὰ ἀποκείμενα αὐτῷ (ce qui lui est réservé). La Vg a qui mittendus est (celui qui est envoyé). Le Smr est témoin de ‫שלה‬. Ces témoins textuels sont aussi obscurs que le texte hébreu, dont on ignore l’ancienneté. Les TargumsN-PJ-O interprètent unanimement ‫שילה‬ par ‫משׁיחא‬, peut-être l’influence de la traditions rabbinique66. Une lecture messianique est donnée en 4Q252 V 1-767, datée circa -50-25 av. J.-C., où ‫ שילה‬est interprété comme le Messie, descendant de David : ‫עד בוא משיח‬ ‫( הצדק צמח דויד‬jusqu’à ce que vienne le Messie de la Justice, le rejeton de David). Cette leçon est bien antérieure aux Targums et aux traditions rabbiniques. L’orthographe pleine du TM peut faire allusion à Silo (‫)שׁילה‬, l’antique sanctuaire nordiste. Westermann a justement remarqué que 10a indique un personnage au pouvoir, et les deux mots, ‫ יבא‬et ‫ ולו‬orientent vers une personne non un lieu68. Il propose d’y voir une corruption du texte, due à l’haplographie d’un ‫ מ‬pour ‫( משׁלה‬gouvernant/gouverneur). Cela renverrait à Mi 5,1 où est promis un gouverneur d’Israël issu des clans de Juda 66 Feghali fait une lecture messianique de Gn 49,8-10 en s’appuyant sur l’interprétation de saint Ephrem et les traditions judaïques. Il confirme ce courant messianique qui est probablement très réputé, cf. P. FEGHALI 1987, 165-172. Spurling a effectué un travail semblable en montrant, d’une part, qu’Ephrem et les commentateurs juifs ont le même but : faire une interprétation messianique et, d’autre part, qu’Ephrem discerne la figure de Jésus Christ dans cette lecture messianique, ce qui marque sa différence avec l’interprétation des juifs, cf. H. SPURLING 2008, 85-101. Marx a effectué une recherche similaire en travaillant spécialement les fragments de Qumran et la structure poétique de Gn 49,8-10 pour confirmer l’interprétation messianique, cf. A. MARX 1995, 95-111. Rosenberg a fait également une sorte de gematria de ‫( שׁילה‬chiffre 345), équivalent de ‫( משה‬Moïse, chiffre 345) pour conclure que le personnage de Moïse a déjà été pensé dans le livre de la Genèse, surtout en Gn 6,3 et Gn 49,10, cf. R.A. ROSENBERG 1993, 258-261. Gardons à l’esprit que ce type d’interprétation est exclusivement rabbinique et ne relève pas des méthodes propres à la recherche exégétique. Howard a remis en cause le travail de Rosenberg puisque ce dernier n’a rien apporté de nouveau par rapport à celui des rabbins anciens, cf. J. HOWARD 1994, 490. 67 Niccum a étudié en détail la bénédiction de Juda en 4Q252. L’auteur a effectué une recherche sur l’interprétation juive de Gn 49, soulignant le rôle de la Loi et de l’Alliance présenté dans 4Q252. Celles-ci permettent de voir le Messie non seulement dans l’avenir, mais aussi dans le présent, cf. C. NICCUM 2006, 250-260. 68 Cf. C. WESTERMANN 1987, 231.

TRADUCTION ET CRITIQUE TEXTUELLE DE GN 38 ET GN 49

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(‫יהודה ממך לי יצא להיות מושל בישראל‬, Juda, de toi sortira pour moi celui qui gouverne Israël). Cette suggestion cohérente avec le contexte du verset est-elle plausible ? Macchi suggère de considérer ‫ שילה‬comme dérivé de la racine ‫ שלה‬et il traduit 10b par « jusqu’à ce que vienne à la paix69 », lointain parallèle avec Ez 21,32, ‫( עד־בא אשר־לו המשפט‬jusqu’à ce que vienne celui à qui appartient le jugement). Cette interprétation abstraite ne fait guère sens. Une autre possibilité est de couper le mot ‫ שילה‬en deux ‫לה שי‬, c’està-dire « son tribut70 ». Cette proposition est fréquemment soutenue, et la BJ l’a adoptée : « jusqu’à ce que le tribut lui soit apporté » pour y voir la figure de David en tant que type du Messie71. Il est difficile de percevoir la cohérence de l’ensemble du verset. La TOB comprend ‫ שילה‬comme un pronom relatif ‫ ש‬avec ‫ ל‬d’appartenance + suffixe de la 3ème personne du singulier, ‫ י‬est l’orthographe pleine du relatif : « jusqu’à ce que vienne celui auquel il appartient » (TOB). La recension de Lucien d’Antioche ainsi que la recension hexaplaire d’Origène témoignent également de cette leçon par ω αποκειται, leçon proposée par Eißfeldt dans la BHS de lire ‫( ֶשׁלּוֹ‬celui auquel il appartient) ou par ‫( ֶשֹּׁלה‬celui auquel appartient la royauté) avec le Smr. Ce choix d’interprétation est proche de la leçon retenue par le TgN : « ‫עד זמן‬ ‫( » דייתי מלכא משיחא דדידיה היא מלכותא‬jusqu’à ce que vienne le Roi Messie, à qui appartient la royauté) et par le TgF : « ‫עד זמן דייתי מלכא‬ ‫( » דמשיחא‬jusqu’à ce que vienne le Roi Messie). Emerton adopte la transcription de ‫ שילה‬par Shiloh72, rendant compte du caractère mystérieux de ce mot. Nous adoptons cette transcription en respectant le TM, et nous verrons la possibilité de son interprétation dans la critique littéraire. Enfin, le TM écrit ‫ יקהת עמים‬qui souligne « et à lui l’obéissance des peuples » et le Smr lit aussi ‫( יקהתו עמים‬et les peuples lui obéiront). Ces lectures confirment l’interprétation retenue d’un personnage à venir. Noter que ‫ יקהת עמים‬renforce la lecture ‫שׁלּוֹ‬, ֶ et ne peut que renvoyer à un personnage, non à un nom abstrait, passage bien compris par 4Q252 et Smr. La LXX a compris προσδοκία ἐθνῶν (l’espérance des nations), de même la Vg (erit expectatio gentium). La Bible d’Alexandrie l’a traduit par « il est 69

Cf. J.D. MACCHI 1999, 109. Steiner fait cette proposition en s’appuyant sur l’usage du mot ‫ שילה‬en araméen et en cananéen ancien. Il conclut que ‫ כי־יבא שי לה‬prend place dans un parallélisme antithétique avec ‫לא־יסור שבט מיהודה‬. R.C. STEINER 2010, 219-226. 71 « On peut voir là une référence à David, fondateur d’un empire, mais à David comme type du Messie ». Bible de Jérusalem 1998, 110 (101), n° f). 72 Cf. J.A. EMERTON 2015a, 171. 70

92

CHAPITRE II

l’attente des nations73 ». Tov note l’importante différence entre la LXX et le TM : « ‫יִ ְקּ ַהת‬, probably the construct state of a noun ‫ יקהה‬occurring only here and in Prov 30 :17, must have been difficult for the translator. Its original meaning was probably “obedience”, but in the translator’s etymological understanding it was derived from the root ‫קוה‬, ‘to hope’, ‘to expect’ taken as a verbal form. In the translator’s mind, the singular verbal form ‫ יקהת‬was governed by a plural noun ‫ עמים‬74 ». Cela souligne l’ancienneté du texte hébreu traduit par la LXX. α’ dit συστημα (rassemblement) qui provient de ‫( קוה‬rassembler). Macchi conclut à la lecture messianique erronée de l’oracle de Shiloh par la LXX, alors qu’α’ est plus près de la Vorlage hébraïque75. Le mot προσδοκία est rare dans la LXX, trois occurrences en Gn 49,10, Is 66,9 et Ps 119,116. Le Ps 119,116 évoque l’espérance du psalmiste envers Dieu, proche de ce qui est exprimé en Gn 49,10. Mais προσδοκία en Is 66,9 désigne plutôt le sens de « fermer, briser ou rompre » (‫ שבר‬en hébreu) et s’éloigne de celui de Gn 49,10 et de Ps 119,116. Il est difficile de conclure à une lecture messianique erronée selon Macchi à partir de προσδοκία. Il est peu probable que la LXX et α’ aient lu ‫ קוה‬comme Vorlage. La leçon ἀποκείμενα (réserver, mettre de côté) de la LXX suit la Vorlage ‫ שלה‬comme dans le Smr. Quant à προσδοκία (l’espérance), il témoigne une lecture messianique de ‫יקהה‬. La LXX ne s’écarte pas du prototype du TM, comme l’ont compris aussi 4Q252 et les Targums témoins d’une réception messianique du verset. TM (Smr)

A=B

(‫ אסרי )אסורי( לגפן עירה )עירו( ולשרקה בני אתנו כבס ביין לבשו )לבושו‬11 :(‫ובדם ענבים סותה )כסותו‬ Attachant (Attachés) à la vigne son ânon et au cep le petit de son ânesse, il a lavé dans le vin son vêtement et dans le sang des raisins son habit. 11 δεσμεύων πρὸς ἄμπελον τὸν πῶλον αὐτοῦ, καὶ τῇ ἕλικι τὸν πῶλον τῆς ὄνου αὐτοῦ· πλυνεῖ ἐν οἴνῳ τὴν στολὴν αὐτοῦ, καὶ ἐν αἵματι σταφυλῆς τὴν περιβολὴν αὐτοῦ. Attachant à la vigne son ânon et au cep l’ânon de son ânesse, il lavera dans le vin son vêtement et dans le sang de la grappe son habit.

Dans ce verset, le TM a lu deux verbes, ‫( אסרי‬qal, participe présent avec un yod paragogique76, attachant) et ‫( כבס‬piel, il a lavé) auxquels 73 74 75 76

M. HARL 1986, 308. E. TOV 2015, 496. Cf. J.D. MACCHI 1999, 110. P. JOÜON 1987, §93, 226.

TRADUCTION ET CRITIQUE TEXTUELLE DE GN 38 ET GN 49

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sont liés deux parallélismes : ‫ לגפן עירה‬// ‫ ביין לבשו ; לשרקה בני אתנו‬// ‫בדם־ענבים סותה‬, ainsi que le rythme donné par le qeré massorétique : ‫ ֹה‬-/‫ וֹ‬-/‫ וֹ‬-/‫ ֹה‬-. Le Smr lit ‫ עירו‬pour ‫עירה‬. La LXX a gardé le parallèle en employant deux fois le même mot τὸν πῶλον αὐτοῦ // τὸν πῶλον τῆς ὄνου αὐτοῦ. Elle a employé le verbe πλυνεῖ (futur indicatif, il lavera) qui s’accorde mieux au v.10, les deux versets 10 et 11 étant au futur. Le Smr a ‫אסורי‬, au qal passif, au lieu de ‫אסרי‬, et peut être traduit par « attachés ». Cette différence n’affecte pas la compréhension du verset. Le Smr a l’écriture pleine ‫לבושו‬. Au lieu de mettre ‫ סותה‬du TM, le Smr a ‫כסותו‬, une autre forme de ‫סותה‬. L’emploi du ‫ כסותה‬met en valeur la racine ‫( כסה‬couvrir) qui décrit bien le sens du vêtement. En résumé, pour l’image de l’âne, la LXX a choisi la répétition du mot πῶλος comme au v.10 avec l’image du lion. L’emploi du πλυνεῖ corrige l’incohérence du temps dans le TM et celui du Smr. TM (Smr)

A(B)

:‫ ולבן־שנים מחלב‬b ‫ חכלילי )חכלילו( עינים מיין‬12a Ses yeux sont plus sombres que le vin et ses dents plus blanches que le lait. 12 χαροποιοὶ οἱ ὀφθαλμοὶ αὐτοῦ ἀπὸ οἴνου (ὑπὲρ οἶνον), καὶ λευκοὶ οἱ ὀδόντες αὐτοῦ ἢ γάλα. Ses yeux sont brillants à cause du vin (plus que le vin), et ses dents, plus blanches que le lait.

Le TM emploie le mot ‫ חכליל‬pour décrire les yeux de couleur foncée, leçon retenue par la Vg et le Syr. Certains manuscrits grecs ont le mot χαροποί (adjectif nominatif pluriel masculin) qui peut avoir un double sens : « féroce » ou « ambré ». La majorité des manuscrits grecs ont retenu la leçon avec χαροποιοί (adjectif nominatif pluriel masculin) « joyeux ». En effet, l’emploi de χαροποί (ambrés) est beaucoup plus proche du TM ; en revanche, la leçon avec χαροποιοί (joyeux) est plutôt une interprétation facile du TM, dont les Targums ont également leur interprétation : le TgN (‫ייאיין עיינוי‬, ses beaux yeux), le TgPJ (‫יאיין הינון עינוי‬, ses yeux sont beaux) et le TgF (‫יאיין אינין עיינוי‬, ses yeux sont beaux) décrivent la beauté des yeux. Les deux ‫ מן‬sont représentés respectivement dans A et B par « ἀπὸ οἴνου » (à cause du vin, A) et « ὑπὲρ οἶνον » (plus que le vin, B). A aurait voulu relier le vin et l’effet sur les yeux, B est plus proche du TM. Dans la suite du verset, la LXX construit la phrase avec λευκοί (adjectif nominatif pluriel masculin) qui donne le sens de « brillants ou lumineux ». Mais le TM se centre sur la blancheur des dents avec ‫לבן‬.

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CHAPITRE II

Le TM et le Smr maintiennent un parallèle entre 12a et 12b. Ce parallélisme disparaît dans la LXX qui vise plutôt à rendre le verset plus accessible et descriptif. Les témoins textuels χαροποιοί et χαροποί, ἀπὸ οἴνου et ὑπὲρ οἶνον montrent déjà une évolution à l’intérieur de la LXX : χαροποί et ὑπὲρ οἶνον sont plus fidèles au TM ; en revanche, χαροποιοί et ἀπὸ οἴνου qui semblent plus tardifs sont plus explicites. Ces traces laissent entrevoir comment les traductions grecques s’écartent du TM et du Smr. 2.5. Zabulon : v.13 TM (Smr)

A=B

:‫ זבולן לחוף ימים ישכן והוא לחוף אניות וירכתו )עד( על־צידן‬13 Zabulon demeure au rivage des mers. Et il a des bateaux au rivage et ses confins [touchent] (jusqu’au) Sidon. 13 Ζαβουλὼν παράλιος κατοικήσει, καὶ αὐτὸς παρʼ ὅρμον πλοίων, καὶ παρατενεῖ ἕως Σιδῶνος. Zabulon habitera au bord de la mer, et il sera près du mouillage des bateaux et s’étendra jusqu’à Sidon.

Le mot ‫( וירכתו‬le nom ‫ ירך‬au singulier féminin) est traduit par « ses confins », donc il n’y a pas de verbe dans le stique ‫וירכתו על־צידן‬. Mais la LXX emploie le mot παρατενεῖ (au futur) qui peut être traduit par « s’étendra ». De ce fait, l’option retenue est une phrase verbale respectant la syntaxe grecque puisque la phrase nominale n’existe pas dans cette dernière. Donc la LXX a rendu visible ce qui est sous-entendu dans le TM. Le TM dit ‫על‬. Certains manuscrits du TgO soutiennent également cette leçon. Mais la plupart des manuscrits ont suivi la correction des Massorètes, remplaçant ‫( על‬sur) par ‫( עד‬jusqu’à). Le Smr, la LXX, la Vg, le Syr, les Targums ont suivi cette correction du TM. 2.6. Issachar : vv.14-15 TM (Smr)

A=B

:(‫ יששכר חמר גרם )חמור גרים( רבץ בין המשפתים )המשפחתים‬14 Issachar est un âne corpulent qui se couche entre les deux sacs de bât (les familles). 14 Ἰσσαχὰρ τὸ καλὸν ἐπεθύμησεν, ἀναπαυόμενος ἀνὰ μέσον τῶν κλήρων· Issachar a désiré le bien, reposant au milieu des parts d’héritage.

v.14a : Notons une grande différence entre les témoins textuels au début du verset. Le TM a ‫( חמר גרם‬un âne corpulent). Cette leçon est retenue

TRADUCTION ET CRITIQUE TEXTUELLE DE GN 38 ET GN 49

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par α’ et la Vg. BDB explique que c’est une description assez positive pour désigner la force. Le Smr a ‫חמור גרים‬, le mot ‫ חמור‬en écriture pleine de ‫חמר‬. La LXX décrit Issachar τὸ καλὸν ἐπεθύμησεν « a désiré le bien (ou le beau) ». Tov propose une explication de cette importante différence entre le TM et la LXX77 : – la compréhension de ‫ גרם‬pose un problème. Il est possible que la LXX ait lu ‫( גרם‬corpulent) comme le verbe ‫( גרס‬désirer, cf. Ps 119,20 ; Lm 3,16) ; – il est également possible que le mot ‫ חמר‬ait été lu ‫( ֶח ֶמד‬beauté), de ‫חמד‬ (désirer) par la LXX. En effet, le mem (‫ )מ‬et le samekh (‫ )ס‬sont des lettres qui se ressemblent et qu’un scribe a pu facilement confondre, comme pour le reš (‫ )ר‬et le daleth (‫)ד‬. Selon la suggestion de Tov, il est probable que la LXX avait ‫ חמר גרם‬comme sa Vorlage, mais celui-ci est lu comme ‫( חמד גרס‬il a désiré la beauté). Pourtant, il est également possible que la LXX soit témoin d’une Vorlage différente du TM. En effet, le TgO lit ‫( עתיר בנכסין‬riche en possessions). Les TgN-F témoignent de la même leçon avec ‫( שבט תקיף‬tribu puissante), rejoignant le TM au sujet de la force d’Issachar. Le TgPJ explicite en ces termes : ‫( לשבט תקיף ידע כווני בזימניא‬il est une tribu forte, connaissant les déterminations des temps). Tous ces témoins sont unanimes pour décrire positivement Issachar. v.14b : Le TM a l’expression ‫( בין המשפתים‬entre deux sacs de bât). Le Smr dit ‫( בין המשפחתים‬entre les familles). Tal dans la BHQ considère que la leçon retenue par le Smr est celle qui est la plus facile au niveau lexical. La Bible d’Alexandrie a essayé de donner une interprétation en signalant que « L’expression est généralement comprise comme illustrant les corvées que subit Issakhar78 ». En revanche, la LXX a ἀνὰ μέσον τῶν κλήρων (au milieu des parts d’héritage). La même expression, ‫בין‬ ‫המשפתים‬, se trouve en Jg 5,16 (le Cantique de Débora) que la LXX a traduite par ἀνὰ μέσον τῆς διγομίας (au milieu des doubles fardeaux). Mais au Ps 68,14, elle a traduit ‫ בין שפתים‬par ἀνὰ μέσον τῶν κλήρων (au milieu des parts d’héritage), cet aménagement ayant le même sens qu’en Gn 49,14. Ces occurrences tendent à confirmer que la LXX a délibérément choisi le sens d’« héritage ». 77 78

Cf. E. TOV 2015, 497. M. HARL 1986, 310.

96

CHAPITRE II

Toutefois le sens du mot ‫ משפת‬n’est pas clair : BDB propose le sens de « campements d’une tribu » qui peut être compris comme « héritage ». La LXX a peut-être essayé de rendre compte de ce sens en retenant τῶν κλήρων. L’image de l’âne n’est pas attestée dans la LXX ; dès lors on comprend le choix délibéré du sens d’« héritage » pour traduire ‫משׁפת‬. DBL Hebrew suggère trois sens : « les selles/bâts », « feux de camps », ou « bergerie ». Cette dernière proposition peut être reliée avec un territoire qui pourrait représenter un héritage. La signification de « territoire » est rendue par le TgN (‫רביע ביני תרין תחומיי׳‬, elle est étendue entre deux territoires), le TgO (‫בין תחומיא‬, entre deux territoires), le TgPJ (‫ביני תחומי אחוי‬, entre les territoires de ses frères) et la Vg (terminos, frontière). Le σ’ témoigne de la même leçon avec τῶν γειτονιων (les quartiers). DCH le traduit avec quatre sens possibles : « cheminée », « sacoches », « double paroi » ou « pâturages ». La LXX et les autres témoins textuels (les Targums, la Vg, le σ’) s’écartent du TM pour rendre la dimension de l’esclavage dans un sens plus positif. TM (Smr)

A=B

‫ וירא מנחה )מנוחה( כי טוב )טובה( ואת־הארץ כי נעמה ויט שכמו לסבל‬15 :‫ויהי למס־עבד‬ Il a vu que le repos était bon, que le pays était agréable. Il a tendu son épaule pour porter, et il devint une corvée d’esclave. 15 καὶ ἰδὼν τὴν ἀνάπαυσιν ὅτι καλή, καὶ τὴν γῆν ὅτι πίων ὑπέθηκεν τὸν ὦμον αὐτοῦ εἰς τὸ πονεῖν, καὶ ἐγενήθη ἀνὴρ γεωργός. Et voyant que le repos était bon et que la terre était grasse, il a soumis son épaule pour porter, et il est devenu un homme cultivateur.

Le TM a ‫וירא מנחה כי טוב‬. Le Smr lit ‫וירא מנוחה כי טובה‬. Eiβfeldt dans la BHS appuie ‫טובה‬, la leçon du Smr. En effet, le mot ‫ מנחה‬est au féminin singulier ; il est possible que le Smr ait opéré une correction grammaticale sur le TM, et les autres témoins textuels, la LXX, la Vg, le Syr et les Targums, le genre reste indéterminé. Puis, le TM et le Smr désignent la terre ‫ואת־הארץ כי נעמה‬. Habituellement ‫ נעמה‬est traduit par « plaisant ou agréable ». Mais la LXX a τὴν γῆν ὅτι πίων qui évoque « la terre grasse/fertile ». Le même terme se trouve également dans la bénédiction d’Isaac à Jacob en Gn 27,28 [τῆς πιότητος τῆς γῆς, les terres grasses, (en hébreu ‫שמן‬, gras)] et l’installation de la tribu de Siméon en 1 Ch 4,40 [νομὰς πίονας καὶ ἀγαθάς, bons et gras pâturages, (en hébreu ‫שמן‬, gras)]. Ici, c’est l’unique occurrence où le mot ‫ נעם‬est rendu par πίων en ce sens. La LXX a rendu le sens « agréable » plus concret en lui substituant « gras/fertile ».

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97

À la fin, le TM et le Smr ont ‫( למס־עבד‬la corvée d’esclave), et α’ partage le même sens par εις φορον δουλευων (devenu une corvée des esclaves). À l’inverse, la LXX décrit Issachar comme ἀνὴρ γεωργός (l’homme cultivateur) ce qui donne un sens positif. Comme le début du verset parle de la fertilité de la terre, il est cohérent de dire qu’il a été soumis à la peine et est devenu l’homme cultivateur (cf. Gn 3,17-18). Le TM voulait-il désigner un fait historique en parlant de « la corvée d’esclave » ? La LXX est plus cohérente que le TM. L’aspect esclavage de ce dernier est atténué dans la LXX. L’analyse littéraire montrera de quel esclavage il s’agit dans le TM. Ces remarques conduisent à deux conclusions possibles : soit la LXX a voulu harmoniser ce verset en donnant une traduction possible pour ‫ ; עבד‬soit elle est témoin d’une Vorlage différente, moins probable. 2.7. Dan : vv.16-18 TM = Smr A(B)

:‫ דן ידין עמו כאחד שבטי ישראל‬16 Dan jugera son peuple comme une seule, les tribus d’Israël. 16 Δαν κρινεῖ τὸν λαὸν αυτοῦ (ἑαυτοῦ λαόν) ὡσεὶ καὶ μία φυλὴ ἐν Ισραηλ. Dan jugera (lui-même) son (le) peuple comme une seule tribu en Israël.

A a λαον αυτου (son peuple) à la place de ἑαυτοῦ λαόν (lui-même le peuple) en B, mais cette différence n’affecte pas le sens du texte. Une différence de construction affecte ce verset : le TM et le Smr évoquent ‫שבטי‬ (les tribus) au pluriel, en revanche la LXX parle de μία φυλὴ (une tribu) au singulier. La LXX souligne bien l’unité des tribus en traduisant ‫כאחד‬ par ὡσεὶ καὶ μία (comme une seule). TM (Smr) ‫ )יהיה( יהי־דן נחש עלי דרך שפיפן )שפפון( עלי ארח הנשך עקבי סוס‬17 :‫ויפל רכבו אחור‬ Que Dan soit (Dan sera) un serpent sur le chemin, une vipère (en embuscade) sur le sentier, qui mord les talons du cheval, et son cavalier tombera en arrière. 17 A(B) καὶ εγενηθή τω (γενηθήτω) Δαν ὄφις ἐφʼ ὁδοῦ ἐγκαθήμενος ἐπὶ τρίβου, δάκνων πτέρναν ἵππου, καὶ πεσεῖται ὁ ἱππεὺς εἰς τὰ ὀπίσω. et que Dan devienne un serpent sur le chemin, en embuscade sur le sentier, qui mord les talons du cheval et son cavalier tombera à la renverse.

Le TM a ‫( יהי‬jussif singulier) au début du verset. Le Smr a ‫( יהיה‬l’inaccompli, il sera). A a εγενηθή τω au lieu de γενηθήτω en B. Cela peut

98

CHAPITRE II

résulter de la compréhension du scribe qui considère γενηθήτω en deux mots en mettant un ε au début du γενηθή. εγενηθή est l’impératif aoriste de la 3ème personne du singulier de γινομαι (devenir). τω est l’article au datif, mais il s’accorde difficilement avec le mot suivant, la tribu de Dan (Δὰν), sauf si l’auteur a voulu souligner le rôle particulier de Dan. Cette différence est mineure et ne change pas le sens du texte. Le mot ‫ שפיפן‬fait problème. Le TM met respectivement ‫ נחש‬et ‫שפיפן‬ et ‫ עלי־דרך‬et ‫ עלי־ארח‬en parallèle, demandant à considérer ‫ שפיפן‬comme un animal rampant comme le serpent, de même la Vg et le Syr. En revanche, le Smr a ‫( שפפון‬en embuscade) comme dans la LXX, ἐγκαθήμενος (en embuscade). Tov émet l’hypothèse que la LXX se fonde sur l’étymologie du verbe ‫( שוף‬écraser) en Gn 3,1579 (‫תשופנו עקב‬, tu l’écraseras au talon). Cette suggestion est admissible puisque le même mot ‫( עקב‬talon) va apparaître en Gn 49,17b. Tov soutient l’idée de Spurrell80 supposant que le traducteur de la LXX ne connaît pas le mot ‫ שפיפן‬et a effectué un travail d’harmonisation. Aussi Tal dans la BHQ estime que ces variantes du Smr et de la LXX relèvent de la liberté syntaxique. Le parallélisme présent dans le TM, ‫ נחש עלי־דרך‬// ‫ שפיפן עלי־אר‬n’est pas attesté dans la LXX ni le Smr. Ces deux derniers s’écartent du TM. Le TgO fusionne les deux leçons, celle du TM et celle de la LXX et du Smr, en disant ‫וכפתנא יכמון‬ (et comme la vipère qui est en embuscade). TM=Smr A=B

18

:‫ לישועתך קויתי יהוה‬18 τὴν σωτηρίαν περιμένων Κυρίου.

En ton salut j’ai espéré, YHWH. Attendant le salut du Seigneur.

Le TM a ‫( לישועתך‬en ton salut) au début du verset. Cette leçon est retenue également par le Smr, le Syr, les Targums, un manuscrit de la VL et le TgO. En revanche, la LXX dit τὴν σωτηρίαν (le salut, accusatif dépendant du participe). Selon le TM, il s’agit plutôt d’une acclamation personnelle de Jacob : ‫( קויתי‬1ère personne du singulier, j’ai espéré). Le Smr, la Vg, le Syr ont retenu la même leçon. La LXX exprime l’attente de Dan περιμένων (participe présent, attendant). La LXX harmonise quelque peu le passage avec le contexte littéraire, puisque les vv.16-17 se concentrent sur Dan. L’édition de Rahlfs porte une note spéciale concernant « περιμένω » (j’attends) disant que cette modification est le résultat du travail personnel de Rahlfs81 en vue de garder la même version que le TM. Il est 79

Cf. E. TOV 2015, 498. G.J. SPURRELL 1887, 347. L’auteur écrit : « The LXX, not understanding the word ‫שׁ ִפיפֹן‬, ְ renders it, in harmony with the context, ἐγκαθήμενος ». Bartusch exprime la même idée : « apparently the LXX translator did not know this hapax legomenon ». M.W. BARTUSCH 2003, 39. 81 Cf. A. RAHLFS 2006, 83. Note du v.18. 80

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peu probable que la LXX se fonde sur une Vorlage différente du TM ; il est vraisemblable que la LXX s’en écarte délibérément pour rendre le verset plus lisible et cohérent avec les vv.16-17 en mettant la 3ème personne au singulier par facilitation syntaxique. 2.8. Gad : v.19 TM (Smr)

A=B

:‫ גד גדוד יגודנו )יגידנו( והוא יגד )יגיד( עקב‬19 Gad, une troupe s’attroupera contre lui, mais lui il l’atteindra au talon. 19 Γάδ, πειρατήριον πειρατεύσει αὐτόν· αὐτὸς δὲ πειρατεύσει αὐτῶν κατὰ πόδας. Gad, une bande des pillards le pillera, mais lui les pillera pied à pied.

La LXX a retenu la même leçon que le TM (‫ )גדוד יגודנו‬en employant πειρατήριον πειρατεύσει αὐτόν. En revanche, le Smr dit ‫גדוד יגידנו‬, et Tal dans la BHQ interprète cette leçon du Smr comme une facilitation lexicale, mais l’écriture de ‫ ו‬et de ‫ י‬peut prêter à confusion. D’ailleurs, α’ a ευζωνος ευζωνηει (il a été assailli pour se battre), même leçon retenue par la Vg, le Syr et les Targums. Cette variante n’affecte pas le sens du v.19a. La Vg a accingetur (se sera préparé). La LXX emploie le même mot πειρατεύσει (pillera) en 19b comme au v.19a. Le sens de combat est retenu par tous ces témoins. À la fin du verset, le TM et le Smr emploient le mot ‫( עקב‬talon), de même la Vg et la LXX. Cette dernière termine par κατὰ πόδας littéralement « pied à pied » que la Bible d’Alexandrie rend par « sans retard »82. Le talon ‫ עקב‬est au pluriel dans la LXX, car il est plus cohérent d’utiliser le mot πούς au pluriel. L’analyse du verset suivant montrera comment a pu s’effectuer la mise en cohérence de ‫ עקבים‬du texte hébraïque, la Vorlage de la LXX. 2.9. Aser : v.20 TM (Smr) A=B

:‫ מאשר שמנה )שמן( לחמו והוא יתן מעדני מלך‬20 (D’) Asher, gras est son pain, et lui il fera des gâteaux royaux83. 20 Ἀσήρ, πίων αὐτοῦ ὁ ἄρτος, καὶ αὐτὸς δώσει τροφὴν ἄρχουσιν. Asher, son pain est gras, et lui, il donnera la nourriture aux chefs.

Le TM et le Smr commencent par la préposition ‫ מ‬qui n’a pas de témoin dans la LXX, ni dans la Vg et le Syr. Gewirtz remarque que cette 82 83

M. HARL 1986, 310. S. GEWIRTZ 1987, 154-163.

100

CHAPITRE II

préposition est unique devant le nom de tribu84. À la fin du v.19, le TM lit ‫( עקב‬le talon) au singulier, alors que la LXX l’a au pluriel. Il est très probable que ‫ מ‬est la fin du v.19 pour rendre « talons » (au pluriel). Gewirtz suggère donc que les vv.19-20 ont subi une coupure erronée85 après la traduction de la LXX. Le TM a ‫[ שמנה לחמו‬gras (est) son pain] comme le Smr (‫)שמן לחמו‬, la LXX (πίων αὐτοῦ ὁ ἄρτος) et la Vg (pinguis panis ejus). Le TgN témoigne de cette leçon par ‫( מה שמינין אינון פירי ארעכון‬comme sont gras les fruits de votre terre). Le TgPJ lit ‫( מן שמינין הינון פירוי‬combien sont gras ses fruits), mais le TgO a ‫( טבא ארעיה‬sa terre sera bonne). À la fin du verset, le TM et le Smr ont ‫( מעדני־מלך‬gâteaux de roi). En revanche, A et B ont τροφήν ἄρχουσιν (la nourriture aux chefs) 86. Selon la reconstruction du Puech, 4Q252 a ‫והוא[ יתן מעדני י]בול הארץ‬/‫( אשר‬Asher/ lui] il donnera les délices des pro[duits du pays), ajoutant « les produits du pays »87. Ces variantes ne changent pas l’essentiel du verset : Aser fournit le produit de la terre aux personnages importants. La LXX lit le pluriel des destinataires, dans la logique du v.10. 2.10. Nephtali : v.21 TM (Smr)

:(‫ נפתלי אילה שלחה הנתן אמרי־שפר )שופר‬21 Nephtali est une biche agile qui donne de beaux faons89. 88

84

Cf. S. GEWIRTZ 1987, 154. Cf. S. GEWIRTZ 1987, 155. 86 Un seul manuscrit du B a τρυφὴν ἄρχουσιν (le délice aux chefs). Cette différence ne change pas le fond du texte. 87 Puech donne deux possibilités de ce « pays » : dans le contexte de Gn 49,20, « les produits du pays (de Canaan) » s’accordent bien avec ‫מעדני‬. Mais se référant à l’expression en Gn 49,15, il est en faveur de l’interprétation selon laquelle c’est « le pays d’Israël ou celui de Juda », cf. E. PUECH 2013, 246. 88 Il y a plusieurs versions du nom Nephtali. La LXX Swete emploie « Νεφθαλεί », Rahlfs est très proche de la prononciation du TM en mettant « Νεφθαλι », et A prend la version de « Νεφθαλείμ ». Ces différentes nominations désignent en réalité la même personne, Nephtali ; peut-être sont-elles le résultat de différentes modalités de prononciation. 89 Gewirtz a fait une étude particulière de ce verset en comparant avec l’akkadien et l’ugaritique. Il considère que ‫ אילה‬est lié plutôt avec les « hauts lieux », et il penche donc en faveur de la traduction de ce mot par « mouton de la montagne » (p. 514). Il compare le mot ‫ שלחה‬à šlh en ugaritique qui pourrait signifier « est né ». Il suggère de lire le mot ‫אמרי‬ en immérou (mouton ou agneau) en akkadien et immerä en araméen (p. 515). L’auteur pense que le sens du mot ‫ שפר‬est incertain et propose de lire ‫ אמרי־שפר‬par imr spr en ugaritique et immir supuri en akkadien (p. 517). Selon son analyse, le verset pourrait être traduit « Nephtali est né d’une brebis de montagne qui donne naissance à des agneaux du bercail ». Gewirtz termine sa recherche : « Rather than singing the praises of Nephtali, the author appears to register his disappoinent with the tribe. He contrasts Naphtah’s freeborn status of 85

TRADUCTION ET CRITIQUE TEXTUELLE DE GN 38 ET GN 49

A≈B

101

Νεφθαλεί, στέλεχος ἀνειμένον, ἐπιδιδοὺς ἐν τῷ γενήματι κάλλος. Nephtali, un tronc exubérant, qui livre de la beauté par son fruit (= un bon fruit) 21

Le TM et le Smr donnent l’image animale d’« une biche agile » (‫אילה‬ ‫)שלחה‬, de même la Vg et α’. La LXX emploie στέλεχος ἀνειμένον qui décrit une image végétale : « un tronc desserré » qui donne un fruit (γενήματι, datif). Le TgO a compris ‫( בארע טבא יתרמי עדביה‬son sort sera jeté sur un bon pays). Les TgN-PJ interprètent la leçon du TM et du Smr, ‫אזגד‬ ‫( קליל‬un messager rapide), qui rend « léger ». L’hébreu ‫ אילה‬peut désigner un arbre, par exemple, ‫( ֵא ָלה‬arbre massif) et ‫( ַאיִ ל‬arbre puissant). Il est donc possible que la LXX ait compris ‫ אילה‬en traduisant par « στέλεχος ». Macchi suggère une autre hypothèse : il remarque que « la LXX ne traduit jamais ‫ ֵא ָלה‬par στέλεχος, ce qui pourrait faire penser qu’elle disposait d’un texte différent du TM90 ». Cette explication est plausible, puisque les nombreuses divergences entre le TM et la LXX dans ce verset autoriseraient cette proposition. Dans ce cas, la LXX comprend ‫אילה‬ comme une métaphore végétale, ou elle témoigne d’une Vorlage différente. En outre, l’usage du mot ἀνειμένον (participe parfait du nominatif singulier, desserré) n’apparaît que deux fois dans la LXX pour rendre la racine ‫שלח‬, ici et en Is 27,10. Is 27,10 évoque la ville « délaissée », et le mot ἀνειμένον est employé au sens négatif. Mais Gn 49,21 parle positivement de Nephtali, ce qui impose de retenir la traduction proposée par la Bible d’Alexandrie pour la version grecque : « tronc exubérant »91 . Le TM a ‫אמרי־שפר‬. La même leçon est retenue par la Vg et le Syr. Le Smr dit ‫אמרי שופר‬. En revanche, la LXX emploie ἐν τῷ γενήματι κάλλος. Le TgO a ‫( יהון מודן ומברכין עליהון‬que soient des actions de grâce et bénissent à leurs sujets). Les TgN-PJ ont la même leçon : Nephtali annonce « des bonnes nouvelles » (‫)בשורן טבן‬. À part la LXX et les TM-Smr, Nephtali est décrit en lien avec « la parole » (‫)א ֶמר‬. ֵ Macchi propose de lire ‫ אמרי‬par *‫( ִא ֵמּר‬agneau) en traduisant le v.21b par « celle qui donne de beaux agneaux (ou faons) »92. Les Targums soulignent l’importance de la parole parce qu’ils ignorent l’homophone de la racine ‫אמרי‬. Et une biche engendre des faons (non des agneaux). On retient la leçon proposée par Tal dans la BHQ pour notre traduction. a former time, perhaps reflected in Judges 4–5, with its current “domestication” – presumably its political subservience in the period of the poet » (p. 520), cf. S. GEWIRTZ 1984, 513-521. 90 J.D. MACCHI 1999, 174. 91 M. HARL 1986, 310. 92 Cf. J.D. MACCHI 1999, 177.

102

CHAPITRE II

Tov formule une hypothèse pour résoudre la différence de traduction dans la LXX93. Sans doute, le mot κάλλος peut traduire ‫שפר‬, mais se pose la question des autres mots grecs. Il suppose un mot ‫פרי‬-‫ ב‬qui ne remonte pas à ‫ אמרי‬du TM pour appuyer la version de la LXX ἐν (‫ )ב‬τῷ γενήματι (‫)פרי‬. Il poursuit l’hypothèse sous-jacente de ‫פרי‬-‫ א‬en araméen, puisque ‫א‬ prosthétique représente la préposition ‫על‬. Il faut alors imaginer une faute de copiste remplaçant ‫ אפרי‬par ‫אמרי‬, puisqu’il est possible de confondre ‫ פ‬avec ‫מ‬. La LXX aurait ‫פרי שׁפר‬-‫ א‬ou ‫פרי שׁפר‬-‫ ב‬comme Vorlage. Ce sont des explications possibles de la grande divergence entre le TM et la LXX. Toutefois les deux grands témoins textuels ont pu se fonder sur deux Vorlagen hébraïques différentes. Ces variantes textuelles n’enlèvent rien à la présentation positive de Nephtali94. 2.11. Joseph : vv.22-26 TM (Smr)

A(B)

:‫ בן פרת יוסף בן פרת עלי עין בנות צעדה )בני צעירי( עלי שור‬22 Joseph est le rejeton d’une plante fructifère, le rejeton d’une plante fructifère près d’une source, dont les rejets franchissent (mon jeune rejeton) par-dessus la muraille. 22 Υἱὸς ηὐξημένος Ἰωσήφ, υἱὸς ηὐξημένος ζηλωτός (μου ζηλωτός) υἱός μου νεώτατος, πρὸς μὲ ἀνάστρεψον. Fils qui a grandi, Joseph, fils qui a grandi, objet de jalousie (ma jalousie), mon fils le plus jeune, tourne-toi vers moi.

Le TM et le Smr offrent l’image de Joseph comme le rejeton d’une plante ‫ בן פרת‬à deux reprises. Cette image n’a pas été attestée dans la LXX. Cette dernière emploie le verbe ηὐξημένος (participe parfait singulier) traduit par « il a grandi ». Concernant le premier emploi de ηὐξημένος, cette leçon est retenue par la Vg, le Syr, et les TgPJ-N-F. Le TgO a ‫ברי דאתברך כגופן‬ (mon fils qui est béni comme une vigne). Cela est proche des nombreuses bénédictions qui seront prononcées au sujet de Joseph. Eiβfeldt dans la BHS suggère de supprimer le début de ce verset ‫בן פרת‬, puis de lire ‫בן‬ ‫ פרת‬comme ‫ן־פּ ָרה‬ ַ ‫( ֶבּ‬litt., un fils qui a poussé) comme « un fils qui a grandi », et se rapproche ainsi de la LXX. En effet, en Gn 1,22, la racine 93

Cf. E. TOV 2015, 499. Hillel a étudié ce verset en regard des traditions non-bibliques. Il utilise 4 sources : 4Q Testament de Nephtali, le Testament grec de Nephtali, le Testament hébreu médiéval de Nephtali et Midrash bereshit rabbati. Après un travail de comparaison entre Nephtali et Joseph, il montre les nombreux points communs entre les deux figures. Il conclut que Nephtali est le proto-Joseph. Il faut noter que cette conclusion tirée des traditions non-bibliques tardives reste toujours fragile, cf. V. HILLEL 2007, 171-201. 94

TRADUCTION ET CRITIQUE TEXTUELLE DE GN 38 ET GN 49

103

‫ פרה‬n’est pas lue comme « fructueux » mais traduite par αὐξάνω (grandir) comme dans le présent verset. La LXX n’a pas pris en considération la métaphore donnée par le TM pour rendre compte de l’évolution du personnage de Joseph dans le récit (Gn 37–50). L’analyse littéraire permettra d’évaluer cette métaphore sur Joseph. Puis le TM et le Smr ont ‫( עלי־עין‬près d’une source). Les Targums conservent également le sens de « la source ». La Vg a et decorus aspectu (et au regard convenable) correspondant à la beauté de Joseph en Gn 39,6b. A lit ζηλωτός (jaloux), et la Bible d’Alexandrie l’interprète par « objet de jalousie »95 . Le pronom « μου » est employé après le deuxième ηὐξημένος en B. Le mot ζηλωτός n’a que deux occurrences dans la LXX, Gn 49,22 et Ex 34,14. La dernière évoque un Dieu jaloux, et le mot ζηλωτός rend ‫ קנא‬hébreu, mais absent dans ce verset. La LXX diffère du TM proposant un lien avec la jalousie des frères en Gn 37, la femme de Potiphar le trouve désirable en Gn 39. Ensuite, le TM a ‫( בנות צעדה‬litt. les rejets ont franchi). Cette leçon est retenue par la Vg (filiæ discurrerunt), le TgN (‫ועוברתא שלחת לרומה‬, et les rameaux elle s’étend vers le haut) et le TgPJ (‫דשלחת שורשהא‬, qui étend ses racines). En revanche, le Smr lit ‫( בני צעירי‬mon jeune rejeton), comme la LXX (υἱός μου νεώτατος), mais au superlatif, ayant cette même Vorlage (confusion possible entre dalet-resh à l’origine de la variante). Bien que les autres témoins textuels insistent sur le sens de « rejet », il est probable que la LXX avait ‫ בני צעירי‬comme Vorlage avec le Smr. Même si Joseph n’est pas le plus jeune fils de Jacob, il jouit plus que les autres de la faveur de son père (cf. Gn 37,2b). Enfin, le TM et le Smr ont ‫( עלי־שור‬par-dessus la muraille). La Vg témoigne de la même leçon par super murum. Les TgN-PJ ont la même leçon : ‫( ופכרת שיני כיפיא‬et passe au travers de la morsure des roches96). En revanche, le TgO évoque l’avenir des deux fils de Joseph par ‫יקבלון חולקא‬ ‫( ואחסנתא‬ils recevront la part de l’héritage). La LXX utilise l’impératif en πρὸς μὲ ἀνάστρεψον (vers moi, tourne-toi), comme si le dernier mot en hébreu était ‫ שׁוב‬au lieu de ‫שׁור‬, la plus importante variante du verset. La LXX tend à se rapprocher du contexte littéraire du cycle de Joseph, renvoyant à l’ensemble du récit où Jacob descend pour rejoindre Joseph qui va sortir d’Égypte pour retourner à Canaan en Gn 50 et en Ex. En définitive, la LXX utilise des allusions intra-bibliques pour éclairer le passage. 95 96

M. HARL 1986, 312. Traduction de R. Le DEAUT 1981, 444.

104 TM (Smr)

A=B

CHAPITRE II

:‫ וימררהו ורבו )ויריבהו( וישטמהו בעלי חצים‬23 Et l’ont provoqué, et ont tiré (et l’ont disputé), et l’ont pris en aversion les maîtres des flèches97. 23 εἰς ὃν διαβουλευόμενοι ἐλοιδόρουν, καὶ ἐνεῖχον αὐτῷ κύριοι τοξευμάτων· Envers lui qu’ils délibéraient des complots, ils l’insultaient, et ils lui en voulaient, les seigneurs des flèches.

Le TM et le Smr ouvrent le verset par le mot ‫( וימררהו‬et ils l’ont provoqué), leçon retenue dans la Vg par sed exasperaverunt eum, et le TgO ‫( ואתמררו‬et ils agirent amèrement contre lui) pour exprimer la provocation de la part de ses ennemis. Le TgN explique cette amertume en disant qu’elle vient de la querelle : ‫( אמרו לקבליה‬ils lui ont cherché querelle), mais il l’impute aux sorciers égyptiens (‫ )כל חרשהון דמצראי‬qui n’apparaissent pas dans le cycle de Joseph, mais en Ex 7,11. La LXX a εἰς ὃν διαβουλευόμενοι (envers lui qu’ils développaient des complots), plus explicite en référence à Gn 37. Puis, le TM a ‫( ורבו‬et l’ont tiré). Le Smr lit ‫( ויריבהו‬et ils l’ont disputé), en référence à Gn 37,4 où les frères de Joseph ne peuvent pas parler paisiblement avec lui. Cette leçon est retenue par la Vg (et jurgati sunt) et le TgPJ écrivant ‫( ואוף אכלו‬et même ils ont disputé). La LXX va dans le même sens ἐλοιδόρουν (ils insultaient), ἐλοιδόρουν suppose la lecture ‫ריב‬ (disputer) du Smr. Le TgO explique l’affaire par ‫( ונקמוהי‬ils se vengeaient de lui). Tous les témoins textuels renvoient à Gn 37. Il est probable que le Smr et la LXX ont la lecture originale que le TM n’a pas reconnue avec l’orthographe défective ‫ ורבו‬pour ‫וריבו‬. TM (Smr) ‫ ותשב באיתן קשתו ויפזו זרעי )זרועי( ידיו מידי אביר יעקב משם רעה אבן‬24 :‫ישראל‬ Et son arc est demeuré dans la fermeté, et les bras de ses mains ont été agiles. Par les mains du Puissant de Jacob, par-là le Pasteur, la Pierre d’Israël. 24 καὶ συνετρίβη μετὰ κράτους τὰ τόξα αὐτῶν, καὶ ἐξελύθη τὰ νεῦρα A(B) βραχιόνων χειρῶν (χειρὸς) αὐτῶν διὰ χεῖρα δυνάστου Ιακωβ, ἐκεῖθεν ὁ κατισχύσας Ισραηλ. et leurs arcs furent brisés avec force, et les nerfs de leurs avant-bras se détendirent, par la main du Puissant de Jacob98, dès lors il est celui qui a fortifié Israël. 97 Gewirtz considère que l’expression ‫( בעלי חצים‬maîtres des flèches) est typiquement celle que nous appelons « double pluriel » qui est un indice non seulement de l’hébreu biblique tardif mais aussi de l’hébreu du Nord, cf. S. GEWIRTZ 1987, 160. 98 Il existe un manuscrit d’A qui a σε ιακωβ à la place de Ἰσραήλ. En outre, χειρὸς (génitif singulier) dans B mais χειρῶν (génitif pluriel) dans A.

TRADUCTION ET CRITIQUE TEXTUELLE DE GN 38 ET GN 49

105

Le TM et le Smr ouvrent le verset par ‫( ותשב‬et est demeuré), suivi par la Vg sedit (s’asseoir). La LXX a καὶ συνετρίβη (et fut brisé). Le TgPJ a ‫( והדרת למתב‬et l’état retrouvé). Le TM et le Smr emploient ‫[ קשתו‬son arc (de Joseph)]. Mais la LXX a un pronom possessif pluriel τὰ τόξα αὐτῶν (leurs arcs) se rapportant aux arcs des ennemis, au verset précédent. Le TM et le Smr parlent de l’arc de Joseph qui est resté ferme ; la LXX les arcs brisés de ses ennemis. Tov explique cette différence99 par la lecture ‫( ותשבר‬συντρίβω) au lieu de ‫ ותשב‬par haplographie. En fait cette divergence textuelle s’explique de manière plus convaicante par le fait que la LXX suit la continuité de la logique textuelle avec le v.23 en soulignant l’action des ennemis de Joseph. Le TM et le Smr emploient ‫[ ויפזו‬qal, et ont été souples/agiles (les bras de ses mains)] pour désigner Joseph ; la LXX a καὶ ἐξελύθη (aoriste passif indicatif, et ont été détendus) au négatif pour parler des ennemis de Joseph. En effet, même si le TM, le Smr et la LXX ont deux sujets différents, ils suivent fidèlement leur logique textuelle. Sur l’expression ‫( זרעי ידיו‬les bras de ses mains100), Tov suggère une combinaison inhabituelle dans la Bible101 : la notion de « bras ». La LXX a ajouté τὰ νεῦρα (les nerfs) pour préciser l’ensemble du bras/des mains, en lisant ‫ויפזרו‬. Dans ce sens-là, la LXX apporte une précision utile à la compréhension du texte. Eiβfeldt dans la BHS propose de lire ‫ויפזו זרעי ידיו‬ comme ‫ויפזרו גידי זרעיו‬, une rétroversion de la LXX. L’expression ‫( מידי אביר יעקב‬par les mains du Puissant de Jacob) est rendue dans la LXX par διὰ χεῖρα δυνάστου Ιακωβ (par la main du Puissant de Jacob). La Bible d’Alexandrie102 a évité de traduire χεῖρα qui marque une différence mineure avec ‫ידי‬, car « la/les mains » du Seigneur désigne toujours sa puissance dans la BH. Enfin, le TM et le Smr comportent deux images concrètes sans équivalent dans la LXX. La première est ‫( ר ֶֹעה‬le berger/pasteur) du verbe ‫רעה‬ (nourrir ou paître), absente de la LXX. Pour la deuxième image, la pierre (‫)אבן‬, la LXX a employé le verbe κατισχύσας (aoriste participe, il a fortifié) qui comporte la notion de force. Eiβfeldt dans la BHS propose de lire ‫ משם רעה‬comme ‫( ִמ ֵשּׁם עֹזֵ ר‬de là vient une aide) ; ou de lire ‫ אבן‬comme ‫( ִמשּׁ ֵֹמר ֶא ֶבן‬veillant sur la Pierre). Cette proposition offre une possibilité 99

Cf. E. TOV 2015, 501. Le Smr a ‫זרועי‬, l’écriture pleine de ‫זרעי‬, et cette différence n’affecte point le sens du texte. 101 Cf. E. TOV 2015, 502. 102 La Bible d’Alexandrie a traduit par « à cause du Puissant de Jacob ». Elle interprète ici διὰ en mode causatif. Mais nous employons « par » en considérant διὰ comme un moyen dans notre traduction, cf. M. HARL 1986, 312. 100

106

CHAPITRE II

d’interprétation de ce verset dépourvue de fondement textuel. Il se pourrait que la LXX ait voulu éviter des anthropomorphismes en parlant de Dieu et ait préféré expliciter les images par son attribut : la force de Dieu. Les nombreuses différences entre la LXX et le TM montrent que la LXX s’écarte de ce dernier pour préserver la cohérence avec le v.23 qui met l’accent sur l’action des ennemis de Joseph, et pour simplifier et concrétiser l’action de Dieu. TM (Smr) ‫ מאל אביך ויעזרך ואת )ואל( שדי ויברכך ברכת שמים מעל ברכת תהום‬25 ‫רבצת תחת ברכת שדים ורחם׃‬ Par le Dieu de ton père, qu’Il te vienne en aide, et le Dieu (El) Puissant, et qu’Il te bénisse ! De bénédictions des cieux d’en haut, de bénédictions de l’abîme étendu en dessous, de bénédictions des seins et du ventre. 25 A=B παρὰ θεοῦ τοῦ πατρός σου, καὶ ἐβοήθησέν σοι ὁ θεὸς ὁ ἐμὸς καὶ εὐλόγησέν σε εὐλογίαν οὐρανοῦ ἄνωθεν καὶ εὐλογίαν γῆς ἐχούσης πάντα, ἕνεκεν εὐλογίας μαστῶν καὶ μήτρας, De la part du Dieu de ton père, et t’a secouru mon Dieu, et Il t’a béni de la bénédiction du ciel, depuis le haut, et de la bénédiction de la terre qui couvre tout, à cause de la bénédiction des seins et de la matrice.

Le TM a ‫( ואת שדי‬litt., et avec Shaddai). Cette leçon est retenue par la Vg (et omnipotens) et le TgO (‫)וית שדי‬. En revanche, quelques manuscrits massorétiques, le Smr, la LXX, le Syr et le TgN (‫ )ואלה‬ont ‫ ואל שדי‬comme leçon. En effet, le verset commence par ‫מאל‬, avec la mention de ‫אל‬, et ‫אל‬ ‫ שדי‬est une expression courante dans la Bible. De ce fait, la leçon retenue par le TM qui est grammaticalement difficile provient probablement d’une erreur d’un copiste. Margain remarque que ὁ θεὸς ὁ ἐμὸς (mon Dieu) de la LXX suppose ‫ שׁלי‬au lieu de ‫ שׁדי‬comme en Ct 1,6 et 8,12 dans l’expression ‫כרמי שלי‬ « ma vigne (qui est) à moi ». Cette remarque semble juste. La LXX a lu ‫ ואל‬avec le Smr, puis ‫ שלי‬au lieu de ‫ שדי‬par erreur, ‫ל‬/‫ ד‬pas toujours clairs sur un manuscrit et elle souligne un parallélisme entre ‫( אל אביך‬le Dieu de ton père) et ‫( אל שלי‬mon Dieu)103. De ce fait, nous retenons l’expression attestée par le Smr ‫ אל שדי‬dans notre traduction. TM (Smr) ‫ ברכת אביך )ואמך( גברו על ברכת הורי )הרי( עד תאות גבעת עולם‬26 :‫תהיינ)ה( לראש יוסף ולקדקד נזיר אחיו‬ 103

Cf. J. MARGAIN 1996, 193.

TRADUCTION ET CRITIQUE TEXTUELLE DE GN 38 ET GN 49

A(B)

107

Les bénédictions de ton père (et de ta mère) l’emportent sur les bénédictions de ceux qui m’ont conçu (ma montagne), aux (des) frontières des collines éternelles. Qu’elles104 soient sur la tête de Joseph, sur le crâne du nazir105 de ses frères. 26 εὐλογίας πατρός σου καὶ μητρός σου, ὑπερίσχυσεν ἐπʼ εὐλογίαις ὀρέων μονίμων καὶ ἐπʼ εὐλογίαις θινῶν ἀενάων, ἔσονται ἐπὶ κεφαλὴς (κεφαλὴν) Ιωσηφ καὶ ἐπὶ κορυφῆς ὧν ἡγήσατο ἀδελφῶν. de la bénédiction de ton père et de ta mère il l’a emporté sur des bénédictions des montagnes stables, et sur des bénédictions des dunes éternelles, elles seront sur la tête de Joseph, et au-dessus des frères dont il fut le guide.

Le TM a seulement le père (‫)אביך‬, de même la Vg, le Syr et les Targums. En revanche, le Smr (‫ )ואמך‬et la LXX (καὶ μητρός σου) portent la présence de la mère. En effet, la fin du v.25 fait mention des organes maternels, repris ensuite par ‫הורי‬. Il est possible que dès le début du v.26, le Smr et la Vorlage de la LXX aient ajouté volontairement « la mère » dans cette bénédiction. En même temps, comme la bénédiction est réservée aux pères (cf. Abraham, Issac) dans le livre de la Genèse, il est également possible que le TM ait fait une correction en enlevant la mention de « la mère ». Le TM a ‫( הורי‬ceux qui m’ont conçu), leçon retenue par le Syr. Le TgO évoque les ancêtres (‫אבהתי‬, mes pères). Et le TgPJ et le TgN ont ‫אבהתיי‬ ‫( אברהם ויצחק‬mes pères, Abraham et Isaac). La Vg a rendu la deuxième mention de la bénédiction du père par patrum ejus [(la bénédiction) de son père (à elle)]. La LXX lit ὀρέων (les montagnes). Le mot ‫הוֹרי‬ ַ tel qu’il est vocalisé dans le TM provient de la racine de ‫ ָה ָרה‬qui veut dire « concevoir », une doublure au 26a. Mais le mot peut être lu comme ‫הרי‬, « ma montagne », ou ‫הרי עד‬, « des montages éternelles » (le Smr et la LXX). La LXX a lu dans sa Vorlage comparable au Smr : ἐπʼ εὐλογίαις ὀρέων μονίμων (sur les bénédictions des montagnes stables) et ἐπʼ εὐλογίαις θινῶν ἀενάων (sur les bénédictions des dunes éternelles). La Vorlage de la LXX et du Smr renvoie à Dt 33,15, la bénédiction de Moïse sur Joseph, important pour sa datation. L’analyse littéraire fera une comparaison de Gn 49,22-26 et Dt 33,13-17, les deux sentences sur Joseph. Les manuscrits 104 La BHS et la BHQ ont remarqué une erreur dans le codex de Léningrad qui comporte ‫תּ ְהיֶ ין‬. ִ Le manuscrit 4445, le manuscrit EBP.II B17 et le manuscrit Sassoon 507 ont corrigé en mettant ָ ‫( ִתּ ְהיֶ י ן‬qu’elles soient). 105 Swenson a essayé de trouver une juste interprétation du mot ‫נזיר‬. Ce mot a un double sens : « séparation » et « consécration ». Il préfère adopter l’expression « distinguer parmi… », cf. K.M. SWENSON 2008, 423. On garde la prononciation « nazir » pour conserver un sens neutre sans l’interpréter.

108

CHAPITRE II

grecs, A et B, diffèrent par un détail : ὀρέων (les montagnes) est absent en A qui en reste à « des bénédictions stables », et B garde le parallèle. Eißfeldt dans la BHS a proposé de lire ‫ הורי עד־‬comme ‫ה ֲר ֵרי ַעד‬, ַ mais cette conjecture n’est pas nécessaire car la leçon du Smr (‫ )הרי‬est en accord avec la Vorlage supposée de la LXX. Le TM a ‫( עד‬jusqu’à), de même le Syr et la Vg, mais la LXX a καὶ ἐπʼ (et sur), voir le parallèle ἐπʼ εὐλογίαις (ὀρέων μονίμων) // καὶ ἐπʼ εὐλογίαις (θινῶν ἀενάων). Le TM lit ‫( תאות‬les frontières), de même le Syr. La LXX a εὐλογίαις (les bénédictions). La lecture de cette dernière répond au souci de garder le parallélisme. En Smr ‫ תאות‬peut dériver de ‫ « אות‬désirer » et signifier « désir, désirable », expliquant εὐλογία de la LXX, gardant le parallélisme du début du verset. « Ἐπὶ κεφαλὴν » en B est « ἐπὶ κεφαλὴς » (génitif singulier) en A qui est en accord avec ἐπὶ κορυφῆς. Le mot ‫ נזיר‬est translittéré habituellement par « nazir ». La LXX le transcrit souvent par Ναζιραιος, mais ici par ἡγήσατο (il fut le guide). En Dt 33,16 (la bénédiction sur Joseph), ‫ נזיר‬est rendu par le participe Δοξασθεὶς (être glorifié). La LXX a donc dû s’adapter au contexte littéraire où Joseph était placé au-dessus de ses frères, le vizir du Pharaon en Égypte. 2.12. Benjamin : v.27 TM (Smr)

A= B

‫ בנימים זאב יטרף בבקר יאכל עד )עדי( ולערב יחלק שלל׃‬27 Benjamin est un loup, il déchire, le matin il mange la proie (continûment), et le soir il partage le butin. 27 Βενιαμιν λύκος ἅρπαξ, τὸ πρωινὸν ἔδεται ἔτι καὶ εἰς τὸ ἑσπέρας διαδώσει106 τροφήν. Benjamin, un loup rapace, le matin il mangera encore, et vers le soir, il partagera la nourriture.

Le mot ‫ עד‬fait problème : il peut être compris comme ‫( ַעד‬proie), ou comme ‫( עֹד‬encore). Le TM lit ‫ ַעד‬avec la Vg et le Syr. Le Smr dit ‫עדי‬ qui est aussi ambigu, et qui pourrait être traduit par ‫( ַע ִדי‬ma proie) ou ‫ֲע ֵדי‬ (encore). La LXX a compris ‫ – עֹד‬ἔτι (encore), comme le Smr, le loup commence par se servir avant de partager ensuite. Ces différences proviennent des vocalisations divergentes. 106 Plusieurs manuscrits en B ont δίδωσιν (présent actif indicatif, il partage) au lieu de διαδώσει (futur actif indicatif, il partagera). Comme ἔδεται (il mangera) est au futur, on suppose que διαδώσει est une correction sur δίδωσιν par souci de cohérence.

TRADUCTION ET CRITIQUE TEXTUELLE DE GN 38 ET GN 49

109

2.13. La fin du discours : v.28 TM (Smr) ‫ כל אלה שבטי ישראל שנים עשר וזאת אשר דבר להם אביהם ויברך אותם‬28 : ‫)אתם( איש אשר כברכתו ברך אתם‬ Tous ceux-là (sont) les douze tribus d’Israël, et ce que leur dit leur père et il les bénit. Chacun selon sa bénédiction, il les bénit. 28 Πάντες οὗτοι107 υἱοὶ Ιακωβ δώδεκα, καὶ ταῦτα ἐλάλησεν A=B αὐτοῖς108 ὁ πατὴρ αὐτῶν καὶ εὐλόγησεν αὐτούς, ἕκαστον κατὰ τὴν εὐλογίαν αὐτοῦ εὐλόγησεν αὐτούς. Tous ceux-là (étaient) les douze fils de Jacob, et telles furent les paroles dites par leur père et il les bénit. Chacun selon sa bénédiction, il les bénit.

Le TM et le Smr ont ‫( שבטי ישראל‬les tribus d’Israël), de même la Vg, le Syr et les Targums. La LXX porte υἱοὶ Ἰακὼβ (les fils de Jacob). Il est possible que la LXX s’harmonise avec les vv.1-2 où les auditeurs sont les ‫( בני יעקב‬fils de Jacob). Le TM et le Smr lisent ‫( וזאת אשר־‬ce que), de même les TgO-PJ (‫)ודא דמליל‬. Le mot ‫ אשר‬manque dans quelques manuscrits : la LXX et la Vg, expliquant la LXX καὶ ταῦτα (et ce que). Gn 44,5 emploie ‫ אשר‬dans l’expression ‫ זה אשר‬rendue par τοῦτό. Un manuscrit en B porte l’expression « ὁ πατὴρ » après « καὶ εὐλόγησεν αὐτούς » précisant que « et le père les bénit ». Il est possible que l’auteur ait voulu établir un parallèle avec la phrase précédente. 2.14. Le souhait de Jacob : vv.29-33 TM (Smr) ‫ ויצו אותם )אתם( ויאמר אליהם אני נאסף אל עמי קברו אתי אל אבתי אל‬29 :‫המערה אשר בשדה עפרון החתי‬ Il leur ordonna et leur dit : Je vais être rassemblé aux miens. Ensevelissez-moi auprès de mes pères, dans la grotte qui est dans le champ d’Ephrôn le Hittite. 29 A= B καὶ εἶπεν αὐτοῖς Ἐγὼ προστίθεμαι πρὸς τὸν ἐμὸν λαόν, θάψατέ με μετὰ τῶν πατέρων μου ἐν τῷ σπηλαίῳ, ὅ ἐστιν ἐν τῷ ἀγρῷ Εφρων τοῦ Χετταίου, et leur dit : Je vais être ajouté à mon peuple. Ensevelissez-moi auprès de mes pères, dans la grotte qui est dans le champ d’Ephrôn le Hittite.

Le TM et le Smr introduisent le début de ce verset par ‫( ויצו אותם‬et il leur ordonna), de même la Vg, le Syr et les Targums. Au v.33, le texte évoque à nouveau cet ordre, ‫ ויצו אותם‬formant une inclusion avec la fin 107 108

Un seul manuscrit en A porte οι au lieu de οὗτοι. Ces deux mots ἐλάλησεν αὐτοῖς sont transposés en A.

110

CHAPITRE II

de ce chapitre. Cette expression, absente de la LXX, alors qu’elle a tendance à procéder par inclusion, est-elle imputable à une erreur de scribe ? Ou est-ce par souci de la continuité des vv. 28 et 29 ? Ensuite, la Vg a spelunca duplici (la grotte double) en harmonie avec Gn 23,9 et 25,9 pour désigner ‫ המערה‬dans le TM. La notion de « la grotte double » apparaîtra dans la LXX au v.30. TM= Smr ‫ במערה אשר בשדה המכפלה אשר על־פני־ממרא בארץ כנען אשר קנה‬30 :‫אברהם את־השדה מאת עפרן החתי לאחזת־קבר‬ Dans la grotte qui est dans le champ de Makpéla, qui est face à Mambré au pays de Canaan, le champ qu’acheta Abraham à Ephrôn le Hittite en concession funéraire. 30 ἐν τῷ σπηλαίῳ τῷ διπλῷ τῷ ἀπέναντι Μαμβρη ἐν τῇ109 γῇ A= B Χανααν, ὃ ἐκτήσατο Αβρααμ τὸ σπήλαιον παρὰ Εφρων τοῦ Χετταίου ἐν κτήσει μνημείου, Dans la grotte double, celle face à Mambré au pays de Canaan, qu’Abraham acquit d’Ephrôn le Hittite en acquisition funéraire.

Le TM et le Smr introduisent le verset par ‫במערה אשר בשדה המכפלה‬ (dans la grotte qui est dans le champ de Makpéla). Le toponyme ‫ מכפלה‬ne se trouve qu’en cinq autres occurrences en Gn 23,9.17.19 ; 25,9 ; 50,13. La LXX évoque ἐν τῷ σπηλαίῳ τῷ διπλῷ (dans la grotte double) qui rappelle Gn 23,9 ; 25,9 ; 50,13 (τὸ σπήλαιον τὸ διπλοῦν), Gn 23,17 (τῷ διπλῷ σπηλαίῳ) et Gn 23,19 (ἐν τῷ σπηλαίῳ τοῦ ἀγροῦ τῷ διπλῷ). Le TgN (‫במערתא די בחקל כפלא‬, dans la grotte double qui est dans un champ) et les TgO-PJ (‫ )במערתא די בחקל כפילתא‬ont retenu cette même leçon. La LXX et les Targums cherchent à rendre le mot ‫ מכפלה‬dont la racine ‫כפל‬ signifie « double ». Cette précision est absente dans la Vg qui suit le texte hébreu sans le traduire. Puis, le TM, le Smr et le Syr emploient ‫( את־השדה‬le champ). La Vg a compris cum agro (avec le champ). La LXX a τὸ σπήλαιον (la grotte), reprenant la formation du début du verset. TM (Smr) ‫ שמה )שמ( קברו את אברהם ואת שרה אשתו שמה )ושמ( קברו את יצחק ואת‬31 :‫רבקה אשתו ושמה )ושמ( קברתי את לאה‬ 110 Là , ils ensevelirent Abraham et sa femme Sara, là, ils ensevelirent Isaac et sa femme Rebecca, et là, j’ai enseveli Léa. 109 Il existe une différence minime entre A et B dans ce verset. L’article τη n’est pas en B, la LXX Swete a retenu la leçon ἐν γῇ Χανάαν. 110 Le TM a respectivement ‫שמה‬, ‫ שמה‬et ‫ ושמה‬pour désigner « (et) c’est là ». Mais le Smr a trois formes différentes respectivement ‫שמ‬, ‫ ושמ‬et ‫ושמ‬, suivi par la LXX.

TRADUCTION ET CRITIQUE TEXTUELLE DE GN 38 ET GN 49

A= B

111

31 ἐκεῖ ἔθαψαν Αβρααμ καὶ Σαρραν τὴν γυναῖκα αὐτοῦ, ἐκεῖ ἔθαψαν Ισαακ καὶ Ρεβεκκαν τὴν γυναῖκα αὐτοῦ, καὶ ἐκεῖ ἔθαψαν Λειαν Là ils ensevelirent Abraham et sa femme Sara, là ils ensevelirent Isaac et sa femme Rebecca, et là ils ensevelirent Léa.

Le TM et le Smr ont le mot ‫( קברתי‬j’ai enseveli), suivis par le Syr et les Targums. La Vg emploie condita jacet (s’est trouvé malade) en référence à la tradition juive sur la maladie de Léa en ce lieu. La LXX dit ἔθαψαν (ils ensevelirent) gardant le parallélisme avec les deux autres formes ἐκεῖ ἔθαψαν… // ἐκεῖ ἔθαψαν… // καὶ ἐκεῖ ἔθαψαν, à la suite du Smr. TM = Smr

A= B

:‫ מקנה השדה והמערה אשר־בו מאת בני־חת‬32 :‫ ויכל יעקב לצות את־בניו ויאסף רגליו אל־המטה ויגוע ויאסף אל־עמיו‬33 32 Le champ et la grotte qui s’y trouve ont été acquis des fils de Heth. 33 Quand Jacob acheva de donner des ordres à ses fils, et il ramena ses pieds sur le lit et il expira et fut réuni aux siens. 32 ἐν κτήσει τοῦ ἀγροῦ καὶ τοῦ σπηλαίου τοῦ ὄντος ἐν αὐτῷ παρὰ τῶν υἱῶν Χετ. 33 καὶ κατέπαυσεν Ιακωβ ἐπιτάσσων τοῖς υἱοῖς αὐτοῦ καὶ ἐξάρας τοὺς πόδας αὐτοῦ ἐπὶ τὴν κλίνην ἐξέλιπεν καὶ προσετέθη πρὸς τὸν λαὸν αὐτοῦ. 32 grâce à l’acquisition du champ et de la grotte qui s’y trouve, auprès des fils de Heth. 33 Et Jacob s’arrêta de donner des ordres à ses fils, et il mit ses pieds sur le lit, il expira et fut ajouté à son peuple.

Il n’y a pas de variante textuelle de ces deux versets. 2.15. Bilan Après avoir évalué les variantes de chaque verset, il convient de les regrouper en différentes catégories pour une évaluation d’ensemble des enseignements qu’on peut en tirer111. 1. Les différences les plus importantes entre le TM, le Smr et la LXX se trouvent dans le discours de Jacob, aux vv.3-27. Les versets introductifs, vv.1-2 et conclusifs, v.7b et vv.28-33, sont relativement homogènes. 2. Les différentes manières dont la LXX traite les leçons retenues par le TM et le Smr. 111 Tout en reconnaissant l’importance du minutieux travail de Tov, nous essayons de fournir une évaluation plus détaillée, cf. E. TOV 2015, 490-503.

112

CHAPITRE II

a) La LXX témoigne peut-être d’une autre Vorlage (3×) : 49,14a ‫( יששכר חמר גרם‬Issachar est un âne corpulent) – Ἰσσαχὰρ τὸ καλὸν ἐπεθύμησεν (Issachar a désiré la beauté) [Il est probable que ‫גרם‬ (corpulent) est compris comme ‫( גרס‬désirer), et ‫( חמר‬âne) est lu comme ‫( חמד‬beauté) ; l’image de l’âne osseux n’est pas attestée dans la LXX] ; 49,21b ‫ אמרי־שפר‬/Smr : ‫( אמרי שופר‬de beaux faons) – ἐν τῷ γενήματι κάλλος (de la beauté par son fruit) ; 49,22b ‫( עלי־שור‬par-dessus une muraille) – πρὸς μὲ ἀνάστρεψον (tourne-toi vers moi) [Il est également possible que cette variante provienne d’une liberté sémantique du traducteur de la LXX] ;

b) Les leçons de la LXX avec même Vorlage que les TM-Smr, mais elle témoigne d’une autre tradition de lecture avec une vocalisation différente (4×) : 49,6 ‫( כבדי‬ma gloire) – τὰ ἥπατά μου (mon foie) ; 49,9 ‫( מטרף‬de la proie) – ἐκ βλαστοῦ (d’une pousse) ; 49,21a ‫( אילה שלחה‬une biche agile) – στέλεχος ἀνειμένον (un tronc desserré) [Il est possible que la racine ‫ אילה‬soit lue comme « un arbre ». [L’image de la biche n’est pas attestée dans la LXX] ; 49,27 ‫( עד‬une proie) – ἔτι (encore) ;

c) La LXX est un produit de l’interprétation du traducteur (28×) : – Liberté sémantique (9×) 49,3a ‫( וראשית אוני‬et le commencement de ma virilité) – καὶ ἀρχὴ τέκνων μου (et le commencement de mes enfants) ; 49,3b ‫( יתר שאת ויתר עז‬abondant en honneur et abondant en force) – σκληρὸς φέρεσθαι καὶ σκληρὸς αὐθάδης (dur à supporter, dur, arrogant) ; 49,12a ‫( חכלילי‬sombres) – χαροποιοὶ (joyeux) ; 49,12b ‫( לבן‬blanches) – λευκοὶ (brillants) ; 49,14b ‫( בין המשפתים‬entre les deux sacs de bât) – ἀνὰ μέσον τῶν κλήρων (au milieu des parts d’héritage112) ; 49,15a ‫( ואת־הארץ כי נעמה‬et le pays comme agréable) – καὶ τὴν γῆν ὅτι πίων (et que la terre était grasse) ; 49,15b ‫( ויהי למס־עבד‬et il devint une corvée d’esclave) – καὶ ἐγενήθη ἀνὴρ γεωργός (et il devint un homme cultivateur) ; 49,16 ‫( שבטי‬les tribus de) – μία φυλὴ (une seule tribu) ; 49,24b ‫( משם רעה אבן ישראל‬par-là le Pasteur, la Pierre d’Israël) – ἐκεῖθεν ὁ κατισχύσας Ισραηλ (de là, il fortifie Israël) [Les deux images du pasteur et de la pierre ne sont pas attestées dans la LXX] ;

– Exégèse (1×) 49,5 ‫[ חמס מכרתיהם‬leurs glaives sont (l’instrument) de violence] – ἀδικίαν ἐξ αἱρέσεως αὐτῶν (une injustice de leur propre choix) ; 112

M. HARL 1986, 310.

TRADUCTION ET CRITIQUE TEXTUELLE DE GN 38 ET GN 49

113

– Assimilation contextuelle (2×) 49,28 ‫( שבטי ישראל‬les tribus d’Israël) – υἱοὶ Ιακωβ (les fils de Jacob) // v.2 ; 49,30 par ‫( במערה אשר בשדה המכפלה‬dans la grotte qui est dans le champ de Makpéla) – ἐν τῷ σπηλαίῳ τῷ διπλῷ (dans la grotte double) // Gn 23,9 ; ‫( את־השדה‬le champ) – τὸ σπήλαιον (la grotte) ;

– Harmonisation contextuelle (5×) 49,4b ‫( אל־תותר‬ne t’enfles pas) – μὴ ἐκζέσῃς (ne bouillonne pas) ; 49,20 ‫( מעדני־מלך‬des gâteaux royaux) – τρυφὴν ἄρχουσιν (la nourriture aux chefs) ; 49,22a ‫( בן פרת יוסף בן פרת‬Joseph est le rejeton d’une plante fructifère, le rejeton d’une plante fructifère) – Υἱὸς ηὐξημένος Ιωσηφ, υἱὸς ηὐξημένος ζηλωτός (Fils qui a grandi, Joseph, fils qui a grandi) [Ici, l’image du rejeton d’une plante n’est pas attestée dans la LXX] ; 49,22a ‫( עלי־עין‬près d’une source) – ζηλωτός (A)/μου ζηλωτός (B) [jalousie (A)/ma jalousie (B)] ; 49,23 ‫( וימררהו‬et ils l’ont provoqué) – εἰς ὃν διαβουλευόμενοι (envers lui complotant) ;

– Facilitation syntaxique (9×) 49,4b ‫( משכבי‬les couches) – τὴν κοίτην (la couche de…) ; 49,4b ‫( עלה‬il a monté) – ἀνέβης (tu es monté) [2×] ; 49,11c ‫( כבס‬il a lavé) – πλυνεῖ (il lavera) ; 49,18 ‫( לישועתך קויתי יהוה‬en ton salut, j’espère, YHWH) – τὴν σωτηρίαν περιμένων Κυρίου (attendant le salut du Seigneur) ; 49,24a ‫( ותשב‬et il est demeuré) – καὶ συνετρίβη (et il fut brisé) ; ‫( קשתו‬son arc) – τὰ τόξα αὐτῶν (leurs arcs) ; 49,24a ‫( ויפזו‬et ils ont été agiles) – καὶ ἐξελύθη (et il a été desserré ou détaché) ; 49,13 ‫[ וירכתו על־צידן‬et ses confins (touchent) jusqu’à Sidon] – καὶ παρατενεῖ ἕως Σιδῶνος (et s’étendra jusqu’à Sidon) ; 49,24 la LXX ajoute τὰ νεῦρα (les tendons) ; 49,31 ‫( קברתי‬j’ai enseveli) – ἔθαψαν (ils ont enseveli) [3×].

– Facilitation lexicale (2×) 49,9 ‫( גור‬lionceau), ‫( אריה‬lion), et ‫לביה‬/‫( לביא‬lionne) – λέων (lion, 2×) et σκύμνος (lionceau, 2×) ; 49,11ab ‫ עירה‬/ ‫ עירו‬et ‫( אתנו‬son ânesse) – τὸν πῶλον αὐτοῦ, τὸν πῶλον τῆς ὄνου αὐτοῦ ;

En résumé, il est peu probable que dans les leçons mentionnées cidessus la Vorlage de la LXX soit différente de celle du TM et de la Smr et en majorité les variantes textuelles proviennent : soit d’une tradition de lecture différente (4×) ; soit d’une interprétation du traducteur de la LXX (28×).

114

CHAPITRE II

3. Leçons où le Smr semble avoir corrigé le TM (7×) : 49,9 ‫[ כאריה וכלביה – כאריה וכלביא‬facilitation lexicale] ; 49,11a ‫[ עירה‬son âne (à elle)] – ‫([ עירו‬son âne (à lui)] // ‫( בני אתנו‬le petit de son ânesse) [facilitation lexicale] ; 49,12a ‫[ חכלילו – חכליל‬facilitation syntaxique] 49,13 ‫( על‬sur) – ‫( עד‬jusqu’à) [assimilation habituelle] ; 49,15 ‫( מנחה כי טוב‬le repos était bon) – ‫ טובה( מנוחה כי טובה‬correspond à ‫[ )מנוחה‬facilitation grammaticale] ; 49,19a ‫( גדוד יגודנו‬une troupe s’attroupera contre lui) – ‫[ גדוד יגידנו‬facilitation lexicale] ; 49,19b ‫( יגד‬s’attroupera) – ‫[ יגיד‬facilitation lexicale].

4. Le Smr et la LXX ont probablement des Vorlagen différentes du TM (11×) : TM

Smr

=

LXX

49,4a ‫פחז‬ (débordant)

‫פחזת‬ (tu as débordé)

ἐξύβρισας (tu as débordé)

49,5b ‫כלי‬ (les instruments)

‫כלו‬ (ils ont commis)

συνετέλεσαν (ils ont accompli)

49,6b ‫תחד‬ (il se joint)

‫( יחר‬s’irrite)

ἐρίσαι (il se dépêche) [certains Ms]

49,6b ‫בקהלם‬ (dans leur assemblée)

‫ובקהלם‬ (dans leur assemblée)

καὶ ἐπὶ τῇ συστάσει αὐτῶν (et dans leurs assemblées)

49,8 ‫( ידך‬ta main)

‫( ידיך‬tes mains)

αἱ χεῖρές σου (tes mains)

49,17 ‫( שפיפן‬une vipère) ‫( שפפון‬en embuscade)

ἐγκαθήμενος (en embuscade)

49,22b ‫בנות צעדה‬ (les rejets franchissent)

‫בני צעירי‬ (mon jeune rejeton)

υἱός μου νεώτατος (mon fils le plus jeune)

49,23 ‫ורבו‬ (ils l’ont tiré)

‫ויריבהו‬ (et ils l’ont disputé)

ἐλοιδόρουν (ils l’insultaient)

49,25 ‫ואת שדי‬ (par le Puissant)

‫ואל שדי‬ (et El Puissant)

ὁ θεὸς ὁ ἐμὸς (mon Dieu)

49,26 ‫ברכת הורי‬ (les bénédictions de ceux qui m’ont conçu)

‫ברכת הרי‬ (les bénédictions de ma montage)

εὐλογίαις ὀρέων μονίμων (des bénédictions des montagnes stables)

49,26 ‫( אביך‬ton père)

‫אביך ואמך‬ (ton père et ta mère)

πατρός σου καὶ μητρός σου (ton père et ta mère)

À part les vv.5b, 22b et 23, le reste de ces variantes pourraient être une correction du TM par le Smr et la LXX. Les différentes leçons retenues du v.5b concernant Siméon et Lévi proviennent probablement de la confusion entre le yod et le wav dans des manuscrits anciens ; et les leçons retenues

TRADUCTION ET CRITIQUE TEXTUELLE DE GN 38 ET GN 49

115

par le Smr et la LXX aux v.22b et v.23, concernant Joseph, répondent mieux au contexte littéraire du cycle de Joseph. De ce fait, l’existence des différentes Vorlagen témoignent d’une procédure de relecture postérieure. 5. Leçon retenue par le TM et la LXX, différente de celle du Smr (1×) : 49,7a TM : ‫ ; ארור‬LXX : ἐπικατάρατος (maudite soit) / Smr : ‫( אדיר‬noble)

La seule occurrence au v.7a, où le Smr diffère du TM et de la LXX concernant la sentence sur Siméon et Lévi, pourrait être le témoin d’une Vorlage différente du TM. Cette variante suscite une hésitation entre la bénédiction et la malédiction. On verra plus loin quelle en est la conséquence. 6. Récapitulons les leçons différentes dans le TM, le Smr et la LXX (3×) : 49,10a TM : ‫( רגליו‬ses pieds) ≈LXX : τῶν μηρῶν αὐτοῦ (ses cuisses) ; Smr : ‫( דגליו‬ses drapeaux). 49,10b TM : ‫ ; שילה‬Smr : ‫ ; שלה‬LXX : τὰ ἀποκείμενα αὐτῷ (ce qui lui est réservé). 49,10b TM : ‫( יקהת עמים‬l’obéissance des peuples) ; Smr : ‫יקהתו עמים‬ (son obéissance des peuples) ; LXX : προσδοκία ἐθνῶν (l’espérance des nations).

Le v.10 témoigne de trois fois trois leçons différentes. Même si la dernière variante entre le TM et le Smr n’affecte pas le sens du verset, elle témoigne pour le moins de la complexité de ce dernier. 7. Les variantes grecques entre A et B dans ce chapitre (7×) : A

B

Evaluation

49,1-2 : εἶπεν συνάχθητε /ἀθροίσθητε ἀκούσατε (2×)

εἶπεν αὐτοῖς συνάχθητε (2×) ἀκούσατε (3×)

A = TM B a une lecture harmonisante

49,12 : ἀπὸ οἴνου (à cause du vin)

ὑπὲρ οἶνον (plus que le vin)

A fait une autre lecture B= TM

49,16 : τὸν λαὸν αυτοῦ (son peuple)

τὸν ἑαυτοῦ λαόν A=TM (lui-même son peuple) B fait une autre lecture

49,17 : εγενηθή τω

γενηθήτω (devienne)

A : une erreur d’un scribe B est correct

49,22 : ζηλωτός (jaloux)

μου ζηλωτός (jaloux de moi)

A est plus correct.

49,24 : χειρῶν (les mains) χειρὸς (la main)

A corrige B

49,26 : κεφαλὴς (au génitif)

A est plus cohérent avec κορυφῆς

κεφαλὴν (au vocatif)

116

CHAPITRE II

Les différences textuelles entre A et B sont mineures et n’affectent pas la compréhension du texte. Il s’agit toujours d’harmoniser le texte ou encore d’y apporter une correction minime. Ces nombreux constats attestent de la complexité du passage, source de divergences d’interprétation. Les débats restent largement ouverts pour la compréhension du chapitre. 2.16. Conclusion Les analyses ci-dessus ont donné une vue générale du chapitre : malgré de nombreuses variantes entre le TM et la LXX, il est probable que la Vorlage de la LXX était proche de celle du TM. Les variantes des vv.3-7 concernant Ruben, Lévi et Siméon touchent un point important pour la critique rédactionnelle : au v.3, le TM et le Smr ont gardé un sens positif pour Ruben, mais la LXX retient le sens négatif, indice d’une harmonisation, dans le cadre du Pentateuque, avec la dimension négative de Ruben en Nb 16. Au v.7a, l’emploi du mot ‫( אדיר‬noble) par le Smr a détourné la « malédiction » donnée par le TM et la LXX. Ces constats témoignent ainsi d’une hésitation entre la « bénédiction » et la « malédiction » de ces trois personnages qui pourrait constituer un indice en faveur de l’hypothèse formulée par Carr : « There may well have been earlier antecedents to the blessing on Reuben, Simeon, and/or Lévi as well113 ». Nos observations apportent un sérieux appui à cette hypothèse. Certains détails permettront de la vérifier lors de la critique littéraire. Par ailleurs, nous reconnaissons la difficulté de compréhension de v.10. La LXX s’écarte du TM et fait le lien avec le contexte littéraire du cycle de Joseph aux vv.22-23. Quel rôle ce contexte littéraire joue-t-il dans la rédaction de la bénédiction de Joseph ? Ces variants indiquent-ils une reprise littéraire du cycle de Joseph ? Enfin, l’introduction du discours, aux vv.1-2 et la fin de ce chapitre, aux vv.29-33, y compris le demi-verset conclusif au 7b, sont relativement homogènes. Cela confirme-t-il la préexistence de l’encadrement par P (vv.1a.29-33) avant l’insertion du discours de Jacob en Gn 49114 ? À ce stade, on note que le début et la fin du discours de Jacob tranchent sur l’encadrement par P. 113

D.M. CARR 1996, 251, n°54 Martin-Achard considère que « plus tard encore, l’écrivain sacerdotal complétera ses informations par les vv.1a et 28b-33 ». R. MARTIN-ACHARD 1981, 128. 114

TRADUCTION ET CRITIQUE TEXTUELLE DE GN 38 ET GN 49

117

Sans doute la critique textuelle n’apporte pas de réponse à toutes les questions soulevées. Néanmoins, elle permet de suggérer des hypothèses de critique rédactionnelle. L’analyse littéraire de Gn 38 et de Gn 49 devrait permettre d’aboutir à un résultat plus précis.

CHAPITRE III

ANALYSE LITTÉRAIRE DE GN 38 Avant d’aborder la critique littéraire de Gn 38, se posent d’abord sa délimitation et son emplacement dans le cycle de Joseph. Ensuite, on procédera à une analyse structurelle à partir d’une observation formelle du vocabulaire pour éclairer la construction du chapitre. Puis, en raison du genre littéraire de l’ensemble auquel appartient ce texte – l’histoire de Juda et de Tamar – on observera à l’aide d’une analyse narrative le développement du récit dans l’ensemble du cycle de Joseph. La critique littéraire de la péricope procédera verset par verset pour en comprendre la composition. Enfin, la critique socio-historique et intertextuelle en repérera les aspects particuliers et déterminera la fonction de Gn 38 dans la composition du cycle de Joseph. 1. DÉLIMITATION

DE

GN 38

1.1. Wiederaufnahme1 : une continuité littéraire entre Gn 37 et Gn 39 ? La délimitation de Gn 38 ne pose guère de difficulté. On observe en 39,1 une répétition permettant de reprendre le fil laissé en 37,36. L’action de l’épisode relaté en Gn 38 est unifiée et totalement distincte de ce qui précède. Elle n’a de lien direct ni avec la vente de Joseph2 ni avec le deuil de 1 Ska emploie le terme français « reprise » l’équivalent de la « Wiederaufnahme » : « La reprise est une technique littéraire qui consiste à répéter, après une digression ou un ajout, un ou plusieurs mots du texte qui précède immédiatement cette digression ou cet ajout, afin de permettre au lecteur de reprendre la lecture là où elle a été interrompue », J.L. SKA 2000, 115-116. 2 Les commentateurs qui s’appuient sur l’hypothèse documentaire (cf. Wellhausen, Gunkel, VON Rad, Noth, etc.) considèrent que « les Madianites » et « les Ismaélites » se présentent comme deux groupes distincts. Pour eux, ces deux groupes correspondent à la combinaison de J et E dans l’histoire de Joseph. Pour Ska « Gn 37,36 conclut la ‘version Ruben’ selon laquelle les Madianites vendent Joseph en Égypte, tandis que 39,1 se rattache à la ‘version Juda’ », J.L. SKA 2000, 100. En revanche, Römer propose une autre interprétation : « En Juges 8,22-24, les Madianites et les Ismaélites sont considérés comme deux groupes identiques. Ou encore, quand les Ismaélites apparaissent au v.25, Juda propose de vendre Joseph, ce qui provoque une discussion entre les frères. Ainsi, les Madianites peuvent agir sans être aperçus, ce sont eux qui volent Joseph et le vendent aux Ismaélites… », T. RÖMER 1992, 77. Quelles que soient les interprétations, il est évident que Gn 38 n’a pas de lien direct avec l’épisode de la vente de Joseph.

ANALYSE LITTÉRAIRE DE GN 38

119

Jacob évoqué en Gn 37, puisque ce chapitre commence par : ‫ויהי בעת ההוא‬ ‫[ וירד יהודה מאת אחיו ויט עד־איש עדלמי ושמו חירה‬Et il advint, en ce tempslà, que Juda descendit de chez ses frères, et rejoignit un homme d’Adoullam du nom d’Hirah (38,1)]. À première vue, elle ne semble pas non plus avoir de lien avec la suite de la vie de Joseph en Égypte, décrite en Gn 39, car le chapitre se termine par la naissance des jumeaux de Juda (Gn 38,2730). Le centre du message de Gn 38 est axé sur un épisode de la vie de Juda qui se sépare de ses frères. On a repéré la reprise de certains mots à la fin de Gn 37 et au début de Gn 39 : en Égypte (‫)מצרימה‬, Potiphar (‫)פוטיפר‬, officier de Pharaon (‫סריס‬ ‫)פרעה‬, commandant des gardes (‫)שר הטבחים‬. Malgré quelques différences mineures entre ces deux versets, on arrive au même constat : Joseph est venu en Égypte chez Potiphar, officier de Pharaon et commandant des gardes. Gn 38 ne dit pas un mot sur Joseph, et développe indépendamment l’histoire de Juda et de Tamar. Ska en conclut : « L’histoire de Juda et de Tamar, en Gn 38, n’appartient pas au cycle de Joseph. Elle interrompt le récit et introduit des thèmes et des personnages étrangers aux événements de 37–50. Gn 38 est très probablement un ajout ou un ‘intermezzo’ entre Gn 37 et Gn 403 ». Dans un autre ouvrage concernant l’ordre et le tempsséquence dans la narratologie, le même auteur compare ces trois chapitres Gn 37–38–39 (Joseph-Juda-Joseph) à un échiquier montrant « the alternation of squares of two different colors4 ». En conséquence, cette « Wiederaufnahme » confirme la continuité entre Gn 37 et Gn 39, permettant de faire abstraction de Gn 38, qui semble donc avoir pu être ajouté postérieurement à l’intérieur de l’histoire de Joseph. 1.2. Gn 38, un chapitre isolé ? Avec la confirmation de la continuité entre Gn 37 et Gn 39, de plus en plus de voix soutiennent l’idée que Gn 38 est complètement autonome et dépourvu de relation avec le reste du récit. Von Rad écrit : « Every attentive reader can see that the story of Judah and Tamar has no connection at all with the strictly organized Joseph story at whose beginning it is now inserted. This compact narrative requires for its interpretation none of the 3 La conclusion de Ska souligne que Gn 38 est un ajout entre Gn 37 et Gn 40, parce qu’il considère que « Gn 39 se différencie aussi du reste de l’histoire de Joseph sous de nombreux aspects (...) Gn 39 est également le seul passage qui possède un parallèle égyptien connu, en l’occurrence l’histoire des deux frères. Tout ceci fait penser qu’un rédacteur a inséré ce chapitre (...) ». J.L. SKA 2000, 294 -295. On analysera la question de Gn 39 plus loin. 4 J.L. SKA 2002, 11.

120

CHAPITRE III

other Patriarchal narratives (…)5 ». Brueggemann formule la même allegation : « This particular chapter stands alone, without connection to its context. It is isolated in every way and is most enigmatic6 ». Speiser conclut dans le même sens : « The narrative is a completely independent unit. It has no connection with the drama of Joseph, which is interrupted at the conclusion of Act I7 ». Vawter est aussi de cet avis : « Scarcely has the distinctive Joseph story been begun when it is interrupted by a chapter that apparently has nothing to do with it (…). There can hardly be any doubt that this chapter did, as a matter of fact, originally have no connection with the Story of Joseph and that it is, therefore, in some sense an intrusion here8 ». Outre ces commentateurs qui soulèvent la question de l’indépendance de Gn 38, Hamilton s’interroge sur l’emplacement de ce dernier dans l’histoire de Joseph : « L’auteur/rédacteur biblique, avec la tradition sur Juda et sa famille sous la main, n’avait pas d’autre endroit pour ce récit9 ». On verra plus tard que cet emplacement pourrait avoir sa propre signification et ne pas découler simplement de la difficulté dans laquelle se trouvait le rédacteur de lui trouver une place ailleurs. Comme l’a déjà relevé l’histoire de la recherche, certains commentateurs10 considèrent Gn 38 comme un chapitre isolé. Cependant, au premier coup d’œil, on peut apercevoir certains liens littéraires avec Gn 37 et Gn 39, par exemple, l’usage en commun d’expressions comme ‫( הכר־נא‬examine s’il te plaît) qui ne se trouvent qu’en Gn 37,32 et Gn 38,25 ; Gn 38 et Gn 39 décrivent respectivement la « descente » des deux frères en employant le même verbe ‫ירד‬. En conséquence, il semble excessif de présenter Gn 38 comme une histoire complètement isolée. Ces remarques permettent de lire l’histoire de Juda et de Tamar en elle-même, mais aussi en relation avec l’ensemble du cycle de Joseph. On fournira plus loin une analyse détaillée de ce chapitre dans son rapport avec cet ensemble. 1.3. Unité narrative L’histoire de Juda et de Tamar offre quelques repères conduisant à voir Gn 38 comme une unité narrative comportant ses propres nouveautés. 5

G. VON RAD 1972, 356-357. W. BRUEGGEMANN 1982, 307. 7 E.A. SPEISER 1981, 299. Selon Speiser, la conclusion d’Acte I désigne la fin de Gn 37 où Joseph est vendu par ses frères en Égypte. 8 B. VAWTER 1977, 385. 9 Cf. V.P. HAMILTON 1995, 431. 10 Cf. F.W. GOLKA 2004, 153-177 ; R. ALBERTZ 2009, 11-36 ; D.B. REDFORD 1970 ; R. ALTER 1999 ; etc. En revanche, Lambe souligne la transformation de Juda dans l’ensemble du cycle de Joseph supposant que Gn 38 est lié avec ce dernier, A.J. LAMBE 1999, 53-68. 6

ANALYSE LITTÉRAIRE DE GN 38

121

En ce qui concerne les personnages, hormis Juda et le Seigneur11, tous apparaissent pour la première fois, et dans cet épisode Jacob et ses fils ont complètement disparu. Le récit débute avec la précision suivante : « ... chez un homme d’Adoullam qui se nommait Hirah » (Gn 38,1). Cela confirme bien le déplacement géographique. L’histoire emploie également un temps nouveau : « Et il advint, en ce temps-là » (Gn 38,1). Avec l’histoire de Juda et de Tamar, Gn 38 présente un autre lieu, des personnages différents (hormis Juda et le Seigneur), dans une nouvelle temporalité. Les deux histoires, celle de Juda et celle de Joseph, semblent hermétiquement séparées. Remarquons d’abord que Gn 37 commence par ‫( תלדות יעקב‬les engendrements de Jacob) immédiatement suivis par la jeunesse de Joseph ‫יוסף‬ ‫( בן־שבע־עשרה שנה‬Joseph, âgé de dix-sept ans, Gn 37,2b) et s’achève par la vente de Joseph par ses frères. Cette histoire est reprise dès le début de Gn 39. En contraste, Gn 38 se situe dans un cadre différent, à Canaan, où est relaté un incident assez particulier de la vie de Juda. Ainsi Gn 38 semble dépourvu de cohérence et de lien visible avec le reste. L’histoire n’est pas centrée sur les mêmes personnages. Juda et Tamar deviennent les personnages principaux et Tamar disparaît du cycle de Joseph après Gn 38. On en déduit que Gn 38 est un récit unifié avec des personnages nouveaux, dans des conditions particulières de lieu et de temps. 1.4. Bilan La technique de la « Wiederaufnahme » permet de distinguer une insertion tardive de Gn 38 à l’intérieur du cycle de Joseph. L’histoire de Juda et de Tamar constitue en elle-même une unité narrative. Toutefois, Gn 38 n’est pas totalement isolé. On examinera plus en détail l’articulation littéraire des textes. 2. ANALYSE STRUCTURELLE 2.1. Le cadre temporel Le récit est balisé par quelques repères temporels. L’exposition est introduite par ces mots : ‫( ויהי בעת ההוא‬Et il advint en ce temps-là) (v.1), ce qui situe l’action de Juda à l’époque du deuil de Jacob consécutif à la disparition de Joseph (Gn 37,33-35). Le récit continue avec une autre 11 Les frères de Juda sont mentionnés une seule fois au v.1 comme en toile de fond du contexte, mais ils ne font pas partie des personnages actifs en Gn 38.

122

CHAPITRE III

indication temporelle : ‫( וירבו הימים‬De nombreux jours passèrent) (v.12), après le renvoi de Tamar (v.11). L’histoire atteint son sommet au moment où apparaît la grossesse : ‫( ויהי כמשלש חדשים‬Et il advint après trois mois) (v.24). Plus tard, le récit trouvera son épilogue à la naissance des jumeaux : ‫( ויהי בעת לדתה‬Et il advint au temps où elle enfanta) (v.27). Ces indications temporelles, parfois vagues, forment une succession chronologique à valeur purement factuelle. En effet, le texte n’indique pas une quelconque durée avec ces expressions : « Et il advint en ce temps-là » (v.1) et « De nombreux jours passèrent » (v.12), mais du moins, cet épisode est inscrit dans la continuité du développement de l’histoire. Ces repères temporels guident le lecteur dans la succession des scènes. 2.2. Repérage du vocabulaire structurant Les deux déplacements de Juda exprimés par des verbes à consonance géographique, ‫( ירד‬descendre, v.1) et ‫( עלה‬monter, v.12)12, structurent les deux grandes parties du texte : les vv.1-11 se concentrent sur l’action de Juda et, les vv.12-30 se focalisent plutôt sur l’action de Tamar. Ce faisant, ces deux mouvements encadrent le développement du récit sur l’impasse de la descendance et sur l’ouverture à la vie : d’un côté, la « descente » de Juda noue la question de la descendance (v.11) ; et de l’autre côté, la « montée » de Juda fait jaillir la vie, avec la naissance des jumeaux (vv.27-30). 2.2.1. La description des rencontres avec les deux femmes Le texte emploie deux fois le verbe « se rendre » [‫ויט‬, (‫( ])נטה‬vv.1.16) ; deux fois le verbe « voir » [‫( וירא‬et il vit), v.2 et ‫( ויראה‬et il la vit), v.15] ; deux fois le verbe « venir » [‫( ויבא‬et il vint), v.2 et ‫( אבוא‬que je vienne), v.16] pour décrire deux rencontres avec deux femmes : une première fois Juda rencontre la fille de Shoua (vv.1-2) et la seconde fois, il rencontre Tamar déguisée en prostituée (vv.15-16). Le récit met bien en parallèle ces deux moments de « rencontre » à l’occasion desquels Juda conçoit des enfants avec ces deux femmes. 2.2.2. Les deux « et il fut raconté » [‫ויגד‬, (‫])נגד‬ À l’intérieur du récit, aux v.13 et 24, le lecteur relève deux fois le verbe au passif, « il fut raconté », qui renvoie à deux compléments différents, 12

Andrew a également remarqué l’importance de ces deux verbes qui structurent le chapitre, M.E. ANDREW 1993, 262-269.

ANALYSE LITTÉRAIRE DE GN 38

123

Tamar et Juda. « Il fut raconté à Tamar – ton beau-père » et « Il fut raconté à Juda – ta belle-fille » se font en effet mutuellement écho. Le premier emploi conduit Tamar à se déguiser en prostituée. Au second, Juda donne l’ordre de brûler Tamar en raison de sa prostitution. Ces deux occurrences sont dans le même acte : pourquoi suscitent-elles deux réactions différentes ? Elles seront analysées plus loin. 2.2.3. Les deux « de peur (que) » [‫]פן‬ Ce chapitre révèle deux fois « la peur » de Juda : au v.11, il s’inquiète pour la vie de Shélah ; et au v.23, Juda redoute d’être méprisé par les gens du lieu. L’histoire avance avec les deux peurs de Juda qui l’empêchent d’aller au bout de son acte. La première empêche Juda de donner Shélah à Tamar, et la deuxième lui interdit d’aboutir dans la recherche de l’identité de la prostituée. Ces actes inaboutis de Juda permettent à Tamar de lui révéler son injustice. 2.2.4. Les deux naissances Le récit évoque deux naissances : l’une intervient dès le début de l’histoire et l’autre à la fin. Ces deux naissances sont décrites et articulées autour des mêmes verbes : [La description de la première naissance] Elle conçut (‫ )ותהר‬et enfanta (‫ )ותלד‬un fils, et il appela (‫ )ויקרא‬son nom Er. 4 Elle conçut (‫ )ותהר‬encore et enfanta (‫ )ותלד‬un fils, et elle appela (‫)ותקרא‬ son nom Onân. 5 Elle continua (‫ )ותסף‬encore et enfanta (‫ )ותלד‬un fils, et elle appela (‫)ותקרא‬ son nom Shélah. 3

[La description de la deuxième naissance] Et il advint (‫ )ויהי‬au temps où elle enfantait… 28 Et il advint (‫ )ויהי‬pendant qu’elle enfantait.... 29 Et il advint (‫ )ויהי‬comme il ramenait sa main… 30 Et il l’appela (‫ )ויקרא‬Pèrèç… et il appela (‫ )ויקרא‬son nom Zérah. 27

La suite de l’étude montrera l’importance et le sens de ces deux naissances qui forment une inclusion dans le chapitre. En résumé, le cadre temporel et les repères de vocabulaire permettent d’observer que le récit de Juda et de Tamar est encadré par le temps de l’histoire racontée et par des « doublets » : deux actes (« descendre » et « monter ») de Juda ; deux mouvements (de l’impasse de la descendance à la nouvelle naissance) ; et les deux acteurs principaux (Juda et Tamar). Ces éléments donnent la structure de Gn 38.

124

CHAPITRE III

2.3. Proposition de structure du chapitre En repérant le cadre temporel et les vocables structurants13, on peut proposer une structure du chapitre fondée sur les séquences narratives : exposition – complication d’une crise – action transformatrice – dénouement14, en soulignant les entrées en action respectives de Juda et de Tamar et le contraste entre ces deux personnages. Mouvement I : « Et il advint, en ce temps-là que... » (v.1) – « Juda descendit »

Exposition : la famille de Juda et la mort de ses deux fils (vv.1-10) vv.1-5 : la naissance des trois fils vv.6-10 : la mort d’Er et d’Onân Complication d’une crise : le renvoi de Tamar par Juda (v.11) Complication de la descendance de Juda Complication de l’injustice de Juda Mouvement II : « De nombreux jours passèrent... » (v.12) – « Juda monta »

Action transformatrice (tournant) : le plan de Tamar (vv.12-25) Élaboration du plan : scène 1 : Tamar entre en action (vv.12-14) v.14 : Tamar se déguise pour manifester l’injustice de Juda Mise en œuvre : scène 2 : rencontre de Tamar et de Juda (vv.15-19) : (identité déguisée) [gages donnés] 13 La structure du récit accentue le contraste mis en place entre les actions respectives de Juda et de Tamar. O’Callaghan a fait la même remarque en soulignant le contraste et l’importance de Juda et de Tamar dans le récit, M. O’CALLAGHAN 1981, 78-79. Par ailleurs, Lambe propose une structure en parallèle de Gn 38 en 5 phases : Gn 38,1-6//Gn 38,27-30 ; Gn 38,7-11//Gn 38,12b-26 ; et Gn 38,12a au centre comme « disequilibrium » de l’histoire. Sa structure se fonde sur l’action de Juda et ses mouvements en laissant Tamar de côté. Nous entendons valoriser l’entrée en action de Tamar dans la structure proposée, A.J. LAMBE 1998, 103. O’Callaghan souligne l’importance de Tamar en divisant l’histoire de Juda et de Tamar en trois parties : vv.1-11 : la construction de la famille de Juda ; vv.12-26 : l’histoire de Tamar ; vv.27-30 : la naissance de Pérèç et de Zérah. Soulignons le v.26 qui porte le dénouement de l’intrigue de révélation en le mettant à part sans pourtant négliger l’action de Tamar, M. O’CALLAGHAN 1981,73-74. De son côté, Kipasa propose une structure concentrique des vv.6-11 qui peut aider à repérer les « doublets » au sein du récit : A : v.6 : Juda prit une femme pour Er…Tamar ; B : v.7 : …fit mal aux yeux de YHWH et YHWH le fit mourir ; C : v.8 : …Viens vers la femme de ton frère……une descendance à ton frère ; C’: v.9 : …s’il venait vers la femme de son frère…une descendance à son frère ; B’ : v.10. …fit mal aux yeux de YHWH et YHWH le fit mourir ; A : v.11 : Juda dit à Tamar sa belle-fille : « Demeure veuve… ». Toutefois, cette structure ne montre pas la tension à l’intérieur du récit, et il est difficile d’expliquer la raison pour laquelle Onân se trouve au centre alors qu’il est étranger à sa problématique, P.M. KIPASA 2018, 477. 14 On trouve ces étapes chez : J.P. SONNET 2008, 93. Par ailleurs, Sharon propose une structure sémiotique en se basant sur les différentes scènes, D.M. SHARON 2005, 289-318.

ANALYSE LITTÉRAIRE DE GN 38

125

scène 3 : recherche des gages (vv.20-23) : (identité introuvable) [gages non trouvés] (échange : fausse piste, fausse justice) « Et il advint, après trois mois... » (v.24) Révélation du plan : scène 4 : le dévoilement (vv.24-25) : (identité révélée) [gages comme preuves] (reconnaissance : vraie piste, vraie justice)

Dénouement de l’injustice de Juda : sa reconnaissance (v.26) Déguisement de Tamar  identité de Tamar (v.26a) Injustice de Juda  « Tu es plus juste que moi » (v.26b) « Et il advint au temps où elle enfantait... » (v.27)

Dénouement de la descendance : la naissance des jumeaux et la reconnaissance par Juda (vv.27-30)

2.4. Bilan L’analyse structurelle d’une part, met en valeur l’unité de ce chapitre dans la construction du récit et, d’autre part, souligne le contraste entre les deux personnages : Juda et Tamar. On verra la fonction de l’histoire de Juda et de Tamar dans le cycle de Joseph avec l’analyse narrative. 3. ANALYSE NARRATIVE 3.1. La question chronologique, problème insoluble ? Avant de procéder à l’analyse narrative, évoquons le problème secondaire de la chronologie : le narrateur donne-t-il un récit vraisemblable sur le plan chronologique ? Deux problèmes chronologiques ont conduit à suggérer que Gn 38 a été inséré à son emplacement actuel par un rédacteur tardif. Tout d’abord, on a souvent évoqué le temps écoulé entre la vente de Joseph (Gn 37,25-36) et la migration du clan de Jacob en Égypte (Gn 46,6-7) où Juda et ses deux fils sont également descendus, « les fils de Juda : Er, Onân, Shéla, Pèrèç et Zérah [mais Er et Onân étaient morts au pays de Canaan], et les fils de Pèrèç, Heçrôn et Hamul » (BJ, Gn 46,12). Tous les événements de Gn 38 trouvent difficilement place sur une période aussi réduite, l’espace de vingt-deux ans15. Juda a dû se marier, devenir père de trois enfants, et 15

Cf. Annexe 2 : chronologie proposée par les récits formant l’histoire de Joseph.

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CHAPITRE III

vivre suffisamment longtemps pour voir ces derniers se marier à leur tour, puis devenir lui-même père des jumeaux nés de Tamar. Un des jumeaux, Pérèç, a eu aussi des enfants. En outre, si Pèrèç et Zérah sont nés presqu’à la fin des vingt-deux ans de la séparation, c’est-à-dire pendant le temps passé entre la vente de Joseph et la migration de sa famille, comme le laisse entendre Gn 38, il est impossible que Pérèç ait engendré la progéniture dont fait état Gn 46,12, avant ou pendant la migration en Égypte. Devant les interrogations que posent les événements de Gn 38 et Gn 46,12, Bush avance une explication : This period is evidently too short for the occurrence of all these events, and we are therefore necessitated to refer the commencement of them at least as far back as to about the time of Jacob’s coming to Shechem, Gen. 33:18; but the incidents are related here because there was no more convenient place for them16.

Ces évènements ont-ils pu tenir dans une période de vingt-deux ans ? Une étude attentive du vocabulaire suffit pour répondre à cette question. Juda se serait marié après la vente de Joseph en Égypte et aurait eu trois fils en trois ans. Er aurait pu se marier avec Tamar à l’âge de quinze ou seize ans et serait mort très tôt. De la même façon, Onân serait mort également à seize ou dix-huit ans, après la vente de Joseph. Dans l’espace de vingt-deux ans, il serait resté encore quelques années pour que Shélah grandisse. Suffisamment de temps se serait ainsi écoulé pour que Tamar puisse être enceinte et enfanter ses jumeaux et aussi pour que Juda puisse descendre deux fois en Égypte avec ses frères. Cassuto fait la remarque suivante : From the opening words of the section, we immediately note that the author was not unaware that the period of time, with which he was dealing, was short and that the happenings that occurred therein were many, and that he must consequently bring them into the closest possible harmony. Hence he did not begin with the formula commonly found in (…) Genesis, “And it came to pass after these things”, nor does he write simply “And Judah went down from his brethren,” but he uses the expression “And it came to pass at that time,” as though he wished to emphasize that immediately after the selling of Joseph, at that very time, Judah went down from his brothers and married the daughter of Shua17.

Cette note confirme que le(s) rédacteur(s) de Gn 38 est/sont bien conscient(s) du court laps de temps pendant lequel les événements du chapitre ont pu se produire. 16 17

G. BUSH 1979, 238. U. CASSUTO 1973, 39.

ANALYSE LITTÉRAIRE DE GN 38

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Quant à la question concernant la naissance des deux fils de Pérèç en Gn 46,12, les deux fils de Juda, Pérèç et Zérah, sont évidemment encore assez jeunes : peut-être avaient-ils quelques mois seulement quand ils sont descendus en Égypte. Il n’était donc pas possible pour Pérèç de devenir père de deux fils, Heçrôn et Hamul, avant le voyage en Égypte. Mais une variation est à noter dans la mention de ces deux derniers en Gn 46,12. À la fin du verset, il est écrit : « et les fils de Pèrèç furent (‫ )ויהיו‬Heçrôn et Hamul ». Pour évoquer la descente en Égypte des fils de Jacob en Gn 46,8-27, le texte emploie l’expression ‫( ובני‬et les fils de) qui est une forme différente de celle employée pour les deux fils de Pérèç. Cassuto propose un commentaire de cette « phraséologie spécifique » dans les termes suivants : « This external variation creates the impression that the Bible wished to give us here some special information that was different from what it desired to impart relative to the other descendants of Israel18 ». Il explique ensuite l’intention particulière qui est derrière cette « phraséologie spécifique » : « It intended to inform us thereby that the sons of Perez were not among those who went down to Egypt, but are mentioned here for some other reason. This is corroborated by the fact that Joseph’s sons were also not of those who immigrated into Egypt, and they, too, are mentioned by a different formula19 ». Il s’agit là d’une description assez claire de cette particularité de la mention « des deux fils de Pérèç » en Gn 46,12. En fait, les nombreux sommaires présentés dès le début du chapitre 38 montrent bien que le déroulement de ces évènements sur une durée de vingtdeux ans est une perspective parfaitement envisageable. Quant aux deux fils de Pérèç, la forme verbale employée (‫ )ויהיו‬pour les évoquer est différente de celle employée pour les autres. Le texte en effet laisse entendre qu’ils n’émigrent pas avec les autres en Égypte. Wenham précise même que l’emplacement de Gn 38 permet aux lecteurs de prendre conscience de la longue durée de la séparation entre Joseph et sa famille20. Par ailleurs, Wénin a renoncé à vérifier la possibilité du déroulement chronologique, et il préfère reconnaître les incohérences chronologiques de Gn 38 qui visent à accentuer l’effet narratif de ce chapitre : « Il est clair que l’insertion de l’histoire de Juda induit chez le lecteur qui aborde la suite la nette impression qu’un long temps a passé depuis que Joseph a disparu avec les marchands21 ». Driver remarque également que la durée de vingt-deux ans 18

U. CASSUTO 1973, 34. U. CASSUTO 1973, 35. Pour la mention des deux fils de Joseph, Gn 46,20 emploie le verbe ‫( ויולד‬et il fut enfanté). 20 G.J. WENHAM 1994, 363. 21 A. WENIN 2002a, 32. 19

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entre la vente de Joseph (Gn 37) et le premier voyage des frères (Gn 42) facilite l’insertion de Gn 38 entre Gn 37 et Gn 3922. Par ailleurs, Römer émet l’hypothèse que la mention des trente ans de Joseph en Gn 41,46 résulte d’une insertion dans le chapitre. Selon le récit de Joseph, ce dernier est descendu en Égypte à l’âge de dix-sept ans, et son séjour en prison a pu durer trois ans. Si le texte précise que son élévation survient à l’âge de trente ans, on en déduit alors un séjour de treize ans en Égypte. Cette observation montre que ces calculs recouvrent une tension. En conséquence, Römer suppose que « ce chiffre a été inséré au moment où l’on a intégré Gn 38 dans l’histoire de Joseph23 ». Les derniers rédacteurs du cycle de Joseph auraient ainsi pris en compte la chronologie de Gn 38 dans celle de l’ensemble de l’histoire. Les remarques de ces commentateurs conduisent à deux conclusions : – il est possible que le(s) rédacteur(s) de Gn 38 ai(en)t consciemment encadré cette histoire dans une période de vingt-deux ans ; – il est également possible que ce récit ne soit guère marqué par le souci de la chronologie, l’essentiel étant de montrer la longue durée entre la vente de Joseph et la descente de la famille de Jacob. En résumé, la question chronologique n’est pas la préoccupation principale du(des) rédacteur(s) de Gn 38. Néanmoins, il est impossible de nier l’effet produit sur le lecteur par la longueur du séjour de Joseph en Égypte, ce qui conduit à une réflexion diachronique : l’histoire de Juda et de Tamar est-elle une histoire indépendante préexistante intégrée postérieurement par le(s) rédacteur(s) au cycle de Joseph, ou a-t-elle été composée uniquement en fonction de ce dernier ? On tentera une réponse à la fin de ce travail. Après l’analyse de la question chronologique, essayons de repérer les rouages de l’intrigue dans l’histoire de Juda et de Tamar. 3.2. L’analyse de l’intrigue On cherchera d’abord à mettre au jour l’intrigue de résolution, puis l’intrigue de révélation qu’il est possible de situer à deux niveaux différents d’intrigue24. 22

D.R. DRIVER, 2019, 84. On trouve cette réflexion de Römer dans son cours sur le cycle de Joseph au collège de France, disponible sur le site : https://www.college-de-france.fr/site/thomas-romer/course2016-03-24-14h00.htm. 24 Sonnet dans son article « L’analyse narrative des récits bibliques » explique clairement que l’intrigue est une instance intradiégétique. En conséquence, l’intrigue de résolution et l’intrigue de révélation désignent plutôt l’histoire et les personnages du récit lui-même, 23

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Au niveau du récit : l’intrigue de résolution permet de résoudre la question portant sur la descendance de Juda. La fin du récit montre que Juda aura des jumeaux par Tamar, une étrangère. L’intrigue de révélation se dénoue au moment de la reconnaissance des gages (v.26) par Juda : d’une part, il reconnaît la prostituée rencontrée sur le chemin de Timna, Tamar, sa belle-fille (v.15) ; d’autre part, il reconnaît également son injustice envers cette dernière (v.11). Du point de vue du lecteur, ce dernier comprend que le récit décrit la transformation de Juda vis-à-vis de Tamar. Cette dernière, qui est une « outsider » reléguée à la périphérie de la famille, revient au cœur de la famille en donnant une descendance à Juda. Finalement, la relation entre Juda et Tamar révèle une transformation du rapport à l’étrangère. En fait, Gn 38 décrit des mariages mixtes entre Judéens et étrangères d’où sont issues des descendances mixtes. La reconnaissance par Juda des jumeaux engendrés par Tamar (vv.27-30) conclut l’histoire par un « happy ending » : l’étrangère et sa descendance peuvent être intégrées dans le peuple de Juda. Alors que depuis le v.11, le lecteur est habité par la question – Shélah sera-t-il finalement donné ou non à Tamar ? – le récit ne statue pas sur cette question mais s’arrête à la naissance des jumeaux. Cette fin met en lumière la préoccupation du rédacteur qui porte sur l’intégration de l’étrangère et de sa descendance chez Juda et dénoue l’intrigue de révélation : le lecteur apprend que les étrangers peuvent entrer dans la lignée d’Israélites. Le récit de Gn 38 porte une critique à l’égard de Juda : sa réticence envers Tamar (v.11), et de ce fait, ce chapitre prend position sur l’ouverture aux étrangers : Tamar a sa part dans la descendance de Juda, alors qu’elle est une étrangère. En résumé, l’histoire de Juda et de Tamar pourrait être interprétée comme une transformation de l’ancêtre judéen dans sa relation envers une étrangère. 3.3. Le parallélisme : intrigue de Joseph en Égypte À partir de cette définition de l’histoire de Juda et de Tamar comme transformation de l’attitude de Juda vis-à-vis d’une étrangère, on peut établir un parallélisme entre « Juda – Adoullam (Canaan) – les étrangères » et « Joseph – Égypte – les étrangères ». La vie de ces deux frères s’ouvre sur leur relation respective avec deux femmes : leurs épouses sont très J.P. SONNET 2008, 61. En revanche, chez Marguerat, on voit une combinaison des intrigues qui pourraient se situer à des niveaux différents, cf. D. MARGUERAT, Y. BOURQUIN 2009, 75-81. En conséquence, nous nous situons aux deux niveaux, au niveau du récit et à celui du lecteur, pour analyser l’intrigue de Gn 38.

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peu évoquées (38,2-5 et 41,45.50) et ils rencontrent chacun une autre femme désireuse d’obtenir par la ruse un rapport sexuel. Ces deux histoires se terminent avec la naissance de fils : Pérèç et Zérah chez Juda (38,27-30) ; Ephraïm et Manassé chez Joseph (41,50-52). Il faut remarquer en même temps que ces deux frères ont contracté chacun un mariage mixte avec une femme étrangère finalement intégrée dans le peuple d’Israël. L’histoire permet également un rapprochement entre Tamar et Joseph25. Juda veut renvoyer Tamar chez son père sans la reprendre chez lui. De même, les frères vendent Joseph sans espoir de le retrouver. Tamar et Joseph entrent chacun dans un processus de reconnaissance : Juda va retrouver l’identité de la prostituée, et les frères vont découvrir celle de Joseph en Gn 45. Par ailleurs, un détail doit attirer notre attention : l’histoire de Juda et de Tamar mentionne un personnage apparemment secondaire, Hirah – l’étranger et le compagnon de Juda. Gn 38 dresse de Hirah le portrait d’un ami de Juda. De même, Pharaon et les Égyptiens apparaissent bienveillants envers Joseph et la famille de Jacob. Le mariage mixte entre Juda et la fille de Shoua, la Cananéenne, et la naissance donnée par Tamar aux jumeaux de Juda ne sont pas mal vus, et même plutôt jugés positivement, puisque par ces deux étrangères, Juda peut avoir une descendance. C’est aussi grâce à l’accueil de Pharaon que la famille de Jacob peut subsister. Les étrangers, dans l’histoire de Juda et de Tamar comme dans celle de Joseph, viennent au secours du peuple d’Israël. Enfin, le cycle de Joseph fait les éloges respectifs de Tamar et de Joseph. En quelque sorte, Juda est invité à s’ouvrir aux étrangers comme l’a fait Joseph26. 3.4. La transformation de Juda Après avoir examiné la fonction de Juda en Gn 38 et le parallélisme de son itinéraire avec celui de Joseph, on analyse son rôle dans le macrorécit du cycle de Joseph. Comme le remarque Ska : « En Gn 42–45, (…), la figure de Juda n’est pas secondaire. Tout au contraire, le personnage est central et l’on ne peut se passer de son intervention sans défigurer ou détruire la trame du récit27 ». En effet, le personnage de Juda joue toujours 25

P.R. NOBLE 2002, 219-252. J.L. NIE, X.H. ZHANG 1999, 1-2. Nguyen Chi emploie la méthode narrative pour montrer que ce qui se passe dans le micro-récit de Gn 38 est une mise en abyme de ce qui se passe dans le macro-récit de l’ensemble du cycle de Joseph, cf. A. NGUYEN CHI 2015, 407-418. 27 J.L. SKA 2000, 295. 26

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un rôle décisif dans l’ensemble du récit. Il exerce une grande influence sur ses frères et il a même réussi à les convaincre de vendre Joseph (Gn 37,26-27). Son influence s’exerce également sur son père car il réussit à convaincre Jacob de laisser partir Benjamin (Gn 43,3-14). D’ailleurs, Juda a la capacité de retourner la situation lorsqu’il se propose pour prendre la place de Benjamin, ce qui a permis la réconciliation entre les frères (Gn 44,18-34). C’est encore lui qui se met à la tête de ses frères pour la descente en Égypte (Gn 46,28). Finalement, c’est lui qui prend la place d’aîné et reçoit la bénédiction du père (Gn 49,8-12). Il y a donc bien une transformation de Juda au fil du récit28 : « Quand au chap. 43, dans l’épisode de la coupe, Joseph provoque une situation semblable à celle du début en offrant aux frères la possibilité de se débarrasser d’un autre fils préféré du père ; Juda s’offre pour prendre la place de la victime potentielle (Benjamin). C’était lui pourtant qui, au chap. 37, avait proposé de vendre Joseph29 ». Comment comprendre ce changement total de Juda, qui propose d’abord de vendre Joseph comme esclave, et après quelques chapitres, propose de prendre lui-même la place d’un esclave ? Quelle est la fonction de Gn 38 dans l’évolution de Juda ? C’est pourquoi on s’interrogera sur trois temps de la vie du personnage de Juda dans l’ensemble du cycle de Joseph : son départ, sa transformation et son retour. 3.4.1. Le départ de Juda Le contexte du départ de Juda est lié à la disparition de Joseph à la fin de Gn 37. Juda a proposé à ses frères de vendre Joseph au lieu de le tuer : « Venez, vendons-le aux Ismaélites, mais ne portons pas la main sur lui : il est notre frère, de la même chair que nous » (Gn 37,27a). Le personnage de Juda se révèle dans cette proposition : d’une part, il entend se débarrasser de Joseph en accord avec ses autres frères et, d’autre part, il les retient de le tuer. Pourtant, tel que décrit dans le récit, le personnage de Juda cherche à sauver Joseph, son frère de la même chair que lui, puisque « ses frères l’écoutèrent » (Gn 37,27b). Et paradoxalement le récit montre qu’il fait tout pour les convaincre de vendre Joseph30. Le même phénomène se reproduit en Gn 38. Le récit décrit comment le personnage de Juda transgresse la loi du lévirat : il promet verbalement Shélah, son dernier fils, à Tamar, alors que son intention est de la renvoyer 28

Wenham remarque également la transformation de Juda, G.J. WENHAM 1994, 364. J.L. SKA 2000, 295. 30 Genung propose également de comprendre cette réaction de « Juda » en Gn 37 comme attribuant au personnage de Juda une part de responsabilité dans le sort de Joseph, cf. M.C. GENUNG 2017, 214. 29

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définitivement chez son père (Gn 38,11.14). Plus loin, Juda préfère abandonner ses gages (Gn 38,20-23) plutôt que de chercher la « prostituée ». Toutefois le personnage de Juda n’est pas construit négativement au début du cycle de Joseph. Il a la capacité de reconnaître une part de vérité : Joseph est son frère de la même chair que lui en Gn 37,27a, et il envoie le chevreau à la prostituée en Gn 38,20. Mais il ne va pas jusqu’au bout de ses actes : dans le premier cas, il propose aux frères de vendre Joseph (Gn 37,27a), et dans le deuxième cas, il a abandonné ses gages (Gn 38,23). 3.4.2. La transformation du personnage de Juda Le moment décisif de la reconnaissance constitue le tournant de l’évolution du personnage de Juda (vv.25b-26a)31. Juda reconnaît non seulement son injustice envers Tamar et son infidélité à la Torah, mais également ce qu’il a fait dans le passé, comme Lambe le remarque : « In both clothing or attire are the objects of recognition. The coat is the symbol of Judah’s victimization of Joseph and the insignia symbols of his victimization of Tamar. But in ch. 38 Judah realizes his deception, guilt, disloyalty and evil not only towards Tamar but also to his brother and father32 ». La reconnaissance de son identité propre, dans son histoire avec Tamar, et dans son histoire avec Joseph, apparaît comme la condition préalable d’une future réconciliation avec ses frères et son père. C’est aussi le point de départ, la première étape de sa préparation à son futur rôle de porte-parole de la famille. 3.4.3. Le retour de Juda Dès la première descente en Égypte (Gn 42,3), Joseph met ses frères à l’épreuve en leur demandant de lui amener leur jeune frère (Gn 42,15.20). Devant le refus de Jacob (Gn 42,38), Ruben et Juda formulent des propositions33 : 31 Lambe propose une réflexion sur les quatre mouvements cristallisés dans cette scène de la reconnaissance : « (1) la reconnexion de Juda à son héritage hébraïque et à son identité par la reconnaissance et la réappropriation de ses gages ; (2) la prise de conscience de la transgression de la Loi et son injustice envers Tamar et leur réconciliation ultérieure ; (3) son passage de l’ignorance de sa faute à la connaissance de celle-ci ; (4) une prise de conscience de sa tromperie et de son injustice envers son père et Joseph. Donc Genèse 38, surtout la scène de reconnaissance, porte fortement sur la compréhension du lecteur des actions de Juda dans le reste de l’histoire de Joseph », cf. A.J. LAMBE 1999, 57-58. 32 A.J. LAMBE 1999, 60. 33 Kraut fait les mêmes remarques sur les deux récits où Juda et Ruben ont joué des rôles importants, mais il ne distingue pas l’évolution de Juda, cf. J. KRAUT 2019, 216-224. De même, Nocquet effectue la comparaison entre Ruben et Juda sans en tirer de conclusion, cf. D. NOCQUET 2002, 18-19.

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Ruben « Tu mettras mes deux fils à mort si je ne te le (Benjamin) ramène pas. Confie-le-moi et je te le rendrai » (Gn 42,37). Juda « Laisse aller l’enfant (Benjamin) avec moi... Je me porte garant pour lui et tu m’en demanderas compte : s’il m’arrive de ne pas te le ramener et de ne pas le remettre devant tes yeux, j’en porterai la faute pendant toute ma vie » (Gn 43,9).

La suite du récit montre qu’à la fin, Jacob a laissé partir Benjamin sur ces paroles de Juda (Gn 43,11a). En fait, ces deux frères sont déjà intervenus au sujet d’un autre de leurs frères – Joseph – en Gn 3734 : Ruben « ... N’attentons pas à sa vie !... Ne répandez pas le sang ! Jetez-le dans cette citerne du désert, mais ne portez pas la main sur lui ! » (Gn 37,21-22a). Juda « Quel profit y aurait-il à tuer notre frère et couvrir son sang ? Venez, vendons-le aux Ismaélites, mais ne portons pas la main sur lui : il est notre frère, de la même chair que nous » (Gn 37,27).

Quelques versets plus loin, Ruben voudrait rendre Joseph à son père (Gn 37,22b), mais Juda propose de le vendre. En Gn 37, Ruben semble plus juste que Juda. La comparaison entre l’attitude des deux frères permet de saisir la transformation de Juda : Ruben ne s’engage pas à ramener Benjamin, mais propose la vie de ses deux fils en échange. Juda n’engage ni Shélah, ni ses fils jumeaux, mais lui-même35. Dans la suite de l’histoire, Joseph met ses frères à l’épreuve, pour la seconde fois, en plaçant la coupe dans le sac de Benjamin (Gn 44,1-13). Le dialogue entre Juda et Joseph met encore plus en évidence le changement de Juda (Gn 44,16.30-34) qui se porte volontaire pour remplacer Benjamin comme esclave en Égypte. Selon les paroles de Juda, Joseph se fait reconnaître par ses frères (Gn 45,1-3). Sa transformation est la clé 34 Ackerman et Syrén interprètent les interventions respectives de Ruben et de Juda comme un concours entre les deux pour obtenir la prééminence. Ils font abstraction de la transformation de Juda entre Gn 37 et Gn 44, cf. J.S. ACKERMAN 1995, 298 ; R. SYRÉN 1993, 132-133. 35 Garbini soutient l’idée que les interventions de Ruben dans le cycle de Joseph sont absolument positives, cf. G. GARBINI 2003, 39. Or la comparaison de Ruben et de Juda montre à l’évidence que le rôle de Ruben n’est pas si positif. Macchi considère que Ruben et Juda se portent garants de Benjamin sans les comparer alors que Juda dépasse déjà Ruben dans le récit du cycle de Joseph qui prépare déjà la primauté de Juda qui se confirmera en Gn 49,8-12, cf. J.D. MACCHI 1999, 73. Loewenstamm s’est arrêté à la comparaison entre Juda et Ruben en Gn 37 et Gn 42–43, il est favorable à la théorie “the Judah-orientated adaptation” sans cependant percevoir la transformation de Juda dans le développement du récit, S.E. LOEWENSTAMM 1992, 35-41. Il est évident que Ruben et Joseph sont mis en comparaison dans le cycle de Joseph par leurs interventions respectives en Gn 37 et Gn 42–43. Il faut noter également que chacun connaît un épisode d’ordre sexuel en Gn 35,22 et Gn 38.

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de la réconciliation entre Joseph et ses frères. L’histoire de Juda et de Tamar pourrait être à l’origine du changement de comportement de Juda : « In Egypt Judah even seems to act like Jacob – like a father – taking personal responsibility for Benjamin’s life, with an insight into the nature of the relationship between father and youngest son that he has learned in Genesis 3836 ». Ainsi, Gn 38 est en continuité avec Gn 37 et Gn 42–45. Nos analyses confirment la conclusion de Wénin : Gn 38 permet d’expliquer le tournant de la transformation de Juda intervenue dans le cycle de Joseph37. En même temps, il ne faut pas surévaluer ce chapitre, car l’histoire de Joseph pourrait très bien fonctionner en faisant abstraction de Gn 38. Ce dernier n’est pas absolument nécessaire pour assurer la continuité du macro-récit de l’ensemble du cycle de Joseph. Ainsi, l’insertion de Gn 38 dans le cycle de Joseph n’a pas pour but premier d’assurer cette continuité, même si l’ajout prend en compte tous les éléments de l’histoire de Joseph ; il s’agit en priorité, de souligner la transformation de Juda dans sa relation avec Tamar, une étrangère. 3.5. Bilan L’analyse narrative met en évidence l’unité du récit de Gn 38. L’histoire de Juda et de Tamar fournit une explication de la transformation de Juda dans le cycle de Joseph, sans être absolument nécessaire dans la progression de ce dernier. C’est l’évolution du comportement de Juda vis-à-vis de Tamar qui importe dans le récit. La préoccupation de Gn 38 concerne plutôt la question de l’intégration d’une étrangère et de sa descendance dans la famille de Juda. La mise en parallèle de l’histoire de Juda et de Tamar en Canaan et du récit de Joseph en Égypte revient à transposer en Canaan la situation de Joseph en Égypte. L’exemple de Joseph qui a contracté en Égypte un mariage mixte et mené en diaspora une vie heureuse, prend valeur dans la situation judéenne d’appel à la mixité avec les nations. En quelque sorte, Juda est conduit à s’aligner sur la position de Joseph, qui est celle de l’ouverture aux nations. Au fond, il y a surenchère dans l’ouverture à l’universel. Le cycle de Joseph exprime déjà cette ouverture puisque le contexte textuel se situe en diaspora. Mais Gn 38 souligne le fait que dans le territoire 36

A.J. LAMBE 1999, 64. A. WENIN 2005, 102. Parmi les commentateurs qui ont travaillé sur la transformation de Juda et la fonction de Gn 38 dans le cycle de Joseph, il convient de citer notamment E. FOX 1997, 178-180 ; R.J. CLIFFORD 2004, 520 ; J. EBACH 2007, 597 ; H.G. WÜNCH 2012, 777-806. 37

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même de la tribu de Juda, il faut aussi s’ouvrir à l’universel. Ainsi Gn 38 opère la généralisation de cette thématique à ceux qui ne vivent pas en diaspora. Cela dit, il reste encore dans ce chapitre des questions diachroniques à résoudre. En effet, cette théologie spécifique de l’ouverture aux étrangers doit être vue sur le plan diachronique. En réalité, l’analyse narrative manifeste plutôt l’unité du texte qui permet de présupposer une cohérence dans l’histoire de Juda et de Tamar sans laisser voir de fractures diachroniques. La critique littéraire, verset par verset, devrait permettre de confirmer ce résultat. 4. CRITIQUE LITTÉRAIRE 4.1. L’analyse des versets v.1 : Le récit commence par l’expression ‫( ויהי בעת ההוא‬et il advint en ce temps-là) qui suggère la continuité avec Gn 37. La même expression se trouve en Gn 21,22 au début de l’histoire d’« Abraham et Abimélek à Bersabée », qui suit celle du « renvoi d’Agar et d’Ismaël » (Gn 21,8-20). Comme ces deux histoires indépendantes n’ont pas entre elles de lien littéraire direct, la fonction de cette indication temporelle leur sert de lien. Ici également, on peut y voir le moyen de relier deux récits indépendants : Gn 37 et Gn 38. On doit relever un vocable important de ce verset : ‫( ירד‬descendre). Il n’y a que trois occurrences de ce verbe dans le cycle de Joseph : une pour Jacob qui souhaite descendre (‫ארד‬, je descendrai) au shéol après la perte de Joseph en Gn 37,35 ; une est attribuée à Juda en Gn 38,1 pour décrire sa descente (‫וירד‬, et il descendit) ; et une autre pour Joseph en Gn 39,1 (‫הורד‬, il fut descendu). Cette remarque révèle une mise en parallèle de ces trois personnages – chacun connaît une « descente » – et on en fera l’analyse plus loin. Notons cependant que cette « descente » est active pour Jacob et Juda, en revanche, elle est passive pour Joseph. La localisation d’Adoullam donne lieu à discussion entre commentateurs. Von Rad écrit : « The two places mentioned in our exposition, Adullam and Chezib (=Achzib, Josh. 15.44), were thus situated in the Judean-Philistine hill country southwest of Jerusalem, where the Judeans were living with the Canaanites as neighbors38 ». À partir des indications de Jos 15,35, Emerton suppose qu’Adoullam est une ville qui se trouve 38

G. VON RAD 1972, 365.

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à seize kilomètres au nord-ouest de Hébron et à six kilomètres au sud-est de Soko39. Wenham remarque que Hébron, le point de départ de Juda, qui se situe à 3040 pieds au-dessus du niveau de la mer, est une des plus hautes montagnes du sud de Canaan. Pour aller à Adoullam, qui se trouve au nord-ouest de Hébron, Juda doit donc descendre40. Si les commentateurs sont partagés sur Adoullam et s’il apparaît difficile, et même impossible de déterminer sa localisation exacte, il importe au moins de noter que Juda quitte ses frères et qu’il se trouve parmi les étrangers dans le pays cananéen. De son côté, Amit remarque qu’Adoullam est mentionné chez le prophète Michée (Mi 1,15) et dans l’histoire de David (1 S 22,1-2) comme un lieu de refuge. Elle émet l’hypothèse que la mention d’Adoullam comme lieu central de l’histoire de Juda et de Tamar est une allusion à David41. Ce lien avec David fondé sur la seule mention d’Adoullam dans ces trois textes semble toutefois assez ténu, d’autant que Mi 1,15 ne s’applique pas explicitement à David. Il décrit plutôt la complainte du Seigneur sur les cités du bas-pays d’Israël. Ces indices évoquent un contexte géographique suggérant que l’ancêtre des Judéens descend dans le territoire attribué à la tribu de Juda selon la tradition scripturaire. En outre, les études archéologiques menées par Faust et Katz sur l’époque du Fer I (environ 1200 – 1000 av. J.C.) montrent la présence des Philistins dans la plaine côtière méridionale d’Israël et celle des Israélites sur les hauts plateaux à l’est ; et la Shephelah se trouve au centre. En s’appuyant sur l’histoire de Juda et de Tamar et les lieux mentionnés en Gn 38, ils supposent que les Cananéens étaient localisés au nord-est de Shephelah, près de la jonction de la vallée d’Elah qui sépare géographiquement la Shephelah de la montagne de Juda. Selon eux, les Cananéens deviendront des Israélites et seront assimilés par Juda42. Même si leurs propos restent assez hypothétiques, ils reconnaissent l’existence de deux identités différentes dans l’histoire de Juda et de Tamar. Et l’intégration, à la fin de l’histoire, de Tamar et de sa descendance correspond bien à l’assimilation 39 J.A. EMERTON 1975, 343-346, qui a simplement repris les opinions de Noth, Rudolph et de Vaux : « I claim no originality and I do little more than repeat the opinion of Noth, Rudolph, and de Vaux, who discuss the question more fully ». Hamilton confirme aussi cette idée en précisant qu’Adoullam se trouve au sud-ouest de Bethléem et au nord-ouest de Hébron, cf. V.P. HAMILTON 1995, 432. Remarquons que ces noms de lieux sont très voisins : Kézib (‫ )כזיב‬et Akziv (‫ ; )אכזיב‬Enayim (‫ )עינים‬et Enam (‫)עינם‬. 40 G.J. WENHAM 1994, 366. 41 Y. AMIT 2011, 9-10. Voir encore la mention de ‫ עדלם‬en 2 S 23,13 // 1 Ch 11,15 dans l’histoire de David. 42 A. FAUST, H. KATZ 2011, 243.

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des Cananéens à Juda. Il est tout à fait possible que le(s) rédacteur(s) de Gn 38 ai(en)t pris en considération cette assimilation pour formuler une proposition propre concernant l’intégration des étrangers dans l’histoire de Juda et de Tamar. Quant au personnage de Hirah, l’Adoullamite, le compagnon de Juda, Ede observe que son rôle n’est pas nécessaire au déroulement du récit aux vv.1.12.20-2343, ce qui conduit à s’interroger sur la fonction d’un tel personnage secondaire dans ce récit. L’introduction de Hirah permet de mettre en relief le fait que Juda est descendu chez les étrangers et que ces derniers vont nécessairement jouer un rôle déterminant dans sa vie. v.2 : Trois verbes au qal ont été employés pour décrire l’action de Juda qui contracte un mariage : ‫( ראה‬voir), ‫( לקח‬prendre) et ‫( בוא‬venir). Wenham remarque que l’association de ces deux verbes ‫( ראה‬voir) et ‫( לקח‬prendre) met toujours l’accent sur le caractère illicite de la prise (Gn 3,6 ; 6,2 ; 12,15 ; 34,2 ; Jg 14,1-2)44. En ce sens, le mariage de Juda n’est pas décrit de façon positive. Le TM (‫ )ושמו שוע‬laisse la femme de Juda anonyme ; en revanche, la LXX témoigne ἧ ὄνομα pour donner le nom de Shoua à la fille. Il est possible que la LXX ait voulu clarifier le texte. La variante textuelle n’influence pas la compréhension. L’information la plus importante réside dans la désignation explicite de ‫( כנעני‬Cananéen). Le récit souligne le fait que Juda a contracté un mariage mixte. v.3-5 : Ces trois versets ont une même construction avec quelques légères différences : aux v.4 et 5 a été ajouté le mot ‫( עוד‬encore). Le verbe ‫הרה‬ (concevoir) au qal a été remplacé par ‫( יסף‬ajouter) au hifil au v.5. ‫ותלד בן ויקרא את־שמו‬ ‫ותהר‬3 ‫ותהר עוד ותלד בן ותקרא את־שמו‬4 ‫ותסף עוד ותלד בן ותקרא את־שמו‬5

Le parallélisme décrit les naissances successives des trois fils. Westermann souligne que ces verbes, ‫( הרה‬concevoir), ‫( ילד‬engendrer), ‫קרא‬ (appeler), appartiennent « entirely in the language of the genealogy45 ». Le passage de la naissance correspond bien à l’origine généalogique du peuple d’Israël. D’ailleurs, nous pouvons comparer la triple occurrence de la naissance à la fertilité de Léa évoquée en Gn 29,32-35 qui culmine avec la naissance 43 44 45

F. EDE 2016, 57-59. G.J. WENHAM 1994, 366. C. WESTERMANN 1987, 51.

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CHAPITRE III

de Juda46. Il convient de noter le parallèle entre la succession continue des naissances de Ruben, Siméon, Lévi et Juda et la naissance des trois fils de Juda : Gn 29,32-35 ‫ותהר לאה ותלד בן ותקרא שמו‬32a ‫ותהר עוד ותלד בן )…( ותקרא שמו‬33 ‫ותהר עוד ותלד בן )…( קרא־שמו‬34 ‫ותהר עוד ותלד בן )…( קראה שמו‬35

Gn 38,3-5 ‫ותהר ותלד בן ויקרא את־שמו‬3a ‫ותהר עוד ותלד בן ותקרא את־שמו‬4a ‫ותסף עוד ותלד בן ותקרא את־שמו‬5a

Ce lien littéraire est intéressant car la succession rapide des naissances chez Léa, la mère de Juda, se reproduit chez la femme de ce dernier. En même temps, chaque cycle de naissance conserve son propre parallélisme interne. Ensuite, on note que les noms des trois fils, Er, Onân et Shélah, réapparaîtront en Gn 46,12, Nb 26,19-20 et 1 Ch 2,3-4. Si le caractère tardif de l’insertion de Gn 38 est confirmé, il est possible que sa rédaction soit postérieure à celle de Gn 46,8-27 qui ne connaît pas l’histoire de Joseph. Quant à Nb 26, le recensement ne s’intéresse qu’à la généalogie des fils, et Tamar n’y tient aucune place. Il est tout à fait possible que le(s) rédacteur(s) de Gn 38 ai(en)t eu connaissance de la généalogie post-P en Gn 46,8-25 et de l’histoire de Joseph. En revanche, 1 Ch 2,3-4 qui est le seul de ces trois passages à faire référence à Gn 38 avec la mention de la belle fille de Juda, Tamar, a dû être composé après Gn 38. Le texte retient notre attention sur deux points : – premièrement, selon le TM, c’est Juda qui donne un nom à son premierné qui est son héritier et tient un rôle important en tant que fils aîné (cf. Dt 21,17). C’est son épouse qui nomme les deux autres enfants. Il est possible que le TM veuille souligner l’importance du fils aîné. – deuxièmement, la suite du récit montrera que lorsque Juda aura perdu ses deux premiers fils, sa présence sera plus manifeste auprès du dernierné dont il deviendra même le protecteur. Cela permet de comprendre la variante textuelle telle qu’elle se présente dans le TM, qui prend en compte les différents degrés de considération dont Juda fait preuve à l’égard de ses trois fils. Par ailleurs, Westermann propose de comprendre le v.5 comme une généalogie indépendante car l’information sur le lieu de naissance n’est 46 La même proposition se trouve également chez Kipasa, P.M. KIPASA 2018, 479, note n°21.

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pas nécessaire pour la suite du récit47. Il convient cependant de s’interroger sur la raison pour laquelle le ou les rédacteurs ont voulu insister sur ce détail, en apparence inutile au déroulement du récit. Il est possible que le nom de lieu « Kezîv » (‫ )כזיב‬entre dans un jeu de mots avec la racine ‫( כזב‬mentir, tromper)48. Dans ce sens, le lieu mentionné à la naissance de Shélah est significatif dans ce déroulement. Arbeitman propose d’interpréter l’histoire comme si elle commençait par ‫( כזב‬mentir, tromper) pour se terminer avec ‫( פרץ‬percer)49. Il est tout à fait possible que Gn 38 comporte plusieurs jeux de mots concernant la naissance des enfants. Enfin, Westermann identifie Kezib (‫ )כזיב‬avec la ville mentionnée en Jos 15,44, à « Akzib » (‫)אכזיב‬, à cinq kilomètres au sud d’Adoullam50. Wenham note que Jos 15,44 et Mi 1,14 ont mentionné le lieu « Akzib », mais il va plus loin en supposant qu’une partie du clan de Shélah va s’y installer (1 Ch 4,21-22), puisque 1 Ch 4,22 mentionne ‫( ואנשי כזבא‬et les gens de Keziva) et c’est la raison pour laquelle Juda se trouve en ce lieu à la naissance de Shélah51. En fait, ce lien géographique entre ‫( כזיב‬Kezib) et ‫( כזבא‬Keziva) paraît assez fragile. Comme on l’a signalé ci-dessus, il est difficile de relever des indices géographiques dans le récit. L’information la plus importante à retenir dans ces versets est le fait que Juda a eu des enfants avec une Cananéenne dans un pays étranger. Et cette description de la naissance des trois fils de Juda est mise en parallèle avec celle des quatre fils de Léa au nombre desquels figure Juda (Gn 29,32-35). De ce fait, le(s) rédacteur(s) de Gn 38 a(/ont) eu connaissance de la généalogie de Jacob pour construire celle de Juda en parallèle. v.6 : Ce verset est introduit par le verbe ‫( לקח‬prendre) déjà présent au v.2. Ce dernier raconte le mariage contracté par Juda. C’est maintenant le cas de Er. Un détail attire l’attention : Juda prend une femme ‫( לער בכורו‬pour Er, son premier-né). Le statut de Er est déjà mentionné à sa naissance au v.3. Ainsi, le parallélisme observé au v.6 – Er et son premier-né – souligne une fois de plus l’importance du statut de fils aîné52. 47

C. WESTERMANN 1987, 51. « C’est ici que le lecteur se souvient du nom du lieu où Juda se trouvait à la naissance du fils qu’il cherche à protéger aujourd’hui, Kezîv. Ce nom, que le narrateur mentionnait sans raison apparente, est à rapprocher sans doute du verbe kazav, ‘mentir, tromper’ ». Selon Wénin, celui qui était à Kezîv est Juda, non sa femme. Il adopte la version du TM : « Il (Juda) était à Keziv quand elle l’enfanta ». Cette version apporte un éclairage sur l’action de Juda, A. WENIN 2005, 94. 49 Y.L. ARBEITMAN 2000, 93. 50 C. WESTERMANN 1987, 51. 51 G.J. WENHAM 1994, 366. 52 M.E. SHIELDS 2003, 37. 48

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CHAPITRE III

Par ailleurs, le statut de Tamar a été très discuté53. Le TgPJ considère Tamar comme la fille de Sem le Grand (‫)ברת שם רבא‬54, et ce dernier est considéré comme prêtre par les rabbins. Cette considération rabbinique tardive entraîne deux conséquences : 1) que Tamar n’est pas étrangère et que la pureté généalogique de Juda est conservée ; 2) que Tamar pourrait être brûlée pour s’être prostituée (cf. Lv 21,9). Dans cette hypothèse, la sentence de Juda en Gn 38,24 serait justifiée. Identifier Tamar, comme fille d’un prêtre, relève l’image négative présentée par Juda en Gn 38. Schmitt remet lui aussi en question l’origine cananéenne de Tamar55. Ces remarques reflètent une discussion sur la participation de l’étrangère à l’histoire judéenne ; elles témoignent d’une hésitation à en accepter la présence dans la lignée davidique, et font écho à la controverse sur la possibilité d’intégrer ou non des étrangers au sein du peuple d’Israël. Amit souligne que même si le v.6 ne précise pas explicitement le statut de Tamar, il est possible de remarquer au moins qu’elle n’est pas une Araméenne, à la différence de Sara, de Rébecca, de Rachel et de Léa, et même de Bilha et Zilpa56. En revanche, Zuker et Reiss considèrent que l’appartenance ou non de Tamar à la grande famille abrahamique ou mésopotamienne est une question indifférente57. Nous penchons en faveur de l’origine cananéenne de Tamar pour trois raisons : 53 Le même nom sera utilisé pour une fille de David (2 S 13,1) et celle d’Absalom (2 S 14,27). Auld et Rendsburg ont établi une liste de rapprochements des noms propres cités en Gn 38 et 2 S 13 : ‫( חירה‬Hirah) // ‫( חירם‬Hiram, roi du Tyr, cf. 2 S 5,11) ; ‫( בת־ שוע‬fille de Shoua) // ‫( בת־ שבע‬Bethsabée) ; ‫( ער‬Er) // ‫ «( נער‬garçon » qui désigne l’enfant mort de David et Bethsabée en 2 S 12,16) ; ‫( אונן‬Onân) // ‫( אמנון‬Amnon) ; ‫( שלה‬Shélah) // ‫( שלמה‬Salomon) ; ‫( תמר‬Tamar) // ‫( תמר‬Tamar). Ces noms témoignent incontestablement d’une résonance entre les deux récits, mais ce n’est pas suffisant pour démontrer un lien entre Gn 38 et 2 S 13, G. AULD 2011, 461 ; G. AULD 2000, 93-99 ; G.A. RENDSBURG 1986, 441 ; S.L. MCKENZIE 2009, 201-203. Amit a également essayé d’établir la relation entre Gn 38 et 2 S 13 pour souligner le lien entre Juda et David, Y. AMIT 2011, 10-11. Par ailleurs, Vayntrub a essayé d’établir un parallélisme entre Tamar de Gn 38, celle de 2 S 13 et Saraï qui est représentée comme « un palmier dattier » (‫ )תמרא‬devant Abraham dans le manuscrit Apocryphe de la Genèse en 1Q20 XIX 14-16. Selon elle, ces trois femmes jouent un rôle important dans une situation de relations familiales transgressives. Cette remarque est intéressante, mais il est difficile d’admettre que le rapport entre Tamar et Juda relève de l’inceste, J. VAYNTRUB 2020, 301-318. 54 Lanoir lit ‫ ברת שם רבא‬comme « la fille de Melkisedeq » et ce dernier est aussi grand prêtre. Cette légère différence d’interprétation ne change pas le sens du TgPJ, C. LANOIR 2015, 180. 55 H.C. SCHMITT 2001, 304-305. 56 Y. AMIT 2013, 300. 57 D.J. ZUKER, M. REISS 2015, 195.

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1) les lieux géographiques mentionnés dans le récit correspondent au milieu cananéen58 ; 2) Juda a déjà épousé une cananéenne auparavant (v.2), et il lui est donc possible de faire le même choix pour Er. Il est aussi possible que le v.6 omette de mentionner le statut de l’intéressée pour éviter une répétition. D’ailleurs, Ebach remarque qu’il est frappant de voir Tamar se révéler comme personnage principal du récit, sans aucune mention de son peuple, de son lieu d’origine et de la position de son père. Selon lui, un mariage intra-israélien ou un mariage qui a eu lieu dans la famille et le clan au sens large se serait accompagné d’informations plus précises sur la famille et l’origine de la femme59. Cet argument fait pencher fortement en faveur d’une identité étrangère de Tamar ; 3) on verra plus loin en comparant Tamar et Ruth qu’elles sont toutes deux considérées comme des étrangères60. Le statut de Tamar, Cananéenne, c’est-à-dire étrangère par rapport à Juda, est essentiel pour comprendre le déroulement du récit. v.7 : Fentress-Williams propose de lire le waw, non pas comme une conjonction, mais comme une rupture avec le passé61, puisque le récit s’enchaîne avec la mort d’Er. Une question se pose : pourquoi le texte ne donne-t-il aucun détail sur la cause de la mort de Er alors que celle d’Onân est décrite explicitement ? Selon les interprétations rabbiniques tardives, la faute de Er s’assimile à celle d’Onân62. L’acte « mauvais » de Er vient aussi de son refus de la vie. « Il y a donc, pour Er comme pour Onân, refus de l’enfant. C’est ce refus, davantage que la recherche du plaisir solitaire, que la Bible condamne expressément. On pourrait dire : qui refuse la vie n’est pas digne de vivre63». Mais il est une autre explication plus convaincante : il convient de se souvenir que les textes bibliques ne livrent que les 58 En parlant des « hidden polemics in the story of Judah and Tamar », Amit confirme également l’identité de Tamar comme une cananéenne en raison du cadre géographique proposé par le récit, Y. AMIT 2011, 6-9. Bergsma s’appuie sur le même argument pour affirmer l’identité cananéenne de Tamar, J.S. BERGSMA 2019, 292, n° 16. 59 Cf. J. EBACH 2007, 125-126. Il remarque plus loin que le récit ne s’intéresse pas à la famille d’origine de Tamar, mais seulement à son histoire dans la famille de Juda (p. 129). 60 Amit suppose également que le lien entre Ruth et Tamar et leur intégration dans la généalogie davidique souligne que Tamar peut être une étrangère, une Cananéenne. Y. AMIT 2013, 301. 61 J. FENTRESS-WILLIAMS 2007, 62. 62 J. EISENBERG, B. GROSSE 1983, 199-200. 63 J. EISENBERG, B. GROSSE 1983, 200.

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informations utiles à la progression du récit. C’est la mort de Er qui est importante pour la suite, non sa cause64. En ce qui concerne Onân, a contrario, son refus d’engendrer est essentiel pour le développement du récit. Hamilton remarque que depuis le temps de Noé, et le péché de Sodome et de Gomorrhe, Dieu punit toujours un groupe, et c’est la première fois dans la Bible que la punition par Dieu d’un individu est décrite : « Dieu le fait mourir »65. Cette remarque est assez intéressante car la rétribution individuelle caractérise le style tardif du texte. Le récit délivre une information importante : Tamar n’est pas la cause de la mort de Er. v.8 : Juda, en tant que père, donne un ordre à Onân par trois verbes à l’impératif : « Viens (‫)בא‬, et agis en beau-frère (‫)ויבם‬, et fais se lever (‫( » )והקם‬v.8). Le verbe ‫יבם‬, concernant la loi du lévirat, se trouve uniquement en Gn 38,8 et Dt 25,5.7. La LXX a inventé le mot γάμβρεύω pour traduire ce terme spécifique. C’est la soumission à la loi du lévirat qui est mise en question ici. Le but de Juda n’est pas de donner Tamar pour femme à Onân, mais de faire en sorte que ce dernier « fasse se lever une descendance à son frère » [v.8b, « une descendance à ton frère » : (‫])זרע לאחיך‬. Le récit met en évidence le lien entre Dt 25,5-10 et Gn 38,8 à propos de la loi du lévirat, abstraction faite de la condamnation à mort. Wehnam remarque que le terme « descendance » (‫ )זרע‬est massivement employé dans le cycle d’Abraham pour désigner la descendance promise qui deviendra une grande nation et héritera de la terre (Gn 12,7 ; 13,15.16 ; 15,3.5.13.18 ; 16,10 ; 17,7.8.9.10.12 ; 19,32.34 ; 21,12.13 ; 22,17.18), et il peut avoir ici la même connotation66. Il est clair que l’intrigue de résolution se noue autour de la question de la descendance, et qu’elle constitue le fil rouge pour le déroulement du récit. v.9 : Contrairement à l’absence d’explication de l’action de Er, le récit dévoile celle du comportement d’Onân. En apparence, il a obéi à son père, parce qu’il « venait vers la femme de son frère », mais en secret, Onân a laissé tomber par terre la semence pour « ne pas donner une descendance à son frère ». Le texte décrit bien cette contradiction : l’ordre du père est de « susciter une descendance » à Er (‫ )והקם זרע לאחיך‬au v.8 et l’intention véritable d’Onân est de « ne pas donner une descendance » à ce dernier (‫)לבלתי נתן־זרע לאחיו‬, puisque la descendance ne sera pas sienne, 64 Ska emploie l’expression la loi de l’économie, c’est-à-dire que seuls les éléments indispensables sont mentionnés, J.L. SKA 2016a, 65. 65 V.P. HAMILTON 1995, 434. 66 G.J. WENHAM 1994, 366.

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comme ce qui est prescrit en Dt 25,6. L’acte d’Onân est une transgression de la loi du lévirat, et constitue une injustice à l’égard de Tamar. La demande de Juda est de susciter une descendance (‫ )זרע‬à Er (cf. vv.8-9), et non explicitement un fils (‫ )בן‬tel qu’il est précisé en Dt 25,5. En étudiant Rt 4,7 qui mentionne le mot ‫( תעודה‬témoignage) et les différents usages des lois du lévirat (Dt 25,5-10) et du rachat (Lv 25,23-25 ; Lv 25,47-49), Ska distingue deux possibilités de concevoir la Torah : il y aurait, d’une part, un judaïsme « littéraire »67 fondé sur « l’exégèse officielle de la Torah proposée par les scribes » et, d’autre part, un judaïsme « populaire » basé sur « les antiques coutumes locales »68. Il est tout à fait possible que la différence entre Dt 25,5-10 et Gn 38,8-9 trouve sa source dans ces deux milieux différents. Nous analyserons cette question en détail dans la partie consacrée à la loi du lévirat. v.10 : La cause de la mort d’Onân est explicitée dans le texte : il refuse de donner une descendance à son frère en laissant tomber à terre sa semence et il meurt à cause de son péché. Davies69 et Westbrook70 interprètent le coïtus interruptus d’Onân non comme un refus à l’égard de Tamar, mais comme un acte égoïste visant à préserver son héritage qu’il ne veut pas partager avec la descendance du premier-né de Er. Hamilton71 précise que la réaction d’Onân suppose déjà la connaissance par le rédacteur de Nb 27,8-11 où l’héritage du défunt sans descendance sera donné à ses frères. L’interprétation de ces commentateurs et l’indice que constitue le mot ‫זרע‬ (descendance) au v.9 orientent vers une rédaction tardive de Gn 38 puisqu’il est possible que le(s) rédacteur(s) s’appuie(nt) sur Dt 25,5-10 et Nb 27,8-11 pour composer l’histoire de Juda et de Tamar. L’exercice du lévirat est selon Dt 25 un acte libre. La faute d’Onân consiste à accepter d’être le « lévir » sans s’exécuter. Grelot le précise en disant qu’« il manquait à la loi du lévirat en recourant à une pratique anticonceptionnelle dans ses rapports avec Tamar72 ». Westermann émet l’hypothèse que le refus d’Onân reflète un arrière-plan de révolte contre la 67 Les deux termes de « judaïsme littéraire » et de « judaïsme populaire », ne sont pas de Jean-Louis Ska mais viennent d’un entretien doctoral avec le professeur O. Artus. Nocquet distingue un « judaïsme non biblique » et un « judaïsme biblique » lorsqu’il parle d’existence de la vénération des autres divinités à côté de YHWH à l’Eléphantine, D. NOCQUET 2017, 20. 68 J.L. SKA 2016a, 240-241. 69 E.W. DAVIES 1981, 257-258. 70 R. WESTBROOK 1991, 76. 71 V.P. HAMILTON 1995, 436. 72 P. GRELOT 1999, 155. L’auteur souligne que la mort de Er sans l’enfant pourrait être considérée comme une mort naturelle ; en revanche, celle d’Onân vient sanctionner une faute qui consiste de ne pas donner un enfant à son frère volontairement.

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coutume mentionnée spécifiquement en Dt 25,773. Il est difficile de statuer sur l’existence d’un tel contexte de contestation de la pratique du lévirat. Ce qui est condamné chez Onân, c’est plutôt l’incohérence entre ce qu’il s’est engagé à faire et ses actes. Ici, la loi du lévirat ne représente qu’un contexte permettant de mettre en évidence l’incohérence d’Onân. On peut risquer une autre hypothèse. En Nb, lorsque quelqu’un viole la loi délibérément, citoyen ou étranger, cette violation entraîne la peine de mort (Nb 15,30-31). Ainsi qu’il a été constaté dans l’histoire de la recherche, le cycle de Joseph arrive tardivement dans le Pentateuque, et Gn 38 vient en rompre la cohérence narrative comme une insertion encore plus tardive. Il est tout à fait possible que Gn 38 s’aligne sur la position de Nb où la violation délibérée de la loi entraîne une conséquence plus grave qu’en Dt, promouvant ainsi une interprétation plus tardive et plus radicale de la Loi. En conséquence, le récit surenchérit sur la gravité de la désobéissance à la loi du lévirat telle qu’elle apparaît en Dt 25 ; ainsi s’explique le passage d’une humiliation publique à la peine de mort. L’intervention de Dieu est mise en lumière dans le récit pour la seconde et dernière fois au sujet de la mort d’Onân : « ... mauvais aux yeux de YHWH, et il (YHWH) le fit mourir » (v.7 et v.10). L’expression ‫רע בעיני‬ ‫( יהוה‬Gn 38,7.10) ne trouve qu’une occurrence en 1 Ch 2,3 qui raconte la mort de Er : ‫ויהי ער בכור יהודה רע בעיני יהוה וימיתהו‬. Il est évident que ce verset reprend Gn 38,7, mais l’histoire d’Onân n’est pas mentionnée en 1 Ch 2,3-8. Comme ce dernier prend en compte la naissance de Pérèç et de Zérah et de leurs descendances – mais pas celle d’Onân et de Shélah – alors qu’on peut supposer que le rédacteur de 1 Ch 2,3-8 connaissait Gn 38 – deux hypothèses permettent d’expliquer cette absence : – le rédacteur de 1 Ch 2,3-8 a pu considérer Gn 38,7.10 comme une répétition inutile et faire délibérément l’ellipse pour ce qui concerne Onän ; – l’histoire d’Onân est un ajout postérieur à Gn 38 pour souligner le fait qu’il n’a pas appliqué la loi du lévirat et que Juda ne voulait pas donner Shélah à Tamar, ce qui justifie l’action de cette dernière, Juda étant l’unique membre de la famille susceptible de mettre la loi en application. Ayant déjà noté que Gn 38 conserve son unité propre, il est difficile de considérer les versets 8-10 comme un ajout secondaire. On retiendra plutôt la première hypothèse selon laquelle le(s) rédacteur(s) de 1 Ch 2,3-8 a(/ont) fait délibérément l’ellipse de l’histoire d’Onân pour alléger la faute 73

C. WESTERMANN 1987, 52.

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des fils de Juda. Il est évident que les vv.8-10 concernent la loi du lévirat, et cette question sera traitée en détail dans une partie consacrée au lévirat. L’expression ‫הרע בעיני יהוה‬, avec 54 occurrences74 dans l’AT, qui associe le verbe ‫( עשה‬faire), se trouve massivement dans Jg, 1 R, 2 R et 2 Ch. « Faire le mal aux yeux du Seigneur » est l’expression théologique du deutéronomiste, et dans cet usage, le verbe ‫ עשה‬précède l’expression ‫הרע בעיני יהוה‬. En revanche, le verbe ‫ עשה‬n’apparaît pas en Gn 38,7, et ‫ עשה‬est placé après l’expression ‫ הרע בעיני יהוה‬avec l’emploi de ‫( אשר‬ce que) en vue d’une explication. En conséquence, il est difficile de considérer que ce chapitre appartient à l’histoire deutéronomiste comme le soutient Schmitt75. Il est possible que cette expression soit une composition post-Dtr et un indice supplémentaire de la composition tardive de Gn 38. v.11 : Remarquons le contraste de situation entre les vv.1-6, avec les multiples signes de fécondité : ‫( הרה‬concevoir), ‫( ילד‬enfanter), ‫( קרא‬appeler) ; et les vv.7-10, et leurs signes de mort : ‫( מת‬mourir) et ‫( שחת‬corrompre). Kipasa note l’opposition entre les vv.3-6 qui décrivent la vie, et les vv.7-11 où le récit incline vers la mort76. Cette observation des différents vocables exprimant une tension dans le récit est assez éclairante. Dans la BH, deux occurrences parallèles de l’expression ‫( כי אמר פן‬car il disait de peur que) décrivent respectivement la peur de Juda en face de la perte de Shélah (Gn 38,11) et la peur de Jacob devant la descente de Benjamin en Égypte (Gn 42,4). Nous pouvons observer la proximité des pensées respectives de Juda et de Jacob : ‫כי אמר פן־ימות גם־הוא כאחיו‬ (Car il se disait : « De peur qu’il ne meure lui aussi comme ses frères », Gn 38,11bα) ; ‫( כי אמר פן־יקראנו אסון‬Car il se disait : « De peur qu’il lui arrive un accident », Gn 42,4b). Une fois de plus, Juda et Jacob sont mis en parallèle pour décrire leur souci de protéger le plus jeune fils77. Juda décide de renvoyer Tamar chez son père en lui promettant Shélah. Lv 22,13 décrit le cas où une femme mariée peut être ainsi renvoyée sous 74

Cf. Nb (1×) ; Dt (4×) ; Jg (7×); 1 S (1×) ; 1 R (10×) ; 2 R (20) ; Jr (1×) ; 2 Ch (9×). H.C. SCHMITT 1997, 307-308. En repérant les expressions ‫( רע בעיני יהוה‬v.7) et ‫וירע‬ ‫( בעיני יהוה‬v.10), Schmitt perçoit de nombreux échos aux livres des Rois et à 2 S 11,27b, surtout Nb 32,13 (post-P) et Nb 22,34. Il suppose que Gn 38 n’appartient pas seulement à l’histoire des patriarches, mais aussi à l’histoire deutéronomiste. Il en conclut que le(s) rédacteur(s) de Gn 38 est/sont les deutéronomistes qui, comme en Gn 48–50*, voulai(en)t réunir Pentateuque et histoire deutéronomiste. Nous avons déjà signalé cette question dans l’état de la recherche. 76 P.M. KIPASA 2018, 478. 77 Le souci de Juda n’est pas tout à fait celui de Jacob, car le premier est associé à une forme de tromperie pour renvoyer Tamar chez son père, A. WENIN 2010, 164-166. 75

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CHAPITRE III

réserve de trois conditions : la femme doit être la fille d’un prêtre (‫; )בת־כהן‬ elle doit être soit veuve (‫ )אלמנה‬soit répudiée (‫ ; )וגרושה‬elle ne doit pas avoir d’enfant (‫)וזרע אין‬. Or le récit ne précise jamais que Tamar est la fille d’un prêtre et surtout, Shélah lui a été promis. Elle n’entre donc pas dans le cadre décrit en Lv 22,13. D’après l’interprétation d’Otto concernant la loi du lévirat en Dt 25,5-10, cette dernière a pour but d’assurer la sécurité de la veuve sans enfant78. Ede soutient la même conclusion que cette loi a pour fonction première la sécurité sociale de la veuve79. Or, ici le récit montre que Juda ne respecte ni la loi du lévirat ni la prescription de Lv 22,13, ce qui rend compréhensible et justifie la réaction de Tamar dans la suite. Nous reviendrons sur la loi du lévirat plus loin. v.12 : Cette expression ‫( וירבו הימים‬de nombreux jours passèrent) renvoie à ‫( ימים רבים‬des jours nombreux) en Gn 37,34. Elle va déboucher ici sur une solution, alors qu’en Gn 37 elle souligne la tristesse de Jacob. Une distinction s’opère ici entre Jacob qui a refusé toute consolation (‫נחם‬, 2×, Gn 37,35) et Juda qui, au v.12, se console (‫)נחם‬. Ce verset renvoie encore une fois à Gn 37. Le récit accentue la contradiction entre Jacob et Juda. Par ailleurs, à la fin de l’histoire de Joseph, le même verbe « consoler » réapparaîtra pour la troisième fois ; c’est Joseph qui va consoler ses frères (‫וינחם אותם‬, et il les consola) en Gn 50,21. Cette racine « réconforter, consoler » n’est attestée que ces quatre fois dans le cycle de Joseph. Outre les naissances rapprochées des trois fils de Juda aux vv.3-5, l’histoire décrit les trois morts successives de Er (‫ )וימתהו‬au v.7, d’Onân (‫ )וימת‬au v.10 et de la femme de Juda (‫ )ותמת‬au v.12. Le verbe ‫( עלה‬monter) caractérise l’action de Juda contraste avec « descendre » au v.1. Westermann80 estime possible d’identifier Timna comme étant la ville de « Tibnah » (Jos 15,57), située à sept kilomètres au nord-est d’Adoullam. Devant la difficulté de localiser précisément les lieux mentionnés dans le récit, on se limite à remarquer que Juda se trouve toujours chez les étrangers. D’une part, ce verbe « monter » peut décrire réellement la montée géographique de Juda pour tondre son troupeau à Timna81 et, 78

E. OTTO 2017, 1855. F. EDE 2016, 75. 80 C. WESTERMANN 1987, 53. 81 Une interprétation juive donne une explication sur le lieu nommé Timna : « Aujourd’hui Timna est, dans le sud d’Israël, une mine de cuivre. Mais l’endroit nous est connu par la relation du livre des Juges : c’est là que se rendit Samson pour épouser une femme philistine dont le texte nous tait le nom, mais dont nous savons qu’elle sera infidèle et livrera ses secrets. Samson comme Juda rencontre ‘la femme’ à Timna ! Nos Maîtres qui lisaient les textes avec une scrupuleuse attention s’interrogent : pour Juda, on nous dit qu’il ‘monta à Timna’, tandis que Samson ‘descendit à Timna’ (...). Rabbi Eléazar dit : ‘Samson, qui y 79

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d’autre part, il peut donner un sens à l’ensemble de l’histoire, maintenant que le récit entre dans une nouvelle étape de son développement. Wenham remarque que « tondre le troupeau » est une fête animée (1 S 25,2-37 ; 2 S 13,23-28) où la consommation du vin est libre. Selon lui, si Juda est sous l’effet du vin, il peut ne pas reconnaître le déguisement de Tamar82. De même, Hamilton83 précise que David qualifie ce jour comme ‫( יום טוב‬1 S 25,8) qui pourrait être plus festif que les fêtes habituelles. Comme Tamar aux vv.14-15 va se déguiser et se voiler le visage pour cacher son identité, imputer à l’ivresse l’aveuglement de Juda relève en tout état de cause de la pure hypothèse. C’est l’action de Tamar qui est décisive pour l’avancement du récit. v.13 : L’expression ‫( ויגד לתמר לאמר‬et il fut raconté à Tamar en disant) fait écho à ‫( ויגד ליהודה לאמר‬et il fut raconté à Juda) au v.24. Le récit ignore qui a donné l’information à Tamar. Ce qui est important est le contenu de cette information qui précise le lieu et la raison de la montée de Juda. La suite du récit reprend trois éléments du v.12 : ‫( חמיך‬ton beau-père), c’est-à-dire Juda, celui qui a la responsabilité de donner Shélah à Tamar, ‫( עלה תמנתה‬montant à Timna) et ‫( לגז צאנו‬pour tondre son troupeau). v.14 : Ce verset commence par une description des actions de Tamar comportant une succession de quatre verbes : ‫( סור‬ôter) ; ‫( כסה‬se couvrir) ; ‫( עלף‬s’envelopper) et ‫( ישב‬s’assoir). En Rt 3,3, décrivant la préparation de la rencontre nocturne entre Ruth et Booz, le récit comporte également quatre verbes successifs : ‫( רחץ‬se laver) ; ‫( סוך‬se parfumer) ; ‫( שים‬placer) et ‫( ירד‬descendre). Des gestes similaires se trouvent également en Est 5,1 et en Jdt 10,3. Tamar et Ruth, deux femmes étrangères, se préparent à rencontrer deux hommes israélites en vue d’être intégrées dans le peuple d’Israël ; et Esther et Judith, deux femmes israélites se préparent à rencontrer deux hommes étrangers en vue de sauver le peuple d’Israël. Leurs actions sont un moment clef de ces quatre histoires. fut méprisable on dit de lui qu’il descendit ; Juda qui y connut l’élévation on dit de lui qu’il y monta’. Rabbi Chmouel bar Na’hmani dit : ‘Il existe deux villes appelées Timna », l’une en montagne, l’autre dans la vallée’. Rabbi Pappa dit : ‘ il n’y a qu’une seule Timna ; quand on vient d’un côté, on y descend, et de l’autre, on y monte’ » (Talmud Sota, 10 a.), J. EISENBERG, B. GROSSE 1983, 212. Selon ces interprétations rabbiniques, on perçoit déjà que la descente et la montée de Juda peuvent avoir un sens non seulement géographique, mais aussi spirituel. 82 G.J. WENHAM 1994, 368. 83 V.P. HAMILTON 1995, 439.

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CHAPITRE III

L’usage du mot ‫( צעיף‬le voile), déjà vu dans la critique textuelle, ne renvoie pas nécessairement à la prostitution, puisque la même expression ‫( ותתכס הצעיף‬et elle se couvrit du voile) a été appliquée à Rébecca au moment de sa rencontre avec Isaac (Gn 24,65), et le voile de Rébecca peut être interprété comme le symbole du mariage. Ede souligne que dans la loi assyrienne (§40), il est interdit aux prostituées de se couvrir la tête. Selon l’auteur, le fait que Juda considère Tamar comme une prostituée vient de ce qu’elle reste à l’entrée du chemin (Jr 3,2 ; Ez 16,25)84. On admettra ici que le voile de Tamar a pour fonction de cacher sa véritable identité. On note que le mot ‫( בגד‬vêtement) s’étale dans les récits où le vêtement sert à cacher ou à exprimer une identité, voir les emplois en Gn 37,29 ; Gn 38,14.19 ; Gn 39,12.13.15.16.18 et Gn 41,42. Il est évident que l’usage de ‫ בגד‬est associé à une tromperie dans le cycle de Joseph. Les frères prennent le vêtement de Joseph pour tromper le père (Gn 37) ; Tamar change de vêtement pour tromper Juda (Gn 38) ; la femme de Potiphar saisit le vêtement de Joseph pour tromper son mari (Gn 39) et Joseph se sert de l’habit des Égyptiens pour cacher son identité (Gn 41). Finalement, le mot ‫ בגד‬pourrait être un élément central pour la construction de Gn 37–41. En outre, le même motif du vêtement est exprimé par ‫כתנת‬ (tunique) en Gn 37,3.23.31.32.33, par ‫( שמלתיו‬ses habits) en Gn 37,34 et Gn 41,14 ; et par ‫( שמלת‬habits, 2×) en Gn 45,2285. Quant au lieu de la rencontre, ‫( בפתח עינים‬à la porte d’Einaïm), qui se trouve près de Timna, Westermann et Wenham font le rapprochement avec la ville « Enam » en Jos 15,3486. Comme tous les lieux mentionnés dans ce récit, il est impossible de l’identifier précisément. Le nom de ce lieu est souvent interprété comme un jeu de mots87, puisque ‫ עינים‬pourrait désigner 84

F. EDE 2016, 66. Matthews a considéré le thème du vêtement comme la structure narrative du cycle de Joseph. Il a analysé principalement les épisodes de la tunique de Joseph en Gn 37, du vêtement de Joseph chez Potiphar en Gn 39 et de son habit à la cour du Pharaon en Gn 41. Il voit dans les vêtements de veuvage de Tamar en Gn 38,14 un signe de son état social. Ce qui est intéressant dans ses remarques, c’est le lien qu’il établit entre le vêtement et l’identité, V.H. MATTHEWS 1995, 25-36. Huddlestun observe que ce travail de Matthews n’a pas mis suffisamment en évidence l’importance du thème du « vêtement » en Gn 38 ; aussi l’analyse-t-il en Gn 37–39 de manière plus détaillée, J.R. HUDDLESTUN 2002, 47-62. Ede souligne, elle aussi, la relation avec le vêtement et les objets personnels en Gn 37–39, F. EDE 2019, 389-402. Notre travail devrait conduire à élargir le champ d’étude de ce motif de Gn 37–45. 86 C. WESTERMANN 1987, 53 ; G.J. WENHAM 1994, 368. 87 Wénin propose une signification : « Si le narrateur prend la peine de préciser le nom du lieu-dit où Tamar se rend, ‘la porte de deux sources’ – plus littéralement ‘ouverture de deux 85

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« les yeux »88 : la suite du récit fait référence au fait que Tamar voit (‫)ראה‬ que Shélah a grandi et qu’elle ne l’a pas eu comme mari ; et le début du v.15 décrit aussi Juda qui voit (‫ « )ראה‬une prostituée » sans reconnaître Tamar. Nous pouvons admettre que le mot ‫ עינים‬désigne en priorité le lieu nommé « Einaïm », et il est plus correct de comprendre l’emploi du mot ‫ עינים‬comme « les deux sources ». v.15 : La question du voile a été discutée dans la critique textuelle. Le TM semble établir un lien entre la prostituée et le voile par la conjonction ‫ ; כי‬en revanche, la LXX et les autres témoins textuels interprètent l’usage du voile comme un moyen de cacher la véritable identité. Ces variantes textuelles conduisent au même résultat : Juda ne reconnaît pas l’identité de Tamar, et cela conditionne l’enchaînement du récit. vv.16-18 : Ces trois versets se concentrent sur le dialogue entre Tamar et Juda qui est ouvert par ‫( ויאמר‬et il dit) et ‫( ותאמר‬et elle dit), et porte sur le gage. Juda a promis à Tamar un chevreau (‫ )גדי‬au v.17. Westermann remarque que cela pourrait viser une coutume en se référant à Jg 15,1 (‫)גדי‬, puisque « In Greece and elsewhere a kid is the hetaera sacrifice in the service of the goddess of love89 ». Il est difficile de justifier l’hypothèse que le chevreau correspond ici à un tel sacrifice. Il s’agit plutôt d’un échange dans le cadre du commerce sexuel entre Juda et « la prostituée ». Wenham mentionne également Pr 7 pour exprimer l’idée que la recherche de la consolation auprès d’une prostituée est considérée comme une folie90. En conséquence, l’acte de Juda envers la prostituée, même s’il n’a pas reconnu Tamar, est critiquable. yeux’ –, ce ne doit pas être par simple souci du détail (...). Cette ironie naît du contraste entre ‘l’ouverture des deux yeux’ de Tamar qui ‘voit que Shélah a grandi sans qu’elle lui ait été donnée (38,14b), et l’aveuglement de Juda, qui croyait tout savoir, mais est à présent démasqué à son insu par Tamar. L’ironie se renforcera, par la suite, dans l’opposition entre les deux protagonistes. Bien que voilée, Tamar garde les yeux en face des trous et gère parfaitement la situation à son avantage, au contraire de son beau-père qui, malgré ses yeux grands ouverts, ne la reconnaît pas et ne se rendra compte de rien jusqu’à la fin, jusqu’à ce que Tamar l’arrache à son aveuglement », A. WENIN 2005, 96. L’ironie pointe dans ce que Tamar voit et dans ce que Juda ne voit pas. 88 Fentress-Williams considère le nom du lieu ‫ בפתח עינים‬comme « l’ouverture des yeux » en s’appuyant également sur le verbe ‫ראה‬, J. FENTRESS-WILLIAMS 2007, 63. Shields fait le lien entre « Einaïm » (‫ )עינים‬et les deux reprises du verbe « voir » (‫)ראה‬, cf. M.E. SHIELDS 2003, 39. Dans le même sens : cf. J. KRUSCHWITZ 2012, 401. Tarlin souligne l’aspect ironique dans ce récit, cf. J.W. TARLIN 2000, 174-181. 89 C. WESTERMANN 1987, 53. 90 G.J. WENHAM 1994, 368. De même, Levin remarque que le chevreau est un cadeau courant pour coucher avec une femme en faisant référence à Jg 15,1, C. LEVIN 2009, 292.

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Les gages demandés par Tamar sont significatifs : elle extorque à Juda « des gages franchement onéreux – son sceau, sa corde et son bâton, c’està-dire la caution légale de leur propriétaire91 », précise Alter. Wenham92 souligne que le sceau est un symbole de richesse, seuls les riches pouvant posséder leur propre sceau. Souvent une corde traverse le milieu du sceau. Soggin précise que le sceau n’est pas une bague, mais est plutôt porté à la ceinture ou au cou93. Cela justifie le lien entre le sceau et la corde. En outre, le bâton est un symbole d’autorité (Nb 17,17 ; Ps 110,2) sur lequel est souvent gravé un signe de propriété. Westermann remarque également que les insignes au nombre de trois se retrouvent souvent dans la littérature ougaritique94. Ces remarques permettent de conclure que Juda a donné à Tamar tout ce qui permet de l’identifier. Cette pratique du gage est connue dans le milieu israélite (cf. Ex 22,25 ; Dt 24,6.10-13). Par ailleurs, le mot « gage » (‫( )ערבון‬cf. Gn 38,17.18.20) partage la même racine ‫( ערב‬s’engager) que ‫( אערבנו‬je m’en porte garant) en Gn 43,9 et ‫( ערב‬s’est porté garant) en Gn 44,32. Comme on l’a vu plus haut, Gn 38 est en cohérence avec Gn 43–44 pour montrer une transformation de Juda. En l’occurrence, l’emploi de ‫ ערב‬montre une résonance entre ces chapitres. Le dénouement de l’échange s’accomplit par trois verbes consécutifs au v.18b : ‫( ויתן‬et il donna) ; ‫( ויבא אליה‬et il alla vers elle) ; ‫( ותהר‬et elle fut enceinte). Ces actions de Juda renvoient à sa rencontre avec la fille de Shoua aux vv.2-4 : ‫( וירא‬et il vit) ; ‫( ויקחה‬et il la prit) ; ‫( ויבא אליה‬et il alla vers elle) et ‫( ותהר‬et elle fut enceinte). v.19 : Notons le parallélisme entre les v.14 et 19 : ‫ותסר בגדי אלמנותה‬14a ‫ותלבש בגדי אלמנותה‬19c (et elle ôta les vêtements de son veuvage) (et elle revêtit les vêtements de son veuvage) ‫מעליה ותכס בצעיף‬14b ‫ותסר צעיפה מעליה‬19b (et elle se couvrit d’un voile) (et elle ôta son voile) ‫ותתעלף ותשב‬14c ‫ותקם ותלך‬19a (et elle s’enveloppa et elle s’assit) (et elle se leva et elle alla)

Ces deux versets forment une inclusion de la rencontre entre Juda et Tamar. Ce parallélisme souligne surtout l’importance de l’action de Tamar, une étrangère, qui est enceinte non seulement pour elle, mais également pour Juda. 91 92 93 94

R. ALTER 1999, 18. G.J. WENHAM 1994, 368. J.A. SOGGIN 1993b, 282. C. WESTERMANN 1987, 53.

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vv.20-23 : Le thème de « la prostituée » a sa propre variante dans ce passage95. En fait, Juda prend Tamar pour une prostituée quelconque, comme l’indique l’emploi du terme ‫ זנה‬au v.15, tandis que Hirah cherche une prostituée sacrée ‫קדשה‬. Y a-t-il une ambiguïté ici ? Dans les religions païennes du POA, des pèlerins s’unissaient aux prostituées dans les temples dans le cadre du culte de la fécondité. Ces femmes n’avaient pas le rôle des prostituées ordinaires. Par la suite, quand les gens diront à Juda que Tamar s’est livrée à la prostitution, le mot ‫ זנה‬revient. Il faut également remarquer que ce mot apparaît uniquement dans le contexte de Juda, dans la description du récit au v.15 et que la racine ‫ זנה‬est reprise deux fois par son clan au v.24. Quant au mot ‫קדשה‬, il apparaît uniquement en rapport avec les gens de l’extérieur, les Cananéens : Hirah emploie ce mot au v.21 et les hommes du lieu lui répondent avec le même vocable. Good comprend l’alternance de ‫ זנה‬et ‫ קדשה‬comme relevant de l’ironie. Selon lui, si Hirah employait le terme ‫זנה‬, les gens du lieu pourraient se souvenir de Tamar96. En réalité, la différence entre ces deux mots ne joue pas un rôle si marquant. Lipinski précise que le mot hébreu ‫ קדשה‬compris comme signifiant la prostituée, revêt le sens de prostituée sacrée dans le culte de la fécondité dans des temples cananéens. En dehors de ce cas précis, les deux mots, ‫ קדשה‬et ‫זנה‬, sont synonymes97, au point que ce que Juda et les siens appellent ‫זנה‬, les Cananéens l’appellent ‫קדשה‬, mot utilisé en leur présence. Deux explications sont possibles : 1) la distinction entre ‫ קדשה‬et ‫ זנה‬peut rappeler la dualité des milieux cananéen et judéen, le(s) rédacteur(s) de Gn 38 faisant ressortir l’ambiance cananéenne de l’épisode pour mettre l’accent sur le fait que Juda se trouve parmi les étrangers ; 2) on peut aussi considérer les deux mots comme deux expressions équivalentes ayant même sens dans ce contexte98. La même situation peut 95 Quant à l’usage des deux mots différents, une interprétation juive donne cette précision : « la Bible connaît deux termes pour parler de la prostitution. Le premier, ZONA désigne la prostituée ordinaire ; étymologiquement, il semble d’ailleurs s’agir ici de la fonction alimentaire de la prostitution : c’est la femme qui se vend pour vivre. C’est ce terme qu’utilise la Bible lorsque Juda rencontre Tamar. Or, curieusement, dans le verset que nous venons de citer (v.20), c’est un autre terme qui apparaît : KEDECHA. Il désigne généralement les hiérodules, c’est-à-dire les prostituées ‘sacrées’ qui opéraient près d’un temple. Ce terme est en effet relié à la racine KDCH qui désigne le saint et le sacré ! Non pas que la Bible accepte la notion de ‘prostitution sacrée’, elle semble plutôt enregistrer un fait de civilisation », J. EISENBERG, B. GROSSE 1983, 225-226. 96 E.M. GOOD 1965, 108. 97 E. LIPINSKI 2014, 50. 98 Lipinski confirme la même idée en disant que « Obviously the two words (qedeshah and zonah) are used as synonyms ». Et selon lui, il n’y a ici aucune indication d’un culte de

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être observée en Dt 23,18-19 : les vocables, ‫ קדשה‬et ‫קדש‬, tels qu’ils sont employés au v.18 ont le même sens que le mot ‫ זנה‬au v.19. Ce passage décrète qu’il ne doit pas y avoir de prostitués parmi le peuple d’Israël. Ces deux termes sont aussi équivalents en Os 4,14. Cette analyse des mots ‫ קדשה‬et ‫ זנה‬ne pose pas de question majeure en Gn 38. Le statut de la prostituée n’est qu’un moyen pour Tamar de cacher sa véritable identité. En conséquence, la question de la pratique de la prostitution sacrée ou non n’est pas la question essentielle dans l’histoire de Juda et de Tamar. En réalité, ces versets tournent autour du sujet « des gages inéchangeables ». Chaque verset se termine par une négation : ‫( ולא מצאה‬et il ne la trouva pas) au v.20b ; ‫( לא־היתה בזה קדשה‬il n’y avait pas par ici de prostituée sacrée) au v.21b et au v.22b ; ‫( לא מצאתיה‬je ne l’ai pas trouvée) au v.22a ; ‫( לא מצאתה‬tu ne l’as pas trouvée) au v.23b. À l’évidence, ils mettent tous l’accent sur le fait qu’il est impossible de trouver « la prostituée ». D’ailleurs, Ede remarque un parallélisme et une opposition entre Gn 37,15-17 et Gn 38,20* par la même racine du verbe ‫( מצא‬trouver) : Joseph à la recherche de ses frères est guidé par un homme mystérieux ; en revanche, Hirah n’est pas capable de trouver la prostituée pour Juda99. Cette observation apporte une justification pertinente à la présence de ce passage « étrange » en Gn 38,20-23. Juda abandonne la recherche en raison de la peur du mépris (‫פן נהיה‬ ‫)לבוז‬. Le terme ‫ פן‬fait écho à sa « peur » du v.11 qui retient Juda d’appliquer la loi du lévirat entre Shélah et Tamar. Quant au mot ‫( בוז‬mépris), Wenham remarque qu’il désigne souvent la moquerie des riches et des arrogants envers les mortels (cf. Ps 123,3-4 ; Ne 3,36)100. En conséquence, le récit met en contraste le but ‫( לקחת הערבון מיד האשה‬pour prendre le gage de la main de la femme) au v.20 et le résultat ‫[ תקח־לה‬elle prendra (le gage) pour elle] au v.23. En effet, ce qui est en jeu derrière ces versets, c’est l’identité cachée de Tamar, et la peur de Juda qui ne touche pas à la vérité. v.24 : Le récit s’enchaîne avec une autre indication de temps : ‫ויהי כמשלש‬ ‫( חדשים‬et il advint après trois mois), ce qui indique que l’histoire entre dans une nouvelle étape. En même temps, il devient visible que Tamar est enceinte. la prostitution, cf. E. LIPINSKI 2014, 51. 99 F. EDE 2016, 54. 100 G.J. WENHAM 1994, 368.

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L’expression ‫( ויגד ליהודה לאמר‬et il fut raconté à Juda en disant) fait écho avec ‫ ויגד לתמר לאמר‬au v.13. Ces deux expressions en parallèle suscitent deux réactions différentes : Tamar fait un plan pour être enceinte de Juda ; quant à ce dernier, il agit avec violence. La suite du récit décrit l’ordre de Juda en deux mots : ‫( הוציאוה‬faites-la sortir, ‫ יצא‬au hifil à l’impératif) et ‫( ותשרף‬elle sera brûlée, ‫ שרף‬sous forme de jussif au nifal). Von Rad remarque à propos de la sentence : « The punishment itself is certainly, in the narrator’s opinion, the severest possible. The later law recognized burning only in an extrem case of prostitution (Lev. 21.9). The custom was death by stoning for such offenses (Deut. 22.23 ff.; Lev. 20.16)101 ». En réalité, il existe aussi un autre cas : l’inceste avec la belle-mère qui entraîne la condamnation à être brûlé au feu en Lv 20,14. La mention de « faites-la sortir » pourrait indiquer la sortie de la localité en référence à Dt 22,21 et Dt 22,24102. En tout état de cause, même si Tamar est enceinte en raison de sa prostitution, la peine correspondante n’est pas d’être brûlée, mais lapidée. Il y a deux explications possibles à la sentence de Juda : selon la première, le(s) rédacteur(s) de Gn 38 a(/ont) voulu souligner de manière péjorative le comportement de Juda par le contraste entre la peine de lapidation applicable à la prostitution et la condamnation à être brûlée qu’il prononce. Selon la deuxième, cette sentence est liée à la théologie de Nb qui conduit à une radicalisation des conséquences d’une désobéissance à la loi. Par ailleurs, nous pouvons constater que Joseph est faussement accusé d’avoir commis l’adultère en Gn 39, mais la sanction (la prison) paraît légère par rapport à la peine à laquelle Tamar est condamnée. Cela peut signifier que ces deux chapitres se réfèrent à des échelles de sanctions différentes. v.25 : L’expression « reconnais, s’il te plaît » (‫ )הכר־נא‬joue un rôle capital dans ce récit. Elle n’a, en effet, que deux occurrences dans l’AT : Gn 37,32 et Gn 38,25. Il est évident que le(s) rédacteur(s) de Gn 38 a(/ont) voulu mettre en parallèle Gn 37 et Gn 38. Nous verrons cette analyse plus loin. Par ailleurs, le verbe ‫ נכר‬a dix occurrences dans le livre de la Genèse (Gn 27,23 ; 31,32 ; 37,32.33 ; 38,25.26 ; 42,72×.82×) concernant toutes 101 G. VON RAD 1972, 360-361. Nous devons corriger une erreur de von Rad ici : sa référence à Lv 20,16 s’applique au cas d’une femme qui a une relation avec une bête. Peut-être a-t-il voulu évoquer le cas de Lv 20,12 qui décrit l’inceste entre le beau-père et sa belle-fille. Comme le récit décrit la réaction de Juda comme si ce dernier considérait que Tamar avait commis l’adultère avec quelqu’un d’autre, cette affaire n’entre pas dans le cas de Lv 20,12. Au total, nous préférons ne garder que la référence de Dt 22,23ss. 102 C. WESTERMANN 1987, 54.

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CHAPITRE III

l’identité des personnes103. Cela permet d’établir une connexion entre le cycle de Jacob et celui de Joseph. Le verbe ‫( שלח‬envoyer) est toujours lié à la question du gage qui fait avancer le récit : Juda a promis l’envoi du chevreau (‫אשלח‬, j’enverrai) au v.17 ; Juda envoie Hirah (‫וישלח‬, et il envoya) au v.20 ; et maintenant, c’est Tamar qui envoie les gages (‫שלחה‬, elle envoya). Par ailleurs, la mention des gages : ‫( החתמת‬le sceau), ‫( והפתילים‬et les cordons) et ‫( והמטה‬et le bâton) renvoie au v.18b où « la prostituée » a reçu de Juda les signes de son identité. v.26 : Il convient de remarquer que le récit emploie souvent les termes ‫( כלה‬la belle-fille) et ‫( חם‬le beau-père) pour évoquer la relation entre Juda et Tamar : ‫( כלתו‬sa belle-fille, vv.11.16) ; ‫( חמיך‬ton beau-père, v.13) ; ‫( כלתך‬ta belle-fille, v.24) et ‫( חמיה‬son beau-père, v.25). Ces précisions ont deux fonctions : d’une part, de rappeler que Juda avait le devoir de donner Shélah à Tamar comme promis ; et d’autre part, de souligner que la relation entre Juda et Tamar ne correspond pas à ce qui est mentionné en Lv 20,12 : « L’homme qui couche avec sa belle-fille : tous deux devront mourir. Ils se sont souillés, leur sang retombera sur eux », parce que Juda « ne savait pas qu’elle était sa belle-fille » (v.16c). De plus, le récit précise qu’« il ne continua pas de la connaître » (v.26c). En conséquence, la stratégie de Tamar n’est pas illicite. Finalement, Juda devient, en quelque sorte, celui qui exécute la loi du lévirat. Nous aborderons cette dernière question plus tard. Le mot qui caractérise Tamar dans cette histoire, c’est ‫( צדקה‬juste), en contraste avec ce qui est dit de Er et d’Onân par ‫( רע‬vv.7.10). On notera avec intérêt la remarque de Wenham : dans un contexte juridique, l’emploi du terme ‫ צדק‬désigne toujours l’innocence (cf. Ex 23,7 ; Dt 25,1)104. En tout cas, l’action de Tamar n’est pas du tout vue comme un crime. De plus, Juda reconnaît non seulement que Tamar est juste, mais aussi qu’elle est plus juste que lui (‫)צדקה ממני‬. La formule, ‫( צדקה ממני כי‬tu es plus juste que moi, car…), ressemble beaucoup à celle que Saül adresse à David : ‫( צדיק אתה ממני כי‬toi, tu es plus juste que moi, car…) en 1 S 24,18. Comme on l’a déjà constaté dans l’histoire de la recherche, il est possible que ce récit soit proche de la tradition de David ; mais il faut remarquer que la louange, telle que celle que Saül adresse à David, ne s’applique pas à Juda, mais à Tamar, une étrangère. C’est plutôt Tamar que le récit met en parallèle avec David. 103 104

J. EBACH 2007, 144. G.J. WENHAM 1994, 369.

ANALYSE LITTÉRAIRE DE GN 38

155

Par ailleurs, l’expression ‫( לא־נתתיה לשלה בני‬je ne l’ai pas donnée à mon fils) renvoie à la promesse de Juda au v.11, ‫( עד־יגדל שלה‬jusqu’à ce que grandisse Shélah), et à la prise de conscience de Tamar au v.14, ‫( כי־גדל שלה‬car Shélah avait grandi). L’application de la loi du lévirat anime le déroulement du récit. D’ailleurs, Tamar est mise à l’honneur en Rt 4,12. Finalement, Gn 38 fait l’éloge de Tamar l’étrangère. v.27 : Le début de ce verset comporte une autre indication temporelle : ‫( ויהי בעת לדתה‬et il advint au temps où elle enfantait) : le récit passe à un autre stade. Le texte donne une précision très importante : ‫והנה תאומים‬ ‫( בבטנה‬voici des jumeaux dans son ventre) au v.27b qui renvoie à celle de Gn 25,24 : ‫( והנה תומם בבטנה‬voici des jumeaux dans son ventre) qui raconte la naissance de Jacob et d’Esaü. Viezel remarque que lors de la naissance d’Esaü et de Jacob, le texte précise un détail concernant la « main » : ‫( וידו אחזת בעקב עשו‬et sa main agrippait au talon d’Esaü) en Gn 25,26 ; un détail similaire concerne la naissance de Pérèç et de Zérah : ‫( ויהי כמשיב ידו והנה יצא אחיו‬et il advint comme il ramenait sa main, voici son frère sortit) en Gn 38,29105. La mention de la main lors de ces deux naissances gémellaires permet de rapprocher ces deux épisodes. vv.28-30 : Lambe relève la différence entre la naissance donnée aux trois fils de Juda par la fille de Shoua, qui apparaît comme une procession ordonnée et la « subversion » que constitue la naissance des jumeaux106 : l’aîné prend souvent la place du second. Ismaël est le fils aîné, mais c’est Isaac qui est choisi par Dieu ; Esaü est le fils aîné, mais c’est Jacob qui accapare la bénédiction ; Ruben est le fils aîné de Jacob, mais c’est Joseph qui est son bien-aimé. De même ici, Pèrèç précède Zérah ; dans la famille de Joseph également, Ephraïm, le plus jeune frère, deviendra un plus grand peuple que Manassé, le fils aîné de Joseph (Gn 48,1-22). Cette description de la naissance des jumeaux entre bien dans le cadre des récits patriarcaux. Aussi, Levin considère que cette description de la naissance met en avant la primauté de Juda, puisqu’elle ressemble à la naissance de Jacob et d’Esaü en Gn 25,24-26. En conséquence, Juda est placé avant Jacob, et s’élève à la hauteur d’Isaac107. En réalité, il ne s’agit pas de Juda aux vv.28-30, l’allusion à Gn 25,24-26 porte sur l’ordre des naissances qui met la question du fils aîné au premier plan. Ede fait une remarque intéressante : si Gn 48 met en avant la 105

E. VIEZEL 2011, 686. A.J. LAMBE 1998, 104. 107 C. LEVIN 2009, 283. Salm et Ede ont effectué une analyse détaillée de Gn 25,24-26 et Gn 38,27-30, E. SALM 1996, 157 ; F. EDE 2016, 69-72. 106

156

CHAPITRE III

bénédiction de Jacob sur Joseph et ses fils, Gn 38,27-30 assimile la naissance des jumeaux de Juda à celle de Jacob en Gn 25,24-26108. Elle signale ainsi l’équilibre entre Joseph et Juda qui sera plus lisible en Gn 49. Le nom de ‫( פרץ‬Pérèç) provient de la reprise des deux mots, ‫פרצת‬ (tu as fait une brèche) et ‫( פרץ‬une brèche), issus de la bouche de la sagefemme. Quant à ‫( זרח‬Zérah), il pourrait faire référence à Is 60,1 (‫זרח‬, a surgit) et à Is 60,3 (‫זרחך‬, ton levant) pour désigner l’éclat du soleil levant. « Le fil écarlate » (‫ )שני‬que la sage-femme met sur la main de Zérah pourrait renvoyer au « cordon écarlate » (‫ )תקות השני‬de Rahab, une étrangère, en Jos 2,18.21. Il est possible que le nom de Zérah renvoie également au sens « écarlate ». Trois conclusions découlent de la naissance des jumeaux : 1) ce passage correspond au récit généalogique ancré dans les récits patriarcaux ; 2) il est parallèle à Gn 25,21b-25a, l’histoire des jumeaux Esaü et Jacob, où le fils aîné est mis en infériorité par rapport au cadet ; 3) il forme une inclusion avec le début du récit de la naissance des trois fils de Juda. Retenons un détail : les vv.29 et 30 emploient la forme ‫( ויקרא‬et il appela). Cette nomination est le signe de la reconnaissance par Juda de ses enfants. Nb 26,20 identifie trois clans de Juda : les Shélanites, les Parcites et les Zarhites confirmant l’appartenance de Pérèç et de Zérah à Juda. Il en découle que Juda n’est pas le lévir pour Tamar, puisque les jumeaux, au moins Zérah, n’appartiennent pas à la descendance de Er, mais à celle de Juda. Emerton suppose que la description de la naissance de Pérèç et de Zérah aux vv.27-30 a circulé indépendamment, et qu’elle a pu être insérée postérieurement en Gn 38 pour former l’épisode de la naissance de la descendance de Juda et de Tamar109. Il est difficile de retenir cette proposition, car la naissance des jumeaux forme bien inclusion avec les vv.3-5 qui décrivent la naissance des trois fils de Juda. Et le récit ne montre aucune fracture entre la naissance des jumeaux et ce qui précède. Salm et Ruppert ont tous deux remarqué une différence concernant l’appellation des jumeaux aux vv.3-5 (‫ויקרא‬, v.3 et ‫ותקרא‬, vv.4-5). Ils concluent que cette différence provient de différentes compositions rédactionnelles, comme ce qui est déjà suggéré par Emerton110. Dans notre analyse, cette 108

F. EDE 2016, 69-72. J.A. EMERTON 2015b, 463. 110 E. SALM 1996, 154 ; L. RUPPERT 2008, 137. Nous devons ces références au commentaire d’Ede : F. EDE 2016, 69-70. 109

ANALYSE LITTÉRAIRE DE GN 38

157

différence peut être un procédé littéraire visant à faire ressortir le fait que Juda reconnaît les jumeaux nés de Tamar. Amit a observé que la généalogie davidique n’a pas été énoncée à la fin de Gn 38 en lien avec Pérèç, mais que c’est plutôt Rt qui fait le lien entre Juda – Pérèç – David111. En conséquence, il suppose que l’histoire de Juda et de Tamar est une composition antérieure à la formation de Rt (cf. Rt 4,18-22) et de 1 Ch (cf. 1 Ch 2,1-17) qui mentionnent chacun une généalogie de Juda jusqu’à David en passant par Pérèç112. Cette remarque prouve le lien insécable entre Gn 38 et Rt que nous analyserons plus loin. Finalement, on ne sait pas si Shélah est ou n’est pas donné à Tamar. Ce point n’intéresse pas le(s) rédacteur(s) de Gn 38. Il importe davantage que Tamar, l’étrangère, et sa descendance s’intègrent dans la famille de Juda113. 4.2. L’histoire de la rédaction Les commentateurs émettent des avis divergents sur l’histoire rédactionnelle de Gn 38. Gunkel y distingue deux éléments allogènes : « (1) The account of the origin of the clans of Judah at the beginning and end of the whole unit and (2) the Tamar legend proper comprising the central passage114 ». Dans la suite, il considère que ces deux styles correspondent à deux matières différentes : « The first is arranged briefly, in the manner of a notice ; the second is a beautiful, extensive narrative115 ». Levin suggère que Gn 38 repose sur une généalogie de Juda qui ne comprend que les vv.1.6*18b*.27-30 afin de placer la naissance des fils de Juda sur le même plan que celle des fils d’Isaac, Jacob et Esaü (Gn 25,22-26), et celle des fils de Joseph, Manassé et Ephraïm (Gn 41,50-52)116. Nos analyses montrent que les deux éléments de nature distincte, soulignés par Gunkel sont, en réalité, des effets narratifs. La brève présentation des deux naissances au début (vv.3-5) et à la fin (vv.28-30) sont des ellipses. Par ailleurs, 111

Y. AMIT 2011, 5-6 ; 7-12. Y. AMIT 2011, 9. 113 Abasili définit Gn 38 comme « un récit de la recherche de la progéniture ». Il souligne l’inclusion de deux naissances dans ce chapitre et la manœuvre de Tamar pour rencontrer Juda en vue d’une descendance. En revanche, l’aspect relation avec les étrangers et l’intégration de Tamar et de sa descendance dans la famille de Juda ne sont guère mentionnés dans son article, A.I. ABASILI 2011, 276-288. 114 H. GUNKEL 1997, 403. 115 H. GUNKEL 1997, 403. 116 C. LEVIN 2009, 284-285. 112

158

CHAPITRE III

nous avons déjà noté que ces deux naissances sont décrites de manière différente. Quant à la proposition de Levin, on verra plus loin qu’il ne s’agit pas uniquement de généalogie en Gn 38. Au demeurant, la critique littéraire montre l’unité de ce chapitre parfaitement construit. Il est tout à fait possible qu’il soit de la main d’un seul rédacteur. Leuchter, qui observe le langage assez simple de Gn 38,1-11, conclut que la composition de ce chapitre remonte à une période antérieure au VIIe siècle117. Il écrit que « before it was textualized and incorporated into the Joseph story, Genesis 38 was conceived on the oral level by an author of rural Judahite stock118 ». Nos observations vont à l’encontre de cette opinion, puisque le « langage simple » des vv.1-11 a sa fonction narrative propre sans constituer pour autant un élément en faveur de l’ancienneté rédactionnelle du chapitre. On remarque le même phénomène en Gn 39 où le récit débute avec les sommaires, vv.1-6, le reste se prolongeant dans des conversations. Ce point sera traité dans les détails de l’analyse de Gn 38 et de Gn 39. Emerton a abandonné sa vision de 1975 où il considérait que la composition de Gn 38 datait de la fin de la période des Juges119. Selon lui, Gn 38 a été composé oralement parmi les Cananéens entre la fin du XIe s. et la fin du VIIIe s. av. J.-C. et a été repris plus tard par J (yahviste)120. Comme le récit de Gn 38 adopte une vision critique mais non hostile à Juda, et que l’héroïne en est Tamar, une Cananéenne, il propose l’hypothèse selon laquelle l’histoire de Juda et de Tamar aurait circulé d’abord chez les Cananéens qui vivaient à côté des membres de la tribu de Juda dans la région proche d’Adoullam121. Cette remarque sur la vision critique et non hostile envers Juda et l’éloge de Tamar, une étrangère, ne manque pas de pertinence, mais on peut faire objection sur le lieu de la rédaction déterminé par Emerton. Comme l’ont déjà signalé nos analyses, les commentateurs ont essayé de localiser les lieux mentionnés dans le récit, et formulé des hypothèses par rapport à Jos 15 ; or il est impossible de trouver leurs localisations précises. Il conviendrait plutôt d’admettre que le rédacteur de Gn 38 a voulu situer l’histoire de Juda et de Tamar en Canaan, chez les étrangers. Notre analyse littéraire montre beaucoup de références intrabibliques entre Gn 38 et le cycle de Joseph. Ainsi, il est difficile d’admettre l’existence d’une source orale indépendante à l’origine d’une histoire de Juda et de Tamar. 117 118 119 120 121

M. LEUCHTER 2013, 218. M. LEUCHTER 2013, 223. J.A. EMERTON 1975, 345-346. J.A. EMERTON 2015b, 470. J.A. EMERTON 2015b, 470.

ANALYSE LITTÉRAIRE DE GN 38

159

Bergsma souligne que le personnage de Juda est assez critiqué dans ce chapitre et que sa descendance vient de son union illégitime avec sa belle-fille contre la loi de sainteté énoncée en Lv 18,15 et Lv 20,12. Il en conclut que cette histoire a été composée par les Samaritains, et non par les Judéens après l’exil122. Les analyses ont montré que l’union de Juda et de Tamar n’est pas illégitime ; et l’étude narrative a souligné que cette histoire ne contient pas une critique radicale du personnage de Juda, capable de transformation. La critique littéraire a fait ressortir les traits caractéristiques de ce chapitre : le récit décrit les relations amicales de Juda avec les Cananéens. Hirah, un Cananéen, est considéré comme le compagnon de Juda (vv.1.12.20) ; et le mariage mixte est possible (vv.2.6). Ce sont des étrangères qui donnent une descendance à Juda (vv.3-5.27-30)123. Le rôle des étrangers est donc déterminant pour la compréhension du chapitre. Une libre interprétation de la loi du lévirat et de la sentence sur la prostitution permet d’émettre l’hypothèse d’une radicalisation des conséquences de la transgression de la loi selon Nb. Ce que Joseph vit en Égypte est en quelque sorte transféré en Canaan. Le récit souligne que l’ancêtre des Judéens contracte des mariages mixtes et intègre des étrangères et leur descendance dans le peuple d’Israël, et surtout que la lignée davidique passe aussi par une étrangère. Autrement dit, Gn 38 a pour fonction de réimporter chez les Israélites en terre de Canaan la politique d’ouverture aux étrangers énoncée par le cycle de Joseph dont il fait l’éloge. En conséquence, Gn 38 pourrait être un texte greffé sur celui de la diaspora – le cycle de Joseph – à l’usage des résidents de Canaan comme une réponse aux propos d’Esd-Ne. Cette histoire a été écrite probablement à l’époque post-exilique124, lorsque se pose la question de l’identité de la communauté d’Israël et de sa relation aux nations. 4.3. Bilan L’analyse littéraire a montré quelques aspects spécifiques de Gn 38. D’abord, l’histoire de Juda et de Tamar est un récit bien unifié, provenant probablement d’un seul rédacteur. 122

J.S. BERGSMA 2019, 292-293. Emerton a mentionné également ce climat amical entre les Judéens et les Cananéens, selon lui, l’histoire de Juda et de Tamar est d’abord composée oralement par un narrateur cananéen près d’Adoullam, avant d’être transportée chez les Judéens, J.A. EMERTON 2015b, 468-469. 124 Amit suppose également que Gn 38 est une rédaction post-exilique qui souligne particulièrement la figure de Tamar comme héroïne de l’histoire. En revanche, elle ne prête pas attention au contraste entre Juda et Tamar, Y. AMIT 2013, 305. 123

160

CHAPITRE III

Il s’agit d’une composition post-exilique greffée tardivement sur un récit lui-même tardif concernant Joseph. Le récit met l’accent sur l’ouverture aux étrangers. Enfin, il manifeste une expression particulière de la mise en œuvre de l’institution décrite par ailleurs en Dt 25,5-10. Toutefois la construction de l’intrigue ne porte pas d’abord sur cette institution mais sur la possibilité de susciter une descendance à Juda par l’intermédiaire d’une étrangère. En conséquence, nous examinerons le rapport entre Gn 38 et son contexte proche, Gn 37 et Gn 39, dans le cycle de Joseph. 5. LE

CONTEXTE DE

GN 38 : LES RÉCITS SUR JOSEPH

5.1. De Gn 37 à Gn 38, de Jacob à Juda Après l’analyse narrative et la critique littéraire de Gn 38, replaçons ce chapitre dans son contexte proche du cycle de Joseph pour examiner son rôle. Notons les rapprochements verbaux entre Gn 37 et Gn 38 : Gn 37

Gn 38

‫( ארד‬je descendrai)

‫( וירד‬et il descendit)

‫( שעיר עזים‬le bouc)

‫( גדי־עזים‬le chevreau)

‫[ בגדיו‬v.29b, ses vêtements (Ruben)]

‫[ בגדי‬v.14a, ses vêtements (Tamar)]

‫( ימים רבים‬des jours nombreux)

‫( וירבו הימים‬et furent nombreux jours)

‫( וישלחהו‬v.14, Jacob envoie Joseph) ‫( וישלחו‬v.32, l’envoi du vêtement de Joseph)

‫( וישלח ; שלחתי‬v.20.23 Juda envoie le chevreau) ‫( שלחה‬v.25 Tamar envoie des gages)

‫[ וימצאהו‬v.15, et (un homme) le trouva] ‫( מצאה‬v.20, il la trouva) ‫( וימצאם‬v.17, et il les trouva) ‫( מצאתיה‬v.22, je l’ai trouvée) ‫( מצאתה‬v.23, tu l’as trouvée) ‫( לנחמו‬v.35a, pour le consoler) ‫( וינחם‬v.12, et se consola) ‫( להתנחם‬v.35b, de se laisser consoler) Gn 37,32-33 Gn 38,25-26

‫וישלחו… אל־ …ויאמרו … הכר־נא … ויכירה ויאמר‬ ‫…ויאמר‬. ‫הכר־נא … ויכר‬ ‫והיא שלחה אל־ …ותאמר‬

Alter relève le thème de la « tromperie » en Gn 37 et Gn 38 en disant : « Venant après l’histoire de Juda et de ses frères, l’histoire de Juda et de Tamar est, de manière exemplaire, le récit du trompeur trompé125 ». Or le mot ‫( מרמה‬tromperie) n’apparaît qu’en deux occurrences décrivant 125

R. ALTER 1999, 20.

ANALYSE LITTÉRAIRE DE GN 38

161

respectivement la tromperie menée par Jacob captant le droit d’aînesse d’Esaü (Gn 27,35) et celle des fils de Jacob envers les Sichémites (Gn 34,13). En conséquence, il est difficile de réunir Gn 37 et Gn 38 sous ce thème. Il est évident que le rédacteur de Gn 38 emploie les mêmes expressions pour faire le lien avec Gn 37 ; mais en réalité, elles expriment plus la rupture que la connexion. Gn 37 se situe « dans le pays de Canaan » (‫בארץ כנען‬, v.1) ; en revanche, Gn 38 décrit la séparation de Juda « chez ses frères » (‫ )מאת אחיו‬pour aller à « Adoullam » (‫עדלם‬, v.1). Gn 37 se concentre sur « la généalogie de Jacob » (‫תלדות יעקב‬, v.2) : Joseph, ses frères et leur père Jacob sont au centre de l’histoire, alors que Gn 38 décrit au contraire, une histoire indépendante de Juda et de Tamar où Jacob et ses autres fils disparaissent. En outre, face à la mort de Joseph, Jacob refuse toute forme de consolation (‫וימאן להתנחם‬, et il refusa de se laisser consoler, v.35) ; alors qu’après la mort de sa femme, Juda se console (‫וינחם יהודה‬, et Juda se consola, v.12). Surtout, au point crucial du récit – le moment de la reconnaissance –, Gn 38 a une fonction complètement différente de celle de Gn 37 : « Dans la première de ces occurrences, la formule traduit une manœuvre destinée à tromper ; dans la seconde, un acte visant à faire éclater la vérité126 ». En reconnaissant la tunique trempée dans le sang du bouc, Jacob est amené à une fausse reconnaissance ; en revanche, Juda accède à la vérité en déclarant son injustice (v.26). En résumé, le rédacteur de Gn 38 emploie les mêmes vocables que Gn 37 pour faire la liaison entre les deux chapitres tout en effectuant une réelle rupture avec Gn 37 en évoquant un temps nouveau, un lieu nouveau et des personnages nouveaux. C’est bien la rupture entre ces deux chapitres qui pose les questions exégétiques. On reviendra sur la fonction théologique de Gn 38. 5.2. De Gn 38 à Gn 39, deux frères face à deux femmes 5.2.1. Gn 39 : un récit indépendant ? Avant d’étudier plus en profondeur la construction du parallélisme entre Gn 38 et Gn 39, quelques observations sur Gn 39 sont nécessaires. Après l’insertion de l’histoire de Juda et de Tamar en Gn 38, le début de Gn 39 se concentre de nouveau sur l’histoire de Joseph proprement dite. Ska observe des différences entre Gn 39 et le reste de l’histoire. D’abord, YHWH n’intervient que dans ce chapitre et Joseph se trouve, à la fin du 126

R. ALTER 1999, 20 ; cf. J. EBACH 2007, 143.

162

CHAPITRE III

chapitre, dans la même situation qu’au début : il trouve grâce aux yeux de son maître, qui est probablement toujours le même, Potiphar, l’officier du Pharaon (‫סריס פרעה‬, Gn 37,36 ; 39,1 ; cf. 40,3-4)127. Si Gn 39 peut être mis en parallèle avec Gn 40 dans lequel Joseph vivait chez la même personne, pourquoi le récit comporte-t-il ce doublet ? Depuis von Rad, des commentateurs128ont souligné le caractère sapientiel du cycle de Joseph. Pharaon cherche quelqu’un d’« intelligent et sage » (‫נבון וחכם‬, 41,33.49). D’ailleurs, Pharaon reconnaît que l’intelligence de Joseph provient de Dieu (‫הודיע‬, ‫ ידע‬à l’infinitif construit hifil, a fait connaître) en Gn 41,39. Les vocables concernant l’interprétation des rêves qui apparaissent uniquement dans le cycle de Joseph sont les suivants : le verbe ‫( פתר‬40,8.16.22 ; 41,8.12.13.15) dans le sens d’« interpréter », et le nom ‫( פתרון‬40,5.8.12.18 ; 41,11) dans le sens d’« interprétation »129. Shupak a analysé spécialement les rêves en Gn 40–41 pour confirmer leur spécificité. Ceux-ci n’ont rien de commun avec les autres rêves du livre de la Genèse, puisqu’ils sont proches « to the structure of the omina in the Egyptian dream collections on the one hand, and to the pattern of the Egyptian royal dream on the other130 ». Fox a souligné la particularité de Gn 40–41 à propos de l’interprétation des rêves. Il distingue deux types de rêves : le premier type n’a guère besoin d’interprétation car il est compréhensible, par exemple, Jg 7,13-14 et Gn 37 ; l’autre type est porteur d’une révélation particulière de Dieu, par exemple, Gn 40–41, Dn 2,7 et les visions en Dn 8–11131. Il devient alors évident que l’emploi des deux mots, ‫ פתר‬et ‫פתרון‬, correspond à une désignation particulière de la sagesse. L’intensité de la concurrence entre ces deux mots, concentrée sur les chapitres 40–41, pose la question des chapitres concernant l’ascension de Joseph (Gn 39–41). Nous pouvons nous demander en effet, si Gn 39 peut être considéré comme constituant une unité littéraire sapientielle avec les chapitres 40–41 qui sont caractérisés par la capacité d’interprétation des rêves. Gn 39 est marqué par les particularités stylistiques des nombreux verbes introduits par ‫ ויהי‬et composés avec la préposition ‫ כ‬+ infinitif construit : ‫( ויהי כדברה‬et il advint quand elle parlait, v.10), ‫( ויהי כראותה‬et il advint 127

Cf. J.L. SKA 2000, 294-295. C. WESTERMANN 1987, 26 ; G. VON RAD 1984, 292-300 ; M.V. FOX 2001, 26-41 ; M.V. FOX 2012, 231-262. 129 Römer constate également la particularité de la racine ‫ פתר‬qui n’est attestée que dans le cycle de Joseph. Il signale qu’en araméen, le verbe « interpréter » est sous forme ‫ פשר‬en Dn 2,4.5 ; Qo 8,1. L’utilisation de ‫ פשר‬est abondante à Qumrân pour designer l’interprétation de textes écrits (cf. Dn 5), T. RÖMER 2018a, 250. 130 N. SHUPAK 2006, 137. 131 M.V. FOX 2012, 237-245. 128

ANALYSE LITTÉRAIRE DE GN 38

163

quand elle vit, v.13), ‫( ויהי כשמעו‬et il advint quand il entendait, v.15), ‫( ויהי כהרימי‬et il advint quand je haussais, v.18), ‫[ ויהי כשמע‬et il advint quand (il) entendit, v.19]. En outre, l’emploi du mot ‫( מצליח‬cf. vv.2.3.23, faisant réussir, ‫ צלח‬au participe hifil) est unique dans l’histoire de Joseph pour décrire son succès. C’est aussi le seul lieu où il est dit que le Seigneur est avec Joseph : ‫ יהוה את־יוסף‬ou ‫( יהוה אתו‬cf. vv.2.3.5.21.23). On remarque également que la prison est désignée comme ‫בית הסהר‬ (vv.20.22), au contraire de ‫ משמר‬en Gn 40,3.4.7 et Gn 41,10. De même, le gardien de la prison est nommé par ‫( שר בית־הסהר‬vv.21.22.23), en contraste avec ‫ שר הטבחים‬en Gn 40,3.4 et Gn 41,10.12. Bekins remarque que les rêves en doublet en Gn 37 et en Gn 40–41 sont absents en Gn 38 et 39. La mention en Gn 40,15, « j’ai été enlevé du pays des Hébreux », renvoie directement à l’histoire passée à Gn 37132. Ces arguments font de Gn 39 un récit indépendant du cycle de Joseph qui ne faisait pas partie à l’origine de Gn 40–41. Enfin, la récurrence du nom de YHWH en Gn 38 et Gn 39 (Gn 38,7.10 ; Gn 39,2.3.5.21.23, ainsi qu’en Gn 49,18), n’est-elle pas plutôt en faveur d’une construction interactive de ces deux chapitres ? On essayera de répondre à cette question plus loin. 5.2.2. Gn 39 et le conte des deux frères Le conte des deux frères133 est l’un des textes les plus anciens de l’égyptologie. Il a été consigné dans le papyrus d’Orbiney, vers 1225 av. J.-C. On y observe la même composition littéraire qu’en Gn 39134 : Gn 39 2 3

Conte des deux frères135

Or YHWH assista Joseph… … la force d’un dieu était en lui. …YHWH l’assistait et faisait réussir…

6b Joseph était beau à voir et à regarder. 7et il fut après ces choses-là, la femme de son maître leva les yeux sur lui et lui dit : « couche avec moi ». 10 Chaque jour, elle parlait à Joseph de

132

…Elle (la belle-sœur de Bata) lui (Bata) dit « Il y a en toi une [grande]force et je vois ta vigueur chaque jour ». Et elle désira de le connaître en connaissance d’homme. Elle se leva donc, elle le saisit

P. BEKINS 2016, 389. G. LEFEBVRE 1949, 137-158. 134 Dubovský a effectué un travail de comparaison entre le conte des deux frères et Gn 39 concernant leurs motifs qui sont similaires : la scène de la séduction et la fausse accusation. Il conclut que non seulement les thèmes de ces deux passages sont similaires mais qu’il existe entre eux une dépendance littéraire, Gn 39 s’avérant dépendant du conte égyptien, P. DUBOVSKY 2008, 47-61 ; F. GARCIA LOPEZ 2005, 121. 135 La traduction de ce passage provient de G. LEFEBVRE 1949, 144-146. 133

164

CHAPITRE III

Gn 39

Conte des deux frères135

se coucher à côté d’elle et de s’unir à elle, mais il n’écoutait pas. 12a Alors elle agrippa son vêtement en disant : couche avec moi, et il abandonna son vêtement dans sa main et il s’enfuit et il sortit au-dehors

et lui dit « Viens, passons une heure (ensemble), couchons-nous : tu en tireras profit, car je te ferai de beaux vêtements »

8

Et il refusa et dit à la femme de son maître : « …9b et comment ferais-je un si grand mal et pécherais-je contre Dieu ? »

Alors, il lui parla, disant : « Eh quoi ! tu es pour moi comme une mère, ton mari est pour moi comme un père ; et lui mon aîné, c’est lui qui m’a élevé. Qu’est-ce que cette grande abomination que tu m’as dite ?... »

16b

…jusqu’à ce que son mari revienne à la maison… 17b… il est venu à moi pour s’amuser de moi…18… alors il a abandonné son vêtement à côté de moi et il s’est enfui au-dehors

Et quand son mari rentra le soir… il (Bata) me (sa belle-sœur) dit « Viens, passons une heure (ensemble), couchons-nous… » mais je ne l’écoutai pas. « Est-ce que je ne suis pas ta mère ? Et ton frère aîné n’est-il pas pour toi comme un père ? » : ainsi lui dis-je, et il prit peur

19b

Alors son frère aîné devint comme un léopard ; il aiguisa sa lance et la prit en main. Et son (frère) aîné se tint derrière la porte de son étable afin de tuer son frère cadet…

…alors il (le maître) s’enflamma de colère. 20 et il prit Joseph pour le mettre dans la maison de l’enceinte, lieu de détention pour les prisonniers du roi.

La comparaison de Gn 39 et du conte des deux frères montre un parallélisme approximatif entre ces deux récits : la proposition de coucher ensemble formulée par la femme ; le refus de Bata/Joseph ; la femme reprend la conversation qu’elle a eue avec Bata/Joseph en inversant les rôles ; et la colère du frère aîné/Potiphar136. On peut en tirer la conclusion que la composition de Gn 39 est fondée sur la connaissance de ce conte égyptien, que le(s) rédacteur(s) de Gn 39 a(/ont) transformé pour les besoins de l’histoire. Par ailleurs, l’expression ‫( ויהי אחר הדברים האלה‬il advint après ces événements), qui se trouve également en Gn 15,1 ; 22,1.20 ; 40,1, pourrait indiquer que le récit de Joseph et de la femme de Potiphar provient d’une histoire indépendante, insérée postérieurement dans un récit originel de 136 Selon l’analyse narrative de Kipasa la ruse de la femme de Potiphar échoue puisque la sanction infligée à Joseph constitue pour ce dernier une protection. Notre analyse diachronique suggère que l’insertion de ce passage en Gn 39 fournit la raison de sa présence en prison en Gn 40, P.M. KIPASA 2017, 661-669.

ANALYSE LITTÉRAIRE DE GN 38

165

Gn 39 pour expliquer le séjour de Joseph en prison. Selon Römer, la mise en parallèle de Gn 39 avec ce conte égyptien « veut mettre l’auditoire ou les lecteurs en garde contre une vision trop positive du pays d’accueil en insistant sur les dangers qu’on peut y courir137 ». Ainsi Gn 39 porterait le signe d’une forme de réaction vis-à-vis d’une version originelle du cycle de Joseph décrivant une vie idéale en Égypte. 5.2.3. Le parallélisme entre Gn 38 et Gn 39 Après avoir dégagé l’indépendance de Gn 39 vis-à-vis de Gn 40–41 et sa dépendance du conte des deux frères, on peut examiner l’hypothèse de la construction en parallèle de Gn 39 et de Gn 38. Chaque épisode de la vie de ces deux frères s’ouvre sur une relation avec une femme étrangère capable de ruse dans un contexte sexuel ; en revanche, il est dit peu de choses de leurs épouses (Gn 38,2-5 ; 41,45.50). Ebach remarque également que seules les épouses de Juda (selon le TM) et de Potiphar ne sont pas mentionnées sous leur propre nom138. Dans un même contexte d’éloignement de la famille (‫ירד‬, descendre, Gn 38,1 et Gn 39,1), à l’occasion de la rencontre avec une femme, s’opposent deux réactions : l’intempérance de Juda et la continence de Joseph139. Ces deux récits parallèles déploient le même mouvement repérable à travers le développement des deux histoires et la répétition des vocables : Gn 38 Gn 39 v.1 transition : Juda en Adoullam (‫ )ירד‬v.1 transition : Joseph en Égypte (‫)ירד‬ vv.2-5 : naissance des trois enfants (‫ ילד‬et ‫)קרא‬

vv.2-6 : ascension de Joseph (‫ צלח‬et ‫)חן‬

vv.6-27 : Juda et Tamar

vv.7-20 : Joseph et la femme de Potiphar

vv.28-30 : naissance des jumeaux (‫ ילד‬et ‫)קרא‬

vv.21-23 : ascension de Joseph (‫ צלח‬et ‫)חן‬

Ces deux frères ont vécu, en quelque sorte, le même dépouillement dans leurs aventures respectives avec les deux femmes : Tamar et la femme de Potiphar. Mais cette dépossession conduira finalement à les mettre en opposition. Juda donne à Tamar les signes de son identité – son sceau, 137

T. RÖMER 2019a, 22. Dans un autre article, Römer explique que, d’une part, le but de Gn 39 est de transformer Joseph en un modèle de loyauté identifié à tous les Israélites de la diaspora, les suppléments de « YHWH » aux vv.2-3.5.21-23 en affirmant, d’autre part, qu’il est toujours sous la protection de YHWH, le Dieu d’Israël, T. RÖMER 2018b, 81. 138 J. EBACH 2007, 124. 139 Bekins remarque qu’il n’y a dans toute histoire de Joseph que les deux récits en Gn 38 et Gn 39 qui révèlent le caractère des personnages féminins, P. BEKINS 2016, 387.

166

CHAPITRE III

son cordon et son bâton, qui deviennent des moyens de reconnaissance dans la suite du récit. Mais Joseph, laisse son vêtement entre les mains de la femme de Potiphar, l’objet de sa condamnation. Finalement, les deux récits restent en quelque sorte « inaccomplis » : on ne sait pas ce qui se passe entre Shélah et Tamar, ni quel est l’avenir de la femme de Potiphar. En outre, l’expression ‫( בוא אל‬venir vers), désignant l’acte sexuel, ne se trouve que dans ces deux chapitres (Gn 38,2.8.9.16.18 et Gn 39,14.17). De plus, l’action de Er et d’Onân a été décrite comme « mal aux yeux du Seigneur » (‫רע בעיני יהוה וימתהו יהוה‬, v.7 et ‫וירע בעיני יהוה אשר עשה וימת‬, v.8) ; au contraire, Gn 39 signale la présence du Seigneur avec Joseph pour lui permettre de réussir (‫יהוה אתו‬, v.3 ; ‫ויהי יהוה את־יוסף‬, v.21 ; ‫יהוה‬ ‫אתו‬, v.23). Il apparaît donc maintenant plus clairement que Gn 38 et Gn 39 se sont construits parallèlement et en opposition. Il importe de se poser la question des étapes rédactionnelles de la composition de Gn 39 aboutissant à ce parallélisme. Römer propose une hypothèse en trois étapes pour la rédaction de Gn 39140 : 1) le récit présente la situation de Joseph qui descend chez un haut fonctionnaire égyptien, gardien de prison. Il se trouve dans la prison, non pas par punition, mais pour s’occuper des prisonniers du roi (Gn 39,1.4a.20 et Gn 40,1aα.2.3a.4) ; 2) puis un rédacteur a voulu expliquer la descente en prison de Joseph en s’appuyant sur le conte égyptien des deux frères (vv.4b.6-19) ; 3) enfin, ce chapitre a été théologisé pour mettre l’accent sur l’action de YHWH en ayant connaissance de Gn 38 (vv.2-3,5,21-23). Levin141 suggère une autre hypothèse en trois étapes : 1) l’histoire originale porte sur la scène de la séduction (vv.1.2*.7.12.16. 17.20) ; 2) par la suite, le(s) rédacteur(s) insère(nt) la vision yahviste dans cette histoire (vv.2*-6*.20-22) ; 3) enfin, l’auteur emploie le thème de « l’édition de la droiture » (The Righteousness Edition) pour désigner les ajouts répétitifs à Gn 39 (vv.5.10.13.15.18.19). L’analyse de Levin n’apporte pas de réponse à la question du doublet entre Gn 39 et Gn 40. Nos analyses penchent vers l’hypothèse de Römer : 140 141

T. RÖMER 2018b, 82-83. Les différentes couches sont présentées dans l’Annexe 4. C. LEVIN 2011, 229-240.

ANALYSE LITTÉRAIRE DE GN 38

167

sa proposition sur la première étape de la composition de Gn 39,1*.20-22 et Gn 40,2-4 répond à la question du doublet présent en Gn 39 et Gn 40 ; la descente en prison de Joseph est fondée sur le conte des deux frères, qui permet de souligner le contraste avec l’action de Juda envers Tamar ; enfin, l’acte théologisé par l’introduction de YHWH (vv.2-3.5-6a*,21-23) est mis en comparaison avec la mort de Er et d’Onân en Gn 38. Mais, il convient de prêter attention à un détail : Gn 39 précise que la bénédiction de Dieu est donnée à la maison de l’Égyptien grâce à Joseph (Gn 39,5 : ‫ )ויברך יהוה את־בית המצרי בגלל יוסף‬: en revanche, Onân et Juda privent Tamar de descendance. Deux attitudes opposées envers des étrangers sont ainsi soulignées. De même, la femme de Potiphar est la seule étrangère dont le comportement est critiqué dans le cycle de Joseph ; à l’opposition entre Juda et Joseph répond celle de la femme de Potiphar l’Égyptienne à Tamar, la Cananéenne142. À la fin de Gn 38, Juda devient père avec la naissance des jumeaux conçus avec une étrangère, Tamar. De même, Joseph a eu deux fils par Asnat, fille d’un prêtre étranger (Gn 41,50-52). Comme on l’a souligné la préoccupation de Gn 38 est la position de Juda vis-à-vis d’une femme étrangère et l’intégration de cette dernière et de sa descendance à la famille de Juda. Ce n’était donc pas le conflit Nord-Sud tel qui est présenté à travers les figures respectives de Joseph et de Juda. De ce fait, on peut retenir que la composition de l’épisode entre Joseph et la femme de Potiphar en Gn 39,6-19 est fondée sur la connaissance du conte des deux frères. Cette rédaction donne la raison pour laquelle Joseph se trouve en prison, et souligne les dangers du séjour en Égypte. Il est possible que Gn 38 ait été construit après Gn 39* pour établir un parallèle fondé sur le modèle de Joseph, de manière à faire de Juda un contremodèle. Le rédacteur de Gn 38 connaît probablement l’ensemble du récit sur l’ascension de Joseph en Gn 39*–41. Cette rédaction est structurée de manière parallèle et en forme d’opposition des personnages (Juda – Joseph ; Tamar – la femme de Potiphar). Enfin, l’histoire de Joseph avec la femme de Potiphar a été théologisée pour mettre l’accent sur l’action de YHWH (Gn 39,2-3.5.21-23) en contraste avec la punition de Er et d’Onân en Gn 38,7.10. Ainsi on peut dire que la question de l’ouverture à l’étranger est majeure en Gn 38 et l’opposition Nord-Sud, exposée avec minutie par Blum143, n’est qu’une des interprétations possibles de l’effet littéraire provoqué par l’insertion tardive de Gn 38.

142 Mckeown a fait une comparaison entre Tamar et la femme de Potiphar, J. MCKEOWN 2008, 167. 143 E. BLUM 1984.

168

CHAPITRE III

5.3. Bilan Gn 37 et Gn 38 ont de nombreux vocables en commun susceptibles d’attester un lien étroit entre eux. Toutefois, derrière l’apparente continuité, il y a une rupture : Jacob est conduit à une fausse reconnaissance et Juda accède à la vérité. Par ailleurs, les termes employés dans ces deux chapitres autorisent l’hypothèse que le rédacteur de Gn 38 connaissait le récit de Gn 37. Gn 39 est construit sur le modèle du conte des deux frères indépendamment de Gn 40–41. L’épisode de Joseph avec la femme de Potiphar fournit le motif pour lequel le premier se trouve en prison. Il est possible que le rédacteur de Gn 38 ait construit l’histoire de Juda et de Tamar en ayant connaissance de Gn 37 et de Gn 39*–41 pour souligner l’importance de l’ouverture aux étrangers. Il s’agit d’un point important qui doit conduire à rechercher une interprétation de Gn 38 indépendamment de Gn 39. Notre recherche se poursuit dans la critique socio-historique et intertextuelle de Gn 38 en se concentrant sur deux sujets : la loi du lévirat et le mariage mixte. 6. CRITIQUE SOCIO-HISTORIQUE ET INTERTEXTUELLE 6.1. Les liens littéraires entre Gn 38 et le livre de Ruth À part Rt 4,12, 1 Ch 2,4 et Mt 1,3, l’histoire de Juda et de Tamar a très peu de résonnances dans la Bible. Pérèç, le fils de Tamar, entre dans la généalogie de David (Rt 4,18-22)144 ce qui conduit à citer Tamar dans la généalogie de Jésus (Mt 1,3). Dans le livre de Rt, tout le peuple et les anciens souhaitent que la maison de Booz soit comme la maison de Pérèç que Tamar enfanta pour Juda (‫ויהי ביתך כבית פרץ אשר־ילדה תמר ליהודה‬, cf. Rt 4,12a). C’est l’unique lieu dans la Bible qui permet de rapprocher Gn 38 de Rt. Il faut remarquer ici le triple lien intertextuel145 : Obed avec Pérèç, Ruth avec Tamar, et Booz avec Juda. Par ailleurs, les deux histoires sont introduites par l’arrivée des deux Israélites dans un lieu étranger à l’écart des autres Israélites : Gn 38,1b :

‫עד־איש עדלמי‬ (vers un homme d’Adoullam)

Rt 1,1b :

‫בשדי מואב‬ ‫לגור‬ ‫איש מבית לחם יהודה‬ ‫וילך‬ (dans les champs de Moab) (pour séjourner) (un homme de Bethléem de Juda) (et alla) 144

‫ויט‬ (et tendit)

… ‫יהודה‬ (Juda)

‫וירד‬ (et descendit)

« Jessé, fils de Pérèç, fils de Ju[da] » est attesté dans 4Q522 frg.9 ii 3, E. PUECH 1998,

55-57. 145

Wolde a également mentionné cette triple intertextualité, E.J. WOLDE 1997, 8.

ANALYSE LITTÉRAIRE DE GN 38

169

Par la suite, les récits rapportent des décès dramatiques sans descendance : la mort des deux fils de Noémi en Rt 1,5 et celle des deux fils de Juda en Gn 38,7-10. Ruth et Tamar se trouvent veuves. « C’est cependant dans le cadre d’une fête agraire que Tamar ira à la rencontre de Juda, comme Ruth rencontre Booz à la faveur des moissons146 ». Enfin, ces deux histoires se terminent avec deux naissances attestées respectivement par la sage-femme et les voisines (Gn 38,27-30 et Rt 4,16-17). Dans ces deux récits, Tamar et Ruth, deux étrangères, sont absentes au début et à la fin de l’histoire. Et pourtant, c’est grâce à elles que la question de la descendance trouve sa solution. Par ailleurs, une interprétation juive rapproche l’action de Tamar de celle de Ruth pour faire l’éloge de ces deux femmes147. Ces remarques permettent de rapprocher Gn 38 et Rt qui comportent deux éléments en commun importants pour leur compréhension : l’allusion à la pratique du lévirat telle qu’elle est prescrite en Dt 25,5-10, et le mariage mixte. Examinons ces deux questions pour essayer d’en tirer des conclusions. 6.2. La loi du lévirat La loi du lévirat est énoncée en Dt 25,5-10 dans le code deutéronomiste. Les chercheurs émettent des avis divers sur sa pratique et son influence dans les différents pays du POA. Selon Davies, les voisins du peuple d’Israël, les Hittites, les Assyriens et les Ugaritains, pratiquent le lévirat148. Ede note que la loi hittite §198 et la loi assyrienne §33 pourraient faire allusion au lévirat. Ces deux dernières lois pouvaient s’appliquer non seulement au beau-frère, mais aussi au beau-père149. D’ailleurs, Burrows150 considère que 146

P. ABADIE 2017, 27. « Ce n’est d’ailleurs pas un cas unique dans la Bible (Gn 38), où une femme, étrangère elle aussi, use d’un stratagème assez osé pour manifester son ardent désir de partager le destin juif. Ruth, la Moabite, provoquera Booz et le rejoindra dans la grange, afin de l’intéresser à son sort. Dans les deux cas, le côté scabreux de leur démarche s’estompe devant la pureté de leurs intentions et la conduite pudique dont elles font preuve par la suite, une fois leur objectif atteint. Ce qui est frappant dans notre texte, c’est justement l’absence de toute hypocrisie. Pas d’euphémisme dans la description, pas de sournoiserie dans l’audace. La stature de ces deux femmes leur réserve une place de choix dans la geste biblique ; par l’obstination dont elles font preuve pour briser la fatalité qui les enserre, elles contribuent d’une manière décisive à l’émergence de l’espoir », J. EISENBERG, B. GROSSE 1983, 214. 148 E.W. DAVIES 1981, 138-139. Davies atteste que la veuve peut recevoir tout ou partie de l’héritage chez les Hittites, les Assyriens et les Ugaritains, mais pas chez les Israélites (cf. Nb 27,8-11), c’est la raison pour laquelle, selon l’auteur, en l’absence de descendance, le lévirat permet d’assurer la survie de la veuve. 149 F. EDE 2016, 75. 150 M. BURROWS 1940, 27. 147

170

CHAPITRE III

la pratique du lévirat chez les Israélites reflète la loi des Cananéens, surtout en Gn 38 qui est écrit dans le contexte cananéen. Il conclut que dans le POA, il n’y a pas de loi qui corresponde exactement à ce qui est décrit en Dt 25. Wills151 adopte la même position après avoir compilé les littératures du POA, et il conclut qu’elles peuvent présenter certains traits parallèles avec la loi du lévirat d’Israël, mais toujours avec un sens différent. En revanche, Neufeld et Litt152 soutiennent l’idée que cette loi en Israël est indépendante, et n’a pas subi l’influence des peuples voisins, hormis peut-être celle des Hittites. Ces remarques mettent en évidence le fait que la pratique du lévirat est assez répandue dans le POA, mais qu’il peut exister des variantes. Il est difficile de déterminer le rapport exact entre la loi du lévirat telle qu’elle est décrite en Dt 25 et ce qui était effectivement pratiqué dans les pays du POA. Néanmoins, on peut examiner quelques caractères spécifiques de cette loi en Dt 25. Tout abord, il est écrit : ‫( כי־ישבו אחים יחדו‬si les frères habitent ensemble). Davies comprend cette règle comme s’appliquant aux frères qui partagent la même propriété et vivent dans le même pays en vue, non seulement de relever une descendance pour le défunt, mais aussi de conserver le domaine des ancêtres au sein de la famille153. Au contraire, Westbrook ne considère pas que la cohabitation des frères soit une condition du lévirat, mais qu’il s’agit plutôt de la description de la situation dans laquelle, le père étant déjà mort, les fils n’ont pas encore pu se partager l’héritage. Il est dès lors conseillé que l’homme prenne la femme de son frère défunt154. La descendance masculine pourrait ainsi hériter du patrimoine du défunt155. Il est probable que le début de Dt 25,5 décrit cette situation des frères qui vont se partager les biens du père, donc ‫( ישב‬habiter) n’indique pas une condition stricte de cohabitation dans le même lieu de vie. Il convient de souligner également que cette loi se limite aux frères (‫)אחים‬. L’examen de la désignation du ‫ אח‬en Dt permet de distinguer plusieurs catégories : 1) dans la plupart des cas, ce mot indique un membre des Israélites156 ; 151

T.M. WILLIS 2001, 243-250. E. NEUFELD, D. LITT 1944, 23-55. 153 E.W. DAVIES 1981, 264-265. 154 R. WESTBROOK 1991, 78-79. Otto exprime la même idée, E. OTTO 2017, 1850. 155 R. WESTBROOK 1991, 75. 156 Dt 1,28 ; 3,18.20 ; 10,9 ; 15,7.9.11.12 ; 17,15.20 ; 18,2.15.18 ; 19,18.19 ; 22,1.2.3.4 ; 23,20 ; 24,7.14 ; 25,3 ; 33,6. Nous préférons mettre entre parenthèses Aaron qui est mentionné comme frère de Moïse en Dt 32,50, puisqu’il est difficile de déterminer si cette mention vise Aaron comme membre des Israélites et donc « frère » de Moïse ou comme son frère de sang. 152

ANALYSE LITTÉRAIRE DE GN 38

171

2) ce mot est utilisé pour se distinguer d’un « émigré » (‫גר‬, Dt 1,16) ; ou se distinguer d’un « prochain » (‫רע‬, Dt 15,2) ; ou se distinguer d’un « étranger » (‫נכרי‬, Dt 15,3 ; 23,21) ; 3) ce mot est employé deux fois pour désigner « la descendance d’Esaü » en tant que « les frères » du peuple d’Israël en Dt 2,18 ; 23,8 ; 4) on doit reconnaître que, rarement, ce mot désigne « les frères de sang d’un même père » ; dans ce cas-là, les textes évoquent en même temps d’autres membres de la même famille, pour bien situer le cas en question : Dt 13,7 ; 28,54 ; 33,9. Comme Dt 25,5 précise deux fois la racine ‫יבם‬, ‫( יבמה‬son beau-frère) et ‫( ויבמה‬et agira en beau-frère pour elle), qu’on ne trouve nulle part ailleurs qu’en Gn 38,8 qui évoque aussi « les frères de sang », on suppose que le cas mentionné en Dt 25 correspond strictement à la situation des frères de sang au sein de la même famille et ne concerne pas les autres membres masculins de la famille. En outre, Dt 25,5 précise : le défunt n’a pas eu de fils (‫)בן‬. Selon la version du TM, la loi du lévirat ne traite pas le cas du défunt laissant une fille, qui est mentionné particulièrement en Nb 27,1-11 et en Nb 36. En revanche, la LXX atteste σπέρμα qui veut dire « la descendance », ce qui vise le cas où le défunt n’a pas d’enfant. De même, le TM a la leçon du premier-né (‫ )הבכור‬au début du v.6, alors que la LXX a τὸ παιδίον (l’enfant) qui suppose un fils ou une fille. On peut en déduire deux interprétations possibles157 : – selon le TM, le lévirat s’applique au cas où le défunt n’a pas de fils ; – selon la LXX, il s’agit d’un défunt sans enfant. Neufeld158 distingue deux époques dans l’antiquité. Dans un premier temps, il n’y a que les garçons qui sont considérés comme les héritiers ; plus tard, les filles sont admises à hériter, ce qui explique que l’application du lévirat passe de ‫ בן‬à σπέρμα. Cette analyse est assez convaincante, et il est tout à fait possible que ces variantes textuelles reflètent deux visions différentes des conditions d’application du lévirat. Ensuite, cette loi comporte une obligation pour la veuve, qui ne peut pas se marier avec un homme d’une famille étrangère (‫לאיש זר‬, pour un homme étranger, Dt 25,5). En effet, la pratique du lévirat est un moyen de la protéger et de protéger la propriété de la famille. Davies signale que 157 La possibilité de ces deux interprétations a été également exposée par Westbrook et Weisberg sans une conclusion absolument tranchée, R. WESTBROOK 1991, 81-82 ; D.E. WEISBERG 2004, 408-409. 158 E. NEUFELD 1944, 45.

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CHAPITRE III

dans le POA, la veuve peut recueillir l’héritage de son mari défunt, mais cela n’est pas pratiqué chez les Israélites159. Selon Nb 27,8-11, si un homme meurt sans descendance, son héritage revient à ses frères ou aux proches parents de son clan. C’est la raison pour laquelle Otto souligne le fait qu’il n’y a pas besoin du lévirat pour permettre au beau-frère de la veuve de bénéficier de l’héritage du frère décédé, et le beau-frère n’a luimême guère intérêt à la conclusion d’un tel contrat ; c’est donc plutôt la veuve qui peut y trouver bénéfice160. Dans le même sens, Niditch considère que la pratique du lévirat vise non seulement à assurer une descendance au défunt, mais aussi « reaffirms the young widow’s place in the home of her husband’s people161 ». Par ailleurs, Weisberg162 conclut que plusieurs parties trouvent bénéfice dans la loi : le défunt, le beau-frère et la veuve. Le défunt a une descendance héritant de son nom ; le beau-frère peut avoir une femme sans verser de dot ; et la veuve peut être intégrée dans la maison de son mari et avoir une descendance. Mais il faut reconnaître que la femme ne sera pas considérée comme l’épouse du beau-frère. Celui qui exerce le lévirat renonce par là même à l’héritage de son frère puisque le défunt aura une descendance. C’est pour le beau-frère que la loi est la moins avantageuse. D’ailleurs, le texte précise que le but du lévirat est d’éviter que le nom (‫ )שם‬du défunt soit effacé (cf. Dt 25,6). Cette notion d’« établir » le nom de quelqu’un est unique dans la BH et ne trouve pas de parallèle dans le système juridique dans le POA163. Davies164 propose de ne pas comprendre ces mots au sens littéral, puisque ni les jumeaux de Tamar ni le fils de Ruth ne portent le nom du défunt, tout cela étant lié à la propriété (selon l’auteur, cf. Nb 27,1-11 ; 2 S 15,4ss ; Rt 4,10). Il est évident que le but du lévirat n’est pas seulement la transmission du nom du défunt mais aussi d’éviter la perte du bien d’un membre d’Israël. Il est utile de souligner que sa pratique apporte aussi une solution pour la subsistance de la veuve, et en conséquence, la loi du lévirat peut être considérée comme une pratique socialement utile. En outre, il ne s’agit pas d’une obligation absolue, puisque l’homme a la possibilité de refuser (Dt 25,7). Il faut remarquer que l’interdiction pour un homme d’épouser la femme de son frère dans la loi de sainteté en 159

E.W. DAVIES 1981, 138-139. E. OTTO 2017, 1850-1851. 161 S. NIDITCH 1979, 146. 162 D.E. WEISBERG 2004, 409-410. 163 K.A. KITCHEN, P.J.N. LAWRENCE 2012, 288-289 (The Hittite Laws §193 : il est intéressant de voir que si les fils sont morts, le père pourrait être le lévir) ; 666-667 (The Middle Assyrian Laws §33) ; 672-673 (The Middle Assyrian Laws §41) ; A. SEIDER 2018, 437. 164 E.W. DAVIES 1981, 141. 160

ANALYSE LITTÉRAIRE DE GN 38

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Lv 18,16 et 20,21 s’applique dans le cas où le frère est vivant165 ; en revanche, le lévirat ne peut s’appliquer que dans le cas du défunt sans fils ou sans enfant. Il faut bien noter qu’il ne s’agit pas d’un mariage puisqu’il est caractérisé par le mot spécifique ‫יבם‬. Le but du lévirat est de susciter une descendance pour le défunt pour que le nom de ce dernier ne soit pas effacé (Dt 25,6). Il est important de remarquer que Dt souligne que l’enfant est ‫( הבכור‬le premier-né) pour le défunt. Le texte montre que la possibilité du refus d’appliquer le lévirat est critiquée : la veuve doit ôter (‫ )חלץ‬la sandale du pied de l’auteur du refus, signe de dépossession, et la propriété du défunt revient chez son père166. Otto remarque que ce déshonneur n’est pas une sanction légale imposée par un tribunal, mais une sanction sociale qui est exécutée par la veuve avec l’approbation publique du tribunal167. Cette remarque souligne que la loi du lévirat traite surtout un problème social différent de ce qui est exposé dans l’introduction en Dt 25,1-2. Carmichael168 considère ce geste comme la manifestation de la renonciation du beau-frère à son droit sur la veuve, qui désormais est libre de se marier avec quelqu’un d’autre. Comme Dt 25,5 précise que le lévirat empêche que la femme du défunt appartienne à un étranger à la famille, nous pouvons comprendre que ce refus d’exercer la responsabilité léviratique rende à la femme sa liberté d’épouser quelqu’un autre. D’ailleurs, ce refus est accompagné par un geste de mépris (cf. Nb 12,14 et Jb 30,10), qui consiste à cracher au visage (‫וירקה בפניו‬, et elle crachera sur sa face) de celui qui refuse et se dérobe à son devoir, ce qui entraîne l’appellation ‫( בית חלוץ הנעל‬maison du déchaussé). Il faut remarquer que 165 De même, il faut comprendre que l’interdiction de toute relation entre le beau-père et la belle-fille en Lv 18,15 et Lv 20,12 ne s’applique pas au cas de la pratique du lévirat. 166 En travaillant sur les textes de Nuzi qui sont en parallèle avec le rituel d’enlèvement de la chaussure, Lacheman considère que cette procédure de transfert de propriété vient de l’AT, E.R. LACHEMAN 1937, 53-56. Pour la même raison, Speiser estime également en s’appuyant sur certains textes de Nuzi, que la chaussure est un paiement symbolique par lequel une transaction par ailleurs illégale devient légalement valide, E.A. SPEISER 1940, 15-20. Selon Otto, par ce geste, le beau-frère se voit privé de la part de son frère défunt dans l’héritage commun. Dans ce cas-là, le nom du défunt, et son héritage sont effacés, E. OTTO 2017, 1852. Donc pour eux, l’enlèvement de la chaussure est lié au transfert de la propriété. Selon ce raisonnement, il est possible de considérer que ce geste de la veuve signifie qu’elle héritera de son mari. Davies conteste cette interprétation, puisque celui qui refuse le lévirat n’a rien à transférer ni de l’extérieur envers lui, ni de sa propriété envers les autres. Davies propose de considérer ce geste comme signe que la propriété du défunt revient dans la maison de son père, E.W. DAVIES 1981, 262. Burrows apporte le même argument, M. BURROWS 1940, 29. Notre recherche nous conduit à nous rallier à cette opinion plus neutre et réaliste. 167 E. OTTO 2017, 1851. 168 C.M. CAMICHAEL 1977, 323.

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CHAPITRE III

ce n’est pas la maison de cet homme qui est mentionnée, mais celle de son frère défunt puisque ce dernier n’aura pas de descendance169. Au regard des détails fournis par Dt 25, on examinera les divergences entre Gn 38 et Rt sur la question du lévirat. 6.2.1. Dt 25 et Gn 38 Le terme spécifique renvoyant à cette loi ‫( יבם‬agir en beau-frère) ne se trouve qu’en Gn 38,8 et Dt 25,5.7. Le rédacteur de l’histoire de Juda et de Tamar avait sûrement connaissance de la loi du lévirat. Le contexte littéraire de l’installation de Juda et de ses fils à Adoullam en Gn 38,1-5 correspond bien aux conditions de son application telle qu’elle est décrite en Dt 25,5 : ‫( ישבו אחים יחדו‬les frères habitent ensemble). Er et Onân sont deux frères, ce qui sous-entend qu’ils vivent ensemble et sont susceptibles d’hériter de Juda. L’ordre donné par Juda de susciter une descendance (‫והקם זרע לאחיך‬, « et suscite une descendance pour ton frère », Gn 38,8b) correspond bien à la visée de Dt 25,6, « se lèvera sur le nom de son frère » (‫)יקום על־שם אחיו‬. Les termes employés confirment que ces deux passages visent la même loi. Il est étonnant que la réticence d’Onân à accomplir son devoir de beaufrère vis-à-vis de Tamar soit la cause de sa mort. Trois hypothèses se présentent : 1) la loi telle qu’elle est écrite en Dt 25 dit très clairement que celui qui doit le lévirat peut le refuser (‫)מאן‬, mais dans le cas d’Onân, ce dernier semble l’accepter en allant vers la femme de son frère (‫בא אל־אשת‬ ‫אחיו‬, Gn 38,9). La mort d’Onân peut donc se justifier par son refus d’assumer ses engagements. Dans ce cas-là, le sort d’Onân peut avoir pour fonction de souligner que la première « tromperie » du récit de Gn 38 est celle d’Onân et la situation des frères – Er et Onân – y est perçue en référence à l’ensemble du livre de la Genèse. 2) une même institution a pu être comprise différemment à des époques différentes. Dans ce sens-là, l’acte de Juda qui prive Tamar de Shélah étant qualifié « d’injuste » (Gn 38,26b), le don de Shélah à Tamar serait devenu obligatoire. La loi du lévirat définie en Dt 25 autorise le libre choix, mais le lévirat tel que décrit en Gn 38 constituerait une 169 Olanisebe et Oladosu précisent ce point : « This phrase did not only have negative implications for the man himself, but it extended to his household and generation because the appellation became the terms of reference not only to his immediate family but to the upcoming generation ». S.O. OLANISEBE, O.A. OLADOSU 2014, 2. Cet article se trouve sur le site suivant: https://verbumetecclesia.org.za/index.php/VE/article/view/826.

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obligation. Il est possible, comme nous l’avons remarqué, que le rédacteur de Gn 38 ait intégré dans son récit les conséquences radicales de la violation de la loi mentionnées en Nb 15,30-31 ; ainsi, l’humiliation publique de Dt 25 se traduit en Gn 38 par la mort. 3) il est possible d’appliquer la catégorie du « judaïsme populaire » tel qu’il est mentionné par Ska170 en Gn 38. Il serait alors possible de comprendre la loi du lévirat en Gn 38 comme une interprétation populaire de Dt 25,5-10. La fin de Gn 38 qui décrit la naissance des jumeaux de l’union de Juda et de Tamar, est interprétée par certains commentateurs171 comme la confirmation que Juda a satisfait aux obligations de la loi, ce qui traduit un élargissement des cas d’application du lévirat – le beau-père pourrait être le lévir, alors que selon Dt 25,5 la loi s’applique aux seuls frères du défunt. Mais Gn 46,12, Nb 26,20-22 et 1 Ch 2,4 placent le premier-né de Tamar, Zérah, dans la liste des fils de Juda, alors que selon Dt 25, il prend place dans la descendance de Er. Ces références bibliques donnent plutôt une confirmation de la mort sans descendance d’Er et d’Onân. En outre, Gn 38,26b précise que Juda n’a pas continué de connaître Tamar (‫)ולא־יסף עוד לדעתה‬. Emerton suggère que cette phrase indique que Tamar est considérée comme ayant déjà appartenu à Shélah172. C’est dire que le cas de Juda et de Tamar ne coïncide pas avec la situation de lévirat173. Et Dt 25,5 précise que le beau-frère prend la femme de son frère défunt comme femme (‫ ; )לו לאשה‬et Gn 38,14 décrit Tamar prenant conscience qu’elle n’a pas été donnée pour femme à Shélah (‫)לו לאשה‬. Or Booz prend Ruth comme sa femme (‫ )לי לאשה‬en Rt 4,10. Il est donc difficile d’assimiler la relation entre Juda et Tamar à ce dernier cas. L’hypothèse selon laquelle Gn 38 attesterait d’un élargissement du cercle de parenté pour l’application de la loi du lévirat n’apparaît pas suffisamment étayée ; elle serait plus adaptée à la situation de Ruth. Récapitulons quelques points importants après cette analyse de Gn 38 et Dt 25 : Tout d’abord, l’emploi du verbe ‫( יבם‬agir en beau-frère) et l’expression ‫( והקם זרע לאחיך‬et suscite une descendance pour ton frère) en Gn 38,8b font allusion à la loi du lévirat prescrite en Dt 25,5-10. L’engagement 170

J.L. SKA 2016a, 240-241. D.E. WEISBERG 2004, 415 ; E.W. DAVIES 1981, 263 ; R. WESTBROOK 1991, 69. 172 J.A. EMERTON 1975, 357-360. 173 Weisberg remarque également que l’union entre Tamar et Onân est en corrélation avec la loi énoncée en Dt 25, alors que l’union de Tamar et son beau-père Judah semble en contradiction avec cette dernière, D.E. WEISBERG 2004, 404. 171

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CHAPITRE III

d’Onân et de Shélah à se soumettre à la loi du lévirat confirme que le rédacteur de Gn 38 connaissaît Dt 25,5-10. Ensuite, la réticence d’Onân à respecter cet engagement conduit à sa mort ce qui, malgré la diversité des explications possibles, témoigne pour le moins d’une divergence par rapport à la liberté de refus évoquée par Dt 25,8-11. Il est possible, comme on l’a mentionné ci-dessus, que selon Nb 15,30-31, la violation de la loi du lévirat justifie la mort d’Onân. On peut aussi émettre une hypothèse plus politique : Onân refuse de donner une descendance par une étrangère. Dans ce cas-là, le récit porte une critique violente de ce refus. En conséquence, Gn 38 apparaît radicalement favorable à l’ouverture à l’universel. Comme le récit ne dit rien de l’attitude d’Onân envers Tamar à part son refus de donner une descendance à son frère, il est difficile de dire si ce refus est ou non en rapport avec le statut d’étranger ; néanmoins, la question de l’ouverture à l’universel reste une question centrale de ce chapitre. Menn remarque pertinemment que Dt 25,5-10 mentionne la loi du lévirat comme une affaire entre les frères, et que le père du défunt n’y est pas du tout impliqué. Au contraire, Gn 38 souligne surtout l’action de Juda : c’est lui qui prend la femme pour Er (v.6) ; c’est lui qui demande à Onân d’appliquer la loi (v.8) ; et c’est lui aussi qui décide de protéger Shélah (vv.11.14)174. Ce que Gn 38 met en avant, c’est plutôt l’attitude de Juda vis-à-vis de Tamar, que la loi du lévirat. Enfin, il est difficile d’admettre l’hypothèse selon laquelle Juda est le lévir qui accomplit le devoir de donner une descendance à Tamar. Elle se heurte à deux objections : 1) le premier-né de Tamar, Zérah, n’est pas considéré comme le premier-né de Er, mais plutôt comme la descendance de Juda ; 2) le récit précise que Juda n’a pas continué de connaître Tamar (‫ )ולא־יסף עוד לדעתה‬en Gn 38,26b. Le récit ignore la suite de l’histoire des relations entre Juda, Tamar et Shélah. En conclusion, la loi du lévirat n’est qu’un argument pour assurer la continuité du récit en Gn 38. Le véritable intérêt de l’histoire de Juda et de Tamar ne réside pas dans l’application de cette loi. D’ailleurs la fin du récit ne donne pas de réponse à la question de l’accomplissement par Shélah de son devoir vis-à-vis de Tamar, mais porte sur celle de l’ouverture de la communauté judéenne à l’universel. 6.5.2. Dt 25 et Rt Le récit du livre de Ruth s’ouvre par l’épisode de la mort du mari de Noémi qui se retrouve sans aucune descendance à la mort de ses deux fils, 174

E.M. MENN 1997, 58-59.

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et renvoie ses deux belles-filles à la maison de leurs mères (Rt 1,1-9). Elle est dans l’impossibilité de faire appliquer la loi du lévirat puisqu’elle n’a plus de fils : « Ai-je encore des fils dans mon ventre qui deviendraient vos maris ? » (‫העוד־לי בנים במעי והיו לכם לאנשים‬, Rt 1,11b). Il s’agit bien ici des « fils » qui entreraient dans le champ d’application de la loi. On a déjà noté qu’en Dt 25,6 et Rt 4,10 le lévirat a même but : le premier-né de la veuve portera (se lèvera ‫ )קום‬le nom du défunt pour que le nom de ce dernier ne soit pas effacé (‫( )מחה‬Dt 25,6) ou retranché (‫( )כרת‬Rt 4,10). Il existe bien un parallélisme entre Dt 25,6 et Rt 4,10 : Dt 25,6 :‫והיה הבכור אשר תלד יקום על־שם אחיו המת ולא־ימחה שמו מישראל‬ Rt 4,10 ‫להקים שם־המת על־נחלתו ולא־יכרת שם־המת מעם אחיו ומשער מקומו‬

En revanche, l’interdiction de se marier avec un étranger en dehors de la famille telle qu’elle est exprimée en Dt 25,5 et Gn 38,11 ne s’applique pas à Ruth puisque Booz lui fait éloge de ne pas courir après les garçons, pauvres ou riches (Rt 3,10). Il est possible que cela soit lié à son identité de moabite, alors que l’interdiction prévue par la loi est opposable à Tamar, une Cananéenne. Il est également possible que le passage de Rt 3,10 concernant la possibilité du mariage entre Ruth et un étranger soit une interprétation populaire spécifique au livre de Rt. En tout cas, Rt 1,9 évoque cette possibilité pour les deux belles-filles de Noémi. D’ailleurs, Booz n’est pas un frère de Mahlôn ni de Kilyôn, les deux fils de Noémi. Or, seuls les frères du défunt remplissent la condition requise pour exercer le lévirat défini en Dt 25,5. Noémi désigne Booz comme appartenant à sa parenté175 (‫מדעת‬, Rt 3,2) ou à son clan (‫משפחה‬, Rt 2,1.3) et comme habilité à pratiquer le lévirat. En outre, chez Rt, il semble que lévirat et mariage se combinent : Noémi parle de « mari » (‫אנוש‬, Rt 1,11b) ; et Booz désigne Ruth comme « sa femme » (‫אשה‬, Rt 4,11). Et le verbe ‫( יבם‬agir en beau-frère) n’est pas utilisé dans le livre de Ruth. En conséquence, le champ d’application du lévirat apparaît ici comme considérablement élargi par rapport à Dt 25,5. Nous devons également souligner que Noémi désigne Booz comme le « racheteur » (‫מגאלנו‬, parmi nos racheteurs, Rt 2,20) ; et ce dernier s’identifie aussi au « racheteur » (‫)גאל‬, et fait même allusion à un autre « racheteur » plus proche que lui (‫( )גאל קרוב‬Rt 3,12). Rt établit donc un lien entre le rachat et le lévirat qu’on ne retrouve nulle part ailleurs.

Artus souligne l’importance de l’usage de ce mot rare qui est le substantif du mot ‫מדע‬ en Pr 7,4. Il est possible que ces deux occurrences renvoient à une relation intime, correspondant peut-être à un lien familial, O. ARTUS 2009b, 14. 175

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CHAPITRE III

Toutefois Booz se met devant la porte (‫ )שער‬de la ville (‫ )עיר‬et devant les anciens (‫ )זקן‬pour régler l’affaire (Rt 4,1-2), comme ce qui est prescrit en Dt 25,8. Jackson relève cet autre détail : Booz prend « dix hommes parmi les anciens » (‫עשרה אנשים מזקני‬, Rt 4,2) comme « témoins » (‫)עדים‬ en Rt 4,9.10, et non pas comme médiateurs. Il souligne le côté « populaire »176 de cet épisode devant la porte de la ville : Booz invite non seulement « les dix anciens », mais aussi « tout le peuple » (‫ )כל־העם‬en Rt 4,9. En plus, en accomplissant le devoir du lévir, Booz hérite non seulement de Ruth (Rt 4,10), mais aussi de toute la propriété de la famille de Noémi (Rt 4,9)177. En outre, la personne qui refuse le lévirat ôte sa sandale dans Rt (‫נעלו‬, cf. Rt 4,7 et Dt 25,9), ce qui n’est pas un signe de mépris comme en Dt 25,9, mais constitue un geste de confirmation de l’accord puisqu’il s’agit de donner sa sandale à son compagnon (Rt 4,7). L’humiliation publique telle qu’elle est prescrite en Dt 25,9 n’est pas pratiquée en Rt 4,1-12, et le refus du lévirat y est associé à la question du rachat. Il est évident que Rt a connaissance de Dt 25 en ce qui concerne les prescriptions de la loi du lévirat, mais en même temps il prend ses distances178. Il est possible que l’application de la loi du rachat exposée en Lv 25 ait influencé la pratique du lévirat rapportée en Rt. Lv 25,25 précise que celui qui a le droit de rachat est le proche, c’est-à-dire appartient à la parenté (‫)גאלו הקרב‬. Comme l’a remarqué Artus : « En Rt 3–4, le vocabulaire du rachat concerne de manière conjointe une personne et un bien. Il est appliqué à la fois à l’acquisition de la propriété du défunt Elimelek (Rt 4,3) et à la pratique du lévirat (…)179 ». En conséquence, il est tout à fait possible que Rt s’appuie sur la combinaison de Dt 25,5-10 et Lv 25,25 pour en tirer une autre interprétation du lévirat. 6.5.3. Bilan La comparaison respectivement de Gn 38 et de Rt avec Dt 25,5-10 où est formulée la loi du lévirat montre, dans les deux premiers cas, une expression différente de cette institution de celle qui prévaut en Dt 25 : alors que la faute d’Onân et celle de Juda conduisent à voir dans le lévirat 176 La même idée sur l’aspect populaire se trouve également chez Ska, J.L. SKA 2016a, 240-241. 177 B.S. JACKSON 2015, 78. 178 Weisberg ne voit pas la relation entre Ruth et Booz comme relevant de la pratique du lévirat, mais plutôt comme une discussion sur le mariage sous le prétexte du lévirat, D.E. WEISBERG 2004, 406. 179 O. ARTUS 2009b, 15.

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une obligation, Rt montre une pratique plus souple qui rejoint la loi du rachat en Lv 25,25. Westbrook180 considère que Gn 38 reflète une loi ancienne du lévirat en Israël, antérieure à Dt 25,5-10, et qui en rendait la pratique obligatoire. Davies181 abonde dans ce sens en supposant que Gn 38 pourrait refléter une ancienne pratique du lévirat s’appliquant non seulement aux frères, mais aussi au père. Par la suite, selon leur logique, Dt 25,5-10 aurait transformé l’obligation mentionnée en Gn 38 en une éventualité susceptible de refus, celui-ci étant accompagné d’une humiliation publique, la portée de la loi étant en tout état de cause limitée aux frères. Ce que décrit Rt 4 serait donc tardif, le refus du lévirat n’entraînant plus une humiliation publique, et la loi pouvant s’étendre aux membres proches de la famille. Nos analyses nous amènent à formuler les observations suivantes : – tout d’abord, plusieurs hypothèses conduisent à douter que la mort d’Onân soit imputable à sa réticence à l’égard de la pratique du lévirat ; – ensuite, cette loi, loin de constituer le thème principal de l’histoire, peut n’avoir qu’une fonction de contexte propice au déroulement du récit ; – en outre, nous avons déjà montré le caractère tardif de la rédaction de Gn 38 ; et Dt 25,5-10 qui figure dans le CD, appartient à l’ensemble des textes antérieurs au récit de Gn 38. Il est difficile d’admettre que le texte le plus récent ait pour objet la promotion de la version la plus ancienne de la loi. Neufeld182 distingue la loi normative qui est décrite en Dt 25,5-10 et les deux récits qui rapportent deux manières différentes de l’appliquer. Pour lui, Gn 38 et Rt ne reflètent pas l’historicité du développement de la loi, mais portent sur les personnes concernées : les frères du défunt sont concernés en premier (Dt 25) ; quand les frères sont morts ou en cas d’impossibilité, l’obligation incombe au père du défunt (Gn 38) ; si les frères et le père font défaut, un proche masculin de la famille peut s’en acquitter (Rt). Mais comme nous l’avons déjà montré plus haut, en Gn 38, le rapport entre la pratique du lévirat et la relation de Juda et Tamar n’est pas évident, et il est difficile de se convaincre de voir là un passage de l’obligation des frères envers le père et les proches de la famille.

180 181 182

R. WESTBROOK 1991, 70. E.W. DAVIES 1981, 263. E. NEUFELD 1944, 34-36.

180

CHAPITRE III

Par ailleurs, Weisberg183, T. Thompson et D. Thompson184 tiennent également pour la distinction d’ordre littéraire entre la loi normative de Dt 25,5-10 et les deux récits de son application185. D’un côté, Weisberg souligne qu’en Gn 38 le récit se focalise souvent sur Juda, ce qui est la clé de la compréhension du lévirat dans ce chapitre. De l’autre côté, T. Thompson et D. Thompson suggèrent que les contradictions entre Dt 25,5-10 et les deux récits ne correspondent pas à de véritables oppositions, mais proviennent des différences dans la forme des textes. Ces remarques semblent assez justes. Nos analyses ci-dessus ont souligné les éléments pour confirmer que Gn 38 et Rt manifestent la connaissance de l’essentiel de la loi du lévirat prescrite en Dt 25,5-10186. Il est fort probable que les deux récits ont employé le lévirat comme contexte pour atteindre leurs propres buts, car les deux histoires s’achèvent sur deux naissances respectivement attribuées à Juda et à Booz (Gn 46,12 et Rt 4,21), et non à Er/Onân et Elimelek (Rt 4,3). D’un côté, en Gn 38, alors qu’Onân et Juda sont critiqués à cause du refus du lévirat, Tamar, l’étrangère, se montre plus juste ; et de l’autre, Rt approuve ce que fait la personne étrangère Ruth en combinant Dt 25,5-10 et Lv 25,25, sans pour autant critiquer qui que ce soit. En conclusion, Gn 38 et Rt, rédigés à des époques différentes, se réfèrent à l’institution du lévirat de manière différente. La pratique du lévirat décrite en Gn 38 permet d’abord de souligner le contraste entre l’étranger et les Judéens : Tamar, une Cananéenne, est l’héroïne qui fait bien meilleure figure que Juda et ses enfants. Juda reconnaît la justice de Tamar (Gn 38,26) qui lui donne une descendance (Gn 38,27-30) parmi laquelle, David (Rt 4,12.18-22). Au contraire, Er et Onân, les fils de Juda, sont critiqués187. Gn 38 fait ainsi l’éloge de cette étrangère en soulignant le contraste avec Juda et ses fils. En réalité, c’est le profil de l’étrangère qui est particulièrement mis en valeur. 6.3. Le mariage mixte Gn 38 et Rt décrivent respectivement deux mariages mixtes : Juda avec la fille de Shoua, la descendance étant obtenue par Tamar ; et Ruth avec le fils de Noémi, la descendance étant obtenue de Booz. Winslow remarque 183

D.E. WEISBERG 2004, 415-417. D. THOMPSON, T.L. THOMPSON 1968, 79. 185 Bush abandonne l’idée d’une évolution du lévirat à partir de Dt 25, Gn 38 et Rt. Il suggère plutôt de comparer les différences radicales qui les séparent, F.W. BUSH 1996, 224-225. 186 Jackson soutient l’idée que Rt est issu de Dt 25,5-10, B.S. JACKSON 2015, 79. 187 J.A. EMERTON 2015b, 466-467. 184

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que la Torah présente différentes voix dans les rédactions postexiliques188. Esdras-Néhémie porte sur l’interdiction du mariage mixte (Esd 9–10 ; Ne 13). En revanche, le cycle de Joseph témoigne de plusieurs mariages mixtes : Juda en contracte un avec la fille de Shoua, une Cananéenne et il prend Tamar, une Cananéenne pour son fils ainé Er en Gn 38189. De même, Joseph épouse Asnat, une Égyptienne (Gn 41,45). Ce qu’il y a de marquant dans le cas de Joseph, c’est que sa femme est non seulement une étrangère, mais qu’elle est aussi la fille d’un prêtre d’On190. En outre, le cycle de Joseph fait mention de Siméon qui est marié avec une Cananéenne, puisque la liste de ses fils en Gn 46,10 comporte cette mention : ‫ושאול בן־הכנענית‬ (et Shaoul, le fils de la Cananéenne). Par ailleurs, Winslow interprète Gn 38 comme un récit se rapportant au mariage mixte dans le cadre d’une polémique avec Esdras-Néhémie à l’époque post-exilique191. À l’opposé, depuis le récit d’Abraham, l’histoire des patriarches montre un refus du mariage mixte. Abraham a envoyé son serviteur pour chercher une femme pour son fils Isaac et il lui a demandé de faire le serment de ne pas chercher une Cananéenne (Gn 24,3-4). La même perspective anti-cananéenne est présente en Gn 26,34-35 où Isaac et Rébecca n’apprécient guère le mariage d’Esaü avec les deux femmes cananéennes. De même, Isaac avertit Jacob de ne pas prendre une Cananéenne (Gn 28,1). De surcroît, Gn 34 décrit les fils de Jacob imposant la circoncision comme condition du mariage : Sichem explique à ses concitoyens la raison pour laquelle ils devaient suivre cette consigne : « Ces gens ne consentiront à demeurer avec nous pour former un seul peuple qu’à cette condition : c’est que tous nos mâles soient circoncis comme ils le sont eux-mêmes » (Gn 34,22). Curtis conclut que « What was viewed by the Canaanites as a significant advantage (becoming one people), was viewed by the biblical 188 K.S. WINSLOW 2011, 133. Avant lui, Menn a relevé des cas « pour » et « contre » le mariage mixte dans la Bible, E.M. MENN 1997, 51-55. 189 Amit mentionne également le mariage mixte comme l’une des polémiques cachées dans l’histoire de Juda et de Tamar, Y. AMIT 2011, 12-13. 190 Adda insiste sur les trois mentions de la femme de Joseph comme « Aséneth, fille de Poti-Phéra, prêtre de On » (Gn 41,45.50 ; 46,20) en disant que « le texte biblique suggère ainsi que l’assimilation de Joseph en Égypte est si complète qu’il y trouve non seulement un autre nom, une femme et une carrière politique, mais aussi d’autres dieux », M. ADDA 2014, 151. Il est intéressant d’observer que le judaïsme du Ier s. av. J.-C. a le souci du mariage mixte contracté par Joseph et Asnat, une femme égyptienne. Les Juifs ont recomposé l’histoire de ces deux derniers en racontant la conversion d’Asnat qui lui permet d’épouser Joseph dignement. Cela montre que le thème du mariage mixte est une particularité du cycle de Joseph, A. DUPONT-SOMMER, M. PHILONENKO 1987, 1565-1601. 191 K.S. WINSLOW 2011, 149. Cette même idée a été exprimée par Lanoir : « Et reconnaître la justice de Tamar serait une façon de dénoncer un autre interdit : le renvoi des femmes étrangères préconisé en Esdras 10 et Néhémie 13 », C. LANOIR 2015, 179.

182

CHAPITRE III

authors as a significant threat to Israel’s existence, and this perspective provides a basis for judging Judah’s behavior in Genesis 38192 ». Selon lui, Juda est jugé négativement à cause de son mariage mixte. Mais on a démontré qu’il est critiqué à cause de sa fermeture à l’égard de Tamar. Nous observons que dans le cycle de Joseph, le mariage mixte de Juda (Gn 38,2) et celui de Joseph (Gn 41,44), et même celui de Siméon (Gn 46,10) ne posent guère de problème193. Il n’y a plus trace d’hésitation entre le permis et l’interdit. Ce sont même des enfants issus d’étrangères qui prendront place dans la lignée du peuple d’Israël (cf. Gn 38,27-30 et Gn 48, Gn 49). Par ailleurs, on note un détail : Gn 41,50-52 évoque les deux fils de Joseph issus d’Asenath, la fille d’un prêtre égyptien. Nous voyons que ce passage constitue une rupture entre le v.49 et le v.53 qui se concentrent sur le stockage du blé. La naissance des deux fils de Joseph apparaît donc comme un ajout qui s’inscrit dans la perspective universaliste du cycle de Joseph. De ce fait, Ephraïm et Manassé, qui sont à moitié Égyptiens, deviendront plus tard les ancêtres du peuple d’Israël. Le nom de Manassé (‫ )מנשה‬signifie non seulement l’oubli de la misère, mais aussi la maison de Jacob (Gn 41,51), ce qui met encore une fois l’accent sur l’universalisme. Il est intéressant de remarquer que Gn 38 et le cycle de Joseph décrivent la possibilité de mariages mixtes respectivement avec des Cananéennes et des Égyptiennes à l’encontre des autres récits patriarcaux cités plus haut. On en conclut que le cycle de Joseph exprime une perspective différente des récits concernant Abraham, Isaac et Jacob. Par ailleurs, 192

E.M. CURTIS 1991, 255. De Pury a mentionné trois cercles de l’humanité, les membres du 2ème cercle et du 3ème pouvant se marier ensemble, ce qui ne correspond pas au cas de Joseph, et Juda n’y entre pas. « Il apparaît aujourd’hui que l’auteur sacerdotal, le véritable ‘inventeur’ de la Genèse comme prologue à l’histoire mosaïque d’Israël, ne connaît plus d’humanité païenne. Il divise l’humanité en trois cercles concentriques : 1° l’humanité issue de Noé, qui vénère Elohim et respecte l’interdit du sang (Gn 9) mais ne pratique pas la circoncision – les fils de Het en font partie (cf. Gn 23,5) ; 2° les descendants d’Abraham qui vénèrent El Shaddaï et pratiquent la circoncision (Gn 17) : en font partie notamment les fils d’Ismaël et les fils d’Esaü, donc les Arabes et les Iduméens, et aussi, par alliance semble-t-il, les Araméens descendants de Bethouel, peuples qui tous héritent avec les fils de Jacob, donc avec les Juifs et les Samaritains, de la possession du pays de Canaan, et 3° les fils de Jacob, qui sont appelés à devenir eux aussi une pluralité de peuples (35,11 visant peut-être, justement les Juifs et les Samaritains) et qui, eux seuls, vont recevoir la révélation du nom divin Yhwh (Ex 6,2-8)... Pour P, les trois parties de l’humanité sont éminemment respectables – elles sont toutes ‘dans le vrai’ – mais les membres du troisième cercle, les prêtres de l’humanité, peuvent épouser les femmes issues du deuxième cercle (qui pratique la circoncision) mais pas celles du premier (qui ne la pratique pas) », A. de PURY 2001, 226. Cela pourrait être également un indice que l’origine de l’histoire du cycle de Joseph ne provient pas de l’écrit P. 193

ANALYSE LITTÉRAIRE DE GN 38

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Rt appartient au même registre que le cycle de Joseph : il est favorable au mariage mixte par lequel les Israélites obtiennent l’assurance d’une descendance. On peut aller plus loin dans notre recherche puisque Gn 38 et Rt non seulement comportent la permission du mariage mixte, mais surtout, montrent comment l’étrangère et sa descendance s’inscrivent dans la généalogie davidique (Rt 4,18-22). En effet, les deux passages, Rt 4,11-12 et 1 Ch 2,3-4, décrivent l’intégration de Tamar dans le peuple d’Israël. De même, Booz fait la louange de Ruth en la désignant comme celle qui a tout abandonné pour venir dans le peuple d’Israël en Rt 2,11 : [(‫ותעזבי אביך‬ ‫)ואמך וארץ מולדתך ותלכי‬, « et tu as abandonné ton père et ta mère et le pays de ta parenté et tu es allée… »]. Cette qualification renvoie à celle d’Abraham en Gn 12,1 : ‫( מארצך וממולדתך ומבית אביך אל־הארץ‬hors de ton pays, hors de ta famille et hors de la maison de ton père, vers le pays…). Cette allusion amène Ska194 à conclure que Ruth est traitée comme une citoyenne à part entière, même si elle reste toujours une Moabite. Pourtant, il importe de bien distinguer les situations du cycle de Joseph de celle de Rt. Juda et Joseph ont respectivement une descendance dans des pays étrangers : Juda conçoit des enfants à Adoullam avec une Cananéenne, puis avec Tamar, en se séparant d’avec son père et ses frères ; Joseph a des enfants en Égypte. En revanche, Rt présente plutôt une étrangère qui se rend dans le pays des Israélites pour y donner une descendance. Cette comparaison souligne une fois de plus la dimension du pays étranger qui joue un rôle important dans le cycle de Joseph où la description du mariage mixte correspond bien à la situation de ceux qui vivent en diaspora : éloignés de la terre promise, contractant un mariage mixte, obtenant une descendance en espérant la voir rattachée aux mêmes patriarches que ceux qui sont restés dans la terre promise. Les analyses ci-dessus permettent de comparer en détail Gn 38 et Rt. Ces deux histoires sont fréquemment présentées en parallèle195 en raison de l’évocation de la loi du lévirat et du mariage mixte, mais surtout, elles touchent à la généalogie davidique. Les itinéraires décrits dans les deux récits ont des points communs mais sont également en contraste. Juda descend chez les Cananéens, c’est-à-dire chez les étrangers, où il obtient une descendance par une étrangère ; Ruth, une Moabite, vient à Bethléem avec Noémi, et elle donne une descendance 194

J.L. SKA 2003, 49. Wolde a effectué un travail détaillé sur l’intertextualité entre Rt et Gn 38 sans mentionner les grandes différences entre ces deux récits, E.J. WOLDE 1997, 8-27. 195

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CHAPITRE III

à des Israélites. Mais Gn 38 souligne la justice de Tamar par rapport à Onân et Juda alors que Booz n’est pas critiqué en Rt. En même temps, Tamar et Rt reçoivent chacune des louanges de la part des Israélites (Gn 38,26 ; Rt 2,11 ; 4,15). Par conséquent, le récit de l’histoire de Juda et de Tamar illustre la plus large ouverture à l’universalisme, puisqu’il va jusqu’à la conclusion que Tamar est la plus juste. Les différences observées dans la pratique du lévirat permettent de mieux saisir la fonction de Gn 38 où la loi du lévirat n’est pas le centre du récit, mais permet de montrer le contraste entre Juda (et ses fils), l’ancêtre des Judéens et Tamar, l’étrangère. Ce récit non seulement fait l’éloge de l’étrangère mais il critique également la réticence d’Onân et de Juda à mettre en œuvre la loi de leur peuple. L’ouverture à l’universalisme est présentée de manière particulièrement éclatante et positive. 7. CONCLUSION Résumons les traits particuliers de Gn 38 : Le récit garde une unité qui plaide en faveur de l’hypothèse d’un rédacteur unique. Il est difficile d’admettre la préexistence d’une histoire indépendante de Juda196 qui aurait été insérée secondairement dans le cycle de Joseph. L’analyse littéraire a montré que la libre interprétation de la loi du lévirat exposée en Dt 25,5-10 et la rétribution individuelle évoquée aux vv.7.10 prouvent une rédaction tardive du récit. Certains éléments indiquent que le rédacteur connaît au moins une partie du cycle de Joseph ainsi que l’histoire des patriarches197 : 196 Weimar a essayé de dégager les vv.6-11*.13-19*.24-26a comme une histoire originale et indépendante sur Juda composée probablement à l’époque exilique. Selon lui, cette protohistoire a été complétée par un encadrement aux vv.1-5.27-30 et les ajouts ponctuels des vv.12.14b.26a, P. WEIMAR 2008, 35-37. Il faut reconnaître que ces remarques sont intéressantes, la proto-histoire proposée faisant abstraction de tous les éléments sur les étrangères et leurs descendances, même l’identité de Tamar demeurant obscure, pour se concentrer sur la seule histoire de Juda. Nous présenterons plus loin les arguments en faveur de l’unité rédactionnelle de Gn 38. Ebach propose l’hypothèse d’une tradition initialement indépendante de Juda qui aurait été insérée avec les ajouts (vv.1.25) dans le cycle de Joseph en Gn 38, J. EBACH 2007, 144. Mais notre analyse littéraire conduit à la conclusion d’une composition tardive de l’histoire de Juda et de Tamar si l’on écarte l’hypothèse d’une préexistence de cette dernière. 197 Belins partage le même avis en notant que Gn 38 ne reprend pas une histoire préexistante sur Juda en écrivant que : « the blending of genres in the chapter is more likely a product of this process of composition than an antecedent independent form of the tradition that has simply been spliced into place ». Il observe une combinaison de Gn 25 et de Gn 48 dans les histoires respectives de Jacob et de Joseph. Selon lui, Gn 38 vise à y intégrer la biographie de Juda, P. BEKINS 2016, 386.

ANALYSE LITTÉRAIRE DE GN 38

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La naissance des trois fils de Juda aux vv.3-5 // la fertilité de Léa en Gn 29,32-35 La peur de Juda pour Shélah au v.11b // la peur de Jacob pour Benjamin en Gn 42,4b La consolation de Juda au v.12 // la consolation de Jacob en Gn 37,25 et celle de Joseph en Gn 50,21 ‫( בגד‬vêtement) aux vv.14.19 // Gn 37,29 ; 39,12.13.15.16.18 et 41,42. ‫( ערבון‬gage) aux vv.17.18.20 // Gn 43,9 : ‫( אערבנו‬je m’en porte garant) et Gn 44,32 : ‫( ערב‬s’est porté garant) ‫( מצא‬chercher) aux vv.20-23 // Gn 37,15-17 ‫( הכר־נא‬reconnais, s’il te plaît) ; ‫( שלח‬envoyer) au v.25 // Gn 37,32 ‫( והנה תאומים בבטנה‬voici des jumeaux dans son ventre) // la naissance de Jacob et d’Esaü en Gn 25,24. La « main » au v.27 // Gn 25,26

Il est possible que le rédacteur de Gn 38 ait eu connaissance de la généalogie de Juda en Gn 46,12 et Nb 26,19-20. Ces passages pourraient être considérés comme une tradition de Juda pour composer cette histoire, adaptée au contexte du cycle de Joseph et se référant à l’histoire des patriarches. Un élément semble particulièrement important : l’aspect de l’universalisme tel que nous l’avons souligné tout au long de cette recherche montre que Gn 38 est en résonance avec cette nouvelle de la diaspora égyptienne. Il est permis de considérer que l’histoire de Juda et de Tamar a été composée postérieurement pour être alignée avec le cycle de Joseph. Par ailleurs, une crise se noue au moment où Juda renvoie Tamar à la maison de son père pour protéger la vie de son dernier fils Shélah. L’histoire se termine par la naissance de jumeaux, sans que rien ne soit dit sur l’état final de la relation entre Tamar et Shélah. De ce fait, le rédacteur de Gn 38 se focalise plutôt sur l’intégration d’une femme étrangère et de sa descendance au sein du peuple d’Israël. Grâce à Tamar, Juda conçoit deux jumeaux dont l’un est l’ancêtre de David (cf. Rt 4,18-22). Nos analyses montrent que la loi du lévirat n’est qu’un prétexte pour le déroulement du récit, et que la vraie question porte sur l’ouverture aux étrangers. Alors que Juda et ses fils (Er et Onân) sont présentés sous des aspects critiquables, ce qui est dit de Tamar, une étrangère, est plutôt élogieux. Juda, l’ancêtre des Judéens, doit reconnaître qu’elle est plus juste que lui (v.26) ; et que c’est elle, l’étrangère, qui lui révèle sa propre identité. Nos analyses concluent en faveur d’une rédaction indépendante de Gn 39 visant à expliquer la présence de Joseph en prison. En revanche, Gn 38 met l’accent sur l’intégration d’une étrangère et de sa descendance dans le peuple d’Israël. Les différentes fonctions de ces deux chapitres

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CHAPITRE III

confirment que la question Nord-Sud n’est pas leur préoccupation. La position de Juda est, en effet, amenée à rejoindre celle de Joseph, spontanément positive vis-à-vis des étrangers. Juda est finalement obligé de s’aligner sur elle. En résumé, l’histoire de Juda et de Tamar telle qu’elle est écrite en Gn 38 est peu théologique et peu conceptuelle dans son vocabulaire, mais elle contribue néanmoins à définir une identité du peuple d’Israël compatible avec l’ouverture aux autres nations. Ces résultats ont montré que le rapport entre Gn 38 et Gn 49 n’est pas immédiat, mais qu’il se situe à un degré supérieur. Gn 49 évoque tous les descendants de Jacob qui s’installeront en terre de Canaan avec un destin différencié. Gn 38 décrit simplement l’intégration d’une femme étrangère et de sa descendance au sein du peuple d’Israël. Le chapitre suivant comportera une analyse littéraire détaillée de Gn 49 en vue de déterminer sa portée théologique spécifique.

CHAPITRE IV

ANALYSE LITTÉRAIRE DE GN 49 Gn 49 est souvent intitulé « bénédictions de Jacob » mais il comporte également des « malédictions » (Gn 49,3-7). Ce chapitre est introduit par deux verbes au qal inaccompli : ‫( ויקרא‬et il convoqua) et ‫( ויאמר‬et il dit). Ce discours est qualifié de ‫( דבר‬parole) au v.28. Aussi il est préférable de le considérer comme le testament de Jacob : la transmission de ses dernières paroles à ses fils1. Il convient d’examiner d’abord la délimitation et l’emplacement de Gn 49 dans le contexte du cycle de Joseph. Suivra une analyse littéraire de chaque verset pour repérer les différentes couches rédactionnelles et sa composition. Puis, l’ordre de présentation des douze fils sera étudié en le comparant avec les principales listes tribales de la BH pour comprendre l’ordre tribal et la logique de Gn 49. Enfin sera abordée la fonction de ce chapitre dans le cycle de Joseph et dans la formation du Pentateuque. 1. REMARQUES PRÉLIMINAIRES DE GN 49 DANS LE CYCLE DE JOSEPH 1.1. Délimitation de la péricope 1.1.1. Le début et la fin Ce chapitre est introduit par ‫ויקרא יעקב אל־בניו ויאמר‬. Cette formulation marque un net changement par rapport au chapitre précédent : on passe de Jacob-Joseph-Ephraïm-Manassé (Gn 48) à Jacob et ses douze fils. Concernant la fin de la péricope, le discours tribal (vv.1-28) est souvent considéré comme un passage indépendant. Macchi2 et de Hoop3 ont effectué chacun un travail sur les douze tribus d’Israël centré exclusivement sur 1 Lust partage cet avis formulé ainsi : « As a matter of fact, it is a series of tribal sayings rather than a blessing », J. LUST 2004, 144. Avant lui, Heck avait proposé « the Testament of Jacob » pour Gn 49 au lieu de « the Blessing of Jacob » ; de même, il propose de lire Dt 33 comme « the Testament of Moses », J.D. HECK 1990, 21. Macchi remarque que cette bénédiction paternelle touche aux questions de succession (cf. Gn 27 et Gn 48), et il souligne que l’enjeu de Gn 49 est d’établir la prééminence de Juda et de Joseph, J.D. MACCHI 2010, 26-27. 2 J.D. MACCHI 1999. 3 R. de HOOP 1999.

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CHAPITRE IV

le testament de Jacob. Certains commentateurs4 se prononcent également en faveur de son indépendance en considérant qu’à partir du v.29, s’ouvre une nouvelle section, et leur discussion porte plutôt sur la clôture de cette nouvelle section : Mathews5 suggère qu’elle s’étend de la mort de Jacob (Gn 49,29) à ses funérailles (Gn 50,14). Cette proposition met en avant la continuité du récit, mais ignore la mise en parallèle de la fin de vie de Jacob (Gn 49,29-33) et de celle de Joseph (Gn 50,24-26a)6. Ross7 propose une analyse structurale de Gn 49,29–50,26 pour en montrer l’unité : « de la mort de Jacob à celle de Joseph ». Mais la fonction des funérailles de Jacob (Gn 50,7-14) que l’auteur met au centre de sa proposition structurelle reste obscure. Michael8 suggère d’étudier l’ensemble de Gn 49,29– 50,21 en s’appuyant sur les doubles citations de Jacob : l’une prononcée par Joseph devant Pharaon en Gn 50,5 et l’autre par les frères de Joseph en Gn 50,16-17. Or l’examen de la première, surtout les deux expressions principales : ‫( אם־נא מצאתי חן בעיניכם‬50,4, si j’ai trouvé grâce à vos yeux) // ‫( אם־נא מצאתי חן בעיניך‬47,29, si j’ai trouvé grâce à tes yeux) et ‫השביעני‬ (m’a fait prêter un serment, ‫שבע‬, 50,5) // ‫( השבעה‬prête un serment, ‫שבע‬, 47,31), montre un lien avec Gn 47,29-30, plutôt qu’avec Gn 49,29-33. La proposition n’est donc pas très pertinente. Nous prenons Gn 49 dans sa totalité, du v.1 à la fin du chapitre (v.33), considérant la nette différence de style entre le testament de Jacob, surtout les vv.1-28, et ses derniers mots lors de sa mort aux vv.29-33. Le début du v.29 annonce la réunion de Jacob auprès des siens (‫ )נאסף אל־עמי‬et la fin du v.33 décrit l’accomplissement de cette réunion (‫)ויאסף אל־עמיו‬. Ces deux versets forment une glose encadrant la mort de Jacob. Notre délimitation repose sur trois arguments principaux : 1) Avant de mourir, Jacob souhaite confier ses dernières paroles à ses fils comme l’a fait Isaac (Gn 27) et comme le fera Moïse (Dt 33–34). 2) Il y a une continuité textuelle entre le v.1 et le v.29 : 4

K.A. MATHEWS 2005, 910 ; M. MICHAEL 2019, 179-190 ; A.P. ROSS 1997, 712. K.A. MATHEWS 2005, 911. 6 Nous analyserons cette question plus loin. L’enterrement de Jacob pourrait se distinguer de celui conduit par Joseph en Gn 50,1-11.14 et de celui organisé par les douze fils en Gn 50,12-13. 7 Il propose une structure en chiasme : A. (Gn 49,29–50,3) : les derniers mots de Jacob et sa mort ; B. (Gn 50,4-6) : l’appel de Joseph à Pharaon ; C. (Gn 50,7-14) les funérailles de Jacob ; B’. (Gn 50,15-21) : l’appel des frères à Joseph ; C’. (Gn 50,22-26) les derniers mots de Joseph et sa mort, A.P. ROSS 1997, 712-715. 8 M. MICHAEL 2019, 179-190. 5

ANALYSE LITTÉRAIRE DE GN 49

v.1 v.29

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‫האספו‬ ‫ויאמר‬ ‫ויקרא יעקב אל־בניו‬ rassemblez-vous et il dit (à ses fils) et Jacob convoqua ses fils ‫אני נאסף‬ ‫ויאמר אלהם‬ ‫ויצו אותם‬ Je serai réuni et il leur (ses fils) dit et il leur (ses fils) ordonna

Le début du chapitre parle de la « réunion » des fils de Jacob pour recevoir les dernières paroles du père, et la fin se focalise sur son souhait exprimé juste avant sa mort. Les vv.29-33 permettent ainsi de relier la vie de Jacob à celles d’Abraham–Sara et d’Isaac–Rébecca. En fait, le discours (vv.1-28) et le dernier souhait de Jacob (vv.29-33) constituent ensemble la fin de la vie du patriarche. Et le début de Gn 50 fait entrer Joseph en scène, Jacob n’en est plus le sujet. 3) La majorité des commentateurs9 considère que les vv.1a.28bβ.29-33 dans leur ensemble appartiennent à l’écrit sacerdotal, et que le testament aux douze fils provient d’une tradition indépendante. Comme l’a remarqué Westermann10, cette liste des douze, au départ, n’appartient ni à l’histoire de Jacob ni à celle de Joseph, et elle a été insérée postérieurement dans son contexte actuel. On verra par la suite l’importance de cette considération en faveur d’un ensemble constitué par Gn 49 – le discours tribal de Jacob (vv.1-28) et ses derniers mots (vv.29-33) – pour éclairer la fonction du chapitre dans la formation du Pentateuque. 1.1.2. Gn 48 et Gn 49 : un doublet ? Gn 48 raconte l’adoption et la bénédiction des deux fils de Joseph par Jacob. Diebner remarque que « Genèse 48 apparaît donc comme un récit d’adoption d’ISRAËL par ‘Israël’ »11. Ainsi, Gn 49 pourrait être considéré comme un chapitre parallèle à Gn 48. L’un et l’autre décrivent en effet les derniers moments de la vie de Jacob : « ‫([ » הנה אביך חלה‬voici, ton père est malade) Gn 48,1] ; « ‫([ » ויתחזק ישראל וישב על־המטה‬et Israël fit un effort et il s’assit sur le lit) Gn 48,2b] ; « ‫ויאסף רגליו אל־המטה ויגוע‬ ‫([ » ויאסף אל־עמיו‬et il ramena ses pieds sur le lit et il expira et fut rassemblé à ses compatriotes) Gn 49,33]. Ces deux chapitres se concentrent sur les dernières paroles de Jacob-Israël. 9 J. WELLHAUSEN 1994, 327-332 ; H. GUNKEL 1997, xlv ; G. VON RAD 1984, 62 ; T. RÖMER 1992, 79 ; C. UEHLINGER 2001, 310 ; J.D. MACCHI 1999, 127 ; J.M. HUSSER 2000, 113 ; C. WESTERMANN 1987, 222. Les légères variantes entre les positions de ces commentateurs ne mettent pas en cause leur consensus global. 10 C. WESTERMANN 1987, 222. 11 B.J. DIEBNER 1992, 66.

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CHAPITRE IV

Gn 49 reprend la liste des fils de Jacob qui sont descendus en Égypte en Gn 46, mais ignore l’adoption et la bénédiction par Jacob des deux fils de Joseph (Gn 48) : Éphraïm et Manassé. Il est assez étrange de combiner deux bénédictions de Jacob pour clore le récit de Joseph. De plus, hormis une occurrence (Gn 48,2) où Jacob est mentionné sous le nom de « Jacob », en Gn 48, ce dernier est toujours désigné par « Israël » (‫( )ישראל‬Gn 48,2.8.11.13.14.21). En revanche, en Gn 49, à part les vv.1a et 33a qui emploient le nom de « Jacob », l’appellation d’« Israël » et celle de « Jacob » sont liées (Gn 49,1.7). Les deux bénédictions à l’intérieur du cycle de Joseph paraissent indépendantes : Gn 48 valorise le Nord par la bénédiction d’Ephraïm et de Manassé, et Gn 49 détaille le statut de chaque fils tout en soulignant l’importance de Juda (49,8-12) et de Joseph (49,22-26), les représentants du Sud et du Nord, et l’équilibre ainsi établi entre eux. Malgré ces doubles bénédictions, Gn 48 et Gn 49 sont focalisés sur les tribus d’Israël ; la voix de la diaspora y est absente. On reviendra sur la fonction de ces deux chapitres parallèles et apparemment indépendants. 1.2. Plan du chapitre Ce chapitre se découpe en deux grandes parties : « le testament de Jacob à ses fils » (vv.1-28) et « le souhait et la mort de Jacob » (vv.29-33). À propos du testament de Jacob, les analyses respecteront l’ordre tribal en soulignant les trois tribus maudites : Ruben, Siméon et Lévi, et les trois personnages qui jouent un rôle important dans le récit : Juda, Joseph et Benjamin. Ces personnages/tribus constituent leur propre contexte dans le cycle de Joseph et les chapitres qui le précèdent, principalement Gn 34 et Gn 35. Aux malédictions sur Ruben, Siméon et Lévi, correspondent les bénédictions de Juda et de Joseph. Encadré par ces dernières, le chapitre évoque six autres personnages/tribus qui n’ont pas joué de rôle personnel dans l’histoire de Joseph12. L’ordre de présentation de ces douze tribus sera discuté plus loin. La structure suivante se dégage : 12

Lunn propose une autre structure du discours selon l’ordre matrilinéaire : A : Léa (vv.13-15), B : la servante (vv.16-17) ; C : la prière adressée à YHWH (v.18) ; B’ : la servante (vv.19-21) ; A’ : Rachel (vv.22-27). Il conclut que la prière du v.18 occupe une place prééminente par rapport au reste des poèmes, N.P. LUNN 2008, 168, n° 24. Cette structure fait disparaître les six autres fils (Ruben, Siméon, Lévi, Juda, Joseph, Benjamin) qui ont joué un rôle individuel important dans le cycle de Joseph. Par ailleurs, il est difficile de considérer le v.18 comme le centre du discours. Nous analyserons en détail le v.18.

ANALYSE LITTÉRAIRE DE GN 49

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Partie I. La convocation par Jacob de ses fils (vv.1-28) : ‫ויקרא יעקב אל־בניו ויאמר האספו‬ Introduction du discours (vv.1-2) : ‫ואגידה לכם את אשר־יקרא אתכם‬ Les trois tribus13 maudites : Ruben, Siméon et Lévi (vv.3-7) La tribu de Juda (vv.8-12) Les six petites tribus (vv.13-21) La tribu de Joseph (vv.22-26) La tribu de Benjamin (v.27) Conclusion du discours (v.28) : ‫וזאת אשר־דבר להם אביהם‬ Partie II. L’ordre de Jacob et sa mort (vv.29-33) : ‫ויצו אותם ויאמר אלהם אני נאסף‬

L’analyse littéraire étudiera d’abord « le discours tribal » aux vv.1-28, et l’ordre de cette présentation tribale puis « l’ordre de Jacob et sa mort » aux vv.29-33. 2. L’ANALYSE LITTÉRAIRE DU DISCOURS TRIBAL (VV.1-28) 2.1. Le cadre général du discours (vv.1-2.28) 2.1.1. La structure du cadre général Les commentateurs s’accordent sur l’écrit sacerdotal du passage. Les versets 1a et 28bβ sont marqués par deux verbes typiques du « P » : ‫קרא‬ (convoquer) et ‫( ברך‬bénir). Leur structure manifeste déjà l’insertion du discours de Jacob à l’intérieur du récit de Joseph. On divise ces versets en deux parties : P et l’encadrement du discours non-P. P

‫ויברך אותם איש אשר כברכתו ברך אתם‬28bβ / ‫ויקרא יעקב אל־בניו‬1a Et Jacob convoqua ses fils / et il les bénit. Chacun selon sa bénédiction, il les bénit.

L’encadrement du discours non-P

… ‫ויאמר האספו ואגידה לכם‬1b-2 et il dit « Rassemblez-vous et je vous raconterai … » ‫כל־אלה שבטי ישראל שנים עשר וזאת אשר־דבר להם אביהם‬28abα Tous ceux-là étaient les douze tribus d’Israël, et telles furent les paroles dites par leur père.

Ces deux parties montrent que le récit pourrait très bien fonctionner avec P sans le contenu du discours de Jacob (vv.1b-28abα), qui proviendrait d’une insertion postérieure à P. 13 Le choix du mot « tribu » provient de ce qu’au v.28, dans la conclusion du discours de Jacob, il est écrit : ‫שבטי ישראל‬. Ainsi le discours de Jacob ne concerne pas uniquement ses douze fils, mais également les douze tribus d’Israël. Macchi fait le même choix, J.D. MACCHI 1999.

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CHAPITRE IV

Bartusch a remarqué la forme poétique de Gn 49,2-27 qui est inséré dans un cadre narratif, tout en soulignant une ambiguïté dans ce chapitre en raison de la contradiction entre ‫( בניו‬ses fils) au v.1a et ‫שבטי ישראל שנים‬ ‫( עשר‬les douze tribus d’Israël) au v. 28abα14. On note qu’il s’agit de la première mention de la « tribu » (‫ )שבט‬dans la BH15. Cette distinction entre P et l’encadrement du discours non-P, explique cette tension entre « fils » et « tribus » à l’intérieur du récit révélant la présence des différentes couches rédactionnelles. Il est possible que l’introduction de la « tribu » fasse référence aux autres sentences tribales. 2.1.2. L’analyse des versets a. ‫ באחרית הימים‬: l’avenir eschatologique ? v.1b : Il est nécessaire d’examiner la fonction des autres occurrences bibliques de l’expression ‫ באחרית הימים‬pour déterminer l’usage de cette dernière en Gn 49,1. Cette expression apparaît 13 fois dans l’AT : Gn 49,1 ; Nb 24,14 ; Dt 4,30 ; 31,29 ; Is 2,2 ; Jr 23,20 ; 30,24 ;48,47 ; 49,39 ; Ez 38,16 ; Os 3,5 ; Mi 4,1 ; Dn 10,14. Gunkel la définit comme un terme de l’eschatologie prophétique16, car les grands discours des prophètes contiennent cette expression ; et il considère les autres références (Gn 49,1, Nb 24,14 et Dt 4,30 ; 31,29) comme l’imitation du style prophétique. Macchi17 a effectué une étude détaillée sur les diverses fonctions de cette 14 M.W. BARTUSCH 2003, 32. Lee a déterminé les vv.1a.28b.29-33 comme P, et il conclut que les vv.1b-28a sont une collection indépendante et ont été insérés tardivement dans le cadre du P, K.D. LEE 2016, 171-172. Sa conclusion est assez proche de notre point de vue. 15 Nous avons déjà observé dans la critique textuelle que le TM et le Smr ont « les douze tribus d’Israël », alors que la LXX témoigne de la version « les douze fils d’Israël » qui conserve la cohérence entre le v.28abα et P aux vv.1a.28bβ. 16 Cf. H. GUNKEL 1997, 454. 17 On peut résumer ainsi les analyses de Macchi : Nb 24,14 ouvre le quatrième oracle (Nb 24,15-19) de Balaam dont la terminologie et la thématique rappellent la bénédiction de Juda en Gn 49,8-12. Gn 49,1 est ainsi considéré comme la source de Nb 24,14. Quant à Dt 4,29-31 et Os 3,5, ils emploient la même phraséologie deutéronomiste : ‫( בקש‬chercher) et ‫( שוב‬retourner) qui font référence à l’époque d’exil où une vie renouvelée sera possible. Macchi souligne que l’expression ‫ באחרית הימים‬introduit deux unités littéraires semblables en Is 2,2-4 et Mi 4,1-3 qui décrivent la montée pacifique des nations vers Sion, datées probablement de l’époque postexilique. La signification de ‫ באחרית הימים‬en Jr 23,20 se rapproche de celle de Dt 31,29 qui ouvre sur le temps de malheurs consécutifs à la colère de YHWH. En revanche, cette expression en Jr 30,24 désigne le temps de la restauration d’Israël, et Jr 48,47 et Jr 49,39 décrivent respectivement celle de Moab et d’Elam, deux nations païennes. À l’inverse, la même expression en Ez 38,16 indique un combat eschatologique contre Gog. D’ailleurs, l’expression ‫ באחרית הימים‬trouve son équivalent en araméen par ‫באחרית יומיא‬ en Dn 2,28 qui renvoie au drame eschatologique à l’époque hellénistique, J.D. MACCHI 1999, 30-34. Dans la même orientation, une note dans la LXX explique que l’expression « aux derniers jours » peut être comprise dans trois sens : sens historique, sens messianique ou sens eschatologique, cf. M. HARL 1986, 306.

ANALYSE LITTÉRAIRE DE GN 49

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expression dans les différents textes. Il estime qu’« on ne peut donc pas simplement considérer cette expression comme une désignation neutre de l’avenir. Mais parallèlement l’expression ne revêt pas systématiquement un sens eschatologique de type utopique18 ». Il regroupe l’usage de ‫באחרית‬ ‫ הימים‬en trois types : – l’expression désigne le présent, voire le passé avec un regard négatif en Dt 31,29 ; Jr 23,20 ; – les allusions à l’époque postexilique figurant en Dt 4,30 ; Os 3,5 ; Jr 30,24 ; 49,39 ; 48,47 ne comportent pas de traits eschatologiques ; – enfin, la portée eschatologique se retrouve en Is 2,2 ; Mi 4,1 ; Ez 38,16 et Dn 10,14. Cette expression ‫ הימים באחרית‬indique en effet la venue d’événements lointains qui vont arriver sans devoir y trouver un sens eschatologique. Même dans la LXX l’expression ἐπʼ ἐσχάτων τῶν ἡμέρων n’exprime pas forcément un aspect eschatologique. Outre Gn 49,1b, l’expression se retrouve en Nb 24,14 : au sein de la conversation de Balaq avec Balaam dans un verset construit sur le même modèle : appel (viens/rassemblez-vous) + sujet (Je) + action (avertir/ raconter) + objet (ton peuple/vous) + « la suite des jours ». Nb 24,14

Gn 49,1b

‫לכה איעצך אשר יעשה העם הזה לעמך באחרית הימים‬ « Viens, je t’avertirai de ce que ce peuple fera à ton peuple dans la suite des jours ». ‫האספו ואגידה לכם את אשר־יקרא אתכם באחרית הימים‬ « Rassemblez-vous et je vous raconterai ce qui vous sera annoncé dans la suite des jours ».

Le discours de Balaam contient les mêmes éléments, le « bâton » et le « lion » (cf. Nb 24,17), que Gn 49,8-12. Ainsi, ces deux occurrences décrivent quasiment une même réalité. Pourquoi Gn 49 emploie-t-il la même formule que la prophétie de Balaam en Nb 24 ? Dt 33 paraît en donner la clef : ‫( וזאת הברכה אשר ברך משה איש האלהים את־בני ישראל לפני מותו‬voici la bénédiction que Moïse, l’homme de Dieu, bénit les fils d’Israël avant sa mort, Dt 33,1) ; Moïse est considéré comme un grand prophète (‫)נביא‬19 en Dt 34,10-12 et Nb 12,6-8. La bénédiction et la mort de Moïse en Dt 33–34 et celles de Jacob en Gn 49, étant présentées en parallèle, Jacob clôt le livre de la Genèse par un testament qui participe à l’encadrement du 18

J.D. MACCHI 1999, 35. Otto a confirmé la conclusion prophétique du Pentateuque dans le Dt notamment à travers le personnage de Moïse, E. OTTO 2019, 179-188. 19

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CHAPITRE IV

Pentateuque tout comme la figure de Moïse, vrai personnage prophétique, annonce un futur aux tribus. Dans cette perspective, la forme littéraire de l’introduction du discours de Jacob en Gn 49 est conçue en parallèle avec le discours de Moïse en Dt 33. En conséquence, l’expression ‫ באחרית הימים‬n’a pas nécessairement un sens eschatologique, et l’introduction du testament de Jacob revêt un profil plutôt prophétique20. b. Le v.2 est-il l’introduction au testament de Jacob ? Un parallèle est possible entre le v.1b et le v.2 : ‫ויאמר‬

v.1b v.2

‫האספו ואגידה לכם‬ ‫הקבצו ושמעו‬

rassemblez-vous et je vous raconterai… assemblez-vous et écoutez …

Ces deux passages sont introduits par ‫ אסף‬// ‫קבץ‬, et le « récitant » (‫)נגד‬ exige l’écoute (‫)שמע‬. Le testament de Jacob aurait pu être introduit par le v.2 sans le v.1b et vice-versa. Le v.1b peut être compris de deux manières : soit comme une inclusion avec le v.28 encadrant le testament de Jacob ; soit comme une insertion secondaire introduisant l’expression ‫אחרית הימים‬ pour en souligner le type prophétique. Quoi qu’il en soit, le v.1b considère l’ensemble des fils de Jacob. Westermann fait de v.1b un ajout secondaire, et de v.2 l’introduction originale du testament de Jacob21. Le v.2 définit le locuteur – Jacob/Israël et les auditeurs – les fils de Jacob. La structure bien rythmée de ce verset permet quelques conclusions : ‫ הקבצו‬2a // ‫ האספו‬1b ‫ ושמעו בני יעקב‬2b ‫ ואגידה‬1b ‫ ושמעו אל־ישראל אביכם‬2c

Le v.2 poursuit la continuité du v.1b sur le « rassemblement » et l’« écoute », v.2b et v.2c ont une même construction : deux fois ‫שמע‬, l’alternance de « Jacob » et « Israël » (Gn 49,2.7.24), et l’écho entre « les fils » et « votre père ». L’insertion du v.1b établit une continuité narrative avec le v.1a par l’emploi de ‫ ויאמר‬rattachant l’ensemble du discours de Macchi a analysé chaque occurrence de l’expression ‫ אחרית הימים‬dans la BH : Gn 49,1b ; Nb 24,14 ; Dt 4,30 ; 31,29 ; Os 3,5 ; Is 2,2 ; Mi 4,1 ; Jr 23,20 ; 48,47 ; 49,39 ; Ez 38,16 ; Dn 10,14, J.D. MACCHI 1999, 29-34. La formule se trouvant majoritairement chez les prophètes souligne le profil prophétique de Jacob en Gn 49. Garcia Lopez emploie l’expression de « testament prophétique » pour qualifier les paroles de Jacob, F. GARCIA LOPEZ 2005, 125. 21 C. WESTERMANN 1987, 223. 20

ANALYSE LITTÉRAIRE DE GN 49

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Jacob, vv.1-28, à P. Et le v.2 peut être considéré comme une introduction au discours de Jacob. Le v.2 présente « les fils de Jacob » et au v.28, le TM mentionne les auditeurs avec un autre titre : ‫שבטי ישראל שנים עשר‬. En fin de compte, le testament de Jacob s’adresse non seulement à ses fils, mais le patriarche s’adresse aussi au peuple d’Israël. La composition et le contenu du v.2 confirment qu’il pourrait bien être l’introduction au testament de Jacob et nous verrons plus loin la fonction de cette construction en rapport avec le v.7 qui évoque plutôt la « dispersion » de Jacob et d’Israël à l’opposé du « rassemblement ». c. Le v.28abα est-il la conclusion du testament ? Ce verset ne pose aucun problème de compréhension. Les douze sont désignés par le TM comme ‫שבטי‬, mais comme υἱοὶ par la LXX en harmonie avec les vv.1-2. Le passage correspond parfaitement à l’indication donnée dans l’introduction : ‫ואגידה לכם‬ ‫וזאת אשר־דבר להם‬ (et je vous raconterai, v.1b) (et voilà ce qu’il leur dit, v.28bβ) Le locuteur ‫אביכם‬ ‫אביהם‬ (votre père, v.2c) (leur père, v.28bβ) Les auditeurs ‫בני יעקב‬ ‫שבטי ישראל שנים עשר‬ (les [douze] fils de Jacob, v.2b) (les douze tribus d’Israël, v.28a)

Le contenu

Le tableau met en évidence l’inclusion opérée entre le v.28abβ et les vv.1b.2 : v.2 mentionne « les fils de Jacob » ce qui correspond bien à la trame narrative du v.1a, mais la fin du discours élargit la dimension de l’auditoire des « fils » aux « tribus », ce qui dépasse le cadre narratif initial. Pourquoi le texte passe-t-il des « fils » aux « tribus » ? Alors que le début du v.2 n’a pas précisé le nombre des fils, la fin du testament souligne le chiffre « douze ». Le nombre et l’ordre des fils en Gn 49 seront traités en rapport avec les autres textes. 2.1.3. Bilan Même s’il est possible de considérer v.1b comme une insertion secondaire, il est bien en cohérence avec v.2. Comme la construction littéraire du v.1b est en parallèle avec celle en Nb 24,14 et que le testament de Jacob et sa mort sont en parallèles avec ceux de Moïse en Dt 33–34, Gn 49 configure un profil plutôt prophétique de Jacob. Le v.28abβ forme une conclusion harmonieuse avec les vv.1b.2. En conséquence, le testament des douze, vv.1b-28abα, a été inséré postérieurement

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CHAPITRE IV

à l’intérieur de la couche P qui contient déjà le v.1a et le v.28bβ. Le discours de Jacob (vv.1-28) apparaît ainsi comme un ensemble parfaitement cohérent. Poursuivons l’analyse des paroles de Jacob adressées à chacun de ses fils. 2.2. Les tribus maudites : Ruben, Siméon et Levi (vv.3-7) 2.2.1. Ruben (vv.3-4) a. Les analyses détaillées v.3 : Présentation de la forme stylistique :

‫ יתר שאת‬3b ‫ויתר עז‬3b

‫ ראובן בכרי‬3a ‫ ראתה כחי‬3a ‫וראשית אוני‬3a

Chaque stique du v.3a se termine par un nom avec suffixe à la première personne, et chaque stique du v.3b a un simple cas construit. Des commentateurs22 ont proposé de rattacher ‫ אתה‬à ‫ ראובן בכרי‬pour mettre l’accent sur Ruben, le premier-né : « Toi » (‫)אתה‬. Nous préferons conserver la construction en binômes. L’expression ‫ ראשית און‬est souvent compris en parallèle avec ‫בכור‬. La même dénomination se trouve également en Dt 21,17 (‫)ראשית אנו‬, Ps 78,51 (‫ )ראשית אונים‬et Ps 105,36 (‫)ראשית לכל־אונם‬. Le v.3a est construit sur plusieurs parallélismes : ‫ ראובן‬// ‫ בכרי ; אתה‬// ‫ כחי ; ראשית אוני‬// ‫אוני‬. Wenham souligne que « The term “first fruits” (‫ )ראשית‬is common in sacrificial contexts (e.g., Lev 2:12 ; 23:10 ; Num 15:20 ; 18:12 ; Deut 18:4 ; 26:10) and suggests the holy calling that Ruben ought to have followed23 ». Ce passage souligne clairement le statut de premier-né de Ruben (Gn 29,32 ; 35,23) mais sans établir quelque lien que ce soit avec une dimension sacrificielle. L’ambiguïté de ce verset vient de la signification de ‫יתר‬. Dans la plupart des cas (69 sur 93 occurrences), ce mot est compris au sens de « reste », « ce qui est en plus ». Les différents dictionnaires font diverses propositions24 : 22 S. GEVIRTZ 1971, 87, l’auteur a effectué une traduction à la fin de son article, et il revient finalement à notre propos (p. 98) ; J.D. MACCHI 1999, 41 ; R. de HOOP 2003, 14 ; C. WESTERMANN 1987, 224, Westermann propose la forme 3 :3::2 :2 pour le verset 3. 23 G.J. WENHAM 1994, 472. 24 Après consultation des différents dictionnaires, Macchi conclut dans une note que l’emploi de ce mot en Gn 49,3 est proche de l’usage qui en est fait en Is 56,12 et en Dn 8,9

ANALYSE LITTÉRAIRE DE GN 49

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DCH privilégie le sens de « prééminence », comme le souligne Gevirtz25, car la construction similaire apparentée de ce mot en akkadien signifie « prééminent dans la sagesse ». BDB retient la signification de « l’excessif ou le dépassement de la mesure » en donnant à Gn 49,3b le même sens qu’Is 56,12. En revanche, DBL préfère le sens de « supérieur » et en conséquence met Gn 49,3b en harmonie avec Dn 8,9. Les options orientent dans deux sens opposés, positif ou négatif. La détermination de ‫ יתר‬peut dépendre de la définition donnée à ‫ שאת‬et ‫עז‬. On a noté dans la critique textuelle que ces deux mots sont souvent interprétés dans un sens positif. Le premier est à rapprocher de la racine ‫( נשא‬lever)26. Il n’a que sept occurrences dans la BH. Jb 13,11 (‫ )שאתו‬et Jb 31,23 (‫ )ומשאתו‬l’emploient pour évoquer la grandeur ou la majesté de Dieu. Ha 1,7 (‫ )ושאתו‬l’utilise pour décrire la puissance d’un peuple, les Chaldéens. En Gn 4,7 (‫)שאת‬, on préfère interpréter ce mot comme un verbe à l’infinitif « lever/relever »27 suivi de ‫פנים‬, et mis en parallèle avec ‫ויפלו‬ ‫( פניו‬et son visage fut abattu) en Gn 4,5 et ‫( נפלו פניך‬ton visage fut abattu) en Gn 4,6. De même, fondé sur la racine ‫ נשא‬au qal, à l’infinitif construit, Jb 41,17 (‫משתו‬, il se dresse) renvoie au Léviathan ; enfin, au Ps 62,5 (‫ )משאתו‬il pourrait être lu avec le sens de « rang élevé ». Il apparaît que l’emploi du mot ‫ שאת‬en Gn 49,3 se rapproche davantage de celui de Ha 1,7, qui a le sens de la puissance ou de l’honneur, et également de celui du Ps 62,5 pour désigner l’importance du fils aîné. Gevirtz28 propose de préfixer un ‫ ר‬pour obtenir le mot ‫רשאת‬, l’« autorité » en vue d’une mise en parallèle avec ‫( ָעז‬force). Les résultats convergent pour un sens positif pour Ruben en tant que fils aîné. Nous avons déjà proposé dans la critique textuelle de lire le deuxième mot exceptionnellement à la forme pausale du substantif ‫( ָעז‬force) qui pourrait être dérivé du verbe ‫( עזז‬être fort). Nos analyses orientent donc vers une interprétation positive de Gn 49,3. où il a le sens d’« excessif, surabondant ». Les divergences proposées par les dictionnaires témoignent de la difficulté et de la complexité à en déterminer le sens de ‫יתר‬, J.D. MACCHI 1999, 42. 25 S. GEVIRTZ 1971, 89. 26 Eißfeldt dans la BHS et Gunkel proposent de lire ‫ שׂ‬comme ‫שׁ‬. Ce dernier propose de voir à la place de ‫ ְשׂ ֵאת‬soit le mot ‫( ְשׁ ֵאת‬impétueux) soit ‫( שׁאה‬arrogant ou tempête), H. GUNKEL 1997, 454. Le sens positif de ‫ ְשׂ ֵאת‬étant bien rendu avec ‫עז‬, ָ cette proposition ne paraît pas s’imposer. 27 Macchi a fait quasiment la même proposition, sans toutefois mentionner le parallélisme avec Gn 4,6, J.D. MACCHI 1999, 43 ; en revanche, BDB propose de lire ce mot comme « ne seras-tu pas accepté ? » ; et DBL le comprend avec le sens de « pardon ». Il est donc difficile de préciser le sens qu’il prend ici. 28 S. GEVIRTZ 1971, 90-91.

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CHAPITRE IV

Macchi aboutit à un sens quelque peu péjoratif : « Ruben, mon premierné c’est toi, ma vigueur et les prémices de ma virilité, excessif en force de frappe et excessif en férocité29 ». La LXX adopte également une lecture négative de Gn 49,3 : « Roubên, toi, mon premier-né, ma force et le commencement de mes enfants, dur à supporter, dur, arrogant !30 ». En revanche, de Hoop31 et Sparks32 soutiennent plutôt le sens positif du verset. La question du droit d’aînesse de Ruben ne peut être tranchée sans discussion. Tout d’abord, l’étymologie du nom ‫ ראובן‬donnée en Gn 29,32 signifie « regarde, un fils ». Syrén33 propose de lire le v.3 comme une allusion à ce nom et le verset correspondrait alors à la bénédiction de Ruben. Il est nommé comme « le premier-né de Jacob » en Gn 35,23 ; 46,8 ; 49,3, et comme « le premier-né d’Israël » en Ex 6,14 ; Nb 1,20 ; 26,5 et 1 Ch 5,1.3. Il est important de retenir que Ruben est vu dans la Genèse comme une personne individuelle dans un contexte narratif alors que, ailleurs, il est considéré comme une des tribus du peuple d’Israël, et représente une collectivité34. Garbini35 signale que l’étymologie du nom Ruben donnée en Gn 29,32 ‫( כי־ראה יהוה בעניי‬car le Seigneur a regardé) le reliant à ‫( ראה‬voir) n’est pas convaincante. Si la LXX témoigne de la forme Ῥουβὴν (Rouben), en revanche, le Syr, l’Arabe et l’Éthiopien portent Rubil. L’auteur mentionne le verbe rabala (la racine rbl) en Arabe qui signifie « être riche en hommes ». Cela correspondrait bien au souhait exprimé par Moïse en Dt 33,6 selon lequel Ruben sera riche en nombre et son territoire fertile en Transjordanie (‫ויהי מתיו מספר‬, et que subsistent ces gens peu nombreux). Il en conclut que Ruben est une forme secondaire de Rubil. Cette considération montrerait que ‫ראובן‬, est une forme secondaire non seulement par rapport à la forme Rubil, mais aussi par rapport à Dt 33,6. La tribu de Ruben avec celle de Gad et avec la moitié de la tribu de Manassé joue un rôle prépondérant dans la conquête de la Cisjordanie (cf. Jos 1,14 ; 4,12 et Nb 32,20-27). Et dans les listes tribales (cf. Gn 46 ; 49 ; Dt 33 ; Nb 1 ; 26), Ruben a la première place. La prééminence de Ruben comme fils aîné est bien ancrée dans le contexte biblique. L’hypothèse d’une influence forte de Ruben dans l’histoire d’Israël sera discutée plus loin. 29

J.D. MACCHI 1999, 41. M. HARL 1986, 306. 31 R. de HOOP 2003, 14. 32 K.L. SPARKS 2003, 339. 33 R. SYRÉN 1993, 130. 34 Baden remarque également l’implication personnelle de Ruben en Gn 34 et Gn 49,5-7 et l’invocation collective de Ruben en Dt 33 et Ex 32, J.S. BADEN 2011, 111. 35 G. GARBINI 2003, 40-41. 30

ANALYSE LITTÉRAIRE DE GN 49

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Macchi36 observe que le début du v.4 emploie également le mot ‫יתר‬, et en conclut que les deux versets, v.3 et v.4, ne sont pas en opposition, mais en continuité. En réalité, « ‫ » אל־תותר‬au v.4 exprime une négation par rapport au v.3 ; le v.3 peut très bien être contredit par la suite. En conséquence, nous préférons interpréter le v. 3 dans un sens positif37. v.4 : Au v.4, chacun des trois stiques contient quatre mots ; le v.4a reprend la racine ‫ יתר‬du v.3b ; v.4b et v.4c emploient le verbe ‫ עלה‬et le mot « couche » sous une forme différente : ‫ משכב‬et ‫יצוע‬. ‫פחז כמים אל־תותר‬4a ‫כי עלית משכבי אביך‬4b ‫אז חללת יצועי עלה‬4c

Déjà notée dans la critique textuelle, la forme ‫ ַפּ ַחז‬est un hapax. La racine ‫ פחז‬est rare dans la BH : Jg 9,4 (‫ופחזים‬, et impétueux) et So 3,4 (‫ )פחזים‬utilisent ce mot au mode participe pluriel pour décrire, d’une part, les hommes misérables qui suivent Abimélek, et les mauvais prophètes, d’autre part, Jr 23,32 (‫ובפחזותם‬, et par leur vantardise) témoigne du seul emploi au féminin de ‫ פחזות‬pour critiquer les faux prophètes. Wenham38 décrit les méchants comme une mer agitée en Is 57,20 [‫והרשעים כים נגרש‬ (et les méchants sont comme la mer agitée)] pour éclairer le sens négatif de Gn 49,4. Ces différents emplois montrent que le mot ‫ פחז‬a toujours un aspect négatif. En renvoyant à l’épisode du livre des Jubilés39(33,2-3) et au Testament de Ruben40 (3,11-15) où ce dernier voit Bilha au bain et la désire, Kugel41 propose de lire l’expression ‫( פחז כמים‬débordant comme des eaux) comme ‫( פחז במים‬débordant dans des eaux). Dès lors, cette expression ne s’applique pas à Ruben, mais renvoie au contexte de son inceste avec Bilha. Rosen-Zvi42 remarque que ces deux écrits pseudépigraphiques classent l’histoire de Ruben et Bilha parmi les récits bibliques liés au péché sexuel : un homme voit une femme, la désire pour sa beauté, et passe à l’acte (cf. Sichem et Dina en Gn 34,3 ; Amnon et Tamar en 2 S 13,1 ; David et Bethsabée en 2 S 11,2). De Hoop43 note que ces deux écrits pseudépigraphiques 36

J.D. MACCHI 1999, 44. F. EDE 2016, 451-452 partage le même avis. 38 G.J. WENHAM 1994, 472. 39 O.S. WINTERMUTE 1985, 119. 40 M.D. JONGE, H.W. HOLLANDER 1985, 87-89. 41 J.L. KUGEL 1995, 528-531. 42 I. ROSEN-ZVI 2006, 71. 43 De Hoop note que les Jubilés raconte que Bilha a bu et, nue, s’est endormie profondément sur son lit (cf. Jub 33,3), là réside la cause du péché de Ruben, comme dans le Testament 37

200

CHAPITRE IV

ont tendance à minimiser le péché de Ruben en reportant la faute sur Bilha dans l’intérêt de groupes de la communauté religieuse masculine. Au sujet de Gn 35,22a, Grossfeld44 cite les Rabbins qui considèrent plutôt l’action de Ruben comme une vengeance envers Jacob qui a négligé sa relation avec Léa en préférant la servante de Rachel, Bilha, après la mort de la première. En résumé, ces remarques concernant les deux écrits pseudépigraphiques renvoient à la même réalité évoquée en Gn 35,22a qui sert de contexte scripturaire à Gn 49,4. En tenant compte de Gn 35,22a, l’expression ‫אל־תותר‬, hapax, pourrait être traduite littéralement par « que tu ne seras pas prééminent ». Good45 comprend cette opposition entre ‫ יתר‬au v.3b et ‫ אל־תותר‬au v.4a comme de l’ironie à l’égard de Ruben. Gevirtz46 mentionne le mot similaire en akkadien – warû – « apporter, mener », et propose de le comprendre ici au sens de « régner ». De Hoop compare l’action de Ruben à celle d’Absalom en 2 S 16,22. Ce dernier voulait prendre le pouvoir royal de David, ce qui permet d’interpréter l’histoire de Ruben en Gn 35,22b comme un récit « about power and a claim to power47 ». La même idée a été reprise par Nicol48 et Seebass49. Gn 49,4 irait dans ce sens. Le testament de Jacob fait perdre à Ruben sa place de fils aîné. Ensuite, ‫ כי‬introduit une explication. Les v.4b et v.4c précisent le motif pour lequel Ruben n’a plus les droits du fils aîné. Ces deux stiques désignent assez explicitement l’épisode de Gn 35,22. Syrén remarque que le mot ‫ חלל( חללת‬au piel, tu as profané) « is a term belonging to the cultic-legal sphere and thus is probably an interpolation in this context50 ». Ce mot est repris en 1 Ch 5,1 pour répéter l’action de Ruben : ‫ובחללו יצועי אביו‬ (et il a profané les couches de son père). En conséquence, Syrén considère Gn 49,4 comme un midrash interprétant Gn 35,22, et conclut : « It presupposes, first and foremost, an awareness of the historical realities that had brought Judah and Jerusalem to the center of Israel’s continued de Ruben (T. Ruben 3,11). Ces deux passages allègent la faute de Ruben en soulignant celle de Bilha, à l’inverse de Gn 49,4, R. de HOOP 2007, 625-627. 44 B. GROSSFELD 2006, 44-51. 45 E.M. GOOD 1965, 110. 46 S. GEVIRTZ 1971, 94. 47 R. de HOOP 2007, 621-622. 48 G.G. NICOL 1980, 537. 49 Seebass note que la sanction sur Ruben est légère par rapport à Lv 20,11, une relation illégitime avec l’une des femmes du père relevant en principe de la peine de mort. Le rapprochement avec 2 S 16,23, confirme à ses yeux que le crime de Ruben était de vouloir remplacer le père pour acquérir la prééminence sur les frères, H. SEEBASS 1984, 342-343. 50 R. SYRÉN 1993, 131.

ANALYSE LITTÉRAIRE DE GN 49

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existence, while at the same time leaving the biblical tradition about Reuben’s primogeniture intact51 ». Albanese52 remarque que le mot ‫ חלל‬au piel est toujours suivi d’un objet direct explicite, ce qui n’est pas le cas en Gn 49,4 puisque le mot ‫( יצועי‬ma couche) est lié avec ‫( עלה‬il est monté). Il propose une solution intéressante en comparant 1 Ch 5,1, Gn 49,4b et Gn 49,4c : 1 Ch 5,1 ‫ובחללו יצועי אביו‬ Gn 49,4b ‫כי עלית משכבי אביך‬ Gn 49,4c ‫אז חללת יצועי עלה‬

1 Ch 5,1 ayant condensé en demi-verset ce qui est dit en Gn 49,4bc, il propose de relier la fin du v.4b, ‫אביך‬, avec le début du v.4c pour obtenir une phrase identique à 1 Ch 5,1 ; ainsi, ‫ עלה‬à la 3ème personne pourrait désigner Jacob53. L’aspect de rétribution de l’action individuelle en Gn 49,4 serait comme une réponse à Gn 35,22, préfigurant les désobéissances évoquées en Nb 16. Les formes verbales et nominales ont été discutées dans la critique textuelle. Macchi54 et Gevirtz55 suggèrent de lire le verbe ‫ עלה‬comme un participe féminin de la racine ‫( עול‬allaiter). Même si ce mot désigne souvent l’allaitement animal, selon Macchi, son emploi reste possible pour l’allaitement humain. Il préfère comprendre l’expression ‫ « חללת יצועי עלה‬tu as profané la couche de l’allaitante ». Cette proposition est moins respectueuse de la forme poétique : «‫[ » עלית משכבי אביך‬forme : verbe (tu) + nom + Il (ton père)] et «‫[ » חללת יצועי עלה‬forme : verbe (tu) + nom + Il (il monte)]. On préférera a priori conserver la forme poétique et le parallélisme du verset, en lisant l’infinitif absolu ‫עלה‬. Les emplois de ‫ פחז‬et ‫ תותר‬sont des hapax qui s’appliquent spécifiquement à Ruben ; et la composition des v.4b et v.4c renvoie plutôt à Gn 35,22a, à examiner en lien avec Gn 49,4. b. L’intertextualité : Gn 35,21-22, une insertion secondaire ? Le lien intertextuel entre Gn 35,22a et Gn 49,4bc est incontestable : 35.22a

51 52 53 54 55

‫וילך ראובן וישכב את־בלהה פילגש אביו‬ Et Ruben alla et coucha avec Bilha, la concubine de son père.

R. SYRÉN 1993, 131-132. M.J. ALBANESE 2019, 2-3. M.J. ALBANESE 2019, 15. J.D. MACCHI 1999, 47-48. S. GEVIRTZ 1971, 98.

202 49.4bc

CHAPITRE IV

‫כי עלית משכבי אביך אז חללת יצועי עלה‬ car tu es monté sur les couches de ton père, alors tu as profané ma couche en (y) montant.

Il importe de replacer l’épisode relaté en Gn 35,21-22 dans son contexte textuel. Ce passage est situé entre le récit de l’accouchement de Rachel et sa mort (Gn 35,16-20) et la liste des douze fils de Jacob (Gn 35,23-26). Il serait plus logique de placer la liste des douze juste après la naissance de Benjamin, sans le détour sur l’inceste de Ruben de Gn 35,22a. C’est le nom de « Jacob » qui est invoqué en Gn 35,1-20 et en Gn 35,23-26, alors qu’en Gn 35,21-22, il est appelé « Israël ». En outre, l’implantation de la tente en Migdal-Édèr n’est pas nécessaire pour arriver à Mambré (Hébron) en Gn 35,27. Aussi le passage sur le déplacement de Jacob et l’inceste de Ruben en Gn 35,21-22 constitue une insertion secondaire dans le chapitre Gn 35. Macchi56 partage cet avis. Il aboutit à une conclusion assez séduisante : « (…) l’ensemble 35,21-22a a été inséré dans le cycle de Jacob, afin de servir de contexte narratif à la malédiction de Ruben (…). Le caractère secondaire de 35,21-22a par rapport à la trame du récit du cycle de Jacob rend une datation plutôt tardive de Gn 49,3-4 envisageable57 ». Au contraire, Nicol considère le passage de Gn 35,22 comme provenant de la tradition plus ancienne en Gn 49,458. En effet, Gn 35,22b semble laisser la suite de l’histoire en suspension avec le silence de Jacob ‫וישמע‬ ‫( ישראל‬et Israël l’apprit), et Gn 49,4 pourrait être la réponse de Jacob au crime de Ruben. Il est plus probable que Gn 49,4 soit une rédaction postérieure à Gn 35,22. Nos analyses ont montré un lien plutôt étroit entre Gn 35,22a et Gn 49,4 ; toutefois, aucun texte n’atteste de la dépendance entre le récit de l’inceste de Ruben et Gn 49,3. L’expression ‫ שכב את‬en Gn 35,22 exprime souvent l’action sexuelle illégitime (cf. Gn 19,33 ; 26,10 ; 34,7 ; 1 S 2,22 ; 2 S 13,14). Se pose alors la question : est-il possible que Gn 49,3 soit le témoin d’une ancienne version positive sur Ruben, et que par suite de 56 Macchi donne trois arguments assez convaincants conduisant à ce même résultat. Tout d’abord, ce récit prend place juste après la naissance de Benjamin – la fratrie complète mentionnée juste avant la liste des douze, et souligne le fait que Ruben est bien le premier-né de ses frères (cf. Gn 35,23 ; Gn 49,3). Ensuite, l’appellation « Israël » pour désigner Jacob en Gn 35,21-22a se trouve également en Gn 49,2.7, deux versets d’inclusion dans le testament de Ruben, Siméon et Lévi. Enfin, le récit de l’inceste de Ruben omet la réaction de Jacob et Gn 49,3-4 pourrait être une réponse, J.D. MACCHI 1999, 49-50. 57 J.D. MACCHI 1999, 50. Ede remarque également l’incohérence de Gn 35,22-23 avec son contexte littéraire et elle souligne la continuité entre ce passage et Gn 49,4. De ce fait, elle suppose aussi que Gn 35,22-23 est une insertion secondaire pour servir la cause de la malédiction de Ruben en Gn 49,4. F. EDE 2016, 452-453. 58 G.G. NICOL 1980, 538-539.

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l’insertion de Gn 35,22, Gn 49,4 ait été corrigé ou inséré dans la sentence sur Ruben ? Ce point sera abordé lors de la malédiction en Gn 49,3-7. Intéressons-nous au lieu indiqué en Gn 35,21, ‫( מגדל־עדר‬Migdal-Édèr). Le mot ‫ מגדל‬signifie la « tour », et ‫ עדר‬désigne un « troupeau », littéralement, « une tour de troupeau ». Où se trouve ce lieu ? Le texte final de Gn 35 le situerait au sud de Bethléem (v.19) et au nord de Hébron (v.27), le chapitre suivant un cheminement du Nord vers le Sud : Béthel (v.16) – Bethléem – Hébron. Mais les avis des commentateurs divergent. Pour de Pury, ce lieu se trouve « sur le versant oriental de la montagne palestinienne, quelque part entre Sichem et la vallée du Jourdain59 ». Otto considère qu’il pourrait être un indice de la présence des Rubénistes en Cisjordanie60. Skinner le place plutôt en Transjordanie où se trouve la tribu de Ruben61. Il est difficile de trancher la localisation de ‫ מגדל־עדר‬car cette indication de lieu ne se retrouve qu’en Mi 4,8, selon lequel ‫ מגדל־עדר‬ne doit pas être éloigné de Jérusalem. Aussi, Blum et Garbini62 s’orientent plutôt vers une interprétation idéologique de la mention de ce lieu. Selon Blum, Gn 35 est une reprise judéenne préexilique du cycle de Jacob – primitivement nordiste, pour souligner la prééminence de Juda au détriment de Ruben63. Mais il est aussi possible que Gn 35 soit une reprise judéenne postexilique du cycle de Jacob visant à préciser le rôle prééminent de Juda. Quelle que soit la datation de Gn 35,21-22a, il importe de s’interroger d’abord sur le motif d’une telle insertion. c. Le motif de la malédiction : l’inceste ou la Transjordanie ? À l’issue d’une étude de quasiment tous les passages bibliques concernant Ruben, Weinstein64 parvient à la conclusion que ce personnage et sa tribu ne sont pas bien vus dans la BH car en Nb 32, la tribu de Ruben est critiquée par Moïse en raison de son désir de prendre la Transjordanie. Mais il ignore que Dt 3 décrit le même évènement sans lui donner un sens négatif. L’épisode de Jos 22,10-20 relate que la tribu de Ruben dresse un autel – signe d’infidélité envers le Seigneur – mais ne mentionne pas la 59 A. de PURY 1975, 564. Selon J, Joseph part à Sichem pour rejoindre ses frères en Gn 37,12-14. 60 Otto reconnaît le lien entre Gn 35,21-22a et Gn 49,3-4 sur la base duquel la tradition, surtout J, place Migdal-Édèr en Cisjordanie. Il écrit : « In der Überlieferung Gen 35,21.22a wird die Parallelüberlieferung zum Ruben-spruch Gen 49,3f. mit Migdal Eder westjordanisch lokalisiert », E. OTTO 1979, 183. 61 J. SKINNER 1951, 427. 62 G. GARBINI 2003, 41-42. 63 E. BLUM 1984, 209-210 ; 228-229. 64 B. WEINSTEIN 2008, 196-200.

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CHAPITRE IV

suite, Jos 22,21-34, où elle obtient l’aval des autres tribus pour la construction de l’autel à la condition que sa fonction soit la commémoration, à l’exclusion du sacrifice. Finalement le récit en Jos 22 est moins peccamineux qu’en Nb 32 puisqu’une négociation est possible. Cette situation évoque celle d’Éléphantine où les sacrifices au temple répondaient aux conditions édictées par la Samarie et par Jérusalem, l’autel reconstruit étant réservé aux offrandes de végétaux65. On doit se demander si la description de Jos 22 ne reflète pas plutôt la situation de la diaspora de Transjordanie66. D’ailleurs, Weinstein cite également Jg 5,16 où la tribu de Ruben est critiquée pour n’avoir pas su porter secours aux Israélites en Canaan. Ce passage ne reflète-t-il pas plutôt une vision critique de l’attitude des Israélites envers ceux qui se trouvent en Transjordanie ? L’auteur mentionne aussi Nb 16,12-14 qui décrit la révolte de la descendance de Ruben, Dathan et Abiram, contre Moïse. Cette remarque est intéressante, puisque cette action associe également Coré, un membre de la famille de Lévi, qui est également critiqué en Gn 49. L’auteur cite les passages qui racontent la vie du personnage de Ruben en Gn 35, Gn 37 et Gn 42. Il note la comparaison de Ruben et de Juda en Gn 42,37 et Gn 43,8-9 sans en tirer de conclusion. Or il semble difficile de traiter tous les passages concernant la tribu de Ruben de la même manière car ils ont été composés dans des contextes différents. La critique de Ruben présentée en Gn 49,3-4 se rapporte-t-elle à la situation de la tribu de Ruben en Transjordanie ou au contexte de Gn 35,22 centré sur le personnage de Ruben ? Quoi qu’il en soit, il y a une appréciation globalement négative de la tribu de Ruben dans un contexte pentateuchal post-P. Nos analyses ont mis en évidence le lien entre Gn 35,22 et Gn 49,4. L’acte de Ruben doit être qualifié comme une immoralité sexuelle condamnée par les prescriptions légales en Lv 18,8 ; 20,11 ; Dt 23,1 ; 27,20. Toute relation sexuelle avec les femmes de son père est interdite. La sanction de cet acte est évoquée non seulement en Gn 49,4, mais également en 65 « Au sujet de la maison de l’autel/des sacrifices au Dieu du Ciel, construite autrefois dans la forteresse de Yeb, avant Cambyse, que Vaidrang/Vidranga le réprouvé a détruite dans la 14e année de Darius le roi, qu’il faut la reconstruire à sa place ancienne dans son ancien état et qu’ils peuvent faire des offrandes alimentaires et d’encens sur l’autel comme autrefois » (Aramaic Papyri 32), D.V. EDELMAN, P.R. DAVIES, C. NIHAN 2013, 99. 66 « Jos 22 est la trace vive d’une réflexion sur la situation religieuse de la diaspora à l’égard de la Judée et du Temple de Jérusalem à l’époque perse. (…) En faisant de l’au-delà du Jourdain une terre promise où se célèbre légitimement le culte yahwiste du Dieu unique, ce texte se fait l’expression de la diaspora (et de Samarie ?) affirmant leur entière adhésion à la nouvelle foi yahwiste de l’époque achéménide », D. NOCQUET 2015,13.

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1 Ch 5,1-2. Ce passage précise que c’est pour ce même motif que Ruben a perdu son droit d’aînesse au profit de Juda et de Joseph67. Quelques résultats découlent des analyses ci-dessus. D’abord, il est possible que la tribu de Ruben ait occupé dans l’histoire d’Israël une place suffisamment importante pour permettre de le considérer comme le fils aîné en raison des nombreux passages bibliques consacrés aux évènements le concernant. Ensuite, le passage de Gn 35,21-22a est une insertion secondaire visant à affirmer la perte par Ruben de sa prééminence. D’ailleurs, l’impossibilité de situer le lieu ‫ מגדל־עדר‬oriente plutôt vers une interprétation idéologique soulignant le rôle important de Jérusalem et de Juda. En outre, Gn 49,4 et 1 Ch 5,1-2 réaffirment la dépossession de Ruben et la primauté de Juda et de Joseph. Cette analyse littéraire oriente vers une rédaction pentateucale de Gn 49 : il existe des textes péjoratifs sur Ruben, Siméon et Lévi dans le Pentateuque, et le chapitre tardif de Gn 49 va en tenir compte dans l’appréciation portée sur les tribus, ce que ne fait pas Dt 33 qui ne connaît pas ces récits tardifs. 2.2.2. Siméon et Lévi (vv.5-7) a. Les analyses détaillées Westermann68 a remarqué que la sentence concernant Siméon et Lévi ressemble beaucoup à celle de Ruben. Or la première est à la troisième personne du pluriel, la deuxième évoque Ruben à la deuxième personne du singulier. L’hypothèse d’une construction parallèle de Ruben-SiméonLévi est-elle vérifiée et quelle est sa fonction ? v.5 : Dans ce verset avec une image de la violence, les deux hémistiques avec trois mots chacun ont une ressemblance phonétique «‫» ים‬ et « ‫» הם‬. ‫ שמעון ולוי אחים‬5a :‫ כלי חמס מכרתיהם‬5b

Westermann note que la mention de ‫( אחים‬des frères) associe Siméon et Lévi dans leur action commune au v.6b69. Mais cette appellation peut également renvoyer à l’association des deux frères en Gn 34,25a ‫שמעון‬ ‫( ולוי אחי דינה‬Siméon et Lévi, les frères de Dina) et à leur action commune 67 Retenons un point important : ce passage affirme que ce droit a été transféré à Joseph malgré le fait que Juda est le plus fort. Mais en Gn 49,8-12, le texte confirme le rôle du fils aîné donné à Juda. 68 C. WESTERMANN 1987, 225. 69 C. WESTERMANN 1987, 225.

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en Gn 34,25b-26. Certains liens intertextuels existent entre Gn 49,5.6b et Gn 34,25-26. Gn 49,5.6b ‫( שמעון ולוי אחים‬v.5a) ‫( מכרתיהם‬leurs glaives, v.5b) ‫( הרגו איש‬ils ont tué des hommes, v.6b)

Gn 34,25-26 ‫( שמעון ולוי אחי דינה‬v.25a) ‫( חרבו‬son épée, v.25b) / ‫( חרב‬l’épée, v.26) ‫( ויהרגו כל־זכר‬et ils tuèrent tous les mâles, v.25b)

Les difficultés d’interprétation du v.5b ont été présentées dans la critique textuelle. Le sens de ‫ מכרתיהם‬peut être éclairé par les deux emplois de ‫( חרב‬épée) en Gn 34,25.26 équivalent à ‫( מכרתיהם‬leurs armes, épées ou couteaux) ou à la racine ‫ כור‬II (percer). Le lien entre Gn 49,5.6b et Gn 34,25-26 est indéniable70. v.6 : Ce verset illustre le parallélisme poétique : ‫( בסדם‬dans leur conseil) // ‫( בקהלם‬dans leur assemblée) ; ‫( אל־תבא‬n’entre pas) / ‫( אל־תחד‬ne se joigne pas) ; ‫( נפשי‬ma personne) // ‫( כבדי‬ma gloire) ; ‫( באפם‬dans leur colère) // ‫( וברצנם‬et dans leur désir) ; ‫( הרגו איש‬ils ont tué des hommes) // ‫עקרו־שור‬ (ils ont mutilé des taureaux). ‫ בסדם אל־תבא נפשי‬6a ‫בקהלם אל־תחד כבדי‬    ‫ כי‬6b    ‫באפם הרגו איש‬    ‫וברצנם עקרו־שור‬

Westermann a noté le lien entre v.6b et v.5, ce qui fait du v.6a une parenthèse insérée entre eux71. Nos analyses ont aussi retenu le lien entre le v.5 et le v.6b, d’autant que le v.6a est à la première personne du singulier, dénotant un changement de style par rapport aux vv.5.6b.7a. De ce fait, le v.6a paraît être un ajout secondaire. Ce demi-verset passe pour une explication personnelle de Jacob qui renvoie à Gn 34,30, et à sa réaction par rapport à l’action de ses deux fils : il ne s’y associe pas72. 70 Caquot propose de comprendre le mot ‫ מכרתיהם‬comme un substantif de la racine ‫מכר‬ (vendre), et il traduit le v.5b par « des objets (acquis par) violence (sont) ce dont ils font trafic ». Mais cette suggestion s’éloigne du contexte littéraire de Gn 34, A. CAQUOT 1976, 11. 71 C. WESTERMANN 1987, 225-226. 72 J.C.D. MOOR 1995, 15-16, propose une interprétation intéressante en comparant Gn 49,6a avec Gn 31,53-54, en lisant ‫ בפחד אביו יצחק‬au v.53 comme « en l’assemblée de son père Isaac », et le verset suivant comme décrivant Jacob convoquant (‫ )קרא‬ses frères (‫ )אחיו‬pour un repas sacrificiel (‫)זבח‬. Il propose de lire Gn 49,6a à la lumière des croyances des anciens cananéens selon lesquelles l’âme des anciens communiquait avec les vivants rassemblés pour le culte. Même si cette remarque semble tirée de deux passages qui n’ont

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L’action de Siméon et de Lévi au v.6b ne s’accorde pas avec Gn 34,25.28 où ce sont les hommes qui ont été tués et non les animaux qui ont été pris. Fleishman73 propose, à l’aide des textes ugaritiques, de lire shôr, « prince », comme désignant Sichem, une « personne » et non un « animal ». Pour réfuter cette idée, Carmichael74 note que le verbe ‫ עקר‬au piel concerne des animaux, et signifie « couper leurs jarrets » [cf. Jos 11,6 (‫)את־סוסיהם תעקר‬.9 (‫ ; )את־סוסיהם עקר‬2 S 8,4 (‫ויעקר דוד את־כל־הרכב‬, David coupa les jarrets de tous les attelages) =1 Ch 18,4]. Cependant une violence de même nature vis-à-vis des hommes et des animaux est attestée en Jos 6,21, 1 S 15,3 et 22,19 en vue de la soumission des villes conquises sur les étrangers. Aussi, il est possible que cette violence de Siméon et Lévi se soit exercée sur les Sichémites et non sur les animaux. L’examen de la vengeance exercée par les fils de Jacob sur les Sichémites révèle deux actions distinctes : une première réaction de Siméon et de Lévi en Gn 34,25-26 ; et la deuxième qui concerne tous les fils de Jacob en Gn 34,27-29. Ainsi le v.6b correspondait à la première extermination sans butin. Cette observation permet déjà de discerner deux couches coexistant en Gn 34,25-29. b. « Maudite » ou « noble » au v.7a ? Le demi-verset 7a (‫ )ארור אפם כי עז ועברתם כי קשתה‬garde la forme poétique avec le parallélisme : ‫( אפם‬leur colère) // ‫( ועברתם‬leur rage) ; et les qualificatifs ‫( עז‬cruel) et ‫( קשתה‬dure) introduits par ‫כי‬. Le mot le plus significatif est en tête du verset. Le TM et la LXX témoignent d’un sens négatif par ‫( ארור‬maudite) et ἐπικατάρατος (maudite), alors que le Smr a une leçon opposée, ‫( אדיר‬noble), saluant l’action de Siméon et de Lévi. Existait-il une Vorlage appuyant une louange de la colère de Siméon et Lévi présente dans le Smr ? Pour cela, il convient d’examiner la colère (‫ )אפם‬des deux frères, déjà mentionnée au v.6b. Gn 34,7 décrit la réaction des fils de Jacob apprenant l’affaire de Dina : ‫( ויחר להם מאד‬litt., et ils s’enflammèrent beaucoup). Cette description correspond aux deux manifestations de « colère » des vv.6a et 7a. Le mot ‫ עברתם‬en parallèle pourrait être compris comme « rage », renvoyant à leur comportement en Gn 34,25b-26. Dans ce contexte, le mot ‫( עז‬fort) peut recevoir un sens péjoratif : « cruel ou féroce » (cf. Ps 59,3 et Is 19,4), tout comme le mot ‫קשתה‬. En outre, le v.6b est introduit par ‫כי‬, à deux reprises pas de lien direct entre eux, ce rapprochement avec les croyances cananéennes permet de voir la profonde scission entre Jacob et ses deux fils. 73 J. FLEISHMAN 2001, 542. 74 C.M. CARMICHAEL 1969, 436.

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au v.7a. Ces deux demi-versets s’accordent dans une vision négative des deux frères. Le mot ‫( אדיר‬noble) du Smr doit être une simple faute orthographique de scribe : ‫ ר‬comme ‫ ד‬et ‫ ו‬comme ‫י‬. Aussi, Westermann soutient que ce n’est pas Siméon ou Lévi qui sont condamnés, mais leur colère ou leur comportement, et il ne s’agit pas d’une malédiction au sens strict75. Néanmoins, cette remarque n’atténue pas la critique dont ils font l’objet. Nous retenons que le v.7a exprime une vision négative de Siméon et de Lévi. Les analyses des vv.5-7a ont mis en évidence le lien avec le contexte de Gn 34. Aussi avant d’examiner le v.7b, comme composition distincte probable, il est nécessaire de voir la composition de Gn 34 pour déterminer son rapport avec Gn 49,5-7a. c. L’interprétation de Gn 34 : un récit positif ou négatif ? Quel est le contexte textuel de Gn 34 ? La fin de Gn 33 raconte l’arrivée de Jacob en face de la ville de Sichem où il achète un champ pour y planter sa tente. Le récit se termine avec l’érection d’un autel pour Dieu (Gn 33,20). Le début de Gn 35 fait référence à l’appel adressé par Dieu à Jacob d’aller à Béthel. Gn 34 n’est pas nécessaire pour la continuité entre Gn 33 et Gn 3576. De plus, les personnages de Dina et des Sichémites disparaissent après Gn 34. En outre, le récit de la naissance des enfants de Jacob en Gn 29,31–30,24, donne la signification du nom de chaque fils, mais pas pour Dina, la fille de Jacob (cf. Gn 30,21). Cet indice laisse supposer que la naissance de Dina constitue un ajout secondaire pour justifier Gn 34. Il est donc fort probable que l’histoire de Gn 34 a été insérée entre Gn 33 et Gn 35 en donnant une autre explication (cf. Gn 34,30) du déplacement de Jacob mentionné en Gn 35. Une fois établie l’insertion de Gn 34, il est possible de formuler une hypothèse sur la composition de ce récit. À l’intérieur des récits bibliques, se présentent deux manières différentes de relater le déplacement de la famille de Jacob : l’une à la fin de Gn 34,30, où ce déplacement est jugé négativement par Jacob, comme conséquence de la réaction démesurée de Siméon et de Lévi, et l’autre qui le décrit positivement comme la suite d’un appel du Seigneur en Gn 35,5. 75

C. WESTERMANN 1987, 226. Blum considère que Gn 34 ne fait pas partie de l’histoire primitive du récit de Jacob puisqu’il entre dans les « expansions non-P », E. BLUM 2012, 192. 76

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Bechtel regarde Gn 34 comme une division dans le groupe de Jacob : Dina et Jacob sont ouverts aux relations avec les étrangers ; contrairement à Siméon et Lévi qui désirent maintenir une pureté stricte et une séparation absolue avec les étrangers77. De ce point de vue, il est compréhensible que l’action de Siméon et de Lévi puisse susciter l’approbation. Kraut78 juge également critiquable le silence de Jacob après le viol de Dina, alors que l’action de Siméon et de Lévi peut être considérée comme l’expression d’une juste indignation. Aussi, la réponse des deux frères en Gn 34,31 pourrait être considérée favorablement comme une réaction visà-vis de l’attitude critique de Jacob (Gn 34,30) et de son silence (Gn 34,5). Mais Gn 49,5-7a énonce une vision assez critique sur l’action de Siméon et de Lévi. Macchi résume la possibilité de deux interprétations quasiment opposées en écrivant « la narration peut être interprétée de manière radicalement opposée, suivant que l’on considère normal le mariage de Dina et de Sichem ou que l’on cherche à justifier le massacre des Sichémites79 ». Non seulement le récit biblique décrit deux possibilités du déplacement de la famille de Jacob qui pourraient orienter deux visions, positive et négative, sur l’action de Siméon et de Lévi, mais les commentateurs cités cidessus proposent aussi deux possibilités quasiment opposées d’évaluation de l’action de Siméon et de Lévi en Gn 34. Ces divergences ne sont-elles pas les témoins de couches rédactionnelles différentes ? Pour mieux répondre à une telle question, on doit étudier les indices de fractures à l’intérieur de Gn 34. Une observation intéressante de Bechtel80 peut changer le regard sur l’action de Sichem envers Dina en Gn 34. Il remarque aux vv.2-3 quelques verbes qui méritent examen : ‫ ראה( וירא‬au qal, et il vit) ; ‫ לקח( ויקח‬au qal, et il prit) ; ‫ שכב( וישכב‬au qal, et il coucha) ; ‫ ענה( ויענה‬au piel, et il humilia) ; ‫ דבק( ותדבק‬au qal, et elle s’attacha) ; ‫ אהב( ויאהב‬au qal, et il aima) ; ‫ דבר( וידבר‬au piel, et il parla). L’emploi du verbe ‫ ענה‬est souvent interprété par « violer » précédé par le verbe ‫שכב‬. L’auteur81 souligne que le verbe ‫ ענה‬au qal exprime l’idée de « déposer » ou « humilier » mais l’emploi au piel met parfois l’accent sur « humilier plus gravement » qui correspond à une honte pour un acte sexuel illégitime, mais 77

L.M. BECHTEL 1994, 19-36. L’auteur écrit : « Jacob’s silence following Dinah’s violation compares poorly with the brother’s righteous outrage at the assault », J. KRAUT 2019, 211. 79 J.D. MACCHI 2000a, 3. 80 L.M. BECHTEL 1994, 23-27. 81 L.M. BECHTEL 1994, 25-27. 78

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pas un viol (cf. Dt 22,23-24 et Dt 22,28-29). En revanche, l’emploi de ce verbe, dans le cas où la femme résiste ou crie, implique un viol (cf. Dt 22,25-27 ; 2 S 13,11-14)82. Grâce à la série des verbes employés qui ne sont pas forcément négatifs, Bechtel83conclut qu’en Gn 34, il ne s’agit pas d’un viol. Ses arguments et surtout la distinction qu’il opère sont assez convaincants. On le suivra pour ne pas voir un viol en Gn 34. L’idée de Bechtel a été partagée par la suite par Macchi84, Garrone85 et Nocquet86. Fleishman considère lui aussi cet acte comme un « outrage »87 qui rend Dina impure (‫טמא‬, Gn 34,5.27.31), non comme un viol88. Cette négation du viol est très importante pour l’interprétation de Gn 3489. Les étrangers (Sichémites), en effet, n’ont pas été décrits comme « des méchants » qui exercent une mauvaise influence sur le peuple d’Israël. Dans la suite du récit, l’arrangement d’un mariage mixte se révèle possible et même bénéfique, car Dina se marie avec quelqu’un qui est 82 En s’appuyant sur Gn 34,26, Sternberg souligne le fait que Dina a été retenue dans la maison de Sichem, où l’auteur lit ‫ הנע‬comme un viol, pouvant justifier la réaction violente des fils de Jacob. Cette considération ne prend pas en compte la composition rédactionnelle de Gn 34, M. STERNBERG 1987, 456-457. Fleshman préfère parler de deux groupes distincts dont les avis diffèrent sur l’acte de Sichem. D’un côté, Sichem et son père Hamor considèrent l’action du premier comme une transgression qui pourrait être réparée par une somme d’argent (Gn 34,12) ; de l’autre, la famille de Jacob l’interprète comme un viol. Ainsi, en se fondant sur la « psychologie » supposée des personnages du récit, il commente Gn 34,7 comme un dévoilement de « la psyché des héros » (the heroes’ psyche), J. FLEISHMAN 2001, 547. Shemesh insiste également sur le fait que si la femme résiste dans un acte sexuel imposé, c’est toujours un viol. Il écrit : « involuntary sexual intercourse with a woman should always be called rape, even if it is intended to create a legal marriage bond between the rapist and his victim », Y. SHEMESH 2007, 17. Macchi adopte l’interprétation de Bechtel, en ajoutant que ce verbe « désigne une relation sexuelle honteuse, car socialement illégitime, sans pour autant impliquer que celle-ci se déroule dans la violence. (…) ce verbe permet ainsi d’introduire la problématique du rétablissement de la légitimité de la relation des deux jeunes gens par le mariage », J.D. MACCHI 2000b, 31-32. On voit ainsi que la définition du viol joue un rôle capital sur la compréhension de Gn 34. 83 L.M. BECHTEL 1994, 27. 84 J.D. MACCHI 2000a, 10. 85 D. GARRONE 2015, 152. 86 D. NOCQUET 2017, 69-70. 87 J. FLEISHMAN 2001, 546. 88 Fleishman développe son idée de « non-viol » plus explicitement dans l’article suivant : J. FLEISHMAN 2000, 112. En insistant sur le mot ‫ טמא‬et la réaction des fils de Jacob en Gn 34,7.31, Gravette considère que l’affaire de Gn 34 ressemble au niveau linguistique à celle d’Amon avec Tamar, et il définit l’union sexuelle de Sichem et Dina comme un viol, S. GRAVETT 2004, 282-283. On ne partage pas cette interprétation fondée uniquement sur une similitude linguistique pour arriver à une telle conclusion. 89 Baden parle de deux histoires en Gn 34 : l’une raconte l’amour de Sichem envers Dina sans le viol avec l’arrangement possible d’un mariage ; et l’autre décrit le viol et la vengeance des fils de Jacob, J.S. BADEN 2011, 108-109. Cette vision de « deux histoires » ou « deux sources » en Gn 34 est abandonnée, puisqu’il est difficile de déchiffrer deux versions parallèles. Il est plus vraisemblable qu’il s’agit d’un récit avec des compléments.

ANALYSE LITTÉRAIRE DE GN 49

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circoncis. Les termes du débat s’en trouvent modifiés : la question essentielle dans ce chapitre n’est pas celle du viol éventuel de Dina par Sichem, mais le mariage mixte. Cependant, nos analyses ci-dessus mettent en évidence deux réactions parallèles des fils de Jacob : celle de Siméon et de Lévi (Gn 34,25-26) et celle de l’ensemble des fils (Gn 34,27-29). Or dans le récit, la mention des « fils de Jacob » est massive (cf. vv.5.7.11.13-17.27-29), celle de Siméon et de Lévi est marginale (vv.25-26 et vv.30-31). En fait, ce récit fonctionne sans la mention de ces deux frères. En même temps, la réaction des fils de Jacob aux vv.27-29, est dépendante de celle de Siméon et Lévi, puisque le v.27 suit la continuité des vv.25-26 en évoquant ‫( החללים‬les blessés). Pourtant, Kevers remarque que « l’absence du waw au début du v.27 dans le TM rend encore plus abrupte la transition d’un récit à l’autre90 ». Ces remarques mettent en évidence à la fois la continuité et la rupture entre les deux rédactions. En conséquence, en prenant en compte la remarque de Bechtel considérant l’affaire de Sichem et de Dina comme une relation sexuelle illégitime et non un viol, il est possible d’identifier trois couches rédactionnelles91 : 1) la convention possible d’un mariage mixte entre les Sichémites et les fils de Jacob (Gn 34,1-5.7a.8-12.13a-24) ; 2) les ajouts sur la critique de Siméon et de Lévi (Gn 34,25-26.30-31) ; 3) les ajouts sur tous les fils de Jacob qui s’associent à la stratégie de ruse et de vengeance : [Gn 34,7b.13b (‫במרמה וידברו אשר טמא את דינה‬ 90 P. KEVERS 1980, 40. Dans la suite, l’auteur expose la solution classique d’une division en deux sources de Gn 34 : récit I (recension Sichem) : vv.1-3.5.7.11-14.18b-19.25-26.30-31 ; et récit II (recension Hamor) : vv.1-4.6.8-10.13.15-18a.20-24.27-29. Il conclut qu’il n’est pas possible de scinder l’histoire de Gn 34 en deux composantes nettement distinctes (cf. p. 41). Cette opinion a été partagée par Macchi, de Pury et de Hoop, J.D. MACCHI 2000a, 5 ; A. de PURY 1969, 7 ; R. de HOOP 1999, 515-516. Le détail des analyses de ce chapitre ne fait pas l’objet de notre étude. Nous cherchons simplement à y repérer les différentes tendances susceptibles d’avoir influencé la rédaction de Gn 49. 91 Si nous donnons au verbe ‫ ענה‬le sens de viol qui justifie une réaction des fils de Jacob, la composition de ce chapitre pourrait correspondre à une autre proposition : la première version concerne la convention des Sichémites et la réaction des fils de Jacob (Gn 34,1-25*.26) ; la deuxième ajoute la critique de Siméon et de Lévi [l’insertion de ‫( שני‬deux) ; ‫שמעון ולוי‬ (Siméon et Lévi) ; ‫( אחי דינה‬les frères de Dina) au v.25 et vv.30.31] ; et la dernière version associe tous les fils de Jacob à la ruse et à la stratégie de vengeance de Siméon et Lévi (vv.27-29). Et le schéma de la rédaction de Gn 34 et de Gn 49,5-7a pourrait être :  la version primitive de Gn 34 : (Gn 34,1-25*.26) ;  l’ajout de la version critique de Siméon - Lévi en Gn 34 [v.25* + le dialogue avec Jacob aux vv.30.31] => la réponse à leur action en Gn 34,25-26 (la rédaction de Gn 49,5.6b.7a) + un ajout de la réaction personnelle de Jacob en Gn 49,6a  l’association de tous les fils de Jacob à Siméon et Lévi en Gn 34 (vv.27-29) et une réinterprétation de l’évènement en Gn 35,5 avec l’expression « ‫» בני יעקב‬.

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CHAPITRE IV

‫אחתם‬, et ils parlèrent avec ruse, parce qu’il avait déshonoré leur sœur Dina).27-29]. Macchi commente ainsi cette adjonction de tous les fils de Jacob : « l’auteur invite à porter un regard favorable sur le massacre des Sichémites, dont la responsabilité incombe à tout Israël92 ». On peut aussi supposer que Gn 35,5 a été ajouté postérieurement à l’appréciation négative sur Siméon et Lévi pour une réinterprétation positive de cette « vengeance ». On propose le schéma suivant de la composition de Gn 34 et de Gn 49,5-7a93 :  la version primitive sur la possibilité d’un mariage mixte et conventionnel : (Gn 34,1-5.7a.8-12.13a-24) ;  le stade critique : l’ajout de la version critique de Siméon - Lévi en Gn 34 [leur action aux vv.25-26 + le dialogue avec Jacob aux vv.30.31] => la réponse à leur action en Gn 34,25-26 (la rédaction de Gn 49,5.6b.7a) + l’ajout de la réaction personnelle de Jacob en Gn 49,6a94 ;  le stade plus identitaire où tout le monde retrouve sa réputation : l’association de tous les fils de Jacob à Siméon et Lévi en Gn 34 (vv.7b.13b.27-29) et une réinterprétation de l’évènement en Gn 35,5 avec l’expression « ‫» בני יעקב‬95. 92

J.D. MACCHI 2000a, 8. Il y a une grande différence avec la proposition de Macchi sur la composition de Gn 34. Selon lui, il existe deux interprétations opposées de l’histoire en Gn 34 : une version critique de Siméon et de Lévi en Gn 34,1-26* et des adjonctions secondaires [Gn 34,5.7b.13b. (23 ?).27-31 et Gn 35,2.4-5] pour défendre l’action de ces deux frères à l’époque d’Esd-Né, J.D. MACCHI 2000a, 9. Nos analyses militent en faveur de la possibilité de trois couches rédactionnelles : Siméon et Lévi restent marginaux dans cette histoire car ils n’apparaissent que dans quatre versets à la fin du récit. Ils ne sont pas présents dans le corps du récit. Même si nous observons avec Macchi les deux « mouvements » du récit : l’un positif et l’autre négatif, notre proposition ne prend pas en compte les détails minimes de Gn 34, mais uniquement les grandes étapes possibles de la rédaction du récit qui affecte celle de Gn 49. Nocquet propose une histoire rédactionnelle de Gn 34 en illustrant les deux tendances théologiques pour ou contre le mariage mixte, D. NOCQUET 2017, 80-86. 94 Après l’intervention de Siméon et de Lévi en Gn 34,31, il n’y a plus de parole attribuée à Jacob. Il est possible d’interpréter la réaction de Gn 49,5-7 comme une sorte de reprise de parole par Jacob. On doit relever une remarque importante de Blum sur ce point. Il signale que ce ne sont pas les mêmes reproches qui sont adressés à Siméon et Lévi en Gn 49,5-6 et en Gn 34,30 : en premier lieu leur violence ; puis les conséquences possibles de leurs actions, qui sont elles-mêmes réévaluées en Gn 35,5 comme relevant de l’intervention divine, E. BLUM 1984, 218. Cette remarque rejoint le schéma de composition que nous proposons. Ede remarque que le couple « Siméon et Lévi » est introduit secondairement en Gn 34 et pourrait être rapproché sur le plan littéraire de Gn 49,5-7. F. EDE 2016, 454-456. 95 La Vorlage du Smr avec le mot spécifique de ‫( אדיר‬noble) pose encore la question d’une couche rédactionnelle faisant l’éloge de la réaction violente de Siméon et de Lévi, mais il semble difficile de trancher à partir d’un seul mot. Macchi propose de « considérer Gn 34,1-26* dans le cycle de Jacob comme l’œuvre d’un seul auteur et d’attribuer à 93

ANALYSE LITTÉRAIRE DE GN 49

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Garrone propose de faire référence à deux textes législatifs, Ex 22,15 et Dt 22,28-29, pour montrer la possibilité d’un mariage même dans un cas de viol et en l’absence de crimes majeurs96. Selon lui, la réaction violente des frères de Dina, « reflète la question des unions interethniques, très discutée à l’époque perse97 ». Sa remarque est pertinente : qu’il soit possible ou non de contracter un mariage après un viol, la situation telle qu’elle est présentée en Gn 34 pouvait trouver une solution. Ainsi, le vrai problème dans ce chapitre n’est pas l’éventualité du viol de Dina, mais le mariage mixte entre une fille israélite et un Sichémite. En fait, le schéma de la composition de Gn 34 illustre déjà les deux tendances opposées sur la question du mariage mixte. D’une part, le récit est en faveur du mariage mixte entre les Israélites et les Sichémites dans une perspective universaliste98. D’autre part, la réaction violente de Siméon et de Lévi est critiquée99. Les ajouts secondaires « des fils de Jacob » viennent conforter la position des deux frères, dans un esprit d’identité propre à Israël. Cette attitude pourrait correspondre à une époque tardive comme Esd-Ne. En résumé, Gn 34 rend compte de l’action de Siméon et de Lévi de deux manières : la première est critique et la deuxième est plutôt positive. Il pourrait refléter le passage entre deux théologies différentes : de l’ouverture aux étrangers à l’identité spécifique d’Israël. Cette analyse est en faveur d’une rédaction tardive de Gn 34*, et en conséquence, d’une rédaction tardive de Gn 49,5-7a. Plus loin sera discutée la position de ce même auteur Gn 49,5-7, qui constitue la suite logique de Gn 34,1-26*. », J.D. MACCHI 2000a, 12. Nos analyses montrent déjà qu’une telle suggestion pose des questions rédactionnelles non seulement à l’intérieur du récit en Gn 34, mais aussi en Gn 49,5-7. Nous avons déjà décrit les différents stades de composition de Gn 34 ; et il est pour le moins évident que les vv.6a et 7b de Gn 49 sont des ajouts postérieurs par rapport à Gn 49,5.6b.7a. De Hoop propose l’hypothèse selon laquelle Gn 34 serait venu corriger l’impression donnée en Gn 48,22 où Jacob a lui-même conquis Sichem par la violence. Nos analyses conduisent à Siméon-Lévi et aux fils de Jacob. Il est difficile d’admettre l’hypothèse de de Hoop, R. de HOOP 1999, 517-518. 96 D. GARRONE 2015, 146-147. Nocquet écrit dans la même ligne : « Un tel regard favorable sur Sichem et les Sichémites en Gn 34 est une élaboration qui a son origine dans la province de Samarie. Cette réflexion ‘samarienne’ est critique à l’encontre de l’idéologie séparatiste et judéo-centrée des livres d’Esdras-Néhémie », D. NOCQUET 2017, 85. 97 D. GARRONE 2015, 148. 98 Il importe de souligner que contrairement à Abraham (Gn 24,3) et à Isaac (Gn 26,34 ; Gn 28,1-2.8-9), Jacob semble accepter le mariage mixte (Gn 34,30). Son attitude s’écarte du cadre patriarcal. Cette différence peut être l’indice d’une théologie universaliste spécifique de Gn 34. 99 Pourtant Ex 32,25-35 approuve la violence des lévites par laquelle la tribu de Lévi obtient l’investiture (cf. Ex 32,29). La bible hébraïque montre clairement deux visions complètement opposées de la violence des lévites.

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CHAPITRE IV

Gn 49,5-6 pour voir s’il s’agit d’un simple résumé du Pentateuque ou d’une prise de position sur la question du mariage mixte, et si la malédiction de Siméon et de Lévi en Gn 49 fait ou non allusion à Nb 25 ou à Gn 34 ? d. Qui parle à qui au v.7b (‫? )אחלקם ביעקב ואפיצם בישראל‬ Notons d’abord le parallélisme : ‫ חלק‬// ‫ פוץ‬et ‫ ביעקב‬// ‫בישראל‬. Selon Westermann100, ce n’est plus Jacob mais Dieu qui annonce la punition au v.7b. En revanche, de Hoop remarque que le v.6a désigne une parole de Jacob, et qu’il n’y a aucune raison d’attribuer le v.7b à Dieu101. La proposition de Westermann est acceptable, puisque la dispersion des deux fils au milieu d’Israël ne relève pas du pouvoir du père. En conclusion, Gn 49,5-7 a opté pour la version critique des deux frères nonobstant la diversité des interprétations de Gn 34. Fleishman102 considère Gn 34,31 comme une revendication du pouvoir de Siméon et de Lévi vis-à-vis de Jacob et, en conséquence, il propose de lire Gn 49,7b comme prononçant leur expulsion de la maison et la privation de leurs droits d’héritiers en conformité avec les lois anciennes du POA. L’auteur comprendrait Gn 49,7b comme une réponse à Gn 34,31. Wenham103considère ce demi-verset comme évoquant la dissociation de Siméon-Lévi en Nb 25,7-14 où le Lévite Pinhas tue un Siméonite. Il est toutefois difficile d’admettre cette interprétation car le récit de Nb 25,7-14 ne tient pas compte de la dispersion, et la violence y est même approuvée. En Nb 25, Pinhas est considéré comme « fils d’Eléazar, fils d’Aaron, le prêtre » (Nb 25,7), ce qui le distingue du Lévite. Nous discuterons plus loin le lien entre Gn 49 et Nb 25. Est à noter une inclusion entre le v.7b et les vv.1b-2. On observe la mention de ‫ יעקב‬et d’‫ ישראל‬respectivement aux v.2b et v.7b. Et les deux verbes ‫ אסף‬et ‫( קבץ‬rassembler, vv.1b-2) contrastent avec ‫ חלק‬et ‫( פוץ‬disperser, v.7b). Ces indices rattachent Siméon et Lévi à Ruben par la punition de la dispersion. La colère de Siméon et Lévi est aussi considérée comme αὐθάδης (arrogante) dans la LXX, déjà utilisé pour décrire Ruben au v.3. Ruben, Siméon et Lévi sont tous les trois critiqués pour arrogance. 100

C. WESTERMANN 1987, 226. R. de HOOP 1999, 288. 102 L’auteur explique que le refus d’autorité du père par les fils entraîne deux punitions principales : 1) la réduction en esclavage ; 2) l’expulsion de la maison et la perte des droits d’héritier et du statut légal de fils. La seconde punition est commune dans le POA, J. FLEISHMAN 2001, 556-558. 103 G.J. WENHAM 1994, 475. 101

ANALYSE LITTÉRAIRE DE GN 49

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Philologiquement, le mot ‫ עברה‬va dans le sens de « rage débordante/ fureur » qui renvoie aussi au « débordement » (‫ )פחז‬de Ruben. Ces remarques sont importantes pour trancher la question de la déclaration du v.7b sur la dispersion : est-elle adressée plutôt à Siméon et Lévi ou aux trois premiers fils de Jacob ? Il est possible que les vv.1b-2 et le v.7b forment une inclusion à l’intérieur du discours de Jacob (vv.1-28). Nous allons montrer que la construction concernant Ruben (vv.3-4) et celle concernant Siméon et Lévi (vv.5-7a) peuvent être considérées comme deux unités parallèles. Ruben est désigné comme fils premier-né au v.3 et, en parallèle, la relation entre Siméon et Lévi est traduite par « des frères » au v.5a. Le mot ‫ עז‬est employé dans les deux cas et la LXX les décrit comme des « arrogants ». Leurs actions mauvaises sont introduites par le même mot ‫ כי‬respectivement au v.4b et aux vv.6b.7a. Au cœur de l’exposé de leur statut et de leurs actions, une exclamation de Jacob emploie la négation ‫( אל‬v.4a et v.6a). Voici l’unité des vv.1b-7 : Introduction vv.1b-2

‫ אסף‬et ‫( קבץ‬rassembler) ‫ יעקב‬et ‫ישראל‬

Ruben vv.3-4

‫( בכרי‬v.3a) ; ‫( עז‬force,3b) ; [3b la LXX : αὐθάδης] ‫( אל־‬v.4a) ‫( כי‬v.4b) renvoie à Gn 35,22

Siméon et Lévi vv.5-7a

‫( אחים‬v.5a) ; ‫( עז‬fort,7a) ; [7a la LXX : αὐθάδης] ‫( אל־‬v.6a) ‫( כי‬v.6b + 7a) renvoie à Gn 34

Conclusion v.7b

‫ חלק‬et ‫( פוץ‬disperser) ‫ יעקב‬et ‫ישראל‬

Les changements de personnes (Jacob/Israël, tu, ils, je) dans ces versets pourraient être vus comme appartenant à des couches différentes, mais de Hoop a su montrer que ces changements sont assez communs dans la littérature sémitique ancienne104. L’alternance des appellations Jacob/Israël ne relève pas de couches rédactionnelles, puisque les deux noms désignent la même réalité : le peuple d’Israël issu des douze fils de Jacob qui reçoit aussi le nom Israël (cf. Gn 32,29). Les autres changements de personnes peuvent provenir de différentes couches rédactionnelles. Gn 49,4 est relié à Gn 35,22a et Gn 49,5-7a se réfère à Gn 34*. Un rédacteur aurait pu effectuer un remaniement pour établir l’unité de Gn 49,1b-7. 104

L’auteur a présenté un exemple de légende ougaritique de Kirtu (KTU 1,14-16) comme illustration, R. de HOOP 1999, 286-287.

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CHAPITRE IV

Notre analyse nous a conduit à l’unité constituée par les vv.1b-7. Malgré la présence de différentes couches rédactionnelles à l’intérieur de ces versets, un rédacteur postérieur a pu les remanier pour souligner que les trois premiers fils ont été privés du droit d’aînesse. Carr remarque la différence de style entre « les trois premières bénédictions » (selon l’expression de Carr) et les autres : « The first three blessings closely follow that birth order (…) The last eight blessings focus exclusively on the destiny of each brother, show no interest in issues of guilt or innocence of the brothers, and refer in no way to preceding narratives105 ». Cela confirmerait l’hypothèse d’un remaniement postérieur de ces versets pour former une unité littéraire. 2.2.3. Pourquoi trois tribus « maudites » ? Les trois tribus maudites rassemblées dans une unité littéraire présentent un fort contraste avec le reste du testament de Jacob. Carr suppose que « There may well have been earlier antecedents to the blessing on Reuben, Simeon, and/or Levi as well. This point here is that a Judah-focused author has intervened almost exclusively in this portion of the tribal blessing in 49:3-27106 ». Nos analyses laisseraient entrevoir la possibilité d’une bénédiction de Ruben en raison de la vision positive de ce dernier au v.3. Sparks107 considère ce verset comme « pro-Ruben », faisant partie de la version primitive. Il est également possible que cet avis positif ait été placé par ironie pour accentuer le contraste avec le v.4. Ce verset est ambigu. En conséquence, les deux possibilités, la valorisation ou l’ironie, peuvent être défendues, sans permettre de trancher cette question. Les témoins textuels du TM et de la LXX des vv.5-7 ne permettent pas une appréciation positive de Siméon et de Lévi. Si le Smr témoigne d’une approbation de leur violence (‫אדיר‬, noble), ce seul mot peut difficilement contrebalancer la critique massive des deux frères. En résumé, l’hypothèse de Carr sur l’existence d’un texte antérieur contenant une version de « la bénédiction de Ruben, Siméon et Lévi » est difficilement recevable. Il convient plutôt de poser la question du motif de la malédiction de ces trois personnages/tribus. a. L’élection ? La cause de la malédiction de ces trois fils est exposée explicitement en Gn 34,25-26 et en Gn 35,22a. L’ensemble du cycle de Joseph a été inséré 105 106 107

D.M. CARR 1996, 251. D.M. CARR 1996, 251, n°54. K.L. SPARKS 2003, 331 ; 338.

ANALYSE LITTÉRAIRE DE GN 49

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à la fin des récits des patriarches dont l’élection joue un rôle important. Non seulement Zérah et Pérèç en Gn 38, Manassé et Ephraïm en Gn 48 correspondent au cadre de l’élection, mais c’est aussi le cas de tous les fils de Jacob. On peut même employer le terme de « convenance » : il « convient » que Ruben soit exclu du droit d’aînesse comme Ismaël et Esaü. Cependant on doit se demander pour quelle raison, outre Ruben, Siméon et Lévi sont eux aussi exclus108. Il semble bien simple de répondre qu’il fallait que les trois premiers fils de Jacob soient exclus pour que Juda accède au droit d’aînesse. Cette réponse par la théologie de l’élection n’est pas convaincante, d’autant que Ruben est béni en Dt 33,6, et que Lévi est très bien vu en Dt 33,8-11 où Siméon est absent. Cette remarque pose la question de l’homogénéité du Pentateuque. Pour quelle raison ces trois personnes109 sont-elles, au moment de la rédaction, visées et même « maudites » ? Le contexte textuel de Gn 49 présente l’exclusion des trois, jusqu’au point de les disperser en Israël (v.7b) pour attribuer le droit d’aînesse à Juda (vv.8-12). Eux seuls sont aussi fortement décriés dans le testament de Jacob. Il est nécessaire de noter un important détail textuel : ces quatre fils de Léa, Ruben – Siméon – Lévi – Juda, appartiennent au même cycle de naissance en Gn 29,31-35 avant l’intervention directe de Rachel en Gn 30,1, formant dès le départ un groupe indissociable. Les paroles sur ces trois personnes concernent-elles, d’un point de vue judéen, des questions d’identité importantes ? Ruben et Siméon jouent des rôles significatifs dans le cycle de Joseph. Ruben entre en « rivalité » avec Juda (surtout cf. Gn 37 ; 42 ; 43). Siméon est laissé en otage en Égypte (Gn 42,24 ; 43,23), et partage la « descente » de Joseph en Gn 39 et celle de Juda en Gn 38. Noth110 considère l’origine de la préséance traditionnelle des tribus de Ruben, Siméon et Lévi dans une situation où ces tribus ont joué un rôle important. La suite va vérifier cette hypothèse. b. Ruben, l’hypothèse historique et ses objections À propos de Gn 49,3-4 concernant Ruben, Westermann suggère que « The old and genuine tribal saying was reshaped on the basis of the tradition in Gen 35:22 when the tribe of Reuben no longer existed. The 108

J. EBACH 2007, 586-587. De Hoop considère que la sentence sur Ruben ne concerne que sa personne et, en conséquence, il conclut que Gn 49,3-4 n’est pas un « tribal saying ». De même, il comprend Gn 49,5-7 comme une sentence contre deux personnes individuelles, R. de HOOP 1999, 285 ; 288. Nous la considérons non seulement comme visant les personnes de RubenSiméon-Lévi, mais aussi leurs tribus, puisque le TM et le Smr expriment l’idée des douze tribus en Gn 49,28. De même, il est difficile d’identifier l’historicité des personnages, ce sont plutôt leurs identités tribales qui se trouvent en jeu. 110 Cf. M. NOTH 1981, 87-88. 109

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CHAPITRE IV

«Reuben saying» is therefore a secondary formation111 ». Cette idée a été exprimée également par Vawter112 qui considère Ruben en Dt 33,6 comme représentant une force politique en Transjordanie, alors que Gn 35,22 décrit son déclin. Dans une même ligne, Cross113 explique que la mention de Ruben comme le fils aîné reflète le rôle important, et même dominant de sa tribu sur le plan politique et social dans la société des Israélites. Il a localisé le territoire de Ruben au cœur duquel se trouve une vallée bien arrosée à partir des informations bibliques114. Elle se trouverait en face de la vallée de ‫( בית פעור‬cf. Dt 3,29 ; 4,46 ; 34,6), qui est nommée également ‫בעל פעור‬. Selon Cross, le nom complet de ce lieu serait probablement ‫ ; בית בעל פעור‬le nom ‫ פעור‬est associé au sanctuaire ‫( הפעור‬cf. Nb 23,28). Il précise que cette vallée est bordée au sud par la crête de la montagne ‫( נבו – הפסגה‬le mont Nébo, au sommet du Pisga, en Dt 34,1) et au Nord par la crête de la montagne ‫בית פעור‬. Il en déduit que l’épisode de l’alliance conclue en Moab (cf. Dt 28,69 ; Dt 29,9-14) avant de passer le Jourdain, a lieu dans le territoire de la tribu de Ruben. Par conséquent, le territoire de Ruben doit être le lieu de rassemblement du peuple d’Israël avant l’entrée dans le pays de Canaan115. Les arguments géographiques confèrent une grande importance à la tribu de Ruben dans l’histoire de l’alliance entre Dieu et son peuple. Levin116 émet l’hypothèse d’une hégémonie de la tribu de Ruben qui aurait été par la suite supplantée par celle de Juda. Ces observations ne font que souligner l’importance géographique et politique de la tribu de Ruben dans l’histoire du peuple d’Israël. À l’opposé, de Hoop estime qu’à part Gn 35,22, il n’existe aucune preuve sur des traditions de Ruben ni sur son pouvoir en Israël, hormis sur le plan géographique117. Aussi, Macchi met-il en garde sur la fragilité des hypothèses, puisque Gn 34*, 35,21-22a et 49,3-7 sont quasiment les seules sources textuelles sans indices extérieurs118. En réalité, on ne peut apporter aucune preuve extrabiblique d’une grande influence de Ruben dans l’histoire d’Israël. Reste donc très hypothétique l’avis des commentateurs cités ci-dessus. 111 C. WESTERMANN 1987, 225. De Hoop ne partage pas cet avis. Selon lui l’hypothèse d’une vision positive de Ruben proposée par Westermann est une conjecture sans fondement, R. de HOOP 1999, 511. 112 B. VAWTER 1977, 459. 113 F.M. CROSS 1988, 47. 114 F.M. CROSS 1988, 50. 115 F.M. CROSS 1988, 61. 116 Y. LEVIN 2004, 239. 117 R. de HOOP 1999, 512. 118 J.D. MACCHI 1999, 71.

ANALYSE LITTÉRAIRE DE GN 49

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La situation topographique de Ruben-Siméon-Juda ensemble peut-elle éclairer cette question ? c. Ruben-Siméon-Juda, le sud de la Transjordanie et la Cisjordanie ? La situation géographique de Juda-Siméon-Ruben forment ensemble le territoire du Sud en Cisjordanie (Juda et Siméon) et en Transjordanie (Ruben)119. Wenham120localise Ruben en Transjordanie, le plaçant ainsi en dehors de l’histoire nationale d’Israël, car il n’y a ni prophètes, ni juges, ni rois issus de cette tribu. La situation de Ruben en Transjordanie n’est pas bien vue par les Israélites de Cisjordanie, ce qui explique la critique de la tribu de Ruben. Selon Wilson121, les généalogies pouvaient correspondre à des fonctions sociales, politiques ou religieuses et en conséquence, comme les institutions, elles subissent des changements les conduisant à s’adapter à de nouvelles circonstances ou à une transformation des relations sociales. Aussi, est-il difficile de nier complètement, comme Wenham, une influence possible de Ruben dans le cycle de Joseph. Hobson122 soutient également l’hypothèse selon laquelle la tribu de Ruben joue un rôle significatif à l’époque perse. En effet, les plateaux moabites repeuplés au cours de cette période constituent la région traditionnellement associée à Ruben dans les listes territoriales. En prenant en compte ces divers avis, la position de Ruben en Transjordanie apparaît comme susceptible d’être un des éléments à l’origine de la vigoureuse critique dont il est l’objet : 1) sa situation en Transjordanie le maintient en dehors de la terre promise (cf. Nb 34,1-11 ; Ez 47,13-23) ; 2) son appartenance au Sud le met fortement en concurrence avec Juda ; 3) au retour d’exil, les Judéens mettent en doute l’identité israélite de ceux qui sont établis en Transjordanie, considérés comme appartenant à la diaspora. De plus, l’archéologie confirme la présence des Israélites dans le sud du Ghor et au sud du plateau moabite à l’époque perse123. La malédiction 119

Macchi a également relevé ce point, cf. J.D. MACCHI 1999, 73. G.J. WENHAM 1994, 473. 121 Cf. R.R. WILSON 1977. 122 R. HOBSON 2016, 52. 123 Cf. R. HOBSON 2016, 36-56. Par la suite, Finkelstein et Römer ont essayé de retracer des traditions de la présence du Nord en Transjordanie comme une « mémoire accumulative » du gouvernement des Omrides en Mishor (Nb 21,25) et de la conquête de Jéroboam 120

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CHAPITRE IV

de Ruben pourrait être comprise comme une affirmation de l’identité du peuple d’Israël habitant la terre promise à l’exclusion de la Transjordanie, et une manifestation de la centralisation « judéo-samaritaine ». Ainsi, l’inceste de Ruben en Gn 35,22a pourrait être le lieu où s’exprime cette idéologie lui déniant l’identité découlant du droit d’aînesse. Toutefois cette hypothèse concernant la Transjordanie reste fragile puisque Gad n’a pas été critiqué en Gn 49. Il est possible cependant que Gad n’ait pas eu autant d’influence que Ruben en Transjordanie. À propos de la dispersion de Siméon et de Lévi, Vawter124 expose que l’absence de Siméon en Jg 5 et Dt 33, reflète peut-être le fait qu’il est déjà absorbé par la tribu de Juda. Cette situation de Siméon est proche de celle de Lévi qui n’a pas de territoire propre. Westermann suggère également que « Simeon is absorbed into the tribe of Judah and in Deut. 33:8-11 Levi receives high praise as the priestly tribe. The concentration of the two in v.7b is therefore an artificial formation resulting from a later situation125 ». Mais il n’explique pas la raison pour laquelle Lévi est critiqué, ce dont Macchi rend compte : « cette critique de Lévi trouve son meilleur parallèle dans des textes postexiliques, en particulier en Ez 44,10-16126 ». En réalité, peu de recherches se sont intéressées à la tribu de Siméon. Il est possible d’admettre son absorption par celle de Juda, car de fait, « la tribu de Juda » est un terme courant pour désigner l’ensemble du Sud de la Cisjordanie (cf. 1 R 11,36). La prudence s’impose sur ces très fragiles hypothèses géographiques puisqu’on ne peut prouver une convergence entre Ruben – Siméon – Juda sur le plan géographique. d. Lévi, se distingue-t-il des prêtres ? Lévi joue un rôle particulier dans le peuple d’Israël qu’il convient d’examiner. Concernant les quatre passages : Gn 34, Ex 32, Gn 49 et Dt 33, II en Bashan (Am 6,13). Cela confirme la situation géopolitique des communautés d’Israël dans la Transjordanie à l’époque perse, I. FINKELSTEIN, T. RÖMER 2016, 717. 124 Selon l’auteur, “les villes des Lévites” en Nb 35,2-8 et Jos 21,3-42 expriment un idéal mais pas une situation réelle. En conséquence, les lévites pourraient être une classe sociale et non un peuple géographiquement situé, et qui resterait dispersé dans tout le peuple d’Israël. À l’époque où le territoire devient un élément déterminant du pouvoir politique et de l’identité, ces lévites deviennent une classe inférieure assimilée aux veuves, aux orphelins, etc., qui exigent la compassion et l’aide des autres (cf. Dt 12,12.18.19 ; 14,27.29 et etc.), B. VAWTER 1977, 459-460. Mais cette interprétation ne correspond pas à la situation réelle aux époques perse et hellénistique où la classe des lévites joue un rôle très important. Il est contestable d’assimiler les lévites à la classe pauvre. 125 C. WESTERMANN 1987, 227. 126 Cf. J.D. MACCHI 2000a, 13.

ANALYSE LITTÉRAIRE DE GN 49

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Baden remarque que la violence de Lévi en Gn 34 a été maudite en Gn 49. En revanche, la même violence en Ex 32 lui vaut la bénédiction en Dt 33. Il considère que Gn 34 et Ex 32 ont été composés à partir de traditions de Lévi, non pas en contradiction, mais en complémentarité. L’association Gn 34–Gn 49 explique pourquoi cette tribu ne possède pas la terre, et celle d’Ex 32–Dt 33 montre sa dignité dans le service de Dieu127. L’auteur remarque que ces deux aspects du statut de Lévi sont combinés en Nb 1–4 par P. Selon lui, la critique de Lévi en Gn 49 est nécessaire pour expliquer pourquoi il ne possède pas de territoire propre. Il conclut que ces passages reflètent le statut de Lévi dans la société d’Israël128. La mise en comparaison de ces quatre passages est intéressante et même séduisante. En même temps, Gn 34 et Gn 49 ne sont pas nécessaires pour expliquer pourquoi les Lévites ne possèdent pas la terre, car Dt 18 justifie cette incapacité par leur service particulier qui n’est pas du tout considéré de manière négative. D’ailleurs, la dispersion pourrait viser non seulement Siméon et Lévi, mais aussi Ruben. L’étude de Baden reste assez générale sans entrer dans l’analyse des textes. Abba a étudié en détail la question des prêtres et des lévites. Ces deux catégories sont des termes synonymes en Dt129, et Ez opère une distinction entre les deux par des services différents130 : aux uns le service au temple ; et aux autres le service de l’autel (cf. Ez 40,45-46). Dans la suite, Ez critique ouvertement les lévites (Ez 44,10-14) en confiant le service de l’autel aux prêtres lévites issus de Sadoq (Ez 44,15-16). Tout comme Ez critique l’apostasie des Lévites, il est possible qu’Ez reproche aux Prêtres un culte idolâtre dans le Nord131. Sa proposition souligne le conflit possible au retour d’exil entre le Nord et le Sud, mais elle reste hypothétique. Étudiant Nb 16 où les lévites sont critiqués par Moïse à cause de leur revendication des fonctions de prêtre (cf. Nb 16,10), Knohl132confirme la description par Ez des deux catégories de services dans le temple. Hutton133 remarque que l’omission de Jérusalem dans la liste des cités attribuées 127

J.S. BADEN 2011, 111-112. J.S. BADEN 2011, 112-116. 129 Cf. R. ABBA 1997, 257-267. Werman ne partage pas cette vision. Selon elle, les Lévites et les prêtres sont bien deux groupes différents que le Dt voulait essayer de les réunir, C. WERMAN 1997, 211-225. 130 Cf. R. ABBA 1978, 3 ; 6-7. 131 Cf. R. ABBA 1978, 3 ; 5. 132 Cf. I. KNOHL 1995, 71-85. 133 J.M. HUTTON 2011, 53. 128

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CHAPITRE IV

aux lévites en Jos 21 constitue un indice de la scission entre les lévites et les prêtres lévites134 issus de Sadoq qui se prétendent supérieurs par leur service au Temple de Jérusalem durant et après l’exil (Ez 44,10-16). Werman135 souligne le fait qu’Esdras ne trouve pas de lévites pour revenir à la terre promise avec lui (Esd 8,15), que Ben Sirah ne mentionne jamais de lévites, que Flavius Josèphe les identifie aux chantres (A.J. 20 : 216218 ; Esd 2,40 ; 8,9-18), et elle en conclut que les lévites n’existent plus à la période post-exilique. Cette hypothèse semble s’accorder avec la dispersion des lévites évoquée en Gn 49,7b. En outre, Malachie met les prêtres et les lévites sur le même plan136. La distinction entre prêtres et lévites n’apparaît qu’en Ez 40,45-46, Ez 44 et Nb qui relèvent d’une rédaction assez tardive. La critique envers les lévites relève donc d’une composition tardive, ce qui n’explique pas la malédiction de Lévi en Gn 49. e. Les trois tribus critiquées : Ruben, Siméon et Lévi dans le livre des Nombres Nos analyses ont montré la fragilité de l’hypothèse historique et géographique. Il n’y a pas de document extrabiblique pour fournir une explication suffisamment convaincante de la malédiction des trois tribus. En revanche, ces trois tribus maudites, Ruben – Siméon – Lévi, sont également critiquées dans le livre des Nombres. Il reste à tester l’hypothèse selon laquelle la critique de Ruben – Siméon – Lévi en Gn 49 proviendrait d’une révision du livre des Nombres. Nb 16 décrit la révolte de Coré, membre de la famille de Lévi, et celle de Datân et Abiram, descendants de Ruben, associés à deux cent cinquante princes de la communauté d’Israël contre l’autorité de Moïse (v.2) et contre celle conjointe de Moïse et Aaron (v.3). La raison de cette révolte est l’élévation de ces derniers au-dessus des autres Israélites (v.3b). Elle aboutit à la disparition des familles, des hommes et de tous les biens de la maison de Coré, ainsi que de celles de Datân et Abiram (v.31). Comme l’a 134 De même, Haran remarque que Jos 21 décrit la répartition des villes des Lévites. Jos 21,9-19 mentionne les treize villes attribuées à la descendance d’Aaron, parmi lesquelles neuf se trouvent sur le territoire de Siméon et Juda et quatre autres sur le territoire de Benjamin, à partir de là, l’auteur conclut que cette histoire illustre une séparation de la classe des prêtres du Sud de celle du Nord, et que ceux du Sud sont considérés comme les prêtres légitimes, M. HARAN 1985, 84-111. Remarquons que Jos 21 souligne la répartition des villes pour la descendance d’Aaron, mais il est difficile d’en tirer une conclusion sur le conflit Nord-Sud qui n’est pas la préoccupation de Jos. 135 C. WERMAN 1997, 215. 136 Cette idée est exprimée par J.M. O’BRIEN 1990, 83.

ANALYSE LITTÉRAIRE DE GN 49

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remarqué Artus137, l’ensemble de Nb 16–18 souligne une « hiérarchie » : non seulement Moïse et Aaron se voient reconnaître une sainteté supérieure à celle de la communauté (Nb 16,3-7.16.35), mais il existe aussi une hiérarchie entre les prêtres et les lévites. Les prêtres seuls peuvent approcher du sanctuaire (Nb 16,8-11 ; 18,1-6). Cette distinction hiérarchique correspond à celle d’Ez 44,10-16. Baden remarque la combinaison de deux récits narratifs en Nb 16 : l’un raconte la révolte de Coré avec les deux cent cinquante princes contre Moïse et Aaron (Nb 16,1a.2aβ.2b.3-11.16-24.26.27aα.27b.35), et l’autre relate la révolte de Datân et Abiram contre Moïse (Nb 16,1b.2aα.1215.25.27aβ.28-34)138. Il voit ces deux révoltes comme deux récits indépendants : l’un contre Aaron, l’autorité cultuelle, et l’autre contre Moïse, l’autorité prophétique139. Le but de la compilation des deux récits est de souligner la concentration de l’autorité sur Moïse et Aaron140. Il arrête son travail sur la distinction de ces deux récits au sein de Nb 16 sans aller plus loin. Jeon a essayé de montrer qu’une telle combinaison de deux récits « reflects real socio-religious conflicts within the community of Persian Yehud, especially around the Jerusalem temple141 ». Il distingue trois volets en Nb 16 : le récit non-P de Datân et Abiram et deux histoires P : celle de deux cent cinquante chefs d’Israël et celle de Coré. Les deux premières histoires ont existé séparément et ont été combinées par le rédacteur qui a écrit le passage concernant Coré et les lévites. Ces deux histoires colorées par P reflètent le combat des Sadocides pour leur privilège sacerdotal dans le Temple de Jérusalem pendant la période perse contre les anciens de la communauté et les lévites. Nb 16 est une rédaction assez tardive et fait partie des couches les plus récentes du Pentateuque142. Cette considération sur le combat entre les Sadocides et les lévites rejoint l’idée d’une séparation entre les prêtres et les lévites mentionnée ci-dessus. En revanche, Jeon n’a donné aucune explication sur la critique envers Datân et Abiram. Römer partage l’idée de l’évocation des trois révoltes dans le récit. Il souligne que le terme spécifique ‫( לא נעלה‬nous ne monterons pas) en 137

O. ARTUS 2012, 13. J.S. BADEN 2012b, 153-161. 139 J.S. BADEN 2012b, 164-165. 140 Il argue que Joseph ne pouvant être vendu une deuxième fois (Gn 37) ni les Égyptiens détruits une fois de plus (Ex 14), il était nécessaire de compiler les deux récits de révolte sous peine de voir se distinguer deux autorités sur le peuple d’Israël, J.S. BADEN 2012b, 165. 141 J. JEON 2015, 395. 142 J. JEON 2015, 395-410. 138

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CHAPITRE IV

Nb 16,12 renvoie au rejet d’Exode, et que l’expression ‫מארץ זבת חלב‬ ‫( ודבש‬d’un pays ruisselant du lait et de miel) en Nb 16,13 appliquée à l’Égypte, est un rejet de la vision de Nb 14,8. En fait, ces deux emplois sont anti-exodiques143. En conséquence, Nb 16 apparaît comme une composition remaniée qui rassemble les critiques respectives de la descendance de Lévi et de celle de Ruben. Nb 25 retrace un épisode concernant Zimri, prince d’une famille de Siméon (Nb 25,14) qui ramène une Madianite sous les yeux de Moïse et de toute la communauté des Israélites pour la prostitution. Finalement Zimri et Kozbi, la Madianite, sont tués par Pinhas, le descendant d’Aaron. Grâce à la réaction de Pinhas, Dieu fait alliance avec sa descendance (Nb 25,10-13). Il faut noter que cette alliance sacerdotale est la plus tardive et reste unique dans le Pentateuque. Kislev souligne la présence de différentes couches rédactionnelles en Nb 25. La partie la plus ancienne provient d’une rédaction de P (vv.6-13) et concerne la transgression consistant à entretenir des relations sexuelles avec des femmes étrangères. Ensuite, les vv.1-5 ont été intégrés au récit ; ils combinent peut-être deux récits non-P indépendants sur l’idolâtrie du peuple d’Israël. Enfin, deux couches constituent des ajouts : les vv.14-15 qui révèlent l’identité de ce couple coupable, et les vv.16-18 qui décrivent les préparatifs d’une guerre contre les Madianites en faisant le lien avec Nb 31144. Mais la révélation du statut d’« un homme des Israélites » (‫ )איש מבני ישראל‬au v.6 n’est précisée qu’au v.14 comme ‫( נשיא בית־אב לשמעני‬prince de la maison de Siméon). Et l’insertion des noms et des statuts de ce couple n’est pas nécessaire pour la compréhension du récit. En conséquence, la mention de la descendance de Siméon est une intervention secondaire dans le récit. Hutzli remarque que « le thème des mariages mixtes n’apparaît que dans les chapitres de Nb 25 et 31145 ». Cette remarque renvoie également à l’intervention de Siméon pour le mariage mixte en Gn 34146. Hutzli signale que le thème des Madianites en tant qu’ennemis du peuple d’Israël n’apparaît qu’en Nb 25 et 31, et Pinhas n’est pas mentionné en dehors de 143

T. RÖMER 2013a, 78-79. I. KISLEV 2011, 391-396. 145 J. HUTZLI 2015, 187 ; Rees souligne également l’aspect du mariage mixte en Nb 25 en contraste avec Esd 9, A. REES 2013, 163-177 ; il fait le lien entre le nom de cette Madianite ‫( כזבי‬Kozbi) avec la racine ‫( כזב‬tromper) pour montrer que le mariage mixte n’est pas bien vu en Nb 25 et que cette étrangère est considérée comme une ennemie du peuple d’Israël, A. REES 2012, 16-33. Dans la même ligne, Zlotnick-Sivan remarque que le problème du mariage mixte qui joue en Nb 25 est en contraste avec le cycle de Joseph et le mariage mixte de Moïse, H. ZLOTNICK-SIVAN 2001, 72-73. 146 Zlotnick-Sivan note également le lien entre Nb 25 et Gn 34, H. ZLOTNICK-SIVAN 2001, 73. 144

ANALYSE LITTÉRAIRE DE GN 49

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ces deux chapitres147. Il en conclut que Nb 25 et Nb 31 ont été insérés très tardivement dans le livre des Nombres148. Roetman et Hooft remarquent également que la question du mariage mixte (l’affaire du Cozbi au v.18) et l’affaire de l’idolâtrie (vv.1-5) sont inséparables : l’un peut entraîner le peuple vers l’autre149. Cette considération rejoint celle de Esd 9-10 et Ne 13. Roetman et Hooft soulignent l’ajout des vv.14-15 comme contrepoint vis-à-vis de ceux qui critiquent le mariage mixte en Transjordanie (Moabites) puisqu’il existe également aux frontières Sud du pays150. Cette remarque rejoint la critique envers la tribu de Siméon au sujet du mariage mixte, et touche aussi à la question des relations entre la Transjordanie et la Cisjordanie. Ces deux auteurs considèrent Nb 25 comme « une clef de lecture par excellence pour comprendre et caractériser l’ensemble du livre des Nombres comme un document de compromis, dont la vocation consiste à surmonter les conflits et réunir les courants différents à travers des réalités à traiter d’urgence, auxquelles la communauté post-exilique se voyait confrontée151 ». Si la formation du Pentateuque est vue comme un document de compromis, Nb 25 participe à cette démarche de compromis. L’action de Nb 25 se passe en Transjordanie sans établir l’identité de l’Israélite fautif, mais qui soudainement se révèle de la famille de Siméon. Les commentateurs délocalisent la question du mariage mixte en Transjordanie pour faire d’une tribu du Sud la coupable. Ainsi, la question du mariage mixte est liée à celle du territoire. Il y aurait donc une opposition entre Gn 38 et Gn 49 : ce dernier critique Siméon parce qu’il a contracté une union avec une étrangère en Nb 25, alors que Gn 38 loue Tamar, une étrangère intégrée à la généalogie de Juda. Le rapport avec les étrangers en Gn 49 s’oppose à Gn 38, et ces deux chapitres illustrent le débat : Siméon critiqué pour union mixte ; Tamar louée pour union mixte. Quelle est la position de Gn 49 : la malédiction de Siméon et de Lévi en Gn 49 fait-elle allusion à Nb 25 ou à Gn 34 ? Comme Gn 34 associe Siméon et Lévi et que Gn 49 critique ces deux personnages en raison de leurs violences, on peut affirmer que Gn 49 fait directement allusion à Gn 34. Toutefois, Ruben, Siméon et Lévi sont tous trois critiqués en Nb 16 et 25 et ces récits sont en rapport avec la malédiction de ces trois personnages en Gn 49. La critique du mariage mixte en Nb 25 pourrait opposer Gn 49 à Gn 38. 147 Roeman et Hooft ont fait la même remarque sur le lien indissociable entre Nb 25 et Nb 31, J.A. ROETMAN, G. HOOFT 2004, 50. 148 J. HUTZLI 2015, 187-188. 149 J.A. ROETMAN, G. HOOFT 2004, 42. 150 J.A. ROETMAN, G. HOOFT 2004, 50-51. 151 J.A. ROETMAN, G. HOOFT 2004, 67.

226

CHAPITRE IV

Nos analyses prouveraient une rédaction assez tardive de Nb 16 et Nb 25 dans le processus de formation finale du Pentateuque. Le lien entre Gn 34 et Nb 25 sur la participation de Siméon et de sa descendance à la promotion du mariage mixte devient évident. L’association de la révolte de la descendance de Ruben contre l’autorité de Moïse et de celle de la descendance de Lévi contre les prêtres renvoient à la réalité de la période perse. La critique des trois tribus en Nb 16 et Nb 25 peut être à l’origine de la malédiction de Ruben – Siméon – Lévi en Gn 49. En résumé : 1) Gn 49 reflète la vision de la composition d’ensemble du Pentateuque, y compris Nb ; 2) Le rejet de Ruben, Siméon et Lévi n’est pas lié à une question de territoire, plus précisément la Transjordanie, car si Ruben est pris à partie, Gad ne l’est pas ; 3) Siméon est critiqué pour une union mixte en Nb 25 à la différence de Tamar, d’où une tension entre la proposition de Gn 38 et celle de Gn 49. Ce dernier réagit à toute l’histoire de Joseph, Gn 38 y compris, en réaffirmant la spécificité de l’identité des douze tribus, et prenant en compte toute la Torah. Gn 49 est donc le chapitre le plus tardif du cycle de Joseph, plus tardif que Gn 38. 2.2.4. Bilan Concernant l’histoire de la rédaction de ces versets, les analyses littéraires ont montré que Gn 49,4 est lié à Gn 35,22a au quel il paraît répondre. Gn 49,3 loue le droit d’aînesse en contraste avec Gn 49,4 pour la critique faite à Ruben. L’insertion des vv.21-22 en Gn 35 est secondaire ; ainsi, la composition de Gn 49,3-4 serait tardive en constituant une unité sur Ruben le maudit. Le lien littéraire entre Gn 34,25-26 et Gn 49,5-7a est indéniable. L’intervention tardive de Siméon et de Lévi dans l’histoire de Sichem et de Dina en Gn 34 confirme une composition tardive de Gn 49,5.6b.7a, où Gn 49,6a apparaît comme d’une insertion. La composition en parallèle de Gn 49,1b et Gn 49,7b sur Ruben et sur Siméon-Lévi indiquerait un remaniement postérieur à l’unité de Gn 49,1b-7. Macchi propose de considérer Gn 34*, Gn 35,21-22 et Gn 49,3-7 comme « l’œuvre d’un seul et même auteur »152. Nos analyses font de Gn 49,1b-7 une composition tardive. Nb 16 et Nb 25 adoptent une vision critique envers les descendances de Ruben, de Siméon et de Lévi, qui a pu influencer la malédiction prononcée 152

J.D. MACCHI 1999, 78.

ANALYSE LITTÉRAIRE DE GN 49

227

en Gn 49,3-7. Tous ces indices appuient un remaniement tardif de Gn 49,1b-7 à l’époque perse. L’analyse littéraire des versets sur les trois tribus maudites s’inscrit dans le schéma de la perte de la prééminence dans le cycle des patriarches, reflétant une révision du livre des Nombres au sujet des trois tribus. Nb a pu servir de contexte littéraire à Gn 49,3-7, lors d’une composition du Pentateuque. Toutefois, en Gn 34* s’expriment deux tendances, la critique et la louange envers Siméon et Lévi, correspondant à deux courants contraires : l’ouverture aux étrangers et l’identité spécifique d’Israël. Ces arguments conduisent aussi à une rédaction de Gn 49,1b-7 à l’époque perse. L’autorité de Juda est renforcée au détriment de Ruben, de Siméon et de Lévi. 2.3. Juda (vv.8-12) 2.3.1. Les analyses détaillées La parole de Jacob sur Juda aux vv.8-12 mérite une discussion approfondie 153. v.8 : Chaque stique commence par yod (‫)י‬, et se termine par le suffixe ‫ ־ך‬reliant Juda à ‫אחיך‬, ‫ איביך‬et à ‫בני אביך‬. ‫ אתה יהודה‬/ ‫ ישתחוו לך‬et ‫ אחיך‬/ ‫ בני אביך‬sont un parallèle en v.8a et v.8c. Watson154 nomme ce rythme : chiastic tricolon en ABA’, une construction poétique assez fréquente dans la BH. On signale les jeux de mots entre ‫( יהודה‬Juda), ‫( ידה‬louer) et ‫יד‬ (la main) dans une séquence de 4+3+4 mots. ‫ יהודה אתה יודוך אחיך‬8a ‫ ידך בערף איביך‬8b :‫ ישתחוו לך בני אביך‬8c

v.8a : L’accentuation ‫ אתה‬est réservé à Ruben (v.3a) et à Juda (v.8a). Macuch remarque qu’à part Ruben et Juda, Jacob s’adresse aux autres fils à la troisième personne155. Le(s) rédacteur(s) de Gn 49 souligne(nt) ainsi l’importance des deux personnages en parallèle. Le mot ‫ אחיך‬pourrait renvoyer à Siméon et à Lévi (v.5). Ainsi, la désignation de Juda au v.8a fait écho à celles de Ruben, Siméon et Lévi. 153 Good considère la sentence sur Juda comme relevant de l’ironie, E.M. GOOD 1963, 427-432 ; E.M. GOOD 1965,106-114. Nos analyses devraient nous permettre de trancher cette question : les paroles sur Juda aux vv.8-12 sont-elles un véritable éloge ou une ironie du cycle de Joseph ? 154 W.G.E. WATSON 1984, 182. 155 Cf. R. MACUCH 1995, 368.

228

CHAPITRE IV

Le nom de Juda vient de la louange que Léa adresse au Seigneur à sa naissance (Gn 29,35b), ‫( הפעם אודה את־יהוה‬cette fois, je louerai YHWH)156, hifil première personne du singulier. Juda, ‫יהודה‬, dériverait du hofal inaccompli. ‫ יהודה‬et ‫ ידה‬forment un jeu de mots. De Hoop a remis en question cette analyse notant que le ‫ ו‬n’est jamais élidé à l’inaccompli hofal et que ‫ ה‬n’est attesté que dans un cas douteux : ‫( מהקצעות‬Ez 46,22, ayant des angles). Il propose de dériver ‫ יהודה‬de ‫ הוד‬à l’inaccompli qal, et ‫ ָה‬comme l’abréviation du théonyme ‫ אל‬ou (‫יה)ו‬, « qu’il soit glorieux »157. Quoi qu’il en soit, le nom de Juda est porteur de louange. Et le verbe ‫ ידה‬est employé au hifil, jussif pluriel, ‫ יודוך‬en Gn 49,8a. Il n’y a que trois emplois du verbe s’adressant à un être humain : Jb 40,14 (‫וגם־אני אודך‬, et aussi moi je te célèbrerai), qui exprime plutôt l’ironie de Dieu lorsqu’il s’adresse à Job ; Ps 45,18 (‫עמים יהודך לעלם ועד‬, les peuples te célébreront pour l’éternité) qui s’adresse à la figure du Messie ; et Ps 49,19 vise la vanité du riche (‫ויודך‬, et ils te célébreront). La description de Juda est positive, plus proche du Ps 45,18. Comme ce stique dans le cycle de Joseph est dépourvu de contexte littéraire qui corresponde à la louange des frères adressée à Juda, Westermann158 y voit le rôle héroïque de Juda parmi ses frères. Aux trois premières tribus maudites dès le départ, l’ouverture du v.8 a une tonalité « pro-Juda ». v.8b : Le contenu du v.8b est repris en Ex 23,27b ‫ונתתי את־כל־איביך‬ ‫( אליך ערף‬et je te donnerai la nuque de tous tes ennemis), en Ps 18,41a par ‫( ואיבי נתתה לי ערף‬et tu m’as donné la nuque de mes ennemis) et en 2 Ch 29,6b par ‫[ ויתנו־ערף‬et ils ont donné la nuque (au Seigneur)]. La séquence ‫ ערף‬+ ‫ נתן‬n’est pas étrangère aux textes bibliques. Gevirtz159 156 Westermann préfère reléguer au second plan le lien entre la louange adressée à Juda en Gn 49,8a et son nom reçu à sa naissance en Gn 29,35b pour privilégier le rôle prééminent de Juda reconnu par la louange de ses frères, C. WESTERMANN 1987, 227. 157 Cf. R. de HOOP 1999, 117-118 ; 121. De Hoop cite ce cas en Ez 46,22 sans donner d’explication. 158 C. WESTERMANN 1987, 227. 159 Gevirtz observe que l’emploi du parallélisme « des mains » et « des pieds » se retrouve en 2 S 3,34 : ‫( ידך לא־אסרות ורגליך לא־לנחשתים הגשו‬tes mains n’étaient pas enchaînées, et tes pieds n’ont pas été amenés dans deux chaînes de bronze). De même, David se lamente sur Saül et Jonathan avec l’emploi à deux reprises de l’expression ‫על־במותיך חלל‬ (gisant sur tes hauteurs) en 2 S 1,19.25. Ces observations le conduisent à formuler l’hypothèse que Le Rouleau de la Guerre XII 10 : ‫ורגלכה על במותי חלל אויביכה ידכה בעורף תן‬ « mets ta main sur la nuque de tes ennemis et ton pied sur les monceaux de tués » (Traduction française de B. JONGELING 1962, 286.) pourrait refléter un texte originel de Gn 49,8 : « (tu mets ?) ta main sur la nuque de tes ennemis, et tes pieds sur les dos des tués », S. GEVIRTZ 1981, 22-24. Westermann propose quasiment la même reconstruction de Gn 49,8 : « Judah, your brothers praise you, your father’s sons bow before you. Your hand seizes your enemies by the neck, you put your foot on the neck of the slain », C. WESTERMANN 1987,

ANALYSE LITTÉRAIRE DE GN 49

229

souligne la structure isolée de 8b, entre v.8a et v.8c, par l’absence de verbe, de parallélisme ou de particule de liaison. Marx remarque que contrairement à la relation de Juda avec ses frères (8a.8c), 8b est tourné vers l’extérieur et décrit son attitude envers ses ennemis160. Il est toutefois possible que le v.8b renvoie au contexte de guerre. La dimension guerrière de Juda (v.8b) viendrait-elle en parallèle avec le caractère guerrier de Joseph (vv.23-24a) ? v.8c : La bénédiction de Juda par Jacob ‫( ישתחוו לך בני אביך‬v.8c) est parallèle à celle de Jacob par Isaac en Gn 27,29b ‫וישתחוו לך בני אמך‬ (et que les fils de ta mère se prosternent devant toi), comme une reprise de Gn 27,29 adaptée au contexte littéraire du cycle de Joseph, intégrant Juda dans la lignée de la bénédiction patriarcale. Dans l’histoire de Joseph, le verbe ‫ חוה‬s’adresse le plus souvent à Joseph (Gn 37,7.9.10 ; 42,6 ; 43,26.28), et en une occurrence les frères (‫)בני אביך‬, Joseph y compris, se prosternent devant Juda. Marx écrit : « l’auteur de cette bénédiction applique ainsi à Juda ce que Gn 37,5-8 appliquait à Joseph161 ». La prosternation des frères assure la prééminence de Juda. Le lien entre le v.8c et 27,29b donne tout son sens à l’élection de Juda. En résumé, seul le verbe ‫ חוה‬assure un contexte lexical dans le cycle de Joseph. L’emploi de ‫ ידה‬et ‫חוה‬, et le parallélisme du v.8c avec 27,29b, la bénédiction d’Isaac à Jacob passant de Jacob à Juda, confirment le rôle important de Juda dont avai(en)t la connaissance le(s) rédacteur(s) des cycles de Jacob et de Joseph. La présentation de Ruben par ‫ראובן בכרי אתה‬ est proche de celle de Juda, ‫ ; יהודה אתה יודוך אחיך‬toutes deux se situent dans un rapport familial : Ruben par rapport à son père, et Juda par rapport à ses frères. Ces indices pourraient indiquer que Juda remplace Ruben, le premier-né du père, et renverraient peut-être à une époque où la tribu de Juda jouait un rôle important. Gn 49,8 peut renvoyer à la parole adressée à la tribu de Juda en Dt 33,7 : Gn 49,8 ‫יהודה אתה יודוך אחיך‬8a ‫ידך בערף איביך‬8b :‫ישתחוו לך בני אביך‬8c

Dt 33,7bc ‫ואל־עמו תביאנו‬7b ‫ידיו רב לו ועזר מצריו תהיה‬7c

228. Même en l’absence de témoin textuel en faveur de cet arrangement, et bien qu’il soit difficile de surcroît de tirer une telle conclusion à partir de certains passages de 2 S, au minimum, nous pouvons soutenir l’hypothèse d’une leçon du TM popularisée par 1QM XII 10. 160 A. MARX 1995, 100. Dans la même ligne, Caquot souligne la spécificité du v.8 dans lequel il observe « un procédé rare en poétique biblique », A. CAQUOT 1976, 15. 161 A. MARX 1995, 100.

230

CHAPITRE IV

Ces versets mentionnent deux types de relations de Juda : « tes frères ou les fils de ton père » (Gn 49,8ac) // « son peuple » (Dt 33,7b)162 ; « tes ennemis » (Gn 49,8b) // « ses adversaires » (Dt 33,7b), ta/ses mains combat(tent) les ennemis. Juda est décrit très positivement comme le leader des frères et aussi le vainqueur de ses ennemis en Gn 49,8. Il est ainsi en mesure d’assurer sa propre défense avec l’aide du Seigneur en Dt 33,7b. Ces deux passages soulignent les aptitudes guerrières de Juda. En résumé, le jeu de mot entre ‫ יהודה‬et ‫( יודוך‬v.8a) se poursuit avec ‫ידך‬ au v.8b. Gn 49,8 en parallèle avec Dt 33,7bc décrit la victoire de Juda sur ses ennemis. Et la fin du v.8 est une reprise de Gn 27,29b adaptée à la situation de Juda. Certains mots font allusion aux trois tribus maudites : ‫( אתה‬v.3a) sur Ruben, et le parallèle entre ‫( אחיך‬v.8a) et ‫( אחים‬v.5) sur Siméon et Lévi, suggérant une rédaction tardive du verset. Sa cohérence interne traduit l’intervention d’un rédacteur remaniant différents éléments pour souligner le rôle prééminent de Juda. v.9 : Ce verset introduit des images répétitives concernant le lion (‫)אריה‬, 2×, et la lionne (‫)לביא‬. Les verbes décrivent des mouvements « opposés » : ‫( עלה‬monter)/‫( קום‬se lever) et ‫( כרע‬s’accroupir)/‫( רבץ‬se coucher). ‫גור אריה יהודה‬ ‫מטרף בני עלית‬ ‫כרע רבץ כאריה‬ ‫וכלביא מי יקימנו׃‬

9a 9a 9b 9a

La répétition de ‫ יהודה‬fait écho au v.8. Caquot relève que le v.9aβ s’adresse à Juda à la deuxième personne du singulier et, ainsi, « offre l’une de ces ruptures de construction par changement de personne dont la poésie biblique est coutumière163 ». Il remarque également que « l’hémistiche 9b continue du point de vue grammatical 9aα qui est la suite logique de l’apostrophe de 9aβ164 ». Il y a une parfaite continuité entre les vv.8 et 9 et une cohérence interne du v.9, malgré une insertion possible de v.9aβ. La métaphore du lion est employée pour décrire le peuple d’Israël en Nb 23,24 et Nb 24,9a, le deuxième et le troisième oracle de Balaam : 162 On établit un parallèle entre tes frères ou les fils de ton père (Gn 49,8ac) et son peuple (Dt 33,7b) en prenant en compte les contextes littéraires de ces deux textes. Le cycle de Joseph (Gn 37–50) raconte l’histoire des fils de Jacob dans un cadre familial, et depuis la sortie d’Égypte, les douze tribus forment le peuple d’Israël. C’est la raison pour laquelle, Juda est cité en référence à ses frères en Gn 49,8, et en référence à « son peuple » en Dt 33,7. 163 A. CAQUOT 1976, 16. 164 A. CAQUOT 1976, 17.

ANALYSE LITTÉRAIRE DE GN 49

Nb 23,24 ‫הן־עם כלביא יקום וכארי יתנשא‬ ‫לא ישכב עד־יאכל טרף‬ :‫ודם־חללים ישתה‬ Voici un peuple, il se lève comme une lionne et se dresse comme un lion. Il ne se couche pas avant d’avoir dévoré la proie et bu le sang des victimes.

231

Nb 24,9a

Gn 49,9 ‫גור אריה יהודה מטרף בני עלית‬ ‫ כרע שכב כארי וכלביא מי יקימנו‬:‫כרע רבץ כאריה וכלביא מי יקימנו‬ Il s’est accroupi, il s’est couché Juda est un jeune lion, de la comme un lion, et comme une proie, mon fils, tu es monté, il s’est accroupi, il s’est couché lionne, qui le fera lever ? comme un lion, et comme une lionne, qui le fera lever ?

Cette comparaison souligne le lien indiscutable entre l’oracle de Balaam sur le peuple d’Israël et la parole adressée à Juda, surtout Gn 49,9b et Nb 24,9a. Nous remarquons l’emploi de deux mots différents entre ces trois passages : Gn 49,9 emploie ‫ אריה‬comme Dt 33,22, et Nb 23,24 et Nb 24,9a utilisent la forme abrégée ‫( ארי‬lion). Nb 23,24 et Nb 24,9a emploient le verbe ‫ שכב‬et Gn 49,9 ‫רבץ‬, de même Gn 49,14.25, ce qui pourrait constituer la signature d’un même rédacteur de Gn 49. L’introduction du quatrième oracle de Balaam (Nb 24,14) est parallèle au testament de Jacob en Gn 49,1. Nb 24,9b, ‫מברכיך ברוך וארריך ארור‬ (béni soit qui te bénit, et maudit qui te maudit), est parallèle à Gn 27,29b : la bénédiction d’Isaac à Jacob par ‫( ארריך ארור ומברכיך ברוך‬maudit soit qui te maudira, béni soit qui te bénira). Marx insiste sur le fait que les troisième et quatrième oracles de Balaam se terminent par « une référence à la conclusion des bénédictions d’Isaac, respectivement sur Jacob et Esaü165 ». Les introductions de ces deux oracles sont quasiment identiques en Nb 24,3-4 et en Nb 24,15-16. Robker observe que dans le quatrième oracle de Balaam, Nb 24,14b et suivants interrompent la continuité entre le v.14a et le v.25 ; et que la mention d’Edom, d’Amaleq et de Moab n’a aucun sens dans le contexte de Nb. De même, les Qénites, l’Assur et le Kittim ne sont pas mentionnés dans l’histoire. Ces arguments plaident fortement en faveur d’une insertion secondaire du quatrième oracle166. En outre, Nb 24,17 mentionne ‫( וקם שבט מישראל‬et s’élève un sceptre issu d’Israël), allusion à Gn 49,10a, ‫( שבט מיהודה‬le sceptre de Juda), et pour Gosse, ce lien, ainsi que l’ensemble de Nb 22–24 permettent de comprendre les quatre oracles de Balaam comme un renouvellement de la bénédiction de la dynastie davidique167. Ces éclairages sur Nb 22–24 donnent à voir 165

A. MARX 1987, 103. J.M. ROBKER 2013, 341-342 ; J.M. ROBKER 2019, 170-171. 167 B. GOSSE 2016, 132-136. De même, Marx confirme la présence de la thématique royale, surtout au troisième et au quatrième oracle, A. MARX 1987, 101. 166

232

CHAPITRE IV

la dimension royale dans la parole sur Juda. Toutefois, la composition de Nb 22–24 où les trois premiers oracles renvoient à la période de la rédaction hexateucale (Ve s. av. J.-C.), et le quatrième oracle, est plus tardif, probablement du IVe s. av. J.-C, est complexe.168 Le parallélisme entre Nb 23,24, Nb 24,9a et Gn 49,9 peut être l’indice d’une influence réciproque entre trois textes tardifs lors de la composition du Pentateuque. Outre, la métaphore du lion, Nb 23,22b et Nb 24,8a emploient l’image de ‫( ראם‬buffle) qui renvoie à Dt 33,17, la bénédiction de Moïse sur Joseph. Les oracles de Balaam font allusion au « lion » pour Juda et au « buffle » pour Joseph. Selon Macchi, « les deux premiers oracles, tout comme le Dt 33 canonique, rendent compte d’un Israël centré autour du nord joséphite, alors que les deux derniers, tout comme Gn 49, déplacent la perspective et insistent sur l’importance du sud judéen169 ». Même si cette répartition en deux séries n’est pas aussi tranchée, Nb 23,24 notamment étant en parallèle à Gn 49,9, et Nb 24,8 à Dt 33,17, elle permet de confirmer les influences réciproques entre ces trois textes Nb 22–24, Gn 49 et Dt 33 au cours de la formation pentateucale. Ces nombreuses allusions à la tradition des patriarches en Gn 27, la métaphore du lion (Juda) en Gn 49 et du buffle (Joseph) en Dt 33 conduisent à l’hypothèse d’une rédaction tardive de Nb 22–24, tout en gardant la mémoire d’une tradition assez ancienne de Balaam de l’époque d’Omri. L’histoire de Nb 22–24 est complexe. Sa forme finale et le quatrième oracle sont tardifs, même avec des éléments anciens, surtout le nom de Balaam. Fut découverte en 1967 à Deir ‘Alla une inscription nommant Balaam, donc la copie est du milieu du VIIIe s. av. J.-C.170 Elle prouve l’existence d’une tradition ancienne sur le visionnaire Balaam en Transjordanie. Nb 22–24 pourrait dériver de cette « mémoire » ancienne reformulée postérieurement en une bénédiction d’Israël par Balaam. Les testaments respectifs de Jacob et de Moïse, le patriarche et le leader du peuple d’Israël, sont empruntés à la bouche de Balaam, un « prophète voyant » étranger, dans le pays de Moab171. Ces passages reflètent des messages différents. Gn 49 et Dt 33 se concentrent sur le peuple d’Israël en faisant disparaître la voix de la diaspora et des étrangers, alors que Nb 22–24 reflète le rayonnement universel du Dieu d’Israël en soulignant le fait que la bénédiction de Dieu passe par un prophète étranger. Analyse comparative de l’image du lion en Gn 49,9 et Dt 33 : 168 169 170 171

J.M. ROBKER 2013, 334-366. J.D. MACCHI 1999, 299. Voir M.A. SWEENEY 2018, 534. Cf. U. SALS 2008, 315-335.

ANALYSE LITTÉRAIRE DE GN 49

Gn 49,9a ‫גור אריה יהודה‬9a ‫מטרף בני עלית‬9a Un jeune lion, Juda, de la proie, mon fils, tu es monté.

Dt 33,22bc ‫דן גור אריה‬22b :‫יזנק מן־הבשן‬22c 22b Dan, un jeune lion, 22c il bondit du Bashân.

233

Dt 33,20bc ‫כלביא שכן‬20b ‫וטרף זרוע אף־קדקד‬20c 20b il (Gad) demeure comme un lion, 20c et il déchire un bras, même une tête (de la proie).

Trois occurrences de l’expression ‫ גור אריה‬: Dt 49,9a, Dt 33,22b et Na 2,12. Les deux stiques, Gn 49,9a et Dt 33,22c, ont chacun la préposition ‫ מן‬et deux verbes décrivent un mouvement vers le haut, ‫( עלה‬monter) et ‫( זנק‬bondir). Gn 49,9a à la deuxième personne du singulier garde le lien narratif avec le v.8. En Dt 33,20b Moïse s’adresse à Gad, non à Juda. Ils sont tous deux décrits « comme un lion/une lionnne » (‫)כלביא‬, bien postés ‫ שכן‬et ‫כרע‬ ‫רבץ‬, employés à déchirer une proie (‫)טרף‬. La première comparaison met l’accent sur la métaphore du lion employée en Nb 23,24 et Nb 24,9a pour souligner le statut royal du peuple d’Israël, et la deuxième reprend l’image du lion de Dt 33,20bc.22bc qui renvoie à la force des tribus de Dan et de Gad. Ces deux comparaisons mettent en évidence le rôle prééminent de Juda. Garbini172 voit dans ‫ עלית‬deux fonctions : un écho à la montée de Ruben au v.4 et, en conséquence, le rapprochement Ruben – Juda. Le pronom ‫( אתה‬v.8) fait aussi allusion à Gn 49,3, rapprochant ainsi Juda et Ruben en Gn 49. Wenham173 voit en Juda le lion qui dévore Joseph en Gn 37,33. Cette critique de Juda en Gn 49,8-12 est peu probable. Wénin a remarqué que le déchirement (‫ )טרף‬en Gn 49,9 fait allusion à la bête sauvage qui a déchiré Joseph (cf. ‫ )טרף טרף‬en Gn 37,33 et Gn 44,28, il commente : « le lion a délaissé le carnage ; il est monté et s’est apaisé. N’est-ce pas là une façon poétique d’insinuer la croissance humaine de Juda depuis les événements du chapitre 37 ? 174 ». Le lien entre Gn 49,9 et le cycle de Joseph est intéressant s’il peut montrer l’accès du rédacteur de Gn 49 à Gn 37. Cependant, le lien entre Juda // lion et Joseph // la proie n’est pas évident. La clé de ce verset n’est pas la proie (‫)טרף‬, mais la métaphore du « lion » qui souligne plutôt la force de ce dernier, capable de « déchirer sa proie ». On se demande pourquoi le rédacteur s’est efforcé d’appliquer l’image du lion à Juda. Y a-t-il un lien entre la métaphore du « lion » et les tribus de Juda et de Dan ? 172 173 174

G. GARBINI 2003, 46. G.J. WENHAM 1994, 475. A. WENIN 2004, 25.

234

CHAPITRE IV

Jg 18 décrit une migration de la tribu de Dan du Sud de Canaan au Nord, à la ville Laïsh (‫)ליש‬, mot qui signifie « lion » (cf. Is 30,6 ; Pr 30,30 ; Jb 4,11). Par la suite la tribu de Dan a donné à Laïsh le nom de son ancêtre « Dan » (Jg 18,29). L’étymologie de « Dan », nom donné par Rachel, signifie « juge » (‫דן‬, Gn 30,6). L’adresse de Moïse à Dan en Dt 33,22 fait référence à la ville de « Laïsh – lion », alors que la sentence de Jacob à Dan en Gn 49,16, ‫דן ידין‬, est un jeu de mots entre « Dan – jugera ». L’interprétation du stique de Dt 33,22c, ‫יזנק מן־הבשן‬, est difficile. Gevirtz signale deux difficultés : l’emploi du verbe ‫ זנק‬au piel est un hapax dans la BH, « gicler, jaillir ». La traduction par « s’élancer, se mettre en avant » vient probablement de ἐκπηδήσεται de la LXX, selon le contexte175. La deuxième porte sur ‫ הבשן‬souvent interprété géographiquement par « le Bashân ». Gevirtz note que la tribu de Dan ne se trouve pas à proximité de Bashân, et qu’il est difficile d’admettre un lien entre eux. Il propose de lire le mot ‫ בשן‬dans le sens de « serpent ou vipère » car il s’apparente au mot « vipère » rendu par bṯn en ougaritique, et en araméen par ptn, et par basmu en akkadien176. Dan est décrit par la métaphore du serpent (‫ )נחש‬et de la vipère (‫ )שפפן‬en Gn 49,17, comme d’un autre parallèle entre ‫גור אריה‬ (un jeune lion) et ‫( בשן‬serpent/vipère) en Dt 33,22. Et ces deux termes sont souvent interchangeables dans la Bible : Ps 91,13 (‫שחל ופתן‬, un lion et une vipère ; ‫כפיר ותנין‬, un lion et un monstre marin) ; Is 65,25 (‫אריה‬, un lion ; ‫נחש‬, un serpent) ; Ez 32,2 (‫כפיר‬, un jeune lion ; ‫תנין‬, un dragon) et Am 5,19 (‫ארי‬, un lion ; ‫נחש‬, un serpent). ‫( שחל‬un lion) désigne le « serpent » en Pr 26,13 et Job 28,8. Les mots « serpent » et « lion » sont également interchangeables en éthiopien, en akkadien et en hébreu177. Le mot ‫ « הבשן‬le serpent » prendrait le sens de « lion » appliqué à Dan en Dt 33,22, pour garder le parallélisme avec ‫( גור אריה‬le jeune lion) qui fait allusion à Laïsh. Gevirtz conclut : « There is ample reason to believe that the metaphor of the lion-cub pertained originally to Dan, probably as a result of its conquest of Laish, and that it was applied to Judah secondarily178 ». Ces remarques feraient de Gn 49,9 une composition postérieure à Dt 33,22 où l’expression ‫ גור אריה‬désigne d’abord la tribu de Dan et ensuite celle de Juda. 175

S. GEVIRTZ 1981, 30. S. GEVIRTZ 1981, 30. 177 En éthiopien, le mot « serpent » trouve son parent en hébreu avec ‫ ארי‬et ‫; אריה‬ et le mot « serpent » (‫ )נחש‬en hébreu a le sens de « lion » en akkadien. On trouvera des explications détaillées et les références de ces mots dans l’article suivant : S. GEVIRTZ 1981, 31. 178 S. GEVIRTZ 1981, 32. 176

ANALYSE LITTÉRAIRE DE GN 49

235

Pourquoi donc le rédacteur emploie-t-il une métaphore désignant la tribu de Dan en l’appliquant à Juda dans le testament de Jacob ? Gevirtz propose d’y voir un reflet historique ou même géopolitique179. Il s’agirait de reconnaître les « Judean supremacy and domination over (the major portion of?) properties that had formerly been Danite180 », la sentence sur Juda serait « a pointed poetic statement of a political reality181 ». Il est difficile de ne retenir que la domination politique sur l’ancien territoire de Dan au sud de la Judée. Les expressions « de Dan à Barsabée » (cf. Jg 20,1 ; 2 S 3,10 ; 17,11 ; 24,2 » et « de Bersabée à Dan » (cf. 1 Ch 21,2 ; 2 Ch 30,5) expriment surtout l’unité d’Israël depuis le Sud jusqu’au Nord. L’emploi de l’image du lion a pour but de souligner la puissance de Juda qui présente une dimension géopolitique. La composition du v.9 parait être l’œuvre d’un rédacteur qui connaissait Dt 33, peut-être aussi les oracles de Balaam en Nb 22–24. Et les liens entre v.9a et v.8 à la deuxième personne, et entre v.9b et v.10 à la troisième personne, assurent la cohérence des vv.8-10. v.10 : La critique textuelle a relevé des difficultés d’interprétation de ‫שילה‬. Frolov rappelle les quatre mots ‫ עד כי־יבא שילה‬comme la crux interpretum la plus connue de tout l’AT182. Les vv.10a.10b en forme poétique, ont des termes et une construction en parallèle : ‫מן‬, et ‫ שבט‬et ‫מחקק‬. Les v.10b et v.10d sont introduits par la conjonction ‫ו‬. De Hoop183 a proposé de placer ‫ עד‬à la fin du v.10b et de dire ‫עד‬, ַ comme ‫עֹד‬. Et il opte pour une autre compréhension de ‫שילה‬, remplacé par deux mots séparés, ‫שי לה‬. La structure du v.10 conditionne sa compréhension : ‫ לא־יסור שבט מיהודה‬10a ‫ ומחקק מבין רגליו‬b 10 ‫ עד כי־יבא שילה‬c 10 :‫ ולו יקהת עמים‬d 10

v.10ab : Juda, ‫יהודה‬, à la fin du v.10a, suppose une construction en parallèle avec les vv.8 et 9. Le mot ‫ שבט‬désigne en général le sceptre royal : ‫( שבט משלים‬le sceptre des dominateurs, Is 14,5) ; ‫והכה־ארץ בשבט‬ ‫( פיו‬et il frappera le pays avec le sceptre de sa bouche, Is 11,4) et ‫שבט‬ 179

S. GEVIRTZ 1981, 32. S. GEVIRTZ 1981, 37. 181 S. GEVIRTZ 1981, 37. 182 S. FROLOV 2012, 417. La même expression crux interpretum se trouve également dans L. MONSENGWO-PASINVA 1980, 357. 183 R. de HOOP 2003, 16-17, repris en R. de HOOP 1999, 114. 180

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CHAPITRE IV

‫( מישר שבט מלכותך‬ton sceptre royal est un sceptre de droiture, Ps 45,7). De plus, Nb 24,17 mentionne également le sceptre en désignant Israël : ‫( וקם שבט מישראל‬et d’Israël s’élève un sceptre). Le mot ‫ מחקק‬en Nb 21,18, ‫במחקק‬, évoque le creusement des puits par les chefs et par les nobles du peuple, et le « bâton » pourrait désigner leur autorité. Pour la bénédiction de Gad, Dt 33,21 emploie également le mot ‫( מחקק‬celui qui commande), qui a plutôt le sens de « chef ». Enfin le chant de Débora en Jg 5,14 emploie le mot ‫ מחקקים‬qui évoque « des commandants », « des chefs ». ‫ מחקק‬peut donc désigner soit le « bâton », soit le « chef » qui renvoient tous deux à l’autorité. Le mot est synonyme de ‫שבט‬. La conception du pouvoir royal renvoie à la promesse de Dieu à David, ‫( לא־יכרת לך איש מעל כסא ישראל‬Personne des tiens ne manquera de siéger sur le trône d’Israël,1 R 2,4) ; cf. 2 S 7,16 ; 1 R 8,25 ; 1 R 9,5 ; 2 Ch 6,16 ; 2 Ch 7,18 ; Jr 33,17). « Sceptre » et « bâton » désignent la royauté de Juda. Le Smr lit ‫( דגליו‬ses étendards). Le mot ‫דגל‬ (étendard) n’apparaît qu’en Nb 1,52 ; 2,2.3.10.18.25.34 ; 10,14.18.22.25 et Ct 2,14, désignant un détachement militaire, il provient du perse184. Le pouvoir militaire de Juda serait en lien avec Nb. Westermann note un rapprochement des vv.10a et 10b et le chant de Débora en Jg 5,14b : ‫[ מני מכיר ירדו מחקקים ומזבולן משכים בשבט ספר‬de Makir sont descendus des chefs, et de Zabulon, (ceux qui) portent un bâton de scribe]. Il conclut que ces deux mots, ‫( מחקקים‬les chefs) et ‫שבט‬ (bâton), désignent la souveraineté de Juda à la période des Juges185. Selon Lust, les vv.10a et 10b manifestent une domination de Juda sur les autres tribus, et ils pourraient avoir été composés au début de la monarchie, ou peut-être sous le règne de Josias186. Lindblom187 rappelle que ‫ שבט‬et ‫מחקק‬ sont des symboles du pouvoir royal, suggérant que ce poème a été composé durant le règne de David en Hébron188. Ces trois commentateurs supposent donc une rédaction ancienne des deux stiques. Comme au début de la monarchie, Juda n’est qu’un royaume secondaire, les éléments assez anciens, les vv.10a et 10b, ont pu être employés à l’époque où la tribu de Juda jouait un rôle important. Les propositions de Westermann relatives à l’époque des Juges et de Lindblom sur le règne de David à Hébron ne sont plus retenues. Il est possible que ces versets datent d’une époque beaucoup plus tardive que celle proposée par Lust, de l’époque perse ou 184 185 186 187 188

T. RÖMER 2019b, 219. C. WESTERMANN 1987, 230. J. LUST 2004, 144. J. LINDBLOM 1953, 83. J. LINDBLOM 1953, 84.

ANALYSE LITTÉRAIRE DE GN 49

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du début de l’époque hellénistique quand Juda joue un rôle déterminant en tant que frontière des grands empires. En l’absence d’élément déterminant, ces stiques qui désignent l’autorité de Juda en faisant allusion à Jg 5,14, sont bien dans la continuité des vv.8-9. v.10c : La séquence ‫ עד כי‬indique souvent un contenu précis (cf. Gn 26,13 ; Gn 41,49 ; 2 S 23,10), ce qui n’est pas le cas ici. Ces trois textes introduisent l’idée de surabondance. Gn 26,13 décrit la place éminente occupée par Isaac : ‫( ויגדל האיש וילך הלוך וגדל עד כי־גדל מאד‬litt., et l’homme grandit et il continua à grandir jusqu’à être devenu très grand). Gn 41,49 évoque une quantité incommensurable de froment ramassé par Joseph : ‫ויצבר יוסף בר כחול הים הרבה מאד עד כי־חדל לספר כי־אין מספר‬ (litt., et Joseph entassa du blé comme le sable de la mer en grosse quantité, jusqu’à ce qu’il cesse de compter, car il n’y avait plus de mesure). De même, 2 S 23,10 décrit le massacre des Philistins par Eléazar, l’un des preux de David, « jusqu’à ce que sa main soit épuisée et reste attachée à l’épée » (‫)עד כי־יגעה ידו ותדבק ידו אל־החרב‬. Marx interprète ‫ עד כי‬: « cette royauté arrivera à son plein épanouissement et atteindra sa plénitude189 » à la venue de ‫שילה‬. L’usage biblique de cette expression indique une surcroissance telle que l’arrivée de ‫שילה‬ dépasse la royauté de Juda. Pour Westermann, cette expression « indicates the point in time when a broader form of domination will take the place of the present190 », une indication temporelle évoquant un dépassement du présent. De Hoop note le lien entre ‫ סור‬et la particule de ‫ עד‬qu’on retrouve plusieurs fois dans la BH où ‫ עוד‬peut être mise à la fin d’une phrase191: 1 S 28,15 [‫( ואלהים סר מעלי ולא־ענני עוד‬et Dieu s’est écarté d’auprès de moi et il ne m’a plus répondu)], Ez 16,42 [‫וסרה קנאתי ממך ושקטתי ולא‬ ‫( אכעס עוד‬et ma jalousie se détournera de toi, je serai tranquille, et je ne serai plus offensé)], Os 2,19 [‫והסרתי את־שמות הבעלים מפיה ולא־יזכרו עוד‬ ‫( בשמם‬et je détournerai de sa bouche les noms des Baals, et ils ne se souviendront plus de leur nom)]. Cette remarque est difficile à soutenir : le parallélisme entre ‫ מיהודה‬et ‫ מבין רגליו‬demande de placer ‫ עד‬au début du v.10c dans l’expression ‫עד כי‬. Le mot déterminant est ‫שילה‬. À la suite de l’analyse détaillée effectuée dans la critique textuelle, il convient d’évaluer les diverses interprétations. ‫ שילה‬ferait-il allusion à Silo (‫ ? )שלה‬Lindblom date cette sentence du règne de David à Hébron, pour comprendre l’accueil, par les tribus du 189 190 191

A. MARX 1995, 101. C. WESTERMANN 1987, 230. R. de HOOP 1999, 141.

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CHAPITRE IV

Nord, de David, comme roi de tout le peuple d’Israël192. Mais l’histoire de David ne mentionne nulle part Silo. Lust y verrait une référence à une possible extension de souveraineté de la tribu de Juda jusqu’au royaume du Nord pour désigner l’époque du roi Josias dont le pouvoir s’est étendu jusqu’au Nord193. Blum partage cette idée en notant que sous le règne de Josias s’est produit l’effondrement du pouvoir assyrien dans les zones anciennement éphraïmites sous administration assyrienne194. Mais Silo n’y joue aucun rôle, et le site est détruit depuis longtemps. Lust explique ensuite qu’il est difficile de préciser la période durant laquelle Silo a pu jouer un rôle si important, et de plus que cette appellation de Silo est inhabituelle195. Westermann souligne la cohérence de la sentence concernant Juda : depuis le v.8, le texte oriente vers Juda sans nulle mention de lieu, exit Silo196. Pour lui ‫ שילה‬doit désigner une personne, en comprenant ‫( משלה‬gouverneur) en parallèle avec Mi 5,1 mentionnant un gouverneur d’Israël qui viendra de Juda197. Sans aucun témoin textuel direct, cette proposition reste intéressante. De Hoop a proposé de lire ‫ שילה‬comme ‫( שי לה‬son tribut), suivi par Steiner198. Lust signale la difficulté d’admettre ‫ שי‬comme sujet de ‫יבא‬, ainsi que la lecture de ces deux mots au passif : « jusqu’à ce que son tribut soit apporté »199. Frolov signale trois faiblesses dans le propos de de Hoop et de Steiner : 1) Parmi plus de deux cents occurrences de ‫ לה‬dans la BH, aucune n’a d’antécédent masculin ; et même si l’expression ‫ שי לה‬suppose une orthographe anormale, elle n’est pas en cohérence avec la suite du verset qui commence par ‫ולו‬. 2) Cette interprétation ne tient pas compte de l’existence de ‫ שלה‬dans certains manuscrits massorétiques et samaritains excluant la construction ‫שי לה‬. 3) On ne lit ‫ שילה‬en deux mots dans aucun manuscrit hébraïque ni dans les Vorlagen des traductions anciennes200. Macchi a signalé que de nombreux manuscrits massorétiques et samaritains témoignent de la leçon ‫( שלה‬la paix)201. Cette proposition pourrait 192 J. LINDBLOM 1953, 86. Laato partage le même avis. Selon lui, Juda va accéder à une position décisive parmi les douze tribus à la condition qu’il accepte le culte du Silo, A. LAATO 2016, 516-517. 193 J. LUST 2004, 144. 194 E. BLUM 1984, 262-263. 195 J. LUST 2004, 145. 196 C. WESTERMANN 1987, 231. 197 C. WESTERMANN 1987, 231. 198 R.C. STEINER 2010, 219-226. 199 J. LUST 2004, 145. 200 S. FROLOV 2012, 418. 201 J.D. MACCHI 1999, 107-109. De Hoop précise également qu’une quarantaine de manuscrits du TM ont ‫שלה‬, R. de HOOP 1999, 122.

ANALYSE LITTÉRAIRE DE GN 49

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alors être comprise comme une appellation individuelle, « le Pacifique », ou un nom abstrait dans le sens de « la paix ». Il voit en vv.8-12 une sentence tribale, non une personne messianique, et interprète ‫ שילה‬comme « la tranquillité » ou « la paix », en « référence à une ère de tranquillité future ou contemporaine »202. Mais il est impossible de préciser de quelle paix il s’agit. Margulis203 suggère pour les vv.10cd : ‫עדך יבא באשי להיות לקהל עמים‬ (en toi viendra le fils de Jessé pour être une assemblée des nations) de lire ‫ עד כי‬comme division des consonnes de ‫עדך‬, et ‫ כי‬comme écriture pleine ou dittographie de scribe puisque le mot suivant, ‫יבא‬, commence par yod. Le nom Jessé commençant par un aleph est attesté en 1 Ch 2,13 par ‫אישי‬, et la consonne ‫ ב‬pourrait être une abréviation de ‫בן‬. L’expression ‫לקהל‬ ‫ עמים‬apparaît dans deux bénédictions poétiques en Gn 28,3 et Gn 48,4, et ‫ להיות‬est une reconstruction. Cette interprétation midrashique ne s’appuie sur aucun témoin textuel, même si l’accent est porté sur la descendance de Juda. Lust a noté que ‫ה‬/‫ל‬/‫ ש‬pourrait être l’abréviation de ‫( אשר ל־ה‬jusqu’à ce que vienne celui auquel il appartient) ou de ‫( אשר לו‬jusqu’à ce que vienne ce qui lui appartient)204. La version de la LXX τὰ ἀποκείμενα αὐτῷ (ce qui lui est réservé)205 doit avoir ‫ אשר לו‬comme Vorlage, adoptée par la TOB. Selon Lust, l’interprétation messianique est plus acceptable dans le premier cas, ‫( אשר ל־ה‬jusqu’à ce que vienne celui auquel il appartient). La référence intertextuelle la plus proche de ce dernier se trouve en Ez 21,32, ‫( עד־בא אשר־לו המשפט‬jusqu’à ce que vienne celui à qui appartient le jugement). Ce passage d’Ez se situe dans un oracle menaçant qui annonce la venue des Babyloniens. Lust suppose que « In a later re-reading a messianic interpretation, inspired by Gn 49,10, may have been intended206 ». Son argument est convaincant. Les Targums lisent ‫משיחא‬. Dans 1QSb (Recueil des Bénédictions) V 27-29 traitant de « la bénédiction du prince de la congrégation », la présentation du prince de la communauté renvoie à la sentence sur Juda : « 27(…) Car Dieu t’a établi comme un sceptre 28sur les dominateurs ; deva[nt toi ils s’empresseront et ils se prosterneront, et toutes les na]tions te suivront, et par son nom saint il te fortifiera. 29Et tu seras comme un 202

J.D. MACCHI 1999, 109. B. MARGULIS 1969, 203-205. 204 J. LUST 2004, 145. 205 Lust exprime la même idée en précisant que « lui » pourrait désigner « Juda » qui est le sujet de ce verset, J. LUST 2004, 146. 206 J. LUST 2004, 145. 203

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li[on…] ton… la proie sans que personne la repren[ne]. Et tes [cour]siers s’élanceront sur [la face de la terre…] »207. Prigent y voit une association de Gn 49,8-10, Nb 24,17, Is 10,33–11,5 ; Is 11,10 pour annoncer la venue du Messie208. 4Q 252 V 1-5 : « [1 Et ce qu’il a dit : « il ne] sera pas écarté de la tribu de Juda quand Israël aura la domination, [2 et il ne sera pas re-]tranché un occupant du trône de David. Car le bâton c’est l’alliance de la royauté, 3 [et les mil]liers d’Israël, ce sont les étendards vacat jusqu’à la venue du messie de justice, le rejeton de 4 [D]avid, car à lui et à sa descendance a été donnée l’alliance de la royauté de son peuple jusqu’aux générations perpétuelles. Celui qui 5a gardé l’al[liance de la royauté de son peuple, c’est le scrutateur de] la loi avec les hommes de la communauté209 ». Ap 5,5 décrit celui qui ouvre le livre par : ὁ λέων ὁ ἐκ τῆς φυλῆς Ἰούδα, ἡ ῥίζα Δαυίδ (le lion [provient] de la tribu de Juda, du rejeton/racine de David), renvoie à Gn 49,9 et à Is 11,10. Irénée de Lyon210 rappelle que – le prince et le chef issus de Juda, l’attente des nations, la vigne, son ânon, le vêtement, les yeux, les dents et le vin – ne peuvent annoncer que le Christ Jésus. En tenant compte de ces diverses interprétations de ‫שילה‬, nous adoptons la lecture ‫אשר לו = שילה‬, selon l’orthographe ancienne, la lecture du Smr, de nombreux mss hébreux et de la Vorlage de la LXX. v.10d : Ce stique est introduit par ‫( ולו‬à lui), que Lust comprend comme désignant Juda211, et Westermann à ‫ שילה‬212. Le waw au début du v.10d relie au v.10c. ‫( יקהת‬nom féminin singulier de ‫ )יקהה‬est rare. Le mot ‫ יקהה‬se trouve en Pr 30,17 sous la forme ‫( ליקהת אם‬l’obéissance à une mère). La LXX, la Vg et le Syr l’ont dérivé de la racine ‫( קוה‬espérer). Le mot προσδοκία (l’espérance/l’attente) a trois emplois dans la LXX : Gn 49,10 (‫יקהה‬, au sens d’‘obéissance’), Is 66,9 (‫שבר‬, au sens de ‘briser’) et Ps 119,116 (‫שבר‬, au sens d’‘espérer’). La LXX a retenu προσδοκία pour continuer à traduire la signification messianique v.10d213. Le TM penche dans le sens de l’autorité dans le futur. 207

D. BARTHELEMY, J.T. MILIK 1955, 128. P. PRIGENT 1959, 429. 209 E. PUECH 2013, 242. De même, cf. J. CARMIGNAC, É. COTHENET, H. LIGNEE 1963, 287-288. 210 D.L. IRENEE [trans. A. ROUSSEAU, B. HEMMERDINGER (éd.)], 1965, 495-497. 211 J. LUST 2004, 146. 212 C. WESTERMANN 1987, 230. 213 Après avoir étudié la version de la LXX en Gn 49,10, Monsengwo-Pasinya confirme son caractère messianique : « il est loisible d’affirmer que la LXX continue la tradition juive qui voyait en Gn 49,10 un texte messianique », L. MONSENGWO-PASINVA 1980, 366. Selon 208

ANALYSE LITTÉRAIRE DE GN 49

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Le mot ‫ עם‬au pluriel est attesté quatre fois dans la Genèse : Gn 17,16 ; 27,29 ; 28,3 ; 48,4, toujours dans le cadre de la bénédiction, y compris Gn 49,10. Gn 17,16, ‫( מלכי עמים ממנה יהיו‬les rois des peuples seront issus d’elle) est la bénédiction de Dieu sur la descendance d’Abraham qui concerne plutôt le peuple d’Israël. Gn 28,3, ‫( והיית לקהל עמים‬et tu deviendras une assemblée de peuples), et Gn 48,4, ‫( ונתתיך לקהל עמים‬et je te ferai devenir une assemblée de peuples), adressés respectivement à Jacob et à Joseph, concernent le peuple d’Israël. Gn 27,29, ‫( יעבדוך עמים‬et que des peuples te servent), la bénédiction d’Isaac sur Jacob, ne concerne pas seulement le peuple d’Israël, mais aussi les étrangers, suite à Gn 12,3. Le lien intertextuel entre Gn 27,29, Gn 49,8 et Nb 24,9, demande de comprendre ‫עמים‬ comme désignant non seulement le peuple d’Israël, mais aussi des étrangers. Le mot ‫ עמים‬n’apparaît pas dans Ex et Nb relatant surtout l’histoire du peuple d’Israël, désigné au singulier par ‫עם‬. En résumé, la venue du ‫ שילה‬appelle à l’obéissance des peuples, révélant une portée universelle de ‫שילה‬. On distingue deux parties du v.10. Les v.10a et 10b soulignent le rôle prééminent de Juda en continuité des vv.8 et 9 et selon le TM, vv.10c et 10d introduisent un personnage ‫ שילה‬qui a un rôle messianique attendu, bien interprété par la LXX, les rouleaux de la Mer Morte, les Targums et Irénée dans un sens messianique. v.11 : Le verset garde un parallélisme bien construit. Les stiques 11ab sont introduits par le verbe ‫ אסר( אסרי‬au qal, participe présent avec un yod paragogique, attachant), suivis par les parallèles : ‫( לגפן‬à la vigne) // ‫לשרקה‬ (au cep) ; ‫( עירה‬son ânon) // ‫( בני אתנו‬le petit de son ânesse). De la même manière, les stiques 11cd commencent par le verbe ‫ כבס( כבס‬au piel, il a lavé), et poursuivent par le parallélisme : ‫( ביין‬dans le vin) // ‫בדם־ענבים‬ (dans le sang des raisins) ; ‫( לבשו‬son vêtement) // ‫( סותה‬sa tunique). ‫אסרי לגפן עירה‬11a ‫ולשרקה בני אתנו‬b ‫כבס ביין לבשו‬c ‫ובדם־ענבים סותה‬d

Les images se rapportent à la vigne : ‫( גפן‬vigne), au ‫( שרקה‬cep), au ‫יין‬ (vin) et au ‫( דם־ענבים‬sang des raisins). Deux mots ont des usages spécifiques dans les vv.11ab. Le ‫ עיר‬se retrouve en Gn 32,16, ‫( ועירם‬et les ânes) ; en Jb 11,12, ‫( ועיר‬et un âne) ; en Jg 10,4a ; 12,14 et Is 30,6, ‫עירים‬ lui, le traducteur du v.10b dépend de Mi 5,1-2. « À tout bien considérer, l’assertion centrale s’avère être la descendance davidique du Messie » (p. 367).

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CHAPITRE IV

(ânons) ; et en Za 9,9, ‫( עיר‬un ânon), en parallèle à ‫( בני אתנו‬le petit de son ânesse). Le substantif féminin ‫ שרקה‬est un hapax, mais au masculin, ‫שרק‬ (cf. Is 5,2 ; Jr 2,21) pour désigner des variétés de vignes selon Good214. En Is 16,8 ‫ שרוק‬désigne la grappe rouge. Pourquoi attacher l’âne au cep ? Comment peut-on laver le vêtement dans le sang des raisins ? Comment comprendre ces images ? Wenham comprend une description de surabondance qui suggère qu’on puisse laisser l’âne manger les raisins. Laver le vêtement dans le vin confirmerait cette prospérité. Il cite des passages de l’AT décrivant des récoltes exceptionnelles, y compris de vin (cf. Lv 26,5 ; Ps 72,16 ; Is 25,6 ; Jl 2,24 ; Am 9,13) pour montrer que le v.11 présente l’image de l’âge messianique215. « There will be such an abundance of grapes that those trampling them in the wine press will not just splash their garments (cf. Isa 63:1-3) but soak them216 ». Westermann souligne un autre aspect : l’âne indique un rapport avec le roi (cf. Za 9,9)217, mettant l’accent sur la venue du roi issu de la tribu de Juda et qui porte un sens messianique. Macchi y voit « un raccourci pour dire que le viticulteur attache son âne à un élément fixe près de la vigne218 », et en conséquence, « le geste du viticulteur en 11a ne doit pas être compris comme un gaspillage absurde, mais bien au contraire comme un acte parfaitement normal et rationnel219 ». Quant au fait de laver le vêtement avec du vin, il propose de comprendre l’usage du verbe ‫ כבס‬au piel compris au sens d’« être taché ». Le vêtement n’est pas lavé, mais taché220. Il est difficile d’admettre sa proposition puisqu’à part l’usage du nom ‫מכבסים‬ (blanchisseurs) en Ml 3,2 et la désignation du lieu par ‫( שדה כובס‬le champ du teinturier) en 2 R 18,17 ; Is 7,3 ; 36,2, la racine ‫ כבס‬est toujours employée en tant que verbe pour décrire le geste de « laver ». Pour essayer de trancher entre ces différentes compréhensions du verset, nous présentons une comparaison des deux passages qui se rapprochent : Gn 49,11ab ‫אסרי לגפן עירה ולשרקה בני אתנו‬

Za 9,9 ‫הנה מלכך יבוא לך צדיק ונושע הוא עני ורכב‬ ‫על־חמור ועל־עיר בן־אתנות‬ Attachant à la vigne son ânon et Voici ton roi vient à toi, il est juste et victoau cep le petit de son ânesse. rieux, humble, et monté sur un ânon, sur un ânon le petit d’une ânesse. 214 215 216 217 218 219 220

E.M. GOOD 1963, 431. G.J. WENHAM 1994, 478-479. G.J. WENHAM 1994, 479. C. WESTERMANN 1987, 231. J.D. MACCHI 1999, 114. J.D. MACCHI 1999, 114. J.D. MACCHI 1999, 114.

ANALYSE LITTÉRAIRE DE GN 49

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L’image de l’âne exprime un geste royal en Za 9,9. Ces deux passages sont les seuls de la BH mentionnant « l’ânon » et « le petit de son ânesse »221. Les stiques vv.10ab décrivent l’autorité royale de Juda, et la suite devrait se situer dans la même perspective. Le rédacteur de Gn 49,11ab a dû puiser les images royales dans Za 9,9 pour illustrer la royauté222. Petersen223 et Fishbane224 retiennent dans ces deux passages la référence à une figure royale à venir. Leske225 conteste l’usage de l’âne comme animal au service du roi. Il montre que David et ses fils montent sur le mulet (cf. 2 S 13,29 ; 18,9 et 1 R 1,33.38.44). Il observe que certains passages bibliques (cf. 2 S 16,1-2 ; 19,27) mentionnant la présence d’un âne ne concernent pas la royauté, et que d’autres passages font référence à l’usage de chefs de tribus pré-monarchiques (cf. Jg 5,10 ; 10,4 ; 12,14). La perception d’une figure royale en Gn 49,11 et Za 9,9 ne repose pas uniquement sur la mention de l’ânesse et de son ânon. La parole sur Juda en Gn 49,8-12, au moins le v.10, dessine clairement un portrait royal de Juda et du ‫שילה‬, et Za 9,9 emploie explicitement le terme ‫( מלך‬roi). Les deux versets suggèrent une personne royale. Le lien intertextuel entre Gn 49,11cd et Is 63,2 : Gn 49,11cd Is 63,2 11d 11c ‫כבס ביין לבשו ובדם־ענבים סותה‬ ‫ובגדיך כדרך בגת‬2b ‫מדוע אדם ללבושך‬2a Il a lavé dans le vin son vêtement et Pourquoi du rouge à ton vêtement, et tes dans le sang des raisins sa tunique. habits comme un fouleur au pressoir ?

Ces deux passages ont quasiment la même structure : ‫ כבס‬n’introduit pas seulement 11c, mais également 11d en Gn 49. De même l’interrogation ‫ מדוע‬introduit 2a et 2b en Is 63. Ces deux passages ont également le mot ‫( לבוש‬vêtement) ; ‫( סות‬tunique) et ‫( בגד‬habit) relèvent du même concept. L’expression ‫ דם־ענבים‬et le vin (‫ )יין‬renvoient à la couleur rouge (‫ )אדם‬et au fouleur au pressoir (‫)דרך בגת‬. Il est difficile de nier la proximité des deux passages226. Même si Is 63 décrit la vengeance sanglante 221 Way précise que dans le corpus biblique, la première occurrence de l’expression « le petit de son ânesse » vient de Gn 49,11 ; et la deuxième est en Za 9,9. L’expression ‫ועל־עיר‬ ‫ בן־אתנות‬a une fonction explicative dans ce dernier, K.C. WAY 2010, 108. 222 Duguid reconnaît le lien entre Gn 49,11 et Za 9,9, mais souligne cependant le contraste entre les deux passages : si le premier est celui d’un guerrier royal de la tribu de Juda, le second est celui de la paix apportée par celui qui vient sur un ânon, I.M. DUGUID 1995, 267-268. 223 Cf. D.L. PETERSEN 2003, 217-218. 224 Cf. M.A. FISHBANE 1986, 501-503. 225 A.M. LESKE 2000, 672-673. 226 Macchi nie le lien littéraire entre ces deux passages qui n’ont en commun qu’un seul mot ‫ לבוש‬et sont de sens opposés. Il pense plutôt « que les deux textes reflètent un

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CHAPITRE IV

dans la victoire227, et si le vêtement rouge évoque le sang des victimes, il est possible que Gn 49,11cd ait repris cet accent victorieux pour une autre interprétation. Le sang (‫ )דם‬pour désigner le jus de raisin en Gn 49,11d peut faire écho à la victoire sanglante d’Is 63. Nos analyses montrent des éléments en commun de Gn 49,11 avec Za 9,9 et Is 63,2 pour éclairer le premier, même si les similitudes tiennent plus aux thèmes qu’aux vocables. Juda n’apparaît qu’aux vv.8.9.10ab, et à partir du v.10b, la parole sur Juda semble entrer dans un autre registre avec ‫שילה‬. Le parallélisme entre 11ab et Za 9,9 donne un portrait royal du ‫ ; שילה‬et le parallélisme entre 11cd et Is 63,2 décrit une victoire sanglante. Le v.11 continue l’image de la souveraineté du v.10. Une lecture messianique de Gn 49,11 à la suite de Gn 49,10 ne fait aucune difficulté dans la ligne de la souveraineté et de la victoire royale du ‫ שילה‬en continuité de10ab sur la royauté de Juda. v.12 : Ce verset continue la forme poétique en parallélisme : chacun des stiques commence par l’évocation d’une couleur : ‫( חכלילי‬sombre) // ‫לבן‬ (blanche), et la suite du passage comporte également deux parallélismes : ‫( עינים‬ses yeux) // ‫( שנים‬ses dents) et leur comparaison : ‫( מיין‬plus que le vin) // ‫( מחלב‬plus que le lait). ‫חכלילי עינים מיין‬12a     ‫ולבן־שנים מחלב‬12b

L’image du vin (‫ )יין‬fait le lien entre le v.11 et le v.12. On ne trouve que deux occurrences de la racine ‫ חכליל‬dans la BH, ici et en Pr 23,29. Ce dernier emploi au féminin, ‫חכלילות‬, signifie l’« abattement ». Ce texte explique que l’abattement des yeux est imputable au vin : ‫( למאחרים על־היין‬pour ceux qui s’attardent au vin), établissant un lien entre les yeux et le vin. On a déjà noté que ‫ מן‬peut avoir deux sens : comparatif ou causatif, retenus dans A et B par ἀπὸ οἴνου (à cause du vin, A) et ὑπὲρ οἶνον (plus que le vin, B), mais sans influence sur la compréhension du verset. Notons enfin que « œil » et « dent » sont des parties sensibles du corps mentionnées dans la formule talionique (Lv 23,20), et présentes dans la typologie juridique d’Ex 21,26-27 ; Lv 24,17-20 et Dt 19,21. même savoir proverbial rapprochant la maculature du vêtement du pressurage du raisin », J.D. MACCHI 1999, 115. 227 Wallace a développé cette idée de la vengeance de Dieu sur les ennemis de son peuple qui pourrait être lue comme un retournement de l’image du vigneron en Is 5,1-7. Il précise qu’Is 63 ne décrit pas une surabondance du raisin, mais plutôt la victoire sanglante du Seigneur. L’auteur cite quasiment tous les passages de l’AT et du NT faisant mention du vin, de la vigne et du vigneron, sauf Gn 49,11-12, H.N. WALLACE 2004, 122-123.

ANALYSE LITTÉRAIRE DE GN 49

245

Pr 10,26a décrit le paresseux en mentionnant les yeux et les dents dans un sens péjoratif : ‫( כחמץ לשנים וכעשן לעינים‬comme le vinaigre pour les dents et la fumée pour les yeux). La comparaison avec ce verset donne à Gn 49,12 une description positive de Juda. 1 S 16,12 décrit la beauté de David : ‫והוא אדמוני עם־יפה עינים וטוב ראי‬ (et il est rouge avec les beaux yeux et une belle apparence). La comparaison avec le vin de couleur rouge ou sombre est liée à la beauté au v.12a. Les Targums interprètent ce verset comme description de la beauté. Kapelrud propose de comprendre le v.12 comme évoquant la personnalité impressionnante du roi qui a les yeux foncés et les dents blanches228. Caquot fait le lien entre Gn 49,12 et Ct 5,10-11 et Ps 72 qui décrivent la beauté du bienaimé et le roi Salomon229. Ce verset pourrait aussi évoquer la beauté d’une personne. Les commentateurs divergent sur la question rédactionnelle des vv.11-12. Typiques de la bénédiction d’après Westermann : ils décrivent la prospérité et la beauté ; ils seraient datés de l’époque des Juges par la supériorité d’une tribu et sa royauté230. Garbiniles considère comme une attente de la fin à l’époque hellénistique231. Macchi comprend le v.11 comme l’image de l’harmonie agricole spécifique de la prophétie postexilique232. Avant de formuler l’hypothèse rédactionnelle de la sentence sur Juda, il faut s’interroger sur l’existence d’une couche « Juda » dans le cycle de Joseph. 2.3.2. Des ajouts sur « Juda » dans le cycle de Joseph ? L’histoire de la recherche a relevé l’hypothèse d’ajouts possible sur « Juda » dans le cycle de Joseph. Ruben et Juda interviennent en Gn 37 : le premier voulant rendre Joseph à son père en le mettant dans une citerne vide (vv.21-22) ; Juda proposant de le vendre et le récit souligne que ‫הוא‬ ‫( וישמעו אחיו‬et les frères l’écoutèrent) au v.27b. l’histoire conserve son unité sans l’intervention de Juda aux vv.25b.26.27. La vente de Joseph au v.28 peut être considérée comme une action accomplie par les frères en l’absence de Ruben puisque le v.29 décrit la vive réaction de ce dernier. Un ajout sur « Juda » en Gn 37,25b-27 entre en concurrence avec Ruben, le premier-né de Jacob. 228 229 230 231 232

A.S. KAPELRUD 1954, 427. A. CAQUOT 1976, 29-30. C. WESTERMANN 1987, 232. G. GARBINI 2003, 37. J.D. MACCHI 1999, 115.

246

CHAPITRE IV

L’histoire de Juda et de Tamar en Gn 38 analysée précédemment a fait de ce chapitre une insertion tardive dans le cycle de Joseph qui reflète une vision critique de Juda dans une perspective universaliste, tout en l’intégrant dans le développement de l’histoire de Joseph. Lors de la descente de Benjamin en Égypte, le récit décrit pour la deuxième fois les interventions respectives de Ruben et de Juda auprès de Jacob. Le premier propose un échange entre Benjamin et ses deux fils (Gn 42,37) ; et Juda se propose comme garant de Benjamin (Gn 43,9), et Jacob donne son accord (Gn 43,11-12). Si nous faisons abstraction de l’intervention de Juda (Gn 43,3-12), le récit conserve sa cohérence puisque le début de Gn 43 souligne déjà la gravité de la famine (Gn 43,1), et Jacob n’a pas d’autre choix que de laisser Benjamin partir avec ses frères. Il n’y a pas de rupture de continuité entre Gn 43,1-2 et Gn 43,13 séparés par le dialogue entre Juda et Jacob en Gn 43,3-12. Il est alors évident que la péricope sur « Juda » en Gn 43,3-12 est une insertion secondaire visant à établir une comparaison avec Ruben en Gn 42,37 pour faire ressortir le portrait de Juda. Le discours de Juda lors de la découverte de la coupe dans le sac de Benjamin met le personnage en pleine lumière. Macchi distingue deux couches différentes concernant Juda : Gn 44,14 et Gn 44,16 supposent une insertion secondaire de la mention de « Juda » ; et le discours de ce dernier en Gn 44,18-34 exprime l’intention de protéger Benjamin233. Le récit pourrait donc faire l’ellipse du discours de Juda en mettant Gn 45,1 à la suite de Gn 44,17, puisque Gn 42,24 décrit déjà l’émotion de Joseph entendant les paroles de ses frères en Gn 42,21-22. O’Brien a analysé les détails du contenu du discours de Juda en Gn 44,18-34 et montré qu’il s’agit d’une reprise des éléments déjà mentionnés en Gn 42–43234. Toutefois, l’insertion du discours de Juda en Gn 44,18-34 apporte l’effet du dévoilement de l’identité de Joseph et montre les retrouvailles des frères comme résultat de l’intervention de Juda. Il y a donc ici un ajout rédactionnel sur « Juda ». En Gn 46,28a, Juda se place en tête du cortège de la famille de Jacob descendant à Goshen. La mention de Juda n’est pas nécessaire pour la continuité du récit. Une rédaction judéenne a pu ajouter ce demi-verset pour souligner le rôle de Juda qui supplante Ruben pour assumer le rôle principal dans la famille. Ces analyses soulignent une rédaction secondaire judéenne du cycle de Joseph au détriment de Ruben. Les passages sur « Juda » exposent 233 234

J.D. MACCHI 1999, 125-126. M.A. O’BRIEN 1997, 429-447.

ANALYSE LITTÉRAIRE DE GN 49

247

« l’ascension de Juda » du début à la fin de l’histoire, cette ascension atteignant son sommet dans la sentence de Jacob sur Juda en Gn 49,8-12. De Hoop lit ainsi Gn 47,31 : « then Israel bowed down to the head of the tribe235 », soulignant clairement le rôle prééminent de Joseph. Et la double part que Jacob donne à Joseph en Gn 48,22 suggère que Joseph est considéré comme le fils aîné (cf. 1 Ch 5,1-2). Ainsi, la rédaction finale sur « Juda » en Gn 49,8-12 modifie la portée politique du cycle de Joseph236. En résumé, les ajouts sur « Juda » ont trois fonctions : 1) ils soulignent le rôle important de Juda au détriment de Ruben ; 2) ils corrigent la tendance « pro-samaritaine » du cycle de Joseph en maintenant un équilibre entre Joseph et Juda ; 3) ils renforcent le lien entre Juda et Joseph, soit entre « la Judée et la diaspora »237. L’analyse littéraire devrait permettre de retracer l’histoire de la rédaction de Gn 49,8-12. 2.3.3. L’histoire de la rédaction En premier lieu, quelles sont les données que fournit la recherche sur la composition de la sentence de Juda. Caquot divise la sentence de Juda en trois parties hétérogènes : les vv.8, 9 et 10-12238. Et Westermann en distingue deux. La première aux vv.8-9 fait l’éloge de Juda et la seconde aux vv.10-12 contient la promesse d’élévation d’un roi de la tribu de Juda, qui deviendra elle-même la tribu royale239. De Hoop voit aux vv.8-12 un passage unifié en faveur de Juda et la sentence sur Juda n’est pas composée de différentes couches240. De même, Macchi voyant en Gn 49,8-12 une allusion à Gn 37, ce qui indique qu’un seul rédacteur a rédigé la sentence sur Juda241. Pour Seebass le v.9 qui contient des matériaux anciens et a une fonction d’origine indépendante242, s’intègre parfaitement dans la sentence. 235 236 237 238 239 240 241 242

344.

R. de HOOP 2004, 471-472. R. de HOOP 2004, 468. T. RÖMER 2009b, 39. A. CAQUOT 1976, 14. C. WESTERMANN 1987, 232. R. de HOOP 1999, 522. J.D. MACCHI 1999, 123. Seebass soutient l’idée que le v.9 est une bénédiction autonome, H. SEEBASS 1984,

248

CHAPITRE IV

Ede considère le v.8 comme la partie plus ancienne se référant au cycle de Joseph (Gn 37,7 ; 42,6 ; 43,26) et que les vv.9-12 qui traitent du destin de Juda sous forme d’« oracle prophétique », ont été ajoutés243. Face à la diversité des propositions des commentateurs, nos propres analyses distinguent deux grandes parties à l’intérieur de la sentence244 : les vv.8-10ab recouvrent une bénédiction du personnage de Juda ou même de sa tribu, alors que les vv.10cd-12 décrivent ‫שילה‬. Affirmons la subdivision des vv.8-10ab : le v.8a, le v.9a et le v.10a invoquent, tous, le nom de Juda ‫יהודה‬, ce qui permet d’envisager la possibilité d’un rédacteur unique mettant en parallèle ces trois versets. Mais les trois stiques 8a, 9a et 10a soulignent trois aspects distincts : la prééminence de Juda, la métaphore du lion, et le pouvoir royal. Il s’agit de fragments indépendants à l’origine. Alors que les v.10cd restent assez obscurs à cause des multiples interprétations de ‫שילה‬, les vv.11-12 sont unifiés, laissant supposer l’existence d’un unique rédacteur. L’expression ‫ עד כי‬au début du v.10c fait la liaison entre les deux grands thèmes : Juda et ‫שילה‬. En conséquence, l’unité de ces cinq versets donne la forme finale de la sentence sur Juda. La distinction effectuée sur la base de ces observations laisserait supposer l’existence de fragments indépendants : les vv.8ac et les vv.10ab correspondraient à une époque où la tribu de Juda joue un rôle important ; et le v.8b, avec « la main » de Juda, pourrait être une inclusion avec le v.10b qui mentionne « les pieds ». Le v.9 semble être dépendant du Dt 33,20.22, et se réfère même à Nb 23,24 ; 24,9a. Enfin, les vv.10cd introduisant ‫ שילה‬est interprété dans une perspective messianique par le Smr, des mss hébreux, la LXX, Qumrân et les Targums. Les vv.11-12 qui s’appliquent également à celui qui est désigné aux vv.10cd par ‫שילה‬, proviennent du même rédacteur. L’hypothèse de l’existence de fragments de la louange de Juda aurait comme terminus a quo l’époque du roi Josias où le royaume de Juda joue un rôle important. Et la strate secondaire de Juda à l’intérieur du cycle de Joseph fixerait le terminus ad quem pour la forme finale de Gn 49,8-12 à l’époque perse lors de la composition finale du Pentateuque. Il est tout à fait possible qu’un rédacteur ait réuni tous ces fragments indépendants pour constituer finalement une sentence sur Juda. La suite de la recherche donnera plus de précisions sur sa composition. 243

F. EDE 2016, 461. Marx distingue deux hémistiches dans les vv.9-12, qui prennent la forme d’un diptyque articulé autour du v.10cd, A. MARX 1995, 103. 244

ANALYSE LITTÉRAIRE DE GN 49

249

2.3.4. Bilan Nos analyses confirment que Gn 49,8-12 est un passage favorable au personnage de Juda. L’ensemble de Gn 49,3-12 confirme la primauté de Juda (vv.8-12) après la malédiction de Ruben, de Siméon et de Lévi (vv.3-7). À la différence des trois premières tribus, le contexte littéraire de la sentence adressée à Juda n’a pas de répondant dans le cycle de Jacob, ni dans le cycle de Joseph, hormis quelques vocables en Gn 37 qui font allusion à la sentence sur Juda. Gn 49,8-12 fait référence à plusieurs passages bibliques : v.8c//Gn 27,29b ; v.9//Dt 33,20bc.22bc ; Nb 23,24 ; Nb 24,9 ; v.10c//Ez 21,32 ; v.11//Za 9,9 et Is 63,2, et le v.12 fait allusion à Pr 10,26 et à 1 S 16,12. Ces parallélismes et ces allusions confirment que le(s) rédacteur(s) de la sentence de Juda utilise(nt) ces différents passages bibliques pour décrire le rôle prééminent de Juda au détriment des trois premiers fils. Deux mots se détachent : Juda (vv.8-10ab) et ‫( שילה‬vv.10cd-12), et ‫עד‬ ‫ כי‬les relie parfaitement. Les analyses ci-dessus émettent l’hypothèse de fragments indépendants qu’un rédacteur a reliés pour souligner le rôle prééminent de Juda, et aboutir à un texte proche de la forme finale du Pentateuque à l’époque perse. 2.4. Les six autres fils Lindblom distingue deux types de parole dans la « bénédiction de Jacob » : le type « oracle » qui concerne Ruben, Siméon, Lévi, Juda et Joseph, et une forme épigrammatique245 pour le reste des fils de Jacob. « The epigrammatic tribe poems were originally popular songs composed by poets aiming only at entertaining and amusing a listening crowd246 ». Selon lui, ce genre de poème ne répond à aucune intention religieuse et n’a qu’un intérêt séculier247. Cette distinction permet de considérer les paroles concernant les six tribus et Benjamin comme un ensemble distinct. Comme le personnage de Benjamin joue un rôle dans le cycle de Joseph, et que sa sentence se trouve à la fin du discours de Jacob au v.27, il sera traité à part. La métaphore animale et les jeux de mots sur les noms peuvent correspondre à un usage populaire. L’analyse suivra l’ordre de Gn 49 : Zabulon, Issachar, Dan, Gad, Asher et Nephtali. 245 J. LINDBLOM 1953, 79. Lindblom considère que dans « la bénédiction de Moïse » en Dt 33, à part la sentence sur la tribu de Dan, tout le reste est de type « Oracle ». 246 J. LINDBLOM 1953, 79. 247 J. LINDBLOM 1953, 79.

250

CHAPITRE IV

2.4.1. Zabulon (v.13) a. L’analyse littéraire du verset Le verset comprend trois parties de 4, 3 et 3 mots, soit une phrase verbale et deux nominales. Le mot ‫( לחוף‬au rivage) est mentionné deux fois. Chaque stique se termine avec le son ׂ+une consonne. Skinner estime les stiques 13bc inintelligibles et résultant d’un texte probablement corrompu248. ‫זבולן לחוף ימים ישכן‬13a           ‫והוא לחוף אניות‬13b             :‫וירכתו על־צידן‬13c

Y est décrite la situation géographique de Zabulon : trois prépositions indiquent la direction : ‫( ל‬2×) et ‫על‬. Selon Westermann, ‫( לחוף ימים‬au rivage de la mer) désigne la mer Méditerranée249. Or le territoire de Zabulon en Jos 19,10-16 est sans rapport avec la mer. L’information géographique de Gn 49,13 n’est guère précise. Gunkel250 et Skinner251 proposent un jeu de mots entre ‫ ישכן‬et ‫זבולן‬, la racine ‫ זבל‬aurait le sens de « demeurer » comme ‫שכן‬, mais sens refusé par Westermann252. En effet, l’étymologie de Zabulon est donnée en Gn 30,20b, ‫( יזבלני אישי‬mon mari m’honorera), avec le sens d’« honorable ». Macchi a remarqué que le verbe ‫ שכן‬n’emploie pas généralement la préposition ‫ ל‬pour introduire un lieu d’installation. « On attendrait plutôt ‫ב‬, ‫ על‬ou un complément de lieu sans préposition, car associé à ‫שכן‬, ‫ ל‬sert plutôt à introduire la temporalité (cf. Ps 37,27 ; Is 34,17 ; Jr 32,6 ; 33,16 ; Ps 16,9)253 ». Cependant, il signale que ‫ שכן‬accompagné de ‫ ל‬pourrait désigner exceptionnellement un lieu comme dans Ps 120,6 (‫שכנה־לה‬, litt., elle a demeuré quant à elle) et Ps 7,6 (‫וכבודי לעפר ישכן‬, litt., et ma gloire, qu’il fasse demeurer dans la poussière)254. En fait, ces deux exemples du Psautier décrivent deux crises vécues par le psalmiste poursuivi par ses ennemis, et ‫ שכן‬+ ‫ ל‬ne correspondent pas à une localisation géographique précise. En conséquence, l’usage de la préposition ‫ ל‬avec le verbe ‫שכן‬ pour désigner une situation géographique est unique en Gn 49,13. Westermann note que la répétition du mot ‫( לחוף‬au rivage) au v.13b fait difficulté, puisqu’elle n’appartient pas au style poétique255. Mais 248 249 250 251 252 253 254 255

J. SKINNER 1951, 525. C. WESTERMANN 1987, 232. H. GUNKEL 1997, 458. J. SKINNER 1951, 525. C. WESTERMANN 1987, 232. J.D. MACCHI 1999, 142. J.D. MACCHI 1999, 142. C.WESTERMANN 1987, 233.

ANALYSE LITTÉRAIRE DE GN 49

251

puisque ‫ הוא‬désigne ‫זבולן‬, la répétition de ‫ לחוף‬précise v.13a, le verbe ‫שכן‬ s’applique au v.13b implicitement et apporte une précision au v.13a256. Un même usage de ‫ והוא‬se retrouve en Gn 49,19 et 20. Dans la troisième partie de cette sentence concernant Zabulon au v.13c, il faut remarquer que le mot ‫( ירכה‬confins) se présente sous deux formes : soit à l’état construit du pluriel avec ‫ ; ירכתי‬soit au duel ‫ירכתים‬ (cf. Ex 26,23.27 ; Ex 36,28.32 ; Ez 46,19). Le singulier ‫ ירכתו‬avec le suffixe de la troisième personne du masculin est assez particulier dans ce stique, qui peut être compris de deux manières : il désigne la limite du territoire de Zabulon ou celle des bateaux. Comme v.13b précise v.13a, ‫ ירכתו‬devrait logiquement concerner « la limite des bateaux ». Westermann257 et Skinner258 précisent que Sidon ne désigne pas la ville mais le territoire de la Phénicie. Il s’agirait plutôt d’une allusion à l’étendue du royaume sidonien en Phénicie méridionale. b. Les sentences tribales de Zabulon Outre la situation géographique de cette tribu en Jos 19,10-16, trois sentences tribales sur Zabulon en Gn 49,13, Dt 33,18*-19 et Jg 5,14bβ.18a peuvent contribuer à élucider Gn 49,13. En Jos 19,10-16, la dimension ‫ לחוף ימים‬a disparu. Macchi a bien résumé sa localisation : « Zabulon devrait être situé dans les montagnes galiléennes bordées par la plaine côtière ashérite et la plaine de Jezréel, avec sur son flanc est les tribus d’Issachar et de Nephtali259 ». Zabulon n’est pas en contact avec la mer. Cependant, Dt 33,19b mentionne l’aspect maritime en évoquant l’action de la tribu de Zabulon par ‫כי שפע ימים‬ ‫( יינקו ושפוני טמוני חול‬car ils suceront l’abondance des mers, et les réserves cachées dans le sable). Il est évident que ce demi-verset n’indique pas la situation géographique de cette dernière, mais plutôt son activité commerciale. Jg 5 mentionne deux caractères de cette tribu : l’un est relatif à son autorité, ‫( ומזבולן משכים בשבט ספר‬et de Zabulon ceux qui tiennent un sceptre de scribe, Jg 5,14bβ) ; et l’autre souligne son courage, ‫זבלון עם‬ ‫( חרף נפשו למות‬Zabulon est un peuple qui a méprisé sa vie à la mort, Jg 5,18a). Il n’existe aucune référence à la dimension maritime. Et Jg 5,17b fait référence à Dan et à Asher en mentionnant « le rivage des mers » (‫ )לחוף ימים‬et « des bateaux » (‫)אניות‬. Et dans la suite, Jg 5,18b parle de 256 Macchi partage cette idée en disant que « 13bα TM précise que les rivages des mers (13a) où s’installe Zabulon sont de fait les “rivages des bateaux”, c’est-à-dire les ports », J.D. MACCHI 1999, 143. 257 C.WESTERMANN 1987, 233. 258 J. SKINNER 1951, 525. 259 J.D. MACCHI 1999, 144.

252

CHAPITRE IV

la tribu de Nephtali en invoquant ‫( על מרומי שדה‬sur les hauteurs de la campagne). Zabulon et Nephtali sont traités en opposition géographique avec Dan et Asher, et ne sont pas à proximité de la mer selon Jg 5. En résumé : Jos 19,10-16 situe le territoire de Zabulon dans les montagnes galiléennes ; le chant de Débora en Jg 5,18a fait la louange de la tribu de Zabulon dans la guerre, et le parallélisme avec Nephtali indique qu’elle ne se situe pas au bord de la mer. Dt 33,18-19 évoque la possibilité d’une activité commerciale de la tribu de Zabulon par la rivière de Qishon ; et Gn 49,13 localise cette dernière quasiment au bord de la mer. Ces références correspondent-elles à un développement territorial de la tribu de Zabulon ? À défaut de preuves, on peut toujours s’interroger sur l’aspect littéraire de la dimension maritime de la tribu de Zabulon en Gn 49,13. c. Le caractère maritime de Zabulon Nous avons déjà signalé plus haut que dans le chant de Débora, Dan et Asher font référence aux « mers », et une comparaison entre Gn 49,13, Dt 33,19b et Jg 5,17b sur la dimension maritime semble donner des résultats surprenants : Gn 49,13 ‫זבולן לחוף ימים ישכן‬ ‫והוא לחוף אניות‬ :‫וירכתו על־צידן‬ Zabulon demeure au rivage des mers. Et il a des bateaux au rivage et ses confins (touchent) Sidon.

Jg 5,17b ‫ודן למה יגור אניות‬ ‫אשר ישב לחוף ימים ועל מפרציו ישכון‬

Dt 33,19b ‫כי שפע ימים יינקו‬ ‫וושפוני טמוני חול‬

Et Dan, pourquoi séjourne-t-il sur des bateaux ? Asher habite au rivage des mers, et demeure sur ses ports.

Car ils (Zabulon et Issachar) suceront l’abondance des mers, et les réserves cachées dans le sable.

Gn 49,13 et Jg 5,17b mentionnent les mêmes éléments : « les bateaux », « au rivage des mers », « demeurer » et la préposition ‫על‬. À part quelques éléments qui font difficultés, Gn 49,13 est proche de Jg 5,17b, le chant de Débora qui critique Dan et Asher de n’avoir pas participé à la guerre. La parole sur Zabulon serait-elle aussi une critique ? Skinner considère ce verset comme un éloge de la tribu de Zabulon en raison de la description avantageuse de sa position géographique en Dt 33,19b260. Cela suppose que le rédacteur de Gn 49,13 connaissait Dt 33,19b situant la tribu de Zabulon à proximité de la mer. On a plus loin le lien entre l’ordre des douze tribus en Gn 49 et les dix tribus mentionnées en Jg 5. Ce dernier ne se concentre que sur les dix tribus du Nord, 260

J. SKINNER 1951, 525.

ANALYSE LITTÉRAIRE DE GN 49

253

supposant une rédaction à l’époque où celles-ci jouaient un rôle important. Il est alors probable qu’un rédacteur ait formulé la sentence sur Zabulon en Gn 49,13 en puisant des éléments maritimes en Jg 5,17b et en prenant en compte la parole positive sur Zabulon en Dt 33,19b. Gn 49,13 est plutôt une louange de Zabulon261. Le verset reprend des éléments anciens de Jg 5 qui pourraient renvoyer, comme terminus ad quem, à l’époque des Omrides où le Nord joue un rôle déterminant dans l’histoire d’Israël262. Noël décrit ainsi la puissance de Zabulon : « La bataille de Taanak (Jg 5,19) desserre l’étreinte cananéenne qui empêche la communication entre les groupes israélites du Nord et ceux de la montagne centrale263 ». Alors que Jos 19,10-16 et Jg 5,14bβ.18a situent la tribu de Zabulon comme plutôt « continentale », Dt 33,19b et Gn 49,13 lui attribuent une localisation plutôt « maritime »264, ce qui conduit à formuler deux hypothèses. D’un côté, il est possible que la tribu de Zabulon ait élargi son territoire jusqu’à la Phénicie pour étendre son pouvoir jusqu’à la mer. D’un autre côté, l’environnement marin peut très bien être une allusion à des activités commerciales liées au transport maritime. Une reprise de Jg 5,17b par Gn 49,13 et l’incertitude d’une localisation de cette tribu orientent vers l’activité commerciale de transport maritime. Gn 49,13 contient des éléments anciens de Jg 5,17b même si la sentence sur Zabulon a pu être intégrée assez tardivement au moment de la rédaction de Gn 49. 2.4.2. Issachar (vv.14-15) a. L’analyse littéraire verset par verset v.14 : Ce verset se divise en deux parties : 3 : 3. ‫יששכר חמר גרם‬14 :‫ רבץ בין המשפתיִ ם‬14 261 Caquot est en faveur d’une vision neutre de Zabulon : « Ce que le verset 13 dit de Zabulon n’est ni à sa gloire ni à sa honte (…). Le verset 13 est le type du dit neutre », A. CAQUOT 1976, 12. 262 Macchi renvoie à la même époque en faisant référence à Dt 33, mais notre propre référence reste Jg 5, J.D. MACCHI 1999, 147. 263 D. NOËL 2000, 162. 264 Shmuel a remarqué également cette difficulté de situer géographiquement la tribu de Zabulon. Il propose de comprendre cette description de Zabulon comme désignant une tribu maritime, comme elle est évoquée en 1 R 4,16 où Zabulon est associé à Asher au sein du neuvième district de Salomon. En même temps, il conclut à la fin de son article que cette bénédiction de Zabulon pourrait refléter une datation postérieure à l’époque du royaume unitaire, A. SHMUEL 2000, 7. En réalité, cette interprétation historiciste des passages bibliques conduit à une impasse, puisque nous ne pouvons pas avoir de certitude sur la position géographique de quelque tribu que ce soit ; nous proposons plutôt de comprendre Gn 49,13 comme un reflet d’une activité commerciale.

254

CHAPITRE IV

Le début de cette sentence est introduit par une métaphore animale : ‫חמר‬ (âne). L’âne est qualifié ‫( גרם‬corpulent), voir Pr 17,22 ; 25,15 ; Jb 40,18 pour décrire la vigueur. L’expression ‫ חמר גרם‬renvoie à un âne vigoureux, une description positive de l’animal de transport. L’étymologie du nom ‫( יששכר‬Issachar, litt., salarié) provient de la parole de Léa en Gn 30,18, ‫( שכרי‬mon salaire). Certains265 y voient donc un jeu de mots avec ‫איש שכר‬ (homme de salaire). Ce nom a une portée ironique par rapport à la description du v.15bβ qui renvoie à l’esclavage. Dans la suite, la racine ‫( רבץ‬se coucher) a été employée en Gn 49,9 dans la métaphore du lion. Le même verbe a été utilisé dans deux métaphores différentes. L’expression ‫ בין המשפתים‬est présente en Jg 5,16a en parallèle : Gn 49,14b Jg 5,16a ‫רבץ בין המשפתים‬ ‫ישבת בין המשפתים‬ (Issachar) se couche Tu (le clan de Ruben) es assis entre les deux sacs de bât. entre les deux sacs de bât.

Ces deux passages emploient respectivement deux verbes au qal pour décrire un acte : ‫ רבץ‬et ‫ישב‬. Dans le chant de Débora, Jg 5,16b formule ce qui apparaît plutôt comme une critique envers la tribu de Ruben qui n’a pas participé à la guerre. On ne retrouve pas cet aspect critique en Gn 49,14b, qui est une suite de la métaphore de l’âne. Macchi fait le choix de traduire l’expression ‫ בין המשפתים‬par « entre les clôtures ». Cette image « décrivant un animal en sécurité à l’intérieur de son enclos permet d’introduire le verset 15a qui insiste sur la nature agréable de ce lieu266 ». En revanche, notre traduction, « entre deux sacs de bât », fait allusion non seulement au v.15aα à « l’âne corpulent », mais aussi au v.15b au « fardeau » à porter. Le verbe ‫( רבץ‬se coucher) qui suggère la tranquillité au v.15a. En conséquence soit Gn 49,14b et Jg 5,16b font référence à une ancienne tradition, soit le rédacteur de la sentence sur Issachar a pris un élément de Jg 5,16a pour expliciter la métaphore de Gn 49,14a. Dans les deux cas, la sentence en Gn 49,14b contient un élément ancien. Donner note qu’« Il n’y a aucun doute sur le fait que les enclos se trouvaient en dehors des agglomérations urbaines et rurales. Si Issachar y demeure, cela signifie que les Issacharites ne vivent pas dans des maisons 265 H. GUNKEL 1997, 458 ; Gal pense également que le nom d’Issachar provient de ‫איש‬ ‫שכר‬, Z. GAL 1982, 79. De même, de Pury, Römer et Schmid soulignent que la sentence sur Issachar pourrait jouer sur son nom qui signifie « salarié » et « garde peut-être la mémoire de circonstances politiques dans lesquelles cette tribu avait été dans l’obligation de verser un tribut », A. de PURY, T. RÖMER, K. SCHMID 2016, 259. 266 J.D. MACCHI 1999, 150.

ANALYSE LITTÉRAIRE DE GN 49

255

permanentes, mais dans des tentes267 ». Cette remarque est en cohérence avec Dt 33,18 où Issachar est mentionné comme celui qui est sous la tente. Donner observe également que la racine ‫ רבץ‬se trouve souvent dans les passages traitant de bétail et d’élevage en Gn 29,2 ; Is 13,20.21 ; 17,2 ; 27,10 ; Ez 34,14.15 ; So 2,7.14 ; 3,13 ; Jr 33,12 et Ps 23,2 ; même le substantif ‫ רבץ‬au sens de « campement » se trouve en Is 65,10 et Jr 50,6. Il note sept occurrences du mot ‫( מנחה‬repos) (Nb 10,33 ; Dt 12,9 ; 1 R 8,56 ; Jr 51,59 ; Mi 2,10 ; Ps 95,11 ; Is 32,18) sur un total de vingtet-une concernant la vie non-sédentaire268. Il conclut que le v.14 décrit plutôt le mode de vie des nomades issacharites, et en déduit que le v.15 suggère l’installation de ces derniers dans une vie plus sédentaire, prenant la possession de la terre d’Issachar. La difficulté de cette interprétation se trouve dans le mot ‫( מס‬la corvée) en 15b : de quelle corvée s’agit-il ? Pour des rois païens ou pour le roi d’Israël ? v.15 : Ce verset peut se diviser en quatre parties : 4 × 4 et 3 × 3, aux quatre stiques introduits par ‫ו‬. La forme poétique apparaît clairement avec deux parallélismes : ‫( מנחה כי טוב‬le repos est bon) // ‫( הארץ כי נעמה‬le pays agréable) au v.15a et ‫( לסבל‬pour porter) // ‫( למס־עבד‬pour la corvée d’esclave) au v.15b. ‫וירא מנחה כי טוב‬15a ‫ואת־הארץ כי נעמה‬15a ‫ויט שכמו לסבל‬15b ‫ויהי למס־עבד‬15b

Westermann comprend le v.15 comme « a short narrative »269. Il souligne l’ambigüité du sujet de ce verset : l’âne ou Issachar270. On retient Issachar comme sujet du v.15 à cause de l’expression ‫ מס־עבד‬qui ne s’applique qu’à l’homme. L’expression ‫ וירא כי טוב‬est très présente en Gn 1 (vv.4.10.12.18.21.25) pour décrire la création effectuée par Dieu dans une atmosphère de paix. Le v.15a témoigne d’une vision positive d’Issachar. Contrastant avec la paix et le repos du v.15a, la suite évoque le fardeau à porter. L’expression ‫( למס־עבד‬la corvée d’esclave) en Jos 16,10 décrit l’esclavage des Cananéens au milieu d’Ephraïm, et en 1 R 9,21 montre l’esclavage des étrangers au service du roi Salomon. Ces deux références assombrissent la description du travail d’Issachar. Nous devons poursuivre en nous interrogeant sur la destination de la corvée évoquée dans cette sentence. 267 268 269 270

H. DONNER 1994b, 182. H. DONNER 1994b, 183. C. WESTERMANN 1987, 233. C. WESTERMANN 1987, 233.

256

CHAPITRE IV

b. Une source extra-biblique ? Dans les archives d’Aménophis IV, pharaon connu sous le nom d’Akhenaton, une lettre de Biridiya au pharaon (EA 365) éclaire notre étude : (…) 8-14Que le roi, mon seigneur, ait souci de son serviteur et de sa ville. En fait, moi seul je cultive : ah-ri-su, dans Sunama, et moi seul je fournis les hommes de corvée. 15-23Mais vois les maires qui sont près de moi. Ils n’agissent pas comme moi. Ils ne cultivent pas dans Sunama, et ils ne fournissent pas des hommes de corvée. 24-31Moi seul : ia-hu-du-un-ni (moi tout seul) je fournis des hommes de corvée. Ils viennent de Jaffa, parmi (les hommes) qui y sont dispon[ibles] de Nuribda. Et que le roi, mon seigneur, ait souci de sa ville271.

On ne peut qu’être frappé par ces multiples mentions « des hommes de corvée » qui renvoient au mot ‫מס‬. Macchi résume une vision classique sur la proximité entre Shunem (‫ )שונם‬en Jos 19,18 et Sunama dans EA 365. Comme Shunem fait partie du territoire d’Issachar (cf. Jos 19,17-23), il est possible de conclure que « l’installation des Issacharites dans la plaine cananéenne a été mise en rapport avec cette corvée » et, en conséquence, de rapporter cette sentence sur Issachar « à l’époque d’El Amarna, au XIVe s. av. J-C. 272 ». Westermann fait également référence à EA 365 pour proposer l’hypothèse que cette mention de « la corvée d’esclave » remonte à l’époque d’El Amarna273. Un tel rapprochement est séduisant, à défaut de témoins archéologiques. Sans doute, le lien entre Shunem (‫ )שונם‬et Sunama reste hypothétique. Le nom d’Issachar ‫ יששכר‬n’est mentionné nulle part dans EA 365. Cette dernière souligne l’importance « des hommes de corvée », au contraire, le rédacteur de la sentence d’Issachar insiste sur l’ambiance tranquille (v.14b) et paisible (v.15a). Gal a essayé de montrer que le peuple d’Israël était absent du territoire d’Issachar avant le Xe s. av. J.-C.274. Cette source extrabiblique ne peut être invoquée comme référence à la corvée d’Issachar275. c. Les sentences tribales d’Issachar Le lien entre Shunem (‫ )שונם‬en Jos 19,18 et Sunama dans EA 365, n’étant pas prouvé mais restant possible, le territoire d’Issachar en Jos 19,17-23 271

AKHENATON, 1987, 560-561. Macchi ne fait qu’un résumé classique sur ce point, mais il ne partage pas l’avis exposé ci-dessus, J.D. MACCHI 1999, 152. 273 C. WESTERMANN 1987, 234. Donner a fait la même remarque en faisant le lien entre Gn 49,15 et EA 365, H. DONNER 1994b, 184-187. 274 Z. GAL 1982, 80. 275 De même, Macchi remet en question la vision classique qui relie EA 365 à Gn 49,14-15, J.D. MACCHI 1999, 153. 272

ANALYSE LITTÉRAIRE DE GN 49

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ne recèle guère d’indices sur sa corvée. Jg 5,15 fait l’éloge de la tribu d’Issachar qui s’associe avec Débora et Baraq : ‫ושרי ביששכר עם־דברה‬ ‫( ויששכר כן ברק‬litt., et les chefs en Issachar avec Débora, et Issachar ainsi Baraq…). Il est possible que la tribu d’Issachar se trouve également sous le joug des Cananéens comme le décrit Jg 4,2 et qu’elle soit conduite à s’associer à la guerre menée par Débora et Baraq, mais cela reste hypothétique, Issachar n’est nulle part mentionné dans cette guerre. Dt 33,18 décrit la joie d’Issachar : ‫( ויששכר באהליך‬litt., [réjouis-toi Zabulon (…)] et Issachar, dans tes tentes). La dimension de la corvée n’y apparaît pas. La critique textuelle a noté le décalage important entre le TM et la LXX : le TM présente un contraste entre la paix et la corvée d’esclave ; en revanche, la LXX n’a pas ce contraste provenant de la mention de la corvée καὶ ἐγενήθη ἀνὴρ γεωργός (et l’homme devint cultivateur). Cette disposition montre que la corvée représente une difficulté dans la cohérence du texte. Quels sont les emplois de ‫ מס‬au sens de « corvée » : le premier concerne les peuples étrangers installés dans le territoire cananéen et les corvées effectuées au bénéfice du peuple d’Israël (Jos 16,10 ; 17,13 ; Jg 1,28.30. 33.35 ; 2 Ch 8,8 ; 1 R 9,21) ; le second concerne les Israélites au service du roi (2 S 20,24 ; 1 R 4,6 ; 5,27-28 ; 9,15 ; 12,18 ; 2 Ch 10,18)276. La corvée d’Issachar au service du roi résout la contradiction entre la paix des vv.14-15a et la corvée du v.15b. Macchi admet que la corvée « puisse y être connotée de manière positive277 ». Cependant comme l’emploi du mot ‫ מס‬décrit toujours une situation misérable, il faudrait comprendre la corvée d’Issachar comme une allusion ironique à une tranquillité et à une paix superficielles. Le territoire d’Issachar est une terre fertile, et la tribu supporte une lourde charge au profit du roi. En définitive, la corvée d’Issachar renverrait à une situation de domination du Nord. Ces indices orientent vers l’époque des Omrides comme dans le cas de Zabulon. Le lien entre Gn 49,14b et Jg 5,16a par l’expression « entre deux sacs de bât » confirme des éléments anciens dans la sentence sur Issachar. 276 À part ces deux cas, il existe encore quelques cas particuliers : Pr 12,24 appelle à l’ardeur au travail ; en Is 31,8 les Assyriens seront en esclavage ; Lm 1,1 se lamente sur la ville de Jérusalem ; Ex 1,11 raconte l’esclavage du peuple d’Israël en Égypte ; Dt 20,21 traite le cas du mariage avec une esclave. ‫ מס‬décrit toujours une situation misérable, J.D. MACCHI 1999, 153-154. Noël considère Issachar comme « mercenaire », étant « à l’origine, une population qui loue ses services », D. NOËL 2000, 162. 277 J.D. MACCHI 1999, 155.

258

CHAPITRE IV

2.4.3. Dan (vv.16-18) a. Analyse littéraire de la sentence sur Dan (vv.16-17) La sentence sur Dan semble englober deux sujets différents278 : le jeu de mots sur le nom de Dan (v.16) et la métaphore animale (v.17). Westermann279 observe que ces deux versets ont en commun un éloge de Dan que la suite de l’analyse permettra d’examiner. Même rattaché aux vv.16-17, le v.18, apparaissant dans le TM comme une acclamation de Jacob, sera traité à part. v.16 : Ce verset comporte un jeu de mots entre ‫( דן‬Dan) et ‫( ידין‬il jugera). ‫דן ידין עמו‬16 :‫כאחד שבטי ישראל‬16

Le nom de Dan (‫ )דן‬vient de l’acclamation de Rachel en Gn 30,6, ‫דנני‬ ‫( אלהים‬Dieu m’a fait justice). Il est l’un des fils de l’union de Jacob avec Bilha, la servante de Rachel (cf. Gn 30,3-5). Selon Werstermann280 et Gunkel281, le mot ‫( עמו‬son peuple) désigne la tribu de Dan. Cependant ‫עמו‬ en parallèle à ‫( שבטי ישראל‬les tribus d’Israël) désigne l’ensemble du peuple d’Israël. Wenham282 fait référence à l’expression ‫( ידין יהוה עמו‬YHWH jugera son peuple, Dt 32,36 ; Ps 135,14) et à ‫[ ידין עמך‬il (le roi) jugera ton peuple, Ps 72,2)] qui plaident en faveur de l’interprétation de ‫ עמו‬comme l’ensemble du peuple d’Israël. Dans la majorité des emplois du verbe ‫דין‬ au sens de « juger », le jugement relève du Seigneur (Gn 15,14 ; 30,6 ; Dt 32,36 ; 1 S 2,10 ; Jb 36,31 ; Ps 7,9 ; 9,8 ; 50,4 ; 54,1 ; 96,10 ; 110,6 ; 135,14 ; Is 3,13), et rarement du roi (Ps 72,2 et Jr 22,16). Seul Jr 5,28 emploie ce verbe dans un sens négatif pour critiquer l’action des méchants parmi le peuple. Comme l’agent évoqué au v.16 n’est ni YHWH ni le roi, mais Dan, il semble plus raisonnable de considérer que ‫ עמו‬désigne le peuple de la tribu de Dan. Il faut aussi reconnaître que l’emploi de ‫ דין‬avec Dan comme sujet est unique dans toute la BH, tout comme il est difficile d’expliquer pourquoi et en quoi le peuple d’Israël pouvait être concerné par un jugement de Dan, ce dernier ne pouvant occuper la place du Seigneur ou du roi283. Le v.16a souligne-t-il un rôle important que Dan aurait pu jouer à l’époque de la rédaction ? 278 Caquot exprime la même idée en disant que « La parole de Jacob sur Dan est composite », A. CAQUOT 1976, 12. La même option est rapportée dans M.W. BARTUSCH 2003, 33. 279 C. WESTERMANN 1987, 234. 280 C. WESTERMANN 1987, 234. 281 H. GUNKEL 1997, 459. 282 G.J. WENHAM 1994, 481. 283 Bartusch interprète Gn 49,16 comme une comparaison entre Dan et le Seigneur. Il dit dans la suite : « (…) this would be the most positive saying about Dan in the biblical

ANALYSE LITTÉRAIRE DE GN 49

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Wenham remarque l’obscurité du v.16b puisque Dan est toujours une des tribus d’Israël. Il explique en faisant référence au livre des Juges, que la tribu de Dan n’est pas aussi forte que les autres tribus. De son lieu d’origine dans le Sud-ouest de Canaan elle émigre au Nord (cf. Jg 1,34 ; 18). En cela, sa victoire aidera tout le peuple d’Israël284. Mais cette interprétation n’explique guère l’acte de juger (‫ )דין‬une tribu d’Israël. Macchi note l’insistance sur le parallélisme entre Dan et les tribus d’Israël mettant en question l’identité israélite de Dan : elle peut être en cours de formation ou menacée285. Bartusch distingue deux interprétations possibles de ‫ עמו‬: la première consisterait à reconnaître que la tribu de Dan, même plus petite que les autres – en Jg 13,2 et Jg 18,2, elle est un « clan » (‫ – )משפחה‬jugeait son peuple comme les autres tribus. La deuxième porterait sur l’identité de Dan qui conserverait une certaine originalité en dehors du peuple d’Israël286. Dans la même direction, T. Dothan et M. Dothan comprennent Gn 49,16 comme si Dan n’était pas considéré comme une tribu d’Israël287. En réalité, le territoire attribué aux Danites est un territoire frontière, épisodiquement contrôlé par Israël spécialement sous le règne de Jéroboam II. En fin de compte, la sentence porte plutôt sur l’identité de Dan et de son rôle parmi le peuple d’Israël. v.17 : Ce verset comprend deux hémistiches : le premier met en parallèle deux métaphores animales : ‫( נחש עלי־דרך‬un serpent sur un chemin) // ‫( שפיפן עלי־ארח‬une vipère sur un sentier) ; et le second est divisé en deux 3 × 3 mots, décrivant respectivement l’action de Dan et sa conséquence. À part l’introduction par l’expression ‫( יהי־דן‬que Dan soit), le reste du verset garde bien la forme 3 : 3 : 3 : 3. ‫יהי־דן נחש עלי־דרך‬17a ‫שפיפן עלי־ארח‬17a ‫הנשך עקבי־סוס‬17b ‫ויפל רכבו אחור׃‬17a

La critique textuelle a noté le mot ‫ שפיפן‬comme hapax, le Smr (‫שפפון‬, en embuscade) et la LXX (ἐγκαθήμενος, en embuscade) témoignent d’une leçon différente du TM. On peut retenir que ce verset ne contient qu’une tradition, comparing Dan’s activity among the rest of the tribes of Israel with that of Israel’s God », M.W. BARTUSCH 2003, 38-39. 284 G.J. WENHAM 1994, 481. 285 J.D. MACCHI 1999, 158. 286 M.W. BARTUSCH 2003, 36. 287 T. DOTHAN, M.M. DOTHAN 1992, 217.

260

CHAPITRE IV

seule métaphore, celle du serpent. ‫ שפפן‬désignerait une espèce particulière de serpent : Wenham l’identifie à « un serpent jaune venimeux »288. Caquot remarque que les références bibliques sur le serpent (‫ )נחש‬ne suggèrent jamais « une qualité louable »289. Ce verset décrirait Dan comme « une tribu dangereuse »290. En revanche, Bartusch291 trouve hasardeux de fonder un jugement sur la tribu de Dan à partir du mot ‫נחש‬. Il renvoie à Nb 21 où le Seigneur envoie ‫( הנחשים השרפים‬les serpents brûlants) au v.6, puis Dieu demande à Moïse de façonner un « Séraphin » (‫שרף‬, brûlant) au v.8, et Moïse fait un serpent en bronze (‫ )נחש נחשת‬au v.9. Ce dernier est détruit par le roi Ezékias pendant sa réforme (2 R 18,4). Bartusch292 remarque que le « serpent en bronze » n’est mentionné nulle part dans l’HD à propos des rois de Juda, et il suppose qu’il a été apporté de l’un des sanctuaires du Nord, jusqu’au Temple de Jérusalem après la chute du Nord en 722 av. J.-C. Par ailleurs, il souligne l’importance du mot ‫רכבו‬ (son cavalier) qui peut faire référence à l’Exode et qui évoque la force des Égyptiens (Ex 14,25 ; 15,1.21). Cette tradition du Nord liée à la figure de Moïse est un éloge dans la sentence sur la tribu nordiste de Dan293. Le v.17 introduit par ‫ יהי‬exprime un souhait, « que… ». Les remarques de Bartusch sont assez convaincantes. Le verbe ‫( נשך‬mordre) est employé spécifiquement pour désigner la morsure par un serpent (Nb 21,6.8.9 ; Jr 8,17 ; Am 5,19 ; 9,3 ; Pr 23,32 ; Qo 10,8.11). Le verbe ‫ ויפל‬au wayyiqtol concernerait la conséquence de la morsure. Il est facile de repérer la liaison entre le cheval et son cavalier (‫ )סוס ורכבו‬en Ex 15,1.21. Le v.17 possède donc une cohérence interne, décrivant plutôt une manière courageuse du serpent attaquant le cheval. Ces deux versets reflètent une vision positive de la tribu de Dan. b. L’identité de la tribu de Dan Yadin294 qui a entrepris une recherche biblique et archéologique sur la tribu de Dan en 1968, a observé une nette différence de traitement de celleci et des autres tribus dans les références bibliques (Jg 18,1 ; Jos 19,47), ce qui peut mettre en cause sa filiation. La généalogie est très brièvement présentée en Gn 46,23 et laisse supposer une origine étrangère. Jg 5,17 fait allusion à la tribu de Dan comme ayant un lien avec la mer, et l’histoire 288 289 290 291 292 293 294

G.J. WENHAM 1994, 481. A. CAQUOT 1976, 12-13. A. CAQUOT 1976, 13. M.W. BARTUSCH 2003, 40. M.W. BARTUSCH 2003, 41. M.W. BARTUSCH 2003, 41. Y. YADIN 1968, 9-23.

ANALYSE LITTÉRAIRE DE GN 49

261

de Samson atteste d’une relation familiale entre les Philistins et les Danites (Jg 14). Enfin, l’histoire biblique décrit comment les Amorites ont repoussé Dan (Jg 1,34-35) qui a dû émigrer (Jg 18) à Laïsh, près de Sidon. Tous ces éléments interrogent l’identité de Dan. Yadin a essayé de trouver des témoins archéologiques. Les reliefs du Temple de Medinet Habu, daté de la fin de l’âge Bronze Récent vers 1200 av. J.-C., décrivent une bataille entre les peuples de la mer et Ramsès III. Trois groupes sont représentés pareillement vêtus295 que Yadin a tenté d’identifier. À l’est de la Méditerranée un groupe est connu comme Danai ou Danuna ou Dene qui se serait répandu jusqu’en Grèce. L’histoire de Wenamon, datée de XIe s. av. J.-C. (vers -1069), placerait l’installation de Tjeker au Nord de la Méditerranée pendant que les Philistins s’installent dans le Sud. Yadin signale que, dans la scène de bataille datant de l’époque de Ramsès III, la tribu entre Tjeker et le pays des Philistins s’appelle Dene/Dne qui correspond à Danuna en langage contemporain. En conclusion, la tribu de Dan et celle de Danai ne seraient qu’une même tribu296. Cette conclusion a été acceptée par T. Dothan et M. Dothan297 en 1992. Margalith partage la vision de Yadin : la tribu de Dan est différente des autres tribus298. Ces déductions sont problématiques. Il est difficile d’admettre que les références bibliques reflètent une historicité de la tribu de Dan. Le récit de Jg 17–18 relatif à la migration des Danites intègre la « mémoire » d’un contrôle de la région au VIIIe s. av. J.-C. par Jéroboam II299, mais ce récit est tardif et sans doute critique vis-à-vis de l’idolâtrie et de la pluralité des lieux de culte300. Le fond historique ancien de Jg 14 pourrait correspondre à une « pression » philistine contraignant les Danites à la migration vers le Nord. Surtout, l’identité entre la tribu de Dan et celle de Danai en Asie Mineure est très hypothétique. Interpréter des données archéologiques par des textes bibliques soulève une question de méthode.

295

Les détails de ces reliefs sont décrits dans l’article suivant, G.D. MUMFORD 2018,

263. 296

Y. YADIN 1968, 22. T. DOTHAN, M.M. DOTHAN 1992, 215-218. 298 O. MARGALITH 1994, 117. 299 Arie se fonde sur les données archéologiques pour montrer que Dan est déserté ou n’est qu’un petit site rural durant le Fer II et qu’il est possible qu’il n’appartienne au peuple d’Israël qu’à partir du VIIIe s. av. J.-C. sous le règne glorieux de Jéroboam II, E. ARIE 2008, 6-64. 300 W. GROSS 2009, 794-795. L’auteur fait référence au passage en 1 R 12,26-30, l’installation d’un Veau d’or à Bethel et à Dan. Le récit en Jg 17–18 fait allusion à l’action de Manassé qui a fabriqué l’idole d’Ashéra dans le Temple en 2 R 21,7. 297

262

CHAPITRE IV

Un article de Mumford301, daté de 2018, analysant les migrations des peuples de la mer à la fin de l’âge Bronze (1550-1300 av. J.-C.) et à l’âge du Fer (1200-722 av. J.-C.) à partir des mêmes éléments archéologiques (par exemple, les reliefs du Temple de Medinet Habu, et l’histoire de Wenamon, etc.) n’établit pas de lien entre Dan et les Danai. Il constate qu’à l’âge du Fer, des migrations ont pu constituer le contexte historique de la conquête par le peuple d’Israël : The Iron Age IA-B period (1200-1000 BCE) witnessed a relatively rapid decline in Egypt and its imperial territories, with increasing Libyan incursions at home and further population movements and settlement by indigenous refugees, bedouin, and others. For instance, a confederation of Philistines arose in southwest Canaan, the Tjeker, Sherden, and other Sea Peoples are attested in various parts of the Levant (e.g., Phoenicia, Transjordan), while the Israelites emerge in the southern hill country302.

Selon Mumford, les Israélites occupent plutôt la région des collines du sud Canaan303, mais il est impossible d’identifier le territoire de la tribu de Dan, bien que les recherches archéologiques permettent de tracer le contexte de la formation du peuple d’Israël. Il est possible que le(s) rédacteur(s) de Jg 18 se ser(ven)t de ce contexte ancien de migrations pour composer un récit anti-idolâtrique à l’époque perse en situant la tribu de Dan dans le Nord. Par ailleurs, deux fragments d’inscriptions monumentales en araméen à Tel Dan ont été découverts. Ils décrivent la défaite du roi d’Israël Jehoram (de 852 à 841 av. J.-C.) et du roi de Juda Achazia (de 850 à 849 av. J.-C.) par le roi d’Aram-Damas, Hazaël (de 842 à 805 av. J.-C.)304. Hazaël accuse les Omrides d’avoir dépossédé les Araméens de ce territoire 305. Tel Dan est un lieu frontière disputé par Israël et Damas, et l’identité de Dan peut être une « mémoire » ancienne de la position délicate de ce dernier. c. Les sentences tribales de Dan On a déjà remarqué que la tradition biblique mentionne deux sites géographiques pour la tribu de Dan : l’un dans le Sud selon Jos 19,40-48 et Jg 1,34 ; 13,1-2.25 ; 18,1-2 ; et l’autre dans le Nord selon Jg 18,27-31. À cause de la mention du ‫( בשן‬Bashân), on interprète souvent Dt 33,22 comme désignant le Nord et le lieu d’implantation de la tribu de Dan. On 301 302 303 304 305

G.D. MUMFORD 2018, 260-271. G.D. MUMFORD 2018, 263. G.D. MUMFORD 2018, 270. B. BECKING 1996, 21-30 ; E. PUECH 2020a, 331-343. I. FINKELSTEIN, N.A. SILBERMAN 2004, 280.

ANALYSE LITTÉRAIRE DE GN 49

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a déjà analysé le parallélisme avec Gn 49,9 à propos de l’expression ‫גור‬ ‫( אריה‬un jeune lion). L’emploi du verbe ‫( זנק‬s’élancer) est un hapax, Bartusch remarque que cette racine provient de l’hébreu post-biblique306. Cross et Freedman se fondent sur btn en ougaritique et en arabe pour interpréter ‫ בשן‬non comme le nom du Bashân, mais comme un « serpent ou vipère »307. Cette proposition est très éclairante : elle aide à sortir de l’impasse sur la localisation de la tribu de Dan ; et elle montre la cohérence de l’emploi de la métaphore du « serpent » en Gn 49,17 à propos de la tribu de Dan, emploi qui pourrait résulter d’un souci d’harmonisation avec Dt 33,22. Bartusch observe que Dt 33 est construit en principe selon l’ordre géographique du Sud au Nord, reliant le déplacement de Dan avec Jg 18 malgré une rédaction tardive de ce dernier, et en conclut que Dt 33,22 désigne plutôt Bashân pour placer Dan au Nord308. À ce stade, se dégagent deux interprétations de la tradition biblique concernant Dt 33,22 : l’une comprend ‫ בשן‬dans le sens de « serpent » en cohérence avec Gn 49,17 ; et l’autre place Dan au Nord en lisant « Bashân » pour signaler l’immigration de cette tribu en Jg 18. Dès lors, Gn 49,16-17 traduirait la réconciliation de ces deux courants : le v.16 questionne l’identité de Dan se référant à Jg 18, et le v.17 reprend la métaphore du serpent, sous-entendue en Dt 33,22. Jg 5,17 mentionne Dan en lien avec des navires. En réalité, il est délicat de déterminer le statut de Dan à partir de quatre mots : ‫ודן למה יגור אניות‬ (et Dan pourquoi séjourne-t-il sur des navires ?). L’examen d’une relation entre Dan et les Danai en bordure de la Méditerranée n’a pas permis de les localiser au même endroit. Bartusch a vu deux déductions possibles de la plus ancienne sentence sur Dan en Jg 5,17 : Dan peut être en relation économique avec les païens, ce qui l’empêche de participer à la bataille décrite dans le chant de Débora ; ou la tribu de Dan n’a pas de territoire propre309. On pencherait plutôt en faveur de la première hypothèse. Il est possible que la tribu de Dan entretienne des relations économiques avec les païens, soit au nord avec les Phéniciens, soit au sud avec les Philistins, mais il est impossible de conclure que Dan ne possède pas de territoire en s’appuyant sur Jg 5,17. Westermann considère que les vv.16-17 sont en résonance avec le livre des Juges où la tribu de Dan joue un rôle important ; et fixe l’origine de 306

M.W. BARTUSCH 2003, 70. F.M. CROSS, D.N. FREEDMAN 1975, 199 ; la même proposition est également donnée par P.C. CRAIGIE 1976, 401. 308 M.W. BARTUSCH 2003, 70-71. 309 Cf. M.W. BARTUSCH 2003, 136. 307

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CHAPITRE IV

la parole sur Dan à l’époque des Juges310. Na’aman compare l’histoire de Mika en Jg 17–18 et celle du roi Jéroboam I en 1 R 11,26 et 1 R 12,28-31 pour montrer que la première a été rédigée non seulement contre le culte et les lieux de culte du Royaume du Nord, mais aussi contre leur fondateur, Jéroboam I. Comme la conquête de Dan en Jg 18 comporte peu de vocabulaire deutéronomiste, il en conclut que Jg 17–18 est une rédaction post-D, datée de l’époque postexilique311. La recherche de Na’aman conduit d’une part à remarquer que Jg 17–18 n’a pas été écrit en faveur de la tribu de Dan et, d’autre part, à considérer comme vraisemblablement tardive la rédaction de ces deux chapitres. Il est difficile de retenir la proposition de Westermann s’appuyant sur le seul livre des Juges pour dater Gn 49,16-17. Bartusch considère que les paroles positives sur Dan datent de la période de la monarchie unie312. Cette observation ne met pas particulièrement en valeur le rôle spécifique de Dan que Gn 49,16-17 veut souligner. Macchi situe Dan à Tel Dan au Nord d’Israël et note l’instabilité de cette cité à l’époque monarchique, ce qui correspond bien à la situation de la tribu de Dan décrite en Gn 49,16-17313. Il situe les deux versets à l’époque du royaume du Nord et les interprète « comme le reflet de la volonté du pouvoir de Samarie d’affirmer d’une part le caractère israélite de la ville (v.16) et d’autre part sa fonction de verrou frontalier (v.17)314 ». Cette remarque semble assez pertinente. S’il est difficile de localiser la tribu de Dan, à l’emplacement de la ville de Tel Dan – l’ancien sanctuaire du Nord, est particulièrement prouvé. Nos observations ont montré que Gn 49,16-17 est en cohérence avec une « mémoire » de toutes les traditions anciennes du Nord concernant la tribu de Dan : le v.16 pourrait affirmer l’appartenance à Israël de la tribu de Dan, et même de la ville de Tel Dan, en tenant compte du récit en 1 R 12 et Jg 18, et de la métaphore du v.17 reprenant ‫ בשן‬au sens de « serpent » de Dt 33,22. Le rédacteur des paroles de Jacob sur ses douze fils a intégré des paroles anciennes qui correspondent à toutes les traditions bibliques sur la tribu de Dan. d. Le v.18 (‫)לישועתך קויתי יהוה‬, à Jacob ou à Dan ? Ajout ou continuité ? Le personnage de Jacob est très impliqué dans ce testament sur ses douze fils315 : ‫( בכרי‬mon premier-né), ‫( כחי‬ma vigueur), ‫( אוני‬ma virilité) 310

C. WESTERMANN 1987, 235. N. NA’AMAN 2005, 48-55. 312 M.W. BARTUSCH 2003, 33. 313 J.D. MACCHI 1999, 161. 314 J.D. MACCHI 1999, 162-163. 315 Nous comprenons le v.7 comme une parole du Seigneur : ‫( אחלקם‬je les répartirai), ‫( ואפיצם‬et je les disperserai). 311

ANALYSE LITTÉRAIRE DE GN 49

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au v.3 ; ‫( נפשי‬ma personne), ‫( כבדי‬ma gloire) au v.6 ; ‫( בני‬mon fils) au v.9. L’imploration de Jacob, ‫( לישועתך קויתי יהוה‬en ton salut, j’espère, YHWH), est proche de ‫( שברתי לישועתך יהוה‬j’espère ton salut, YHWH, Ps 119,166). Deux expressions similaires se retrouvent en ‫( יהוה הוחלתי‬J’espère en toi, YHWH, Ps 38,16), et en ‫( קויתי אדני תוחלתי לך‬J’attends le Seigneur, mon espérance est en toi, Ps 39,8). Malgré des variantes mineures, Gn 49,18 dans le TM passe pour une prière de confiance de Jacob. Mais Wenham remarque qu’une telle rupture est inattendue ici316. La leçon de la LXX – τὴν σωτηρίαν περιμένων Κυρίου (il attend le salut du Seigneur) ne s’applique pas à Jacob, mais s’inscrit dans la continuité des vv.16-17, la sentence sur Dan. Ces remarques posent la question de la rédaction du v.18 dans le TM : est-ce un ajout ? À part Gn 38,7.10 ; 39,2.3.5.21.23, c’est la dernière fois dans le cycle de Joseph, et dans le livre de la Genèse, qu’apparaît le tétragramme : ‫יהוה‬. Cet argument à conduit Westermann à considérer ce verset comme « a marginal note added to the whole collection of sayings by a reader in the exilic or postexilic period317 ». Par ailleurs, le mot ‫ ישועה‬dont l’agent est le Seigneur se trouve en majorité en Is (33,2 ; 52,7.10 ; 59,11 ; 60,18) et en Ps (3,3.9 ;14,7 = 53,7 ; 22,2 ; 35,3 ; 62,2 ; 69,30 ; 70,5) et le verbe ‫קוה‬ (espérer) se trouve également en majorité dans les Psaumes (25,3.5.21 ; 27,14 ; 37,9.34 ; 39,7 ; 40,1 ; 52,9 ; 56,6 ; 119,95 ; 130,5) et en Is (25,9 ; 26,28 ; 33,2 ; 40,31 ; 49,23), et les deux verbes ‫ ישועה‬et ‫קוה‬, au v.18, sont un cas unique dans le Pentateuque. Ce verset apparaît plutôt comme un ajout dans le TM, alors que la LXX a dû effectuer un remaniement pour la continuité de la sentence sur Dan aux vv.16-17. L’analyse des vocables employés conforte la position de Westermann en faveur d’une rédaction tardive du v.18. Pourquoi ce verset a-t-il été inséré juste après la sentence sur Dan ? Les analyses ont montré que la tribu de Dan pouvait exercer le jugement comme Dieu ou le roi (v.16) et vaincre dans un combat inégal. Arbeitman remarque que l’origine de Dan (Jg 17–18) et son histoire (1 R 12 et Am 8,14) ont un lien avec l’idolâtrie318. Il est possible que le rédacteur du v.18 ait voulu évoquer la relation entre Dan et le Seigneur et minimiser le rôle propre de Dan en exprimant son espérance dans le Seigneur. Cela peut « corriger » la tendance idolâtrique imputée à Dan, selon Jg 17–18. Le v.18 pourrait être ainsi une réponse personnalisée à la « surévaluation » de Dan ressortant des vv.16-17. 316 317 318

G.J. WENHAM 1994, 481. C. WESTERMANN 1987, 235. Y.L. ARBEITMAN 1994, 9-14.

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CHAPITRE IV

2.4.4. Gad (v.19) a. L’analyse littéraire du verset Ce verset consiste en un jeu de mots sur le nom de ‫( גד‬Gad) et la racine ‫גד‬, quatre fois sur six mots. Deux réalités y sont présentées : le v.19a décrit la situation à laquelle Gad doit faire face, et le v.19b est introduit par un ‫ ו‬qui décrit un renversement de situation. ‫גד גדוד יגודנו‬19a ‫והוא יגד עקב׃‬19b

Le nom de Gad, « chance/fortune », provient de Gn 30,11, une acclamation de Léa : ‫( בגד‬par chance) ou ‫( בא גד‬est venue une chance). Caquot note le parallélisme des jeux de mots sur Gad et sur Dan : ‫ גד גדוד‬// ‫דן ידין‬. Il les appelle « une devise »319. Le lien interne entre les deux sentences sera examiné plus loin. ‫ גדוד‬peut avoir plusieurs significations : 1) il désigne une « bande » au sens négatif (1 Ch 12,22 ; 2 Ch 22,1 ; 1 R 11,24) ; 2) il désigne également les armées de royaumes étrangers : les Amalécites (1 S 30,8.15(×2).23), les Araméens (2 R 5,2 ; 6,23), les Moabites (2 R 13,20.21), les armées associées des Chaldéens, des Moabites, des Araméens et des Ammonites (2 R 24,2) et aussi les armées royales des Israélites ou des Judéens (1 Ch 7,4 ; 12,19 ; 2 Ch 25,9.10.13 ; 26,11) ; 3) une formation militaire au sens général comme en Jb 29,25 par l’expression ‫( כמלך בגדוד‬comme un roi dans la troupe) ou ‫( בת־גדוד‬fille de troupe) en Mi 4,14. Il est difficile de déterminer quel type de ‫גדוד‬ attaque Gad. Les deux verbes, ‫( יגודנו‬s’attroupe contre lui) et ‫( יגד‬s’attroupe), sont issus de la racine ‫ גדד‬d’où est tiré ‫גד‬. Le même usage se trouve en Ha 3,16 avec ‫יגודנו‬. Le prophète Habaquq décrit une situation de guerre où un peuple attaque les Judéens. Dans le même sens, le v.19 décrit Gad attaqué par une troupe ainsi que sa réaction. L’emploi du mot ‫( עקב‬talon) renvoie au v.17, ‫( עקבי‬les talons de). Ce sens « talon » se trouve également en Gn 3,15 ; 25,26 ; Jb 18,9 et Ps 41,9. Macchi320 remarque pertinemment que le v.19 décrit une situation de guerre et qu’il faut retenir le sens d’« arrière-garde » comme en Jos 8,13, ‫עקבו‬ (son arrière-garde), qui décrit le dispositif de l’armée pour la conquête 319 320

A. CAQUOT 1976, 13. J.D. MACCHI 1999, 165.

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de la ville de Aï. Les deux interprétations, « talon » ou « arrière-garde », sont acceptables : le premier renvoie à la sphère symbolique ; et le deuxième touche la réalité militaire. Par ailleurs, les Gadites sont reconnus pour leur valeur militaire selon 1 Ch 5,18 et 12,9. La critique textuelle a noté une mauvaise coupure des mots : la préposition du ‫ מ‬au début du v.20 doit être replacée à la fin du v.19. Cette correction textuelle se justifie doublement. Le nom ‫( אשר‬Aser) au début d’un verset ne peut être précédé d’une préposition. Le v.19 évoque une troupe (‫ )גדוד‬qui renvoie à une pluralité ; en conséquence, il est tout à fait admissible que ‫ עקבם‬soit construit avec le suffixe pluriel. Le verset évoque-t-il une guerre que la tribu de Gad aurait menée et gagnée ? b. Une source extra-biblique, la stèle de Mésha ? Nb 32 décrit le partage de la Transjordanie entre Gad, Ruben et la moitié de la tribu de Manassé (Nb 32,33)321. Dt 3 rapporte les mêmes traditions littéraires transjordaniennes en confirmant la localisation de Gad en Transjordanie (Dt 3,12-13). Jos 13,24-28, très tardif comme l’ensemble des chapitres de Jos 13–22, mentionnent également l’installation de Gad en Transjordanie. On peut y voir la « mémoire » d’une occupation transjordanienne sous les Omrides322. Compte tenu des incertitudes des textes bibliques sur la localisation géographique exacte de la tribu de Gad, la découverte de la stèle de Mésha, datée du milieu du IXe s. av. J.-C. constitue une source extra-biblique intéressante. Les lignes 10-11 concernent et Gad : L’homme de Gad (‫ )ואש גד‬demeurait dans le pays d’Atarot (‫)בארץ עטרת‬ depuis longtemps, et le roi d’I11sraël avait construit Atarot (‫ )עטרת‬pour luimême. J’attaquai la ville et je la pris. Je tuai tout le peuple de la ville pour réjouir Kamosh et Moab323.

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Nb 32,34 mentionne Atarot (‫ )עטרת‬et les villes reconstruites par les fils de Gad. Cette source extra-biblique confirme l’appartenance de cette tribu à Israël et son installation transjordanienne. Comme Macchi l’a remarqué : « la stèle de Mésha témoigne de la forte implication de Gad dans le conflit israélito-moabite de l’époque omride324 ». Les sources bibliques et la stèle 321 Notons que ce dernier élément (la moitié de Manassé) est inséré tardivement dans le texte, et repris à Dt 3,12b-20. 322 I. FINKELSTEIN, T. RÖMER 2016, 722-724. 323 Cette traduction est proposée sur le site : https://fr.wikipedia.org/wiki/St%C3%A8le_ de_Mesha. 324 J.D. MACCHI 1999, 168.

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CHAPITRE IV

de Mésha coïncident, suggérant que la tradition de la sentence sur Gad peut remonter à l’époque omride au IXe s. av. J.-C. Une difficulté réside dans la contradiction entre le succès évoqué en Gn 49,19 et la défaite de Gad mentionnée sur la stèle de Mésha. Or la même histoire est relatée très différemment en 2 R 3,4-27 mettant l’accent sur la victoire des Israélites. On doit distinguer une tradition ancienne sur le lien Gad-Transjordanie et l’intégration de ces traditions anciennes dans des récits deutéronomistes (Dt 3) ou plus tardifs (Nb 32 ; Jos 13). Auparavant examinons les autres sentences tribales concernant Gad. c. Les sentences tribales sur Gad Notre analyse littéraire a montré que Gn 49,19 décrit particulièrement la force de Gad au combat dans la lignée de Dt 33,20 qui emploie la métaphore du lion. Le point commun de ces deux sentences réside dans l’éloge du courage de la tribu de Gad. Jg 5,17a n’a pas évoqué Gad, mais le territoire de Galaad qui se trouve en Transjordanie : ‫( גלעד בעבר הירדן שכן‬Galaad demeure au-delà du Jourdain). Cette désignation semble faire référence à Jg 11 introduit par ‫ויפתח‬ ‫( הגלעדי‬et Jephté le Galaadite) et racontant l’histoire de la guerre entre les Galaadites et les fils d’Ammon. Le récit dévoile le motif de la guerre relatée en Jg 11,13 qui renvoie à la conquête de la Transjordanie en Nb 32 et Dt 3. Ainsi, Jg 11 confirme la localisation de Gad/Galaad en Transjordanie. Jg 12,1-7 relate qu’à la suite de la guerre avec les Ammonites (Jg 11), les Galaadites entrent en guerre contre les Ephraïmites. Ainsi, Jg 11 et Jg 12,1-17 fournissent les contextes textuels de Gn 49,19, et font remonter à une tradition ancienne la présence de Gad en Transjordanie pour reformuler la louange de cette tribu.325 Jg 5,17a mentionne non seulement la localisation de Galaad, mais aussi une sentence de critique envers ce dernier parmi des paroles de critiques envers Ruben – Galaad – Dan – Aser (Jg 5,15b-17). Sur ce point, Gn 49,19 est plus proche de Dt 33,20 décrivant l’aptitude de Gad pour la guerre. Les traditions bibliques et la stèle de Mésha attestent l’installation de la tribu de Gad en Transjordanie, qui a affronté Ammon et Moab. Cet 325 En général, Gad est le nom du groupe et Galaad correspond au territoire (Jg 10,18 et Jg 11,8) occupé par les Gadites (Nb 32,1). Mais le personnage Galaad existe et est cité par Nb 26,29 : « Les fils de Manassé : pour Makir, le clan Makirite ; et Makir engendra Galaad : pour Galaad, le clan Galaadite ». Makir, le premier fils de Manassé a le Galaad et le Bashân comme territoire (Jos 17,1). Il a pour petit-fils Çelophehad dont le patrimoine est en Cisjordanie (Jos 17,5). De même, Jg 11,1 fait mention d’un personnage nommé Galaad qui a engendré Jephté. En résumé, le mot Galaad est ambigu.

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épisode attesté par la littérature extra-biblique constitue une tradition ancienne sous-jacente au texte étudié. 2.4.5. Asher (v.20) a. L’analyse littéraire du verset Ce verset contient deux éléments : le v.20a décrit la production d’Asher et le v.20b indique l’usage. La préposition ‫ מן‬au début du verset a été étudiée avec v.19b, au point que ce verset débute effectivement par le nome d’Asher (‫ )אשר‬: ‫אשר שמנה לחמו‬20a :‫והוא יתן מעדני־מלך‬20b

Asher est le deuxième fils de Zilpa, la servante de Léa, et son nom provient d’une acclamation de cette dernière en Gn 30,13 sur le bonheur que lui apporte la naissance d’Asher : ‫( באשרי‬pour mon bonheur). Selon Gunkel326, de Pury, Römer et Schmid327, la richesse d’Asher au v.20 est un jeu de mots avec son nom ‫אשר‬. Le mot ‫ שמנה‬est lu par Wenham328 et Westermann329 comme un adjectif féminin pour décrire le pain, « Asher, son pain (est) gras ». Dt 33,24 évoque la richesse d’Asher en disant qu’il plonge ses pieds dans l’huile (‫)וטבל בשמן רגלו‬. La racine ‫ שמן‬évoque la fertilité. Le v.20 décrit un aspect positif d’Asher330. Le pronom ‫( והוא‬et lui) se trouve également aux v.13 et v.19. Le mot ‫( מעדן‬friandise ou gâteaux) est très rare dans la BH. Au pluriel ‫האכלים‬ ‫( למעדנים‬ceux qui mangeaient des friandises) en Lm 4,5, il décrit la richesse de la nourriture. Pr 29,17 l’emploie pour décrire les biens spirituels que le fils reçoit d’une bonne éducation : ‫( ויתן מעדנים לנפשך‬et il donnera des choses délicieuses à ton être). La description d’Asher dans ce verset oriente vers les biens matériels. Quant à donner des gâteaux royaux, Wenham écrit qu’il est difficile de déterminer s’il s’agit d’un compliment ou d’une critique, soulignant simplement l’influence de la tribu d’Asher331. Nous allons essayer d’éclairer ce point. 326

H. GUNKEL 1997, 459. Dans leur commentaire sur Gn, ils écrivent : « Le caractère positif de la parole en faveur d’Aser est certainement dû au fait qu’elle s’inspire de la signification de son nom, à savoir ‘bonheur’ », A. de PURY, T. RÖMER, K. SCHMID 2016, 259. 328 G.J. WENHAM 1994, 482. 329 C. WESTERMANN 1987, 236. 330 C. WESTERMANN 1987, 236. 331 G.J. WENHAM 1994, 482. 327

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CHAPITRE IV

b. La parole sur Asher, un compliment ou une critique ? Jg 1,32 mentionne les Ashérites parmi les Cananéens. Selon la description de Jos 19,24-31, la tribu d’Asher est établie au sud des Phéniciens. Le v.20 insiste sur ‫( שמנה‬la graisse), renvoyant à la culture de l’olive, et ‫( לחמו‬son pain) évoque les récoltes de blé, et l’ensemble de ces références bibliques orientent le déplacement de cette tribu vers « la fertile OuestGalilée »332. De plus, Jg 5,17c mentionne Asher comme celui qui est à côté de la mer : ‫( אשר ישב לחוף ימים ועל מפרציו ישכון‬Asher habite au rivage des mers et demeure près de ses ports). Toutes les références suggèrent des traditions anciennes, peut-être pré-monarchiques, sur Asher. Ce dernier possède une agriculture prospère et il est tout à fait possible qu’il se trouve dans la fertile Ouest-Galilée et au bord de la Méditerranée. Wenham interprète la richesse d’Asher comme le résultat de ses relations commerciales avec les Cananéens et les Phéniciens333. Gunkel remarque que les produits parviennent au roi des Phéniciens en Ez 27,17334. Il faut noter que ce passage désigne l’action de Juda et du pays d’Israël sans mentionner spécifiquement Asher ; et l’élément ‫( שמן‬l’huile) est fréquent dans les échanges commerciaux335. Nous pouvons maintenant nous poser la question suivante : les gâteaux royaux d’Asher sont-ils fournis au roi des Phéniciens, à celui des Cananéens ou à celui des Israélites ? Caquot et Macchi font le rapprochement entre Asher et Issachar avec deux conclusions différentes : selon Caquot, la sentence sur Asher est plutôt « une discrète raillerie »336 qui rappelle que sa richesse a profité à un autre : le roi de Jérusalem. En revanche, Macchi interprète le v.20 dans un sens positif, comme une référence à « l’approvisionnement de la cour israélite »337. Entre Issachar et Asher les constructions sont similaires : le début de leur sentence décrit la situation de la tribu (vv.14-15a // v.20a), et la fin évoque la contribution royale qui leur est imposée (v.15a // v.20b). Il est plus difficile d’y voir un échange commercial entre Asher et les pays étrangers, ou un rapport avec Jérusalem au sud du territoire israélite, car le v.20b met plutôt l’accent sur la valeur de ce que produit Asher. 332 Macchi a listé les mêmes éléments pour atteindre la même conclusion géographique, J.D. MACCHI 1999, 171. 333 G.J. WENHAM 1994, 482. 334 H. GUNKEL 1997, 459. 335 Un commerce important d’huile d’olive avec Chypre est prouvé par les fouilles de Tell Keisan en basse Galilée au Fer II C, cf. J. BRIEND, J.B. HUMBERT 1980. Voir l’importance commerciale de Tell Abbu Havam au Bronze Récent, cf. S. EPHRAÏM, A. JOSEPH, G. HILLEL, P. ALAN 2008, 1553-1554. 336 A. CAQUOT 1976, 13. 337 J.D. MACCHI 1999, 172-173.

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Nous rejoignons la conclusion de Macchi : « le contexte le plus probable pour ce verset se situe dans les milieux de la cour de Samarie durant l’époque de la domination de la Galilée par le royaume d’Israël338 ». Ces recherches montrent que Gn 49,20 est en cohérence avec les traditions anciennes sur Asher et sa richesse. Nous verrons plus tard le rôle de ce rapprochement entre Asher et Issachar dans la construction de ces six tribus. 2.4.6. Nephtali (v.21) a. L’analyse littéraire du verset Ce verset pourrait être divisé en deux parties : la première comporte une métaphore sur Nephtali ; et la deuxième partie se concentre sur ce qu’il fait. Mais, nous devons reconnaître qu’il reste obscur. ‫נפתלי אילה שלחה‬21a ‫הנתן אמרי־שפר‬21b

Nephtali est le deuxième fils de Bilha, la servante de Rachel, et son nom provient d’une parole de cette dernière en Gn 30,8 : ‫נפתולי אלהים נפתלתי‬ ‫( עם־אחתי‬des combats de Dieu, j’ai combattu avec ma sœur), le nom ‫נפתלי‬ prend alors le sens de combat. La critique textuelle a noté que le mot ‫ אילה‬pourrait se comprendre diversement : ‫( ֵא ָלה‬arbre massif) et ‫( ַאיִ ל‬arbre puissant), Westermann mentionne également le mot ‫ילה‬ ָ ‫א‬, ֵ « le térébinthe »339. Cette dérivation explique la leçon de la LXX : στέλεχος (tronc). Une recherche de concordance mène aux passages suivants : – ‫ אילה‬désigne une biche en Jb 39,1 ; Ct 2,7 ; 3,5 et Jr 14,5 ; – 2 S 22,34 (‫רגליו כאילות‬, mes pieds comme les biches), Ps 18,34 (‫רגלי‬ ‫כאילות‬, mes pieds comme les biches) et Ha 3,19 (‫ )רגלי כאילות‬décrivent la force des pieds comme ceux de la biche dans le même contexte de prière ; – Pr 5,19 (‫אילת אהבים‬, biche amoureuse) utilise la métaphore de la biche pour faire une description de la bonté de la femme. L’emploi de la racine ‫איל‬/‫ אול‬au sens métaphorique est toujours positif. Wenham retient la traduction « biche » par le fait qu’elle « makes sense and requires no repointing340 ». Le sens de « biche » en raison de la 338 339 340

J.D. MACCHI 1999, 173. C. WESTERMANN 1987, 236. G.J. WENHAM 1994, 483.

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CHAPITRE IV

présence de la métaphore animale en Gn 49,9.14.17.27, et il est tout à fait possible que le v.21 participe de cette composition métaphorique. Cette métaphore est plus cohérente avec le v.21b. Ensuite, Gunkel lit ‫ שלחה‬au sens d’« agile », ce qui suggère la liberté de mouvement (cf. Jb 39,5)341. Westermann suppose également dans ce verset l’éloge du dynamisme ou de la liberté de la tribu de Nephtali342. En revanche, Caquot insiste sur l’aspect d’« envoyée » comme messagère, et il indique que « Nephtali n’est plus une tribu libre, il est lui aussi contraint au service343 ». Notre analyse devra tenir compte de tous les éléments. Gevirtz propose un sens inhabituel à ‫ שלחה‬: « être né » (Jb 21,11 et 39,3) en parallèle avec ‫ נתן‬au sens de « donner », évoquant « donner (la) naissance »344. Ce parallélisme entre ‫ שלחה‬et ‫ נתן‬est également soutenu par Hamilton qui traduit ‫ אילה שלחה‬par « une biche féconde »345. Il faut noter toutefois que Jb 21,11 (‫ישלחו‬, ils laissent aller) et Jb 39,3 (‫תשלחנה‬, elles acquittent) emploient la racine ‫ שלח‬au piel ; Gn 49,21 l’utilise au participe passif qal, : leurs usages sont différents. De plus, les deux emplois en Jb vont plutôt dans le sens d’« envoyer » que dans celui de « faire naître ». Il est difficile de retenir la proposition de Gevirtz et d’Hamilton. En gardant l’usage habituel du verbe ‫( שלח‬envoyer) sans nuance interprétative, l’expression ‫ אילה שלחה‬pourrait donc être rendue par « une biche envoyée ». Le mot ‫( הנתן‬au participe présent qal), ne correspondant pas à l’emploi au féminin de ‫ אילה‬au v.21a, Eißfeldt dans la BHS propose la forme féminine ‫נתןה‬. La forme ‫ הנתן‬fait référence au personnage de Nephtali, et non à la biche. Le v.21b ne désigne plus la métaphore animale, mais une parole adressée à Nephtali. Il est possible de comprendre que le mot construit ‫ אמרי‬désigne « les paroles », et ‫ שפר‬désigne « la beauté ». Il est possible d’interpréter le v.21b comme une louange à Nephtali qui « donne des paroles de beauté ». Mais la cohérence de la « biche » renvoie à une autre lecture. Gevirtz rapproche le mot ‫ אמרי‬de l’akkadien immeru, de l’araméen ‫אמרא‬, de l’ougaritique imr, et du punique ‘mr qui désignent « l’agneau ». L’expression ‫ אמרי־שפר‬signifie alors « (des) agneaux du troupeau » 346. Andersen lit ‫ אמרי־שפר‬d’après l’akkadien immir supuri et il traduit le v.21 : « Nephtali est une biche libérée et les agneaux du troupeau sont 341 342 343 344 345 346

H. GUNKEL 1997, 459. C. WESTERMANN 1987, 236. A. CAQUOT 1976, 13. S. GEVIRTZ 1984, 518-519. V.P. HAMILTON 1995, 675. S. GEVIRTZ 1984, 515.

ANALYSE LITTÉRAIRE DE GN 49

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vendus347 ». Leur proposition est intéressante, mais difficile à justifier. Le sens du mot ‫( שפר‬troupeau) par rapprochement avec différentes langues anciennes du POA semble reposer sur une base fragile. Gunkel propose de lire ‫( אמירי‬agneaux) au lieu de ‫( אמרי‬des paroles de)348. Wenham estime que ‫ אמר‬peut désigner la progéniture de la biche, le v.21b signifiant que cette dernière donne naissance aux agneaux du troupeau, Nephtali passant ainsi de la liberté originelle à un style de vie domestique plus sédentaire349. Pour cela, Macchi accorde le participe féminin à une forme défective de ‫ נתן‬- ‫( הנתנ‬celle qui donne). Il se rallie à la proposition de Gunkel en comprenant ‫ אמרי‬comme ‫( אמירי‬agneaux). Il traduit ainsi le v.21b : « celle qui donne de beaux agneaux »350. Cette proposition de Macchi est assez séduisante par la cohérence de la métaphore sur Nephtali et sa fidélité au TM. L’analyse du v.21 oriente vers une description positive de Nephtali : il doit porter du fruit. La LXX qui témoigne d’une métaphore végétale demeure cohérente avec le TM en donnant une vision positive de cette tribu. b. Les sentences tribales sur Nephtali Les diverses propositions d’interprétation du verset en ont montré la difficulté. Il reste à examiner les différentes hypothèses sur le contexte historique de sa rédaction en confrontant ces différentes interprétations. Ayant opté pour une interprétation positive de Nephtali, on doit examiner les autres sentences tribales en vue d’un lien avec Gn 49,21. D’après Jos 19,32-39, la tribu de Nephtali se trouve à l’est d’Asher et au nord de Zabulon et d’Issachar, jusqu’à la frontière Nord du territoire d’Israël. Jg 1,33 précise que cette tribu s’installe parmi les Cananéens. Cette position géographique près d’Asher et d’Issachar laisse supposer que Nephtali apporte sa contribution au royaume du Nord, interprétation sousentendue par la leçon de la LXX : « Nephtali, tronc exubérant, qui donne de la beauté par son fruit ». Dans ce cas, Gn 49,21 est mis en parallèle avec Gn 49,14-15 et Gn 49,20. Le territoire de Nephtali également frontalier de Zabulon peut faire l’objet des mêmes louanges. Mais les bénéfices de ces rapprochements géographiques restent fragiles. 347

F.I. ANDERSEN 1970, 44 ; 123. H. GUNKEL 19997, 459. 349 G.J. WENHAM 1994, 483. 350 J.D. MACCHI 1999, 173-177. L’analyse littéraire s’ajusterait à la traduction fondée sur la critique textuelle. 348

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CHAPITRE IV

En outre, l’éloge de la tribu de Nephtali en Dt 33,23 est fondé sur trois éléments : elle est rassasiée de faveur (‫ ; )שבע רצון‬elle est comblée de la bénédiction de Dieu (‫ ; )ומלא ברכת יהוה‬et elle possède le sud et l’ouest (‫)ים ודרום ירשה‬. Cette louange suggère sa prospérité. Jg 5,18b décrit simplement la position de Nephtali sur la hauteur : ‫( ונפתלי על מרומי שדה‬et Nephtali sur les hauteurs de la campagne), ce qui explique la métaphore de la biche sur les hauteurs qu’elle parcourt avec agilité. Comme le v.18a fait la louange de la tribu de Zabulon, il est tout à fait possible d’interpréter la liaison ‫ ו‬du v.18b par « ainsi ». La tribu de Nephtali se trouve comprise dans la louange du chant de Débora. Ce verset évoque « les hauteurs » ce qui explique l’image de la biche agile de Gn 49,21. Les trois sentences concernant la tribu de Nephtali sont cohérentes et élogieuses, et Dt 33,23 et Gn 49,21 soulignent sa prospérité. Il importe de noter que le verbe ‫ נתן‬au qal n’est employé qu’en Gn 49 aux v.20 et v.21 pour décrire la postérité d’Asher et de Nephtali. La sentence sur Nephtali telle qu’elle est présentée en Gn 49,21 peut refléter une domination du royaume du Nord. 2.4.7. La construction des six tribus Les paroles sur les six petites tribus sont insérées au milieu des deux plus importantes sentences de Gn 49 : sur Juda aux vv.8-12 et sur Joseph aux vv.22-26. L’unité des vv.1b-7 sur la malédiction de trois premières tribus a déjà été soulignée, qu’est-ce qui peut relier ces six tribus ? Apparaissent deux formes différentes : d’abord, trois métaphores animales différentes sont employées : pour Issachar un âne au v.14 ; pour Dan un serpent au v.17 et pour Nephtali une biche au v.21. Pour les trois autres tribus, Zabulon – Gad – Asher, le même mot ‫ והוא‬est employé aux vv.13.19.20. Hormis le v.18 susceptible d’être une insertion secondaire, le v.15 est complémentaire à celui d’Issachar et le v.16 est celui de Dan. En conséquence, ces deux dernières tribus forment un modèle bipartite (Issachar : vv.14-15 et Dan : vv.16-17). En étudiant les jeux de mots du v.16 sur Dan et du v.19 sur Gad, Caquot conclut que « ces deux versets semblent sortis du même moule et se rapprochent le plus de ce que nous appelons une devise351 ». En outre, le même mot ‫( עקב‬talon) est utilisée aux v.17b et v.19b. Ils décrivent le caractère guerrier de ces deux tribus. 351

A. CAQUOT 1976, 13.

ANALYSE LITTÉRAIRE DE GN 49

275

Et le parallélisme entre la sentence sur Issachar (vv.14-15) et celle sur Asher (v.20) décrit leur richesse et l’usage qui en est fait. Macchi les présente selon une structure de type chiastique352 ordonnée selon le sujet évoqué : A

B

Issachar

C Dan C’ Gad B’ Asher

Zabulon impôt guerre guerre impôt A’ Nephtali

commerce

commerce

(discours direct) (métaphore) (métaphore) (discours direct) (discours direct) (métaphore)

Cette composition éclaire et redonne cohérence aux divers éléments demeurés obscurs de Gn 49,13-21. On s’accorde sur deux parallèles : B//B’ et C//C’, établis respectivement sur les offrandes fournies par Issachar et Asher, et sur le caractère guerrier de Dan et de Gad. En revanche, nos analyses de la sentence sur Nephtali ne permettent pas d’en déduire un quelconque lien commercial ; cette sentence semble plus proche de celle sur Asher. Nous proposerons donc une autre structure fondée principalement sur les vocables employés en intégrant les données de nos analyses ci-dessus : Zabulon : v.13 Issachar : v.14 v.15 Dan : v.16 : ‫דן ידין‬ v.17 : ‫( עקבי‬les talons) Gad : v.19a : ‫גד גדוד יגודנו‬ v.19b : ‫( עקב‬talon) Asher : v.20 Nephtali : v.21

‫והוא‬ (métaphore) 4 stiques (métaphore) 4 stiques ‫והוא‬ ‫והוא‬ (métaphore)

‫יתן‬ ‫הנתן‬

Cette structure appelle les observations suivantes : – le parallélisme entre Dan et Gad est le plus évident parmi les paroles sur les six tribus ; – ce qui est dit d’Issachar, d’Asher et de Nephtali va dans le même sens, évoquant la prospérité et un apport contributif. La deuxième partie de la sentence sur Issachar (v.15) contient quatre stiques ayant la même construction que celle de Dan (v.17). La sentence sur Asher est parallèle par le sens à celle d’Issachar, et le mot ‫ והוא‬la rapproche de celle de Gad. Notons que Nephtali ne partage pas seulement la même 352

J.D. MACCHI 1999, 180.

276

CHAPITRE IV

signification avec Issachar et Asher, mais aussi l’emploi de la racine ‫ נתן‬pour être en cohérence avec Asher ; – enfin, la sentence sur Zabulon emploie ‫ והוא‬pour se relier à celles de Gad et d’Asher dépourvues de métaphore animale. Nos remarques conduisent à la conclusion qu’un seul rédacteur a délibérément réuni ensemble les six sentences, qui pouvaient être indépendantes à l’origine, pour constituer une unité faisant l’éloge des six tribus dont les qualités se répartissent en trois catégories, soulignées également par Macchi : – la parole sur Zabulon évoque son aptitude commerciale ; – Issachar, Asher, Nephtali sont signalés par leur prospérité et leur fécondité ; – enfin, Dan et Gad sont connus pour leur combativité. 2.4.8. Bilan À la différence de Ruben, Siméon, Lévi, Juda, Joseph et Benjamin qui jouent chacun individuellement un rôle dans le cycle de Jacob et de Joseph, ces six personnages se présentent comme une collectivité sans tenir un rôle individuel particulier. L’unité de composition des sentences sur les six fils qui contiennent les éléments très anciens incorporés dans la présentation du Royaume du Nord suggère l’intervention d’un rédacteur unique les rassemblant dans la péricope de Gn 49,13-21 en tenant en compte de Jg 5 et Dt 33. Les sentences sur les six tribus reflètent des traditions anciennes sur la domination du territoire du Nord d’Israël353. La relation avec les étrangers n’y intervient plus. Ainsi, l’interprétation de Lindblom des « poèmes épigrammatiques » semble bien inadéquate, puisque le rédacteur a mis l’ensemble des six tribus en valeur selon les différentes dimensions, commerciale, agricole et militaire, que nous récapitulons : Personnage concerné Zabulon (v.13) Issachar (vv.14-15) Dan (vv.16-17) Gad (v.19) Asher (v.20) Nephtali (v.21)

Passages allusif Jg 5,17b ; Dt 33,19b Jg 5,16a Jg 18 ; Dt 33,22 Dt 33,20 Dt 33,24 Jg 5,18b ; Dt 33,23

353 Le territoire de Gad se situe en Transjordanie, mais il garde la mémoire d’une occupation transjordanienne sous les Omrides, par le royaume du Nord, I. FINKELSTEIN, T. RÖMER 2016, 711-727.

ANALYSE LITTÉRAIRE DE GN 49

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Restent à analyser les sentences concernant les deux derniers fils de Jacob – Joseph et Benjamin – qui jouent un rôle déterminant dans le cycle de Joseph. 2.5. Joseph (vv.22-26) Nous avons observé qu’en Gn 49 les paroles sur Joseph et celles sur Juda constituaient deux sentences tribales principales se distinguant des autres par leur longueur et leur contenu. Twersky354 interprète Gn 49 comme fondateur de la monarchie (Juda) et du sacerdoce (Joseph) israélites. Nous avons vu la position royale de la sentence sur Juda, il reste à vérifier la dimension de consécration au Dieu de Joseph, spécialement le sens du ‫נזיר‬ traduit souvent par « consacré »355. Selon les thèmes, nous avons repéré quatre parties dans la sentence sur Joseph : le v.22 présente une métaphore, les vv.23-24a soulignent son caractère guerrier, les vv.24b-25a contiennent diverses invocations du Seigneur, et enfin, les vv.25b-26 rassemblent une série de bénédictions sur Joseph356. Notre étude comportera trois étapes : une analyse littéraire détaillée, puis une comparaison entre Gn 49,22-26 et Dt 33,13-17 qui permettra enfin d’établir une hypothèse sur la composition de cette sentence. 2.5.1. Les analyses détaillées a. v.22 : une métaphore végétale ou animale ? Selon le TM, nous pouvons remarquer qu’une métaphore est introduite par l’expression ‫ בן פרת‬répétée deux fois et un parallélisme entre ‫עלי־עין‬ et ‫עלי־שור‬. Ce verset pourrait être découpé en 3 : 4 : 4. 354 G. TWERSKY 2019, 317-333. Il donne quelques arguments sur le rôle sacerdotal de Joseph : l’emploi du verbe ‫( פשט‬arracher) en Gn 37,23 se trouve également à propos d’Aaron en Nb 20,26, les prêtres ont un rôle d’interprétation des rêves dans l’Égypte ancienne ; l’expression ‫( ויעמדו לפני‬et ils se tinrent devant) en Gn 43,15 décrit la haute fonction de Joseph par une comparaison avec les lévites qui se tiennent devant le Seigneur (Dt 10,8 ; 18,5.7) ; et enfin, les deux mots, ‫( טבח‬un abattage, Gn 43,16) et ‫( משאת‬des portions, Gn 43,34), renvoient au sacrifice d’un animal (1 S 9,23 ; Is 34,6 ; Ez 20,40 ; 2 Ch 24,6). Ces arguments sont assez faibles puisqu’ils sortent du contexte littéraire du cycle de Joseph pour se référer à d’autres passages de l’Écriture en s’appuyant uniquement sur le vocabulaire. 355 Comme Twersky, Nocquet mentionne la fonction quasiment sacerdotale de Joseph qui permet la levée de la faute des frères et la réconciliation de la fratrie, D. NOCQUET 2002, 22-23. 356 La composition tripartite : v.22, vv.23-24a et vv.24b-26 est soutenue par les commentateurs suivants : C. WESTERMANN 1987, 236 ; J.D. MACCHI 1999, 185 ; H. GUNKEL 1997, 459. En revanche, Caquot propose deux parties : vv.22-24 et vv.25-26, A. CAQUOT 1976, 13.

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CHAPITRE IV

‫בן פרת יוסף‬22a ‫בן פרת עלי־עין‬22a :‫בנות צעדה עלי־שור‬22b

La question que pose cette sentence, réside dans la compréhension du verset. Westermann357 remarque que la répétition du mot ‫ פרת‬met Joseph au second plan et, en conséquence, elle pourrait constituer une allusion à Ephraïm, ‫אפרים‬. Zobel conclut lui aussi que l’origine de cette sentence concerne la tribu d’Ephraïm358. L’étymologie du nom d’Ephraïm, ‫אפרים‬ (fécondité), vient de l’acclamation de Joseph : ‫( הפרני אלהים‬Dieu m’a fait porter du fruit) en Gn 41,52 et renvoie à la racine ‫( פרה‬être fructueux). Malgré la proximité entre ‫פרה – הפרני – אפרים – פרת‬, force est de reconnaître que ce verset vise directement le personnage de Joseph, l’un des douze fils de Jacob, et non Ephraïm. L’interprétation végétale de ce verset vient probablement de la racine ‫( פרה‬être fructueux) mentionnée ci-dessus. Elle est attestée au participe féminin singulier ‫( פריה‬portant du fruit) en Is 17,6 ; 32,12 ; Ez 19,10 et Ps 128,3, qui renvoient à une image végétale. Pehlke remarque que ‫פריה‬ est souvent mis en parallèle avec ‫( גפן‬cf. Is 32,12 ; Ez 19,10 ; Os 10,1 et Ps 128,3), et est utilisé pour décrire la prospérité humaine359. En outre, l’expression ‫( עלי־עין‬près d’une source) correspond bien à l’image végétale telle qu’elle est proposée au v.22a. Retenons que Rachel était stérile et décrite comme celle qui n’a pas de fruit dans le ventre en Gn 30,2 avec l’expression ‫( פרי־בטן‬un fruit de ventre). Joseph est son premier enfant ; son nom ‫ יוסף‬signifie « ajouté », et provient de l’acclamation de Rachel : ‫( יסף יהוה לי‬que Dieu m’ajoute) en Gn 30,24. Il existe bien un lien entre Joseph (‫יוסף‬, ajouté) et le sens de fruit (‫)פרי‬. En suivant cette logique, ‫ בנות‬désigne la même réalité que ‫בן פרת‬, malgré le fait que ‫( בן‬un fils) est au masculin singulier et ‫( בנות‬des filles) est au féminin pluriel. La racine ‫ צעד‬à l’accompli qal féminin singulier, relève d’un unique usage, ‫צעדה עלי‬, traduit par « marcher par-dessus/audessus de », et avec ‫( שׁוּר‬muraille), le v.22b décrit bien des rejetons qui ont franchi la clôture. La cohérence lexicale concernant la mention des genres masculin et féminin, respectivement au singulier et au pluriel – ‫בן‬ (un fils) et ‫( בנות‬des filles) – ne fait guère difficulté pour la compréhension du verset. Bouhallier insiste également sur le parallélisme entre ‫ בן‬et ‫בנות‬, et entre ‫ עלי־עין‬et ‫עלי־שור‬. Il rapproche cette image végétale de Ps 1,3 et Ez 17,5-8360. En revanche, Macchi abandonne la métaphore végétale à 357 358 359 360

C. WESTERMANN 1987, 237. H.J. ZOBEL 1965, 22. H. PEHLKE 1987, 217. A. BOUHALLIER 2000, 31-32.

ANALYSE LITTÉRAIRE DE GN 49

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cause de l’expression ‫בנות צעדה‬. Selon lui, ‫ בן‬et ‫ בת‬désignent plutôt des êtres vivants appartenant au monde divin, humain ou animal ; il serait difficile de les appliquer à des plantes. De plus, la racine ‫ צעד‬est souvent utilisée pour décrire des mouvements liés à « la marche » dans la BH, et il est peu vraisemblable qu’elle puisse décrire la croissance végétale361. Si ces remarques ne sont pas dépourvues de pertinence, l’emploi de ‫ בן‬et ‫ בת‬reste cependant tout à fait possible dans un poème pour désigner les rejetons d’une plante fructifère, notamment en Ps 80,15-16, où l’emploi du mot ‫ בן‬désigne bien ‫( גפן‬la vigne) ; le verbe ‫ צעד‬décrit l’expansion des rejetons qui ont franchi la muraille. En conséquence, il est tout à fait acceptable de comprendre ce verset comme une métaphore végétale362. Plusieurs commentateurs préfèrent y voir une métaphore animale : Coppens propose de lire ‫ בן פרת‬comme « la génisse » et ‫ שׁוֹר‬comme « taureau » en harmonie avec l’image taurine de Dt 33,17363. Déjà, Gunkel proposait de lire ‫ פרת‬comme ‫( ָפּ ָרה‬la vache) et de reconnaître à ‫ שׁוֹר‬le sens de « taureau » comme en Dt 33,17364. Speiser a suggéré de comprendre ‫ פרת‬comme le féminin de ‫( פרא‬un âne sauvage)365. Bien que Hamilton ait traduit ‫ שור‬par « a rocky rim », il lit ce verset comme une métaphore animale : « the foal of wild she-ass » 366. Cela renvoie à Os 8,9 où les Assyriens sont comparés à un âne sauvage (‫)פרא‬. C’est la même métaphore qui est ici appliquée à Joseph. Elle pourrait représenter sa puissance politique. Wenham mentionne dans son commentaire le parallélisme entre ‫ בנות צעדה‬et banal sa’adat en Arabe qui désigne les « ânes sauvages »367. Outre le mot ‫פרת‬, le sens de la racine ‫ שור‬prête à discussion. Il faut remarquer qu’elle ne se trouve qu’en Ps 18,30 ; 2 S 22,30 et Gn 49,22, et que son sens est très discutable. Blockman et Guillaume ont relevé les rares usages de ‫ שׁוּר‬au sens de « muraille » dans la BH et ils envisagent la possibilité de lire la racine ‫ שור‬comme « taureau » dans Ps 18,30 en s’appuyant sur la découverte de trois sceaux, deux en Samarie et un en Hazor, datés du Fer II (vers 800 av. J.C) et portant des motifs évoquant le « bull-leaping » ou quelque autre jeu taurin. Selon eux, même s’il est 361

J.D. MACCHI 1999, 188-189. Römer et de Pury ont proposé une traduction de ce verset dans le sens d’une métaphore végétale : « Joseph est le rejeton d’un arbre fertile, le rejeton d’un arbre fertile près d’une source ; les branches s’élèvent au-dessus de la muraille », A. de PURY, T. RÖMER, K. SCHMID 2016, 257. 363 J. COPPENS 1957, 100-101. 364 H. GUNKEL 1997, 459. 365 E.A. SPEISER 1981, 367. 366 V.P. HAMILTON 1995, 678-679. Il traduit ce verset : « The foal of a wild she-ass is Joseph, the foal of wild she-ass at a spring, (the foal of) wild asses by a rocky rim ». 367 G.J. WENHAM 1994, 484-485. 362

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CHAPITRE IV

difficile de déterminer ce que représentent exactement ces sceaux – une scène de l’époque ou la commémoration d’une tradition ancienne, cette pratique a été mémorisée dans l’iconographie368. Bien que leur argument semble s’écarter du sujet étudié, il nous invite à prendre en considération l’image du « taureau ». On a vu que la métaphore végétale décrivait la prospérité de Joseph, comment expliquer cette métaphore animale ? Est-ce une allusion au cycle de Joseph ? La métaphore animale établit un parallèle direct entre la sentence de Juda et celle de Joseph : ‫גור אריה יהודה‬ ‫בן פרת יוסף‬ « Juda est un jeune lion » (v.9aα) « Joseph est un petit d’une ânesse sauvage » (v.22a)

La lecture ‫( שׁוֹר‬taureau) dans ce verset correspond parfaitement à la métaphore du taureau concernant Joseph en Dt 33,17. Quelques allusions au cycle de Joseph sont possibles369 : la racine ‫פרה‬, sous la forme plurielle avec ‫ פרות‬ou ‫פרת‬, est très présente en Gn 41 (vv.2.3.4.18.19.20.26.27). Dans ce dernier, il s’agit d’un rêve de Pharaon que Joseph a interprété, alors que Gn 49,22 comporte une métaphore de Joseph lui-même ; l’usage du même mot dans ces deux chapitres relève donc de deux niveaux différents. L’expression ‫( עלי־עין‬près d’une source), pourrait faire penser à la scène où Joseph est mis dans la citerne sans eau par ses frères en Gn 37,24b : ‫( והבור רק אין בו מים‬et la citerne était vide, elle ne contenait pas d’eau). Il faut remarquer cependant qu’il n’y a pas de mot commun dans ces deux passages. Enfin, au sujet du v.22aβ où « des femelles ont marché auprès du taureau », cela pourrait faire penser à l’histoire de Joseph avec la femme de Potiphar en Gn 39, et même au mariage de Joseph en Gn 41,45. Il n’y a pas de preuve lexicale de ces liens. Il est possible que le rédacteur du v.22 ait eu connaissance de l’histoire de Joseph à laquelle il ferait allusion, mais il est difficile d’établir un lien lexical. Nous reconnaissons que la métaphore végétale telle qu’elle est présentée plus haut est en parfaite cohérence interne pour souligner la prospérité de Joseph en face de la famine, et est en conséquence préférable. 368

N. BLOCKMAN, P. GUILLAUME 2006, 5-8. Macchi consacre une partie de sa recherche sur ce verset dans une sous-partie intitulée « Allusion aux récits de la Genèse » à l’établissement des liens entre ce verset et le cycle de Joseph en concluant qu’il fait de nombreuses allusions à ce dernier. Mais notre travail n’aboutit pas à la même conclusion, J.D. MACCHI 1999, 191-196. 369

ANALYSE LITTÉRAIRE DE GN 49

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La suite des vv.23-24a emploie des formules de guerre où la métaphore disparaît complètement. Il importe de noter l’indépendance du v.22 ; nous verrons sa fonction plus loin. b. vv.23-24a : Joseph guerrier ? Ce passage décrit les attaques violentes envers Joseph (v.23) et sa résistance (v.24a). Le v.23 est introduit par un ‫ ו‬pour faire la liaison avec le verset précédent, mais en réalité, il porte sur un sujet complètement différent du v.22 en soulignant dès le départ les trois verbes successifs évoquant la guerre. Il faut remarquer qu’ils sont introduits chacun par un ‫ ו‬de conjonction et se terminent avec un suffixe au pluriel masculin (sauf 23b). L’expression ‫ בעלי חצים‬indique l’identité des acteurs, « les archers ». ‫וימררהו‬23a ‫ורבו‬b23 ‫וישטמהו‬c23 :‫בעלי חצים‬d23

La racine ‫מרר‬, au piel, évoque le sens d’« attaquer amèrement », et n’a pas d’autre emploi dans la Genèse. Cependant le piel se rencontre dans Is 22,4 avec ‫( אמרר‬je serai dans l’amertume) pour décrire la lamentation sur Jérusalem. En Ex 1,14 ‫( וימררו‬et ils rendirent amère) décrit l’amertume de la vie du peuple d’Israël en Égypte. Ces trois références renvoient toutes à une situation de misère. Gunkel propose de remplacer la forme ‫ורבו‬, de la racine ‫( רבב‬tirer une flèche) au qal, par ‫וירבו‬, pour l’uniformité des trois verbes sous le mode narratif au wayyiqtol370. La racine ‫ « רבה‬tirer » est en Gn 21,20, ‫רבה‬ ‫( קשת‬tirant à l’arc). Cela renvoie au nom ‫( רב‬archer) en Jr 50,29 (‫רבים‬, les tireurs), Pr 26,10 (‫ )רב‬et Jb 16,13 (‫רביו‬, les tireurs/les flèches). Le Smr est plus compréhensible avec l’emploi de la racine ‫( ריב‬quereller/se quereller) sous la forme ‫( ויריבהו‬et ils l’ont disputé). Cette leçon fait penser au passage de Gn 37,4 : ‫( ולא יכלו דברו לשלם‬et ils ne pouvaient plus lui parler en paix). Le dernier verbe, ‫( וישטמהו‬racine ‫ )שטם‬a deux autres références dans la Genèse : Gn 27,14 emploie ‫( וישטם‬et prit en aversion) pour décrire la haine d’Esaü envers Jacob. Gn 50,15 emploie le même verbe avec ‫ישטמנו‬ (il nous prendra en aversion) pour décrire l’inquiétude des frères vis-àvis de Joseph. Il est évident que ces deux dernières références au livre de la Genèse renvoient à une relation de fratrie. Ps 55,4 a ‫( ישטמנו‬ils me 370

H. GUNKEL 1997, 460.

282

CHAPITRE IV

prennent en aversion) pour décrire la haine des ennemis. Jb 16,9 emploie ‫( וישטמני‬et me prend en aversion) appliqué aux attaques des ennemis. Jb 30,21 décrit la douleur de Job face à la « persécution » de Dieu par ‫( תשטמני‬tu me prends en aversion). Ces occurrences permettent de définir divers types de circonstances de prise en aversion, soit par le ou les frères dans la Genèse, soit par les ennemis en Ps 55,4 et Jb 16,9371. L’emploi du verbe ‫ שטם‬ici se rapproche de l’usage en Genèse évoquant le conflit de la fratrie. Enfin, ce verset évoque le sujet de ces actions : ‫( בעלי חצים‬des maîtres des flèches) qui est un hapax. Il convient de se rappeler que Joseph a été nommé par ses frères comme « le maître des rêves » (‫ )בעל החלמות‬en Gn 37,19, référence qui vient en contraste avec l’appellation donnée ici à ses ennemis. Notons que la racine ‫ בעל‬renvoie principalement au dieu des Cananéens, le Baal (77 sur 158 occurrences). Mais ce mot désigne une fonction au sens de « maître ». 2 S 1,6 utilise l’expression ‫( בעלי הפרשים‬des maîtres des attelages) pour désigner les cavaliers. Ne 6,18 emploie ‫בעלי‬ ‫( שבועה‬des maîtres de serment) pour désigner les conspirateurs. Qo 12,11a ‫( בעלי אספות‬des maîtres de recueils). Le verset évoque les archers. Il faut remarquer que le mot ‫( חץ‬flèche) trouve dans ce verset son unique emploi de tout le livre de la Genèse, mais en plein accord avec le verbe ‫ ורבו‬de ‫רבב‬. L’identité de ces « archers » donne lieu à discussion. Bouhallier a proposé de les identifier aux Cananéens ou aux Madianites qui attaquent Israël, l’usage de l’arc étant caractéristique des nomades du désert372. Cette suggestion reste assez vague. Wenham fait allusion à tous les personnages qui se sont opposés à Joseph : ses frères, les Ismaélites, la femme de Potiphar, etc373. Pehlke suggère qu’il s’agit de tous les ennemis de Joseph374. Ces remarques supposent une rédaction assez tardive de ce verset sur la base d’une connaissance de toute l’histoire de Joseph. Par ailleurs, la leçon retenue par la LXX éclaire les allusions au cycle de Joseph : – διαβουλευόμενοι (ils développaient des complots) renvoie à Gn 37,18-36 ; 371

Nous reconnaissons la particularité de l’occurrence en Jb 30,21 qui correspond à la théologie du livre de Job où ce dernier est en procès avec Dieu. C’est la raison pour laquelle nous ne cherchons pas à définir pour cette unique référence une catégorie particulière en vue de rester sur notre sujet. 372 A. BOUHALLIER 2000, 32. 373 G.J. WENHAM 1994, 485. 374 H. PEHLKE 1987, 220.

ANALYSE LITTÉRAIRE DE GN 49

283

– ἐλοιδόρουν (ils l’insultaient) pourrait faire allusion à Gn 37,4.8 et Gn 39 ; – ἐνεῖχον (et ils en voulaient) fait également référence à Gn 37 et Gn 39. En conclusion, le rédacteur de ce verset emploie trois verbes spécifiques et une expression unique concernant les archers pour désigner les passages difficiles de la vie de Joseph. La rédaction de ce verset doit être tardive puisqu’il renvoie à d’autres passages du cycle de Joseph. Dans la suite, le v.24a décrit la réaction de Joseph vis-à-vis de ces attaques. La forme poétique commence et se termine également par ‫ו‬. Elle assure une harmonie phonétique avec les trois verbes du v.23 : ‫ותשב באיתן קשתו‬24a ‫ויפזו זרעי ידיו‬24a

Ce demi-verset est introduit par ‫( ותשב‬et est resté) qui renvoie à la racine ‫( ישב‬demeurer, habiter), le relie au v.23 par la conjonction. La racine ‫ איתן‬indique le sens de « permanence » ou « constance », unique emploi dans la Genèse. Le mot ‫( קשת‬arc) permet de faire la liaison avec la fin du v.23, ‫( חץ‬flèche). Nous retrouvons le même mot en Gn 48,22 par ‫( בחרבי ובקשתי‬avec mon épée et avec mon arc) dans un passage qui évoque le double héritage que recevra Joseph par rapport à ses frères. L’ensemble de ces trois mots peut être compris comme décrivant la résistance de Joseph. La racine ‫ פזז‬n’a que deux occurrences dans la BH : ici et en 2 S 6,16. Ce dernier emploie la forme au participe piel dans l’expression ‫מפזז‬ ‫( ומכרכר‬sautant et dansant) pour décrire le mouvement de David accueillant l’Arche d’Alliance dans la cité de David. L’emploi à l’inaccompli qal décrit ici les mains de Joseph comme étant « agiles ». Pehlke indique qu’outre la fécondité, le pouvoir de vaincre ses ennemis fait partie intégrante de la bénédiction (cf. Gn 24,60 ; 27,29 ; Nb 24,17-18)375. Cette remarque non seulement justifie la leçon retenue par le TM et le Smr, mais montre aussi la cohérence des vv.23-24a dans l’ensemble de la bénédiction sur Joseph en Gn 49. L’habileté de Joseph est signalée dans plusieurs passages du cycle, lorsqu’il se présente comme celui qui est sage et intelligent devant Pharaon en Gn 41,1-44 ; il commande à ses frères de faire plusieurs trajets entre Canaan et l’Égypte en Gn 42–44, et grâce à lui, sa famille obtient Goshèn en Gn 46,34, de même sa politique agraire en Gn 47. Ces multiples allusions au cycle de Joseph font supposer une rédaction tardive des vv.23-24a. 375

H. PEHLKE 1987, 230.

284

CHAPITRE IV

Westermann souligne la fracture entre la métaphore du v.22 et ce qui est dit de la guerre aux vv.23-24a qui ne contiennent ni métaphore ni jeux de mots, et il émet deux hypothèses : soit la collection des vv.23-24a ne connaît pas le v.22, ce qui suppose que ce dernier est un ajout tardif, soit les premiers sont des détails ajoutés au v.22376. Cette remarque permet, au moins, de suggérer la possibilité de la réunion de deux traditions indépendantes du v.22 et des vv.23-24a dans une même rédaction. c. vv.24b-25a : l’invocation du nom de Dieu : une transition ? Ce qui précède souligne l’unité des vv.23-24a. Westermann remarque qu’ils sont séculiers sans aucune intervention divine, et il définit, au contraire, les vv.25b et 26 comme étant une évocation de la bénédiction sur Joseph. Ainsi, les vv.24b et 25a semblent être de la main d’un compositeur soucieux de ménager une transition entre les vv.23-24a et les vv.25b-26377. Nous allons vérifier cette hypothèse. ‫מידי אביר יעקב‬24b :‫משם רעה אבן ישראל‬24b ‫מאל אביך ויעזרך‬25a ‫ואת שדי ויברכך‬25a

La préposition ‫ מן‬introduit les vv.24bα.β et v.25aα. Et le v.24b commence par le mot ‫ יד‬à l’état construit qui fait écho à ‫( ידיו‬ses mains) à la fin du v.24a. Par ailleurs, le verset 25a se termine avec la racine ‫ ברך‬au piel, à sens jussif qui est le thème principal des vv.25b-26. En outre, il est possible de comprendre également le v.24b comme une continuation du v.24a pour confirmer que la force de Joseph provient de la puissance de Dieu378. Le v.25a pourrait être également une introduction commune aux vv.25b et 26 pour désigner la source de la bénédiction. Par ailleurs, les vv.23-24a et 24b sont à la troisième personne, alors que le v.25a s’adresse à Joseph à la deuxième personne comme au v.26. Toutefois, sans ces deux demi-versets, le v.25b pourrait être la suite du v.24a. Une construction cohérente affecte les vv.24b et 25a en continuité avec ceux qui les précèdent et ceux qui les suivent. Leur particularité réside dans la diversité des formes de l’invocation du nom de Dieu. Quelles en sont la compréhension et la fonction ? 376

C. WESTERMANN 1987, 238. Il faut noter que Westermann n’a pas précisé la distinction entre le v.25a et le v.25b qu’il semble confondre dans son propos, C. WESTERMANN 1987, 238. 378 Cette idée est exprimée également chez H. PEHLKE 1987, 223. 377

ANALYSE LITTÉRAIRE DE GN 49

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Le Puissant de Jacob : ‫( אביר יעקב‬v.24bα) Cette expression se trouve également en Is 49,26 et Is 60,16. Ces deux références mettent en parallèle trois titres du Seigneur : le sauveur, le racheteur et le Puissant de Jacob en invoquant : ‫אני יהוה מושיעך וגאלך אביר‬ ‫( יעקב‬moi, le Seigneur, celui qui te sauve, celui qui te rachète, le Puissant de Jacob). Is 1,24 invoque le nom du Seigneur par ‫אביר ישראל‬. Et le Ps 132 reprend deux fois ‫ אביר יעקב‬en l’identifiant à ‫ יהוה‬aux vv.2 et 5. ‫ אביר יעקב‬pourrait donc être une épithète s’appliquant à Dieu. Cependant, Gunkel émet la possibilité de lire ce titre comme « taureau de Jacob »379, ce qui pourrait renvoyer au passage des deux taureaux installés respectivement à Bethel et à Dan à l’époque de Jéroboam I (1 R 12,28-32 ; aussi Os 10,5-6). Comme ces passages sont très mal vus et interprétés comme illustrant le péché d’idolâtrie, il est difficile d’admettre une telle référence dans une louange de Joseph. De plus, ce titre n’est pas en cohérence avec la suite des autres titres divins. Ainsi, nous adoptons la version « le Puissant de Jacob ». Le Berger, la Pierre d’Israël : ‫( רעה אבן ישראל‬v.24bβ) Le mot ‫משם‬, composé de la préposition ‫ מן‬avec la racine ‫שם‬, peut être lu de deux manières : soit comme ‫( ִמ ָשּׁם‬de/par-là), soit comme ‫ִמ ֵשּׁם‬ (par le nom). Si nous considérons que ‫ יעקב‬est en parallèle avec ‫ישראל‬, et ‫ אביר‬en parallèle avec ‫ אבן‬phonétiquement, il serait possible de garder le parallélisme entre ‫ מידי‬et ‫משם רעה‬, cependant, il est préférable de lire ‫ִמ ֵשּׁם‬ (par le nom). Pehlke380 souligne que cette lecture permet de garder un parallélisme structurel entre les vv.24bα.β et v.25aα par : ‫מ ֵידי … ִמ ֵשּׁם … ֵמ ֵאל‬. ִ Gunkel a noté que la lecture ‫( ִמ ָשּׁם‬par-là) n’a aucun sens ici, car « le nom de Dieu » est souvent étroitement associé au contexte de la guerre (cf. Ps 20,2.8 ; 44,6 ; 54,3 ; 89,25 ; 118,10ss ; 124,8 ; Pr 18,10 ; 1 S 17,45 ; 2 Ch 14,10), ainsi qu’à la puissance de la main en 1 R 8,42 ; Ps 54,3 ; Jr 16,21 ; Mi 5,3381. Cela conduit à retenir ici le sens de « nom de Dieu ». Le mot ‫ר ֶֹעה‬, un participe qal de ‫רעה‬, se trouve en Gn 48,15 ‫הרעה‬ (celui qui fait paître) au sujet de la bénédiction de Joseph ; le Seigneur y est désigné comme le Pasteur. En revanche, les autres références comportant la même racine désignent plutôt un pasteur humain qui fait paître le troupeau dans le cycle de Joseph (37,2.12.13.16 ; 41,2.18 ; 46,32.34 ; 47,3). 379 380 381

H. GUNKEL 1997, 460. H. PEHLKE 1987, 225. H. GUNKEL 1997, 460.

286

CHAPITRE IV

En sens inverse, Bouhallier s’appuie sur la version de la LXX, ὁ κατισχύσας (celui qui a fortifié), qui laisse entendre l’absence de correspondant à ‫רעה‬, et relève que le v.24bβ est plus long, ce qui dérange la forme poétique de ces stiques. Il en déduit que « ‫ רעה‬est une glose insérée par les Massorètes, dans le but de faire contrepoids à ‫ אבן ישראל‬dont la connotation ‘païenne’ a pu gêner les Massorètes382 ». Macchi soutient également l’idée d’une insertion secondaire du verbe ‫ רעה‬rendu dans l’état construit ‫ר ֵֹעה‬. Selon lui, « l’expression “le berger de la pierre d’Israël” permet de distinguer clairement la divinité protectrice de la pierre cultuelle383 ». D’après leurs remarques, le mot ‫ אבן‬est unique dans le cycle de Joseph, et dans ce contexte particulier, son emploi semble assez étrange. Il était nécessaire d’ajouter le mot ‫ רעה‬pour s’écarter d’une dévotion païenne et cultuelle. Cependant, l’examen de la vie de Jacob/Israël fait découvrir ‫ אבן‬souvent en relation avec la vénération du Seigneur (Gn 28,11.18.22 ; 35,14). Il est alors possible d’émettre l’hypothèse que l’emploi du mot ‫ אבן‬renvoie à une relecture de la vie de Jacob, puisque dans le contexte littéraire, c’est le personnage de Jacob qui donne une bénédiction à Joseph. Par ailleurs, Wenham propose de comprendre l’ensemble de ‫ רעה אבן ישראל‬comme la combinaison de deux expressions indépendantes : ‫( רעה ישראל‬le Pasteur d’Israël) en Ps 80,2 et ‫( צור ישראל‬le Rocher d’Israël) en 2 S 23,3 et Is 30,29384. De plus, 1 S 2,2 compare Dieu à un rocher : ‫צור כאלהינו‬ (un rocher comme notre Dieu) et YHWH est vu comme un rocher éternel (‫ )יהוה צור עולמים‬en Is 26,4. Is 8,14 établit en parallèle ‫ אבן‬et ‫צור‬. De ce point de vue, l’expression ‫ אבן ישראל‬désigne très bien le Seigneur. Enfin, la combinaison de ‫ יעקב‬et ‫ ישראל‬se trouve aussi aux vv.1.7b ; cela confirme que la sentence sur Joseph est bien inscrite dans l’ensemble de Gn 49. Dieu de ton père : ‫( אל אביך‬v.25aα) Le v.25a commence par la même proposition ‫ מן‬qui suit le v.24b. L’expression ‫( אל אביך‬le Dieu de ton père) se trouve aussi en Gn 46,3, ‫אנכי‬ ‫( האל אלהי אביך‬Je suis El, le Dieu de ton père), qui décrit une autorévélation de Dieu à Jacob pour le rassurer sur sa descente en Égypte. L’allusion au Seigneur du père de famille se trouve dans le cycle de Jacob : Gn 31,5 (‫אלהי אבי‬, le Dieu de mon père) ; Gn 31,29 (‫אלהי אביכם‬, le Dieu de votre père) ; Gn 31,42 (‫ ; )אלהי אבי‬Gn 31,53 (‫אלהי אביהם‬, 382 383 384

A. BOUHALLIER 2000, 33. J.D. MACCHI 1999, 214. G.J. WENHAM 1994, 486.

ANALYSE LITTÉRAIRE DE GN 49

287

le Dieu de leur père) ; arrivé à Sichem, Jacob dresse un autel auquel il donne le nom : ‫( אל אלהי ישראל‬El, Dieu d’Israël) en Gn 33,20. Cette désignation est particulièrement importante dans le cycle de Joseph : outre Gn 46,3 mentionné plus haut, nous la trouvons également en Gn 43,23 (‫ ; )אלהי אביכם‬en 50,17 (‫אלהי אביך‬, le Dieu de ton père). Il est clair que cet emploi de « El » est l’une des désignations de Dieu. Cette invocation du Seigneur permet d’illustrer la généalogie depuis Abraham-Isaac-Jacob jusqu’à Joseph. L’emploi du verbe ‫( עזר‬secourir), au qal à sens jussif, ne se trouve qu’ici dans la BH ; en conséquence, cet usage est spécifique au cycle de Joseph. On rappelle ici les interventions de Dieu dans la vie de Joseph comme garant de sa réussite en Égypte (Gn 39,2.3), en prison (Gn 39,21.23) et en faveur de son succès au côté du Pharaon (Gn 41,38). Et à la fin du cycle de Joseph, le renversement de la situation est imputé à l’intervention de Dieu en Gn 50,20. El Shaddai (Dieu Puissant) : ‫( אל שדי‬v.25aβ) La critique textuelle a proposé de lire ‫ ואת‬comme ‫ ואל‬pour le parallélisme à l’intérieur du v.25a385. Pehlke386 a noté que ‫ שדי‬n’apparaît jamais sans être précédé de ‫ אל‬dans le livre de la Genèse. En fait, il y a une raison basique. En Gn 17,1, Dieu se révèle à Abraham comme ‫( אל שדי‬Dieu Puissant) pour établir la circoncision comme signe d’Alliance. Quand Isaac bénit Jacob lors de son départ chez Laban, il emploie cette formulation en Gn 28,3 : ‫( ואל שדי יברך‬que le Dieu Puissant te bénisse), qui renvoie à Gn 49,25aβ. Gn 35,11 emploie la même expression ‫ אל שדי‬pour désigner la bénédiction de Dieu à Jacob, bénédiction qui est reliée à celle d’Abraham et à celle d’Isaac. ‫( ואל שדי‬et le Dieu Puissant) apparaît aussi en Gn 43,14 lorsque Jacob bénit ses fils pour leur deuxième descente en Égypte, et lorsqu’il raconte l’apparition de Dieu à Joseph à la fin de sa vie en Gn 48,3. L’expression ‫ אל שדי‬traverse les moments essentiels de la vie des patriarches, et cet emploi en Gn 49,25aβ en est le rappel, comme si cette bénédiction de Dieu se transmettait d’Abraham à Isaac, d’Isaac à Jacob, et de Jacob à Joseph. Le v.25aβ pourrait être considéré comme l’introduction de la bénédiction par le Dieu Puissant aux vv.25b-26, et nous relevons également son 385 Même si Wenham a remarqué qu’il peut exister des cas où ‫ אל‬et ‫ שדי‬sont employés séparément comme en Nb 24,4.16 et Jb 8,3.5, G.J. WENHAM 1994, 486, notre choix de lire l’ensemble de ‫ אל שדי‬en référence à la vie des patriarches, surtout celle de Jacob, semble plus solidement fondé. 386 H. PEHLKE 1987, 228-229. Il note en même temps que le mot ‫ שדי‬est utilisé indépendamment de ‫ אל‬en Nb 24,4.16 dans le poème de Balaam.

288

CHAPITRE IV

parallélisme avec Nb 6,24a qui est l’introduction de la formule de bénédiction d’Aaron et de ses fils au peuple d’Israël : ‫( יברכך יהוה‬que Dieu te bénisse). En Gn 49,25aβ et Nb 6,24a, le verbe ‫ ברך‬est employé au jussif piel car il s’agit d’une bénédiction donnée par Dieu respectivement à Joseph et au peuple d’Israël. La seule différence réside dans la suite de Gn 49,25aβ qui mentionne une série de noms, alors que la bénédiction de Nb 6,24-26 emploie une série de verbes. Ces deux passages sont parallèles, mais ils expriment une divergence théologique : la bénédiction de Nb 6 est clairement sacerdotale tardive, pas celle de Gn 49. Parmi les différentes appellations du nom de Dieu, nous avons remarqué que l’expression ‫ אביר יעקב‬fait référence à Is 49,26 et à Is 60,16, deux textes relativement tardifs. L’usage de ‫ אבן‬est souvent lié à la vénération adressée au Seigneur (Gn 28,11.18.22 ; 35,14) dans la vie de Jacob. Et les allusions (par exemple, ‫ )אל שדי‬au Seigneur du père de famille traversent les récits des patriarches. Römer note que les « différents types de manifestations d’El se trouvent souvent dans les textes assez récents387 ». Quant au nom d’El Shadday, ce titre dans le livre de la Genèse « semble être exclusivement utilisé dans les textes sacerdotaux du début de l’époque perse et comme épithète de YHWH388 ». L’expression de Römer sur le « monothéisme inclusif » 389 est intéressante à relever. L’ensemble des désignations divines du Pentateuque sont rassemblées dans une foi en l’Unique YHWH390 qui intègre toutes les expressions antérieures ou autres de la relation au divin. Macchi est en faveur d’une rédaction tardive des différentes mentions de Dieu en disant que « la multiplicité des appellatifs divins – ceux présents en Gn 49,24b s. apparaissent souvent dans des contextes littéraires tardifs – met en évidence l’universalité de Dieu391 ». En outre, l’évocation de El et d’El Shadday est inséparable du cycle de Jacob. 387

T. RÖMER 2017a, 105. T. RÖMER 2017a, 109. 389 T. RÖMER 2014, 15 ; T. RÖMER 2017a, 297. L’auteur distingue trois cercles de la théologie de la révélation construite par P (antérieur à Gn 49) : Dieu est d’abord désigné comme « Elohim » dans les récits des origines du monde et de l’humanité ; aux patriarches et à leurs descendants, le Seigneur se révèle comme étant « El Shadday » (Gn 17) ; enfin, c’est à Moïse seulement que Dieu se révèlera sous son nom de « YHWH ». La même conception se trouve également dans l’article de T. RÖMER 2015c, 40 ; T. RÖMER 2009b, 36. Cette considération de la théologie de la révélation par P est partagée également par Nocquet qui emploie l’expression « monothéisme yahwiste inclusif », D. NOCQUET 2017, 28. 390 Après une étude épigraphique des inscriptions de Kuntillet ꜥAjrud et de Khirbet elQôm, Puech confirme le monothéisme yahwiste et son lieu/sanctuaire comme source de bénédiction et de protection, E. PUECH 2020b, 71-106. 391 J.D. MACCHI 1999, 230. 388

289

ANALYSE LITTÉRAIRE DE GN 49

Ces remarques permettent de conclure que : 1) ces invocations des différentes appellations de Dieu révèlent une rédaction tardive, probablement de l’époque perse ; 2) elles supposent une relecture tardive du cycle de Jacob et de celui de Joseph. Il est important de remarquer que Joseph est souvent décrit comme celui qui est habité par l’esprit de Dieu. Cela apparaît clairement dans les récits sur Joseph : – Gn 37,9 décrit les astres se prosternant devant Joseph comme s’il était à la place de Dieu ; – Joseph explique à l’échanson, au boulanger et à Pharaon que Dieu seul est capable d’interpréter les rêves (Gn 40,8 ; 41,16), alors que c’est lui qui les a interprétés (Gn 40,12-13.18-19 ; 41,25-32) ; – l’intendant de Joseph dit à ses frères que Dieu a mis l’argent dans leurs sacs (Gn 43,23), alors que c’est un acte de Joseph (Gn 42,25) ; – à la fin du récit, Joseph déclare qu’il n’est pas à la place de Dieu (Gn 50,19b). Il est tout à fait possible que cette bénédiction finale de Joseph par Dieu veuille souligner que Dieu est la source des nombreuses réussites de Joseph. Westermann a essayé de montrer le lien entre la bénédiction de Joseph (Gn 49,24b-25a) et celle de ses fils en Gn 48,15-16392 : 48,15-16

‫יברך‬ … ‫המלאך הגאל‬ … ‫האלהים הרעה‬ qu’il bénisse … le Messager qui rachète … Dieu qui fait paître

49,24b-25a

‫ויברכך‬ .… ‫אל אביך‬ qu’il te bénisse …par Dieu de ton père

… ‫רעה‬ … le Pasteur

… ‫האלהים אשר‬ …Dieu que

… ‫אביר יעקב‬ … Puissant de Jacob

Cette observation paraît judicieuse. Comme nous l’avons déjà remarqué, Gn 48 et Gn 49 sont deux chapitres indépendants, mais la comparaison ci-dessus montre la possibilité d’une connaissance mutuelle de ces deux passages, permettant de conclure que la péricope de Gn 49,24b-25a est un élément compositionnel de Gn 49, intégrant ou au moins reprenant le style de la bénédiction de Joseph de Gn 48. Par ailleurs, comme nous avons déjà montré la possible relecture yahwiste de Gn 39 (cf. Gn 39,2-3. 5-6a*.21-23), les nombreuses invocations du nom de Dieu peuvent correspondre à cette relecture pour enraciner la sentence sur Joseph dans le cycle des patriarches. 392

C. WESTERMANN 1987, 239.

290

CHAPITRE IV

Ainsi Gn 49,24b-25a est une insertion secondaire assurant d’une part la transition entre les vv.23-24a et les vv.25b-26 et, d’autre part, la jonction avec la vie des patriarches au cours de laquelle se transmet la bénédiction de père en fils jusqu’à Joseph. La suite porte sur la « bénédiction » de ce dernier. d. vv.25b-26 : la bénédiction de Joseph ? Le verbe ‫( ברך‬bénir) apparaît une fois à la fin du v.25a et le substantif ‫( ברכה‬bénédiction) se trouve cinq fois aux vv.25b-26. Le thème de la « bénédiction » constitue clairement le point essentiel de la sentence sur Joseph où on distingue trois éléments : le v.25b précise le contenu de la bénédiction annoncée au v.25aβ ; le v.26a souligne la qualité particulière de cette bénédiction ; et le v.26b concerne le destinataire393. Le thème bénir/bénédiction est un élément clé dans le cycle de Joseph (Gn 39,5 ; 47,7.10 ; 48,3.9.15.16.20), et le rédacteur de cette série de bénédictions sur Joseph effectue une relecture de l’ensemble de l’histoire. Tout d’abord, on relève un parallélisme bien structuré en v.25b : chaque stique est introduit par ‫ ; ברכת‬nous examinerons ces bénédictions l’une après l’autre. ‫ברכת שמים מעל‬25b ‫ברכת תהום רבצת תחת‬25b :‫ברכת שדים ורחם‬25b

La première bénédiction concerne ‫( שמים מעל‬des cieux d’en haut) à l’opposé de ‫( תהום רבצת תחת‬de l’abîme étendu en dessous). Les deux bénédictions englobent les deux extrêmes, le ciel et l’abîme en dessous. Ces deux éléments sont aussi présents en Dt 33,13, et nous procéderons à la comparaison plus loin. Westermann394 et Pehlke395 interprètent la mention du ciel et de l’abîme comme évoquant la fertilité du pays qui est nourri par la pluie d’en haut et les ruisseaux et les sources sous la terre. Mais il est plus préférable de rapprocher cette bénédiction de celle d’Isaac sur Jacob en Gn 27,28 : ‫( ויתן־לך האלהים מטל השמים ומשמני הארץ ורב דגן ותירש‬que Dieu te donne de la rosée du ciel et des huiles de la terre, du froment et du vin en abondance). Sous cet angle, il est possible de voir une transmission de la bénédiction d’Isaac sur Jacob à Joseph. Le mot ‫( שד‬sein) est ici d’un emploi unique dans le Pentateuque alors que le mot ‫( רחם‬entrailles) se rapporte souvent à la fécondité des femmes 393 394 395

Ces mêmes éléments avaient été repérés par C. WESTERMANN 1987, 239-240. C. WESTERMANN 1987, 240. H. PEHLKE 1987, 231.

ANALYSE LITTÉRAIRE DE GN 49

291

dans le livre de la Genèse (cf. Gn 20,18 ; 29,31 ; 30,22) et à la miséricorde divine en Ex 34,6-7. Aussi, le Smr et la LXX témoignent de la présence de la « mère » au début du v.26. Lutzky émet l’hypothèse que les vv.25-26 font allusion à Ashérah en notant que les noms de Dieu se présentent sous la forme El et Shadday en l’absence d’Elohim et de YHWH. « Le ciel et l’abîme » pourraient renvoyer aux anciens dieux des Cananéens, et il comprend Shadday comme épithète de la déesse pour désigner Ashérah, puisque le texte invoque déjà ‫( אל‬El) au v.25a, et que le verset va employer le verbe ‫( הרה‬concevoir) qui pourrait renvoyer à l’engendrement par ‫ שדים‬et ‫רחם‬, nutrix et genetrix396. Cette remarque s’écarte du texte, puisque l’invocation du Seigneur commence déjà au v.24b, et « El » et « Shadday » ne sont que la suite des différentes expressions pour désigner le Seigneur. Il n’y a aucune allusion à Ashérah, et le rédacteur des bénédictions réunit tous les éléments positifs relatifs à Joseph. Dans la suite, le v.26a (TM) vise à qualifier cette bénédiction : ‫ברכת אביך גברו‬26a ‫על־ברכת הורי‬26a ‫עד תאות גבעת עולם‬26a

Le début de ce verset évoque ‫( ברכת אביך‬les bénédictions de ton père) en parallèle avec le début du v.25, ‫( אל אביך‬le Dieu de ton père). Le sens de ce demi-verset est compréhensible397. La critique textuelle a discuté les passages difficiles en lisant ‫( הורי‬ceux qui m’ont conçu, dont la racine est ‫הרה‬, concevoir) comme ‫( הררי‬les montagnes), ce qui permet non seulement d’établir un lien avec Dt 33,15, mais aussi un parallèle avec ‫( גבעת‬les collines). Puis ‫( עד‬jusqu’à) pourrait être lu comme ‫על‬, ce qui n’a guère d’incidence sur la compréhension du texte. Eißfeldt dans la BHS propose de lire ‫ הורי עד־‬comme ‫הררי עד‬, suivi par Pehlke. Cette paire de mots se trouve également en Ha 3,6 : ‫( הררי־עד‬les montagnes éternelles) // ‫גבעות‬ ‫( עולם‬les collines éternelles) et sous une forme légèrement modifiée en 396

H.C. LUTZKY 1998, 23-26. Isaiah a essayé de proposer une lecture différente de Gn 49,25-26 en s’appuyant sur la paléographie. Selon lui, les deux mots ‫ גברו על‬devaient être à l’origine un seul mot. Le copiste a dû garder ‫ ברכת‬en mémoire, et en conséquence, en écrivant les consonnes ‫גבעל‬, il a naturellement ajouté ‫ ר‬à la suite de ‫ב‬. Et un autre copiste a adopté l’écriture plénière du mot ‫ גברעל‬ce qui donne ‫גברועל‬. Il a transformé ‫ ברכת אביך גברו על‬en ‫( ברכת אביב וגבעל‬de bénédictions d’un épi et de fleur). De la même manière, il lit ‫ ברכת שדים ורחם‬par ‫ברכת שםש‬ ‫( ורחים‬de bénédictions du soleil et des lunes). Ainsi, ces deux versets décrivent respectivement les produits de la terre et du ciel qui viennent en parallèle avec Dt 33,13b-14b. Cette suggestion se rapproche de la bénédiction de Moïse sur Joseph. Toutefois, aucun témoin textuel ne vient soutenir cette hypothèse et nous gardons un avis réservé à son propos, cf. S. ISAIAH 1946, 303-306. 397

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CHAPITRE IV

Dt 33,15 [‫( הררי־קדם‬les montagnes antiques) // ‫]גבעות עולם‬. De plus ‫עד‬ est souvent synonyme de ‫ עולם‬dans les poèmes hébraïques (cf. Ps 9,6 ; 10,16 ; 21,5 ; 45,7.18 ; 48,15 ; Ex 15,18 etc.). Il conclut que ‫ עד‬n’est pas une préposition, mais un nom398. Ces arguments sont assez pertinents. Il est tout à fait possible de considérer ‫ עד‬comme synonyme de ‫ עולם‬à la condition de lire ‫ הורי‬comme ‫הרי‬. La leçon retenue par la LXX est la traduction de ‫הררי עד‬. Le mot ‫( תאות‬les frontières), vient de la racine ‫תאה‬, qui a pu être confondue avec la racine ‫ « אוה‬désir »399. Aussi Westermann400 propose d’interpréter ce qu’il désire ici comme le don (‫ )מגד‬présenté en Dt 33,13-16 et Pehlke lit ‫ תאות גבעת עולם‬comme « the desirable eternal hills »401. Cette proposition qui ne correspond pas au contexte littéraire du verset tend à écarter le sens « frontière » en accord avec ‫( גבעת‬les collines). Branden considère que l’usage du mot ‫ עולם‬pourrait renvoyer à l’appellation de la déité402. Twersky associe ‫ גבעת עולם‬à la montagne sainte du Seigneur403. En revanche, de Pury estime que ce mot ne peut pas désigner un nom divin en soi puisque ‫ עולם‬est souvent utilisé en conjonction avec les autres noms divins dans les panthéons du POA404, et ‫ עולם‬ne désigne nulle part une divinité dans la Bible. Par ailleurs, le v.26b précise le destinataire de cette bénédiction, Joseph. Signalons le parallélisme entre ‫( לראש‬sur la tête) et ‫( לקדקד‬sur le crâne) : ‫תהיין לראש יוסף‬26b :‫ולקדקד נזיר אחיו‬26b

Le mot ‫ תהיין‬est la conjugaison de ‫ היה‬à la troisième personne du féminin pluriel jussif. La même phrase, ‫ לראש יוסף ולקדקד נזיר אחיו‬apparaît en Dt 33,16. Le lien entre la bénédiction de Joseph par Jacob en Gn 49 et celle de Joseph par Moïse en Dt 33 est incontestable. Le mot ‫ נזיר‬mérite explication. Le naziréat est évoqué tout d’abord en Nb 6 qui énonce une loi pour ceux qui acquittent un vœu de naziréat (Nb 6,2.13.18.19.20.21). Il comporte deux caractéristiques : la première porte sur le fait que la personne est vouée à Dieu (Nb 6,2b) ; et comme signes de cette appartenance à Dieu, la chevelure (Jg 13, l’histoire de 398

H. PEHLKE 1987, 234. Douze occurrences sur vingt et une ont le sens de « désir », Ps 10,3.17 ; 21,2 ; 112,10 ; Pr 10,24 ; 11,23 ; 13,12.19 ; 18,1 ; 19,22 ; 21,25 ; Is 26,8. 400 C. WESTERMANN 1987, 241. 401 H. PEHLKE 1987, 235. 402 Cf. A.V.D. BRANDEN 1990, 27-53, surtout p. 36. 403 G. TWERSKY 2019, 327. 404 A. de PURY 1995, 549-555, notamment p. 551. 399

ANALYSE LITTÉRAIRE DE GN 49

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Samson) et l’abstention du vin. Ce passage précise notamment que le nazir ne peut s’approcher d’un mort, en portant sur « sa tête » (‫ )ראשו‬le signe de « son naziréat » (‫( )נזרו‬Nb 6,7b). Un lien serait possible entre ‫ נזיר‬et la mention de la tête (‫ ראש‬et ‫ )קדקד‬ici. La description d’une bénédiction sur la tête n’a rien d’étrange dans la Bible (Dt 33,16 ; Pr 10,6 ; 11,26)405. La notion de la « mise à part » du ‫ נזיר‬est exprimée en Am 2,11. Par ailleurs, Pehlke considère que l’usage de ‫ נזרו‬pourrait faire référence au prestige et à la position de Joseph en Gn 48,22406. Dans la même ligne, Lunn propose de comprendre ce mot au sens de « prince » pour souligner la primauté de Joseph qui sera confirmée ultérieurement par 1 Ch 5,1-2407. Le mot ‫ נזיר‬désigne surtout le rôle particulier de Joseph par rapport aux autres frères, et il est difficile d’y voir l’attribution d’une notion de sacerdoce à la suite de Twersky408. Pour Swenson ce mot met l’accent sur la mise à part de Joseph par rapport à ses frères. Elle pense pouvoir traduire le mot ‫ קדקד‬par la « couronne » qui permet d’illustrer le rôle de « chef » de Joseph409. Mais ‫ קדקד‬a le sens de la « tête/crâne » et conserve le parallélisme avec ‫ ראש‬et Dt 33,16b. Le terme souligne le rôle particulier de Joseph et son lien avec Dieu comme évoqué en Gn 49,25a. Enfin, la mention ‫( אחיו‬ses frères) renvoie à ‫( אחיך‬tes frères) dans la sentence sur Juda au v.8, soulignant ainsi la supériorité de Juda et de Joseph par rapport à leurs frères. Nos analyses confirment la division en quatre parties des paroles sur Joseph : la métaphore (v.22) ; son courage (vv.23-24a) ; les invocations du Seigneur (vv.24b-25a) et sa bénédiction (vv.25b-26). Et les vv.24b-25a pourraient être une insertion tardive pour relier les deux autres éléments (vv.23-24a et vv.25b-26) de la sentence sur Joseph. Cette dernière sera « théologisée » puisque le Seigneur devient la source des actions et des bénédictions de Joseph, et le contenu de cette sentence constitue une louange de Joseph. Les allusions au cycle de Joseph impliquent la connaissance par le(s) rédacteur(s) de l’histoire de Joseph, ce qui conduit à voir dans cette sentence une composition tardive rassemblant des éléments divers. 405 Voir aussi 4Q 51 II (= 1 S 1,22-23), le mot ‫ נזיר‬a été attribué à Samuel, cf. E. PUECH 2019, 13-17. 406 H. PEHLKE 1987, 237. 407 N.P. LUNN 2010, 170. 408 G. TWERSKY 2019, 317-333. D’ailleurs, Ebach soutient l’idée que ‫ נזיר‬n’a pas le sens de Nazir/consacré comme en Nb 6. L’usage de ce mot dans la sentence sur Joseph vise simplement à souligner par l’emploi d’une expression générale la position unique et distinguée de Joseph par rapport à ses frères, cf. J. EBACH 2007, 630. 409 K.M. SWENSON 2008, 422-425.

294

CHAPITRE IV

Le parallèle entre Gn 49,22-26 et Dt 33,13-17 nous amène à éclairer ce point pour établir l’histoire de la rédaction de la sentence sur Joseph. 2.5.2. Les deux bénédictions sur Joseph : Gn 49,22-26 et Dt 33,13-17 Les mots ou les expressions identiques de ces deux passages se concentrent uniquement en Gn 49,25b-26, qui garde, dans le même ordre, des mots et des expressions en commun avec Dt 33,13b-15.16b, laissant supposer une dépendance littéraire. Y aurait-il eu un texte « proto-Joseph » comme source commune de Gn 49,22-26 et de Dt 33,13-17 ? Cependant malgré leur ressemblance, Gn 49,25b-26 et Dt 33,13b-15.16b montrent davantage de divergences. La sentence de Gn 49,22-26 est surtout reliée à l’histoire de Joseph. Les noms de Dieu marquent plus de diversité que la forme ‫יהוה‬ de Dt 33,13a, et la finale souligne plutôt « les bénédictions » (‫)ברכת‬. En revanche, Dt 33 met l’accent sur le don (‫ )מגד‬de Dieu et se termine par une évocation d’Ephraïm et de Manassé (Dt 33,17), absents de Gn 49. Les mots communs à ces deux sentences n’apportent pas la preuve de l’existence d’une source commune aux deux bénédictions. Des détails mettent en évidence les aspects spécifiques de chaque sentence sur Joseph. Le nom de Dieu est ‫ יהוה‬en Dt 33,13a. Gn 49,24b-25a a quatre formes différentes d’invocation, ‫ יהוה‬étant exclu. Cette formulation laisse la révélation de ‫ יהוה‬à Moïse (Ex 3,14) et assure la cohérence avec le passage d’Ex 6,3 où Dieu s’est révélé à Abraham, à Isaac et à Jacob comme ‫אל‬ ‫שדי‬, non comme ‫יהוה‬. La mention des bénédictions (‫ )ברכת‬est beaucoup plus régulière et rythmée reliant ‫ ברך‬au v.25a, que l’expression « par le don de » (‫ )וממגד‬de Dt 33,13b-15b. Enfin, l’expression ‫( שמים מעל‬les cieux d’en haut) est plus en cohérence avec ‫( תהום רבצת תחת‬l’abîme étendu en dessous) que ‫( שמים מטל‬les cieux, par la rosée). Le mot terre/pays (‫ )ארץ‬de Dt 33,16a marque le début de cette bénédiction au v.13 où le pays de Joseph est béni par le Seigneur, et la mention de la terre bénie est essentielle dans la sentence sur Joseph en Dt 33. Joseph séjournant principalement en Égypte dans le cycle de Joseph, ‫ ארץ‬est absent en Gn 49. Macchi remarque qu’en Dt 33 la bénédiction porte principalement sur la fertilité du sol (cf. v.13b : la rosée = l’eau ; v.14 : le soleil et la lune = la saison ; et v.15 : les montagnes), alors que Gn 49 souligne une perspective généalogique, avec deux fois ‫( אביך‬ton père)410. Cette remarque confirme les spécificités des deux passages. La présence du « buisson » (‫ )סנה‬renvoie directement à Ex 3, unique emploi en Ex 3,2.3.4 et Dt 33,16, 410

J.D. MACCHI 1999, 230.

ANALYSE LITTÉRAIRE DE GN 49

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loin du contexte littéraire du cycle de Joseph. Ces observations montrent que la sentence sur Joseph en Gn 49,22-26 se focalise sur l’histoire des patriarches et la lignée généalogique sans autres considérations. Dt 33,17 avec la métaphore du taureau (‫ )שורו‬renverrait à la discussion de Gn 49,22 au sujet de la métaphore végétale ou animale. Notre choix de la métaphore végétale repose sur le contexte littéraire du cycle de Joseph en référence à la famine où Joseph sauve la vie d’un peuple nombreux (Gn 50,20). Joseph est qualifié de premier-né (‫ )בכור‬en Dt 33,17, alors que ce titre ne peut lui être donné, Ruben étant nommé « premier-né » de Jacob en Gn 49,3 dans l’ordre de naissance. Le mot ‫ בכור‬ne pouvait donc pas être repris dans la sentence sur Joseph en Gn 49. En revanche, la place prééminente de Joseph et de ses deux fils est soulignée en Gn 48. Le parallélisme entre Gn 48,15-16 et Gn 49,24b-25a suggère que le rédacteur de la sentence a omis délibérément Ephraïm et Manassé pour deux raisons : d’une part, Gn 48 a déjà affirmé la prééminence de Joseph et de ses deux fils et, d’autre part, Gn 49 est centré sur les douze fils engendrés par les femmes de Jacob. Et Ephraïm et Manassé n’ont joué aucun rôle dans l’histoire de Joseph. L’allusion de Gn 49,24a à Dt 33,17b décrit la force de Joseph dans la guerre, thème absent en Dt 33,17. Ainsi Gn 49,24a est plutôt une réaction à Gn 49,23 qu’une reprise de Dt 33,17b. L’étude a relevé un certain parallélisme entre Gn 49,25b-26 et Dt 33,13b-15.16b qui autoriserait l’hypothèse que ces deux textes, Gn 49,22-26 et Dt 33,13-16, dont le jeu structurel participe à la construction du Pentateuque avec le parallèle entre testament et mort de Jacob et de Moïse, ont pu exercer une influence réciproque dans les ultimes phases de la composition du Pentateuque. Les deux sentences sur Joseph conservent leurs éléments essentiels : la fécondité sur la terre et la révélation de YHWH à Moïse pour Dt 33 et la lignée généalogique pour Gn 49, en s’appuyant réciproquement sur leurs contextes littéraires respectifs. À partir de nos analyses littéraire et comparative, nous pouvons proposer la composition rédactionnelle de la bénédiction sur Joseph en Gn 49. 2.5.3. La composition rédactionnelle en Gn 49,22-26 L’analyse littéraire a distingué quatre parties thématiques : v.22 (la métaphore) ; vv.23-24a (la guerre) ; vv.24b-25a (les noms de Dieu) et vv.25b-26 (la bénédiction). L’analyse et la comparaison avec Dt 33 ainsi que les allusions à d’autres passages du cycle de Joseph montrent l’existence de fragments indépendants des paroles sur Joseph. Toutefois l’homogénéité entre ces parties indépendantes est assurée par plusieurs éléments qui permettent l’organisation de Gn 49,22-26 :

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CHAPITRE IV

v.22 : la métaphore végétale de Joseph

réf. au cycle de Joseph

La construction interne : (‫ בנות‬- ‫ בן פרת‬- ‫)בן פרת‬ v.23 : le conflit contre Joseph (‫ )בעלי חצים‬réf. au cycle de Joseph v.24a : la réaction de Joseph (‫)קשתו‬ réf. au cycle de Joseph et Dt 33,17b La construction interne : (‫ו‬, 5×) + verbe ‫ ידיו‬à la fin du v.24a La source de la force de Joseph provient de Dieu. ‫ מידי‬au début du v.24b

vv.24b-25a : les appellations du Seigneur

réf. à Dt 33,13a et aux patriarches // Gn 48,15

La construction interne : (‫מן‬, 3×) + nom de Dieu ‫ אביך‬au début du v.25a

‫ ויברכך‬à la fin du v.25a

‫ אביך‬au début du v.26

‫ ברכת‬au début du v.25b

Dieu donne la bénédiction à Joseph

vv.25b-26 : la bénédiction sur Joseph

réf. à Dt 33,13b.14-15.16b réf. au cycle de Joseph

La construction interne : (‫ברכת‬, 5×) + (‫ל‬,2×)

Ce schéma montre la possibilité de regroupement dans un ensemble de quatre parties autonomes. Ces parties gardent leur construction interne propre sous une forme poétique, et constituent une unité cohérente, sans fracture, dans l’ensemble de la sentence sur Joseph. Pourtant le parallélisme entre Gn 49,25b-26 et Dt 33,13b-15.16b permet de voir dans les vv.23-24a la partie la plus ancienne de la sentence sur Joseph. Les points communs, les vv.25b-26 (la bénédiction) et Dt 33 peuvent refléter une tentative tardive d’harmonisation. En revanche, les vv.24b-25a sont peutêtre des ajouts secondaires faisant transition entre les vv.23-24a et les vv.25b-26. La malédiction de Ruben, Siméon et Lévi est cause du passage du droit d’aînesse à Juda. Or, les autres références bibliques mettent plutôt l’accent sur la prééminence de Joseph : – Gn 49,22-26 décrit la réception par Joseph d’une série de bénédictions du Seigneur ; – Dt 33,17a décrit le transfert du droit du fils aîné sur Joseph, et ses deux fils ; – 1 Ch 5,12, probablement postérieur à Gn 49, confirme également la place de Joseph comme fils aîné ;

ANALYSE LITTÉRAIRE DE GN 49

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– conformément à la prescription concernant l’héritage du fils aîné en Dt 21,15-17, Joseph bénéficie d’une double part d’héritage. Gn 48,22 atteste de ce droit et ce chapitre décrit la réception par les deux fils de Joseph, Ephraïm et Manassé de la bénédiction de Jacob. De ce point de vue, la mise en parallèle de Gn 48 et de Gn 49 assure l’équilibre entre Juda et Joseph. Nous avons déjà montré les ajouts postérieurs sur Juda dans le cycle de Joseph, et il est possible que le même rédacteur ait eu connaissance de l’ensemble de ce dernier. En prenant en compte le rôle de Joseph, il montre une bipolarité Juda-Joseph. Cette mise au jour d’une expansion de « Juda » renvoie à la critique historique : les phases les plus tardives de la composition du Pentateuque ont pu insister sur une prééminence judéenne, et non plus sur une dualité judéo-samarienne. La strate Juda « corrige » ainsi l’emphase de Gn 37ss sur le personnage de Joseph. Par ailleurs, la lettre commune de Samarie et de Juda sur l’autorisation de la reconstruction du temple dédié à Yahô (vers 410 av. J.-C.) à Éléphantine411 en Égypte atteste que les deux pôles Juda-Samarie exerçaient ensemble une autorité religieuse. Cet indice permet de supposer que la rédaction finale des deux sentences sur Juda et sur Joseph est vraisemblablement postexilique et peut être datée de l’époque perse. Nous apporterons des détails sur ce sujet au chapitre V. 2.5.4. Bilan Nous pouvons rappeler les trois résultats principaux auxquels nous sommes parvenus. Premièrement, l’analyse littéraire de Gn 49,22-26 montre la possibilité de l’existence de quatre fragments autonomes appelés à former la sentence de Joseph et réunis dans une unité homogène. Cette sentence garde une forme poétique et constitue une louange de Joseph. Deuxièmement, la comparaison entre la sentence sur Joseph en Gn 49,22-26 et celle de Dt 33,13-16 permet d’induire que ces deux passages ont servi à la construction du Pentateuque comme une tentative tardive d’harmonisation conservant cependant les particularités respectives du livre de la Genèse et de l’Exode. La formation de ce dernier texte montre une connaissance de l’ensemble des cycles de Jacob et de Joseph, ce qui suppose une rédaction tardive de la sentence de Joseph en Gn 49. En outre, la présentation d’une bipolarité Juda-Joseph suggère un contexte rédactionnel de Gn 49,22-26 plutôt postexilique, et de l’époque perse. 411

P. GRELOT 1972, 415-416.

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CHAPITRE IV

Troisièmement, à la différence de Dt 33,13-16 qui insiste sur la fécondité de la terre et la révélation du nom de YHWH à Moïse, la sentence sur Joseph en Gn 49,22-26 est surtout orientée vers la lignée généalogique en intégrant la bénédiction de Joseph dans celles des patriarches. Il nous reste à étudier la dernière sentence, celle de Benjamin, le dernier fils de Jacob et le petit frère de Joseph. 2.6. Benjamin (v.27) a. L’analyse littéraire du verset Cette sentence sur Benjamin pourrait être divisée en trois parties 3 : 3 : 3. Une métaphore animale – ‫( זאב‬loup) – ouvre le verset et la suite décrit son activité en mettant en parallèle les moments de la journée : ‫( בקר‬le matin) // ‫( ערב‬le soir), des verbes : ‫( אכל‬manger) // ‫( חלק‬partager), et la nourriture : ‫( עד‬proie) // ‫( שלל‬butin). ‫בנימין זאב יטרף‬27 ‫בבקר יאכל עד‬27 ‫ולערב יחלק שלל‬27

Le nom Benjamin (‫ )בנימין‬provient du changement du nom donné par sa mère, ‫( בן־אוני‬fils de tristesse) en ‫( בנימין‬fils de la droite), par son père Jacob en Gn 35,18. Benjamin est comparé à un loup, métaphore animale typique en Gn 49. Le mot ‫ זאב‬n’a que sept occurrences dans l’AT. Westermann note que dans les prophéties du jugement, la mention du loup n’est jamais vue positivement (Jr 5,6 ; Ez 22,27 ; Ha 1,8 ; So 3,3)412. Ce verset fait exceptionnellement l’éloge de Benjamin pour ses prouesses dans la guerre et/ou l’attirance pour le butin en Jg 5,14 ; 20, et il est certainement un reflet de l’époque des Juges413. En effet, Jg 5,14 loue le courage de la tribu de Benjamin dans la guerre ce qui est en cohérence avec la métaphore de Gn 49,27 ; ce dernier reflète peut-être cette tradition ancienne sur Benjamin. Caquot met en doute l’éloge de Benjamin : « Genèse 49,27 n’est sans doute pas plus à l’éloge de Benjamin qu’Ez 22,27 à celui des chefs de Jérusalem414 ». Cette remarque est confortée par Ez qui emploie la même expression : ‫( כזאבים טרפי טרף‬comme des loups déchirant une proie) pour 412 C. WESTERMANN 1987, 241. Il faut noter que dans les deux références à Is 11,6 et 65,25, la mention du loup est positive mais souligne le fait que même les animaux sauvages agressifs peuvent vivre en harmonie ; en conséquence, le caractère dangereux du loup y est confirmé. 413 C. WESTERMANN 1987, 241. 414 A. CAQUOT 1976, 14.

ANALYSE LITTÉRAIRE DE GN 49

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critiquer les princes de Jérusalem. Nous ferons une évaluation de Benjamin en fin de l’analyse. L’emploi du verbe ‫( טרף‬déchirer) à l’inaccompli qal se retrouve en Os 5,14 et en Ps 50,22 ‫( אטרף‬je déchirerai) pour décrire la violence de la punition par Dieu. Ps 7,3 emploie ‫( יטרף‬il déchire) pour décrire la souffrance du psalmiste. Am 1,11 (‫ויטרף‬, et il a déchiré) souligne la souffrance qu’Édom a causée au peuple d’Israël. Ce déchirement est rapporté au ‫( כשחל‬comme le lion) et à ‫( וככפיר‬et comme le jeune lion) en Os 5,14, à ‫( אריה‬lion) en Ps 7,3, et renvoie à la métaphore animale de Juda en Gn 49,9 où est utilisée ‫( ֶטּ ֶרף‬la proie). Pehlke rapproche Benjamin de Juda, son protecteur (Gn 43,8ss et 44,18ss), l’un est comparé au loup et l’autre au lion415. Ainsi cette sentence prendrait en compte la relation particulière de Juda et de Benjamin dans le cycle de Joseph. L’image du loup déchirant décrit Benjamin comme celui qui est capable de violence. La suite du verset détaille l’activité de Benjamin, le matin (‫ )בקר‬et le soir (‫)ערב‬. L’usage du mot ‫ עד‬au sens de proie n’a que trois occurrences dans la BH. La scène eschatologique de partage du butin est décrite en Is 33,23 par ‫( עד־שלל מרבה‬la proie du butin en abondance), où ‫ עד‬est associé à ‫ שלל‬comme dans la sentence sur Benjamin. So 3,8 utilise le même mot ‫ עד‬pour désigner le jugement eschatologique de Dieu. ‫ עד‬comme synonyme du mot ‫( טרף‬la proie) correspond bien à l’emploi du verbe ‫ יטרף‬au v.27a. L’usage assez rare dans la BH de ‫ עד‬employé dans ce verset permet non seulement l’harmonisation avec ‫יטרף‬, mais aussi la liaison avec ‫ שלל‬dans la suite. Par ailleurs, le verbe ‫( חלק‬diviser/partager) à l’inaccompli piel se trouve également en Gn 49,7. Ce mot est souvent liée avec ‫ שלל‬: ‫אחלק שלל‬ (je partagerai le butin, Ex 15,9) ; ‫( חלקו שלל‬partagez le butin, Jos 22,8) ; ‫( יחלקו שלל‬ils partagent un butin, Jg 5,30) ; ‫( תחלק שלל‬elle partagera le butin, Ps 68,13) ; ‫( מחלק שלל‬plus que partager le butin, Pr 16,19) ; ‫( בחלקם שלל‬quand ils partagent le butin, Is 9,2) ; ‫( יחלק שלל‬il partagera un butin, Is 53,12). Ce demi-verset suggère le succès du loup dans la chasse, et peut être interprété comme élogieux pour Benjamin416, et l’ensemble du verset garde une parfaite articulation entre l’image du loup et ses actions. Rappelons cependant que cette métaphore du loup ne correspond pas au rôle de Benjamin dans le cycle de Joseph. Le personnage y est présenté comme totalement passif, ne disant aucune parole et ne posant aucun 415

H. PEHLKE 1987, 238. La même idée a été exprimée dans A. de PURY, T. RÖMER, K. SCHMID, 2016, 259. Selon Gunkel, Bejamin est décrit ici comme un héros, H. GUNKEL 1997, 461-462. 416

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CHAPITRE IV

geste. Garbini considère qu’il n’y a que cinq fils de Jacob qui jouent un rôle important dans le cycle de Joseph en ignorant la place de Benjamin417. Ce personnage occupe cependant une place déterminante dans l’histoire puisque c’est à son sujet que Joseph met ses frères à l’épreuve (Gn 42,15), et c’est lui qui remplace, en quelque sorte, Joseph auprès de Jacob (Gn 42–43). La coupe de Joseph se trouve dans son sac (Gn 44,12) et Juda s’en porte garant (Gn 43,8-9 ; 44,18-34). Enfin, Joseph prend particulièrement soin de Benjamin (Gn 43,34 ; 45,22), et même si ces remarques confirment l’importance du personnage de Benjamin dans le cycle de Joseph, se pose la question du motif de l’allusion à sa capacité de violence. Cherchons une réponse dans l’origine de cette métaphore. b. Les sentences tribales concernant Benjamin Le chant de Débora fait l’éloge de la tribu de Benjamin qui participe à la guerre contre les Cananéens en Jg 5,14 : ‫[ אחריך בנימין בעממיך‬derrière toi Benjamin (est descendu) avec tes peuples]. La tradition biblique souligne l’aptitude à la guerre des Benjaminites (Jg 3,15ss) : le premier roi en Israël, Saül (un Benjaminite, 1 S 9,1), a mené des guerres (1 S 9,1 ; 11 ; 13) ; les écrits tardifs les définissent comme des guerriers (Jg 20 ; 1 Ch 8,40 ; 12,2 ; 2 Ch 14,7 ; 17,17). Gn 49,27 semble bien avoir assimilé cette tradition d’un Benjamin guerrier. En Dt 33,12, cette tribu est qualifiée de ‫( ידיד יהוה‬bien-aimé du Seigneur). La suite indique qu’elle demeure en sécurité en Dieu par deux emplois du verbe ‫( שכן‬demeurer) : ‫( ישכן לבטח עליו חפף עליו כל־היום‬il demeure en sécurité sur celui qui le protège tout le jour) ; ‫( ובין כתיפיו שכן‬et il demeure entre ses collines). Dans cette sentence sur la tribu de Benjamin n’apparaît nulle part la dimension de la guerre, au contraire, c’est la paix garantie par le Seigneur qui est mise en valeur. Les deux sentences tribales en Jg 5,14 et en Dt 33,12 décrivent la tribu de Benjamin de manière positive ; mais elles soulignent deux aspects très différents. Jg 5,14 met en avant son caractère guerrier, et Dt 33,12 la tranquillité et la paix assurées par le Seigneur. Le rédacteur de la sentence sur Benjamin a retenu plutôt l’image du guerrier telle que rapportée par des traditions bibliques, également en raison de sa relation particulière avec Juda, le lion. La métaphore du cycle de Joseph montre le succès du loup dans ses chasses. Aussi la sentence en Gn 49,27 est élogieuse à l’égard de Benjamin. 417

G. GARBINI 2003, 36.

ANALYSE LITTÉRAIRE DE GN 49

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c. Juda et Benjamin : quel rapport ? Ont déjà été mentionnées quelques allusions entre Juda et Benjamin au niveau lexical et dans le contexte littéraire du cycle de Joseph. Une récapitulation va nous interroger sur la composition de cette sentence. Gn 49,9a ‫גור אריה יהודה‬ ‫מטרף בני עלית‬

Gn 49,27 ‫בנימין זאב יטרף‬ ‫בבקר יאכל עד‬ ‫ולערב יחלק שלל‬

Parmi les métaphores animales présentées dans le testament de Jacob, seules celles concernant Juda et Benjamin mentionnent des animaux féroces et sauvages : le lion et le loup418. Les deux se mettent en action (‫ עלית‬/ ‫ )יחלק ; יאכל ; יטרף‬à cause des mêmes éléments : ‫טרף‬/‫ עד‬et ‫שלל‬, et partagent la même racine ‫טרף‬. En s’appuyant sur des données archéologiques des IXe et VIIIe s. av. J.-C., Na’aman soutient l’idée que « the highland district of Benjamin was an integral part of the kingdom of Judah in the monarchical period, and that its material culture differs from that of the hill country of Ephraim419 ». Après la division de la monarchie, mis à part Bethel très connu comme appartenant au Nord, le reste de Benjamin est en Juda420. Ses observations illustrent une ancienne tradition de l’appartenance de la majorité de la tribu de Benjamin à Juda. Aussi, le cycle de Joseph établit une relation particulière entre les deux personnages : Juda devient le garant de Benjamin auprès de Jacob en Gn 43,8ss et auprès de Joseph en Gn 44,18ss. Ces remarques autorisent l’hypothèse d’une référence de la sentence sur Benjamin à celle sur Juda. Nous avons déjà observé des ajouts sur « Juda » dans l’histoire de Joseph et, de fait, cette relation entre Juda et Benjamin relève d’une rédaction tardive. En conséquence, la rédaction de cette parole sur Benjamin pourrait être tardive elle aussi. Macchi remarque la combinaison « Juda et Benjamin » (‫ )יהודה ובנימן‬en Esd 1,5 ; 4,1 ; 10,9 ; 2 Ch 11,1.3.12.23 ; 15,2.8.9 ; 25,5 ; 34,9, ainsi que dans les passages tardifs de Jr 17,26 ; 32,44 ; 33,13421. Cette observation pertinente permet de dater l’unité de Juda et de Benjamin de l’époque perse. 418 Cette proximité entre la sentence sur Juda et celle sur Benjamin a été soulignée également chez J. EBACH 2007, 632. 419 N. NA’AMAN 2009b, 217. 420 N. NA’AMAN 2009a, 335-349. 421 J.D. MACCHI 1999, 249. Macchi fait référence à Ne 12,34, qui comporte la liste des participants aux deux grands chœurs parmi lesquels « Yehuda » et « Benjamin ». S’agissant des noms des personnes, une référence doit être corrigée et la référence à 2 Ch 31,1 n’est pas particulièrement pertinente car elle ne concerne pas la relation entre Juda et Benjamin.

302

CHAPITRE IV

Aussi, nous en concluons que la finale de la sentence sur Benjamin est composée tardivement à l’époque perse et qu’elle fait référence aux traditions anciennes concernant cette tribu guerrière, mettant en relief la parole sur Juda en Gn 49,9a. En outre, cette brève sentence sur Benjamin ressemble aux sentences sur les six autres fils qui sortent du contexte littéraire du cycle de Joseph. Il est dès lors légitime de poser la question suivante : pourquoi n’a-t-elle pas été placée avec ces derniers ? Ce déplacement après la sentence de Joseph, réunit les deux fils de Rachel, Joseph et Benjamin, et souligne le fait que contrairement aux six autres fils, Benjamin joue un rôle important dans le cycle de Joseph. Jusque-là, notre travail a distingué trois grandes compositions dans le cycle de Joseph : les tribus maudites : Ruben – Siméon – Lévi (les vv.1b-7), l’ensemble des six autres fils (vv.13-21) qui n’ont pas joué de rôle particulier, et une rédaction tardive regroupant Juda (vv.8-12) – Joseph (vv.22-26) – Benjamin (v.27) ; ces trois personnages sont déterminants pour le développement de l’histoire de Joseph. Plus loin, nous questionnerons l’ordre des douze et l’unification de ces trois grandes parties dans le discours de Jacob en Gn 1b-27. 3. LA

DISPOSITION LITTÉRAIRE DES DOUZE TRIBUS

3.1. Première observation Cette section est consacrée aux listes tribales. Dans le Pentateuque, trois listes de « recensement tribal » se distinguent des autres par la précision des noms et du nombre d’individus qui composent les tribus : Gn 46 présente une liste des enfants de Jacob descendus en Égypte tandis que Nb 1 et Nb 26 comportent chacun un recensement du peuple d’Israël au désert. Nous intéressant particulièrement aux trois sentences tribales, Gn 49, Dt 33 et Jg 5, il convient d’examiner la composition de ces listes, car, comme l’a observé Sparks422, elles peuvent nous renseigner sur différentes étapes de l’histoire d’Israël, et celles qui figurent dans le Pentateuque pourraient constituer des éléments importants pour alimenter la réflexion sur sa composition423. Le tableau ci-dessous expose l’ordre des tribus tel qu’il est présenté dans le TM des passages concernés : 422

Cf. K.L. SPARKS 2003, 327. Macchi a essayé d’analyser les 28 listes tribales de l’AT dans sa dissertation doctorale. En tenant compte de son travail et de l’impossibilité de traiter en détail toutes les listes, nous préférons choisir les listes les plus représentatives dans le Pentateuque et les discours tribaux pour tenter d’éclairer la question, J.D. MACCHI 1999, 258-280. 423

303

ANALYSE LITTÉRAIRE DE GN 49

Recensements tribaux dans le Pentateuque Gn 46,8-27 Nb 1,20-43 1

Ruben 2 Siméon 3 Lévi 4 Juda 5 Issachar 6 Zabulon 7 Gad 8 Asher 9 Joseph (Manassé et Ephraïm) 10 Benjamin 11 Dan 12 Nephthali

1

Ruben 2 Siméon 3 Gad 4 Juda 5 Issachar 6 Zabulon 7 Ephraïm 8 Manassé 9 Benjamin 10 Dan 11 Asher 12 Nephthali

Trois discours tribaux

Nb 26,5-50 1

Ruben 2 Siméon 3 Gad 4 Juda 5 Issachar 6 Zabulon 7 Manassé 8 Ephraïm 9 Benjamin 10 Dan 11 Asher 12 Nephthali

Gn 49 1

Ruben 2.3 Siméon+Lévi 4

Juda Zabulon 6 Issachar 7 Dan 8 Gad 9 Asher 10 Nephthali 11 Joseph 12 Benjamin 5

(Lévi à part) (Lévi à part)

Dt 33 1

Ruben 2 Juda 3 Lévi 4 Benjamin (Eph+Man) 5 Joseph 6 Zabulon 7 Issachar 8 Gad 9 Dan 10 Nephthali 11 Asher

Jg 5 1

Ephraïm 2 Benjamin 3 Makir (Manassé) 4 Zabulon 5 Issachar 6 Ruben 7 Galaad (Gad) 8 Dan 9 Asher 10 Nephthali

(Siméon, Lévi (Siméon omis) et Juda omis)

Jg 5 ne mentionne que dix tribus. Dt 33 offre une liste de onze tribus : la tribu de Siméon y est absente. Les listes au chiffre de douze se trouvent en Gn 46, Gn 49, Nb 1 et Nb 26. À la différence de Gn 46 et de Gn 49, la tribu de Lévi se trouve à la fin des listes de Nb 1 et de Nb 26. Nb 26 mis à part, le TM et la LXX présentent les listes dans le même ordre. Quant à Nb 26, le TM présente quasiment le même ordre que Nb 1 avec une légère différence de l’ordre Ephraïm-Manassé. La version de la LXX témoigne du même ordre que Gn 46, la tribu de Lévi étant mise à part. Ces observations débouchent sur la question suivante : les variantes à l’intérieur de ces listes tribales sont-elles les témoins d’étapes significatives de l’histoire d’Israël ? Nous analyserons chaque liste pour en observer la composition tribale. 3.2. Le cycle de Joseph : Gn 46 et Gn 49 Le cycle de Joseph ne mentionne que deux fois la liste des douze fils : en Gn 46 et Gn 49. Dans ce contexte littéraire, il ne s’agit pas encore de tribus, mais des douze fils de Jacob424. Il est évident que Gn 46 ordonne sa liste tribale selon l’ordre matrilinéaire. On trouve d’abord les six fils de Léa : Ruben – Siméon – Lévi – 424 Il faut noter pourtant que paradoxalement dans le TM de Gn 49,28 le discours de Jacob s’adresse aux douze tribus d’Israël, alors que la version de la LXX insiste sur « les douze fils de Jacob ».

304

CHAPITRE IV

Juda – Issachar – Zabulon sont présentés dans l’ordre de leur naissance (Gn 29,32-35 ; 30,17-20). Viennent ensuite, les deux fils de la servante Zilpa également dans l’ordre de leur naissance : Gad et Asher (Gn 30,10-12). Suivent Joseph et Benjamin, les deux fils de Rachel (Gn 30,23-24 ; 35,17-18), la liste tribale se terminant avec les deux fils de la servante Bilha, Dan et Nephtali (Gn 30,5-8). Cette liste observe strictement l’ordre matrilinéaire avec Léa-Zilpa et Rachel-Bilha. Les fils sont cités dans l’ordre de leur naissance selon leur ascendance maternelle425. Et sans surprise, les deux fils de Joseph sont également cités sous la forme couplée Manassé-Ephraïm, dans l’ordre de leur naissance (Gn 41,45). Autrement dit, la logique de Gn 46 est strictement narrative. L’ordre suivi par Gn 49 est plus difficile à comprendre. Les six premiers mentionnés (vv.3-15) sont nés de Léa, et les quatre premiers fils sont cités dans l’ordre de naissance avec Ruben–Siméon–Lévi– Juda. L’analyse littéraire a relevé que le droit d’aînesse échoit finalement à Juda après la malédiction des trois premiers fils. Puis, l’ordre Zabulon–Issachar correspond à la liste tribale de Dt 33 et de Jg 5 qui ne respecte pas l’ordre de naissance. Au milieu du discours de Jacob, les enfants de Zilpa (Gad et Asher) et de Bilha (Dan et Nephtali) se mélangent entre eux. (Dt 33 et Jg 5 associent également Gad–Dan et Asher–Naphthali). L’ordre de naissance des six fils intermédiaires n’est plus une préoccupation essentielle ; (celle-ci est plus perceptible en Dt 33 et Jg 5). À la fin de cette liste, les deux plus jeunes fils de Jacob, Joseph et Benjamin (vv.22-27), sont ceux de Rachel. Cette observation permet de souligner quelques points importants de ce discours tribal : – d’abord, la liste respecte également l’appartenance matrilinéaire : les six fils de Léa – les quatre fils des deux servantes – les deux fils de Rachel. – ensuite, l’ordre de naissance n’est important que pour les quatre premiers fils et les deux fils de Rachel. 425 Il est possible que la liste de la famille de Jacob descendue en Égypte en Gn 46,8-27 soit un écrit post-P ajouté au moment où le récit sur la naissance des fils de Jacob (Gn 29,31–30,24 ; Gn 35,16b-18) a été composé. Comme Joseph fait partie de cette liste, on peut logiquement considérer que l’histoire proprement dite de Joseph n’était pas connue par le(s) rédacteur(s) de Gn 46,8-27. Par ailleurs, si nous voulons regarder plus loin, la liste tribale telle qu’elle est présentée en Ex 1,1-6 est une rédaction postérieure à Gn 46,8-27 puisque le premier mentionne le fait que Joseph n’était pas parmi les fils de Jacob à la descente en Égypte : il y était déjà installé. En outre, cette liste d’Ex 1,1-6 observe l’ordre matrilinéaire : d’abord les six fils de Léa, puis Benjamin (Joseph était déjà en Égypte), puis les fils des deux servantes.

ANALYSE LITTÉRAIRE DE GN 49

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Cette observation confirme la conclusion de l’analyse littéraire : Gn 49 est une rédaction tardive qui prend en compte le cycle de Jacob et celui de Joseph où Ruben – Siméon – Lévi – Juda et Joseph – Benjamin jouent les rôles importants. En réalité, c’est l’enjeu théologique et politique qui prévaut dans l’organisation de la liste, elle est donc postérieure à celle de Gn 46. Il devient clair que les deux listes tribales n’ont pas la même logique de construction : celle de Gn 46 souligne l’ordre généalogique, alors que celle de Gn 49 est plus « politique ». L’importance de l’ordre tribal de Gn 49 apparaîtra à la fin de notre étude. 3.3. Les listes des tribus du livre des Nombres : Nb 1 et Nb 26 Des deux recensements du livre des Nombres, le premier correspond à la deuxième année après la sortie d’Égypte (Nb 1,1) ; et le second se situe juste avant l’entrée en pays de Canaan (Nb 26,1-4). Ces deux recensements y jouent un rôle déterminant. À partir d’eux Olson426 a essayé de structurer ce livre pour définir les deux générations : Nb 1–25 et Nb 26–36. En conséquence, les résultats permettraient d’éclairer tout le livre des Nombres. D’abord ces deux recensements ne sont pas nécessaires pour la continuité du récit. L’insertion de Nb 1 et Nb 26 a pour seul but de distinguer les deux générations du désert ; les deux fils de Joseph, Manassé et Ephraïm, deviennent deux tribus individualisées ; et la tribu de Lévi est traitée à part à la fin de chaque liste, respectivement en Nb 3–4 et en Nb 26,57-62. Mis à part Gad, l’ordre des deux recensements correspond à l’ordre matrilinéaire en Gn 35,23-26 : les fils de Léa, puis ceux de Rachel et enfin, ceux des deux servantes : Bilha et Zilpa. En outre, la LXX de Nb 26 respecte l’ordre de Gn 46. Kislev a essayé de montrer que ce dernier est la base de la structure tribale de Nb 26 qui est l’« accomplissement » de la promesse patriarcale427. Davies comprend les deux chiffres du total 426 D.T. OLSON 1985. La première partie du livre, Nb 1–25, raconte la marche dans le désert de la première génération, et Nb 26–36 se concentre sur la deuxième génération. Et le point culminant se trouve dans l’histoire des espions en Nb 13-14. 427 I. KISLEV 2016, 189-204. Kislev formule quelques explications de cette dépendance de Nb 26 à l’égard de Gn 46. Nb 26,4 dit explicitement que l’ordre présenté est celui des « fils d’Israël qui étaient sortis du pays d’Égypte » (‫ )בני ישראל היצאים מארץ מצרים‬ce qui renvoie à Gn 46,8. Par ailleurs, Nb 26 contient des variantes généalogiques qui n’appartiennent pas aux listes des clans (Nb 26,19.21.28.29.30.33.36.40.46 etc.), il est possible que ce chapitre soit dérivé d’une généalogie. En outre, Nb 26 fait référence aux registres propres

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CHAPITRE IV

des deux recensements (603.550 en Nb 1 et 601.730 en Nb 26) comme l’accomplissement de la promesse de Dieu faite aux patriarches d’une descendance nombreuse (Gn 12,1-3 ; 46,3) avant même de rentrer au pays de Canaan428. D’ailleurs, Nb 1 s’appuie sur Nb 26 en présentant un travail plus élaboré429, même si certains détails sont en faveur d’une interdépendance de Nb 1–2 et Nb 26430. Par ailleurs, Römer observe que « les deux recensements en Nb 1–4 et 26 reposent d’abord sur la conception d’un peuple organisé en douze tribus. On constate cependant que, par rapport à des listes plus anciennes, la tribu de Lévi est traitée à part, l’idée étant que cette tribu, en tant que tribu sacerdotale, n’aura pas de territoire qui lui soit propre. Pour arriver au chiffre 12, Joseph est subdivisé en Ephraïm et Manassé431 ». Cette observation suppose que pour l’établissement de ces à Gn 46 (Nb 26,19 mentionne la mort de Er et d’Onân en Canaan ; Nb 26,46 parle de la fille d’Asher). Enfin, chaque clan ne se présente pas comme un groupe social constitué, mais en lien avec une figure des ancêtres. L’auteur conclut à la succession de trois stades de composition de Nb 26. Au départ, c’est la liste intégrale de Gn 46 qui est reprise pour montrer que le petit groupe de la famille de Jacob qui descend en Égypte devient un peuple nombreux. Dans un deuxième temps, le(s) rédacteur(s) de Nb 26 met(tent) la tribu de Lévi à part en vertu du principe que cette dernière ne possède pas la terre (Nb 1,47.49 ; 2,33 ; 18,23.24 ; 26,62), mais la liste de Gershôn – Qahat – Merari en Nb 26,57 atteste bien son enracinement en Gn 46,11, et les passages correspondant aux additions (l’introduction des vv.1-4 ; le post-scriptum aux vv.63-65 ; la réécriture du recensement de Manassé aux vv.29-34) permettent le passage de la liste originale à son état actuel. Enfin, la révision de Nb 26 observée dans le TM s’éloigne de Gn 46 pour se rapprocher de l’ordre tribal de Nb 1, sauf l’ordre de Manassé-Ephraïm. Ce travail montre le lien étroit entre Gn 46 et l’ordre originel de Nb 26, cf. I. KISLEV 2013, 238-239. 428 E.W. DAVIES 1995, 468-469. Davies a analysé plusieurs hypothèses (1. Des jeux de mathématiques ; 2. Les deux listes étaient des versions tronquées du même original ; 3. L’astronomie babylonienne ; 4. L’interprétation du mot elep (mille) par ‘famille’ ou ‘groupe de tentes’) avant d’arriver à cette conclusion plus convaincante qui respecte mieux l’intégralité du texte. 429 R. ACHENBACH 2003, 443-469. Comme Kislev, Achenbach a montré une dépendance de Nb 26 vis-à-vis de Gn 46. Dans la suite, il a essayé de démontrer que Nb 1 s’appuie sur Nb 26. 430 Kislev montre plutôt une interdépendance de Nb 1–2 et Nb 26. L’usage du terme ‫( משפחת‬clan) et l’expression ‫( ראובן בכור ישראל‬Ruben premier-né d’Israël) attestent le fait que Nb 1 dépend de Nb 26. La mention explicite de ‫ובאלה לא־היה איש מפקודי משה ואהרן‬ ‫( הכהן אשר פקדו את־בני ישראל במדבר סיני‬Parmi eux, il ne restait plus un seul homme de ceux qu’avaient recensés Moïse et le prêtre Aaron, lorsqu’ils firent le recensement des fils d’Israël dans le désert au Sinaï, TOB) en Nb 26 fait allusion au recensement de Nb 1. Cette observation amène Kislev à conclure que ce sont les mêmes rédacteurs qui ont rédigé Nb 1–2 et Nb 26 et qui ont voulu conserver ces deux documents en les plaçant à deux périodes différentes de la marche au désert. En raison du caractère tardif des expressions : ‫( אבות בית‬maison du père), ‫ אבות‬et ‫( דגל‬étendard, Nb 1,52 ; 2,2-3.10.17-18.25.31.34), Kislev considère que l’édition des deux textes a été élaborée durant l’époque perse, cf. I. KISLEV 2016, 198-202. 431 T. RÖMER 2019b, 219.

ANALYSE LITTÉRAIRE DE GN 49

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deux recensements de Nb, Gn 48 où les deux fils de Joseph ont été adoptés par Jacob, était connu, ce qui permet la mise à part de la tribu de Lévi. De même, Macchi considère l’organisation tribale en Nb comme « le dérivé du système généalogique de la Genèse adapté au contexte du livre des Nombres et de la théologie sacerdotale qu’il véhicule432 ». Ces remarques confirment l’organisation des douze en Nb en lien direct avec la généalogie exposée dans le livre de la Genèse. En même temps, ces deux listes tribales en Nb 1 et Nb 26 respectent la composition des douze figurants en Gn 49. Par ailleurs, Macchi remarque le caractère « pro-Juda » de Nb 2,3-31 ce qui correspond à la valorisation de ce dernier en Gn 49433. En outre, il faut remarquer que dans l’ordre de marche en Nb 10, c’est l’étendard de Juda qui est en tête (Nb 10,14). De même, c’est la tribu de Juda qui vient en premier dans l’ordre de l’offrande de la Dédicace par tribu en Nb 7. Cet ordonnancement reflète également la tendance « pro-Juda » manifestée en Nb. En outre, le recensement de la tribu de Juda est de 74.600 en Nb 1 ; celle d’Ephraïm (40.500) ajoutée à celle de Manassé (32.200) mène au total de 72.700. Il est possible d’émettre l’hypothèse que Nb 1 pose l’équivalence entre Juda et Joseph. Quant à Nb 26, la tribu de Juda arrive à 76.500 ; celle d’Ephraïm (32.500) ajoutée à celle de Manassé (52.700) donne 85.200, dépassant ainsi légèrement Juda. Cette notion d’équivalence Juda–Joseph, associée à la propension à souligner l’importance de Joseph, correspond parfaitement à la stratégie de Gn 49. En résumé, le lien est étroit entre la liste de Gn 46 et celle de Nb 26. La conception d’un peuple organisé en douze tribus, attestée par la formation de Nb 1–2 et la version du TM de Nb 26, provient des douze fils de Jacob descendus en Égypte en Gn 46. La mise à part de Lévi dans les deux recensements résulte du caractère spécifique de cette tribu sans territoire. Et la division de la tribu de Joseph en Manassé-Ephraïm trouve son origine dans l’adoption de ses deux fils par Jacob en Gn 48. L’ordre des douze en Gn 49 n’a plus de lien direct avec les deux recensements de Nb. Cependant, l’ordonnancement des douze en Gn 46, Gn 49, Nb 1 et Nb 26, garde sa cohérence pour le développement des récits dans le Pentateuque. L’équivalence Juda–Joseph est soulignée par les deux recensements (Nb 1 et 26) et par Gn 49.

432 433

J.D. MACCHI 1999, 265. Cf. J.D. MACCHI 1999, 265-266.

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CHAPITRE IV

3.4. Pourquoi douze ? Nous avons vu qu’il existe une cause originelle à la mention des douze que l’on retrouve en Gn 46, Gn 49, Nb 1 et Nb 26434, et qui provient à l’origine de la naissance des fils de Jacob en Gn 29,31–30,24. Il est évident que ce passage de naissances n’est pas nécessaire à la continuité du récit : ce n’est pas la raison pour laquelle Jacob quitte Laban (Gn 30,25b) et les enfants ne jouent aucun rôle en Gn 30,25–33,20435. Au contraire, ce dernier épisode représente plutôt une rupture, car sans lui, le récit se concentrerait mieux sur le défi entre Jacob et Laban. Cette remarque laisse supposer que cette notion des douze est probablement un ajout tardif. Noth a émis la thèse de la construction d’Israël en ligue amphictyonique pour assurer l’entretien du sanctuaire où chaque responsable assure un des douze mois de l’année436. De Vaux mentionne l’amphictyonie pyléodelphique, au VIe s. av. J.-C., qui est la mieux connue et la plus importante, et qui malgré un changement de composition, conservera l’effectif de douze jusqu’à l’empire romain437. Il a été « objecté à la thèse de M. Noth que l’hébreu ne possédait aucun mot pour désigner cette amphictyonie supposée et que le nom d’Israël n’était pas un substitut suffisant438 ». Macchi avance trois raisons pour abandonner la thèse de Noth. D’abord, les amphictyonies grecques ne sont attestées qu’à partir du VIe s. av. J.-C. et font partie d’un univers culturel assez différent du milieu sémitique ancien. Ensuite, l’organisation de l’amphictyonie se concentre sur un sanctuaire statique, alors que dans l’histoire d’Israël, plusieurs sanctuaires (Sichem, Béthel, Guilgal, Silo) sont évoqués. Enfin, l’appui textuel de Jos 24 pour étayer l’hypothèse amphictyonique est mal choisi car ce texte est une composition tardive439, comme l’a montré l’histoire de la recherche. Ces arguments semblent assez convaincants. Liverani conteste aussi l’hypothèse amphictyonique en raison de l’absence d’information sur une rotation mensuelle des fonctions à l’époque monarchique440. Il estime plutôt que les territoires tribaux « classiques » 434 Macchi considère que Nb 1 et Nb 26 mentionnent treize tribus en prenant en compte la tribu de Lévi ; il est évident que les rédacteurs de ces deux passages ont mis cette dernière à part en raison de son caractère spécifique et en divisant Joseph en deux tribus en comptant ses fils ; le chiffre douze est donc délibérément retenu, cf. J.D. MACCHI 1999, 257. 435 Gn 30,25a fait la transition entre le récit de la naissance (Gn 29,31–30,24) et le projet de départ de Jacob en Gn 30,25bss. 436 M. NOTH 1954, 97-120. 437 R. de VAUX 1973, 21-24. 438 R. de VAUX 1973, 25. 439 J.D. MACCHI 1999, 254-255. 440 M. LIVERANI 2008, 411.

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ont été fixés sous Josias, et que leur mémoire s’est perpétuée après l’exil, ce qu’il résume ainsi « l’organisation officielle d’une ‘ligue’ des douze tribus (…) est, de toute évidence, utopique (…) et tardive, conçue en fonction de la réoccupation postexilique441 ». Liverani confirme que l’idée des douze tribus est tardive sans en donner une raison convaincante. Malgré le rejet de l’hypothèse de l’amphictyonie, on doit rappeler la fonction des douze préfets (‫ )שנים־עשר נצבים‬de Salomon telle qu’elle est décrite dans la Bible : « Salomon avait douze préfets sur tout Israël, qui approvisionnaient le roi et sa maison ; il revenait à chacun d’y pourvoir un mois par an » (1 R 4,7 ; 5,7). L’idée d’une ligue amphictyonique y est présente même si la fonction de ces préfets n’a pas pour objet un sanctuaire, mais la maison du roi. En outre, cette indication rappelle le fait que la composition de douze est liée aux douze mois de l’année. Dans la même ligne, l’organisation civile et militaire se divise également selon les douze mois de l’année : « chef de familles, officiers de milliers et de centaines et leurs scribes au service du roi, pour tout ce qui concernant les classes en activité pour un mois, tous les mois de l’année » (1 Ch 27,1). Dès lors, on peut réfléchir sur le lien entre l’organisation des douze et les douze mois de l’année. L’usage de la racine ‫( נצב‬préfet) à la forme de niphal est tardif ; en conséquence, l’organisation selon le nombre douze est probablement un phénomène tardif. Notre analyse littéraire de Gn 49 appuie l’hypothèse d’une rédaction tardive de ce dernier, probablement à l’époque perse. Il est important de ne plus considérer les douze tribus d’Israël comme une réalité historique, mais comme une notion symbolique442. Indépendamment de l’hypothèse de l’amphictyonie, Waerden a étudié l’histoire du zodiaque d’où il ressort que l’idée d’une relation entre les constellations et les mois de l’année est très ancienne et remonte à la fin du deuxième millénaire (environ 1100 av. J.-C.)443. Il précise que la ceinture zodiacale avec ses constellations était connue en Babylonie dès 700 av. J.-C.444 et que les douze signes zodiacaux apparaissent pour la première fois dans un texte astronomique babylonien, VAT 4924, daté de 419 av. J.-C.445. Cassirer interprète le deuxième rêve de Joseph comme désignant Joseph lui-même sous la forme du douzième signe446. Il est intéressant de voir que l’interprétation exégétique a très rapidement intégré 441 442 443 444 445 446

M. LIVERANI 2008, 414. C. FREVEL 2021, 161-164. B.L. van der WAERDEN 1953, 221. B.L. van der WAERDEN 1953, 218. B.L. van der WAERDEN 1953, 220. M. CASSIRER 1949, 173.

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CHAPITRE IV

l’idée de douze. De Vaux estime que « le chiffre douze, qui est celui des mois de l’année et des signes du zodiaque, exprime la plénitude447 ». De son côté, Achenbach interprète la conception du recensement en Nb 2 comme étant liée au concept du Zodiaque sous l’influence de la théologie de la Golah448. Dans la même perspective, Barnouin élabore une théologie des chiffres : « les nombres qui mesurent les mouvements célestes convenaient admirablement pour la description sacrée des tribus des ‘enfants d’Israël’ qui étaient devenues ‘les armées de YHWH’ marchant autour de sa présence449 ». En conséquence, l’origine des douze tribus serait en rapport avec cette représentation astronomique babylonienne de la totalité de l’année ou de la plénitude. Par ailleurs, Hérodote450 (Histoire III,3.13) note que l’armée perse a pour tradition d’organiser la cavalerie en douze tribus/nations. À propos de l’organisation des douze dans le livre des Nombres, Römer451 remarque que le roi perse organisait un recensement annuel des armées dans son empire où le service militaire commençait à l’âge de vingt ans ; de plus, l’armée perse était organisée en douze unités. Macchi résume ainsi les origines de la notion des douze : En effet, dans le calendrier de douze lunes par année, ce chiffre vient symboliser la totalité, tout comme c’est le cas dans le cadre du Zodiaque qui, dès cette période, se développe en Perse et en Grèce. Les amphictyonies grecques qui apparaissent au sixième siècle offrent aussi un parallèle contemporain intéressant puisque le chiffre douze, lié aux mois de l’année, les caractérise452.

D’après lui le symbole du chiffre douze est reconnu au POA aux VIe et Ve s. av. J.-C. Cette organisation en douze ne reflète donc pas une réalité historique, mais représente plutôt le symbole de la totalité pour signifier la fondation du peuple d’Israël. Cette notion de douze intervient tardivement dans la BH. Notons qu’il n’y a pas de consensus parmi les chercheurs à ce sujet. En dehors du discours de Gn 49, cette formation de douze n’a pas été retenue dans le testament de Jg 5 et ni dans celui de Dt 33. 447

R. de VAUX 1973, 25. R. ACHENBACH 2003, 484-485. 449 M. BARNOUIN 1977, 303. L’auteur expose que le chiffre douze « permet de voir les tribus disposées en quatre corps d’armée, face aux quatre points cardinaux, autour de la Présence (…) » (p. 280-281). Cela pourrait donner l’explication du campement des tribus autour de la Tente de Rendez-vous en Nb 2. 450 La connaissance de cette source provient de la conférence de Römer au collège de France sur le livre des Nombres prononcé le 02/03/17. 451 Römer a exprimé cette idée dans son cours sur le livre des Nombres au collège de France prononcé le 02/03/2017. 452 J.D. MACCHI 1999, 272. 448

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3.5. Jg 5 On a noté plus haut que Jg 5 ne mentionne que dix tribus. Sparks suggère que l’absence de Juda et de Siméon s’explique par les origines nordiques de cette liste qui est associée aux traditions concernant les juges héroïques du Nord et que l’unité des dix tribus relève peut-être d’une esthétique numérique primitive représentant un Israël idéal453. Il considère que le chant de Débora est la liste tribale la plus ancienne qui ne peut être postérieure au IXe s. av. J.-C.454. De même, Macchi considère que ce texte remonte à l’époque monarchique et reflète une liste des tribus du Nord455. De Hoop pense lui aussi que Jg 5 est une liste nordiste, et il remarque surtout que les quatre références géographiques (Ephraïm et Benjamin au Nord, Makir à l’Est, Zabulon au Nord) en Jg 5,14 pourraient indiquer le territoire correspondant à celui du roi Saül aux XIe et Xe s. av. J.-C.456 Leurs remarques conduisent à considérer Jg 5 comme une liste tribale ancienne du Nord. En revanche, de Moor a proposé de traduire Jg 5,13 par « Then the princes of Yôdah descended to the dignitaries, with YHWH descended Levi with heroes457 ». En ajoutant « Juda » et « Levi » au début du chant de Débora, il essaie de reconstituer la liste des douze en concluant qu’elle se rapproche de Gn 49458. Il est difficile d’accepter une telle transformation scripturaire sans aucun témoin textuel, et préférable de respecter la liste des dix tribus telle qu’elle est présentée en Jg 5. Les arguments de Sparks sont convaincants et le chiffre dix peut répondre à un souci d’esthétique numérique. Schorn459 remarque que les tribus de Makir et de Galaad sont incluses en Jg 5, alors que celles de Siméon, Juda et Lévi y sont omises. Elle conclut que le cantique de Débora n’est pas une liste tribale, mais plutôt un « heroisches Lied »460. Elle considère que le chant concernant Ruben est un ajout secondaire pour trois raisons : sa longueur par rapport à ce qui concerne les autres tribus ; Ruben n’a pas été critiqué à cause de ses actions dans la guerre, mais plutôt en raison de son éloignement en Transjordanie et de son isolement politique ; la sentence sur Ruben en Jg 5,16, « pourquoi es-tu entre les sacs de bât » se rapproche de Gn 49,14 sur 453

K.L. SPARKS 2003, 328. K.L. SPARKS 1998, 94-124, spécialement p. 123. 455 J.D. MACCHI 1999, 275. 456 R. de HOOP 2009, 165-166. 457 J.C.D. MOOR 1993, 487. 458 J.C.D. MOOR 1993, 487-494. 459 U. SCHORN 1997, 116-136 (concernant Jg 5) ; 248-264 (concernant Gn 49) ; 282-287 (le résumé de son travail). 460 U. SCHORN 1997, 122. 454

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CHAPITRE IV

Issachar, « couché entre les sacs de bât ». En conséquence, Schorn suggère que cette insertion de Ruben provient de la référence à Issachar en Gn 49461. Elle postule une rédaction archaïque de Gn 49 antérieure à Jg 5, ce qui va à l’encontre de nos résultats exposés ci-dessus. Sparks émet des objections aux propos de Schorn462 qui n’aurait pas suffisamment justifié l’insertion secondaire de la tribu de Ruben ni l’absence de tribus importantes comme celles de Juda, de Siméon et de Lévi. Schorn considère en effet que la tribu de Ruben a été traitée et critiquée secondairement en Gn 49, Dt 33 et Jg 5 à l’époque postexilique en raison de la discussion sur l’identité de la Transjordanie. Cette remarque est séduisante, mais elle pose des questions. Tout d’abord, en Jg 5, on note une construction similaire concernant Ruben, Galaad, Dan et Asher, et en l’occurrence, l’insertion de Ruben n’était pas si évidente : v.16 v.17 v.17 v.17

Ruben ‫למה ישבת בין המשפתים‬ ‫בעבר הירדן שכן‬ Galaad ‫למה יגור אניות‬ Dan ‫ישב לחוף ימים‬ Aser

(pourquoi es-tu assis entre les deux sacs de bât) (il demeure au-delà du Jourdain) (pourquoi vit-il sur des vaisseaux) (est assis au bord de la mer)

En Gn 49, Ruben est mentionné positivement au v.3 en tant que fils aîné de Jacob. Selon notre analyse, il est critiqué uniquement au v.4 qui est relié directement à l’histoire de Gn 35,22. Notre analyse sur Ruben en Gn 49,3-4 considère que sa malédiction n’est pas nécessairement liée à sa situation géographique en Transjordanie, mais plus probablement à la relecture de l’ensemble de Nb. En conséquence, il est difficile de soutenir l’hypothèse de Schorn qui s’appuie sur une critique de Ruben liée à l’identité de la Transjordanie, puisque cette critique de l’implantation transjordanienne n’intervient que dans le supplément tardif de Nb 32,6b-15. Quant à Dt 33, la tribu de Ruben n’y est pas critiquée, elle est même placée au premier rang dans la liste. L’argumentation de Schorn sur l’absence du verbe ‫ אמר‬dans la sentence sur Ruben en Dt 33,6 n’est pas déterminante pour conclure à l’insertion de ce dernier. Il est possible que le v.6 soit lié aux vv.4-5, et dans ce cas-là, la formule ‫ אמר‬n’est pas nécessaire. L’étude de Schorn sur Ruben ouvre des pistes intéressantes, sans appuyer ses conclusions. Il ne semble donc pas justifié de mettre en cause l’unité des dix tribus présentées en Jg 5. Par ailleurs, Stager a noté la tension entre les cité-états cananéennes autour de Jezréel et les groupes israélites voisins dans le chant de Débora463. Ces éléments, la terre cananéenne – le conflit – Jezréel, concernent un 461 462 463

U. SCHORN 1997, 134. K.L. SPARKS 2003, 336-337. L.E. STAGER 1988, 221-234.

ANALYSE LITTÉRAIRE DE GN 49

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contexte nordiste en corrélation avec le caractère nordiste de Jg 5. En revanche, Gn 49 souligne particulièrement l’équivalence entre Juda et Joseph. Les trois premiers fils sont maudits (Gn 49,1b-7) ; quant à la sentence sur Juda aux vv.8-12, ce chapitre lui accorde une place importante ainsi qu’à Joseph, aux vv.22-26, ce qui n’est pas le cas dans Jg 5. Ces remarques mettent en relief le caractère nordiste de Jg 5 qui met notamment Ephraïm en début de liste en ignorant Siméon, Lévi et Juda. Cette liste, probablement archaïque, montre la puissance du royaume du Nord, peut-être à l’époque omride. 3.6. Dt 33 Dt 33 mentionne onze tribus parmi lesquelles on observe l’absence de celle de Siméon, et Ephraïm et Manassé sont inclus dans la bénédiction sur Joseph en Dt 33,17. Tout d’abord, Caquot note un ordre différent entre Gn 49 et Dt 33 : « Le poète du testament de Jacob paraît avoir voulu suivre un ordre historique ou généalogique, alors que l’ordre des bénédictions de Moïse en Deutéronome 33 est géographique464 ». Il précise ensuite dans une note : « Deutéronome 33 énumère les tribus du sud au nord comme si YHWH les installait dans sa marche triomphale partant du Sinaï 465 ». Si Bartusch observe ce même ordre géographique du Sud au Nord en Dt 33, il remarque cependant que cet ordonnancement n’est pas parfait puisque la tribu de Lévi ne possède pas de territoire466. Macchi insiste aussi sur l’organisation géographique de la liste de Dt 33 « qui prendrait son départ dans le sud transjordanien (Ruben), suivrait la Cisjordanie du sud au nord (Juda  Joseph) et aboutirait dans un mouvement circulaire, à faire le tour des six dernières tribus du nord467 ». La remarque de Macchi est plus précise que les précédentes, malgré le fait que la situation de la tribu de Lévi reste toujours particulière dans ce testament de Moïse. Concernant la spécificité de la sentence sur la tribu de Lévi, Labuschagne considère Dt 33,8-11 comme une addition tardive468. Sparks est du même avis et le justifie par trois raisons : cette tribu n’apparaît pas dans la liste tribale en Jg 5 ; la composition du Deutéronome témoigne d’une 464

A. CAQUOT 1976, 8. A. CAQUOT 1976, 8, n° 2. 466 M.W. BARTUSCH 2003, 71. 467 J.D. MACCHI 1999, 276. 468 C.J. LABUSCHAGNE 1974, 102. Il décrit la particulairté de cette insertion : « The Leviblessing, in a very special way inserted in the Judah blessing, as we shall see, has an introduction formula similar to that used in connection with the northern tribes, but is quite out of place with respect to them. Its type resembles that of the Judah-blessing in so far as in both of them God is addressed in the second person, contradistinguishing them from the northern blessings where Yahweh is spoken of in the third person ». 465

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CHAPITRE IV

préoccupation des droits des lévites ; et la longueur de la bénédiction par rapport à celle des autres tribus, ainsi que sa forme hébraïque, confirment une rédaction tardive469. Nous partageons ce point de vue sur cette addition qui fait référence à Ex 32,26-29 et à Nb 25,1-13, ce qui suppose une relecture tardive sur la tribu de Lévi. En conséquence, il est probable que le discours de Moïse, comme celui de Jg 5, ne concernait à l’origine que dix tribus. Sparks expose également en détail les éléments permettant d’affirmer que Dt 33 provient du Nord470. D’abord, Joseph apparaît comme le chef parmi les frères (Dt 33,13-17). Ensuite, Siméon est absent dans la liste. Et le souhait sur Juda est de le voir ramené par Dieu vers son peuple (‫ואל־עמו‬ ‫תביאנו‬, Dt 33,7). Ces éléments sont effectivement significatifs. Nous soulignerons particulièrement deux traits : d’une part, l’importance donnée à Joseph et, d’autre part, la préoccupation des lévites, caractéristique du Deutéronome. En conséquence, Dt 33 est bien une liste tribale concernant le Nord : Juda n’y occupe pas une place prééminente comme en Gn 49 et Siméon y est absent. Ayant noté la particularité de Jg 5 et de Dt 33 qui suppose l’existence de deux listes tribales nordistes, nous allons examiner une hypothèse concernant la liste tribale sur Gn 49. 3.7. La liste du proto-Gn 49 ? L’analyse des deux discours tribaux permet de mieux apporter le discours tribal de Gn 49. Suite à la confrontation de Sparks et Macchi avançant des arguments intéressants au sujet de la liste du proto-Gn 49, nous proposerons une hypothèse de schéma de la composition des douze en Gn 49, incluant les résultats de nos recherches dans l’analyse littéraire de ce chapitre. Sparks formule l’hypothèse d’un proto-Gn 49 de tendance nordiste en faveur de Joseph à la fin du cycle de Joseph, la considération exprimée à l’égard de Juda n’étant qu’une rédaction secondaire471. Ce proto-Gn 49 ne concerne que dix tribus comme Jg 5 et le proto-Dt 33 (sans la tribu de Lévi), ainsi la sentence sur Siméon–Lévi doit être un ajout secondaire472. Il observe que ces deux derniers n’apparaissent que dans les listes tribales tardives473. En conséquence, l’absence de la tribu de Siméon en Dt 33 devient un élément décisif permettant d’affirmer que la rédaction de Dt 33 469 470 471 472 473

K.L. SPARKS 2003, 329. K.L. SPARKS 2003, 328. K.L. SPARKS 2003, 330-331. K.L. SPARKS 2003, 331-332. K.L. SPARKS 2003, 339.

ANALYSE LITTÉRAIRE DE GN 49

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est plus ancienne que celle de Gn 49474. Cette affirmation est d’autant plus fondée que Gn 49 est le seul lieu où Siméon et Lévi sont associés. Sparks observe également l’évidence de l’ajout tardif de la couche SiméonLévi en Gn 34, et il estime qu’il est lié à la situation sociale durant l’époque exilique ou post-exilique475. Si la reconstitution de la réalité sociale de l’époque est difficile, notre découverte d’une relecture de Nb 16 et de Nb 25 explique mieux la malédiction de Siméon-Lévi précitée. Quant à la sentence sur Juda, Sparks insiste sur son existence dans la liste du protoGn 49 mais sous la forme de l’unique verset 9 qui contient la métaphore du lion qui correspond aux autres métaphores animales en Gn 49. Et il reconnaît l’existence d’une réécriture de cette sentence postérieure476. En revanche, Macchi considère que la version ancienne de Gn 49 ne contient que les vv.13-21 sur les six fils qui n’ont joué aucun rôle dans le cycle de Joseph. Selon lui, les vv.3-7 sont rédigés par les « pro-judéens ». Il exclut Juda – Joseph – Benjamin de la liste du proto-Gn 49 pour la raison suivante : c’est à la période post-exilique que Benjamin et Juda se rapprochent (cf. 1 et 2 Ch ; Esd–Ne) et que les Judéens sont vus plus favorablement au Nord (cf. les papyrus d’Éléphantine ; Za 10 ; Ez 37 ; 1 Ch 5,1)477. En réponse à la conclusion de Macchi, Sparks estime que les textes cités (Za 10 ; Ez 37) pour prouver le retour en faveur des gens du Nord dans l’esprit des Judéens, ne témoignent que d’une réflexion idéale sur le retour à l’unité du Nord et du Sud (Ez 37,21 ; Za 10,8-10). 1 Ch 5,1-2 est une relecture fondée sur Gn 49, et la vision positive de Joseph n’est pas nécessairement imputable à la période perse mais pourrait aussi bien remonter à la liste du proto-Gn 49478. Ajoutons qu’Esd-Ne, très hostiles au Nord, reflètent une situation plus tardive que les manuscrits d’Éléphantine. Les objections de Sparks paraissent assez intéressantes et convaincantes à première vue du moins, mais elles souffrent d’une absence d’analyse littéraire détaillée de Gn 49 permettant de repérer sa composition. 474

K.L. SPARKS 2003, 333. K.L. SPARKS 2003, 344-345. Selon Sparks, le terminus a quo de Gn 49 correspond à la deuxième édition de Dt 33 (la première édition de Dt 33 sans la tribu de Lévi) vers la fin du royaume du Nord vers 722 av. J.-C. ; en revanche, il date la rédaction du livre du Dt de la fin du royaume du Sud vers 586 av. J.-C. Il note que Siméon apparaît seulement à la fin de la monarchie dans la société judéenne et que le droit tribal ne s’applique qu’aux tribus de Juda, Benjamin et Lévi dans la période postexilique d’Esdras–Néhémie. L’auteur pose le terminus ad quem de Gn 49 entre la fin de la monarchie et l’exil (p. 344). 476 K.L. SPARKS 2003, 332 ; 341. 477 J.D. MACCHI 1999, 81-139 (Juda) ; 185-243 (Joseph) ; 245-250 (Benjamin). Le temple d’Élephantine a été détruit en 410 av. J.-C. par les prêtres du culte de Khnum, et une lettre commune de Bagohi, gouverneur de Yehud, et de Delaiah, gouverneur de Samarie évoque le souvenir d’une relation harmonieuse entre le Nord et le Sud (Aramaic Paryri 32), cf. D.V. EDELMAN, P.R. DAVIES, C. NIHAN 2013, 99. 478 K.L. SPARKS 2003, 340-341. 475

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CHAPITRE IV

Notre analyse littéraire a montré des ajouts sur Juda postérieurs au cycle de Joseph. Il est dès lors fort possible que la liste originale de Gn 49 n’ait pas contenu de bénédiction spécifiquement adressée à Juda ; elle est surtout nordiste. En conséquence, il est possible que l’insertion des ajouts sur Juda remonte à l’époque perse quand le Nord et le Sud coexistaient. On peut donc voir, dans l’équilibre entre Juda et Joseph, le « compromis » de la formation pentateucale qui réconcilie toutes les tendances idéologiques de l’époque. La réunion de Juda-Joseph-Benjamin ne pouvait pas exister comme Sparks le pense dans la liste du proto-Gn 49 proprement dite. Concernant la malédiction sur Ruben-Siméon-Lévi, aux vv.3-7, il y a au départ une bénédiction sur Ruben au v.3 dans la liste proto-Gn 49 comme Sparks l’a souligné. Notre analyse littéraire montre surtout l’unité des vv.1b-7. Compte tenu de l’insertion de la couche Ruben en Gn 35 et de celle de Siméon-Lévi en Gn 34 et la « malédiction » de Ruben-SiméonLévi en Nb, nous en concluons que Ruben, Siméon et Lévi ont été maudits de manière à conférer la place d’aîné à Juda. Le schéma proposé intègre les propositions pertinentes de Sparks et de Macchi avec les résultats de nos propres recherches : Les paroles archaïques : Zabulon-Issachar-Dan-Gad-Asher-Nephtali

La liste du proto-Gn 49 1ère rédaction de Dt 33

Jg 5

1

1

1

2

2

2

Ruben (v.3 ?) Juda* 3 Zabulon 4 Issachar 5 Dan 6 Gad 7 Asher 8 Nephthali 9 Joseph* 10 Benjamin*

Ruben Juda 3 Benjamin 4 Joseph 5 Zabulon 6 Issachar 7 Gad 8 Dan 9 Nephthali 10 Asher

Ephraïm Benjamin 3 Makir (Manassé) 4 Zabulon 5 Issachar 6 Ruben 7 Galaad (Gad) 8 Dan 9 Asher 10 Nephthali

2ème rédaction de Gn 49 : ⎧ l’unité des vv.1b-7 (ajouts sur Siméon et Lévi) ; (la liste actuelle contenant les douze) ⎨ la sentence sur Juda (vv.8-12) ; ⎩ l’unité de Juda-Joseph-Benjamin ;

ANALYSE LITTÉRAIRE DE GN 49

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Notre analyse montre d’abord l’existence de paroles archaïques sur les six petites tribus du Nord. Dans un deuxième temps, ces paroles sont intégrées dans la liste du proto-Gn 49, contenant probablement une bénédiction sur Ruben au v.3 et les sentences primitives sur Juda*, Joseph* et Benjamin*, mais il est difficile d’identifier leurs contenus. Nous avançons l’hypothèse que ce proto-Gn 49 porte la marque de la première édition de Dt 33 (sans Lévi) et de Jg 5 pour former une liste à dix : liste nordiste « pro-Joseph ». Notre analyse littéraire a constaté que Dt 33 et Jg 5 ont influencé le contenu de certaines sentences de Gn 49. Enfin, les ajouts sur « Juda » sont intégrés au cycle de Joseph, qui exige une mise à jour de la liste du proto-Gn 49. D’une part, le(s) rédacteur(s) « pro-Judéen(s) » a(/ont) réuni les vv.1b-7 sur la malédiction de Ruben-Siméon-Lévi pour souligner la prééminence de Juda. D’autre part, le(s) même(s) rédacteur(s) a(/ont) complété la sentence sur Juda après la relecture du cycle de Joseph ; il(s) a(/ont) pris soin d’assurer l’équilibre entre Juda et Joseph en mettant en lumière la relation particulière avec Benjamin. La liste finale contenant les douze conserve la cohérence avec la liste tribale en Gn 46 sur la descente de la famille de Jacob. Un passage biblique assez intéressant pourrait éclairer notre problématique : l’épisode du manteau du prophète Ahiyya de Silo en 1 R 11,30-32. Ce texte comporte une « erreur » mathématique. Ahiyya a déchiré son manteau en douze morceaux, symbole des douze tribus d’Israël ; il en donne dix à Jéroboam, symbole des dix tribus au Nord et il en laisse un à David et à Jérusalem. Comme nous avons remarqué ci-dessus que le modèle de douze est tardif, il est donc possible que le déchirement en douze soit un ajout postérieur. Ce texte justifierait la prise en compte du chiffre dix pour la représentation du Nord (cf. Jg 5), et le total de onze pourrait être le témoin de la connaissance de Dt 33. Cette hypothèse de la formation de la liste des douze en Gn 49 tient compte, d’une part, des résultats de nos analyses littéraires du testament de Jacob et, d’autre part, de sa relation avec les autres listes tribales, notamment avec les deux discours tribaux, Dt 33 et Jg 5. 3.8. Bilan Cette section sur l’ordre des tribus devrait éclairer les relations entre Gn 49 et les autres listes tribales. D’une part, la liste du proto-Gn 49 est probablement influencée par Jg 5 et Dt 33 en ce qui concerne une première composition à dix et la tendance nordiste qu’elle reflète. D’autre part, le passage à douze permet de rétablir la cohérence avec Gn 46, Nb 1

318

CHAPITRE IV

et Nb 26. Ces derniers textes n’ont pas de lien déterminant avec Gn 49. Le discours de Jacob se rapproche plutôt des discours tribaux de Jg 5 et Dt 33. Et cette notion de la composition en douze tribus est tardive. En même temps, notre étude montre la particularité de Gn 49. Les listes de Jg 5 et de Dt 33 privilégient le Nord ; mais le testament tribal de Gn 49 montre un équilibre entre Juda et Joseph. De Moor remarque que la bénédiction sur Jacob en Gn 27 est reportée séparément dans des passages distincts sur Juda (Gn 27,29 // Gn 49,8.10) et sur Joseph (Gn 27,27-28 // Gn 49,25-26) 479. 1 Ch 5,1-2 fait également référence au double leadership que Jacob confère à Juda et à Joseph480. Par ailleurs, la liste tribale de Gn 49 provient d’une relecture d’ensemble des cycles de Jacob et de Joseph sur fond du discours tribal de Dt 33 et de Jg 5. Cet équilibre entre Juda et Joseph pourrait être l’indice d’une composition rédactionnelle du chapitre à l’époque perse. Nous analyserons son contexte socio-historique dans le chapitre V. Pour mieux déterminer la fonction de ce chapitre, poursuivons notre recherche sur la partie finale, focalisée sur l’ultime ordre de Jacob et sur sa mort. 4. L’ANALYSE

LITTÉRAIRE DE L’ORDRE DE JACOB ET SA MORT (VV.29-33)

Rappelons que ces vv.29-33 constituent un passage P qui ne présuppose pas l’histoire de Joseph. Il s’agit d’une autre étape qui décrit le dernier ordre de Jacob et sa mort. Est présentée la structure de cette partie avant de procéder à l’analyse littéraire des versets, suivie de l’examen du double testament de Jacob (Gn 47,29–48,22 et Gn 49,3-28) et de son double enterrement (Gn 50,1-11.14 par Joseph et Gn 50,12-13 par les douze fils) en vue de relever un éventuel problème rédactionnel. Ensuite sera effectuée une comparaison des dernières paroles de Jacob avec celles de Joseph. Enfin, nous nous interrogerons sur la fonction de ce passage en établissant un parallèle avec la fin de la vie de Moïse. 4.1. La structure A : v.29a : la convocation de Jacob : ‫אני נאסף אל־עמי ; ויצו אותם‬ « il leur ordonna » ; « je vais être rassemblé aux mienx » 479 J.C.D. MOOR 2000, 183. Dans la même ligne, Twersky interprète Gn 49 comme la fondation de la monarchie (Juda) et du sacerdoce (Joseph) israélites ; même s’il peut y avoir des difficultés à considérer Joseph comme prêtre, son analyse montre l’équilibre que l’on voit s’établir entre Juda et Joseph. 480 Voir une analyse détaillée de P.J. WILLIAMS 1998, 369-371.

ANALYSE LITTÉRAIRE DE GN 49

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B : vv.29b-30 : le lieu : ‫קנה ; החתי ; בשדה־ ; המערה‬ « la grotte » ; « dans le champ de » ; « le Hittite » ; « acquis » C : v.31 : les patriarches et leurs femmes ‫לאה ; יצחק ואת רבקה אשתו ; אברהם ואת שרה אשתו‬ B’ : v.32 : le lieu : ‫בני־חת ; מקנה ; המערה ; השדה‬ « le champ » ; « la grotte » ; « ont été acquis » ; « des fils de Heth » A’ : v.33 : la fin de la convocation : ‫ויאסף אל־עמיו ; לצות את־בניו‬ « d’ordonner à ses fils » ; « il fut rassemblé aux siens »

Cette structure permet de dégager trois éléments avec des mots et des expressions qui se correspondent : le début (v.29a) et la fin (v.33) de la péricope sont encadrés par l’ordre et la mort de Jacob ; B et B’ se concentrent sur les détails du lieu qui renvoient au pays de Canaan ; et le centre de ce passage évoque les patriarches et leurs femmes faisant ainsi référence à tous les récits de la mort des patriarches. Nous analyserons plus en détail ces trois éléments dans la suite. 4.2. L’analyse des versets a. Le début et la fin de la convocation de Jacob (v.29a et v.33) La structure met en évidence l’inclusion entre le v.29a et le v.33 : ‫צוה‬ (ordonner) et la mort de Jacob (‫ נאסף אל־עמי‬// ‫)ויאסף אל־עמיו‬. Le verbe ‫ אסף‬fait écho au v.1a, nous avons montré le parallélisme entre Gn 49,1 et 29 au début du chapitre : le premier s’adresse aux fils de Jacob qui doivent se rassembler pour recevoir les dernières paroles du père ; et le second concerne le retour de Jacob dans sa patrie. En outre, l’usage de l’expression « il fut réuni aux siens » est habituelle dans les récits de mort pour désigner la fin d’une vie (Gn 25,8.17 ; 35,29 ; 49,33 ; Nb 20,24 ; Dt 32,50). Par ailleurs, le cycle des patriarches décrit la fin d’Abraham par quatre versets en Gn 25,7-10 ; la mort et l’ensevelissement d’Isaac occupent seulement deux versets en Gn 35,28-29 ; en revanche, la mort, le testament et l’enterrement de Jacob s’étendent de Gn 47,28 jusqu’à Gn 50,14481. Nous verrons par la suite quelle peut être la fonction d’une aussi longue description de la fin de la vie de Jacob. À leur mort, Abraham et Isaac se trouvent tous les deux dans le pays de Canaan, aussi doit-on s’interroger sur la nécessité des discours de Jacob qui renvoient aux patriarches et à la terre promise, avant sa mort en pays d’Égypte. 481

Mêmes remarques chez S.E. LOEWENSTAMM 1992, 83.

320

CHAPITRE IV

b. Le lieu (vv.29b-30 et v.32) En Gn 35,27, Jacob arrive à Mambré chez son père Isaac : ‫ויבא יעקב‬ ‫אל־יצחק אביו ממרא‬. La suite précise que ce lieu est Hébron où avaient séjourné Abraham et Isaac : ‫ הוא חברון אשר־גר־שם אברהם ויצחק‬et où, selon Gn 23, Abraham a acheté un champ pour enterrer Sara. À deux reprises, le début et la fin du récit précisent que le lieu de la tombe des patriarches se trouve au pays de Canaan (Gn 23,2.19). On note que c’est la troisième fois dans le cycle de Joseph que Jacob précise qu’il faut retourner au pays de Canaan482. La première fois, Jacob demande à Joseph de lui faire la promesse de le ramener à Canaan pour être enseveli dans le tombeau de ses pères en Gn 47,30 : ‫ושכבתי עם־אבתי‬ ‫( ונשאתני ממצרים וקברתני בקברתם‬et je me coucherai avec mes pères, et tu m’emporteras d’Égypte et tu m’enseveliras dans leur tombeau). Nous devons noter l’importance des termes ‫( אבתי‬mes pères), ‫( עמי‬les miens) / ‫( עמיו‬les siens) qui renvoient explicitement à la lignée patriarcale. De même, la précision ‫( ממצרים‬hors d’Égypte) évoque implicitement Canaan. Par ailleurs, il n’existe que deux occurrences d’un patriarche demandant à son serviteur ou à son fils de « mettre la main sous la cuisse » pour prêter serment (Gn 24,9 et Gn 47,29) : la première concerne Abraham souhaitant que son fils d’Isaac ne se marie pas avec une étrangère cananéenne ; et la seconde concerne Jacob qui ne veut pas être enterré en pays étranger – l’Égypte. Ainsi est soulignée l’importance cruciale du retour en Canaan. Lors de la deuxième demande, à l’issue de la bénédiction des deux fils de Joseph en Gn 48,21, Jacob précise que le retour en Canaan sera accompagné par le Seigneur : ‫( והשיב אתכם אל־ארץ אבתיכם‬et il [le Seigneur] vous fera revenir vers le pays de vos pères). La troisième fois, le texte précise en Gn 49,30 que la grotte du champ de Makpéla se trouve « dans le pays de Canaan » (‫)בארץ כנען‬. Or avant de quitter Canaan pour descendre en Égypte, Dieu promit à Jacob le retour dans son pays, Gn 46,4 : ‫( ואנכי אעלך גם־עלה‬et c’est moi aussi qui t’en ferai remonter, TOB). Le verbe ‫( קנה‬acquérir) déjà souligné au v.30 et au v.32, est rappelé en Gn 50,13 au moment où les fils de Jacob exécutent l’ordre de ce dernier. Loewenstamm remarque que ce verbe confirme le statut légal de la propriété détenue par la descendance d’Abraham dans le pays de Canaan483. Il remarque aussi qu’en Gn 50,5, la parole de Joseph adressée à Pharaon fait allusion à Sichem où Jacob a acheté un champ de la main des fils de Hamor, le père de Sichem, en Gn 33,19, et où Joseph sera enterré 482 483

La même remarque est faite par G.J. WENHAM 1994, 487. S.E. LOEWENSTAMM 1992, 86.

ANALYSE LITTÉRAIRE DE GN 49

321

en Jos 24,32484. Il est intéressant que cet acte de Jacob a été interprété comme déjà celui d’Abraham en Ac 7,16. Il a pu exister deux traditions : celle d’Abraham et celle de Jacob, mais le plus important, est l’exigence du retour à Canaan et le droit de propriété sur la terre des fils de Jacob ; l’ordre de ce dernier sera exécuté en Gn 50,25. Cette analyse montre que le retour en Canaan est non seulement souhaité par Jacob, mais qu’il s’inscrit aussi dans le plan de Dieu. Ainsi ce qui est confié à Joseph en Gn 47,30 et Gn 48,21, a été étendu en Gn 49,29-33 à l’ensemble des douze fils. Ce n’est plus à Joseph seul qu’incombe l’exécution de l’ordre, mais aux douze fils de Jacob. La répétition porte sur l’indication du lieu, Canaan, le pays promis. c. Les patriarches et leurs femmes (v.31) Nous pouvons d’abord établir la structure de ce verset : ‫שמה קברו את־אברהם‬31a ‫         ואת שרה אשתו‬30a ‫שמה קברו את־יצחק‬31b ‫       ואת רבקה אשתו‬30a ‫ושמה קברתי את־לאה‬31c

Ce verset n’est pas seulement une liste d’ensevelissements des patriarches et de leurs femmes ; il présente également les caractéristiques du poème sémitique. En effet, chaque stique commence par l’évocation du lieu ‫שמה‬, qu’il n’était pas nécessaire de répéter trois fois, une seule suffisait. La répétition de l’adverbe souligne l’importance du lieu évoqué par Jacob qui relie les patriarches à la terre promise. Cette liste ne suit pas l’ordre chronologique. Sara est morte (Gn 23,17-20) avant Abraham (Gn 25,7-10). Gn 25,10 place également Sara après Abraham. Isaac est le seul patriarche qui séjourne en Canaan, et même si l’histoire ne dit rien sur la mort de Rebecca, le rédacteur fait le choix de situer leurs sépultures au même endroit. Quant à Rachel, le récit révèle qu’elle est enterrée sur le chemin d’Ephrata – Bethléem (Gn 35,19). En réalité, la mort de Léa n’est décrite nulle part dans la BH mais Gn 49 insiste sur son enterrement dans la grotte du champ de Makpéla. Cette liste a un aspect « conventionnel ». Son rédacteur a logiquement situé la destination finale des patriarches dans le pays de Canaan – le pays promis par le Seigneur depuis Gn 12, – en désignant délibérément, comme emplacement de leur ensevelissement et celui de leurs femmes, la grotte 484

S.E. LOEWENSTAMM 1992, 89.

322

CHAPITRE IV

du champ de Makpéla, ce qui atteste manifestement une relecture tardive de l’histoire des patriarches. En résumé, le centre du message de Jacob aux vv.29-33 est orienté vers deux sujets principaux : le pays de Canaan et la généalogie patriarcale, des caractéristiques du cycle des patriarches. Cette observation attribuerait ce passage à un rédacteur sacerdotal. Comme les vv.29-33 ne font aucune allusion à l’Égypte, ils pourraient constituer la fin d’une histoire de Jacob sans Joseph. Cette insistance sur l’ensevelissement au pays de Canaan permet d’établir une continuité narrative entre la fin de la descente de la famille de Jacob en Égypte et le début d’Exode. 4.3. L’ordre de Jacob à Joseph ou à ses douze fils provient-il de deux sources ? Nous avons déjà remarqué le parallélisme entre Gn 48 et Gn 49 qui relatent le discours de Jacob avant sa mort respectivement aux deux fils de Joseph et à ses douze fils. Au sujet du dernier ordre de Jacob et de son exécution, on distingue deux lignes descriptives parallèles : Joseph

Les douze fils

Le testament de Jacob

Gn 47,29–48,22

Gn 49,3-28

L’enterrement de Jacob

Gn 50,1-11.14

Gn 50,12-13

Loewenstamm y distingue deux sources différentes : Joseph – source du Nord – et les douze fils – source du Sud485. Comme nous l’avons remarqué plus haut, il distingue également deux lieux évoqués dans le cycle de Joseph pour l’enterrement de Jacob : d’une part, le lieu indiqué aux douze fils en Gn 49,29b.30.32, lié à Hébron (Gn 23,2) – le Sud, et celui de son ensevelissement en Gn 50,13 et, d’autre part, celui correspondant à la parole adressée à Pharaon par Joseph en Gn 50,5 qui fait allusion à Sichem (Gn 33,19) – le Nord486. Il faut reconnaître la pertinence de sa remarque. Toutefois le texte garde une cohérence littéraire : Joseph exerce une haute fonction en Égypte (Gn 41,40). Il est normal qu’il se présente devant Pharaon à propos des obsèques de son père (Gn 50,5) et qu’il ramène tout le monde pour l’ensevelissement de Jacob. Il n’est donc pas nécessaire de rechercher deux sources différentes au sujet de l’enterrement de Jacob en Gn 50. De plus, Gn 37,1 ne précise pas le lieu d’installation exact de 485 486

S.E. LOEWENSTAMM 1992, 83-86. S.E. LOEWENSTAMM 1992, 86-89.

ANALYSE LITTÉRAIRE DE GN 49

323

Jacob : selon Gn 33,18-20 et Gn 34, Jacob s’installe à Sichem, alors que Gn 35 décrit le déplacement de la famille de Jacob à Mambré qui est à Hébron. Il est tout à fait possible que l’ambiguïté sur le lieu à la fin du récit de Joseph découle d’hésitations entre les deux tendances Nord (Sichem) et Sud (Hébron), et non de deux sources distinctes. Concernant le discours de Jacob aux fils de Joseph en Gn 48 et son testament aux douze fils en Gn 49, il faut d’abord reconnaître que Joseph joue un rôle important dans ces épisodes. Cela traduit logiquement une relation particulière avec son père. La bénédiction de Jacob sur Ephraïm et Manassé justifie la présence de ces deux fils, en tant qu’ancêtres du peuple d’Israël dans les listes tribales. Ce qui est en jeu en Gn 49, c’est que chaque fils de Jacob reçoive une sentence, et que l’équilibre soit assuré entre Juda et Joseph. Le parallélisme entre Gn 48 et Gn 49 ne résulte pas particulièrement de la dualité des sources du Nord et du Sud, même si on peut y trouver des éléments sur la relation Nord-Sud. Gn 48 justifie simplement l’identité des deux fils de Joseph en tant qu’ancêtres du peuple d’Israël, et Gn 49 se concentre sur les douze fils des femmes de Jacob. On constate que Gn 48 met l’accent sur Joseph et ses fils, et cette bénédiction est « pronordiste ». D’ailleurs, la liste proto-Gn 49 s’aligne également sur ce courant « pro-nordiste ». Les ajouts sur « Juda » corrigent ce courant pour arriver à un équilibre entre Juda et Joseph. Ce double discours de Jacob pourrait refléter un mouvement « théologique » que nous traiterons dans le chapitre suivant. En réalité, le début de l’histoire de Joseph, surtout les chapitres 37.42–45, décrit la relation de Joseph, représentant un Israélite établi dans la diaspora égyptienne, avec ses frères qui vivent dans le pays de Canaan. Il est possible de lire cette histoire comme illustrant la relation entre la voix de la diaspora et celle du pays de Canaan. Mais, à la fin de la vie de Jacob, la voix de la diaspora disparaît et les acteurs du récit se réduisent aux douze fils de Jacob, figures des douze tribus du peuple d’Israël. L’important à la fin de l’histoire est cette focalisation sur les fils de Jacob. 4.4. La comparaison des dernières paroles de Jacob avec celles de Joseph Le cycle de Joseph ne se termine pas par la mort de Jacob, mais par celle de Joseph (Gn 50,24-26a). Nous devons d’abord établir la structure des dernières paroles de Joseph avant de procéder à la comparaison avec celles de Jacob.

324

CHAPITRE IV

A : v.24a : la convocation de Joseph : ‫ « מת‬Je vais mourir » B : v.24b : l’action : ‫מן־הארץ הזאת ; והעלה ; ואלהים פקד יפקד אתכם‬ « et Dieu vous visitera » ; « et fera remonter » ; « de ce pays » C : vv.24c-25a : la promesse : ‫לאברהם ליצחק וליעקב ; וישבע ; נשבע‬ « il a promis » ; « et il fit promettre » ; « à Abraham, à Isaac, à Jacob » B’ : v.25b : l’action : ‫מזה ; והעלתם ; פקד יפקד אלהים אתכם‬ « Dieu vous visitera » ; « et vous remonterez » ; « d’ici (ce pays) » A’ : v.26a : la fin de la convocation : ‫ « וימת‬et il mourut »

Cette structure en chiasme permet de comparer les dernières paroles de Jacob à celles de Joseph, et de mettre en évidence une construction parallèle des textes relatant la fin de la vie de ces deux personnages : Jacob (Gn 49,29-33) A : convocation Mort B : action Lieu

‫ויצו אותם ויאמר אלהם‬ ‫אני נאסף אל־עמי‬

A’ : la fin : mort

‫ויאמר יוסף אל־אחיו‬ ‫מת‬

‫ואלהים פקד יפקד אתכם ; והעלה קנה‬ ‫המערה ; בשדה ; החתי‬ ‫מן־הארץ הזאת‬

C : les patriarches ‫אברהם שרה יצחק רבקה לאה‬ Promesse B’ : action Lieu

Joseph (Gn 50,24-26a)

‫לאברהם ליצחק וליעקב‬ ‫נשבע ; וישבע‬

‫פקד יפקד אלהים אתכם ; והעלתם מקנה‬ ‫השדה ; המערה ; בני־חת‬ ‫מזה‬ ‫וימת‬ ‫ויאסף אל־עמיו‬

Cette construction parallèle permet d’intégrer le cycle de Joseph dans le cycle des patriarches. Notons un détail : Gn 50,23 précise que Joseph a vu ses arrière-petits-enfants issus d’Ephraïm, et les enfants de Makir, fils de Manassé, naître « sur les genoux de Joseph » (‫)על־ברכי יוסף‬. Cela renvoie à l’action de Jacob en Gn 48 qui décrit un rite d’adoption (Gn 48,5), et le texte précise également que les deux fils de Joseph étaient « sur les genoux » (‫עם ברכיו‬, Gn 48,12) de Jacob. Cet acte d’adoption par Joseph justifie la présence du clan de Makir dans la généalogie patriarcale en Jg 5,14, comme Ephraïm et Manassé sont ancêtres du peuple d’Israël par l’adoption par Jacob en Gn 48,12. Par ailleurs, Jacob a fait deux discours avant sa mort : l’un à Joseph et à ses fils en Gn 47,29–48,22, et l’autre aux douze fils en Gn 49,1-28. Les dernières paroles de Joseph semblent recouvrir deux rédactions différentes : l’une s’adresse à « ses frères » (‫ )אל־אחיו‬en Gn 50,24 au sujet de la promesse du pays aux patriarches, et l’autre aux « fils d’Israël » (‫את־בני‬ ‫ )ישראל‬en Gn 50,25 sur les ossements de Joseph. Nous analyserons ce point plus loin. Ainsi la vie de Joseph est en quelque sorte « greffée » sur celle de Jacob.

ANALYSE LITTÉRAIRE DE GN 49

325

En outre, il est important de noter le parallélisme entre la mort d’Abraham et celle d’Isaac : Abraham ‫( ואלה ימי‬et ceux-ci les jours de..)+son âge (Gn 25,7-10) ‫( ויגוע וימת‬et expira et mourut) ‫( בשיבה טובה זקן ושבע‬dans une heureuse vieillesse, âgé et rassasié) ‫( ויאסף אל־עמיו‬et il fut réuni aux siens) Ensevelissement par ses deux fils : Isaac et Ismaël Isaac ‫( ויהיו ימי‬et furent les jours de…)+son âge (Gn 35,28-29) ‫( ויגוע יצחק וימת‬et Isaac expira et mourut) ‫( ויאסף אל־עמיו‬et il fut réuni aux siens) ‫( זקן ושבע ימים‬âgé et rassasié des jours) Ensevelissement par ses deux fils : Esaü et Jacob

Les descriptions parallèles de la mort de Joseph et de celle de Jacob sont sur le même modèle. Cet arrangement parachève la liaison entre Abraham– Isaac et Jacob–Joseph. En outre, ces deux patriarches souhaitent être réunis à leur peuple : l’un avec les morts, et l’autre avec les vivants. Leur destination est Canaan (Gn 49,30 ; Gn 50,24). En conséquence, la mention du « pays » (Canaan)487 constitue le fil conducteur dès le début du cycle des patriarches, en commençant par Abraham – Isaac – Jacob et Joseph (Gn 12,7 ; 13,15 ; 15,7 ; 17,8 ; 24,7 ; 26,3 ; 28,13 ; 35,12 ; 47,30 ; 48,4.21 ; 49,29-33 ; 50,24-26a). L’analyse montre que la construction de la fin de la vie de Joseph est sur le modèle de celle de Jacob. Ce parallèle conduit à une focalisation sur la généalogie et le territoire cananéen. Lunn formule une remarque importante sur l’emploi du verbe ‫ עלה‬qui désigne souvent le trajet de sortie d’Égypte488. Gn 13,1 décrit le départ d’Abraham de l’Égypte : ‫( ויעל אברם ממצרים‬Abram remonta d’Égypte). Le même verbe a été employé quatre fois en Gn 50,7-14 à propos de l’enterrement de Jacob qui implique de quitter l’Égypte pour aller à Canaan (vv.7(2×).9.14). D’ailleurs, la sortie d’Égypte du peuple d’Israël est présentée en Ex 13,18 : ‫( עלו בני־ישראל מארץ מצרים‬les Israélites montèrent du pays d’Égypte). Nous trouvons également cette expression en Ex 17,3 (‫)העליתנו ממצרים‬, Ex 32,1 (‫)העלנו מארץ מצרים‬, Ex 32,7 (‫העלית מארץ‬ ‫)מצרים‬, Ex 33,1 (‫)העלית מארץ מצרים‬, etc. L’auteur remarque également que la préposition ‫ את‬est souvent associée avec les étrangers qui accompagnent le peuple d’Israël (Gn 50,7 [‫ ]ויעלו אתו‬et Ex 12,38 [‫)]עלה אתם‬. À deux reprises, Joseph parle de l’action de Dieu qui va faire remonter les 487 Lunn propose une structure différente de la nôtre pour la comparaison entre Jacob et Joseph, N.P. LUNN 2008, 166-168. 488 N.P. LUNN 2008, 176.

326

CHAPITRE IV

fils d’Israël d’Égypte au v.24b (‫ )והעלה אתכם מן־הארץ הזאת‬et au v.25b (‫)והעלתם את־עצמתי מזה‬. Cette analyse montre bien une liaison entre la fin de Gn et le début d’Ex : la fin du cycle de Joseph prépare déjà la sortie d’Égypte et elle correspond à l’aspect exodique du Pentateuque. Par ailleurs, notons les différents emplois de l’expression ‫( כבד מאד‬très riche/important/lourd). Gn 13,2 parle du départ d’Égypte d’Abraham ; Gn 50,9 fait référence aux préparatifs organisés en Égypte des funérailles de Jacob ; Ex 9,18.24 et Ex 10,14 font allusion aux punitions en Égypte ; enfin, Ex 12,28 évoque le départ d’Égypte489. Tous ces récits différents – le cycle d’Abraham, celui de Joseph et la sortie d’Égypte – sont en rapport. En outre, la mention de la présence des Cananéens dans le pays se trouve uniquement dans le cycle d’Abraham et à la fin du cycle de Joseph dans le Pentateuque : ‫( והכנעני אז בארץ‬et les Cananéens étaient alors dans le pays, Gn 12,6) ; ‫( והכנעני והפרזי אז ישב בארץ‬les Cananéens et les Perizzites habitaient alors le pays, Gn 13,7) ; ‫( יושב הארץ הכנעני‬les habitants du pays, les Cananéens, Gn 50,11). Les mots ‫( רכב‬chars) et ‫( פרשים‬conducteurs de chars), utilisés pour décrire les grandes funérailles de Jacob en Gn 50,8-9, servent à décrire la poursuite des Égyptiens en Ex 14. Ces indices littéraires montrent que la fin du cycle de Joseph en Gn 50 relie délibérément une histoire indépendante de Joseph aux récits des patriarches et de l’Exode. Enfin, nous devons noter le parallélisme entre les dernières paroles de Joseph (Gn 50,24) et celles de Moïse (Dt 34,4) qui concernent la promesse de Dieu aux patriarches de la rentrée en terre promise. Outre le discours de Jacob en Gn 49 en parallèle avec celui de Moïse en Dt 33, on peut observer un autre parallélisme entre la dernière parole de Joseph et celle de Moïse qui renvoie à la promesse de Dieu aux patriarches et participe à la construction du Pentateuque. En revanche, le transfert des ossements de Joseph est lié à une logique hexateucale (Gn 50,25 ; Ex 13,19 ; Jos 24,32). Dans la même ligne, Römer distingue deux grands ensembles littéraires : « Gn 50,24 est apparemment rédigé par l’un des derniers rédacteurs du Pentateuque dans le souci de souligner l’unité de la Torah à travers le thème de la promesse du pays, tandis que Gn 50,25 est visiblement l’œuvre de rédacteurs qui voulaient promouvoir l’idée d’un Hexateuque, dont Jos 24 constitue l’aboutissement idéal490 ». Ces deux contenus distincts 489 Nous voyons la même expression en 1 R 10,2 et 2 Ch 9,1 qui désigne les cadeaux apportés par la reine de Saba à Salomon. Ces références cependant s’éloignent du contexte de l’Égypte. 490 T. RÖMER 2005, 287. Pour plus de détails voir T. RÖMER 2004, 31-44.

327

ANALYSE LITTÉRAIRE DE GN 49

du testament de Joseph appartiennent respectivement aux rédactions hexateucale et pentateucale. On distingue trois étapes rédactionnelles possibles : – Gn 49,29-33 décrit la mort de Jacob sans allusion au cycle de Joseph ; – puis la rédaction du Gn 50 laisse voir, d’une part, une hésitation entre les formations hexateucale (Gn 50,25 ; Ex 13,19 ; Jos 24,32) et pentateucale (Gn 50,24 // Dt 34,4), et d’autre part, la liaison entre le cycle de Joseph avec celui des autres patriarches et prépare la sortie d’Égypte. – enfin, la composition de l’ensemble de Gn 49–50 est mise en parallèle avec Dt 33–34 pour réaliser la rédaction pentateucale. Nous analyserons ce parallélisme par la suite.

5. LA

COMPARAISON DE LA FIN DE JACOB DE

(GN 49–50) AVEC MOÏSE (DT 33–34)

CELLE

Dressons un tableau comparatif de la fin du livre de la Genèse et de celle du livre du Deutéronome qui viennent clore respectivement l’histoire des patriarches et celle de Moïse, héros du peuple d’Israël491. Gn 49–50

Dt 33–34

Le testament de Jacob sur les douze fils Le testament de Moïse sur les onze tribus La mort de Jacob

La mort de Moïse

L’ensevelissement de Jacob en Canaan

L’ensevelissement de Moïse en Moab

Ce schéma montre le parallèle Jacob–Moïse492 : les douze fils issus de Jacob deviendraient les douze tribus guidées par Moïse pour la sortie d’Égypte. L’un et l’autre ont fait un testament avant leur mort, centré sur le peuple d’Israël en vue du pays de Canaan. Nous avons déjà montré que Moïse est considéré comme un grand prophète en Dt 34,10 ; de même, le discours de Jacob revêt également un caractère prophétique (Gn 49,1b). 491 La même comparaison a été faite brièvement dans E. ZENGER, H.J. FABRY, G. BRAULIK 2004, 69. Nocquet a également comparé la mort de Jacob avec celle de Moïse en mettant également en parallèle les annonces de leur mort en Gn 47,27-30 et Dt 32,48-52, D. NOCQUET 2005, 138. Billon a essayé de souligner la comparaison de la mort de Moïse avec celle de Jacob sans pourtant évoquer ces détails, G. BILLON 2004, 71 ; de même, K. SCHMID 2010, 84-85. 492 Steymans remarque que les funérailles de Jacob en Gn 50,10-13 correspondent à la montée depuis l’Égypte en Canaan, et constituent une anticipation d’Exode guidé par Moïse, ce qui relève également du parallélisme entre Jacob et Moïse, H.U. STEYMANS 2007, 78.

328

CHAPITRE IV

Cependant une grande différence doit être relevée : Jacob est mort en Égypte et son corps est ramené par ses fils en Canaan pour y être enseveli ; Moïse, après avoir contemplé la terre promise, est mort en Moab, et est devenu un héros de la diaspora493. Le livre de la Genèse se termine en Égypte avec le souhait de Joseph que ses ossements soient ramenés à Canaan ; et le Deutéronome avec l’ensevelissement de Moïse en Moab après qu’il eut contemplé la terre promise. Le livre de la Genèse et celui du Deutéronome s’arrêtent, le premier dans le pays d’Égypte et l’autre dans le pays de Moab, avant l’entrée dans le pays, qui sera accomplie par Josué. En outre, il est important de remarquer que Gn 50 et Dt 34 reflètent une tension résultant de la constitution d’un Hexateuque en concurrence avec celle d’un Pentateuque. Selon Jos 24,29, Josué meurt à l’âge de 110 ans, comme Joseph en Gn 50,22 ; et les ossements de Joseph mentionnés en Jos 24,32 renvoient à Gn 50,25. Ces deux textes, Gn 50 et Jos 24, montrent une construction parallèle de Joseph et de Josué. Cependant, le parallélisme entre Gn 50,24 et Dt 34,4 renvoie à la promesse de Dieu à Abraham, à Isaac et à Jacob ; et il permet une rédaction pentateucale. En Dt 34, Römer distingue trois couches rédactionnelles. Un récit « ancien » deutéronomiste (vv.1*.4*5.6) de la mort de Moïse a pour but d’empêcher le culte de ce dernier divinisé et de donner une réponse à la situation de l’exil ou de la diaspora (v.6). Ensuite, la « rédaction Hexateuque » de Dt 34,7-9 met Josué, inséparable de Moïse, au centre. Enfin, la « rédaction Pentateuque » (vv.1b.4*.10-12) combine les deux origines du peuple d’Israël : la tradition patriarcale (vv.1b.4*) et la tradition mosaïque (vv.10-12)494. Par ailleurs, Schmid a relevé trois motifs en Dt 34 pour décrire la rédaction finale du Pentateuque. Premièrement, la notion de la promesse de la terre à Abraham, à Isaac et à Jacob sous la forme du serment se trouve 493

Römer insiste sur le fait qu’il faut comprendre Dt 34,6 comme Moïse mourant en présence de YHWH seul, ce qui est différent de la mort d’Aaron en présence de Moïse et d’Éléazar en Nb 20,28. Il écrit : « En concluant la Torah par le récit de la mort de Moïse en dehors du pays, celui-ci devient une figure d’identification pour les Juifs de la Diaspora. », T. RÖMER 2008a, 143-144. 494 T. RÖMER 2004, 36-38. Nous pouvons trouver une analyse détaillée sur la rédaction hexateucale de Jos 24 et la rédaction pentateucale de Dt 34 dans l’article suivant : T. RÖMER, M.Z. BRETTLER 2000, 401-419. Artus distingue quatre couches rédactionnelles en mettant en lumière « une rédaction hexateucale » (Dt 34,1-3.5-6.8-9) ; « une rédaction pentateucale (Dt 34,10-12) ; « une contribution à la détermination et à l’encadrement du corpus du Pentateuque » (Dt 34,7 // Gn 6,3) ; Dt 34,4 qui présuppose la penta-partition du Pentateuque, O. ARTUS 2021, 16-20.

ANALYSE LITTÉRAIRE DE GN 49

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en Gn 50,24, Ex 32,12 ; 33,1, (Lv 26,42, le passage thématique), Nb 32,11 et Dt 34,4. Ce thème qui n’existe nulle part dans la séquence Jos–2 R confirme que cette promesse de la terre aux patriarches est strictement réservée à la rédaction pentateucale495. Deuxièmement, il observe la contradiction entre Dt 18,15 et 34,10 : le premier envisage la succession de Moïse alors que le second sépare ce dernier de tous les autres prophètes pour préserver son autorité et celle de la Torah qui est supérieure aux Prophètes496. En revanche, Schmid n’a pas vu la construction prophétique de la figure de Jacob en Gn 49,1b en vue d’un parallélisme avec Moïse. Notre recherche permet d’ajouter un argument à celui de Schmid. Troisièmement, Schmid voit la mort de Moïse à l’âge de 120 ans comme correspondant à une limite posée par Dieu en Gn 6,3. Ainsi, Dt 34,7 offre une explication de la mort de Moïse qui n’est ni la faute collective proposée par la tradition Dtr (Dt 1,34-37 ; 3,25-27), ni la faute individuelle supposée par la tradition sacerdotale (Nb 20,12) : Moïse n’a pas pu entrer dans la terre promise en raison de l’accomplissement de son âge497. Nocquet note le parallélisme entre Abraham et Moïse qui sont tous les deux appelés à « voir le pays » : ‫( הארץ אשר אראך‬le pays que je te ferai voir) en Gn 12,1 et ‫( ויראהו יהוה את־כל־הארץ‬et YHWH lui fit voir tout le pays) en Dt 34,1. Ils sont qualifiés tous les deux de « serviteur » par le Seigneur498. L’histoire d’Abraham et celle de Moïse relèvent de deux traditions différentes selon Römer : généalogique et vocationnelle/constitutionnelle. Selon lui, la « réconciliation » de ces deux personnages a été opérée à l’époque perse499. De ce fait, la position post-P de Gn 15 a pour fonction de mettre en connexion le statut d’Abraham avec celui de Moïse dans la perspective de la rédaction pentateucale500. Nous pouvons effectivement penser que cette construction en parallèle vise une rédaction pentateucale. En outre, nous avons remarqué qu’à partir de la fin de Gn 37, l’ensemble du cycle de Joseph se situe dans le contexte égyptien, et que tout 495

K. SCHMID 2007a, 242. K. SCHMID 2007a, 242. 497 K. SCHMID 2007a, 245. 498 D. NOCQUET 2005, 147. Billon a fait également une comparaison entre Abraham et Moïse au sujet du pays, et il ajoute que le premier est enterré dans le pays, quant au second, il est enterré par YHWH. L’auteur observe une nuance sur le thème « la promesse de la terre » qui semble plus favorable que « la terre promise », G. BILLON 2010, 34. 499 T. RÖMER 2010a, 30-31. 500 T. RÖMER 2014, 20-22. Il considère qu’Abraham est « construit » comme proto-Moïse en Gn 15 : ce passage présente Abraham doté d’un caractère prophétique (Gn 15,1) et modèle de la foi (Gn 15,6 en contraste avec Moïse en Nb 20,12), et il est le premier à recevoir la révélation du nom de Dieu avant Moïse (Gn 15,7). 496

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CHAPITRE IV

le récit se déroule dans la diaspora égyptienne. En revanche, Gn 49 se concentre uniquement sur les douze fils de Jacob ce qui fait disparaître la voix de la diaspora. L’embaumement de Jacob et le souhait de Joseph de revenir en Canaan en Gn 50 évoquent la sortie d’Égypte vers la terre promise, l’Égypte perdant tout attrait. De cette manière ces deux derniers chapitres « corrigent » l’idéologie de la diaspora égyptienne de l’histoire de Joseph. Ces observations nous permettent d’affirmer que la fin du livre de la Genèse participe à la rédaction finale du Pentateuque. D’une part, Gn 49–50 participe à la thématique de la promesse de la terre (surtout Gn 50,24) ; et d’autre part, Jacob, toujours décrit comme l’un des patriarches, voit sa figure prophétique soulignée à la fin du livre de la Genèse pour affirmer le parallélisme avec celle de Moïse. Enfin, d’un côté, Moïse atteint l’âge parfait de 120 ans selon Gn 6,3 et de l’autre côté, Joseph arrive à 110 ans, l’âge idéal des Égyptiens. Nous développerons longuement dans le chapitre suivant, l’aspect théologique de cet arrêt qui intervient juste avant l’entrée au pays de Canaan. 6. CONCLUSION L’analyse littéraire permet de mettre en lumière l’écrit sacerdotal – les vv.1a et 28bβ – qui assurait la continuité du récit sans qu’il soit nécessaire de recourir à la sentence de Jacob (vv.1b-28abα) qui peut donc être un ajout tardif. En outre, à la fin de ce chapitre, l’épisode relaté dans les vv.29-33, qui appartiennent également à l’écrit sacerdotal, se déroule dans le pays d’Égypte et ouvre la perspective vers le pays de Canaan. De ce fait, dans le discours de Jacob, les vv.1b-28abα qui se concentrent sur ses douze fils, apparaissent en contraste avec l’écrit sacerdotal comme de Pury, Römer et Schmid l’ont remarqué. Ce discours tribal « ne fait pas partie organiquement de l’histoire de Joseph. (Il) présuppose en effet que l’évènement se situe en Israël et non pas en Égypte501 ». Il est possible que la forme finale de Gn 49 provienne d’un remaniement des différents éléments par un rédacteur qui se trouve dans le pays du Canaan. En outre, le parallélisme entre la fin de Jacob en Gn 49–50 et celle de Moïse en Dt 33–34 confirme l’implication de ce chapitre à la structuration finale et à la penta-partition du Pentateuque. Ainsi, Gn 49 apparaît plutôt comme un « digest » du Pentateuque orienté vers la conquête du pays. Contrairement au cycle de Joseph qui a été complètement centré sur la 501

A. de PURY, T. RÖMER, K. SCHMID 2016, 258.

ANALYSE LITTÉRAIRE DE GN 49

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diaspora égyptienne, Gn 49 manifeste un intérêt pour le territoire, comme Gn 38. Toutefois ces deux chapitres offrent deux perspectives différentes : si Gn 38 montre un intérêt pour la terre, c’est dans une perspective d’ouverture aux étrangers ; en revanche, en Gn 49, l’intérêt attaché à la terre est lié à sa division entre tribus. Ce territoire se joue entre douze tribus de réputations diverses dont les leaders sont Juda et Joseph. Il y est alors question d’une vision territoriale où le conflit Nord – Sud n’intervient pas. Par ailleurs, Gn 49 assure un parfait équilibre entre Juda et Joseph, tandis que Gn 38 et Gn 39 paraissent davantage en faveur de Joseph. On peut tirer deux conclusions de ce vis-à-vis Joseph–Juda : – à l’instar de Joseph, Israélite de la diaspora qui a ouvert la porte aux étrangers, Juda, Israélite de Canaan, doit aussi ouvrir sa porte aux étrangers en Canaan ; – comme Joseph, Israélite de la diaspora, exemplaire dans sa relation avec la femme de Potiphar, Juda doit devenir exemplaire dans ses relations avec Tamar. Au fond, c’est la diaspora qui donne des leçons au centre. L’existence d’une strate sur « Juda » postérieure au cycle de Joseph, permet de concevoir qu’à l’origine, cette histoire se concentre uniquement sur un Israélite qui réussit bien dans la diaspora égyptienne. La découverte d’une rédaction indépendante de Gn 39* qui explique la situation de Joseph en prison au début de Gn 40, est très importante. D’une part, l’histoire de Joseph avec la femme de Potiphar sert de modèle pour construire en parallèle celle de Juda et de Tamar. D’autre part, elle permet de percevoir que la composition de cette dernière ne suggère pas une concurrence entre Juda et Joseph, mais attire l’attention sur l’attitude de ces deux personnages envers les étrangers. En conséquence, l’ensemble de l’histoire de Joseph et de Juda ne représente pas uniquement le conflit Nord-Sud, mais plutôt une tension entre la diaspora et le centre. Les questions essentielles portent, d’une part, sur l’identité israélite (faut-il habiter la terre promise pour être Israélite ou non ?), d’autre part, sur l’attitude qu’il convient d’adopter vis-à-vis des étrangers. Quant à Gn 49, qui se concentre sur les douze fils de Jacob, la diaspora y est invisible. C’est un autre débat qui a lieu dans ce chapitre. Il présente la communauté israélite centrée sur le pays de Canaan laissant de côté la question de la diaspora et intégrant le destin péjoratif des trois tribus déjà mentionnées en Nb 16 et Nb 25. De ce fait, Gn 49 intègre également la composition rédactionnelle de Nb sur ces trois tribus maudites en réservant

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CHAPITRE IV

une place importante à Juda, ce qui pourrait renvoyer à une réalité sociohistorique où la province de Yehud joue un rôle décisif à l’époque perse. Nous discuterons ce point plus tard. En outre, à l’époque où Gn 49 a été rédigé, la communauté israélite territoriale ne connaît pas encore de rupture Nord-Sud, mais un strict équilibre entre les deux royaumes. Toutefois, les ajouts sur « Juda » que nous avons pu dégager dans cette analyse littéraire pourraient indiquer une modification de cet équilibre en faveur du Sud. Ce chapitre souligne l’importance de la rédaction finale de Gn 49 qui met en valeur deux thèmes : la lignée patriarcale et le pays de Canaan, la terre promise. L’allusion à Sichem (Gn 50,5) et le souhait du retour en pays de Canaan (Gn 47,30 ; Gn 48,21 ; Gn 49,29-33 ; Gn 50,24-25) deviennent les preuves de l’existence d’une composition hexateucale qui a été postérieurement encadrée par la rédaction pentateucale avec l’ajout de la sentence de Jacob (les vv.1b-28abα) pour assurer le parallélisme avec celle de Moïse en Dt 33. La construction en parallèle de Gn 49–50 et de Dt 33–34 a permis la formation du Pentateuque, ou, plus tardivement aurait participé à la rédaction pentateucale, et à sa penta-partition. La fin de notre recherche présente une synthèse plus large en examinant le contexte socio-historique et les débats théologiques sur la formation du cycle de Joseph.

CHAPITRE V

PRINCIPAUX RÉSULTATS DE L’ÉTUDE DE GN 38 ET GN 49 Au terme de notre enquête littéraire, il importe de ressaisir l’ensemble du parcours effectué. Ce chapitre annonce les résultats de notre recherche selon quatre axes. Le premier récapitule la composition et la fonction littéraire de Gn 38 et de Gn 49 dans le cadre du cycle de Joseph et du Pentateuque telles qu’elles se dégagent des données de l’analyse littéraire. Puis seront abordés les débats sur le cycle de Joseph autour de la question de l’ouverture aux étrangers et de l’identité spécifique d’Israël en nous interrogeant sur son arrière-plan socio-historique. Ces observations nous amènent à spécifier les différentes lignes théologiques parcourant cette histoire. Apparaîtront alors comment les multiples composants du cycle de Joseph participent à la construction du Pentateuque et parachèvent le compromis entre les divers courants idéologiques. 1. LA

GN 38 ET GN 49 PENTATEUQUE

COMPOSITION ET LA FONCTION LITTÉRAIRES DE

DANS LE CONTEXTE DU CYCLE DE JOSEPH ET DU

L’écrit sacerdotal assure le lien entre l’histoire des patriarches et celle d’Exode. Il mentionne la descente de Jacob avec sa famille en Égypte indépendamment du cycle de Joseph1. On en déduit que ce dernier a été introduit tardivement à la fin du livre de la Genèse. Par ailleurs, nos analyses ont confirmé l’insertion postérieure de Gn 38 et de Gn 49 dans le cycle de Joseph : le premier critique Juda et l’autre le met en valeur. Ainsi l’ensemble du cycle de Joseph dont l’action se déroule en Égypte, est encadré par deux chapitres relatifs au pays de Canaan, qui relèvent eux-mêmes de deux genres littéraires différents. Le récit de Gn 38 concerne Juda et Tamar, alors que Gn 49 est le discours de Jacob à la fin de sa vie. Notre étude sur ces deux chapitres tardifs y a discerné deux problématiques distinctes. Il est dès lors indispensable de s’interroger plus profondément sur leur fonction : quel sens 1 Un tableau synoptique de l’écrit P (Synoptic overview of the attributions to P in Genesis 37–Exodus 1) rassemblant les avis des différents commentateurs est présenté dans l’article de Schmid. Selon eux, c’est P qui assure le lien entre le livre de la Genèse et le début de l’Exode en l’absence du cycle de Joseph, K. SCHMID 2006, 44.

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CHAPITRE V

tirer de l’insertion de ces deux textes concernant Juda dans une histoire de Joseph, elle-même tardivement incorporée à la fin du livre de la Genèse ? Tout d’abord, Gn 38 apparaît comme un supplément à l’histoire de Joseph visant à mettre en valeur le personnage de Joseph par rapport à celui de Juda. Mais nos analyses narrative et historico-critique ont mis en évidence deux fonctions distinctes de ce chapitre. L’analyse narrative a montré que ce récit reste en cohérence avec l’ensemble du cycle de Joseph. D’une part, le récit fournit une explication à la transformation de Juda (Gn 37–38–43–44–49). Celui qui a proposé de vendre Joseph, le fils bien-aimé du père, en Égypte (Gn 37,26-27) s’engage comme garant de Benjamin, l’autre fils bien-aimé de Jacob après la perte de Joseph, en vue de la « descente » en Égypte (Gn 43,9). Il se propose lui-même par la suite de remplacer Benjamin comme esclave en Égypte (Gn 44,32-33). En fait, en Gn 44 Juda est dans la même situation qu’en Gn 37. Il aurait pu se débarrasser une deuxième fois du frère bien-aimé de son père comme il l’a fait avec Joseph. Son évolution s’explique par son aventure avec Tamar en Gn 38 à l’issue de laquelle il reconnaît son injustice (Gn 38,26). Cela le conduit à recevoir la même bénédiction que Joseph en Gn 49,8-12. D’autre part, Gn 38 permet d’établir un parallélisme littéraire entre Juda et Joseph : Juda qui séjourne au pays de Canaan est invité à s’ouvrir aux étrangers comme l’a fait Joseph en Égypte. La critique rédactionnelle a mis en évidence une composition parallèle de Gn 38 et de Gn 39. Le chapitre 39 a pour objectif d’expliquer la présence de Joseph en prison au début de Gn 40, tout en soulignant que la vie en pays étranger est dangereuse. En revanche, Gn 38 sollicite l’ancêtre des Judéens à entrer en relation avec les étrangers. Ces deux perspectives différentes révèlent que l’histoire de Juda et de Tamar ne concerne pas l’opposition Nord-Sud, mais que sa préoccupation principale porte sur l’ouverture aux étrangers et à l’intégration de leurs descendances au sein du peuple d’Israël. La mise en parallèle des personnages de Juda et de Joseph produit un effet littéraire qui accentue l’invitation faite à Juda, qui vit en Canaan, à imiter le comportement de Joseph en Égypte. En outre, la comparaison entre Gn 38, Rt et Dt 25 fait apparaître différentes expressions concernant la loi du lévirat. Cette loi n’est qu’un prétexte pour assurer la continuité du récit puisque l’intérêt ne porte plus sur l’état final de la relation entre Shélah et Tamar, mais sur l’intégration des jumeaux nés de Tamar, une étrangère, au sein du peuple d’Israël (Gn 38,27-30)2. 2 Cette ouverture aux étrangers se manifeste dans des situations différentes dans le cycle de Joseph et dans l’histoire de Juda et de Tamar : la première est celle d’un Israélite descendu chez les étrangers et la seconde est celle d’une étrangère intégrée dans le peuple d’Israël.

PRINCIPAUX RÉSULTATS DE L’ÉTUDE DE GN 38 ET GN 49

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Cette pratique du lévirat souligne plutôt le contraste entre Tamar, une Cananéenne, et les ancêtres des Judéens. L’histoire met l’étrangère en valeur. En revanche, Gn 49 apparaît dépourvu de lien direct avec Gn 38. Il contribue à la construction du Pentateuque en assurant le parallélisme avec le dernier discours de Moïse au peuple d’Israël en Dt 33. Mais à la différence de ce dernier qui est une liste nordiste soulignant l’importance de Joseph (la sentence sur Lévi est probablement un ajout tardif), le discours de Gn 49 traduit un souci d’équilibre entre Juda et Joseph. L’analyse littéraire a dégagé un schéma hypothétique de la composition rédactionnelle progressive de Gn 49. Il a pu exister en premier lieu des dits anciens sur les six petites tribus du Nord (Zabulon – Issachar – Dan – Gad – Asher – Nephtali) complétés postérieurement par une liste nordiste « proto-Gn 49 » qui mentionne dix tribus (sans Siméon ni Lévi) comme celles de Jg 5 et de la « proto-Dt 33 » (sans Lévi). Les derniers ajouts rédactionnels sur « Juda » à l’intérieur du cycle de Joseph orientent l’ensemble de ce dernier vers le Sud, les Judéens. C’est sous sa forme finale que Gn 49 exprime un équilibre Nord-Sud à travers les personnes de Juda et de Joseph. Ce point sera analysé plus en détail dans la critique socio-historique. Il faut aussi noter que ce chapitre ne comporte aucune allusion à l’Égypte et se concentre sur les douze fils de Jacob. De ce fait, Gn 49 s’éloigne du contexte égyptien du cycle de Joseph et se rapproche du discours tribal de Dt 33 et du pays cananéen. Par ailleurs, la construction en parallèle de Gn 49–50 et de Dt 33–34 qui décrivent respectivement le testament et la mort de Jacob et de Moïse, participent à la structuration du Pentateuque et peuvent être attribués à une rédaction pentateucale. Il est possible de récapituler la fonction littéraire de Gn 49 en deux points. D’une part, ce chapitre se focalise sur les douze fils de Jacob dans une optique « judéo-centrique » et, d’autre part, il participe à la construction du Pentateuque. En résumé, ces deux chapitres possèdent trois points communs : ils sont introduits tardivement dans le cycle de Joseph ; ils mentionnent tous les deux le personnage de Juda ; et ils s’intéressent tous les deux au pays de Canaan. Toutefois, nos analyses ont permis d’y distinguer des différences de perspectives sur l’histoire de Joseph : alors que l’un surenchérit sur les vertus du personnage de Joseph en se concentrant sur le contre-exemple de Juda, l’autre s’intéresse à la géopolitique de Canaan. De ce fait, les deux chapitres s’inscrivent dans le débat entre l’ouverture aux nations et l’identité spécifique d’Israël. Gn 38 poursuit la ligne du cycle de Joseph en soulignant la possibilité de relations entre les Israélites et les étrangers. Gn 49, en

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CHAPITRE V

revanche, corrige cette perspective universaliste en se concentrant sur les douze fils de Jacob, en parallèle avec Dt 33, pour former une composition pentateucale. Il nous semble utile de proposer quelques précisions dans ce débat en expliquant son arrière-plan socio-historique. 2. ÉTUDE SOCIO-HISTORIQUE DES RÉCITS DE GN 37–50 : UN DÉBAT CONCERNANT L’IDENTITÉ DE LA COMMUNAUTÉ D’ISRAËL

2.1. Le contexte socio-historique du cycle de Joseph et du Pentateuque L’hypothèse suggérée par Frei sur l’« autorisation impériale » de la rédaction du Pentateuque comme constituant à la fois la loi de Dieu et la loi du roi de perse pour tous les Israélites de l’empire3 est presque abandonnée aujourd’hui4. Il serait impossible selon de Pury et Römer d’expliquer le « déséquilibre » « entre les allusions discrètes au pouvoir en place et l’abondance des références à l’espace géographique et symbolique de l’Égypte5 ». Ska propose de comprendre la composition du Pentateuque comme la réponse aux « nécessités internes de la communauté postexilique »6. Tout en prenant conscience du fait que le Pentateuque est le résultat d’un compromis entre les différentes communautés d’Israël de l’époque perse, Fantalkin et Tal ont combiné les résultats de la critique rédactionnelle avec 3

Cf. P. FREI 2001, 5-40. Ska a formulé trois objections : tout d’abord, « il existe trop peu d’exemples et ces exemples sont trop différents et trop peu clairs pour permettre d’affirmer avec un minimum de certitude qu’il existe à ce propos une politique générale de l’Empire perse ». Ensuite, il paraît peu vraisemblable que, pour garantir l’autonomie locale, les autorités perses aient demandé aux communautés de leur immense empire de compiler leurs lois pour pouvoir les ratifier et leur conférer « l’autorisation impériale ». Enfin, les intérêts pour l’autorité perse sont avant tout de nature politique, militaire et économique, J.L. SKA 2016a, 278-280. Cependant Schmid en conserve quelques éléments, cf. K. SCHMID 2007c, 23-38. Dans sa dissertation doctorale de 2010, publiée en 2011, étudiant Esd 7, Lee suggère que l’autorisation impériale reste discutée et réexaminée puisque l’empire perse ne s’intéresse pas aux détails de la Loi, mais qu’il apporte son soutien à la Torah, cf. K.J. LEE 2011, 235-296. 5 A. de PURY, T. RÖMER 1995, 26. 6 J.L. SKA 2016a, 288. Ska a déjà formulé cette remarque dans son article de 2007. Selon lui, l’origine du Pentateuque est liée à la fondation à Jérusalem, pendant la période postexilique, d’une bibliothèque rassemblant les traces écrites des traditions importantes du peuple d’Israël, cf. J.L SKA 2007, 147 et 169. Römer interprète ainsi cette nécessité interne : « il s’agissait de donner un fondement idéologique à la ‘nouvelle religion’ qui ne pouvait plus prendre son (unique) appui dans des institutions comme la royauté et le temple ». Il explique dans une note : « Bien que le temple ait été reconstruit, l’existence de Diasporas importantes sur le plan de la population et de l’économie ne permettait pas de faire du temple de Jérusalem le centre idéologique du judaïsme ; à cela s’ajoute bien sûr aussi la concurrence entre Jérusalem et le sanctuaire du Garizim. », T. RÖMER 2006, 55 et n° 32. 4

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les données archéologiques pour situer la composition pentateucale vers la première moitié du IVe s. av. J.-C., qui est marquée par des changements géopolitiques. Le fils de Cyrus (559-530), Cambyse (530-522), a mené la campagne égyptienne vers 525 av. J.-C. et il est reconnu comme roi d’Égypte en recevant le nom Re-mesuti (né de Ré)7. Ensuite, un premier soulèvement a lieu en l’an 485 av. J.-C. Rapidement réprimé par Darius I (522-486), il est suivi par une série de révoltes après la mort de ce dernier8 dans la première moitié du Ve s. av. J.-C.9, et surtout entre les années 465-464, à la mort de Xerxès I auquel succède d’Artaxerxès I. L’Égypte parvient finalement à recouvrer son indépendance politique vers 404 av. J.-C., à la fin du règne de Darius II (423-404) auquel succède Artaxerxès II (404-359). En conséquence, après plus d’un siècle de domination achéménide, la province de Yehud devient la frontière méridionale de l’empire Perse avec l’Égypte. Par la suite, l’empire perse a essayé de reprendre le contrôle de l’Égypte, sans succès pendant soixante ans, jusqu’à l’avènement du roi Artaxerxès III (358-338) qui a pacifié Sidon et rétabli l’hégémonie perse sur l’Égypte en 34310. Ainsi, les conflits entre l’empire perse et l’Égypte ont été nombreux pendant les règnes d’Artaxerxès II et d’Artaxerxès III entre 404-343 et, de ce fait, « la canonisation de la version essentiellement anti-égyptienne de la Torah du début du IVe siècle doit être comprise comme une réponse consciente des prêtres de Jérusalem à cette nouvelle situation politique11 ». Selon Greifenhagen, la nouvelle situation politique a infléchi l’attitude de Darius I vis-à-vis de la province de Yehud où a été donné un nouvel ordre de reconstruction du Temple de Jérusalem (cf. Esd 6,6-12). C’est dans la sixième année de son règne (vers 515) que le Temple a été effectivement reconstruit (cf. Esd 6,15)12. Ces indices confirment les influences réciproques de la géopolitique de l’empire perse et de la situation de la province de Yehud pendant la période des révoltes égyptiennes. En accord avec les commentateurs cités ci-dessus, Greifenhagen attribue la perspective 7

Cf. J.W. BETLYON 2004, 460. Après la mort de Darius, de multiples révoltes éclatent d’abord en Égypte en 486 av. J.-C., puis à Babylone entre 484-482 av. J.-C. Dans la suite, les révoltes des Grecs se multiplient entre 480 à 479 av. J.-C. Les intérêts de l’empire perse en Méditerranée orientale ont été profondément compromis par ces revers, cf. F.V. GREIFENHAGEN 2002, 228. 9 Cf. J.W. BETLYON 2004, 461-462. 10 Cf. F.V. GREIFENHAGEN 2002, 232-233. En réalité, l’Égypte connaît de nouvelles révoltes pendant la règne d’Arsès (338-336) que Darius III (336-333) parvient à apaiser pour peu de temps avant la conquête par Alexandre le Grand de l’empire perse en 330 av. J.-C. 11 A. FANTALKIN, O. TAL 2012b, 212. Cf. A. FANTALKIN, O. TAL 2012a, 1-18, cf. D.B. REDFORD 2011, 315-324. 12 Cf. F.V. GREIFENHAGEN 2002, 226-227. 8

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anti-égyptienne au même contexte historique. Les chefs des Judéens ont volontairement dissocié toutes les connections avec l’Égypte pour montrer leur loyauté envers l’empire perse pendant les périodes troubles correspondant aux révoltes égyptiennes13. Ce contexte socio-historique apparaît déterminant pour la formation d’un Pentateuque anti-égyptien. Dans la même perspective, les deux décalogues apparaissent, selon le terme de Römer, comme le « catéchisme du judaïsme naissant14 » ou « le mythe fondateur par excellence15 » qui « souligne le fait que la sortie d’Égypte est le point central dans la construction narrative de la Torah16 ». Cette conception de l’Égypte comme lieu d’esclavage est présentée dans les livres de l’Exode (cf. 1,8-22 ; 5 ; 14), du Lévitique (cf. 11,45 ; 19,34 ; 26,13) et des Nombre (cf. 11 ; 14 ; 20). Elle se résume dans les rappels des souvenirs historiques du Deutéronome (cf. 5,15 ; 28–29)17. Ce dernier interprète le retour en Égypte comme une menace (Dt 28,68). On doit dès lors s’interroger sur la fonction du cycle de Joseph, récit « proégyptien », dans le cadre d’un Pentateuque « anti-égyptien » : comment justifier la présence d’une histoire « anti-exodique » dans un encadrement « exodique » ? Dès la première partie de notre travail sur l’histoire de la recherche, nous avons pointé les nombreux indices du contexte égyptien dans le cycle de Joseph. Ainsi pouvons-nous suggérer que cette histoire, dont l’origine se situe probablement en Égypte, décrit la vie des Israélites de la diaspora égyptienne. Elle est illustrée par Joseph, le représentant du Nord, pouvant ainsi former un cycle « pro-nordiste » qui pourrait illustrer la descente en Égypte des Israélites après la chute de Samarie en l’année 722 av. J.-C. Comme nous l’avons déjà constaté, l’ensemble du Pentateuque est construit selon le mouvement exodique de l’histoire d’Abraham (Gn 12,10-20) et surtout de celle de Moïse en Ex, répétée en Lv, Nb et Dt en insistant sur la sortie d’Égypte pour rentrer au pays de Canaan. L’insertion tardive du cycle de Joseph renverse cette vision négative de l’Égypte en soulignant qu’on peut y mener une vie heureuse au point que le peuple d’Israël est sauvé de la famine par les Égyptiens. 13

Cf. F.V. GREIFENHAGEN 2002, 230. T. RÖMER 1993, 28 ; T. RÖMER 2006, 61. 15 A. de PURY, T. RÖMER 1995, 26. 16 T. RÖMER, 2006, 61. 17 Sénéchal a établi la liste des liens existant entre le Deutéronome et Josué–2 Rois dans le cadre de l’hypothèse de HD au sujet de la présentation de l’histoire d’Israël. Il est évident que Dt joue le rôle de « résumé » historique non seulement dans le Pentateuque, mais aussi dans le HD, cf. V. SENECHAL 2009, 68-69. 14

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Le contraste entre le récit de Joseph et celui de Moïse est frappant. Joseph peut parler de Dieu sans difficulté avec Pharaon (Gn 41), alors que Moïse ne parvient pas à communiquer avec ce dernier au sujet du Seigneur (Ex 5). De plus, dans l’histoire de Joseph, ce sont toujours les personnages du récit qui parlent de Dieu, non le narrateur : les frères de Joseph (Gn 42,28) ; Joseph (Gn 50,19-20) et l’intendant de sa maison (Gn 43,23). En revanche, c’est toujours le narrateur qui relate les moments où Dieu s’adresse à Moïse (Ex 3,2 ; 20,1 ; Dt 5,5b et etc.). Par ailleurs, les magiciens (‫חרטמים‬, Gn 41,8.24) et les sages (‫חכמים‬, Gn 41,8) ne sont pas des sujets de polémiques comme en Ex 7–9 (cf. Is 44,25), et Joseph lui-même est présenté comme un sage (cf. Gn 41,33.38) parmi eux, simplement plus fort que tous les experts du Pharaon. Il est étonnant que Gn 47 évoque deux fois la réception par Pharaon de la bénédiction de Jacob (vv.7.10) ; cela constitue un indice significatif d’une vision universaliste. Enfin, la politique agraire de Joseph en Gn 47,13-26 est en contraste total avec la situation des Hébreux opprimés par les Égyptiens décrite au début du livre de l’Exode. Les contrastes entre le cycle de Joseph et Ex 14 sont encore plus marqués. Joseph place sa descente en Égypte sous la protection de la providence divine pour « sauver la vie à un peuple nombreux » (Gn 50,20b, ‫)להחית עם־רב‬. En sens inverse, Ex 14,30 décrit la sortie d’Égypte comme le salut du peuple d’Israël : « Ce jour-là, YHWH sauva Israël des mains des Égyptiens » (‫)ויושע יהוה ביום ההוא את־ישראל מיד מצרים‬. D’ailleurs, c’est Dieu qui demande à Jacob de descendre en Égypte : « N’aie pas peur de descendre en Égypte (‫ … )אל־תירא מרדה מצרימה‬C’est moi qui descendrai avec toi (‫( » )אנכי ארד עמך מצרימה‬Gn 46,3b.4b) ; et c’est également Lui qui fait remonter le peuple d’Égypte : « C’est moi aussi qui t’en ferai remonter (‫( » )ואנכי אעלך גם־עלה‬Gn 46,4b), comme en Ex 14. La famille de Jacob en Gn 46,8 devient en Ex 14,5 la nation (‫ )העם‬qui se distingue des autres nations. Ska fait ainsi observer, en parlant de la sortie d’Égypte, que « Le Dieu de la Bible est allergique au cheval18 » si l’on fait exception de l’accession au pouvoir de Joseph en Gn 41,43, et des funérailles de Jacob en Gn 50,9. En outre, la première version du cycle de Joseph comportait peut-être des accents en opposition encore plus nette avec Dt. Le récit fait état à deux reprises du sentiment d’abomination exprimé par les Égyptiens au sujet des Israélites, en Gn 43,32 et en Gn 46,3419. En revanche, le livre 18

Cf. J.L. SKA 2001, 57-59. Pinker a cherché l’explication de cette « abomination des Égyptiens » en Gn 43,32 ; 46,34 et en Ex 8,22 dans les différences de normes alimentaires, culturelles ou sacrificielles 19

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du Deutéronome insiste sur le fait que c’est une abomination pour YHWH si le peuple d’Israël se mélange avec les autres peuples (Dt 7,25.26 ; 12,31 ; 18,9.12). De plus, la coupe de divination, qui est considérée comme abominable en Dt 18,10, ne pose guère de problème dans le cycle de Joseph en Gn 44,5. Ces exemples montrent bien la portée « anti-exodique » du cycle de Joseph qui vient contrebalancer, dans le Pentateuque, le courant « exodique ». Mais Römer va encore plus loin en affirmant que « The theology of the Joseph story can therefore be labeled as “anti-deuteronomistic”20 ». Le cycle de Joseph est donc bien une histoire de subversion car l’insertion tardive de l’histoire de Joseph vient troubler la perspective « antiégyptienne » du Pentateuque et nous devons nous interroger sur la cause de la présence de ces deux perspectives « contradictoires » contenues dans l’unique Pentateuque. Redford comprend les histoires de Joseph et de Moïse comme des « miroirs » de la réalité de l’époque. L’extension de l’empire perse au Ve s. av. J.-C. facilite la descente des Israélites en Égypte ; mais le changement de contexte politique résultant de la perte de l’Égypte dans la première moitié du IVe s. av. J.-C. redonne valeur à la sortie d’Égypte21. Dans la même ligne, Greifenhagen a établi une liste des attestations anciennes de l’existence des communautés d’Israël en Égypte. Ces témoins mettent en évidence cette présence avant l’exil et pendant la déportation babylonienne entre 597-586 av. J.-C., quand l’Égypte a reçu un afflux de soldats et autres réfugiés de Juda (cf. Jr 40–43)22. Il note un point important qui est la destruction du temple d’Eléphantine (les papyrus d’Éléphantine, 495-399) par les soldats et les prêtres égyptiens en 410 av. J.-C., ce qui peut s’expliquer par la formation vers le Ve s. av. J.-C. d’un nationalisme égyptien et d’un courant hostile aux Israélites, non seulement ceux de la province de Yehud, mais aussi ceux résidant en Égypte, qui soutiennent la politique de l’empire perse contre les Égyptiens23. Des inscriptions à des Égyptiens et du peuple d’Israël. En fait, ces passages pourraient être des références littéraires visant à signaler l’opposition avec le livre du Deutéronome, cf. A. PINKER 2009, 151-174. 20 T. RÖMER 2018c, 64. Il considère que « Gn 43,32 pourrait être ainsi un clin d’œil ironique à la théologie deutéronomiste de la ségrégation », T. RÖMER 2013b, 23. 21 D.B. REDFORD 2011, 323. 22 F.V. GREIFENHAGEN 2002, 233-235. Son interprétation est assez originale, puisque la destruction du temple d’Éléphantine est souvent interprétée comme un conflit religieux sous l’action des prêtres égyptiens. Son hypothèse introduit une intention politique qui aurait pu jouer un rôle déterminant dans cette affaire. 23 F.V. GREIFENHAGEN 2002, 239.

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Edfou, sur la rive gauche de Nil en haute Égypte, confirment l’existence de colonies israélites au cours de la période d’indépendance (404-343 av. J.-C.) dans la première moitié du IVe s. av. J.-C.24 Ainsi, Greifenhagen distingue deux perspectives dans le Pentateuque : la première correspond aux nombreux conflits entre les Égyptiens et l’empire perse qui se traduisent par une rhétorique « anti-égyptienne » ; en même temps, l’existence de communautés israélites en Égypte laisse la possibilité de l’existence d’une voix « pro-égyptienne »25. Selon ces auteurs, le contexte historique aurait joué un rôle déterminant dans la rédaction du cycle de Joseph. Le début décrivant la vie heureuse en Égypte aurait été composé probablement vers les VIe et Ve s. av. J.-C., lorsque l’Égypte était sous le contrôle de l’empire perse. La descente des Israélites en Égypte n’était pas mal vue. De plus, la prospérité égyptienne leur offrait de bonnes conditions de vie. En revanche, l’insertion de Gn 49 fait disparaître cette voix égyptienne. Non seulement elle permet la formation du Pentateuque en établissant le parallèle avec Dt 33, mais elle correspond également à la situation politique de la première moitié du IVe av. J.-C. où l’empire perse entre en conflit politique avec l’Égypte. De ce fait, la fin du cycle de Joseph reflète la coïncidence entre le contexte géopolitique peu favorable à l’Égypte et l’option « pro-exodique » du Pentateuque. Par ailleurs, il faut remarquer que les passages mentionnant la descente en Égypte (Abraham en Gn 12,10ss ; Joseph en Gn 37ss ; Jéroboam en 1 R 11,26ss ; le prophète Ouriyahou en Jr 26,20-23 ; les révoltés et le prophète Jérémie en Jr 40–44 et en 2 R 25,22-26) n’évoquent jamais l’oppression par les Égyptiens, mais plutôt des « exils volontaires »26. Ce sont exclusivement les textes qui vont d’Ex au Dt qui décrivent l’Égypte comme un lieu d’esclavage. Cela permet, comme le suggère Redford27, de dater cette conception « anti-égyptienne » de l’époque perse. L’antagonisme entre l’Égypte et l’empire perse constitue l’élément décisif pour la formation d’un Pentateuque « anti-égyptien ». L’ajout de Gn 49 permet d’incorporer ce récit d’une vie heureuse au sein de la diaspora égyptienne dans un Pentateuque « anti-égyptien ».

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F.V. GREIFENHAGEN 2002, 240. F.V GREIFENHAGEN 2002, 247-248. 26 A. de PURY, T. RÖMER 1995, 27. 27 Cette observation est également soutenue par de Pury et Römer : « C’est donc aux alentours des époques babylonienne et perse que l’image de l’Égypte va être noircie à l’aide d’appositions comme ‘maison d’esclavage’ », A. de PURY, T. RÖMER 1995, 29. 25

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2.2. Le débat concernant l’identité d’Israël dans le cycle de Joseph Comme nous l’avons vu plus haut, l’articulation entre Gn 38 et Gn 49 mêle deux voix à l’intérieur du cycle de Joseph : l’ouverture aux étrangers et l’identité spécifique d’Israël28. Analysons l’ensemble du cycle pour mieux les distinguer et acquérir ainsi une meilleure compréhension du processus d’insertion dans le Pentateuque. Nous avons montré le caractère tardif des ajouts sur « Juda » à l’intérieur du cycle de Joseph. Ils montrent que cette histoire, au départ, se concentre uniquement sur un jeune hébreu, descendu en Égypte et devenu un haut fonctionnaire du Pharaon. Nous reconnaissons dans le cycle de Joseph les traits identitaires de la diaspora. D’abord, le Seigneur y est imploré sous la forme ‫ אלהים‬non ‫ יהוה‬qui n’apparaît qu’en Gn 38, Gn 39 et Gn 49, chapitres ajoutés tardivement. Ensuite, nous observons que Joseph et Pharaon parlent de Dieu sans difficulté apparente de communication (Gn 41), et même l’intendant de la maison de Joseph est capable de parler de Dieu avec les frères de Joseph en Gn 43,23, ce qui suppose une forme de reconnaissance du Dieu d’Israël par les Égyptiens. De plus, le mariage mixte est vu favorablement : Joseph contracte un mariage avec la fille d’un prêtre égyptien en Gn 41,45. Et les deux fils de Joseph, Ephraïm et Manassé, qui deviendront les ancêtres de deux tribus d’Israël, sont nés en Égypte et leur mère est une Égyptienne (Gn 41,50-52). Ils possèdent donc une double identité : hébraïque et égyptienne. Par ailleurs, Joseph reçoit un nom égyptien, ce qui correspond à la situation des Israélites de la diaspora qui portent un nom hébreu et un nom du pays d’accueil (Gn 41,45). Enfin, le récit se concentre sur le bon accueil par les Égyptiens de la famille de Jacob (Gn 47,1-21), et le pays d’Égypte devient le refuge des ancêtres d’Israël pendant la famine. Cette 28 Nocquet a fait un excellent travail en analysant Gn 45,1–46,7. Il affirme que « l’Égypte est une nouvelle “terre promise” pour la famille de Jacob, une terre de salut au moment où elle est menacée par la famine ». Il désigne le cycle de Joseph comme « un contre-projet à l’Exode » en soulignant que « ce récit conteste un certain centralisme judéen en légitimant la situation de la communauté juive d’Égypte » (p. 461). Il voit l’histoire de Joseph comme une histoire inversée de salut, il faut sortir de Canaan pour aller vers la terre promise qu’est l’Égypte. Dieu sauve non pas en délivrant de l’Égypte, mais en conduisant Israël en Égypte (p. 472), cf. D. NOCQUET 2009, 461-480. D’ailleurs, Feichtinger remarque également l’image positive de l’Égypte dans le cycle de Joseph comme « Land der Verheißung » (terre de la Promesse) en contraste avec la sortie d’Égypte en Ex, cf. D. FEICHTINGER 2017, 85. Arnet emploie le mot « open » pour exprimer l’aspect universel de l’histoire de Joseph : « Jewish identity in the post-exilic period was complex ; the position of some communities, such as the one behind the Joseph story, was apparently quite ‘open’ », cf. S. ARNET 2021, 84.

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descente en Égypte est interprétée comme l’expression de la volonté divine (Gn 46,3-4). Ces observations dénotent une vision positive de l’Égypte et tendent à montrer que l’on peut mener une vie heureuse en diaspora égyptienne. Ce travail et de nombreuses sources extrabibliques conduisent à désigner la diaspora égyptienne à la fois comme contexte historique du cycle de Joseph dont le milieu d’origine est présenté de manière favorable à l’Égypte et comme porteuse de valeurs opposées à celles que représente la sortie d’Égypte. Nous remarquons aussi que Gn 38 se situe sur le même registre que le cycle de Joseph en décrivant une cohabitation avec les étrangers. Toutefois, nous ne sommes plus dans le pays d’Égypte mais en terre de Canaan. Juda a été bien accueilli à Adoullam chez Hirah qui deviendra son compagnon à Timna (v.12) et qui l’aidera à rechercher la prostituée (vv.20-23). Comme Joseph, Juda contracte un mariage mixte en épousant la fille de Shoua, une Cananéenne (v.2). De même, son fils ainé épouse Tamar, une étrangère. Si Juda et ses fils, Er et Onân, sont critiqués, Tamar, une étrangère, est l’objet d’éloges. Ces détails illustrent le motif principal du chapitre : l’intégration de l’étrangère et de sa descendance au sein du peuple d’Israël. Par ailleurs, la mise en parallèle de Juda et de Joseph par Gn 38 et Gn 39ss a pour effet de montrer l’importance du décalage entre ces deux personnages en ce qui concerne leur regard sur les étrangers. Juda, un Israélite du pays de Canaan, qui refuse de donner son dernier fils Shélah à Tamar, une Cananéenne, met en danger sa pérennité. En revanche, Joseph, un Israélite installé en Égypte, établit une bonne relation avec les Égyptiens permettant de sauver la vie des Israélites. Juda est enfin invité à s’ouvrir aux étrangers dans le pays de Canaan comme Joseph l’a fait à l’égard des Égyptiens en Égypte. Dans la même ligne, on retiendra que Juda et Joseph ont eu des beauxpères étrangers (cf. Gn 38,2 ; 41,45), et que dans le livre de l’Exode et celui des Nombres (Ex 2 ; Nb 12), le thème des beaux-pères étrangers de Moïse est récurrent. Il convient cependant de souligner que l’histoire de Juda et de Tamar se déroule en Canaan et qu’elle contient probablement une critique des Israélites qui ont tendance à se refermer après le retour d’exil. Cependant, elle s’inscrit dans la même problématique que le cycle de Joseph. À l’opposé de cette option universaliste qui met l’accent sur la vie heureuse en Égypte, les derniers chapitres du récit mettent en évidence un lien privilégié avec Canaan. Gn 48 met en lumière exclusivement les deux fils

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de Joseph, Manassé et Ephraïm, qui reçoivent la bénédiction de Jacob. De même, Gn 49 se concentrant sur les douze fils de Jacob, la voix de la diaspora y disparaît totalement. Ce sont les douze fils/tribus d’Israël qui y constituent le thème essentiel, même si le discours de Jacob souligne particulièrement la place prééminente de Juda et de Joseph. En fait, avec l’insertion de Gn 49, la fin du cycle de Joseph perd sa dimension subversive par rapport au récit de Moïse, car le discours de Jacob et sa mort viennent en parallèle à celui de Moïse et à la mort de ce dernier en Dt 33–34. L’introduction tardive de Gn 49 dans le cycle de Joseph en atténue ainsi la vision « anti-exodique » pour assurer l’alignement sur la fin du Dt en vue de la construction du Pentateuque. En conclusion, les ajouts tardifs de Gn 38 et de Gn 49 résument le processus théologique du cycle de Joseph. Avec la « proto-histoire » de Joseph, Gn 38 s’aligne sur la perspective universaliste. L’insertion de Gn 49, en revanche, fait disparaître la voix de la diaspora égyptienne pour que l’ensemble du cycle de Joseph « pro-égyptien » soit accepté dans la vision « anti-égyptienne » du Pentateuque. Quelles sont les diverses tendances théologiques discernables à l’intérieur de l’histoire de Joseph ? 3. INTERPRÉTATION

SOCIO-HISTORIQUE DU CYCLE DE JOSEPH

Au début de notre étude, nous avons constaté que l’histoire de la recherche débouchait sur trois interprétations possibles du cycle de Joseph : – l’appel aux Israélites à retourner au pays de Canaan en alternant les séjours en diaspora et en Samarie-Judée ; – la justification de la vie en diaspora ; – l’affirmation et la clarification du leadership au sein de la communauté d’Israël, entre les tribus du Nord ou celles du Sud. Il reste à voir comment chacune de ces trois interprétations peut éclairer l’étude de l’identité : – de la communauté d’Israël telle qu’elle est perçue en diaspora égyptienne et en Samarie-Judée ; – des deux communautés de la diaspora de Babylone et d’Égypte ; – et de la communauté judéenne et/ou samarienne à l’époque postexilique. Les multiples identités des différentes communautés d’Israël qui se manifestent à l’intérieur du cycle de Joseph peuvent-elles être repérées pour une meilleure compréhension de ce dernier ?

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3.1. L’identité de la communauté d’Israël en diaspora et en SamarieJudée Dans une perspective universaliste, cette histoire fait découvrir la réussite de Joseph, un jeune israélite, établi dans la diaspora égyptienne. Pharaon et les Égyptiens deviennent les sauveurs des Israélites dans la famine. C’est dans la même optique que Gn 38, inséré postérieurement dans le cycle de Joseph, réagit en faveur de l’universalisme, à vivre aussi au pays de Canaan. Les communautés d’Israël, établies dans la terre promise, sont également appelées à s’ouvrir aux étrangers. Ces deux histoires sont une provocation à l’égard des groupes représentés dans les livres d’Esdras et de Néhémie qui, à la fin de l’époque perse, prônent la stricte séparation d’avec les étrangers (cf. Esd 9–10 et Ne 13). Elles illustrent, par conséquent, une tension identitaire entre la communauté d’Israël en diaspora et celle de la Samarie-Judée. Cette tension est d’ailleurs perceptible dans les nombreuses évocations de l’Égypte et de Canaan. En fait, le cycle de Joseph est encadré par une perspective hexateucale étroitement attachée au pays cananéen, qui s’exprime dans : – les trois allers et retours entre Canaan et l’Égypte (Gn 42–46) ; – le souhait de Jacob d’être enseveli en Canaan et ses funérailles (Gn 47,30 ; 49,29-33 ; 50,12-13) ; – et le retour des ossements de Joseph au pays de Canaan (Gn 50,25 ; Ex 13,19 ; Jos 24,32). Alors que la descente en Égypte est interprétée comme le dessein de Dieu (Gn 46,3 et Gn 50,20), la possibilité d’une vie heureuse en diaspora semble en contradiction avec cet attachement à la terre cananéenne. Enfin, les ajouts postérieurs de Gn 48–49 réaffirment que la bénédiction est réservée aux seuls fils de Jacob et à leur descendance, en opposition avec celle reçue dans la diaspora égyptienne. Il est important de noter que l’adoption des deux fils de Joseph par Jacob en Gn 48 revient en quelque sorte à les détacher de la « racine mixte » de Joseph et de sa femme égyptienne pour les intégrer dans la famille « orthodoxe » de Jacob. En même temps, le parallélisme du testament de Jacob/Moïse en Gn 49 et en Dt 33 illustre une vision territoriale du pays de Canaan. Il faut retenir cependant que Joseph et Moïse sont morts tous deux en pays étranger : le premier en Égypte en Gn 50,26 ; et le second, en Moab, conformément au dessein de Dieu révélé en Dt 34,5, après avoir contemplé la terre promise. Cette tension entre la terre cananéenne et la diaspora est permanente.

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CHAPITRE V

Ainsi le cycle de Joseph reflète des tensions et des débats théologiques entre la communauté d’Israël liée à la terre et celle de la diaspora. L’origine de l’histoire est une subversion d’Exode soulignant la vie heureuse en Égypte qui apporte le salut au peuple d’Israël. Son insertion dans un Pentateuque « anti-égyptien » permet de réorienter cette vie heureuse en diaspora égyptienne vers son destin final, qui est la sortie d’Égypte pour arriver à la terre promise. L’aspect universaliste de l’histoire est ainsi corrigé par son insertion dans l’ensemble du Pentateuque au profit de la communauté d’Israël. 3.2. L’identité de la communauté d’Israël à Babylone et en Égypte L’histoire de la recherche a montré la coexistence de deux groupes de Golot dans le Pentateuque correspondant à deux identités différentes : la Golah babylonienne et la Golah égyptienne. Il est important de remarquer que cette dernière est critiquée par le prophète Jérémie en Jr 43–44, puisque l’Égypte devient un lieu d’idolâtrie. L’annonce de sa perte exprime la confiance mise dans l’armée babylonienne, instrument de la volonté divine (Jr 43,10-13). Aussi, le prophète Jérémie a toujours appelé le peuple d’Israël à la soumission aux babyloniens. Notons cette observation de de Pury et de Römer : Dans les oracles annonçant l’anéantissement de l’Égypte, on trouve mentionnés presque tous les lieux qui figurent chez Jérémie comme les centres de l’établissement juif en Égypte – Migdol (29,10), Daphné (30,18), Memphis (30,13) – et cela pourrait être un indice que les destinataires véritables du désastre sont les Juifs d’Égypte, plus encore que les Égyptiens eux-mêmes29.

Cette remarque signale donc une critique envers la Golah égyptienne. Par ailleurs, Ez 16 et Ez 23 accusent les Judéens de « se prostituer » depuis leurs séjours en Égypte, et Ez 20 critique les Israélites qui ont préféré le culte égyptien à celui de YHWH30. Comme nous l’avons vu plus haut, cette attitude « anti-égyptienne » est vraisemblablement liée à la situation géopolitique de l’époque. L’indépendance politique de l’Égypte et la dépendance des Judéens vis-à-vis de l’empire perse sont des éléments cruciaux permettant d’éclairer l’hostilité exprimée envers les Israélites qui vivent en Égypte. 29

A. de PURY, T. RÖMER 1995, 32. Selon Ez 20, le vrai Israël se constitue à partir des exilés et non des non-exilés qui se croient de la descendance d’Abraham, cf. T. RÖMER 1993, 28-30. Nocquet partage le même avis en s’appuyant sur Esd 9,2 et Néhémie, cf. D. NOCQUET 2017, 25. 30

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Au contraire, le fondateur du peuple d’Israël, Abraham, est présenté comme celui qui vient du monde mésopotamien. D’Ur, sa famille se déplace à Harân (Gn 11,27-31). Sa descente en Égypte en Gn 12,10ss est décrite négativement31. Il envoie son serviteur en Mésopotamie pour chercher une femme pour Isaac en Gn 24. La mention conjointe d’Ur et d’Harân, de Canaan et de l’Égypte conduit à penser que les rédacteurs de l’histoire d’Abraham penchent en faveur des exilés babyloniens32. Ajoutons à cela que les rédacteurs des livres d’Esdras et de Néhémie considèrent Cyrus comme le serviteur de YHWH et le libérateur de son peuple (cf. Esd 1,1-2). Si la Golah babylonienne se considère comme « le vrai Israël »33 puisqu’elle voit dans l’exil en Babylone un effet de la volonté divine, l’histoire de Joseph montre cependant la présence des Israélites en Égypte comme la réalisation d’un dessein divin (Gn 46,3 et Gn 50,20). Ainsi, elle « équilibre » la vision favorable dont jouissent les exilés babyloniens en conférant une identité légitime aux Israélites d’Égypte34. Par ailleurs, l’HD s’arrête sur le roi Joiakîn qui est bien traité en exil par le roi babylonien (2 R 25,27-30) et l’on peut y voir un parallèle avec la famille de Joseph, accueillie par le Pharaon dans le cycle de Joseph35. Ces deux récits se rejoignent sous une forme narrative commune : la « success story en Diaspora »36. Dès lors, la formation du Pentateuque et la 31

Il en va de même dans l’épisode du roi de Gérar, Abimélek, en Gn 20,1-18. Les détails se trouvent dans l’article suivant : A. de PURY, T. RÖMER 1995, 30-34. 33 A. de PURY, T. RÖMER 1995, 33. 34 Seebass remarque que le début du livre de la Genèse se concentre sur la Mésopotamie et la Palestine, et qu’il se termine avec l’Égypte. Il écrit : « While at the beginning of Genesis, the landscape of Mesopotamia and Syria-Palestine prevails, at the end that of Egypt dominates », H. SEEBASS 1986, 37. 35 Clan a examiné le parallélisme entre 2 R 25,27-30 et Gn 40–41 et affirme que « de même que la libération de Joseph et son élévation représentent le point de départ de l’Exode d’Israël hors d’Égypte, ainsi la libération et l’élévation de Joiakîn pourraient marquer le point de départ d’un nouvel Exode, M.J. CHAN 2013, 577. Römer remarque le parallélisme entre le destin de Joiakîn et les nouvelles de la diaspora en Gn 37–50 (l’histoire de Joseph), Dn 2–6 (les contes de cour en Daniel) et le livre d’Esther. Ces textes décrivent un individu en exil libéré de sa prison pour exercer une haute fonction à la cour d’un roi étranger (cf. 2 R 25,28 ; Gn 41,40 ; Dn 2,48 ; Est 10,3). Il souligne surtout le changement de vêtement (2 R 25,29 ; Gn 41,42 ; Dn 5,29 ; Est 6,10-11 ; 8,15) qui est un thème central dans le cycle de Joseph (cf. Gn 37.38.41), cf. T. RÖMER 2015b, 270-271. Aussi, l’expression ‫ישא פרעה את־ראשך‬ (le Pharaon élèvera ta tête) en Gn 40,13.19 fait écho à ‫( נשא … ראש יהויכין‬éleva… la tête de Joyakîn) en 2 R 25,27. Par ailleurs, Wilson souligne que le lien entre Joseph et Joiakîn est double : un temps d’espérance et de prospérité en exil, et aussi un temps d’oppression dans un pays étranger qui va susciter nécessairement l’intervention de Dieu pour libérer son peuple, cf. I.D. WILSON 2014, 527. 36 Römer établit un parallèle entre Joiakîn, Joseph et Mardochée qui sont les représentants des Israélites qui ont réussi à l’étranger. Cf. T. RÖMER 1997, 10-11. 32

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construction de l’HD laissent apparaître une ouverture à la diaspora. La fin du cycle de Joseph se termine sur la diaspora égyptienne ; celle de 2 R 25,27-30 fait référence à la diaspora babylonienne37. Ces deux groupes de diaspora trouvent chacun une identité appropriée et une fin heureuse. L’insertion du cycle de Joseph reconnaît ainsi à la Golah égyptienne sa légitimé au sein du peuple d’Israël, et le parallèle final entre Joseph et Joiakîn exprime un équilibre entre les communautés israéliennes de Babylone et celles d’Égypte38. 3.3. Les spécificités judéenne et/ou samarienne de la communauté post-exilique Le cycle de Joseph s’inscrit dans l’histoire des patriarches dans laquelle différentes identités israélites sont représentées : Jacob est vu comme un patriarche du Nord, fondateur du sanctuaire de Bethel (Gn 28,10-22) ; Abraham, au contraire, est considéré comme un patriarche du Sud39. « Le fait que l’histoire des Patriarches débute avec Abraham, qui devient le « père » de tous les ancêtres d’Israël et des voisins reflète cependant clairement une perspective judéenne40 ». Finkelstein emploie même l’expression « the ‘migration’ of northern traditions to Judah41 ». L’histoire de Joseph participe du même mouvement qui va de Joseph, le représentant du Nord, à Juda, celui du Sud. Il est tout à fait possible que l’histoire de Joseph ait été « judaïsée » par la suite, surtout par le moyen des ajouts sur « Juda » qui donnent le dernier mot aux Judéens de la province de Yehud, mais en même temps, Gn 49 maintient entre Samaritains et Judéens une sorte de compromis qui semble constituer la fin de toute l’histoire. 37

Cf. T. RÖMER 2005, 287-288. Soulignons une remarque intéressante sur 2 R 25,30 qui exprime la durée du séjour à Babylone : « tous les jours de sa vie ». Selon Römer, « 2 R 25,27-30 pourrait alors se comprendre comme une nouvelle conclusion des livres des Rois, due aux Juifs de la Diaspora babylonienne qui, en reprenant des motifs de la fin du premier livre de la Genèse, tentent de démontrer que la Babylonie reste une terre où les Juifs peuvent s’établir pour de longues années contrairement à l’Égypte », T. RÖMER 2007b, 31. Cette observation met en quelque sorte en concurrence les séjours en Égypte de la fin du livre de la Genèse et la vie à Babylone 38 On peut se poser la question suivante : le parallélisme entre le cycle de Joseph, surtout les chapitres 40–41, et la fin du récit du deuxième livre des Rois en 2 R 25,27-30 ne révèlet-il pas une tentative vers une composition ennéateucale ? Cette discussion dépasse le cadre de notre recherche, mais elle reste une piste à explorer. Cf. T. RÖMER 2005, 294 ; I.D. WILSON 2014, 525. 39 Cf. T. RÖMER 2015c, 43-48 ; T. RÖMER 2009b, 21-43. 40 T. RÖMER 2015c, 48. 41 I. FINKELSTEIN 2016, 11.

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Par ailleurs, les recherches archéologiques peuvent contribuer à éclairer le sujet. Les fouilles récentes du mont Garizim menées par Magen en 198242, ont prouvé qu’il existait, depuis le Ve s. av. J.-C., un sanctuaire qui a été détruit par Jean Hyrcan vers 111 av. J.-C.43. De plus, les papyrus d’Éléphantine portant l’autorisation de la reconstruction du temple de Yaho à Éléphantine confirment la coexistence des deux sanctuaires en parallèle : au mont Garizim en Samarie et au Temple de Jérusalem dans le Sud44. L’équilibre Nord-Sud traduit par Gn 49 paraît ainsi en accord avec la réalité historique et géopolitique depuis le Ve s. av. J.-C. Cependant, le travail d’analyse littéraire met en lumière l’enjeu théologique Nord-Sud dans le cycle de Joseph. Il est évident que le départ de l’histoire se concentre sur le personnage de Joseph, le représentant du Nord. Surtout la scène de la bénédiction en Gn 48 s’intègre dans l’histoire de Jacob, une histoire du Nord, en Gn 27 : les yeux d’Isaac et ceux d’Israël sont usés par la vieillesse ; et les places du fils aîné et du cadet sont échangées : Jacob/Esaü et Ephraïm/Manassé45. Même si l’insertion de Gn 38 se concentre sur le personnage de Juda, elle suggère sa dévalorisation au profit de celui de Joseph en Gn 39ss. De plus, l’analyse rédactionnelle de Gn 49 soulève l’hypothèse que le proto-Gn 49 était une liste nordiste. 42 Les détails sur les données archéologiques se trouvent dans les articles suivants : E. STERN, Y. MAGEN 2002, 49-57 ; Y. MAGEN 2007, 157-211. Cette hypothèse de la coexistence des deux sanctuaires est également soutenue par Knoppers, cf. G.N. KNOPPERS 2013, 120-131. De plus, les récits bibliques font référence à ces deux sanctuaires : 2 M 5,22-23 mentionne comment le roi persécuteur, Antiochos IV, « laissa des préposés pour faire du mal à la nation : à Jérusalem Philippe … sur le mont Garizim, Andronique ». 43 Selon Flavius Joseph (AJ 13:256), la destruction du temple au mont Garizim a eu lieu juste après la mort d’Antiochos VII Sidétès vers 129 av. J.-C. Pummer a effectué un travail détaillé sur les monnaies recueillies pour montrer qu’elle est plus tardive, vers 111 av. J.-C., cf. R. PUMMER, 2009. Pour les détails sur l’archéologie du mont Garizim, cf. R. PUMMER 2016, 74-91. Nihan remarque qu’il existe des lois contradictoires sur l’autel en Ex 20,24, « En tout lieu où je rappellerai mon nom (…) » et Dt 12,11, « C’est au lieu choisi par YHWH votre Dieu pour y faire habiter mon nom que vous apporterez tout ce que je vous prescris (…) ». Et le rédacteur Judéen a inséré le passage de Dt 27,4-8 qui est écrit dans la version du Smr, manuscrit plus ancien que le TM (Ebal) : « (…) vous dresserez ces pierres sur le mont Garizim (…) ». Cette insertion permet d’une part, d’assurer une médiation dans la compétition entre le mont Sion et le mont Garizim à la fin du Ve et au début du IVe s. av. J.-C. et, d’autre part, d’arriver à un compromis acceptable par les deux communautés, samaritaine et judéenne dans la seconde moitié de la période perse, cf. C. NIHAN 2007, 199-217. 44 Cf. J. DUSEK 2014, 114-120. Nihan effectue un rapprochement avec 2 Ch 30 où le roi Ezéchias envoie des lettres à tout Israël et Juda pour les inviter à célébrer la Pâque pour YHWH. Ce passage biblique confirme bien la correspondance administrative entre la Samarie et la province de Yehud, cf. C. NIHAN 2007, 191. 45 Cette idée est développée dans l’article suivant : E. BLUM, K. WEINGART 2017, 509.

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Il est donc important de remarquer l’existence d’un stade « pro-nordiste » du cycle de Joseph. En sens inverse, dans la même histoire, les ajouts sur « Juda » redonnent à ce dernier un rôle décisif surtout en Gn 43–44 qui marque un retour du balancier vers le Sud. D’une part, le cycle de Joseph permet de faire une comparaison entre Ruben, le premier-né de Jacob, et Juda. En Gn 37,21-22 et Gn 37,26-27a, Ruben et Juda proposent deux solutions différentes concernant Joseph, et celle de Juda semble être préférable puisque les frères l’écoutent (Gn 37,27b). Et au sujet de la descente de Benjamin en Égypte, les mêmes personnages présentent à Jacob en Gn 42,37 et en Gn 43,8-9, des solutions différentes et ce dernier accepte celle de Juda. L’issue des interventions de Ruben et de Juda montre que le rôle de ce dernier dépasse celui de Ruben. Il n’est donc pas étonnant que Juda prenne la place du fils aîné en Gn 49,8-12. D’autre part, Gn 42–45 souligne fortement une relation triangulaire : Joseph-Benjamin-Juda : Juda s’est proposé comme garant (‫ )ערב‬de Benjamin en Gn 43,9 et il se propose volontairement comme esclave pour remplacer ce dernier en Gn 44,33. Et pourtant, Benjamin est toujours présenté comme « frère de Joseph » (‫( )אחי יוסף‬cf. Gn 42,4 ; 43,29 ; 45,12.14) et il reçoit un traitement particulier de la part de ce dernier par rapport aux autres frères en Gn 43,34 et 45,22. Ces observations sont en cohérence avec la situation géopolitique de la Samarie et de la Judée à l’époque perse. Selon Blum et Weingart, la relation Joseph–Benjamin–Juda n’a pas été suffisamment relevée par les commentateurs partisans de la nouvelle de la diaspora, et ils y voient même une « ambition » du Nord pour contrôler l’ensemble d’Israël, y compris Benjamin et Juda46. Une étude de Hensel, publiée en 2019, a remis en question cette conception du « conflit NordSud », souvent évoqué à propos du cycle de Joseph. Selon lui, la province de Samarie et celle de Yehud sont indépendantes l’une de l’autre47, toutes deux sous le gouvernement de l’empire perse, et partagent le même monothéisme et la vénération de YHWH48. Comme chaque province a son propre 46

Cf. E. BLUM, K. WEINGART 2017, 518-519. Hjelm se prononce également en faveur de l’indépendance politique et religieuse de la Samarie par rapport à Jérusalem à l’époque Perse, cf. I. HJELM 2010, 33. 48 Cf. B. HENSEL 2019, 24-37. Selon lui, le véritable conflit entre Samarie et Judée remonte à l’époque ptolémaïque alors que les deux provinces ne sont pas administrées par des satrapes régionaux, mais gouvernées par Alexandrie. De ce fait, deux sanctuaires dédiés à YHWH coexistent. Il a pu y avoir compétition pour les privilèges et les aspects financiers car l’existence des temples pouvait donner lieu à des exemptions d’impôts et à des concessions financières. 47

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système administratif, politique et culturel, et qu’elles ne dépendent pas l’une de l’autre, il est excessif de parler de « conflit » entre elles49. En outre, Knoppers souligne le fait que le gouvernement de la province de Yehud est, à l’époque perse, confronté à une Samarie beaucoup plus prospère et puissante à côté de laquelle la première apparaît insignifiante50. Quant au culte, comme nous l’avons vu ci-dessus, le sanctuaire de Garizim a été construit vers 450 av. J.-C. et a coexisté avec celui de Jérusalem à la période postexilique jusque vers 111 av. J.-C. Hensel souligne particulièrement l’importance de la communauté du Garizim qui joue un rôle significatif aux niveaux culturel et politico-religieux51. Cette situation est mise en évidence dans la « double bénédiction » de la fin du récit. Gn 48 décrit la bénédiction de Jacob sur les deux fils de Joseph, Manassé et Ephraïm, et ce dernier deviendra plus tard le représentant du Nord. En revanche, la forme finale de Gn 49 tend à maintenir l’équilibre entre Juda et Joseph, malgré les derniers ajouts sur « Juda » qui mettent en avant le personnage de ce dernier, penchant ainsi vers les Judéens. Cet équilibre entre Joseph et Juda reflète la réalité du moment, la dualité de la communauté d’Israël – judéo-samaritaine52 à l’époque perse avec un lieu de culte au mont Garizim et un autre à Jérusalem. Quant à la relation complexe entre Benjamin, Joseph et Juda, le rôle déterminant du premier pourrait revêtir deux aspects : politique et religieux53. Miçpa et Gabaon sont les deux sites majeurs du territoire de Benjamin qui n’ont pas été détruits par les Babyloniens au moment de la destruction 49 En datant la composition rédactionnelle de Jos 24 du Ve s. av. J.-C., Schmid partage l’avis de Hensel sur le contexte socio-historique de cette époque : « Joshua 24 – in conjunction with the documents from Elephantine – implies a relationship between Judeans and Samaritans in which living side by side in the two provinces appears to have been understood not in terms of competition but of concordance ». La rivalité entre Samarie et Judée, telle qu’elle est écrite en Esd-Ne, proviendrait de la destruction du temple du mont Garizim par Jean Hyrcan, K. SCHMID 2017a, 160. 50 Cf. G.N. KNOPPERS 2006, 273-279 ; de même, Nocquet écrit : « Samarie fut une ville plus prospère que Jérusalem durant le 5ème siècle, et un centre important de la vie religieuse yahviste à l’époque perse jusqu’au début de l’époque hellénistique. Une importance qui se maintient jusqu’à ce que la primauté de Jérusalem, comme centre du judaïsme, s’impose à partir du 3ème siècle », D. NOCQUET 2017, 14. 51 Cf. B. HENSEL 2019, 35. Selon Schorch, le sanctuaire du mont Garizim est l’un des trois éléments constitutifs de l’identité samaritaine. Il suppose que le mont Garizim sert de lieu de culte depuis des siècles, avant même l’émergence des Samaritains proprement dits. Les deux autres éléments sont une version distincte de la Torah et leur tradition propre selon laquelle les Samaritains sont les Israélites authentiques sur le plan historique et religieux, cf. S. SCHORCH 2013, 138-140. 52 Pummer estime que la communication permanente entre la Samarie et la Judée n’a jamais été totalement interrompue depuis l’époque perse, même après la destruction du sanctuaire du mont Garizim par Jean Hyrcan. R. PUMMER 2007, 251. 53 Voir l’Annexe 5 : La région de Benjamin sous le gouvernement des Babyloniens.

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de Jérusalem en 568/7 av. J.-C.54, et ils jouent un rôle remarquable pendant la période exilique. En effet, Miçpa devient la capitale administrative provinciale (cf. 2 R 25,23 ; Jr 40,6.10.12.13.15 ; 41,1.3)55. La question du transfert du pouvoir de Miçpa à Jérusalem se pose au moment du retour d’exil56. Quant à Gabaon, il parait jouer un rôle économique important avec la fourniture d’huile, de vin, et de céréales aux forces militaires et à la bureaucratie57. Par ailleurs, Edelman suppose que Bethel et Gabaon ont eu chacun un temple de YHWH, et que la reconstruction du temple de Jérusalem a favorisé une centralisation qui a « neutralisé » ces deux sanctuaires58. Elle interprète la description du sanctuaire de Gabaon (1 R 3 ; 2 Ch 1) comme la préfiguration de celui de Jérusalem sous le règne de Saül, originaire des environs de Gabaon59. En revanche, « From the end of the sixth century 54

Cf. O. LIPSCHITS 1999, 179. À l’époque perse, les colonies du territoire de Benjamin se situent vers le centre de la région et dans des secteurs étroits de chaque côté du bassin, tandis que les zones du Nord et de l’est en sont dépourvues (cf. p. 182). Voir l’Annexe 5 : La région de Benjamin sous le gouvernement des Babyloniens. 55 Lipschits a essayé de montrer à partir des données bibliques et archéologiques que la région de Benjamin et le pays montagneux du nord de la Judée n’ont pas été affectés par la destruction et qu’ils deviennent alors une des provinces babyloniennes avec Miçpa comme capitale. De ce fait, la situation de Jérusalem est très différente de celle de Benjamin, cf. O. LIPSCHITS 1999, 155-170. 56 Na’aman a fait une étude intéressante de l’histoire de Saül et de celle de David. Selon lui, « Tension between these two entities was resumed only in the post-exilic period, after the power center was transferred for several generations to the Benjaminite city of Mizpah, and the newly-rebuilt city of Jerusalem made efforts to turn the wheel back and regain its former central position in the province of Yehud ». Nous observons que cette contextualité socio-historique est également en cohérence avec le cycle de Joseph, N. NA’AMAN 2009a, 344. 57 Cf. O. LIPSCHITS 1999, 184-185. Aucun indice d’une destruction qui serait intervenue vers l’année 586 av. J.-C. n’ayant été relevé sur le site de Gabaon, on peut en déduire que Gabaon n’a pas été détruit par les Babyloniens, cf. D.V. EDELMAN 2003, 154. 58 Cf. D.V. EDELMAN 2013, 89 D’ailleurs, Na’aman remarque trois passages bibliques concernant le sanctuaire de Gabaon : Jos 9 ; 2 S 21,1-14 ; 1 R 3,3-15a. Selon lui, ce sanctuaire est fondé à l’âge du Fer I et son importance va croissant au début de la dynastie de David. Il suppose que le sanctuaire de Gabaon joue un rôle déterminant, presque égal à celui du Temple de Jérusalem, pendant la période du premier Temple. Il précise qu’il est nommé « la montagne de YHWH » (cf. 2 S 21,6 ; Jos 9,37) (Notons qu’en 2 S 21,6 il écrit « devant YHWH » et en Jos 9,37, il s’agit du « lieu qu’il a choisi », et non pas de « la montagne de YHWH ». En 1 R 3,4 « le plus haut lieu », semble objet de surinterprétation. Ces dénominations renvoient au Temple de Jérusalem qui est désigné aussi par « la montagne de YHWH ». Selon Na’aman, le sanctuaire de Gabaon a été détruit par la réforme de Josias. Nous gardons pour le moment nos distances avec la datation qu’il propose, car les données archéologiques sont favorables à la position de Lipschits présentée ci-dessus. Mais ces remarques sont intéressantes quant à l’importance du sanctuaire de Gabaon, cf. N. NA’AMAN 2009c, 116-117. 59 Cf. D.V. EDELMAN 2003, 164.

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and during the fifth and the fourth, settlement in the Benjamin region gradually dwindled. This process may be associated with the shift of the center of settlement to the Jerusalem area after the Return from the Exile and the decline of the status of Mizpah, together with that of the Benjamin region as a whole60 ». Cette centralisation vers Jérusalem et son Temple constitue la cause principale du déclin du territoire de Benjamin. De ce fait, Schunck et Edelman remarquent la rivalité entre la « nonGolah » de la région de Gabaon et les marges du territoire de Benjamin qui espèrent y voir maintenu le siège du gouvernement et la Golah « proDavidique » et « pro-Jérusalem » qui a pris le contrôle administratif de la province de Yehud61. Et ils lisent le passage de Jos 9 comme une péricope anti-Gabaonite : les Gabaonites ne sont pas des membres pleinement légitimes de la communauté de la Golah et ils sont employés comme esclaves au service du Temple de Jérusalem62. Dès lors, nous pouvons mieux comprendre les ajouts sur « Juda » qui valorisent le rôle de Juda vis-à-vis de sa famille, et surtout la protection offerte à Benjamin, qui exprime une attitude plus fraternelle entre les habitants du territoire de Benjamin et les Judéens de retour d’exil. Uehlinger remarque que le territoire de Benjamin a été récupéré par la province de Yehud au retour d’exil63. Cette réalité historique éclaire la relation particulière entre Juda et Benjamin dans le cycle de Joseph. Comme le sanctuaire de Bethel64 est toujours considéré comme un centre administratif et cultuel du Nord, il est évident que le territoire de Benjamin placé à la frontière entre le Nord et le Sud est partagé entre les deux65. La triple relation – Joseph-Benjamin-Juda – dans le cycle de Joseph pourrait alors refléter cette situation délicate à l’époque du retour d’exil. 60

O. LIPSCHITS 1999, 179. Cf. K.D. SCHUNCK 1963. D’ailleurs, Edelman situe la rivalité entre Saül et David telle qu’elle est écrite en 1 S et 2 S comme un reflet de la réalité socio-historique de la province de Yehud : une tension entre la communauté non-Golah dans le territoire de Benjamin et celle de la Golah de retour d’exil qui s’installe à Jérusalem, cf. D.V. EDELMAN 2001, 90-91. Blenkinsopp émet l’hypothèse qu’il existait une hostilité entre les Benjaminites et les Judéens à la fin du VIe et au début du Ve s. av. J.-C., et pourtant, il reste assez prudent à ce propos, cf. J. BLENKINSOPP 2006, 629-645. Dans la même ligne, Krisel suggère d’interpréter Jg 19–21 comme une mise en scène narrative du conflit entre la Golah et les habitants de la région de Benjamin au moment du retour d’exil qui est lié au transfert de la capitale administrative de la province perse de Miçpa à Jérusalem, cf. W. KRISEL 2019. 62 Cf. D.V. EDELMAN 2003, 165. 63 C. UEHLINGER 2001, 317. 64 Bethel montre une faible activité à la fin du VIIe et au début du VIe s. av. J.-C. Ce site a été probablement abandonné à l’apogée de l’époque babylonienne, et est certainement demeuré inactif à la période perse. De ce fait, Bethel ne joue aucun rôle au moment de la formation du cycle de Joseph, cf. I. FINKELSTEIN 2016, 10. 65 Cf. N. NA’AMAN 2009a, 339. 61

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Cette étude montre les limites d’une interprétation « monologique » car trois insistances contradictoires coexistent dans la même histoire en faveur de66 : – l’identité de la communauté d’Israël en diaspora et en Samarie-Judée ; – l’identité de la communauté d’Israël à Babylone et en Égypte ; – l’identité de la communauté post-exilique d’Israël en Judée et en Samarie. Dans le cycle de Joseph des perspectives théologiques contrastées semblent donc pouvoir coexister. L’équilibre, réalisé entre les diverses idéologies pourrait être le reflet du compromis intervenu lors de la formation du Pentateuque. Le pluralisme identitaire mis en évidence dans le cycle de Joseph nous permet de considérer le processus rédactionnel de ce dernier comme participant probablement au « compromis » inhérent à la construction du Pentateuque. 4. LE CYCLE DE JOSEPH ET LA CONSTRUCTION DU PENTATEUQUE A été suffisamment soulignée la portée subversive, par rapport à la notion de sortie d’Égypte, de l’insertion dans le Pentateuque du cycle de Joseph. Il convient maintenant d’examiner les principales différences entre l’histoire de Joseph et les récits des patriarches. Contrairement aux récits concernant Abraham et Jacob, l’histoire de Joseph ne fait nulle part état de la construction d’un sanctuaire dédié au Seigneur. Dieu parle directement à Abraham, à Jacob, et même à Moïse, mais dans l’histoire originelle de Joseph (Gn 46 n’en fait pas partie), Dieu ne parle jamais directement aux protagonistes, et le nom du Seigneur y est invoqué uniquement par ‫אלהים‬ (Gn 38.39.49, qui comportent YHWH sont des ajouts tardifs). Abraham a vécu une expérience de sortie d’Égypte dans la famine en Gn 12,10-20. Inversement, Jacob est encouragé par le même Seigneur à y séjourner pour devenir une grande nation (‫ )לגוי גדול‬en Gn 46,2, conformément à la promesse faite à Abraham (‫ )לגוי גדול‬en Gn 12,267. Ces divers éléments 66 On trouvera une synthèse sur les différentes communautés d’Israël dans le travail de Kessler, cf. J. KESSLER 2006, 92-96. 67 Notons que Pharaon respecte la manifestation du Dieu d’Israël et renvoie Abraham chez lui (Gn 12,10-20). Au contraire du récit de l’Exode, le roi d’Égypte est décrit positivement, mais l’Égypte est toujours décrite comme un lieu invivable. En se référant également à Gn 26,2, Römer conclut que ces deux passages font allusion à l’existence des Juifs de la Diaspora dans le Delta et à Éléphantine, cf. T. RÖMER 2018c, 64. Par ailleurs, le passage où Isaac se voit interdire par le Seigneur de descendre en Égypte pendant les jours de famine en Gn 26,2 ne se situe pas au même niveau que Gn 12,10-20 et Gn 46,2 :

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montrent une distance entre le cycle de Joseph et la lignée patriarcale. Nous avons déjà identifié deux modèles identitaires en étudiant le livre de la Genèse et les livres d’Ex–Dt : la tradition patriarcale et la tradition mosaïque. Ces deux modèles ont été combinés dans le milieu sacerdotal au début de l’époque perse au moment de la reconstruction du temple de Jérusalem. Du fait que le cycle de Joseph a été inséré postérieurement à P, les nombreux indices renvoyant au contexte égyptien permettent d’y reconnaître la présence d’une troisième identité israélite : la communauté d’Israël en diaspora égyptienne. Abraham, venu d’Ur (Gn 11,27-31), a revêtu lui-même une identité proche de la diaspora babylonienne. Il est donc important d’observer que la définition de l’identité israélite est en symbiose avec la composition du Pentateuque qui l’exprime dans un compromis entre les différentes identités communautaires des Israélites de Samarie, de Judée et de la diaspora. L’insertion du cycle de Joseph dans le Pentateuque participe à cette construction d’une identité israélite plurielle. Nous avons déjà noté différentes lignes enchevêtrées à l’intérieur même du cycle de Joseph. Tout d’abord, cette histoire interrompt celle de Jacob qui aurait pu trouver sa conclusion indépendamment. La proto-histoire de Joseph se situe dans la diaspora égyptienne au sein de laquelle on peut connaître une vie heureuse à l’étranger. De ce fait, le personnage de Joseph met en valeur cette diaspora égyptienne ; et Juda, au pays de Canaan est en revanche dénigré. En même temps Joseph et sa descendance, Ephraïm, représentent le Nord, et Juda représente le Sud. Et les ajouts sur « Juda » créent une distanciation entre le Nord et le Sud. Par la suite, la sentence de Jacob est introduite à la fin du cycle de Joseph pour maintenir l’équilibre Nord-Sud d’une part et, d’autre part, corriger l’aspect universaliste de l’histoire de Joseph. Enfin, l’histoire de la recherche a souligné que le cycle de Joseph pouvait être analysé selon trois perspectives différentes : la concurrence Nord-Sud, une nouvelle de la diaspora, et la tension entre la diaspora et la terre promise. Si le début du cycle de Joseph se concentre sur la nouvelle de la diaspora, à la clôture de l’histoire et du Pentateuque, la voix de la diaspora disparaît et la problématique Nord-Sud est réintroduite avec le retour au pays de Canaan. L’identification de l’expansion sur « Juda » confirme que la concurrence Nord-Sud n’est pas le sujet originel de l’histoire de Joseph, puisque la dimension judéenne y est introduite probablement lorsque le Temple de Jérusalem devient central. le personnage d’Isaac a peu de consistance. L’idée centrale du cycle d’Isaac est l’affirmation du lien identité/territoire, d’où l’interdiction de sortie.

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Cela montre un long processus rédactionnel du cycle de Joseph caractérisé par l’interférence de différentes idéologies. Son insertion à la fin du livre de la Genèse introduit ces diverses perspectives dans la formation du Pentateuque. Par ailleurs, la promesse faite aux patriarches concernant la possession du pays se réalise lors de la conquête de Canaan dans le livre de Josué68. Une rédaction hexateucale insistant sur cette réalisation de la promesse et l’importance de la possession du pays est tout à fait possible. Le cycle de Joseph porte d’ailleurs des traces hexateucales : les allers et retours entre Canaan et l’Égypte en Gn 42–46 ; le souhait de Jacob d’être enterré en Canaan (Gn 47,30, Gn 49,29-33 et Gn 50,12-13) exprimé avant sa mort en Égypte ; et surtout le sort des ossements de Joseph (Gn 50,25 ; Ex 13,19 ; Jos 24,32). En revanche, l’insertion du discours de Jacob en Gn 49 met en évidence l’encadrement pentateucal de Gn 49–50 et de Dt 33–34. Cette construction du Pentateuque montre un détachement par rapport à la possession du pays de Canaan à laquelle la loi se substitue pour définir l’identité d’Israël. Le parallèle entre la fin de Gn et celle de Dt permet la transition d’un Hexateuque vers le Pentateuque. Désormais, ce qui compte c’est la Torah, non pas la possession de la terre. Cet aspect de la « dépossession » du pays correspond à la géopolitique de l’époque perse. De fait, il est intéressant de noter que Joseph est mort en Égypte et Moïse en Moab, la fin du Pentateuque laissant entendre que la possession du pays de Canaan n’est pas essentielle, et que le plus important est d’obéir à la loi du Seigneur là où on se trouve : que ce soit en Samarie-Judée ou en diaspora. Le Pentateuque reconnaît une pluralité d’identités des communautés d’Israël : en Samarie, en Judée, en Transjordanie (Dt 2–3 ; Nb 32) et la Golah mésopotamienne. L’histoire de Joseph y ajoute la voix de la diaspora égyptienne. L’étude a montré également que cette histoire participe à la transition de la rédaction hexateucale à la rédaction pentateucale qui reconnaît l’identité israélite où que l’on se trouve dès lors que l’on respecte la loi du Seigneur. Ainsi l’insertion du cycle de Joseph à la fin du livre de la Genèse participe non seulement à la construction de l’identité d’Israël, mais elle concourt également au passage de l’Hexateuque au Pentateuque. 68 Ausloos a essayé de montrer que la fin du cycle de Joseph en Gn 50,22-26 a une fonction non seulement de charnière entre les histoires des patriarches et les traditions exodiques (surtout avec l’expression ‫ פקד יפקד‬et le verbe ‫ עלה‬au v.24), mais aussi de point de jonction entre le Pentateuque et l’histoire deutéronomiste avec le thème des ossements de Joseph. En même temps, il atteste que ce passage ne pourrait pas être identifié comme écrit deutéronomiste, cf. H. AUSLOOS 2001, 381-395.

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5. CONCLUSION Les données recueillies sur l’arrière-plan socio-historique et les débats concernant l’identité d’Israël au moment de la formation du Pentateuque permettent de distinguer les différents stades de la construction rédactionnelle du cycle de Joseph : – Tout d’abord, l’écrit P mentionne la descente de la famille de Jacob en Égypte sans connaître l’histoire de Joseph : Gn 37,1 ; 41,54b ; 46,6b-7 ; 47,28 ; 49,1aα.29-33 ; 50,12-1369. Cette étape est liée au cycle de Jacob, préalable à l’exode70. – Puis, une proto-histoire « pro-égyptienne » est probablement écrite par les Israélites de la diaspora égyptienne71. L’enjeu essentiel de cette 69 Nous avons adopté l’écrit P d’Uehlinger, sauf les versets qu’il met entre parenthèses avec hésitation : Gn 37,2a ; 47,7b-10 ; Ex 1,1-5a, en raison de sa prise en considération de Gn 41,54b qui donne le motif – la famine – de la descente de la famille de Jacob en Égypte, C. UEHLINGER 2001, 310. Voir Annexe 6 : l’écrit P dans le cycle de Joseph : la descente de la famille de Jacob en Égypte. 70 Il est possible que la liste de la famille de Jacob descendue en Égypte en Gn 46,8-27 soit un écrit post-P ajouté au moment où le récit de la naissance des fils de Jacob (Gn 29,31–30,24 ; Gn 35,16b-18) a été composé. Comme Joseph figure sur cette liste, on peut légitimement considérer que l’histoire de Joseph proprement dite n’était pas connue par le(s) rédacteur(s) de Gn 46,8-27. Par ailleurs, on observe que Ex 1,1-6 est une rédaction postérieure à Gn 46,8-27, puisque le premier mentionne que Joseph n’était pas parmi les fils de Jacob à la descente en Égypte, il y séjournait déjà. La liste tribale en Ex 1,1-6 observe l’ordre matrilinéaire : d’abord les six fils de Léa, puis Benjamin (Joseph étant déjà en Égypte), puis les fils des deux servantes. 71 Römer a évoqué deux arguments en faveur d’un héros « Joseph » originaire du Nord. D’une part, le(s) rédacteur(s) connaissai(en)t l’histoire de Jacob avec le récit de la naissance de ses enfants parmi lesquels Joseph et Benjamin, nés de Rachel, la femme bien-aimée de Jacob. D’autre part, l’empreinte du Nord indique peut-être que cette histoire a été écrite par la communauté d’Éléphantine qui provient elle-même du Nord, cf. T. RÖMER 2018c, 65. Mais l’origine des Israélites à Éléphantine est très discutée. Selon Toorn, ils viendraient du Nord, cf. K. van der TOORN 1992, 80-101. Redford considère que la garnison d’Éléphantine remonte à la fin du VIIe siècle, notamment sous la 26e dynastie Saïte (664-525 av. J.-C.), cf. D.B. REDFORD 2017, 149-156. Pummer rejette l’hypothèse d’une origine nordique des Israélites d’Éléphantine, cf, R. PUMMER 1998, 215. Granerod estime qu’il est possible que cette communauté soit judéenne en raison de plusieurs appellations de ‫ יהודי‬en araméen, mais il reconnaît que son origine reste obscure, cf. G. GRANEROD 2019, 351-352. Cependant, Edelman, Davies et d’autres doutent que la qualité de « juif » puisse être indifféremment reconnue aux descendants d’Israélites et aux descendants des Judéens. Ce qui est certain, c’est qu’à côté du culte de Yaho, il existait également des cultes dédiés à Éshem-Béthel et à sa parèdre, Anat-Béthel. Ainsi, au moins une partie des membres de la communauté d’Éléphantine provient du Nord d’Israël, cf. D.V. EDELMAN, P.R. DAVIES, C. NIHAN (éd.) 2013, 101-103. Selon Nocquet, « la colonie juive qui y (Éléphantine) résidait, était constituée d’immigrants judéens ou samariens au service de l’armée égyptienne avant d’être intégrés aux forces militaires de l’empire perse ». En raison des cultes rendus à Éshem-Béthel et à Anat-Béthel, il suppose également qu’une partie des habitants d’Éléphantine était originaire du nord d’Israël, cf. D. NOCQUET 2017, 17-18. De même, cf. R. KRATZ 2021, 29.

358

CHAPITRE V

histoire est le rapport entre Joseph, un Israélite de la diaspora égyptienne, et ses frères de la terre promise. Elle n’a pas de lien avec les histoires des patriarches, ni avec celle d’Exode72. Elle est insérée postérieurement à la fin du livre de la Genèse en s’alignant sur la formation hexateucale, comme le montrent : – les allers-retours entre Égypte et Canaan (Gn 42–46) ; – les ossements de Joseph (Gn 50,25 ; Ex 13,19 ; Jos 24,32) ; – la mention de Sichem (Gn 37,12-14 ; Jos 24,1.25)73 ; – les morts respectives de Joseph et de Josué à l’âge de 110 ans (Gn 50,22 ; Jos 24,29) ; – le souhait de Jacob du retour au pays de Canaan (Gn 47,30 ; 49,29-33) et son inhumation (Gn 50,7-13). Cette démarche montre que la descente en Égypte n’est qu’un passage et que le but est d’acquérir la terre promise. – Ensuite, l’insertion de la liste proto-Gn 49 établit un parallélisme entre le testament et la mort de Jacob en Gn 49–50* et les derniers moments de Moïse en Dt 33–34*. Gn 48 et la liste proto-Gn 49, tous deux en faveur du Nord, ont pu être composés et insérés plus tardivement dans ce récit pour déterminer la formation du Pentateuque. Cette insertion à la fin de l’histoire corrige la perspective « pro-égyptienne » en ramenant l’attention sur les fils d’Israël. L’ajout de proto-Gn 49 est un élément crucial pour l’intégration du cycle de Joseph à l’intérieur du Pentateuque et il achève la formation de ce dernier en assurant la séparation d’avec le livre de Josué qui se concentre sur la conquête de la terre. Désormais, l’identité d’Israël n’est plus liée à la terre de Canaan, mais à l’obéissance à la loi. Il est alors possible que la proto-histoire de 72 Ede a fourni sur l’ensemble du cycle de Joseph un travail détaillé qui va à l’encontre de notre constat. Selon elle, le départ de l’histoire se situe en Gn 37* ; 39–41*. Cette dernière est reliée à l’histoire des patriarches et doit être lue et comprise en fonction de cette dernière. Elle distingue deux grandes parties : d’une part, le récit qui suit l’histoire des patriarches en Gn 37–45 (deux sous-parties : les récits sur Joseph en Gn 37* ; 39–41 ; et le conflit entre Joseph et ses frères en Gn 37* ; 42–45*) et, d’autre part, le récit qui sert de pont vers l’Exode en Gn 46–50, cf. F. EDE 2016. La même idée a été exprimée dans l’article suivant : F. EDE 2021, 5-21. 73 Nocquet remarque que la mention de Sichem en Gn 37,12-14 et des ossements de Joseph (Gn 50,25 ; Ex 13,19) apportés jusqu’à Sichem en Jos 24,32 rattache explicitement Joseph aux traditions de l’Israël du Nord. « Le déplacement de Joseph d’Hébron à Sichem de Gn 37 renforce la continuité entre Jacob et Joseph ». Cette importance accordée à Sichem montre d’une part l’importance politique et religieuse de la province de Samarie au Ve s. av. J.-C., et participe, d’autre part, à la formation hexateucale, D. NOCQUET 2017, 91.

PRINCIPAUX RÉSULTATS DE L’ÉTUDE DE GN 38 ET GN 49

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Joseph ait été lue d’abord en fonction des intérêts des Samaritains, l’insertion de Gn 48 et du proto-Gn 49 venant en confirmation74. – Enfin, les suppléments « pro-judéens » (Gn 37,26-27 ; 43,3-5.8-10 ; 44,18-34 ; 49,8-12) réorientent l’histoire en faveur des Judéens de la province de Yehud, les Judéens récupèrent ainsi une histoire nordiste. Cette expansion de « Juda » établit entre ce dernier et Benjamin une proximité correspondant à une réalité historique : « la province perse de Yehud hérita de l’ancien royaume, les territoires de Benjamin jadis occupés par Josias75 ». D’ailleurs, Gn 38 décrit ironiquement les communautés d’Israël postexiliques qui vivent en terre promise, opposées à l’ouverture aux Égyptiens, et qui tendent à se refermer sur elles-mêmes jusqu’à menacer leur propre pérennité. Ce chapitre aurait été composé tardivement comme une réponse à la séparation stricte entre les Israélites et les étrangers illustrée en Esd-Né. – La forme finale de Gn 49 provient probablement d’une relecture de l’ensemble du cycle de Joseph (y compris Gn 34 et Gn 35) intégrant d’une part la vision critique à l’égard des tribus de Ruben, de Siméon et de Lévi en Nb 16 et Nb 25 et, d’autre part, la rédaction finale de la sentence sur Juda en Gn 49,8-12, donnant une évaluation positive de Juda et rétablissant l’équilibre entre les deux personnages en Gn 49,22-26. Cette relecture d’ensemble du cycle de Joseph et l’intégration du point de vue du livre des Nombres confirment la forme finale de Gn 49 comme composition plus tardive de l’histoire de Joseph. En résumé, l’insertion du cycle de Joseph à la fin du livre de la Genèse permet : – d’une part, de l’inscrire dans la continuité du récit des patriarches, Abraham – Isaac – Jacob, dont l’enracinement remonte à Abraham qui vient d’Ur en Mésopotamie, territoire de l’empire perse ; 74 Knopper soutient l’idée que la dévotion à YHWH a coexisté à Jérusalem et au mont Garizim en Samarie depuis la moitié du Ve s. av. J.-C., et que le compromis entre la Judée et la Samarie tel qu’il est présenté dans le Pentateuque s’est établi à partir de l’exil des Judéens. De ce fait, selon lui, il pourrait exister une première lecture du Pentateuque dans la perspective des intérêts du Nord. Ces arguments nous semblent assez convaincants, et nous nous y rallions, cf. G.N. KNOPPERS 2013, 194-216. Cette idée d’un « Pentateuque samaritain » est développée également chez Bergsma, cf. J.S. BERGSMA 2019, 287-300. De même, Nodet affirme que « the Pentateuch, considered as a whole, goes better with Shechem than Jerusalem », É. NODET 1997, 152. Seebass souligne le fait que l’accent mis sur Joseph et sa descendance par Gn 48 fait référence à Dt 33 où la maison de Joseph est caractérisée par sa force et la bénédiction reçue de Dieu (Dt 33,13-17a), alors que Juda apparaît plus faible (Dt 33,8). Cette remarque concorde avec la dimension « pro-samaritaine » de Gn 48 et l’hypothèse du proto-Gn 49, cf. H. SEEBASS 1986, 37. 75 C. UEHLINGER 2001, 317.

360

CHAPITRE V

– d’autre part, d’intégrer l’histoire de Joseph dans l’ensemble du Pentateuque où la descente en Égypte est vue comme un détour, un passage ou une étape, et non une origine, sur le chemin de la sortie d’Égypte sous la conduite de Moïse. Cette composition du Pentateuque correspond à l’intérêt géopolitique de l’époque qui prend en compte : – d’un côté, la coexistence de deux sanctuaires – le temple de Jérusalem et le sanctuaire du mont Garizim, depuis le milieu du Ve siècle jusqu’à la fin du IIe s. av. J.-C., ainsi que la prospérité de la Samarie au retour d’exil ; – et d’un autre côté, la perte, dans la première moitié du IVe s. av. J.-C., de l’Égypte par l’empire perse, sensible à la question de la conquête de Canaan. Le fond socio-historique entre le VIe s. et la première moitié du IVe s. av. J.-C. explique la formation de la proto-histoire de Joseph et sa progression dans la formation du Pentateuque.

CONCLUSION GÉNÉRALE Au sein du cycle de Joseph, Gn 38 et Gn 49 intriguent. Ils expriment deux points de vue différents sur le personnage de Juda : le premier le critique et le second le met en valeur. L’exégèse détaillée de ces deux chapitres a visé deux objectifs. D’une part, il importait de comprendre et d’interpréter leur logique propre concernant le personnage de Juda : son histoire avec Tamar en Gn 38 et le dernier discours de Jacob en Gn 49 et, d’autre part, d’apporter notre contribution à l’intelligence globale du cycle de Joseph dans la construction du Pentateuque. La problématique dégagée au cours de notre recherche a dévoilé sans nul doute l’intérêt pour les problèmes rédactionnels et la manière dont s’élabore une théologie à l’intérieur d’un texte biblique, ici le cycle de Joseph. L’étude du texte biblique nous a imposé deux approches complémentaires. Un long travail de critique littéraire nous a conduit à identifier différentes stratégies rédactionnelles qui reflètent divers intérêts théologiques qu’une exégèse exclusivement synchronique laisserait sans doute échapper. Cette dernière ne pouvait cependant pas être négligée, malgré la rupture narrative résultant du déplacement de Gn 38 dans le contexte immédiat (cf. Gn 37,36 et Gn 39,1), bien que ce chapitre soit souvent considéré comme un récit indépendant en dépit des connexions avec l’ensemble du cycle de Joseph. Nous avons eu aussi recours à l’analyse narrative, nécessaire pour acquérir la meilleure compréhension possible de la fonction de ce chapitre. Ayant posé ce préalable méthodologique, nous avons pu ensuite bâtir un plan pour notre étude1. L’histoire de la recherche a mis en lumière différentes visions du cycle de Joseph qui manifestent les tensions entre la diaspora égyptienne et la terre cananéenne ; la communauté d’Israël du Nord et celle du Sud ; la diaspora égyptienne et la diaspora babylonienne. 1 Wénin a assez bien résumé les différentes fonctions des deux méthodes exégétiques : « Si la méthode historico-critique donne au texte biblique la chance d’être le témoin de son époque et de son ou ses auteurs, si elle est utile pour percevoir l’ancrage primitif de ce qu’il exprime, les nouvelles lectures synchroniques lui offrent une autre chance en l’explorant en tant que tel, comme ensemble signifiant et comme proposition de monde et de vérité. Elles constituent également une chance pour le lecteur qui voit valorisée sa participation active dans la venue du texte au sens », A. WENIN 2002b, 247. Cela renforce l’intérêt de notre recherche qui voulait combiner ces deux méthodes.

362

CONCLUSION GÉNÉRALE

Nous nous sommes alors intéressée à ces deux chapitres du cycle de Joseph qui participent à la construction du Pentateuque, en partant de la question suivante : la construction du Pentateuque et l’insertion du cycle de Joseph ont-elles conduit à corriger, dans ce dernier, sa portée d’universalisme au profit d’Israël ? Pour prouver cette hypothèse, il nous a fallu d’abord rechercher des sources extrabibliques mettant en évidence que le cycle de Joseph est imprégné par le contexte égyptien. Cette histoire a probablement été écrite d’abord en Égypte. Ce travail a mis en évidence la perspective universelle du cycle de Joseph. Puis, nous avons fait une critique littéraire de ces deux chapitres. Pour comprendre ce que la mise en œuvre de la loi du lévirat en Gn 38 a de particulier par rapport à Dt 25 et au livre de Ruth, la malédiction des trois tribus (Ruben, Siméon et Lévi) en Gn 49,3-7, et la composition de la liste des douze tribus, s’est imposé un travail de reconstitution de l’histoire rédactionnelle de ces passages, et d’analyse des relations littéraires entre Gn 38, Gn 37 et Gn 39 d’une part, et entre Gn 49 avec Jg 5 et Dt 33 d’autre part. Il importait aussi d’étudier leur lieu d’insertion dans le cycle de Joseph et dans le Pentateuque. Deux points essentiels dans notre travail sur Gn 38 sont à souligner. Premièrement, la mise en évidence de la relation entre Gn 38, le livre de Ruth et Dt 25 autour de la question du lévirat a révélé que le commentaire et l’interprétation relèvent de l’Écriture elle-même. Le verbe ‫( יבם‬agir en beau-frère) est uniquement employé en Dt 25,5.7 et en Gn 38,8 dans toute la BH. Il pourrait s’agir, dans ces deux passages, de deux expressions différentes d’une même institution. L’obligation de la pratique du lévirat en Gn 38 crée une tension à l’intérieur du récit, qui, à la fin, semble évoquer ce droit avec ironie. Le récit ne cherche pas à savoir si Shélah est donné à Tamar ou pas, et la loi du lévirat n’est qu’un prétexte pour l’intégration de Tamar et de sa descendance dans le peuple d’Israël. De plus, les jumeaux nés de Tamar sont reconnus comme les enfants de Juda (Gn 38,29-30 ; Rt 4,12) et Pérèç entre dans la généalogie de David (Rt 4,13-17). Le refus de Juda et de son fils Onân de se soumettre à la loi du lévirat conduit à mettre en valeur Tamar, une étrangère. La mort brutale de Er et d’Onân paraît être reliée à Nb 15,30-31 où toute violation délibérée de la loi entraîne la peine de mort, mais cela reste une hypothèse, leur mort pouvant tout aussi bien viser un simple effet littéraire pour la progression du récit. Deuxièmement, l’analyse rédactionnelle de Gn 39 a été déterminante pour l’interprétation de Gn 38. Ces deux chapitres sont souvent mis en parallèle pour comparer les personnages de Juda et de Joseph, en référence à l’opposition Nord-Sud. Nous avons montré que l’insertion de l’épisode

CONCLUSION GÉNÉRALE

363

de Joseph avec la femme de Potiphar en Gn 39 permet d’expliquer pourquoi Joseph est en prison. C’est l’unique lieu dans le cycle de Joseph où une femme étrangère est mal vue ; cela pourrait souligner le côté dangereux de la vie à l’étranger. La rédaction de Gn 38 n’a pas été effectuée en opposition avec Gn 39, mais bien dans la ligne du cycle de Joseph et de sa perspective universaliste. En Canaan, Juda est appelé à suivre l’exemple de Joseph qui reste ouvert aux étrangers en Égypte. Ce n’est qu’au moment de la mise en parallèle de Gn 38 avec Gn 39, en référence au conte des deux frères de la littérature égyptienne, que les deux personnages, Juda et Joseph, sont présentés en parallèle avec leurs descentes respectives chez les Cananéens et chez les Égyptiens où ils ont rencontré deux femmes étrangères : Tamar et la femme de Potiphar. Cette observation aide à préciser l’interprétation de Gn 38 dont le but premier est d’illustrer l’universalisme, le parallélisme avec Gn 39 n’étant qu’un procédé littéraire. Un long travail d’analyse littéraire s’imposait pour établir la composition rédactionnelle de Gn 49. Tout d’abord, Gn 49 a été analysé en comparant deux autres listes tribales : Jg 5 et Dt 33. Cela a permis de formuler la progression rédactionnelle de ce chapitre : des paroles anciennes sur les six petites tribus du Nord (Zabulon – Issachar – Dan – Gad – Asher – Nephtali) auraient été complétées par une liste nordiste proto-Gn 49 mentionnant dix tribus (sans Siméon ni Lévi) comme celles de Jg 5 et du protoDt 33 (sans Lévi). D’une part, cette liste nordiste a intégré probablement la vision critique de la tribu de Ruben, de Siméon et de Lévi en Nb 16 et en Nb 25, ainsi qu’en Gn 34 et Gn 35,22. D’autre part, les ajouts sur « Juda » dans le cycle de Joseph ont été repris également dans cette liste pour établir l’équilibre entre le personnage de Juda en Gn 49,8-12 et de Joseph en Gn 49,22-26. L’enquête sur l’insertion de Gn 49 dans le cycle de Joseph et dans le Pentateuque a montré : – premièrement, que ce chapitre fait disparaître la voix de la diaspora égyptienne en se concentrant sur les douze tribus d’Israël – ainsi, l’insertion tardive de Gn 49 a permis l’intégration du cycle de Joseph antiexodique dans un Pentateuque exodique2. – deuxièmement, que le parallélisme entre la sentence et la mort de Jacob et celles de Moïse en Gn 49–50 et en Dt 33–34 contribue à la formation finale du Pentateuque et à mettre en place les marqueurs de sa pentapartition. 2 Cf. E. ZENGER 2002, 301-302. Zenger adopte la vision de Noth qui considère le thème de la « sortie d’Égypte » comme « l’un des articles de foi les plus élémentaires et les plus fréquemment répétés de l’Ancien Testament », cf. M. NOTH 1948, 50.

364

CONCLUSION GÉNÉRALE

L’analyse diachronique avait aussi pour but de vérifier que certaines pistes explicatives dégagées à propos du débat universalisme / identité spécifique d’Israël avaient une pertinence diachronique, et de comprendre, dans la mesure du possible, l’insertion tardive de ces deux chapitres qui sont déjà une interprétation de l’ensemble du cycle de Joseph. Une étude de l’arrière-plan socio-historique a aussi montré que ce débat est lié au contexte historique : la perte de l’Égypte par l’empire perse dans la première moitié du IVe s. av. J.-C. représente un moment crucial pour la formation de la vision exodique du Pentateuque, la vision d’une vie heureuse dans la diaspora égyptienne étant alors corrigée au moment de son intégration à la fin du livre de la Genèse par l’insertion de Gn 49. En même temps, l’introduction tardive de cette histoire de Joseph légitime l’existence de la Golah égyptienne qui correspond au compromis de la pluralité d’identité au moment de la définition identitaire des communautés d’Israël à l’époque perse. En outre, l’intégration de Gn 49 permet de former avec Dt 33 le cadre du Pentateuque en le détachant du livre de Josué. Cela correspond aussi à la géopolitique de l’empire perse lorsque la province de Yehud devient la frontière méridionale de cet empire avec l’Égypte. La dissociation du respect de la Torah de la conquête du pays cananéen permet de ménager la sensibilité de l’empire perse sur la question de la terre promise, et donne à tous les Israélites, qu’ils résident dans le pays cananéen ou dans la diaspora, la faculté d’exprimer leur identité en observant la loi du Seigneur. La méthode historico-critique utilisée était donc adaptée au questionnement surgi à ce stade de notre étude. Elle a montré la diversité des mouvements affectant la présentation du cycle de Joseph dans le corpus biblique. Chaque nouvelle présentation reflète la réalité sociohistorique d’une époque donnée à laquelle correspond une situation particulière. Ainsi chaque présentation du cycle de Joseph s’insérait dans une chaîne canonique formée par les exégèses intrabibliques qui ont apporté leur touche à ce sujet. Ayant souligné l’importance de la méthode historico-critique dans ce travail, nous devons également souligner l’apport de l’analyse narrative de Gn 38 qui a fait ressortir la transformation de Juda dans le cycle de Joseph : celui qui a suggéré de vendre Joseph, le fils bien-aimé, en Gn 37, se propose comme garant de Benjamin en Gn 43, et de le remplacer le cas échéant comme esclave en Égypte en Gn 44. Ce changement de comportement de Juda intervient au moment de la reconnaissance de son injustice en Gn 38,26. Ainsi, l’insertion de Gn 38 assure, d’une part la distanciation temporelle entre la fin de Gn 37 et le début de Gn 39 et, d’autre part, met en valeur la transformation du personnage de Juda. En même temps, il

CONCLUSION GÉNÉRALE

365

apparaît que ce chapitre n’était absolument pas nécessaire, et que son ellipse était possible sans compromettre le développement du cycle de Joseph. En conclusion, l’insertion de Gn 38 et de Gn 49 correspond à une relecture du cycle de Joseph effectuée à un moment particulier de l’histoire d’Israël, probablement entre la conquête de l’Égypte par l’empire perse (VIe à Ve s. av. J.-C.) et la perte du contrôle de cette dernière (première moitié du IVe s. av. J.-C.)3. Les différents enjeux idéologiques discernables à l’intérieur du cycle et le parallélisme entre Gn 49–50 et Dt 33–34 montrent que la forme finale du cycle de Joseph et son insertion dans le Pentateuque concourent à la formation de ce dernier qui, par ailleurs, porte la reconnaissance de l’identité de la diaspora égyptienne. Les dimensions théologique et géopolitique de cette insertion sont perceptibles : Gn 38 est la relecture de l’ensemble de l’histoire de Joseph en Égypte qui invite les Judéens enfermés sur eux-mêmes à s’ouvrir à l’universel. En sens inverse, Gn 49 fait disparaître cette voix de la diaspora en s’intéressant aux douze fils de Jacob et au pays de Canaan, ce qui permet d’intégrer l’histoire de Joseph dans le Pentateuque. Nous pouvons conclure : la tendance « pro-égyptienne » de la proto-histoire de Joseph a été probablement corrigée par l’insertion de cette dernière à la fin du livre de la Genèse, au profit d’Israël en vue de la construction du Pentateuque.

3

Le même constat est effectué dans G. BILLON, G. DAHAN, A. LE BOULLUEC 2004, 3.

ANNEXE 1

CARTE D’ÉGYPTE

ANNEXE 2

CHRONOLOGIE PROPOSÉE PAR LES RÉCITS FORMANT L’HISTOIRE DE JOSEPH1

Les chapitres indiqués

Les textes

L’âge de Joseph

37,2

« Joseph avait dix-sept ans... »

17

38

L’histoire de Juda et de Tamar

41,1

« Deux ans après, il advint que Pharaon eut un songe ».

[28]

41,46

« Joseph avait trente ans lorsqu’il se présenta devant Pharaon... ».

30

41,47 41,50

« Pendant les sept années d’abondance, la terre produisit à profusion ». « Avant que vînt l’année de la famine, il naquit à Joseph deux fils…».

41,53 41,54 42,3

[37] « Alors prirent fin les sept années d’abondance…» « et commencèrent à venir les sept années de famine... » « Dix des frères de Joseph descendirent donc pour acheter en Égypte »2 La 2ème rencontre des frères a eu lieu pendant la 2ème année de la famine : [38] « Voici, en effet, deux ans que la famine est installée dans le pays et il y aura encore cinq années sans labour ni moisson ». « … car la famine durera encore cinq ans… ».  Jacob et ses fils émigrèrent en Égypte. « et Jacob répondit à Pharaon  : les années de mon séjour sur terre ont été de cent trente ans… » .

45,6 45,11 47,9

« Jacob vécut dix-sept ans au pays d’Égypte et la durée de la vie de Jacob fut de cent quarante-sept ans ».  Joseph a 38+17= 55 ans [55] « Lorsque approcha pour Israël le temps de sa mort… »

47,28 47,29 50, 22b 50, 26

1

« Et Joseph vécut cent dix ans ». « Joseph mourut à l’âge de cent dix ans »  55 ans après la mort de Jacob3

110

Cf. A. WENIN 2005, Annexe. Les textes tirés de la Genèse sont en italiques. Une légère modification a été apportée à ce tableau pour le rendre plus lisible. 2 Cf. A. WENIN 2005, Annexe, n° 1 : « Les retrouvailles ont lieu après plus de 20 ans de séparation, comme celles de Jacob et Esaü en Canaan (cf. Gn 31,38) ». 3 Cf. A. WENIN 2015, Annexe, n° 2 : « On note que Joseph vit la moitié de sa vie du vivant de son père : d’abord 17 ans en Canaan, et à la fin 17 autres années en Égypte. Ils sont donc séparés durant 21 ans ».

ANNEXE 3

LA FAMILLE DE JACOB/ISRAËL

Léa (29,23)

Rachel (29,28)

Zilpa (29,24) Servante de Léa

Bilha (29,29) Servante de Rachel Ruben (29,32) Siméon (29,33) Lévi (29,34) Juda (29,35) Dan (30,5-6) Nephtali (30,7-8)

Gad (30,10-11) Asher (30,12-13) Issachar (30,17-18) Zabulon (30,19-20) Dinah (30,21) Joseph (30,23-24) Benonî /Benjamin (35,17-18)

ANNEXE 4

RECONSTRUCTION DES DIFFÉRENTES COUCHES EN GN 391 COUCHE I : L’HISTOIRE PRIMITIVE 1

Quant à Joseph, on l’avait fait descendre en Égypte. Potiphar, l’eunuque/fonctionnaire du Pharaon, chef des gardes, un homme égyptien, l’acheta de la main des Ismaélites qui l’avaient fait descendre là-bas. 4aJoseph trouva grâce à ses yeux, et il le servit. 20Le maître de Joseph le prit et le mit dans la prison, l’endroit où les prisonniers du roi étaient enchaînés. Il fut là dans la prison. (40 1aαIl arriva, après ces événements, 2Pharaon s’irrita contre ses deux eunuques, le grand échanson et le grand panetier, 3aet il les mit aux arrêts chez le chef des gardes.) COUCHE II : L’AVENTURE AVEC LA FEMME DE POTIPHAR // LE CONTE DES DEUX FRÈRES 4b

Il l’établit sur sa maison. Tout ce qui était à lui, il le donna dans sa main. 6Il abandonna tout ce qui était à lui dans la main de Joseph, et – avec lui – il ne s’occupait plus de rien à part la nourriture qu’il mangeait. Joseph était beau de figure et beau d’apparence. 7Après ces évènements la femme de son maître leva les yeux sur Joseph. Elle lui dit : couche avec moi. 8Il refusa et dit à la femme de son maître : Voici mon maître, avec moi, ne s’occupe plus de rien dans la maison, et tout ce qui est à lui, il l’a donné dans ma main. 9Personne n’est plus grand dans cette maison que moi. Il n’a rien retenu de moi sauf toi parce que tu es sa femme. Comment commettrais-je ce grand mal et commettrais ainsi un péché contre Dieu ? 10 Elle parlait à Joseph jour après jour mais il ne l’écouta pas pour coucher avec elle, pour être avec elle. 11Il arriva que ce jour-là il vint à la maison pour faire son travail, il n’y avait aucun homme des hommes de la maison, là dans la maison. 12 Elle le saisit par son vêtement disant : couche avec moi ! Il lui abandonna son vêtement dans sa main. Il s’enfuit et sortit à l’extérieur. 13Lorsqu’elle vit qu’il avait abandonné son vêtement dans sa main et qu’il s’était enfui à l’extérieur, 14elle appela les hommes de sa maison et leur dit : on nous a amené un homme hébreu pour s’amuser avec nous. Il est venu vers moi pour coucher avec moi et j’ai crié à haute voix. 15Lorsqu’il a entendu que j’avais élevé la voix et que je criais il a abandonné son vêtement à côté de moi. Il s’est enfui et est sorti à l’extérieur. 16Elle posa son vêtement à côté d’elle jusqu’à ce que son seigneur arrivât dans sa maison. 1 La traduction de ce chapitre est de Römer. Une séquence consacrée à Gn 39 du cours de Römer est accessible sur le site suivant : https://www.college-de-france.fr/site/thomas-romer/ course-2016-03-17-14h00.htm.

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ANNEXE 4

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Elle lui parla selon ces paroles : il est venu vers moi, l’esclave hébreu que tu nous as amené pour s’amuser avec moi. 18Et lorsque j’ai élevé la voix et que j’ai crié, il a abandonné son vêtement à côté de moi et il s’est enfui à l’extérieur. 19 Lorsque son maître entendit les paroles de sa femme qui lui avait parlé ainsi : C’est ainsi (selon ces paroles) que ton esclave a agi avec moi, il s’enflamma de colère. (40 3bdans la prison où Joseph était détenu). COUCHE III : YHWH 2

YHWH fut avec Joseph, et il devint un homme qui réussit ; et il fut dans la maison de son maître, l’Égyptien. 3Son maître vit que YHWH était avec lui et que tout ce qu’il faisait YHWH le faisait réussir dans sa main. 5Il arriva que depuis qu’il l’avait établi dans sa maison et sur tout ce qui était à lui, YHWH bénit la maison de l’Égyptien à cause de Joseph. La bénédiction de YHWH était sur tout ce qui était à lui, dans la maison et les champs. 21 YHWH fut avec Joseph et se pencha vers lui avec grâce, et lui donna la faveur du chef de la prison. 22Et le chef de la prison donna dans la main de Joseph, tous les prisonniers qui étaient dans la prison, et tout ce que l’on y faisait c’était lui qui le faisait. 23Le chef de la prison ne regardait rien de tout ce qui était dans sa main, parce que YHWH était avec lui et ce qu’il faisait, YHWH le fit réussir.

ANNEXE 5

LA RÉGION DE BENJAMIN SOUS LE GOUVERNEMENT DES BABYLONIENS

ANNEXE 6

L’ÉCRIT P DANS LE CYCLE DE JOSEPH : LA DESCENTE DE LA FAMILLE DE JACOB EN ÉGYPTE1 « 37,1Mais Jacob demeura dans le pays où son père avait séjourné, dans le pays de Canaan. 41,54bIl y avait famine dans tous les pays, mais il y avait du pain dans tout le pays d’Égypte. 46,6b-7Jacob et toute sa descendance avec lui : ses fils et les fils de ses fils, ses filles et les filles de ses fils, bref tous ses descendants avec lui, il les emmena avec lui en Égypte. 47,28Jacob vécut dix-sept ans au pays d’Égypte et la durée de la vie de Jacob fut de cent quarante-sept ans. 49,1aαJacob convoqua ses fils, 28bβet il les bénit. Chacun selon sa bénédiction, il les bénit. 29-33Il leur ordonna et leur dit : Je vais être rassemblé aux miens. Ensevelissez-moi auprès de mes pères, dans la grotte qui est dans le champ d’Ephrôn le Hittite. Dans la grotte du champ de Makpéla, face à Mambré au pays de Canaan, le champ qu’acheta Abraham à Ephrôn le Hittite en propriété funéraire. Là ils ensevelirent Abraham et sa femme Sara, là ils ensevelirent Isaac et sa femme Rébecca, et là, j’ai enseveli Léa. Le champ et la grotte qui s’y trouve ont été acquis des fils de Heth. Quand Jacob acheva de donner les ordres à ses fils, il rassembla ses pieds sur le lit, il expira et fut réuni aux siens. 50,12-13Ses fils agirent à son égard comme il leur avait ordonné et ils le transportèrent au pays de Canaan et l’ensevelirent dans la grotte du champ de Makpéla, ce champ qu’Abraham avait acquis d’Ephrôn le Hittite comme possession funéraire, en face de Mambré ».

1 On trouve les différents versets de l’écrit P dans la recension de K. SCHMID 2006, 44. Pour cette annexe, nous adoptons l’écrit P proposé par Uehlinger, sauf les versets qu’il met entre parenthèses avec hésitation : Gn 37,2a ; 47,7b-10 ; Ex 1,1-5a, en raison de sa prise en considération de Gn 41,54b qui donne le motif – la famine – de la descente de la famille de Jacob en Égypte, C. UEHLINGER 2001, 310. La traduction vient de la BJ, mais nous gardons notre propre traduction pour les vv.1aα.28bβ.29-33.

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11, 56239 57 9, 19 1961 3331 33, 34134, 35 9, 27 18 19 255 255 255 255 255 102 255 31, 34 31 53225 137 98, 266 97 53225 197 197, 19727 78, 197 64 64 137 9066, 328494, 329, 330 81 81 87 182193 347, 355 1 910, 57, 321 31, 306 183, 329 354 241 326

LA

BIBLE DE JÉRUSALEM)

12,7 12,10ss 12,10-20 12,10 12,15 12,20 13,1 13,2 13,7 13,15 13,16 15 15,1 15,3 15,5 15,6 15,7 15,13 15,14 15,18 16,4 16,5 16,10 16,11 17 17,1 17,7 17,8 17,9 17,10 17,12 17,16 19,32 19,33 19,34 20,1-18 20,18 21,8-20 21,10 21,12 21,13 21,14 21,20

142, 325 341, 347 338, 354, 35467 14 137 1 325 326 326 142, 325 142 9, 38152, 329 164, 329500 142 142 329500 325, 329500 38152, 142 258 9, 142 73 73, 83 142 73 27, 182193, 288389 287 142 16,142, 325 142 142 142 241 142 202 142 34731 291 135 1 142 142 1 281

408 21,22 22,1 22,2 22,6 22,10 22,17 22,18 22,20 23 23,2 23,4 23,5 23,9 23,17-20 23,17 23,19 23,20 24 24,3-4 24,3 24,7 24,9 24,59 24,60 24,65 25–50 25–35 25–33* 25 25,1-4 25,7-10 25,8 25,9 25,10 25,17 25,21 25,21b-25a 25,22-26 25,23 25,24-26 25,24 25,26 26,2 26,3 26,10 26,13 26,25 26,34-35 26,34 27 27,14 27,23

INDEX DES RÉFÉRENCES

135 164 VIII 81 81 142 142 164 320 320, 322 58 182193 58, 110, 113 321 110 110, 320 58 347 181 21398 325 320 7933 283 148 27, 33 35 27 184197 417 319, 321, 325 319 110 321 319 73 156 157 73 155, 155107, 156 73, 155, 185 155, 185, 266 1, 35467 325 202 237 629 181 21398 1871, 188, 232, 318, 349 281 153

27,27-28 27,28 27,29 27,29b 27,35 28,1-2 28,1 28,3 28,4 28,8-9 28,10-22 28,11 28,13 28,18 28,22 29–35 29,2 29,31–30,24 29,31-35 29,31 29,32-35 29,32 29,35b 30,1 30,2 30,3-5 30,5-8 30,6 30,8 30,10-12 30,11 30,13 30,17-20 30,18 30,20b 30,21 30,22 30,23-24 30,24 30,25a 30,25bss 30,25b 30,25–33,20 30,41 31,5 31,29 31,32 31,42 31,53-54 31,53 32,16

318 96, 290 229, 241, 283, 318 229, 230, 231, 249 161 21398 181 239, 241, 287 16 21398 348 286, 288 325 286, 288 286, 288 31 255 208, 304425, 308, 308435, 35770 217 291 137, 138, 139, 185, 304 196, 198 228, 228156 217 278 258 304 234, 258 271 304 266 269 304 254 250 208 291 304 278 308435 308435 308 308 73 286 286 153 286 20671 20671, 286 241

INDEX DES RÉFÉRENCES

32,29 33 33,18-20 33,18 33,19 33,20 34

34* 34,1-26* 34,1-25* 34,1-5 34,1-4 34,1-3 34,2-3 34,2 34,3 34,5 34,6 34,7 34,7a 34,7b 34,8-12 34,8-10 34,11-14 34,11 34,12 34,13-17 34,13 34,13a-24 34,13b 34,14-17 34,15-18a 34,18b-19 34,20-24 34,22 34,23 34,25-31 34,25-29 34,25-26 34,25 34,25*

215 208 323 126 629, 320, 322 208, 287 28, 53, 54, 81, 83, 85, 181, 190, 19834, 20670, 208, 20876, 209, 210, 21082, 21088, 21089, 21190, 21191, 212, 21293, 21294, 213, 21395, 21396, 21398, 214, 215, 220, 221, 224, 224146, 225, 226, 315, 316, 323, 359, 363 213, 215, 218, 226, 227 21293, 21294, 21395 21191 211, 212 21190 21190 209 137 199 209, 210, 211, 21190, 21191, 21293 21190 202, 207, 21082, 21088, 211, 21190 211, 212 211, 212, 21293 211, 212 21190 21190 211 21082 211 161, 21190 211, 212 211, 212, 21293 83 21190 21190 21190 181 21293 82 207 206, 207, 211, 21190, 21191, 212, 216, 226 85, 206, 207, 21191 21191

34,25a 34,25b-26 34,25b 34,26 34,27-31 34,27-29 34,27 34,28 34,30-31 34,30 34,31 35 35,1-20 35,2 35,4-5 35,5 35,8 35,11 35,12 35,14 35,16-20 35,16 35,16b-18 35,17-18 35,18 35,19 35,21-22 35,21-22a 35,21 35,22-23 35,22 35,22a 35,22b 35,23-26 35,23 35,27 35,28-29 35,29 36,2 36,7 37–50

409 205, 206 206, 207 206 206, 21082, 21191 21293 207, 211, 21190, 21191, 212 210 207 211, 21190 206, 208, 209, 21191, 212, 21294, 21398 209, 210, 21088, 21191, 212, 21294, 214 1016, 31, 53, 54, 190, 202, 203, 204, 208, 316, 323, 359 202 21293 21293 208, 212, 21294 7933 182193, 287 325 286, 288 202 203 304425, 35770 304 298 203, 321 201, 202, 226 7932, 202, 20256, 203, 20360, 205, 218 203, 20360 20257 79, 8037, 13335, 200, 201, 202, 203, 204, 215, 217, 218, 312, 363 200, 201, 202, 20360, 215, 216, 220, 226 200, 202 202, 305 196, 198, 20256 202, 203, 320 319, 325 319 1 16 IX, 2, 5, 2176, 22, 31, 34, 35, 45196, 46, 52, 53, 103, 119, 230162, 336, 34735

410 37–45 37–41 37–39 37ss 37

37* 37,1-36 37,1-2 37,1-2* 37,1 37,2 37,2a 37,2aα 37,2aβ* 37,2b 37,3 37,4 37,5-8 37,7 37,8 37,9 37,10 37,12-14 37,12 37,13 37,14 37,15-17 37,15 37,16 37,17 37,18-36 37,19 37,21-22 37,21-22a 37,22b 37,23

INDEX DES RÉFÉRENCES

1966, 31, 32, 33, 35, 14885, 35872 148 14885 297, 341 20, 21, 2380, 24, 2484, 25, 2693, 27, 28, 2899, 31, 32, 43, 53, 53225, 53229, 54, 57, 103, 104, 118, 119, 1193, 120, 1207, 121, 128, 131, 13130, 133, 13334, 13335, 134, 135, 146, 148, 14885, 153, 160, 161, 162, 163, 168, 204, 217, 223140, 233, 245, 247, 249, 283, 323, 329, 334, 34735, 35873, 362, 364 35872 2487 18, 19, 20, 2068 1966, 2176 16, 1856, 1966, 20, 21, 2176, 22, 2797, 161, 322, 357 1644, 1646, 18, 2068, 43, 161, 285 58, 35769 1966, 2176 2176 103, 121 148 104, 281, 283 229 229, 248 283 32, 40163, 229, 289 229 20359, 358, 35873 285 285 160 152, 185 160 285 160 282 282 245, 350 133 133 148, 277354

37,24b 37,25-36 37,25 37,25b-27 37,25b 37,26-27 37,26-27a 37,26 37,27 37,27a 37,27b 37,28 37,29 37,29b 37,31 37,32-33 37,32 37,33-35 37,33 37,34 37,35 37,35a 37,35b 37,36 38,1–41,53 38

280 125 41, 41169, 47, 1182, 185 245 245 131, 334, 359 350 245 133, 245 131, 132 131, 245, 350 245 148, 185, 245 160 148 160, 120, 148, 153, 160, 185 121 148, 153, 233 146, 148 41, 135, 146, 161 160 160 3, 39, 41, 62, 118, 1182, 162, 361 2487 IX, X, 3, 4, 415, 5, 6, 7, 13, 23, 25, 2588, 28, 29, 31, 32, 32123, 33, 34, 35, 36, 37, 46, 49, 50, 50214, 51, 51214, 51215, 51217, 52, 52220, 53, 53223, 53225, 53229, 54, 55, 56, 56239, 57, 59, 60, 61, 75, 117, 118, 1182, 119, 1193, 120, 12010, 121, 12111, 123, 12413, 125, 126, 127, 128, 129, 12924, 130, 13026, 131, 132, 13231, 13335, 134, 13437, 135, 136, 137, 138, 139, 140, 14053, 143, 144, 145, 14575, 148, 14885, 150, 151, 152, 153, 155, 156, 157, 158, 159, 159124, 160, 161, 163, 165139, 166, 167, 168, 169147, 170, 174, 175, 176, 178, 179, 180, 180185, 181, 182, 183, 183195, 184, 184196, 184197, 185, 186, 217,

INDEX DES RÉFÉRENCES

38,1-11 38,1-10 38,1-6 38,1-5 38,1-2 38,1

38,1b 38,2-5 38,2-4 38,2 38,3-6 38,3-5 38,3 38,4-5 38,4 38,5 38,6-27 38,6-11 38,6-11* 38,6-10 38,6-7 38,6 38,6* 38,7-11 38,7-10 38,7 38,8-10 38,8-9 38,8 38,8b 38,9 38,10 38,11

225, 226, 246, 331, 334, 335, 342, 343, 344, 345, 34735, 349, 354, 359, 361, 362, 363, 364, 365 122, 12413, 158 124 12413, 145, 158 124, 174, 184196 122 62, 75, 119, 121, 12111, 122, 124, 135, 137, 146, 156, 159, 161, 165, 184196 168 75, 130, 165 150 63, 66, 74, 122, 137, 159, 166, 182, 343 145 74, 137, 138, 139, 141, 146, 156, 157, 159, 185 63, 64, 139, 156 156 63, 64, 137 63, 64, 75, 137, 138 165 12413 184196 124 75 65, 12413, 139, 140, 141, 159, 176 157 12413, 145 145, 169 65, 12413, 141, 144, 145, 14575, 146, 154, 163, 166, 167, 184, 265 144, 145 143 65, 12413, 142, 166, 171, 174, 176, 362 142, 174, 175 65, 12413, 142, 143, 166, 174 65, 12413, 144, 14575, 146, 154, 163, 167, 184, 265 65, 67, 122, 123, 124, 12413, 129, 132, 143, 145, 152, 154, 155, 176, 177

38,11b 38,11bα 38,12-30 38,12-26 38,12-25 38,12-14 38,12 38,12a 38,12b-26 38,13-19* 38,13 38,14-15 38,14 38,14a 38,14b 38,15-19 38,15-16 38,15 38,16-18 38,16 38,16c 38,17 38,18 38,18b 38,18b* 38,19 38,20-23 38,20 38,20* 38,20b 38,21 38,21b 38,22 38,22a 38,22b 38,23 38,23b 38,24-26a 38,24-25 38,24

411 185 145 122 12413 124 124 66, 70, 122, 124, 137, 146, 147, 159, 160, 161, 184196, 185, 343 12413 12413 184196 66, 75, 122, 147, 153, 154 147 66, 68, 70, 71, 75, 124, 132, 147, 148, 14885, 150, 155, 175, 176, 185 160 14987, 184196 124 122 68, 75, 122, 129, 149, 151 149 69, 122, 154, 166 154 69, 75, 149, 150, 154, 185 69, 70, 72, 150, 152, 166, 185 150, 154 157 69, 148, 150, 152, 185 125, 132, 137, 151, 152, 185, 343 70, 132, 150, 15195, 152, 154, 159, 160, 185 152 152 70, 75, 151 152 70, 160 152 152 70, 71, 123, 132, 152, 160 152 184196 125 71, 7221, 75, 122, 125, 140, 147, 151, 152, 154

412 38,25 38,25b-26a 38,26 38,26a 38,26b 38,26c 38,27-30

38,27 38,27b 38,28-30 38,28 38,29-30 38,29 38,30 39ss 39–47 39–45 39–41 39–41* 39

39*–41 39* 39,1 39,1* 39,2-6 39,2-3 39,2 39,2*-6* 39,2* 39,3 39,4a 39,4b 39,5-6a* 39,5 39,6-19

INDEX DES RÉFÉRENCES

70, 71, 72, 120, 153, 154, 184196, 185 132 71, 72, 12413, 125, 129, 153, 154, 161, 180, 184, 185, 334, 364 125, 184196 125, 174, 175, 176 154 119, 122, 12413, 125, 129, 130, 155107, 156, 157, 169, 180, 182, 184196, 334 72, 122, 125, 155, 185 155 155, 157, 159, 165 72, 73 64, 75, 362 72, 73, 74, 75, 155, 156 72, 74, 156 60, 343, 349 2380 27, 2899 25, 53229, 162 35872 13, 1437, 23, 29, 33, 35, 42, 47, 53, 54, 60, 103, 118, 119, 1193, 120, 121, 128, 148, 14885, 153, 158, 160, 161, 162, 163, 163134, 164, 164136, 165, 165137, 165139, 166, 167, 168, 185, 217, 280, 283, 289, 331, 333, 334, 342, 354, 362, 363, 364 167, 168 4, 5, 167, 331 3, 39, 41, 118, 135, 162, 165, 166, 361 167 165 165137, 166, 167, 289 163, 265, 287 166 166 163, 166, 265, 287 166 166 167, 289 163, 165137, 166, 167, 265, 290 166, 167

39,6b 39,7-20 39,7 39,9 39,10 39,12 39,13 39,14 39,15 39,16 39,17 39,18 39,19 39,20-22 39,20 39,21-23 39,21 39,22 39,23 40–41 40 40,1 40,1aα 40,2-4 40,2 40,3-4 40,3 40,3a 40,4 40,5 40,7 40,8 40,11 40,12-13 40,12 40,13 40,15 40,16 40,18-19 40,18 40,19 40,20 40,22 41,54–47,27 41 41,1-44

103 165 166 2382 162, 166 148, 166, 185 148, 163, 166, 185 166 148, 163, 166, 185 148, 166, 185 166 148, 163, 166, 185 163, 166 166, 167 163, 166 165, 165137, 166, 167, 289 163, 166, 265, 287 163 163, 166, 265, 287 162, 163, 165, 168, 34735, 34838 24, 2588, 2693, 43, 119, 1193, 162, 166, 167, 331, 334 164 166 167 39, 166 162 163 166 163, 166 162 163 2382, 162, 289 43 289 162 43, 34735 39, 163 162 289 162 34735 40 162 2587 1437, 2693, 32, 40, 43, 148, 14885, 280, 339, 342, 34735 283

INDEX DES RÉFÉRENCES

41,2 41,3 41,4 41,8 41,10 41,11 41,12 41,13 41,14 41,14b 41,15 41,16 41,18 41,19 41,20 41,24 41,25-32 41,25 41,26 41,27 41,28 41,32 41,33 41,34 41,37-46 41,38 41,40 41,42-43 41,42 41,43 41,44 41,45 41,46 41,46a 41,48 41,49 41,50-52 41,50 41,51 41,52 41,53 41,54b 42–46 42–45 42–45* 42–44 42–43 42

280, 285 280 280 39, 162, 339 163 162 162, 163 162 148 42 162 2382, 281 280, 285 280 280 39, 339 289 2382, 26 280, 280, 2382, 2382, 26 162, 339 39 42 2382, 339 49, 322, 34735 39 148, 185, 34735 339 182 40, 41166, 130, 165, 181, 181190, 280, 304, 342, 343 2068, 128 1646, 18, 1856, 1966, 2176 12, 287 2382, 162, 182, 237 32, 130, 157, 167, 182, 342 41166, 130, 165, 181190 2382, 182 2382, 278 182 20, 21, 357, 35769 345, 356, 358 25, 32, 49, 50, 130, 134, 323, 350 35872 283 13335, 246, 300 24, 128, 204, 217

42,2 42,3 42,4 42,4b 42,6 42,7 42,8 42,13 42,15 42,16 42,18 42,20 42,21-22 42,21 42,24 42,25 42,28 42,29 42,32 42,37 42,38 43–44 43 43,1-2 43,1 43,3-14 43,3-12 43,3-5 43,8-10 43,8ss 43,8-9 43,9 43,11-12 43,11 43,11a 43,13 43,14 43,15 43,16 43,23 43,26 43,28 43,29 43,32 43,32-34 43,34 44 44,1-13 44,2

413 43, 44188 32, 57243, 132 145, 350 145, 185 49, 229, 248 153 153 32 40, 132, 300 40 2382 132 246 38152 217, 246 289 2382, 339 57243 32 133, 204, 246, 350 132 24, 150, 350 25, 29, 131, 217, 334, 364 246 41, 246 131 246 359 359 299, 301 204, 300, 350 133, 150, 185, 246, 334, 350 246 41169 133 246 287 57243, 277354 277354 2382, 217, 287, 289, 339, 342 229, 248 229 2382, 350 38152, 339, 33919, 34020 47 277354, 300, 350 25, 13334, 334, 364 133 42

414 44,5 44,12 44,14 44,16 44,17 44,18ss 44,18-34 44,28 44,30-34 44,32-33 44,32 44,33 45 45,1–46,7 45,1-8 45,1-3 45,1 45,5 45,7 45,8 45,9ss 45,9 45,12 45,14 45,19-21 45,22 45,25 46–50 46 46,1-5a 46,1 46,2-3 46,2 46,3-4 46,3 46,3b 46,4 46,4b 46,5-7* 46,6-26 46,6-7 46,6 46,6b-7 46,6f 46,7 46,8-27

INDEX DES RÉFÉRENCES

42, 109, 340 300 246 2382, 133, 246 246 299, 301 29, 131, 246, 300, 359 233 133 334 150, 185 350 24, 27, 28, 130 34228 57 133 246 2382 2382, 37 2382 57 2382, 29 350 350 2068 148, 300, 350 57243 27, 28, 2899, 31, 32, 33, 33132, 35, 35872 190, 198, 302, 303, 304, 305, 305427, 306427, 306429, 307, 308, 317, 354 33 2382 14 2382, 354, 35467 343 46, 286, 287, 306, 345, 347 339 320 339 2068 2068 18, 1966, 20, 21, 2176, 125 1646, 2797 20, 357 1856 1644, 1646, 2176, 57243 1646, 1856, 2068, 2176, 127, 138, 303, 304425, 35770

46,8-26 46,8-25 46,8 46,10 46,11 46,12 46,15 46,18 46,20 46,22 46,23 46,25 46,26 46,27 46,28-30 46,28 46,28a 46,32 46,34 47 47,1-21 47,1-12 47,3 47,4-7 47,*5-11.* 47,5-6a 47,5a-6b 47,5* 47,6 47,7-11 47,7-10 47,7 47,7b-10 47,9 47,10 47,11 47,12 47,13-26 47,24ss 47,27-30 47,27-28 47,27b-28 47,27 47,27b 47,27f 47,28–50,26 47,28 47,29–49,2 47,29–48,22 47,29-31 47,29-30

20 138 198, 305427, 339 181, 182 306427 125, 126, 127, 138, 175, 180, 185 2797 2797 41166, 12719, 181190 2797 260 2797 2797, 88 2797 24 61, 131 246 285 38152, 285, 339, 33919 25, 283, 339 342 47 285 19 1856 2068 43 1646 1646 1644, 1646, 1966 2068 290, 339 20, 35769 16, 2797 290, 339 2068, 2797, 43 24 25, 47, 339 1437 327491 18, 2068 1644, 2068, 21 19, 20, 2797 1646, 1966 1856 2587 1646, 1966, 20, 319, 357 51215 318, 322, 324 24 188

INDEX DES RÉFÉRENCES

47,29ss 47,29 47,30 47,31 48–50 48–50* 48–49 48

48* 48,1-22 48,1 48,2 48,2b 48,3-7 48,3-6 48,3 48,4 48,5 48,7 48,8-20 48,8 48,9 48,11 48,12 48,13 48,14 48,15-16 48,15 48,16 48,19 48,20 48,21 48,22 48,22a 49–50 49–50* 49

57 188, 320 320, 321, 325, 332, 345, 356, 358 188, 247 51215 56, 14575 5, 345 3, 2379, 25, 31, 32, 37, 54, 155, 182, 184197, 187, 1871, 189, 190, 217, 289, 295, 297, 307, 322, 323, 324, 343, 345, 349, 351, 358, 359, 35974 29 155 189 190 189 1644, 1856, 1966 1646, 2176 2176, 287, 290 2797, 239, 241, 325 324 2176 24 190 2382, 290 2382, 190 324 190 190 289, 295 2382, 285, 290, 296 290 416 2382, 290 2382, 190, 320, 321, 325, 332 21395, 237, 283, 293, 297 4 2, 2588, 327, 330, 332, 335, 356, 363, 365 358 IX, X, 3, 4, 5, 6, 7, 13, 23, 2379, 25, 2588, 28, 29, 31, 32, 35, 36, 37, 46, 50, 50214, 51, 51214, 51215, 52, 53, 54, 54230, 55, 58, 59, 60, 61, 7827,

49,1-28 49,1-28a 49,1-27 49,1-2 49,1 49,1a

49,1aα 49,1b-28 49,1b-28a 49,1b-28abα 49,1b-27 49,1b-7 49,1b-2 49,1b 49,2-27 49,2 49,2b 49,2c 49,3-28 49,3-27 49,3-15 49,3-12 49,3-7

415 117, 156, 182, 186, 187, 1871, 188, 189, 190, 193, 194, 19420, 195, 198, 204, 205, 21190, 21293, 21395, 214, 220, 221, 222, 225, 226, 227, 231, 232, 233, 249, 252, 253, 277, 283, 286, 288, 288389, 289, 292, 294, 295, 296, 297, 298, 302, 303, 304, 305, 307, 308, 309, 310, 311, 311459, 312, 313, 314, 315, 315475, 316, 317, 318, 318479, 321, 322, 323, 326, 330, 331, 332, 333, 334, 335, 341, 342, 344, 345, 348, 349, 351, 354, 356, 358, 359, 35974, 361, 362, 363, 364, 365 187, 188, 189, 190, 191, 195, 196, 215, 324 50214 2588 76, 109, 111, 115, 116, 191, 195 76, 188, 189, 190, 192, 19217, 231, 286, 319 1646, 18, 1856, 1966, 20, 2068, 21, 2176, 116, 189, 190, 191, 19214, 196, 330 20, 357 29, 51, 51217 19214 191, 195, 330, 332 302 215, 216, 226, 227, 274, 302, 313, 316, 317 191, 214, 215 192, 193, 194, 19420, 195, 226, 327, 329 192 76, 194, 195, 20256 194, 195, 214 194, 195 318, 322 111, 187, 216 304 249 116, 191, 196, 203, 218, 226, 227, 315, 316, 362

416 49,3-4 49,3

49,3a 49,3b 49,4

49,4a 49,4b 49,4bc 49,4c 49,5-7 49,5-7a 49,5-6 49,5 49,5a 49,5b 49,6 49,6a 49,6b 49,6c 49,6d 49,7 49,7a 49,7b 49,8-12

INDEX DES RÉFÉRENCES

77, 202, 20256, 20360, 204, 215, 217, 217109, 226, 312 77, 78, 7827, 116, 196, 19622, 19624, 197, 198, 199, 20256, 20360, 214, 215, 216, 226, 233, 265, 295, 312, 316, 317 112, 196, 215, 227, 230 7828, 112, 196, 197, 199, 200, 215 78, 7828, 199, 200, 20043, 201, 202, 20257, 203, 204, 205, 215, 216, 226, 233, 312 114, 199, 200, 215 113, 199, 200, 201, 215 201, 202 199, 200, 201 80, 85, 19834, 205, 21294, 21395, 214, 216 208, 21191, 212, 213, 215, 226 21294, 214 80, 8243, 112, 205, 21191, 212, 21395, 226, 227, 230 205, 206, 215 114, 205, 206, 20670 112, 206, 265 83, 84, 206, 20671, 207, 21191, 212, 21395, 214, 215, 226 83, 114, 205, 206, 207, 21191, 212, 21395, 215, 226 83 83 78, 190, 194, 195, 20256, 264315, 299 85, 115, 116, 206, 207, 208, 21191, 212, 21395, 215, 226 85, 86, 111, 116, 208, 21395, 214, 215, 217, 220, 222, 226, 286 IX, 4, 29, 58, 131, 13335, 190, 191, 19217, 193, 217, 227, 227153, 233, 243, 246, 247, 248, 249, 274, 302, 313, 316, 334, 350, 359, 363

49,8-10 49,8-10ab 49,8-9 49,8

49,8a 49,8b 49,8c 49,9-12 49,9

49,9a 49,9aα 49,9aβ 49,9b 49,10-12 49,10

49,10ab 49,10a 49,10b 49,10cd-12 49,10cd 49,10c 49,10d 49,11-12 49,11 49,11ab 49,11a 49,11b 49,11cd 49,11c 49,11d 49,12 49,12a 49,12b

9066, 20567, 235, 240 248, 249 237, 247 86, 114, 227, 228159, 229160, 230, 230162, 233, 233, 235, 238, 241, 244, 247, 248, 293, 318 227, 228, 228156, 229, 230, 230162, 248 227, 228, 229, 230, 248 227, 229, 230, 230162, 248, 249 248, 248244 87, 112, 113, 114, 230, 231, 232, 233, 234, 235, 240, 241, 244, 247, 247242, 248, 249, 254, 263, 265, 272 230, 233, 248, 301, 302 230, 280 230 87, 230, 231 247 416, 87, 88, 89, 8965, 90, 9066, 92, 93, 100, 115, 116, 235, 239, 240, 240213, 241, 243, 244, 318 243, 244, 248 88, 115, 231, 235, 236, 241, 248 89, 90, 91, 115, 235, 236, 241, 241213, 244, 248 248, 249 239, 248, 248244 235, 237, 240, 241, 248, 249 235, 240, 241 244227, 245, 248 92, 93, 241, 242, 243, 243221, 243222, 244, 245, 249 113, 241, 242, 243, 244 114, 241, 242 241 241, 243, 244 113, 241, 243 241, 243, 244 93, 115, 244, 245, 249 94, 112, 114, 244, 245 94, 112, 244

INDEX DES RÉFÉRENCES

49,13-21 49,13-15 49,13 49,13a 49,13bc 49,13b 49,13bα 49,13c 49,14-15 49,14-15a 49,14 49,14a 49,14b 49,15 49,15a 49,15aα 49,15b 49,15bβ 49,16-18 49,16-17 49,16 49,16a 49,16b 49,17 49,17a 49,17b 49,18 49,19-21 49,19-20 49,19 49,19a 49,19b 49,20 49,20a 49,20b 49,21

191, 275, 276, 302, 315 19012 94, 113, 114, 250, 251, 252, 253, 253261, 253264, 269, 274, 275, 276 250, 251, 251256 250 250, 251 251256 250, 251 94, 253, 256275, 273, 274, 275, 276 257, 270 94, 95, 231, 253, 255, 272, 274, 275, 311 94, 112, 254 95, 112, 254, 256, 257 96, 10087, 114, 255, 256273, 274, 275 112, 254, 255, 256, 270 254 112, 254, 255, 257 254 97, 258 98, 99, 19012, 258, 263, 264, 265, 274, 276 97, 112, 115, 234, 258, 258283, 259, 263, 264, 265, 274, 275 258 259 97, 114, 115, 234, 258, 259, 260, 263, 264, 266, 272, 274, 275 259 98, 259, 274 98, 113, 163, 19012, 264, 265, 274 19012 100 99, 100, 251, 266, 267, 268, 269, 274, 276 99, 114, 266, 275 99, 114, 266, 269, 274, 275 99, 10087, 113, 251, 267, 269, 270, 271, 273, 274, 275, 276 269, 270 269, 270 100, 101, 271, 272, 273, 274, 275, 276

49,21a 49,21b 49,22-27 49,22-26 49,22-24 49,22-23 49,22 49,22a 49,22aβ 49,22b 49,23-24a 49,23 49,23a 49,23b 49,23c 49,23d 49,24 49,24a 49,24b-26 49,24b-25a 49,24b 49,24bα 49,24bβ 49,25-26 49,25 49,25a 49,25aα 49,25aβ 49,25b-26 49,25b 49,26 49,26a 49,26b 49,27 47,27a 49,28-33 49,28 49,28a

417 112, 271, 272 101, 112, 271, 272, 273 19012, 304 58, 102, 107, 190, 191, 274, 277, 294, 295, 296, 297, 302, 313, 359, 363 277356 116 102, 103, 115, 277, 277356, 279, 280, 281, 284, 293, 295, 296 113, 278, 280 280 112, 114, 115, 278 229, 277, 277356, 281, 284, 290, 293, 295, 296 104, 105, 106, 113, 114, 115, 281, 283, 295, 296 281 281 281 281 104, 113, 115, 194 113, 281, 283, 284, 296 277356 277, 284, 289, 290, 291, 294, 295, 296 112, 284, 286, 288, 291, 295, 296 284, 285 284, 285, 286 277356, 291397, 318 2382, 106, 107, 114, 231, 291 284, 284377, 286, 287, 290, 291, 293, 294, 296 284, 285, 286 287, 288, 290 277, 284, 287, 290, 291, 294, 295, 296 284, 284377, 290, 296 106, 107, 114, 115, 284, 291, 296 107, 290, 291 290, 292 108, 112, 191, 249, 272, 298, 300, 301, 302 295, 299 111 109, 110, 113, 187, 191, 194, 195, 217109, 303424 195

418 49,28abα 49,28b-33 49,28b-33aα.b 49,28b 49,28bβ 49,29–50,26 49,29–50,21 49,29–50,3 49,29-33

49,29 49,29a 49,29b-30 49,29b 49,30 49,31 49,31a 49,31b 49,31c 49,32 49,33 49,33a 49,33aαb 50 50,1-11 50,1-6 50,2-4 50,2-3 50,4-6 50,4 50,5 50,7-14 50,7-13 50,7 50,8-9 50,8 50,9 50,10-13 50,11 50,12-13 50,12 50,12f

INDEX DES RÉFÉRENCES

191, 192, 19215, 195 1644, 21, 2176 1646 1856, 19214 189, 191, 19215, 195, 196, 330 188 188 1887 18, 1856, 19, 20, 2068, 2176, 109, 116, 188, 189, 190, 191, 19214, 318, 321, 322, 324, 325, 327, 330, 332, 345, 356, 357, 358 109, 110, 188, 189, 319 1966, 318, 319 319, 320 322 2797, 58, 110, 113, 320, 322 110, 111, 113, 319, 321 321 321 321 111, 319, 320, 322 2797, 109, 111, 188, 189, 319 190 1966 20, 2380, 25, 103, 189, 322, 326, 327, 328, 330 1886, 318, 322 24 43 41 1887 188 188, 320, 322, 332 188, 1887, 325 358 325 326 57243 325, 326, 339 327492 326 1644, 18, 19, 20, 2068, 21, 2176, 22, 1886, 318, 322, 345, 356, 357 1646 1856

50,25b 50,26 50,*26 50,26a

1646, 2797, 58, 110, 320, 322 57243, 188, 1886, 318, 319, 322, 325 1887 24 281 188 287 49 339 2382 289 2382, 37, 44, 287, 295, 345, 347 339 146, 185 1887, 35668 2, 312, 1966, 46, 58, 328, 358 33 1856 2068 324 188, 323, 324, 325 332 16, 2382, 46, 324, 326, 327, 328, 329, 330, 35668 324 58, 324, 326 324 2, 2382, 58, 321, 324, 326, 327, 328, 345, 356, 358, 35873 324, 326 1, 2, 46, 345 1856 2068, 324

Exode 1 1,1-7 1,1-6 1,1-5a 1,1a 1,6a 1,7 1,8-22 1,11 1,13-14 1,13

21, 22 1644 304425, 35770 19, 20, 2068, 21, 35769 18 1966 1966, 21 338 257276 1644 21

50,13 50,14 50,15-21 50,15-20 50,15 50,16-17 50,17 50,18b 50,19-20 50,19 50,19b 50,20 50,20b 50,21 50,22-26 50,22 50,22a 50,*22 50,22-23 50,23 50,24-26a 50,24-25 50,24 50,24a 50,24b 50,24c-25a 50,25

419

INDEX DES RÉFÉRENCES

1,14 2 2,21 2,23-25 3 3,2 3,3 3,4 3,8 3,14 5 6,2-8 6,2-5 6,3 6,4 6,14 7–9 7,11 7,22 8,7 8,18 8,19 8,22 9,11 9,18 9,24 10,14 12,28 12,38 13,18 13,19 14 14,5 14,25 14,30 15,1 15,4 15,5 15,8 15,9 15,10a 15,12-16 15,18 15,21 17,3 19–34 20,1 20,2 20,24 21,26-27 22,15

281 312, 27, 343 417 1644 294 294, 339 294 294 1961 294 338, 339 182193 1644 294 16 198 339 39, 104 39 39 39 39 33919 39 326 326 326 326 325 325 2, 58, 326, 327, 345, 356, 358, 35873 11, 223140, 326, 338, 339 339 260 339 260 82 82 82 82, 299 82 82 292 260 325 27 339 1 34943 244 213

22,25 23,7 23,9 23,27b 26,23 26,27 29,46 32 32,1 32,7 32,12 32,25-35 32,26-29 32,29 33,1 34,6-7 34,14 35–40 36,28 36,32 40 40,38

150 154 38152 228 251 251 1853 19834, 220, 221 325 325 329 21399 314 21399 325, 329 291 103 1961 251 251 18 1961

Lévitique 1–3 2,12 4–7 10* 11–16 11,45 16 18,8 18,15 18,16 18,22 19,34 20,11 20,12 20,13 20,14 20,16 20,21 21,9 22,13 23,10 23,20 24,17-20 25 25,23-25 25,25 25,47-49 26,5

1961 196 1961 1961 1961 338 9 204 159, 173165 173 8038 338 20049, 204 153101, 154, 159, 173165 8038 153 153, 153101 173 140, 153 145, 146 196 244 244 178 143 178, 179, 180 143 242

420 26,13 26,42 27,34 Nombres 1–25 1–4 1–2 1 1,1 1,20-43 1,20 1,47 1,49 1,52 2 2,2-3 2,2 2,3-31 2,3 2,10 2,17-18 2,18 2,25 2,31 2,33 2,34 3–4 6 6,2 6,2b 6,7b 6,13 6,18 6,19 6,20 6,21 6,24-26 6,24a 7 10 10,14 10,18 10,22 10,25 10,33 11 12 12,1 12,6-8

INDEX DES RÉFÉRENCES

338 329 1961 305, 305426 221, 306 306, 306430, 307 198, 302, 303, 305, 306, 306427, 306429, 306430, 307, 308, 308434, 317 305 303 198 306427 306427 236, 306430 310, 310449 306430 236 307 236 236, 306430 306430 236 236, 306430 306430 306427 236, 306430 305 288, 292, 293408 292 292 293 292 292 292 292 292 288 288 307 307 236, 307 236 236 236 255 338 343 417 193

12,14 13–14 14 14,8 15,20 15,30-31 16–18 16 16,1a 16,1b 16,2 16,2aα 16,2aβ 16,2b 16,3-11 16,3-7 16,3 16,3b 16,8-11 16,10 16,12-15 16,12-14 16,12 16,13 16,16-24 16,16 16,25 16,26 16,27aα 16,27aβ 16,27b 16,28-34 16,31 16,35 17,17 18,1-6 18,12 18,23 18,24 20 20,12 20,24 20,26 20,28 21 21,6 21,8 21,9 21,18 21,25 22–24

173 305426 338 224 196 144, 175, 176, 362 223 116, 221, 223, 224, 226, 315, 331, 359, 363 223 223 222 223 223 223 223 223 222 222 223 221 223 204 224 224 223 223 223 223 223 223 223 223 222 223 150 223 196 306427 306427 338 329, 329500 319 277354 328493 260 260 260 260 88, 236 219123 231, 232, 235

421

INDEX DES RÉFÉRENCES

22,34 23,22b 23,24 23,28 24 24,3-4 24,4 24,8 24,8a 24,9 24,9a 24,9b 24,14 24,14a 24,14b 24,15-19 24,15-16 24,16 24,17-18 24,17 24,25 25 25,1-13 25,1-5 25,6-13 25,7-14 25,7 25,10-13 25,14-15 25,14 25,16-18 25,18 26–36 26

26,1-4 26,4 26,5-50 26,5 26,19-20 26,19 26,20-22 26,20 26,21 26,28 26,29-34

14575 232 87, 230, 231, 232, 233, 248, 249 218 193 231 287385, 287386 232 232 87, 241, 249 230, 231, 232, 233, 248 231 192, 19217, 193, 19420, 195, 231 231 231 19217 231 287385, 287386 283 193, 231, 236, 240 231 214, 224, 224145, 224146, 225, 225147, 226, 315, 331, 359, 363 314 224, 225 224 214 214 224 224, 225 224 224 225 305, 305426 138, 198, 201, 302, 303, 305, 305427, 306, 306427, 306429, 306430, 307, 308, 308434, 318 305, 306427 305427 303 198 138, 185 305427, 306427 175 156 305427 305427 306427

26,29 26,30 26,33 26,36 26,40 26,46 26,57-62 26,57 26,62 26,63-65 27,1-11 27,8-11 31 31,6 31,14 32 32,6b-15 32,11 32,13 32,20-27 32,33 32,34 34,1-11 35,2-8 36 36,13

305427 305427 305427 305427 305427 305427, 306427 305 306427 306427 306427 171, 172 143, 172 224, 225, 225147 224 224 203, 204, 267, 268, 356 312 329 14575 198 267 267 219 220124 171 1961

Deutéronome Dt 1,1–Jos 23,16 9 1,1 10 1,16 171 1,28 170156 1,34-37 329 2–3 356 2,18 171 3 203, 267, 268 3,12-13 267 3,12b-20 267321 3,18 170156 3,20 170156 3,25-27 329 3,29 218 4,29-31 19217 4,30 192, 193, 19420 4,46 218 5,5b 339 5,6 1 5,15 338 6,20-24 82 7,25 340 7,26 340 10,8 277354

422 10,9 12,9 12,11 12,12 12,18 12,19 12,31 13,7 14,27 14,29 15,2 15,3 15,7 15,9 15,11 15,12 17,15 17,20 18 18,2 18,4 18,5 18,7 18,9 18,10 18,12 18,15 19,18 19,19 19,21 20,15-17 20,21 21,17 22,1 22,2 22,3 22,4 22,21 22,23-24 22,23ss 22,23ff. 22,24 22,25-27 22,28-29 22,34 23,1 23,4-9 23,8 23,18-19 23,20 23,21 24,6 24,7

INDEX DES RÉFÉRENCES

170156 255 34943 220124 220124 220124 340 171 220124 220124 171 171 170156 170156 170156 170156 170156 170156 221 170156 196 277354 277354 340 340 340 10, 170156, 329 170156 170156 244 297 257276 138, 196 170156 170156 170156 170156 153 210 153101 153 153 210 210, 213 56 204 2175 171 152 170156 171 150 170156

24,10-13 24,14 25

25,1-2 25,1 25,3 25,5-10 25,5 25,6 25,7 25,8 25,9 26,5-9 26,5b-9 26,10 26,29 27,4-8 27,20 28–29 28,54 28,57 28,68 28,69 29,9-14 31,29 32,1 32,13 32,36 32,48-52 32,50 33–34 33–34* 33

33,1 33,4-5

150 170156, 56, 143, 144, 170, 171, 174, 175, 175173, 176, 178, 179, 180, 180185, 334, 362 173 154 170156 56, 142, 143, 146, 160, 169, 175, 176, 178, 179, 180186, 184 142, 143, 170, 171, 172, 174, 175, 177, 362 143, 171, 172, 173, 174, 177 142, 144, 172, 174, 362 178 178 27 82 196 268325 34943 204 338 171 88 338 218 218 192, 19217, 193, 19420 268325 56 258 327491 170156, 319 2, 188, 193, 327, 330, 332, 335, 344, 356, 363, 365 358 5, 54, 58, 59, 60, 1871, 193, 194, 195, 198, 19834, 205, 220, 221, 232, 235, 249, 253262, 263, 276, 292, 294, 295, 296, 302, 303, 304, 310, 312, 314, 315475, 316, 317, 318, 326, 332, 335, 336, 341, 345, 35974, 362, 363, 364 193 312

423

INDEX DES RÉFÉRENCES

33,6 33,7 33,7b 33,7bc 33,8-11 33,8 33,9 33,12 33,13-17 33,13-17a 33,13-16 33,13 33,13a 33,13b-15 33,13b-15b 33,13b-14b 33,13b 33,14-15 33,14 33,15 33,16 33,16a 33,16b 33,17 33,17a 33,17b 33,18-19 33,18*-19 33,18 33,19b 33,20 33,20bc 33,20b 33,20c 33,21 33,22 33,22bc 33,22b 33,22c 33,23 33,24 34 34,1-3 34,1 34,1* 34,1b 34,4 34,4* 34,5-6

170156, 198, 217, 218, 312 229, 230162, 314 230, 230162 229, 230 217, 220, 313 35974 171 300 107, 277, 294, 314 35974 292, 295, 297, 298 290, 294 294, 296 294, 295, 296 294 291397 294, 296 296 294 107, 291, 292, 294 108, 292, 293, 294 294 293, 294, 296 232, 279, 280, 294, 295, 313 296 295, 296 252 251 255, 257 251, 252, 253, 276 87, 248, 268, 276 233, 249 233 233 88, 236 234, 248, 262, 263, 264, 276 233, 249 233 233, 234 274, 276 269, 276 328, 328494 328494 218, 329 328 328 58, 326, 327, 328, 328494, 329 328 328494

34,5 34,6 34,7-9 34,7 34,8-9 34,10-12 34,10 34,12 Josué Jos–2 R 1,14 2,18 2,21 3–4 4,12 6,21 8,13 9 9,37 11,6 11,9 13–22 13–21 13 13,24-28 15 15,34 15,35 15,44 15,57 16,10 17,1 17,5 17,13 19,10-16 19,17-23 19,18 19,24-31 19,32-39 19,40-48 19,47 21 21,3-42 21,9-19 22 22,8 22,10-20 22,21-34 24

328, 345 218, 328, 328493 328 328494, 329 328494 193, 328, 328494 327, 329 1961 329, 33817 198 156 156 57 198 207 266 35258, 353 35258 207 207 267 9 268 267 158 148 135 135, 139 146 255, 257 268325 268325 257 250, 251, 252, 253 256 256 270 273 262 260 222, 222134 220124 222134 204, 20466 299 203 204 28, 7, 8, 85, 9, 910, 10, 1014, 1016, 11, 1122, 15, 17, 22, 57, 59, 308, 326, 328, 328494, 35149

424 24,1-27 24,1 24,2-23 24,2-4 24,2-3 24,2 24,2b-13 24,3 24,4 24,6-7 24,13 24,19-20 24,25-26 24,25 24,26 24,29 24,32 Juges 1,28 1,30 1,32 1,33 1,34-35 1,34 1,35 2 3,15ss 4,2 4,17-22 5

5,10 5,13 5,14 5,14b 5,14bβ 5,15 5,15b-17 5,16 5,16a 5,16b 5,17 5,17a 5,17b 5,17c 5,18a

INDEX DES RÉFÉRENCES

910 358 96 1122 27 10 82 11 11,17 11 9 1122 10 358 10 2, 58, 328, 358 2, 1014, 58, 321, 326, 327, 328, 345, 356, 358 257 257 270 257, 273 261 259, 262 257 9 300 257 53223 220, 251, 252, 253, 253262, 276, 302, 303, 304, 310, 311, 311459, 312, 313, 314, 316, 317, 318, 335, 362, 363 243 311 88, 236, 237, 298, 300, 311, 324 236 251, 253 257 268 95, 204, 311, 312 254, 257, 276 254 260, 312 268 252, 253, 276 270 251, 252, 253, 274

5,18b 5,19 5,30 6 7,13-14 8,22-24 9–21 9,4 9,24 10,4 10,4a 10,18 11 11,1 11,8 11,13 12,1-7 12,14 13 13,1-2 13,2 13,25 14 14,1-2 15,1 17–18 18 18,1-2 18,1 18,2 18,27-31 18,29 20 20,1

251, 274, 276 253 299 9 162 1182 35361 199 81 243 241 268325 268 268325 268325 268 268 241, 243 292 262 259 262 261 137 149, 14990 261, 264, 265 234, 259, 261, 261300, 262, 263, 264, 276 262 260 259 262 234 298, 300 235

Ruth 1,1-9 1,1b 1,5 1,9 1,11b 2,1 2,3 2,11 2,20 3–4 3 3,2 3,3 3,10 3,12

177 168 169 177 177 177 177 183, 184 177 178 53223 177 147 177 177

425

INDEX DES RÉFÉRENCES

4 4,1-12 4,1-2 4,2 4,3 4,7 4,9 4,10 4,11-12 4,11 4,12 4,12a 4,13-17 4,15 4,16-17 4,18-22 4,21

179 178 178 178 178, 180 143, 178 178 172, 175, 177, 178 183 177 56, 155, 168, 180, 362 168 362 184 169 56, 157, 168, 180, 183, 185 180

1er Samuel 2,2 2,10 2,22-23 2,22 9,1 9,23 10 11 12 12,8 13 15,3 16,12 17,45 22,1-2 22,19 24,18 25,2-37 28,5 30,8 30,15 30,23

286 258 293 202 300 277354 9 300 9 82 300 207 245, 249 285 136 207 154 147 237 266 266 266

2e Samuel 1,6 1,19 1,25 3,10 3,34 4,14-16 4,14 4,15

282 228159 228159 235 228159 89 89 89

4,16 6,16 7,7 7,16 8,4 11,2 11,27b 12,10 12,16 13 13,1 13,11-14 13,14 13,23-28 13,29 14,27 15,4ss 16,1-2 16,22 16,23 17,11 18,9 19,27 20,24 21,1-14 21,6 22,30 22,34 23,3 23,10 23,13 24,2

89 283 88 236 207 199 56, 14575 89 14053 14053 14053, 199 210 202 147 243 14053 172 243 200 20049 235 243 243 257 35258 35258 279 271 286 237 13641 235

1er Rois 1,33 1,38 1,44 2,4 3 3,3-15a 3,4 4,6 4,7 4,16 5,7 5,27-28 8,25 8,42 8,56 9,5 9,15 9,21

243 243 243 236 352 35258 35258 257 309 253264 309 257 236 285 255 236 257 255, 257

426 10,2 11,24 11,26ss 11,26 11,30-32 11,36 11,38-39 12 12,18 12,26-30 12,28-32 12,28-31 12,28 2e Rois 3,4-27 5,2 6,23 13,20 13,21 18,4 18,17 21,7 24,2 25 25,21 25,22-26 25,23 25,27-30

INDEX DES RÉFÉRENCES

326 266 341 264 317 220 89 264, 265 257 261300 285 264 33

25,28 25,29 25,30

268 266 266 266 266 260 242 261300 266 44 312 47, 341 352 3, 312, 347, 34735, 348, 34837, 34838 34735 34735 34837

1er Chroniques 2,1-17 2,3-8 2,3-4 2,3 2,4 2,13 4,21-22 4,22 4,40 5,1-2 5,1 5,3 5,12 5,18 7,4 8,40 11,15

157 144 138, 183 63, 144 168, 175 239 139 65, 6515, 139 96 205, 247, 293, 315, 318 198, 200, 201, 315 198 296 267 266 300 13641

12,2 12,9 12,19 12,22 18,4 21,2 27,1

300 267 266 266 207 235 309

2e Chroniques 1 6,16 7,18 8,8 9,1 10,18 11,1 11,3 11,12 11,23 14,7 14,10 15,2 15,8 15,9 17,17 22,1 24,6 25,5 25,9 25,10 25,13 26,11 29,6b 30 30,5 31,1 34,9

352 236 236 257 326 257 301 301 301 301 300 285 301 301 301 300 266 277354 301 266 266 266 266 228 34944 235 301421 301

Esdras 1,1-2 1,5 2,40 4,1 6,6-12 6,15 7 8,9-18 8,15 9–10 9 9,2 10,9

347 301 222 301 337 337 3364 222 222 181, 225, 345 224145 34630 301

427

INDEX DES RÉFÉRENCES

Néhémie 3,36 6,18 7,67 9 9,3 9,6-37 9,13-14 12,34 13

152 282 85 9 10 96 82 301421 181, 225, 345

Judith 10,2 10,3 10,4 16,9

6918 147 67 6918

Esther 5,1 6,10-11 8,15 10,3

147 34735 34735 34735

2e Maccabées 5,22-23 34942 Job 4,11 8,3 8,5 11,12 13,11 16,9 16,13 18,9 21,11 28,8 29,25 30,10 30,21 31,23 36,31 38,39 39,1 39,3 39,5 40,14 40,18 41,17

87, 234 287385 287385 241 78, 197 282 281 266 272 234 266 173 282, 282371 78, 197 258 87 271 272 272 86, 228 254 78, 197

Psaumes 1,3

278

3,3 3,9 7,3 7,6 7,9 7,17 9,6 9,8 10,3 10,15 10,16 10,17 14,7 16,9 18,30 18,34 18,41a 20,2 20,8 21,2 21,5 22,2 23,2 25,3 25,5 25,21 26,12 27,14 35,3 37,9 37,27 37,34 38,16 39,7 39,8 40,1 41,9 44,6 45,7 45,18 48,15 49,19 50,4 50,22 52,9 53,7 54,1 54,3 55,4 56,6 57,3 59,3

265 265 299 250 258 81 292 258 292399 81 292 292399 265 84, 250 279 271 228 285 285 292399 292 265 255 265 265 265 81 265 265 265 250 265 265 265 265 265 266 285 86, 236, 292 86, 228, 292 292 86, 228 258 299 265 265 258 285 281, 282 265 81 207

428

INDEX DES RÉFÉRENCES

60,9 62,2 62,5 68,13 68,14 69,30 70,5 71,14 72 72,2 72,16 78 78,51 80,2 80,15-16 89,25 91,13 95,11 96,10 105 105,36 106 108,9 110,2 110,6 112,10 118,10ss 119,20 119,95 119,116 119,166 120,6 123,3-4 124,8 128,3 130,5 132 132,2 132,5 135 135,14 136

88 265 78, 197 299 95 265 265 81 245 258 242 82, 1961 196 286 279 285 234 255 258 82, 14, 1436 196 1961 88 150 258 292399 285 95 265 92, 240 265 250 152 285 278 265 285 285 285 82 258 82, 1961

Proverbes 5,19 7 7,4 1–8 10,6 10,24 10,26 10,26a 11,23

271 149 177 1437 293 292399 249 245 292399

11,26 12,24 13,12 13,19 16,19 17,22 18,1 18,10 19,22 21,24 21,25 23,29 23,32 25,15 26,10 26,13 29,17 30,17 30,30

293 257276 292399 292399 299 254 292399 285 292399 78 292399 244 260 254 281 234 269 92, 240 234

Ecclésiaste 8,1 10,8 10,11 12,11a

162129 260 260 282

Cantique des cantiques 1,6 106 2,7 271 2,14 236 3,5 271 5,10-11 245 8,12 106 Isaïe 1,24 2,2-4 2,2 3,13 5,1-7 5,2 5,29 7,3 8,14 9,2 10,33–11,5 11,1 11,4 11,6 11,10 13,20 13,21 14,5

285 19217 192, 193, 19420 258 244227 242 87 242 286 299 240 87 235 298412 240 255 255 235

429

INDEX DES RÉFÉRENCES

16,8 17,2 17,6 19,4 19,8 22,4 25,6 25,9 26,4 26,8 26,28 27,10 30,6 30,29 31,8 32,12 32,18 33,2 33,22 33,23 34,6 34,17 36,2 40,31 44,25 49,23 49,26 52,7 52,10 53,12 56,12 57,20 59,11 60,1 60,3 60,16 60,18 63 63,1-3 63,2 63,2a 63,2b 65,10 65,25 66,9

242 255 278 207 82 281 242 265 286 292399 265 101, 255 87, 234, 241 286 257276 278 255 265 88 299 277354 250 242 265 339 265 285, 288 265 265 299 19624, 197 199 265 156 156 285, 288 81, 265 243, 244, 244227 242 243, 244, 249 243 243 255 234, 298412 92, 240

Jérémie 2,21 3,2 4,30 5,6 5,28 8,17

242 148 68 298 258 260

14,5 16,21 17,26 22,16 23,20 23,32 24 26,20-23 29 29,10 30,13 30,18 30,24 32,6 32,44 33,12 33,13 33,16 33,17 40–43 40,6 40,10 40,12 40,13 40,15 41,1 41,3 42–44 43–44 43,10-13 44,1 48,47 49,39 50,6 50,29 51,59

271 285 301 258 192, 19217, 193, 19420 7932, 199 32 341 32 346 346 346 192, 19217, 193 250 301 255 301 250 236 340 352 352 352 352 352 352 352 44, 47, 341 346 346 44 192, 19217, 193, 19420 192, 19217, 193, 19420 255 281 255

Lamentations 1,1 2,11 3,16 4,5

257276 84 95 269

Ézéchiel 6,12 16 16,16 16,25 16,42 17,5-8 19,10 20 20,40

8350 346 7221 148 237 278 278 1961, 346, 34630 277354

430

INDEX DES RÉFÉRENCES

21,32 22,27 23 23,40 27,17 32,2 34,14 34,15 37 37,12 38,16 40,45-46 44 44,10-16 44,10-14 44,15-16 45,9 46,19 46,22 47,13-23

89, 90, 91, 239, 249 298 346 68 270 234 255 255 315 315 19217, 193, 19420 221, 222 222 220, 222, 223 221 221 81 251 228, 228157 219

Daniel 1–6 1,20 2–6 2,2 2,4 2,5 2,7 2,28 2,48 5 5,29 8–11 8,9 10,14 38,16

37148, 38 39 34735 39 162129 162129 162 19217 34735 162129 34735 162 19624, 197 192, 193, 19420 192

Osée 2,19 3,5 4,14 5,14 8,9 10,1 10,5-6 13,8 Joël 1,6 2,24 3,19

237 192, 19217, 193, 19420 152 299 279 278 285 87 87 242 81

Amos 1,11 2,11 3,10 5,19 6,13 8,14 9,3 9,13

299 293 81 234, 260 220123 265 260 242

Jonas 3,8

81

Michée 1,14 1,15 2,10 4,1 4,1-3 4,8 4,14 5,1-2 5,1 5,3

139 136 255 192, 193, 19420 19217 203 266 241213 90, 238 285

Nahum 2,11 2,12

87 233

Habaquq 1,7 1,8 1,15 3,6 3,16 3,19

78, 197 298 82 291 266 271

Sophonie 2,7 2,14 3,3 3,4 3,8 3,13

255 255 298 199 299 255

Zacharie 9,9 10 10,8-10

89, 242, 243, 243221, 243222, 244, 249 315 315

Malachie 3,2

242

431

INDEX DES RÉFÉRENCES

2. NOUVEAU TESTAMENT Matthieu 1,3

56, 168,

Jean 4,10a 12,24

VII VIII

Actes des apôtres 7,16 321 Éphésiens 3,18 VII Apocalypse 5,5

240

3. AUTRES RÉFÉRENCES 1Q20 XIX 14-16 1QM XII 10 1QSb V 27-29 4Q Gen-Exoda, frg.15-16 4Q 51 II 4Q175 25 4Q252

140 229 239 78, 80 293 81 79, 88, 91, 92, 100

4Q252 V 1-7 90 4Q252 V 1-5 240 4Q379 frg.22 ii 11 81 4Q522 frg.9 ii 3 168 Le Rouleau de la Guerre XII 11 228 Jubilés 199 Testament de Ruben 199

II. INDEX ONOMASTIQUE 1. ANCIENS Akhenaton 256 Flavius Josèphe 38, 222, 349 Hérodote 41, 43, 310

Irénée de Lyon 240 Lucien d’Antioche 91 Origine 91 2. MODERNES

ABADIE, P. 169 ABBA, R. 221 ACHENBACH, R. 2, 3, 306, 310 ACKERMAN, J.S. 133 ADDA, M. 14, 181 ALAN, P. 270 ALBANESE, M.J. 201 ALBERTZ, R. 33, 35, 53, 58, 120 ALTER, R. 53, 120, 150, 160, 161 AMIT, Y. 136, 140, 141, 157, 159, 181 ANBAR, M. 9 ANDERSEN, F.I. 272, 273 ANDREW, M.E. 122 ANTWI, E.K.E. 17 ARBEITMAN, Y.L. 139, 265 ARIE, E. 261 ARNET, S. 342 ARTUS, O. 29, 143, 177, 178, 223, 328 AUFRÈRE, S.H. 42, 43 AULD, G. 52, 140 AUSLOOS, H. 356 AZZONI, A. 45 BADEN, J.S. 24, 198, 210, 221, 223 BARNOUIN, M. 310 BARTHELEMY, D. 240 BARTUSCH, M.W. 98, 192, 258, 259, 260, 263, 264, 313 BEAUCHAMP, P. 25 BECHTEL, L.M. 210 BECKING, B. 262 BEKINS, P. 163, 165, 184 BEN ZVI, E. 19 BERGSMA, J.S. 141, 159, 359 BERQUIST, J.L. 1 BETLYON, J.W. 337

BILLON, G. 1, 327, 329, 365 BLENKINSOPP, J. 353 BLOCKMAN, N. 280 BLUM, E. 10, 17, 21, 22, 27, 28, 31, 33, 35, 48, 49, 50, 52, 54, 167, 203, 208, 212, 349, 350 BOS J.W.H. 53 BOUHALLIER, A. 278, 282, 286 BOURQUIN, Y. 129 BOYER, F. 2 BRANDEN, A.V.D. 292 BRAULIK, G. 327 BREKELMANS, C. 11 BRESCIANI, E. 45 BRETTLER, M.Z. 328 BRIEND, J. 27, 270 BRUEGGEMANN, W. 3, 120 BURROWS, M. 169, 173 BUSH, F.W. 180 BUSH, G. 126 CAMICHAEL, C.M. 173 CAQUOT, A. 81, 82, 206, 229, 230, 245, 253, 258, 260, 266, 270, 272, 274, 277, 298, 313 CARR, D.M. 20, 22, 29, 51, 116, 216, 247 CARMICHAEL, C.M. 207 CARMIGNAC, J. 240 CASSIRER, M. 309 CASSUTO, U. 126, 127 CATASTINI, A. 15 CHAN, M.J. 3, 347 CLIFFORD, R.J. 3, 55, 134 COATS, G.W. 55 COHEN, M. 82 COGAN, M. 21

INDEX ONOMASTIQUE

COPPENS, J. 279 COTHENET, É. 240 CRAIGIE, P.C. 263 CROSS, F.M. 218, 263 CURTIS, E.M. 182 DAHAN, G. 1, 365 DAHOOD, M.J. 81 DAVIES, E.W. 143, 169, 170, 171, 172, 173, 175, 179, 305, 306 DAVIES, G. 19 DAVIES, P.R. 44, 204, 315, 357 DIEBNER, B.J. 15, 27, 33, 34, 35, 189 DIETRICH, W. 12, 51 DONNER, H. 24, 255, 256 DOTHAN, M.M. 259, 261 DOTHAN, T. 259, 261 DRIVER, D.R. 128 DRIVER, S.R. 27 DUBOVSKY, P. 163 DUGUID, I.M. 243 DUPONT-SOMMER, A. 181 DUSEK, J. 349 EBACH, J. 134, 141, 154, 161, 165, 184, 217, 293, 301 EDE, F. 29, 33, 137, 146, 148, 152, 155, 156, 169, 199, 20257, 248, 358 EDELMAN, D.V. 44, 204, 315, 352, 353, 357 EIΒFELDT, O. 82, 91, 96, 102, 105, 108, 197, 272, 291 EISENBERG, J. 141, 147, 151, 169 EMERTON, J.A. 63, 64, 74, 91, 135, 136, 156, 158, 159, 175, 180 EPHRAÏM, S. 270 FABRY, H.J. 327 FANTALKIN, A. 337 FAUST, A. 136 FEGHALI, P. 90 FEICHTINGER, D. 57, 342 FENTRESS-WILLIAMS, J. 141, 149 FINKELSTEIN, I. 30, 44, 219, 220, 262, 267, 276, 348, 353 FISHBANE, M.A. 243 FLEISHMAN, J. 207, 210, 214 FOX, E. 134 FOX, M.V. 8, 162 FREEDMAN, D.N. 263 FREI, P. 336 FREVEL, C. 309 FROLOV, S. 235, 238

433

GAL, Z. 254, 256 GALVIN, G. 2 GARBINI, G. 133, 198, 203, 233, 245, 300 GARCIA LOPEZ, F. 28, 163, 194 GARDINER, H. 43, 44 GARRONE, D. 210, 213 GENUNG, M.C. 131 GEVIRTZ, S. 196, 197, 200, 201, 228, 234, 235, 272 GEWIRTZ, S. 99, 100, 101, 104 GIBERT, P. 3 GIFFONE, B.D. 30 GOLDIN, J. 3 GOLKA, F.W. 53, 120 GOOD, E.M. 151, 200, 227, 242 GOSSE, B. 3, 231 GRANEROD, G. 357 GRAVETT, S. 210 GREEN, B. 49 GREIFENHAGEN, F.V. 337, 338, 340, 341 GRELOT, P. 44, 143, 297 GROSS, W. 261 GROSSE, B. 141, 147, 151, 169 GROSSFELD, B. 200 GROSSMAN, J. 26 GUERIN, C. 39 GUILLAUME, P. 280 GUNKEL, H. 16, 23, 50, 118, 157, 189, 192, 197, 250, 254, 258, 269, 270, 272, 273, 277, 279, 281, 285, 299 HAMILTON, V.P. 68, 120, 136, 142, 143, 147, 272, 279 HARAN, M. 222 HARL, M. 61, 64, 71, 73, 78, 92, 95, 99, 101, 103, 105, 112, 192, 198 HECK, J.D. 187 HEIJNE, C.V. 37 HEMMERDINGER, B. 240 HENSEL, B. 350, 351 HILLEL, G. 270 HILLEL, V. 102 HJELM, I. 350 HOBSON, R. 219 HOLLANDER, H.W. 199 HOOFT, G. 225 HOOP, R. DE 187, 196, 198, 199, 200, 211, 213, 214, 215, 217, 218, 228, 235, 237, 238, 247, 311 HOWARD, J. 90 HUDDLESTUN, J.R. 69, 148

434

INDEX ONOMASTIQUE

HUMBERT, J.B. 270 HUSSER, J.M. 20, 37, 38, 51, 189 HUTTON, J.M. 221 HUTZLI, J. 224, 225 ISAIAH, S.

291

JACKSON, B.S. 178, 180 JEON, J. 223 JONGE, M.D. 199 JOSEPH, A. 270 JOÜON, P. 79, 80, 92 KAMHID, J. 86 KAPELRUD, A.S. 245 KATZ, H. 136 KEBEKUS, N. 12, 13 KESSLER, J. 354 KEVERS, P. 211 KIM, D. 56 KIM, H.C.P. 47 KIPASA, P.M. 124, 138, 145, 164 KISLEV, I. 224, 305, 306 KITCHEN, K.A. 172 KNOHL, I. 221 KNOPPERS, G.N. 349, 351, 359 KOOPMANS, W.T. 8 KRATZ, R.G. 3, 27, 31, 32, 33, 34, 35, 357 KRAUT, J. 132 KRISEL, W. 353 KRÜGER, T. 55, 56 KRUSCHWITZ, J. 149 KUGEL, J.L. 199 KUNZ, A. 14, 38 LAATO, A. 238 LABUSCHAGNE, C.J. 313 LACHEMAN, E.R. 173 LAMBE, A.J. 120, 124, 132, 134, 155 LANOIR, C. 140, 181 LAWRENCE, P.J.N. 172 LE BOULLUEC, A. 1,365 LE DÉAUT, R. 80, 103 LEE, K.D. 192 LEE, K.J. 336 LEFEBVRE, G. 163 LEMAIRE, A. 8 LESKE, A.M. 243 LEUCHTER, M. 158 LEVIN, C. 52, 149, 155, 157, 158, 166 LEVIN, Y. 29, 218 LIGNEE, H. 240

LINDBLOM, J. 236, 237, 238, 249, 276 LINDENBERGER, J.M. 42 LIPINSKI, E. 151, 152 LIPSCHITS, O. 30, 352, 353 LITT, D. 170 LIVERANI, M. 308, 309 LOEWENSTAMM, S.E. 133, 319, 320, 321, 322 LONGACRE, R.E. 25, 55 LOWENTHAL, E.I. 25 LUNN, N.P. 190, 293, 325 LUST, J. 187, 236, 238, 239, 240 LUTHER, B. 32 LUTZKY, H.C. 291 MACCHI, J.D. 18, 20, 26, 46, 58, 62, 78, 86, 91, 92, 101, 133, 187, 189, 191, 192, 193, 194, 196, 197, 198, 199, 201, 202, 210, 211, 212, 213, 218, 219, 220, 226, 232, 238, 239, 242, 243, 244, 245, 246, 247, 250, 251, 253, 254, 256, 257, 259, 264, 266, 267, 270, 271, 273, 275, 277, 279, 280, 286, 288, 294, 301, 302, 307, 308, 310, 311, 313, 314, 315 MACUCH, R. 79, 81, 227 MAGEN, Y. 349 MAHER, M. 80 MANN, T. 1 MARGAIN, J. 106 MARGALITH, O. 261 MARGUERAT, D. 129 MARGULIS, B. 239 MARKL, D. 38 MARTIN-ACHARD, R. 116 MARX, A. 90, 229, 231, 237, 248 MARZOUK, S. 47 MÄKIPELTO, V. 9 MATTHEWS, K.A. 188 MATTHEWS, V.H. 148 MAYES, A.D.H. 42 MCKEOWN, J. 167 MCNAMARA, M. 80 MELEZE-MODRZEJEWSKI, J. 44 MEINHOLD, A. 37, 38 MENN, E.M. 176, 181 MICHAEL, M. 188 MILIK, J.T. 240 MONROE, L. 13 MONSENGWO-PASINVA, L. 235, 240 MOOR, J.C.D. 206, 311, 318 MUMFORD, G.D. 261, 262

INDEX ONOMASTIQUE

NA’AMAN, N. 13, 264, 301, 352, 353 NEUFELD, E. 170, 171, 179 NGUYEN CHI, A. 130 NICCUM, C. 90 NICOL, G.G. 200, 20257 NIDITCH, S. 172 NIE, J.L. 130 NIHAN, C. 9, 44, 204, 315, 349, 357 NOBLE, P.R. 130 NOCQUET, D. 2, 17, 47, 132, 143, 204, 210, 212, 213, 277, 288, 327, 329, 342, 346, 351, 357, 358 NODET, É. 359 NOËL, D. 253, 257 NOTH, M. 16, 17, 31, 51, 118, 136, 217, 308, 363 NUTKOWICZ, H. 45 OBSOMER, C. 42 O’BRIEN, J.M. 222 O’BRIEN, M.A. 246 O’CALLAGHAN, M. 124 OLADOSU, O.A. 174 OLANISEBE, S.O. 174 OLSON, D.T. 305 OTTO, E. 2, 3, 9, 10, 11, 19, 57, 146, 170, 172, 173, 193, 203 PEHLKE, H. 278, 282, 283, 284, 287, 290, 292, 293, 299 PENICAUD, A. 25 PETERSEN, D.L. 243 PHILONENKO, M. 181 PINKER, A. 339, 340 PIOVANELLI, P. 44 PIRSON, R. 26 POLA, T. 18 PRIGENT, P. 240 PUECH, E. 81, 88, 100, 168, 240, 288, 293 PUMMER, R. 349, 351, 357 PURY, A. DE. 2, 34, 51, 182, 203, 254, 269, 279, 292, 299, 330, 338, 341, 346, 347

285,

262, 211, 336,

RAD, G. VON. 2, 3, 8, 12, 16, 23, 50, 55, 118, 119, 120, 135, 153, 162, 189 RAHLFS, A. 98 RAMOND, S. 14 REDFORD, D.B. 12, 24, 39, 40, 41, 42, 53, 54, 55, 120, 337, 340, 341, 357 REES, A. 224

435

REISS, M. 140 RENDSBURG, G.A. 140 RENDTORFF, R. 20, 26, 27 ROBKER, J.M. 231, 232 ROETMAN, J.A. 225 RÖMER, T. 1, 2, 3, 4, 7, 10, 13, 14, 18, 19, 20, 22, 25, 26, 34, 36, 38, 40, 41, 43, 44, 47, 51, 62, 118, 128, 162, 165, 166, 189, 219, 220, 224, 236, 247, 254, 267, 269, 276, 279, 288, 299, 306, 310, 326, 328, 329, 330, 336, 338, 340, 341, 346, 347, 348, 354, 357 ROSEN-ZVI, I. 199 ROSENBERG, R.A. 90 ROSENTHAL, L.A. 37, 38 ROSS, A.P. 188 ROUSSEAU, A. 240 RUBIN, A.D. 79 RUDOLPH, W. 23, 24, 51, 136 RUPPERT, L. 65, 84, 156 RUSSELL, S.C. 12 RUTENBECK, N.E. 53 SALM, E. 155, 156 SALS, U. 232 SCHIPPER, B.U. 39, 42, 44, 45 SCHMID, K. 3, 8, 11, 14, 18, 19, 37, 38, 51, 58, 254, 269, 279, 299, 327, 328, 329, 330, 336, 351 SCHMIDT, L. 20 SCHMITT, H.C. 23, 52, 56, 140, 145 SCHORCH, S. 61, 351 SCHORN, U. 311, 312 SCHUNCK, K.D. 353 SCHWARTZ, B.J. 24 SEEBASS, H. 4, 200, 247, 347, 359 SEIDER, A. 172 SENECHAL, V. 338 SETERS, J.V. 9 SHARON, D.M. 124 SHEMESH, Y. 210 SHIELDS, M.E. 139, 149 SHMUEL, A. 253 SHUPAK, N. 26, 42, 43, 162 SILBERMAN, N.A. 44, 262 SILVA, A.D. 26 SKA, J.L. 1, 2, 5, 25, 29, 45, 53, 118, 119, 130, 131, 142, 143, 161, 162, 175, 178, 183, 336, 339 SKINNER, J. 55, 203, 250, 251, 252 SOGGIN, J.A. 8, 15, 69, 150

436

INDEX ONOMASTIQUE

SONNET, J.P. 5, 124, 128, 129 SPARKS, K.L. 198, 216, 302, 311, 312, 314, 315 SPEISER, E.A. 3, 120, 173, 279 SPERLING, D.S. 8 SPURLING, H. 90 SPURRELL, G.J. 98 STAGER, L.E. 312 STEINER, R.C. 77, 79, 89, 91, 238 STERN, E. 349 STERNBERG, M. 210 STEYMANS, H.U. 327 SWEENEY, M.A. 232 SWENSON, K.M. 107, 293 SYRÉN, R. 133, 198, 200, 201 TAL, A. 61, 84, 95, 98, 99, 101 TAL, O. 337 TARLIN, J.W. 149 THOMPSON, D. 180 THOMPSON, T.L. 180 TOORN, K. VAN DER 357 TOV, E. 82, 83, 84, 92, 95, 98, 102, 105, 111 TWERSKY, G. 277, 292, 293 UEHLINGER, C. 3, 18, 20, 25, 26, 30, 45, 46, 51, 57, 58, 189, 353, 359 ULLENDORFF, E. 82 VAN SETERS, J. 28, 51 VAUX, R. DE 136, 308, 310 VAWTER, B. 3, 120, 218, 220 VAYNTRUB, J. 140 VERGOTE, J. 12, 15 VIEZEL, E. 155 WAERDEN, B.L. VAN DER 309 WALLACE, H.N. 244 WATSON, W.G.E. 84, 227 WAY, K.C. 243 WEIMAR, P. 3, 184 WEINGART, K. 21, 22, 29, 49, 349, 350

WEINSTEIN, B. 203, 204 WEISBERG, D.E. 171, 172, 175, 178, 180 WELLHAUSEN, J. 2, 16, 23, 118, 189 WENHAM, G.J. 29, 51, 127, 131, 136, 137, 139, 142, 147, 148, 149, 150, 152, 154, 196, 199, 214, 219, 233, 242, 258, 259, 260, 265, 269, 270, 271, 273, 279, 282, 286, 287, 320 WENIN, A. 24, 25, 53, 127, 134, 139, 145, 148, 149, 233, 361 WERMAN, C. 221, 222 WESTBROOK, R. 143, 170, 171, 175, 179 WESTERMANN, C. 27, 28, 55, 62, 64, 90, 137, 138, 139, 144, 146, 148, 149, 150, 153, 162, 189, 194, 196, 205, 206, 208, 214, 218, 220, 228, 236, 237, 238, 240, 242, 245, 247, 250, 251, 255, 256, 258, 263, 264, 265, 269, 271, 272, 277, 278, 284, 289, 290, 292, 298 WEVERS, J.W. 62, 64, 72 WHITE, H.C. 25 WILLIAMS, P.J. 318 WILLIS, T.M. 170 WILSON, I.D. 3, 347, 348 WILSON, R.R. 219 WINNETT, F.V. 23, 24, 53 WINSLOW, K.S. 180, 181 WINTERMUTE, O.S. 199 WÖHRLE, J. 19, 50 WOLDE, E.J. 52, 168, 183 WÜNCH, H.G. 134 YADIN, Y. 260, 261 YOUNG, D.W. 82, 83 ZENGER, E. 327, 363 ZHANG, X.H. 130 ZIVIE, A. 42 ZLOTNICK-SIVAN, H. 224 ZOBEL, H.J. 278 ZUKER, D.J. 140

TABLE DES MATIÈRES REMERCIEMENT . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

VII

PRÉFACE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

IX

ABRÉVIATIONS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

XI

INTRODUCTION GÉNÉRALE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

1

CHAPITRE I. L’HISTOIRE DE LA RECHERCHE SUR LA RÉDACTION DU CYCLE DE JOSEPH . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

7

1. Le résumé historiographique de Jos 24 . . . . . . . . . . . . . 1.1. La question des credos . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1.2. La remise en question de l’ancienneté de Jos 24 . . . . . 1.3. Un Joseph « récent » ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1.4. Bilan . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2. La datation de l’insertion de l’histoire de Joseph . . . . . . . . 2.1. La suture P Gen-Exode est-elle postérieure au cycle de Joseph ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.2. La suture P Gen-Exode est-elle antérieure au cycle de Joseph ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.3. Bilan . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3. La formation du cycle de Joseph . . . . . . . . . . . . . . . . 3.1. La question des doublets (Doppelungen) et la solution possible . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.2. Le modèle des fragments . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.3. La théorie d’une nouvelle de la diaspora . . . . . . . . . . 3.4. Bilan . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4. La fonction de Gn 38 et de Gn 49 . . . . . . . . . . . . . . . . 4.1. Les difficultés d’approche de ces deux chapitres . . . . . 4.2. Principales hypothèses concernant Gn 38 et Gn 49 . . . . 4.3. Gn 38 et Gn 49 dans le cycle de Joseph et la formation du Pentateuque . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4.4. Bilan. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5. Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

7 7 9 11 15 16 16 17 21 22 22 26 36 50 50 50 51 55 59 59

438

TABLE DES MATIÈRES

CHAPITRE II. TRADUCTION ET CRITIQUE TEXTUELLE DE GN 38 ET GN 49 1. Traduction et critique textuelle de Gn 38 . 1.1. Bilan . . . . . . . . . . . . . . . . . 1.2. Conclusion . . . . . . . . . . . . . . 2. Traduction et critique textuelle de Gn 49 . 2.1. Introduction du discours : vv. 1-2 . . 2.2. Ruben : vv.3-4 . . . . . . . . . . . . 2.3. Siméon et Lévi : vv.5-7 . . . . . . . 2.4. Juda : vv.8-12 . . . . . . . . . . . . . 2.5. Zabulon : v.13 . . . . . . . . . . . . 2.6. Issachar : vv.14-15 . . . . . . . . . . 2.7. Dan : vv.16-18 . . . . . . . . . . . . 2.8. Gad : v.19 . . . . . . . . . . . . . . . 2.9. Aser : v.20 . . . . . . . . . . . . . . 2.10. Nephtali : v.21 . . . . . . . . . . . . 2.11. Joseph : vv.22-26 . . . . . . . . . . 2.12. Benjamin : v.27 . . . . . . . . . . . 2.13. La fin du discours : v.28 . . . . . . 2.14. Le souhait de Jacob : vv.29-33 . . . 2.15. Bilan . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.16. Conclusion . . . . . . . . . . . . . .

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61 62 74 75 76 76 77 80 86 94 94 97 99 99 100 102 108 109 109 111 116

CHAPITRE III. ANALYSE LITTÉRAIRE DE GN 38. . . . . . . . . . . . 118 1. Délimitation de Gn 38 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1.1. Wiederaufnahme : une continuité littéraire entre Gn 37 et Gn 39 ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1.2. Gn 38, un chapitre isolé ? . . . . . . . . . . . . . . . . . 1.3. Unité narrative . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1.4. Bilan . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2. Analyse structurelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.1. Le cadre temporel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.2. Repérage du vocabulaire structurant . . . . . . . . . . . . 2.3. Proposition de structure du chapitre . . . . . . . . . . . . 2.4. Bilan . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3. Analyse narrative . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.1. La question chronologique, problème insoluble ? . . . . . 3.2. L’analyse de l’intrigue . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.3. Le parallélisme : intrigue de Joseph en Égypte . . . . . . 3.4. La transformation de Juda . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.5. Bilan . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

118 118 119 120 121 121 121 122 124 125 125 125 128 129 130 134

439

TABLE DES MATIÈRES

4. Critique littéraire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4.1. L’analyse des versets . . . . . . . . . . . . . . . . . 4.2. L’histoire de la rédaction . . . . . . . . . . . . . . . 4.3. Bilan . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5. Le contexte de Gn 38 : les récits sur Joseph . . . . . . . 5.1. De Gn 37 à Gn 38, de Jacob à Juda . . . . . . . . . 5.2. De Gn 38 à Gn 39, deux frères face à deux femmes 5.3. Bilan . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6. Critique socio-historique et intertextuelle . . . . . . . . . 6.1. Les liens littéraires entre Gn 38 et le livre de Ruth . 6.2. La loi du lévirat . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6.3. Le mariage mixte . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7. Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

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. . . . . . . . . . . . .

135 135 157 159 160 160 161 168 168 168 169 180 184

CHAPITRE IV. ANALYSE LITTÉRAIRE DE GN 49 . . . . . . . . . . . . 187 1. Remarques préliminaires de Gn 49 dans le cycle de Joseph . . 1.1. Délimitation de la péricope . . . . . . . . . . . . . . . . . 1.2. Plan du chapitre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2. L’analyse littéraire du discours tribal (vv.1-28) . . . . . . . . . 2.1. Le cadre général du discours (vv.1-2.28) . . . . . . . . . 2.2. Les tribus maudites : Ruben, Siméon et Levi (vv.3-7) . . 2.3. Juda (vv.8-12) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.4. Les six autres fils . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.5. Joseph (vv.22-26) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.6. Benjamin (v.27) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3. La disposition littéraire des douze tribus . . . . . . . . . . . . 3.1. Première observation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.2. Le cycle de Joseph : Gn 46 et Gn 49 . . . . . . . . . . . 3.3. Les listes des tribus du livre des Nombres : Nb 1 et Nb 26 3.4. Pourquoi douze ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.5. Jg 5 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.6. Dt 33 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.7. La liste du proto-Gn 49 ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.8. Bilan . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4. L’analyse littéraire de l’ordre de Jacob et sa mort (vv.29-33) . 4.1. La structure . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4.2. L’analyse des versets . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4.3. L’ordre de Jacob à Joseph ou à ses douze fils provient-il de deux sources ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4.4. La comparaison des dernières paroles de Jacob avec celles de Joseph . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

187 187 190 191 191 196 227 249 277 298 302 302 303 305 308 311 313 314 317 318 318 319 322 323

440

TABLE DES MATIÈRES

5. La comparaison de la fin de Jacob (Gn 49–50) avec celle de Moïse (Dt 33–34) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 327 6. Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 330 CHAPITRE V. PRINCIPAUX RÉSULTATS DE L’ÉTUDE DE GN 38 ET GN 49 333 1. La composition et la fonction littéraires de Gn 38 et Gn 49 dans le contexte du cycle de Joseph et du Pentateuque . . . . . . . 2. Étude socio-historique des récits de Gn 37–50 : un débat concernant l’identité de la communauté d’Israël . . . . . . . . . 2.1. Le contexte socio-historique du cycle de Joseph et du Pentateuque . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.2. Le débat concernant l’identité d’Israël dans le cycle de Joseph . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3. Interprétation socio-historique du cycle de Joseph . . . . . . . 3.1. L’identité de la communauté d’Israël en diaspora et en Samarie-Judée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.2. L’identité de la communauté d’Israël à Babylone et en Égypte . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3.3. Les spécificités judéenne et/ou samarienne de la communauté post-exilique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4. Le cycle de Joseph et la construction du Pentateuque . . . . . 5. Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

333 336 336 342 344 345 346 348 354 357

CONCLUSION GÉNÉRALE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 361 ANNEXE 1 : CARTE D’ÉGYPTE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 366 ANNEXE 2 : CHRONOLOGIE PROPOSÉE PAR LES RÉCITS FORMANT L’HIS. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 367

TOIRE DE JOSEPH

ANNEXE 3 : LA FAMILLE DE JACOB/ISRAËL . . . . . . . . . . . . . . 368 ANNEXE 4 :

RECONSTRUCTION DES DIFFÉRENTES COUCHES EN

ANNEXE 5 :

LA RÉGION DE

BABYLONIENS

GN 39 369

BENJAMIN SOUS LE GOUVERNEMENT DES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 371

ANNEXE 6 : L’ÉCRIT P DANS LE CYCLE DE JOSEPH : LA DESCENTE DE LA FAMILLE DE JACOB EN ÉGYPTE . . . . . . . . . . . . . . . . . . 372 BIBLIOGRAPHIE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 373 INDEX . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 407

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