La production des grands ensembles 9783110569025, 9783110566192

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La production des grands ensembles
 9783110569025, 9783110566192

Table of contents :
Introduction
Première Partie. Analyse de l’ensemble du processus de réalisation
Deuxième Partie. Les conditions historiques de la politique des grands ensembles
Troisième Partie. Le problème foncier
Quatrième Partie. La maîtrise des procès de production des éléments de l’ensemble
Cinquième Partie. L’unité du produit et le problème de la maîtrise du procès d’ensemble
Sixième Partie. Capital productif et procès de production
Conclusion
Annexes
Table des matières

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LA PRODUCTION DES GRANDS ENSEMBLES

La recherche urbaine 3

MOUTON • PARIS • LA HAYE

EDMOND PRETECEILLE

La production des grands ensembles

MOUTON • PARIS • LA HAYE

Ouvrage publié avec le concours de la VIe Section de l'Ecole Pratique

des Hautes

Etudes

Library of Congress Catalog Card Number : 72-93037 Couverture de Jurriaan Schrofer © 1973 Ecole Pratique des Hautes Etudes (VIe Section) and Mouton & Co. Imprimé en France

Introduction

1. L'OBJET DE LA RECHERCHE

1

La question des grands ensembles n'est certes pas une question nouvelle. Depuis le début des années cinquante, elle a défrayé la chronique à de nombreuses occasions, sur des registres divers allant de la boue des chantiers permanents à la délinquance juvénile, en passant par le sous-équipement chronique, l'anonymat, la prostitution, les charges locatives. Forme typique de l'urbanisation accélérée qu'a connue la France depuis la Seconde Guerre mondiale — quelle ville n'a pas son grand ensemble, sa « Zone à urbaniser en priorité » ? — en même temps que lieu de conflits sociaux latents ou ouverts, les grands ensembles ont constitué un sujet de prédilection pour la sociologie urbaine qui s'est beaucoup intéressée à leurs habitants et à leurs problèmes, comme le montre une bibliographie abondante 2 . On dispose donc de nombreuses études, essentiellement descriptives, sur la population, sur les « niveaux de satisfaction », sur la vie sociale ; on trouve également un certain nombre d'études, le plus souvent monographiques, sur les caractéristiques des grands ensembles du point de vue des types de logement qui y sont construits, de la densité, des équipements réalisés. Sujet très étudié donc, et pourtant objet social peu analysé. Effet d'un postulat écologique plus ou moins explicite ou fascination par les formes spatiales, toujours est-il que la spécificité du grand ensemble est plus souvent posée en termes géographiques, architecturaux ou administratifs, qu'en termes proprement sociaux. Et les tentatives de définition du grand ensemble, appuyées sur des critères 1. Cette recherche, financée par le District de la Région parisienne, a été réalisée au Centre de sociologie urbaine, avec la collaboration de Ginette Tornikian, pour la phase d'enquête, et d'Annie Ruas, pour le traitement de l'information recueillie. 2. Cf. B. Lamy, Les nouveaux ensembles d'habitation et leur environnement, Paris, Centre de sociologie urbaine, 1971.

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des grands

ensembles

purement empiriques, sont impuissantes à cerner leur objet : procédure foncière, nombre de logements, niveau d'équipement, discontinuité spatiale, architecture, opération sociale... ? Faut-il alors se résigner à la dissolution de l'objet dans une constellation d'opérations diverses — diversité encore accentuée lorsqu'on prend en compte l'évolution historique — où le grand ensemble ne serait plus qu'un « type idéal », ou une moyenne ? Pourtant, l'idéologie quotidienne, diffusée par les moyens d'information, recueillie au cours d'enquêtes, persiste à donner de cette diversité l'écho d'une réalité sociale commune. Echo que l'on retrouve aussi dans les préoccupations exprimées au niveau de l'Etat, sous la forme d'une « politique des grands ensembles » apparue au milieu des années cinquante et poursuivie depuis à travers diverses fluctuations. Ces deux éléments soulignent en particulier l'idée du caractère « volontariste » des grands ensembles, opposés à des processus d'urbanisation qui seraient plus « spontanés » ; ce qui suggère de s'intéresser de plus près au mode concret de réalisation de ces opérations, et recoupe deux niveaux d'interrogation différents. Sur un plan à la fois pratique et empirique, un des problèmes importants des grands ensembles, tant du point de vue des habitants que des municipalités ou de l'Administration, est celui de l'altération des réalisations par rapport aux projets initiaux : non-réalisation d'équipements, densification par augmentation du nombre des logements, rétrécissement des espaces verts ou de jeu et envahissement par les parkings, augmentation des coûts, des prix, des charges. Sur le plan de la réflexion théorique, on rejoint là un des aspects les plus positifs du développement des recherches sur l'urbanisation au cours de ces dernières années. Quittant résolument le terrain du discours philosophique ou simplement idéologique, ou de l'empirisme aveugle qui lui est complémentaire, un certain nombre de travaux se sont attachés à l'analyse concrète des processus d'urbanisation, des rapports sociaux constitutifs de ces processus et des agents sociaux supports de ces rapports. Dans cette perspective, les grands ensembles sont particulièrement intéressants à étudier, à la fois comme forme typique du développement urbain dans la période actuelle et comme forme impliquant dans un même processus des agents sociaux présents ailleurs en ordre dispersé, comme lieu d'articulation plus apparente qu'ailleurs de rapports politiques, de production, de consommation ; insistons sur l'actualité des grands ensembles, même s'ils se cachent sous des formes et des appellations diverses ; insistons également sur l'importance de la perspective de recherche : par rapport à la campagne actuelle sur 1'« environnement » ou le « cadre de vie », il est essentiel d'approfondir l'analyse des déterminations sociales

Introduction

1

des conditions d'appropriation de l'espace, trop souvent escamotées par des dénonciations abstraites ou des tentatives de culpabilisation généralisée. La recherche dont les résultats sont présentés ici est un essai d'analyse de ces déterminations à partir d'un champ empirique limité. Il s'agissait de comprendre, dans le cas précis de six grands ensembles de la région parisienne, comment étaient définies, au cours des processus de réalisation, les caractéristiques de ces ensembles observées a posteriori, notre hypothèse étant de rechercher ces déterminations, non dans des explications psychologisantes sur l'autorité ou la personnalité de tel protagoniste, ou dans des interactions ou conflits entre « acteurs », mais dans les déterminations sociales plus profondes qui définissent les agents comme agents sociaux. Notre projet était donc de tenter d'analyser les processus de réalisation comme des ensembles articulés de rapports sociaux : rapports sociaux de production, tant dans le sens le plus général que dans les formes concrètes du travail productif et de la division de ce travail pour la production des espaces bâtis ; rapports sociaux qui caractérisent le rôle de l'Etat dans ses différents éléments, rôle économique, politique, idéologique. Dans cette perspective, un agent concret peut être le support simultané de plusieurs rapports sociaux (ainsi un architecte peut être à la fois un travailleur engagé dans la production, en tant qu'il participe à la définition du projet et à sa réalisation, et un entrepreneur capitaliste... en tant que patron d'agence s'appropriant la plus-value produite par ses « nègres »). A travers l'information fournie par et sur les agents concrets, il faut déchiffrer les rapports sociaux impliqués, et saisir leurs articulations. Travail complexe : pour arriver à rendre compte des caractères du produit final, le grand ensemble, même en nous limitant à ses caractéristiques d'objet matériel, il faut considérer : l'organisation du procès de production des espaces bâtis, les formes des forces productives et de la division du travail ; les formes de circulation et de mise en valeur, dans le secteur immobilier, du capital, public et privé ; les rapports entre capital et propriété foncière ; l'intervention de l'Etat dans le mouvement d'accumulation capitaliste, dans la reproduction de la force de travail, etc. De plus, il faut considérer l'évolution de ces différents rapports, tant dans leur évolution particulière que dans l'évolution de leur place dans le mouvement d'ensemble de la formation sociale. A ce point, il est clair qu'une telle visée théorique excédait très largement les possibilités d'une étude dont la forme était relativement pré-définie, surtout dans son champ empirique. Nous avons donc essentiellement développé les éléments théoriques qui étaient nécessaires pour rendre compte de notre objet, dont l'ex-

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des grands

ensembles

posé s'appuie sur les résultats de l'enquête, en y ajoutant toutefois, là où nous ne pouvions nous appuyer sur des travaux existants, un certain nombre d'hypothèses. Ces hypothèses ne sont donc pas développées ni confirmées, ceci étant renvoyé à des travaux ultérieurs. Il convient d'ailleurs de souligner ici le caractère collectif du travail dans lequel s'insère le présent texte : tout d'abord par rapport à l'équipe du Centre de sociologie urbaine, ce texte étant, par de nombreux aspects, la cristallisation d'une réflexion collective ; audelà, par rapport à de nombreux autres travaux de sociologie urbaine, de sociologie tout court, d'économie politique... Si le sens de la pratique scientifique est bien « la reproduction du concret sous la forme du concret pensé », seule l'articulation des différents éléments du travail collectif permet cette reproduction.

II.

L E DÉROULEMENT D E LA

RECHERCHE

1. Les critères de choix des ensembles

étudiés

Six ensembles ont été choisis parmi les opérations de plus de 1 000 logements de la Région parisienne, en fonction des critères suivants : — diversité des jugements émis par les experts consultés, afin d'étudier aussi bien des opérations considérées comme « réussies », que d'autres « ratées », — un certain étalement dans le temps des dates de début des opérations afin de pouvoir saisir d'éventuelles évolutions, — des statuts administratifs différents (de la Zone à urbaniser en priorité à l'opération privée), — une certaine variété de promoteurs immobiliers, — une certaine diversité de « couleur » politique locale (municipalités), — plus secondairement, la taille des opérations, les formes d'organisation de l'espace, jusqu'à l'architecture des bâtiments, présentent des différences notables. Ces différents critères ne sont pas indépendants (par exemple : âgestatut, ou statut-type de promoteur..), mais nous n'avions bien sûr pas d'intentions statistiques, nous voulions surtout éviter de nous enfermer dans des cas trop particuliers, pour analyser notre objet

Introduction

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dans la diversité de ses formes. On trouvera en Annexe (tableau 1) une présentation générale des six ensembles.

2.

L'enquête

a) A partir d'une liste a priori des agents ayant participé à une opération, liste comprenant : — — — — — — — — — —

propriétaire(s) foncier(s) antérieur(s) et acheteur, aménageur du terrain, promoteur(s) immobilier(s), financiers, municipalités, services départementaux et centraux du Ministère de l'équipement et du logement, architecte en chef, architectes d'opérations, bureaux d'études techniques, entreprises de construction.

Nous avons, dans la limite des moyens dont nous disposions, interviewé toutes les personnes qui nous ont paru, au cours de l'enquête, susceptibles de nous fournir des informations intéressantes sur une opération : ceci très empiriquement, en tenant compte à la fois des noms qui nous étaient indiqués dans les entretiens, et de la nécessité de connaître des points de vue contrastés. Leur intérêt pour l'étude ayant été jugé moins important, les propriétaires fonciers antérieurs, financiers et bureaux d'études techniques ont été abandonnés. De plus, un certain nombre de personnes n'ont pas pu ou voulu nous recevoir. L'information ainsi recueillie (une trentaine d'entretiens) a été complétée par le dépouillement de publications diverses, journaux, revues, études, discours... Par contre, nous n'avons eu que peu d'accès aux documents administratifs ; une des difficultés rencontrées sur ce point étant la création, récente par rapport à l'âge des opérations étudiées, des nouveaux départements de la Région parisienne. b) Les entretiens se sont déroulés sur le mode semi-directif. Après présentation de notre étude, nous avons demandé à chaque personne de nous raconter l'histoire de l'opération, en précisant plus particulièrement son intervention propre, la sienne comme celle de l'organisme auquel elle appartient.

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La production

des grands

ensembles

La réponse obtenue, en général assez riche, était complétée par des questions qui nous étaient inspirées par la réponse elle-même ou par les points non abordés d'un plan d'entretien établi au départ pour chaque type d'agent, plan enrichi au f u r et à mesure et diversifié suivant les opérations.

3. Le traitement

des entretiens

et la présentation

des

résultats3

Les entretiens ont donné lieu à une double exploitation. Tout d'abord, ont été extraites et regroupées systématiquement toutes les informations (quantitatives et qualitatives) permettant de décrire aussi complètement que possible chaque opération. Ceci est moins évident qu'il n'y paraît vu la dispersion de fait de l'information ; le résultat est souvent incomplet, en particulier pour les données financières. Un second traitement a permis de regrouper, pour chaque opération, les informations décrivant les interventions concrètes de chaque agent, les éléments d'explications ou d'opinions sur le comment et le pourquoi, le contexte de chaque intervention, et les effets de ces interventions sur l'opération. Puis, en confrontant les matériaux ainsi rassemblés aux éléments théoriques permettant l'analyse des procès de production, on a essayé de mettre en évidence, derrière l'apparente unité des « acteurs », les différents rapports sociaux dont ils sont les supports, et les effets de ces rapports sur les caractéristiques du produit. Si nous avions au départ un certain nombre de raisons théoriques pour mettre en lumière certains rapports et certains effets, le matériau lui-même, mettant en évidence des difficultés précises, des distorsions, a beaucoup aidé à l'élaboration en appelant à développer certaines questions. Toutefois, on n'a pu de cette manière analyser systématiquement tous les rapports sociaux impliqués, et toutes les caractéristiques des pro3. Le lecteur comprendra aisément qu'il nous ait paru nécessaire de conserver l'anonymat des interviewés — bien qu'aucun d'eux ne l'ait exigé. Certains ont simplement refusé l'usage du magnétophone. Il aurait fallu soumettre à chaque personne citée les déclarations qui lui étaient attribuées. D'autre part, le financement de ce travail étant assuré par l'Administration, il pouvait en résulter des difficultés politiques. Cherchant à mettre en évidence les rapports sociaux derrière les « acteurs », il n'était pas possible de fondre les interviewés dans un anonymat général ; on a donc préféré la solution consistant à laisser anonymes les grands ensembles — qui s'appelleront donc A, B, C, D, E, F — , tout en conservant l'indication de la qualité des interviewés.

Introduction

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duits, comme seule le permettrait une démarche strictement déductive. Faute de l'analyse des grands ensembles en tant que formes sociales spécifiques de consommation par les habitants, les effets et caractéristiques étudiés concrètement sont ceux qui ont été mis en lumière par l'enquête — compte tenu, bien sûr, des hypothèses générales que nous proposons sur la nature sociale du produit grand ensemble. Ont été très utiles la comparaison systématique des divers aspects des six opérations et la préoccupation d'expliquer les différences. La première partie du rapport esquisse le cadre théorique général de l'analyse, et la deuxième donne un certain nombre d'indications pour situer historiquement les opérations, en évoquant les principaux déterminants de la « politique des grands ensembles ». La troisième partie consacrée au problème foncier a été distinguée des suivantes, bien que le problème de l'appropriation des sols soit en fait un élément de la maîtrise des procès de production — maîtrise d'un moyen de production — dans la mesure où ce problème met en évidence des rapports sociaux spécifiques. La quatrième partie est centrée sur l'analyse des différents éléments constitutifs des grands ensembles à partir de l'analyse des rapports de production propres à chacun d'eux et des effets caractéristiques des différents financements. La cinquième partie traite plus spécifiquement du problème clé des grands ensembles : l'unité nécessaire du produit (logements plus équipements) et les problèmes soulevés par la réalisation de cette unité. La sixième partie s'intéresse aux effets de la nature et de l'organisation du capital productif : technologie, division technique et sociale du travail.

PREMIÈRE PARTIE

Analyse de l'ensemble du processus de réalisation

La forme prise par un grand ensemble, et quelquefois son existence même, sont, dans une vision courante, considérées selon des schémas de causalité simple. Ces schémas, d'ailleurs différents suivant les intérêts concernés, relèvent de deux types principaux : — La responsabilité (positive ou négative) peut être attribuée à un individu particulier, quelquefois deux. Le grand ensemble est alors l'œuvre de cet individu, et ses caractéristiques sont le fruit de : son génie, ou sa médiocrité, sa forte personnalité, ses goûts, son sens des affaires... ; il s'agit le plus souvent de l'architecte, du promoteur, du maire, ou de quelque personnalité (politique), ministre ou député. — La responsabilité (plus souvent négative dans ce second cas) peut également être attribuée à des causes « objectives », facteurs ou contraintes. Cette attitude se rencontre surtout chez des gens de la partie. Ces facteurs peuvent être : la rigidité de la réglementation, l'inertie, l'incohérence et l'incapacité bureaucratiques de l'Administration ; l'inéluctable nécessité du profit ou des prix-plafonds ; les goûts de la clientèle ; les contraintes technologiques, etc. Et puis, derrière l'apparente rigueur de ces schémas à causalité simple, se dresse la « complexité » des opérations concrètes, où les interlocuteurs successifs donnent des points de vue différents, mentionnant des causes et des effets différents... Ici s'ouvre la tentation du dénombrement des opinions, ou de l'exploration des univers subjectifs ou systèmes de valeurs, vérité ultime des comportements (?). Notre objet, toutefois, ne pouvait que nous faire éviter cette tentation, comme celle de recourir au « jeu des acteurs », puisqu'il nous fallait rendre compte non pas de comportements, mais de produits. Pour éviter une explication subjective ou unilatérale, il était nécessaire d'essayer de décortiquer l'ensemble des différentes tâches ou activités qui concourent à la réalisation du grand ensemble, et ce en allant aussi loin que possible

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La production

des grands

ensembles

dans la connaissance de leur forme concrète, comme travail et comme rapport social.

I.

L'OPÉRATION

IMMOBILIÈRE

1. Le procès de production a) La division

technique

SIMPLE

du

logement1

du travail

L e travail nécessaire à la production d'un ensemble de logements est constitué de nombreuses tâches élémentaires, qui peuvent évoluer avec l'adoption de nouveaux procédés techniques, qui peuvent également différer suivant le type d'opération. Nous proposerons de distinguer trois catégories de tâches dans ce procès : —





La définition du produit, qui englobe la conception générale des bâtiments et de leur implantation, de leur forme, couleur, aspect esthétique, la conception des logements, de l'équipement des logements, des circulations, la solution des problèmes techniques, la conception des accès et des espaces extérieurs. Ces tâches se traduisent par des plans masses, maquettes, plans d'exécutions, descriptifs... La préparation de la production, qui englobe la définition et la préparation des travaux de construction, leur agencement dans le temps et dans l'espace, la préparation des moyens de production (y compris le sol)... La production proprement dite, dont la forme dépend évidemment des procédés techniques utilisés, du type de matériau, etc., et peut varier considérablement, des formes traditionnelles de construction se déroulant entièrement sur le chantier aux formes les plus récentes d'industrialisation, comprenant la production en usine des éléments constitutifs de

1. Les indications qui suivent sont assez sommaires. Notre analyse ne portant pas sur l'architecture des bâtiments et la conception des logements, mais sur la conception d'ensemble des nouvelles zones urbanisées, nous nous sommes bornés à indiquer les principaux éléments nécessaires. Certains seront repris et développés dans la VI e partie.

Analyse de l'ensemble du processus de réalisation

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la construction, leur transport et leur assemblage plus ou moins complexe, sur le chantier. Bien que notre présentation, faute d'une théorie solide sur ce point, soit essentiellement descriptive, il ne faut pas y chercher l'analyse des phases successives d'un procès de travail concret, mais plutôt l'esquisse d'une analyse des tâches élémentaires du procès de production, des différents éléments du travail humain nécessaire. Cette mise en garde est importante pour plusieurs raisons : — Il n'y a pas de « succession chronologique » de ces tâches. Ainsi, par exemple, le travail de conception s'inspire de l'expérience de procès de production antérieurs, d'information sur les matériaux, procédés... disponibles, de la publicité des entreprises... Il est donc à la fois antérieur et postérieur à la production (considérée bien sûr dans son ensemble, non pas du point de vue d'un procès de production particulier). — Cette division technique du travail, malgré son nom, n'est pas le pur produit d'une nécessité qui serait « purement technique », elle est intimement liée à la division sociale du travail et à son évolution, c'est-à-dire à la répartition de ces différentes tâches entre les agents sociaux participant au procès, au mode d'exécution de ces tâches par chaque agent et aux rapports entre les agents. Ainsi, la véritable opposition qui est opérée entre les tâches de conception (nobles) et d'exécution matérielle (viles, mécaniques, répétitives...) est un aspect particulier de l'opposition entre le travail manuel et le travail intellectuel particulièrement développée par le mode de production capitaliste. — Il n'y a pas de correspondance entre une tâche et un agent, mais des répartitions fluctuantes, en fonction de l'agent dominant, et de ses rapports avec les autres. b) La division sociale du travail Ces différentes tâches se trouvent regroupées dans l'intervention d'un certain nombre d'agents : — — — —

le promoteur, l'architecte, le bureau d'études techniques, les entreprises.

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La production

des grands

ensembles

Précisons tout de suite que ces agents ne sont pas, sauf exception, des individus, ainsi le promoteur est une société de promotion immobilière, dont l'organisation peut être très variée, de la Société civile immobilière à l'Office public d'HLM, l'architecte est une agence d'architecture, qui peut fonctionner sur le mode artisanal ou capitaliste. La définition de l'intervention d'un agent est variable, tant historiquement que dans des opérations contemporaines. Il faudrait ici disposer d'une étude approfondie de chaque type d'agent, ce qui n'est le cas que pour les promoteurs immobiliers « privés » 2 ; nous nous bornerons donc à examiner plus loin les types d'interventions rencontrés dans les six ensembles étudiés. Indiquons simplement qu'en général le promoteur intervient pour la définition du produit ; l'architecte pour la définition du produit et la préparation de la production, ainsi que le bureau d'études. Quant à l'entreprise de construction, si elle intervient surtout pour la production et sa préparation, elle peut également intervenir dans la définition du produit. Ceci illustre ce que nous avons dit plus haut sur les liens entre division sociale et technique du travail. Ainsi, il est clair que la place dominante 3 du promoteur dans la maîtrise du procès de production d'une opération privée l'amène à intervenir dans la conception du produit, en imprimant aux tâches de conception une forme spécifique, l'amène également à définir un certain nombre de tâches de contrôle de la production, de la qualité et des délais, et des types de rapports également spécifiques avec le capital industriel (les entreprises). On verra plus loin que, si le type de division du travail a son importance, il faut aussi considérer la forme sociale de l'intervention de chaque agent, c'est-à-dire ici la nature des rapports de production qui le caractérisent.

2. La maîtrise du procès de

production

Même si certains agents peuvent y échapper (de moins en moins d'ailleurs), le rapport social de production dominant est capitaliste. C'est celui qui caractérise l'entreprise de construction (dans les cas de chantiers importants étudiés) et, de plus en plus souvent, le bureau d'études techniques et l'agence d'architecture. 2. C. Topalov, Les promoteurs immobiliers, à paraître dans la même collection. La typologie des promoteurs qui y est présentée montre le champ variable des interventions de chaque promoteur, en fonction de sa place dans le système des financements et de la place de départ du capital de promotion dans la division sociale du travail. 3. On essaiera de préciser cette notion de « place dominante » dans la IV s partie.

Analyse

de l'ensemble

du processus de réalisation

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Pour l'entreprise capitaliste, une opération de construction est avant tout une opération de mise en valeur de son capital, constant (engins, machines, matériaux) et variable (main-d'œuvre salariée). Or, on constate que la production de logements se caractérise par une durée très longue de la période de travail (un an et plus...) et de la période de circulation (jusqu'à trente, quarante ans et plus), et que cela a entraîné l'intervention de capitaux-relais, réduisant cette trop longue immobilisation, d'un côté par le préfinancement, de l'autre par des financements-relais à long terme pour la circulation. On se trouve donc devant un procès de production qui ne peut être analysé comme procès de mise en valeur d'un capital unique (qui serait, par exemple, celui de l'entreprise de construction), mais devant une situation plus complexe, où un unique procès de production (unique du fait de l'unité du produit) se trouve être à la fois : — directement procès de mise en valeur de plusieurs capitaux (entreprises de construction, bureaux d'études et éventuellement agence d'architecture), — indirectement source de profit pour la valorisation des capitaux de circulation relais, ces capitaux-relais intervenant dans la maîtrise du procès de production dans la mesure où ils sont à la fois nécessaires pour que la production ait lieu, et où le « marché » des capitaux pour ce type de financement relais est fort étroit, vu la durée de la phase de circulation. Par là, est donc présent l'Etat, non point globalement, mais par les fractions différenciées du capital public, qui interviennent avec des modes de fonctionnement propres. L'Etat 4 , d'ailleurs, est également présent par les diverses réglementations qui, tant au niveau de la pratique juridique que de l'idéologie, sont parties intégrantes des rapports sociaux dans la production ou dans la circulation du capital (réglementation de la construction, réglementation des sociétés immobilières, du crédit).

3. Le problème

foncier

C'est un des aspects de la maîtrise du procès de production, puisqu'il s'agit de la maîtrise d'un des moyens de production : le sol. Toutefois, 4. Au sens, large par rapport aux strictes notions juridiques-institutionnelles, du concept d'Appareil d'État ; le terme désignera donc toujours, dans la suite du texte, aussi bien l'Etat central que les Collectivités locales. Les distinctions (importantes) seront indiquées lorsqu'elles seront nécessaires.

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La production

des grands

ensembles

il est nécessaire de le traiter en particulier, car la maîtrise de ce moyen de production indispensable pose des problèmes spécifiques : en effet, la propriété du sol se trouve être d'une façon générale socialement distincte de la propriété du reste des moyens de production nécessaires (capital constant des différentes fractions de capital intervenant dans la production). Le propriétaire foncier n'autorise le capital à s'investir sur son terrain que moyennant le versement d'une certaine somme : la rente foncière, prélèvement sur le profit obtenu grâce à cet investissement 5 . La forme prise par la rente est liée au transfert ou non de la propriété du sol ; le cas le plus courant en France actuellement, pour ce qui concerne l'usage du sol pour la construction de logements, est celui de la vente ; le prix du sol payé par l'acheteur représente alors la rente capitalisée. L'acheteur, dans le cas considéré ici, est le plus souvent le promoteur. Il y a donc, pour le promoteur, nécessité de trouver un terrain adéquat à la production visée (problème de localisation sous tous ses aspects) et dont le prix soit compatible avec le profit escompté. On verra plus loin les conséquences du problème foncier sur le produit. Soulignons seulement qu'ici encore, l'Etat est présent, à travers la réglementation urbanistique — définition des droits de construire, règles d'utilisation du sol — comme à travers les réalisations ou projets d'équipements divers.

I I . L'OPÉRATION

1. Les

D'URBANISME

équipements

Dans le cas précédent d'opérations immobilières simples, ce problème a été supposé résolu, c'est-à-dire que le promoteur ne s'est intéressé qu'au terrain « équipé ». Ceci signifie que, de par sa localisation, le terrain est desservi par des voies de circulation, l'eau, l'assainissement, le gaz,

5. La rente foncière pouvant être décomposée en : 1) La rente différentielle (1), prélèvement sur le surprofit — différence entre valeur et prix de production individuel — dû aux caractéristiques propres du terrain (fertilité, localisation) abaissant le prix de production. 2) La rente différentielle (2), prélèvement sur le surprofit dû à l'investissement inégal de capitaux sur les différents sols. 3) La rente absolue, prélèvement sur la plus-value résultant du monopole exercé par la propriété foncière sur l'usage du sol, monopole s'exprimant par la rétention (obstacle à l'investissement). Pour l'analyse de la rente foncière, cf. Marx, Le capital, Paris, Ed. Sociales, livre I I I , t. 8, pp. 7-209, et les textes plus récents indiqués dans la bibliographie.

Analyse

de l'ensemble

du processus

de réalisation

19

l'électricité, éventuellement le téléphone, et n'est pas soumis à des nuisances telles qu'il soit inhabitable, etc. Limitons-nous pour l'instant à ces caractéristiques, on verra plus loin que d'autres peuvent intervenir (distance-temps au lieu de travail, au « centre », agrément du site, environnement social...). Définissons provisoirement l'opération d'urbanisme comme une importante opération de construction sur des terrains insuffisamment équipés eu égard au produit projeté (zone urbaine très ancienne, ou zone affectée jusqu'à présent à u n autre usage du sol, agricole, par exemple). Cette insuffisance montre bien que ces équipements sont indispensables à la constitution du produit, à son existence même : que seraient des « logements » construits en plein champ sans route, eau, électricité, gaz, égoûts ?

2. La nature

sociale du produit,

son

unité

Pourtant, aujourd'hui encore, nombre de logements ruraux sont marqués par l'auto-fourniture des services rendus par ces « équipements » (à l'exception peut-être de la route et de l'électricité). Par ailleurs, les logements, même en ville, n'ont disposé de l'eau, du gaz, de l'électricité, de W.C., que dans une époque récente (certains même de nos jours n'en disposent pas encore). Qu'est-ce donc qui aujourd'hui rend « nécessaire » cet équipement ? De quelle nécessité s'agit-il ? On peut penser faire l'économie d'une analyse en rejetant le problème dans le « marché », éternelle « boîte noire » du système social. Mais ce serait oublier que la circulation de la majorité des logements ne s'effectue pas sur le mode du marché. D'une façon générale, le logement est à considérer comme un des éléments nécessaires à la reproduction de la force de travail 6 . Cet ensemble d'éléments nécessaires est défini socialement par : 1) Les caractéristiques de la force de travail qu'il s'agit de reproduire, c'est-à-dire le niveau et la forme de développement des forces productives, liés à la division technique et sociale du travail. Par opposition à la reproduction de la force de travail d ' u n e main-d'œuvre agricole dans u n mode de production pré-capitaliste, assurée pour une partie notable 6. Nous indiquerons simplement quelques éléments de ce problème, nécessaires pour considérer correctement notre objet. Une recherche, actuellement en cours au Centre de sociologie urbaine, sur le logement des travailleurs, en traitera beaucoup plus complètement.

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La production

des grands

ensembles

par un usage individuel de la nature, et corrélativement une faible division sociale du travail pour la production des biens et services nécessaires, la reproduction d'une main-d'œuvre urbaine — donc ne disposant plus de l'accès à la nature — et salariée — donc séparée des moyens de production — se traduit par une division sociale du travail qui constitue en procès distincts et spécialisés la fourniture d'eau, de chauffage, d'éclairage, de nourriture... et de logements. De plus, le niveau de développement des forces productives a pour conséquence l'importance croissante de services tels que l'éducation ou la santé. Il faut, en effet, de plus en plus de main-d'œuvre qualifiée ou très qualifiée (même s'il faut en même temps de plus en plus de main-d'œuvre non qualifiée ou déqualifiée — c'est l'un des paradoxes de l'évolution des forces productives propre au capitalisme actuel). La reproduction de cette main-d'œuvre qualifiée implique un minimum de scolarisation primaire (lire, écrire, compter), et même un peu au-delà (enseignement technique, secondaire), minimum qui ne peut être assuré par la famille, réduite aux parents mobilisés par le travail 7 . L'entretien nécessaire de cette force de travail qualifiée a pour conséquence l'importance des services de santé. 2) Les rapports sociaux de production et les rapports politiques et économiques qui en découlent. Dans notre société, où le rapport social de production dominant est capitaliste, la rémunération de la force de travail se fait au niveau nécessaire à sa reproduction stricte. Le capital tend à réduire ce niveau pour augmenter la plus-value. Les luttes des travailleurs tendent au contraire à l'élever ainsi qu'à assurer durablement, au-delà du seul salaire, certaines conditions de reproduction plus socialisées. Enfin, certaines conditions ne peuvent être assurées correctement par des procès capitalistes, pour des raisons de profit insuffisant par exemple, tout en étant indispensables du point de vue de la reproduction d'ensemble. 7. Le rôle social de l'école, comme à un degré moindre celui du logement unifamilial, ne peut être réduit à sa contribution à la reproduction des forces productives. On ne peut en séparer ce qui tend à la reproduction des rapports sociaux de production, c'est-à-dire leur aspect d'appareil idéologique. Toutefois, il ne faut pas sous-estimer le premier aspect — il ne faut pas réduire inversement le mode de production aux seuls rapports de production —, et ce n'est que par rapport à une analyse concrète des conditions de la reproduction élargie du capital, incluant forces productives, moyens de production, conditions générales de la production, que l'on peut poser correctement la question de la reproduction des rapports sociaux de production.

Analyse

de l'ensemble

du processus de réalisation

21

Le rapport entre les travailleurs et le capital et l'Etat détermine à un moment donné le niveau de la reproduction, le niveau concret de satisfaction apporté aux besoins sociaux dans lesquels s'expriment les différents aspects de cette reproduction de la force de travail. C'est ainsi que l'Etat a été amené à prendre en charge la production ou le financement de certains éléments nécessaires, les formes de cette prise en charge et leur évolution étant liées à la fois aux formes de l'accumulation capitaliste et à l'effet des luttes politiques sur l'Etat. Le logement est un élément clé de la reproduction de la force de travail. Mais pour les raisons indiquées plus haut (point 1), cet élément n'a pas de sens seul, ce qui est nécessaire à la reproduction est l'ensemble logement + voirie + eau + gaz + électricité, plus l'accès aux écoles, équipements sanitaires, commerces... Les conditions actuelles impliquent donc la disposition par les travailleurs de cet ensemble de valeurs d'usage. Ainsi, ou bien on se trouve dans le cas de l'opération immobilière simple, où le terrain permet directement la réalisation de cet ensemble, ou bien on est dans le cas d'une opération d'urbanisme où il faut produire en même temps les logements et les autres éléments ; dans ce dernier cas, qui est très précisément celui des opérations d'urbanisation périphérique, on se trouve donc devant la nécessité de réaliser un produit complexe, dont certains éléments dépendent de l'Etat, (et même de fractions distinctes de celui-ci), d'autres d'investisseurs « privés » (certains logements, les commerces). Ajoutons aux éléments indiqués, d'une part les transports dont l'importance dépasse le problème de la reproduction de la force de travail pour poser celui de l'organisation du marché de la maind'œuvre, et d'autre part celui du contrôle social, c'est-à-dire des institutions qui concourent à la reproduction des rapports sociaux de production, par divers moyens : intégration, pression idéologique, répression, et qui posent problème ici tant au niveau de leurs supports physiques que de leurs formes sociales. En fait, les éléments indiqués sont bien les éléments de « première nécessité ». La ville fournit, offre, potentiellement 8 , bien d'autres valeurs d'usage à celui qui y habite : loisirs, culture, vie sociale, politique, et rapports sociaux qui dépassent le cadre de la stricte 8. Potentiellement seulement. Car la possibilité de réalisation de ces valeurs d'usage par le citadin est déterminée socialement par le temps disponible, les possibilités de dépenses, l'éducation, tous éléments qui tiennent à la situation de classe.

22

La production

des grands

ensembles

reproduction. Cet ensemble, qui tient autant à la présence de tels éléments constitutifs qu'à leur juxtaposition, dans un espace restreint, n'est quasiment pas reproductible : outre les monuments, par exemple, la coexistence dans un même espace de nombreux commerces, d'activités de loisirs (cinémas, théâtres...), d'institutions d'enseignement, etc... et d'une certaine population est le résultat d'un processus historique et social complexe qui ne peut être maîtrisé ou reproduit, sauf de façon très partielle 9. D'où les simulacres de « centres » dans les résidences périphériques pour cadres, d'où l'attrait du Centre pour la résidence des catégories aisées de la population, d'où aussi l'importance redoublée des transports pour les habitants de la banlieue.

3. Division

technique

et division sociale du travail

Le produit complexe, dont l'unité est nécessaire n'est toutefois ni directement conçu comme tel, ni encore moins directement produit comme tel. Dans le cas de l'opération immobilière simple, la maîtrise du procès de production impliquait déjà au moins deux types de capitaux distincts : capital industriel de l'entreprise de construction et capital de circulation du promoteur. Dans le cas de l'opération d'urbanisme, non seulement le cas précédent se trouve souvent multiplié du fait de l'intervention de plusieurs promoteurs, mais il y a en plus : — d'une part le problème de la maîtrise du procès de production des divers équipements, chacun d'eux faisant intervenir une fraction distincte de capital public, avec ses principes propres de fonctionnement, ou de capital privé, et éventuellement autant d'entreprises de construction. — d'autre part, la nécessité de l'unité du produit qui fait apparaître le problème de la maîtrise du procès d'ensemble, de l'articulation de ces procès distincts. On peut le voir à partir des problèmes liés à la division technique du travail. Si l'on considère la phase de définition du produit, sans 9. Le c h a m p d e ce qui p e u t , ou n o n , être reproduit, est délimité p a r la capacité sociale à assurer la maîtrise d u processus complexe qu'implique cette r e p r o d u c t i o n . Cette capacité, qui croît q u a n t à ses bases techniques, est au contraire étouffée par l'aggravation de la crise de la société capitaliste.

Analyse

de l'ensemble

du processus

de réalisation

23

compter les tâches déjà mentionnées propres à chaque bâtiment, on ne peut concevoir séparément les V R D , les bâtiments (leurs accès et leurs raccordements), les espaces libres. Le plan de voirie doit tenir compte des accès, de la circulation interne, de la localisation des différents équipements. Chacune de ces tâches de conception, jusqu'à la mise au point des plans d'exécution, se trouve en relation avec les autres. Il en résulte la nécessité d'une coordination d'ensemble, tant dans la conception que dans l'exécution. Mais cette coordination ne s'impose pas d'emblée ; il s'agit d'un des problèmes les plus aigus de l'urbanisation nouvelle, car les difficultés liées à la simple division technique du travail sont considérablement aggravées par la division sociale. Les effets de la « spécialisation » (spécialistes de l'habitation, des écoles, des commerces, des VRD, des espaces verts et du paysage...) se trouvent renforcés par le fait que chaque élément de spécialité ou tâche particulière dans le processus de production constitue, du point de vue de l'agent social qui en a la maîtrise, une phase du procès de mise en valeur d ' u n capital I 0 . Chaque tâche (ou sous-ensemble de tâches) étant alors dominée par les nécessités propres au profit de chaque entreprise, ce qui peut amener des divergences importantes. On peut cerner ici une des contradictions majeures de l'urbanisation capitaliste, contradiction qui est au cœur du problème des grands ensembles. D'une part, la nécessité sociale de reproduction de la force de travail, dans le cadre de la division sociale du travail actuelle, implique la disposition par les travailleurs de valeurs d'usage complexes, et une socialisation de la consommation. D'autre part, le développement général de l'accumulation capitaliste se traduit par la tendance à transformer chaque valeur d'usage particulière en marchandise, et à la faire produire et circuler comme telle, dans des procès de production et de circulation distincts et dominés par la recherche du profit de chaque fraction de capital. Cette contradiction est présente dans tous les moments de l'urbanisation capitaliste (les taudis ouvriers, les lotissements défectueux, 10. Par commodité, nous englobons dans cette expression de « mise en valeur du capital » le fonctionnement des fractions de capital public, dont la mise en valeur peut être faible, nulle, ou même négative dans certains cas. Les règles de fonctionnement d'un tel capital dévalorisé sont donc évidemment autres que la recherche d'un profit, encore qu'elles ne soient pas toujours extérieures à la recherche d'un profit par d'autres fractions de capital. Toutefois, comme nous essaierons de le montrer plus loin, il ne nous semble pas qu'on puisse considérer comme identiques toutes les fractions, même dévalorisées, de capital public ; chacune au contraire ayant des règles de fonctionnement assez strictes, et qui lui sont particulières.

24

La production

des grands

ensembles

la croissance « anarchique » de la banlieue pavillonnaire, les problèmes posés par les premiers ensembles d'habitations périphériques) et se traduit par un certain nombre de mouvements d'opinions, luttes revendicatives, jusqu'à des choix politiques, chez ceux qui en sont les victimes quotidiennes. Elle pose des problèmes également à certaines entreprises capitalistes, pour les nécessités propres de reproduction de leur main-d'œuvre. Aux diverses manifestations concrètes de cette contradiction, correspondent des réponses ou tentatives de solutions globales, ou partielles ; en relèvent justement les différents aspects de la politique d'urbanisme, dont les grands ensembles sont un effet. A l'opposé d'une interprétation de type subjectiviste, qui ferait passer la tentative de solution du problème par la prise de conscience du problème par un acteur-sujet (l'Etat, par exemple), nous essaierons de montrer au contraire, sur les exemples étudiés, comment les tentatives de solutions sont des réponses à des difficultés concrètes, la « prise de conscience » du problème, au niveau de son expression publique, n'étant ni une condition nécessaire, ni une condition suffisante.

4. Le problème

foncier

Par rapport au cas de l'opération immobilière simple, l'obstacle de la propriété foncière reste fondamentalement de même nature. Toutefois, ses conséquences concrètes peuvent être plus sérieuses dans le cas de l'opération d'urbanisme : — La taille importante des opérations fait que la structure de la propriété foncière renforce l'obstacle, car on multiplie le nombre des propriétaires concernés. — La possibilité de négociations sur le prix d'achat du terrain s'en trouve fortement diminuée. Car, si le premier propriétaire peut encore accepter un prix correspondant à la rente foncière pour l'usage antérieur du sol, les prix montent très vite au fur et à mesure des achats. Nous verrons que, pratiquement, cet obstacle ne peut être levé (partiellement d'ailleurs) que par intervention de l'Etat ; c'est l'une des origines et l'un des aspects majeurs de la politique d'urbanisme opérationnel.

DEUXIÈME PARTIE

Les conditions historiques de la politique des grands ensembles

I . LA CROISSANCE DÉMOGRAPHIQUE

L'après-guerre française.

voit une

augmentation

rapide

de la

population

« La population de l'ensemble des communes de moins de 50 000 habitants en 1954 n'a pratiquement pas varié depuis le début du siècle. L'augmentation de la population française porte uniquement sur les grandes villes : un peu sur Paris, dont la croissance est du même ordre de grandeur que celle de l'ensemble de la population, soit 5 % environ en cinquante ans, et surtout sur les villes dont la population était comprise, en 1954, entre 50 000 et 100 000 habitants : l'augmentation pour cette catégorie de villes est de 53 %, alors qu'elle est de 29 % pour les villes ayant plus de 100 000 habitants en 1954 (Paris non compris). » 1 Si la croissance de Paris-ville est faible, celle de la Région parisienne est au contraire très importante ; la Région fait plus que doubler entre 1861 et 1946 2 : « Depuis la guerre, deux faits nouveaux ont une incidence importante sur la démographie parisienne : — augmentation rapide de la population par la reprise de la natalité et la baisse de la mortalité ; ce phénomène, 1. Etudes et Conjonctures 10/11, oct.-nov. 1957, p. 1002. 2. Etudes et Conjonctures (L'espace économique français, fasc. 1), 1965, p. 27. La Région parisienne voit l'évolution suivante (indice 100 en 1861) : 1861 1901 1936 1946 France Région parisienne

100 100

104 168

112 241

108 234

26

La production

des grands

ensembles

qui concerne l'ensemble du pays, joue également en Région de Paris (en 1962 : excédent naturel 60 000, soit près de 50 % de l'accroissement annuel total du nombre des habitants de la région) ; — augmentation plus rapide encore de la population urbaine, par suite de l'exode rural ; ce phénomène, qui concerne l'ensemble des villes de France, joue, de 1946 à 1962, moins au bénéfice de la Région de Paris ( + 27 % : de 6,6 millions à 8,4 millions) qu'à celui des autres agglomérations françaises (37 % : de 15,4 millions à 21,1 millions). » 3

I I . CRISE

DU LOGEMENT

ET

POLITIQUE DU LOGEMENT

(LA

PÉRIODE

1946-1955)

Dans l'ensemble des problèmes de niveau de vie qui se posent à cette main-d'œuvre urbaine de plus en plus nombreuse, la question du logement est une des plus sérieuses, et la « crise du logement » est un des thèmes qui agitent le plus l'opinion publique et la vie politique. La situation du logement en France en 1955 apparaît comme aggravée par rapport à l'avant-guerre, du fait de la croissance de la population, de l'exode vers les villes, des destructions, de la vétusté accrue du patrimoine et, parallèlement, de l'insuffisance de l'effort global de construction 4 (reconstruction comprise), insuffisance liée

3. Schéma directeur d'aménagement et d'urbanisme de la Région de Paris, 1965, p. 21. 4. Population 1, janv.-mars 1957, pp. 133-134: « A la veille de la guerre, les besoins s'élevaient à 13 750 000 logements e n v i r o n ; au début de 1946, ils étaient moins élevés, 13 380 000, en raison du retard apporté par la guerre à de nombreux mariages et des pertes subies par la population ; mais entre-temps on n'avait pas construit et plusieurs centaines de milliers de logements avaient été détruits ; quatre ans après, au début de 1950, les besoins dépassaient 14 000 000, en raison, surtout, des très nombreux mariages, normaux et différés, célébrés au cours de cette p é r i o d e ; dans l'intervalle, 100 000 logements à peine avaient été construits ou reconstruits. Cinq ans après, au début de 1955, le nombre de logements autonomes nécessaires était d'environ 14 410 000, chiffre légèrement supérieur aux perspectives (14 360 000), l'évaluation adoptée pour le point de départ des perspectives s'étant

Conditions

historiques

de la politique

des grands

ensembles

21

a u x d é p e n s e s p r i o r i t a i r e s p o u r les g u e r r e s c o l o n i a l e s 5 . C ' e s t a i n s i q u e le Moniteur des Travaux publics et du Bâtiment caractérise c o m m e u n e politique d'austérité la p o l i t i q u e d u M i n i s t è r e d e la r e c o n s t r u c t i o n et d u l o g e m e n t e n 1 9 5 1 , et q u e P . C o r n i g l i o n - M o l i n i e r , M i n i s t r e d ' E t a t c h a r g é d e s activités d u P l a n d e m o d e r n i s a t i o n et d ' é q u i p e m e n t , peut déclarer en 1953 : « P o u r u n n o m b r e i m m e n s e d e F r a n ç a i s , é l e v e r le n i v e a u d e l e u r vie, cela signifie, a v a n t t o u t e c h o s e , les m e t t r e à m ê m e d ' o b t e n i r e n f i n u n l o g e m e n t d é c e n t . C e b e s o i n est si é v i d e n t q u e le f a i t , p o u r les P o u v o i r s P u b l i c s en F r a n c e , d e n ' a v o i r p u d é j à y satisf a i r e , a été t e n u s o u v e n t à l ' é t r a n g e r p o u r le signe d ' u n d é s o r d r e social et p o l i t i q u e p r e s q u e i n c u r a b l e . E n v é r i t é , t o u t a été d i t s u r le p é r i l q u e c o n s t i t u e p o u r l a s a n t é p h y s i q u e d u t r a v a i l l e u r e t p o u r la s a n t é m o r a l e d e s f a m i l l e s , l a crise t o u j o u r s a g g r a v é e d u l o g e m e n t . . . » 6 C e t t e « c r i s e » est r e s s e n t i e a v e c u n e p a r t i c u l i è r e a c u i t é d a n s la Région parisienne, d ' a u t a n t qu'il semble q u e l'effort de construction d e l o g e m e n t s n e u f s ait d ' a b o r d p o r t é s u r les villes d e p r o v i n c e .

révélée inférieure à la réalité d'environ 100 000. Par contre, l'augmentation en 5 ans a été de 380 000 environ, contre 440 000 prévu, l'augmentation annuelle moyenne de 76 000 au lieu de 88 000. Or, dans cette période, le nombre de logements terminés a été de 71 000 en 1950, 77 000 en 1951 et 84 000 en 1952. Jusqu'au début de 1953, la crise s'est donc aggravée en nombre, sans parler de l'aggravation constante sur le plan qualitatif par manque de renouvellement. Ce n'est qu'à partir de 1953 (115 000 logements terminés) et surtout de 1954 et 1955 (162 000 et 210 000 logements achevés) qu'une légère détente est survenue. On est cependant loin d'avoir retrouvé une situation seulement comparable à celle qui existait à la veille de la guerre : 450 000 logements ont été complètement détruits ; les besoins ont augmenté de 650 000 environ ; on a dans le même temps construit environ 600 000 logements, il restait donc au début de 1955 un passif de 500 000 au moins, en nombre, sans compter le passif qualitatif par aggravation de la vétusté d'un patrimoine déjà vétusté avant guerre. » Il faut remarquer que ce raisonnement global ne tient pas compte de la localisation relative des logements et de la population. En fait, compte tenu de l'accélération de la migration des agriculteurs vers les villes dans la période considérée, l'évaluation indiquée sous-estime encore la crise, puisqu'il faut y ajouter la distorsion tenant à l'augmentation du nombre des logements ruraux abandonnés. 5. B. Chochoy, Secrétaire d'Etat à la Reconstruction et au logement, déclarera à son tour : « Bien sûr, nos résultats, bien qu'en progrès, sont encore modestes, comparés à ceux de l'étranger. Mais il ne faut oublier que nous avons supporté, outre les destructions du conflit mondial, la guerre d'Indochine, et maintenant celle d'Algérie. » Cité par L. Houdeville, Pour une civilisation de l'habitat, Paris, Ed. Ouvrières, p. 110 (déclaration de B. Chochoy du 25 sept. 1957). 6. Moniteur des Travaux publics et du Bâtiment, 8 août 1953.

28

La production

des grands

ensembles

A partir de 1953 (le Plan Courant), les mesures prises par le Gouvernement sont mises en pratique et suivies d'effet, et le nombre de logements construits annuellement s'accroît notablement. Cette politique est caractérisée par « l'aide à la pierre », et une certaine diversification des modes de financement public 7 , en particulier le développement des primes et prêts spéciaux du Crédit foncier, qui présentent le double avantage d'offrir au capital privé la possibilité de taux de profit plus élevés par association avec ces capitaux sous-rémunérés et de drainer vers l'immobilier une épargne importante, sous la forme de l'incitation à l'accession à la propriété : apport personnel et effort accru. C'est là, par rapport au type d'intervention de l'Etat qu'a représenté la Reconstruction ou la politique des HLM, une réorientation notable, qui va amener à une modification profonde du sens même de la politique de l'Etat : d'une aide orientée vers la fourniture d'une valeur d'usage visant à abaisser d'une façon générale le coût de reproduction de la force de travail, on passe à une aide à caractère sélectif, qui permet au capital privé de se valoriser comme capital de circulation dans l'immobilier. L'élévation relative du coût de reproduction de la force de travail qui peut en résulter est refoulée vers les salaires : on passe donc à un financement de l'accumulation plus direct, dont le caractère sélectif est important puisqu'il va permettre une concentration de l'aide vers les fractions monopolistes du capital immobilier. Un autre élément important de cette évolution de l'aide de l'Etat est le développement de l'incitation à l'accession à la propriété. Outre les aspects financiers déjà évoqués, cette incitation a des aspects sociaux et politiques non négligeables. Prolongeant, d'ailleurs, la politique des lotissements de l'entre-deux-guerres 8 , la politique d'accession vise des effets sociaux apaisants, moralisants. L'accession à la propriété serait le symbole de la suppression des divisions de classe, le travailleur devenu propriétaire passant, grâce à cet attribut, du côté des bourgeois, et consacrant son temps dès lors aux saines activités du bricolage, jardinage... et à sa vie de famille, se tenant à l'écart des débits de boisson et autres lieux de rassemblement et de fermentations subversives (effets apaisants renforcés par un endet-

7. On peut penser que cette diversification vient, au moins en partie, du fait que la crise du logement ne touche pas seulement la classe ouvrière, mais concerne plus généralement les travailleurs salariés et une partie de la petite bourgeoisie : elle concerne donc des couches sociales qui ont une « solvabilité » supérieure à celle de la classe ouvrière. 8. Cf. M.G. Raymond, La politique pavillonnaire, Ed. CRU.

Conditions

historiques

de la politique

des grands

ensembles

29

tement supérieur, donc une plus grande assiduité et docilité escomptables dans le travail ?). Les effets sur le coût de reproduction de la force de travail sont contradictoires : augmentation nette dans l'immédiat, d'où pression sur les salaires 9 , mais, plus tard, diminution (une fois le logement payé, les emprunts remboursés) du fait de la quasi-gratuité du logement 10 .

I I I . L ' E T A T ET L'ACCUMULATION DANS L'INDUSTRIE DU BÂTIMENT

Lié à la crise du logement n , l'état de l'industrie du bâtiment au début des années cinquante est marqué par un très faible degré de concentration : grand nombre d'entreprises artisanales, très peu d'entreprises de taille importante, les plus grandes étant minuscules si on les compare avec d'autres secteurs. Les chantiers de la reconstruction se terminent peu à peu. La politique du logement qui se développe à partir de 1953 va mettre l'accent sur 1'« organisation de l'industrie du bâtiment ». L'« aide à la pierre » est une aide générale à la rotation du capital, mais cette aide s'accompagne d'incitations à la concentration. Le Gouvernement comme la Fédération nationale du bâtiment appellent l'industrie à s'organiser, à s'équiper, à se rationaliser, à augmenter sa productivité (de nombreuses missions d'étude de la productivité sont envoyées aux Etats-Unis) par la standardisation, la normalisation, la fabrication en série, l'industrialisation. Outre le capital-relais nécessaire pour la circulation (prêts HLM, primes et prêts du Crédit foncier), une telle organisation requiert un certain nombre de conditions :

9. Mais, sans doute, cette pression peut-elle être plus facilement contenue si les travailleurs accédant à la propriété appartiennent aux couches moyennes. 10. Toutefois, une telle politique a des limites qui tiennent à la mobilité de la main-d'œuvre (cf. F. Engels, La question du logement, Paris, Ed. Sociales, pp. 33-34). Mobilité que le Gouvernement veut par ailleurs, et contradictoirement, encourager. 11. Cause ou conséquence? La question est difficile. Comment expliquer les inégalités de l'accumulation suivant les différents secteurs de production ? Certains travaux qui commencent pourront apporter des éléments de réponse (par exemple, F. Ascher, « Contribution à l'analyse de la production du cadre bâti», Espaces et Sociétés (6-7), juillet-octobre 1972, pp. 89-114).

30

La production

des grands

ensembles

— Une certaine stabilité des programmes de construction, les industriels ne pouvant s'équiper qu'à condition d'être sûrs d'un niveau d'activité correspondant. Cette condition s'exprime par la revendication de programmes pluriannuels pour le financement public du logement. Ainsi, lors d'une conférence de presse en octobre 1959, Pierre Sudreau, alors Commissaire au logement et à l'urbanisme pour la Région parisienne, annonce la mise au point d'un planning de construction sur dix ans, qui « permettra aux maîtres d'œuvre et aux entrepreneurs d'adapter leurs prévisions et leurs moyens de production à l'immensité de la tâche prévue... » ; la Commission des finances de l'Assemblée nationale, dans son avis sur le projet de loi-cadre de 1956, déclarait : « Le but principal poursuivi par le Gouvernement est d'établir un plan quinquennal inconditionnel de construction HLM et de primes, plan permettant aux entreprises d'achever de s'équiper et aux constructeurs de payer des prix moins élevés en raison de la continuité des chantiers. » — Une taille importante des chantiers, permettant l'organisation du travail, la production en série... Cette taille importante requise va augmenter rapidement, puisqu'on passe d'un concours expérimental de 800 logements à Strasbourg, qui fait sensation en 1951, à 1 260 logements à Saint-Etienne en 1953, 2 607 logements à Lyon en 1954 (Bron-Parilly). A propos de Bron-Parilly, M. Grimai, architecte, souligna que : « Le but recherché dans l'édification d'une cité aussi considérable était d'obtenir un abaissement des prix de revient par l'application sur des chantiers importants des méthodes d'industrialisation de la construction. La caractéristique essentielle du projet est la recherche de la normalisation et de la standardisation ; on emploiera le béton et l'acier..., la préfabrication en atelier sera largement utilisée. » Là encore, on peut constater une assez grande continuité dans la politique de l'Etat envers l'industrie du bâtiment de 1953 à nos jours ; les différences observables entre début et fin de cette période, étant très liées aux niveaux différents de concentration. Au début, la concentration est très faible, et les mesures prises peu sélectives ; alors qu'aujourd'hui la concentration est beaucoup plus forte et la

Conditions

historiques

de la politique

des grands ensembles

31

politique devient beaucoup plus sélective : la ZAC (sur laquelle nous reviendrons), le concours des modèles et les avantages pour les modèles agréés, l'incitation au groupement des maîtres d'ouvrage... Certaines évolutions peuvent être constatées sur nos six ensembles, mais il s'agit d'indications sans autre portée qu'illustrative. Ainsi, pour le plus ancien des six grands ensembles, nous avons dénombré, pour les seules entreprises ayant participé à la construction de logements (entreprises chargées du gros-œuvre), plus de sept interventions différentes ; il y en a plusieurs également pour le deuxième dans l'ordre chronologique. Il y en a deux pour le troisième (SAE et CMS), et pour les trois autres qui démarrent à peu près à la même époque, deux (COGITEC puis Bouygues), deux (SAE puis Bouygues), et une (Bouygues). La dispersion des entreprises est assez liée, d'ailleurs, à celle des maîtres d'ouvrage. Le problème de 1'« organisation » de la production du bâtiment ne touche pas que les entreprises, même si c'est l'aspect essentiel. Les autres professions sont aussi touchées, en particulier les architectes : derrière le mythe de l'artiste-créateur-solitaire-profession libérale, la « profession d'architecte » subit de profondes transformations : passage du mode artisanal au mode de production capitaliste (de la petite agence, où l'architecte fait lui-même l'essentiel du travail, à la grosse agence où le « patron » est surtout homme d'affaires et emploie de nombreux architectes salariés) et évolution de la place de 1'« architecte » dans la division sociale et technique du travail. Il y a concentration, quelques dizaines de grosses agences drainant une bonne part du marché 12, mais concentration limitée et tendance à l'établissement de liens plus étroits entre architectes et promoteurs, et architectes et entreprises 13.

I V . LE

PROBLÈME DES ÉQUIPEMENTS

Les premières opérations immobilières importantes, qui marquent le début des années cinquante, se traduisent par un développement de l'urbanisation quelque peu « anarchique ». Cette anarchie désigne en fait deux problèmes. 12. Cf. R . M o u l i n , G . L a g n e a u , J. L a u t m a n , L'Etat et les architectes, Paris, C e n t r e d ' e t h n o l o g i e f r a n ç a i s e , 1970, r o n é o , 3* p a r t i e : « Les oligopoles et la concurrence monopolistique». 13. Cf. infra, VI" p a r t i e .

32

La production

des grands

ensembles

Le premier, maintes fois énoncé, est celui des conséquences sur la politique d'équipements publics. Les premières opérations immobilières implantées sur des terrains peu ou pas équipés, en fonction des opportunités foncières de chaque promoteur particulier, ont pour conséquence une dispersion de l'effort d'équipement de l'Etat et un « gaspillage », la multiplication de ces efforts dispersés augmentant notablement les coûts, d'autant que cette dispersion aboutit souvent à réaliser des équipements peu en accord avec ce qu'aurait suggéré une rationalisation technique. Le problème des transports est un peu plus complexe. Une desserte par transports en commun fait partie des équipements socialement indispensables, d'autant plus que la population desservie a un niveau de revenu faible, mais cela ne détermine pas pour autant la qualité de cette desserte, dont l'importance ne peut être saisie sans la considérer dans l'ensemble des conditions de vie. Pour les premiers grands ensembles, le problème des transports en commun était crucial : on sait les difficultés des Sarcellois du début, et l'importance qu'a eue la revendication d'une meilleure desserte ferroviaire. Pour les six ensembles étudiés, les problèmes de desserte et les solutions adoptées ou envisagées sont assez différents suivant les cas.

V.

HABITAT ET EMPLOI

Le problème de la localisation respective de l'habitat et des zones d'emplois, et de l'augmentation des migrations alternantes, est reconnu dès le début du siècle par l'idéologie de la planification urbaine. On retrouve ce thème comme préoccupation majeure appuyant les propositions de plans de développement urbain et de créations de zones d'urbanisation nouvelle, jusqu'à nos jours ; et, bien sûr, il est présent dans l'idéologie de la politique des grands ensembles à ses débuts, appuyé par la référence aux villes nouvelles anglaises M. Il est donc envisagé, outre les emplois correspondant aux équipements, des 14. Urbanisme 62/63, pp. 8-10 : « Les diverses conceptions à l'origine d'un grand ensemble », et la partie B de la synthèse des travaux de la Commission de la vie dans les grands ensembles, p. 21 : « La structure économique du grand ensemble, l'équilibre emploi-population, la localisation et les surfaces à réserver aux activités économiques ».

Conditions historiques de la politique des grands ensembles

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emplois à l'intérieur du grand ensemble : emplois de bureau et emplois industriels. « Il serait ainsi possible de permettre à près de 8 0 % des femmes ayant besoin d'un emploi de le trouver à l'intérieur même du grand ensemble. » 15 Il est envisagé également des zones industrielles extérieures au grand ensemble, mais : « Qu'il y ait création de zone industrielle nouvelle ou construction d'un grand ensemble à proximité d'usines déjà existantes, le problème de la relation résidence-lieu d'emploi doit toujours être posé sous l'angle temps de parcours. Un temps de parcours de 25 à 30 minutes semble être le maximum admissible... » 1 6 En fait, est surtout affirmée à ce moment la vocation essentiellement résidentielle des grands ensembles, et, dans la pratique, la réalisation des opérations est orientée quasi exclusivement vers les logements et les équipements la relation habitat-emploi étant traitée à travers les problèmes de transports. Il y a à cela plusieurs raisons. En premier lieu, du point de vue de la majorité des travailleurs, la mobilité éventuelle dans l'emploi est essentiellement liée aux problèmes posés par leurs rapports avec les employeurs. Et, donc, le problème est pour eux l'accès au marché du travail, s'exprimant principalement dans les revendications sur les transports. En deuxième lieu, pour les employeurs, les choix de localisation sont fonction de critères qui tiennent aux conditions de rentabilisation dans chaque branche d'activité. Ces critères intègrent les incitations économiques de l'Etat qui pourraient s'exercer dans le sens indiqué d'une coordination avec les zones d'habitat, mais qui, au contraire, s'exercent dans cette période sous la forme d'une dissuasion : c'est la politique d'Aménagement du territoire orientée vers la décentralisation des industries parisiennes. Et les quelques 15. Urbanisme, op. cit., p. 24. 16. Ibid. 17. Dans les opérations étudiées, 2 seulement sur les 6 ont une zone industrielle réalisée parallèlement au grand ensemble résidentiel. Il s'agit des deux opérations les plus anciennes, toutes deux zones à urbaniser en priorité ; les zones industrielles ont été lancées nettement plus tard que les ensembles d'habitations, et accueillent actuellement un nombre d'emplois relativement faible par rapport à la population active déjà logée. De plus, l'affectation des logements, liée à la nature des promoteurs immobiliers, n'a guère jusqu'à présent été orientée vers le logement des travailleurs employés dans ces zones industrielles.

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La production

des grands ensembles

zones industrielles installées à côté de grands ensembles ont de grosses difficultés à se remplir. Enfin, la création coordonnée des emplois et des logements impliquerait à la fois une forte coordination des procès de production des logements et des industries ou activités économiques nouvelles, et des mécanismes de circulation des logements tels que ceux-ci soient pour l'essentiel affectés aux travailleurs occupant ces emplois. Ceci ne peut être assuré que par une intervention étatique forte. Or, à notre sens, rien dans cette période ne poussait fortement à cette intervention, ni les intérêts des employeurs ni les revendications des travailleurs 18. De ce fait, la politique des grands ensembles est donc essentiellement liée au problème de la reproduction de la force de travail, sous l'aspect des questions du logement et des équipements collectifs, la relation à l'emploi étant traitée au niveau des transports. Nous limiterons notre analyse à cet aspect. L'analyse de la localisation relative des emplois et des logements impliquerait une étude beaucoup plus vaste, s'intéressant à l'évolution de la division du travail dans les entreprises, à l'évolution des conditions de mise en valeur du capital dans les différents domaines, aux relations entre activités économiques et valeurs d'usage urbaines, aux effets de la politique de l'Etat en matière d'Aménagement du territoire, et aux rapports entre les déterminants de ces processus de développement et de localisation des activités économiques et les déterminants des processus de production des conditions de reproduction de la force de travail.

18. Ces hypothèses explicatives sont applicables au cas de la Région parisienne du fait du grand nombre d'entreprises, de la taille du marché de l'emploi et des caractères de la politique urbaine dans cette région. Il en va différemment dans une ville où le marché de l'emploi est dominé par un petit nombre d'employeurs.

TROISIÈME PARTIE

Le problème foncier

I . L'OBSTACLE DE LA PROPRIÉTÉ FONCIÈRE ET LA CROISSANCE URBAINE

Si la question du logement et celle des équipements ne sont pas étrangères au lancement des grands ensembles, la question décisive est sans nul doute la levée de l'obstacle foncier.

1. L'aggravation de l'obstacle dans les zones déjà urbanisées La densification dans les zones déjà urbanisées est loin d'avoir atteint un maximum. Aujourd'hui encore, il est de très nombreux terrains que d'aucuns jugeront mal utilisés, insuffisamment urbanisés. D'une façon générale, c'est là une conséquence du monopole de la propriété foncière, s'exprimant par la rétention des sols ou l'obstacle à une utilisation plus intensive. Cet obstacle est présent dès la naissance du mode de production capitaliste, et dès Napoléon I er , l'Etat a tenté, par des mesures législatives, de lutter contre ce monopole au profit de l'investissement capitaliste Dès Haussmann, d'ailleurs, la rénovation urbaine permet une certaine « amélioration » de l'usage capitaliste du sol, en remplaçant des taudis ouvriers par des logements neufs et chers. Toutefois, cette « amélioration » reste très limitée. C'est qu'en effet la propriété foncière, en tant qu'appropriation privée d'un moyen de production, est très étroitement liée aux fondements mêmes du mode de production dominant, en même temps qu'elle constitue un obstacle à l'investissement sur le sol. Et donc, les tentatives pour la réduire, bien qu'indispensables au développement de l'accumu-

1. C'est le sens de l'impôt foncier, qui traverse sans succès l'histoire de la législation française, de la loi du 16 septembre 1807 à nos jours, sous diverses formes : ainsi, la taxe d'urbanisation créée par la Loi d'orientation foncière du 30 décembre 1967, mais pas appliquée.

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La production

des grands

ensembles

lation, suscitent en même temps de vives réactions à l'intérieur même de la classe dominante 2 . Le début des années cinquante voit les débuts de l'industrialisation massive du bâtiment. Or, cela suppose des chantiers importants : la structure même de la propriété foncière en zone urbaine, la petite taille des parcelles, font que l'acquisition des terrains à l'amiable à bon prix devient beaucoup plus difficile — surtout pour les promoteurs de logements sociaux, le niveau de la rente foncière étant fixé en fonction de la production la plus rentable possible à un moment donné, pour un terrain déterminé, mais aussi pour les promoteurs de logements de moyen standing, s'ils veulent abaisser leur coût de production en faisant des opérations importantes, ce qui donc suppose l'acquisition de plusieurs parcelles 3 . On assiste alors à un double mouvement pour tenter de contourner l'obstacle : — d'une part, l'utilisation des dernières réserves foncières publiques libres pour la construction de logements : c'est, par exemple, le programme de construction de logements dans la Ceinture verte de Paris. — d'autre part, le lancement d'opérations importantes en périphérie (Sarcelles est la plus connue) par divers promoteurs, en fonction d'opportunités foncières. Mais ces opérations non coordonnées, dues à des initiatives diverses, ne peuvent résoudre que très partiellement le problème : elles entraînent une hausse rapide des prix des terrains, en particulier autour des premiers terrains achetés et des premières tranches réalisées. D'autre part, comme on l'a vu plus haut, la dispersion de ces opérations et leur absence quasi totale de coordination avec les divers 2. Suivant les pays, il semble que l'on soit allé plus ou moins loin dans cette voie, certains pays comme la Hollande ayant la réputation d'avoir totalement « résolu le problème » ; reste à voir ce qu'il en est vraiment, et à comprendre les conditions sociales et politiques particulières qui peuvent expliquer d'éventuelles différences. Le développement de la concentration monopoliste donne une forme particulière à cette contradiction. L'hypothèse générale que l'on peut proposer concernant l'évolution de la politique foncière, serait que cette politique devient « sélective », c'est-à-dire tend à réduire surtout la petite propriété foncière, celle qui n'est pas liée au capital financier. Mais la contradiction est alors refoulée au niveau politique, par le mécontentement qui en résulte dans des couches sociales constituant jusqu'alors un appui non négligeable du régime. 3. C'est encore plus vrai si l'on accepte l'hypothèse selon laquelle le profit immobilier est intéressant si le promoteur peut s'approprier une part importante du surprofit de localisation.

Le problème

foncier

37

p r o g r a m m e s d ' é q u i p e m e n t de l'Etat entraînent à la fois u n « gaspillage » qui p r o f i t e f i n a l e m e n t a u x propriétaires, et n o n aux p r o m o t e u r s , et des situations de sous-équipement entraînant des tensions sociales sérieuses. E n f i n , elles s e m b l e n t être réalisées l e plus s o u v e n t par dérogation a u x Plans d ' u r b a n i s m e 4 .

2 . Les tentatives

de solution

et l'évolution

de la

législation

E n 1 9 5 3 , est v o t é e la Loi f o n c i è r e ( 6 août 1 9 5 3 ) , qui autorise l'expropriation p o u r construire et la cession, m ê m e de gré à gré, à d e s p e r s o n n e s de droit privé o u p u b l i c . Mais celle-ci paraît être restée lettre morte, f a u t e de textes d'application, jusqu'au début 1 9 5 6 . M . Sudreau déclare, en 1 9 5 5 , qu'il faut opérer la « r e c o n q u ê t e d e Paris » o ù existent encore de vastes e s p a c e s m a l ou i n s u f f i s a m m e n t occupés :

4. Tout ceci est très clairement exprimé dans un annuaire édité en 1957 par le Ministère de la reconstruction et du logement, Construction et urbanisme dans la Région parisienne, pp. 14-15 : « Tandis que les rares réserves sagement acquises dans les précédentes années par les municipalités ou les constructeurs sont en voie de disparaître, les organismes publics ou privés cherchent, par un effort individuel et souvent désordonné, à se procurer de nouveaux terrains entraînant à tous coups la surenchère. Le mouvement de hausse des prix qui en résulte conduit les constructeurs de groupes d'habitations, pour respecter les prix-plafonds, à chercher les terrains les moins chers, c'est-à-dire les plus éloignés et les moins bien équipés. Les terrains les mieux situés supportent des constructions de bureaux ou de logements de grand luxe ou sont stérilisés par des spéculateurs. Ainsi de nombreuses opérations particulièrement souhaitables au point de vue de l'urbanisme n'ont pu se réaliser. Par contre, ont dû être examinés de nombreux projets de construction de logements à des emplacements présentant, pour les futurs habitants, des conditions de vie difficiles (absence de centres sociaux, de moyens de transports, éloignement des lieux de travail), conduisant à une extension beaucoup trop importante de l'agglomération parisienne et particulièrement onéreuse pour les dépenses d'équipement de voirie et de réseaux divers. Il en résulte, pour les petites communes sur le territoire desquelles s'implantent ces projets, un déséquilibre financier conduisant à un grave malaise politique. D'autre part, les propositions faites dans ces conditions par les différents constructeurs ne pouvaient être acceptées qu'en consentant des dérogations au projet d'aménagement de la Région parisienne ou de la commune. En outre, les acquisitions successives dans les zones constructibles et les projets d'aménagement correspondants ont toujours pour conséquence de rendre plus chers des terrains voisins. L'effort des premiers constructeurs et des municipalités provoque finalement dans ces conditions des plus-values qui ne profitent pas à la collectivité et rendent difficile la réalisation progressive d'un ensemble important et homogène par le même organisme si celui-ci ne peut accéder aux prétentions des propriétaires voisins. »

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La production

des grands

ensembles

« Il serait judicieux d'éviter, estime M. Sudreau, sauf pour un certain nombre d'opérations clairement définies, la création de villes nouvelles à quelques dizaines de kilomètres de Paris, avec toutes les sujétions qu'elles comportent (vicinalité, transports et autres services publics). » 5 Puis les textes d'application de la Loi foncière sont publiés (circulaire du Ministère de la reconstruction et du logement du 6 janvier 1956). Cette circulaire rappelle la nécessité de pouvoir user de l'expropriation pour mettre des terrains à la disposition des constructeurs, souligne qu'une coordination de l'effort d'équipement et de l'effort de construction est indispensable ; la loi permet l'expropriation de terrains destinés à la création de véritables quartiers d'habitations nouveaux très importants, sans qu'aucun critère particulier définisse le genre d'habitations qui devront être édifiées ; il n'est pas exclu que cette procédure puisse être utilisée pour permettre l'édification de constructions relativement luxueuses ou à usage de résidence secondaire ; enfin, les règles de cession aux constructeurs sont extrêmement souples. La politique, dès lors, est clairement affirmée : levée par l'Etat de l'obstacle foncier, concentration et coordination de l'effort d'équipement sur quelques zones prioritaires, et parallèlement rénovation urbaine. La loi-cadre du 7 août 1957 pose le principe de Zones à urbaniser en priorité (ZUP), et celui de la création d'agglomérations nouvelles. Le décret 58-1464 du 31 décembre 1958 prévoit la création, par arrêté du Ministre de la construction, de Zones à urbaniser en priorité, à l'intérieur desquelles les programmes de construction de plus de 100 logements seront obligatoirement implantés si leur construction entraîne de nouveaux équipements d'infrastructure à la charge de la collectivité. Le décret 58-1465 du même jour organise la procédure de rénovation urbaine publique. Les innovations ultérieures sont la création des Zones d'aménagement différé ( Z A D ) (loi 62-848 du 26 juillet 1962) et celles des Zones d'aménagement concerté (ZAC) (Loi d'orientation foncière du 30 décembre 1967 et ses décrets d'application).

5. Conférence de presse déjà citée de P. Sudreau, Moniteur publics et du Bâtiment, 24 sept. 1955.

des

Travaux

Le problème

foncier

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I I . LES SOLUTIONS AU PROBLÈME FONCIER DANS L'URBANISME OPÉRATIONNEL

1. Les différentes

solutions

a) La contrainte

étatique

pratiquées

en général

L'usage de l'expropriation publique pour construire, qui est le point de départ de la « politique des grands ensembles », devenue ensuite « politique des ZUP », a connu un réel développement et a abouti à mettre à la disposition d'organismes constructeurs, en grande majorité promoteurs de logement social, des superficies importantes de terrain équipé (acquisition publique, appuyée sur la possibilité d'exproprier, quand bien même on n'y recourt pas toujours). En 1966 6 : Superficie

Délimitée Acquise Constructible

totale

Surface (ha) 23 496 13 100 7 000

Capacité en logements (environ) 755 000 500 000 275 000

Mais en même temps, il y a échec relatif de cette solution dans la pratique, échec qui se manifeste de plusieurs façons. Les prix d'acquisition de terrains, au moyen de la procédure d'expropriation, ont été le plus souvent fixés au « prix du marché », autrement dit à un niveau intégrant largement la rente foncière correspondant au nouvel usage du sol. Ceci est une illustration de la proposition théorique selon laquelle les contradictions passent à l'intérieur même de l'appareil de l'Etat. Bien au-delà de la personne des juges d'expropriation, la politique visant à favoriser les organismes constructeurs et à limiter le monopole de la propriété foncière a subi, dans le cours même de son application par les services de l'Etat, un rééquilibrage en faveur de cette dernière. Du fait de ces prix et de l'effort d'équipement réalisé dans ces zones (qui n'a pourtant rien d'extraordinaire, comme on le verra plus loin), la charge foncière par logement 7 s'est trouvée, au total, 6. S. Biarez, « l e s Z U P » , i n : Aménagement du territoire et développement régional, Grenoble, Institut d'études politiques, vol. II, p. 456. 7. C'est le prix pour chaque logement en moyenne du terrain équipé : coût des terrains + démolitions + fondations spéciales + participation + réseaux et branchement d'eau, d'assainissement, de gaz et d'électricité et d e la voirie.

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La production

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ensembles

plus élevée, en moyenne dans les ZUP qu'en dehors 8 . La conséquence en a été un « remplissage » en logements beaucoup plus lent que prévu : « En 1959, les ZUP créées avaient une capacité d'accueil de 130 000 logements ; en juin 1967, le nombre total de logements terminés ne dépassait pas 117 000. Sept années ont été nécessaires pour réaliser les logements prévus. » et aussi, un « remplissage » constitué surtout par des logements HLM, les plus contraints à utiliser cette source de terrain équipé, les opérations « privées » préférant d'autres solutions, d'autant que dans de nombreuses ZUP on a essayé d'alléger la charge foncière des logements sociaux en augmentant celle des autres catégories. Enfin, on n'a pas en général évité que l'opération ne profite aux propriétaires fonciers environnants 9 , les terrains autour d'une ZUP bénéficiant toujours quelque peu des équipements réalisés. b) L'achat « amiable » Cette solution, qui relève de la simple circulation du terrain comme marchandise, est intéressante pour les promoteurs à condition qu'ils parviennent à conserver tout ou partie du surprofit. Ceci peut être obtenu de plusieurs façons. Si l'on envisage seulement le cas de grandes opérations, les terrains les plus intéressants sont ceux de grandes propriétés, susceptibles d'être achetés en une seule transaction : — Les conditions particulières dans lesquelles une propriété importante est mise en vente peuvent en permettre l'achat à un prix intéressant (nécessité de réaliser son patrimoine, et difficulté de vendre un bien très important, par exemple). — La première opération, dans une zone donnée, peut ne payer que la rente foncière correspondant à l'usage antérieur du sol, si les conditions générales d'équipement de cette zone ne paraissent pas favorables à un autre usage, conditions qui se trouveront modifiées ensuite, y compris par l'opération elle-même si elle est importante.

8. Cf. Annexes, tableau 2. 9. Sauf peut-être dans le cas d'une ZAD entourant la ZUP, mais nous ne connaissons pas de mesure réelle des effets d'une telle procédure.

Le problème

foncier

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— Enfin, les promoteurs importants ont la possibilité de fait d'obtenir des dérogations 10 aux règles d'urbanisme définissant les usages possibles du sol. Cette possibilité peut rarement être prise en compte par le propriétaire, qui vend son terrain au prix déterminé par la rente foncière pour l'usage le plus productif du sol, compte tenu de la réglementation. Remarquons que la solution d'achat amiable n'est pas l'apanage des seuls promoteurs privés, l'Etat lui-même est amené à l'utiliser. c) Les solutions

mixtes

Elles consistent dans l'utilisation, coordonnée ou consécutive, des deux précédentes — par exemple, constitution d'une réserve foncière par achat amiable, puis intervention publique lorsque la réserve foncière devient opération d'urbanisme —, l'intervention publique pouvant utiliser soit la procédure de ZUP s'il s'agit d'élargir la zone opérationnelle, soit celle de la ZAD à titre de mesure conservatoire en attendant d'éventuels développements opérationnels. Les solutions d'achat amiable ou mixtes, même si elles restent les plus courantes, ne font toutefois que contourner l'obstacle et présentent nombre d'inconvénients : — Pour les promoteurs, l'acquisition de réserves foncières à moyen terme se traduit par des immobilisations de capital non négligeables. Même si les espérances de rémunération de telles immobilisations sont quelquefois élevées, du fait de la croissance des surprofits escomptables, liés au développement général de l'urbanisation, ce ne sont que des espérances, et les modes de fonctionnement des capitaux propres des promoteurs ne permettent pas toujours de telles immobilisations u . — De nombreux terrains, qui, de par leur localisation, leur forme, etc., présentent des attraits considérables pour des opérations immobilières, ne peuvent être appropriés de cette façon et demeurent « sous-utilisés ». 10. Cf. le texte cité de l'annuaire 1957 du Commissariat à la construction et à l'urbanisme de la Région parisienne. La possibilité de dérogation trouve son existence juridique dans l'absence quasi totale de plans d'urbanisme produisant leurs pleins effets, c'est-à-dire approuvés. La plupart sont, soit simplement publiés, soit en révision. 11. Une analyse détaillée des politiques foncières des promoteurs peut être consultée dans l'étude de C. Topalov, Les promoteurs immobiliers, op. cit. Nous donnerons seulement quelques indications complémentaires.

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La production

des grands

ensembles

•—• Les formes d'urbanisation qui en résultent, tant au niveau de la localisation particulière de telle opération qu'au niveau des structures urbaines d'ensemble, sont peu propices à la formation des valeurs d'usage urbaines nécessaires aussi bien pour la reproduction de la force de travail que pour les différents aspects des procès de circulation et de mise en valeur du capital. Ceci se manifeste dans le caractère très souvent contradictoire de l'action individuelle des promoteurs par rapport aux tentatives de planification urbaine. — Enfin, l'achat amiable suppose que le prix envisageable représente une rente foncière (capitalisée) supérieure à la rente retirée de l'usage antérieur du sol. Ceci paraît être très généralement le cas pour le passage d'une utilisation agricole à une utilisation pour construction de bâtiments, mais pose le problème des exploitants antérieurs qui se voient retirer leur moyen de production : problème particulièrement aigu dans le cas de petites exploitations (difficultés de reconversion, etc.), et dans le cas où le propriétaire est lui-même exploitant 12 .

2. Les solutions a) L'ensemble

observées

dans les six cas étudiés

13

(A)

On a vu, dans la deuxième partie, les différents problèmes qui convergeaient vers la nécessité d'une intervention étatique. (A) est précisément un des prototypes de cette intervention 14 dans 12. On peut rappeler les manifestations de fermiers qui ont marqué le lancement de la ville nouvelle de Cergy-Pontoise, par exemple. 13. Le lecteur pourra constater une certaine imprécision et une certaine hétérogénéité dans les informations (chiffres en particulier) concernant les transactions foncières. Les chiffres qui sont indiqués ont toujours été donnés oralement et de façon un peu floue (flou que ne dissipe guère le recoupement des différentes sources). Nous n'avons eu que très rarement accès à des documents officiels précis — c'est là une des principales difficultés mal surmontée de l'enquête — et même ceux que nous avons pu consulter sont d'une interprétation délicate. 14. Ce n'est pas la première intervention étatique de ce genre. Sans remonter jusqu'à Haussmann, rappelons seulement les projets de villes nouvelles de la Région parisienne envisagés dans les années vingt et dont certains sont allés jusqu'à un début de réalisation (ville nouvelle de Rungis, Velizy et axe d'urbanisation entre les deux comprenant Massy-Verrières, et Châtenay-Malabry, dont une petite partie a été réalisée, la Butte Rouge à Châtenay-Malabry). Les problèmes à l'origine de ces interventions n'étaient pas essentiellement différents, toutefois le contexte (économique et politique) dans lequel ils se

Le problème

foncier

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la période actuelle. Les moyens juridiques d'une appropriation publique des sols avaient été créés par la loi du 6 août 1953 : « Loi foncière ». « Mais la déclaration d'utilité publique, l'enquête préalable, l'expropriation enfin, sont des procédures lourdes et compliquées ; elles demandent beaucoup de temps, pratiquement trois années, pendant lesquelles le prix des terrains ne cesse de monter : autrement dit, la loi foncière ne donne pas, pratiquement, la maîtrise du sol, car elle n'empêche pas la spéculation. » 15 Cette « lourdeur » et cette « durée », qu'il paraît plus sérieux d'interpréter comme le signe des précautions avec lesquelles l'Etat doit traiter la propriété foncière — symbole de la propriété privée — plutôt que comme un « phénomène bureaucratique », expliquent que la solution utilisée pour l'ensemble ait surtout été la procédure d'acquisition amiable (quatre cinquièmes des terrains, sur une superficie de 80 ha). Cette procédure plus souple 16 n'a pu toutefois être appliquée à l'ensemble, et il a été nécessaire d'utiliser pour le cinquième restant la procédure d'expropriation. « Les acquisitions sont poursuivies depuis 1957, peut-être même avant, 1956, et elles ont battu leur plein quelques années, elles ne sont pas terminées, il y a encore aujourd'hui quelques bricoles qui restent à acquérir... il y a quelquefois des expropriations qui durent un peu, on s'est trouvé avoir des terrains qui sont très morcelés par certains côtés, des découpages très arbitraires, quelquefois des enclaves, parce que les gens avaient des propriétés très morcelées dans ces régions agricoles, et ils ont voulu qu'on leur prenne non pas les neuf dixièmes de leur propriété, mais tout, alors, on a pris des terrains qui n'étaient pas utilisables... » 17 Il est à remarquer que ces terrains ont été acquis directement par l'Etat (avant même la création d'un organisme particulier chargé de posaient différait sensiblement (voir l'analyse faite par A. Cottereau, « Les débuts de la planification urbaine à Paris », Sociologie du Travail 4, 1970, pp. 375-381) du fait de la concentration économique, les rapports de forces entre les classes sociales ont changé, ainsi que les formes et le contenu des interventions de l'Etat ; ils ont d'ailleurs continué à évoluer au cours de la période étudiée (1955-1970). 15. Hommes et Commerces 72, I, p. 62. 16. « Les acquisitions sont faites pour la plupart à l'amiable, et pour la plupart à coup de rouge, dans les bistrots de (A) » (extrait d'interview). 17. Extrait d'une interview avec le Directeur de la Société d'aménagement et d'équipement du grand ensemble ( A ) .

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La production

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ensembles

l'opération) et qu'aujourd'hui encore, c'est le Ministère de l'équipement qui prend les décisions d'attribution des terrains. Au-delà même de l'acquisition, l'appropriation des sols pour construire a été marquée par une intervention très forte de la contrainte étatique. « Les agriculteurs de (A) gardent un mauvais souvenir de cette journée du 2 juillet 1958 où les bulldozers éventrèrent des dizaines d'hectares de blé mûrs en instance d'être moissonnés. » « Le terrain qui est là... il ne nous appartient pas... la route a été construite dessus, le propriétaire du champ était furieux... il attendait les bulldozers de l'Administration avec un fusil de chasse... comme il savait que nous allions le faire... il avait planté des choux de Bruxelles pour pouvoir demander des dommages et intérêts... » « Cette parcelle ne nous appartient pas, par contre le cimetière est déjà construit, donc on a construit une partie du cimetière sur un terrain qui ne nous appartenait pas. » 18 L'usage, même partiel, de la procédure d'expropriation, l'acquisition directe des terrains par l'Etat Central, et la contrainte étatique forte pour l'appropriation du sol, font de ce cas l'exemple type de la première solution. La plupart des terrains qui étaient des terrains de culture ou des jardins appartenaient à des petits propriétaires. « On a reçu nous-mêmes les gens, qui ne connaissaient rien au droit, on aurait pu les rouler. Ça a été un peu le Far West. Si ça avait été des manoirs de l'Ouest de Paris, ils ne se seraient pas laissé exproprier comme ça. » 19 Les prix, de 3 à 10 F au départ, ont quelque peu monté par la suite, la moyenne se situant à 10 F. Ils semblent avoir été assez modérés, mais un exemple montrera qu'on accorde toujours un peu de la rente foncière au propriétaire privé. « Du moment que c'était la commune qui était propriétaire, il n'y avait pas besoin de les payer cher. C'est la position des 18. Extraits d'une interview, Ministère de l'équipement. 19. Extrait d'une interview avec le Directeur de la Société d'aménagement et d'équipement du grand ensemble (A). Il semble justement que les plus graves difficultés rencontrées à (A) aient concerné l'expropriation de grosses exploitations agricoles.

Le problème foncier

45

Domaines, d'ailleurs. Eh ! bien, nous avons des terrains qui ont été achetés à 3 F le mètre carré, 3,60 F, mais le propriétaire privé qui avait le terrain d'à côté, qui était un champ pareil, eh ! bien, ces propriétaires ont vu leur terrain payé 4,50 F et 5 F, mais c'étaient des propriétaires privés. » 2 0 Une fois les terrains équipés, la revente de ceux-ci aux organismes constructeurs s'est faite sur un mode qui équivaut presque à une simple vente d'un droit de construire. L'Etat, en effet, conserve la propriété de l'ensemble du terrain, les promoteurs ne pouvant acheter que la seule emprise du sol (déterminée par le plan masse) des bâtiments à construire par eux. Il est difficile d'isoler le prix du terrain seul dans la charge foncière versée (calculée par logement), mais il semble que les promoteurs ont plutôt fait une bonne affaire dans le cas de (A). Pour les premières tranches, certaines parcelles ont été vendues équipées à 6,50 F le mètre carré. « C'est-à-dire que le tarif, qui avait été fixé par la Direction départementale, c'est-à-dire 6,50 F pour les logements sociaux, pour les terrains nus plus les équipements..., c'est un tarif qui ne faisait pas rentrer le FNAFU 21 dans ses fonds, ils n'avaient pas calculé cela et ils ont donné ce tarif à peu près... Ce n'est qu'en 1968 qu'on a établi un tarif pour le terrain nu au prix moyen de 30 F le mètre carré. » 2 2 « On ne revend pas le terrain équipé, on fait peser une charge foncière sur chaque logement, suivant sa catégorie, de 30 F à 120 F. Je crois me souvenir que pour les premiers HLM, ils avaient payé quelque chose au sol, mais c'était 600 F anciens, vous vous imaginez... Le coût du terrain nu dans cette histoire n'est rien. Il est monté à 30 F le mètre carré pour compenser ceux qui n'ont pas payé au départ. Les offices HLM ont fait de bonnes affaires au début... Autour, cela doit être à peu près les prix du grand ensemble. On le vend au prix du marché... Les promoteurs de la zone d'habitation ont longtemps acheté au dessous du prix du marché. » 2 3 Dans ce cas, l'intervention de l'Etat a donc permis aux promoteurs d'éviter le paiement d'une bonne part de la rente foncière, et le sol 20. Extrait d'une interview avec le Maire de ( A l ) . 21. Fonds national pour l'aménagement foncier et l'urbanisme. 22. Extrait d'une interview, Ministère de l'équipement. 23. Extrait d'une interview avec le Directeur de la Société d'aménagement et d'équipement du grand ensemble (A).

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des grands

ensembles

reste pour l'essentiel propriété de l'Etat (actuellement de l'Etat Central ; cette propriété sera transférée aux communes au terme de l'opération). b) L'ensemble

(B)

La ZUP de (B) correspond à la généralisation du mode d'intervention dont (A) était un prototype, la « politique ZUP ». Bien que l'arrêté de ZUP date de 1960, la procédure foncière a été engagée dès 1957. Le futur architecte en chef était alors chargé du Plan directeur d'urbanisme intercommunal de la zone, dont les études avaient conclu à la probabilité d'urbanisation du plateau où est aujourd'hui la ZUP, et prévoyait une zone d'urbanisation nouvelle de 500 logements. La SFRP 24 a acheté des terrains qui se sont trouvés en vente en 1957 (terrains correspondant à la zone d'activités actuelle). Puis, à la demande de l'Etat, probablement du Commissariat au logement et à l'urbanisme de la Région parisienne, la SFRP a également acheté des terrains dans la zone où a été délimité ultérieurement le périmètre de la ZUP. Il y a donc d'abord constitution de réserves foncières, puis arrêté de ZUP. Toutefois, là encore l'intervention étatique a été déterminante : c'est à la demande de l'Administration que la Caisse des dépôts a continué à acquérir des terrains et d'autre part, malgré l'acquisition de grandes propriétés, le recours à l'expropriation a été indispensable pour avoir un terrain d'une seule pièce. « Dans les réserves foncières, il y avait quelquefois des bandes de terrains qui étaient de véritables coups de poignard et qui interdisaient des opérations dans ce sens. Alors, c'est là seulement qu'on est arrivé à exproprier ; parfois, quand il y a un mauvais coucheur qui sait très bien que malgré l'étroitesse de son terrain il est une très grande gêne et qui veut en profiter, là, dans ces cas-là, on a exproprié au prix des Domaines, généralement majoré par l'appel du vendeur. » 25 Les prix des terrains vont de 4 à 10 F : « A l'amiable, nous avons acheté, je crois il y a quelque temps, des pièces de terre très importantes sur la base, disons de 8 à 10 F, et en 1957, je pense que ça a commencé autour de 4 F. » 26 24. Société foncière de la Région parisienne, filiale de la Caisse des dépôts. 25. Extrait d'une interview avec le Président de la Société d'aménagement de l'ensemble (B).

26. Ibid.

Le problème

foncier

47

Les prix des terrains expropriés seraient de l'ordre de 13 F. La SFRP a revendu à la Société d'aménagement les terrains achetés par elle à l'intérieur du périmètre de la ZUP. Les terrains équipés sont ensuite revendus aux promoteurs, la charge foncière par logement allant de 13 000 F pour les HLM à 16 000 17 000 F pour les logements en accession (crédit foncier). Il est difficile, ici aussi, d'apprécier l'importance de la rente foncière payée par les promoteurs. Si on se rapporte aux chiffres donnés en annexe, qui sont des chiffres par mètre carré habitable, et en prenant comme surface moyenne habitable 70 m2 (F 3), on arrive à des chiffres supérieurs aux chiffres moyens en Région parisienne à l'époque. D'après les commentaires faits par des personnes interviewées, il semble qu'en effet, les promoteurs aient considéré la charge foncière comme assez lourde. Mais, dans les éléments constitutifs de cette charge, il est difficile d'isoler la part du terrain. En tout cas, le remplissage de la zone est assez lent, puisque le Groupe d'études et de programmation de la Direction départementale de l'équipement n'en prévoit l'achèvement qu'en 1975. Il faut ajouter que le problème foncier est plus complexe que ce qui a été dit concernant la ZUP. A côté de celle-ci, il y a une zone d'activité menée parallèlement par la même Société d'aménagement, et dont les terrains appartiennent à la SFRP qui les rétrocède progressivement. De plus, les réserves foncières paraissent plus étendues que les périmètres de ces deux zones 27 . Avec (B) on est donc dans un cas d'intervention étatique forte (solution 1), avec toutefois une variante par rapport à (A), liée à l'intervention de la Caisse des dépôts. c) L'ensemble

(C)

Cette opération menée entièrement par un promoteur privé, société de promotion appartenant à un groupe financier des plus importants, a été réalisée uniquement par achat amiable : en 1963-1964, le promoteur a acheté à bon prix (6 F le mètre carré) des terrains bien situés, proches de l'autoroute, avec quelques difficultés dues au morcellement. 27. « En l'espace de cinq à six mois, il a fallu très vite maîtriser les opérations pirates en se portant acquéreur des terrains hors ZUP sur lesquels elles allaient se parachuter. » (Les « opérations pirates » étant en l'occurrence des projets de centres commerciaux très importants liés à un échangeur proche de l'autoroute en cours de construction et des lotissements pavillonnaires.)

48

La production

des grands

ensembles

« C'est l'opportunité du terrain, le site qui était bien, qui était agréable, c'était l'autoroute, une municipalité intelligente... Le départ de l'opération, c'est quelqu'un qui vous signale un terrain. On regarde le terrain..., on voit ce qu'on peut construire et puis on s'aperçoit que ce terrain, dans le fond, il n'est pas mal, mais il serait beaucoup mieux s'il y avait des terrains à côté ; et puis on voit si on peut acheter des terrains à côté... et c'est très exactement ce qui s'est passé avec l'appui de la commune qui a senti l'intérêt communal d'une opération qui finirait par faire 1 200 ou 1 300 logements... Vous regardiez une feuille de cadastre ancien, c'était vraiment un puzzle, un jeu de dames. Il y avait des petits bouts résultant d'héritages qui s'étaient fractionnés, de partages, des petits bouts enclavés de tous les côtés. On a été obligé de faire des recherches. » 2 8 A titre de comparaison, une opération plus récente a payé le terrain 80 F le mètre carré à (C). Même en tenant compte d'un coût d'aménagement plus élevé pour notre promoteur, résultant d'une mauvaise qualité du sol, on voit que la solution pratiquée l'a été avec bonheur. Il faut ajouter toutefois, outre la bienveillance de la commune, une intervention favorable de l'Administration qui a autorisé le promoteur à densifier notablement la dernière tranche de l'opération, en dérogation du règlement d'urbanisme appliqué jusqu'alors (Secteur d'habitations basses avec jardins) : les premières tranches sont en R + 3, la dernière en R + 4, R + 5, R + 7 et R + 12 (tours). L'acquisition des terrains ayant été faite avec un niveau de rente foncière correspondant à la constructibilité des sols prévue antérieurement, il en résulte un avantage notable pour le promoteur. Cette solution paraît, au vu de cette opération, comporter toutefois un certain nombre de difficultés pour le promoteur privé : — difficultés pour arriver à acquérir (à un prix « raisonnable ») suffisamment de terrains, — difficultés liées à l'immobilisation d'une fraction de capital pour l'acquisition de tout le terrain. Ceci est important puisque la durée d'immobilisation intervient dans la détermination du taux de profit. Il en résulte une limitation de la taille des opérations possibles avec cette méthode. Le promoteur cherche d'ailleurs à limiter les immobi28. Extrait d'une interview, Société de promotion.

Le problème

foncier

49

lisations en opérant par tranches successives, ce qui n'est évidemment pas possible pour l'achat du terrain 29 . A (C), la durée d'immobilisation du capital utilisé pour l'achat du terrain s'est trouvée augmentée par suite de difficultés de commercialisation. « Nous sommes restés un certain temps avec une vente assez réduite... Il y a eu une période assez mauvaise et nous n'avons pas lancé de nouveaux programmes, et le promoteur, à ce momentlà, a hésité à faire utilisation des terrains. » 30

d) L'ensemble

(D)

Les terrains utilisés pour l'ensemble (D) ont été acquis par l'intervention de l'Etat. « C'était en 1965, lorsqu'on a commencé à constater que les ZUP s'essoufflaient un peu et lorsque Delouvrier voyait que les Villes Nouvelles, en hiver 1965, ne pouvaient pas être pour tout de suite, il faudrait avoir de grosses opérations de logements... il y a eu... ce que l'on appelait les opérations grands offices. »31 Le terrain, sur lequel, d'ailleurs, la commune avait des projets de construction de logements sociaux (beaucoup plus modestes, quelques centaines d'HLM), a été signalé à l'Administration par un géomètre au courant des projets de la commune. L'Administration, qui recherchait donc à ce moment là des terrains pour les Offices d'HLM, s'est saisie de l'occasion. « Il faut vous dire qu'en matière d'acquisition des terrains, il y a eu une procédure d'expropriation et c'est l'Agence foncière et technique de la Région parisienne qui est intervenue. Le terrain a été payé sur la base de 9 F le mètre carré. » 3 2 « L'acquisition par voie d'expropriation a abouti à un jugement en date du 23 novembre 1965. » 3 3 29. A noter toutefois que quelques promoteurs, parmi les très gros, peuvent se permettre des immobilisations importantes sous forme de réserves foncières (à moyen terme, il est vrai). Cette possibilité tient sans doute à l'importance de leur capital et à une possibilité de fonctionnement plus diversifiée, ainsi qu'à la possibilité de réaliser de très grosses opérations, les réserves foncières se trouvant rentabilisées par l'importance des surprofits réalisés à cette occasion. 30. Extrait d'une interview avec l'architecte de l'opération. 31. Extrait d'une interview avec le Chef du GEP. 32. Extrait d'une interview à l'UOC (Direction départementale de l'équipement). 33. Rapport de l'Office d'HLM, février 1967.

50

La production

des grands

ensembles

Il y a donc ici intervention étatique forte afin d'acquérir des terrains pour l'Office interdépartemental d'HLM de la Région parisienne (ancien OPHLM de la Seine). Le niveau du prix obtenu par la procédure d'expropriation •— 9 F le mètre carré — est un peu supérieur au niveau de transactions amiables qu'on nous a indiqué dans cette période — 7 F le mètre carré — sans toutefois que la différence soit très considérable. e) L'ensemble

(E)

Il y a eu, pour cette opération, acquisition à l'amiable, par la SCIC 34 , des terres de cinq fermes, plus de 300 ha, sur le territoire de trois communes. La date d'acquisition n'est pas connue exactement ; il est probable que la Caisse des dépôts s'y est intéressée avant même 1960, sur les conseils de l'urbaniste chargé du plan intercommunal. Si on se reporte au PADOG 35, le périmètre de l'opération actuelle correspond approximativement à des zones indiquées comme « secteur susceptible d'être urbanisé ». Il est difficile de savoir si les acquisitions sont antérieures ou postérieures à la publication du PADOG ; il faudrait aussi savoir si auparavant la zone concernée était couverte par un Plan d'urbanisme au moins publié, et quelles en étaient les dispositions. En tout cas, les prix des terrains ont fortement augmenté : de 2,50 F au début, jusqu'à des chiffres de 20 F et plus récemment. La structure du parcellaire a posé des problèmes. « Ils n'avaient pas les parcelles près de la gare et ils avaient des parcelles ici, près de la courbe, alors nous, on leur a dit : faites vos logements autour de la gare... faites le lycée, les sports, près de la forêt, et avec le Conseil départemental de l'agriculture, vous avez la possibilité d'échanger des parcelles de forêt ; en échange de quoi, ils vont construire près de la gare ; on a même dégagé une surface qui permettait de faire un peu plus de logements. » 36 f) L'ensemble

(F)

Au départ, il y a achat (amiable) de terrains importants par la Caisse des dépôts en 1964 : « C'est la Caisse des dépôts qui est à l'origine. La Caisse a acheté la ferme de la Marquise de M... en 1964. » 3 7 34. Société centrale immobilière de la Caisse des dépôts et consignations. 35. Plan d'aménagement et d'organisation générale de la Région parisienne, qui a précédé, en 1960, le Schéma directeur. 36. Extrait d'une interview avec le Chef du GEP. 37. Extrait d'une interview avec le Maire de (F).

Le problème

foncier

51

Achats effectués à un prix assez bas (2,20 F ?). Puis ces premières acquisitions ont été aidées par l'Etat sous la forme d'une ZAD où l'exercice du droit de préemption a permis de continuer les acquisitions à des prix raisonnables. « La ZAD a joué dans l'ensemble un rôle positif, puisqu'elle a permis de geler un peu les prix, et qu'elle a permis à la Caisse des dépôts... parce que la ZAD a été surtout utilisée par la Caisse des dépôts... d'acheter le terrain de toute cette région. » 3 8

3. Conclusion : la nécessité de l'intervention rations importantes

de l'Etat pour les opé-

Dans les six cas étudiés, on voit donc que l'appropriation de superficies importantes adaptées à la construction de grandes opérations a nécessité, sous des formes diverses, l'intervention de l'Etat pour limiter la rente foncière allant aux propriétaires sous la forme du prix payé pour leurs terrains. Cette intervention est d'autant plus nécessaire que l'opération est importante, et la solution purement marchande est rare, si l'on considère comme une intervention de l'Etat sur le niveau de la rente la modification d'un plan d'urbanisme ou la dérogation. Elle est d'autant plus nécessaire également que la taille des opérations conduit à poser le problème des équipements, qui sera étudié plus loin. On est donc ramené à deux grandes familles de solutions (pour les opérations importantes). 1. Un premier type comporte deux phases : une phase d'acquisition directe par le promoteur, puis l'aide de l'Etat soit pour des acquisitions complémentaires, soit pour augmenter la constructibilité de la zone, ce qui augmente le profit et diminue la rente relativement. Ce type illustré par (C) et (F) trouve d'ailleurs maintenant une forme juridique dans la ZAC « privée », qui met au service du promoteur les moyens d'intervention publics et institutionnalise l'augmentation de constructibilité (par « effacement du plan d'occupation des sols »). C'est probablement la solution qui convient le mieux aux fractions de capital exigeant des taux de profit élevés, et qui ont intérêt à acheter à l'amiable, avant intervention de l'Etat, la plus grande superficie, du moins tant que les procédures publiques resteront lentes et auront 38. Extrait d'une interview avec le Conseiller général.

52

La production

des grands

ensembles

tendance à se « rééquilibrer » en faveur des propriétaires fonciers, et avec, toujours, une limitation liée à l'importance des immobilisations et aux délais incertains du fait des aléas de la commercialisation. Cette solution, appropriation privée du sol avec l'aide de l'Etat, est donc, pour les promoteurs qui en ont les moyens (promoteurs « privés » essentiellement, peut-être aussi les plus gros promoteurs « sociaux »), la solution la plus intéressante — et c'est aussi la solution la plus intéressante pour l'Etat, car elle présente le triple avantage d'éviter l'immobilisation de fonds publics, de ne pas dresser les propriétaires fonciers contre l'Etat et de permettre des interventions sélectives. Par contre, c'est la solution la plus susceptible d'accentuer les contradictions de l'urbanisation capitaliste (voir § III) et, de plus, c'est une solution qui, à terme, peut produire une aggravation du problème foncier, car elle reproduit, par sa nature même, l'appropriation privée du sol 39 . 2. Un second type correspond à l'appropriation publique des sols, les terrains étant ensuite attribués à des promoteurs. Ce second type, dont on a vu qu'il soulevait des difficultés importantes, continue toutefois à être pratiqué. On peut avancer l'hypothèse qu'un certain effort d'appropriation publique des sols est nécessaire pour pouvoir apporter le minimum de solution indispensable au problème du logement des travailleurs, c'est-à-dire fournir aux promoteurs sociaux un ensemble de terrains à des prix abordables pour eux, une part importante de ces promoteurs n'ayant pas, de par le capital dont ils disposent, la possibilité de recourir uniquement à la première solution. Toutefois, une évolution est en cours dans le secteur des promoteurs de logement social, encouragée par l'Etat, et on peut penser que le développement de Sociétés anonymes d'HLM importantes et liées au capital monopoliste peut modifier les données du problème.

39. Il faudra, à cet égard, examiner les conséquences sociales de ce transfert de la propriété foncière : qui sont les nouveaux propriétaires fonciers ? On voit se dessiner au moins deux réponses : d'une part, appropriation de surfaces importantes par les groupes financiers dont les promoteurs privés sont les agents ; d'autre part, re-parcellisation de la propriété foncière ou socialisation partielle à travers les formes de la co-propriété.

Le problème foncier

I I I . LES

CONSÉQUENCES DU PROBLÈME FONCIER

ET

DES

53

SOLUTIONS

PRATIQUÉES

1. Conséquences sur la répartition des profits Le problème foncier se pose d'abord en termes de redistribution du profit réalisé lors de l'usage du sol pour la production de zones d'urbanisation, le profit total se décomposant en : — profit des entreprises de production proprement dites (rémunération du capital engagé par les entreprises, bureaux d'études, agences d'architecture...) ; — profit du promoteur (rémunération du capital immobilier propre au promoteur, qui se décompose éventuellement en rémunération d'une fraction de capital comme capital de circulation, et rémunération d'une autre fraction, qui disparaît comme capital dans l'acquisition du terrain) ; ce profit, pour la part qui correspond au capital de circulation, peut être faible ou quasi nul dans le cas des promoteurs « sociaux » ; par contre, la part qui correspond à la rente pourra s'avérer importante ultérieurement, par « augmentation de la valeur » du terrain ; — intérêt du capital de prêt utilisé, associé au capital du promoteur comme capital de circulation : (cet intérêt peut être élevé : capital bancaire, ou faible : prêts du Crédit foncier, prêts HLM) ; — rente foncière perçue par le propriétaire sous la forme du prix de vente du sol. Il faut étudier les règles de répartition du profit d'ensemble entre ces différents agents. Cela relève d'une analyse plus générale que celle tentée ici, mais il est nécessaire de considérer ces règles de répartition, c'est-à-dire les rapports entre les différents agents énumérés ci-dessus, en tant que ces rapports ont un effet sur la valeur d'usage du produit final. Dans cette partie, on a surtout examiné le partage concernant le propriétaire foncier et le promoteur : les deux agents qui cherchent à s'approprier les surprofits, en particulier, ceux qui sont liés aux caractéristiques du sol, à sa localisation. Les règles de ce partage peuvent varier dans chaque cas (c'est ce qui fait l'essence des « opportunités foncières »). Mais ce qui est net et tout à fait caractéristique,

54

La production

des grands

ensembles

c'est l'intervention croissante de l'Etat sur ces règles, favorisant le promoteur 4 0 , particulièrement les promoteurs importants représentant des fractions du capital monopoliste, et tendant à réduire l'exercice du monopole de la propriété foncière (surtout, il est vrai, de la petite propriété). Les conséquences de cette intervention sont donc : l'appropriation un peu plus facile des sols pour construire, des surprofits moins amputés par la rente, et aussi le développement d'une propriété foncière publique : Etat central, Municipalités, Offices publics d'HLM...

2. Conséquences

en termes de valeurs

d'usage

Ces conséquences sont généralement reconnues depuis bien longtemps : c'est « l'anarchie » du développement urbain, l'absence d'« organisation rationnelle » de l'espace aménagé, et même la « déstructuration »..., phénomènes qui sont évoqués par les idéologies successives de la planification urbaine depuis un siècle ; elles ne sont d'ailleurs pas caractéristiques du seul usage du sol pour la production de zones d'habitation 41 et trouvent un écho plus récent dans les campagnes sur 1'« environnement ». On peut en souligner certaines qui sont plus particulièrement sensibles : — Une urbanisation « à la remorque » des opportunités foncières est incapable de traiter le problème (peut-être pas encore très aigu en France, mais vivement souligné déjà en Angleterre) de la meilleure utilisation des sols en fonction de leurs capacités naturelles, en particulier, de la protection des meilleures terres de culture. 40. Ce n'est évidemment pas la même chose de favoriser un promoteur privé, qui assure la mise en valeur d'un capital, ou un promoteur « public », Office public d'HLM, par exemple, qui reste pour l'essentiel un agent de la réduction du coût de reproduction de la force de travail. Favoriser le premier, c'est favoriser directement le profit capitaliste au détriment de la récupération de rente par des fractions (non capitalistes le plus souvent) de la bourgeoisie ; favoriser le second, c'est, toujours au détriment des mêmes couches, favoriser l'accumulation, mais indirectement seulement : abaissement du coût de reproduction de la force de travail, donc abaissement des salaires, donc augmentation de la plus-value directement appropriable. 41. A propos surtout de l'usage agricole du sol, Marx notait déjà: « A u lieu que la terre soit consciemment et rationnellement traitée comme la propriété perpétuelle de la collectivité, la condition inaliénable d'existence et de reproduction de la série des générations successives, nous avons affaire à une exploitation des forces du sol qui équivaut à leur gaspillage. » (Le capital, Paris, Ed. Sociales, t. 8, p. 191.)

Le problème

foncier

55

— Il en résulte également une utilisation pour l'habitat des sites naturels, qui conduit à des résultats fâcheux : urbanisation de sites peu propices en raison de leur microclimat, destruction définitive de sites naturels remarquables. — L'obstacle de la propriété foncière entraîne très souvent une sous-utilisation de terrains bien situés, bien équipés ou plus faciles à équiper, et une urbanisation de terrains mal ou non équipés, ou plus difficiles à équiper. Ceci rend quasiment impossible une conception rationnelle des équipements (prévision, recherche de la meilleure utilisation des ressources, optimisation des données techniques, réalisation planifiée...) et est une des causes du sous-équipement et du gaspillage. — Il y a densification excessive de certains terrains, aboutissant à un véritable entassement, à côté de terrains peu ou pas utilisés. Le niveau de la rente, donc du prix, étant fixé en fonction de l'utilisation du terrain la plus productive que l'on puisse envisager au moment de la vente, c'est le logement le plus cher qui puisse se vendre à cet endroit qui aura tendance à fixer les prix ; c'est une cause importante de ségrégation résidentielle qui aboutit en particulier à rejeter les logements sociaux vers les plus mauvais terrains 42 . Nos six grands ensembles illustrent à divers titres ces conséquences : — urbanisation de plateaux peu agréables : (A), (B), (D) ; — urbanisation de zones mal desservies et difficiles à équiper : (B) (desserte), (F) (desserte), (D) (desserte en transports en commun difficile, pour une population très modeste), (E) (desserte), (C) (difficultés d'assainissement) ; — densification : c'est le cas de la très grande majorité des opérations d'urbanisme, au dire même des responsables ; c'est le cas de (A), (B), (C), (E) ; — ségrégation sociale : (C) et (D), en des sens opposés. II est clair également que la forme même des terrains (parcellaires) peut influer sur l'espace aménagé. 42. Cf. C. Topalov, Les promoteurs immobiliers, op. cit., qui note par exemple que, dans la période 1957-1961, sont réalisés dans la zone desservie par le métro : — 86 % des logements non aidés, — 63 % des logements secteur primes sans prêts, — 17 % des logements secteur primes et prêts.

56

La production

des grands

ensembles

Il faut signaler qu'en règle générale, les effets sur la valeur d'usage du recours à la solution par appropriation publique ne sont pas notablement plus favorables. La localisation des ZUP reste pour une bonne part déterminée par le coût des terrains, et ne résulte pratiquement jamais d'une planification d'ensemble du développement urbain et d'une programmation coordonnée des efforts d'investissements. Ça n'est que sur le plan de l'aménagement de la zone elle-même que l'appropriation publique peut constituer une condition favorable à la production de valeurs d'usage supérieures. Toutefois, on ne peut considérer la propriété foncière dans ses effets sur la valeur d'usage des produits sans nécessairement prendre en compte d'autres facteurs (ceux liés à la production), car la propriété foncière agit surtout négativement et ne peut rien produire seule. De plus, on a surtout considéré dans cette partie le problème de l'appropriation des sols pour construire. Mais la propriété foncière subsiste après ; elle a été seulement transférée, et la valeur d'usage est liée, par exemple, à la qualité de la desserte au départ, certes, mais aussi ensuite aux équipements réalisés ou non, ce qui fait intervenir la politique d'équipement au niveau le plus général. La quasisaturation des équipements existants et la croissance rapide de la population urbaine font qu'une meilleure utilisation des sols ne peut être qu'une solution partielle ; il faut donc réaliser de nouveaux équipements, ce qui modifiera les valeurs d'usage, et par là tendra à augmenter la rente foncière.

QUATRIÈME PARTIE

La maîtrise des procès de production des éléments de l'ensemble

I. LE PRODUIT ET LES RAPPORTS DE PRODUCTION

1. Les deux aspects du procès de

production

Si l'on néglige la part du procès de travail effectué selon un mode artisanal, ainsi que celle qui relève de l'exécution en régie par des services de l'Etat on peut considérer que la production des différents éléments qui constituent les grands ensembles s'effectue sur le mode capitaliste. Comme tout procès de production capitaliste, les divers procès qui nous intéressent présentent un double aspect : — d'une part, l'aspect de procès de travail concret, produisant des valeurs d'usage particulières, — d'autre part, l'aspect de procès de mise en valeur du capital (capital constant + capital variable) engagé dans la production, ce second aspect constituant l'aspect dominant : du point de vue du capital engagé, les produits sont d'abord produits comme marchandises ; en conséquence, l'organisation du travail, le type de travail, les investissements en capital constant, etc., sont déterminés par les règles de mise en valeur et les problèmes particuliers d'accumulation du capital dans le secteur considéré. On ne peut pour autant faire l'économie d'une analyse des rapports entre le produit et les forces productives, c'est-à-dire l'état de la technologie, les procédés mis en œuvre, le type de main-d'œuvre avec 1. La nature des rapports de production, dans un tel cas, est à étudier de plus près et soulève des questions importantes ; il paraît justifié empiriquement de les négliger par rapport au produit qui nous intéresse, c'est-à-dire les grands ensembles d'habitation en France. Ce serait moins justifié pour d'autres pays ou d'autres produits.

58

La production

des grands

ensembles

ses qualifications... Mais cet aspect, qui est justement celui du procès de travail concret, ne peut être étudié qu'en tenant compte d'abord des rapports de production : car ce sont les rapports de production qui déterminent la façon dont sont mises en œuvre ces forces productives, ainsi que leur évolution et même leur forme.

2. Les rapports

de

production

Dans le mode de production dominant, les rapports de production sont définis par la double séparation entre le travailleur direct, d'une part, et, d'autre part, les moyens de production et la capacité à mettre en œuvre les moyens de production sociaux. Cette double séparation définit en même temps le capital comme la double relation de propriété et de possession. La forme sociale prise par cette double relation — forme qui dépend de la nature du capital engagé dans le procès de mise en valeur, des caractéristiques du procès de travail en tant que procès d'appropriation de la nature, des caractéristiques de forces productives..., c'est-à-dire en fin de compte des caractères propres de chacun des éléments dont la combinaison spécifique constitue le mode de production — définit des fonctions et un agencement de ces fonctions entre elles, qui constituent socialement les agents du procès de production 2. Le produit est, dans l'ensemble de ses caractéristiques, déterminé par le mode de sa production. Mais cette détermination, quand on veut en faire l'analyse concrète, présente de multiples aspects qui tiennent à ceux, multiples aussi, du mode de production : caractéristiques des éléments constitutifs et de leurs relations. Ces multiples aspects ne constituent pas toutefois un pur divers, image de la « complexité du réel », mais sont liés entre eux en tant qu'aspects multiples d'une unité qui est le mode de production comme

2. Cf. E. Balibar (« Sur les concepts fondamentaux du matérialisme historique », in : Lire Le capital, Paris, Maspero, t. II, p. 98) : « Le tableau des éléments de tout mode de production, des invariants de l'analyse des formes : 1. Travailleur 2. Moyens de production 1. Objet de travail 2. Moyen de travail 3. N o n travailleur A. Relation de propriété B. Relation d'appropriation réelle et matérielle. » Cf. également C. Bettelheim, Calcul économique et formes de propriété, Paris, Maspero, pp. 57-58, 94-95, 98.

Maîtrise des procès de production

des éléments de

l'ensemble

59

combinaison spécifique. C'est pourquoi on organisera l'analyse à partir des principaux éléments de cette combinaison : le procès de production comme procès de mise en valeur du capital, les formes et les effets de la double relation de propriété et de possession des moyens de production par le capital — ce qui implique qu'on précise d'abord la nature du capital concerné.

3. La maîtrise circulation

du procès,

le capital

industriel

et le capital

de

Dans les procès de production que nous étudions, dont les produits constituent les « grands ensembles », si chaque procès est d'abord procès de mise en valeur du capital engagé dans la production — principalement le capital industriel des entreprises —, on a déjà indiqué que la circulation est assurée par des capitaux distincts du précédent, qui le relayent. Et ces capitaux, s'ils présentent entre eux des différences notables, ont toutefois ceci en commun, qu'ils sont indispensables3 à la mise en valeur du capital productif, caractère indispensable qui se manifeste de diverses façons ; par exemple, c'est l'intervention du capital de circulation qui déclenche le procès de production, les entreprises ne construisant des opérations importantes de logements que sur la commande d'un promoteur, c'est-à-dire du gestionnaire d'un capital de circulation immobilier 4 ; par exemple encore, c'est le plus souvent le capital de circulation qui fournit le sol, moyen de production nécessaire. C'est ce capital qui est le plus directement impliqué dans la réalisation de la valeur d'usage, qu'il y ait mise à disposition du produit comme valeur d'usage (cas des écoles) ou qu'il y ait vente du produit comme marchandise, donc présence nécessaire d'une valeur d'usage sociale comme support de la valeur ; il constitue donc par là le principal support de l'interdépendance de la production sociale. Le capital est donc constitué ici par l'ensemble du capital productif et du capital de circulation. Cet ensemble est caractérisé par la domination relative 5 du capital productif par le capital de circulation. 3. Ce caractère i n d i s p e n s a b l e est clairement analysé par C. T o p a l o v , « La p r o m o t i o n i m m o b i l i è r e » , La Pensée (166) décembre 1972, p p . 109-141, particulièrement les pages 111 à 114. 4. Le cas des entreprises suscitant elles-mêmes leur propre promoteur pour assurer la rotation de leur capital n'est pas u n contre-exemple, car il s'agit d ' u n e fraction du capital qui se spécialise c o m m e capital d e circulation. 5. Sur cette notion de d o m i n a t i o n , c f . infra, § 4.

60

La production

des grands

ensembles

Un des aspects principaux de cette domination relative est bien ce fait que le capital de circulation constitue le support de l'interdépendance de la production sociale, point particulièrement important dans le cas des grands ensembles, car il concerne non seulement chaque procès de production particulier (production du logement, des différents équipements...), mais aussi la combinaison de ces différents procès pour la constitution des valeurs d'usage complexes socialement nécessaires. En d'autres termes, c'est au niveau du capital de circulation que va se poser le problème de l'unité du produit grand ensemble. Cette IVe partie, après le présent 1 er paragraphe consacré à quelques indications théoriques préalables, développera l'analyse des formes et des effets de la maîtrise par le capital de circulation des procès de production particuliers aux éléments amenés à constituer le grand ensemble. La V e partie traitera des problèmes relatifs aux rapports entre ces procès particuliers et à la maîtrise du procès d'ensemble, par rapport à la nécessité sociale de l'unité du produit. La VI e partie traitera ensuite du rôle et des effets du capital productif, de la division sociale-technique du travail dans la production et de certaines caractéristiques des forces productives elles-mêmes ; il est important de souligner dès maintenant que l'analyse des effets de la domination du capital de circulation n'épuise nullement l'analyse de la détermination du produit par les caractéristiques du mode de production : la nature et la forme des forces productives et leur évolution doivent être considérées, le capital de circulation ne pouvant acheter au capital productif que ce que les moyens de production et les travailleurs réunis dans le procès de travail sont susceptibles de produire.

4. Les différents

éléments

du capital de

circulation

Le capital de circulation lui-même se trouve constitué par l'association de plusieurs capitaux différents (on raisonnera ici sur le cas des logements, mais les indications sont valables pour les différents produits qui nous intéressent). 1. Une première fraction, qu'on appellera elle-même dominante par rapport aux autres, du fait qu'elle est l'origine, le ciment de l'association et la fraction intéressée au profit particulier de l'opération, est constituée par du capital immobilier de circulation proprement dit,

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c'est-à-dire du capital spécifiquement affecté à la circulation des produits de l'industrie du bâtiment. Ce capital peut être de plusieurs types : — capital monopoliste, — capital « privé » non monopoliste, — capital dévalorisé (soit drainé directement par l'Etat, soit « collecté sur décision publique »). 2. La seconde fraction est constituée par du capital de prêt, qui, luimême, peut être de divers types : — capital bancaire rémunéré au taux de l'intérêt, — capital de prêt sous-rémunéré. Ce capital de prêt est mobilisé par la fraction dominante. Chaque procès de production est ainsi caractérisé par une certaine configuration de rapports entre différentes fractions associées de capital de circulation et de capital productif (qui lui-même peut être fractionné, si plusieurs entreprises interviennent). Si on appelle maîtrise du procès de production l'ensemble des rapports de production par lesquels sont définies les conditions générales de ce procès, c'est-à-dire nature du produit, quantité, moment de la production, rythme et localisation (puisqu'il s'agit de biens intransportables), on voit que cette maîtrise complète la définition de la fraction dominante du capital (de circulation), car c'est l'intervention de ce capital qui est décisive pour la définition de tel procès de production particulier ; c'est également ce capital qui assure le regroupement des divers moyens de production, dont les terrains, des unités de production, dans un unique procès de travail, et c'est lui également qui est le support de l'interdépendance de la production sociale (à travers la loi de la valeur : adéquation du produit au « marché », et à travers la coordination avec les autres produits nécessaires ; mais on voit aussi que toute autre fraction de capital indispensable (indispensable du point de vue du profit cherché), dans la mesure où elle aura des règles de mise en valeur particulière, pourra influer sur cette maîtrise. Enfin, rappelons ce qui sera l'objet de la VI e partie : le capital engagé dans la production intervient également — c'est lui qui maîtrise les éléments du procès de travail et définit par là les produits possibles.

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La production

des grands

ensembles

I I . L E LOGEMENT : LA MAÎTRISE DU PROCÈS E T LES DIFFÉRENTES FRACTIONS DU CAPITAL DE CIRCULATION

Le grand ensemble, c'est, bien sûr, d'abord une importante opération de production de logements. Cette production est caractérisée en France par l'existence séparée du promoteur, agent support du capital de circulation immobilier, qui réunit les différentes fractions du capital nécessaire. Chaque configuration de capital de circulation définit une catégorie de promoteurs 6. Dans les six ensembles étudiés, on rencontre pratiquement toutes les catégories : Offices publics d'HLM, sociétés anonymes d'HLM, SCIC, Sociétés d'économie mixte, CIL, promoteurs privés professionnnels, Sociétés immobilières d'investissement. Mises à part les Sociétés immobilières d'investissement, qui ne représentent qu'une faible part des logements étudiés, tous les promoteurs ont recours à du capital de prêt dévalorisé : prêts spéciaux du Crédit foncier ou prêts HLM ; ou bien la fraction dominante du capital immobilier est elle-même constituée par du capital dévalorisé (cas des Offices publics d'HLM, sociétés anonymes d'HLM, CIL, Coopératives...) ; ou bien elle est constituée par du capital « privé », c'est-à-dire du capital recherchant un profit maximum et qui peut être soit du capital financier, soit du capital patrimonial : l'association avec du capital dévalorisé permet à ce capital un taux de profit élevé grâce à une répartition inégale du profit d'ensemble entre les différentes fractions associées.

1. Capital recherchant

le profit

Dans ce dernier cas, on trouve un ensemble, sur les six étudiés, réalisé par un seul promoteur privé, appartenant à un groupe financier très important. On est bien là dans le cas pur du logement-marchandise, où la production de logements n'est rien d'autre que l'occasion pour la fraction dominante du capital de circulation d'une mise en valeur à un taux satisfaisant. La maîtrise du procès de production est alors essentiellement orientée vers la maximisation du profit. Il en résulte un certain nombre de conséquences sur le produit. L'opération (1 600 logements au total) est conçue et réalisée par tranches successives dont chacune doit constituer un ensemble de marchandises vendables : chaque tranche doit être aussi « finie » que 6. Cf. C. T o p a l o v , Les promoteurs

immobiliers,

op. cit., tableau n° 3.

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possible, de telle sorte que la commercialisation en soit rapide, et relativement indépendante des autres, de façon à pouvoir ralentir l'opération en cas de difficultés sans compromettre la vente des tranches déjà construites ; il ne faut pas que l'acheteur ait le sentiment qu'il va vivre dans un chantier permanent. De plus, ce découpage en tranches successives et indépendantes (y compris juridiquement) permet d'ajuster le produit à l'évolution des conditions de l'opération. Ainsi, comme on l'a déjà mentionné, cette opération (C) avait connu une période de mévente, et les dernières tranches avaient été mises en sommeil ; elle reprend aujourd'hui, mais les dernières tranches sont marquées par une modification du produit : changement de qualité et de prix (baisse), densification et changement des formes architecturales (on passe de petits bâtiments bas, R + 3, à des bâtiments plus grands et plus hauts, jusqu'à R + 12) — changement qui d'ailleurs provoque la protestation des habitants des premières tranches, les bâtiments hauts bouchant la vue qui était un des agréments du site. La production du logement comme marchandise a des effets bien connus sur la conception et 1'« habillage » du produit. D'une façon assez générale, l'architecture en est très volontairement du plus grand conformisme. « D'abord, il faut que l'on soit le plus sûr possible de plaire au plus grand nombre... il faut que nous pensions à une notion de goût, à la distance focale possible, si je peux employer cette image ; il faut qu'on soit à la limite du goût d'un peu tout le monde. » 7 Les détails d'aménagement, l'apparence, sont d'abord conçus pour décider l'acheteur : on soigne donc ce qui se voit. Le promoteur, à travers les services qui s'occupent de la commercialisation, connaît les réactions des éventuels acheteurs visitant les appartements-témoins et oriente dans ce sens le travail de l'architecte. Il s'agit véritablement d'un « habillage », sinon presque d'un camouflage : la dernière tranche de l'opération (C) est réalisée en utilisant un « modèle » en cours d'agrément, modèle correspondant à la fois aux prix et aux normes HLM ; mais on y ajoute ce qu'il faut de détails pour que « ça ne fasse pas HLM », qu'il y ait un certain standing. Il faut que ça flatte, que ça ait d'autant moins « l'air HLM » que c'est la même chose, en fait ; car, faute de vendre une valeur d'usage réellement plus utile, on essaie de faire acheter, par l'apparence 7. Extrait d'une interview avec un promoteur de l'ensemble

(C).

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du produit et la publicité 8 qui l'accompagne, autre chose : l'illusion ou l'espoir d'appartenance à une catégorie sociale « supérieure ». « En fait, souvent nous constatons que les plans d'appartements de série grand luxe sont identiques à ceux des HLM, mais que l'on a mis en plus quelques prestations dont le coût d'ailleurs ne justifie pas l'augmentation du prix de vente : marbre à l'entrée, allure bourgeoise, des bêtises. » 9 Les équipements qui accompagnent le logement procèdent de la même intention : à côté du bureau de vente, la piscine de plein air invite à cet « art de vivre », les pelouses, interdites, sont là seulement pour le décor, et les équipements sportifs sont constitués par quelques courts de tennis... Outre l'aspect-argument de vente, le fait que le logement soit vendu a sur le produit des conséquences à travers des considérations très directes sur les coûts : coûts de fonctionnement et d'entretien, coûts d'investissement au départ ; le promoteur contrôlera de très près les coûts de construction, mais s'intéressera moins au coût d'entretien. « En co-propriété, c'est moins grave... l'entretien dépend des copropriétaires, donc s'il y a du bois sur les balcons ou sur une partie du bâtiment, bon, et bien, s'il y a du vernis à repasser tous les deux ans ou même davantage, c'est à la charge des co-propriétaires. » 10 Enfin, comme l'un des arguments de vente est celui du « standing social », l'effet de ségrégation sociale est très marqué : les opérations se localisent en général 11 dans un environnement dont 1'« image sociale » correspond à l'opération projectée, et sont constituées de catégories de logement assez homogènes. 8. Cf. C. Soucy, Les facteurs de choix du logement : caractéristiques et thèmes de la publicité immobilière en 1964, Paris, Centre de sociologie urbaine, 1967, et « Un art de vivre unique au monde », Communications (10), 1967. 9. Extrait d'une interview, Service régional de l'équipement de la Région parisienne. 10. Extrait d'une interview avec l'architecte de l'ensemble (C). 11. Ainsi la commune où est réalisée l'opération (C) en compte d'autres du même « standing », et se présente comme une commune résidentielle petite bourgeoise, avec une municipalité « a-politique ». Il y a des exceptions à cette règle générale, mais elles concernent des opérations assez importantes pour que le promoteur puisse espérer transformer « l'image sociale » de la zone.

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2. Le cas de la Société centrale immobilière et consignations (SCIC)

l'ensemble

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de la Caisse des dépôts

La SCIC 12 se trouve à la frontière floue et mouvante entre « public » et « privé », ou plutôt, dans la mesure où les seuls liens institutionnels avec l'Etat ne sont pas, sur le plan économique, le critère déterminant, à la frontière entre capital dévalorisé et capital mis en valeur. L'évolution de la SCIC serait sa transformation progressive, d'instrument de gestion de capital dévalorisé pour la production de logements pour les travailleurs (ceux de l'Etat particulièrement) en promoteur gérant un capital immobilier pour faire du profit. Cette hypothèse doit toutefois être nuancée pour deux raisons : — D'une part, cette transformation n'est pas complète, c'est-à-dire qu'on peut penser qu'il subsiste des secteurs d'activités où la SCIC continue à fonctionner sur le premier mode (par exemple, les Sociétés anonymes d'HLM qui dépendent d'elle) et d'autres (par exemple, le secteur des logements aidés en accession à la propriété), où elle fonctionne sur le second. — D'autre part, même si elle constitue un pôle d'accumulation, la SCIC reste étroitement liée à l'appareil de l'Etat, et ses rapports avec lui sont différents de ceux d'un promoteur « privé », même lié à des groupes financiers puissants. Enfin, autre différence, la SCIC est de loin le plus gros promoteur immobilier français. On peut penser que de ce fait elle subit moins le marché que ses concurrents « privés ». Qu'en est-il du produit de ses activités et en quoi nos hypothèses sur la nature du capital, dont elle est le support, peuvent-elles contribuer à expliquer les caractéristiques du produit ? La SCIC est présente dans quatre des six ensembles étudiés. Ses réalisations sont, d'une façon générale, également marquées d'un assez grand conformisme architectural, surtout pour ce qui concerne les logements collectifs. Les architectes qu'elle a le plus employés jusqu'à maintenant sont souvent parmi les plus « classiques », au sens de l'Ecole des Beaux Arts. C'est ce conformisme qui, allié aux préoccupations commerciales, la pousse, par exemple, à refuser les parkings enterrés dans l'ensemble (B) où l'architecte en chef, souhaitant qu'ils soient généralisés, afin d'éviter que le terrain libre soit 12. Les hypothèses que nous avançons pour l'analyse de la SCIC s'appuient en particulier sur le travail de C. Topalov, La SCIC : étude monographique d'un groupe immobilier parapublic, Paris, Centre de sociologie urbaine, 1969 (ronéo).

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mangé par une mer de voitures, a réussi à les faire accepter par des offices d'HLM. Ce conformisme, toutefois, est d'emblée différent du cas précédent, (C), car les réalisations de la SCIC sont souvent un mélange de plusieurs catégories de logements. L'aspect ségrégatif est donc moins prononcé. Ainsi, dans l'ensemble (F) il n'y a pratiquement aucune différenciation d'apparence entre HLM et logements primés locatifs. De plus, si cette appréciation générale s'applique très clairement aux réalisations de la SCIC dans les ensembles (A) et (B), aux collectifs de (E) ou à la première tranche de (F), il n'en va pas de même pour le reste, marqué par un certain effort d'innovation 13 : d'une part, mélange d'individuels et de collectifs, variété des volumes ; d'autre part, adoption de formes architecturales nouvelles. Effort d'innovation qu'on trouve également, quoique dans une moindre mesure, dans d'autres opérations que celles que nous avons étudiées, comme la ZUP de Massy-Villaines, réalisée par la SCIC. Pour expliquer cette innovation 14 , nous avancerons plusieurs hypothèses. Tout d'abord, l'évolution de la SCIC fait qu'elle est orientée de plus en plus vers la production de logements aidés commercialisés sur le marché, en particulier logements du secteur Crédit foncier en accession à la propriété. L'innovation présente pour cette évolution un double avantage : elle permet à la SCIC de modifier l'image de sa production vis-à-vis de la clientèle — de faire oublier Sarcelles — , modification nécessaire pour attirer les acheteurs ; elle lui permet également de se démarquer par rapport à ses concurrents (les promoteurs professionnels « privés »). Sur ce dernier point, notre hypothèse s'écarte de celle, habituelle, qui fait du conformisme architectural des réalisations des promoteurs privés le reflet de l'idéologie petite bourgeoise de la clientèle visée. Outre d'éventuelles évolutions idéologiques évoquées plus loin, ce serait oublier que, dans une certaine mesure cette idéologie est produite par les promoteurs. Un promoteur, s'il en a les moyens, a intérêt à innover, car comme, dans les autres secteurs de 13. Le mot innovation est entendu ici sans aucun jugement de valeur. Il désigne simplement la différence observable entre la production courante de logements : par exemple, différence entre les immeubles collectifs en forme de parallélépipèdes (tours et barres), et des formes nouvelles d'immeubles collectifs ou de logements individuels assez groupés — nouveauté qui n'implique pas nécessairement amélioration réelle de la valeur d'usage. D'autre part, l'innovation est relative à la production courante française. 14. On remarquera que la démarche suivie, s'attachant à l'analyse des rapports de production, fait l'économie du recours habituel à 1'« explication » psychologisante pour rendre compte de « comportements novateurs. »

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l'ensemble

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la production, c'est la concurrence qui est le moteur de l'innovation — pas n'importe quelle innovation, bien sûr, et s'il en a les moyens, c'est-à-dire si sa position sur le marché est assez importante. C'est bien le cas de la SCIC sur le marché des logements aidés en accession à la propriété dans la Région parisienne, cas dans lequel l'innovation permet de conserver ou même de renforcer cette position, surtout si à la fois sa taille et la diversification de ses activités lui permettent d'être moins sensible aux fluctuations de tel sous-marché. Dans le cas de l'opération (E), la conjonction des facteurs tels que la distance assez importante à Paris (distance kilométrique et temps de transport), le site (fonds de vallées, zone rurale avec de petits villages, bosquets, proximité d'une forêt) et le coût assez faible des terrains, poussait à réaliser, surtout pour la vente, des logements individuels assez attractifs ; l'adjonction de programmes de logements d'autres types permettant à la fois de « créer un environnement » et de réaliser des équipements assez importants, plus importants que ce qui aurait été fait pour les seuls logements en accession. De plus, on a souligné le fait du rattachement institutionnel de la SCIC à l'appareil de l'Etat. Ce rattachement, qui est un élément favorable pour la SCIC, du point de vue des problèmes fonciers {cf. III e partie) ou du point de vue de la programmation des équipements publics (cf. infra) joue aussi en sens inverse, c'est-à-dire qu'il fait dans une certaine mesure de la SCIC un instrument d'application de la politique du Gouvernement. « La programmation est en cours de révision. Nous avons introduit plus de logements individuels que nous ne l'avions prévu primitivement. Deux raisons : c'est très demandé — raison commerciale — et l'Administration nous a elle-même demandé de forcer sur le nombre des individuels, la Préfecture de la Région parisienne. » 1 5 De plus, la SCIC sert un peu de moyen d'expérimentation pour des nouveaux types de construction. « C'est une expérience, mais le District est bien content de faire cela chez nous, parce qu'il n'avait pas trouvé le moyen, depuis trois ans qu'il avait donné le prix, de les construire nulle part. » 16 15. Extrait d'un entretien à la SCIC. 16. Il s'agit d'une forme de logement individuel groupé, primé lors d'un concours lancé par l'Administration.

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La production

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ensembles

Autre exemple, dans le cas de l'ensemble (F), après deux premières tranches réalisées par l'architecte « en chef » (c'est-à-dire responsable du plan masse d'ensemble), l'Administration a vivement encouragé l'adoption pour la tranche suivante d'un « modèle agréé » (regroupant une équipe d'architectes et une entreprise) qui aboutit à des formes architecturales très différentes. A propos des innovations réalisées, ce ne sont toutefois pas n'importe lesquelles ; il n'y a pas pour l'innovation de voie unique et inévitable, le « Progrès » ; il y a des innovations déterminées parmi bien d'autres dans l'ensemble de ce qui est techniquement possible à un moment donné, sélectionnées à travers les rapports de production, et la façon dont s'exerce la maîtrise du procès de production. L'innovation est très étroitement liée, dans le cas étudié, au problème de commercialisation. On peut vendre de l'architecture finlandaise ou des logements individuels imbriqués avec grandes baies et toits-terrasses, sans volets verts et ardoises moussues, comme on vend du « design ». Mais jusqu'où va vraiment l'innovation ? La surface intérieure des logements, la taille des pièces n'est guère différente de ce qui se fait ailleurs en collectifs. Et là encore, à proximité du centre de renseignements pour les candidats acquéreurs, la piscine en plein air vous invite à acheter cet « art de vivre ». Si les hypothèses ainsi avancées pour analyser les opérations de la SCIC sont à considérer comme un ensemble, il faut sans doute les pondérer diversement, pour autant que l'on veut rendre compte des différences entre les opérations 17. Chaque opération est en effet représentative à des degrés divers des différents domaines d'activité de la SCIC. Ainsi, on a indiqué dans le cas de l'ensemble (E) les éléments favorables dont la conjonction permettait de réaliser une opération, principalement orientée vers le logement-marchandise (secteur Crédit foncier, accession à la propriété), et où soit possible et rentable un effort d'innovation. Dans le cas de (F), les conditions sont beaucoup moins favorables : le site, sur un plateau, est beaucoup moins agréable qu'à (E) ; l'environnement immédiat est constitué par une zone pavillonnaire guère susceptible d'être le support d'une image sociale idéologiquement flatteuse, la desserte routière n'est pas meilleure qu'à (E), et par 17. Ce second cas, celui de la SCIC, est plus un mélange du premier (capital recherchant le profit) et du troisième (capital dévalorisé) qu'un cas distinct. On l'a présenté à part du fait de la superposition sur le même agent de plusieurs types de rapports de production différents. Même si on pouvait, par une analyse plus fine, isoler des morceaux (filiales spécialisées, services) relevant purement de l'un ou l'autre cas, il reste à rendre compte de cette superposition.

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l'ensemble

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contre les possibilités de transports en commun sont beaucoup plus réduites. Le programme de (F) est donc marqué par ces conditions : après une première tranche de 480 logements locatifs primés, dont il semble que beaucoup aient du mal à trouver preneur au niveau de loyer exigé, la deuxième tranche (526 logements) est HLM, et les troisième et quatrième, actuellement en cours, HLM (511) et ILN (118). C'est donc une opération où, jusqu'à maintenant, s'est principalement exprimé l'aspect d'instrument de gestion de capital dévalorisé pour la production de logements pour les travailleurs. Les caractéristiques, entre autres, architecturales de l'opération (F) sont assez comparables aux parties de (E) constituées d'HLM. Il est possible toutefois que l'opération évolue ; en effet, elle se trouve à proximité immédiate d'une opération de Ville Nouvelle, et on peut imaginer que les équipements réalisés dans le cadre de celle-ci puissent modifier les conditions. Les terrains de (F), dont seulement une partie a été utilisée jusqu'à maintenant, joueraient alors le rôle de réserve foncière dans cette perspective. 3. Le capital

dévalorisé

Le troisième cas est celui où la fraction dominante du capital de circulation est constituée par du capital dévalorisé (et par suite, l'ensemble du capital de circulation) ; c'est le cas, on l'a dit, des Offices publics d'HLM, Sociétés anonymes d'HLM, CIL, Coopératives. Cette fraction dominante, qui, dans le premier cas, correspondait au capital de la Société de construction, dans le second au capital de la SCIC, correspond ici aux financements complémentaires auxquels le promoteur doit faire appel : apparaît encore plus clairement ici le fait que le promoteur n'est rien d'autre que l'agent support du capital qui l'utilise. Les règles de fonctionnement des fractions de capital dévalorisé qui s'associent ne sont plus des règles de partage du profit, mais des règles politiques, en ce sens que la constitution, l'affectation et l'utilisation en sont définies par l'Etat : par les rapports « politicoadministratifs », entre diSérents éléments de l'appareil d'Etat, et les différents aspects des « politiques », et donc, à travers cela, par les rapports politiques entre les différentes classes sociales et fractions de classes 1S . 18. Il faudrait analyser ces rapports dans leur diversité et leur évolution plus finement que l'étude des interventions particulières de tel promoteur, sur quelques ensembles, ne peut le traiter ; il faut considérer l'ensemble des activités de chaque promoteur et, à travers son « organisation » et son rattachement institutionnels, les rapports politiques qui s'y expriment.

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La production

des grands

ensembles

Ces règles sont particulières à chaque promoteur : — Un Office municipal d'HLM sera plus dépendant d'une Municipalité particulière, et ses règles de fonctionnement seront éventuellement liées à sa politique. — Une Société anonyme d'HLM sera, elle, dépendante de ses actionnaires, par exemple, des industriels qui l'utiliseront pour loger leur main-d'œuvre. Mais faute de pouvoir, par une étude approfondie des divers promoteurs relevant de ce troisième cas, faire apparaître les différents types de rapports politiques et de règles de fonctionnement, nous nous en tiendrons aux caractères communs à l'ensemble, et à leurs effets. Ce qui revient à dire que, dans ce troisième cas, on s'intéressera moins aux effets spécifiques des règles de fonctionnement de la fraction que nous avons appelée dominante du capital de circulation 19, qu'aux effets de la maîtrise du procès par le capital de circulation dans son ensemble, en tant que capital dévalorisé. La principale caractéristique commune de ces promoteurs tient au fait qu'ils sont les supports d'une politique qui vise à réduire le coût de reproduction de la force de travail en mettant à la disposition des travailleurs la valeur d'usage — logement à un prix limité 20 . Cette caractéristique a plusieurs conséquences. Tout d'abord, le problème de la réalisation de la valeur dans l'échange (la « commercialisation ») étant réduit — la demande est d'une façon générale très supérieure à l'offre —, il interfère assez peu sur la conception même du produit, par opposition au premier cas. Par contre, il s'agit de réduire d'une façon générale le coût de reproduction de la force de travail, et de le réduire le plus possible, en utilisant pour cela des « ressources » en capital dévalorisé de diverses origines, qui sont limitées 21 ; ceci a pour conséquence la défi19. On verra plus loin que l'effet des règles de fonctionnement de la fraction non dominante du capital de circulation (capital de prêt) est important (cas des prêts HLM, par exemple), mais, même réduite quantitativement, la fraction dominante nous paraît toujours mériter cette caractérisation dans ce sens que c'est toujours elle qui mobilise le capital de prêt, est responsable de la fourniture du sol moyen de production, et aussi que c'est par elle que s'expriment les rapports politiques spécifiques qui définissent chacun des promoteurs de ce troisième cas. 20. Le blocage des loyers est un autre aspect de cette politique. 21. Limitées non pas «nécessairement, fatalement, inévitablement», comme l'affirme l'idéologie dominante, mais dont les limites sont déterminées à la fois économiquement et politiquement, par les rapports contradictoires entre les nécessités de l'accumulation et la dévalorisation, par les rapports politiques qui définissent l'origine, l'importance et l'affectation des fonds drainés par

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l'ensemble

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nition de coûts unitaires maxima (les prix-plafonds), et des normes maxima (surfaces, par exemple). En même temps, pour que la politique soit efficace, et parce que le contraire serait politiquement dangereux, et sans doute aussi pour faire « tourner l'industrie » — car c'est l'autre face toujours présente de la politique du logement : favoriser l'accumulation dans ce secteur —, les logements produits et distribués grâce à ce capital dévalorisé doivent satisfaire à des normes minima de surface, d'éclairement, d'équipement, les « contraintes », prix-plafonds, normes minima et maxima, constituent des limites (limites qui ne sont pas immuables, d'ailleurs) mais ne définissent pas à proprement parler le produit. Les normes elles-mêmes ne constituent qu'une prise en compte partielle et déformante des différents aspects de la valeur d'usage. Il en résulte que, si elle reste assurée par le capital de circulation, cette maîtrise du procès de production le place en situation relativement dominante par rapport à la définition du produit sans pour autant que ses règles de fonctionnement définissent l'exercice de cette maîtrise autrement que par les limites indiquées ci-dessus. C'est là qu'il faut prendre en compte dans l'analyse les différents rapports politiques qui définissent chaque promoteur particulier relevant de ce troisième cas : ces rapports politiques interviennent pour définir l'importance des opérations, en partie leur localisation, et éventuellement certaines de leurs caractéristiques internes, introduisant aussi des éléments de détermination politico-idéologiques du produit ; mais, pour ce dernier point, insistons sur le mot éventuellement : il s'agit d'une possibilité, non d'une nécessité générale pour ce type de promoteur. Aux limites que nous avons indiquées, et qui portent sur le procès de production du logement neuf, il faut ajouter une contrainte analogue provenant des problèmes d'entretien. La limitation des fonds affectés intervient aussi pour limiter les dépenses de fonctionnement, donc les frais d'entretien 22 ; à coût de construction égal, l'élément représentant un coût prévisible inférieur sera adopté de préférence, ou même, à coût de construction faible, on évitera tel élément cher à l'entretien 23 . l'Etat (politique fiscale, politique budgétaire) et les effets des pressions politiques et revendicatives des travailleurs. 22. Vrai surtout, bien sûr, pour le cas général des logements locatifs ; moins vrai sans doute pour les HLM en accession à la propriété : on y reviendra plus loin. 23. Le problème de l'entretien nous a semblé, à travers l'enquête, un problème très aigu des opérations de logement social ; pas tant, bien souvent, à travers les effets directs sur la définition du produit, qu'à travers les effets plus importants et plus négatifs sur son évolution faute d'entretien correct.

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La production

des grands

ensembles

A l'intérieur de ces limites, et compte tenu du dernier point évoqué, concernant l'entretien, nous paraît vraisemblable l'hypothèse selon laquelle la maîtrise du procès de production par le capital de circulation s'appliquerait, par comparaison avec le premier cas, de façon moins fine dans ce troisième cas, à la définition précise du produit — cette définition précise relevant plus directement des différents aspects du procès de travail : travail de conception de l'architecte, types de produits correspondant à la « technologie », à l'équipement et aux capacités des entreprises, rapports architectes-entreprises. On peut en trouver des éléments de confirmation dans le sentiment que peuvent avoir des architectes d'une « liberté » plus grande par rapport au promoteur. « On a, peut-être à tort, l'impression que l'on peut, quand on fait des HLM — ça a un côté péjoratif — peut-être faire des essais... Ce n'est pas une question de plaire aux gens, c'est plus une question d'entretien et de gestion du patrimoine... Par contre, on peut s'amuser à faire comme X des trucs que l'on ne ferait pas dans le privé. » 2 4 « D'abord dans la conception, il faut que je vous affirme que je me suis trouvé complètement libre... Ça fait quinze ans que je ne fais que des HLM, bien sûr, il y a des impératifs, mais tout jeu, même le plus libre apparemment, a des règles, ou alors il n'y a plus rien. Il est évident qu'il y a des crédits, des surfaces, mais ça, vraiment, si on n'est pas capable de le dominer, d'en faire simplement une règle du jeu... » « Parce que là, la liberté est justement totale. Elle ne le serait plus dans un système commercial, où le marchand vous imposerait la volonté supposée de la clientèle... Si on travaille pour les pauvres, au moins, on n'est pas obligé de leur dorer la pilule. » 25 On essaiera, dans la VI e partie, de voir comment cette « liberté sous conditions » est utilisée dans le travail d'élaboration du produit.

4. La fraction dominée du capital de

circulation

Cette fraction, pour l'essentiel constituée par du capital dévalorisé, prêts HLM, prêts du Crédit foncier, primes à la construction, a éga24. Extrait d'une interview avec l'architecte de (C). 25. Extraits d'une interview avec l'architecte de (D).

Maîtrise des procès de production des éléments de l'ensemble

73

lement des règles de fonctionnement particulières, qui ont leurs effets propres. On a déjà traité la question des normes, prix-plafonds, etc. Il faut y ajouter certains effets particuliers qui tiennent à ce que la fraction dominante du capital de circulation ne maîtrise pas totalement le capital complémentaire qui lui est nécessaire, en raison de la limitation évoquée du capital dévalorisé affecté à cet usage, qui se traduit par des lenteurs, des retards pas toujours prévisibles dans les procédures ; en raison aussi des procédures de répartition de ce capital, qui relèvent pour partie de rapports politiques. La maîtrise du procès de production doit tenir compte de ces « contraintes ». Ceci peut avoir pour conséquence de retarder des programmes et de renforcer l'effet de fractionnement en tranches distinctes d'une opération menée par un promoteur privé, chaque tranche étant lancée quand le capital immobilier est sûr que le capital dévalorisé nécessaire va lui être fourni. « Il y a un problème économique qui est celui des primes à la construction. Tous les ensembles réalisés déjà à (C) par notre Société ont bénéficié de la prime... ça n'est pas un secret de dire que les primes sont données par les Directions de l'équipement au compte-gouttes, compte tenu des crédits qu'ils ont, crédits qui se sont réduits comme la peau de chagrin. Alors, on vient de nous débloquer après de longs mois d'attente les premières tranches de primes. Dans la foulée, on a construit la première tranche de logements et puis on prie le Seigneur et tous ses Saints de nous donner une deuxième tranche de primes, car il n'est pas possible de construire actuellement avec les prix de construction, les charges financières, le loyer de l'argent... vraiment le profit est presque nul. » 26 Il est probable qu'il y a des effets analogues dans le cas de promoteurs « sociaux » (supports de capital dévalorisé), mais nous n'avons pu traiter ce point dans l'enquête, faute de pouvoir considérer l'ensemble des activités de ces promoteurs.

26. Extrait d'une interview avec le promoteur de (C).

74

III.

La production

LES ÉQUIPEMENTS

des grands

ensembles

PUBLICS

On raisonnera dans ce paragraphe, ainsi que dans le suivant, comme si la liste des équipements était fixe et déterminée par ailleurs. Il s'agit ici d'étudier, pour chaque catégorie d'équipements, les conditions de sa production et leurs effets sur l'équipement lui-même, les effets sur l'ensemble étant traités dans la Ve partie. On définira les équipements publics comme les équipements produits grâce à l'intervention d'un capital de circulation dévalorisé : il s'agit ici d'équipements correspondant à la socialisation des conditions de reproduction de la force de travail, l'intervention de capital dévalorisé résultant à la fois de cette socialisation et de l'importance des équipements pour la diminution du coût de cette reproduction (on voit que le logement produit dans le troisième cas étudié ci-dessus relève de cette définition ; on l'a traité séparément en raison de son importance particulière). Indiquons tout de suite que les trois aspects des rapports de production, caractéristiques de l'ensemble des procès de production où la maîtrise relève du capital dévalorisé, qui vont influer notablement sur le produit, sont les suivants : — la limitation du capital dévalorisé disponible, — les problèmes posés par la mobilisation de ce capital, — les règles de fonctionnement propres à chaque fraction spécialisée.

1. Les

infrastructures

Elles comprennent : voirie, assainissement, eau, gaz, électricité, téléphone, éclairage public, éventuellement chauffage, espaces extérieurs. Ces équipements d'infrastructure sont des constituants indispensables de la valeur d'usage-logement dans les conditions actuelles. On peut objecter à leur classement comme équipements publics, dans la définition indiquée, le fait que les infrastructures propres à une opération, de même que la plomberie des appartements, ou les escaliers, peuvent être produites sans intervention de capital dévalorisé, mais ce serait oublier qu'un égoût suppose un réseau d'égoûts, un escalier suppose une rue, un réseau de voirie... En d'autres termes, l'équipement n'est pas constitué par le seul branchement terminal, mais par l'ensemble du réseau. Et l'ensemble est bien, pour l'essentiel, produit actuellement par intervention de financement public.

Maîtrise des procès de production des éléments de

l'ensemble

75

Diverses normes définissent la part des infrastructures qui doit être réalisée par les constructeurs, partie « privée » des divers réseaux. Cette partie, qui est propriété privée (du promoteur, des co-propriétaires) et doit être entretenue par eux, reste limitée. La participation des promoteurs privés au financement de la partie « publique » des infrastructures — c'est-à-dire l'essentiel — est d'une nature différente. 1. La limitation du capital dévalorisé disponible, principalement des financements publics, se traduit en pratique par une insuffisance des équipements : soit sous la forme d'une insuffisance quantitative de l'équipement réalisé, soit dans le retard de la réalisation, soit au pire dans son absence. En ce qui concerne les réseaux d'eau, d'assainissement, d'électricité, de gaz, leur réalisation ne semble pas avoir posé de difficultés de cet ordre, la mise en service des logements se faisant une fois les branchements effectués. Par contre, en ce qui concerne la voirie, les problèmes sont souvent de taille. Si la voirie interne est généralement correctement dimensionnée, les accès routiers extérieurs, qui utilisent des voies existantes dont les caractéristiques correspondent à l'usage antérieur, demandent en général un élargissement ou un réaménagement plus complet, et ces travaux sont, dans nombre de cas, insuffisants ou très en retard (ensembles (B), (C), (E) et (F) ) de l'avis même des techniciens du GEP. Il y a un cas où l'équipement peut être considéré comme pratiquement absent : celui du téléphone dans l'ensemble (D), le promoteur, Office public d'HLM n'ayant pas les moyens d'assurer le préfinancement exigé par les PTT pour l'installation des nouvelles lignes, ni les Collectivités locales ; il y a en tout et pour tout dix postes de téléphone pour un ensemble de 3 600 logements, y compris les téléphones privés : deux cabines publiques, pas de téléphone dans les écoles. 2. La mobilisation de ce capital dévalorisé est, comme pour de nombreux équipements publics, rendue difficile à la fois par l'effet de la limitation évoquée et par la diversité des sources : — — — —

prêts de la Caisse des dépôts, subventions de l'Etat central, financement par les Collectivités locales. éventuellement, part financée par le promoteur, qui, indépendamment de son origine, est dévalorisée dans la mesure où

76

La production

des grands

ensembles

son affectation à la circulation du produit-équipement considéré n'est pas une occasion de mise en valeur. Par rapport à chaque équipement pris individuellement, cette diversité des sources ne fait qu'aggraver l'effet de la limitation. 3. Quant aux règles de fonctionnement propres à ces fractions de capital dévalorisé, elles ont des effets notables sur la forme du produit, dans la mesure où elles expriment des rapports politiques intervenant sur le procès de production. Considérons l'ensemble (A), l'un des prototypes des ZUP ; il a été marqué à ses débuts par une forte intervention étatique : préfinancement des dépenses d'infrastructures quasiment dans leur ensemble, accompagné de la décision politique de réaliser, dès le début, toutes les infrastructures principales. Quelques mois après l'ouverture du chantier, le maillage des voies de circulation était réalisé, ce qui a contribué à figer l'ensemble dans une fidélité quasi-absolue au plan masse de départ 27 . Le financement public s'accompagne de l'intervention des services techniques spécialisés de l'Administration, qui tendent à imposer un certain nombre de normes techniques pour la réalisation de ces infrastructures. Enfin, pour ce qui est des espaces extérieurs, espaces verts, on a bien souvent l'impression que c'est ce qui reste quand on a pris la place pour les logements, les équipements, les circulations, les parkings, résidu traité plus ou moins sur le mode du décor. Ce décor étant en fait régi de la même façon que l'architecture générale, les analyses faites au paragraphe précédent pour le logement sont à reprendre de la même façon pour expliquer, par exemple, l'innovation très marquée dans le traitement des espaces extérieurs pour (B) et (D) (plantations, circulation piétons, mobilier urbain, espaces de jeux pour les enfants), la protection du paysage en (E), le « décor de standing » de (C) et le conformisme du reste.

27. Alors que par la suite, la politique des ZUP s'est orientée vers une réduction du financement d'Etat : suppression de la subvention de déficit, recherche de réduction du préfinancement, recherche de « progressivité » dans les réalisations. « Au cours de ces deux dernières années, l'introduction du révolving, c'est-à-dire l'utilisation des recettes, pour effectuer de nouveaux investissements, a conduit à une meilleure utilisation des crédits du FNAFU : découpage des opérations en tranches, cession plus rapide des terrains » (Les ZUP, leur état de réalisation, leurs équipements, ce qu'elles coûtent, DAFU, Ministère de l'équipement, Juin 1966).

Maîtrise des procès de production

2. Les transports en

des éléments de

l'ensemble

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commun

La desserte par transports en commun est une nécessité sociale. Une partie importante de la population n'a pas le choix d'un autre mode de transports : personnes n'ayant pas les moyens d'acheter et d'entretenir une voiture, personnes n'ayant pas le permis de conduire, jeunes, personnes âgées, invalides. Et il n'est pas possible que la totalité des travailleurs se rendent à leur travail en voiture particulière : il en résulterait une double impossibilité de stationner et de circuler. C'est donc là une des formes de la socialisation nécessaire de la consommation. Suivant la localisation de chaque ensemble (déterminée au départ, entre autres critères, par la possibilité d'une telle desserte), la desserte par transports en commun suppose soit l'aménagement d'un moyen de transport existant, soit la création d'une nouvelle ligne. En raison de l'éloignement et des difficultés de circulation, la solution la plus efficace est évidemment celle du transport en site propre : la voie ferrée. Pour deux des ensembles (A) et (E), ceci implique la création sur une ligne existante d'une nouvelle gare. Mais une telle création relève d'un capital dévalorisé spécialisé, qui a dans le premier cas pour support la RATP, dans le second la SNCF, et ces capitaux ont leurs règles propres de fonctionnement, qui sont celles de la politique de transports déterminée pour chacun, politique qui s'exprime à la fois en politiques d'investissements et en « choix techniques ». Pour la RATP comme pour la SNCF, le problème des transports est à traiter d'abord au niveau de l'ensemble du réseau (ici, réseau régional Région parisienne). D'une part, l'orientation des investissements, programmée par rapport à cet ensemble, d'autre part, les « impératifs techniques » sont des obstacles difficiles, sinon insurmontables, pour la création de ces nouvelles gares — création qui, sur le plan technique, est jugée comme susceptible de ralentir le trafic, dans les deux cas (A et E) ; dans le cas de (A), la nouvelle station, envisagée dès le début (1957), n'est toujours pas réalisée, ni même commencée, et dans le cas de (B), les travaux sont en cours : « Cette opération est située entre (X) et (Y), qui comportent toutes les deux une gare, mais il y a à peu près 7 à 8 km, entre les deux communes. Le PADOG avait prévu l'installation d'une gare en un point précis de (E)... ensuite, il a fallu obtenir de la SNCF qu'elle construise la gare. Cela a été très, très difficile... Enfin, nous l'avons obtenue. Ceci a son importance, à la fois sur le plan de la commodité pour les gens et sur le plan de la commercialisation... Le cas de la gare de (E) comme le cas de la gare de

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La production

des grands

ensembles

Sarcelles sont significatifs... il faut dire que c'est bien souvent la pression que représentent les gens qu'on amène sur place qui est déterminante comme facteur de réalisation... c'est gênant de le dire, mais c'est comme ça... Vous savez, la SNCF a un raisonnement très simple : 1) elle ne veut rien payer, 2) elle considère qu'un train ne doit jamais s'arrêter : moins il s'arrête, mieux ça vaut, car plus il s'arrête, plus il coûte cher... O n nous a tenu des raisonnements comme cela... On a été obligé de se bagarrer à plusieurs niveaux... Cela a duré longtemps. » 2 8 Pour les autres ensembles (B), (C), (D), (F), les voies ferrées existantes sont assez éloignées. Nulle part il n'est envisagé de créer une voie nouvelle, le problème est posé en termes de rabattement (par autobus) sur les gares existantes, mais la solution est le plus souvent médiocre, tant pour ce qui est de la fréquence des autobus que pour les dernières heures de passage. Dans le cas de (B), du fait de la dénivellation importante entre l'ensemble (sur le plateau) et la gare (dans la vallée), on a envisagé dès le début de l'opération, la création d'un moyen de transport en commun assurant la liaison, du genre téléphérique ; mais ce projet ne semble pas avoir commencé à faire l'objet ne serait-ce que d'une étude technique.

3. Les équipements

scolaires

Ces équipements sont financés, en partie, par les Collectivités locales, en partie par l'Etat central (subventions du Ministère de l'éducation nationale). La limitation des crédits se traduit par un retard général dans les programmes d'équipements scolaires, retard qui est toutefois moins sensible pour les habitants en ce qui concerne les groupes scolaires du premier degré, dans la mesure où aménageurs et communes essaient de se « débrouiller » pour assurer à peu près les rentrées. « Pour le deuxième groupe scolaire, la commune l'a pré-financé pendant un an, c'est-à-dire qu'elle a supporté les intérêts de l'emprunt de la mise en place pendant un an. Le troisième groupe 28. Extrait d'un entretien à la SCIC.

Maîtrise des procès de production des éléments de

l'ensemble

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scolaire, il a fallu avancer un peu d'argent. On a construit un CES, le Gouvernement l'a décidé en janvier dernier pour l'ouverture en septembre de la même année, cela a été des prouesses, d'ailleurs, pour que le premier bâtiment soit prêt ; mais actuellement il y a quelque chose comme 500 millions de travaux effectués, le Gouvernement n'a versé aucun centime de subvention ; si Bouygues a reçu quelques sous, c'est la Commune qui les a avancés, et Bouygues, maintenant, dit qu'il continue les travaux parce que le chantier est avancé, mais il ne continue plus les bâtiments avant d'avoir touché de l'argent. » 2 9 « Nous avons réalisé un groupe scolaire qui a reçu ses subventions ; subventions réparties sur deux exercices à raison de 19 classes sur le premier, et 11 sur le deuxième. Comme les habitants étaient là, on a bien été obligé de réaliser la totalité ou alors il aurait fallu, pour répondre à l'Administration, réaliser 19/30 e du nombre de classes, et du même coup 19/30® d'assainissement, 19/30 e du chauffage et tout à l'avenant. Voyez que c'était impossible. Si bien que dès le premier équipement public, on nous a déjà créé des difficultés financières supplémentaires, sans nous ouvrir pour autant automatiquement droit aux prêts permettant de faire face à nos obligations... Au deuxième groupe scolaire on a connu le même phénomène et je ne parle que des groupes scolaires car actuellement ce sont les deux seuls équipements de superstructure qui aient fait l'objet de notification effective de subventions. » 30 Pour l'ensemble écoles maternelles et écoles primaires, le pourcentage moyen de retard sur les logements 31 est de 10 % environ — pourcentage nettement inférieur à celui des autres équipements. Quant aux équipements du second degré, il s'agit pour l'essentiel de CES réalisés avec un retard notable et dans des conditions financières souvent difficiles pour les communes (pourcentage moyen de retard 30 %).

29. Extrait d'une interview du Maire de (Dl). 30. Extrait d'une interview du Maire de (Bl).

31. Pourcentage de retard =

1

Pourcentage de l'équipement réalisé par rapport au total prévu Pourcentage de logements réalisés par rapport au total prévu

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La production

des grands

ensembles

« Nous nous retrouvons dans cette situation d'un CES 1 200, qui correspond à la tranche d'effectifs relevant du 1 er cycle du 2e degré, et nous ne serons vraisemblablement subventionnés que l'année prochaine. Il a donc fallu avoir recours, car c'est nous qui sommes directement maintenant en prise avec les habitants, à une formule qui a été le recours à un relais de trésorerie, que la trésorerie de notre société concessionnaire la S... nous a permis d'affronter. » 32 « Nous avons arraché ce CES parce que la situation dans cette ville était explosive du point de vue de l'accueil dans le 1 er cycle du 2 e degré, et il y a eu une bataille extraordinaire, toute la population a participé, sous forme de pétitions, de cartes postales au Ministre, une manifestation de masse ; si bien que ce CES, qui n'était pas programmé, a dû être financé en dernière heure, exceptionnellement, l'an dernier. » 33 Les règles de fonctionnement de ces capitaux, en particulier des subventions de l'Education nationale, sont bien connues : il s'agit de l'ensemble des normes concernant les constructions scolaires, dont les effets sur l'architecture mériteraient à eux seuls une étude, ainsi que de l'organisation des marchés de construction scolaire, qui se traduisent par une prolifération de groupes scolaires tous semblables à travers la France. A noter deux exceptions dans les ensembles étudiés : pour (B) et (D), certains groupes scolaires bénéficient d'une architecture nettement différente des constructions habituelles. Il est possible que les conditions favorables à l'innovation puissent tenir à la conjonction de deux facteurs : intégration de ces groupes dans des opérations beaucoup plus vastes, donc souplesse de trésorerie, et éventuellement de coût réel, plus grande, en même temps qu'intégration à des marchés de construction très importants, et maîtrise du procès par du capital dévalorisé, pas de pression pour le profit, et plus grande autonomie dans la conception du produit pour les architectes.

4. Autres équipements administratifs)

publics (sportifs, médicaux, sociaux,

culturels,

Les problèmes posés par ces équipements sont tout à fait analogues à ceux des équipements scolaires, que nous venons de considérer. A signaler deux cas, (A) et (F), où la Municipalité profite de l'opération 32. Extrait d'une interview du Maire de ( B l ) . 33. Extrait d'une interview du Maire de (F).

Maîtrise des procès de production des éléments de

l'ensemble

81

pour réaliser, grâce aux opportunités foncières qui en résultent, un centre omnisport correspondant aux besoins de l'ensemble de la commune. Le sous-équipement en crèches est considérable. Pour un total d'environ 26 000 logements construits pour nos six ensembles, il y a deux crèches réalisées en tout et pour tout : une dans chacun des deux ensembles les plus anciens. Malgré des prévisions assez faibles, le pourcentage de retard est de 50 % . Le problème des crèches est particulièrement grave dans les ensembles à caractère « social » fortement marqué, dont la population, souvent constituée de familles de travailleurs de niveau social très modeste, provient de quartiers urbains anciens où la femme pouvait apporter des ressources correspondant à un second salaire, en faisant des ménages, etc. Dans les ensembles tels que (D), l'homogénéité sociale fait que l'offre de tels emplois est pratiquement nulle, y compris dans le voisinage (vieux village...), alors que la demande est considérable : l'absence de crèches entraîne alors l'impossibilité d'aller travailler à l'extérieur, donc la perte du deuxième salaire, d'autant plus durement ressentie que l'installation dans le grand ensemble s'est le plus souvent accompagnée d'une augmentation des charges du ménage (loyer plus élevé, même si c'est un HLM, dépenses de transport, d'installation). Quant aux équipements socio-culturels destinés à permettre le développement d'activités collectives, la vie sociale, l'animation, on n'en trouve actuellement que dans deux ensembles : (A), le plus ancien, et (E), où il s'agit en fait d'une réalisation de la SCIC, liée à sa politique systématique d'animation socio-culturelle et d'intégration sociale (l'association ALPHA) (pourcentage moyen de retard : 50 %). Ceci n'empêche pas toujours qu'une vie sociale propre à l'ensemble se développe, quoique avec des difficultés par manque de locaux, liée soit à l'action de la Municipalité — (D), (F) — soit au développement de groupements à l'initiative des habitants eux-mêmes, présentant souvent un caractère revendicatif. Pour les autres équipements, indiquons simplement les pourcentages de retard estimés : — — — —

centres sociaux foyers de personnes âgées foyers de jeunes travailleurs équipements sportifs

10 10 70 35

% % % %

82

La production

des grands

ensembles

I V . LES ÉQUIPEMENTS PRIVÉS

Il s'agit des équipements réalisés par du capital privé, comme moyen de réaliser du profit (commerces, cafés, restaurants, cinémas...) en vendant diverses marchandises. Leurs règles de fonctionnement sont donc la recherche du profit, plus précisément du profit au moins égal au minimum acceptable, et se traduisent pour chacun par un nombre minimum de clients nécessaires — nombre qui est déterminé par l'évolution propre à chaque secteur d'activité des formes de mise en valeur des capitaux — , par la forme des équipements réalisés, déterminée de la même façon, éventuellement par des demandes de garantie contre la concurrence. 1. Les

commerces

Le problème le plus important est celui des commerces. La règle de rentabilisation des capitaux susceptibles de s'investir dans des commerces leur fait attendre que le nombre de clients soit suffisant à leur goût, ce qui entraîne, pendant les premières années, l'absence quasi totale des commerces nécessaires même quand des locaux sont prévus et réalisés, un bon nombre restant vides fort longtemps. Ainsi, le pourcentage moyen de retard correspondant aux centres commerciaux secondaires (commerces de première nécessité à proximité des logements) est de 50 % . La tendance générale semble d'ailleurs à une diminution du nombre de ces centres secondaires, du fait du recul continu des petits commerces devant les formes de distribution plus concentrées M . 2. Autres équipements

privés

Les prévisions d'équipements des six ensembles indiquent quelques autres équipements privés : essentiellement des équipements de loisir exploités commercialement — cinémas, installations sportives privées et d'accès payant... Ils sont pratiquement inexistants dans les réalisations, sauf, toutefois dans deux cas, où l'on trouve très tôt piscine, tennis. Mais dans ces deux cas, il ne s'agit pas de réaliser un profit à travers leur commercialisation directe, mais de réaliser une forme d'« habillage » idéologique de la marchandise vendue (le logement) ; le bénéfice est alors recherché dans la facilité de commercialisation escomptée (la part de l'investissement que représentent ces équipements dans le capital total avancé est faible). 34. On reviendra sur ce problème dans la V e partie.

CINQUIÈME PARTIE

L'unité du produit et le problème de la maîtrise du procès d'ensemble

Après avoir étudié dans la IVe partie les effets sur les différents éléments du grand ensemble des rapports de production particuliers à chacun, du point de vue des règles de fonctionnement des fractions de capitaux assurant la circulation, on va considérer maintenant le produit dans son ensemble, et les relations entre ces différentes fractions, en tant que parties constitutives de l'ensemble du capital social nécessaire.

I . URBANISATION ET CONDITIONS DE REPRODUCTION DE LA FORCE DE TRAVAIL

1. La socialisation

de la

consommation

On a déjà évoqué le mouvement de la socialisation des conditions de reproduction de la force de travail. Cette socialisation est un aspect du développement du mode de production capitaliste. D'une part, du fait de l'extension de ce mode de production, qui tend à faire disparaître au sein de la formation sociale les modes de production antérieurs, et par là à accroître considérablement la masse des travailleurs séparés des moyens de production, y compris ceux qui, permettant une appropriation directe et individuelle de la nature, pourraient contribuer à leur reproduction. C'est la croissance urbaine, sous l'aspect de la migration de la population rurale vers les villes. Cette forme de la séparation de la nature par la concentration des travailleurs sur des espaces restreints accentue la socialisation à travers les effets de la concentration : importance, par exemple, des

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La production

des grands

ensembles

questions d'hygiène, et donc nécessité d'équipements pour l'assainissement. D'autre part, du fait de l'évolution des forces productives dans ce mode, socialisation croissante de la production et augmentation considérable des besoins en force de travail de plus en plus qualifiée donc exigences croissantes, qualitativement, pour la reproduction de cette force de travail. Ce mouvement de socialisation se traduit par le besoin social d'un logement qui fournisse en même temps l'eau, l'assainissement, l'électricité, le chauffage, qui donne l'accès aux commerces, aux lieux d'enseignement, aux services de santé, qui permette l'accès aux lieux de travail, qui permette une vie sociale développée, tant au niveau de la famille qu'au-delà : possibilité de détente, de loisirs, d'activités culturelles, sportives, de formation, d'activités politiques et sociales de tous ordres... Il faut signaler ici un point important. Si les équipements publics tels qu'ils existent actuellement représentent une forme de la socialisation nécessaire des conditions de reproduction de la force de travail, ils ne sont pas pour autant l'expression directe, la recherche exclusive de la satisfaction des nécessités de cette reproduction. Aussi bien dans leur organisation spatiale que dans leur mode de fonctionnement comme rapport social, chacun de ces équipements est en même temps un lieu où s'exprime la domination de la classe capitaliste, qui limite et oriente les services rendus. Cette domination, s'exprimant au travers des politiques de l'Etat, définira des priorités d'équipements liées aux priorités de l'accumulation capitaliste et tendra à écarter la mise au point ou la réalisation d'autres équipements. On voit là en quoi les rapports de production dominants constituent une entrave au développement des forces productives, à travers cet aspect particulier de la limitation, déformation, mutilation des conditions sociales de leur reproduction élargie, même dans le cas utopique d'une application complète et suivie d'effet des grilles d'équipements. Il n'était cependant pas possible, dans le cadre de ce travail, d'analyser chaque type d'équipement réalisé dans les six grands ensembles pour voir à quels aspects des nécessités de la reproduction de la force de travail il correspondait, et quelle réponse il apportait. Nous nous sommes donc limités à les considérer du point de vue des rapports 1. Le mouvement parallèle et contradictoire de déqualification qui caractérise également le m o d e de production capitaliste se traduit aussi par le recours à une force de travail non qualifiée. A u niveau de la reproduction, cela se traduit par l'organisation de l'immigration de travailleurs, les bidonvilles, les taudis, l'insuffisance de la formation professionnelle, etc.

L'unité du

produit

85

entre normes et prévisions définies par l'Etat, et réalisations effectives, et du point de vue du problème spécifique des grands ensembles, celui de l'articulation de ces différents éléments, l'interdépendance des différents aspects de la consommation impliquant l'interdépendance de ces valeurs d'usage, c'est-à-dire leur organisation en valeurs d'usages complexes. Le mode le plus simple de cette organisation, c'est bien sûr la proximité spatiale des différents éléments, c'est aussi celui qui correspond à la séparation, particulièrement accentuée par l'évolution du mode de production capitaliste, entre lieu de travail et lieu de reproduction de la force de travail.

2. Formes d'urbanisation

et production des valeurs d'usage

complexes

Lorsque la croissance urbaine se fait lentement, par densification progressive et adjonctions périphériques marginales, le problème de la formation des valeurs d'usage complexes ne se pose pas globalement. Les constructions nouvelles, qui sont produites de manière dispersée, ne posent chacune que des problèmes limités d'adaptation d'équipements existants, ou, au pire, un problème sérieux sur un équipement (l'assainissement, ou l'eau, ou la voirie...). Ceci ne veut pas dire qu'il n'y ait pas globalement saturation des équipements, mais cette saturation se présente comme un phénomène particulier à chaque équipement et général pour une zone urbaine, car non directement relié à telle ou telle construction. De plus, cette saturation se présente de manière dispersée dans le temps suivant les différents équipements, et sous des formes propres à chacun d'entre eux. Il y a en réponse ajustement indépendant de chaque équipement et donc diffusion continue des valeurs d'usage urbaines (c'est ce qu'on appelle l'urbanisation « spontanée »). Dans les formes d'urbanisation telles que les grands ensembles, rompant avec cette diffusion spatiale continue par ajustements successifs et indépendants, de valeurs d'usage urbaines pré-constituées, se pose au contraire dans son ensemble le problème de leur constitution entière et donc de la maîtrise du procès social de leur production2 : il faut à la fois produire routes, réseaux d'eau, d'assainissement, d'électricité, gaz, téléphone, écoles, terrains de sports, équipements sanitaires et sociaux, commerces..., et les produire de telle sorte que leur organisation spatiale produise les effets utiles nécessaires : en plus 2. A une autre échelle, on retrouve les mêmes problèmes au niveau de l'ensemble de l'agglomération, un grand ensemble apparaissant alors comme un développement marginal : aménagement général des réseaux, équipements desservant l'ensemble de l'agglomération.

86

La production

des grands

ensembles

de la seule juxtaposition, l'agencement spatial des différents éléments et l'organisation même de chacun d'eux, doit tenir compte de leur interdépendance. Mais cette nécessité (assurer la production de tous les éléments nécessaires et leur organisation comme ensemble) se heurte aux nécessités qui gouvernent la production de chaque élément particulier. C'est ce qu'on a indiqué dans la première partie comme la contradiction entre la socialisation des conditions de reproduction de la force de travail, s'exprimant dans la nécessité sociale de valeurs d'usage complexes, et l'effet de l'accumulation capitaliste, qui fait de chaque valeur d'usage le support d'un procès autonome de mise en valeur d'un capital. Les différents éléments (équipements d'infrastructure et superstructure) nécessaires sont en effet produits dans des procès maîtrisés chacun par une fraction particulière et spécialisée de capital, chacune de ces fractions ayant ses règles de fonctionnement propres : — C'est vrai pour les fractions de capital privé, dont les règles de fonctionnement sont la recherche du profit dans des procès particuliers : capital immobilier, capital investi dans le commerce ; chaque mode de mise en valeur a ses contraintes propres, qui sont déterminantes pour le capital qui s'y intéresse. — C'est vrai pour les fractions de capital dévalorisé, qui ont également des règles de fonctionnement particulières, règles déterminées par les rapports politiques qui assurent la constitution et l'affectation de ce capital dévalorisé. La contradiction étant ainsi posée, il faut maintenant considérer la forme prise par chaque terme, du point de vue des rapports sociaux qui déterminent en général les formes d'urbanisation, puis du point de vue des rapports particuliers aux opérations étudiées, compte tenu des différentes configurations observées dans les fractions de capital intervenues dans leur financement.

L'unité

I I . L'INTERVENTION DE

1. Un e f f e t de la

du produit

87

L'ETAT

contradiction

Nous ne ferons que mentionner d'éventuels effets socio-économiques généraux : augmentation du coût de reproduction de la force de travail, d'où pression accrue des revendications pour l'augmentation des salaires, par exemple, pour nous en tenir à considérer les effets politiques localisés de cette contradiction. Les difficultés rencontrées par la reproduction de la force de travail entraînent, dans nombre de cas, surtout ceux de carence d'un équipement particulièrement indispensable (transport, école), des effets politiques directs sous la forme de mouvements d'opinion, manifestations, actions revendicatives diverses, et indirects sous la forme de conséquences électorales éventuelles : couleur politique des Municipalités et des députés élus ; avant les grands ensembles, l'extension rapide des « citésdortoirs » a eu des effets directs de ce type et, plus généralement, la constitution de la « ceinture rouge » a sans doute quelque rapport avec les conditions de vie des habitants des banlieues 3 . Ces effets politiques sont importants dans la mesure où c'est alors le pouvoir politique, c'est-à-dire l'Etat qui se trouve mis en cause, d'autant plus que c'est l'Etat qui apparaîtra comme responsable de la fourniture des valeurs d'usage déficientes : dans un premier temps, la Municipalité, puis l'Administration départementale, le Préfet ; mais à partir du moment où les difficultés cessent d'être particulières à une localité pour apparaître comme u n phénomène plus général, y compris dans la presse, les mouvements d'opinions, mouvements revendicatifs et politiques, s'adresseront à l'Etat. Cette mise en cause est l'origine directe de ce qu'il est convenu d'appeler une « intervention de l'Etat ». A cette question qui lui est posée, l'Etat doit répondre, et la réponse s'élabore à travers divers processus politico-administratifs.

3. Précisons qu'il ne s'agit aucunement de prétendre à un lien mécanique entre conditions de vie locales et pratiques politiques, dont le comportement électoral est un aspect partiel et souvent déformant. Il n'y a pas d'effet électoral automatique (cf., par exemple, malgré les réserves que peut susciter cet article, « Le comportement politique dans les grands ensembles de la Région parisienne », Revue française de Science politique 13 (4), 1963, pp. 977-992), mais le cumul des difficultés liées à la place dans les rapports de production, avec celles propres à la vie dans les grands ensembles, crée des conditions favorables à la cristallisation politique d u mécontentement à travers des pratiques revendicatives.

88

La production

2. Quelques

des grands

ensembles

éléments pour l'analyse de l'Etat

Avant d'étudier les interventions concrètes, de l'Etat, quelques remarques théoriques sont nécessaires pour justifier le mode d'analyse utilisé. a) L'Etat et les

contradictions

Au contraire d'une vision subjective qui fait de l'Etat un gérant — « gérant des contradictions », donc au-dessus d'elles — , il nous semble que l'analyse concrète des conditions dans lesquelles l'Etat est amené à intervenir tend à montrer que cette intervention n'est pas une réponse à la contradiction en tant que telle, mais une réponse contradictoire aux termes de la contradiction. Ainsi, dans le cas considéré, les problèmes posés par la socialisation des conditions de reproduction de la force de travail se posent à l'Etat entre autres sous la forme des effets politiques évoqués ci-dessus. Simultanément, le rôle de l'Etat par rapport à l'accumulation du capital dans sa phase actuelle appelle, par exemple, un certain type d'emploi des fonds publics orienté vers l'aide à l'accumulation 4 . Si l'on observe les pratiques concrètes par lesquelles l'Etat est présent dans les rapports de production des opérations d'urbanisme, on voit que ces pratiques répondent simultanément et contradictoirement à ces deux types de problèmes : effort d'équipement, de coordination des équipements, et en même temps retard général des équipements résultant de l'insuffisance des crédits. De plus, il faut se garder de n'analyser qu'un aspect de l'intervention de l'Etat, si on veut rendre compte des pratiques observées : une intervention de l'Etat peut répondre simultanément à plusieurs problèmes différents. Par exemple, les pratiques concernant la réalisation des équipements scolaires des zones d'urbanisation nouvelle doivent être considérées sous l'angle des problèmes de l'urbanisation, sous l'angle de la politique générale en matière d'enseignement, sous l'angle des rapports Etat central-Collectivités locales. b) « Politiques

sectorielles » et fractionnement

du capital

public

On a indiqué le caractère fractionné du capital dévalorisé. Il est nécessaire de justifier cette proposition, car, en l'occurrence, ce ne sont pas les règles particulières de recherche du profit qui peuvent 4. Rapport général du VI' Plan de développement économique et social (19711975): les actions prioritaires, chap. I I : « L e développement économique», pp. 44-59.

L'unité

du produit

89

expliquer ce fractionnement, et, dans la vision subjective de l'Etat, rien ne s'opposerait alors à une maîtrise complète par l'Etat des processus d'urbanisation lorsque seul du capital dévalorisé est impliqué, si ce n'est quelque « phénomène bureaucratique », « cloisonnement administratif » dû à l'inertie des structures et au conservatisme des mentalités. Or, on connaît la rigueur des règles et des contrôles qui président très généralement à l'emploi des deniers publics, et les caractères particuliers très marqués de ces règles suivant les différents Ministères, par exemple. Il nous semble que l'explication de ce particularisme est à rechercher dans l'analyse des différents domaines de l'intervention de l'Etat comme autant de politiques distinctes. Ces politiques sont partiellement unifiées, à travers diverses formes : politique budgétaire, concertation interministérielle, élaboration du Plan... Mais cette unification se fait au niveau des orientations générales 5 et de certains ajustements, en fonction de politiques qui sont « sectorielles », chacune étroitement liée à la fois aux problèmes propres aux formes d'accumulation dans un secteur d'activité donné, et aux aspects de la reproduction du mode de production concernant plus particulièrement ce secteur. On voit d'ailleurs par là que le fractionnement du capital public est, à certains égards, un effet indirect des formes capitalistes de la division sociale du travail. c) L'Etat central et les Collectivités

locales

Le fractionnement des capitaux dévalorisés ne provient pas seulement du fractionnement des capitaux publics comme effet des politiques sectorielles de l'Etat. Il tient aussi aux formes d'organisation du pouvoir politique : division du travail à l'intérieur de l'Appareil d'Etat, entre des segments caractérisés par des formes de contrôle politique spécifiques. Ces segments, Etat central et Collectivités locales, expriment diversement les rapports politiques et peuvent être, sous certains aspects, porteurs des intérêts de classes, ou fractions de classes sociales différentes. Ils peuvent alors avoir des politiques différentes à certains égards, quelquefois même opposées, dans les limites, bien sûr, de la spécificité des Collectivités locales, comme expression de rapports politiques. 5. Ainsi, l'aide à l'accumulation monopoliste, si elle est un trait dominant dans la phase actuelle, s'exprimera de manière différente, éventuellement contradictoire, suivant les différents secteurs.

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D ' u n e façon générale, ceci ne peut qu'accentuer la diversité des règles de fonctionnement des différentes fractions de capital dévalorisé intervenant : non seulement l'intervention de l'Etat se trouve ainsi dédoublée en intervention de l'Etat central et intervention des Collectivités locales, mais les rapports de production se trouvent alors, dans certains cas, constitués en rapports politiques antagonistes, et la maîtrise du procès devient, pour certains aspects, support de luttes politiques. O n avait d'ailleurs déjà signalé plus haut que les règles de fonctionnement du capital dévalorisé étaient pour une part des règles politiques : ceci apparaît d'autant mieux que les rapports politiques deviennent internes au procès.

3. Les différents

aspects

de l'intervention

de

l'Etat

L'Etat est donc présent dans les rapports de production de l'urbanisation pour de multiples raisons ; les pratiques désignées par la « politique des grands ensembles » se réfèrent à u n ensemble de problèmes qui tous appellent l'intervention de l'Etat : — problèmes posés par l'accumulation dans l'industrie du bâtiment : aide à la concentration, à l'industrialisation, recherche d'opérations importantes, continuité des chantiers, programmation pluriannuelle des financements publics pour le logement (cf. 2 e partie), — nécessité de l'intervention de l'Etat pour limiter le monopole de la propriété foncière, afin de faciliter l'appropriation du sol par les investisseurs et de limiter la transformation des surprofits en rente foncière (cf. 3 e partie), — aide de l'Etat à la mise en valeur des capitaux immobiliers de circulation, — nécessité de l'intervention de l'Etat pour assurer la reproduction de la force de travail, par la réalisation de logements, équipements scolaires, de santé, de transport, et leur articulation dans les zones d'urbanisation nouvelle, — intervention politique et idéologique de l'Etat pour assurer la reproduction des rapports de production. Si la nécessité de la maîtrise du procès d'ensemble a également des effets sur d'autres agents, on voit donc que l'Etat, principal support de l'expression de cette nécessité sociale, se trouve en même temps compromettre, par d'autres aspects, la possibilité de cette maîtrise.

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Ceci, toutefois, est masqué par l'idéologie qui est à la fois la représentation et un aspect de l'intervention de l'Etat ; cette idéologie, il faut le souligner, est contradictoire (l'idéologie du service public versus l'idéologie de la « rentabilité ») mais ne reconnaît pas la contradiction.

III.

L E S E F F E T S DE LA SOCIALISATION DE LA CONSOMMATION : TENDANCE

A LA MAÎTRISE DU PROCÈS D'ENSEMBLE

Vu, d'une part, l'étendue du problème, d'autre part, la centralisation de l'appareil étatique dans la Région parisienne, c'est principalement l'Etat central qui est amené à intervenir ; on étudiera donc d'abord ses interventions orientées vers la recherche de la maîtrise des processus d'urbanisation dans le sens d'une meilleure réalisation des valeurs d'usage socialement nécessaires. On examinera ensuite le rôle, à cet égard, des Municipalités, plus limité dans les cas étudiés en raison des circonstances particulières qu'on indiquera (il en va autrement dans d'autres opérations en Région parisienne, ou dans beaucoup de villes de province). Enfin, on verra comment le capital privé peut être, lui aussi, confronté directement à ce problème.

1. Les tendances à la maîtrise par l'Etat central Sur le plan idéologique, la réponse consiste d'abord à reconnaître le problème : c'est bien le sens des travaux de la Commission de la vie dans les grands ensembles, dont les résultats 6 exprimés en termes administratifs de normes, quantités, surfaces..., ne sont au fond pas autre chose qu'une constatation empirique des nécessités en matière d'équipements, du point de vue cumulé de la reproduction de la force de travail et de la reproduction des rapports de production. C'est sans doute aussi le sens, dans un registre plus savant, de la « sociologie des besoins ». L'idéologie — c'est du moins notre hypothèse — est donc d'abord mode nécessaire de connaissance du problème par les éléments impliqués dans l'appareil de l'Etat, et de ce fait, le recensement des besoins et des équipements nécessaires correspondants 6. Cf. Urbanisme

62-63, 1959.

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désigne de façon assez complète l'ensemble des aspects de la reproduction de la force de travail et des rapports de production (mis à part les rapports dans l'entreprise elle-même). Parallèlement, on trouve également, dans l'idéologie de la planification urbaine, l'indication des formes nécessaires de la maîtrise des procès d'urbanisation : — nécessité de la synchronisation dans la réalisation des équipements et des logements, — nécessité d'une localisation appropriée des zones d'urbanisation nouvelle, par rapport au site, aux équipements existants et prévus, aux lieux d'emplois, — nécessité d'une certaine unité de conception et d'une coordination des différents agents qui interviennent. Sur le plan des interventions, législatives, réglementaires, administratives, financières, mesures qui relèvent à la fois de l'idéologie (idéologie juridique, par exemple) et de la pratique — soit politicoadministrative : modification de l'organisation de l'Administration, soit économique : affectation des crédits —, on voit se succéder un certain nombre de mesures qui apparaissent clairement comme des tentatives de réponse dans la pratique aux difficultés rencontrées. Ces mesures visent : — En premier lieu, à favoriser la réalisation des équipements nécessaires. Les différentes mesures juridiques et économiques permettant l'appropriation publique des sols pour la construction de grandes opérations répondent pour une part à la nécessité de disposer des terrains pour les équipements publics, dans le même temps où on construit les logements et à leur proximité immédiate. Dans le même domaine, on trouve également l'obligation faite aux constructeurs de fournir des « mètres carrés sociaux » permettant d'accueillir des activités collectives à proximité des logements. A travers diverses procédures, on s'efforce d'assurer un niveau d'équipement convenable dans les projets d'opérations d'urbanisme importantes : circulaires du 24 août 1961, sur l'équipement commercial, sanitaire et social des grands ensembles, modalités diverses d'application des grilles d'équipement. Enfin, et surtout, l'Etat se préoccupe 7 d'assurer la fourniture 7. Bien sûr, dans le cadre de sa politique d'ensemble qui peut tendre, au contraire, à comprimer les financements publics pour les équipements collectifs.

Cf. infra, § IV. 1.

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du capital dévalorisé nécessaire, d'où une succession de mesures dans ce sens, de l'institution de la participation des constructeurs aux charges d'équipement, à celle de la taxe locale d'équipement 8 . — En deuxième lieu, à favoriser la réalisation synchrone des logements et des équipements, à coordonner les différents financements publics. On voit, par exemple, la création de conférences de coordination des maîtres d'ouvrage (article 47 de la loi-cadre du 7 août 1957) ayant pour objet « la confrontation et la mise au point des divers programmes d'équipement et de construction à réaliser sur plusieurs années... elles coordonneront la mise en œuvre de l'exécution de ces programmes ». Ou encore, la création des Programmes de modernisation et d'équipement, qui, à certains égards, tendent à favoriser une harmonisation des programmations dans les différents secteurs d'équipement. Et, plus récemment, la création d'une ligne budgétaire unique pour le financement de certains équipements de superstructure, et d'un financement particulier pour les études préalables des Zones d'aménagement concerté. — En troisième lieu, à créer les supports nécessaires pour assurer une maîtrise unifiée de l'ensemble du processus de réalisation d'une zone d'urbanisation nouvelle : • création de nouvelles personnes morales susceptibles de coordonner l'action des différents maîtres d'œuvre (Société d'économie mixte, Etablissements publics spécialisés), décrets de 1953, 1954, 1955..., jusqu'à la création récente des Etablissements publics pour les villes nouvelles, • création de la procédure des ZUP, rôle de l'architecte en chef (décret du 31 décembre 1958). Ces organismes peuvent tendre à assurer la maîtrise du procès d'ensemble à travers la maîtrise qu'ils peuvent avoir des capitaux, essentiellement dévalorisés, nécessaires comme capital de circulation pour l'aménagement des terrains ; en tant que supports de la propriété des terrains équipés, ils peuvent 8. Cf. loi du 7 août 1957, art. 26, § III, I o ; décret 58.1467 du 31 décembre 1958, art. 2 § 2 ; décret 58.1466 du 31 décembre 1958, art. 5, 2° alinéa ; circulaire Sudreau du 29 juillet 1960 ; loi du 3 juillet 1961 (redevance d'équipement) ; décret du 13 avril 1962 (RAP redevance d'équipement) ; loi du 19 décembre 1963, art. 8 (taxe de régularisation des valeurs foncières); décret 64.1105 du 30 octobre 1964 (RAP taxe de régularisation des valeurs foncières) ; loi 67.1253 du 30 décembre 1967 (TLE) ; décret 68.836 du 24 septembre 1968 (RAP - TLE) ; décret 68.837 du 24 septembre 1968 (cessions gratuites de terrains) ; décret 70.780 du 27 août 1970 (modifie le 68.836).

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pour une part assurer la coordination spatiale entre infrastructures et logements ou équipements, et contrôler l'utilisation de l'espace. — En dernier lieu, à tenter de coordonner le mouvement général de l'urbanisation et la réalisation des équipements : concentrer l'urbanisation là où il y a des équipements ou là où on les prévoit, et l'éviter ailleurs. C'est, dès le début, un des aspects importants du permis de construire. C'est un des aspects des formes successives de planification urbaine à travers la définition juridique de la constructibilité des sols. C'est aussi un aspect de la création des ZUP : lorsqu'une telle zone a été désignée dans une commune ou une agglomération, tout groupe de constructions de plus de cent logements doit y être implanté s'il entraîne de nouveaux équipements d'infrastructure à la charge de la collectivité (article 1 er du décret). Il s'agit là des mesures prises au niveau général. Au niveau des six opérations étudiées, on peut observer un certain nombre d'effets concrets de ces mesures, d'aspects particuliers des pratiques de l'Etat qui vont dans le même sens. a) L'ensemble

04)

Au départ de cette opération, on voit affirmer, au niveau de l'idéologie et au niveau d'un certain nombre de mesures concrètes, la nécessité d'assurer la production des valeurs d'usage complexes socialement nécessaires : — acquisition d'une superficie importante de terrains par l'Etat, — tentative de l'Etat pour assurer la maîtrise de l'opération au moyen d'un organisme unique responsable, tentative correspondant à la fois à la volonté de coordonner les financements publics (qui sera réaffirmée dans la création des ZUP, l'ensemble (A) étant alors lui-même transformé en ZUP) et à des objectifs plus directement politiques : l'organisme unique projeté d'abord étant directement rattaché à l'Etat central, à la façon des Development Corporations des Villes nouvelles anglaises. Par là, on cherchait à réduire le fractionnement du capital public entre financements de l'Etat central et financements des Collectivités locales 9 ; aussi le Ministre de la 9. C'est là une des constantes de la politique de l'Etat central sur toute la période : recherche de la création de nouvelles « structures administratives », aboutissant à la création de communes nouvelles, après une période transitoire

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Construction de l'époque avait-il déclaré aux Municipalités qu'elles n'auraient rien à payer, et le projet a-t-il été localisé volontairement à cheval sur le territoire de deux communes et de deux départements différents, afin de justifier à l'évidence la nécessité de cette structure administrative nouvelle. Mais du fait des rapports de force politiques à un niveau plus général, la loi n'a pas pu être appliquée, on n'a pas créé de commune nouvelle, mais une Société d'économie mixte, où siègent les communes et dont le Directeur est nommé par l'Etat, qui est responsable de l'aménagement du terrain et de la réalisation des équipements. On verra plus loin les limites de la maîtrise du procès d'ensemble par cette Société d'économie mixte et l'Architecte en chef, responsables de l'opération. Un préfinancement relativement important par l'Etat, a permis de réaliser, dès le début, l'essentiel des acquisitions foncières et la réalisation des grandes infrastructures, en particulier le réseau de voirie. L'intention affirmée de l'Administration était de réaliser un grand ensemble qui, au contraire des cités-dortoirs sous-équipées, aurait, dès le début, les équipements nécessaires. Ainsi, l'architecte désigné comme Architecte en chef de l'opération avait reçu pour mission de concevoir un grand ensemble dont tous les équipements nécessaires seraient prévus dès le départ, et programmés de façon synchronisée avec la réalisation des logements, 6 000 envisagés tout d'abord, puis 9 000. Cet ensemble devait être réalisé dans un délai de cinq ans. L'architecte, qui dans le même temps participait aux travaux de la Commission de la vie dans les grands ensembles élabora donc un projet où étaient prévus, en fonction de normes rassemblées par lui, inspirées des travaux en cours et sans doute aussi des Villes nouvelles anglaises, tous les équipements nécessaires. Le projet, prévoyait une programmation des logements correspondant à la réalisation envisagée sur cinq ans, programmation par tranches successives, et, par un compte à rebours pour les différentes tranches, la date d'engagement nécessaire des travaux de réalisation

où l'organisme est sous l'autorité directe de l'Etat central, et qui a donné lieu à plusieurs textes de loi, de l'article 28 de la loi cadre du 7 août 1957, à la loi du 10 juillet 1970. Parallèlement, la création et le renforcement progressif des pouvoirs du Commissaire au logement et à l'urbanisme pour la Région parisienne, puis du Délégué général au district, accentuaient considérablement la tutelle pesant sur les Collectivités locales.

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des divers équipements 10 ; il était, par ailleurs, complété par une évaluation des coûts et un échéancier des dépenses correspondantes. On voit donc qu'au niveau de la conception, conception correspondant à la commande, on savait, dès ce moment, traiter le problème. Mais, à ce projet précis et chiffré correspondant à sa demande, l'Administration répondait qu'elle ne pouvait pas trouver le financement correspondant mais lançait quand même l'opération. L'architecte souligne que ses plannings si bien étudiés lui ont simplement permis... de mesurer dès le premier jour le retard pris par les équipements. Enfin, l'ensemble Société d'aménagement plus Architecte en chef, en tant que support du capital de circulation nécessaire à l'aménagement de la zone — capital constitué par le préfinancement avancé par l'Etat —, a eu la possibilité d'assurer partiellement la maîtrise du procès de production des logements et des équipements, sinon du point de vue de leur date de réalisation, du moins du point de vue de leur lieu et forme, ce qui se traduit par une réalisation conforme au plan masse initial, pour l'organisation générale de la zone, les circulations, la localisation des équipements réalisés, et la localisation et la forme des bâtiments d'habitation b) L'ensemble

(B)

Comme dans le cas de (A), l'ensemble (B) est réalisé sous l'autorité d'une Société d'économie mixte et d'un Architecte en chef. Toutefois, alors que, dans le cas de (A), la Société d'économie mixte est principalement placée sous l'autorité de l'Etat central, dans le cas de (B), les Municipalités y ont un rôle beaucoup plus important, sinon prépondérant. Elles sont majoritaires parmi les actionnaires. Ceci tient sans doute au démarrage plus tardif de (B), qui lui a évité d'être le support de la tentative de création de structures administratives nouvelles, tentative déjà abandonnée (provisoirement) à ce moment. De plus, la part du financement assurée par l'Etat central est nettement plus faible, et celle des communes plus importante, d'où une implication beaucoup plus forte des Municipalités. Il y a eu d'ailleurs création d'un District urbain, associant les communes concernées. Il en résulte que la Société d'économie mixte joue, beaucoup mieux que dans le cas de (A), son 10. L'architecte nous a montré les tableaux de planning des opérations établis par lui. Nous aurions souhaité les reproduire mais il s'agit hélas d'exemplaires uniques, de nombreux documents sur les débuts de l'opération ayant brûlé dans un incendie sur le chantier. 11. Sauf pour les dernières tranches, où l'intervention de promoteurs privés s'est accompagnée de quelques modifications.

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rôle d'unificateur de la maîtrise du procès d'ensemble, à travers, par exemple, la coordination des financements publics, dans la mesure où son fonctionnement n'est pas paralysé par un conflit majeur entre Collectivités locales et Etat central. Réalisé dans le cadre de la procédure ZUP, cet ensemble a également fait fonctionner les mécanismes de coordination tels que l'examen et l'approbation du dossier-bilan par les différentes administrations concernées au sein du Comité spécialisé du FDES n . Enfin, pour les premières tranches réalisées, l'Architecte en chef a pu imposer aux promoteurs et architectes d'opérations un certain nombre de principes de réalisation, touchant à la conception des circulations et des parkings, des espaces extérieurs, à l'organisation générale des bâtiments. c) L'ensemble

(C)

Cette opération est une opération immobilière privée, et la maîtrise relève pour l'essentiel du capital immobilier qui cherche à s'y mettre en valeur. Toutefois, certains aspects de l'opération manifestent également la recherche d'une certaine maîtrise par l'Etat, sinon de l'opération ellemême, au moins des formes générales de l'urbanisation. Ainsi, on l'a déjà signalé, les premières tranches de l'opération ont dû se conformer au règlement du Plan d'urbanisme de la zone, qui y indiquait une hauteur maximale de R + 3 (Secteur d'habitations basses avec jardins). Le promoteur, par le versement à la commune d'une participation (de 1 200 à 2 000 F par logement suivant les tranches ; pour les dernières, la Taxe locale d'équipement représente 2 000 F) a participé à la constitution du capital dévalorisé nécessaire pour la réalisation des équipements scolaires et des travaux de voirie et d'assainissement. Enfin, la Direction départementale de l'équipement impose au promoteur un élargissement de certaines voies desservant l'opération, afin de faciliter la circulation. d) L'ensemble

(D)

Comme pour (C), la maîtrise de l'opération relève essentiellement du promoteur, mais ici un promoteur support d'un capital dévalorisé, qui à ce titre n'est donc pas totalement distinct de l'appareil de l'Etat. Cet Office public d'HLM semble d'ailleurs être assez lié à l'Administration : on avait noté par exemple que c'est l'Administration 12. Fonds de développement économique et social.

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qui avait trouvé et fourni le terrain pour l'opération (cf. III e partie). Il est possible que la localisation en ait été choisie en raison de la proximité d'une Ville nouvelle, d'ailleurs la date du début de l'opération se situe au moment de la publication du Schéma directeur de la Région parisienne ; ce n'est toutefois qu'une hypothèse dont nous n'avons pas eu confirmation. L'Administration a pesé sur l'opération, à travers la définition du tracé des voiries qui ceinturent l'ensemble, et l'obligation de respecter une limitation en hauteur (effet des servitudes liées à des antennes de réception pour l'aéronautique, installées sur un terrain voisin). L'architecte de l'opération souligne également le soutien qu'il a reçu de la part de l'Administration, soutien qui l'a aidé à réaliser son projet bien que celui-ci fût assez inhabituel. On verra toutefois plus loin que ce poids de l'Administration d'Etat n'a pas eu que des effets positifs, en particulier à travers les rapports avec les municipalités. e) L'ensemble

(E) et l'ensemble (F)

C'est, ici également, le promoteur — la SCIC, promoteur « parapublic » — , qui, ayant fourni le capital dominant pour l'aménagement comme pour la réalisation des logements, assure la maîtrise de l'ensemble de l'opération. La maîtrise directe, par l'Administration d'Etat, de cette opération est assez faible. A noter toutefois que, là encore, l'Administration assure aux communes la fourniture d'un certain capital dévalorisé, par l'obligation faite au promoteur de verser une participation au financement des équipements (1 000 F par logement). Dans le cas de (E), en raison sans doute de la taille de l'opération et de l'importance des équipements d'infrastructure nécessaires, la SCIC a présenté au FDES le programme de l'opération, bien qu'il ne s'agisse pas d'une ZUP, ce qui a constitué le moyen d'une certaine coordination entre Administrations.

2. Les

Municipalités

Si elles n'ont été associées, dans aucun des ensembles étudiés, à l'initiative de l'opération (au contraire, dans quatre cas sur six, l'opération a été lancée contre leur avis), les Municipalités, du fait de la division du travail à l'intérieur de l'appareil de l'Etat, et du fait qu'elles sont directement sensibles aux effets politiques évoqués, font un effort assez notable pour assurer, dans la mesure de leurs moyens, un certain niveau d'équipement. En particulier pour l'équi-

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pement scolaire, ce sont souvent les Municipalités qui s'efforcent d'« assurer les rentrées », malgré le retard des subventions d'Etat. Pour les autres catégories d'équipements, l'effort des Municipalités dépend de leur politique d'ensemble. Les Municipalités de gauche semblent avoir fait, dans les cas étudiés, un effort notable en matière d'équipements sportifs et socio-culturels. Même lorsque l'opération a été lancée contre leur avis, elles s'efforcent de l'utiliser, en particulier, sous l'angle des possibilités foncières qui s'y offrent pour des équipements publics ; elles y réalisent des équipements destinés à rayonner sur l'ensemble de la commune — centre omnisports de (A), parc de sports et de loisirs de (F). En ce qui concerne la conception de l'opération et la définition du programme, les Municipalités ne sont guère intervenues, sauf à propos de certaines modifications dans le réseau de voirie, afin d'assurer une meilleure liaison avec le centre de la commune — cas de (A), de (F). Il ne semble pas qu'on ait, d'ailleurs, recherché leur participation active, mis à part leur participation financière.

3. Les tentatives

de maîtrise par le capital

privé

Ce problème ne peut évidemment se poser que lorsqu'un capital immobilier de circulation recherchant le profit se trouve en position dominante dans les rapports de production. D'une façon générale, l'opération est pour ce capital l'occasion de mise en valeur par la circulation d'une marchandise. Dans les petites opérations immobilières, cette marchandise se limite au seul logement, les autres aspects de la valeur d'usage socialement nécessaire étant refoulés vers l'Etat (cf. § 1.2). Dans les opérations importantes, qui sont économiquement intéressantes par les surprofits liés à leur taille, on ne peut éluder le problème de ces autres aspects nécessaires, sous la forme des équipements collectifs. Pour le capital privé dominant, il est clair qu'un bon niveau d'équipement ne peut qu'accélérer la vente, donc contribuer à l'augmentation du profit. « Le promoteur privé, lui, a d'autres soucis ; les équipements l'intéressent, et il en fait, mais surtout dans la mesure où ils sont des arguments de vente, la piscine, les écoles, la proximité d'une... enfin une desserte routière convenable, ce sont des équipements nécessaires, mais d'autant plus nécessaires au promoteur qu'ils

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lui permettent de vendre mieux et plus rapidement, c'est une autre logique. » 1 3 Il suffit de consulter les publicités des opérations de promotion privée importantes pour voir comment y miroitent les équipements promis : c'est que l'interdépendance de la production sociale se manifeste concrètement ici dans la commercialisation de la marchandise, et par là le capital privé s'y trouve impliqué, confronté directement au problème de l'articulation des valeurs d'usage nécessaires. La question est alors d'assurer la réalisation des équipements sans pour autant réduire le profit. Certains équipements peuvent eux-mêmes constituer une occasion de profit : les commerces, certains équipements de loisir. A condition que leurs règles de mise en valeur effective (qui tiennent à l'évolution spécifique à chaque domaine d'activité économique) soient compatibles avec l'opération immobilière prise séparément, le capital privé peut avoir un double intérêt à les juxtaposer : possibilités élargies de mise en valeur, et surprofits liés à la juxtaposition de ces éléments. Mais il nous semble que les possibilités de telles compatibilités sont limitées, les éventualités d'une localisation possible et rentable à la fois pour une opération de logements et u n supermarché sont réduites, ne serait-ce, par exemple, que parce que le nombre des supermarchés est limité, vu qu'ils cherchent à drainer une clientèle beaucoup plus large que la seule population d'une opération. Dans le cas de l'ensemble (C), il y a eu réalisation effective de la « supérette » prévue. Par contre, on a déjà signalé (IV e partie, § IV. 1) que l'équipement commercial était très généralement en retard ou incomplet. En outre, les équipements susceptibles de permettre une telle rentabilisation sont en nombre très restreint. La plupart des équipements collectifs doivent faire appel à d u capital dévalorisé, sans que du capital privé puisse y intervenir et en assurer la maîtrise. Le promoteur privé est obligé de négocier avec l'Etat et les Collectivités locales pour essayer d'obtenir la réalisation de ces équipements en temps voulu, u n des aspects de la négociation étant le versement d'une participation au financement des équipements, c'est-à-dire une dévalorisation de capital privé. O n peut penser que, du point de vue du capital privé, une certaine dévalorisation est intéressante et supportable dans la mesure où, permettant ou accélérant la fourniture des équipements publics, elle permet des surprofits sur la marchandise vendue, dévalorisation limitée toutefois, car au-delà d ' u n certain seuil, elle ne 13. Extrait d'une interview au Service régional de l'équipement de la Région parisienne.

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peut que diminuer le profit. On constate ainsi que c'est dans l'ensemble (C), opération privée, que la participation du promoteur aux équipements est la plus élevée (jusqu'à 2 000 F par logement). Actuellement, il n'est pas possible au capital privé d'aller au-delà, et donc les possibilités d'assurer la réalisation des équipements publics restent très limitées, ces équipements demeurant pour l'essentiel soumis à l'effet des règles politiques qui déterminent le fonctionnement des financements publics. Il faut signaler toutefois le cas particulier de l'opération (E). On a déjà signalé le caractère ambigu du capital dont la SCIC est le support. Si l'on accepte notre hypothèse que ce capital est à considérer comme la juxtaposition de fractions dévalorisées — qui correspondent aux activités HLM, utilisation du 1 % , réalisation de logements pour les fonctionnaires et entreprises nationalisées — et de fractions qui accumulent — secteur Crédit foncier •—, et que, dans le cas de (E), c'est le second type qui est dominant, on trouve dans cette opération nombre d'éléments qui illustrent une certaine maîtrise « privée » du procès d'ensemble : réalisation d'importantes infrastructures internes à l'opération, espaces verts, assez nombreux équipements publics de superstructure (nombreux pour une opération de'statut privé, ils sont malgré tout en retard par rapport aux prévisions elles-mêmes). C'est le promoteur lui-même qui a suscité, dans ce cas, une coordination avec les Administrations : « C'est une zone qui n'est pas concertée, mais seulement reconnue par l'Administration et prise en mains par un promoteur privé — nous sommes de statut privé, même si nous sommes d'essence publique. La masse d'une opération comme celle-ci implique l'intervention de l'aide de la puissance publique. La route qui relie les trois communes : dépense de l'ordre de 1,5 milliard d'anciens francs. Il n'est pas admissible que les futurs locataires ou propriétaires supportent cette charge-là alors que, dans tout le pays, des subventions sont allouées à des opérations de ce genre. Nous avons proposé à l'Administration un bilan-programme de cette opération destiné à être produit devant le FDES de façon à obtenir des subventions et à faire participer les Collectivités locales au financement de cette opération. C'est une procédure inhabituelle : opération de statut privé pour laquelle on demandait une intervention assez massive de la puissance publique et une prise en charge des Collectivités locales. Ça ne s'est pas fait facilement... Il fallait d'abord faire approuver le dossier par le Comité 2 bis du FDES et ensuite le présenter aux Collectivités locales : voyant l'effort fait par l'Etat, elles auraient aussi pu

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suivre... Le dossier a été approuvé par le FDES puis soumis aux Collectivités locales. » 1 4 Un tel processus n'est évidemment pas possible pour n'importe quel capital privé. En l'occurrence, plusieurs facteurs peuvent expliquer les conditions particulières ainsi décrites. Tout d'abord, on a déjà signalé l'importance de la SCIC (plus gros promoteur immobilier de France). Sa taille en fait un « interlocuteur » tout à fait important pour l'Administration. En second lieu, les liens institutionnels particuliers de la SCIC avec l'Etat, s'ils peuvent contribuer à expliquer certaines interventions de l'Etat sur la SCIC, peuvent, à l'inverse, expliquer que la SCIC ait des facilités particulières dans une telle concertation avec l'Administration. En dernier lieu, le caractère ambigu de la SCIC et la domination du capital recherchant le profit sur le capital dévalorisé lui permettent de réaliser une opération qui, cumulant logements du secteur Crédit foncier et HLM, logements réalisés avec le 1 % , prend une taille assez considérable pour justifier à elle seule d'équipements importants, en particulier d'infrastructures, sans pour autant donner l'impression d'un financement destiné exclusivement à aider la commercialisation (ce qui pourrait soulever quelques protestations, ne serait-ce que des promoteurs privés concurrents). Par là, et dans les limites, bien sûr, de la politique générale en matière d'équipements collectifs, on voit comment, dans le cas de (E), la SCIC a réussi à assurer une certaine maîtrise d'ensemble. O n remarquera d'ailleurs que l'opération préfigure à bien des titres les « ZAC privées » 1 5 dont nous ne traiterons pas ici, vu leur institution récente et l'absence d'observations systématiques des premiers résultats. Le troisième point soulevé est toutefois une caractéristique de la SCIC qui la différencie sensiblement des groupes immobiliers privés, même des plus importants, malgré l'existence dans certains de Sociétés anonymes d'HLM. Il faut aussi souligner les limites d'une telle maîtrise. Indépendamment des problèmes liés au financement des équipements publics et des commerces, sur lesquels nous reviendrons, la desserte routière de cette opération pose des problèmes délicats et la distance aux zones d'emploi est importante ; il semble bien à cet égard que la 14. Extrait d'un entretien à la SCIC. 15. Zone d'aménagement concerté réalisée par un promoteur privé dans le cadre d'une convention passée avec la puissance publique. Les ZAC découlent juridiquement de l'application de l'article 16 de la Loi d'orientation foncière du 30 décembre 1967.

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SCIC ait eu quelques difficultés avec certaines parties de l'Administration, car le Schéma directeur d'aménagement et d'urbanisme de la Région parisienne ne prévoyait pas une urbanisation aussi importante dans cette zone. C'est donc à un niveau différent, celui de l'adéquation des zones d'urbanisation nouvelles avec l'organisation générale du développement de l'agglomération, les relations habitat-emploi, l'utilisation rationnelle des sites et la protection des espaces verts, la réalisation des grandes infrastructures, que se posent des problèmes sérieux ; et la détermination des zones d'urbanisation en fonction des possibilités optimales de mise en valeur d'un capital est sans doute peu à même de les résoudre. Enfin, dernière remarque sur les tentatives de maîtrise par le capital privé : le sous-équipement marqué des grands ensembles, y compris privés, du fait de l'insuffisance quantitative du capital dévalorisé nécessaire, amène les promoteurs privés — outre les promesses mirifiques des dépliants publicitaires — à réaliser quelques équipements susceptibles d'attirer la clientèle et tenter de faire oublier l'absence des autres équipements, tels que le coût en soit aussi réduit que possible à l'investissement. Ce n'est pas l'utilité de ces équipements qui est contestée, mais plutôt la priorité de fait qui s'instaure par là, des équipements relativement superflus remplaçant des équipements absents, beaucoup plus importants pour la vie quotidienne des habitants : ainsi, on trouve en (C) et (E) une piscine découverte, mais pas de crèche.

IV.

L E FRACTIONNEMENT DU CAPITAL SOCIAL NÉCESSAIRE ET

L'EFFET

DES RÈGLES D I F F É R E N T E S DE MISE EN VALEUR

Dans la IVe partie, on a montré que, suivant les différents éléments constitutifs des grands ensembles, la maîtrise du procès de leur production était assurée par des fractions particulières de capital de circulation caractérisées chacune par des règles de mise en valeur — au sens large — spécifiques, et on a examiné les effets de ces règles sur chaque produit. Puis, dans le chapitre précédent, on a considéré les tentatives diverses visant à assurer la maîtrise de la production des ensembles comme valeurs d'usage complexes. On va développer maintenant le second terme de la contradiction énoncée, en essayant d'analyser les effets sur le produit d'ensemble

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des règles de fonctionnement propres à chaque fraction de capital, et en montrant par là les formes concrètes de la contradiction. L'étude des rapports de production de chaque élément montre la multiplicité des fractions de capital susceptibles d'intervenir. Du point de vue d'une opération particulière, un certain nombre de ces fractions se combinent pour constituer le capital social nécessaire pour la circulation du produit d'ensemble. Sans vouloir traiter ici des règles générales à ces combinaisons, on doit toutefois souligner qu'il ne s'agit pas d'une simple combinatoire, où les différentes configurations seraient a priori possibles, affectées de probabilités d'apparition. Les règles de combinaison à un moment donné sont économiques et politiques : règles de mise en valeur dans ce secteur, compte tenu des conditions générales de l'accumulation, et règles d'affectation du capital dévalorisé. En particulier, ces règles sont telles que la présence de capital dévalorisé est une condition indispensable à la mise en valeur des capitaux immobiliers privés ; et ce capital dévalorisé est lui-même inévitablement fractionné en éléments spécialisés. Même si les formes d'association et la répartition de la maîtrise des différents éléments peuvent varier d'une opération à l'autre, on rencontre nécessairement les éléments suivants : — fractions de capital dévalorisé affectées par l'Etat central, — fractions de capital dévalorisé fournies par les Collectivités locales, — fractions de capital privé. On va donc considérer successivement chacun de ces éléments en essayant d'analyser concrètement, pour chaque opération, les effets particuliers de cet élément sur le produit d'ensemble, sur la constitution des valeurs d'usage complexes.

1. Le capital dévalorisé affecté par l'Etat Les règles de fonctionnement de ce capital dévalorisé sont : — une division en fractions spécialisées 16, ayant pour support des services spécialisés de l'Administration, et avec des possibilités de changement d'affectation limitées (règles liées à l'application des décisions politiques définissant le Budget de l'Etat) ; 16. Cf. supra, pp. 88-89, § 2.b et 2.c.

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— un fonctionnement de chaque fraction défini par des règles particulières : domaine d'affectation, définition des capitaux avec lesquels l'association est possible et des conditions juridiques et financières de ces associations, normes définissant les produits dont il s'agit d'assurer la circulation (et quelquefois la production). Ces règles particulières s'expriment dans le contrôle de l'affectation et de l'emploi des fonds publics par les services administratifs supports ; — une tendance générale à la limitation de ce capital dévalorisé, tendance qui s'exerce toutefois de façon différenciée suivant les différentes fractions spécialisées, en fonction à la fois de leur importance du point de vue de l'accumulation et de leur importance du point de vue de la reproduction ; cette tendance générale peut prendre des formes diverses : limitation quantitative des crédits disponibles, retard général à l'engagement et au paiement. Ces règles combinées produisent un certain nombre d'effets : 1. La troisième règle, prise globalement, se traduit souvent par un ralentissement général des opérations, qu'il s'agisse d'opérations dominées par le capital public (ZUP, par exemple) ou privé. Ce ralentissement, que l'on peut noter dans le retard des opérations par rapport aux programmations de départ, va jusqu'au doublement de la durée : — ensemble (A) : durée prévue, cinq ans ; durée effective, plus de dix ans ; — ensemble (B) : ZUP lancée en 1960 ; on n'en prévoit pas l'achèvement avant 1975 ; — ensemble (C) : on a signalé les retards indiqués par le promoteur privé lui-même, tenant à la nécessité d'attendre l'attribution des primes à la construction. Ce ralentissement a des conséquences directes sur la valeur d'usage du produit, en obligeant les habitants à vivre au milieu d'un chantier pendant de nombreuses années. Il en a aussi d'indirectes, en accentuant la limitation du capital dévalorisé disponible : sous-utilisation du capital affecté à la réalisation des infrastructures et immobilisé trop longtemps, déséquilibrage des bilans financiers, par le double mouvement de la hausse des prix et de l'augmentation des frais financiers. Ceci contribue bien souvent à une densification en logements au cours de l'opération, afin d'augmenter les recettes.

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2. La limitation différentielle suivant les fractions de capital se traduit, en plus du ralentissement indiqué ci-dessus, par un retard général des équipements collectifs sur les logements ". Il y a globalement déséquilibre relatif entre le financement public des équipements collectifs et la réalisation des logements, dont le volume, pour les secteurs qui nous intéressent ici, est également déterminé par le volume du capital dévalorisé affecté par l'Etat 18 . Ceci se manifeste, au niveau de la gestion des opérations, par le retard souvent considérable à la programmation par les services de l'Administration responsable de nombreux équipements publics, même lorsque le programme d'équipements de l'opération a fait l'objet d'une concertation, au niveau du FDES, par exemple. Et, une fois l'équipement programmé, le financement est bien souvent en retard également (cas des subventions pour les équipements scolaires, cf. IVe partie, § III.3). On a indiqué le pourcentage moyen de retard des équipements (prévus) par rapport aux logements, qui va de 10 % (pour les équipements scolaires, les plus indispensables socialement pour la reproduction de la force de travail après le logement) jusqu'à plus de 70 % . Ce retard général des équipements, qui va jusqu'à la disparition quasi définitive de certains équipements, entraîne un appauvrissement considérable de la valeur d'usage des opérations. En plus du retard des équipements réalisés par rapport aux équipements prévus au programme de départ de l'opération, il faut tenir compte de ce que ces programmes sont eux-mêmes loin de prévoir tous les équipements socialement nécessaires. Il semble même que les programmes d'équipements aient une tendance à se « simplifier » 1 9 depuis les débuts de la politique des grands ensembles, d'autant plus, 17. Cf. annexe, tableau 3. 18. « Le grand mérite de la création de la ligne budgétaire, c'est, en obligeant les différentes administrations à recenser les crédits dont elles disposent, de souligner les insuffisances du système traditionnel et de montrer, par exemple, que pour 120 000 ou 130 000 logements prévus dans le cadre des zones d'aménagement concerté en 1971, les crédits nécessaires au titre de l'Education nationale, de la Santé publique ou de la Jeunesse et des sports, ne sont pas présents à ce jour dans la ligne budgétaire unique. Et je n'hésite pas à dire que si la situation se prolonge, je déciderai purement et simplement, puisque c'est de mon autorité, de ne pas lancer les logements correspondants : je prétends, en effet, faire le contraire de l'urbanisation sauvage, c'est-à-dire une urbanisation ordonnée, caractérisée par la synchronisation de la réalisation des logements et des équipements correspondants. » Vœux d'A. Chalandon, Ministre de l'Equipement et du logement, à la presse, le 12 janvier 1971. 19. Cette simplification est d'ailleurs préconisée actuellement par le Ministre de l'Equipement : Et enfin, en « En matière d'équipements : lutter contre le perfectionnisme.

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d'ailleurs, que la place du capital privé y est plus importante. Par exemple, pour l'ensemble (A), deux crèches étaient prévues pour 8 500 logements, une seule a été réalisée ; pour l'ensemble (F), une seule crèche est prévue pour 9 000 logements à terme, près de 6 000 étant déjà construits (la crèche ne semble pas devoir être réalisée dans l'avenir proche). Il y aurait donc tendance à l'appauvrissement dès le stade des prévisions ; ceci reste toutefois une hypothèse : il faudrait, pour aller plus loin, établir cette évolution sur un nombre significatif d'opérations 20. Cet appauvrissement des valeurs d'usage constituées par les grands ensembles est d'autant plus grave qu'il est difficile d'accéder aux équipements préexistants, bien souvent saturés eux-mêmes, d'ailleurs. En effet, la localisation périphérique, quelquefois éloignée, des opérations est redoublée de l'insuffisance des moyens de transports en commun, ainsi que de l'insuffisance de la desserte routière, et de la saturation des grandes voies radiales vers Paris (cf. IVe partie, § II 1.2). Enfin, cette faiblesse relative du financement public des équipements collectifs par rapport à celui des logements, conjuguée avec le ralentissement fréquent des opérations, conduit à une cristallisation per-

matière d'équipements, j'ai donné des directives, d'abord pour éviter le perfectionnisme : ne pas exiger des équipements trop luxueux. On a fait une étude assez révélatrice à cet égard. On a constaté que si l'on prenait les résidences les plus somptuaires de Paris, par exemple, les équipements qui y étaient, étaient très inférieurs à la grille d'équipements exigée actuellement en matière de ZUP. Donc, réduction de la grille d'équipements et surtout progressivité dans la réalisation des équipements, afin que ce ne soit pas la génération présente qui paie à la fois le présent, le passé et l'avenir. » In : Une nouvelle politique de l'urbanisme, « Conférence d'A. Chalandon, Ministre de l'Equipement et du logement, 7 mai 1969 ». 20. Pour toutes les questions de réalisation des équipements collectifs, et de leur retard par rapport aux logements, les observations faites sur les six opérations étudiées recoupent dans une large mesure les résultats de l'étude du Centre d'Etude des Equipements Résidentiels, Etude des facteurs de développement de la vie sociale dans les ensembles nouveaux d'habitation (lre partie, monographies sur une centaine d'opérations, 2' partie, rapport de conclusions générales) : ainsi que ceux de l'étude d'A. Pitrou, Quelques problèmes posés par le lancement et la réalisation des ZUP, CERAU, 1968. Cf. également le Rapport de la Commission des villes du VI' Plan, p. 28 : « Le retard dans la réalisation des équipements de superstructure — écoles, équipements sportifs, socio-éducatifs, sanitaires — qui doivent accompagner la construction de nouveaux logements a été une caractéristique trop permanente des grands ensembles au long des dix dernières années... L'insuffisance de certains équipements s'étend à l'ensemble du tissu urbain : les crèches, les équipements sanitaires, centres de PMI, dispensaires, centres sociaux, sans parler des hôpitaux, des équipements sportifs..., des bibliothèques, des espaces verts et des squares.

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manente du déséquilibre logements-équipements, sous la forme de la densification des opérations ; il y a souvent plus de logements que prévu au départ, contre moins d'équipements. Ce mécanisme de densification 21 peut prendre deux aspects : — faire plus de logements que prévu au départ, pour équilibrer le bilan de l'opération, c'est-à-dire faire supporter par plus de logements le financement des équipements réalisés, ce qui est bien souvent nécessaire du fait de l'insuffisance des subventions qui se réduisent par rapport aux prévisions ; cette situation semble assez courante dans les ZUP ; — faire plus de logements pour profiter au maximum des équipements réalisés (recherche du surprofit de localisation). On a déjà cité le cas de l'opération (C) dont les dernières tranches ont fait l'objet d'une densification importante. Dans l'ensemble (A) (ZUP), on peut noter deux densifications : la première au départ de l'opération, d'abord prévue pour 6 000 logements, puis pour environ 9 000, et une seconde, plus réduite, lors de l'attribution des tranches destinées aux promoteurs privés, à la suite d'un concours. Dans l'ensemble (B) (ZUP également), on passe de 9 350 logements (programme approuvé en 1964) à 10 000 (1968). De même, pour (E), il y a eu densification. « Nous étions partis d'un chiffre de 8 000 également ; nous venons de le faire passer à 9 000. » 22 La densification peut aussi résulter plus indirectement de la limitation du capital dévalorisé affecté au logement. Ainsi cette limitation a pour effet un effort de réduction des charges foncières et participations aux équipements supportées par les HLM. Dans le cas des ZUP, il en résulte souvent une charge foncière modulée, plus faible pour les HLM, plus forte pour les logements de standing supérieur (secteur CFF, par exemple). Mais du fait des réticences des promoteurs privés à faire des opérations dans les ZUP, la part couverte par les logements non HLM est très généralement inférieure à ce qui était prévu, d'où déficit, d'où densification. 21. Mécanisme qui se superpose à celui résultant de l'obstacle de la propriété foncière : la pression de la rente foncière sur le surprofit se traduisant par l'effort pour limiter les immobilisations foncières relativement aux investissements sur le sol. 22. Extrait d'un entretien à la SCIC.

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3. La spécificité des règles de fonctionnement des différentes fractions de ce capital dévalorisé, s'exprimant dans des systèmes de normes appliquées aux produits auxquels ces fractions sont affectées, entraîne bien souvent des problèmes difficilement solubles pour la réalisation de certains équipements, ou pour la coordination d'équipements entre eux. On connaît, par exemple, l'effet des règlements de l'Education nationale qui, bien fréquemment, font des groupes scolaires des zones fermées, isolées 23, qui ont souvent interdit l'installation de débits de boisson dans les nouveaux ensembles 24 . On rencontre, dans nos six ensembles, quelques illustrations criantes de ces difficultés. Dans l'ensemble (A), qui est aujourd'hui pratiquement achevé, on peut voir le long d'un côté de la place centrale, là où la densité est la plus forte, en face du centre commercial principal, une grande fosse, de plusieurs dizaines de mètres de long, où poussent les mauvaises herbes. Sur cette fosse devait être édifié un centre administratif regroupant les services nécessaires : Sécurité sociale, annexe de la mairie, poste de police, bureau de poste, centre de PMI, et permettant la construction, en plus, d'une certaine surface de plancher pour des bureaux privés. Mais, les réglementations différentes de chaque Administration, sur les normes définissant les conditions d'installation de chaque service, jusqu'aux normes différentes concernant la construction des bâtiments publics, ainsi d'autre part que les difficultés du même ordre concernant la cohabitation en copropriété de services publics et de bureaux privés, ont interdit jusqu'à ce jour la réalisation de ces équipements, pourtant tout à fait indispensables. Or, vu la nature de ces équipements, la forme prévue pour leur installation, consistant à les regrouper dans un même bâtiment, était certainement la plus adaptée à leur utilisation par les habitants 25. Dans l'ensemble (B), on trouve un exemple frappant de difficultés du même type. Bien qu'il ne s'agisse pas de capital dévalorisé directement affecté par l'Etat, mais géré par des promoteurs sociaux, on 23. Sur ces questions, que notre champ d'observation réduit ne permettait pas de traiter vraiment, on trouvera des éléments intéressants dans l'étude du CEDER déjà citée, en particulier en ce qui concerne les formes d'organisation de l'espace liées aux équipements. 24. En effet, il y a une distance minimum à respecter entre les deux ; compte tenu de la densité des opérations et du nombre d'écoles à réaliser vu la population d'âge scolaire, c'est un problème, souvent, sans solution géométrique. 25. Les projets actuellement envisagés d'équipements intégrés, dont existent certains prototypes, semblent bien se heurter à ces difficultés, pour offrir des équipements regroupés qui apparaissent souhaitables. L'expérience est à suivre en tout cas. Reste à voir dans quelle mesure les projets ne sont pas quelquefois une manière de camouflage du sous-équipement.

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se trouve en fait dans le même cas de capital géré politiquement avec des règles différentes. Il s'agit ici de tours de logements, réalisées certes, mais pas dans les meilleures conditions. « Il y a eu un programme total pour les tours avec la RIVP et un programme total de logements bas avec l'OCIL. Je n'ai pas arrêté de crier au casse-cou. Alors, comme l'OCIL avait déjà les bâtiments bas, on a fait se rencontrer les deux promoteurs, et ils se sont partagés l'opération Nord-Sud. Pas de problème pour la RIVP, puisque ses tours avaient déjà un programme logique de 3, 4 pièces ; pour les bâtiments bas, pas de problèmes non plus. Mais pour l'OCIL... les cellules des tours conçues par la RIVP ne leur convenaient pas. « Les nôtres sont éminemment plus sociales que celles de la RIVP leurs cellules sont trop petites de 10 cm... » — et il a fallu tout recommencer pour 10 cm, vous ne pouvez pas vous en rendre compte, absolument pas, mais les tours, au Nord et au Sud, sont différentes... Mais quelqu'un qui s'en rend compte, c'est l'entreprise, l'entreprise qui réalise les deux. Cela nous coûte 300 millions. Enfin, coûte... non, parce qu'elle le récupère ailleurs. Mais enfin, voilà une erreur monumentale de conception dans la programmation. L'entreprise a dû changer tous ses moules pour 10 cm. Alors, au lieu d'amortir l'opération sur 800 logements, ils l'amortissent sur 400 et 400... ce n'est plus la même chose... Ça a l'air absurde, incroyable... pourtant. » 26 Autre exemple dans le cas de (D), à propos des constructions scolaires : « Au moment où nous avons financé la construction de l'école, nous sommes partis avec un certain retard, eh bien ! ce retard provenait aussi de la part de l'autorité de tutelle, de ne pas avoir agréé les projets en temps voulu. Nous sommes enfin intervenus auprès de la Préfecture, qui était entièrement d'accord avec nous, qui a bien compris le problème, qui nous a donné toutes les instructions, signé les permis et tout... mais nous nous sommes heurtés au... comment, appelle-t-on... le trésorier ; moi je l'appelle le trésorier je veux dire du Ministère, le contrôleur financier du Ministère ; pour des raisons que nous n'avons pas comprises, il ergotait, non pas sur le... sur l'opération par elle-même, mais sur le prix... On voulait arriver à prouver que dans le traditionnel, on arrivait 26. Extrait d'un entretien avec l'Architecte en chef de (B).

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à faire, à quelque chose près, les mêmes prix que l'industrialisé ; cela les étonnait tellement qu'ils n'arrivaient pas à comprendre comment ces opérations là pouvaient être menées à b o n n e fin, parce que, au fond, c'est cela le problème. Et ils ont repoussé jusqu'au mois de novembre la décision à prendre. Cette décision qui devait être prise rapidement, puisque tout avait été programmé, tout était donc normal, ne nous a pas été communiquée ; nous avons réclamé directement au Ministère et il nous a dit : « Nous pensons que certainement votre affaire va repasser ». Il n'y a que quelques jours que nous avons reçu une note en nous disant que nous étions bien portés dans les 12 ou 13 CES d'équipements secondaires d u Département. Alors, nous en sommes là. » 2 7

2. Le capital dévalorisé

fourni

par les Collectivités

locales

La part du financement des équipements publics assurée par les Collectivités locales est très importante 2 S . Or, pour des raisons qui tiennent à l'orientation d'ensemble de sa politique, la part des équipements collectifs dans le budget de l'Etat est fortement comprimée, et sur toute la période, insuffisante par rapport aux besoins, même du seul point de vue des équipements programmés 2 9 . Ceci se traduit par une pression accrue sur les finances des Collectivités locales et aboutit à faire financer les équipements collectifs de première nécessité par le prélèvement fiscal du niveau municipal, d'où une situation extrêmement difficile pour les « communes-

27. Extrait d'une interview à la Municipalité de ( D l ) . 28. a) Les dépenses d'équipements consacrées à l'aménagement et au développement urbain relèvent pour 70 % environ de la maîtrise d'ouvrage des communes ou des organismes qui les regroupent ou qui interviennent en leur n o m — la part de l'Etat se situant aux environs de 15 %. b) Il faut également souligner que dans l'ensemble des dépenses des Collectivités locales, les infrastructures urbaines représentent une part de plus de 40 % (Commission des villes du VI' Plan, Projet de rapport sur les options). 29. Citons le Ministre de l'Equipement et du logement, A. Chalandon : « Dans la logique de la société de consommation, qui est en réalité une société de production, si l'on ne réagit pas avec une grande vigueur, les équipements collectifs seront toujours sacrifiés, parce qu'ils sont un solde résiduel et que les détenteurs des forces de production luttent pour empêcher de donner à ces équipements leur juste importance... C'est une révolution politique, car si, bien souvent, on proclame la nécessité des équipements collectifs, on l'affirme en réalité du bout des lèvres et dans l'action on fait le contraire de ce qu'on annonce. » Discours prononcé le 1 er octobre 1970 à l'Assemblée générale de l'UNIL.

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dortoirs », les dépenses qui leur sont imposées étant sans commune mesure avec les recettes possibles, vu l'assiette de l'impôt. Cette situation, que l'on constate avant même la politique des grands ensembles, est aggravée par celle-ci, au point que, par exemple, le Conseil général de la Seine-et-Oise adoptait en novembre 1956, à l'unanimité, un vœu tendant à freiner, et, au besoin, à interdire tout projet de création, sur le territoire du département, des grands ensembles d'habitations et des cités satellites 30 . Dès 1956 des mesures sont envisagées et même adoptées (article 138 de la loi du 4 août 1956, article 29 de la loi du 7 août 1957) pour répartir plus « équitablement » sur les Collectivités locales les dépenses et les recettes. Mais ces mesures ne sont pas appliquées. Seules sont mises en pratique celles permettant des avances pour le financement des opérations, et la bonification des taux d'intérêt pour les emprunts nécessaires aux équipements collectifs, ainsi que l'institution de la participation des constructeurs aux dépenses d'équipement, sous des formes successives diverses. La tendance générale reste celle d'une aggravation des charges pesant sur les Collectivités locales, ceci apparaissant sous trois formes : — l'insuffisance des subventions a obligé, dans certains cas, les communes à réaliser sans subvention, ou en anticipant sur les subventions. — les taux de subventions effectivement pratiqués sont très souvent inférieurs aux taux indiqués au bilan prévisionnel adopté par le FDES. De plus, les subventions sont calculées à partir de prix forfaitaires, et non pas sur le montant réel des travaux — ces prix forfaitaires étant bien inférieurs aux prix réels ; d'une façon générale, les taux de subventions ont tendance à diminuer, l'Etat transférant progressivement la responsabilité du financement de nombreux équipements aux Collectivités locales. — enfin, le paiement par les communes de la TVA sur les équipements collectifs réalisés par elles revient à un transfert vers l'Etat, dans le sens inverse des subventions, le résultat diminuant la subvention réelle au point que, pour certains équipements, la TVA payée par les communes à l'Etat est supérieure à ce que verse l'Etat au titre de ces subventions 31 . 30. Cf. le Moniteur des Travaux publics et du Bâtiment, 11 nov. 1956, p. 53. 31. Sur la question des finances locales, voir par exemple : Y. Fréville, Recherches statistiques sur l'économie des finances locales, thèse de doctorat, 1966 ; R. Monsel, « Pouvoir monopoliste et finances des Collectivités locales » et « CME et Collectivités locales », Economie et Politique 198 et 199.

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« Tous les équipements, en général, sont calculés sur des bases de 1963, que toutes les communes réclament depuis des années de bien vouloir revaloriser. Ces prix étant établis, les subventions sont données également sur les prix de 1963 ; les emprunts pour compenser la différence sont également calculés pour la subvention toujours tarif de 1963, ce qui fait que, dès les premières études, nous nous sommes rendu compte que lorsque nous avons fait un groupe ou deux, en tenant compte des participations données par l'Office, nous ne pourrions pas boucler sur le plan financier. Pour un groupe scolaire, par exemple, si vous voulez, 300 millions, il y a des subventions, il y a une ... un emprunt possible et ensuite il reste à la commune 100 millions à trouver... sur toutes les réalisations scolaires, la commune paie la TVA... nous sommes arrivés à près de 2 milliards de travaux, et là-dessus, nous avons payé environ 200 millions de TVA. » 3 2 Les effets de cette tendance vont également dans le sens d'un ralentissement de la réalisation des équipements, bien que les Municipalités soient particulièrement sensibles politiquement aux effets sur la population des situations de sous-équipement, et ceci pour deux raisons. D'une part, l'augmentation possible de recettes fiscales ne peut permettre qu'un accroissement très modéré des charges des Collectivités locales et limite leur participation au financement des équipements. L'installation de grands ensembles entraîne rarement une augmentation considérable des recettes — augmentation qui peut provenir surtout du produit des patentes sur les commerces nouveaux, mais ceux-ci sont toujours en retard ; à l'inverse, l'exonération pour quinze à vingt ans du foncier bâti et non bâti, des constructions neuves, même à usage d'habitation, limite singulièrement l'augmentation. D'autre part, il y a des limites politiques à l'augmentation de la pression fiscale locale : faire supporter par une population ancienne le financement d'équipements qui souvent ne lui profitent guère mais sont destinés à une population nouvelle, faire supporter par une population faible le poids important d'équipements nombreux destinés à une population nouvelle plusieurs fois supérieure, faire supporter par la population nouvelle elle-même, vu sa composition sociale mo32. Extrait d'une interview à la Municipalité de (Dl).

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deste le plus souvent 33 , des charges fiscales importantes, tout cela n'est guère possible pour les Municipalités, même si elles sont sans opposition politique avec l'Etat central, car elles encourent une sanction électorale très directe 34 . Par ailleurs, la participation des promoteurs est loin de couvrir l'investissement nécessaire. Les rapports entre l'Etat et les Municipalités sont difficiles pour les questions de financement ; on a montré plus haut pourquoi. Ces difficultés peuvent toutefois être atténuées ou aggravées suivant les rapports existants à un niveau plus général, entre l'Etat et chaque Municipalité. Or, dans nos six opérations, on a vu qu'aucune n'avait été lancée à l'initiative des Municipalités, et dans quatre cas sur les six, contre l'avis des communes, au contraire. De plus, dans trois cas sur les six, la Municipalité principalement concernée est une Municipalité de gauche (deux maires communistes, un socialiste). Dans le cas de l'ensemble (A), on a vu que l'Etat avait tenté de réduire le fractionnement du capital public en assurant seul la maîtrise de l'opération, mais que, pour des raisons politiques générales, indépendamment de l'opération elle-même, cette tentative avait échoué. L'organisme responsable de l'opération s'est donc trouvé obligé de faire appel à des Municipalités auxquelles on avait promis qu'elles n'auraient rien à payer, pour obtenir, sinon leur accord, du moins leur neutralité. De ce fait, les rapports entre Etat et Collectivités locales ont été particulièrement mauvais, au point qu'en 1965 le Directeur de la Société d'économie mixte de l'époque se présentait aux élections municipales contre le maire. On imagine l'effet sur la bonne volonté des Municipalités à soutenir cette opération qui leur avait été imposée. Cette dernière a été considérablement ralentie par ces difficultés. Les conséquences financières, toutefois, ont été finalement moins graves qu'on n'aurait pu s'y attendre, car, du fait de la localisation de l'opération, les prix des terrains voisins ont augmenté considérablement, et donc les terrains de l'ensemble, et de la zone industrielle adjacente, ont pu être vendus à des prix nettement supérieurs à ceux prévus au départ. Toutefois, si aujourd'hui l'opération peut être considérée comme assez bien équipée, relativement à la moyenne des réalisations, il ne 33. Cf. le rapport de B. Lamy, Les nouveaux ensembles d'habitation et leur environnement, Paris, Centre de sociologie urbaine, 1971, pp. 9-13 et 51-59 (les caractéristiques de la population). 34. Sur la situation financière des communes-dortoirs dans les années cinquante, cf. Hommes et Commerce 72.

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faut pas négliger les décalages importants qui se sont produits entre la construction des logements et celle des équipements. Il subsiste aujourd'hui encore quelques difficultés afférentes, par exemple, à l'entretien des espaces verts ou de la voirie ; les communes refusent de payer cet entretien, puisque ces espaces ne sont pas des espaces publics, et la Société d'économie mixte n'a plus d'argent, ses honoraires étant calculés sur le montant des travaux d'aménagement, qui sont pratiquement terminés depuis longtemps : l'entretien n'est donc pas très brillant. Dans le cas de l'ensemble (B), le retard des subventions d'Etat, entre autres pour les écoles, pose des problèmes, mais les relations Etat-Municipalités sont comparativement meilleures, pour des raisons qui tiennent sans doute à la fois aux circonstances de départ de l'opération et aux options politiques des Municipalités : « Nous sommes partis confiants ; malheureusement, il faut reconnaître qu'avec les années, la confiance s'est beaucoup effritée et on voudrait quand même en garder un peu pour garder suffisamment de courage pour aller jusqu'au bout de cette opération. Je veux dire par là que ce bilan FDES qui était une charte engageant tous les Ministères concernés pour participer dans le cadre des dispositions en place au moment des décisions, cette charte nous paraissait devoir engager les Ministères de façon irréfutable et surtout en temps opportun. Or, dans la réalité des faits, nous sommes amenés à constater que nous ne bénéficions d'aucune dérogation en ce qui concerne le bénéfice des subventions attaché à chaque type d'opérations, en ce qui concerne les prêts qui sont destinés à couvrir la part laissée à la Collectivité locale et même en ce qui concerne les dispositions prévues par les textes d'août 1964, qui prévoyaient des bonifications de subventions pour les regroupements de communes ou les districts urbains. En fait, à ce jour, jamais une seule fois ces dispositions ne nous ont été appliquées... et dans le cours de l'été 1969, le Ministère de l'équipement a demandé directement à notre concessionnaire de réviser le bilan FDES, notamment pour lui incorporer des opérations qui n'y avaient pas été prévues à l'origine, et qui en cours d'exécution se révélaient nécessaires, mais qui débouchaient sur une augmentation des participations de la collectivité, par le poids des équipements supplémentaires et par une réduction des subventions prévues au bilan FDES ; en matière conjugale, ça porte un nom ça. Et, le comble, c'est que cette saisine a été directement adressée à notre concessionnaire chargé par

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conséquent d'élaborer des chiffres qui étaient sensés nous engager. Vous devinez qu'on a réagi assez violemment et que cette révision de bilan attend encore une décision en ce sens que la participation communale, c'est-à-dire incombant aux Collectivités locales, était passée au triple dans cette révision et que notre réaction vive auprès de la Direction départementale a amené à provoquer un courrier au terme duquel la Direction départementale propose de ne ramener la participation de la Collectivité locale qu'au double de ce qu'elle était à l'origine et que, entre la saisine d'origine, issue du Ministère et des assurances écrites apportées par la proposition de la Direction départementale, il n'y a jamais eu de décision. Si bien que nous ne savons pas si le bilan d'origine, qui seul a été assorti de la décision, reste valable ou s'il nous sera tout simplement opposé le bilan réalisé. Exemple : dans cette révision de bilan, dans le cas du bilan d'origine, les terrains d'assiette des groupes scolaires étaient apportés gratuitement à la Collectivité, qui ne participait qu'à la construction. Dans la révision de bilan, la Collectivité devait aussi payer le terrain à son concessionnaire. » 3 3 Pour l'opération (D), les points de friction sont assez nombreux. Il s'agit encore d'une opération sur initiative de l'Etat, pratiquement imposée à la commune. Le financement des équipements nécessaires était, dès le départ, particulièrement difficile à supporter par la commune car sa population, celle d'un bourg rural, était d'environ 3 000 habitants — l'opération (D) en apportant plus de 15 000 nouveaux —, donc ses ressources étaient très réduites par rapport aux besoins nouveaux d'équipements. Or, dans le déroulement de l'opération, trois facteurs ont contribué à l'aggravation des difficultés (en plus des habituels retards des subventions, etc.). Tout d'abord, la participation versée par le promoteur au titre des équipements est de 500 F par logement, soit la moitié de la participation moyenne dans les autres opérations. « Il y a eu un décret, un moment donné. Il n'a pas duré longtemps. Il a été aboli. Il permettait au Ministre de prendre une décision par dessus les communes, pour imposer la création... C'est à cette période là qu'ils ont pris cette décision pour (D)... Alors, pour la commune il y avait le choix, ou accepter et essayer d'obtenir que cela se fasse dans l'intérêt maximum, tant des 35. Extrait d'une interview à la Municipalité de (Bl).

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anciens que des nouveaux, ou bien partir. La commune a préféré rester et accepter la venue de ce monstre sur (D), consciente d'ailleurs de toutes les difficultés qui vont s'y ajouter, et elle s'est battue dès le départ. Alors, il y a plusieurs problèmes pour (D) — Premièrement : la commune, dès le départ de l'opération, avait mis en garde l'Office et aussi les services de l'Equipement sur l'insuffisance des équipements prévus. Nous nous sommes rendu compte que la participation aux équipements publics donnée par l'Office des HLM ne suffirait certainement pas à pouvoir pallier aux frais que cela va engager... Alors, il y avait une promesse qui nous avait été faite, de nous donner 200 000 F supplémentaires par logement. Ces 200 000 F 3 6 supplémentaires étaient le chiffre, puisque, en fait, c'était des sommes qui avaient été allouées pour une adjudication... un truc... qui avait été fait et l'adjudication avait fait apparaître qu'il y avait un rabais considérable. Donc, il était facile, sans que cela coûte à qui que ce soit, puisque cet argent là — on ne sait pas comment il a été ventilé par la suite — , il devait nous revenir. Il y a eu un changement à cette époque là ; un mouvement sur le plan préfectoral, le Ministère également et le Ministre n'a jamais signé la lettre, comme quoi sous forme de subvention il nous allouait les 200 000 F supplémentaires. A la commune, dans des réunions, je l'ai soulevé, et on le soulève tous les ans, et tous les six mois, à chaque fois que l'occasion se présente, mais c'est toujours comme si ... cette opération qui aurait dû permettre à la commune de faire face à tout... tous ces problèmes d'équipements, s'est trouvé diminuée de par la participation très importante de l'Office à ces ouvrages... Ils sont obligés à faire ces grandes voies-là, primaires, la participation donnée à ces voies primaires, fait qu'ils n'ont pas pu nous donner plus alors ils essayent bien... ils se sont bien rendu compte que ce n'était pas juste, qu'il y avait quelque chose d'après les calculs qui n'allait pas, mais ils ont essayé donc par la suite de dire : « Ecoutez, on pourrait peut-être, suivant le nombre de mètres carrés sociaux que l'on vous donne... non... auxquels vous avez droit peut-être peut-on s'arranger, en compensation, on pourra peut-être terminer quelque chose... je ne sais pas... la maison des jeunes si vous voulez, on pourra vous la terminer, vous l'aménager, enfin... » Enfin, de ce côté là, l'Office sent qu'il y a quelque chose à faire, mais il y a de grosses difficultés... c'est nous qui payons, alors, 36. Francs anciens (n.d.a.).

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bien sûr il y a une participation pour les équipements, mais il restera deux milliards et demi à couvrir, pour le minimum... je ne parle même pas du fonctionnement. Une Commune comme la nôtre qui avait quatre cantonniers et trois administratifs, alors, vous voyez la carence... demain il va falloir envisager plusieurs centaines d'employés communaux, les services administratifs, pour tout. » 3 7 De plus, la population ancienne était très peu nombreuse, et la population nouvelle, locataire de cet ensemble HLM, est une population très modeste. « La moyenne des salaires est autour de 100 000 F, souvent moins... il y a de nombreuses saisies, c'est la catastrophe pour payer ce mois-ci 38 . Nous avions une moyenne de 20 % de personnes qui ne payaient pas régulièrement par mois... mais ce mois-ci, c'est environ la moitié des loyers qui auront été acquittés. » 39 Cette population ne peut donc supporter une pression fiscale accrue. Enfin, l'opération apporte quelques recettes fiscales aux Communes, grâce aux commerces. Mais ici, la conception même de l'opération a donné des difficultés supplémentaires. En effet, l'opération se trouve à cheval sur trois communes (Dl) ayant une Municipalité d'Union de la gauche, (D2) ayant une Municipalité centriste, (D3) ayant une Municipalité d'Union de la gauche. La Municipalité de (D3) a accepté une modification des limites communales, rattachant à ( D l ) le morceau de l'opération qui était sur son territoire. Par contre, les relations avec la Municipalité de (D2) sont plus tendues, et cette dernière a jusqu'à présent fait la sourde oreille aux demandes de modification des limites communales formulées par (Dl). C'est qu'en effet, le premier plan masse de l'opération localisait la part la plus importante du centre commercial principal sur le territoire de (D2), l'essentiel des logements et la quasi-totalité des équipements publics étant sur (DI). (DI) a donc la charge du financement de ces équipements et (D2) bénéficiait au contraire des patentes sur les commerces. La Municipalité de (Dl) s'est battue pour faire modifier ce plan, mais n'a obtenu qu'une satisfaction partielle, une part des commerces restant sur (D2). 37. Extrait d'une interview à la Municipalité de ( D l ) . 38. Il s'agit du mois où tombe l'échéance des impôts locaux. 39. Extrait d'une interview à la Municipalité de ( D l ) .

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De plus, (D2) touche, pour les 362 logements qui sont sur son territoire, la participation de 500 F par logement, et : « N'a fait aucun équipement pour les 362 logements, si bien que les gens, nous n'avons pas pu les accepter dans nos écoles, parce que nous n'avions pas de place... si bien que les enfants... ils traversent tous les jours cette route où il n'y a aucune sécurité, il n'y a rien de prévu, ce n'est pas marqué « attention enfants !, il faut retrouver l'école de l'autre côté. » 4 0 Dans le cas de l'ensemble (E), on rencontre des problèmes comparables. Ici, les relations avec l'Administration, particulièrement la Préfecture, sont bonnes. Mais la participation du promoteur (la SCIC) aux équipements n'est pas toujours suffisante. « Parce qu'il nous est arrivé, je suis obligé de vous le dire, de temps en temps de nous heurter à cet organisme et de prendre des délibérations contre certaines choses qui ne nous convenaient pas. Je ne crois pas que l'on en ait tenu compte... C'est très important, je ne vous cite qu'un exemple ; vous avez des quartiers qui demandaient à être construits, certains types de bâtiments, je ne me rappelle pas, il y en a tellement, et alors nous étions contre. Nous, cette demande du permis de construire nous ne l'acceptions pas étant donné que les participations financières, celles que je vous ai citées tout à l'heure, c'est-à-dire 100 000 F 4 1 par appartement, c'est une convention particulière qui n'a rien à voir avec ce qu'il se passe actuellement. Eh bien ! pour nous cela était insuffisant ; donc, nous n'acceptions de signer les permis de construire qu'à la condition que cette participation financière soit revalorisée, augmentée. On n'a jamais voulu en tenir compte et malgré les délibérations qui ont été prises et qui rejetaient le permis de construire, eh bien ! je suis obligé de le dire, par l'intermédiaire de la Préfecture, de différents services, eh bien ! on a passé outre les délibérations du Conseil municipal, et on a donné des permis de construire et on a construit... voilà... Et, ensuite vous êtes obligé de subir. Remarquez que nous sommes une équipe qui, il faut le dire, a joué le jeu, mais qui a joué le jeu... attention... pour les habitants. C'est la raison pour laquelle nous nous sommes attelés à ce travail, un peu particulier, et c'est pourquoi nous avons tenu à équiper 40. Extrait d'une interview à la Municipalité de ( D l ) . 41. Francs anciens (n.d.a.).

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au maximum et avec nos petits moyens, et c'est la raison pour laquelle nous avons équipé en mesures transitoires. » 42 Enfin, dans le cas de l'opération (F), mêmes problèmes également, avec ici des relations plus difficiles avec l'Administration. Tout d'abord, la Municipalité, soutenue sur ce point par la Direction départementale de l'équipement, a fait pression sur le promoteur (la SCIC) pour limiter le rythme de construction annuel à 500 logements environ, de façon à pouvoir faire suivre les équipements plus facilement. Le financement de l'Etat est insuffisant et la commune est amenée à financer seule certains équipements, ce qui limite ses possibilités. « Alors nous bâtissons une piscine, les gens auront une piscine, qui est actuellement en cours, mais ici, pas de subvention de l'Etat. Si on veut la subvention de l'Etat, eh bien ! les enfants qui vont à l'école maternelle maintenant auront une chance d'aller à la piscine quand ils seront au régiment... il y a déjà deux groupes scolaires, il leur faudrait leurs deux gymnases, il n'y a aucune maison de jeunes, aucun club, il n'y a rien dans le secteur. » 4 3 La participation du promoteur (la SCIC) est de 1 000 F par logement, pour les deux premières tranches ; pour la troisième, l'ensemble de l'opération, négocié jusqu'ici tranche par tranche, est reconsidéré sous forme de Zone d'aménagement concertée, avec bilan et programme d'ensemble. La mise au point de cette ZAC donne lieu à des discussions pour le moins délicates. « Supposez qu'il y ait deux milliards de participation qu'on puisse tirer de la Caisse des dépôts ; nous allons essayer de donner des équipements d'environnement, mais ce gâteau, eh bien ! l'Administration, l'Etat essaient d'en tirer la plus grosse part. Pas seulement pour des opérations qui desservent la zone, mais également pour des équipements départementaux... ils veulent faire payer, par exemple, la voirie primaire, des routes départementales, qu'il faut créer... La ZAC va tout payer, paie les routes, paie les écoles. Alors, on a dit « s'il vous plaît ! » d'autant qu'ils voulaient faire faire l'économie aux ZAC, des subventions d'Etat pour les écoles... les gens de la Caisse des dépôts raisonnent essentiellement en finan42. Extrait d'une interview à la Municipalité de ( E l ) . 43. Extrait d'une interview à la Municipalité de (F).

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ciers ; ils posent tout en termes financiers, en termes d'intérêt : voici une propriété de 4 ha ... nous allons faire de ce parc une espèce de zone de loisirs, de repos, qui sera à la jonction des deux secteurs de la ville. Nous avons eu l'accord de la Caisse des dépôts pour la cession, mais c'est le prix d'achat, plus les frais financiers ; là, la Caisse des dépôts raisonne en banquier ordinaire... mais par exemple, sur les premiers 500 logements, nous avons tiré un acompte de 1 000 F par logement... Quand nous disons maintenant : d'accord, mais les frais financiers ? Alors, non ! vous voyez, à sens unique. » 44

3. Le capital privé Le capital privé, plus précisément le capital de circulation recherchant le profit, peut s'intéresser à différents éléments du produit, principalement : — le logement, — les commerces, — certains équipements susceptibles d'être « rentables ». a) Le

logement

Le problème du fractionnement du capital social est à considérer ici dans le cas où le capital immobilier de circulation n'est pas en position dominante du point de vue de l'ensemble de l'opération — ce premier cas ayant déjà été traité, on a vu que le capital privé se trouvait alors contraint d'assurer une certaine maîtrise du procès d'ensemble, ne serait-ce que pour des raisons commerciales. Une telle configuration est essentiellement caractéristique des zones d'urbanisation publiques dans lesquelles du capital dévalorisé, en tant que support de l'appropriation de l'ensemble du sol nécessaire et de la réalisation des équipements d'infrastructure, se trouve responsable de la maîtrise du procès. On a déjà indiqué que les règles de mise en valeur du capital privé avaient tendance à l'écarter de ces zones, pour une double raison : — recherche de surprofits en évitant de payer une rente foncière jugée trop importante dans les ZUP, 44. Extrait d'une interview à la Municipalité de (F).

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— recherche d'un « environnement » plus conforme à la marchandise vendue, que la ZUP « sociale » ne constitue pas précisément. Il y a donc un effet général qui est le faible taux de remplissage des ZUP en logements autres que sociaux. Dans certains cas, pourtant, la localisation dans une ZUP peut devenir intéressante. C'est le cas de (A) du fait du niveau d'équipement atteint (il n'est pas indifférent de constater que c'est la dernière tranche de l'opération à laquelle s'est intéressé le capital privé, c'est-à-dire à un moment où une grande partie des équipements étaient réalisés et où l'ensemble avait perdu l'aspect du chantier pour paraître déjà bien achevé), du fait de l'élévation rapide des prix fonciers alentour, et du fait d'un niveau de desserte relativement bon, par rapport aux autres localisations possibles. Dans un tel cas, le capital privé est bien souvent amené à imposer à l'opération un certain nombre de modifications (du plan masse, de la forme d'utilisation du sol...) qui lui permettent de se mettre en valeur dans les meilleures conditions : on a vu que, mis à part la densification du départ, la principale modification du plan masse de (A) dans la réalisation s'était produite après l'attribution de la tranche destinée aux promoteurs privés. Toutefois, il nous semble que de tels cas ne peuvent qu'être assez limités, dans la mesure où nous paraît vraisemblable l'hypothèse que le capital privé a tendance à rechercher la maîtrise directe des conditions de sa mise en valeur (ce serait un des aspects du passage de la ZUP à la « ZAC privée »). b) Les

commerces

Cet équipement particulièrement indispensable est aussi particulièrement rentable et, en tant que tel, il est uniquement contrôlé par le capital privé. Ce capital privé est constitué de deux parties : — du capital peu concentré, très spécialisé, qui est celui des petits commerçants, — du capital fortement concentré, directement lié au capital financier, qui est celui des grands groupes de distribution. Le second dominant très évidemment le premier, le mouvement général de l'accumulation dans ce secteur va dans le sens, sinon d'une disparition totale des petits commerces, du moins d'une forte réduction de leur nombre, au profit des « grandes surfaces ».

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Les opérations d'urbanisme importantes, appliquant les grilles d'équipement, et les principes urbanistiques en matière d'équipement des quartiers, prévoient toujours deux types de commerces : des petits commerces de première nécessité, à proximité des logements, sous forme de boutiques disséminées ou de petits centres de quartier, et des centres plus importants offrant une variété de commerces et desservant plusieurs quartiers, tout l'ensemble, ou même au-delà. Les petits commerces sont réalisés sous forme de boutiques que le promoteur des logements (ou l'aménageur de l'ensemble) loue ou vend à des petits commerçants. L'évolution générale que nous avons rappelée a pour conséquence de grandes difficultés dans le « remplissage » de ces boutiques, à cause des prix demandés, à cause des difficultés croissantes rencontrées par les petits commerçants qui font qu'ils hésitent à réinvestir ou à continuer leur activité. Bien que ces boutiques, commerces de première nécessité à proximité des logements, soient donc, en termes de valeur d'usage pour les habitants, des éléments fort importants, les réalisations sont toujours inférieures aux prévisions, et ceci de manière croissante, des opérations les plus anciennes aux plus récentes. Toutes les opérations ont eu des difficultés à cet égard, (A) et (B), les plus anciennes, ayant à peu près réalisé ce qui était prévu, au moins pour la partie construite de (B). (C), le plus petit des ensembles étudiés, dispose d'une « supérette » qui dessert également l'environnement très sous-équipé commercialement. Mais une grande partie des boutiques de (D) n'a pas encore trouvé preneur, bien que les logements soient tous habités, d'où sur la place principale, quelques vitrines éclairées et beaucoup de murs aveugles cachant des locaux inoccupés. De même, pour (E), sur onze centres commerciaux secondaires prévus, un seul a été réalisé. Et, pour (F), au début de la construction de la troisième tranche, il n'y avait encore aucun commerce installé. Les centres commerciaux principaux constituent généralement l'élément principal du centre du grand ensemble, censé constituer le « noyau dense, animé, vivant » de l'opération. C'est donc un élément tout à fait primordial du programme d'ensemble, et c'est bien souvent autour de lui qu'est organisée spatialement l'opération, vers lui que convergent les voies de circulation pour piétons et automobiles, les densités d'habitation sont réparties également en fonction de sa localisation. Mis à part (C), moins importante, les cinq autres opérations — (A), (B), (D), (E) et (F) — sont organisées effectivement autour de ces centres principaux. Mais cet élément essentiel est aussi un des plus directement soumis à des règles de mise en valeur très spécifiques, et qui ne s'harmonisent pas, bien souvent, avec les opérations ou localisations proposées.

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Dans le cas de l'opération (A), le centre commercial principal a été réalisé conformément au plan initial, mais il semble qu'une situation de monopole de fait ait eu pour conséquence des prix fort élevés. D'où actuellement, plusieurs projets concurrents à la périphérie de la ZUP. « Plusieurs centres commerciaux voulaient s'implanter à proximité ... parce que (A) est une grosse commune ; maintenant elle a 40 000 habitants, c'est la plus grosse commune du département... Il y a eu plusieurs candidatures. Chacun sur son terrain, on n'allait pas dire « oui » aux uns, « non » aux autres, en fonction de quoi ? On ne savait pas ! et c'est l'Administration qui a contribué à rechercher un emplacement optimum — qui, de fait, ne l'est pas, du point de vue desserte, du point de vue de la continuité urbaine ; mais il se trouve assez bien situé quand même pour les dessertes lointaines, mais aussi disponible, viabilisé, etc. Alors, là-dessus, intervention de l'Administration : on bloque tous les candidats. La Société d'aménagement dit : " Nous allons faire un concours commercial sur le terrain, le GEP a préparé le dossier. " » 4 5 Dans le cas de (B), même apparition de projets concurrents de centres commerciaux importants — avec cette différence essentielle que là, du fait du décalage dans le temps du départ de l'opération, les projets concurrents interviennent avant que le centre principal soit réalisé. « On a vu sortir les rapaces, les opérations pirates de tous ordres, y compris celles commerciales, qui n'ont pas manqué de voir tout l'intérêt des voies, et notamment de nœuds routiers 46 assez exceptionnels dans la Région parisienne, et qui, eux, voyaient les choses selon leur objectif propre. Certains, il a fallu les écarter farouchement et la seule façon de les écarter, ça a été d'acquérir les terrains qui n'étaient pas à l'intérieur du périmètre de la ZUP à l'origine. » 4 7 Mais tous les « pirates » n'ont pas été écartés... Un promoteur commercial très important paraît bien placé pour réaliser un centre commercial régional. 45. Extrait d'une interview avec le Chef du GEP. 46. Il s'agit d'un échangeur d'autoroute, qui sera mis en service dans un avenir proche. 47. Extrait d'une interview à la Municipalité de (Bl).

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« Il y a deux conceptions : l'une, le centre commercial régional indépendant de la ville avec un grand parking autour, style américain, et d'autre part la conception initiale, évoluée, descendue vers le Sud. » 48 D'ores et déjà, le centre tel qu'initialement prévu est écarté. Le promoteur commercial, lui, souhaite s'implanter près de l'échangeur — pour qu'on voie le centre commercial de l'autoroute — et s'intéresse à une opération drainant toute la clientèle de la région, la population de la ZUP n'en étant qu'une petite partie. Mais cette localisation serait très éloignée des logements de la ZUP (plus de 2 km). Le GEP propose de localiser le centre commercial régional un peu plus loin de l'échangeur et un peu plus près des logements. (A la fin de l'enquête, la décision finale n'était pas encore prise). On voit clairement, dans ce cas, comment l'évolution rapide des règles de mise en valeur du capital dans le commerce a pour conséquence de rendre impossible la réalisation de l'opération telle que prévue : il n'est pas possible de localiser ce centre régional à l'emplacement prévu dans la ZUP, faute de place et faute de voirie suffisante ; de toute façon, ça n'est pas le bon emplacement du point de vue de la rentabilité ; et, enfin, ce centre régional exclut évidemment la possibilité de réaliser un autre centre commercial, même un peu réduit, pour des raisons de concurrence. Les conséquences sur l'opération sont assez graves. D'une part, le réseau de circulation était organisé en fonction de la localisation du centre. En particulier, était prévu, et a été réalisé dans les premiers quartiers, un réseau de circulation piétons, séparé des voiries pour automobiles, avec croisements par passerelles, etc., autour duquel s'organise l'architecture des bâtiments, et qui converge vers l'endroit prévu pour le centre, de telle manière qu'il soit possible et commode d'aller au centre à pied, depuis chaque quartier. Toute cette organisation des circulations perd sa signification. D'autre part, la conception même du quartier central était marquée par cette présence des principaux équipements et prévoyait des bâtiments hauts, une plus forte densité, une circulation piétons sur dalle. Or, les bâtiments d'habitation ont été réalisés conformément au projet — il s'agit des tours déjà évoquées — , la dalle rez-de-chaussée également : on aboutit à cette absurdité d'un décor évoquant quelque Manhattan en réduction, mais qui n'est plus qu'un décor définitivement vide de sens, toute justification de cette concentration d'habitat ayant disparu. 48. Extrait d'une interview avec l'Architecte en chef de la ZUP.

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Seuls, peut être, quelques équipements socio-culturels viendront, dans un avenir incertain, créer un peu de cette « animation » qui était le moteur de la conception. « Alors le centre commercial... autant nous avons été séduits par l'idée originelle d'un centre bien animé dans cette partie extrêmement dense, autant on a le sentiment maintenant que tout s'effondre, s'il ne devait plus y avoir les éléments d'animation... c'est encore le commerce qui constitue l'animation permanente parce qu'elle s'impose à tout le monde alors qu'une animation culturelle ou sociale est déjà plus sélective et n'oblige pas le résident à la fréquenter. » 49 Ajoutons qu'il ne nous paraît pas justifié de parler d'une « erreur de conception ». D'une part, un centre commercial intégré dans la zone d'habitation, lié aux autres équipements, paraît plus susceptible de fournir une meilleure articulation des valeurs d'usage urbaines, de contribuer à un mode de vie moins contraint pour les habitants. D'autre part, la conception de ce centre s'inspirait des formes de distribution telles qu'on les réalisait à l'époque, et c'est le double mécanisme d'évolution rapide de ces formes de distribution vers des formes nouvelles qu'on n'avait pas prévues 50 et de ralentissement très net de l'opération par rapport au programme initial qui a rendu la conception inadéquate aux désirs des promoteurs commerciaux actuels. Dans l'opération (E), sur les trois centres ou « pôles » prévus, deux ont été réalisés. Mais le troisième, qui est le plus important, n'est pas commencé : il doit accueillir un centre commercial régional et celui-ci attend que la clientèle soit assez nombreuse. A travers ces exemples, on voit donc les grandes difficultés qui s'opposent à une bonne coordination des logements et des équipements commerciaux, compte tenu de l'évolution des formes du commerce. Cette évolution, vers des centres commerciaux de plus en plus importants, cherchant à drainer un clientèle de plus en plus étendue, aboutit à rendre strictement impossible une véritable intégration de l'habitat et du commerce, comme cela avait été tenté pour (B). On débouche au contraire sur des formes d'urbanisation complètement éclatées en espaces mono-fonctionnels strictement ségrégés, impliquant l'usage obligatoire de l'automobile pour le moindre achat. De plus, 49. Extrait d'une interview avec le Président de la Société d'aménagement. 50. Par exemple, les travaux de la Commission de l'Equipement urbain du V° Plan, Rapport du groupe « Structures urbaines ».

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logements et commerces tendent de plus en plus à être réalisés de manière séparée, sans possibilité de synchronisation — le retard des commerces étant au contraire une nécessité pour le profit — et à des distances croissantes. Chacune de ces opérations est inévitablement fortement éclatée, du fait de la nécessité d'une accessibilité extérieure de premier ordre pour le centre commercial, et de surfaces de parkings très étendues. La localisation optimale pour ces centres est fonction de critères spécifiques — la proximité de nœuds routiers importants étant un exemple — et ne peut a priori coïncider avec les localisations optimales pour des logements qui doivent ou devraient tenir compte, entre autres, des possibilités de desserte par transports en commun, des qualités de site. c) Autres équipements

privés

On a déjà dit qu'ils brillaient par leur absence : bien que la population d'un grand ensemble soit assez importante, du point de vue de la rentabilité, elle constitue une clientèle insuffisante pour que l'exploitation commerciale d'équipements privés soit intéressante. Ainsi, dans l'ensemble (A), au centre de l'opération, là où se trouve le centre commercial principal, où sont regroupés plusieurs équipements importants, où la densité des logements est la plus forte, a été réalisé par la Société d'aménagement un parking souterrain, dont le toit constitue la grande place, 1'« agora » pour les piétons. Mais, faute d'avoir pu trouver la société privée intéressée par l'exploitation commerciale du parking, celui-ci est fermé et inutilisé, et c'est... la place pour piétons qui sert de parking.

SIXIÈME PARTIE

Capital productif et procès de production

L'aspect principal des grands ensembles, du point de vue de leur valeur d'usage sociale, tient à leur capacité à fournir aux habitants les différents éléments — logements, équipements — socialement nécessaires pour la reproduction de la force de travail. Et la production sociale de ces éléments est déterminée par le capital de circulation, capital privé ou capital dévalorisé lié aux financements publics, qui est le principal support de la maîtrise de cette production. Cette détermination peut aller plus ou moins loin, dans la détermination de la forme même des éléments, de leur organisation matérielle. Elle s'exerce toutefois nécessairement comme détermination, non pas directement de l'objet matériel, mais du procès de travail concret qui constitue celui-ci, et ceci dans un rapport entre le capital de circulation, dominant, et le capital productif qui réunit les différents éléments nécessaires du procès de production (sauf le terrain, qui est fourni le plus souvent par le capital de circulation). C e capital de production se met en valeur en organisant la production de ce que lui commande le capital de circulation. Mais l'éventail des produits possibles à un moment donné est déterminé par l'état des forces productives à ce moment — procédés technologiques existant concrètement sous la forme de moyens de production (machines, engins, matériaux) et force de travail disponible, avec les qualifications existantes — , état qui détermine les coûts moyens de production des divers produits possibles. C'est donc à l'intérieur de cet éventail des produits possibles, affectés de leurs coûts de production à u n moment donné, que peut s'exercer la détermination de ce qui v a être effectivement produit. Et, dans la mesure où les formes de l'accumulation dans ce secteur de production tendent à restreindre cet éventail, on voit comment le capital productif, par l'état des forces productives qu'il s'approprie et ses règles particulières de mise en valeur, contribue à la détermination du produit. D e même que le capital de circulation, le capital productif est fractionné, la division sociale du travail spécialisant des capitaux et des agents distincts dans les différentes tâches dont l'ensemble constitue

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un unique procès de production Chaque type d'agent représente un aspect particulier des forces productives et des règles de mise en valeur propres, étant bien entendu que ces différents aspects et règles sont interdépendants. Vu l'objet de la recherche et la nécessaire limitation du champ d'investigation, il ne nous a pas été possible d'aller très loin dans l'analyse de ces rapports d'interdépendance. Au contraire de l'analyse du capital de circulation pour lequel nous disposions au départ de la recherche, d'éléments théoriques déjà éprouvés et d'études empiriques sur les promoteurs, le financement des équipements collectifs, nous n'avons pas trouvé l'équivalent sur l'analyse du capital productif et des forces productives dans la production du « cadre bâti ». Sur les différents aspects qu'il était nécessaire de considérer — division sociale et division technique du travail, relation entre les différents aspects des forces productives et les produits —, nous serons donc obligés d'avancer un certain nombre d'hypothèses pour interpréter le matériau recueilli sur les six opérations étudiées, sans pouvoir par là aller très loin dans la validation de ces hypothèses, ni éviter un certain nombre de lacunes que seule une recherche centrée sur l'évolution de la production du bâtiment pourrait combler. Cette partie du rapport sera donc souvent plus illustrative que déductive. On considérera successivement les principaux types d'agents définis par la division sociale du travail dans la période étudiée, c'est-àdire : — les entreprises, — les architectes, —• les bureaux d'études techniques, en essayant, pour chacun, de préciser les règles de fonctionnement économique et les caractéristiques des forces productives, resituées dans l'évolution générale de la branche, et d'indiquer en quoi elles contribuent à rendre compte des produits : en l'occurrence les six grands ensembles étudiés.

1. Unique comme procès de travail concret constituant une valeur d'usage, le logement, ainsi que comme procès de production de cette unique marchandise.

Capital productif

et procès de

131

production

I . LES ENTREPRISES

1. La place des entreprises dans l'évolution du bâtiment

générale de la production

L'industrie du bâtiment est caractérisée, aujourd'hui encore, par une faible concentration 2 et par la coexistence d'une production artisanale Nature

et taille des entreprises en 1968

Bâtiment Travailleurs indépendants Entreprises artisanales (0 à 10 salariés) Entreprises de 10 à 100 salariés Entreprises de 100 à 200 salariés Au-dessus de 200 Total Bâtiment

Nombre d'entreprises

Population active

Pourcentage de l'activité

90 000

90 000

) > )

140 000 30 000

500 000 600 000

1 000

160 000

10

600

280 000

23

261 000

630 000

27 40

importante et de très grosses entreprises. Nous ne chercherons pas ici à nous interroger sur les causes de cette situation ; nous partirons seulement de cette constatation : l'accumulation inégale suivant les différents secteurs de la production prend la forme d'une industrialisation qui n'est encore que partielle dans le bâtiment. Le mouvement de concentration, qui se développe plus lentement que dans d'autres domaines, s'appuie donc sur le passage d'une production de type manufacturier à une production industrielle. Dans la construction traditionnelle, qui représente encore une part importante de la production, la force principale dans le travail vient de la coopération entre un certain nombre d'ouvriers parcellaires, chaque groupe d'ouvriers représentant une qualification particulière correspondant à un métier artisanal, que les diverses tâches constitutives de chaque métier soient assurées par un seul travailleur ou réparties entre plusieurs. De plus, il s'agit d'un type de travail manufacturier relativement éloigné du passage à la grande industrie, comparable à celui de la 2. Le tableau ci-dessous est repris de Ascher, « Contribution à l'analyse... », op. cit.

132

La production

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ensembles

manufacture hétérogène 3 , où le travailleur collectif nécessaire se trouve constitué, épisodiquement, par la coopération de groupes de travailleurs généralement séparés par la division sociale du travail entre des entreprises distinctes. Chacune de ces entreprises est spécialisée, non pas dans un type de produit, mais dans un type de travail : entreprises de maçonnerie, de charpente, de peinture, etc., chacun de ces types de travaux pouvant être utilisé dans des contextes variés : construction de logements neufs de types divers, individuels ou collectifs, réfection, agrandissements... Bien sûr, chaque type de matériau de construction induit des formes possibles, mais la spécification reste faible et provient plutôt de la technologie — au sens du savoir-faire de la main-d'œuvre qualifiée — ainsi que de la conception du produit, qui est en même temps organisation de la coopération et définition de l'intervention de chaque type de travail (de chaque entreprise) et qui doit nécessairement s'appuyer sur la connaissance des matériaux et des métiers constituant la technologie au sens indiqué. Dans cette tâche de conception du produit, on trouve l'esquisse de la définition sociale de l'architecte, comme agent autonome spécialisé, support de cette tâche, et on voit, du fait des caractéristiques indiquées du travail dans cette production, l'importance du rôle de l'architecte par rapport aux entreprises. On voit aussi que chaque entreprise ne produit pas directement et seule une marchandise au sens strict, ce qui est sans doute un élément rendant possible la domination du capital productif par le capital de circulation (cf. IV e partie, § 1.3). Enfin, dernière remarque, le capital productif est, dans ce type de production, un capital à faible composition organique (rapport entre le capital constant — installations, instruments de travail, matériaux — faible, et le capital variable — main-d'œuvre — important), ce qui a pour conséquence un taux de profit originel relativement élevé, mais une faible productivité du travail (relativement aux autres secteurs également). L'évolution de l'industrie du bâtiment est marquée, comme dans les autres secteurs, par la recherche de l'augmentation de la productivité du travail, et donc l'augmentation relative du capital constant, sous la forme des investissements en machines, engins... Mais une augmentation importante de la composition organique implique une modification de la forme même du travail et le passage à une pro3. P a r opposition à la m a n u f a c t u r e sérielle qui précède et p r é p a r e la g r a n d e industrie. Cf. M a r x , Le capital, Paris, Ed. Sociales, livre I e r , t. 2, pp. 3 3 4 1 .

Capital productif

et procès de

production

133

duction de type industriel4 où la production est dominée par les opérations accomplies par des machines. Cette industrialisation concerne principalement les entreprises de gros-œuvre et se développe sous diverses formes : préfabrication en usine, procédés à caractère industriel sur le chantier même... L'utilisation de tels procédés de construction, pour être rentable, vu l'importance des investissements nécessaires, implique, d'une part, des chantiers importants, d'autre part, une continuité dans les commandes aux entreprises afin d'assurer la rotation maximum de ce capital fixe. Cette industrialisation croissante qui se traduit par une production dont une bonne part est définie par des machines, et assurée sur un mode nécessairement répétitif, implique corrélativement la standardisation, la normalisation ; et les progrès de l'industrialisation se traduisent par une spécification croissante des produits possibles.

2. L'évolution

des entreprises et ses effets sur les opérations

étudiées

Il y a tout d'abord abandon progressif de certains types de constructions, malgré, par exemple, l'attachement des promoteurs. « Il y a quand même toujours un petit côté de regret devant les façades traditionnelles des immeubles en pierre de taille avec leurs balcons, leurs encorbellements et autres, immeubles qu'on ne peut plus construire actuellement parce qu'il n'y a plus ni les méthodes, ni les ouvriers, ni les possibilités matérielles et financières de les faire. » 5 Puis, les progrès successifs de l'industrialisation se traduisent par des « contraintes » liées aux étapes et formes successives d'introduction de machines dans la production, alors que les matériaux nouveaux employés (béton, constructions à ossature métallique) ont des qualités

4. « Le moyen de travail acquiert dans le machinisme une existence matérielle qui exige le remplacement de la force de l'homme par des forces naturelles, et celui de la routine par la science. Dans la manufacture, la division du procès de travail est purement subjective ; c'est une combinaison d'ouvriers parcellaires. Dans le système de machines, la grande industrie crée un organisme de production complètement objectif ou impersonnel, que l'ouvrier trouve là, dans l'atelier, comme la condition matérielle toute prête de son travail. » Marx, Le capital, Paris, Ed. Sociales, livre I er , t. 2, p. 71. 5. Extrait d'une interview avec le promoteur de (C).

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mécaniques permettant au contraire une libération des contraintes imposées par les matériaux traditionnels. Ainsi l'apparition des machines se fait d'abord principalement dans le domaine des engins de transport et de levage, d'où un asservissement des formes du produit à la rentabilisation maximum de ce travail : c'est la construction systématique en tours et barres, celles-ci suivant les chemins de grue, avec des alignements d'une régularité absolue — la quasi-totalité des bâtiments de (A), (C), les premières tranches de (F). Les types de contraintes évoluent avec l'apparition de nouveaux procédés plus industrialisés. Les méthodes de préfabrication, par exemple, impliquent une rentabilisation des investissements nécessaires par une utilisation en série du procédé une fois mis en place, d'où une construction extrêmement répétitive, soit dans une même opération importante, soit par répétition des mêmes constructions dans de nombreuses opérations. Dans le cadre de l'opération (D) : « Le mode de construction proposé par l'entrepreneur ne paraissait pas à l'architecte le mieux adapté aux caractéristiques des plans : longs bâtiments (certains ont 40 m de longueur) sinueux (le rayon intérieur des courbes est de 23 m). Il avait imaginé qu'un système « lift slab » eut été plus opportun ; il s'agit, dans ce procédé, de couler, superposés et au sol, les divers planchers ; la longueur des bâtiments aurait permis d'utiliser des moyens presque routiers ; les planchers sont ensuite soulevés un par un et par morceaux, le long de poteaux, par des vérins. Ce procédé supprimait pratiquement toutes les grues lourdes et leur voirie coûteuse. Les façades devenaient ainsi libres comme le cloisonnement intérieur, et n'étaient plus soumises à aucune trame. La grande habitude que l'entreprise avait du coffrage tunnel et de panneaux de façade lourds lui a fait choisir ce dernier procédé malgré l'astreinte d'exécuter les panneaux de façade cintrés et des coffrages biais. L'architecte, acceptant cette donnée de base, a dû composer les cellules avec des refends normaux aux courbes (pour pouvoir retirer les coffrages), ce qui limite impérativement la dimension des pièces, et tramer régulièrement les panneaux de façade pour cadrer avec les refends. Il en est revenu, donc, au vieux système de préfabrication par panneaux lourds, d'environ 2,70 sur 2,70 m et au quadrillage obsédant des façades. »

Capital

productif

et procès

de

production

135

« Pour la cité entière, l'architecte s'est astreint à n'utiliser que trois modèles de fenêtres... Le jeu de la préfabrication et de la grande série a donc été poussé à l'extrême. » 6 Ajoutons que l'entreprise qui a obtenu le marché, à la suite d'un appel d'offres restreint, était bien placée puisqu'elle dispose d'une importante usine de préfabrication à une dizaine de km. D e plus, l'importance du marché a modifié un certain nombre de « contraintes techniques » ; à cette occasion, l'entreprise a pu s'équiper d'une grue sur pneus qui supprimait la contrainte habituelle du chemin de grue. « Je l'ai vue commencer à fonctionner, elle était toute neuve, d'ailleurs, et commençait à fonctionner avec des commandes électroniques, je crois... qui étaient capables de soulever un panneau qui faisait 5 tonnes, et posaient à la fois le panneau d'un côté de la façade, et, en même temps, le panneau de l'autre côté. » 7 Elle a pu facilement amortir les moules nécessaires pour la préfabrication des panneaux de façade, malgré leur courbure, vu le petit nombre de panneaux différents, et donc le nombre élevé de panneaux de chaque type. L'aspect le plus récent de cette évolution vers l'industrialisation dans la construction des logements est, sans conteste, l'apparition, déjà notable dans les opérations étudiées, des modèles 8 . 6. Extraits de divers articles parus dans des revues professionnelles et extraits d'une interview avec l'architecte de l'opération. 7. Extrait d'une interview à l'UOC (Direction départementale de l'équipement). 8. Cf. extraits de la Circulaire CH/TA, n° 225, du 6 décembre 1968, « Equipement et logement » : Le modèle est une série de projets complets de bâtiments pouvant être réalisés, suivant une technologie définie, dans le cadre de prix et de délais d'exécution connus. Il implique l'existence d'une installation ou d'une structure industrielle et commerciale de la part des producteurs. Un modèle doit permettre de réaliser des catégories très différentes d'immeubles collectifs : ponctuels bas, ponctuels hauts, linéaires bas et linéaires hauts, comportant une gamme assez large de types de logements. Le modèle peut également porter sur différents types de maisons individuelles isolées ou en bandes, du F 3 au F 6. Par des variantes de prestations, il doit permettre de couvrir les différentes catégories de logements : PLR, HLM, locatives, HLM accession, Crédit foncier. Une des raisons de l'économie résultant de l'utilisation des modèles dans les opérations du secteur diffus tient au fait que, malgré la taille faible de chaque opération considérée isolément, la production globale du modèle peut atteindre un volume assez important. Une production de 200 logements par an doit être considérée comme un minimum que tout modèle devrait raisonnablement pouvoir dépasser.

136

La production

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ensembles

Pour la dernière tranche de l'opération (C), ainsi qu'on l'a déjà signalé, le promoteur a changé de type de programme et d'entreprise. « Le projet actuel correspond à des prix HLM. On a utilisé le système des cellules-témoins. On les avait étudiées avec l'entreprise... de façon à arriver sensiblement au prix-plafond HLM de façon à pouvoir vendre très vite dans les prix qui se pratiquent aux environs, c'est-à-dire 1 000 à 1 100 F le mètre carré. Elles ont été agréées par les HLM avec l'entreprise Bouygues. » 9 Pour l'opération (F) également, il y a eu changement du type de construction au cours de l'opération et adoption d'un modèle agréé. Ces modèles paraissent fournir, à coût égal, ou inférieur, des prestations plutôt supérieures aux procédés habituels, dans la mesure où ils ont donné lieu à des études poussées, et où les investissements sont amortis sur un grand nombre d'opérations ; en même temps, ils accentuent notablement la spécification du produit, puisque la production de logements tend à s'orienter alors vers la réplication massive de formules toutes prêtes. Les modèles, en eux-mêmes, ne constituent pas un changement dans les techniques de fabrication, mais la standardisation et la répétition en série qu'ils introduisent, ainsi que l'assurance d'une réalisation en grand nombre, créent les conditions de l'adoption progressive de procédés plus industrialisés. Un aspect intéressant de cette spécification croissante est celui des relations entre les différents types de logements construits : dans la mesure où les marchés importants et les possibilités d'expérimentation de formules nouvelles se trouvent surtout dans le secteur HLM, l'industrialisation se fait pour une bonne part sur la base des normes HLM et, par là, les normes s'étendent dans la pratique progressivement à des secteurs de logements moins « sociaux » 10.

Vous devez veiller à ce que chaque modèle que vous proposerez à l'agrément puisse, compte tenu des intentions exprimées par les maîtres d'ouvrage et des démarches commerciales à faire normalement par les équipes, disposer, avec une forte présomption, d'un tel débouché. Vous devez vous en assurer à deux niveaux : — au niveau individuel : chaque demande d'agrément doit être appuyée par un ou plusieurs maîtres d'ouvrage qui ont l'intention d'ouvrir un marché aux modèles concernés. Rien ne s'oppose d'ailleurs à ce que parmi ces maîtres d'ouvrage figurent des promoteurs privés. — au niveau global : vous devez veiller à ne pas proposer à l'agrément un nombre de modèles trop important eu égard aux possibilités du marché régional. 9. Extrait d'une interview avec l'architecte de l'opération. 10. Cf. l'opération (C).

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et procès de

production

137

Enfin, cette pré-définition objective des produits par les caractéristiques des machines utilisées reste encore relativement limitée, entre autres par la rapidité relative de rotation du capital fixe, au stade actuel d'industrialisation. On peut penser que, tendanciellement, ce temps de rotation augmente progressivement, et il n'est pas impensable que cela contribue à une transformation des rapports entre capital industriel et capital de circulation.

II.

L E S ARCHITECTES

1. L'évolution

ET LES BUREAUX D'ÉTUDES

de la profession

TECHNIQUES

d'architecte

L'architecte est défini socialement par une place dans la division sociale/technique du travail dans la production du bâtiment. Cette place, dans ce que nous avons appelé la construction traditionnelle, est celle de la définition générale du produit et de l'organisation de la coopération entre les différentes entreprises représentant les divers métiers dont la contribution est nécessaire ; et elle s'est historiquement cristallisée dans des formes juridiques réglant le domaine d'intervention, la responsabilité, les rapports avec les autres agents, le mode de rémunération. L'évolution générale de la production du bâtiment et le développement de l'industrialisation se traduisent par une évolution de la profession d'architecte, dont l'élément principal provient de ce qui la fonde, c'est-à-dire de l'évolution de la division du travail. A mesure que se développe l'industrialisation, diminue l'importance de la coopération entre métiers, et augmente celle du travail répétitif, objectivement déterminé par les machines sur lesquelles s'appuie la production. Le travail de conception technique du produit ne diminue pas d'importance, au contraire, mais il tend à se concentrer, passant d'un travail de conception réparti entre les différents métiers pour les aspects techniques, et convergeant vers l'architecte, à une nouvelle forme de division du travail où est accentuée la distinction entre travail manuel (d'exécution) et travail intellectuel (de conception), celui-ci se concentrant dans des tâches spécialisées, d'où l'importance croissante de nouveaux agents : tout d'abord, apparition d'un agent distinct, remplaçant quelquefois l'architecte, au moment où l'on fait appel aux premières formes d'industrialisation de la construction, par exemple, la construction métallique, l'ingénieur, forme générale à la

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La production

des grands

ensembles

production industrielle de spécialisation du travail technique/intellectuel ; puis, dans la période actuelle, développement rapide de l'intervention des bureaux d'études techniques. Tendanciellement, la place centrale de l'architecte comme support principal de la coopération, « chef d'orchestre », disparaît au profit d'une domination par le capital industriel et de tâches techniques de conception spécialisées intégrées au procès de travail industriel. L'architecte actuel tend donc à se scinder en plusieurs fonctions séparées : des architectes-concepteurs (de prototypes pour la fabrication en série) apportant aux aspects techniques de la conception, d'une part, un complément « social » ou « humain », d'autre part, l'habillage esthétique, le « design » ; des architectes-techniciens dans la fabrication, des architectes-techniciens pour l'assemblage final sur le terrain... Resteront quelques architectes-artistes, anachronismes spécialisés dans la réalisation d'ouvrages uniques, d'œuvres, monuments publics ou privés. Parallèlement, les tâches techniques de conception et de mise au point des fabrications tendent à se concentrer dans les bureaux d'études. Cette évolution toutefois n'est que tendancielle, car actuellement, même dans les cas d'industrialisation les plus avancés, il subsiste une part notable de tâches qui ne sont pas intégrées au travail industriel et impliquent des interventions de métiers spécialisés, et, par ailleurs, une part encore importante de la production est peu ou pas industrialisée. A côté de cet aspect principal, d'autres éléments caractérisent également l'évolution de la profession : un de ces éléments, déjà évoqué, est la relation particulière entre promoteur privé et architecte, où le promoteur intervient directement sur la conception du produit, dans le détail, et contrôle étroitement le travail de conception de l'architecte en raison des impératifs de commercialisation. Un autre, très important, est celui de l'évolution de la forme sociale du travail d'architecte. Ce point est très important, car on a beaucoup trop souvent tendance à parler de l'Architecte en identifiant totalement l'individu au travail de conception 11. Le mythe de l'architecte — créateur isolé —, profession libérale, fait disparaître la réalité concrète de l'agence d'architecture. Or, l'évolution de la profession se caractérise par l'extension progressive des rapports de production capitalistes au trait. U n exemple frappant de cette identification entre l'architecture et l'architecte est le travail déjà cité de R. Moulin, G. Lagneau et J. Lautman, L'Etat les architectes,

et

où il y a quasiment identité entre l'Architecte et la personne

physique de l'architecte, sans qu'intervienne dans l'analyse ce fait tout simple qu'un architecte est, soit patron d'agence, soit salarié...

Capital productif

et procès de

production

139

vail d'architecte : bien sûr, il existe encore un grand nombre de petites agences qui sont constituées d'architectes-artisans isolés, ou associés en petit nombre, avec un ou deux employés, mais une part importante des affaires traitées tend à se concentrer dans de grosses agences employant de nombreux salariés et où l'essentiel du travail est réalisé par les salariés. L'agence d'architecture est donc aussi une entreprise, qui a des règles économiques de fonctionnement, de rentabilisation — règles qui ont des effets sur l'organisation du travail et la « production » de l'agence. Il convient d'ajouter, toutefois, qu'il y a sans doute des limites à la concentration des agences : — D'une part, la composition organique du capital dans le travail d'architecture est très faible et ne peut guère augmenter, et, donc, les gains de productivité liés à la concentration restent limités n . — D'autre part, le travail d'architecture tend à être dominé de façon croissante par le capital industriel, et on peut imaginer que cela induira, tendanciellement, une disparition de l'agent autonome « architecte » dans la division sociale du travail, par intégration d'architectes salariés dans la production industrielle. Enfin, il faudrait considérer également l'évolution du travail de l'architecte comme force productive spécifique contribuant à la détermination de la forme des constructions : organisation de l'espace, volume, agencements, aspect, couleur, esthétique..., évolution qu'il faudrait analyser dans ses liens avec l'évolution des connaissances techniques, l'évolution de l'industrie du bâtiment, l'évolution artistique-esthétique, l'évolution des idéologies... Dans le cas de la présente recherche, il n'était pas possible de mener cette analyse, et nous nous limiterons dans le dernier paragraphe à quelques indications sur les différences de conceptions entre les architectes étudiées et leurs effets sur les réalisations.

2. La forme économique du travail des architectes et ses

conséquences

Le niveau de la rémunération étant déterminé extérieurement, sous la forme des honoraires calculés au pourcentage du montant des travaux, le profit possible croît en raison inverse du temps de travail qualifié 12. Limités aux gains de productivité que permet, par exemple, le passage du travail artisanal simple à la manufacture, soit hétérogène, soit sérielle.

140

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des grands

ensembles

effectivement dépensé. Si donc on part de l'hypothèse que le niveau de rémunération correspond à la rémunération du temps de travail nécessaire en moyenne pour un produit également moyen, plus un profit limité I3, une agence ne peut — sauf exception — travailler très longtemps un projet, faire de la recherche non financée spécifiquement, participer à des concours... Il y a toutefois diverses exceptions possibles, qui tiennent aux différents types d'agences. Une agence importante, connue et bien implantée sur le marché, et fonctionnant selon des critères de rentabilité, donc gérée comme toute entreprise privée, aura sans doute tendance à rentabiliser le plus possible les plans types, les formules déjà mises au point, ne nécessitant qu'un investissement supplémentaire mineur. Le patron de l'agence, s'il continue à exercer son métier, c'est-àdire s'il ne s'est pas totalement transformé en patron-homme d'affaires, peut souhaiter se réserver un certain nombre d'opérations de prestige, un domaine de recherche personnel, qui sont alors amortis sur l'activité générale de l'agence. On trouve deux exemples de ce type dans nos six opérations. Dans l'opération (B), l'Architecte en chef s'occupe personnellement et très activement de la ZUP, de la coordination des opérations particulières, de l'évolution du plan d'ensemble... « Vous savez que tous les architectes ont dans leur tiroir des cellules toutes prêtes, alors, on commande 500 logements, allez hop... On tire à l'endroit, puis à l'envers, hop ! Je te refourgue ça et puis on met ça n'importe où, c'est comme ça que ça se passe... il faut se casser un peu la tête pour trouver des plans astucieux. Certains ont tellement l'habitude de sortir les trucs des tiroirs... Nous n'avons pas fait tellement de logements. Une moyenne qui permet à l'agence de tourner... parce que les autres programmes : centres sociaux, crèches, commerces, écoles, c'est d'une rentabilité... C'est absurde, la rentabilité ne tient absolument pas compte de l'effort fourni ; c'est pour ça que les architectes sont 13. Il n'est é v i d e m m e n t pas possible ici de raisonner quantitativement, en particulier sur le n i v e a u de ce profit limité. En termes de taux de profit, c'est-à-dire en rapportant le profit au capital avancé (frais généraux, salaires et charges sociales) notre hypothèse serait que le taux est faible comparativement au taux du capital de l'industrie du bâtiment, l'agence d'architecture constituant ainsi un secteur de capital relativement dévalorisé, ceci en raison de la domination croissante du capital industriel. D e plus, le raisonnement s'applique uniq u e m e n t au cas d'une production en nombre (logements, ou encore bureaux, écoles, etc.).

Capital productif

et procès de

production

141

tentés de ressortir le calque qu'ils ont dans leur tiroir. Il faut dire que certains architectes... Quand on voit comment se font les CES, c'est scandaleux. J'ai fait un CES comme architecte d'opération avec un architecte de conception, parce que je me suis dit : « Je veux connaître cette maffia... » Ça n'avait aucun intérêt : des prototypes étudiés une fois que les entreprises reproduisent. Eh bien ! on a fait sur ce chantier, avec 3 % d'honoraires (pour les deux), on a trouvé le moyen de gagner de l'argent... [Question sur le travail de l'Architecte en chef] Un temps énorme, je n'ai fait que ça... C'est ridicule du point de vue de la rentabilité. Heureusement, j'ai un associé qui fait tourner l'agence. Sinon... je ne pourrais pas... Ce qu'il faut, c'est que j'aie suffisamment de logements pour faire tourner l'agence, voilà le problème. » L'architecte s'attache beaucoup au traitement des espaces extérieurs. « Alors si vous traitez les aménagements extérieurs avec un bureau d'études qui vit, lui, des aménagements extérieurs, il est obligé de livrer la saloperie qu'il vous livre, parce qu'il ne peut pas faire le travail, ce n'est pas possible. Lorsqu'on fait le calcul, cela ferait trois fois les honoraires. Alors, on se rattrape parce qu'on a des programmes de logements importants, et que le prix de vente de ces logements permet de nous équilibrer, mais tant qu'on n'aura pas, ou réévalué les aménagements extérieurs, qui sont de la décoration, ou bien incorporé avec les VRD. » Dans l'opération (E), l'Architecte en chef souligne également les difficultés économiques qui s'opposent à un effort de recherche : « Je pense que le fait de tirer un plan tout fait d'un fond de tiroir n'est pas forcément péjoratif, parce que... dans la mesure où ce plan a été étudié en fonction de cette reproduction où il s'améliore... parce que chaque fois que l'on fait un plan et tous les ans on le rechange, parce que, on a trouvé des améliorations... moi aussi, je fais des trucs comme cela et je suis forcé de le faire, parce que pour faire vivre mes gars, il faut cela, parce que n'oublions pas une chose : si une agence est formée de trois ou quatre grouillots, elle n'aura jamais le même impact intellectuel qu'une agence formée par une centaine de grouillots. Alors au point de vue agence, au point de vue personnel, disons, qu'il y a moitié, moitié. Au point de vue rendement financier,

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La production

des grands

ensembles

disons, qu'il y a 80 % et même 95 % qui est par le modèle. C'est 5 % pour la recherche parce que tout cela est fait gratuitement, n'a même pas rapporté un sou, et lorsque je vous dis 5 % , je suis encore généreux, parce que non seulement cela ne m'a pas rapporté, mais cela m'a coûté, parce que j'ai eu à former ma Société en question, et cela m'a coûté de l'argent... Il faut mettre des capitaux dedans, et les usines, cela coûte cher. Donc, lorsque je dis 95 % , mettons même 100 % , pour la partie de l'architecture classique, vous pouvez mettre — 20 % pour la partie recherches, pris sur les bénéfices... La recherche paie parfois : les PLR à cloisons mobiles que nous faisons vont être déposées comme modèles, et quand j'aurai l'agrément, ils me rapporteront autant que n'importe quel autre modèle. Mais ça m'a demandé de longues études et la collaboration d'une entreprise ouverte à la recherche. » Un certain effort de recherche, d'innovation est d'ailleurs nécessaire pour l'image de marque de l'agence vis-à-vis des clients, et ce d'autant plus qu'elle n'a pas encore une position solidement établie. Enfin, l'aspect artisanal-artistique peut prévaloir dans une agence. Cela semble être le cas de l'architecte de (D) qui ne cherche pas à travailler pour des promoteurs privés et préfère la liberté que laissent, malgré tout, les contraintes particulières des promoteurs publics ou semi-publics, et dont les réalisations témoignent d'un effort d'étude important, y compris sur de nombreux détails : couleur, mobilier urbain, aménagements extérieurs, dallages des espaces publics... Ces quelques remarques permettent de surmonter le paradoxe apparent d'une innovation qui paraît plutôt concentrée dans le secteur du logement social, alors que la production courante du logement social est marquée par la banalité, la répétitivité... On avait indiqué dans la IVe partie cette hypothèse que le type de maîtrise du procès de production assuré par le capital dévalorisé laissait une possibilité d'innovation relativement plus grande, mais pour qu'il y ait effectivement innovation, il faut que cela soit possible et nécessaire pour les agents directs du procès de production. Or, les règles économiques du travail d'architecte sont telles que seule une petite partie de la production peut effectivement donner lieu à un travail plus original, plus approfondi.

Capital productif

3. L'architecte comme nations idéologiques

et procès de

force productive

production

spécifique,

et ses

143

détermi-

A ce point de l'analyse, est à peu près située la place de l'architecte dans le procès de production, ainsi que les déterminations qui s'exercent sur son activité à travers les rapports de production. Reste à l'analyser en tant que force productive, c'est-à-dire plus précisément comprendre sa forme et sa contribution en tant qu'élément du travailleur collectif dans lequel il est inséré au cours de la production ; cette précision écarte, remarquons-le, l'analyse unilatérale du cadre bâti comme seule œuvre de l'architecte. On pourrait toutefois, à ce point, considérer qu'à l'intérieur du « système de contraintes », il reste éventuellement une « marge de liberté » où s'exprime la singularité de l'architecte-créateur. Ce serait aller un peu vite et opposer abusivement « contraintes » (sociales, économiques, externes) et « création » (singulière, individuelle). Ainsi, celui des six architectes étudiés, qui n'est pas le moins conforme à cette image commune de l'artiste, ne déclare-t-il pas lui-même : « Souvent l'alibi éternel des architectes c'est : « notre architecture serait autre si nous étions libres... » dans l'ensemble, j'ai toujours fait ce que j'ai voulu, donc je m'en trouve totalement responsable. Je n'irai pas dire « ah ! si on m'avait permis, que n'aurais-je fait ?... » ça fait quinze ans que je ne fais que des HLM ; bien sûr, il y a des impératifs, mais tout jeu, même le plus libre apparemment, a des règles, ou alors, il n'y a plus rien. Il est évident qu'il y a des crédits, des surfaces... mais ça, vraiment si on n'est pas capable de le dominer, d'en faire simplement une règle du jeu... Dans la construction, c'est comme un jeu : il y a une immense quantité d'astreintes qui sont loin d'être des gênes, qui sont autant de points d'appui pour l'imagination ; rien n'est plus rigoureusement rigoureux que les règles de la poésie... trouvez plus stupide que le sonnet... c'est un jeu diabolique que d'aller mettre en plus une idée poétique. » Quant à la singularité du créateur, s'il n'est pas question de la nier, il faut, pour ne pas la méconnaître, savoir où elle est, et particulièrement par rapport à un certain nombre de déterminations sociales qui sont internes au travail de l'architecte lui-même. Au nombre de ces déterminations figurent des idéologies constitutives aussi bien de l'apprentissage que de la pratique professionnelle, parmi lesquelles

144

La production

des grands

ensembles

des idéologies spécifiques à l'architecture. Ici encore, nous nous en tiendrons à quelques illustrations 14. Un des courants idéologiques les plus importants de l'architecture contemporaine est celui de la « Charte d'Athènes » et de Le Corbusier. Ce courant qui, à bien des égards, reflète assez directement l'évolution générale de la production du bâtiment, propose entre autres choses de concentrer l'habitat dans des immeubles en hauteur, en libérant le sol pour les espaces verts, espaces de jeux ,5. Des opérations comme (A) ou les premières tranches de (F) se réfèrent assez directement à ces conceptions, encore que, par suite à la fois de densifications et de la place prise par les parkings, le sol vraiment libéré soit finalement réduit. Autre courant, particulièrement vivant en France, celui de l'architecture classique, perpétué par l'enseignement des Beaux-Arts, le Grand Prix de Rome... Les deux premières tranches de (F) et le plan masse initial de l'ensemble en sont une illustration assez surprenante (quoique mêlée de références à la Charte d'Athènes, comme on vient de le signaler) : le plan masse s'organise de façon symétrique, autour d'un axe monumental dont un élément a été réalisé, sous la forme d'une gigantesque place rectangulaire délimitée par des bâtiments d'habitation de sept étages, et dont le petit côté doit faire une bonne centaine de mètres : c'est le « forum »... Par contraste, deux opérations — (B) et (D) — illustrent des concep-

14. Pour aller plus loin, il faudrait analyser concrètement la production sociale de la force de travail spécialisée à travers l'enseignement de l'architecture et l'apprentissage professionnel, ainsi que la réalité concrète du travail dans les agences. De plus, l'étude des effets concrets de l'idéologie ne doit pas se réduire à une analyse du contenu du discours de l'architecte ; il faut référer le discours aux objets concrets réellement produits, et apprécier les objets non pas par rapport à l'idéologie, mais par rapport à leur valeur d'usage sociale. Or, les propositions générales que nous avons faites sur les caractéristiques des grands ensembles comme valeur d'usage ne suffisent plus : seule, l'étude de ces objets produits comme supports d e pratiques sociales, pour les habitants et pour d'autres agents sociaux, pourrait introduire les spécifications nécessaires. 15. Cf., par exemple, Le Corbusier, Manière de penser l'urbanisme, Paris, Ed. Gonthier, p. 63. « Le logis... est placé dans son cadre naturel : horizon, ensoleillement, verdure. Son milieu, réclamé par la Charte d'Athènes des CIAM dès 1933 : soleil, espace, verdure, est assuré par des dispositions édilitaires... Le sol naturel est sauvegardé au mieux par la séparation accomplie du réseau de chemins des piétons et de celui des véhicules mécaniques. Ainsi, et malgré une ordonnance verticale des cellules d'habitation, les avantages recherchés par les cités-jardins horizontales sont acquis, ici aussi. Mais c'est par l'organisation des services communaux que s'expliquent les raisons d'être des cités-jardins verticales : vastes superficies de terrains disponibles, dont une part sera consacrée au sport quotidien... Une autre part sera réservée, et selon la demande, à des jardins potagers individuels. »

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tions qui, d'une part, proposent une architecture « urbaine » recréant la rue, et, d'autre part, introduisent une séparation nette des circulations piétons et automobiles. Les habitations sont organisées autour de rues piétons, qui évitent volontairement l'alignement — ligne brisée et décrochements pour (B), courbes sinueuses pour (D) — et finissent par converger vers les « centres », les espaces verts étant regroupés dans les espaces intersticiels du réseau, avec une différenciation nette entre rues « minérales » et espaces verts. Autre contraste encore, dans l'opération (E), référence explicite aux villes nouvelles finlandaises, — certains quartiers ont été confiés à des architectes finlandais — habitat plus diffus, en maisons individuelles groupées en « villages » avec quelques « pôles » où sont concentrés les équipements. Au-delà de ces références aux principales idéologies de l'architecture contemporaine, la comparaison des six opérations permet de faire apparaître des aspects plus spécifiques encore à chaque architecte : les couleurs utilisées, par exemple, qui renvoient à des conceptions esthétiques assez différenciées — teintes neutres des matériaux, couleurs discrètes pour (A) et (B) (sauf un quartier où quelques couleurs vives sont un sujet de discorde entre architecte en chef et architecte d'opération), couleurs vives pour (C), (E) et (F). La comparaison entre (B) et (D) peut donner quelques idées sur l'appréciation de ces aspects spécifiques. A l'intérieur de règles ou « contraintes » analogues, le problème des parkings a été résolu de façon très différente : — Dans le cas de la ZUP de (B), l'Architecte en chef s'est efforcé de faire réaliser des parkings enterrés ou semi-enterrés, qui sont proches des logements, tout en laissant le sol libre pour d'autres usages : terrains de jeu, plantations, mouvements de terre..., solution plus coûteuse qui a évidemment limité d'autres dépenses possibles. — Dans le cas de (D) au contraire, l'architecte a rejeté tous les parkings à la périphérie de l'opération — ce qui est plus gênant pour les habitants obligés de faire quelques centaines de mètres à pied. Mais cette solution moins coûteuse et les économies réalisées par ailleurs sur le coût de construction ont pu être utilisées pour les aménagements extérieurs nombreux et très variés : couleur, mobilier urbain, dallages, sculptures, espaces de jeu pour les enfants. On peut dire finalement que ce sont, pour l'essentiel, ces diverses références idéologiques-techniques qui fournissent aux architectes les

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bases de leur conception. L'ignorance du mode de vie concret, dont l'espace bâti est un support, s'exprime quelquefois par le constat de l'impossibilité de connaître les futurs habitants au moment de la conception de l'architecture ou par un certain besoin d'observation après coup : (B), (D), (E). En fait, les besoins sociaux sont pris en compte par les architectes surtout en termes de considérations fonctionnelles sur l'organisation de l'espace, avec, en plus, une insistance commune sur le stéréotype de l'animation — dans une assimilation un peu naïve entre proximité physique, entassement, côtoiement et établissement de relations sociales — et, l'accompagnant généralement, une grande attention donnée aux problèmes de décor : aspect architectural, volumes, couleurs, formes, décor urbain, paysage, mobilier urbain, décor censé marquer l'espace pour y souligner les indications fonctionnelles, les lieux d'animation... Et bien souvent, l'architecte fera son possible pour dégager les crédits nécessaires à la réalisation de ce décor, le choix possible entre cet usage et celui qui consisterait à les affecter à la réalisation de certains équipements ou locaux collectifs, trop souvent absents, n'étant guère envisagé — quand il n'est pas volontairement écarté. Aussi, bien que conscient de l'expression des besoins, l'architecte, parfois, cherche moins à approfondir cette connaissance et à l'utiliser qu'à projeter sa philosophie personnelle : « Les équipements qui m'agacent, ce sont les équipements réputés nécessaires et pourtant de besoin récent, les maisons de jeunes... ça me paraît, à la lettre, monstrueux, que des jeunes aient besoin d'avoir une maison pour qu'on les organise, qu'on les anime... c'est une chose à fuir... est-ce cela le rêve de l'adolescence ?... Ils ont des réponses toutes faites ; il faudrait psychanalyser leurs réponses. Ils ont des psychologies très frustres, beaucoup se plaignent, mais ils se plaignent, tout bêtement, d'être ; ils se plaignent d'être pauvres, d'avoir longtemps pour aller à leur travail, de ne pas avoir de téléphone, ni de crèche, que la femme ne peut donc pas travailler... d'énormes difficultés d'être, effectivement... Quant à la question des équipements, c'est une plaisanterie fatigante. Chaque Administration responsable accumule tous les aménagements qui sont nécessaires : tous les équipements, deux crèches, trois garderies, quatre stades, cinq gymnases, etc. Et comme personne n'a de quoi payer... Les aménagements ce sont des choses fictives. Dans un temps meilleur, dans un monde utopique...

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C'est pour cela que faire des HLM est un monde merveilleux, parce que c'est un monde pur. On ne les consulte pas et on fait pour eux, pour leur bien, ce que l'on croit être, à longue portée, le bonheur... Il n'y a pas d'engeance plus avide à se plaindre ! Tout leur est dû ! Il y a un côté sauvage, il y a beaucoup d'asociaux... C'est la zone la plus pauvre de France... La voiture sous la fenêtre, outre qu'elle abîme le paysage, aberre la psychologie. Donc, c'est surtout ça qui m'a déterminé à leur enlever la voiture. Parce que c'était un avilissement énorme... Il ne faut pas que l'architecture soit le résultat d'un référendum. Il faut que l'architecte ou le promoteur inventent un monde du bonheur et arrivent à persuader qu'il l'est. » Autre exemple fortement contrasté : « Et c'est ce que l'on voudrait essayer de faire comprendre aux gens des villes, de pouvoir s'exprimer par une architecture et non pas à nous de l'imposer. Mais, comme ils ne sont pas capables de la créer actuellement, cette enveloppe, cette expression de vie, on ne peut pas le faire tout seul parce que, encore une fois, pendant des siècles, ils ont été remplacés par des architectes. On leur donne des tas de modèles. Lorsqu'ils auront pris le sens de la variété, les possibilités d'expression, à ce moment là, ils pourront commencer à choisir. Actuellement, on ne peut pas choisir parce que, encore une fois, je le dis, ils choisiront automatiquement ou la villa de banlieue, ou l'appartement vu chez le notaire ou chez le médecin, ou au cinéma. Alors, il est important pour nous de veiller d'abord sur ces gens, cette possibilité de choisir. Donc, une des caractéristiques, c'est la variété de logements que l'on fait, c'est de bien montrer aux gens qu'ils ont le droit de choisir pour qu'ils puissent ensuite créer euxmêmes... Phase intermédiaire, par laquelle il faut passer avant de donner aux gens, ce que l'on appelle l'architecture qui se passera de l'architecte et cela leur permettra à eux-mêmes de se créer, de façon raisonnable, leur architecture. »

4. Les bureaux d'études

techniques

La division actuelle du travail, évoquée dans l'introduction de ce chapitre, leur confie les tâches de vérification, ou de conception, lorsque celle-ci requiert des connaissances techniques spécialisées, des calculs.

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Nous avons surtout étudié les rapports entre architectes et bureaux d'études au niveau de la conception générale des zones d'urbanisation, plus qu'au niveau de la production des bâtiments eux-mêmes. C'est, principalement, le problème des rapports entre Architecte en chef et bureaux d'études chargés des VRD 16. La division sociale du travail, liée à la formation des techniciens spécialisés, commence par scinder en plusieurs tâches séparées le travail de conception, puis, confiant ces tâches à des agents distincts, elle les soumet à des types de contraintes économiques également distinctes, ce qui compromet finalement les possibilités de la coopération pourtant nécessaire. En effet, le bureau d'études techniques orientera son travail de conception du point de vue de sa spécialité, en cherchant à optimiser un certain nombre de critères techniques, de même que l'architecte cherche à réaliser un certain décor architectural. De plus, la forme économique de son activité, plus encore sans doute que pour l'architecte — car, pour les BET 17, les rapports de production capitalistes sont plus dominants —, impliquera l'utilisation des techniques éprouvées et la tendance à la limitation du temps d'étude, donc un frein à l'adoption de formes nouvelles. Le hiatus qui peut en résulter pour la conception du produit final est d'autant plus difficile à réduire que le BET est éventuellement lié à un promoteur ou à une entreprise de construction, donc est amené à intégrer dans son travail des contraintes supplémentaires liées à la mise en valeur optimale de ces capitaux, alors que ses contraintes propres restent limitées, dans la mesure toujours où la composition organique du capital d'un BET est faible. C'est le cas par exemple de (B), où la présence d'une Société d'équipement importante dans la Société d'économie mixte a entraîné l'intervention du BET de cette Société : « Comme nous avions l'expérience d'autres aménagements extérieurs où nous faisions aussi les VRD, nous avons un parallèle avec ce qui se passe à (B), et ce qui se passe ailleurs ; je vous dirai que ce n'est pas du tout à la faveur de (B). Je pense que les aménagements extérieurs doivent, pour être bien réalisés, l'être par la même équipe. C'est-à-dire que les gens qui placent les réseaux et ceux qui placent les arbres doivent être dans les mêmes bureaux pour savoir ce que font l'un et l'autre. A mon avis, on arrivera à faire un environnement de qualité quand on 16. Voirie et réseaux divers. 17. Bureau d'études techniques.

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aura compris qu'un tuyau et un arbre, c'est lié absolument ; et du jour où on déplace un tuyau, on met en l'air une rangée d'arbres. De ça, personne n'en prend conscience. Actuellement, on en arrive à des difficultés... avec ça, parce que le BET déplace des canalisations sans nous prévenir... alors on arrive aux conflits quotidiens. » 18 Problèmes analogues, finalement mieux résolus, pour (E) : « Par exemple, j'ai, moi, la construction entre les mains. D'accord ! Mais je n'ai pas entre les mains, ni les VRD et c'est quand même capital, ni les données socio-économiques de programmation et de bilan. C'est-à-dire que, par exemple, on me dit : « le bâtiment doit rentrer dans tel prix plafond, construction seule, plus surface, fondations... » — Bien ! On y entre. A côté de ça, les VRD qui devraient être extrêmement liés aux bâtiments, nous autres, on n'a pas à les connaître ! Et alors, ce qui est très, très grave, au point de vue plan masse... c'est que toutes les recherches qu'on fait actuellement, ici, ou chez un certain nombre de confrères... on se trouve baisés pour une raison bien simple, c'est qu'il faut qu'on lie à la fois les VRD et les bâtiments dans un ensemble, sinon on ne s'en sort pas. Parce que la révolution qui arrive maintenant, au point de vue urbanistique, elle consiste justement à ne plus scinder en deux la partie construction, et la partie VRD. Il y a des ensembles qu'on ne peut pas faire si l'on n'intègre pas les VRD et même on peut aller plus loin, intégrant les VRD et intégrant le bâtiment dans un ensemble, il faut aussi intégrer évidemment le bilan et les questions financières et de programmation, autrement, on ne s'en sort pas... ni au niveau du secondaire, ni au niveau du tertiaire et encore moins, bien sûr, au niveau du primaire, on n'a eu en main la possibilité de faire des bilans. Si, par exemple, on avait deux ponts, on nous disait : « c'est trop cher, il faut essayer de faire autrement », mais ça, on ne nous le disait pas... qu'est-ce que je raconte, moi... on nous disait : « vos ponts sont chers, on les fait... », mais on ne cherchait pas une autre solution, tu comprends... avec eux, parce que, quand un bureau d'études de VRD a fait une étude VRD au niveau d'un bilan de compte d'opération et que tout d'un coup on dit : votre bilan est trop cher, il faut reprendre entièrement le projet... eh bien ! non, Monsieur ! Je croyais que j'étais payé pour faire 18. Extrait d'une interview avec l'Architecte en chef de (B).

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une étude... la technique des bureaux de VRD est assez terrible ! Alors, que nous, architectes, on remet sur la planche dix fois un projet, pour arriver à une solution... un bureau de VRD ne fera jamais ça. » L'architecte de (D) a résolu partiellement le problème à sa manière, en créant un bureau d'études parallèle à son agence : « Elle est parallèle. Je me trouve avoir un cabinet d'architectebureau d'études — A Paris, il y en a cinq ou six qui ont cette autorisation d'être les deux. Cette intégration est un élément déterminant. Je suis très hostile à l'intervention des bureaux ; l'expérience m'a montré que c'est désagréable ; ils se sentent plus puissants que vous et finissent par leur manque d'invention — parce qu'il faut bien dire que ce sont des Administrations pour qui l'architecture n'a aucun intérêt, qu'ils n'aiment pas l'architecture... plus c'est traditionnel, plus c'est n'importe quoi..., plus ils aiment... c'est donc une entrave de plus à cette démarche difficile et ingrate qu'est l'invention. Il faut que le bureau d'études s'amuse autant que vous ; qu'il ait envie de réaliser ce que vous pensez, non par déférence, mais parce qu'il est de même nature. » L'industrialisation croissante de la production ne peut que rendre plus importante l'intervention des bureaux d'études et il est probable que l'on assiste à une redéfinition de structures juridiques des professions impliquées, qui prenne en compte et favorise une évolution déjà commencée. On peut en trouver certains indices, par exemple, dans la réforme du permis de construire ou encore dans la politique des modèles, déjà mentionnée, où, à la l Te annexe à la circulaire citée qui définissait « l'intervention des architectes dans la construction de logements comme réalisation d'un modèle agréé », succède une annexe modifiée 19, définissant « la rémunération des architectes et des techniciens 20 appelés à prêter leur concours dans la conception et la réalisation d'un modèle agréé », qui fait explicitement leur place aux techniciens et BET.

19. Cf. circulaire CH/TA, n° 250, du 6 janvier 1969, « Equipement et logement ». 20. Souligné par l'auteur.

Conclusion

La réalisation des grands ensembles de la Région parisienne se situe, dans les années 1950, à la convergence de plusieurs facteurs, qui ont déterminé l'évolution des formes d'urbanisation ainsi que les différents aspects de la politique de l'Etat qui y sont liés. La croissance démographique et l'évolution des conditions de reproduction de la force de travail ont entraîné une augmentation rapide des besoins en logements et en équipements collectifs. Parallèlement, l'évolution de l'accumulation dans l'industrie du bâtiment impliquait un certain nombre de conditions nécessaires à l'industrialisation et aux progrès de la productivité. D'où le lancement de grandes opérations, recherchant à la fois l'importance et la continuité des chantiers de construction, et la coordination et la concentration de l'effort de l'Etat en matière d'équipements. Pour réaliser de telles opérations, il était nécessaire de surmonter l'obstacle de la propriété foncière. Ceci a été rendu partiellement possible par le développement des procédures d'appropriation publique des sols pour construire, et en particulier de l'usage de l'expropriation. Instrument décisif pour les premières opérations et les Zones à urbaniser en priorité, ainsi que pour les opérations de logement social d'une façon générale, l'intervention de l'Etat a également permis à des opérations de caractère privé de limiter les possibilités d'appropriation de la rente foncière par les propriétaires du sol. Toutefois, les obstacles, entre autres politiques, qui s'opposent à une réduction du droit de la propriété foncière, sont tels que les solutions pratiquées ne sont que très partielles ; ceci se manifeste aussi bien au niveau de la valeur — impossibilité d'empêcher la hausse des prix fonciers, même dans les procédures d'expropriation — , qu'au niveau de la valeur d'usage : obstacle à une occupation rationnelle des sites du point de vue de leur meilleure utilisation sociale ; sous-emploi de nombreux terrains bien équipés, et parallèlement tendance à la densification des zones d'urbanisation nouvelles, des grands ensembles particulièrement ; accentuation des tendances à la ségrégation sociale dans l'espace par le niveau des prix fonciers ; discordance entre la détermination de la localisation des opérations en fonction des

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opportunités foncières et une conception et programmation des équipements collectifs, techniquement et économiquement rationnelles, du point de vue de la satisfaction des besoins sociaux, discordance particulièrement sensible en ce qui concerne les transports. L'analyse de la réalisation des opérations, recherchant les déterminants des caractéristiques observées, s'est attachée à considérer de façon concrète l'organisation de la production. Un grand ensemble apparaît comme la superposition de procès de production d'éléments distincts : logements, infrastructures, écoles, commerces, équipements médicaux, sociaux, culturels... ; les déterminants sont à rechercher à deux niveaux : celui de la production de chaque élément particulier, celui des règles d'articulation des différents éléments. Pour tous ces produits, éléments nécessaires de la reproduction de la force de travail, le procès de production est dominé, non pas par le capital productif (entreprises...), mais par des capitaux de circulation spécialisés, capital géré par les promoteurs « privés » ou « publics », financements publics des différents équipements, et cette domination s'exprime dans la définition, par ces capitaux, des principales caractéristiques du procès de production : son lieu précis entre autres, défini par l'appropriation du terrain, qu'assure, précisément, le capital de circulation. Pour chaque élément, les principales caractéristiques du procès de production, et donc du produit, sont définies par les règles de fonctionnement de la fraction dominante du capital qui s'y intéresse. Ainsi, pour le logement tout d'abord, la recherche du profit par le capital privé se traduit, dans le cas des opérations de promotion privée par : un fractionnement des opérations en tranches distinctes ; un conformisme des formes architecturales ; un camouflage idéologico-commercial des produits qui cherche à donner l'apparence du « standing » à des constructions dont la qualité n'est guère différente de celle des logements sociaux ; des aménagements conçus comme un décor pour attirer l'acheteur ; des modifications des opérations en cours de route, afin d'ajuster le programme aux possibilités de profit, ce qui entraîne souvent des changements notables, tels que densification, hauteur accrue des bâtiments..., surprises pas toujours agréables pour les premiers acheteurs. En ce qui concerne la SCIC, la nature plus composite de son capital, ses liens institutionnels avec l'Etat et sa taille l'amènent, à l'intérieur d'un conformisme assez général, à tenter quelques innovations dont on peut penser qu'elles sont à la fois nécessaires, possibles et utiles commercialement — tout en restant limitées à une petite part des réalisations. Quant aux promoteurs sociaux, les règles liées à leurs financements se traduisent par des normes de qualité et des limites de coûts. Celles-ci définissent un espace à l'inté-

Conclusion

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rieur duquel, les contraintes du profit ne jouant pas, le travail de conception paraît plus autonome que dans le cas des promoteurs privés. Pour les autres équipements, de la même façon, les règles de fonctionnement des capitaux — règles particulières à chaque type de financement public spécialisé ou recherche du profit dans un domaine particulier — se traduisent dans les caractéristiques des équipements et dans leur mode de réalisation ; on notera particulièrement le retard des équipements (sous-équipement temporaire, par rapport aux prévisions de départ) ou quelquefois même leur disparition. Cette situation, variable suivant les différents équipements, mais touchant aussi bien les équipements scolaires que les commerces, est elle-même accentuée par les difficultés de transport. La desserte par transports en commun est le plus souvent très déficiente, et on peut noter que la logique de réalisation de réseaux de transports, du point de vue de la SNCF ou de la RATP, est quelquefois peu conforme aux besoins concrets et localisés des habitants des grands ensembles. En ce qui concerne l'articulation de ces éléments entre eux, c'est-àdire la constitution, dans les formes d'urbanisation périphériques à la fois massives et discontinues, des valeurs d'usages urbaines socialement nécessaires, c'est d'abord, et pour des raisons politiques, l'Etat qui est amené à s'y intéresser : les mesures prises, concernant l'appropriation des sols pour y construire à la fois logements et équipements, concernant le préfinancement de ces acquisitions et des travaux d'infrastructure, la coordination des financements des équipements publics, la participation des promoteurs... donnent des résultats partiellement positifs ; le niveau moyen d'équipement paraît assez nettement supérieur dans les ZUP à celui des opérations privées. Les promoteurs privés eux-mêmes, lorsqu'ils lancent des programmes importants dans des zones peu équipées, sont conduits également, à cause des impératifs de commercialisation, à tenter d'assurer un certain niveau d'équipement. Mais il y a en même temps échec partiel de ces tentatives — échec qui tient au fractionnement du capital social nécessaire : financements publics spécialisés, avec chacun leurs règles d'affectation, leur programmation, leur limitation quantitative, liées à des politiques sectorielles différentes ; financements publics fractionnés en financements de l'Etat central et des Collectivités locales, avec les difficultés liées aux rapports politiques entre les deux, et qui, dans les cas étudiés en Région parisienne, sont assez tendus du fait que les opérations ont été le plus souvent imposées, directement ou indirectement, aux communes, sans que les moyens dont celles-ci disposent leur permettent de faire face à l'effort d'équipement nécessaire ; financement privé de certains équipements tels que les commerces, dont la logique de mise

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en valeur est souvent en contradiction avec les localisations et les programmations prévues. Il en résulte, en plus du sous-équipement global généralement constaté, des décalages relatifs très sensibles entre les divers équipements, des difficultés qui peuvent aller jusqu'à remettre en cause sérieusement l'organisation spatiale prévue et déjà partiellement réalisée : ceci est particulièrement net pour les centres commerciaux, dont la réalisation intégrée au grand ensemble est toujours très en retard, et quelquefois définitivement compromise. Les caractéristiques de l'appareil de production apportent également un élément de détermination des produits. Ceci va en augmentant avec le développement de l'industrialisation et l'orientation vers la production en série, les modèles, qui introduisent une spécification croissante des produits possibles à un moment donné ; il peut y avoir innovation par l'adoption d'un nouveau procédé industrialisé, mais ensuite l'amortissement du matériel implique une production répétitive. Parallèlement, les architectes, contraints, par ailleurs, par les règles économiques de fonctionnement des agences, tendent à perdre leur place centrale dans le procès de production. Agents organisateurs de la coopération entre entreprises spécialisées, principaux supports de la définition subjective des produits, appuyée sur les idéologies architecturales et la connaissance des potentialités techniques, leur place est grignotée d'un côté par les promoteurs, de l'autre par les entreprises et bureaux d'études techniques. Ils tendent alors à être surtout les responsables d'un décor, aspect formel d'un produit — produit dont la détermination leur échappe pour l'essentiel quant à ses caractéristiques principales comme valeur d'usage, pour être maîtrisé de plus en plus par les agents supports des capitaux intéressés à la circulation et à la production, maîtrise liée directement à leurs règles de fonctionnement et de mise en valeur. Au terme de l'analyse, les caractéristiques de l'environnement des grands ensembles apparaissent ainsi comme le résultat d'un faisceau complexe de déterminations attachées aux différents aspects de l'organisation de la production et de la circulation des logements et des équipements. Il faut souligner qu'il s'agit là de déterminations objectives, c'est-à-dire impliquées par la nature même des forces productives et des rapports de production constitutifs des modes concrets selon lesquels les opérations ont été produites. Ces déterminations objectives précèdent la conscience que peuvent avoir de leur place et de leur action les agents concrets supports de ces rapports. Et l'illusion du « jeu des acteurs », dans laquelle on tombe si l'on s'en tient à considérer cette conscience des agents, se dissipe dès lors qu'on s'attache,

Conclusion

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comme nous l'avons tenté, à l'analyse concrète de ces modes de production et des différents rapports sociaux qui leur sont liés. Par ailleurs, la complexité des déterminations n'est pas celle d'une superposition aléatoire de causes multiples que l'on pourrait seulement « pondérer ». Elle tient à l'articulation, spécifique à chaque opération, de rapports de production dans leur forme sociale concrète et de forces productives, définies dans leur forme et leur niveau de développement. Cette combinaison complexe, qui n'est pas une simple combinatoire, a des règles, que nous avons essayé d'esquisser, par exemple pour les rapports entre les différentes fractions de capital, de circulation ou productif. Toutefois, l'étude d'opérations particulières ne permettait pas d'analyser à fond chacun des éléments : c'est ainsi qu'on a avancé un certain nombre d'hypothèses, qui nous étaient nécessaires, mais qui demandent à être développées plus généralement : sur la SCIC, sur les promoteurs sociaux, sur les différents aspects de l'intervention de l'Etat, sur les Collectivités locales, sur l'évolution de l'industrie du bâtiment et du rôle des architectes. Des recherches sont souhaitables sur ces points, quelques-unes sont en cours ; elles doivent nécessairement s'appuyer sur des données plus complètes que celles recueillies sur six opérations. Pour autant, il nous semble qu'il peut être utile, à certains moments, d'essayer de recomposer sur des cas particuliers des éléments traités distinctement, particulièrement lorsqu'on s'intéresse au problème des conditions concrètes de réalisation des valeurs d'usage. Enfin, nous avons signalé dans l'introduction la préoccupation, qui était la nôtre au départ, de considérer le grand ensemble comme objet social et non formel (esthétique...), par sa place concrète dans le mode de vie des habitants, et plus généralement dans la reproduction de la force de travail. Il en est résulté un certain nombre d'hypothèses sur les rapports entre grand ensemble et socialisation de la consommation. Mais notre étude elle-même n'a pas permis, vu son objet, d'affiner ces hypothèses et de les confronter avec des observations précises sur la population, son mode de vie... Il nous semble qu'il y a là un domaine de recherche important : celui de l'évolution des conditions de reproduction de la force de travail, analysée à la fois comme effet de l'évolution des forces productives (elle-même liée aux rapports de production) et dans ses effets sur l'urbanisation. Une recherche en cours au Centre de sociologie urbaine sur le logement social apportera sur ce point des éléments (dont nous ne disposions pas ici) qu'il faudra compléter par une analyse parallèle des autres aspects de la consommation.

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