La peinture murale du haut Moyen Age en Catalogne (IXe-Xe siècle) 9782503545684, 2503545688

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La peinture murale du haut Moyen Age en Catalogne (IXe-Xe siècle)
 9782503545684, 2503545688

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La peinture murale du haut Moyen Âge en Catalogne (IXe-Xe siècle)

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Culture et société médiévales Collection dirigée par Edina Bozoky Membres du comité de lecture : Claude Andrault-Schmitt, Anne-Marie Legaré, Marie Anne Polo de Beaulieu, Jean-Jacques Vincensini

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Carles Mancho

La peinture murale du haut Moyen Âge en Catalogne (IXe-Xe siècle) Traduit du catalan Préface de Milagros Guardia Pons

F

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Ce texte reprend la thèse de doctorat de l’auteur qui, soutenue en 2003 à l’Universitat de Barcelona, a vaincu le Premi Extraordinari de Doctorat, ainsi que le IXe Premi Extraordinari del Clautre de Doctors de l’Universitat de Barcelona en 2005. Cette recherche à été possible en part grâce aux financements SGR-200500234 du Departament d’Innovació, Universitats i Empresa du Gouvernement de la Catalogne et PB98-1212, BHA2002-00793 et HUM 2005-00131 du Ministerio de Ciencia y Tecnología du Gouvernement de l’Espagne. © Texte: C. Mancho © Traduction: A. Catafau

© 2012, F  H  G n.v., Turnhout, Belgium. All rights reserved. No part of this publication may be reproduced stored in a retrieval system, or transmitted, in any form or by any means, electronic, mechanical, photocopying, recording, or otherwise, without the prior permission of the publisher. D/2012/0095/134 ISBN 978-2-503-54568-4 Printed in the E.U. on acid-free paper

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a l’Elena



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Sommaire Préface

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Première Partie Entre l’antiquité tardive et le haut moyen âge Introduction

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La Catalogne épuisée, VIe-VIIIe siècle Haut Moyen Âge La fin de l’Antiquité Hispania Le commencement du Moyen Âge La réalité artistique en Catalogne du IVe au VIIe siècle

33 33 34 38 42 45

Les IXe et Xe siècles. Un peu d’histoire

59

Deuxième partie La peinture murale du Haut Moyen Âge en Europe occidentale Les études

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Les territoires 75 Italia 76 Hibernia et Britannia 84 Francia 87 Germania 92 Hispania : Asturies, Léon-Castille 94 Troisième partie La peinture murale en Catalogne entre le IXe et le Xe siècle État de la question 101 L’illustration de manuscrits 111

VII

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sommaire

I. L’arrivée des carolingiens Un petit visage au Musée d’Histoire de Barcelone Description des vestiges picturaux État de la question Questions stylistiques et formelles Conclusion Iconographie Conclusion

121 121 123 127 131 143 144 146

La peinture dans les églises de Sant Pere de Terrassa Questions préalables Terracium Castellum L’autorité réligieuse Frodinus Egara Le siège épiscopal d’Ègara Le siège perdu Les interventions dans le courant du XXe siècle Le décor dans l’église Sainte-Marie Les « calques » Description des peintures Le motif zénithal Premier registre Deuxième registre Les autres registres Les visages Tenues vestimentaires et détails de forme Structure de la composition État de la question Iconographie Considérations préalables Motif zénithal Premier registre Les scènes “visibles” Scène B: La Trahison et l’arrestation du Christ Scène C: Le Reniement de Pierre Scène D: La Remise des Clefs à Pierre Scènes E-F-G: saint Paul

147 148 153 156 160 161 166 173 195 199 203 204 206 219 223 224 225 228 231 238 238 253 258 262 262 273 278 293

VIII

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sommaire

Les scènes “non visibles” Scène A-H-H’-I L’histoire de Joseph L’histoire d’Absalom Deuxième registre Conclusion Le décor dans l’église Saint-Michel Considérations préalables Description Niveau supérieur : centre Niveau supérieur : côtés Niveau inférieur Technique État de la question Iconographie Emmanuel Conclusion

312 313 324 329 336 341 343 343 348 351 353 355 362 363 368 381 393

L’iconographie: conclusions L’abside de Sainte-Marie L’abside de Saint-Michel

395 395 404

Questions stylistiques et formelles à Sainte-Marie et à Saint-Michel 406 411 La datation du VIe siècle e 413 La peinture au VI siècle Sainte-Marie, Saint-Michel et la plastique des IXe et Xe siècles 416 Addenda: Le décor dans l’église de Saint-Pierre Introduction Découverte Présentation État de la question Données actuelles et propositions Conclusion

419 419 420 422 431 433 446

IX

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sommaire

II. Le Xe siècle, un siècle confus Aux alentours de Ripoll La Genèse de Campdevànol, description du dessin de Ramon d’Abadal État de la question Questions stylistiques et formelles Considérations préalables Analyse Conclusion Iconographie Analyse Gn. 3, 6 ou Gn. 3, 9-11? Les inscriptions Gn. 3, 24-25 Conclusion

449 453 459 463 463 466 472 473 473 474 481 484 486

III. Les limites dans l’étude de la peinture Ou doit-on placer les vestiges picturaux anciens de Saint491 Cyr de Pedret? La découverte 491 L’ensemble architectural 493 Le décor roman 507 Description du décor ancien 513 État de la question 520 Questions stylistiques et formelles 533 Analyse 533 Conclusion 543 Iconographie 545 Considérations préalables 545 Analyse 549 Les saints militaires 556 Croix et oiseaux 571 La couronne crucifère 572 L’extérieur de la couronne 574 Transmission iconographique 579 Conclusion 583 X

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sommaire

Chronologie

585

Conclusion

587

La peinture murale du IXe et du Xe siècle en Catalogne

587

Bibliographie

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Illustrations couleur

641

Annexe 671 Index 691



XI

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Préface Il est inhabituel de commencer la Préface d’un livre en décrivant ce qu’il n’est pas. Pourtant, il est nécessaire de préciser que contrairement à ce qu’on pourrait penser au premier abord, La peinture murale du haut Moyen Âge en Catalogne n’est pas une synthèse. Approfondi et détaillé, il présente les problèmes posés par l’étude des ensembles peints de la période concernée, de manière que le lecteur, même s’il n’est pas spécialiste, puisse devenir un véritable connaisseur du sujet. En effet, commençant par le corpus choisi jusqu’à la méthode d’analyse de l’auteur, l’ouvrage présente diverses particularités. Les œuvres conservées, qui sont étudiées dans leur totalité, sont peu nombreuses. Il s’agit de six ensembles d’importances diverses  : le dessin d’un décor aujourd’hui perdu (Campdevànol), les vestiges d’un cycle mural plus important également disparu (cathédrale de Barcelone), le premier décor de l’église de Pedret, puis ceux de trois églises de l’ancienne Egara-Terrassa  : Sainte-Marie, Saint-Michel et Saint-Pierre. Même si l’on les compare à ce qui existe dans le reste de l’Europe du IXe au début du XIe siècle, période qui nous intéresse, les vestiges de Catalogne constituent un ensemble tout à fait remarquable. Carles Mancho en a abordé l’analyse avec attention et persévérance, afin de nous livrer des résultats – qu’il considère comme provisoires – tout à fait vraisemblables et convaincants, étant donnée l’absence de sources documentaires. Ces résultats sont l’aboutissement d’un long processus de maturation. Le cœur de ce livre est un travail de doctorat, soutenue sous ma direction à l’Université de Barcelone, où il a obtenu le prix de la meilleure thèse en 2005. Parmi les raisons de cette reconnaissance figurait, entre autres, le fait que jusque-là les spécialistes n’avaient abordé ce sujet que d’une manière très partielle. En réalité, ce n’est pas tant le manque d’intérêt que la difficulté d’accomplir ce travail qui en était la cause. Il n’a échappé à personne – et encore moins à moi, étant donné mon rôle dans l’élaboration du projet de recherche – que le noyau central de l’étude, relatif aux églises d’Egara, posait une « énigme irritante », pour reprendre une expression de M. Durliat à propos de Saint-Pierre de Rodes. Ensuite, bien que l’énigme ait subsisté, l’irritation a diminué, grâce aux fouilles réalisées durant les dernières années. Leurs résultats sont encore insuffisamment pu 13

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préface

bliés, mais ils sont bien connus par l’auteur. Ils permettent d’ouvrir de nouvelles voies pour la datation de cet ensemble et pour son interprétation, facilitant sa compréhension. Au cours de sa réalisation, ce travail – que seuls la constance et l’enthousiasme de l’auteur ont permis de mener à bonne fin – a été en partie présenté au jugement des spécialistes dans les rencontres internationales les plus exigeantes. Par conséquent, le texte de la thèse de doctorat, qui en était le germe, a été révisé, corrigé et bien souvent nuancé pour la publication que nous avons maintenant entre nos mains. Ce livre permettra désormais aux chercheurs de disposer d’une solution, ou du moins d’une argumentation concernant les problèmes principaux posés par ces ensembles : la datation et l’interprétation des programmes iconographiques. Pour arriver à ses conclusions, l’auteur a tiré parti du long processus de recherches archéologiques avant et après la restauration des peintures des églises de Terrassa et de Saint-Cyr de Pedret. Effectivement, ces interventions, qui ont contribué à dévoiler les aspects méconnus des peintures, invisibles avant l’installation des échafaudages, ont rendu possible leur meilleure connaissance. Tout ceci nécessitait un suivi attentif, obligeant à prolonger ou à retarder certaines phases du travail. De cette façon, dans un dialogue continu avec les responsables des fouilles et de la restauration, et même s’il n’a pas toujours été possible d’accorder les avis, l’auteur a réussi à situer l’époque de la réalisation des peintures de Terrassa dans les dernières décennies du IXe siècle, écartant ainsi la datation proposée par d’autres chercheurs, à savoir le VIe siècle. C’est l’analyse du programme iconographique de Sainte-Marie, de Saint-Michel et de Saint-Pierre ainsi que celle du contexte historique du diocèse et du comté de Barcelone qui nous permettent de connaître le poids d’un promoteur d’exception, l’évêque Frodoin de Barcelone, envoyé par le souverain franc pour mettre en ordre le territoire. Les modèles iconographiques qu’on peut identifier dans tous ces ensembles peuvent être rapprochés de l’horizon artistique de la culture carolingienne. En effet, ces modèles renvoient à ceux élaborés dans les principaux centres de pouvoir, et tout particulièrement à Rome, à l’époque carolingienne. Il s’agit donc d’une contribution remarquable à la connaissance d’un chapitre complexe et obscur de la culture artistique européenne  : la peinture monumentale de cette époque dans les régions périphériques. Le premier décor peint de Saint-Cyr de Pedret, dont Carles 14

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préface

Mancho détaille l’histoire mouvementée de la découverte, a posé également des problèmes en raison de l’absence totale de documentation relative à l’édifice. Cela eut pour conséquence la méconnaissance de sa datation, de son vocable et même de sa véritable fonction. Les fouilles effectuées et les travaux de restauration ont permis d’établir une chronologie relative, mais pas une datation assurée. Il est pourtant possible de proposer une datation pour le début du XIe siècle à partir de l’analyse iconographique méticuleuse des figures et du répertoire ornemental, mais surtout en comparaison avec d’autres œuvres. Les peintures perdues de Campdevànol, enfin, nous permettent de reconstituer la réception de répertoires de miniatures de provenance carolingienne à la bibliothèque de Sainte-Marie de Ripoll, sans lesquelles on ne pourrait pas comprendre l’élaboration des célèbres Bibles du XIe siècle. Pour toutes ces raisons, il convient de remercier l’auteur d’avoir montré dans son ouvrage quand, comment et pourquoi ces ensembles d’images, certes modestes mais intrigants, ont été réalisés en Catalogne. Son travail révèle aussi l’importance d’un chapitre de la peinture européenne à l’époque carolingienne, antérieure à la peinture monumentale romane. L’auteur nous fournit avec son livre des bases critiques mais aussi des hypothèses, parfois audacieuses : comment les lui reprocher dans un domaine où la recherche est toujours le fruit d’essais ? Cela nous permettra de rouvrir un débat enrichissant sur l’art du haut Moyen Âge. On aura compris que le contenu de ce livre est tout sauf une étude en vase clos. Les questions qui en découlent sont nombreuses ; elles ouvriront de nouvelles perspectives sur la connaissance de cette étape complexe de l’histoire de l’Europe. Certaines d’entre elles ont déjà été prises en compte, non seulement par les membres du jury qui, dans la thèse de doctorat, en ont apprécié la validité, mais aussi devant les différentes tribunes internationales où certaines questions précises ont été déjà présentées et débattues. Prof. Milagros Guardia Institut de Recerca en Cultures Medievals (IRCVM) Universitat de Barcelona

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Früher begriff ich nicht, warum ich auf meine Frage keine Antwort bekam, heute begreife ich nicht, wie ich glauben konnte fragen zu können. Aber ich glaubte ja gar nicht, ich fragte nur. F. Kafka, Die Zürauer Aphorismen, n. 36



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première partie entre l’antiquité tardive et le moyen âge



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Introduction La reconstruction historique est toujours une tâche difficile. Plus on s’éloigne dans le temps, plus les vestiges de ce qui existait autrefois se font imperceptibles. Il y a pourtant toujours des vestiges qui nous permettent de percevoir l’activité des hommes. L’archéologie s’est construite sur cette idée. Face à la production artistique du XIXe siècle, par exemple, le volume de la documentation de toute nature est écrasant. Le problème est alors de parvenir à l’assimiler toute, à en tirer profit, à savoir l’articuler. L’existence d’une documentation significative commence en Catalogne dès l’époque carolingienne1. Dès lors, la documentation devient, même si ce n’est pas vrai sur tous les plans, un outil essentiel pour l’historien. Elle lui permet de parvenir à une connaissance assez approfondie de la situation historique du territoire que nous appellerons Catalogne dans un horizon peu éloigné2. Dans certains cas le 1   Voir l’œuvre initiée par Ramon d’Abadal i de Vinyals, Catalunya Carolíngia, vol. II. Els diplomes carolingis a Catalunya, 1ª part, Barcelone, IEC, 1926-1950 (coll. Memòries de la Secció Històrico-Arqueològica, I); Idem, Catalunya Carolíngia, vol. II. Els diplomes carolingis a Catalunya, 2ª part, Barcelone, IEC, 1952 (coll. Memòries de la Secció Històrico-Arqueològica, II) ; Idem, Catalunya Carolíngia, vol. I. El domini carolingi a Catalunya, 1ª part, (Ed.) Jaume Sobrequés, Barcelone, IEC, 1986 (coll. Memòries de la secció històrico-arqueològica, XXXV), et poursuivie par l’Institut d’Estudis Catalans (IEC) (Ramon Ordeig i Mata, Catalunya carolíngia, 4. Els comtats d’Osona i Manresa, Barcelone, IEC,1999 (coll. Memòries de la Secció Històrico-Arqueològica, 53)). Voir aussi Ramon Ordeig i Mata, Les dotalies de les esglésies de Catalunya (segles IX-XII), Vic, Estudis Històrics, 1993-1997 (coll. Diplomatari, 1-4). De manière générale se reporter au catalogue de l’exposition récente Catalunya a l’època carolíngia. Art i cultura abans del romànic (segles IX i X), (Catàleg de l’exposició, Barcelona 16 desembre 1999/27 febrer 2000), Barcelone, Museu Nacional d’Art de Catalunya, 1999. 2   Nombreux sont les travaux auxquels nous pouvons nous référer pour une approche de l'histoire de la Catalogne de cette époque. On trouvera une vision générale dans Pierre Bonnassie, Catalunya Mil anys enrera. Creixement econòmic i adveniment del feudalisme a Catalunya, de mitjan segle X al final del segle XI. Vol. I, Economia i societat pre-feudal, Barcelone, Ed. 62, 1979 (première édition en français sous le titre La Catalogne du milieu du Xe à la fin du XIe siècle, croissance et mutations d'une société, Toulouse, Association des publications de l'Université de Toulouse-Le Mirail, 1975-1976), Josep Maria Salrach, Història de Catalunya, II. El procés de Feudalització, segles III-XII, (Dir.) Pierre Vilar, Barcelone, Ed. 62, 1987 (19932) ou Ramon D’Abadal i de Vinyals (†), José María Font y Rius, « El régimen político carolingio », Historia de España Menéndez Pidal, VII. La España cristiana de los siglos VIII al XI, vol. II. Los núcleos pirenaicos (718-1035) Navarra, Aragón, Cataluña, (Dir.) J. M. Jover Zamora, Madrid, Espasa-Calpe, 1999, pp. 425-574 ; pour une approche plus locale on se reportera aux volumes de Catalunya Romànica (Catalunya Romànica, XXVII vol., Barcelone, Enciclopèdia Catalana, 1984-1998) ; ces derniers peuvent être complétés par les différents atlas publiés par Bolòs et Hurtado : Jordi Bolòs, Víctor Hurtado, Atles del Comtat de Besalú (785-988),

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introduction

degré de détail de la documentation permet même de connaître des événements particuliers ou locaux, qui peuvent être d’une grande importance3. Malheureusement, cette documentation si précieuse se révèle très rare pour les historiens de l’art du haut Moyen Âge. Nous pensons par exemple aux XIe-XIIIe siècles, qui, à grands traits, sont identifiés aux manifestations artistiques que nous appelons romanes, une des époques les plus communément méconnues. En ce qui concerne la production artistique, quand la chance nous sourit, nous pouvons par exemple trouver les actes de consécration de certaines églises conservées. En vérité le nombre d’actes conservés et connus est loin d’être négligeable4. Ce sont toujours des documents précieux. Ils précisent non seulement la date de la consécration mais aussi, très souvent, les objets et les possessions dont est dotée telle ou telle église, les personnages qui assistent à l’acte, etc. Ils deviennent alors, avec d’autres sources, un bon miroir de la société, de l’économie et de la politique de l’époque. Pourtant, une date de consécration ne correspond pas forcément à la date d’achèvement d’un édifice. Bien que cette affirmation n’ait pas toujours été acceptée5, il est admis aujourd’hui que dans la majorité des cas une consécration est un fait politique ou institutionnel qui n’a pas une relation directe avec l’état

Barcelone, Rafael Dalmau Ed., 1998 (coll. Atles dels comtats de la Catalunya Carolíngia) ; Eidem, Atles dels Comtats d’Empúries i Peralada (780-991), Barcelone, Rafael Dalmau Ed., 1999 (coll. Atles dels comtats de la Catalunya Carolíngia) ; Eid., Atles del Comtat de Girona (785-993), Barcelone, Rafael Dalmau Ed., 2000 (coll. Atles dels comtats de la Catalunya Carolíngia) ; Eid., Atles del Comtat d’Osona (798-993), Barcelone, Rafael Dalmau Ed., 2001 (coll. Atles dels comtats de la Catalunya carolíngia) ; Eid., Atles del Comtat de Manresa (798-993), Barcelone, Rafael Dalmau Ed., 2004 (coll. Atles dels comtats de la Catalunya carolíngia) ; Eid., Atles del Comtat d’Urgell (v. 788-993), Barcelone, Rafael Dalmau Ed., 2006 (coll. Atles dels comtats de la Catalunya carolíngia) ; en ce qui concerne la documentation relative à cette période, voir la note antérieure. 3  Voir infra, par exemple sur Terrassa et en relation avec la nomination de l’évêque de Barcelone, Frodoin, et son action ultérieure. 4   Voir en ce domaine la documentation exhumée par Baraut (Cebrià Baraut, « Les actes de consagració d’esglésies del bisbat d’Urgell (segles IX-XII) », Urgellia, 1 (1978), pp. 9-182), et en général la revue Urgellia dès le premier numéro de l’année 1978, pour la documentation du diocèse d’Urgell. Pour le diocèse de Vic, voir les travaux de R. Ordeig, Les dotalies de les esglésies de Catalunya…. Plus généralement, on trouvera la transcription de beaucoup de ces actes dans Catalunya Romànica, ainsi que la référence à tous ceux qui sont connus. 5   Voir les arguments de Geza de Francovich, « I problemi della pittura e della scultura preromanica », Settimane di Studio del Centro Italiano di Studi sull’Alto Medioevo, II, « I problemi comuni dell’Europa post-Carolingia », Spolète, CISAM, 1955, pp. 355-519, en part. pp. 407 et suiv., continués par Janine Wettstein, La Fresque romane : Italie, France, Espagne. Études comparatives, Paris, Arts et métiers graphiques, 1971 (coll. Bibliothèque de la Société française d’archéologie, 2), pp. 97 et suiv.

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introduction

des travaux6. Par ailleurs, on ne conserve habituellement aucun des objets, à savoir le mobilier liturgique ou les manuscrits, cités dans les actes de consécration. Ceci implique que nous en avons la liste mais que nous ne pouvons en faire aucune étude. Enfin, nous ne trouvons jamais d’information dans ces documents au sujet de la décoration de l’édifice7. Si nous nous attachons strictement à la peinture, qui est le sujet qui doit nous occuper dans ce travail, le panorama est très ingrat. Pour la peinture romane en Catalogne, nous ne possédons qu’un document qui nous informe plus ou moins directement sur l’exécution de peintures. Il s’agit de l’inscription peinte de l’église de Saint-Clement de Taüll où il est fait référence à la consécration par l’évêque Ramon de Roda le 10 décembre 1123. Pourtant, nulle part dans cette inscription on n’affirme que cette consécration ait comporté la célèbre décoration peinte. La décoration, manifestement, n’y est pas mentionnée. Seul le fait que l’inscription elle-même soit peinte – et non lapidaire – nous permet peut-être d’associer son exécution au reste des travaux de décoration murale de l’édifice. Dans tous les autres cas où l’on a pu arriver à préciser une datation, de manière toujours approximative, cela a été grâce à des données indirectes. C’est le cas de la datation de Saint-Pierre de Burgal (ca 1090)8, les peintures de saint

6   Le cas de Saint-Pierre de Rodes est ici exemplaire. Voir récemment Immaculada Lorés i Otzet, El monestir de Sant Pere de Rodes, Lleida, Edicions de la Universitat de Lleida, 2002 (Memoria Artium, I). 7   En réalité nous devrions avoir recours à d’autres types de documents comme les récits narratifs historiques, les chroniques ou les sermons, entre autres. Un bon exemple, dans notre contexte, est la lettre du moine Garsias (Garsiæ monachi cuxanensis epistola ad Olivam Episcopum Ausonensem de initiis monasterii cuxanensis & de Sacris reliquiis in eo custoditis) se rapportant, entre autres, aux interventions d’Oliba à Cuixà. Pour le texte du moine Garsias, voir Petro de Marca, Marca Hispanica sive limes hispanicus. Hoc est, Geographica & historica descriptio Cataloniæ, Ruscinonis & circumjacentium populorum. Auctore illustrissimo viro… Archiepiscopo Parisiensi, Parisiis apud Franciscum Muguet, Regis & illustrissimi Arhciepiscopi Parisiensis Typographum, 1688 [Éd. facsimilée, Barcelone, Ed. Base, 1998 (coll. Apographa Historica Cathaloniæ, series Historica, I)], cols. 1072-1082) ; pour d’autres textes qui nous informent en matière artistique à l’époque médiévale, le livre de Schlosser reste un ouvrage de base, en particulier son édition critique italienne (Julius von Schlosser, Quellenbuch. Repertorio di fonti per la Storia dell’Arte del Medioevo occidentale (secoli IV-XV). Con un’aggiunta di nuovi testi e aggiornamento crítico-bibliografici a cura di János Végh, Florence, Le Lettere, 1992 (1ère éd. en allemand 1896)). 8   Voir Juan Ainaud de Lasarte, Art romànic. Guia, Barcelone, [Ajuntament de Barcelona], 1973, pp. 82-83. Cependant cette datation a été remise en question récemment, cf. Milagros Guardia, Carles Mancho, « Pedret-Boí o l’origen de la pintura mural catalana », Les fonts de la pintura romànica, (Ed.) M. Guardia, C. Mancho, Barcelona, Servei de Publicacions de la Universitat de Barcelona, 2008, pp. 117-159.

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introduction

Thomas Becket à Sainte-Marie de Terrassa (après 1170)9… Dans tous ces cas, la présence d’une iconographie ou d’un personnage précis a permis d’établir une date avec quelques garanties. Hormis ces cas, tout a été basé sur l’analyse stylistique qui reste imprécise10. La référence à l’archéologie que nous avons faite précédemment n’est pas gratuite. Quand on étudie un ensemble artistique, l’intérêt le plus immédiat est de connaître le plus de données possible sur cet ensemble. Cependant, pour concrète que soit l’étude, l’horizon ultime du chercheur est la compréhension du fait artistique dans son époque et de ses conséquences aux époques ultérieures. C’est cette intention qui a présidé à notre étude. Ce travail aurait pu être la monographie des peintures du haut Moyen Âge de l’église de Sainte-Marie de Terrassa. Sans négliger l’étude de cet ensemble – par ailleurs noyau fondamental de notre travail – c’est le dernier horizon qui nous intéresse : quand et pourquoi; par qui, pour qui et dans quel but; mais surtout, quoi, outre Sainte-Marie, et quelle influence a-t-elle eue ? En définitive, ce que nous tenterons de mettre au jour est ce qui se passait en Catalogne pendant les IXe-Xe siècles dans le domaine artistique, à partir ou au travers de la peinture murale. La nécessité de cette étude naît du constat, en premier lieu, du besoin de résoudre un des problèmes latents de l’historiographie de l’art médiéval en Catalogne11. Depuis les premières études d’ensemble, au début du XXe siècle, jusqu’aux derniers apports, la 9   Sur l’intéressant décor de saint Thomas Becket dans l’église de Sainte-Marie de Terrassa, voir Milagros Guardia, « Sant Tomàs Becket i el programa iconogràfic de les pintures murals de Santa Maria de Terrassa », Locus Amœnus, 4 (1998-1999), pp. 37-58. 10   Il n’est pas fréquent de connaître la date de consécration d’une église dont nous conservons le décor mural. C’est le cas par exemple pour les peintures andorranes de Saint-Sernin de Nagol (Andorre). Les peintures ont été datées, “logiquement”, du moment de la consécration (1055). Voir Pere Canturri, « L’església de Sant Cerni de Nagol i les seves pintures pre-romàniques », Quaderns d’Estudis Andorrans, 4 (1979), pp. 5-17. Nous en avons un autre exemple à Saint-Lizier de Couserans (Ariège) consacrée en 1117. Cet ensemble a été étudié récemment de manière monographique, voir Entre Adriatique et Atlantique. Saint-Lizier au premier âge féodal, (Dir.) John Ottaway, Saint-Lizier, Presses du Sud Imp., 1994. Nous avons déjà cité les exemples de Saint-Clément et Sainte-Marie de Taüll. Pour finir nous pouvons ajouter l’exemple de la décoration de Sainte-Marie d’Arles-sur-Tech, datée par la consécration de 1157. Sur cet ensemble, encore très méconnu, a été mis en place un Programme Collectif de Recherche, dirigée par Mme Géraldine Mallet, auquel nous collaborons justement pour l’étude de la peinture murale. 11   Pour une analyse récente de l’historiographie de l’art médiéval en Catalogne, voir Xavier Barral i Altet, « El Museu Nacional d’Art de Catalunya i l’art romànic català. Història d’una gran col·lecció », Catalunya Romànica, vol. I, Barcelone, Enciclopèdia Catalana, 1994, pp. 195-234.

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recherche a toujours buté sur le même écueil : les débuts. Comment et quand naît l’art médiéval en Catalogne? Jusqu’à présent, cette question n’a jamais reçu de réponse satisfaisante. Des travaux pionniers comme ceux de Josep Puig i Cadafalch ou de Josep Gudiol i Cunill ne pouvaient prétendre, tout en s’y essayant, à une réponse convaincante ; leur but était autre : créer les bases des études d’art médiéval. L’effort de ces initiateurs n’eut pas de postérité. Les événements politiques entraînèrent une quasi paralysie de la recherche scientifique. Ils eurent pour résultat de tout retarder. Un des meilleurs exemples en sont les efforts de Josep Pijoan afin de publier son livre Les Pintures murals romàniques de Catalunya qui vit le jour finalement en 1948 après trois tentatives. Josep Puig i Cadafalch eut moins de chance, lui qui ne vit pas publiée la seconde édition de l’Arquitectura romànica a Catalunya, bien que le tirage du premier volume ait été déjà entrepris12. Le coup d’État, la Guerre de 1936-1939 et la dictature ne furent pas cependant les seuls obstacles. Le résultat fut que les recherches de Josep Gudiol i Cunill, Josep Pijoan ou Josep Puig i Cadafalch, entre autres, n’eurent pas le bonheur d’être poursuites. Mis à part des travaux comme ceux de Joan Ainaud, on fit peu de progrès jusqu’à la seconde moitié des années soixante-dix. Parler du devenir d’études comme celles de Ch. R. Post, Th. L. Kuhn ou E. W. Anthony est encore plus ingrat. Dans la plupart des cas, et encore aujourd’hui, ils sont cités mais pas lus. L’éclosion des études sur l’art médiéval en Catalogne connaît un âge d’or à la fin des années soixante-dix et pendant les années quatrevingts. À cette époque voient le jour les volumes correspondants de l’Història de l’Art Català signés par Núria de Dalmases et Antonio José i Pitarch (1986) ; apparaissent la collection Artestudi et la revue Quaderns d’Estudis Medievals (1980-1988) et est lancée l’œuvre Catalunya Romànica (1985-1998)… En matière de peinture, c’est l’époque où Joan Sureda écrit La pintura romànica a Catalunya (1981) et La pintura románica en España (1985), à la fois synthèses et catalogues, à propos de la peinture murale et de la peinture sur bois. Le résultat de cette période est un grand nombre de publications de tout type mais de qualité inégale. Cependant la spontanéité de ces entreprises a laissé de côté, dans de nombreux cas, la recherche de   Voir à propos de cette révision du texte original le prologue de X. Barral à la dernière édition (Josep Puig i Cadafalch, Antoni de Falguera, J. Goday, L’arquitectura romànica a Catalunya, 3 vol., Barcelone, Institut d’Estudis Catalans, 1909-1918 (éd. facsimilée, Barcelone, IEC-Generalitat de Catalunya, 1983) (nouvelle édition facsimilée éd. par M. Xavier Barral, Barcelone, Generalitat de Catalunya, 2001), en part. vol. I). 12

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sources permettant d’aller au-delà d’attitudes militantes, louables, mais sous certains aspects parfois proches du folklore. À nouveau, l’étude de la genèse de l’art médiéval en Catalogne restait en attente. J. Puig i Cadafalch avait commencé l’étude de l’architecture romane à partir de l’étude de l’architecture romaine en Catalogne ; c’était un essai de réponse. Un article du même auteur, souvent cité mais rarement lu et pour cette raison sans doute surévalué, « De la pintura romana a la romànica catalana. Esbós de la introducció al seu estudi » (1947), montre l’impossibilité à cette époque de répondre à notre question à partir de la peinture murale. Il s’agit d’un article étrange et hâtif. Il a peut-être eu pour but principal de contredire le texte beaucoup plus intéressant et suggestif de J. Pijoan13, bien que cet auteur non plus ne résolve pas le problème. Plus près de nous, plusieurs tentatives pour aborder cette question se sont fait jour. Si nous nous limitons à l’époque la plus récente nous devons surtout nous référer à N. de Dalmases et A. José14 et à X. Barral15. Dans les deux cas cependant nous avons affaire à des œuvres générales qui embrassent de trop vastes domaines. Ceci favorise un discours qui adopte, d’une part, un ton généraliste et, d’autre part, aspire à inventorier exhaustivement les œuvres conservées. Malgré l’apport de ces travaux de valeur, les arbres y cachent la forêt. Dans l’étude présente, à travers l’analyse de la peinture murale, nous tenterons de donner quelques pistes sur ces débuts de l’art médiéval en Catalogne. Choisir comme noyau central d’une thèse la peinture en Catalogne aux IXe-Xe siècles peut sembler audacieux, surtout en raison des matériaux qui en ont survécu16. Il faut comprendre ce défi dans le contexte historique et historiographique que nous sommes en train d’exposer. Aujourd’hui ont été réalisés les catalogues et les corpus nécessaires, tant pour le haut Moyen Âge et le Moyen Âge central17 que pour le monde tardo-antique18. Le moment est donc venu d’analyser les maté Josep Pijoan, Monumenta Cataloniæ, vol. IV. « Les Pintures murals romàniques de Catalunya », Barcelone, Ed. Alpha, 1948. 14   Núria de Dalmases i Balanyà, Antonio José i Pitarch, Història de l’Art Català, I. Els Inicis i l’Art Romànic, s. IX-XII, Barcelone, Ed. 62, 1986. 15  Xavier Barral i Altet, L’art pre-romànic a Catalunya. Segles IX-X, Barcelone, Ed. 62, 1981. 16   De fait, quelque camarade nous a même attribué le titre de “spécialiste de la peinture effacée en Catalogne”. 17   Catalunya Romànica, XXVII vol., Barcelone, Enciclopèdia Catalana, 1984-1998. 18  Voir Del Romà al Romànic. Història, art i cultura de la Tarraconense mediterrània entre els segles IV-X, (Dir.) Pere de Palol, Barcelone, Enciclòpedia catalana, 1999. Cette œuvre reste à faire pour le bas Moyen Âge. Le travail a déjà commencé – toujours à l’initiative d’Enciclopèdia Catalana – sous la direction d’Antoni Pladevall et sous le titre de L’art gòtic a Catalunya. 13

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riaux inventoriés et de voir ce qu’ils nous expliquent. Personne ne peut croire que le but final était la réalisation des corpus ; le travail commence à partir de l’établissement du corpus ! Par ailleurs, il n’y aurait aucun sens à ce que l’analyse affectât tous et chacun des domaines artistiques, depuis l’architecture jusqu’aux objets. Devant l’obligation de choisir, nous avons choisi la peinture. Les raisons de choisir la peinture sont sa sophistication, sa délicatesse et sa contingence. À qui connaît par avance les peintures étudiées dans ce travail, ces trois qualificatifs pourront paraître excessifs. Par sophistiquée, nous voulons dire que la peinture, en tant que discipline, dépend d’une technique et d’un apprentissage bien précis afin de donner des résultats optimaux ; par délicate, le fait qu’avec les tissus et l’orfèvrerie c’est une des productions les plus difficiles à conserver ; par contingente, nous voulons dire qu’elle n’est pas nécessaire. Ces trois aspects impliquent que c’est seulement dans certains cas que l’on produit une peinture d’une certaine qualité et ceci fait de la peinture un magnifique observatoire pour comprendre le moment de sa création. Les rares vestiges conservés, la typologie des travaux publiés, etc., ont conduit à ce que, sur la peinture du haut Moyen Âge en Catalogne, il n’y ait pratiquement aucune étude. Si nous lisons ce qui a été écrit jusqu’à présent, nous pourrions penser qu’il n’y a même pas de production artistique, et par conséquent rien à expliquer. En réalité, nous possédons la peinture murale. Peu de vestiges. Suffisants en tout cas pour construire un discours. Au vrai, plus importants qu’en d’autres lieux. Et, en fin de compte, réclamant une explication. Ceci est une raison supplémentaire pour choisir la peinture. Tout dans ce travail part d’une re-formulation. Le livre débute par une première partie où nous plaçons les bornes historiques et artistiques. Nous commençons par une présentation du panorama de la peinture en Europe aux IXe-Xe siècles. Après cela, nous exposons les particularités de notre territoire pendant l’antiquité tardive. Nous justifions ainsi ce qui, à notre avis et à la différence de ce qui se passe en d’autres régions d’Europe, est une rupture absolue du monde médiéval avec le monde antique par la lente agonie de celui-ci jusqu’à l’arrivée des musulmans. Il est obligatoire, à ce point, de faire un bref exposé du processus historique qui, à partir de la conquête carolingienne, affecte, avec de nouvelles perspectives sociales culturelles et artistiques, la Catalogne jusqu’au XIe siècle. Une fois défini ce cadre, commence l’analyse de la peinture.

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Cette deuxième partie commence par un rappel de ce que fut l’étude de la peinture murale en Catalogne. Ceci doit nous permettre de comprendre beaucoup des théories et des points de vue des chercheurs depuis les premières découvertes à la fin du XIXe siècle jusqu’à nos jours. Dans ce livre nous ne nous occupons que de la peinture murale, mais nous gardons à l’esprit cependant une autre peinture, l’illustration des manuscrits, à laquelle elle est intimement liée. Nous avons cru opportun de consacrer un chapitre de contexte aussi à cette production, afin de disposer d’un maximum d’éléments pour évaluer la peinture murale. À partir de ce point débute l’analyse des ensembles muraux connus. Ces dernières années, on a mis en lumière, en outre, à quel point est importante la topographie de la décoration des édifices. Bien que nos ensembles peints ne permettent pas de tirer beaucoup de conclusions à ce propos, nous n’avons pas résisté à la tentation d’inclure aussi quelques considérations sur cet aspect. Nous commençons par ceux qui montrent, probablement, le lien le plus clair avec le monde carolingien. Nous pensons, en premier lieu, aux vestiges carolingiens du Museu d’Història de Barcelona (MUHBA) et aux décors provenant de l’ensemble des églises de Terrassa. Immédiatement après, nous traitons d’un ensemble pour lequel, au fur et à mesure qu’avançait notre étude, nous avons éprouvé une admiration croissante, celui des peintures disparues de Campdevànol. Cet ensemble nous a permis d’établir des relations vraiment insoupçonnées au début de notre étude. Pour finir, nous abordons les complexes peintures anciennes de Saint-Cyr de Pedret. L’étude stylistique et iconographique de chacun de ces ensembles doit permettre d’insérer la production catalane dans celle de l’Europe. C’est dans cette relation que l’on peut vérifier ce qui se passe, et pourquoi, en Catalogne. Nous trouvons-nous dans un cas, comme celui de l’Irlande, où ce qui est importé depuis Rome est ce qui détonne sur un substrat étranger ? Sommes-nous devant un cas semblable à celui de Rome présentant pratiquement une continuité ininterrompue depuis le IVe siècle ? Est-ce similaire à la situation franque d’abord, puis germanique, où l’action des intellectuels dans une cour permet de brefs mais intenses moments de qualité ? Voilà quelques-unes des questions auxquelles nous voulons répondre dans ce travail. La finalité ultime de cette étude est de donner une base pour un débat ultérieur, sur l’autre point obscur de la peinture murale en Catalogne : le XIe siècle19. 19   Dans le contexte de notre étude, le paragraphe suivant de l’œuvre déjà citée de Francovich (G. Francovich, « I problemi della pittura … », pp. 407) est lourd de sens : “…riesam-

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Le présent livre est le résultat de la révision de la thèse de doctorat que nous avons soutenue à l’Université de Barcelone en avril 2003. Nous insistons sur le fait que ce texte n’est pas simplement la publication de ce travail mais bien une révision et une actualisation. Ainsi nous en avons changé la structure, nous avons actualisé autant que possible les notes et la bibliographie, tâche toujours difficile compte tenu du lourd parcours d’édition, et nous y avons incorporé les suggestions que nous ont faites les membres du jury qui évaluèrent cette thèse. Également, nous avons ajouté un addenda sur les peintures de Saint-Pierre de Terrassa car le développement de notre recherche l’a fait nécessaire. Le long processus de publication de ce livre a fait que dans ce temps, soient étés publiés quelques ouvrages sur l’ensemble de Terrassa. Notre bibliographie s’arrête au décembre 2007, après cette date on trouvera: Montserrat Claveria, Antonio Moro García, Isabel Rodà, « Sarcófagos e inscripciones hallados en las recientes excavaciones de Sant Pere de Terrassa (Égara, Barcelona », Le Due Patrie Acquisite. Studi di Archeologia dedicati a Walter Trillmich. Roma, «L’Erma» di Bretschneider, 2008 M. Gemma Garcia i Llinares, Antonio Moro García, Francesc Tuset Bertrán, La seu episcopal d’Ègara. Arqueologia d’un conjunt cristià del segle IV al IX, Tarragona, Institut Català d’Arqueologia Clàssica, 2009 (Sèrie documenta, 8) Domènec Ferran, « Ecclesiæ Egarenses ». Les esglésies de Sant Pere de Terrassa, Barcelona, Caixa Terrassa – Lunwerg, 2009 Ces travaux ne semblent pas modifier nos interprétations sur l’ensemble de Terrassa. Cependant, il faudra une analyse attentive de ces

inare il problema della cronologia della pittura medioevale catalana, che mi sembra avviato, e da tempo, su di un binario morto. Com’è possibile, mi chiedo, che tutto l’imponente insieme di affreschi catalani, riuniti oggi nella maggior parte nel mirabile museo –uno dei più belli del mondo– della città di Barcelona, risalga, quasi senza eccezione, al secolo XII, come vogliono tutti gli studiosi che se ne sono occupati, mentre nulla, o quasi, spetterebbe all’XI secolo? La cosa appare del tutto inverosimile… ». L’auteur recherche les causes de ce vide dans l’influence des études de P. Deschamps, pour la France, sur les historiens catalans. En réalité le problème est autre. Pourtant la question était déjà posée : comment expliquer qu’il n’y ait rien au XIe siècle ?

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nouveautés que, sans doute, doivent nous permettre d’améliorer notre connaissance de ce complexe ensemble. Malheureusement, il n’y a pas de nouveautés, à notre connaissance, sur les autres ensembles dont nous nous occupons dans cette étude. Par contre, à niveau européen, on a fait des grands progrès que nous obligeront a modifier partiellement notre première partie sur l’état des connaissances de la peinture en Europe. Le recueil bibliographique de ces nouveautés ne contiendrait pas dans ce bref avertissement. Nous prendrons comme exemple significatif le progrès des études sur l’ensemble de Son Jon à Müstair et l’excellente publication de l’ensemble peint (Jürg Goll, Matthias Exner, Susanne Hirsch, Müstair: Le pitture parietali medievali nella chiesa dell‘abbazia, Müstair, Verlag Neue Zürcher Zeitung, 2007). *

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Depuis qu’avec Milagros Guardia nous nous sommes embarqués dans ce travail, nombreuses ont été les personnes qui d’une manière ou d’une autre nous ont aidé. Ces lignes, qui peuvent sembler convenues, leur sont destinées. En premier lieu, je voudrais remercier celle qui pendant de longues années a été ma compagne, Núria Clua, tout ce qu’elle m’a offert et tout ce que nous avons vécu. Il n’est pas facile de partager la vie d’un chercheur. À mes parents, Pepitu et Rosa, et à ma sœur, Cristina, et mes frères, Xavier et Òscar, qui ne se sont pas lassés de l’être. Mes remerciements à Milagros Guardia ne tiendraient pas ici. Je veux aussi remercier mes amis Mireia Sacristán, Ángel García et Amador García, qu’ils le restent toujours. Je suis également reconnaissant aux membres du groupe de recherches Ars Picta, Imma Lorés et Manuel Castiñeiras, avec lesquels j’ai eu l’occasion de discuter de nombreux aspects de ce travail. Et aussi à Maria Eugenia Ibarburu, un peu responsable du fait que je me sois consacré à ce sujet. Remercier aussi mes collègues du département d’Histoire de l’Art de l’Universitat de Barcelona, qui rendent plus supportable ce travail souvent difficile qu’est l’enseignement, et en particulier Maria Bagur, Joan Domenge, Carme Narvàez et Sílvia Canalda. En définitive, je veux remercier tous ceux qui ont été à mes côtés, à un moment ou à un autre, et qui ont supporté ma double personnalité de compagnon ou d’ami et de doctorant. Ils ne pouvaient pas savoir, et moi non plus, à quel point quelqu’un peut changer quand arrive la thèse. À eux, toutes nos excuses et notre reconnaissance. Je veux remercier Elena Alfani pour toute l’aide fournie, en m’aidant à trouver des articles en 30

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Suisse, en discutant d’iconographie à Rome et en lisant à toute vitesse la thèse afin que je puisse obtenir la mention de Docteur Européen, Cécile Treffort pour son aide en épigraphie et pour les textes médiévaux et Giuseppe De Spirito pour tant de discussions à Poitiers. Je veux remercier les membres du jury qui ont jugé ce travail de manière si positive alors qu’il ne s’agissait que d’une thèse de doctorat à soutenir : Eduard Carbonell, Éric Palazzo, Xavier Barral, Manuel Castiñeiras et M. Rosa Terés. Je veux remercier spécialement Éric Palazzo pour son accueil, et celui de sa famille, ainsi que pour m’avoir proposé immédiatement de publier cette étude et pour son aide jusqu’à la dernière correction. Sur le plan institutionnel, je veux remercier M. Domènec Ferran, Directeur du Museu de Terrassa, M. Joaquím Calderer, Directeur du Museu Diocesà de Solsona et les archéologues Francesc Tuset et Antoni Moro, directeurs des fouilles de l’ensemble de Terrassa, ainsi que Mme Clara Payàs, restauratrice des peintures de Saint-Michel de Terrassa ; Mmes Júlia Beltrán et Lídia Font, respectivement conservatrice et restauratrice, du Museu d’Història de Barcelona (MUHBA) ; Mme Gemma Ylla-Català et M. Jordi Camps du Département d’art Roman du MNAC ; le personnel du Servei de Patrimoni Arquitectònic Local (SPAL) de la Diputació de Barcelona… D’eux tous la collaboration m’a été indispensable. Pour réaliser ce travail ont été aussi indispensables un séjour de trois mois au CÉSCM de Poitiers, dont je veux remercier d’ici le personnel pour son amabilité, et plusieurs mois aux bibliothèques Hertziana et de l’American Academy de Rome et Apostolique du Vatican. Nous remercions ces institutions pour les facilités qu’elles nous ont donné pour travailler dans ces centres, et le Departament d’Universitats, Recerca i Societat de la Informació (DURSI) de la Generalitat (gouvernement de la Catalogne) pour l’attribution de la bourse de six mois (BE2000) qui nous a permis de faire ces séjours à l’étranger. Il nous faut aussi remercier le Ministerio de Ciencia y Tecnología del Gobierno de España car ce travail a été réalisé dans le groupe de recherche Ars Picta, grâce aux projets financés PB98-1212 et BHA2002-00793. De même, nous remercions l’Universitat de Barcelona pour l’attribution d’une autorisation qui nous a permis de nous absenter pendant un an pour accomplir ces stages. Nous devons également remercier les jurys qui ont décidé de nous octroyer le Premi extraordinari de Doctorat (2004) et le IXe Premi Claustre de Doctors (2005) de l’Université de Barcelone pour la meilleur recherche soutenue en 2003.

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Em cal esmentar encara dues persones sense les quals la publicació d’aquest llibre no hauria estat possible. Aymat, haver pensat en tu per a la traducció del català al francès va ser un encert i que acceptessis una gran sort. Gràcies per tots els comentaris i per la cura, la diligència i la paciència que has dedicat a aquesta tasca i per ser « el meu primer lector en francès ». Elena, sóc feliç de tenir-te al costat i de què m’empenyis a tirar endavant els milers de projecte que sempre tinc al cap. Barcelona-Roma, décembre 2007

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La Catalogne épuisée, VIe-VIIIe siècles

Haut Moyen Âge Nous avons choisi le terme de haut Moyen Âge pour situer historiquement notre travail. On aurait pu parler d’art ou de peinture pré-romans. Le choix, par conséquent, n’est pas fortuit. Alto-médiéval et haut Moyen Âge sont des termes qui se sont imposés progressivement sur le plan européen à partir des études historiques, bien qu’il faille sans doute encore discuter un peu de leur utilisation1. Le terme est utile car, intuitivement, il nous place dans l’époque la plus éloignée que nous pouvons identifier comme médiévale. Il est cependant problématique au moins en un sens : chacun l’applique à sa façon. Ainsi chaque fois que nous parlons d’art alto-médiéval ou du haut Moyen Âge, nous nous sentons – et nous sommes de fait – obligés de préciser en quels siècles nous nous situons. Nous pourrions penser par conséquent que ce n’est pas une appellation très pertinente si elle a besoin de tant de compléments pour être comprise correctement. À notre avis, c’est justement pour cette raison qu’il s’agit d’une dénomination pertinente. En prenant une série d’études récentes à titre d’exemple, nous pourrons voir comment est utilisé l’adjectif alto-médiéval. Piotr Skubiszewski2 parle de haut Moyen Âge en comprenant qu’il commence aux Ve-VIe siècles et finit au IXe siècle. Si nous regardons par contre l’œuvre coordonnée par C. Bertelli3 sur la peinture alto-médiévale en Italie, nous comprendrons que ce haut Moyen Âge commence aux IVe, Ve ou VIe siècles et finit aux XIIe ou XIIIe siècles. Pour S. Lomartire4 le haut Moyen Âge commencerait au Ve siècle et finirait aux Xe  Voir V. H. Elbern, sv. ‘Alto Medioevo’, Enciclopedia dell’Arte Medievale, I, Rome, Enciclopedia Italiana, 1991, pp. 473-478. 2  Piotr Skubiszewski, L’art du haut Moyen Âge. L’art européen du VIe au IXe siècle, Paris, Libr. Générale Française, 1998 (Encyclopédies d’Aujourd’hui) (1e édition en italien « L’arte europea dal VI al IX secolo », Storia Universale dell’Arte, III. La Civiltà dell’Occidente, (Dir.) Enrico Castelnuovo, Turin, UTET, 1995). 3   La pittura in Italia. L’Altomedioevo, (Ed.) C. Bertelli, Milan, Electa, 1994. 4  Saverio Lomartire, Giovanni Valagussa, « Le origini », La pittura in Europa. La pittura italiana, 1, Milan, Electa, 2000, pp. 17-89. 1

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première partie

XIe siècles. Si nous nous référons aux œuvres de C.R. Dodwell5 ou de P. Lasko6, le haut Moyen Âge commence au IXe siècle et finit au XIIe siècle. Comme toujours en histoire de l’art, les questions de terminologie posent problème. Il ne s’agit pas seulement de trouver un terme approprié pour cette période, mais surtout de la délimiter. L’écueil principal pour cette question consiste à savoir quand s’achève le monde antique et quand commence le Moyen Âge. Ce n’est pas ici le lieu de résoudre un problème persistant comme celui-ci. Mais nous voulons cependant souligner quelques aspects qui nous permettent d’éclairer la question, en justifiant par la même occasion ce que nous entendons de notre part par art du haut Moyen âge, et comment on doit l’appliquer à notre contexte. La question est essentielle, à notre avis, pour comprendre ce qui se passe en Catalogne.

La fin de l’Antiquité C’est une évidence, tout le monde l’acceptera, l’idée que le monde antique, dans l’Europe occidentale romanisée, s’achève quand disparaît l’entité que nous connaissons sous le nom d’Empire romain. La solution du problème passe par conséquent, par savoir quand s’éteint cette entité. Le premier inconvénient vient de la certitude que l’Empire ne disparaît pas tout entier et d’un seul coup, mais que peu à peu les éléments qui le composaient disparaissent progressivement ou, plus souvent, se transforment en d’autres réalités. Il est évident aussi que toute la population de cet Empire n’avait pas le même degré de romanisation. Malgré l’unification certaine qu’avait supposé son implantation, il faut préciser que le territoire n’était pas culturellement homogène. En réalité il était devenu de moins en moins homogène pendant que s’accentuait le procès de provincialisation amorcé durant le IIe siècle de notre ère. Pour l’époque qui nous intéresse, l’Antiquité tardive, l’apogée de ce processus avait eu pour résultat des réalités très différentes dans les divers centres de romanité. Pour la Péninsule ibérique à ces facteurs s’ajouterent les différences du niveau de base de romanisation déjà très   C. R. Dodwell, Artes pictóricas en Occidente, 800-1200, Madrid, Cátedra, 1995 (2e éd. révisée) (coll. Cuadernos de Arte Cátedra) (1e publication en anglais : Yale, Yale Univ. Press, 1993). 6  Peter Lasko, Arte Sacro, 800-1200, Madrid, Cátedra, 1997 (coll. Manuales de Arte Cátedra) (2e éd. en anglais Londres-New Haven, Yale University Press, 1994). 5

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la catalogne épuisée, vie-viiie siècles

grandes. Le niveau atteint par la Bétique était très supérieur à celui qu’atteignirent jamais la Gallæcia ou la Tarraconense atlantique. En réalité, les différences pouvaient être surprenantes même dans des zones supposées romanisées comme la Tarraconense méditerranéenne. En s’éloignant de la côte et en se dirigeant vers l’intérieur, la densité de cités et de peuplement diminuait notablement. Dans une conception urbaine du monde telle que celle de Rome, ceci conduit à conclure que la majorité de la population qui habitait la zone pyrénéenne intérieure ne devait pratiquement pas être romanisée. D’un point de vue religieux, linguistique, et en définitive culturel, cette population est passée d’un stade pré-romain à un stade post-romain, ceci est très évident, par exemple, dans le domaine linguistique. Nous parlons de la Catalogne, mais nous pourrions parler des Îles britanniques, et les problèmes seraient les mêmes. Plus complexe encore serait l’analyse des zones frontalières. Ainsi, c’est bien la culture romaine elle-même qui manque d’homogénéité ou d’une implantation homogène et peut-être des deux. Une démonstration claire de ce fait peut se trouver dans le type de production artistique du bas Empire7. Par sa genèse et par son évolution, donc, le paradigme artistique romain était complexe. Quand du point de vue de l’analyse d’époques postérieures on parle d’art antique ou, plus précisément, d’art classique, pour se référer à l’art romain impérial, il est évident qu’il s’agit d’une simplification, même si on n’y pense pas toujours. Cette simplification est celle qui a favorisé et diffusé une image faussement homogène qui conduit à une analyse erronée de l’art romain. Ces prémisses montrent clairement que la disparition de l’entité «Rome» ne devait – ne pouvait – avoir de conséquences uniformes dans un vaste territoire où, de fait, elle s’était superposée de manière moins uniforme que ce qui pouvait sembler au premier coup d’œil. La conséquence la plus nette de la disparition de Rome en tant que modèle organisateur allait être l’arrivée des populations germaniques. Une caractéristique commune à presque toutes celles-ci est qu’elles partageaient une certaine romanité, fruit d’une relation plus ou moins directe avec l’Empire pendant de longues années, et dont   Il ne convient pas d’exposer ici la théorie synthétisée dans l’expression “art plébéien”, de R. Bianchi Bandinelli (Del Helenismo a la Edad Media, Madrid, Akal, 1981 (coll. Akal Universitaria. Serie : Historia Antigua, 11), pp. 35-45). L’article “Arte Plebea” paraît pour la première fois dans Dialoghi di archeologia, I, 1967, pp. 7-19 et formule une proposition indispensable afin de comprendre une bonne part de la production artistique romaine ainsi que l’immense disparité conceptuelle et esthétique qui s’y trouve. 7

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première partie

nous pouvons donner un exemple à travers leur appartenance à une même religion, la religion chrétienne, bien que d’origine arienne. En réalité, comme ce fut le cas dans la Péninsule, ces nouveaux venus se présentent – et plus encore se légitiment – comme garants de la continuité de l’Empire. Un trait commun à ces peuples germaniques est aussi leur tendance à la sédentarisation et à l’utilisation optimale des structures préexistantes. L’arrivée de ces peuples germaniques et leur installation en divers territoires, de la même façon que la survivance de l’Empire en Orient et son intervention plus ou moins réussie, plus ou moins intermittente, en Occident, sont des facteurs nets de fragmentation territoriale. Si à nouveau nous tournons nos regards vers la Péninsule ibérique, un autre facteur d’éclatement peut être identifié à l’intérieur des territoires organisés par chacun de ces peuples germaniques : la séparation entre la population d’origine romaine et celle d’origine germanique. Les relations personnelles, religieuses, économiques entre ces deux groupes de population restèrent médiatisées pendant longtemps à travers une séparation légalement codifiée. Nous pourrions poursuivre dans cette analyse, mais nous constaterons seulement comment, d’un point de vue structurel, les différences territoriales seules s’accentuent à partir d’une base apparemment commune. Le nombre de facteurs peut être très élevé. Tout dépend du degré de précision que nous sommes disposés à atteindre. Étant donné ce panorama, la question que nous posons est celle-ci : peut-on avec ces données espérer concevoir une réalité uniforme, pas seulement en matière d’art mais quel que soit le sujet, pour l’Europe occidentale romanisée ? La réponse est négative ; par conséquent il semble que cela n’ait aucun sens de chercher une date pour la fin du monde antique parce que cette fin n’eut pas de date. Nous pouvons inventer des dates plus ou moins évidentes. La victoire de Constantin (312), la fondation de Constantinople (330), la division de l’Empire (395), le sac de Rome par Alaric (410) ou la déposition du dernier empereur d’Occident, Romulus Augustule (476). En réalité, aucune de ces dates n’est rien de plus qu’une borne d’un processus lent et complètement imperceptible pour la population de l’époque8. Si nous abandonnons ces aspects si généraux et nous nous concentrons sur ceux qui nous concernent directement, il est évident que la 8   Ceci est nettement clair pour les événements historiques. Pendant qu’à Rome nous relevons ces dates, dans la Péninsule ibérique, par exemple, se déroule l’occupation définitive de Tarragone par Euric, autour de 470-475 de notre ère, voir Pere de Palol, « El final del domini romà a la Tarraconense i la seva incorporació al regne visigòtic », Del Romà al Romànic. Història, art i cultura de la Tarraconense mediterrània entre els segles IV-X, Barcelone, Enciclopèdia Catalana, 1999, pp. 36-44, en part. 38.

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réalité artistique de chacun des territoires de l’Empire était, et allait devenir, différente. Pourtant, comme pour le discours historique général, le commencement de cette fin n’a pas de date, ou, mieux, chaque territoire a sa date différente. À Byzance, nous pourrions supposer la rupture au milieu du VIIIe siècle, quand débute la querelle iconoclaste9. Mais même cette césure est douteuse. Il est évident que la question iconoclaste entraîna des changements, mais d’un point de vue culturel et mental, Constantinople continuait à être Rome et tout changement s’inscrivait dans la continuité particulière d’un Empire vivant. La preuve de cette vitalité est le renouveau que Byzance a apporté, périodiquement, à l’Occident – de même qu’à l’Orient musulman. Dans la partie occidentale, par contre, il est impossible d’assimiler ce qui se passe dans la ville de Rome aux Ve-VIIIe siècles avec ce qui arrive dans l’ancienne Gaule, les Îles britanniques ou l’Hispania dans la même période. Nous traiterons plus loin des questions concrètes qui corroborent, nous le croyons, cette opinion. Pour l’instant, et en considérant toutes ces différences, nous pouvons déjà dire cependant que le signe clair de la disparition du monde antique est l’apparition de réalités différentes dans les territoires surgis de la fragmentation du domaine impérial. Il ne suffit pas de dire que la «chute de l’Empire romain» est un processus, il faut dire que c’est un processus qui suit un rythme régulier tant que l’Empire peut maintenir la cohésion de ses territoires (IVe siècle), mais qu’une fois que l’Empire ne parvient plus à conserver cette cohésion, devient une crise dissymétrique. C’est dire que le dernier effet de la disparition de l’Empire serait son impuissance à maintenir un rythme de transformation égal dans tous ses territoires.

En conséquence, dans chaque territoire, la disparition de l’Empire suivit un processus différent. Différent dans les dates, différent dans le rythme, différent dans les conséquences… jusqu’à parvenir à ce point d’inflexion qui séparait la lente disparition du monde antique de la lente apparition du monde médiéval. En toute logique, cette apparition non plus ne survient pas d’un coup et n’a pas de date. Ainsi, si l’on a pu accepter que toute cette succession historique est un processus, il faut aussi accepter que c’est un processus asymétrique. Ceci étant dit, on peut comprendre que, selon le point de vue que l’on adopte, le haut Moyen Âge commence à un moment ou à un autre. Ceci ne veut pas dire que n’importe quelle opinion soit valide, mais qu’il convient de concevoir les limites avec plus de souplesse.

9   Voir John Julius Norvich, Breve historia de Bizancio, Madrid, Cátedra, 2000 (1e éd. en anglais, 1988), pp. 129 et suiv.

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Hispania Pour en revenir à notre cas, l’ancienne Hispania est un des secteurs éloignés de l’Empire. Un des premiers territoires en dehors l’Italia a avoir été occupé par Rome, mais le dernier des territoires occidentaux à avoir été soumis10. Un territoire assez grand pour, à partir de la disparition des structures centrales, commencer à développer des réalités différentes, y compris divergentes, dans les différentes zones. Pendant les IIIe et IVe siècles c’était un lieu relativement bien relié à l’ancienne métropole, Rome, mais surtout et particulièrement avec la nouvelle métropole occidentale, Carthage. La production artistique que nous conservons pour cette époque révèle justement ces deux faits11. Les études récentes montrent que ces siècles de l’Antiquité tardive coïncident, en Tarraconnaise méditerranéenne, avec une production locale en constante diminution. Il n’est pas aventureux de supposer que sur ce territoire on vivait des importations et des remplois (voir infra). Voilà la situation dans le territoire de la future Catalogne. Il est important de le souligner parce que la situation dans d’autres lieux de la Péninsule est sensiblement différente et ceci est déterminant pour arriver à distinguer les divers «haut Moyen Âge» hispaniques. Si, à côté de la réalité de la Tarraconnaise méditerranéenne, nous évaluons la situation de l’intérieur de la Péninsule, la vision change. Il ne sera pas question d’analyser l’art d’époque wisigothique. Nous n’en soulignerons que quelques aspects, en commençant, là aussi, par son nom. Il est significatif que l’art de cette époque ait été défini par un de ses principaux spécialistes comme art d’époque wisigothe, ou hispanowisigothe et non comme art wisigoth12. La nuance est significative mais 10   Les îles britanniques sont un cas spécial. En premier lieu parce que, en réalité, elles ne furent jamais complètement occupées ; en second lieu par la forte composante celte de leur population. 11   L’étude la plus récente sur la production artistique de cette époque est l’œuvre dirigée par Palol (Del Romà al Romànic…). La double connexion avec Rome et avec Carthage se vérifie en particulier dans la production de la sculpture et de la mosaïque (respectivement pp. 205 et suiv. ; pp.125 et suiv.), v. infra. Voir le travail d’Aquilué (Xavier Aquilué, Relaciones económicas, sociales e ideológicas entre el norte de África y la tarraconense en época romana. Las cerámicas de producción africana procedentes de la Colonia Urbs Triumfalis Tarraco, Barcelone, Publicacions de la Universitat de Barcelona, 1992 (coll. Thèses de doctorat microfichées UB, nº 1275)) pour les relations commerciales de la Tarraconaise avec le reste de la Méditerranée à travers la céramique et spécialement avec l’Afrique. 12   Voir par exemple Pere de Palol, « Esencia del arte hispánico de época visigoda : romanismo y germanismo », « I goti in Occidente : Problemi » III Settimana di Studio del CISAM,

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inhérente à la formation culturelle de ce peuple. Quand cette tribu entre en Hispania elle le fait en tant que représentante de l’autorité impériale, afin d’expulser les Suèves et les Vandales et pour garder le territoire sous contrôle au nom de l’Empereur. Les différences avec les Goths d’Italie sont nombreuses mais sur ce point précis elles disparaissent. Il est évident que les moyens et la position de Théodoric ne sont pas comparables à ceux d’Alaric ou d’Ataulf mais eux tous étaient mus par la même mission : agir au nom de l’Empereur. Les événements sont connus dans les deux cas. Nous nous bornerons à dire que dans ces deux régions, à partir d’une certain moment, la distance ou la disparition du pouvoir central conduira chacun des chefs à assurer la continuité de l’Empire dans son territoire respectif. En simplifiant beaucoup, nous dirons que c’était cette mission et cet Empire – qui avait fini de disparaître – qui justifiaient leur commandement sur le territoire où ils étaient établis. Mentalement, par conséquent, il n’y avait aucune rupture avec le passé, pas encore. On peut dire, si l’on veut, que l’on est en train de maintenir de manière fictive une chose qui s’évanouit. Cet effort de conservation n’ayant pas le même point de départ, le résultat final ne pouvait pas être le même. Mais l’esprit qui les anime est bien le même. Car à Ravenne comme à Tolède l’intention est de maintenir l’image et l’esprit de Rome. Évidemment, puisqu’il ne s’agit pas encore d’une «récupération de Rome», nous ne sommes pas face à une rupture. Les Wisigoths continuent à faire un art romain, leur art romain. N’oublions pas que l’élément wisigoth n’est qu’une minorité au sein de la population hispanique13. Il est juste de dire qu’il y a quelques apports14 et surtout une simplification technique. Dans la sculpture on abandonne le trépan et on opte pour le ciseau. En architecture on n’est plus capable de travailler avec du cæmentitium mais on sait toujours tailler la pierre15. Quant à l’existence de peintures, il n’est pas possible d’en douter. Le canon d’Elvira justement est indicatif du fait qu’il existait un décor

Spolète, CISAM, 1956, pp. 56 et suiv. ; Idem, « Arte y arqueología », Historia de España, III. España Visigoda. (Fund.) Menéndez Pidal, Madrid, Espasa Calpe, 1991, pp. 271-428. 13   Luís Ángel García Moreno, « Las invasiones y la época visigoda. Reinos y condados cristianos », Historia de España, II. Romanismo y germanismo, el despertar de los pueblos hispánicos (siglos IV-X), (Dir.) Manuel Tuñon de Lara, Barcelone, Labor, 1983, pp. 245 et suiv., en part. p. 251. 14   Voir par exemple le travail du bronze (Del Romà al Romànic…, pp. 305 et suiv.). 15  Saint-Pierre de la Nave ou Sainte-Marie de Quintanilla de las Viñas en sont de magnifiques exemples.

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mural figuré (voir infra)16. Saint Isidore nous parle de la manière dont est réalisée cette peinture17. Malheureusement nous n’avons pas un Grégoire de Tours18 ni un Venance Fortunat19 ; peut-être avons-nous un Prudence20 ; en tout cas nous n’avons pas un Bède21. Et les dernières études renforcent encore davantage les intuitions de H. Schlunk. Il ne fait pas de doute que la miniature à caractère conciliaire que nous trouvons sur l’Albeldense et l’Émilianense au Xe siècle ne peuvent avoir d’autres sources que pré-musulmanes22. Bien que les vestiges en soient très rares, nous trouvons toute une série d’éléments qui n’ont rien à voir avec une culture des Goths en marge de celle de Rome23. La réalité est que la différence qui séparait les uns des autres était l’arianisme et – compte tenu de l’absence de mariages mixtes – l’ethnie, mais même cela finirait par disparaître, par l’usage et par la loi24. Nous pourrions dire que wisigoths et autochtones sont deux faces d’une même culture qui tendra à converger au cours des VIe-VIIe siècles. Un problème de la plus haute importance pour tous ces peuples envahisseurs fut celui de leur faible poids démographique. On a beaucoup discuté sur le nombre des Wisigoths arrivés dans la Péninsule ; quel qu’ait été ce chiffre, la seule certitude est qu’ils étaient beaucoup moins que les Hispano-romains25. Leur faible nombre et le fait qu’ils 16   Pour le dernier état de la question sur le concile d’Elvira, voir Manuel Sotomayor, « Las actas del concilio de Elvira. Estado de la cuestión », Spania. Estudis d’Antiguitat Tardana oferts en homenatge al professor Pere de Palol i Salellas, Barcelone, Publicacions de l’Abadia de Montserrat, 1996 (coll. Biblioteca Abat Oliba. Sèrie Il·lustrada, 12), pp. 251-266. 17  Isidore, Ethymologiarum, XIX, 16 : De pictura ; 17, De coloribus (v. Isidoro de Sevilla, Etimologias, 2 vol., (éd.) J. Oroz Reta, M.-A. Marcos Casquero, Madrid, BAC, 1993 (2e éd. bilingue)). 18   Grégoire de Tours, Historia Francorum, II, 14 ; II, 16-17 (voir J. Schlosser, Quellenbuch. Repertorio di fonti…, pp. 42-43). 19   Venance Fortunat, Carmina, X, 6 (voir J. Schlosser, Quellenbuch. Repertorio di fonti…, pp. 37-42). 20  Prudence, Dittochaeum, (Aurelio Prudencio, Obras completas, (éd.) Alfonso Ortega, Isidoro Rodríguez, Madrid, BAC, 1981 (BAC, 427), pp. 748 et suiv.). 21  Bède, Homélies, 13 ; Bède, Historia Abbatum (voir Paul Meyvaert, « Bede and the church paintings at Wearmouth-Jarrow », Anglo-Saxon England, 8 (1979), pp. 63-77). 22   v. Joaquín Yarza, « Los inicios de la miniatura Hispana altomedieval », Arte Medievale, 1-2 (1997), pp. 35-59. 23   Del Romà al Romànic…, passim. 24   L. Á. García, « Las invasiones y la época visigoda… », pp. 311. 25   Bien qu’il n’y ait pas de position clairement définie à propos du contingent arrivé ni sur ses caractéristiques, les chercheurs s’accordent à penser à un pourcentage très bas par rapport à la population autochtone. García Moreno (L. Á. García, « Las invasiones y la época visigoda… », pp. 251 et suiv. et p. 286) dit par exemple : « Cuestión muy debatida ha sido la del número de invasores que pudieron penetrar a finales de septiembre del 409. Aunque todas las cifras

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étaient déjà très romanisés devait limiter la capacité d’influence des premiers envers les seconds. Par ailleurs, il faut supposer que, s’agissant d’une minorité, elle devait rester relativement groupée. De cette manière la plus grande «wisigothisation» devait avoir lieu là où était établie la cour. Ceci expliquerait que certaines zones soient restées, en pratique, à la marge. Cette expression «rester à la marge» ne tente pas de donner l’idée d’une ségrégation culturelle. Qui se «séparait», et de quoi ? Étaient-ce les Hispano-romains de la culture qu’ils partageaient avec les Wisigoths ? En de nombreux lieux et époques nous rencontrerons des mouvements partisans ou détracteurs des Wisigoths, mouvements de résistance et mouvements d’adhésion. Le groupe dirigeant wisigoth lui-même montre assez de désaccords internes pour traiter, à certains moments, avec les ennemis dangereux – byzantins, musulmans. Voir le monde wisigoth comme un tout culturellement monolithique est une erreur. En réalité, et avec toutes les précautions nécessaires, il était un sous-produit de la culture romaine. D’autre part, nous parlons d’une production artistique et il n’est pas difficile de penser que, si certaines zones du territoire sont en crise, elles le sont car elles se trouvent loin des centres de décision. C’est sûrement ce qui se passe avec la Tarraconnaise méditerranéenne. Donc, rester à la marge veut dire suivre le même chemin mais sans un noyau dirigeant effectif. En regardant la réalité autour de Tolède et autour de Tarragona, il est facile de supposer que pendant que la première réussissait à catalyser une production, la seconde devait vivre de rentes ou de quelques importations toujours plus rares provenant de lieux de production encore actifs et/ou proches – Saint-Béat, Aquitaine – ou la cour elle-même – Tolède. La différence entre l’une et l’autre n’était pas culturelle, car toutes les deux étaient hispano-romano-wisigothes ; la différence n’était pas politique car le pouvoir central était le même pour tous les territoires ; la différence n’était pas religieuse car la liturgie était la même pour tout le territoire depuis le IIIe Concile de Tolède (589). La différence tenait à la vitalité. Il serait aussi absurde de postuler des ségrégations culturelles, que de ne pas admettre que

que se han dado no pueden ser sino muy aproximativas e hipotéticas, un total para asdingos, silingos, suebos y alanos de 200.000 personas, contando mujeres y niños – lo que no da más de 56. 000 combatientes – parece ser lo más prudente. Dicho número de 200.000 invasores no representaría ni tan siquiera el 5% del total de la Península, que para esta época puede calcularse al menos en unos cinco o seis millones de almas. ».

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la situation ne pouvait être, en aucune façon, homogène26. Ainsi, la même production romaine qui en Tarraconaise était en train de fléchir, était capable à Tolède de continuer à évoluer avec des prémisses différentes27.

Le commencement du Moyen Âge Jusqu’à présent nous avons parlé de culture romaine en sousentendant qu’il n’y a aucune rupture. La rupture dans la Péninsule ibérique surviendra d’une seule secousse et dans tout le territoire en même temps. Quant, tout d’un coup, la Péninsule fut envahie par les musulmans, il y eut sans doute un exode. C’est ce qui explique l’arrivé en Italie de l’Orationale de Vérone (fin du VIIe siècle ; Biblioteca Capitolare di Verona)28. C’est pourquoi nous retrouverons des «Théodulphes» en Gaule29. Malgré tout, cet exode n’a pas conduit tout le monde hors de la Péninsule ; le nord fut un bon refuge. Ceci explique en partie la rapide riposte depuis les Asturies à l’invasion musulmane 30 ; là 26   Comme nous l’avons vu, elle ne l’avait même pas été pendant les époques les plus intenses de la romanisation. 27   Personne ne doute, par exemple, que les cités de Rome et de Constantinople partagent un même fonds culturel romain. Il est logique qu’au moment où s’éteignait l’Empire chaque zone ait suivi sa voie à partir de ce point de départ commun. Pourtant quand Rome – la cité – et Byzance se retrouvent lors de la conquête de Bélissaire, elles vérifient que, bien que se considérant toutes deux les continuatrices de l’Empire, les différences du point de vue artistique étaient, presque, essentielles. Nous parlons dans ce cas de capitales, et du degré le plus haut possible. Que n’est-il pas arrivé dans des territoires désemparés comme la Péninsule ibérique ? 28   Voir Cristina Godoy Fernández, « Topografia cristiana de Tàrraco segons l’Oracional de Verona », Del Romà al Romànic. Història, art i cultura de la Tarraconense mediterrània entre els segles IV-X, Barcelone, Enciclopèdia Catalana, 1999, pp. 81-83. 29   En réalité, la Gaule était le lieu naturel de fuite. Le processus d’établissement des Wisigoths dans l’occident de l’Europe fut complexe et, comme nous le savons, une première stabilisation d’une cour wisigothe eut lieu à Toulouse. Seul l’affrontement ultérieur avec les Francs contraignit au transfert de la Cour dans la Péninsule ibérique. Ceci, cependant, ne devait entraîner qu’une modification relative de l’installation des Wisigoths déjà établis en Gaule. Ainsi, la Gaule en général et le sud de celle-ci en particulier étaient déjà un territoire “naturel” des Wisigoths. Sur l’établissement des Wisigoths à Toulouse entre 418 et 507, voir L. Á. García, « Las invasiones y la época visigoda… », pp. 268 et suiv. 30   Nous disons “en partie” parce que les origines de la révolte contre les musulmans depuis les Asturies sont obscures et complexes. Elles ne résident pas seulement dans l’existence de dirigeants wisigoths mais, surtout, dans un substrat de Cantabro-Asturiens et Vascons, pratiquement pré-romain, hostile à toute domination. Dès l’entente entre ces deux groupes commence un processus qui culmine d’abord dans le royaume des Asturies et ensuite dans le royaume, aux aspirations impériales, de Léon. Cette action n’a pas pour but une quelconque restauration, mais le maintien de l’indépendance dont on avait joui de façon plus

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devait être concentrée une partie de l’aristocratie tolédane, et aussi une partie de ses livres. La complicité des Wisigoths et des autochtones permet rapidement la création d’un fort noyau de résistance. On a pu défendre que la genèse de ce royaume est l’intention de restaurer Tolède. En réalité, et dès que ses monarques sont capables de stabiliser le royaume – avec Alphonse II (791-842) – et de le doter d’une capitale, on observe juste le contraire. La sedes regia Oviedo naît avec la mission de remplacer l’ancienne Tolède. La querelle adoptianiste en sera un excellent outil. La création d’une cour s’accompagne de la munificence royale. Avec la capitale disparaît l’immédiateté de la survie et affleure la préoccupation du sumptus. Une des premières œuvres de cette époque est Santullano. L’église, patronnée par le monarque hors des murs d’Oviedo, est un édifice emblématique. Après les hiatus que nous pouvons trouver dans la production hispano-wisigothe, nous nous trouvons soudainement devant une basilique curieusement décorée en deuxième ou troisième style pompéien31. Le saut est qualitatif. Il n’est pas étrange par conséquent qu’à partir du moment où fut découverte sa décoration picturale, au début du XXe siècle, elle ait commencé à faire partie du groupe choisi d’œuvres énigmatiques. Les propositions ont été dès lors très variées32 ; aucune n’est pleinement acceptée. Ses formes architecturales et le sévère aniconisme de son décor ont été mis en relation avec la cour carolingienne et avec la cour byzantine, mais aucune de ces références n’est vraiment adaptée. Peu de temps après survient un nouveau bouleversement avec les commandes de Ramire I. Le monarque et son épouse consacrent en 848 l’église de Saint-Michel de Liño, dans leur résidence suburbaine au Naranco. Réapparaît alors avec force la sculpture, avec des références romaines indubitables. Face à l’aniconisme de Santullano, on retrouve la figuration tant dans la sculpture que dans ce qui reste de la pein-

ou moins nette pendant les époques romaine et wisigothe. Seule la “wisigothisation” de ces “nordiques” explique le caractère ultérieur des royaumes des Asturies et Léon (v. L. Á. García, « Las invasiones y la época visigoda… », pp. 405-408). À partir de la Catalogne aussi eut lieu un certain mouvement de résistance contre les nouveaux dominateurs (v. J. M. Salrach, Història de Catalunya, pp.120-123), mais dans ce cas il n’eut pas de réussite avant les interventions carolingiennes (Ibid., pp. 414 et suiv.). 31   Au point qu’Abad l’inclut dans son catalogue de la peinture romaine de la Péninsule (Lorenzo Abad Casal, La pintura romana en España, 2 vol., Madrid, Universitat d’AlacantUniversidad de Sevilla, 1982, pp 38-40). 32   Voir en dernière instance Lorenzo Arias Páramo, La pintura mural en el Reino de Asturias en los siglos IX y X, Oviedo, Librería Cervantes, 1999, pp. 21-106.

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ture. Formellement, cela pourrait nous rappeler des créations tolédanes, comme les pilastres du Saint-Sauveur de Tolède. On a essayé de mettre en relation tout ce monde avec le milieu carolingien. J. Yarza33 pour la peinture – en particulier celle des manuscrits – continue à considérer qu’il n’est pas nécessaire d’aller chercher à la cour carolingienne ce que l’on avait déjà à celle des Asturies, en tant qu’héritière et continuatrice du monde wisigoth. En réalité, bien qu’il ne faille pas rejeter ce lien avec le passé récent, les monarques asturiens donnèrent naissance à une renaissance du style de celle promue par Charlemagne, mais à l’échelle asturienne. La pureté des modèles utilisés rend difficile de penser qu’ils proviennent du monde wisigoth34. Par ailleurs on est en train de construire la ville qui prend la succession de Tolède, Oviedo, et pas son héritière. Avec les nuances nécessaires, Tolède est une rivale à battre et pas un modèle à suivre. Une fois établie l’analyse, il est plus difficile de confirmer l’origine des modèles. La présence de certains objets de claire provenance carolingienne, comme la plaque supérieure du coffret des agates35, ainsi que l’action concertée avec les Carolingiens contre l’adoptianisme de Tolède, confirment les contacts entre les uns et les autres36. En ce sens, les deux cours agissaient de manière similaire, bien qu’à des échelles différentes et avec des moyens très inégaux. Dans les deux cas, il s’agit d’une renovatio parce que l’on cherchait à recréer l’époque perdue. La puissance, les moyens et le cadre carolingiens supérieurs

 Joaquín Yarza, « La pittura spagnola del Medioevo : dalla cultura visigotica alla fine del romanico », La pittura in Europa. La pittura spagnola, 2 vol., Milan, Electa, 1995, pp. 15-69 ; bibliographie dans vol. II, p. 545. 34   Nous pouvons donner pour exemple les entailles romaines employées dans la Cruz de los Ángeles (808) ou le modèle d’édifice et de décor de Santullano – de l’époque d’Alphonse II – ou les diptyques consulaires qui se trouvent à la base de la décoration de Liño et de Naranco – de l’époque de Ramire I (842-850) –. Pour la Cruz de los Ángeles voir récemment Lorenzo Arias Páramo, La Cámara Santa de la catedral de Oviedo, Oviedo, Trea, 1998 (coll. Arte prerrománico asturiano), pp. 44-54 ; pour Santullano voir Idem, San Julián de los Prados, Oviedo, Trea, 1997 (coll. Arte prerrománico asturiano) ; pour Liño et Naranco, voir, Id., Santa María del Naranco. San Miguel de Liño, Oviedo, Trea, 1996 (coll. Arte prerrománico asturiano) ; sur l’usage des diptyques consulaires comme modèles, voir Paulino García Toraño, « Los dípticos consulares y el ramirense », Boletín del Instituto de Estudios Asturianos, 104 (1981), pp. 837-848. 35   Aujourd’hui tout le monde accepte l’idée que la plaque d’émail du couvercle de la Caja de las Ágatas (Oviedo, Cámara Santa, Catedral ; c. 910) est de provenance franque (v. Sabine Noak-Haley, « Agata Casket », The Art of Medieval Spain a. d. 500-1200 , New York, Metropolitan Museum of Art, 1994, pp. 143-145 (cat. exp.)). 36   L. Á. García, « Las invasiones y la época visigoda… », pp. 418-421. 33

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devaient fonctionner, dans une certaine mesure, comme un modèle sans qu’on puisse exclure une influence réciproque37. Dans la Péninsule, ces circonstances ne furent réunies qu’à Oviedo et dans ses environs, et pour cette raison ce fut le seul centre capable de créer une production artistique remarquable38. À l’époque où Oviedo construisait et décorait des édifices, la Marca Hispanica achevait quasiment de naître. C’est pourquoi leurs histoires sont différentes, et même opposées. Le territoire qui sera la Catalogne s’était alangui dans sa tradition hispano-romaine jusqu’à l’arrivée des musulmans. Ici n’existe aucun processus de récupération, car il n’y avait rien à récupérer ; il n’y a pas de cour ayant besoin de légitimation ; et quand le territoire fut «libéré», ce fut par la volonté de Charlemagne, qui avait besoin de frontières plus sûres, et malgré l’opposition de certaines des cités conquises. C’est le moment où se fait jour une séparation radicale, sur le plan culturel, entre la future Catalogne et le reste de l’Hispania. À partir de cette époque la Catalogne commence à s’inscrire dans un processus historique nouveau et différent de celui de ses voisins les plus proches. Il n’y aura pas de réunion avant le XIe siècle, quand les royaumes occidentaux rejoindront la liturgie romaine. Il paraît donc évident que la fracture avec le monde antique dans la Péninsule a lieu en 714. Il est possible dans ce cas de placer une date, qui n’en reste pas moins conventionnelle. Les résultats de cette fracture sont l’effondrement définitif, pour ainsi le dire, de la Catalogne et la résurrection, sur les cendres du monde romano-wisigoth, des Asturies. Le haut Moyen Âge dans les Asturies commence avec Alphonse Ier (739-757)39 ; en Catalogne, il faudra encore attendre l’arrivée de Charlemagne.

La réalité artistique en Catalogne du IVe au VIIIe siècle Une fois posées les questions historiques et historiographiques, il faut examiner la question artistique dans le territoire de la future Catalogne. Quand on affronte l’étude du haut Moyen Âge, en raison 37   Nous ne pouvons pas approfondir ce sujet, qui est encore une question en débat, tout en souhaitant une recherche en profondeur, laissant de côté les constructions historicistes. A contrario de notre raisonnement, v. Isidro G. Bango Torviso, « L’Ordo Gotorum et sa survivance dans l’Espagne du Haut Moyen Âge », Revue de l’Art, 70 (1985), pp. 9-20. 38   Cordoue, pour des raisons évidentes, est un cas différent quoique parallèle. 39   L. Á. García, « Las invasiones y la época visigoda… », p. 407.

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de la complexité même de la définition du terme, on perçoit une allusion à la question de la continuité. Entre l’art de l’antiquité tardive et l’art alto-médiéval y a-t-il rupture ou continuité ? Nous dirons que, formulée de cette façon, la question n’a aucun sens. Il est inutile d’en expliquer les raisons après notre introduction consacrée à la terminologie (voir supra). Le problème doit être analysé territorialement et la réponse sera différente selon l’endroit d’où on la formule. Afin d’évaluer l’existence, ou non, d’une continuité entre art tardo-antique et du haut Moyen Âge en Catalogne, il faut, au préalable, savoir en quoi consiste l’art de chacune de ces époques40. Le premier problème que nous rencontrons pour analyser l’art de l’époque tardo-antique en Catalogne est la rareté des vestiges. Cette rareté nous oblige à nous poser la question première et éternelle de savoir si ce que nous connaissons est représentatif ou non de la production de l’époque. Dans l’affirmative, le panorama est désolant ; dans la négative, nous nous trouvons dans une impasse. Pour ce qui est de l’architecture, il est très décourageant de constater qu’aucun édifice de cette époque un tant soit peu conservé ne nous est parvenu41. Nous pouvons, certes, tirer quelques conclusions des plans connus, mais ce n’est toujours qu’un pâle reflet du quanta fuit. Nous avons dit que nous ne conservons aucun édifice, c’est inexact. Nous conservons l’un des plus importants de l’Occident paléo­chrétien, le Mausolée de Centcelles. Sa date, le milieu du IVe siècle, le situe encore dans un moment important pour l’histoire de Rome. Sa qualité, justement, ne s’expliquerait pas sans une intervention de Rome. Cet édifice nous révèle quels étaient encore les moyens de l’époque du bas Empire. L’imposante structure en coupole, l’intégration de peinture et de mosaïque dans la décoration intérieure… Nous sommes pourtant au milieu du IVe siècle42. Depuis cette époque jusqu’à l’arrivée des musulmans, nous n’avons conservé aucune autre 40   La tâche est simplifiée par deux œuvres récentes qui, justement, ont trait aux périodes qui nous occupent. Voir Del Romà al Romànic… ; Catalunya a l’època carolíngia…. 41   Pour ce qui est de l’ensemble des églises de Terrassa, nous en parlons longuement dans le chapitre correspondant. La fouille actuelle révèle un ensemble du VIe siècle, très bien conservé. Encore qu’il faille attendre la publication des premières conclusions, il est évident que les découvertes obligeront à modifier sensiblement le discours sur l’architecture d’époque wisigothique (v. infra). 42   Voir récemment Rainer Warland, « Status und Formular in der Repräsentation der spätantiken Führungsschicht », Römische Mitteilungen, 101 (1994), pp. 175-202, taf. 71-75 ; Rosario Navarro, « Vil·la de Centcelles », Del Romà al Romànic. Història, art i cultura de la Tarraconense mediterrània entre els segles IV-X, Barcelone, Enciclopèdia Catalana, 1999, pp. 127-132.

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architecture de cette nature. En réalité, nous connaissons les fondations de certains ensembles, les plans de quelques édifices, certains des matériaux utilisés pour cette architecture, mais rien de plus. Si nous regardons ne serait-ce qu’à peine vers l’ouest, la situation change radicalement : Saint-Pierre de la Nave, Saint-Jean de Baños, Quintanilla de las Viñas… Ces édifices nous permettent de connaître l’espace et partiellement le décor des intérieurs religieux. Nous n’avons rien de semblable en Catalogne43. On pourrait avancer que néanmoins ces constructions nous permettent de compléter nos carences. En réalité, elles révèlent plus de différences que de similitudes. Cela peut déjà être une donnée signifiante. Il faut en tout cas la nuancer avec d’autres données, par exemple la décoration des édifices. Il est évident que si nous ne conservons pas d’édifices entiers, la conservation de peintures est sérieusement compromise. C’est à nouveau l’édifice de Centcelles qui nous permet de connaître la décoration «picturale» d’un grand édifice romain du milieu du IVe siècle. Les rares vestiges de peinture murale évoquent un hellénisme sensible qui contraste avec la facture tardo-antique de ce qui subsiste des mosaïques. Pour les peintures nous n’avons pas de parallèles44 ; nous ne conservons pas non plus d’exemples de mosaïque murale. Pour la mosaïque cependant nous disposons d’un substitut sous la forme des mosaïques de pavement45. À grands traits, et d’un point de vue formel, les ressemblances stylistiques avec celles de Centcelles sont grandes. C’est ce que nous pouvons constater avec les mosaïques d’Eros et Psychè de la villa Fortunatus de Fraga (milieu du IVe siècle)46 ; celle de Can Pau Birol à Gérone (fin du IIIe ou déjà IVe siècle)47 ; la mosaïque du cirque de   Pour l’architecture de la Péninsule en général, v. Cristina Godoy Fernández, Arqueología y litúrgia. Iglésias hispánicas (siglos IV al VIII), Tarragona, Port de Tarragona-Universitat de Barcelona, 1995. Sur la connaissance insuffisante de l’architecture de cette époque en Catalogne, voir Pere de Palol, « Els edificis religiosos », Del Romà al Romànic. Història, art i cultura de la Tarraconense mediterrània entre els segles IV-X, Barcelone, Enciclopèdia Catalana, 1999, pp. 163-172 et Del Romà al Romànic…, pp. 173-203. 44   Il faut dire que la dualité de langages que l’on peut percevoir dans le décor de Centcelles est l’essence de la peinture romaine tardo-antique en général, et de la cité de Rome jusqu’à une époque avancée du VIIIe siècle en particulier (v. infra). À Tarragona ont été récemment découvertes et déposées des fresques qui par leur thématique sont proches du premier registre des mosaïques de Centcelles et par leur traitement pourraient l’être de ses peintures. Pourtant le décor a été situé au IIe siècle de notre ère (v. Rudi Ranesi, « Arrencament i restauració de pintures murals romanes d’una domus del carrer Pere Martell de Tarragona », Rescat. Butlletí del Servei de Restauració de Béns Mobles, 9 (gener 2001), pp. 4-7 et la brève notice dans Rescat, 8, 2000). 45  Voir Del Romà al Romànic…, pp. 125 et suiv. 46   Ibid., pp. 149-150. 47   Ibid., pp. 154-156. 43

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Barcino (première moitié du IVe siècle)48 ; ou certaines des mosaïques funéraires de Tarragone comme celle d’Optimus ou celle d’Ampelius (premier quart du Ve siècle) 49. Celles de Centcelles ne sont pas les seules décorations murales que nous conservions. Une découverte récente a légèrement augmenté notre catalogue. Nous voulons parler de la découverte de peintures dans la domus de la rue Bisbe Caçador de Barcelone. L’image du propriétaire à cheval, probablement dans une scène de chasse, est surprenante. Plastiquement elle s’intègre parfaitement dans le courant que nous observons pour les œuvres sur mosaïque50. La chronologie – deuxième moitié du IVe siècle – n’est pas non plus très éloignée de ce que nous pouvons dire pour l’ensemble de Centcelles51. Donc, nous avons quelques vestiges du IVe et du Ve siècle… Mais, de cette époque jusqu’aux IXe-Xe siècles, nous ne connaissons aucun autre reste de peinture ou de mosaïque qui puisse nous expliquer ce qui se passe durant ces quatre ou cinq siècles. La peinture des livres ne nous donne non plus aucune piste. Le document conservé le plus luxueux, venant de la Catalogne, l’Orationale de Vérone, est une magnifique œuvre aniconique52. Peut-être nous trouvons-nous face à un moment dans lequel l’art religieux s’exprimait à travers l’aniconisme ?

  Ibid., pp. 87-88.   Ibid., pp. 301 et suiv. 50   Telle est du moins l’impression, bien qu’elle n’ait jamais été étudiée d’un point de vue formel. Par ailleurs, il faut signaler que la rareté des vestiges conservés nous oblige à établir des comparaisons de type formel entre des peintures et des mosaïques ; cette comparaison n’est pas toujours simple compte tenu qu’il s’agit de disciplines artistiques nettement différentes et, en conséquence, aux résultats formels différents à partir de prémisses esthétiques identiques. Pour la bibliographie sur cette œuvre, voir la note suivante. 51   La première contribution sur ces peintures est celle de M. Immaculada Carrion i Masgrau, Oriol Granados i Garcia, « Pintura figurada en una domus de Barcino », I temi figurativi nella pittura parietale antica (IV sec. a. C.-IV sec. d. C.). Atti del VI Convegno Internazionale sulla Pittura Parietale Antica (Bologna, 20-23 settembre 1995), (éd.) Daniela Scagliarini Corlàita, Bologne, Univ. Press Bologna, [1995], pp. 179-181. Pour une étude plus approfondie, v. Pere de Palol, « Un cavaller romà del segle IV a Barcino : a propòsit de la pintura mural descoberta l’any 1994 », Barcelona Quaderns d’Història, 2/3 (1996), pp. 163-175 et Idem, « Casa del carrer del Bisbe Caçador (Barcelona) [pintures murals] », Del Romà al Romànic. Història, art i cultura de la Tarraconense mediterrània entre els segles IV-X, Barcelone, Enciclopèdia Catalana, 1999, p. 89. 52   L’œuvre est réalisée à la fin du VIIe siècle à Tarragone et migre en Italie avec l’arrivée des musulmans (v. Oracional visigótico. (éd.) José Vives, Barcelone, CSIC, 1946 (Monumenta Hispaniæ Sacra. Serie Litúrgica, 1)). En marge de son intérêt artistique et textuel, c’est un document important pour connaître la topographie chrétienne de la cité de Tarragone (v. en dernier lieu C. Godoy, « Topografia cristiana de Tàrraco… »). 48 49

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On a souvent polémiqué sur cette question. Les thèses les plus favorables à cet aniconisme de l’église hispanique reposent sur le fameux canon 36 du concile (?) d’Elvira (fin du IIIe-début du IVe siècle)53. L’opinion de M. Gómez-Moreno fut déterminante pour faire de ce canon une sorte de dogme pour les auteurs hispaniques, encore aujourd’hui54. Diverses objections peuvent être apportées à cette opinion. En premier lieu, nous sommes au début du IVe siècle, moment dans lequel sans doute une position aniconique devait avoir peu de force face à une culture romaine dominée par l’image. Curieusement les exemples que nous venons de citer en peinture et en mosaïque sont immédiatement postérieurs à ce synode. En second lieu, l’existence même de cette disposition indique qu’une part de l’Église hispanique était, ou avait été, favorable à la décoration des temples. Si ce n’avait pas été le cas, cette disposition n’aurait pas eu de raison d’être. Certaines allusions d’Isidore aussi, par exemple dans les Étymologies quand il mentionne la manière de décorer les églises55, ou l’œuvre antérieure de Prudence avec son Dittochaeum56 dans lequel est décrite la décoration typologique de la nef d’une église, invitent à relativiser l’importance de ce canon d’Elvira pour la totalité de la Péninsule. Le travail de H. Schlunk à propos de l’existence d’une 53   XXXVI. Ne picturæ in ecclesia fiant : Placuit picturas in ecclesia esse non debere, ne quod colitur et adoratur in parietibus depingatur. (José Vives, Concilios visigóticos e hispano-romanos, BarceloneMadrid, CSIC, 1963 (coll. España Cristiana. Textos, 1), pp. 8). Pour le concile en général et pour l’interprétation du texte en particulier, voir Manuel Sotomayor, « La iglesia en la España romana », Historia de la Iglesia en España, I. La Iglesia en la España romana y visigoda (siglos I-VIII), (Dir.) Ricardo García Villoslada, Madrid, BAC, 1979 (coll. BAC Maior, 16), en part. pp. 81 et suiv., en part. 112. Plus récemment et présentant un état de la question, v. Idem, « Las actas del concilio de Elvira… ». 54   Selon Manuel Gómez-Moreno, Iglesias mozárabes. Arte español de los siglos IX a XI, Madrid, Centro de Estudios Históricos, 1919 (réédition facsimilée, Granada, Patronato de la Alhambra, 1975), pp. 323-326 : « No puede admitirse otro tanto [il se réfère au culte offert aux reliques] respecto de imágenes. El canon famoso del concilio de Eliberri […] mantúvose válido entre nosotros ; y claro está que, prohibido ello, otros signos icónicos, a saber estatuas y relieves, más peligrosos de ostentar, quedaban prejuzgados. […] Los inventarios de nuestras iglesias enseñan elocuentemente, primero con su silencio y luego con datos positivos, cuándo y cómo se propagó el culto de las imágenes: los reyes Fernando I y Sancha pusieron en San Isidro [sic] de León un primer Crucifijo, el de marfil famoso,…». L’auteur nous place dans un paysage entre le IVe et le XIe siècle sans possibilité d’images. Dans son exposé apparaissent déjà les arguments préférés des défenseurs de cette posture : l’aniconisme de Santullano et la figure de l’hispanus Théodulphe d’Orléans. Les preuves d’iconisme – Saint-Pierre de la Nave, l’art asturien ramirense et les Beatus – sont considérées comme des transgressions de la norme, des éléments non significatifs ou l’œuvre d’étrangers. La position de M. Gómez-Moreno, quoique à un autre niveau et avec de notables nuances, est encore défendue aujourd’hui. 55   Isidore, XIX, 16. 56   Voir Prudence (Prudencio, Obras completas…, pp. 748 et suiv).

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miniature hispanique d’époque wisigothe est un argument de poids en faveur de l’existence d’un art figuratif puissant57. Laissons de côté la peinture, à laquelle nous aurons le temps de revenir au cours de ce livre, et passons à la sculpture. Le paysage ne varie guère et cela c’est un élément important. L’architecture survit difficilement au passage des siècles. Si l’architecture ne survit pas, la peinture monumentale peut difficilement le faire. Mais dans le cas de la sculpture, la non survie du support n’entraîne pas de manière directe sa disparition. Il est certain que nous sommes à un moment où la sculpture sert, ou peut servir, à alimenter des fours à chaux. Il est certain aussi, cependant, que nous nous trouvons en un moment important de recyclage, ou, plus exactement, de remploi. Ce que nous conservons dans le territoire de la future Catalogne entre le IVe et le VIIIe siècle n’est pas réellement très abondant. Nous pourrions parler de vestiges rares58. Évidemment nous ne pouvons pas déduire de ce manque de matériel une absence de production, du moins a priori. À côté de cette production probablement faible, il faut aussi penser à la part des œuvres détruites. 57  Helmut Schlunk, « Observaciones en torno al problema de la miniatura visigoda », Archivo Español de Arte, 71 (1945), pp. 241-265.Voir récemment les arguments de Yarza (J. Yarza, « Los inicios de la miniatura Hispana… ») renforçant l’existence de cette miniature wisigothique perdue. Pour une vision que nous partageons sur la problématique du supposé aniconisme hispanique, voir les arguments de Guardia (Milagros Guardia, « Funcions i usos de les imatges en la ‘Catalunya’ carolíngia », Catalunya a l’època carolíngia. Art i cultura abans del romànic [segles IX i X], Barcelone, MNAC-Diputació de Barcelona, 1999 pp. 201-205 (cat. exp.) ; cf. Isidro G. Bango Torviso, « El crepuscle de l’antiguitat. Art i arquitectura a l’alta edat mitjana hispànica », Catalunya a l’època carolíngia. Art i cultura abans del romànic [segles IX i X], Barcelone, MNAC-Diputació de Barcelona, 1999 pp. 175-180 (cat. exp.), en part. p. 177). 58   Les bases pour l’étude de la sculpture à cette période sont toujours les études de Palol (P. Palol, « Esencia del arte hispánico de época visigoda… » ; Idem, « Arte y arqueología »). Pour la pertinence de beaucoup de ses analyses, sont importants aussi les apports de Schlunk (Helmut Schlunk, « Arte visigodo. Arte Asturiano », Ars Hispaniæ. Historia Universal del arte Hispànico, II, Madrid, Plus Ultra, 1947, pp. 227 et suiv. ; Helmut Schlunk, Theodor Hauschild, Hispania Antiqua. Die Denkmäler des frühchristlichen und westgotischen Zeit, Mainz am Rhein, Ph. von Zabern Verl., 1978). La révision la plus récente de ce thème, avec l’avantage d’incorporer le corpus des matériaux connus, centrée sur le territoire de la Catalogne, se trouve dans Milagros Guardia,« L’escultura monumental i decorativa », Del Romà al Romànic. Història, art i cultura de la Tarraconense mediterrània entre els segles IV-X, Barcelone, Enciclopèdia Catalana, 1999, pp. 205-213 et Del Romà al Romànic…, pp. 215-248. Voir les travaux de Vidal pour le monde hispanique en général, mais seulement consacrés à la sculpture figurative (Sergio Vidal Álvarez, La escultura hispánica figurada de la antigüedad tardía (siglos IV-VII), Murcia, Tabularium, 2005 (coll. Corpus signorum Imperii Romani, 2, 2)), tout comme l’inventaire pour la Catalogne dans Sergio Vidal Álvarez, « Escultura funerària », Del Romà al Romànic. Història, art i cultura de la Tarraconense mediterrània entre els segles IV-X, Barcelone, Enciclopèdia Catalana, 1999, pp. 215-225.

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L’achèvement récent d’un catalogue d’œuvres nous permet de faire une évaluation objective de ce qui a été conservé. La partie la plus spectaculaire est la sculpture funéraire. Sous forme de sarcophages ou de fragments, nous conservons trente-six pièces59. Le groupe le plus important, mais aussi le plus fragmentaire, est le lot de cinquante trois pièces – en majorité des fragments de chancels, de pilastres et de chapiteaux – provenant de différentes zones de la cité de Tarragone et de son territoire60. Suit un ensemble de vingt-trois pièces et fragments provenant des fouilles de la dite «basilique paléochrétienne» de Barcelone à la rue dels Comtes61. Dans l’annexe sur les chapiteaux, en marge de ceux qui sont intégrés au groupe de pièces des fouilles de Barcelone, un groupe de neuf pièces provient des églises de Terrassa62 et le reste de chapiteaux conservés en Catalogne, au total vingt-et-un chapiteaux et fragments63. Pour ce qui est du mobilier liturgique – en marge de celui qui est intégré dans les ensembles déjà cités de Barcelone et Tarragone – nous conservons un groupe de treize fragments de tables d’autels et de supports et cinq fragments de chancel64. Ce qui se dégage d’abord est l’hétérogénéité formelle de ce qui est conservé, sauf pour l’ensemble provenant de Barcelone et pour les différents groupes qui peuvent être formés dans l’ensemble provenant de Tarragone. On remarque aussi le caractère fragmentaire des pièces qui nous sont parvenues, ainsi que leur format la plupart du temps réduit65.  S. Vidal, « Escultura funerària ».   Josep Maria Macias i Solé, Joan-Josep Menchón i Bes, Andreu Muñoz i Melgar, « Escultura arquitectònica de Tarragona », Del Romà al Romànic. Història, art i cultura de la Tarraconense mediterrània entre els segles IV-X, Barcelone, Enciclopèdia Catalana, 1999, pp. 226-230. 61  Milagros Guardia, « Escultura arquitectònica del conjunt episcopal de Barcelona », Del Romà al Romànic. Història, art i cultura de la Tarraconense mediterrània entre els segles IV-X, Barcelone, Enciclopèdia Catalana, 1999, pp. 230-237. 62   Ibidem. 63  Carles Mancho, « Capitells i fragments arquitectònics d’una altra procedència », Del Romà al Romànic. Història, art i cultura de la Tarraconense mediterrània entre els segles IV-X, Barcelone, Enciclopèdia Catalana, 1999, pp. 238-244. À propos des pièces provenant de Terrassa, essentiellement de Saint-Michel de Terrassa, la re-datation de l’ensemble au VIe siècle, à partir des travaux archéologiques accomplis (voir infra) oblige à changer aussi de point de vue sur cet ensemble sculpté. Devant l’évidence que toutes les pièces sont remployées, on doit considérer que toutes sont antérieures au VIe siècle. 64  C. Mancho, « Capitells i fragments arquitectònics … » ; Idem, « Mobiliari litúrgic », Del Romà al Romànic. Història, art i cultura de la Tarraconense mediterrània entre els segles IV-X, Barcelone, Enciclopèdia Catalana, 1999, pp. 244-248. 65   Les sarcophages remployés font exception. Les cas de remploi les plus spectaculaires en Catalogne sont ceux des sarcophages de Saint-Félix de Gérone (v. S. Vidal, « Escultura 59

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Évidemment, ce n’est pas ici le lieu de commencer une étude qui reste à faire sur tout ce matériel66. Nous nous bornerons à dégager les conclusions auxquelles on peut parvenir à partir des premières analyses effectuées67. Le problème principal de l’étude de la sculpture de ce temps est inhérent à la complexité même de l’époque. Nous avons déjà dit comment, malgré les progrès dans l’organisation du royaume wisigoth de Tolède, cette entité n’est apparemment jamais parvenue à avoir une implantation homogène. Sur le plan social, la tradition romaine de la population a été assez puissante pour se maintenir. Un facteur important de ce maintien fut l’Église qui, soit dit en passant, était un des acteurs les plus importants, tant par l’autorité qu’elle exerçait sur les cités que par les nécessités du culte. En fin de compte, bien qu’il faille supposer une tendance à la centralisation, celle-ci ne devait être fortement ressentie que dans certaines zones, qui, il est vrai, devaient correspondre aux agglomérations urbaines les plus importantes. Avec cette toile de fond et ces matériaux rares, il faut soupeser d’un côté l’importance de la transformation de la sculpture fondée sur l’accentuation de l’élément romain provincial, de l’autre les nouvelles modes auxquelles donne naissance le royaume wisigoth dès la fin du VIe siècle et pendant le VIIe. En dernière instance, la question à se poser est de savoir s’il a existé une dualité ou bien une fusion de langages. Pour ce qui est de la technique, on ne saurait douter que la

funerària », pp. 215, nº2 ; 216, nº3-5 ; 217, nº8 ; 218, nº 9 ; récemment v. Narcís M. Amich i Raurich, Els sarcòfags romans i paleocristians de Sant Feliu de Girona, Gérone, Ajuntament de Girona-Institut d’Estudis Gironins, 2000 (col·lecció patrimoni cultural, 1)) et celui de la cathédrale de Tarragone (Ibid. 220, nº12). Voir en général S. Vidal, La escultura hispánica figurada…. Sur les remplois de sarcophages, voir Serafín Moralejo, « La reutilizacion e influencia de los sarcofagos antiguos en la españa medieval », Colloquio sul reimpiego dei sarcofagi romani nel Medioevo (Pisa 5.-12- september 1982), (éd.) Bernard Andreae, Salvatore Settis, Marburg/ Lahn, Verl. Kunstgeschichtlichen Seminars, 1984, pp. 187-203 ; sur les spolia et les formes de remploi d’éléments sculptés ou architectoniques, ou les deux à la fois, v. Lucilla de Lachenal, Spolia. Uso e reimpiego dell’Antico dal III al XIV secolo, Milan, Longanesi & C., 1995. 66   En réalité, l’étude a déjà été partiellement réalisée par S. Vidal (La escultura hispánica figurada…). Étant donné que l’auteur s’intéresse aux œuvres de sculpture figurative, il manquerait pour compléter notre vision la part correspondant à la sculpture non figurative. 67   cf. M. Guardia,« L’escultura monumental… », passim ; Milagros Guardia, Immaculada Lorés i Otzet, « La escultura tardorromana y altomedieval en Cataluña », Escultura decorativa tardorromana y altomedieval en la península ibérica, (Eds.) L. Caballero Zoreda, P. Mateos Cruz, Madrid, MEC-CSIC, 2006 (coll. Anejos de Archivo Español de Arqueología, XLVI, 2006), pp. 191-219.

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période est celle d’une simplification à partir d’une base romaine68. En architecture la situation est la même. Une production qui rattache parfaitement, parce qu’elle ne fut pas interrompue, les époques romaine et wisigothe est celle des sarcophages. Parmi les œuvres conservées en Catalogne, certaines sont d’excellente qualité. Nous signalerons les pièces n° 8, 9, 11 et 12 du catalogue de S. Vidal69 conservées respectivement à Saint-Fèlix de Gérone – les deux premières –, au Museu d’Arqueologia de CatalunyaBarcelona et au Museu d’Història de Barcelona (MUHBA). Ces quatre sarcophages ont été mis en relation avec les ateliers romains du sarcophage dit “Dogmatico” (Lateranense 104), c’est-à-dire aux mêmes ateliers qui travaillent à l’arc de Constantin et qu’il faut situer ca. 315-33570. Une pièce remarquable est aussi le sarcophage remployé sur la façade de la cathédrale de Tarragone. C’est un sarcophage du type dit “Bethesda” datable ca. 400, d’un atelier romain, et un des rares conservés de ce type71. Ces œuvres témoignent d’un des procédés les plus fréquents tout au long des IVe-Ve siècles, à savoir la commande et l’importation de sarcophages depuis Rome. Curieusement, la quantité réduite de ces importations à Tarragone éveille l’attention. Cela avait fait émettre l’hypothèse d’ateliers locaux d’une certaine qualité, étant donné l’importance de la cité. H. Schlunk et P. de Palol ont suggéré et opté pour cette possibilité en étudiant un ensemble d’œuvres apparues à Tarragone parmi lesquelles il faut remarquer les sarcophages de Leucadius et celui dit “des Apôtres”72. Les deux sont en pierre calcaire et furent découverts dans la nécropole paléochrétienne. Le premier a été daté des années 410-440 ; le second du deuxième tiers du Ve siècle. Mais depuis les études réalisées par Rodà, il convient de comprendre ces sarcophages comme des œuvres carthaginoises importées à Tarra-

68   « Le poids de la persistance de la tradition artisanale romaine ne fait pas de doute, ne serait-ce que par inertie… » (M. Guardia,« L’escultura monumental… », pp. 205). 69   cf. S. Vidal, « Escultura funerària ». 70   Voir Diana E. E. Kleiner, Roman Sculpture, Yale, Yale Univ. Press, 1992, pp. 444 et suiv. ; récemment Alessandro Melucco Vaccaro, « L’arco di Adriano e il riuso di Costantino », Adriano e Costantino, le due fasi dell’arco nella valle del Colosseo, Milan, Electa, 2001, pp. 22-60. 71   cf. S. Vidal, « Escultura funerària », nº 19. 72  Helmut Schlunk, « Sarkophage aus christlichen Nekropolen in Karthago und Tarragona », Madrider Mitteilungen, VIII (1967), pp. 230-257 et Pere de Palol, Arqueología Cristiana de la España Romana, siglos IV-VI, Madrid-Valladolid, CSIC, 1967 (coll. España Cristiana. Serie Monográfica. Monumentos I), pp. 306 et suiv. Sur ces deux sarcophages voir récemment S. Vidal, « Escultura funerària », nº26 et 27.

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gone73. Ce point de vue nouveau explique les ressemblances qui avaient été reconnues entre la production supposée locale de Tarragone et celle d’Afrique du Nord. Il permet de resserrer une fois encore les liens entre l’Église de Tarraconnaise nord-orientale et le nord de l’Afrique. Néanmoins cette attribution ne favorise pas la définition d’une production locale. Quand s’achève la production de sarcophages à Rome (au début du Ve siècle), la voie d’approvisionnement nord-africaine reste ouverte et sans doute aussi une autre voie, de mieux en mieux connue, celle de l’Aquitaine. Empúries conserve, pour le moins, un de ces sarcophages aquitains, daté déjà du VIe siècle74. Le lien avec l’Aquitaine est séduisant parce que, dans la sculpture architectonique aussi, on trouve des pièces qui peuvent en provenir. Le bilan des pièces conservées et de leur provenance remet en question la possibilité de l’existence d’ateliers locaux ou, en tout cas, de pièces produites dans les centres de l’actuelle Catalogne présentant un niveau minimum d’intérêt artistique et un propos renouvelé ou fondé sur les modèles importés durant les IIIe-VIe siècles75.

Par ailleurs, il faut souligner que les pièces conservées proviennent de contextes urbains. Ceci en dit long, même pour cette époque déjà si avancée, sur le plus haut niveau de christianisation des cités par rapport au reste du territoire. Le niveau de christianisation, comme nous l’avons vu, est un facteur important pour évaluer la romanité de la population face aux Wisigoths76. Bien qu’elle ne nous aide guère à comprendre l’état de la production locale, avec la sculpture funéraire nous sommes sur un terrain plein de bornes et de références. Ainsi, malgré tout, le panorama devient relativement clair. La situation est bien différente si on se tourne vers la sculpture architectonique. Nous avons déjà souligné qu’un des principaux problèmes est le manque d’édifices conservés. 73  Isabel Rodà de Llanza, « I sarcofagi della bottega di Cartagine a Tarraco », « L’Africa romana ». Atti del VII convegno di studio (Sassari, diciembre 1989), Sassari, 1990, pp. 727-736. 74   Voir S. Vidal, « Escultura funerària », nº34-35. Dernièrement Gisela Ripoll López, « Sarcófagos de la antigüedad tardía hispánica : importaciones y talleres locales », Antiquité tardive : revue internationale d’histoire et d’archéologie, 1 (1993), pp. 150-158, a timidement mis en cause la provenance, en tout cas, le matériau est du marbre de Saint-Béat (M. Guardia,« L’escultura monumental… », pp. 206). 75  M. Guardia,« L’escultura monumental… », pp. 206. 76   Pour toutes ces questions se rapportant à la production de sarcophages, nous renvoyons, en dernière instance, au travail déjà cité de Vidal (S. Vidal, La escultura hispánica figurada…).

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C’est un grand problème parce qu’il nous oblige à mener nos analyses à partir de matériaux très partiels, souvent hors contexte et qui, par conséquent, ne nous permettent pas d’évaluer la sculpture à partir des éléments qui lui donnent sens. Pour toutes ces raisons, En termes généraux et avec très peu d’exceptions qui ne permettent pas d’extrapoler des conclusions génériques, les formes décoratives de l’architecture romaine tardive et hispano-wisigothique ne sont pas connues77.

Pourtant, cette sculpture est la seule chose qui nous est parvenue de la décoration architectonique. Du reste – relief en stuc, peinture, relief sculpté, … – nous n’avons rien. L’analyse de cette production, pour l’instant, nous pose seulement des problèmes et ne nous offre guère, ou pas, de solutions. À côté de l’absence d’édifices, l’absence de pièces sculptées peut s’expliquer par leur non conservation mais aussi par leur recyclage. Il s’agit d’un facteur important parce qu’il implique que : a) les éléments sculptés peuvent avoir une longue durée d’utilisation – il n’est pas nécessaire de sculpter les chapiteaux pour une nouvelle basilique si on peut réutiliser ceux d’une autre ; b) ceci rend difficile la datation des différents éléments. Un exemple significatif de ces remplois est celui de Saint-Michel de Terrassa78. En raison de la rareté des vestiges et de leur absence de contexte, on ne sait pas, en fin de compte, si on se trouve devant une production faible en raison de l’intensification des remplois ou parce que simplement on ne sait pas identifier les pièces. Les travaux réalisés ces dernières années parviennent à définir des séries qui, d’un point de vue formel et typologique, nous fournissent une première base ferme,  M. Guardia,« L’escultura monumental… », pp. 207.   Les fouilles récentes ont permis de vérifier que l’édifice de Saint-Michel, planifié et réalisé au VIe siècle, est du point de vue architectural d’une qualité exceptionnelle. En réalité il n’a pas d’équivalents dans toute la Péninsule. Nous avons pu évoquer ce thème avec F. Tuset, coordinateur des fouilles, et la question qui surprend le plus est l’absence de sculpture réalisée ad hoc. Il est difficile d’expliquer pourquoi un architecte si exceptionnel n’est pas capable d’intégrer un minimum de sculpture réalisée exprès pour l’édifice et doit recourir à remployer des fragments si fortement inégaux. La réponse peut être de deux types : ou bien cela se rattache à une tradition inaugurée par Constantin dans la construction des principaux édifices religieux de Rome, ou bien il n’y avait personne capable de réaliser une sculpture nouvelle. Sans doute, et toujours en acceptant l’hypothèse des archéologues qui y travaillent selon laquelle les chapiteaux de Saint-Michel appartiennent au premier projet du VIe siècle, la réponse passerait par une combinaison des deux possibilités : il n’y a pas de sculpteurs capables et l’on confère davantage de dignité à une construction par le prestige de ces antiquités. 77

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malgré la difficulté d’étudier un matériau aussi ingrat79. Sur le sujet qui nous intéresse, M. Guardia donne une analyse significative de l’état de nos connaissances. À titre de conclusion, en fonction des édifices qu’ils décoraient [les fragments étudiés par l’auteur], nous pouvons signaler une série d’aspects. Celui qui éveille le plus l’attention est l’absence de chapiteaux que l’on puisse classer comme hispano-wisigothiques parmi les vestiges conservés, bien que certains des édifices aient dû avoir des installations liturgiques qui en nécessitaient et que d’autres soient clairement basilicaux et séparés par des colonnes, ce qui incite à penser à un remploi. Seuls quatre chapiteaux conservés à Tarragone ont été inventoriés comme appartenant au romain tardif, du IVe siècle (cf. Mª Á. Gutiérrez, Capiteles romanos…, nº 631, 629, 630 et 886), dont trois sont de provenance inconnue (MNAT) et le quatrième originaire de la nécropole paléochrétienne. Le plus grand, en pierre locale, a moins de 40 cm de hauteur80.

De fait, la majorité de la sculpture conservée et que nous situons aux IVe-VIe siècles est de petites dimensions. Les fragments récupérés dans les fouilles de Barcelone en sont une bonne illustration81. Le chapiteau n° 1 mesure 17,8 cm de haut, le n° 2, 19 cm. Les fragments conservés donnent la même indication. Il faut souligner que le matériel de cet ensemble de Barcelone est majoritairement importé, précisément de Saint-Béat. Cette relation avec le sud de la Gaule était aussi illustrée par les sarcophages. Bien qu’il s’agisse d’une question à étudier, cela ne manque pas d’être curieux. Pour le Ve siècle, nous trouvons encore quelques œuvres de grandes dimensions82, mais au début du VIe siècle nous n’avons plus que des pièces de petit format. Même dans le cas d’un lieu comme Barcelone, avec un siège épiscopal assez puissant pour initier un réaménagement important à la fin du VIe siècle83, les pièces sont de dimension réduites et en outre impor  En particulier les travaux de Mª Ángeles Gutiérrez Behemerid, Capiteles romanos de la Península Ibérica, Valladolid, Secretariado de Publicaciones, Universidad de Valladolid- Caja Salamanca y Soria, 1992 (coll. Studia archaeologica, 81) et E. Domínguez Perela, Capiteles hispánicos altomedievales, IV vol., Madrid, Universidad Complutense, 1987 (col. Tesis Doctorales, nº 40/87). Pour une bibliographie complète voir M. Guardia,« L’escultura monumental…  » et Jordi Camps i Sòria, Immaculada Lorés i Otzet, Carles Mancho, « L’escultura preromànica », Del Romà al Romànic. Història, art i cultura de la Tarraconense mediterrània entre els segles IV-X, Barcelone, Enciclopèdia Catalana, 1999, pp. 416-422. 80  M. Guardia,« L’escultura monumental… », pp. 208. 81   cf. M. Guardia, « Escultura arquitectònica del conjunt episcopal… », pp. 230-237. 82   vid. C. Mancho, « Capitells i fragments arquitectònics … », nº 1-10. 83   C’est ce que l’on déduit de l’interprétation et de la ré-interprétation du sous-sol du MUHBA de Barcelone. En dernière instance voir Charles Bonnet, Julia Beltrán de Here79

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tées, comme l’indiquent les matériaux. À Tarragone, tout ce que nous trouvons est aussi de petites dimensions. Le sentiment est celui d’un déclin, voire d’une disparition des ateliers locaux. En réalité, les commandes se maintiennent. Sans doute la cité a vécu du remploi au point qu’elle n’était plus capable de produire les matériaux dont elle avait besoin. Dans le cas de Barcelone la solution fut le recours à des ateliers qui restaient en activité et qui le resteraient pendant le Moyen Âge. Ce que l’on peut dire du mobilier liturgique est très similaire. La conclusion est que, À partir de ces œuvres du romain tardif il est actuellement impossible de pouvoir déterminer la formation de manières et de techniques qui sont celles que nous observons sur les pièces travaillées majoritairement en marbre et qui ont été datées des VIe et VIIe siècles84.

L’élément le plus clair, de caractère technique, est le type de taille. Le trépan a disparu et toutes les œuvres montrent le goût pour le typique clair-obscur de la taille au biseau. En dernier lieu, il ne s’agit de rien d’autre que de la technique la plus simple ou la plus élémentaire parmi les techniques romaines. Cette situation contraste avec ce qui se passe dans les anciennes Bætica et, surtout, Lusitania pendant le VIe siècle. Paradoxalement, la plupart de ce que nous avons conservé en Tarraconnaise appartient justement à ce siècle et pourtant il est très difficile de constater l’existence d’ateliers locaux. S’il y en a, il faut bien croire que Tarraco et Barcino sont les seules candidates ayant des possibilités pour les accueillir. Bien qu’il puisse sembler impossible que de tels ateliers n’existent pas, nous avons vu comment pour les sarcophages l’analyse des matériaux indique que ce qu’on croyait local est une importation nord-africaine. Dans le cas de Barcelone, on recourt à la fin du VIe siècle à des ateliers du sud de l’ancienne Gaule pour les interventions importantes. Comme l’affirme M. Guardia, il faudrait reprendre et réviser les propositions de H. Schlunk, qui avait déjà relié la sculpture hispano-wisigothe et ces ateliers85.

dia, « Origen y evolución del conjunto episcopal de Barcino : de los primeros tiempos cristianos a la época visigótica », De Barcino a Barcinona (siglos I-VII). Los restos arqueológicos de la plaza del rey de Barcelona, (dir.) Julia Beltrán de Heredia, Barcelone, Ajuntament de Barcelona, 2001, pp. 74-93. De toute évidence, l’image est susceptible de changer quand on fouillera sous la cathédrale gothique. 84   M. Guardia,« L’escultura monumental… », p. 211. 85  M. Guardia,« L’escultura monumental… », p. 213; cf. H. Schlunk, T. Hauschild, Hispania Antiqua….

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En guise de conclusion, nous dirons tout d’abord qu’une définition générale de l’époque tardo-antique ou du haut Moyen Âge n’est pas d’une grande utilité pour des contextes spécifiques. Comme nous l’avons vu, dans le cadre général de l’Europe occidentale, le cas de la Péninsule ibérique montre une spécificité nette qui explique son développement artistique postérieur. En ce sens, et pour la zone qui nous occupe – la Tarraconnaise méditerranéenne –, il est clair que le monde antique s’achève avec l’arrivée des musulmans. En second lieu, l’arrivée des musulmans n’entraîne sur le plan artistique aucune nouveauté, révolution ou bouleversement. La situation de notre territoire dans l’ensemble péninsulaire en avait fait une zone où la production artistique, sans aucun stimulant, s’étiola jusqu’à devenir inutile. Le remploi devient la règle et la production devient de survie. Cette situation ajoutée aux destructions inévitables dues au passage du temps fait que nous ne connaissons pas de peinture murale après le IVe siècle, pas de mosaïque après le Ve siècle et aucun manuscrit illustré. Pour ce qui est de la sculpture, la seule discipline qui perdure jusqu’au VIIe siècle, n’existe qu’une production plutôt modeste basée sur l’extrême simplification technique et typologique des modèles romains, à côté de l’importation de quelques œuvres. Ce panorama précède la production artistique du haut Moyen Âge. À notre avis, il n’y a aucun doute que le rapport entre l’art de l’Antiquité tardive et l’art du haut Moyen Âge en Catalogne est fait de rupture et non de continuité.

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Les IXe et Xe siècles. Un peu d’histoire1 Le Moyen Âge, pour l’ancienne Hispania, a un point de départ très clair : l’arrivée des armées de l’Islam et le début de la domination musulmane. La période qui commence à partir de là est d’une remarquable complexité, mais passionnante et, surtout, déterminante d’un point de vue culturel et politique pour la future Catalogne2. On sait comment l’attaque brutale des troupes califales pendant le premier quart du VIIIe siècle entraîne la disparition de la structure administrative archaïque de l’Hispania. On doit souligner le caractère peu destructeur de ces premiers moments dans la mesure où presque tous les sièges du pouvoir sont maintenus. Dans certains cas cela s’accompagne même de la conversion des élites dirigeantes dans le dessein de se maintenir au pouvoir, bien que la plupart des anciens chefs – évêques et gouverneurs, principalement – aient disparu. Ceci ne signifie pas qu’il n’y ait pas de destructions, mais le changement se limite, en général, à un remplacement des couches dirigeantes, avec un impact minimal sur le territoire. Le bouleversement principal a probablement lieu à l’occasion des changements qui affectent les propriétés. Dans ce moment de forte convulsion, il est très difficile de donner une explication uniforme du processus.

1   Ce chapitre ne faisait pas partie de l’étude originelle en catalan, mais pour l’édition en français on a cru opportun d’introduire cet annexe qui expose à grands traits l’évolution historique de la Catalogne pendant le haut Moyen Âge pour permettre au lecteur de mieux comprendre le cadre dans lequel se développe la production artistique analysée ci-dessous. Cette petite introduction historique se trouve complétée dans l’étude des différents ensembles, lors de l’exposition des circonstances historiques propres à chacun, spécialement pour le comté de Barcelone. 2   Nous tenterons d’en faire ici une synthèse la plus claire possible. Il n’est pas dans notre intention de résoudre les problèmes historiographiques que pose une période passionnante du point de vue des débats scientifiques. La bibliographie est très étendue, raison pour laquelle nous nous limitons à donner quelques références qui puissent servir de point de départ pour le lecteur intéressé par un approfondissement. L’ouvrage classique reste toujours le volume II de l’Història de Catalunya des Edicions 62, sous la direction de Pierre Vilar, rédigé en 1987 par Josep Maria Salrach (J. M. Salrach, Història de Catalunya), plus récente est la dernière édition de la Historia de España fondée par Menéndez Pidal (Historia de España Menéndez Pidal, VII. La España cristiana de los siglos VIII al XI, 2 vol. (dir.) J. M. Jover Zamora, Madrid, Espasa-Calpe, 1991-1999). En français, on se reportera au bref mais très utile texte de Michel Zimmermann, Marie-Claire Zimmermann, Histoire de la Catalogne, Paris, Presses Universitaires de France, 1997 (coll. Que sais-je ?, 3212) accompagné de bibliographie en français.

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Jusqu’au milieu du VIIIe siècle, avec l’arrivée d’Abd ar-Rahman Ier (756-788), les musulmans ne réussissent pas à stabiliser une organisation du territoire que nous appelons maintenant al-Andalus, mais leur présence a déjà fait de la vieille Hispania un enjeu stratégique et surtout a mis fin à l’ancienne structure romaine. À partir de ce moment commencent à prendre place dans le territoire de la Péninsule trois zones destinées à durer, avec des fortunes diverses, tout au long du Moyen Âge. D’un côté, les territoires sous domination musulmane et qui, à partir du milieu du VIIIe siècle, comme on l’a dit, sont dirigés par le dernier survivant de la dynastie omeyyade, Abd ar-Rahman Ier, qui crée un émirat indépendant du califat abbasside avec Cordoue pour capitale. D’autre part, la résistance historique des populations basques et cantabriques trouve, à cette époque, un allié capable de structurer et de diriger la lutte dans une partie des élites wisigothes ayant fui vers le nord. Fruit de cette alliance, le royaume des Asturies commence à prendre forme et, à partir de la fin du VIIIe siècle, avec Alphonse II le Chaste (791-842), il fait de la cité d’Oviedo sa capitale définitive et l’urbs regia3. Enfin, à l’extrémité opposée des Pyrénées, les désaccords entre les chefs musulmans ainsi que la volonté des souverains francs d’établir ce qu’aujourd’hui on nommerait une zone de sécurité, favorise la conquête franque de ces territoires. La conquête franque, on le sait bien, commence par la Septimanie à partir de 752 avec Pépin le Bref. La désaffection importante des populations depuis Nîmes jusqu’à Narbonne favorise la chute des pouvoirs islamiques et l’occupation franque, ainsi que le siège de la métropole narbonnaise qui capitule peu après (759). Pourtant, le point de départ de la décision de traverser les Pyrénées pour occuper les territoires de l’ancienne Tarraconaise est la visite d’un groupe de walis de la Marche Supérieure – c’est-à-dire un groupe de gouverneurs musulmans de la frontière nord d’al-Andalus – à Paderborn en 777. Lors de cette visite, Charlemagne se voit offrir la possibilité de s’emparer des cités d’Huesca et de Saragosse pratiquement sans effort militaire, en échange de son aide pour conserver le pouvoir. Les désaccords entre divers walis de la Marche Supérieure et le gouvernement cordouan étaient bien connues, et le monarque franc en tire profit4. 3   Voir, pour ces deux espaces, l’analyse qu’en a fait récemment Milagros Guardia (Milagros Guardia, «L’art chrétien et musulman hispanique : à la recherche du prestige de l’Antiquité», Les Cahiers de Saint-Michel de Cuxa, XXXIX, 2008, pp. 265-281). Pour la situation historique, voir Historia de España. La España cristiana…. 4   Il faut souligner dans tout cet épisode, qu’à l’évidence les relations de pouvoir ont à voir avec des questions politiques, économiques, militaires ou stratégiques, mais en aucun cas

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L’expédition échoue en raison d’un changement d’alliances au sein d’al-Andalus. La Chanson de Roland reste le souvenir le plus célèbre de cet épisode, mais elle n’en est pas la conséquence la plus importante, car l’échec de cette expédition militaire marque par contrecoup les limites de l’influence politique carolingienne pour le IXe siècle. À partir de ce moment, la politique franque combine la diplomatie et l’intervention militaire pour créer un territoire que les sources commencent à nommer Marca Hispanica, c’est-à-dire frontière de l’Hispania. Les voies empruntées sont différentes pour chacune des zones pyrénéennes mais toutes sont déterminantes. La première conséquence de l’expédition de 778 est sans doute le contrôle précaire de certains passages des Pyrénées centrales, noyau du futur comté d’Aragon. Celui-ci est mentionné dès 828 avec un premier comte Aznar Galíndez. La consolidation du comté, carolingien de naissance, passe rapidement par son émancipation, dès le milieu du IXe siècle, au profit des luttes successorales au sein de la dynastie carolingienne. Le Xe siècle sera celui du rapprochement entre l’Aragon et une autre structure surgie de l’intervention carolingienne, le royaume de Pampelune. Tant à l’aller que, surtout, au retour de l’expédition de 778, les armées carolingiennes s’appuient, en partie, sur les territoires des Pyrénées occidentales. Cela est possible grâce aux noyaux de résistance chrétienne qui, à défaut d’un commandement unifié, coexistent avec les musulmans, et qui sans doute sont soutenus par les Francs. Ceux-ci favorisent la création d’un territoire chrétien cohérent qui au milieu du IXe siècle prend forme autour de la famille d’Iñigo Arista. Le futur royaume de Pampelune joue de manière habile des possibilités que lui offre sa position de carrefour entre asturiens, carolingiens, basques, muladis5 et musulmans, pour consolider un royaume indépendant appelé à être déterminant dans la politique hispanique, religieuses. Qu’il s’agisse de Basques, de Goths, de Francs ou de Musulmans, seule compte la possibilité de prendre l’avantage en choisissant le bon allié. Il en est toujours ainsi et cela est essentiel pour comprendre l’évolution politique tout au long du Moyen Âge, pour le moins. La politique actuelle, de fait, n’est guère différente. Sur l’histoire d’al-Andalus, voir Rachel Arié, España musulmana, siglos VIII-XV, Barcelona, Labor, 1982. Il faut tenir compte, comme il a été dit, du caractère stratégique d’al-Andalus et, en ce sens, le calife abbasside de Bagdad est un puissant allié de Charlemagne contre Abd ar-Rahman Ier. 5   Le terme “muladi” désigne le chrétien converti. Pendant les premières années de la conquête musulmane la conversion des familles dirigeantes chrétiennes est fréquente : elles assurent ainsi leur permanence au pouvoir. De toute évidence ces muladis sont un puissant facteur d’instabilité, car, plus que tous les autres, ils suivent une politique d’alliances très changeante, comme on peut le constater dans la genèse du royaume de Pampelune et dans le gouvernement de la cité de Saragosse.

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en particulier à partir de l’accession de la dynastie de Sancho Garcés Ier (905-925). La dernière conséquence, celle qui intéresse plus précisément ce travail, prend place dans les Pyrénées orientales. Nous avons vu à quel point les modalités de l’influence franque en Aragon et en Navarre étaient différentes. En Catalogne nous trouvons une troisième possibilité, l’occupation directe et durable du territoire. Très peu d’années après la déroute de 778, l’activité diplomatique de Louis d’Aquitaine (futur Louis le Pieux) en Septimanie rend évidents, pour les territoires nord et sud-pyrénéens, les avantages pour les Goths ou les Hispani d’une administration franque. La conséquence directe est le ralliement de Gérone et d’Urgell qui passent sous domination franque, respectivement en 785 et 789. Dans ce cadre, la conquête de Barcelone est considérée à juste titre comme une borne historique. Une fois consolidés les territoires sudpyrénéens et compte tenu du regain de belligérance de Cordoue, avec des incursions d’Abd al-Malik jusqu’à Narbonne (793), sans doute faut-il une limite géographique stable, c’est le rôle que jouent le fleuve Llobregat et la cité bien fortifiée de Barcelone. Bien que les données relatives au moment où est prise la décision – autour de 800 à Toulouse ? – et au début et à la durée de la campagne ne soient pas sûres, on s’accorde à considérer que la cité tombe aux mains de Louis d’Aquitaine à Pâques de l’an 801. Malgré les tentatives postérieures de conquête musulmane de la cité ou d’extension de la conquête franque – avec des expéditions à Tarragone et à Tortosa dans les années suivant la chute de Barcelone –, le Llobregat se consolide pour longtemps sous forme de frontière pour les uns comme pour les autres. C’est aussi au début de ce IXe siècle que sont ajoutées aux territoires sous domination carolingienne les vallées de Ribagorça et de Pallars, des régions qui avaient suivi une évolution similaire à celle de Gérone et d’Urgell-Cerdagne, mais – et c’est là une nuance importante –, par leur soumission directe aux comtes de Toulouse et non au souverain. Au début du IXe siècle, donc, une grande partie des territoires à nord de l’Èbre6 est à nouveau sous un gouvernement chrétien, mais

  De fait, la zone côtière entre le Llobregat et l’Èbre devient pendant longtemps un no man’s land. Curieusement, la première cité musulmane importante n’est pas Tarragone, abandonnée à son ancienne splendeur antique, (voir Joaquín Ruiz de Arbulo, « Tarragone 10911129 : Comment construir une nouvelle ville féodale sur les ruines monumentales d’une ancienne ville romaine », XXXIX Journées romanes de Saint-Michel de Cuxa 2007 (inédit)), mais 6

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avec des caractéristiques particulières en raison de leurs rapports différents avec l’Empire carolingien. Quant au territoire de la Catalogne – terme que nous employons comme référence géographique et non en un sens politique –, étant donné l’intervention directe des Francs, dès cette époque, il s’organise en comtés dirigés par des comtes, et évêques, nommés par les empereurs ou souverains francs. L’histoire de ce territoire est donc, jusqu’à l’extinction de la famille carolingienne, celle du reste de la Francia, et les vicissitudes liées à la succession des comtes et des évêques, tout comme la tendance à l’autonomie envers le pouvoir royal sont en rapport avec les événements au sein de l’Empire. Dans le cas de ce territoire de frontière, donc périphérique et convoité, les prises de position de la maison de Toulouse et de Carcassonne, les évolutions difficiles du royaume d’Aquitaine et du siège métropolitain de Narbonne sont en outre fort déterminantes. Des trois premiers dépendent beaucoup des conflits et des solutions politiques, du quatrième relève toute la question religieuse. Ainsi, alors que Pampelune et l’Aragon sont liés à l’Empire, il est clair que la Catalogne en forme part. La conséquence la plus immédiate concerne les réformes entreprises par Charlemagne à propos de la liturgie, véritable axe vertébral de tout le Moyen Âge. Dans ce sens, toute l’affaire adoptianiste (voir infra) est déterminante pour comprendre comment, en relativement peu d’années, les comtés catalans furent amenés à renoncer à la liturgie hispanique pour adopter la liturgie romano-franque, éloignant ainsi ce territoire, de manière progressive mais non radicale, de l’orbite culturelle hispanique. On ne connaît pas bien le point de départ de l’organisation politique et administrative des nouveaux territoires francs. Sans doute une organisation préalable a dû y influer, par exemple la présence et la restauration des anciens sièges épiscopaux et la progression lors de la conquête. Le résultat, cependant, devait être profondément différent de la situation antérieure. Il n’était pas question, comme on l’a souvent dit, de reconquérir et de restaurer, mais bien de conquérir et d’organiser sur des bases neuves. Ainsi, lors de la délimitation d’un comté comme celui de Barcelone, destiné à devenir le centre fédérateur du reste des comtés de la Catalogne, les anciennes limites épis-

Tortosa. À l’intérieur il en va un peu différemment, avec les cités de Balaguer (Balagi) et de Lleida (Larida) comme places fortes islamiques.

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copales ont sans doute beaucoup pesé7. Dans d’autres cas, le Pallars ou l’Urgell, il est clair que les limites comtales sont tracées par les vallées – respectivement celles de la Noguera Pallaresa et du Sègre – et par l’avancée de la conquête vers le sud. Quoi qu’il en soit, autour de 800 sont fixés les comtés de Roussillon, de Conflent, d’Empúries, de Besalú, d’Urgell-Cerdagne, de Gérone, d’Osona, de Berga et de Barcelone8. À ces comtés correspond un ensemble de diocèses, fruit de la restauration des anciens évêchés hispano-romains : Elne, Gérone, Vic, Urgell et Barcelone, dirigés depuis le siège métropolitain de Narbonne, puisque l’ancienne métropole, Tarragone, était encore sous contrôle musulman. Jamais un comté n’a plus d’un évêché, en revanche le cas d’un seul évêché pour plusieurs comtés est fréquent. Un cas significatif est celui du siège d’Urgell, qui étend son autorité sur les comtés de Berga, Urgell, Cerdagne, Pallars et Ribagorça. La fin du IXe siècle est marquée par des événements aux conséquences définitives. Dans une période marquée par les luttes pour le contrôle de l’Aquitaine et par la succession de Louis le Pieux, prennent place un ensemble de révoltes comtales contre l’autorité royale dirigées par des comtes qui sont parvenus à gouverner un grand nombre de comtés. C’est le cas de la révolte d’Unfrid (862), comte de Barcelone, Gérone, Empúries, Roussillon, Pallars, Ribagorça, Narbonne, Agde, Béziers, Maguelonne, Nîmes, Beaune, Autun, Limoges, Rouergue, Toulouse, Carcassonne et Razès, c’est-à-dire maître d’une bonne partie de la Catalogne, de la Septimanie et de l’Aquitaine. La défaite d’Unfrid et le partage de ses comtés donnent naissance à un autre «super» comte, Bernard de Gothie, qui contrôle Barcelone, le Roussillon, Narbonne, Agde, Béziers, Maguelonne et Nîmes, confronté par la distribution à deux autres grands comtes, Bernard de Toulouse et Bernard Plantevelue. La révolte de Bernard de Gothie (877) contre Charles le Chauve d’abord, puis Louis le Bègue, s’achève par la défaite de Bernard de Gothie et le partage de ses possessions lors du concile de Troyes de 878. Les bénéficiaires de cette distribution sont en Catalogne Guifred le Velu (870-897), qui devient comte de Barcelone et   Comme on le verra plus loin, cependant, des considérations stratégiques ont poussé à ne pas restaurer l'évêché d'Égara et à inclure son territoire dans le comté de Barcelone. 8   Les comtés de Pallars et de Ribagorça sont une zone “disputée” entre les historiens, tout aussi bien considérés comme “catalans” ou comme “aragonais”. En réalité, et jusqu’en 872, tous les deux sont rattachés directement au comte de Toulouse et au souverain carolingien. À partir de cette date, les comtes de Pallars et de Ribagorça amorcent une politique d’alliances tant envers la maison d’Aragon que celle de Barcelone. Quant à l’attribution des comtés, très changeante et soumise aux différentes circonstances politiques, voir le schéma publié dans Historia de España. La España cristiana…, 2, p. 498-499. 7

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de Gérone, en plus de l’être déjà d’Urgell, Cerdagne et Conflent, et ses frères Miron I le Vieux, qui devient comte de Roussillon et Radulfe, du Conflent. Le reste des comtés est contrôlé par Sunyer II (862-915), Empúries, et par Ramon Ier (872-920), Pallars-Ribagorça. Le plus important dans toute cette affaire est qu’il s’agit de la dernière fois où les comtes sont nommés par le roi. Le royaume commence à connaître de graves problèmes intérieurs et la mort prématurée de Louis le Bègue (879) crée une grave crise dans la structure déjà ébranlée du pouvoir central. Pour surprenante que soit la fidélité durable des comtes catalans envers la dynastie carolingienne9, il est vrai qu’à partir de la fin du IXe siècle la politique d’alliances et de pactes pour la défense ou l’expansion du territoire est de plus en plus indépendante des décisions du souverain franc. C’est ainsi que la maison de Barcelone impulse une politique de pactes, et parfois de vassalité, envers Cordoue, afin de rendre plus sûre la frontière, en même temps que l’on continue à reconnaître le monarque carolingien, que l’on tisse des liens familiaux avec le Languedoc et que l’on tente de s’affranchir de la tutelle ecclésiastique de Narbonne10. La division des comtés de Ribagorça et de Pallars entre les successeurs de Ramon Ier conduit la Ribagorça à une stratégie d’éloignement des comtés catalans, qui se manifeste principalement par la fondation de l’évêché de Roda d’Isàvena (956) et par une politique d’alliances tournée vers l’Aragon et la Navarre. Le Pallars à son tour reste indépendant pendant toute la période, mais divisé en deux comtés, Pallars Sobirà et Pallars Jussà. L’autre grand objet d’attention de cette époque est Rome. Une fois épuisée la source de légitimité franque, disparue la protection de l’Empereur, le chemin de la consolidation du pouvoir passe par Rome. Le voyage du moine Sunyer de Cuxà (950) pour solliciter du pape Agapit II (946-955) la sujétion juridique du monastère de Saint-Michel   Les comtes continuent à reconnaître la dynastie carolingienne comme source de légitimation de leur pouvoir jusqu’à Lothaire, roi de France en 954-986 et avant-dernier des Carolingiens. 10   Dès la fin du IXe siècle ont lieu diverses tentatives pour remplacer le siège métropolitain de Narbonne. La première est celle de Esclua qui, entre les années 886 et 892 agit en métropolitain sans aucune légitimité, cependant, bien qu’appuyé par quelques évêques, parmi lesquels Frodoin de Barcelone. La seconde tentative est celle de Césaire de Montserrat qui se fait ordonner métropolitain par une réunion d’évêques du royaume de Léon et qui n’est pas reconnu par les évêques catalans. La troisième tentative, qui échoue aussi, est celle de l’ambassade de Borrell II de Barcelone et d’Aton, évêque de Vic, qui obtiennent la nomination d’Aton comme archevêque de Tarragone en 970. L’assassinat d’Aton au retour de Rome est significatif de l’opposition de Narbonne. De fait, ce n’est qu’à la fin du XIe siècle qu’est rétabli le siège métropolitain à Tarragone. 9

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à l’autorité pontificale est la première d’une longue liste de visites de comtes, évêques et abbés. Cela peut surprendre aujourd’hui, mais en réalité la seule véritable entité forte et structurante qui s’est constituée en Occident au cours des VIIIe et IXe siècles est la papauté. Ceci, pour des gouvernants plus ou moins orphelins d’une autorité supérieure, dans l’orbite carolingienne, apparaît avec évidence et c’est donc la voie empruntée. Dans ce contexte, le poids politique de Navarre est d’une grande influence, en particulier au début du XIe siècle, en effet la politique d’alliances initiée pendant le Xe siècle place ce royaume en situation de diriger effectivement la politique hispanique. Ceci explique, par exemple, l’incorporation de la Ribagorça dans ses dépendances. Pourtant plus déterminante, en un certain sens, est sa politique envers les musulmans. Profitant de la faiblesse des pouvoirs islamiques en raison des conflits internes dans al-Andalus, pendant la deuxième moitié du IXe siècle et le début du Xe, les comtes continuent à étendre leurs territoires, peu à peu, vers le sud. Cependant, avec l’arrivée au pouvoir d’Abd ar-Rahman III (912-961), les choses changent radicalement. Les comtes de Barcelone, Sunyer (911-947) et Borrell II (947-992), négocient une paix au rabais, qui inclut de fait la soumission des comtes au calife et un repli de la frontière chrétienne. Cette solution reste vivace jusqu’à l’accession au califat de Hisam II (976-1009). Au mois de juillet 985 son général al-Mansour ravage une partie du comté et la cité de Barcelone. L’échec de la politique pro-islamique de Borrell provoque son revirement : le comte offre à nouveau sa fidélité aux souverains francs en échange de leur protection. Ni les derniers Carolingiens, ni les premiers Capétiens ne peuvent ou ne veulent accepter cette offre. C’est pourquoi ce moment a été considéré comme celui de l’indépendance politique des comtés catalans envers les souverains francs.

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deuxième partie La peinture murale du haut Moyen Âge en Europe occidentale

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Les études Le premier problème d’une analyse générale n’est pas, comme on pourrait le supposer, le manque d’œuvres, mais comment ont été publiées les œuvres conservées. Jusqu’à il y a peu l’étude de la peinture conservée en Italie, par exemple, était décourageante. La dispersion la plus absolue masquait un patrimoine absolument extraordinaire tant par la quantité que par la qualité. Deux publications récentes ont permis d’établir une première correction par rapport à cette carence. La première doit être comprise comme une sorte de corpus où l’on peut faire le suivi de la peinture conservée dans les différentes régions, selon la division administrative actuelle1. À côté de certains chapitres monographiques2, le plus grand intérêt du livre est que, pour la première fois, nous pouvons avoir une liste de tout ce qui est conservé en Italie accompagné d’une bibliographie actualisée. La seconde publication doit être comprise – du moins est-ce ainsi que nous la comprenons – comme le chapitre de conclusions qui manque à la première3. De cette manière, et en marge de magnifiques travaux antérieurs qui dans certains cas sont déjà historiques, nous sommes maintenant en position de pouvoir approcher la peinture d’Italie avec la sécurité de mieux contrôler la situation4.  Voir La pittura in Italia….   Comme ceux consacrés à la “question byzantine” dans la peinture italienne (Ibid., pp. 335-354) ; aux cycles picturaux romains (Ibid., pp. 355-368) ; aux rouleaux d’Exultet (Ibid., pp.390-402) ; à la miniature produite à Bobbio (Ibid., pp. 432-440) ; Montecassino (Ibid., pp. 441-461) ; à la mosaïque (Ibid., pp. 462-498). 3  S. Lomartire, G. Valagussa, « Le origini ». 4   Évidemment il n’est pas dans notre intention de faire un état de la question ou une critique historiographique. Quiconque connaît la matière et l’époque sait que nombreuses sont les œuvres qui se sont occupées de manière exhaustive de l’étude d’ensembles ou de régions précises. Les plus remarquables sont les œuvres de Pietro Toesca, La pittura e la miniatura nella Lombardia. Dai più antichi monumenti alla metà del Quattrocento, Turin, Einaudi, 1987 (1e ed. Milano, Hoepli, 1912), travail pionnier centré sur la Lombardie ; Guglielmo Matthiae, Pittura romana del medioevo, secoli IV-X, vol. I, Rome, Fratelli Palombi Editori, 1987 (2e édition mise à jour par Maria Andaloro) (1ère edition 1965), pour la peinture romaine ; Per Jonas Nordhagen, Studies in Byzantine and Early Medieval Painting, Londres, Pindar Press, 1990, en particulier pour l’ensemble de Sainte-Marie antiqua ; John Osborne, Early Mediaeval Wall-Paintings in the Lower Church of San Clemente, Rome, New York-Londre, Garland Publishing, 1984, pour l’exceptionnel ensemble de Saint-Clément… Il faut aussi remarquer certaines œuvres collectives comme celle dirigée par William Tronzo (Italian Church Decoration of the Middle Ages and Early Renaissance. Functions, Forms and Regional Traditions, (Ed.) W. Tronzo, Bologne, Nuova Alfa Ed., 1989) ou l’exposition sur les arrachements de peintures médiévales de Rome (Fragmenta Picta. Affreschi e mosaici staccati del Medioevo romano, 1 2

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Si de l’Italie nous nous déplaçons vers le nord et nous nous arrêtons à la Suisse actuelle5, un autre des lieux où la peinture du haut Moyen Âge a laissé une empreinte remarquable, la situation change radicalement. Nous n’avons pas connaissance pour ce pays de l’œuvre qui de manière générale soit le recueil de la peinture conservée. La connaissance que nous avons aujourd’hui d’ensembles comme, par exemple, Saint-Jean de Müstair est encore très insuffisante6. La situation en France n’est pas, malheureusement, bien meilleure. Dans la majorité des cas il faut encore se reporter, pour les études, aux œuvres déjà dépassées de P. Deschamps et M. Thibout7. Un travail publié récemment est le reflet clair de cette situation8. C’est seulement dans les dernières années qu’une certaine réactivation s’est fait jour. C’est ce que semblent indiquer trois travaux récents de caractère régional. Il s’agit de ceux de M. Kupfer pour la région Centre et

Rome, Museo Nazionale Castel Sant’Angelo, 1989). Pourtant, il faut attendre les deux œuvres citées pour trouver une vision d’ensemble. Seul C. Bertelli, au début des années 80, avait avancé un schéma général, bien que non centré sur la peinture (vid. Carlo Bertelli, « Traccia allo studio delle fondazioni medievali dell’arte italiana », Storia dell’Arte Italiana, II. Del Medioevo al Novecento, I. Del Medioevo al Quattrocento, Turin, Einaudi, 1983, pp. 5-163). Récemment a été publié un travail de catalogage sur support digital dirigé par Giulia Orofino sur les rotulus d’Exultet (voir Exultet. Testo e immagine nei rotoli liturgici dell’Italia meridionale, (éd.) G. Orofino, Università degli studi di Cassino – Ministero per i Beni e le Attività Culturali, 1999). Autre initiative dans cette direction, celle de Maria Andaloro qui a commencé un travail de catalogage de la peinture du haut Moyen Âge de la région du Latium, incluant la numérisation en 3D des ensembles (Atlante : Percorsi visivi, I. Suburbio, Vaticano, Rione Monti, (dir.) M. Andaloro, Viterbo, Università della Tuscia/ Milano, Jaca book, 2006 (coll. La Pittura medievale a Roma : 312-1431) ; L’orizzonte tardo antico e le nuove immagini 306-468, (éd.) M. Andaloro, Viterbo, Università della Tuscia/ Milano, Jaca book, 2006- (coll. La Pittura medievale a Roma : 312-1431, Corpus vol. I)). 5   Comme on peut le constater nous suivons un schéma classique par pays. Ce n’est pas le schéma que nous préférons parce que le fait artistique n’a manifestement pas un rapport direct avec les frontières. Dans cette vision générale, cependant, il nous semble que c’est le système le plus clair et le plus ordonné. 6   Voir sur la Suisse en général l’entrée ‘Svizzera’ dans Enciclopedia dell’Arte Medievale, XI, 53-54; pour la peinture en général, voir les œuvres de Giovanni Lorenzoni, Monumenti di età carolingia. Aquileia, Cividale, Malles, Münster, Padoue, Ed. Antenore, 1974 (coll. Ricerche e studi d’arte medioevale, 2) et Nicolò Rasmo, Arte carolingia nell’Alto Adige, Bolzano, 1981, ou le volume correspondant d’Ars Helvetica. 7  Paul Deschamps, Marc Thibout, La peinture murale en France. Le haut moyen âge et l’époque romane, Paris, Éditions d’Histoire de l’Art, Libr. Plon, 1951 (coll. Ars et Historia) ; Eidem, « À propos de nos plus anciennes peintures murales », Bulletin Monumental, CXI (oct.-déc 1953), pp. 369-398. 8   Voir Jean-Pierre Caillet, « Dalle origini al Medioevo maturo : La pittura preromanica e romanica », La pittura in Europa. La pittura francese, vol. I, Milan, Electa, 1999, pp. 25-58 (bibliographie, vol. III, pp. 987-989).

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de ceux de Ch. Davy pour le Loir et la Loire9. Dans tous les cas, cependant, ces œuvres traitent d’une production picturale qui n’est jamais antérieure à la fin du XIe siècle. Pourtant, le renouvellement des études affecte aussi la production antérieure au roman grâce, en particulier, à l’archéologie. Ainsi, nous pouvons dire que l’étude des peintures de la crypte de Saint-Germain d’Auxerre a été résolue brillamment après une intervention archéologique importante dirigée par Christian Sapin. Dans ce cas, en outre, les résultats ont été magnifiquement publiés10. Alors que la peinture murale montre de grands vides, il ne fait pas de doute que la peinture de manuscrits jouit, en France, d’une extraordinaire continuité depuis le VIIe siècle. Malheureusement, l’étude de ce patrimoine est compliqué. Nous ne connaissons aucune étude d’ensemble sur la miniature mérovingienne11. Pour la prolifique miniature carolingienne reste encore à achever le corpus mis en œuvre par W. Köhler et continué par F. Mütherich12. L’œuvre est déjà une référence pour la collecte exhaustive d’images ; pourtant sa très longue mise en chantier fait que certaines de ses analyses aient été, en bien des cas, dépassées. L’outil d’analyse le plus utile pour 9  Marcia Kupfer, Romanesque Wall Painting in Central France. The Politics of Narrative, New Haven-Londres, Yale Univ. Press, 1993 et Christian Davy, Vincent Jubel, Gilbert Paoletti, Les peintures murales romanes de la vallée du Loir, Vendôme, Éd. du Cherche-Lune, 1997 ; Christian Davy, La peinture murale romane dans les Pays de la Loire. L’indicible et le ruban plissé, Laval, Société d’archéologie et d’histoire de la Mayenne, 1999 (coll. La Mayenne, Archéologie, Histoire. Supplément, 10). 10  Voir Peindre à Auxerre au Moyen Âge, IXe-XIVe siècles. 10 ans de recherches à l’abbaye Saint-Germain et à la cathédrale Saint-Étienne, (éd.) Christian Sapin, Auxerre, Centre d’Études Médiévales/Paris, Éd. du CTHS, 1999 (coll. Mémoires de la section d’archéologie et d’histoire de l’art, vol. VII). En revanche des œuvres comme les exceptionnelles mosaïques de Germignydes-Prés ne bénéficient pas encore d’une étude définitive (v. la bibliographie recueillie par J.-P. Caillet, « Dalle origini al Medioevo maturo… », pp. 988. 11   Voir Jean Porcher, « Los Manuscritos pintados carolingios », Jean Hubert, Jean Porcher, Wolfgang F. Volbach, El Imperio Carolingio, Madrid, Aguilar, 1968 (coll. El Universo de las Formas), pp. 71-202 105 et suiv. ; P. Skubiszewski, L’art du haut Moyen Âge…, pp. 111-120 ; J.-P. Caillet, « Dalle origini al Medioevo maturo… », pp. 25-27. 12  Wilhelm Koehler, Die karolingischen Miniaturen, I. Band. Die Schule von Tours. 2 vol., Berlin, Deutscher Ver. für Kunstwissenschaft, 1933 ; Idem, Die karolingischen Miniaturen, II. Band. Die Hofschule Karls des Grossen, 2 vol., Berlin, Deutscher Ver. für Kunstwissenschaft, 1958 ; Id., Die karolingischen Miniaturen, III. Band. Die Gruppe des Wiener Krönungs-Evangeliars. Metzer Handschriften. 2 vol., Berlin, Deutscher Ver. für Kunstwissenschaft, 1960; Wilhelm Koehler (†), Florentine Mütherich, Die karolingischen Miniaturen, IV. Band. Die Hofschule Kaiser Lothars. Einzelhandschriften aus Lotharingien. 2 vol., Berlin, Deutscher Ver. für Kunstwissenschaft, 1971 ; Eidem, Die karolingischen Miniaturen, V. Band. Die Hofschule Karls des Kahlen, 2 vol., Berlin, Deutscher Ver. für Kunstwissenschaft, 1982 ; Eid., Die karolingischen Miniaturen, VI. Band. Die Schule von Reims. Erster Teil von den Anfängen bis zur Mitte des 9. Jahrhunderts, 2 vol., Berlin, Deutscher Ver. für Kunstwissenschaft, 1994.

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toute cette question continue à être le chapitre de J. Porcher dans le volume correspondant de la collection l’Univers des Formes13. Dans un cas peut-être en raison des lacunes énormes – la peinture murale –, dans l’autre peut-être par la quantité immense d’œuvres conservées – la miniature –, nous n’avons pas encore de grandes synthèses pour la peinture du haut Moyen Âge en France14. D’autre part cette situation n’est pas étrange. Étant donné la formation des chercheurs français, la recherche a davantage tenté à valoriser les aspects qui entourent la décoration des églises, c’est-à-dire la liturgie, l’exégèse, l’iconographie ou l’archéologie. Dans chacune de ces matières existe vraiment une base d’étude solide. Ces dernières années, en outre, le progrès a été sensible dans ces domaines, qu’il resterait cependant à rattacher plus fermement à l’étude directe de l’œuvre d’art15. L’étude de la production artistique en territoire allemand a vu récemment apparaître un grand nombre de travaux. C’est ainsi que le travail des scriptoria monastiques nous est plus proche16, mais nous avons aussi des outils importants pour l’étude de la peinture murale. Ainsi, les derniers travaux sur la décoration d’Oberzell nous per-

 Jean Hubert, Jean Porcher, Wolfgang F. Volbach, L’Empire Carolingien, Paris, Gallimard, 1968 (coll. L’Univers des formes). De ce niveau d’analyse, nous sommes ensuite contraints de passer à des œuvres, elles aussi très intéressantes, comme le livre de Mütherich (Florentine Mütherich, Joachim E. Gaehde, Carolingian Painting, New York, George Braziller, 1976), mais qui est conçu comme une sélection très restreinte afin de pouvoir présenter de magnifiques photographies. 14   cf. J.-P. Caillet, « Dalle origini al Medioevo maturo… ». 15   Dans cette introduction il faut souligner les études d’É. Palazzo sur la liturgie (Éric Palazzo, Le Moyen Âge. Des origines au XIIIe siècle, Paris, Beauchesne Éd., 1993 (coll. Histoire des Livres Liturgiques) ; Idem, Les Sacramentaires de Fulda. Étude sur l’iconographie et la liturgie à l’époque ottonienne, Münster, Aschendorff Verl., 1994 (coll. Liturgiewissenschaftliche Quellen und Forschungen, 77) ; Id., « Iconographie et liturgie dans les études médiévales aujourd’hui : un éclairage méthodologique », Cahiers de Civilisation Médiévale, 41 (1998), pp. 65-69 ; Id., L’Évêque et son image. L’illustration du Pontifical au Moyen Âge, Turnhout, Brepols, 1999 ; Id., Liturgie et société au Moyen Âge, Paris, Aubier, 2000 (Collection Historique)), celles de J. Baschet (Jerôme Baschet, Lieu sacré, lieu d’images. Les fresques de Bominaco (Abruzzes, 1263). Thèmes, parcours, fonctions, Paris-Rome, École Française de Rome, 1991 (Images à l’appui, 5)) sur la topographie de la décoration, un sujet auquel a été consacré aussi une rencontre internationale (L’emplacement et la fonction des images dans la peinture murale du Moyen Àge (Actes du 5ème séminaire international d’art mural. 16-18 septembre 1992-Saint Savin), Saint-Savin, Abbaye Saint-Savin, [1992] (coll. Cahier nº 2)), ou d’intéressants travaux pluridisciplinaires comme celui consacré au culte de Vierge pendant l’époque médiévale (v. Marie. Le culte de la Vierge dans la société médiévale, (éd.) D. Iogna-Prat, É. Palazzo, D. Russo, Paris, Beauchesne, 1996). 16  Henry Mayr-Harting, Ottonian Book Illumination, An Historical Study. 2 vol., Londres, Harvey Miller Publishers, 1991. 13

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mettent d’approcher avec plus de sûreté cet ensemble remarquable17. Pour d’autres œuvres, on ne saurait se passer de certains des articles réunis dans les actes du Congrès de l’Icomos de 1998, de la récente synthèse de U. Schneider, et surtout du travail de H. Claussen et M. Exner18. Ainsi nous avons peu à peu une meilleure connaissance d’un monde à mi-chemin entre Orient et Occident et dont n’arrivent traditionnellement dans la Péninsule ibérique que peu de nouvelles. Un sujet important et complexe, comme l’est celui de l’interrelation du monde ottonien-nord-italien-byzantin, indispensable à la compréhension d’un grand nombre d’œuvres conservées en Italie et en Allemagne, a livré aussi un travail récent, bien qu’éloigné en partie de notre période19. C’est sans doute dans les îles britanniques que la production picturale de ces siècles a été le mieux étudiée. Pour ce qui est de la miniature, il y a longtemps que le Corpus de la production dans les îles est publié20. Pour la peinture murale, le nombre d’études est bien inférieur, en raison sans doute de la rareté des œuvres conservées dans les îles. Pourtant quelques travaux remarquables s’intéressent tant aux œuvres conservées qu’aux œuvres disparues qui cependant ont laissé une trace dans les sources21. Dans la liste des travaux plus généraux il 17  Kurt Martin, Die ottonischen Wandbilder der St. Georgskirche Reichenau-Oberzell, Sigmaringen, Jan Thorbecke Verl., 1975 ; Koichi Koshi, Die frühmittelalterlichen Wandmalereien der St. Georgskirche zu Oberzell auf der Bodenseeinsel Reichenau, 2 vol., Berlin, Deutscher Verl. für Kunstwissenschaft, 1999. 18   Wandmalerei des frühen Mittelalters. Bestand, Maltechnik, Konservierung, (éd.) M. Exner, Munchen, 1998 (coll. Cahiers du comité National Allemand, XXIII, ICOMOS) ; Ulrich Schneider, « Il medioevo : la via verso l’identità stilistica : Dalla rinascita carolingia al tramonto del romanico », La pittura in Europa. La pittura tedesca, Milan, Electa, 1996, vol. I, pp. 17-64 ; bibliographie, vol. II, pp. 537-538 ; Hilde Claussen, Mathias Exner, « Abschlußbericht der Arbeitsgemeinschaft für frühmittelalterliche Wandmalerei », Zeitschrift für Kunsttechnologie und Konservierung, 4 (1990), pp. 261-290. Pour Trèves il faut citer le travail de Mathias Exner, Die Fresken der Krypta von St. Maximin in Trier und ihre Stellung in der spätkarolingischen Wandmalerei, Trier, 1989 (Trierer Zeitschrift, Beiheft 10) ; pour Ratisbonne, v. dernièrement Enciclopedia dell’Arte Medievale, XI vol., Rome, Enciclopedia Italiana, 1991-2000, en part. IX, pp. 834-842 avec une bibliographie ; sur les ensembles de Reichenau, v. la brève notice de H. R. Meier, sv. ‘Reichenau’, Enciclopedia dell’Arte Medievale, IX, Rome, Enciclopedia Italiana, 1998, pp. 870-876 avec une bibliographie. 19  Irmgard Siede, Zur Rezeption ottonischer Buchmalerei in Italien im 11. und 12. Jahrhundert, Munich, EOS Verl., 1997. 20   Voir J. J. G. Alexander, A Survey of Manuscripts Illuminated in the British Isles, I. Insular Manuscripts Sixth to the Ninth Century, (éd.) J. J. G. Alexander, Londres, Thames & Hudson, 1978 et Elzbieta Temple, A Survey of Manuscripts Illuminated in the British Isles, II. Anglo-Saxon Manuscripts 900-1066, (éd.) J. J. G. Alexander, Londres, Thames & Hudson, 1976. 21  Richard Gem, « Documentary references to Anglo-Saxon painted architecture », Early Medieval Wall Painting and Painted Sculpture in England (Based on the Proceedings of a Symposium at the Courtauld Institute of Art, February 1985), (eds.) S. Cather, D. Park, P. Williamson,

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faut souligner, d’une part, l’œuvre de C. R. Dodwell et, de l’autre, la publication de M. Michael22. Quant aux royaumes hispaniques médiévaux, l’attention qu’on y a portée est inégale. La peinture asturienne, par exemple, compte déjà deux études d’ensemble23. Évidemment, la plus grande attention a été accordée à l’illustration de livres. L’attraction que le monde des Beatus a exercé sur de nombreux chercheurs a entraîné la publication d’une quantité notable d’études. Le corpus que réalise John Williams, et dont les quatre premiers volumes sont déjà parus, est devenu l’outil indispensable pour approcher cette production particulière24. L’Aragon, avec une importante quantité d’ensembles conservés, souffre d’une certaine stagnation des études, à preuve l’œuvre de G. M. Borrás et M. García qui continue à être indispensable25. Pour un point de vue d’ensemble, il est significatif que le livre inégal de J. Sureda continue à être une référence indispensable pour la production hispanique conservée26. Concernant la Catalogne, le plus remarquable est l’achèvement des corpus de la production artistique d’entre les IVe et XIIIe siècles27. Bien sûr, la qualité des études dans ces œuvres collectives monumentales est inégale et par conséquent elles doivent être comprises comme un point de départ pour un approfondissement des études et pour la publication d’études monographiques. Peut-être la partie la plus oubliée est-elle dans ce cas l’étude de la miniature. Bien que, comme nous le verrons, on ne puisse pas parler clairement d’une miniature Oxford, 1990 (coll. BAR British Series, 216), pp. 1-16 ; C. R. Dodwell, Artes pictóricas en Occidente…, pp. 35 et suiv. ; pp. 75 et suiv. ; pp. 139 et suiv. 22   C. R. Dodwell, Artes pictóricas en Occidente… ; Michael Michael, « Lo stile e il richiamo della fede », La pittura in Europa. La pittura inglese, Milan, Electa, 1998, pp. 16-49 et 323. 23  Helmut Schlunk, Magin Berenger, La pintura mural asturiana de los siglos IX y X, Principado de Asturias, Servicio de publicaciones, 1991 (reédition facsimilée de la 1ère ed. 1957); L. Arias, La pintura mural…. 24   John W. Williams, The Illustrated Beatus. A corpus of the illustrations of the commentary on the Apocalypsis, Londres, Harvey Miller Publishers, 1994-. 25   Gonzalo M. Borrás Gualis, Manuel García Guatas, La pintura románica de Aragón, Saragosse, Caja de Ahorros Immaculada, 1978. Récemment a été publié le livre de Gloria Fernández Somoza, Pintura Románica en el Poitou, Aragón y Cataluña : La itinerancia de un estilo, s. l., Nausícaä Edición Electrónica, 2004 qui traite des relations entre les ensembles catalans, aragonais et poitevins. À notre avis le livre part de prémisses méthodologiques déjà dépassées, ce qui l’empêche, malgré l’énorme travail de comparaison, d’arriver à des résultats satisfaisants. À propos de la peinture en Aragon, un projet du groupe Ars Picta, dirigé par Milagros Guardia, a reçu récemment un financement pour s’occuper en partie de l’étude de la peinture en Catalogne et en Aragon. 26  Joan Sureda, La pintura románica en España, Madrid, Alianza Editorial, 1985 (Alianza Forma, 47). 27   Catalunya Romànica ; Del Romà al Romànic….

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jusqu’au XIe siècle, il ne faudrait pas sous-estimer ce que certaines des œuvres les plus remarquables de ce XIe siècle peuvent nous dire d’une production antérieure. Nous pensons bien entendu aux deux bibles de Ripoll et de Rodes, lesquelles, malheureusement, n’ont pas encore bénéficié de l’étude qu’elles méritent28. Dans le panorama de ces études on remarque par-dessus tout le manque de relation entre les chercheurs de chaque pays. La diffusion des études est, dans certains cas, extrêmement restreinte. C’est pourquoi il est souvent véritablement difficile d’arriver à avoir des informations même minimales sur des œuvres extraordinairement importantes. Du point de vue des publications ce vide est comblé, actuellement et partiellement, grâce à l’achèvement de l’Enciclopedia dell’Arte Medievale29.

Les territoires Nous nous disposons à jeter un regard rapide sur le panorama de la peinture du haut Moyen Âge de l’Occident européen comme préalable à l’analyse de la situation en Catalogne. Notre intention est seulement de donner une introduction et une mise en contexte. Il serait absurde, dans cette introduction, de faire une analyse exhaustive, ensemble par ensemble, de chacun des territoires examinés. Ainsi nous nous limiterons à souligner les traits caractéristiques de chaque région avec la volonté de définir le contexte dans lequel prend place l’objet de notre étude, c’est-à-dire la peinture en Catalogne aux IXe-Xe siècles. 28   Actuellement et sous la direction de Milagros Guardia, l’équipe Ars Picta de l’Universitat de Barcelona achève la première phase du projet d’étude de l’illustration des deux manuscrits. Dans cette approche initiale, les premiers résultats, qui seront publiés au cours des prochains mois, sont déjà surprenants. Parallèlement, depuis la paroisse de Sainte-Marie de Ripoll le prêtre Sr. Ramon Tuneu (†) lance la publication facsimilé de ces miniatures, en même temps que l’étude des deux manuscrits, dans la collection Studi e Testi de la Biblioteca Apostolica Vaticana. Malgré sa mort prématurée, le projet se poursuit (Anscari Manuel Mundó, Les Bíblies de Ripoll, estudi dels Mss. Vaticà, Lat. 5729 i París, BNF, Lat. 6, Cité du Vatican, Biblioteca apostolica vaticana, 2002 (coll. Bíblies de Ripoll, 3-Studi e testi, 408) ; Les Bíblies de Ripoll, vol. 1. Vaticà, lat. 5729, Vic, Bisbat de Vic, 2002 (coll. Codices e Vaticanis selecti. Series maior, 86)). Malheureusement, A. M. Mundó étant chargé de l’édition, l’étude qui accompagne la reproduction facsimilé traite des questions artistiques de manière absolument inadéquate, utile seulement pour les aspects codicologiques. L’apport du groupe Ars Picta a consisté en une compilation exhaustive de la bibliographie relative à ces œuvres par Immaculada Lorés. [Les apports de ce groupe, dont nous faisons partie, peuvent être consultés sur la page web www.arspicta.net]. 29   Enciclopedia dell’Arte Medievale.

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Italia Si dans la plupart des cas il est difficile de fixer une fin pour le monde antique et un début pour le haut Moyen Age, dans le cas de l’Italie le défi est évident. De la plupart des travaux récents on peut déduire que la véritable fracture dans le monde italique survient avec la conquête byzantine à l’époque de Justinien30. Auparavant on peut considérer l’existence de changements, essentiellement de type social et politique, qui permettent, par exemple, de considérer l’importance du domaine ostrogoth ou des mutations dans l’art monumental à l’époque de Sixte III (432-440)31. Sans doute, pourtant, « La lunga e sanguinosa guerra greco-gotica rappresenta per molti aspetti, e anche per l’arte, uno dei punti di cesura più clamorosi della storia d’Italia. »32 – c’est nous qui soulignons. D’un point de vue politique cette intervention – en réalité la récupération de la part de la véritable capitale impériale, de l’autorité sur la part de l’Empire qu’était la péninsule italique – redéfinit le territoire italique en trois zones du nord au sud. Pour Rome la date clef est 536, date de l’entrée de Bélisaire. Dans le nord il faut attendre 554, date à laquelle les Goths sont vaincus, bien que, peu après, Byzance soit reléguée dans les enclaves adriatiques par les Lombards33. Ce tournant politique aurait pu être un changement de plus, sans guère de conséquences sur le plan artistique. Les Byzantins étaient issus de la même tradition que celle qu’ils retrouvent dans la Péninsule Italique. Mais ce changement ne sera pas sans conséquences. La conscience italique avait été de maintenir l’héritage impérial, autant à Ravenne avec Théodoric qu’à Rome avec les papes. Il y avait eu   La pittura in Italia… ; S. Lomartire, G. Valagussa, « Le origini ».  S. Lomartire, G. Valagussa, « Le origini », pp. 17-18 ; Richard Krautheimer, Roma, profilo di una città. 312-1308, Rome, Ed. dell’elefante, 1981 (1ère éd. en anglais Princeton, Princeton Univ. Press, 1980 ; traduction en français Rome, portrait d’une ville, 312-1308, Paris, Le Livre de Poche, 1999), pp. 67 et suiv. 32  S. Lomartire, G. Valagussa, « Le origini », p. 27. 33   En réalité la situation est beaucoup plus complexe. La division de l’espace italique se fait dans deux directions différentes. Du nord au sud on trouve une triple compartimentation: le nord reste sous une influence majeure et décisive lombarde, au centre existe une coexistence de zones lombardes et “romaines”, et au sud une influence dominante byzantine. L’autre division se situe entre territoires intérieurs et côtiers. Dans les premiers se trouve une concentration lombarde, dans les seconds la dominante byzantine. À ce double schéma il faudrait ajouter les conditions politiques : le personnage du roi dans le Milanais, les alliances entre Bénévent et Spolète, la volonté d’indépendance des territoires de Rome et de Ravenne ou la plus grande dépendance envers l’Empereur des territoires du sud. Pour une synthèse de la situation voir Paolo Delogu, « Geografia politica dell’Italia nell’Altomedioevo », La pittura in Italia. L’altomedioevo, Milan, Electa, 1994, pp. 327-334. 30 31

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d’importants changements de gouvernements et de structures, mais l’activité édilitaire était maintenue par les successeurs et continuateurs des Empereurs. D’un coup, pourtant, arrivent les véritables continuateurs du pouvoir impérial et de cette confrontation sort victorieuse la manière byzantine, en particulier, et orientale, en général. À partir de ce moment les papes et les gouvernants sont d’origine grecque. La «soumission» de Rome à Byzance ne s’achève, d’une certaine façon, qu’au couronnement de Charlemagne. Le VIe siècle est donc un siècle compliqué. D’une part, en raison des grands vides impossibles à remplir34, de l’autre, en raison des «dérives» plastiques. Concernant le premier problème il est très difficile de comprendre l’évolution artistique du sud de la péninsule, en partie occupée par Byzance et en partie par les Lombards, sans les œuvres que chacun de ces groupes a commanditées ; nous avons le même problème dans le nord lombard, où nous savons que sont entreprises d’importantes décorations dont, cependant, il ne reste rien35. En réalité, la seule production qui peut actuellement être étudiée est celle reliée directement à Rome, et c’est là que nous trouvons cette «dérive» plastique. La chance d’avoir conservé de nombreuses interventions dans la mosaïque et surtout un véritable condensé de la peinture romaine entre les VIe et IXe siècles sur les murs de Sainte-Marie antiqua autorise une analyse assez sûre. Jusqu’à ce siècle, la plastique romaine, qu’il s’agisse de livres ou de mosaïque – pour citer les deux extrêmes –, révèle un compromis entre les sources et les traditions d’origine hellénistique et la plastique plus purement tétrarchique. Ceci unit stylistiquement les productions tout en leur conservant une notable diversité formelle. Parmi de multiples exemples nous choisissons : les Catacombes, Sainte-Constance (milieu du IVe siècle), Sainta-Marie la Majeure (ca 440), le Virgile du Vatican (Ve siècle) ou l’église des Saints-Côme-et-Damien (526-530). L’exemple le plus clair du niveau atteint dans la réalisation des décors monumentaux, à partir de ce compromis, est peut-être justement ce dernier lieu. Les personnages très marqués coexistent avec un paysage seulement 34   Par exemple, nous ne connaissons rien de la plastique de l’époque de Grégoire le Grand (590-604) sauf, peut-être, les Évangiles dits de saint Augustin (Cambridge, Corpus Christi College, ms. 286 ; fin du VIe siècle), très probablement une œuvre réalisée à Rome et apportée à Canterbury par l’évangélisateur Augustin. Le seul “plein” étant Ravenne complètement liée a Constantinople. 35   Ou bien peu. On a la mention, par exemple, des décorations des palais de Monza et de Pavie et de quelques églises mais, malheureusement, nous n’en conservons aucun vestige (voir Saverio Lomartire, «  La pittura medievale in Lombardia  », La pittura in Italia. L’Altomedioevo, Milan, Electa, 1994. pp. 47-89).

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ébauché où l’ombre des personnages donne leur corporalité à chacun des acteurs. C’est le compromis entre ce qui a été appelé le style solennel et la tradition naturaliste. Le débarquement de Byzance apporte un changement. Les mosaïques de la seconde moitié du VIe siècle, sans renoncer à la monumentalité sculpturale, laissent de côté ces éléments qui donnaient la corporalité et l’environnement. Le fond s’unifie et devient abstrait, les personnages deviennent linéaires et bidimensionnels. C’est ce que nous voyons à Saint-Laurent fuori le mura (ca. 579-590) ou à Sainte-Agnès fuori le mura (ca. 625-638). Peut-être comme contrepoint à cette manière de faire, les peintures de Sainte-Marie antiqua montrent la reprise d’un style hellénistique au caractère antique marqué, qui coexiste et contamine le style iconographique que nous trouvons sur les mosaïques. Tandis que la Maria Regina se rapproche stylistiquement de l’église des Saints-Côme-et-Damien, l’Annonciation (ca 565-578) ou la scène de Salomon et des Machabées (ca 649-655) ne trouvent pas de parallèles si ce n’est dans des œuvres antiques descendant de compositions hellénistiques. La grande re-décoration promue par Jean VII (705-707) à SainteMarie antiqua montre le point culminant de la coexistence de ces deux langages différents. Souvent cette coexistence devient fusion. On peut voir, par exemple, que la série de portraits des apôtres dans les médaillons a été contaminée par un naturalisme et un sens du volume qui ne leur est pas naturel, étant conçus comme des icônes. La même tendance se retrouve dans le décor conservé à Clitunno. De la même manière, dans les scènes de l’Ancien et du Nouveau Testament peut se vérifier l’importance de la ligne de contour pour la définition des volumes. Pourtant, sur l’icône de Sainte-Marie in Trastevere ou sur les vestiges de mosaïque représentant la Vierge, provenant de son oratoire à Saint-Pierre du Vatican, on peut à nouveau identifier la claire séparation des langages. La perte de contrôle de Byzance sur Rome à partir du début de la querelle iconoclaste (725-843), qui culmine avec le rattachement de Rome à l’Empire carolingien, marque la fin de cette bicéphalie plastique. Le meilleur exemple est encore à Sainte-Marie antiqua. La chapelle de Théodote montre un changement de ton évident. Le cycle narratif – il en va autrement de la crucifixion ou des portraits des donateurs – devient la transposition bidimensionnelle d’une image hellénistique. Comme si, à partir des photogrammes d’un film, on avait dessiné les vignettes d’une bande dessinée. La proximité, l’émotivité et le caractère frappant de ces images impliquent beaucoup plus 78

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le spectateur. Il ne s’agit pas de le convaincre intellectuellement – la peinture hellénistique – ni de montrer la nature divine – la plastique tétrarchique –mais de l’impliquer émotionnellement. Cette nouvelle manière a été associée à des peintres orientaux, non pas byzantins mais palestiniens36. Dès ce moment, et toujours sans évolution linéaire, commence à s’imposer une plastique pleinement médiévale qui partage des aspects de toutes les sources citées sans arriver à être identifiée pleinement à aucune. Nous le voyons sur les peintures postérieures de Sainte-Marie antiqua, œuvre des papes Paul Ier (757-767) et Hadrien Ier (772-795) ; c’est ce que nous trouvons aussi sur les peintures de Sainte-Marie in Via Lata du milieu et de la fin du VIIIe siècle (Museo Nazionale Romano Crypta Balbi) ou de l’oratoire de Saint-Saba du VIIIe siècle37. Le moment le plus intéressant pour notre étude commence à la fin du VIIIe siècle38. Coïncidant avec l’entente entre Léon III et Charlemagne, nous assistons à la réapparition de la mosaïque. Les vestiges conservés de ce premier moment se limitent à l’arc triomphal des Saints-Nérée-et-Achillée (ca 814). Devant cette décoration en mosaïque, on constate à nouveau l’accentuation de la ligne. La bidimensionnalité des personnages s’accroît, les formes tendent à une plus grande simplicité, la couleur se résout de manière quasiment pointilliste. À côté d’aspects formels, on a souligné que cette décoration est une référence explicite à la querelle adoptianiste39. Cet usage des images nous montre l’attachement au monde carolingien, mais c’est l’unique élément et il s’intègre dans la récupération d’un vocabulaire tardo-antique. D’après les arguments de M. Andaloro, il paraît

36   À ce point, il conviendrait de faire une incise. Quand on parle de la production byzantine, et par extension orientale, on fait référence à une production très hétérogène. Nous admettrons que ce que nous conservons en provenance de Sainte-Catherine du Mont Sinaï – par exemple l’icône de saint Pierre, VIe-VIIe siècles – (Kurt Weitzmann, The Monastery of Saint Catherine at Mount Sinai. The Icons, I. From the Sixth to the Tenth Century, Princeton (New Jersey), Princeton Univ. Press, 1976, en part. pl. VIII), de Syrie-Palestine – par exemple l’Évangéliaire de Rabula (Florence, Bibl. Laurenciana, ms. Plut. I, 56 ; ca 586) ou la reliure du reliquaire du Vatican (fin du VIe-VIIe siècle) – est très différent de ce qui devait se trouver à la cour constantinopolitaine et que malheureusement nous avons perdu. Ainsi, quand on examine l’apport byzantin à Rome il faut considérer que celui-ci pouvait avoir des expressions différentes et, donc, des conséquences différentes. 37   Voir G. Matthiae, (M. Andaloro), Pittura romana del medioevo…, pp. 271 et 274. 38   Ibidem, pp. 275-281. 39  Diega Giunta, « I mosaici dell’arco absidale della basilica dei SS. Nereo e Achilleo e l’eresia adozionista del sec. VIII », Roma e l’Età Carolingia (Atti della Giornata di Studio, 3-8 maggio 1976), Rome, Multigrafica ed., 1976, pp. 195-200, fig. [75]-[76].

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clair qu’on ne peut parler de peinture carolingienne à Rome mais d’une peinture d’époque carolingienne à Rome40. Le bref pontificat de Pascal Ier (817-824) marque l’apogée du programme initié par Léon III. Les œuvres conservées de cette époque sont remarquables et connues – Sainte-Marie in Domnica, Sainte-Cécile in Trastevere, Sainte-Praxède. On remarque plus que tout la construction et la décoration de Sainte-Praxède. À côté du magnifique ensemble de mosaïques41, on doit attirer l’attention sur le décor peint conservé dans la tour-clocher occidentale42. Le cycle complet du martyrologe s’exprime au moyen d’un langage de silhouettes découpées dans un fond bleu et marron. Les contours sont traités avec des lignes épaisses et la représentation des plis sur les vêtements disparaît quasiment. Les visages sont appliqués comme des masques par-dessus la tête. L’aspect triangulaire est accentué par la ligne droite qui arrête le front. Les différences qui ont été établies entre mosaïque et peinture sont justifiées, mais surtout pour des questions techniques et non stylistiques. À grands traits nous voyons ici ce que sera la peinture romaine jusqu’à la rénovation qui pendant la deuxième moitié du XIe siècle arrive du Mont-Cassin. Les vestiges de Saint-Martin ai Monti (milieu du IXe siècle), de Saint-Clément (milieu du IXe siècle) ou de SainteMarie de Gradellis (ou Egizziaca) (second quart du IXe siècle) s’inscrivent dans un même style, quoique les différences formelles soient notables. À partir de cette époque les différents problèmes qui affectent la cité, ainsi qu’un certain tarissement artistique, entraînent une baisse de la production. À propos de la cité de Rome, cela veut dire que nous ne conservons «que» des ensembles comme, par

 G. Matthiae, (M. Andaloro), Pittura romana del medioevo…, p. 278.   Des mosaïques qui montrent deux tendances clairement différentes. Celles de l’abside et de l’arc triomphal s’inscrivent dans la tendance plus “romaine” de Léon III, celles de la chapelle de saint Zénon, par contre, se rattachent à des œuvres de Ravenne. 42   Malheureusement, il n’existe pas encore une étude de cet ensemble peint. Une publication récente se limite à tenter de définir les problèmes autour du décor (v. Claudia Zaccagnini, « Nuove osservazioni sugli affreschi altomedievali della chiesa romana di S. Prassede », Rivista dell’Istituto Nazionale d’Archeologia e Storia dell’Arte, 54 (1999), pp. 83-114). La meilleure étude que nous connaissions est la maîtrise de Stefania Pennesi Verrocchio, La decorazione pittorica altomedievale del transetto della basilica di Santa Prassede a Roma, Tesi di Laurea, Facoltà di Filosofia e Lettere, Università « G. d’Annunzio » di Chieti, 1997/1998 (étude inédite déposée aux archives de Sainte-Praxède, Rome), mais elle est inédite. Nous réalisons actuellement une monographie sur la décoration de cette église. 40 41

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exemple, Sainte-Marie in Pallara (ou San Sebastianello al Palatino – fin du Xe siècle) ou Saint-Urbain alla Caffarella (ca 1011)43. En ce qui concerne le reste de l’Italie, et en comparaison avec la situation privilégiée de Rome, les IXe-Xe siècles n’ont pas livré un nombre aussi élevé de vestiges et, en conséquence, il est plus difficile de reconstituer la situation. Au nord de l’Italie, les vestiges du royaume lombard sont insuffisants, bien que les sources nous parlent d’une activité importante44. La région, cependant, prend l’allure d’un carrefour culturel. Le meilleur exemple en est sans doute la fondation du monastère de Saint-Colomban de Bobbio (début du VIIe siècle), une des diverses fondations irlandaises qui naîtront partout en Europe. Nous ne conservons des vestiges qu’à partir de la fin de la période lombarde (fin VIIIe – début IXe siècle). Il faut souligner en ce sens des œuvres connues depuis un certain temps, comme l’ensemble SaintSauveur à Brescia, le Tempietto de Cividale ou l’ensemble de SainteMarie foris portas (Castelseprio), à côté de découvertes récentes, comme l’ancien monastère de Torba (Mairie de Gornate Olona, Varese). La disparité formelle de chacun de ces ensembles montre combien est complexe, en même temps que riche et intéressante, cette époque de la fin du VIIIe et du début du IXe siècle45 Quant à la Longobardia minor, on a souligné le rôle de l’exil de la cour lombarde du nord (ap. 774) dans la réactivation, ou une certaine activation, des réalisations artistiques. Il est possible que, comme dans le nord, nous soyons devant un problème de conservation aggravé ici par un manque de sources. Une chose est claire, la production artis  Un problème qu’il faut résoudre, comme le souligne M. Andaloro, est le manque d’œuvres du Xe siècle (voir G. Matthiae, (M. Andaloro), Pittura romana del medioevo…, pp. 287-289). Peut-être les fresques de la tour de l’église des SS. Nero ed Achilleo comblentelles ce vide (Stefania Pennesi Verrocchio, « I cicli dei martiri Cecilia e Sebastiano ai SS. Nereo e Achilleo : continuità dei programmi narrativi agiografici nella pittura romana fra X e XI secolo », Roma e la Riforma gregoriana. Tradizioni e innovazioni artistiche (XI-XII secolo). Atti delle giornate di studio, Università di Losanna, 10-11 dicembre 2004, (Ed.) Serena Romano e Julie Enckell Julliard, Rome, Viella, 2007 (coll. Études lausannoises d’histoire de l’art, 5/ I libri di Viella. Arte)). 44  S. Lomartire, « La pittura medievale … », p. 47. 45   La datation de l’ensemble de Sainte-Marie de Castelseprio continue à être un mystère encore aujourd’hui. La tentative de fixer une datation a été menée à partir d’à peu près toutes les possibilités : depuis l’épigraphie jusqu’à la thermoluminescence en passant, évidemment, par le style. Les propositions issues des différentes analyses ont fluctué entre les VIe et Xe siècles. Aujourd’hui il y a un certain consensus, bien que pas de certitude, pour les placer aux VIIIe-Xe siècles (v. S. Lomartire, « La pittura medievale … », pp. 49 et suiv. et S. Lomartire, G. Valagussa, « Le origini », La pittura in Europa. La pittura italiana, 1, Milan, Electa, 2000, pp. 17-89 41 et suiv.). 43

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tique ne naît pas, dans cette zone, à la fin du VIIIe siècle. Des exemples comme le Tempietto de Clitunno à Spolète au début de ce siècle en rapport avec certaines œuvres réalisées à Rome comme les portraits des apôtres de l’époque de Jean VII à Sainte-Marie antiqua, en sont une bonne démonstration. Quoi qu’il en soit, ce que nous conservons n’est guère abondant. Certaines œuvres sont rattachées aux cours ducales, comme celle de Clitunno, déjà citée, et, à Bénévent, les vestiges de la décoration de Sainte-Sophie, un édifice qu’il faut mettre en relation avec une certaine émulation constantinopolitaine tant par sa dédicace que par sa conception. Le décor, qui a été daté de la seconde moitié du VIIIe siècle ou déjà de la première du IXe siècle, montre une manière complètement différente de ce que nous voyons à Clitunno mais qui a été rapprochée, aussi, de réalisations romaines liées à la Palestine46. Les œuvres que l’ont peut dater du VIIIe siècle sont plutôt rares. Il faut attendre le IXe siècle pour assister, d’une part, à l’accroissement du nombre d’ensembles conservés et, de l’autre, à une forte offensive byzantine qui sépare durablement les régions les plus côtières et méridionales (Pouilles et Calabre). Parmi les différents ensembles conservés il faut en souligner deux particulièrement : les Saints-Martyrs de Cimitile (Campanie) et Saint-Vincent au Volturno (Isernia, Molise) de la fin du IXe siècle. Pour ces deux ensembles, à côté de leur notable richesse iconographique, on remarque leurs liens formels évidents avec Rome et Bénévent. Alors qu’à Cimitile les couleurs et la manière de traiter les personnages se rattachent à la production de Pascal Ier et de ses successeurs, Volturno a des liens clairs avec ce même contexte romain tout en se rapprochant des peintures de Bénévent dans le traitement formel des personnages. Le problème principal pour aborder l’étude de cette époque et de cette région est notre grande ignorance sur le centre important du Mont-Cassin. La grande rénovation qui s’y déroule à partir de l’abbatiat de Didier au milieu du XIe siècle, ajoutée à la totale destruction que cette abbaye a subie tout au long des siècles, empêchent d’en faire l’évaluation et d’en mesurer l’influence. Il faut malgré tout supposer qu’elle était notable, car dès le milieu du VIIIe siècle, on y perçoit un important renouveau culturel, renouveau qui est très favorisé par l’intervention carolingienne au cours du IXe siècle. Pour le Xe siècle, à la différence de ce qui se passe à Rome, on trouve tant au nord qu’au sud un nombre très respectable d’œuvres  S. Lomartire, G. Valagussa, « Le origini », p. 42.

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conservées. Dans la plupart des cas cependant, il s’agit d’une production d’œuvres de second ordre dont seuls quelques vestiges nous sont parvenus47. Il faudra attendre le début du XIe siècle pour que la production reprenne avec force en Italie du nord sous autorité de l’Empire ottonien : Saint-Vincent à Galliano, Baptistère de Novara…48. Mais le renouveau n’atteint le sud qu’avec l’impulsion donnée par Didier au Mont-Cassin, d’abord, puis à Rome, ensuite, déjà dans la deuxième moitié du XIe siècle. Ce panorama une fois dressé, il est possible d’en tirer quelques conclusions. La cité de Rome, et sa zone d’influence, se caractérise par sa propre personnalité fondée sur sa tradition et l’influence constante du monde oriental à travers les papes. Laissant de côté les époques antérieures, on peut souligner qu’à partir de la fin du VIIIe ou du début du IXe siècle une reprise est motivée par des questions politiques en relation avec les événements orientaux et la volonté de Charlemagne de se placer à la tête de l’Occident. Le poids du facteur politique dans le cas de Rome s’explique par le caractère propre à cette ville. Là – et c’est presque le seul endroit en Occident – nous pouvons suivre l’interaction entre les domaines artistique et politique, en particulier en ce qui concerne les questions iconographiques. Avec ces prémisses nous assistons à un «néo-paléochrétien» qui, sans doute, sera déterminant pour le développement artistique du monde carolingien. En s’éloignant de Rome, on rencontre deux situations bien différentes. Au nord, à partir d’une solide production lombarde dont les rares exemples conservés sont remarquables, et de l’enclave byzantine que constituent Ravenne, d’abord, et Venise ensuite, la production d’époque carolingienne est importante. Le meilleur exemple est Müstair (Grisons). Au sud nous ignorons ce qui se passe pendant la première moitié du VIIIe siècle. Les œuvres que nous en conservons révèlent avec force les influences de Rome et de Constantinople. Ce sont bien sûr Clitunno et Sainte-Sophie de Bénévent. Le IXe siècle voit l’influence se décanter en faveur de Rome (Cimitile et Volturno), alors que l’influence de Byzance reste davantage circonscrite aux territoires occupés des Pouilles et de la Calabre qu’il faut étudier dans l’art byzantin.

  Ajouter ici une simple liste n’aurait guère de sens, nous renvoyons donc à La pittura in Italia…. 48   Voir Liana Castelfranchi Vegas, « La lombardia otoniana y Ariberto », Año Mil. El Arte en Europa, 950-1050. (éd.) L. Castelfranchi, Barcelone, Lunwerg, 2000, pp. 88-107, en part. pp. 103-105. 47

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Hibernia et Britannia La relation de l’Empire romain avec les îles britanniques fut particulière. Il faut comprendre cette relation pour saisir le développement artistique des îles pendant le haut Moyen Âge. Seule la Britannia – qui sera plus tard l’Angleterre – fut occupée et romanisée de façon plus ou moins profonde ; la future Écosse n’eut qu’une connaissance superficielle du monde romain ; l’Irlande, bien que connue et reliée par des contacts, reste à l’extérieur du monde romain. Ce cadre explique que pour les îles britanniques christianisation et Moyen Âge soient une seule et même chose49. Curieusement, c’est en Irlande que le christianisme s’enracine rapidement et profondément. Sa population passe ainsi de la culture celte à la culture chrétienne sans intervention, au départ, de la culture romaine50. Cela est important car les moines irlandais seront responsables de la christianisation d’une bonne part de l’Europe et, bien sûr, de la Grande-Bretagne voisine. Les premiers monastères en territoire anglo-saxon sont irlandais. Les couvents de Iona ou de Lindisfarne en sont des exemples emblématiques. Mais des monastères beaucoup plus éloignés sont irlandais, comme Luxueil dans les Vosges (ancien royaume de Bourgogne) ou Bobbio en Lombardie. La première miniature de ces centres ne se comprend que par l’origine des fondateurs. Mais au moment de ces fondations, le christianisme irlandais a déjà subi une première réforme. À la fin du VIe siècle, Grégoire le Grand († 604) décide d’intervenir dans le développement du christianisme des îles britanniques. À cette fin, il envoie le moine Augustin en mission d’évangélisation. Il sera le fondateur du monastère de Canterbury. Nous ignorons pratiquement tout de la peinture murale de cette époque. Nous n’en avons aucun reste. Tout ce que nous en savons nous vient des sources écrites51. L’une de ces notices est tout à fait remarquable. Ainsi, Bède nous parle de la décoration commanditée par Benoît Biscop dans les deux monastères northumbriens de Wearmouth et de Jarrow à la fin du VIe siècle52. Bède explique que le décor 49   Cette approche si générale peut être bien entendu fortement nuancée. Pour une vision plus complète des îles britanniques, voir Roger Collins, La Europa de la Alta Edad Media, 300-1000, Madrid, Akal, 2000 (1ère éd. en anglais, Londre, 1991), pp. 237 et suiv. 50   Voir R. Collins, La Europa de la Alta Edad Media…, pp. 308 et suiv. 51   Voir R. Gem, « Documentary references to Anglo-Saxon painted … », pp. 1-16 ; C. R. Dodwell, Artes pictóricas en Occidente…, p. 75. 52  P. Meyvaert, « Bede and the church paintings… », pp. 63-77.

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de Wearmouth montrait la Vierge et les douze Apôtres, imagines evangelicæ historiæ et imagines visionum apocalypsis beati Iohannis ; à Jarrow, par contre, les scènes étaient dominicæ historiæ picturas et imagines…de concordia veteris et novi Testamenti, c’est-à-dire un programme typologique53. L’information transmise par Bède est très intéressante. Il nous parle des contacts entre Rome – d’où provenait le décor – et les îles ; il nous parle de la manière dont la décoration d’une église pouvait être acquise et transportée à son emplacement définitif54. Il évoque l’existence de contacts, de moyens et d’un monde, celui de la production picturale du haut Moyen Âge, beaucoup plus riche, plus divers et plus complexe que ce que nous pourrions supposer à partir de ce que nous en avons conservé. Jusqu’au recoin le plus éloigné de l’Europe on pouvait disposer d’un décor réalisé à Rome. Ce que ne dit pas cette notice, ni aucune autre, c’est comment étaient ces peintures55. C’est là la grande limite des textes. À partir d’un texte et avec un peu de chance on peut arriver à savoir qui a commandité des peintures, quand et pourquoi elles furent commanditées, ce qui y était représenté… Mais rien n’est dit de leur style, de leur qualité ou de leur affinité avec d’autres peintures. Quand nous nous lançons dans la recomposition du paysage artistique, ces notices ne nous sont donc qu’une aide partielle. Dans la peinture de manuscrits, la tradition culturelle celte a dès l’origine une force extraordinaire. C’est ce qu’on voit sur des œuvres comme le livre de Darú (Dublin, Trinity College Library, ms. 57) de ca 675. Les courbes, les contre-courbes et des motifs quasiment obsessionnels rapprochent ces œuvres de l’art des métaux et des émaux. Elles diffèrent de ces productions par la plus grande liberté que permet le dessin sur parchemin. Dans certains cas, des éléments d’origine germanique ou méditerranéenne – des tressages, des tiges, des animaux – y sont incorporés. Ceci permet de constater qu’arrivent et sont connues d’autres choses que la tradition locale. C’est ce que l’on voit   Ibidem, p. 66.   Cette question reste controversée, mais il semble que Benoît Biscop avait acheté à Rome des panneaux peints qui, une fois arrivés à destination, furent fixés aux murs des églises correspondantes (voir P. Meyvaert, « Bede and the church paintings… », pp. 70 et suiv.). 55   Malheureusement, ici, même Rome ne nous donne pas de pistes. Nous avons déjà souligné qu’un des points obscurs de l’histoire de la peinture italienne est, justement, la peinture de l’époque de Grégoire le Grand (cf. S. Lomartire, G. Valagussa, « Le origini », pp. 26 : « Il nostro desiderio di saggiare il fervido clima culturale di Roma al tempo di papa Gregorio Magno (590-604) dovrà forse per sempre rimanere insoddisfatto. »). Le seul exemple de cette production est sans doute le codex des Évangiles de saint Augustin, déjà cité. 53 54

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sur les Évangiles de Lindisfarne (Londres, British Library, Cotton, ms. Nero D IV ; Northumbria, ca 698). Dans cette œuvre apparaît déjà la figure humaine. Le traitement qui en est fait révèle combien leurs points de départ sont différents d’œuvres comme les Évangiles de saint Augustin. L’arrivée d’œuvres comme les Évangiles de saint Augustin – ou les peintures de Benoît Biscop – sera sans doute le détonateur pour un changement qui, progressivement, éloigne la production irlandaise de tout le reste. Ainsi la production anglaise se rapproche progressivement de celle d’Italie. Un exemple magnifique de ce courant stylistique est le Codex Aureus de Canterbury (Estocolm, Kungliga Biblioteket, cod. A. 135 ; milieu du VIIIe siècle). L’Irlande, en revanche, approfondit ses formes et ses racines jusqu’à amener son système expressif au paroxysme. Le célèbre Livre de Cheanannais (Dublin, Trintity College Libr., Ms. A.1.6) réalisé vers 800 en est un superbe exemple56. Cette évolution qui commence à se définir durant le VIIIe siècle continue à être approfondie dans le courant du siècle suivant au moyen de contacts et d’échanges avec le monde carolingien. Sans doute les conflits générés par l’arrivée des Vikings ont entraîné, à côté de destructions notables, un ralentissement de la production. Ce que l’on vérifie, pourtant, est un certain maintien de la tendance définie dans le siècle antérieur. Le Xe siècle est caractérisé par l’activité croissante d’un scriptorium, celui de Winchester, qui devient essentiel pour comprendre la fin du monde anglo-saxon. Les œuvres de ce scriptorium se distinguent par des encadrements végétaux extraordinaires d’exubérance et par une extrême richesse d’élaboration des plis des vêtements des personnages ; elles sont aussi remarquables par la profusion de couleur et l’emploi de l’or. Bien que les liens avec les centres carolingiens comme Reims soient évidents, le résultat final est très original. On ne peut faire moins que de citer, dans cette introduction, le Bénédictionnaire d’Æthelwold (Londres, British Library, Ms. Add. 49598 ; ca 971/84). Bien entendu, quand on parle des îles britanniques on doit se contenter de s’appuyer sur l’illustration des manuscrits. Nous avons vu cependant que l’on a des informations écrites sur l’existence d’en56   La discussion est toujours ouverte pour savoir s’il fut réalisé à Iona (Écosse) ou en Irlande. Dans un cas comme dans l’autre, il n’y a pas de doute qu’il est l’œuvre d’un centre de profonde religiosité irlandaise. Des doutes existent aussi sur sa datation (v. récemment M. Michael, « Lo stile e il richiamo della fede », p. 19).

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sembles muraux peints qui ne sont pas conservés57. Par ailleurs, on peut être d’accord avec C. R. Dodwell qui considère qu’une activité aussi intense des scriptoria nous parle aussi d’une importante production murale58. Malheureusement, les fragments conservés sont rares. Les peintures les plus connues sont celles de Nether Wallop. L’ensemble, très partiel, est extrêmement important car il s’agit des seules peintures anglo-saxonnes conservées in situ59. Ce qui reste de cette image de l’Ascension a été daté du Xe siècle, par des rapprochements stylistiques avec les productions de Winchester. D’autre part, on conserve des vestiges de la décoration subsistant sur une série de blocs remployés dans les fondations de New Minster, Winchester. Leur découverte dans un contexte archéologique très précis a permis d’établir comme terminus ante quem pour ce décor la date de consécration de New Minster (903). Ces vestiges maigres rendent difficile une analyse de la décoration qu’il faut cependant situer, tant pour des raisons de décor que de traitement des personnages, dans le courant de rapprochement avec le monde carolingien. L’archéologie a livré des vestiges d’autres décorations qui nous confirment dans la conviction d’une importante tradition de décoration murale non conservée60.

Francia Personne ne remet en question l’existence, sur le territoire de la France actuelle, d’une continuité de la production de peinture murale depuis le monde antique. Le fondement de cette conviction réside sans doute dans les nombreuses références que nous trouvons dans les sources dès le VIe siècle jusqu’à l’époque carolingienne61. Malheureusement, la connaissance que nous avons de cette peinture est plutôt lacunaire. Seule l’époque carolingienne nous a légué des vestiges importants et les manuscrits nous permettent d’ailleurs de nous en   Voir R. Gem, « Documentary references to Anglo-Saxon painted … ».   C. R. Dodwell, Artes pictóricas en Occidente…, pp. 143. 59  Pamela Tudor-Craig, « Nether Wallop Reconsidered », Early Medieval Wall Painting and Painted Sculpture in England (Based on the Proceedings of a Symposium at the Courtauld Institute of Art, February 1985), (Eds.) S. Cather, D. Park, P. Williamson, Oxford, 1990 (coll. BAR British Series, 216), pp. 89-104. 60   cf. David Park, « Anglo-Saxon Wall Painting : the Current State of Research », Édifices & Peintures aux IVe-XIe siècles (Actes du 2e Congrès Archéologie et enduits peints 7-8 novembre 1992. Auxerre-Abbaye Saint-Germain), Musée d’Auxerre, 1994, pp. 72-79. 61   cf. J. Schlosser, Quellenbuch. Repertorio di fonti…, pp. 37, 42, 417 ; Julius von Schlosser, Schriftquellen zur Geschichte der karolingischen Kunst. Gesammelt und Erläutert von…, Vienne, Verl. von Carl Graeser, 1896. 57 58

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faire une idée, car le VIIIe siècle est aussi celui de l’éclosion de l’illustration. D’après la production d’époque carolingienne, sur qui repose principalement cette étude, on constate que la France montre une curieuse transition du monde antique au monde médiéval. Le changement aurait pu être semblable au modèle hispanique, mais il en est sensiblement différent. Le problème principal est, classiquement, de fixer le moment de rupture entre un monde et l’autre. L’époque carolingienne connaît un important mouvement de renaissance culturelle, ce qui peut indiquer que le sentiment d’éloignement par rapport au monde antique devait être important. Nous pourrions donc penser que la césure se situe entre les époques carolingienne et mérovingienne. En réalité, on détecte, dès l’époque mérovingienne, des indices de ce que l’on appellera la renaissance carolingienne. Le changement de dynastie n’est donc pas un argument suffisant. La solution est donc de considérer que la rupture avec l’Antiquité tardive a lieu à l’arrivée des Francs. En ce sens, les différences sont notables par rapport aux cas italien et hispanique. Clovis (ca 481-ca 511), pour imposer son autorité, dut affronter une réalité politique et géographique plus complexe que celle des Wisigoths et des Ostrogoths. Ceci explique que, bien que son accès au pouvoir s’insère dans un contexte culturel tardo-antique semblable à celui de ses voisins62, le résultat soit différent. En conclusion, dès l’époque mérovingienne, les monarques francs durent construire leur domination sur un territoire vaste et hétérogène sur la base de la recomposition d’un héritage qu’ils percevaient comme lointain et d’une tradition propre. Cette conclusion nous conduit à déduire que le haut Moyen Âge commence, dans ce territoire, au VIe siècle63. 62   « Les lettres écrites à, pour et autour de Clovis le situent dans un contexte typique du Bas-Empire. Rémi parle de lui comme de celui qui a assumé l’administration de la province de Belgique Seconde et lui conseille d’écouter les avis qu’il pourra recevoir des évêques dépendant de son autorité. La lettre adressée en son nom aux évêques de la Gaule méridionale en 507-508 est rédigée avec la réthorique cérémonielle et la terminologie administrative du gouvernement du Bas Empire… » (R. Collins, La Europa de la Alta Edad Media…, pp. 156) (traduit d’après la version espagnole de l’ouvrage, NDT). 63   « Ainsi, les rois francs qui succédèrent à Clovis ne furent pas les héritiers de l’État romain tardif dans la même mesure où le furent les souverains ostrogoths et wisigoths aussi. Ils ne semblent pas s’être emparés du pouvoir et des ressources que celui-ci aurait pu leur procurer, ou bien ils tentèrent seulement de le faire quand il était trop tard. Un exemple est le non maintien du complexe mais lucratif système fiscal du Bas Empire. Quand le souverain novateur et romanisé Chilpéric (561-584) tenta de revivifier les procédures tombées en désuétude et d’introduire de nouvelles descriptiones ou inventaires fiscaux, il rencontra une considérable opposition, organisée en bonne part par l’Église, et des évêques comme Gré-

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Le passage du monde tardo-antique au haut Moyen Âge est caractérisé en France par l’absence de ruptures traumatiques. Tout au moins pas du genre de celles qui ont lieu en Italie du nord ou dans la Péninsule ibérique. Ceci explique aussi que l’on puisse admettre une certaine continuité de la tradition, et ici de la production picturale. On sait qu’en France convergent les influences méditerranéennes et les apports insulaires arrivés avec les moines qui ré-évangélisent le continent64. Cela se manifeste au travers d’œuvres comme le sacramentaire de Gélase (Biblioteca Apostolica Vaticana, Reg. Lat. 316 ; ca 750), celui de Gellone (Paris, BNF, ms. lat. 12048 ; ca 790-795) ou le De fide catholica d’Isidore de Séville (Paris, BNF, ms. lat. 13396 ; ca 800). Ce n’est pas ici le lieu de récapituler les apports et la nature du monde carolingien. L’attraction exercée par cette question et les nombreux aspects qu’elle présente ont donné naissance à une bibliographie démesurée. L’une des manifestations les plus importantes de ce monde carolingien est sa miniature65. Historiquement, son étude a été organisée à partir du regroupement en écoles, représentantes des productions officielles, à côté desquelles existait tout un monde beaucoup plus hétérogène de productions provinciales66. Cette production est présente dès l’origine, cela aide à en percevoir la progression et les constantes. Le plus remarquable, par contraste avec la production mérovingienne, est la volonté affichée de récupérer des modèles perdus que l’on trouve à Rome. La «découverte» de Rome et le lien fort que les empereurs établissent avec la Ville est le catalyseur principal d’une manière de faire et de penser que Charlemagne impulse dès les tout premiers temps. L’extension territoriale que connaît l’Empire fait que cette nouvelle proposition s’exporte, en plus ou moins grande goire lui affirmèrent que la maladie (et plus tard la mort) de ses enfants étaient la conséquence directe de cette prétention, à leur sens impie. En revanche, en Espagne, les évêques étaient intimement impliqués dans la levée des impôts en faveur des monarques. Cette incapacité à conserver des éléments apparemment aussi décisifs de l’organisation de l’État centralisé peut paraître indiquer que les rois francs manquaient de sophistication ou qu’ils étaient plus barbares que leurs équivalents Goths. Cette impression pourrait entraîner des malentendus. Les problèmes de continuité se manifestent en réalité plus au cours du Ve siècle qu’au VIe. » (R. Collins, La Europa de la Alta Edad Media…, p. 218). 64   On ne peut non plus écarter les apports wisigothiques, comme cela a été récemment souligné par J. Yarza, « Los inicios de la miniatura Hispana… ». 65   cf. W. Koehler (†), F. Mütherich, Die karolingischen Miniaturen ; J. Porcher, « Los Manuscritos pintados carolingios », pp. 71-202. 66   cf. V. H. Elbern, sv. ‘Carolingio’, Enciclopedia Universale dell’Arte, III, Novara, Istituto Geografico de Agostini, 1980 (1ère éd. 1958), cols. 145-146, 169-193 ; Jean Porcher, « La peinture provinciale », Karl der Grosse. Lebenswerk und Nachleben, Band III. Karolingische Kunst, Düsseldorf, Verl. L. Schwann, 1965, pp. 54-73.

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mesure, vers divers lieux. Ce que nous trouvons dans notre Marca Hispanica en est, nous le verrons, le produit, mais aussi quelques œuvres du nord de l’Italie (Brescia), des Alpes (Müstair), de Germanie (Trèves) et, à partir d’une certaine époque, on en sentira aussi l’influence dans le monde anglo-saxon et dans les royaumes hispaniques occidentaux. Pour ce qui est de la peinture murale, comme à l’accoutumée, les vestiges ne sont guère nombreux67. Dans le cas de la France, au sens strict, nous devons nous limiter aux peintures de la crypte de SaintGermain d’Auxerre (ca 850-860)68. Leur étude complète, réalisée il y a peu, en fait l’un des ensembles les mieux connus69. En fait, les vestiges conservés en Francia orientalis sont plus importants70. Des fragments à Koblenz, Cologne, Corvey, Aix-la-Chapelle ou les importants vestiges de peinture décorative de la Torhalle de Lorsch, entre autres, renseignent sur une abondante activité picturale. Mais sans doute les vestiges les plus importants sont-ils les peintures conservées dans la crypte de Saint-Maximin de Trèves, du milieu du IXe siècle71. Afin de connaître l’ensemble peint d’époque carolingienne le mieux conservé, nous devons nous transporter en Suisse. Saint-Jean de Müstair continue à être, malgré les différentes interventions qu’a subies l’ensemble depuis sa découverte en 1894 – arrachements partiels inclus –, l’œuvre carolingienne la plus emblématique. Malheureusement, cet ensemble, nous l’avons dit, ne bénéficie pas encore d’une étude monographique et a été très mal publié72. Comme pour   Voir en général J. Hubert, J. Porcher, W. F. Volbach, L’Empire Carolingien ; P. Skubi­ szewski, L’art du haut Moyen Âge…, pp. 314-323. 68  « Un’impronta stilistica ben diversa recano gli affreschi di Ternand (Rhône), che gli studiosi francesi attribuiscono al periodo carolingio. » (V. H. Elbern, sv. ‘Carolingio’…, pp. 169 ; cf. Paul Deschamps, « Les peintures carolingiennes de Ternand (Rhône) », Mélanges d’Histoire du Moyen Âge dédiés à la mémoire de Louis Halphen, Paris, PUF, 1951, pp. 193-197). On a récemment prouvé l’appartenance à l’époque carolingienne des fresques de Saint-Pierre-lesÉglises (commune de Chauvigny) au moyen des datations au C14 lors des premiers travaux engagés par Bénédicte Palazzo-Bertholon dans un projet d’étude globale de l’ensemble. 69   Voir Christian Sapin, et alii, « La Cathedrale Saint-Étienne », Peindre à Auxerre au Moyen Âge, IXe-XIVe siècles. 10 ans de recherche à l’abbaye Saint-Germain d’Auxerre, (dir.) C. Sapin, Auxerre-Paris, Centre d’Études Médiévales-CTHS, 1999, pp. 225-264. 70  H. Claussen, M. Exner, « Abschlußbericht der Arbeitsgemeinschaft für frühmittelalterliche Wandmalerei », pp. 261-290 ; U. Schneider, « Il medioevo : la via verso l’identità stilistica… », pp. 24 et suiv. 71  Hans Eichler, « Peintures murales carolingiennes à Saint-Maximin de Trèves », Cahiers Archéologiques, VI (1952), pp. 83-90 ; M. Exner, Die Fresken der Krypta von St. Maximin…. 72   Aux nombreux malheurs de ce très intéressant ensemble s’ajoute le blocage, en pratique, de son étude. Par conséquent, les apports à son sujet sont très rares. Soulignons les travaux de Geza de Francovich,« Il ciclo pittorico della chiesa di San Giovanni a Münster (Müstair) nei Grigioni », Arte Lombarda, II (1956), pp. 28-50, J. S. Cwi, « A Study in Carolingian Poli67

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la plupart des décorations murales, les problèmes de chronologie sont aussi présents en ce cas. Certains éléments iconographiques – l’importance accordée au cycle de David et d’Absalom – et d’autres considérations permettent de situer la décoration autour du deuxième quart du IXe siècle73. Plus loin nous nous arrêterons sur cet ensemble ; nous nous contenterons de souligner ici, d’une part son importance du point de vue iconographique et, de l’autre, sa proximité, d’un point de vue formel et stylistique avec des œuvres nord-italiennes comme Saint-Sauveur de Brescia. À côté de Müstair, toujours dans cette partie alpine de l’Empire, d’autres ensembles importants sont conservés. Il s’agit de Saint-Benoît de Mals et de Saint-Procule de Naturno. Dans la première église, la qualité et la tendance formelle sont proches de Müstair, et par conséquent sa chronologie aussi74 ; dans la seconde, une qualité inférieure de la réalisation rend difficile la datation (IXe siècle) sur la base de faibles données75. Cet aperçu sur les vestiges de peintures murales carolingiennes nous offre, loin de ce qu’on aurait pu penser, un panorama plutôt varié. Il en va de même pour l’illustration des manuscrits où, selon l’école, les résultats sont très éloignés les uns des autres. Dans le cas de la peinture murale la diversité s’explique en outre parce que cette activité n’est pas réservée exclusivement aux élites intellectuelles, comme une bonne part de la production de manuscrits illustrés. Cela favorise bien sûr une plus grande hétérogénéité. Pour un autre aspect, celui de la circulation de l’information, il faut considérer que le monde carolingien est plutôt un récepteur du monde italien, en général, et de Rome en particulier, et dans une moindre mesure de Byzance. Son rôle de diffuseur se concentre, principalement, sur les territoires conquis militairement ou culturellement ; c’est le cas de la Francia orientalis, de la Marca Hispanica ou de l’Angleterre. Dans le paysage français, nous ne pouvons par ailleurs oublier l’un des ensembles les plus luxueux dont nous ayons des vestiges. Nous voulons parler de Germigny-des-Près, chapelle de la résidence de tical Theology : The David Cycle at St. Johan, Müstair », Riforma religiosa e Arti nell’epoca carolingia. Atti del XXIV Congreso Internazionale di Storia dell’Arte, 1, (éd.) Alfred A. Schmid, Bologne, Ed. Clueb, 1983, pp. 117-127 et Caecilia Davis-Weyer, « Müstair, Milano e l’Italia carolingia », Il millenio ambrosiano. Milano, una capitale da Ambrogio ai Carolingi, (Ed.) Carlo Bertelli, Milan, Electa, 1987, pp. 202-237. 73   Voir C. Davis-Weyer, « Müstair, Milano e l’Italia carolingia »…. 74  N. Rasmo, Arte carolingia…, pp. 19 et suiv. ; La pittura in Italia…, pp. 93. 75  Christoph Eggenberger, « Die frühmittelalterlichen Wandmalereien in St. Prokulus zu Naturns », Frühmittelalterliche Studien, 8 (1974), pp. 303-350, pl. X-XXVI ; La pittura in Italia…, pp. 90.

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l’évêque d’Orléans, Théodulphe. Cet ensemble est important pour divers motifs. Parce que sa décoration consiste principalement en mosaïque, parce que ce décor de mosaïque est complété par du stuc, parce qu’il s’agit du décor de la résidence privée d’un personnage important, et parce que ce personnage était Théodulphe. Malheureusement, comme nous l’avons dit, l’ensemble a subi d’importantes agressions, en particulier en matière de restaurations, et il n’a pas encore l’étude qu’il mérite76.

Germania La disparition du pouvoir carolingien et son remplacement par les empereurs ottoniens entraîne, en toute logique, un changement. Bien que sur le plan historique cela puisse supposer une rupture, en matière d’art la césure est plus nuancée, en tant qu’héritiers d’une conception qui avait pris naissance sous Charlemagne77. Pour ce qui est de l’art, la continuité est manifeste, car beaucoup des scriptoria qui produisent des œuvres ottoniennes existaient déjà auparavant. La rupture est manifeste dans la distance stylistique qui sépare les productions ottoniennes des carolingiennes. Pourtant l’héritage carolingien est compris comme une part indissociable de leur réalité culturelle. Ceci explique, par exemple, que la reprise de la production à Regensburg, à la fin du Xe siècle, ait pratiquement pour point de départ la restauration du Codex Aureus de Charles le Chauve78.

76   Cependant, cette mosaïque murale n’est absolument pas la seule à être réalisée dans le monde carolingien. Quelques vestiges et des dessins permettent de faire des hypothèses sur la décoration de la chapelle palatine d’Aix-la-Chapelle qui n’est pas conservée (v. Carol Heitz, L’architecture religieuse carolingienne. Les formes et leurs fonctions, Paris, Picard, 1980, pp. 74 et suiv.). Sur les mosaïques de Germigny-des-Près voir Ann Freeman, Paul Meyvaert, « The Meaning of Theodulf’s Apse Mosaic at Germigny-des-Prés », Gesta, vol. 40, nº 2 (2001), pp. 125-139. À propos des stucs, un thème qui a beaucoup de points communs avec la peinture, nous voulons mentionner le meilleur exemple, peut-être, de continuité entre Antiquité tardive et haut Moyen Âge. Nous pensons à l’ensemble de stucs et de peintures de Vouneil-sous-Biard (commune de Poitiers). Outre sa quantité, il est important car il montre deux phases de peinture sur ces stucs. La première phase correspond au moment de la réalisation, Ve-VIe siècles ; la seconde phase à la modification de la peinture avec un repeint d’époque carolingienne. Voir les articles de Bénédicte Palazzo-Bertholon et de Christian Sapin dans Stucs & décors de la fin de l’Antiquité au Moyen Âge (Ve-XIIe siècle). Actes du colloque international tenu à Poitiers du 16 au 19 septembre 2004, (Dir.) Ch. Sapin, Turnhout, Brepols Publishers, 2006 (coll. Bibliothèque de l’Antiquité tardive, 10). 77   Voir U. Schneider, « Il medioevo : la via verso l’identità stilistica… », pp. 29 et suiv. 78   Ibidem, p. 38.

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La production de manuscrits ottoniens est très intéressante, et plus encore quand on la compare à celle des Carolingiens. Il est instructif de voir comme les changements n’affectent pas seulement des questions formelles qui en définiront le style, mais aussi des questions iconographiques, avec une importance croissante des cycles du Nouveau Testament, voire la typologie des livres, avec l’essor puissant du sacramentaire ou du pontifical face au psautier ou à l’évangéliaire79. On connaît bien aussi l’organisation à partir de grands centres monastiques ou épiscopaux qui structurent la géographie de la production de livres ottonienne. L’aspect nouveau de l’illustration de manuscrits dépend, encore, de trois apports de base : la tradition carolingienne, l’intensification des contacts avec Byzance et la redécouverte du monde antique. Le renforcement de l’idée d’Empire, sans doute en raison de la plus grande proximité avec Byzance, confère à la miniature ottonienne – et en général à l’art ottonien – une majestuosité que l’on ne faisait que soupçonner dans certains cas dans le monde carolingien. Notre attention se concentrera essentiellement, pourtant, sur la production de peinture murale où, par malheur, ce que nous connaissons est extrêmement rare. L’ensemble conservé le plus important est sans doute Saint-Georges d’Oberzell à Reichenau (lac de Constance). Nous en connaissons la décoration des murs de la nef centrale, et malgré l’état de conservation, aggravé par des interventions anciennes, on y vérifie le lien avec le monde carolingien (Müstair), tout comme la monumentalité indissociable des œuvres ottoniennes. Sa datation est controversée, fluctuant toujours entre une chronologie de la fin du IXe siècle – et par conséquent très proche de Müstair – ou une attribution à la fin du Xe siècle80. Le même problème, et les mêmes orientations, se retrouvent à Saint-Sylvestre de Goldbach (près de Reichenau). Les vestiges de Saint-André de Neuenberg (près de Fulda) sont moins importants qualitativement, et ils s’éloignent de notre période car ils se situent autour de la consécration de l’édifice, c’est-à-dire vers 1023. Ce que nous conservons est donc plutôt maigre mais nous permet de soupçonner une production sans doute importante, en quantité comme en qualité, et avec un caractère sensible-

  Cf. É. Palazzo, Le Moyen Âge…, pp. 79, 217 ; Idem, Les Sacramentaires de Fulda….   Pour la chronologie della fin du IXe siècle v. U. Schneider, « Il medioevo : la via verso l’identità stilistica… », p. 28 ; K. Koshi, Die frühmittelalterlichen Wandmalereien…; pour celle de la fin du Xe siècle cf. K. Martin, Die ottonischen Wandbilder…, pp. 31-34 ; Enciclopedia dell’Arte Medievale, IX, pp. 872 et suiv.

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ment différent des œuvres carolingiennes81. La comparaison entre deux œuvres exceptionnelles comme le sont Müstair et Oberzell nous fournit déjà une piste. Face à l’érudition de la première, avec presque une centaine de scènes sur cinq registres superposés qui occupent tout le mur, la seconde nous offre une composition solennelle avec huit grandes scènes du Nouveau Testament encadrées en haut et en bas par des prophètes et des évêques dans des médaillons. Le rôle de la peinture ottonienne est important à deux titres, qui échappent cependant à notre domaine d’étude. D’une part, elle est essentielle pour comprendre la peinture nord-italienne du début du XIe siècle. En ce sens, des œuvres comme S. Vincenzo à Galliano (ca 1007) y ont toujours été rattachées. Pourtant cet aspect est encore matière à discussion. Tout comme n’est pas exempt de polémique, de l’autre, le rôle de l’art ottonien en général, peinture comprise, dans l’apparition de ce qu’on appelle art roman.

Hispania : Asturies, Léon-Castille Dans la Péninsule ibérique, la césure avec le monde antique est due aux musulmans (voir supra). Leur rapide invasion (ca 714) et les modalités de la reconquête du territoire qui a lieu à partir de cette date déterminent en profondeur l’avenir de l’ancienne Hispania. Pour la période qui nous intéresse, c’est-à-dire jusqu’à la fin du Xe siècle, et en simplifiant beaucoup, coexistent dans la Péninsule trois mondes différents : musulman, chrétien d’ascendant wisigoth, et chrétien d’origine franque. Bien que ces divisions doivent toujours être nuancées car elles masquent une foule de groupes aux intérêts politiques et économiques très hétérogènes, il faut admettre que sur le plan institutionnel, au moins, cette tripartition correspond à la réalité. La très rapide réaction à l’occupation musulmane depuis le nord cantabrique ne peut être comprise qu’en prenant en compte l’existence d’éléments de cohésion suffisants. Fondamentalement, cette cohésion repose sur l’accord entre les autochtones et les nouveaux venus pour faire face à une domination rejetée. La stratégie impulsée depuis les Asturies pour consolider les alliances et l’opposition contre les musulmans se renforce avec la création de la première cour chrétienne digne de ce nom dans la Péninsule. 81   Voir une liste plus exhaustive des vestiges peints dans K. Martin, Die ottonischen Wandbilder…, pp. 62-98).

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Le modèle artistique de cette cour est Santullano de los Prados. À côté des questions que peut susciter son architecture82, ce qui nous intéresse est son décor mural. Depuis sa découverte au début du XXe siècle il a fortement intrigué les chercheurs83. Les parallèles pour ces peintures du deuxième / troisième style pompéien, aniconiques, d’architectures fictives et de croix gemmées, ont toujours été recherchés dans l’Orient byzantin, dans l’Occident carolingien voire à Tolède elle-même84. L’option hispanique a été justifiée en faisant appel à une imitation de possibles décorations tolédanes en référence aux conciles wisigothiques. En réalité, il suffirait de faire allusion aux décorations palatines de tradition impériale afin de trouver des parallèles. C’est pourquoi ceux qui cherchent des parallèles avec Byzance, comme ceux qui en cherchent avec les Carolingiens ou avec Tolède en trouvent tous. L’erreur est de chercher des parallèles précis, parce qu’à Constantinople comme à Tolède ou à Aix-la-Chapelle c’est la même tradition qui a été recueillie : celle de la Rome impériale. Dans cette énumération il faudrait introduire une nuance, qui est que sans doute, et en tenant compte des différences évidentes, seules Constantinople et Tolède se situent au même niveau, celui des continuateurs ; Aix, pour sa part, se trouve au rang des réinventeurs. Il faudrait donc définir si Oviedo est à Tolède ce qu’Aix est à Rome, ou ce qu’est à Rome Constantinople. La tendance de l’historiographie hispanique a été de considérer la deuxième option, celle d’une continuité directe. À part Santullano, les vestiges peints sont très rares. À Saint-Michel de Liño la figure humaine apparaît déjà sur les peintures – comme sur la sculpture de l’église – ceci devrait nous faire réexaminer le   Bien que les dimensions soient évidemment différentes, les coïncidences de plan et d’élévation avec un édifice comme l’ancien Saint-Pierre du Vatican sont remarquables. Il n’est pas nécessaire cependant d’aller chercher des précédents si éloignés, avec lesquels les différences sont aussi très sensibles. En réalité l’ensemble de Santullano, plus que tout autre dans les Asturies, inspire une claire sensation “paléochrétienne”. 83   La “découverte” eut lieu pendant la restauration conduite par Fortunato Selgas en 19121915 (v. Carlos Cid Priego, Arte prerrománico de la monarquía asturiana, Oviedo, GEA, 1995, pp. 114 et suiv. ; L. Arias, San Julián…, p. 14). 84   Les décors aux architectures fictives se trouvent dans une foule d’œuvres byzantines : Saint-Georges de Salonique, Ravenne (Helmut Schlunk, « El arte asturiano entorno al 800 », Actas del Simposio para el Estudio de los Códices del ‘Comentario al Apocalipsis’ de Beato de Liébana (Madrid, 1976), Madrid, Centro de Estudios de Bibliografía y Bibliofilia, 1980, II, pp. 135-164 ; III, pp. 87-120) ; l’église de la Nativité de Bethléem ou les mosaïques de la grande Mosquée de Damas. Ces constructions figurent aussi sur les manuscrits carolingiens, les Beatus, les tissus,… voir un état de la question récent dans L. Arias, San Julián…, pp. 53 et suiv. V. récemment une importante monographie sur ce sujet de Fernando Galtier Martí, La iconografía arquitectónica en el arte cristiano del primer milenio. Perspectiva y convención ; sueño y realidad, Saragosse, Mira Ed., 2001. 82

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prétendu aniconisme hispanique (voir supra). Sans doute avec Santullano et Liño nous trouvons-nous simplement devant deux possibilités: iconisme ou aniconisme. Ces deux options sont présentes dans le monde romain, et il ne faut en écarter aucune. Bien que nous ne conservions pas les documents les plus anciens, on ne peut pas mettre en doute l’existence de livres enluminés. Les derniers travaux apportent des arguments supplémentaires aux recherches déjà classiques de H. Schlunk85. Dans ce cas non plus, il ne faut pas imaginer une production aniconique. On pense de plus en plus pouvoir affirmer que l’originalité de l’illustration des manuscrits qui inondent le Xe siècle hispanique – que ce soient les bibles ou surtout les Beatus, et d’autres encore – est la conséquence d’une miniature antérieure qui a à voir avec les sources wisigothiques. Les arguments sont nombreux pour considérer, par exemple, que les premiers exemplaires du Beatus de Liebana étaient conçus pour être illustrés. En tout cas, ce que nous voyons dans les Asturies et en CastilleLéon est absolument différent de ce qui se produit dans le reste de l’Europe. C’est seulement dans le cas irlandais que nous nous trouvons devant un éloignement similaire du «standard» européen. Làbas, nous l’avons vu, cela est dû à des racines culturelles en marge du monde romain. Mais ce n’est pas le cas pour l’ouest de la Péninsule. Il y a pourtant une spécificité. Sur le plan artistique, Constantinople est l’héritière de la cour romaine ; Rome, en particulier, et l’Italie, en général, sont débiteurs directs du passé romain mais fortement médiatisé par Byzance (voir supra) ; l’Empire carolingien est le débiteur direct de Rome ; l’Empire germanique est la conséquence de la réfondation de l’Empire de Charlemagne avec de nouveaux apports romains et d’importantes interférences byzantines. Ce panorama nous montre que, malgré les différences, tous ces milieux se meuvent autour de l’élaboration et de la ré-élaboration du passé romain à partir des mêmes sources d’information. Bien entendu ceci n’est qu’un raccourci très aventureux, mais peut-être éclairant. Les seuls qui restent d’une certaine façon en marge de ce mouvement sont d’abord le royaume des Asturies puis celui de Léon, comme si leur évolution s’était faite à partir d’une source en partie différente – comme à Constantinople – qui dans ce cas était la culture hispano-wisigothe86.   Les derniers apports de Yarza vont dans le sens d’approfondir les propositions d’H. Schlunk (voir J. Yarza, « La pittura spagnola del Medioevo… » ; bibliographie dans vol. II, p. 545 ; Idem, « Los inicios de la miniatura Hispana… » ; cf. H. Schlunk, « Observaciones en torno al problema de la miniatura visigoda »). 86   L’exode des mozarabes d’Al-Andalus fut sans doute déterminant dans cette orientation. 85

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Jusqu’au XIe siècle, le royaume de Léon et son aire d’influence reste marginal. C’est seulement à la fin du Xe siècle que l’on commence à relever des interférences importantes avec le monde franc. En est significatif, par exemple, l’extraordinaire changement iconographique que l’on relève dans le Beatus de Gérone (Cathédrale de Gérone, ms. 7 ; Tábara (?) 975). Certains thèmes comme, par exemple, la très originale crucifixion, ne s’expliquent qu’à travers la connaissance de sources de tradition carolingienne. Il en est de même avec la représentation de l’enfer. Bien que l’on propose depuis longtemps un lien musulman pour cette iconographie, au moins certains des détails doivent être considérés de tradition carolingienne87. Cette époque, que nous pouvons qualifier à notre avis, d’ouverture à l’Europe, culmine avec l’intégration dans la liturgie romaine, dans un XIe siècle déjà avancé88. Ainsi le monde hispanique reste profondément divisé. Nous allons immédiatement traiter de la Marca Hispanica, et, comme nous le verrons, les choses y sont sensiblement différentes. Ayant peu à apporter, elle se limite à recevoir. D’un point de vue artistique on peut donc la considérer en ce sens comme une conséquence provinciale, quasiment résiduelle, du monde carolingien. Face à elle, le royaume asturien, avec sa forte personnalité, se prolonge à travers le monde léonais en «contaminant» la Castille et en partie la Navarre. La conjoncture permettra qu’il reste fortement isolé et ceci explique une certaine survivance jusqu’au milieu du XIe siècle. C’est sans doute aussi pour cette raison que la production picturale reste rare. Après l’épisode asturien, il nous faut aller à la fin du XIe siècle pour trouver des ensembles comme ceux de Santiago de Peñalba (Léon), de SainteMarie de Wamba (Valladolid), de Castillejo de Robledo (Soria) ou de 87   Nous ne faisons pas référence à la disposition de l’enfer comme une superposition de trois voûtes, pour laquelle nous ne connaissons aucun parallèle. En revanche des éléments, comme la présence et la manière de représenter les démons ou les portes de l’enfer brisées par le Christ, doivent venir du monde carolingien (cf. Joaquín Yarza, « El ‘Descensus ad inferos’ del Beato de Gerona y la escatología musulmana », Formas artísticas de lo imaginario, Barcelone, Anthropos, 1987 (palabra plástica, 9), pp. 76-93 [extrait du Boletín del Seminario de Arte y Arqueología de la Universidad de Valladolid, XLIII (1977), pp. 135-146], pp. 81 et suiv.). Sur la crucifixion du Beatus de Girona, voir Carles Mancho, « Les pintures del claustre inferior de Sant Pere de Rodes : la crucifixió », Actes del Congrés Internacional Gerbert d’Orlhac, Vic, Eumo, 1999, pp. 305-320, en part. pp. 314 et suiv. et Idem,, « La peinture dans le cloître: l’exemple de Sant Pere de Rodes », Les Cahiers de Saint-Michel de Cuxa, XXXIV (2003), pp. 115-133, en part. pp. 123 et suiv. 88   Le dernier apport sur cette question par Bango Torviso (I. G. Bango, « El crepuscle de l’antiguitat… ») est significatif en ce sens.

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deuxième partie

Pano (Huesca). Ce n’est pas, on le verra, que le volume d’œuvres conservées en Catalogne soit bien supérieur à ces quatre exemples. Le problème est que dans l’Hispania occidentale on a l’impression que n’existe aucune tradition, ou, pire encore, aucune source d’où tirer l’information. Évidemment le cas hispanique pose un sérieux problème de conservation, mais malgré cela, il est difficile de comprendre pourquoi il n’y a absolument rien de conservé, même d’une qualité minime. C’est pourquoi l’information que nous offre le monde hispanique est plutôt rare.

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troisième partie La peinture Murale en Catalogne entre le IXe et le Xe siècle

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État de la question La découverte de la peinture murale en Catalogne est un fait relativement récent. Les premières trouvailles furent réalisées à la fin du XIXe siècle. Le décor roman de Saint-Cyr de Pedret – en 1887 –, les peintures de Saint-Michel de Marmellar – en 1887 –, celles de l’abside de Saint-Michel de Terrassa – en 1892 – ou celles du « retable de pierre » de Saint Pierre de Terrassa – en 1895 – firent affleurer tout un monde qu’on ne connaissait qu’à travers la France ou l’Italie. Mais découvrir ne se limite pas à trouver et inclut aussi – ou devrait inclure – l’étude et la publication de la découverte. C’est seulement dans un XXe siècle avancé que paraissent ce qu’honnêtement nous pourrions nommer de premières études1. Considérant cette époque comme un moment clef de l’histoire de l’art de la Catalogne, nous sommes obligés, par principe, de comprendre l’époque précédente, d’en évaluer l’impact et de nous demander pourquoi cette époque a éveillé si peu d’intérêt chez les historiens de l’art. Les six ensembles dont traite ce livre sont la clef qui nous permet de comprendre les origines d’une partie très importante de l’art médiéval en Catalogne : sa peinture. Cette affirmation, qui peut paraître si raisonnable du point de vue logique de la chronologie, ne semble avoir été à la base d’aucun travail publié. Les études de peinture murale de notre pays sont toujours des études sur la peinture romane, et quand elles prennent en compte les œuvres antérieures, elles le font en guise d’introduction, toujours gênante et rarement critique. L’œuvre de J. Gudiol, exemplaire sous de nombreux aspects, l’est aussi dans ce que nous venons de dire2. Malgré sa volonté de réaliser une histoire de la peinture en Catalogne, ce qu’il nous livre est à michemin entre l’archéologie sacrée et un inventaire3. Son désir d’être 1   Les trouvailles en France, tout particulièrement, auront une importance capitale pour comprendre le développement de la redécouverte de la peinture médiévale en Catalogne. Le thème de la “récupération” du patrimoine pictural a été exploré récemment, v. Milagros Guardia, Jordi Camps i Sòria, Immaculada Lorés i Otzet, La descoberta de la pintura mural romànica catalana. La col·lecció de reproduccions del MNAC, Barcelone, Electa, 1993 (Els dossiers del MNAC, 1) et X. Barral, «  El Museu Nacional d’Art de Catalunya i l’art romànic català… ». Pour chacun des ensembles dont nous traitons plus loin nous renvoyons au chapitre correspondant. Sur Saint-Michel de Marmellar v. Xavier Barral i Altet, Les pintures murals romàniques d’Olèrdola, Calafell, Marmellar i Matadars (Estudi sobre la pintura mural del segle XI a Catalunya), Barcelone, Artestudi, 1980 (col·lecció art romànic, 11), pp. 53-84. 2  Josep Gudiol i Cunill, La pintura Mig-Eval Catalana, vol. I. Els Primitius, 1ª part. Els pintors : la pintura mural, Barcelone, S. Barbra, 1927. 3  Josep Gudiol i Cunill, Nocions d’arqueologia sagrada, Vic, Impr. Balmesiana, 1902 (2e éd. d’E. Junyent i J. Gudiol i Ricart, Barcelone, J. Porté Llibreter, 1931).

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troisième partie

exhaustif le conduit à réunir les peintures pour lesquelles on a fait des notices à un certain moment, même si elles ne sont pas conservées. Il place par conséquent dans son recueil ces ensembles qui nous intéressent et qui avaient déjà été découverts – Saint-Michel de Terrassa et Campdevànol. Pourtant c’est un travail prématuré, non pas à cause de l’incapacité de l’auteur, mais en raison du contexte scientifique et culturel, car avant les premières découvertes, il n’a pas pu tirer des conclusions, voire même se poser les premières questions. En ce sens, l’œuvre de C. R. Post ne paraît pas dans un contexte plus favorable. Pourtant l’auteur part d’un cadre de référence plus large : la peinture espagnole. Cela, plus une formation sensiblement différente, font de son catalogue une œuvre de référence encore de nos jours. L’auteur commence par un premier chapitre – The Remains of Pre-Romanesque Painting – dans lequel il avance que l’étude traite de peinture romane et que par conséquent celle de l’époque antérieure n’est pas prise en compte. Bien qu’il commence par dire “that significant, extant, monumental painting is not encountered in Spain before the two centuries that are customarily denominated as the Romanesque period.”, c’està-dire les XIe et XIIe siècles, l’auteur ne peut éviter de se référer à la production antérieure4. Il est curieux de voir comment, chez C. R. Post, dès l’origine on accepte l’absence de peinture ou sa mauvaise qualité sans s’interroger sur les causes de l’une ou l’autre chose. Le premier qui tentera de comprendre le processus sera C. L. Kuhn5. Cet auteur commence, comme C. R. Post, par un chapitre d’introduction dans lequel il parle de la peinture antérieure au roman. Dans ce cas, cependant, il ne se limite pas à citer les œuvres conservées ou connues, mais il tente d’aller au delà. Commençant par la référence aux vestiges d’époque romaine6, il prend en compte l’aniconisme wisigoth, c’est-à-dire il expose comment en imposant la religion chrétienne chez les hispanoromains s’est aussi imposé un rejet de la décoration figurative. En ce sens, il se situe dans la ligne tracée par M. Gómez-Moreno, qu’il cite7. Pourtant, il se demande pourquoi Byzance n’a pas influencé la Pénin4   Chandler Ratfon Post, A History of Spanish Painting, I, Cambridge (Massachussets), Harvard Univ. Press, 1930, pp. 26-32. 5   Charles L. Kuhn, Romanesque Mural Painting of Catalonia, Cambridge (Massachussets), Harvard University Press, 1930, pp. 3-18. 6   Fondamentalement Sainte-Eulalie de Bóveda (Lugo, Galice), car à cette époque, par exemple, la décoration de Centcelles n’était pas retrouvée (C. L. Kuhn, Romanesque Mural Painting…, pp. 3-5). 7  M. Gómez-Moreno, Iglesias mozárabes…, pp. 323-326.

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sule, et particulièrement la Catalogne avec des personnages comme Jean de Biclar à Gérone. En tout cas, C. R. Kuhn évalue l’apparition de la peinture asturienne et de la miniature des Beatus comme un fait à tout le moins partiellement lié à l’influence carolingienne. Par ailleurs, il considère que les peintures de Campdevànol sont un reflet de ce que devait être le style de la peinture wisigothe. Les contacts qu’il y trouve avec d’autres contextes, comme le monde mérovingien ou insulaire, lui permettent d’insérer ce wisigothisme dans un cadre d’influences européennes. Son analyse se poursuit avec Saint-Michel de Terrassa, les peintures disparues de Sainte-Marie de Ripoll ou les peintures de Saint-Michel de Cuxa. Il tente ainsi d’établir une séquence continue jusqu’au XIe siècle. Il faut conclure de son analyse qu’une confusion générale y règne. Ce chapitre reflète bien que l’on ne comprenait pas ce qui se passait dans la Péninsule entre la fin du monde romain et les premiers décors médiévaux, ni comment ceux-ci se rattachaient aux œuvres du XIIe siècle. L’auteur est enfermé dans le présupposé de l’aniconisme de l’art wisigoth et dans la disparité du contexte médiéval hispanique pris comme un ensemble. Alors qu’il considère que la production devait être aniconique, il pense que Campdevànol est le reflet de la peinture wisigothe ! Le résultat est une tendance à vouloir tout expliquer par les importations. Comme on le verra dans nos conclusions, il a en partie raison, mais les défauts de son approche du problème – logiques pour l’époque – ne lui permettent guère d’aller plus loin. Pour trouver une autre analyse d’ensemble sur l’époque qui nous occupe, il faudra attendre la parution de Les Pintures murals romàniques de Catalunya de J. Pijoan. Le livre n’est pas édité avant l’année 1948, bien qu’il ait été rédigé avant 1939. Dans ce cas c’est la Guerre de 1936-1939 en Espagne qui est responsable du retard8. L’auteur est un des rares capables de se soustraire au présupposé de l’aniconisme hispanique. Pour lui l’existence du canon 36 du concile d’Elvira est une preuve de l’existence de décorations9. Un autre des arguments de J. Pijoan est le Dittochaeum de l’auteur hispanique Prudence.

8   Tout au moins en partie. Voir les explications sur le retard dans la publication du livre, qui dut même être rédigé à trois reprises, dans Xavier Barral i Altet, Josep Pijoan. Del salvament del patrimoni artístic català a la història general de l’art, Barcelone, IEC-Secció Històrico-arqueològica, 1999, pp. 20-21. 9   Il veut dire que l’on n’interdit pas quelque chose qui n’existe pas et que par conséquent l’interdiction a pour objet de s’opposer à une pratique habituelle.

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troisième partie Qu’au Ve siècle les églises espagnoles aient été peintes avec des thèmes historiés, cela est prouvé par le fait que Prudence se soit cru obligé de composer une série de strophes pour les placer comme des tituli de peintures de scènes religieuses10.

À partir de ces prémisses, J. Pijoan va jusqu’à l’autre extrême et pense à une continuité absolue reliant la peinture romaine à la première peinture médiévale de Catalogne. Les maillons centraux de cette chaîne seraient les peintures de Campdevànol, selon J. Pijoan antérieures aux musulmans, et le Pentateuque Ashburnham, qu’il considère comme hispanique et copie chrétienne d’un manuscrit juif alexandrin11. Toute cette entrée en matière de J. Pijoan semble être destinée à résoudre le problème des églises de Terrassa, qu’il nomme «l’épineux débat». À travers ces peintures et celles de Pedret, il pense que le haut Moyen Âge en Catalogne se structure à partir d’un double apport. Celui que nous trouvons à Terrassa est carolingien et celui que nous avons à Pedret est mozarabe. Pour J. Pijoan, l’affaiblissement du monde carolingien appelle un regain d’intérêt pour le monde hispanique. Les exemples parfaits de cet intérêt sont, dans la peinture, le Beatus de Gérone, le décor de Pedret et, en dernier lieu, le décor de Saint-Jean de Boí12. Les Bibles catalanes seraient, en revanche, le constat d’une survivance de l’influence européenne. Bien que nous ne partagions que partiellement l’analyse de J. Pijoan, il est certain qu’avec les éléments à sa disposition on ne pouvait guère lui en demander plus. Un de ses principaux mérites est de dépasser la «dictature» de M. Gómez-Moreno sur l’aniconisme ; son principal défaut est de considérer chacun des milieux culturels qu’il cite comme des structures absolument formées et définies. Ce dernier point ne peut toutefois lui être reproché quand nous lisons certains articles actuels. Qu’il y ait eu à cette époque une certaine tendance  J. Pijoan, Monumenta Cataloniæ…, p. 33.   Bien que cela ait été une des hypothèses, on considère aujourd’hui le Pentateuque Ashburnham (VIIe siècle) comme d’origine nord italienne. Pour Campdevànol, voir infra. 12   L’auteur considère que le Beatus de Gérone avait été réalisé en Catalogne, nous savons aujourd’hui parfaitement qu’il s’agit d’une œuvre arrivée à Gérone au milieu du XIe siècle et qui donne naissance à toute une série d’influences (cf. C. Mancho, « La peinture dans le cloître… »). Pourtant il affirme : « qu’Emeterius et Enda soient venus eux-mêmes en Catalogne ou qu’ils aient envoyé le livre déjà écrit et peint, le résultat est le même : une nouvelle preuve que, quand la culture carolingienne s’affaiblissait et en définitive se germanisait, en pays catalan se renouvelait l’intérêt pour la culture hispanique, que jusqu’à l’an mil les mozarabes incarnaient mieux que quiconque. » (J. Pijoan, Monumenta Cataloniæ…, p. 58). 10 11

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opposée à l’interprétation de M. Gómez-Moreno, et que par conséquent il n’ait pas été le premier à la mettre en doute n’enlève rien à son mérite. En effet, c’est alors que H. Schlunk publie un article capital sur la question du supposé aniconisme hispanique, où il met au jour les premières preuves de l’existence d’une miniature hispanique d’époque wisigothe13. Le thème de la continuité ou de la discontinuité a aussi semble-t-il préoccupé J. Puig i Cadafalch, qui à cette époque publie l’article très souvent cité « De la pintura romana a la romànica Catalana ». La rédaction d’un article portant ce titre était déjà une pétition de principe. Par ailleurs, J. Puig commence en disant, L’Histoire de la peinture du haut Moyen Âge en Catalogne nous était inconnue et il semblerait que la peinture romane, dont aujourd’hui sont remplis les musées de Barcelone et de Vic et les autres musées catalans, ait fait son apparition d’une manière instantanée et sans aucun précédent, mais la réalité n’est pas celle-ci14.

Pourtant cette entrée en matière décidée s’affaiblit rapidement en se heurtant à deux évidences. La première est que son discours s’appuie essentiellement sur sa conviction que les peintures de Terrassa appartiennent au VIe siècle. C’est le seul argument justifiant le titre. La seconde est que J. Puig i Cadafalch n’était pas un spécialiste de la peinture. Ses publications sur les peintures de Terrassa montrent déjà que son intérêt pour elles réside dans le fait qu’elles lui donnent plus d’arguments pour la datation de l’ensemble architectural. Dans cette matière, en outre, il prouve une grande méconnaissance tant du contexte pictural européen en général, que du contexte péninsulaire en particulier. Peu importe que ses «oublis» soient volontaires ou non. Ancré dans son modèle pour l’architecture, il suppose une évolution picturale qui relie l’Égypte copte, la Cappadoce et la Catalogne, alors que le contexte européen devient presque inexistant. Son discours

13   v. H. Schlunk, « Observaciones en torno al problema de la miniatura visigoda ». Les problèmes qu’a connus la publication du livre de J. Pijoan ne permettent pas de savoir si cette partie a été écrite ou modifiée pour la publication de 1948 ou si elle avait déjà été rédigée sous cette forme avant 1939. 14  Josep Puig i Cadafalch, « De la pintura romana a la romànica catalana. Esbós de la introducció al seu estudi », Orientalia Christiana Periodica, XIII (1947) (Miscellanea Guillaume de Jerphanion, I), pp. 636-647, en part. p. 636.

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n’a aucune consistance, en particulier quand il traite de la période qui demeure pour lui un hiatus, entre le VIIe et le XIe siècle15. Cette première étape des études avait apporté très peu de conclusions. On y remarque toutefois le rôle déterminant que devaient avoir les peintures de Terrassa. À côté de cet ensemble, Pedret et Campdevànol n’existeront que comme des comparses délaissés. Significatif de l’époque est aussi l’intérêt pour l’information qu’on croyait pouvoir tirer de l’analyse stylistique. Ce fut peut-être l’erreur principale de ces premiers chercheurs : s’attacher principalement à l’étude stylistique d’ensembles que tout le monde reconnaissait comme très déficients d’un point de vue qualitatif. Comme nous le verrons, cela n’a guère changé. Depuis cet article de J. Puig jusqu’au milieu des années soixantedix, les tentatives d’explication de la peinture de la période dite préromane sont inexistantes. La première édition de l’œuvre de W. W. S. Cook i J. Gudiol n’apporte au débat que l’existence d’un texte arabe qui fait une allusion générique à la décoration des églises16. C’est une référence dont les auteurs ne tirent aucun profit, et qui n’est utilisée que pour annoncer les paragraphes dédiés à la peinture pré-romane. On a presque l’impression que les auteurs se sentent obligés de justifier cette partie dans un livre de peinture romane.

  Nous ne pourrons pas l’affirmer catégoriquement ; en réalité c’est plus une opinion qu’un fait démontrable, mais l’article de J. Puig nous a toujours paru hâtif et sans conviction, comme s’il avait dû être publié pour éviter d’être dépassé, peut-être, par J. Pijoan. À côté d’erreurs méthodologiques comme la séparation artificielle entre œuvres réalistes et non réalistes, ou de se placer dans la continuité sans arguments tout en acceptant un hiatus entre le VIIe siècle et la fin du XIe ( !) siècle, le texte est plein d’imprécisions. L’auteur nous parle, par exemple du «psautier» Ashburnham, et semble ignorer le décor de Campdevànol et de Pedret. Récemment, lors de l’année où il lui fut rendu hommage, on a voulu souligner son apport dans la découverte et l’étude de la peinture romane à travers une exposition dont le commissaire était Montserrat Pagès. Malgré l’effort des chercheurs, la récolte est bien maigre, même quand on parle de l’ensemble de Terrassa (v. Jordi Camps i Sòria, Gemma Ylla-Català, « Puig i Cadafalch i l’estudi de la pintura », Puig i Cadafalch i la col·lecció de pintura romànica del MNAC, Barcelone, MNAC, 2001, pp. 33-35). L’apport le plus remarquable de Puig à la connaissance de la peinture murale sont peut-être justement les dessins des peintures de Terrassa qu’il a commandés à la Diputació pour accompagner ses publications sur les églises de Sant Pere. Inexplicablement, ils ne furent pas présentés dans l’exposition susdite (voir infra et Annexe). 16  « Manuel Asín dio a conocer un texto escrito hacia el año 1000 por Abenhazam de Córdoba en el que se dice:“Sabed también que los cristianos todos coinciden en pintar en sus iglesias una imagen que dicen ser la imagen del Creador, otra del Mesías, otra de María, otra de Pedro, otra de Pablo, la Cruz, otra imagen de Gabriel y de Miguel y otra de Israel. Además se postran ante las imágenes, como dándoles culto y ayunan en su honor, como acto de religión” » (Walter William Spencer Cook, José Gudiol, Ars Hispaniæ. I, « Pintura e Imagineria Románicas », Madrid, Plus Ultra, 1950, p. 21). 15

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C’est X. Barral qui reprend les questions que se posaient C.L. Kuhn ou J. Pijoan, bien que son introduction le rattache à l’article de J. Puig i Cadafalch17. Cet article est pionnier sous beaucoup d’aspects. En premier lieu parce que X. Barral dispose déjà d’une quantité d’informations qu’aucun de ses prédécesseurs n’avait eue, que ce soit en raison de son époque ou de sa formation. En second lieu, parce que l’auteur est contemporain d’un paysage culturel différent et donc son regard est différent. Pour cette raison, la peinture antérieure à l’an mil devient, pour la première fois, centre d’attention. Plus loin, à propos de chaque ensemble, nous reviendrons de manière critique sur cet article ; nous nous contenterons de dire ici que, malheureusement, le caractère fondateur de l’article est son principal défaut. L’auteur en vient à se limiter à une énumération des œuvres et ne parvient qu’à quelques conclusions partielles. Il s’agit, en définitive, d’un premier et intéressant état de la question. La principale conclusion est en réalité qu’il faut étudier cette période et approfondir l’examen de chacun des ensembles avant de dire quoi que ce soit de définitif. Peu de temps après, l’auteur se tournera vers la peinture du XIe siècle et par conséquent abandonnera l’étude de cette époque antérieure18. L’article de X. Barral coïncide avec un moment de forte reprise des études sur l’art médiéval en Catalogne (voir Introduction). Une œuvre importante pour l’historiographie catalane comme l’Història de l’Art Català publiée par edicions 62, commence le premier volume par le titre suggestif : Els Inicis. L’Art Romànic. s. IX-XII. Le problème, cependant, se confirme comme récurrent : son caractère d’ouvrage général et l’absence d’études spécialisées ne permet pas aux auteurs d’arriver à des conclusions19. 17   Selon l’auteur, le premier à s’intéresser à l’existence d’une continuité dans la peinture murale est J. Puig i Cadafalch dans l’article que nous venons de citer. Le titre même choisi par X. Barral rappelle beaucoup cet article. Heureusement, c’est la seule ressemblance entre les deux, voir Xavier Barral i Altet, « Peinture murale romaine et médiévale en Catalogne avant l’an mil », Les Cahiers de Saint-Michel de Cuxa, [5] (1974), pp. 141-152, 141 et suiv. 18   L’auteur reviendra sur la question dans des travaux ultérieurs, mais sans jamais approfondir les voies tracées dans l’article de 1974 (cf. X. Barral, Les pintures murals romàniques…, pp. 95-119 ; Idem, L’art pre-romànic a Catalunya…, pp. 122-139 ; Id., « El arte prerrománico », Arte Catalán ’Estado de la Cuestión’ (V Congreso del CEHA, Barcelona, 1984), Barcelone, Diputació de Barcelona, [1984], pp. 61-72). 19   La difficulté est toujours la même : on voit les problèmes mais on ne peut proposer de solutions. Tant les analyses de X. Barral que celles de N. de Dalmases et A. José sont très aiguisées : on y a l’intuition des différents degrés de connexion avec le monde antique, des différences évidentes entre les ensembles connus – Terrassa, Pedret et Campdevànol –, de

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Malgré la faiblesse des moyens et la jeunesse de l’intérêt pour la peinture antérieure à l’art roman, on avait déjà tracé à cette époque le cadre qui guiderait l’étude de ces décors. J. Yarza, en étudiant l’art mozarabe, propose une division des traditions qui permet de classer les décors conservés. Pour la Catalogne, les ensembles connus permettent de parler de tendance classique et de tendance populaire, la première dirigée par le monde carolingien et la seconde aux racines populaires. Dans le premier groupe, l’auteur place les peintures de Terrassa, dans le second, celles de Pedret. La situation des royaumes hispaniques occidentaux est plus compliquée. L’absence de vestiges lui permet seulement de placer la décoration de Sainte-Marie de Wamba comme dérivée des thèmes décoratifs des tissus orientaux et de formuler l’hypothèse d’une tradition classique semblable à celle de la Catalogne, mais liée à la puissante illustration de manuscrits20. Presque simultanément, X. Barral, tout en suivant les postulats de R. Bianchi Bandinelli, sépare lui aussi les ensembles en deux groupes21. Le premier représente la tendance officielle et possède des racines classiques. Il y place Saint-Michel et Sainte-Marie de Terrassa, Olèrdola et Calafell. Le second a un caractère local et se caractérise par une désorganisation formelle. Campdevànol, Pedret et Saint-Pierre de Terrassa appartiennent à ce groupe, tout comme Marmellar et Matadars. Le schéma fut rapidement accepté et continue à être à la base des études sur la peinture «pré-romane»22. Le manque endémique d’études partielles, et par conséquent l’absence de catalogue, commencent à être corrigés avec l’œuvre Catalunya Romànica consacrée, comme l’indique le titre, à inventorier la production romane conservée et connue en Catalogne. Paradoxalecertains des problèmes dérivés de l’iconographie et de la complexe question stylistique, tout comme de la difficulté de datation. On n’oublie pas non plus la complication ajoutée par la méconnaissance de la peinture du XIe siècle. Pourtant il est impossible de résoudre ces questions dans une œuvre de caractère général (v. N. de Dalmases, A. José, Història de l’Art Català… pp. 51-55). 20   Voir Joaquín Yarza, Arte y Arquitectura en España, 500-1250, Madrid, Cátedra, 1990 (6e éd) (1ère éd. 1979), pp. 106-108. 21  X. Barral, Les pintures murals romàniques…, pp. 121 et suiv. ; R Bianchi Bandinelli, Del Helenismo…, pp. 35 et suiv. 22   cf. Eduard Carbonell i Esteller, La pintura mural romànica, Barcelone, La llar del llibreEls llibres de la frontera, 1984 (coll. Coneguem Catalunya, 5), pp. 20 et suiv. ; N. de Dalmases, A. José, Història de l’Art Català… pp. 51 ; Joan Ainaud de Lasarte, La pintura catalana. La Fascinació del Romànic, Genève, Skira-Carrogio, 1989, pp. 31 et suiv. ; Rafael Barroso Cabrera, Jorge Morín de Pablos, « Nuevas observaciones sobre la decoración pictórica mozárabe de la iglesia de San Quirico de Pedret (Berga, Barcelona) », Boletín de Arqueología Medieval, 1992, nº 6, pp. 171-184, en particulier p. 177.

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ment, toutes les œuvres qui composent notre étude sont réunies dans ce catalogue monumental. C’est peut-être une preuve de plus de la difficulté d’intégrer ces matériaux dans le discours général. Pour la première fois, le problème deviendra celui de l’abondance des études partielles en même temps que leur inégale qualité. Malheureusement, pour les œuvres qui nous intéressent ici, les études monographiques n’apportent, comme on le verra, rien de neuf à ce qui avait déjà été dit, et les synthèses ne posent pas non plus le vrai problème. Encore une fois, notre période n’existe pas, ou bien est marginale. Seuls les articles de synthèse de E. Carbonell, M. Guardia et A. M. Mundó dans le premier volume de Catalunya Romànica se voient contraints à y faire quelques références, mais en reconnaissant qu’ils s’éloignent du sujet qui leur est échu. Le premier article traite de la voie qui mène à l’art roman23. Bien entendu, on rassemble la production des IXe et Xe siècles, mais on n’y pénètre pas en profondeur. Dans le deuxième, on traite de l’iconographie dans l’art roman, et, par conséquent, l’auteur tente de cerner, tout au moins, les limites d’une continuité si fréquemment invoquée avec le monde «classique»24. Dans le troisième, il est question de l’écriture des manuscrits et de tout ce qui l’entoure25. L’auteur, doit donc, expliquer les différences entre la production en Catalogne et en Europe, qui d’un point de vue paléographique appartiennent au même domaine, celui de la minuscule caroline, depuis les IXe-Xe siècles, et la relation avec le monde hispanique, immergé jusqu’au XIe siècle dans un autre contexte paléographique. Comme toujours, A. M. Mundó prétend faire de l’histoire de l’art à partir de la paléographie ; alors que ses conclusions dans le domaine de la paléographie sont plus assurées, il conviendrait d’être plus critique avec l’extrapolation qu’il tire des données en matière artistique26. Il semblait sans doute évident qu’il fallait une analyse de l’époque précédant le roman. Cette évidence, sans laquelle l’œuvre n’était pas achevée, justifie la publication récente du volume collectif dirigé par

23  Eduard Carbonell i Esteller, « La pintura mural i sobre taula », Catalunya Romànica, vol. I, Barcelone, Enciclopèdia Catalana, 1994, pp. 110-119. 24  Milagros Guardia, « A l’entorn de la iconografia de l’art romànic a Catalunya » Catalunya Romànica, vol. I, Barcelone, Enciclopèdia Catalana, 1994, pp. 87-94. 25   Anscari Manuel Mundó, « La cultura escrita », Catalunya Romànica, vol. I, Barcelone, Enciclopèdia Catalana, 1994, pp. 133-162. 26   Une bonne part des problèmes de ces études de synthèse réside dans le fait qu’elles respectent la définition de l’œuvre dont elles font la synthèse, et qu’elles doivent donc, laisser de côté l’analyse exhaustive de l’époque antérieure. Par ailleurs, ces synthèses furent réalisées, paradoxalement, quand l’œuvre n’était pas encore totalement achevée.

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P. de Palol, Del Romà al Romànic. Història, art i cultura de la Tarraconense mediterrània entre els segles IV-X. Il convient de dire cependant que l’appel de X. Barral, dans son article, à étudier les peintures de cette époque n’était pas demeuré prisonnier des limbes. Nous verrons pour chaque ensemble ce qu’apportent les contributions postérieures à cet article. Nous voulons seulement souligner ici deux études qui nous touchent directement. À notre avis, ces deux articles supposent une inflexion notable dans la manière d’aborder le ou les problèmes, en particulier d’un point de vue méthodologique. Le premier de ces articles est inclus dans le catalogue du Museu Diocesà i Comarcal de Solsona, une des interventions muséographiques issues de l’impulsion des années quatre-vingts. Les deux premières fiches de ce catalogue sont consacrées aux deux panneaux portant les peintures de Pedret. Évidemment, il s’agit là de fiches de catalogue, dont l’étendue et l’approfondissement sont limités. Pourtant c’est la première fois que l’on fait une analyse critique sur les deux peintures27. La seconde étude, déjà d’un autre poids, étant donné le cadre qui l’accueillait, se rapporte à l’«épineuse question» des peintures de Terrassa. Nous le devons aussi à M. Guardia28. L’auteur, de manière plus approfondie que pour Pedret, engage une véritable tâche de déconstruction qui met en évidence les manques énormes dans la connaissance de la décoration des trois églises29. Aussi significatif que les conclusions de M. Guardia, est le fait que dans les actes de ce Symposium consacré aux trois églises d’Egara, il n’y ait qu’un article traitant des peintures. Ceci prouve, une fois de plus, le peu d’intérêt qu’avaient suscité les peintures de Terrassa, et plus largement celles de cette époque30. 27   Voir Milagros Guardia, « 2. Pintura Mural », Museu Diocesà i Comarcal de Solsona. Catàleg d’Art Romànic i Gòtic, Barcelone, Patronat del Museu Diocesà i Comarcal de Solsona, 1990, pp. 59-61 et fig. p. 21 ; Idem, « 3. Pintura Mural », Museu Diocesà i Comarcal de Solsona. Catàleg d’Art Romànic i Gòtic, Barcelone, Patronat del Museu Diocesà i Comarcal de Solsona, 1990, pp. 62-63 et fig. p. 22. 28  Milagros Guardia, « La pintura mural pre-romànica de les esglésies de Sant Pere de Terrassa. Noves propostes d’estudi », Simposi Internacional sobre les Esglésies de Sant Pere de Terrassa (20-22 de novembre de 1991). Actes, Terrassa, CEHT-AHCT, 1992, pp. 153-160. 29   Le présent livre, précédé d’un article récent (Carles Mancho, « Tradicions iconogràfiques i formals en la pintura pre-romànica », Del Romà al Romànic. Història, art i cultura de la Tarraconense mediterrània entre els segles IV-X, Barcelone, Enciclopèdia Catalana, 1999, pp. 423-430), tente de se placer dans la continuité de réalisation de cet esprit critique et de cette méthode d’analyse. 30   L’absence d’ouvrages européens de caractère général dans ce panorama pourrait surprendre. Il est certain que le faible volume d’œuvres, le peu d’intérêt autochtone et l’existence à l’échelle de la Péninsule d’ensembles véritablement éblouissants – l’illustration hispanique de manuscrits au Xe siècle, la peinture romane en Catalogne – n’ont pas favorisé

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Au vu de ce panorama, il faut conclure que des facteurs de toute nature ont empêché la réalisation de l’étude de la peinture murale antérieure à l’art roman. L’absence d’un volume consistant d’œuvres, l’intérêt des chercheurs pour la production du XIIe siècle, la misère intellectuelle des années de la dictature ou la reprise euphorique des études sont quelques-uns des facteurs qui ont fait qu’un moment clef, comme celui de l’entrée de la Catalogne dans le Moyen Âge, soit toujours resté marginal. Les matériaux sont prêts depuis longtemps; il fallait cependant une approche méthodologique différente et la volonté de redéfinir les bases des IXe-Xe siècles pour mieux comprendre la riche époque postérieure.

L’illustration des manuscrits31 Quand le 28 mars 839 on ouvre le testament de celui qui jusqu’à cette date avait été évêque du siège d’Urgell, Sisebut, le monastère de Saint-Sernin de Tavèrnoles reçoit une superbe Expositio in Lucam de saint Ambroise. Saint-Sernin n’est pas seule maison religieuse bénéficiaire d’un livre : Saint-Félix d’Urgell reçoit une Expositio de Bède sur saint Luc, Saint Iscle de Centelles un Contra Hæreses de saint Augustin, Sainte-Marie d’Alaó reçoit une Bible, Sainte-Marie de Taverna deux De Trinitate de saint Augustin…32. La première question qui surgit devant cette prolifération de livres est d’où viennent ces manuscrits. Il y a tout juste une cinquantaine d’années que le territoire se trouve sous juridiction carolingienne, les problèmes de l’évêque Félix avec l’autorité impériale au sujet de la querelle adoptianiste doivent encore être présents aux esprits, la plupart des évêchés de la Marca n’ont pas encore régularisé leurs situations respectives… Par ailleurs, il faut garder à l’esprit, ainsi que nous l’intérêt pour ce moment et ce lieu (cf. Otto Demus, La peinture murale romane, Paris, Flammarion, 1970 (1e éd. en allemand, Munich, Hirmer Verl., 1968), en part. pp. 72-73, 149 ; C. R. Dodwell, Artes pictóricas en Occidente…, pp. 337-339). Une notable exception est A. Grabar, qui entre en contact avec les peintures de Terrassa par intérêt pour leur iconographie. Il consacrera un important article aux peintures de Saint-Michel (André Grabar, « Une fresque visigothique et l’iconographie du silence », L’art de la fin de l’Antiquité et du Moyen Âge, Paris, Collège de France, 1968, vol. I, pp. 583-588, 4 fig., pl. 141c (extrait de : Cahiers Archéologiques, I, 1945)) et plus tard les inclura dans l’œuvre qu’il rédige avec Carl Nordenfalk (André Grabar, Carl Nordenfalk, Le Haut Moyen Âge, du quatrième au onzième siècle, Genève, Skira, 1957 (coll. Les grands siècles de la peinture), pp. 63-65). Voir infra. 31   [Cette partie ne figurait pas dans l’étude initiale, elle est le fruit de réflexions suscitées par la soutenance et les suggestions d’É. Palazzo.] 32  Voir Catalunya Romànica, VI, p. 54.

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l’avons vu dans la première partie, ce que devait être la situation antérieure aux conquêtes musulmane et carolingienne. Donc, même s’il ne faut pas écarter que certains des manuscrits légués soient des œuvres antérieures au IXe siècle, conservées malgré les vicissitudes historiques, il faut aussi admettre que certains des codices cités sont des œuvres nouvelles, donc du IXe siècle. Le problème est en fait que le contexte historique rend difficile d’imaginer un grand nombre de scriptoria et une grande production. Plus surprenant encore est ce que nous trouvons dans le testament de l’évêque Riculfe d’Elne, daté du 9 décembre 915, où sont légués environ une trentaine d’œuvres, livres ou fragments33. Pour l’époque, le début du Xe siècle, ce n’est pas une bibliothèque médiocre, donnée telle quelle à la cathédrale d’Elne. Beaucoup plus modeste, mais non moins importante pour nous, est la donation de l’abbé de Ripoll, Daguin, et de sa communauté à l’église de Saint-Pierre de Ripoll en raison de la consécration de cet édifice le 26 juin 890 : tradimus […] libros secundum possibilitatem nostram, scilicet Eptaticum, Homeliarium, Missalem, Ordinem. Le monastère venait d’être consacré deux ans auparavant (888), il est logique que ses possessions n’aient pas été encore très abondantes. De fait, à titre de dotation, Sainte-Marie de Ripoll ne reçoit des comtes Guifred et Guinedilda que deux livres : un missel et un lectionnaire34. Ces donations, plus ou moins généreuses, nous mettent en présence d’une importante quantité de livres. En outre, il faut considérer que beaucoup de ces livres devaient être, par force, relativement neufs. Par exemple, que Sainte-Marie de Ripoll soit dotée d’un missel et d’un lectionnaire en 888 nous oblige à supposer que l’un et l’autre

33   Librorum quoque numerum per vocabula ipsorum: id est textum evangeliorum I, missales III, I quoque missale et lectionarium in uno volumine, alium vero missale cum antiphonario in uno volumine, Smaragdum, traditiones evangelii et epistolas libros II, librum Rabanum I ; expositum in evangelium et epistolas, Eptaticum I, Expositum super Genesis librum I, libro Salomon I, libro Machabeorum I, librum Job et Tobie et duodecim Prophetas minores in uno volumine libro I, Tobie, Iudit, Hester in uno volumine I, Martirologium obtimum I, Psalterium I, Canones II, quaterniones de Canones, librum Augustinum I contra quinque ereses, Orationarios libros II, Ciclum I, Sententiarium de diversis causis librum I, libros legis I, alium Romanum, alium gothorum, quaterniones obtimos super Genesis et Regum et Machabeorum et Prophetarum luculentisime Expositum in uno volumine, ad Ecclesiam consecrandam quaterniones II, ad visitandum infirmum quaterniones II, ad ordinationes ecclesiasticas quaternione I, Medicinale I. (Catalunya Romànica, XIV, p. 336). 34   Catalunya Romànica, X, p. 209. Sur la production des scriptoria en général, voir A. M. Mundó, « La cultura escrita ». On trouvera un traitement plus exhaustif des inventaires dans Jesús Alturo Perucho, « Les inventaires de livres en Catalogne du IXe au XIIe siècle », Scriptorium, L (1996), nº 2, pp. 370-379.

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livres sont déjà adaptés à la nouvelle liturgie romaine35. Alors que dans le cas des livres donnés par l’évêque Sisebut, on n’en a pas une certitude absolue, dans ce cas, il n’y a pas de doute que la fondation et les cadeaux des comtes doivent être marqués du sceau de la plus stricte “orthodoxie”. Ajoutons un autre facteur. De la maigre donation de la communauté de Sainte-Marie de Ripoll à Saint-Pierre de Ripoll, M. E. Ibarburu déduit « que la bibliothèque de Ripoll ne devait être guère riche en ces premiers temps de sa fondation et que, bien sûr, son scriptorium n’avait pas encore commencé à fonctionner »36 – c’est nous qui soulignons. La conclusion est logique ; la question est : quels scriptoria fonctionnaient en Catalogne en ce moment du IXe siècle, afin de pouvoir disposer de livres pour les fondations, voire même pour que certains évêques aient pu réunir des bibliothèques pas du tout médiocres? Malheureusement personne n’a encore donné de réponse claire à cette question, bien que l’on puisse conclure qu’à part le scriptorium de la Seu d’Urgell, actif dès le VIIe siècle, le commencement des activités des autres scriptoria catalans doit être daté d’un IXe siècle bien avancé37. Les possibilités d’expliquer une production de livres si importante ne sont donc pas très nombreuses, elles passent par le recours aux importations. A.M. Mundó est d’avis que « l’organisation ecclésiastique dirigée par le siège métropolitain de Narbonne devait être la première pourvoyeuse de livres bibliques et liturgiques pour les évêchés du cou35   L’existence du missel est liée à la célébration eucharistique, car ce livre réunit tout ce dont le prêtre a besoin pour la célébration. Par ailleurs, dans le cas qui nous occupe sûrement et à cette époque, il ne s’agit pas à proprement parler d’un missel mais d’un sacramentaire, son précurseur depuis l’époque primitive jusqu’aux Xe-XIe siècles. En ce qui concerne les lectionnaires – le livre qui inclut les lectures des Évangiles et les Épîtres pour la célébration – nous savons qu’ils existent depuis les Ve-VIe siècles et qu’ils joueront un rôle important à partir du XIe siècle (v. É. Palazzo, Le Moyen Âge…, pp. 47 et suiv., en particulier 53-58 et 117-119). 36   Mª Eugenia Ibarburu Asurmendi, De capitibus litterarum et aliis figuris. Recull d’estudis sobre miniatura medieval, Barcelone, Dept. Història de l’Art-Universitat de Barcelona, 1999, p. 54. 37   Un travail intéressant comme celui d’Anscari Manuel Mundó, « Producció i conservació del material escrit a Catalunya : escriptoris i biblioteques pels volts de l’any Mil », « Catalunya i França meridional a l’entorn de l’any mil-La Catalogne et la Françe meridionale autour de l’an mil ». Contribucions del col·loqui internacional Hugues Capet 987-1987. La France de l’an mil. Barcelona 2-5, juliol 1987, Barcelone, Dept. Cultura Generalitat de Catalunya, 1991, pp. 378-381, ne traite que de la période immédiatement postérieure à celle qui nous intéresse. Dans un article postérieur (A. M. Mundó, « La cultura escrita », pp. 137 et suiv.) il tente effectivement de donner une réponse, tout au moins au commencement d'activité des scriptoria catalans. Du panorama qu'il dresse il faut retenir que seul Urgell est actif dès le VIIe siècle, au IXe siècle on peut placer Eixalada[-Cuxa], Gérone, Egara, et à la fin de ce siècle Barcelone et Vic. Elne, Ripoll, Sant Cugat et quelques ateliers mineurs comme Saint-Benoît de Bages, Solsona et Banyoles commencent au Xe siècle ou à la fin de ce siècle.

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chant et du midi nouvellement structurés. »38. Nous ne croyons pas cependant qu’il faille écarter d’autres lieux de provenance. En essence, donc, nous devons admettre qu’une bonne partie de la production de livres des IXe et Xe siècles devait être d’importation, au moment où étaient en train de s’organiser les scriptoria autochtones. Cette constatation est un premier pas important. En effet, quand on lit les études d’histoire de l’art sur l’illustration de manuscrits, on a l’impression qu’il n’existe pas de livres en Catalogne jusqu’à un Xe siècle très avancé. Accepter l’idée que, soudainement, au début du XIe siècle, on commence la réalisation des Bibles de Ripoll et de Rodes est presque incompatible. Savoir ce qui existe dans les bibliothèques catalanes avant le XIe siècle est la base pour comprendre, entre autres, les Bibles catalanes. Le constat que beaucoup de ces livres antérieurs au XIe siècle doivent être des importations complique nettement la recherche. La spoliation qu’ont subie les bibliothèques catalanes au cours de l’histoire a provoqué une grande dispersion des livres. Dans le cas des manuscrits de facture locale, il est assez facile de parvenir à une identification. Dans le cas des manuscrits importés, cette identification est en pratique quasiment impossible. Ainsi nous pourrions admettre que nous conservions peut-être plus que ce que nous croyons de manuscrits provenant de la bibliothèque de Ripoll en 1047, par exemple, mais qu’il sera difficile de les identifier car il s’agissait de manuscrits arrivés depuis d’autres scriptoria39. Il n’est donc pas facile de retrouver les modèles dont disposaient les différents scriptoria. Nous ne pouvons pas accorder à ce travail une très grande place. Une étude de ce type devrait quasiment être envisagée sous la forme d’une thèse de doctorat. Le sujet est passionnant et permettrait d’expliquer de nombreux éléments clefs à partir desquels est née l’illustration de manuscrits en Catalogne. Nous ne pouvons cependant éluder certaines des questions. Ce travail traite de la peinture murale et il est indéniable que l’illustration de manuscrits représente une part importante dans l’analyse de la peinture murale. Cette affirmation, acceptée par tous, a peu d’écho dans les études consacrées à la peinture ou à la miniature. Dans notre cas, voir ce qui se passe d’un côté et de l’autre présente un intérêt spécifique, étant donné que ce qui est conservé est très fragmentaire mais pourrait   A. M. Mundó, « La cultura escrita », p. 138.  Rudolph Beer, « Los manuscrits del monastir de Santa María de Ripoll », Boletín de la Real Academia de Buenas Letras de Barcelona, 36 (1909), pp. 137-170 ; 37 (1909), pp. 230-278; 38 (1910), pp. 299-320 ; 39 (1910), pp. 329-365 ; 40 (1910), pp. 492-520. 38 39

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avoir des sources communes. Nous avons déjà démontré dans un autre cas l’interaction effective qui pouvait exister entre l’activité d’un scriptorium, ses sources et l’exécution de décors muraux40. Cette incise faite, donc, rappelons les premières évidences. Très tôt dans le IXe siècle, nous trouvons une présence notable de livres qui circulent en Catalogne et qu’il faut supposer être des œuvres de ce IXe siècle ou à tout prendre du VIIIe siècle. Nous avons aussi constaté que, pratiquement, l’activité de tous les scriptoria catalans commence au Xe siècle, avec certaines exceptions dès la fin du IXe siècle. La première conclusion a été de supposer que ces manuscrits sont en majorité des œuvres importées de centres comme Narbonne ou autres. Pour toutes ces œuvres, la plupart disparues, nous ignorons la présence d’illustrations. De toutes façons, même venant de l’extérieur41, les livres arrivent et quoiqu’il n’y ait pas de scriptoria, il commence à y avoir des bibliothèques et donc des modèles (voir infra). Nous pourrions nous demander maintenant quelle est la première illustration de manuscrit que nous trouvons en Catalogne. Si l’on regarde les œuvres des différents scriptoria de Catalogne, on constate que jusqu’à la fin du Xe siècle on ne trouve pas trace de la moindre décoration embellissant les textes. La liste d’œuvres conservée a été dressée42. Sans volonté d’être exhaustif, nous citerons le Pénitentiel d’Halitgaire (Biblioteca Univ. de Barcelona, ms. 228; Gérone, ca. 990) ; les Dialogues de saint Grégoire (Biblioteca Univ. de Barcelona, ms. 487; Gérone, fin du Xe siècle) ; l’Historia Tripartita (MEV 166 ; Vic, deuxième moitié du Xe siècle) ; le fol. 9 du manuscrit MEV 255 (deuxième moitié du Xe siècle) ; ou la compilation d’arpentage (agrimensores) et de géométrie de Ripoll (ACA Ripoll, ms. 106; Ripoll, dernier quart du Xe siècle). Si le bilan est pauvre en quantité, l’observation de la décoration de ces œuvres est encore plus surprenante. Dans tous les cas, sauf le dernier, il s’agit d’un décor extrême  Voir nos derniers travaux à propos de la décoration murale du cloître bas de Saint-Pierre de Rodes : C. Mancho, « Les pintures del claustre inferior … », Idem, « La peinture dans le cloître… », Id., « Miniaturas en las paredes. La pintura mural en Sant Pere de Rodes y su scriptorium », 14 Congreso Nacional de Historia del Arte. Correspondencia e integración de las Artes (Málaga, del 18 al 21 de Septiembre de 2002), Tom. III, vol. I, Màlaga, Dept. de Història del Arte Universidad de Málaga-Fundación Unicaja, 2006, pp. 99-113 et notre collaboration dans le livre de Lorés (I. Lorés, El monestir de Sant Pere de Rodes…). 41   Nous devons supposer que les livres liturgiques viennent du domaine franc, c’est-à-dire principalement de l’archidiocèse de Narbonne, mais aussi des autres centres de production carolingiens. Il ne faut pas oublier, cependant, le monde hispanique avec lequel, malgré l’imposition de la nouvelle liturgie romaine, continuent à exister des liens logiques et importants. 42   Voir A. M. Mundó, « La cultura escrita », pp. 137 et suiv. 40

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ment simple de lettres capitales  réalisées à base d’entrelacs et de rinceaux végétaux et zoomorphes très sobres où la présence de couleur est rare. Dans la compilation de Ripoll, la décoration est de caractère purement technique ou scolaire, comme dans les représentations de la sphera (fol. 87v) ou des murailles de la cité (fol. 76v et 77), ou en acrostiche (fol. 89). De cette façon, les manuscrits à miniatures qui sont parvenus jusqu’à nous et provenant de bibliothèques catalanes de cette période se caractérisent par leur faible vocation iconique, réduite soit à des initiales figurées aux éléments ornementaux végétaux et zoomorphes, soit à des schémas simples ou des diagrammes scolaires.43.

Pourtant ces maigres décors nous permettent d’établir quelques relations avec des contextes artistiques parallèles. On a par exemple signalé le rôle de l’illustration carolingienne dans la genèse de ces décors44. Le rendement des scriptoria à la fin du Xe siècle est donc encore fort bas. Il faut rappeler que, dans la plupart des cas, ces scriptoria débutent leur activité en ce même Xe siècle. Cela pourrait expliquer qu’à la fin de ce siècle les résultats ne soient pas encore excellents. Il y a cependant un autre facteur d’explication : la spécialisation. Dans le cas de Ripoll, par exemple, on constate une spécialisation évidente dans les livres nécessaires au quadrivium. Néanmoins, cette spécialisation n’empêchait pas que toute une série d’autres livres, comme ceux à caractère liturgique, n’aient pas pu y être présents. Ce qui nous renvoie au sujet des bibliothèques. Comme nous l’avons déjà souligné, une chose sont les scriptoria, une autre bien différente, les bibliothèques. Les premiers peuvent exister ou non, mais ils ne sont pas présents partout, et il est le plus souvent difficile de préciser le moment de leur démarrage. Quant aux bibliothèques, elles existaient toujours et normalement il est facile de donner une date au début de l’accumulation des livres. Dans l’acte de consécration de Saint-Pierre de Ripoll, déja cité, l’église reçoit un lot de quatre livres en guise de dotation, ils deviennent les quatre   Manuel Antonio Castiñeiras González, « La il·lustració de manuscrits a Catalunya i la seva relació amb centres europeus », Catalunya a l’època carolíngia. Art i cultura abans del romànic [segles IX i X], Barcelone, MNAC-Diputació de Barcelona, 1999, pp. 249-254 (cat. exp.), en part. p. 249 44   Ibidem. 43

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premières entrées de la bibliothèque qui commence à se constituer en cette année 890. C’est la même chose lors de la consécration de Sainte-Marie de Ripoll en 888. Nous avons dit que bibliothèque et scriptorium sont deux choses différentes. Dans le second on produit les œuvres que l’on croit utiles pour son usage propre, pour les vendre ou pour les offrir. La bibliothèque est un lieu de dépôt où sont conservées les œuvres que l’on souhaitait avoir, mais aussi d’autres. Alors que la production d’un scriptorium peut être parfaitement orientée vers un type de livres, les apports à une bibliothèque sont, en général, plus hétérogènes. Les besoins que la bibliothèque doit couvrir sont plus vastes que ceux du scriptorium. Ainsi, à côté des livres pour le quadrivium, la bibliothèque de Ripoll en avait beaucoup d’autres45. Attachons-nous à la bibliothèque de Ripoll qui est sans doute celle que nous connaissons le mieux. Il ne fait pas de doute que nous nous trouvons devant l’un des grands centres de la culture du haut Moyen Âge, le plus important des comtés catalans, sans équivalent dans la Péninsule ibérique et avec une dimension et un rayonnement à la hauteur d’autres abbayes européennes de cette époque comme Saint-Denis, Fleury, Saint-Martial de Limoges, Ramsey, Fulda, Reichenau, Saint-Gall, Bobbio ou le Mont-Cassin46.

Voilà pour l’importance de Ripoll. M.A. Castiñeiras, dans cette présentation de Ripoll, continue en affirmant que dans le monastère se mêlent deux apports culturels de premier plan, d’une part, la culture carolingienne, de l’autre, celle de l’Italie méridionale. Le lien initial des comtés catalans avec la cour franque, de même que les contacts fréquents entre la Catalogne et Rome à partir de 950 expliquent ces deux relations principales. « Ces deux horizons [cultu-

  Sur la bibliothèque de Ripoll, est toujours indispensable le travail de R. Beer, « Los manuscrits del monastir… ». Pour celle de Vic, voir Eduard Junyent i Sobirà, Diplomatari de la catedral de Vic, segles IX-X, Vic, Publ. Patr. Est. Osonencs-Publ. Arxiu Bibl. i MEV, 19801996, pp. 256 nº256 et 346-347 nº 413. Pour les bibliothèques en général voir Michel Zimmermann, « La Catalogne de Gerbert », Gerbert l’Européen. Actes du Colloque d’Aurillac, 4-7 juin 1996, (éd.) N. Charbonell, J. Eiung, Aurillac, Société des Lettres, Sciences et Arts “la Haute Auvergne”, 1997, pp. 79-101, en part. pp. 83-85. 46   Manuel Antonio Castiñeiras González, « Ripoll i les relacions culturals i artístiques de la Catalunya altmedieval », Del Romà al Romànic. Història, art i cultura de la Tarraconense mediterrània entre els segles IV-X, Barcelone, Enciclopèdia Catalana, 1999, pp. 435-442, en part. p. 435. 45

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rels] sont présents dans la formation de la bibliothèque de Ripoll aux IXe et Xe siècles »47 – c’est nous qui soulignons. Bien que, selon M.A. Castiñeiras, les mondes carolingien et italien s’épanouissent surtout à partir de l’époque d’Oliba, remarquons qu’il considère qu’ils sont déjà essentiels à la formation de la bibliothèque dès le IXe siècle. Il poursuit en disant que cet épanouissement à l’époque d’Oliba est surtout dû à l’augmentation de l’activité du scriptorium. C’est évident, donc, que bibliothèque et scriptorium sont deux choses bien différentes. En outre, le scriptorium se charge de digérer ce qu’il trouve dans la bibliothèque de sorte à donner naissance, souvent, à un nouveau produit. D’un point de vue formel, ce nouveau produit sera le style dit «catalan», qui n’est autre chose que la synthèse d’influences carolingiennes, anglo-saxonnes, bénéventines et mozarabes. Nous savons, parce que plus tard on garde trace de cette démarche, que l’information disponible dans la bibliothèque soit s’y trouvait déjà, soit devait être cherchée ailleurs. Un exemple du premier cas est la réalisation du manuscrit Vat. Reg. Lat. 123. D’après les travaux de M.A. Castiñeiras, il fait peu de doute que ce superbe manuscrit, actuellement conservé à la Biblioteca Apostolica Vaticana, est une œuvre de Ripoll, réalisée au milieu du XIe siècle à partir d’un manuscrit du IXe siècle, conservé à la bibliothèque monastique et provenant de Fleury48. Le manuscrit pourrait être arrivé à tout moment dans la première moitié du XIe siècle, étant donné les étroites relations entretenues par Oliba et Gauzlin, l’abbé de Fleury. Pour le second cas, la recherche de modèles, nous savons que le moine Oliba avait envoyé « des délégués dans des monastères voisins pour y demander des livres » qui lui servissent pour élaborer les ouvrages du quadrivium49. Parmi les livres que conservait le monastère de Ripoll, il devait y en avoir, sans doute, de vraiment luxueux. Le modèle du Vat. Reg. Lat. 123 devait l’être. Sans doute l’était aussi le Psalterium Argenteum qui apparaît dans l’inventaire de 1047. Il s’agissait d’un manuscrit du IXe siècle, avec pourpre, lettres d’argent et épigraphes d’or que nous aurions pu probablement rattacher à une des écoles les plus prestigieuses d’illustration de manuscrits. Malheureusement, le livre fut détruit. L’opinion de A. M. Mundó, partagée par M. A. Castiñeiras, est que ce manuscrit avait dû arriver à Ripoll pendant l’abbatiat   M. A. Castiñeiras, « La il·lustració de manuscrits a Catalunya… », p. 253; M. A. Castiñeiras, « Ripoll i les relacions culturals … », pp. 438-439. 48   M. A. Castiñeiras, « La il·lustració de manuscrits a Catalunya… », p. 253; M. A. Castiñeiras, « Ripoll i les relacions culturals … », pp. 438-439. 49   M. A. Castiñeiras, « Ripoll i les relacions culturals … », en part. p. 437. 47

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état de la question

d’Oliba. L’arrivée d’autres œuvres carolingiennes à cette époque fait penser que se manifeste un certain intérêt pour l’acquisition de ces œuvres «anciennes». Nous voulons insister cependant aux Bibles – au nombre total de trois – commencées à Ripoll très tôt dans le XIe siècle. La grande quantité d’illustrations contenues dans les deux exemplaires conservés ne permet pas de supposer raisonnablement que les illustrateurs de Ripoll se soient consacrés au dépouillement d’autres bibliothèques ni qu’ils se soient plongés seulement dans les manuscrits que l’on achetait au temps d’Oliba. Nous sommes forcés de penser que dans la bibliothèque se trouvait déjà un matériau important qui, sûrement, était en train d’être redécouvert. La bibliothèque de Ripoll commence à exister au IXe siècle, même si on ne sait pas très bien à quel rythme elle grandit. Au temps de l’abbé Arnulf, elle disposait déjà d’un nombre de manuscrits considérable pour l’époque et le lieu50. Comme le dit M. Zimmermann à propos des livres conservés à Vic en 972, sans doute le contenu de ces ouvrages « manque totalement d’originalité et ne diffère aucunement de ce que pouvaient offrir à la même époque des bibliothèques plus septentrionales  », c’est-à-dire qu’«  aucun ouvrage scientifique n’y figure »51. Habituellement, les questions relatives aux bibliothèques de cette époque en Catalogne ont intéressé les historiens en relation avec le séjour de Gerbert d’Aurillac, ce qui explique que l’on s’attache surtout aux livres du quadrivium. Ici nous examinons un aspect complètement différent. Il est pour notre sujet très intéressant de savoir que parmi les 59 manuscrits de Vic dans l’inventaire de 972 figuraient deux Heptateuques, un Livre des Prophètes, des Actes des Apôtres, un Livre de Job et un des Rois, etc., car ces livres, si ordinaires et sans intérêt scientifique, étaient susceptibles de comporter une illustration52. De la même façon, il serait intéressant pour nous de connaître les noms des livres de Ripoll, mais nous ne les connaissons que pour 1047. Pires encore sont les situations de Gérone, Barcelone ou la Seu d’Urgell dont nous avons une méconnaissance presque absolue. Comme l’évidence le montre, l’illustration des manuscrits naît en Catalogne au tournant des Xe-XIe siècles, donc l’hypothèse que la part très importante des bibliothèques, constituée depuis le IXe et le début  M. Zimmermann, « La Catalogne de Gerbert », p. 84; Idem, Écrire et lire en Catalogne [IXeXIIe siècle](2 vol.), Madrid, Casa de Velázquez, 2003. 51   Ibidem. 52   cf. E. Junyent, Diplomatari de la catedral de Vic…, nº 413, pp. 346-347. 50

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du Xe siècle par l’importation des livres nécessaires pour le développement religieux ait été une des bases dont s’inspireront les illustrateurs du XIe siècle ne nous semble pas à écarter. Sans négliger l’effort d’Oliba pour enrichir sa bibliothèque par de nouvelles acquisitions, acquisitions qui eurent sans doute des répercussions dans le travail du scriptorium, nous devons penser que les anciens livres du monastère devaient jouer un rôle important. Les indices qui nous conduisent à cette supposition sont divers. Tout d’abord, nous avons vu que la demande générée tout au long du IXe siècle doit être couverte majoritairement par des livres venus de l’extérieur. Bien sûr, dans les situations les plus modestes, ce seront des livres simples, sans illustrations, mais pour les centres importants on peut penser que les livres étaient plus luxueux. La peinture murale nous permet une autre observation. L’étude de Campdevànol nous montrera que l’iconographie réunie dans cette petite église reflétait très clairement des décors reliés aux Bibles de Tours. À l’évidence il est presque impossible qu’un manuscrit de Tours (voir supra) soit jamais arrivé dans cette paroisse rurale, mais celle-ci dépendait de la juridiction de Sainte-Marie de Ripoll, ce qui nous amène à penser que c’est sans doute de Ripoll que furent tirés les modèles. Par conséquent, il faut supposer que Ripoll possédait quelque chose de semblable aux Bibles de Tours, soit un manuscrit lui-même, soit sur les peintures murales, comme reflet d’un manu­ scrit53. Nous pourrions aussi évoquer le cas de Frodoin, évêque de Barcelone, qui employa sans doute un peintre de manuscrits pour décorer certaines des pièces du palais épiscopal (voir infra). Dans ce cas, nous le verrons, les vestiges sont assez maigres et la bibliothèque de Barcelone est si méconnue que cela empêche toute conclusion et la proposition de liens très nets. En définitive nous ne pensons pas trop hardi de supposer que les différentes bibliothèques de la Marca avaient accumulé des manuscrits carolingiens, qui en certains cas devaient être d’un certain luxe, et formant la base, quand les scriptoria fonctionneraient pleinement, du développement de leur travail. Ce principe, que nous dirions méthodologique, doit être présent à l’esprit, car bien que les livres des IXe-Xe siècles n’aient pas été conservés, il est évident qu’ils existaient, et que par leur existence ils furent, sans aucun doute, des véhicules de diffusion et des modèles pour les décors muraux, connus ou inconnus – car de ceux-ci nous ne connaissons qu’une part infime.  C. Mancho, « Miniaturas en las paredes… ».

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I. L’arrivée des carolingiens Un petit visage au Musée d’Histoire de Barcelone L’œuvre de la plus grande qualité et sûrement la plus ancienne parmi celles conservées en Catalogne est restée ignorée pendant de longues années au Musée d’Histoire de Barcelone (nº inv. MUHBA 2596)1. Il s’agit d’un bloc qui conserve les vestiges d’une tête sur l’un des côtés. Ce bloc fut découvert inclus dans un mur démoli pendant les travaux d’aménagement qui, au cours des années 40 du XXe siècle, eurent pour but d’adapter l’ancien bâtiment de l’Inquisition pour les besoins du Musée Marès [fig. 1]. D’après les notes consignées au revers du témoignage photographique de cette découverte, le mur faisait partie de : «  Intérieur / Niveau étage principal / Galerie inférieure résidence Marès  »2. Le seul fait évident, d’après la photographie, est que le bloc portant les peintures s’intègre au mur au titre d’élément de remploi. Sur la foi de cette seule information, il est difficile de savoir où fut exactement découvert ce bloc de pierre peint3. En réalité nous ne pouvons qu’émettre des hypothèses sur sa provenance. Donc, si le bloc fut remployé dans une partie de l’ancien Palais royal majeur, on doit supposer qu’il devait provenir de ce secteur, soit des dépendances royales, soit de celles de l’évêque ou de la cathédrale, toutes situées en ce lieu, et formait sans doute part d’un intérieur luxueux4. Ceci expli  Museo de Historia de la Ciudad. Guía del Museo, (éd.) F. Udina Martorell, Barcelone, Ayuntamiento de Barcelona, 1962, p. 105. 2   Un cachet date la photographie du 4 mars de l'année 1949, moment auquel on peut rapporter, approximativement, la découverte. 3   En réalité, les archéologues du Musée d’Histoire de Barcelone tentent encore de préciser le lieu exact de la découverte. Malheureusement, une maigre documentation – qui se limite à la photographie que nous présentons – rend assez peu probable que l’on parvienne jamais à connaître de façon précise la localisation du mur qui incluait notre bloc. Sur les aménagements réalisés dans l’ancienne Inquisition aux fins d’y loger le Musée Marès, v. récemment Ernest Ortoll i Martín, « Notes per a la història de l’edifici del Museu Frederic Marès (1948-1998) », Quaderns del Museu Frederic Marès. Estudis, (1999), pp. 67-122. 4   Il pourrait s’agir aussi bien d’un palais que d’une église. Il ne fait pas de doute que cette peinture faisait partie, comme nous le verrons, d’un décor à caractère religieux. Il est cependant impossible de déterminer si elle appartenait à la chapelle du comte ou de l’évêque, à une salle publique ou privée du comte ou de l’évêque ou encore au décor de la 1

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1. Photographie du moment de la découverte du bloc peint du Museu d’Historia de Barcelona (MUHBA). Au revers de la photographie, on peut lire : « MajorPalau (Patio Norte). Interior (planta piso pral) – Galeria inferior vivienda Marés (Piezas de sillarejo con fragmentos de pintura al fresco ». Un cachet porte la date du « 4 mar. 1949 » (photographie MHCB, Fons antic, nº2980_1)

cathédrale… Si nous considérons que le bloc de pierre devait provenir d’une démolition proche du lieu de remploi, voire même d’un édifice détruit afin de construire celui qui finira par accueillir le bloc aux peintures, il convient de prendre en compte toute possibilité en relation avec l’activité de l’évêque ou du comte. Sur la topographie de la cité pendant le haut Moyen Âge, v. Philip Banks, The Topography of the City of Barcelona, and its Urban Context in Eastern Catalonia, from the Third to the Twelfth Centuries, 5 vol. Ph. D. Tesis, University of Nottingham, 1980. Thèse inédite. et Idem, « The Roman Inheritance and Topographical Transitions in Early Medieval Barcelona », Papers in Iberian Archaeology, Oxford, BAR International Series, 1984, nº 193 (2 vol.), vol. II, pp. 600-634 ou Eduard Riu i Barrera, « Barcelona, de la ciutat romana a la capital comtal (segles V-X) », IV Congreso de Arqueología Medieval Española, Actas (Alacant, 4-9 d’octubre de 1993), II, Alacant, 1994, pp. 23-29. Sur la topographie précise de cette zone, il convient de souligner les travaux réalisés ces dernières années par l’équipe du MUHBA, cf. en dernier lieu : Julia Beltrán de Heredia, Antoni Nicolau, « Barcelona. Topografia dels espais de poder a l’època carolíngia. El conjunt episcopal i la residència comtal », Catalunya a l’època carolíngia. Art i cultura abans del romànic (segles IX i X), Barcelone, MNAC-Diputació de Barcelona, 1999, pp. 100-106 ; Charles Bonnet, Julia Beltrán de Heredia, « Nuevas intervenciones arqueológicas en el Museo de Historia de la Ciudad : una iglesia de época visigótica en el grupo episcopal de Barcelona », Va Reunió d’Arqueologia Cristiana Hispànica (Cartagena, 1998), Barcelone, IEC, 2000, pp. 135144 ; Charles Bonnet, Julia Beltrán de Heredia, « El primer grupo episcopal de Barcelona », Sedes Regiæ (ann. 400-800), (eds.) G. Ripoll, J. M. Gurt, Barcelone, Reial Acadèmia de Bones Lletres, 2000, pp. 467-490 ; De Barcino a Barcinona (siglos I-VII). Los restos arqueoló-

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querait la grande qualité de ce fragment, mais guère plus. Le contexte archéologique mal connu ne fournit aucune donnée5. Jusqu’à ce que l’on détermine avec précision quel était et où était le mur où fut découvert le bloc de pierre, nous sommes conduits à supposer que le remploi prit place dans un mur d’époque gothique, au minimum, qui, comme nous tenterons de le démontrer, n’a rien à voir avec la peinture étudiée. Relève aussi de l’hypothèse la supposition que l’édifice auquel appartenait ce bloc a dû disparaître alors qu’était construit le bâtiment gothique (au XIIIe siècle ?) qui l’intégra. Ainsi que nous l’avons dit, il paraît difficile avec d’aussi maigres données de pouvoir affiner la provenance exacte de cet élément.

Description des vestiges picturaux Le support des peintures est, comme on l’a vu, un bloc hors contexte. Ses dimensions sont de 19 cm de haut sur 29 cm de large et 16 cm de profondeur. La taille de ce bloc révèle une bonne maîtrise car il est d’une grande régularité6. gicos de la plaza del rey de Barcelona, (dir.) Julia Beltrán de Heredia Bercero, Barcelone, Ajuntament de Barcelona, 2001. Sur les différentes phases du Palais Royal Majeur, v. Catalunya Romànica, XX, pp. 188-194. Sur la cité de Barcelone en général, v. Josep Maria Gurt, Cristina Godoy, « Barcino, de sede imperial a Vrbs Regia en época visigoda », Sedes Regiæ (ann. 400-800), (eds.) G. Ripoll, J. M. Gurt, Barcelone, Reial Acadèmia de Bones Lletres, 2000, pp. 425-466. 5   Bien que de grands progrès aient été accomplis ces dernières années dans la connaissance du sous-sol archéologique de la plaça del Rei et du carrer dels Comtes, le manque de rigueur avec lequel fut réalisée une partie importante des fouilles explique que la plupart des découvertes soient dépourvues d’une information complète. Pour cette raison, des efforts notables ont été menés depuis ces années pour réinterpréter des vestiges et des découvertes surprenantes (v. note antérieure). La grande tâche restant à entreprendre est celle de la fouille de la cathédrale de Barcelone, qui pourrait entraîner un renouvellement notable de notre connaissance de ce secteur de la cité de Barcelone. 6   Les consultations que nous avons entreprises jusqu'à présent sur la possibilité que la typologie et, surtout, le travail de taille du bloc permettent de le rattacher à une chronologie précise n'ont donné, à ce jour, aucun résultat positif. Il convient toutefois de préciser que des études récentes de caractère général (cf. Juan Antonio Quiros Castillo, « La silleria y las técnicas constructivas medievales : historia social y técnica de la producción arquitectónia », Archeologia Medievale, XXV (1998), pp. 235-246, en part. pp. 240 et suiv.) constatent que dans la Péninsule ibérique, l'usage du bloc appareillé en architecture réapparaît au VIIIe siècle (ca. 780) dans la mosquée de Cordoue. En contexte chrétien, on en trouve les premiers exemples dans un IXe siècle avancé (822 à Saint-Romain de Tobillas, Alava ; 893 à Saint-Sauveur de Valdediós, Asturies) et en rapport avec l'activité des mozarabes. Ces deux édifices montrent « las primeras fases de la introducción de una sillería irregular que emplea frecuentemente materiales reutilizados provenientes de otros edificios precedentes » (Ibid., p. 242). Bien que, une fois encore, l'étude de la Péninsule ibérique soit centrée exclusivement sur le monde musulman et sa relation avec le binôme asturien-mozarabe et oublie les ter-

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2. Photographie du bloc dans son état actuel, après un premier nettoyage pour l’exposition Catalunya a l’època Carolíngia en 1999 (photographie MHCB, nº2980).

Une des faces présente des vestiges de peinture rouge très difficiles à attribuer chronologiquement à une époque historique, étant donné qu’il ne s’agit de rien de plus qu’un revêtement sans autre détail et sans motif identifiable. La chose intéressante, en réalité, se trouve sur la face opposée. Celle-ci présente une superficie entièrement décorée [fig. 2 ritoires sous contrôle carolingien, les données exposées sont significatives. En premier lieu, dès les VIIIe-IXe siècles, dans la partie de la Péninsule prise en compte par l'étude, on utilise déjà la pierre de taille comme élément de construction. En second lieu, le remploi de blocs antérieurs est fréquent. Ainsi, tout en gardant à l'esprit le contexte spécial dans lequel s'insère le territoire de la Catalogne, on peut admettre sans aucune difficulté que pour cet élément aussi on peut fixer un terminus post quem aux VIIIe-IXe siècles. Pour le décor porté par ce bloc, ceci est valide même dans le cas d'un bloc d'origine romaine réutilisé. Récemment est venue s'ajouter une nouvelle référence bibliographique à propos de l'usage et des typologies des matériaux employés dans l'architecture carolingienne, nous pensons à la communication présentée par Christian Sapin lors des Journées romanes de Saint-Michel de Cuxa de 2005. Pendant la discussion suivant la conférence nous avons eu l'occasion d'interroger M. Sapin sur l'existence de modules pour les blocs taillés carolingiens. La réponse a été très claire : tant que l'on n'aura pas commencé à étudier cette question de manière systématique, il n'est pas possible d'en dire quoi que ce soit, c'est pourquoi, en pratique, il est impossible de tirer quelque information chronologique du travail de taille du bloc portant les peintures (v. Christian SAPIN, « Modes de construction et appareils de pierre carolingiens : quel héritage à l’èpoque romane ? Problèmes historiques et archéologiques », Les Cahiers de Saint-Michel de Cuxa, XXXVI (2006), pp. 77-89).

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pl. 1]. Le motif principal est, ainsi que nous l’avons dit, une tête nimbée, d’approximativement 9 à 10 cm. À droite de cette tête commence le départ de ce qui pourrait être une aile. Le visage est représenté de face, au point que le nez est représenté à plat et non, comme cela est le cas plus fréquemment, en une vue de trois quarts. Le seul élément qui vient briser cette frontalité accusée est le regard du personnage. Celui-ci jette un regard vers sa gauche, ce qui pourrait faire penser que le sujet était en relation avec un autre qui devait se trouver juste à ses côtés, sans que, malheureusement, nous ne puissions être plus précis (voir infra). Alors que la partie où se trouvaient les cheveux n’est quasiment pas conservée, on devine autour de la tête la forme du nimbe, qui part du point où se rejoignaient le cou et les vêtements. La ligne noire qui le définit, épaisse, délimite une superficie ocre jaune, qui présente maintenant des tons marrons par suite d’une altération chimique. Juste au départ du nimbe, à droite, on peut aussi voir le début d’une aile. Le tracé de l’aile et le nimbe sont parallèles jusqu’à la hauteur des yeux. En ce point les deux se séparent et l’aile commence à s’arrondir vers la droite. Celle-ci devait se continuer sur le bloc suivant. Suite à un premier nettoyage, on peut même voir le dessin des plumes, en forme d’écailles. Sont apparus aussi les vestiges du vêtement dans la partie des épaules. Bien que la peinture nécessite une restauration, ce qui en reste visible est d’une grande beauté. Sans doute cela est-il dû en partie à la technique mise en œuvre, car la qualité d’exécution est remarquablement élevée7. L’engobe de préparation du bloc est une couche très fine, si mince qu’elle est quasiment inexistante. Les analyses ont permis de déterminer que la préparation de la pierre pour recevoir la peinture ne comprend pas, par exemple, d’intonaco. Le résultat est une épaisseur d’environ un millimètre. La couleur a été appliquée sur une base de blanc de plomb lié à la caséine ou au lait. Les analyses confirment ce que l’on supposait déjà à la vue de la préparation subtile et à l’aspect craquelé des lignes noires du dessin. Il ne s’agit pas de peinture à la fresque, mais de peinture à la détrempe. Les restaurateurs ne savent 7   Elle a été récemment nettoyée de manière très superficielle pour être présentée à l’exposition Catalunya a l’època carolíngia…. Il convient d’ajouter, cependant, que les spécialistes du Musée ont commencé une étude technique afin de mener une restauration plus complète. La présence de cette pièce à l’exposition consacrée aux Lombards et à l’époque carolingienne, organisée à Brescia en 2000 a favorisé la publication des premiers résultats de ces travaux, voir Lídia Font, Carles Mancho, Lluís Vilaseca, « Pittura murale su lastra di pietra che rappresenta la figura di un angelo », Il futuro dei Longobardi. L’Italia e la costruzione dell’Europa di Carlo Magno, Milan, Skira, 2000, p. 450, où sont réunis, sous forme très résumée, tous les aspects techniques étudiés par Lidia Font i Lluís Vilaseca comme étape préalable à la restauration des peintures.

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pas bien encore quelle sorte de liant a été utilisée, bien que probablement il s’agisse de colle de caséine. Pour ce qui est du type de préparation et des matériaux employés, il semble que nous soyons face à une technique picturale inusitée à l’époque à laquelle renvoient les aspects formels et iconographiques. Cependant, le manque d’études exhaustives sur les procédés picturaux et sur les types de pigments utilisés dans la peinture murale interdit d’établir des termes de comparaison suffisamment précis avec d’autres ensembles et empêche, par conséquent, que ces aspects techniques puissent nous donner des éléments plus fiables en matière de chronologie8.   Une fois connues les analyses des différentes couches composant le décor de Barcelone, elles furent comparées aux résultats de celles d’autres ensembles de peinture murale pour lesquels on dispose d’études techniques et analytiques des pigments. Ce travail est présenté dans un premier rapport inédit de Lídia Font (Lídia Font, « Recull bibliogràfic d’estudis analítics sobre tècnica pictòrica emprada en diverses pintures murals », janvier 2000, inédit, en dépôt dans le Museu d’Història de Barcelona (MUHBA)). Le premier élément qui y est comparé est la structure multicouches de la peinture de Barcelone. Dans ce cas il existe une coïncidence de procédés – quoique pas une correspondance exacte des types de couches – entre Barcelone, Müstair (fin du IXe siècle), Canterbury (1125-1130) et Sixena (1190-1200). Le second élément pris en compte est la présence, par-dessus la sinopia, d’une base de blanc de plomb pour y appliquer les couleurs. Ici l’identité se maintient avec Canterbury et Sixena et s’y ajoute la sculpture polychrome du baptistère de Parme (1196 et 1216). Le troisième élément est le type de liant, à Barcelone il s’agit de caséine. À ce titre, on trouve de la caséine à Müstair et à Parme. Le dernier élément considéré est la présence comme achèvement du décor d’une couche de laque rouge. Sa présence est sûre à Müstair et probable à Sixena. Il faut dire que ce dernier élément est le plus difficile à conserver, car il est le plus extérieur du décor et, par conséquent, le plus exposé à la destruction. La conclusion évidente, donc, est que techniquement la plus grande coïncidence se trouve avec des ensembles du XIIe siècle voire postérieurs. Cependant, ce résultat est absolument conditionné par le manque de publications des travaux d’analyse technique et de pigments. Il nous paraît plus important de souligner qu’il existe une forte coïncidence entre Barcelone et Müstair et entre Barcelone et Sixena, deux exemples très éloignés. L’élément critique est la présence de la couche de blanc de plomb à Barcelone, qui ne semble exister dans aucun ensemble antérieur au XIIe siècle, y compris Müstair. Comme nous le verrons dans l’analyse de la peinture d’un point de vue iconographique, mais surtout stylistique, il semble difficile de concevoir ce décor hors de l’époque carolingienne en Catalogne. Le premier point à considérer serait, au détriment de ces premières conclusions techniques, que, malheureusement, nous ne disposons pas de suffisamment d’études qui incluent une analyse de ce type, raison pour laquelle ces comparaisons sont très sujettes à caution. Relativement à l’usage du plomb, nous dirons qu’il est connu dès l’Antiquité. Isidore de Séville – suivant en cela Pline l’Ancien, Histoire Naturelle. Pline l’Ancien. (éd.) Jehan Beaujeau et al, Paris, Les Belles Lettres, 1947-1985 (Collection des Universités de France), 34, 175 – explique comment obtenir la couleur blanche : Cerussa fit hoc modo : in vaso enim aceto acerrimo inpleto sarmenta aminea in eodem vasculo conlocabis, ac super sarmenta tabulas plumbi tenuissimas pones, deinde vas diligentissime claudis, inlinisque, ne distillatione tabularum innata cerussa invenitur. (Isidore, Ethym., XIX, 17, 23). Son exposé vient à la suite du chapitre De pictura du livre XIX : De navibus, aedificiis et vestibus, et qui par conséquent parle de la peinture des édifices. Pour les manuscrits on utilisera le plomb pour obtenir le blanc que décrit Isidore (2PbCO3Pb(OH)2 ou carbonate basique de plomb), pour obtenir le minium (Pb3O4 ou 8

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La palette chromatique est plutôt restreinte. Sont utilisés le minium et le blanc de plomb, la terre rouge, le noir végétal et un pigment vert encore à déterminer. Remarquable est, cependant, la délicatesse d’application des couleurs. Particulièrement dans certaines parties, comme par exemple la zone des yeux et des sourcils. Le résultat suggère une véritable profondeur de tons. On pourrait dire la même chose de la zone du cou, bien que dans ce cas l’état de conservation empêche d’en tirer beaucoup de conclusions. Tout aussi remarquable est la qualité du dessin, simple mais réelle, au tracé plutôt épais qui se limite cependant aux contours généraux et non aux détails.

État de la question L’histoire de ces vestiges picturaux est très curieuse. Comme dans les meilleurs récits d’intrigue, tour à tour, il apparaît et disparaît : d’une décoration probablement palatine9 à sa destruction. Lors de la démolition, sans doute plus d’un bloc décoré a dû être réutilisé dans la structure du nouveau ou des nouveaux édifices qui furent construits à la place de l’ancien. Les fragments de peinture – c’est-à-dire les blocs – devinrent les pièces d’un puzzle en désordre destinées à rester incluses dans les murs situés, on le suppose, dans le secteur de l’actuel Musée Marès. Nous n’avons récupéré qu’une pièce du puzzle. De plus nous ignorons où se trouvait le mur qui la contenait et par conséquent nous ignorons le temps qui s’est écoulé entre la destruction des peintures et le remploi des blocs10. À la fin des années 40 du XXe siècle, à l’occasion de fouilles et de transformations de ce secteur, ce fragment de décor refait surface [fig. 1]. Sa réapparition sera brève, car il n’y est oxyde salin de plomb), et même comme substitut de feuille d’or : « Molte ricette, a partire dai più antichi manoscritti, danno indicazioni per la preparazione dei surrogati dell’oro. L’oro, molto costoso, veniva sostituito con il litargirio dorato (monossido di piombo)… » (voir Mariagrazia Plossi Zappalà, « La miniatura medioevale su pergamena. La tecnica, i pigmenti, il supporto », Kermes, 12 (1991), pp. 56-68, en part. 62, 63 et 66). La présence de blanc de plomb et de minium dans ce petit fragment pourrait-elle être significative ? (Pour les premières conclusions publiées sur ces aspects techniques nous avons déjà cité L. Font, C. Mancho, L. Vilaseca, « Pittura murale su lastra… », pour les analyses stylistique et iconographique dans cette étude, voir infra). 9   Par l’adjectif “palatine” nous voulons indiquer un intérieur luxueux, pas forcément un palais et encore moins un palais précis. Comme nous l’avons vu plus haut, nous ne pouvons malheureusement que faire des conjectures sur le cadre d’où provenait ce décor, hypothèses qu’il sera toujours très difficile de confirmer. 10   Il existe deux possibilités complètement opposées. Le fait que le bloc garde encore ses peintures peut indiquer que le remploi a dû être assez immédiat. En revanche, le fait que nous ne conservions qu’un bloc indiquerait que la réutilisation a dû s’étaler dans le temps.

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fait allusion que lors de l’édition du guide du Musée en 1962 et lors des rééditions postérieures, mais sans que l’on ne lui accorde la moindre attention11. La même note laconique se répète sur les trois publications : il proviendrait de «  la restauración de las paredes del Tinell[sic] » et il daterait du XIIIe siècle. Aujourd’hui il semble évident qu’aucune de ces deux informations n’est plausible (voir infra). Il n’en reste pas moins qu’aucun des historiens qui embrassaient à l’époque le domaine catalan, et en particulier barcelonais, n’en fit le moindre cas, bien qu’il soit certain qu’ils aient connu cette œuvre12. La pièce était à nouveau enterrée, mais cette fois dans le Musée. La première référence postérieure à ces événements, mais qui n’est guère qu’une simple référence, est fournie par le volume de Catalunya Romànica consacré au Barcelonès : «  Un petit fragment, trouvé pendant les fouilles de la basilique paléochrétienne de Barcelone, où l’on observe la tête d’un personnage nimbé, correspond chronologiquement aux structures citées. »13. D’après cette référence, devrions-nous supposer que l’on considère la peinture comme d’époque paléochrétienne ? Non. Ce serait plutôt la preuve de la méconnaissance qui entourait cette pièce 14.

11   Museo de Historia de la Ciudad. Guía, 1962…, p. 105 ; Museo de Historia de la Ciudad. Guía del Museo, I. Guía breve, (Ed.) F. Udina Martorell, Barcelone, Ayuntamiento de Barcelona, 1963 (coll. Publicaciones del Museo nº 5), p. 31 ; Museo de Historia de la Ciudad. Guía del Museo, (Ed.) F. Udina Martorell, Barcelone, Ayuntamiento de Barcelona, 1969 (coll. Publicaciones del Museo nº22), p. 97. 12   Nous savons grâce au personnel du MUHBA de Barcelone que des chercheurs comme J. Ainaud connaissaient effectivement l’existence de cette pièce. Malgré cela, nous n’avons connaissance d’aucun commentaire écrit par lui sur celle-ci. 13   Lluïsa Carabassa i Villanueva, « Pintura », Catalunya Romànica, vol. XX, Barcelone, Enciclopèdia Catalana, 1992, pp. 130-131, pp. 131. 14   Il est à craindre que l’auteur, en accord avec ce qu’elle écrit dans le texte intégral, fasse une confusion entre la zone de provenance supposée du bloc – la basilique paléochrétienne – et la datation attribuée à la peinture d’après le catalogue du Musée. Dans son panorama de la peinture conservée dans la région du Barcelonès, elle parle de trois groupes : le premier est la peinture sur murs, le deuxième sur plafonds, le troisième sur manuscrits. Dans le premier groupe elle inclut les peintures du Palais royal majeur, du Palais Caldes et de la maison de la rue Duran i Bas, aujourd’hui Bibliothèque Balmes. Immédiatement après, elle cite la pièce que nous sommes en train d’étudier et la partie décorée du Palais Giudice de Barcelone. Puis elle en vient aux plafonds, six au total. Avant d’en venir à la miniature, elle nous informe que : « Les ensembles muraux précédemment cités tout comme les peintures sur plafonds ont été datés d’une période qui s’étend du dernier quart du XIIIe siècle au premier quart du XIVe. Ainsi, il est clair que ces œuvres correspondent à une époque de changement stylistique, à cheval entre roman et gothique, et à un moment historique où la bourgeoisie tenait une place importante dans la société. ». Il est donc évident, par conséquent, qu’elle conserve la datation traditionnellement admise, c’est-à-dire le XIIIe siècle (L. Carabassa, « Pintura »…, pp. 130-131).

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C’est seulement à la fin des années 90, dans l’entreprise de rénovation du MUHBA, pendant laquelle furent restaurées et réinterprétées les fouilles du sous-sol, et une fois réorganisés les magasins et réexaminés les fonds, que fut «déterrée» cette pièce15. Sans doute la nouvelle interprétation des vestiges du sous-sol comme ensemble épiscopal devait-elle conditionner le regard sur cette peinture16. Dans un premier article nous avions délimité les possibilités de datation et d’attribution des peintures17. Quoique nous reconnaissions alors, et encore maintenant, qu’aucune donnée objective ne venait appuyer nos intuitions, le contexte et la réalité picturale de la Catalogne pendant le Moyen Âge dissuadaient d’attribuer ces peintures au XIIIe siècle. D’autre part, des aspects stylistiques et formels invitaient à un rattachement au monde carolingien. Par deux voies différentes, c’està-dire la réinterprétation des vestiges du sous-sol du Musée d’Histoire de Barcelone et la relecture d’un fragment pictural ignoré, il semblait que nous devions commencer à combler un vide important dans le discours historico-artistique de la cité de Barcelone18.   cf. De Barcino a Barcinona (siglos I-VII)…   Sur la réinterprétation radicale du sous-sol de la plaça del Rei, cf. J. Beltrán, A. Nicolau, « Barcelona. Topografia dels espais de poder a l’època carolíngia… » ; C. Bonnet, J. Beltrán, « Nuevas intervenciones arqueológicas… », pp. 135-144 ; Eadem, « El primer grupo episcopal de Barcelona »…, pp. 467-490 ; Ead., « Origen y evolución del conjunto episcopal de Barcino… », pp. 74-93. En substance, les auteurs proposent une relecture du quadrant nord-est de la cité romaine, cet espace qui est enfermé entre le côté nord de la cathédrale actuelle – et probablement des cathédrales antérieures – et la muraille. Ainsi, des structures, qui traditionnellement avaient été mal interprétées en relation avec les nouveaux usages à caractère productif de la cité de l’Antiquité tardive, apparaissent maintenant réévaluées dans le contexte de la fonction épiscopale à laquelle elles étaient liées. La salle basilicale proche de la cathédrale, comme la cathédrale elle-même et les baptistères successifs, faisait partie d’un ensemble épiscopal bien plus important, à l’intérieur duquel on trouve, évidemment, les structures palatines de résidence épiscopale dès le IVe siècle. Tout cet ensemble connaît une croissance durant le VIe siècle, jusqu’à un certain niveau de splendeur. Ainsi, sans doute de manière concomitante avec la conversion de Reccared (589), l’ensemble s’agrandit et se monumentalise. Viennent s’y ajouter un portique et une église à plan en croix grecque qui jusqu’ici étaient passés plus ou moins inaperçus. L’interprétation des vestiges de colonnes et de chapiteaux remployés à la croisée de cet édifice ainsi que celle de la structure de l’autel sont plus que probables, logiques. Ces structures connaîtront un autre moment important, dont on conserve essentiellement la structure palatine, à l’entrée du IXe siècle avec le grand promoteur du siège épiscopal de Barcelone, Frodoin, (v. infra), rénovateur de l’ancien siège et inventeur des reliques de sainte Eulalie, entre autres interventions. 17  C. Mancho, « Tradicions iconogràfiques i formals … », pp. 423-430, en part. p. 425. 18   Il convient de dire que sans les informations données par les techniciens du Musée à Milagros Guardia, professeur de l’Université de Barcelone, cette pièce aurait continué a rester méconnue. Elle fut la première à en souligner la qualité et à proposer une datation carolingienne. Nous la remercions de nous avoir fait connaître cette pièce et, en vérité, de nous l’avoir “cédée” pour l’intégrer à cette étude. D’après ce que nous ont appris Julia Beltrán (MUHBA) et Jordi Camps (MNAC), le Pr. Carlo Betelli, lors de sa visite à l’exposi15 16

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Jusqu’à présent, seule une voix, discordante, a proposé d’attribuer cette peinture au XIe siècle sans apporter cependant aucun argument19. M. Pagès présuppose, dans son article, que ce fragment, en raison de sa haute qualité, ne saurait provenir que de la cathédrale de Barcelone. Étant donné que nous proposions déjà une datation carolingienne, elle en déduit que nous pensons à la décoration d’une supposée cathédrale réalisée à l’époque de l’évêque Frodoin (861-890), et elle nous fait ainsi affirmer que ces peintures viennent de la «cathédrale de Frodoin». En désaccord avec cette interprétation («notre» interprétation), l’auteur fait une proposition différente en partant de trois prémisses : en premier lieu que la peinture ne peut être carolingienne, en second lieu qu’elle ne peut être du XIIe siècle ou postérieure et en troisième et dernier lieu que sa qualité impliquait son appartenance au décor d’une cathédrale. Étant donné qu’il n’y a d’autre cathédrale disponible que celle de 1058, sa conclusion est que les peintures datent du XIe siècle20. Malheureusement nous ne pouvons examiner les arguments qui soutiennent ses prémisses, car elle ne les expose pas. Le dernier apport à propos de cette pièce repose sur la fiche par laquelle elle a été présentée internationalement dans le catalogue de l’exposition de Brescia, I Longobardi e l’Europa de Carlo Magno21. Cette note très brève se contente de reprendre ce que nous avions proposé un an auparavant et que nous continuons à affirmer (voir infra). Le plus remarquable de cette fiche de catalogue est que, comme nous l’avons dit, elle inclut un premier bilan des résultats des analyses auxquelles a été soumise la peinture. Il convient de le souligner car c’est malheureusement un fait qui commence seulement maintenant à devenir fréquent dans les études sur la peinture murale de notre pays. Nous avons déjà indiqué cependant que l’absence d’études sur d’autres peintures avec lesquelles comparer celle de Barcelone empêche pour l’instant ces résultats d’être plus concluants.

tion Catalunya a l’època carolingia, a été d’accord avec l’attribution de cette peinture à l’époque carolingienne. C’est la raison pour laquelle cette pièce fut présentée à l’exposition I Longobardi e l’Europa de Carlo Magno, organisée à Brescia en 2000 (v. L. Font, C. Mancho, L. Vilaseca, « Pittura murale su lastra… »). 19  Montserrat Pagès i Paretas, « La pintura monumental a la Catalunya preromànica », Catalunya a l’època carolíngia. Art i cultura abans del romànic (segles IX i X),(Catàleg de l’exposició, Barcelona 16 desembre 1999/27 febrer 2000), Barcelone, Museu d’Art de Catalunya, 1999, pp. 219-222, en part. p. 222. 20  Voir Catalunya Romànica, XX, pp. 154-165. 21  L. Font, C. Mancho, L. Vilaseca, « Pittura murale su lastra… ».

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Questions stylistiques et formelles Établir des comparaisons stylistiques est toujours une tâche difficile. La diversité, la dispersion et le peu de clarté des possibilités devant lesquelles nous nous trouvons rendent très souvent extrêmement difficile la recherche. Dans le cas qui nous intéresse, en outre, s’ajoute la pauvreté des vestiges conservés. D’une part, ne nous est parvenue, par hasard, qu’une tête. D’autre part, son niveau de détérioration est considérable, quoique les derniers nettoyages en aient amélioré l’aspect. Pourtant ces difficultés ne masquent pas le fait que nous nous trouvons en face d’une manifestation picturale d’une qualité inusitée pour l’époque à laquelle il convient d’attribuer ce décor. Les minces vestiges nous permettent cependant de voir assez bien les caractéristiques de la figure. Le contour se rapproche d’une forme triangulaire, avec un front droit et large et un menton arrondi et pointu. Le nez, vu de face, ne présente pas de courbure, seulement un bout arrondi avec ses ailes vues en parallèle. Sur la partie du haut, le contour du nez se prolonge par les arcades sourcilières, pratiquement sans transition. Sous ces sourcils parfaitement arrondis, les yeux ne se limitent pas à leur forme en amande. La paupière inférieure décrit une courbe convexe très douce ; la paupière supérieure, à son tour, forme un arc plus prononcé, presque triangulaire. Les yeux dessinés de cette façon paraissent très grands. Un élément intéressant est l’ombre que nous voyons entre le sourcil et les yeux et entre le nez et les yeux. C’est un élément très caractéristique de notre visage et moins fréquent que ce qui peut paraître au premier regard. En réalité, cette ombre lui donne un air de simplicité et de chaleur, de proximité, qui nous permet de mettre en doute certaines des propositions faites jusqu’à présent. On ne peut rien dire de la bouche, des oreilles et des cheveux car ils ne sont pas conservés. D’un point de vue technique il convient de souligner que le peintre a utilisé la ligne de contour avec vigueur. À l’intérieur du visage, en revanche, l’auteur n’a travaillé les différentes zones qu’avec la couleur, et la ligne a été supprimée. On pourrait penser que l’effet est dû à l’état de conservation, mais à notre avis il s’agit d’un choix technique. Il y a encore un autre détail qu’il faut souligner et qui se situe à mi-chemin entre les questions formelles et iconographiques. Nous pensons à la manière de résoudre le contact entre l’aile et le nimbe. Pour ce que nous en conservons, aile et nimbe démarrent ensemble de la base du cou et ne se séparent qu’à hauteur des yeux. À partir de ce point, les lignes qui dessinent les contours de chacune de ces parties deviennent indépendantes.

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Ce sont ces éléments minimes qui doivent nous permettre de trouver des points de comparaison entre notre pièce et des œuvres contemporaines. De cette façon, nous tenterons d’établir une fourchette chronologique qui nous permette de situer la pièce. À l’aide de ce qui est conservé il est difficile d’aller plus loin. Un des problèmes que présente cette peinture est, cela semble évident, sa datation. Le fait qu’elle ait été incluse dans cette étude laisse déjà deviner que nous la plaçons dans la tranche chronologique des IXe-Xe siècles. C’est bien le cas. Cependant, comme nous l’avons vu en faisant l’état de la question, les auteurs qui nous ont précédé ou succédé dans l’étude de cette pièce n’ont pas été et ne sont pas d’accord avec l’interprétation que nous avons faite. Il faut dire que les questions de datation ne sont pas un problème dont la solution est facile. Et dans ce cas précis, il se pourrait bien qu’il n’en ait pas22. Le premier point à relever est que les différentes chronologies proposées à ce jour sont le fruit d’opinions non fondées sur des documents. Nous avons vu comment, dans un premier temps, on considérait que cette peinture appartenait au XIIIe siècle23. La seule justification de cette proposition est qu’elle établissait une relation entre la qualité du fragment et les constructions et l’endroit où le bloc avait été remployé. Quand il apparut réutilisé dans les structures de l’ancien Palais royal majeur, édifice modifié à de nombreuses reprises, on dut penser qu’il avait peut-être formé part d’une ancienne décoration de cet édifice, dans l’une de ses diverses phases24. Pourtant, il nous semble évident qu’il ne peut appartenir à aucun des décors du

22   La datation de la peinture murale pose, toujours, un problème. Et plus encore pour les œuvres dont nous traitons, et nous traiterons, tout au long de cette étude. Pour la pièce de Barcelone, outre l’absence de contexte – archéologique ou monumental – nous ne disposons d’aucune autre donnée que les vestiges eux-mêmes et par conséquent les difficultés sont plus grandes encore. Souvent, dans des cas comme celui-ci – comme nous le verrons aussi à Terrassa – on espère que les analyses de matériaux et les études de restauration pourront faire la lumière sur la datation de l’œuvre. Se fier aveuglément à ces données est une erreur dans la mesure où souvent elles ne nous donnent rien de plus que des résultats relatifs, qui privés de contexte – comme c’est le cas ici – nous sont de peu de secours. Même en disposant d’un contexte bien défini, comme nous le verrons à Terrassa, les résultats de ces analyses ne permettent pas de déterminer avec rigueur des datations. Un exemple paradigmatique dans le contexte européen est celui de Sainte-Marie de Castelseprio, avec une datation qui selon les chercheurs oscille entre le VIe et le XIe siècle (cf. C. Bertelli, « Traccia allo studio delle fondazioni medievali… », pp. 65-70). 23  v. Museo de Historia de la Ciudad. Guía, 1962…, p. 105 ; Museo de Historia de la Ciudad. Guía, 1963…, p. 31 ; Museo de Historia de la Ciudad. Guía, 1969…, p. 97. 24   Catalunya Romànica, XX, pp. 189-194.

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palais à l’époque gothique25. Mis à part la difficulté découlant du moment et du lieu du remploi, il est évident que la figure conservée n’a rien en commun avec les manières de faire de la peinture gothique catalane, par ailleurs bien connue26. Ceci nous conduit à penser à une datation moins basse ; nous pourrions proposer, par conséquent, une époque de transition. En réalité, dans les guides anciens du Musée, notre peinture était présentée comme appartenant au XIIIe siècle, que en Catalogne constitue l’époque de transition entre le roman et le gothique. Justement, le Salon du Tinell, grande salle de représentation du palais comtal de Barcelone, conserve son décor de la fin du XIIIe siècle27. Les célèbres peintures de la conquête de Majorque qui apparurent entre les murs roman et gothique de la salle noble sont assez bien conservées pour servir d’éléments de comparaison. Il paraît clair, cependant, que rien n’apparente ce cycle avec notre figure. Les personnages y sont d’une grande linéarité, avec des têtes excessivement grandes, disproportionnées pour les corps qui les portent. Chacun des éléments qui composent les figures des personnages est parfaitement bordé et souligné de noir. Ces divergences permettent d’écarter toute possibilité de parenté du fragment que nous analysons avec d’autres peintures barcelonaises de cette époque, comme celles du palais Caldes ou Aguilar ou la maison de la rue Duran i Bas28. Si cette peinture n’appartient pas au XIIIe siècle – ce qui nous paraît clairement établi – une autre possibilité serait de la rapprocher de la peinture romane. Pourtant, les formes du visage du MUHBA de Barcelone divergent profondément de la géométrisation et, en définitive, de la conceptualisation de la peinture romane catalane. Les ensembles dits romans ont en propre de donner un sentiment d’irréalité, d’intemporalité, qui tend à établir une distance avec le spectateur. Le personnage de Barcelone, par contre, se caractérise par sa grande chaleur et sa proximité. Peut-être l’ensemble présentant le plus d’af  Nous rappelons à nouveau que l’ignorance du lieu exact où est apparu le bloc taillé empêche de savoir de quelle époque date le remploi et par conséquent de proposer une datation. Dans certains cas, déterminer le moment du remploi constitue une information très précieuse du terminus ante quem (v. Martin Biddle, Birthe Kjølbye-Biddle, « The dating of the New Minster wall painting », Early Medieval Wall Painting and Painted Sculpture in England (Based on the Proceedings of a Symposium at the Courtauld Institute of Art, February 1985), (eds.) S. Cather, D. Park, P. Williamson, Oxford, 1990 (BAR British Series, 216), pp. 45-63, pour une pièce semblable à la nôtre). 26  Josep Gudiol i Ricard, Santiago Alcolea i Blanch, Pintura gótica catalana, Barcelone, Polígrafa, 1986. 27   Catalunya Romànica, XX, pp. 194-195. 28   Catalunya Romànica, XX, pp. 195 et 250-257. 25

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finités avec notre fragment est-il celui de l’absidiole sud de Saint-Cyr de Pedret (début du XIIe siècle)29. Il s’agit là de l’ensemble le plus purement italien parmi ceux conservés en Catalogne, et cela l’éloigne relativement d’autres ensembles catalans. Pourtant, la forme des visages est, à Pedret déjà, très dure comparée à celui que nous analysons, et, par conséquent, il ne peut être établi de correspondance claire. Il convient d’ajouter que, dans le cas de Pedret, le module des personnages comme les dimensions intimes de l’absidiole contribuent à conférer la chaleur qui rapproche cet ensemble de notre fragment. Comme nous le verrons plus loin, il est possible de mettre en relation le visage barcelonais avec des œuvres d’Italie du Nord. Là réside sans doute la lointaine affinité qui les apparente. Cependant, dans le cas de Pedret, on doit noter que ces sources communes sont déjà très éloignées, sûrement aussi distantes de Pedret que Pedret l’est de la pièce qui nous occupe30. La correspondance entre les éléments qui définissent le visage étudié et ceux qui caractérisent de manière générale la peinture romane en Catalogne est très lâche. La comparaison nous place en face de manières de faire divergentes. Récemment on a proposé une chronologie qui situerait ce fragment au XIe siècle. Rien de ce que nous connaissons en Catalogne pour le XIe siècle ne ressemble, même de loin, avec ce que nous voyons sur notre pièce. En réalité cette proposition ne s’appuie sur aucun exemple et paraît davantage être un commentaire qu’une proposition ferme31. Pour notre part, dès notre première référence à ce fragment nous avons considéré qu’il était d’époque carolingienne32. Et nous pensons qu’il convient d’entendre le terme «carolingien» en un sens très restreint, et pas avec le sens large qu’il est d’usage de lui donner chez 29   Catalunya Romànica, I, pp. 351-352 ; cf. M. Guardia, C. Mancho, « Pedret-Boí o l’origen de la pintura mural catalana », et infra. 30   Comme on le sait, un des topoi concernant l’ensemble de Saint-Cyr de Pedret est son italianisme, et plus exactement son rattachement formel à la Lombardie. En réalité, à SaintCyr de Pedret on ne retrouve que fort peu de chose de la Lombardie, mais on y trouve une relation claire avec l’iconographie du sud de l’Italie d’une époque plus tardive. Bien que fasse encore défaut une étude qui affronte les problèmes du décor roman de Saint-Cyr de Pedret, la question a été traitée, en particulier du point de vue de la chronologie, par M. Guardia et par nous-même. La tendance est de situer ce décor dans le courant du premier quart du XIIe siècle (voir M. Guardia, C. Mancho, « Pedret-Boí o l’origen de la pintura mural catalana »). 31  M. Pagès, « La pintura monumental a la Catalunya preromànica », pp. 221-222. On trouvera dans la note 34 (infra) une liste des œuvres attribuées au XIe siècle. Leur étude n’a pas encore été réalisée mais les différents volumes de Catalunya Romànica permettent une première approche de ces ensembles. Aucun d’entre eux ne révèle la moindre possibilité de filiation avec notre pièce. 32  C. Mancho, « Tradicions iconogràfiques i formals … », pp. 424-425.

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nous, car en aucun cas on ne saurait se trouver devant une œuvre du Xe siècle33. Pour affirmer cela, étant donné la minceur des vestiges, nous ne pouvons nous appuyer que sur le discours stylistique, d’une part, et sur le contexte historique, de l’autre. Dans ce cas l’iconographie ne nous aide que fort peu (voir infra). Nous avons déjà vu qu’il faut écarter la possibilité que cette peinture ait été réalisée postérieurement au XIe siècle. Pour ce siècle, en Catalogne, l’étude de la peinture murale reste encore à faire. Jusqu’ici le XIe siècle a été utilisé comme un fourre-tout où l’on a rangé tout ce qui dépareillait avec «la peinture romane catalane»34. Dans ces circonstances, nous pouvons difficilement établir des termes de comparaison fiables entre notre pièce et la peinture de cette époque dans notre contexte géographique. D’ores et déjà, et même avant de préciser ce panorama, il convient d’affirmer qu’aucune des œuvres conservées parmi toutes celles qui, à un quelconque moment, ont pu être attribuées au XIe siècle, aucune donc ne présente le plus petit

  Catalunya a l’època carolíngia….   La question est intéressante et essentielle. En premier lieu parce que, contrairement à ce que l’on pourrait penser, le nombre des vestiges est important. Il est vrai qu’il n’est pas question d’ensembles pouvant se mesurer en qualité avec certains de ceux du XIIe siècle, mais ce qui est conservé devrait nous permettre une bonne approche de la réalité de la peinture murale de l’époque. En second lieu, il n’est pas possible d’étudier la peinture du XIIe siècle sans savoir ce qui se passe pendant le siècle précédent, qui, sur beaucoup d’aspects, est un siècle de formation et de définition. Jusqu’à ce que cette étude soit réalisée, notre connaissance de la «grande» peinture romane du XIIe siècle restera partielle. Afin de donner une idée du matériau en attente d’étude, nous proposons une liste des ensembles comprenant des vestiges supposés du XIe siècle : cathédrale romane de Vic (Osona), Saint-Julien de Ribelles, Pruna, Prunera ou Brema (La Garrotxa), Saint-Jean ou Sainte-Marie de Baussols, Bussols, Mussols ou dels Corbs (La Garrotxa), Saint-Ponce d’Aulina (La Garrotxa), SaintPierre Desplà (La Selva), Saint-Sernin de Tavèrnoles (Alt Urgell), Saint-Sernin de Nagol (Andorra), Saint-Martin del Canigó (Conflent), Saint-Michel de Cuxa (Conflent), SaintÉtienne de Marenyà (Baix Empordà), Saint-Pierre de Rodes (Alt Emporda), Sainte-Marie de Ripoll (Ripollès), Sainte-Marie de Matadars ou de Marquet (Bages), Saint-Pierre de Vallhonesta (Bages), Sainte-Marie de Cererols (Bages), Sainte-Marie de Torreneules (Rosselló), Saint-Sauveur de Casesnoves (Rosselló), Saint-Michel d’Alòs de Balaguer (La Noguera), Saint-Sépulcre d’Olèrdola (Alt Penedès), Sainte-Croix du Castell de Calafell (Baix Penedès), Saint-Michel de Marmellar (Baix Penedès), Saint-Ponce de Corbera (Baix Llobregat), SaintRomain de can Santromà (Maresme). Cette liste comporte des décors muraux du XIe siècle aussi intéressants et étrangers au domaine catalan que les stucs de Tavèrnoles (voir récemment Carles Mancho, « Le stuc en Catalogne, carrefour des cultures? », Stucs & décors de la fin de l’Antiquité au Moyen Âge (Ve-XIIe siècle). Actes du colloque international tenu à Poitiers du 16 au 19 septembre 2004, (dir.) Ch. Sapin, Turnhout, Brepols Publishers, 2006 , pp. 167-178 (coll. Bibliothèque de l’antiquité tardive, 10)), des ensembles documentés mais malheureusement disparus, comme ceux du Canigó, de Ripoll ou de Vic et quelques cycles réellement étendus comme ceux de Marenyà ou d’Olèrdola, à côté de fragments plus réduits. 33 34

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lien avec celle que nous sommes en train d’étudier35. C’est pourquoi il faut écarter la possibilité que ce fragment appartienne au XIe siècle ou soit postérieur. À aucune de ces époques – jugeant d’après ce qui nous en est parvenu – les formes artistiques ne permettent d’envisager la réalisation d’une œuvre comme celle conservée ici. Nous n’avons pas non plus pour les IXe et Xe siècles d’éléments de comparaison en Catalogne. D’abord parce que les vestiges de décor mural de ces époques sont très rares. Et ensuite parce que l’hétérogénéité qui y règne ne permet pas d’y voir une ligne stylistique claire ni des tendances formelles bien définies. Parmi la peinture murale des IXe et Xe siècles que nous conservons en Catalogne, il n’y a aucun ensemble qui se détache par sa qualité, hormis ce fragment, pour autant qu’il y appartienne. Ceci s’explique peut-être parce que nous nous trouvons devant une œuvre exécutée à Barcelone, siège épiscopal et capitale du comté. Bien que la relation entre la qualité et le lieu n’ait pas à être directement proportionnelle, dans ce cas précis il est vrai que cela nous permet d’en comprendre la bonne exécution. Cela explique aussi, peut-être, l’isolement de cette pièce. S’il est évident que ni Campdevànol, ni Pedret, ni les églises de Terrassa n’ont rien de commun, d’un point de vue formel avec la pièce de Barcelone, il ne nous est pas possible non plus de recourir à l’enluminure des manuscrits. La miniature en Catalogne à cette époque est, de fait, inexistante (voir supra)36. En réalité, si nous élargissons le cercle de nos recherches aux royaumes hispaniques, le résultat ne peut être plus décevant. Dans le domaine de la miniature hispanique le style est si défini et si particulier qu’il interdit tout rapprochement avec les œuvres que nous analysons37. Dans le domaine 35   Développer ici une comparaison ensemble par ensemble n’aurait guère de sens. La comparaison a été évidemment faite et le résultat est négatif. Néanmoins, les vestiges du XIe siècle présentent deux problèmes principaux au moment d’établir une comparaison. Le premier est la réalité de leur mauvais état ou de leur conservation très partielle dans la majorité des cas ; le second est la difficulté, préalable à une étude sérieuse, de se fier aux datations attribuées. Nous avons l’intention, dans le cadre du groupe de recherches Ars Picta dirigé par Milagros Guardia à l’Université de Barcelone, de mener à bien cette recherche nécessaire pendant le triennal 2006-2009, grâce au financement attribué tant par le Ministerio de Ciencia y Tecnología que par l’Agència catalana de gestió d’ajuts a universitats i recerca (Agaur). 36  Anna Orriols i Alsina, « La miniatura hispánica altomedieval i la seva relació amb el món carolingi  », Catalunya a l’època carolíngia. Art i cultura abans del romànic (segles IX i X),(Catàleg de l’exposició, Barcelona 16 desembre 1999/27 febrer 2000), Barcelone, Museu d’Art de Catalunya, 1999, pp. 243-247 ; M. A. Castiñeiras, « La il·lustració de manuscrits a Catalunya… ». 37  J. Yarza, « Los inicios de la miniatura Hispana… » ; A. Orriols, « La miniatura hispánica altomedieval… », pp. 243-247.

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de la peinture murale38, les vestiges sont relativement abondants mais témoignent d’un manque d’attention dans la représentation de la figure humaine. Dans les six ensembles que nous connaissons plus ou moins partiellement et dans les vestiges de quatre autres, la figure humaine n’apparaît de manière claire et significative que dans les vestiges de Saint-Michel de Liño (cons. 848)39 et de Saint-Sauveur de Priesca (cons. 921)40. Il n’est pas nécessaire d’aller plus avant dans la précision pour voir que ce n’est pas le monde hispanique qui nous donne les éléments de comparaison. Si nos regards se portent sur l’ensemble de l’Occident européen, mis à part quelques exceptions comme la péninsule italienne, nous ne disposons pas non plus d’un nombre d’ensembles muraux très élevé. Sur la périphérie, les îles britanniques offrent un parallèle curieux. Nous pensons à un fragment de personnage conservé sur un bloc de New Minster. Le hasard a voulu que dans ce cas aussi la partie conservée soit le visage du personnage. Mais la différence est que la découverte, dans un contexte archéologique bien daté, ne permet aucun doute sur la chronologie de la peinture, qui doit être située antérieurement à 90341. Il faut dire que, hormis la coïncidence de la partie conservée, rien ne rapproche notre fragment de celui-là d’un point de vue formel. La linéarité et la simplicité d’exécution de la pièce britannique en font des œuvres très différentes42. Parmi les rares œuvres conservées en France (voir supra), se trouvent des exemples d’une certaine proximité d’esprit avec notre peinture. Le plus connu des décors français d’époque carolingienne est sans doute celui de la crypte d’Auxerre (a. 857)43. L’intimité du  L. Arias, La pintura mural….  L. Arias, La pintura mural…, pp. 110-129, en part. pp. 112-124. 40   Ibid., pp. 168-177, en part. p. 172. 41  Martin Biddle, Birthe Kjølbye-Biddle, « Painted Wall Plaster from the Old and New Minsters in Winchester », Early Medieval Wall Painting and Painted Sculpture in England (Based on the Proceedings of a Symposium at the Courtauld Institute of Art, February 1985), (Eds.) S. Cather, D. Park, P. Williamson, Oxford, 1990 (BAR British Series, 216), pp. 41-44 ; M. Biddle, B. Kjølbye-Biddle, « The dating of the New Minster wall painting »…. 42   Au Puy aussi nous trouvons, curieusement, un ensemble de visages conservés sur des blocs, mais dans ce cas la datation se situe déjà dans un XIe siècle avancé. Nous avons eu connaissance de ces fragments picturaux grâce à la consultation que nous avons eu l’opportunité de réaliser au Centre d’Études Supérieures de Civilisation Médiévale de Poitiers, dirigé à l’époque par É. Palazzo, où l’équipe Peintures Murales dirigée par M. Angheben, travaillait à l’indexation de la photothèque des ensembles muraux français. 43   Aujourd’hui, nous sommes en mesure d’affirmer qu’il s’agit assurément d’un des monuments français les mieux connus. L’intervention d’ensemble dirigée par C. Sapin et la publication postérieure de ces travaux, ont été, en la matière, magistrales. Pour la peinture, nous renvoyons à Christian Sapin, Claude Coupry, «  Les peintures de Saint-Germain 38 39

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lieu et ses petites dimensions font que le décor est influencé par le cadre. La petite dimension des personnages s’accorde avec ce que nous avons sur notre fragment. L’image de saint Étienne priant présente certaines ressemblances avec la tête de notre personnage : des yeux assez gros – mais au regard abstrait – , un nez droit dont les ombres bordent le relief – mais beaucoup plus fin et plus long – , un usage restreint de la ligne – mais beaucoup plus accusé que sur notre pièce –, … En définitive, nous y retrouvons les ressemblances logiques d’œuvres qui ne sont apparentées par rien de plus que, dans ce cas, l’époque d’exécution. L’un et l’autre ont le même air, sans qu’on puisse en dire plus. Ceci nous permet d’affirmer, cependant, que d’un point de vue esthétique il existe une certaine identité. Le plus ancien des décors carolingiens, et par conséquent antérieur à Auxerre, est une œuvre absolument exceptionnelle : les mosaïques de Germigny-des-Prés (ca. 800). C’est là un décor dont l’analyse est complexe. En premier lieu car il a été fort restauré ; en second lieu car il s’agit de mosaïque44. Ces deux facteurs conditionnent, et beaucoup, une comparaison avec la peinture murale. La conditionne aussi la volonté idéologique qui semble sous-tendre les mosaïques45. La technique propre à la mosaïque oblige à compartimenter nettement les différentes zones de couleurs. Ceci explique que souvent les yeux et les sourcils soient représentés d’une manière proche de celle que nous voyons sur la pièce de Barcelone. La ressemblance, par conséquent, est absolument générique et due à des questions exclusivement techniques. Nous la retrouvons à Germigny mais aussi dans les nombreuses mosaïques italiennes conservées46. d’Auxerre, état des recherches en cours et découvertes récentes », Édifices & Peintures aux IVe-XIe siècles (Actes du 2e C.N.R.S. Archéologie et enduits peints 7-8 novembre 1992. Auxerre-Abbaye Saint-Germain), Musée d’Auxerre, 1994, pp. 81-98 ; C. Sapin, et alii, « La Cathédrale SaintÉtienne » ; E. Cadet, « Décors peints et enduits », Archéologie et Architecture d’un site monastique, Ve-XXe siècles. 10 ans de recherches à l’abbaye Saint-Germain d’Auxerre, Auxerre-Paris, Centre d’Études Médiévales-CTHS, 2000 (coll. Mémoires de la section d’archéologie et d’histoire de l’art, vol. X), pp. 274-290, en part. p. 286. 44   Sur le décor voir P. Skubiszewski, L’art du haut Moyen Âge…, pp. 320-322. Sur les restaurations voir Anne-Orange Poilpré, « Le décor de l’oratoire de Germigny-des-Prés : l’authentique et le restauré », Cahiers de Civilisation Médiévale, 41, 163 (1998), pp. 281-298. 45   Nous pensons au caractère aniconique du décor. En général, ceci explique que l’on ait considéré ces mosaïques comme un exemple de l’idée que se faisait de l’usage des images le probable auteur des Libri carolini et propriétaire de Germigny-des-Près, l’évêque Théodulphe d’Orléans. Sur le refus des images, l’aniconisme, dans l’art de cette époque voir l’article d’Elbern (Enciclopedia dell’Arte Medievale, I, pp. 789-797) ; pour le monde carolingien en particulier voir récemment M. Guardia, « Funcions i usos de les imatges … ». 46   Qu’il s’agisse d’un procédé des mosaïstes est largement démontré par le fait que nous le retrouvons aussi bien sur des mosaïques des VIe-VIIe siècles que sur celles du IXe. Parmi les

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Dans la peinture conservée en Suisse et au nord de l’Italie, se retrouvent quelques ressemblances génériques. Avec Saint-Benoît à Malles (début du IXe siècle), les différences sont évidentes47. Les figures sont fortement affirmées, que ce soit par l’emphase du dessin ou par leur aspect monumental. Toutefois, la manière de dessiner les sourcils et le nez, presque sans transition, pourrait rappeler ce que nous avons à Barcelone. À Saint-Sauveur de Brescia (fin du VIIIe siècle) nous retrouvons une manière de tracer le visage très semblable48. Dans cet ensemble, comme à Müstair (ca. 840)49 ou à Oberzell-Reichenau (fin du IXe siècle)50, la monumentalité et la dimension des personnages impliquent un traitement des carnations et des éclairages sur les visages qui s’éloignent fort de notre pièce51. Efficaces pour des peintures situées à des hauteurs considérables, elles perdent tout leur effet quand on les regarde de près. Ce qui à distance en fait des œuvres d’une grande plasticité, devient de près un gribouillis de coups de pinceaux très visibles qui perdent tout leur sens. Ces procédés ne sont pas ceux premières, à titre d’exemple : le portrait de saint Victor à Saint-Victor in Ciel d’Oro, à Milan, ou les vestiges plus anciens de l’abside majeure de Saint-Ambroise ou l’abside de l’oratoire de S. Venanzio au baptistère de Saint-Jean du Latran. Quant aux seconds, dans la plupart des œuvres romaines de Pascal Ier nous pouvons retrouver ce procédé plus ou moins développé. Pour les mosaïques de Milan, voir Enciclopedia dell’Arte Medievale, VIII, pp. 402-403 – bibliographie p. 409-410 – et Ferdinando Reggiori, « Il mosaico della grande abside di sant’Ambrogio alla luce di recentissime osservazioni », Studi in onore di Aristide Calderini e Roberto Paribeni, vol.III, Milano, Casa ed. Ceschina, 1956, pp. 799-817 ; pour l’oratoire de S. Venanzio v. Giuseppe Bovini, « I mosaici dell’oratorio di S. Venanzio a Roma », Corso di cultura sull’arte ravenate e bizantina, XVIII, 1971, pp. 141-154 ; pour les œuvres de Pascal Ier et en général la mosaïque à Rome durant le IXe siècle, v. G. Matthiae, (M. Andaloro), Pittura romana del medioevo…, pp. 158-172 et 275-281. 47  G. Lorenzoni, Monumenti di età carolingia…, pp. 41 et sq, figs. 22-32. 48  Adriano Peroni, « San Salvatore di Brescia : un ciclo pittorico altomedievale rivisitato », Arte Medievale, 1 (1983), pp. 53-80. 49  G. Francovich,« Il ciclo pittorico della chiesa di San Giovanni a Münster… », pp. 28-50 ; N. Rasmo, Arte carolingia…, pp. 33-34, figs. XXI-XXVII et 45-57 ; C. Davis-Weyer, « Müstair, Milano e l’Italia carolingia »…. 50  K. Martin, Die ottonischen Wandbilder…. ; K. Koshi, Die frühmittelalterlichen Wandmalereien…, en part. pp. 249 et sq et 261-262. 51   Les fragments de Brescia (fin du VIIIe siècle) et de Müstair récemment présentés à Barcelone illustrent tous ces jeux d’ombres et de lumière, de manière très atténuée, certes, en raison des graves problèmes d’arrachement et de conservation, particulièrement aigus dans le cas de Müstair (voir Catalunya a l’època carolíngia…, nº 62 et 95 ; Wandgemälde. Von Müstair bis Hodler, Zurich, Verl. Beichthaus, 1980 (cat. exp.), nº 1-21). Même ainsi les différences sont notables ; sans doute s’agit-il d’un système complexe et différent de celui que nous voyons sur des œuvres comme celles d’Auxerre ou de Barcelone dans lesquelles, malgré tout, survit un certain air de famille. Cf. en ce sens la comparaison établie entre Brescia, Saint-Satyre de Milan et Cividale par Werner Jacobsen, « San Salvatore in Brescia », Studien zur mitelalterlichen Kunst 800-1250. Festschrift für Florentine Mütherich zum 70. Geburstag, Munich, Prestel Verl., 1985, pp. 75-81, 78-79, figs. 3-5.

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du peintre de Barcelone – ni de celui d’Auxerre – et pour cette raison notre peinture est éloignée de ces formes. Si nous allons vers le sud, les peintures des Saints-Martyrs de Cimitile (Campanie), de la fin du IXe siècle, présentent aussi une certaine proximité avec Barcelone52. Malgré l’usage radical de la ligne pour définir chacun des éléments, la simplicité des figures peut rappeler notre personnage. Comme on peut le voir sur la figure du Christ descendant aux Limbes, la tête est plus ovale, même si le menton donne une forme triangulaire aux traits d’un visage qui serait trop arrondi53. La transition du nez aux sourcils, bien que nette, rappelle ce que nous voyons à Barcelone… Nous avons choisi quelques-uns des exemples qui nous paraissent les plus significatifs. En réalité nous pourrions continuer à établir des comparaisons de ce type avec d’autres ensembles. En général, pourtant, la comparaison avec la peinture murale ne nous donne que de subtiles pistes sur le parcours possible de notre fragment54. Mis à part les peintures d’Auxerre – et pour des raisons circonstanciées –, le plus évident est la grande différence entre ce qui est conservé et nos propres vestiges. Il n’est pas possible d’aller au-delà de ressemblances génériques qui n’éclairent rien, mais on ne peut non plus se soustraire à un sentiment de familiarité entre notre œuvre et celles que nous avons vues. La première impression est qu’il existe une certaine base commune – un style – quoiqu’il n’existe aucun lien direct – formel. Si nous changeons de terrain, on doit dire que la manière du fragment de Barcelone rappelle celle de certains des premiers manuscrits carolingiens. Nous pensons à un groupe de livres enluminés qui a été considéré comme l’œuvre de l’école de cour de Charlemagne et qui

52  Hans Belting, Die Basilica dei SS. Martiri in Cimitile und ihr frühmittelalterliche Freskenzyklus, Wiesbaden, 1962 ; Valentino Pace, « La pittura medievale in Campania », La pittura in Italia. L’Altomedioevo, Milan, Electa, 1994, pp. 243-260, spéc. 244-245, et fig. 305-306. 53  H. Belting, Die Basilica dei SS. Martiri in Cimitile…. 54   Curieusement, parmi les nombreux exemples de peinture murale conservés à Rome pour ces époques, nous n’avons pu en trouver qu’un présentant une relative proximité plus générique que celles citées jusqu’ici. Il s’agit d’une des figures de Cyr et Julitte à la chapelle de Teodoto de Sainte-Marie antiqua (milieu du VIIIe siècle). Précisément, la scène où les deux martyrs sont représentés dans leur prison pourrait rappeler très approximativement le parti choisi pour le visage de Barcelone. On notera, cependant, que la cité de Rome se comporte de manière très spécifique dans la production artistique de ces siècles. Même au moment de splendeur que représente l’époque de Pascal Ier on a pu noter un éloignement des formes carolingiennes, qui, semble-t-il, auraient dû en constituer le cadre (G. Matthiae, (M. Andaloro), Pittura romana del medioevo…, pp. 138-147, fig. 109 ; 267-268).

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forme le groupe dit «d’Ada»55. Ce groupe se situe entre la fin du VIIIe siècle et le début du IXe, et se caractérise comme la production d’un scriptorium palatin et non pas monastique. On a voulu voir la figure d’Éginard dans la direction de ce scriptorium. Parmi les œuvres conservées se détachent les évangiles d’Ada (ca. 800), du British Museum ou Harley (ca. 790-800), de Saint-Médard-de-Soissons (c. 800), de SaintRiquier (ca. 800) et de Lorsch (début du IXe siècle). Si nous prenons, par exemple, le portrait de saint Luc de l’Évangéliaire dit d’Ada (Trèves, Stadtbibliothek, ms. 22, fol. 85v ; école palatine, ca. 800) et que nous comparons les visages, nous voyons un type de contour triangulaire très semblable à notre figure de Barcelone. Bien que l’on ne distingue pas les lignes du nez, si elles existaient, elles se prolongeraient jusqu’aux arcades sourcilières sans guère de transition ou de rupture. Pour ce qui est du dessin des yeux, nous retiendrons l’angle formé par la paupière supérieure, élément que nous trouvons aussi sur le visage du MUHBA. Au dessus des sourcils, on remarquera le front large et clair, un trait qu’il partage aussi avec notre fragment. Sur un autre manuscrit du groupe, nous trouvons des ressemblances plus accusées. Sur les Évangiles de SaintRiquier (Abbeville, Bibl. Mun. ms. 4, fol. 17v ; Saint-Riquier, ca. 800), aussi bien le portrait de Mathieu que son symbole sont très proches de notre visage. Le saint a la tête inclinée, légèrement de trois quarts, mais malgré cela un regard de face. Le contour triangulaire est encore plus régularisé. On remarque le traitement du nez et des sourcils, qui, malgré le petit effet de perspective du visage se succèdent sans rupture. Une ligne entre paupière et sourcil marque la zone ombrée sous le sourcil. Sur le symbole de l’évangéliste, au-dessus de celui-ci et tout à fait de face, la ligne tend à disparaître de sorte à être remplacée directement par une ombre. Les ressemblances augmentent si nous comparons notre pièce avec certaines des figures d’un des manuscrits les plus célèbres de ce groupe, l’Évangéliaire de Saint-Médard de Soissons (Paris, BNF, ms. lat., 8850 ; début du IXe siècle ou fin du VIIIe). Peut-être le parallèle le plus proche peut-il être établi avec le petit symbole de saint Mathieu qui couronne une des pages de canons (fol. 7v)56. Sur cette image on retrouve tous les éléments déjà cités plus d’autres, comme le fait que le personnage regarde par côté, ou le départ des ailes rattaché au nimbe. Nous trouvons aussi très nettement  J. Porcher, « Los Manuscritos pintados carolingios », pp. 78-91 ; C. R. Dodwell, Artes pictóricas en Occidente…, pp. 98 et sq. 56  F. Mütherich, J. E. Gaehde, Carolingian Painting, pl. 5. 55

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des ressemblances de genre dans les Évangiles de Lorsch, sur la figure de saint Jean (Vatican, Bibliothèque Apostolique, cod. Pal. Lat. 50, fol. 67v). Nous pourrions poursuivre avec tous les manuscrits du groupe, mais la nature des points communs va dans le même sens. Cette manière de faire n’a, manifestement, rien à voir avec des œuvres contemporaines comme par exemple les Évangiles du Couronnement (Vienne, Kunsthistorisches Museum, Weltliche Schatzkammer, ms. s/n, p. ex. fol. 76v et 178v ; ca. 800)57 ou, issus du même groupe du Couronnement, les portraits des quatre évangélistes du célèbre Évangéliaire d’Aix-la-Chapelle (Aix-la-Chapelle, Trésor de la Cathédrale, fol. 14v ; début du IXe siècle)58. Dans ce cas, le monde classique, à travers la tendance hellénistique, revient de façon brusque et soudaine. Mais ce n’est pas cette manière qui nous intéresse. Le style de l’école palatine de Charlemagne – postérieurement au Psautier de Godescalc, bien entendu – aura une certaine postérité dans la partie occidentale de l’Empire, dans l’atelier de la cour de Charles le Chauve. Des manuscrits comme le Codex Aureus de Saint-Emmeram (Munich, Bayerische Staatsbibliothek, Clm. 14000, fol. 5v ; ca. 870) présentent certaines ressemblances avec ces manuscrits, en particulier pour les éléments qui nous intéressent. Il existe évidemment des différences avec l’atelier de Charlemagne, fruit des influences des écoles de Metz, Reims et plus tard Tours. Même dans un manuscrit comme la Bible de Saint-Paul-hors-les-murs (Rome ; ca. 870) on retrouve certaines ressemblances dans le traitement des visages, par exemple dans la figure du Salomon sur le trône du fol. 188v. Ce que nous connaissons en Italie du Nord pour cette époque présente aussi certaines affinités avec les œuvres qui ont servi de parallèle à notre fragment peint. Pourtant, force est de dire que des affirmations comme celle de P. Skubiszewski selon lequel « l’enluminure italienne du IXe siècle est restée un phénomène ‘carolingien’ », nous paraissent exagérées59. En réalité, le panorama italien est très complexe (voir supra). Étant donné cette complexité, centrons-nous sur l’exemple le plus proche de nos recherches. Œuvre bien connue, le Codex d’Éginus (Berlin, Deutsches Staatsbibliothek, Philips 1676 ; ca. 796-799) est contemporain des productions de l’atelier palatin de 57  F. Mütherich, J. E. Gaehde, Carolingian Painting, pl. 8 et 10 ; C. R. Dodwell, Artes pictóricas en Occidente…, pp. 102. 58   C. R. Dodwell, Artes pictóricas en Occidente…, p. 103, fig. 44. 59  P. Skubiszewski, L’art du haut Moyen Âge…, p. 271. Sans doute la situation, à la fin du VIIIe siècle, était-elle exactement contraire, à savoir que c’est le monde italique qui définit la reprise, sous ses propres formes, de la miniature carolingienne.

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Charlemagne. L’homéliaire présente les portraits des Pères de l’Église occidentale, Ambroise, Jérôme, Augustin et Grégoire le Grand. Si nous observons l’image de saint Ambroise (fol. 24), la manière rappelle, ou peut rappeler, le portrait de saint Matthieu des Évangiles de Saint-Riquier ou le saint Jean des Évangiles de Lorsch. Comme le dit C. Bertelli, il est certain que nous sommes face à une œuvre d’une maturité et d’une complexité surprenante, ce qui l’éloigne des manuscrits carolingiens60. Dans le détail du dessin affleure l’évidence d’un arrière-plan classique qui se trouve aussi dans les œuvres carolingiennes, mais de manière plus atténuée, plus nuancée. Ces œuvres de l’atelier palatin révèlent une simplification qui évoque peut-être une connaissance du monde classique au travers d’œuvres comme le codex d’Éginus et non pas une connaissance directe.

Conclusion Ils nous paraît évident que les éléments qui caractérisent le visage de Barcelone conservent une certaine affinité avec des œuvres carolingiennes et italiennes du IXe siècle. Il est difficile de suggérer quelque relation ou lien direct et il convient davantage de penser à une forme d’esprit commun. La peinture murale ne nous fournit que peu d’exemples. Auxerre, Brescia ou Cimitile, tous du milieu ou de la fin du IXe siècle, ne sont guère que des références génériques. La plus grande proximité se retrouve en général dans l’illustration des manuscrits. Quelques-unes des productions de l’atelier de cour de Charlemagne et ce qui en dérive à la cour de Charles le Chauve, comme certaines œuvres italiennes nous indiquent, peut-être, que l’auteur de la peinture de Barcelone soit est issu du monde de l’illustration des livres, soit possède une information livresque. Ceci est, de fait, en accord avec certaines des questions techniques que nous avons évoquées dans la description. Cependant, même dans les exemples les plus proches comme le saint Mathieu de la table des canons de Saint-Médard-de-Soissons, la ressemblance n’est guère plus que générique. En résumé, nous dirons que stylistiquement notre peinture appartient à l’époque carolingienne, bien que formellement nous ne puissions identifier la source d’où elle provient. Ceci étant dit, il convient de rappeler notre point de départ. Pour ce qui est du fragment de Barcelone, nous n’avons rien de plus qu’une  C. Bertelli, « Traccia allo studio delle fondazioni medievali… », pp. 60-61.

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tête de quelques centimètres et très endommagée. Pour ce qui est du contexte international, la peinture murale y est aussi très rare et, hormis des cas ponctuels comme les ensembles nord italiens, hétérogène. Pour ce qui est des manuscrits, en particulier dans le cas italien, il s’agit toujours d’un terrain d’étude très glissant et où les publications ne sont jamais systématiques. Sur ces bases, les seuls arguments positifs pour soutenir l’appartenance de notre fragment au IXe siècle sont la qualité et la beauté d’exécution – reconnues par tous – conjointement à une parenté générique avec des œuvres carolingiennes et nord italiennes du IXe siècle. Ainsi que nous le verrons tout au long des analyses partielles de chacun des ensembles étudiés dans ce travail, la situation politique permet de justifier l’existence d’une production artistique de haut niveau dans la capitale du comté de Barcelone pendant la seconde moitié du IXe siècle. Ce serait là le dernier argument permettant de relier notre œuvre avec un contexte carolingien (voir infra Terrassa). En ce qui concerne les arguments négatifs, il suffit de rappeler qu’à partir du XIe siècle nous trouvons, dans la peinture murale comme dans les manuscrits, suffisamment d’œuvres dans le contexte catalan pour connaître le type de production qui s’y réalise. Les contextes historique, politique, économique et culturel sont favorables à des productions de haut niveau artistique dans la capitale comtale, preuve en est la quantité d’œuvres conservées dans toute la Catalogne. Dans ce cas, le problème est la réalité de cette production. Rien de ce qui est produit en Catalogne à cette époque n’a de rapport avec la petite tête du bloc du MUHBA de Barcelone. À notre avis, cela fait de toute cette production un terminus ante quem pour notre fragment.

Iconographie Dans le cas qui nous occupe, une analyse iconographique n’a guère de sens. Les vestiges conservés sont si minces qu’il est même difficile d’aller plus loin que l’identification d’une tête. Dans la seule publication consacrée à cette pièce, comme dans notre première référence à celle-ci, nous considérions que nous nous trouvions devant la tête d’un ange61. Nous ne pouvons en aucun cas préciser – cela est impossible – s’il s’agit simplement d’un ange, ou bien d’un archange ou d’un chérubin. Comme on aperçoit un personnage ailé – et sur 61  L. Font, C. Mancho, L. Vilaseca, « Pittura murale su lastra… » ; C. Mancho, « Tradicions iconogràfiques i formals … », p. 424.

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cela il ne saurait y avoir de doute –, nous n’avançons aucune autre identification. Pourtant il existe une autre possibilité, car en tant que personnage ailé il pourrait s’agir du symbole de l’évangéliste Matthieu. En toute logique, et à la vue de ce que nous avons conservé, cette alternative loin de le simplifier, ne fait que compliquer le panorama. Que ce puisse être une figure angélique ou le symbole de Matthieu, comporte, d’un point de vue iconographique, un grand nombre de possibilités62. Les examiner une par une serait un pur exercice scolaire, qui ne déboucherait sur aucune conclusion. Les éléments conservés sont trop minces. Un élément auquel nous avions donné une grande importance au départ était le regard de côté du personnage. Cela nous permettait de supposer que, sans doute, le personnage était en relation avec un autre63. En réalité, la présence d’un autre personnage à droite de notre figure n’est nullement nécessaire pour qu’elle regarde de biais. Justement, un exemple que nous avons déjà cité, le saint Matthieu de la table de canons des évangiles de Saint-Médard-de-Soissons, illustre la possibilité qu’une figure soit isolée – ou pas reliée directement à une autre – et malgré cela regarde de côté. C’est pourquoi, bien qu’il soit possible que le regard de notre personnage indique sa relation avec d’autres, nous ne pouvons en être sûrs. Un autre élément qui pourrait nous donner un indice sur la situation de notre personnage dans la composition originelle, est la position relative de la tête sur le bloc. Comme nous l’avons vu, la tête, outre sa position de face, est disposée perpendiculairement à la base du bloc. Ceci indique que tant dans le cas d’un ange – de quelque catégorie que ce soit – que comme symbole de Matthieu il n’est possible d’imaginer aucune des représentations dynamiques. En clair, nous ne nous trouvons, par exemple, ni devant l’ange de l’Annonciation à la manière de Sainte-Marie foris portas (Castelseprio) – pour citer un exemple bien connu –, ni devant aucun des symboles qui accompagnent la Maiestas à la manière de Saint-Climent de Taüll, Saint-Pierre de la Seu ou Saint-Michel d’Engolasters – pour ne citer que des exemples proches de nous. Une fois écartées les attitudes dynamiques, ne subsistent que celles où les anges ou l’homme de Matthieu figurent debout, isolés ou en groupe, formant part d’une scène ou d’une théorie. Les possibilités en sont innombrables, et cela,

  Voir les entrées “ange” et “Mathieu” sur Iconclass Libertas edition, http ://www.iconclass.nl.  C. Mancho, « Tradicions iconogràfiques i formals … », p. 424.

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ajouté à notre ignorance de l’endroit où se trouvait le décor, interdit la moindre spéculation. La disposition des ailes ne nous aide pas non plus à écarter des possibilités. Pour le peu qui en est visible, il semblerait qu’elles soient repliées. Cet élément appuierait dans le sens de représentations statiques, mais ne permet pas de choisir entre l’appartenance à des scènes ou à des processions, les ailes pouvant, dans les deux cas, avoir cette disposition. En relation avec les ailes, dans le paragraphe consacré au style, nous mentionnions la manière de tracer conjointement ailes et nimbe. L’argument est d’une faiblesse notable ; cependant, on peut dire que ce que nous voyons sur notre bloc se retrouve de manière très similaire sur des exemples carolingiens ou ottoniens. C’est le cas à Saint-Procule de Naturno, à Germigny-des-Prés, sur les symboles qui accompagnent l’évangéliste des Évangiles d’Ada , sur le symbole de Matthieu des Évangiles de Saint-Riquier, sur les Évangiles dorés de Spire (El Escorial, Ms. Vitr. 17, fol. 61v ; origine Echternach, 1045-1046) ou sur les Évangiles d’Uppsala (Uppsala, Bibl. Université, ms. C.93, fol. 3v ; origine Echternach, 1050)64. Ces exemples nous placent sur la frange des IXe-XIe siècles. Si nous considérons, en outre, qu’en toute probabilité nous retrouverions ceci tant avant qu’après, la conclusion est que nous ne pouvons tirer aucune information chronologique de ce détail. Ainsi, il faut admettre que le point de vue iconographique ne nous apporte rien non plus.

Conclusion Après avoir analysé tous les éléments possibles, nous voilà au même point qu’au départ. Nous ne pouvons pas assurer d’être devant une figure d’ange – et encore moins de quel type d’ange – bien que la grande fréquence de représentation de ces personnages autorise davantage de possibilités. Pourtant ce pourrait être une figuration de saint Matthieu à travers son symbole. Il nous est aussi impossible de préciser le contexte dans lequel se situe cette figure. Il paraît évident que nous nous trouvons devant une figure hiératique, ce qui nous amène à penser qu’il s’agit d’un personnage inclus dans un groupe de type procession. C’est le plus probable. Nous ne pouvons cependant écarter que la figure s’intègre à une scène en flanquant ou en accompagnant d’autres personnages. Ce que nous permet de dire l’analyse iconographique du fragment, est par conséquent, bien peu de chose.   C. R. Dodwell, Artes pictóricas en Occidente…, figs. 135-6.

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La peinture dans les églises de Sant Pere de Terrassa1 Questions préalables L’actuelle ville de Terrassa conserve un des ensembles tardoantiques et médiévaux les plus intéressants d’Europe. Trois églises avec une stratigraphie qui s’étend du Ve siècle à nos jours, avec différents ensembles de peintures murales et sur bois, des vestiges sculptés d’époque antique et médiévale, un groupe important de mosaïques, des vestiges épigraphiques remarquables… Les publications réalisées jusqu’à présent ne sont qu’un pâle reflet de la réalité monumentale de l’ensemble2. Cette richesse fait aussi de Terrassa un des ensembles les plus complexes qui nous soient parvenus. Qu’il suffise de dire qu’il a fallu attendre le début du XXIe siècle pour commencer à avoir quelques certitudes nous permettant de dater une bonne part de l’architecture de ces églises. Il est sûr que les dernières études, la nôtre y compris,   Dans le cas de l’ensemble de Terrassa nous changerons le plan suivi jusqu’à présent pour les autres œuvres analysées. Comme à Terrassa se trouvent deux ensembles différents, on peut traiter séparément l’étude iconographique, mais les caractéristiques de chacune des œuvres nous obligent à analyser les questions stylistiques et formelles conjointement. Ainsi nous présentons ensemble la problématique historique et les caractéristiques des églises de Terrassa, puis nous présentons séparément la description, l’état de la question et l’analyse iconographique, et pour finir nous traitons, de manière conjointe, des analyses stylistique et formelle. [Ce chapitre est peut-être celui qui a subi le plus de modifications par rapport à la thèse de doctorat, avec l’incorporation nécessaire d’un addenda sur la décoration murale de l’édifice de Saint-Pierre, voir infra.] 2   Nous pensons aux publications de vulgarisation à caractère officiel qui concernent la totalité de cet ensemble. Dans ce sens voir Juan Ainaud de Lasarte, Los templos visigóticorománicos de Tarrasa. Monumento Nacional, Madrid, Ed. Nacional, 1976 et la 2e éd. augmentéé  ; Idem, Les esglésies de Sant Pere. Terrassa, Terrassa, Ajuntament de Terrassa, 1990 ; Domenech Ferran i Gómez, Les esglésies de Sant Pere Terrassa, Terrassa, IMCET, [D.L. 1990]. (1ª ed.) ; Idem, Terrassa. Conjunt monumental de les esglésies de Sant Pere, Terrassa, Museu de Terrassa, 1999 (2e éd. de Ferran, 1990). Cette publication de l’actuel directeur du Museu de Terrassa continue, d’une certaine manière, les guides qu’avait édités la Junta Municipal de Museus (vid. Las iglesias de San Pedro de Tarrasa. Antigua sede episcopal de Egara, Terrassa, Junta Municipal de Museos, 1950 (XV centenario de la sede episcopal de Egara) (3e éd., complétée avec les résultats des dernières fouilles et révisée par Don José de C. Serra Ráfols) ; Las iglesias de San Pedro de Tarrasa. Antigua sede episcopal de Egara, Terrassa, Junta Municipal de Museos, 1957 (4e éd. mise à jour par J. Ainaud de Lasarte) ; Las Iglesias de San Pedro de Tarrasa, antigua sede episcopal de Egara, Terrassa, Junta Municipal de Museos, 1963 (5e éd. mise à jour) ; Las Iglesias de San Pedro de Tarrasa, antigua sede episcopal de Egara, Terrassa, Junta Municipal de Museos, 1972 (6e éd.) ; Les esglésies de Sant Pere de Terrassa. Antiga seu episcopal d’Egara (Monument Nacional), Terrassa, Junta Municipal de Museus de Terrassa, 1982 (7e éd.)). 1

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n’éteindront pas la polémique à propos de cet ensemble. Cependant, pour la première fois depuis les premières interventions ayant pour objectif la recherche historique, au début du XIXe siècle, nous disposerons de données rigoureuses et fiables3. Dans ce travail nous traitons du décor peint de deux églises : Sainte-Marie et Saint-Michel. Les peintures conservées à Saint-Pierre ne font pas l’objet de notre attention puisque, probablement, elles doivent être considérées du XIe siècle4. Nous ne pouvons cependant aborder l’étude de la peinture murale des églises de Sant Pere de Terrassa sans revoir auparavant tous les aspects préalables qui peuvent en déterminer l’analyse, en commençant par le contexte historique et en achevant par les interventions qui ont entraîné la découverte de ces peintures tout au long du XXe siècle.

Terracium Castellum La ville de Terrassa actuelle est le fruit d’une longue histoire5. Le développement constant du noyau urbain a eu pour résultat que Ter  Les travaux actuels sont l’aboutissement de presque deux siècles de recherches, plus ou moins exhaustives, de caractère essentiellement archéologique, et elles s’insèrent dans le cadre d’un Plan d’intervention intégrée (ou Plan directeur) rédigé en mars 1998 et récemment approuvé (voir Antoni Navarro et alii, Pla director del Conjunt Monumental de les Esglésies de Sant Pere de Terrassa, Mars 1998. (Generalitat de Catalunya ; Ajuntament de Terrassa)). La présentation publique de ce Plan directeur et des interventions qui devaient être menées à terme eut lieu durant le deuxième semestre 2001 à l’IEC. 4   C’est ce qui est accepté depuis les études de Barral sur la mosaïque de pavement (v. M. Guardia, « La pintura mural pre-romànica de les esglésies de Sant Pere de Terrassa… », p. 156 ; cf. Xavier Barral i Altet, « Les mosaïques de l’ancien siège épiscopal d’Egara (Terrassa) en Catalogne », « La mosaïque gréco-romaine, II ». IIe Colloque Interntional pour l’Étude de la Mosaïque Antique (Vienne, 30 août-4 septembre 1971), Paris, Picard-CNRS, 1975, pp. 241-258, pl. XCIII-CII). Le problème des peintures de Saint-Pierre est que, jusqu’à la réalisation d’une bonne restauration, on ne peut en dire que peu de chose. Cette restauration est prévue parmi les interventions en cours de réalisation sur le monument. [Quand ce travail était déjà rédigé, l’évolution des interventions conduites à partir du Plan directeur des églises de Terrassa nous a donné assez d’éléments pour nous faire juger nécessaire d’y inclure l’ensemble de Saint-Pierre. Étant donné que l’étude définitive de cet ensemble peint ne pourra être réalisé qu’au moment de l’achèvement de sa restauration, nous nous limitons à apporter une des premières conclusions provisoires dans un addenda à la fin de ce chapitre sur Terrassa. Comme nous le verrons, d’une part les peintures révèlent des preuves nettes d’une restauration ancienne, comme celle qui a affecté pendant les années vingt SainteMarie et Saint-Michel ; de l’autre on trouve déjà dans l’étude préliminaire à la restauration au minimum deux phases picturales (Arcor (Taller-Estudi Conservació i Restauració de Pintura), Projecte bàsic i d’execució de la restauració del retaule mural de l’església de Sant Pere de Terrassa, Barcelone, 2004 (rapport inédit déposé au Museu de Terrassa), passim, en part. [p. 17])]. 5   Història de Terrassa, Terrassa, Ajuntament de Terrassa, 1987 (Col·lecció Papers de Ciutat, nº 1). 3

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rassa soit actuellement une des villes ayant le plus de poids dans l’ensemble métropolitain de la Catalogne. C’est dans son territoire municipal qu’est inclus le quartier Sant Pere avec ses églises. Mais ceci est relativement récent. Jusqu’en 1904 Sant Pere était une commune indépendante. Le 5 avril 1904 Sabadell et Terrassa la partagent et l’annexent après de longues années de pressions pour des raisons politiques et économiques6. Terrassa est l’exemple d’une «certaine» continuité dans la rupture avec le passé tardo-antique à la suite de la conquête musulmane. Comme dans le cas de la cité de Vic, l’ancienne Ausa ou Auso7, Terrassa surmonte cette épreuve avec une refondation. Le municipe romain, Egara, est abandonné (?) et remplacé par un noyau habité autour d’une tour fortifiée dont nous ignorons l’emprise. C’est autour de cette tour, devenue par la suite château, que commence à se former Terrassa. La première mention conservée de cette Terrassa et de cette fortification figure dans le capitulaire expédié en 844 par Charles le Chauve. Itaque notum sit omnium sancte Dei Ecclesie fidelium atque nostrorum, presencium scilicet et futurorum, partibus Aquitanie, Septimanie sive Ispanie consistencium magnitudini, quia progenitorum nostrorum magnorum siquidem hortodoxorumque imperatorum avi videlicet nostri Karoli seu genitoris nostri augusti Ludowici, auctoritatem imitantes, Gotos sive Ispanos intra Barchinonam famosi nominis civitatem vel Terracium castellum quo habitantes simul cum his omnibus qui infra eundem comitatum Barchinonam Hispani extra civitatem quoque consistunt… – c’est nous qui soulignons8.

Ce document a été repris à de nombreuses occasions et des historiens comme R. d’Abadal lui ont accordé leur attention9. Précisément   Història de Terrassa, pp. 326-328.   Voir récemment Imma Ollich i Castanyer, « Vic. La ciutat a l’època carolíngia », Catalunya a l’època carolíngia. Art i cultura abans del romànic (segles IX i X), (Catàleg de l’exposició, Barcelone 16 desembre 1999/27 febrer 2000), Barcelone, Museu Nacional d’Art de Catalunya, 1999, pp. 89-94. 8   « Qu’il soit donc connu de tous les fidèles de la sainte Église de Dieu et des nôtres, tant présents que futurs, qui vivent en grand nombre dans les régions d’Aquitaine, de Septimanie ou d’Hispania, que, imitant l’autorité de nos prédécesseurs, les empereurs glorieux et respectueux de la vraie foi, c’est-à-dire notre grand-père Charles et notre auguste père Louis, il a plu à notre mansuétude de recevoir avec bienveillance et conserver sous la protection de notre immunité et sous le pouvoir de notre défense les Goths ou les Hispani qui vivent à Barcelone, cité au nom fameux, ou au château de Terrassa, conjointement avec tous les Hispani qui vivent avec eux tous dans ce même comté hors de la cité de Barcelone … » (voir traduction en catalan dans Catalunya Romànica, XVIII, p. 28). 9  R. d’Abadal, Catalunya Carolíngia…, II/2ª, pp. 399 et suiv. et 415-425 ; v. Antoni Borfo, Pere Roca, « D’Ègara a Terrassa », Història de Terrassa, Terrassa, Ajuntament de Terrassa, 1987 (Col·lecció Papers de Ciutat, nº 1), pp. 125-19, en part., pp. 133 et n. 25. 6 7

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c’est R. d’Abadal qui a montré comment en réalité ce précepte fait suite à un diplôme antérieur, émis au moment de la conquête de 801. Selon l’historien, à partir du précepte de 844, il est possible de reconstituer le précepte originel établi par Charlemagne. Ce document, intéressant sous de nombreux aspects, l’est pour nous car il montre comment dès les premiers temps Terrassa devient un point stratégique de grande valeur pour la consolidation de la Marca face aux musulmans. Le Terracium Castellum, situé dans le Vallès, est la protection vers l’intérieur de la Catalogne et vers Barcelone, à un moment où la conquête est fragile et repose surtout sur les territoires incorporés par les Carolingiens en 785 avec Gérone et la Seu d’Urgell, plus l’avancée jusqu’à Barcelone. La frontière du Llobregat est faible. De larges zones comme le Berguedà ne voient leur population se stabiliser – ne se repeuplent – qu’à partir de 830 environ, et Osona, Bages et la vall de Lord ne le font pas avant la fin de ce IXe siècle10. Placé à l’arrièregarde de Barcelone et à l’avant-garde de la Marca Hispanica – que l’on appelle Catalogne Vieille – le Terracium Castellum devient une pièce clef. Par ailleurs, en tant qu’héritières d’anciens sièges épiscopaux (v. infra), Barcelone et Terrassa étaient, c’est sûr, les deux noyaux habités les plus importants de la frontière. C’est pour cela que les deux cités apparaissent ensemble dans la documentation. Dans la réorganisation territoriale qui s’impose sous les Carolingiens, Terrassa prend la fonction d’un noyau fort du territoire de Barcelone11. Pour qu’il n’y ait aucun doute, le document la cite à côté de Barcelone, famosi nominis civitatem. Afin d’éviter des conflits, cette unité concerne aussi l’administration religieuse. Dans l’organisation territoriale carolingienne un comté ne saurait avoir plus d’un siège épiscopal12. Cette tour fortifiée devint un château13. Le périmètre de la cité du XIIe siècle est maintenant bien connu  : la tour-palais qui, encore aujourd’hui, marque le centre historique de Terrassa date du XIe 10   Le siège épiscopal d’Ausa n’est rétabli qu’en 886 (v. Catalunya Romànica, II, pp. 32-33 et récemment J. Bolòs, V. Hurtado, Atles del Comtat d’Osona…, pp. 80-81). 11  R. d’Abadal, J. Mª. Font, « El régimen político carolingio »…, pp. 431-443. 12   Les diverses positions au sujet de la continuité de l’ancien siège épiscopal d’Ègara dans la Terrassa médiévale ont engendré le débat historiographique le plus intéressant sur la ville. Même si quelques points n’en sont pas encore, et de loin, résolus, on peut dire qu’aujourd’hui les possibilités sont beaucoup plus restreintes et mieux documentées. Voir infra. 13   Peu après le document de 844, où l’on parle d’un castrum, les documents musulmans nous parlent d’un château (856, voir infra), donc, les sources carolingiennes tant que musulmanes du milieu du IXe siècle s’accordent à parler d’une forteresse.

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siècle. Nous sommes à une époque qui commence à être très éloignée de celle de la fondation, et Terrassa devient un centre économique d’importance croissante. Pourtant, jusqu’à cette époque de calme politique relatif, le chemin avait été pénible et plein d’embûches. Ce qui souvent est présenté comme une situation uniforme, claire, en blanc et noir, était en réalité une situation très hétérogène, pleine de gris. Rappelons d’abord que les Carolingiens, du point de vue indigène, ont conquis le territoire. Ce fut une invasion, pas une libération14. La vie avec les musulmans, après l’invasion, avait été, sans doute, assez tranquille pour ne pas susciter de volonté de changement ; en tout cas les Hispani s’y étaient habitués. La conquête carolingienne nécessita un premier temps d’adaptation et des concessions à la population autochtone, en commençant par la question du gouvernement. Jusqu’en 820 le comté de Barcelone sera gouverné par des comtes autochtones. L’épisode bien connu de Berà de Barcelone, et ses positions pro-musulmanes, sera le prétexte ou la cause de l’intervention pour imposer des comtes francs. Pour ce qui est des évêques, rares sont ceux d’origine franque, la majorité sont autochtones15. La situation n’était pas nette quant à l’adhésion au nouveau pouvoir, comme le démontre la révolte qui a lieu peu de temps après cette intervention carolingienne dans le gouvernement du comté. Nous voulons parler de la révolte d’Aizó et Guillemon, un musulman et un autochtone, qui entre 826-827 dévastent la Catalogne centrale et par ricochet le Vallès16. Une fois écrasée cette révolte qui avait mis au jour les dissensions entre indigènes et francs, la razzia d’Abd ar-Rahman en 843 remet les choses en place. Cette  R. d’Abadal, J. Mª. Font, « El régimen político carolingio »…, pp. 437-438.   On trouve une exception très précoce au siège d’Urgell, pour des raisons politiques. Le premier évêque après l’intégration du comté à l’Empire est Félix d’Urgell (781-799), autochtone et défenseur de l’Adoptianisme avec Élipand de Tolède. Les événements liés à cette hérésie contre laquelle lutte l’Empire avec toutes les armes dont il dispose – Alcuin, Benoît d’Aniane, Paulin d’Aquilée et Agobard –, allié à Béatus de Liebana aux Asturies et à Léon III (800-805/6), obligeront à placer, dans un premier temps, un administrateur provisoire, Leidrade de Lyon (800-805/6) et postérieurement un évêque d’origine franque, Possidonius (814-823). Afin d’éteindre l’hérésie, d’écarter Félix de son diocèse et de ramener le diocèse à l’orthodoxie, Charlemagne installe un évêque franc qui bien entendu impulse l’entrée d’Urgell dans la réforme religieuse romaine. (v. Ramon d’Abadal i de Vinyals, La batalla del Adopcionismo en la desintegración de la Iglesia visigoda. Discurso leído en la recepción de Don... en la Real Academia de Buenas Letras de Barcelona. Contestación del Académico numerario Dr. D. José M. Millás y Vallicrosa, Barcelone, 1949, en part. p. 69 et suiv.). Sur les mentions des évêques des diocèses catalans et sur leurs origines, cf. Diccionari d’història eclesiàstica de Catalunya, III vol., Barcelone, Claret, 2001. 16   J. M. Salrach, Història de Catalunya, pp. 144-147 ; A. Borfo, P. Roca, « D’Ègara a Terrassa »…, pp. 134-135. 14 15

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attaque affecte gravement le Vallès et d’autre part elle donne des arguments à la politique carolingienne d’éloignement des musulmans. Remarquons que le capitulaire de Charles le Chauve date précisément de l’année qui suit cet événement traumatisant. Le document, tout en évoquant des diplômes antérieurs et en leur étant vraiment lié, est une claire officialisation du pacte entre les indigènes et les empereurs. Il établit les bases du repeuplement du comté, régule les prestations et la fiscalité, fixe des bases légales… En résumé s’établissait alors le pacte par lequel la conquête se transformait en libération et le conquérant en protecteur des territoires incorporés à l’Empire. Terrassa et Barcelone devaient dès lors rester unies. Comme on le sait, l’incursion de 843 fut seulement l’avertissement de ce que seraient les relations entre les musulmans et la Marca pendant le troisième quart du IXe siècle. Des incursions survinrent à nouveau en 850, 851, 856 et 861. Toutes affectèrent particulièrement le Vallès, preuve que Terrassa était la porte – tout au moins une porte – vers l’intérieur17. Après cette période d’insécurité revient un calme relatif qui se prolonge de 863 à 883. Cet intermède est mis à profit par les deux camps pour leur réorganisation interne. Pour la Marca, comme on l’a dit, c’est le moment où est repeuplée la Catalogne centrale. Dans les territoires musulmans on renforce les fortifications ; c’est à cette époque par exemple que sont élevées les murailles de Lleida18. La première moitié du IXe siècle est donc préjudiciable au Vallès, les razzias musulmanes affectent la population qui tend à se regrouper en des lieux écartés des voies d’invasion et à rechercher l’abri des défenses naturelles. Cette insécurité provoque l’apparition de nouveaux groupes qui prétendent faire valoir leur pouvoir local (pour le territoire de Terrassa c’est le cas d’un certain Baius, que nous verrons plus loin). En l’absence  Dolors Bramon, De quan érem o no musulmans. Textos del 713 al 1010 (continuació de l’obra de J. M. Millàs i Vallicrosa), Vic-Barcelone, Eumo Ed.-IEC, 2000 (col. Jaume Caresmar, 13), dans sa récente édition des textes musulmans relatifs à la Catalogne entre 713 et 1010, recueille (p. 208) la notice de l’incursion de 856 : « Cette année 242 [10 mai 856/30 avril 857] Muhammad b. ‘Abd ar-Rahmãn envoya une armée dans le territoire des polythéistes ; il entra à Barcelone, détruisit ses forteresses et arriva dans le pays qui se trouve derrière ses districts ; il saccagea beaucoup et s’empara d’une forteresse qui était une des dernières de la juridiction de Barcelone, nommée Terrassa ». Cette notice a été réinterprétée car jusqu’ici on avait suivi la version du compilateur des textes arabes se rapportant à la Catalogne, J. M. Millàs i Vallicrosa, qui traduit le toponyme par Tàrrega. D. Bramon précise cependant qu’Abadal avait déjà interprété ce toponyme comme renvoyant à Terrassa. 18  A. Borfo, P. Roca, « D’Ègara a Terrassa »…, p. 135. 17

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la peinture dans les églises de sant pere de terrassa de toute forme d’autorité de la part des pouvoirs comtal et ecclésiastique, ces groupes locaux jouent le rôle qui leur revient et, en outre, utilisent l’hérésie pour établir un domaine parallèle au pouvoir institutionnel. Rapidement, ils furent soumis à des attaques intérieures et extérieurement ils ne survécurent pas à une nouvelle expédition musulmane contre Barcelone, en 89719.

L’autorité religieuse L’autorité comtale et le comté de Barcelone sortent renforcés de ce moment critique, y compris face à l’Empire. Pourtant, comme il vient d’être dit, il y aura encore, à la fin du siècle, quelques problèmes affectant l’autre pilier institutionnel : le siège épiscopal. À cette époque le comté, loin d’avoir stabilisé et conforté le diocèse, manquait encore d’une autorité religieuse. Cependant ceci change bientôt avec l’arrivée d’un nouvel évêque. À partir d’une date qui n’est pas connue avec précision mais qui se situe dans la décennie de 860, habituellement placée en 861 ou 862, le nouvel évêque de Barcelone est un franc, Frodoin. On sait peu de chose du personnage. Selon les derniers travaux, il est évêque de Barcelone jusqu’en 890 (?) et était d’origine franque ou germanique20. Cette origine est un point qu’il ne faut pas négliger21. Nous n’entrerons pas dans l’analyse des luttes pour la définition des diocèses et de leurs titulaires qui sont une constante des affaires politiques durant les IXe et Xe siècles22. On doit remarquer cependant que les cercles du pouvoir carolingien utilisent ces luttes comme prétexte pour intervenir en faveur de la réforme liturgique qu’ils voulaient impulser. Dans le cas de la Seu d’Urgell, l’hérésie adoptianiste promue par son titulaire, Félix, fut un argument plus que suffisant (voir note 15). La situation à Barcelone n’était pas, et de loin, aussi grave, bien que les nouvelles aient dû être inquié A. Borfo, P. Roca, « D’Ègara a Terrassa »…, pp. 135. Sur l’attaque de 897 qui entraîne la mort de Guifred le Velu, voir D. Bramon, De quan érem o no musulmans…, pp. 238-240. L’existence du personnage appelé Baius a fait beaucoup broder autour de la supposée indépendance ou sécession diocésaine face à Barcelone, voir infra. 20   Josep Maria Martí i Bonet, Anna Rich i Abad, sv. ‘Frodoí’, DEHC, Barcelone, Generalitat de Catalunya-Ed. Claret, 2000, pp. 225-226. 21   On sait fort peu de chose des évêques de Barcelone antérieurs à Frodoin, mais ni Jean (c. 850), ni Adaülf (850-860) n’étaient d’origine franque (Diccionari d’història eclesiàstica…, II, p. 424 ; I, p. 17). 22  cf. Antoni Pladevall, « L’organització de l’Església a la Catalunya carolíngia », Catalunya a l’època carolíngia. Art i cultura abans del romànic (segles IX i X). 16 desembre 1999-27 febrer 2000. Museu Nacional d’Art de Catalunya, Barcelone, MNAC-Diputació de Barcelona, 1999, pp. 53-58. 19

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tantes. Le comte Bernard de Gothie (865-878) était visiblement incapable d’éliminer les différentes factions locales, et il ne semble pas non plus que les prédécesseurs de Frodoin, Jean (ca 850) et Adaülf (858-860) aient agi avec énergie. Il est significatif que peu de temps après l’arrivée de Frodoin nous trouvions mention de ces groupes, probablement armés, qui à Barcelone comme à Terrassa ont usurpé les bénéfices ecclésiastiques. Lors du synode réuni à Attigny en présence du roi, l’évêque de Barcelone comparaît pour solliciter leur intervention: Eodem anno [874] Frodoinus Episcopus Barcinonensis accedens ad Karolum Regem, qui tum erat in Attiniaco palatio, coram eo se reclamavit quod Tyrsus Presbyter Cordubensis in Ecclesia intra muros ipsius civitatis, id est, Barcinonensis, sita seorsim conventus agens, pene duas partes ex decima ipsius civitatis sibi usurpat & sine illius licentia missas & baptisteria in eadem civitate præsumit celebrare, & convocatos ab episcopo ad matrem ecclesiam, etiam in solemnitatibus Paschæ ac nativitatis Domini, ad se revocat, atque contempto episcopo eis communionem largitur. Pollicitus est Princeps imperaturum se Marchioni regionis illius ut Presbyterum illum sectatoresque ejus ad officium revocet & castiget, quod decimas vero, jussit ut constitutio observetur quæ extat in libris Capitularium. Idem postea conquestus est quod castrum Terracinense suæ subditum potestati, factione Baionis, per Presbyter insolentiam suo resultaret ministerio, remediumque huic malo postulabat adhiberi. Iudicatum est ut servaretur constitutio Carthaginensis & Capitularium. Terracinensis castri facta est mentio supra ad annum DCCCXLIV, quum ageretur de privilegio quod tum Karolus concessit Gothis & Hispanis intra Barcinonam civitatem & Terracium castellum habitantibus. Porro illic olim fuit Egara sedes episcopalis.23

Telle est la relation des faits qu’a conservée Pierre de Marca. D’après ce document, il est clair que l’autorité épiscopale a été gravement remise en cause à Barcelone et à Terrassa. À Barcelone le problème est double : d’une part économique, car ledit Tyrsus prélève une partie de la dîme, de l’autre hiérarchique et qui touche aussi sans doute à des questions de rituel, car Tyrsus administrait des sacrements et ordonnait des prêtres, le tout à l’insu de l’évêque légitime et hors de l’orthodoxie par lui définie, car Tyrsus, précise-t-on, est Presbyter Cordubensis. À Terrassa, le problème réside dans un groupe organisé, une faction, commandée par Baius. Ce groupe possède un prêtre, dont on ne cite pas le nom, qui agit au compte de la faction. Comme le relève Marca, le roi tranche en faveur de Frodoin en appliquant ce  P. Marca, Marca Hispanica…, IV, col. 361.

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qui est institué par les capitulaires de Charlemagne et de Louis le Pieux au sujet des prêtres révoltés24, c’est-à-dire qu’ils soient châtiés et expulsés, et que le châtiment soit exécuté par l’autorité comtale, Bernard de Gothie25. Ces informations ont été interprétées de multiples manières. J. M. Martí, se faisant l’écho de la théorie partisane d’une survivance du siège épiscopal à Terrassa jusqu’au XIe siècle, comprend qu’il s’agit d’une manœuvre politique de Frodoin afin d’incorporer à Barcelone l’évêché d’Egara26 ; A. M. Mundó pense qu’il faut supposer qu’existent trois problèmes : le premier est une tension certaine entre l’évêque et le comte, le deuxième est juridique, le troisième de caractère liturgique27. Comme la non survivance de l’évêché d’Egara est désormais admise, nous nous attacherons à l’examen des arguments de A. M. Mundó. Les tensions entre le comte, Bernard de Gothie, le dernier des comtes d’origine franque, et le nouvel évêque, semblent évidentes dès l’arrivée de celui-ci. La nomination de Frodoin est accompagnée d’un certain nombre de donations de la part de l’empereur qui diminuaient la dotation comtale28. Remarquons aussi que pour l’affaire de l’usurpation du pouvoir épiscopal, l’évêque a recours directement à l’empereur. L’autorité compétente était pourtant celle du comte, comme le démontre qu’elle soit chargée de l’exécution de la sentence. En matière juridictionnelle, il est évident que ces deux prêtres passaient par-dessus l’autorité épiscopale. A. M. Mundó considère que, de fait, ils agissaient comme corévêques29. De Tyrsus on dit qu’il ordonnait des prêtres dans la cité30. Quant au problème liturgique, on peut supposer avec A. M. Mundó que tant Tyrsus que le prêtre de 24   De his, qui sine consensu episcopi presbyteros in ecclesiis constituunt vel de ecclesiis eiciunt vel ab episcopo vel a quolibet misso dominici admoniti obedire noluerint. (citation d’après Anscari Manuel Mundó, « El Bisbat d’Ègara de l’època Tardo-Romana a la Carolíngia », Simposi Internacional sobre les Esglésies de Sant Pere de Terrassa (20, 21 i 22 de novembre de 1991). Actes, Terrassa, CEHTACHT, 1992, pp. 41-49, en part. p. 48). 25   A. M. Mundó, « El Bisbat d’Ègara… », p. 48. 26   Josep Maria Martí i Bonet, « La seu d’Ègara en els segles VIII i IX », Contribució a la Història de l’Església Catalana. Homenatge a mossèn Joan Bonet i Baltà, (Ed.) A. Manent ; J. Massot ; A.-J. Soberanas, Montserrat, PAM, 1983 (Col. Biblioteca Abat Oliba, 27), pp. 19-39, en part. pp. 24 et suiv. 27   A. M. Mundó, « El Bisbat d’Ègara… », p. 48 avec une bibliographie. 28  Ramon d’Abadal i de Vinyals, Els primers comtes catalans, Barcelone, Ed. Vicens Vives, d.l. 1961 (coll. Història de Catalunya. Biografies Catalanes, 1) (réimpression Barcelone, El Observador, 1991), pp. 55 et suiv. 29   A. M. Mundó, « El Bisbat d’Ègara… », p. 48. 30   Le problème de l’argumentation d’A. M. Mundó est que nous n’avons aucune certitude que les actes de Tyrsus et ceux du prêtre que soutient Baius soient identiques. D’ailleurs il

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Terrassa observaient le rite wisigothique31. C’est logique étant donné la situation dans laquelle doit se trouver la nouvelle liturgie romaine dans notre pays. Dans le cas de Tyrsus, en précisant qu’il est cordouan, cela ne fait aucun doute. Pour le prêtre de Terrassa il n’y en a par contre aucune preuve32. Pourtant il est clair que les actions des deux prêtres, et en particulier de celui de la faction de Baius, manifestent l’intention de se soustraire au pouvoir épiscopal. Il est certain aussi que ces velléités pouvaient entraîner le prêtre barcelonais et celui de Terrassa à se comporter en évêques. Quelle autonomie pouvaient donc avoir ces présumés «évêques» ? La question touche directement à la politique monumentale de ces «évêques». Dans le cas de Terrassa cette idée a servi à justifier la monumentalité des églises de Sant Pere. Supposer ceci, c’est supposer que cet «évêque» de Terrassa avait plus de pouvoir – économique, politique, etc. – que Frodoin lui-même, ce qui ne paraît pas probable.

Frodinus Au sujet de Frodoin, il faut prendre en compte d’autres questions. L’affaire d’Attigny démontre à quel point l’institution épiscopale était faible à Barcelone une soixantaine d’années après la conquête carolingienne. Pour résoudre ce type de problèmes et conforter définitivement l’évêché, il fallut nommer un évêque assez puissant pour s’imposer dans cette situation. Pourtant, s’il n’avait été question que de résoudre des problèmes juridictionnel, politique ou économique, il n’aurait pas été nécessaire de faire venir un Franc. L’action postérieure de Frodoin fait penser que sa mission n’était pas seulement la résolution de ces affaires plus ou moins domestiques ; son arrivée marque sans doute la tentative de donner une nouvelle impulsion à la réforme carolingienne dans la Marca33. Jusqu’à ce moment, l’adoption du rituel romain à la place de la liturgie wisigothique avait dû semble raisonnable de penser que si le problème avait été celui de corévêques, cela aurait été mentionné de manière explicite à Attigny. 31   A. M. Mundó, « El Bisbat d’Ègara… », p. 48. 32   A. M. Mundó (Ibid.) n’en doute nullement quand il affirme que « les prêtres cordouans célébraient selon le vénérable rite wisigothique, alors que le nordique Frodoin le faisait entièrement en rite romain-franc. ». Autre chose est d’accepter avec lui que les deux prêtres étaient cordouans, car de celui de Terrassa nous ne connaissons même pas le nom. 33   Il faut souligner une fois de plus comment l’alternance d’autochtones et de francs au pouvoir dans les comtés est une constante de la politique carolingienne dans la Marche. Le but en était la recherche de l’équilibre capable de transformer le territoire frontalier en une zone parfaitement consolidée et exempte de problèmes.

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être impulsée à partir de Narbonne, le siège métropolitain34. Ce siège exerçait un contrôle certain sur les évêchés les plus proches de la Catalogne vieille, c’est-à-dire Elne, Urgell et Gérone. Nous ignorons où en était précisément l’introduction du nouveau rite au milieu du IXe siècle, mais à coup sûr des personnages comme Tyrsus ne devaient pas être rares et pour la population autochtone, y compris certaines hiérarchies ecclésiastiques, l’ancien rite devait constituer souvent la référence. D’autre part, les relations avec Narbonne étaient toujours tendues35. La première impulsion donnée en faveur de la nouvelle liturgie, surtout à Urgell et aussi à Gérone, au premier temps de la domination carolingienne, avait besoin, dans ce IXe siècle bien avancé, de nouvelles initiatives afin de consolider les réformes. L’imposition d’un évêque franc dans le comté qui dès l’origine avait eu ce rôle de pointe dans l’avancée carolingienne est révélatrice36. Avec l’impor  cf. A. Pladevall, « L’organització de l’Església a la Catalunya carolíngia » et infra.   En sont une bonne preuve les tentatives successives pour détacher les diocèses de la Marche de la métropole narbonnaise, tout en impulsant un siège métropolitain qui remplace provisoirement celui de Tarragonne. Les cas d’Esclua de Cerdagne à la fin du IXe siècle – dans lequel fut impliqué Frodoin lui-même, voir R. d’Abadal, Els primers comtes…, pp. 161 et suiv.–, de Césaire de Montserrat (966) (v. Ramon d’Abadal i de Vinyals, « El pseudo-arquebisbe de Tarragona Cesari i les preteses butlles de Santa Cecília », La Paraula Cristiana, VI-34 (1927), pp. 316-348 [repris dans Ramon d’Abadal i de Vinyals, « L’abat Cesari, fundador de Santa Cecília de Montserrat i pretès arquebisbe de Tarragona. La falsa butlla de Santa Cecília », Dels Visigots als Catalans, 2. La formació de la Catalunya independent, (Ed.) J. Sobrequés, Barcelone, Ed. 62, 1986 (3e éd) (coll. estudis i documents, 14) pp. 25-56]) ou d’Aton de Vic (970) sont significatifs (v. en général A. Pladevall, « L’organització de l’Església a la Catalunya carolíngia »). 36   La promotion de la nouvelle liturgie ne devait pas avoir eu un grand succès au delà d’Urgell et de Gérone. J.M. Salrach donne un bon résumé de la situation : « Après avoir séjourné un temps au palais même d’Aix-la-Chapelle, Félix [d’Urgell], dernier représentant de la tradition wisigothique dans la Marche, fut assigné à résidence à l’archevêché de Lyon, où il demeura le reste de sa vie. Son abjuration en 799 et la réévangélisation des terres d’Urgell, œuvre des archevêques Leidrade de Lyon et Nébridius de Narbonne et du moine Benoît d’Aniane, portèrent un coup mortel à l’adoptianisme hispanique et marquèrent le début de la sujétion de l’Église hispano-gothe de la Catalogne Vieille aux directives de chefs religieux et politiques francs. Comme l’explique Cébrià Baraut, cette délégation qui se déplaça à la Seu d’Urgell, investie des pleins pouvoirs afin de réorganiser le diocèse, n’avait pas été choisie au hasard. Leidrade, à qui avait été confiée la garde de l’évêque Félix, occupa son siège en tant qu’administrateur du diocèse vacant, Nebridius organisa le rattachement de celui-ci au siège métropolitain de Narbonne et Benoît d’Aniane se chargea d’introduire l’observance bénédictine dans les monastères urgellitains. La mission remplit ses objectifs avec succès. Benoît d’Aniane contribua de manière décisive au remplacement du monachisme de tradition wisigothique par un monachisme inspiré de la règle bénédictine. On a pu lui attribuer l’introduction de l’observance bénédictine au monastère de Saint-Sernin de Tavèrnoles et la nomination de son premier abbé bénédictin Possidonius, personnage qu’il faut sans doute identifier à l’évêque homonyme qui succéda à Leidrade de Lyon (800803) et qui gouverna le diocèse urgellitain jusque après 823. Une tâche semblable de réorganisation ecclésiastique fut réalisée dans le diocèse de Gérone au début du IXe siècle. Ainsi

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tance croissante que prenait le comté de Barcelone, y garantir une bonne instauration du rituel romain pouvait permettre l’aboutissement du projet. Que telle ait été ou non l’intention, Frodoin imposa son autorité politique et juridictionnelle – au travers d’affaires comme celle d’Attigny –, y compris par-dessus celle du comte. Quant à l’autorité religieuse et à l’impulsion du nouveau rite romain, n’oublions pas que, d’accord avec l’archevêque de Narbonne, Frodoin sera «l’inventeur» des reliques de sainte Eulalie37. Cependant il est difficile de dire qui était Frodoin. En tant qu’évêque d’origine franque il faut supposer d’abord qu’il provenait d’une famille noble et ayant des relations à la cour. Nous pouvons aussi supposer qu’avant de parvenir à la chaire épiscopale il avait dû parcourir un cursus honorum de l’époque tout à fait complet qui incluait le séjour à la cour et certaines charges de confiance. En tout cas, ceci n’est qu’une supposition à partir de ce qui était une tendance générale. Quoi qu’il en soit, il est visible par son action que nous ne sommes pas devant une personnalité ordinaire. Pour commencer, le roi le récompense pour son arrivée – ou l’indemnise de son envoi – à Barcelone par l’attribution d’un ensemble de propriétés et de privilèges qui sont sans doute à l’origine de son conflit avec Bernard de Gothie. Immédiatement il fait appel au roi pour l’affaire de Tyrsus et de Baius. Tout de suite après il obtient de lui un don pour la restauration de la cathédrale de Barcelone. Il obtient une confirmation de Louis le Bègue (878) pour la cathédrale de Barcelone. Cette même année, il trouve les reliques de sainte Eulalie… Même la fin de sa vie est marquée par des actions de poids, quand il prend partie pour l’évêque d’Urgell, Esclua de Cerdagne, qui prétend à l’érection de son siège en archevêché et à la séparation des diocèses de la Marche du siège métropolitain de Narbonne (voir supra). Cette affaire l’entraîne à entrer en conflit avec Rome, où il est pour la Catalogne, le dénouement de la controverse adoptianiste porta avec elle la subordination des diocèses conquis à l’obédience de Narbonne, siège métropolitain contrôlé par la monarchie carolingienne. La domination politique des Francs, au sud des Pyrénées, se renforçait par le contrôle sur l’Église. » (J. M. Salrach, Història de Catalunya, pp. 134-135). L’action en direction de Barcelone et de Vic ferait part, sans doute, d’une deuxième phase, dans la seconde moitié du IXe siècle. 37   L’importance des reliques pour l’Occident chrétien est suffisamment connue, en particulier à partir de Grégoire le Grand, et par conséquent dans le monde carolingien, v. Peter Brown, The Cult of the Saints. Its Rise and Function in Latin Christianity, Chicago, The Universtity of Chicago Press, 1980 (The Haskell Lectures on History of Religions Series). (trad. française : Le culte des saints : son essor et sa fonction dans la chrétienté latine, Paris, Éd. du Cerf, 1984).

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convoqué et contraint de faire pénitence publique. Même si nous ne savons pas qui était Frodoin, R. d’Abadal en avait déjà perçu l’importance dans certains des événements de cette deuxième moitié du IXe siècle38. 38   Nous avons cherché les traces possibles de ce Frodoin dans la documentation carolingienne et malgré les rares mentions de personnages de ce nom (Marie-Thérèse Morlet, Les noms de personne sur le territoire de l’ancienne Gaule du VIe au XIIe siècle, I. Les noms issus du Germanique continental et les créations Gallo-Germaniques, Paris, CNRS, 1971, pp. 90) ceux qui le portent coïncident difficilement avec nôtre Frodoin. Dans la Gallia Christiana nous ne trouvons que trois personnes de ce nom. Les deux premiers, par leur dates, ne peuvent être notre Frodoin (voir Dom Dionysii Sammarthani, Gallia Christiana in provincias ecclesiasticas distributa qua series & historia archiepiscoporum, episcoporum et abbatum, Francie vicinarumque ditionum, ab origine ecclesiarum ad nostra tempora deducitur, et probatur ex authenticis instrumentis ad calcem appositis. Oppera et studio… presbyteri et monachi ordinis Sancti Benedicti e congregatione Sancti Mauri nec non Monachorum ejusdem Congregationis. Tomus tertius complectens provinciam Lugdunensem, (éd.) Dom. Pauli Piolin, Paris, Victorem Palmé, 1876, col. 1276a ; Dom Dionysii Sammarthani, Gallia Christiana in provincias ecclesiasticas distributa ; qua series et historia archiepiscoporum, episcoporum et abbatum, Francie vicinarumque ditionum, ab origine ecclesiarum ad nostra tempora deducitur, et probatur ex authenticis instrumentis ad calcem appositis. Oppera et studio… presbyteri et monachi ordinis Sancti Benedicti e congregatione Sancti Mauri nec non Monachorum ejusdem Congregationis. Tomus quartus complectens provinciam Lugdunensem, (éd.) Dom Pauli Piolin, Paris-Bruxelles, Victorem Palmé-G. Lebrocquy, 1876, col. 672). La troisième référence est celle du cinquième abbé de Saint Laumer de Corbion dans le diocèse de Blois (Gallia Christiana in provincias ecclesiasticas distributa ; in qua series et historia archiepiscoporum, episcoporum et abbatum. Regionum omnium quas vetus Gallia complectebatur, ab origine ecclesiarum ad nostra tempora deducitur, et probatur ex authenticis instrumentis ad calcem appositis. Oppera et studio Monachorum Congregationis S. Mauri ordinis S. Benedicti. Tomus octavus in quo de quatuor Ecclesiis Parisicæ suffraganeis, Paris, Ex Typographia Regia, 1744, col. 1352-1353). Selon la notice : Frodoinus Curbionis regimen tenebat quando ejus loci chartæ a Normannis partim crematæ, partim ablatæ sunt : quæ res ne monachis detriimento verteret, omnes corum possessiones generali præcepto, panchartam vocant, a Carolo confirmari petiit Frodoinus, data pancharta anno 21. regni Caroli. Inter medios belorum strepitus ita sapienter domum administrabat, ut odore virtutum & strictioris disciplinæ fama multi nobilis excitati, e longinquis regionibus Curbionem confluerent. Privilegio Sandionysiano in conventu Pistensi dato anno 862, nomen apposuit suum. Le même Frodoin apparaît souscrivant un concile en 855 et comme témoin dans une affaire touchant aux propriétés du monastère de Saint-Calais en 863 (Cartulaire de l’Abbaye de Saint-Calais, (éd.) abbé L. Froger, Mamers-Le Mans, G. Fleutry et A. Dangin Impr.-Pellechat Libr. Ed., 1888, V-XIII, docs. 17, 21). Nous savons qu’il est abbé longtemps après 853, dernière année à laquelle est cité son prédécesseur, mais nous ignorons à quel moment il cesse d’être abbé de Saint-Laumer. En 872, cependant, il y a un autre abbé. Sa présence comme abbé dans un privilège de 862 et le jugement de 863, permettent difficilement de penser que ce Frodoin puisse être l’évêque de Barcelone, bien qu’il y ait des doutes sur la date du début de l’épiscopat de Frodoin (Julien Havet, Questions Mérovingiennes, IV. Les chartes de Saint-Calais, Paris, Libr. H. Champion, 1887, en part. pp. 50-53, nº 244-245). On trouve encore un autre Frodoin ; dans ce cas c’est l’abbé de Saint-Pierre de Novalesa. Le document est la confirmation du testament du fondateur du monastère, Abbon, et est daté de 814 (v. PL, CIV, cols. 1009-1011). Cette date rend difficile d’imaginer ce personnage en position d’évêque cinquante ans plus tard à Barcelone et restant une trentaine d’années sur le siège. Nous n’avons pas été capables de trouver de trace solide de notre Frodoin. Par conséquent une recherche dans cette direction reste à faire, car le personnage est du plus haut intérêt. Pourtant nous pouvons considérer que les conditions requises pour être évêque

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Ègara Tout ce que nous avons rapporté jusqu’à présent concerne la cité de Terrassa et son territoire. Mais nous avons déjà dit que ce n’est pas à Terrassa, une ville nouvelle, que débute l’histoire des églises de Sant Pere. Nous avons parlé plus haut d’une cité romaine abandonnée au profit de ce Terracium Castellum. L’emplacement du centre romain est complètement inconnu, bien que certaines hypothèses l’aient situé dans le secteur de l’actuelle rue Sant Antoni – très proche du torrent de Vallparadís –, où il semble que J. M. Soler i Palet localise diverses découvertes39. Les vestiges d’une nécropole romaine dans la rue de la Font Vella ont aussi suggéré la présence d’un important noyau habité proche. De la cité romaine, en définitive, ne subsiste pas de vestige clair. Son existence est en réalité connue seulement à partir de l’épigraphie. Il s’agit de deux piédestaux conservés dans l’église SainteMarie et qui, depuis la mention de G. Pujades, ont été cités par tous les auteurs postérieurs40. On remarque particulièrement le piédestal dédié à l’empereur Antonin le Pieux (120-140), où est mentionné le statut municipal d’Ègara41. Il faut ajouter aux preuves épigraphiques l’existence de nombreux éléments remployés dans l’ensemble des églises de Sant Pere42. Lié au municipium romain, nous savons qu’il y a de nombreuses zones de production ou de villæ. Une de ces villæ était située sur un éperon entre deux torrents ; là où aujourd’hui se trouvent les églises dans le monde carolingien, comme son action et les conditions de sa prise de position, font penser à un personnage d’une culture et d’un pouvoir certains. 39   Història de Terrassa, p. 101 ; cf. Josep Soler i Palet, Egara-Terrassa. Discurs llegit a la « Real Academia de Buenas Letras de Barcelona » en la recepció pública de…, el dia 17 de juny de 1906 [extrait de Idem, Egara-Terrassa. Edició homenatge de les entitats Centre Excursionista i Club Pirenenc, de Terrassa, Terrassa, Graf. Joan Morral, 1928, pp. 1-98], en part. pp. 12-13. 40  Geronimo Pujades, Crónica Universal del Principado de Cataluña escrita a principios del siglo XVII, 8 vol., Barcelone, Impr. José Torner, 1829-1832, en part., vol IV, chap. XLII ; cf. les travaux sur l’épigraphie de Georges Fabre, Marc Mayer, Isabel Rodà, Epigrafia romana de Terrassa, Terrassa, UAB-Junta de Museus, 1981, pp. 17 et suiv. ; Marc Mayer, « Algunes qüestions sobre Egara », Simposi Internacional sobre les Esglésies de Sant Pere de Terrassa (20, 21 i 22 de novembre de 1991). Actes, Terrassa, CEHT, 1992, p. 39. 41   Im(peratori) Cæsari divi Hadriani fil(io) divi Traiani Parthic(i) nepoti divi Nervæ pronep(oti) T(ito) Ælio Hadriano Antonino Avg(vsto) Pio pont(ifici) max(imo) tribvnic(ia) potestati co(n)s(vli) II desig(nato) p(atri) p(atriæ) d(ecreto) d(ecurionum) m(unicipium) f(lavivm) Egara. 42   Bien que cette question n’ait jamais été traitée de manière spécifique, beaucoup d’études qui s’occupent des églises de Sant Pere y font référence à un plus ou moins grand degré. Le plus récent est Antonio Abel Moro i García, Domènec Ferran, « Descripció arquitectònica del conjunt de les esglésies d’Ègara-Terrassa », Catalunya Romànica, vol. XVIII, Barcelone, Enciclopèdia Catalana, 1991, pp. 235-251.

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de Sant Pere. C’est tout ce qu’on peut dire à partir des découvertes archéologiques43. Il semble que l’endroit avait déjà été occupé à l’époque ibérique par un établissement qui est peut-être l’Egosa citée dans la géographie de Ptolémée. La présence du municipe devait faciliter la christianisation de l’endroit. Nous n’en connaissons pas bien les détails, mais nous savons qu’au milieu du Ve siècle, le diocèse de Barcelone se scinde en deux et qu’apparaît un nouveau siège épiscopal à Ègara. Le pourquoi et le comment de l’apparition de cet évêché éphémère ne sont pas clairs. Son histoire se prolonge jusqu’à l’arrivée des musulmans ; après cette époque nous avons vu quelle sera la nouvelle organisation promue par les empereurs carolingiens. L’érection d’un siège épiscopal devait impliquer, pour le moins, une communauté chrétienne d’une certaine importance dans le municipe d’Egara et les territoires voisins. Les vestiges dissocient cependant le lieu d’installation du siège de celui du municipe, car ils situent l’évêché à l’emplacement des actuelles églises de Sant Pere. Comme dans d’autres cas, c’est en des zones extra-urbaines de production agraire que s’installe matériellement le christianisme. L’aménagement de certaines résidences sera le premier pas vers la construction d’un véritable lieu de culte44.

Le siège épiscopal d’Ègara Nombreuses ont été les opinions formulées sur la création et le développement du diocèse. Rare est en revanche la documentation qui nous fournit quelques données. Mis à part les vestiges matériels, encore objet de polémiques, la source d’époque qui atteste l’existence d’un siège épiscopal est la liste de ses évêques jusqu’au VIIe siècle et   Faute de résultats plus récents sur les fouilles qui sont menées dans le cadre du Plan directeur, voir les brefs apports de Antonio Abel Moro i García, « Municipi d’Ègara », Del Romà al Romànic. Història, art i cultura de la Tarraconense Mediterrània entre els segles IV i X, Barcelone, Enciclopèdia Catalana, 1999, pp. 91-2 et Idem, « Seu Episcopal d’Ègara », Del Romà al Romànic. Història, art i cultura de la Tarraconense Mediterrània entre els segles IV i X, Barcelone, Enciclopèdia Catalana, 1999, pp. 183-4, avec la bibliographie correspondante. La revue Terme est devenue ces dernières années le porte parole des résultats des fouilles, en ce sens il faut remarquer le n° 18 avec le « Dossier : Les esglésies de Sant Pere. Les noves aportacions de la recerca arqueològica i documental », Terme, 18 (2003), pp. 27-113. 44   Ce réaménagement d’anciennes villæ de production comme lieux de culte chrétien est très fréquent. Dans notre région les exemples les plus spectaculaires restent ceux de Centcelles (Tarragonès) et la villa Fortunatus de Fraga (Baix Cinca, Aragon). Ce ne sont pas cependant les seuls, et sans doute la première église d’Ègara en fut un exemple. Sur toute cette question, voir en général Del Romà al Romànic…, pp. 103 et suiv. 43

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que nous pouvons reconstituer à travers la signature de ces évêques ou de leurs envoyés aux différents conciles hispaniques45. Il faut ajouter à la présence de ces évêques la réunion d’un concile à Egara même, le 13 janvier 615. Dès l’époque médiévale certains documents conservent le souvenir de cet évêché. D’une part les documents produits par Egara-Terrassa elle-même, à commencer par l’acte de consécration de l’église SainteMarie du 2 janvier 1112, puis par une nombreuse documentation privée qui rappelle les origines épiscopales de la paroisse46. Par ailleurs, nous disposons de la Notitia civitatium spaniæ sedes episcopalium des environs du VIIe siècle où sont réunis les noms des cités épiscopales et qui continue à être recopiée pendant tout le Moyen Âge47. Une conséquence de cette perpétuation est la Divisio Wambæ ou Hitatio Wambæ Regis, qui, bien qu’elle ait été considérée autrefois comme un document authentique, est aujourd’hui admise comme étant un faux du XIIe siècle. Le problème de cette documentation, postérieure à l’évêché, est qu’elle avait créé pendant longtemps l’illusion d’une   De nombreux auteurs, depuis Antoni Agustí, G. Pujades et P. de Marca, en font mention et les ont décomptés. Au XXe siècle l’auteur qui traite le sujet de manière systématique est J. Soler i Palet dans son discours à la Reial Acadèmia de Bones Lletres, en 1906 (v. J. Soler, Egara-Terrassa. Discurs llegit…, pp. 37-43). Outre la liste des évêques d’Egara on y trouvera celle des auteurs antérieurs qui ont traité la question. Voir un petit résumé de la question dans Catalunya Romànica, XVIII, pp. 25-26 et tableau p. 26. Les évêques connus du siège d’Egara sont (v. A. M. Mundó, « El Bisbat d’Ègara… », pp. 45 et suiv.) : ca. 460-ap.466 Irénée av. 516-ap. 545 Nebridius ca. 546 Taur av. 589-ap. 592 Sofronius (Sifronius) Ilergius av. 598-av. 615 Eugène ou Eusèbe ca. 633 Vincent ca. 653 Jean av. 683-ap. 693 46   …consecrationem domus Dei in honore eiusdem genitricis Dei Marie in comitatu Barchinonensi in terminio Terracie, iuxta ecclesiam parroechialem Sancti Petri, in loco eodem, ubi antiquitus Egarensis sedes erat constructa. (Catalunya Romànica, XVIII, p. 238). Sur la documentation d’Egara voir Pere Puig i Ustrell, Diplomatari de Sant Pere d’Ègara-Terrassa (anys 958-1032). Estudi filològic i diplomàtic, Universitat de Barcelone, 1978 (Tesi de Llicenciatura) ; Idem, Pergamins del Priorat de Santa Maria de Terrassa (anys 977-1633), Terrassa, Fund. Abat Marcet, 1979. 47   En Catalogne on la conserve dans deux manuscrits : l’un à Vic du XIe siècle (Moralia in Job de saint Grégoire, MEV, ms. 26, fol. 168, voir Catalunya Romànica, III, pp. 763-766) et l’autre à Urgell de ca. 1100 où apparaît cette liste. Sur celui de Vic, curieusement, on mentionne Egara mais pas Barcelone. Sur la Notitia, voir A. M. Mundó, « El Bisbat d’Ègara… », pp. 46-47 et Demetrio Mansilla Reoyo, Geografía eclesiastica de España. Estudio históricogeográfico de las diócesis, tomo 1, Rome, Iglesia Nacional Española, 1994, pp. 239 et suiv., en part. pp. 257-275. 45

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survivance du diocèse d’Egara au-delà de l’invasion musulmane. Aujourd’hui cette opinion est entièrement rejetée48. Le principal problème pourtant continue à être qu’il n’y a aucune étude approfondie au sujet des raisons de la création de ce diocèse. Le plus récent est celui de A. M. Mundó pour le Simposi Internacional de Terrassa et c’est sur lui que nous nous appuierons49. Nous avons déjà dit qu’il n’y a aucune certitude sur le moment précis où est fondé l’évêché. La plupart des auteurs ont adopté la date de 450 – que nous trouvons répétée dans les études successives sur Terrassa –, mais elle est en réalité totalement conventionnelle50. Dans l’examen de ces faits, le problème commence avec le document principal. Dans le récit précédent nous ne l’avons pas cité – bien qu’il soit fondamental pour reconstituer la création de l’évêché d’Ègara – car il n’y est pas fait référence. Nous voulons parler de la décision du pape Hilaire, au synode de Sainte-Marie Majeure à Rome, en l’an 465. Ce document était la réponse du pontife à une requête du métropolitain de Tarragone, Ascanius, d’accord avec les autres évêques de la province ecclésiastique Tarraconnaise. Selon ce qui est expliqué dans la charte51, Nundinarius, évêque de Barcelone, avait exprimé le désir qu’Irénée le remplace après sa mort à la tête de son diocèse, et il explique que cet Irénée avait été nommé, en attendant, par Nundinarius « pour diriger – on suppose – une partie du diocèse de Barcelone »52. Nundinarius, en outre, avait laissé à sa mort une part de ses biens en héritage à Irénée. La première nomination, à titre en quelque sorte d’auxiliaire, avait été acceptée par le métropolitain et les autres évêques et la proposition de succession à la tête de l’évêché de Barcelone, elle aussi, avait été acceptée de bon gré par les prélats. Ascanius, en réalité, s’adressait au pape pour solliciter une confirmation de la décision prise. La réponse du pape, en date du 30 décembre 465, pose les limites à ne pas franchir. Non seulement le pape rappelle aux évêques de la Tarraconnaise qu’il est illégal qu’un évêque laisse son diocèse pour en prendre un autre, mais il conclut par un postscriptum dans lequel il affirme : 48   A. M. Mundó, « El Bisbat d’Ègara… », pp. 48-49 ; cf. J. M. Martí, « La seu d’Ègara… », pp. 19-39. 49   A. M. Mundó, « El Bisbat d’Ègara… ». 50   cf. par exemple J. Soler, Egara-Terrassa. Discurs llegit…, p. 38. 51   Il est important de rappeler que ceci est la réponse, mais que nous ne connaissons pas la lettre qui la motive, car elle n’a pas été conservée. 52   A. M. Mundó, « El Bisbat d’Ègara… », p. 43.

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troisième partie Quod si Irenaeus episcopus ad Ecclesiam suam, deposito improbitatis ambitu, redire neglexerit, quod ei non iudicio, sed humanitate præstabitur, removendum se ab episcopali consortio esse cognoscat.

C’est-à-dire qu’il réprouve ses actes, mais l’autorise à revenir dans son église, et si toutefois il n’y revenait pas, Irénée serait exclu du collège épiscopal. En 466, Hilaire adresse encore une bulle à Ascanius confirmant sa décision antérieure et en profitant pour le tancer à propos de ses mauvais agissements. Il semble, ou il faut croire, qu’au synode romain avaient été confondus deux aspects de l’affaire Nundinarius-Irénée. Le fait que Nundinarius ait laissé par testament certaines propriétés à Irénée et qu’il ait suggéré le nom de celui-ci comme successeur a été interprété par la curie comme une transmission héréditaire de l’évêché53. Comme le signale A. M. Mundó, à aucun moment, on ne cite quel est l’évêché dans lequel doit revenir Irénée. D’après la lettre d’Hilaire, il est clair que ce diocèse se trouve dans un municipium diocésain différent de la civitas épiscopale de Barcelone. Les possibilités de municipes dans les environs de Barcelone sont multiples, mais le seul qui continue à apparaître plus tard avec un évêque est Ègara54. Pour ce qui est de l’époque de «création» de ce diocèse, nous savons qu’elle a lieu au temps de Nundinarius et que cela se passe avant sa mort (ca. 465) ou avant la réponse d’Hilaire en 465. Mais le fait que ce pape ne soit pas au courant de la création de cet évêché fait croire à A. M. Mundó que la division dut avoir lieu à l’époque du pape Léon Ier le Grand (440-461), sans doute entre 450 et 46055. 53   Selon A. M. Mundó, aux yeux du pape Hilaire les évêques de la Tarraconnaise dissimulaient avec toute cette affaire la volonté de création d’un corévêque. « À Rome, en revanche, on n’admettait pas l’existence de corévêques dépendants, car on y était plus enclin à créer de nouveaux sièges totalement autonomes et par conséquent avec des évêques inamovibles. » (A. M. Mundó, « El Bisbat d’Ègara… », p. 43). L’affaire est confuse et nous n’en connaissons pas encore une version qui nous convienne. L’exposition des faits par A. M. Mundó est correcte, mais il ne parvient pas à en donner une explication satisfaisante. Comment expliquer qu’à Rome on veuille éviter la création d’un corévêque dépendant de Barcelone pour empêcher la future volonté sécessionniste de ce corévêché, tout en obligeant Irénée à revenir à ce qui de fait devait être un corévêché créé récemment, en lui donnant ainsi un caractère officiel qu’il n’avait sûrement pas ? Ceci pourrait expliquer la très probable stupéfaction d’Ascanius à la réception de la réponse d’Hilaire. La création de l’évêché comme sa perpétuation jusqu’à l’arrivée des musulmans sont des aspects qui n’ont pas été expliqués et qui ne sont pas clairs. Encore moins quand on voit les dimensions que revêt, depuis les dernières fouilles, l’ensemble épiscopal du VIe siècle. 54   A. M. Mundó, « El Bisbat d’Ègara… », pp. 4. 55   Cependant nous continuons à nous demander quelle est cette division ? Si effectivement Nundinarius n’avait créé que ce qu’on pourrait appeler un “sous-siège” pour être aidé par

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Comme nous l’avons dit plus haut, à partir de ce moment, nous ne connaissons l’existence d’un évêché à Ègara que par les listes des évêques présents à certains des conciles célébrés et par la célébration d’un concile à Ègara56. L’information fournie par ce concile est bien maigre. Nous savons tout juste qu’y assistent douze évêques et les représentants de deux autres. L’absence, à côté de leur nom, de celui du siège d’où ils proviennent rend même impossible de savoir quel était le nom de l’évêque d’Ègara à ce moment. Par ailleurs, la réunion avait pour objet de « mettre par écrit une constitution établie en 598 dans un concile réuni à Huesca »57. L’information est importante car elle a servi de repère pour appuyer la datation d’une des phases de construction de l’édifice. Le dernier nom connu d’un évêque d’Ègara est celui de Jean, qui signe au XVIe concile de Tolède (2 mai 693). Après 731, année où est mentionnée la fuite du dernier évêque d’Urgell, on n’a aucune attestation de la permanence d’un évêque dans sa diocèse ; on peut donc supposer que le siège d’Ègara aussi est resté désert. Dans le domaine des suppositions, on a voulu croire à une restauration de l’évêché, ou à une tentative de restauration, à l’arrivée des Carolingiens. Les partisans appuient leurs arguments sur la documentation médiévale qui fait survivre le souvenir du siège d’Ègara. L’acte de consécration de la canoniale Sainte-Marie de Terrassa en 1112 (voir supra) fait référence à l’ancien siège épiscopal. Pourtant, bien que, comme nous l’avons dit, la fixation et la restauration des diocèses et du siège métropolitain soit un problème récurrent de ces siècles, dans le cas d’Ègara on n’a aucune preuve en faveur d’un maintien ou de la restauration du siège. La seule information qui pourrait être mise en avant dans ce sens, et qui l’a été, est l’affaire déjà citée de l’évêque de Barcelone, Frodoin, au synode d’Attigny. Il est difficile de voir dans cet épisode une restauration du siège épiscopal d’Ègara. En fait, le seul argument qui pourrait être soutenu dans cette question de la survie de l’évêché, est lié à l’existence d’un ensemble monumental aussi étendu. Une des conclusions de cette étude est, justement, le contraire. Une partie des travaux qui se font à Sainte-Marie et Saint-Michel de Terrassa peuvent

Irénée, il n’y a pas de raison de parler d’un évêché avant qu’Hilaire n’ait communiqué la décision du synode romain. 56   Voir la liste à la note 45. 57   A. M. Mundó, « El Bisbat d’Ègara… », p. 46.

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troisième partie

s’expliquer, probablement, à partir de l’intervention d’un personnage comme l’évêque franc Frodoin58.

Le siège perdu Pourtant un siège épiscopal ne disparaît pas en un clin d’œil. Pas plus qu’une cité romaine. Les pauvres mentions et les rares vestiges ont éveillé l’intérêt pour cette Egara dès que commencèrent les études historiques. Le premier but, puisque les documents parlaient d’un siège épiscopal, fut de deviner son emplacement. Morales, par exemple, avait situé Ègara en Languedoc59. F. Diago60, G. Pujades ou P. de Marca61 le corrigent rapidement62. La base en sera l’épigraphie. G. Pujades, par exemple, dit : …Egara era ciudad situada en Cataluña, distante cuatro leguas de Barcelona, en las tierras del Vallés. Por lo que dice muy bien el Mtro. Francisco Diago, que estuvo 58   Les récentes interventions archéologiques semblent montrer clairement que le grand moment de ce siège, celui qui a donné les bases à la définition monumentale de cet ensemble, est le VIe siècle. Paradoxalement l’absence de documents ou de références est absolue face à une documentation archéologique si riche. Il est significatif que, déjà à l’époque médiévale, ce soit Frodoin le premier qui donne naissance à une documentation importante concernant Terrassa. Une étude de l’ensemble des églises de Sant Pere de Terrassa passe sans doute par la prise en compte de ces deux moments essentiels : le VIe siècle, celui de l’apogée, et le IXe, celui d’une certaine reprise. 59   Ambrosio de Morales, Los cinco Libros Primeros de la Coronica General de España que continuaua, Ambrosio de Morales, natural de Cordoua, Coronista del Rey Catholico nuestro Señor don Philipe segundo deste nombre, y chatedratico de Retorica en la Vniuersidad de Alcala de Henares, vol I, Alcalá de Henares, Impreso por Iuan Iñiguez de Lequerica, MDLXXIIII ; cf. J. Soler, Egara-Terrassa. Discurs llegit…, pp. 22 et suiv. Au lieu d’Egara il lit Bigerra en Languedoc. Par exemple, au concile de Tarragona (516), le dixième évêque est Nebridio de Bigerra en Lenguadoc (Ambrosio de Morales, Los otros dos libros, Vndecimo y dvodecimo, de la Coronica General de España. Que continuaua Ambrosio de Morales natural de Cordoua, Coronista del Rey Catholico nuestro señor don Philipe segundo deste nombre, y cathedratico de Rethorica en la Vniuersidad de Alcala de Henares. vol. III, Alcalá de Henares, Impr Iuan Yñiguez de Lequerica, MDLXXVII, en part. XI, XLIII, D, fol. 50v), et dans le second concile de Tolède (531) on retrouve Nebridi de Bigerra en Languedoc, dans ce cas en avant dernière position (Ibid. XI, XLVII, A, fol. 55). 60  Francisco Diago, Historia de los victoriosissimos antiguos condes de Barcelona. Dividida en tres libros. En la qual allende de lo mucho que de todos ellos y de su decendencia, hazañas, y conquistas se escriue, se trata tambien de la fundacion de la ciudad de Barcelona y de muchos successos y guerras suyas, y de sus Obispos y Santos, y de los Condes de Vrgel, Cerdaña, y Besalu, y de muchas otras cosas de Cathaluña, Barcelone, casa Sebastian Comellas al Call, 1603, en part. I, XVIII, fols. 43-44, appuie l’identification d’Egara avec Terrassa dans l’acte de consécration de Saint-Martin de Sorbet (cf. Catalunya Romànica, XVIII, p. 278). 61   L’information que donne P. de Marca (P. Marca, Marca Hispanica…, II, XVI, II, cols. 166-167 et appendix CCCXLVI, col. 1237) dépend absolument de ce que publie G. Pujades. 62 Voir Fidel Fita, « Informes. I. Egara (Tarrasa) y su monasterio de San Rufo », Boletín de la Real Academia de la Historia, XXXIII (juil.-sept. 1898), quadernos I-III, pp. 5-30, en part. p. 5.

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la peinture dans les églises de sant pere de terrassa Egara allí donde ahora es la parroquia antigua que se solía nombrar Sant Pere de Egara en el término de Tarrassa.63

L’auteur donne diverses preuves de l’identité d’Ègara-Sant Pere de Terrassa, non seulement l’épigraphie mais aussi différents documents parmi lesquels quelques donations et l’acte de consécration de Sainte-Marie de Terrassa64. On remarque particulièrement une des preuves apportées car c’est la première description que nous connaissions de l’église Saint-Michel, qu’il considère comme un ancien temple romain à l’imitation du Panthéon65. La conclusion de G. Pujades est que non seulement il fallait identifier le lieu d’Ègara avec celui de Sant Pere de Terrassa, mais que les églises perpétuaient la mémoire du siège épiscopal. Quant à la question du siège épiscopal, l’auteur établit déjà la liste des évêques66. La même intention de démontrer que l’Egara romaine correspond à la Terrassa moderne est celle qui guide l’œuvre de J. Arnella, là aussi au début du XVIIe siècle67. D’autres auteurs continueront à réunir les mentions d’Ègara et à rappeler son lien avec Terrassa au XVIIIe siècle68. Au début du XIXe siècle,  G. Pujades, Crónica Universal del Principado de Cataluña…, IV, XLII.  G. Pujades, Crónica Universal del Principado de Cataluña…, IV, XLII, 8. 65  G. Pujades, Crónica Universal del Principado de Cataluña…, IV, XLII, 9 : « Pero volviendo al intento, la segunda razon confirmativa de que Egara era en el sitio donde hemos dicho ; es que allí mismo, entre las dos iglesias de Santa Maria y San Pedro de Tarrasa, se halla aun un templo, que sin duda debia ser el panteon donde estaban venerados igualmente todos los dioses, á semejanza del de Roma. Del cual entre los escritores seculares, se pueden ver Juan Bartolomé Miliano, Leto y Plinio ; y entre los eclesiásticos el obispo Equilino. Este templo es todo redondo, y en medio tiene ocho colunas lisas: las cuatro [sic] muy gordas, y las dos no tanto : son de mármol estas seis, y las otras dos de pórfido ; todas con sus pedestales y capiteles de prodigiosa arquitectura y labor. Y sobre ellas se sostiene un cimborio, con cuatro claraboyas, por donde entraba la claridad al templo que está un poco hondo, y se baja á él por unos escalones. Y al lado del templo, en la parte entre tramontana y levante hay una cueva debajo de tierra ; y entrando en ella, á la distancia de ocho ó diez pasos, hace un recodo al lado derecho, que casi tira al levante ; y á otra tanta distancia, doblando hácia la izquierda á la parte de entre tramontana y levante, se encuentran en una estancia formadas como en cruz tres capillas, y en la del medio hay todavía una ara de pórfido rota por un estremo, demostrando que era mas grande. La existencia allí de aquel templo, es un señal manifiesto de que allí hubo poblacion ; que junto esto con las inscripciones que dejo puestas, conspira eficazmente á creer que allí era la ciuda de Egara. ». 66  G. Pujades, Crónica Universal del Principado de Cataluña…, VI, XXV-CXXXIII. 67   Arnella, Joan (1570-1639) : Grandeses i Antiguitats d’Egara-Terrassa, (éd.) S. Cardús, Terrassa, Tallers Graf. Joan Morral, 1973. Dans ce cas aussi l’auteur inclut une description du Pantheon de Terrassa, c’est-à-dire Saint-Michel (voir p. 73). Il faut ajouter que J. Arnella était le curé vicaire de Saint-Pierre depuis le premier mai 1610 et que dès son entrée en fonction il avait commencé l’inventaire et la restauration des églises (Llorenç Muntada i Serra, « Aportacions per a l’estudi del conjunt monumental d’Ègara. Transformacions sofertes a l’església de Santa Maria al 1611-1612 », Terme, 3 (novembre 1988), pp. 57-60, en part. p. 57). 68  Antonio Ponz, Viage de España, en que se da noticia De las cosas mas apreciables, y dignas de saberse, que hay en ella. Tomo XIV, primera edicion. Trata de Cataluña, Madrid, Viuda de Ibarra, Hijos, y Compañia, 1788 [Réimpression, Madrid, Ed. Atlas, 1972], nº 59-60. 63 64

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J. Villanueva continue en insistant sur l’identité entre Ègara et Terrassa69. Sa notice est intéressante parce qu’elle nous indique l’existence de certains éléments artistiques qui jusqu’à cette époque étaient restés ignorés. Il nous dit par exemple que La mas antigua [des trois églises], que es la de San Pedro, conserva algunos rastros de obra romana ; tal es toda la pared exterior del presbiterio con algunos trozos de mosaico en el pavimento detrás del altar mayor.

À l’autel, il voit une table, grande de mármol consagrada con suscripciones al modo de la que dije en San Miguel de Fay, que puede pertenecer á los siglos X ó XI.

L’auteur ne peut éviter de faire une description de Saint-Michel et en particulier de la sculpture. Selon l’auteur No corresponden á estas columnas los capiteles, que son mas modernos, y del gusto gótico del siglo X ó XI, en que debió restaurarse este edificio.

Cette description permet de constater que l’intérieur avait changé. Là où G. Pujades explique la manière d’accéder à la crypte, Villanueva ne voit plus que Por algunas roturas del pavimento se descubre una cavidad subterránea que dicen ser otra iglesia como la de arriba, en la cual es muy peligroso el bajar y el permanecer en ella, y así túve que reprimir los deseos de verla ; pudo ser el baptisterio de mugeres.

Dans l’église Sainte-Marie, il voit encore les vestiges du cloître des chanoines de saint Augustin70. Il n’est pas dans notre intention de faire un rappel exhaustif de tous et chacun des auteurs qui depuis le XVIe siècle se sont intéressés

69   Bien que son Viage Literario, c’est-à-dire le volume où il évoque son séjour à Terrassa, ne soit publié qu’en 1851, ses séjours ont lieu avant 1824, date de la mort de l’auteur, en exil depuis 1823. La guerre en réalité l’oblige à arrêter ses recherches en 1808 dans la zone occupée par les Français. Des notices postérieures confirment en outre que l’édifice de Saint-Michel fut utilisé comme caserne par les Français et, par conséquent inapte au culte entre 1809 et 1829 (voir infra note 43). Par conséquent il n’y a pas de doute que Villanueva soit passé à Saint-Michel avant la fouille de F. Torres i Amat (v. infra). 70  Jaime Villanueva, Viage Literario a las Iglesias de España. tomo XIX. Viage á Barcelona y Tarragona, Madrid, Real Academia de la Historia, 1851, en part. pp. 46-49.

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à Terrassa71, mais de montrer comment, très tôt, on a eu soin de relier les données épigraphiques et textuelles et les églises de Sant Pere. Assurément, certaines notices ne laissent aucun doute sur la relation claire entre ces églises et le lieu où à l’époque tardo-antique s’était trouvé le siège épiscopal. Les preuves cependant en étaient maigres. C’est au début du XIXe siècle que l’intérêt pour l’ensemble conduira à la réalisation des premières interventions «archéologiques». Comme nous l’avons vu, Villanueva parle de la croyance en l’existence d’une église souterraine sous Saint-Michel. Ce fut l’objectif de l’intervention du chanoine Fèlix Torres i Amat. Il dit : La escasez de notícias que tenemos de la antigua Egara excitó en mí el deseo de buscarlas […] Avivóse más en mí aquel deseo en consecuencia de la nueva orden de Su Majestad [Ferdinand VII], que se circuló el año pasado [1817?] á todo el Reino á petición de la Real Academia de la Historia para la conservación de los monumentos antiguos que subsisten todavía en varios parajes de España

et il recevra mission de la Real Academia dans ce but72. Torres était particulièrement curieux de vérifier la véracité de la notice de G. Pujades sur l’existence d’une église souterraine73. Pour la vérifier, il ordonna une fouille dont le coût fut pris en charge par lui-même et son neveu Joaquin de Sagrera. La fouille fut réalisée par l’architecte municipal Jacinto Matalonga. La seule chose qu’il découvrit est ce que G. Pujades avait déjà vu, c’est-à-dire la crypte74. Il est difficile de connaître l’ampleur de l’intervention de F. Torres i Amat75, en tout cas il inaugure les fouilles archéologiques aux églises de Sant Pere,

  On peut en trouver une liste dans J. Soler, Egara-Terrassa. Discurs llegit…, pp. 38-39.   F. Fita, « Informes. I. Egara (Tarrasa)… », p. 6. 73  « A pocos días pasé á la villa de Tarrasa, donde auxiliado de su digno prior y párroco el Dr. D. Francisco Casals, eclesiástico de muy sólidos conocimientos en las ciencias eclesiásticas y de buen gusto en las humanidades, examiné detenidamente aquellas antigüedades, y sobre todo la verdad de lo que, según la tradición popular, dejó escrito el historiador Pujades en su Crónica universal de Catalunya, libro IV, capítulo 42, acerca de una iglesia subterránea debajo de San Miguel. » (F. Fita, « Informes. I. Egara (Tarrasa)… », p. 6). 74   Nous pouvons supposer qu’entre la description de G. Pujades et le travail de F. Torres i Amat on avait dû boucher l’accès à la crypte. Autrement on comprendrait difficilement la notice de J. Villanueva commentant les trous dans le sol et le danger d’accéder à l’église souterraine dont on signalait l’existence. Sans doute l’occupation du bâtiment par l’armée française avait aggravé ses conditions de conservation. 75   J. Puig i Cadafalch ne fait qu’une brève allusion à la “fouille” antérieure de F. Torres i Amat. Il rapporte que, trouvant la piscine pendant sa fouille – entre le 5 et le 8 juillet 1906 –, celle-ci était « déjà cassée par les excavations de l’évêque F. Torres i Amat. » (J. Puig, A. Falguera, J. Goday, L’arquitectura romànica…, I, p. 331). 71 72

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fouilles qui se poursuivent aujourd’hui encore76. Le mémoire envoyé à la Real Academia de la Historia est aussi le premier travail d’une certaine qualité effectué sur cet ensemble77. Il semble cependant que ce rapport n’ait eu que peu d’effet pour les églises de Sant Pere, car, au milieu du XIXe siècle, on commence à demander une intervention pour arrêter leur détérioration. La première mention que nous en ayons est la « lettre-supplique du curé de Saint-Pierre, adressée à l’évêché de Barcelone  », en date du 30 décembre 1861, où il est demandé que l’évêché fasse des démarches pour obtenir une subvention pour l’entretien des édifices78. La Real Academia de San Fernando, envoie l’architecte Francisco de Paula Villar i Lozano pour établir un devis. À partir de son rapport seront menées à terme les premières actions et réparations urgentes pour éviter la ruine des églises79.

  L’information publiée dans El dia, le 29 mars 1933, dans une note de Baltasar Ragón sous le titre d’« Efemerides de Sant Pere de Terrassa : El Rvd. Joan Saboya i Gumà », rapporte que l’Arxiu parroquial de Sant Pere conservait une notice disant que « Depuis le mois de mars 1809 jusqu’au 8 mai 1828 l’église de Saint-Michel avait été inapte à la célébration du saint sacrifice en raison de son utilisation par les troupes françaises, qui y avaient fait divers creusements et avaient ruiné les autels. Il fut nécessaire de la faire restaurer. En l’année 1818, Monseigneur Torras, archidiacre de Barcelone, avec l’accord du Rvnd Curé de cette paroisse de Saint-Pierre et le Rvnd Prieur de Terrassa, fit faire de grandes fouilles, afin de découvrir une église dont on mentionnait l’existence sous l’église même de Saint-Michel, identique à celle du dessus, avec les mêmes colonnes, mais on ne la trouva pas. On découvrit seulement cette petite église souterraine avec trois petites chapelles, existant sous l’autel majeur, avec l’escalier qui lui est contigu, que l’on estime avoir été à une autre époque le baptistère des femmes, tout comme l’église du dessus était celui des hommes quand on administrait le baptême par immersion. » L’information était rapportée par Joan Saboya i Gumà qui avait été nommé curé au mois de septembre 1827. 77   Le rapport est conservé, manuscrit, dans le registre D 96 de la Real Academia de la Historia. De ce rapport, réalisé le 14 mai 1818, on publia un extrait dans le Boletín de l’Academia quatre-vingts ans plus tard (F. Fita, « Informes. I. Egara (Tarrasa)… »). 78  Anna Castellano i Tresserra, Imma Vilamala, Les restauracions de les esglésies de Sant Pere de Terrassa, Barcelone, Diputació de Barcelona, 1993 (coll. Monografies, 3), p. 11. 79   Sur la portée de ces interventions, voir Anna Castellano i Tresserra, Imma Vilamala, « Les restauracions de les esglésies de Sant Pere de Terrassa. Les intervencions del servei de catalogació i conservació de monuments (1915-1951) », II Simposi. « Actuacions en el patrimoni edificat : la restauració de l’arquitectura dels segles IX i X (Investigació històrica i disseny arquitectònic) ». Barcelona-Berga, 10-11 de desembre de 1991, Barcelone, Diputació de Barcelona, 1992 (coll. Quaderns científics i tècnics, 4), pp. 35-46, en part. p. 37. Il faut supposer que ces premières interventions n’eurent pas la continuité souhaitée. C’est ce que l’on déduit de deux lettres : la première de l’Associació Catalanista d’Excursions Científiques en date du 4 février 1884, la seconde de l’Associació Artístico-Arqueològica Barcelonesa, quatre jours plus tard. On y réclame l’intervention du maire de Terrassa afin de retarder la ruine de Saint-Michel (AHCT. Secció Cultura 12.4. Monuments Històrico-Artístics. Esglésies de Sant Pere de Terrassa, 1884-1976. Caixa 152). 76

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L’entrée en action de J. Puig i Cadafalch ne devait pas encore éveiller l’intérêt des institutions pour le groupe des églises de Sant Pere. L’architecte rédige à vingt-deux ans les Notes arquitectòniques sobre les Esglésies de Sant Pere de Tarrassa80. Cette étude est la première approche, de la part de celui qui alors est déjà architecte et docteur, d’un des ensembles qui l’accompagneront une bonne partie de sa vie. Dans cette étude, il est exposé pour la première fois que les deux églises majeures sont le résultat de l’union d’une nef plus moderne à des parties absidiales plus anciennes81. Pour J. Puig i Cadafalch, les absides de Sainte-Marie et de Saint-Pierre de même que l’édifice de Saint-Michel devaient être situés au IXe siècle. La nef de Saint-Marie correspondait aux bâtiments de la consécration de 1112. Les arguments utilisés pour dater l’ensemble étaient essentiellement de caractère formel82, technique83 ou cultuel84, puisque à cette époque on n’avait réalisé aucune fouille hormis celle de J. Torres i Amat qui cependant resta inédite jusqu’en 1898. Il faut attendre les années 90 du XIXe siècle pour que l’étude et la conservation de l’ensemble prennent leur élan. Selon la presse locale, en 1892

 Josep Puig i Cadafalch, Notes arquitectòniques sobre les Esglésies de Sant Pere de Terrassa, Barcelone, Imprenta La Renaixença, 1889 (Memòria que obtingué’l premi de la Associació Catalanista d’Excursions Científicas en los Jochs Florals de Barcelona en l’any 1889). 81   Jusqu’à ce moment Sainte-Marie avait toujours été considéré comme une unité de construction liée à la consécration de 1112. À Saint-Pierre en revanche la rupture entre abside et nef est si claire que d’autres éléments, comme la mosaïque, n’avaient fait que confirmer que le chevet provenait d’une construction antérieure (v. J. Villanueva, Viage Literario…, pp. 16-17). 82   D’une part, «  Le plan et l’élévation qui aujourd’hui subsistent correspondent à des connaissances théoriques que ne possédaient pas les peuples goth et asturien avant le Xe siècle, et indiquent de nouvelles influences dans l’art catalan qui lui donnèrent son caractère propre au milieu de ses voisins de ce côté-ci des Pyrénées. » (J. Puig, Notes arquitectòniques…, p. 17). D’autre part les fûts et chapiteaux étaient clairement remployés puisque « Durant le VIIIe siècle rien ou presque rien n’est produit en matière d’art dans notre Catalogne dominée par des armées étrangères. » (Ibidem, pp. 18-25). Étant donné qu’il considère que quatre des chapiteaux sont wisigoths et que les quatre autres sont remployés, la conclusion est que l’œuvre doit être postérieure à l’époque wisigothe. 83   Selon cet auteur, les trois constructions voisines formant l’ensemble de Sant Pere ont un appareil en petits moellons et rangées de briques « comme ceux employés dans les églises carlovingiennnes » (J. Puig, Notes arquitectòniques…, p. 29). 84  Car selon Puig i Cadafalch, durant les IXe et Xe siècles, il y a une grande dévotion envers saint Michel et cela explique la construction de cette église à cette époque à Terrassa. Il précise en outre que « Souvent ces églises faisaient office de baptistères, et les deux églises de Saint-Michel pouvaient bien servir à cette fin, en établissant la séparation que les canons exigeaient entre le baptistère des hommes et celui des femmes. » (J. Puig, Notes arquitectòniques…, p. 40). 80

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troisième partie Durante la breve estancia en esta ciudad, del conocido escritor y arquitecto, nuestro amigo don J. Puig y Cadafalch, que permaneció há poco entre nosotros, algunas horas, descubrió en la parte interior del ábside del templo de San Miguel de Tarrasa, unas interesantes pinturas murales, de la época románica. Es un hallazgo importante, porque son escasisimas esta clase de pinturas.85.

La même note fait allusion à la décision de la direction de l’Associació Artístico-Arqueològica Barcelonesa de demander à l’évêque la permission de fouiller à Saint-Michel. Le but est à nouveau de dégager la crypte. Cet objectif obtient une première adhésion, celle du curé de Saint-Pierre qui transmet la question à l’évêque et celui-ci s’engage à déléguer l’architecte diocésain Francisco de Paula Villar86. La visite a bien lieu et se concrétise en un nouveau projet qui, cette fois, sera mené à terme87. Les travaux commencent en 1895 dirigés par les architectes diocésains et par l’architecte municipal de Terrassa, Luís Muncunill. Le chantier est centré, essentiellement, sur l’église de Saint-Pierre et consiste à restaurer des dallages88 et des enduits, à côté d’autres travaux de consolidation89, raison pour laquelle on déplace les retables. C’est ce qui permet la découverte des peintures murales gothiques du mur nord de Saint-Pierre, comme celles du dit «retable en pierre»90.

  Si rares qu’à cette époque en réalité on ne connaissait qu’une partie des peintures romanes de Pedret et celles de Marmellar, les deux découvertes en 1887 (v. supra). La notice de la découverte de Saint-Michel se trouve dans Egara, 25/12/1892, 1. Cf. J. Soler, EgaraTerrassa. Discurs llegit…, p. 13. 86   Egara, 16/7/1893, 5. 87  Voir Egara, 22/10/1893, 4 ; Egara, 5/11/1893, 4-5. 88   Les carrelages sont arrachés et remplacés par une mosaïque blanche, qui existe toujours, on complète aussi la mosaïque “romaine” du presbytère. 89   On vérifie qu’il n’y a pas de peinture sur les murs et on réenduit le tout à neuf. On ouvre la fenêtre sud de l’abside. On dépose le retable de Nicolau Traver, de 1786, on supprime la lanterne qui avait été ouverte dans la voûte pour encastrer le retable. Ceci entraîne des travaux sur les toits. On sait qu’on supprima alors les tuiles plates de type romain, remplacées par des tuiles canal (voir Salvador Alavedra i Invers, Les obres de restauració de l’Església Parroquial de Sant Pere de Terrassa a finals del segle XIX, Terrassa, Joan Morral, 1978 ; Idem, « Teules planes de tipus romà, teules aràbigues i teules aràbigues grafiades, a les cobertes de les esglésies de Sant Pere de Terrassa-Ègara », Simposi Internacional sobre les Esglésies de Sant Pere de Terrassa (20, 21 i 22 de novembre de 1991). Actes, Terrassa, Arxiu Històric Comarcal de Terrassa, 1992, pp. 125-132 ; Jordi Ambròs i Monsonís, «  Les obres de restauració de l’antiga seu del bisbat d’Ègara », Quaderns d’Estudis Medievals, année 1, vol. 1, nº 2 (novembre 1980), pp. 101-112. 90  S. Alavedra, Les obres de restauració…, passim ; A. Castellano, I. Vilamala, « Les restauracions de les esglésies de Sant Pere de Terrassa… », pp. 35-46, en part. pp. 37-38. 85

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Les actions auront un écho extraordinaire91 et les découvertes de peinture murale donnent déjà naissance à une publication92. Ce début de valorisation de l’ensemble et les importantes trouvailles qui y furent faites sont sans doute à la base du rapport de Juan Facundo Riaño, émis sur commande de la Comissió de Monuments de Barcelona pour solliciter le classement de l’ensemble de Terrassa comme Monument Nacional. Le rapport est adressé à la Real Academia de San Fernando, qui le 5 janvier 1897 l’approuve et le transmet au Ministerio de Fomento 93. Bien que le classement des églises de Sant Pere comme monument historique et artistique ne soit effectif que le 3 juin 1931, le rapport et l’initiative démontrent l’intérêt que l’ensemble était parvenu à susciter94.

Les interventions dans le courant du XXe siècle Pourtant, à partir de cette époque, on peut dire que les actions se ralentissent. Un article de Puig i Cadafalch montre comment, malgré les nouvelles découvertes, le paysage avait peu changé95. C’est luimême qui se charge de donner un tournant à la situation. Les informations qui de temps en temps paraissent dans la presse permettent d’entrevoir que la fouille de l’ensemble peut révéler des surprises importantes. Une de ces notices, dans le journal Egara, nous informe que, de manière fortuite, pendant qu’on réalisait les travaux de   Voir le suivi des travaux, des découvertes et l’écho de l’intervention dans l’hebdomadaire Egara (5/5/1895, p. 4 ; 19/5/1895, pp. 4-5 ; 2/6/1895, pp. 1-2 ; 16/6/1895, pp. 3-4 ; 14/7/1895, p. 2 ; 21/7/1895, p. 3 ; 11/8/1895, pp. 1-2 ; 22/9/1895, p. 4). Cette année-là on accepte aussi l’intervention de la municipalité de Terrassa, qui jusque là était restée plus ou moins en marge de la restauration qui concernait la paroisse du village de Sant Pere et non celle de Terrassa (Egara, 9/6/1895, p. 5 ; 16/6/1895, pp. 2-3). Le changement d’attitude peut se sentir à travers la documentation : lettre du 4 mai 1895 de la Direction de la Restauration au maire de Terrassa. Réponse de l’architecte municipal Luís Muncunill. Approbation du conseil municipal du 11 juin 1895. (AHCT. Secció Cultura 12.4. Monuments Històrico artístics. Esglésies de Sant Pere de Terrassa, 1884-1976, Caixa 152). 92  Juli Vintró, « Pintures murals á S. Pere de Tarrassa », Butlletí del Centre Excursionista de Catalunya, any V, nº 17 (abril-juny 1895), pp. 108-110. 93   Juan Facundo Riaño, « Iglesias de San Miquel, Santa María y San Pedro, de Tarrasa », Boletín de la Real Academia de la Historia, Tome, XXXII, cahier II (mars 1898), Madrid, Establecimiento tipográfico de Fontanet, 1898, pp. 523-527. 94   Voir [« Déclaration de monument historique par le gouvernement provisoire de la République d’Espagne »], Gaceta de Madrid, nº 155 (4 juin 1931), pp. 1181-1185 ; Monumentos españoles. Catálogo de los declarados histórico-artísticos 1844-1953, tomo I, Madrid, Ministerio de Cultura, 1984 (3e éd.), pp. 138-39. 95  Josep Puig i Cadafalch, « Les Iglesias de San Pedro de Tarrasa. Notas arquitectónicas », Arquitectura y Construcción, 1900, pp. 56-59, 71-74, 88-91, 132-136. 91

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construction d’un caveau familial dans le cimetière situé entre SaintMichel et Sainte-Marie, était apparu un fragment de mosaïque96. Il s’agit sans doute de la mosaïque du Ve siècle que nous voyons aujourd’hui devant Sainte-Marie et qui alors n’était pas encore connue. À l’époque, on affirme que cette mosaïque est « igual al que existe detrás del altar mayor de la iglesia parroquial de dicho pueblo », c’està-dire à celle du chœur de Saint-Pierre. Les interventions les plus importantes de cette époque furent réalisées par J. Puig i Cadafalch. Lui-même nous informe de ses travaux97. Entre le 5 et le 8 juillet 1906, il avait réalisé un sondage dans SaintMichel pour trouver la piscine baptismale de l’ensemble. À 0,40 m sous le pavement de l’espace compris entre les colonnes, il affirme avoir trouvé le fond concave de cette piscine. Ceci confirmait la croyance traditionnelle en une fonction baptismale. Il semble que l’architecte ait fait aussi quelques tranchées de plus à l’extérieur de l’église Sainte-Marie (?). Nous trouvons confirmation de ces travaux dans les actes du Patronat de Museus de Terrassa. Dans l’acte du 11 juin 1906, J. Vancells rend compte du séjour de J. Puig i Cadafalch qui avait réalisé les tranchées avec l’autorisation de l’archevêque de Barcelone, le cardinal S. Casañas. Ces sondages dieron por resultado el descubrimiento de más mosaico de orden general, limitado con una cenefa como la primera ya descubierta y el de se supone una piscina de immersión, con dos desagües en el interior de la Iglesia de San Miguel – c’est nous qui soulignons98.

Se confirmait donc l’opinion traditionnelle que Saint-Michel était un baptistère avec une grande cuve d’immersion située dans l’espace disponible entre les colonnes – de dimensions, il faut le dire, plus que notables. La «découverte» est remise en question dès le début99 et pourtant elle sera la base sur laquelle J. Puig i Cadafalch modifiera toute son interprétation de l’ensemble. Trouver un baptistère isolé ne permettait d’interpréter l’ensemble que comme un siège épiscopal antérieur à l’occupation musulmane. C’est ainsi que l’argument, peutêtre le plus faible, fit remonter la datation de tout l’ensemble au VIe   Egara, 12/4/1903, p. 2.  J. Puig, A. Falguera, J. Goday, L’arquitectura romànica…, I, pp. 329-330, 335. 98   AHCT. Secció 12. Cultura. Sèrie 12. Juntes. Junta Municipal de Museus, Biblioteques i Arxius 1904-1968. [caixa 153]. 99   Voir l’opinion de Gómez-Moreno (M. Gómez-Moreno, Iglesias mozárabes…, pp. 49 ; Idem, El Arte Románico Español. Esquema de un libro, Madrid, Centro de Estudios Históricos, 1934, pp. 35) ou le « se supone » de J. Vancells dans les actes du Patronat. 96 97

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siècle. Aucune des interventions postérieures de J. Puig i Cadafalch à Saint-Michel n’apporta de donnée intéressante en ce sens. En revanche ce fut suffisant pour justifier, des années plus tard, une restauration brutale – presque un remodelage – de tout l’intérieur : reconstruction de la coupole, piscine octogonale, fenestrella confessionis, chancel, jalousies…100 Des mois après la «découverte», J. Soler i Palet informa le Patronat que J. Puig i Cadafalch le ofreció encargarse de la dirección de los trabajos que en el recinto de las románicas Iglesias de San Pedro se proyecta realizar en busca de nuevos y completos descubrimientos arqueológicos101.

Ce projet ne débuta pas avant 1917. À partir de cette année, les travaux dirigés par J. Puig i Cadafalch et J. Martorell prirent place parmi les actions du Servei de Catalogació i Conservació de Monuments de création récente102. Des interventions conduites entre 1917 et 1920, le meilleur témoignage est peut-être celui du curé de Saint-Pierre, Josep Homs : Ceux qui avaient vu le déplorable état de l’ancienne collégiale de SainteMarie, dans cette ville, avec ses murs intérieurs couverts d’une couche de chaux, déjà sale et jaunie par plus de trois cents ans, se trouvèrent agréablement surpris quand aux derniers jours d’août 1917 ils contemplèrent la réapparition des authentiques moellons de pierre cachés sous cette croûte qui les enlaidissait. Les travaux continuèrent, jusqu’à ce que, arrivés à l’emplacement de l’autel de Saint-Blaise [bras sud du transept de Sainte-Marie] apparaisse un mur formé de briques plates qui couvraient les peintures murales d’une ancienne absidiole représentant l’accusation, la mort et l’inhumation du Saint Archevêque de Cantorbery, Tomas Beqqer (sic). Nous étions le 20 septembre.

100   Dans cette intervention si extrême et si choquante, il faut prendre en compte le rôle joué peut-être par le curé J. Homs. Celui-ci affirme dans un article consacré à la « Restauració del Baptisteri de Sant Miquel » publié dans le Butlletí del Club Pirinenc : « En plus de ce qui a été exposé, et en complément, nous avons le désir de placer au beau milieu du baptistère une cuve baptismale qui soit conforme au style de l’époque... » (Josep Homs Ginesta, « Restauració del Baptisteri de Sant Miquel », Butlletí del Club Pirinenc de Terrassa, 20 (janvier-février 1927), p. 122). 101   Voir réunion du 2 octobre 1906. (AHCT. Secció 12. Cultura. Sèrie 12. Juntes. Junta Municipal de Museus, Biblioteques i Arxius 1904-1968. caixa 153). 102  A. Castellano, I. Vilamala, «  Les restauracions de les esglésies de Sant Pere de Terrassa… » ; Eadem, Les restauracions de les esglésies….

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Le dernier retable baroque fut retiré de Saint-Pierre en 1918 ; “l’inauguration” eut lieu le 28 avril 1918. Deux mois plus tard l’église de Sainte-Marie était en pleine restauration, on découvrit alors d’autres peintures de la demi-sphère que forme la voûte de l’abside, représentant le couronnement de la Vierge par son Fils Jésus Christ, où l’on devine à l’aide du personnage en prière du dessous l’acte par lequel la même Vierge donne sa ceinture à l’Apôtre saint Thomas, événement qui n’est représenté, selon l’avis de monseigneur Gudiol, qu’en Provence et autres lieux du Midi de la France. Quel dommage – nous disait le malheureux Pere Viver (a.c.s.) peu de jours avant sa mort, en contemplant cette peinture – que l’humidité et les infiltrations aient détruit celles qu’il y avait sans doute par dessous et de bien davantage d’intérêt encore par leur ancienneté !

Pendant quinze mois se dressa l’échafaudage qui renforçait le clocher. Le 12 octobre 1919 Sainte-Marie rouvrit après qu’on a totalement réparé le pavement, pratiqué des fouilles dans les absides, renforcé efficacement tous les murs fragiles, retiré le retable du XVIIe siècle, pour favoriser la visibilité et pour redonner à l’abside, si intéressante par son ancienneté, son caractère primitif, il fut nécessaire de déplacer l’ancienne table d’autel, déjà exécrée, pour leur séparation du pied de l’autel, et en extraire les reliques des saints patrons Valentin, Sévère et Julien.

Les retables gothiques furent réinstallés dans le transept. L’inauguration fut célébrée le 20 juin 1920103. Mis à part ces travaux, tous à l’intérieur des églises, on sait qu’il y eut aussi des interventions drastiques à l’extérieur. Pour commencer, on élimine toutes les constructions ajoutées aux églises et qui en compromettaient la conservation et en empêchaient la visibilité104. Une de ces suppressions est celle du cimetière adossé à Sainte-Marie, intervention qui avait déjà été projetée dans le rapport de Francisco de Paula Villar (voir supra). Conjointement on rabaissa le niveau du sol d’un mètre autour de Sainte-Marie et de Saint-Michel. La surélévation du niveau du terrain avait laissé les églises très au dessous du niveau originel, ce qui entraînait beaucoup d’humidité. Lors de ce décaisse Josep Homs Ginesta, « Recull de dates », Publicació a profit de la conservació i restauració de les Iglésies romàniques de Sant Pere, Terrassa, Junta Municipal de Museus, Secció d’art antic i modern, [1921], pp. 1-2. 104   Pour les actions préalables à cette intervention, voir surtout S. Alavedra, Les obres de restauració…. 103

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ment on trouva, devant Sainte-Marie, la mosaïque dont étaient apparus quelques indices en 1903 et 1906. En même temps que cette mosaïque, apparurent aussi les premières structures qui permettaient les premiers essais de reconstitution des différentes phases de l’église Sainte-Marie et, comme nous le verrons, de l’édifice épiscopal. À l’extérieur aussi on intervint sur les toits et le clocher de Sainte-Marie, raison pour laquelle J. Homs affirmait que celui-ci était étançonné. Enfin, l’extérieur fut aménagé avec des escaliers et des terrasses pour conserver les dénivellements créés, et avec un traitement général en jardin105. Aucune de ces interventions ne fit changer d’avis J. Puig i Cadafalch. À partir de la constatation erronée que Saint-Michel était un baptistère, tous les arguments et toutes les nouvelles découvertes serviront à justifier la datation de la partie la plus ancienne de l’ensemble du VIe siècle, de la même façon qu’auparavant ils avaient servi à justifier une attribution au IXe siècle. Cette position fut en fait officialisée dans la monumentale Arquitectura romànica de Catalunya106. À SaintPierre, la construction de la voûte sur trompes, le plan trilobé de l’abside, la mosaïque et l’usage d’opus emplecton pour les murs ; à Sainta-Marie, l’usage d’opus emplecton et la présence d’amphores dans la couverture de l’abside ; à Saint-Michel, le pavimentum ostracus et les peintures : tous ces éléments s’ajoutaient à la «découverte» de la cuve baptismale et finirent par convaincre l’architecte que l’ensemble était du VIe siècle107. Saint-Michel, cependant, étant la mieux conservée, présentait des signes évidents de restaurations. C’était surtout visible pour les colonnes et les chapiteaux remployés de l’intérieur. Cela impliquait que l’élévation fût, partiellement, postérieure à l’édifice108. La fouille et la découverte de la mosaïque devant Sainte-Marie et de vestiges de murs lui permirent de formulerl’hypothèse selon laquelle le siège wisigothique était une église à trois nefs alors que la nef actuelle était un ajout du XIe siècle109. Pour appuyer cette datation sur les données documentaires disponibles, J. Puig imagina que la célé-

105  A. Castellano, I. Vilamala, « Les restauracions de les esglésies de Sant Pere de Terrassa… », p. 42. 106  J. Puig, A. Falguera, J. Goday, L’arquitectura romànica…, I, pp. 313, 319, 333-335. 107  Josep Puig i Cadafalch, « La catedral visigòtica d’Ègara », Anuari de l’Institut d’Estudis Catalans, VI (1915-1920), pp. 747-751. 108  J. Puig, A. Falguera, J. Goday, L’arquitectura romànica…, I, pp. 337 et suiv. 109  J. Puig, « La catedral visigòtica d’Ègara », plan.

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bration d’un concile à Ègara «  supposait l’existence d’une église construite avec une certaine somptuosité »110. Avec le changement d’opinion de J. Puig, se mettent définitivement en place les deux interprétations qui planent sur l’ensemble de Terrassa jusqu’à nos jours. La première considère que les parties les plus anciennes, c’est-à-dire les absides de Sainte-Marie et de SaintPierre et l’église de Saint-Michel, sont des constructions du VIe siècle, ou en tout cas antérieures à l’invasion musulmane. La seconde opinion, celle qui avait été soutenue par J. Puig dans son premier travail, considère que ces mêmes structures ne s’expliquent que par l’arrivée des carolingiens et par conséquent doivent être datées autour du IXe siècle111. Les premiers à proposer une chronologie wisigothe avaient été F. Riaño et V. Lampérez112. À partir des découvertes de SaintMichel, le porte-parole de cette opinion est J. Puig i Cadafalch qui va entraîner avec lui d’autres auteurs113. Quant à la défense d’une datation carolingienne de l’ensemble, la première voix à se prononcer en sa faveur fut celle de M. Gómez-Moreno, rassemblant ce qu’avaient déjà dit J. Torres i Amat au début du XIXe siècle sur Saint-Michel et J. Puig i Cadafalch lui-même114. M. Gómez-Moreno considérait que, structurellement, l’église de Saint-Michel ne pouvait être comprise sans l’influence carolingienne, mais surtout l’auteur ne croyait pas que J. Puig ait trouvé une piscine baptismale115.

  Ibidem, p. 747.  J. Puig, Notes arquitectòniques…. 112   Sur le premier v. J. F. Riaño, « Iglesias de San Miquel, Santa María y Sant Pedro… », p. 527. Le second conserve une position ambiguë. Il considère que Saint-Michel est un édifice wisigoth (Vicente Lampérez y Romea, Historia de l’arquitectura cristiana española en la edad media, 2 vol., Barcelone-Madrid, Espasa-Calpe, 1930 (1e édition 1908), en part. I, pp. 191194), alors qu’il pense que le chevet de Saint-Pierre est du Xe ou du XIe siècle avec une nef du XIIe ou du XIIIe siècle, et il considère Sainte-Marie comme étant du XIIe siècle (Ibidem, II, pp. 271-272 et 298-299). Voir aussi l’opinion de Giovanni Teresio Rivoira, Architettura musulmana : sue origini e suo sviluppo, Milano, Ulrico Hoepli, 1914, pp. 273 et suiv. (Je veux remercier R. Swanson de m’avoir signalé cette référence). 113   cf. J. Soler, Egara-Terrassa. Discurs llegit…, pp. 46-47. 114   cf. F. Fita, « Informes. I. Egara (Tarrasa)… », p. 13 et J. Puig, Notes arquitectòniques…. 115   C’est ce qu’il insinue dans les Iglésias Mozárabes (M. Gómez-Moreno, Iglesias mozárabes…, p. 49). Il sera beaucoup plus brutal quelques années plus tard: « Después apareció en Tarrasa el mosaico que fué pavimento de la catedral goda, comprobándose su independencia respecto de los edificios actuales. Además se ha restaurado el de S. Miguel, convirtiendo algunos de sus contrafuertes en jambas de arcos y haciéndole en medio una piscina, completamente a capricho, pues cuando se rompió el pavimento antiguo en busca de la deseada fuente bautismal, no aparecieron sino cimientos modestos de otros edificios sin relación alguna con la iglesia, y así estuvo al descubierto algunos años. Vese bien clara la rotura del suelo, sin formar borde de piscina, en L’arquitectura románica a Catalunya, fig. 380, en contradicción ya con el esquema hipotético de la fig. 381. Igualmente caprichosa y 110 111

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Après les interventions à Sainte-Marie, ce fut le tour de SaintMichel, dans les années 1929-1931116. Cette restauration controversée fut consignée sur une plaque de marbre placée à droite de la porte, ce qui permet de voir la portée de l’intervention. Le dallage fut abaissé jusqu’à trouver le signinum originel, on recréa une piscine octogonale, une balustrade en guise de chancel et une fenestrella confessionis. Les murs et les voûtes furent repiqués – y compris la partie basse de l’abside sans décor peint – et on refit la coupole après avoir supprimé la lanterne. Les fenêtres furent fermées par des transennes de plâtre armé et d’albâtre. On disposa un éclairage imitant des lanternes antiques. On consolida la crypte et on y rouvrit les fenêtres. À l’extérieur on ajouta des contreforts pour renforcer le mur nord. Sur les couvertures, on refit les toitures après avoir supprimé la lanterne et refait la coupole117. Des nouveautés importantes survinrent avec la dépose de la mosaïque devant Sainte-Marie. Certaines voix s’étaient déjà élevées contre l’état de détérioration de ce pavement qui s’était aggravé après la découverte à cause des gelées118. Compte tenu de la situation, la décision fut prise de l’enlever. Après des essais successifs qui échouèrent, la dépose eut lieu en 1932. La mosaïque une fois enlevée, on en profita pour fouiller au-dessous. Plus tard la mosaïque fut replacée, mais sur des plaques de béton qui la surélèvent de 9 cm au dessus du niveau originel119. L’importance de cet enlèvement réside dans les fouilles que l’on en profita pour faire. Malheureusement on n’en donne aucune information ni dans l’annuaire de l’IEC, où étaient habituellement consinueva es la ventana con celosía que relaciona la cripta con la iglesia misma. » (M. Gómez-Moreno, El Arte Románico Español…, p. 35). 116   J. Puig avait aussi publié une petite intervention à Saint-Pierre qui avait livré une sépulture et quelques murs (Josep Puig i Cadafalch, « Basílica d’Egara : Excavacions prop de l’església de Sant Pere », Anuari de l’Institut d’Estudis Catalans, VIII (1927-1931), pp. 138-140). 117   cf. Jordi Ambròs i Monsonís,« Obres de restauració dels edificis de la seu de l’antic bisbat d’Ègara. Baptisteri de Sant Miquel », Quaderns d’Estudis Medievals, année 1, vol. 1, nº 8 (juny 1982), pp. 491-507, spéc. p. 495. 118 Voir El Dia, 30/10/1929, pp. 1-2. 119   Bien que beaucoup d’auteurs datent cet arrachement des années 1920 ou 1922 (voir Martín Almagro Basch, José de C. Serra-Ràfols, José Colominas Roca, Carta Arqueológica de España, Barcelona, Madrid, CSIC-Inst. Diego Velázquez, 1945, spéc. sv ‘Tarrasa’, pp. 205-212, pl. XV-XVI, fig. 28-9, en part. p. 208 ; X. Barral, « Les mosaïques de l’ancien siège épiscopal d’Egara… », p. 250 ; Idem, Les mosaïques romaines et médiévales de la Regio Laietana (Barcelone et ses environs), Barcelone, Univ. de Barcelona, Instituto de Arqueología y Prehistoria, 1978 (coll. Publicaciones eventuales, nº 29), p. 131, il n’eut lieu qu’en 1932. Le processus peut être reconstitué à l’aide des actes de la Junta de Museus de Terrassa (v. A. Castellano, I. Vilamala, Les restauracions de les esglésies…, pp. 16-17).

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gnées ces interventions, ni dans aucun autre lieu. La première information que J. Puig donne sur ces travaux se trouve dans la première monographie consacrée à l’ensemble de Sant Pere. Il y explique que sous les mosaïques sont apparues les structures d’une maison romaine sur laquelle fut élevée une église d’une seule nef. Cet édifice était pavé de la mosaïque qui se trouvait devant Sainte-Marie. Cette église était donc celle de l’époque de la fondation de l’évêché, autour du milieu du Ve siècle. À l’appui de ses paroles, J. Puig présentait un simple dessin des structures découvertes dans la fouille sous la mosaïque. Malheureusement, c’est le seul document graphique publié sur cette intervention, une des dernières du Servei de Monuments dans cette première phase120. Nous savons que pendant la guerre de 1936-1939, l’ensemble n’a guère souffert. C’est tout au moins ce qui est affirmé dans un rapport de l’Arxiu Diocesà de Barcelona121. À cette époque cependant eut lieu une intervention importante. Dès la découverte des peintures gothiques de l’abside majeure de Sainte-Marie et la constatation qu’elles se superposaient à un décor antérieur, on avait eu l’intention d’arracher les plus récentes pour découvrir les plus anciennes. La dépose eut lieu en 1937, en pleine guerre, et fut menée à bien par Ramon Gudiol. Le moment historique n’était pas favorable à ce que l’on produise beaucoup de documentation et de fait on connaît vraiment peu de chose de cette dépose, hors son résultat et une photo-

120  J. Puig i Cadafalch, La seu visigòtica d’Egara, Barcelone, Institut d’Estudis Catalans, 1936, pp. 8-12, fig. 3. Dans la note 2 de la page 8, l’auteur explique les structures qui sont visibles sur la figure 3 : « Les murs extérieurs de la figure 3 sont ceux de la basilique à trois nefs de la deuxième cathédrale ; les fragments de murs qui se poursuivent vers l’intérieur sont ceux de la première cathédrale, à une nef ; ceux placés le plus à l’intérieur signalent l’emplacement des colonnes de la deuxième basilique. Entre eux, on voit divers murs qui indiquent un rectangle central, peut-être un atrium, qui a du côté du bas une pièce dans laquelle on a trouvé les vestiges de quelques dolia et de la céramique romaine de divers types. ». L’absence de données concernant la fouille a entraîné beaucoup de tentatives d’explication des vestiges décrits dans le plan publié et dans un autre plan conservé aux archives de la Diputació. La première tentative est celle de Serra Ràfols lequel y voit même quatre édifices religieux superposés tous antérieurs au VIe siècle. (vid. M. Almagro et alii, Carta Arqueológica…, p. 208). Nous savons par le coordinateur des fouilles dans les campagnes actuelles, F. Tuset, que certains autres dessins de ces fouilles de J. Puig i Cadafalch ont été retrouvés. Toutes ces données sont en train d’être reconsidérées, en toute logique, au vu des découvertes actuelles. Pour avoir un tableau complet il faudra donc attendre les résultats définitifs de tous les travaux actuels au cours desquels il est prévu de déposer à nouveau la mosaïque pour refouiller. 121  A. Castellano, I. Vilamala, « Les restauracions de les esglésies de Sant Pere de Terrassa… », p. 43.

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graphie ancienne où l’on voit les exécutants travailler 122. L’AHCT conserve les vestiges d’une intéressante, mais courte, correspondance entre la mairie et les autorités du moment. Il semble qu’en 1937 on avait obtenu les crédits pour « procéder à la restauration des peintures murales de l’église romane de Sainte-Marie de Terrassa  », mais le personnel était mobilisé par la guerre. La mairie sollicitait l’autorisation que Ramon Gudiol et son cousin Joan Cunill i Ricart obtiennent la permission nécessaire leur permettant de quitter leur caserne et de travailler à Sainte-Marie de Terrassa. La permission fut refusée mais, malgré tout, Ramon Gudiol réalisa la dépose des peintures123. Après la guerre, Jeroni Martorell fut nommé directeur des travaux aux églises de Sant Pere. À cette époque, en 1939, commence la deuxième phase d’intervention de la Diputació de Barcelona, phase qui 122   Seul l’Arxiu Històric de Terrassa (AHCT) a donné quelques résultats, plutôt pauvres. L’Institut Amatller ne conserve par contre aucune documentation privée de Ramon Gudiol sur ces campagnes d’arrachements. 123   - Lettre du Negociat de Presidència de l’Ajuntament de Terrassa en date du 6 avril 1937 au Colonel chef des forces détachées à la cité de Terrassa : « La Junta Local de Museus avait le projet de procéder à la restauration des peintures murales de l’église romane de Sta. Maria de Terrassa, ce pourquoi, d’accord avec l’architecte Gudiol, de la Junta de Patrimoni Artístic de Catalunya, la restauration fut acceptée et on décida que les dépenses qu’elle occasionnerait seraient à la charge de la Generalitat de Catalunya, qui la mènerait à terme au moyen de ses techniciens spécialisés. Les circonstances actuelles, et la mobilisation décrétée, ont fait que le personnel technique et spécialisé pour la réalisation de ces travaux soit détaché dans cette ville et que le dit architecte Gudiol ait pensé profiter de leur présence pour réaliser avec un minimum de dépenses la restauration mentionnée. Et par conséquent, la Presidència de la Junta, s’adresse à vous, vous demandant de bien vouloir permettre que les camarades Ramon Gudiol i Joan Cunill Ricart, de la section des mitrailleuses, consacrent le plus de temps possible, dans la mesure de la compatibilité avec leurs services et obligations militaires (à la restauration mentionnée) [ajouté à la main]. ». - En date du 21 juin 1937 on trouve la réponse, refusant la permission sollicitée dans une requête du 12 juin de même nature que la précédente, mais sollicitant une permission seulement pour Ramon Gudiol Ricart. - Lettre sans date du Negociat de Presidència de l’ajuntament de Terrassa : « En vertu de démarches transmises à la Caserna General de l’Exèrcit de l’Est, en relation avec la nécessité d’accorder une permission au soldat Ramon Gudiol Ricart, afin de continuer la restauration des peintures murales des églises romanes de St. Pere de Terrassa, laquelle permission fut accordée verbalement, la dite Presidència devant le refus de la dite permission, certifie par la présente que le jeune homme ci-dessus cité a travaillé pendant tous les jours où il a manqué à la Caserna d’Almansa, à la restauration mentionnée. » – c’est nous qui soulignons – Adressée au commandant en chef de Tarragona. (Vid. AHCT. Secció Cultura 12.4. Monuments Històrico artístics. Esglésies de Sant Pere de Terrassa, 1884-1976, Caixa 152). Il faut ajouter que, bien qu’il ait été mobilisé et que les permissions lui aient été à l’évidence refusées, non seulement il déposa les peintures gothiques de Sainte-Marie de Terrassa, mais il se chargea aussi, comme nous le verrons, de la dépose des deux couches picturales de Saint-Cyr de Pedret.

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prolonge jusqu’en 1951. Le plus remarquable de cette époque fut la fouille de l’intérieur de Sainte-Marie. Lors des premières interventions de J. Puig i Cadafalch, antérieures à 1920, tout le pavement de Sainte-Marie avait été soulevé, mais, en fin de compte, on n’avait pas réalisé d’intervention. En outre, l’église avait été inaugurée sans avoir été repavée et elle resta ainsi jusqu’au moment où, ayant décidé de la paver, on réalisa une fouille préalable. Elle fut menée à terme par Josep de Calasanç Serra-Ràfols et par Epifanio de Fortuny. Les travaux préparatoires commencèrent en 1946 et la fouille fut exécutée dans le courant de l’année 1947124. C’est le premier chantier archéologique de Terrassa documenté et publié avec rigueur, tout au moins selon les critères de l’époque125. Les découvertes de cette fouille furent importantes (voir infra). On remarque surtout l’apparition d’une cuve baptismale par immersion à l’intérieur de Sainte-Marie, à hauteur du transept, qui dès lors fut considérée comme celle du premier baptistère du siège épiscopal, et donc du Ve siècle. Ceci confirmait l’identification faite par J. Puig i Cadafalch de l’édifice avec mosaïque comme celui du premier siège d’Ègara. Puig met en avant, sans les citer, les résultats du travail de J. Serra i E. Fortuny dans la dernière des deux monographies qu’il consacre à l’ensemble. Ce travail s’ouvre avec la publication du plan de l’ensemble incluant les fouilles de J. Serra i E. Fortuny126. Les fouilles avaient renforcé la lecture que J. Puig faisait de l’ensemble. Un autre élément y avait été ajouté, les peintures «wisigothiques» de l’abside majeure de Sainte-Marie. Ainsi, dans ce qui était connu et conservé, J. Puig voyait deux cathédrales. La première, pavée de mosaïque, était l’édifice de la communauté chrétienne d’Ègara depuis le IVe siècle127. Au moment où il devient siège épiscopal, d’après J. Puig, cet édifice   Tarrasa, 3/5/1947, 6 et 2.   José de Calasanz Serra-Ráfols, Epifanio de Fortuny, Excavaciones en Santa Maria de Egara (Tarrasa), Madrid, Ministerio de Educación Nacional, Comisaría General de Excavaciones Arqueológicas, 1949 (coll. Informes y Memorias, nº 18). 126  Josep Puig i Cadafalch, Noves descobertes a la Catedral d’Egara. Catedral primitiva. Catedral visigòtica, Barcelone, Institut d’Estudis Catalans, 1948 (coll. Memòries de la Secció HistòricoArqueològica, IX). Le plan est souvent cité comme réalisé par J. Puig i Cadafalch alors qu’en réalité il reflète les fouilles de J. Serra-Ràfols et E. Fortuny. 127   À ce moment J. Puig nous donne une autre donnée sur la fouille sous la mosaïque. Il semble que la mosaïque pouvait être parfaitement datée par la découverte de monnaies d’un Auguste que Mateu situe autour de 306-337 (J. Puig, Noves descobertes a la Catedral d’Egara…, p. 11 ; cf. F. Mateu i Llopis, « Hallázgos monetarios (IV) », Ampúrias, VII-VIII (1945-1946), pp. 233-276, en part. p. 255, nº CXXVI). Il est curieux que cette donnée n’ait été publiée que quatorze ans après la découverte. Encore plus curieux que J. Puig n’en parle qu’après la publication de F. Mateu. 124 125

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subit des modifications tels que la construction d’un baptistère, un changement de chevet et l’ajout d’une sépulture pour l’évêque Irénée128. La destruction de cette cathédrale – peut-être pendant les affrontements entre Amalaric et Gesaleic, ca. 510 – oblige à reconstruire un nouveau siège. L’évêque Nebridius – selon J. Puig l’évêque de la nouvelle cathédrale – adopte une typologie, fréquente à l’époque, composée de trois édifices indépendants : la basilique épiscopale, le baptistère et un martyrium. Toujours selon lui, les absides de Sainte-Marie et Saint-Pierre et l’édifice de Saint-Michel appartiennent à cette deuxième cathédrale. Pour dater cette nouvelle construction, J. Puig avait à nouveau recours, mais cette fois de façon plus explicite, au concile d’Ègara. En 614 – dit-il – est célébré dans cette deuxième cathédrale un concile de cérémonie pour souscrire les actes du concile d’Huesca de 598, qui établissait des règles de vie pour les clercs. Un concile populeux suppose une grande église ; et celui d’Ègara, sans objet de délibération, suggère l’idée qu’il fut une sorte d’acte de célébration de l’existence du nouveau temple.

La décoration picturale de l’ensemble lui servait à renforcer son argumentation (voir infra)129. Au milieu du XXe siècle, et après l’intervention archéologique la plus fiable réalisée jusque-là, tout était encore identique. Le but de la fouille était surtout de résoudre la fecha del ábside de Santa María, investigar si corresponde a la basílica visigótica de tres naves o un templo posterior (carolingio, o sea, del siglo IX), opiniones sustentadas, respectivamente, por Puig y Cadafalch y Gómez-Moreno, [le problème] sólo se resolvería si en el interior de la nave de la actual iglesia románica se encontrasen vestigios de la cimentación del ábside de la iglésia visigótica.130.

Malgré la lecture favorable à ses thèses qu’en fait J. Puig i Cadafalch, les auteurs terminent leur travail en admettant que le problème J. Puig, Noves descobertes a la Catedral d’Egara…, pp. 11 et 15.   La publication des fouilles un an après ajoute peu de choses à ce qui avait été dévoilé en avance par J. Puig i Cadafalch. Elle présente, il est vrai, de première main, l’opinion des fouilleurs et des détails intéressants comme le fait qu’ils ne savent pas clairement si l’abside du Ve siècle a été ajoutée plus tard ou non, comme l’affirme J. Puig. Ils constatent aussi deux phases dans le baptistère du Ve siècle. La seconde indiquerait l’usage du baptistère déjà intégré dans l’église postérieure et non plus comme édifice indépendant (J. C. SerraRáfols, E. Fortuny, Excavaciones en Santa Maria de Egara…, pp. 18, 46 et 55 et suiv.). 130   Ibidem, p. 8. 128 129

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n’était pas clos car on n’avait pas fouillé sous l’abside de SainteMarie131. À cette époque pourtant d’autres voix s’étaient ajoutées à la polémique. Un article de Cirici publié peu de temps avant penchait pour la thèse de J. Puig i Cadafalch132. De son côté, J. Pijoan écrit peu de temps après considérant que «  Qu’elle ait été ou non la cathédrale, l’actuelle Sainte-Marie de Terrassa conserve peu ou rien de l’œuvre wisigothe, et l’on peut en dire autant des deux autres églises voisines : Saint-Michel et Saint-Pierre. Mais moins wisigothes encore sont les peintures à la fresque qui sont conservées dans deux des trois églises. »133. Plus importante est sans doute la prise de position de H. Schlunk134. Il ne montre aucun doute quand il affirme que « La fecha de este vasto plan de reconstrucción no puede ser otra que el siglo IX »135. Sans 131   Et pourtant ils considèrent que, ex silentio, les résultats orientaient davantage vers une datation du VIe siècle que vers le IXe siècle. « ¿Queda con ello resuelto el problema de la fecha del actual ábside o santuario de Santa María? Algunos arqueólogos, contrarios a la tesis sustentada por Puig y Cadafalch, que supone este ábside perteneciente a la basílica de tres naves, y, por lo tanto, visigótico, esperaban que al excavar la nave de Santa María de Egara, aparecería no sólo el ábside del templo con pavimento de mosaico, tal como ha sido encontrado, sino las cimentaciones del ábside de la basílica de tres naves, con lo que habría quedado demostrada la posterioridad del actual. No ha sido así, y en su lugar, hasta donde se ha excavado, es decir, hasta el pie de los escalones que suben al santuario, ha sido encontrado el pavimento de aquélla. ¿Queda demostrada con ello la fecha visigótica del ábside actual? Desde luego la tesis de Puig y Cadafalch queda notablemente reforzada, y para contradecirla no quedaría más posibilidad que admitir que el ábside visigótico ocupó el mismo emplazamiento que el ábside actual y que aquél fué derribado en la época carolingia. » (J. C. Serra-Ráfols, E. Fortuny, Excavaciones en Santa Maria de Egara…, pp. 57-58). 132  Alexandre Cirici i Pellicer, « Contribución al estudio de las iglesias de Tarrasa », Ampurias, VII-VIII (1945-1946), pp. 215-232 et VII pl. L’intérêt de l’article réside dans le fait que l’auteur soutient que les noms sous lesquels nous connaissons actuellement les églises ne correspondent pas à la réalité historique. Selon Cirici, l’église Saint-Michel devait à l’origine être dédiée à saint Jean, l’actuelle Saint-Pierre à sainte Marie et l’actuelle SainteMarie aux saints Apôtres. La tendance habituelle est de considérer le nom sous lequel nous connaissons les édifices comme le nom originel. Dans la majorité des cas, cependant, l’attestation de ce nom est très tardive, quand on peut la retrouver. Nous le verrons avec Pedret et il pourrait en être de même ici. Ceci est important car le décor peint est souvent en relation avec la dédicace et cette donnée pourrait être importante au moment d’analyser les peintures. 133   J. Pijoan, Monumenta Cataloniæ…, p. 43. 134  H. Schlunk, « Arte visigodo. Arte Asturiano », pp. 389-396. 135   H. Schlunk réexamine les différentes phases de l'église de Sainte-Marie. Il suit J. SerraRàfols (cf. M. Almagro et alii, Carta Arqueológica…, p. 208), jusque dans sa confusion dans le nombre de phases antérieures à la mosaïque (une ou deux ?), il suppose deux (?) premières églises sous le pavement de mosaïque et immédiatement à la suite la basilique de la mosaïque, qu'il date de ca 450. Tout de suite après il identifie l'existence de l'agrandissement à trois nefs qu'il date des alentours du concile de 615 mais qu'il détache de l'abside de Sainte-Marie qu'il considère carolingienne (H. Schlunk, « Arte visigodo. Arte Asturiano », pp. 389). Telle est l'opinion qu'a toujours conservée Schlunk (vid. H. Schlunk, T. Hauschild, Hispania Antiqua…, pp. 148-149, nº 40).

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que l’on puisse préciser jusqu’à quel point cette prise de position sera la raison du succès de la théorie carolingienne, ce qui est certain est qu’à partir de ce moment nombreux seront les auteurs qui l’accepteront. Le premier que nous pouvons citer est E. Junyent. Celui-ci exclut que les données archéologiques permettent d’arriver à une conclusion quelle qu’elle soit136. Selon lui, ni l’analyse des élévations, ni celle des matériaux ne permet de choisir entre le VIe et le IXe siècle. Pour les élévations, les parallèles asturiens sont nombreux pour défendre la date du IXe siècle ; pour les matériaux, il s’agit de remplois137. Sa conclusion est qu’il pourrait s’agir d’un plan du VIe siècle mais entièrement reconstruit au IXe siècle. E. Junyent valorise par-dessus tout les dates que fournissent les documents. En ce sens il souligne deux bornes. La première est le conflit d’Attigny (874) qu’il interprète comme une tentative de restauration, et par conséquent lié à une reprise ou reconstruction des édifices. La seconde est l’acte qu’il appelle la réunion du 24 juillet 1017, en réalité un procès. Le nombre et la qualité des membres du tribunal en rapport avec le peu de relief de la cause jugée fait soupçonner à E. Junyent qu’en réalité il s’agit d’une consécration masquée, une sorte d’inauguration postérieure à l’incursion d’al-Mansour138. Ces deux bornes indiqueraient une activité continue sur les églises de Sant Pere et renforceraient la pertinence de croire en une restauration d’époque carolingienne. Quant à la constitution d’un ensemble triple, que J. Puig avait utilisé comme un argument fort pour placer Egara aux côtés des ensembles adriatiques (voir supra), E. Junyent avance qu’il s’agit du même plan qui est adopté à Vic à la fin du IXe siècle quand est rétabli l’évêché139. Un autre auteur penchant pour une datation carolingienne est P. de Palol140. 136  Eduard Junyent i Sobirà, « Las Iglesias de la antigua sede de Egara », Ampurias, XVIIXVIII (1955-56), p. 81. 137   Ibidem, pp. 91-93 138   Ibid., p. 88. 139   cf. Eduard Junyent i Sobirà, L’arquitectura religiosa en la Catalunya carolíngia. Discurso leído el día 27 de octubre de 1963 en la recepción pública de Mons. … en la Real Academia de Buenas Letras de Barcelona y contestación del académico numerario D. Ramón de Abadal, Barcelone, R. Acad. de Bones Lletres, 1963, p. 19. 140   Pere de Palol, « Las mesas de altar paleocristianas en la Tarraconense », Ampúrias, XIXXX (1957-1958), pp. 81-102 ; Idem, Arqueología Cristiana…, p. 45. D’autres auteurs se joignent au débat à partir de cette époque, il s’agit de Fontaine (Jacques Fontaine, El Prerrománico, Madrid, Ed. Encuentro, 1982 (1ére éd. 1978) (col. La España Románica, 8) [1ére éd. en français : L’Art Préroman Hispanique, 1, Saint Léger, Vauban, Zodiaque, 1973], pp. 397 et suiv.), qui lui aussi préfère la date du IXe siècle, et X. Barral. Ce dernier, intéressé surtout par l’étude des mosaïques, ne prend pas part à la discussion sur ce sujet, mais penche lui

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La seule adhésion notable aux partisans de la chronologie wisigothique est celle de J. Ainaud, mais avec des nuances. Dans un premier travail publié dans les Congrès Archéologiques de la France141 il affine la position qu’il finira de définir dans sa monographie sur les églises de Sant Pere de Terrassa142. J. Ainaud considère qu’effectivement le plan de construction des trois églises appartient, au plus tard, à l’époque du concile d’Ègara de 615. Malgré cela, l’élévation de Saint-Michel montre des traces de réparations et de remplois qui impliquent une restauration postérieure et qu’il situe à l’époque carolingienne. Le plus intéressant de la proposition de J. Ainaud est que, bien qu’adoptant la datation wisigothe pour les structures conservées, ceci ne l’empêche pas de proposer une datation carolingienne pour les peintures. Pour lui, l’édifice devient un support ancien réutilisé à l’époque médiévale. Après la fouille de J. Serra-Ràfols et E. Fortuny, il n’y a pas d’intervention sur le monument jusqu’au milieu des années soixante-dix où l’on commande à l’architecte J. Ambròs la restauration des toitures et d’autres parties des églises143. Dans ce cas aussi il s’agit d’un travail rigoureux qui a apporté de nombreux nouveaux éléments et, surtout, qui a été parfaitement publié144. Pour l’édifice de Saint-Pierre, cette intervention est, sans doute, la plus importante depuis celle réalisée par F. Villar. L’architecte élimine les trois contreforts extérieurs qui servaient à soutenir la coupole de 1785, coupole déjà restaurée en 1895. Après des sondages préalables des murs, afin de vérifier s’il y avait d’autres peintures, il arrache les différents enduits. Plus intéressant est encore l’exploration de l’intérieur de l’abside aveuglée par le aussi pour le IXe siècle (X. Barral, « Les mosaïques de l’ancien siège épiscopal d’Egara… », p. 244, note 7). C’est, à la vérité, la position qu’il a toujours maintenue (cf. Idem, « El arte prerrománico »…, p. 65 et Idem, « El paisaje monumental y las artes », Historia de España Menéndez Pidal, VII. La España cristiana de los siglos VIII al XI, vol. II. Los núcleos pirenaicos (718-1035) Navarra, Aragón, Cataluña, (Dir) J. M. Jover Zamora, Madrid, Espasa Calpe, 1999, pp. 797-878, en particulier p. 819). 141  Juan Ainaud de Lasarte, « Terrassa. Les églises d’Égara », Congrès Archéologique de France “Catalogne”, CXVII session, 1959, Paris, Société Française d’Archéologie, 1959, pp. 189-198, spéc. pp. 193 et suiv. 142  J. Ainaud, Los templos visigótico-románicos… ; Idem, Les esglésies de Sant Pere…. 143   L’architecte travaille à Saint-Pierre entre octobre 1975 et juin 1976 d’après le projet présenté par lui en 1972. Après ces travaux il rédige un projet pour tout l’ensemble en 1977. C’est le programme qu’il met en œuvre en 1980. 144   J. Ambros, « Les obres de restauració de l’antiga seu… », pp. 101-112 ; Id.,« Obres de restauració… de Sant Miquel » ; Id., « Obres de restauració dels edificis de la seu de l’antic bisbat d’Ègara. Església de Santa Maria », Quaderns d’Estudis Medievals, année 1, vol. 1, nº 10 (desembre 1982), pp. 583-606.

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retable145. Cette inspection fut possible, d’une part, parce qu’avait été éliminé le contrefort qui masquait la fenêtre est de l’absidiole centrale et, d’autre part, parce qu’on commence à démolir le remplissage de l’abside entre le retable et le mur. Lors de cette intervention, J. Ambròs put vérifier que l’abside aveuglée n’était pas peinte mais avait été traité de manière similaire à la crypte de Saint-Michel, avec une base ou un socle d’enduit hydraulique dans la partie basse et un enduit blanchi à la chaux sur le reste du mur. Pour la chronologie relative, il fut important de constater que ce retable se superposait clairement au mur de l’abside – comme cela semblait évident – mais aussi à la mosaïque de pavement146. La seconde phase des travaux de J. Ambròs, commencée en avril 1980, fut consacrée exclusivement à l’inspection et à la réparation de la couverture de Saint-Michel147. La découverte la plus intéressante sur la couverture de Saint-Michel est que le mur nord du corps central montre des traces d’au moins trois systèmes de couverture différents. Une première couverture était en charpente de bois comme le montrent trois trous de fixation des poutres. Ceci implique une modification considérables des volumes intérieurs et extérieurs. À l’intérieur, la hauteur des nefs était supérieure ; à l’extérieur, le profil des quatre «bras» de la croix était terminé par un fronton triangulaire. La deuxième phase de couverture comportait une voûte en plein ceintre. Dans ce cas, le profil semi-circulaire de pierre grossière encore visible sur les murs nord et sud du corps central montre le départ de cette voûte de manière convaincante148. La troisième phase est l’actuelle voûte d’arête, d’une grande qualité. La seule date fiable pour cette succession est celle d’un contrat de 1616 où on demande précisément le remplacement de la voûte en plein ceintre par la voûte d’arête149. Parallèlement à cette question, on put aussi vérifier que certains des bras montraient sous la semelle actuelle le lit d’une semelle antérieure avec des empreintes de tuiles plates. Ceci existait par exemple sur le bras sud150.

 J. Ambròs, « Les obres de restauració de l’antiga seu… ».   Sur la relation entre retable en pierre, mosaïque et abside de Saint-Pierre v. infra Addenda. 147  J. Ambròs, « Les obres de restauració de l’antiga seu… », pp. 108-112 ; Id.,« Obres de restauració… de Sant Miquel » ;Id., « Obres de restauració… de Santa Maria ». 148  J. Ambròs,« Obres de restauració… de Sant Miquel », pp. 501-2. 149   Ibidem, p. 500. 150   Ibid., p. 497. 145

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À Sainte-Marie, les découvertes furent plus étranges. D’emblée, on constate un fait que l’on soupçonnait avant l’intervention. Le sommet triangulaire de l’abside de Sainte-Marie qui fait apparaître à première vue des différences de matériaux est en réalité le fruit d’un rehaussement. J. Ambròs constate qu’effectivement, jusqu’à hauteur des avanttoits latéraux, les matériaux employés dans toute l’abside sont les mêmes et qu’à partir de ce niveau il y a une modification. Cette impression était confirmée par le changement d’aplomb entre le mur de l’abside et le sommet. J. Ambròs en déduit une première phase de couverture à trois pans, modifiée ultérieurement. Par malheur on ne put confirmer cette modification – ni la rejeter – avec les données obtenues lors de la dépose des couvertures151. Curieusement, l’auteur n’évoque plus cette question, même pas dans les conclusions de son travail, et nous ne pensons pas que cela puisse être considéré comme un élément banal. La dépose des couvertures de l’abside permit de voir comment, en marge de la réparation de J. Puig i Cadafalch dans les années vingt – sur le pan nord –, il y avait deux lits de mortier superposés indicatifs de deux couvertures successives. Sur le côté sud, on put confirmer que le plus ancien de ces lits était destiné à une couverture de tuiles plates et le plus récent, à des tuiles courbes. Une donnée importante est que l’un des pans triangulaires du ciborium conservait encore la couverture originelle de tuiles plates, ou, pour reprendre les paroles de l’architecte, d’imbrices et tegulæ152. J. Ambròs ôte de l’importance à ce fait et considère qu’il est ponctuel. Pourtant, en gardant à l’esprit le débat au sujet de la survivance des techniques constructives à propos de l’ensemble de Terrassa, étant donné que cette survivance a été l’argument le plus utilisé par les partisans de la datation wisigothique, le fait qu’un ciborium du XIIe siècle présente, totalement ou partiellement, une couverture de tuiles romaines, nous paraît très significatif de la particularité de l’ensemble. En tout cas, quelle différence présente cette disposition de tuiles plates sur le pan triangulaire sudest du ciborium – mise en à part la petite surface couverte – par rapport aux couvertures de tuiles plates de Saint-Michel ou de Saint-Pierre pour considérer que, dans le premier cas, ce soit un fait isolé et que, dans les deux autres, il ne peut s’agir d’une survivance, mais d’une couverture originelle du VIe siècle ?

 J. Ambròs,« Obres de restauració… de Santa Maria », p. 584.   Ibidem, p. 594.

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L’exploration de la couverture de l’abside de Sainte-Marie permit à J. Ambròs d’identifier le lieu où Puig avait trouvé les amphores romaines qui comblaient la voûte153, et même d’en trouver une de celles qui suivaient le faîtage. Dans ce cas aussi nous sommes face à un doute. J. Ambròs affirme que lors de la dépose de la toiture sont apparus deux lits de couverture différents et successifs. Auquel de ces deux lits appartenaient les amphores ? L’auteur trouve les empreintes dans le lit de mortier, mais il ne dit pas lequel. Ce n’est pas une donnée que nous puissions négliger parce que dans ce cas aussi l’utilisation des amphores a été l’argument le plus solide pour défendre la datation au VIe siècle pour toute cette structure. La couverture a révélé un dernier élément intéressant. Juste au point d’union entre la voûte de l’abside et le clocher, J. Ambròs a découvert qu’en fait il n’y a pas de point d’union. Une fente – pas une lézarde – large de 5 à 8 cm sépare les deux constructions. L’abside est achevée par un muret qui, du côté nord, est fait d’une maçonnerie simple, mais du côté sud, montre un appareil identique à celui des murs anciens de l’abside de Sainte-Marie et de Saint-Michel. Le changement de matériaux est interprété par J. Ambròs comme une réparation sur le côté nord, en même temps qu’il constate que les gros blocs de l’appareil de la partie sud sont en réalité des blocs équarris sur leur partie visible et pyramidaux à l’intérieur. La conclusion de l’architecte est que nous nous trouvons devant le remploi, pour le parement le plus ancien de l’église, des blocs de pierre d’un ancien opus reticulatum. Outre cette constatation, il est important de voir que cela impliquerait la contemporanéité de toute l’élévation de l’abside, excepté dans les endroits où des réparations sont visibles –  par exemple ce mur de maçonnerie au côté nord. Une autre question retient l’attention : selon J. Ambròs, le parement du muret de l’abside fut réalisé à partir de l’ouest et, par conséquent, le côté tourné vers le ciborium était le côté visible. Par ailleurs, il semble que la disposition du lit de mortier pour la couverture la plus ancienne de tuiles plates correspondrait à une phase dans laquelle ce muret avait déjà été partiellement détruit154. Deux possibilités d’interprétation existent. Soit cela pourrait être la partie supérieure de l’arc triomphal d’une basilique. Soit il pourrait s’agir de la fermeture occidentale d’un édifice   Ibid., p. 586.   Nous avons ainsi au minimum cinq phases de couverture : la première correspond au muret, la deuxième à la réparation du muret dans la moitié nord, la troisième à la semelle pour la toiture plane, la quatrième à la semelle pour les tuiles canal, la cinquième à la couverture actuelle. 153 154

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central de type martyrial, comme le martyrium de Sorba. L’auteur penche pour cette dernière explication et la justifie par le changement d’appareil qu’il identifie dans les murs latéraux de l’abside. Depuis les plans de J. Puig i Cadafalch, on a toujours considéré que l’angle de départ du transept et une partie des murs est de ce transept appartenaient au même chantier que la partie la plus ancienne de l’abside. J. Ambròs revient sur cette question et identifie un changement d’appareil à un mètre de l’angle formé par les bras du transept. Cela lui permet de supposer que les bras du transept sont une œuvre complètement différente de la première abside et que la rupture à un mètre de l’angle cacherait, sans doute, un mur de fermeture occidental qui transformerait la prétendue abside en une structure à plan centré, un martyrium. Évidemment, cela n’a de preuve sur le plan archéologique que dans la zone «morte» entre la fouille de J. SerraRàfols et E. Fortuny et l’abside actuelle. Bien qu’il ne tranche pas nettement dans un sens ou dans l’autre, les données incitent J. Ambròs à penser que la date de cette structure et, par extension, des parties anciennes de l’ensemble de Sant Pere de Terrassa correspondent à l’époque wisigothique155. Une nouvelle phase des travaux sur l’ensemble a pris place dans les années quatre-vingt-dix. La genèse de ce nouvel intérêt se trouve sans doute dans le projet dirigé à partir de la section historico-archéologique de l’Institut d’Estudis Catalans, par Pere de Palol. Le fruit le plus évident de cette étude est un recueil bibliographique sur Terrassa – conservé à l’IEC, avec des copies à l’Arxiu Històric de Terrassa et à la Biblioteca Central de Terrassa. L’intérêt qui existe pour ce sujet au cours de ces années156 et les travaux qui commencent à surgir motivent la réunion de 1991 en forme de Symposium International. Les actes de ce symposium sont un point de référence important qui servira à fixer  J. Ambròs,« Obres de restauració… de Santa Maria », pp. 588-590 et 599.   Il faut souligner à la fin des années quatre-vingts le rôle de la revue Terme. Le numéro 2 publie un travail important, quoique discuté, de A. Moro (Antonio Abel Moro i García, « Revisió i interpretació de les superposicions basilicals de la seu episcopal d’Ègara », Terme, 2 (1987), pp. 42-54) où il propose une relecture critique des superpositions de Sainte-Marie à partir de ce qui a été publié et d’une nouvelle planimétrie. Dans cet article l’archéologue propose une remise en ordre de l’interprétation de Palol (P. Palol, Arqueología Cristiana…, p. 45) et passe de l’identification traditionnelle de quatre ensembles superposés à cinq. Cette thèse est celle qui reçoit la majorité des suffrages à son époque et il considère les parties les plus anciennes conservées comme une phase IV datée des IXe-Xe siècles. Un an plus tard est publiée l’Història de Terrassa, avec une partie importante consacrée à l’époque antique et médiévale. Cette partie constituera la base pour le numéro de l’année suivante de Terme où est publié un dossier sous le titre « Els orígens de Terrassa » consacré essentiellement aux aspects historiques. 155 156

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l’état des recherches, à montrer celles qui sont en cours et surtout à mettre en évidence la nécessité d’une étude approfondie de tout l’ensemble157. Ces dernières années, on a enfin mis la main à l’ouvrage. En 1995 les fouilles sont reprises sur l’ensemble de Sant Pere158. Deux campagnes de fouilles se prolongent jusqu’en 1997159. Cette reprise des travaux est consolidée en 1998 par l’adoption d’un Plan directeur avec lequel on veut réaliser l’étude et la sauvegarde définitive de l’ensemble160. Ce Plan directeur a été approuvé en 2001 et ses premiers résultats ont été la reprise des fouilles et le début de la restauration des peintures de Saint-Michel et des peintures gothiques de la nef de Saint-Pierre pendant l’été 2001, comme l’étude préalable à la restauration du “retable en pierre»161. Notre étude est centrée sur la peinture murale, c’est pour cela qu’il est important de connaître le support sur lequel sont fixées les peintures. Dans le cas de Terrassa la connaissance du support est éminemment complexe (pl. 2). Ceci explique l’étendue de ce chapitre. En fait il s’agit encore d’une question ouverte qui, comme nous l’avons vu, commencera peut-être à trouver une réponse avec les opérations archéologiques en cours162. Pendant que continuent ces fouilles et 157   Simposi Internacional sobre les Esglésies de Sant Pere de Terrassa (20, 21 i 22 de novembre de 1991). Actes, Terrassa, CEHT-AHCT, 1992 ; Xavier Barral i Altet, « Algunes etapes historiogràfiques : obertura de recerca », Idem, pp. 145-146 ; « Situació actual del conjunt de Sant Pere de Terrassa i perspectives de futur. Propostes d’investigació », Id., pp. 173-181. 158   Antonio Abel Moro i García, « Activitat Arqueològica 1995 », Terme, 10 (1995), pp. 11-12. 159   Antonio Abel Moro i García, « Activitat Arqueològica 1996 », Terme, 11 (1996), pp. 15-16 ; Idem, « Activitat Arqueològica 1997 », Terme, 12 (1997), pp. 10-11. 160  Pla director del Conjunt Monumental…. 161   Les fouilles en cours, autour de Saint-Michel, confirment justement, à rebours de la tendance dominante de la seconde moitié du XXe siècle, la datation wisigothique, tout au moins pour le plan et une partie des élévations de la partie la plus ancienne. Malgré quelques prises de positions précitées, nous ne pensons pas que cela confirme la théorie de J. Puig i Cadafalch mais la lecture de J. Ainaud (nous remercions F. Tuset pour les conversations et les éclaircissements menés avec lui au pied des fouilles). 162   Jusqu’à présent l’information publiée sur les fouilles précédant celles prévues dans le cadre du Plan directeur est maigre (v. Antonio Abel Moro i García, Antoni Rigo i Jovells, Francesc Tuset i Bertran, « Resultats de les excavacions arqueològiques a les esglésies de Sant Pere de Terrassa. Campanya 1995 », Terme, 11 (1996), pp. 17-18 ; Antonio Abel Moro i García, Francesc Tuset i Bertran, « Excavacions arqueològiques a les esglésies de Sant Pere de Terrassa. Campanya 1996-97 », Merlet. Butlletí Informatiu del Museu de Terrassa, 5 (1997), Terrassa, IMCET, 1997, s/p ; Eidem, « Primers resultats de la segona campanya d’excavació arqueològica a les esglésies de Sant Pere de Terrassa. Campanya 1996-1997 », Terme, 12 (1997), pp. 12-14). Pour les opérations actuelles les rapports de fouilles ne sont pas encore disponibles, les données que nous en connaissons nous viennent de conversations tenues avec les archéologues que nous remercions pour leur amabilité. Les informa-

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jusqu’à aujourd’hui, beaucoup d’auteurs ont donné leur opinion et souvent ces opinions ont été à la base de ce que nous savons sur Terrassa. Nous avons déjà vu ce qu’apporte la documentation. Les vestiges matériels les plus évidents sont les trois églises actuelles [pl. 2]. Une visite attentive de l’ensemble permet, d’emblée, de constater que ces églises sont le résultat de plusieurs époques qui ont toutes laissé leur empreinte. Dès que naît l’intérêt scientifique pour ces églises, par exemple, il y a un certain accord pour admettre que le chevet de Saint-Pierre appartient à une époque différente et plus ancienne que la nef163. La nette juxtaposition entre ces éléments justifie que nous pensions à des datations différentes pour l’un et pour l’autre. Cependant, pour être plus précis, il nous faut en venir à des aspects comme le type de la voûte, la décoration des modillons extérieurs ou la porte d’entrée de l’édifice. D’après ces considérations, la nef de Saint-Pierre a été considérée de la fin du XIIe siècle164. Tout n’est pas pourtant aussi clair. Dans le cas de Sainte-Marie le chevet et la nef ont peu de points communs. Le plan de celle-ci, son absence de décoration et son type de parement concordent difficilement avec des éléments comme le décor à base de bandes et d’arcatures lombardes de celui-là. Malgré tout, on considère, tout au moins au début des études, que l’ensemble de l’édifice appartient à la consécration, attestée par les documents, du début du XIIe siècle165. Il faut chercher l’explication de ce fait dans la situation des églises à la fin du XIXe siècle, cachées sous des édifices auxiliaires postérieurs : cimetière, rectorat, etc. Pourtant la façade était parfaitement visible, de même que le clocher. Cette situation change dès que commence l’observation critique de l’édifice. À partir de ce moment, se met en place la lecture qui fait des chevets de Sainte-Marie et de Saint-Pierre et de l’édifice de SaintMichel les parties les plus anciennes et appartenant à la même époque. Les nefs de Sainte-Marie et de Saint-Pierre, en revanche, seraient postions les mieux à jour sur les opérations en cours peuvent être trouvées dans la revue Terme de Terrassa ; on remarquera surtout « Dossier : Les esglésies de Sant Pere… », avec un dossier consacré à l’ensemble de Sant Pere. 163  J. Puig, Notes arquitectòniques…, p. 40. 164   A. A. Moro, D. Ferran, « Descripció arquitectònica del conjunt… », pp. 241-244 ; Pere Pastallé i Sucarrats, Antonio Abel Moro i García, « Les esglésies episcopals de Santa Maria, Sant Pere i Sant Miquel de Terrassa. Elements escultòrics. Església de Sant Pere », Catalunya Romànica, vol. XVIII, Barcelone, Enciclopèdia Catalana, 1991, p. 255 ; D. Ferran, Terrassa. Conjunt monumental…. 165  J. Puig, Notes arquitectòniques…, pp. 47 ; cf. A. A. Moro, D. Ferran, «  Descripció arquitectònica del conjunt… », pp. 238-241.

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térieures166. Dès lors, le problème tournera autour de la fixation d’une date pour les parties les plus anciennes qui souvent se réduit à trancher sur l’époque à laquelle appartient l’édifice le plus curieux et le plus «homogène» de l’ensemble, Saint-Michel. Dans un premier temps, J. Puig i Cadafalch considère que les constructions les plus anciennes appartiennent au IXe siècle167. Son opinion change à partir de la localisation supposée de la piscine baptismale à Saint-Michel. Dans l’Arquitectura romànica, il considère déjà qu’il s’agit d’un ensemble d’éléments du VIe siècle appartenant à un des moments de splendeur de l’évêché168. Des auteurs comme M. Gómez-Moreno critiquent ce changement d’opinion et continuent à défendre la datation carolingienne pour les parties anciennes169. Depuis ce moment jusqu’à nos jours il y a eu deux grands courants. D’un côté celui initié par J. Puig i Cadafalch et soutenu jusqu’à nos jours par J. Ainaud, par exemple, qui considère les parties les plus anciennes comme wisigothes170. L’autre option, impulsée par M. Gómez-Moreno, conserve l’hypothèse initiale de J. Puig i Cadafalch et considère les structures les plus anciennes comme le fruit d’une restauration d’époque carolingienne171. Cette théorie a été la plus soutenue jusqu’à nos jours172. Chacune de ces opinions repose cependant sur des bases très fragiles. Comme nous l’avons dit les interventions sur cet ensemble ont été malgré tout plutôt rares. Les preuves matérielles pour défendre l’une ou l’autre théorie sont aussi, par conséquent, minces. En fait, les mêmes preuves qui ont été utilisés par les partisans de la datation wisigothique, avec l’argument que des éléments comme le type de parement, de couverture, de pavement… ne pouvaient être médiévaux, ont été utilisés par les partisans de la datation carolingienne avec l’argument que, dans certains cas, il s’agit de remplois et en d’autres de survivances de la technique. Quoique cet argument puisse être considéré comme aussi faible que les autres, il faut dire qu’une découverte comme celle de la couverture du ciborium de Sainte-Marie173 le renforce notablement. 166  J. Puig, Notes arquitectòniques…, p. 17 ; Idem, « Les Iglesias de San Pedro de Tarrasa… », p. 58. 167  J. Puig, Notes arquitectòniques… ; Idem, « Les Iglesias de San Pedro de Tarrasa… ». 168   J. Puig, A. Falguera, J. Goday, L’arquitectura romànica…, I, caps. V-VIII. 169  M. Gómez-Moreno, Iglesias mozárabes…, p. 49. 170  J. Ainaud, Los templos visigótico-románicos… ; Idem, Les esglésies de Sant Pere…. 171  M. Gómez-Moreno, Iglesias mozárabes…. 172  E. Junyent, « Las Iglesias de la antigua sede… » ; P. Palol, Arqueología Cristiana… ; Simposi Internacional sobre les Esglésies de Sant Pere…. 173  J. Ambròs,« Obres de restauració… de Santa Maria », p. 594 ; v. supra.

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Comme l’a noté X. Barral, c’est depuis longtemps que nous sommes dans une impasse174. Les interventions actuelles, dans le cadre du Plan directeur, nous apporteront des nouveautés. Sans doute les fouilles à l’intérieur de Saint-Michel et, surtout, dans l’abside de Sainte-Marie nous fourniront de nouvelles données. Il est difficile de savoir si l’une d’entre elles résoudra définitivement les problèmes. Tel a été l’espoir et l’obsession de chaque nouvelle campagne archéologique, mais jusqu’à présent les résultats ont été minces. Un problème important, peut-être le plus important, est notre profonde méconnaissance de l’architecture d’époque wisigothique et les fouilles ne pourront pas la restituer175. Cela étant, les connaissances actuelles nous permettent de dire beaucoup de choses sur la décoration de l’ensemble de Terrassa, car c’est le décor peint qui est l’objet de ce livre. Plus que dans aucun autre des ensembles étudiés ici, le décor d’un édifice religieux comme les nôtres n’est pas fortuit mais intentionnel. Souvent, à des époques aussi reculées que celles dont il est ici question, l’absence de données est si criante qu’il faut recourir à tous les outils disponibles, à toutes les sources. Ainsi, à côté des données archéologiques, il y en a de techniques, d’historiques, de liturgiques, d’iconographiques, de stylistiques… C’est grâce à une analyse complexe et complète de tous ces renseignements que l’on peut, à notre avis, parvenir à résoudre une question aussi épineuse que la datation précise de cet ensemble. Parfois cependant, ce n’est pas possible. Rappelons l’ensemble de Sainte-Marie foris portas à Castelseprio, où chaque nouvelle analyse donne naissance à une nouvelle hypothèse chronologique qui entre en conflit avec les précédentes.

  X. Barral, L’art pre-romànic a Catalunya…, p. 74.   P. Palol, « Arte y arqueología ». Sur la question de l’architecture des VIe-VIIIe siècles en Catalogne, v. Pere de Palol, Immaculada Lorés i Otzet, « L’arquitectura abans del romànic », Del Romà al Romànic. Història, art i cultura de la Tarraconense mediterrània entre els segles IV-X, Barcelone, Enciclopèdia Catalana, 1999, pp. 409-413. Le travail de Godoy (C. Godoy, Arqueología y litúrgia. Iglésias hispánicas…), consacré à la relation entre liturgie et architecture, permet de connaître très sommairement ce qui nous est parvenu de ces siècles à l’échelle de la péninsule. [Au moment d’achever ce livre, les fouilles de Sainte-Marie et de l’intérieur de Saint-Michel sont déjà achevées. Comme toujours à Terrassa les résultats en sont surprenants : à Saint-Michel on a pu vérifier l’existence d’un seul escalier d’accès à la crypte et l’inexistence d’une cuve baptismale ; il est confirmé aussi que l’édifice a été conçu au VIe siècle, sans doute avec un caractère funéraire. Les découvertes à Sainte-Marie sont beaucoup plus spectaculaires car a été trouvée une bonne partie de l’édifice des Ve-VIe siècles, y compris ses baptistères successifs. En outre il n’y a plus aucun doute de l’appartenance de l’abside actuelle au VIe siècle ! (voir « Dossier : Les esglésies de Sant Pere… »]. 174 175

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En faisant l’analyse historique, il a été fait une allusion discrète au fait que les décorations de Terrassa, par leur contexte, doivent se situer entre le VIe et le IXe siècle. En rappelant l’état de la question nous avons vu que cette fourchette chronologique est celle où se situent la plupart des chercheurs. Cela est en soi un problème. Les historiens de l’art et historiens, savent bien que les problèmes qui se posent et les solutions qui se trouvent entre le VIe et le IXe siècle sont, souvent, identiques. En dernière instance cela dépend du fait que c’est le moment où achève de s’éteindre le monde antique et où se définit le Moyen Âge. Nous pouvons affirmer par conséquent que si «l’énigme» de Terrassa – des peintures de Terrassa – a une solution, celle-ci ne saurait être que complexe et, sans doute, insatisfaisante.

Le décor dans l’église Sainte-Marie Les peintures de Sainte-Marie de Terrassa, comme nous l’avons dit, furent découvertes après qu’on ait enlevé le retable majeur de l’abside principal. Si nous suivons la chronologie des interventions que nous offre J. Homs – le curé de l’époque – cela survient durant le mois de juin 1918 (voir supra) [annexe 1]. L’abside de Sainte-Marie est une construction de plan semi-circulaire outrepassé à l’intérieur mais carré à l’extérieur [fig. 3-4, pl. 2]. Cela implique, d’une part, des murs très épais et, de l’autre, un culde-four d’abside qui devient pratiquement une coupole plutôt que le quart de sphère auquel nous sommes plus habitués176. C’est dans cette structure, nettement différente de celle des bras du transept et de la nef177, qu’est apparu, en écartant le retable, un décor gothique couvrant complètement les murs. Sans doute la préparation du mur pour l’exécution des peintures gothiques n’avait pas été aussi bonne qu’il aurait fallu, ou peut-être l’humidité l’avait-elle détériorée. Quoi qu’il en soit, des parties de ce décor s’étaient écaillées et laissaient voir un peu d’un décor primitif. Dès le départ, on fut curieux de connaître   Nous savons par les archéologues F. Tuset et A.-A. Moro que pendant les fouilles on s’attendait à ce que la structure de l’abside fût plus complexe que celle que l’on imaginait au début. Ainsi la structure rectangulaire extérieure, pensait-on, pouvait avoir été conçue comme une doublure qui, ajoutée postérieurement, entourerait l’abside originelle du VIe siècle. Une fois achevés les travaux il a été confirmé, pourtant, que l’actuelle abside est, sans modifications, la structure originelle du VIe siècle. Nous remercions les deux archéologues pour leurs informations (vid. « Dossier : Les esglésies de Sant Pere… »). 177   Voir en général J. Ambròs,« Obres de restauració… de Santa Maria » et récemment « Dossier : Les esglésies de Sant Pere… ». 176

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3. Sainte-Marie de Terrassa. Plan de la cathédrale entre le VIe et le VIIIe siècles, d’après les dernières fouilles (Museu de Terrassa)

4. Extérieur de l’abside de Sainte-Marie de Terrassa après les dernières fouilles (photographie archive de l’auteur avec l’autorisation du Museu de Terrassa).

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cette décoration (voir supra), raison pour laquelle, dès qu’on put, on déposa le décor gothique pour mettre au jour le décor antérieur. On peut mettre en question la décision de déposer le décor gothique tout comme la manière même de le faire, surtout parce qu’on malmenait des peintures connues sans aucune certitude que ce que l’on trouverait au-dessous en vaudrait la peine [fig. 5]. L’opération est critiquable aussi pour la place à laquelle ont été reléguées les peintures gothiques, exposées, de manière insatisfaisante et complètement fragmentées, sur les murs de la nef de Sainte-Marie178. Tout au long de ce processus et avant la dépose par R. Gudiol en 1937 (voir supra) nous n’avons connaissance que d’une intervention ayant pu altérer les peintures. Il s’agit de celle financée par L. Plandiura. Nous savons qu’elle a lieu vers 1927-1928 et qu’à Saint-Michel cette intervention a été controversée179. À Sainte-Marie elle est bien documentée pour l’absidiole de saint Thomas Becket180. Pour ce qui est de Saint-Michel (voir infra) la récente restauration a confirmé qu’elle était une intervention excessive, avec beaucoup de repeints non justifiés qui masquaient la décoration originale. Dans le cas de   Paradoxalement, le rapport qui a été commandé récemment, préalablement à la restauration de ces fragments, affirme que le processus de dépose, d’une certaine façon, a permis la survie de ce décor gothique (vid. Rudi Ranesi, Lourdes Domedel, Conxa Armengol, Projecte de restauració de les pintures murals de Santa Maria de Terrassa, Barcelona, mars 2004 (rapport inédit, en dépôt au Museu de Terrassa), en part. p. 15). Quant à l’exposition de ces fragments, elle changera complètement une fois achevés les travaux d’aménagement en musée des églises de Sant Pere (vid. Pla director del Conjunt Monumental…). 179   Voir J. Homs, « Restauració del Baptisteri … », p. 122. Kuhn (Charles L. Kuhn, « Notes On Some Spanish Frescos », Art Studies, 6 (1928), pp. 123-134, en part. pp. 123) tout en la justifiant critique modérément ses repeints : « The restorations consisted largely of cleaning, although some actual retouching certainly must have taken place. What has been brought to light, however, is of such great interest and importance for the history of Catalonian paiting in the early Middle Ages that it almost justifies any repainting that may have been done. ». Les restaurations devinrent un thème de controverse, comme le montre le commentaire de Post (C. R. Post, A History …, I, pp. 30) deux ans plus tard: « A final exemple of deterioration so great as to challenge any dogmatic attempt at ascription to a hoary date is encountered in Catalonia in the semidome of the apse of S. Miguel at Tarrasa, and the whole problem is further complicated by the recent restoration, however scientific that restoration be. ». Quant aux peintures de Saint-Michel, la récente restauration – dans une décision elle aussi critiquable – a supprimé tous ces repeints et en a placé de nouveaux (vid. infra). Pour ce qui est du nombre de restaurations auxquelles ont été soumises les peintures de Sainte-Marie, le dernier rapport de R. Ranesi, L. Domedel, C. Armengol, Projecte de restauració de les pintures murals…, p. 21, soutient que, sans doute après l’arrachement des peintures gothiques, fut réalisée une intervention minime qui, bien que n’étant citée dans aucun document, semble évidente à partir des vestiges que l’on retrouve sur la surface peinte. 180   Ces peintures furent découvertes en 1917, exactement le 20 septembre et déposées, restaurées et réinstallées en 1927. La restauration est tout aussi discutable, voir récemment M. Guardia, « Sant Tomàs Becket… », n. 5. 178

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5. Sainte-Marie de Terrassa. Intérieur avec les ouvriers déposant les peintures gothiques de l’abside (1937). Le personnage en haut est Ramon Gudiol. (Arxiu Mas)

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Sainte-Marie, il est difficile d’évaluer quelle fut la portée de cette intervention. Les photographies de l’ensemble nous le montrent déjà une fois «restauré» (?). Tant que n’aura pas commencé la restauration prévue, il est difficile de juger, néanmoins nous avons la certitude que la restauration financée par L. Plandiura n’a pu affecter que les peintures gothiques, et, pour les plus anciennes, que la partie qui apparaissait entre les écaillements. Évidemment, ceci implique que tout ce qui fut découvert en 1937 – en principe – n’a fait l’objet d’aucune intervention au delà d’un nettoyage pendant les opérations de dépose des peintures gothiques. Tout ce processus n’a donné naissance qu’à très peu, pour ne pas dire à aucune documentation181. Il y a cependant une série de documents qui présentent de l’intérêt et qui par chance ont pu être sauvés de l’oubli. Il s’agit des calques publiés jusqu’à ce jour.

Les « calques »182 Étant donné l’état de détérioration des peintures, J. Puig i Cadafalch publie, dès les premières études, une suite de dessins comme   Alors que pour Saint-Michel et l’abside de saint Thomas Becket il y a quelques références ou données qui confirment la restauration, dans le cas de l’abside majeure de Sainte-Marie il n’y a que des preuves, disons, circonstancielles. Une photographie conservée à l’Arxiu Tobella de Terrassa montre l’abside probablement après qu’on ait retiré le retable (1918). La photographie n’est pas datée mais il ne fait pas de doute qu’elle est antérieure au moment où furent réalisées les photographies de F. Ribera de la Diputació de Barcelona « antérieures à la dépose de 1937 » (D. Ferran, Terrassa. Conjunt monumental…, p. 79). Ces dernières photographies sont utilisées pour en tirer quelques calques qui seront publiés par la suite. Sur ces photographies, par rapport à la première, non seulement les peintures gothiques ont déjà été nettoyées et sans doute en partie repeintes, mais les contours des écaillements par où apparaissent les peintures du haut Moyen Âge sont soulignés en sombre. Un dernier argument est l’extraordinaire et douteux bon état de conservation des peintures du haut Moyen Âge justement dans les endroits où était tombé le décor gothique, et qui, une fois celui-ci déposé, contrastent avec celles dégagées en 1937. Bien que le procédé de dépose du décor ait dû produire des défauts sur la peinture alto-médiévale, la différence entre celles qui étaient déjà connues et celles qui furent dégagées est trop accusée pour qu’on ne pense pas à une restauration. [Toutes ces hypothèses ont quasiment été confirmées par les observations réalisées pour le rapport préalable à la restauration de SainteMarie, voir R. Ranesi, L. Domedel, C. Armengol, Projecte de restauració de les pintures murals…. Nous remercions R. Ranesi pour l’attention qu’il nous a consacré pendant notre visite alors qu’il menait à bien les observations pour son rapport, de même que pour avoir discuté avec nous de certaines de nos observations afin de les comparer aux siennes.]. 182   Compte tenu du volume énorme des photographies necessaires pour comprendre l’ensemble de Terrassa, nous sommes limités dans cette publication d’ajouter seulement quelques images illustratives de l’ensemble et quelques schemas explicatifs ; en plus, dans un appendice on trouvera les images “decouvertes” dans les archives du Servei de Patrimoni 181

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complément des photographies (voir l’annexe). Le choix fut très pertinent et logique. Notre propre expérience nous a montré qu’à l’aide de photographies seules on ne peut rien comprendre aux peintures, en raison de leur état de conservation. Ainsi, les premiers articles de J. Puig sur les peintures de Terrassa, celles de Saint-Michel, montrent de magnifiques dessins de différents détails de l’ensemble183. Il s’agit d’une décoration que l’auteur connaît bien, comme on le constate dans les descriptions qu’il en fait. Pour les peintures qui nous intéressent, celles de Sainte-Marie, dans un premier temps n’est publiée qu’une suite de dessins généraux où sont réunis les détails identifiés sous les écaillements gothiques, plus une hypothèse de reconstitution de l’élément zénithal, toujours à caractère géométrique [annexe 3]. Un premier dessin se limite simplement à repasser sur une photographie de l’abside les vestiges que l’on pouvait y identifier [annexe 2]. Ce dessin est accompagné de deux détails agrandis de deux fragments significatifs, comportant les visages et une partie des corps que plus loin nous désignons comme scène B, et une partie de deux personnages de la bande inférieure droite [annexe 4-5]. Nous ignorons qui est l’auteur de ces dessins, mais nous savons seulement que ceux-ci ont été sans doute réalisés à la Diputació, sur commande de J. Puig i Cadafalch et que, en tout cas, ils n’ont pas été faits par observation directe mais à partir des photographies, souvent en repassant sur les photographies elles-mêmes. Le dessin qui présente le plus grand intérêt est cependant celui qui est publié pour la première fois dans l’œuvre définitive de J. Puig sur les églises de Terrassa184. Il s’agit d’un dessin au trait, cité par la suite à de nombreuses reprises comme un calque de J. Puig i Cadafalch, sur lequel il a réuni l’élément zénithal, le premier registre, et, partiellement, le deuxième registre de la décoration de l’abside de Sainte-Marie de Terrassa. L’importance de ce dessin a été détermiArquitectònic Local (SPAL) que, par sa valeur historique, nous avons retenu opportun d’ajouter a cette étude, en particulier celles-ci utilisées par J. Puig i Cadafalch. 183   Cf. Josep Puig i Cadafalch, « Les pintures del segle VIè de la catedral d’Egara (Terrassa) », Anuari de l’Institut d’Estudis Catalans, VIII (1927-1931), pp. 140-149 ; Idem, « Les peintures du VIe siècle de la cathédrale d’Egara », Comptes rendus des séances de l’Académie des Inscriptions & Belles-Lettres, (1931), pp. 154-162 ; Id., « Les pintures del segle VIè de la catedral d’Egara (Terrassa) a Catalunya », Butlletí dels Museus d’Art de Barcelona, nº 11, vol. II (abril 1932), pp. 97-105 (qui est une traduction de l’antérieur) ; Id., « Les pintures del segle VIè de la Catedral d’Egara (Terrassa) a Catalunya », Arxiu del Centre Excursionista de Terrassa, any XIV, 2ª ep., nº 80 (novembre-décembre 1932), pp. 86-91, figs. 1-5 ; Id., La seu visigòtica d’Egara. 184  J. Puig, Noves descobertes a la Catedral d’Egara…, pl. XVI.

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nante, car il est le seul réalisé jusqu’à nos jours et parce qu’il a servi comme base pour discuter et se faire une idée de cette décoration [annexe 6]. Dès le début de cette étude, nous avons considéré comme primordial pour le développement de la recherche le fait de savoir comment ce dessin fut réalisé et par qui. Par-dessus tout, il nous importait de savoir s’il s’agissait d’un calque – fidèle – ou d’un dessin – moins fidèle. La justification de cet intérêt paraît plus que raisonnable : pour prendre ce calque comme base ferme de discussion, il fallait savoir si c’était un calque ou un dessin réalisé pendant la dépose des peintures gothiques, et par conséquent réalisé sur l’échafaudage, ou si par contre il s’agissait d’un dessin réalisé selon la méthode des dessins réalisés pour Saint-Michel et pour les premiers détails de Sainte-Marie, c’est-à-dire à partir de photographies. La différence entre chacune des méthodes est déterminante. Dans le premier cas, on pourrait accepter que des détails précis qui aujourd’hui ne sont pas visibles et qui peut-être ne sont pas récupérables, même avec une restauration, comme par exemple certains visages et la position de certains personnages, y soient fidèlement reportés. Dans le second cas, on pourrait soupçonner que le dessin, pour précis qu’il soit – et il l’est – peut comporter des erreurs d’appréciation. Le dessin original est apparu et avec lui s’évanouissent tous les doutes. Il est conservé au Servei de Patrimoni Arquitectònic Local (SPAL) de la Diputació de Barcelona dans un dossier déposé par J. Puig i Cadafalch avec les dessins de Sainte-Marie (nº d’entrée : 47347). La question de l’auteur du dessin n’est pas claire, comme dans la plupart des autres dessins conservés. Ce fut sûrement l’œuvre d’un des dessinateurs qui travaillaient à cette époque pour la Diputació, comme Joan Carrera Dellunder185 [annexe 8]. Il s’agit d’un dessin de 41 x 28,8 cm réalisé à l’encre sur papier photographique, ce qui explique l’aspect des reproductions postérieures. La manière dont il fut réalisé permet de comprendre quelques curiosités qui surprennent, après une longue observation, sur le dessin publié. Au début de cette recherche, nous ne comprenions pas, par exemple, pourquoi le dessin révélait des problèmes de cadrage. Si l’on regarde attentivement, on voit que le deuxième registre est coupé du côté est, assez notablement, et moins coupé sur le côté nord et aux extrémités de l’ouverture de l’abside. Étant donné que sur tous ces points les vestiges de décoration 185   De cet auteur, un autre dessin du décor des deux registres est inédit (nº d’entrée 47375), 32x23 cm.

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continuent, s’il s’agissait d’un calque ou d’un dessin réalisés directement sur l’original, ces «découpes» ne s’expliqueraient pas. Cela ne peut s’expliquer que si, comme dans le cas des dessins de Saint-Michel, il a été réalisé en décalquant une photographie. Effectivement, les archives du Servei de Patrimoni Arquitectònic Local (SPAL) de Barcelone conservent aussi la photographie originale [annexe 7]. Il s’agit d’une photographie (nº d’entrée 47349) signée par J. Ribera où l’on peut observer les mêmes «défauts» de cadrage que sur le dessin. Le «calque», donc, est un dessin à l’encre sur papier photographique qui calque cette photographie jusqu’au plus petit détail. Là où celle-ci n’est pas nette, il invente. Maintenant il n’y a aucun doute que tout l’appareil graphique qui accompagne le livre de J. Puig i Cadafalch est le fruit d’une commande de l’auteur aux techniciens de la Diputació et qu’il a été réalisé sur la base des photographies dont dispose le Service186. Cela dit, il faut reconnaître que la qualité du «calque» est très élevée, mais aussi qu’il comporte des erreurs. Pas beaucoup d’erreurs, mais significatives. Peut-être les plus claires résident dans le fait que l’auteur du dessin tend à compléter les visages des personnages les mieux conservés. Cela est clair sur les personnages que nous identifierons par les codes B5, D2, F3, F2 et K15 (voir infra). Ces «retouches» n’ont cependant qu’une importance relative, hormis le cas de K15. Sur celui-ci, l’auteur du dessin, comme nous le verrons, commet une erreur qui rend difficile la compréhension de tout le registre. Selon son interprétation, le personnage K15 est tourné vers la droite, ce qui est inexact et fit croire qu’il s’agissait d’une scène précise, ce qui en réalité n’était pas le cas (voir infra). L’importance que nous attribuons à toute cette question n’est pas gratuite. Une des évidences qui se dégage des études publiées par J. Puig i Cadafalch est le peu de précision de l’auteur quand il parle des peintures de Sainte-Marie. Ce fait pourrait surprendre, car Terrassa était le sujet de J. Puig i Cadafalch. Mais à la différence de SaintMichel, qu’il connaît parfaitement car il y a réalisé une intervention intensive et étendue, J. Puig i Cadafalch ne connaît Sainte-Marie que très sommairement. Les arrachements sont réalisés par R. Gudiol, les fouilles sont menées par J. Serra-Ràfols i E. Fortuny187. Lui ne dirige plus des interventions dans le site archéologique. Ainsi ses observations à propos des peintures devaient être faites fondamentalement à partir des photographies et, par-dessus tout, du dessin. Au vu de tout  J. Puig, Noves descobertes a la Catedral d’Egara….   J. C. Serra-Ráfols, E. Fortuny, Excavaciones en Santa Maria de Egara….

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6. Modification du calque publié par J. Puig i Cadafalch (annexe 6) sur lequel nous avons représenté la division en scènes utilisée pour l’analyse du décor avec l’identification des personnages dont on conserve des restes, suivant la notation utilisée pour leur étude.

cela, le premier objectif de ce chapitre est, plus que jamais, une description des peintures de Sainte-Marie de Terrassa188.

Description des peintures L’abside majeure de Sainte-Marie de Terrassa est d’une composition décorative complexe. La complexité ne provient pas de l’organisation et de la disposition de la décoration qui, avec quelques nuances, se limite à une superposition de registres. La difficulté, au moment 188   Nous avons laissé de côté un autre calque qui a été publié. Nous voulons parler de la petite photographie qui accompagne la fiche sur Sainte-Marie de Terrassa dans l’œuvre de Sureda (Joan Sureda, La pintura romànica a Catalunya, Madrid, Alianza Editorial, 1981 (Alianza Forma, 17), p. 277). Nous avons demandé à l’auteur la provenance de ce dessin et il semble qu’il s’agisse, à nouveau, d’un calque sur photographie commandé pour être publié dans cet ouvrage. Nous remercions Joan Sureda pour cette information. Ce dessin a été publié récemment comme support graphique dans l’ouvrage de I. Bango (Isidro G. Bango Torviso, Summa Artis. Historia General del Arte, VIII-II. Arte prerrománico hispano. El arte en la España cristiana de los siglos VI al XI, Madrid, Espasa-Calpe, 2001, p. 403, fig. 343).

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d’en faire la description, réside dans la grande quantité de personnages et dans la conservation déficiente de l’ensemble. Pour cette raison, nous tenterons de suivre une structure descriptive assez claire, tout en partant d’un simple schéma de l’organisation des différents registres [fig. 6, pl. 3]. Étant donné que l’abside n’est pas une structure semi-circulaire mais outrepassée, le zénith de la voûte a besoin comme point le plus élevé d’un élément circulaire, c’est ce que nous appellerons élément ou motif zénithal. Ce motif zénithal est entouré d’une suite de deux couronnes qui le séparent des registres. Ceux-ci se succèdent, arrivant près du pavement. Le registre le plus proche du motif zénithal est celui que nous appellerons premier registre ou registre 1 et qui a la particularité de se trouver, encore, au-dessus de la ligne d’impostes. Pour cette raison, le registre se prolonge sur toute la voûte de l’abside à la manière d’une couronne circulaire. C’est ce registre qui est «responsable» de l’aspect de coupole et non d’abside. Séparé du premier registre par une bordure simple, se trouve le deuxième registre ou registre 2. Dans ce cas, le registre commence et s’achève à l’ouverture de l’abside. Au-dessous, les vestiges indiquent la présence d’au minimum deux registres de plus. Leur état actuel, cependant, ne permet de rien en préciser mais seulement d’en constater l’existence189.

Le motif zénithal Le motif zénithal [annexe 3 et 9] consiste en un octogone de tracé irrégulier créé par la superposition de deux carrés qui forment une étoile à huit pointes. Un des carrés, celui qui oriente ses arêtes vers les points cardinaux, est légèrement plus petit ; ses pointes ne parviennent pas à toucher les sommets de l’octogone. L’autre, qui dirige ses sommets vers les points cardinaux, a ses sommets en commun avec l’octogone. Sur le côté le mieux conservé, au nord, les carrés présentent un cadre décoré d’une frise dentelée. Dans le carré le plus grand, le dentelé extérieur est rouge, et l’intérieur blanc ; dans le carré le plus petit, les couleurs sont inversées. Les vestiges permettent de voir que ce cadre se prolongeait sur chaque côté. Toujours sur la pointe nord, on peut voir que, tout au moins de ce côté, le grand carré   Les observations faites par Ranesi (R. Ranesi, L. Domedel, C. Armengol, Projecte de restauració de les pintures murals…) n’ont pas changé ces appréciations.

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passe par dessus le petit. L’espace triangulaire entre les deux révèle seulement des vestiges de peinture verte sur toute la superficie. On distingue la même chose, mais plus effacée, dans l’espace entre les carrés et l’octogone. Ce dernier est juste délimité par un tracé en ligne rouge séparant les zones. L’intérieur de l’étoile ou des carrés est très confus. Toujours du côté nord, des vestiges de couleur verte semblent indiquer un motif végétal qui définit une forme circulaire inscrite. Une sorte de rouleau végétal qui enfermerait en son centre une tige (?) ou une vrille en forme de huit (?). Tant les dimensions que les rares vestiges rendent improbable que cet espace ait entouré quelque figuration que ce soit (v. infra). Ce serait en tout cas une scène beaucoup plus petite que les personnages des registres, ce qui ne favorise guère l’idée de cet espace comme lieu pour une représentation en majesté ou une théophanie. L’extérieur de l’octogone est, bien que partiellement, la zone la mieux conservée de l’ensemble. Juste à la limité de la frange noire qui sépare cette zone du premier registre, nous voyons un décor de feuilles de couleur verte disposées comme des écailles qui, parfaitement alignées et occupant la moitié de l’espace disponible, entourent tout l’élément zénithal. Sans doute s’agit-il de la représentation d’une couronne de laurier semblable à celle que nous trouvons sur des monuments antérieurs et postérieurs à celui de Terrassa190. Entre la couronne et l’octogone, l’espace apparaît tapissé d’une sorte de «fleurs» constituées d’une tige, qui part de la couronne de laurier, surmontée d’un bouton circulaire. Autour de ce bouton circulaire se ramifient d’autres tiges qui restent enfermées dans un espace semicirculaire. L’aspect est celui de rangées «d’éventails» et l’ordonnancement est résolu, malgré quelques problèmes au-dessus de la scène C du premier registre (voir infra), au moyen de la superposition de trois rangées concentriques disposant les «éventails» en quinconce. Un détail d’une certaine originalité est la rangée la plus proche de 190   Pensons aux couronnes représentées sur les sarcophages avec la crux invicta (voir par exemple Sergio Vidal Álvarez, « Els fragments de sarcòfag tardoromà de Tona », Llibre de Tona, Tona, Ajuntament, 1999, pp. 71-79 ; Id., La Escultura hispánica figurada…) ou à la fréquence du motif comme élément décoratif des arêtes de voûte, surtout dans la mosaïque. Deux exemples assez éloignés et bien connus sont la voûte du cœur de Saint-Vital de Ravenne (VIe siècle) ou l’ouverture du cul-de-four de l’abside de Sainte-Praxède à Rome (début du IXe siècle) (pour le premier v. André Grabar, La edad de oro de Justiniano. Desde la muerte de Teodosio hasta el Islam, Madrid, Aguilar, 1966 (coll. El universo de las formas) (1ére éd. en français : L’âge d’or de Justinien. De la mort de Théodose à l’Islam, Paris, Gallimard, 1966 [coll. L’Univers des formes]), fig. 123 ; pour le second voir Walter Oakeshott, The Mosaics of Roma, Londres, Thames & Hudson, 1967, fig. 123-124).

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l’octogone dont certains des «éventails» disparaissent sous celui-ci, comme s’il s’agissait de deux éléments se chevauchant. Le tracé est du rouge, caractéristique de l’ensemble, mais des vestiges de vert permettent de penser à un fond d’une autre couleur. L’aspect de ces «fleurs» ou petits éventails, comme il a déjà été suggéré, renvoie sans doute aux plumes de paon191. Nous avons donc, probablement, deux éléments souvent associés à la Victoire et à la Résurrection du Christ : le laurier et le paon.

Premier registre La première bande figurée, à partir du motif zénithal, est la partie la mieux conservée de tout l’ensemble. Pour cette raison, c’est la seule qui a attiré l’attention des rares auteurs qui ont essayé de trouver un fil conducteur dans les images détériorées de Sainte-Marie. En général, tout le monde a suivi le schéma proposé par J. Puig i Cadafalch. Ce schéma, comme nous le verrons immédiatement, accumule de nombreuses erreurs qui se sont perpétuées dans des études postérieures. Selon notre estimation initiale, le nombre de scènes est plus élevé que celui proposé par J. Puig i Cadafalch ; pour cette raison, nous ne suivrons pas sa répartition. Une des principales difficultés face à laquelle nous nous trouvons au moment d’individualiser les scènes est l’absence d’éléments de séparation. C’est cette absence de séparations qui contribue à donner un aspect antiquisant aux peintures, en les rapprochant – comme on l’a souvent dit – des sarcophages. Pour reconnaître les scènes, nous sommes partis des deux éléments les plus clairs des peintures. D’une part, nous avons tenu compte de la direction des pieds ou des jambes des personnages. Par chance, ils sont conservés dans la plupart des cas. Des pieds ou jambes de face tendraient à indiquer – avec toutes les précautions nécessaires – un personnage central ou principal dans une scène. Des pieds dirigés dans un sens, à côté de pieds dirigés dans une direction opposée, signalent habituellement la séparation entre deux scènes. Malgré la faiblesse de l’argument, appliqué à nos peintures, cela devient un outil utile. Un autre argument possible se rapporte à la tenue des personnages. Il y en a de deux types. Certains personnages portent une tunique et un pallium, d’autres personnages portent une tunique courte, chlamyde  J. Pijoan, Monumenta Cataloniæ…, p. 47.

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et bracæ. La relation qui peut être établie entre les uns et les autres aide aussi à préciser leur appartenance à une scène ou à une autre. Le nombre de personnages nimbés est aussi un élément important du décor. La grande quantité de personnages nimbés, jointe à l’état de conservation des peintures, transforme cet élément en un problème plus qu’en une aide. Sur tout le registre, par exemple, nous n’identifions qu’un nimbe crucifère, mais malheureusement nous ne conservons aucun élément du corps du personnage. S’il n’y a aucune difficulté pour admettre qu’il s’agisse du Christ192, nous ne pouvons rapprocher les caractéristiques de ce personnage en toge d’aucun autre personnage en toge. C’est pourquoi nous ne parvenons pas à voir s’il y a d’autres images du Christ. Quoi qu’il en soit, les personnages en toge sont exceptionnels et par conséquent nous devons supposer qu’il s’agit de personnages principaux autour desquels s’organisent les scènes. La toge devient donc un autre élément pour «décider» du nombre de scènes. À partir de ces éléments généraux, plus quelques particularités que nous préciserons le moment venu, le nombre de scènes de ce premier registre est de neuf ou dix193 [fig. 6].

Scène A Le seul endroit de tout le premier registre où l’on trouve une véritable séparation entre des scènes est à gauche de celle que nous appelons scène A. Si nous observons la partie haute, au-dessus du chapiteau de gauche, une ligne verticale sépare le décor du fonds   Bien que, comme l’a signalé M. Guardia (M. Guardia, « La pintura mural pre-romànica de les esglésies de Sant Pere de Terrassa… », p. 156), des nimbes crucifères puissent aussi apparaître sur des scènes de la Genèse, et donc non pas au-dessus du personnage du Christ mais au-dessus de celui de Dieu le Père ou du Christ-Logos, voir Herbert L. Kessler, The Illustrated Bibles from Tours, Princeton (New Jersey), Princeton Univ. press, 1977 (coll. Studies in Manuscript Illumination, 7), en part. pp. 13-35. 193   À quelles particularités pensons-nous ? Comme nous le verrons dans la description, la zone où J. Puig i Cadafalch identifie un des larrons du Calvaire est une zone très nettement différente des autres. Le type de fond, la taille des figures et l’adaptation forcée d’un registre circulaire qui est coupé par l’architecture de l’arc absidal le révèlent. Nous croyons que la configuration de cet espace permet de supposer, sans appliquer aucun des critères cités, l’existence de deux scènes, et non pas une, ainsi que le propose J. Puig i Cadafalch. En réalité ce qui entoure ces scènes et celles qui y étaient associées est plus compliqué. D’abord, d’un point de vue formel, ces scènes forment un groupe à part par rapport au reste de l’abside. Ensuite ce côté du registre se caractérise par le fait d’être invisible depuis la nef (v. infra). L’autre zone conflictuelle au moment de comptabiliser le nombre de scènes est le très long registre comportant la prétendue conduite du Christ à Pilate, Anne ou Caïphe. Nous ne croyons pas, bien que la scène soit très détériorée, qu’il s’agisse d’une seule scène mais bien de deux. (v. infra). 192

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végétal de la scène A. Au-dessous, la végétation arrive jusqu’à la colonne de gauche de la structure curieuse que nous allons décrire. Au-dessus, juste à côté de la bande de la limite supérieure du registre, des lignes très effacées rappellent les accroches des rideaux de la scène B (voir infra). Cette coupure si nette est la raison pour laquelle nous commençons la description par cette scène. La scène A est limitée au groupe formé par le personnage (A2) sous l’architecture et l’espace immédiatement à droite194. Dans ce cas, la cohérence de la scène B et le type de vêtement et les éléments stylistiques (voir infra) en justifient les limites. L’architecture est l’élément qui a le plus attiré l’attention. Pour J. Puig i Cadafalch, il s’agit d’un dais en forme de tente de campagne soutenu par des colonnes et des chapiteaux195. M. Guardia, bien qu’elle ne soit arrivée à aucune identification, a signalé la présence de structures similaires dans des œuvres comme le Pentateuque Ashburnham et la Bible du Panthéon pour représenter le Tabernacle ou sur les ampoules de Terre Sainte pour les représentations du Saint Sépulcre196. Cette structure est certes curieuse. Les éléments de support ne sont pas perpendiculaires au sol. Ceci est un effet de l’adaptation de l’architecture à une voûte197. Ces éléments de support sont deux colonnes décorées de stries hélicoïdales, celle de gauche sensiblement plus fine que celle de droite. Chacune est couronnée par un chapiteau, imitation maladroite du corinthien composite. Le chapiteau de gauche est très visible, en particulier les deux volutes frontales supérieures, le chapiteau de droite a quasiment disparu. Entre les deux colonnes, à côté du personnage (A2), nous voyons jusqu’à huit rangées de carreaux de tailles différentes, mais disposées verticalement  ! Tous les carreaux montrent une sorte d’anathyrosis (?), alors que seule une 194   Selon notre opinion (voir infra), il est évident que le personnage A2 n’est pas le personnage principal de la scène. C’est pour cette raison que nous l’appelons A2, malheureusement les vestiges ne permettent d’identifier aucun autre personnage avec clarté. 195  Josep Puig i Cadafalch, «  Les peintures de la Cathédrale Notre-Dame d’Egara  », Comptes rendus des séances de l’Académie des Inscriptions & Belles-Lettres, (1943), pp. 396-404, en part. p. 400. 196  M. Guardia, «  La pintura mural pre-romànica de les esglésies de Sant Pere de Terrassa… », p. 156 et n. 24. 197   Sur les caractéristiques de la décoration d’espaces couverts d’une coupole, comme ici la manière de marquer le début des cycles narratifs ou les réadaptations à un environnement circulaire voir Otto Demus, The Mosaics of San Marco in Venice, 4 vol. Chicago-Londres, The Univ. of Chicago Press, 1984, en part. I/1, pp. 89 et suiv. ; II/1, pp. 145 et suiv. et Kurt Weitzmann, « The Genesis Mosaics of San Marco and the Cotton Genesis Miniatures », Otto Demus, The Mosaics of San Marco in Venice, 2. The Thirteenth Century. Volume One : Text, Chicago-Londres, The Univ. of Chicago Press, 1984, pp. 105 et suiv.

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partie d’entre eux montre un décor en X sur leur surface. Le dessin en croix de saint André et l’anathyrosis ont été peints en couleur verte ou grise, le reste dans la couleur rouge, caractéristique de tout l’ensemble. Au-dessus de ces éléments verticaux, on distingue un sommet triangulaire ou pyramidal. La base de ce triangle n’est ni plane ni droite, mais est réalisée au moyen de l’entrecroisement de deux arcs de cercle de courbe très douce qui, certainement, pourrait rappeler la manière de fermer au sol les tentes de camping. Les angles de la base du triangle ne s’appuient que sur le centre du chapiteau. Quant au chapiteau de gauche, on dirait même que l’angle passe par derrière. Le sommet de cette forme triangulaire s’achève par un élément arrondi qui contient un cercle rouge en son centre. Deux lignes parallèles qui descendent de ce cercle jusqu’au centre de la base confèrent à l’ensemble l’aspect d’une cheminée ou d’un cône. Le personnage (A2), qui selon J. Puig i Cadafalch doit être identifié à Pilate assis sur le trône et selon J. Ainaud, à Anne ou Caiphe, est encadré par cette structure198. Cependant la tenue du personnage ne permet pas de penser à un gouverneur romain ni à un grand-prêtre juif. Ses jambes sont couvertes par des pantalons ou des bracæ rouges et le corps par une tunique courte ouverte sur le devant. En réalité, cette tenue est très semblable à celle des personnages H’1 et H’2 (voir infra). D’après son habillement, nous sommes soit devant l’assistant d’un personnage principal, soit devant un personnage d’humble condition. Les photographies anciennes montrent encore le visage, quoique très effacé. Le personnage regardait de face (?). Sa main droite repose sur sa cuisse droite et sa main gauche, disparue, pourrait avoir soutenu le bâton ou la lance qui se devine sur le côté extérieur de la colonne droite. Malgré ce visage de face, la position des pieds indique un personnage qui se tourne vers sa gauche. Remarquons que le personnage est d’une taille inférieure, comme nous le verrons, à celle habituelle dans le reste du registre. Ce trait est partagé par les personnages des scènes H, H’, I. Toutes ces scènes ne sont visibles que quand à partir de l’abside, on regarde vers la nef. À droite du personnage se trouve une structure géométrique très mal conservée. D’après ce qu’il en reste, cela ressemble à un encadrement d’au moins quatre carrés de tailles différentes. Bien qu’on ait évoqué la possibilité d’un trône, l’aspect est plutôt celui d’un élément 198  J. Puig, « Les peintures de la Cathédrale… », p. 400 ; J. Ainaud, Los templos visigóticorománicos…, p. 45.

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architectural. Il serait pour le moins curieux que, dans le cas d’un trône, celui-ci se trouvât à un niveau plus élevé que celui de la construction que nous venons de décrire. Presque imperceptibles, dans la partie supérieure de cet élément, on devine encore deux éléments qui pourraient être deux jambes ou deux bras. La courte taille du personnage (A1), par rapport au reste, nous permettrait d’écarter un gouverneur ou un prêtre. Nous ne pouvons cependant ignorer qu’il puisse s’agir d’un personnage principal dans la scène. Au-delà d’A1 et de l’étrange structure, nous ne conservons qu’une zone en blanc. Pour donner une idée de l’étendue de cet espace disparu, nous dirions qu’il est assez grand pour contenir trois ou quatre personnages, sans que cela implique du tout leur présence. Une fois décrits les éléments conservés, il semble évident, comme nous l’avons dit, que le seul personnage bien visible qui a survécu dans la scène A n’est pas le personnage principal. Son emplacement mais surtout sa tenue nous font supposer cela. Il manque donc, au moins, dans cette scène, un personnage principal. Ce personnage ne pouvait être placé qu’en deux endroits dans la scène, soit dans l’espace en blanc, soit sur la structure non identifiée contiguë au personnage A2. Les vestiges d’un personnage dans cette structure (A1) font penser que nous nous trouvons peut-être devant le personnage principal de la composition.

Scène B Ouvrant la scène que nous appellerons B, nous trouvons le seul personnage (B1) du premier registre qui ne présente pas de problèmes d’identification. Étant donné qu’il porte un nimbe crucifère, on doit penser qu’il s’agit du Christ. Le nimbe est en vérité le seul élément qui nous reste de ce personnage. On n’en distingue ni le visage, ni le corps et encore moins son attitude. Ce dernier point est important parce que juste à gauche et au niveau des genoux se détache, encore assez nettement, un petit personnage habillé d’une courte tunique rouge (B2). Le mauvais état de ce secteur empêche de dire quelle relation s’établit entre le personnage nimbé et celui-ci. À la droite du Christ se trouvent trois autres personnages (B3-B5). Ils portent des bracæ et des chlamydes. Les chlamydes sont attachées sur l’épaule droite au moyen d’un fermoir – une fibule ? – circulaire, bien visible sur le troisième personnage (B5). Tous les trois portent de

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grands bâtons. Les deux plus proches du Christ l’appuient sur l’épaule droite (B3 et B4) ; le troisième le tient debout, appuyé au sol. En fait il semble que les deux premiers personnages suivent le Christ ou aillent vers lui. C’est ce qu’indiquent aussi bien la position des pieds que la flexion de la jambe la plus en avant, la droite. Malheureusement, on ne peut préciser rien de plus car on ne sait pas si le Christ est arrêté ou s’il marche. Le troisième personnage paraît plus statique. Il est presque de face. Le seul élément qui indique une relation entre lui et le mouvement des deux autres personnages est le geste de la main gauche, noté sur le schéma de J. Puig i Cadafalch, qui semble montrer la direction à suivre. Comme sur la scène A, là aussi nous avons un personnage effacé : B6. Juste au-dessous du nimbe du Christ, à droite, est encore assez bien conservé un élément que nous avions toujours cru être l’épaule gauche du Christ, mais qu’il faut identifier comme un bras. Le peu que l’on en conserve ressemble davantage au bras du personnage A2 qu’à aucune des épaules des personnages du premier registre. S’il s’agit bien d’un bras, on peut écarter qu’il s’agisse d’un bras du Christ. Cela serait anatomiquement impossible. Par sa position nous pouvons imaginer, par contre, qu’il s’agit du bras d’un personnage qui tient le Christ. Comme dans le cas du A1, les vestiges ne nous permettent aucune identification (voir infra). Il est difficile de préciser où se déroule la scène. Les personnages occupent le premier plan du registre et ceci limite la représentation d’éléments de fond. La proximité entre les personnages entrave davantage encore la représentation d’éléments paysagers. Le seul élément recueilli qui puisse être une indication du contexte spatial dans lequel se développe la scène est visible à l’arrière des têtes des personnages. Si nous décrivions un sarcophage romain nous dirions que la scène présente comme fond un parapethasma. Sans doute, et ce n’est pas fortuit, nous nous trouvons ici devant une de ces tentures qui, sur les sarcophages, servent de fond à des scènes très variées. Ici il est parfaitement visible entre la tête du Christ et le personnage qui le suit immédiatement. Bien qu’il ne soit pas très bien conservé, on peut voir que cette tenture se prolonge jusqu’au troisième personnage qui suivent le Christ. Entre les jambes et les pieds des personnages B3 et B4 on peut encore voir qu’elle va jusqu’à terre. Nous n’avons, actuellement, aucune certitude que ce parapethasma se prolonge au-delà de la scène B. Il semble en revanche qu’il soit présent dans la scène A, bien que très mal conservé. Sur le calque de la Diputació, la ligne d’accroche supérieure se prolonge bien plus loin. Les photographies antérieures à l’arrachement des peintures gothiques montrent aussi 211

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ces formes en demi-cercle. Elles réapparaissent nettement derrière le groupe de la scène D, mais dans un format sensiblement différent. Dans le premier cas, il s’agissait d’un demi-cercle surbaissé et à partir du troisième personnage il semble que ce motif devienne simplement une série de demi-cercles. Comme si dans la scène B – et sans doute dans la A – on avait vraiment un parapethasma et que tout de suite (scènes C, D et E (?)) le motif de l’accroche soit répété, mais déjà seulement comme un thème ornemental pour unifier la partie supérieure du registre.

Scène C Dans le schéma relevé par J. Puig i Cadafalch, on semble reconnaître une séparation végétale entre nos scènes B et C. Il est possible aussi que nous interprétions de manière erronée le prolongement du parapethasma. Il est clair en tout cas qu’il y a un changement de direction du mouvement des personnages. Alors que le personnage B5 montre la gauche de sa main, le personnage qui se trouve à sa suite (C2) non seulement tend sa main dans le sens opposé, mais ses jambes aussi sont tournées vers sa droite. Cependant les deux personnages portent bracæ et chlamys. À droite de C2, un autre personnage (C1) doit être, à notre avis, identifié comme le personnage principal de la scène. Il en reste peu de chose. Les rares lignes d’un drapé suffisent à l’identifier comme un des personnages vêtus d’un pallium. La scène est si détériorée que toute autre précision est difficile. La main ouverte de C1, tournée vers C2 indique probablement un dialogue entre les deux personnages, ou plus précisément, une question de C2 à C1.

Scène D Comme la scène antérieure, la scène D est formée seulement de deux personnages. Du premier (D1), situé à droite, ne sont visibles ni la partie basse des jambes, ni la partie au dessus des épaules. La disposition caractéristique des lignes qui indiquent sur d’autres personnages la présence d’un pallium ne laisse aucun doute sur sa tenue. Ce personnage tend la main droite en direction d’un autre personnage (D2), situé à gauche. La main gauche, mieux conservée, se détache, ouverte et à plat, à hauteur des hanches. Le geste est semblable à celui du personnage A2. 212

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Quant à D2, il pourrait s’agir aussi bien d’un personnage plus petit, que, par exemple, d’un personnage agenouillé. Pourtant, si nous comparons les dimensions de sa tête, nous verrons qu’elles sont semblables à celles des autres personnages. En conséquence, nous admettons la possibilité qu’il s’agisse d’un personnage agenouillé. Malheureusement, la silhouette est trop abîmée dans sa partie basse pour permettre que la forme ou la position du vêtement nous indique son attitude et sa taille. Le peu qui reste visible du vêtement permet de supposer que c’est un pallium. Il convient de le noter car c’est le seul cas où cette tenue est attribuée à quelqu’un d’autre qu’au personnage principal supposé de la scène. Il est aussi surprenant que le personnage D2 soit nimbé, mais c’est en tout cas cohérent avec sa tenue. Il faut préciser que cette scène a été identifiée jusqu’ici comme la Guérison de l’Aveugle199. Comme nous le verrons plus loin, il n’est pas très habituel de présenter les bénéficiaires des miracles réalisés par le Christ en toge ou nimbés. D’autre part, l’interprétation repose sur l’identification de D1 au Christ. Étant donné que cette identification n’est fondée – comme nous le verrons plus loin – que sur des a priori et non sur des éléments objectifs, nous la garderons pour l’instant en suspens. Un élément qui aurait aidé à identifier la scène de manière fiable est, sans doute la relation entre la main de D1 et la tête de D2. Malheureusement, il ne reste plus de la tête – au contraire de ce qui est relevé sur le dessin utilisé par J. Puig – que la ligne arrière du crâne. Le visage est complètement effacé. Il est par conséquent impossible de dire si la main de D1 touche la tête de D2 ou si elle s’en approche seulement, mais en réalisant une autre action. En réalité, la main de D1 n’est pas non plus conservée. La main du petit personnage est, elle, bien visible, tournée vers D1, ouverte, la paume en l’air peut-être comme une supplique, peut-être en signe d’acceptation. L’état de conservation de cette main ne permet pas non plus d’assurer si elle tenait ou non un objet. Il est bien possible que, derrière D2, il y ait à l’origine un autre élément. Le schéma de la Diputació suggère plus que ce que nous conservons aujourd’hui. Il est certain cependant qu’entre le bras et la toge de D1 et la tête et le bras de D2, nous voyons une suite de lignes qui n’appartiennent au vêtement ni de l’un ni de l’autre. Le type de tracé que montrent ces lignes effacées est plus proche des plis des chlamydes des personnages vêtus d’une tunique courte et de pantalons que des pallia des autres. On ne peut pas écarter non plus qu’il  J. Puig, « Les peintures de la Cathédrale… », p. 398.

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s’agisse d’un élément architectural ou décoratif. Il semble difficile de supposer qu’entre des scènes si fortement comprimées on ait laissé tout cet espace libre et sans décor.

Scène E La scène suivante (E) que nous distinguons sur cette frise commence par un personnage en toge placé de face (E1). Sa tenue est nettement visible et, pour être sûr de son attitude, il faut regarder la position de ses pieds, qui sont tournés vers des directions opposées, puisque nous ne conservons pas son visage pour voir s’il est de face. Nous pouvons supposer par conséquent qu’il s’agit d’un personnage similaire à celui de l’extrémité droite de la scène suivante (F1). La séparation entre cette scène et la précédente est presque inexistante. En réalité les personnages en toge D1 et E1 se superposent presque. À la droite d’E1, on trouve un autre groupe de personnages vêtus de bracæ, d’une tunique courte et d’une chlamys. Le groupe est très effacé et il est même difficile de savoir de combien de personnages il est composé. D’après le nombre de jambes, six, nous pouvons supposer qu’il s’agit de trois personnages200. Il faut souligner qu’au moins deux des personnages (E3 et E4) jouissent d’un nimbe, bien qu’ils ne soient pas des palliati. Pour le troisième (E2), en accord avec ses deux compagnons, nous pouvons supposer, bien que sa tête ne soit pas conservée, qu’il portait aussi un nimbe. Par la position des pieds, il semble que les trois personnages (E2-E4) sont tournés vers E1 ou, tout au moins, qu’ils sont en relation avec lui. Préciser quelle est la relation entre eux quatre est très difficile, car nous ne conservons ni les mains ni les visages. Affirmer, dans ces conditions, quelles actions font les personnages est, a priori, pratiquement impossible.

Scène F La scène suivante, que nous nommerons F, est encore plus confuse. Un autre personnage avec pallium (F1) situé à l’extrême droite de la scène en marquerait la limite. C’est un personnage de face, semblable, comme il a été dit, à E1. Dans ce cas, ce n’est pas seulement la position des pieds qui permet de l’affirmer, car nous conservons la tête et le 200   Quoique cela pourrait nous empêcher de reconnaître un personnage au second plan dont, selon les conventions de représentation des groupes, les pieds n’apparaîtraient pas.

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visage, très effacé. Il n’y a pas de doute : le personnage se montre entièrement de face. Même la position de la main droite, levée et ouverte devant la poitrine, semble tournée vers un hypothétique spectateur. Son état de conservation nous permet d’affirmer, avec J. Puig i Cadafalch, que le personnage portait la tunique garnie des clavi201. La difficulté à comprendre la scène provient des deux autres personnages qui la composent. À gauche de F1, se trouvent deux personnages (F2 et F3) portant tunique courte, bracæ et chlamys. Comme dans le cas de la scène E, ces personnages aussi apparaissent nimbés. Aucun doute n’est possible car il s’agit d’une zone particulièrement bien conservée. Le personnage F2, le plus proche de F1 portant la toge, semble lever ses mains jointes – et peut-être voilées – vers F1 en même temps qu’il détourne son regard de lui. Vraisemblablement l’attitude de F3 était-elle la même. Les pieds et les jambes, quant à eux, sont tournés à l’opposé de F1. Ainsi les personnages montrent une apparente contradiction qui se manifeste à travers un raccourci considérable. La seule possibilité de comprendre la représentation est de supposer que, bien que F2 et F3 fassent partie de la scène, leur relation envers F1 est l’expression d’une soudaine surprise, d’émotion ou de peur. De cette manière F2 et F3 seraient représentés en train de fuir (?). Les scènes E et F sont successives et F2 et F3 marchant dans la même direction que E2-E4, ceci pourrait faire penser qu’il s’agit en réalité d’une même scène. Mais à notre avis, il s’agit de deux scènes différentes. Une autre question est de savoir si le peintre a, d’une certaine façon, mis à profit l’apparente continuité entre elles. Le dernier élément qu’il faut prendre en compte se trouve entre les têtes de F1 et de F2. Là se distingue clairement une ligne de demicercles tangents qui s’accrochent à la frange définissant le cadre supérieur. Comme il a été dit pour la scène B, il est difficile de dire de quoi il s’agit. Le tracé de ces demi-cercles les apparente davantage ici à un motif décoratif qu’aux tentures que nous voyons dans cette scène-là (voir supra). En outre, manqueraient alors les lignes verticales et les plis qui dans la scène B nous indiquaient la chute des tentures et dont il n’y a pas de trace ici.

 J. Puig, « Les peintures de la Cathédrale… », p. 398.

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Scène G À la suite de la scène F, nous trouvons un espace pratiquement détruit que nous appellerons G. À côté d’E1, il semble que l’on puisse identifier la partie basse d’une toge (G1). Il est tout à fait impossible dire quelque chose de ce personnage. Il n’est pas non plus très facile de dire quoi que ce soit du ou des personnages qui viennent à la suite de G1. À la droite, on distingue la jambe du pantalon. Le personnage (G2) paraît très incliné vers la droite, comme s’il tombait. Curieusement les plis conservés sur la seule jambe visible, la droite, indiquent qu’elle est tournée vers le haut et non vers le bas. Donc, s’il est train de tomber, il tombe sur le dos.

Scènes H et H’ Un grand espace vide, déjà dans le schéma utilisé par J. Puig i Cadafalch, précède le seul élément identifiable de celle que nous appellerons la scène H. Le problème change sensiblement. Jusqu’à présent, nous avons trouvé des fonds indéfinis ou définis par des tentures et des figures occupant toute l’ampleur du registre. C’est seulement dans le cas de la scène A que nous avons des éléments de contexte, c’est-à-dire des constructions. La scène H, de son côté, révèle clairement un fond végétal. Cette végétation a été conçue à partir d’une sorte de buissons dessinés à partir de tiges plus ou moins ondulées et ramifiées. Sans doute dans le but de rompre avec un fond trop uniforme, à partir de la palette, relativement succincte, utilisée dans ces peintures, les tiges alternent le rouge et le vert. Quant aux personnages, de cette scène jusqu’à la scène I, ils n’occupent que la moitié ou moins de la hauteur du registre. Le seul personnage que nous conservons dans la scène H est H2. Il porte une tunique courte, sans chlamyde, et des bracæ. La tunique courte semble ouverte sur le devant et ressemble beaucoup à celle que porte le personnage A2. La différence principale avec la tunique de ce dernier réside dans la bordure dentelée de la partie basse. Il s’agit peut-être d’une convention pour montrer des habits en haillons. H2 est fixé sur une croix aux bras élargis. Ni la tête ni les mains ne sont pas visibles, seuls les pieds le sont, chaussés et pendants. Traditionnellement, il a été interprété comme un des larrons de la Crucifixion, ce qui suppose l’existence d’un Christ à sa gauche et plus loin encore de l’autre lar-

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ron202. Bien qu’il soit très difficile de rejeter quoi que ce soit, il est assez improbable qu’on ait pu faire tenir une Crucifixion à gauche, le seul côté disponible. Et donc, sans la présence de trois croix, la Crucifixion avec les larrons paraîtrait plutôt peu orthodoxe203. Il ne fait pas de doute que certaines des particularités que présente cette scène H – aussi bien que les suivantes – sont dues à l’adaptation difficile de la structure en registres concentriques avec l’architecture de cette partie de l’abside. Juste à la suite du personnage crucifié, le registre est tronqué par l’ouverture de l’abside. Est-ce une des raisons qui a conduit à rapetisser les personnages ? Le fait est que juste après, et sans qu’on abandonne la structure en registres concentriques, celle que nous appelons scène H’ voit son espace réduit à moins de la moitié de ce dont disposent les autres scènes. En relation avec le crucifié de la scène H, en outre, les personnages ont dû être placés sur la partie supérieure du registre. Dans ce cas, l’adaptation forcée de la scène à son cadre est très claire. L’appeler H’, sans la distinguer absolument de la scène antérieure, témoigne de notre incertitude quant à savoir s’il s’agit de deux scènes différentes. Sur le même fond végétal se tiennent deux personnages. Le plus proche de H2, que nous appellerons H’2, a pratiquement disparu. Il ne nous reste que la partie inférieure de la tunique courte et les deux jambes, sans que l’on puisse voir ses pieds. Le corps est nettement allongé et étroit. La tenue est similaire à celle de H2, si ce n’est que la tunique n’est pas achevée avec la même bordure dentelée. Les pointes de la tunique montrent aussi une simplification dans le tracé des plis. De chacune des extrémités de la tunique partent, en rayonnant ou en éventail, trois lignes légèrement courbes qui indiquent le drapé du tissu. Les jambes sont tracées sans aucune inflexion ni aucune ligne qui montre les plis du tissu. À droite de H’2 se trouve H’1. Il s’agit là aussi d’un personnage incomplet. Les caractéristiques de sa tenue sont identiques à celles de son voisin. Le personnage a les bras vers le bas, les mains jointes à hauteur de la ceinture. Il est difficile de dire si ce geste est celui de se protéger, de se cacher ou si ces bras pendent comme morts. Les pieds du personnage aussi donnent l’impression d’être suspendus en l’air. À droite de H’1, on distingue les vestiges d’un élément vertical d’une  J. Puig, « Les peintures de la Cathédrale… », p. 401.   cf. C. Mancho, « Les pintures del claustre inferior … », pp. 309 et suiv. ; Idem, « La pintura mural », Lorés i Otzet, Immaculada, El monestir de Sant Pere de Rodes, Lérida, Edicions de la Universitat de Lleida, 2002 (Memoria Artium, I), pp. 185-213. 202 203

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largeur semblable à celle des personnages. Son état de conservation ne permet pas d’affirmer si nous sommes devant un élément végétal – par exemple un tronc d’arbre – ou devant une structure bâtie – une porte? À la suite de cet élément, à l’endroit le plus haut de l’arc triomphal de l’abside, le décor a disparu sans laisser la moindre trace.

Scène I Partageant le même fond végétal que H et H’, à droite du zénith de l’arc absidial et d’une zone qui n’a pas conservé de décoration, se trouve un nouveau personnage. C’est un personnage avec pallium qui présente malgré tout des différences avec le reste des palliati du registre (voir infra). Nous n’avons aucune certitude qu’il appartienne à une scène indépendante des deux dernières. En faveur de l’unité avec celles-ci, il y a l’argument d’un fonds végétal commun, et aussi le fait que ce personnage soit apparemment seul. D’autre part, aucun de ces arguments n’est concluant. J. Puig i Cadafalch sépare cette scène des deux autres, qu’il considère, elles, comme une scène unique204. Le plus remarquable de la scène est le personnage qui en constitue le centre (I1). D’après la position des pieds – le peu qui en reste – nous dirions que le personnage était de face. Malheureusement, nous ne conservons pas la tête et nous ignorons donc, comme dans les cas antérieurs, si le personnage est nimbé ou non. Il tient d’une main la poignée d’une épée, de l’autre, il en tient le fourreau. L’action est bien de dégainer ou de rengainer. Une bonne partie de la lame de l’épée est visible, ce qui indique que le personnage n’a pas achevé son action. Vers quoi ou vers qui était tournée cette épée est plus difficile à dire. Ce qui paraît évident, en tout cas, est que cette scène n’a rien à voir avec la scène A. Que ce soit par le fond complètement différent, par la nette séparation entre les deux scènes (voir supra), ou par le problème d’adaptation qu’elles révèlent dû, à nouveau, à l’incompatibilité entre les registres concentriques et la morphologie de l’abside, il semble clair que ce sont des scènes indépendantes. À gauche du personnage portant le pallium avec l’épée, il ne nous reste plus qu’un espace vide et, par conséquent, il est presque impossible d’identifier la scène.

 J. Puig, « Les peintures de la Cathédrale… », pp. 400-401.

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Deuxième registre Si, en général, les auteurs ont été peu précis dans l’analyse du premier des registres de Sainte-Marie de Terrassa, à propos du deuxième registre, il faut dire qu’il y a un manque absolu de références. Sa détérioration et la complexité de lecture du premier registre, nettement mieux conservé, expliquent que personne n’ait même tenté d’en faire la description. À titre d’exemple, J. Puig i Cadafalch se borne à indiquer que le deuxième registre « était rempli de scènes analogues, mais le mauvais état de leur conservation empêche de les interpréter » signalant simplement la présence, au centre et sur un fond de végétation, de personnages portant nimbe et toge205. Seul un auteur se rend compte qu’il ne s’agit pas, à la différence du premier registre, d’une succession de scènes, mais de deux groupes symétriques ordonnés autour d’un axe206. Comme nous le verrons, sa certitude n’est pas totale car il n’arrive pas à voir de quoi il s’agit. Par ailleurs, son apport sera absolument ignoré par tous les auteurs postérieurs, raison pour laquelle il n’a eu aucune répercussion (voir infra). On trouve les premiers vestiges de décoration sous la scène A du premier registre. Dans le calque utilisé par J. Puig, on relève un élément carré impossible à identifier à l’extrémité du registre. À droite de cet objet, on voit des vestiges de lignes indiquant peut-être la présence d’un personnage (K1) et immédiatement après les vestiges d’un autre personnage portant la toge (K2) qui d’après la position de ses pieds se dirige vers la droite. Le personnage a ses pieds touchant presque la bande de séparation entre ce deuxième registre et le troisième. Comme nous le verrons tout de suite, d’après la position des nimbes conservés, la première conclusion que l’on peut faire du peu qui nous est parvenu est que, tout comme dans le premier registre pour les scènes B à G, les personnages occupent toute la hauteur du registre. Les vestiges d’une autre tunique indiquent la présence d’un autre personnage (K3) séparé du précédent. Suit un grand espace blanc jusqu’à arriver à hauteur du personnage B3 du premier registre. Sous celui-ci sont encore visibles les vestiges d’un nimbe (K4), presque 205   Ibidem, p. 402. Il est impossible d’établir quelque critère que ce soit, afin d’organiser en scènes possibles les vestiges conservés. Pour cette raison nous procèderons du nord au sud, comme dans le premier registre, mais en prenant tout le registre comme une unité (K). Afin de mieux localiser les éléments, nous les mettrons en relation radialement avec ceux du premier registre. 206  J. Pijoan, Monumenta Cataloniæ….

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au contact de la bande de séparation avec le premier registre. Un peu plus loin, sous B5, on trouve à nouveau un nimbe, et donc un nouveau personnage (K5). C’est le premier d’une série de personnages nimbés qui se suivent sans solution de continuité (K6-K8) et desquels il reste peu de chose en sus des nimbes. Coïncidant avec l’axe central du registre nous trouvons un autre personnage nimbé (K9). Le nimbe, à la différence des précédents, n’est pas près du trait séparant les deux registres, mais un peu plus haut que le milieu du registre. Ceci peut indiquer soit un personnage plus petit, soit un personnage assis. Bien qu’il n’en parle pas, J. Puig relève dans son calque les vestiges d’un possible personnage nimbé (K10?) derrière ce premier nimbe. Bien qu’aucun auteur n’y ait fait référence, les vestiges, comme le calque, permettent d’avancer la possibilité que ces deux personnages soient une personne assise ou trônant, en portant une autre, plus petite, sur son giron. Juste au contact de ce groupe éventuel, une structure verticale n’a rien à voir avec une personne, mais plutôt avec un meuble, peut-être un trône. Un des personnages les mieux conservés du registre se trouve juste à la suite (K11). Portant lui aussi un nimbe, il est vêtu d’une tunique, dont est visible la manche droite, et d’un pallium qui laisse l’épaule droite découverte. De ce personnage, on conserve une partie de la tête et un bras. Pour ce qui est de la tête, même si elle est très abîmée, on peut dire que la position de trois-quarts indique qu’il s’adresse aux personnages K9-K10. Le bras permet de confirmer cette position, car il est levé, en geste d’acclamation, vers les personnages de gauche. Si nous continuons en direction du sud nous trouvons, à peu de distance – peut-être l’espace d’un personnage –, les vestiges de deux nimbes (K12 et K13) et deux personnages plus loin, les vestiges de deux autres nimbes (K14 et K15). Juste au-dessus des deux derniers, on peut vérifier que la bande de séparation entre les premier et deuxième registres n’est pas simplement une bande rouge lisse mais qu’elle est animée par un décor de cercles tangents, avec un point au centre, qui rappellent ceux que l’on trouve dans le décor de SaintMichel. Bien que visible dans d’autres zones, c’est ici qu’il est le plus clairement conservé. Vient à la suite un autre nimbe (K16), juste dans l’axe de la figure F1 au premier registre. Nous pourrions penser que quand fut réalisé le calque de la Diputació les vestiges devaient présenter un niveau de conservation bien meilleur que l’actuel parce que ce calque pare le porteur de ce nimbe d’un visage jeune et, semble-t-il, d’un nimbe crucifère. Rien de tout cela n’est visible aujourd’hui. De fait, maintenant que nous connaissons le calque original et la photo 220

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graphie qui servit pour le réaliser, il faut considérer que c’est une invention ou une erreur de l’auteur de ce calque. D’autre part, en raison de la manière dont se développe le registre, il paraît difficile qu’il y ait eu place pour un nimbe crucifère qui ne coïncide pas avec celui du personnage K9. Il faut considérer aussi comme erronée l’interprétation que l’auteur du calque fait de la position de K16. Selon lui, on dirait que le personnage parle ou est en relation avec son voisin (K17). Ceci a été un motif de confusion dans l’interprétation qui a voulu voir des scènes de caractère narratif dans ce deuxième registre (voir infra). K17 est, avec K11, le personnage le mieux conservé de tout le registre. Placé lui aussi de trois-quarts, il porte une tunique et un pallium encore très bien conservés. À nouveau, comme dans le cas de K11, il semble que le personnage lève le bras droit en geste d’acclamation. À sa gauche, apparaissent des lignes courbes qui semblent provenir de la partie basse du registre. Elles occupent l’espace qu’occuperait un personnage et elles s’ouvrent comme le ferait un élément végétal. Certaines de ces «branches» s’inclinent vers K17, d’autres vers le personnage que nous trouvons à la suite (K18). De ce dernier nous ne conservons qu’une partie du nimbe et de la toge (?). Il est difficile de préciser la signification de ces vestiges. On peut imaginer un genre de palmier, du type de ceux de Ravenne encadrant les personnages ou, peut-être, une séparation architecturale. Derrière K18, dont, comme nous l’avons dit, nous conservons juste les vestiges du nimbe et la partie centrale du pallium, nous trouvons encore les vestiges de deux autres personnages (K19 et K20). Du premier seuls sont visibles la partie supérieure du nimbe et une pointe de la toge. Du second, on conserve une bonne partie de la tunique, une partie du nimbe et les pieds. Ces derniers sont tournés vers la gauche. Un peu plus loin, quelques lignes semblent suggérer la présence d’une main ouverte et levée qui pourrait correspondre à un personnage (K21) dans une attitude similaire à celle que montrent K11 ou K17. Bien que les certitudes qui peuvent être tirées d’un ensemble aussi fragmentaire soient peu nombreuses, quelques éléments attirent l’attention. Si nous comparons avec le premier registre, l’utilisation de personnages qui occupent tout le registre est un élément de continuité. En revanche, la différence est que tous les personnages que nous conservons sont nimbés et vêtus de la tunique longue et du pallium. Nous ne sommes donc pas devant des personnages de catégories ou de statuts différents, mais devant des personnes égales en 221

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sainteté comme l’indique la présence, pour elles toutes, de nimbes. Sans doute cela nous autorise-t-il à considérer que les figures qui nous manquent correspondaient aussi à des personnages portant toge et nimbe. Un des problèmes cependant est de savoir quel était le nombre exact de figures qui composaient tout le deuxième registre. Malgré le niveau de dégradation du registre, on peut tirer de premières conclusions à partir de la description : Il ne fait aucun doute qu’il s’agit de deux groupes symétriques par rapport à un axe. L’élément axial est formé par les personnages K9 et K10. Les personnes K1 à K8 s’y dirigent par la gauche, les personnages K11 à K21 par la droite. Seul un personnage nettement différent des autres apparaît. C’est la personne nimbée de taille (?) plus petite, celle que nous avons appelée K9. Le deuxième personnage conservé au côté nord (K2) et le deuxième conservé au côté sud (K20) présentent des attitudes symétriques. Dans les deux cas, il s’agit de personnages en toge qui sont tournés ou regardent vers le centre du registre. Chacun des deux cortèges montre en outre les mêmes différences internes. À partir de K1 jusqu’à K4 et de K21 à K16, les personnages sont espacés. Ce qui les sépare ou à cause de quoi ils sont séparés n’est évident qu’entre les personnages K17 et K18. Entre ces deux personnages subsiste encore une sorte de décor végétal (?). Malheureusement, le côté nord est trop détérioré pour que l’on puisse affirmer que la même chose s’y serait trouvée. Quant aux personnages les plus proches de l’axe, il est difficile de dire ce qu’il en est entre K4 et K8, mais à l’évidence K5, K6, K7 et K8 sont beaucoup plus proches que K2 et K3. Ceci est encore plus clair entre K11 et K15. Le côté sud montre une autre particularité car trois personnages présentent un bras levé et la main dirigée vers le centre du registre selon le geste traditionnel de l’acclamation – K21, K17 et K11. Il est difficile de dire si telle était l’attitude de tous les autres personnages de la moitié sud. Une figure (K18) semble l’indiquer. Cependant la proximité entre les personnages entre K11 et K16 semble être un argument contre cette possibilité. Pourtant, étant donné la symétrie évidente entre une moitié et l’autre, il est possible que K21, K17 et K11 aient eu un pendant de l’autre côté. Une fois présentées ces bases, la question reste posée pour savoir quels personnages formaient le registre et par conséquent combien il en manque. Il semble évident, on l’a dit, que les décorateurs ont joué d’une symétrie nette entre les côtés sud et nord. En partant de 222

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7. Modification du calque publié par J. Puig i Cadafalch (annexe 6) avec le dessin en trait continu des nimbes conservés et en trait pointillé des personnages hypothétiques du second registre. Les lignes servent à montrer la symétrie et la correspondance entre les personnages, de part et d’autre de l’axe central.

ces prémisses, qui bien sûr restent discutables, la question ne pose pas de grandes difficultés. Comme on peut le voir sur le schéma que nous avons élaboré sur le calque de la Diputació [fig. 7], il s’agissait sans doute de deux groupes de douze personnages autour des deux de l’axe de l’abside, c’est-à-dire vingt-six personnages en tout.

Les autres registres Il est difficile de dire quoi que ce soit du reste du décor de l’abside. Il est évident d’après les vestiges conservés qu’il y avait, au moins, deux registres figuratifs de plus et, sans doute, la zone inférieure ou le soubassement devait être recouverte avec un des motifs habituels : simple couleur uniforme, tissus peints, etc. Sur la foi des dessins utilisés par J. Puig i Cadafalch [annexe 4], on a pu reconnaître sur le quatrième (?) registre, du côté droit de la fenêtre sud, une partie d’une scène avec trois personnages. Il en reste

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peu de chose, tout juste les jambes, et il est très difficile d’en dire quelque chose. En tout cas, les vestiges permettent de considérer qu’il s’agit d’une manière de faire très similaire à celle que nous trouvons sur les personnages du premier registre qui portent une tunique courte et des bracæ. À côté de ces vestiges, toute la structure de l’abside montre des vestiges de couleurs et de lignes qui jusqu’à présent sont restés un ensemble sans cohérence. On peut donc espérer que la restauration prochaine des peintures nous offre quelque surprise, comme à l’abside de Saint-Michel (voir infra). Malheureusement, en attendant cette intervention, on ne peut en dire que peu de chose207.

Les visages Malheureusement, rares sont les personnages qui ont conservé, en tout ou en partie, leur visage et même leur tête. Cette décapitation des personnages représente, on le comprend, une complexité de plus pour l’identification des scènes. En commençant par la scène A du premier registre, nous ne conservons, ou ne pouvons reconstituer, que les têtes de A2, B3, B5, D2, F1, F2 et F3. Mais les seules dont nous ayons actuellement assez d’éléments pour identifier certains traits du visage sont celles de B3, F1 et F2. Tous révèlent une manière de tracer les visages comme un masque. Le contour de la figure se découpe sur les autres éléments ; elle est séparée des cheveux par une ligne absolument droite ; à hauteur des tempes, elle forme un angle de 90° et continue verticalement jusqu’à hauteur du nez, où commence un demi-cercle qui donnera le contour des joues et le menton jusqu’à rejoindre la ligne verticale de l’autre extrémité. Les yeux sont en amande et la pupille, grande, est placée au centre. Le résultat est un regard hypnotique. Nous ne savons rien du nez ou des oreilles. Quant aux coiffures, elles se présentent en général comme une masse obscure. Bien que les détails soient perdus, B3 montre une chevelure épaisse et bouclée de couleur rougeâtre, avec beaucoup de 207   En réalité le rapport de R. Ranesi confirme ce que nous craignions : en raison de la nature de l’intervention et de l’histoire de ce décor, une restauration ne fera pas apparaître davantage de vestiges de décor, au contraire même, car elle fera sans doute disparaître des éléments excessivement visibles, fruit probable de restaurations abusives. Nous remercions R. Ranesi pour ces commentaires, voir R. Ranesi, L. Domedel, C. Armengol, Projecte de restauració de les pintures murals…. [Une fois finie la restauration, il y a eu des nouveautés sur tout dans les fragments décoratifs des fenêtres, la visibilité de l’ensemble et l’étude technique, bien qu’il n’est encore publié].

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volume dans la partie haute et décroissant sur les côtés. F2, en revanche, montre des cheveux sans volume et qui suivent la forme arrondie du crâne. Seule la nuque révèle une accumulation de cheveux comme une sorte de chignon. Quant à la couleur, elle est bien difficile à préciser car elle joue du rougeâtre pour indiquer les lignes d’ondulation sur un fond gris vert sombre. Le peu qui reste de F3 montre les cheveux de couleur jaune ramassés en forme de chignon. F1 montre le même type de cheveux courts mais, dans ce cas, la couleur en paraît châtain (?). Comme c’est un personnage de face, il est difficile de dire s’il avait aussi un chignon, parce que il n’est pas visible, évidemment. B5 est un cas exceptionnel. Celui-ci porte les cheveux coiffés en avant, coupés en frange, et vers les côtés à partir de lignes légèrement courbes qui démarrent de la raie. L’aspect est celui d’une chevelure lisse.

Tenue vestimentaire et détails de forme Pour ce qui est de la tenue vestimentaire des personnages, nous en avons trois types. D’une part, des personnages qui portent une tunique longue et un palllium208. Ensuite ceux qui portent une tunique courte, des bracæ et une chlamyde209. Enfin ceux qui portent des bracæ et une tunique courte (ou chemise) ouverte210. Cette répartition ne compte qu’une exception, celle du tout petit personnage B2, que nous traiterons à part. Dans tous les cas, les vêtements des personnages ont été représentés avec une grande simplicité de lignes et toujours à l’aide du trait rouge qui caractérise tout l’ensemble. L’aspect général est celui d’une ébauche, comme si nous nous trouvions devant la sinopie (voir supra) et non devant le résultat final. L’ensemble est par conséquent sommaire et peu nuancé. Le même trait épais sert à définir les contours des habits et à en marquer les plis. Les lignes définissant les contours tendent à arrondir les formes. Les traits indiquant les plis sont généralement courts et légèrement courbes quand il s’agit de manches ou de jambes. Dans le cas des jambes, ces plis sont habituellement disposés seulement dans la partie avant. Dans le cas des manches, sur les rares exemples où on voit des plis – personnage A2  –, ils vont d’un   À savoir, les personnages B1 (?), C1, D1 et D2 (?), E1, F1, G1, I1 et tous ceux du deuxième registre. 209   Ce sont : B3-B5, C2, E2-E4, F2 et F3, G2. 210   A2, H2, H’1 et H’2. 208

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côté à l’autre du bras. Les chlamydes présentent un tracé de plis amples en éventail qui tendent à partir de la broche ou du bord correspondant pour aller mourir au côté externe, bien espacés – B3-B5. Les pallia montrent plus de variété. Là où ils sont bien visibles – D1, E1, F1 – le côté gauche, là où la toge enveloppe le corps, a été conçu avec une alternance de plis formant une sorte de tresse très proche de l’aspect de tissus retroussés ; le côté droit, là où la toge pend, est figuré par des lignes verticales créant un effet de plissé ; dans certains cas, est même perceptible l’intention de montrer le bandage – ou balteus – qui attachait la toge au corps – D1, F1 et K16. Ces précisions générales une fois faites, il faut dire que, outre la technique de dessin et la distinction entre les personnages avec ou sans pallium, deux groupes se différencient nettement par le traitement du costume et dès à présent nous les considèrerons comme l’œuvre, au moins, de deux mains (?) différentes211. Un premier groupe serait celui formé par les scènes A, H, H’ et I, c’est-à-dire celles qui coïncident totalement ou partiellement avec l’arc absidial. Le second groupe serait formé par le reste du premier registre – scènes B-G –, et aussi par tout le deuxième registre – K. La première différence importante est que dans les scènes A, H, H’ et I ceux qui ne portent pas de toge n’ont pas non plus une chlamyde. Les personnages A2, H2 et H’1-2 portent tous une sorte de tunique courte ouverte en forme de chemise. Ceci est particulièrement visible sur le personnage crucifié – H2 – et sur le personnage devant la construction – A2. Les deux autres sont si abîmés que l’analyse en est impossible. H2 et A2 se caractérisent aussi car ils sont les seuls personnages de toute l’abside portant des bracæ complètement rouges. H2 cependant se différencie des trois autres par sa tunique au bord inférieur dentelé212. Les trois autres présentent en revanche les mêmes types de plis en éventail aux pointes du vêtement. Enfin, les personnages H’1 et H’2 ont des bracæ de couleur blanche (?) ou 211   À notre connaissance, aucun auteur n’a jamais fait de distinction formelle entre les différentes parties de l’abside de Sainte-Marie, au contraire la tendance a été de prendre la décoration de manière unitaire, y compris avec les peintures de Saint-Michel et pour certains auteurs même avec celles de Saint-Pierre (cf. Eduard Junyent i Sobirà, « L’art preromànic », L’Art Català, I, Barcelone, Aymà, 1955, pp. 111-131, en part. p. 128). Comme nous le verrons tout de suite, si certains détails précis, comme la différence de taille, pouvaient déjà induire à considérer cette différence de mains (?), la question du vêtement nous paraît absolument définitive. [cf. pourtant R. Ranesi, L. Domedel, C. Armengol, Projecte de restauració de les pintures murals…, p. 35]. 212   Nous avons déjà souligné que cette particularité pourrait être une manière d'indiquer que ses habits étaient en haillons, peut-être après un supplice.

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en tout cas neutre. Si nous observons le style des bracæ, et donc des jambes, la comparaison des figures de ce groupe avec celles du reste du registre montre que celles de notre groupe ont été traitées d’une manière absolument rigide – ce sont pratiquement des formes géométriques – et sans aucune indication de plis. L’autre personnage du groupe est le porteur de pallium à l’épée – I1. Dans ce cas aussi les différences sont significatives par rapport aux autres porteurs de pallium du registre. La principale est que son pallium ressemble plutôt à un plastron ou à un tablier. Comme dans les autres cas, on distingue une zone gauche adhérante, une zone droite de tombant, et une zone, par-dessus ces deux, indiquant le balteus à hauteur de l’abdomen. Les problèmes de traitement se situent sur la partie supérieure où le pallium occupe toute la largeur de la poitrine, comme s’il s’agissait d’un tricot, au lieu de laisser découverte la moitié gauche. D’autre part, dans la relation entre pallium et tunique, l’un et l’autre sont parfaitement emboîtés comme si le premier était le décalque de la seconde. Cette rigidité formelle, déjà vue sur les personnages A2, H’1 et H’2, se retrouve dans le domaine des plis. L’aspect schématique est certes général dans tout le décor, mais il y a une nette différence entre les retombées, et la manière de les traiter, des pallia des personnages D1, E1 ou F1 et ceux du I1  : quelques lignes, plus épaisses et souvent doublées en vert. Rien à voir avec le pli alterné ou le retombant plissé. Le deuxième groupe – scènes B, C, D, E, F et G – nous montre, comme nous venons de le dire, des personnages avec le pallium et des personnages avec la chlamyde. Nous avons déjà décrit les uns et les autres. Les différences avec ceux du premier groupe sont nettes. Nous y ajouterons que cette succession de scènes, que ce soit par la prolifération des étoffes tombantes et la profusion des plis, ou par un arrondi plus net des formes, ou encore par son plus grand resserrement, est visuellement plus unitaire et en même temps plus dynamique. Il reste bien peu de chose du vêtement des personnages du second registre. Les parties basses de cinq personnages – K2, K3, K18-20 – montrent la même combinaison de tunique et de pallium que, par exemple, sur les personnages E1 ou F1 du premier registre. La partie supérieure de K11 et K17 semble indiquer la même chose. La manière dont est configuré le registre (voir supra) permet de supposer que telle est la tenue de tous les personnages, hormis peut-être le couple K9-K10. Il faut par conséquent rattacher tout ce registre au second groupe de vêtements du premier registre.

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Structure de la composition Une des particularités de la décoration de cette voûte est la diversité des sens de lecture que l’on perçoit. Avant la réalisation de l’étude iconographique, il est difficile de donner beaucoup de précisions, pourtant on peut déjà affirmer qu’il ne s’agit pas d’une organisation simple. Plus loin, nous nous étendrons sur l’importance de chacune de ces questions, nous nous bornons ici à les pointer. Il convient dans ce préambule de se débarrasser de l’élément zénithal. Sa nature de motif décoratif interdit d’en tirer un quelconque indice a priori sur la disposition ou le sens de lecture213. L’intérêt se tourne bien sûr vers les premier et deuxième registres. Le premier a toujours été considéré comme un registre à caractère narratif. Néanmoins, la difficulté de lecture et d’interprétation des images et même la difficulté de décider du nombre d’images qui le composent ont été un obstacle pour en comprendre la composition. J. Puig i Cadafalch ou J. Gudiol considèrent que les scènes doivent être lues de droite à gauche, dans un sens linéaire et continu, sans interruptions214. Plus loin nous nous arrêterons sur l’explication de ces lectures, nous dirons seulement ici que, selon les différents auteurs, il fallait lire le premier registre de droite à gauche en commençant par nos scènes E-F. L’origine de cette interprétation se trouve dans l’identification de notre scène B au Christ devant Pilate et de notre scène H à la Crucifixion. Comme la Crucifixion devait être la dernière des scènes et comme les soldats conduisent le Christ vers la gauche, tout le registre devait suivre ce sens de lecture. Nous avons basé la subdivision des scènes sur un élément objectif de rupture dans la succession des scènes : la ligne verticale qui sépare le personnage en toge à l’épée sur un fond végétal – scène I – et la construction de la scène A. De même, et aussi comme point de départ objectif, nous avons fait la description en suivant une lecture de gauche à droite. Une fois réalisée la description, et avant d’analyser les différentes scènes, nous pouvons déjà souligner que : 213   Ce qui ne veut pas dire que les éléments décoratifs ne jouent pas un rôle, même dans la définition des espaces liturgiques dans l’église ou des sens de lecture (voir à ce titre Jerôme Baschet, Lieu sacré, lieu d’images. Les fresques de Bominaco (Abruzzes, 1263). Thèmes, parcours, fonctions, Paris-Rome, École Française de Rome, 1991 (Images à l’appui, 5)). 214   Les opinions de J. Gudiol nous sont transmises par C. R. Post qui cite ses commentaires comme information sur un décor que lui-même n’avait pu voir (Chandler Ratfon Post, A History of Spanish Painting, VIII/2, Cambridge (Massachussets), Harvard Univ. Press, 1941, apendix pp. 538 et suiv., en part. 539-540). Le premier article de J. Puig sur la décoration est J. Puig, « Les peintures de la Cathédrale… », pp. 398-401.

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La difficulté d’interprétation des scènes interdit de décider si elles doivent être lues de gauche à droite ou inversement. Mais étant donné que la tradition occidentale tend à la lecture de gauche à droite, nous choisirons de la suivre en considérant que c’est le sens de lecture correct. On peut pourtant observer, à partir de la description, qu’il y a un élément qui divise en deux le registre, avant même que nous en connaissions le contenu. Nous voulons parler de la nette séparation formelle que l’on observe entre les scènes B-G et H-A Cette division formelle pourrait être considérée comme fortuite si n’intervenaient pas d’autres facteurs, de topographie et de composition. En matière de topographie, on peut difficilement considérer comme fruit du hasard que le secteur H-A soit complètement masqué pour ceux qui se trouvent dans la nef de l’église et par conséquent seulement visible pour ceux qui se trouvent à l’intérieur de l’abside. Quant à la composition, il ne paraît pas fortuit non plus que presque toutes les scènes de ce secteur montrent un paysage ou un fond végétal et des personnages qui n’occupent pas tout le registre, alors que celles du secteur B-G montrent tout l’espace occupé par les personnages et sans référence au milieu dans lequel se déroulent les scènes. Par ailleurs, nous pouvons constater que la scène D, extrêmement étroite, coïncide exactement avec l’axe de l’abside, en même temps qu’elle est flanquée de scènes de dimensions similaires – C et E –. Des points exposés nous pourrions conclure que dans le premier registre sont expliquées des choses différentes selon que l’on se trouve dans la nef de l’édifice – point de vue des fidèles – ou dans l’abside de l’église – point de vue du clergé. Il ne nous semble pas trop risqué de supposer que l’on a profité de l’axe de l’abside pour mettre en valeur la scène D. Mais notre point de vue pourrait avoir été influencé par notre proposition de séparation des scènes. L’analyse iconographique devra confirmer ou démentir ces hypothèses préalables. La description du deuxième registre en revanche ne laisse aucun doute. À l’encontre des premières interprétations215 et d’accord avec ce que propose J. Pijoan, le registre s’organise autour des personnages K9-K10 que nous trouvons, à nouveau, dans l’axe de l’abside. De part et d’autre de ce couple, se trouvent deux fois douze personnages216.  J. Puig, « Les peintures de la Cathédrale… ».  J. Pijoan, Monumenta Cataloniæ…, pp. 47-48.

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La particularité du registre réside sûrement dans les divisions au sein de ces groupes de douze. Ainsi, immédiatement à gauche et à droite du couple central, figurent six et six personnages très serrés les uns contre les autres ; à partir d’eux, nous pouvons reconstituer d’autres groupes de six, cette fois espacés. Les vestiges conservés ne permettent pas d’être beaucoup plus précis, mais par leur tenue il est clair qu’il ne peut s’agir d’anges217. Le nombre de vingt-quatre pourrait faire penser que nous sommes devant, par exemple, les Vieillards de l’Apocalypse. Mais en réalité l’artiste ne nous montre pas vingt-quatre personnages mais deux groupes symétriques de six plus six personnages. Il nous montre donc ainsi très probablement deux collèges de douze personnages répartis symétriquement autour de l’objet d’acclamation. Nous avons dit, en parlant de l’organisation du premier registre, qu’on a peut-être tenu compte du placement des destinataires dans l’édifice. Une intention similaire se manifeste sans doute aussi entre les deux registres. L’aspect de quasi coupole du support des peintures fait que la clef de l’arc absidal ne coïncide pas avec le zénith de la structure. Donc la clef de la voûte est plus haute que la clef de l’arc. De cette façon, les registres figurés, malgré la présence du motif zénithal, restent à une hauteur supérieure de ce qui aurait été normal dans un cul-de-four d’abside ordinaire d’un quart de sphère. Ceci explique que le premier registre soit un peu plus haut que là où on le chercherait du regard. D’autre part, quand nous entrons dans la nef actuelle – qui, disons-le en passant, n’est pas celle d’origine – et que nous regardons vers l’abside, le regard se porte, dans un premier temps, vers la grande fenêtre qui occupe le centre du mur absidial, et à partir de là les yeux commencent une lente ascension qui doit les conduire vers le deuxième registre et, enfin, vers le premier. Ainsi l’altération de nos attentes visuelles – par la forme de l’abside – et la manière d’accéder au chœur – par une nef très longue et orientée vers une grande fenêtre absidiale – font s’arrêter nos yeux d’abord sur le deuxième registre, puis tout de suite après, sur le premier. Autrement dit, l’architecture de l’édifice et la disposition de la décoration nous «obligent» à lire d’abord le deuxième registre. Partant de là, nous pourrions supposer que dans le deuxième registre se trouvait l’information de base, alors que le premier offrirait une information complémentaire ou plus spécifique. Nous ignorons ce qui se trouvait sur les autres registres, et il est donc difficile de les situer dans ce   Ibidem.

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schéma. Pourtant la symétrie de composition du deuxième registre et l’existence d’un axe formé par la fenêtre, les personnages K9-K10 du registre 2 et la scène D du premier registre nous confirment dans la conviction que les autres registres devaient apporter une information secondaire ou complémentaire aux premier et deuxième registres.

État de la question Depuis qu’elles furent dégagées en 1937218, les peintures de SainteMarie sont restées dans une sorte de Limbes pour les Justes. Il n’y a pas de livre sur la peinture en Catalogne ou hors de Catalogne qui n’y fasse référence, et sont peux ceux qui se sont hasardées a en parler avec un peu de profondeur. Les premières informations sur les peintures de l’abside majeure de Sainte-Marie sont de l’année 1918. La découverte coïncide avec les travaux d’aménagement menés à bien par la Diputació de Barcelona219. Au moment où fut enlevé le retable majeur, apparut le décor mural antérieur. L’abside apparaissait alors recouverte d’une décoration murale d’époque gothique220. Des parties de cette décoration gothique, en se détachant, permettaient cependant de voir l’existence d’un décor plus ancien peint au-dessous. C’est ce dont témoignent les photos anciennes et quelques clichés contemporains221. La conviction que le décor du haut Moyen Âge devait être important fit se poser dès les premiers temps la question de l’arrachement de la décoration gothique qui lui était superposée222. 218   Bien que la documentation conservée sur le processus d’arrachement des peintures gothiques ne soit guère abondante, nous avons déjà mentionné que l’AHCT conserve une correspondance croisée entre le maire de Terrassa et l’armée pour solliciter une permission pour Ramon Gudiol afin qu’il poursuive la “restauration” des peintures de Terrassa. Nous comprenons qu’à cette date, la “restauration” signifie l’arrachement des peintures gothiques pour dégager les plus anciennes (v. supra). 219   Voir J. Homs, « Recull de dates », pp. 1-2 ; A. Castellano, I. Vilamala, Les restauracions de les esglésies…. 220  J. Gudiol, S. Alcolea, Pintura gótica catalana…, pp. 28-30. 221  J. Homs, « Recull de dates », p. 2. 222   J. Puig i Cadafalch est le premier à en parler. Il le fait dans une série d’articles identiques qu’il publie dans différentes revues scientifiques (J. Puig, « Les pintures del segle VIè… » ; Idem, « Les peintures du VIe siècle… » ; Id., « Les pintures del segle VIè de la catedral d’Egara (Terrassa)… » ; Id., « Les pintures del segle VIè de la Catedral d’Egara (Terrassa) a Catalunya », Arxiu del Centre Excursionista…). D’après lui : « S’il était possible, grâce aux procédés que la technique moderne utilise pour mettre sur toile les peintures murales à la fresque et à la détrempe, de séparer ce grandiose palimpseste, nous aurions sous nos yeux une grande composition beaucoup plus ancienne, une des plus vieilles de l’Occident méditerranéen et la plus ancienne de Catalogne après celle qu’offre la mosaïque conservée à

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Avant l’arrachement des peintures gothiques, J. Puig i Cadafalch réalisa déjà une première analyse de ce qui, peu ou prou, était visible223. En se fondant sur une identité stylistique par rapport aux peintures mieux connues de Saint-Michel (voir infra) l’auteur reliait le style et l’iconographie au sud-est méditerranéen, précisément avec la Syrie et l’Égypte copte. Ce sont ces relations qui le conduisent à justifier l’attribution des peintures au VIe siècle (voir infra)224. Au moment où les peintures sont totalement visibles, il se trouve en exil pour des raisons politiques, mais il publie un article à leur propos225. L’apport de cet article réside exclusivement dans les questions d’iconographie. L’apparition de tous les registres n’avait en rien fait varier, bien au contraire, son opinion à propos du style. En revanche, il lui est alors possible de traiter pour la première fois les questions d’iconographie. En fait, les Noves descobertes a la catedral d’Egara est une mise à jour du premier livre de 1936 avec les nouveautés relatives à la peinture226. Il avait trouvé de nouveaux arguments pour maintenir la comparaison avec Centcelles et les sarcophages romains, et pour conserver la datation du VIe siècle227. À partir de cette Centcelles près de Tarragone. » (par exemple dans J. Puig, « Les pintures del segle VIè de la catedral d’Egara (Terrassa)… », p. 103). 223  J. Puig, « Les pintures del segle VIè… », pp. 148-149. 224   Il est évident qu’il n’analysait pas les peintures pour elles-mêmes mais qu’il les reliait à l’architecture de l’abside qu’il situait aussi au VIe siècle. Le premier article de la série sur les peintures, qui portait le titre significatif “Les pintures del segle VIè de la catedral d’Egara (Terrassa)” (voir J. Puig, « Les pintures del segle VIè… »), est l’un des deux qu’il publie dans ce volume de l’Anuari de l’Institut d’Estudis Catalans. L’autre comporte en partie le rapport sur les fouilles. Les deux sont la conséquence du premier article (J. Puig, « La catedral visigòtica d’Ègara ») dans lequel Puig i Cadafalch établit tous ses arguments sur l’interprétation du monument. La conclusion de ces apports est le petit livre qu’il publie en 1936 : J. Puig, La seu visigòtica d’Egara. 225  J. Puig, « Les peintures de la Cathédrale… », pp. 398-401. 226   Ibidem, pp. 28-30. Il recueille aussi les nouveautés découvertes par les fouilles, encore inédites, de J. Serra-Ràfols et de E. Fortuny (v. supra). 227   En fait, la première analyse sur les peintures dégagées que nous connaissions se trouve dans C. R. Post, A History …, VIII/2, pp. 539-540. Il y donne une toute première description de l’ensemble et une première proposition de chronologie. Post n’eut sans doute pas l’opportunité de voir les peintures in situ, c’est ce que l’on déduit de ses commentaires. Toutes ses données renvoient à des informations connues à travers J. Gudiol i Ricart. Comme il ne cite aucun article ou étude, il faut donc en conclure qu’il s’agit d’informations orales ou épistolaires. Dans cette première présentation des hypothèses de Gudiol apparaissent déjà certains éléments que nous retrouverons dans son œuvre avec W. W. S. Cook (W. W. S. Cook, J. Gudiol, Ars Hispaniæ…) : sur le premier registre on reconnaît des scènes de la vie du Christ et de sa Passion ; une représentation du baptême du Christ au deuxième registre ; les peintures de Sainte-Marie, Saint-Michel et Saint-Pierre sont d’une même époque qu’il faut placer aux débuts du XIe siècle, en relation avec l’illustration des manuscrits. J. Puig i Cadafalch soit ne connaît pas la notice de C.R. Post soit garde le silence sur cette source, il

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publication, les références à cette quasi coupole peinte seront nombreuses . Nous devons à J. Pijoan une des analyses sans doute les plus fines. Il n’hésite nullement à rejeter la thèse de J. Puig i Cadafalch. Ses paroles sont éloquentes : Qu’elle ait été ou non la cathédrale, l’actuelle Sainte-Marie de Terrassa ne conserve que peu ou rien de la construction wisigothe, et on peut en dire de même des deux églises voisines : Saint-Michel et Saint-Pierre. Mais moins wisigothes encore sont les peintures à la fresque qui sont conservées dans deux des trois églises. – c’est nous qui soulignons228.

Curieusement cette affirmation ne concerne pas Sainte-Marie et Saint-Michel, comme nous pourrions le supposer, mais Saint-Michel et Saint-Pierre dont il considère les peintures comme carolingiennes. Quant à Sainte-Marie, il place son décor au VIIe siècle229. La contradiction est évidente si nous nous rappelons que dans le paragraphe antérieur il dit textuellement : « …l’actuelle Sainte-Marie de Terrassa ne conserve que peu ou rien de la construction wisigothe… ». Pourtant, et malgré cette incohérence chronologique, J. Pijoan effectue une des observations les plus aiguës des peintures de cette abside qui aient jamais été faites230. Non seulement il se dégage en grande partie de la lecture de Gudiol-Puig i Cadafalch, mais il va beaucoup plus loin dans les identifications (voir infra). Curieusement ses lectures, en particulier celle du deuxième registre – qu’il est le seul à faire parmi tous les auteurs qui ont traité de Sainte-Marie de Terrassa – n’auront aucun écho. Dans leur approche générale, W. W. S. Cook et J. Gudiol se montrent beaucoup plus intéressés par l’identification des maîtres paraît difficile d’accepter qu’il n’ait pas eu connaissance de l’opinion de J. Gudiol, surtout en raison de certaines coïncidences dans leurs propositions. Il ne fait pas de doute que J. Puig était un scientifique dangereux pour ses collègues. Ceux qui en subirent les plus grands préjudices furent, sans aucun doute, J. Pijoan et L. Domenech i Montaner, des cas qu’il faudrait étudier avec une grande attention, et à un degré moindre et pour ce qui est de Terrassa, on peut considérer comme illustratrices aussi bien son appropriation des résultats des fouilles de J. Serra-Ràfols et E. Fortuny ou celle de l’interprétation de J. Gudiol. 228  J. Pijoan, Monumenta Cataloniæ…, p. 44. 229   Ibidem, p. 47-9. 230   La finesse et les détails avec lesquels il décrit les peintures contraste avec la succincte relation qu’en fait J. Puig i Cadafalch. L’affirmation de J. Pijoan quand il commence à parler de cet ensemble est celle de quelqu’un sans doute déçu après une longue attente, « Nous devons confesser qu’il cause une désillusion : il est d’un style très pauvre et d’une iconographie maladroite. ».

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que par l’observation des peintures231. C’est à ce moment qu’apparaît la source de l’analyse de J. Puig i Cadafalch. Bien qu’il semble que W. W. S. Cook et J. Gudiol se limitent à répéter le discours de Puig, en réalité c’est celui-ci qui, sûrement, l’avait emprunté à J. Gudiol. À partir d’une datation des édifices au IXe siècle, pour laquelle ils ne donnent aucun argument, de la considération que les peintures de Sainte-Marie, Saint-Michel et Saint-Pierre sont toutes du même moment et des œuvres du “Maître de Terrassa” et de la constatation que le «retable en pierre» est une intervention du Xe siècle, ils placent les peintures à la fin du Xe siècle ou au début du XIe siècle. Jusque là les peintures de Sainte-Marie n’avaient guère eu de répercussion dans le panorama international. Seule la brève allusion de Post avait gardé trace de la nouvelle découverte232. A. Grabar, connaisseur de l’ensemble de Terrassa comme il l’avait démontré dans son article de 1945 sur Saint-Michel, sera le premier à publier les peintures de Sainte-Marie. Il le fait dans le cadre d’une étude générale sur la peinture du haut Moyen Âge en Europe en collaboration avec Carl Nordenfalck233. Il admet qu’après avoir suivi la datation proposée par J. Puig i Cadafalch, finalement il se montre partisan d’une date autour de 900 pour Sainte-Marie et Saint-Michel alors qu’il considère celles de Saint-Pierre comme un peu plus tardives. La nouvelle chronologie est le seul élément de divergence de A. Grabar envers l’interprétation de J. Puig, mais il faut le garder en mémoire car il est le premier à situer les peintures à cette date. La nouvelle datation se fait sur la base de comparaisons stylistiques qui, d’après l’auteur, apparentent SaintMarie à Naturno ou à Saint-Maximin de Trèves à partir de ressemblances dans le traitement et les types des visages. Le décor de Sainte-Marie partage en outre avec Trèves le goût pour des tissus plombants au profil en cloche. La mauvaise qualité qu’il attribue à cet ensemble est l’argument lui permettant de suggérer comme hypothèse que le peintre a tiré son modèle d’une source carolingienne antérieure à la fin du IXe siècle. D’autres constatations, comme le caractère monochrome de la décoration ou la filiation avec certains traits de Taüll, nous font craindre qu’il n’ait eu qu’une connaissance très sommaire de l’ensemble234.   W. W. S. Cook, J. Gudiol, Ars Hispaniæ…, p. 22.   C. R. Post, A History …, VIII/2, pp. 539-540. 233  A. Grabar, C. Nordenfalk, Le Haut Moyen Âge…, pp. 63-65. 234   Pour A. Grabar (Ibid., 65) « Il est probable que l’atelier qui a travaillé à Tarrasa avait exécuté d’autres décorations murales en Catalogne. » La justification en est que, selon lui, le style de Terrassa est évoqué au XIIe siècle dans une église de Taüll (?) où on trouve le fond blanc 231 232

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Le premier à reprendre les opinions de A. Grabar est J. Ainaud. Il le fait dans le volume du Congrès Archéologique de la France consacré à la Catalogne235. La nouveauté de l’interprétation réside en ce qu’il conserve la datation de l’architecture défendue par J. Puig i Cadafalch mais il la sépare de la datation des peintures. Ainsi, alors qu’il soutient que la date de 614 est la limite maximale où situer le bâtiment, les peintures sont peut-être déjà de l’époque de Frodoin236. Sans doute nous trouvons-nous à un tournant dans l’étude des peintures, et pas seulement de celles de Sainte-Marie de Terrassa. Une inflexion importante car elle simplifiait le problème en détachant les datations de l’architecture et de la décoration murale. Le mérite de J. Ainaud est à reconnaître car à cette époque justement une partie de l’historiographie était enracinée dans la défense de l’indissolubilité de l’architecture et de la peinture quant aux datations237. Après les propositions de J. Puig i Cadafalch, J. Pijoan et A. Grabar, il semblait que pour la première fois on pouvait analyser les peintures sans trop se préoccuper de la complexité de l’architecture qui les hébergeait. J. Ainaud maintiendra son opinion dans toutes ses interventions sur l’ensemble de Terrassa238. Quant aux questions en marge de la datation, essentiellement l’iconographie, il se contente de les ignorer. Il faudra attendre quelques années pour vérifier, qu’avec quelques nuances, il partage la lecture de J. Puig i Cadafach239 (voir infra). À partir de ce moment, rares sont les nouveautés que les différents auteurs apportent à la connaissance des peintures de Sainte-Marie. Pour la chronologie, le débat fluctuera entre la proposition de J. Puig – VIe siècle –, de J. Ainaud – fin du IXe siècle – , de ceux qui suivant A. Grabar en transforment son ca. 900 en Xe siècle, ou ceux qui suivant W. W. S. Cook et J. Gudiol maintiendront des datations aux Xe ou XIe siècles240. Sur le plan iconographique, le bilan est encore plus pauvre et Adam et Ève entre des plantes schématiques. D’après la description qu’il en fait, nous devons supposer qu’il se réfère aux peintures de la Vera Cruz de Maderuelo (Segòvia). 235  J. Ainaud, « Terrassa. Les églises d’Ègara », pp. 194-197. 236  J. Ainaud, « Terrassa. Les églises d’Ègara », pp. 194 et 196. 237   Voir G. Francovich, « I problemi della pittura … », pp. 407 et suiv. 238   En fait l’article de 1959 est la base de son premier livre, en 1976, et donc de sa réédition. Dans ces livres, il se contente de développer les différents thèmes qu’il avait présentés en France sur cet ensemble. Voir J. Ainaud, Los templos visigótico-románicos… ; Idem, Les esglésies de Sant Pere…. 239 J. Ainaud, Los templos visigótico-románicos…, p. [45] ; Idem, Les esglésies de Sant Pere…. 240   Pour la fin du IXe siècle, voir O. Demus, La peinture murale…, pp. 72-73. Soutenant le Xe siècles v. X. Barral, « Peinture murale romaine et médiévale… », p. 150 ; Idem, L’art preromànic a Catalunya…, p. 131 ; C. R. Dodwell, Artes pictóricas en Occidente…, p. 338 ; dernièrement P. Skubiszewski, L’art du haut Moyen Âge…, p. 279. En faveur du Xe-XIe siècles: E.

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étant donné qu’aucun de ces auteurs n’apporte de nouveautés à l’interprétation de Gudiol-Puig. Il faut considérer, cependant, qu’aucun d’eux n’a réalisé une véritable analyse de l’ensemble241 ; la plupart se limitent à mentionner le problème dans le cadre d’œuvres générales sur la peinture ou sur l’art médiéval. La publication dans l’ouvrage Catalunya Romànica du volume consacré au Vallès n’a pas entraîné de renouvellement dans la manière d’aborder l’étude des peintures de Terrassa. L’auteur qui signe l’étude sur la peinture de Terrassa en général et de Sainte-Marie en particulier se limite à faire un état de la question guère réussi242. Plus importants ont été les résultats du Simposi Internacional sur les églises de Terrassa. L’article de M. Guardia, le seul consacré aux peintures, est conçu comme une analyse critique de la décoration de chacune des trois églises de Terrassa243. Il est un point de départ et non un point d’arrivée dans l’étude sur les peintures. L’intérêt de l’article réside en ce que, pour la première fois, on réfléchit de manière critique sur l’ensemble. Pour cette raison il est un dernier tournant et le point de départ d’où démarre notre étude244. Une fois vu le rôle de la recherche dans l’étude des peintures de Sainte-Marie de Terrassa, nous pensons qu’on comprend mieux pourquoi nous en avons une connaissance déficiente245. Peut-être à cause de la difficulté qu’elle présente au premier regard, peut-être par la déception de constater, après la dépose des peintures gothiques, que les attentes de J. Puig i Cadafalch étaient exagérées – sentiment si bien conservé par les paroles de J. Pijoan (voir supra) – personne ne les a regardées. Et quand on l’a fait, ce fut toujours superficiellement. Ceci est très clair pour l’iconographie. Hormis J. Pijoan aucun autre auteur Junyent, « L’art pre-romànic », pp. 128-129 ; Santiago Alcolea, Joan Sureda, El romànic català. Pintura, Barcelone, Juventud, 1975 (coll. Vulpellac, 1) ; J. Yarza, Arte y Arquitectura en España…, p. 108 ; J. Sureda, La pintura romànica a Catalunya, pp. 275-277 ; J. Yarza, « La pittura spagnola del Medioevo… », p. 33. 241   Même X. Barral, qui consacre son article au passage de la peinture romaine à la peinture romane en Catalogne, et par conséquent aurait dû être le premier intéressé à éclairer une partie du problème, se limite à faire un bon état de la question et à accepter la proposition de A. Grabar, pour la chronologie, et la lecture de Gudiol-Puig , pour l’iconographie. 242  Neus Peregrina i Pedrola, « Les esglésies episcopals de Santa Maria, Sant Pere i Sant Miquel de Terrassa [Pintura absis de Santa Maria]  », Catalunya Romànica, vol. XVIII, Barcelone, Enciclopèdia Catalana, 1991, pp. 257-259. 243  M. Guardia, «  La pintura mural pre-romànica de les esglésies de Sant Pere de Terrassa… ». 244   Dans cette ligne on peut lire notre contribution C. Mancho, « Tradicions iconogràfiques i formals… ». 245   Pour Saint-Michel et Saint-Pierre la situation n’est guère meilleure (v. infra).

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n’en a fait de description un tant soit peu soignée246. Curieusement il est presque banni des études postérieures. Ce manque de rigueur ou de curiosité a interdit à tous les auteurs qui sont intervenus dans le débat de parler avec une connaissance minimale de ce sujet. Et ceci est important, en particulier pour ce travail, qui, sans doute, perdrait beaucoup de son intérêt. Le premier objectif de ce travail était de proposer une observation et une description précises. Une fois ce point réglé par une description exhaustive, on prend la mesure du problème, réellement grave. Comme le constatait déjà M. Guardia tout l’ensemble donne une sensation de familiarité, de déjà vu, mais il manque encore un ancrage ferme sur le plan iconographique qui serve de sésame pour les autres scènes247. Le principal problème de Sainte-Marie – en fait, de Terrassa (voir infra) – est l’identification des scènes. Nous avons sans doute été trop dépendants des trois points d’appui proposés par J. Puig i Cadafalch : Centcelles, les sarcophages et les scènes de l’Évangile248. Nous ne nions pas a priori la validité de ces trois relations, a priori nous remettons tout en cause. Une fois seulement que nous aurons identifié ces scènes, ou une partie d’elles, nous pourrons commencer à parler de relations ou de dépendances avec d’autres ensembles. L’autre problème a été celui de la datation. Dans ce cas, un premier pas dans la bonne direction pour la compréhension du monument a été accompli, à notre avis, quand J. Ainaud a séparé architecture et peinture249. L’architecture de Terrassa, de Sainte-Marie dans ce cas, est très intéressante. Si les datations données par les fouilleurs se confirment, nous nous trouvons devant un des rares ensembles conservés du VIe siècle - tout au moins partiellement conservé - dans le paysage catalan. Cela fait supposer une révolution dans les études. Bien qu’il soit très tôt, car le débat scientifique nécessaire manque encore, les dernières fouilles nous ont beaucoup fait progresser. Ceci  J. Pijoan, Monumenta Cataloniæ…, pp. 43-44. Quand on observe l’attention réelle de J. Puig i Cadafalch pour l’ensemble, on constate que le principal écueil pour l’étude des peintures de Terrassa est la crédibilité dont ont joui ses apports, de manière imméritée croyons-nous. Une première étude à propos des orientations effectives des fouilles et de la restauration (A. Castellano, I. Vilamala, Les restauracions de les esglésies…) ne résout qu’une partie du problème. Il faudrait analyser le caractère idéologique que J. Puig i Cadafalch tenta d’imposer à cet ensemble à travers ses interventions ou ses publications, parce que cela conditionna son regard sur le décor des édifices. 247  M. Guardia, « La pintura mural pre-romànica de les esglésies de Sant Pere de Terrassa… », p. 155. 248 J. Puig, « Les pintures del segle VIè… », p. 147 ; Idem, « Les peintures de la Cathédrale… », pp. 402-3. 249  J. Ainaud, « Terrassa. Les églises d’Égara ». 246

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étant dit, il faut considérer ici l’architecture comme support de la peinture. Une datation du VIe siècle pour le support ne doit pas être automatiquement interprétée comme une datation du VIe siècle pour le décor. Rappelons que peu nombreux sont les édifices qui sont décorés immédiatement après leur construction, car la plupart du temps la décoration reste à faire et beaucoup même ne seront jamais décorés de cycles de peintures murales. Il faut donc analyser ce que nous apprend la décoration pour émettre un jugement sur la datation, et, néanmoins, celle-ci sera toujours un élément plus ou moins incertain. Le but de cette étude n’est pas de donner une date pour le décor mais de découvrir ce qui y était représenté, quelle(s) lecture(s) il faut en faire et de le relier à un contexte historique. La date n’est qu’une partie, peut-être, de ce dernier aspect. Cette réflexion une fois faite, il faut reconnaître que les affirmations à propos de la chronologie ont été jusqu’ici dépourvues de toute valeur par l’absence de rigueur dont elles font preuve ; pour soutenir une datation au VIe, IXe, Xe ou XIe siècle, comme on l’a fait, une première étude attentive sur tous les points est nécessaire.

Iconographie Considérations préalables Ce que nous avons vu jusqu’à présent sur les peintures de SainteMarie de Terrassa prouve, surtout, que cet ensemble n’a pas fait naître un grand intérêt. Il intéresse J. Puig i Cadafalch pour justifier sa théorie et sa datation sur l’ensemble d’Ègara. Il lui accorde l’attention juste nécessaire à ce propos. Le reste des auteurs suivait, tout simplement J. Puig i Cadafalch. Le seul qui fait preuve d’une intuition aiguisée est J. Pijoan, mais il dit lui-même que l’ensemble le déçoit. Sans doute est-ce la raison pour laquelle son seul apport à l’ensemble, malgré sa qualité, n’est pas approfondie, étant donné qu’elle s’insère dans l’étude générale de la peinture murale en Catalogne (v. supra). Jusqu’à l’article de M. Guardia personne n’aborde sérieusement l’analyse de ces peintures250. Comme il arrive couramment pour des ensembles au traitement similaire, le peu d’attention qu’ils éveillent se révèle sur l’iconogra M. Guardia, « La pintura mural pre-romànica de les esglésies de Sant Pere de Terrassa… ».

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phie. Ces analyses iconographiques sont toujours superficielles et pleines de lieux communs. Rares sont les chercheurs de notre pays qui se soient attaqués sérieusement à l’iconographie, car habituellement sans trop l’approfondir, une description iconographique permet de montrer une apparente connaissance de l’ensemble. Ce n’est pas le cas à Terrassa où il est beaucoup plus facile (?) d’établir des liens du point de vue formel avec d’autres ensembles peints. Pourtant, comme à l’habitude, la seule chose qui ait été «analysée» à SainteMarie est son iconographie. Mais l’analyse iconographique de cet ensemble est, nous le verrons, extraordinairement complexe. En réalité nous pouvons déjà dire que nous n’avons pas été capable de comprendre certaines des images. Justement le piège des peintures de Sainte-Marie est qu’elles sont conservées dans un état qui permet de supposer au premier regard que l’identification des sujets sera une tâche facile251. Le premier problème dans l’analyse de ces peintures est celui de la tradition. Bien qu’elles n’aient pas été étudiées, un consensus fictif a fait répéter à tous ceux qui ont publié quelque chose à leur sujet les mêmes lieux communs. Se dégager de ces idées reçues n’est pas simple car elles conditionnent toujours le regard sur cet ensemble. Dans la plupart des cas, ces lieux communs tombent d’eux-mêmes pour peu que l’on entre sérieusement dans l’ensemble ; dans d’autres cas leur solidité apparente ne permet cependant pas d’avancer. Quels sont ces lieux communs ? Ceux-ci : la ressemblance supposée avec les sarcophages, le sens de lecture de droite à gauche du cycle du premier registre, le premier registre consacré à la vie du Christ, et, enfin, ce que nous appelons le syndrome de Centcelles. Nous résoudrons les trois premiers au fur et à mesure que nous complèterons l’analyse iconographique ; nous allons nous occuper tout de suite du troisième, en raison de ses caractéristiques.

Le syndrome de Centcelles Quand on commence l’étude d’une œuvre quelle qu’elle soit, mais particulièrement pour les œuvres d’époque médiévale, pour lesquelles les données sont rares, il est indispensable de chercher des parallèles.   Nous voulons remercier à nouveau l’attention que nous ont accordée certains collègues et amis dans la tâche d’identification de ces scènes. En premier lieu, Milagros Guardia, un des chercheurs qui connaît le mieux l’ensemble. Nous voulons aussi souligner l’aide, l’attention et les conseils de Immaculada Lorés, Giuseppe de Spirito et Elena Alfani.

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C’est pour la recherche le moyen de fixer des points de repère solides sur lesquels appuyer, en tout ou en partie, les arguments à propos de l’œuvre analysée. Mais souvent la méthode se pervertit et cette recherche de points de repère devient une recherche de la «famille» de l’œuvre, y compris de ses parents. C’est ainsi que se tisse une toile dans laquelle on tente de rapiécer tous les trous, mais qui finit par étouffer peu à peu la recherche. Cette tendance à la quête d’un continuum artistique est souvent totalement justifiée. Elle est inévitable, par exemple, quand on élabore un discours général dans lequel on tente d’expliquer le processus ou l’évolution artistique d’une époque déterminée. Mais souvent il s’agit d’une tendance qui pousse jusqu’à l’absurde la volonté de relier toutes les œuvres conservées. C’est comme si l’on se dégageait de l’évidence que nous ne conservons pas tout ce qui fut réalisé, comme si ce que nous connaissons était tout ce qui a existé. Dans cette conception, toutes les œuvres sont directement reliées et par conséquent la succession permet d’expliquer jusqu’au plus petit détail252. Dans le premier article que publie J. Puig sur les peintures d’Ègara il indique que, suivant cette manière de faire habituelle, les peintures de Sainte-Marie seraient les plus anciennes conservées en Catalogne après les mosaïques de Centcelles253. Il est curieux que le commentaire soit fait à propos d’un décor qui à ce moment est encore en bonne partie couvert et pas, par exemple, à propos des peintures de SaintMichel. Nous supposons que J. Puig avait eu une intuition en voyant les personnages de la scène B (voir infra) et en les comparant avec ceux de la chasse de Centcelles, ou peut-être le motif imbriqué – la couronne de plumes de paons – lui rappelle-t-il un des bandeaux décoratifs de la mosaïque. Tant la ressemblance dans la composition entre les personnages de Sainte-Marie et le portrait supposé du propriétaire du mausolée et de ses compagnons de chasse, que la proximité des motifs décoratifs, devaient être remarquables. Pourtant rien de cela n’est cité ; le commentaire reste suspendu comme une simple affirmation de continuité artistique.

252   C’est un peu ce qui s’est passé avec la peinture romane en Catalogne, et nous pourrions dire en Espagne, où la théorie des Maîtres a fini par relier presque toutes les œuvres de telle façon qu’elles étaient toutes mère ou fille d’une autre œuvre. Exactement comme si aucune ne s’était perdue. En ce sens la statistique que fournit J. Dols dans son article sur la figure du maître d’Osomort est très éclairante (v. J. Dols Rusiñol, « El maestro de Osormort », D’Art, 1 (1972), pp. 12-76, en part. pp. 12-13). 253  J. Puig, « Les pintures del segle VIe… », p. 148.

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Quand finalement les peintures gothiques furent déposées et que les plus anciennes furent mises au jour, le parallèle devait être inévitable. À cette occasion J. Puig écrit que « Le même type de composition existe, réalisé en mosaïque, dans la coupole paléochrétienne de Centcelles (Tarragone). »254 Bien qu’il ait pu aller plus loin – en commentant par exemple les ressemblances iconographiques entre les scènes citées, le fait que la thématique de Centcelles soit profane, alors que celle de Sainte-Marie est religieuse, ne devait pas l’encourager beaucoup à cette comparaison. Pourtant il commence à établir des comparaisons avec certains édifices couverts d’une coupole comme le Saint-Sépulcre de Jérusalem. À partir de ce moment, et jusqu’aux travaux les plus récents, les différents auteurs ont accepté que la composition de Sainte-Marie était la même que celle de Centcelles et, par conséquent, que le modèle utilisé pour l’église devait être un édifice couvert d’une coupole. Nous nous bornerons à relever l’opinion de M. Guardia – la dernière en date – sur cette question255. Selon elle, «  le modèle utilisé, reculé ou contemporain, est celui d’un décor conçu pour un espace couvert d’une coupole ou d’une voûte en dôme ». Par conséquent, elle commence la recherche des modèles possibles bien plus loin que le mausolée de Centcelles lui-même. Elle part de l’hypothèse que le schéma devait être fréquent parce que les édifices couverts d’une coupole ne sont pas rares, ni dans le monde antique, ni à l’époque médiévale. Pourtant la première surprise survient quand on constate qu’il n’y a pas de modèles possibles. Les études consacrées à la coupole comme élément de support décoratif ne sont pas très nombreuses256, mais toutes sont d’accord sur le fait qu’il n’y a pas de  J. Puig, « Les peintures de la Cathédrale… », p. 397.  M. Guardia, «  La pintura mural pre-romànica de les esglésies de Sant Pere de Terrassa… », p. 155. 256   Voir en général Karl Lehmann, « The Dome of Heaven », The Art Bulletin, XXVII (1945), pp. 1-27 ; Suzy Dufrenne, « Les programmes iconographiques des coupoles dans les églises du monde byzantin et postbyzantin  », L’Information d’Histoire de l’Art, 10e année, nº 5, (novembre-décembre 1965), pp. 185-199 ; Kathleen E. McVey, « The Domed Church as Microscosm : Literary Roots of an Architectural Symbol », Dumbarton Oaks Papers, 37 (1983), pp. 92-121 ; sur des cas particuliers v. André Grabar, « La décoration des coupoles à Karye Camii et les peintures italiennes du dugento », L’art de la fin de l’Antiquité et du Moyen Âge, Paris, Collège de France, 1968, vol. I, pp. 1055-1065 ; vol. III, pl. 256-263. (extrait de Jahrbuch der österreichischen byzantinischen Gesellschaft, VI, 1957), O. Demus, La peinture murale…, pp. 195-197, fig. 225-230, pl. XCIII-XCVI et récemment la monographie de Norbert Wibiral, Die romanische Klosterkirche in Lambach und ihre Wandmalereie Zum Stand der Forschung, Wien, Verl. der Österreichischen Akademie der Wissenschaften, 1998 (sur Lambach), O. Demus, The Mosaics of San Marco…. V. en dernière instance le mot ‘cupola’ dans Enciclopedia dell’Arte Medievale, V, pp. 593-602. L’œuvre la plus complète sur les édifices antiques à coupole est 254

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coupoles narratives avant le XIe siècle. L’exemple le plus ancien est la chapelle de l’Exode de Baouit (Égypte) qu’il faut placer aux IVe-Ve siècles – c’est-à-dire après Centcelles et avant Terrassa mais oriental. En Orient, après cet exemple on passe à des œuvres du XIIIe siècle (Kariye Camii) ou bien au XIe siècle si nous considérons Venise comme lieu de production orientale. Pour l’Occident, de l’exemple de Centcelles on passe directement à Lambach (Autriche, début du XIIe siècle) ou à Venise. Est-ce que cela signifie que les coupoles qui se construisaient entre les Ve et XIe siècles en Occident n’étaient pas décorées ? Évidemment non. Cela veut simplement dire, comme nous pouvons le voir à la chapelle palatine d’Aix-la-Chapelle, que ces coupoles ont habituellement un décor basé sur des programmes à caractère théophanique et pas narratif. Cette préférence peut s’expliquer à travers un double argument. En premier lieu, il faut considérer que dans l’imaginaire médiéval l’espace couvert d’une coupole est le synonyme de la voûte céleste ; en second lieu une certaine difficulté technique complique la disposition des compositions narratives sur les coupoles. Ceci est très net dans le cas de Saint-Marc de Venise. La première coupole décorée d’une narration est celle du bras nord du transept. Dans ce cas sont expliqués certains épisodes de la vie de saint Jean. C’est la première fois, au vu de ce que nous conservons, que l’on choisit un décor narratif pour une coupole. Les problèmes de composition et de forme sont évidents. Les symétries sont difficiles à harmoniser et les aberrations optiques difficiles à corriger257. Dans le résultat final, on peut sentir le malaise des mosaïstes au moment de réaliser cette décoration. Après ce véritable premier essai, jusqu’à ce que commence la décoration des coupoles de l’atrium avec les thèmes de la Genèse et de l’Exode, il se passe près de deux cents ans258. La résolution des problèmes choisit d’autres formules mais la coupole continue à être un support malcommode. De fait, aucune des cinq coupoles de l’atrium n’est traitée de manière identique259. M. Guardia perçoit tous ces problèmes quand elle s’arrête brièvement sur ce point, mais elle ne s’y attarde pas en profondeur. C’est pourquoi elle continue d’affirmer que le modèle de Sainte-Marie est une coupole. Cependant aucune des coupoles de Saint-Marc de E. Baldwin Smith, The Dome. A Study of the History of Ideas, Princeton (New Jersey), Princeton Univ. Press, 1971, mais il ne traite que de l’architecture. 257  O. Demus, The Mosaics of San Marco…, I/1, pp. 89-91. 258  Ibidem, II/1, pp. 144 et suiv. 259   Ibid., II/1, passim.

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Venise, aucune, n’a pour modèle de composition des coupoles préalables. Toutes, et nous sommes dans une fourchette qui va du XIe au XIIIe siècle, partent de modèles qui ont été adaptés à ce nouvel espace. Pour certaines de ces coupoles le problème a été bien étudié, étant donné que le modèle est la Genèse de Cotton, perdue, c’est-à-dire un manuscrit260. Pour d’autres, celle de saint Jean, on ne peut affirmer quel est le modèle, mais vu les problèmes d’adaptation au support, on peut affirmer au moins que ce n’est pas une autre coupole. Ainsi, nous croyons qu’il faut rejeter l’idée qu’on ait transféré à Sainte-Marie de Terrassa le décor d’une autre coupole. Plus loin nous tenterons de retrouver quel pourrait être le modèle, ou les modèles, de ce décor. En tout cas, et en observant ce qui se passe en un lieu si significatif que Venise, il nous semble clair qu’à Terrassa aussi on adapte une succession d’images à un espace prédéterminé. Par ailleurs, n’oublions pas qu’à Sainte-Marie nous sommes devant une abside, et pas une coupole ! Nous pouvons nous demander cependant ce qu’il en est de Centcelles. L’approche de J. Puig ne paraît pas, de prime abord, hors de propos. Les compositions de ces deux édifices ont-elles quelque chose en commun ? Il est bien difficile de répondre à une question de cet ordre. En réalité, la tâche est presque impossible car la question ne peut se rapporter à des aspects formels ou iconographiques – nettement différents – mais dans les deux cas au système concentrique que l’on a choisi. D’emblée, souvenons-nous toujours qu’alors qu’à Centcelles nous sommes devant une vraie coupole, ce n’est pas le cas à Sainte-Marie. En tout cas, la question ultime est de savoir si les décorateurs de Sainte-Marie de Terrassa ont jamais vu le décor de Centcelles, et si cette vision a pu être déterminante pour peindre l’église. À ce point, il faut avoir recours à l’exploration de ce que nous appelons le paysage visuel261. L’édifice de Centcelles conservé jusqu’à nos jours est, par sa localisation, une de ces bornes dans le paysage qui, comme l’arc de Berà ou la « tombe des Scipions », caractérisent topographiquement les 260  Voir Ibid., II/1, pp. 144 et suiv. ; K. Weitzmann, « The Genesis Mosaics of San Marco … ». 261   Nous entendons par “paysage visuel” l’accumulation monumentale offerte à la vue à chaque époque historique. Nous nous référons aussi bien aux œuvres réalisées à une époque déterminée, et donc visibles à cette époque, qu’à toutes les œuvres précédentes qui, conservées totalement ou en partie, coexistent avec les premières. Il s’oppose en ce sens à “paysage monumental”, terme qui dans les études a fini par se rapporter seulement aux œuvres créées à chaque époque.

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environs de Tarragone. Aujourd’hui encore, on peut visiter ces ruines dans un état d’isolement qui sans doute serait plus accentué si nous remontions dans le temps. Dans son état actuel, il est la conséquence de restaurations et d’interventions de fortunes diverses subies par l’ensemble depuis 1958262. Jusqu’à cette date et depuis le XIXe siècle l’édifice avait servi de maison rurale. C’est dans ce mas qu’en 1877 furent «découvertes» des mosaïques263. Préalablement à cela, les ruines avaient été consacrées comme église. Nous connaissons sa dédicace depuis le milieu du XIVe siècle à saint Barthélemy, mais en réalité nous savons qu’il existe une église dès le XIIe siècle. La ville de Centcelles, tout comme le village de Constantí, avaient été colonisés par des chrétiens au début du XIIe siècle, dans le mouvement de conquête de la Catalogne nouvelle. La première mention d’une église à Sent Seles figure en 1151 dans un procès entre Bernard Tort, archevêque de Tarragone, et Guillem et Robert d’Aguiló264. Toutes ces références se situent à des dates très éloignées de nos peintures – qu’elles soient du VIe ou des IXe-Xe siècles – et elles se rapportent toutes à une époque postérieure à l’occupation chrétienne du lieu. En réalité le lieu de Centcelles apparaît beaucoup plus tôt dans la documentation, dès le IXe siècle. En 888 exactement, un document de Ripoll conserve la donation faite par Guifred le Velu au monastère in ipsa Marcha, iuxta civitatem Terragonam, locum quem vocant Centumcellas, cum miliarios IIII in giro, decimis et primiciis et cum exiis et regressiis suis et cum omni libertate. À vrai dire, les auteurs qui ont étudié le document considèrent cette notice comme une des interpolations fréquemment effectuées au sein du monastère afin de justifier des propriétés et des possessions en litige. C’est pourquoi R. d’Abadal considère que cette notice doit être datée ca 982, alors que F. Udina la place déjà au XIIe siècle265. Si nous considérions comme bonne l’option de R. d’Abadal, nous pourrions faire remonter les mentions de Centcelles au Xe siècle. Cela reviendrait à accepter que les ruines

262   Voir une succincte information sur le processus de mise au jour dans Xavier Aquilué, Xavier Dupré, Jaume Massó, Joaquín Ruiz de Arbulo, Tarraco. Guía Arqueológica, Tarragona, El Mèdol, 1991, pp. 107 et suiv. 263   cf. Lluís Domènech i Montaner, « Centcelles. Baptisteri i cellæ-memoriæ de la primitiva església metropolitana de Tarragona », Discursos llegits a la Real Academia de Bones Lletres de Barcelona, Barcelone, 1921 (édition corrigée : Barcelone, 1931). 264  Voir Catalunya Romànica, XXI, pp. 56-57. 265   Ibid.,p. 57 ; cf. R. d’Abadal, Catalunya Carolíngia…,II/ 2ª, pp. 461 et suiv.

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de Centcelles ont été visibles, ont été connues et ont été un point de référence tout au long de l’histoire. Évidemment, l’analyse de ce qu’étaient ces ruines est une affaire qui n’a rien à voir avec la réalité médiévale. À l’époque médiévale c’était une église. En tirant beaucoup sur l’argumentation, nous pourrions même nous risquer à supposer qu’avant l’arrivée des musulmans l’édifice avait pu aussi faire fonction d’église266. Ceci expliquerait des notices si précoces en relation avec Ripoll, et le fait que dès les premiers temps du repeuplement il ait été transformé en église : sans doute l’espace était-il déjà partiellement préparé et adapté. Ceci explique qu’on n’ait aucune conscience que les constructions sont antiques jusqu’au XVIe siècle. La première information en ce sens est livrée par L. Ponç d’Icart, lequel relève que «  Cerca de la Villa de Constantin se muestra un muy antiquissimo edificio que se dize Censellas y sin duda es obra de los romanos. »267. Nous pourrions conclure cette digression en supposant que le mausolée de Centcelles était un édifice qui fut livré à la vue dès le   Ce serait un cas similaire à celui de Saint-Michel de Barcelone, église implantée dans un complexe thermal romain, voisin du forum de Barcino et qui, avec diverses modifications est parvenue jusqu’à la fin du XIXe siècle. De cet édifice, insuffisamment fouillé, on conserve une partie de la mosaïque – aujourd’hui au Museu d’Arqueologia de Catalunya-Barcelona – qui pendant longtemps a servi de pavement au Musée et qui est un des meilleurs arguments pour croire que sa fonction première était thermale. 267   L’interprétation de cet édifice romain et son nom appartiennent à la spéculation propre à l’époque. « Dize Ioan Baptista Ignacio que Hadriano principe auctore Cæcilio centum cellas centum iudicibus qui se presente causas audirent cum sederet extruxit. Que quiere dezir que dize Cæcilio que Hadriano principe instituyo o fundo cien sillas para cien juezes que delante de Hadriano oyessen las causas. Aunque esto se aplique segun dize el Reverendissimo Sennor don Antonio Agustin Obispo de Lerida en aquel lugar de Centcellas que es cerca de Puzol [actuel Pozzuoli], podria ser tambien pues es cierto que Hadriano fue en Tarragona un invierno, do tuvo cortes, como tengo dicho mas largamente en el capitulo treinta y dos que fuesse mandado hazer por Hadriano, y en las medallas que de Hadriano se hallan en Tarragona en el reverso de ellas esta pintada una silla, y un personaje en figura de muger que esta assentado en la silla, y las letras al rededor dizen. IVSTITIA/AVGVSTI. Que quiere dezir, la justicia de Augusto, y a la otra parte esta la figura de Hadriano, y assi el dicho edificio en caso que no fuesse hecho por el Emperador Hadriano, sin duda servia para el mesmo effeto, pues es cierto que a la ciudad de Tarragona venian a tomar justicia quarenta y quatro Ciudades, segun dize Plinio de la natural historia en el libro tercero capitulo segundo como tengo dicho en otro capitulo. », Luys Pons de Ycart, [Grandezas de Tarragona, Dedicadas a Don Phelipe II, Rei Catholico de las Españas], Impresso en la Ciudad de Lerida por Pedro de Robles y Iuan de Villanueua, a postrero del mes de Enero de 1572, fols 325v-326v. Ce qui ressort surtout de la notice de Ponç d’Icart, et que note aussi G. Pujades (Crónica Universal del Principado de Cataluña…, cap. XXXIV, 8 de la première partie, tome III, livre IV ; Ibidem, IV, p. 38), est que son opinion est le fruit d’une confrontation avec les opinions d’autres auteurs qui s’intéressent aussi au monument, comme ici Antoni Agustín et Joan Baptista Ignacio. 266

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moment de sa construction et qui, à une date imprécise, et une fois oubliée sa fonction initiale, passa à un usage religieux. Cette fonction devait permettre à beaucoup de gens d’en voir l’intérieur. Pouvaientils voir les mosaïques ? Nous savons qu’au XVIIIe siècle l’édifice subit d’importantes transformations qui en modifient l’extérieur et l’intérieur268. Nous pourrions alors supposer qu’à ce moment la décoration originelle devait être, tout au moins partiellement cachée. Nous pourrions même remonter davantage le temps et considérer que L. Ponç d’Icart n’en faisant pas mention, cela veut dire qu’à cette époque déjà les mosaïques n’étaient pas visibles. Plus haut, nous avons cité l’église de SainteMichel de Barcelone, édifice qui présentait quelques parallélismes avec Centcelles. D’une part il s’agissait d’un édifice d’époque romaine, probablement thermal, réutilisé comme église. De l’autre, jusqu’à sa destruction en 1868, il conservait comme pavement la mosaïque blanche et noire originelle avec des thèmes marins dont certains fragments qui ont survécu sont aujourd’hui visibles au Museu d’Arqueologia de Catalunya-Barcelona269. Dans ce cas, G. Pujades non seulement parle de la mosaïque au chapitre LXV de son livre III, mais il la décrit270. Nous ne doutons pas que même G. Pujades ou L. Ponç d’Icart auraient fait de même si la mosaïque de Centcelles avait été visible totalement ou partiellement. Nous ne pouvons remonter plus haut que ces références, et par conséquent nous ne pouvons pas savoir si avant le XVIe siècle la   Catalunya Romànica, XXI, pp. 57.   Nous n’avons pas connaissance d’une quelconque monographie publiée sur cet édifice, voir Catalunya Romànica, XX, pp. 38-39. 270   G. Pujades dit : « Aun en nuestros tiempos se ven en el suelo del referido templo [Saint-Michel de Barcelone] unas piedrecitas blancas y azules, que en la cara que muestran en la superficie de la tierra no son mayores que la moneda de valor de un sueldo, y entran en el hondo de tierra cerca de medio palmo de largo, y están colocadas de modo que figuran follages, personages, dados cuadrados y otras muestras terciadas : todo lo cual aparenta que el dicho templo tenia antiguamente el enladrillado del suelo hecho de obra mosáica. Pues aunque es verdad que con algunas sepulturas que se han hecho en aquella iglesia, se ha desfigurado mucho la forma de aquel enladrillado, no obstante lo poco que ha quedado aun es delicioso á la vista. Se ven allí muchas figuras de peces grandes y pequeños, y en el medio de un grande cuadro un bello caballo marino. Al pié de la escalera de la puerta que está al lado del púlpito, hay una figura de hombre, que ya no se manifiesta mas que de medio cuerpo arriba, y en su mano derecha tiene la figura de un palo nudoso y alzado, y en la mano izquierda un puño de alguna cosa, que si bien los eclesiásticos de aquel templo dicen que aquello sería un manojo ó puñado de yervas, no obstante adviertiendo yo que están retorcidas y con dobleces, hago juício que serían figuras de serpientes. Esta figura allí comunmente dicen que era la de Esculapio ; y pues vemos muy bien que tenia el palo conforme las figuras que arriba he descrito, si lo que yo digo son serpientes, ciertamente podrémos decir que es aquella la figura de Esculapio…” (G. Pujades, Crónica Universal del Principado de Cataluña…, III, LXV, 2). C’est ainsi que G. Pujades démontre que l’édifice de Saint-Michel, était autrefois le temple romain d’Esculape. 268 269

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mosaïque de Centcelles était ou non visible. Pourtant, en gardant en mémoire le précédent de Saint-Michel, où le pavement de mosaïque reste à la vue pendant toute l’histoire de l’édifice, il est bien possible qu’à Centcelles aussi la mosaïque et les peintures aient été visibles pendant une longue période. En particulier, pendant les premiers temps de la réutilisation de l’édifice. Ainsi à la question de savoir si pendant les IXe et Xe siècles la décoration de Centcelles était visible, nous répondrions affirmativement. Nous pourrons même affirmer que, se trouvant dans un lieu de passage, l’édifice et son décor devaient être connus des chrétiens de la Marche. La possibilité existe donc qu’une personne intéressée ait vu Centcelles et sa décoration. Toutefois nous doutons que la connaissance directe de ce décor soit ce qui a déterminé le type d’organisation de Sainte-Marie de Terrassa, pour plusieurs raisons. En premier lieu, nous répétons qu’à Sainte-Marie nous n’avons pas une coupole mais une abside. Le fait qu’elle soit outrepassée implique que sa clef de voûte ne coïncide pas avec l’ouverture de l’abside et que, par conséquent, par rapport à la structure d’une voûte en quart de sphère, l’élément zénithal soit ici excentré. C’est le même problème que nous avons à Saint-Michel. En comparant Centcelles et Sainte-Marie de Terrassa, on a dit que les deux décors ont la même organisation en registres concentriques et cela n’est qu’à moitié vrai. Alors qu’à Centcelles, c’est sûr, nous avons trois registres concentriques de mosaïque271, à Terrassa nous avons un motif zénithal circulaire et un premier registre qui est concentrique, de manière forcée, par rapport à cet élément zénithal. À Terrassa, nous avons assez de vestiges pour savoir que la décoration ne s’achève pas avec les deux registres conservés, il est plus difficile de préciser si le total était de quatre ou cinq registres jusqu’en bas du mur absidial ; sans doute la zone inférieure du mur devait présenter un dernier registre de tentures ou d’un type similaire. Nous pourrions cependant faire la lecture à l’envers et dire qu’à Terrassa, nous avons une abside décorée de 4 ou 5 registres superposés. Les dimensions excessives de l’abside et son tracé outrepassé justifient qu’en mettant

271  J. Puig, Noves descobertes a la Catedral d’Egara…, p. 27. Il faut ajouter à ces trois registres un élément zénithal complètement disparu et pas moins de trois frises de séparation entre les registres, la deuxième étant assez large. À partir du registre inférieur de la mosaïque, celui de la chasse, jusqu’à terre nous ignorons comment était conçue la décoration. Nous savons que c’était un décor peint, tout au moins en partie, comme on peut le voir d’après les vestiges, mais dont il ne reste pas assez de vestiges pour connaître son organisation.

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en place la division en registres, le dernier ait fini par être circulaire et concentrique par rapport à l’élément zénithal. Par ailleurs, à Centcelles chaque registre a une organisation différente. Celui qui est le plus bas montre une frise continue sans aucune sorte de compartimentation. On a toujours considéré que le portrait du propriétaire se trouve à un emplacement préférentiel, devant l’entrée du mausolée. Mais cette disposition n’est soulignée que par la manière de composer le groupe du propriétaire et de ses compagnons de chasse et parce que le propriétaire regarde de face vers le spectateur. Il est vrai que le thème choisi pour ce registre inférieur est la chasse, difficile à subdiviser et qui se prête davantage à la composition en frise continue qu’à la division en scènes. Quant aux autres registres, ils se présentent à nous parfaitement compartimentés soit au moyen de motifs architecturaux soit par thèmes. Si nous revenons à Terrassa, l’organisation fonctionne de manière différente. Les deux registres conservés, – et de là découle la grande confusion au moment d’analyser les images –, sont conçus comme une frise continue. Ceci est clair dans le premier registre où, malgré quelques éléments de fond (voir description), les personnages se succèdent les uns les autres sans solution de continuité. Il a donc toujours paru clair qu’à Terrassa on se trouvait devant des scènes qui se succédaient mais qui étaient différentes. Rien à voir par conséquent avec la frise de la chasse de Centcelles. Une possible relation entre les deux décorations apparaît au constat de la composition axiale avec laquelle a été traitée la scène de chasse et les deux registres de Terrassa. La différence entre les deux œuvres réside dans ce que, à Centcelles, l’organisation de la décoration est pensée pour un espace circulaire, alors qu’à Terrassa on devine plutôt deux points de vue antagoniques et non complémentaires. La frise de la chasse, à Centcelles, est une composition centrée sur le propriétaire et ses compagnons, mais juste en face on trouve la villa d’où ils sont sortis et vers où ils se dirigent après avoir chassé. Entre les uns et l’autre, nous voyons les différents épisodes de la chasse y compris leur conclusion. Tout le registre est conçu pour identifier le propriétaire, en entrant dans le mausolée, et se délecter de la chasse en observant les différents épisodes à partir du centre de la salle. On considère aussi que le regard dirigé vers le haut du propriétaire le rattache à l’image du Bon Pasteur qui est au-dessus de lui. Une relation de ce type est certes possible, et il est vrai aussi que les scènes du registre surmontant la chasse sont, toutes, équivalentes. À Terrassa, et avant d’entrer dans l’analyse des scènes, on peut reconnaître une 248

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axialité très accusée, même dans la superposition des registres. Mais, hors cette axialité commune – et logique si on considère la fonction d’une abside –, on ne trouve aucune relation évidente entre les deux registres. Chacun d’eux nous explique, en principe, des choses différentes. D’autre part, la décoration s’adresse en partie aux fidèles et en partie au clergé. Ceci implique que les images dans leur fonctionnalité n’étaient pas toutes vues par tous ni de la même façon, comme c’est le cas à Centcelles272. À la différence du mausolée, à Sainte-Marie le décor était pensé en partie pour être vu depuis la nef, c’est-à-dire à partir de l’extérieur de l’espace décoré, et en partie du fond de l’abside. On peut donc conclure que la décoration de Centcelles et celle de Sainte-Marie de Terrassa sont issues de prémisses conceptuelles différentes. La conclusion est que bien que les mosaïques de Centcelles aient pu être connues quand on réalisait le décor de Terrassa, l’un et l’autre n’ont aucun élément en commun. La structure décorative d’Ègara est sans doute due à la forme particulière de son abside qui apparaît à l’évidence être une structure réutilisée – sinon en totalité, du moins en partie. La preuve la plus claire de l’absence de relations avec Centcelles réside dans le fait que, malgré les conditions matérielles, le concepteur de la décoration de Sainte-Marie ne renonce pas à la frontalité et à l’axialité de la composition. Il en tirera profit, mais il ne pense pas à une structure devant être vue depuis le centre et en tournant sur soi-même. La décoration de Sainte-Marie est une décoration d’abside à voir de la nef ou de l’autel. Ceci est important, car dans l’analyse iconographique, ce peut être un des éléments à prendre en compte : étant donné la structure de l’abside tout ce qui y était peint n’était pas visible depuis la nef, et de tous les endroits de cette nef on ne voyait pas la même abside. Compte tenu de la claire fonctionnalité de l’abside, certaines images étaient en usage seulement en présence des prêtres qui célébraient la messe. Ces mêmes images sont restées, toujours, masquées de la vue des fidèles

Les interprétations des divers auteurs Comme nous l’avons vu dans la description, l’état de détérioration des peintures de l’abside de Sainte-Marie n’en favorise pas l’étude. Le   La plupart des auteurs considèrent que les mosaïques de Centcelles présentent une intentionnalité évidente dans la disposition du supposé portrait du propriétaire ou du défunt juste devant la porte d’entrée de l’espace couvert d’une coupole.

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problème le plus grave qui se pose est l’identification des scènes. Comme nous le verrons, bien que la majorité des personnages du premier registre soient conservés, il est difficile d’arriver à des conclusions définitives sur le sujet de chacune des scènes. Évidemment cela rend difficile la possibilité d’en analyser le programme et, par suite, de relier l’ensemble à un moment artistique précis à partir de ce programme. Avant d’entrer dans l’analyse de chacune des scènes, il serait intéressant de présenter la lecture acceptée jusqu’ici. Selon J. Puig le premier registre est constitué de trois groupes de respectivement quatre, une et deux scènes273. Son regroupement commence par la personne de face – notre personnage E1 – qui se trouve dans la zone sud-est du registre. J. Puig suggère que ce personnage et ceux qui l’entourent puissent être le Christ, accompagné des apôtres274. À gauche de cette scène se trouverait la Résurrection de Lazare, suivie par la Guérison de l’aveugle-né. Enfin on trouverait l’Entrée à Jérusalem, bien qu’il admette que normalement y figurent davantage de personnages275. Le deuxième groupe, constitué d’une scène unique, occuperait presque un tiers du registre. La scène “se détache sur un fond de draperies, qui indique peut-être que la scène se passe à l’intérieur d’un palais”. Selon J. Puig i Cadafalch, nous verrions dans ce palais des personnages armés conduisant le Christ vers Pilate, assis devant un dais en forme de tente. Le troisième groupe occupe toute la zone de l’arc absidial et par conséquent il ne se lit que de l’intérieur de l’abside. J. Puig i Cadafalch y voit une première scène qu’il place en continuité de la tente de Pilate mais dont il n’est pas capable d’identifier le thème. Ensuite vient la deuxième scène de ce groupe, où une petite figure crucifiée est interprétée comme un des larrons de la Cruci273  J. Puig, « Les peintures de la Cathédrale… », pp. 398-401 ; Idem, Noves descobertes a la Catedral d’Egara…, pp. 28-30. Bien que, comme il a déjà été dit, la première lecture sur Sainte-Marie ne soit pas l’œuvre de J. Puig i Cadafalch mais de J. Gudiol i Ricart transmise à travers l’œuvre de Post (voir supra), nous garderons, pour plus de commodité bibliographique, les références de J. Puig. 274  J. Puig, « Les peintures de la Cathédrale… », p. 398. 275   Ibidem, p. 400. Il nous faut admettre que nous n’avons jamais très bien compris cette division et, surtout, sa justification par J. Puig i Cadafalch. Par exemple nous ne voyons dans la supposée Guérison de l’Aveugle ou dans le prétendu groupe des Apôtres accompagnant le Christ aucun homme jeune nimbé et enveloppé dans un tissu à côté d’un homme en toge, ce qui pourrait être interprété comme la résurrection de Lazare (voir Gertrud Schiller, Ikonographie des christilichen Kunst, 5 vol. Gütessloh, Gütessloher Verl. Gerd Mohn, 19661995 (traduction anglaise des vol. I et II, Iconography of Christian Art, Londres, Lund Humphries, 1971-1972), en part. I, pp. 181-186, fig. 559-564). Il n’est pas non plus raisonnable qu’un groupe de deux personnages (?) puisse être interprété comme l’entrée à Jérusalem. Mais J. Puig i Cadafalch en doute lui-même.

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fixion. Il faut imaginer qu’il suppose qu’à gauche de ce larron se trouveraient le Christ et l’autre larron. Cette lecture a été acceptée pratiquement par tous ceux qui par la suite ont fait référence à l’ensemble de Terrassa. Seul J. Ainaud introduit une variante276. Selon lui, là où J. Puig i Cadafalch voit la conduite du Christ devant Pilate, il faut voir la «détention» du Christ et sa conduite à Anne ou à Caïphe. Ce serait, avec celui du larron de la Crucifixion, le seul épisode clairement repris de la vie du Christ277. La seule voix discordante, fut semble-t-il, systématiquement ignorée. Nous voulons parler de J. Pijoan. Dans le livre qu’il lui a tant coûté de publier, il fait une des descriptions les plus fines de Sainte-Marie278. Pour commencer il donne des mesures : le premier et le deuxième registre mesurent, selon lui, 1,30 m. Bien que le premier paraisse plus large que le deuxième, la question des mesures avait été complètement oubliée des autres auteurs. Il est particulièrement remarquable qu’un détail de cette nature soit passé inaperçu aux yeux d’un architecte et archéologue comme J. Puig i Cadafalch. Il met en lumière en tout cas le manque de soin que l’on constate dans ses descriptions. J. Pijoan, pour sa part, tout en faisant une identification du premier registre qui se rapproche de ce qu’avait dit J. Puig i Cadafalch, précise certains détails qui en indiquent une meilleure connaissance. Par exemple, il interprète des personnages comme un Christ et un saint Pierre agenouillé – la scène que J. Puig identifie comme la Guérison de l’Aveugle, notre scène D – et surtout Pierre à Gethsémani, tirant l’épée – notre scène I. Cela parce que, comme nous l’avons vu, derrière le personnage sous le «dais», un homme portant pallium est effectivement en train de tirer l’épée. Ce détail n’avait été reconnu par aucun des auteurs et aucun autre ne le mentionne par la suite. Sa description du second registre est encore plus précise. Il est en outre le seul à la faire. Selon J. Pijoan, un couple nimbé figure dans l’axe de l’abside et « tous les autres sont des anges qui se tournent vers le premier registre où semblent se situer les personnages principaux ». Bien que, comme nous le verrons, nous ne partagions pas l’identifi J. Ainaud, Los templos visigótico-románicos…, p. 45 ; Idem, Les esglésies de Sant Pere…, p. 45.   À cette clarté d’identification que fait valoir J. Ainaud nous opposerons l’objection de M. Guardia. À propos du fond comme base de discrimination de scènes, elle signale que «  Certaines [scènes] admettent, il est vrai, d’être au moins délimitées par l’emploi ou l’absence d’un fond animé par la représentation de tentures qui suggèrent une ambiance d’intérieur, mais précisément dans le cas où apparaît ce fond on a voulu lire la scène de l’arrestation du Christ ! » (M. Guardia, « La pintura mural pre-romànica de les esglésies de Sant Pere de Terrassa… », p. 156). 278  J. Pijoan, Monumenta Cataloniæ…, pp. 47-48. 276 277

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8. Détail du motif zénithal avant la restauration (photographie archive de l’auteur avec l’autorisation du Museu de Terrassa).

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cation qu’il propose, le deuxième registre ne consiste pas, c’est vrai, en de supposées scènes évangéliques comme l’affirmait J. Gudiol – et, après lui, tous les autres y compris J. Puig –, mais un thème axial flanqué d’autres personnages279 (voir infra). Malheureusement personne ne semble avoir lu ces pages – comme tant d’autres de J. Pijoan – et ceux qui les ont lues en ont passé sous silence – systématiquement, pourrait-on croire – l’origine. Au vu du peu d’intérêt des différents auteurs et par conséquent du peu de fiabilité des lectures proposées, notre travail part de zéro. Nous commencerons donc cette analyse iconographique en tentant d’identifier une par une les scènes que nous avons décrites plus haut. Une fois réalisée cette identification, nous serons prêts pour évaluer l’existence d’un programme iconographique et sa justification iconologique.

Motif zénithal [fig. 8, annexe 9] Comme nous l’avons dit en parlant de la composition, il n’y a aucune raison pour supposer que nous aurions trouvé sur le motif zénithal un thème figuré. C’est l’hypothèse de certains auteurs et il faut donc démontrer que leur théorie est erronée280. D’après M. Guardia, nous avons là un thème décoratif et rien d’autre281. Pourtant déterminer exactement en quoi consistait l’ensemble du motif zénithal, et pas seulement le centre de l’étoile, et quels pouvaient en être les modèles ou les parallèles, est matériellement impossible, surtout si nous avons à l’esprit ce que nous savons du décor des coupoles antérieures au XIe siècle (voir supra). La seule

  Voir C. R. Post, A History …, VIII/2, p. 540.   J. Pijoan (J. Pijoan, Monumenta Cataloniæ…, p. 47) soutient qu’il devait y avoir un agneau ou la croix, bien qu’il constate que les vestiges font penser à une fleur. Avec cette proposition il pense sans doute aux motifs les plus habituels dans la peinture occidentale pour les clefs de voûte. Les exemples sont nombreux. Nous pourrions nous demander pourquoi il ne propose pas la colombe de l’Esprit Saint ou la Dextera Domini qui avec les deux autres constituent le répertoire principal. Peregrina (N. Peregrina, « Les esglésies episcopals… », p. 258) suggère que l’on devait y trouver la Maiestas ou une allusion « au niveau céleste de la composition » (?). De fait, elle suit la proposition de J. Sureda (J. Sureda, La pintura romànica a Catalunya, pp. 277) sans la comprendre. J. Sureda dit : « D’après les vestiges qui nous sont parvenus, nous pouvons penser qu’il y avait une représentation du Christ en Majesté. Ce cercle qui symbolise le niveau céleste de la décoration… ». 281  M. Guardia, « La pintura mural pre-romànica de les esglésies de Sant Pere de Terrassa… », p. 155. 279 280

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analyse qui nous paraisse possible est celle des différents éléments qui forment séparément cette “clef de voûte”. Dès ses premières études, J. Puig i Cadafalch donne quelques exemples pour le motif de l’étoile : Saint-Jean et Saint-Paul de Rome, l’église nord de Baouit, les églises syriennes de Dauirat et de Zebet, la mosaïque de Cuevas de Vera (Museu de Sòria) comme exemple de sa fréquence dans les monuments romains, l’étoile qui décorait le SaintSépulcre de Jérusalem d’après la description de Constantin VI au concile de Nicée, les étoiles et plaques wisigothes282. J. Pijoan ajoute à cette liste une plaque de chancel de Mérida datée du VIIe siècle283. N. Peregrina y joint quelques exemples de plus, tout en ajoutant comme caractéristique le motif en dents de scie – mosaïques de la maison de la Fontana Grande de Rome, de la villa de Piazza Armerina en Sicile, de Vilagrassa (Lleida), de l’église Saint-Démétrius de Nicopolis ou les peintures du cimetière de Priscille à Rome –284. On pourrait continuer à y ajouter des exemples285. S’agissant d’un motif aussi banal nous en reviendrons toujours à la même conclusion : il se retrouve, semblable à celui de Terrassa, dans de nombreuses œuvres de dates et de supports les plus variés. Si J. Puig i Cadafalch n’en trouve que dans des dates autour du VIe siècle ou antérieures c’est parce que sa recherche veut démontrer une datation du VIe siècle pour les peintures. Pourtant, en trouvons-nous une identique ? Nous n’en trouverons sans doute jamais aucune d’identique parce que c’est un motif géométrique fondé sur le répertoire ancien le plus traditionnel, qui permet des possibilités de combinaison très nombreuses286. Au sujet du motif intérieur de cette étoile, s’il ne s’agit pas nécessairement d’une fleur comme le dit J. Pijoan, les vestiges peints rap282   Cf. J. Puig, « Les pintures del segle VIè… », pp. 148-149 ; Idem, La seu visigòtica d’Egara, pp. 51 ; Id., « Les peintures de la Cathédrale… », pp. 397-398. 283  J. Pijoan, Monumenta Cataloniæ…, p. 47. 284  N. Peregrina, « Les esglésies episcopals… », p. 258. 285   Du côté de l’étoile à huit, ou six, branches, les exemples sont infinis car c’est un motif qui s’adapte très bien aux compositions centralisées, que ce soit sur des décors de plafonds ou de pavements. Dans le cas des coupoles il suffit de voir le magnifique répertoire d’étoiles, à six ou huit branches formées de diverse manière, qui décorent les voûtes de l’atrium, et d’autres couvertures, de Saint-Marc de Venise (XIIIe siècle) (v. O. Demus, The Mosaics of San Marco…, I/2, fig 377 et II/2, fig. 242, 262, 282). En ce qui concerne les motifs quadrangulaires imbriqués ou combinés avec d’autres, nous pourrions dire de même : portrait d’Anicia Juliana aux Dioscurides de Vienne, Sternenmantel d’Henri II, ou coupole nord de SaintMarc de Venise (premier quart du XIIe siècle) (O. Demus, The Mosaics of San Marco…, I/2, fig. 88). 286  Voir Le décor géométrique de la mosaïque romaine. Répertoire graphique et descriptif des compositions linéaires et isotropes, Paris, Picard, 1985, en part. thèmes 176c et 177.

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pellent de manière générique un élément végétal. Plus probablement, les rares vestiges doivent correspondre à une tige en rouleau semblable à celle que nous trouvons dans de nombreuses frises et dans certains culs-de-fours. Pour les frises, les exemples partent des mosaïques de la Coupole du Rocher à Jérusalem (ca. 691-692) jusqu’à, par exemple en Catalogne, les encadrements des devants d’autel des XIIe-XIIIe siècles. Quant aux absides, les deux exemples les plus célèbres, peut-être, et couvrant une fourchette chronologique comparable à celle des frises, seraient l’abside droite du narthex du baptistère de Saint-Jean du Latran (IVe-Ve siècle) et l’abside majeure de Saint-Clément à Rome (XIIe siècle). Mais aucun de ces deux cas ne présente de motifs fermés dans une forme géométrique. Sur les frises ce motif a un développement linéaire continu, alors que dans les absides – moins fréquemment – il se développe en occupant toute la superficie au moyen de grands rouleaux, suivant une tradition inaugurée sur les sarcophages287. Il est vrai cependant qu’on ne le trouve pas à Terrassa, que ce motif est valable pour remplir des surfaces d’une importance symbolique notable, comme au Latran ou à Saint-Clement, qu’il est assez variable, comme le montre la quantité de supports et d’emplois où on le trouve, et donc, en conclusion, qu’à Terrassa bien que ce ne soit pas une des configurations les plus fréquentes, il s’agit d’une des combinaisons possibles de ce motif288. Resteraient à analyser les deux «couronnes» qui ferment l’octogone. L’une d’elles, à l’extérieur, nous place dans un contexte semblable à celui des autres motifs. Il s’agit ici probablement d’une couronne de laurier289. Si les motifs antérieurs avaient des racines classiques évidentes, celui-ci est le motif classique. Pour nous limiter au monde chrétien, disons que pratiquement toute église décorée de mosaïque présente des couronnes de lauriers en guise d’encadrement circulaire ou simplement comme frise de bordure. À nouveau, nous pourrions faire partir les datations du IVe siècle constantinien et les faire parvenir là où il nous conviendrait, et bien sûr y inclure tout le Moyen Âge oriental et occidental. Dans ce cas nous sommes par consé  Par exemple le grand sarcophage en porphyre (milieu du IVe siècle) provenant du mausolée de Constance, aujourd’hui Sainte-Constance de Rome, actuellement conservé aux Musées du Vatican. 288   Pour revenir à Venise, voir la fantaisie des artisans dans la réalisation de l’étoile à six branches complètement entourée de motifs végétaux imbriqués, sur la troisième coupole avec l’histoire de Joseph (O. Demus, The Mosaics of San Marco…, II/2, fig. 290). En outre, rappelons que les autres cercles de chaque côté du chrisme à Saint-Michel de Terrassa sont sans doute aussi des rouleaux au décor végétal intérieur (v. infra). 289  J. Pijoan, Monumenta Cataloniæ…, p. 47. 287

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quent devant un motif parfaitement normal au lieu où il est placé et avec de nombreux parallèles comparables à celui de Terrassa. Le dernier motif – identifié par J. Pijoan comme des plumes de paon – a sans doute une histoire plus complexe290. Bien que nous partagions la suggestion perspicace de J. Pijoan, il faut reconnaître que les plumes de paon tapissant une surface ne sont pas un motif fréquent. J. Pijoan ne donne aucun exemple, et nous n’en avons trouvé qu’un. Selon l’Index of Christian Art (ICA), la bibliothèque du Palais du Latran conserve une décoration datée de ca. 590-604 avec ce motif. La décoration de l’ancienne bibliothèque fut découverte en 1900 quand on fit les fondations de la Scala Sancta. Cette décoration montre saint Augustin (?) trônant avec un livre et, au-dessous, une inscription et une niche qui étaient déjà partiellement détruits au moment de la découverte, avec la voûte en cul-de-four tapissée de plumes de paon. La meilleure image de cette absidiole est donnée par Joseph Wilpert291. L’image est assez nette pour supposer que cette abside ne devait pas être la seule à posséder ce type de décor. Il y a cependant d’autres possibilités. Si nous nous attachons à la manière de disposer les «plumes de paon» à Terrassa nous nous apercevons qu’en fait ce sont des cercles concentriques qui disposent ces petits «éventails» en quinconce (voir supra). Si l’on fait abstraction du décor intérieur de la plume avec ses ramifications, et si l’on se concentre seulement sur la forme semi circulaire, il ne faut guère aller loin pour chercher des parallèles, car c’est un des motifs les plus fréquents dans les mosaïques romaines. Les surfaces d’écailles ou d’écailles concentriques sur des motifs centraux de pavements sont très nombreuses292. Nous trouvons aussi ce motif sur des mosaïques de couverture, comme à Centcelles, dans une disposition ressemblant à celle de Terrassa. C’est même une technique de disposition des tesselles comme on peut le voir sur les mosaïques du palais des empereurs à Constantinople. Passer de cette forme d’écaille, ou, mieux, d’éventail en blanc à un type de forme telle que nous la trouvons à Terrassa ne représente pas un changement de concept radical, d’un   Ibidem.  Joseph Wilpert, Die römischen Mosaiken und Malereien der kirchlichen Bauten vom IV bis XIII Jahrhundert von..., 4 vol., Friburg, Herdersche Verlaghandlung, 1916, I, 149 et fig. 37 ; IV, pl. 140, 141 (1-2). 292   Cf. Le décor géométrique…, thèmes 215 à 219. En particulier le thème 216 b qui est décrit comme « Composition losangée d’écailles oblongues adjacentes, les écailles alternativement en guirlandes-câbles et en guirlandes de laurier, issues de culots (ici les écailles chargées d’une plume de paon). » (Ibid., p. 337). 290 291

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point de vue formel, par contre au plan iconographique et décoratif cela suppose un tout autre propos. Nous ne suggérons pas cependant que l’idée naisse de ce changement. En fait, le détail de la superposition du disque octogonal et de la couronne de «plumes de paon» pourrait indiquer d’abord que, justement, l’idée ne naît pas ici ; ensuite que, oui, peut-être est-on en train d’imiter en tout ou en partie une mosaïque. Le jeu de composition consistant à superposer des «tapis» de mosaïque est parfaitement connu et appliqué normalement dans la mosaïque romaine. Quoi qu’il en soit, c’est à nouveau un motif d’ascendance classique et quel que soit le modèle suivi, le résultat est beaucoup plus réussi que sur des œuvres de qualité supérieure293. Quant aux plumes de paon, nous ne les trouvons pas normalement isolées, mais elles accompagnent habituellement la représentation de cet animal.  L’exemple le plus «classique» est celui de la voûte du chœur de Saint-Vital de Ravenne. Juste au départ des arêtes de la voûte, on voit un paon à chacun des angles. Chaque animal a été représenté de face, avec la queue déployée et les plumes ouvertes, de sorte qu’elles entourent le corps de l’animal comme s’il s’agissait d’un nimbe294. L’intérêt de cette solution, qui aura une longue descendance295, réside en ce que les paons sont associés à la guirlande de laurier qui court sur toute l’arête. La guirlande «naît» derrière la queue du paon et «meurt» sur la couronne qui ferme la voûte. Bien 293   Nous pensons encore une fois à Venise, mais dans ce cas au motif zénithal de la si célèbre coupole de la Genèse. Le modèle pour le décor de cette coupole est parfaitement connu (voir K. Weitzmann, « The Genesis Mosaics of San Marco … ») et bien qu’il ne s’agisse pas d’éléments comparables, autant la narration de la Genèse est bien venue, autant l’élément zénithal est disgracieux. Ici, dans une couronne gemmée avec un fermail central gemmé, on disposé un fond d’écailles en quinconce. Les rangées ne sont pas concentriques mais horizontales et même pas orientées sur l’axe du début de la narration, qui est l’est (O. Demus, The Mosaics of San Marco…, II/1, pp. 144-145 et II/2 fig. 107 et 131). Curieusement, ici aussi il y a une superposition. Le fermail central et la couronne gemmée sont placés par-dessus ce «tapis» d’écailles. À Venise nous pourrions aussi nous demander si le terme d’écailles est correct ou s’il faudrait parler de «plumes de paon», comme l’indiquerait, peut-être, l’œil central de chaque écaille. 294   Une autre représentation classique est celle des paons affrontés séparés par un kantharos. Les exemples sont nombreux, à Sainte-Marie de Terrassa même on conserve un fragment apparu pendant les fouilles de J. Serra-Ràfols et E. Fortuny (J. C. Serra-Ráfols, E. Fortuny, Excavaciones en Santa Maria de Egara…, pp. 22 et suiv.). La fonction de cette mosaïque reste controversée, on a pu dire qu’elle faisait partie du pavement ou qu’elle était une dalle funéraire (Del Romà al Romànic…, pp. 302-303). En ce qui nous concerne, cette typologie ne nous est pas utile car elle ne montre pas la queue déployée et donc on n’en voit pas les plumes. 295   C’est ce qu’on retrouve par exemple à la crypte d’Anagni (XIIIe siècle) et sur les coupoles du narthex de Kariye Camii (début du XIVe siècle) (voir A. Grabar,, « La décoration des coupoles à Karye Camii… », p. 1057, pl. 258 et 260a).

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que la disposition n’ait rien à voir avec ce que nous trouvons à Terrassa, il est évident que le message est le même. Les plumes de paon que nous voyons sur ces queues ne diffèrent guère de ce que nous avons à Terrassa. On pourrait penser, par conséquent, qu’il s’agit en réalité de simplement cela : prendre une plume de paon et recouvrir toute la superficie, comme dans le décor de la bibliothèque du Latran, sans nécessité de recourir aux décors géométriques de la mosaïque ou à une technique de disposition des tesselles. Ainsi, d’une part, nous trouvons deux voies possibles de création du motif de la superficie des plumes de paon – une à travers la mosaïque, l’autre comme création directe – bien que des détails comme la superposition de surfaces décoratives différentes donnent à penser qu’en dernière instance la source se trouve dans les mosaïques. Il est beaucoup plus aventureux de préciser s’il s’agit de mosaïques de pavement ou de couverture. D’autre part, on trouve, quoique dans un format différent, l’association entre la couronne de laurier et les plumes de paon. De l’analyse de l’élément zénithal, on tire une suite de premières conclusions. Chacun des éléments qui le composent possède une claire ascendance dans le monde antique et, par conséquent, un cadre chronologique très large. La quantité de combinaisons permises par ces motifs rend pratiquement impossible d’en trouver un semblable de celui de Terrassa. Ce n’est qu’en trouvant le modèle exact, s’il y en a un, dont s’est inspiré l’auteur de Sainte-Marie, que nous pourrions essayer d’approcher d’une datation et donner un sens précis à ce décor dans notre contexte. En fin de compte, bien que ce soit difficile à assurer, le caractère général du motif de Terrassa et les rares parallèles ne favorisent pas l’idée d’un thème figuré en son centre. Sans doute, donc, devait-il y avoir un thème décoratif, probablement de type végétal.

Premier registre Nous avons déjà vu que ce registre est celui qui a toujours attiré l’attention des chercheurs. Ceci est logique si l’on tient compte de son état de conservation très supérieur au reste des zones de l’abside. De fait, si l’on a espéré parvenir à identifier la thématique et les sources de la décoration de cette abside, cela a toujours été autour de ce registre.

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L’accord minimum qui existe sur l’identification des scènes (voir supra) est en réalité un faux accord basé sur la répétition des paroles de Gudiol-Puig296. C’est assez évident quand on constate l’absence d’arguments pour justifier les identifications réalisées jusqu’à aujourd’hui. Pour les questions de chronologie, de composition ou même de style, J. Puig i Cadafalch, établit un certain nombre de comparaisons, quoique rares297 (voir supra). Pour l’iconographie, en revanche, il ne fait aucun parallèle et ne donne aucun exemple. La situation n’a connu aucun changement jusqu’à l’article de M. Guardia298. L’analyse iconographique du premier registre est complexe, essentiellement en raison de la difficulté à identifier les scènes. Cette question est en outre compliquée par une série de facteurs qui font écran aux approches de cet ensemble. Le premier sujet polémique de ce premier registre a trait à la composition et à la relation des personnages avec l’encadrement. La plupart des auteurs sont d’accord pour comparer Terrassa avec les sarcophages. Cet aspect de sarcophage se traduit par des personnages occupant toute la hauteur du registre et disposés en frise continue sans solution de continuité. Le résultat est en réalité très antiquisant. Ces caractéristiques ne sont pas un problème en elles-mêmes. Pourtant, si on y ajoute l’état général de détérioration, le résultat est une confusion absolue lorsqu’on veut identifier les personnages. Par conséquent, il est très difficile de dire où commencent et où s’achèvent les groupes, quel est le personnage principal de chacun de ces groupes, quels groupes forment des scènes, etc.299. Un autre des problèmes, déjà cité, est la relation entre les per296   Ce n’est cependant pas une négligence dont la responsabilité incombe exclusivement aux chercheurs. Ils peuvent trouver une justification dans les paroles de J. Pijoan (J. Pijoan, Monumenta Cataloniæ…, p. 47) à propos de la qualité des peintures et des attentes qui étaient nées. Sans doute le problème est-il davantage structurel. Nous avons déjà dit dans l’introduction que l’intérêt pour un approfondissement des études sur le patrimoine est une tendance de ces dernières années. Le Plan directeur des églises de Sant Pere va dans ce sens (v. Pla director del Conjunt Monumental…). 297  J. Puig, « Les peintures de la Cathédrale… », pp. 398-401. 298  M. Guardia, « La pintura mural pre-romànica de les esglésies de Sant Pere de Terrassa… », pp. 155-156. 299   Rappelons que la division des scènes utilisée dans la description ne repose pas sur une identification a priori, mais sur l’établissement de certains critères préalables qui nous ont permis le maximum d’objectivité par rapport à l’objet de l’étude. En outre il faut remarquer que, comme nous l’avons vu dans la description, le registre ne présente pas tout entier la même relation entre cadre et personnages. Si jusqu’à présent la plupart des auteurs l’ont présenté ainsi, cela est dû, encore une fois, au traitement peu nuancé qu’ils ont fait de l’ensemble. En réalité ce point a des chances d’être plus important qu’il n’y paraît à première vue (v. infra).

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sonnages nimbés et les palliati. Cette relation particulière interdit, comme nous le verrons ci-après, d’accepter la proposition «unanimement» admise qui identifie les scènes du registre en relation avec la vie du Christ. Une question dont il a été fait peu de cas et qui a toujours attiré notre attention, est le sens de lecture du registre. Savoir où commence la narration et dans quel sens il faut la lire nous paraît fondamental. D’emblée, il faudrait supposer que les scènes se lisent de gauche à droite. Notre tradition culturelle nous incline à accepter cette prémisse. Curieusement, et dès la première mention, les scènes ont toujours été lues de droite à gauche sans que personne n’ait émis d’objection à propos d’un fait aussi peu fréquent300. Si nous pensons aux rares exemples de coupole historiée cités (voir supra), tous présentent une «marque» pour indiquer où commence et où s’achève la lecture, lecture qui va toujours de gauche à droite301 . Résoudre ces questions n’est pas une affaire mineure parce que cela pourrait nous donner des indications précises sur l’origine du ou des modèles. Mais avant de les résoudre, il faut savoir évidemment de quelles scènes il est question. En commençant l’analyse du premier registre il faut remarquer qu’il n’y a rien qui permette de parler d’un cycle christologique. Dans le groupe de neuf scènes que nous avons individualisées lors de la description, trois seulement pourraient être lues avec une clef chris300   Si nous comparons Sainte-Marie – comme on l’a fait si souvent – avec un sarcophage, on trouve des exemples dans lesquels la lecture se fait de droite à gauche. C’est le cas à Saint-Félix de Gérone, par exemple, du sarcophage avec l’histoire de Susanne (ca 305-312). Cette particularité, un sens de lecture de droite à gauche, a fait proposer qu’il pouvait s’inspirer d’un manuscrit hébreu illuminé. Voir récemment S. Vidal, « Escultura funerària », p. 216, nº 4. Sur ce bel ensemble de sarcophages de Saint-Félix de Girona, il n’existe pas encore de monographie. Un petit guide publié il y a peu, quoique utile, ne comble pas ce vide (cf. N. M. Amich, Els sarcòfags… de Sant Feliu de Girona). 301   À Saint-Marc de Venise, déjà la première coupole historiée, celle de saint Jean – transept nord – montre le personnage axial de Jean marquant le début du récit qui continue sur sa droite. Dans le décor le plus complexe de la première coupole de l’atrium, avec la Création, le sens de lecture va aussi de gauche à droite, dans ce cas la marque de début est une unique “ligne” verticale qui traverse les trois registres à la fois (O. Demus, The Mosaics of San Marco…, II/1, p. 145). Une ligne d’or marque le début de l’histoire d’Abraham (Ibid., 153-154). À Saint-Marc la seule exception est la deuxième coupole, celle de l’histoire de Joseph, qui ne présente aucune marque pour le début de la narration. Cependant, à cette époque, les mosaïstes de Saint-Marc avaient déjà systématisé le début des narrations dans l’axe est de chaque coupole (Ibid. p. 158). Si nous nous déplaçons de cet ensemble spectaculaire à d’autres plus modestes, nous verrons que le système est similaire. Voir par exemple ce qui se passe à Lambach (O. Demus, La peinture murale…, pp. 195 et suiv.), où non seulement le sens de lecture de chaque coupole est de gauche à droite, mais où les trois coupoles doivent elles-mêmes être lues de gauche à droite.

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tologique. Sur ces trois scènes, une seulement – la scène B – présente assez d’indices pour accepter son appartenance au cycle christologique. Quant aux deux autres – les scènes C et D –, leur attribution à ce cycle est douteuse. Le reste du registre ne paraît avoir aucune relation avec la vie du Christ. Bien que le degré de détérioration des peintures rende difficile toute précision sur ces questions, deux arguments de fond poussent à rejeter la lecture traditionnelle et à être restrictif pour l’identification des scènes. Le premier a trait aux nimbes crucifères, le second à la relation entre nimbes, pallia et chlamydes. Le seul personnage du premier registre pour lequel il n’y ait pas de doute d’interprétation est le B1. Nous l’avons déjà dit lors de la description. Le personnage B1 porte un nimbe crucifère, et pour cette raison il doit être identifié au Christ. Du reste des personnages du registre, seuls six conservent un nimbe302, et rien ne permet de supposer que ces nimbes aient jamais été crucifères. Parmi les personnages dont nous n’avons pas la partie supérieure, six autres pourraient difficilement représenter le Christ. Cinq303 parce qu’ils portent une tunique courte et des bracæ, le dernier304 parce que, bien que portant le pallium, il tient dans ses mains une épée, élément absolument étranger au personnage du Christ. Pour ce qui est de la tenue vestimentaire des différents personnages, le plus fréquent est que le Christ porte le pallium et soit nimbé305. Pour le nimbe, il y a des exceptions ; les sarcophages en sont une, mais pas la seule. Pour le pallium, sauf les moments où il peut apparaître nu ou à demi nu – essentiellement pendant le Baptême, la Flagellation ou la Crucifixion – nous nous risquerions à dire qu’il n’y a pas d’exception. Il en va autrement de ses disciples. Quand ceux-ci accompagnent le Christ – sauf, encore une fois, des scènes de l’Enfance et certaines de la Passion – ils peuvent porter un nimbe ou ne pas en porter, mais le pallium est impératif pour l’un comme pour les autres. Le contraire n’aurait pas de sens, car c’est ainsi que l’on reconnaît clairement le Christ et les disciples du reste des personnages qui interviennent dans les récits évangéliques. Pourtant il est fréquent, et logique, que les pallia soient différents ; ce qui serait absolument irrégulier serait un Christ portant pallium et les disciples tunique courte   Ce sont D2, E3, E4, F1, F2, F3.   C2, G2, H2, H’1, H’2. 304  I1. 305   Voir G. Schiller, Ikonographie des christilichen…, I, fig. 389 et suiv. ; Ibidem, II, fig. 1 et suiv. 302 303

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et bracæ. Si nous considérons qu’à Sainte-Marie la plupart des personnages – scènes D, E, F – sont nimbés et que, comme il a été répété, il s’agit de supposées scènes de la vie du Christ, le résultat est que nous avons une abside où le Christ porte le nimbe et le pallium et les apôtres portent le nimbe et des habits «de la classe inférieure», ou «humbles» – pour reprendre les expressions de J. Puig i Cadafalch306. Pour cela et dans ces termes, il n’y a pas de parallèle. Ces deux arguments sont relativement simples, pourtant ils semblent suffisants pour nous permettre de douter, si ce n’est plus, de la pertinence de l’identification des scènes du premier registre comme appartenant au cycle christologique. Au moment d’analyser la succession de scènes du premier registre, il faut avoir à l’esprit un autre facteur qui après la description paraît évident. Nous voulons parler de la visibilité ou de la non visibilité des images. À la différence du deuxième registre, le premier se caractérise par l’occultation d’une partie de la décoration. À partir de la nef, c’est-à-dire, du point de vue du fidèle, les seules scènes visibles sont les scènes B à G. Les scènes A et H-I ne sont visibles que de l’intérieur de l’abside, c’est-à-dire du point de vue de l’officiant et des membres du chœur. Étant donné, comme cela semble clair a priori, qu’il n’y a aucune certitude sur la signification de ces scènes, ni sur le sens de lecture, un examen à partir de cette organisation peut être utile pour la compréhension du programme décoratif307.

Les scènes “visibles” Scène B : La Trahison et l’Arrestation du Christ Depuis J. Puig i Cadafalch, nos scènes A et B ont été considérées comme une scène unique interprétée comme le Christ déféré devant Pilate, Anne ou Caïphe [figs. 9-14]. Cette identification repose sur le fait que les personnages faisant partie de la scène se déplacent de droite à gauche. B3 et B4 ont en effet les jambes fléchies et les pieds tournés vers la gauche [fig. 12]. Cela, plus la position du bâton qu’ils portent sur l’épaule, a induit à penser qu’effectivement le groupe se déplace vers la gauche. Nous oserons dire que la position de ces seuls 306  J. Puig, « Les peintures de la Cathédrale… », pp. 398 ; Idem, Noves descobertes a la Catedral d’Egara…, pp. 28. 307   Cette division entre scènes “visibles” et “non visibles” se manifeste aussi sur l’aspect purement formel (voir supra). C’est une division trop nette pour être fortuite.

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9. Détail du personnage A2 devant le bâtiment (photographie archive de l’auteur avec l’autorisation du Museu de Terrassa) et calque de l’auteur.

10. Détail du trône (?) avec un personnage (?)(photographie archive de l’auteur avec l’autorisation du Museu de Terrassa) et calque de l’auteur.

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troisième partie 11. Détail de l’espace vide entre les scènes A et B (photographie archive de l’auteur avec l’autorisation du Museu de Terrassa).

12. Scène B (photographie archive de l’auteur avec l’autorisation du Museu de Terrassa).

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la peinture dans les églises de sant pere de terrassa 13. Détail de la scène B avec les personnages B1, B2 et B6 (photographie archive de l’auteur avec l’autorisation du Museu de Terrassa) et calque de l’auteur.

14. Détail du personnage B3 (photographie archive de l’auteur avec l’autorisation du Museu de Terrassa) et calque de l’auteur.

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personnages a conditionné la lecture de droite à gauche de tout le premier registre. Sur cette question, nous dirons d’abord que l’attitude de B5 n’est pas clairement visible. Il est évident que le personnage accompagne B3 et B4, mais la position de ses jambes et le bâton qu’il appuie au sol en font un personnage beaucoup plus statique. Comme s’il se limitait à fermer le groupe. Ensuite, il est clair que du personnage du Christ on ne voit guère plus que le nimbe. Il est donc très difficile de dire, sinon impossible, si le Christ (B1) avance au rythme de B3-B4 ou s’il est simplement debout de face. Pour renforcer cette dernière opinion, disons que toutes les propositions qui identifient la scène comme la détention ou la conduite du Christ oublient un des personnages de la scène : le personnage B2. Nous nous demandons quel sens cela pourrait avoir de placer ce personnage, absolument de face, devant un groupe qui avance. Sans doute la clef de l’interprétation de cette scène est-elle le personnage B2 [fig. 13]. Les autres éléments à prendre en compte pour l’interprétation correcte de la scène sont le parapethasma et la délimitation de cette scène. La tenture qui couvre le fond de la représentation, ou parapethasma, a souvent été interprétée comme un élément suggérant un intérieur308. Cette tenture pourrait donc être un argument pour soutenir que la scène se déroule à l’intérieur des palais de Pilate, Anne ou Caïphe. Cependant, à notre avis, la présence d’une tenture n’implique pas nécessairement la localisation d’une scène dans un intérieur, mais elle peut suggérer le déroulement de l’épisode dans une enceinte fermée, comme nous allons le voir. Pour la limite de la scène, nous n’avons aucun doute que la scène B arrivait jusqu’au grand espace en blanc à la gauche du Christ (B1) et de B2. L’interprétation traditionnelle considère pourtant que les trois personnages, précédés par le Christ, se dirigent vers la curieuse «tente» de notre scène A. Certains ont même affirmé que le personnage sous la tente était Pilate lui-même, Anne ou Caïphe. Ce dernier point n’est en aucun cas admissible. D’abord il est possible (voir la description) que le personnage sous la tente porte une lance, et il pourrait donc être un soldat. Ensuite on ne peut prétendre que le plus haut représentant de Rome à Jerusalem ou les plus hautes autorités religieuses hébraïques aient été représentées vêtues comme les plus humbles des serviteurs. Remarquons que les trois personnages qui sont censés conduire le Christ  M. Guardia, « La pintura mural pre-romànica de les esglésies de Sant Pere de Terrassa… », p. 156.

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portent une tenue bien supérieure, avec leur chlamyde et son fibule circulaire. Il serait possible, pourtant, que devant la «tente» se soit trouvé le trône du personnage. Car nous distinguons encore, devant la tente, les vestiges d’une structure très difficile à identifier. Il semble cependant difficile de soutenir que cet objet soit la partie inférieure d’un trône309. Un autre élément invalide la possibilité de considérer que les scènes A et B en forment une seule. La scène A est à l’évidence l’œuvre commune des mêmes artistes qui ont réalisé H, H’ et I. Il ne semble pas raisonnable de penser qu’une même scène fut réalisée en deux moitiés par deux artistes si différents310. Tous ces arguments nous obligent à écarter, à notre sens, la possibilité que A et B soient une même scène. Une fois revues ces questions, à propos de la scène B on ne peut admettre que deux certitudes absolues. D’une part B1 est le Christ ; de l’autre B3, B4 et B5 ne sont pas des Apôtres, ainsi que le montrent leur tenue et l’absence de nimbe [fig. 14]. Grâce à ces deux éléments et aux déductions que nous avons faites sur les vestiges de la scène, la seule interprétation possible est qu’il s’agit, à notre avis, de la Trahison et de l’Arrestation du Christ. Dans une large mesure, la clef de l’interprétation de la scène passe par l’identification du personnage B2. Sa présence conditionne en grande partie les identifications possibles de la scène. La proposition traditionnelle qui voit dans cette zone le Christ déféré devant Pilate, Anne ou Caïphe, masque la présence de B2. Une scène qui met en avant la présentation du détenu devant le juge perdrait sa cohérence en interposant un personnage – si petit soit-il. L’image du Christ devant les juges est une scène bien connue311. Le Christ en constitue l’axe, étant habituellement le seul personnage nimbé et portant pallium, et il précède un groupe de gardiens. Généralement la scène se situe dans un intérieur ou bien on y trouve les indications d’une 309   Aucun des nombreux trônes que l’on peut voir tant dans les scènes de la Vie du Christ que dans d’autres scènes ne présentent la moindre proximité avec cette structure (v. G. Schiller, Ikonographie des christilichen…, II, par exemple fig. 184-189, 202-212 ; cf. Index of Christian Art, http ://www.princeton.edu (édition papier non actualisée à la Biblioteca Apostolica Vaticana): Christ and Pilate). 310   Nous pourrions donner pour exemple les analyses de mains différentes dans l’illumination de manuscrits. Bien que cela ait été défendu à quelques reprises, il est difficile de soutenir que des mains différentes interviennent au recto et au verso d’un même folio, sauf quand il est question de l’interruption d’un travail. 311  G. Schiller, Ikonographie des christilichen…, II, pp. 56-65, fig. 184-189. Ce modèle, en outre, a été la base des présentations de martyrs et de saints devant leurs juges, voir par exemple la remarquable série de l’ancien transept de Sainte-Praxède à Rome.

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construction. Devant lui apparaissent les différentes autorités siégeant sur leurs trônes et portant la tenue propre aux laïcs – Pilate – ou aux religieux – Anne et Caïphe. Nous avons déjà dit que notre personnage A2 (debout devant la «tente») n’appartient à aucune de ces deux autorités. D’autre part, l’espace en blanc entre les scènes A et B ne paraît pas suffisant pour contenir les éléments nécessaires à une scène de conduite et présentation devant l’autorité. Pour ce qui est du déroulement de la scène dans un intérieur, à Terrassa le seul élément qu’y pourrait faire penser est le parapethasma. Cependant la tenture a été utilisée fréquemment, outre que dans les scène de l’Arrestation du Christ dans un cadre architecture qui indiquent aussi un intérieur – par ex. sur les plats de reliure en ivoire de Metz, ca. 850, Paris, BNF, ms. Lat. 9388. La présence du parapethasma, donc, pourrait être lue comme une allusion à la propriété privée dans laquelle se retirent pour prier le Christ et sa suite après la Cène312. Par conséquent, il ne faut pas voir dans cette tenture une allusion à un intérieur – en tout cas pas à l’intérieur d’un édifice – mais simplement la suggestion d’un environnement délimité313. Quant au groupe armé qui est figuré à Terrassa, il est habituellement représenté dans les scènes de l’Arrestation, comme dans celles de la conduite et de la présentation du Christ. Sa présence ne constitue donc par un argument pour écarter l’une ou l’autre de ces possibilités. Que les hommes en armes soient seulement à droite de la scène n’en est pas un non plus. En réalité, le plus fréquent est que le groupe de ceux qui l’arrêtent se trouve sur un des côtés, en opposition au groupe des disciples qui se trouverait de l’autre côté. Les exemples en sont nombreux314. Il est certain en revanche qu’à Terrassa il n’y a aucun groupe de disciples à droite. C’est ici qu’intervient le personnage B2.   Jn. 18, 1-2 : Hæc cum dixisset Iesus, egressus est cum discipulis suis trans torrentem Cedron, ubi erat hortus, in quem introivit ipse, et discipuli eius. Lc. 22, 39 : Et egressus ibat secundum consuetudinem in monte Olivarum. Mc. 14: 32 : Et veniunt in prædium, cui nomen Gethsemani. Mt. 26: 36 : Tunc venit Iesus cum illis in villam, quæ dicitur Gethsemani,… Le seul qui ne parle pas clairement d’une propriété est Luc. Jean parle d’un jardin dans lequel il fallait entrer, Marc d’un domaine et Matthieu d’une villa. Dans les trois cas il s’agit d’un lieu isolé et fermé qui permettait une certaine intimité. C’est ainsi qu’est représenté ce jardin de Gethsémani dans certaines œuvres gothiques. En Catalogne les peintures du mur nord de Sainte-Eulalie d’Unha (Val d’Aran) du XVIe siècle en sont un bon exemple (voir aussi G. Schiller, Ikonographie des christilichen…, II, fig. 151 et 154). 313   À partir du XIVe siècle, le mont des Oliviers est progressivement remplacé par un jardin fermé, cf. G. Schiller, Ikonographie des christilichen…, II, pp. 50-51, fig. 151 et suiv. 314  G. Schiller, Ikonographie des christilichen…, II, fig. 159, 169, 170. 312

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Un petit personnage comme celui qui apparaît dans la scène B limite fortement les possibilités d’interprétation de la scène. Son apparition aux côtés du Christ pourrait faire penser aux représentations de l’Entrée à Jérusalem. À nouveau les exemples sont nombreux. Observons un exemple antique, le sarcophage d’Adelphia, œuvre romaine de ca. 340-345315. Cette pièce nous montre le Christ chevauchant l’âne et juste devant lui un petit personnage qui étend son manteau en manière de salutation au cavalier et à sa monture. Sur le sarcophage, ce personnage est représenté d’une taille nettement plus petite que les personnages du Christ et des disciples. En réalité, le Christ, bien qu’il chevauche l’âne, a la même taille que le disciple qui le suit à pied, c’est-à-dire la hauteur du registre. Nous pourrions imaginer une représentation similaire à Terrassa si ce n’était que : a) nous n’avons pas de place pour l’âne ; b) le personnage étendant son manteau ne peut se trouver, à l’évidence, de face ; c) les personnages qui suivent le Christ ne sont pas des disciples mais un groupe armé. En forçant la comparaison nous pourrions même prétendre identifier B2 comme un des guéris des nombreux miracles. Aveugles, possédés, estropiés… apparaissent fréquemment devant le Christ, demandant ou recevant un miracle. Pourtant, encore une fois, l’absence des disciples accompagnant le Christ – plus B2 se trouvant sans doute de face – rendent difficile l’identification de la scène B comme une de cellesci. Dans les scènes du Christ devant Pilate, précisément dans celles où celui-ci se lave les mains, on trouve un petit personnage qui verse l’eau sur les mains de Pilate. C’est ce qu’on voit sur la scène principale du couvercle de la lipsanothèque de Brescia (Brescia, Museo Civico, ca. 360-70)316, sur un ivoire du IVe ou Ve siècle conservé à Londres (British Museum) ou sur les mosaïques de Saint-Apollinaire-le-Neuf de Ravenne (VIe siècle). Comme nous le voyons, l’iconographie est ancienne mais sur tous les exemples on constate que l’assistant est très près de Pilate, et habituellement du côté opposé au Christ, et non pas 315   Une compilation exhaustive n’est pas nécessaire pour voir que le modèle de ce sarcophage a eu un grand succès. À titre d’exemple, voir le folio du Codex Purpureus Rossanensis (VIe siècle), l’ivoire byzantin conservé à Berlin (Xe siècle) ou les peintures de San Baudelio de Berlanga (début du XIIe siècle) (voir G. Schiller, Ikonographie des christilichen…, II, fig. 2011). Sur toutes ces représentations on trouve de petits personnages, plus ou moins proches de la monture, célébrant l’entrée du Christ. Dans certains cas c’est le vêtement lui-même lancé sous les pattes de l’âne qui pourrait nous faire penser à notre petit personnage B2. 316   Sur la même pièce figure une des images possibles de la présentation du Christ devant Anne et Caïphe.

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entre le Christ et Pilate. Par conséquent, il semble raisonnable de supposer que B2 n’est pas l’assistant de Pilate. À notre avis, la seule identification possible de la figure B2 est Malchus. Simon ergo Petrus habens gladium eduxit eum : et percussit pontificis servum : et abscidit auriculam eius dexteram. Erat autem nomen servo Malchus. (Jean 18, 10) – c’est nous qui soulignons.

Comme nous le voyons, l’anecdote – à vrai dire plus propre à un apocryphe – est déjà recueillie par Jean, pourtant la représentation de l’épisode tarde à apparaître. Nous trouvons l’une des premières représentations sur les Évangiles de saint Augustin conservés à Cambridge (Corpus Christi College, ms. 286 ; Rome (?), ca. 600)317. Le personnage de Malchus a été représenté de nombreuses manières. L’une d’elles le montre comme un petit personnage – presque enfantin – maintenu par Pierre qui lui coupe l’oreille. Nous pouvons renvoyer par exemple à l’image du Codex Egberti de Reichenau (Trèves, Stadtbibliothek, cod. 24, fol. 79v  ; ca. 980). Dans ce cas, le Christ apparaît entouré par deux groupes d’hommes venus l’arrêter. Ceux de droite paraissent armés comme ceux de Sainte-Marie, ceux de gauche se limitent à maintenir le Christ pendant que Judas l’embrasse. Le Christ lève le bras, en direction de Pierre et Malchus. Ces deux personnages sont relativement écartés ; plus loin encore se trouve le reste des disciples. Pierre lève l’épée de la main droite tandis que de la gauche il tient la tête de Malchus. Celui-ci apparaît représenté à moitié étendu par terre, mais avec un gabarit et des traits qui le rendent beaucoup plus petit que le reste des personnages. Souvent le geste du Christ, qui en même temps arrête Pierre et guérit Malchus, disparaît. C’est ce que nous voyons à Sant’Angelo in Formis où les personnages sont de taille similaire mais apparaissent contigus au Christ318. Le geste du Christ disparaît aussi sur les peintures de Vicq319. Ici, en outre, le groupe de Malchus et Pierre est relativement proche du Christ et, surtout, Malchus, bien que presque debout, a la moitié de la hauteur des autres personnages. La scène est connue et le modèle aussi. Par ailleurs, nous ne prétendons pas établir de liens avec une scène en particulier. Notre intention est de montrer qu’à Sainte-Marie de Terrassa nous sommes devant  G. Schiller, Ikonographie des christilichen…, II, fig. 161 Ibid., II, fig. 174. 319 Ibid., II, fig. 175. 317 318

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la représentation de l’Arrestation du Christ. Malheureusement, nous avons perdu la moitié gauche de la composition. Les éléments conservés coïncident cependant avec ce que nous connaissons de la scène. Au centre se trouve le personnage du Christ. D’après ce qu’il en reste, il est difficile de dire s’il est de face ou tourné d’un côté ou de l’autre. On avait considéré habituellement qu’il était tourné vers la gauche. Nous avons vu qu’il n’y a aucun argument pour l’affirmer, et qu’en vérité le personnage que nous identifions comme Malchus rend cela impossible. À droite figure un groupe de personnages armés semblables à ceux du Codex Egberti. Les vestiges ne permettent pas de dire si Judas s’y trouvait aussi, embrassant le Christ. Bien que le plus fréquent soit qu’il y apparaisse, on trouve aussi des exemples où il est absent320. Ceci est dû à une double tradition : dans un cas, le baiser et l’arrestation sont présentés comme simultanés, dans l’autre, comme successifs. La lipsanothèque de Brescia fournit un bon exemple de l’absence du baiser de Judas. Le plus fréquent est cependant qu’après le baiser vienne l’arrestation, comme sur les Évangiles de saint Augustin (Cambridge, Corpus Christi College, ms. 286, fol. 125r ; ca. 600), dans le cycle christologique de Saint-Apollinaire-le-Neuf de Ravenne (VIe siècle) ou sur certains ivoires carolingiens (Paris, BNF, ms. lat. 9388 ; ca. 850 ; Londres, British Museum ; ca. 900)321. Mais nous pourrions aussi supposer que nous sommes devant une scène semblable à celle du fol. 79v du Codex Egberti. Ici nous pourrions difficilement dire si le personnage de Judas est présent où non, l’état des peintures ne le permet pas. Dans le manuscrit, le Christ et Judas sont placés l’un devant l’autre, de sorte que, même là, il est difficile de préciser les contours de chaque personnage. Que Judas soit plus petit et donc qu’il ait la tête à hauteur de poitrine du Christ, empêcherait à Terrassa qu’on en ait conservé quoi que ce soit. Lors de la description, nous avons pourtant trouvé un élément étrange. Juste sous le nimbe du Christ apparaît un élément qui habituellement est identifié comme son épaule. Mais nous avons déjà dit que sa forme correspond davantage à celle d’un bras. Cela nous faisait proposer l’existence d’un sixième personnage (B6). Nous ne doutons pas que ce B6 soit Judas alors qu’il passe le bras sur le cou du Christ en s’approchant pour l’embrasser.   Ibid., II, pp. 51 et suiv., fig. 158 et suiv.   Ibid., II, respectivement fig. 11, pp. 158-159 et pp. 165-166. Notre proposition d’interprétation du premier registre de Sainte-Marie de Terrassa permettrait même de supposer l’absence de Judas (voir infra). 320 321

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Nous pouvons donc supposer que sur la scène B figure l’Arrestation – et peut-être la Trahison – du Christ. Les trois personnages à droite du Christ (B1) seraient les juifs qui viennent arrêter le Christ. Comme dans le cas, par exemple, de l’Évangéliaire d’Otton III (Munich, Staatsbibl., Clm. 4453, Cim. 58, fol. 244v ; Xe-XIe siècles) ou de l’autel d’or de la Cathédrale d’Aix-la-Chapelle (ca. 1000), ces hommes seraient armés de bâtons. Leurs vêtements, la tunique courte, les bracæ et la chlamyde, sont aussi révélateurs de leur condition de non-disciples. Au centre de l’image – quoique pas nécessairement au centre exact de la composition –, comme on le voit aux Saints-Martyrs de Cimitile (début du Xe siècle), on trouve le personnage du Christ, peut-être embrassé par Judas placé comme sur le Codex Egberti. Le petit personnage à gauche du Christ ne peut être, dans ce contexte, que Malchus (B2), représenté d’une taille plus petite, comme fréquemment. Une fois encore, les Saints-Martyrs de Cimitile sont un exemple modèle de cette petite taille. Nous pouvons ajouter les exemples fournis par un camée conservé au Cabinet des Médailles du Musée du Louvre (IXe siècle) et celui déjà cité de l’église de Vicq. Bien qu’il n’en reste aucune trace, près de Malchus, et lui tranchant l’oreille d’un coup d’épée, il faudrait imaginer saint Pierre. De même il faut supposer un geste du Christ vers le blessé, bien qu’il soit parfois absent. L’espace de ce côté est suffisant pour qu’aient pu s’y trouver au moins quelques disciples, sinon tous ; l’état de conservation ne permet de rien y voir. L’identification de la scène B avec l’arrestation du Christ nous permet deux affirmations qui jusqu’ici étaient restées du domaine des hypothèses. D’abord les scènes que nous avons baptisées A et B, en les séparant, sont effectivement deux scènes différentes et non une seule comme il avait été proposé depuis J. Puig i Cadafalch. Ensuite, la conception de la scène indique un mouvement non pas de droite à gauche mais convergent vers l’axe central qu’est le Christ. Ce dernier aspect est important. Nous avons déjà dit que cette scène a été sans doute celle qui dès le départ a conditionné un sens de lecture de droite à gauche, et qui ajoutait de la confusion à un registre déjà confus en lui-même. Bien que, comme nous l’avons dit, un sens de lecture de droite à gauche ne soit pas impossible, il paraissait à vrai dire étrange dans cette composition d’abside. La ré-identification de

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la scène B comme l’Arrestation permet de ré-situer de manière définitive toute cette question322.

Scène C : Le Reniement de Pierre Bien qu’il l’ait proposé lui-même, J. Puig i Cadafalch doutait que la scène que nous avons appelée C, fût l’Entrée à Jérusalem323 [fig. 15]. Elle se limite à deux personnages – l’un avec un pallium, l’autre avec une chlamyde [fig. 16]. L’attitude du porteur de chlamyde – C2 – suggère qu’il est en train d’interpeller le porteur de pallium – C1. La pauvreté des vestiges rend très difficile la tentative d’identification [fig. 17]. Pour les raisons déjà invoquées, nous ne pouvons que rejeter la possibilité qu’il s’agisse de l’Entrée à Jérusalem. Si cette image présente un événement lié au Nouveau Testament, le plus raisonnable est de penser qu’il s’agit d’un événement postérieur à l’Arrestation du Christ. La disposition des vestiges qui, rappelons-le, révèlent seulement un personnage – C1 – portant tunique et pallium devant un personnage – C2 – portant tunique courte, bracæ et chlamyde, ne permet guère de possibilités. De plus, C2 allonge le bras, dans un geste qui selon le contexte peut être compris de beaucoup de façons, mais qui, ici, dans le cas de deux personnages l’un devant l’autre, pourrait être interprété comme une demande de C2 à C1. Même en laissant de côté le geste, les circonstances postérieures à l’Arrestation du Christ, dans lesquelles nous trouvons une disposition semblable, ne sont pas si nombreuses, et dans aucun des cas le personnage avec pallium n’est le Christ. À partir de l’Arrestation, le Christ cesse d’être accompagné par les disciples, remplacés par des soldats ou des envoyés des juges. Dans les cas où il pourrait apparaître seul devant quelqu’un, ce quelqu’un est Pilate, Anne ou Caïphe. Nous pourrions donc trouver le Christ seul devant un personnage, mais ce dernier serait représenté sur un trône. Le seul cas, dans la suite des événements où nous pourrions trouver ce que nous avons à Terrassa est pendant le Reniement de Pierre.

  Nous ajouterons une autre considération. L’exemple le plus ancien de l’Arrestation avec Malchus n’est, comme nous l’avons vu, pas antérieur à 600. Bien que ces données puissent toujours être remises en question par une nouvelle découverte, cela nous donne une borne chronologique possible, en ce cas une date post quem. 323  J. Puig, Noves descobertes a la Catedral d’Egara…, p. 28. 322

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15. Scènes C, D et E (photographie archive de l’auteur avec l’autorisation du Museu de Terrassa).

16. Scène C (photographie archive de l’auteur avec l’autorisation du Museu de Terrassa) et calque de l’auteur.

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17. Détail de la scène C (photographie archive de l’auteur avec l’autorisation du Museu de Terrassa).

Après l’annonce de cette répudiation par le Christ et l’étonnement de Pierre324, la prédiction s’accomplit dans la cour du palais de Caïphe, le grand prêtre325. Alors que dans les récits de Matthieu et de Marc, les deux premiers reniements ont lieu en réponse au soupçon d’une servante et le troisième au groupe réuni dans la cour du palais de Caïphe qui demande des explications à Pierre, dans le récit de Luc ce sont d’abord une femme puis deux hommes différents qui interpellent successivement Pierre. Le récit de Jean est plus complexe. Pierre et Jean vont dans le palais de Caïphe et pendant que Pierre reste dehors, Jean entre avec le Christ. Au moment où Jean fait entrer Pierre dans le palais, la portière demande à celui-ci s’il ne serait pas un disciple du Christ. Revenu dehors, Pierre est interpellé, d’abord, par le groupe de ceux qui se trouvaient dans le palais et ensuite, curieusement, par un parent de Malchus. Il nous est, encore une fois, difficile d’assurer que nous sommes devant cette scène et aucune autre. Selon la relecture du thème par Schiller, la scène habituellement représentée est celle de la rencontre

  Respectivement : Mt. 26, 34 ; Mc. 14, 30 ; Lc. 22, 34 ; Jn. 13, 38.   Respectivement : Mt. 26, 69-75 ; Mc. 14, 68-72 ; Lc. 22, 54 et suiv. ; Jn. 18, 12-27.

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entre Pierre et la servante, donc avec une femme326. C’est ce qui est visible sur la lipsanothèque de Brescia (Brescia, Museo Cristiano ; ca. 360-370) ou sur les mosaïques de Ravenne (Ravenne, Saint-Apollinaire-le-Neuf, registre supérieur du mur sud ; VIe siècle)327. Dans le dernier exemple, le modèle iconographique montre le personnage féminin devant la porte d’un bâtiment, accusant saint Pierre en le montrant de l’index. Mais ce n’est pas ce que nous voyons à Terrassa. La scène C de Sainte-Marie montre un personnage masculin qui fait le geste de demander des explications et non d’accuser. Curieusement, c’est le geste que font les personnages masculins apparaissant souvent dans cette scène. C’est ce que nous trouvons sur les Évangiles d’Otton II ou III (Aix-la-Chapelle, Trésor de la Cathédrale ; ca. 990), ou dans les Évangiles d’Otton III (Munich, Bayerische Staatsbibliothek, cod. lat. 4453, fol. 247 ; ca. 1000) ou sur le Codex Aureus d’Henri III (Escorial, Cod. Vetr. 17, fol. 82r ; ca. 1043-6)328. En vérité, le texte évangélique rapporte la rencontre avec la servante comme cause du premier reniement, mais dans les reniements suivants on trouve aussi bien des hommes que des femmes, comme le groupe qui se réchauffait avec Pierre dans la cour du palais de Caïphe. Ceci expliquerait une représentation comme celle du fol. 396v. de la Bible de Ripoll (Vatican, Bibl. ms. lat. 5729 ; Ripoll, milieu du XIe siècle) où Pierre est totalement accablé par les accusations qui lui parviennent de toutes parts329. Il est logique dans une sélection de choisir comme représentation la plus significative des reniements la rencontre avec la servante. Il s’agit du premier, et les quatre évangiles sont d’accord pour y voir un personnage féminin. Pourtant, cela n’exclut pas d’autres possibilités. En premier lieu, le texte le permet. Ensuite, il pourrait y avoir un intérêt à ne pas suivre la représentation la plus commune. Peut-être est-ce un hasard, très curieux ici, que le texte de Jean explique ainsi le troisième reniement de Pierre :

326  G. Schiller, Ikonographie des christilichen… II, pp. 58-60 ; cf. Louis Réau, Iconographie de l’Art Chrétien, III tomes, Paris, PUF, 1955-1959, en part. II, 439. 327  G. Schiller, Ikonographie des christilichen…, II, fig. 10 et fig. 197. 328   Cf. Ibidem, II, fig. 186, pp. 188 et 200. 329   Précisément de la part de deux femmes à droite et d’un groupe à gauche. Peut-être est-ce une illustration directe du texte de Matthieu ou de Marc, qui donnent cette position des accusateurs. Dans le récit de Luc, on l’a dit, c’est d’abord une femme puis deux hommes et dans celui de Jean d’abord une femme puis le groupe et enfin le parent de Malchus.

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la peinture dans les églises de sant pere de terrassa Dicit ei unus ex servis pontificis, cognatus eius, cuius abscidit Petrus auriculam : Nonne ego te vidi in horto cum illo ? Iterum ergo negavit Petrus : et statim gallus cantavit. (Jn. 18, 26-27) – c’est nous qui soulignons330.

Notons que si l’on voulait relier la scène de l’Arrestation avec les Reniements de Pierre, on disposrait de la liaison parfaite pour le faire. En outre, en expliquant l’épisode par le dernier reniement de Pierre et à travers le texte de Jean, la «trahison» du Christ par l’apôtre était encore plus manifeste. Jean le rapporte ainsi : …negavit Petrus  : et statim gallus cantavit. Il est plus difficile de dire si, pour refléter cette intention possible, on dut modifier l’iconographie traditionnelle ou simplement faire usage d’un des types existants, mais peu exploités. Le geste des personnages masculins est clair : ils ne désignent pas saint Pierre du doigt, mais de la main ouverte à hauteur de la ceinture ils lui demandent des explications. D’autre part, la rareté de la place disponible pour cette scène dans le registre de Terrassa – volontairement ou involontairement – expliquerait le modèle plus réduit ou l’absence de constructions331. Enfin, ajoutons que les évangiles grecs, quoique plus tardifs, représentent habituellement les trois reniements de Pierre et souvent les illustrent dans chaque évangile. C’est le cas sur le manuscrit gr. 74 de la Bibliothèque Nationale de France, aux fol. 56r, 97r, 159r et 204r. Sur les deux derniers folii – illustrant les évangiles de Luc et Jean – certains des reniements pourraient très bien correspondre à notre scène C. Le manuscrit Plut. VI, 23 de la Biblioteca Laurenziana de Florence fournit un autre exemple, mais il n’accompagne que les textes de Matthieu (fol. 56v.), Marc (fol. 94r.) et Jean (fol. 205v)332.

  Ce texte de saint Jean a une autre particularité : à la différence de tous les autres il sépare le premier reniement des autres en y intercalant l’interrogatoire du Christ chez Caïphe. Alors que le premier reniement, on l’a vu, intervient devant la servante, les deux autres sont faits devant un groupe et devant le parent de Malchus. 331   Nous avons fait une recherche sur ce thèmes dans l’Index of Christian Art. Le catalogue réunit trente-deux images des reniements de Pierre du IIIe au Xe siècle. En un cas seulement, le sarcophage du Latran 183 (IVe siècle), la configuration de la scène est semblable à celle de Terrassa. Ainsi, l’iconographie existe, même si elle n’est pas la plus fréquente. Il nous faut donc croire que ce choix est volontaire. 332   Voir l’analyse de ce thème et d’autres exemples dans Gabriel Millet, Recherches sur l’Iconographie de l’Évangile, aux XIVe, XVe et du XVIe siècles, d’après les monuments de Mistra, de la Macédonie et du Mont-Athos, Paris, Éd. E. de Boccard, 1960 (1e éd. 1916) (coll. Bibliothèque des Écoles françaises d’Athènes et de Rome), pp. 345-361. 330

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Scène D : La Remise des Clefs à Pierre Pour notre scène D, J. Puig i Cadafalch et J. Pijoan ont proposé respectivement une identification avec la Guérison de l’Aveugle, et le Christ devant Pierre333. Le premier élément qu’il faudrait pondérer, et qui à notre avis ne l’a pas assez été, est sans doute la localisation de cette scène dans le registre [fig. 15]. Qu’elle marque l’axe du cul-defour de l’abside peut être dû au hasard, mais nous ne le croyons pas. Par sa position, c’est la première image que quiconque se trouvant dans la nef pouvait voir [pl. 4]. Parmi les rares données que nous possédions, celle-ci ne nous semble pas devoir être négligée. Une possibilité est qu’un des personnages de la scène soit le Christ, pas D1, mais plutôt D2 [fig. 18]. La supposition que D1 est le Christ ne repose sur aucune donnée autre que la présence du pallium et la plus grande taille du personnage, car nous ne disposons pas – comme dans l’Arrestation – d’un nimbe crucifère. À propos de cette possibilité, il existe des représentations où le Christ apparaît d’une taille plus petite ou dans une position plus basse. C’est la position qui lui est attribuée surtout dans le Baptême334. Mais nous pensons qu’il faut écarter cette identification car, dans le Baptême, le Christ ne porte jamais le pallium, mais est nu ou vêtu du perizonium. En outre saint Jean Baptiste ne porte pas non plus le pallium, mais, habituellement, une peau de chameau335. D’autre part, seraient absentes les inévitables références au fleuve, la Dextera Domini ou la colombe de l’Esprit, et

333  J. Puig, Noves descobertes a la Catedral d’Egara…, p. 28 et J. Pijoan, Monumenta Cataloniæ…, p. 48. 334   Nous pourrions penser aussi à la Circoncision du Christ, la Présentation au Temple ou le Christ parmi les Docteurs de la Loi. Dans le premier cas il s’agit d’une scène de groupe dans lequel le seul nimbé est toujours le Christ. Dans les deux autres, à côté des présences possibles de Joseph et Marie, nimbés, on trouve aussi Zacharie qui s’approche de l’Enfant, celui-ci est toujours placé sur un autel et par conséquent, bien que de taille plus petite, il est au même niveau que les trois autres personnages (cf. G. Schiller, Ikonographie des christilichen…, I, respectivement pp. 88-90, fig. 225 et suiv. ; pp. 90-94, fig. 230 et suiv. ; et pp. 124-125, fig. 339 et suiv.). 335   Bien qu’il y ait des exceptions, comme sur l’Évangile de Rabula (Florence, Bibl. Laurenziana, Cod. Plut. 1,56 fol. 4b ; ca. 586 ; voir G. Schiller, Ikonographie des christlichen…, I, fig. 356), ou sur un reliquaire venant du Sancta Sanctorum (Vatican, Museo Cristiano ; VIe-VIIe siècles ; Ibid., fig. 357). Dans les deux cas saint Jean Baptiste porte la toge et dans le second les deux sont des personnages nimbés. Sur la staurothèque du Sancta Sanctorum (VIIIe-IXe siècle), le Christ apparaît plus petit et nimbé, mais nu et saint Jean vêtait toge mais il n’a pas de nimbe. Il n’y a aucune référence spatiale, mais on y trouve un assistant avec les vêtements et la colombe. (Ibid., I, fig. 54).

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dans certains cas ceux qui assistent au Baptême336. Nous sommes donc partisans d’écarter cette possibilité. Notre interprétation des scènes précédentes comme l’Arrestation du Christ-Trahison de Judas et le troisième reniement de Pierre, et la considération que le sens de lecture du registre est de gauche à droite – ou au minimum l’absence d’argument pour supposer une lecture de droite à gauche – rendent d’emblée impossible de maintenir la lecture de J. Puig i Cadafalch. Curieusement, l’interprétation de la scène comme la Guérison de l’aveugle-né est très solide. La proposition part de l’identification du personnage avec pallium – D1 – au Christ et interprète son geste comme celui de toucher les yeux d’un personnage plus petit – D2. Nous avons déjà dit que l’état des peintures ne permet pas d’identifier clairement le geste – malheureusement les descriptions ne permettent pas de savoir s’il était visible quand elles furent découvertes –, par conséquent on pourrait prendre en compte tout un ensemble d’autres scènes dans lesquelles le Christ s’approche d’un personnage plus petit. La liste est longue car, en excluant les guérisons ou les bénédictions de personnages féminins – p. ex. celui de l’hémorragique ou de la sœur de Lazare –, pratiquement tous les miracles du Christ ont été représentés à un moment ou à un autre avec le guéri ou le béni de taille plus petite. Dans certains cas, de manière tout à fait logique, quand il s’agit de la bénédiction des enfants, en d’autres cas, par pure application d’une perspective hiérarchique, comme la guérison de l’aveugle, la guérison du sourdmuet, la guérison du possédé…337. Pourtant dans aucun de ces cas, le bénéficiaire du miracle n’est nimbé [fig. 19]. Il peut arriver que ni le Christ ni le miraculé ne portent de nimbe, par exemple sur les sarcophages, mais jamais le contraire. On a dit plus haut qu’hormis la croyance que nous nous trouvons devant un cycle christologique, il n’y a aucun argument pour supposer que cette scène soit liée à la vie du Christ. Le fait que le nimbe ne soit pas conservé empêche toute vérification ; quant aux vêtements, le Christ n’est pas le seul qui puisse être vêtu de la tunique et du pallium. Les apôtres eux aussi portent le nimbe, la tunique et le pallium338.

 Voir Ibid., I, 127-140, fig. 349 et suiv.   Pour le chapitre très étendu des guérisons, voir G. Schiller, Ikonographie des christilichen…, I, 169 et suiv. 338   On peut bien sûr en dire de même de beaucoup de récits de vies de saints. Pourtant afin de suivre un certain ordre et être cohérents avec la réalité de Terrassa, nous explorerons les possibilités de scènes en relation avec les disciples, à commencer par saint Pierre. 336 337

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18. Scène D (photographie archive de l’auteur avec l’autorisation du Museu de Terrassa) et calque de l’auteur.

Si nous pensions être devant un ensemble sans programme ni cohérence, le problème deviendrait certainement insoluble. Mais une certaine logique interne permet de penser que l’autre personnage auquel la scène peut se rapporter est saint Pierre, en suivant l’intuition  (?) de J. Pijoan. Dans les scènes B et C Pierre joue un rôle important. Si nous nous tournons vers les récits de l’histoire de Pierre339, tout en laissant de côté la question du sens de lecture, quatre passages peuvent montrer une certaine proximité avec ce que nous trouvons dans la scène D. Nous pensons à la Remise des Clefs à saint Pierre (a), à la Guérison du Boiteux (b), au Baptême de Cornélius (c) et au Domine Quo Vadis (d).

La Remise des Clefs La scène de la Remise des Clefs à Pierre est fondée sur le texte de Mt. 16, 19340. Selon M. Sotomayor, la première représentation se trouve sur un sarcophage de Saint-Sébastien (Rome) comportant la Traditio, qu’il date ca. 370341. Que cette scène apparaisse dès cette époque et à Rome est suffisant pour supposer une tradition ininter  À côté de travaux sur des questions ponctuelles, continuent à être essentielles deux études de base pour une approche de l’iconographie de saint Pierre. Le premier, à propos de l’iconographie antique de saint Pierre, est celui de M. Sotomayor (Manuel Sotomayor, San Pedro en la iconografía paleocristiana. Testimonios de la tradición cristiana sobre san Pedro en los monumentos iconográficos anteriores al siglo sexto, Granada, Facultat de Teología, 1962 (coll. Biblioteca Teológica Granadina, 5)), le second, à propos de l’iconographie médiévale est celui de Carolyn Kinder Carr, Aspects of the Iconography of Saint Peter in Medieval Art of Western Europe to the Early Thirteenth Century, Ph. D., Case Western Reserve University, 1978, Ann Arbor (Michigan), UMI, 1978. Ils peuvent être considérés comme complémentaires de fait. 340   Et tibi dabo claves regni cælorum. Et quodcumque ligaveris super terram, erit ligatum et in cælis : et quodcumque solveris super terram, erit solutum et in cælis. 341  M. Sotomayor, San Pedro en la iconografía paleocristiana…, pp. 70 et suiv. 339

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rompue et qui, bien sûr, a des moments de plus ou moins grande intensité, coïncidant avec des périodes où l’image de la papauté est renforcée ou affaiblie. Effectivement, nous trouvons la Traditio Clavis depuis le IVe jusqu’au XIIIe siècle sans interruption bien qu’avec des variantes342. Le modèle paléochrétien nous montre le Christ et Pierre en pied, l’un à côté de l’autre. Alors que le Christ tient dans une main la clef qu’il approche de Pierre, celui-ci la reçoit dans ses mains voilées en signe de respect. À l’époque médiévale, on continue à utiliser cette formule, bien qu’on y ajoute une autre dérivée de la transformation de la scène de la Traditio Legis en Traditio Clavis343. Dans ce second cas, le Christ peut apparaître en pied ou trônant et à sa droite Pierre reçoit les clefs344. Selon C. K. Carr, bien que le thème continue à être en usage sans interruption et que les sources y fassent de nombreuses allusions, aux IXe-Xe siècles, on ne trouve que la représentation dérivée de la Traditio Legis. Il faut attendre le début du XIe siècle pour trouver à nouveau le type qui met face à face le Christ et Pierre. Le premier exemple qu’en recueille l’auteur est dans les Évangiles d’Otton III (Munich, Staatsbibliothek, CLM 4453, fol. 60v ; ca. 1000)345. Cette absence des répertoires jusqu’ aux environs de l’an mille est l’obstacle le plus important pour l’identification de la scène D de Terrassa à la Traditio clavis. Cette identification expliquerait pourquoi D1 et D2 sont des personnages avec tunique, pallium et nimbe. S’agissant du Christ et de Pierre la tenue est cohérente. Seules les couleurs des peintures, si elles avaient été conservées, auraient pu montrer des nuances entre les vêtements de l’un et de l’autre. D’autre part, la différence de hauteur entre le personnage du Christ et celui de Pierre pourrait s’expliquer par la possible conception hiérarchique de la représentation à Terrassa. Le sarcophage de Saint-Sébastien nous montre les deux personnages de la même taille, mais la scène centrale, justement avec la Traditio Legis, montre le Christ légèrement plus grand et plus élevé. C’est un recours qui sera aussi utilisé très fréquemment à l’époque médiévale. Dans certains cas, la différence de taille est due au fait que Pierre apparaît agenouillé devant le Christ. Quoique ce type ne soit pas le plus courant, nous le trouvons sur des objets

  C. K. Carr, Aspects of the Iconography of Saint Peter…, pp. 54 et suiv.   Ibid., fig. 61-84. 344   Ibid., fig. 91-115. 345   La scène, quand elle est représentée sur des livres, illustre habituellement soit la fête de la Cathedra Petri, soit celle de Natali Petri et Pauli. 342 343

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19. Détail de la scène D (photographie archive de l’auteur avec l’autorisation du Museu de Terrassa).

significatifs, comme la cape de sainte Cunégonde (cathédrale de Bamberg ; ca. 1012)346. Il existe cependant des arguments importants contre l’identification à la Traditio Clavis. L’un d’eux a déjà été cité : l’absence, avant le XIe siècle, selon Carr, de scènes suivant le modèle le plus ancien avec deux personnages. Nous pouvons toujours supposer, comme on l’a suggéré pour Terrassa à de nombreuses reprises, que suivre des modèles bien déterminés de tradition antique, voire transmis par les sarcophages, expliquerait une sélection extrêmement précise. Dans ce cas, nous aurions avec un siècle d’anticipation le modèle qui redeviendra à la mode à partir de ca. 1000. Mais d’autres arguments rendent difficile l’identification. Les plus importants ne sont pas que le personnage de Pierre soit trop petit ou qu’il n’ait pas les mains voilées. Les deux questions peuvent être conditionnées par la mauvaise perception de vestiges picturaux très abîmés. À propos de la position des mains, sur les scènes narratives de la remise des clefs à Pierre, comme nous les trouvons par exemple dans les manuscrits ottoniens, l’apôtre n’a pas les mains voilées, mais prend les clefs à mains nues. Le livre de Péricopes d’Henri II ou III conservé à Brême   Cf. C. K. Carr, Aspects of the Iconography of Saint Peter…, fig. 61.

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(Stadtbibliothek, ms. b21, fol. 111 ; début du XIe siècle) en donne un exemple. Il serait plus difficile d’expliquer pourquoi, si nous nous trouvons devant une Traditio Clavis, la main de D1 est si près de la tête de D2 alors que le plus logique serait qu’elle soit près des mains de D2347. L’argument le plus clairement opposé à considérer que nous sommes devant la Remise des Clefs serait l’ordonnancement des scènes et le sens de lecture dans un registre au discours supposé continu. La Traditio Clavis348 est, on le sait, très antérieure à l’Arrestation du Christ349. Bien que la scène puisse avoir un caractère anhistorique, car elle a été transformée en emblème du pouvoir conféré au pape comme successeur de Pierre350, son insertion dans l’histoire du salut est importante car elle met en relief l’action hésitante de Pierre, base de l’Église, en ses débuts, et devient ainsi l’exemplum le plus clair du pardon des péchés et de la réconciliation351. Donc, la scène a autant de sens isolée qu’insérée dans son contexte narratif. Par conséquent ce problème n’en est un que si nous sommes devant un cycle historique de la vie de saint Pierre !

La Guérison du boiteux Une autre possibilité, dans l’histoire de Pierre déjà en tant que chef de l’Église, est que la scène D montre le premier miracle réalisé par l’Apôtre352. Les représentations de cet épisode ne remontent pas 347   On peut aussi nous opposer que si le personnage D1 était le Christ, son nimbe montrerait les traces d’un nimbe crucifère comme pour le Christ de l’Arrestation. Nous ne croyons pas que ce soit un argument très solide étant donné l’état de conservation de cette zone qui est pratiquement restée limitée à une sinopia. 348   Mt. 16, 19. 349   Mt. 26, 47. 350   Voir à ce propos l’iconographie du triclinium du Latran (v. Hans Belting, « Die beiden Palastaulen Leos III. im Lateran und die Entstehung einer päpstlichen Programmkunst », Frühmittelalterliche Studien, 12, 1978, pp. 55-83, pl. I-X ; cf. C. K. Carr, Aspects of the Iconography of Saint Peter…, pp. 56 et suiv.). Nous reviendrons plus loin sur cette mosaïque disparue. 351   Carr (C. K. Carr, Aspects of the Iconography of Saint Peter…, p. 62) relève comment sur le Breviarium Gothicum (Patrologiae cursus completus. Series Latina, 221 vol., (éd.) J.-P. Migne, Parisiis, execudebat Migne, 1844-1855 [Patrologia Latina database. Alexandria (Va), Chadwyck-Healey, 1995] (=PL), 86, 1102) l’image de la Traditio Clavis sert à notifier la base de l’Église et la primauté de Pierre, mais aussi d’exemple du pardon des péchés. 352   Ac. 3, 1-11 : Petrus autem et Ioannes ascendebant in templum ad horam orationis nonam. Et quidam vir, qui erat claudus ex utero matris suæ, baiulabatur : quem ponebant quotidie ad portam templi, quæ dicitur Speciosa [… ] Petrus autem dixit : Argentum et aurum non est mihi : quod autem habeo, hoc tibi do : In nomine Iesu Christi Nazareni surge, et ambula. Et apprehensa manu eius dextera, allevavit eum, et protinus consolidatæ sunt bases eius et plantæ. Et exiliens stetit, et ambulabat….

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au-delà de l’époque médiévale. Malgré certaines propositions353, il n’y a aucune preuve que la scène apparaisse en Occident avant le IXe siècle. Sans doute fut-elle figurée sur un antependium qui décorait l’autel de Saint-Pierre au Vatican, selon la notice qu’en donne le Liber Pontificalis354. Elle apparaissait aussi sur la cape de pluie commandée par l’impératrice Ermengarde et que Sedulius Scottus décrit dans un poème355. Pourtant nous n’en conservons aucun exemple occidental antérieur au XIe siècle. À cette époque, nous la trouvons sur un des médaillons de la cape de sainte Cunégonde (cathédrale de Bamberg ; ca. 1012). En Orient on commence aussi à la représenter au IXe siècle. Le premier exemple se trouve dans les Sacra Parallela de Jean Damascène (Paris, BNF, ms. gr. 923, fol. 213r ; IXe siècle)356. En réalité la conception de la scène est très simple, car elle dérive des images de guérison opérées par le Christ357. Carr en relève toutes les possibilités358. Étant donné sa source d’inspiration, la scène présente les mêmes points en faveur de cette identification que ceux que nous avons déjà vus pour la Guérison de l’aveugle-né. Dans ce cas, en plus, s’ajoute un argument à caractère conceptuel. Si l’objectif de ce premier registre était de montrer différents aspects de la vie du Christ et des Apôtres, il ne fait pas de doute que la première intervention miraculeuse de Pierre est un bon point d’inflexion. Malheureusement nous nous heurtons à la même difficulté que dans le cas de l’identifi  Weiss (A. Weiss, « Ein Petruszyklus des 7. Jahrhunderts im Querschiff der Vatikanischen Basilika », Römische Quartalschrift, 58 (1963), pp. 230-270) propose de la trouver dans un cycle de saint Pierre à l’abside de l’ancien Saint-Pierre-du-Vatican. L’article soutient, en outre, que le décor du cycle de saint Pierre serait un ajout du VIIe siècle, et pas antérieur, en opposition à l’hypothèse traditionnelle qui le considère du IVe siècle. Cette hypothèse a été contestée (cf. C. K. Carr, Aspects of the Iconography of Saint Peter…, p. 119 ; Herbert L. Kessler, « L’antica basilica di San Pietro come fonte e ispirazione per la decorazione delle chiese medievali », « Fragmenta Picta » Affreschi e mosaici staccati del Medioevo romano (RomaCastel Sant’Angelo, 15 dic. 1989-18feb. 1990), Rome, Argòs, 1989, pp. 45-64, en part. pp. 49 et suiv.). 354   LP , 1: 499 ; 2: 53. 355   Nous relevons la référence dans C. K. Carr, Aspects of the Iconography of Saint Peter…, appendice p. 227 (l’auteur extrait le texte de Sedulius Scottus : « Inc. Versus ad Ermingardem Imperatricem conscripti in serico Pallio de Virtutibus Petri Apostoli », Poetæ Latini Medii Ævi [Monumenta Germanicæ Historica, 3 vols], vol. 3, p. 187-188.) : Claudus ovat gressu Petro miserante salaci. 356   Voir C. K. Carr, Aspects of the Iconography of Saint Peter…, fig. 138. 357   Nombreuses seront pourtant les scènes qui montrent Pierre prenant par le bras le boiteux. C’est ainsi qu’il apparaît, par exemple, sur le chapiteau nº 6 de la galerie nord du cloître de Saint-Pierre de Moissac, qui date de ca 1100 (cf. en général Index of Christian Art ; pour les chapiteaux de Moissac voir Meyer Schapiro, The Sculpture of Moissac, Londres, Thames & Hudson, 1985, pp. 51-53, fig. 71). 358   C. K. Carr, Aspects of the Iconography of Saint Peter…, pp. 120 et suiv. 353

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cation de la Guérison de l’aveugle par le Christ : le miraculé ne devrait pas porter de nimbe, comme on le voit sur le personnage D2. Il faut, par conséquent écarter cette identification.

Le Baptême de Cornélius Tiré aussi des Actes des Apôtres, un autre passage pourrait identifier la scène D. C’est un des épisodes de la légende de Cornélius, à savoir son baptême359. La scène eut deux représentations nettement différentes : l’une pour l’époque antique (?) et l’autre pour le Moyen Âge. En réalité, l’art tardo-antique ne représente jamais cet épisode. Il y a bien une représentation qui atteste de la capacité de Pierre à baptiser : c’est la scène du miracle de la source360. Pierre, accompagné par des soldats, touche un rocher d’où jaillit l’eau que les soldats s’empressent de boire361. La signification baptismale de la représentation ne fait aujourd’hui aucun doute. Ce fut J. Wilpert qui proposa d’y voir en outre une référence au baptême de Cornélius362. Pour C. K. Carr, His interpretation is subject to debate. Most likely, these representations do not derive from any specific text, but rather incorporate the allusions to Peter’s authority to baptise which are found in several biblical and apocryphal texts.363.

Cette position suit exactement l’interprétation de M. Sotomayor qui ne fait pas la moindre allusion à Cornélius pour expliquer la scène de la source. Pour M. Sotomayor, le seul problème est de savoir faire le tri entre les cas où on fait allusion à Pierre et ceux où la scène se 359   La légende de Cornélius est recueillies dans Ac., 10. Le passage du baptême occupe les versets 44-48 : Adhuc loquente Petro verba hæc, cecidit Spiritus sanctus super omnes qui audiebant verbum. Et obstupuerunt ex circumcisione fideles qui venerant cum Petro : quia et in nationes gratia Spiritus sancti effusa est. Audiebant enim illos loquentes linguis, et magnificantes Deum. Tunc respondit Petrus : Numquid aquam quis prohibere potest ut non baptizentur hi qui Spiritum sanctum acceperunt sicut et nos ? Et iussit eos baptizari in nomine Domini Iesu Christi. Tunc rogaverunt eum ut maneret apud eos aliquot diebus. 360   La scène avait été interprétée traditionnellement comme le miracle de Moïse faisant surgir de l’eau du rocher de l’Horeb (Ex. 17, 1-7). Ce n’est qu’au début du siècle dernier qu’une lecture attentive d’éléments jusqu’alors incompris, comme ici le pileus pannonicus, fait comprendre qu’en réalité on se trouvait devant une représentation de Pierre tout en établissant un parallèle entre celui-ci et Moïse (cf. M. Sotomayor, San Pedro en la iconografía paleocristiana…, p. 56). 361   Ibidem, pp. 55-63. 362  Joseph Wilpert, I sarcofagi cristiani antichi, 3 vol., Rome, Pontificio Istituto di Archeologia, 1929-1936, 1, pp. 108-114. 363   C. K. Carr, Aspects of the Iconography of Saint Peter…, p. 134.

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rapporte à Moïse. La seule représentation liée à l’histoire de Cornélius que trouve M. Sotomayor – et qu’il classe dans les « Otras escenas de S. Pedro » – est la Vision de Jaffa364. L’auteur en relève une seule représentation dans la catacombe de Comodille (IVe siècle) et il l’interprète comme une allusion à la vocation des gentils365. The Early Christian representations of Peter Striking the Rock play no role in the Medieval representations of Peter baptising. Instead, these Medieval representations reflect contemporary liturgical practice. They may have had as their ultimate pictorial model a representation of the baptism of Christ which shows him standing in a font rather than standing in the river of Jordan. – c’est nous qui soulignons.

En effet, toutes les représentations médiévales du baptême de Cornélius le montrent dans une cuve366. Même si la scène de Pierre et de la source avait été une allusion au baptême de Cornélius, cette image ne fut pas un modèle pendant l’époque médiévale. On peut considérer donc que la construction de l’image du baptême de Cornélius au Moyen Âge démarre de zéro. Les règles de création de l’iconographie chrétienne sont cependant claires et bien définies depuis l’Antiquité. Dans ce cas, d’après C. K. Carr, on a recours à l’image du baptême du Christ367. L’image médiévale la plus ancienne est conservée sur une plaque de reliure d’ivoire (Florence, Museo Nazionalle del Bargello, inv. 38C). C’est une pièce qui a été attribuée au royaume de Lotharingie et datée entre 860-870. Comme toutes les images postérieures, elle nous montre Cornélius nu dans une cuve baptismale368. L’important est que nous sommes devant le premier exemple d’une série peu nombreuse369. Bien qu’il soit difficile de dire quand commence à être représentée d’une certaine manière une scène, les interprétations récentes de cet ivoire font penser que c’est tout juste en ce IXe siècle que commence l’histoire de cette représentation. Ce pourrait être un des arguments en faveur de l’identification avec la scène D de Sainte-Marie.

 M. Sotomayor, San Pedro en la iconografía paleocristiana…, pp. 81-83, pour la vision de Jaffa, p. 160. 365   D’après le texte des Actes des Apôtres, cette interprétation nous semble plus claire que celle proposée par C. K. Carr qui y voit une assimilation à la Pentecôte, d’après l’Expositio Actuum Apostolorum de Bède (C. K. Carr, Aspects of the Iconography of Saint Peter…, p. 133), on peut voir l’image dans Ibidem, fig. 184. 366   C. K. Carr, Aspects of the Iconography of Saint Peter…, pp. 134-135. 367   cf. C. K. Carr, Aspects of the Iconography of Saint Peter…, fig.190-197. 368  Robert Melzak, « Petrine iconography and politics in the carolingian Metz ivories », Arte Medievale, IIe série, an IX, nº 2 (1995), pp. 1-9. 369   C. K. Carr en relève à peine huit exemples. 364

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Comme dans le cas de la Guérison du boiteux, nous sommes devant une scène qui, en terme de programme, aurait une signification forte dans une composition relative aux actes de saint Pierre. Dans ce cas aussi elle pourrait constituer une charnière idéale entre le rôle du Christ et celui de saint Pierre dans l’histoire de l’Église et du Salut. D’après les vestiges conservés de la scène D, le principal élément en faveur de cette identification est l’attitude des personnages et leur catégorie. Que D1 dirige sa main vers la tête de D2 nous a déjà fait penser à la possibilité du baptême du Christ (voir supra). Certaines des questions qui nous interdisaient d’accepter cette identification seraient résolues si l’on considérait qu’il s’agit du Baptême de Cornélius. Dans ce cas, il serait absolument licite que les deux personnages portent le nimbe. Comme on sait, après l’épisode d’Ac. 10, Cornélius sera considéré comme saint après avoir occupé l’évêché de Césarée (?)370. Un autre point favorable à cette identification est qu’elle respecterait une certaine cohérence chronologique. Appartenant à l’histoire de Pierre, elle est pleinement justifiée après le Reniement, quoique pas immédiatement à sa suite. Identifier D1 avec Pierre expliquerait aussi pourquoi le nimbe ne révèle aucune trace d’avoir été crucifère, comme celui de B1. Néanmoins, il faut aussi prendre en considération les éléments défavorables. En premier lieu que D2 – le supposé Cornélius – porte la toge dans une scène de baptême. C’était déjà un argument qui faisait obstacle à la possibilité d’identifier la scène comme le baptême du Christ. Dans le premier Baptême de Cornélius conservé, le personnage se tient déshabillé dans une cuve. L’absence de la cuve est aussi une objection importante. D’après C. K. Carr (voir supra), aucun des baptêmes de Cornélius connus ne montre autre chose que le personnage nu dans une cuve371. N’oublions pas cependant quelle est la datation possible de Sainte-Marie de Terrassa et quelle est celle du   Son culte est documenté très anciennement. Nous savons, par exemple, que sa maison fut transformée en église et qu’elle était un des lieux visités par les pèlerins de Terre Sainte. Un de ces pèlerins fut sainte Paule à la fin du IVe siècle (voir Bibliotheca Sanctorum, XII vol., Rome, Città Nuova Editrice, 1961-1970, en particulier vol. IV, cols 189-192 ; cf. Jérôme, « Ep. CVIII : Epithaphium Paulæ », PL, XXII, col. 882). La question de son épiscopat n’est pas un fait. Une source apocryphe du IVe siècle, les Constitutiones Apostolicæ, VII, 46, en parle comme de l’évêque de Césarée succédant à Zachée. Pourtant, malgré son lien très fort avec Césarée, ni Eusèbe ni Origène n’en font état. Les sources grecques le considèrent simplement comme martyr, ce qui a aussi été discuté (voir Bibliotheca Sanctorum…, vols. IV, cols. 190-191). Sur l’image de saint Cornélius v. aussi Lexikon der christlichen Ikonographie, 8 vol., Rome et al., Herder, 1968-1976, 7, col. 341-342 et L. Réau, Iconographie…, III/1, p. 346. 371   Dans ce cas aussi nous avons fait une recherche de ce motif dans l’Index of Christian Art et il n’y a, en effet, aucun baptême de Cornélius qui s’écarte, même de peu, de cette confi370

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premier ivoire qui rapporte le baptême de Cornélius. Ce dernier est daté de ca. 860-870 mais les peintures de Sainte-Marie l’ont été de ca 900 (voir supra). Quand on peint Sainte-Marie par conséquent, cette iconographie est encore naissante. Est-il possible que dans les représentations initiales on ait montré Cornélius sans cuve baptismale, en imitant les baptêmes du Christ, et vêtu en toge pour le distinguer justement du Christ et le rapprocher de la réalité liturgique ? Sans doute, si le modèle de cette scène a été un sarcophage, ne pouvonsnous pas écarter cette possibilité. Pourtant, a priori, nous devons considérer qu’aucun Baptême de Cornélius n’adopte la forme de Terrassa et donc il faudrait mettre en doute cette identification.

Le Domine quo vadis La scène du Domine quo vadis est encore une possibilité liée à saint Pierre. Elle dérive des textes apocryphes sur Pierre et rapporte l’épisode dans lequel Pierre, alors qu’il s’enfuit de Rome, «rencontre» le Christ ; comme Pierre lui demande où il va – Domine quo vadis ? – le Christ lui répond qu’il va à Rome pour y être crucifié à nouveau – Eo Romam iterum crucifigi ; pour parler familièrement, nous dirons que Pierre «comprend le sous-entendu» et revient à la Ville, où, finalement, il sera crucifié. Certains exemples montrent les personnages dans une relation semblable à celle que nous avons entre D1 et D2372. Malheureusement, les exemples que cite C. K. Carr – guère nombreux – ne sont pas antérieurs au XIIe siècle, époque où cet auteur considère qu’apparaît la scène, précisément au milieu du XIIe siècle373. Ceci éloigne, tout au moins en principe, la possibilité de l’identifier avec ce que nous avons à Sainte-Marie374. Pourtant l’examen de ces exemples nous en fournit un de particulièrement proche. Habituellement, la scène nous montre le Christ devant Pierre de même taille. Dans certains cas, le Christ porte, en plus, une croix. Dans certains cas, le Christ guration, entre le IXe et le XIIIe siècle. Dans d’autres scènes où Pierre apparaît en train de baptiser, cet élément est aussi toujours respecté. 372   C. K. Carr, Aspects of the Iconography of Saint Peter…, fig. 277-280. 373   Un coup d’œil à l’Index of Christian Art permet de vérifier qu’effectivement la petite vingtaine d’exemples connus va du XIIe siècle au XIVe, la plupart étant postérieurs au XIIe siècle. 374   On peut se demander quelle était la décoration de l’église du Domine Quo Vadis sur la via Appia antiqua de Rome, là où la tradition situe la rencontre du Christ et de Pierre. D’autre part, en marge des questions de chronologie, l’inclusion de cette scène dans l’axe du registre de Sainte-Marie détruirait toute possibilité d’ordre chronologique. Dans la perspective d’un choix intentionnel des images, le sens n’en serait pas très clair non plus.

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et Pierre marchent en sens opposé et se tournent pour parler entre eux. Il n’y a qu’un cas dans lequel la scène rappelle celle de Terrassa. Dans le cloître de la cathédrale Sainte-Eulalie d’Elne (Roussillon ; XIIe siècle), juste après la représentation de Pierre et Paul en prison, on trouve Pierre, portant la tunique et le pallium, agenouillé devant le Christ qui tend la main vers lui. Il ne fait pas de doute que la scène est proche de la nôtre, pourtant l’absence d’exemples antérieurs au XIIe siècle est un argument puissant pour écarter cette identification.

Reconsidérations Après ce panorama, on constate que, pour le moins, il n’y a aucun exemple clair qui permette d’affirmer que la scène D est en relation avec saint Pierre375. Une fois toutes les possibilités analysées, la plus difficile à caser dans le schéma de D, d’après nous, est celle du Domine quo Vadis. Avons-nous pour une des trois autres un argument, outre ceux émis jusqu’à présent, qui permette une identification dans ce sens positive ? Pour mener à bien cette réévaluation, nous voudrions considérer certains éléments que nous avons laissés de côté. Le premier est la position axiale qu’occupe la scène. Nous l’avons dit, nous doutons que cette position soit fortuite. La scène est si étroite – comparée par exemple à celle de l’Arrestation – qu’elle en devient suspecte. Si le programme était parfaitement planifié pour cette abside – à la différence de ce qui existe dans la plupart de nos églises romanes où, souvent, nous n’avons que des fragments réutilisés de grandes décorations – le fait que cette scène se situe dans l’axe de l’abside, juste au-dessus de l’image principale du second registre (voir infra) ne peut être dû au hasard. Nous avons déjà mentionné, en examinant la possibilité que le modèle ait été ou non une coupole, que la disposition d’une partie des scènes de Sainte-Marie semblait conçue pour être 375   On pourrait argumenter que nous nous sommes limité à chercher parmi les images de la vie du Christ et de celle de saint Pierre. Effectivement, si nous nous écartons de ces deux hypothèses, le domaine des possibilités dans l’iconographie chrétienne reste grand ouvert. Nous serions dans ce cas devant un excès de possibilités qui rend irréalisable, à notre avis, toute vérification. Par ailleurs, quel sens pourrait avoir le décor de ce registre de SainteMarie de Terrassa avec des scènes d’autres saints ? Il n’y avait aucune objection, a priori, pour accepter la possibilité que ce soient des scènes de la vie du Christ. Il n’y en a pas non plus, en raison des résonances épiscopales qu’elle pouvait avoir (v. infra), pour accepter des scènes de la vie de saint Pierre. Que ce ne soient pas des scènes de la vie du Christ nous paraît clair, qu’elles puissent l’être de la vie de saint Pierre, à partir du point de départ de l’Arrestation du Christ, nous le semble aussi.

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vue depuis la nef. En outre, remarquons que dans les deux registres, les images axiales ont une taille à peu près identique. Toutes ces impressions conduisent à considérer que cette scène reçoit un traitement spécial. Une fois écartée la possibilité d’une image du Christ, il faudrait penser à quelqu’un ou à une scène d’une unité suffisante pour être mise en valeur à cet endroit. La dédicace des églises de Terrassa pourrait faire penser à saint Pierre, saint Michel ou sainte Marie. Comme nous le verrons plus loin, placer ici une scène de Marie n’a guère de sens étant donné les configurations de ces deux registres. Par ailleurs, nous avons déjà dit que dans tout le premier registre on ne trouve pas un seul personnage féminin. Plus absurde encore serait de vouloir faire entrer dans l’ensemble tel qu’il est en train de se préciser une image de saint Michel Archange. Nous pensons donc qu’il faut poursuivre en insistant sur les possibilités que nous offre le personnage de saint Pierre. Considérons encore un dernier aspect. Jusqu’à présent l’identification des scènes s’est développée en considérant que, malgré leurs propositions erronées, nos prédécesseurs avaient eu raison de penser qu’il s’agissait d’un cycle de scènes évangéliques. Ceci supposait que les scènes soient placées suivant une logique narrative et chronologique. L’intentionnalité délibérée de la disposition de cette scène doit nous faire considérer cependant qu’il n’y a non plus aucune raison pour maintenir cette prémisse. C’est-à-dire qu’il pourrait simplement y avoir une succession d’images qui ne réponde qu’à la cohérence du message.

À nouveau la Traditio Clavis Avec cette nouvelle prémisse, notre analyse sur les possibilités d’identification de la scène, nous amène à penser que nous sommes devant une Traditio Clavis. Le non-respect de l’ordre chronologique était justement la difficulté principale pour accepter cette identification. Cet écueil surmonté, les autres problèmes n’en sont pas. D’après l’étude de C. K. Carr (voir supra), nous avons admis qu’il n’y a de représentations de l’épisode dans lequel apparaissent le Christ et Pierre qu’à l’Antiquité tardive et à partir du XIe siècle. Avant le XIe siècle, nous ne trouverions que des exemples adoptant le modèle de la Traditio Legis, c’est-à-dire avec le Christ au centre, flanqué de Pierre et de Paul, l’un recevant les clefs, l’autre la loi. Cette affirmation,

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cependant, exclurait la possibilité qu’une personne habile ait pu intervenir sur le modèle iconographique et le modifier si besoin était. En réalité, nous avons un cas dans lequel cette modification est très claire, exemple que bien évidemment C. K. Carr connaît. Nous voulons parler – elle a déjà été mentionnée – de la mosaïque du triclinium du Latran. Commandée par Léon III (795-816), c’est une œuvre chargée d’intentions politiques. Malheureusement nous n’en conservons aujourd’hui qu’une reproduction, elle aussi en mosaïque, réalisée en 1743 par Ferdinando Fuga après que l’original eut été détruit en même temps que le triclinium en 1733376. Dans le cul-de-four de l’abside, le Christ est représenté entre les apôtres. Ce n’est pas tant cette image qui présente de l’intérêt mais celle des écoinçons de l’arc absidial. Sur celui de gauche, le Christ trônant remet les pouvoirs au pape Sylvestre et à Constantin, agenouillés. Il donne au premier les clefs et au second le labarum, l’étendard portant le chrisme. Le Christ donne au pape le pouvoir de «faire et de défaire», et il concède à l’empereur l’Imperium, au sens militaire du terme. Dans le pendentif de droite, c’est Pierre qui est sur un trône et qui donne de la main droite le pallium à Léon III pendant que de sa gauche Charlemagne reçoit le gonfanon du pape. Évidemment, la composition, réalisée ad hoc, est d’une complexité et d’une subtilité extraordinaire. En résumant, on pourrait dire qu’avec cette image est exposé l’affrontement entre l’Église et l’Empire qui se prolongera durant une bonne partie du Moyen Âge. Léon III est le pape qui avait couronné Charlemagne empereur. Divers aspects de cette représentation nous intéressent. Le premier est de constater qu’à partir du modèle de la Traditio Legis a été réalisée une composition complètement différente, avec des changements minimes et une charge idéologique extraordinaire. Du point de vue de la composition, on doit souligner l’évidente application de la perspective hiérarchique. Dans les deux cas, les personnages trônant sont de taille supérieure, à cela s’ajoute la position des personnages qui les flanquent : tous les quatre sont représentés à genoux. Ceci permet au 376   Cette reconstruction du XVIIIe siècle suit les dessins et schémas réalisés avant la démolition. Pour ce qui est des dessins, voir Stephan Waetzoldt, Die Kopien des 17. Jahrhunderts nach Mosaiken und Wandmalereien in Rom, Wien-Munchen, Schroll-Verl., 1964 (coll. Römische Forschungen der Bibliotheka Hertziana, Band XVIII), fig. 120-122. Sur le programme du triclinium léonien voir Hans Belting, « I mosaici dell’Aula Leonina come testimonianza della prima renovatio nell’arte medievale di Roma », Roma e l’età carolingia. Atti delle giornate di studio 3-8 maggio 1976, Rome, Istituto di storia dell’arte dell’Università di Roma, 1976, pp. 167-182, figs. 173-185 et Idem, « Die beiden Palastaulen Leos III. im Lateran… ».

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personnage principal d’apparaître nettement plus haut que les personnages subordonnés, et aux mains des personnages principaux de se situer toujours à hauteur de la tête de ces derniers. Une composition de ce type pourrait expliquer la configuration de Sainte-Marie. On pourrait argumenter que l’iconographie du Triclinium du Latran est exclusive de cet espace. Évidemment. Nous ne sommes pas en train d’insinuer qu’à Terrassa il y ait eu saint Sylvestre/Léon III, ou Constantin/Charlemagne. Nous ne faisons qu’indiquer qu’il est important de s’apercevoir que cette image est une construction à partir de schémas très clairs ; surtout très clairs pour quiconque au IXe siècle est lié à l’Empire ou à l’Église. Pour cette raison c’est une image labile, qui pourrait se modifier à volonté si nécessaire, par exemple dans le cas où, à partir de ce modèle, on aurait voulu établir la hiérarchie entre les deux personnages principaux de chaque côté, c’est-à-dire le Christ et Pierre. Généralement on admet l’influence des grandes basiliques romaines dans l’iconographie des églises occidentales377. Sans doute n’importe quel élément venu de Rome, d’où qu’il vînt, était capable d’influencer la chrétienté occidentale. Dans ce cas, en outre, il n’est pas question d’un lieu quelconque, mais de la mosaïque qui surplombait la salle principale du palais de l’évêque de Rome. Cette décoration devait être très bien connue, en particulier dans certains cercles ecclésiastiques. C’est pourquoi, selon notre avis, l’interprétation de C. K. Carr au sujet de la Traditio Clavis devrait être révisée, au moins pour le cas qui nous occupe. L’analyse de la mosaïque du Triclinium léonien nous permet d’affirmer, bien que nous n’en connaissions pas d’autres exemples, que ce que nous avons à Terrassa pourrait dériver de la recomposition d’éléments d’une décoration prestigieuse, connue et influente. Cette affirmation en implique cependant une autre. Si, dans le cas de la mosaïque du Triclinium du Latran, nous sommes devant une composition ad hoc, sans doute dans le cas de Terrassa nous sommes aussi face à une construction ad hoc. Laissons pour plus tard l’analyse de cette question.

  Cf. H. L. Kessler, « L’antica basilica di San Pietro… ».

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20. Scènes D, E et F (photographie archive de l’auteur avec permission du Museu de Terrassa).

Scènes E-F-G : saint Paul Nos scènes E-F-G [fig. 20]correspondent à celles qui, depuis J. Puig i Cadafalch378, avaient été identifiées comme le Christ prêchant et la Résurrection de Lazare, dans l’hypothèse d’un cycle de la Vie du Christ. Aucun autre auteur, y compris J. Pijoan, n’a rien dit à ce sujet. L’état actuel de conservation des scènes ne permet pas de très bien savoir ce que font les différents personnages. Une des rares certitudes, et la première évidence qui vient écarter l’hypothèse de J. Puig i Cadafalch, est que tous les personnages apparaissent nimbés. Cette constatation devient cependant un problème. Nous avons évoqué plus haut la relation entre nimbes et tenues vestimentaires. Dans la scène D, c’est là un des éléments qui a le plus conditionné la lecture de l’image. Ici, les choses sont encore un peu plus compliquées. En réalité, la question des nimbes, tous très nets et sans trace d’avoir été crucifères, ne ferait pas problème si tous les personnages portaient tunique et pallium. Dans ce cas, nous pourrions penser à une scène évangélique avec une réunion d’apôtres en l’absence du 378  J. Puig, « Les peintures de la Cathédrale… », pp. 398-401 ; Idem, Noves descobertes a la Catedral d’Egara…, pp. 28-30.

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troisième partie 21. Détail de la scène E avec le personnage E1 (photographie archive de l’auteur avec l’autorisation du Museu de Terrassa) et calque de l’auteur.

Christ – la Pentecôte, une Ascension ou n’importe quel autre des Actes des Apôtres –. Cependant, ici, trois personnages portant tunique et pallium et probablement nimbés379, sont accompagnés par six personnages qui portent tunique courte, chlamyde, bracæ et sont assurément nimbés380. Sauf erreur, grave, de la part du peintre ou du concepteur du programme, notre conclusion ne peut être que celleci : est représenté là un groupe de personnages saints de catégories différentes. Suivant l’hypothèse que les personnages en toge soient des apôtres, nous pourrions supposer que les autres soient, par exemple, les sept diacres381. Mais en réalité il serait aussi étrange de montrer saint Étienne en tunique courte et chlamyde, car c’est bien la toge “which suits the dignity of the saint”382. On comprendra plus loin 379   Les trois personnages en toge sont E1, F1 et G1, parmi lesquels seul F1 avait sans aucun doute un nimbe. Pour les deux autres on ne conserve pas la partie de la tête, et il est donc impossible de dire s’ils étaient nimbés ou non. 380   Nous ne pourrions en douter que pour G2 dont seules les jambes sont conservées. Dans les cinq autres cas le nimbe est conservé. 381   Ac. 6, 1 et suiv. La scène de l’élection des diacres n’est guère fréquente, bien que nous la connaissions, par exemple à Saint-Paul-hors-les-murs (v. S. Waetzoldt, Die Kopien des 17. Jahrhunderts…, p. 59, nº 628, fig. 366). 382   H. L. Kessler, The Illustrated Bibles…, p. 123.

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pourquoi nous avons cité H. L. Kessler pour ce qui peut sembler une évidence. Donc la question des vêtements nous conduit à une impasse. Peu importe que nous pensions à la prédication de tout autre saint, nous finirons toujours dans le même contresens. Si nous nous limitons cependant au texte biblique, nous pouvons donner une réponse plausible à cette apparente contradiction entre vêtements et nimbes. Dans le récit de la conversion de saint Paul, le texte des Actes des Apôtres recueille pour la première fois une expression propre à l’Ancien Testament : «Ananie répondit: “Seigneur, j’ai beaucoup entendu parler de cet homme et de tout le mal qu’il a fait à tes saints de Jérusalem.”»383 – c’est nous qui soulignons . L’homme dont Ananie a entendu parler est Saül, futur saint Paul, qu’Ananie doit guérir sur ordre de Dieu. Un peu plus loin, c’est Pierre qui, après avoir ressuscité Tabitha «lui donna la main, la fit lever et, appelant les saints et les veuves, il la présenta vivante»384 – nous soulignons . Peu de temps auparavant, le même Pierre «descendit aussi chez les saints qui habitaient à Lydda»385 – nous soulignons. Ce titre de «saints» apparaît pour la première fois dans le Lévitique386 à propos du peuple d’Israël, parce qu’il était consacré à Dieu, qui est le Saint. L’explication du pourquoi du passage de cette expression aux chrétiens doit être cherchée dans le fait qu’avec l’Ascension du Christ et la Pentecôte qui commencent les Actes des Apôtres, le peuple sanctifié par Dieu devient celui des chrétiens387. Dans cette conception des choses, quelqu’un qui se limiterait au texte ou qui suivrait un modèle provenant d’un manuscrit illustré 383   Ac. 9, 13 : Respondit autem Ananias : Domine, audivi a multis de viro hoc, quanta mala fecerit sanctis tuis in Ierusalem.”. 384   Ac. 9, 41 : Dans autem illi manum, erexit eam ; et cum vocasset sanctos et viduas, assignavit eam vivam. 385   Ac. 9, 32 : deveniret ad sanctos qui habitabant Lyddæ. Voir aussi l'épître de saint Paul aux Romains (Rm 1, 7) et la première aux Corinthiens (1Co 1, 2 ; 16, 1), ou la première de saint Pierre (1P I, 16): Sancti eritis, quoniam ego sanctus sum.. Les références sont très nombreuses dans tous ces livres. 386   Et plus précisement sur Lv, 17. 387   Voir par exemple la note de la Bible de Montserrat sur ce qualificatif de saints : « L’Ancien Testament déjà appelait saints ceux qui appartenaient à Dieu, sainteté suprême. D’accord avec les prophéties, les chrétiens désignaient du nom de saints : d’abord les fidèles de Jérusalem, ensuite chez saint Paul et dans l’Apocalypse, tous les fils.» (Bíblia de Montserrat, Andorra, Casal i Vall, 1991, p. 2800, n. 9, 13). Le texte conservé le plus ancien des Actes en grec date du IVe siècle (Berlin, Staatl. Mus, Inv. 8683) mais il ne contient que des passages des chap. 4-6. Le premier qui contient Ac. 9 est celui du VIe siècle (Vienne, Österreich. Nat. Bibl., Pap. G., 17973. 26133.35831) et il inclut déjà le terme αγιοιζ pour désigner les chrétiens. Il se trouve aussi dans le Novum Testamentum Graece ou, par exemple, dans les versions coptes et syriaques des Actes des Apôtres.

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d’une extrême fidélité au texte, pourrait représenter cette sainteté des chrétiens en leur attribuant des nimbes. Pourtant, étant donné que les disciples et les Apôtres sont deux choses différentes, l’attribution de nimbes à tous ne suffit pas. Afin de distinguer les saints les uns des autres, il aurait donc été nécessaire de marquer les différences au moyen du costume. Ceci pourrait expliquer pourquoi nous avons des «saints» vêtus d’une tunique courte, d’une chlamyde et de bracæ. Cet adjectif commence à désigner les chrétiens, on a vu pourquoi, à partir des Actes des Apôtres. Cette relation directe pourrait être la confirmation que la scène de Terrassa illustre effectivement un épisode de ce livre. Pourtant, et nous en ignorons la raison, l’appellation de «saints» n’apparaît pas avant le chapitre 9, celui dans lequel a lieu l’événement capital de la conversion de saint Paul et le début de sa prédication. Après ce chapitre 9, où, comme on l’a vu, cet adjectif apparaît en relation avec Paul et avec Pierre, il n’est plus présent dans le texte des Actes, mais il est dans les Épîtres. Retenons cette explication possible de la multiplication des nimbes et analysons les autres aspects. Mis à part les nimbes, les scènes E et F – la scène G n’est presque pas conservée – montrent une composition pour le moins curieuse. Le personnage E1 se situe à la suite du Christ donnant les clefs à Pierre (scène D). Si l’on en juge par la position des pieds et de la main ouverte, on doit croire que le personnage est de face [fig. 21-22]. À sa droite se trouvent trois personnages qui, à nouveau d’après la position des pieds, s’approchent de lui. Seul un des trois (E2) montre une position de la chlamyde qui permet de supposer que non seulement ses pieds mais aussi ses mains sont dirigées vers E1388. Nous ne savons pas dans queue direction ils tournent la tête, mais on peut supposer que c’est vers E1 [fig. 27]. Ce raccourci compliqué ne se comprend qu’en regardant F2 et F3[fig. 23]. Ces deux personnages que nous avons assignés à la scène F ont les pieds dirigés vers E1 [fig. 25]. Leur tête aussi regarde vers E1 [fig. 24]. En revanche leurs mains apparaissent levées et voilées de la chlamyde et tournées vers F1. À son tour, F1 apparaît de face et la main ouverte vers le spectateur, dans une position semblable à E1 [fig. 26, 28-29]. Nous nous sommes attardé, une fois de plus, à décrire l’attitude des différents personnages parce qu’elle est certes paradoxale. En vérité, nous n’avons pas trouvé jusqu’à présent une composition iden388   La scène est très confuse, mais il faut comparer la direction des plis de la chlamyde de ces trois personnages avec ceux de F2 ou F3.

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23. Scènes E et F (photographie archive de l’auteur avec l’autorisation du Museu de Terrassa).

24. Détail des personnages E2-E4 et F3 (photographie archive de l’auteur avec l’autorisation du Museu de Terrassa) et calque de l’auteur.

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25. Détail des jambes et des pieds des personnages E2-E4 et F3 (photographie archive de l’auteur avec l’autorisation du Museu de Terrassa).

26. Scène F (photographie archive de l’auteur avec l’autorisation du Museu de Terrassa) et calque de l’auteur des personnages F2-F3.

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27. Détail des personnages de la scène F (photographie archive de l’auteur avec l’autorisation du Museu de Terrassa).

28. Détail du personnage F1 (photographie archive de l’auteur avec l’autorisation du Museu de Terrassa) et calque de l’auteur.

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tique à celles-ci. L’agitation des personnages en chlamyde, placés entre les deux personnages de face et en toge aux extrémités, pourrait rappeler des compositions comme la célèbre Ascension du IXe siècle de Saint-Clément à Rome. Dans ce cas, deux groupes symétriques d’apôtres, disposés de manière très dynamique, sont encadrés par les personnages de Léon IV (847-855) et de Leo presbiter aux nimbes carrés389. Évidemment, dans ce cas il ne s’agit pas d’une Ascension. Il y a une scène, cependant, qui, sans être tout à fait identique, rappelle fortement ce que nous voyons à Sainte-Marie. Nous pen29. Détail du personnage F1 (photosons à la scène de la prédication graphie archive de l’auteur avec l’autode saint Paul, après sa conversion, risation du Museu de Terrassa). sur la Bible de Saint-Paul-hors-lesmurs (Rome, Saint-Paul). Le fol. 310v de ce manuscrit est un frontispice placé entre les épîtres de saint Paul. Pas moins de huit images du récit de la conversion sont disposées sur trois registres superposés, accompagnées des tituli correspondants. Sur le registre supérieur figure Saül recevant les lettres des mains des prêtres de Jérusalem puis l’aveuglement de Saül. Le registre central montre Saül conduit à Damas, la guérison de Saül par Ananie et la vision d’Ananie. Enfin, le registre inférieur présente Saül-Paul prêchant, les disciples faisant descendre Saül-Paul le long des murs de Damas et Saül-Paul fuyant Damas. Ce cycle, en même temps que celui de la Bible de Vivien (Paris, BNF, ms. lat. 1, fol. 386v) auquel il s’apparente, a été suffisamment analysé par H.L. Kessler390. Celui-ci tente de recomposer les modèles de départ des deux frontispices qui, tout en ayant beaucoup de res G. Matthiae, (M. Andaloro), Pittura romana del medioevo…, pp. 179 et suiv., 283-284.   H. L. Kessler, The Illustrated Bibles…, pp. 111-124 ; cf. Joachim A. Gaehde, « The Turonian Sources of the Bible of San Paolo Fuori le Mura in Rome », Frühmittelalterliche Studien, 1971, pp. 359-400, fig. 62-107, en part. pp. 386-392. 389 390

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semblances, ne sont pas identiques. Sa conclusion est qu’il y a un modèle unique pour les deux manuscrits, sans doute de provenance grecque. Le décor de la basilique de Saint-Paul-hors-les-murs permet de supposer que ce modèle avait dû arriver ou être connu en Occident dès les Ve-VIe siècles391. Ce qui nous intéresse dans le frontispice de la Bible de Saint-Paul est la scène de la prédication de saint Paul à la synagogue de Damas. L’édifice a été représenté comme un baldaquin semblable, par exemple, à celui du fol. 5v des Évangiles de Saint-Emmeran de Ratisbonne avec Charles le Chauve trônant. Sous ou devant ce baldaquin ou portique se trouvent saint Paul, au centre, avec deux groupes de quatre juifs. À la différence de ce qui figure sur l’autre frontispice, celui de la Bible de Vivien, où les postures sont statiques et où le personnage de Paul apparaît flanqué de deux juifs armés d’une lance de chaque côté, sur celle de Saint-Paul, la composition est centrifuge. Il semble que les juifs soient en train de sortir en courant, certains parmi eux tournant le tête en arrière, d’autres gardant leurs mains voilées. Contrairement à l’habitude, ce geste des mains voilées ne donne pas l’impression d’être un signe de respect, mais celui de se cacher le visage en entendant une «abomination». Quelle que soit sa signification, on ne peut s’empêcher de voir une ressemblance notable entre la posture et l’attitude de ces personnages et ceux de Sainte-Marie de Terrassa. Cette ressemblance s’ajoute à d’autres éléments intéressants soulignés par H. L. Kessler392. Une fois réalisée l’analyse des modèles possibles, il se rappelle que certains points restent sans explication et se demande, entre autres choses «  what was the original form of Paul Preaching in the Synagogue  ? and what was the appearance of the costumes and architecture in the prototype ? ». 391   La question de l’illustration des Actes des Apôtres est un sujet compliqué. Jusqu’à présent peu nombreux sont les travaux qui s’y sont attachés, mis à part le chapitre de H. L. Kessler, The Illustrated Bibles…, voir Herbert L. Kessler, « The Christian Realm : Narrative Representations », Age of Spirituality. Late Antique and Early Christian Art, Third to Seventh Century (Catalogue of the exhibition at The Metropolitan Museum of Art, November 19, 1977, through February 12, 1978), (éd.) Kurt Weitzmann, New York, Metr. Mus. Art-Princeton Univ. Press, 1979, pp. 449-512 et la bibliographie qu’il réunit. Plus récemment Melzak (R. Melzak, « Petrine iconography and politics… ») en traite certains aspects et réunit lui aussi la bibliographie. Sur les sources du frontispice de saint Paul elles-mêmes, un article antérieur au travail de H. L. Kessler a été écrit par J. A. Gaehde (« The Turonian Sources of the Bible of San Paolo… »). Sur la décoration de Saint-Paul-hors-les-murs, voir S. Waetzoldt, Die Kopien des 17. Jahrhunderts…, pp. 55-65, fig, 318-458. La seule critique à faire à H. L. Kessler est qu’il n’utilise pas toute la documentation disponible qui est beaucoup plus abondante, car il se limite aux manuscrits (cf. Index of Christian Art : saint Paul, prêchant). 392   H. L. Kessler, The Illustrated Bibles…, p. 122.

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La première question se rapporte au fait que, sauf dans le cas des deux frontispices de Tours, la représentation de la prédication de Paul est toujours, selon H. L. Kessler, avec saint Paul à une extrémité et devant lui le groupe des juifs. Nous l’avons vu, les frontispices montrent tous deux saint Paul au centre entre deux groupes. La seule différence entre les deux représentations est qu’alors que dans la Bible de Saint-Paul l’apôtre s’adresse en même temps aux deux groupes, dans celle de Vivien il ne s’adresse qu’au groupe de droite. H. L. Kessler affirme qu’étant donné que sur les deux bibles la composition montre l’apôtre entre deux groupes, le modèle des bibles devait le montrer ainsi. Pourtant, puisque aucun autre des exemples qu’utilise H. L. Kessler pour reconstruire le modèle original ne présente cette composition, il conclut que «  It is reasonable to conclude, therefore, that the model did present the normal composition and that the illuminators at Tours modified the scene. »393. Cette conclusion nous semble paradoxale car il ne donne aucun argument qui permette de trancher en faveur d’une option – un modèle avec saint Paul entre deux groupes – ou pour l’autre – une modification réalisée ad hoc – et pourtant il opte pour la création ad hoc. L’exposition des arguments de H. L. Kessler pourrait faire penser que sur les deux bibles se trouvent les deux seuls cas où figure cette disposition, mais il n’en est pas ainsi. Nous avons connaissance, au minimum, d’un autre exemple, qu’il faut en outre considérer comme contemporain. Dans l’exhaustive décoration de l’église de Saint-Jean de Müstair (Grisons, Suisse), datée du milieu du IXe siècle, se trouve une scène qui, bien qu’avec des doutes, a été identifiée comme la prédication de saint Paul devant les juifs394. La scène figure sur le registre supérieur de l’abside de gauche et elle montre aussi saint Paul entre deux groupes. Le saint est devant deux constructions. Comme dans la Bible de Saint-Paul, deux groupes de quatre personnages l’entourent qui pourtant ont été caractérisés autrement. Les quatre de gauche portent une tunique courte qui arrive au-dessous du genou, des bracæ et la chlamyde. Tous regardent vers saint Paul et le montrent du bras gauche levé, alors que le bras droit reste caché sous la chlamyde. Comme sur la Bible de Vivien, pourtant, l’apôtre s’adresse au groupe de droite, et pas aux deux   Les exemples qu'utilise H.L. Kessler (H. L. Kessler, The Illustrated Bibles…, p. 123) sont : un manuscrit des Épîtres de saint Paul conservé à Munich (Bayerische Staatsbibliothek, lat. 14345, fol. 7v), le Rotulus de Vercelli (Biblioteca Capitolare) et le manuscrit de Cosmas Indicopleustes (Smyrne, Bibl. École Évangélique, B. 8, fol. 8) (voir Index of Christian Art : saint Paul, prêchant), ainsi que les peintures de Saint-Paul-hors-les-murs (voir infra). 394  C. Davis-Weyer, « Müstair, Milano e l’Italia carolingia »….

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groupes, vêtu de la toge et du pallium idoines. Le groupe de droite se compose aussi de quatre personnages qui regardent saint Paul. On peut sans aucun doute les identifier comme prêtres, car ils portent une tunique plus longue décorée et une sorte de pallium. On pourrait supposer qu’à Müstair, nous avons la version correcte de la représentation. Saint Paul apparaît devant deux groupes, mais ne s’adresse qu’à un groupe, celui des juifs. Le problème devient l’identification des quatre autres personnages. Le seul élément dont nous disposons est leur geste. Le récit de la prédication qui suit immédiatement le baptême – baptême qui, soit dit en passant, n’apparaît pas dans les Bibles ! – rappelle que Paul s’adresse aux juifs dans la synagogue et que ceux-ci, à la fin, décident de le tuer395. Si le geste peut être interprété comme d’acclamation, il peut l’être aussi comme geste d’accusation. Dans le premier cas, nous devrions considérer qu’il s’agit de disciples ou de convertis, alors que dans le second ce serait un autre groupe de juifs. Cette dernière option ne justifierait pourtant pas la distinction entre les quatre personnages devant saint Paul et les quatre derrière lui. Si nous avons à Müstair l’exemple le plus clair, la cité de Rome nous en fournit trois illustrations supplémentaires, toutes sur peinture murale, un peu plus confuses que Müstair, mais suggestives. Les deux premières sont «conservées» à Saint-Paul-hors-les-murs. Comme on le sait, l’édifice fut détruit par un incendie en 1823 ; par chance, nous avons les dessins réalisés bien avant cette destruction. Dans le recueil de ces dessins que donne S. Waetzoldt, deux scènes ne sont pas très éloignées de ce que nous voyons sur les bibles de Vivien et de SaintPaul396. En fait, H. L. Kessler connaît les scènes, mais les écarte pour le peu de fiabilité que lui inspire l’état des peintures au moment de leur copie au XVIIe siècle397. La première image montre trois personnages en toge et pallium sortant d’une ville. Le plus avancé des trois   Et continuo in synagogis prædicabat Iesum, quoniam hic est Filius Dei. Stupebant autem omnes qui audiebant, et dicebant : Nonne hic est qui expugnabat in Ierusalem eos qui invocabant nomen istud : et huc ad hoc venit ut vinctos illos duceret ad principes sacerdotum ? Saulus autem multo magis convalescebat, et confundebat Iudaeos, qui habitabant Damasci, affirmans quoniam hic est Christus. Cum autem implerentur dies multi, consilium fecerunt Iudaei, ut eum interficerent. (Ac., 9, 20-23 ; cf. Gal 1, 16-17). 396  S. Waetzoldt, Die Kopien des 17. Jahrhunderts…, fig. 369 et 373. 397   La datation des fresques de Saint-Paul est discutée entre le milieu du Ve siècle et le VIIIe siècle. Par ailleurs nous savons aussi que quand les dessins de copie des fresques sont réalisés au XVIIe siècle, les peintures avaient subi de nombreuses restaurations, la plus importante par Pietro Cavallini au XIIIe siècle. Voir un résumé de la question dans Age of Spirituality. Late Antique and Early Christian Art, Third to Seventh Century. Catalogue of the exhibition at The Metropolitan Museum of Art, November 19, 1977, through February 12, 1978, (éd.) K.Weitz395

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fait le geste de l’adlocutio tout en s’adressant à un groupe de cinq personnages devant un porche qui rappelle celui du frontispice de la Bible de Vivien. Les cinq personnages portent la tunique, et au moins le premier a aussi un pallium. La position des jambes indique que les cinq tentent de s’éloigner du personnage qui leur parle, bien qu’ils soient tous tournés pour le regarder. Le raccourci pourrait rappeler la position des personnages F2 et F3 de Sainte-Marie de Terrassa. Selon S. Waetzoldt, il pourrait s’agir d’Ac. 8, 3, c’est-à-dire, de la persécution des chrétiens par Saül398. La deuxième image de cet ensemble disparu est interprétée par S. Waetzoldt comme la Prédication de saint Paul à la synagogue, c’est-àdire Ac. 9, 20399. L’image était déjà très abîmée quand on en fit la copie au XVIIe siècle, mais on peut y voir malgré tout l’attitude des personnages qui y interviennent. Au centre de la composition, et presque de face, Paul porte la tunique et le pallium. Le saint apparaît nimbé – détail qui ne figurait pas sur l’image antérieure – et avec une main levée et ouverte en signe de porter témoignage. À sa gauche un personnage portant tunique et chlamyde fait le geste de demander des explications. À sa droite, un groupe de six ou sept personnages est vêtu de la tunique et de la chlamyde. Le plus proche de saint Paul apparaît dos tourné au saint, parlant avec les autres. La scène rappelle, ici, les images de Müstair et la Bible de Saint-Paul. La troisième image est tirée du titulus de Sainte-Pudentienne (Rome). Dans ce cas il s’agit de la prédication de saint Paul à Pudens et Pudentienne. Le modèle est très semblable à la prédication de Paul à la synagogue de Saint-Paul-hors-les-murs, mais dans ce cas le cycle est daté du dernier quart du XIe siècle, au moment des réformes de l’édifice menées à bien par Grégoire VII (1073-1085)400. Ce qui ressort, avant toute chose, du groupe d’images que nous avons réunies est leur complexité, en particulier si nous prenons en compte la grande quantité de scènes qui montrent la prédication de saint Paul d’une manière beaucoup plus simple401. Cette complexité elle-même explique qu’en aucun des cas nous ne soyons sûrs de l’épisode exact qui nous est montré. C’est seulement dans le cas des deux bibles que nous pouvons penser à l’épisode de la prédication à la mann, New York, The Metropolitan Museum of Art-Princeton University Press, cop. 1979, pp. 488 et suiv., nº 439. 398  S. Waetzoldt, Die Kopien des 17. Jahrhunderts…, p. 60 n. 631. 399   Ibidem, pp. 60 n. 635. 400   Ibid., pp. 74 n. 1009, fig. 512. 401  Cf. Index of Christian Art : saint Paul, prêchant.

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synagogue, car les scènes se situent à la fin du processus de conversion de Saül. Pourtant il ne semble pas non plus que les illustrateurs aient été complètement sûrs du sens de ce qu’ils copiaient, comme on peut le déduire des erreurs et des différences dans les représentations de l’une et l’autre bible. Si nous reprenons le fil des questions que se pose H. L. Kessler, nous allons aboutir à une de ces erreurs qui se rattache en outre parfaitement à une des difficultés que nous avons rencontrée à Terrassa. Sur la Bible de Vivien, Saül est habillé en soldat romain : il porte un diadème, la cuirasse sur le torse ou pteryges et le paludamentum accroché avec un fermail sur l’épaule. Après sa conversion il porte la toge. Sur celle de Saint-Paul, il porte par contre une tunique courte et une chlamyde dans toutes les scènes. H. L. Kessler se demande quelle est la version correcte402. À partir des œuvres parallèles qu’il analyse – considérées comme de la même famille que les bibles – il constate que le traitement n’est pas toujours le même mais s’approche davantage de ce que nous trouvons sur la Bible de Vivien. Ainsi les manuscrits grecs, la décoration de l’église de Dečani (XIVe siècle), le rouleau de Vercelli et les mosaïques siciliennes de Palerme et de Monreale montrent le saint toujours en toge403. « This costume, which suits the dignity of the saint, is traditional. » En revanche, sur la lapidation de saint Étienne du manuscrit de Munich (fol. 1v), par exemple, il est vêtu d’une cape, d’une tunique courte et des « leggings much as in the San Paolo Bible ». Pourtant le manuscrit de Munich le montre déjà avec la toge dans les scènes de la Conversion. La conclusion est logique. «  It is possible, therefore, that in the model Saul’s costume changed to indicate his status before and after his conversion. »404. Ainsi la Bible de Vivien suit fidèlement le modèle, excepté en un détail. Rappelons que saint Paul apparaît vêtu en militaire avec une cuirasse et un diadème. L’explication de H. L. Kessler est raisonnable : le modèle a été adapté à la mode classique à partir, peut-être, d’un diptyque consulaire. L’auteur admet que le modèle pourrait être, cependant, les soldats qui apparaissent sur le frontispice de David (fol. 215v) ou sur le frontispice dédicatoire (fol. 423r)405. Cela dit, H. L. Kessler conclut que

  H. L. Kessler, The Illustrated Bibles…, p. 123.   Cf. Index of Christian Art 404   H. L. Kessler, The Illustrated Bibles…, p. 123. 405   En passant, comme pour aider à distinguer les deux bibles, il relève que ces mêmes folii sur la Bible de Saint-Paul (170v et 334v) ne montrent pas les soldats avec une armure. Mais, 402 403

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troisième partie « It would seem, then, that the Vivian master preserved the change of costume from his model but introduced the armor and that the San Paolo master retained the details of one type of dress but unified the costume. »

En réalité, savoir pourquoi sur la Bible de Saint-Paul un apôtre porte la tunique courte et la chlamyde reste une question sans réponse. Nous sommes d’accord avec H. L. Kessler pour dire que la présence de la tunique courte et la chlamyde, avant la Conversion, et son remplacement par un pallium, par la suite, veulent souligner le changement subi par le personnage. Cette signification semble si évidente qu’il est difficile d’accepter qu’elle soit passée inaperçue aux illustrateurs de Tours. Plus encore quand, dans un manuscrit, elle est correctement rendue et dans l’autre non. Ajoutons que sur la décoration murale de Saint-Paul-hors-les-murs Saül-Paul apparaît vêtu d’une tunique et d’un pallium quand il persécute les chrétiens et aussi quand il prêche à la synagogue. En fait, sur ces peintures, la conversion ne se marque qu’avec l’ajout du nimbe, mais pas au moyen du costume406. Il est évident, par conséquent, que comprendre et représenter cet épisode de la vie de saint Paul pose des problèmes. Sans doute l’image la plus fidèle doit-elle être celle représentée à Müstair tant sur le plan de la composition – Paul entre deux groupes –, que sur le plan de la tenue vestimentaire – Paul : la tunique et le pallium ; les juifs : la tunique ; les chrétiens ou convertis (?) : la tunique courte et la chlamyde. D’autre part, il n’y a pas que pour saint Paul que se posent les problèmes de vêtements. Dans la Bible de Saint-Paul, les quatre personnages de gauche et les deux de droite les plus proches du saint portent aussi la tunique courte et la chlamyde, bien qu’ils ne portent pas de nimbe. En revanche, les deux plus éloignés du côté droit portent la tunique et le pallium, tenue qui est refusée à saint Paul. S’il s’agit de la prédication à la synagogue, et étant donné les évidentes confusions de l’enlumineur, qui sont ceux qui entourent saint Paul ? Des prêtres ou des disciples ? Une fois encore, pour notre ou nos scènes de Terrassa, l’observation la plus intéressante de toutes celles que nous avons faites est que l’ensemble des œuvres contemporaines examinées révèlent un degré de confusion remarquable. De plus, les ensembles dont nous parlons – les Bibles de Tours, les fresques de Müstair – sont de la plus haute en réalité, les soldats qui accompagnent David (fol. 170v) sont semblables à ceux de la Bible de Vivien ! 406   Cf. S. Waetzoldt, Die Kopien des 17. Jahrhunderts…, fig. 369-374.

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qualité et, pourtant, sont en conflit quand il s’agit de savoir exactement ce qui était représenté et pourquoi. Sans doute, une partie du problème réside dans la simplification des programmes que l’on devine dans ces œuvres majeures du IXe siècle, et sans doute dans beaucoup d’autres407, face à la complexité d’ensembles du Ve siècle comme les peintures de Saint-Paul-hors-les-murs. On remarque aussi le nombre d’œuvres contemporaines à Terrassa, ce qui démontre que les modèles étaient connus et utilisés avec une relative profusion, malgré une confusion certaine408. Étant donné l’état de conservation des peintures de Terrassa, il est difficile de faire des affirmations définitives catégoriques. Pourtant il nous semble qu’il y a deux arguments puissants pour soupçonner que nous sommes devant des scènes de la vie de saint Paul. Le premier est le conflit entre les vêtements et les nimbes. Si notre interprétation de cette apparente contradiction va dans le bon sens, la présence des personnages E2-E4 i F2-F3 portant le nimbe et la tunique courte à côté des personnages en toge – E1, F1, G1 – ne peut se justifier qu’en tenant compte de l’appellation de saints donnée au chrétiens à partir d’Ac. 9, en tant que peuple élu. Cette hypothèse rapproche nos images des compositions de Müstair ou du frontispice figurant l’histoire de saint Paul dans la Bible de Saint-Paul. Sur celle-ci en outre, la gestuelle est très proche de celle qu’expriment les personnages F2-F3 à SainteMarie de Terrassa. D’autre part, il nous semble chaque fois plus clair que l’attitude de E1 et de F1 renvoie à un personnage qui porte témoignage, c’est-à-dire qui prêche. Nous avons déjà vu les ressemblances avec certaines des scènes de Saint-Paul, mais si nous plaçons nos personnages à côté de l’image de saint Étienne à Auxerre, l’identité est presque absolue, même la position de la main droite ouverte vers le spectateur coïncide. Les interrogations au sujet de la scène G sont plus grandes. Au vu de la situation des scènes E-F, nous pourrions supposer que, parallèlement à ce qui arrive dans les scènes B-D, ici la scène G appartient aussi à la vie de saint Paul. Les vestiges sont très limités mais des détails curieux réclament l’attention [fig. 30-31]. Nous pensons surtout aux jambes de G2 qui présentent une forte inclinaison, encore plus accusée par la forme circulaire du registre. La direction des plis qui sont   Voir dans Index of Christian Art : saint Paul, prêchant.   À une époque où les vestiges sont aussi rares, nous trouvons la scène en trois lieux différents (quatre en comptant le ms. de Munich, qui cependant montre une certaine évolution). 407 408

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encore visibles sur les bracæ indiquent que la jambe droite est penchée en arrière, comme si le personnage tombait sur le dos ; quant à la jambe gauche, seul le pied est conservé et sa position indique que le personnage tombe en avant. Avec la disposition absolument opposée du mouvement des deux jambes, et en pensant aux scènes liées à saint Paul, on peut seulement penser à l’aveuglement et à la chute de Saül, ou bien à un personnage qui fuit. Dans le premier cas, l’artiste aurait représenté le personnage de face, et donc avec les jambes tournées chacune dans une direction différente et avec une forte inclinaison pour indiquer la chute. Dans le second cas, nous pourrions nous trouver devant un personnage qui, comme à Saint-Paul-hors-les-murs, se prépare à fuir et pour cette raison a les pieds tournés dans des sens opposés. La rigidité avec laquelle a été représentée la chute de saint Paul dans la Bible de Vivien permettrait de penser à une chute sur le côté, tout aussi rigide, à Terrassa. Il est beaucoup plus difficile de supposer que nous sommes devant l’originale chute de la Bible de Saint-Paul. Sur la représentation dramatique de la scène, Saül réalise un spectaculaire saut en arrière, presque une acrobatie. Cette pirouette n’apparaît sur aucun autre exemple cité par H.L. Kessler et cependant l’auteur n’y fait pas référence409. Le problème posé par l’identification de notre scène G avec cet épisode de la Chute de saint Paul est de savoir qui est le personnage en toge (G1) devant le supposé Saül (G2) : peut-être Ananie ? Si on se tourne vers les dessins de Saint-Paul-hors-les-murs réunis par S. Waetzoldt, nous pourrions penser qu’à Terrassa nous sommes devant la persécution des chrétiens. Dans ce cas la difficulté résiderait dans la pénurie de personnages avec laquelle aurait été traitée cette scène. Il faudrait identifier G1 à saint Paul et donc G2 à un des chrétiens qui fuit. À partir de ces deux personnages on pourrait imaginer la présence d’un troisième personnage, un hypothétique G3, aujourd’hui disparu, occupant l’espace entre G2 et H2, mais l’espace disponible ne permet pas représenter davantage de personnages. Or, dans les autres représentations de cette scène, le nombre de personnages est bien supérieur. Jusqu’ici, nous avons présenté les éléments qui composent les scènes E-G. Sans doute influencés par l’interprétation des scènes précédentes, nous n’avons aucun doute qu’il s’agisse de scènes reliées à saint Paul. Certains détails que nous avons montrés renforcent encore cette théo  H. L. Kessler, The Illustrated Bibles…, p. 122.

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30. Scène G (photographie archive de l’auteur avec l’autorisation du Museu de Terrassa) et calque .

31. Vestiges d’une figure entre les scènes G et H (photographie archive de l’auteur avec permission du Museu de Terrassa).

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rie. Mais décider de quelles scènes il s’agit est difficile. Comme nous l’avons vu, il y a des arguments pour se prononcer en faveur de diverses possibilités, mais dans aucun cas la comparaison entre les arguments, les parallèles et Terrassa n’est concluante. Ce qui reste le plus net est que depuis les origines l’iconographie autour de saint Paul présente une grande confusion, qui est déjà évidente sur les peintures de SaintPaul-hors-les-murs et qui est encore plus marquée sur les Bibles de Tours. Il ne serait donc pas étrange qu’ici aussi il y ait des confusions. Un dernier élément pourrait nous aider à clarifier la situation de Terrassa. Jusqu’à présent nous avons utilisé, sans la remettre en question, une division des scènes qui, comme nous l’avons dit en commençant, est parfaitement conventionnelle. Ce schéma n’a eu d’autre but que d’être utile pour la description et donc n’a pas prétendu fixer définitivement le nombre d’images ni leur composition ou leur interprétation. Cela dit, si au lieu de considérer deux scènes F et G, nous considérons qu’il s’agit d’une seule, le résultat est une disposition des personnages très semblable à celle que nous voyons sur la Prédication de saint Paul à la synagogue de Saint-Paul-hors-les-murs. Selon cette lecture, F1 devrait être identifié à Paul et F2-F3 – et pourquoi pas aussi E2-E4 ? – aux disciples qui, dos à saint Paul, commentent les faits. En réalité, alors que leur position coïncide avec celle des disciples (?) qui accompagnent Paul à Müstair, leur attitude est plus proche de celle des juifs (?) de la Bible de Saint-Paul. Par ailleurs, position et attitude sont en partie similaires à celles des peintures murales de Saint-Paulhors-les-murs. La plus grande ressemblance avec ce décor est le personnage de saint Paul (F1), qui se tient debout, de face et la main ouverte en signe de témoignage – tout comme Étienne à Auxerre. G1, à sa droite, devrait être identifié avec le docteur qui discute avec saint Paul dans les fresques romaines. Dans ce contexte, G2 doit être identifié comme un des juifs qui fuient saint Paul, à l’égal de ceux que nous trouvons sur la Bible de Saint-Paul. Cette explication n’est valide que si G1 et G2 n’étaient pas des personnages nimbés. Mais dans ce cas le mauvais état de conservation des peintures favorise nos hypothèses. Nous sommes donc devant la même scène que celle qui se trouve au pied des frontispices des bibles de Vivien et de Saint-Paul, sur l’abside nord de Müstair ou dans la nef centrale de Saint-Paul-hors-lesmurs : Paul prêchant à la synagogue. Comme dans tous ces exemples, sauf à Müstair, l’exemple est un peu confus410, en particulier par le 410   À Müstair aussi il y a des explications différentes pour cette scène, et alors que G. Francovich,« Il ciclo pittorico della chiesa di San Giovanni a Münster… », l’identifie comme

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nombre de personnages qui y interviennent. Dans notre cas, comme dans celui de la Bible de Saint-Paul et des peintures de Saint-Paul-horsles-murs, les saints, c’est-à-dire les chrétiens, semblent fuir. Peut-être l’explication apparemment incohérente des différents personnages, et sans doute l’origine de la confusion des différents modèles iconographiques, est-elle à chercher dans le texte même des Actes des Apôtres. Rappelons-le, la première prédication de Paul a lieu à la synagogue de Damas411. D’après le texte, ceux qui l’entendaient étaient stupéfaits par le changement soudain de celui qui poursuivait avec tant de fermeté les adeptes du Christ, Stupebant autem omnes qui audiebant412. Ces paroles pourraient expliquer certaines des attitudes statiques des personnages qui accompagnent Paul, par exemple à Saint-Paul-horsles-murs. Un peu plus loin, le texte dit que «les disciples», c’est-à-dire les disciples de Paul, veulent le sauver parce que la véhémence de sa prédication avait fait naître une conjuration des juifs pour le tuer413. L’existence de disciples de Paul expliquerait la présence de chrétiens accompagnant Paul à la synagogue. Il faudrait ainsi interpréter les quatre personnages derrière le saint à Müstair. Mais le texte continue en expliquant que, une fois enfui de Damas, Paul s’en va à Jérusalem où tentabat se iungere discipulis, et omnes timebant eum, non credentes quod esset discipulus414. En forçant un peu les termes, nous pourrions considérer que ce timebant justifie l’attitude de ces chrétiens qui n’avaient pas confiance dans le comportement du converti Saül. Ceci pourrait expliquer le cas de Terrassa ou de la Bible de Saint-Paul. Il existe un indice favorable à la fusion des scènes F et G en une seule. Bien que cela puisse paraître un argument banal, cette réunion établit une symétrie, quant aux dimensions et à l’espace qu’elle occupe dans le premier registre, avec la scène B. Considérant le soin avec lequel ont été délimités les différents espaces de ce premier registre, une correspondance de ce type pourrait ne pas être fortuite. Par ailleurs, une telle subdivision simplifie et clarifie la lecture et l’organisation du registre. Une fois identifiée la scène F-G, reste à définir la scène E. Comme E1 montre la position caractéristique de ceux qui portent témoignage (voir supra), on peut considérer que, dans ce cas aussi, nous sommes relative aux seuls Pierre et Paul, K. Koshi (K. Koshi, Die frühmittelalterlichen Wandmalereien…) la recueille comme la Dispute de saint Paul. 411   Dans Ac. 9, 20 et suiv. 412   Ac. 9, 21 413   Ac. 9, 25. 414   Ac. 9, 26

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devant une scène de prédication de saint Paul. Il n’est pas facile cependant de décider de quelle prédication il peut s’agir415. Il est certain que la majorité de ces scènes correspondent aux différentes épîtres et à l’illustration conventionnelle qui est en tête des manuscrits. En fait, les différences sont minimes entre les unes et les autres et toutes pourraient être représentées comme la scène E de SainteMarie. Toutefois, étant donné le caractère des prédications qui mettent en scène Paul dans les Actes des Apôtres, nous pouvons supposer que c’est une de ces scènes qui est représentée416. Sur le terrain des hypothèses, nous pourrions penser que la scène E se rapporte à une des prédications adressées aux gentils417, en contrepoint à la scène F-G où la prédication s’adressait aux juifs.

Les scènes “non visibles” Tout au long de l’analyse du premier registre, nous avons vu comment la question du sens de lecture des images n’était ni simple ni futile. Après avoir vu les scènes B à G, prend forme un schéma symétrique qui élude la simple lecture de gauche à droite. Il n’est pas étrange donc que nous commencions l’analyse des scènes H-A en nous demandant quelle est leur organisation interne. Étant donné la ductilité des scènes B à G, les possibilités sont multiples. Si nous partons de la base que les scènes sont cachées car elles ont un public différent, il est logique de supposer que le message lui aussi doit être différent [pl. 4-5]. En ce sens, malgré la possible disparité interne, d’un point de vue extérieur elles doivent être considérées comme une entité différente de celle que forment les scènes visibles. Ceci dit, nous pouvons supposer que nous nous trouvons devant un cycle de quatre scènes, et donc avec un sens de lecture de gauche à droite ou de droite à gauche, ou bien que nous sommes devant une sélection d’images avec un ordre particulier. La première observation que l’on peut faire, en prenant comme point de départ les images elles-mêmes, est que les scènes H-I présentent un même fond uniforme qui est différent de celui de la scène A. Les possibilités d’interpréter cette donnée sont 415  L’Index of Christian Art (v. saint Paul, Prêchant) en recense vingt-et-une, hormis celles qui ne sont pas identifiées. 416   Les Actes relèvent des prédications de Paul aux versets : Ac. 9, 20 et suiv. ; Ac. 13, 16-41 ; Ac. 16, 13 et suiv. ; Ac. 17, 16-32 ; Ac. 18, 4 et suiv. ; Ac. 19, 9 et suiv. ; Ac. 24, 24-25 ; Ac. 28, 31. 417   Par exemple celle de l’Aréopage : Ac. 17, 16-32.

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nombreuses, mais toutes passent par une identification préalable minimale des sujets représentés.

Scènes A-H-H’-I Une fois constatée la cohérence interne de la scène B, nous n’avons pas de doutes que l’hypothèse de départ était exacte. Nos scènes A et B sont effectivement deux scènes différentes. Pourtant, cela nous place devant le problème d’identifier la scène A avant toute hypothèse préalable [fig. 9-11]. Peu d’éléments nous restent : un personnage vêtu d’une chemise courte et ouverte devant une construction et une structure, à droite, que nous ne sommes pas parvenus à identifier, d’où dépassent des bras et des jambes de petite taille. À propos de l’identité du personnage, il ne fait pas de doute qu’en aucun cas on ne saurait supposer qu’il s’agit de Pilate, Anne ou Caïphe. Son costume ne permet pas de penser que nous nous trouvons devant le gouverneur romain ou l’un des dignitaires juifs. Sa position devant la construction pourrait faire penser qu’il s’agit, par exemple, d’un soldat. De fait, la position de sa main gauche, effacée, et une ligne qui court parallèlement à la colonne hélicoïdale de droite permettent de suggérer qu’il tient une lance. Le nombre de scènes qui peuvent représenter un personnage avec ces caractéristiques et dans cette attitude est très grand, mais normalement il s’agit de scènes d’apparat, c’est-à-dire que le soldat et la construction accompagnent un personnage important qui siège sur un trône devant eux. Le problème ici, est l’étrange structure que nous trouvons devant et que nous n’avons pas été capables d’identifier. On pourrait supposer qu’il s’agit d’un trône, comme on a soutenu souvent418, mais, dans ce cas, il faudrait expliquer sa différence de niveau par rapport à la construction. Le supposé trône apparaîtrait, par rapport à la construction, élevé en l’air. D’autre part, le personnage qui pourrait trôner dans cette structure apparaîtrait à un niveau trop élevé. Nous ne citerons pas ici toutes les scènes où apparaît un trône que nous avons pu comparer avec Terrassa ; cela n’aurait pas de sens car c’est une scène trop fréquente. Nous nous contenterons de dire que nous n’avons pas trouvé un seul cas de ressemblance, même lointaine, entre les nombreux trônes et cette structure de rectangles décroissants. Pourtant,  J. Puig, Noves descobertes a la Catedral d’Egara…, p. 28 ; J. Ainaud, Les esglésies de Sant Pere…, p. 45.

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devant l’impossibilité d’identifier la structure, nous ne voulons pas écarter qu’il s’agisse effectivement d’un trône. En fait, n’était cette forme qui ne correspond à rien que nous connaissions, il n’y aurait aucune difficulté à accepter que nous sommes devant une des très nombreuses scènes de procès, où le juge est sur un trône devant le Christ, un apôtre ou un martyr et où, derrière le trône, apparaît un soldat en relation avec un cadre architectural. Il faut donc conserver cette possibilité, mais en relation avec des scènes non christologiques. Nous ne nous étendrons pas à expliquer cette exclusion, car elle a été suffisamment justifiée. Nous rappellerons seulement que la séparation entre cette scène A et la scène B n’a rien à voir avec cette structure mais avec le personnage que nous avons identifié comme Malchus (B2). La curieuse forme de la construction a fait penser qu’on se trouvait devant un édifice particulier, du type de l’Anastasis ou du Tabernacle419. En fait, l’analyse de cette construction nous permet de supposer que sa composition particulière n’est rien de plus que la compression de tous les éléments qui forment une structure conventionelle, de sorte qu’elle devient exceptionelle. Normalement les constructions qui apparaissent sur des scènes comme la nôtre montrent le même nombre d’éléments. La porte a d’habitude un tympan triangulaire et est encadrée, ou non, de colonnes avec chapiteaux, et elle apparaît toujours vue de face. À gauche et à droite de cette porte, en perspective cavalière ou sur le même plan, nous voyons le mur latéral et la moitié correspondante de la toiture. Peu importe que soit représentée une ville, une église quelconque ou précise, les règles sont habituellement les mêmes420. Normalement, les tuiles et les pierres de taille, pour accentuer l’effet de perspective, apparaissent divisés en diagonale avec un changement de couleur pour chaque moitié. Les pierres de taille, à leur tour, apparaissent disposées en rangées horizontales. À côté de la ligne que définissent les pierres disposées en quinconce, on peut aussi trouver une bordure intérieure qui tente d’imiter l’anathyrosis. Dans la majorité des cas, le tympan de 419   Cf. M. Guardia, « La pintura mural pre-romànica de les esglésies de Sant Pere de Terrassa… », p. 156. 420   La bibliographie sur l’iconographie architecturale dans le monde antique et médiéval est abondante. Voir en général Ejnar Dyggve, Ravennatum Palatium Sacrum, Copenhague, Ejnar Munksgaard, 1941 ; P. Lampl, « Schemes of Architectural Representation in Early Medieval Art », Marsyas, IX (1960-1961), pp. 6-13 ; Ingrid Ehrensperger-Katz, « Les représentations des villes fortifiées dans l’art paléochrétien et leurs dérivées byzantines », Cahiers Archéologiques, XIX (1969), pp. 1-27. Sur ce thème, dans la Péninsule ibérique, v. récemment F. Galtier, La iconografía arquitectónica….

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la porte apparaît surmonté d’un «oculus» qui en réalité peut renvoyer au type de décor classique de la couronne végétale. Dans notre cas, nous trouvons la porte disposée de face. Pourtant, le fait que le registre soit circulaire induit l’auteur de la peinture à incliner les colonnes vers l’intérieur afin de les adapter à la forme du registre421. Le plus surprenant, cependant, est que, entre les colonnes, les files de pierres aient été disposées de manière verticale ! Qu’il s’agisse de rangées de pierres de taille ne fait aucun doute, bien que si elles étaient représentées de manière normale, elles seraient à l’horizontale vers la droite ou la gauche. Même verticalement, les pierres de taille sont disposées en quinconce et chacune montre les vestiges du profil de l’anathyrosis, ce sont apparemment des arguments assez solides. Par ailleurs, l’intérieur de beaucoup de ces blocs apparaît marqué d’un X (?) qui pourrait être la tentative de montrer une bipartition de couleur. Le tympan présente lui aussi une forme inhabituelle. En premier lieu nous avons déjà dit que sa base n’est pas plane mais qu’elle est en pointe au centre et incurvée vers chaque extrémité. En second lieu, l’»oculus» a été déplacé sur le sommet, donnant l’étrange sensation d’une cheminée. Ces deux éléments pourraient faire penser à un certain type de tente, comme celles qui apparaissent par exemple dans le Pentateuque Ashburnham. En réalité, il semble que le résultat final de cette construction soit la conséquence du manque de place tout en voulant faire tenir, de manière maladroite, tous les éléments du modèle de référence. Voilà les données dont nous disposons, et, à l’évidence, les solutions qu’elles offrent ne sont pas très nombreuses. Malgré les problèmes existants, les traits qui subsistent font pencher la balance pour une scène avec un personnage trônant. Mais que cette scène n’ait rien à voir avec celles du même type qui apparaissent dans le cycle christologique, empêche, a priori, de trancher pour une identification sûre. En sortant du cycle christologique, les possibilités se multiplient. Pour cette raison, étant donné que, comme il semble clair, la scène A est apparentée – sans qu’on sache encore à quel degré – aux scènes H-I, nous abandonnerons momentanément l’analyse de cette scène pour nous tourner vers le reste du groupe. Si nous nous déplaçons à l’autre extrémité, il faut dire qu’il n’est guère facile d’identifier la scène représentant le personnage crucifié 421   La progression de ce mécanisme d’adaptation des images aux formes circulaires des absides et des coupoles peut être suivi parfaitement sur les voûtes de Saint-Marc de Venise (voir O. Demus, The Mosaics of San Marco…) et supra.

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32. Détail du personnage H2 (photographie archive de l’auteur avec l’autorisation du Museu de Terrassa) et calque de l’auteur.

[fig. 32]. En réalité, c’est presque l’énigme de Terrassa. Pendant très longtemps on a affirmé que cette scène reproduisait la crucifixion du Christ422. Ceux qui ont proposé cela, cependant, fondaient – devaient fonder – cette identification sur le fait que le crucifié que nous conservons ne pouvait être quel’un des deux larrons. Les caractéristiques du personnage rendent inconcevable qu’il puisse s’agir du Christ cloué sur la croix. Le problème n’est pas celui de la taille ou de l’emplacement, car on trouve des scènes où le Christ, de petite taille, apparaît crucifié à côté d’autres scènes indirectement en rapport avec la Passion du Christ. Le problème réside dans la manière dont ce personnage est représenté. Nous ne recommencerons pas la description, mais il est évident que le Christ crucifié n’apparaît jamais vêtu d’une tunique courte, de bracæ et chaussé (?). On peut le trouver en perizoma – la forme qui deviendra la plus habituelle – avec un colobium ou avec une tunique manicata423. Donc il y a un certain accord pour dire que le personnage crucifié ne peut être le Christ. Nous ne pouvons pas non plus admettre que le crucifié soit un des larrons. S’il l’était, nous devons supposer que nous serions devant la  J. Puig, Noves descobertes a la Catedral d’Egara…, p. 29.   Voir G. Schiller, Ikonographie des christilichen…, II, pp. 88 et suiv.

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représentation de Gestas – le mauvais larron – et que le côté gauche, qui aujourd’hui est un espace vide, serait rempli avec le Christ et Dimas [fig. 31]. Malheureusement, l’espace disponible n’est pas suffisant même pour la représentation la plus simple du Calvaire avec les trois crucifiés. Nous nous trouvons donc devant un nouveau problème d’identification de scènes. Après le Christ, le crucifié le plus célèbre est saint Pierre. Étant donné qu’une partie du registre traite du personnage de Pierre, nous pourrions penser qu’ici s’achevait la «narration» avec la mort du saint. Malheureusement, dès le début, et afin d’être différencié du Christ, Pierre apparaît toujours crucifié tête en bas. Nous n’en connaissons aucune exception, et notre ensemble est déjà assez exceptionnel pour qu’on n’y ajoute pas de nouvelles exceptions. En outre, l’uniformité du type iconographique de Pierre est logique, car elle dépend directement des récits apocryphes sur le saint. Tant dans l’Actus (33-34, 36), que dans la Passio (58) Néron consulte Agrippa «  In both texts, Peter specifies that he wishes to be crucified with his head down. »424. Donc il faut écarter qu’il s’agisse de Pierre. Une fois écartés le Christ et Pierre, trouver qui peut être ce crucifié devient une tâche ardue. En suivant un ordre que nous pourrions appeler de popularité, immédiatement après Pierre on trouve la crucifixion d’André, son frère qui l’a présenté au Christ425. Bien que nous soyons habitués à des croix de saint André en forme d’X, les premières de la représentation de la mort du saint le montrent crucifié de la même manière que le Christ. À partir d’un moment précis, que L. Réau situe au XIIe siècle, le saint apparaît sur une croix decussata, mais pas avant. Avant cette époque, ce qui est parfois sensible est la préoccupation de distinguer la crucifixion d’André de celle du Christ. Un ménologe grec des XIe-XIIe siècles conservé à la bibliothèque de Jérusalem (Grec, Patr. Saba 208) montre au fol. 91r un rectangle présen424   Actus, 33-34, 36 et Passio, 58. Voir C. K. Carr, Aspects of the Iconography of Saint Peter…, p. 160. La première crucifixion de saint Pierre en Occident n'apparaît pas avant le VIIIe siècle. On la trouve dans l'oratoire de Sainte-Marie réalisé par le pape Jean VII (705-707) au Vatican. L'œuvre, en mosaïque, fut détruite ; mais nous en conservons les dessins du XVIIe siècle à la Biblioteca Vaticana, cod. Barb. lat., 2732, 2733, cf. S. Waetzoldt, Die Kopien des 17. Jahrhunderts…, pp. 68-69. Sur l'iconographie de saint Pierre et ses sources v. aussi l'entrée “Petrus” dans Lexikon der christlichen Ikonographie, cols. 158-174 ; Bibliotheca Sanctorum…, vol. X, cols. 588-650. On trouvera une édition des textes apocryphes sur saint Pierre dans Léon Vouaux, Les actes de Pierre, Paris, Létouzey & ané, 1922 (coll. Les Apocryphes du Nouveaut Testament). Sur le personnage du saint voir en dernière instance Enciclopedia dell’Arte Medievale, IX, pp. 397-403. 425   Jn, 1, 36-42.

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tant les morts de Pierre, Paul, André et Jacques le Majeur. Le premier et le troisième meurent sur la croix, le deuxième décapité et le dernier égorgé. La curiosité réside dans le fait que Pierre et André apparaissent tous deux sur une croix la tête en bas426. C’est la seule exception, quant à la disposition de la croix, sur toutes les autres représentations que nous connaissons jusqu’à la fin du XIe siècle, André est représenté droit427. Quant au type de croix, au XIe siècle nous avons aussi une exception qui s’écarte de la norme. Les portes de bronze et d’argent de Saint-Paul-hors-les-murs, à Rome, nous montrent André crucifié sur un arbre en forme d’Y. Les portes sont datées ca. 1070 et sont une œuvre orientale, comme on peut en conclure d’après le groupe d’inscriptions, rédigées en grec428. Cette croix est bien entendu plus proche de la crux decussata qui plus tard identifiera André. Comme nous l’avons dit, à côté de ces deux exceptions, toutes deux d’un XIe siècle avancé, la norme est que saint André apparaisse crucifié de la même manière que le Christ. Les différences entre les deux personnages résident dans le contexte de la crucifixion et dans le costume. Normalement, d’après la légende, André est crucifié en présence du proconsul Egeas429. Ce personnage apparaît assis, présidant avec ou sans sceptre, avec ou sans couronne, d’un côté de la crucifixion. De l’autre côté de la crucifixion, on trouve habituellement un groupe de gens qui gesticulent, sans qu’on sache si c’est vers le crucifié ou vers Egeas, ou les deux430. Mais d’autres représentations

426  Voir Index of Christian Art : saint André. Crucifixion. À titre de curiosité nous dirons que l’attention portée à montrer une crucifixion différente de celles du Christ et de Pierre conduit même à représenter André crucifié à l’horizontale : voir un manuscrit du XIVe siècle de la Légende dorée de Jacques de Voragine à San Marino (Biblioteca Huntington, ms. H. M. 3027, fol. 130r) ; plus près de nous, c’est ce que nous voyons sur le retable de saint André à Gurb, œuvre de Lluís Borrassà (milieu du XVe siècle) aujourd’hui au Museu Diocesà de Vic (voir J. Gudiol, S. Alcolea, Pintura gótica catalana…, p. 84 nº 207, fig. 388). 427   Voir dans l’Index of Christian Art : saint André, Crucifixion. 428   Ibidem. 429   Cf. Vorágine, cap. II [Santiago de la Vorágine, La leyenda dorada, 2 vol., (éd.) José Manuel Macías, Madrid, Alianza editorial, 1990 (Alianza forma, 29-30), pp. 31 et suiv.] 430   C’est le cas sur les Sacramentaires de Bamberg, Staatsbibliothek, Lit. 1, fol. 174r (Xe-XIe siècles) et Staatsbibliothek, Lit. 2, fol. 121r (XIe siècle) ; sur le Sacramentaire de Göttingen, Univ. Bibl., Theol., 231, fol. 116r (Xe-XIe siècles) ; sur le Sacramentaire de Warmundus, Ivrea, Bibl. Capitolare, 86, fol. 116v. (969-1002) ; et sur le Sacramentaire d’Udine, Bibl. Capitolare, 76V, fol. 72v (XIe siècle). Inutile de dire que ce type de représentation semble s’accorder à la typologie du livre illustré (voir Index of Christian Art : saint André, Crucifixion).

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montrent le saint crucifié en présence d’autres personnages, non identifiés et, plus rarement, seul431. À propos du costume, André apparaît toujours vêtu. Habituellement sa tenue consiste en une tunique indéterminée et un pallium, bien qu’il y ait des exceptions qui le montrent seulement en tunique432 voire même en colobium433. Dans deux cas, saint André porte le perizoma: le premier est celui déjà cité où la croix est un arbre en Y (voir supra), l’autre est le Sacramentaire de Drogon (Paris, Bibl. Nat. de France, lat. 9428, fol. 98v ; IXe siècle). L’exemple le plus proche de Terrassa se trouve dans l’Antiphonaire de Prüm (Paris, B. N. F., lat . 9448, fol. 81r) de la fin du Xe siècle434. Le saint crucifié y apparaît attaché sur la croix entre deux hommes qui portent une tunique courte et des bracæ. André porte une tunique et un pallium, mais soit parce qu’il est déjà attaché, soit à cause de l’exécution de la peinture, la tunique paraît plus courte que ce qu’elle est en réalité. Le type de la croix, faite de traverses larges et s’élargissant vers les extrémités, est aussi proche de la scène de Sainte-Marie. Nous soulignerons un autre détail en faveur de la proximité avec cette œuvre ottonienne. Une des caractéristiques qui attire l’attention sur la tunique que porte le crucifié435 est qu’elle laisse la poitrine découverte, comme si le vêtement était ouvert. Ce détail se retrouve sur les larrons crucifiés avec le Christ de l’Évangéliaire d’Otton III (Munich, Staatsbibliothek, Clm. 4453, Cim. 58, fol. 248v) ou sur le livre de Péricopes connu sous le nom de Codex Egberti (Trèves, Bibliothèque de la Ville, 24, fol. 83v). Il est évident que les coïncidences ne sont pas absolues. Notre personnage de Terrassa est habillé, mais il est difficile de dire si ce qu’il porte est une tunique en guenilles ou une tunique courte. D’autre part, il semble évident que notre personnage porte des bracæ et paraît chaussé. Le principal problème cependant est l’absence de nimbe. Étant donné la facilité avec laquelle, nous l’avons vu, les peintres de Terrassa accordaient des nimbes, il aurait été choquant qu’en représentant la crucifixion d’un apôtre celui ne soit pas nimbé.  Voir Index of Christian Art.   Précisément le Sacramentaire de Warmundus de la fin du Xe siècle ou du début du XIe siècle (voir Index of Christian Art). 433   Homélies de Grégoire de Nazianze, Paris, B. N. F., gr. 510, fol. 32v (880-886) ; Ménologe de Basile II, Bibl. Vaticana, gr. 1613, p. 215 (976-1025). 434  voir Index of Christian Art : saint André. 435   Caractéristique commune aux personnages réalisés par le peintre des scènes A, H, H’, I (voir description, supra). 431 432

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Ajoutons un autre élément à l’analyse. Au cas où, effectivement, nous nous trouverions devant une représentation de saint André, le problème devient celui de l’identification des scènes H’-A. Aucune de ces scènes n’a rien à voir avec les scènes du cycle de saint André436. Cela empêcherait de considérer ces quatre scènes faisant part d’un même cycle. Mais il y a aussi la possibilité que ces quatre images soient le fruit d’une sélection iconographique avec une finalité très précise. En fait, la plupart des scènes de saint André proviennent de sacramentaires437. La structure de ces livres favorise la représentation de la partie des saints les plus remarquables du calendrier438. Il est donc fréquent que l’on y trouve les martyres d’Étienne, Laurent, Pierre, Paul et André. Il aurait été vraiment exceptionnel de trouver cette séquence représentée à Terrassa. Malheureusement, aucun des vestiges des scènes H’-A ne confirme cette possibilité. Il faut donc considérer qu’une somme d’arguments s’oppose à l’identification de ce crucifié avec André. Si nous poursuivons dans la liste des apôtres, nous en trouvons encore un de mort sur la croix. Dans les Homélies de Grégoire de Nazianze, déjà citées, apparaissent en même temps qu’André, Simon, crucifié mais avec le perizoma, Philippe, crucifié tête en bas et Barthélemy, la tête en l’air et avec un colobium. Notre question, dans chacun de ces cas, est : Que ferait l’un ou l’autre de ces apôtres dans la décoration de Terrassa ? En premier lieu, ils n’entretiendraient aucun lien ni narratif ni programmatique avec le reste. En second lieu, ces représentations, à la différence de celle de saint André, sont très marginales. Finalement, dans tous les cas, l’identification du crucifié de Terrassa avec l’un quelconque de ces apôtres se heurte aux mêmes difficultés que son identification avec André. La même chose nous attend si nous en venons aux martyrs qui subissent la croix. Un regard à un des ménologes byzantins le plus complet peut être éclairant. Nous nous référons au Ménologe de Basile II (Rome, Bibl. Vat., gr. 1613 ; Constantinople, ca. 985), déjà cité antérieurement. Sur les 272 fol. que conserve le livre, illustrés de 430 miniatures, on ne trouve que neuf saints qui aient subi le martyre de la croix. Il s’agit de : Siméon martyr (Bibl. Vat. gr. 1613, p. 46), Théodore de Perga (p. 55), Paphnutius ermite (p. 66), Pierre de Capitolias (p. 84), Gemellus d’Ancyre (p. 235), Théodule de Césarée (p.   Voir Index of Christian Art.  Voir Index of Christian Art : saint André, Crucifixion. 438  É. Palazzo, Le Moyen Âge…, pp. 79 et suiv. 436 437

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405), Nestor de Perga (p. 427) et les saintes Marie et Marthe de Grèce (p. 385)439. Nous n’entrerons pas dans les spécificités de chacun de ces saints et saintes, et ne signalerons que deux éléments. En premier lieu, le caractère plutôt rare des représentations de crucifiés. Si nous comparons ce supplice avec celui de la décapitation dans le même manuscrit, nous verrons que la crucifixion est un châtiment peu fréquent. En second lieu, le nom des martyrs. Quel sens aurait la présence de l’un de ces personnages dans l’ensemble de Sainte-Marie ? Si nous passons des exemples orientaux aux occidentaux, la surprise est de constater qu’il n’y a aucun autre crucifié. Après une longue recherche au cours de laquelle nous avons revu la plupart des manuscrits réunis à l’ICA de Rome, nous n’avons trouvé qu’un saint, Pélage, qui ait été représenté sur la croix. L’image figure au fol. 70v d’un Passionnaire de Stuttgart (Landesbibliothek, bibl. Fols. 56, 57, 58) daté du XIIe siècle. Le saint apparaît lié sur une croix en Tau. Il porte la tunique courte – mais il a été déshabillé au-dessus de la ceinture pour être frappé – des bracæ et des chaussures. De part et d’autre apparaissent les deux bourreaux qui le battent, celui de droite avec des branches et celui de gauche avec une pelle ( ?). Ce passage en revue épuise les pistes néotestamentaire et hagiographique. Pourtant une autre piste reste intacte : l’Ancien Testament. D’entrée la proposition peut surprendre car on sait que la crucifixion est un châtiment romain qui n’a rien à voir avec les juifs. Il existe pourtant un châtiment très proche de la crucifixion qui est la pendaison. D’après le Deutéronome : Quando peccaverit homo quod morte plectendum est, et adiudicatus morti appensus fuerit in patibulo…440. Il est clair que la loi fait référence à ceux qui sont pendus, mais un problème linguistique se pose. Alors qu’en hébreu existe la distinction entre pendu et crucifié – respectivement tâlâh et yâqa’ –, de même qu’en latin – suspendo et crucifigo –, le grec, c’est-à-dire, la Bible des Septante, ne possède que le mot kremasthesi pour les deux actions. Ceci autorise, dans la traduction du texte en images, l’apparition de plus de croix et de crucifiés. 439   Nous avons encore trouvé un autre crucifié dans Iconclass (entrée “crucifixion not Christ”), ou peut-être devrions nous dire 10.001 crucifiés. Nous voulons parler du saint oriental Achatius et ses 10.000 compagnons, crucifiés – ou selon les versions, empalés sur des arbres épineux sur le mont Ararat –. Mais habituellement il n’apparaît pas sur la croix mais avec une croix comme attribut (cf. L. Réau, Iconographie…, III/1, pp. 13-14). Sur le Ménologe v. récemment The Glory of Byzantium. Art and Culture of the Middle Byzantine Era, a.d 843-1261, (éd.) Helen C. Evans ; W. D. Wixon, New York, The Metropolitan Museum of Art, 1997 (cat. exp.), pp. 100-101, nº 55. 440   Dt. 21, 22.

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Un des personnages qui subit le supplice de la pendaison dans l’Ancien Testament est le panetier de Pharaon dans l’histoire de Joseph. Selon le récit, Joseph, dans la prison, interprète correctement les rêves qu’ont fait l’échanson et le chef des panetiers de Pharaon. Le troisième jour, l’échanson est rétabli dans sa charge alors que Pharaon « suspendit [l’autre] in patibulo, ut coniectoris veritas probaretur. »441. Si nous regardons la coupole de l’atrium de Saint-Marc portant l’histoire de Joseph, nous verrons comment, sur un pendentif, apparaît le panetier sur la croix. Le nombre des pendus ou crucifiés dans l’Ancien Testament n’est guère important. Le cas du panetier de Pharaon est le premier que nous trouvons. À sa suite nous trouvons Moïse châtiant de ce supplice les juifs de Shittim qui avaient adoré Baal442. C’est aussi la peine de mort qu’inflige Josué aux cinq rois Amorrites et au roi d’Aï443. C’est encore de cette façon que les Philistins exhibent les cadavres de Saül, de ses trois fils et de son écuyer sur les murailles de Bet-Shan444. David fait ainsi tuer ceux qui lui portent la tête de Saül445, ainsi se suicide le conseiller Achithophel446 et ainsi meurt son fils Absalom447. De cette façon meurent les sept fils de Saül dans les mains des Gabaonites448. Les conjurés contre le roi sont découverts par Mardochée et Esther et sont condamnés aux fourches patibulaires dans Est. 2, 23 ; Haman conseiller du roi est lui aussi pendu à la place de Mardochée449 et, enfin, les dix fils d’Haman450. De cette liste, peu nombreux sont ceux qui peuvent coïncider a priori avec ce que nous trouvons à Terrassa. Autant les juifs de Shittim, que les rois amorrites, Saül et ses fils, les bourreaux de Saül, les conjurés dans l’histoire d’Esther et les fils d’Haman sont trop nombreux dans le supplice. Ce n’est que dans le cas du panetier de Pharaon, d’Aï – tué par Josué –, du suicide d’Achithophel, de la mort d’Absalom et de la mort d’Haman nous sommes devant la pendaison d’un seul personnage. Nous nous risquerons à dire que, parmi ces possibilités,

  Gn, 40, 22.   Nm. 25, 4. 443   Jos., 8, 23-27 et 29. 444   1 Sam. 31, 10-12. 445   2 Sam., 4, 12. 446   2 Sam., 17, 23. 447   2 Sam., 18, 9-15. 448   2 Sam. 21, 9. 449   Est. 7, 10. 450   Est. 9, 13. 441 442

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seules deux ont une certaine vraisemblance : le panetier de Pharaon et Absalom. Nous allons y revenir bientôt. Non moins énigmatique que la scène avec le crucifié est la scène H’ [figs. 33-34]. Dans ce cas, deux personnages figurent à côté d’une structure, un arbre? une porte? Le personnage que nous avons appelé H’1 a les mains jointes à hauteur du giron. Cela ainsi que le fait qu’il se trouve si près de la structure, nous a fait penser qu’il s’agissait peutêtre d’une représentation de la Pendaison de Judas. Un ivoire conservé au British Museum montre cette scène à côté de la crucifixion du Christ. Mais il a été établi que notre crucifixion ne se rapporte pas au Christ ; d’autre part les vêtements du personnage ne permettent pas de supposer qu’il s’agit de Judas. La scène I non plus n’a permis une identification positive [figs. 35-36]. L’attitude du personnage en toge est claire. Pourtant nous n’avons trouvé de correspondance avec aucun personnage de l’Ancien et du Nouveau Testament. Le vêtement oblige à penser que nous ne sommes pas devant un soldat ou un bourreau. Cette même tenue pourrait faire penser, par exemple, à Abraham. Pourtant, quand le patriarche est représenté avec une épée à la main, dans l’épisode du Sacrifice d’Isaac, l’épée est complètement nue. D’autre part, manque la place pour Isaac. Un lieu où nous avons trouvé une grande quantité de personnages dégainant l’épée est le Psautier de Stuttgart (Württembergische Landesbibliothek, cod. bibl. Fol. 23: fol. 13, 22, 43, 49v, 44v et 57 ; Saint-Germain-des-Près, ca. 820). Dans ce cas pourtant, il s’agit d’allusions à l’Antéchrist ou au mal poursuivant le juste, représentés comme un personnage portant une tunique courte et une chlamyde. À la vue de ces arguments, il semble que les scènes «non visibles» de Sainte-Marie de Terrassa restent pour l’instant inexpliquées. Les rares observations qui peuvent être faites directement sur les images nous conduisent dans une impasse. Un changement de perspective s’impose donc. Les images «non visibles» de Terrassa étaient destinées au clergé. La question est donc : à l’aide de ces observations, pouvonsnous reconstruire un programme ayant pu émaner d’une certaine intention du point de vue du clergé ? La réponse est affirmative. Dans la révision des scènes de la crucifixion nous avons déjà noté certains épisodes vétérotestamentaires nous offrant des possibilités d’identification par rapport à notre scène H. Si, à côté des données que nous offre le décor même, nous considérons le point de vue des destinataires des images, c’est-à-dire, le clergé, les possibilités se réduisent à deux : l’histoire de Joseph et l’histoire d’Absalom et David. 323

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33. Scène H’ (photographie archive de l’auteur avec l’autorisation du Museu de Terrassa) et calque de l’auteur.

L’histoire de Joseph ? Dans le premier cas, l’histoire de Joseph, nous sommes devant le paradigme de la typologie iconographique. Depuis le IIIe siècle, l’interprétation d’auteurs comme Tertullien transforme Joseph en préfiguration du Christ451. La trahison manifeste de ses frères en faisait le modèle de la victime innocente. Ceci explique que, dans le cycle pascal, les sermons de Joseph jouent un rôle central, que des auteurs comme Isidore s’y réfèrent comme à Verus Ioseph, Dominus Iesus Christus, ou que la décoration de Saint-Jean-de-Latran mette en balance la Trahison de Judas et la Vente de Joseph, pour ne citer que quelques exemples452. Ayant le souci d’être exhaustif dans la comparaison, Pierre Chrysologue, évêque de Ravenne (432-450) établit dans un sermon – de la Nativité ! – que : Les rêves prophétiques de Joseph éveillent la jalousie, et les visions prophétiques du Christ provoquent l’envie; Joseph est jetée au puits de la mort et en sort vivant; avec Joseph on faisait un troc, on vend le Christ 451  Pierre Fabre, « Le développement de l’histoire de Joseph dans la littérature et dans l’art au cours des douze premiers siècles », Mélanges d’Archéologie et d’Histoire de l’École française à Rome, XXXIX (1921-1922), pp. 193-211, en part. pp. 194-195 ; Jean Daniélou, « La typologie biblique traditionnelle dans la liturgie du Moyen Âge », « La Bibbia nell’Alto medioevo », Settimane di Studio del CISAM, Spolète, CISAM, 1963, pp. 141-161, passim. 452   Respectivement : J. Daniélou, « La typologie biblique traditionnelle … », p. 148 ; P. Fabre, « Le développement de l’histoire de Joseph… », pp. 211 et 196. Pour connaître la très large littérature et les commentaires qu’a généré le personnage de Joseph tout au long du Moyen Âge, voir le travail exhaustif de Manfred Derpmann, Die Josephgeschichte. Auffassung und Darstellung im Mittelalter, Düsseldorf, A. Henn Verl., 1974 (coll. Beihefte zum “Mittellateinischen Jarbuch” herausgegeben von Karl Langosch, 13).

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34. Détail du personnage H’1 (photographie archive de l’auteur avec l’autorisation du Museu de Terrassa) et calque de l’auteur pour un prix; Joseph est conduit en Égypte et en égypte échappe le Christ; Joseph fournit abondamment au peuple affamé , et le Christ satisfait le monde entier avec le pain céleste453.

Beaucoup plus intéressant pour notre contexte est qu’à partir de ce même Ve siècle, Joseph devient le modèle de l’évêque. Ce qui pouvait se voir déjà dans la citation de Pierre Chrysologue, devient une référence constante chez Ambroise pour lequel Joseph est le « modelo de funcionario de alto rango y del obispo »454. Pour l’évêque milanais, le choix de ce modèle est clair, Quid de Joseph loquor, qui utique habebat cupiditatem libertatis, et suscepit servitii necessitatem ? Quam subditus in servitute, quam in virtute constants, quam benignus in carcere, sapiens in interpretatione, in potestate moderatus, in ubertate   Sermon CXLVI. Nous citons et traduisons d’après Meyer Schapiro, « Las escenas de José en el trono de Maximiano de Rávena (1952) », Estudios sobre el arte de la Antigüedad tardía, el Cristianismo primitivo y la Edad Media, Madrid, Alianza, 1987, pp. 40-51 (1e ed. en anglais, 1979), en part. pp. 41 qui le tire de PL. 52, col. 592-593. 454   Ibidem, p. 42. 453

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35. Vestiges peints entre les scènes H’ et I (photographie archive de l’auteur avec l’autorisation du Museu de Terrassa).

36. Personnage I1 (photographie archive de l’auteur avec l’autorisation du Museu de Terrassa) et calque de l’auteur.

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la peinture dans les églises de sant pere de terrassa providus, in fame iustus, ordinem laudis rebus adjungens, et opportunitatem temporibus, æquitatem populis officii sui moderatione dispensans ?455

Toute l’explication que fait M. Schapiro du personnage de Joseph a pour finalité de justifier le programme étendu d’une œuvre emblématique qui est la cathèdre de Maximien (546-554), évêque de Ravenne. Et c’est justement ce caractère de miroir de l’évêque, et du clergé en général, qui pourrait justifier qu’à Terrassa on ait choisi des images de la vie de Joseph comme «sermon» célèbre adressé au chœur. Le problème est, bien sûr, de découvrir quelle est la sélection qui confirmerait cette hypothèse. La première question à se poser est : quelles scènes de l’histoire de Joseph sont habituellement représentées ? Sans prétendre être exhaustif, P. Fabre nous donne partiellement la réponse456. Dans son inventaire, la première scène de la liste est la Vente de Joseph, qui, selon l’hypothèse de J. Wilpert, serait encore reflétée dans les stucs baroques de Saint-Jean-du-Latran (Rome). Plus haut nous avons mentionné que cette scène, curieusement, venait en contrepoint à la Trahison de Judas. Comme nous verrons, cela la rend doublement intéressante pour notre cas. La référence suivante de P. Fabre se trouve sur les tituli ambrosiens, où sont cités la présentation à Jacob de la tunique de Joseph, la conduite de Joseph en Égypte, la chasteté de Joseph et Joseph comme premier ministre du Pharaon. Prudence ne mentionne que deux scènes : le rêve de Pharaon et Joseph reconnu par ses frères. Un cycle beaucoup plus étendu se trouve à Saint-Paulhors-les-murs : le rêve de Joseph, l’explication du rêve aux siens, Joseph va chercher ses frères, Joseph jeté dans la citerne, la vente de Joseph, la chasteté de Joseph, Joseph dans la prison, le rêve de Pharaon et l’explication du rêve… Comme on peut le voir, le nombre de scènes est variable. En fait, nous sommes loin des dix de la cathèdre de Maximien ou des trente-huit scènes des trois coupoles de l’atrium de Saint-Marc de Venise consacrées à l’histoire de Joseph457. Compte tenu de la richesse de scènes du cycle de Joseph, il faut croiser les scènes possibles avec les vestiges de décoration de Sainte455  Ambroise, De Officiis ministrorum, PL, 16, col. 56, nous citons d’après M. Derpmann, Die Josephgeschichte…, n 325 ; cf. Ibid., 87 et suiv. 456   Nous disons “partiellement” parce que l’article de P. Fabre est centré, fondamentalement, sur la production occidentale (cf. P. Fabre, « Le développement de l’histoire de Joseph… »). 457  M. Schapiro, « Las escenas de José en el trono de Maximiano … » et O. Demus, The Mosaics of San Marco…, II/1, pp. 20 et suiv. ; Ibid., fig. 244 et suiv.

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Marie de Terrassa. La seule scène qui nous présente un élément clair et identifiable est la scène H. Malgré l’incapacité d’établir pour l’instant l’identité du personnage sur la croix, il ne fait pas de doute qu’il y a une croix et un crucifié. Justement, à Saint-Marc de Venise, on conserve une image de crucifié qui pourrait coïncider avec notre image de Terrassa. À la différence de la plupart des autres cas, le crucifié de la deuxième coupole consacrée à l’histoire de Joseph de Venise n’est pas un personnage saint. Ceci explique que le personnage ne porte pas de nimbe et n’ait pas besoin d’un costume spécial. On l’a dit plus haut, il s’agit du panetier de Pharaon, c’est-à-dire un des destinataires de l’interprétation d’un rêve fait par Joseph en prison. Une autre scène qui offre nombre d’éléments de comparaison est la scène A, et Venise est encore un magnifique point de départ 458. D’une part, les constructions qui y apparaissent sont nombreuses. Sur la première coupole, la dernière scène avec la lamentation de Jacob à l’annonce de la mort de Joseph nous montre un personnage trônant entre deux constructions459. À nouveau, nous constatons que la forme du trône ne coïncide pas avec la curieuse structure de la scène A de Terrassa, mais on doit souligner que le personnage sous la construction (A2) a sa tunique ouverte. En matière de présence de constructions, les deuxième et troisième coupoles de Joseph sont beaucoup plus riches. Les scènes de Joseph et Potiphar, par exemple, nous montrent des constructions avec des portes qui peuvent rappeler les rangées verticales de pierres de taille de l’édifice de Terrassa. Pourtant, aucun des édifices n’apparaît accompagné de cette structure rectangulaire décroissante non identifiée, bien que la scène nous montre différents personnages trônant. Il existe cependant une autre possibilité d’identification de cette curieuse structure. La première coupole nous montre de façon exhaustive la vengeance des frères de Joseph. Une première scène nous montre le moment où Joseph est jeté dans le puits. Le personnage est en train d’y être introduit par trois personnes qui le soutiennent encore, de sorte qu’on voit la moitié supérieure de son corps. Tout de suite après c’est la vente, précédée de l’extraction du puits. L’image est semblable à la précédente, 458   Bien que la décoration en mosaïque que nous sommes en train d’utiliser comme référence ait été réalisée au XIIIe siècle, nous croyons son utilisation possible en considérant que les images de Venise sont la transposition de la Genèse Cotton (voir supra). 459   En réalité ce que nous voyons est l’intérieur de la maison de Jacob. À droite et à gauche du personnage sur le trône et avec la tunique ouverte, s’élèvent deux structures achevées chacune par une moitié de tympan. Il est donc clair que la structure de la façade a été coupée et écartée afin de pouvoir loger au centre l’image de Jacob sur le trône.

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mais dans ce cas Joseph est quasiment hors du puits. La jambe gauche dépasse du bord et le personnage semble assis sur la margelle, alors que la jambe droite est encore dans le puits. La troisième scène nous montre Ruben regardant dans le puits et cherchant Joseph. La forme de ce puits n’a bien sûr rien à voir avec la structure de notre scène A. Dans ce cas nous pourrions faire valoir l’argument que la mosaïque est du XIIIe siècle, et effectivement la forme du puits indique cette époque plus récente. Pourtant aucun des puits représentés dans les scènes de Joseph ne ressemble à ce que nous voyons à Terrassa et cet argument est plus fort460. Là où les jambes qui apparaissent à la droite de la structure de Terrassa pourraient faire penser à un hypothétique Joseph sortant du puits. En poussant l’argument sur cette piste, la seule identification possible du personnage sous la construction est Jacob se lamentant sur son fils mort. L’hypothèse est suggestive car d’une façon semblable au double message du fastigium Constantinien de Saint-Jean-du-Latran, nous aurions côte à côte la Vente de Joseph et la Trahison de Judas. Il nous faut admettre pourtant que l’identification est très forcée et que les questions sont nombreuses. À quelles scènes du cycle de Joseph faudrait-il identifier nos scènes H’ et I? Pourquoi le registre dans ce cas a-t-il un sens de lecture de droite à gauche ? Et pour finir, quel sens cela a-t-il d’achever cette sélection par la mort sur la croix du panetier?

L’histoire d’Absalom En réalité, une lecture des scènes basée sur l’histoire de Joseph ne paraît pas être possible. En outre, il n’est pas simple non plus de voir dans ces images un message clair pour le public supposé à qui elles sont adressées. Nous nous trouverions encore dans une impasse sans quelques unes des peintures de Müstair conservées au Schweizeri­ schen Landesmuseum de Zurich461. Comme on le sait, cette église montrait, dans la partie la plus haute des murs, un cycle complet de l’histoire de David. Les peintures, les premières à être découvertes à Müstair au dessus de la voûte gothique, 460   Si, contre l’identification à un trône, nous avons fait valoir la distance entre les images connues de trônes et cette structure, dans ce cas l’argument doit avoir la même valeur. Voir Milagros Guardia, « Qüestions iconogràfiques entorn al mosaic de la basílica de Santa Maria del Camí (Mallorca) », Les illes Balears en temps cristians fins els àrabs, Maó, Inst. Menorquí d’Estudis, 1988, pp. 73-79 et plus récemment Milagros Guardia, « La historia de José en un pavimento cristiano de las islas Baleares » (inédit). 461  Voir Wandgemälde…

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postérieure, furent arrachées (1908-1909) et transportées à Zurich, où on peut encore les voir, tout ce processus les ayant notablement détériorées. Pourtant l’importance du cycle d’un point de vue iconographique a été soulignée à maintes reprises, et sur cette base on a proposé une lecture politique du cycle qui, en sus, apportait une datation à l’ensemble462. L’extension donnée dans ce cycle à l’affaire entre le roi David et son fils Absalom est remarquable. La narration occupe le registre le plus haut du mur nord, avec un total de huit scènes. Il faut se demander, donc, qui est cet Absalom et quelle importance cela peut avoir de le représenter de manière si étendue à l’intérieur d’un édifice religieux. Absalom était donc un des fils de David. Son histoire commence au moment où un des autres fils de David, Amnom, amoureux de la sœur d’Absalom, Tamar, la viole pour, tout de suite après, la répudier. En guise de vengeance Absalom fait tuer Amnon, ce qui l’oblige à s’exiler463. Le retour et le pardon particulier de David pour le crime commis conduiront Absalom à se révolter, peu de temps après, contre David, depuis Hébron. Dans un des combats, Joab, contrevenant aux ordres de David, tue Absalom. Le récit s’achève par la lamentation de David après la mort de son fils464. Une lecture selon une grille politique de toute l’affaire y fait voir une réflexion sur l’usurpation du pouvoir. C’est la position de J. S. Cwi quand il interprète la représentation de Müstair comme un reflet des incidents qui, à propos de la succession impériale, ont marqué les règnes de Charlemagne et de Louis le Pieux465. Dans le cas de ce dernier, voir en particulier les réflexions de Raban Maur qui considère que « disobedience constitutes rebellion or sedition against divinity itself »466. Pour renforcer sa position Raban examine les différentes situations de révolte filiale contre le monarque relevées dans l’Ancien et le Nouveau Testament. J. S. Cwi nous en donne le résumé, les conclusions, de Raban lui-même :

462   J. S. Cwi, « A Study in Carolingian Political Theology… », pp. 117-127. C. Davis-Weyer, « Müstair, Milano e l’Italia carolingia »…, p. 234, considère la lecture de J. S. Cwi comme une des plus pertinentes. Sur la base de cette théorie, les peintures de Müstair sont datées entre la Diète de Worms (829) et la mort de Louis le Pieux (840). Dates entre lesquelles les fils de Louis le Pieux se révoltent contre leur père pour le partage de l’Empire. 463   2 Sam., 13, 1 et suiv. 464   2 Sam., 19, 9. 465   J. S. Cwi, « A Study in Carolingian Political Theology… », pp. 118 et suiv. 466   Ibid. 121.

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la peinture dans les églises de sant pere de terrassa Because of this the Lord freed David and protected him from all his enemies ; and those who were plotting against him should be handed over into his [David’s] power ; also he brought back into his way his son Absalom, who, borne into pride, aroused sedition against his father… All should know that the innocence of the just man is more valid than the astuteness of evil men.467.

En réalité, l’abbé de Fulda ne tentait rien de nouveau. Depuis Ambroise de Milan, l’histoire de David a été une sorte de miroir de la monarchie. Dans ce contexte du IVe siècle, l’évêque milanais, en raison d’affaires politiques contemporaines affectant le personnage de l’empereur Théodose, écrit vers 390 le Tractatus eiusdem de Apologia Dauid ad Theodosium Augustum. Le texte de cette apologie tout autant que certaines lettres écrites par l’évêque évoquent les luttes de l’empereur contre l’usurpateur Maximien et présentent Théodose comme un nouveau David, paré des mêmes vertus que son modèle et soutenu, comme lui, par la Divine Providence. Quant à Ambroise, son traité lui accorde le rôle de Nathan, qui, rapportant les vertus de David, fut capable de mener le roi au repentir468. Mais comme le note C. Davis-Weyer, ce n’est pas dans ce contexte que nous trouvons le personnage d’Absalom469. Nous avons vu comment, pour C. S. Cwi, la présence du cycle d’Absalom s’inscrit dans la volonté de rappeler – à la manière ambrosienne – des événements politiques récents, en forme d’avertissement sur les conséquences de certains comportements. Pour justifier cette position, il a recours à Raban Maur. C. Davis-Weyer, quant à elle, trouve dans cet auteur de nouveaux arguments qui nous offrent du cycle de Müstair une lecture à clef ecclésiologique. Une des curiosités du cycle pictural de Müstair est que l’histoire de David s’achève avec le début de l’Enfance du Christ. La dernière scène du cycle de David est la lamentation pour la mort d’Absalom. D’après C. Davis-Weyer, il faut comprendre que « Alla perdita del figlio traditore segue la nascita del figlio promeso: Gesù. »470 L’insistance de l’abbé de Fulda Raban Maur sur l’histoire de David ne manque pas de surprendre. À côté de ce que relève C. S. Cwi, C. Davis-Weyer mentionne son interprétation dans les Commentaria in Libros IV Regum, écrits ca. 834471 où, point par point, Raban réfléchit   Ep. V, 407.   cf. l’avis d’Hadot dans Ambroise de Milan, Apologie de David, (Ed.) P. Hadot-M. Cordier, Paris, Ed. du Cerf, 1977, p. 33-43. 469  C. Davis-Weyer, « Müstair, Milano e l’Italia carolingia »…, p. 222. 470  Voir PL, CIX. 471  Voir PL, CIX. 467 468

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sur l’interprétation des événements, entre autres, de la vie de David, et donc d’Absalom. Comme nous l’avons vu, un des problèmes que pose l’interprétation des scènes H-I de Sainte-Marie de Terrassa est liée à la représentation d’un crucifié (H2) que, pour l’instant, nous n’avons pas identifié. Nous avons vu plus haut comment, dans l’histoire de David, nous trouvons deux personnages pendus ou crucifiés : Achithophel et Absalom. Jusqu’ici nous n’avons rien dit de neuf. La nouveauté est que ces deux crucifiés sont des personnages centraux dans l’histoire de David et d’Absalom, mais surtout qu’ils deviennent essentiels dans l’interprétation de Raban Maur. Si nous suivons le récit biblique, une des trahisons qui a le plus affecté le roi David est celle d’Achithophel, le fidèle conseiller qui, lors de la révolte d’Absalom s’allie rapidement avec celui-ci. Achithophel était sans aucun doute important car, Consilium autem Achitophel, quod dabat in diebus illis, quasi si quis consuleret Deum  : sic erat omne consilium Achitophel, et cum esset cum David, et cum esset cum Absalom472.

Il n’est pas étrange que quand Absalom préfère le conseil d’Husai – espion de David – sa réaction soit immédiate : Porro Achitophel videns quod non fuisset factum consilium suum, stravit asinum suum, surrexitque et abiit in domum suam et in civitatem suam : et disposita domo sua, suspendio interiit, et sepultus est in sepulchro patris sui473.

Telles sont la cause et la manière dont mourut Achithophel. Quant à Absalom, sa mort est en partie due à une trahison. N’ayant pas suivi les conseils d’Achithophel, Absalom s’engage dans un combat inégal. Malgré l’avertissement de David à Joab, un de ses généraux, celui-ci encercle Absalom et le tue. Accidit autem ut occurreret Absalom servis David, sedens mulo: cumque ingressus fuisset mulus subter condensam quercum et magnam, adhaesit caput eius quercui : et illo suspenso inter caelum et terram, mulus cui sederat, pertransivit.

472   2Sam., 16, 23 : « En ce temps, les conseils d’Achithophel étaient tenus pour les réponses d’un oracle de Dieu. Ainsi était reçu le conseil d’Achithophel, tant par David que par Absalom. » 473   2 Sam., 17, 23 : « Achithophel, voyant que son conseil n’avait pas été suivi, sella son âne et partit dans sa maison et dans sa ville ; et après avoir mis en ordre ses affaires, il se pendit et mourut, et il fut enterré dans le tombeau de son père. »

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Devant cet ennemi sans défense, et contrevenant aux ordres de David, Joab, Tullit ergo tres lanceas in manu sua, et infixit eas in corde Absalom : cumque adhuc palpitaret haerens in quercu, cucurrerunt decem iuvenenes armigeri Ioab, et percutientes interfecerunt eum474.

Quand le roi eut connaissance de ce qui était arrivé à son fils, Contristatus itaque rex, ascendit coenaculum portae et flevit. Et sic loquebatur, vadens : Fili mi Absalom, Absalom fili mi : quis mihi tribuat ut ego moriar pro te, Absalom fili mi, fili mi Absalom ?475.

À partir de cette histoire, une identification est-elle possible avec ce que nous avons à Terrassa ? Si nous nous rappelons, nous avons : un personnage (H2) sur la croix, un personnage (H’1) qui, peut-être, était pendu (voir description), et enfin un personnage accompagnant un autre personnage sans doute trônant. D’après ce que nous avons dit jusqu’ici, serait-il possible de supposer que nous nous trouvons devant le suicide d’Achithophel, la mort d’Absalom et la lamentation de David ? La difficulté au moment de confirmer l’identification réside, principalement, en ce qu’il s’agit d’un récit qui n’a pas été représenté très souvent476. La référence la plus ancienne de représentation de la mort d’Absalom se trouve dans le cubiculum de la catacombe neuve de la Via Latina de Rome (IVe siècle)477. Par l’attention que porte Ambroise   2 Sam., 18, 9 et 14-15 : « Absalom se retrouva au devant des hommes de David. Il montait une mule, qui passa sous les branches d’un grand arbre, sa tête fut retenue par l’arbre, et il se retrouva pendu entre ciel et terre, pendant que la mule qu’il chevauchait fuyait sous lui. […] Alors [Joab] prit trois lances dans sa main et les enfonça dans le cœur d’Absalom. Mais comme il s’agitait toujours, pendu dans l’arbre, dix jeunes écuyers de Joab accoururent et le battirent à mort. » 475   2 Sam., 18, 33 : « Alors le roi, bouleversé, monta à la chambre haute des portes et pleura. Et il disait ainsi, en marchant : “Mon fils Absalom ! Absalom, mon fils ! Que ne suis-je mort moi-même à ta place ! Absalom, mon fils ! Mon fils Absalom !” ». 476  v. Index of Christian Art : Absalom. 477  Antonio Ferrua, Le pitture della nuova catacomba di Via Latina, Vatican, Pontificio Istituto di Archeologia Cristiana, 1960 (coll. Monumenti di Antichità Cristiana. II ser. VIII), p. 48, tav. XVII1. L’obligation d’identifier ces trois scènes avec l’histoire d’Absalom est apparue alors que ce travail était déjà très avancé, cela a interdit de consulter certaines des sources iconographiques utilisées pour d’autres identifications. Ainsi, la source principale, l’Index of Christian Art, n’a pu être consultée qu’en version électronique. De là vient notre certitude absolue que les quatorze exemples recueillis ne sont pas tous ceux qui existent (cf. ‘Absalom : death’, Index of Christian Art). La réalisation du catalogue exhaustif ne pourra se faire qu’au cours des mois à venir à l’Index of Christian Art de la Biblioteca Apostolica Vaticana, ceci 474

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au cycle de David, comme on l’a vu, il n’est pas surprenant de vérifier que cet épisode est aussi mentionné dans ses tituli : Pendet Abessalon adstrictus in arbore guttur. Ne cælum parricida ferus macularet humumque.478. Après cette époque, il faut aller déjà à l’époque carolingienne avec le magnifique exemple de Müstair. C. S. Cwi a souligné comment les huit scènes de Müstair sont non seulement inhabituelles par la quantité, mais aussi par le fait qu’elles n’ont pas de précédent479. En Occident, les exemples, pour la période qui nous occupe, se limitent à celui de la Bible dite de 960 (Saint-Isidore, León, ms. 2, fol. 138v)480. Les rares scènes que nous avons recueillies font exclusivement référence au moment de la mort d’Absalom. Le caractère exceptionnel de ce cycle explique qu’à Müstair seulement nous ayons, pour une date aussi précoce, un développement des autres scènes481. Ceci rend difficile la tâche de vérification de l’identification que nous avons proposée. La première question que nous pourrions nous poser est : Quel sens pourrait avoir ce cycle dans notre église de Terrassa ? Comme nous l’avons vu, l’histoire d’Absalom est la chronique d’une chute annoncée. Le traître qui se révolte contre son roi le fait, selon Raban Maur, contre son Dieu (voir supra). Il va plus loin encore cependant. Commentant le chap. 17 de 2 Sam. dans ses Commentaria in Libros IV Regum, Raban commence par le conseil d’Achithophel à Absalom afin de vaincre David. Nous savons qu’Absalom en fin de compte ne le suivra pas, pourtant l’interprétation du commentateur est que justifie que nos conclusions soient seulement provisoires. [Cette note correspondait à la réalité lors de l’achèvement de la thèse en avril 2003, nous avons eu postérieurement l’occasion de compléter nos vérifications à l’Index of Christian Art de la Bibliothèque Apostolique du Vatican. Nos premières appréciations n’ont varié que sur le nombre plus élevé d’exemples recueillis, non sur les conclusions auxquelles nous avions pu parvenir]. 478   Cf. J. Schlosser, Quellenbuch. Repertorio di fonti…, p. 31. 479   En réalité, c’est un de ses principaux arguments pour considérer qu’on a donné trop d’importance à cette histoire et qu’elle doit donc avoir une signification au-delà de celle purement ecclésiologique (cf. J. S. Cwi, « A Study in Carolingian Political Theology… », pp. 118-119). 480   En Orient existent quelques exemples eux aussi du IXe siècle : Psautier Chludov (Moscou, Mus. Hist., ms. gr. 129, fol. 140v) ; Pantocrator du Psautier «marginal» (Mont Athos, Monestir Pantocràtor ms. 61, fol. 196r). Les autres exemples que nous connaissons, tant en Orient comme en Occident, sont déjà du XIe siècle ou postérieurs. 481  L’Index of Christian Art électronique ne relève que deux scènes de la mort d’Achithophel, une de la fin du XIIe siècle et une du début du XIVe siècle, et trois des lamentations de David, une de la fin du XIIe siècle, une du milieu du XIIIe siècle et une du début du XIVe siècle. Nous répétons, toutefois, que ces résultats ne sont que provisoires (cf. par exemple, l’entrée ‘Absalom’ dans Lexikon der christlichen Ikonographie, I, cols 35-36). [voir la note 477. À propos de la mort d’Achithophel il est confirmé que tous les exemples recensés jusqu’à présent sont du XIIe siècle ou postérieurs].

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la peinture dans les églises de sant pere de terrassa Achitophel igitur, qui recedens a David, ad Absalom transmigravit, hæreticos significat, qui, recedentes a tramite veritatis, se sociant hosti antiquo, et subsequuntur errorem482.

Raban Maur pense donc que l’attitude d’Achithophel est celle des hérétiques, traîtres conscients de la vérité, et telle est la cause de leur mort. À partir de ce moment le terme «hérétique» guide le discours. Arrivant au chap. 18, il se demande – après avoir cité 2 Sam., 18, 9 –, Quid significat, quod Absalom, mulo fugiens, in quercu per caesariem capitis suspensus est, nisi quod Judaei stultitiæ carnalis sensus incumbentes, propter superstitiositatem Pharisaicam legem corrumpentes, per ipsam, quam ad correctionem vitæ acceperant, mortis occasionem habuerunt?483.

Ainsi, d’une certaine manière, Achithophel pêche contre Dieu par ambition intellectuelle, alors qu’Absalom le fait par ambition matérielle ou charnelle. Les trois lances que Joab plante dans le cœur d’Absalom sont dirigées contre la superbe, l’avarice et l’envie484. David, de son côté ergo exstinctum Absalom ploravit, cum interitum populi Judaici Dominus flevit485. L’histoire d’Absalom, en définitive, nous montre les conséquences de la trahison contre le prince, quel qu’en soit le motif. Celui qui détient l’autorité, la détient par mandat divin. S’y opposer est hérésie et pêché, et n’a pour récompense que la mort. D’après la lecture que nous avons faite de la partie visible du premier registre, un message de ce genre dans la partie non visible ne devrait pas nous surprendre. Si Frodoin voulait avertir le clergé des risques de s’opposer à son autorité, l’histoire d’Absalom était parfaite car elle était en vogue. Une fois de plus, nous y insistons, la difficulté principale d’identifier ce que nous avons à Terrassa est le manque de parallèles pour certaines scènes peu représentées. Pour la mort d’Achithophel nous n’en connaissons aucun jusqu’à très tard. En fait, cette scène n’apparaît même pas dans le cycle très étendu de Müstair. D’autre part, l’image qui le montre sur la croix pourrait sembler erronée car le récit est très clair sur son suicide par pendaison. Pourtant nous avons vu les problèmes consicutifs à la traduction de crucifixion-pendaison en   PL, CIX, col. 107c.   Ibid., col. 110b. 484  « Joab ergo in cor Absalom tres lanceas infigit, cum antiquus hostis superbiam, avaritiam et invidiam seu perfidiam in cor Judaici populi immisit, quæ illis maxime causa perditionis erant. » (Ibid, col. 110b). 485   Ibid, col. 110c. 482 483

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grec. Sur la mort possible d’Absalom, les exemples que nous avons pu voir montrent habituellement la mule fuyant et laissant pendue à l’arbre son cavalier. La grande détérioration de Terrassa, ainsi que celle de Müstair, rendent difficile l’identification de l’animal. Il y a un curieux parallèle entre notre figure I1 et l’Absalom de Müstair. L’un comme l’autre ont l’air de dégainer une épée. Dans le cas de Terrassa, pourtant, le personnage que nous pourrions identifier à Absalom est justement H’1 et non pas I1. La position des mains et des jambes, ainsi que la structure à côté de lui, en sont les principaux arguments. Les autres parallèles connus n’apportent pas beaucoup d’arguments iconographiques étant donné le mauvais état de cette zone. Finalement, le personnage de David pleurant son fils mort, qu’il faudrait dans notre cas identifier à la scène oubliée A, est une scène conventionnelle de personnage trônant. Il faudrait donc considérer qu’effectivement la curieuse structure voisine de la construction est un trône, que les vestiges visibles au-dessus du trône sont ce qui reste de David et que le personnage sous la construction est un soldat.

Deuxième registre Une fois résolue de manière plus ou moins satisfaisante l’identification des différentes scènes du premier registre, aborder le deuxième registre est relativement simple [fig. 7]. Après la lecture de la description, on peut raisonnablement admettre que, dans ce cas, nous ne sommes pas devant un registre narratif avec des scènes multiples, mais devant un schéma symétrique de personnages qui acclament le couple situé au centre de la composition [figs. 37-41, 43]. L’identification de ce couple est simplifiée car le seul élément assez visible est la partie d’un nimbe situé à mi-hauteur et les vestiges d’un trône possible. Cela, plus la localisation absolument dans l’axe de ce couple nous inclinent à penser qu’il s’agit de la Vierge et de l’Enfant [fig. 42]. La justification de cette représentation est donc simple, par rapport à la complexité du premier registre. L’église est dédiée à sainte Marie et, logiquement, on a opté pour y montrer la Theotokos. Nous ne croyons pas du tout que l’image ait d’autre intention plus profonde. Nous avons utilisé le nom de Theotokos et dans le contexte de Terrassa – comme nous le verrons à Sainte-Michel – cela pourrait être interprété comme une allusion à la double nature du Christ en relation avec l’hérésie adoptianiste. Les arguments iconographiques peuvent toujours être poussés jusqu’au point où il devient difficile de

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faire le tri entre ce qui s’ajuste à la réalité et ce qui est une interprétation forcée. La dédicace de l’église justifie par elle-même la représentation de la Vierge trônant avec l’Enfant sur son giron. D’autre part, de récentes études montrent la renaissance du culte de la Vierge, en particulier à l’époque de Charles le Chauve. Dans ce chapitre, nous pouvons trouver de nombreux arguments pour notre image : le rôle d’intercesseur, l’adoptianisme déjà évoqué…486. Le meilleur argument reste malgré tout la dédicace de l’édifice. Différente est la question de l’identification des personnages qui l’acclament. Il semble clair qu’il s’agit de deux groupes de douze personnages, situés par groupes de six de part et d’autre. Il semble même que le peintre ait voulu souligner cela à travers le regroupement plus serré des douze les plus proches et du plus grand espacement des douze les plus éloignés. Deux groupes de six plus six personnages dans ce contexte ne peuvent que faire référence aux apôtres et, peut-être, aux prophètes. D. Iogna-Prat se demande, à propos de l’image de la Vierge dans la scène de la Pentecôte de la Bible de Saint-Paul-hors-lesmurs, comment celle-ci est parvenue à assurer ce rôle de médiatrice487. Tant dans les scènes de l’Ascension, que dans celles de la Pentecôte, le rôle de la Vierge comme intercesseur est, il est vrai, aussi ancien que les images elles-mêmes. L’auteur montre qu’au IXe siècle un mouvement d’exaltation de la Vierge lui fait gagner des places dans la hiérarchie des saints488. Si en un premier temps, elle était située après les neuf ordres angéliques, les patriarches, les prophètes, saint Jean Baptiste, les apôtres, les martyrs et les confesseurs, elle occupait ensuite le premier plan devant tout le monde. Évidemment l’argument vient en renfort pour justifier, du point de vue de la mentalité de l’époque, la raison de cette centralité. La centralité de la Vierge avait d’ailleurs été parfaitement établie depuis le concile d’Éphèse et sa proclamation comme Theotokos. En tout cas, et surtout dans ce contexte, la scène de Terrassa ne peut surprendre personne. Quant au schéma de la composition, nous sommes devant une scène qui rappelle ce que nous trouvons dans les baptistères orthodoxe et arien de Ravenne ou, partiellement, celle de l’abside de Sainte-Marie in Domnica (Rome ; IXe siècle). Nous croyons inutile de nous étendre sur une image qui ne présente, donc, aucune complication.   Voir Dominique Iogna-Prat, « Le culte de la Vierge sous le règne de Charles le Chauve », Marie. Le culte de la Vierge dans la société médiévale, (éd.) D. Iogna-Prat, É. Palazzo, D. Russo, Paris, Beauchesne, 1996, pp. 65-98, en part. pp. 71-78. 487  D. Iogna-Prat, « Le culte de la Vierge … », p. 71. 488   Ibidem, pp. 72-73. 486

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37. Détail du personnage K20 (photographie archive de l’auteur avec l’autorisation du Museu de Terrassa).

38. Personnages K18-K20 (photographie archive de l’auteur avec l’autorisation du Museu de Terrassa).

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39. Détail du personnage K17 (photographie archive de l’auteur avec l’autorisation du Museu de Terrassa) et calque de l’auteur.

40. Personnages K14-K17 (photographie archive de l’auteur avec l’autorisation du Museu de Terrassa).

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troisième partie

41. Personnages K9-K11 (photographie archive de l’auteur avec l’autorisation du Museu de Terrassa).

42. Détail des personnages K1-K3 (photographie archive de l’auteur avec l’autorisation du Museu de Terrassa).

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Conclusion Sans aucun doute, le cas de Sainte-Marie de Terrassa est un des plus complexes du paysage médiéval européen. À un état de conservation très déficient, il faut ajouter une iconographie véritablement complexe et savante. Une fois démontés tous les lieux communs, le moment est venu de faire le bilan. Le premier élément à souligner est en relation avec l’organisation des scènes en fonction du spectateur et de l’espace [fig. 43, pl. 4-6]. Profitant d’une structure en «quasi-coupole», le concepteur du programme de Sainte-Marie de Terrassa dispose les scènes du programme de sorte que seules quelques-unes soient visibles depuis l’intérieur de l’abside et les autres de la nef. Les premières, par conséquent, montrent un niveau d’érudition et de sévérité supérieur aux secondes. Les premières, probablement expliquent au clergé les conséquences de la trahison de l’autorité : c’est un affrontement direct avec Dieu et le châtiment est proportionnel au délit, que les causes en soient matérielles (Absalom) ou intellectuelles (Achithophel). Les secondes expliquent aux fidèles où réside l’autorité religieuse. Le Christ, au moyen de la Remise des Clefs, transforme Pierre en son successeur, et l’évêque exerce au nom de Pierre. Cette scène axiale est flanquée par deux scènes de chaque côté qui, à la manière des Vies parallèles, nous montrent les itinéraires suivis jusqu’au Christ par Pierre et Paul. Le premier montre une attitude craintive, dubitative. Il est capable de blesser Malchus pour défendre son Maître, mais en même temps il est capable de renier sa foi par crainte d’être condamné. Pourtant il sera le successeur du Christ. Le second, avec la ferveur du converti, sera chargé de répandre la nouvelle foi chez les gentils. Au-dessous de ce registre, présidant, la Vierge, acclamée par les Apôtres et les Prophètes, sert de trône au Christ. La dédicace de l’édifice justifie la présence de cette image, et sa situation sous le premier registre s’explique car c’était sans doute le registre que l’on voyait au moment d’entrer dans l’édifice. Le premier, étant situé au-dessus de la ligne d’impostes, ne pouvait être contemplé que quand on était très proche de l’abside. D’autre part, la grande fenêtre axiale attire le regard du spectateur qui par conséquent commence la découverte des peintures par l’image représentée juste au-dessus de cette fenêtre. Les dimensions de l’abside de Sainte-Marie permettent de supposer la présence de deux ou trois registres figurés de plus. On n’en a

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43. Modification du calque publié par J. Puig i Cadafalch (annexe 6) avec d’identification des scènes.

44. Vestiges de peintures avec trois personnages sur le côté droit de la fenêtre sud de l’abside (photographie archive de l’auteur avec l’autorisation du Museu de Terrassa).

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conservé que quelques traces. Faire des hypothèses sur ce qu’il aurait pu y avoir ou non est un exercice sans intérêt, car il ne permet d’arriver à aucune conclusion valide [fig. 44]. Il est éminemment difficile de parler des sources utilisées pour une décoration aussi complexe. D’entrée il faut souligner qu’à la différence de ce que nous avons habituellement, la décoration de SainteMarie de Terrassa a été faite expressément pour cet édifice. Le programme, la disposition, le choix des thèmes… ne s’expliquent que pour cet édifice et pour une époque qui est la fin du IXe siècle (voir infra). Sans doute n’y a-t-il pas un modèle unique pour ce que nous trouvons à Sainte-Marie. Quelques compositions ont été mises en rapport avec Müstair, d’autres avec Rome. Certains éléments trouvent un fil conducteur dans l’illustration des manuscrits et d’autres dans la peinture monumentale. Dans les deux cas, nous pouvons constater une connaissance profonde des sources d’époque carolingienne et l’utilisation de ces sources, en accord avec la mentalité de l’époque, à mi-chemin entre théologie et politique. Tous ces arguments nous font penser que derrière la décoration de Sainte-Marie, et sans doute aussi derrière celle de Saint-Michel, il y a un personnage d’un haut niveau de culture, formé probablement dans une des abbayes carolingiennes les plus puissantes de l’époque et en relation, très tôt, avec les cercles du pouvoir contemporain.

Le décor dans l’église Saint-Michel Considérations préalables Pendant le dernier demi-siècle, une certaine unanimité s’était établie autour de la chronologie et des différentes phases de l’édifice. Plus personne ne soutenait une datation wisigothe. Cet accord minimal avait été ratifié par des travaux récents qui, pendant le Simposi Internacional et dans différents domaines, permettaient une meilleure connaissance du monument489. Mais dernièrement, on a pu vérifier une fois de plus à quel point la connaissance des églises de Terrassa s’est modifiée. La mise en marche du Plan directeur et les fouilles qui  J. Ambròs, « Les obres de restauració de l’antiga seu… » ; Id., « Obres de restauració… de Sant Miquel » ; Miquel dels Sants Gros i Pujol, « La funcionalitat litúrgica de les esglésies d’Ègara », Simposi International sobre les Esglésies de Sant Pere de Terrassa (20, 21 i 22 de novembre de 1991). Actes, Terrassa, CEHT, 1992, pp. 77-83 ; Simposi Internacional sobre les Esglésies de Sant Pere….

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y sont associées ont commencé à apporter des données qui, de l’avis des archéologues, indiquent qu’au niveau des fondations l’édifice de Saint-Michel et celui de Saint-Pierre sont des bâtiments déjà planifiés dès le VIe siècle [fig. 3]. Il a été aussi vérifié que notre édifice n’était pas baptismal, étant donné que sous le bâtiment du presbytère était apparue la piscine baptismale originelle490. Ainsi, Saint-Michel ne peut être qu’un édifice funéraire et martyrial. L’édifice, peut-être un des plus connus de l’ensemble de Terrassa, est de plan carré et centré, avec une abside heptagonale à l’est [figs. 45-47]. L’intérieur de l’édifice, très modifié par J. Puig i Cadafalch [pl. 16-17], s’organise autour de huit colonnes qui définissent un espace carré couvert, avec une coupole au centre. Il ne fait pas de doute que tous les éléments de ces colonnes – fûts et chapiteaux – sont des matériaux de remploi, fruit du dépouillement d’autres édifices. L’ajustement contraint de ces colonnes et chapiteaux ne laisse aucune place au doute. Élucider la provenance de ces pièces est plus difficile. Seuls les fûts de marbre noir – sur les colonnes des côtés nord et sud – ont pu être attribués par certains auteurs à la construction qui clôturait, en forme de baldaquin, la cuve baptismale du premier baptistère d’Egara491. Cette hypothèse repose sur l’identification d’un des chapiteaux qui probablement couronnait l’un de ces fûts avec une des pièces exposées à l’intérieur de l’édifice492.

490   Ces travaux sont encore en cours et il est donc difficile de donner des informations finales. Il n’y a cependant pas de doute que le baptistère du groupe épiscopal n’était pas Saint-Michel, mais les vestiges apparus sous l’ancien bâtiment du presbytère. Bien que la découverte ait été faite depuis plusieurs semaines, elle ne fut rendue publique que les 22 et 23 août 2001 où elle parut dans la presse (voir pour le 22 : Diari de Terrassa, El 9 nou, El Periódico de Catalunya, La Razón ; pour le 23 : El País, El Punt). Quant à la datation des édifices, il n’y a aucune certitude que, bien que le plan et la conception soient du VI e siècle, les élévations correspondent à cette époque. Nous remercions Francesc Tuset comme Antoni Abel Moro, les archéologues chargés de l’intervention, pour leurs explications et leurs commentaires. [Pour la datation, voir les précisions apportées dans le chapitre précédent sur Sainte-Marie et « Dossier : Les esglésies de Sant Pere… »] 491   Cf. J. Puig, Noves descobertes a la Catedral d’Egara…, p. 13, fig. 3-4 et J. C. Serra-Ráfols, E. Fortuny, Excavaciones en Santa Maria de Egara…, p. 47. 492   Nous avons publié ce chapiteau dans Del Romà al Romànic…, p. 237. Cette note nous permet de corriger une regrettable erreur. Comme complément de cette fiche sur le chapiteau nous avons publié une photographie prise par nous-même. En réalité cette photographie montre la reproduction du chapiteau authentique qui était présentée à l’extérieur de l’édifice, à côté de l’ancien escalier d’accès. Le chapiteau original, en revanche, était conservé avant la récente fouille et la restauration, à l’intérieur de Saint-Michel, sur le garde-fou de l’escalier d’accès à la crypte. Cela étant dit, il faut préciser qu’aucune vérification ou analyse n’a été réalisée – du moins pas à notre connaissance – afin de confirmer la proposition de J. Serra-Ràfols et de E. Fortuny.

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45. Extérieur de l’abside de Saint-Michel de Terrassa après les dernières fouilles (photographie archive de l’auteur avec permission du Museu de Terrassa).

Pour la peinture, et malgré un plus grand nombre d’études, il y a encore beaucoup de points obscurs dans l’interprétation de SaintMichel. Des travaux comme celui de A. Grabar n’ont pas eu de continuité493. Les différents auteurs l’ont utilisé comme point d’appui mais sans le soumettre à une lecture critique. D’une certaine manière, nous pouvons dire qu’au lieu de favoriser un plus grand nombre de publications, l’étude d’A. Grabar a servi d’agréable reposoir pour tous ceux qui d’une manière ou d’une autre ont eu à se référer à Terrassa. Comme nous le verrons, soixante ans plus tard, de nombreuses questions sont susceptibles d’être mises en doute dans cet article pionnier. À côté de cet apport notable, nous verrons aussi comment le panorama historiographique ne varie pas sensiblement de celui que nous avons vu à Sainte-Marie. Il y a eu pourtant des changements matériels dans les peintures qui ont supposé un progrès sensible et une meilleure connaissance du sujet. Dans le cadre du plan d’intervention intégrale du monument, pendant les mois de juillet et août 2001, a eu lieu la première campagne de restauration des peintures de SaintMichel. Pour la première fois, on réalisait avec sérieux une restaura  A. Grabar, « Une fresque visigothique … ».

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46. Plan et section de l’abside de Saint-Michel de Terrassa d’après Simposi Internacional sobre les Esglésies de Sant Pere de Terrassa (20, 21 i 22 de novembre de 1991). Actes, Terrassa, CEHT-AHCT, 1992, p. 88.

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47. Saint-Michel de Terrassa. Plan de l’église funéraire entre le VIe et le VIIIe siècles, selon les dernières fouilles (Museu de Terrassa)

tion de la peinture murale des églises de Sant Pere. Le processus de nettoyage et le rapport réalisé pour cette première intervention apportent des données importantes tant sur le plan technique que sur le plan iconographique494. Une fois menée à terme cette première campagne, fut lancée la seconde495 et ultime. La première campagne a consisté dans la consolidation des mortiers, la fixation de zones de crépi décrochées du support, l’élimination d’accumulations et de croûtes salines, l’assainissement et la réparation de trous et de fissures, le nettoyage des couches d’apprêt et de peinture et finalement la consolidation des peintures496. Pendant   Arcor (Taller-Estudi Conservació i Restauració de Pintura), Sant Miquel de Terrassa. Documentació de l’obra i de la restauració (juny-juliol de 2001), 3 vol. Barcelone, juillet 2001 (rapport inédit déposé au Museu de Terrassa). 495   La seconde campagne se développe entre la fin de 2001 et le premier semestre de 2002. Le rapport définitif sur ces travaux n’a pas encore été remis. Les informations que nous en avons sont celles que nous avons pu discuter avec le directeur du Museu de Terrassa, M. Domènec Ferran, et avec la restauratrice, Mme. Clara Payàs. Nous voulons en profiter pour les remercier de nous avoir autorisé à reproduire ici les photographies réalisées pendant les travaux et l’état final des peintures. Actuellement – début juin 2002 – les peintures ont été recouvertes car on a commencé la fouille de l’intérieur de Saint-Michel. [Évidemment les rapports ont été rédigés depuis : (Arcor (Taller-Estudi Conservació i Restauració de Pintura), Sant Miquel de Terrassa. Documentació de la restauració de octubre 2001 a març 2002 i noves aportacions a la documentació de l’obra, Barcelone, octobre-novembre 2003 (rapport inédit déposé au Museu de Terrassa), 2003), mais ils n’apportent aucun élément de plus que ce que nous avions déjà pu obtenir directement du directeur du Museu de Terrassa, ou des restauratrices.] 496   Arcor, Sant Miquel de Terrassa…, 2001, p. 80. 494

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cette campagne, on a constaté que l’installation d’un retable dans l’abside Saint-Michel avait entraîné la division de la superficie du culde-four de l’abside. La partie postérieure fut cachée par la fixation du retable ; la partie antérieure, visible, fut masquée par une couche épaisse de chaux avec du noir végétal qui voulait cacher le décor le plus ancien et qui adhérait fortement. La possibilité d’arracher cette couche, afin de récupérer les peintures de cette zone, a motivé la seconde phase de travaux. Cette seconde phase a consisté essentiellement à supprimer cette couche et à retrouver les peintures de certaines parties de l’ensemble ultime497. En comparant les photographies anciennes avec les plus récentes on constate un accroissement notable de la superficie peinte connue [figs. 9-10].

Description Comme dans le cas de Sainte-Marie, les vestiges peints de l’église Saint-Michel se concentrent dans le cul-de-four de l’abside. L’abside est ici aussi une structure complexe. En plan, l’extérieur montre un profil heptagonal qui à l’intérieur devient un demi-cercle outrepassé. En élévation, l’abside se superpose à une petite crypte, ou confessio trilobée et cette superposition de structures comporte une surélévation du pavement de l’abside par rapport au reste de l’édifice d’environ un demi mètre. Trois fenêtres percent ses murs [fig. 46]. Il s’agit, comme à Sainte-Marie, de fenêtres à simple ébrasement qui s’ouvrent au nord, à l’est et au sud, sans toutefois interférer avec la décoration peinte – tout au moins celle qui est conservée. Quant au reste de l’édifice, sans décor peint, nous avons déjà vu les problèmes posés par la restauration de J. Puig i Cadafalch, et combien il est difficile de savoir comment l’église fonctionnait exactement et quelle était la relation entre abside, nef et crypte498.   Ainsi, aux repeints de la deuxième phase, il faut ajouter la suppression de repeints anciens pendant le processus de nettoyage de la première phase. Nous disons ceci car après l’intervention on constate une différence dans la netteté de certains personnages, en particulier sur le côté gauche de l’abside. Cela est dû au fait que la restauration financée par L. Plandiura (voir supra) avait comporté, en certains cas, le rétablissement de personnages qui déjà à ce moment étaient en grande partie perdus. La suppression, discutable, de ces repeints, plus les récupérations postérieures, ont changé notablement notre perception de certaines figures. 498   Sans doute ces inconnues se dissiperont-elles avec la fouille de l’intérieur de SaintMichel, fouille qui a été mise en place pendant le mois de juin 2002. Pour l’instant les premières analyses et inspections ont été faites sur les parements muraux de la crypte et son corridor d’accès. Voir les plus récentes notices dans le Diari de Terrassa (20/08/02). 497

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La décoration est connue depuis 1892 quand J. Puig reconnaît la présence de peintures après une visite de l’édifice499. Depuis cette première notice et jusqu’à ce que ces peintures soient visibles, beaucoup de temps a passé. D’abord il a fallu enlever le retable des Saints Abdon et Sennen qui masquait partiellement le décor500. Pendant les années vingt, dans le projet de restauration de Saint-Michel, une intervention radicale dans l’abside inclut le repiquage de tout le demicercle de l’abside. Une photographie conservée à l’arxiu Mas rappelle cette phase, qui n’a respecté que l’enduit du cul-de-four. S’il y avait eu des peintures sur les murs de l’abside, il ne peut plus en rester aujourd’hui ni trace ni vestige501. À la fin de la même décennie, les peintures parviennent à leur état définitif après une restauration financée par Lluís Plandiura502. C’est sans doute à cette époque que l’on décide de recouvrir de mortier la partie de l’abside qui avait été repiquée, en donnant à l’abside son aspect actuel. Une fois les peintures complètement visibles, il ne fallut guère de temps pour voir paraître le premier article et le premier calque503 [annexe 16-19]. Le schéma de la décoration n’est guère différent de celui de la majorité des voûtes d’absides. La zone peinte commence, approximativement, à 2,40 m du sol, juste au-dessus des fenêtres, presque au niveau des impostes. À ce niveau nous ne conservons qu’une bande à caractère décoratif d’environ 30 cm de large. Par-dessus celle-ci, un premier registre de largeur irrégulière montre trois zones clairement définies : un motif décoratif (?) au centre, et une succession de personnages – 12 – qui flanquent le thème décoratif, sur les côtés nord [Dans ce cas aussi les fouilles sont achevées. Dans l’état actuel, des ajouts architecturaux ont été supprimés et la relation entre la crypte et la nef est plus claire. L’hypothèse du caractère funéraire de l’édifice a été nettement renforcée. Par contre, il faut écarter la présence d’une cuve baptismale et, par conséquent, la fonction baptismale (v. « Dossier : Les esglésies de Sant Pere… »]. 499   v. Egara, 25/12/1892, 1 et supra. 500   L’intervention pour l’installation du retable rendait nécessaire la deuxième phase de restauration des peintures. Actuellement, sont nettement visibles les points d’ancrage du retable qui était accroché très en arrière. Pour cacher les peintures de la partie antérieure de la voûte on choisit de recouvrir toute la superficie avec un blanchiment de mortier grisâtre. C’est ce qui explique que les peintures étaient peu visibles. Ce mortier adhérait fortement au mur et sa suppression a présenté de grandes difficultés techniques, comme on s’y attendait (cf. Arcor, Sant Miquel de Terrassa…, 2001, p. 80 ; Arcor, Sant Miquel de Terrassa…, 2003). 501   Voir la photographie nº 432 de l’Arxiu del Museu de Terrassa, cf. Arcor, Sant Miquel de Terrassa…, 2001, p. 16. 502  J. Homs, « Restauració del Baptisteri … » ; cf. C. L. Kuhn, « Notes On Some Spanish Frescos », p. 123 et C. R. Post, A History …, I, p. 30 ; cf. supra. 503  J. Puig, « Basílica d’Egara : Excavacions… ».

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48. Vue de la décoration de l’abside de Saint-Michel de Terrassa en mai 2002 à la fin de la restauration (photographie ARCOR, avec l’autorisation du Museu de Terrassa).

49. Décor du niveau inférieur, mur gauche de l’abside de Saint-Michel de Terrassa, avec six apôtres, en mai 2002 à la fin de la restauration (photographie ARCOR, avec l’autorisation du Museu de Terrassa).

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et sud. Enfin le niveau supérieur est consacré à une représentation théophanique504.

Niveau supérieur : centre Jusqu’à la récente restauration, la zone portant la théophanie était pratiquement inconnue. La plupart de l’enduit noir qui devait cacher la décoration avait résisté magnifiquement au cours du temps. Seuls quelques détails affleuraient ici ou là. C’est ce qu’on peut voir sur les calques publiés par J. Puig i Cadafalch [annexe 18]. L’achèvement de la deuxième phase de restauration, avec la suppression de cet enduit, a fait réapparaître la plus grande partie de la décoration à un point difficile à imaginer au début des travaux [fig. 51]. Au centre de la composition figure la mandorle avec le Christ. Un des vestiges connus précédemment, le nimbe crucifère, a livré une première surprise. De part et d’autre du montant supérieur de la croix on peut lire les lettres EMA/NV (…), qu’il faut lire Em(m)anu(el) [fig. 52]. Bien que très effacés, les vestiges du livre et du trône avec son coussin, sur lequel siège l’Emmanuel, sont très visibles. Le livre aussi présente des vestiges d’inscription qu’il n’est pas possible pour l’instant de reconstituer [fig. 53]. Le degré de conservation de toute cette zone est assez important pour nous montrer, par exemple, une partie des cheveux du Christ. En ce qui concerne la mandorle, les vestiges de la décoration permettent de parler d’une structure décorée de gemmes, sous forme de surfaces rectangulaires ayant un centre de couleur noire. De couleur noire est aussi le fond de la mandorle, sur lequel se détache le Christ trônant. 504   À l’occasion de la première phase de restauration, pendant les mois de juillet et août 2001, nous eûmes la chance de mesurer les différentes parties de la décoration. La principale caractéristique est le peu d’homogénéité des différentes zones. Si nous commençons par la partie du bas, la frise en zigzag mesure, comme nous l’avons dit, 30 cm dans les deux zones conservées, les extrémités nord et sud. Par-dessus celle-ci, la frange rouge varie entre 6 et 7 cm de largeur. Pour les registres figurés : le secteur avec six personnages, sur le côté nord, commence à l’ouverture de l’abside avec une hauteur de 110 cm et finit, au début des cinq cercles, à 80 cm. Du côté sud, les mesures sont 155 et 90 cm. Pour la longueur, le côté nord mesure 270 cm en bas et 260 en haut ; le côté sud 293 et 280. Le secteur central avec les cercles mesure 330 cm en bas et 286 en haut. La frange qui sépare cette zone de la voûte mesure entre 6 et 5,5 cm. Enfin, la majesté occupe l’espace délimité par un périmètre de 350 cm de longueur dans le sens est-ouest, et de 240 cm dans l’intrados de l’ouverture de l’abside. Pour montrer l’irrégularité manifeste, il suffit de dire que ces 240 cm se divisent en 90 du centre vers le sud et en 150 du centre vers le nord. Selon les calculs des restauratrices, la superficie totale peinte est d’environ 20,9 à 22,5m2 (Arcor, Sant Miquel de Terrassa…, 2001, p. 2).

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50. Décor du niveau inférieur, mur droit de l’abside de Saint-Michel de Terrassa, avec six apôtres, en mai 2002 à la fin de la restauration (photographie ARCOR, avec permission du Museu de Terrassa).

51. Le Christ trônant dans la mandorle soutenue par quatre anges, Saint-Michel de Terrassa, niveau supérieur, mai 2002 à la fin de la restauration (photographie ARCOR, avec l’autorisation du Museu de Terrassa).

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52. Détail du nimbe du Christ avec les restes de l’inscription : EM(M)ANV(EL) (photographie ARCOR, avec l’autorisation du Museu de Terrassa).

Niveau supérieur : côtés505 Une des zones les plus affectées par l’enduit noir et qui, grâce à la restauration, est réapparue presque entière, est la zone autour de la mandorle. Le personnage le mieux conservé, et que Puig avait identifié à Ézéchiel (voir infra), est en réalité un des quatre anges qui soutenaient la mandorle. Sur ces quatre, la restauration nous en a restitué trois [figs. 54-56]. Les deux du côté gauche, ou nord, et celui situé à l’ouest du côté droit, ou sud. Sur les trois, celui qui est le mieux conservé est ce supposé Ézéchiel. On peut constater maintenant que le personnage emmitouflé étire en réalité les bras, de part et d’autre de la tête, afin de soutenir la mandorle, en même temps qu’il déploie ses ailes des deux côtés. Dans ce cas aussi, les détails enrichissent 505   La décoration que nous venons de décrire est disposée sur le cul-de-four de l’abside, davantage à la manière d’une coupole que d’une abside. C’est pour cela que nous situons les personnages en parlant d’ouest et d’est et non pas de haut et de bas. Comme dans le cas de Sainte-Marie, la forme outrepassée de l’abside en fait presque un espace couvert d’une coupole. Ainsi, à la différence des voûtes d’absides romanes, le Christ en Majesté ne se situe pas de face et légèrement incliné vers le spectateur, mais complètement au-dessus de lui.

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53. Détail du livre du Christ avec des vestiges d’une inscription photographie archive du l’auteur avec l’autorisation du Museu de Terrassa.

54. Détail de l’ange soutenant la mandorle du côté nord-ouest (photographie archive de l’auteur avec l’autorisation du Museu de Terrassa).

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l’ensemble. On peut voir par exemple le jaune des cheveux blonds ou la manière dont le nimbe est réalisé au moyen d’une double circonférence décorée en noir. L’ange avec lequel il fait la paire, sur ce même côté nord, mais situé au couchant, est représenté dans une position impossible. Le corps et les jambes forment une sorte de V, fruit de la nécessité de faire entrer le personnage dans l’espace restreint disponible. Les bras sont disposés comme sur le personnage précédent et les mains s’accrochent à la mandorle. Les ailes, en revanche, apparaissent «peignées» en arrière, c’est-à-dire en direction de l’ouest. La principale surprise de la restauration est le disque qui apparaît entre les deux anges. Il s’agit d’un disque formé de cercles concentriques et de lignes radiales qui occupent toute la superficie. Bien que les possibilités d’identification ne soient pas nombreuses, l’étrange forme adoptée ne simplifie pas la tâche. Pourtant il ne fait pas de doute que nous nous trouvons devant une représentation inusitée du soleil. On trouve la confirmation du côté opposé, de l’autre côté de la mandorle. Faisant pendant à ce curieux soleil, on trouve une image de la lune. Dans ce cas aussi il s’agit d’un disque avec des rayons, mais ici le centre du disque est occupé par une tête, ou un buste, couronné d’un croissant de lune. Donc, flanquant la mandorle, figurent le soleil et la lune [figs. 57-58]. Ces deux représentations sont, soulignons-le, de grandes dimensions, car elles occupent pratiquement l’espace disponible entre les anges et la mandorle, et la frise qui fait la limite avec le registre inférieur. Toute cette représentation prend place par-dessus un curieux fond pointillé, sur lequel se disposent des cercles avec un point au centre, reliés de lignes droites. La récente intervention a révélé la polychromie de ces fonds. Nous pouvons maintenant dire, tout au moins, que certains des cercles était noirs, alors que le fond pointillé était rose.

Niveau inférieur Le second niveau est un registre qui parcourt le demi cylindre de l’abside au-dessous du niveau supérieur. Il est, comme nous l’avons dit, divisé en trois secteurs et séparé du niveau supérieur au moyen d’une bordure rouge qui se déroule sur toute l’abside. Parmi les trois secteurs, celui du centre est un quadrilatère de 330 cm en bas et de 286 cm en haut, sur 80 cm à gauche et 90 à droite, séparé des deux autres par une ligne verticale qui interdit la possibilité d’une frise

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55. Détail de l’ange soutenant la mandorle du côté nord-est (photographie archive de l’auteur avec l’autorisation du Museu de Terrassa).

56. Détail de l’ange soutenant la mandorle du côté sud-ouest (photographie archive de l’auteur avec l’autorisation du Museu de Terrassa).

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continue. Ce secteur central se trouve juste sous la mandorle, et, bien que très détérioré, conserve encore les vestiges nets d’au moins trois cercles – un au centre et deux à gauche –, mais on peut en reconstituer jusqu’à cinq [fig. 59]. Ces cercles ne sont pas des éléments indépendants entre eux, car il semble qu’ils aient été créés à partir d’une frise unique qui s’entrelace jusqu’à occuper tout l’espace disponible du registre. Malgré la mauvaise conservation, certains éléments de décoration pseudo-végétale sont visibles juste dans l’espace libre entre chaque cercle. Bien que le décor ait beaucoup souffert, on a admis généralement que le cercle central portait une croix et un X formant un chrisme. Les maigres vestiges des deux autres font penser à un décor similaire. Tout au moins il est clair que les vestiges ne permettent pas de supposer des représentations figurées à l’intérieur. Les deux autres secteurs de ce niveau inférieur montrent une représentation parfaitement symétrique[figs. 49-50, annexe 17 et 19]. Jusqu’au milieu du registre, le fond est identique à celui des côtés du registre supérieur ; puis, à partir de là, commence une sorte de décor végétal sur un fond noir. Cette végétation possible sert à séparer les douze personnages que l’on peut y reconstituer, représentés six d’un côté et six de l’autre506. Les douze personnages portent tous la tunique et le pallium. Leurs tuniques étaient blanches, garnies dans certains cas de clavi rouges et de plis de couleur verdâtre ; les pallia en revanche étaient de couleur jaune et leurs plis soulignés de rouge. Le jeu des lignes croisées sur les pieds peut s’interpréter comme des solea traitées de manière très schématique. Les douze personnages regardent vers le centre de leur registre, c’est-à-dire vers le secteur des cinq cercles et tous présentent la même attitude [fig. 60]. D’après la position des jambes il est difficile de dire s’ils sont assis ou s’ils font une génuflexion. La jambe avancée – la jambe intérieure – présente le tibia perpendiculaire au sol, et il faut supposer la cuisse parallèle, à l’opposé, la jambe arrière – celle de l’extérieur – a la cuisse perpendiculaire et le tibia presque parallèle au sol. Les pieds chaussés des 506   Après la restauration, où ont été supprimés les repeints de la restauration de L. Plandiura, le secteur droit montre bien conservés les personnages 1 et 2 en commençant à compter à partir de l’ouverture de l’abside. Des personnages 3 à 5 il ne reste plus que les jambes. Du personnage 6 on devine aussi une partie des jambes, bien qu’il ait pratiquement disparu. Sur le côté gauche, le mieux conservé, sont visibles les six personnages. Les deux premiers sont dans un état de conservation excellent. Du troisième ne demeurent bien visibles que les jambes, et des quatrième et sixième seulement la tête. Ce sont ces quatre derniers qui avaient été les plus refaits lors de la restauration des années vingt et c’est pour cette raison qu’ils ont été les plus affectés par le nettoyage pendant la restauration actuelle.

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57. Détail du soleil (photographie archive de l’auteur avec l’autorisation du Museu de Terrassa).

58. Détail de la lune (photographie archive de l’auteur avec l’autorisation du Museu de Terrassa).

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59. Niveau inférieur, secteur central avec les trois cercles conservés (photographie archive de l’auteur avec l’autorisation du Museu de Terrassa).

personnages se superposent les uns aux autres [fig. 61]. Quant aux bras, celui de l’extérieur soutient de sa paume ouverte le coude du bras intérieur qui porte la main juste à hauteur de la joue507. À notre avis, et avant d’analyser l’image, il paraît évident que les personnages ont subi une compression afin de les faire tenir dans l’espace disponible. Ceci est clair en observant les pieds qui, en dehors de se chevaucher, sont dans certains cas superposés entre personnages voisins. Sans doute peut-on en dire autant à propos de la hauteur des personnages, bien que cela soit moins évident. En tout cas, et pour ce qui a trait aux pieds, nous ne croyons pas que ce soit un choix délibéré, mais plutôt une contrainte, comme nous l’avons dit, en raison de l’espace, car l’effet qui en résulte n’est pas du tout harmonieux. 507   Bien que l’explication ne soit pas tout à fait claire en utilisant les expressions “intérieur” et “extérieur” pour les membres, on ne peut pas dire “jambe droite” ou “gauche” ou “bras droit” et “bras gauche”, parce que, comme nous l’avons précisé, la représentation est parfaitement symétrique d’un côté et de l’autre. Ceci implique que les personnages du côté nord soutiennent de leur main droite leur bras gauche, alors que ceux du côté sud soutiennent de leur main gauche leur bras droit. On peut dire la même chose des jambes. Sur l’importance de cette nuance, voir C. Mancho, « Tradicions iconogràfiques i formals … » et infra.

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De fait, dans certains cas, cela favorise même l’apparition d’un pentimento du peintre, qui, en passant, nous renseigne sur sa technique. Les douze personnages sont tous représentés dans une position de trois-quarts très douce, et ils sont presque identiques. Les différences devaient être évidentes à l’aide de détails comme les barbes ou les cheveux. Après la restauration, certains apparaissent avec les cheveux blonds –  i.e. jaunes508 –, d’autres portent des barbes rousses –i.e. citrouille – et tous portent un nimbe509. Aucun ne présente d’attribut. Les seules différences, comme la présence de clavi sur la tunique d’un des personnages, sont sans doute dues à des problèmes de conservation. L’extrémité extérieure de chacun de ces deux registres de personnages, juste à l’ouverture de l’abside, montre une tenture nouée. On remarque que les deux tentures ont un décor simple de segmenta, c’est-à-dire d’empiècements de tissus d’une texture nettement différente, qui veulent enrichir les rideaux. Dans les deux cas, les tentures ne sont pas, à l’évidence, la décoration du fond, mais celle du premier registre, car la décoration végétale reste «derrière» ces rideaux. Sur le côté droit on constate en outre que ces tentures passent par-devant les personnages. La restauration de ce niveau ne nous a non plus épargné les surprises. Outre la confirmation des nimbes des personnages, ou les barbes et les cheveux, le plus remarquable a été l’apparition d’inscriptions. La frise qui sépare les registres supérieur et inférieur, de couleur rouge, présente les traces nettes d’une inscription, en blanc, qui courait tout au long de cette bordure. Malheureusement, l’état de détérioration rend impossible la lecture. Nous ajoutons donc une nouvelle inscription à l’abondant corpus d’inscriptions sur peinture murale en Catalogne. Sous ce niveau devait commencer la partie la plus basse du décor. Une bande rouge qui parcourt l’abside de part en part en formait la séparation. Juste au-dessous de cette frange, on trouve un motif décoratif composé de sept losanges superposés en biais et alternant les couleurs rouge, jaune et noire. Seul le côté sud de l’abside montre ce   Sont particulièrement visibles les cheveux jaunes du personnage 6 du côté gauche.   La récente restauration a beaucoup changé la perception que l’on avait jusqu’à présent. Non seulement sont apparus des éléments comme la couleur, mais on a pu aussi définir avec davantage de netteté la posture des saints. Comme on sait, cette question a suscité des discussions (v. A. Grabar, « Une fresque visigothique … » ; M. Guardia, « La pintura mural pre-romànica de les esglésies de Sant Pere de Terrassa… » ; cf. C. Mancho, « Tradicions iconogràfiques i formals … », p. 427 et infra). 508 509

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60. Détail des premier et deuxième apôtres du côté sud (photographie ARCOR, avec l’autorisation du Museu de Terrassa).

61.Détail des pieds des troisième et quatrième apôtres du côté sud (photographie ARCOR, avec l’autorisation du Museu de Terrassa).

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registre complet. Dans la zone plus ou moins centrale, il a disparu et dans la zone sud, il n’est conservé que partiellement. Malheureusement, au-dessous de ce niveau, nous ne pouvons pas savoir s’il y avait un décor. L’intervention de J. Puig i Cadafalch qui a repiqué tout le cylindre de l’abside nous en empêche. Malgré tout, il faut supposer qu’il devait y en avoir un. Plus difficile est de préciser de quel type. Le plus simple est de penser aux décors les plus habituels pour les zones basses, par exemple des tentures. Mais il faut dire que, dans ce cas, on peut difficilement parler de zone basse étant donné que le décor s’arrête juste avant d’arriver au niveau des fenêtres, pratiquement à la ligne d’impostes.

Technique Dans le cas qui nous occupe nous sommes chanceux. Le fait que les peintures aient été restaurées récemment nous fournit des données de caractère technique que nous ignorons habituellement. Nous pouvons dire que la technique employée fut celle du mezzo fresco. La préparation est extrêmement simple et il n’y a pas de sinopia. Contrairement à la coutume, l’enduit de mortier fut appliqué de bas en haut, comme les vestiges de pontate détectés pendant la restauration l’indiquent. Après cela, et sur une préparation de quelques millimètres, fut réalisé le décor. L’exécution fut faite en une seule fois et très vite, sans que l’on puisse y distinguer différents giornatte. D’abord un dessin en rouge définissant les éléments de base et avec les preuves de quelques pentimenti. Pour faire ce dessin, on n’a même pas eu recours à des traits de guide. Ceci expliquerait l’irrégularité dans la largeur des registres. Immédiatement après, on a disposé les couleurs de base, essentiellement le jaune des pallia et des cheveux et le rosé des carnations. Enfin, on a ajouté les détails et le traitement en volume510. Nous ne disposons pas du schéma réalisé par l’équipe de restauration, pourtant la manière de faire est très semblable à celle des fresques de l’oratoire de saint Étienne dans la crypte de Saint-Germain d’Auxerre (voir supra). Dans notre cas, le résultat est très gauche ; sans doute la rapidité d’exécution a-t-elle primé par rapport à la qualité du résultat final. D’après l’équipe de restauration, les auteurs on achevé cette décoration en moins d’une semaine.

 Voir. Arcor, Sant Miquel de Terrassa…, 2001, p. 68.

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L’analyse des pigments montre qu’il s’agit dans tous les cas de terres (ocre rouge, ocre jaune, citrouille, rosé) ou de végétaux (noir, vert). L’absence de bleus est significative.

État de la question La première référence à propos de ces peintures nous parvient par l’intermédiaire de l’historien local J. Soler i Palet511. C’est une référence “en passant”, mais importante, car on y trouve déjà une proposition de lecture et de datation. L’article, en fait, est motivé par la découverte des peintures de saint Thomas Becket dans l’absidiole du bras sud du transept de Sainte-Marie. L’auteur introduit le sujet en se référant aux autres peintures connues des églises de Terrassa. Sur Saint-Michel il se borne à constater que, «  On a aussi reconnu des fragments peints, des parties de personnages hiératiques, sans doute des apôtres, dans l’abside de Saint-Michel de Terrassa, qui semblent être du XIe siècle, comme celles de Saint-Michel de la Seu d’Urgell avec les personnages du Christ, de la Vierge Marie et des apôtres saint Pierre, saint Paul et saint Jean. »

Il est difficile de dire, à partir des paroles de J. Soler, si les peintures étaient déjà découvertes complètement ou non. Nous savons qu’à ce moment à peu près furent déposés les retables de Saint-Pierre et de Sainte-Marie, peut-être est-ce aussi à ce moment qu’on déposait celui de l’abside de Saint-Michel512. Pour trouver la première étude sérieuse des peintures, il faut attendre les travaux de C. L. Kuhn. Deux ans avant la publication de son livre sur la peinture romane en Catalogne, l’auteur publie des «Notes» sur quelques fresques parmi lesquelles Saint-Michel513. Sa monographie aura une plus grande diffusion que ses notes514. Il ne doute pas que le sujet représenté soit une Vision, quoiqu’il reconnaisse qu’il s’agit d’une «  curious combination of the Apocalyptic Vision 511  Josep Soler i Palet, « De les pintures murals romàniques i especialment de les recentment descobertes a Santa Maria de Terrassa », Butlletí del Centre Excursionista de Catalunya, (janvier-février 1918) [dans : Idem, Egara-Terrassa. Edició homenatge de les entitats Centre Excursionista i Club Pirenenc, de Terrassa, Terrassa, Graf. Joan Morral, 1928, pp. 111-141], p. 119. Auparavant nous n’avions que la notice de la découverte et une référence de J. Gudiol faisant allusion à l’existence de peintures à Saint-Michel (J. Gudiol, Nocions d’arqueologia…). 512  J. Homs, « Recull de dates ». 513   C. L. Kuhn, « Notes On Some Spanish Frescos ». 514   C. L. Kuhn, Romanesque Mural Painting…, pp. 9-11.

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and the Vision of Ezekiel. ». Les douze personnages sont identifiés aux Anciens car ils s’agenouillent et ne portent pas de barbe. Le personnage sous la mandorle est identifié à saint Jean. Les quatre roues, en revanche, appartiennent à la Vision d’Ézéchiel. Sur le plan stylistique,C. L. Kuhn trouve la plupart des parallèles dans le monde anglo-irlandais. Les nombreuses comparaisons qu’il établit avec les manuscrits l’amèneront à une datation entre le début du IXe et la deuxième moitié du Xe siècle515. Peu après ces études vient la première contribution de J. Puig i Cadafalch où il expose ce qui sera son opinion invariable sur l’ensemble. Son article porte le titre significatif de  «Les pintures del segle VIè de la catedral d’Egara (Terrassa) » 516. Cela ne laisse aucune place au doute. Du point de vue chronologique, l’architecture (voir supra) et la peinture sont contemporaines. Les éléments clefs de sa lecture sont divers. D’une part, l’identification d’un chrisme, dans le cercle central, selon la typologie des chrismes romains du IVe siècle et syriens du Ve siècle, justifie, avec l’architecture, la datation des fresques. De l’autre, la position des douze personnages et le fait qu’ils soient chaussés et que, d’après lui, ils portent un nimbe, lui permet d’identifier la représentation à la seconde vision d’Ézéchiel517. Il affirme qu’en aucun cas les douze ne peuvent être des apôtres, parce que, bien que portant le nimbe, ils sont chaussés et ne sont pas barbus (!?). Quant à la proposition de C. L. Kuhn – qu’il connaît mais ne cite pas – ils ne peuvent être les Anciens parce qu’ils ne sont ni barbus ni couronnés. Pour son identification, J. Puig i Cadafalch se fonde essentiellement sur le personnage de la partie au-dessous de la mandorle, qui, d’après lui, est Ézéchiel prosterné devant Dieu. Quant aux autres éléments, les deux tentures représentent le portique du Temple de Jérusalem (?) où a lieu la vision ; les quatre cercles restants deviennent les quatre roues avec les quatre Vivants ; et les personnages nimbés et chaussés

  C. L. Kuhn, et aussi C. R. Post (C. R. Post, A History …, I, p. 31) se plaignent d’une restauration malheureuse : « A final example of deterioration so great as to challenge any dogmatic attempt at ascription to a [horary] date is encountered in Catalonia in the semidome of the apse of S. Miguel at Tarrassa (fig. 1), and the whole problem is further complicated by the recent restoration, however scientific that restoration be. ». Sans doute est-ce la restauration qu’a financée L. Plandiura. Sur le reste, C. R. Post est d’accord avec l’analyse faite par C. L. Kuhn. 516  J. Puig, « Les pintures del segle VIe… », p. 141. 517   Éz. 11, 1 et suiv. : Et elevavit me spiritus, et introduxit me ad portam domus Domini orientalem, quæ respicit ad solis ortum ; et ecce in introitu portæ viginti quinque viri ; et vidi in medio eorum Iezoniam, filium Azur, et Peltiam, filium Bananiæ, principes populi…. À propos de la vision d’Ézéchiel dont il s’agit, cf. L. Réau, Iconographie…, II/1, 374 et suiv. 515

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sont le peuple qui assiste à la vision, bien que le texte d’Ézéchiel mentionne vingt-cinq hommes dont deux princes518. Pour le style, J. Puig i Cadafalch accepte les comparaisons de C. L. Kuhn, bien qu’il justifie la ressemblance entre les manuscrits irlandais et les peintures de Terrassa par une même filiation égyptienne, sinon – cela va sans dire – elles ne pourraient être du VIe siècle519. En fait, c’est aussi d’Égypte que provient le thème iconographique, bien que ce que nous voyons à Saint-Michel soit différent des exemples connus et nous renverrait à un modèle plus ancien520. Il a maintenu cette position dans tous ses écrits postérieurs521. L’article de J. Puig est important pour une autre raison. C’est la première fois que les peintures sont reproduites. À côté des photographies, l’auteur présente les premiers calques de cette décoration. Ces calques, conservés aux archives du Servei de Patrimoni Arquitectònic Local de la Diputació de Barcelone, sont ceux qu’ont utilisés les différents auteurs jusqu’à nos jours522 (voir Annexe). Un point de repère important dans l’étude de ces peintures est fixé par A. Grabar dans un article devenu de référence523. Son interprétation tourne autour de la position et du geste des apôtres. D’entrée il écarte l’identification de la scène avec une quelconque vision prophétique ou apocalyptique, malgré la possible présence des Vivants dans les quatre cercles autour du chrisme. A. Grabar pense qu’on a représenté une vision de l’Ascension. Non en tant que théophanie historique mais comme acte cultuel de la contemplation de Dieu par les Apôtres. Pour le confirmer, il utilise trois arguments : la tenture ouverte, la génuflexion des Apôtres et « leur double geste, stéréotypé, qui consiste à lever une main pour la prière, et de porter les doigts de l’autre à la bouche ». Quant aux tentures, qu’elles soient ouvertes indiquerait une révélation. La génuflexion sur un genou correspond au rituel égyptien de la prière et indiquerait que l’on a «ritualisé» la vision. En ce qui concerne la main sur la bouche, il s’agit aussi d’un geste qui accompagne la prière ou la lecture des psaumes et qui sert, en même  J. Puig, « Les pintures del segle VIè… », pp. 142-145.  J. Puig, « Les pintures del segle VIè… », p. 146 : « L’analogie qui pourrait exister entre la peinture de Saint-Michel de Terrassa et les miniatures des manuscrits irlandais ne semble pas pouvoir se situer historiquement au VIe siècle, autre raison pour justifier le fait que l’une et l’autre dérivent d’une source commune, qui est probablement l’Égypte. ». 520  J. Puig, « Les pintures del segle VIè… », p. 146. 521   Cf. J. Puig, La seu visigòtica d’Egara, pp. 45-50 ; Idem, Noves descobertes a la Catedral d’Egara…, pp. 30-32. 522  J. Puig, « Basílica d’Egara : Excavacions… », fig. 225-228. 523  A. Grabar, « Une fresque visigothique … ». 518 519

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temps, de protection contre les démons qui peuvent entrer par la bouche et comme invocation du silence mystique en signe de respect. L’acceptation unanime de cette lecture a marqué toutes les contributions postérieures. En vérité, il y avait déjà des voix discordantes à propos de l’intervention de J. Puig i Cadafalch , mais personne n’avait avancé une lecture alternative524. L’article de A. Grabar donnait pour la première fois une hypothèse ferme à partir d’une argumentation très bien construite. Le premier auteur qui écrit sur Saint-Michel après cet article est J. Pijoan525. Comme d’habitude dans l’historiographie catalane, son texte est complètement laissé de côté, y compris ses analyses pertinentes. Il ne connaît pas l’article de A. Grabar, ou simplement ne s’intéresse pas aux questions iconographiques. Il se limite à considérer qu’il s’agit d’une Vision du Seigneur. Plus intéressante est l’affirmation sommaire par laquelle commence sa rapide allusion à cet ensemble. [Les peintures] de Saint-Michel sont parfaitement carolingiennes, tant par le sujet représenté que par le style. Il y a peu de monuments peints sans information documentée qui puissent se dater avec autant de précision que la fresque de l’abside de Saint-Michel de Terrassa.

Et il ajoute que la vision qui nous en est offerte est telle que « l’aurait peinte un artiste de deuxième ou troisième catégorie venu du Rhin et accompagnant l’armée de Louis le Pieux. ». Pour renforcer son opinion, il établit des parallèles avec Naturno et Malles. D’après J. Pijoan, la palette chromatique de ces ensembles est très semblable à celle de Saint-Michel. Il reprenait là l’opinion qui dans les années trente était partagée par C. R. Post et C. L. Kuhn – les deux autres grands méconnus. L’accord majoritaire pour considérer les peintures comme d’époque carolingienne intervient à partir de la rectification de A. Grabar. Il reconnaît que, bien qu’il ait suivi la chronologie de J. Puig i Cadafalch jusqu’alors, les comparaisons avec des ensembles muraux extra-hispaniques indiquent que l’ensemble date de ca. 900526. Il effec524   H. Leclercq, par exemple, après avoir décrit l’ensemble en suivant point par point l’article de J. Puig i Cadafalch, se borne à conclure : « On a proposé de voir dans cette scène la vision d’Ézéchiel, l’opinion nous paraît insoutenable » (cf. Henri Leclercq, sv. ‘Peinture’, Dictionnaire d’Archéologie Chrétienne et de Liturgie, XIII, 2, Paris, Letouzay et Ané, 1938, cols. 2961-3004, en part. col. 3003). 525  J. Pijoan, Monumenta Cataloniæ…, p. 45. 526  A. Grabar, C. Nordenfalk, Le Haut Moyen Âge…, p. 62.

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tue ce changement d’opinion – comme le souligne M. Guardia – sans changer une virgule à son interprétation iconographique527. Cette attitude est pour le moins curieuse, en particulier si on considère que A. Grabar fondait son analyse iconographique et l’interprétation du geste des apôtres sur le contact avec l’Égypte copte528. Malgré nos objections à son interprétation (voir infra), il est évident que quand A. Grabar pense à une chronologie du VIe siècle, il n’est guère difficile d’admettre un possible contact ou connaissance entre les deux rives de la Méditerranée. Bien que le monde copte soit relativement fermé, l’existence du pèlerinage pouvait permettre ces contacts. Mais qu’implique le changement de datation ? Les Coptes sont alors sous domination musulmane et forment une communauté isolée avec laquelle on peut difficilement envisager l’existence de contacts. En tout cas, si une information parvient à travers la domination musulmane continue qui relie tout le nord de l’Afrique avec la Péninsule et l’Europe, il est difficile de croire qu’elle soit d’ordre iconographique ou, moins encore, liturgique. Nous croyons que les trois siècles de distance et les changements politiques rendent davantage irrecevable la proposition de A. Grabar. Comme nous l’avons dit dans une autre partie, ce n’est pourtant pas notre seule objection529. Pourtant, après cette précision sur la chronologie, Saint-Michel ne donne naissance à aucun apport significatif jusqu’à la célébration du Simposi Internacional à Terrassa. Cela ne signifie pas que les publications soient rares. Comme nous l’avons dit, les contributions de A. Grabar avaient résolu «définitivement» tous les problèmes autour de Saint-Michel. Les différents auteurs se bornent à répéter le discours530. Le Simposi Internacional permit une nouvelle avancée. L’article de M. Guardia établit pour la première fois un point de départ critique pour l’étude de notre ensemble531. La confrontation de chacune des opinions surgies à propos des peintures suffit à mettre au jour les  M. Guardia, « La pintura mural pre-romànica de les esglésies de Sant Pere de Terrassa… », p. 153. 528   v. A. Grabar, « Une fresque visigothique … ». 529   cf. C. Mancho, « Tradicions iconogràfiques i formals … », pp. 427-428. et v. infra. 530   Cf. par exemple X. Barral, « Peinture murale romaine et médiévale… », pp. 148-149. Un apport remarqué est celui d’Yves Christe, Les grands portails romans. Études sur l’iconologie des théophanies romanes, Genève, Libr. Droz, 1969 (coll. Instituts d’Histoire de la Faculté des lettres de Genève, 7), pp. 69-70), qui s’aligne sur l’opinion de A. Grabar. Pourtant, son point de vue est confus car il ne résout pas le problème de la prolifération des Ascensions au IXe siècle, et moins encore la place de Saint-Michel de Terrassa parmi elles (v. infra). 531  M. Guardia, « La pintura mural pre-romànica de les esglésies de Sant Pere de Terrassa… », pp. 153-155. 527

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premiers problèmes. D’abord dans la description, on constate que l’on ne peut pas être certain si dans la mandorle se trouve un Christ assis ou en pied. Ni même si le Christ s’y trouve, étant donné la disproportion que présenterait le nimbe. L’identification des trois personnages autour de la mandorle pose aussi problème, ainsi que leur relation entre eux et leur relation avec la mandorle. Enfin, elle constate un détail important – et jusqu’alors occulté – celui de l’identité de fond pour les deux registres. Sur le terrain des questions iconographiques, elle met en doute, d’une part, l’identification avec l’Ascension, ainsi que l’interprétation du geste par A. Grabar et, enfin, la relation des cercles avec le Tétramorphe. Ses arguments sont assez solides pour indiquer que les opinions jusqu’alors admises avaient effectivement peu de fondements. Nous ne nierons pas que notre lecture parte de la déconstruction initiée par M. Guardia. Nous avons déjà essayé d’approfondir ailleurs quelques-uns de ses arguments, en particulier sur la question du geste des douze personnages532. Dans l’analyse iconographique, les arguments qui conduisent à notre interprétation seront exposés in extenso. Nous l’avions déjà proposé en parlant de Sainte-Marie et nous le constatons à nouveau pour Saint-Michel : l’apport de la plupart des auteurs depuis la découverte des peintures a été bien pauvre. Nous n’insisterons pas sur le manque d’intérêt de J. Puig i Cadafalch pour les peintures autrement que pour leur datation. Pourtant il est l’auteur qui s’en est occupé le plus avant l’article de M. Guardia. L’intervention sur l’ensemble sur la base du Plan directeur a modifié le panorama. D’une part l’activité des restaurateurs nous a déjà fourni de nouvelles données d’un extraordinaire intérêt (voir supra). De l’autre, l’achèvement des travaux doit favoriser l’apparition de nouvelles études sur l’ensemble, et, en particulier, sur des peintures beaucoup mieux connues.

Iconographie Après la dernière restauration, il n’est guère risqué d’affirmer que dans l’abside de Saint-Michel nous avons une Ascension. Pourtant l’histoire de ces peintures contraint à s’étendre sur l’explication533.  C. Mancho, « Tradicions iconogràfiques i formals … ».   Ce sont essentiellement les chercheurs allemands qui ont travaillé sur l’iconographie de l’Ascension. La dernière étude de synthèse est celle de V. M. Schmidt, sv. ‘Ascensione’, Enciclopedia dell’Arte Medievale. II, Rome, Enciclopedia Italiana, 1991, pp. 572-577 avec une 532 533

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Jusqu’à présent, l’étude la plus solide et réputée est celle réalisée par A. Grabar534. Nous ignorons pour quelle raison l’historien de l’art français s’est intéressé à la peinture de Terrassa, sans doute connaissait-il ce qu’en avait publié J. Puig i Cadafalch535. Bien que J. Puig n’ait pas été le premier auteur à en parler c’est bien lui qui en parle le plus et qui la connaissait le mieux536. Les peintures se trouvant dans son “baptistère” de Saint-Michel, et étant les premières à pouvoir être analysées avec un peu de clarté, J. Puig avait émis dès le départ un verdict qu’il a toujours maintenu. Selon lui, ces peintures montraient la vision d’Ézéchiel devant les portes de Jérusalem ; Ézéchiel était le personnage au pied de la mandorle, alors que le reste des personnages de la frange extérieure étaient le peuple de Jérusalem (voir supra). Dans l’histoire des découvertes de Terrassa, il ne fait aucun doute que celle-ci furent les seules peintures de l’ensemble d’Ègara que J. Puig a parfaitement connues. On peut le constater dans la description qu’il en fait dès ses premières études. S’appuyant sur une observation directe des peintures, il considérait qu’il ne pouvait s’agir en aucun cas d’un autre type de scène. La présence du Christ dans la mandorle aurait impliqué la présence des Apôtres ou des Anciens de l’Apocalypse, mais seule une scène du type de la vision d’Ézéchiel permettait la présence des douze personnages en toge, chaussés, nimbés, mais sans barbes. En réalité, cette prémisse de J. Puig est fausse, car il n’est pas certain que les Apôtres ne puissent pas apparaître chaussés et avec ou sans barbe et nimbe. D’autre part, la restauration

bibliographie antérieure importante. On peut aussi souligner en tant que travail relativement récent celui de G. Schiller, Ikonographie des christilichen…, III, pp.141 et suiv. Le sujet a été aussi traité dans des études sur les représentations théophaniques monumentales, surtout sur les façades ou les voûtes d’absides. Pour cela, nous renvoyons aux travaux de F. Van der Meer, Maiestas Domini. Théophanies de l’Apocalypse dans l’art chrétien. Étude sur les origines d’une iconographie spéciale du Christ, Rome-Paris, Pontificio Istituto di Archeologia Christiana-Les Belles Lettres, 1938 (coll. Studi di Antichità Christiana) ; Christa Ihm, Die Programme der christlichen Apsismalerei, vom 4. Jahrhundert bis zur Mitte des 8. Jahrhunderts, Stuttgart, Franz Steiner Ver., 1992 (1ère édition, 1960) ; Y. Christe, Les grands portails romans…, pp. 66-96 ; Christa Belting-Ihm, « Theophanic Images of Divine Majesty in Early Medieval Italian Church Decoration », Italian Church Decoration of the Middle Ages and Early Renaissance. Functions, Forms and Regional Traditions, (éd.) W. Tronzo, Bologne, Nuova Alfa Ed., 1989, pp. 43-59. Un travail récent est paru, qui analyse l’ensemble de Baouit avec une attention spéciale à l’iconographie de la peinture de l’abside (voir Antonio Iacobini, Visioni dipinte. Immagini delle contemplazione negli affreschi di Bawit, Rome, Viella, 2000). 534  A. Grabar, « Une fresque visigothique … ». 535  J. Puig, « Les pintures del segle VIe… », p. 146. 536   Cf. C. L. Kuhn, « Notes On Some Spanish Frescos », pp. 123-124 ; C. L. Kuhn, Romanesque Mural Painting…, p. 10.

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a permis de constater que, mis à part les chaussures et les nimbes, les personnages ont des barbes (voir description supra). Afin de renforcer son interprétation, J. Puig considère que les cinq cercles situés entre les deux groupes de six personnages et juste audessous de la mandorle portaient le monogramme du Christ et les quatre animaux de la Vision. Nous avons déjà dit dans la description qu’en réalité, il ne s’agissait pas de cercles, mais sans doute d’une tige phytomorphe qui en s’entrelaçant crée ces espaces circulaires. Les caractéristiques du dessin, les vestiges qui se devinent sur certains des écoinçons entre les cercles – eux aussi phytomorphes – et les très rares vestiges de l’intérieur de certains d’entre eux permettent de supposer que nous sommes devant un élément à caractère décoratif. Ce que l’on voit du cercle central permet d’accepter la présence d’un monogramme christique, même s’il pouvait s’agir, simplement, d’une combinaison de deux croix. Par contre, il est plus vraisemblable de supposer que, dans les quatre autres cercles, il devait y avoir, banalement, des éléments de type floral ou zoomorphe à caractère décoratif. Dès les premiers temps, quelques voix s’élèvent contre la proposition de J. Puig537. Mais il faut attendre la publication d’un article de A. Grabar pour que s’impose une nouvelle théorie538. Il identifie la scène comme une Ascension non historique et en souligne particulièrement deux éléments. En premier lieu, l’existence des tentures ouvertes aux extrémités, qu’il interprète comme le dévoilement du sacré. En second lieu, le geste des Apôtres est pour lui, à travers des parallèles coptes, le geste liturgique du silence. Dans un travail antérieur nous opposions une première objection à l’analyse de A. Grabar. L’auteur, à notre sens, ne justifiait pas l’absence de la Vierge dans cette supposée Ascension539. En vérité, on trouve des exemples de scènes de l’Ascension où la Vierge n’apparaît pas540. Nous-même acceptons maintenant qu’il s’agit d’une Ascension. Le problème réside dans le lien étroit avec le monde copte que A. Grabar avance pour cette représentation. Une des caractéristiques  H. Leclercq, sv. ‘Peinture’, col. 3003. A. Grabar, « Une fresque visigothique … ». Nous reprenons en partie ce que nous avions écrit dans C. Mancho, « Tradicions iconogràfiques i formals … », p. 427. 539   Voir les arguments de M. Guardia, « La pintura mural pre-romànica de les esglésies de Sant Pere de Terrassa… », p. 154, opposée à l’interprétation de A. Grabar. En fait, il pourrait s’agir d’une Transfiguration, où la Vierge n’est pas nécessaire et où peuvent apparaître des groupes, mais dans ce cas il faudrait justifier la présence et la disposition d’autres éléments, comme les quatre anges ou les douze personnages du registre inférieur (G. Schiller, Ikonographie des christilichen…, III, pp. 141 et suiv.). 540   Cf. G. Schiller, Ikonographie des christilichen…, III, pp. 141 et suiv. 537

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principales des Ascensions-Théophanies – ou Théophanies du Trisagion selon l’expression de F. Van der Meer – est justement la présence de la Vierge dans l’axe de la composition, que ce soit comme orante ou comme Vierge à l’Enfant, ou allaitant l’Enfant541. En réalité, la présence de la Vierge est générale dans les Ascensions orientales. L’explication de ce fait, qui ne trouve de justification dans aucun des textes canoniques ou apocryphes, est liée à l’apparition de l’iconographie de l’Ascension comme expression anti-arienne. La réunion de la Vierge et de l’Ascension équivaut à afficher les natures humaine et divine du Christ542. Curieusement, cela n’est pas aussi important dans les représentations de l’Ascension en Occident. D’abord parce qu’elles dérivent d’une iconographie dépendant des apotheosis païennes ; en second lieu parce que l’on tend à représenter l’épisode historique543. Quand la présence de papes orientaux répand la connaissance de ces Ascensions-Théophanies en Occident, leur sens original n’est pas aussi présent et, par conséquent, elles ne respectent pas autant les éléments de départ544. 541  F. Van der Meer, Maiestas Domini… pp. 257-260 ; Y. Christe, Les grands portails romans…, pp. 72 et suiv. 542   « Aussi diverses soient-elles dans leurs détails et leur évolution, les Ascensions coptes, syriennes ou palestiniennes ont cependant en commun deux éléments essentiels, l’un touchant à la composition, l’autre à l’iconographie. Toutes sont composées sur deux registres, le premier étant consacré à une image de la divinité, le second à la Vierge et aux témoins de la théophanie. Le Christ est toujours entouré d’une auréole lumineuse, d’un clipeus ou d’une mandorle et associé à des ‘puissances célestes’, anges ou tétramorphes. Le second registre appartient à la Vierge. Instrument de la Rédemption, elle participe, en compagnie d’apôtres, de saints ou de prophètes, à la révélation du Christ. Ce que signifient ces Ascensions triomphales, l’inscription grecque du linteau copte [d’Al-Moâllaka] le dit clairement. Le triomphe céleste du Christ met en évidence l’intégrité de sa nature divine, la Vierge étant la preuve de la réalité de l’Incarnation. La place d’honneur qui lui est accordée procède peut-être des décisions du concile d’Éphèse où avait triomphé, il est vrai par un coup de force, Cyrille d’Alexandrie et avec lui l’école théologique de sa métropole. Les Ascensions orientales définissaient les principes et la foi orthodoxe et, dès lors, l’on comprend leur immense succès et les applications monumentales souvent grandioses qu’elles suscitèrent durant plus de huit siècles. » – c’est nous qui soulignons – (Y. Christe, Les grands portails romans…, p. 78). Sur la possible représentation la plus ancienne du thème en Égypte, base de ce raisonnement, voir Marina Sacopoulo, « Le linteau copte dit d’Al-Moâllaka », Cahiers Archéologiques, IX (1957), pp. 99-115 (et aussi Age of Spirituality…, p. 502, nº 451). 543   Voir G. Schiller, Ikonographie des christilichen…, III, pp. 141 et suiv. ; V. M. Schmidt, ‘Ascensione’. 544   Bien que, comme le reconnaissent les auteurs (Y. Christe, Les grands portails romans…, pp. 79 et suiv., 83 et suiv. ou V. M. Schmidt, ‘Ascensione’, p. 574, par exemple), le passage de l’iconographie orientale à l’iconographie occidentale ne soit pas claire, il faut supposer que la forte influence des papes orientaux à Rome pendant les VIIe et VIIIe siècles a dû jouer un rôle important, sans ignorer des facteurs comme la circulation des pèlerins (v. C. Belting-Ihm, «  Theophanic Images of Divine Majesty …  », p. 51). Certains éléments

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Si nous reprenons la révision de la proposition de A. Grabar, il faut souligner que l’auteur oublie aussi un autre élément important dans les images coptes et absent de Saint-Michel de Terrassa : la présence du Tétramorphe545. Étant donné le caractère hybride et synthétique des Ascensions coptes, le Christ ascendant est en réalité le Christ du Second Avènement. C’est pour cette raison que non seulement il apparaît trônant, tenant le livre et bénissant, mais aussi que figurent autour de la mandorle les quatre animaux de la Vision d’Ézéchiel546. C’est la même chose que nous trouvons sur l’Ascension du fol. 13b de l’Évangéliaire de Rabula (Florence, Bibl. Laurenziana, cod. Plut. I, 56 ; nord de la Mésopotamie, 586). En revanche, ils n’apparaissent pas dans les représentations conservées sur les ampullæ de Terre Sainte qui reflètent sans doute des compositions sorties des ateliers constantinopolitains547. Un exemple très proche de celui des ampullæ, l’Ascension de Saint-Clément à Rome, ne montre pas non plus les animaux apocalyptiques548. Aucun des auteurs qui jusqu’à présent avaient parlé de la décoration de Saint-Michel de Terrassa ne pouvait connaître la nouveauté de la récente restauration. Nous voulons évoquer bien sûr la présence du soleil et de la lune entre les anges qui soutiennent la mandorle. Sans doute J. Puig i Cadafalch – et peut-être aussi A. Grabar – aurait considéré que cela était un élément renforçant la supposée origine orientale de l’image de Terrassa. Il est vrai que les deux astres apparaissent tant dans le monde copte qu’en Syrie. En réalité, il s’agit d’un atteignent une importance inédite jusqu’alors, par exemple les mandorles. Cela conserve l’aspect de Vision aux manifestations et en éloigne le caractère historique ou d’apothéose de la tradition occidentale. Ce qui en aucune façon n’est conservé est tout l’arrière-fond théologique, parce que ce n’était pas en vérité un problème occidental. Les paroles de Grégoire le Grand sont, en ce sens, significatives. Il dit, en se rapportant à la représentation de l’Ascension : « Notre Sauveur, ainsi qu’il est écrit dans l’Évangile, ne fut pas enlevé sur un char, comme Élie, ou porté par des anges. Lui qui a tout créé, s’est élevé dans le ciel de ses propres forces. » (PL, 76, col. 126 ; d’après Y. Christe, Les grands portails romans…, p. 79). D’autre part, l’Ascension ne commence à être un sujet réellement populaire qu’à partir du XIe siècle. Pendant l’époque qui nous intéresse le plus, l’époque carolingienne, les exemples ne sont guère nombreux. Y. Christe relève ceux de Saint-Clément, Saint-Jean de Müstair et Fulda pour la peinture murale (Y. Christe, Les grands portails romans…, pp. 79 et suiv.). Tout cela rend encore plus difficile, à notre avis, le maintien de la pureté iconographique dans les exemples occidentaux. 545  C. Belting-Ihm, « Theophanic Images of Divine Majesty … », pp. 44-48 ; A. Iacobini, Visioni dipinte…, passim. 546   Éz., 1, 4-27 et 10, 1-17. 547   Sur les Ampoules v. André Grabar, Les ampoules de Terre Sainte. Monza-Bobbio, Paris, Libr. Klincksieck, 1958 ; cf. Y. Christe, Les grands portails romans…, pp. 71 et suiv. 548  J. Osborne, Early Mediaeval Wall-Paintings…, pp. 24-54.

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élément que nous pourrions faire dériver, sans guère de problèmes, de modèles romains du Bas-Empire d’où il aurait pu être repris à n’importe quel moment. Pourtant la présence de Soleil et Lune dans certaines œuvres carolingiennes simplifie notre argumentation. La reliure de Saint-Paul à Kärnthen549, de la fin du IXe ou du début du Xe siècle, constitue un exemple très proche de notre cas. Un peu antérieur, et beaucoup plus clair, est l’arc triomphal de Saint-Jean de Müstair. Ce dernier exemple montre pas moins de dix-neuf personnages disposés sur un unique registre horizontal. Le centre est présidé par le Christ dans une mandorle, soutenue par deux anges. De part et d’autre, on trouve neuf personnages : six apôtres, un ange et, touchant la mandorle, le soleil – à gauche – et la lune – à droite –550. Le soleil porte une couronne de rayons et un sceptre. Sur la lune, le sceptre est présent mais elle porte une couronne en forme de croissant de lune. La particularité est que les deux sont ailés et figurent dans des mandorles individuelles. La configuration est curieuse dans ce cas, mais il n’y a aucun doute sur la chronologie de l’ensemble et son attribution à l’époque carolingienne551. Les auteurs qui nous ont précédé ne pouvaient pas non plus savoir quel était exactement le geste des douze personnages du registre inférieur. Maintenant on voit clairement qu’ils ne se couvrent pas la bouche, ou qu’ils ne placent pas leur main devant leur bouche, mais qu’ils se contentent de poser leur joue dans leur main, geste que nous connaissons par une infinité de représentations. Pourtant, même si ce geste n’était pas clair du tout, cela ne justifie aucunement l’interprétation de A. Grabar, qui fut si rapidement acceptée. Selon A. Grabar, les douze personnages se tiennent tous un genou par terre, une main sur la bouche et l’autre ouverte en attitude de prière. La première chose qu’il faut considérer pour comprendre certaines de ses confusions quand il interprète la scène, est que sa description s’appuie, probablement, sur celle réalisée par J. Puig i Cadafalch552. A. Grabar considère et propose que la curieuse position décrite n’est autre qu’une addition de gestes liturgiques ayant pour origine l’Égypte copte, parfaitement réglés et ayant une forte tradition. L’intention de

 Adolph Goldschmidt, Die Elfenbeinskulpture : aus der Zeit der karolingischen und sächsischen Kaiser, Berlin, Deutscher Verl. für Kunstwissenschaft/Oxford, Cassirer, 1969-1975, en part. II, pp. 50 et suiv., fig. 90. 550   Cf. Wandgemälde…, pp. 20 et suiv. 551   Cf. C. Davis-Weyer, « Müstair, Milano e l’Italia carolingia »…, passim. 552  J. Puig., « Les pintures del segle VIe de la catedral d’Egara (Terrassa)… », p. 100. 549

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cette gestuelle était d’empêcher l’entrée du malin par la bouche pendant que l’on chantait les psaumes553. La première objection vient à propos de l’interprétation erronée du geste. En fait, nous pouvons supposer que A. Grabar ne connaît pas directement les peintures de Terrassa. Sinon, comment expliquer que, se fiant à la description de J. Puig i Cadafalch, il affirme que d’un côté et de l’autre le geste des personnages est le même ? En réalité, ce que nous avons d’un côté et de l’autre est un geste symétrique554. À notre avis, cette symétrie est l’argument le plus important pour écarter toute idée de représentation d’un geste justifié par la liturgie. Car la main avec laquelle les fidèles se signent ou celle avec laquelle le prêtre bénit ou oint n’est pas indifférente, donc on peut supposer que la façon de faire le geste liturgique du silence pour la lecture des psaumes n’est pas indifférente non plus. On peut toujours argumenter que cette symétrie a exclusivement une justification dans la composition, mais cela indiquerait en tout cas que le geste, bien qu’il puisse avoir indirectement les origines éloignées qui lui sont attribuées, n’est pas compris par le concepteur du programme décoratif, ni par ses réalisateurs ni, encore moins, par ses destinataires, c’est-àdire les fidèles. En soi, cela équivaut à reconnaître que dans notre contexte il n’a pas le sens que A. Grabar lui attribue555. Nous pouvons aller plus loin et mettre en doute son interprétation sur la position des jambes. À notre avis, les douze personnages de  A. Grabar, « Une fresque visigothique … », pp. 587-588.   C’est-à-dire que les six personnages de gauche soutiennent de leur main droite le coude de leur bras gauche, et avec la main gauche ils soutiennent leur joue ; les six personnages de droite, par contre, soutiennent de leur main gauche le coude du bras droit et de la main droite leur joue. Les six personnages d’un côté sont l’image inversée, comme dans un miroir, de ceux de l’autre côté. Cette manière de procéder dans les représentations de l’Ascension n’est pas unique, nous en avons un exemple spectaculaire à S. Clemente. Malheureusement, même les études les plus récentes ont répété l’erreur dans la description et la persistance à voir un même geste d’un côté et de l’autre du mur. Voir par exemple le rapport de la première phase de restaurations des peintures de Saint-Michel (cf. Arcor, Sant Miquel de Terrassa…, 2001, p. 2). 555   Avant de connaître la véritable forme du geste, nous avions joué d’une autre interprétation qui maintenant a perdu une partie de son sens. Au cas où le geste, comme nous en avions émis l’hypothèse, aurait été de mettre la main devant la bouche, nous considérions que “l’erreur” de A. Grabar était de s’être orienté exclusivement vers des sources à caractère religieux pour identifier le geste. En réalité, on trouve un geste très similaire sur les manuscrits profanes d’origine païenne. Nous conservons diverses copies, cinq antérieures au XIIIe siècle, de manuscrits réunissant les œuvres théâtrales de Térence, dont trois appartiennent au IXe siècle (voir L. W. Jones, C. R. Morey, The Miniatures of the Manuscripts of Terence, prior to the Thirteenth Century, I. Plates, Princeton, Princeton Univ. Press, 1930). À quatre occasions au moins nous y trouvons le même geste que celui que nous avions vu à Saint-Michel (cf. C. Mancho, « Tradicions iconogràfiques i formals … », p. 427). 553 554

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Saint-Michel sont assis et non agenouillés. Sans doute la forme finale qu’adopte la représentation est conditionnée par la rapidité avec laquelle l’auteur a exécuté le décor et par la nécessité d’adapter une scène excessivement grande à ce cadre, adaptation qui comme nous le verrons affecte la disposition des deux niveaux, et qui se perçoit aussi dans la maladroite superposition des pieds des apôtres. Au sujet de la position, il n’est guère fréquent de trouver des personnages agenouillés devant le Christ – hormis les donateurs et certains des miraculés. Pourtant, dans certains cas, comme dans des scènes d’apparition du Christ aux disciples, ceux-ci apparaissent agenouillés. Précisément, G. Schiller relève un exemple de peinture sur panneau de la seconde moitié du XIIe siècle, conservée à Pise (Museo Civico) où le centre est présidé par le Christ et de chaque côté deux groupes de six et cinq disciples sont agenouillés, leurs mains en action de grâce. Cette scène se situe dans le contexte de Ac. 1, 3. Cet épisode nous aide à identifier les personnages du second niveau de Saint-Michel de Terrassa. Jusqu’à présent, nous avons utilisé la périphrase «les douze personnages», mais sans doute sommes-nous devant les Apôtres. De la même façon que la restauration nous a offert une plus grande certitude pour affirmer que nous sommes devant une Ascension, de même elle nous conforte pour avancer que nous sommes devant les Apôtres. Il est maintenant évident que les personnages sont douze, qu’ils portent la tunique et le pallium, qu’ils arborent un nimbe et apparaissent barbus. Le caractère antiquisant de la représentation des «douze» est souligné par le fait que, comme aux origines, ils apparaissent même chaussées de solea. Nous nous trouvons donc devant les Apôtres. Il faut remarquer ce fait parce que nous venons d’établir une comparaison entre ce que nous avons à Terrassa et l’Apparition du Christ aux disciples. Comme nous l’avons vu sur la croix de Pise, les personnages qui assistent à l’apparition sont onze et non douze. Car, avec la trahison et le suicide de Judas, le collège apostolique est momentanément réduit à onze membres. Bien que ce problème soit rapidement résolu, exactement dans Ac., 1, 15, l’Ascension du Christ est antérieure, plus précisément dans Ac. 1, 6. Pourtant l’épisode est assez inhabituel pour que l’iconographie soit très variable. Observons les exemples les plus anciens réunis par G. Schiller556. Comme toujours pour le monde occidental, les portes de Sainte-Sabine (Rome, 432) constituent la

 G. Schiller, Ikonographie des christilichen…, III, fig. 438 et suiv.

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première référence iconographique557. Un des panneaux nous montre le Christ avec un nimbe crucifère et un geste d’adlocutio devant un groupe de trois disciples558. La scène se situe dans un intérieur comme l’indique le mur de pierres taillées du fond. De cet exemple du Ve siècle, nous passons à un autre du IXe siècle. À partir de cette époque, une typologie semble s’imposer, avec le Christ au centre flanqué par deux groupes. Un reliquaire d’argent conservé au Vatican (ca. 820) montre la scène derrière un mur avec des portes559. Ici nous trouvons le Christ, au centre, faisant le geste de bénir avec sa main droite et un rouleau dans la gauche, flanqué de neuf ou dix disciples à droite et trois disciples et la Vierge à gauche. Le détail du mur avec les portes n’est pas anodin car il permet de relier la scène directement aux Évangiles560 et non aux Actes des Apôtres. Un détail curieux est sans doute la présence de la Vierge qui, dans les scènes que nous connaissons, n’apparaît pas habituellement. Dans certains cas, l’attribution de la scène au récit évangélique de Jean est claire. Dans le cas de l’Évangéliaire d’Otton III561 nous trouvons dans un même registre, l’un à la suite de l’autre, l’Apparition du Christ aux disciples et les doutes de Thomas562. Dans ce cas, la représentation est assez fidèle pour ne représenter que dix apôtres lors de l’apparition. D’après le texte, Thomas était absent. Il n’apparaît que dans la scène suivante, seul avec le Christ. Nous trouvons un autre exemple intéressant, d’une datation plus avancée563. Il s’agit d’un des reliefs sur ivoire de Salerne de la seconde moitié du XIe siècle. L’image du Christ apparaissant aux disciples semble s’être fixée avec cinq disciples d’un côté et six de l’autre, le Christ au centre debout et bénissant à la grecque avec la main droite564. 557   On trouvera une étude complète de l’iconographie des portes de bois de Sainte Sabine dans Sahoko Tsuji, « Les portes de Sainte-Sabine, particularités de l’iconographie de l’ascension », Cahiers Archéologiques, XIII (1962), pp. 13-28. 558  G. Schiller, Ikonographie des christilichen…, III, fig. 320. 559   Ibidem, III, fig. 321. 560   L’épisode des apparitions aux disciples se trouve, mis à part les Actes des Apôtres (Ac. 1, 1-5), à la fin des évangiles de Marc (16, 14-18), Luc (24, 36-49) et Jean (20, 19). Ce dernier est le seul à relever le détail des portes et même la disposition de la scène : Cum ergo sero esset die illo, una sabbatorum, et fores essent clausae, ubi erant discipuli congregati propter metum Iudaeorum : venit Iesus, et stetit in medio…. 561  G. Schiller, Ikonographie des christilichen…, III, fig. 324. 562   Jn. 20, 19-25 et 26-30. 563  G. Schiller, Ikonographie des christilichen…, III, fig. 323. 564   Dans la représentation de cet épisode sur la situle Basilewsky (G. Schiller, Ikonographie des christilichen…, III, fig. 325), conservée à Londres, et datée ca 980, on trouve aussi cinq disciples d’un côté et six de l’autre. Dans ce cas, en outre, la scène a lieu, à nouveau, comme sur la pièce du Vatican, dans un intérieur qui dans ce cas est figuré par une muraille qui

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Bien qu’il s’agisse d’une pièce du XIe siècle déjà, il est intéressant pour nous de noter que les disciples apparaissent avec les jambes fléchies et inclinés en avant, dans un geste évident de proskynesis. Plus intéressant encore, pour notre image de Terrassa, est la représentation de l’épisode sur un Évangéliaire provenant de Reichenau (?) du premier quart du IXe siècle (Munich, Bayerische Staatsbibliothek, Cod. lat. 23631, fol. 197 r). L’image est incluse dans une croix qui occupe tout le folio. Dans la partie supérieure du montant vertical deux personnages portant tunique et pallium parlent ensemble ; sans doute sommes nous devant la représentation des deux disciples d’Emmaüs565. Toute la longueur de la branche horizontale montre : à l’extrême gauche un personnage avec tunique et pallium assis sur une chaise pliante avec dossier, il a les jambes fléchies et avec la main droite il soutient le coude de son bras gauche, sa main gauche tenue à hauteur de sa joue ; à l’extrémité opposée le personnage du Christ, en tunique et pallium de couleur foncée, nimbé, tend la main vers ce personnage et vers le groupe central ; l’espace entre ces deux personnages est occupé par une muraille, délimitée par deux constructions, dans laquelle dix personnages sont assis, certains regardant vers le disciple de l’extrême gauche, d’autres vers le Christ. Il ne fait pas de doute que nous sommes à nouveau devant la représentation de l’apparition du Christ aux disciples, selon le récit de saint Jean566. Dans la partie inférieure du montant vertical figure la représentation des doutes de Thomas567. Divers éléments de ces représentations permettent d’établir un rapprochement avec celle de Terrassa. Comme nous l’avons vu, dans les différents exemples de l’Apparition aux Disciples, ceux-ci peuvent varier en nombre ; bien que rapidement ils se fixent à onze, on peut en trouver trois – Sainte-Sabine –, dix – Évangéliaire d’Otton III –, onze ou douze et la Vierge – reliquaire du Vatican. Mais surtout ils varient dans leur position, nous les trouvons : debout – Sainte-Sabine, Évangéliaire d’Otton III, situle Basilewsky –, avec la tête inclinée – reliquaire du Vatican –, agenouillés – croix de Pise –, en proskynesis – ivoire de Salerne – ou assis – Évangéliaire de Reichenau. Bien que dans certain cas apparaisse la Vierge – reliquaire du Vatican –, sa entoure tout le groupe et des toitures au fond. Pour les ivoires de Salerne, voir Robert Paul Bergman, The Salerno Ivories. Ars Sacra from Medieval Amalfi, Cambridge (Massachussets)Londres, Harvard Univ. Press, 1980. 565   Mc. 16, 12-13 ; Lc. 24, 13-35. 566   Jn. 20, 19-23. 567   Jn. 20, 24-29.

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présence est inusitée. Dans le cas de l’Évangéliaire de Reichenau, deux éléments peuvent être intéressants à comparer à Terrassa. En premier lieu, les Apôtres sont assis et l’un d’eux avec le même geste que celui de Terrassa. En second lieu, les Apôtres sont encadrés par une construction disposée symétriquement. Nous affirmions que, sans doute, A. Grabar n’a pas compris quelle était la position des douze Apôtres de la partie inférieure de SaintMichel. Nous sommes de plus en plus convaincus qu’ils sont assis et non pas agenouillés ou debout. C’est ainsi qu’ils apparaissent souvent dans les scènes d’enseignement. En réalité, ce qui est copié ici est le modèle des sept sages que nous trouvons dans les mosaïques romaines. Sur la copie du De materia medica connu sous le nom de Dioscuride de Vienne (Vienne, Österreichische Nationalbibliothek, cod. med. gr. 1. Constantinople, av. 512), les fol. 2 et 3 montrent respectivement un groupe de sept médecins et un de sept apothicaires568. Les représentations sont, en réalité, les portraits des auteurs des différents traités réunis dans le manuscrit. La représentation peut rappeler les scènes postérieures d’enseignement dans lesquelles le Christ est assis parmi les Apôtres. Un bon exemple de cette iconographie se trouve sur le sarcophage de saint Ambroise à Milan. Il est très difficile, pour ne pas dire impossible, de définir sur quoi sont assis les Apôtres, et pourtant il est évident que la position des jambes ou les repose-pied font référence à cette position assise. Cette difficulté à connaître leur position est plus manifeste encore sur certaines peintures des catacombes. Dans la catacombe de Domitilla, par exemple, un des arcosolia montre la même scène du Christ parmi les Apôtres ; mais ici, le caractère bidimensionnel de la représentation, joint à la compression de l’espace, complique encore davantage la définition du cadre dans lequel elle prend place. Les jambes des Apôtres se superposent et leur flexion pourrait même faire penser qu’ils sont agenouillés. L’architecture d’encadrement est une autre question. Il est évident qu’à Terrassa nous n’avons aucun détail qui fasse penser à une construction. Mais il y a pourtant un objet qui a souvent attiré l’attention. Nous voulons bien entendu parler des tentures. La seule étude qui en donne une explication plausible est, une fois de plus, celle de A. Grabar569. D’après l’auteur, qui suit la filiation orientale, le motif a une ascendance copte claire et doit être expliqué comme la référence au dévoilement d’un mystère, c’est-à-dire que le Christ se manifeste   Age of Spirituality…, p. 205-206  A. Grabar, « Une fresque visigothique … », pp. 583-584.

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dans son Ascension et, pour rendre évident le caractère surnaturel, et jusqu’alors caché, de son caractère divin, on représente des rideaux ouverts. Un des meilleurs exemples de l’emploi de ces tentures pour la Révélation se trouve, justement, sur la pièce la plus ancienne représentant l’Ascension, qui, en outre, est de provenance copte : le linteau d’Al-Moâllaka, qui montre deux anges soutenant la mandorle entre deux rideaux ouverts. Au-delà de ces deux rideaux, les Apôtres et la Vierge sont disposés de part et d’autre. L’auteur livre d’intéressants commentaires à propos de cette tenture. Les rideaux forment un accessoire distinctif du répertoire copte, surtout de la sculpture. Tantôt ils gardent une fonction réaliste et purement décorative, tantôt, comme dans notre linteau, ils prennent une valeur symbolique, celle des nuées dérobant la divinité aux yeux des apôtres (Ac., 1, 9-11). Grâce à ce subterfuge naïf, ils sauvegardent dans une composition à plan unique horizontal la majesté divine qui, dans l’iconographie hellénistique du thème sur deux plans superposés, éclate plus manifestement par l’élévation verticale du Christ. La conception du plan unique adoptée dans la boiserie copte s’appliquera également aux Transfigurations d’Orient et d’Occident […] La présence du rideau dans l’iconographie chrétienne pourrait donc bien être un héritage de l’Égypte païenne dépouillé, en Occident dès son emprunt dans le plus haut Moyen Âge et chez les Coptes même après la conquête arabe, de toute signification symbolique. 570 – c’est nous qui soulignons.

Il est intéressant que M. Sacopoulo considère que la présence de tentures peut avoir une fonction concrète ou être un simple élément décoratif. Mais il y a d’autres éléments intéressants. Le premier est qu’elle pense que la présence en Occident de ces tentures pourrait être un emprunt au monde égyptien, païen, à travers le monde copte « dépouillé de toute signification symbolique ». Le second se rapporte à la considération que la tenture peut être le «subterfuge» pour représenter la séparation entre deux niveaux – le Christ ascendant et les disciples – sur une pièce – le linteau – qui ne permet pas la séparation physique de ces deux niveaux. À partir de ces considérations, nous pourrions penser que les tentures de Saint-Michel de Terrassa ont une fonction purement décorative. Il est évident que dans ces peintures les rideaux n’encadrent pas la vision divine mais les éléments «terrestres» de la composition. Quoi qu’il en soit, étant donné que l’interprétation de A. Grabar ne nous paraît pas hors de propos pour ce motif, la présence de rideaux peut avoir ou non des connotations spéciales se rapportant à la vision des  M. Sacopoulo, « Le linteau copte dit d’Al-Moâllaka », pp. 106-107.

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Apôtres. Le second aspect nous paraît cependant plus intéressant. À Terrassa nous ne sommes pas devant un linteau, bien sûr, mais devant une voûte d’abside. L’espace disponible y est beaucoup plus large, mais aussi beaucoup plus irrégulier. Souvenons-nous aussi que d’après Christe il n’existe pas de tradition de décor des absides avec l’Ascension jusqu’au début du XIe siècle. Il ne trouve que les exemples de Saint-Clément, Müstair et Fulda à l’époque carolingienne. Donc nous sommes dans un moment sans tradition et sur un format très spécial. Lors de la description nous avons vu, comme un détail curieux, que le fond de la voûte avec le Christ dans la mandorle et les anges la soutenant est identique au sol sur lequel se tiennent les Apôtres. Nous avons souligné aussi que la suite des Apôtres est tranchée de manière abrupte par une ligne verticale qui sépare ces personnages de l’espace central avec les cinq cercles. On remarque aussi que l’espace occupé par ces cinq cercles n’a aucun fond décoratif, ou que, s’il en a eu, il n’avait rien à voir avec celui de la voûte et du sol des Apôtres. Maintenant s’ajoute la présence de ces tentures dans un espace qui, s’il s’agissait d’une référence à la divinité dévoilée, ne serait pas le bon. Nous pensons de plus en plus que le modèle dont sont partis les décorateurs de Saint-Michel de Terrassa était un modèle complètement horizontal. El-Moâllaka avec sa scène de l’Ascension est un bon parallèle, du IVe ou Ve siècle et d’origine copte, mais il n’est pas nécessaire d’aller aussi loin ni dans le temps, ni dans l’espace. Nous avons parlé des scènes d’enseignement et elles sont, normalement, toutes horizontales. Nous pouvons donner aussi bien pour exemple le sarcophage de Milan, que les peintures de la catacombe de Domitilla (Rome) ou la voûte de l’abside de Sainte-Pudentienne (Rome, Ve siècle). Nous pourrions penser que les parallèles n’existent qu’à l’époque tardo-antique  ? M. Sacopoulo mentionne, au moins, deux exemples de la ville de Rome : les Saints-Nérée-et-Achilée et l’oratoire de Saint-Zénon à Sainte-Praxède, respectivement œuvres de la fin du VIIIe siècle et du début du IXe. Il est vrai que ces deux exemples montrent l’épisode de la Transfiguration, mais le type de la composition s’apparente avec celui de l’Ascension. En peinture, nous retrouvons le schéma de la décoration déjà citée de Müstair. Si nous allons jusqu’au XIe siècle, nous arrivons au linteau de Saint-Génis-des-Fontaines (Roussillon  ; 1020) et nous retrouvons l’Ascension sur un registre horizontal. Partant d’un modèle horizontal, l’auteur des fresques s’est vu obligé de disloquer la position des différents éléments afin de les replacer dans le cadre de l’abside. Ainsi le Christ dans la mandorle 380

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passe dans la voûte, soutenu par les anges, alors que les Apôtres restent dans le registre inférieur. L’ancienne position occupée par le Christ est rappelée par le fait que les Apôtres regardent vers les cercles et non vers le personnage en majesté. L’espace vide est occupé par un élément décoratif en forme de tige qui s’enroule en créant cinq cercles dont celui du centre contient le chrisme. Il semble évident que cet espace est resté vide par le déplacement d’un élément principal, parce que cet élément principal a même «emporté avec lui» le fond décoratif. Ainsi les cercles rompent l’unité manifeste conservée dans le fond de chacun des éléments originaux qui forment la composition. Quant aux rideaux, soit ils sont restés à leur emplacement d’origine, soit ils ont été déplacés aux extrémités du registre des Apôtres, étant donné qu’ils avaient déjà perdu leur fonction au centre. Les fonds, quant à eux, sont identiques, mais dans le cas des Apôtres, on ajoute une division entre la terre et le ciel, qui facilite la séparation entre les personnages situés dans la sphère terrestre et ceux placés dans la sphère divine.

Emmanuel Cette lecture iconographique devait être nuancée par l’ensemble d’inscriptions qui accompagnait la décoration, et dont, comme nous l’avons dit, il ne reste que des vestiges. En fait, la seule inscription que nous pouvons reconstituer est celle qui apparaît sur le nimbe du Christ : Em(m)anu(el). Mais l’information contenue dans ce simple nom est suffisamment importante pour conditionner la lecture de la décoration et nous oserions même dire la datation. Comme on le sait, ce nom d’Emmanuel apparaît pour la première fois dans la prophétie d’Isaïe sur le Messie. Selon le prophète : Propter hoc dabit Dominus ipse vobis signum : Ecce virgo concipiet, et pariet filium. Et vocabitur nomen eius Emmanuel571.

Le sens de ce nom n’est pleinement dévoilé que quand nous parvenons à l’évangile de Mathieu : Ecce virgo in utero habebit, et pariet filium : et vocabunt nomen eius Emmanuel, quod est interpretatum Nobiscum Deus.”572 – c’est nous qui soulignons.   Is. 7, 14, cf. Is. 8, 8-10.   Mt. 1, 23.

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Ainsi le nom s’applique au Christ qui est le fils d’une femme vierge et de Dieu. C’est là un des mystères fondamentaux du christianisme, devenu dogme de la foi et source de scissions et d’hérésies. L’iconographie de l’Ascension apparaît, en partie, pour faire face à certaines de ces hérésies, précisément les doctrines orientales qui mettaient en doute la double nature du Christ, dont la principale était l’Arianisme. C’est ce que l’on peut vérifier dans la configuration des ascensions «orientales» : À l’inverse des Ascensions ‘hellénistiques’ dont le but est de décrire l’apothéose du Christ-vainqueur au Mont des Oliviers, les Ascensions ‘orientales’ traduisent son retour et sa révélation surnaturelle. Conçues comme des théophanies sans voile, elles font l’objet d’une imagerie ‘synthétique’ servant à affirmer, facie ad faciem, les conclusions des grands conciles œcuméniques, Nicée (325), Éphèse (431), Chalcédoine (453) et Constantinople (381 et 553).573

c’est-à-dire la condamnation de l’arianisme, du demi-arianisme, du nestorianisme et des monophysites, et l’affirmation de la double nature du Christ et du rôle de la Vierge comme Theotokos. C’est ce que nous voyons sur des œuvres comme le linteau d’Al-Moâllaka ou l’Évangéliaire de Rabula. L’importance de la signification du mot Emmanuel comme dépositaire des deux natures du Christ, ainsi que de la portée de sa définition et de son application correctes, explique qu’il soit très utilisé par les différents commentateurs chrétiens. Faire une liste de toutes les occurrences dans lesquelles le mot est utilisé n’aurait guère de sens. Bien entendu, la plupart des références ont un rapport avec la conception de la Vierge et sont regroupés dans les commentaires des livres d’Isaïe et spécialement de Matthieu574. Par ailleurs, l’édition électronique de ces textes facilite notablement une consultation de cette nature575. Pour une bonne part, ces références sont consacrées juste Y. Christe, Les grands portails romans…, p. 67.   C’est ce que nous trouvons, par exemple, dans les textes de Cassiodore, Expositio Psalmorum, Library of Latin Texts, Turnhout, Brepols Publishers, 2002- (edició electrònica de la col·lecció Corpus Christianorum, http ://www.brepolis.net/login/overview.cfm), II, cl. 866, sl. 98, ps. 118, l. 2392 ; Paschasius Radbertus, De assumptione sanctæ Maria uirginis, Library of Latin Texts, III, l. 421, 530 et 640 ; Expositio in Matheo. Libri XII, Library of Latin Texts, III, Cm. 56, liv. I, l. 3043 ; cm. 56b, liv. XII, l. 5354 et 5510 ; ou Sedulius Scottus, In euangelium Matthaei, Library of Latin Texts, III, vol. 1, liv. 1, chap. 1, vers 23, p. 55, l. 15, 18 et 24 ; p. 56, l. 27 et 35. 575  Voir Library of Latin Texts, passim ; PL, passim. Cependant nous voulons remercier pour son aide la Pr. C. Treffort du CÉSCM de Poitiers pour la recherche de ces références, et 573 574

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ment à clarifier le caractère humain et divin qui se trouvent réunis dans le personnage du Christ. Isidore († 636) dit par exemple : Multis etiam modis Christus appellari in scripturis invenitur divinis. Nam ipse Dei Patris Vnigenitus filius, dum esset æqualis Patri, propter salutem nostram formam servi accepit. Proinde quædam nomina in illo ex divinitatis substantia, quædam ex dispensatione susceptæ humanitatis adsumpta sunt. […] Emmanuel ex Hebræo in Latinum significat ‘nobiscum Deus’, scilicet quia per Virginem natus Deus hominibus in carne mortali apparuit, ut terrenis viam salutis ad cælum aperiret576.

Cette citation d’Isidore de Séville nous permet de rappeler qu’il y a deux grandes époques pendant lesquelles la nature du Christ fut mise en question. En Orient, nous l’avons vu, pendant les IVe-VIe siècles avec les doctrines citées ci-dessus, parmi lesquelles nous soulignerons l’arianisme. En Occident, pendant les VIIIe-IXe siècles avec l’adoptianisme. Pour l’arianisme, rappelons qu’il s’installe dans la Péninsule avec les Wisigoths jusqu’au troisième concile de Tolède (589), date à laquelle la cour et le clergé wisigoth y renoncent577. Quand Isidore commence à intervenir dans la politique wisigothe, il y a déjà une vingtaine d’années que l’arianisme a cessé d’être la religion officielle. La situation des VIIIe-IXe siècles paraît plus intéressante. Il n’est pas dans notre intention de faire une étude de la question adoptianiste, qui par ailleurs a été faite il y a bon nombre d’années578. Le conflit naît de la profession de foi que rédige l’évêque Élipand de d’autres encore, à Emmanuel dans les auteurs chrétiens. [Après la découverte des inscriptions à Saint-Michel, nous lui avons demandé de les examiner pour savoir s’il y avait une possibilité de dater les peintures à partir de l’analyse épigraphique. Selon C. Treffort, et avec toute la prudence nécessaire d’une première approximation, dans l’inscription il n’y a pas d’éléments déterminants nous permettant de trancher entre le VIe et le IXe siècle. Nous voulons remercier à nouveau C. Treffort pour son aide.] 576  Isidore, Etym., VII, 2, 1 et 10 : « Dans les Saintes Écritures le Christ est appelé de nombreuses façons. Ainsi il est appelé Fils Unique de Dieu le Père parce que, étant égal au Père, il a pris la forme de l’esclave pour notre salut. C’est pour cette raison que certains de ses noms ont comme origine sa substance divine, alors que d’autres sont en rapport avec l’humanité qu’il a assumée. […] Le mot hébreu ‘Immanu’el signifie en latin «Dieu avec nous», ainsi qu’il arriva quand, né d’une Vierge, Dieu apparut aux hommes en sa chair mortelle pour leur ouvrir sur terre le chemin du salut qui mène au Ciel. ». 577   L. Á. García, « Las invasiones y la época visigoda… », pp. 321 et suiv. ; Teodoro González, « La iglesia desde la conversión de Recaredo hasta la invasión árabe », Historia de la Iglesia en España, I. La Iglesia en la España romana y visigoda (siglos I-VIII), (dir.) Ricardo García Villoslada, Madrid, BAC, 1979 (coll. BAC Maior, 16), pp. 401 et suiv. 578   Voir R. d’Abadal, La batalla del Adopcionismo….

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Tolède pour le concile de Séville (784), contre une interprétation hérétique de la nature du Christ que propage Migence en Bétique. L’écrit remplit sa fonction envers la doctrine de Migence, mais fut à son tour considéré comme hérétique par Béatus, moine de Liébana, et Hétérius, évêque d’Osma. Le problème était qu’Élipand, afin d’expliquer l’essence du Christ, considère qu’il est humain de naissance et divin par adoption de Dieu. En réalité, il s’agit d’une version des anciennes thèses du nestorianisme579. La crise survient quand Élipand demande son aide à Félix, évêque d’Urgell, et celui-ci devient le principal impulseur et défenseur de la doctrine. Nous avons vu les conséquences qu’a eues pour Félix la défense de l’hérésie (voir supra). Nous n’insisterons pas sur ce sujet. Mais, avec l’entrée en scène de Félix, l’hérésie s’installe dans le royaume de Charlemagne. La question était périlleuse parce qu’elle aurait pu provoquer des mouvements schismatiques et parce que le prestige et la culture de Félix d’Urgell favorisait la propagation de l’hérésie dans un royaume qui aspirait à l’homogénéisation des rites dans son territoire580. Une fois présentés ces deux moments, nous devons nous demander quelle répercussion ils ont pu avoir dans l’iconographie. Après un rappel des caractères de l’Ascension depuis son apparition, Christe arrive à la conclusion que dans les représentations orientales – c’està-dire coptes, syriaques ou palestiniennes – « Le triomphe céleste du Christ met en évidence l’intégrité de sa nature divine, la Vierge étant la preuve de la réalité de l’Incarnation. », et que, de cette façon, elles « définissaient les principes et la foi orthodoxe »581. Sur la défense de l’orthodoxie en Occident, nous ignorons si dans la Péninsule il y eut des images de l’Ascension à l’époque wisigothique. Ce que nous en connaissons ne permet pas de le dire (voir supra). Pourtant Y. Christe considère que l’Occident est resté en marge de ce qu’il appelle l’Ascension Triomphale, jusqu’au IXe siècle où nous trouvons les exemples déjà cités de Saint-Clément, Müstair et Fulda582.

579   Selon cette doctrine, née au milieu du Ve siècle à partir de l’interprétation de Nestorius, évêque de Constantinople, le Verbe n’était pas né avec le Christ mais s’y était incorporé postérieurement par la grâce divine. Selon cette interprétation, la Vierge pouvait être considérée Christotokos, mais pas Theotokos. L’hérésie, bien que toujours vivace, fut condamnée définitivement au IIIe concile œcuménique célébré à Éphèse en 431. 580   Ce caractère schismatique est bien souligné par le titre même de l’œuvre d’R. d’Abadal, La batalla del Adopcionismo…, sur le rôle de l’évêque Félix d’Urgell, pp. 71 et suiv. 581   Y. Christe, Les grands portails romans…, pp. 66-96. 582   Voir note 544 avec les arguments de Grégoire le Grand contre les conceptions orientales de l’Ascension.

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Le chapitre de Y. Christe a une intention très claire : trouver une base doctrinale à l’apparition et à la présence de l’iconographie de l’Ascension. Nous partageons son analyse pour le moment de l’apparition de l’iconographie en Orient. Nous acceptons son explication de la raison pour laquelle le XIe siècle est le moment le plus adéquat pour la prolifération des Ascensions Triomphantes en Occident : Un fait paraît toutefois certain : le caractère à la fois visionnaire et dogmatique des Ascensions orientales correspond assez exactement à la pensée théologique contemporaine.

Mais il n’analyse pas la «prolifération» d’Ascensions au IXe siècle. Nous avons mentionné les deux occurrences conservées – Saint-Clement et Müstair – et une connue, dans ce cas, à travers les tituli de Raban Maur. Il en manque une quatrième, celle de Saint-Michel de Terrassa. Nous avons dit (voir supra) que pour Terrassa il adopte, paradoxalement, l’analyse de A. Grabar. Il la considère ainsi d’influence copte mais la date du IXe siècle583. De manière inexplicable, il sépare Terrassa des trois autres pour lesquelles le modèle ne pose aucun problème, car il soutient en référence aux Ascensions romanes que : À l’époque carolingienne, les différentes versions étaient déjà confondues et le problème des influences, qui reste à démêler, ne présente souvent qu’un intérêt limité ne concernant pas directement l’objet même de notre étude.584

Logiquement, si nous laissons de côté l’interprétation de A. Grabar sur Saint-Michel (voir supra), cette affirmation lui est aussi applicable. Donc, si nous regroupons le cas de Terrassa avec les trois autres connus, la question reste en vigueur : pourquoi cette apparition soudaine d’Ascensions au IXe siècle ? Sans doute la réponse est-elle à chercher dans les conflits théologiques de l’Occident des VIIIe-IXe siècles, comme pour les Ascensions orientales l’origine était dans les conciles de Nicée, Éphèse, Calcédoine et Constantinople. L’explication a donc peut-être à voir avec la lutte contre l’adoptianisme. Nous avons déjà présenté cette hérésie et nous avons vu comment elle se rattache à d’autres du Ve siècle. Dans ce sens, donc, il ne s’agit  Y. Christe, Les grands portails romans…, p. 69 ; cf. A. Grabar, « Une fresque visigothique… ». 584  Y. Christe, Les grands portails romans…, p. 83. 583

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aucunement d’une nouveauté doctrinale. La nouveauté est de caractère politique et repose sur le fait qu’elle affecte de manière aiguë et exclusive l’Occident européen. C’est pourquoi il est pleinement justifié que Charlemagne lutte contre l’hérésie dans la Marca avec tous ses pouvoirs, mais aussi dans le reste de la Péninsule585. Le résultat le plus évident de cette lutte est l’intégration de l’église catalane dans les conceptions romano-franques – avec des nuances, voir supra – et l’indépendance de l’église asturienne face à Tolède. Pour les territoires de la future Catalogne l’affaire est déterminante. Ce fut sans doute le seul moment où la Marca Hispanica parvint à une importance politique de premier plan durant tout le haut Moyen Âge. Ceci explique l’intervention directe de Charlemagne ou l’engagement de quelqu’un comme Alcuin de York pour parvenir à une solution définitive. Nous avons déjà mentionné que cette action culmine avec la politique d’intervention dans les affaires religieuses de la Marca : «carolingianisation» de l’évêché d’Urgell et instauration de la règle bénédictine dans son principal monastère – Saint-Sernin de Tavèrnoles. Toute la polémique fut bien entendu exposée dans les écrits des différents auteurs qui y étaient intervenus586, mais aussi dans l’iconographie. Sur ce dernier aspect, le reflet le plus clair est sans doute l’arc triomphal des SS. Nereo e Achilleo à Rome. C’est du moins ce que pense D. Giunta. Nella convinzione personale che una seria ricerca di carattere iconografico non possa essere disgiunta dallo studio attento della situazione storica del momento in cui un’opera è concepita, ho creduto di trovare gli elementi per una corretta lettura del breve ciclo cristologico dell’arco leoniano nelle vicende dell’eresia adozionista, che per alcuni anni minacciò di dividere con un scisma l’Occidente cristiano.587

La mosaïque est le fruit de l’intervention du pape Léon III (795816), le même qui intervient dans la décoration du triclinium du Latran. L’arc triomphal, le seul conservé de la décoration de l’abside originelle de l’édifice, montre une image de l’Annonciation – à gauche –, une de la Theotokos – à droite – et est présidé par la Transfiguration – au centre. Le problème de cette décoration est qu’elle ressemble exac R. d’Abadal, La batalla del Adopcionismo…, pp. 165 et suiv.   cf. R. d’Abadal, La batalla del Adopcionismo…, passim. 587  D. Giunta, « I mosaici dell’arco absidale della basilica dei SS. Nereo e Achilleo… », p. 197. 585 586

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tement à une juxtaposition de scènes dissociées588. D’autre part, certains des thèmes sont complètement étranges. C’est le cas de la Transfiguration du Christ. Certains exemples comme la voûte de l’abside de Sainte-Catherine du Mont Sinaï (milieu du VIe siècle), l’abside de Saint-Apollinaire à Classe (Ravenne ; ca. 549) ou la chapelle de saint Zénon (Sainte-Praxède, Rome ; début du IXe siècle), confirment l’existence et les traitements différents de la scène. Ceci dit, il ne s’agit pas à l’évidence d’une scène très fréquente589. Plus inhabituel encore est que la Transfiguration fasse partie d’une composition avec l’Annonciation et la Vierge trônant avec l’Enfant. Malgré ces difficultés, il y a eu très tôt un certain accord de différents auteurs pour interpréter la réunion des trois scènes sur l’arc. R. Garrucci, G. De Rossi, P. Toesca, H. Belting ou, plus récemment, M. Andaloro, admettent tous « che le tre scene dell’arco absidale dei SS. Nereo e Achilleo vogliono esprimere un unico concetto : la natura divina del Cristo. »590. Devant cet accord, la question que se pose D. Giunta est pourquoi le pape de Rome voulait réaliser une décoration où l’on insiste de manière aussi précise sur la nature divine du Christ. Selon elle, avec l’Annonciation, l’artiste nous montre le moment de l’Incarnation – à gauche. Plus clair encore est le côté droit avec la Vierge trônant, où il est fait allusion de manière très claire au dogme de la Theotokos (concile d’Éphèse, 431), au moyen de l’exhibition de la maternité divine. Dans les deux cas, la présence d’anges souligne l’intervention divine dans les affaires terrestres. Quant à la Transfiguration, nous nous trouvons devant la révélation de la Trinité aux Apôtres. Cet épisode nous montre par ailleurs l’accomplissement de l’Ancienne Loi et l’accord avec la Nouvelle Loi 591. Tous ces éléments figurent dans la profession de foi par laquelle Félix a abjuré son erreur au synode d’Aix-la-Chapelle (juin 799)592. Le plus important en lisant D. Giunta est qu’elle situe à la fin du VIIIe siècle, quand la polémique est encore très vive, la création d’une iconographie ad hoc comme contribution du pape à la controverse. Ce n’est pas par hasard que ce soit le même pape qui commande le décor pour le triclinium du palais du Latran avec des intentions également politiques (voir supra). Justement, cette époque de création   Ibidem, p. 195.   Voir G. Schiller, Ikonographie des christilichen…, I, pp. 145 et suiv. 590   G. Matthiae, (M. Andaloro), Pittura romana del medioevo…, p. 277 ; cf. D. Giunta, « I mosaici dell’arco absidale della basilica dei SS. Nereo e Achilleo… », p. 196. 591   cf. Mt. 17, 4-6. 592   PL, XCVI, col. 881-888. 588 589

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de nouvelles iconographies avec une signification et une intention bien précises – des iconographies étranges et sans beaucoup d’exemples, mais composées à partir de thèmes et de modèles connus – est ce qui nous permet de supposer une chronologie proche pour l’exécution de l’Ascension de Terrassa – une iconographie étrange et sans beaucoup d’exemples, mais composée à partir de thèmes et de modèles connus. Ceci dit, il nous faut revenir à l’origine de cette digression : le nom d’Emmanuel sur le nimbe du Christ. En adoptant l’argumentation de D. Giunta, l’inscription de Terrassa pourrait être interprétée sur la base de ce conflit, éloigné dans le temps, mais peut-être pas autant dans l’esprit des gens. Comme nous l’avons dit, l’Ascension est, ou peut être, une affirmation des natures humaine et divine du Christ. En tout cas, à partir de l’analyse iconographique, on peut affirmer que certaines œuvres, comme le linteau d’Al-Moâllaka et d’autres, véhiculent cette intention. Nous pouvons affirmer que l’iconographie orientale de l’Ascension arrive en Occident au IXe siècle – c’est le cas de Saint-Clément – avec une même configuration, quoique avec un sens ou une intention moins précis. D’autre part, comme on l’a vu chez Isidore, le nom donné par Isaïe au Messie réaffirme sa nature divine dès la conception. Sur ce point il faut rappeler que l’adoptianisme, justement, plus que toute autre théorie sur les natures du Christ, insiste sur le fait que sa divinité n’est pas présente dès la conception, mais est un fait lié à la volonté divine. Élipand est très explicite : Celui qui fut homme parmi nous est uni en une seule personne avec le Verbe. Mais ce n’est pas par Celui qui est né de la Vierge que l’univers a été créé, mais par Celui qui est fils non par adoption mais par condition, non par grâce mais par nature. Et c’est par celui qui est à la fois fils de l’homme et fils de Dieu, fils adoptif pour l’humanité, fils non adoptif pour la divinité, que le monde a été racheté.

ou Qui ne confesse pas que Jésus-Christ est adoptif pour l’humanité et ne l’est pas pour la divinité, est hérétique et doit être exterminé.593

593   Les informations que nous avons sur les textes d’Élipand nous parviennent à travers le Apologeticum adversus Elipandum de Béatus de Liébana et d’Hétérius d’Osma (785), voir R. d’Abadal, La batalla del Adopcionismo…, pp. 52-53 ; cf. PL, 96, 894-1030.

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Contre les affirmations d’Élipand, d’abord, et de Félix, ensuite, s’élèvent tout un ensemble d’auteurs. Ainsi Béatus de Liébana et Hétérius d’Osma affirment : Et quem uirgo peperit Emmanuel, hoc est Nobis cum Deus, ipsum credamus et adoremus, quia nullus alter Deus est.

et Foris escribtus est, quum Esayas dicit : Ecce uirgo in utero accipiet et pariet filium et uocabunt nomen eius Emmanuel. – c’est nous qui soulignons.

Il pourrait s’agir de gloses d’un commentaire de Matthieu ou d’Isaïe, en réalité il s’agit de l’Aduersus Elipandum594. À son tour Alcuin de York, un des personnages de la cour carolingienne les plus impliqués dans la lutte contre l’adoptianisme écrit, Quocirca quidem ex duabus rebus indubitanter, divinitate et humanitate Emmanuel est. Verumtamen unus Dominus Jesus Christus, unusque et vere Filius, Deus simul et homo ; et non homo Deus factus sub aequalitate horum, qui per gratiam ; sed Deus potius verus in humana forma apparens propter nos.595.

Dans le Beati Alcuini contra Felicem Urgellitanum Episcopum, libri septem, l’auteur affirme, Spiritus quoque sanctus per os Isaiae prophetae praedixit sex nomina de ipso : Et vocabitur, inquit, nomen ejus Admirabilis, consiliarius, Deus, fortis, Pater futuri saeculi, princeps pacis (Isa. IX, 6). Unde et beatus Hieronymus in expositione hujus prophetiae dixit : “Et licet ex eo, quod supra dixerat, Emmanuel, id est nobiscum Deus, Deum illum esse monstraretur, tamen nunc dicit factum illius principatum super humerum ejus, vel quod crucem suam ipse portaverat, vel per humerum ostendens fortitudinem brachii”596 ;

ou bien, Parvulum hunc qui natus est, et principem pacis esse docuit, et futuri saeculi Patrem, et Deum fortem. Quis est ergo tergiversandi locus ? Separari parvulus hic qui natus est, a Deo, qui in eo natus est, non potest. Hunc enim, quem natum dixit, Patrem futuri saeculi nominavit, Deum fortem esse praedixit. De quo et in superioribus idem propheta ait : Ecce virgo concipiet, et pariet Filium, et vocabitur nomen   Aduersus Elipandum, I, 2, l. 39 et I, 113, l. 3334 (Library of Latin Texts, III)   Adversus haeresin Felicis, XV, PL, 101, col. 93 596   Beati Alcuini contra Felicem Urgellitanum Episcopum, libri septem, II, 5 (PL, CI, 150c). 594 595

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troisième partie ejus Emmanuel (Isa. VII, 14) . Evangelista Matthaeus hoc exponens ait : Quod interpretatur nobiscum Deus (Matth. I, 23) . Nam et angelus Gabriel a Deo missus ad Virginem dixit : Ecce enim concipies et paries Filium, et vocabis nomen ejus Jesum : hic enim erit magnus, et Filius Altissimi vocabitur (Luc. I, 31)597 ;

et encore, Hoc autem totum factum est, ut adimpleretur, quod dictum est per prophetam : Pariet Filium, et vocabis nomen ejus Emmanuel (Matth. I, 20-23). Et ne ignorantia esset nominis, adjunxit evangelista : quod interpretatur nobiscum Deus. Qui in Matthaeo Emmanuel dicitur, in Luca Filius Altissimi vocatur. Et ne dubium esset, quis esset Altissimus, adjunxit statim : et sanctum, quod ex te nascetur, Filius Dei vocabitur (Luc. I, 32-35). Illam ergo genealogiam, quae secundum Lucam est, Felix per adoptionem asserit ascendere, quasi omnes sint adoptivi, qui in ea numerantur, quod longe aliter esse agnoscit, qui sacras sanctae Scripturae legit historias.598 ;

et enfin : Quocirca post ineffabilem unitatem sive Deum nomines, Emmanuel incarnatum et Deum factum intelligimus ex Deo Patre Verbum : sive hominem dicas, nihilominus in mensuris humanis participatum dispensative cognoscimus : factum vero dicimus palpabilem, qui impalpabilis est ; visibilem, qui invisibilis est ; non enim fuit extraneum ei unitum ipsum corpus, quod etiam dicimus esse palpabile et visibile.599

Félix lui-même dans sa confession finale nous dit : Solus autem Christus etiam Deus vere, qui Emmanuel est600. La réunion dans une même représentation du Christ de l’Ascension et du nom d’Emmanuel mérite une explication. La connexion explicite entre l’une et l’autre ne peut être due au hasard. Nous ne sommes pas devant un titulus mais, très clairement, devant le nom qui identifie le personnage. Le nom Emmanuel dans le nimbe indique que le concepteur de la décoration utilise volontairement un des multiples noms du Christ, dans ce cas celui qui le définit plus nettement qu’au  Ibidem, II, 5, (PL, CI, 151a).   Ibid., II, 19 (PL, CI, 160). 599   Ibid., XX, 7 (PL, CI, 208). Nous ne citons que quelques-unes des références possibles à l’Emmanuel dans l’argumentation d’Alcuin, bien qu’il y en ait d’autres. Il est aussi intéressant de voir l’argumentation de Paulin d’Aquilée dans son Contra Felix (ca. 792) (PL, IC, 370 et suiv.) ou les textes de Charlemagne (PL, XCVIII, 1191 et suiv.). 600   Confessio Fidei Felicis Orgellitanae Sedis Episcopi, PL, XCVI, 886. 597 598

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cun autre comme Dieu parmi les hommes601. Si sur le nimbe on trouvait l’inscription Rex ou l’alpha et l’oméga, au lieu d’Emmanuel, l’interprétation devrait évidemment être différente. Mais dans ce cas les vestiges de l’inscription ne permettent pas d’avoir de doute. Il est évident aussi que le nom d’Emmanuel est aussi vieux que les Écritures. Par conséquent beaucoup d’auteurs chrétiens l’ont utilisé dans leurs écrits. Tout comme nous utilisons les citations de Béatus de Liébana, d’Alcuin de York ou de Paulin d’Aquilée, il suffit de lire les écrits de ces trois auteurs pour y trouver des citations de Jérôme, de Cassiodore et d’autres. On sait bien que selon les sources que l’on cite et selon la façon dont on les cite tout peut être justifié. C’est là la racine des disputes théologiques pendant le Moyen Âge. Mais il est certain qu’on sent une multiplication de l’emploi du mot Emmanuel dans les sources qui tournent autour de l’adoptianisme, et toutes, de manière très claire, en utilisent l’étymologie comme première preuve de la divinité consubstantielle à l’humanité du Christ ex utero. L’iconographie de l’Ascension connaît un fort développement à partir de la fin du Ve siècle, et Christe nous informe qu’elle atteindra un apogée à partir de la fin du XIe siècle. Mais il n’explique pas l’apparition – soudaine ? – de cette iconographie au IXe siècle. Nous pourrions penser à des faits ponctuels, mais la catégorie des endroits où nous trouvons cette iconographie sur un plan monumental – Müstair, Fulda, Saint-Clément – ne nous fait pas pencher pour cette explication. Nous ne sommes pas en train d’essayer de donner une réponse à cette question, nous nous bornons à constater la présence de l’Ascension dans certaines œuvres importantes du IXe siècle. On constate aussi que l’époque est favorable à une sorte de spéculation iconographique. Le rôle de Léon III au triclinium du Latran et à Saints-Nérée-et-Achillée, en est un bon révélateur. Ceci explique l’apparition de certains modèles iconographiques ou de compositions très originales mais réalisées à partir d’un bagage jusqu’alors commun, et d’une durée de vie très courte. En réalité, ce sont des réponses concrètes à des problèmes concrets. La réunion de ces deux éléments – l’inscription et l’iconographie – nous permet de conclure seulement qu’à Terrassa nous nous trouvons devant un phénomène similaire à ce qui se passe à Rome avec l’arc des Saints-Nérée-et-Achillée, mais à un degré différent. On utilise une iconographie peu fréquente mais connue (voir supra) qui est modifiée – en ce cas avec la ou les inscriptions – dans un but bien   Sur les multiples noms du Christ, voir, par exemple, Isidore, Etymologiarum, VII, 2.

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précis. Nous nous risquerions à dire que l’Occident chrétien ne fut pas en situation de réaliser une association de ce type avant les VIIIeIXe siècles. La seule dispute théologique qui peut justifier la composition est, sans aucun doute, l’adoptianisme. Ce raisonnement nous permet d’avancer que la décoration de Saint-Michel n’appartient pas aux VIe ou VIIe siècles. Pourtant, l’autre option de datation des peintures de Saint-Michel les situe à la fin du IXe siècle. Nous sommes donc presque un siècle après l’abjuration définitive de Félix d’Urgell. Peut-on penser, donc, à une relation si directe entre le décor de Terrassa et l’hérésie ? Sans doute pas. Par conséquent il faudra chercher ailleurs l’explication. D’après ce que nous avons expliqué plus haut, Frodoin est installé à Barcelone pour impulser la réforme romaine dans le diocèse de Barcelone. Nous l’avons vu, en marge de litiges avec le comte, affleure très tôt le mécontentement d’une partie de la communauté organisée autour d’un «anti-évêque» à Barcelone – Tyrsus – et d’une faction commandée par Baius à Terrassa, avec, aussi, un clergé rebelle. La supposition de A. M. Mundó est que, dans les deux cas, il s’agit de groupes organisés qui tentent de résister avec leur liturgie hispanique602. Il nous faudrait peut-être approfondir l’étude des relations entre l’arianisme culturel des Wisigoths et le surgissement à travers le primat de Tolède, Élipand, d’une hérésie aussi proche de l’arianisme que l’adoptianisme. Pourtant, même dans le cas où la relation entre arianisme et adoptianisme n’aurait pas été forte, il faudrait examiner le fait que la victoire sur l’adoptianisme avait été le détonateur de la victoire sur l’église hispanique et le point de départ de l’imposition du nouveau rite dans la Marca603. Ainsi nous pouvons comprendre qu’un évêque, qui arrive pour mettre en œuvre cette réforme, se sente obligé d’utiliser les moyens qui avaient conduit à la victoire contre l’adoptianisme. Prenant la partie pour le tout, il identifie l’église wisigothe et l’adoptianisme, et par conséquent les arguments deviennent les mêmes contre l’une et l’autre. Comme l’argument principal est le caractère divin du Christ homme, on rappelle au moyen de l’Ascension que, d’après Isaïe, le Christ est Emmanuel, c’est-à-dire «Dieu parmi nous».

  A. M. Mundó, « El Bisbat d’Ègara… », p. 48.  R. d’Abadal, La batalla del Adopcionismo….

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Conclusion Nous avons commencé en disant qu’il n’y avait aucun problème pour accepter que l’iconographie de Saint-Michel indique que l’on a représenté une Ascension. Au vu de notre exposé, peut-être faut-il apporter une nuance. À la différence des exemples d’Ascension que nous connaissons, Saint-Michel ne montre pas l’image de Vierge. Bien que ce ne soit pas un personnage figurant obligatoirement dans cette scène, et parfois elle n’y figure pas, sa présence est tout de même la norme. Il n’est pas non plus courant de trouver les douze Apôtres de l’Ascension dans une posture comme celle que nous voyons à Terrassa. Nous avons déjà relevé que le plus fréquent est qu’ils figurent debout et gesticulants. Par ailleurs, la présence des quatre anges soutenant la mandorle et celle du soleil et de la lune laissent peu de doute que la scène renvoie clairement à l’Ascension. Il est possible que nous soyons devant une composition hybride surgie à partir de la conjonction de deux compositions précises. Nous savons que l’épisode de l’Ascension apparaît dans les Évangiles mais est davantage développé dans les Actes des Apôtres. L’épisode de l’Apparition du Christ aux disciples, quant à lui, est raconté inversement, c’est-à-dire qu’il trouve un développement important dans les Évangiles de Marc, Luc et Jean, alors que les Actes des Apôtres n’y font qu’une allusion très ramassée. Il faut souligner toutefois un fait qui pourrait ne pas être fortuit. L’Évangile de Marc rapporte l’apparition à Marie-Madeleine, aux disciples d’Emmaüs, aux disciples à table et tout de suite après l’Ascension604. L’Évangile de Luc raconte l’apparition aux disciples d’Emmaüs, aux disciples et, enfin, l’action se transporte près de Béthanie pour l’Ascension605. Les Actes des Apôtres, en revanche, tout en faisant allusion à d’autres apparitions et signes, ne rapportent que le moment où le Christ se retrouve en train de manger parmi les disciples pendant qu’il les enseigne, et tout de suite après il s’élève606. Dans les deux cas – Mc et Ac – les faits surviennent consécutivement, mais c’est seulement dans les Actes que

  Mc. 16, 9-11, 12-13, 14-18 et 19.   Lc 24, 13-35, 36-49 et 50. 606   Et convescens, præcepit eis ab Ierosolymis ne discederent, sed exspectarent promissionem Patris, quam audistis (inquit) per os meum : quia Ioannes quidem baptizavit aqua, vos autem baptizabimini Spiritu sancto non post multos hos dies. Igitur qui convenerant, interrogabant eum […] Et cum haec dixisset, videntibus illis elevatus est : et nubes suscepit eum ab oculis eorum.… (Ac. 1, 4-7, 9). 604 605

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nous trouvons parfaitement liés l’enseignement aux Apôtres et l’Ascension. À partir de ces prémisses, nous pouvons supposer qu’à Terrassa nous avons la réunion de deux moments en un seul. Cela expliquerait la disposition des Apôtres et leur attitude attentive plus que contemplative. Leur apparence est plus proche de celle des disciples écoutant le maître assis parmi eux que de celle des disciples étonnés qui n’en reviennent pas de l’élévation aux cieux de leur maître. D’autre part, ceci expliquerait aussi la disposition du Christ triomphant, en majesté. À côté de l’interprétation de l’iconographie, nous disposons d’un corpus d’inscriptions notable mais qui ne nous permet de lire que le mot Emmanuel sur le nimbe du Christ trônant. L’interprétation de ce mot – un des noms du Christ – en relation avec l’iconographie de l’Ascension, permet de penser qu’à Saint-Michel comme à SainteMarie, nous avons une iconographie réalisée ad hoc. Dans ce cas, l’association entre Ascension et Emmanuel ne peut faire référence qu’à l’adoptianisme ou qu’à l’identification entre Église wisigothe et hérésie adoptianiste. Dans le premier cas il faudrait justifier la distance supposée entre la disparition de l’hérésie et la décoration de Terrassa ; dans le second il faudrait penser que l’évêque franc, Frodoin, utilise une série d’arguments, sans doute efficaces, contre la résistance d’une partie du clergé placé sous sa tutelle. C’est pourquoi l’iconographie insiste sur le caractère divin du personnage du Christ – Emmanuel – en association avec un épisode des Actes des Apôtres où se reflètent les essences humaine et divine du Christ. Malheureusement, nous ne pouvons connaître d’autres subtilités en relation avec l’interprétation de la scène. Nous savons aujourd’hui que toute la bordure entre la «Théophanie» et les Apôtres portait une inscription. Mais on n’en conserve pas assez de vestiges pour en dire quoi que ce soit. Quant aux modèles de cette décoration, il paraît évident que les artistes sont partis d’un schéma de registre unique qu’ils ont dû adapter. Cette adaptation consiste en la dislocation des positions du Christ et des Apôtres. Par chance nous avons des scènes présentant les caractéristiques du modèle depuis le VIe siècle –Al-Moâllaka – jusqu’au XIe siècle – Saint-Genís-des-Fontaines. Entre ces deux extrêmes, le meilleur parallèle est peut-être Saint-Jean de Müstair. Les coïncidences entre ces deux décors sont vraiment surprenantes.

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L’iconographie : conclusions L’abside de Sainte-Marie Le programme iconographique de Sainte-Marie se révèle être un programme spécial [fig. 43, pl. 7-15] . Après avoir analysé scène par scène les deux registres conservés, il se confirme que les propositions émises jusqu’à présent avaient peu à voir avec la réalité de l’ensemble. Au moment de conclure cette analyse, nous sommes de plus en plus assurés que le décor de cet édifice est d’époque carolingienne et est relié à l’évêque de Barcelone, Frodoin. Le premier registre, loin de montrer des scènes de la vie du Christ, nous montre une sélection d’images des apôtres Pierre et Paul. L’image centrale, qui est en quelque sorte celle qui préside le registre du point de vue des fidèles, offre une représentation originale de la remise des clefs à Pierre. Nous avons vu lors de l’analyse comment la typologie est curieuse, bien que le lien qui peut être établi avec la Remise des clefs sur la mosaïque perdue du triclinium léonien du palais du Latran expliquerait ces étrangetés. À gauche de cette image, nous trouvons deux scènes de plus se rapportant à saint Pierre. La plus extérieure devait montrer l’Arrestation du Christ et le geste de Pierre en défense de son maître, coupant l’oreille du serviteur d’Anne, Malchus. Entre cette image et celle de la Remise des Clefs, Pierre figure dans une attitude diamétralement opposée : reniant tout lien avec le Christ. Les scènes à droite de la Remise des Clefs sont beaucoup plus confuses. L’espace où nous avions supposé se développer trois scènes n’en comporte sans doute que deux. L’analyse réalisée nous permet d’émettre l’hypothèse que la plus proche de la Remise des Clefs nous montre la prédication de saint Paul aux gentils. Précédant cette scène, sur sa droite, nous pouvons penser à la prédication aux juifs. Si, à partir de la décoration que nous avons qualifiée de «visible» nous nous déplaçons jusqu’à la «non-visible», le résultat est encore plus surprenant. Trois scènes, organisées autour de la principale qui préside l’intérieur de la voûte correspondant à l’arc triomphal évoquent le châtiment ou la condamnation de ceux qui s’opposent à l’autorité légitimement établie par volonté divine. Ainsi, les scènes que nous avions regroupées sous les lettres H, H’, I et A doivent être interprétées comme une partie d’une sélection d’épisodes de la vie de David et de son fils Absalom. La scène H correspond au suicide

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d’Achithophel ; H’ et I, regroupées en une scène unique, rapportent la mort d’Absalom des mains de Joab ; enfin il faut interpréter notre scène A comme la plainte de David à l’annonce de la mort de son fils. Au point auquel nous sommes parvenu de notre interprétation, il semble que le premier registre présenterait une structure, un sens de lecture, convergeant vers l’axe de l’abside. L’institution de Pierre comme chef de l’Église préside le registre. L’image est conçue en marge des autres. Elle fonctionne de manière indépendante et se justifie en elle-même. Flanquant cette image institutionnelle, nous trouvons deux scènes à gauche et deux scènes à droite. Les deux de gauche nous montrent les contradictions de Pierre-disciple. Les deux de droite montrent celles de Saül-Paul. Toute cette zone serait destinée aux «spectateurs» qui assistaient aux célébrations depuis la nef de l’église. La particularité de l’abside fait que, en plus, il y avait aussi un décor destiné à ceux qui célébraient la liturgie. Ainsi, la zone «nonvisible» nous montre de droite à gauche trois scènes du cycle d’Absalom, dont le point culminant se trouve juste au zénith de l’arc [fig. 8]. Quant au second registre, J. Pijoan avait déjà perçu quelle était la structure du décor, bien qu’il n’ait pas réussi à comprendre de quoi il s’agissait. Dans ce cas, le décor s’organise autour de la représentation axiale [fig. 7, pl. 4]. L’état de détérioration rend plus difficile l’identification, mais les structures qui flanquent la figure centrale et le fait que la figure la mieux conservée apparaisse sensiblement plus basse que le reste, conduisent à penser qu’il s’agit de la Vierge à l’Enfant sur un trône. De chaque côté de ce couple, nous avons trouvé les vestiges de douze personnages. Il en reste fort peu de chose dans la plupart des cas. Pourtant, les personnages les mieux conservés permettent de supposer qu’il s’agit de personnages nimbés, portant la toge et le pallium, qui se tournent vers la Vierge et l’Enfant en levant la main dans un geste d’acclamation. Ces douze personnages de chaque côté sont réunis en deux groupes de six, ceci permet de supposer que l’on y représente, au moins, deux groupes différents. Sans doute les six les plus proches de chaque côté sont-ils des apôtres, et les six les plus éloignés, des prophètes ou des patriarches. L’état de conservation, comme nous l’avons vu, ne permet pas une plus grande précision. La première explication que réclame un décor de ce type est sa source d’origine. Pour le premier registre, nous ne connaissons pas d’autres ensembles dans lesquels les scènes aient été organisées de cette façon. En fait, le concepteur de la décoration agit comme s’il 396

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transposait un décor à caractère typologique depuis les murs d’une nef sur ceux d’une abside. Cela pourrait expliquer la convergence des «récits» qui flanquent la Remise des Clefs. Pourtant, l’espace qui est décoré à Terrassa, bien que ce soit une abside, est décoré de manière atypique. Il pourrait sembler que le seul but était de décorer l’abside, d’où cette accumulation d’images en registres superposés. En outre, il faut tenir compte que l’insertion de narrations dans les absides pose toujours des problèmes. Normalement, quand les narrations des absides sont la continuation des narrations des murs, il est fréquent de voir apparaître des dislocations, des changements de sens de lecture ou des interruptions du système de composition choisi. Ceci peut se voir très bien sur deux exemples extrêmes mais très complets : Saint-Jean de Müstair et Saints-Julien-et-Basilisse de Bagüés (Aragon). L’insertion de scènes spéciales dans un discours établi peut comporter un certain réaménagement. C’était le cas à Saint-Pierre du Vatican avec la scène de la Crucifixion607. Quoi qu’il en soit, dans le cas de Sainte-Marie, il y a un autre facteur important : le second registre. En réalité, le sens de lecture du premier ne fait rien d’autre que copier les directions du second registre et de cette façon il se normalise et devient compréhensible pour n’importe quel spectateur. Nous ne devons pas oublier qu’ici la décoration de l’abside de Sainte-Marie était une décoration à voir, à observer, sans doute avec attention. Dans le cas de certains décors, le dilemme légitime existe toujours de savoir si ils étaient ou non destinés au spectateur. Mais ici le décor se trouve dans l’abside, de sorte que, qu’on le veuille ou non, le fidèle l’avait toujours sous les yeux. Cela, en fait, nous permet de justifier la relation entre un registre et l’autre. Ce qui à coup sûr peut surprendre est de trouver au-dessus du registre avec l’Adoration de la Vierge à l’Enfant, un registre avec des scènes du Nouveau Testament et des Actes des Apôtres. Dans une hiérarchisation des thèmes, nous pourrions penser que le second registre devrait se trouver par-dessus l’autre. Pourtant cette disposition n’est pas inhabituelle dans l’organisation de la décoration des nefs. Si nous pensons à la décoration de la nef de Sainte-Marie antiqua au VIIIe siècle par Hadrien Ier (ca. 725) ou à la décoration de l’atrium de la même église par Paul Ier (757-767), nous trouvons aussi une théorie de saints avec le Christ au centre et par-dessus des scènes de l’Ancien et du Nouveau Testament. Nous trouvons la même chose dans l’oratoire des Quarante Martyrs, proche de Sainte-Marie antiqua, toujours   H. L. Kessler, « L’antica basilica di San Pietro… ».

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à Rome, ou dans la nef de Saint-Apollinaire-le-Neuf à Ravenne. Dans tous ces cas, les scènes sont disposées sur la partie la plus haute, et le registre immédiatement inférieur est occupé par des théories de saints. Ainsi, si l’auteur s’inspirait de la décoration de nefs, il pouvait disposer de nombreux modèles pour cette hiérarchisation de registres. Dans notre cas, il y a un autre détail que nous ne pouvons pas oublier : la dédicace de l’édifice. Traditionnellement on a considéré que le vocable de l’église est resté invariable sous la forme de SainteMarie. Seule une voix discordante a considéré, sans arguments, qu’elle avait pu être à l’origine l’église Saint-Pierre608. Quand on se dirige vers l’abside de Sainte-Marie, c’est à travers une nef du début du XIe siècle. Pour l’instant, nous continuons à ignorer quelle forme eut celle qui correspondait à l’abside conservée609. En tout état de cause, la première chose que l’on voit nettement quand on avance dans la nef en direction de l’abside, ce n’est pas le premier registre avec les scènes de Pierre et Paul, mais le second registre avec l’acclamation de la Vierge à l’Enfant. C’est seulement une fois parvenus devant l’abside que l’on peut lire la partie visible du premier registre. Le thème principal, celui qui faisait référence à la dédicace de l’église, est ce que l’on voit d’abord, et ce que l’on voyait sans doute. L’argument pourrait paraître forcé si nous ne savions pas que, souvent, les images sont conçues pour organiser l’espace de l’église et que toutes n’étaient pas destinées au même public610. Bien que l’identification des scènes puisse varier avec l’avancement des études, il ne fait pas de doute que les scènes de la zone non-visible étaient destinées au clergé. Cela explique un programme plus complexe, plus érudit. Une telle manière de faire – c’est-à-dire un programme destiné aux fidèles et un programme destiné au clergé – n’est guère étrange, peut-être le cas le plus emblématique et le plus ancien est-il celui du fastigium de la basilique Salvatoris – Saint-Jean du Latran – à Rome. Cette analyse de la disposition des registres nous permet d’arriver à une autre conclusion : l’opinion – notre opinion – se renforce, toujours davantage, que la décoration de Sainte-Marie de Terrassa est une décoration ad hoc. En fait, ce que nous trouvons sur le premier registre le confirme.

  Cf. A. Cirici, « Contribución al estudio de las iglesias de Tarrasa ».   [Cette affirmation a été modifiée par l’achèvement des fouilles et leurs résultats, v. « Dossier : Les esglésies de Sant Pere… »] 610   Voir les cas de San Baudelio de Berlanga ou de Bominaco (M. Guardia, San Baudelio de Berlanga…, sous presse ; J. Baschet, Lieu sacré, lieu d’images…). 608

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Mis à part leur organisation, les scènes identifiées du premier registre sont, pour le moins, curieuses. La présence de trois scènes de saint Pierre pourrait faire penser que nous sommes devant un cycle de saint Pierre. Ce que nous savons de l’iconographie de saint Pierre ne permet pas cette affirmation611. En réalité, nous avons déjà dit que la scène axiale, avec la Remise des Clefs, est une scène indépendante qui, par sa position, joue le même rôle que la scène de la Vierge à l’Enfant du second registre. Quant aux deux autres scènes, ce sont en réalité des scènes du cycle de la Passion du Christ, mais les deux dans lesquelles Pierre joue le rôle le plus important et contradictoire. On pourrait en dire autant des scènes concernant saint Paul. La foi du converti le fait passer d’une étape – absente de notre décoration – celle où il persécute les chrétiens, à une autre, quand il débat de théologie à la synagogue ou bien lorsqu’il a la hardiesse de prêcher aux Gentils. Dans les deux cas il s’agit, par conséquent, des principaux chefs de l’Église après la disparition du Christ, dans les deux cas on a choisi de les montrer dans leurs contradictions. Une proposition de ce type nous conduit à penser qu’elle ne peut avoir qu’une intention précise. La présence de saint Pierre au centre du registre et recevant le pouvoir pourrait se justifier par la dédicace d’un des trois édifices de Terrassa à saint Pierre. Curieusement, l’église Saint-Pierre est la seule qui n’a pas de décoration de cette époque, mais seulement du XIe siècle612. Ce détail, pour le moins choquant, nous oblige à parler de la restauration des églises à l’époque carolingienne. Personne ne doute aujourd’hui que l’arrivée des musulmans a entraîné la disparition de l’évêché d’Ègara. Et personne ne doute non plus que l’arrivée des carolingiens n’a pas entraîné la restauration de l’évêché, au contraire le territoire de l’ancien diocèse fut réintégré au diocèse de Barcelone. Il semble qu’une partie du conflit de juridiction que présente Frodoin au synode d’Attigny devait être lié au mécontentement d’une partie de la population de Terrassa. Habituellement on a soutenu que la faction de Baius, condamnée au synode, s’était organisée en faveur de la séparation et que la reconstruction de Terrassa, peintures incluses, était due à cette situation. La question que nous nous posons est la suivante : quelle capacité politique, économique et culturelle pouvait avoir un groupe d’Hispani pour restaurer   C. K. Carr, Aspects of the Iconography of Saint Peter….   [Toutes les réflexions qui suivent doivent être nuancées en fonction de l’analyse de la décoration de Saint-Pierre de Terrassa. Nous renvoyons donc à l’Addenda.] 611 612

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l’ancien siège épiscopal d’Ègara au milieu du IXe siècle alors que cette restauration, sur tous les plans, n’avait pas pu être réalisée même au siège de Barcelone ? Si la décoration, comme on le propose depuis longtemps et comme le confirment toutes nos analyses, doit être située vers la deuxième moitié du IXe siècle, le seul personnage de toute la Marca Hispanica qui ait eu la capacité d’entreprendre cette intervention était Frodoin. Vu sous cet angle, certaines questions trouvent, en plus, une explication. Si c’est Frodoin qui impulse la restauration des édifices d’Egara, alors son intervention est la conséquence de sa prise de possession définitive, c’est-à-dire après Attigny. Jusqu’à ce moment, l’autorité de l’évêque pouvait avoir été mise en doute, non seulement par la faction de Baius à Terrassa ou par le prêtre rebelle, Tyrsus, de Barcelone, mais par le comte lui-même (voir supra). À partir de ce moment Frodoin se met au travail. Cela est net à Barcelone, où nous savons qu’il «invente» les reliques de sainte Eulalie et où il engage une action édilitaire pour laquelle l’Empereur lui envoie dix livres de monnaie. Frodoin sait, comme Charlemagne et Charles le Chauve quand ils promulguent leurs capitulaires, que pour la stabilité de l’évêché et du comté, le territoire de Terrassa est d’une extrême importance. Il savait aussi que le résultat d’Attigny est un premier pas, mais qu’il n’est pas définitif. Il devait donc prendre la décision de manifester sa présence à Terrassa aussi, pas dans la nouvelle ville, mais dans le siège de l’ancien diocèse. Évidemment, l’intervention ne pouvait pas être générale, car il s’agissait de trois édifices de dimensions importantes et de leurs dépendances annexes, héritage d’une splendeur encore non expliquée d’Ègara au VIIe siècle. Sans doute le premier lieu où il intervient est-il l’église de Saint-Michel, la plus petite. Nous avons vu qu’il y a de nombreuses réformes sur les couvertures et les élévations. La disposition des chapiteaux fait aussi penser à une intervention d’esprit carolingien. L’édifice du VIe siècle devait être déjà partiellement en ruine, mais, étant le plus accessible, il était celui qui permettait une recomposition plus facile et rapide. Les observations des restauratrices qui y ont travaillé récemment confirment, par exemple, que la décoration peinte fut réalisée en un temps extrêmement bref613. 613   [Ces affirmations sont aujourd’hui modifiées par les résultats des fouilles. D’après les archéologues, Saint-Michel est intégralement du VIe siècle, avec des réparations postérieures de la couverture et d’un mur du pourtour, parfaitement comme les absides de Sainte-Marie et de Saint-Pierre. Mais l’intervention (restauration) carolingienne est confirmée clairement

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Une fois réglée, ou en train d’être réglée, la remise en état d’un premier lieu de culte, a dû surgir le dilemme de décider sur lequel des deux édifices restants il fallait intervenir : l’ancienne église SainteMarie ou l’ancienne église Saint-Pierre. Pour des raisons que nous ne pouvons savoir – parce qu’elle était l’ancien siège épiscopal, parce qu’elle était en meilleur état, etc. – on décide de restaurer SainteMarie. À partir de ce moment, «l’ambassade» du siège de Barcelone à Terrassa est l’église de Sainte-Marie. Cette évocation, en partie hypothétique, permet d’expliquer pourquoi il n’y a de peintures qu’à Sainte-Marie et à Saint-Michel et qu’en revanche il semble qu’on ne commence à s’occuper de Saint-Pierre qu’à partir du XIe siècle. Cela nous permet d’expliquer la raison d’une intervention si pressée à Saint-Michel. Dans ce contexte, la décoration de celle que nous avons présentée comme «l’ambassade» – nous pourrions aussi dire «la citadelle» – du siège épiscopal de Barcelone se transforme en une manifestation politique de Frodoin. Le second registre, le premier que l’on voit en entrant, était défini par la dédicace traditionnelle de l’édifice. Le premier registre, en revanche, nous montre Pierre recevant les clefs, d’une manière semblable à celle dont saint Sylvestre les reçoit du Christ au triclinium du Latran. L’évêque rappelait qui détenait l’autorité et de qui il la détenait. De chaque côté de cette scène de pouvoir, les deux princes de l’Église Pierre et Paul offraient aux regards leurs contradictions, malgré lesquelles le Christ les avait choisis et malgré lesquelles ils avaient atteint la sainteté. Avec ces scènes on récupérait la dédicace aux saints Pierre et Paul de l’édifice qui n’avait pas été restauré et on rappelait que même les renoncements les plus extrêmes – personnifiés par Pierre et Paul – pouvaient être supportés à condition que l’on revienne à l’ordre, c’est-à-dire à l’obéissance envers celui qui détient les clefs comme successeur de Pierre. L’interprétation peut paraître risquée et pourtant elle est pleinement justifiée. L’interprétation iconographique d’un programme ad hoc comme celui que nous supposons pour Terrassa doit, pour ne pas être un pur jeu d’érudition : a) démontrer qu’il existe des voies d’arrivée de cette iconographie et b) démontrer que la lecture iconographique a une base solide et rattachée de manière précise – et non générique – à la réalité dans laquelle elle prend place.

sur l’abside de Saint-Pierre (v. Addenda) ainsi que l’utilisation de cet espace à cet époque, comme l’indiquent les sépultures Cf. « Dossier : Les esglésies de Sant Pere… »].

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Dans le cas qui nous occupe, la clef est toujours Frodoin. Sur le point b), nous croyons avoir montré clairement la relation du programme avec le contexte de Terrassa à la fin du IXe siècle. Il faudrait maintenant justifier le point a). Nous avons déjà dit que le peu d’information que l’on a pour le moment pose des problèmes, mais pourtant un évêque carolingien n’est pas un personnage quelconque. Sa formation, ses relations, et en définitive son cursus honorum, en faisait des personnages aux capacités culturelle et politique contrastées. Il n’est pas étonnant donc de supposer que Frodoin ait été au courant des nouveautés les plus récentes qui pouvaient se trouver sur les manuscrits de Tours, les décorations murales des Alpes – Müstair –, certaines interprétations de Raban Maur en relation avec des aspects politiques contemporains – qu’il connaissait assurément –, ainsi que ce qui se passait à Rome sur le plan artistique, culturel et politique. Sa nomination afin de redresser la situation de Barcelone justifie une intervention aussi nette du pouvoir sur la détention du diocèse. Le remplacement de Félix d’Urgell par Possidonius, ca. 800, peut être présenté comme similaire. En fait, la situation montre plus de ressemblances que nous pouvions le penser. Là, la raison de l’intervention était une importante hérésie, l’adoptianisme, installée à l’intérieur du royaume carolingien. Frodoin fait face, pour sa part, à l’usurpation – ou la tentative – des droits épiscopaux par des personnages attachés à l’ancienne liturgie hispanique. Dans le cas de Tyrsus, cela est très clair, dans celui de Baius, c’est très probable. Le conflit qu’avait fait naître Félix d’Urgell, avec Élipand de Tolède, n’était pas mineur, et curieusement il a des conséquences jusque dans le domaine artistique. À côté de l’intervention, importante, du moine Béatus de Liébana, les mosaïques de l’arc triomphal de l’église des Saints-Nérée-et-Achillée à Rome, de l’époque de Léon III (fin du VIIIe-début du IXe siècle) ont été considérés comme une manifestation anti-adoptianiste614. Quant à Frodoin, pouvons-nous supposer qu’il fait face à une tentative de remise en cause de son autorité, et de tout ce qu’il représente, avec des armes de même nature ? Dans le cas de Saint-Michel (voir infra), cela paraît très clair. Dans le cas de Sainte-Marie, cela seul expliquerait une action de ce type sur le plan décoratif. Comme nous l’avons dit, sans savoir exactement qui était Frodoin, nous pouvons supposer qu’il était un personnage informé de ce qui se passait à la cour carolingienne mais aussi à la curie romaine, et de la même façon que nous savons, parce que nous en avons mention écrite, qu’il se rend auprès  D. Giunta, « I mosaici dell’arco absidale della basilica dei SS. Nereo e Achilleo… ».

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de Charles le Chauve et qu’il est reçu par lui, nous ne pouvons écarter les visites qu’il a pu faire à Rome615. Sur le plan iconographique, la Rome de cette époque est un véritable laboratoire qui influence notablement l’Occident chrétien616. Un personnage présentant les caractéristiques de Frodoin devait non seulement connaître et avoir accès à une bonne part de l’information iconographique utilisée à Terrassa, mais il devait être capable de la ré-élaborer. Une fois de plus on pourrait considérer que nos arguments forcent la réalité. Mais ce qui est sûr est qu’en certains cas nous n’avons pas cherché les parallèles dans une direction précise mais nous nous sommes contentés de chercher sans direction. Nousmême avons été surpris quand nous avons pu établir les relations plus que probables de la scène de la Remise des Clefs avec l’image du triclinium du Latran, ou en constater, sans parvenir à des certitudes absolues, une contradiction entre les vêtements et les nimbes figure sur trois œuvres de l’époque de Charles le Chauve – la Bible de Vivien, la Bible de Saint-Paul-hors-les-murs et Saint-Jean de Müstair –, contradiction semblable à celle que nous trouvons sur la possible scène de la prédication de saint Paul. Sans doute le plus clair est-il cependant la relation des scènes non-visibles du cycle d’Absalom, avec la décoration de Müstair et l’exégèse de Raban Maur. Quant aux fidèles, on leur rappelait qu’il devaient conserver leur respect à celui qui commandait. L’évêque, à travers Pierre, a reçu la charge de veiller sur ses troupeaux. Pierre est un homme, Paul aussi, et comme tels ils sont sujets à contradictions. Le Christ les a choisis, au même titre, avec leurs contradictions, pour diriger son église. Même les trahisons les plus graves peuvent être surmontées si l’on accepte, en fin de compte, l’autorité légitime. C’est le même message qui est adressé au clergé. Dans ce cas l’avertissement est double. La trahison peut avoir des motifs intellectuels – Achithophel – ou des motifs matériels – Absalom –, mais la fin est toujours la même : la condamnation, parce qu’en trahissant l’autorité épiscopale, c’est Dieu lui-même qu’on trahit.

  Comme nous l’avons déjà vu, la fin de sa vie est marquée par ses liens avec Rome, autour de la révolte des évêques catalans pour s’émanciper de Narbonne. 616   H. L. Kessler, « L’antica basilica di San Pietro… » ; William Tronzo, « I grandi cicli pittorici romani e la loro influenza », La pittura in Italia. L’Altomedioevo, Milan, Electa, 1994, pp. 355-368. 615

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L’abside de Saint-Michel Une fois expliqué le pourquoi et le comment de Sainte-Marie, il est plus facile de comprendre l’isolement de la décoration de SaintMichel [pl. 19-21]. Il ne fait pas de doute que la décoration nous montre une Ascension. Pas une Ascension de caractère historique, mais une Ascension de caractère théophanique. Pour la configuration de sa composition, nous ne doutons guère qu’on soit parti d’un modèle précis qui a dû être modifié pour que la représentation trouve place dans une abside spéciale, elle aussi, car elle est très basse et profonde. Le déplacement des différents éléments est en ce sens très clair. Si, dans le cas de Sainte-Marie, nous sommes devant une composition complexe par la volonté de délivrer un message précis, dans le cas de Saint-Michel nous nous trouvons sans doute à l’extrême opposé. Choisir une Ascension-Théophanie s’explique sûrement par une volonté d’ambiguïté, de polyvalence. On a beaucoup discuté, par exemple, de la fonction de l’édifice. Les fouilles semblent confirmer qu’il s’agirait d’un édifice funéraire, martyrial, et non d’un édifice baptismal. Pourtant, et si la succession des faits est celle que nous proposions quelques paragraphes plus haut, il est possible que l’édifice ait assuré plusieurs fonctions tout au long du temps : cultuelle, martyriale et pourquoi pas aussi baptismale. L’image de la voûte de l’abside, le seul endroit où on a la certitude qu’il fut décoré, est utile pour n’importe laquelle de ces fonctions. Dans le cas de fonctions martyriales ou funéraires et baptismales l’Ascension, et particulièrement quand elle est conçue comme une manifestation divine, est une référence claire à la résurrection. Si nous nous rapportons au culte martyrial ou funéraire, cette résurrection est la promesse immédiate du salut. Si nous pensons au rite du baptême, celui-ci est fondé sur le principe que le catéchumène meurt à l’ancienne vie pour renaître, corps et âme, à une vie nouvelle qui a pour promesse finale l’Ascension. Dans le cas d’une chapelle, provisoire, où se déroulent les célébrations ordinaires, l’image du Christ dans la mandorle, tenant le livre, est proche des images de la Maiestas Domini qui plus tard deviendront le thème principal des absides romanes. Nous ne pouvons cependant pas oublier quelle forme adopte l’Ascension choisie. Comme nous l’avons vu, le plus fréquent en matière d’Ascensions est d’avoir des images qui montrent l’agitation des apôtres devant l’apothéose surnaturelle. Dans ces scènes, d’origine

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orientale, nous sommes devant une iconographie qui naît – en partie – pour faire front à l’hérésie arienne et qui tente de souligner le caractère divin et humain du Christ. À Saint-Michel, en revanche, nous avons une curieuse Ascension. L’attitude des apôtres, loin d’être agitée, est contemplative. Les douze sont assis, tout en assistant à l’Ascension du Christ trônant. La difficulté pour trouver des parallèles pour cette iconographie est assurèment que, à la différence de l’autre type, ce schéma suit littéralement la description des événements ainsi que nous les trouvons dans les Actes des Apôtres617. Dans ce contexte, l’auteur de la représentation de Saint-Michel mélange – ou combine – les modèles de l’Ascension du Christ avec ceux des images d’enseignement. Le résultat est une étrange Ascension où des Apôtres pelotonnés assistent assis à l’apothéose du personnage qui auparavant leur délivrait la connaissance. Pourtant l’image n’est pas aussi polyvalente qu’elle paraît. En dernière instance, le décor de cet édifice est commandé par le même personnage que celui de Sainte-Marie, et donc il devait rendre manifeste le motif de cette restauration sur le décor de Saint-Michel aussi. En ce sens, le corps d’inscriptions qui accompagnent l’image aurait été très éclairant s’il nous était parvenu dans des conditions permettant sa lecture. Puisqu’il n’en est pas ainsi, nous devons nous contenter de la seule inscription que nous voyons sur le nimbe du Christ. Comme dans la sélection des images de Sainte-Marie, nous ne nous trouvons pas devant un choix fortuit de tituli. Nous n’insisterons pas sur un rappel des occurrences du nom Emmanuel dans l’exégèse chrétienne. Il paraît cependant évident que sa prolifération aux VIIIe-IXe siècles a un rapport, à nouveau, avec l’hérésie adoptianiste. On peut avancer que ces faits étaient déjà très éloignés de l’époque de Frodoin – plus de cinquante ans – mais il est évident – comme on l’a vu pour Sainte-Marie – que le regard de Frodoin n’est pas, dans ce cas, innocent. Les faits, assez éloignés pour qu’on ne s’en souvienne plus avec précision, mais pas assez pour avoir été totalement oubliés, permettaient justement à Frodoin d’en faire une utilisation, disons, biaisée. Comment qualifier l’attitude de récalcitrants qui presque une centaine d’années après avoir été libérés de la domination musulmane n’acceptent pas la nouvelle liturgie de leurs libérateurs ? L’une des possibilités était de les traiter d’hérétiques. Ainsi Frodoin transforme l’aspiration des Hispani à conserver une part importante de leur culture traditionnelle telle que leur liturgie, en une hérésie. Si à   Ac. 1, 6.

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Sainte-Marie il se concentrait surtout sur des questions juridictionnelles, à Sainte-Michel, avec cette «simple» Ascension, il affichait directement une identification entre rite hispanique et adoptianisme.

Questions stylistiques et formelles à Sainte-Marie et à Saint-Michel Parler de style à propos des peintures de Terrassa ne semble pas devoir être une question facile. Comme nous l’avons vu dans l’état de la question les opinions des différents auteurs sur ce sujet sont très contrastées. Selon l’un ou l’autre auteur, les peintures ont été datées entre le VIe et le XIe siècle et ont été considérées d’un même artiste, ou d’artistes différents, en associant parfois Sainte-Marie et SaintMichel, et parfois Saint-Michel à l’artiste de Saint-Pierre. Pour J. Puig i Cadafalch, il ne fait pas de doute que Saint-Michel est une œuvre du VIe siècle, fruit du contact avec le monde oriental, en général, et égyptien, en particulier618. Il pense la même chose du peu qu’il connaît de Sainte-Marie à cette époque. Comme nous l’avons dit, J. Puig i Cadafalch a maintenu cette opinion tout au long de ses travaux, mais n’a été suivi par personne. Les autres auteurs qui ont donné leur avis sur ces décorations les ont considérées d’époque carolingienne, voire postérieures619. C. L. Kuhn pense qu’il faut placer Saint-Michel entre le début du IXe siècle et la seconde moitié du Xe siècle, et établit des comparaisons entre ces peintures et des œuvres des domaines insulaire, mozarabe et carolingien620. J. Pijoan affirme sans hésiter que les peintures de SaintMichel et Saint-Pierre sont carolingiennes, alors que, paradoxalement, il place celles de Saint-Marie au VIIe siècle621. W. W. S. Cook et J. Gudiol considèrent que la décoration des trois églises est l’œuvre d’un  J. Puig, « Les pintures del segle VIè… », p. 146.   Seul A. Grabar (« Une fresque visigothique … ») considère a priori que les peintures sont du VIe siècle et il base son article sur cette opinion. En réalité, comme nous l’avons vu en analysant l’iconographie de Saint-Michel, il ne connaît pas les peintures directement mais à travers, probablement, les travaux de J. Puig i Cadafalch. Par ailleurs, A. Grabar ne fait pas de considérations stylistiques mais une analyse iconographique où il part de la prémisse que les peintures, selon ceux qui les ont publiées, sont du VIe siècle. Ceci est évident quand, des années plus tard, il inclut l’étude des peintures dans un travail de caractère général, et seulement alors, analysant la question stylistique, il admet que la décoration doit être de ca. 900 (A. Grabar, C. Nordenfalk, Le Haut Moyen Âge…, pp. 63-65). 620   C. L. Kuhn, « Notes On Some Spanish Frescos », pp. 123-125 ; C. L. Kuhn, Romanesque Mural Painting…, pp. 9-11. Post (C. R. Post, A History …, I, p. 31) s’est contenté de le suivre dans ses analyses. 621  J. Pijoan, Monumenta Cataloniæ…, pp. 44 et 47-9. Nous avons déjà relevé que l’opinion de J. Pijoan dans ce dernier cas est, pour le moins, confuse, car l’auteur affirme que « l’ac618 619

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«Maître de Terrassa» de la fin du Xe ou du début du XIe siècle622. Pour sa part J. Ainaud, dès sa première étude, pense que malgré la chronologie des édifices (ca. 614), les peintures sont de l’époque de Frodoin623. Une fois établies ces opinions, les auteurs postérieurs se sont limités à suivre la plus adéquate selon leur propre critère. Ceux qui ont suivi la proposition de Grabar situent le décor au Xe siècle ; ceux qui ont suivi W. W. S. Cook et J. Gudiol, à la fin du Xe ou déjà au XIe siècle. En réalité, comme pour l’iconographie, les peintures n’ont pas été vraiment analysées d’un point de vue stylistique et formel624. La première question qu’il faudrait se poser est celle de la relation entre les décorations de Sainte-Marie, de Saint-Michel et de SaintPierre. Comme on peut le comprendre par le catalogue d’œuvres de ce travail, dès l’origine nous avons considéré comme à part les peintures de Saint-Pierre (voir Addenda). Dans ce cas nous nous trouvons devant un vrai problème de superposition de couches picturales qui ne nous permet aucune analyse avant une restauration. Pour SainteMarie et Saint-Michel, il ne fait pas de doute pour nous, en revanche, qu’il s’agit d’œuvres contemporaines et probablement du même atelier, tout au moins en partie. Les dernières restaurations de SaintMichel raffermissent cette conviction625. Cette affirmation ne prétend pourtant pas masquer les différences manifestes d’exécution. Il est évident d’une part que Sainte-Marie et Saint-Michel ne sont pas, du point de vue de la forme, identiques ; il est évident aussi qu’à Sainte-Marie il y a des différences notables entre les scènes A, H, H’ et I et le reste [pl. 8-15, fig. 6]. Dans le cas de SaintMichel, les peintures semblent faites rapidement. C’est la conclusion tuelle Sainte-Marie de Terrassa conserve peu ou rien de la construction wisigothique » et immédiatement après date le décor de l’abside du VIIe siècle (v. supra). 622   W. W. S. Cook, J. Gudiol, Ars Hispaniæ…, p. 22. 623  J. Ainaud, « Terrassa. Les églises d’Égara »…, p. 196. 624   L’exception seraient les deux contributions de C. L. Kuhn (« Notes On Some Spanish Frescos », pp. 123-125 ; 1930, 9-11), très conditionnées par l’époque de l’étude et ce que l’on savait de Terrassa. 625   La question des restaurations de ces ensembles est complexe en raison du manque d’information concernant ces opérations. Nous ne reviendrons pas sur une question que nous avons abordée dans la présentation de chacun des ensembles. Nous soulignerons seulement qu’alors qu’à Saint-Michel, comme on le savait et comme cela a été démontré, des repeints excessifs masquaient partiellement l’original conservé, à Sainte-Marie on peut penser que sur la plus grande partie de ce qui est conservé il n’y a eu aucune intervention de ce type, car elle était protégée par les peintures gothiques jusqu’à leur arrachement. Ainsi, bien qu’une restauration de Sainte-Marie soit nécessaire, ce que nous pouvons en voir et en connaître à travers les photographies est un élément très fiable de comparaison, comme le sera maintenant Saint-Michel, une fois achevée la restauration (v. supra). [Pour Saint-Pierre v. Addenda].

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des restauratrices qui pensent que l’intervention pour décorer la voûte de l’abside n’a guère dû se prolonger au-delà de deux ou trois jours626. Certains des visages, la disposition des yeux, le traitement des bouches, la manière de rendre les extrémités… rappellent plus le geste désinvolte et sobre d’un dessinateur de bandes dessinées que l’action réfléchie d’un peintre [pl. 24-25]. Sans doute le charme des peintures réside-t-il en partie dans cette exécution ; c’est cependant la cause de leur faible qualité. Seuls les anges conservés et certains des Apôtres du côté droit ont été dessinés avec plus de soin. Le traitement du visage des anges est particulièrement délicat en comparaison avec le reste. En fait, les autres personnages sont, si on les examine avec attention, d’une exécution grossière. Ceci est clair, par exemple, sur les figures d’apôtres du côté droit. Les visages, vus de profil, sont ornés d’un œil nettement disproportionné et le traitement du profil du nez et de la bouche est très malvenu. Malheureusement, ce qui reste de la figure du Christ en majesté est trop peu pour permettre des observations abondantes de type formel, bien que les dimensions du personnage, la taille de la tête ou de la main tenant le livre aillent dans le même sens. Pour Sainte-Marie, nous avons réuni dans la description les différences iconographiques et formelles notables entre les scènes mentionnées et le reste du premier registre et le second registre. Il ne nous semble pas qu’on puisse douter de la présence de différents auteurs. En fait, les différences sont assez marquées pour avoir pu faire penser à des décors de deux époques différentes. Sans doute n’est-ce pas le cas, et, dans l’attente des apports des futures restaurations, nous ne croyons pas que la différence d’exécution soit due à une longue interruption des travaux627. Certains détails permettent simplement de considérer que nous sommes devant un ensemble hétérogène quant à la forme, mais homogène quant au style. Expliquons nous. Les différences les plus claires entre les scènes B à G [figs. 16, 21 et 24] du premier registre et le second registre [fig. 39], d’un côté, et les scènes H à A du premier registre [figs. 34 et 36], de l’autre, se 626  Nous remercions la directrice de la restauration Mme Clarà Payàs, pour ces commentaires et bien d’autres au pied de l’échafaudage, ainsi que pour son amabilité. Sur les conclusions des restauratrices à propos de la technique et de la durée d’exécution des peintures, voir Arcor, Sant Miquel de Terrassa…, 2001, pp. 63-72. 627   Pour ce qui est du programme iconographique, malgré quelques lacunes dans la lecture et l’interprétation, la logique interne semble claire. Ce serait plus difficile s’il s’agissait de peintures d’époques et de lieux différents. Comme nous le verrons, il y a d’autres arguments.

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trouvent dans l’exécution des vêtements et dans la manière de traiter les jambes et les bras. Dans le premier cas – que nous appellerons main 1 – les vêtements des personnages sont enveloppants, larges. Ainsi, les pallia pendent, les chlamydes sont amples et les pantalons et les manches montrent de nombreux plis. Dans le second cas – main 2 –, tuniques et pantalons sont raides, presque solides, les formes sont beaucoup plus géométriques et les plis sont rares et tendent à la symétrie. C’est peut-être un résultat de la mauvaise conservation, mais alors que la main 1 montre une prédilection pour les surfaces plissées, la main 2 préfère les surfaces lisses. Dans ces conditions, le seul personnage avec pallium réalisé par la main 2 porte la toge comme un plastron, un élément complètement retaillé sur la silhouette628. Voilà pour les différences formelles. Pour les ressemblances, il faut dire que la manière de traiter les mains ou les pieds ou la manière de délimiter les personnages est identique pour la main 1 et la main 2. Revenons, par exemple, au personnage I1. Si nous observons la silhouette qui, tout en dessinant la tunique, définit son corps, nous verrons qu’elle adopte une forme pyramidale légèrement évasée en cloche à la base. C’est le même procédé pour la main 1 sur les personnages E1 ou F1. La différence est que la main 1 le masque mieux sous le pallium et la main 2 est plus directe. Quant aux personnages du second registre, nous serions à mi-chemin entre l’une et l’autre solution – cf. par exemple les personnages K1 et K2 –. Si nous observons la manière dont ont été disposées la main droite du personnage A2 et du personnage D1, nous verrons beaucoup d’analogies. Il en est de même dans la disposition des pieds des personnages, comme on le voit en mettant côte à côte la main gauche d’I1 et la main droite de B3. Curieusement, si nous comparons ces éléments avec les peintures de Saint-Michel nous trouvons aussi des différences. Par exemple, les pieds des Apôtres et des anges sont arrondis, vus de haut, et avec une indication schématique de sandales. À Sainte-Marie, les pieds de tous les personnages des premier et second registres apparaissent correctement représentés de profil. En revanche, si nous voyons comment ont été traitées les mains des anges qui soutiennent la mandorle, nous trouverons des ressemblances avec la main 2 de Sainte-Marie.

628   Une comparaison éclairante pourrait être faite avec les poupées de papier aux habits à découper. Le personnage I1 du premier registre donne l’impression d’être construit d’une manière similaire.

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Entre ces deux ensembles, il y a aussi des similitudes nettes quant à la technique d’exécution. La toute récente restauration de SaintMichel nous a permis de voir depuis l’échafaudage comment ont été réalisées les peintures. Un premier dessin en rouge a servi à mettre en place la disposition définitive. Tout de suite après ont été appliquées les couleurs de base. Enfin, on a ajouté les finitions, comme les barbes ou des détails du vêtement629. Dans le cas de Sainte-Marie, il est très difficile de dire, actuellement, si nous sommes devant le même procédé. Pourtant, ce que l’on peut voir sur certaines photographies permet de le supposer. Les personnages H’1 et H’2, les personnages de la scène F ou les pierres de taille de la construction de la scène A, par exemple, révèlent une même manière pour résoudre les contours ou les plis630. Du point de vue de la forme, nous voyons donc autant de différences remarquables que de ressemblances fortes. Dans le cas de Sainte-Marie il paraît clair que nous sommes devant le travail de deux mains. La main 1 se charge des scènes B à G et, peut-être, du second registre. La main 2 se charge des scènes H à A. Dans le cas de SaintMichel, nous nous trouvons, sûrement, devant l’œuvre de l’un des deux auteurs de Sainte-Marie. Il est difficile de préciser lequel. Alors que le traitement sommaire, plus décoratif et symétrique, le rapproche de la main 2 de Sainte-Marie, la rotondité des formes ou le traitement de certains tissus le placent plutôt près de la main 1. La précipitation avec laquelle fut exécutée cette décoration expliquerait les différences entre l’un et l’autre, nous ne croyons donc pas nécessaire de chercher un troisième artiste631. À la tournure prise par notre étude, il est bien évident, à ce point, que nous pensons que la décoration de Terrassa est postérieure à l’occupation musulmane. Pourtant, l’opinion de J. Puig i Cadafalch, comme nous l’avons vu, est toujours restée ancrée à la conviction que ce décor était du VIe siècle. Par ailleurs, la fouille récente ainsi que la restauration de Saint-Michel ont redonné force à cette hypothèse, tout au moins auprès des responsables des travaux actuels632. Nous ferons   Arcor, Sant Miquel de Terrassa…, 2001, pp. 63 et suiv.   [Le rapport de R. Ranesi, L. Domedel, C. Armengol, Projecte de restauració de les pintures murals…, le confirme.] 631   En fait, même s’il s’agit d’un décor réduit, les différences entre les figures des anges et celles des Apôtres pourraient même faire penser à deux mains aussi à Saint-Michel. 632   [Dans une conversation récente avec le directeur du Museu de Terrassa, M. Domènec Ferran, celui-ci nous assurait que : « nous sommes chaque jour plus convaincus qu’elles sont du VIe siècle. » D’après les restaurateurs, l’adhérence de la préparation au mur fait penser que la décoration et la voûte sont d’une même époque (cf. Arcor, Sant Miquel de Terrassa…, 629 630

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plus loin le bilan des arguments en faveur de cette hypothèse ; nous nous contenterons ici d’examiner les arguments stylistiques.

La datation du VIe siècle Devant la résurrection prévisible de la théorie de J. Puig i Cadafalch, il sera bon de revoir quels arguments a proposé cet auteur, fondés sur l’analyse stylistique, pour défendre une datation si précoce633. Tout au long de ce travail, nous avons pu voir les différents apports de ce savant. Nous nous limiterons ici à relever, comme représentatives du reste, les deux monographies consacrées à l’ensemble634. Rappelons que le premier de ces livres est écrit avant que soient dégagées totalement les peintures anciennes de l’abside de Sainte-Marie, et c’est pour cette raison que l’auteur se centre sur les peintures de Saint-Michel et sur le peu qui était offert à la vue à Sainte-Marie. D’après Puig, Les cheveux sont peignés en avant jusqu’à cacher le front et coiffés à partir du sommet de la tête, longs et tombant en arrière jusqu’à la nuque, comme c’était la mode aux Ve et VIe siècle.635

Il souligne aussi que, mis à part les coiffures, d’autres personnages de Saint-Michel – le deuxième à partir de la gauche – porte un clavi comme celui que nous trouvons sur les mosaïques sépulcrales de Tarragone – peut-être la mosaïque d’Optimus (?) – et sur des personnages représentés dans les catacombes. La conclusion de ces arguments est que «les formes décoratives» – à côté des thèmes iconographiques – renvoient au sud-est de la Méditerranée autour du VIe siècle. Ce sont les arguments de 1936636. Fondamentalement nous sommes donc devant des présomptions à partir d’arguments de type formel, peutêtre ; stylistique, en aucun cas ; iconographique, sans doute. Qu’il ne trouve de parallèles pour les coiffures et les clavis qu’aux Ve et VIe siècles démontre soit une profonde méconnaissance de la peinture postérieure, soit une volonté excessive de dater ces ensembles du VIe 2003 et R. Ranesi, L. Domedel, C. Armengol, Projecte de restauració de les pintures murals…). À notre avis, le fait que les archéologues pensent que l’édifice est du VIe siècle pèse beaucoup sur cette opinion.] 633   Comme nous le verrons, il est difficile de trouver des arguments purement stylistiques dans le raisonnement de Puig i Cadafalch. 634  J. Puig, La seu visigòtica d’Egara ; Idem, Noves descobertes a la Catedral d’Egara…. 635  J. Puig, La seu visigòtica d’Egara, p. 45. 636   Ibidem, pp. 46 et 52.

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siècle. Par ailleurs, et comme il ne peut en être autrement, quand il fait appel aux parallèles proches – par exemple les mosaïques de Tarragone – il ne peut prendre en compte que des œuvres du IVe ou, au maximum, du Ve siècle. Pour donner deux exemples seulement, nous trouvons la même chose ou presque, au milieu du VIIIe siècle dans la chapelle de Teodote (Sainte-Marie antiqua, Rome) ou entre 817-824 sur la voûte d’abside de Sainte-Praxède (Rome). Une fois dégagées les peintures de Sainte-Marie, on aurait pu penser que, par le seul fait du volume de l’œuvre, les arguments devaient augmenter ; comme nous le verrons il n’en est pas ainsi. J. Puig commence par le motif zénithal, pour lequel il trouve divers parallèles. Ainsi il donne en exemple le Saint-Sépulcre de Jérusalem à partir d’une description de Constantin IV637 (668-685), au IIe concile de Nicée (787) ; de l’église des Saints-Jean-et-Paul à partir des dessins de J. Wilpert ; de l’église Nord de Baouit ; de certaines églises de Syrie du Ve siècle ; et des stèles et plaques-boucles wisigothes. Tous ces témoignages placent l’auteur – bien qu’il ne le précise pas – au VIIe siècle ou avant638. Étant donné qu’il mentionne des objets, nous pourrions ajouter à la liste le portrait d’Anicia Juliana dans le De materia medica (Vienne, Österreichische Nationalbibliothek, cod. med. gr. 1 ; Constantinople, ca 512-523) ou le Sternenmantel d’Henri II (Bamberg, Trésor de la Cathédrale ; Regensburg (?), ca. 1020). De cette manière nous voyons qu’en réalité le motif est très fréquent dans toutes ces époques. Est aussi relativement fréquente la «  couronne d’éléments imbriqués » (voirsupra) qui apparaît à la suite du motif zénithal, pour laquelle il fait appel aux mosaïques de Centcelles (milieu du IVe siècle)639. Dans ses conclusions sur les peintures, Puig apporte des nouveaux arguments. Il considère que l’archaïsme de la composition, qui rapproche le registre des sarcophages chrétiens, la coiffure, le vêtement à la manière décrite par Isidore640, les segmenta sur les tentures de Saint-Michel semblables à ceux du Palatium de Théodoric à Saint-Apollinaire-le-Neuf de Ravenne (début du VIe siècle) et aux orbiculi du Pentateuque Ashburnham (Paris, BNF, nouv. acq. lat. 2334 ;

637   En réalité il s’agit de Constantin VI (780-797). Puig relève les paroles de l’Empereur : « un signe en forme d’étoile et non une croix servait de couronnement au Saint-Sépulcre. » (J. Puig, Noves descobertes a la Catedral d’Egara…, p. 27 et n.1). 638   Ibidem, p. 27. 639   Ibid. 640   Dalmatica vetis primum in Dalmatia, provinci Græciæ, texta est, tunica sacerdotalis candida cum clavis ex purpura (Isidore, Etym. XIX, 22, 9).

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fin du VIe-début du VIIe siècle), conduisent à une datation à l’intérieur du VIe siècle. Les éléments des peintures de ces églises de Ravenne nous conduisent vers le milieu du VIe siècle, la même date que fournissent pour la cathédrale d’Ègara les considérations documentaires et l’examen des monuments.641

La peinture au VIe siècle Le manque d’arguments de Puig est évident. Cela explique, en partie, pourquoi les auteurs postérieurs laissent de côté aussi rapidement cette datation et s’orientent vers des datations post-musulmanes. Pour enfoncer le clou, nous pouvons tout de même jeter un coup d’œil à la production picturale du VIe siècle et voir la difficulté de rattacher les peintures de Sainte-Marie et de Saint-Michel à des œuvres de cette époque. Cela n’aurait guère de sens d’analyser toutes et chacune des œuvres de cette époque, par conséquent nous nous limiterons à faire une sélection suffisamment représentative. Nous prenons comme témoin des différentes sensibilités orientales l’Évangéliaire de Rabula (Florence, Bibl. Laurenziana, cod. Plut. I, 56 ; nord de la Mésopotamie, 586), certaines des décorations que nous connaissons de Baouit et l’icône de la Vierge entre Théodore et Georges (Mont Sinaï, Monastère de Sainte-Catherine, VIe ou VIIe siècles). Comme témoignage de l’art de Byzance, les mosaïques du Nouveau Testament de Saint-Apollinaire-le-Neuf (Ravenne, début du VIe siècle), la voûte de l’abside de Saint-Apollinaire à Classe (Ravenne, ca 547) ou l’image de Justinien et son cortège avec Maximilien à Saint-Vital de Ravenne (ca. 547). Comme exemple de la production à Rome nous proposons les mosaïques des Saints-Côme-et-Damien (Rome ; ca. 520-530), l’image de la Vierge à l’Enfant et Félix et Adaucte présentant Turtura (Rome, Catacombe de Comodille, église des Saints-Félix-et-Adaucte, ca. 528) et la suite peinte de Sainte-Marie antiqua, qui va du début du VIe siècle (?) jusqu’au milieu du IXe siècle. Les Évangiles de saint Augustin (Cambridge, Corpus Christi College, ms. 286 ; Rome (?), fin du VIedébut du VIIe siècle) sont peut-être aussi romains. Enfin, d’une datation similaire, on pourrait prendre en compte une œuvre de possible

 J. Puig, Noves descobertes a la Catedral d’Egara…, pp. 28 et 32-33.

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provenance nord-africaine comme le Pentateuque Ashburnham (Paris, BNF., Nouv. Acq. lat. 2334 ; fin du VIe-début du VIIe siècle). Mises les unes à côté des autres, ces œuvres sont assez différentes entre elles. Les petites scènes encadrées de Saint-Apollinaire n’ont que peu de chose en commun avec la monumentale voûte d’abside des Saints-Côme-et-Damien, les Évangiles de saint Augustin avec l’Évangéliaire de Rabula, les petits personnages du Pentateuque Ashburnam avec l’image de Justinien et son cortège à Saint-Vital… Les datations sont très proches, dans certains cas identiques, et pourtant le résultat est très différent. Chacun des auteurs de ces œuvres a résolu de manière différente des questions comme la profondeur, les proportions, le tombant des vêtements, le fond, l’anatomie, les visages… En définitive, nous trouvons d’importantes différences de type formel. Pourtant, toutes ces œuvres ont, pour ainsi dire, un dénominateur commun. La préoccupation pour chacun des aspects mentionnés, et d’autres, révèle une profonde connaissance technique de la discipline artistique et des sources. Toutes et chacune de ces images reflètent l’état de la plastique tardo-antique au seuil du monde médiéval. Pour cette raison nous voyons des perspectives inversées, une diversité de canons, des désaccords dans les proportions des différentes parties du corps, une tendance à la géométrisation, un usage accusé de la ligne, une frontalité excessive, une uniformisation de la composition… Mais toutes ces images partagent, encore, une préoccupation et une compréhension de l’anatomie, de la gravité appliquée aux vêtements, de la gradation des tons, de l’application de figures tridimensionnelles sur le plan… Il en est ainsi jusque dans les plus éloignées déjà des sources originales comme les Évangiles de saint Augustin ou le Pentateuque Ashburnam. Dit autrement, cette plastique est encore le fruit d’un choix. Dans les ateliers, sans doute, il est encore fondamental de comprendre les mécanismes de la peinture hellénistique pour pouvoir développer le travail avec les meilleurs résultats, bien que la «mode» aille dans une autre direction. Ceci est très clair quand on observe la série de peintures de Sainte-Marie antiqua. Ici vivent des maîtres de la plus pure tradition hellénistique et des auteurs qui utilisent le langage plus moderne des VIe-VIIe siècles. Si nous plaçons les peintures de Sainte-Marie et de Saint-Michel à côté de ces œuvres, la distance est abyssale. Nous pourrions penser que, simplement, nous sommes devant une question de qualité inhérente au moment et au lieu – c’est-à-dire que les peintures sont faites à Terrassa au VIe siècle et que pour cette raison elles ne peuvent pas être d’une grande qualité. Demandons-nous le pourquoi de cette pré 414

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somption de «culpabilité», quand dans le cas de l’architecture il semble que nous avons un architecte qui frôle le génie642. Supposer que tout est réduit à une question de qualité, et donc question de forme, est une erreur. En réalité, le problème n’est pas de type formel mais stylistique. À Terrassa, tant à Sainte-Marie qu’à Saint-Michel, travaillent des ateliers dans lesquels le résultat formel n’est pas le résultat d’un choix à partir d’un bagage et d’une formation solides. À Terrassa, on travaille comme on sait, à partir peut-être de référents antiques. De cette manière, le lien avec le passé devient superficiel malgré sa familiarité ; on y trouve le corps mais il y manque l’âme. Il n’y existe aucune préoccupation pour l’espace, la profondeur, l’anatomie, la gradation des tons, la composition… À Terrassa, on applique des formules qui permettent d’arriver à des résultats proches des modèles mais qui manquent de solidité. Une autre partie du problème de Terrassa est qu’en plus la qualité des ateliers qui y travaillent n’est pas non plus exceptionnelle. C’est pourquoi les questions stylistiques et les questions formelles s’entremêlent. Nous jetterons maintenant un coup d’œil sur trois œuvres qu’il faudrait placer au plus haut niveau artistique du haut Moyen Âge : l’Évangéliaire de Godescalc (Paris, BNF, Lat. 1203 ; école de Cour, ca 781-783), l’Évangéliaire d’Ada (Londres, British Library, Ms. Harley 2788 ; Aix-la-Chapelle, a. 800) et l’Évangéliaire d’Ebbon (Épernay, Bibl. de la Ville, Ms. 1 ; Hautvilliers, a. 823). La qualité des trois œuvres est hors de discussion, les sources dont elles proviennent sont claires. Observons cependant certains détails. Le personnage du Christ bénissant dans l’Évangéliaire de Godescalc montre une résolution excellente du buste. La disposition des cheveux et le jeu des ombres contribuent à donner une corporalité notable à l’ensemble de la figure. Mais le reste du personnage disparaît dans un fond surchargé qui a les mêmes valeurs graphiques et chromatiques que le corps du Christ. Il nous serait impossible de discerner où continue le corps, où sont les jambes et où commencent le tronc et les absurdes constructions architecturales du fond. L’image de saint Marc dans l’Évangéliaire d’Ada a un autre aspect. Le personnage est dignement assis sur un coussin. Bien que l’image prétende illustrer la posture de l’écrivain qui est monumentalement mis en valeur sous l’arc qui l’encadre, il est en train de poser pour le «tableau». Certains détails, comme le fait que l’évangéliste nous montre un codex et non pas un 642   C’est l’opinion admirative que F. Tuset a exprimée, à propos de la qualité de l’architecte, dans toutes les conversations que nous avons eues à ce sujet.

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volumen, ou la présence de gemmes antiques encastrées dans les impostes et dans la clef de l’arc, nous informent qu’il ne s’agit pas d’une œuvre antique mais médiévale. Mais la manière de traiter le bras et la main avec laquelle Marc tient le calame est encore plus définitive. Analysons pour finir le portrait de Matthieu dans l’Évangéliaire d’Ebbon. Nous trouvons ici une autre version de l’image antérieure. Mais l’intention est différente. Matthieu est présenté très affairé, une sorte d’écrivain pressé. L’auteur de l’illustration a une grande technique qui lui permet de travailler pratiquement sans utiliser la ligne. Le coup de pinceau libre et rapide lui suffit à traiter le personnage. Techniquement, il ne diffère pas de certains peintres hellénistiques chez lesquels paysages, animaux ou personnages ont été traités en trois coups de pinceaux qui nous permettent, à distance, de reconnaître et de comprendre le personnage. Les différentes scènes dans les pièces de la villa Farnesina (Rome, Palazzo Massimo alle Terme ; Ier siècle après J.-C.) en sont un bon exemple. Pourtant, l’auteur ne connaît pas parfaitement sa technique et le résultat est une figure convulsée, tourmentée, comme le montrent le visage déboîté ou les mains crispées. À la différence du peintre hellénistique – sobre –, notre illustrateur – prolixe – ajoute tous les détails qui sont à son avis nécessaires. Le résultat est excessif. Ces trois exemples sont très éloignés des peintures de Sainte-Marie et Saint-Michel. Aussi éloignés que les Évangiles de saint Augustin et l’Évangéliaire de Rabula. Ils partagent pourtant un même intérêt, les mêmes modèles. Si nous prenons un par un les détails, nous parviendrons à la conclusion que les toges et les coiffures sont à la manière antique, et aussi l’iconographie, nous y trouvons des segmenta ou des gemmes, certaines solutions techniques, certaines postures… Pourtant la somme de tous ces éléments ne donne pas pour résultat une œuvre antique mais une œuvre médiévale. Dans ce sens les évangéliaires de Godescalc, d’Ada ou d’Ebbon se trouvent, croyons-nous sur la même longueur d’onde que les peintures de Terrassa.

Sainte-Marie, Saint-Michel et la plastique des IXe et Xe siècles. Nous avons déjà mentionné quelle est notre connaissance de la peinture carolingienne. En réalité, elle n’est guère différente de celle qu’en avaient les auteurs qui nous ont précédé. Nous dirons d’entrée que, sur le plan de la forme, les connexions que l’on peur établir ou qui ont été établies sont plutôt lâches. Mais sur le plan stylistique, il

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ne fait aucun doute que les décorations de Sainte-Marie et SaintMichel sont héritières de la peinture du VIIIe siècle, et très probablement, nées à la fin du IXe siècle. Nous ne croyons pas aux questions stylistiques à l’écart du discours iconographique, les unes sont complémentaires de l’autre, et vice versa. Si dans ce travail ils ont été traités séparément, c’était pour une meilleure clarté d’exposition. Pourtant nous sommes d’accord avec J. Pijoan quand il affirme qu’il est impossible de concevoir les peintures de Saint-Michel hors du monde carolingien643. Nous y ajoutons SainteMarie. Jusqu’à présent Sainte-Marie a été considérée de manière univoque. Dans notre analyse apparaît clairement la réalité de l’ensemble, beaucoup moins unitaire que ce que l’on pourrait penser. En fait, nous pouvons parler de deux mains nettes, sans trop nous risquer. Il n’y a guère de risque non plus à accepter la possibilité que les deux mains soient le fruit non d’interventions différentes éloignées dans le temps, mais de deux techniques d’exécution coexistant dans un même atelier. Le fait que dans certains cas se mêlent l’une et l’autre manière de faire est assez symptomatique de cette coexistence. En fait, même dans le cas de Saint-Michel nous pourrions parler de plus d’une main. Dans ce cas la différence est beaucoup plus subtile, mais il est évident que le traitement des personnages d’anges et des personnages d’Apôtres est sensiblement différente. La différence dans ce cas peut venir de la rapidité d’exécution qui, nous le savons par les restauratrices, fut réelle. Ceci étant dit, la recherche de parallèles formels pour les peintures de Terrassa n’est guère heureuse. Aucun des ensembles que nous connaissons ne montre de ressemblances assez accusées pour tenter d’y chercher des filiations. Habituellement, elles ont été comparées avec des ensembles comme Saint-Maximin de Trèves ou Saint-Procule de Naturno644. Ces comparaisons sont toujours de caractère générique, même s’il est certain que la gaucherie d’exécution de SaintMichel se rapproche nettement de celle de Naturno. Trèves, comme Sainte-Marie, se trouverait à une certaine distance de ce travail maladroit, mais avec une technique qui n’est guère meilleure. Pour les peintures de Sainte-Marie il est relativement facile de chercher des parallèles avec certaines décorations romaines. La décoration du IXe siècle à Saint-Clément avec sa remarquable Ascension, ou certaines des mosaïques de Pascal Ier – Sainte-Praxède – ont un air d’affi J. Pijoan, Monumenta Cataloniæ….  A. Grabar, C. Nordenfalk, Le Haut Moyen Âge…, pp. 64-65.

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nité avec le décor de Sainte-Marie. Peut-être l’exemple le plus proche est-il celui des peintures du clocher occidental de Sainte-Praxède. L’ensemble a été pratiquement ignoré par l’historiographie bien qu’il s’agisse, sans aucun doute, du plus important ensemble mural conservé d’époque carolingienne 645. La manière dont l’auteur traite en particulier les têtes des personnages rappelle extraordinairement certains des nôtres. Également proche est la manière dont on a résolu l’application des couleurs pour montrer les plis, ou l’aspect de dessin de quelques figures. Pourtant la qualité de l’ensemble l’éloigne de Terrassa où les moyens techniques et économiques furent très inférieurs. Ces peintures se situent dans le premier quart du IXe siècle, une époque assez éloignée de nos peintures. Relativement loin en sont aussi les ensembles comme celui des Saints-Martyrs de Cimitile, avec lequel à nouveau on ne peut établir que des relations génériques. Si nous quittons l’Italie pour nous tourner vers la France, la seule possibilité de comparaison s’établit avec Auxerre. Bien que, parlant des questions techniques à propos de Saint-Michel, nous ayons déjà exprimé quelques proximités, ce qui est certain est que la distance entre Saint-Michel ou Sainte-Marie et Auxerre est considérable. Peutêtre l’état de conservation peut-il y jouer un rôle, mais il est certain que la pondération qui s’observe sur les peintures murales françaises n’est pas présente à Terrassa. On déduit de notre étude que la peinture en Catalogne pendant le IXe siècle est un fait d’importation. De là pourrait découler la possibilité d’identifier une voie d’entrée précise de cette importation. Malheureusement, et à la différence de ce qui se passe avec le visage de Barcelone, à Terrassa nous avons les mètres carrés, mais il nous manque la qualité. Il est très difficile d’établir des liens formels avec des ensembles comme les nôtres, d’une qualité moyenne basse. Cette évaluation peut surprendre après que nous ayons apprécié la qualité de l’iconographie. Mais, encore une fois, une chose est le concepteur du programme, une autre, avoir la chance ou la possibilité d’engager un bon atelier afin qu’il l’exécute. Avoir cette possibilité n’est pas seulement une question de capacité économique. Cette remarque faite, l’élément qui attire le plus l’attention est peut-être la plus grande distance formelle par rapport aux grands ensembles nord-italiens – Müstair, Brescia, entre autres – et une plus grande affinité avec des ensembles centre et sud-italiques comme ceux que nous trouvons à 645   Voir récemment le travail de C. Zaccagnini, « Nuove osservazioni sugli affreschi altomedievali… » où est recueillie la bibliographie précédente.

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Rome ou Cimitile. Il est difficile de dire si cette constatation a une signification précise, en particulier après avoir vu, en revanche, la proximité iconographique avec l’ensemble de Müstair. Sur la base de relations aussi génériques, on ne peut pas parvenir à de grandes conclusions. Une plus grande proximité avec le monde centre et sud-italique en serait une des plus remarquables. Mais, audelà de celle-ci, la principale conclusion est que stylistiquement l’ensemble de Terrassa, Sainte-Marie et Saint-Michel, appartiennent au contexte culturel carolingien sans aucune forme de doute. Nous ne croyons pas, par conséquent, qu’il y ait beaucoup d’objections à pouvoir situer les peintures de Sainte-Marie et de Saint-Michel de Terrassa, du point de vue stylistique, au IXe siècle.

Addenda : le décor dans l’église Saint-Pierre

Introduction Quand nous avons soutenu notre thèse de doctorat en 2003, l’état de ces peintures nous avait dissuadé d’inclure l’étude de la complexe décoration de Saint-Pierre de Terrassa à celle des églises voisines de Sainte-Marie et de Saint-Michel. Le temps passant, et ayant approfondi la réflexion au sujet de Saint-Pierre, en partie grâce aux nouvelles données issues des travaux de restauration récents, il nous semble aujourd’hui que ces trois ensembles font partie d’une même intervention. Évidemment, nous ne prétendons pas résoudre ici tous les problèmes qui se posent à propos de Saint-Pierre de Terrassa, certains n’ont pas encore, à nos yeux, trouvé leur solution. Notre propos, dans le texte ci-dessous, est de fournir tout un ensemble de nouvelles considérations qui avalisent le placement de Saint-Pierre parmi les ensembles de la fin du IXe siècle, laissant pour plus tard son étude approfondie. Notre première approche du retable de pierre de Terrassa devait beaucoup à la lecture qu’en avait fait, des années auparavant, X. Barral et qui se révélait encore déterminante pour la datation de la décoration646. La proposition de cet auteur plaçait les peintures de Saint-Pierre dans un dossier que nous n’avons pas osé aborder dans 646  C. Mancho, « Tradicions iconogràfiques i formals … », pp. 428, cf. X. Barral, « Les mosaïques de l’ancien siège épiscopal d’Egara… ».

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notre thèse, celui des décors du XIe siècle, parce que ce thème comportait tout un ensemble de nouveaux problèmes, éloignés de ceux qui caractérisaient les siècles initiaux de l’art médiéval en Catalogne. D’autre part, l’absence de restauration, ou même d’un simple nettoyage des peintures, l’absence d’interventions sur le support, tout comme le peu d’intérêt qu’avait soulevé cet ensemble, ne contribuaient pas à nous permettre de répondre aux attentes en démêlant l’entrelacs de tous les «pourquoi» qui l’entouraient et l’entourent encore. Conscient qu’inclure un nouveau chapitre aurait bouleversé la structure originelle de ce travail, mais tout aussi conscient que renoncer à ces nouvelles données livrerait une image incomplète de l’ensemble de Terrassa, nous avons opté pour la forme de cet addenda à la fin du chapitre sur les ensembles de Terrassa647.

Découverte648 L’ensemble de Saint-Pierre a été l’un des premiers ensembles de peinture murale de Catalogne à être découvert. Cette découverte correspond au début des travaux de restauration de cette église paroissiale en 1895649. Alors que la mosaïque avait été citée depuis longtemps par J. Villanueva, les peintures et leur support étaient restées cachées jusqu’à cette époque, et en particulier depuis qu’on y avait installé le – disons – «monumental» retable du XVIIIe siècle650. À partir de l’intervention de la fin du XIXe siècle, cependant, tant la structure que les décors qui l’accompagnent ont été visibles [annexe 21]. 647   Nous tenterons de rendre la structure de cet addenda aussi simple que possible. Nous aborderons de manière succincte la présentation de l’ensemble et nous pointerons chacun des éléments à analyser avec les propositions d’interprétation de manière, là aussi, plutôt schématique. C’est pourquoi, eu égard à ce caractère de quasi notes pour l’étude de SaintPierre de Terrassa, nous limiterons l’appareil critique au minimum indispensable, étant bien entendu qu’on ne propose ici que les réflexions devant constituer la base d’une étude à venir plus approfondie. 648   On trouvera la plupart des références sur la découverte de l’ensemble, l’état des connaissances et les propositions d’interprétation dans : J. Ainaud, Los templos visigótico-románicos…, pp. 37 et ss, 154-159 (cf. Idem, Les esglésies de Sant Pere…, pp. 22-81); X. Barral, «  Les mosaïques de l’ancien siège épiscopal d’Egara… » ; M. Guardia, « La pintura mural preromànica de les esglésies de Sant Pere de Terrassa… », pp. 156-157; C. Mancho,, « L’oubli du passé. Les origines de l’art médiéval en Catalogne », Les Cahiers de Saint-Michel de Cuxa, XXXIX (2008), pp. 283-295. Voir aussi notre introduction à l’étude de l’ensemble de Terrassa (supra). 649  A. Castellano, I. Vilamala, Les restauracions de les esglésies…, pp. 13-14. 650  J. Villanueva, Viage Literario…, pp. 16-17.

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62. Saint-Pierre de Terrassa. Plan de l’église paroissial entre le VIe et le VIIIe siècles, d’après les dernières fouilles (avec l’autorisation du Museu de Terrassa).

63. Extérieur de l’abside de Saint-Pierre de Terrassa après les dernières fouilles (photographie archive de l’auteur avec l’autorisation du Museu de Terrassa).

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Présentation Le retable dit «en pierre» occupe tout l’espace de l’absidiole centrale du chœur de Saint-Pierre qui, comme nous l’avons déjà mentionné, est un chœur trilobé651. En réalité, pour être plus précis, il masque, en l’aveuglant, cette absidiole centrale [fig. 62-63, pl. 2]. L’intervention avait dû être rapide et d’une relative simplicité, ayant consisté à remplir tout l’espace semi-circulaire intérieur au moyen de pierre et de chaux, en même temps que l’on donnait un aspect monumental à la «façade» de cette adjonction au moyen de la disposition de niches séparées par des colonnettes [fig. 64, pl. 26]. Les modifications évidentes subies au cours du temps par la base de la structure empêchent de savoir si elle était complètement massive ou si, au contraire, elle disposait d’une certaine sorte de réceptacle. La présence actuelle d’une porte, sans doute postérieure à l’intervention originale, communiquant avec un espace aujourd’hui détruit par les différentes interventions qui, au cours du temps, ont permis de dégager partiellement l’intérieur de l’abside, a fait penser dès l’origine à un lieu d’installation et de conservation de reliques. Il est en tout cas impossible aujourd’hui d’en vérifier l’existence et par conséquent toute considération sur cet aspect, bien que vraisemblable, devra rester du domaine des hypothèses. Les dernières données permettent de faire quelques considérations sur l’aspect antérieur de l’abside et la portée de l’intervention qui avait modifié radicalement le chœur de Saint-Pierre. Le dégagement définitif réalisé pendant les dernières campagnes, liées au plan directeur des églises de Sant Pere, s’il a servi à renforcer toute l’installation au moyen d’une structure métallique qui la soutient depuis l’arrière, a par ailleurs servi à connaître les caractéristiques antérieures de l’abside652 [fig. 65]. Le pavement originel se situe une trentaine de centimètres au-dessous de l’actuel. Il s’agit d’un opus signinum qui correspond à ce que l’on trouve aussi à Saint-Michel, soit dans l’église que dans la crypte [pl. 27]. Cette dernière se trouve justement être le parallèle le plus clair pour identifier l’époque et les caractéristiques décoratives de l’abside de Saint-Pierre. Dans les deux cas, c’est-à-dire   Les dimensions en sont : hauteur 5,64 m, largeur 3,66 m.   Les données techniques de cette intervention peuvent être consultées dans EskubiTurró Arquitectes S. L., « Projecte de buidat i consolidació interior de l’absis major de l’església de Sant Pere de Terrassa », octobre 2002 (dossier déposé aux archives du Museu de Terrassa). Voir aussi le rapport préalable à la restauration du «retable» de Sant Pere, dans Arcor, Sant Pere de Terrassa…, 2004, passim. 651

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64. Vue d’ensemble du presbytère de Saint-Pierre avec le “Retable en pierre” qui buche l’absidiole centrale avant la restauration (photographie archive de l’auteur avec l’autorisation du Museu de Terrassa).

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65. Structure métallique installée derrière le “retable” lors des derniers travaux de consolidation de l’ensemble (photographie archive de l’auteur avec l’autorisation du Museu de Terrassa).

aussi bien à Saint-Michel qu’à Saint-Pierre, le mur de l’abside est revêtu d’un mortier de type hydraulique et de couleur rougeâtre – de 60 cm de hauteur dans le cas de Saint-Pierre. Ici, le point de jonction entre le pavement et ce mortier hydraulique se fait par une double moulure en degré à angle droit qui suit, en manière de socle, tout le profil intérieur de l’abside. Le reste du mur de l’abside, dans la crypte de Saint-Michel [pl. 18] comme à Saint-Pierre, est traité au moyen d’un enduit blanc de chaux [fig. 66]. Il est significatif que dans les deux structures qui ont conservé le plus fidèlement la disposition originelle, la finition soit simplement faite d’un revêtement des murs sans aucune sorte de décor. Si nous passons à la partie «monumentale» de cette structure, c’està-dire, celle visible qui forme le mur du fond du chœur, on peut dire que l’idée du promoteur est très claire [fig. 64, pl. 26]. Cette «façade» fut divisée en deux parties. Sur la moitié supérieure apparaissent deux rangées de niches, quatre en bas et deux en haut, séparées par des colonnettes portant autant de chapiteaux [fig. 67]. La moitié inférieure du «retable» fut ordonnée au moyen d’un grand rectangle

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66. Le cylindre de l’absidiole de Saint-Pierre avec un enduit blanc de chaux (photographie archive de l’auteur avec l’autorisation du Museu de Terrassa).

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surbaissé qui occupe approximativement les deux tiers supérieurs. Le tiers restant forme une sorte de balustrade de pierre [fig. 68]. Entre les deux parties, aujourd’hui bien visible, une poutre de bois s’installe comme un élément structurel de support des arcs. Dans la moitié inférieure s’ouvre en outre aujourd’hui une porte de petites dimensions [pl. 27], qui pendant longtemps avait donné accès à un réduit de la partie basse de la structure653. La preuve que cette petite porte a détruit le décor mural – dont nous allons parler tout de suite – conduit à penser qu’elle n’existait pas à l’origine avec ces dimensions. Il est absolument impossible de dire, cependant, si cette porte a remplacé un endroit plus petit formant part du projet initial de “retable”. L’hypothèse avancée allait en ce sens – et nous la conservons – probablement car c’est le seul élément, comme nous le verrons, qui peut donner une explication logique à cette intervention si radicale sur l’abside centrale de Saint-Pierre. En outre, il est fréquent que des structures postérieures, comme ce pourrait être le cas de la porte d’accès au réduit – aujourd’hui détruit –, n’aient été rien d’autre que la réforme d’éléments nécessaires que le cours du temps avait rendus désuets. Il ne fait pas de doute que l’une des finalités de cette structure, de ce retable de pierre, était de permettre d’ajouter au chœur un décor peint afin de l’embellir. Nous nous interrogerons plus loin sur le fait de savoir pourquoi cet embellissement ne fut pas réalisé, comme à Sainte-Marie ou à Saint-Michel, en peignant simplement l’ancienne abside. Passons maintenant au décor. Celui-ci a beaucoup souffert au cours des temps, mais la documentation dont nous disposons depuis l’époque de la découverte jusqu’à nos jours permet d’en faire une lecture à peu près claire, tout au moins pour une partie de la décoration654. Dans la rangée supérieure de niches figurent, de part et d’autre de celles-ci, des personnages isolés ailés, identifiés comme des chérubins ou des séraphins [fig. 67, pl. 28]. À l’intérieur des niches, en revanche, on trouve à gauche un personnage en pied, nimbé et portant un livre ou un rouleau [pl. 29], et à droite un personnage en pied, nimbé et portant une croix longue appuyée sur l’épaule droite [pl. 30]. Entre les deux personnages, se 653  J. Ambròs, « Les obres de restauració de l’antiga seu… », pp. 104-106. 654   Les témoignages les plus anciens sont probablement les copies faites par Alexandre Planella en 1898 (M. Guardia, J. Camps, I. Lorés, La descoberta de la pintura mural…, p. 38), mais nous ne disposons d’une première photographie qu’en 1901 (La memòria de les Esglésies de Sant Pere de Terrassa, 1850-1950, (coord.) N. Peregrina, Terrassa, Museu de Terrassa, 2002 (Col·lecció catàlegs del Museu, 9), nº49).

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67. Détail de la moitié supérieure du “retable de pierre” avec les arcatures (photographie archive de l’auteur avec l’autorisation du Museu de Terrassa).

dresse une colonnette avec un petit chapiteau. Celui-ci est un chapiteau caractéristique à quatre feuilles, rappel lointain et simplifié d’un chapiteau à feuilles d’acanthe, qui soutient une large cimaise. Il s’agit sans aucun doute du plus réussi des chapiteaux qui complètent le décor du retable de pierre et c’est peut-être pour cette raison qu’on l’a placé à l’endroit le plus remarquable. La rangée inférieure de niches montre de gauche à droite : un personnage ailé, un lion ailé, un bovidé ailé et un aigle [pl. 31-34]. Tous sont nimbés et tiennent des livres. Si des niches nous passons aux étroits écoinçons qui les séparent, nous trouvons là des personnages nimbés, très nets dans les trois écoinçons centraux et celui du montant et de l’écoinçon de droite, mais celui de l’écoinçon et du montant gauche a presque disparu. On remarque la visibilité et la «bonne conservation» de certaines de ces figures, ce qui permet de supposer qu’elles soient en bonne part fruit d’une «restauration» excessive, semblable à celle qui a affecté les décors muraux des deux autres églises de Terrassa dans les années 20 du XXe siècle655. Pourtant, l’identification des figures qui forment part du programme décoratif ne pose aucun problème. Dans les niches se trouvent bien sûr les   Arcor, Sant Pere de Terrassa….

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quatre symboles apocalyptiques, allusion claire aux Évangélistes. Il est plus difficile de dire si les figures que nous trouvons dans les écoinçons peuvent être des anges qui les présentent ou les évangélistes eux-mêmes ou des personnages de saints d’un autre genre. Ici aussi les niches sont séparées par des colonnettes – trois au total – desquelles seules celles du centre et de droite portent un chapiteau. Tous ces petits éléments sculptés font penser à certaines sortes de supports d’autel ou d’un autre mobilier liturgique utilisé durant l’Antiquité tardive, mais il est difficile de dire si ces éléments proviennent d’une même œuvre656. Une différence apparaît clairement entre le chapiteau et la colonne du registre supérieur et les deux colonnes et chapiteaux du registre inférieur. Pourtant ces derniers présentent aussi des différentes entre eux, le chapiteau de droite semble appartenir au fût qui le soutient, alors que le chapiteau central paraît être simplement ajouté à une colonne qui ne lui était pas associée. En tout cas, il ne fait aucun doute qu’il s’agit d’éléments sculptés remployés. La séparation entre les moitiés supérieure et inférieure se fait au moyen d’une base construite sur une poutre de chêne horizontale qui «soutient» le retable. La présence d’un matériau organique dans la structure a pu faire croire que l’on disposait, pour une fois, d’un élément de datation absolue, à l’aide des analyses physico-chimiques, c’est-à-dire techniques et donc objectives. Le résultat de ces analyses, qui ont permis de dater la poutre entre 435 et 530, oblige à la considérer elle aussi comme un élément de remploi657. La partie inférieure est occupée dans sa moitié du haut par un décor peint dont le sens n’a pas été éclairci [fig. 68, pl. 35-36]. L’état de conservation et le fait qu’anciennement déjà une partie du décor ait été détruit par l’agrandissement de la porte de la zone inférieure compliquent notablement non seulement l’interprétation de la scène mais aussi sa description. Les auteurs qui s’y sont référés identifient généralement un groupe de personnages faisant le geste d’acclamer, à gauche, alors qu’à droite on a identifié un personnage couronné tenant une épée ou un bâton. Nous rappellerons que les analyses réalisées pour l’élaboration du rapport préalable à la restauration prévue du retable de Saint-Pierre soulignent la possibilité que ce décor fasse partie d’une seconde phase décorative indépendante de   Il est significatif que la base et la colonne soient d’une pièce et que l’astragale appartienne au fût et non à la base du chapiteau. 657   Joan S. Mestres i Torres, Datació per radiocarboni de la biga del retaule mural de l’església de Sant Pere de Terrassa (Terrassa, Vallès Occidental), Universitat de Barcelona, Laboratori de Datació per Radiocarboni, février 2005 (rapport inédit déposé au Museu de Terrassa). 656

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68. Détail de la moitié inférieure du “retable de pierre” avec l’ouverture (photographie archive de l’auteur avec l’autorisation du Museu de Terrassa).

la première qui correspondrait au décor des niches et des écoinçons de la moitié supérieure du retable. Probablement, l’intervention décorative dans le chœur de SaintPierre de Terrassa ne s’était pas limitée à la construction du retable. Nous ignorons si celle-ci fut prolongée au reste des murs de l’abside trilobée et à la voûte658. Les interventions postérieures sur toutes ces zones ne permettent pas de savoir quoi que ce soit des caractéristiques du décor, et ce n’est que dans la fouille des absides latérales du chœur trilobé qu’existent quelques possibilités de retrouver les vestiges de pavement ou le départ des revêtements muraux originels, données qui ne devraient guère différer de ce que nous connaissons déjà dans l’abside centrale. Ce qui ne fait pas de doute, pourtant, c’est que la construction du retable s’est accompagnée du rehaussement du sol, et par conséquent d’un nouveau pavement [pl. 27]. Tous les chercheurs admettent aujourd’hui que la mosaïque, c’est-à-dire les vestiges de celle-ci, devant le retable de pierre, fait partie du nouveau pavement réalisé lors de la construction du retable [fig. 69, pl. 37]. Il n’est pas étonnant, en outre, que ce soit ce secteur qui ait le plus suscité l’intérêt. Cela s’ex J. Ambròs, « Les obres de restauració de l’antiga seu… », pp. 104-106.

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69. Détail de la mosaïque devant le “retable de pierre”. On peut distinguer la zone conservée, plus proche du “retable”, et celle restaurée (photographie archive de l’auteur avec permission du Museu de Terrassa).

plique en partie par la rareté des mosaïques médiévales dans notre pays, et aussi par leur évidente qualité. Le tout, en y ajoutant l’intérêt de X. Barral pour la problématique autour des pavements médiévaux, a conduit à de nombreux apports de ce chercheur sur cet aspect des églises de Terrassa. En outre, les circonstances font que, se trouvant dans l’église Saint-Pierre de Terrassa, cette mosaïque achève une ligne “ininterrompue” de production de mosaïques de pavement depuis la fin du IVe siècle jusqu’au Moyen Âge659. Le problème, en ce cas, est à nouveau celui du calage chronologique. Curieusement le soupçon, plus tard devenu certitude, que la mosaïque était liée au retable permettait, en faisant l’étude de la mosaïque, de résoudre le problème de la datation du retable et de son décor de manière indirecte. C’était faire d’une pierre deux coups !

 X. Barral, « Les mosaïques de l’ancien siège épiscopal d’Egara… ».

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La mosaïque a été très bien décrite par X. Barral660. La superficie totale conservée occupe 3,68 x 1,05 m, le reste du pavement du choeur appartient à une «restauration» de ca. 1896. La mosaïque est composée d’une bordure de 40 cm de large, limitée à l’intérieur et à l’extérieur par un filet dentelé. À l’intérieur de la bordure, une rangée de fleurons à quatre pétales alterne avec des carrés à côtés courbes formant une composition de cercles sécants ornés d’une petite croix pattée à l’intérieur. Le champ est rempli d’une combinaison de carrés sur la pointe et de cercles dont chacun est garni de deux équerres se touchant par la pointe qui déterminent une croix. Les espaces libres comportent des rectangles à deux côtés concaves. La technique est assez régulière, les cubes mesurent 1 cm2 en moyenne et les couleurs sont le blanc, le rouge, le jaune et le noir.661

L’auteur ajoute qu’on ne peut exclure la possibilité que ces tesselles si régulières aient été récupérées et remployées à partir d’une mosaïque romaine.

État de la question Peu nombreux ont été les apports réalisés au sujet de cet ensemble décoratif, depuis que J. Vintró a mentionné pour la première fois les peintures662. Le premier auteur qui en a proposé une lecture et une datation est J. Gudiol i Cunill663. Selon cet auteur, la structure date du XIe siècle et l’iconographie de la zone inférieure reproduit le thème des trois Hébreux au four de Babylone, extrait du livre de Daniel, bien qu’il considère aussi la possibilité qu’il puisse s’agir du Passage de la Mer Rouge. Malgré ces propositions suggestives, J. Gudiol ne fournit aucune donnée sur lesquelles les appuyer. Pendant plus de vingt ans, il n’y aura aucun autre apport notable. À cette époque, J. Pijoan avance que le décor est d’époque carolingienne664. Il est aussi le premier à identifier les deux personnages des deux niches supérieures comme étant le Christ et saint Pierre. Enfin, il considère que la scène de la partie basse est une représentation de 660  Xavier Barral i Altet, Els mosaics de paviment medievals de Catalunya, Barcelone, Artestudi, 1979 (col·lecció art romànic, 10), p. 42 et pl. III. 661  X. Barral, « Les mosaïques de l’ancien siège épiscopal d’Egara… », pp. 254-5. 662  J. Vintró, « Pintures murals á S. Pere de Tarrassa ». 663  J. Gudiol, La pintura Mig-Eval…, pp. 134, 141. 664  J. Pijoan, Monumenta Cataloniæ…, pp. 46 et suiv.

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l’Ecce Homo. Évidemment, aucune de ces affirmations n’est appuyée sur des arguments, mais elles seront recueillies par son collaborateur J. Gudiol i Ricart dans une synthèse des interprétations précédentes665. Dans celle-ci il soutient que le décor date du XIe siècle, à l’instar de son oncle J. Gudiol i Cunill, mais il croit comme J. Pijoan que les personnages représentés sont Pierre et peut-être le Christ. Quant au décor de la partie basse, il soutient, comme J. Gudiol i Cunill, qu’il s’agit du Passage de la Mer Rouge. L’apport de W. W. S. Cook et J. Gudiol est de comparer les chapiteaux du retable avec ceux de la Porta Ferrada de Sant Feliu de Guíxols dans le but d’y trouver une parenté, à notre avis inexistante. Le premier auteur étranger à en parler est A. Grabar, qui, sans aucun apport remarquable, a attiré l’attention sur un aspect que les auteurs jusqu’alors n’avaient pas pris en compte, c’est-à-dire la possibilité que le décor n’ait été que partiellement conservé, car il considère que ce décor devait être complété par une sorte de majesté sur la voûte666. Quant à la datation, il considère que Saint-Pierre est légèrement postérieure aux deux autres et se situe toujors ca. 900. Au début des années soixante-dix, l’ensemble commence à être analysé par X. Barral qui très tôt définit sa position667. Le trait le plus remarquable de son apport est l’analyse conjointe, ou pour le dire mieux, liée, de la mosaïque et du retable avec ses peintures. Il s’attache aux questions de datation et laisse de côté les autres aspects – formel et iconographique – pour la simple raison qu’il accepte, pour l’essentiel, la proposition de W. W. S. Cook et J. Gudiol. D’après ses observations, la mosaïque, et par conséquent le retable, doit être datée de la fin du Xe siècle ou mieux des débuts du XIe. C’est seulement au début des années quatre-vingt-dix, avec un intérêt renouvelé pour les églises de Terrassa, que survient une tentative d’étude plus approfondie. M. Guardia réexamine toutes les propositions avancées jusqu’alors et s’attache principalement au problème iconographique sans parvenir à proposer de solution668. De ses analyses, on retiendra la tentative de chercher un modèle pour la construction ainsi qu’une première analyse et explication iconographique. Par ailleurs, on remarque sa recherche d’une explication de l’intervention décorative qui, selon elle, a dû être motivée par l’arrivée   W. W. S. Cook, J. Gudiol, Ars Hispaniæ…, pp. 24-25.  A. Grabar, C. Nordenfalk, Le Haut Moyen Âge…, p. 62. 667  X. Barral, « Les mosaïques de l’ancien siège épiscopal d’Egara… ». 668  M. Guardia, « La pintura mural pre-romànica de les esglésies de Sant Pere de Terrassa… », pp. 156-157. 665 666

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de reliques, tout en écartant une relation avec des changements liturgiques. Pour résumer, on peut dire que jusqu’aux travaux de X. Barral et M. Guardia, les études n’ont pas été étayées sur des analyses approfondies. Ces deux auteurs ont été les premiers à avancer des arguments pour leurs prises de positions et les premiers à analyser de manière précise au moins certains des aspects les plus délicats concernant ce décor. Chez tous les auteurs s’est fait sentir le poids de l’incertitude d’une analyse rendue très difficile par l’état de conservation des peintures.

Données actuelles et propositions Il est évident, et en particulier à la base du travail de M. Guardia, que l’ensemble pose de nombreuses questions, à commencer par celui de sa fonction. Bien qu’il soit impossible de faire une analyse formelle correcte, en raison de tous les problèmes découlant de la superposition de couches picturales, les dernières interventions ont éclairé de manière définitive certaines des autres questions. Par exemple, le lien entre la mosaïque et le retable ne fait plus de doute. De même, il n’est plus nécessaire aujourd’hui de considérer le retable comme une construction du XIe siècle en raison de la construction de l’édifice au IXe siècle. En effet, le recul de la date de l’édifice jusqu’à la première moitié du VIe siècle laisse plus de marge pour proposer une datation correspondant aux caractéristiques du retable, la peinture et la mosaïque. Pourtant, la question de l’iconographie continue à poser problème, tout au moins en partie, mais il ne fait pas de doute que les progrès qui pourront survenir sous ce rapport simplifieront la résolution du problème de la fonction et la raison d’être du retable. À partir des réflexions qui nous ont précédé et des nouvelles données, fruit des interventions menées à terme sur les églises de Terrassa, nous pouvons cependant tirer quelques conclusions et, surtout, dépasser certains des vieux problèmes. C’est ce que nous allons voir. 1. Les caractéristiques de construction de l’abside de Saint-Pierre s’accordent à celles de Saint-Michel. Nous intéressent particulièrement celles de caractère décoratif, ou pour mieux dire, l’absence de celles-ci. Il ne fait aucun doute que le chevet originel de Saint-Pierre et la crypte de Saint-Michel correspondent à un même moment constructif. Dans le second cas – pour tout l’édifice –, les archéologues

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on avancé une datation de la première moitié du VIe siècle. Ajoutons, sans qu’il s’agisse d’une donnée irréfutable, que la crypte de SaintMichel comme l’absidiole centrale de Saint-Pierre – qui a été un ensemble fermé, avec certitude, depuis la construction du retable de pierre – ont conservé leurs murs dans leur configuration originelle et celle-ci ne comporte aucun décor au delà d’un blanchissement ou enduit de chaux, ceci permet de supposer que les absides des églises de Terrassa furent achevées sans décoration. Saint-Pierre devient donc probablement la preuve la plus claire que le décor de Sainte-Marie et de Saint-Michel n’a pas été réalisé à l’achèvement des édifices – au milieu du VIe siècle – mais un certain temps après. 2. Préciser l’époque de la décoration des églises de Terrassa a été, et restera, une obsession. Pourtant, à partir de ce qui a été dit dans le paragraphe précédent, nous pourrions considérer que la date de leur décoration coïncide probablement avec la réforme de Saint-Pierre. Dans cette église, la stratigraphie est suffisamment claire pour ne laisser aucun doute. Une première phase, de la première moitié du VIe siècle, sans décoration et avec pour seule finition les revêtements muraux. Une seconde phase, celle de la construction du retable de pierre, avec un agencement décoratif complètement neuf et, dans le cas de Saint-Pierre, parfaitement délimité. On pourrait évidemment nous rétorquer que nous partons d’une prémisse erronée, c’est-à-dire en supposant que Sainte-Marie et Saint-Michel n’ont pas eu de décor peint à leur achèvement. Ceci est, évidemment, très difficile à démontrer. Dans le cas de Saint-Michel, en outre, l’intervention de J. Puig i Cadafalch a supprimé tout le revêtement du mur de l’abside, au-dessous des peintures. Mais, qu’en est-il de Sainte-Marie ? À Sainte-Marie, si le décor et par conséquent le revêtement actuel de l’abside étaient ceux du VIe siècle, on devrait y retrouver une structure murale similaire à celles de Saint-Pierre et de la crypte de Saint-Michel, et par conséquent, indépendamment du décor peint, elle devrait avoir gardé un soubassement de mortier hydraulique unissant la partie basse du mur de l’abside avec son pavement. L’absence de ce soubassement pourrait donc devenir un argument solide pour considérer que la décoration actuelle de Sainte-Marie ne peut appartenir au VIe siècle mais à une réforme décorative postérieure. 3. Une fois écarté l’idée que la décoration de Saint-Pierre appartient au VIe siècle – et peut-être aussi par la même occasion que celles de Sainte-Marie et de Saint-Michel y appartiennent aussi – à quelle

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époque devons-nous placer la transformation du décor de SaintPierre ? Nous n’avons pas connaissance des conclusions auxquelles sont parvenus les archéologues quant aux caractéristiques de construction du retable, ni des analyses des matériaux qui ont pu y être réalisées669. Mais certains éléments sont significatifs. D’une part, on a remployé des éléments de sculpture anciens dans la construction du retable en pierre. Le chapiteau entre les deux niches supérieures, tout comme deux des chapiteaux du registre inférieur – ceux du centre et de droite – sont des éléments remployés qui doivent probablement être datés des environs du VIe siècle, c’est-à-dire à peu près de l’époque où est construit le grand ensemble de Terrassa. Le caractère de remploi de ces éléments sculptés ne fait aucun doute. Que certains éléments puissent faire partie de séries complètes et que celles-ci coexistent dans la même structure avec des éléments d’autres provenances et d’autres caractéristiques en est la meilleure preuve. Leur ordonnancement révèle une certaine préférence dans la disposition de ces matériaux en fonction de leur qualité plus ou moins grande ou de leur conservation plus ou moins bonne, ce qui renforce l’hypothèse d’un remploi. Par ailleurs, nous disposons de l’analyse de la poutre. La datation par radiocarbone a donné pour résultat une fourchette qui va de 435 à 530 de notre ère. Une date curieusement très proche de celle proposée par les archéologues pour dater l’ensemble épiscopal avec ses trois églises – la première moitié du VIe siècle. Donc, de même que pour les chapiteaux, ceci oblige à penser que la poutre est un élément de remploi. Il est désormais entendu que le retable de pierre n’appartient pas à l’abside originelle et que celle-ci a été datée par les archéologues des alentours de la première moitié du VIe siècle. Qu’une partie intégrante du retable ait été datée de manière chimique – et par conséquent, de manière raisonnablement objective – avec une marge d’erreur qui oscille entre le second tiers du Ve siècle et le premier tiers du VIe siècle peut indiquer que cette partie – la poutre – a été remployée par le constructeur du retable. Dans tous les cas, il est clair que seule une interprétation historique des procédés constructifs et artistiques du retable pourraient nous donner une datation et que

  De fait, au Musée de Terrassa il nous a été confirmé qu’il n’a été procédé, jusqu’à présent, à aucune analyse sur les matériaux du retable de pierre. Pour le moment la seule analyse technique est donc celle des architectes qui ont installé la structure métallique qui le soutient, après le dégagement de l’abside, et qui stabilise ce mur de fermeture de l’abside centrale de Sant Pere de Terrassa (voir Eskubi-Turró , « Projecte de buidat… »). 669

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celle-ci a, par force, pour terminus post quem la première moitié du VIe siècle. 4. Si nous passons aux données tirées de la technique employée dans le décor, le plus intéressant consiste en la confirmation de la superposition de couches picturales que l’on soupçonnait depuis longtemps. Les techniciens ont constaté que, dans le décor, il y a une première phase dans la zone des niches à laquelle se superpose une seconde couche qui couvre toute la superficie du retable670. Cette superposition de peintures n’existe pas dans la moitié inférieure dont les peintures, selon les restauratrices, correspondraient à la seconde phase. La succession des phases, de plus, est compliquée par les interventions réalisées à partir de la découverte des peintures en 1895. Dès cette époque, les premières photographies de 1901 montrent qu’elles étaient déjà repeintes et couvertes d’une couche de blanchiment et, par la suite, toujours d’après les photographies, on constate qu’à la fin des années 20, la décoration avait déjà souffert d’une restauration. Plus récemment, 1991, une intervention du Service de Restauration du Patrimoine mobilier de la Generalitat a effectué un nettoyage superficiel et a consolidé et rétabli certaines zones. Pour ce qui est de la technique et des pigments, il n’y a que peu de conclusions à tirer. La peinture a été fixée à l’aide de carbonate de chaux, c’est-à-dire avec une technique proche de celle de la fresque. Les pigments, d’autre part, sont plutôt simples et courants : blanc de chaux, noir de charbon, rouge et jaune d’oxyde de fer. L’originalité réside dans l’usage du bleu dit «égyptien», beaucoup plus cher et plus rare, mais qui, d’après le rapport, semble présent dans la première phase comme dans la seconde. Par ailleurs, bien que les restauratrices proposent un rapprochement chronologique avec l’époque carolingienne à partir du constat de l’usage du bleu égyptien, on doit dire que ce pigment est utilisé en Catalogne, avec des fréquences diverses, pendant toute l’époque médiévale ; son usage n’est donc pas exclusivement carolingien. Comme toujours pour ce type de comparaisons à partir des matériaux, il faudrait disposer d’une base de données pour tout le territoire européen et pour tous les ensembles, sinon toute comparaison reste stérile. En conclusion, la technique picturale ne nous fournit pas non plus de données objectives, sinon l’existence de deux phases. En réalité, on n’a pas précisé, ou on n’a pas pu préciser, quel écart chronologique sépare ces deux phases de peinture. Cela induit une nouvelle question : s’agit-il de deux phases d’un même projet, et donc   Arcor, Sant Pere de Terrassa…, passim.

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immédiatement consécutives, ou bien de deux projets décoratifs, beaucoup plus éloignés dans le temps ? D’après nos observations sur les questions formelles, et donc très subjectives, il faut privilégier cette seconde option et écarter la première, comme nous allons le voir tout de suite (voir infra). 5. La mosaïque a été un des éléments décisifs dans la tentative de déterminer l’époque de la réforme du chœur de Saint-Pierre de Terrassa. La conviction, comme il a été dit, qu’elle était intimement liée à la construction du retable obligeait à relier aussi la datation des deux œuvres. De fait la mosaïque offre certains avantages d’analyse par rapport au retable et à son décor, qui résident surtout dans son originalité et son état de conservation. Sa conservation, bien que partielle, et le type d’œuvre ont permis depuis l’origine d’en faire une analyse beaucoup moins risquée que dans le cas des peintures. À l’évidence, le principal avantage de la mosaïque est le nombre relativement modeste de celles qui sont conservées de l’époque médiévale, par rapport au nombre de peintures médiévales. Il faut cependant dire que la recherche a été conditionnée par d’autres considérations qui ont influé sur les options de X. Barral. Selon lui, comme on l’a vu, la mosaïque doit être datée de la fin du Xe ou du début du XIe siècle, datation de la mosaïque dont il déduit celle des peintures, et pour étayer son option il propose de rapprocher les chapiteaux de ceux de la Porta Ferrada de Sant Feliu de Guíxols à l’instar de J. Gudiol671. À lire la proposition de X. Barral, on a l’impression que les mosaïques ne sauraient être d’une autre époque que du XIe siècle, car il n’y aurait pas d’autres possibilités. Pourtant la récupération de la mosaïque de pavement est une constante à l’époque carolingienne. L’auteur le sait, mais il est influencé par une autre opinion, selon laquelle l’architecture de Saint-Michel et les chœurs de Saint-Marie et de Saint-Pierre datent des alentours du IXe siècle, ce qui était la théorie acceptée quand X. Barral a réalisé ses travaux sur la mosaïque. Ce lest lui pèse tant qu’il l’empêche d’examiner toute autre hypothèse, quoiqu’il connaisse probablement les mosaïques de pavement d’époque carolingienne que cite l’œuvre, encore fondamentale, d’H. Kier672. En réalité, à voir les vestiges de pavement de mosaïque originels provenant d’Aix-la-Chapelle de ca. 800 ou de lieux plus modestes comme l’ager de Rome, et plus précisément de la domusculta Galeria  X. Barral, « Les mosaïques de l’ancien siège épiscopal d’Egara… », pp. 254 et suiv.  Hiltrud Kier, Der mittelalterliche Schmuckfussboden unter besonderer Berücksichtigung des Rheinlandes, Düsseldorf, Rheinland Verlag, 1970 (coll. Die Kunstdenkmäler des Rheinlandes, 14).

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du siège épiscopal de S. Rufina, fondée par le pape Hadrien Ier (772795), dont les mosaïques sont conservées au Museo dell’Alto Medioevo à Rome, la proximité avec ce que nous trouvons à Saint-Pierre de Terrassa devient évidente673. Une proximité bien plus grande que celle qui peut s’établir avec des exemples postérieurs. On peut dire que, en se fondant exclusivement sur des comparaisons de type formel, rien n’empêche de considérer que le pavement de Saint-Pierre de Terrassa ait pu être fait à la fin du IXe siècle au lieu du début du XIe siècle. Cette question est importante, étant donné qu’il serait difficile de justifier une datation pour la mosaïque et une autre pour le retable. Parvenus à ce point, nous pourrions penser que les incertitudes ont augmenté au lieu de diminuer. Jusqu’à présent, la mosaïque nous donnait une datation claire pour toute l’intervention, maintenant nous savons que la mosaïque, comme tout le reste, pourrait avoir été réalisée à partir du IXe siècle. 6. C’est seulement en écartant tous les a priori qui s’étaient établis autour du décor de Saint-Pierre de Terrassa que nous pouvions parvenir à une solution pour ce casse-tête, et, parvenus à ce point, le décor peint retrouve un rôle déterminant. Or, le problème des peintures passe pour l’essentiel par deux questions : de combien de décors est-il question et quel est le programme iconographique ? Pour répondre à la première question, la comparaison avec d’autres ensembles de peinture murale de Catalogne peut s’avérer très utile. Il est bien difficile de dire quoi que ce soit du décor de la zone des niches, la superposition des deux couches picturales constatée par les restauratrices, la saleté et la restauration des années 20 déforment extraordinairement toute appréciation. De fait, en observant les personnages les mieux «conservés» – il serait plus exact de dire : les plus visibles –, c’est-à-dire les personnages entre les écoinçons, une parenté étroite avec les décors de Saint-Michel saute aux yeux. C’est sans doute cela qui avait conduit J. Pijoan à proposer une même datation pour les deux ensembles674. Le danger de cette affirmation est que nous avons très peur que, comme pour Saint-Michel, l’intervention de restauration, des années 20 financée par Lluís Plan673   Pour les mosaïques d’Aix-la-Chapelle, voir 799. Kunst und Kultur der Karolingerzeit. Karl der Große und Papst Leo III. in Paderborn. Katalog der Ausstellung Paderborn 1999, 2 vol. (éd.) C. Stiegemann, M. Wemhoff, Mayence, Verlag Philipp von Zabern, 1999, pp. 107-110 ; sur la domusculta, voir Neil Christie, Three South Etrurian Churches : Santa Cornelia, Santa Rufina and San Liberato, Londres, The British School at Rome, 1991 (coll. Archaeological Monographs of the British School at Rome, 4). 674 J. Pijoan, Monumenta Cataloniæ…, p. 46.

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diura, plus qu’une restauration ait été une recréation. Évidemment nous ne pourrons vérifier cela qu’une fois les peintures restaurées et les repeints abusifs supprimés, mais l’expérience de Saint-Michel nous incite à nous méfier de ces figures si nettes. Ainsi, bien peu de chose est possible du point de vue de l’analyse formelle en ce qui concerne les peintures de la partie supérieure. Le problème est différent pour la partie inférieure. Ici le décor, lui aussi très détérioré, semble beaucoup moins affecté par les interventions de restauration. À tout le moins, celles-ci n’ont pas dû être aussi radicales que celles de la partie supérieure. Ceci permet d’établir des comparaisons formelles avec plus de fiabilité. Il est évident que les figures de cette zone proposent un canon et une synthèse de la figure humaine qui s’éloigne de ce que nous trouvons autant à Sainte-Marie qu’à Saint-Michel. Mais dans quelle mesure s’en éloignent-elles? Il n’y a pas beaucoup d’exemples qui permettent de répondre à cette question. À notre avis, le parallèle le plus proche pour les figures de cette zone provient de l’église de Saint-Pierre Desplà (Arbúcies, La Selva) [fig. 70]. La décoration en fut découverte au milieu des années 1980 (ce qui explique que X. Barral l’ait ignorée quand il a écrit sa monographie sur la peinture de ces monuments) et bien que les rares auteurs qui s’y soient intéressés la situent de manière imprécise aux IXe ou Xe siècles, il est plus probable qu’elle appartienne déjà au XIe675. L’étude de cette décoration reste à faire, mais la palette chromatique tout comme le canon des figures sont proches aussi bien du décor inférieur de Saint-Pierre de Terrassa que des peintures d’Olèrdola. En fait, elles sont plutôt plus proches des premières que des 675   Les références sur Saint-Pierre Desplà sont peu nombreuses mais elles ont défini deux options quant à la question de la datation. D’une part, les partisans des IXe-Xe siècles, avec Calzada à leur tête (Josep Calzada i Oliveras, « Unes pintures preromàniques a Sant Pere Desplà », « XXVIII Assemblea Intercomarcal d’Estudiosos (Santa Coloma de Farners 22-3 octubre, 1983) », Quaderns de la Selva, 1 (1984), pp. 71-79 ; Idem, Sant Pere Desplà. Inauguració de les obres de restauració de l’Església i de les pintures murals pre-romàniques. Benedicció de l’Església (Diumenge, 29 de juny de 1986), Gérone, Centre de conservació i catalogació de monuments de la Generalitat de Catalunya-Diputació de Girona, 1986), et Pladevall (Antoni Pladevall, «  Sant Pere Desplà. Un racó interessant de les Guilleries-Montseny  », Monografies del Montseny, 2 (juillet 1987), pp. 191-198) et Ainaud (J. Ainaud, La pintura catalana. La fascinació…, p. 31) qui les situent vers le Xe siècle. De l’autre Saura (Jordi Saura i Tarrés, « Sant Pere Desplà [Pintures] », Catalunya Romànica, vol. V, Barcelona, Enciclopèdia Catalana, 1991, pp. 267-269, en part. pp. 268-269) qui pense plutôt au XIe siècle, tout en les plaçant à côté d’œuvres comme Marmellar ou Olèrdola. Il convient de dire que Guardia (M. Guardia, « La pintura mural pre-romànica de les esglésies de Sant Pere de Terrassa… », p. 157) fait déjà une première comparaison entre Saint-Pierre Desplà et Saint-Pierre de Terrassa. À son tour, Pagès (M. Pagès, « La pintura monumental a la Catalunya preromànica », p. 220) tout en reprenant cette comparaison, semble défendre les deux options de datation.

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secondes. Il en va donc ainsi et, quant aux questions de forme, les seules peintures analysables de Saint-Pierre de Terrassa se situeraient, en accord avec la théorie de X. Barral, au XIe siècle. Mais il ne s’agit là que de la seconde phase ou du second projet. À quelle époque faut-il situer le premier projet ? 7. Puisque pour cette première phase l’analyse formelle ne nous est pas utile, voyons ce que peut nous dire l’analyse iconographique. Comme on l’a souvent répété, et cela finit par devenir un topos pour ce décor, l’iconographie en est absurde676 ou insolite677. Nous-mêmes nous avons déjà posé le problème sans parvenir à une solution valide678. Une fois écartée l’idée que le personnage portant la croix longue soit le Christ, le plus vraisemblable est qu’il s’agisse de saint Pierre, et non de saint Laurent. Ainsi, tout en considérant que le saint qui l’accompagne doit être de même niveau, le plus probable est qu’il s’agisse de saint Paul. Le problème n’est pas en réalité celui de ce couple, mais plutôt que ces deux personnages soient au-dessus des quatre Vivants de l’Apocalypse. Les ensembles où ces êtres surnaturels surgis de la vision d’Ézéchiel se situent au niveau le plus haut du décor sont innombrables. Leur caractère les place même au-dessus des disciples. Nous pourrions citer les cas de décors très connus, par exemple, et pour nous limiter à Rome, Saints-Côme-et-Damien (milieu du VIe s.), Sainte-Praxède (début du IXe s.) ou Saint-Clément (début du XIIe s.). Nonobstant ceci, nous ne pouvons exclure d’autres possibilités. La façade – tant intérieure qu’extérieure – de l’ancien Saint-Pierre du Vatican, offre une disposition relativement proche de celle de notre retable de pierre679. La présence de deux niveaux de trois fenêtres crée un aspect similaire à celle des deux niveaux de niches du retable en pierre de Terrassa. Évidemment, ce n’était pas seulement le cas à l’ancien Saint-Pierre du Vatican – cela se retrouve, par exemple, à Saint-Paul-hors-les-murs –, mais c’était peut-être un des lieux les plus remarquables où les espaces entre les fenêtres furent occupés par un décor qui devait être très proche, mis à part les différences qui sont nombreuses, de celle que nous voyons à Saint-Pierre de Terrassa. La façade montre, du milieu du Ve siècle jusqu’au début du XIIIe siècle, un décor avec les quatre animaux apocalyptiques, ailés et tenant les   Arcor, Sant Pere de Terrassa….  M. Guardia, « La pintura mural pre-romànica de les esglésies de Sant Pere de Terrassa… », p. 157. 678  C. Mancho, « Tradicions iconogràfiques i formals … », p. 428. 679   Atlante…, I, pp. 21 et suiv., en part. 31 et 38; L’orizzonte tardo antico …, pp. 416-418. 676

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70. Personnages saints sur deux détails du décor mural de Saint-Pierre Desplà (Arbúcies, La Selva, Catalogne), XIe siècle (archive de l’auteur).

livres, juste au-dessous d’un médaillon portant l’agneau, placé au sommet triangulaire du fronton de la façade. Au-dessous des quatre animaux, et en correspondance avec eux, figuraient les vingt-quatre vieillards de l’Apocalypse, en groupe de quatre. Chacun de ces groupes se situait dans les espaces entre les fenêtres et sur les deux espaces triangulaires qui flanquent la façade. Le témoignage de cette décoration, commanditée par le pape Léon le Grand (440-461) et qui fut complètement détruite pendant la réforme de la façade entreprise par le pape Grégoire IX (1227-1241), nous est parvenu à travers un dessin du dernier quart du XIe siècle dans le Codex Farfensis, 124, fol. 122, conservé au Eton College de Windsor680. Pour la contre-façade, 680   Voir S. Waetzoldt, Die Kopien des 17. Jahrhunderts…, pp. 67-68, fig. 473-474, Atlante…, I, pp. 21 et suiv. et L’orizzonte tardo antico …, pp. 416-418.

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les informations dont nous disposons concernent le décor réalisé par Grégoire IX – c’est-à-dire du second quart du XIIIe siècle. Dans ce cas, le décor présentait un médaillon portant le buste du Christ, couronnant la fenêtre axiale supérieure. Dans les espaces entre les fenêtres de ce niveau supérieur, quatre figures de saints, que S. Waetzoldt identifie à Pierre, Paul, André et Jean, au pied de l’un d’eux – le saint à droite de la fenêtre axiale – se fit représenter le pape Nicolas III (1277-1280). Au-dessous de ces saints, on trouve les quatre évangélistes en train d’écrire leurs évangiles. Nous avons connaissance de ce décor grâce à l’aquarelle de Domenico Tasselli da Lugo figurant dans l’Album conservé à la Bibliothèque Apostolique Vaticane, cod. A64 ter., fol. 18, daté entre ca 1605 et 1619681. Bien évidemment, tous ces documents doivent être regardés avec une grande prudence. Et d’abord à propos de la chronologie. La mosaïque de la façade a survécu du Ve siècle jusqu’au XIIIe siècle, le dessin que nous en connaissons provient d’un manuscrit du XIe siècle, par conséquent le décor a pu subir des modifications au cours du temps682. Le décor peint de la contre-façade est, nous le savons avec certitude, du XIIIe siècle, donc, première question, qu’y avait-il précédemment sur la contre-façade, rien ? Nous ne le croyons pas. Seconde question, l’iconographie antérieure était-elle semblable à celle du XIIIe siècle ? La réponse, eu égard au conservatisme romain bien connu comme à ce qui se passe dans d’autres zones de SaintPierre du Vatican, est vraisemblablement positive. Pourtant, plus importants que les problèmes de datation, sont ceux liés à la valeur documentaire des dessins. Déjà, dans son analyse relative à l’architecture de Saint-Pierre, R. Krautheimer met en doute la valeur documentaire du dessin du XIe siècle683. Cet auteur, qui a étudié attentivement l’iconographie médiévale et sa valeur en tant que document, connaît parfaitement certains des mécanismes qui président aux croquis, ébauches, etc., concernant des constructions684. Dans ce cadre, le fait que la façade apparaisse avec un seul niveau de trois fenêtres, s’interprète comme une réduction typique des éléments qui la composent, car on ne prétendait pas être fidèle à l’édifice mais d’en  S. Waetzoldt, Die Kopien des 17. Jahrhunderts…, pp. 71, fig. 489.   cf. L’orizzonte tardo antico …, pp. 416-418. 683  Richard Krautheimer, Spencer Corbett, Wolfgang Frankl, A. K. Frazer, Corpus Basilicarum Christianarum Romæ, I-VI, Cité du Vatican-New York, Pontificio Istituto di Archeologia Christiana-Institute of Fine Arts, 1937-1980, en part. V, pp. 222 et 256. 684  Richard Krautheimer, Introduction à une “iconographie de l’architecture médiévale”, Paris, Gérard Monfort, 1993. 681 682

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suggérer l’ordonnance. Rappelons, en ce sens, que le Codex Farfensis 124 représente la façade de Saint-Pierre du Vatican comme scène où prennent place les funérailles de Grégoire le Grand. Pouvons-nous supposer, par conséquent, que l’iconographie conservée pour la façade est une réduction ? Dans ce cas, le problème est un peu plus complexe, car il pourrait, outre celui-ci, s’y en ajouter un autre : une modification volontaire pour s’adapter à la scène funéraire. Déjà J. Wilpert s’est occupé de ce dessin et de sa relation avec le véritable décor léonien de la façade de Saint-Pierre685. Dans son étude, tout en rejetant certaines lectures de la fin du XIXe siècle qui faisaient de l’image de l’Agnus Dei la réponse du pape Serge Ier (687-701) au canon 82 du concile in Trullo, il interprète pour la première fois ce qu’il considère comme un dessin-synthèse du véritable décor de la façade. D’après lui, on y aurait trouvé le Christ trônant flanqué des saints Pierre et Paul, accompagnés à droite et à gauche par les quatre Vivants. Ceux-ci, en outre, seraient accompagnés des quatre Évangélistes, ainsi qu’ils apparaissent à la voûte de la chapelle de saint Jean Baptiste au baptistère du Latran, et les deux cités. Comme l’indique G. Bordi l’image finale ne devait être guère différente de celle que propose Grégoire IX avec la nouvelle mosaïque de la façade, ni, ajouterons-nous, globalement très différente de ce que ce même pape propose pour la contre-façade686. Si l’image ressemblait à ce que décrit J. Wilpert, nous sommes presque face à la description de ce qui existe à Saint-Pierre de Terrassa, où nous pouvons même supposer une continuation sur la voûte du chœur trilobé avec un Christ trônant ou dans un clipeus, en buste, comme l’avait supposé A. Grabar687. Mais ce qui nous intéresse bien plus est la suggestion qu’à Saint-Pierre du Vatican, dans une distribution et une position n’éloignée guère de ce que nous avons à Terrassa, on trouvait des éléments très similaires. Pour cette suggestion, l’opinion ou le commentaire d’un contemporain pourrait être intéressant. Malheureusement nous n’avons qu’un seul témoignage, celui d’un pèlerin du VIIe siècle, qui rapporte le titulus perdu où est cité le pro J. Wilpert, Die römischen Mosaiken …, pp. 371-276.   Voir tout le dossier dans L’orizzonte tardo antico …, pp. 416-417, avec une bibliographie. 687   G. Bordi recueille l’opinion d’Yves Christe, L’Apocalypse de Jean : sens et développements de ses visions synthétiques, Paris, Picard, 1996 (coll. Bibliothèque des cahiers archéologiques, 15) pp. 74-76, qui pense à un décor très semblable à celui de l’église Santi Abbondio e Abbondanzio à Rignano Flamino, de la première moitié du XIIe siècle (sur cet édifice voir Michele Trimarchi, «  Sulla chiesa dei Santi Abbondio e Abbondanzio a Rignano Flaminio  », Mélanges de l’École française. Archéologie et histoire, 92 (1980), pp. 205-236). 685 686

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moteur du décor de la façade, Marianus. Pour situer l’inscription dédicatoire, ce pèlerin anonyme nous dit qu’elle se trouvait : In fronte foras in ecclesia sancti Petri ubi quattuor animalia circa XPM sunt picta…688. On remarque l’emploi d’une simple description iconographique synthétique pour situer l’inscription, et un désintérêt total pour ce qui y était représenté. Peut-être parce que ce décor était bien connu ou habituel, il n’était pas nécessaire d’entrer dans les détails, et le lieu où se trouvait l’inscription était assez clair. Ce témoignage ne nous aide donc pas beaucoup à comprendre la perception de la façade. Mais il nous sert à supposer qu’effectivement le dessin du Codex Farfensis ne doit pas être compris comme une reproduction fidèle de la façade, mais comme une simple approche de contextualisation, en confirmant ce que, depuis J. Wilpert déjà, certains auteurs ont soutenu689. Pourtant reste encore pendante l’interprétation du décor de la zone inférieure. Dans ce cas, nous pouvons nous contenter de nous décharger du problème en alléguant que ce décor appartient à un second temps, qu’il n’est en aucune façon sûr qu’il ait déjà été conçu dans le premier projet et que, par conséquent, il pourrait s’agir d’un thème sans lien direct avec le premier projet. Bien sûr, cette réponse ne sert qu’à déconnecter l’interprétation du décor de la moitié supérieure de celle de la partie inférieure. Évidemment, la lecture de cette scène reste à faire. 8. Tout cet exposé nous conduit au dernier point, celui de la fonction de toute cette intervention. Sans aucun doute, la modification qu’elle a représenté pour l’abside de Saint-Pierre fut importante. Même si elle n’avait qu’une fonction décorative, elle devait être moti688   Que nous pouvons traduire ainsi : « Dehors, sur la façade, à l’église de Saint-Pierre, où sont peints les quatre animaux autour du Christ … ». Nous remercions Mme Mercè Puig Rodriguez-Escalona, de l’IRCVM, Universitat de Barcelona, qui nous a aidé pour cette traduction et pour quelques autres du latin au catalan. 689   On pourrait nous opposer que nous soutenons une comparaison entre deux éléments si différents qu’elle en devient indéfendable, mais nous avancerons que la popularité de Saint-Pierre du Vatican et son rôle de modèle pour tout l’Occident, avec des degrés et des niveaux divers d’application, ainsi que l’a montré H. L. Kessler (« L’antica basilica di San Pietro… »), invalident cette objection. On peut aussi opposer que la structure de la façade de l’ancien Saint-Pierre ne correspond pas à ce que nous avons à Terrassa, et, effectivement, la façade a une fonction différente et par conséquent le décor et les fenêtres sont séparés, alors qu’à Terrassa les niches contiennent le décor, mais comme nous le savons fort bien (cf. Richard Krautheimer, Introduction à une iconographie de l’architecture…), le Moyen Âge ne cherche presque jamais à reproduire à l’identique. Dans ce sens sont éclairants le dessin du Codex Farfensis comme la description que nous venons de citer (on en trouvera le texte complet dans Inscriptiones Christianæ Urbis Romæ, Nuova serie, II, 4097, elle provient du manuscrit de la Bibliothèque Apostolique Vaticane, Vat. pal. 591, c. 139).

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vée. On remarque surtout le soin avec lequel ont été traités les différents éléments. Nous avons déjà évoqué le choix d’une sculpture, qui, bien que modeste, est la meilleure dont on devait disposer au moment d’entreprendre la réforme. En vérité, si l’on jette un regard à l’ensemble, on s’aperçoit que, jusqu’au XIIe siècle, la sculpture n’est pas très fréquente dans les églises de Terrassa et que même à cette époque le remploi continue à être important. Ainsi, bien que ne disposant pas d’éléments importants à réutiliser dans le retable de pierre, celles, peu nombreuses, que l’on a pu réunir, ont été distribuées selon des critères esthétiques évidents. Bien que cela puisse sembler une pratique normale, ce n’est pas aussi clair, car cela dépend de la mentalité de l’époque, qui n’est pas la même au IXe siècle et au XIe siècle. Si nous passons de la sculpture à la mosaïque, il convient de rappeler qu’un décor de mosaïque de pavement reste exceptionnel pendant toute l’époque médiévale en Catalogne, il suffit de voir le nombre limité qu’en présente X. Barral690. Tout compte fait, l’aspect le plus modeste du retable de pierre est son décor peint, qui, cependant est aussi assez particulier pour qu’il ait été impossible de lui trouver à ce jour des parallèles iconographiques identiques. Toutes ces particularités ne peuvent trouver de justification, comme le proposait déjà M. Guardia, que dans l’arrivée de reliques691. Il est très vraisemblable que toute cette dépense pour la modification du chœur de Saint-Pierre de Terrassa ait été en rapport avec l’arrivée de reliques importantes. Des reliques si importantes, si l’identification iconographique que nous avons proposée est correcte, qu’elles doivent être liées aux saints Pierre et Paul. M. Guardia, pourtant, commet une erreur quand elle sépare l’hypothétique arrivée de reliques d’une réforme liturgique, et c’est sans doute là que nous trouvons le sésame qui permet de justifier une datation pour Saint-Pierre de Terrassa et peut-être de renforcer les hypothèses pour Sainte-Marie et Saint-Michel. Entre le VIe et le XIe siècle, c’est-à-dire entre le terminus post quem pour l’érection du retable de pierre et la limite maximale de la datation de toute la structure décorative, il y a deux moments de réforme liturgique, celui de l’imposition de la liturgie franco-romaine et celui où est imposée la liturgie grégorienne. Même si les deux réformes ont surtout affecté l’organisation de l’Église et ont entraîné des modifications dans la manière de célébrer la messe – en particulier la liturgie  X. Barral, Els mosaics de paviment medievals…  M. Guardia, «  La pintura mural pre-romànica de les esglésies de Sant Pere de Terrassa… », p. 156. 690

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franco-romaine –, la première de ces réformes a aussi donné une place très importante au culte des reliques. Cet aspect, comme l’imitation par l’Empire de Charlemagne du modèle de Rome, justifie aussi la diffusion remarquable du modèle architectural de la crypte annulaire, selon l’exemple créé par Grégoire le Grand (590-604) à Saint-Pierre du Vatican, tout au long du IXe siècle. Pour synthétiser, bien que le culte des reliques ne commence pas, bien entendu, avec la nouvelle dynastie carolingienne, au milieu du VIIIe siècle, et même si ce culte n’est qu’un élément collatéral de l’entreprise de réforme liturgique engagée par les souverains carolingiens, il est certain que l’impulsion que reçoit le culte des reliques à cette époque n’est en rien comparable à celle des époques postérieures. En cette matière, la réforme grégorienne a un caractère bien différent. Nous pourrions donc dire que, bien que l’installation de reliques à partir du VIe siècle soit importante dans toute l’Europe, dans notre pays tout spécialement, l’intégration dans l’Empire de Charlemagne a dû être accompagnée, au IXe siècle, d’actions de ce type. À l’arrivée des nouveaux maîtres, parallèlement à l’imposition de ce nouveau pouvoir politique, se mettent en place de nouvelles autorités religieuses soucieuses de légitimation, une légitimation qu’elles obtiennent, en partie, en rétablissant et raffermissant les évêchés disparus sous l’occupation musulmane. Le siège épiscopal de Barcelone, avec Frodoin à sa tête, en est un des exemples les plus significatifs, on n’en citera pour exemple que l’inventio des reliques de sainte Eulalie. Il n’y a donc rien d’illogique à imaginer une installation de reliques à Saint-Pierre. C’était le moyen pour l’évêque titulaire de donner une impulsion forte à la nouvelle forme de célébration du culte, de parachever la restauration des édifices de l’ancien évêché disparu et, surtout, de placer au centre de l’attention, à Terrassa, l’édifice paroissial de Saint-Pierre, en le distinguant de l’ancien siège épiscopal de Sainte-Marie. En réalité les fouilles ont, d’une certaine façon, illustré toute cette nouvelle activité avec la découverte d’une grande accumulation de sépultures de cette époque.

Conclusion À notre avis, il faut donc interpréter la réforme de l’abside de SaintPierre comme une nouvelle action liée à l’évêque Frodoin, qui vient parachever son intervention sur l’ancien ensemble épiscopal. Consécutivement, ou parallèlement, à la restauration et à la décoration de l’ancien siège de Sainte-Marie et de l’ancienne chapelle funéraire de

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Saint-Michel, l’évêque, comme il l’avait fait pour le siège de Barcelone, obtint des reliques prestigieuses qu’il installa auprès de l’autel. Afin de leur donner un emplacement digne d’elles, l’évêque a modifié partiellement le chœur de Saint-Pierre, dans une intervention relativement rapide, comme toutes celles qu’il a réalisées à Terrassa. La construction du retable permettait de placer dans sa base, très près de l’autel, les nouvelles reliques. Bien que nous ne sachions rien à leur propos, étant donné la présence préférentielle dans le décor des saints Pierre et Paul, non seulement là mais aussi dans le décor de Sainte-Marie (voir supra), on peut même supposer qu’il se soit agi de reliques des deux princes de l’Église. Le mur, en outre, offrait un support décoratif où prenait place la propagande des reliques, pour en rappeler l’origine probablement romaine et le lien avec le sépulcre de l’apôtre Pierre. Dans cette perspective, l’intervention, minimale, avait disposé des meilleures décorations et matériaux auxquels ont pouvait avoir accès rapidement dans l’ancien siège épiscopal. C’est pourquoi on a récupéré des vestiges appartenant à l’un des anciens autels du VIe siècle, pour monumentaliser le mur qui aveugle l’absidiole centrale. Il est probable aussi qu’aient été réutilisées les tesselles d’une mosaïque antique, afin de réaliser un nouveau pavement devant le nouveau reliquaire monumental. C’est ainsi que fut construite et décorée avec tous ces éléments une «crypte» verticale dans l’ancienne absidiole, et qu’y fut peint un programme se rapportant aux nouvelles reliques.

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II. Le Xe siècle, un siècle confus Aux alentours de Ripoll Les vestiges de l’église de Saint-Christophe de Campdevànol sont pauvres [fig. 71]. L’ancienne église, appelée «la Vieille», est aujourd’hui en ruines à cause d’une explosion survenue en 1936 quand elle était utilisée comme dépôt de munitions1. Notre intérêt pour cet édifice tient au décor mural qu’il contenait et qui était considéré comme un des plus anciens de l’époque médiévale en Catalogne. L’essentiel des données sur l’aspect de l’église nous sont connues grâce à l’étude réalisée par Ramon d’Abadal en 19092 [figs. 72-74]. Seul le plan de l’édifice permet encore aujourd’hui une vérification in situ. La construction romane consistait en un petit bâtiment à nef unique, achevé à l’est par une abside en demi-cercle. La porte s’ouvrait au côté sud, près de l’extrémité ouest de l’église. Passée la porte, on entrait dans une sorte de narthex, plus ou moins carré, à partir duquel, tournant vers l’est, on entrait dans la nef de l’église. Par les notes de R. d’Abadal3, nous savons que celle-ci était couverte d’une voûte en berceau brisé. C’est aussi R. d’Abadal qui nous livre les données sur l’évolution de l’édifice. Il considérait que ce plan était le résultat d’une importante réforme qui avait affecté l’édifice primitif pendant le XIIe siècle4. À partir de l’étude et de la fouille de l’édifice, R. d’Abadal parvient à la conclusion qu’à l’origine, il possédait une couverture de bois et était achevé d’une abside carrée à l’extérieur, et semi-circulaire à l’intérieur. De cette première construction ne subsistaient cependant que les murs nord, sud et ouest, visibles depuis l’extérieur mais cachés à l’intérieur. Ceci était dû au fait que lors de l’agrandissement de l’édifice et de sa couverture par une voûte en 1  Manuel Anglada i Bayés, Antoni Pladevall i Font ; Mª Lluïsa Casas; Joan-Albert Adell, « Sant Cristòfol de Campdevànol », Catalunya Romànica, vol. X, Barcelone, Enciclopèdia Catalana, 1987, pp. 75-76, spéc. p. 75. 2   Ramon d’Abadal i de Vinyals, « Nova pintura mural romànica », Gazeta Montanyesa, surt els dimecres y dissaptes, Vic, 28 août 1909, nº 387 ; [Josep Gudiol i Cunill, Ramon d’Abadal i de Vinyals], « Descubriment de pintures romániques en el Bisbat de Vich », Revista de la Asociación Artístico-Arqueológica Barcelonesa, VIII (1909), pp. 202-204. 3   Ibid., p. 203. 4   Voir ibidem. Par contre, Joan-Albert Adell, « Sant Cristòfol de Campdevànol [Arquitectura] », Catalunya Romànica, vol. X, Barcelone, Enciclopèdia Catalana, 1987, pp. 75-76, spéc. p. 76, situe cette réforme dans la seconde moitié du XIIe siècle.

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71. Vestiges en juillet 2002 de Saint-Cristophe de Campdevànol. Vue générale. Au fond à droite on peut voir le village de Campdevànol et constater la distance qui séparait l’ancienne paroisse du noyau habité (photographie archive de l’auteur)

72. Plan de Saint-Cristophe de Campdevànol d’après Ramon d’Abadal (d’après Josep Puig i Cadafalch, Antoni de Falguera, J. Goday, L’arquitectura romànica a Catalunya, 3 vol., Barcelone, Institut d’Estudis Catalans, 1909-1918, II, fig. 18)

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73. Sections transversale et longitudinale de l’église de Saint-Cristophe de Camp­ devànol, d’après Ramon d’Abadal (ibidem, fig. 19 et 20)

74. Extérieur de l’église pendant le séjour de Ramon d’Abadal (ibidem, II, fig. 17)

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berceau brisé, il fallut renforcer les murs latéraux en les doublant intérieurement. C’est une situation très similaire à celle de l’église de Saint-Pierre Desplà avec laquelle notre édifice présente d’autres points communs5. Dans ce dernier cas, le doublement des murs a été réalisé au moyen d’arcs sur pilastres. Ainsi les murs ont conservé une épaisseur très modérée, proche de l’original. À Campdevànol, en revanche, on a doublé tout le mur qui fut aussi renforcé par deux arcs formerets, qui se prolongeaient de la voûte jusqu’au sol en manière de pilastres. Une des inconnues non encore résolues est la datation de la construction primitive6. Les informations les plus anciennes se rapportant à «l’église vieille» de Campdevànol remontent au premier décembre 987. Ce jour-là, les hommes de Gombrèn jurent de respecter la sentence en faveur de Sant Joan de les Abadesses pour la possession de Montgrony. Le serment est prêté sur l’autel de saint Christophe7. Nous n’avons guère   L’église de Saint-Pierre Desplà constitue un ensemble important qui reste encore à étudier de manière approfondie. Comme il s’agit d’un ensemble probablement du XIe siècle, il est prévu de commencer bientôt son étude dans le cadre du projet du groupe de recherche Ars Picta : « Tradicions y transmisió iconogràfica en l’art altmedieval: La miniatura catalanoaragonesa del segle XI i els primers conjunts monumentals romànics », financé dans le programme de l’AGAUR de la Generalitat de Catalunya pour les groupes de recherche consolidés, projet nº 2005SGR-00234 et dans le Programa Nacional de Promoción General del Conocimiento del Ministerio de Ciencia y Tecnología, projet nº HUM2005-00131/Arte du Gobierno de España. En attendant ces nouvelles recherches, nous pouvons renvoyer à J. Calzada, « Unes pintures preromàniques a Sant Pere Desplà »…, pp. 71-79 ; Idem, Sant Pere Desplà. Inauguració… ; A. Pladevall, « Sant Pere Desplà… » et Catalunya Romànica, V, pp. 266-269. 6   Se fondant sur la chronologie attribuée aux peintures par Barral (fin du IXe-début du Xe siècle), Adell considère que la date la plus probable pour la structure primitive est le IXe siècle (J.-A. Adell, « Sant Cristòfol de Campdevànol … », p. 76). R. d’Abadal (« Nova pintura mural… ») situait l’église primitive autour du Xe siècle. Nous n’avons pas pu retrouver les documents concernant sa fouille. Nous n’avons rencontré de succès ni aux archives du Servei de Patrimoni Arquitectònic Local de la Diputació de Barcelona ni à celles de l’Institut d’Estudis Catalans. Les seules informations sur cette intervention sont donc celles que donnent J. Puig, A. Falguera, J. Goday, L’arquitectura romànica…, II, pp. 94-96, voir notre fig. 72-74. 7   Iurati autem dicimus : in primis per Dominum Patrem Omnipotentem et per Ihesum Christum filium eius Sanctumque Spiritum, qui est in Trinitate unus et verus Deus, et per hunc locum veneracionis sancti Christofori martir, cuius baselica sita est in terminio vallis Ripollensis in Campo de Avandalo, supra sacrosancto altario has condiciones manibus nostris continemus et iurando contangimus,… (Federico Udina Martorell, El Archivo condal de Barcelona en los siglos IX-X, Barcelone, CSIC, Escuela de Textos Medievales, 1951 (coll. Textos XVIII), pp. 446-7). La première mention du village de Campdevànol est presque un siècle antérieure à celle de l’église. Dans l’acte de consécration de Saint-Pierre de Ripoll, le 26 juin 890, l’évêque Gotmar concède decimas et primitias de villa iis nominibus, Paillieres, campo de Aivandali,… (Catalunya Romànica, X, p. 336). Sur l’appartenance de la villa et de l’église de Campdevànol à SainteMarie de Ripoll, voir récemment J. Bolòs, V. Hurtado, Atles del Comtat d’Osona…, pp. 90-93. 5

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de données à part celle-ci. Nous savons que l’église, Sto Xristoforo de Camp d’avana, continue à être mentionnée dans les listes de paroisses du diocèse de Vic des XIe et XIIe siècles, puis il faut attendre 1885, date à laquelle est interrompu le culte dans l’église vieille, transféré à la nouvelle église8.

La Genèse de Campdevànol, description d’un dessin de Ramon d’Abadal Durant l’étude in situ de R. d’Abadal fut aussi découverte une partie du décor mural de l’église. Ce n’était pas la décoration de l’édifice résultant de la réforme du XIIe siècle, mais bien celle de l’église antérieure. Abadal l’avait trouvée, coincée entre les deux murs, elle n’était pas tombée comme dans les autres parties, et bien que l’eau, en s’infiltrant, l’ait effacée en grande partie, en retirant les pierres qui la recouvraient, j’ai encore pu reconstruire à grande peine quelques fragments du dessin9.

La vie de ce décor très détérioré fut très courte. C. L. Kuhn signalait déjà que « The painting completely disappeared about a month after he was exposed to the air and light. »10. De son aspect, nous ne connaissons que le dessin fait par son inventeur, mais seulement grâce aux différentes publications qui l’ont utilisé11. L’original de ce dessin n’est pas non plus parvenu jusqu’à nos jours. Il semble qu’il fut détruit au tout début de la guerre de 1936-193912. Le dessin sur les reproductions conservées, nous montre une superficie de profil irrégulier qui correspond à la décoration d’un des   Voir Antoni Pladevall, M Lluïsa Casas, « Sant Cristòfol de Campdevànol [Història] », Catalunya Romànica, vol. X, Barcelone, Enciclopèdia Catalana, 1987, p. 75. 9  J. Gudiol, R. d’Abadal, « Descubriment de pintures romániques… », p. 204. 10   C. L. Kuhn, Romanesque Mural Painting…, p. 6. 11   Le dessin paraît pour la première fois, en sépia, dans l'œuvre de J. Gudiol (La pintura Mig-Eval…, fig. pp. 19-20) ; il faut attendre l'œuvre de J. Pijoan (Monumenta Cataloniæ…, planche II) pour atteindre, seulement à travers un détail, les couleurs. Les études postérieures se sont limitées à reproduire la photographie de J. Gudiol. 12   M. S. Gros, directeur de l’Arxiu Episcopal de Vic, nous a informé quand nous commencions notre recherche sur cet ensemble que, selon Joaquim Abadal, fils de Ramon d’Abadal, le dessin, en même temps que d’autres objets, furent brûlés et jetés par la fenêtre de la résidence familiale de Barcelone, au début de la guerre, en 1936. Malgré tout, étant donné que ce ne serait pas la première fois qu’une œuvre supposée détruite ou disparue pendant cette guerre réapparaît subitement, il est toujours possible d’espérer que l’aquarelle réapparaisse un jour ou l’autre. 8

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75. Croquis des peintures de Saint-Christophe de Campdevànol réalisé par Ramon d’Abadal. Reproduction en sépia publiée dans Josep Gudiol i Cunill, La pintura Mig-Eval Catalana, vol. I. Els Primitius, 1ª part. Els pintors : la pintura mural, Barcelone, S. Barbra, 1927, fig. 19 (La légende de la photo explique : « Dessin de Don Ramon d’Abadal i de Viñals »)

murs latéraux de la nef [fig. 75]13. La superficie totale décorée mesurait 5 x 2 mètres (soit 10 m2) et la peinture était appliquée sur un mur enduit de manière irrégulière14. Quant au décor, on y trouve, dans la partie haute une frise décorative tout du long, composée de rectangles croisés intérieurement par des traits formant une croix de saint André15.

Ce motif décoratif est un de ceux réunis par Carbonell, sous le nom de thème 3216. « Dans la partie basse une autre frise qui change selon les emplacements »17. En réalité, le décor de cette zone basse n’est visible que sous les personnages de la moitié gauche, et son mauvais état nous permet seulement de dire qu’on y voyait un thème basé, en partie, sur des éléments semi-circulaires concentriques. D’une certaine manière cela rappelle la décoration de Sainte-Croix de Calafell18. 13   Selon J. Gudiol (La pintura Mig-Eval…, p. 130) il s’agit du mur sud de l’église. Bien que cela puisse sembler étrange, R. de Abadal ne mentionne ni cette donnée ni d’autres – comme les possibles inscriptions – pour lesquelles il fallut attendre la parution du livre de Mgr J. Gudiol. 14  J. Gudiol, R. d’Abadal, « Descubriment de pintures romániques… », p. 204. 15   Ibid. 16  Eduard Carbonell i Esteller, L’ornamentació en la pintura romànica catalana, Barcelone, Artestudi, 1981 (Materials, 2), p. 62. 17  J. Gudiol, R. d’Abadal, « Descubriment de pintures romániques… », p. 204. 18   L’ensemble de la Sainte-Croix del Castell de Calafell a été placé parmi ceux appartenant au XIe siècle (X. Barral, Les pintures murals romàniques…, pp. 50-54) et pour cette raison, comme dans le cas de Saint-Pierre Desplà, il est prévu d’en faire prochainement une étude

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le xe siècle, un siècle confus La bande centrale, d’une grande largeur, porte des dessins historiés dans l’ordre suivant, en commençant par la droite du spectateur : en premier lieu une série de lignes, espaces et points indéchiffrables ; après, un personnage qui peut être la représentation d’Ève, à laquelle il manque la tête et qui a les bras posés sur la poitrine19.

Le personnage, qui occupe toute la hauteur du registre, semble vêtu d’une salopette qui lui couvre tout le corps jusqu’aux poignées et aux chevilles. C’est également sur ces deux endroits que nous distinguons une double ligne qui, sur tous les autres personnages, indique l’extrémité de la manche ou des braies. Les mains semblent soutenir quelque chose à hauteur de la poitrine, mais elles ne sont pas jointes, l’une étant plus haute que l’autre, comme on le voit à Marmellar20. Les pieds sont représentés de profil et alignés, tournés vers la droite. Cette position des pieds pourrait faire penser que le personnage était en relation avec quelqu’un ou quelque chose situé à sa gauche. Malheureusement, de ce côté le dessin ne montre que des « lignes, espaces et points indéchiffrables ». Vient ensuite une niche insérée dans le mur, décorée intérieurement avec le motif répété de la frise supérieure ; l’arbre du bien et du mal avec des branches symétriques dont pendent alternativement une feuille et un fruit ; la tête et les épaules d’Adam, dont la barbe et la moustache sont figurés par des traits ondulés ; un ange aux bras levés, volant21.

Le dessin relève effectivement un espace rectangulaire22. D’après ce qu’on comprend de la description de R. d’Abadal et de son ébauche, cette ouverture détruisit partiellement le décor, mais à une époque assez proche pour avoir connu et utilisé le motif décoratif de la frise supérieure comme ornement intérieur de la niche. Sans doute l’intention fut d’unifier la décoration, malgré la destruction, au dans le cadre de Ars Picta. Outre X. Barral, on peut consulter : Antonio Palomeque, « La iglesia románica de Santa Cruz de Calafell », Archivo Español de Arte, nº 90, XXIII (1950), pp. 145-154. ; Joan Santacana, L’excavació i restauració del castell de la Santa Creu (Calafell, Baix Penedès), Barcelona, Diputació de Barcelona, 1986 (coll. Monografies Arqueològiques, 6) ; Catalunya Romànica, XIX, pp. 232-236. 19  J. Gudiol, R. d’Abadal, « Descubriment de pintures romániques… », p. 204. 20   Bien que son appartenance au XIe siècle soit discutable, c’est la proposition de X. Barral (Les pintures murals romàniques…), seul auteur à lui avoir prêté attention. Voir en dernier lieu Catalunya Romànica, I, pp. 347-348. 21  J. Gudiol, R. d’Abadal, « Descubriment de pintures romániques… », p. 204. 22   Si le registre mesurait environ 2 m de haut, nous pouvons déduire que cette ouverture mesurait approximativement 70 x 35 cm.

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76. Détail du croquis des peintures de Campdevànol. Reproduction en sépia publiée ibidem, fig. 20.

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moyen d’un motif commun. Les vestiges des éléments de la composition devaient être en partie identifiés au moyen d’inscriptions que nous ne connaissons qu’à partir de la lecture qu’en fait J. Gudiol. Ainsi l’arbre, d’un schématisme absolu, serait accompagné, à gauche, du mot pvmo23. Ce pumo doit être compris comme une référence au lignum scientiæ boni et mali24, cause du péché originel, selon la lecture qui à l’époque médiévale le transforme souvent en pommier, lignum pomiferum, c’est le cas par exemple de celui qui apparaît sur la broderie de la Création de Gérone25. Immédiatement à gauche de l’arbre se trouve le personnage que R. de Abadal reconnaît comme étant Adam. De celui-ci nous ne conservons que le tiers supérieur, mais la barbe permet de l’identifier comme personnage masculin. À la hauteur de sa tête, on lit, à nouveau selon J. Gudiol, les mots comedit homo. Dans ce cas, l’inscription résume, peut-être, le texte : deditque viro suo, qui comedit26. Outre les inscriptions, on remarque que ce personnage occupe aussi toute la hauteur du registre. Le visage est représenté entièrement de face, il semble qu’il lève la main gauche pour prendre le fruit défendu ( ?). La tête est entourée d’une sorte de «diadème» qui, sur la reproduction de J. Pijoan, apparaît de couleur bleu ciel [pl. 38]. Il est cependant difficile de dire s’il s’agit de cheveux ou d’un nimbe. à gauche, et occupant seulement la partie supérieure du registre, on voit le supposé ange [fig. 76]. Le personnage est habillé d’une tunique courte, ses jambes sont parallèles et ses pieds pendants, de profil, et les bras levés comme s’il s’agissait d’un orant. Le visage apparaît, lui aussi, de face et couronné du même type de «diadème», ici de couleur rouge. Au-dessous de son épaule gauche, on distingue une forme ogivale, d’où pend un décor de lignes ondulées semblables à celui de la barbe d’Adam. Selon ce que nous observons sur un autre exemple, il faut considérer qu’il s’agit d’une aile. Le personnage occupe un espace très restreint auquel il s’adapte partiellement. C’est sans doute pour cette raison qu’on ne voit qu’une aile. Bien que R. d’Abadal n’y fasse pas référence, un élément vertical avec un décor géométrique de carrés sépare la scène décrite de la suivante. À cause de cet élément vertical, on trouve même une rupture dans le motif décoratif de la frise supérieure. En continuant la lecture vers la gauche, on trouve,  J. Gudiol, La pintura Mig-Eval…, p. 130.   Gn. 2, 9. 25   Pere de Palol, El tapís de la Creació de la Catedral de Girona, Barcelone, Artestudi-Proa, 1986 (coll. Quaderns d’Estudis Medievals. Suplementa, 2), p. 97. 26   Gn. 3, 6. 23 24

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troisième partie un autre ange, la tête et les ailes dans la partie supérieure ; pour finir, deux personnages, un presque entier, sans doute un ange, qui tient une main en l’air et qui a dans l’autre un instrument, l’autre vêtu d’une tunique visible depuis la ceinture vers le bas27.

Le premier ange décrit par R. d’ Abadal est dans une position parallèle à celui qui accompagne le supposé Adam. Dans ce cas, il n’y a pas trace des mains, et donc on peut écarter une attitude similaire à l’ange précédent. En revanche, on distingue très bien les ailes. Leur forme est là aussi ogivale, mais ici l’intérieur est décoré de formes plus ou moins triangulaires, qui cherchent à recréer l’aspect associé habituellement au plumage des ailes. Juste entre l’aile gauche et la tête il semble que se trouvent les vestiges d’une troisième inscription. C’est sur la photographie en couleur publiée par J. Pijoan qu’elle est le mieux visible, bien que sa lecture soit impossible [ill. 38]. Quant au visage de l’ange, il est lui aussi de face, mais il semble bien ici que l’on puisse y voir un nimbe. Le haut du personnage est conservé à partir de la ceinture. La destruction des peintures juste au-dessous de la figure est notable. Des modifications de l’édifice, postérieures à la décoration, ont fait disparaitre un espace plus ou moins carré dont nous ignorons la fonction. Entre cet espace en blanc et l’aile gauche de l’ange, le dessin note une élément très effacé qui, à ce qu’il en reste, pourrait avoir été un chapiteau de type ionique. À partir de cet endroit, la décoration devait être très détériorée. De l’aile droite de l’ange on ne conserve que son début. Juste au-dessous se trouve le seul personnage presque entier du décor, qui regarde de face et qui a aussi la tête entourée par cette sorte de «diadème». Le personnage lève la main droite ouverte et de la gauche soutient un objet allongé d’aspect végétal qui semble appuyé sur son épaule. Il porte une tunique courte attachée, achevée d’une bordure frangée par de petits rubans qui s’entrecroisent. Ses pieds, comme ceux de l’Ève supposée, se présentent de profil et alignés sur la ligne de sol. Mais dans son cas, ils sont tournés vers la gauche. Le personnage, en réalité, semble en suivre un autre qui est devant lui. La différence d’échelle entre l’un et l’autre est nette. Ce second personnage devait occuper tout le registre et même en dépasser la limite supérieure, alors que le premier en occupe tout juste les trois quarts. Par malchance, du personnage le plus grand, le principal, nous ne conservons que la moitié inférieure. Il porte des braies et une tunique courte  J. Gudiol, R. d’Abadal, « Descubriment de pintures romániques… », p. 204.

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attachée à la ceinture. Ses pieds sont eux aussi tournés vers la gauche, raison pour laquelle on a pensé que ce personnage comme le précédent se dirigeait dans cette direction. Un peu plus loin, là où s’achève le décor connu, il semble qu’apparaissent des éléments de végétation. D’autres parties suggèrent un fond végétal sur ces deux scènes, bien que les vestiges en soient très maigres.

État de la question La première mention de la découverte de Campdevànol apparaît, comme nous l’avons vu, de manière simultanée dans la Gazeta Montanyesa28 et dans la Revista de la Asociación Artístico-Arqueológica Barcelonesa29. Le texte est identique dans les deux publications. R. d’Abadal30 y parle de la transformation de l’édifice, du lieu et des conditions de la découverte, des dimensions des peintures, du croquis qu’il réalise et des conditions dans lesquelles il le réalise. Il en fait une description, identifie les éléments iconographiques et en évalue la qualité. Hormis la datation et quelques autres aspects, comme les inscriptions, tout ce que nous savons des peintures au moment de leur découverte est réuni dans ce texte. Nous savons que les données proviennent du travail de terrain réalisé dans l’église pendant le séjour R. d’Abadal à Campdevànol. Le fruit de ce travail, qui inclut même des prospections archéologiques, sont les dessins, non seulement des peintures mais aussi des élévations et du plan que quelques années après publie J. Puig [figs. 72-73]. Nous savons par J. Font31 que R. d’Abadal «  en a rendu compte dans une lettre personnelle à l’Institut [d’Estudis Catalans] » mais nous ignorons si elle a été conservée ou si a existé une documentation plus  R. d’Abadal, « Nova pintura mural… ».  J. Gudiol, R. d’Abadal, « Descubriment de pintures romániques… ». 30   Il faut considérer par conséquent que le texte descriptif de la découverte des peintures de Campdevànol est à attribuer à R. d’Abadal et pas à la paire J. Gudiol i Cunill-R. d’Abadal. Si dans l’article de l’Asociación ils figurent tous deux, c’est sans doute en raison du rôle d’éditeur de J. Gudiol. S’il y avait eu quelque doute sur la rédaction du texte de Campdevànol, la manière dont est formulée la chronique dans la Revista de la Asociación le lèverait : « Dans la susdite revue de Vic [c’est-à-dire la Gazeta Montanyesa] est aussi annoncée l’intéressante découverte d’une nouvelle peinture murale romane, faite dernièrement par M. Ramon d’Abadal, qui la décrit comme suit. » (J. Gudiol, R. d’Abadal, « Descubriment de pintures romániques… », p. 203). 31  Josep Font i Gumà, « Noves pintures murals catalanes. El Brull y Campdevànol. Gurb. Manacor (Mallorca) », Anuari de l’Institut d’Estudis Catalans, III, 1909-1910, Barcelone, IEC, 1911, pp. 714-5. 28 29

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étendue outre les notes possédées par R. d’Abadal32. Il n’a en tout cas publié rien d’autre, et aucun auteur n’a fait référence à quoi que ce soit. Après un laps de temps considérable sans aucune mention, J. Gudiol33, tout en réunissant ce qu’avait publié R. d’Abadal, nous offre quelques nouveautés intéressantes. Il situe par exemple les peintures sur le mur sud de la nef. Mais il faut surtout souligner que J. Gudiol est le premier à publier une reproduction du croquis de R. d’Abadal, encore en noir et blanc– peut-être est-il plus exact de dire en sépia –, et le premier à transcrire et à interpréter deux des trois inscriptions qui s’insèrent dans le dessin. Nous avons vu que R. d’Abadal ne les citait même pas. Il faut supposer pourtant que, si elles y étaient, il les aurait lues, parce qu’elles confirment son identification du thème iconographique. Ce que nous ignorons absolument est si J. Gudiol était parvenu à voir les peintures, et par conséquent s’il connaissait directement la source, ou bien s’il ne connaissait que le dessin et les données qu’avait pu lui communiquer R. d’Abadal. Nous avons déjà dit que les peintures avaient disparu un mois après leur découverte34. L’importance de savoir si J. Gudiol connaissait ou non les peintures de première main réside, avant tout dans le fait qu’il publie et suit le dessin en le considérant comme une copie très fidèle – contre l’opinion de R. d’Abadal lui-même –. Cette valorisation a transformé le croquis de R. d’Abadal en un document fidèle aux yeux des chercheurs postérieurs et a déterminé l’usage qu’ils en ont fait, tout comme le type d’analyse auquel il a été soumis. Par ailleurs, il nous faut nous demander pourquoi J. Gudiol parvient à lire les deux inscriptions les plus nettes du dessin et en revanche, il ne mentionne même pas la troisième. Peut-être est-ce dû au fait qu’il les a lues seulement à l’aide du dessin et pas directement sur les peintures avant leur disparition ? Si la lecture de ces deux inscriptions n’est pas une lecture directe mais a été réalisée sur le dessin, on doit douter de sa véracité et par conséquent de sa validité comme argument d’identification des thèmes représentés (voir infra). Le premier auteur qui effectue une analyse des peintures est C. L. Kuhn, qui pousse l’analyse stylistique aussi loin qu’il est possible à partir des éléments conservés. Grappillant des exemples ici et là, il   Les consultations des archives de l’IEC n’ont donné aucun résultat positif. Selon l’archiviste, Mme Laia Mirel, il ne s’y trouve aucune documentation de ce type provenant de R. d’Abadal, ou alors elle n’a pas encore été inventoriée. 33  J. Gudiol, La pintura Mig-Eval…. 34   C. L. Kuhn, Romanesque Mural Painting…, p. 6. 32

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établit des parallèles avec des sculptures et des tombes mérovingiennes, la sculpture lombarde du VIIIe siècle, l’enluminure de manuscrits européenne du VIIIe siècle et même les monnaies de Léovigild (569-603)35. À grands traits, sa conclusion est que, alors que du point de vue formel l’œuvre se rattache à la tradition alto-médiévale européenne, d’un point de vue iconographique, les racines en sont hispaniques et remontent au monde wisigoth. La présence d’Adam et Ève sur les Beatus serait un argument pour la perduration de cette plastique et de cette iconographie, qui donne lieu à une œuvre comme celle de Campdevànol au IXe siècle. Pour C. L. Kuhn, le lien avec le monde wisigoth est si évident qu’il considère qu’il faut dater les peintures de l’époque la plus ancienne où l’on pourra placer l’édifice. Après le travail de C. L. Kuhn, il y a très peu d’apports neufs sur les peintures de Campdevànol. La plupart des auteurs se sont limités à citer et re-citer ce qui s’était dit jusqu’alors, avec peu de variations. Même C.R. Post, très perspicace dans ses appréciations sur la peinture murale, reconnaît avoir été convaincu par les arguments de C. L. Kuhn36. Pourtant, et compte tenu de la faiblesse des arguments pour la datation du décor, il n’hésite pas avancer deux hypothèses auxquelles il ne semble malgré tout vraiement croire. La première est que l’église ait été antérieure au IXe siècle, ce qui permettrait d’approcher la datation de l’ensemble des VIe-VIIe siècles. La seconde est que, the possibility is not to be excluded that the paintings embody, in this country church, a survival of the older manner even as late as the eleventh or twelfth century up to the time of the architectural remodelling.

Ni l’une ni l’autre n’ont jamais été réexaminées. La seconde possibilité nous paraît particulièrement intéressante37. Le plus remarquable peut-être des analyses de C. L. Kuhn et de C. R. Post est qu’aucun des deux n’oublie la réalité de l’œuvre, c’est-àdire qu’ils travaillent à partir du dessin d’une peinture disparue. En ce sens ils réfléchissent rapidement sur la validité de l’aquarelle qu’ils

  C. L. Kuhn, Romanesque Mural Painting…, pp. 7-8.   C. R. Post, A History …, I, pp. 166-7. 37   Ibid., p. 167. Rappelons que Post place les peintures de Campdevànol dans un groupe qu’il appelle “The rustic frescoes” qui serait un cas à part dans le panorama général de la peinture murale, groupe caractérisé par sa faible qualité et la difficulté de le dater. Dans ce groupe se trouvent les peintures de Marmellar et de Saint-Pierre de Terrassa (pour Terrassa voir addenda). 35 36

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admettent avoir vue chez de R. d’Abadal. Les deux acceptent l’autorité de cette copie, à partir de la véracité des couleurs !38. Il faut attendre jusqu’aux années 50 pour trouver quelque chose de neuf39. W. W. S. Cook et J. Gudiol40 considèrent que les peintures de Liño41 sont un «  primer eslabón de la cadena estilística que enlaza las pinturas de Campdevánol, Tarrasa, Pedret, Castillejo de Robledo y Granera ». Bien qu’ils ne sachent pas très bien quelle datation attribuer à Camp devànol, étant donné que «  Como único dato puede aducirse que dichas pinturas quedaron ya inutilizadas hacia el siglo XI [sic] », il semble évident que le parallèle qu’ils font situe les peintures aux IXe-Xe siècles42. Après ce dernier travail, il n’y a eu aucun apport qui ait modifié un tant soit peu le paysage malgré de nombreuses références. X. Barral43 les considère dans « une tradition iconographique beaucoup plus fidèlement paléochrétienne » mais ne donne aucun exemple comparable de cette tradition. J. Ainaud44 , tout en tentant de perfectionner la susdite théorie des deux tendances préromanes, place Campdevànol à côté de Saint-Pierre Desplà. Selon l’auteur, cette plastique non

  C. L. Kuhn, Romanesque Mural Painting…, p. 7 ; C. R. Post, A History …, I, p. 167.  J. Pijoan (Monumenta Cataloniæ…, p. 38 et pl. II) analyse Campdevànol juste avant le Pentateuque Ashburnham, et cela est déjà significatif de son opinion. Tout en suivant l’opinion de C. L. Kuhn ( ?) il considère que le décor est wisigoth. Le plus important de l’apport de J. Pijoan est qu’il nous donne la seule reproduction en couleur que nous connaissions de la peinture, précisément seule une vue de détail de la deuxième scène. 40   W. W. S. Cook, J. Gudiol, Ars Hispaniæ…, p. 21 ; Walter William Spencer Cook, José Gudiol, Ars Hispaniæ. I, « Pintura e Imagineria Románicas », Madrid, Plus Ultra, 1980 (2e édition révisée), p. 18. 41   Les vestiges du décor de cette église asturienne sont présentés dans l’œuvre de José Amador de los Ríos, Monumentos Arquitectónicos de España. Iglesias de San Miguel de Linio y Palacio de Ramire I, actualmente destinado a iglesia parroquial, bajo el nombre de Santa María de Naranco, Madrid, 1877 (réédition Oviedo, 1988), p. 13). Pourtant c’est seulement dans l’ouvrage de H. Schlunk, M. Berenger, La pintura mural asturiana…, pp. 109 et suiv., qu’elles deviendront objet d’étude et de diffusion. L’église est datée de l’époque de Ramire I, entre 842 et 850, et c’est à cette date aussi que sont attribuées les peintures. L’intérêt principal de l’ensemble est la présence, pour la première fois, de la figure humaine dans la peinture murale asturienne. (v. récemment L. Arias, La pintura mural…, pp. 110-129). 42   Quelques années plus tard, X. Barral (« Peinture murale romaine et médiévale… », p. 146) insiste sur le rapprochement entre Campdevànol et Liño. « L’étonnante comparaison que je crois pouvoir établir avec une peinture murale de San Miguel de Liño, aux Asturies, parfaitement datée du IXe siècle, permet à mon avis de situer la date de la peinture de Campdevànol au IXe siècle ou au début du Xe au plus tard. » Peu de temps après (Idem, Les pintures murals romàniques…, p. 98), il admet s’être trompé en rapprochant cet ensemble des Beatus – Kuhn l’avait déjà fait – et de Liño. 43  X. Barral, Les pintures murals romàniques…, p. 100. 44  J. Ainaud, La pintura catalana. La Fascinació…, p. 31. 38 39

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classique se prolongerait dans des œuvres comme Pedret (v. infra), Marmellar ou un parchemin de Matadepera45.

Questions stylistiques et formelles Considérations préalables Un article signé par Ainaud dans le numéro consacré à Ramon d’Abadal de la revue Destino, mérite de prendre place en tête de ce chapitre. Lo que pudiéramos llamar su aportación directa [au monde des arts et à son histoire] se centra en un solo caso, aunque muy valioso y significativo. Gracias a su esfuerzo e interés – y a unas dotes artísticas de las que no conozco ninguna otra prueba –, nos conservó el testimonio informativo e incluso la imagen visual de unas pinturas prerrománicas interesantísimas que decoraban los muros de una iglesia arruinada que él excavó, cercana al pueblo pirenaico de Campdevànol. En una época en que no se conocía entre nosotros la técnica de arranque y restauración de las pinturas murales, él mismo tomó cuidadosamente todos los datos que pudo – base de un artículo que publicó en 1909 en la Gazeta Montanyesa de Vic y en el Boletín de la Asociación Artístico-Arqueológica Barcelonesa – y realizó una copia coloreada de aquéllas (destruida por desgracia y barbarie en 1936) gracias a la cual pudieron reproducirlas luego Mn Gudiol y J. Pijoan, de quienes él mismo se confesaría por otra parte discípulo, mientras Puig y Cadafalch utilizaba la planta y alzado de las excavaciones en la monumental Arquitectura Romànica a Catalunya46 – c’est nous qui soulignons.

Avant de connaître cette mention de l’héritage artistique de R. d’Abadal, nous nous sommes interrogé sur la valeur du dessin comme base pour une analyse stylistique47. Les paroles de J. Ainaud confirment notre première idée. Le problème est qu’à part R. d’Abadal, qui les a vues in situ, tous les auteurs postérieurs ont dû analyser la décoration à partir du dessin48. Nous avons déjà vu que les seuls qui n’oublient pas cette donnée préalable sont C. L. Kuhn et C. R. Post. C’est un élément déterminant pour l’étude de Campdevànol. Si le dessin avait été l’œuvre de Joan Vallhonrat, auteur de si nombreuses et si   On peut voir une photographie dans Catalunya Romànica, I, p. 136.  Juan Ainaud de Lasarte,« Aportación de Abadal al mundo de las artes y de su historia », Destino, 1686 (24 janvier 1970), numéro spécial Ramon d’Abadal i de Vinyals, p. 9. 47  C. Mancho, « Tradicions iconogràfiques i formals … », p. 425. 48   Le seul qui aurait, peut-être, pu voir l’ensemble peint est Gudiol (voir supra). 45 46

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fiables copies d’ensembles romans49, nous pourrions avoir quelque garantie sur la reproduction des peintures, mais comme ce n’est pas le cas, il nous semble risqué de parler de style wisigoth50, mozarabe ou asturien51. Une bonne illustration du problème que suppose l’analyse stylistique d’un ensemble à partir seulement d’une reproduction de ces peintures nous est fournie par certaines copies commandées par l’Institut d’Estudis Catalans au début du XXe siècle. Le MNAC conserve, par exemple, deux reproductions dudit “retaule petri” de Saint-Pierre de Terrassa52. Chacune d’elles est l’œuvre de peintres différents. La plus ancienne est l’œuvre d’Alexandre Planella i Roure (1898) ; la plus récente est de Jaume Llongueres (1910-1912)53. Dans les deux cas il s’agit de peintres professionnels – ce que R. d’Abadal n’était pas –, pourtant les différences sont nettes tant pour des détails iconographiques que, surtout, stylistiques54. Bien entendu, ces divergences, quoique très accusées, ne remettent pas en cause notre compréhension de l’ensemble, surtout parce que dans le cas de Saint-Pierre de Terrassa (voir addenda supra) nous conservons la peinture originale. Les reproductions deviennent dès lors un document, et pas un problème. Dans le cas de Campdevànol, nous ne conservons pas l’original et nous n’avons pas deux copies qui nous permettent de les comparer, en outre l’ébauche que nous en connaissons n’est pas l’œuvre d’un professionnel. Nous pouvons cependant démontrer que notre objection à considérer comme valide le dessin perdu de Campdevànol pour l’étude stylistique ne relève pas d’une appréciation subjective. Si nous nous souvenons des paroles de R. d’Abadal55, il décrit le dessin comme « un croquis qui permet de se représenter l’effet décoratif et historié » ajoutant que « se représenter » cela était « par ailleurs impossible à la seule vue directe de l’original  » étant donné son mauvais état de conservation. Ce qu’il faut remarquer ici est que R. d’Abadal – selon 49   cf. M. Guardia, J. Camps, I. Lorés, La descoberta de la pintura mural…, pp. 28 et suiv. et nº 13 et suiv. 50   C. L. Kuhn, Romanesque Mural Painting…, p. 6 ; C. R. Post, A History …, I, pp. 166-7. 51  J. Gudiol, La pintura Mig-Eval…, p. 132 ; X. Barral, « Peinture murale romaine et médiévale… », p. 146. 52  M. Guardia, J. Camps, I. Lorés, La descoberta de la pintura mural…, pp. 38-9, 46-7. 53   Nous renvoyons à la notice biographique élaborée pour l’exposition de reproductions réalisée au MNAC en 1993 (M. Guardia, J. Camps, I. Lorés, La descoberta de la pintura mural…, pp. 26-28). 54  M. Guardia, J. Camps, I. Lorés, La descoberta de la pintura mural…, pp. 22-3. 55  J. Gudiol, R. d’Abadal, « Descubriment de pintures romániques… », p. 203.

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ses propres paroles – n’a jamais prétendu que le dessin fût autre chose qu’un «croquis» – il aurait pu dire : un schéma, une ébauche, une esquisse – qui permette de se faire une idée approximative de la décoration et de l’iconographie. D’autre part, la fidélité possible du croquis reste alètoire  ; l’auteur lui-même reconnaît que l’état de conservation des peintures était assez mauvais pour que « avec la seule vision directe de l’original », il ne fût pas possible de « se représenter l’effet décoratif et historié ». Nous avons déjà souligné que l’état de conservation était si lamentable qu’au bout d’un mois les peintures étaient définitivement perdues56. Pour se faire une idée de leur état de lisibilité, il suffit de penser à la plupart des découvertes récentes avant leur restauration. Le problème survient quand un modeste croquis est transformé par J. Gudiol57 en « une belle et très fidèle aquarelle » – c’est nous qui soulignons. Que R. d’Abadal ait souffert d’une modestie excessive ou que J. Gudiol ait été démesurément confiant, ce qui est sûr est que tout le monde préféra croire les paroles du second. Ainsi, depuis J. Gudiol, tous les auteurs ont considéré cette ébauche comme une reproduction fidèle du décor de Campdevànol. Nous avons voulu revoir cet aspect au début de notre étude, car il n’est pas nécessaire de souligner que la manière dont nous connaissons ces peintures a conditionné les analyses et les commentaires de tous les auteurs qui ont donné leur avis sur Campdevànol. Manque de rigueur  ? Assurément. Faut-il pour autant rejeter le dessin  ? Sans aucun doute, non. Non seulement parce que sont encore fortes les paroles de R. d’Abadal selon lesquelles le dessin devait permettre de « se représenter l’effet décoratif et historié ». À notre avis, il faut comprendre que par ces mots l’auteur nous annonce qu’il a renoncé à nous renseigner sur les questions formelles ou stylistiques. En contrepartie de quoi, il a tenté de laisser un témoignage de l’« iconographie» et de la décoration afin que nous puissions imaginer l’effet de l’intérieur décoré. C’est pourquoi le dessin est un outil indispensable pour l’étude de l’iconographie (voir infra)58. L’opinion de l’inventeur des peintures lui-même n’incite pas à croire en leur grande qualité de facture,   C. L. Kuhn, Romanesque Mural Painting…, p. 6.  J. Gudiol, La pintura Mig-Eval…, p. 132. 58   Il nous paraît significatif que R. d’Abadal lui-même ait consacré ses principales remarques écrites à l’iconographie. Quand il aborde des questions formelles ou stylistiques, c’est de manière brève et toujours très négative. Malheureusement ceci a conduit les auteurs postérieurs à laisser de côté l’iconographie et à s’intéresser au style. 56 57

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troisième partie quant à la qualité de l’œuvre [dit R. d’Abadal] à part son importance archéologique, elle est nulle : production d’un artiste montagnard, sans instruction, elle présente un aspect paysan et enfantin : les personnages, difficiles souvent à reconnaître, ont les pieds par côté, posés l’un derrière l’autre, en revanche leurs épaules et leur visage se présentent de face, un peu comme sur les bas-reliefs et les peintures égyptiennes : les visages sont dessinées de la façon la plus primitive qui se puisse imaginer, un ovale, deux cercles pour les yeux, un trait pour la bouche, le nez qui pend depuis les yeux eux-mêmes ou depuis les sourcils représentés par un simple arc, de cheveux pas l’ombre.

Ces commentaires nous paraissent le meilleur argument pour rejeter toute approche purement formelle de cet ensemble. R. d’Abadal ne décrit pas de manière méprisante un ensemble médiéval ; sa description n’est pas idéologique. R. d’Abadal décrit un ensemble de mauvaise qualité et mal conservé. À notre avis, mauvaise qualité et analyse formelle sont des thèmes incompatibles59.

Analyse Si ce dont il s’agit est de donner une datation des peintures, ce n’est donc pas à partir de parallèles stylistiques que nous y parviendrons. La seule donnée fiable est celle que fournit la réforme de l’église. Si le renfort intérieur des murs, pour couvrir l’édifice d’une voûte en berceau date du XIIe siècle, les peintures sont antérieures au XIIe siècle. Malheureusement, nous ne savons rien de l’édifice le plus ancien, et c’est seulement à partir de conjectures qu’il a été daté des alentours du IXe ou du début du Xe siècle. Le terminus post quem n’est donc pas très clair. Nous ignorons par conséquent à partir de quel moment existe une église pouvant contenir ces peintures. Nous pouvons toujours supposer que l’église était une construction rurale postérieure à l’occupation musulmane, c’est-à-dire d’époque carolingienne (IXe siècle). Il semble que, comme dans le cas de SaintCyr de Pedret et pour des raisons similaires, nous nous trouvions devant des peintures qu’il faut placer entre les IXe et XIIe siècles. 59   Afin de convaincre les plus réticents à admettre qu’il faille écarter l’analyse stylistique de Campdevànol, nous proposons de faire un essai. Il suffit de placer cette description de R. d’Abadal à côté d’une image des peintures de Saint-Michel de Marmellar. Le résultat est qu’en raison de la mauvaise qualité des deux ensembles les termes de comparaison sont nombreux, non qu’il existe une quelconque affinité stylistique ou chronologique réelle entre les deux œuvres, mais parce qu’étant de mauvaise qualité leur technique d’expression est très proche.

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C. L. Kuhn ne partagerait pas notre point de vue. Cet auteur, convaincu de la validité documentaire du dessin, se lance d’emblée dans l’établissement de parallèles stylistiques60. Sa proposition de caractère exhaustif réunit des exemples de tous lieux. Il trouve des ressemblances entre les visages de Campdevànol et ceux de la sculpture mérovingienne de la vallée du Rhin, un relief du VIIIe siècle – appelé «bloc de saint Gothard»–, des tombes mérovingiennes de Boppard et de Niederdollendorf, un fermoir de bronze de Waldgesheim au Musée de Bonn, une plaque d’or du Ve siècle d’une collection particulière de Cologne, l’autel de S. Martino de Cividale (734-744), la croix d’or de Rodeano au Musée de Cividale, l’évangéliste Mathieu de la Collégiale de Cividale, un relief conservé à Tarensenna, un ivoire anglo-saxon du VIIIe siècle conservé au Bargello de Florence. Ceci pour la sculpture et le bas-relief. Pour le domaine de la peinture il établit des parallèles avec : un manuscrit des Canons de la bibliothèque de Bruxelles de ca. 780, le manuscrit des Leges Barbarorum de Saint-Gall (fin du VIIIe siècle), la miniature irlandaise en général et, en particulier, les Évangiles de Cadmag à Fulda et les visages du psautier de St. John’s College de Cambridge (IXe siècle). Quand il le compare à des exemples hispaniques, il renvoie : aux visages sur les monnaies wisigothiques à partir de Léovigild, aux visages de la table de canons de la Bible de la Real Academia de la Historia (qu’il situe au VIIe siècle), aux reliefs du Musée de Granada61, et à un commentaire de Grégoire sur Job provenant de Saint-Pierre de Cardeña – d’après M. Gómez-Moreno – à la Rylands Library de Manchester (qu’il situe au IXe siècle). Un autre aspect, celui des gros personnages, est d’après lui présent sur les manuscrits mozarabes du Xe siècle et il cite l’Albeldense et l’Emilianense de l’Escorial. Enfin, il trouve des ressemblances entre la frise décorative de Campdevànol et une imposte wisigothique de Cordoue, un fragment de la même époque de Mérida et la couronne de Guarrazar. Nous exposons de manière étendue les parallèles de C. L. Kuhn afin de comprendre et ainsi de décider s’il faut accepter ou rejeter sa proposition de datation. La conclusion de l’auteur est que, From the above comparisons we have seen that all of the elements which compose the fresco are characteristic of art of a very early date and that some of them linger on in Spain until the tenth century or later. It is logical to conclude, therefore, that the

  C. L. Kuhn, Romanesque Mural Painting…, pp. 6-9.   Ibid., pl. I, 2 et 3.

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troisième partie lost paintings were contemporary with the architecture at Campdevànol and date from a period no later than the ninth century.

En plus d’accepter ou non les comparaisons et les parallèles établis par C. L. Kuhn, l’information que nous donnent ces exemples est très restreinte. La période dans laquelle nous trouvons des personnages comme ceux de Campdevànol va, d’après l’auteur, du Ve au début du Xe siècle. En réalité, nous pourrions trouver beaucoup d’exemples très au-delà du Xe siècle. Nous avons déjà cité le cas de Marmellar, de datation discutable, mais en aucun cas antérieur au XIe siècle. Sur la sculpture les exemples se multiplient62. Paradoxalement C. L. Kuhn conclut que les exemples ne nous placent pas plus tard que le IXe siècle. Il existe un élément en relation avec les questions formelles qui pourrait nous apporter quelque information, nous pensons à la palette chromatique. La première fois que le dessin fut publié, ce fut dans des tons sépia qui, malgré tout, laissent deviner des tons différents indiquant qu’il s’agissait d’un original colorié [fig. 75]63. On ne sut quelles étaient ces couleurs que lors de la publication d’un détail des peintures dans l’œuvre de J. Pijoan [ill. 38]64. La reproduction utilise une palette composée de bleu, jaune, rouge, rose et des tons marron. De la même façon que nous avons mis en doute la valeur du dessin pour juger du style nous pourrions maintenant douter des couleurs reproduites par R. d’Abadal. Pourtant, dans ce cas, et traitant sur ce sujet avec une grande prudence, nous pouvons imaginer une certaine fidélité de base à la peinture originale. Les fonds que décrit R. d’Abadal sont principalement de couleur rose ou de couleur marron, alors que certaines   Voir les exemples de sculpture du Xe siècle et des débuts du XIe, réunis par X. Barral (L’art pre-romànic a Catalunya…, pp. 110-121). Parmi les pièces rassemblées par cet auteur nous relèverons l’imposte de Saint-Hilaire d’Abrera (fin du Xe siècle) et celle de Saint-Pierre de les Puelles (Barcelone, deuxième moitié du XIe siècle) (respectivement Ibid., fig. 220-221 et N. de Dalmases, A. José, Història de l’Art Català… fig. 39). Pour ces dernières, on a traditionnellement avancé une chronologie de la seconde moitié du XIe siècle (Julia Beltrán de Heredia, Immaculada Lorés i Otzet, « La catedral romànica de Barcelona : revisió de les dades arqueològiques i de l’escultura », QUARHIS. Quaderns d’Arqueologia i Història de la Ciutat de Barcelona, 2ª ep., 1 (2005), pp. 101-117). Afin de proposer d’autres exemples nous dirons que récemment nous avons pu voir au Musée Municipal de Limoges un groupe de chapiteaux provenant de l’abbaye de Saint-Martial (Limousin) (ARC L. 50 i 51) et de Lesterps (Charente) (ARC L. 73) datés du XIIe siècle qui pourraient constituer un bon parallèle avec les visages de Campdevànol – tout comme pour les pièces d’Abrera et de les Puel·les –. À la vérité les exemples pourraient être multipliés ad infinitum parce que toutes ces œuvres de faible qualité se ressemblent. 63   En fait Gudiol dit explicitement qu’il s’agit d’une aquarelle (J. Gudiol, La pintura MigEval…, p. 132). 64  J. Pijoan, Monumenta Cataloniæ…, pl. 2. 62

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parties confuses et de format réduit sont d’un bleu grisé. Les lignes générales sont de couleur rouge, alors que les habits sont décorés de grandes zones de teintes plates rouges, bleus ou jaunes. Les œuvres conservées en Catalogne et qui appartiennent, avec certitude, à la fin du IXe siècle – des vestiges au MUHBA de Barcelone, l’ensemble de Terrassa – n’ont rien à voir avec Campdevànol. En ce qui concerne le Xe siècle, sauf peut-être la décoration de Saint-Cyr de Pedret, qui peut y appartenir, nous n’avons aucun autre ensemble mural de ce siècle65. Les exemples de peinture du XIe siècle sont plus nombreux, et certains sont pertinents. À côté d’ensembles résultant des influences nord italiennes, d’autres peuvent dépendre directement de l’activité d’un illustrateur de manuscrits de la fin du siècle. Pour ce groupe, on accepte habituellement des datations de la fin du XIe siècle. L’utilisation de la couleur dans ces œuvres n’a guère – pour ne pas dire rien – à voir avec ce que nous trouvons à Campdevànol66. Un groupe relativement nombreux d’ensembles ont été datés du XIe siècle sans études très approfondies. On y remarque les peintures d’Olèrdola, de Calafell, de Marmellar et de Matadars étudiées par Barral67, de même que des découvertes assez récentes comme Saint-Romain de Can Santromà ou, plus récente encore, Saint-Pierre Desplà68. Aucun de ces ensembles ne révèle la moindre ressemblance avec ce que pourrait évoquer réellement le dessin de R. d’Abadal. Font exception les peintures de Saint-Michel de Marmellar, à propos desquelles il faudrait, comme on l’a dit, discuter la datation. Dans tous ces cas on trouve une manière de faire populaire, manifestant peu 65   L’illustration de manuscrits ne nous donne pas non plus d’exemples significatifs (voir supra et M. A. Castiñeiras, « La il·lustració de manuscrits a Catalunya… »). Nous connaissons le dessin du parchemin de Matadepera complètement monochrome qui a été mis en relation avec le style de Campdevànol, cf. J. Ainaud, La pintura catalana. La Fascinació…, p. 33. 66   L’ensemble héritier de l’illustration de manuscrits est le calvaire de Saint-Pierre de Rodes qu’il faut placer dans le dernier tiers du XIe siècle (voir C. Mancho, « Tradicions iconogràfiques i formals … » et Idem, « La pintura mural ». Les ensembles reliés à des tendances nord-italiennes sont ceux bien connus de Saint-Cyr de Pedret, Saint-Pierre de Burgal et Sainte-Marie d’Àger (Catalunya Romànica, I, pp. 351-354 et 364-366) et ont été datés de la fin du XIe siècle bien que probablement ils soient déjà du début du XIIe siècle (voir M. Guardia, C. Mancho, « Pedret-Boí o l’origen de la pintura mural catalana »). 67  X. Barral, Les pintures murals romàniques…. 68   Les peintures de Saint-Romain de Can Santromà (Tiana) sont apparues en 1973, v. [Epifanio de Fortuny,] « Les pintures murals romàniques. Confirmació d’una llegenda? », Sentromà, (juny 1973), [pp. 2-5]. Celles de Saint-Pierre Desplà (v. supra) furent découvertes en 1983 pendant les restaurations de l'église, voir J. Calzada, « Unes pintures preromàniques a Sant Pere Desplà »…. Pour certains de ces ensembles la référence reste l'étude de X. Barral (Les pintures murals romàniques…).

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d’instruction, mais la palette chromatique n’a guère à voir avec celle du dessin de Campdevànol. Tout en restant prudent sur la valeur à accorder à cette polychromie, les couleurs comme leur application sont plus près d’œuvres comme Pedret, voire même de Saint-Michel de Terrassa, que d’œuvres du XIe siècle. Le groupe le plus caractéristique de ce XIe siècle, en marge de courants nord-italiens, est formé des peintures de Saint-Pierre Desplà et peut-être de Can Santromà et le Saint-Sépulcre d’Olèrdola69. Dans ces ensembles, la couleur bleue domine, que ce soit sur les fonds ou sur les vêtements. En plus de celle-ci, la palette est habituellement réduite au rouge, utilisé pour les traits et au blanc et au jaune pour les vêtements. Ce n’est en aucun cas un argument concluant, d’autres ensembles comme Saint-Étienne de Marenyà ou la chapelle du château de Calafell, datées de la deuxième moitié du XIe siècle s’éloignent de cette palette70. En réalité, l’église Saint-Pierre Desplà elle-même montrerait des zones dans lesquelles le bleu du fond laisse la place à la couleur représentant la terre et la palette de référence n’est donc plus continuée. Pourtant, ce sont d’autres données qui nous permettent de supposer l’ancienneté de la décoration. Aucun des auteurs qui ont étudié les peintures n’a fait mention d’un détail fondé sur le texte et le dessin de R. d’Abadad. L’auteur, comme on l’a vu, fait une description dans laquelle les éléments du mur sont expliqués selon une lecture de droite à gauche. R. d’Abadal dit, en premier lieu une série de lignes, espaces et points indéchiffrables ; après, un personnage qui peut être la représentation d’Ève, à laquelle il manque la tête et qui a les bras posés sur la poitrine ; vient ensuite une niche insérée dans le mur, décorée intérieurement avec le motif répété de la frise supérieure ; l’arbre du bien et du mal…71.

Nous avons souligné en gras la référence à la niche, parce que nous sommes sans doute devant une modification du décor ou des structures de l’église qui affectèrent le décor. Si nous observons le croquis publié par J. Gudiol [fig. 75], nous voyons comment, effectivement, entre le supposé arbre et le premier personnage du côté droit se 69   Comme nous le verrons plus loin, le cas du Saint-Pierre de Terrassa montre tant de particularités qu’il constitue un ensemble spécifique, surtout pour le XIe siècle.[Contrairement, voir Addenda, supra]. 70   Pour Marenyà voir Catalunya Romànica, VIII, pp. 319-322 ; sur Calafell v. X. Barral, Les pintures murals romàniques…, pp. 47-54. 71  R. d’Abadal, « Nova pintura mural… ».

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trouve un espace en blanc au profil rectangulaire. À partir des données fournies par R. d’Abadal72, les dimensions de cette niche doivent être, à peu près, de 70 x 35 cm. Outre ses dimensions, l’importance de la niche réside en ce que, d’après le dessin, on peut supposer qu’elle se superpose aux peintures. Pour peu que les branches de l’arbre se soient prolongées, on peut voir qu’elles ont dû être coupées par le percement de la niche. Il faut donc supposer que la réalisation de cette armoire murale est postérieure à la décoration de l’église. Il est intéressant que l’auteur précise que cette niche avait un décor semblable à celui de la frise supérieure73. Le fait que l’armoire ait été décoré avec la même frise nous indique peut-être que la construction de l’armoire est effectivement postérieure à la peinture du mur, mais que, sans aucun doute, cette peinture était encore visible. La frise devient ainsi un motif plus ou moins neutre qui met en relation visuelle la transformation et le décor original. En choisissant comme décor pour l’armoire un élément des peintures anciennes, la modernité de la nouvelle structure devait rester dissimulée par ce décor à l’ancienne, bien que probablement cela n’empêchait pas de voir la mutilation des peintures, la frise unifiait les deux œuvres74. Malheureusement, du mur peint de Campdevànol nous ne conservons que la description de Ramon d’Abadal et les reproductions de son dessin. Si l’on pouvait démontrer sans aucune forme de doute que l’armoire est postérieure à la peinture, nous aurions une phase intermédiaire qui abaisserait le terminus ante quem du XIIe siècle. Étant donné que la transformation qui prend place en ce siècle a aussi masqué l’armoire, celle-ci est antérieure à cette réforme. La séquence complète des faits serait : érection de l’édifice (IXe-Xe siècles ?), décoration de l’intérieur avec la peinture murale, transformations au mur sud pour y percer une armoire, réforme de l’édifice pour y construire une voûte de pierre avec doublement des murs du côté intérieur (XIIe siècle). Bien que nous n’ayons aucune date pour la décoration et pour la construction de l’armoire, on peut imaginer que cette dernière réforme prend place à un moment assez éloigné de la réalisation des peintures pour que leur mutilation partielle ne pose pas de problème.  J. Gudiol, R. d’Abadal, « Descubriment de pintures romániques… », p. 204.  E. Carbonell, L’ornamentació …, thème 32. 74   Un des piliers qui renforcent l’intérieur de la nef centrale de Sainte-Marie d’Arles-surTech révèle aussi une petite armoire haute, postérieure à la construction des piliers. Dans ce cas le décor fut réalisé avec un motif habituel d’osselets. Sans doute devait-on chercher à dissimuler la modernité de l’armoire en la décorant avec un motif déjà ancien à cette époque (Catalunya Romànica, XXV, p. 85). 72 73

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Il semble logique aussi que le percement de la niche ne soit pas trop rapproché de la réforme définitive de l’église au XIIe siècle car celleci annule l’armoire. Bien que l’on ne puisse pas proposer de dates précises, la présence de l’armoire fait penser que ces peintures faisaient partie de l’œuvre d’origine Si, jusqu’à aujourd’hui, on avait considéré comme datation possible du décor une période incluant même le XIe siècle, en raison de sa suppression seulement au XIIe siècle par la nouvelle couverture en voûte, l’interposition d’une nouvelle phase – celle de l’armoire – nous oblige à reconsidérer la limite chronologique ultime en proposant le recul du terminus ante quem au XIe siècle.

Conclusion Malheureusement, ni l’analyse formelle ni l’analyse stylistique ne sont possibles dans le cas de Campdevànol. Ceci explique que les incertitudes soient plus grandes que les certitudes pour la décoration de Saint-Christophe. Malgré la confiance accordée par certains auteurs, presque aveuglément, au seul document graphique qui nous explique comment étaient ces peintures, il est difficile d’analyser le style au moyen d’un dessin intermédiaire75. L’impossibilité de confronter l’original et la copie, les doutes raisonnables sur la compétence picturale de R. d’Abadal ou la perte de la reproduction sont des arguments assez solides pour considérer comme impossible la voie de l’analyse formelle. Un élément susceptible d’apporter une information, comme la palette chromatique, n’est pas non plus d’une grande utilité. Dans ce cas le problème, outre les réserves faites sur la fidélité de la copie, est le contexte de la peinture en Catalogne. Pour la période dans laquelle on peut situer Campdevànol, nous avons peu de peintures. Pour le Xe siècle, nous possédons seulement, peut-être, celles de Saint-Cyr de Pedret. Nous avons plus de chance pour le XIe siècle où nous trouvons un ensemble de peintures d’aspect plutôt populaire. Ce qui est sûr pourtant, c’est que la comparaison avec ces décors ne permet pas encore de conclusions étant donné l’état précaire de nos connaissances sur ces ensembles et sur la peinture du XIe siècle. Les maigres données que nous possédons sur l’édifice ne nous aident guère non plus à dater les peintures. Il fut peut-être construit   cf C. L. Kuhn, Romanesque Mural Painting…, pp. 6 et suiv.

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à la fin du IXe ou au début du Xe siècle avec une rénovation importante pendant le XIIe siècle qui annula la décoration préalable. Les peintures doivent être placées entre ces deux extrêmes. Il semble pourtant qu’un certain temps avant que les peintures soient masquées par les murs de renfort de la voûte, celles-ci avaient déjà subi une destruction partielle quand on avait décidé de construire une armoire en trouant le mur sud. Les vestiges de cette armoire, ont été portés sur le dessin comme une empreinte de cette intervention. Cela peut faire reculer la date de la décoration en la rapprochant du Xe siècle. Il n’y a pas d’arguments suffisants et les données objectives indiquent seulement que la réalisation des peintures prit place entre le moment de la construction de l’église (IXe-Xe siècle) et celui de la construction de l’armoire (XIe siècle ?). Le plus probable est que le décor date du moment de la construction de l’édifice primitif.

Iconographie Depuis la publication de la première notice de R. d’Abadal, personne n’a mis en doute que les peintures de Campdevànol montrent une représentation de la Chute et de l’Expulsion du Paradis (voir supra). En fait, le peu d’intérêt qu’a suscité ce décor semble s’être concentré sur des questions stylistiques. Paradoxalement, comme il nous semble l’avoir démontré, si quelque chose ne peut être analysé à Campdevànol, c’est bien le style. Mais, à la différence de la question stylistique, pour l’analyse iconographique de Campdevànol, le «croquis» de R. d’Abadal constitue un point d’appui solide. La conviction que l’identification iconographique faite par R. d’Abadal était correcte a pesé pourtant sur le fait que personne n’ait considéré la nécessité d’une analyse de ce type. Comme nous le verrons, cette analyse réserve quelques surprises.

Analyse La première scène a été identifiée traditionnellement comme une représentation du Péché76. Il semblait clair que deux personnages flanquant un arbre ne pouvaient faire référence qu’à la Chute d’Adam et Ève. Comme argument de cette lecture, on a avancé que le supposé Adam lève le bras pour cueillir le fruit de l’arbre, pendant que l’Ève   Gn. 3, 6.

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supposée se couvre le sexe après avoir mangé le fruit. J. Gudiol donna de nouveaux arguments pour renforcer cette lecture77. Les tituli très simples qu’il publie identifient l’action – comedit homo – et l’arbre – pumo –. La première inscription pourrait faire référence à Gn. 3, 6. Ce dernier argument pourrait sembler définitif pour l’identification de la scène.

Gn. 3, 6 ou Gn. 3, 9-11 ? Une observation attentive de la scène permet en revanche de mettre en doute l’identification traditionnelle [fig. 75]. Il est surprenant par exemple que le supposé Adam apparaisse vêtu et portant la barbe. Il faudrait expliquer alors comment est compatible un Adam péchant et un Adam vêtu. La manière dont est représentée Ève pourrait aussi faire penser à un personnage vêtu. Mais dans son cas, le fait que le personnage tienne de ses mains une feuille pour se couvrir, ne permet pas de douter de sa nudité, et par conséquent qu’il s’agisse bien d’Ève ou d’Adam. Soulignons que ce personnage a été représenté les pieds tournés dans la direction opposée à l’arbre. Ceci pourrait être un élément déterminant car, comme nous le verrons, cette disposition est importante pour identifier la scène. Malgré tout, l’élément le plus étrange de la scène est le personnage d’ange qui apparaît dans l’angle supérieur gauche. Sauf cas extraordinaire, il n’est guère fréquent, pour ne pas dire inusité, de trouver le personnage d’Adam habillé78. D’autres questions, comme le fait qu’il porte une barbe79 ou qu’il attrape directement le fruit de l’arbre80, sont quelques-unes des possibilités de cette très populaire scène. Mais le seul fait que ce supposé Adam apparaisse vêtu pourrait signifier qu’en réalité il ne s’agisse pas d’Adam.  J. Gudiol, La pintura Mig-Eval…, p. 130.   Le folio 6 de la Bible de Rodes (Paris, BNF, lat. 6) montre la création d'Ève avec Adam allongé sur un kliné et habillé d'une tunique et d'un manteau bleus. (v. I. LORES, El monestir de Sant Pere de Rodes…). La scène est encore plus insolite que celle de Campdevànol. 79   Pour citer quelques exemples d’Adam portant la barbe, v. le fol. 6 de la dite Bible de Rodes et le fol. 5v. de la Bible de Ripoll (Vatican, Bibl., lat. 5729). 80   Les représentations du moment précis du Pêché Originel montrent une variété extraordinaire. Sans nous éloigner d’un même groupe, comme celui des Bibles de Tours par exemple, nous trouvons presque toutes les possibilités entre Adam, Ève et l’arbre et pourtant il est très étrange qu’Adam lui-même attrape directement le fruit de l’arbre. À propos des Bibles de Tours, sur lesquelles nous reviendrons, voir H. L. Kessler, The Illustrated Bibles…, pp. 13-35. 77 78

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Un autre élément qui peut mettre en doute qu’il s’agisse d’Adam est l’ange qui apparaît tout juste derrière lui. La présence d’anges dans le récit de la Genèse n’est obligatoire qu’au moment de l’Expulsion du Paradis. À ce moment le texte est clair : Eiecitque Adam ; et collocavit ante paradisum voluptatis cherubim et flameum gladium81. Dans notre cas, ce n’est pas seulement la présence de l’ange qui est curieuse mais aussi sa position et sa taille. Nous ne connaissons qu’un parallèle pour la présence d’un ange présentant ces caractéristiques dans les scènes de la Genèse, dans les Bibles dites de Tours. Sur le premier registre du frontispice de la Bible de Vivien (Paris, BNF, lat. 1, fol. 10v. ca. 845-846) nous trouvons représentée, comme première scène, la création d’Adam. Immédiatement après se trouve le moment où le Christ-Logos prend la côte avec laquelle il va créer Ève. L’image est le résultat des différentes altérations d’un prototype que nous pouvons identifier avec le malchanceux manuscrit de la Genèse de Cotton82. Entre les deux scènes on aperçoit un ange représenté comme au second plan, plus petit et à mi-corps. Il a les ailes et les bras ouverts et regarde vers la création d’Adam83. Une autre des Bibles de Tours, celle connue sous le nom de Moutier-Grandval (Londres, British Library, Add. 10546 ; ca. 840-843), inclut elle aussi la présence d’anges. Dans ce cas, la scène, de la création d’Adam (fol. 5v) est seulement celle de l’Insufflation de l’Esprit. À droite de la scène on voit deux anges à mi-corps, car ils sont représentés derrière le bord noir du fond. Les anges ont la même attitude que l’ange de la Bible Vivien mais ils sont de la même taille que le personnage du Créateur84.

  Gn. 3, 24   British Library, Cotton Otho B. VI, voir Kurt Weitzmann, Herbert L. Kessler, The Cotton Genesis, British Library Codex Cotton Otho B. VI, Princeton (New Jersey), Princeton Univ. Press, 1986 (coll. The Illustrations in the manuscripts of the Septuagint, 1). Le manuscrit, aujourd’hui presque entièrement détruit par un incendie, est très important pour reconstituer une des premières copies connues de la Genèse, celle liée à la version grecque de la Bible réalisée à Alexandrie et connue sous le nom de Bible des Septante. Le codex fut réalisé en Égypte vers la fin du Ve siècle. La reconstruction de son programme iconographique a été possible car il est considéré, sans guère de doutes, comme le modèle suivi au XIIIe siècle pour l’élaboration des coupoles de l’atrium de Saint-Marc de Venise. Cf. H. L. Kessler, The Illustrated Bibles…, p. 15. 83   H. L. Kessler (The Illustrated Bibles…, p. 15) nous parle cependant d’une double Création d’Adam. La première scène reproduirait la Création physique, alors que la seconde serait l’Animation d’Adam. En réalité et comme on peut le voir par le geste du Christ-Logos dans la seconde scène, tout comme grâce à l’inscription qui la surplombe cvivs costa sacræ carpitvr Evæ nous sommes devant l’extraction de la côte. Je remercie M. Angheben d’avoir attiré mon attention sur cette lecture erronée de H. L. Kessler. 84   Voir à la note suivante la plaque de Salerne avec la Création des Plantes. 81 82

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Jusqu’à présent, on n’a pas expliqué la présence de ces personnages sur le dessin. On doit penser sans doute qu’il s’agit d’un élément venu du modèle utilisé, et que l’on continue à reproduire sans en comprendre le sens. H. L. Kessler n’en donne aucune explication. Pourtant, en voyant le modèle ultime dont découlent les manuscrits de Tours, la Genèse de Cotton, et surtout sa meilleure copie, c’est-àdire les coupoles du narthex de Saint-Marc de Venise, nous pourrions supposer que ces anges sont en réalité le souvenir des jours de la Création85. Quelle que soit leur provenance, la présence de ces anges avec l’apparence qu’ils ont sur les bibles de Vivien et de Moutier-Grandval n’a guère de sens dans la Création d’Adam, qui, rappelons-le, a lieu le sixième jour de la Création. Elle a encore moins de sens cependant, sur n’importe laquelle des scènes postérieures. Pourtant le fol. 12r de la Genèse de Millstadt (Klagenfurt, Museum Rudolfinum, Cod. VI, 19 ; Millstadt [Carinthie], XIIe siècle) montre à nouveau un ange accompagnant le Christ-Logos dans la scène de la Réprobation. Le manuscrit est déjà du XIIe siècle mais continue à être un reflet significatif de la tradition Cotton86. En voyant la rareté 85   Bien qu’il ne l’explicite pas, un commentaire de K. Weitzmann comparant d’abord la Création des Plantes à Venise avec la personnification des trois jours de la Création, puis aux ivoires de Salerne (troisième quart du XIe siècle), où le manque de place les réduit à deux jours, permet de parvenir à cette conclusion (Kurt Weitzmann, « Observations on the Cotton Genesis Fragments », Late Classical and Medieaeval Studies in Honor of Albert Mathias Friend Jr, (éd.) K. Weitzmann, Princeton (New Jersey), Princeton Univ. Press, 1955, pp. 112131, pl. XIV-XVII, en part. pp. 122-124). Nous remercions I. Lorés de nous avoir signalé ceci. À propos de la dite Genèse de Cotton, voir K. Weitzmann, H. L. Kessler, The Cotton Genesis…, sur les mosaïques de Venise, voir K. Weitzmann, « The Genesis Mosaics of San Marco … » et O. Demus, The Mosaics of San Marco…. La malheureuse histoire de la Genèse de Cotton explique que des jours de la Création nous n’ayons de bonne représentation qu’à travers une copie sur le ms. fr. 9530, fol. 32r, de la Bibliothèque Nationale de France, où l’on a représenté la Création des Plantes pendant le troisième jour. Il est beaucoup plus facile de suivre la série des jours de la Création sur les mosaïques de Venise, réunis sur les scènes de la première coupole. Pour les ivoires de Salerne, voir Robert Paul Bergman, The Salerno Ivories, Ann Arbor, UMI, 1972 (thèse PhD) ; R. P. Bergman, The Salerno Ivories. Ars Sacra…. Pour la représentation des jours de la Création sous forme d’Anges, voir M.-T. D’Alverny, « Les anges et les jours », Cahiers archéologiques, 9 (1957), pp. 271-300. L’article ne traite que de l’exégèse de cette représentation en promettant une seconde partie où devaient être réunies les œuvres qui illustrent son propos. Nous n’avons pas connaissance de la parution de ce second article. On trouvera une révision de la lecture de M.-T. D’Alverny dans Maria Vittoria Marini Clarelli, « I giorni della creazione nel Genesi Cotton », Orientalia Christiana Periodica, 50, 1984, pp. 65-93, 4 fig., où l’auteur considère que nous ne sommes pas face à la représentation d’anges mais face à la christianisation de la représentation païenne des jours de la semaine (voir en particulier p. 83-93). 86   Voir la Millstätter Genesis und Physiologus Handschrift Vollständigue Facsimile ausgabe der Sammalhandschrift 6/19 des Geschichtsverines für Kärnten im Kartnes Landesarchiv. Klagenfurt, Graz,

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des parallèles il devient difficile de refuser la possibilité que l’ange qui apparaît derrière le supposé Adam à Campdevànol soit apparenté avec ceux que nous trouvons dans la tradition Cotton et en particulier sous l’apparence qu’il prend dans les Bibles de Tours. Pourtant il peut sembler risqué de chercher l’explication de ce détail de Campdevànol dans des œuvres de la catégorie des Bibles de Tours. La distance entre celles-ci et Campdevànol est évidente à tous les titres. Par ailleurs, il faudrait expliquer par quelle voie cette information iconographique aurait pu arriver dans la petite église du Ripollès. Il faut dire à ce propos que, bien que la distance entre notre paroisse et les grands centres carolingiens soit évidente, Campdevànol était de façon tout aussi évidente une des possessions de Sainte-Marie de Ripoll, et ceci raccourcit les distances. Bien que nous ne conservions pas les manuscrits les plus anciens du monastère, certaines des œuvres qui y sont réalisées au XIe siècle – c’est-àdire les Bibles – révèlent une connaissance approfondie des sources carolingiennes. Il faut donc conclure que si à Campdevànol est parvenue une information plus ou moins liée aux scriptoria carolingiens, et plus spécialement à celui de Tours, il faut en chercher la source dans le scriptorium ou le décor mural du monastère de Sainte-Marie de Ripoll87. À propos du décor de Campdevànol, nous pourrions supposer qu’il y a eu des confusions au moment de représenter la scène, ou bien que la confusion est déjà présente dans le modèle suivi. Quoi qu’il en soit, la présence de l’ange pourrait même s’expliquer en recourant à l’argument des contaminations iconographiques. Il est pourtant très difficile d’expliquer la présence d’un de ces anges devant une action d’Adam à la place de Dieu ou du Christ-Logos. Ceci nous permet de penser que le personnage vêtu, à gauche de l’arbre, peut être le Créateur. La présence de Dieu ou du Christ-Logos dans les scènes de la Création n’est pas, évidemment, étrangère au contexte que nous avons décrit. C’est même une des caractéristiques de la tradition Cotton, face à la tradition que nous connaissons à travers les Octateuques grecs (voir infra) où la présence divine est habituellement suggérée

Akademische Druck- u. Verlagsanstelt, 1967 (coll. Reihe Codices Selecti, vol. 10) et H. L. Kessler, The Illustrated Bibles…, pp. 13 et suiv., en part. note 6. 87   Nous réservons pour les conclusions cette évidence importante. Cf. Carles Mancho, « Campdevànol, Ripoll et la culture carolingienne », Les Cahiers de Saint-Michel de Cuxa, XXXVII (2006), pp. 197-210.

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par la dextera Domini sortant au milieu des nuages88. Que ce ChristLogos ou ce Créateur apparaissent barbus ou non est un élément qui peut varier. Il ne semble pas que dans la tradition la plus pure – Genèse de Cotton ou mosaïques de Venise – la barbe apparaisse ; nous ne la trouvons pas non plus dans les Bibles de Tours ; par contre, elle apparaît sur les ivoires de Salerne, sur la Genèse de Millstadt (Klagenfurt, Kärtner Landesarchiv, cod. VI,19) ou dans les Bibles catalanes, toutes productions plus tardives et dans certains cas plus hybrides. Néanmoins, si l’on considère que le personnage vêtu est le Créateur, il nous faut re-identifier la scène, expliquer son geste et sa relation avec le personnage qui se couvre. À nouveau, les Bibles de Tours, en tant que reflet de la tradition Cotton, nous donnent la clef pour comprendre la scène. L’image du Créateur d’un côté de l’arbre avec la main levée et Adam et Ève de l’autre côté apparaît au fol. 5v de la Bible de Moutier-Grandval en deux occasions. À la fin du second registre, nous trouvons Dieu portant tunique et manteau, à gauche de l’arbre, qui s’adresse à Adam et Ève. Le Créateur effectue le geste de l’adlocutio avec la main droite, raison pour laquelle l’enlumineur le montre dans une posture théâtrale de trois-quarts. Adam et Ève très proches écoutent attentivement les paroles divines. Tous deux sont nus, ils n’ont pas encore péché, bien que le geste d’Ève puisse être interprété comme la tentative de couvrir son corps. Comme la scène est postérieure à la Présentation d’Ève à Adam et antérieure au Pêché, il faut imaginer qu’il s’agit du moment où Dieu avertit le couple à propos de l’arbre89. À la fin du troisième registre, on trouve une scène de composition similaire. Cependant, on voit à droite de l’arbre Adam et Ève se cachant le sexe avec une grande feuille. Adam montre Ève et Ève montre le serpent. Il ne fait pas de doute que ceci est une illustration  K. Weitzmann, H. L. Kessler, The Cotton Genesis…, p. 37.   Dans le récit biblique, en réalité, Dieu n’avertit qu’Adam (Gn. 2, 17) car la femme n’a pas encore été créée. Mais sur le frontispice nous ne pourrions identifier la scène avec aucun autre passage, malgré la présence des deux personnages. Il faut dire aussi que le récit qui mentionne l’Avertissement divin est le second récit de la Création. Ainsi dans Gn. 1, 27 (Et creavit Deus hominem ad imaginem suam : ad imaginem Dei creavit illum, masculum et feminam creavit eos.) nous trouvons déjà l’homme et la femme comme apogée de l’acte de création. Gn. 2, pourtant, s’étend à nouveau sur la création du couple humain. Il est donc logique dans notre contexte – rappelons-le : un frontispice qui synthétise la Création et la Chute de l’homme au moyen de l’image –, qu’existe une assimilation de l’avertissement au couple humain et pas seulement à Adam. Quoi qu’il en soit, il faut souligner que Kessler n’en parle pas (cf. H. L. Kessler, The Illustrated Bibles…, pp. 18-19). 88 89

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de la Négation du Péché90. Si on regarde une autre des Bibles de Tours, celle dite de Bamberg (Bamberg, Staatsbibliothek, Misc. class. Bibl. 1, fol. 7v), on ne trouve représentée que cette dernière scène. Pourtant dans ce cas, entre les images de Dieu et celles d’Adam, d’Ève et du serpent il n’y a aucun arbre, si ce n’est que la composition est encadrée d’arbres. Les portes d’Hildesheim (cathédrale d’Hildesheim, 1015) montrent une variante ; dans ce cas, ce sont Adam et Ève qui sont séparés par l’arbre. Un dernier exemple provenant des Bibles de Tours est celui de la Bible Vivien. Dans ce cas, Adam et Ève apparaissent à gauche de l’arbre, pelotonnés alors qu’ils se couvrent de la feuille. À droite de l’arbre, on trouve l’image de Dieu le désignant de la main droite. Ainsi que H. L. Kessler le montre dans son étude de cet épisode, ces quatre bibles et les portes d’Hildesheim « must have been an extensive reflection of the Cotton Genesis archetype but was not clearly related to any of the other known copies », mais chacune des cinq œuvres «  were independent reflections of the same prototype »91. Dans le cas précis, des scènes qui nous occupent cela se voit clairement. Pour tout l’épisode narratif, qui va du Péché à la Réprobation, les mosaïques de Saint-Marc de Venise montrent jusqu’à huit scènes différentes, alors que la reconstruction de l’illustration qu’aurait contenue la Genèse de Cotton en inclurait une de plus92. Évidemment transformer tout ce bagage iconographique en un bref frontispice est une tâche complexe et qui implique de nombreuses modifications et beaucoup d’étapes intermédiaires93. Sur les frontispices de Tours, les neuf scènes du Cotton sont devenues trois – Bible de Bamberg –, deux – Bibles de MoutierGrandval et de Vivien – ou une – Bible de Saint-Paul-Hors-les-Murs –. Évidemment le degré de compression, de mélange et même d’erreurs doit être considérable94.   Gn. 3, 11-13. Voir H. L. Kessler, The Illustrated Bibles…, p. 19.   Voir H. L. Kessler, The Illustrated Bibles…, pp. 19-21, 27, 38. Pour les portes d’Hildesheim voir Enciclopedia dell’Arte Medievale, VII, pp. 204-212, en part. fig. 206 et p. 205. 92   Gn. 3, 3-19 ; voir pour les mosaïques K. Weitzmann, « The Genesis Mosaics of San Marco … », pp. 114-115 ; et K. Weitzmann, H. L. Kessler, The Cotton Genesis…, pp. 53-57, 130-133 pour la reconstruction du Cotton. 93   La question des étapes intermédiaires est importante et complexe. Bien qu’elle réponde à un support différent de celui des livres, l’analyse de K. Weitzmann pour les mosaïques est parfaitement applicable dans ce cas (voir K. Weitzmann, « The Genesis Mosaics of San Marco … », pp.106-108). 94   La tradition Cotton n’est pas la seule tradition de Genèse illustrée. Il en existe au moins deux de plus dans le domaine des manuscrits. L’une est la Genèse de Vienne, manuscrit syrien ou palestinien du VIe siècle (Vienne, Österreichische Nationalbibliothek, Ms. Theol. gr. 31 ; s. VI) ; l’autre est connue à travers les Octateuques byzantins et en particulier à 90 91

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Si nous reprenons le fil de notre exposé et, revenant aux peintures de Campdevànol, il nous paraît clair qu’une fois vues les Bibles de Tours, les possibilités d’identification de notre scène sont limitées à trois. La Bible de Moutier-Grandval présente une composition similaire à la scène de l’Avertissement à propos de l’arbre et de la Négation du Péché. Dans le cas de la Bible de Vivien, seule la scène avec Adam et Ève se cachant de Dieu s’accorde avec ce que nous avons à Campdevànol. Une de ces possibilités serait annulée par le fait qu’elle est antérieure au Péché. Dans un cycle aussi bref que celui que nous avons à l’église du Ripollès, il serait absurde de considérer qu’ont trouvé place deux scènes relatives à l’histoire d’Adam et Ève mais qu’aucune des deux ne représente le Péché. Étant donné que la scène suivante (voir infra) n’est pas le Péché, la scène que nous analysons maintenant ne saurait être l’Avertissement de Dieu à propos de l’arbre. Elle ne peut donc être que l’une des scènes en relation avec la Réprobation. S’il en est ainsi, il faut considérer qu’à côté du personnage qui se couvre, et que nous pourrions identifier à Adam, il manquerait un autre personnage, Ève, et peut-être une représentation du serpent. Si nous revenons aux mosaïques de Venise, le cycle le plus étendu dont nous conservions les images, le moment de la Réprobation de Dieu en fournit trois. La scène n° 20 de la coupole montre Adam et Ève se couvrant et fuyant Dieu pour se cacher. La scène n° 21 montre la Réprobation avec le Christ-Logos trônant et Adam montrant Ève. Enfin, la n°22 montre le Créateur trônant et Adam et Ève agenouillés de part et d’autre, le serpent à ses pieds, scène que Kessler appelle «the Curse of Adam and Eva», c’est-à-dire la Malédiction ou Condamnation d’Adam et Ève. partir des deux conservés au Vatican (gr. 747 ;fin du XIe siècle ; et gr. 746 ; XIIe siècle ) et de celui conservé à Istanbul (Topkapi Sarayi Mü, 8 ; XIIe siècle ). Voir en général John Lowden, The Octateuchs. A study in Byzantine Manuscript Illustration, Pennsylvania, Pennsylvania State University, 1992 et Kurt Weitzmann, Massimo Bernabó, The Byzantine Ochtateuchs, Princeton (New Jersey), Princeton Univ. Press, 1999 (coll. The Illustrations in the manuscripts of the Septuagint, 2). Caractéristique de ces deux courants d’illustration de la Genèse est l’image de Dieu apparaissant seulement sous forme symbolique de la dextera Domini. Nous retrouvons certaines des scènes que nous avons traitées, comme celle d’Adam et Ève se cachant dans la Bible de Vivien, sous la même forme dans le manuscrit de Vienne mais sans la présence de Dieu. Pour ce qui est de la peinture murale, la tradition la plus ancienne se trouve à Saint-Pierre du Vatican et à Saint-Paul-Hors-les-Murs. Les relations entre les cycles de ces deux églises – en laissant de côté les problèmes chronologiques (v. H. L. Kessler, « L’antica basilica di San Pietro… », p. 49) – et la Genèse de Cotton sont claires. La différence principale est que la conception de ces cycles a une base typologique alors que sur les manuscrits elle est narrative.

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L’attention est éveillée, dans la mosaïque de Saint-Marc, par la fuite d’Adam et Ève dans la direction opposée au Créateur95. Seul un manuscrit de Tours nous montre une attitude similaire : la Bible de Vivien. Dans la Bible de Bamberg, après le Péché, Adam et Ève apparaissent pelotonnés comme sur celle de Vivien, derrière un arbre. Dans ce cas cependant Dieu n’y est pas. Un autre manuscrit proche du ms. Cotton est la Genèse de Millstadt. Dans ce cas le Christ-Logos apparaît accompagné d’un ange (  ?) et s’adresse à Adam et Ève contrits qui, en même temps qu’ils fuient et se cachent d’une feuille, écoutent le Créateur. Ici l’arbre a disparu et bien que la scène doive être interprétée comme la Réprobation, il est évident qu’il s’agit de la fusion des scènes d’Adam et Ève fuyant Dieu et de la Réprobation. En réalité ce que nous trouvons à Campdevànol est très proche de cette scène du Millstadt, exception faite de l’absence de l’arbre. Rappelons que le personnage nu et qu’il faut identifier à Adam, à Campdevànol, présente les pieds tournés dans la direction opposée à Dieu – le personnage habillé. On pourrait penser que la formation limitée du peintre a comporté cet alignement des pieds, mais alors il faudrait se demander pourquoi il n’a pas choisi de les montrer tournés vers Dieu. De fait, pour quelqu’un qui ignore exactement ce qu’il est en train de peindre, cette scène aurait eu plus de sens avec les pieds tournés de l’autre côté. Dans cette dernière option, la scène coïnciderait avec la position des pieds dans la Réprobation et la Négation du Péché. Mais ce n’est pas ce qui a été fait et par conséquent on pourrait penser que c’est un choix conditionné par le modèle qui était suivi. Étant donné notre contexte, il est très difficile, voire impossible, de préciser s’il s’agit, comme à Venise, de la scène d’Adam et Ève se cachant, de la Réprobation, comme sur la Bible de Vivien, ou du mélange des deux scènes comme sur celle de Millstadt. Vu le contexte et les parallèles, nous penchons plutôt pour cette dernière possibilité.

Les inscriptions Considérant notre nouvelle proposition, il nous faudrait revoir le sens des inscriptions lues par Gudiol. Dans ce cas, la disparition des 95   Adam, afin de se cacher, saisit le palmier derrière lequel il espère ne pas être vu, dans un geste que K. Weitzmann interprète comme une mise à jour réaliste des mosaïques par rapport à la Genèse de Cotton (cf. K. Weitzmann, « The Genesis Mosaics of San Marco … », p. 115, scène 20).

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peintures et du dessin représentent à nouveau un grave problème. Nous avons vérifié qu’il est impossible de lire aucune des inscriptions sur les photographies du dessin [fig. 75]. Nous n’avons donc que la version de Gudiol. Pour cette raison, nous pourrions mettre en doute la lecture de ces inscriptions. Trois éléments nous conseillent cette «mise en quarantaine». En premier lieu, car R. d’Abadal, dans sa description, ne mentionne jamais d’inscription96. En second lieu, la première fois qu’elles sont citées c’est quand J. Gudiol en donne la transcription97. Cela, par conséquent, a lieu dix-huit ans après la découverte des peintures, c’est-à-dire quand elles n’existent plus. En troisième lieu, parce que, malgré le peu de lisibilité du dessin, à part les deux inscriptions transcrites par J. Gudiol, il semble qu’il y en ait une troisième qui n’a jamais été rapportée. Il n’est pas étonnant que R. d’Abadal n’ait jamais fait référence à ces inscriptions et qu’en revanche, il ait été aussi pointilleux pour d’autres questions relevant de l’iconographie. Les inscriptions en réalité pouvaient être un argument excellent pour renforcer son interprétation. Si elles avaient été intelligibles, il l’aurait su de première main, car il en a fait le seul dessin connu sur lequel, effectivement, on peut reconnaître la présence d’inscriptions. Comment expliquer qu’il ne les ait pas relevées ? Quant à J. Gudiol, nous pourrions supposer qu’il ait vu la peinture originale, mais dans ce cas il serait absurde qu’il n’ait pas relevé les trois inscriptions mais seulement deux. Absurde aussi parce que s’il les a vues, ce devait être avec R. d’Abadal et celuici les aurait recueillies. Nous craignons fort que la transcription de J. Gudiol n’ait été réalisée qu’à partir du dessin. Malheureusement, aujourd’hui nous n’en conservons plus, comme on l’a vu, que deux photographies. La date de ces deux documents ne permet pas d’espérer une haute qualité et s’ils nous permettent de connaître l’emplacement des inscriptions, ils ne permettent pas de les lire. La lecture devait être plus facile sur le dessin lui-même. Nous pouvons nous demander, pourtant, quelle fiabilité peut avoir l’interprétation d’une inscription qui devait déjà être sur la peinture originale dans un état de dégradation élevé, à travers un dessin qui pouvait déjà avoir accumulé les erreurs dérivées de la compréhension difficile de l’original. Il semble donc qu’on peut à juste titre douter de la lecture des inscriptions.  R. d’Abadal, « Nova pintura mural… ».  J. Gudiol, La pintura Mig-Eval…, p. 130.

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Cependant, malgré cette «quarantaine», nous pourrions considérer simplement que J. Gudiol fait une interprétation erronée du texte des inscriptions. Dans la description nous avons déduit, à partir du temps verbal, que l’inscription – comedit homo – faisait référence à Gn. 3, 6. C’est le seul moment de tout le récit où la forme verbale coïncide avec ce que, d’après J. Gudiol, nous trouvons à Campdevànol. La traduction en serait : l’homme a mangé ou l’homme mange. À partir de ce moment, le récit n’utilise plus cette personne mais emploie soit comederes98, soit comedisti99, soit comedi100. Dans les trois cas, nous sommes déjà dans le récit de la Réprobation. Par ailleurs, Gn. 3, 6 ne parle en aucun cas d’homo mais de vir parce que le récit est à la troisième personne et parle du compagnon d’Ève, alors que, dans Gn. 3,11 et suivantes, c’est l’homme qui est interrogé par Dieu et qui répond à la première personne, ce pourquoi on parle d’homo et non de vir. En fin de compte, pourtant, il n’est pas nécessaire de suivre le texte biblique. Les Bibles de Tours, par exemple, présentent des tituli rédigés ad hoc où n’apparaît rien de similaire à ce que nous avons à Campdevànol. On connaît beaucoup de compositions de ce type et nous savons que la relation entre texte et image peut être très lâche101. Cependant, même dans le cas où l’on aurait suivi avec une certaine fidélité le texte biblique, il suffirait que l’inscription comme la transcrit J. Gudiol comporte une erreur pour avoir pu être extraite de Gn 3, 11 et suivantes. C’est-à-dire que si, au lieu de comedit homo, il y avait eu comedi homo, « moi, homme, j’ai mangé », ou comedis homo, « toi, homme, tu as mangé », nous serions en plein dans le récit de la Réprobation et non pas du Péché. Enfin, reste toujours la possibilité qu’une formation élémentaire du peintre unie à la complexité de synthèse des modèles qu’il suivait aient pu l’entraîner à des erreurs fréquentes quant il s’agit de textes. Étant donné la qualité plus que déficiente des peintures de Campdevànol, il ne serait pas étonnant que le texte et les images ne concordent pas. Pour ce qui est des inscriptions et de leur lecture nous pouvons conclure donc que d’une part elles montrent trop «d’irrégularités» pour accepter, sans la mettre en doute, la lecture de J. Gudiol ; d’autre part, nous avons vu comment une simple erreur de transcription, tout à fait compréhensible, transformerait l’inscription en un point d’ap  Gn. 3, 11.   Gn. 3, 11 et 17. 100   Gn. 3, 12. 101   Beaucoup des tituli que on connait pour cette époque furent recueillis par Schlösser (J. Schlosser, Quellenbuch. Repertorio di fonti…). 98 99

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pui pour l’interprétation que nous proposons. Ceci étant dit, la proposition de reconstruction iconographique nous paraît plus déterminante que la complexe lecture des vestiges de l’inscription.

Gn. 3, 24-25 Une fois identifiée la première scène, la seconde ne présente guère de difficultés. En fait, il est accepté que nous nous trouvons devant l’Expulsion du Paradis102. pourtant dans ce cas aussi, certains détails réclament notre attention. Comme dans la scène antérieure, nous retrouvons un personnage d’ange. Celui-ci, comme on l’a dit, est symétrique de celui de la première scène. Dans ce cas cependant, il n’a pas conservé ses mains et nous avons déduit de cela que les deux anges présentaient des positions ou des attitudes différentes. Nous avons vu par ailleurs comment pouvaient être compris ces deux anges. On peut ajouter que les vestiges du décor permettent ici un rapprochement plus étroit avec l’ange à mi-corps de la Bible de Vivien. Cette scène, celle de l’Expulsion, permet d’imaginer d’autres typologies d’anges. Selon la tradition des Octateuques, et en suivant le texte, la porte du Paradis apparaît gardée par un chérubin103. La traduction du texte en images consiste en une porte occupée par un de ces anges, dont on voit seulement la tête et quatre ailes. C’est ce qui est visible sur l’Octateuque conservé à Florence (Biblioteca Medicea Laurenziana, cod. Plut. 5.38, fol. 6r ; Constantinople, première moitié du XIe siècle), sur les deux conservés au Vatican (Biblioteca Apostolica, cod. Vat. gr. 747, fol25r et cod. Vat. gr. 746, fol. 44r ; Constantinople, respectivement vers 1071-1078 et deuxième quart du XIIe siècle), sur celui conservé à Istanbul (Bibliothèque Topkapi Sarayi, cod. G.I.8, fol. 49r ; Constantinople, ca. 1152) et sur celui de Smyrne (Bibliothèque du Collège Évangélique, cod. A. I, fol. 16r ; Constantinople, deuxième quart du XIIe siècle). La tradition du manuscrit Cotton réunit aussi ces éléments, et dans ce cas avec une absolue fidélité au texte biblique. À Saint-Marc de Venise, les chérubins que l’on voit représentés sur les pendentifs de la voûte où est figurée la Création se trouvent en position déplacée. Comme dans la Gn. 3, 24, plusieurs chérubins sont représentés. Quant au “flammeum  J. Pijoan, Monumenta Cataloniæ…, p. 38.   Eiecitque Adam : et collocavit ante paradisum voluptatis cherubim, et flammeum gladium, atque versatilem, ad custodiendam viam ligni vitæ. (Gn. 3, 24). 102 103

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gladium”, on le trouve au premier arbre, derrière la porte du Paradis. D’après le texte, les deux éléments étaient placés là pour protéger la “viam ligni vitæ” et à Saint-Marc l’arbre qui est en feu a pris, en partie, la forme d’une croix104. La Genèse de Vienne montre aussi les deux éléments (Vienne, Nationalbibliothek, cod. theol. gr. 31, fol. 1)105. Curieusement, les Bibles de Tours déjà citées ne représentent pas les chérubins, et seules celles de Bamberg et de Saint-Paul, montrent l’ange expulseur portant une épée. Elles s’accordent en cela avec la Genèse de Millstadt (fol. 16v). Mais aucun des exemples cités ne présente la plus minime correspondance avec l’ange de Campdevànol. Pourtant le fait qu’il se trouve devant une possible porte – rappelons le chapiteau – pourrait indiquer que l’on a tenté de représenter le gardien du Paradis. À la suite du premier ange, nous trouvons un personnage qui soutient de sa main gauche une forme d’élément végétal. L’identification de ce personnage ne nous oriente que vers deux possibilités. Soit il s’agit du Christ-Logos, soit à nouveau d’un ange. Selon l’analyse de H. L. Kessler sur les Bibles de Tours, celles-ci présentent deux types d’Expulsion106. L’une où un ange accompagne Adam et Ève. Ceux-ci sont habillés d’une tunique et regardent en arrière ; l’ange pose la main sur l’épaule d’Adam. C’est ce que nous voyons dans les Bibles de Moutier-Grandval et de Bamberg. L’autre représente Adam et Ève nus et l’ange ne les touche pas107. On trouve ce modèle aussi bien dans la Genèse de Vienne que dans les Octateuques. Dans le cas de Saint-Marc de Venise et de la Genèse de Millstadt, c’est Dieu lui-même qui expulse Adam et Ève. Sur ces représentations, on a figuré le moment exact où ceux-ci franchissent la porte108.   Voir K. Weitzmann, « The Genesis Mosaics of San Marco … », p. 116.   Voir K. Weitzmann, H. L. Kessler, The Cotton Genesis…, p. 57. 106   H. L. Kessler, The Illustrated Bibles…, pp. 20 et suiv. 107   La Bible de Vivien semble choisir un compromis entre toucher ou ne pas toucher Adam, alors que les toges qui les couvrent ne semble pas provenir du modèle. Celle de Saint-Paul montre le couple complètement séparé de l’ange qui se contente de brandir théâtralement l’épée. Ce que nous trouvons sur les portes d’Hildesheim est similaire, mais sans autant de théâtralité. 108   C’est ce que nous voyons aussi sur la Bible de Ripoll sur laquelle, en outre, est représenté un chérubin portant l’épée. Bien que sur les prototypes la conception de chaque scène ait dû être claire, de même que toutes devaient être exhaustives et bien reliées au texte, les héritiers lointains de ces prototypes présentent une hybridation remarquable. Pour les Bibles catalanes il faut ajouter à leur date tardive – XIe siècle – l’idée toujours plus nette qu’elles constituent une sorte de catalogue iconographique. Nous travaillons depuis plusieurs années sur toutes ces questions concernant les Bibles de Ripoll dans le groupe Ars 104 105

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Encore une fois, il nous semble que la représentation de Campdevànol est proche de celle des Bibles de Tours. Notre décoration montre un personnage levant la main droite alors que de la gauche il porte un sceptre (?) à l’extrémité végétale. L’état du décor ne permettait sans doute pas de savoir si ce personnage avait ou non des ailes. On ne peut rien dire du personnage qui est devant lui, sauf qu’il est plus grand, qu’il porte une tunique courte et qu’il tourne ses pas vers la même direction. Deux des Bibles de Tours, celle de Moutier-Grandval et celle de Vivien, montrent l’ange portant une sorte de sceptre ou de bâton à l’extrémité végétale. Selon H. L. Kessler, dans le premier cas, le modèle était l’Expulsion après avoir passé les portes du Paradis, raison pour laquelle Adam et Ève se tournent pour regarder en arrière ; dans le second, le modèle serait l’Expulsion avant d’avoir franchi les portes. Dans un cas comme dans l’autre l’ange lève la main, même si dans la Bible de Moutier-Grandval c’est pour saisir l’épaule d’Adam, alors que dans celle de Vivien, il n’y a pas de contact109. On pourrait avancer qu’en réalité cela ne change rien d’identifier l’exécutant de l’expulsion à un ange ou au Christ-Logos. Dans ce cas, cependant, il faudrait expliquer pourquoi le personnage d’Adam est nettement plus grand que le Christ, beaucoup plus petit. Mais, qu’il s’agisse de l’un ou de l’autre, ce dont on ne saurait douter est de la grande proximité de notre scène et des modèles de Tours.

Conclusion Au vu de l’étude iconographique, il faudrait reconsidérer certaines des affirmations en vigueur pour Campdevànol en commençant par l’identification des personnages. Depuis la première interprétation de R. d’Abadal, les deux scènes de cet ensemble avaient été identifiées comme le Péché et l’Expulsion110. Par conséquent, dans la première, Adam et Ève figuraient de part et d’autre de l’arbre. Dans la seconde Picta, grâce aux financements successifs du Ministerio de Ciencia y Tecnología (projets PB98-1212 i BHA2002-00793) ainsi que du Departament de Universitats, Recerca i Societat de la Informació de la Generalitat de Catalunya (programme BE2000). 109   On ne peut éviter de mentionner la très grande ressemblance entre le sceptre végétal de l’ange de Campdevànol et les éléments végétaux qui apparaissent sur le fol. 4 de la Bible de Ripoll où l’on reconnaît aussi un mélange d’éléments provenant de la tradition Cotton (l’Expulsion, comme à Saint-Marc et Millstadt) et de la tradition des Octateuques (le chérubin devant la porte). 110  R. d’Abadal, « Nova pintura mural… ».

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l’un d’eux était conduit hors du Paradis par Dieu ( ?). En réalité nous nous trouvons devant la Réprobation et l’Expulsion. Dans la première scène, un ange assiste au moment où Dieu, à gauche de l’arbre, accuse le couple d’avoir mangé du fruit défendu ; à droite de l’arbre subsiste le personnage d’Adam dissimulant sa nudité et cherchant à se cacher de Dieu. Quant à la seconde, un ange portant un sceptre accompagne Adam et Ève à l’extérieur du Paradis, pendant qu’un chérubin (?) en garde la porte. Cette nouvelle lecture permet d’imaginer que le mur sud de Camp­devànol était décoré, pour le moins, de trois scènes, la première étant celle du Péché. En fait, nous pouvons imaginer l’existence d’un cycle de la Création et de la chute plus complet, avec même quatre ou cinq scènes. On ne serait pas étonné par un cycle montrant la Création, le Péché, la Réprobation et l’Expulsion, et peut-être, la condamnation au travail111. Curieusement, si l’on se tourne vers certains des ensembles muraux conservés au Museu Episcopal de Vic, on trouve un choix d’images dont la thématique et l’iconographie sont très semblables. Ce choix est clair dans la décoration de Saint-Martin del Brull (première moitié du XIIe siècle)112. Beaucoup moins proches de notre exemple est celui de Saint-Saturnin d’Osormort (deuxième quart du XIIe siècle)113. La plus grande proximité iconographique se trouve dans deux des fragments de Saint-Martin Sescorts (XIIe siècle)114. En toute logique, cette nouvelle interprétation pourrait être remise en question à partir de la lecture des inscriptions. À propos 111   Selon les estimations que l’on peut faire à partir des dessins de R. d’Abadal publiés par J. Puig i Cadafalch (J. Puig, A. Falguera, J. Goday, L’arquitectura romànica…, II, figs. 18-20), la longueur totale du mur sud de l’église serait d’environ 14 m. L’espace portant le décor a une longueur de 10 m. environ, car il est limité par une fenêtre ou une porte (?) et par le départ de l’abside primitive. Si nous considérons que nous ne possédons que 5 m du décor on peut imaginer encore deux scènes de plus, au moins. 112   Catalunya Romànica, XXII, pp. 121-124. 113   Catalunya Romànica, XXII, pp. 129-132. 114  Catalunya Romànica, XXII, pp. 124-127. A El Brull nous trouvons, de gauche à droite, la Création d’Adam et Ève, le Pêché, la Réprobation, l’Expulsion et le chérubin gardant l’entrée du Paradis. De Sescorts ne restent que le Péché et la Réprobation, mais nous savons qu’au moment de sa découverte l’ensemble se composait de cinq scènes semblables à celles d’El Brull. Enfin, à Osormort sont conservés : la Création d’Adam, Dieu introduisant Adam au Paradis, l’Avertissement au sujet de l’Arbre, le Péché et la Réprobation (?). Au vu de l’iconographie de ces trois ensembles il faudrait approfondir la recherche à propos de la relation entre ces peintures, les Bibles de Ripoll et les sources iconographiques de ces Bibles. Ce travail a partiellement été fait dans la conférence présentée aux Journées Romanes de Saint-Michel-de-Cuxa de 2005, voir C. Mancho, « Campdevànol, Ripoll et la culture carolingienne », pp. 207 et suiv.

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de ce problème, nous avons déjà exposé les doutes qu’a générés chez nous la lecture de J. Gudiol. Nous ne croyons pas qu’il soit trop téméraire de supposer que J. Gudiol, le premier à en parler, se soit fondé sur le dessin et non sur les peintures. D’autre part, même s’il n’en avait pas été ainsi, il est si difficile de lire les inscriptions sur des peintures relativement bien conservées qu’il devient presque impensable que des peintures aussi abîmées que celles de Campdevànol aient permis une lecture rapide et directe. La preuve la plus claire est que R. d’Abadal ne les cite pas. Par conséquent, les probabilités d’une lecture erronée de la part de J. Gudiol sont élevées. Ceci étant dit, il faut aussi considérer l’éventualité que la relation entre les inscriptions et les images n’ait pas été directe. Dans les Bibles de Tours, par exemple, nous voyons que les tituli ne correspondent pas exactement aux images. Pourquoi devraient-ils le faire à Campdevànol ? Il est vrai que nous parlons de deux supports différents. Dans un cas, il s’agit de codices, et par conséquent d’un support où la relation entre texte et image peut être plus ou moins équilibrée, dans l’autre, de peinture murale, un support où la relation entre peinture et texte tend à donner la prééminence à la première. Les tituli de Campdevànol pourraient n’être que de simples références génériques au contexte. Enfin, et nous ne pouvons l’écarter dans un ensemble comme celui-ci, existe aussi la possibilité que le peintre commette des erreurs au moment de faire correspondre les personnages et les tituli. Si nous laissons de côté les inscriptions, le principal intérêt de l’identification que nous proposons est qu’elle permet d’établir des relations iconographiques inespérées. Certains détails, comme les petits anges dans les angles des deux scènes, la position de Dieu/ Christ-Logos et d’Adam dans la Réprobation ou la posture de l’ange dans l’Expulsion, avec son bâton, permettent d’établir une relation plus ou moins étroite entre notre composition et des œuvres liées à la tradition de la Genèse de Cotton comme le sont certaines des Bibles de Tours. Cette trouvaille surprenante permet d’imaginer la présence ou la connaissance d’œuvres carolingiennes d’un certain niveau en un lieu aussi secondaire que le petit village de Campdevànol. Il nous semble évident que la connaissance de ces références est lointaine ou mal assimilée. La mauvaise qualité technique et formelle que l’on peut supposer à partir du dessin de R. d’Abadal permet de penser que la décoration n’était pas l’œuvre d’un professionnel de premier rang. C’est une autre affaire que de parvenir à déter 488

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miner d’où vient le modèle. Notre proposition sur ce point est claire. On ne peut oublier que Campdevànol relève du territoire du monastère de Ripoll, et par conséquent nous pourrions soupçonner que la source provient de ce monastère. En effet, le monastère est parvenu à accumuler une quantité considérable d’information iconographique, on ne pourrait s’expliquer autrement les Bibles de Ripoll et de Rodes. Les études partielles que nous sommes en train d’achever avec M. Guardia, M. A. Castiñeiras et I. Lorés confirment de plus en plus le caractère d’accumulation des Bibles de Ripoll. En leur sein, on retrouve des éléments des Octateuques mais aussi de la Genèse de Cotton. Nous soupçonnons fort que Campdevànol soit un autre reflet des «archives iconographiques» de Ripoll, de la même façon que le sont les ensembles de Sescorts, el Brull et Osormort dans la région de Vic. Le plus important – plus que la relation de Campdevànol, Sescorts, el Brull et Osormort avec Sainte-Marie de Ripoll – est que l’incorporation de Campdevànol à ce groupe confirmerait que l’arrivée et l’accumulation de sources carolingiennes au monastère de Ripoll ne commencent pas au début du XIe siècle mais, pour le moins, au Xe siècle, en se fondant sur les autres éléments qui déterminent la chronologie approximative de l’ensemble. Pour ce qui touche à cette datation, on pourrait déduire que les relations que nous sommes en train d’établir placent notre œuvre déjà au XIe siècle, comme le seraient les bibles catalanes ou la Genèse de Millstadt. Pourtant les rénovations que l’on constate dans l’édifice nous amènent à penser que ce décor n’a pas pu être réalisé après l’an mil. L’argument, il est vrai, est faible. L’inclusion d’une petite armoire, qui détruit cependant partiellement le décor ancien, pourrait intervenir cinq ans après que l’on ait fait le décor primitif, ou cinq ans avant l’agrandissement de l’église. Il s’agit plutôt de l’impression, que nous partageons avec C. L. Kuhn, que le décor est aussi ancien que l’édifice lui-même115. Nous l’avons vu, qu’il n’y a, c’est regrettable, aucun argument objectif qui permette de confirmer notre assertion. Pourtant, à partir de cette hypothèse, on peut considérer que Campdevànol suggère la présence d’une information iconographique précise à Ripoll – nous ignorons sur quel support – avant l’an mil. Si c’était le cas l’ensemble disparu deviendrait un argument inattendu en faveur de l’existence à Ripoll, dès le Xe siècle, des matériaux qui permettront l’exécution des Bibles au début du XIe siècle, du décor   C. L. Kuhn, Romanesque Mural Painting….

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mural caché derrière le portail (XIe siècle), du portail sculpté monumental (XIIe siècle) et de tant d’autres œuvres dépendant des archives de Ripoll.

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III. Les limites dE l’étude de la peinture Où doit-on placer les vestiges picturaux anciens de Sant-Cyr de Pedret ? La découverte La campagne de sauvetage du patrimoine artistique de Catalogne, entreprise par la Section des Monuments de la Generalitat, nous conduisit à visiter cette vieille construction, située à une heure de Berga. La visite fut récompensée par la découverte de peintures murales qui apparurent sous les premiers enlèvements effectués sur l’enduit de l’abside centrale.[…] Une fois arrachées les peintures du chevet on découvrit d’autres sujets peints à la fresque sur une couche inférieure d’enduit.1 [fig. 78].

Par cette note succincte, J. Gudiol rapportait la double découverte de peintures murales dans l’abside principale de Saint-Cyr de Pedret. Cette notice de l’année 1937 renseigne aussi clairement sur le moment où eut lieu l’arrachement des peintures qui nous occupent2. L’ambiguïté dans la relation des faits survenus après la guerre de la part du directeur du Museu Diocesà i Comarcal de Solsona (MDCS), Monsieur Antoni Llorens i Solé, est la cause de certaines erreurs dans la datation de la récupération de ces peintures3. L’article dans lequel A. Llorens explique tout le processus, depuis l’arrachement jusqu’à l’entrée des peintures au Musée, est nettement marqué par le ressentiment de la Guerre de 1936-19394. L’auteur ne donne guère de pré Josep Gudiol i Ricard, « Pedret », Butlletí del Centre Excursionista de Catalunya, vol. XLVII (1937), pp. 107-113, en part. pp. 107 et 110. 2   En effet l’arrachement eut lieu durant l’année 1937 et fut réalisé par A. Llopart, J. Navarro, R. Gudiol et S. Boixader (J. Gudiol, « Pedret », p. 108, note 1). 3   Museu Diocesà i Comarcal de Solsona. Catàleg d’Art Romànic i Gòtic, Barcelone, Patronat del Museu Diocesà i Comarcal de Solsona, 1990, pp. 15-16. 4  Antonio Llorens Solé, « Musæum Archæologicum Diœcesanum de Solsona (Lérida) », Memorias de los Museos Arqueológicos Provinciales, 1944 (Extractos), V, Madrid, Aldus, 1945, pp. 191-194, en part. 193. Des affirmations comme celle selon laquelle les peintures furent découvertes «  alors que les Rouges arrachaient, pour les jeter aux flammes, quelques retables baroques… » doivent être comprises dans cette ambiance d’après-guerre. N’oublions pas que ce même A. Llorens avait passé les derniers onze mois de la guerre en prison, comme il l’explique lui-même (Antoni Llorens i Solé, Museu Diocesà de Solsona. Inventari. 1

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cisions et se borne à dire que les peintures avaient été déposées à la fin de la guerre puis avaient été transférées au Musée5. En fait, sur le catalogue du MDCS elles figurent comme entrées en 1940, après les réclamations du directeur auprès du Comité de Recuperación del Patrimonio Artístico. En réalité, pourtant, le récit de l’entrée des fresques de Pedret – comme de celles de Casserres et de Cardona – est beaucoup plus intéressant que ce que pourrait suggérer cette simple allusion à une réclamation auprès du Comité6. Catàleg, Solsona, 1965 (inédit, déposé à la Biblioteca del Museu Diocesà de Solsona), p. 2). Cet auteur, des années plus tard, adoucira le ton dans son catalogue de 1965 ; évoquant le Comité Révolutionnaire de Solsona qui en juillet 1936 saisit le Musée, il se souvient : « Il convient de dire, en hommage à la vérité et aux membres de ce Comité, que le musée non seulement ne subit aucun dommage pendant la guerre de 1936 à 1939, mais, au contraire, profita de réalisations qui auraient été très difficiles à l’époque de l’administration ecclésiastique. Le responsable en fut un certain Boixader, de Berga, …» (Ibidem). 5  A. Llorens, « Musæum Archæologicum Diœcesanum… », p. 193. X. Barral (« Peinture murale romaine et médiévale… », p. 146), sans doute à partir de ces informations, situe l’arrachement et le transfert des peintures dans l’année 1939. Certains auteurs l’ont suivi (Roser Rossell i Gibert, « Fragment 1 de decoració mural de Pedret », Catalunya Romànica, vol. XXII, Barcelone, Enciclopèdia Catalana, 1986, p. 348). 6   L'introduction historique aux collections du Musée qui se trouve dans le catalogue rédigé par A. Llorens en 1965, catalogue qui est toujours resté inédit et réservé au fonctionnement interne du MDCS, est un document intéressant. Il l'est aussi pour les fiches des œuvres, où l'auteur expose déjà certaines théories qui auront, pour nos pièces, un certain succès (v. infra). À propos de la "récupération" des peintures, l'auteur explique : « Au mois de février 1939 s'achevait la guerre en Catalogne. L'évêque de Solsona était réfugié à San Sebastián, avec son proche Mgr Santamaria [directeur du Musée jusqu'au début de la Guerre Civile], ceux-ci m'accueillirent quelques jours quand, libéré de la prison dans laquelle j'avais passé les onze derniers mois de la guerre, je finis par y échouer. Les deux me prièrent de me charger du Musée, en commençant par la récupération de ses fonds. Rentré chez moi le 18 février je me mis immédiatement au travail, récupérant tout, à l'exception de quelques pièces, parmi lesquelles figuraient, réellement volées, un baiser-depaix en émail de Limoges, un triptyque d'ivoire illustré de scènes de la Passion et la boucle d’oreille d'or apparue lors des fouilles du village ibère de Sorba. Ayant été informé que vers la fin de la guerre avaient été déposées des peintures murales à Pedret, Casserres et Cardona, profitant du climat de désorganisation qui régnait dans les premiers jours suivant la guerre, je les réclamai au Commissaire de Récupération du Patrimoine Artistique, M. Muguruza, dont les bureaux étaient établis au palais de la Virreina, où il me les attribua sous condition que le Musée ou l'Évêché prennent en charge aussi le transfert des peintures en attente et leur installation satisfaisante, autrement, me dit-il, il valait mieux qu'elles restent à Barcelone. J'acceptai avec plaisir cette chance, conditionnée, et le lendemain matin je me rendis au Palau Nacional de Montjuïc pour me charger de la livraison. M. Llopart, qui, avec Ramon Gudiol, avait déposé toutes ces peintures et que j'avais retrouvé avec difficulté la veille, les identifia une par une et, celles-ci chargées sur un camion que mon beau-frère, Josep Bonany, adjoint au maire de Solsona, m'avait fait parvenir la nuit même, je quittai le palais à onze heures. À la demie, les représentants de la Mairie de Barcelone y accouraient pour s'y opposer. Ils arrivaient trop tard. Laissant dans l'atelier de M. Llopart les peintures qui restaient à transférer, je portai toutes les autres à Solsona, avec le même camion, le seul qui y était resté après la guerre.

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Avec ces nouvelles découvertes achevait de prendre forme un des ensembles les plus riches du haut Moyen Âge et du Moyen Âge central en Catalogne : un édifice commencé au IXe siècle et qui aurait compté jusqu’à quatre phases d’époque médiévale (voir infra), un décor mural de l’abside centrale et de la nef appartenant aux premières phases de la construction et un splendide décor roman qui s’étale sur les trois absides de l’église et sur une partie de la nef centrale. Tous ces éléments font de Pedret un des ensembles à tous les titres les plus étudiés et les plus connus. Cependant, comme pour la plupart des ensembles de Catalogne, on ne dispose pas encore d’une monographie et la valeur des études est très inégale, tant par leur qualité que par l’attention portée à chacun des aspects du monument.

L’ensemble architectural L’église de Saint-Cyr de Pedret est un édifice complexe. Ceci explique que très tôt beaucoup d’auteurs se soient intéressés à son histoire. Selon l’époque, il a été qualifié de wisigothique, mozarabe ou préroman. Toutes ces classifications se sont appuyées sur le plan, sur l’analyse des arcs outrepassés de l’intérieur, sur une rare documentation et sur une absence d’intervention sérieuse sur le monument. Fort heureusement la situation a notablement changé dans les dernières années avec la fouille complète et rigoureuse de l’ensemble et une restauration pour le moins polémique7. Une fois toutes les peintures parvenues au Musée, y compris celles transférées par M. Llopart, celles de Pedret furent installées à la salle II et celles de Casserres et de Cardona à la salle III. C'est ainsi que le Musée de Solsona put acquérir un ensemble de peinture murale dont il n'aurait jamais rêvé, et qui lui a donné un renom universel. Quelques années après, en prenant la direction du Musée d'Art de Barcelone, M. Aineaud [sic] de Lasarte, projeta la récupération, au nom de la Mairie de Barcelone, des peintures murales de Pedret, avançant qu'elles avaient été achetées en même temps que celles de l'absidiole latérale qui figurent au Musée d'Art de Barcelone. L'entrevue se tint au Séminaire de la capitale en présence de l'évêque Mgr Enrique i Tarancón, qui resta muet. Je m'y opposai fermement et M. Aineaud [sic], très compréhensif, n'insista pas, laissant les choses en l'état dans lequel elles se trouvent encore aujourd'hui. » (A. LLORENS, Museu Diocesà de Solsona. Inventari…, pp. 2-4). 7   Sur l’intervention menée à bien par le Servei del Patrimoni Arquitectònic Local de la Diputació de Barcelona (SPAL), voir en dernier lieu A. González (Antoni González Moreno-Navarro, « Església de Sant Quirze de Pedret. Cercs », La restauració Objectiva (Mètode SCCM de restauració monumental). Memòria SPAL 1993-1998, 2. Obres, Barcelone, Diputació de Barcelona, [1998], pp. 137-158) qui recueille toutes les interventions et la bibliographie qu’elles ont générées. La partie la plus polémique est, à notre avis, la reproduction des peintures déposées, tant quant aux critères suivis que pour la réalisation matérielle elle-même. V. par exemple, la table ronde tenue récemment à l’IEC sur les re-décorations

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Un des principaux problèmes de cette église est qu’elle flotte dans des limbes documentaires désespérés. La première mention directe de Saint-Cyr de Pedret se trouve dans une visite pastorale de 1312. À ce moment l’édifice est une paroisse appartenant au diaconé de Berga8. Dire cela laisse imaginer à quel point le problème de la carence documentaire est grave dans le cas de Pedret. Le premier document qui cite, non pas le bâtiment mais le lieu de Pedret, est l’acte de consécration de Saint-Laurent près de Bagà9. Le 21 novembre 983 cette église, qui appartenait aussi au comté de Berga, fut dotée in Pedredo de masos II cum terras et vineas, parmi d’autres propriétés10. La deuxième référence est beaucoup plus intéressante. Il s’agit de l’acte de consécration de l’église Saint-Michel, Sainte-Marie et SaintPierre près de Bagà. Ce document est aussi une confirmation des biens donnés à cette église et parmi eux figure la donation faite par le diacre Francó. Sa contribution consiste en un alaudem franchum qui inclut l’église de sancti (…) située sur la montagne de Pedret au lieudit Nesplosa. Malheureusement le nom de l’église n’est pas conservé car le document présente quelques mutilations11. Bien qu’il ne soit pas conservé «  il paraît difficile de penser que, à cette époque, la mention puisse concerner une seconde église du même territoire de Pedret. »12. Le document est daté du 20 octobre 984, et, si l’on accepte d’églises médiévales, parmi lesquelles Pedret (Boí, Burgal, Pedret, Taüll. Imitació o interpretació contemporània de la pintura mural romànica catalana. I Taula Rodona, Barcelone, IEC, 2000). Nous soulignerons les interventions de Barral («Despintar o pintar el romànic : de la restauració a la creació», p. 13-29) et celles d’A. González (p. 67-74) et d’E. Julià (p. 75-82) sur l’intervention de Pedret. Cf. Ascensión Hernández Martínez, « ¿Copiar o no copiar? He ahí la cuestión (La restauración monumental en la época de la clonación genética) », « Modelos, intercambios y recepción artística (de las rutas marítimas a la navegación en red) », XV Congreso Nacional de Historia del Arte, vol. 2, Majorque, Universitat de les Illes Balears-CEHA, 2008, pp. 1181-1202. 8   Arxiu Episcopal de Vic. Visites Pastorals d’Urgell, calaix 31, vol. 2, fol. 13, cf. Anna Castellano i Tresserra, « Sant Quirze de Pedret. Les fonts documentals », Investigacions arqueològiques i històriques al Berguedà (II) « Sant Llorenç prop Bagà. Sant Quirze de Pedret », Barcelone, Diputació de Barcelona, 1995 (coll. Quaderns Científics i Tècnics, 6), pp. 183-194, en part. p. 191. 9  La référence est intéressante car les peintures les plus anciennes ont été datées à peu près de cette époque. 10   Voir C. Baraut, « Les actes de consagració… », doc. nº 39, en part. p. 103 ; Joan Serra i Vilaró, Baronies de Pinós i Mataplana. Investigació als seus arxius, III. Esglésies i vida eclesiàstica, Bagà, Centre Estudis Baganesos, 1989, pp. 88-93. 11   Le texte dit : Et dedit Francho levita suum alaudem franchum, id sunt casas, casalibus, orreis, ortalibus, et ortis et terris et vineis cultis vel incultis, silvis, garrigiis, pratis, pascuis, vieductibus vel reductibus, cum ipsa ecclesia sancti (…) qui est in comitatu Bergitano in monte Petreto in locum vocitatum Nesplosa. (voir C. Baraut, « Les actes de consagració… », doc. 40, pp.105-106). 12  A. Castellano, « Sant Quirze de Pedret… », p. 185.

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qu’il se rapporte à Saint-Cyr, il nous donnerait une première date à la fin du Xe siècle. On a souvent pris en compte une autre référence documentaire, datée du 20 mars 1168. Mais il s’agit là d’une notice posant problème, car Saint-Cyr n’y est pas non plus explicitement citée. Il s’agit, à nouveau, d’une consécration, celle d’un oratoire dédié à saint Michel et à saint Victor : […] rogatu cuiusdam nobilis viri Bertrandi de Avidano accessit ad quodam oratorium consecrandum in honore sancti Michaelis in loco vocitato Pedret […] iam fatus episcopus consecravit predictum oratorium in honore Dei sueque ienitricis et omnim sanctorum sub titulo et nomine sancti Michaelis et sancti Victoris martiris13.

Le doute a toujours été de savoir s’il s’agit d’un oratoire dans l’église de Saint-Cyr ou d’un autre édifice. La proposition la mieux argumentée – et la plus récente – est, à nouveau, celle d’A. Castellano, qui considère que ce Saint-Michel et Saint-Victor de Pedret serait un édifice différent qu’il faudrait identifier à l’actuel Saint-Michel de les Canals, situé entre les villages de Vilada et de La Portella14. Ainsi, nous ne disposons même pas d’une seule référence sûre pour un édifice dont sont évidents à la fois l’ancienneté et les nombreuses réformes, non seulement décoratives mais aussi structurelles. Une seule de ces références fait allusion, très probablement, à l’église de Saint-Cyr mais n’en donne pas le nom. En définitive, ce bilan documentaire reste très misérable15.  C. Baraut, « Les actes de consagració… », doc. 86, en part. p. 177 ; J. Serra, Baronies de Pinós i Mataplana…, III, pp. 93-94. 14  A. Castellano, « Sant Quirze de Pedret… », pp. 189-190. L’auteur base son argumentation sur la différence entre les concepts d’église privée et d’oratoire. Le premier se rapporterait à un type d’église bâtie dans une zone de repeuplement. C’étaient des églises qui devaient être consacrées par l’évêque mais pour lesquelles « l’initiative de fondation était venue d’un particulier, qui, en général, les érigeait sur ses propriétés et les considérait comme un bien propre dont il se réservait la juridiction et tous les droits qui y étaient attachés, pour lui et ses successeurs. » (Ibid., p. 186). En revanche, les oratoires sont de petites églises érigées aussi par des particuliers qui sont seulement des lieux de culte, mais qui n’ont ni territoire ni aucune sorte de droit paroissial – baptêmes, enterrements –, mais dépendent d’une paroisse dans laquelle elles sont intégrées. Cette précision, plus quelques données relatives à la consécration, permettent à l’auteur de proposer l’identification avec SaintMichel de les Canals (Catalunya Romànica, XII, pp. 499-500), un simple oratoire, et d’écarter la possibilité qu’il s’agisse d’une chapelle résultant d’une réforme à l’intérieur de Saint-Cyr qui serait une église privée jamais qualifiée d’oratoire. (cf. Rosa Serra i Rotés, « Sant Quirze de Pedret [Història] », Catalunya Romànica, vol. XII, Barcelone, Enciclopèdia Catalana, 1985, pp. 210-212). 15   L’excellente étude de A. Castellano (« Sant Quirze de Pedret… ») est assez complète pour qu’il soit difficile de voir apparaître une nouvelle documentation, bien que cela ne 13

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Il existe malgré tout certaines données significatives sur le plan historique qui peuvent nous fournir des pistes sur le moment de la fondation16. D’une part, vers 830 commence le repeuplement du Berguedà, impulsée par les bénédictins de Saint-Sernin de Tavèrnoles (Haut Urgell). La réalisation la plus remarquable de ce mouvement d’aprisions est la fondation du monastère de Saint-Sauveur de la Vedella, très proche de notre église de Pedret17. C’est là la première incursion significative dans le haut Berguedà depuis l’arrivée et l’expulsion des musulmans. D’autre part, Guifred le Velu, comte de Barcelone et de Gérone-Besalú, parachève à la fin du IXe siècle l’occupation effective d’Osona, du Bages et de la Vall de Lord. Ce repeuplement suppose, par contrecoup, une prolifération des fondations dans le Berguedà, continuant l’initiative de 830. Castellano cite les consécrations de La Quar, Olvan, Saint-Sauveur de la Mata et Saint-Vincent de Corbera entre 899 et 900 ; de Saint-André de Sagàs et Saint-Martin de Viure en 903 ; de Sainte-Marie de Vilada en 905 ; et d’Avià, Casserres et Puig-reig en 907. À l’aide de ces données, A. Castellano conclut que, Il n’est pas surprenant, donc, que conformément à l’avancée du repeuplement, une église ait été édifiée vers le dernier tiers du IXe siècle sur le territoire de Pedret.

De fait, ceci concorde avec ce qui résulte des dernières interventions archéologiques18. L’intervention archéologique du Servei del Patrimoni Arquitectònic Local de la province de Barcelone (SPAL) et les études qui l’ont accompagnée sont la conséquence d’un processus qui commença en 1959 quand l’édifice devint propriété de la Ville de Berga. Le changement de propriétaire rendit possible l’intervention de la Diputació de Barcelone. Depuis cette année jusqu’aujourd’hui, le Service du Patrimoine de la Diputació a exercé une tutelle effective sur le monument qui s’est traduit par deux projets de restauration et diverses

puisse jamais être totalement écarté. Cette étude, réalisée dans l’intention de fournir une base documentaire à l’intervention archéologique de la Diputació, se prolonge jusqu’à l’époque la plus récente. 16  A. Castellano, « Sant Quirze de Pedret… », p. 185. 17   Catalunya Romànica, XII, pp. 202-208. 18   cf. Albert López Mullor et alii, « Sant Quirze de Pedret », Investigacions arqueològiques i històriques al Berguedà (II) « Sant Llorenç prop Bagà. Sant Quirze de Pedret », Barcelone, Servei del Patrimoni Arquitectònic de la Diputació de Barcelona, 1995 (coll. Quaderns Científics i Tècnics, 6), pp. 179-404.

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campagnes archéologiques19. Jusqu’à l’achèvement de tous ces travaux, le panorama des études sur l’édifice de Pedret est resté dépendant des perceptions subjectives et de nombreux a priori. C’est pendant la dernière campagne de restauration et les interventions archéologiques qui l’ont accompagnée que l’on a pu reconstituer au mieux l’histoire de l’édifice [fig. 77]. À l’aide de ces opérations, on a pu établir jusqu’à quatre phases d’époque médiévale dans la construction20. La première phase correspond au dernier tiers du IXe et au début du Xe siècle21, où est érigé un édifice à nef unique et chevet trapézoïdal couvert d’une voûte de pierre, avec une porte à l’ouest et une nef couverte en charpente [figs. 77a et b]. Un des éléments en débat depuis les premières interventions archéologiques de Camil Pallàs portait sur l’existence d’un arc triomphal, dès la première phase de l’édifice, à la forme et aux dimensions qu’il a aujourd’hui. On a pu vérifier que l’arc triomphal outrepassé n’était pas plus étroit que l’actuel – fruit de la restauration de C. Pallàs – mais identique22. Le sol de ce premier édifice était en terre battue et chaux, et, d’après les auteurs, un enduit très grossier couvrait des murs faits de blocage lié au mortier de chaux et de grands blocs plus ou moins 19   Rappelons que l’église Saint-Cyr de Pedret fut cédée par l’Évêché de Solsona à la Ville de Berga en 1959, et depuis cette date la mairie et la Diputació de Barcelone se sont chargées de son entretien et de sa restauration. La première restauration eut lieu entre 1959 et 1964, dirigée par Camil Pallàs, alors chef du Service d’Inventaire et de Conservation des Monuments de la Diputació. Le projet de deuxième restauration fut présenté lors du II Simposi sobre Actuacions en el patrimoni edificat, de l991 (Alberto López Mullor, Antoni González Moreno-Navarro, « Noticia sobre la segunda restauración de la iglesia de Sant Quirze de Pedret (Cercs, Barcelona). La investigación preliminar », Actuacions en el patrimoni edificat medieval i modern (segles X-XVIII), Barcelone, Servei del Patrimoni Arquitectònic de la Diputació de Barcelona, 1991 (coll.Quaderns Científics i Tècnics, 3), pp. 231-252). L’étude la plus complète (A. López Mullor et alii, « Sant Quirze de Pedret », pp. 179-404) est le résultat de cette dernière campagne qui a inclus, de manière logique, la fouille complète du site. Cette étude rassemble aussi des informations sur les interventions antérieures. Le 8 septembre 1995 fut menée à terme cette seconde phase initiée le 5 novembre 1992. Le 15 septembre 1995, l’ensemble était inauguré. Sur tout ce processus nous renvoyons en dernière instance à A. González, « Església de Sant Quirze… ». 20  Antoni González Moreno-Navarro, Albert López Mullor, « Actuació a l’església de Sant Quirze de Pedret (Cercs, Berguedà) », II Simposi. Actuacions en el patrimoni edificat : la restauració de l’arquitectura dels segles IX i X (Investigació històrica i disseny arquitectònic) BarcelonaBerga, 10-11 de desembre de 1991), Barcelone, Diputació de Barcelona, 1992 (coll. Quaderns Científics i Tècnics, 4), pp. 157-179, en part. pp. 163-168 et fig. 9 ; A. López Mullor et alii, « Sant Quirze de Pedret », pp. 210 et suiv. 21   Est donc confirmée l’interprétation la plus récente de E. Junyent (Eduard Junyent i Sobirà, L’arquitectura religiosa a Catalunya abans del romànic, Barcelone, Ed. Curial, Publicacions Abadia de Montserrat, 1983 (coll. Textos i Estudis de Cultura Catalana, 3), p. 142), v. A. López Mullor et alii, « Sant Quirze de Pedret », pp. 210-214, figs. 4-5, 17, 31-32, 40, 62. 22  A. López Mullor et alii, « Sant Quirze de Pedret », fig. 31-32.

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équarris aux angles. Il s’agissait donc, à l’évidence, d’une construction très humble. Peu de temps après, vers 950, l’église subit son remaniement le plus important [figs. 77c et d]. Cette deuxième phase de l’édifice23, voit deux nefs latérales ajoutées à la nef principale et deux absidioles outrepassées au chevet trapézoïdal – couvert à nouveau d’une voûte en raison de l’effondrement de la précédente–. Les nefs communiquaient au moyen de deux arcs outrepassés de chaque côté24. Tout l’édifice fut légèrement surélevé dans ses élévations. La porte fut déplacée du pied de l’édifice à son côté sud, un peu à l’est de la porte romane actuelle, et selon les archéologues, son aspect était semblable à celui des ouvertures de l’intérieur, c’est-à-dire, en arc outrepassé reposant sur des chapiteaux prismatiques et des colonnes25. Ce qui avait été la porte occidentale perdit cet usage et servit dès lors de communication entre la nef centrale et un portique ou une maison dont la fonction n’est pas claire26. L’église gardait son aspect humble ; par exemple elle conserva le même type de revêtement de sol en terre battue et chaux, mais selon les auteurs de ces recherches, il faut considérer que c’est à cette époque qu’elle reçut ses peintures murales. Sur ce dernier point, nous considérons que la documentation publiée a été absolument insuffisante. Tant dans l’article de 1992 que dans l’étude de 1995 les auteurs n’hésitent pas à affirmer que le décor peint appartient à cette époque, bien qu’il n’y ait aucune différence dans les mortiers. En réalité, ils n’apportent aucune donnée significative et pourtant ils acceptent la datation du milieu du Xe siècle, tout en admettant qu’elle est discutée, pour fixer la datation de l’édifice ! « Comme ces peintures sont bien connues[disent-ils]nous nous épar-

 A. López Mullor et alii, « Sant Quirze de Pedret », pp. 214-222, figs. 6-9.   L’aspect actuel de l’église, au moins à l’intérieur, tente partiellement de reconstituer cette deuxième phase. Pourtant les différentes interventions ont pu masquer certains vestiges. Pendant l’intervention de 1959-1964 on a reconstruit l’arc de communication sud-est qui au XIIIe siècle avait été transformé en arc en plein cintre. De même l’arc de l’abside a subi des réintégrations qui y ont ajouté deux impostes et quelques claveaux. L’ouverture de la chapelle latérale nord fut totalement reconstruite en matériaux d’origine (v. A. López Mullor et alii, « Sant Quirze de Pedret », pp. 214-215). 25   Des fragments en furent retrouvés lors de la fouille (v. A. López, A. González, « Noticia sobre la segunda restauración de la iglesia de Sant Quirze… », p. 239). 26   Cette pièce hypothétique a été interprétée comme le logement ( ?) d’un diacre, Francó, et une éventuelle communauté monastique de création récente dirigée par lui. Ce Francó apparaît comme donateur d’une église de la montagne de Pedret à Saint-Michel du monastère de Saint-Laurent près de Bagà en 984. V. acte dans Catalunya Romànica, XII, p. 291. 23

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gnons de revenir sur la question  »27. De fait, les seuls arguments sur lesquels repose la datation de la deuxième phase de l’édifice sont ces peintures et la mention dans l’acte de consécration de Saint-Michel près de Bagà d’une église située à Pedret28. Malgré la modestie de la construction, il semble qu’à ce moment l’édifice devait fonctionner   « L’aspect intérieur, s’il n’y avait eu la présence des peintures qui y furent réalisées, n’aurait guère changé, car les enduits différaient à peine de ceux du IXe siècle. » (A. Gonzalez, A. Lopez, « Actuació a l’església de Sant Quirze de Pedret… », p. 164). « Un élément de premier ordre pour rehausser l’aspect intérieur de l’église dut être l’ensemble de peintures murales qui l’ornèrent, dont la chronologie, bien que discutée, semble pouvoir se situer au milieu du Xe siècle ou un peu plus tard. […] elles sont bien connues, raison pour laquelle nous nous épargnons de revenir sur la question ; nous les utiliserons seulement à titre instrumental dans le paragraphe où nous établirons la chronologie de cette phase. » – c’est nous qui soulignons – (A. Lopez Mullor et alii, « Sant Quirze de Pedret », p. 218). 28   Nous avons eu l’occasion de parler de la question des différences d’enduits et de la possibilité d’en tirer des données fiables pour la datation des peintures avec MM. Albert López Mullor et Àlvar Caixal i Mata. Les archéologues du SPAL ont confirmé qu’il n’y avait aucune preuve archéologique, ni dans le sous-sol ni dans les murs, qui permette de déduire l’appartenance des peintures à la deuxième phase. En fait, et comme il semble aussi découler des rapports de fouille, la chronologie des peintures fut considérée comme un élément fiable qui complétait d’autres arguments archéologiques, mais qui ne fut jamais mis en doute. Nous voulons en profiter pour remercier de leur amabilité MM. A. López Mullor et A. Caixal, ainsi que le reste du personnel des archives du SPAL. Ceci dit, nous devons regretter une partie de l’intervention que le SPAL a réalisée à Pedret. Une fois achevé l’excellent travail des archéologues, comme on avait décidé de réaliser une reproduction discutable du décor de l’abside majeure, c’était l’occasion de réaliser une étude archéologique des murs et, le cas échéant, des analyses pertinentes de ceux-ci. Nous savons par une note postérieure que « Pour reproduire exactement les dimensions, les formes et la situation des peintures [haut-médiévales de l’abside majeure], on projeta des diapositives sur les parements, en faisant correspondre les images avec les rares mais opportuns vestiges de tracés et de polychromies qui subsistaient sur l’enduit préroman » (A. González, « Església de Sant Quirze… », p. 153). Pourtant, aucun de ces vestiges ne fut respecté, car alors que pour la reproduction de l’absidiole sud on utilisa tous les moyens pour protéger et séparer le mur et la reproduction, dans l’abside centrale cette reproduction fut réalisée directement sur le mur et sur les vestiges existants. Nous avons pu voir les lamentables rapports de la personne chargée des reproductions, et, évidemment, n’y figure aucune analyse préalable (Emili Julià, Informe tècnic referent a la proposta de restauració de l’absis i frontal i de la reproducció pictòrica a l’església de Sant Quirze de Pedret. Gelida, 13 d’octubre 1994 (dossier inédit déposé aux archives du SPAL) ; Emili Julià, « Restauració i reproducció de les pintures de Sant Quirze de Pedret », Boí, Burgal, Pedret, Taull. Imitació o interpretació contemporània de la pintura mural romànica catalana. I Taula Rodona, Barcelone, IEC, 2000, pp. 75-81, en part. p. 77). Dans le premier rapport, préalable à la restauration, on affirme que sont visibles des vestiges du support original des peintures dans toute l’abside principale. La proposition d’intervention consiste à consolider le mur et les vestiges, araser – c’est-à-dire niveler le mur en l’égalisant avec un nouvel enduit – et reproduire les peintures préromanes sur un support de fibre de verre. Cette dernière option fut repoussée et, selon ce qu’a confirmé le chef du SPAL, M. Antoni González, la reproduction fut réalisée directement sur le mur. M. A. González nous a confirmé aussi qu’aucune analylse des vestiges du mur ne fut réalisée. En réalité, on a tout simplement gâché la dernière chance d’obtenir, peut-être, des données concrètes sur les peintures les plus anciennes de Pedret. 27

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comme un centre monastique. Les vestiges de l’édifice situé au sud de l’église, ainsi que la présence du corps de bâtiment fermé, au couchant, à l’emplacement de l’ancienne porte, ont fait penser à des fonctions communautaires29. Dès le premier quart du XIe siècle, on ajouta un porche à l’ouest qui devait remplacer la possible maison ou résidence antérieure [figs. 77 e et f]. Sans doute, le développement de l’édifice méridional était suffisant pour la vie communautaire. C’est aussi à cette époque que l’on construisit le clocher au-dessus du tiers oriental de la nef latérale sud. À la fin de ce siècle, on repeignit l’église, juste après qu’aient été transformés la voûte et les murs de l’absidiole sud30. Après ce XIe siècle plein d’interventions, il faut passer au XIIIe siècle pour trouver de nouvelles modifications à l’édifice [figs. 77 g et h]. De ce moment est datée la disparition du porche occidental et le remplacement de la porte qui y conduisait par une fenêtre. Le clocher et presque toute la nef méridionale disparaissent – effondrés ?. Celuilà fut refait, celle-ci devint le porche d’accès à l’église. Les changements les plus importants prirent place à l’intérieur de l’édifice avec la construction d’une voûte en berceau brisé. Dans ce but, les murs de la nef furent renforcés par des arcs formerets et l’épaississement des murs aveugla les passages de communication intérieurs entre les nefs. Afin de résoudre la question de la circulation intérieure, on ménagea de simples ouvertures entre les absides pour les faire communiquer. Cette intervention radicale affecta les peintures romanes : les détruisant en partie dans les absides, les masquant partiellement dans la nef. En point d’orgue de toutes ces réformes, on construisit une nouvelle porte romane en profitant de l’ancien passage occidental entre la nef latérale sud et la nef centrale31. Comme tous les travaux archéologiques rigoureux, ceux-ci nous fournissent des chronologies relatives très fiables. C’est pourquoi notre connaissance des différentes phases de l’église de Pedret évoluera peu désormais. Il en va autrement des chronologies absolues et des interprétations à partir des données obtenues32. La précision que l’on peut atteindre dans un contexte archéologique pour la période  A. López Mullor et alii, « Sant Quirze de Pedret », p. 221.   Ibid., « Sant Quirze de Pedret », pp. 222–224, figs. 8-11. 31   Ibid., « Sant Quirze de Pedret », pp. 224-229. 32   Un cas exemplaire de conflit entre la chronologie relative et les conclusions tirées est celui de Saint-Pierre de Rodes (voir Joan-Albert Adell, Eduard Riu, « Sant Pere de Rodes [Arquitectura] », Catalunya Romànica, vol. XXVII, Barcelone, Enciclopèdia Catalana, 1998, pp. 148-156 ; cf. I. Lorés, El monestir de Sant Pere de Rodes…). 29 30

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77. Plans et élévations de Saint-Cyr de Pedret. Évolution de l’édifice selon les archéologues du SPAL (d’après Albert López Mullor et alii, « Sant Quirze de Pedret », Investigacions arqueològiques i històriques al Berguedà (II) « Sant Llorenç prop Bagà. Sant Quirze de Pedret », Barcelone, Servei del Patrimoni Arquitectònic de la Diputació de Barcelona, 1995 (coll. Quaderns Científics i Tècnics, 6), pp. 179404, pp. 210-214, figs. 5, 7, 9, 11, 13, 15 i 17 a 22). Les figures a-b se rapportent à la première phase, du dernier tiers du IXe-début du Xe siècle ; les figures c-d montrent la deuxième phase, ca 950 ; les figures e-f montrent la troisième phase, du premier quart du XIe siècle ; les figures g-h, montrent la quatrième phase, du XIIIe siècle ; les figures i-j, montrent la cinquième phase du deuxième quart du XVIIIe siècle ; et les figures k-l montrent la sixième phase, du XXe siècle, avant la restauration.

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qui nous occupe n’est guère élevée. La datation à partir de matériaux directeurs est complexe. Arrêtons-nous, par exemple au fait que les auteurs de ces travaux basent la datation de la deuxième phase de l’édifice sur un élément absolument inconsistant tel que la date de la couche peinte la plus ancienne établie à partir de critères ( ?) stylistiques. Dans ce contexte, les seules précisions que nous pouvons attendre doivent venir d’éléments externes, comme par exemple d’une documentation nouvelle. Ceci étant dit, jusqu’à ce qu’apparaissent de nouvelles données, nous devons accepter la proposition générale des auteurs de l’intervention, car c’est le travail le plus achevé qui ait jamais été présenté sur l’ensemble de Pedret. À propos de ces interprétations, tout en gardant à l’esprit que nous nous trouvons sur un terrain très ouvert et subjectif, il convient d’en mesurer la fiabilité. Des aspects comme la fonction du bâtiment occidental de la deuxième phase, ou savoir si c’est à ce moment qu’est décorée l’église pour la première fois, restent, par conséquent, soumis à la critique. Pour ce qui nous intéresse, c’est-à-dire les peintures, il ne fait pas de doute que la première construction, datée par cette étude du dernier tiers du IXe siècle, est la première à avoir pu les accueillir33.

Le décor roman L’élément le plus remarquable de l’église Saint-Cyr de Pedret est, sans doute, son décor peint d’époque romane. Participe à cette notoriété, en outre, le fait que ce décor ait été un des premiers découverts en Catalogne. Le premier à en avoir rendu publique l’existence ne pouvait cacher son émerveillement : 33   Nous discuterons plus loin de ce point in extenso. Pour l’instant, nous nous contentons de mettre en doute une appréciation qui n’a jamais reposé sur des données dignes de foi. Traditionnellement les peintures ont été attribuées au Xe siècle, sans aucun argument cependant. Plus exactement, le seul argument pour situer les peintures dans la première moitié du Xe siècle est que J. Gudiol l’a fait en croyant que l’édifice était de cette époque : « comme première impression nous pouvons établir que les peintures de la couche inférieure de Pedret datent du temps de la construction de la partie la plus ancienne de l’édifice actuel, soit la première moitié du Xe siècle. » – c’est nous qui soulignons – (J. Gudiol, « Pedret », p. 110). Nous savons maintenant grâce aux fouilles que la première phase de l’édifice se situe au dernier tiers du IXe-début du Xe siècle et non vers 950, et par conséquent, en tirant à l’extrême l’argument de J. Gudiol, les peintures devraient être datées de ce dernier tiers du IXe siècle ou des débuts du Xe. Une recherche sur les pigments et les mortiers de la couche picturale lors de la dernière intervention du SPAL aurait pu fournir les premiers éléments pour approcher de manière plus fiable une chronologie, mais il n’en fut pas ainsi (voir note supra).

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troisième partie À droite de celle-ci [l’abside majeure], c’est-à-dire du côté de l’épître, se trouve une petite porte qui donne accès à la sacristie. L’ouvrir et rester figé et pâmé d’admiration est tout un, puisque ses murs sont couverts d’une très ancienne peinture dont, même en rêve, on ne pouvait imaginer l’existence. […] elle offre un tableau complet, dont le motif est la parabole de l’Évangile sur les vierges sages et les vierges folles ….

Devant cette surprise, sans précédent dans le pays, F. Muns affirme, nous n’avons pu faire moins que conclure que son auteur vivait au XIIe siècle, et qu’en son temps il n’était pas un apprenti dans l’art de peindre.34.

L’analyse, étant donné le contexte historique et historiographique, n’était pas sans valeur. Dès cette découverte, les peintures de Pedret ont eu une longue histoire, dépourvue de tranquillité. La première évaluation artistique fondée survient deux ans après cette première annonce. J. Puiggarí en donna une description plus attentive et même un dessin des cinq vierges sages et de l’Ecclesia35. L’auteur, encore plus précis, considère l’ensemble comme étant de la fin du XIe ou du début du XIIe siècle. L’importance des peintures leur a valu d’être choisies comme en-tête de la série de fascicules sur la peinture murale catalane que l’Institut d’Estudis Catalans commença à publier en 190736. Pour illustrer la monographie, la même année, la Junta de Museus avait commandé la réalisation de copies au peintre Rafael (Martínez) Padilla37. Ces reproductions, accompagnant le texte de J. Pijoan, furent les premières images en couleur d’une certaine fidélité qui purent être vues et diffusées en Catalogne pour un ensemble peint médiéval. Comme chacun sait, pendant la réalisation de ces reproductions pour publier les peintures – précisément pendant un second séjour à Sainte-Marie de Mur en 1919 –, on découvrit qu’elles commençaient à être vendues et déposées pour être exportées38. Dans ces circonstances, la Junta de Museus racheta les ensembles muraux et les déposa 34   Francisco Muns y Castellet, « Sant Quirse de Pedret », Joventut Católica de Barcelona. Certámen Catalanista. Junta de MDCCCLXXXVII, Barcelone, Tipográfica Católica, 1887, pp. 305-327, en part. pp. 313-314. 35  Joseph Puiggarí, « Pintures murals de Pedret. Sigle XI-XII », L’Avens, any I, nº 7 (25 juliol 1889), pp. 105-110, en part. pp. 108-110. 36  Josep Pijoan, Les pintures murals catalanes, fascicle I. Pedret, Barcelone, IEC, 1907. 37   Voir M. Guardia, J. Camps, I. Lorés, La descoberta de la pintura mural…, pp. 40-42. 38   En fait, il semble que le “catalogue d’achat” ait été réalisé à partir des fascicules publiés par l’Institut d’Estudis Catalans. Voir X. Barral, « El Museu Nacional d’Art de Catalunya i l’art romànic català… », pp. 203-204.

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afin de les sauvegarder ; ainsi commençait la collection de peinture murale du Museu d’Art de Catalunya. Parmi les peintures, déjà bien connues, qu’il fallut racheter et arracher, figurent celles de Saint-Cyr de Pedret, opération réalisée en 1922. Dans un premier temps, on ne retrouva que les vestiges peints des absidioles latérales, aujourd’hui au MNAC (nº inv. 15973, 22991, 22992). Quinze ans après, en pleine guerre, Josep Gudiol trouva et arracha les peintures de l’abside centrale, superposées aux plus anciennes39. Les deux phases de l’abside centrale sont conservées, comme il a été dit, au Museu Diocesà i Comarcal de Solsona (MDCS), où elles entrèrent en 1940 (voir supra). L’étude des peintures romanes de Saint-Cyr de Pedret est importante pour l’ensemble dont nous traitons. Il n’est pas très fréquent de trouver ce type de palimpsestes dans la peinture murale en Catalogne, et dans ce cas c’est une donnée suffisamment importante pour aider à dater les peintures antérieures. Évidemment le décor roman est, pour nous, un terminus ante quem. De plus, les peintures romanes de Pedret constituent, par leur iconographie, un des ensembles les plus intéressants de tous ceux conservés en Catalogne. L’abside centrale, aux formes très différentes de celles des absides romanes – plan carré, mur du fond plat et voûte en berceau outrepassé – est décoré selon un schéma et une iconographie atypiques40. Le mur du fond montre, en haut, l’Ethimasia41 flanquée, au registre médian, par les vingt-quatre vieillards de l’Apocalypse. Ceux-ci s’organisent, on le suppose, en deux groupes symétriques de part et d’autre de la fenêtre axiale. Nous ne conservons aujourd’hui que ceux du côté droit. À droite aussi, mais sur la voûte, nous trouvons trois des quatre cavaliers de l’Apocalypse et la vision de saint Jean à Patmos42 ainsi qu’une partie des Élus43. La moitié gauche montre l’autel du sacrifice avec les âmes des justes et l’ange du Seigneur44 et une inhabituelle représentation des Élus. Au zénith de la voûte est représentée la Maiestas Domini. L’ouverture de l’abside présentait, comme c’est le cas dans d’autres ensembles remarquables, par exemple à Saint-Clément de Taüll, une partie du cycle de Caïn et d’Abel dont seul reste bien visible aujourd’hui  J. Gudiol, « Pedret ».   Nous trouvons un cas similaire en Catalogne Nord avec Saint-Martin-de-Fonollar (Vallespir) (Catalunya Romànica, XXV, pp. 145-153). 41   Ap., 5. 42   Ap., 6, 1-8. 43   Ap., 7, 4 et suiv. 44   Ap., 6, 9-11. 39 40

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Caïn faisant son offrande, sur l’intrados sud, alors que d’Abel ne subsiste que l’agneau et guère plus. Le mur qui sépare l’abside majeure de la nef révéla aussi un décor. Dans ce cas, il s’agissait d’une partie de la légende de saint Cyr (Quirze) et de sainte Julite, et du sacrifice d’Isaac. De ces représentations apocalyptiques et hagiographiques très inhabituelles dans le contexte catalan et particulièrement remarquables par leur localisation dans l’abside principale, on passe à un décor non moins étrange dans l’absidiole nord. Là nous nous trouvons une voûte occupée par la Vierge et l’Enfant et au mur la parabole des vierges sages et des vierges folles45 et une représentation de l’Ecclesia à la façon de celles que nous trouvons dans les rouleaux d’Exultet italiens. Ce qui reste de l’abside sud, fait penser au collège apostolique présidé par saint Pierre. Toutes les parties basses de l’ensemble sont occupées par des tentures aux décors d’animaux et la séparation entre les zones se fait au moyen de frises habitées, d’une grande complexité elles aussi46. Avec ce développement, le décor de Pedret représente un exemple notable de la richesse iconographique à laquelle pouvaient parvenir les églises, et remet en cause l’opinion répandue d’un décor monotone et répétitif des absides. À Pedret, il n’y a rien de conventionnel dans le choix de l’iconographie. C’est sans doute la raison pour laquelle le seul élément, ou presque, qui ait suscité l’intérêt jusqu’à présent ait été cette iconographie – ainsi que l’existence du “maître de Pedret” (voir infra). La première étude approfondie, cependant, n’apparaît que dans les années soixante-dix47, et vingt ans après une monographie, jusqu’à présent peu diffusée, reviendra sur ces questions iconographiques48.   Mt., 25, 1-13.   On remarque en particulier celle du niveau supérieur du mur d’accès à l’abside avec des bustes de saints identifiés. 47  Betty Al-Hamdani, « Los frescos del ábside principal de San Quirze de Pedret », Anuario de Estudios Medievales, 8 (1972-1973), pp. 405-461. 48  Agathe Schmiddunser, Die Wandmalereien von St. Quirze de Pedret. Das ikonologische Programm un dessen Einbindung in das historische Umfeld, München, tuduv-Verl. Gesch., 1990 (coll. Schriften aus dem Institut für Kunstgeschichte der Universität München, Bd. 50). Nous savons par Mme Al-Hamdani elle-même, qu’elle prépare (printemps 2005) la publication d’une monographie sur Saint-Cyr de Pedret. Sur l’iconographie, et sans connaître le contenu du livre de Mme Al-Hamdani nous souhaitons attirer l’attention sur un fait qui n’a guère été présent dans les études antérieures et dont nous avons pu nous entretenir longuement avec M. Guardia. Nous pensons à la richesse iconographique, qui comme nous le disons ne semble pas fortuite, dans une église rurale qui n’est qu’un petit édifice perdu au milieu de nulle part. Aussi importante que l’analyse de l’iconographie serait l’étude de la raison de toutes ces interventions successives et du soin attentif avec lequel a été décoré cet édifice qui pourrait sembler secondaire. 45 46

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Comme nous l’avons dit, l’intérêt principal des peintures romanes par rapport aux antérieures concerne, principalement, la chronologie. Nous avons déjà cité les deux premières références à cet ensemble. La première situe la décoration de ce « temple byzantin, comme tant d’autres  » au XIIe siècle49. La seconde, voulant être plus précise, évoque la fin du XIe ou le début du XIIe siècle50. Nous ne ferons pas un bilan exhaustif de toutes les études de ce décor ; la bibliographie est abondante51. Nous résumerons en disant que l’opinion de J. Puiggarí est celle qui s’imposa dans un premier temps, grâce à J. Pijoan qui considère que les peintures sont du XIe siècle, s’il est vrai qu’elles ne datent pas de la construction de Pedret au Xe siècle52. Les auteurs postérieurs respecteront cette opinion jusqu’à ce que W. W. S. Cook et J. Gudiol, devant l’évidence de deux phases picturales, proposent de situer les peintures au XIIe siècle (première moitié ?)53. L’opinion de J. Gudiol devient importante à partir de ce moment. C’est à lui que nous devons la théorie des Maîtres de l’art roman catalan, théorie qu’il avait commencé à formaliser pendant sa collaboration avec J. Pijoan54. Là réside le second motif d’intérêt de Pedret. Ce décor serait l’œuvre du dit “maître de Pedret”, chef d’un atelier qui aurait exécuté une grande série d’œuvres – Esterri de Cardós, Burgal, Àneu, Àger, Orcau, Argolell, Cap d’Aran –, auxquelles on ajouta bientôt l’ensemble de Saint-Lizier en Couserans (Ariège). Bien qu’elle conserve une certaine vigueur, la théorie du maître de Pedret, tout comme la “théorie des Maîtres” en général, a été progressivement marginalisée. Aux réticences avancées par J. Dols sur celle-ci dans la peinture romane catalane, s’ajoutent, dans le cas du supposé maître de Pedret, des questions de caractère géographique

 F. Muns, « Sant Quirse de Pedret », pp. 314.  J. Puiggarí, « Pintures murals de Pedret… », p. 108. 51   Malgré cette abondance, nous avons déjà remarqué qu’il n’a pas encore été publié une étude monographique à la hauteur de cet ensemble. Pour le décor mural, le fascicule de l’IEC n’est guère qu’une modeste présentation, compte tenu des moyens de l’époque (J. Pijoan, Les pintures murals catalanes…). De 1907 on passe aux études de B. Al-Hamdani « Los frescos del ábside… », pp. 405-461 et A. Schmiddunser, Die Wandmalereien von St. Quirze de Pedret…. Une fois de plus s’affiche l’état précaire des études sur la peinture romane en Catalogne et le manque d’initiative pour sa publication. À notre avis, la meilleure étude sur les peintures romanes de Pedret est l’article signé par Joaquín Yarza, « Sant Quirze de Pedret [pintura] », Catalunya Romànica, vol. XII, Barcelone, Enciclopèdia Catalana, 1985, pp. 218-234, avec sa bibliographie. 52  J. Pijoan, Les pintures murals catalanes… ; cf. C. R. Post, A History …, I, pp. 130-136. 53   W. W. S. Cook, J. Gudiol, Ars Hispaniæ…, p. 54. 54  J. Pijoan, Monumenta Cataloniæ…. 49 50

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et chronologique55. La datation du XIIe siècle n’a pas rencontré beaucoup de partisans. Dès que J. Ainaud identifie, d’après l’inscription, la donatrice qui apparaît dans l’abside de Burgal56 comme étant Lucie de Pallars, tout le monde a accepté que les peintures de Burgal devaient être datées des alentours de 1090. Dès lors, le raisonnement pour dater les peintures de Pedret est le suivant : étant formellement les plus proches des sources italiennes du groupe, elles devaient être antérieures à celles de Burgal, celles-ci sont l’œuvre d’un artiste instruit auprès du peintre de Pedret ou de son œuvre, et par conséquent celles de Pedret doivent être antérieures à 109057. J. Yarza, dans l’étude la plus critique publiée jusqu’à présent – et qui n’est pas consacrée exclusivement à l’iconographie –, considère qu’il faut situer le décor de Pedret peu avant 109058. Selon lui, à Pedret nous sommes en présence de deux peintres à la manière différente. L’un serait l’auteur, par exemple, des cavaliers de l’Apocalypse. Son style serait plus naturaliste, plus “classique”. L’autre peintre, de style plus géométrisant, plus proche de ce que nous trouverons dans des ensembles comme Burgal ou Àneu, serait l’auteur, par exemple, des vingt-quatre vieillards ou de la parabole des vierges sages et des vierges folles. La chronologie proposée par Yarza se fonde d’une part sur l’opinion que Pedret se situe à l’origine de Burgal et d’Àneu, de l’autre sur des motifs iconographiques, ornementaux et chroma55  J. Dols, « El maestro de Osormort ». Aujourd’hui, la plupart des auteurs considèrent qu’il faut situer les peintures d’Àger vers 1100 voire déjà dans le XIIe siècle. Pourtant, elles avaient longtemps été attribuées aux années 70 du XIe siècle, en relation avec le début de la construction de l’église. Une autre date importante pour comprendre le problème est la consécration de Saint-Lizier en Couserans, en 1117. Sur ces données on concluait qu’un peintre, déjà formé, était arrivé en Catalogne et était l’auteur, durant presque cinquante ans, d’un groupe d’ensembles picturaux qui allaient du Berguedà jusqu’au Couserans. Pour Àger v. Milagros Guardia, « Pintures murals d’Àger », Prefiguració del Museu Nacional d’Art de Catalunya, Barcelone, Lunwerg-MNAC, 1992 (coll. Catàlegs generals dels fons del MNAC, 1), pp. 132-136 (cat. exp.) ; pour Saint-Lizier, voir récemment Entre Adriatique et Atlantique…. Sur le problème général de la théorie des maîtres, les études de J. Dols et de G. M. Borràs ont commencé à apporter des remises en question, bien qu’elle résiste encore. (J. Dols, « El maestro de Osormort » ; G. M. Borrás, M. García, La pintura románica de Aragón…, pp. 33 et suiv.). 56  J. Ainaud, Art romànic. Guia…, pp. 82-83. 57   Nous avons récemment remis en question cette théorie en décalant la date de Burgal, selon nous en effet l’image de Lucie ne date pas de l’époque où elle était comtesse mais de l’époque de ses successeurs, car le personnage féminin portant un cierge renvoie à toute une tradition d’images votives de type funéraire. Ainsi il n’y aurait plus aucun argument pour maintenir le décor de Burgal, ni celui de Pedret, à la fin du XIe siècle. Des raisons historiques nous conduiraient cependant à une datation du début du XIIe siècle (v. M. Guardia, C. Mancho, « Pedret-Boí o l’origen de la pintura mural catalana »). 58  J. Yarza, « Sant Quirze de Pedret… ».

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tiques59 rattachant Pedret – ainsi que cela a été souvent affirmé – à des ensembles nord-italiens comme Civate et Pruggiasco, tous deux de la fin du XIe siècle. Ce serait donc une donnée d’une certaine importance au moment d’affronter l’étude du décor primitif de Saint-Cyr de Pedret. Selon la plupart des auteurs, vers la fin du XIe siècle, aux environs de 10801090, prend place une rénovation radicale du décor de l’édifice qui est entièrement repeint à neuf. Pourtant, curieusement, cette intervention ne semble correspondre à aucune des phases de construction et de restructuration définies par les archéologues (voir supra). La réforme consiste, comme cela a été dit, à repeindre à neuf toute la zone absidiale60. Cette nouvelle peinture a caché et a protégé le décor préexistant jusqu’en 1937 [fig. 78]. Il est évident, par conséquent, que le premier décor de Saint-Cyr doit être antérieur à celui-là. Mais de combien antérieur ? Le dernier article publié, qui prend toujours en compte le terminus ante quem de 1080-1090, estime que les peintures datent des alentours de 1060, alors que l’hypothèse traditionnelle les place dans la première moitié du Xe siècle…61. Nous laisserons de côté pour l’instant ce problème chronologique.

Description du décor ancien De l’ensemble des peintures qui ont décoré les murs de Saint-Cyr dans la première phase, nous ne sommes parvenus à connaître que trois fragments. De ceux-ci, malheureusement, nous ne conservons que deux : ceux qui appartiennent à la zone de l’abside [fig. 84, pl. 42-43]. Le troisième, qui est apparu sur le mur septentrional de la nef, lui aussi sous la peinture romane, ne nous est pas parvenu62 (voir infra).

  Les analyses récentes des pigments confirmeraient ce lien avec l’Italie du Nord (v. Antoni Morer, Manuel Font-Altaba, « Materials pictòrics medievals. Investigació de les pintures murals romàniques a Catalunya », Butlletí del Museu Nacional d’Art de Catalunya, I, 1 (1993), pp. 71-115, en part. pp. 110-111). 60   En vérité, si ce que dit J. Gudiol (« Pedret », p. 110) est vrai, la nef aussi se trouva remodelée avec un nouveau décor. Selon lui, la crucifixion qu’il considère comme contemporaine des peintures que nous analysons ici apparut sous une crucifixion au Christ nu d’époque romane. 61  Betty Watson Al-Hamdani, « Interpretació d’un antic fresc de Sant Quirze de Pedret », L’Erol. Revista Cultural del Berguedà, année 9, nº 31 (tardor 1990), pp. 33-38, en part. p. 34 ; cf. J. Gudiol, « Pedret », p. 110. 62  J. Gudiol, « Pedret », p. 110. 59

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Des deux fragments conservés, le plus connu63 [fig. 85, pl. 42] flanquait la fenêtre centrale du chœur du côté de l’Épître [fig. 78-79]. Dans une couronne circulaire tracée avec une grande précision, sans doute avec un compas, figure un personnage représenté de face aux bras ouverts en croix. Il porte une tunique manicata rouge, bordée de noir. Le visage, traité en lignes très épurées, paraît porter une barbe ou une barbiche. La couronne circulaire est décorée de deux zigzags noirs et rouges, dont les espaces triangulaires vides sont remplis de triangles de la couleur opposée. Chacun des éléments possède un profil blanc en réserve. Posé sur la couronne, plutôt que la soutenant, se trouve un oiseau aux ailes déployées. Il est représenté selon des principes de perspective aspective : toute la silhouette de profil, la queue et les ailes vues de haut et les pattes alignées. La représentation du plumage joue, comme sur les autres éléments de l’image, sur l’alternance du rouge et du noir, que ce soit pour les lignes qui remplissent les ailes et la queue, les plumes du corps ou les cadres et la croix du cou. L’autre fragment conservé64 [fig. 88, pl. 43] est plus intéressant, car il présente une composition plus complexe. Il se situait à gauche de la fenêtre axiale de l’abside, c’est-à-dire du côté de l’Évangile [fig. 78-79] et il montre à nouveau une couronne circulaire délimitant un élément dans son centre. Dans ce cas cependant, le disque présente quatre appendices triangulaires accolés. Deux prolongent le diamètre vertical et les deux autres, une sécante parallèle au diamètre horizontal. L’aspect est celui d’une croix latine dont le nœud serait extraordinairement développé. La décoration de la couronne est une tige ondulée dont sortent des feuilles qui, repliées en arrière, remplissent l’espace de l’ondulation. Les appendices, quant à eux, sont identiques deux à deux. Ceux qui se situent sur l’axe vertical montrent une frise extérieure dans laquelle une ligne en zigzag sépare une rangée de triangles équilatéraux rouges – à l’extérieur – d’une autre rangée de triangles noirs – à l’intérieur. Cette frise borde trois traits triangulaires – blanc, noir et blanc – qui délimitent un triangle rouge. Les seules différences entre les appendices supérieur et inférieur sont que ce dernier est d’une taille supérieure, comme s’il voulait représenter le pied de la “croix”, et la frise de zigzags et de triangles ne continue pas de la même manière sur tout le tracé, car à la base les triangles noirs passent à l’extérieur et les rouges à l’intérieur. Les appendices hori  Dimensions : 135 x 122 cm, nº d’inv. MDCS 1.   Dimensions : 197x135 cm, nº d’inv. MDCS 2.

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les limites dans l’étude de la peinture 78. Vue de l’intérieur de l’abside majeure de Saint-Cyr de Pedret avec la superposition des peintures romanes et de celles du haut Moyen Âge, avant l’arrachement de 1937 (Arxiu Mas)

79. Vue de l’intérieur de l’abside majeure de Saint-Cyr de Pedret, détail. État actuel après la reproduction des peintures réalisée par le SPAL (archive de l’auteur).

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zontaux montrent, sur un fonds rouge, une tige avec deux feuilles repliées semblables à celles de la couronne, mais plus grandes. Il faut dire que l’appendice de gauche a pratiquement disparu. L’intérieur de cette corona ansata ou clipeus ansatus représente un cavalier à la monture rouge très effacée, bien que de toute évidence disproportionnée. Le cavalier tient les rênes d’une main, et de l’autre une lance portant un étendard ou un gonfanon rouge à sa pointe. Sa tête est protégée par ce qui paraît être un casque à nasal. On remarque qu’à la différence des autres personnages de Pedret, le visage n’est pas de la couleur du fond blanc mais d’un ton hâlé proche du rouge du cheval. Sous les pattes du cheval apparaît un animal très effacé qui est peut-être un chien65 et derrière, à hauteur de la queue, on voit un homme minuscule portant quelque chose sur l’épaule, peut-être une arme ou un étendard. Le quadrant supérieur gauche est occupé par un oiseau qui exhibe sur la tête une crête aux six pointes achevées en forme de boule, et qui porte sur son dos un autre oiseau plus petit, les deux vus de profil. Le grand oiseau semble picorer les grains de raisin qui pendent ( ?) d’une petite croix grecque. Cette croix se situe entre la tête du cavalier et la limite de la couronne, caractérisée par ses extrémités évasées et cantonnée d’un point rouge dans chaque quartier. Cette configuration rappelle les signa que nous trouvons comme “signature” sur les documents médiévaux. À la différence du premier fragment, celui-ci ne se limite pas à la décoration de l’intérieur de la couronne. À l’extérieur, flanquant le pied de la “croix”, apparaissent deux personnages. À gauche, entre le bras gauche et le bras inférieur, un personnage de face, soutenant un objet – un livre ? – de ses mains, est vêtu d’une sorte de tunique, cape ou habit noir et rouge avec des manches. Le traitement du visage est très semblable à celui du personnage de l’intérieur de la couronne du premier fragment. Du côté opposé, se trouve un autre personnage (?) très détérioré. Le peu qui en reste semble être une jambe nue fléchie, comme si le personnage était assis, et une partie de la tête et de l’épaule où est évidente la présence d’un habit – tunique, manteau ? –. Devant lui, une ligne noire doit peut-être s’interpréter comme un bâton. En avant de sa jambe droite, on distingue aussi un rectangle dont sortent des lignes ondulées rouges et noires, habituellement 65   Ce fut, tout au moins, l’interprétation de la plupart des auteurs à partir de W.W.S. Cook et J. Gudiol (W. W. S. Cook, J. Gudiol, Ars Hispaniæ…, p. 21). Récemmment B. Al-Hamdani (B. Watson Al-Hamdani, « Interpretació d’un antic fresc de Sant Quirze de Pedret ») a identifié l’animal comme un sanglier (voir infra).

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interprétées comme un feu66. À droite du bras supérieur de la “croix”, presque au contact de la couronne, on conserve des vestiges de lignes noires correspondant peut-être à d’autres éléments de notre ensemble que, malheureusement, nous ne conservons plus aujourd’hui67. Nous ne conservons pas non plus le troisième élément pictural qui, on le suppose, formait part du décor primitif de Saint-Cyr. En ce cas, et selon J. Gudiol, il s’agissait d’une Crucifixion. Il nous dit que le Christ y portait une tunique, mais ne précise pas s’il s’agissait de la tunique manicata des majestés catalanes68 ou du colobium oriental que nous trouvons, par exemple, sur les enkolpia grecs. J. Gudiol rapporte aussi que cette Crucifixion était peinte dans le même style que celles de l’abside. On ignore comment ce fragment a été perdu. Sur les photographies, antérieures à l’intervention du Service des Monuments dirigée par Camil Pallàs entre 1959 et 1964, les vestiges sont encore visibles [figs. 80-82]. Par contre, ils ne se trouvent plus sur les photographies immédiatement postérieures69 [fig. 83]. L’unique auteur qui prenne en compte ce fragment est M. Guardia, qui explique la perte par la dégradation du mur lui-même70. J. Gudiol nous fournit enfin une dernière donnée. Selon lui, cette Crucifixion primitive était apparue sous un Christ nu, c’est-à-dire sous un repeint roman postérieur71. 66   Sans doute ce personnage est-il l’élément le plus difficile à comprendre de toute la composition, pas seulement en raison de son état de conservation. La première impression à la vue du personnage est celle d’un problème de couches picturales. La présence d’un espace perdu entre le corps et les jambes ne facilite pas la compréhension de ce sujet. En premier lieu, il semble qu’il y ait un problème d’échelle, car au-dessus du manque on voit la partie supérieure d’un corps à la tête inclinée, d’un gabarit nettement supérieur à celui qu’indiqueraient les jambes devant le feu dans la partie inférieure. En second lieu, les formes arrondies du haut correspondent à un personnage habillé, alors que les jambes sont nues, et par conséquent ne semblent pas pouvoir correspondre au corps vêtu du dessus. 67   Toutes ces lignes noires verticales et horizontales, y compris celle qui a été interprétée comme le possible bâton du personnage assis devant le feu, pourraient être, cependant des vestiges de la couche profonde du décor postérieur. Aujourd’hui, compte tenu que le processus d’arrachement et la dernière intervention empêchent toute vérification, nous pensons qu’on ne peut écarter cette hypothèse, surtout parce qu’il paraît très difficile de faire correspondre ces lignes au reste du décor. 68   Par exemple la Majestat Batlló (Catalunya Romànica, I, pp. 272-275).

69   Les archives du SPAL conservent une photographie datée du 24 mai 1962 sur laquelle apparaissent encore les vestiges peints. La même prise deux ans plus tard – 15 juin 1964 – montre déjà un mur “propre”.

 M. Guardia, « 2. Pintura Mural », p. 60.   Il convient de dire, d’autre part que rares – inexistants – sont les auteurs qui traitant du décor roman citent cette Crucifixion. La même confusion explique que l’on n’ait consacré guère de temps à réfléchir à l’époque à laquelle pourrait correspondre ce décor, ni au détail qu’évoque J. Gudiol sur le fait que les peintures étaient en réalité un palimpseste. Quoi 70 71

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troisième partie 80. Détail du mur nord à la hauteur de l’arc de communication ouest, avec des restes de la Crucifixion (?) du haut Moyen Âge (?), avant les interventions des années 1959-1964 du Servei de Conservació i Catalogació de Monuments de la Diputació de Barcelona (Arxiu Mas)

81. Détail du mur nord à la hauteur de l’arc de communication ouest, avec des restes de la Crucifixion (?) du haut Moyen Âge (?), avant les interventions des années 1959-1964 du Servei de Conservació i Catalogació de Monuments de la Diputació de Barcelona (Arxiu Mas). On remarque comment le décor avait été emmuré avec le doublement des murs de la nef, réalisé pour soutenir la voûte en arc brisé du XIIIe siècle.

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82. Détail de l’angle nord-ouest de la nef centrale de Sant Quirze de Pedret. Les fragments de peintures sont encore visibles. La photographie datée du 24 mai 1962 est conservée aux archives du SPAL.

83. Mur nord de la nef centrale de Sant Quirze de Pedret après la restauration de Camil Pallàs (photographie SPAL). On peut vérifier qu’ont disparu tous les vestiges de la décoration. Le négatif de la photographie est daté du 15 juin 1964.

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État de la question Le décor de Saint-Cyr de Pedret est un autre exemple de l’état dans lequel se trouvent les études sur la peinture murale en Catalogne. Nous avons évoqué à plusieurs reprises que, malgré l’importance de cet ensemble, il n’y a pas encore de monographie sur le décor roman. Les peintures plus anciennes, bien qu’elles aient été une référence obligatoire de toutes les études de dimension européenne, ne sont mentionnées que de manière anecdotique par une bonne part des autres travaux72. L’autre partie des références ne sont rien d’autre que la tentative de transformer Pedret en paradigme d’un certain Moyen Âge, le Moyen Âge de la magie, du mystère et de la symbolique transcendantale régissant chacune des activités humaines73. Les travaux sérieux sont peu nombreux. En fait, ils se limitent à quelques fiches de catalogues et à un bref travail récent (voir infra). Il est évident que l’importance et la qualité du décor roman éclipsent tout le reste. D’autre part, la pauvre qualité du décor haut médiéval explique sans doute que son étude, tant stylistique que, en particulier, iconographique soit devenue une question aride. Nous ne trouvons les premières références qu’à l’époque où sont déposées les peintures romanes de l’abside majeure. Le premier à en donner un témoignage est J. Gudiol i Ricard, un des inventeurs74. Comme nous l’avons dit, d’après lui, les vestiges du décor le plus ancien étaient au nombre de trois. Outre les deux thèmes de l’abside avec le cavalier et le personnage barbu, on avait aussi découvert une “majesté” cachée par un repeint roman dans la nef centrale. Étant donné l’état des connaissances sur la peinture murale “préromane” en Catalogne à l’époque75, très rares pouvaient être les parallèles. qu’il en soit, les photographies confirment qu’il ne s’agit pas d’une seule peinture mais, au minimum, de deux phases superposées. 72   cf. O. Demus, La peinture murale…, p. 149 ; C. R. Dodwell, Artes pictóricas en Occidente…, p. 338 ; Caecilia Davis-Weyer, « Pittura, secoli 6º-10º », Enciclopedia dell’Arte Medievale, IX, Rome, Enciclopedia Italiana, 1998, pp. 447-466, en part. p. 448. 73   Voir les articles, appelons-les “curieux”, de Juli Lahosa i Beltran (« Crist?, orant?,… Quin és el missatge de Pedret?… En la perfecció dels cercles rau el trencacolls d’aquesta pintura », Diplomatari, 6 (juny 1981), pp. 23-29), Josep M. Miró i Rosinach (« Simbolisme de l’orant de Sant Quirze de Pedret (Berguedà) », Quaderns d’Estudis Medievals, nº 3, vol. 1 (mars 1981), pp. 137-139) ou Joan Ribas i Fonts (« La simbologia de l’Orant de Pedret », Diplomatari, 7 (septembre 1981), pp. 21-22). 74  J. Gudiol, « Pedret », p. 110. 75   L’auteur parle même de peintures « cachées sous d’autres plus modernes de l’église de Sainte-Marie de Terrassa » qui, quand elles seraient dégagées, permettraient de « commencer à parler avec quelques bases de la première période romane en Catalogne. » (Ibid.).

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84.Les deux panneaux tels qu’ils se présentent au Museu Diocesà i Comarcal de Solsona (photo de l’auteur avec la l’autorisation du musée).

85. Saint Jean. Panneau 1 de la décoration du haut Moyen Âge de Saint-Cyr de Pedret, Museu Diocesà i Comarcal de Solsona (photo de l’auteur avec l’autorisation du musée).

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Même si aujourd’hui cela peut nous sembler indéfendable, la comparaison fut faite avec les peintures de l’abside de Saint-Michel de Terrassa. L’argument est que les unes et les autres sont tracées au « trait sec en rouge et noir ». Un élément qui dès le début pouvait exciter beaucoup l’imagination, comme le décor phytomorphe de la frise qui orne la croix encadrant le cavalier, sert à l’auteur à établir une comparaison lâche avec « les plus anciens manuscrits de la série de Ripoll, où [le thème végétal] présente toujours les mêmes couleurs que celles que nous trouvons ici ». Sa conclusion est que, tant pour des raisons stylistiques (?) que parce qu’elles étaient cachées par le décor roman – qu’il situe vers 1120 –, ces peintures « datent du temps de la construction de la partie la plus ancienne de l’édifice actuel, c’est-à-dire de la première moitié du Xe siècle » –  c’est nous qui soulignons. Il faut garder à l’esprit cette datation et, surtout, les arguments qui la justifient, parce que c’est celle qui, avec peu de variations, a été soutenue jusqu’à nos jours malgré les progrès dans l’étude de l’édifice. Quelques années plus tard, J. Pijoan introduit un élément important pour l’interprétation de l’ensemble76. Important non tant pour sa vraisemblance que pour les adhésions qu’elle recueille. Selon lui, ce décor fut peint à l’époque de la prédication de la «première croisade», 27 novembre 1095. Ainsi, l’auteur interprète le médaillon au personnage barbu comme le Crucifié demandant la libération des Lieux Saints, le cavalier comme un Croisé, l’homme à la toge comme le prédicateur de la croisade et l’autre personnage comme le fidèle qui l’écoute. La lecture, d’une naïveté rare, fut cependant rapidement reprise par W. W. S. Cook et J. Gudiol, qui la présentent comme une nouveauté77. Le premier problème posé par la lecture de J. Pijoan est la chronologie. L’auteur maintient la date du Xe siècle, bien qu’il relie les peintures à la première croisade78. C’est sans doute pour cette raison que W. W. S. Cook et J. Gudiol replacent les peintures dans la seconde moitié du XIe siècle et les relient à la dite “croisade de Barbastro” (1064-1065)79. Dans leur interprétation, ils mettent aussi en 76  J. Pijoan, Monumenta Cataloniæ…, pp. 143-4. Quant à l’une des références obligées dans l’étude de la peinture murale en Catalogne, C. R. Post (A History …, VIII/2, pp. 537-538), celui-ci se limite à diffuser la découverte à partir de l’article de Gudiol. La date de publication de la seconde partie du huitième volume, l’an1941, explique que Post ait difficilement pu connaître ces peintures de première main. 77   W. W. S. Cook, J. Gudiol, Ars Hispaniæ…,p. 26. Une fois de plus on constate le vide que les différents auteurs font autour du personnage de Josep Pijoan. 78  J. Pijoan, Monumenta Cataloniæ…, p. 143. 79   À propos de cette “première croisade” convoquée par Alexandre II contre la cité de Barbastro, voir récemment Jean Flori, La guerre sainte. La formation de l’idée de croisade dans

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86. Détail du clipeus du panneau 1 de Saint-Cyr de Pedret, Museu Diocesà i Comarcal de Solsona (Solsonès) (photo de l’auteur avec la l’autorisation du musée).

87. Détail de l’aigle du panneau 1 de Saint-Cyr de Pedret, Museu Diocesà i Comarcal de Solsona (Solsonès) (photo de l’auteur avec l’autorisation du musée).

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88. Saint Maurice, un donateur et Hiver. Panneau 2 de Sant Quirze de Pedret, Museu Diocesà i Comarcal de Solsona (photo de l’auteur avec l’autorisation du musée).

relation les peintures de Pedret avec celles de Castillejo de Robledo, que l’on supposait aussi reliées aux croisades. Le principal problème de cette proposition sera toujours la date de cette présumée croisade, qui situe le décor à une époque encore trop tardive – relativement à l’existence du décor roman. S’agissant de questions de style, tous les auteurs s’accordent sur la faible qualité de ces peintures. J. Pijoan affirme : « Elles sont de style beaucoup plus barbare, et de loin, que tout ce que nous possédons des mozarabes, sous forme de miniatures », alors que W. W. S. Cook et J. Gudiol parlent de « dibujos infantiles ». Le premier à souligner la contradiction entre les datations possibles, les croisades possibles et les peintures est E. Junyent. Il considère que ces peintures sont une illustration du «  substrat le plus primitif et le plus rustique d’un art autochtone non touché encore par les influences étrangères »80. C’est justement sa rusticité qui interdit d’en faire une lecture iconographique, et par conséquent E. l’Occident chrétien, Paris, Aubier, 2001 (Collection Historique), pp. 277 et suiv. 80  E. Junyent, « L’art pre-romànic », fig. 100 et pp. 129-130.

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Junyent n’en propose aucune81. Parallèlement à cette proposition de “rusticité”, avait commencé à se profiler une proposition d’“érudition”. A. Llorens accepte, dans un premier temps et de manière partielle, l’idée de W. W. S. Cook et J. Gudiol bien que, de toute évidence, il ne la comprenne pas82. Il croit que le personnage en prière est interprété par ces auteurs comme la figure du musulman, et c’est pour cette raison que, selon lui, le cavalier se trouverait dans l’autre médaillon. La confusion est logique si nous lisons la proposition de W. W. S. Cook et J. Gudiol qui évitent dans leur commentaire le personnage en prière. Pour remplacer cette lecture confuse, A. Llorens propose d’y voir représentés les états de l’âme. À droite, l’orant demanderait l’immortalité, à gauche, le cavalier serait l’âme jouissant de l’éternité. Cette interprétation, qui aura un certain succès, achève de se mettre en forme dans le catalogue établi par le même A. Llorens des années plus tard83. À partir de ce texte, il s’oppose frontalement à l’interprétation de J. Gudiol et propose de lire l’orant – déjà baptisé ainsi – comme « L’état de l’âme en ce monde, en attente de l’éternité ou du Ciel », la composition de gauche est baptisée « Les Tout Nouveaux » : « le cavalier est un personnage qui se trouve au Ciel », ce pourrait être saint Martin ; le personnage du bas, à côté du Ciel – indiqué par la couronne – est au Purgatoire, le troisième personnage est en Enfer, indiqué par les flammes. Très tôt, cette proposition aura des partisans84. D’autre part, étant donné la résistance du décor à être lu dans les schémas en usage – et profitant de la voie ouverte par A. Llorens –, commencent à apparaître les premières apparitions érudites décontextualisées. Pour F. Rico, nous avons à Pedret « El hombre de Vitruvio, inscrito en un círculo, imagen cósmica  », comme il l’indique dans la légende d’une photo85. Le saut est qualitatif. On est passé d’une vision de Pedret comme œuvre d’un peintre peu doué mais – oh combien ! – libre d’influences étrangères, à celle d’un exégète médiéval de Pla  cf. Eduard Junyent i Sobirà, Cataluña, 2, Madrid, Encuentro, 1980 (1ère édition en français La-Pierre-qui-vire, Zodiaque, 1970), pp. 253-254. 82  Antonio Llorens Solé, « Museo Arqueológico Diocesano de Solsona (Lérida). La pinturas murales de Pedret », Memorias de los Museos Arqueológicos Provinciales, 1950-1951 (Extractos), vol. XI-XII, Madrid, Aldus, 1953, pp. 106-116, en part. p. 109 83  A. Llorens, Museu Diocesà de Solsona. Inventari…, fiches nº 1 et 2. 84   cf. Roser Rossell i Gibert, « Sant Quirze de Pedret [Pintures Murals Preromàniques] », Catalunya Romànica, vol. XII, Barcelone, Enciclopèdia Catalana, 1985, pp. 216-218 ; Idem, « Fragment 1 de decoració… ». 85  Francisco Rico, El pequeño mundo del hombre. Varia fortuna de una ida en las letras españolas, Madrid, Ed. Castalia, 1970, p. 189 et fig. 7. 81

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ton. Et, de fait, F. Rico utilise cette image pour illustrer le passage dans lequel Vitruve affirme que « el hombre adecuadamente proporcionado, al extender en aspa brazos y pies, se deja inscribir con toda exactitud en un circulo » – c’est nous qui soulignons –, car telle est la figure parfaite du monde tant pour Platon que pour la cosmographie médiévale86. Cette comparaison, dans laquelle, à notre sens, il faut voir un divertissement de l’auteur – l’utilisation comme illustration d’une image connue – ou, à l’extrême, un lapsus calami87, a été dès lors présente dans toutes les références à Pedret. Ce n’est pas à Barral que l’on doit le succès de cette “lecture” de F. Rico, car dans son état de la question, il se limite à partager l’opposition de E. Junyent contre la proposition issue de J. Pijoan, et F. Rico n’est même pas cité88. En revanche, le calamus de J. Sureda non seulement s’accroche à la proposition, mais la développe en lui trouvant de nouveaux arguments89. À partir de ce moment, des auteurs comme X. Sitjes, le même J. Sureda, des années plus tard, et M. Miró, ont tenté des lectures complexes qui jouent des supposées symboliques de chacun des éléments du décor. Aucune d’elles n’a guère de sens, et cela n’a conduit qu’à une prolifération de lectures pseudo,– érudites difficiles à justifier90. L’élaboration du catalogue du Museu Diocesà i Comarcal de Solsona (MDCS) supposait une révision critique de ce qui s’était dit jusque là. L’auteur des deux fiches du catalogue parvient à asseoir quelques éléments de lecture possible, et, laissant de côté toute une série d’hypothèses irrecevables, réunit quelques éléments clairs91. Un personnage associé à une couronne et à un oiseau comme celui que nous trouvons à Pedret a toujours été mis en relation avec l’idée de 86  Vitruve, De architectura, III, I, 3 (Vitruve Pollion, Marc, De architectura, (ed. bilingue français-latin), Paris, Les Belles Lettres, 1969 (Collection des universités de France)) ; Platon, Œuvres complètes, tome X. Timée, Critias, (éd.) Albert Rivaud, Paris, Les Belles Lettres, 1985 (Collection des Universités de France), 33b. 87   Bien que l’œuvre de Rico ait été toujours citée depuis ce moment, l’auteur ne mentionne jamais dans le texte le décor de Pedret et n’en propose pas plus d’interprétation. Seule la légende de photo citée contient l’allusion à l’homme de Vitruve liée au personnage de Pedret. Si son but était de chercher une image connue, l’auteur a rencontré là un succès inusité. Aucune proposition aussi peu argumentée, venue d’un historien de l’art, n’aurait été acceptée avec autant de complaisance. 88  X. Barral, « Peinture murale romaine et médiévale… », pp. 146-147. 89  S. Alcolea, J. Sureda, El romànic català…, p. 6 et fig. 1. 90  Xavier Sitjes i Molins, Les esglésies pre-romàniques del Bages, Berguedà i Cardener, Manresa, Caixa d’Estalvis de Manresa, 1977, pp. 217-223 ; J. Sureda, La pintura romànica a Catalunya, pp. 166-167 et J. M. Miró, « Simbolisme de l’orant … ». 91  M. Guardia, « 2. Pintura Mural » ; Eadem, « 3. Pintura Mural ».

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régénération et de résurrection. En ce qui concerne le cavalier, dans un contexte chrétien il ne peut s’agir que du Christ, de Constantin, d’un saint ou d’un noble. En dernière instance et en poursuivant dans la veine symbolique, note M. Guardia, nous pourrions nous trouver devant un Bellérophon chrétien, selon comment on interprète l’animal qui court sous le cheval. Pour finir, elle fait réapparaître la Crucifixion de la nef, en considérant qu’il faut la garder à l’esprit pour la lecture des deux autres fragments. Notre premier article sur le sujet a repris la ligne de lecture critique de M. Guardia92. Mais dans ce cas, déplaçant l’attention sur une considération qui, nous le croyons, n’est pas à négliger. Nous voulons parler de la mesure dans laquelle une mauvaise qualité technique et d’exécution, celle d’un artiste ou d’un atelier, peut influencer négativement l’iconographie93. Coïncidant avec la publication du catalogue du MDCS, parut un article qui est passé totalement inaperçu et dont il faut tenir compte. L’auteur d’une des études les plus complètes sur le décor roman, B. Al-Hamdani (voir supra), aborde pour la première fois l’analyse des peintures les plus anciennes. Ce bref article ne traite que du médaillon au cavalier94 et en propose une lecture qui est peut-être la plus cohérente présentée jusqu’à ce jour. À partir d’une légende tirant son origine de la cathédrale de Nevers, elle identifie le cavalier à Charlemagne en chasseur et l’animal à un sanglier et non à un chien95. D’après la légende, l’Empereur avait fait un rêve dans lequel, pendant la chasse, il était attaqué par un sanglier. Subitement apparut un enfant nu qui, en échange de vêtements, capturait le sanglier afin que l’Empereur le mette à mort. Quand Charlemagne explique le rêve à l’évêque de Nevers, celui-ci interprète que l’enfant est saint Cyr qui, en demandant des vêtements sollicite l’aide de l’empereur pour couvrir la cathédrale dont il est le patron96. Selon l’auteur, nous aurions à Pedret, en plus de la scène avec le petit Cyr (Quirze) dirigeant le  C. Mancho, « Tradicions iconogràfiques i formals … », p. 425.   Normalement, on parle de mauvaise qualité en référence à des questions techniques ou formelles, mais jamais à des questions iconographiques. L’auteur d’une mauvaise exécution peut aussi commettre des erreurs – par ailleurs normales et fréquentes dans des contextes plus favorables à un bon travail – en matière d’iconographie. Dans le cas d’erreurs iconographiques, nous ne serions pas capables de parvenir à une interprétation cohérente des scènes représentées si nous n’avions pas d’autres informations sur lesquelles nous appuyer, comme par exemple le modèle (v. C. Mancho, « Tradicions iconogràfiques i formals … », p. 425). 94   L’article commence en annonçant un article à venir sur le personnage de l’orant qui n’est jamais paru. 95   cf. L. Réau, Iconographie…, III-1, pp. 360-361. 96   cf. B. W. Al-Hamdani, « Interpretació d’un antic fresc de Sant Quirze de Pedret », p. 36. 92 93

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sanglier sous le cheval de Charlemagne, l’évêque de Nevers à l’extérieur faisant l’explication du songe. La figure nue de droite est interprétée par B. W. Al-Hamdani comme l’enfant saint Cyr lui-même devant un brasier, allusion à l’un des instruments de son martyre97. Du point de vue de la datation de l’ensemble, l’auteur considère, en se fondant sur des éléments de l’équipement du cavalier comme le casque à nasal et la cotte de mailles ( ?), qu’il faut placer les peintures aux alentours de 106098. La première objection à la proposition de B. W. Al-Hamdani se rapporte à la chronologie. D’une part, parce qu’en faisant une proposition pour cette peinture on devrait pouvoir dire, en même temps, à quel moment se situe le décor roman et si ces dates entrent en conflit. La question qu’il convient de se poser est de savoir si cela a un sens qu’un édifice, qui existe avec plus ou moins de transformations depuis la fin du IXe siècle, sans peintures pendant presque deux siècles, reçoive dans un intervalle de 20 à 50 ans (entre ca. 1060 et ca. 1080 ou 1100) deux décors d’un genre si différent sous tous leurs aspects. La réponse est que cela aurait pu réellement arriver99. En tout cas, il faudrait d’abord étudier le décor roman, afin d’en réviser la chronologie, car en retardant la date du décor roman, on pourrait défendre plus fermement les arguments pour avancer une chronologie avancée dans le XIe siècle pour le décor plus ancien. D’autre part, appuyer la datation sur les éléments d’équipement est risqué. Martí de Riquer établit des comparaisons avec Pedret à propos de l’équipement, mais seulement avec les peintures romanes, précisément avec le heaume conique du cavalier qui apparaît sur l’arc triomphal, en haut à droite100. Nous pourrions nous demander pourquoi il n’établit aucune comparaison avec notre personnage et sans doute la réponse serait-elle que l’image ne présente aucune garantie. Cependant, le 97  B. W. Al-Hamdani, « Interpretació d’un antic fresc de Sant Quirze de Pedret », p. 37 ; cf. L. Réau, Iconographie…, III-1, p. 361). 98   « … cet équipement peut se trouver sur des œuvres réalisées à partir de 1060, et apparaît aussi dans des œuvres postérieures. D’après cet élément, il est possible de situer la fresque du peintre naïf dans cette décennie. » (B. W. Al-Hamdani, « Interpretació d’un antic fresc de Sant Quirze de Pedret », p. 34). 99   Si notre proposition chronologique pour Terrassa est correcte, il se serait passé là une chose semblable, voire même plus poussée, avec des ensembles bâtis du VIe siècle qui ne reçoivent pas de décor jusqu’au IXe siècle. Notre critique à B. W. Al-Hamdani, quoi qu’il en soit, est méthodologique : étant donné les problèmes de chronologie peu ordinaires que suscite Pedret, nous ne pouvons émettre de jugement sans examiner la question dans toute sa complexité. 100   Voir Martí de Riquer, L’arnès del cavaller. Armes i armadures catalanes medievals, Barcelone, Ariel, 1968, p. 21.

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même M. de Riquer nous fournit une donnée qui permet de rejeter l’argument de B. W. Al-Hamdani : la figure 11 de son étude montre le casque attribué à Vensceslas Ier conservé à Prague, daté de ca. 935101. M. de Riquer recueille aussi des exemples de casque à nasal dans la Bible de Rodes, sans aucun doute antérieurs à la date que nous donne B. W. Al-Hamdani102. Au sujet de la cotte de mailles – que les documents d’époque appellent ausberg ou asbergo –, M. de Riquer la trouve en Catalogne dès 951103. Finalement, pour l’interprétation iconographique, et bien qu’il s’agisse, nous le répétons, de la tentative la plus sensée à ce jour, on peut difficilement maintenir une interprétation basée sur un récit de caractère aussi local que celui de la ville de Nevers (voir infra). L’oubli de l’article de B W. Al-Hamdani par les auteurs postérieurs est dû sans doute à la diffusion restreinte de la publication locale qui l’avait accueilli. Le premier à citer le travail est A. López Mullor104. De leur côté, R. Barroso et J. Morín reprennent un thème cher aux auteurs espagnols105. Le titre de l’article est déjà toute une déclaration d’intention : « Nuevas observaciones sobre la decoración pictórica mozárabe de la iglesia de San Quirico de Pedret ». Dès le début, l’article semble destiné à démontrer l’appartenance du territoire de la Catalogne à l’espace culturel mozarabe. Les peintures de Pedret deviennent le prétexte ou l’exemple le plus clair de cette thèse106. Pour les auteurs,   Ibidem.   Ibid., fig. 3. 103   Ibid., p.18. 104  A. López Mullor et alii, « Sant Quirze de Pedret ». 105  Rafael Barroso Cabrera, Jorge Morín de Pablos, « Nuevas observaciones sobre la decoración pictórica mozárabe de la iglesia de San Quirico de Pedret (Berga, Barcelona) », Boletín de Arqueología Medieval, 1992, nº6, pp. 171-184. 106   Les auteurs disent (Ibid., p. 173) : « Por todo ello, no veo la razón de diferenciar del concepto de arte de repoblación dado al resto de la Península, la geografía catalana. ». Bien qu’il soit légitime d’utiliser le terme repeuplement dans ce contexte, il faut le faire de manière appropriée. Il est évident qu’il y a un repeuplement en Catalogne (ou dans la pré-Catalogne) : d’abord celui initié par Charlemagne et Louis le Pieux avec les Hispani, c’est-à-dire les habitants de la Péninsule réfugiés au nord des Pyrénées ; ensuite, affectant directement la zone qui nous intéresse, prend place une importante campagne de repeuplement de la Catalogne centrale à partir de Guifred le Velu (après 870). Pour cette seconde phase de repeuplement important, il y a aujourd’hui consensus pour affirmer que les immigrants arrivent essentiellement de Cerdagne, d’Occitanie et de Gascogne, c’est-à-dire des montagnards autochtones et des populations affectées par les razzias normandes en Gaule. Ainsi, sans exclure l’arrivée certaine de mozarabes, on peut dire que le mouvement de repeuplement a ici une portée notablement différente – culturellement et idéologiquement – de celui qui parallèlement se déroule à l’occident de la Péninsule (cf. Gaspar Feliu i Monfort, « La población », Histora de España Menéndez Pidal, VII. La España cristiana de los siglos VIII al XI, 2. Los núcleos pirenaicos (718-1035) Navarra, Aragón, Catalunya, (dir.) J. M. Jover, Madrid, Espasa-Calpe, 101 102

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l’attribution des peintures ne fait aucun doute. Pedret est le représentant d’une lignée symboliste d’ascendance wisigothe et, en cela, reliée à l’Orient, alors que Terrassa, à des dates proches, est l’illustration de l’influence d’outre Pyrénées107. Le vocable de l’église lui-même, d’origine oriental, est pour les auteurs un indice de wisigothisme, étant donné que le saint est documenté dans la Péninsule dès le VIe siècle. On doit dire cependant que la consécration aux saints Cyr et Julite est extrêmement populaire en Occident en général, et n’est donc pas par conséquent un trait distinctif hispanique. La chapelle de Teodoto à Sainte-Marie antiqua, de la seconde moitié du VIIIe siècle, est un des exemples possibles, et combien remarquable, de cette popularité en Occident108. De plus, en marge de la popularité plus ou moins grande de certains saints, le problème des dédicaces des édifices est différent. La documentation attachée à Pedret est plutôt rare, au point que la première fois que cette église apparaît mentionnée sous le nom de Saint-Cyr c’est dans un document de 1312. À ce sujet nous rappellerons, en premier lieu, 1999, pp. 363-392). Si R. Barroso et J. Morín prétendent faire une critique de la tendance dominante de l’historiographie catalane à distinguer le caractère de la Marca Hispanica de celui du reste des royaumes hispaniques, il ne faut pas tomber dans des axiomes tout aussi réprouvables. Notre intention n’est pas de faire ici une exposition de motifs, l’argumentation de R. Barroso et J. Morín sur les peintures révèle déjà la faiblesse d’une partie des arguments. En tout cas, positionner les études sur cette époque comme un affrontement entre cultures absolument définies et différenciées et des espaces culturels soumis à ces puissances culturelles est une erreur. La position de la Marca Hispanica à cette époque en fait un lieu de passage et de contact et la situation politique lui confère un rôle de second ou de troisième plan. Il y a autant d’arguments pour défendre l’importance des liens politiques et culturels avec l’autre côté des Pyrénées que pour défendre les liens culturels et politiques avec les royaumes hispaniques et l’ascendant wisigoth. Il n’y a en revanche aucun argument pour placer des frontières rigides et imperméables. Un point ne fait en tout cas aucun doute : les territoires où se trouvent les ensembles analysés ici appartiennent administrativement au monde carolingien ou à ses marges, mais pas les territoires occidentaux dont parlent R. Barroso et J. Morín. 107   Ibid., p. 177. Les auteurs affirment synthétiser l’interprétation de J. Yarza selon qui la peinture hispanique se divise en trois tendances : « Por una parte, la carolingia, más o menos tachable de clasicista (Tarrasa). Por otra, una línea tal vez interesante conceptualmente, pero mucho más tosca y popular (Pedret). La tercera vía sería la de la decoración inspirada en telas orientales (Wamba) en lo occidental. Pero aún cabe preguntarse una vez más si no existió también en lo occidental una corriente figurativa pareja a la de las iglesias de Egara, pero formalmente más próxima a la de los manuscritos leoneses del siglo X, hoy totalmente desaparecida. » (J. Yarza, Arte y Arquitectura en España…, p. 108). Il faut dire, comme on le déduit de la dernière phrase, que J. Yarza définit deux zones absolument différenciés, celle des royaumes occidentaux fortement relié à la tradition figurative des manuscrits et au monde oriental (musulman ?) des tissus, et celle du “royaume” oriental lié au monde carolingien se déclinant en une version “cultivée” et une version “populaire”. Ainsi, R. Barroso et J. Morín ne se limitent pas à “simplifier” la lecture de J. Yarza mais font une nouvelle lecture à partir de la sienne. 108   Cf. G. Matthiae, (M. Andaloro), Pittura romana del medioevo…, pp. 138-147, 267-270.

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que les églises, bien qu’elles aient une dédicace principale, ou plusieurs, sont toujours consacrées à Dieu, la Vierge et tous les saints. Un bon exemple en est l’acte de consécration de Saint-Michel et SaintVictor de Pedret, in honore Dei sueque ienitricis et omnim sanctorum sub titulo et nomine sancti Michaelis et sancti Victoris martiris (voir supra). Ensuite, la dédicace n’empêche pas la présence d’autres autels, différents de l’autel majeur, dédiés à d’autres saints. Dans la seconde phase de l’église, nous savons qu’il y a, au minimum, trois autels. Devonsnous supposer que tous étaient consacrés à saint Cyr et sainte Julite ? Enfin, l’église est connue comme Saint-Cyr, bien que normalement ce saint apparaisse toujours accompagné de sainte Julite. Ainsi donc il faudrait considérer qu’en réalité la dédicace principale était, au moins, aux saints Cyr et Julite, et nous avons là un dernier phénomène. Le nom de sainte Julite est tombé et tout le monde connaît l’église sous le nom de Saint-Cyr. En ce cas, sans doute, il est arrivé comme tant d’autres fois que le nom fut adapté aux commodités des paroissiens ou simplement à la mode. Un exemple spectaculaire est celui de la chapelle de sainte Lucie de Barcelone, actuellement intégrée au cloître de la cathédrale. La dédicace originelle est à la Mère de Dieu, sainte Quitterie, les Onze Mille Vierges, sainte Agathe et sainte Lucie. Peut-être toutes ces saintes ne contenaient-elles pas dans une si petite chapelle, et dès le XVIe siècle, elle est déjà connue sous le seul nom de Sainte-Lucie109. En réalité, il faut supposer que SaintCyr ne fut pas la seule dédicace de l’église, voire même envisager qu’elle ne fut pas la dédicace d’origine. Tout ceci bien évidemment a son importance pour interpréter le programme ornemental (voir infra). Ceci étant précisé, la recherche de R. Barroso et J. Morín s’intéresse aux modèles du décor. En toute logique, ils les trouvent dans le monde mozarabe de l’illustration de l’Apocalypse. Le caractère probablement eschatologique des scènes, sur lequel s’accordent la majorité des auteurs, y incite. L’orant est interprété comme la représentation de saint Jean, avec l’aigle pour attribut et la couronne comprise comme une sorte de nimbe (  ?)110 (voir infra). Le cavalier dans la croix est celui qui affronte l’Antéchrist111, avec d’évidentes ( ?) références à la lutte contre l’Islam telles que l’écuyer et le chien. 109   Cf. Joan Cabestany i Fort, « La Capella de Santa Llúcia », Lambard, VI (1991-1993), Barcelone, IEC, 1994, pp. 161-177, en particulier p. 163. 110  R. Barroso, J. Morín, « Nuevas observaciones… », p. 180. 111   Ap. 19, 11 et suiv.

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Flanquant cette croix, nous trouvons le prophète agenouillé devant l’ange avec le bâton à mesurer112. La conclusion est que le décor se fonde sur l’illustration des Beatus, ce qui renforce l’idée de continuité dans la tradition wisigothique ( ?). L’argument est poussé à l’extrême, ainsi le décor postérieur s’explique par ce modèle antérieur. Se ha querido ver en ellos [les fresques romanes] la existencia de prototipos lombardos, zona donde el Apocalipsis tuvo un éxito temprano, semejante al caso español, pero resulta más probable considerar la existencia de un precedente dentro de la tradición hispana si estimamos acertada la lectura que desde aquí proponemos : de esta forma, las variaciones en la iconografía románica de Pedret se explican por la temática de los frescos mozárabes que decoraban la misma iglesia y que pudieron servirles de modelo.

Nous croyons que cette mise en relation est absolument infondée, en tout cas les auteurs ne donnent aucun argument qui l’appuie113. Jusqu’à présent, la mauvaise qualité de l’ensemble avait été la seule opinion qui réunissait toutes les adhésions. Selon R. Barroso et J. Morín, en revanche, la relation avec le monde wisigoth des Beatus (sic) «  ayudaría a desechar por completo la concepción de las mismas como una versión popular de las iglesias urbanas. ». Ils considèrent, en outre, que «  Es frecuente achacar un carácter popular a este tipo de representaciones simbólicas propias de élites monásticas. » Ainsi, à Pedret, nous sommes devant une représentation élitiste – peut-être dans le sens qu’évoque F. Rico ? – et pour cela incomprise, jusqu’à nos jours. Cette conclusion   Ap. 10-11 ; 21.  R. Barroso, J. Morín, « Nuevas observaciones… », p. 182. Soulignons tout d’abord que certains éléments de l’iconographie de Pedret sont parfaitement étudiés et reliés à des références italiennes. Nous pensons par exemple à la scène des âmes devant l’autel des martyrs et à sa ressemblance avec ce que nous trouvons à Anagni (Yves Christe, « L’ange à l’encensoir devant l’autel des martyrs », Les Cahiers de Saint-Michel de Cuxa, 13 (1982), pp. 187-200 ; cf. J. Yarza, « Sant Quirze de Pedret… »). Un thème différent, et en attente de réexamen, est de savoir si cette influence italienne arrive de Lombardie ou du Sud, comme cela semble plus probable. Dans ce sens, v. la récente analyse de Milagros Guardia (« Las artes pictóricas en Occidente (Gascuña, Languedoc), la Marca Hispánica y los reinos cristianos de la Península Ibérica », El Románico, Barcelone, inédit). Ensuite, il ne faut pas faire de ce rapport avec les Beatus une relation avec les mozarabes : quand est peint le décor roman à Pedret ces livres sont déjà bien connus en Catalogne. Le degré de connaissance est assez important pour avoir permis la réalisation d’une copie à des dates proches de celles du décor roman de Pedret. Nous pensons, bien sûr, au Beatus de Turin du début du XIIe siècle, provenant du scriptorium de la Cathédrale de Gérone et copié d’un Beatus qui était en leur possession, arrivé au milieu du XIe siècle. Voir un résumé de la question dans C. Mancho, « Les pintures del claustre inferior … », pp. 314-315 ; Anna Orriols i Alsina, Il·lustració de manuscrits a Girona en època romànica, Bellaterra, Publicacions de la Universitat Autònoma, 2000 (thèse de doctorat), pp. 165 et suiv., a récemment traité cette question. 112 113

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nous semble confirmer le peu d’intérêt porté aux peintures et bien, au contraire, à d’autres questions qui n’ont que bien peu de rapport avec elles. Quoique leur lecture des images ait une cohérence et une logique qui peuvent la rendre vraisemblable sous certains aspects, l’analyse globale nous semble totalement biaisée, mais cela n’est, somme toute, que notre opinion.

Questions stylistiques et formelles Analyse À côté des questions iconographiques, qui dans le cas de Saint-Cyr semblent particulièrement compliquées et qui seront analysées plus loin, un des problèmes posés par l’ensemble a toujours été celui de la filiation stylistique. Aucun des auteurs qui ont analysé des peintures n’a pu établir une relation claire, en fait les auteurs passent sur le sujet avec discrétion. Ceci n’est pas étonnant si nous pensons au faible niveau des peintures. Une mauvaise qualité complique toujours, d’un point de vue formel, la détermination d’influences, la recherche de parallèles, la mise en relation avec des milieux culturels… En définitive, elle rend toujours difficile la possibilité d’une classification. Nous l’avons déjà vu pour Campdevànol et nous ne nous y étendrons pas davantage ici. Puisque nous mentionnons le cas de Campdevànol (voir supra), soulignons que les ressemblances avec cet ensemble sont très minces, pour ne pas dire inexistantes. Pourtant, notre point de départ – en les réunissant tous deux dans une étude sur la peinture des IXe-Xe siècles – les rapproche beaucoup dans le temps, et elles sont bien entendu très proches dans l’espace. Pourtant elles n’ont rien de proche dans le milieu où elles prennent naissance. C’est un facteur dont on doit tenir compte. Par rapport aux peintures de Terrassa, il serait difficile aujourd’hui de soutenir une quelconque forme de relation stylistique et malgré tout, comme nous l’avons vu, J. Gudiol i Cunill a rapproché Pedret de Saint-Michel de Terrassa114. Aujourd’hui cela ne peut être compris que dans la perspective historique que nous offre la connaissance de la situation des études à son époque. Il est encore plus difficile de proposer quelque ressemblance que ce soit avec le fragment de peinture conservé à Barcelone. Nous n’avons  J. Gudiol, « Pedret », p. 110.

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donc par conséquent aucune peinture murale en Catalogne qui nous permette d’établir des comparaisons avec Pedret. Les manuscrits non plus n’offrent pas cette possibilité. Au fait que rares soient ceux des IXe et Xe siècles conservés en Catalogne, il faut ajouter qu’en aucun cas ils ne présentent d’illustration. Nous ne pouvons guère citer qu’un dessin – que relève pour la première fois J. Ainaud – conservé sur un document venant de Matadepera et daté de 972 (Barcelona, ACA, Monacals, Sant Llorenç del Munt, perg. 14)115. Et la seule chose qu’il nous permette d’affirmer, par rapport à Pedret, est qu’il montre la même absence de maîtrise. Dans ce document, c’est le notaire luimême qui “décore” le parchemin d’une création spontanée. Mais dans le cas de Pedret, il ne s’agit pas d’une création spontanée et nous ne pouvons non plus penser qu’il s’agisse de l’œuvre d’un scribe qui s’ennuie. Par ailleurs, les peintures et les dessins sont très différents. Le seul point commun est que, dans l’un et l’autre cas, les deux mains ont une certaine aisance à la décoration. Tout ce qui est éléments géométriques ou géométrisés, et pseudo-végétaux à caractère ornemental, est assez réussi. Mais au moment où chacun des deux auteurs affronte la représentation des parties du corps, les problèmes commencent. D’autres problèmes sont par nature liés à la traduction sur une surface plane d’éléments en trois dimensions. C’est particulièrement clair dans la représentation des pieds, et pourtant, à Pedret et sur le document de Matadepera, les solutions et les résultats sont différents. En Catalogne, nous ne pouvons établir aucune autre comparaison avec la peinture murale ou les manuscrits116 et ce que nous conservons dans le reste de la Péninsule est aussi très éloigné de nos images de Pedret. Comparable aussi par sa faible qualité, le fragment 4 de Silos (Monastère de Santo Domingo), daté de la fin du IXe siècle, nous place dans la même ligne de commentaire que le dessin de Matadepera. Mais dans ce cas, il s’agit d’une page de Beatus – l’exemple  J. Ainaud, La pintura catalana. La Fascinació…, p. 33.   C’est seulement sur le plan de la mauvaise qualité que nous pourrions faire des comparaisons avec Saint-Michel de Marmellar, qui ne permettent aucune conclusion. Bien que la datation de Marmellar soit, à notre avis, discutable, il est accepté depuis X. Barral (Les pintures murals romàniques…, pp. 55-84) que ce décor se situe dans la seconde moitié du XIe siècle, mais en réalité cela ne changerait rien si nous le placions au XIIIe siècle. Les autres ensembles catalans du XIe siècle ne sont pas étudiés (v. supra), mais une observation rapide de ceux-ci confirme l’isolement stylistique de Pedret. Même les œuvres de caractère plutôt linéaire et qui ne se démarquent pas par leur niveau très élevé, comme celles du cloître de Saint-Pierre de Rodes (fin du XIe siècle), montrent que les coïncidences sont inexistantes (voir C. Mancho, « La peinture dans le cloître… »). 115

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conservé le plus ancien – qui représente l’Apocalypse, 6, 9-11, les âmes des justes sous l’autel du sacrifice117. Au Xe siècle, le panorama est dominé par les bibles du León et les manuscrits de Beatus, chacun avec des caractéristiques bien définies et assez éloignées de ce dont nous traitons ici118. La peinture murale asturienne, foncièrement aniconique si nous pouvons juger à partir de ce que nous en conservons, nous offre bien peu d’exemples de figuration, à savoir les vestiges issus de Saint-Michel de Liño119, Saint-Sauveur de Valdediós120 et Saint-Sauveur de Priesca121. Nous avons déjà mentionné ci-dessus comment dans les deux derniers cas ce que nous sommes parvenus à en connaître est trop insuffisant pour permettre quelque rapprochement que ce soit. Dans le cas de Liño, quoique mieux conservé, les différences sont manifestes. Les seuls qui ont tenté un rapprochement stylistique avec Liño le font en relation avec Campdevànol (voir supra) mais, significativement, pas avec Pedret122. Du monde asturien, nous devons déjà passer au XIe siècle pour trouver dans la Péninsule, et hors de la Catalogne, quelques vestiges de peinture murale. Nous serions, par conséquent, loin des chronologies proposées pour la réalisation des peintures de Pedret123. Parmi 117   John W. Williams, La miniatura española en la alta edad media, Madrid, Casariego, 1987, fig. XII. 118   Voir récemment Joaquín Yarza, Beato de Liébana. Manuscritos iluminados, Barcelone, Moleiro, 1998, v. aussi J. W. Williams, The Illustrated Beatus…, et supra. 119  L. Arias, La pintura mural…, pp. 110-129. 120   Ibid., pp. 130-156. 121   Ibid., 168-177. 122   W. W. S. Cook, J. Gudiol, Ars Hispaniæ…, p. 21 ; X. Barral, « Peinture murale romaine et médiévale… », p. 146. 123   Dans la province de León, l’église de Santiago de Peñalba conserve des vestiges de peintures à caractère décoratif sur la voûte de l’abside (M. Gómez-Moreno, Iglesias mozárabes…, pp. 224-238 ; José Menéndez-Pidal, « Las pinturas prerrománicas de la iglesia de Santiago de Peñalba », Archivo Español de Arte, 116 (1956), pp. 291-295 ; José Fernández Arenas, Régard sur l’art mozarabe, Paris, Polígrafa, 1978, fig. 23) qui peuvent être situées au Xe siècle. L’église de Sainte-Marie de Wamba (M. Gómez-Moreno, Iglesias mozárabes…, pp. 193-202 ; J. J. Martín González, « Pintura mural de la iglesia de Santa Maria de Wamba (Valladolid) », Boletín del Seminario de Estudios de Arte y Arqueología, XXXIII (1966), pp. 435437) conserve elle aussi des vestiges de la seconde moitié du Xe siècle. Il s’agit encore de peinture décorative, dans ce cas sur le mur de l’abside, et qui a peu de rapport avec Pedret, hormis le fait que ce sont des couronnes entourant ici des éléments zoomorphes. V. en général Leopoldo Torres Balbas, « La pintura mural de las iglesias mozárabes », Al-Andalus, XXIII-2 (1958), pp. 417-424. [Quant ce travail était achevé nous avons eu connaissance des importantes découvertes de Santiago de Peñalba. Pendant la récente campagne de restauration (2004) on a découvert que le décor de cette église était beaucoup plus complexe que ce que l’on pensait, avec deux phases d’époque médiévale. La première, de caractère aniconique, a été datée du dernier tiers du Xe siècle. À ce décor appartiennent

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les rares ensembles connus, seul celui de Castillejo de Robledo a été mis en relation avec Pedret124. Au vu des deux décors, il est clair que la relation réside à nouveau dans leur basse qualité et dans le peu de connaissance que nous avons de la peinture de cette époque, plus que sur de véritables coïncidences. Nous constatons une fois de plus que, dans la peinture du monde hispanique, il n’y a pas de référents pour établir des comparaisons125. Si nous quittons la Péninsule, le panorama s’enrichit notablement, même si la peinture murale (voir supra) est toujours un domaine un peu limité en vestiges conservés. Il n’y a guère de sens à suivre un par un les ensembles existants pour y chercher des comparaisons126. Nous avons déjà vu que l’Italie, en général, offre un très riche panorama de vestiges conservés, même en peinture. C’est peut-être le seul endroit – et seulement dans certaines régions – où l’on peut observer le passage du monde tardo-antique au haut Moyen Âge sans trop de ruptures. L’ancienne Gaule est un cas intermédiaire entre rupture et les vestiges connus depuis longtemps. Une seconde phase, dans laquelle apparaît la figure humaine, précisément dans la chapelle de San Genadio, a été rapprochée d’une consécration de l’édifice en 1105 qui a dû comporter, parmi d’autres réformes, la rénovation d’une partie du décor. Aucun de ces décors ne permet d’établir de relations, plus que d’ordre générique, avec le décor de Pedret (voir Milagros Guardia, « De Peñalba de Santiago a San Baudelio de Berlanga. La pintura mural de los siglos X y XI en el reino de León y en Castilla. ¿Un espejo de al-Andalus ? » Actas del Simposio Internacional : El legado de al-Andalus. El arte andalusí en los reinos de León y Castilla durante la Edad Media (León, 2006), Valladolid, 2007, pp. 115-156)]. 124   W. W. S. Cook, J. Gudiol, Ars Hispaniæ…, p. 21 ; J. Sureda, La pintura románica en España, p. 302. 125   Pour le XIe siècle hispanique nous ne connaissons que trois cas : Pano (Osca), Castillejo de Robledo (Sòria) et San Baudelio de Berlanga (Sòria). Le premier consiste en éléments décoratifs à caractère géométrique, dans le deuxième les éléments figurés qui s’y trouvent ne présentent, malgré leur schématisation, aucun rapport avec Pedret (v. description dans J. Sureda, La pintura románica en España, pp. 301-302). Quant à Berlanga, on peut en dire qu’il s’agit d’une croix et d’un personnage, une tête, dont nous ne connaissons aucune image et aucune publication. Alors que la croix semble faire partie d’un décor simple du XIe siècle, les vestiges figurés sont, d’après Guardia, la partie d’une ébauche préalable aux peintures romanes, déjà du XIIe siècle. Il ne semble pas que ces peintures présentent quelque relation que ce soit avec Pedret et la chronologie proposée les en éloigne encore davantage. Nous devons remercier Milagros Guardia pour l’information sur l’existence de ces peintures anciennes. Sur toutes ces questions, en particulier pour les images et la nouvelle datation, voir Milagros Guardia, San Baudelio de Berlanga… 126   Bien que d’un point de vue méthodologique nous soyons contraints de prendre en compte l’ensemble du panorama européen, il faut considérer quelles sont les possibilités pour que le décor de Pedret ait un caractère international. Une des caractéristiques qui définissent ce décor, sans aucun doute, est son caractère local affirmé, même dans le domaine catalan. Par conséquent, si nous trouvions une correspondance internationale, nous serions dans l’obligation de justifier des voies d’arrivée et de relations qui puissent justifier ces connexions.

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continuité. Les îles britanniques présentent un panorama similaire à celui de l’intérieur de la Catalogne, de moins en moins romanisées au fur et à mesure qu’on y pénètre. Les caractéristiques de Pedret, cependant, limitent beaucoup les possibilités de comparaison. Il est donc assez vain de passer en revue les productions de ces zones en y cherchant de possibles parallèles127. Les caractéristiques de la décoration de Pedret, cependant, obligent dans une certaine mesure à jeter un regard sur le panorama de la sculpture128. La Catalogne conserve deux œuvres qui par leurs caractéristiques peuvent être rapprochées de Pedret. La première est une des impostes qui, conjointement à d’autres éléments sculptés, est remployée dans l’église barcelonaise de Saint-Pierre de les Puelles. L’édifice, force refait et détruit depuis le XIXe siècle, ne dispose pas encore de l’étude qu’il mériterait, et il en est de même du décor 127   Le travail a été fait, comme il se doit, sans aucun résultat. Il est difficile aujourd’hui encore de parvenir à une connaissance exacte de toutes les productions conservées dans les différents pays, une par une. La réalisation de Corpus a connu des initiatives et des parcours différents. Pour l’Italie, dans le cas de la peinture murale, il faut rappeler le volume dirigé par C. Bertelli (La pittura in Italia…) parfaitement complété par le chapitre de synthèse de S. Lomartire (S. Lomartire, G. Valagussa, « Le origini », cf. Carlo Bertelli, « Introduzione alla pittura in Italia dalla fine del VI secolo alla fine del XII », La pittura in Italia. L’Altomedioevo, (éd.) C. Bertelli, Milan, Electa, 1994. pp. 11-22). Le problème reste la connaissance de la miniature : voir les congrès successifs sur la miniature italienne qui sont publiés depuis 1979, ou certaines des œuvres initiées récemment comme le catalogue des manuscrits du Mont-Cassin (Giulia Orofino, I codici decorati dell’Archivio di Montecassino, I. I secoli VIII-X, Rome, Istituto Poligrafico e Zecca dello Stato, 1994). Pour la peinture murale en France on ne dispose encore d’aucun ouvrage d’ensemble depuis les publications de P. Deschamps et M. Thibout (P. Deschamps, M. Thibout, La peinture murale en France… ; cf. Idem, « À propos de nos plus anciennes … » et Paul-Henri Michel, La fresque romane, Paris, Gallimard, 1961 (coll. Idées/Arts, 9)). Cependant l’étude progresse dans certaines régions, pour lesquelles nous disposons de catalogues rigoureux (M. Kupfer, Romanesque Wall Painting in Central France… ; C. Davy, V. Jubel, G. Paoletti, Les peintures murales romanes… ; C. Davy, La peinture murale romane…). Pour l’illustration des manuscrits, le corpus sur la miniature carolingienne de Khoeler continué par Mütherich (W. Koehler (†), F. Mütherich, Die karolingischen Miniaturen) n’est pas encore achevé. Dans les deux cas, l’absence de répertoires est compensée par les archives du Centre d’Études Supérieures de Civilisation Médiévale (CÉSCM) de Poitiers où l’équipe Peintures Murales actuellement dirigée par Marcel Angheben constitue une base de données pour l’indexation de la peinture murale en France (www.mshx.univ-poitiers.fr/cescm/cescm.html) et par l’Institut de Recherche et d’Histoire des Textes (IRHT) d’Orléans (www.irht.cnrs.fr). Pour les îles britanniques, le panorama est plus simple. Concernant les manuscrits, les répertoires sont réalisés depuis longtemps (J. J. G. Alexander, A Survey of Manuscripts… ; E. Temple, A Survey of Manuscripts Illuminated…). Pour la peinture murale, un travail récent révise la production picturale dans les îles (Early Medieval Wall Painting and Painted Sculpture in England (Based on the Proceedins of a Symposium at the Courtauld Institute of Arts, February 1985), (eds.) S. Cather, D. Park, P. Williamson, Oxford, 1990 (coll. B.A.R. British Series 216)). 128   Pour la Catalogne, comme toujours, le travail de compilation des matériaux est simplifié grâce aux ouvrages Catalunya Romànica et Del Romà al Romànic….

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sculpté remployé. Bien qu’on ait proposé une datation antique, nous pouvons considérer que ces impostes datent environ du milieu du XIe siècle129. L’autre pièce, beaucoup mieux connue et plus spectaculaire, est l’autel portatif provenant de Saint-Pierre de Rodes, aujourd’hui au Musée d’Art de Gérone. Il est, en outre, beaucoup plus intéressant pour établir des parallèles avec le décor de Pedret. L’objet est de petites dimensions (22 x 14 x 2 cm). Sur l’avers, une image de saint Jean l’Évangéliste – identifié par une inscription – figure dans un petit médaillon qui est au centre de cette face et dont sort un ensemble d’éléments végétaux. Le pourtour de cette face est souligné par une frise de rouleaux eux aussi végétaux. Au revers, on trouve quatre bustes au nimbe crucifère disposés en forme de croix et les angles sont occupés par des figures d’anges130. C’est aussi sur ce côté qu’on voit l’inscription des donateurs Iosué et Elimburga. L’étude détaillée de S. Vidal, à partir des parallèles et de l’épigraphie, le conduit à conclure à une datation de la fin du IXe au milieu du Xe siècle, en tout cas antérieure à l’an mil131. Du point de vue strict des questions stylistiques, il faut reconnaître qu’il y a une certaine proximité entre la figure de saint Jean sur l’autel et celle de l’“orant” de Pedret. Nous pourrions penser que cette proximité est due à une identité stylistique et cela nous permettrait d’arriver à une datation. Malheureusement, nous croyons que cette proximité est due avant tout, encore une fois, au très bas niveau de chacun des artisans. Preuve en est la proximité chronologique de l’autel avec le coffret d’Astorga (voir infra) et leur distance stylistique évidente. Ceci, à nouveau, nous amène à nous demander si l’autel de Rodes nous est utile pour avancer une date pour Pedret sur la base 129   Quoique cet ensemble sculptural n’ait pas été étudié, depuis les interprétations de J. Puig i Cadafalch on a considéré qu’il devait être daté des alentours du milieu du Xe siècle dans le contexte de l’édifice “carolingien”. Nous partageons cependant pour notre part l’opinion récemment émise par I. Lorés (J. Beltrán, I. Lorés, « La catedral romànica de Barcelona… », p. 114). Selon elle, la ressemblance entre les impostes de Saint-Pierre de les Puelles et celles conservées au MUHBA de Barcelone, provenant de la cathédrale romane, permet de douter de la date proposée par J. Puig i Cadafalch. Ainsi les impostes de SaintPierre de les Puelles devraient être considérées d’une date proche de celle de la consécration de la cathédrale romane de Barcelone (1058). 130   On trouvera une description plus précise, accompagnée de toute la bibliographie sur cette pièce, dans l’étude de S. Vidal inclus dans la monographie consacrée par Imma Lorès à Saint-Pierre de Rodes (v. Sergio Vidal Álvarez, « El tresor medieval », Immaculada Lorés i Otzet, El monestir de Sant Pere de Rodes, Lérida, Edicions de la Universitat de Lleida, 2002 (Memoria Artium, I), pp. 157-184, pp. 160-167). 131   Ibidem, p. 167.

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de critères stylistiques. Les dates proposées par S. Vidal nous permettraient de remonter la documentation jusqu’aux premiers temps de l’édifice, et ce ne serait pas un problème. Observons cependant ce qui arrive si nous nous basons seulement sur des arguments stylistiques. La plus grande identité stylistique entre les pièces mentionnées s’établit, non entre Pedret et Rodes, mais entre Rodes et le visage de Saint-Pierre de les Puelles. Le problème est que la première a été datée de la fin IXe-milieu Xe siècle, alors que la seconde est de ca 1058. Où devons-nous donc placer Pedret, qui n’a même pas une identité stylistique aussi forte que l’autel de Rodes et l’imposte des Puelles ? En réalité, le problème est que nous avons confondu les arguments stylistiques avec la ressemblance de deux pièces d’un bas niveau d’exécution. Par conséquent, il est difficile de tirer quelque conclusion que ce soit d’un point de vue stylistique de ces excellents parallèles qui, cependant, renvoient à un possible fonds commun. Si nous sortons de la Catalogne, la sculpture hispanique ne nous offre guère de points de référence. Après les rares œuvres figurées du monde wisigoth132 nous devons sauter aux expériences de l’art du temps de Ramire Ier (842-850). Ce que nous trouvons à Sainte-Marie du Naranco et à Saint-Michel de Liño (milieu du IXe siècle) peut rappeler de loin, par la schématisation et la simplification des formes, ce que nous avons à Pedret. Dans ce cas, nous sommes, en outre, devant une production de premier rang étant donné que les deux constructions faisaient partie des résidences palatines de Ramire Ier. Les références iconographiques de ces productions sont de toute évidence antiques tant pour les piédroits de Liño, les plus clairs, que pour les médaillons de Naranco133. Ces derniers justement pourraient faire penser à une solution similaire à celle de Pedre. En réalité, ils ont peu en commun. Il y a beaucoup de manières de montrer des personnages dans des éléments circulaires et dans ce cas elles sont   Nous pensons, bien sûr, au chapiteau bien connu de Cordoue, à la colonne du SaintSauveur de Tolède, à la décoration de Saint-Pierre de la Nave ou aux reliefs de Quintanilla de las Viñas. Voir en général P. Palol, « Esencia del arte hispánico de época visigoda… » et J. Fontaine, El Prerrománico…. 133   Sur l’art asturien, deux œuvres récentes rassemblent la bibliographie la plus à jour sur les différents ensembles, ce sont celles de Lorenzo Arias Páramo, « La Pintura Mural y Artes Suntuarias : La Pintura Mural Asturiana de los Siglos IX y X », Orígenes. Arte y Cultura en Asturias. Siglos VII-XV, s/l, Lunwerg Ed., [1993] (cat. exp.), pp. 217-232, Idem, Prerrománico asturiano. Arte de la monarquía asturiana, Oviedo, Trea, 1993 et de C. Cid, Arte prerrománico…. Sur Liño et Naranco, v. Lorenzo Arias Páramo, Santa María del Naranco. San Miguel de Liño, Oviedo, Trea, 1996 (coll. Arte prerrománico asturiano). À propos des sources romaines de l’art asturien et précisément de la sculpture de Liño et Naranco, v. P. García, « Los dípticos consulares… ». 132

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très divergentes. D’un point de vue formel, les différences sont notables. Les reliefs de Liño pourraient faire penser à quelqu’un qui n’aurait pas perdu tout lien avec le passé tardo-antique aux racines plus classiques. Dans le cas de Pedret, ce référent est absolument éloigné. Du début du Xe siècle, le coffret d’Astorga peut être mis en relation avec l’autel portatif de Saint-Pierre de Rodes134 et, par suite, dans le monde des parentés génériques avec Pedret. Après cette expérience, un grand vide s’étend sur toute la Péninsule. Il faudra entrer dans le XIe siècle pour trouver à nouveau la figuration en sculpture135. Le monde hispanique, donc, ne nous fournit pas beaucoup d’éléments de comparaison. Revoir de manière exhaustive tout le panorama européen supposerait tout un travail de recherche indépendant136. Nous ne nous arrêterons donc que sur ceux qui nous paraissent fournir les parallèles les plus nets avec Pedret. Il s’agit de deux productions très différentes, quoique possédant des points de contact, du monde mérovingien.

  The Art of Medieval Spain. a. d. 500-1200, New York, Metropolitan Museum of Art, 1993, pp. 142-143 ; cf. S. Vidal, « El tresor medieval », pp.163-164. 135   Hormis peu d’exceptions, comme le relief provenant de Saint-Cyprien de Mazote daté du début du Xe siècle (The Art of Medieval Spain…, p. 138). 136   En matière de corpus de sculpture, pour l’Italie les différents volumes du Corpus della Scultura Altomedievale sont un outil irremplaçable, bien qu’encore inachevé (Corpus della Scultura Altomedievale, [23 vol.] Spolète, Centro Italiano di Studi sull’Alto Medioevo, 1959-). Le panorama français n’est guère encourageant. Le Recueil général des monuments sculptés en France pendant le Haut Moyen Âge est resté en panne depuis un certain temps (v. Denise Fossard, May Vieillard-Troiekouroff, Élisabeth Chatel, Recueil général des monuments sculptés en France pendant le Haut Moyen Age (IVe-Xe siècles). Tome I. Paris et son département, Paris, Bibl. Nat., 1978 (coll. Comité des Travaux Historiques et Scientifiques. Mémoires de la Section d’Archéologie, II,1) ; Élisabeth Chatel, Recueil général des monuments sculptés en France pendant le Haut Moyen Age (IVe-Xe siècles). Tome II. Isère, Savoie, Haute Savoie, Paris, Bibl. Nat., 1981 (coll. Comité des Travaux Historiques et Scientifiques. Mémoires de la Section d’Archéologie, II,2) ; Jacques Sirat, May Vieillard-Troiekouroff, Élisabeth Chatel, Recueil général des monuments sculptés en France pendant le Haut Moyen Age (IVe-Xe siècles). Tome III. Val-d’Oise et Yvelines, Paris, E.N.S.B.-C.T.H.S., 1984 (coll. Comité des Travaux Historiques et Scientifiques. Mémoires de la Section d’Archéologie, II,3) ; Christophe Deroo, Marcel Durliat, Maurice Scelles, Recueil général des monuments sculptés en France pendant le Haut Moyen Age (IVe-Xe siècles). Tome IV. Haute-Garonne, Paris, Ed. du C.T.H.S., 1987 (coll. Comité des Travaux Historiques et Scientifiques. Mémoires de la Section d’Archéologie)) et il ne semble pas qu’il doive redémarrer. Son interruption n’a été que partiellement contrebalancée par l’édition des Atlas Archéologiques de la France (Atlas Archéologiques de la France. Les premiers monuments chrétiens de la France, 1. Sud-Est et Corse, (dir.) N. Duval, Paris, Picard, 1995 ; Atlas Archéologiques de la France. Les premiers monuments chrétiens de la France, 2. Sud-Ouest et Centre, (dir.) N. Duval, Paris, Picard, 1996). Pour le monde insulaire la référence est le corpus de la British Academy (The British Academy. Corpus of Anglo-Saxon Sculpture (éd.) R. Cramp, Oxford, Oxford University Press, 1984-). 134

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Nous pensons d’une part à la production de terres cuites architecturales, et de l’autre, à la production de sarcophages de plâtre. En matière de terres cuites, le Musée Carnavalet de Paris conserve un petit groupe d’antéfixes qui présentent un certain intérêt pour nous137. Toutes ces pièces ont été datées des VIe-VIIe siècles. Normalement, le décor de ces antéfixes se limite à la représentation de croix aux bras égaux138 ; mais nous disposons aussi d’un groupe de cinq pièces dont le motif principal est un visage. Le type même des pièces – des antéfixes –, comme leur décor – des visages –, ont un lien évident avec la tradition romaine des terres cuites architecturales. Pourtant, bien qu’il faille supposer qu’il s’agit de pièces d’une certaine qualité – ce sont le décor, les finitions, d’un édifice sans doute religieux –, ils révèlent un traitement très rustique, dominé par un schématisme extrêmement accusé et par un traitement conventionnel des visages. Deux pièces nous intéressent plus particulièrement139. Les deux montrent un choix semblable pour les yeux, en amande et au tracé assez épais, qui rejoint assez bien ce que nous trouvons à Pedret. Encore plus proche de Pedret est la manière de résoudre la disposition et la forme des sourcils, en relation avec le nez et la bouche, en particulier sur le n° 295. Le contour de la tête, sur cette dernière pièce, apparaît souligné par une sorte de bordure frangée qui fait davantage penser à un capuchon qu’à des cheveux. Nous trouvons aussi ce type de solution sur des pièces wisigothiques, par exemple à Quintanilla de las Viñas, où il pourrait être confondu avec un nimbe. Sur les personnages de Campdevànol, on trouve aussi des solutions similaires. La façon de prolonger le menton sur les terres cuites est aussi très proche du personnage en prière de Pedret. Bien que la comparaison entre les œuvres sculptées et les œuvres peintes soit complexe, le caractère dessiné et presque bidimensionnel des antéfixes facilite la tâche. Nous pensons que la ressemblance entre ces deux pièces est notable. Plus curieuse encore que ces comparaisons, est celle que nous pouvons établir avec les sarcophages mérovingiens en plâtre. La quan137  D. Fossard, M. Vieillard-Troiekouroff, É. Chatel, Recueil général…Tome I. Paris et son département, pl. LV, LXXXIII, CIII. 138   Ibidem, nº 200a-c, 201. 139  D. Fossard, M. Vieillard-Troiekouroff, É. Chatel, Recueil général…Tome I. Paris et son département : planche LXXXIII, 295 Antéfixe mérovingien, trouvé à Paris : rue Tournon et rue de Vaugirard. Mus. Carn. Col. Magne, A. C. 1000/279. Terre cuite grise. H. 0,15 x 0,12 m ; planche LXXXIII, 296. Antéfixe mérovingien, cimetière gallo-romain. Paris : rue Amyot. Mus. Carn. col. Magne, nº 1000/285. Terre cuite H. 0,15 x 0,11m.

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tité de sarcophages de ce type conservés est extraordinaire, bien que très concentré dans la zone nord de la France, autour de Paris140. C’est une production originale qui consistait la fabrication des sarcophages avec un moule. Le plus intéressant sur ces sarcophages est qu’ils comportent une profusion de décoration en relief sur la partie extérieure des cuves, à base de couronnes, de cercles et de différents motifs, tant d’origine germanique que romaine. Beaucoup d’entre eux révèlent avec évidence la christianisation, car le motif principal du décor est la croix, mais dans la majorité des cas il s’agit d’un décor qui ne permet pas d’inférer une appartenance religieuse. Pour la réaliser on grave simplement le motif (ou les motifs) sur la planche qui fait office de coffrage. Une fois le plâtre pris et le coffrage retiré, le sarcophage et son décor étaient prêts141. Le procédé est intéressant car il implique l’existence de moules dont, en outre, on sait qu’ils circulaient. Cette production se maintient jusqu’aux environs de 750. Si nous jetons un regard sur le décor, nous verrons que le motif principal en est la couronne ou le disque habité142. Le décor étant fait au moule, on remarque la précision avec laquelle sont réalisés tous les éléments géométriques. On note particulièrement le tracé des couronnes, sans doute réalisés au compas. Les exemples sont très nombreux. Nous avons déjà dit que, dans la majorité des cas, il s’agit de couronnes avec un second décor intérieur en croix grecques plus ou moins ornées. Dans le lot, celles qui présentent un décor figuré sont plutôt rares. En réalité, dans les deux volumes du Recueil qui regroupent les pièces, on ne trouve que quatre panneaux décorés d’une couronne incluant une figuration. Curieusement, il s’agit du même motif, réalisé à partir du même moule143. Si nous comparons le n° 102 avec Pedret, la ressemblance avec la figure en prière est extraordinaire. Le type de couronne est presque le même et dans les deux cas elle est faite au compas. Le motif dentelé est en vérité le plus habituel sur ces couronnes de sarcophage. Le personnage de l’intérieur rappelle aussi par son schématisme celui que nous trouvons à 140   Voir M. Durand-Lefevbre, « Les sarcophages mérovingiens de Paris », Cahiers Archéologiques, VI (1952), pp. 168-175, pl. XLI-XLV et plus récemment Patrick Périn, « Les sarcophages mérovingiens », Naissance des Arts Chrétiens. Atlas des Monuments Paleochrétiens de la France, Paris, Impr. Nationale, 1991 (coll. Atlas Archéologiques de la France), pp. 288-305. 141  P. Périn, « Les sarcophages mérovingiens », p. 300. 142   D. Fossard, M. Vieillard-Troiekouroff, É. Chatel, Recueil général…Tome I. Paris et son département ; J. Sirat, M. Vieillard-Troiekouroff, É. Chatel, Recueil général… Tome III. Val-d’Oise et Yvelines, passim. 143  D. Fossard, M. Vieillard-Troiekouroff, É. Chatel, Recueil général…Tome I. Paris et son département, pl. XXXI, nº 102 ; CXXI, nº 380.

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Pedret. La proximité des deux figures est remarquable. Si nous ajoutons à cela que le personnage est accompagné d’un animal et qu’à l’extérieur figurent, comme sur beaucoup d’autres sarcophages, des oiseaux qui flanquent la couronne, nous serons amenés à dire que nous trouvons presque tous les éléments présents à Pedret144. Bien qu’il s’agisse de pièces réalisées au moule, et que nous sachions que ces moules circulaient et étaient utilisés à plusieurs reprises, la production est extrêmement réduite dans l’espace et assez éloignée en temps et en distance des peintures de Pedret pour qu’on veuille chercher des relations directes145. Plus intéressant est de constater que, d’une part, dans le monde mérovingien, on produit jusqu’à la fin du VIIIe siècle une série de pièces qui manifestent une proximité formelle extraordinaire avec ce que nous trouvons à Pedret et que, d’autre part, et cela est autant ou plus important, on trouve sur ces pièces le type de motifs et la manière de les utiliser que nous voyons à Pedret. En fin de compte, le fait déterminant pourrait être qu’il s’agisse de pièces à caractère funéraire. Comme nous le verrons au moment de parler de l’iconographie, ceci pourrait devenir un argument quasiment définitif.

Conclusion En Catalogne même, l’autel portatif de Saint-Pierre de Rodes offre un excellent parallèle. Nous n’y trouvons pas seulement un saint Jean dans un médaillon (voir infra), mais aussi un répertoire de rouleaux végétaux qui peuvent rappeler le décor de la couronne crucifère de Pedret. Nous avons vu cependant que la proximité stylistique est davantage due à l’incapacité d’exécution des artisans qu’à une possible contemporanéité de réalisation. Celle-ci en tout cas demeure invérifiable. Les pièces mérovingiennes nous placent devant une problématique complètement différente, mais très intéressante du point de vue méthodologique. L’importance de cette production en plâtre coulé au moule ne réside pas dans la possibilité d’établir ou non un lien direct avec Pedret ; il est beaucoup plus déterminant – nous dirions même fondamental – de constater qu’il existe un type de production 144   Voir par exemple la ressemblance entre les oiseaux flanquant une croix sur une plaque de sarcophage publiée par P. Périn (« Les sarcophages mérovingiens », p. 289) et le petit oiseau qui est posé sur le grand oiseau de la couronne crucifère du cavalier de Pedret. 145  P. Périn, « Les sarcophages mérovingiens », p. 303.

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sculptée qui se prolonge jusqu’au VIIIe siècle et qui repose sur des prémisses techniques et stylistiques très proches de celles que peut posséder ou mettre en œuvre un peintre comme celui de Pedret. Car, si nous nous attachons à la sculpture wisigothe, lombarde, irlandaise ou anglo-saxonne, elles reposent toutes, comme dans le cas de Pedret, sur « un fonds classique réélaboré et profondément modifié dans le haut Moyen Âge »146. Et c’est la même chose pour l’autel de Rodes ou le coffret d’Astorga. Les mots de M. Guardia se rapportent à la composition générale et aux thèmes ornementaux de Pedret, mais ils nous semble fondé de les appliquer aussi à des questions formelles et de style. L’interrogation finale sur ces problèmes est toujours la même : l’analyse stylistique nous permet-elle d’avancer des datations  ? La réponse finale est tout aussi habituellement toujours la même : avec précision, non. D’une part, nous avons vu que pour ce décor le terminus post quem, donné par l’édifice, se place à la fin du IXe siècle, alors que le terminus ante quem est fourni par le décor roman au début du XIIe siècle (  ?). Par ailleurs, il est évident que la date de la majorité des rares parallèles – au plus tard le milieu du VIIIe siècle – ne correspond pas aux datations possibles pour Pedret. Quand la datation correspond, nous nous heurtons à l’autre problème – c’est le cas pour l’autel portatif de Rodes (fin IXe-milieu Xe s.) et l’imposte des Puelles (milieu XIe siècle) – la fourchette chronologique est trop large et par conséquent nous en demeurons au même point. En réalité le problème est que nous ne pouvons définir un “style” pour cette époque, peut-être faute de l’avoir tenté, peut-être parce que cela est impossible compte tenu de la quantité et de la qualité des œuvres conservées. Ainsi que nous l’avons vu, le doute concerne toujours le fait de savoir si ce que nous interprétons comme une caractéristique de style l’est réellement, ou si ce n’est, à l’opposé, que la manifestation du peu d’habileté de l’artisan. Juger ou évaluer de questions stylistiques pour des œuvres comme Pedret devient donc réellement complexe et aléatoire.

  M. GUARDIA, « 2. Pintura Mural », p. 60.

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Iconographie Considérations préalables Comme nous l’avons vu dans l’état de la question, la lecture iconographique de Pedret est, assurément, le point le plus conflictuel. C’est pour cette raison que nous croyons indispensable de jeter un regard sur les éléments qui composent cette iconographie pour savoir quelles sont les pièces du puzzle que nous devons reconstituer. La première question qu’il faut poser est celle de l’extension du décor. Par exemple, M. Guardia nous rappelle la présence d’une crucifixion et considère qu’elle devait faire partie du programme147. Étant donné que la crucifixion se trouvait dans la nef, faut-il supposer que nous nous trouvons devant une église où fut développé un programme iconographique complet affectant la plupart de ses murs ? D’entrée, il convient de dire que l’analyse de cette crucifixion – une Majesté selon l’expression de J. Gudiol – est complexe148. Pas seulement parce qu’elle n’est pas conservée, mais aussi parce que les photographies que nous possédons ne nous aident pas beaucoup et encore parce que J. Gudiol est très ambigu dans sa description. Les premières montrent que l’état de dégradation était considérable. Il est très difficile de reconnaître les personnages et plus difficile encore de tenter un rapprochement stylistique avec ce que nous conservons dans l’abside. Le second parle d’un Crucifix et d’une Majesté, et, alors que nous pourrions douter de ce qu’il entend par le mot Crucifix, sous le nom de Majesté, il désigne précisément un Christ vivant cloué sur la croix par quatre clous, portant une tunique à manches149. Rien de plus. J. Gudiol ne parle ni d’une Crucifixion ni d’un Calvaire. En tout cas, il n’en donne aucune description. Il ajoute pourtant que la peinture était en réalité un palimpseste : au-dessus un crucifié nu et au-dessous un crucifié en tunique. Il suppose que la couche la plus ancienne correspond à la première phase de l’abside – la première moitié du Xe siècle selon la chronologie qu’il propose – et, bien qu’il ne le précise pas, il faut supposer qu’il considère la seconde comme contemporaine des peintures romanes de l’abside – d’après lui ca. 1120.

 M. Guardia, « 2. Pintura Mural », p. 60.  J. Gudiol, « Pedret », pp. 110 et 113. 149   Dans la description nous avons déjà cité comme exemple la Majesté Batlló, MNAC, nº inv. 15937 du milieu du XIIe siècle. 147 148

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À partir de ces données, il est presque impossible de nous faire une idée, même approximative, de ce qui se trouvait sur le mur et surtout de l’époque à laquelle cela appartenait. Nous pouvons suivre la déduction de J. Gudiol, mais en réalité elle est excessivement réductrice. Quand nous considérons la complexité de la superposition des couches picturales et des enduits dans certains ensembles, nous vérifions que cela ne saurait être aussi simple150. Par exemple, nous pouvons penser que la représentation d’une Majesté sur le mur de l’église implique une date ancienne en raison même de la nature de la représentation. Mais si nous considérons que les Majestés en bois conservées en Catalogne datent déjà de la seconde moitié du XIIe siècle, l’argument s’effondre151. La seule déduction que nous pouvons faire à partir des renseignements fournis par J. Gudiol est que le personnage en position d’orant de l’abside n’était sans doute pas une image du Christ sur la croix comme l’interprète J. Pijoan152. Si la Majesté et le décor de l’abside étaient contemporains, cela n’avait aucun sens de représenter deux fois le Crucifié, si l’on pense toujours à un programme unique pour la décoration de l’édifice. Mais, au cas où ces décorations ne seraient pas contemporaines, le problème s’efface. Alors la représentation en double pourrait être justifiée soit parce que le personnage dans le médaillon n’était pas compris comme un crucifié, soit parce que le nouveau décor annulait totalement ou partiellement l’ancien. La crucifixion n’est pas le seul élément qui pose problème. L’état de détérioration du mur où apparurent les peintures de l’abside est évident quand on observe ce qui reste du décor roman. En réalité, celui-ci avait disparu en de nombreuses zones, ce qui permettait de 150   L’exemple même du palimpseste est toujours Sainte-Marie antiqua (Per Jonas Nordhagen, « The Earliest Decorations in Santa Maria Antiqua and their Date », Studies in Byzantine and Early Medieval Painting, Londres, Pindar Press, 1990, pp. 150-176 [extrait de Acta, Institutum Romanum Norvegiæ, I (1962), pp. 53-72]). Mais à côté de sa valeur inestimable, ce n’est pas celui qui présente la plus grande complexité dans les superpositions. En revanche, l’observation du cas de la crypte de Saint-Germain d’Auxerre, récemment étudiée (C. Sapin, et alii, « La Cathedrale Saint-Étienne ») ou de celui non moins compliqué de Saint-Sauveur à Brescia (A. Peroni, « San Salvatore di Brescia… »), permet de se faire une idée de la simplification de J. Gudiol. Il est certain que Pedret n’est comparable à aucun des trois exemples cités, mais ce qui est sûr est que, selon J. Gudiol, entre le premier et le second décor de l’abside s’écoulent, à tout le moins, cent cinquante ans. Si ce délai a été suffisant pour la construction de l’édifice et ses deux réformes, on imagine ce qui a pu se produire pour la décoration des murs. 151   Sur les Majestés et leur chronologie, voir par exemple Catalunya Romànica, I, p. 108, avec bibliographie. 152   Curieusement J. Pijoan (Monumenta Cataloniæ…, p. 144) considère que l’image de la nef elle aussi est une Majesté.

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voir partiellement ce qui était conservé du premier décor. Mais la dégradation avait aussi affecté ces peintures. Une bonne partie de la moitié inférieure du médaillon portant la croix et le cavalier a disparu. En fut aussi affecté l’étrange personnage extérieur de ce côté. La question est : que nous manque-t-il de plus du premier décor de cette abside ? Les possibilités sont nombreuses. Les médaillons flanquent la fenêtre axiale. Nous pouvons supposer d’autres personnages sous le médaillon à l’oiseau, comme pendant du médaillon à la croix ; nous pouvons imaginer le décor des autres murs de l’abside… Malheureusement, le décor a été arraché du mur et cela empêche toute possibilité d’analyse minutieuse. Exactement comme pour la question de la superposition des couches, l’intervention brutale interdit toute approche technique153. Aujourd’hui, il ne reste plus guère du décor ancien de Pedret que deux toiles de chevalet. Malgré tout nous disposons, nous l’avons vu, d’informations suffisantes pour reconstituer l’emplacement originel des peintures. Et ce n’est pas une affaire de détail. Nous venons de le dire : les deux médaillons se placent de part et d’autre de la fenêtre axiale, et les deux sont au même niveau. En réalité, la couronne à la croix est quelques centimètres plus haut, mais si nous comparons la hauteur qu’atteint le bras supérieur de la croix et celle à laquelle se trouvait l’oiseau de l’autre couronne, nous verrons que c’est approximativement la même. Cette position induit que les personnages situés à l’extérieur de la couronne au cavalier se trouvent situés juste à la limite supérieure de la frise du décor roman, c’est-à-dire au départ du niveau des tentures. En résumé, si nous faisions la classique tripartition de la superficie murale, le décor conservé coïnciderait exactement avec l’espace central, et nous n’aurions connaissance ni de la partie inférieure, généralement occupée par des tentures, ni de la partie supérieure, en général celle de la divinité. Nous pouvons aller encore un peu plus loin. La disposition des deux couronnes en fait deux éléments similaires. Se trouver au même niveau les place à égalité, indiquant un même statut pour les deux images ou, si on préfère, que les deux signifiants, bien que de sens différent, sont équivalents. Nous pourrions douter de la similitude de chacune des couronnes : l’une est crucifère, l’autre pas. Notre opinion est que l’auteur de cette iconographie a voulu caractériser, ou si on préfère, personnaliser chacune des couronnes. Non pour situer la 153   Et plus encore depuis l’intervention radicale qui a culminé, récemment, avec la reproduction des peintures originales sur les murs (voir supra).

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lecture sur des plans différents, il aurait suffi pour cela de ne pas les placer au même niveau, mais pour donner plus de force à l’élément inclus dans chacune des couronnes. Il faut garder présentes à l’esprit ces réflexions, parce que ce sont malheureusement les seuls éléments auxquels nous puissions recourir. Le problème de fond de Pedret est que nous sommes placés devant des représentations inhabituelles154. Si le recours à la couronne comme motif d’encadrement n’est pas exceptionnel, la présence en son centre de personnages entiers l’est assurément155. Nous trouvons ceux-ci sur des monnaies156, des sceaux157, le décor zénithal de certaines coupoles158, des éléments textiles ou l’imitation de ces éléments textiles, des gemmes, des médailles, des fonds de coupes et de vases…159 ; mais pas de la manière où nous l’avons à Pedret, d’après ce que nous connaissons et qui a été conservé. Plus exceptionnel est l’aspect crucifère donné à la couronne de gauche. On trouve quelques exemples de croix aux bras larges et au nœud d’un diamètre considérable, mais nous n’en connaissons aucune de la forme de celle de Pedret160.

154   Elles ne l’étaient peut-être pas du temps de leur réalisation, mais elles le sont aujourd’hui où nous ignorons la plupart des décorations de l’époque. 155   L’inventeur de ce type de clipei avec personnages est sans doute le sculpteur qui réalisa la série de huit médaillons pour l’arc d’Hadrien (aujourd’hui arc de Constantin) dans la vallée du Colisée (Rome, deuxième quart du IIe siècle de notre ère). Curieusement, la configuration de deux au moins de ces tondi pourrait rappeler notre fig. 10 avec le cavalier : le premier montre la chasse à l’ours et le second celle au sanglier. La position du cavalier poursuivant la bête est celle traditionnelle dans le monde romain, mais le fait de placer l’ensemble dans un cadre circulaire rend le résultat particulier, et, insistons-y, proche de l’une des images de Pedret (voir Giuliana Calcani, « La serie dei tondi da Adriano a Costantino », Adriano e Costantino. Le due fasi dell’arco nella valle del Colosseo, Milan, Electa, 2001, pp. 78-102, figs. pp. 81 et 82). 156   Voir par exemple M. Crusafont, M. García Garrido, Anna M. Balaguer, Historia de la Moneda Catalana, Barcelone, Caixa de Barcelona, 1986 et Philip Grierson, Monnaies du Moyen Âge, Fribourg, Office du Livre, 1976 (coll. l’Univers des Monnaies). 157   Ferràn de Sagarra, Sigil·lografia catalana : inventari, descripció i estudi dels segells de Catalunya., 3 vol., Barcelone, Estampa d’Henrich, 1915-1933, voir en général la Revue française d’héraldique et de sigillographie, Paris, Société française d’héraldique et de sigillographie, 1938-. 158   Sur le décor des coupoles, v. infra les commentaires sur l’abside de Sainte-Marie de Terrassa. On en trouve un exemple remarquable sur la coupole du baptistère des Ariens à Ravenne (milieu du Ve siècle) avec le baptême du Christ. 159   Pour toutes ces possibilités, voir Age of Spirituality…, passim. 160   Par exemple le fragment de chancel d’Aquileia (Museo Paleocristiano) (voir Hans Peter L’Orange, Hjalmar Torp, Il tempieto longobardo di Cividale, 3 vol., Rome, G. Bretschneider, 1977-1979 (coll. Institutum Romanum Norvegiae. Acta ad Archaeologiam et artium historiam pertinentia, VII), en part. III, fig. 308). Un autre exemple se trouve à Brescia (Museo Cristiano, nº inv. 260), voir Corpus, III, 62-63, fig. 62. Bien que formellement il puisse y

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Malgré ces particularités, la spécificité de Pedret n’est pas le résultat d’un cheminement univoque. De ce que nous avons dit jusqu’ici, on pourrait déduire que nous pensons à une composition sophistiquée de caractère érudit. Cependant l’iconographie de Pedret pourrait aussi bien être le fruit de l’improvisation et de l’ignorance que celui de l’érudition. Le facteur stylistique, malheureusement, ne nous aide pas du tout à choisir entre l’une ou l’autre de ces possibilités. L’érudition iconographique n’implique pas une qualité artistique, tout comme l’ignorance iconographique n’inclut pas un bas niveau artistique. On peut être un excellent calligraphe et ne pas savoir lire. Dans un cas, c’est une question de codes, dans l’autre, une affaire de technique et d’habileté, donc deux domaines indépendants. Si à Pedret nous sommes devant quelqu’un qui a réalisé le programme sans bien connaître le code, il sera difficile d’arriver un jour à une lecture cohérente ; si nous sommes face à quelqu’un qui excellait dans la connaissance du code, mais si c’est nous qui ne disposons pas des sources, nous nous trouvons peut-être aussi dans une impasse. En fin de compte, dans un cas comme dans l’autre, nous devons prendre en considération la possibilité que l’iconographie se soit ressentie des limites du peintre. Une fois évoqués ces facteurs, il ne paraîtra pas surprenant que la lecture des peintures de Pedret ait présenté et présente des difficultés notables.

Analyse Afin de comprendre les particularités de cet ensemble, il faut, comme nous l’avons dit, analyser un par un les éléments qui le composent et leur contexte. C’est seulement après avoir délimité les lectures possibles de chacun d’eux et après avoir croisé les données que nous pourrons envisager d’en faire une lecture plausible. Un élément déterminant et remarquable est la présence des couronnes. Sur les deux fragments, la couronne est un élément caractéristique qui sert, sans doute, à situer les représentations qui s’y inscrivent dans un plan différent de celles qui apparaissent à l’extérieur. Il faut souligner, comme l’on fait R. Barroso et J. Morín, que les personnages qui se trouvent à l’intérieur ne portent pas de nimbe. Ces auteurs en avoir quelques ressemblances avec Pedret, l’intention et le résultat ne sont assurément pas les mêmes.

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déduisent que ces couronnes remplissent la fonction qui aurait été celle d’un nimbe161. Effectivement, ces couronnes, malgré tout différenciées, placent les représentations sur un plan non terrestre. Cependant cela ne signifie pas directement la sainteté de ces personnages. Les couronnes, en fait, peuvent indiquer qu’il s’agit d’images de défunts162, de personnages de saints ou martyrs, de représentations de la divinité163. Quoi qu’il en soit, nous le soulignons, ces couronnes renvoient à un niveau non terrestre, en contrepoint des personnages qui restent au dehors et qui formeraient part du niveau terrestre. Mais évidemment les couronnes ne sont pas suffisantes pour identifier les sujets qu’elles enserrent – tout comme les nimbes ne peuvent servir à reconnaître les différents saints. Pour identifier les sujets, le peintre devrait nous donner d’autres éléments. Il semble qu’il l’ait fait. D’une part, comme nous l’avons dit, en particularisant chacune des couronnes. Dans ce sens, nous n’avons aucun doute qu’il faille assimiler l’oiseau sur la couronne comme identifiant du personnage en prière et la “crucifixion” de la couronne comme identifiant le cavalier. Évidemment le problème reste d’interpréter correctement ces deux identifiants. Pour l’oiseau de la couronne de droite, la plupart des auteurs ont considéré qu’il s’agissait d’un paon164 ou bien d’un aigle165. Dans tous les cas, sauf un, les auteurs inclinent à voir en cet animal une référence à l’immortalité ou à la résurrection. En fait, quoique pour des motifs différents, les deux oiseaux ont servi traditionnellement de symbole de victoire sur la mort166. À l’encontre de la première identification, 161  « El marco circular que subraya el centro de toda la visión tendría, pues, un significado equivalente a los nimbos que marcan la santidad del personaje » (R. Barroso, J. Morín, « Nuevas observaciones… », p. 180). 162   Comme le relèvent R. Barroso et J. Morín (Ibid.) il faut chercher l’antécédent de ces couronnes sur les imagines clipeatæ romanes et pour le monde chrétien dans celles qui apparaissent sur les sarcophages. C’est justement sur les sarcophages que ces éléments servent à exposer le portrait du défunt (voir Henry Leclerq, sv ‘Imago clipeata’, Dictionnaire d’Archéologie Chrétienne et de Liturgie, 30 vol. (dir.) F. Cabrol, Paris, Letouzey et Ané, 1907-1953, en part. vol. VII/1, cols. 302-306). 163   Dans ce cas il faudrait comprendre que les couronnes sont assimilées à des mandorles. 164   Cf. X. Barral, « Peinture murale romaine et médiévale… », p. 146 ; ou M. Guardia, « 2. Pintura Mural », p. 61. 165   Cf. M. Guardia, « 2. Pintura Mural », p. 61 ou R. Barroso, J. Morín, « Nuevas observaciones… », p. 180. 166   Pour l’aigle, voir Isidore, Etymologiarum, XII, 7, 10-11 ; Bestiario medieval, (éd.) I. Malaxecheverría, Madrid, Siruela, 2000 (coll. Biblioteca Medieval, II), pp. 133 et suiv. Pour le paon, voir Isidore, Etymologiarum, XII, 7, 48. Le premier a une tradition ancienne que, pour ne pas reculer davantage dans le temps, nous citerons à partir des apothéoses des monarques hellénistiques (Alexandre) ou des empereurs romains (par exemple sur l’arc de Titus).

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nous dirons pourtant que la représentation traditionnelle des paons, tout au moins dans la tradition que nous pouvons rattacher à cette époque et à ce contexte, est de profil ou de face, mais pas avec les ailes étendues. La plus fréquente est la première. Normalement, ils flanquent un vase, une croix, un élément végétal167… Dans la deuxième disposition, c’est-à-dire de face, nous les trouvons en motif de départ du décor d’arêtes ou de nervures de voûtes. C’est ce que nous voyons sur la voûte du presbytère de Saint-Vital de Ravenne. Étant donné que de toute évidence nous ne nous trouvons pas devant une représentation frontale, analysons les représentations de profil. En premier lieu, les paons se caractérisent en arborant sur la tête un toupet de plumes qui peut prendre l’aspect d’une couronne. Il est bien visible que l’oiseau au-dessus du personnage en prière n’arbore pas cette “couronne” que nous trouvons bien, par contre, sur l’oiseau qui accompagne le cavalier. En second lieu, les paons se caractérisent par une magnifique queue d’aspect plus ou moins arrondie à l’extrémité et remarquablement longue. Leurs plumes sont aussi très caractéristiques, une sorte d’épis, surmontés à l’extrémité d’un œil. Normalement cette queue part de l’arrière des pattes. D’autre part, les différences entre le plumage de la queue et le plumage du reste du corps ne sont pas habituellement très accusées, sauf dans le cas d’une richesse inusitée de la représentation168. Sans guère d’effort, on s’aperçoit qu’aucune de ces caractéristiques n’est présente dans notre cas. Un dernier facteur nous semble encore plus décisif. Jusqu’à présent nous avons parlé d’un oiseau, le paon, représenté de profil. Dans le cas de Pedret, nous avons un oiseau figuré non pas de profil, mais avec les ailes déployées. À nouveau, il n’est pas possible d’invoquer, pas plus que pour le plumet de la tête, la méconnaissance de ces caractéristiques de base ou le manque d’habileté du peintre : l’oiseau que nous voyons à l’arrière du cavalier est parfaitement de profil. Nous devons conclure par conséquent que l’on a voulu là représenter un oiseau aux ailes déployées. Le résultat n’est certes pas parfait et il rappelle sans doute des représentations d’époques révolues qui can-

Dans ces cas et pour cette raison – son caractère psychopompe – il apparaît fréquemment associé à des personnages précis. Le second est très fréquent : mosaïques de pavement, chancels, mosaïques de plafond, peintures… Mais normalement c’est une allusion générique qui n’est pas habituellement mise en relation avec des personnages précis. 167   Voir par exemple Corpus della Scultura Altomedievale, I-XIII, passim. 168   Voir une plaque de marbre conservée au Musée Chrétien de Brescia (H. P. L’Orange, H. Torp, Il tempieto longobardo di Cividale, III, fig. 290).

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tonnaient l’expression artistique dans une schématisation extrême169 mais il ne fait pas de doute que l’on a représenté un oiseau aux ailes ouvertes. En conclusion, il ne fait aucun doute pour nous que l’oiseau qui se trouve sur la couronne de gauche n’est pas un paon, parce que le paon n’apparaît jamais représenté avec les ailes ouvertes. Il faut remplacer le doute paon-aigle par celui aigle-oiseau quelconque170. Devant cette nouvelle alternative et compte tenu de l’importance qu’a cet oiseau dans la composition, nous pensons nous trouver devant un aigle. Une fois argumentée et délimitée l’identification171, il faut examiner comment ces deux éléments, nous le rappelons : la couronne et l’aigle, déterminent l’identification du personnage placé comme un orant. L’importance de ces deux éléments dans la composition ne nous permet pas de douter qu’ils jouent un rôle déterminant dans l’identification du personnage. Cela nous permet de ne prendre en compte qu’un nombre restreint de possibilités. Nous pouvons penser que nous sommes devant une allusion plus ou moins cryptée ou générique au Christ, à la Résurrection ou à l’Humanité, toutes représentées par un personnage dans la position des orants antiques172, ou bien nous pouvons supposer que nous sommes devant un personnage précis. Une référence voilée au Christ au moyen de cette représentation n’est possible que si la couronne cruciforme de l’autre côté de la fenêtre faisait aussi référence au Christ ou à quelque équivalent173. En ce cas, nous serions devant deux représentations de valeur similaire et, en conséquence, disposées à un même niveau. Si ce n’est pas le 169   C’est dans ce sens qu’il faut comprendre la comparaison morphologique qu’établit J. M. Miró (« Simbolisme de l’orant… », p. 137) avec les vases ibères d’Elx. Sur aucun vase cependant cette comparaison ne peut être poussée jusqu’au domaine sémantique parce que, sauf à tenter de démontrer l’existence d’un courant symbologique ancestral – comme prétend le faire J. M. Miró sans fondements –, nous sommes face à deux milieux non comparables. Pour les vases ibères d’Elx, voir récemment Carmen Aranegui Gascó, « Els ibers a través de les seves imatges », Els ibers. Prínceps d’Occident, Barcelone, Fundació La Caixa, 1998 (cat. exp.), pp. 175-187. 170   La colombe du Saint-Esprit apparaît souvent avec les ailes étendues et avec un aspect similaire à celui que nous avons sur la couronne de l’“Orant” de Pedret. 171   Il est curieux de constater comment, malgré les nombreuses opinions qu’a suscitées l’ensemble y compris pour l’identification de ses éléments, celles-ci n’ont pas été accompagnées, en règle générale, d’arguments ou d’exemples. 172   Cf. les opinions des différents auteurs recueillies par M. Guardia, « 2. Pintura Mural », p. 61. 173   Évidemment nous partons de la supposition qu’à la base de ce décor se trouve un minimum de respect pour des codes, disons élémentaires. Si ce n’était pas ainsi, nous devrions renoncer définitivement à interpréter ces peintures.

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cas, cette représentation peut difficilement se rapporter au Christ. Qui serait le personnage équivalent ? D’autre part, nous avons déjà mentionné la difficulté à interpréter ce personnage comme le Crucifié. Par rapport aux deux autres possibilités défendues jusqu’à présent, leur vérification passerait aussi par la lecture que nous faisons de l’autre couronne. Une référence à la Résurrection à droite indiquerait-elle une allusion à la Damnation à gauche ? Et comment justifierait-on que cette représentation soit aussi contenue dans une couronne, qui en plus s’inscrit dans une croix ? Par rapport à la référence à l’Humanité qui découle de la lecture de F. Rico, nous avons déjà mentionné que cette lecture nous semble un simple commentaire marginal que les auteurs postérieurs ont amplifié comme un recours devant la difficulté d’interpréter le thème. Ceci dit, le plus vraisemblable est de tenter d’identifier le personnage dans la couronne de l’aigle comme une figure de saint. Ce que nous proposons en définitive est d’identifier un personnage précis. La couronne en indiquerait la sainteté et le soustrairait du niveau terrestre pour le placer sur un plan céleste ; l’animal qui le surmonte, l’aigle, serait son attribut. Avec ces coordonnées il n’est guère difficile de penser à saint Jean, comme le proposent R. Barroso et J. Morín174. Pourtant les objections à la proposition peuvent venir de plusieurs directions. D’abord la position : il est certain que nous ne connaissons aucune autre image de saint Jean debout dans une couronne surmontée par l’aigle. Bien que le type de l’orant ne soit pas assimilé habituellement à Jean, il existe suffisamment d’exemples de saints disposés de cette manière pour accepter cette possibilité. D’autre part, le caractère emblématique de cette représentation peut rappeler la manière de présenter son personnage dans le tétramorphe. Souvent, l’animal symbolique de l’évangéliste est présenté dans un médaillon soutenu par un ange175. Encore plus net est le parallélisme qu’en dernière instance on peut établir avec les portraits d’auteur. Les en-têtes des Évangiles ou des homélies de saints présentent souvent les auteurs des différents textes surmontés ou accompagnés de leur animal. Certains de ces exemples peuvent faire penser à la représentation de Pedret176.  R. Barroso, J. Morín, « Nuevas observaciones… », p. 180.   À Arles-sur-Tech (Vallespir), par exemple, c’est le lion de saint Marc qui apparaît dans un médaillon soutenu par un ange (Catalunya Romànica, XXV, pp. 83-85). 176   Voyons, par exemple, le portrait de Jean dans le Codex Aureus de Canterbury (Stockholm, Kungliga Biblioteket, cod. A. 135, fol. 150v.), ca. milieu du VIIIe siècle. Il s’agit, comme dans la plupart des cas, de l’évangéliste trônant sous une arcature. Le personnage est assis, bien 174 175

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On peut aussi objecter que saint Jean porte une barbe, ou, plutôt, une barbiche. Il faut alors rappeler qu’il existe des représentations de saint Jean avec une barbe, quoi qu’elles évoquent le saint Jean de la vieillesse177. Dans le cas qui nous occupe la barbe pourrait être simplement l’indication que nous avons affaire à un personnage masculin. Il est douteux que dans un groupe d’apôtres ou dans une scène du cycle christologique saint Jean apparaisse barbu, parce que précisément c’est l’absence de barbe qui définit Jean dans ce contexte, comme le font les cheveux blancs et la barbe pour Pierre178 ou la calvitie pour Paul. Mais face à un personnage isolé comme le nôtre, nous croyons que cet élément perd de sa force et que la présence de l’aigle devient beaucoup plus importante. Si nous passons à l’autre couronne, le premier élément qu’il faut analyser est sa forme crucifère. Ceux qui prennent position le plus clairement sur l’identification de cet élément sont encore R. Barroso et J. Morín179. En accord avec la grille apocalyptique selon laquelle, d’après eux, il faut interpréter qu’a Pedret, la gran cruz tiene sentido sólo si se trata de una representación simbólica del Jinete Fiel que guía la lucha contra el Anticristo (Apoc. XIX, 11 y ss) en este caso, muy probablemente reinterpretado desde la óptica de la lucha contra el Islam, de ahí la presencia del escudero y del perro.

À notre avis, cette lecture ne résiste pas à un examen attentif des images de Pedret. Et moins encore si nous considérons l’hypothèse élitaire soutenue par R. Barroso et J. Morín car, nous le rappelons, ces auteurs postulent qu’à Pedret nous nous trouvons devant une œuvre

que la représentation soit résolue de sorte que, si le trône disparaissait, il nous serait difficile de dire s’il est debout ou assis. Au-dessus de l’évangéliste, et inclus dans le tympan que forme l’arc, figure l’aigle aux ailes ouvertes. Sans doute la conception est-elle très différente, mais la relation entre l’aigle et l’évangéliste est la même que celle que nous avons à Pedret. N’oublions pas, par ailleurs, que l’Évangéliaire était un livre que l’on possédait à Pedret aux fins des célébrations. 177   L’exemple le plus clair se trouve dans la coupole du bras septentrional de Saint-Marc de Venise que, malgré ses restaurations, nous devons considérer comme une œuvre de la fin du XIe siècle (voir O. Demus, The Mosaics of San Marco…, I, pp. 84-93). 178   Pourtant, voir C. K. Carr, Aspects of the Iconography of Saint Peter…. L’auteur consacre le premier chapitre de son travail aux attributs de saint Pierre, parmi lesquels l’aspect physique. Sans entrer dans les détails, on note quatre passages où il est question de : Saint Peter with Abundant, Curly Hair and Beard ; Saint Peter whit Short, Straight Hair and Beard ; Saint Peter Beardless ; Saint Peter Tonsured (p. 7-12). 179  R. Barroso, J. Morín, « Nuevas observaciones… », p. 180.

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d’un haut niveau intellectuel180. En poursuivant notre argumentation nous dirons que cette lecture – comme toute celle de R. Barroso et J. Morín – oublie la topographie des peintures. Qu’y a-t-il d’érudit – pour reprendre leurs propres paroles – à placer une image de saint Jean au même niveau qu’un des éléments de sa vision ? Rien. Où est la cohérence à faire réapparaître saint Jean – sans nimbe, sans couronne et sans attribut – au pied de la couronne crucifère qui encadrerait la vision ?181 Il n’y en a aucune. Pour nous, la croix qui caractérise cette couronne doit être lue en termes équivalents à l’aigle de la couronne qui entoure saint Jean. Le sens d’une croix peut être, bien sûr, une référence directe au Christ, mais aussi à l’Église, à la Passion ou à la Victoire sur la mort182. Si nous conservons la structure de notre argumentation il faudrait écarter la première possibilité. Quant à la deuxième, l’Église, il faut souligner que si cette croix sert d’attribut au cavalier de la couronne, ce n’est en aucun cas sous la forme d’un cavalier qu’est représentée normalement l’Église183. En réalité, nous pourrions accepter que cela soit valide dans un contexte de la fin du XIIe siècle ou postérieur. Certains contextes culturels, comme les croisades ou le cycle arthurien, pourraient justifier une représentation de l’Église comme cavalier, mais pas à l’époque où nous pouvons placer les peintures de Pedret184. Quant à la croix allusion à la Passion ou à la Victoire, termes très souvent indissociables, il faut imaginer qu’en “allouant” la croix à cette couronne on ait pu faire allusion, au sens d’un attribut, au carac  Les auteurs considèrent que le lien de cet ensemble avec le monde wisigoth est l’argument clé qui « ayudaría a desechar por completo la concepción de las mismas como una versión popular de las iglesias urbanas. [Car] Es frecuente achacar un carácter popular a este tipo de representaciones simbólicas propias de élites monásticas. » – c’est nous qui soulignons –, v. R. Barroso, J. Morín, « Nuevas observaciones… », p. 183. 181   cf. R. Barroso, J. Morín, « Nuevas observaciones… », pp. 181-182. 182   Voir ‘Croix et crucifix’ dans Dictionnaire d’Archéologie Chrétienne…, III/2, cols. 3045-3144, et ‘Croce’ dans Enciclopedia dell’Arte Medievale, V, pp. 529-557, en particulier 529-535. 183   Normalement l’église apparaît représentée comme un personnage féminin renforcé par plusieurs attributs (v. par exemple dans G. Schiller, Ikonographie des christilichen…). 184   Sur la sacralisation de la chevalerie liée aux croisades, voir en dernière instance J. Flori, La guerre sainte…, en part. 125 et suiv. Sur la tradition arthurienne, Éric Palazzo, Liturgie et société au Moyen Âge, Paris, Aubier, 2000 (Collection Historique), p. 39, commente récemment son versant eucharistique : « Ce parallélisme entre la table de la Cène et la Table arthurienne est si forte dans la seconde moitié du XIIe siècle que Chrétien de Troyes en vient à établir des liens entre la chevalerie et la sacralité chrétienne. Dans ce contexte, on voit s’imposer le modèle ecclésiastique comme système de référence fondamental pour la chevalerie. Les chevaliers font figure de représentations symboliques de l’Église, en tant que dépositaires du corps et du sang du Christ. L’assimilation de la chevalerie à l’Église s’exprime dans un contexte bien particulier, où se mêlent à la fois les débats sur l’eucharistie et la présence réelle et ceux tournant autour de la sacralisation de la chevalerie du Moyen Âge. ». 180

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tère martyrial ou triomphal de l’image qu’elle entoure. Cela ne serait pas redondant parce que, comme nous l’avons soutenu, les couronnes de Pedret ont servi non pas de signe de victoire mais de marques d’un statut non terrestre, nous pourrions dire de nimbes. Ainsi, de même manière que l’aigle est un attribut du saint à droite de la fenêtre absidiale, la croix est celle du martyr de gauche. Dans ce cadre certaines propositions prennent un sens renouvelé. C’est le cas des suggestions de A. Llorens et de M. Guardia qui voient en ce cavalier la représentation d’un saint militaire ou l’assimilation des valeurs morales de la figure de Belerophons, comme elle est christianisée dans l’Antiquité tardive185. Bien que cette proposition soit déjà ancienne, elle n’a jamais été analysée en profondeur. C’est peutêtre le moment de le faire.

Les saints militaires Les saints appelés Saints militaires forment un groupe caractérisé par sa provenance de l’ordre militaire. En aucun cas, il ne s’agit de personnages qui fondent leur sainteté en luttant mais pour avoir refusé de combattre, ou pour leurs mérites après qu’ils aient quitté les armes. Leur côté combattant, tourné contre les hérétiques ou les infidèles, n’apparaîtra qu’après notre époque186. La liste de ce type de saints est longue, particulièrement en Orient où ils prolifèrent particulièrement. En Grèce on remarque : saint Michel archistratège, saint 185  A. Llorens, « Museo Arqueológico Diocesano de Solsona… », p. 109 ; M. Guardia, « 3. Pintura Mural », pp. 63. On trouve quelques exemples remarquables de cette transposition du mythe dans un contexte chrétien. C’est le cas, par exemple, de l’Évangéliaire de Lothaire (Paris, BNF, lat. 266, fol. 110 r ; réalisé à Tours, milieu du IXe siècle). Sur les tables de péricopes de saint Luc, nous trouvons une représentation de Bellérophon et de la Chimère (v. Index of Christian Art). Il faut dire cependant qu’il s’agit d’une représentation d’une érudition remarquable et qui s’éloigne, nous le croyons, de ce que nous trouvons à Pedret. En relation avec ce Belerophons, on pourrait aussi citer toute une série de médailles contre le mauvais œil conservées au Cabinet des Médailles du Louvre. Différents aspects nous font écarter la possibilité de lier l’iconographie de ces médailles avec l’image de Pedret, bien que les ressemblances soient notables. En tant que médailles, elles sont circulaires, avec avers et revers et métalliques. Habituellement, elles montrent à l’avers un personnage nimbé chevauchant et armé d’une lance en forme de croix de laquelle il tue un personnage féminin accroupi sous le cheval. Sur certaines, on note la présence d’anges, voir même celle du Christ entre le soleil et la lune. Une inscription apotropaïque circulaire encadre la scène. Le terminus ante quem pour ces pièces est le VIIIe siècle, si on considère qu’elles se dégagent du monde antique et se christianisent peu à peu. Voir sur cette curieuse production l’article de Tatiana Matantséva, « Les amulettes byzantines contre le mauvais d’œil du Cabinet des Médailles », Jahrbuch für Antike und Christentum, 37 (1994), pp. 110-121 et pl. XIV. 186  Voir J. Flori, La guerre sainte…, pp. 125 et suiv.

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Georges Tropaiophoros – c’est-à-dire vainqueur –, saint Théodore Stratelates – c’est-à-dire officier – et saint Théodore Tiron – c’est-à-dire soldat – qui sont en réalité un dédoublement du même ; saint Dimitri, saint Procope, saint Eustache, saint Ménas, saint Mercure et les saints Serge et Bacchus. La Russie constitue une variante de l’Orient, où l’on trouve, à côté de Dimitri, Georges, Procope et les deux Théodore, saint André Stratelates, saint Jean Stratelates et saint Nicétas187. L’Occident, pour sa part, adopte de l’Orient saint Georges, qui est accompagné par une cohorte de saints militaires aussi nombreuse que celle de l’Orient : saint Alban, saint Jacques le Majeur, saint Martin et saint Maurice en seraient les principaux, auxquels nous pouvons ajouter saint Adrien, saint Florian, saint Géront, saint Hippolyte, saint Quentin, saint Cyril et saint Victor. Si nous nous attardons exclusivement sur les saints qui ont un certain écho en Occident et, pour le sujet qui nous occupe, sur ceux qui apparaissent comme cavaliers, la liste est nettement réduite. Seuls Georges, Martin, Maurice, Florian, Jacques et Victor réunissent ces deux caractéristiques188. À partir des caractéristiques de chaque saint, de notre contexte et de la correspondance avec ce que nous trouvons à Pedret la liste peut encore être réduite. En premier lieu, saint Florian, que L. Réau relève sous le nom de saint Florian de Lorsch, est un saint dont le culte est limité, localement, à la haute Autriche, le Tyrol et la Bavière. Hors de cette zone, l’auteur ne relève sa présence ponctuelle qu’à Bologne (Italie) et à Cracovie (Pologne)189. Par rapport aux caractéristiques de la représentation de Pedret, on notera que les autres saints de cette liste possèdent comme attributs possibles le cheval, la lance et l’étendard. Le critère des attributs ne nous conduit donc qu’à une impasse. Afin de restreindre la liste, il faut prendre en compte un autre facteur, à savoir la popularité de ces saints pendant le haut Moyen Âge en Catalogne. Elle est souvent très relative. Si nous observons les vocables des églises, nous constatons par exemple qu’aucune église romane ou antérieure n’est dédiée à saint Georges. L’index de Catalunya Romànica ne relève non plus aucune église dédiée à saint Victor, pourtant nous avons cité sur le territoire de Pedret l’existence d’un

 L. Réau, Iconographie…, III-2, p. 956.   Voir respectivement : L. Réau, Iconographie…, III-2, pp. 571-579 ; pp. 900-917 ; pp. 935939 ; III-1, pp. 507-509 ; III-2, pp. 690-702 ; III-3, pp. 1319-1321. 189   Cf. L. Réau, Iconographie…, III, 1, pp. 507-509. Voir aussi Bibliotheca Sanctorum…, vol. V, cols. 938-940, en particulier col. 939. 187 188

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oratoire dédié à saint Michel et saint Victor190. Les cas les plus spectaculaires en matière de popularité sont sans doute ceux de saint Jacques et de saint Martin, qui réunissent une grande quantité d’édifices191. Parmi eux, on trouve saint Maurice qui n’est pas particulièrement populaire, mais à qui un certain nombre d’églises sont consacrées, quatre en fait, plus un village portant son nom, ce qui fait penser à une cinquième église. Il n’est pas évident par conséquent de pouvoir écarter l’un de ces saints à partir de la présence ou non de vocables. Tous sont, à l’époque, des saints connus et honorés, et donc la possibilité d’en identifier certains avec l’image de Pedret existe. Il existe une autre possibilité pour réduire la liste. Les plus connus en Occident : saint Georges, saint Jacques et saint Martin pourraient être écartés par une caractéristique qu’ils partagent. Chacun de ces trois saints se distingue, parmi d’autres éléments, par une monture de couleur blanche192. Cependant ce caractère peut ne pas être respecté, et nous avons des exemples de cela. Le Musée National d’Art de Catalogne conserve un retable venant de Gia (Vall de Benasc, Alta Ribagorça Occ., Osca) sur lequel saint Martin monte un cheval de couleur marron (nº inv. MNAC 3902, seconde moitié du XIIIe siècle), en revanche le devant d’autel de Puigbò au Musée Épiscopal de Vic (nº inv. MEV 9 ; ca. fin du XIIe siècle) respecte bien la couleur blanche du cheval193. L’argument est en vérité très faible. Mais nous pouvons le combiner avec un autre. Si nous observons le cavalier de Pedret [fig. 89, pl. 43], la couleur du cheval, plutôt rougeâtre, correspond à celle de la figure du cavalier. Nous pourrions imaginer qu’il s’agit d’un procédé décoratif du peintre, mais quand celui-ci utilise les couleurs, il le fait avec une logique qui n’est pas exclusivement décorative. Sur l’utilisation du rouge dans les visages, il est employé parfois comme carnation, parfois comme ombre. Ce dernier cas est évident sur le visage de saint Jean. Les joues ont été marquées de deux points rouges, alors que tout le contour intérieur de la tête a été souligné d’une couleur rouge – comme pour le personnage au livre de l’autre “tableau” – qui ne peut être interprété que comme une manière de marquer des zones d’ombre et de lumière. Le peintre utilise aussi le rouge comme une couleur de trait pour distinguer des parties du corps ou le visage   Catalunya Romànica, XXVII, index.   On peut consulter les atlas publiés par J. Bolòs et V. Hurtado, op. cit. 192   Cf. L. Réau, Iconographie…, III-2, respectivement pp. 571-579 ; pp. 690-702 ; pp. 900-917. V. aussi Bibliotheca Sanctorum…, vol. VI, cols. 512-531, en part. col. 526 ; vol. VI, cols. 363-388, en part. col. 384 ; et vol. VIII, cols. 1248-1291, en part. col. 1279 et suiv. 193  Respectivement Catalunya Romànica, I, pp. 392-393 et Ibidem, XXII, pp. 151-154. 190 191

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89. Détail du clipeus du panneau 2 de Saint-Cyr de Pedret, Museu Diocesà i Comarcal de Solsona (Solsonès) (photo de l’auteur avec la l’autorisation du musée).

juxtaposés à des parties dessinées en noir. Quand la couleur est utilisée pour le remplissage, plaine, il faut comprendre qu’elle caractérise l’aire colorée. Dans ce cas le visage – comme le cheval – sont rouges et il faut comprendre que cela les caractérise comme des zones de couleur sombre194. Il faudrait penser par conséquent que ni la couleur du cheval, ni celle du cavalier ne sont aléatoires. Sinon, comment expliquer que les deux autres visages conservés – celui de saint Jean et celui du personnage au livre – soient blancs ? Par conséquent, de la même façon que le cheval a une couleur déterminée, le visage lui aussi a une couleur déterminée, et dans les deux cas c’est une couleur voulue. En réunissant les deux arguments, nous pourrions réduire drastiquement les options à un seul saint : Maurice. Selon L. Réau, la monture de saint Maurice est, par opposition à saint Georges, de couleur sombre. C’est la même chose pour l’étendard et la croix. Le tout s’explique par le fait que la légion que commande saint Maurice est la légion thébaine, c’est-à-dire égyptienne, et donc d’origine africaine. Ainsi saint Maurice   Que l’on n’ait pas utilisé la couleur noire s’explique parfaitement quand on voit le résultat sur les vêtements du personnage au livre : on n’y aurait rien distingué.

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serait représenté comme un africain noir195. Le problème posé par ces considérations est à nouveau le caractère aléatoire que peuvent adopter ces attributs. Les représentations de Maurice en Noir sont très tardives196 ; et les autres caractéristiques sont en général peu respectées. Dans une étude exhaustive, il faudrait analyser une par une les figures de saints qui ont le plus de probabilité d’être identifiées à celui de Pedret. Ainsi, donc, et pour les motifs déjà cités, il faudrait revoir les représentations de Martin, Victor et Maurice. Pour saint Martin, nous avons déjà dit que sa popularité est remarquable et, par tant, le nombre de dédicaces l’est aussi197. À la différence de Maurice, c’est un personnage très représenté, très répandu et par conséquent très étudié198. Dans le cas de Victor, nous avons déjà dit qu’il s’agit d’un personnage encore moins connu dans le paysage catalan de ces siècles. Comme Maurice, ce saint est peu représenté et peu répandu199. La première donnée que fournit une analyse de ce type est qu’aucune des représentations conservées de ces saints ne montre la plus petite ressemblance avec la représentation de Pedret. La donnée peutêtre la plus significative serait que jusqu’au XIIe siècle nous ne trouvons aucune représentation de ces saints à cheval200. Ainsi, au vu de 195   Saint Victor est aussi rattaché à la passion de saint Maurice et de ses compagnons. Dans ce cas cependant, il s’agit d’un vétéran romain mais non de la légion thébaine. Par conséquent il n’est pas africain. Il y a un saint Victor de Milan (L. Réau, Iconographie…, III-3, pp. 1319-1321) lui aussi d’origine africaine, mais ce n’est pas le saint le plus couramment vénéré. V. Bibliotheca Sanctorum…, vol. XII, cols. 1274-1275. 196   Pour toutes les représentations de saint Maurice v. Index of Christian Art. Le seul cas où il apparaît représenté en Noir est, selon Réau, sur l’une des sculptures de Magdebourg, de la première moitié du XIIIe siècle. Selon l’Index of Christian Art, l’unique représentation “as a moor” se trouve sur les peintures de la chapelle de la Croix du château de Karlstejn (près de Prague), ca 1365. 197   Voir Víctor Hurtado, Jesús Mestre, Toni Miserachs, Atles d’Història de Catalunya, Barcelone, Ed. 62, 1995, index de localités. Cf. aussi les noms de parroisses dans les atlas de Bolòs et Hurtado, cit. 198   À notre connaissance le travail le plus récent sur l’iconographie de saint Martin se trouve dans Elena Alfani, Santi, supplizi e storia nella pittura murale lombarda del XII secolo. La cappella di San Martino a Carugo. Mariano Comense, Rome, Àrgos, 2000, 128 et suiv., et appendice pp. 223 et suiv., avec bibliographie. 199   Le principal problème sur les représentations de saint Victor est qu’il existe jusqu’à dix-sept saints différents portant ce nom (cf. Index of Christian Art ; Bibliotheca Sanctorum…, vol. XII). 200   C’est seulement dans le cas d’un des vocables de saint Victor, celui d’origine copte, que nous trouvons deux images sur lesquelles le saint apparaît à cheval même avant les dates proches de celles proposées pour la réalisation du décor de Saint-Cyr de Pedret (voir Index of Christian Art). La première est une fresque conservée partiellement, provenant du Monastère d’Apollon à Baouit, qui a été datée de manière imprécise des VIe-VIIe siècles ; la seconde est un relief conservé au British Museum et daté d’avant 700. Nous ne croyons pas qu’il soit légitime de chercher une quelconque connexion entre ces pièces et ce saint et l’image de

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l’impossibilité de trouver des arguments solides sur lesquels fonder l’identification, nous nous concentrerons sur l’analyse du personnage et de l’iconographie de saint Maurice. Comme nous le verrons tout de suite, ce choix n’est pas arbitraire, car a priori il nous paraît être le personnage présentant le plus grand nombre possible d’affinités avec la représentation de Saint-Cyr de Pedret. Selon sa passion201, saint Maurice est le chef, primicerius202, de la Légion Thébaine, un contingent de troupes auxiliaires d’origine égyptienne, coptes précisément. À l’époque de Maximien Herculéen, elle fut mobilisée pour lutter en Gaule afin d’écraser les révoltes des chrétiens. Alors qu’ils campaient à Agaunum – aujourd’hui Saint-Maurice, Suisse – les légionnaires furent informés de leur mission et immédiatement refusèrent de continuer leur route. Devant cette rébellion, Maximien ordonne la décimation de la légion203, comprenant selon l’auteur de la passio 6600 hommes. Persistant dans leur mutinerie, les légionnaires sont décimés une seconde fois. En fin de compte, devant leur refus de suivre les ordres, les restants seront exécutés. Selon l’auteur de la passio Acaunensium martyrum, l’évêque de Lyon, Eucher (ca 445-450)204, les seuls noms connus de tout ce massacre sont Pedret pour des motifs évidents. Le culte copte le plus populaire, celui de saint Ménas, même au moment culminant de sa popularité en Égypte, reste extrêmement rare en Catalogne. Nous avons eu récemment l’opportunité d’en étudier quelques aspects. Un des objets les plus populaires de ce culte, les ampullae, ne sont arrivées en Catalogne que par l’intermédiaire des collectionneurs, à partir du XIXe siècle (voir Carles Mancho, « Ampulla de sant Menas al Museu d’Arqueologia de Catalunya-Barcelona », Va Reunió d’Arqueologia Cristiana Hispànica (Cartagena, 1998), Barcelone, IEC, 2000, pp. 499-505). 201   Dictionnaire d’Archéologie Chrétienne…, X/2, cols. 2699-2729 ; Acta Sanctorum, 13 vol., Anvers, Petrum Ioannem Vandes Plasche, 1765-1884, spéc. Sept, VI, (1767), 308bis-403 ; Bibliotheca Sanctorum…, vol. VIII, cols.194-204 ; Bibliotheca Hagiographica Latina. Antiquæ et Mediæ Ætatis, 3 vol., Bruxelles, Société Bollandiste, 1898-1901, vol. 2, pp. 841-844 ; Vies des saints et des bienheureux selon l’ordre du calendrier avec l’historique des fêtes, par les RRPP bénédictins de Paris, 12 vol., Paris, Létouzey et Ané, 1935-1956, en part. IX, septembre, 443-458 ; Lexikon der christlichen Ikonographie, VII, col. 610-613 ; Louis Dupraz, Les passions de S. Maurice d’Agaune. Essai sur l’historicité de la tradition et contribution à l’étude de l’armée prédioclétienne (260-186) et des canonisations tardives de la fin du IVe siècle, Friburg, 1961 (coll. Studia Friburgensia, n. s. 27). 202   Nom inexistant dans l’organisation militaire romaine et qui appartient, en revanche, à l’organisation de la Curie romaine. Le diacre Teodoto, qui a donné son nom à la chapelle latérale de Sainte-Marie antiqua, par exemple, était primicerius sanctæ sedis apostolicæ. 203   Peine consistant à tuer un homme sur dix, après l’avoir fustigé. 204   Le récit d’Eucher nous est parvenu à travers un manuscrit des VIe-VIIe siècles conservé à Paris (BNF, cod. lat. 9950 : cf. Monumenta Germaniæ Historica. Scriptores rerum Merovingicarum, III.Passiones vitæque sanctorum ævi Merovingici et antiquiorum aliquot. (éd.) B. Krusch. Hannover, 1896, pp. 32-42) (cf. Bibliotheca Sanctorum…, vol. VIII, cols. 193-205) ; précisons toutefois que la version d’Eucherius n’est pas la seule (voir Bibliotheca Hagiographica…, 2, pp. 841-844 ; Dictionnaire d’Archéologie Chrétienne…, X/2, cols. 2704-2717).

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ceux de Maurice, primicerius, d’Exupère, campidoctor et de Candide, senator militum. Les autres sont des martyrs anonymes. Après le sacrifice, on ajouta Victor à ces soldats martyrisés. Il était, quant à lui, un soldat romain licencié qui passant par le lieu du massacre fut invité par les soldats à se joindre à la fête. Apprenant le motif de la cérémonie, il confesse sa foi chrétienne et est sacrifié avec les autres. Ces faits se déroulent vers 286 et ont été rapprochés des révoltes bagaudes en Gaule. Comme dans la plupart des cas, le récit comprend des données véridiques – comme l’existence d’une Légion Thébaine et l’existence des révoltes bagaudes à l’époque de Dioclétien – qui fondent l’invention. En marge du culte local à Saint-Maurice, et en général, dans la zone des Alpes – l’actuelle Suisse205 – à partir de la deuxième moitié du IVe ou du début du Ve siècle, la rédaction de la passio marquera le point de départ de sa popularisation dans tout l’Occident206. La consécration définitive arriva avec l’inclusion de la fête, célébrée le 22 septembre, dans le martyrologe hiéronymien. Bien qu’on ne sache pas bien à quel moment sont ajoutés Maurice et ses compagnons, il semble qu’on les y trouve déjà aux VIe-VIIe siècles207. La plupart des lieux de culte se situe cependant au nord-est de l’Europe, et on a signalé récemment que cette préférence commence à s’affirmer vers le Xe siècle. En vérité, les lieux de culte les plus anciens hors de Suisse se trouvent au centre et au sud de la Gaule : Noirmoutier et Vienne (IXe siècle), Limoges (Xe siècle), Le Puy et Vendôme (XIe siècle)…208. 205   Dont le drapeau lui-même découle de l’étendard supposé de cette légion, rouge avec une croix blanche, exactement l’inverse de celui de saint Georges (cf. Bibliotheca Sanctorum…, vol. VIII, col. 204). 206   Il semble que dès les alentours de 420 il soit le patron d’Auxerre, Tours, Vienne, Cologne et autres centres importants. Aux VIe-VIIIe siècles commence un mouvement important de distribution de reliques. Le cérémonial de couronnement des Empereurs (autour du XIe siècle) indique que c’est sur l’autel de saint Maurice de Saint-Pierre du Vatican que doit se célébrer le couronnement afin de placer sous la protection du saint les armées romaine et teutonique. (Bibliotheca Sanctorum…, vol. VIII, cols. 203-202 ; Vies de Saints…, IX, p.456). 207   « Le martyrologe hiéronymien annonce saint Maurice et ses compagnons, comme nous l’avons déjà dit, mais leurs noms ont dû être ajoutés par un des compilateurs bourguignons du VIe ou du VIIe siècle, postérieurs à saint Eucher. Bède ne nomme que les quatre premiers [Maurice, Exupère, Candide et Victor], Florus ajoute les noms d’Innocent et de Vital. Au IXe siècle, la fête de saint Maurice et de ses compagnons était célébrée à Rome et dans toute la chrétienté occidentale. » – c’est nous qui soulignons – (Vies de Saints…, IX, p. 456). 208   Voir l’étude récente de Daniel Thurre, L’atelier roman d’orfèvrerie de l’abbaye de Saint-Maurice, Sierre, Ed. Monographic, 1992, en part. pp. 42 et suiv. en part. fig. 24. Si des lieux de culte n’ont pu être localisés dans la Péninsule, cela ne signifie pas qu’ils n’ont pas existé. Ils ne semblent pas, non plus, exister en Italie et pourtant nous avons cité l’autel consacré à ce saint dans Saint-Pierre du Vatican.

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Dans le cas de la Catalogne, et de la Péninsule en général, nous avons déjà dit que ce saint n’était pas particulièrement populaire, tout au moins à l’époque qui nous intéresse pour Pedret209. Il n’est en tout cas pas présent dans les sources antérieures aux musulmans210. Postérieurement à l’arrivée des musulmans, on trouve cependant quelques dédicaces. En Conflent, on trouve une des références les plus anciennes au culte de ce saint en Catalogne, à Saint-Maurice de Sautó. Le lieu de Sautó est cité pour la première fois dans un document de 866-867 quand le moine Armenta donne la moitié de son héritage au villare Saltone à Saint-André d’Eixalada. Avec la transition d’Eixalada à Cuxa, le lieu de Saltone est confirmé au monastère dans le précepte de 871. L’église de Saint-Maurice de Sautó est citée pour la première fois dans la bulle de Jean XIII à Saint-Michel de Cuxa avec d’autres possessions, en l’an 968211. Donc des exemples d’églises avec ce vocable existent en Catalogne dès le milieu du Xe siècle. L’existence antérieure du culte est démontrée non par une église mais par un petit oratoire. Bien qu’aujourd’hui on n’en conserve aucun vestige matériel, nous savons que sur le territoire de Gerri de la Sal (Pallars Sobirà) il y avait un oratoire consacré à saint Maurice. La seule référence apparaît dans un document daté de 920 par lequel les habitants de Baén se donnent au comte Ramon Ier de Pallars et Ribagorça. En fixant les limites du territoire on mentionne l’oratorium Sancti Maurici quomodo discurrit aqua usque in rivo qui exit de jam dicto

209   Son peu de popularité pourrait être démontré par son absence des tropaires en prose de Vic (Vic, Ms. 105 et 106) lesquels, bien que du XIIe siècle, sont les plus anciens conservés – à l’exception d’un fragment de Gérone de la seconde moitié du Xe siècle (Barcelone, Biblioteca Universitat, BU, ms 602, f. 64v) –. L’étude de Gros (Miquel dels Sants Gros i Pujol, Els Tropers-prosers de la catedral de Vic. Estudi i edició, Barcelone, IEC, 2000 (Biblioteca litúrgica catalana, 2), pp. 103 et suiv.) démontre que les sources de ces tropaires de Vic sont françaises, essentiellement des tropaires venant de Saint-Martial de Limoges. Ainsi donc presque tous les tropaires limousins incluent le sanctoral de la fête de saint Maurice, qui n’apparaît cependant pas dans ceux de Vic. M. S. Gros, justement, fait référence à la configuration du calendrier comme un moyen possible pour connaître le lieu de production des manuscrits francs, mais rapidement il y renonce car « Toutes ces fêtes, y compris celles de saint Vincent et de saint Maurice, furent célébrées partout pendant le Moyen Âge et ne donnent aucune piste sûre » (Ibid., p. 122). Nous dirons encore que deux des manuscrits limousins sont de la fin du Xe siècle (Paris, BNF, respectivement lat. 10846 et lat. 1118) et un autre du début du XIe siècle (Paris, BNF, lat. 1871). 210   cf. Carmen García Rodríguez, El culto de los santos en la España romana y visigoda, Madrid, CSIC-Inst. Enrique Flórez, 1966 (coll. Monografías de Historia Eclesiástica, 1), pp. 183 et suiv. 211   L’édifice actuel est d’époque romane (voir Catalunya Romànica VII, p. 508).

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Plano et pervenit in ipso puio de Salisarre. Un document postérieur connu comme « faux I de Gerri » cite approximativement le même texte212. Dès le XIe siècle, nous connaissons quatre autres lieux liés à la personne de saint Maurice. Le premier est l’église de Saint-Maurice au castro quod dicunt Malavella, c’est-à-dire Caldes de Malvella (La Selva)213. Dans l’Alt Empordà, l’actuel Sant Mori apparaît cité dès l’année 1066 sous le nom de Sancto Mauritio. On peut supposer dans ce cas que la présence d’une église antérieure avec ce vocable a donné son nom au village214. À Porqueres (Pla de l’Estany), pour finir, existe toujours l’église de Saint-Maurice de la Calç qui est datée de la fin du XIe - début du XIIe siècle, bien que le lieu soit connu dès le milieu du Xe siècle215. Le nombre de dédicaces à saint Maurice n’est pas remarquable par son nombre élevé. En réalité, par rapport à d’autres saints militaires, comme saint Martin, c’est même un bilan assez pauvre, mais pourtant significatif. À grands traits et avec toutes les précautions possibles216, il faut noter, en premier lieu, que les rares références se concentrent dans les territoires de la Vieille Catalogne. Nous ne trouvons aucune dédicace à saint Maurice au sud du Llobregat-Cardener. En second lieu, il est évident que la date des cinq exemples cités fluctue entre le début du Xe siècle et le milieu ou la fin du XIe siècle. Si nous ajoutons à cette donnée qu’avant l’occupation musulmane la présence du saint en Catalogne est nulle, il est facile d’en déduire qu’il s’agit probablement d’un culte arrivé avec la conquête carolingienne. Plus encore si nous gardons à l’esprit le caractère militaire du saint qui beaucoup plus tard en fera un des préférés des différents ordres de chevalerie – par exemple celui de la Toison d’Or –217.  Voir Catalunya Romànica, XV, p. 63.   Ibidem, V, p. 293. 214   Ibidem, VIII, p. 97. 215   [Je dois la notice d’une sixième église à Aymat Catafau qui m’a fait noter l’existence de Saint-Maurice de Graulera (Ille-sur-Têt, Conflent). Le lieu est documenté dès 941 (Vallis Agrevolaria) mais l’église ne l’est qu’en 1241 (S. Mauricius de Agraholera).Voir Pierre Ponsich, « Límits històrics i repertori toponímic dels llocs habitats dels antics ‘Països’ de RossellóVallespir-Conflent-Capcir-Cerdanya-Fenolledès », Revue « Terra Nostra », 37 (1980), pp. 41-42, p. 42 ; Le Pays Catalan (Capcir-Cerdagne-Conflent-Roussillon-Vallespir) et le Fenouilledes, II, (Dir.) Jean Sagnes, Pau, Société Nouvelle d’Éditions Régionales et de Diffusion, 1985, p. 953. Le fait que le lieu soit mentionné au Xe siècle nous permet de faire l’hypothèse que l’église existe déjà à cette époque, s’insérant ainsi comme les autres dans le Xe siècle, voir infra).] 216   Malheureusement nous n’avons pu trouver aucune étude sur le culte de ce saint en Catalogne et donc les affirmations qui suivent ne sont que des hypothèses qui sans doute souffrent d’une excessive simplification. 217   Bibliotheca Sanctorum…, vol. VIII, cols. 202-203. 212 213

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Ce lien possible de saint Maurice avec la conquête de la Catalogne Vieille concorde très bien avec ce que nous avons dit pour Pedret. Bien que, comme nous l’avons dit (voir supra), il n’y ait aucune donnée sûre pour dater la fondation de l’église Saint-Cyr, il est fort possible que celle-ci soit reliée à l’élan de repeuplement de la fin du IXe – début du Xe siècle des terres du bas Berguedà218. Comme il a été dit, cet élan se traduisit par la fondation de nombreuses églises, parmi lesquelles, pourquoi pas, Pedret, ainsi que le confirment les analyses archéologiques. À propos de l’image [fig. 89], nous avons déjà dit qu’il y a quelques arguments, mineurs il est vrai, en faveur de l’identification du saint cavalier de Pedret comme Maurice. Le premier de ces éléments est l’étendard ou gonfanon qu’arbore le saint. On a souligné comment, sans doute par opposition à celui de saint Georges, l’étendard de Maurice est rouge avec une croix blanche. Le cavalier de Pedret porte un petit étendard entièrement rouge. Mais ce sont d’autres éléments qui ont davantage attiré l’attention. Nous voulons parler de l’“écuyer” et du “chien”. Le personnage du supposé écuyer n’a jamais été interprété (voir supra) ; le supposé chien a eu plus de “succès”. Pour ce dernier, en suivant la relation qu’établit Guardia avec le personnage du Belerophons christianisé, il faut comprendre que c’est une image générique du mal, c’est-à-dire l’attribut négatif contre lequel lutte le cavalier. Cette interprétation s’écarte de l’identification avec un saint militaire précis, en contrepartie on entend la sainteté comme une “milice générique” en lutte contre le mal, en conséquence l’attribut négatif reste lui aussi imprécis. La proposition de R. Barroso et J. Morín est plus difficile à justifier219. Selon ces auteurs, le cavalier apocalyptique y est représenté « desde la óptica de la lucha contra el Islam, de ahí la presencia del escudero y del perro. » Faut-il comprendre qu’on est en train de dire que l’écuyer est l’auxiliaire et que le chien renvoie à l’Islam ? Nous voulons croire que non ! À propos de l’“écuyer”, dans le sens d’une identification du cavalier avec Maurice, nous ajouterons que la Passio place le saint à tête d’un groupe nombreux. Nous ne sommes donc pas devant un saint agissant en solitaire. Nous l’avons dit, Maurice est le primicerius, le chef, de la Légion Thébaine constituée selon les sources de 6600 hommes. En vérité, la fête du saint se célèbre en honneur de saint Maurice et de   Voir A. Castellano, « Sant Quirze de Pedret… », pp. 185 et suiv.   R. Barroso, J. Morín, « Nuevas observaciones… », p. 180.

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ses compagnons – sancto Mauritio et socii eius –220. Nous pourrions supposer qu’on a voulu ici représenter un de ses compagnons conduits au martyre sous les ordres de Maurice. Ce ne serait donc pas une représentation de saint Maurice mais de saint Maurice et de ses compagnons qui est, on l’a dit, la manière dont il figure sur les calendriers liturgiques. En peaufinant jusqu’au bout les arguments, le chien peut être aussi interprété en relation avec saint Maurice. Cet animal, sans doute car il est très familier, n’apparaît généralement pas dans les bestiaires médiévaux221. Pourtant ceux-ci reposent sur une œuvre qui comprend le chien parmi les animaux catalogués. Nous nous référons, bien évidemment, aux Etymologiarum d’Isidore (début du VIIe siècle). Canis nomen Latinum Græcum etymologiam habere videtur ; Græce enim kyon dicitur. Licet eum quidam a canore latratus appellatum existiment, eo quod insonat ; unde et canere. Nihil autem sagacius canibus ; plus enim sensus ceteris animalibus habent. Namque soli sua nomina recognoscunt ; dominus suos diligunt ; dominorum tecta defendunt ; pro dominis suis se morti obiciunt ; voluntarie cum domino ad prædam currunt ; corpus domini sui etiam mortuum non relinquunt. Quorum postremo naturæ est extra homines esse non posse.222.

De nombreuses questions peuvent être évoquées à travers ce texte. En aucun cas cependant le chien n’y est présenté de manière négative, bien au contraire. Connaissant l’histoire du martyre de la Légion Thébaine, nous ne pourrions trouver un animal qui s’identifie mieux à l’attitude des “milliers” de soldats sacrifiés sur ordre de Maximien. S’il s’agit réellement d’un chien et si sa présence doit être comprise selon une clef symbolique – comme le proposent une majorité d’auteurs – on doit l’interpréter comme un emblème de la fidélité des soldats à leur chef, Maurice, et de tous au Christ. Voilà les éléments que nous pouvons porter au crédit d’une identification possible de la représentation de Pedret avec Maurice. Mais,   Vies des saints…, pp. 443 et suiv.   Cf. Bestiario medieval…. 222   « Le nom du chien est un nom latin qui semble avoir une étymologie grecque, car en grec on l’appelle Kyon. Certains pensent que, en raison de ses aboiements, le nom du chien dérive de canor (le son) ; d’où vient aussi canere (chanter). Aucun animal n’est plus sagace que le chien ; en effet ses sens sont plus développés que ceux de tous les autres. Ce sont les seuls à reconnaître leur nom ; les seuls à aimer leur maître ; ils défendent la maison de leurs maîtres ; pour leurs maîtres ils se jettent à la mort ; ils vont volontiers à la chasse avec leur maître ; ils n’abandonnent pas le corps de leur maître même quand il est mort. Ce dernier trait de leur nature ne se rencontre que chez les hommes. » (Isidore, Etymologiarum, XII, 2, 25-26) – c’est nous qui soulignons –. 220 221

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nous l’avons dit, le problème réside dans la réalité iconographique de Maurice. La première difficulté est le manque d’exemples conservés. La seconde est que la plupart des caractéristiques mentionnées sont attestées à des époques plus tardives223. La première représentation du saint que nous connaissions est du milieu du IXe siècle, mais dès le début, les représentations se révèlent problématiques. En premier lieu, parce que les attributs ne sont pas clairs. Nous avons déjà dit ce qu’il en était du cheval blanc de saint Martin. En réalité, en revoyant l’iconographie des saints militaires, on constate que leurs attributs, au delà de leur condition militaire, de leur position à cheval ou non, sont absolument interchangeables et fluctuants. Le premier exemple, le Flabellum provenant de Saint-Philibert de Tournus, aujourd’hui à Florence (Museo Nazionale del Bargello), et qui est daté de la seconde moitié du IXe siècle, est une peinture de très petite dimension sur laquelle le saint apparaît sous son aspect le plus caractéristique, c’est-à-dire en pied et habillé en militaire, portant écu et lance. On n’y voit pas de cheval, d’étendard, de croix ou de caractérisation raciale. Le résultat de la recherche sur saint Maurice dans l’ICA du Vatican est dans une certaine mesure décourageant. Sur un segment chronologique qui va du milieu du IVe siècle jusqu’aux XIVe-XVe siècles nous avons trouvé un total de 81 œuvres sur lesquelles on peut identifier avec plus ou moins de sûreté saint Maurice. Sur sept seulement le saint est à cheval, et sur ces sept exemples trois ne présentent aucune certitude d’être saint Maurice, mais pourraient être un autre saint militaire. Les deux exemples les plus anciens sur lesquels le saint apparaît à cheval datent du XIIe siècle. Le premier est le coffret dit des “Enfants de Saint Sigismond” conservé, justement, à l’abbaye de Saint-Maurice d’Agaune224. Sur un des côtés, on peut voir le saint à cheval portant gonfanon et écu. S’agissant d’une feuille d’argent repoussé, il ne saurait être question d’une quelconque évocation de la couleur du visage ou de la monture. Pourtant il est certain que les éléments de base de 223   Rappelons que L. Réau (Iconographie…, III-2, p. 937) cite déjà une statue de la cathédrale de Magdebourg du XIIIe siècle sur laquelle, d’après lui, il apparaît comme noir ou que l’Index of Christian Art relève une peinture de Théodoric de Prague à la chapelle de la Sainte Croix du château de Karlstejn en Bohème du XIVe siècle sur laquelle, effectivement, les traits du saint sont négroïdes. Une représentation très connue du saint est celle du Greco dans la salle capitulaire de El Escorial (Madrid), déjà au XVIe siècle, où aucune des caractéristiques mentionnées n’est respectée. Sur les représentations de saint Maurice jusqu’au XIVe siècle, voir Index of Christian Art. 224  Pierre Bouffard, Saint-Maurice d’Agaune. Trésor de l’Abbaye, Genève, Éd. de Bonvent, 1974, pp. 117 et suiv. et D. Thurre, L’atelier roman d’orfèvrerie…, pp. 139 et suiv.

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Pedret s’y retrouvent : le saint apparaît chevauchant et portant un gonfanon. Le second exemple se trouve au fol. 105r du Passionnaire de Stuttgart (Landesbibliothek, Bibl. fols 57, 56, 58). Dans ce cas il est représenté avec un casque à nasal, une cotte de maille, une lance avec pennon, un écu et un cheval blanc. Nous pourrions poursuivre la description et nous verrions que dès le XIIe siècle nous trouvons saint Maurice à cheval avec des attributs proches de ce que nous voyons à Pedret, mais qui ne coïncident jamais exactement avec notre ensemble, en particulier pour les deux aspects sur lesquels nous avons surtout attiré l’attention, la couleur du cavalier et celle de sa monture. D’autre part, comme nous l’avons dit, nous ne conservons aucune image de saint Maurice en cavalier avant le XIIe siècle. Comme on peut le vérifier, par conséquent, notre problème est celui des modèles sur lesquels appuyer notre proposition d’identification. Est-ce donc qu’il n’y a pas eu de représentation de saint Maurice comme cavalier avant le XIIe siècle ? Cela signifie simplement qu’on n’en a pas conservé. Il semble absurde de considérer qu’un saint qui fut aussi fermement promu pendant les VIe-VIIe siècles, au point d’entrer dans les martyrologes officiels et d’obtenir un autel dans Saint-Pierre du Vatican, n’ait eu aucune représentation qui en fasse la publicité. Nous avons vu qu’il existe des images de saint Maurice, mais pas à cheval, dès le milieu du IXe siècle. Nous pouvons ajouter que les premiers cycles narratifs, et non plus seulement des images du saint, remontent au Xe siècle, si les identifications des fols. 69v et 70r de l’Antiphonaire de Prüm (Paris, BNF, lat. 9448) sont confirmées. Aucune scène connue ne se conserve pas en Italie ou dans la Péninsule ibérique, ce qui fait aussi problème. On les trouve habituellement en Suisse, dans le nord de la France, en Allemagne et dans les pays d’influence germanique. Ceci dit, il convient toutefois de nuancer : bien qu’on ne connaisse aucune image de saint Maurice en Italie, il est impossible qu’il n’y en ait pas eu. Même si cela n’était que le résultat d’une importation, qu’il y ait eu à Saint-Pierre du Vatican un autel où prêtaient serment les empereurs germaniques, incite à penser qu’il devait y avoir des images. De la même manière, il est logique qu’en Catalogne on ne conserve pas d’images, étant donné le peu de diffusion, le contraire eût été exceptionnel. Pourtant nous connaissons jusqu’à cinq édifices consacrés, totalement ou partiellement, au saint, ce qui incite à penser qu’ici non plus ses images ne devaient pas être inconnues.

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Nous savons que la propagande pour étendre le culte des saints suivait de nombreuses voies, la plus connue et utilisée étant la distribution de reliques225. Une autre était les images, qui peuvent voyager sur beaucoup de supports226. En Catalogne, le meilleur exemple pour comprendre ce processus est celui des peintures de saint Thomas Becket de l’absidiole de Sainte-Marie de Terrassa (fin du XIIe siècle). L’étude la plus récente et la plus complète publiée à ce jour montre que pour la rapide diffusion du culte de saint Thomas Becket on a utilisé toute sorte d’objets, sur toutes formes de supports : des mitres brodées, des coffrets limousins, des ampullae de plomb et les sceaux eux-mêmes des archevêques de Canterbury227. Ceci explique en partie pourquoi nous trouvons si tôt des représentations du martyre de Thomas Becket en Catalogne. Parmi tous les supports ayant servi à diffuser son iconographie, le dernier cité est celui qui nous intéresse ici. Nous avons commencé cette étude en disant que la représentation de personnages en pied, comme nous la trouvons sur les deux fragments conservés de Pedret n’est guère fréquente. C’est absolument certain dans un contexte monumental mais c’est plus relatif dans le cas de petits objets. Nous donnions comme exemple les monnaies et les sceaux officiels. Sur ces derniers, justement, il est fréquent, dans le cas de laïcs, que le propriétaire soit représenté en cavalier. Nous en donnerons pour exemple la grande série de sceaux comtaux conservés en Catalogne à partir du XIIe siècle228. Vient à propos ici un commentaire de L. Réau qui remarque, en passant, que «  Sur le grand sceau du Chapitre de l’abbaye de Saint-Maurice, on le voit monté à cheval, comme saint Georges »229. Cet auteur ne le note que pour dire, tout de suite, qu’il est plus fréquent de trouver Maurice à pied qu’à cheval. Pourtant, c’est une donnée intéressante que ce que nous appellerions aujourd’hui l’image institutionnelle de l’abbaye d’Agaune ait été ce saint Maurice à cheval.

  Bibliotheca Sanctorum…, vol. VIII, cols. 201-202.   L’exemple le plus spectaculaire est peut-être celui dont parle Bède pour les peintures portées par l’évêque Benoît à Wearmouth et Jarrow, respectivement en 676 et 681, depuis Rome (P. Meyvaert, « Bede and the church paintings… »). 227  M. Guardia, « Sant Tomàs Becket… ». 228   Voir Antoni Rovira i Virgili, Història Nacional de Catalunya, VIII vol., Barcelone, Edicions Pàtria, 1922-1937 [edició facsimilée, Bilbao, Ed. La Gran Enciclopedia Vasca, 19721979], en part. IV, pp. 403 et suiv. 229  L. Réau, Iconographie…, III-2, p. 937. 225 226

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Nous trouvons aussi confirmation de cette donnée dans l’étude de D. L. Galbreath230. En réalité, selon des sources de l’abbaye elle-même, on ne conserve aucun sceau entier. Il semble que D. L. Galbreath ait reconstitué l’image à partir de différents exemplaires partiellement conservés. Quoi qu’il en soit, l’image que nous voyons ne laisse pas de présenter quelque ressemblance avec ce que nous avons à Pedret. Le sceau est daté du XIIe siècle et cela le place loin de nos dates pour Pedret. Cependant il est vraisemblable que cette image ne devait pas être la première ni la seule du saint patron d’un monastère qui dès le Ve siècle avait œuvré pour en diffuser le culte. Si sur les sceaux ce saint apparaît à cheval, sans doute est-ce parce que cette image était perçue comme la plus représentative du monastère. Qu’ait existé ou non un cycle de saint Maurice originaire du monastère d’Agaune, le saint à cheval devait être un des symboles les plus pertinents du couvent. Il est donc légitime de supposer que l’image de ces sceaux avait déjà été exploitée plus anciennement231. Sur quel support ? C’est plus difficile à dire. Pourtant, si son culte parvient jusqu’en Catalogne, des reliques devaient aussi y arriver. Et les reliques voyagent toujours soit protégées par un reliquaire, soit avec des eulogia ou des documents d’authentification… Une autre possibilité est que l’image ait été connue par l’intermédiaire d’un pèlerin qui serait allé au martyrium suisse. Dans un cas comme dans l’autre, il faut penser qu’une image a dû parvenir jusqu’aux lieux de dédicace. C’est peut-être le fruit du hasard, mais 230   Donald Lindsay Galbreath, Sigilla Agaunensia. Les sceaux des archives de l’abbaye de St. Maurice d’Agaune en Valais antérieurs à 1500, Lausanne, 1927, nº 93 et pl. XI. Alors que des œuvres plus récentes n’en font pas mention (cf. J. R. Fox, The Treasure of St. Maurice of Agaunum, Saint-Maurice en Valais, Éd. de l’Abbaye, s/d ; P. Bouffard, Saint-Maurice d’Agaune…), nous avons trouvé une nouvelle confirmation de l’existence du sceau à l’Index of Christian Art de la Bibliothèque Vaticane. Se procurer une image pour ce travail n’a été guère facile, le mérite en revient à E. Alfani, que nous remercions de l’intérêt et de l’amabilité qu’elle a mis en œuvre pour la chercher en Suisse. Nous voulons aussi remercier G. Hausmann des archives et de la bibliothèque de l’abbaye de Saint-Maurice qui nous a confirmé qu’il n’existe actuellement aucune photographie de ces sceaux. Il nous a aussi confirmé qu’est en cours un projet de numérisation du fonds documentaire de l’abbaye, dont font partie ces sceaux. 231   De fait, et à côté de l’explication plus ou moins symbolique que nous donnons à chacun des éléments qui figurent sur cette composition – l’écuyer, le chien pour la fidélité – il ne fait pas de doute qu’elle traîne un schéma iconographique antique à caractère emblématique que nous trouvons sur différents supports : monnaies, mosaïques, sculptures… À titre d’exemple, voir les médaillons de chasse de l’époque d’Hadrien sur l’Arc de Constantin, déjà cités (G. Calcani, « La serie dei tondi da Adriano a Costantino »…), ou les mosaïques de Bell-Lloch (Museu d’Arqueologia de Catalunya-Girona), Dulcitius (Museo Arqueológico Nacional) ou de Pedrosa de la Vega (Palencia) (Milagros Guardia, Los mosaicos de la antigüedad tardía en Hispania. Estudios de Iconografía, Barcelone, PPU, 1992, respectivement fig. 11, 35 et 66).

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le caractère martyrial, et par conséquent funéraire, de l’image rejoint les parallèles circonstanciels que nous avons reconnus sur les sarcophages mérovingiens en plâtre. Sans doute cette origine martyriale et funéraire de l’image est-elle responsable de son aspect antique et de son iconographie emblématique particulière.

Croix et oiseaux Après avoir essayé de suggérer une identification possible pour le cavalier, comme pour la signification de son compagnon et de l’image du chien, il reste encore quelques éléments en attente d’explication. Nous pensons aux deux oiseaux de la partie supérieure gauche de la couronne et de la croix sur la tête de Maurice [fig. 89]. Ces types d’éléments sont difficiles à définir et à cerner. Ils sont assez ambigus et ambivalents pour permettre d’y rassembler un grand nombre de valeurs possibles, parfois même contradictoires. Diverses voies d’interprétation existent. Nous pouvons suivre une méthodologie de dictionnaire ; nous pouvons les considérer comme des hiéroglyphes plus ou moins complexes ; nous pouvons, enfin, les lire d’après la logique interne de la composition. Dans le premier cas, nous procèderions par addition des multiples possibilités que chacun des éléments nous offre à partir des discutables dictionnaires de symboles ; dans le second cas, chacun des éléments formerait part, de manière équivalente, d’une seule unité sémantique plus ou moins indépendante du reste de la composition. Nous nous reposons sur la dernière possibilité, car nous considérons que chacun des éléments n’a pas une valeur per se mais ad hoc, c’est-à-dire que son sens est défini de manière globale par son appartenance à la composition. Il est évident que les peintures de Pedret exhalent un parfum d’Antiquité qui contraste avec leur bas niveau d’exécution. L’explication en est, selon M. Guardia, qu’à Pedret composition générale et thèmes ornementaux « nous conduisent à un fonds classic réélaboré et profondément modifié au haut Moyen Âge, comme on peut le voir dans le domaine mérovingien et dans les îles britanniques. »232. Nous avons vu à quel point c’est vrai sur un plan formel. Pour les questions iconographiques, il semble clair aussi que le substrat qui alimente le répertoire de Pedret est paléochrétien. Ceci vaut en particulier pour les trois éléments dont nous parlons : la croix et les deux oiseaux. Tous   M. Guardia, « 2. Pintura Mural », p. 60.

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les trois sont à la base des décors funéraires tardo-antiques, en cela ils sont tous trois des allusions plus ou moins claires à la promesse d’un futur pour les chrétiens, la promesse de la résurrection. Dans ce cas, le nombre des exemples est incommensurable tant pour l’époque romaine que pour les mondes mérovingien, wisigoth, lombard, etc. Aucun des exemples que l’on pourrait fournir n’est identique à ce que nous avons à Pedret mais en revanche tous sont équivalents. Nous trouvons des croix avec des motifs végétaux ou des pierres précieuses, nous trouvons ces croix centrant des compositions, des paons picorant des grains de raisin ou buvant à un vase, de petits oiseaux de part et d’autre de petites croix ou simplement habitant des tiges entortillées. Nous aurions du mal à deviner pour quelle raison le peintre de Pedret a représenté ces trois éléments ensemble et de cette manière, mais nous ne doutons aucunement que pour celui qui a fait ce choix le résultat final formait une unité et qu’il renvoyait à la résurrection. À notre avis, nous sommes devant un cas de redondance233. Par volonté d’emphase, l’auteur a accumulé un ensemble d’éléments qui ont pour but une même signification. En matière de composition, le résultat est plus redondant que cohérent, mais il répond parfaitement aux attentes. L’ordonnateur a sans doute une connaissance lointaine de la fonction de chacun des éléments et afin de la conserver, ou pour assurer le résultat, ou pour exhiber le degré de “culture” qu’il a atteint, il décide de les inclure tous. Si nous n’avions que le paon picorant du raisin, ou le petit oiseau sur un côté de la croix – l’autre côté est occupé par l’étendard –, il n’y aurait aucun doute. Cette disposition paraît si peu orthodoxe qu’elle donne à penser qu’il faille y chercher quelque chose de plus. À notre avis, ce n’est pas nécessaire. La signification est la même, la promesse de résurrection en relation avec l’image du martyre, ici personnifié par saint Maurice et ses compagnons.

La couronne crucifère Avant de passer à l’extérieur de la couronne, il nous faut faire référence, même brièvement, à l’élément ornemental du clipeus ansatus. Nous avons vu que, dans le cas de l’autre couronne, le motif était   Nous trouvons la même chose dans l’art de la mosaïque tardo-antique, avec des programmes d’une érudition incroyable, presque d’antiquaire, et nous trouvons aussi des compositions impossibles par la grande accumulation d’éléments, par exemple sur les scènes de chasse de la villa de la Olmeda (Pedrosa de la Vega, Palencia) (cf. M. Guardia, Los mosaicos de la antigüedad tardía…, pp. 439 et 146 et suiv.). 233

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90. Détail du panneau 2 de Sant-Cyr de Pedret, avec les personnages à l’extérieur du clipeus, Museu Diocesà i Comarcal de Solsona (photo de l’auteur avec l’autorisation du musée).

une frise de zigzags plus ou moins conventionnelle. Dans le cas de la couronne crucifère, en revanche, nous avons remarqué que s’y développent des rouleaux végétaux [fig. 88]. Point n’est besoin d’aller très loin pour trouver des parallèles à ces frises végétales. Comme le relève J. Gudiol, on les trouve déjà sur les manuscrits les plus anciens de Ripoll234. Bien que cet auteur se réfère surtout à la polychromie employée, il est sûr que certains des thèmes de Ripoll montrent une grande similitude avec ceux de Pedret. Par exemple, la lettre C du folio 2 d’une Grammaire de Priscien (ACA, ms. Ripoll, 59) datée, selon M. E. Ibarburu, du début du XIe siècle. Nous pourrions trouver d’autres exemples mais celui-ci est sans doute le plus proche des formes que nous avons à Pedret235. On pourrait creuser davantage cette piste pour faire, de manière exhaustive, une liste des parallèles présentant les plus fortes convergences. Cependant, une fois attesté que nous en trouvons de très semblables en Catalogne à partir du début du XIe siècle236, une explo J. Gudiol, « Pedret », p. 110.   Catalunya Romànica, X, pp. 276 et suiv. 236   Mis à part la décoration des manuscrits, si nous nous tournons vers l’orfèvrerie, nous avons noté que l’autel de Saint-Pierre de Rodes – début du Xe siècle – (voir supra), quoique 234 235

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91. Détail du personnage de gauche, Museu Diocesà i Comarcal de Solsona (photo de l’auteur avec l’autorisation du musée).

ration plus poussée en ce sens ne nous apporterait que peu dans la recherche d’une délimitation chronologique.

L’extérieur de la couronne Les deux éléments de la composition les plus discutés, et offrant le plus matière à discussion, sont ceux situés à l’extérieur de la couronne [fig. 90]. Il faut, à notre sens, rejeter des opinions comme celles de R. Barroso et J. Morín, A. Llorens et d’autres (voir supra) qui lisent ces deux personnages comme appartenant à une sphère non terrestre. Il a déjà été dit que le sens des couronnes est, précisément, de distinguer deux niveaux clairement séparés. Ceux qui sont dans les couronnes se meuvent sur le plan divin ou céleste, ceux qui sont en dehors le font sur un plan terrestre. Ceci dit, nous ne croyons pas qu’il y ait guère de difficulté à interpréter le personnage le mieux conservé – celui de gauche – comme un clerc [fig. 91]. Les vêtements pourraient l’indiquer et le fait de porter un livre (  ?) dans ses mains le d’une proximité plus relative, montre aussi un motif de rouleau végétal très semblable encadrant une image de saint Jean dans un clipeus.

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92. Détail du personnage de droite, Museu Diocesà i Comarcal de Solsona (photo de l’auteur avec l’autorisation du musée).

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corrobore. Pour les raisons mentionnées, il faut écarter qu’il s’agisse d’un saint. Situé hors de la couronne, il aurait été nécessaire de le représenter, par exemple, nimbé. La différence de taille par rapport à saint Maurice serait un autre argument en faveur de milieux différents des deux personnages. La position et l’attitude nous fait penser à une des très nombreuses images de clercs donateurs, représentés comme témoins de leur propre munificence et qui à cette époque ont déjà une certaine tradition237. Identifier l’autre personnage est beaucoup plus difficile [fig. 92]. Nous n’en conservons que les jambes et un foyer possible devant lui. Il est évident que les jambes sont nues. S’agissant de ce qui a été identifié comme un bâton, cela pourrait aussi bien appartenir au personnage que ne pas lui appartenir. Juste au-dessus de la couronne, entre les bras supérieur et droit de la croix, on voit une série de lignes verticales noires qui, de toute évidence, n’appartiennent pas à cette composition et que, peut-être, il faut considérer comme des marques des peintures superposées. Après tout, ce pourrait être simplement le bâton d’un personnage qui se réchauffe devant le feu. Dans cette position, il est fréquent de trouver des représentations des mois d’hiver, en particulier février, mais pas seulement238. Le premier exemple 237   Une des premières représentations du commanditaire dans l’œuvre picturale se trouve sur les mosaïques des Saints-Côme-et-Damien à Rome (vers 530) sur lesquelles le pape Félix IV (526-530) est représenté sur un troisième plan à l’arrière de Côme et Damien, présentés au Christ par Pierre et Paul (voir G. Matthiae, (M. Andaloro), Pittura romana del medioevo…, pp. 63 et suiv.). Comme nous le voyons sur la mosaïque romaine, le plus fréquent est de trouver le commanditaire tenant le modèle de l’église dans ses mains, mais il y a d’autres possibilités. En Catalogne par exemple, nous avons quelques cas de donateurs qui se limitent à être présents dans les absides. Le cas le plus célèbre, pour les implications qu’il a eues envers la datation des peintures est celui de Lucia Comitissa de Saint-Pierre de Burgal, mais il y en a d’autres, tous cependant à partir du XIIe siècle. D’autre part la position des mains du donateur de Pedret est très proche de celle des commanditaires montrant le modèle de l’édifice et jusqu’ici ce qu’il soutient avec elles n’est pas très évident. On ne peut écarter qu’on ait imité une de ces images. 238   Sur les représentations du calendrier, voir le livre de Manuel Antonio Castiñeiras González, El calendario medieval hispano. Textos e imágenes (siglos XI-XIV), [Salamanca], Junta de Castilla y León, 1996. Sur le schéma publié en appendice (p. 335) nous voyons que le mois qui a été associé aux scènes que l’auteur appelle de “réchauffement” est celui de février. Cette représentation apparaît à Saint-Jacques de Compostelle (fig. 1), Saint-Isidore de Léon (fig. page de garde), Perazancas, Ripoll, Saint-Nicolas de El Frago (Saragossa), Roda d’Isàvena (Osca), Saint-Michel de Beleña del Sorbe (Guadalajara), Saint-Claude d’Olivares (Zamora), cloître de la cathédrale de Tarragona, Estavar, Angoustrine, Saint-Pierre de Treviño (Burgos), Teruel, Pamplona, Arteta (Navarra), Góngora, Eguillor, Oviedo, Sainte-Marie d’Azougue (Betanzos) et le Bréviare d’Amour dans la miniature. À Saint-Barthélemy de Campisábalos (Guadalajara) et Sainte-Marie-la-Royale de Nieva nous la trouvons associée au mois de janvier, alors qu’à Saint-Isidore de León (fig. 6) et Ripoll elle l’est au mois de décembre. C’est ce que nous voyons par exemple dans la représentation des mois

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hispanique du personnage se réchauffant devant le feu se trouve sur la Broderie de la Création de Gérone239. Cet auteur décrit la représentation de ce hiems horribilis comme une figura sedente de un personaje de edad madura con barba que, tocado con un pequeño bonete, se arropa con un pesado manto de piel y una larga túnica acercando sus manos y pies desnudos al fuego de un brasero. – c’est nous qui soulignons –.

Cette iconographie se développe, à partir de la reprise des thèmes romains à l’époque carolingienne240. Les parallèles que l’auteur trouve comme antécédents de l’image de la broderie sont le mois de janvier du calendrier de Saint-Mesmin de Micy (ca. 1000) et l’illustration De pruina de l’encyclopédie de Raban Maur du Mont-Cassin (ca. 1023). Los cabellos hirsutos, el manto veteado de piel, los pies y manos desnudos, y el gesto tiritante, son comunes a estos tres ejemplos de tradición carolingia.– c’est nous qui soulignons –.

Il est intéressant que l’image, du IXe au XIe siècle, serve génériquement tant pour représenter l’hiver – comme nous le trouvons sur la broderie de Gérone ou sur les Octateuques – que pour représenter des mois précis, surtout décembre, janvier ou février, en fonction souvent du climat de la région. Un exemple intéressant dans le contexte hispanique est le relief provenant de la porte nord de SaintJacques de Compostelle. Daté déjà du XIIe siècle, il est le premier relief hispanique qui présente ce thème. Le relief montre un personnage assis et recroquevillé sous un manteau duquel ne se distinguent que le visage, la main et les jambes jusqu’aux genoux. Nous trouvons quelque chose de similaire sur les médaillons de l’intrados du Panthéon Royal de Saint-Isidore de León. On a souvent dit que ce qui était représenté à Pedret était, peut-être, le diable. Seule B. W. Al-Hamdani suppose une chose différente et formule le postulat qu’il s’agit de saint Cyr241. En cohérence avec ce que nous venons de soutenir, il nous faut écarter la présence de la figure du saint hors de la couronne et à un niveau inférieur à celle-ci et au personnage de droite. Quant à la proposition qu’il s’agisse du diable, nous de l’Aratea conservé à Vienne (Österreichische Nationalbibliothek, cod. 387, fol. 90v.) ou sur la mosaïque de pavement de Saint-Colomban de Bobbio (v. Manuel Antonio Castiñeiras González, sv ‘Mesi’, Enciclopedia dell’Arte Medievale, VIII, Rome, Enciclopedia Italiana, 1997, pp. 325-335, fig. pp. 326 et 331). 239   M. A. Castiñeiras, El calendario medieval hispano…, p. 144 ; P. Palol, El tapís de la Creació…, fig. 33. 240   cf. M. A. Castiñeiras, El calendario medieval hispano…, pp. 144-155. 241  B. W. Al-Hamdani, « Interpretació d’un antic fresc de Sant Quirze de Pedret », p. 37.

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sommes dubitatifs. Sans doute l’aspect des jambes nues peut-il rappeler des formes animales. Sans aller chercher plus loin, les pattes du cheval et du chien dans la crux clipeata rappellent beaucoup cet aspect. C’est dans ce sens qu’elles pourraient faire penser au Malin. Pourtant, les représentations du diable que nous connaissons pour les périodes les plus anciennes242 n’ont guère à voir avec l’image de Pedret. Par ailleurs, quel sens aurait d’interpréter ce personnage comme le Malin ? En faveur de la représentation de saisons ou de mois joue le fait qu’elle peut prendre place à peu près n’importe où, disposée selon sa propre logique en marge des programmes principaux. Évidemment, que ce soit l’hiver, décembre, janvier ou février, aucune de ces possibilités ne coïncide avec la fête de saint Maurice le 22 septembre. Cela pourtant n’est pas très déterminant dans des représentations de ce type243. Malheureusement, nous ne conservons aucune autre des possibles personnifications qui devaient accompagner les scènes principales de Pedret244. Il nous semble donc plus plausible d’interpréter les deux figures extérieures comme figures indépendantes. D’un côté le clerc qui a commandé le décor. De l’autre l’image d’une saison. Si nous nous fondons sur la peinture du haut Moyen Âge que nous connaissons, c’est le plus vraisemblable. Beaucoup plus que d’y voir d’étranges relations entre des niveaux différents. Une fois exposées, ces relations ne satisfont pas non plus les attentes pour la compréhension du décor de l’abside de Pedret. 242   Voir en premier lieu les nombreuses représentations du diable dans le psautier de Stuttgart (Ernest T. Dewald, The Stuttgart Psalter. Biblia folio 23. Wuerttembergische Landesbibliothek, Stuttgart, s/l [Princeton], Dept. of Art and Archaeology of Princeton University, 1930). Pour le monde hispanique l’article de Yarza (J. Yarza, « El ‘Descensus ad inferos’ del Beato de Gerona… ») continue à être utile bien qu’il parvienne à des conclusions que nous ne partageons pas entièrement. D’un caractère plus général, voir Jerôme Baschet, Les justices de l’au-delà. Les représentations de l’enfer en France et en Italie (XIIe–XIVe siècle), Rome, École Française, 1993 (Bibliothèque des écoles françaises d’Athènes et de Rome, 279). 243   Une fenêtre du musée Burell de Glasgow, n° 335, datée ca 1400 (voir Index of Christian Art : ‘Maurice’), montre une image possible de saint Maurice. En marge de cette identification, assez forcée à notre avis, il est intéressant que sans ordre apparent, les scènes et les représentations de saints alternent avec la représentation des travaux des champs. Bien que ce soit un exemple très tardif et très éloigné du nôtre, nous le citons comme illustration de la souplesse d’utilisation de ce répertoire en relation possible avec saint Maurice. 244   On pourrait avancer, en opposition avec notre lecture, la position relativement haute de cette personnification. Par rapport au décor roman, ce personnage se trouve au-dessus du niveau des tentures. C’est certainement trop haut par rapport à la normale. Une explication possible serait la volonté que cette image fût visible. Si l’autel de l’église se trouvait, comme il était prescrit, séparé du mur, il aurait caché cette partie du décor. Ceci se vérifie parfaitement sur la photographie préalable à la dépose sur laquelle l’autel moderne marque quasiment la limite de visibilité du mur. Une autre possibilité est que l’autel ait été accolé au mur. Raison de plus, dans ce cas, pour que le décor ait été rehaussé.

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Transmission iconographique Jusqu’ici nous avons tenté une identification positive du décor de Saint-Cyr de Pedret. Les différents éléments et leur interprétation nous ont permis, on l’a vu, d’avancer une proposition de lecture de ce qui subsiste du programme iconographique. Des deux fragments survivants qui forment la composition, l’un peut être rattaché à la figure d’un saint – Jean – assez fréquent pour qu’on n’ait pas de doutes sur la manière dont arrivent à Pedret son culte et sa tradition iconographique. L’autre élément nous place devant une toute autre problématique. Quelle que soit son identification – nous avons proposé saint Maurice mais ce pourrait être un autre saint et la problématique serait la même –, il est certain que tant ce culte que cette iconographie sont particuliers et par conséquent réclament une explication de l’arrivée de l’un et de l’autre. En fait, en expliquant le premier, l’arrivée du culte, nous avons des chances d’expliquer, ici, la seconde. Nous avons déjà vu, en évoquant les différents saints auxquels rattacher le décor, que le culte de saint Maurice a peu d’expressions monumentales en Catalogne – sous forme d’églises tout comme de toponymes. Cependant nous avons constaté que ce culte est connu et a une petite diffusion à partir du Xe siècle. Dans cet inventaire, nous nous sommes intéressés aux dédicaces d’églises, c’est-à-dire aux preuves monumentales. Une donnée peut-être plus remarquable n’y est pas incluse. Nous voulons parler de la présence de reliques. À la question de savoir s’il y avait des reliques de saint Maurice sur notre territoire, il faut répondre affirmativement. Trois cas notables l’attestent à partir du Xe siècle. Nous pensons à Saint-Michel de Cuxa, à la cathédrale de Gérone et à Sainte-Marie de Ripoll245. Que ce soit 245   Les références les plus claires sont celles consignées dans la lettre-sermon de Garsias de Cuixà à l’abbé Oliba (1043-1046) et dans la présentation des reliques conservées à SainteMarie de Ripoll (1066). Dans les deux, il est fait directement référence aux vestiges de saint Maurice. On trouve une troisième mention, moins claire et plus précoce, dans le sermon des reliques lors de la fête de dédicace de Sainte-Marie de Ripoll en 1032, car dans ce cas il n’est fait référence qu’aux vestiges de la Légion Thébaine. Nous croyons pourtant qu’il est légitime de supposer que, quoique Maurice n’y soit pas mentionné directement, l’allusion à la Légion Thébaine est, en dernier ressort, une référence à saint Maurice, primicerius de cette légion (voir supra). Nous donnons ci-après les textes exacts de ces références par ordre chronologique : […] Conduntur quoque ibi ex legione sancta Thebeorum martirum sacratissima pignora, qui sempiternæ Trinitatis deitatem uno spiritu confitentes, sicut grex dominicus ab ingruentibus lupis tenit et laniati sub Maximiano imperatore cum palma martirii ad celestia regna migrarunt. […] (Eduard Junyent i Subirà, Diplomatari i escrits literaris de l’Abat i Bisbe Oliba, (éd.) A. M. Mundó, Barcelona, Institut d’Estudis Catalans, 1992 (Memòries de la secció

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dans l’autel de l’évêque Miró Bonfill du Xe siècle, dans la lettre-sermon du moine Garsias de Cuxa (1043-1046) ou lors de la dédicace de Ripoll à l’époque d’Oliba (1032) au XIe siècle, nous trouvons les reliques de saint Maurice avec celles de la Légion Thébaine. Nous citons ces cas qui nous semblent significatifs, mais sans doute y en avait-il d’autres246. La présence de reliques de ce saint justifie et atteste, avant toute chose, des contacts plus ou moins importants avec le monastère de Saint-Maurice d’Agaune, puisque les reliques ne peuvent provenir, à l’origine247, que de ce lieu. Les contacts, à l’époque, ne pouvaient être que des voyages, ou, ce qui revient au même, des pèlerinages. històrico-arqueològica, 44), nº 27, p. 364) ; […] Insunt reliquiæ sancti Mauritii, qui fuit primicerius legionis illius qui sub Maximiano in civitate Seduno, loco Agauno, pro Christo glorissime coronati sunt.[…] (Ibid., nº 28, p. 374) ; “[…] et ex legione sancti Mauricii et sociorum eius […]” (Ibid., nº 15, p. 418). La première mention (en 1032) est une louange du grand nombre de reliques qui sont honorées à Sainte-Marie de Ripoll, ce sermon fait partie de l’Ordo dedicationis ecclesiae. Plus soucieux de les énumérer que d’en donner l’origine, on cite toutes celles qui s’y trouvent, sans en préciser la provenance. C’est seulement à travers d’autres références que nous pouvons connaître certaines des origines de la collection (Ibid., pp. 367369). Eu égard à la deuxième référence – la lettre de Garsias – (1043-1046) E. Junyent précise (Ibid., p. 385) que « Il est possible que la liste de reliques que celui-ci [Garsias] insère dans son œuvre compilatoire obéisse à un ordre d’Oliba. Le catalogue, bien qu’il provienne d’une liste réalisée au temps de l’abbé Garin [968-998] semble correspondre aux premiers temps de l’abbatiat d’Oliba [1008-1046] et avoir été complété par la suite avant que les reliques ne fussent disposées dans l’autel. » Il est possible, donc, que les reliques se soient trouvées à Cuxa dès le Xe siècle. La troisième référence, enfin, est peut-être la plus complexe puisqu’il s’agit d’une transcription de textes divers compilés par le moine Roc d’Olzinelles au XVIe siècle, où il recueille une liste de reliques de 1535 où sont citées un grand nombre des reliques qui se trouvaient déjà au monastère auparavant, mais qui font partie de la consécration de nouveaux autels. Parmi celles-ci, comme nous l’avons vu, sont citées celles de saint Maurice. Comme nous le disons, beaucoup des reliques citées sont déjà présentes lors de la consécration de 977, et par conséquent il pourrait se faire que celles de saint Maurice y fussent dès le Xe siècle. C’est dans ce texte cependant que l’on mentionne l’inclusion de l’autel provenant de Gérone, et qui avait appartenu au comte évêque Miró Bonfill (970-984), parmi les reliques consacrées au nouvel autel de Sainte-Marie de Ripoll (Ibid. p. 417), par conséquent il se pourrait, après tout, que les reliques de Maurice y soient parvenues en provenance de Gérone à travers l’héritage de l’oncle d’Oliba. 246   Une recherche exhaustive, que nous n’avons pas menée à terme, nous apprendrait certainement l’existence d’un nombre de reliques beaucoup plus important, et cela permettrait de relativiser la rare présence d’églises dédiées au saint. Nous remercions Milagros Guardia pour les informations qui nous ont permis d’écrire ce passage, tout comme nous la remercions de nous avoir suggéré de l’écrire. 247   Évidemment, les reliques ont une mobilité plus grande. Les cas de Gérone et Ripoll cités ci-dessus attestent qu’outre la question de leur lieu de provenance, les reliques deviennent objets d’héritage, de transmission, et donc se déplacent d’église en église comme cadeau, donation, etc. On ne traitera pas ici de toutes les possibilités de mouvement des reliques. Sur ces questions, voir le livre très intéressant de Patrick J. Geary, Furta sacra. Le vol des reliques au Moyen Âge, Paris, Aubier, 1993.

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Nous ne pouvons pas évaluer, ne connaissant aucune étude sur le sujet, la place des pèlerinages à Saint-Maurice d’Agaune depuis la Catalogne. Très probablement, l’arrivée de pèlerins à ce sanctuaire était liée à une étape du pèlerinage vers Rome par voie terrestre – qui n’était assurément pas la plus courte – car le sanctuaire se trouve sur un des passages des Alpes vers l’Italie248. On ne peut non plus évaluer le grand nombre de pèlerins anonymes, car nous n’avons connaissance que des plus illustres. Dans ce cas, et sur la foi de notre documentation, nous trouvons un bon nombre de pèlerins qui à partir du Xe siècle vont à Rome et à Jérusalem. Magencia et son fils Berenguer en 969 ; Guifré “Bronicart”, prêtre de Vic (982) ; Garin, abbé de Saint-Michel de Cuixà (990-993) ; Ramon Tubau (998) ; Arnulf, évêque de Vic (1005) ; etc. Bien entendu les conséquences des voyages des uns et des autres sont très différentes. Le cas de Garin est particulièrement spectaculaire, car ses voyages auront pour conséquence l’arrivée de reliques, de Pierre Orséolo – doge de Venise –, des relations avec Rome...249. Ce qu’il nous est possible de confirmer, avec ces simples données, est le début, dans la seconde moitié du Xe siècle, d’un mouvement de pèlerinages, de voyages qui permettent de supposer de larges contacts entre la plupart des sanctuaires de l’époque, et donc de Catalogne, par les grandes voies de circulation de l’époque.

248   « S’il est vrai que l’histoire de Saint-Maurice est avant tout celle d’une abbaye et de sa communauté, elle est aussi, comme l’ont démontré Louis Blondel et Gilbert Coutaz, celle d’un bourg construit autour de ce monastère et le long de la route romaine qui reliait Genève à Rome. Clé de la vallée du Rhône, passage obligé pour accéder au Valais ou quitter la région, situé dans l’axe du Grand-Saint-Bernard au nœud de voies de communication importantes, le défilé de Saint-Maurice s’est avéré très tôt lieu stratégique. », voir D. Thurre, L’atelier roman d’orfèvrerie…, p. 17. Sur les itinéraires les plus fréquents à l’époque médiévale, v. Debra J. Birch, Pilgrimage to Rome in the Middle Ages, Woodbridge, The Boydell Press, 1998, pp. 38 et suiv. en part. p. 42. Sur la carte publiée à cette page on peut vérifier que le passage par le Grand-Saint-Bernard depuis Saint-Maurice est plus adapté à un voyageur venant du nord. Mais ces itinéraires sont tracés en pensant à un voyage par la voie la plus rapide vers Rome. À côté de ceux-ci, il devait y avoir d’autres possibilités, par exemple le pèlerin cherchant à passer par certains sanctuaires même si l’itinéraire est plus complexe, ou le pèlerin occasionnel profitant d’un déplacement – de nature économique, politique ou autre – pour visiter les sanctuaires proches de sa route. 249   Nous renvoyons à l’article de Josep Gudiol i Cunill (« De peregrins i peregrinatges religiosos catalans », Analecta Sacra Tarraconensia, III (MCMXXVII), pp.1-27) et à ceux plus récents de Milagros Guardia (« Gerusalemme in Catalogna prima delle Crociate », Atti del Convegno Internazionale di Studi. La Puglia tra Gerusalemme e Santiago di Compostella, Bari-Brindisi, 2002, sous presse) qui s’est intéressée à nouveau à cette question.

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La plupart des données concernant l’église de Pedret restent ignorées, celles que nous connaissons ont été exposées. Pour la lecture de son iconographie les questions sont aussi, plus nombreuses que les certitudes. On peut difficilement maintenir, comme il a été dit, que nous sommes face à une production érudite. L’impression est davantage celle d’une reproduction d’images signifiantes ou appréciées pour une raison donnée. En définitive, nous considérons comme plus probable la copie maladroite d’images déjà choisies plutôt qu’une composition originale. Ce qui rend l’identification proposée difficile à vérifier est surtout lié à la mauvaise qualité du travail du peintre, mais aussi au manque d’éléments de comparaison. Nous insistons, à nouveau, sur le caractère marqué d’iconographie martyriale de l’ensemble. Cette iconographie martyriale se caractérise par sa diffusion au moyen de petits éléments portatifs éphémères et d’une grande continuité de représentations. C’est ainsi dans les ampullæ de saint Ménas, celles de Terre Sainte, les enkolpia orientaux ou les coffrets limousins de saint Thomas Becket. Dans certains cas, l’énorme production – ampullæ de saint Ménas – ou la qualité de l’objet – c’est le cas des coffrets par exemple – a permis la conservation d’un bon nombre d’entre eux, en d’autres cas ce fut affaire de chance – pour les ampullæ de Terre Sainte250. Dans la plupart des cas, cependant, la destruction a été absolue, par exemple pour les tissus, ou plus simplement la dispersion des pièces rend impossible de les étudier toutes ensemble. Il est très difficile de croire – nous reprenons le cas de saint Maurice – que s’il y a des reliques en Catalogne dès le Xe siècle, elles n’aient aucune répercussion monumentale. Non seulement parce que celui qui avait porté les reliques avait vu comment le martyr et son martyre étaient exaltés au sanctuaire d’Agaune, mais parce que probablement les reliques arrivaient enveloppées ou conservées dans des 250   Nous avons déjà fait référence, au début de la recherche sur l’iconographie du cavalier, à certains de ces objets. Leur variété est grande et grande aussi la stabilité de ces formes variées, comme si elles se perpétuaient comme modèles depuis des époques très anciennes. Pourtant, malgré quelques rapprochements possibles avec Pedret, les objets que nous connaissons ne sont pas assez similaires pour y retrouver un modèle. Mais ils nous permettent de considérer que très probablement on a suivi un modèle de ce type, tout au moins pour les images des absides. La probable crucifixion de la nef centrale, nous l’avons dit, ne peut même pas être étudiée. Pour un catalogue plus étendu de ces objets, voir généralement Dictionnaire d’Archéologie Chrétienne…, passim ; Enseignes de pèlerinage et enseignes profanes, (éd.) Denis Bruna, Musée national du Moyen Âge, Thermes de Cluny, Paris, Réunion des musées nationaux, 1996, passim et Romei & Giubilei : il pellegrinaggio medievale a San Pietro (350-1350), (éd.) Mario d’Onofrio, Milan, Electa, 1999, passim.

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objets où le saint était représenté. Ceci est vrai pour n’importe quel martyr251 et ses reliques, mais aussi pour Maurice.

Conclusion Il ne fait pas de doute pour nous, à partir de ce qui a été exposé, que la composition de Pedret est, tout au moins en partie, plus «simple» qu’on n’avait voulu le croire jusqu’à présent. Le manque d’exemples analogues en fait un décor curieux, inhabituel. Mais si nous regardons les sources dont elle s’inspire, tout devient plus clair. D’une part, nous avons un substrat antique qui survit mais qui a perdu en partie son sens et pour cette raison devient une simple accumulation, une exposition. Des paons, des croix, du raisin, des couronnes, des orants et le type même du cavalier, avec une bête à ses pieds et un écuyer. De l’autre, sûrement, on réutilise des formes propres à l’iconographie funéraire et martyriale. Ceci expliquerait l’usage des couronnes pour séparer les protagonistes, ou qu’ils apparaissent tout entiers à l’intérieur, sous une forme plus propre aux petits objets comme les sceaux, les monnaies ou les ampullæ-reliquaires qu’aux compositions murales. Ce substrat, en vérité, est commun aux réalisations lombardes ou mérovingiennes. La différence, si nous comparons Pedret aux réalisations nord-italiennes ou franques, est que dans ces cas nous avons affaire à des œuvres d’«avant-garde» alors qu’à Pedret nous sommes face à l’arrière-garde artistique la plus isolée. Voilà qui expliquerait les différences chronologiques. Quant à l’identification des deux fragments conservés, nous sommes de plus en plus convaincus qu’il s’agit de figures de saints. Dans le cas du personnage de droite, l’«Orant», nous sommes sûrement devant l’image grossière de l’évangéliste Jean accompagné de son attribut, l’aigle. Pour le cavalier de gauche, la difficulté d’identification est plus grande. L’évidence qu’il n’y a pas en Occident de représentations de saints militaires à cheval avant le XIIe siècle transforme l’identification de notre personnage en une véritable enquête policière, pleine de suppositions. Les options que nous avons conservées au cours de cette recherche nous ont conduit à la figure de saint Maurice, chef de la Légion Thébaine. Certaines particularités de la représentation de Pedret, la présence de lieux consacrés et de reliques 251   Voir l’étude récente de M. Guardia sur la diffusion de l’iconographie de saint Thomas Becket (M. Guardia, « Sant Tomàs Becket… »), magnifique exemple de transmission de l’iconographie à partir des objets.

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de ce saint à des dates proches des Xe et XIe siècles en Catalogne, la diffusion du culte de ce saint à partir de Saint-Maurice d’Agaune en Suisse actuelle, nous permettent de conclure que cette identification est la plus vraisemblable. Les comparaisons stylistiques conduisaient déjà à une représentation d’origine ou de caractère funéraire. Les sarcophages mérovingiens emploient eux aussi une typologie très similaire252. Ceci pourrait expliquer la présence de la croix, du raisin ou du paon. La couronne qui entoure saint Maurice est crucifère : ceci doit être considéré comme un attribut de martyr. Par ailleurs, l’application d’un schéma iconographique antique sans adaptation très soignée explique que les éléments déterminants de l’image apparaissent forcés et difficiles à justifier – le chien et l’écuyer. L’argument qui pèse le plus sur notre choix est l’iconographie qui pouvait être produite à l’endroit où l’on gardait les reliques, et que nous voyons sur le coffret des Enfants de saint Sigismond ou sur le sceau de l’abbaye. L’importante tradition de culte voué à saint Martin ou, beaucoup moins significative, à saint Victor prive notre interprétation d’une certitude absolue. Il est très difficile de démontrer l’identité des personnages situés à l’extérieur de la couronne. La simplicité de la peinture de Pedret engage à croire à une simplicité d’exposition. La présence d’un personnage souvent identifié comme clerc permet de penser à un commanditaire ; le personnage accroupi auprès du feu, les jambes nues, est sans doute une représentation de l’hiver ou d’un des mois hivernaux. On peut opposer à cette identification qu’il n’y a pas d’autres mois représentés à Pedret ou que la fête de saint Maurice est célébrée le 22 septembre. La présence du mois, même très près du saint, n’implique pas nécessairement un lien iconographique. Il existe de nombreux exemples de ces décorations «profanes» restées incomplètes, isolées ou déconnectées des programmes généraux, dans des ensembles de grande qualité. Nous ne pouvons donc pas prétendre à la perfection dans le cas de Pedret.

252   Jusqu’au VIIIe siècle, il est fréquent de décorer les sarcophages de reliefs ou de peintures. À côté des exemples mérovingiens, nous trouvons aussi les sarcophages peints nord-italiens, voir C. Fiorio Tedone, « Tombe dipinte altomedievali rinventue a Verona », Archeologia Veneta, VIII (1985), pp. 251-288 ; Idem, « Dati e riflessioni sulle tombe altomedievali internamente intonacate e dipinte rinvenute a Milano e in Italia settentrionale », Atti del X congresso internazonale di studi sull’alto medioevo (Milano, settembre 1983), Spolète, 1986, pp. 403-428 ; Giovanni Lorenzoni, « La pittura medievale nel Veneto », La pittura in Italia. L’Altomedioevo, Milan, Electa, 1994, pp. 105-112, en part. p. 105.

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Le décor de Pedret aurait pu consister en un autre fragment peint. La supposée crucifixion qui fut localisée et détruite dans la nef de cette église n’a été que rarement citée. Aujourd’hui, à partir des descriptions et photographies conservées, il est presque impossible de savoir à quelle strate picturale appartenait ce décor. Par conséquent, nous l’avons dit, il n’y a aucune certitude que la Crucifixion ait été en relation avec les peintures de l’abside. Pourtant, et compte tenu qu’il faut identifier l’»orant» comme saint Jean et non comme le Christ, il n’y a aucun obstacle iconographique pour qu’il y ait eu une Crucifixion dans la nef de Pedret. En réalité, d’autres scènes de la vie du Christ n’auraient pas été surprenantes, ni non plus le développement d’un programme typologique utilisant les deux murs de la nef. Le décor de l’abside n’interfère avec aucune de ces possibilités, puisqu’il donne à voir des images précisément reliées à deux des dédicaces ayant pu coexister dans l’édifice. Pour le décor du début du XIIe siècle, nous voyons bien que les scènes dédiées aux saints Cyr et Julite n’entrent pas en contradiction avec celles de l’Apocalypse ou des paraboles.

Chronologie Évidemment, le problème chronologique reste irrésolu, et, disonsle, il trouvera difficilement une solution qui contente qui que ce soit. Les arguments qui permettent de pencher pour une datation au Xe ou au XIe siècle sont en vérité peu nombreux. Nous avons vu que J. Gudiol se limitait à considérer que la datation était aussi ancienne que l’édifice, sauf qu’il croyait l’édifice du milieu du Xe siècle, et nous savons maintenant qu’il est de la fin du IXe ou du début du Xe siècle. Nous avons vu aussi que B. W. Al-Hamdani situe ce décor dans la seconde moitié du XIe siècle. Ses arguments les plus solides sont liés à l’équipement du cavalier. Mais, nous l’avons vu aussi, ces arguments ne soutiennent pas la plus élémentaire analyse, puisque autant le casque avec nasal que la cotte de maille qu’elle suppose d’un XIe siècle avancé se trouvent déjà dans la deuxième moitié du Xe siècle. D’un point de vue documentaire, aucune donnée ne nous permet d’avancer une chronologie pour cette phase du décor de l’église de Saint-Cyr. Une opportunité comme l’était la recherche archéologique a été gâchée. D’un côté, les archéologues se sont fiés à la datation proposée par J. Gudiol en considérant qu’elle ne présentait pas de problèmes étant donné que le décor était déjà étudié ( ?) ; de l’autre,

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la négligence avec laquelle on est intervenu dans l’édifice au moment de reproduire le décor original n’a pas permis – et a empêché à tout jamais – la réalisation d’analyses des matériaux. En guise de conclusion, nous dirons que, d’un point de vue stylistique, les possibilités de comparaison sont peu nombreuses. Les parallèles les plus proches que nous avons trouvé soit se situent avant le IXe siècle – dans le cas aussi bien des terres cuites que des sarcophages mérovingiens –, soit nous donnent une chronologie qui oscille entre le Xe siècle – l’autel de Saint-Pierre de Rodes, le coffret d’Astorga – et le milieu du XIe – la sculpture de Saint-Pierre de les Puelles. Dans le domaine iconographique, bien que nous n’ayons pas trouvé non plus de parallèle qui nous permette d’assigner sans aucun doute une chronologie, la tendance est plutôt à nous situer dans une époque tardive. Dans le cas de l’iconographie de saint Maurice – et en réalité de tous les saints militaires –, nous ne le trouvons pas représenté à cheval avant le XIIe siècle. Bien qu’il faille considérer que l’on devait, depuis Saint-Maurice d’Agaune, exploiter l’iconographie de ce saint et qu’il est possible que l’image du saint à cheval ait existé antérieurement, il est étrange de ne connaître aucune représentation avec ces caractéristiques ni pour le XIe siècle ni pour le Xe. Finalement, il faut ajouter qu’un des problèmes qui ont été posés dans l’analyse de ce décor, c’est-à-dire sa relation avec le décor roman, a pu être écarté. Les dernières études sur les peintures murales romanes indiquent qu’il faut penser à une chronologie du début du XIIe siècle. La limite supérieure, le terminus ante quem, s’est donc déplacé suffisamment pour qu’il n’y ait aucun obstacle à situer le décor de Pedret dans le XIe siècle, voire même au milieu de ce siècle. Ainsi, nous dirons qu’il n’y a d’arguments solides ni pour affirmer que le décor appartient au Xe siècle, ni pour affirmer qu’il appartient au XIe. Après avoir étudié cet ensemble, notre perception globale de la question nous incline à penser à une datation du début du XI e siècle, même si nous n’en avons aucune certitude. D’autre part, étant donné l’évident isolement de ce décor, qu’il ait été réalisé en 950 ou en 1020, change peu notre connaissance de la peinture murale de cette époque. Beaucoup plus important est le caractère archaïsant du programme iconographique, basé sur la réappropriation d’un répertoire de sources antiques encore parfaitement rattaché à la renaissance culturelle de l’époque carolingienne en Catalogne.

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Conclusion

La peinture murale du IXe et du Xe siècle en Catalogne La réalité artistique des IXe-Xe siècles est particulièrement complexe. La première intention de ce travail était d’en démontrer l’existence et la cohérence en Catalogne à l’aide d’un élément guide tel que la peinture murale. Une fois l’analyse réalisée, il convient d’en tirer le bilan. Le panorama de la peinture murale en Catalogne pendant le haut Moyen Âge est particulièrement difficile à cerner. Plus difficile encore est d’analyser l’illustration des manuscrits. À la différence d’autres régions européennes – nous en avons déjà analysé les causes –, notre territoire connaît une rupture profonde avec l’Antiquité tardive. Les ruptures sont de nombreux types, dans notre cas cette rupture est profondément structurelle et elle comprend une très longue période d’inactivité. Sur le plan artistique, quand arrivent les conquérants carolingiens, il y a déjà longtemps que la Catalogne était un désert artistique. Le plus grave dans cette traversée du désert n’était pourtant pas le manque d’artistes, qui auraient pu être remplacés par des artisans arrivés avec l’armée de Louis le Pieux ; le problème le plus grave est que les élites avaient perdu l’intérêt, le goût ou l’habitude de commanditer des œuvres, et ceci ne saurait être remplacé, cela dépend du niveau intellectuel, il existe ou il n’existe plus. D’un point de vue politique et culturel, la Marca Hispanica reste intégrée à l’orbite carolingienne. D’autre part, en tant que territoire de frontière, elle se situe à la croisée des chemins, tous d’une personnalité bien marquée. En d’autres circonstances, cela aurait pu supposer un important renouveau culturel, mais dans ce contexte cela n’a pas eu de conséquences immédiates. Pour les empereurs, la Marca devait être un territoire inhospitalier et dangereux, utile seulement comme zone tampon, face au péril majeur que pouvaient représenter les musulmans. L’arrivée des carolingiens supposa sans doute un nouvel horizon culturel qui à la longue eut des conséquences artistiques. Il ne faut pas imaginer pourtant une généreuse promotion culturelle de la part des nouveaux venus. Leurs interventions dans ce territoire sont, pour l’essentiel, de caractère politique et militaire. Nous ne pou-

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vons pas non plus supposer une passion subite des autochtones pour la culture nouvelle ; en réalité, on constate plutôt une certaine résistance. Dans un premier temps, l’échange qui a pu exister entre les uns et les autres a dû se limiter aux besoins politiques et structurels des Francs. À l’arrivée des Carolingiens, la principale caractéristique de la population que nous trouvons est son absence de cohésion. Seules avaient survécu la conscience d’être Spanii ou Goths et la manifestation la plus ferme de cette conscience : la liturgie hispanique. C’étaient les seuls éléments structurants qui donnaient forme à la société de la Marca Hispanica. Afin d’organiser cette Marca, cette frontière, les Carolingiens durent créer les structures qui, en leur étant utiles, devinrent les référents de la population autochtone. Ces structures sont les comtés et les évêchés, version politique et religieuse d’une même organisation. Mais pour appliquer cette nouvelle structure, il fallait éliminer le seul élément identitaire clair : la liturgie. Ceci explique les positions particulières de certaines élites locales ou non. C’est le cas de Félix d’Urgell et de la querelle adoptianniste, de Tyrsus et Baius, d’Aisó et des difficultés des évêchés et comtés à stabiliser leur situation, processus qui se poursuit tout au long du IXe siècle. Quoi qu’il en soit, la nouvelle situation, la nouvelle organisation requiert de nouveaux instruments. La nouvelle liturgie est un de ces instruments et, à la différence d’autres interventions, celle-ci aura une répercussion directe dans la production artistique, tout au moins dans celle qui est conservée, qui est de nature religieuse. Le premier besoin d’une liturgie nouvelle sont les livres. Nous avons vu qu’il n’est pas possible de penser à l’activité de scriptoria autochtones pour la production de ces livres. Ainsi, pendant un temps, sans doute considérable, les livres dont on dispose sont importés. C’est ainsi qu’arrive l’écriture caroline et ainsi aussi qu’arrive le nouveau rite, et évidemment c’est aussi ainsi qu’ont dû arriver les premières images non hispaniques décorant ces livres. Nous ne croyons pas aventureux de supposer qu’en même temps que les livres, ont dû arriver des artistes. Il est difficile de croire qu’un personnage comme Frodoin, évêque de Barcelone, soit arrivé seul au siège de l’évêché. D’autre part, l’activité d’un peintre à Barcelone, dont nous ne conservons qu’une petite tête peinte sur un bloc, dont la technique ne diffère guère de celle de l’illustration des manuscrits, renforcerait cette hypothèse. Ce petit décor appartient probablement à un intérieur palatial, probablement la résidence de l’évêque. De Frodoin, pourtant, nous connaissons aussi l’activité publique. Une documenta-

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tion rare évoque les moyens financiers investis dans l’œuvre de la cathédrale. Malheureusement nous n’en savons pas plus. Nous pouvons cependant laisser de côté les artistes et nous intéresser aux livres. Bien entendu, ces livres importés finissent par être déposés dans les bibliothèques des différentes centres religieux. Ainsi, involontairement, les bibliothèques commencent à thésauriser une information qui, à plus ou moins long terme, fournit la base d’une partie de la production artistique. Il est évident que les conséquences sur l’illustration des manuscrits ne furent pas immédiates. Il en va différemment de la peinture murale et c’est là un des apports importants de ce travail. La relation entre le décor de Campdevànol et la tradition de la Genèse de Cotton à travers d’œuvres comme les Bibles de Tours, est, à notre avis, irréfutable. Comme il est difficile d’accepter l’idée d’une arrivée directe d’une information de ce type dans une paroisse comme Campdevànol, nous devons considérer qu’elle est arrivé par un intermédiaire. Sans doute l’intermédiaire est-il dans ce cas le monastère de Ripoll. Campdevànol appartient à la juridiction de Sainte-Marie de Ripoll dès sa fondation. Il n’y a rien de surprenant à supposer que le décor de la petite paroisse ait voulu imiter quelque décor de l’importante abbaye. La tendance est toujours à penser à l’église monastique, Sainte-Marie, comme modèle hypothétique de toute influence. Ceci dit, il est hautement probable que Saint-Pierre, l’église paroissiale, également sous contrôle du monastère, ait pu être plus importante pour une diffusion locale de modèles que sa voisine Sainte-Marie. En tout cas, c’est à Ripoll où nous pouvons le mieux envisager l’arrivée d’un livre ou d’artistes liés à la production de Tours, et on pourrait même concevoir une décoration murale des églises de Ripoll qui réunisse des scènes similaires, surgies des modèles de la bibliothèque monastique. Donc la preuve d’une faible production des scriptoria est à dissocier de la possibilité pour les bibliothèques de conserver des œuvres importantes, spécialement au début de l’activité monastique. Pour Ripoll, il faut toujours rappeler la présence dans la bibliothèque, à côté des fameuses Bibles, d’un psalterium argenteum qui ne pouvait pas être que de provenance carolingienne, malheureusement disparu au début du XIXe siècle. En outre, la peinture murale conservée derrière le portail monumental, et découverte il y a quelques années, semble confirmer la présence de décors peints dans le monastère, bien que le peu qu’on connait de ces peintures fait difficile une évaluation soit de sa qualité soit du programme. Tout à

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fait différent est le fait que la semence de cette bibliothèque n’ait commencé à donner des fruits de manière nette qu’au XIe siècle. C’est ainsi qu’un fait par essence politique, tel que l’adoption contrainte d’une nouvelle liturgie, s’accompagne de l’arrivée de modèles artistiques qui, dans certains cas seulement, connurent une traduction monumentale – Barcelone, Campdevanòl. C’est sans doute à la conjoncture qu’il convient d’attribuer le fait qu’il faille attendre le XIe siècle pour constater des résultats plus spectaculaires. Dans l’analyse des œuvres que nous avons présentée dans ce travail, nous avons cependant constaté l’existence d’une autre voie d’arrivée : l’action politique directe. Le meilleur exemple en est l’activité de Frodoin à Terrassa. Devant la nécessité d’imposer son autorité politique, économique et religieuse, et étant lui-même – par son origine – un personnage d’un haut niveau culturel, il avait décidé d’intervenir dans le conflit à la manière d’un magistrat romain de l’Antiquité, par une œuvre monumentale. Nous ne savons pas d’après quels modèles fut décidée la décoration des églises de Sainte-Marie, de Saint-Michel, et de Saint-Pierre de Terrassa. Mais toute cette intervention laisse deviner une nette interpénétration entre art et politique, caractéristique du monde carolingien. En ce sens, ce que nous constatons à Terrassa n’est guère éloigné de ce qui a pu être dit pour Müstair et qui se confirme à l’église des Saints-Nérée-et-Achillée ou au Triclinium du Latran. L’église Sainte-Marie nous montre un programme ambitieux et complexe. La monumental structure culminait avec une énorme abside entièrement décorée. Peu importe que le bâtiment, comme indiquent les fouilles récentes, soit du VIe siècle. Comme nous l’avons démontré, le programme avec toutes les difficultés interprétatives que nous pose encore, ne peut pas répondre qu’à une mentalité carolingienne. La datation du VIe siècle renforce, donc, notre hypothèse d’une restauration carolingienne des spaces, prestigieux encore dans la mémoire et les intérêts particuliers des élites d’Ègara, de l’ancien siège. Cette restauration ne peut être comprise qu’en considérant les efforts de Frodoin pour récupérer l’autorité perdue par ces prédécesseurs à Barcelone dans les anciens territoires de la diocèse d’Egara. Dans une clé de lecture locale caractérisée par une opposition politique et économique aux carolingiens et d’exaltation des Ispanii, soutenue sans doute par le clergé local, le programme proposé par Frodoin nous montre, d’un côté, l’exaltation de la Vierge trônant avec l’Enfant, parmi les Apôtres et douze prophètes, et de l’autre, une combinaison des histoires de saint Pierre, saint Paul et David. Il faut 590

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souligner l’attentive adaptation du concepteur du programme qui, profitant de la structure absidale, dispose les images de manière que les scènes de Pierre et Paul sont visibles depuis la nef, tandis que celles de David le sont depuis l’intérieur de l’abside. Bien qu’on devra encore discuter beaucoup sur l’identification proposée par nous, et que nous ne connaissons pas une partie importante du décor de l’abside, il est sûr que dans l’esprit du concepteur dominait l’idée de s’adresser de manière différenciée aux fidèles et au clergé de SainteMarie que, rappelons-le était l’ancienne cathédrale d’Ègara. En fait, après cette intervention, très symbolique du point de vue politique, l’église Sainte-Marie cessait d’avoir un rôle important dans l’ancien ensemble épiscopal, car, dès ce moment, le noyau de l’ensemble de Sant Pere de Terrassa aux yeux carolingiens fut la paroissiale de Saint-Pierre. Cela explique la transformation de l’absidiole est en grand reliquaire avec les probables restes de Pierre et Paul. Le dit “retable en pierre” de Terrassa ne peut être compris que dans ce sens, devant l’absence de motivations liturgiques seul des raisons politiques peuvent expliquer cette étrange structure. En plus, les caractéristiques archéologiques de la transformation de l’absidiole en retable, confirment soit l’absence de décor au VIe siècle soit les transformations à l’époque carolingienne subies par le bâtiment. En dernier lieu, l’église Saint-Michel, ancien bâtiment funéraire, renouvelle aussi son décor. Dans ce cas, une iconographie pleinement funéraire, l’Ascension, entre le soleil e la lune et sous les yeux des apôtres, renforce le message anti-adoptianiste moyennant l’inscription Emmanuel qu’identifie le Crist. Malheureusement, les destructions subies par les peintures nous permettent seulement de connaître le décor du cul-de-four et rien d’autre, même si la récente restauration a permis de découvrir des traces de l’inscription qu’accompagnait le décor. La crypte de Saint-Michel, avec l’ancien badigeon blanc de chaux du VIe siècle, à l’instar de l’absidiole derrière le retable en pierre de Saint-Pierre, renforce l’hypothèse d’une chronologie carolingienne pour tous ces décors. Bien qu’on devra encore discuter sur le complexe monumentale de Sant Pere de Terrassa, à notre avis, soit les propositions récentes des archéologues, datant les bâtiments au VIe siècle, soit l’iconographie des trois églises, soit les caractéristiques formelles des peintures autorisent notre interprétation de la figure du premier évêque franc de la diocèse de Barcelone et son besoin de rétablissement de l’autorité sur les territoires du Terracium castellum à travers la restauration monumentale des anciennes églises du siège d’Ègara. 591

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Malheureusement, ce n’est que très peu ce que nous connaissons de l’activité artistique promue par Frodoin au siège de Barcelone. Nonobstant une meilleure connaissance des structures fouillés pendant le XXe siècle dans le sous-sol du Musé d’Histoire de Barcelone, l’absence des fouilles sous la cathédrale nous empêchent de connaître des éléments basiques de son intervention dans la capitale de la diocèse et du comté. L’entreprise d’inventer des reliques propres à la ville, celles de l’Eulalie carolingienne, avec intervention même de l’archevêque de Narbonne, et la translatio dans la cathédrale font supposer des importants travaux, au moins, du point de vue du décorum de l’ancien bâtiment. En tout cas, les données historiques pour Barcelone complètent celles monumentales de Terrassa et nous montrent un Frodoin agissant comme un véritable noble carolingien. L’apparition de peinture murale en Catalogne au haut Moyen Âge, donc, répond à une conjoncture très spéciale. D’emblée, elle est le fruit d’une importation depuis les milieux les plus puissants, à savoir les mondes carolingien et romain. Les ambassadeurs de cette nouvelle production sont, d’une part, les personnages cultivés qui sont envoyés dans la Marca, et de l’autre, les nouveaux livres pour l’instauration de la nouvelle liturgie. Mais, à la différence de l’Empire, des Asturies ou de Rome, en Catalogne n’existe aucune structure de nature aulique qui puisse accueillir convenablement l’information qui arrive. Par conséquent, cette information peut arriver, mais à défaut d’un récepteur pour l’administrer, elle se perd ou reste invisible. La situation de la Marca explique que l’on n’ait pas été en mesure d’utiliser cette information ou d’autres – par exemple la présence quotidienne et permanente du passé romain – avant le XIe siècle. On peut conclure, donc, que le IXe siècle, pour la peinture murale, est un moment de réactivation ponctuelle. Les deux ensembles que nous pouvons situer à cette époque – Barcelone et Terrassa – possèdent des qualités différentes, mais chacun d’eux démontre, par des aspects différents, un haut niveau artistique. Le Xe siècle, en revanche, ne procure pas les éléments permettant de consolider cet exploit. Dans la première moitié du Xe siècle, les personnages dans le genre de Frodoin – les Carolingiens avec une formation et des compétences intellectuelles – ont déjà disparu, mais ils n’ont pas encore pu être remplacés par une élite autochtone. C’est seulement à partir de la seconde moitié du Xe siècle que «l’ouverture au monde» – pour utiliser l’heureux titre donné par N. de Dalmases à cette époque – a entraîné un véritable contact et une connaissance de la réalité extérieure. C’est 592

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ainsi que, par contrecoup, elle a retrouvé sa propre capacité d’action. Sans ce mouvement, le XIe siècle aurait été sensiblement différent. La comparaison entre la production de notre territoire et celle qui se développe à la même époque en d’autres endroits est, d’une certaine manière, décourageante. C’est seulement du point de vue iconographique que des ensembles comme ceux de Terrassa soutiennent la comparaison. Dans ces cas, nous sommes face à des œuvres où la direction intellectuelle est nette et peut être rapprochée, quant à ses intentions, d’œuvres déjà citées comme Saints-Nérée-et-Achillée ou Saint-Jean de Müstair. On a déjà souligné les extraordinaires connexions avec ce dernier ensemble en ce qui concerne soit le cycle d’Absalom et Achitophel, soit l’interprétation du programme iconographique en étroit rapport avec les événements politiques locaux. Au vu de ces réflexions notre seule conclusion doit être que la peinture en Catalogne aux IXe et Xe siècles est, fondamentalement, un phénomène d’importation, dont l’origine est le monde carolingien. Il faut admettre pourtant qu’il s’agit d’un fait purement ponctuel, presque fortuit. Pour autant, il ne s’agit pas d’un fait de portée limitée. Ce souffle nouveau d’ampleur européenne, porté par les évêques carolingiens, n’avait pas une origine précise bien déterminée, mais au contraire diverse. Le rôle des évêques dans l’administration impériale est bien connu. Ce qui nous intéresse essentiellement est la grande mobilité qu’ils pouvaient avoir en tant que «diplomates». Il n’est pas surprenant qu’un évêque ait été au courant des affaires politiques de l’Empire, et donc aussi des affaires religieuses, et moins surprenant encore qu’il ait visité la cour impériale, la cour pontificale et de nombreux autres centres qui dépendaient de l’une et de l’autre. Donc l’arrivée d’un évêque carolingien a signifié pour notre territoire l’arrivée d’un homme qui avait vu le monde. Ces évêques représentent ainsi une sorte de cordon ombilical qui, brièvement, a rattaché culturellement la Catalogne aux sources de l’Empire. On nous permettra de répéter que seule l’absence d’un substrat solide explique les difficultés de cet enracinement et que les fruits en aient été éphémères et, dans certains cas, peu réussis. Les aspects stylistiques et formels sont ceux où l’on constate cette difficulté d’enracinement. Il ne fait aucun doute que les ensembles cités appartiennent sous ce rapport au contexte de l’époque carolingienne. Nous ne pouvons avoir aucun doute à ce sujet. Pourtant leur qualité est faible, en particulier si on les compare à l’iconographie qui nous est offerte. L’explication des différences évidentes entre ces deux domaines est relativement simple. Alors que la direction intellectuelle 593

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– l’iconographie – ne pose pas de problème à partir du moment où l’on dispose de personnes d’une formation élevée, comme bien sûr Frodoin, la direction technique nécessite une organisation, une formation et, en définitive, une structure qui ne peut être improvisée. L’illustration la plus claire de ceci est le cas de Pedret. Si, d’un point de vue culturel, il ne fait pas de doute que son décor relève de l’Europe post-carolingienne, il est tout aussi inévitable de constater les difficultés qu’a dû avoir son promoteur pour trouver une personne capable de réaliser une décoration réussie. La mauvaise qualité d’exécution de l’ensemble, liée à la très rare documentation conservée, rend encore aujourd’hui impossible toute proposition de datation objective pour cette œuvre emblématique et appréciée. Dans ce cas, en outre, les difficultés sont aussi intellectuelles, le programme ayant été décidé par une personne dotée de peu de moyens et de rares modèles. On ne peut en aucun cas écarter qu’il appartienne déjà au XIe siècle. On n’a pas encore étudié l’immense vide que représente le XIe siècle. Ceci interdit de savoir quelle était la connexion, si est-ce qu’elle existait, entre la peinture que nous venons de présenter et celle du XIIe siècle. On ne peut dire que peu de choses avant de faire cette étude, mais compte tenu de l’importance historique du XIe dans le développement politique et culturel des comtés de la Marche hispanique, il est indispensable de l’aborder. Une fois étudié le début de la peinture médiévale pendant le IXe et Xe siècles, il faut approfondir nos connaissances du processus vers l’éclosion du XIIe siècle.

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Les territoires des comtés catalans aux alentours de l'an 1000, avec indication de la provenance ou emplacement des peintures étudiées dans ce livre (source: Atles d'història: Andorra, Catalunya, Illes Balears, País Valencià, Barcelona, Enciclopèdia Catalana, 2010, p. 55).

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Les territoires des diocèses catalans aux alentours de l'an 1000 (source: Atles d'història: Andorra, Catalunya, Illes Balears, País Valencià, Barcelona, Enciclopèdia Catalana, 2010, p. 60).

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1. Photographie du bloc dans son état actuel, après un premier nettoyage pour l’exposition Catalunya Carolíngia, 1999 (photographie MHCB, nº2980).

2. Plan de l’ensemble monumental des églises de Sant Pere de Terrassa (Museu de Terrassa).

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3. Calque en couleur réalisé après la restauration par TRACER Restauración y Conservación IPCE (Instituto del Patrimonio Cultural de España), avec l’autorisation du Museu de Terrassa.

4. Vue de l’abside depuis la nef, état après la restauration (photographie archive de l’auteur avec l’autorisation du Museu de Terrassa).

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5. Vue du décor depuis le fond de l’abside, état après la restauration (photographie archive de l’auteur avec l’autorisation du Museu de Terrassa).

6. Vue de l’abside depuis la porte, état après la restauration (photographie archive de l’auteur avec l’autorisation du Museu de Terrassa).

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7. Détail du motif zénithal, état après la restauration (photographie archive de l’auteur avec l’autorisation du Museu de Terrassa).

8. La Trahison et l’Arrestation du Christ, état après la restauration (photographie archive de l’auteur avec l’autorisation du Museu de Terrassa).

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9. Troisième reniement de Pierre, état après la restauration (photographie archive de l’auteur avec l’autorisationdu Museu de Terrassa).

10. La Remise des Clefs a saint Pierre, état après la restauration (photographie archive de l’auteur avec l’autorisation du Museu de Terrassa).

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11. Saint Paul prêchant aux Gentils, état après la restauration (photographie archive de l’auteur avec l’autorisation du Museu de Terrassa).

12. Saint Paul prêchant dans la synagogue, état après la restauration (photographie archive de l’auteur avec l’autorisationdu Museu de Terrassa).

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13. Mort d’Achithophel, état après la restauration (photographie archive de l’auteur avec l’autorisation du Museu de Terrassa).

14. Mort d’Absalom, état après la restauration (photographie archive de l’auteur avec l’autorisation du Museu de Terrassa).

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15. La lamentation de David, état après la restauration (photographie archive de l’auteur avec l’autorisation du Museu de Terrassa).

16. L’intérieur de Saint-Michel de Terrassa au cours des dernières fouilles (photographie archive de l’auteur avec l’autorisation du Museu de Terrassa).

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17. L’intérieur de Saint-Michel de Terrassa après les dernières fouilles (photographie archive de l’auteur avec l’autorisation du Museu de Terrassa).

18. Crypte de Saint Michel de Terrassa au cours des dernières fouilles (photographie archive de l’auteur avec l’autorisation du Museu de Terrassa).

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19. Vue de la décoration de l’abside de Saint-Michel de Terrassa en mai 2002 une fois achevée la restauration (photographie ARCOR, avec l’autorisation du Museu de Terrassa).

20. Décor du niveau inférieur, mur gauche de l’abside de Saint-Michel de Terrassa, avec six apôtres, en mai 2002 à la fin de la restauration (photographie ARCOR, avec l’autorisation du Museu de Terrassa).

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21. Décor du niveau inférieur, mur droit de l’abside de Saint-Michel de Terrassa, avec six apôtres, en mai 2002 à la fin de la restauration (photographie ARCOR, avec l’autorisation du Museu de Terrassa).

22. Le Christ trônant dans la mandorle soutenue par quatre anges, Saint-Michel de Terrassa, niveau supérieur, mai 2002 à la fin de la restauration (photographie ARCOR, avec l’autorisation du Museu de Terrassa).

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23. Détail du nimbe du Christ avec les restes de l’inscription : EM(M)ANV(EL) (photographie ARCOR, avec l’autorisation du Museu de Terrassa).

24. Détail des premier et deuxième apôtres du côté droit (photographie ARCOR, avec l’autorisation du Museu de Terrassa).

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25. Détail des pieds des troisième et quatrième apôtres du côté droit (photographie ARCOR, avec l’autorisation du Museu de Terrassa).

26. Le “Retable en pierre” à SaintPierre de Terrassa, vue d’ensemble (photographie archive de l’auteur avec l’autorisation du Museu de Terrassa).

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27. Détail du pavement en opus signinum du VIe siècle, au fond, et de la mosaïque de la fin du IXe siècle en premier terme (photographie archive de l’auteur avec l’autorisation du Museu de Terrassa).

28. Détail du chérubin en haut à gauche (photographie archive de l’auteur avec l’autorisation du Museu de Terrassa).

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29. Saint Paul dans la niche supérieure gauche (photographie archive de l’auteur avec l’autorisation du Museu de Terrassa).

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30. Saint Pierre dans la nivhe supérieure droite (photographie archive de l’auteur avec l’autorisation du Museu de Terrassa).

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31. Un des quatre vivants et symbole de Matthieu (photographie archive de l’auteur avec l’autorisation du Museu de Terrassa).

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32. Un des quatre vivants et symbole de Marc (photographie archive de l’auteur avec l’autorisation du Museu de Terrassa).

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33. Un des quatre vivants et symbole de Luc (photographie archive de l’auteur avec l’autorisation du Museu de Terrassa).

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34. Un des quatre vivants et symbole de Jean (photographie archive de l’auteur avec l’autorisation du Museu de Terrassa).

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35. Personnages du côté gauche du niveau inférieur (photographie archive de l’auteur avec l’autorisation du Museu de Terrassa).

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36. Personnages du côté droit du niveau inférieur (photographie archive de l’auteur avec l’autorisation du Museu de Terrassa).

37. Détail de la mosaïque devant le “retable”. On peut distinguer la partie originale, à gauche, de celle restaurée, à droite (photographie archive de l’auteur avec permission du Museu de Terrassa).

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38. Détail du croquis des peintures de Campdevànol. Reproduction en couleur publiée dans Josep Pijoan, Monumenta Cataloniæ, vol. IV. «  Les Pintures murals romàniques de Catalunya », Barcelone, Ed. Alpha, 1948, planche 2.

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39. Saint-Cyr de Pedret. Extérieur, côté ouest. État actuel (archive de l’auteur).

40. Saint-Cyr de Pedret. Vue de l’abside depuis l’est. État actuel (archive de l’auteur).

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41. Vue de l’intérieur de l’abside majeure de Saint-Cyr de Pedret. État actuel après la reproduction des peintures réalisée par le SPAL (archive de l’auteur).

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42. Saint Jean. Panneau 1 de la décoration du haut Moyen Âge de Saint-Cyr de Pedret, Museu Diocesà i Comarcal de Solsona (photo de l’auteur avec l’autorisation du musée).

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43. Saint Maurice, un donateur et Hiver. Panneau 2 de la décoration du haut Moyen Âge de Sant Quirze de Pedret, Museu Diocesà i Comarcal de Solsona (photo de l’auteur avec l’autorisation du musée).

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ANNEXE Dessins et photographies conservées au Fonds documentaire de l’Àrea de Cooperació del Servei de Patrimoni Arquitectònic Local (SPAL) de la Diputació de Barcelona, relatives aux églises de Terrassa. Nous avons décidé de les regrouper en un annexe photographique d'une part en raison de leur caractère de matériau resté jusqu'ici inédit, et, de l'autre, parce que ces dessins forment une unité documentaire au sein des archives du SPAL.



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1. Sainte-Marie de Terrassa. Peintures murales de l’abside, nº d’entrée 47351. Photographie de l’abside avec les peintures gothiques superposées à celles du haut Moyen Âge après l’intervention de restauration financée par Lluís Plandiura dans les années 20. Photo J. Ribera. La photographie peut être datée entre 1928 et 1937.

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2. Sainte-Marie de Terrassa. Peintures murales. Retouche à l’encre de l’image antérieure. Dimensions : 45,4 x 56. En bas, noté au crayon : « 0,15 ». Superposition des deux couches peintes dans l’abside de Santa Maria de Terrassa avant l’arrachement du décor gothique. La photographie avait été soulignée à l’encre pour rendre plus visibles les peintures.

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3. Sainte-Marie de Terrassa. Peintures murales. Profil de l’abside avec la restitution du motif zénithal et les jambes des trois (?) personnages de la fenêtre de droite. Dessin à l’encre sur papier végétal. Annotation au crayon « Terrassa. Pintures murals a l’absis de la Basilica de Sta. Maria 1931 ». Dimensions : 19,7 x 18,6. Année 1931. Annoté comme s’il s’agissait de la largeur de l’abside : « 0,126 ».

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4. Sainte-Marie de Terrassa. Peintures murales. Calque d’après photographie des jambes des personnages à côté de la fenêtre du côté sud de l’abside. Photo J. Ribera

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5. Sainte-Marie de Terrassa. Peintures murales. Photographie retouchée à l’encre. Donation Puig i Cadafalch. Détail de l’Arrestation du Christ (scène B) visible avant l’arrachement du décor gothique. Dimensions 48 x 39,4. Montée sur papier épais marron. Photo J. Ribera.

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6. Sainte-Marie de Terrassa. Peintures murales. Dessin commandé par Josep Puig i Cadafalch à J. Ribera (?) ou, plus probablement, à Joan Carrera Dellunder et réalisé à partir de la photographie suivante de J. Ribera. Nº d’entrée 47347. Dimensions : 41 x 28,8. Dessin à l’encre sur papier photographique. Date : 1946-1948.

7. Sainte-Marie de Terrassa. Peintures murales. Photographie de la décoration de l’abside. nº d’entrée : 47349. Photo J. Ribera

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8. Sainte-Marie de Terrassa. Peintures murales. Dessin du décor de la voûte, crayons de couleur sur papier. Couleurs rose, marron, bleu ciel et jaune. Annotation dans la marge droite : « 5,40 » ; dans la marge inférieure : « 6,85 ». Dimensions : 32 x 33. Nº d’entrée 47375. Dessin de Joan Carrera Dellunder (?), dessinateur du SPAL en 1939. Pourrait être un premier esquisse du dessin définitif (numéro 6 de cette appendice)

9. Sainte-Marie de Terrassa. Peintures murales. Détail du motif zénithal. Dessin à l’encre sur papier photographique. Commandé par J. Puig i Cadafalch à J. Ribera. Dimensions 23,4 x 17,2. Nº d’entrée 47345.

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10. Sainte-Marie de Terrassa. Peintures murales. Détail des scènes I-A : la mort d’Absalom et la lamentation de David. Dessin à l’encre sur papier photographique. Commandé par J. Puig i Cadafalch à J. Ribera. Dimensions 24,5x23. Nº d’entrée 47343.

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11. Sainte-Marie de Terrassa. Peintures murales. Détail des scènes B : l’Arrestation du Christ et le baiser de Judas. Dessin à l’encre sur papier photographique. Commencé par J. Puig i Cadafalch à J. Ribera. Dimensionss 17,9 x 22,9. Nº d’entrée 47344.

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12. Sainte-Marie de Terrassa. Peintures murales. Détail des scènes B-D : Troisième reniement de Pierre et Traditio clavis. Dessin à l’encre sur papier photographique. Commandé par J. Puig i Cadafalch à J. Ribera. Dimensions 29,6 x 21,9. Nº d’entrée 47346.

13. Sainte-Marie de Terrassa. Peintures murales. Détail des scènes D-G : scènes de la prédication de saint Paul. Dessin à l’encre sur papier photographique. Commandé par J. Puig i Cadafalch à J. Ribera. Dimensions 29,5 x 21,5. Nº d’entrée 47342.

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14. Sainte-Marie de Terrassa. Peintures murales. Détail des scènes H-H’: la mort d’Ahitòfel et la mort d’Absalom. Dessin à l’encre sur papier photographique. Commandé par J. Puig i Cadafalch à J. Ribera. Dimensions 24,3x22,3. Nº d’entrée 47340.

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15. Sainte-Marie de Terrassa. Peintures murales. Détail des figures K17-K20. Dessin à l’encre sur papier photographique. Commandé par J. Puig i Cadafalch à J. Ribera. Dimensions 24,3 x 17,2. Nº d’entrée 47341.

16. Église de Saint-Michel. Vue générale de la décoration de l’abside. Photographie retouchée à l’encre. 49,3 x 27,9cm. Monté sur papier épais marron. Au crayon, noté au bas de la photo : « 27cm » ; derrière: « Cliente : Puig i Cadafalch. Entrada 161. Fecha : 24/1/48. Foto J. Ribera »

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17. Église de Saint-Michel. Détail de la décoration du côté nord de l’abside. Photographie retouchée à l’encre. 56,8 x 45,6cm. Monté sur papier épais marron. Au crayon, noté au bas de la photo : « 21cm » ; derrière : « Cliente : Puig i Cadafalch. Entrada 161. Fecha : 24/1/48. Foto J. Ribera »

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18. Église de Saint-Michel. Détail de la décoration centrale de l’abside. Photographie retouchée à l’encre. 56,8 x 45,6cm. Monté sur papier épais marron. Au crayon, noté au bas de la photo : « 21cm » ; derrière : « Cliente : Puig i Cadafalch. Entrada 161. Fecha : 24/1/48. Foto J. Ribera »

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19. Église de Saint-Michel. Détail de la décoration du côté sud de l’abside. Photographie retouchée à l’encre. Donation Puig i Cadafalch. Derrière, annotation au crayon : « 0,122 ». Photo : J. Ribera

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20. Saint-Michel. Peintures murales nº d’entrée 47350. Photographie agrandie du mur sud de l’abside. Dimensions : 48,1x29,1. Photo J. Ribera

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21. Église de Saint-Pierre. Reconstitution théorique du retable de pierre de l’abside. Premier tiers du XXe siècle. Dessin à l’encre sur papier végétal. Écrit au crayon : « Terrassa. Església de St. Pere. Puig i Cadafalch [date illisible]. Disposició ideal ». Dimensions : 25,5 x 34,5 cm

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Abbeville Évangiles de Saint-Riquier (Bibliothèque Municipale , ms. 4) 141, 143, 146 Abbon, abbé de Novalesa 159 Abd al-Malik, émir de Cordoue 62 Abd ar-Rahman Ier , émir de Cordoue 60, 61 Abd ar-Rahman II, émir de Cordoue 151, 152 Abd ar-Rahman III, calife de Cordoue 66 Adaülf, évêque de Barcelone 153, 154 Adoptianisme 44, 151, 157, 337, 383, 385, 388, 389, 391, 392, 394, 402, 406 Agapit II, pape 65 Agobard de Lyon 151 Aguiló, Guillem et Robert 244 Aisó 588 Aix-la-Chapelle 90, 92, 95, 157, 437, 438 autel d’or 272 chapelle palatine 92, 242 Évangéliaire (Trésor de la Cathédrale) 142 Évangiles d’Otton II ou III (Trésor de la Cathédrale) 276 scriptorium 141, 415 synode 388 Al-Mansour 66, 185 Al-Moâllaka, linteau 371, 379, 382, 388, 394 Alcuin de York 151, 386, 389, 390, 391 Alexandre II 522 Alphonse Ier, roi des Asturies 45 Alphonse II, roi des Asturies 43, 44, 60 Amalaric, roi wisigoth 183 Ambroise de Milan 111, 139, 143, 325, 327, 331, 333, 378 Anagni 257, 532 Angoustrine 576

Anicia Juliana 254, 412 Aquileia chancel avec paon (Museo Paleocristiano) 548 Arianisme 40, 382, 383, 392 Argolell 511 Arnulf, abbé de Ripoll 119, 581 Arteta 576 Ascanius, archevêque de Tarragone 163, 164 Associació Artístico-Arqueològica Barcelonesa 170, 172, 459 Astorga coffret (Museo de la Catedral) 538, 540, 544, 586 Aton, évêque de Vic 65, 157 Attigny, synode 154, 156, 158, 165, 185, 399, 400 Augustin de Canterbury 77, 84 Augustin d’Hipone 111, 143 Avià 496 Aznar Galíndez, comte d’Aragon 61 Baén 563 Baius 152-156, 158, 392, 399, 400, 402, 588 Balaguer, Balagì 63, 135 Bamberg Bible de Bamberg (Staatsbiblio­thek, Misc. class. Bibl. 1) 479, 481, 485 cape de sainte Cunégonde (cathédrale) 282, 284 Sacramentaire de Bamberg (Staatsbibliothek, Lit. 1) 318 Sacramentaire de Bamberg (Staatsbibliothek, Lit. 2) 318 Sternenmantel d’Henri II (Diözesanmuseum) 254, 412 Banyoles 113 Baouit 369, 413 chapelle de l’Exode 242 chapelle Nord 254, 412 monastère d’Apollon 560

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Barbastre 522 Barcelone, Barcino 51, 56, 57, 62, 66, 123, 129, 136, 149, 150, 152, 153, 154, 158, 164, 245, 400, 402, 453, 492, 493, 496, 531, 592 basilique paléochrétienne 51, 128 bibliothèque 119, 120 cathédrale 13, 57, 121, 123, 129, 130, 158, 538, 592 Compilation d’arpentage et de géométrie (Arxiu Corona d’Aragó, ACA Ripoll ms. 106) 115, 116 comté 14, 59, 63, 64, 65, 66, 136, 144, 151, 152, 153, 158 Dialogues de saint Grégoire (Bibliothèque, Universitat de Barcelona, ms. 487) 115 diocèse/évêché 64, 129, 136, 150, 153, 154, 155, 156, 161, 162, 164, 170, 392, 399, 400, 401, 446, 447, 591, 592 domus de Bisbe Caçador 48 Grammaire de Priscien (ACA, ms. Ripoll, 59) 573 mosaïque du cirque 47 Majestat Batlló 517, 545 Museu d’Arqueologia de Catalunya, 53, 245, 246 Museu d’Història de Barcelona (MUHBA) 28, 31, 53, 56, 121, 126, 128, 129, 133, 469, 538, 592 peinture (MUHBA, nº inv. 25969 121-146, 418, 469, 533, 588, 590 impostes de la cathédrale romane 538 Museu Marès 121, 127 Museu Nacional d’Art de Catalunya (MNAC) 106 Decor roman de Pedret (MNAC) 101, 134, 172, 181, 184, 469, 507513 Palais Caldes ou Aguilar 128, 133 Palais Giudice 128 Palais royal majeur (palais comtal) 121, 123, 128, 132 Salon du Tinell 128, 133 Pénitentiel d’Halitgaire (Bibliothèque, Universitat de Barcelona,

ms. 28) 115 Retable de Gia (MNAC) 558 Saint-Michel (ancien temple d’Esculape) 245, 246, 247 Saint-Pierre de les Puelles 468, 537, 538, 539, 544, 586 scriptorium 113 sous-sol archéologique (plaça del Rei-carrer dels Comtes) 123, 129 Tropaire (Biblioteca de la Universitat, ms 602) 563 Béatus, moine de Liébana 151, 384, 388, 389, 391, 402 Béatus, livre 49, 74, 95, 96, 103, 461, 462, 532, 535 Bède 40, 84, 85, 111, 286, 562, 569 Bélisaire 76 Bénévent 76 Sainte-Sophie 82, 83 Benoît d’Aniane 151, 157 Benoît Biscop 84, 85, 86, 569 Berà, comte de Barcelone 151 Berga 64, 491, 492, 494, 496, 497 Berlin Codex d’Éginus (Deutsches Staatsbibliothek, Philips 1676) 142 Actes des apôtres (Staatliches Museen, inv. 8683) 295 Bernard de Gothie, comte de Barcelone 64, 154, 155, 158 Bernard Tort, archevêque de Tarragone 244 Bible du Panthéon 208 Bobbio 84, 117 ampoules de Terre Sainte 208, 372 Saint-Colomban 81, 577 Borrell II, comte de Barcelone 65, 66 Brême Livre de Péricopes d’Henri II ou III (Stadtbibliothek, ms. b21) 282 Brescia 90, 125, 130 chancel avec paon (Museo Cristiano, nº 260) 548, 551 fragments peints 139 Lipsanothèque (Museo Civico) 269, 271, 276 Saint-Sauveur 81, 91, 139, 143, 418, 546

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Calafell, Sainte-Croix ou chapelle du chateau 108, 135, 454, 469, 470 Cambridge Evangiles de Saint Augustin (Corpus Christi College, ms 286) 77, 85, 86, 270, 271, 413 Campdevànol, Saint-Christophe 13, 15, 28, 102, 103, 104, 106, 107, 108, 120, 136, 449-490, 533, 535, 541, 589, 590 Canterbury 77, 84, 126, 569 Carthage 38 Cassiodore 382, 391 Castillejo de Robledo 97, 462, 524, 536 Centcelles, mausolée 46, 47, 48, 102, 161, 232, 237, 239-249, 256, 412 Césaire de Montserrat 65, 157 Civate 513 Chalcédonie, concile 383, 386 Charlemagne 44, 45, 60, 61, 63, 77, 79, 83, 89, 92, 96, 140, 142, 143, 150, 151, 155, 291, 292, 330, 384, 386, 386, 390, 400, 446, 527, 528, 529 Charles le Chauve 64, 92, 142, 143, 149, 152, 301, 337, 400, 403 Chilpéric, roi des Francs 88 Clovis 88 Codex Purpureus Rossanensis 269 Cologne 90, 467, 562 Constantin 36, 55, 291, 292, 527 Constantin IV 412 Constantin VI 254, 412 Constantinople 36, 37, 42, 77, 83, 95, 96, 256, 320, 378, 384, 412, 484 I concile 382, 385 II concile 382, 385 Kariye Camii, jadis Saint-Sauveur de Khora 242, 257 Cordoue 45, 60, 62, 65, 467, 539 mosquée 123 Corvey 90 Cosmas Indicopleustes (Smyrne, Bibliothèque École Évangelique B. 8) 302 Cuevas de Vera 254 Daguin, évêque de Ripoll 112 Dauirat (Syrie) 254 Dečani 305

Didier, abbé de Mont-Cassin 82, 83 Dublin Livre de Cheanannais ou Kells (Trinity College Library, ms. A. 1. 6) 86 Livre de Darú ou Durrow (Trinity College Library, ms. 57) 85 Egara/ Ègara voir Terrassa Eginard 141 Eguillor 576 Eixalada, voir Saint-Michel de Cuxa Élipand, évêche de Tolède 151, 383, 384, 388, 389, 392, 402 Elne cathédrale/Sainte-Eulalie 112, 289 diocèse/évêché 64, 157 scriptorium 113 Elvira, concile et canon 39, 40, 49, 103 Empúries 54, 64, 65 Ermengarde, impératrice 284 Épernay Évangéliaire d’Ebbon (Bibliothèque de la Ville, ms. 1) 415, 416 Éphèse, concile 337, 371, 382, 384, 385, 387 Esclua de Cerdagne, évêque d’Urgell 65, 157, 158 Estavar 576 Esterri de Cardós 511 Estocolm Codex Aureux de Canterbury (Kungliga Biblioteket, cod. A. 135) 86 Eucher, évêque de Lyon 561 Eugène ou Eusèbe, évêque d’Ègara 162 Félix, évêque d’Urgell 111, 151, 153, 157, 384, 387, 389, 390, 392, 402, 413, 588 Félix IV, pape 576 Ferdinando Fuga 291 Fleury 117, 118 Florence Évangeliaire de Rabula (Biblioteca Laurenziana, ms. Plut. I, 56) 79, 278, 372, 382, 413, 414, 416 Évangiles grecs (Biblioteca Laurenziana, ms. Plut. VI, 23) 277 Flabellum de Saint-Philibert de

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Tournus (Museo del Bargello) 567 Octateuque (Biblioteca Laurenziana, ms Plut. 5.38) 484 Plaque de reliure (Museo Nazionale del Bargello, inv. 38C) 286 Fraga Villa Fortunatus 47, 161 Francó, diacre 494500 Frodoin ou Frodinus, évêque de Barcelone 14, 22, 65, 120, 129, 130, 153, 154, 155, 156-161, 165, 166, 235, 335, 392, 394, 395, 399, 400, 401, 402, 403, 405, 407, 446, 588, 590, 592, 594 Fulda 117, 331, 372, 380, 384, 391, 467 Saint-André de Neuenberg 93 Garin, abbé de Cuxa 580, 581 Garsias, moine de Cuxa 23, 579, 580 Gauzlin, abbé de Fleury 118 Genève 581 Gerbert d’Aurillac 119 Germigny-des-Près 71, 91, 92, 138, 146 Gérone 62, 103, 104, 150, 580 autel portatif de Saint-Pierre de Rodes (Musée d’Art de Girona) 538, 539, 540, 543, 544, 573, 586 Beatus de Gérone (Cathédrale, Trésor, ms. 7) 97, 104 Bibliothèque 119 Broderie de la Création (Cathédrale, Trésor) 457, 577 cathédrale 532, 579 comté 64, 496 diocèse/évêché 64, 157 Saint-Félix 51, 53, 260 scriptorium 113, 115, 532 Vila de Bell-Lloch (Museu d’Arqueologia de Catalunya-Girona) 570 Vila de Can Pau Birol 47 Gerri de la Sal 563 Gesaleic 183 Gombrèn 452 Góngora 576 Gotmar, évêque de Vic 452 Göttingen Sacramentaire (Universität Bibliothek, ms. Theol. 231) 318

Granera 462 Grégoire VII, pape 304 Grégoire IX, pape 441, 442, 443 Grégoire de Tours 40, 88 Grégoire le Grand 77, 84, 85, 143, 158, 162, 372, 384, 443, 446, 467 Guifré “Bronicart”, prêtre de Vic 581 Guifred le Velu, comte de Barcelone 64, 112, 153, 244, 496, 529 Hadrien Ier 79, 397, 438 Hétérius, évêque d’Osma 384, 388, 389 Hilaire, pape 163, 164, 165 Hildesheim Portes de bronze (cathédrale) 479, 485 Hisam II, calife de Cordoue 66 Huesca 60, 165 concile 183 Ilergius, évêque d’Ègara 162 Iona 84, 86 Irénée, évêque d’Ègara 162, 163, 164, 165, 183 Ivrée Sacramentaire de Warmundus (Biblioteca capitolare, ms. 86) 318, 319 Isidore de Séville 40, 49, 126, 324, 383, 388, 412, 566 Istanbul Octateuque (Topkapi Sarayi cod. G. I. 8) 480, 484 Jarrow 84, 85, 569 Jean, évêque de Barcelone 153, 154, 162 Jean, évêque d’Ègara 162, 165 Jean VII, pape 78, 82, 317 Jean XIII, pape 563 Jean de Biclar 103 Jérôme 143, 391 Jérusalem 250, 251, 295, 300, 311, 364, 369, 581 Coupole du Rocher 255 Ménologue grec (Bibliothèque Grec, Patr. Saba 208) 317 Saint-Sépulcre 208, 241, 254, 412 Justinien 76, 413 Karlstejn, chapelle de la Croix du château 560, 567

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Klagenfurt Genèse Millstadt (Museum Rudolfinum, Cod. VI, 19) 476, 478, 481, 485, 486, 489 Koblenz 90 La Seu d’Urgell voir Urgell Lambach 241, 242, 260 La Portella 495 Le Puy 137, 562 La Quar 496 Leidrade de Lyon 151, 157 Léon 42, 43, 65, 94, 96, 536 Bible de 960 (Saint-Isidore, ms. 2) 334, 535 Panthéon Royale 577 Saint-Isidore 49, 576, 577 Léon I le Grand, pape 164, 441 Léon III, pape 79, 80, 151, 291, 292, 386, 391, 402 Léon IV, pape 300 Liber pontificalis 284 Libri carolini ou Capitulare de imaginibus 138 Lindisfarne 84 Lleida, Larida 63, 152 Lluís Borrassà 318 Londres Bénédictionnaire d’Æthelwold (British Library, ms. Add. 49598) 86 Bible de Moutier-Grandval (British Library, ms. Add.10546) 475, 476, 478, 479, 480, 485, 486 Évangéliaire d’Ada (British Library, ms. Harley 2788) 415 Évangiles de Lindisfarne (British Library, Cotton Nero D IV) 86 Genèse Cotton (British Library, Cotton Otho B. VI) 243, 328, 475, 476, 477, 478, 479, 480, 481, 484, 486, 488, 489, 589 Ivoire (British Museum) 269 Plaque d’ivore avec Judas (British Museum, M&ME 1856,6-23,5) 323 Situle Basilewsky (Victoria & Albert Museum) 376, 377 Lothaire, roi de France 65 Louis le Pieux (Louis d’Aquitaine) 62,

64, 155, 330, 366, 529, 587 Louis le Bègue 64, 65, 158 Lucie de Pallars 512, 576 Luxueil 84 Madrid Mosaïque de Dulcitius (Museo Arqueológico Nacional) 570 Real Academia de San Fernando 170, 173 Real Academia de la Historia 169, 170, 173, 467 Magdebourg 560, 567 Magencia et le fils Berenguer, pèlerins 581 Matadars 108, 135, 469 Matadepera 463, 469, 534 Maximien, empereur romain 331 Maximien Herculéen, empereur romain 561, 566 Mérida 254, 467 Miró Bonfill 580 Miron Ier le Vieux, comte de Roussillon 65 Mont-Cassin 80, 82, 117, 537, 577 Montgrony 452 Monza, Palais 77 Monreale 305 Munich 302, 305, 307 Codex Aureus de Saint-Emmeram (Bayerische Staatsbibliothek, Clm. 14000) 142, 301 Évangéliaire d’Otton III (Bayerische Staatsbibliothek, Clm. 4453) 272, 276, 281, 319, 376, 377 Évangéliaire de Reichenau (Bayerische Staatsbibliothek, Cod. lat. 23631) 377, 378 Narbonne 60, 62, 63, 64, 65, 113, 115, 157, 158, 403, 592 Nebridius, archevêque de Narbonne 157 Nebridius, évêque d’Ègara 162, 166, 183 Nether Wallop 87 Nevers 527, 528, 529 Nicée I concile 382, 385 II concile 254, 412

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Nicolas III, pape 442 Novara, Baptistère 83 Nundinarius, évêque de Barcelone 163, 164 Octateuques 477, 479, 484, 485, 486, 489, 577 Oliba, évêque 23, 118, 119, 120, 579, 580 Oliba, moine de Ripoll 118 Olvan 496 Orcau 511 Osormort, Saint-Saturnin 487, 489 Oviedo 43, 44, 45, 60, 95, 576 Caja de las Ágatas (Cámara Santa) 44 Cruz de los Ángeles (Cámara Santa) 44 Saint-Michel de Lillo ou Liño 43, 44, 95, 96, 137, 462, 535, 539, 540 Sainte Marie de Naranco 43, 44, 539 Santullano 43, 44, 49, 95, 96 Paderborn 60 Palerme 305 Pamplona 576 Pano 98, 536 Paris Antéfixes (Musée de Carnavalet) 541 Antiphonaire de Prüm (BNF, ms. lat 9448) 319, 568 Bible de Rodes (BNF, ms. lat. 6) 75, 114, 474, 489, 529 Bible de Vivien (BNF, ms. lat. 1) 300, 301, 302, 303, 304, 305, 306, 308, 310, 403, 475, 476, 479, 480, 481, 484, 485, 486 Camée (Musée du Louvre, Cabinet des Médailles) 272 Copie partielle de la Genèse Cotton (BNF, ms. fr. 9530) 476 De fide catholica d’Isidore de Séville (BNF, ms. lat. 13396) 89 Évangéliaire de Godescalc (BNF, ms. lat. 1203) 415, 416 Évangéliaire de Lothaire (BNF, ms. lat. 266) 556 Évangiles de Saint-Médard de Sois-

sons (BNF, ms. lat. 8850) 141, 143, 145 Évangiles grecs (BNF, ms. gr. 74) 277 Homélies de Grégoire de Nazianze (BNF, gr. 510) 319, 320 Ivoire de Metz (BNF, ms. lat. 9388) 268, 271 Pentatheuque Ashburnham ou de Tours (BNF, ms. nouv. acq. lat. 2334) 104, 106, 208, 315, 412, 414, 415, 462 Sacra Parallela de Jean Damascène (BNF, ms. gr. 923) 284 Sacramentaire de Gellone (BNF, ms. lat. 12048) 89 Sacramentaire de Drogon (BNF, ms. lat. 9428) 319 Tropaires (BNF, ms. 10846, lat. 1118 et 1871) 563 Parme, Baptistère 126 Pascal Ier, pape 80, 82, 139, 140, 417 Paul Ier, pape 79, 397 Paulin d’Aquilée 151, 390, 391 Pavie, palais 77 Pedret , Saint-Cyr 491-586 Decor du haut moyen âge, voir Barcelona, MNAC Decor roman, voir Barcelona, MNAC, et Solsona Saint-Michel et Saint-Victor 495, 531 Pedrosa de la Vega, mosaïques 570, 572 Perazancas 576 Pépin le Bref 60 Piazza Armerina, villa romana del Casale 254 Pierre Chrysologue, évêque de Ravenne 324, 325 Pietro Cavallini 303 Pise, Museo Civico 375, 377 Porqueres 564 Possidonius, évêque d’Urgell 151, 157, 402 Prudence 40, 49, 103, 104, 327 Pruggiasco 513 Puig-reig 496

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Raban Maur, abbé de Fulda 330, 331, 332, 334, 335, 385, 402, 403, 577 Radulfe, comte de Conflent 65 Ramire Ier, roi des Asturies 43, 44, 462, 539 Ramon Ier, comte de Pallars-Ribagorça 65, 563 Ramon de Roda, évêque 23 Ramon Tubau, pèlerin 581 Ramsey 117 Ratisbonne 73 Ravenne 39, 76, 77, 80, 83, 95, 221, 413 Baptistère arien 337, 548 Baptistère orthodoxe 337 Cathèdre de Maximien (Museo Arcivescovile) 327 Palatium 412 Saint-Apollinaire à Classe 387, 413 Saint-Apollinaire-le-Neuf 269, 271, 276, 398, 412, 413, 414 Saint-Vital de Ravenne 205, 257, 413, 414, 551 Reccared, roi wisigoth 129 Regensburg 92, 412 Reichenau 73, 117, 270, 377 Saint-Georges d’Oberzell 72, 93, 94, 139 Saint-Sylvestre de Goldbach 93 Riculfe, évêque d’Elna 112 Ripoll 244, 245, 449, 489, 490, 576, 580, 589 Bibles 15, 75, 96, 104, 114, 119, 477, 478, 485, 487, 489 Bibliothèque 15, 113, 114, 117, 118, 119, 589 Psalterium argenteum 118, 589 Sainte-Marie 15, 75, 103, 112, 113, 117, 120, 135, 244, 452, 477, 489, 579, 580, 589 Saint-Pierre 112, 113, 116, 452, 589 scriptorium 113, 116, 118, 119, 120, 477 Roc d’Olzinelles, monjo de Ripoll 580 Roda d’Isàvena 576 évêché/ diocèse 65 Rome 14, 28, 31, 35, 36, 37, 38, 39, 40, 42, 46, 47, 53, 54, 55, 65, 76, 77, 78, 79, 80, 81, 82, 83, 85, 89, 91, 95, 96,

117, 139, 140, 142, 158, 163, 164, 205, 254, 255, 266, 267, 270, 280, 288, 291, 292, 300, 303, 304, 318, 320, 321, 327, 333, 337, 343, 371, 372, 375, 380, 386, 387, 391, 398, 402, 403, 412, 413, 416, 419, 437, 438, 440, 446, 548, 562, 569, 576, 581, 592 Arc de Constantin (jadis d’Hadrien) 53, 548, 570 Catacombes 77, 378, 411 cimetière ou catacombe de Comodille 286, 413 cimetière ou catacombe de Domitilla 378, 380 cimetière ou catacombe de Priscille 254 cimitière ou catacombe neuve de via Latina 333 église du Domine Quo Vadis 288 Museo Nazionale Romano Crypta Balbi 79 maison de la Fontana Grande 254 mosaïques de la domusculta Galeria (Museo Nazionale dell’Altomedioevo, EUR) 437, 438 Oratoire des Quarante Martyrs 397 Palais du Latran 256, 387, 395 Saint-Clément 69, 80, 255, 300, 372, 380, 384, 385, 388, 391, 417, 440 Saint-Jean du Latran ou basilica Salvatoris 139, 255, 324, 327, 329, 398 oratoire de S. Venanzio 139 Saint-Laurent fuori le mura 78 Saint-Martin ai Monti 80 Saint-Paul-hors-les-murs 142, 294, 301, 302, 303, 304, 306, 307, 308, 310, 311, 318, 328, 440, 480 Bible 142, 300, 301, 302, 304, 305, 306, 307, 308, 310, 311, 337, 403, 479, 485 Portes de bronze 318 Saint-Saba 79 Saint-Urbain alla Caffarella 81 Sainte-Agnès fuori le mura 78 Sainte-Cecile in Trastevere 80 Sainte-Constance 77, 255

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Sainte-Marie antiqua 69, 77, 78, 79, 82, 140, 397, 412, 413, 414, 530, 546, 561 Sainte-Marie de Gradellis ou Egizziaca 80 Sainte-Marie in Domnica 80, 337 Sainte-Marie in Pallara (San Sebastianello al Palatino) 81 Sainte-Marie in Trastevere 78 Sainte-Marie in via Lata 79 Sainte-Marie Majeure 77, 163 Sainte-Praxède 80, 205, 267, 380, 387, 412, 417, 418, 440 Chapelle de saint Zénon 80, 380, 387 Sainte-Pudentienne 304, 380 Sainte-Sabine 375, 377 Saints-Côme-et-Damien 77, 78, 413, 414, 440, 576 Saints-Jean-et-Paul 254, 412 Saints-Nérée-et-Achillée 79, 81, 380, 386, 391, 402, 590, 593 sarcophage de Saint-Sébastien 280, 281 Scala sancta 256 Triclinium du Latran ou léonien, mosaïque 283, 291, 292, 386, 387, 391, 395, 401, 403, 590 Villa Farnesina (Palazzo Massimo alle Terme) 416 Rotulus de Vercelli (Biblioteca capitolare) 302, 305 Saint-André d’Eixalada 563 Saint-André de Sagàs 496 Saint-Béat 41, 54, 56 Saint-Benoit de Bages 113 Saint-Benoît de Mals ou Malles 91, 139, 367 Saint-Benoît-sur-Loire, voir Fleury Saint-Claude d’Olivares 576 Saint-Cyprien de Mazote 540 Saint-Démétrius de Nicopolis 254 Saint-Denis 117 Saint-Étienne de Marenyà 135, 470 Saint-Felix d’Urgell 111 Saint-Gall 117, 467 Saint-Génis-des-Fontaines 380, 394 Saint-Germain d’Auxerre, crypte 71,

90, 137, 138, 139, 140, 143, 307, 310, 362, 418, 546 Saint-Hilaire d’Abrera 468 Saint-Iscle de Centelles 111 Saint-Jacques de Compostelle, 576, 577 Saint-Jacques de Santiago de Peñalba 97, 535 Saint-Jean de Baños 47 Saint-Jean de Boí 104 Saint-Jean de Müstair 30, 70, 83, 90, 91, 93, 94, 126, 139, 302, 303, 304, 306, 307, 310, 311, 329, 330, 331, 334, 335, 336, 343, 372, 373, 380, 384, 385, 391, 394, 397, 402, 403, 418, 419, 590, 593 Saint-Julien de Baussols, Bussols, Mussols ou dels Corbs 135 Saint-Laurent près de Bagà 494, 500 Saint-Lizier de Couserans 24, 511, 512 Saint-Martial de Limoges 117, 468, 492, 562, 563 Saint-Martin du Canigó 135 Saint-Martin-de-Fonollar 509 Saint-Martin de Sorbet 166 Saint-Martin de Viure 496 Saint-Martin del Brulll 487, 489 Saint-Martin Sescorts 487, 489 Saint-Maurice de Caldes de Malavella 564 Saint-Maurice de Graulera 564 Saint-Maurice de Sautó 563 Saint-Maurice en Valais abbaye Saint-Maurice d’Agaune 561, 567, 569, 570, 580, 581, 582, 584, 586 Coffret des Enfants de saint-Sigismond (Trésor de l’abbaye) 567, 584 Saint-Maurice de la Calç 564 Saint-Mesmin de Micy 577 Saint-Michel d’Alòs de Balaguer 135 Saint-Michel d’Engolasters 145 Saint-Michel de Beleña del Sorbe 576 Saint-Michel de Cuxa 23, 103, 113, 135, 563, 579, 580 scriptorium 113 Saint-Michel de les Canals 495

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Saint-Michel de Marmellar 101, 108, 135, 172, 439, 455, 461, 463, 466, 468, 469, 534 Saint-Michel del Fay 168 Saint-Michel près de Bagà 501 Saint-Nicolas de El Frago 576 Saint-Paul à Kärnthen 373 Saint-Pierre de Burgal 23, 469, 511, 512, 576 Saint-Pierre de Casserres 492, 493, 496 Saint-Pierre de Moissac 284 Saint-Pierre de Rodes 13, 23, 75, 114, 115, 135, 469, 474, 489, 502, 529, 534, 538, 539, 540, 543, 544, 573, 586 Saint-Pierre de Treviño 576 Saint-Pierre de la Nave 39, 47, 49, 539 Saint-Pierre de la Seu d’Urgell 145 Saint-Pierre de Novalesa 159 Saint-Pierre de Vallhonesta 135 Saint-Pierre Desplà 135, 439, 452, 454, 462, 469, 470 Saint-Pierre les Églises 90 Saint-Ponce d’Aulina 135 Saint-Ponce de Corbera 135 Saint-Procule de Naturno 91, 146, 234, 366, 417 Saint-Romain de Can Santromà 135, 469, 470 Saint-Romain de Tobillas 123 Saint-Satyre de Milan 139 Saint-Sauveur de Casesnoves 135 Saint-Sauveur de Priesca 137, 535 Saint-Sauveur de Valdedios 123, 535 Saint-Sauveur de la Mata 496 Saint-Sauveur de la Vedella 496 Saint-Sépulcre d’Olèrdola 108, 135, 449, 469, 470 Saint-Sernin de Nagol 24, 135 Saint-Sernin de Tavèrnoles 111, 135, 157, 386, 496 Saint-Victor in ciel d’Oro 139 Saint-Vincent à Galliano 83, 94, Saint-Vincent au Volturno 82, 83 Saint-Vincent de Cardona 492, 493 Saint-Vincent de Corbera 135, 496 Sainte-Cathérine du Mont Sinaï 79, 387



Icône de saint Pierre 79 Icône de la Vierge entre Théodore et Georges 413 Sainte-Eulalie de Bóveda 102 Sainte-Eulalie d’Unha 268 Sainte-Marie d’Àger 469, 511, 512 Sainte-Marie d’Alaó 111 Sainte-Marie d’Àneu 511, 512 Sainte-Marie d’Arles-sur-Tech 24, 471, 553 Sainte-Marie d’Azougue 576 Sainte-Marie de Cap d’Aran 511 Sainte-Marie de Cererols 135 Sainte-Marie de Matadars ou de Marquet 135 Sainte-Marie de Mur 508 Sainte-Marie de Taverna 111 Sainte-Marie de Torreneules 135 Sainte-Marie de Quintanilla de las Viñas 39, 47, 539, 541 Sainte-Marie de Wamba 97, 108, 530, 535 Sainte-Marie foris portas ou de Castelseprio 81, 132, 145, 194 Sainte-Marie-la-Royale de Nieva 576 Saints-Julien-et-Basilisse de Bagüés 397 Saints-Martyrs de Cimitile 82, 83, 140, 143, 272, 418, 419 Salerne, ivoires (Museo diocesano) 376, 377, 475, 476, 478 San Baudelio de Berlanga 269, 398, 536 San Lorenzo de El Escorial Codex Aureus d’Henri III Évangiles dorés de Spire (El Escorial, Bibliothèque de monastère, Ms. Vitr. 17) 146, 276 San Marino Légende dorée (Biblioteca Huntington ms. H. M. 3027) 318 San Pellegrino à Bominaco 398 Sancho Garcés, comte de Pamplona 62 Sant Cugat del Vallès scriptorium 113 Sant Feliu de Guíxols, Porta Ferrada 432, 437 Sant Joan de les Abadesses 452

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Sant Mori 564 Santo Domingo de Silos, monastère fragment 4 (Béatus) 534 Saragosse 60, 61 Sedulius Scottus 284, 382 Séville, concile 384 Serge Ier, pape 443 Sisebut, évêque d’Urgell 111, 113 Sixena 126 Sixte III, pape 76 Smyrne Cosmas Indicopleustes (Bibliothèque du Collège Évangélique, cod. B. 8) 302 Octateuque (Bibliothèque du Collège Évangélique, cod. A. I) 484 Sofronius ou Sifronius, évêque d’Ègara 162 Solsona 31, 110, 113, 491, 492, 493, 497, 509, 526, Decor de la couche ancienne de Pedret (MDCS) 13,14, 28, 104, 106, 107, 108, 110, 136, 181, 184, 463, 463, 466, 469, 470, 472, 491586, 594 Decor roman de Pedret (MDCS) 101, 134, 172, 181, 469, 507-513 scriptorium 113 Sorba martyrium 190 village ibère 492 Spolète 76, 82, Stockholm Codex aureus de Canterbury (Kungliga Biblioteket, cod. A. 135) 553 Stuttgart Passionaire de Stuttgart (Landesbibliothek, Bibl. Fol. 56, 57, 58) 321, 568 Psautier de Stuttgart (Landesbibliothek, Bibl. Fol. 23) 323, 578 Sunyer, comte de Barcelone 66 Sunyer, moine de Cuxa 65 Sunyer II, comte d’Empúries 65 Sylvestre, pape 291, 292, 401 Tarragone, Tarraco 36, 48, 51, 53, 54, 56, 57, 62, 64, 244 arc de Berà 243

cathédrale 52, 53 cloître de la cathédrale 576 concile 166 diocèse/évêché 64, 157 mosaïque d’Ampelius 48 mosaïque d’Optimus 48, 411 sarcophage de Leucadius 53 sarcophage des Apôtres 53 tombe des Scipions 243 Taüll 234 Saint-Clément 23, 24, 145, 509 Sainte-Marie 24 Taur, évêque d’Ègara 162 Tempietto de Cividale 81, 139 Tempietto du Clitunno (Campello sul Clitunno) 78, 82, 83 Teruel 576 Terrassa 13, 22, 29, 51, 104, 105, 106, 107, 110, 132, 144, 147, 148-153, 154, 156, 160, 162, 163, 166, 167, 168, 170, 171, 172, 173, 174,181, 182, 192 Egara-Ègara 13, 64, 110, 149, 150, 154, 160-161, 162, 166, 167, 173, 178, 182, 184, 185, 238, 249, 344, 369, 400, 413, 530, 590, 591 concile 162, 165, 183, 186 siège/diocèse 1551, 161, 162, 163, , 164, 165, 166, 399, 400, 590, 591 Sant Pere de Terrassa 147 et suiv., 166, 167, 170, 186, 190, 435, 591 Saint-Michel 13, 14, 31, 51, 55, 101, 102, 103, 108,111, 148, 165, 168 169, 170,171, 172, 174, 175, 176, 177, 178, 179,183, 184, 186, 187, 188, 189, 191, 192, 193, 194, 197, 199, 200, 201, 202, 220, 224, 226, 232, 233, 234, 236, 240, 247, 255, 343, 344-394, 400, 401, 402, 404406, 407, 409, 410, 411, 412, 413, 414, 415, 416, 417, 418, 419, 422, 424, 426, 433, 434, 437, 438, 439, 445, 447, 466, 469, 470, 495, 522, 533, 590, 591 Saint-Pierre 13, 14, 29, 108, 148, , 170, 171, 172, 175, 176, 177, 178, 179, 183, 184, 186, 187, 188, 191, 192, 226, 232, 233, 234, 236, , 344,

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363, 397, 398, 399, 400, 4011, 406, 407, 419-448, 461, 464, 470, 590, 591 Retable des saints Abdon et Sennen 349 Sainte-Marie 13, 14, 24, 108, 148, 160, 162, 165, 167, 168, 171, 174, 175, 176, 177, 178, 179, 180, 181, 182, 183, 184, 188, 189, 190, 192, 193, 194, 195-344, 345, 348, 353, 363, 368, 394, 395-403, 404,405, 406, 407, 408, 409, 410, 411, 412, 413,414,415, 416, 417, 418, 419, 426,434,439, 445, 466, 548, 569, 590, 591 Saint-Thomas-Becket 24, 175, 176, 197, 199, 363,569, 582, 583 Museu de Terrassa 31, 174, 347, 410, 435 Théodoric, roi d’Italie 39, 76, 412 Théodose, empereur 331 Théodulphe, évêque d’Orléans 49, 92, 138 Tolède, 39, 41, 42, 43, 44, 52, 95, 386 Saint-Sauveur 44, 539 II Concile 166 III Concile 383 XVIe Concile 165 Torba, monastère 81 Torhalle de Lorsch 90 Tortosa 62, 63 Toulouse 42, 62, 63, 64 Tours 562, 589 Bibles 120, 302, 306, 310, 474, 475, 477, 478, 479, 480, 483, 485, 486, 488, 589 Trèves 73 Codex Egberti (Stadtbibliothek, ms 24) 270, 271, 319 Évangiles d’Ada (Stadtbibliothek, ms. 22) 141, 146, 417 Saint-Maximin 90, 234, 417 Turin Beatus 532 Tyrsus de Barcelone 154, 155, 156, 157, 158, 392, 400, 402, 588 Udine Sacramentaire (Biblioteca capito-

lare ms. 76V) 318 Unfrid, comte de Barcelone 64 Uppsala Évangiles d’Uppsala (Bibliothèque Université, ms. C. 93) 146 Urgell 150, 162 bibliothèque 119 comté 62, 64, 157 diocèse/évêché 22, 64, 151, 153, 157, 158, 165, 386 scriptorium 113 Vatican Album de Domenico Tasselli da Lugo (BAV, cod. A64 ter.)442 Bible de Ripoll (BAV, Vat. Lat. 5729) 75, 114, 276, 474, 485, 486, 487, 489 Évangiles de Lorsch (BAV, cod. Pal. Lat. 50) 141, 142, 143 Manuscrit Vat. Reg. 123 118 Ménologue de Basile II (BAV, ms. gr. 1613) 319, 320 Octateuque (BAV, ms. gr. 747) 480, 484 Octateuque (BAV, ms. gr. 746) 480, 484 Reliquaire d’argent (Museo Sacro) 376 Reliure de reliquaire (Museo Sacro) 79 Saint-Pierre 78, 95, 284, 397, 440, 442, 443, 444, 446, 480, 562 Sacramentaire de Gélase (BAV, Reg. Lat. 316) 89 Staurothèque du Sancta sanctorum (Museo Cristiano) 278 Virgile Vatican (BAV, Vat. lat. 3225) 77 Vénance Fortunat 40 Venise 83, 242, 243, 581 Saint-Marc 242, 254, 257, 260, 315, 322, 327, 328, 475, 476, 479, 481, 484, 485, 486, 554 Vera Cruz de Maderuelo 235 Vérone Biblioteca Capitolare, Orationale 42, 48 Vic 149, 158, 185, 459, 463, 489

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Arxiu episcopal 453, 494 Bibliothèque 117, 119, 162 cathédrale romane 135 dévant d’autel de Puigbò (MEV 9) 558 diocèse/évêché 22, 64, 162, 453 fol 9 (MEV 255) 115 Historia tripartita (MEV 166) 115 Moralia in Job (MEV 26) 162 Museu Episcopal de Vic (MEV) 105, 318, 487, 558 retable de saint André de Gurb (MEV) 318 scriptorium 113 Tropaires (MEV ms. 105 et 106) 563 Vicq 270, 272 Vilada 495 Sainte-Marie 496 Vienne 562 Aratea (Österreichische Nationalbibliothek, cod. 387) 577 Dioscurides (Österreichische Na-

tionalbibliothek, cod. med. gr. 1) 254, 378, 412 Évangiles du Couronnement (Kunsthistorisches Museum, Weltliche Schatzkammer, ms. s/n) 142 Genèse (Österreichische Nationalbibliothek, ms. Théol. gr. 31) 479, 480, 485 Vilagrassa 254 Vincent, évêque d’Ègara 162 Vouneil-sous-Biard, Poitiers 92 Wearmouth 84, 85, 569 Winchester 86, 87 New Minster 87, 137 Windsor Codex Farfensis (Eton College 124) 441, 443, 444 Worms, diète 330 Zebet (Syrie) 254 Zurich Peintures murales de Müstair (Schweizerischen Landesmuseum)126, 139, 329- 336, 372

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