Histoire de l'Internationale Communiste (1919-1943)

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Pierre Broué

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L’INTERNATIONALE COMMUNISTE 1919-1943

Fayard

Documents de couverture : l re page : affiche, Longue Vie à la Troisième Internationale, in Histoire des Soviets, publiée par H. de Weindel vers 1923-1924. 4epage ; projet de monument à la Troisième Internationale de Vladimir Tatiine, vers 1920. Droits réservés. © Librairie Arthème Fayard, Paris, 1997.

Avertissement

J ’aurais pu écrire Komintem, ou Internationale communiste, ou IIIe (3e, troisième) Internationale. Pourquoi ai-je écrit Comintern dans le cours de l’ouvrage ? L'abréviation, l’acronyme usuel en russe pour Kommounistitcheskii Intematsional, c’était, en cyrillique, Komintem. Les militants étrangers l’ont adopté mais aussi adapté. Dans les langues où la première lettre de « communiste » était un K, ils ont normalement gardé le K. Dans les autres, en français, espagnol ou anglais, ils ont normalement gardé le C. Boris Souvarine l’expliquait très bien. Et puis sont venus les journalistes qui cherchent la sensation, de prétendus historiens qui veulent exclure et condamner. Le K, pour eux, c’était une aubaine, parce que, en français, ça sonne étranger. Se souvient-on de ceux qui parlaient de CGT.K au temps de la guerre froide ? Ce sont les mêmes. En outre, l’Internationale, en français, est féminin. Pourquoi le Komintem, brutalement masculin ? Internationale est masculin en russe, nous dit-on ; mais parti est féminin en allemand, et l’on ne dit pas la parti communiste. Internationale est féminin en français. Masculiniser, là aussi, c’est une dénaturation, une manipulation par les sons. L ’acronyme de la Communiste Internationale, c’est la Comintern. C’est tout. Petite lubie de maniaque, dira-t-on ? Utile, impérieuse restauration pour l’historien. Pour défor­ mer l’histoire, tous les moyens sont bons aux mains de certains, même les tout mesquins d’apparence mineure. Il faut riposter à tous. Merci, ami lecteur, d’accepter la Comintern. C’est mieux, bien moins brutal. Et c’est beaucoup plus près de la vérité historique. P.B.

Présentation

L ’Internationale communiste (Comintern) a existé de 1919 à 1943, vingt-quatre ans, soit la durée d’une jeune vie, gonflée d’ambition et d’espoir, puis atteinte d’une incurable maladie, sèchement tranchée par décision administrative. Son histoire a été à la fois longue et précipitée, chargée d’autant de déceptions que d’espérances, de plus de drames que de fêtes. Elle est difficile à retracer. D’abord parce qu’on ne peut faire son histoire « en soi ». Née de la Révolution russe, elle a épousé l’histoire du Parti communiste russe bolchevique, dont elle a dépendu idéologiquement, politiquement, matériellement aussi. Ensuite parce que son développe­ ment et son action couvrent pratiquement tous les pays du monde, ce qui fait de son histoire une entreprise, sinon démesurée, du moins malaisément mesurable. L ’ouverture partielle des archives de Moscou a bien entendu ouvert aussi des possibilités aux historiens, mais a fait apparaître autant de difficultés nouvelles, du fait de l’abondance des matériaux, de la durée de la consultation - sans parler des frais élevés de voyage, séjour, reproduction des documents. Pourquoi, dans ces conditions, avoir tenté l’aventure d’écrire ce livre avec la certitude de ne pouvoir connaître qu’une partie des documents accessibles et de devoir renoncer à attendre ceux, plus importants, qui le deviendront unjour mais sont encore inconsultables ? Non seulement parce que les archives de Moscou ne sont qu’une partie des archives, lesquelles d’ailleurs ne peuvent faire l’histoire à elles seules contrairement à ce qu’affir­ ment certains charlatans et sorciers modernes, mais parce que l’histoire de l’Internationale communiste est un enjeu actuel. Un enjeu culturel, historique, politique, de première importance et probablement exemplaire à l ’époque de la « pensée unique » et du « poli­ tiquement correct ». La chute du mur de Berlin, l’éclatement de l’URSS, l’ouverture partielle des archives de Moscou ont bouleversé au passage le champ de la recherche historique sur le com­ munisme, l’Internationale, la Russie soviétique. Par un phénomène curieux - mais loin d’être inexpliquable au temps de la Russie d’Eltsine - et pour des raisons qui ne sont pas simplement financières, des équipes entières de chercheurs, mais aussi des historiens isolés ont impulsé un mouvement marqué de régression intellectuelle. On a ramené cette

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H isto ire

d e i / in t br n a t io n a ie co m m un iste

histoire-là au niveau de celle des plus médiocres parmi les historiens staliniens ou amé­ ricains du temps de la Guerre Froide. Échappant aux règles qui régissent toute l’histoire humaine, le communisme n’est plus, aux yeux de certains, dans un monde manichéen, que l’essence d’un Mal majeur, une essence qui peut revêtir des formes diverses mais qui ne s’altère jamais dans sa nature essentielle de Mat. Le bolchevisme, selon eux, surgit donc d’une conspiration, sans relation avec la guerre mondiale, la boucherie des tranchées, la crise économique, la décomposition de l’État. Sa nature même, et en particulier le caractère « utopique » des objectifs qü’il s’est fixés, le condamne à utiliser la terreur et à se préoccuper avant tout de la construction d’un Etat bureaucratique, centralisé et terroriste par nature. 11 n’y a plus dès lors dans l’histoire de son développement qu’un enchaînement mécanique déterminé avec rigueur par le caractère utopique du choix initial. Le résultat est évidemment qu’il ne peut y avoir d’histoire du communisme et de ses institutions, mais seulement l’enregistrement d’un développement écrit à l’avance, un développement mécanique de ses virtualités uniques. Ainsi Staline succède-t-il à Lénine parce que le léninisme contenait déjà le stalinisme, et tout est toujours prévisible à qui détient la clé unique de la connaissance. Ces anticommunistes, souvent anciens staliniens - la regrettée Annie Kriegel en ayant été l’exemple type ~ ou, pour les plus jeunes, anciens maoïstes, font de l’histoire du communisme un grand jeu de Meccano, construisant son développement sur le modèle du catalogue titré « Sens de l’Histoire », conformément à la caricature stalinienne de la pensée marxiste. Staliniens retournés, ils exposent et pra­ tiquent dans leur travail historique le même stalinisme inversé qui est leur système de pensée. L ’intérêt de connaître le communisme, dans une telle conception, ne relève ni de la curiosité historique ni de la recherche scientifique, mais seulement de la possibilité de découvrir des armes idéologico-politiques mieux affûtées pour combattre le Mal et défen­ dre ce que certains continuent à considérer sans la moindre ironie comme un monde « libre ». On peut évidemment ne pas être d’accord;4penser que le communisme est né de la société de classes, de la pensée et de l’action d’hommes et de femmes, de leur organisation en une force matérielle pour la création d’une société « sans classes », égalitaire. On peut estimer que le stalinisme a pris appui sur la cristallisation de couches sociales privilégiées liées à l’appareil du pouvoir. C’est mon cas. / Le stalinisme dérive bien du communisme, dont il était l’un des multiples futurs possibles. Mais il en dérive comme une variante, un produit de la résistance interne et externe du vieux monde, ce que Trotsky appela « dégénérescence » pour marquer la différence entre les objectifs des pionniers et le résultat du travail des « épigones » de Lénine. Il est permis de penser que le prétendu « monde libre » n’est pas le fin du fin pour l’humanité, ni la fin de l’histoire, comme le suggèrent des penseurs de la même école. On doit savoir aussi que les révolutions coûtent souvent beaucoup moins cher en vies humaines que les guerres modernes qui les provoquent, et enfin que les prétendues utopies sont parfois moins coûteuses que le conservatisme borné, avec ses corollaires inévitables : réaction, régression et répression. L ’étude de l’histoire a d’ailleurs suggéré jusqu’à présent que les révolutionnaires ne « font » pas exactement les révolutions. Les révolutions se font, c’est-à-dire sont faites par des millions d’hommes, et c’est leur victoire ou leur défaite qui est tranchée par des organisations, des groupes - état-majors et troupes d’assaut ~ de la révolution ou de la contre-révolution. Elle suggère en outre que les révolutions sont les plus grands moments de création dans tous les domaines.

P résentation

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Enfin, n’est-il pas légitime de souhaiter comprendre le monde dans lequel on vit ? Comment le pourrait-on sans appréhender dans sa complexité le grand mouvement qui flamba à la suite de la révolution d’octobre 1917 et où s’inscrivent la formation et le développement de rintemationale communiste ? On a utilisé ici d’abord les documents publics, innombrables, de l’Internationale com­ muniste elle-même, et, autant que possible, sa presse, qu’on est loin d’avoir, on s’en doute, entièrement dépouillée. Dans les archives soviétiques, la recherche a porté sur des moments cruciaux ou sur des épisodes obscurs des moments importants. On n’a pas étudié parallèlement et au même rythme l’ensemble des sections. Le regard du chercheur a accompagné le mouvement général de l’attention de l’Internationale, dont le centre de gravité s’est situé le plus souvent en Allemagne, parfois brièvement en Italie et en Chine, mais aussi en Espagne, et qui, par ailleurs, ne quitta jamais vraiment l’Union soviétique. On a tenté de résumer ce qui n’était pas au cœur. Le lecteur ne tiendra pas rigueur à l’auteur d’avoir été concis sur les points d’histoire de l’URSS qu’il devait nécessairement aborder et qu’il a largement traités dans ses ouvrages précédents. H ne s’irritera pas non plus des emprunts faits à ses propres ouvrages touchant d’une façon ou d’une autre le sujet de ce livre. L ’histoire qu’on trouvera ici est avant tout, délibérément, une histoire politique. Bien d’autres volumes auraient été nécessaires pour une histoire institutionnelle de l’Interna­ tionale, de ses organisations auxiliaires et bien entendu de ses sections nationales, ses partis. D’excellents chercheurs sont au travail sur ces thèmes, et s’annonce, dans l’histoire sociale, la floraison de milliers de « camemberts ». Aucun travail historique ne peut être tenu pour définitif. L ’auteur de celui-ci n’a pas une telle prétention, pour des raisons tant générales que particulières. Mais il espère que sa parution marquera un coup d’arrêt dans la dérive de la recherche historique sur le communisme, et que, jusque dans la critique de son travail, elle donnera le signal d’un nouveau départ. Il souhaite, autrement dit, qu’elle aide à quitter définitivement les étendues stériles du dogmatisme et du doctrinarisme contre-communistes - du stalinisme retourné -, et qu’en incitant les historiens du communisme à revenir durablement au travail historique elle permette de rendre à l’histoire son véritable rôle, qui est d’aider les lecteurs à comprendre le monde où ils vivent et, utopie peut-être, mais combien généreuse, de les aider ainsi à le maîtriser. P.B.

Grenoble, Saini-Martin-d’Hères, Madrid, Barcelone, Salamanque, Paris, Cambridge (Ma), Stanford, Berkeley; Moscou, Kharkov, Francfort-sur-le-Main, Chicago, Montréal, Ottawa, Rimouski, Youngstown, Cologne, Sâo-Paulo, Salvador, 19914996.

I

PREMIÈRE PARTIE

La montée 1917-1923

F

La IIIe Internationale, îa Comintern, est née de la IIe Internationale, l’Internationale socialiste, c’est vrai. Mais elle est née au fond du gouffre, de la Première Guerre mondiale et des indicibles souffrances qu’elle a apportées à l’humanité, fauchant la vie de millions d’hommes - certains historiens contemporains l’oublient très volontiers. Leur lutte pour la paix, leur combat acharné contre la guerre ~ cette guerre monstrueuse qu’on fait mine d’ignorer - ont légitimé les bolcheviks de Lénine et donné à la révolution d’Octobre un éclat et un attrait incomparables. C’est ce combat qui constitue la préhistoire de l1Inter­ nationale communiste. Puis la révolution russe a construit le socle sur lequel elle s’est dressée. Elle n’a pas grandi sans peine. Les jeunes hommes qui combattaient à son avant-garde avaient appris la vie à la pointe des baïonnettes et croyaient que la victoire revient à celui qui tire le premier. H y a dans les années d’après guerre bien des morts inutiles - et irremplaçables. Ce sont des années d’apprentissage et d’échecs. Les Russes sont les maîtres d’école, toujours respectés, pas toujours écoutés. Lénine, Trotsky, doivent ruser contre les tenants de la « théorie de l’offensive », essayer, mais en vain, de conserver Paul Levi dans le parti allemand, de trouver un terrain d’entente à Prague avec Smeral, de calmer partout l’impatience gauchiste. Ils doivent lutter pied à pied pour que l’Interna­ tionale tire les leçons de ses premiers pas, adopte la politique du front unique ouvrier et le mot d’ordre de gouvernement ouvrier. îî y a enfin des partis communistes de masse. On découvre cependant que îa victoire révolutionnaire n’est plus une question de jours ou de mois, mais d’années, de décennies peut-être. L ’Internationale est une internationale de l’action, mais aussi de la confrontation. Et c’est dans la contradiction ouverte, passionnée, qu’elle prépare, toutes tendances confon­ dues, l’insurrection en Allemagne, celle qui était prévue et préparée en 1923. Mais la victoire n’est pas au rendez-vous, Lénine meurt, Trotsky est écarté. Est-ce la même histoire, celle qui continue ?

CHAPITRE PREMIER

Quand ils ont vu détruit l’ouvrage de leur vie... Cet été 1914, dont un chef-d’œuvre aujourd’hui très injustement oublié de la littérature française, L ’Été 1914, de Roger Martin du Gard, avait si fortement montré Vempreinte sur le début de ce siècle, est une date sinistre dans l’histoire de l’humanité. Elle marque en effet le début de la Première Guerre mondiale, d’indicibles souffrances portant de rudes coups à l’espoir d’un avenir pacifique. Le

d r a m e d es s o c ia l ist es

Date effroyable pour les socialistes en particulier. Qu’on parle de « trahison » ou de «faillite », leur drame est là : l’Internationale des travailleurs, l’Internationale des socia­ listes, qu’ils avaient construite pour transformer le monde, empêcher la guerre, préparer un avenir fraternel et pacifique, a disparu en tant que force de changement social et de paix. Elle n’est plus qu’une coquille vide, une simple étiquette. Tous les partis socialistes des pays belligérants sauf deux - le serbe et le russe ~ se sont ralliés au drapeau de l’union nationale brandi par la classe dirigeante : les socialistes y sont devenus va-t-en-guerre. Dans les pays neutres, ils ne valent guère mieux, et le renégat Mussolini en est l’exemple le plus connu. Jean Jaurès, le grand tribun français, dont la voix de tonnerre semblait à elle seule capable de faire reculer la guerre, est mort sous les balles d’un misérable dopé de drogue patriotique. Tous les jours au front tombent des socialistes, irremplaçables dans la tâche qu’ils s’étaient fixée. Dans plus d’un pays, leurs camarades emplissent les prisons ou partent pour un lointain exil. Pour toutes ces femmes et pour tous ces hommes, l’ouvrage de leur vie vient d’être détruit. Une petite partie d’entre eux, sans un mot de plainte, entreprennent de le rebâtir. L ’I n t er n a t io n a le

po u r t em ps d e p a ix

Nous n’allons pas reprendre ici de vieilles polémiques. D’aucuns, parmi les historiens, tiennent beaucoup à démontrer le patriotisme des « masses ». Ils en nient les aspirations, voire l’existence, quand ces aspirations sont sociales, mais ils les découvrent avec une

La

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m o n tée

stupeurjoyeuse quand ils pensent qu’elles sont devenues « patriotes », à partir du moment où toute opinion opposée se trouvait interdite. Laissons-les à leur service auto-commandé. Nous parlons ici de la poignée de socialistes qui ont subi mais pas abandonné, baissé la tête mais pas renié. Ii y en a plus qu’on ne le croit. On les découvre encore aujourd’hui à travers les correspondances avec leurs familles, dans des souvenirs inédits, voire dans des carnets oubliés, des dossiers d’archives négligés. Nous nous intéresserons ici à ceux qu’on appelait alors et pour trois quarts de siècle les « militants », femmes et hommes qui avaient décidé de consacrer leur vie au mouve­ ment socialiste et révolutionnaire, sans aucune distinction entre les deux adjectifs, car les socialistes étaient des révolutionnaires, et l’objectif de la révolution attendue et préparée* le socialisme. Sur le papier, il y a toujours une Internationale, et même un Bureau socialiste inter­ national que dirige le Belge Huysmans. Mais la tragédie est qu’il n’y a plus de contacts entre partis socialistes de pays en guerre les uns contre les autres, et que ceux-ci l’accep­ tent, qu’ils s’y résignent ou qu’ils le revendiquent. Plus d’un socialiste a remâché son aigreur en s’entendant assurer que les contacts reprendraient après la guerre et qu’on rectifierait alors. C’est que les révolutionnaires ont beau jeu de se gausser de l’idée sous-jacente à cette résignation : il n’y aurait en somme d’internationale possible qu’en temps de paix ? Toute Internationale de temps de guerre serait impossible ? Ceux qui soutiennent une telle position ne sont pas considérés comme de bonne foi par leurs adversaires. Pour ces derniers, guerre ou paix, et guerre plus encore que paix, il faut une Internationale. C o m m en t

r e b â t ir ?

A partir de cette proposition générale, les nuances varient à l’infini, au point même que les frontières des groupes partisans de solutions différentes deviennent floues. Ceux qui veulent demeurer dans la « vieille maison » invoquent le fait qu’elle est la propriété de la classe ouvrière tout entière, que celle-ci ne l’abandonnera pas facilement, ou que, si elle s’en éloigne, elle y sera ramenée par le temps et par la force des choses. Alors, on pourra îa transformer. D’autres considèrent que cette vieille maison est bien un champ de bataille et que c’est sur ce terrain qu’il faut gagner les masses. Pas question d’illusions, donc, mais pas question non plus d’abandonner le drapeau à ceux qui l’ont sali. Il faut reconquérir l’Internationale de l’intérieur et rompre avec son passé de vilenie : la proclamer « autre » ou en fonder une nouvelle. Beaucoup, parmi les militants des grands partis - c’est sensible surtout dans la socialdémocratie allemande -, ont peur de se couper des masses en s’éloignant du parti, redou­ tent de se trouver à la tête d’un groupuscule ou d’une secte, loin du mouvement réel de la classe et de la masse profonde des travailleurs. Parfois, la force des choses va conduire ces hommes à faire des mouvements emboîtés les uns dans les autres comme des poupées russes. Et puis il y a ceux qui n’ont pas peur de devenir une secte ou un petit groupe, car déjà ils le sont. Il y a enfin ceux qui appartiennent à une organisation indépendante, et qui n’hésitent donc pas non plus.

Q uand

M ilit a n t s

ils ont v u d ét ru it i / o uv ra g e d e l e u r v ie ...

et g r o u pes a llem a n d s

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A tout seigneur, tout honneur. Le Parti social-démocrate allemand a été le modèle d’organisation et la matrice des débats idéologiques à l’intérieur de l’Internationale. Le Russe Trotsky écrivait en 1914 : « Nous sommes unis par de nombreux liens avec la social-démocratie allemande. Nous sommes tous passés par l’école socialiste allemande et avons appris les leçons de ses succès comme de ses échecs. La social-démocratie allemande était pour nous non seulement un parti de l’Internationale. Elle était le Parti par excellence2. » L ’effondrement moral face au patriotisme de l’été 1914 a été le coup le plus dur. Mais la résistance est grande. Depuis quelques années, les « gauches » du SPD ont commencé à s’organiser pour lutter contre l’opportunisme et contre l’appui que lui apporte celui qui a été jusque-là leur théoricien, Karl Kautsky. Pourtant, ils n’ont rien fait dans le domaine de l’organisation pour se préparer à la situation qu’ils ont à affronter. Leurs premiers tracts contre la guerre seront des lettres manuscrites expédiées aux adresses tirées du fichier des femmes socialistes : l’appareil a confisqué la liberté d’expression du parti3. Deux grands noms parmi ces « résistants » symbolisent le passé antimilitariste et révo­ lutionnaire, ceux de Karl Liebknecht et de Franz Mehring. Le premier a quarante-trois ans. Il est le fils d’un des fondateurs du parti, Wilhelm Liebknecht. Mais il n’a jamais été un homme du sérail, et les gens de l’appareil n’ont aucune considération pour lui. Avocat, défenseur des pauvres, des émigrés de l’Est, surtout les Russes, et des simples soldats, il a été le populaire animateur des Jeunesses, l’auteur d’un fameux rapport sur Militarisme et antimilitarisme à leur 1er congrès, en 1906, qui lui a valu une condamnation à dix-huit mois de prison. C’est un tribun au grand cœur, un combattant, un agitateur, un symbole, mais pas une tête politique. Franz Mehring, lui, est de la génération des pères fondateurs. H a soixante-six ans. Cet intellectuel distingué, vaillant combattant de la démocratie venu au socialisme à l’heure de sa persécution, lui reste fidèle à l’heure des reniements. Critique et historien, il est celui de la social-démocratie allemande. Il a été après 1910 le « rassembleur » des gau­ ches ; il ne saurait plus en être le dirigeant, voire seulement l’animateur. En fait, c’est de l’Europe de l’Est que sont venus au début du siècle militants et idées révolutionnaires qui ont tant animé les débats internes. La Polonaise Rosa Luxemburg, quarante-trois ans, qui dirige aussi de loin un parti social-démocrate polonais, le SDKPiL, a été le chef de file le plus percutant de la gauche dans le débat contre les révisionnistes. Elle met en cause l’opportunisme des dirigeants, leur conservatisme et celui des chefs syndicalistes, et leur politique inavouée, le nationalisme rampant, l’adaptation à l’impé­ rialisme allemand. C’est un cerveau puissant, une théoricienne de premier ordre, respectée et souvent haïe, écrivain et journaliste de talent, oratrice et agitatrice passionnée. Revenue en Pologne en 1905 pour participer à la révolution, elle a passé de longs mois en prison. C’est une vraie tête politique, celle de la gauche en Allemagne. Elle suscite beaucoup de respect mais aussi des haines féroces, comme femme, comme Juive, comme étrangère, comme révolutionnaire. Son initiateur et longtemps compagnon dans la vie, le Polonais Léo Jogiches (Tyszka), est, lui, beaucoup moins connu. A quarante-quatre ans, il est un expert de l’activité 1. Nous citons au fur et à mesure les ouvrages qui nous paraissent essentiels. 2. « La Guerre et l’Internationale », dans La Guerre et la révolution, p. 62. 3. Nous avons utilisé essentiellement pour J’avant-guerre ie livre de Schorske, Gernan Social-democracy 19051917.

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La

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clandestine, un homme de l’ombre terriblement efficace qui, à la suite de leur rupture personnelle, a décidé de lui servir de bras pour les questions matérielles et d’organisation, dans lesquelles il excelle, avec des talents qui le font redouter. Fait important, Rosa et Jogiches sont les seuls qui, dans le j .uti allemand, ont une authentique expérience de la révolution, de la clandestinité, de la prison. Tous deux ont joué un rôle important en Pologne au cours de la révolution russe de 1905, au cours de laquelle ils ont été traqués, arrêtés et longuement emprisonnés4. / Derrière eux, il y a nombre de cadres solides parmi les anciens : citons seulement l’animatrice des Femmes socialistes, Clara Zetkin, cinquante-sept ans, très connue dans l’Internationale, amie personnelle de Rosa. Il y a aussi des centaines dejeunes intellectuels et surtout d’ouvriers socialistes, à l’usine ou à l’armée, qui ne renoncent pas. Nombre de cadres ont été les élèves de Rosa Luxemburg à l’école du parti. Ainsi Paul Frolich, et August Thalheimer, trente ans tous deux, devenus journalistes et résolument « de gauche ». Les ouvriers de talent ne manquent pas, le maçon Heinrich Brandler, trente-trois ans, les métallos Fritz Heckert, trente ans, Jakob Walcher, vingt-sept ans, l’ouvrier en chaussures W illi Münzenberg, vingt-quatre ans, et, malgré la trahison de beaucoup de jeunes intellectuels, d’autres qui passent au premier plan justement en ces moments décisifs : ainsi Paul Levi, trente et un ans, avocat de Rosa et son compagnon dans les mois qui précèdent la guerre. Citons à part, car il est véritablement un homme à part, un Galicien qui a milité d’abord dans le parti polonais de Rosa Luxemburg. Il s’agit de Karol Sobelsohn, devenujournaliste en Allemagne, où il s’est installé en 1908. Un franc-tireur que Rosa Luxemburg exècre, qui sera connu sous le pseudonyme de Karl Radek, vingt-neuf ans, visage simiesque et plume au vitriol, souvent accusé de déloyauté et même d’indélicatesse. Isolé, exclu du parti allemand, il se réfugie en Suisse, se lie avec Lénine et l’aide à constituer une fraction internationale, puis se heurte à lui sur îa question de l’autodétermination nationale5. D ’ao ût

1914 a u x

p r e m ie r s m o u v em en t s d e m a sse

C’est Rosa qui est le moteur de la résistance à la guerre. Elle sous-estime la tâche aux premières heures avant d’en réaliser l’ampleur, sans l’aide du moindre appareil, face à la double répression du Parti social-démocrate et de l’État. Bientôt, pourtant, des militants ouvriers, avec des moyens artisanaux mais un moral inébranlable, apportent leur aide. Rosa va publier les premières Lettres de Spartacus autour desquelles, dans une organi­ sation étroitement contrôlée par Jogiches, se rassemblent les forces résolues à combattre la guerre. Karl Liebknecht, à la réunion du groupe des députés, a combattu pour le vote contre les crédits de guerre, mais il s’est incliné devant la « discipline ». Dûment chapitré par Rosa, copieusement engueulé par les métallos de Stuttgart, il s’aligne ensuite sur ses camarades de gauche. Son vote contre les crédits de guerre en décembre 1914, sa formule « L ’ennemi principal est dans notre pays », son arrestation enfin, le 1er mai 1916, alors qu’il manifeste dans son uniforme de territorial au cœur de Berlin en distribuant des tracts contre la guerre, en font un héros international6. En 1916, iis sont tous deux en prison. Mais, pour des milliers de travailleurs, et même des soldats français dans les tranchées, ils sont un drapeau de la révolution, les meilleurs 4. Parmi les biographies de Rosa Luxemburg, celles de P. Frôlich, J.-P. Nettl et G. Badia sont les plus complètes. 5. Nous avons utilisé pour cette présentation essentiellement P. Broué, Révolution en Allemagne 1918-1923. 6. Élie Reynier, qui fut mon maître à penser, m’a raconté que c’était, pas très loin du front, uneboulangère française qui lui avait appris la manifestation berlinoise de Liebknechi, qu’elle tenait elle-même d’un prisonnier allemand.

Q uand

ils on t v u dét ru it

L’ o uv ra g e

d e l e u r v i e ..

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disciples de la vieille école socialiste, ceux qui n’ont pas renié ses enseignements. Le groupe qu’ils ont fondé, privé de nombreux militants, tués au combat ou condamnés à la prison, continue une précaire activité clandestine. D’abord appelé groupe Internationale, il est devenu groupe Spartakus. En mai 1916, le groupe clandestin des ouvriers socialdémocrates des grandes usines de Berlin, les Délégués révolutionnaires (Revolutionàre Obleuîe), qui sont en train de devenir une véritable direction révolutionnaire des travail­ leurs berlinois, organise une grèvejle protestation de 55 000 métallos en solidarité avec Liebknecht, qui passe en jugement7. L e s R u sses

Plekhanov s’étant rallié à l’union sacrée avec le tsarisme contre le militarisme allemand, les social-démocrates russes hostiles à la guerre, les révolutionnaires qui dénoncent la faillite de l’Internationale n’ont personne qui possède le prestige d’une Rosa Luxemburg ou d’un Karl Liebknecht. Mais ils disposent pourtant d’un atout considérable. Ils ont un parti, ce que les amis de Rosa n’ont pas ~ et c’était précisément cette dernière qui disait alors en toute conviction qu’il valait mieux le pire des partis que pas de parti du tout. C’est récemment que la scission a été consommée définitivement au sein du Parti ouvrier social-démocrate russe (POSDR), mais Lénine et sa « fraction » bolchevique ont conservé la majorité, donc le titre et la légitimité de parti historique des travailleurs et des socialistes russes. Les Russes sont certes méconnus dans les rangs des partis européens de l’Internationale, mais ils sont connus, même s’ils ne sont pas aimés, dans ses congrès et leurs états-majors. On leur reproche bien sûr leur radicalisme, voire un certain aventurisme. En réalité, ce sont des conspirateurs, des révolutionnaires trempés dans l’activité clandestine, qui ont connu îa prison, le bagne, l'exil pendant des années, et aussi les spectaculaires évasions, la fuite à l’étranger, l’aide et la solidarité internationales. Dans le reste du monde, on connaît un peu Lénine (Vladimir Ilyitch Oulianov), quarante-quatre ans, qui a fondé à l’étranger VIskra, ce journal autour duquel se sont organisés dans l’Empire russe les groupes clandestins d’ouvriers social-démocrates et de révolutionnaires professionnels. H a été le dirigeant de la scission d’avec les mencheviks en tant que chef incontesté de la fraction bolchevique (majoritaire). C’est un véritable Européen, qui a séjourné en Pologne, en Allemagne, en France, en Suisse, où il va vivre pendant la guerre. Il a ferraillé dans les congrès internationaux contre l’opportunisme et les « intrigues », sur la question des « expropriations » et des finances. Il est en Suisse quand la guerre éclate, et, sur le coup, refuse de croire à la « trahison » des socialdémocrates allemands. C’est un excellent débatteur, plus pédagogue que tribun, et un polémiste redoutable à la plume acérée, De son entourage, on connaît surtout son principal lieutenant en émigration, Radomylsky, dit Zinoviev, trente et un ans, qu’on appelle Gricha et qui a fort mauvaise réputation car c’est à lui qu’il confie les basses besognes : on ne sait pas qu’il est un orateur au souffle inépuisable, car il n’a pas encore trouvé d’auditoire à sa mesure. L ’homme de confiance de Lénine, c’est Alexandre, le métallo Chliapnikov, dit Bélénine, trente ans. D a vécu en Europe occidentale de 1908 à 1914, parle bien français, un peu allemand et anglais. Au début de 1914, il revient à Saint-Pétersbourg, avec un faux passeport français, travaille en usine et retourne à Stockholm en septembre pour organiser le transport en Russie, par la Suède, des lettres, des hommes et de la « littérature ». Il se 7. P. Broué, Révolution en Allemagne, p. 78-79.

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met aussitôt au travail, après avoir pris contact avec les hommes qui ont déjà aidé dans ces tâches après une rencontre avec Lénine en 1910, les socialistes Zett Hôglund et Strôm : dès novembre, le courrier circule et le Sotsial-demokrai est expédié dans des lots de bottes. Lénine a donc repris contact avec son parti. Lors des premières condamnations de dirigeants bolcheviques, Chliapnikov envoie à Petrograd un dirigeant socialiste suédois, Gustav Môller, en « homme d’affaires ». Luimême séjourne d’avril à août à Londres, travaillant à l’usine Fiat, et réussit à se procurer le matériel pour faire de faux papiers et de l’argent pour son travail. A son retour, il repart presque aussitôt pour la Russie, sa mission étant d’établir une solide «route du Nord» et un bureau du parti dans îa capitale. II réussit à atteindre Petrograd, îa dernière partie de son voyage étant assurée par des militants finlandais. Malgré îa résistance du bureau du parti de Petrograd, et grâce aux contributions financières du grand écrivain Maksim Gorky, il crée le « bureau du CC », comme Lénine le lui a demandé, et, après quatre mois, repart en février 1916, ayant vérifié que tout fonctionne. A son retour il découvre une dangereuse affaire. Un ancien militant devenu nationaliste estonien, Alexander Kesktilla, a profité de sa place dans le réseau pour « informer » les Allemands et les pousser à « utiliser » Lénine et les bolcheviks. La police suédoise est sur les dents, Boukharine va être expulsé, les militants suédois sont arrêtés et condamnés. Réfugié à Oslo, Chliapnikov doit aller se procurer de l’argent jusqu’aux États-Unis et reste hors d’Europe de juin à octobre 1916, date de son retour à Petrograd. Il va refonder un « bureau du CC », qui est encore en place quand éclate la révolution. Son rôle, pendant ces trois années, a été capital8. Les noms de Kamenev, trente et un ans, intellectuel cultivé et discret, député à la Douma qui a refusé de se reconnaître « défaitiste » devant le tribunal en 1915, et de Malinovsky, trente-huit ans, métallo à la grande gueule - en réalité agent provocateur de la police tsariste, l’Olchrana -, leaders des bolcheviks à îa Douma, ne sont connus que de rares initiés. La masse des cadres, révolutionnaires professionnels, ouvriers d’usine, intel­ lectuels, est totalement inconnue en Occident, et sans doute dirigeants et militants n’imaginent-ils même pas ce que peut être cette puissante avant-garde rompue au travail clandestin, enthousiaste et disciplinée. A l’extérieur du Parti bolchevique, mais se rapprochant de plus en plus de lui, après sa rupture de 1906 avec la fraction menchevique, il y a Trotsky, Lev Davydovitch Bronstein, trente-trois ans, le seul homme de cette génération de révolutionnaires à avoir joué, encore trèsjeune, un rôle prééminent dans une révolution puisqu’il fut en 1905, à vingt-six ans, président du soviet de Saint-Pétersbourg. Il s’est fait une réputation mondiale par sa retentissante défense, accusatrice du régime tsariste, lors de son procès. Journaliste, sil­ lonnant l’Europe avant la guerre, Trotsky est bien connu dans tous les partis socialistes. A l’été 1914, il a réussi à s’installer à Paris, où il est correspondant de guerre d’unjournal d’Ukraine. Bientôt, il édite dans la capitale française une feuille internationaliste quoti­ dienne légale qui change souvent de nom à cause de la répression : le plus illustre fut Naché Slovo (Notre Parole). Mais en 1916 îa police française l’expulse. D’Espagne, où il fait de la prison, il gagne les États-Unis et occupe très vite une place importante au sein du parti socialiste américain. Il y retrouve le tout jeune bolchevik Nikolaï Boukharine, venu de Suède, qui s’est opposé à Lénine sur la question de l’autodétermination nationale. Boukharine et Trotsky sont en désaccord sur les rythmes de la scission et de la construction de nouvelles 8.

Les développements ci-dessus ont été reconstruits à partir du livre de M. Futtreîl, Northern Underground, et

d’A. Chliapnikov, On the Eve of 1917.

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organisations, que Boukharine désire commencer immédiatement. Mais la révolution russe éclate avant la révolution américaine. Trotsky, suivi à la trace par un agent secret britan­ nique qui parvient à le faire débarquer eüntemer au Canada, ne rejoint pas sans mal la Russie en révolution. A son arrivée, il y découvre l’existence d’une véritable organisation de 150 membres environ, qu’il a contribué à créer avant la guerre et qui se réclame de lui, 1*« organisation interrayons ». Très vite, avec elle, il rejoint Lénine et le Parti bolche­ vique9. Deu x

h o m m es a part

Dans le camp des adversaires de la guerre grandit le rôle d’un homme exceptionnel par sa personnalité et qui n’entre dans aucune catégorie. Khristian Rakovsky (ou Christian Racovski) a quarante et un ans en 1914. Il est né bulgare, mais, en 1914, il est de nationalité roumaine et chef du parti socialiste de ce pays. Il a milité déjà en Suisse, où il a été l’organisateur d’un congrès international d’étudiants, en France, en Allemagne, en Russie. Il a hérité d’une grosse fortune qui lui permet de vivre et de financer les activités et les journaux socialistes. Il a financé Ylskm. Il finance son propre parti, mais aussi le journal de Trotsky à Paris. En tant que citoyen d’un pays neutre de 1914 à 1916, il a des facilités de communications et de déplacements. 11ne dispose pas d’un appareil à proprement parler, mais d’un réseau extrêmement riche et varié. 11jouit aussi d’un énorme prestige personnel dans les rangs socialistes, et c’est là sans doute qu’il faut chercher l’origine des calomnies qui vont le traquer pendant toute la guerre, tendant à faire de lui un agent de l’Autriche, puis de l’Allemagne, de 1*« étranger» en tout cas, comme il sied à tout homme que l’on veut désigner au bras des assassins. Cet internationaliste vraiment international est depuis plusieurs années membre du Bureau socialiste international (BSI) de la IIe Internationale, anime les partis socialdémocrates des Balkans, dont il a réussi à constituer la fédération. Ami personnel de ÎYotsky, il est une figure légendaire parce que c’est lui qui a fait connaître au monde l’épopée et l’odyssée des marins du Potemkine, dont il a été l’efficace protecteur en 1905. Il a entraîné le parti roumain et les autres partis des pays balkaniques dans l’opposition à la guerre. Surtout, réussissant pendant la guerre à entrer en contact avec Lénine comme avec Trotsky, avec Paul Levi aussi, le représentant de Spartakus, il a été l’inspirateur et dans une large mesure l’organisateur des conférences socialistes internationales et de la naissance du mouvement antiguetTe qu’on appellera « zimmerwaldien ». Adversaire de l’entrée de la Roumanie dans la guerre, cible de plusieurs attentats, il est littéralement kidnappé par la police roumaine et disparaît en prison en septembre 1916. Il a déjà cristallisé sur sa personne bien des espérances. Comme celui de Trotsky, son nom est connu des socialistes du monde entier. Il joue un rôle important dans la préhistoire de notre sujet10. L ’Écossais John Maclean, le très populaire Johnny, trente-cinq ans en 1914, enseignant, socialiste antiguerre, partisan du défaitisme révolutionnaire, fondateur du Collège ouvrier d’Écosse à Glasgow, est l’autorité reconnue dans la classe ouvrière de la Clyde. Les Russes le considèrent comme l’égal de Liebknecht. Lui-même se considère dès 1915 comme un « léniniste » 11.

9. Voir P. Broué, Trotsky. Î0. P. Broué, Rakovsky. 11. W. Kendall, The Revolutionary Movement in Britain.

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d iv er g en c es d e t a il l e

Ce n’est pas une petite affaire que d’opérer un tournant de Vampleur de celui que proposent ces hommes et ces femmes. Des millions de travailleurs, même désappointés, profondément déçus, ne changent pas de parti et a fortiori d’internationale comme on change de chemise quand on l’a trop longtemps portée. Tous ceux que nous venons de voir et d’apprendre sommairement à connaît^ sont persuadés que la IIeInternationale a vraiment fait faillite et qu’il faut la remplacer par une nouvelle qui soit, elle, capable de mener sa tâche à bien. Mais des questions aussi difficiles que celle-ci est fondamentale sont néammoins posées. Quelle Internationale ? La même, renouvelée ? La même, améliorée ? Une autre, sur une base nouvelle ? Laquelle ? Quand ? Enfin et surtout, comment ? Car ies partis de la HeInternationale sont encore là, ne vont pas mourir de mort naturelle, même s’ils sont bien malades. Et si, avec optimisme, on les considère tous comme morts, encore est-il clair qu'il va falloir déblayer la route de leurs cadavres encombrants et de bien des débris, et que la nouvelle Internationale ne va pas avancer d’un pas égal le long d’une large avenue rectiligne. Dès 1914, les divergences apparaissent en effet considérables à travers les positions respectives de Lénine, Rosa Luxemburg, Liebknecht, Trotsky, Rakovsky. P e r s p e c t iv e s

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L én in e

Lénine s’est exprimé le premier, le 24 août 1914, dans un projet de texte pour son comité central. Selon lui, face à la guerre « bourgeoise, dynastique, impérialiste », l’atti­ tude des dirigeants socialistes est une « trahison pure et simple du socialisme » ; il ne leur reproche pas de n’avoir pu l’empêcher mais de s’être alignés sur ce qu’il appelle la position criminelle de leurs gouvernements, en abandonnant la position de la classe ouvrière. Ce sont les social-démocrates allemands qui portent la responsabilité principale, dans l’enchaînement des événements, de ce qu’il appelle la faillite idéologique et politique de l’Internationale. Mais la raison historique de cette faillite est selon lui « l’opportunisme bourgeois », fruit de la pression des couches privilégiées de travailleurs, de l’aristocratie ouvrière mieux payée que la masse et de la bureaucratie ouvrière des partis et des syndicats, Août 1914 marque à ses yeux un tournant dans le développement du socialisme, jusqu’à présent relativement pacifique, l’entrée dans une période d’actions révolutionnaires, la rupture avec l’opportunisme et son expulsion des partis ouvriers étant désormais à l’ordre du jour. Pour transformer la guerre impérialiste en guerre civile, ce n’est pas l’unité de la classe ouvrière qui est nécessaire mais son unité révolutionnaire. Pour cela, il faudra passer par la scission et, dans l’immédiat, la préparer. Dans Le Socialisme et la guerre, il ébauche les perspectives. Pour fonder une nouvelle Internationale, il faut que la volonté en existe dans plusieurs partis, et, de ce point de vue, c’est l’Allemagne qui constitue le secteur décisif. Si les conditions mûrissent pour que soit constituée une nouvelle Internationale débarrassée de l’opportunisme et du chauvi­ nisme, le Parti ouvrier social-démocrate (bolchevique) y prendra sa place. Si îa transfor­ mation et l’épuration s’annoncent plus longues, le parti demeurera dans l’ancienne Inter­ nationale jusqu’à ce que se constitue dans les différents pays la base d’une association ouvrière internationale se situant sur le terrain du marxisme révolutionnaire12.

12. Lénine, Œuvres, t. XXI.

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Tout le monde, et d’abord Lénine, comprend que le petit groupe qui se constitue dans les premiers jours de la guerre autour de Rosa Luxemburg est appelé à jouer un rôle décisif dans la question de l'Internationale. Ce groupe est d’accord avec Lénine pour constater la faillite de la IIeInternationale et la nécessité historique de la IIF. Mais à partir de là les désaccords commencent. A son ami Kostia Zetkin qui venait de dire qu’il voulait « démissionner du parti », Rosa Luxemburg, le 2 août 1914, a fait cette réponse caracté­ ristique de son mode de fonctionnement intellectuel : « Ton “démissionner du parti” m’a fait rire. Espèce de grand enfant, ne voudrais-tu pas par hasard “démissionner du genre humain” ? En présence de phénomènes historiques de cette ampleur, toute colère doit céder la place à une réflexion froide et à une action opiniâtrel3. » Rosa Luxemburg semble considérer que Lénine restreint singulièrement les causes de la faillite. Elle ne conteste pas le rôle de l’opportunisme, mais attache beaucoup d’impor­ tance aux questions d’organisation. Elle souligne en effet que la social-démocratie alle­ mande, profondément atteinte, ne pouvait redevenir « une force révolutionnaire active » par ce qu’elle appelle « de simples programmes et manifestes, une discipline mécanique ou des formes d’organisation désuètes14». Car, à ses yeux, le fait qu’un organisme de 4 millions d’hommes, la social-démocratie allemande, ait pu être contraint par « une poignée de parlementaires » à une volte-face complète sur ce qui était sa raison d’être pose la question de ses vertus tant célébrées, et en particulier de son « organisation » et de sa « fameuse discipline ». Le facteur décisif dans l’histoire, pour Rosa, c’est la volonté consciente des grandes masses, la conscience de classe, l’intervention résolue et énergique des révolutionnaires au sein de la classe ouvrière. Pas de scission, donc, action sans réserve contre la trahison et pour la mobilisation des travailleurs dans la lutte contre la guerre. Pas de « défaitisme révolutionnaire », ni de « transformation de la guerre impérialiste en guerre civile », comme chez Lénine, mais une lutte contre la guerre développant dans l’action la « volonté consciente des grandes masses » l5. A bien des moments pourtant les divergences semblent noyées dans une certaine confusion. En 1915, Karl Liebknecht lance sa célèbre formule « L ’ennemi principal est dans notre propre pays » et écrit : « Guerre civile, pas paix civile », tout en affirmant que la nouvelle Internationale naîtra sur les ruines de l’ancienne, ce qui enchante Lénine. L ’année suivante, pourtant, il reprend le thème de Rosa : l’Internationale ne sera pas reconstruite par « une douzaine de personnes », mais par « l’action de millions d’hom­ mes ». En janvier 1917, Rosa Luxemburg dit encore nettement : « Il est toujours possible de sortir de petites sectes ou de petits cénacles, et, si l’on n’y veut pas rester, de se mettre à bâtir de nouvelles sectes ou de nouveaux cénacles. Mais ce n’est que rêverie irrespon­ sable que de vouloir libérer toute la masse des prolétaires du joug le plus pesant et le plus dangereux de la bourgeoisie par une simple “ sortie” l6. » L es

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Dans une brochure sur L'Internationale eî la guerre publiée en Suisse et diffusée clandestinement en Allemagne par les gauches, Trotsky a également pris position dès 13. G. Badia, Rosa Luxemburg épistolière, p. 197. 14. Spartakusbriefe {éd. 1958), p. 139. 15. Cité par P. Broué, Révolution en Allemagne, p. 81. 16. P, Broué, Révolution en Allemagne, p. 82.

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l’été 1914. En août, dans la préface de UInternationale et la guerre, qui provoquera les premiers regroupements, il explique le gigantesque travail accompli par la IIeInternationale dans le domaine de la culture et assure que îa nouvelle époque va apprendre au prolétariat à « combiner les vieilles armes de la critique avec la nouvelle critique des armes ». Il affirme : « Ce n’est pas le socialisme qui s’est effondré, mais sa forme historique extérieure temporaire. L ’idée révolutionnaire commence sa nouvelle vie en brisant sa rigide carapace La vieille taupe de l’histoire est en train de bien creuser ses galeries et nu] n’a le pouvoir de l’arrêter. » H assure aussi que son livre tout entier est, « de îa première à îa dernière page, écrit avec dans la tête l’idée de la Nouvelle Internationale toujours présente, cette Nouvelle Internationale qui doit naître du cataclysme mondial actuel, l’Internationale du dernier conflit et de la victoire finale17». Mais plus il se rapproche de Lénine et plus la polémique fait rage entre eux. Lénine lui reproche en effet sa lenteur à rompre avec les éléments pacifistes et son refus du « défaitisme révolutionnaire ». Il en est de même pour Rakovsky, d’abord sur une position « neutraliste » avec son parti, mais queTrotsky amène peu à peu sur une position de classe fortement antichauvine, cependant que Lénine les critique tous deux férocement. Rakovsky a commencé par une polémique contre les socialistes français qui a exercé une grande influence dans le mou­ vement ouvrier français, Parti socialiste et CGT. En 1916, il va lancer et faire acclamer le mot d’ordre de IIIeInternationale dans un meeting de masse à Berne. John Maclean, qui a pendant toute la guerre un comportement héroïque, ne participe pas aux grands débats. H enseigne l’économie marxiste, organise, anime grèves et mani­ festations ouvrières. D est révolutionnaire, partisan du défaitisme révolutionnaire, mais écrit plus de pages sur la nécessité du Parti communiste écossais que sur celle de l’Inter­ nationale communiste, qui fera pourtant de lui l’un de ses présidents d’honneur. Les autres acteurs sont les membres des fractions et petites organisations précitées, qui s’activent : tirage et distribution de tracts, diffusion de textes théoriques, de brochures clandestines, voyages comme courriers ou porteurs de matériel, agents de liaison. Ils se retrouvent en prison dans tous les pays belligérants, sont envoyés au front quand ils sont en âge de porter les armes. Deux exceptions cependant : les éléments avancés des PS des pays neutres qui serviront de support à l’activité internationale. Au premier rang, le Suisse Fritz Platten. « Les masses » bougent-elles ? Un peu. On enregistre quelques frémissements, c’està-dire que l’opposition à la guerre déborde des cénacles et des discussions internes, et que commence dans les usines et dans la rue la lutte contre ses conséquences. La vallée industrielle de la Clyde, en Écosse, est le théâtre d’une agitation continuelle. Déjà, en novembre 1915,9 000 travailleurs ont fait grève pendant dix-huitjours. Quand, le 5janvier 1916, le gouvernement propose son projet de loi sur la conscription, les ouvriers du comité de la Clyde sont les premiers à réagir et à organiser l’agitation. Bientôt, le Russe Piotr Petrov (en Écosse, Peter Petroff), lié à Trotsky et Lénine, collaborateur de Maclean, mari de Fancienne correspondante de la presse social-démocrate allemande Irma Hellrich, est arrêté. Le 6 février, Maclean l’est à son tour, puis est incarcéré à Édimbourg. Le 11 avril 1916, il est condamné par la Haute Cour à trois ans de prison et envoyé au pénitencier de Peterhead. Mais à la mi-juillet 1916 200 000 mineurs font reculer les patrons et le gouvernement sur les règles répressives qu’on prétend leur appli­ quer, En novembre, ce sont les métallos de Sheffield qui l’emportent sur la question du contrôle des sursisi8. 17. Cité par P. Broué, Trotsky, p. 146-147. 18. W. Kendali, op. cit., p. 116-140.

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A plusieurs reprises, à Berlin, en 1915, ont lieu des manifestations dequelquescen­ taines de femmes pour le ravitaillement, de plusieurs milliers de personnes en novembre 1915 sur l’avenue Unter den Linden à Berlin, quelques semaines plus tard à Neukôlln et sur la Potsdamen Platz, préparées systématiquement par des tracts hectographiés19. Une dialectique se crée entre les initiatives des groupes et la réponse de la rue. En juillet 1916, de grandes manifestations ont lieu en Roumanie contre l’éventualité d’une entrée en guerre du pays. La police tire à Galatzi, faisant six morts et de nombreux blessés. Le gouvernement roumain anrête Rakovsky, puis le libère précipitamment par crainte de ne pouvoir maîtriser les réactions ouvrières . Aleksandr Chliapnikov a donné dans ses souvenirs de cette époque unedescription de la position des bolcheviks clandestins dans la Russie en guerre : Nospetitesorganisations, disperséesautourdesusines, desfabriqueset desmines, sepréparaient àla lutte. A cetteépoque, elles n’avaient aucunerecettemilitaire àleurdisposition, etelles n’étaient pas aussi bien années que les détachements policiers du tsar ; mais cela ne démoralisait pas nos combattants, armés qu’ils étaient seulement d’unesoif de se battre et de gagner. Tout ouvrier avait l’idéevaguequesouscesgrosmanteauxgris, lescœursdessoldatsbattaientaurythmedesespropres désirs. La tâcheduprolétariat, c’était d’amenerl’armée dans unfrontrévolutionnairecontrele tsar, les grandspropriétaires, la bourgeoisie et la guerreai. Dès la fin de 1916 éclatent des grèves ouvrières, à Lougansk notamment puis à Petrograd ; à Moscou, manifestation des soldats d’un régiment d’infanterie contre la répression par la police de la grève d’une usine voisine, grève politique aussi contre le procès de l’organisation clandestine des marins bolcheviques, Le parti existe, plus fort sans doute qu’en aucun autre pays : 3 000 clandestins à Pétersbourg, selon un rapport de Chliapnikov, mais aussi 150 à Nijni-Novgorod, 120 à Kharkov, où l’on pense que la révolution sociale va bientôt exploser . C o ntacts in t er n a t io n a u x

Bientôt les contacts reprennent entre socialistes adversaires de la guerre, qu’ils soient de la nuance « pacifiste » ou de la tendance « révolutionnaire ». Les socialistes des pays neutres jouent à cet égard un rôle décisif. Ce sont en général des pacifistes, ceux que Lénine appelle des « centristes ». Ï1 ne saurait en être autrement puisque les principaux représentants des autres courants révolutionnaires refusent de s’engager avec Lénine et les bolcheviks dans la voie qui mène à la nouvelle Internationale. D'ailleurs, il y a désaccord sur les objectifs mêmes de la lutte : tant les Allemands du groupe de Rosa Luxemburg que Trotsky refusent la notion de « défaitisme révolution­ naire », à laquelle Lénine tient énormément dans la mesure où elle lui paraît la seule qui puisse unir les socialistes des pays en guerre, puisque, sur cette ligne, ils doivent se retrouver exactement à l’opposé des chauvins, en œuvrant tous à la défaite de leur propre bourgeoisie, c’est-à-dire de la bourgeoisie mondiale. Rosa Luxemburg et Trotsky estiment quant à eux que la lutte contre la guerre est en soi révolutionnaire si elle n’est bridée par aucune préoccupation de défense nationale. Les choses ne peuvent aller vite. Lénine en a conscience, qui écrit : Pour fonder une organisation marxiste internationale, il faut que la volonté de créer des partis marxistes indépendants existe dans différents pays. L’Allemagne, pays du mouvement ouvrier le 19. P. Broué, Révolution en Allemagne, p. 76. 20. P. Broué, Rakovsky, p. 109. 21. A. Chliapnikov, op. cit., p. 225. 22. Rapport du même, ibidem, p. î 81-184.

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plus ancien et le plus puissant, a une importance décisive. Le proche avenir montrera si les conditions sont déjà mûres pour constituer une nouvelle Internationale marxiste. Si oui, notre parti adhérera avec joie à cette IIIeInternationale épurée de l’opportunisme et du chauvinisme. Autrement, cela voudra dire que cette épuration exige une évolution plus ou moins longue. Dans ce cas, notreparti formeral’opposition la plus extrêmeausein del’ancienneInternationalejusqu’à ce que se constitue dans les différents pays la base d’une association ouvrière internationale se situant sur le terrain du marxisme révolutionnaire23. . Au départ, les bolcheviks sont d’ailleurs dans un isolement presque complet. Les seuls avec qui ils puissent s’allier sont de petits groupes presque marginaux : les socialdémocrates hollandais qui ont formé le groupe « tribunisîe » des Pays-Bas, la poétesse Henriette Roland-Holst, cinquante-cinq ans, et deux militants influents en Allemagne, le grand astronome Anton Pannekoek, quarante et un ans, et le poète Hermann Gorter, cinquante ans, aux Pays-Bas. Avec eux il y a les militants de Brème proches de Pannekoek qui ont des liens avec le Bremer-Bürgerzeiiung, Karl Radek et le groupe berlinois de Julian Borchardt, quarante-six ans, qui édite Uchtstràhlen et va constituer les Socialistes internationaux d’Allemagne (ISD). Les bolcheviks exilés en Suède, avec Boukharine, nouent d’autres contacts. On peut suivre dans la correspondance de Lénine, notamment avec Radek, ses efforts et ses espérances pour la constitution d’un groupe international, Stem (L’Étoile), qui ne verra pas le jour. L ’ in t er v en t io n

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R a k o v sk y

Rakovsky, qui était membre du Bureau socialiste international, avait déjà joué un rôle déterminant dans le refus du PS serbe de voter les crédits de guerre. Sa correspondance avec le guesdiste Charles Dumas avait été décisive pour l’organisation des adversaires de la guerre en France. La courageuse attitude du parti roumain renforçait son prestige. Ses initiatives au cours de l’année 1915 en font un acteur de premier plan sur îa scène du socialisme international. Son objectif est de regrouper les adversaires de l’union sacrée dans la guerre. Il prend son bâton de pèlerin. Fin février 1915, il est à Rome, prend contact avec le PSI puis se rend en Suisse pour rencontrer les dirigeants du PS suisse. En mai, il est à Paris et rencontre longuement Trotsky, à qui il rend compte de ses discussions et avec qui il met au point les grandes lignes de la conférence que vont convoquer les socialistes suisses. Il repasse au retour par la Suisse afin de rencontrer Lénine, de l’informer et de connaître ses intentions, A tous, il assure que le prolétariat peut mettre fin à la guerre, comme l’a montré la guerre des Balkans, qui s’est terminée « quand les socialistes ont fait la grève des tranchées et proclamé l’idée de la lutte de classes ». En juillet, il est à Bucarest à la conférence - qu’il a convoquée - des partis social-démocrates de Serbie, de Roumanie, de Grèce et du parti des tesnjaki bulgares. Il entraîne derrière lui la conférence, fait voter un manifeste exigeant la fin de la guerre, une position de principe contre « la collaboration de classes, le social-patriotisme, le social-impéria­ lisme et l’opportunisme », et obtient qu’elle envoie l’expression de sa profonde admiration à Rosa Luxemburg, à Karl Liebknecht et aux socialistes des pays belligérants qui sont restés « loyaux à l’Internationale ». La constitution de cette Fédération balkanique est, de toute évidence, une façon spectaculaire de « rétablir l’Internationale », selon la formule qu’il utilise24. 23. Lénine, Œuvres, t. XXI, p. 342. 24. P. Broué, Rakovsky, p. 109-111.

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La conférence socialiste internationale se tient dans le petit village de Zimmerwald du 5 au 8 septembre 1915. Le PS suisse y a invité tous les partis et organisations ouvrières prêts à lutter contre la guerre par les méthodes de la lutte prolétarienne de classe et opposés à la «paix civile» que prêchent les partisans de l’union sacrée. Trente-six délégués, venant de dix-neuf pays et tenant à peu de choses près, comme l’a signalé Trotsky, dans quatre voitures. Personne n’est venu du groupe de Rosa Luxemburg. Les présents sont divisés en trois tendances : une majorité qui est prête à réclamer la paix générale mais refuse d’envisager la scission de la IIe Internationale ; une minorité de huit délégués, la gauche, conduite par Lénine, qui se prononce pour construire la HT Internationale. Entre les deux, un centre, avec Rakovsky, Trotsky, Angelica Balabanova, le Suisse Grimm25. Le Manifeste, rédigé par Trotsky et à propos duquel Lénine et Rakovsky ont eu un heurt sérieux, met l’accent sur la lutte contre la guerre par les moyens de classe, sur le refus catégorique et définitif de toute union sacrée. Lénine et les siens se sont prononcés contre en commission, mais ils le votent en séance plénière, ce que Lénine va expliquer en écrivant : « Que ce manifeste fasse un pas en avant vers une véritable lutte contre l’opportunisme,vers la rupture et la séparation d’avec lui, c’est un fait. Nous serions sectaires si nous refusions de faire ce pas en avant ensemble26. » A l’issue de la conférence, la majorité constitue une Commission socialiste internatio­ nale (CSI) dont font partie notamment Angelica Balabanova et Rakovsky. Le grand discours de ce dernier à Berne le 8 février 1916, prise de position retentissante en faveur d’une nouvelle Internationale27, suscite un regain des calomnies qui faisaient de lui un « agent allemand »2l Lénine s’attache à organiser la gauche de Zimmerwald avec les amis de Pannekoek et Karl Radek. Ce n’est pas un succès immédiat, il a des problèmes avec Radek - encore sur la question de l’autodétermination nationale -, et finalement Pannekoek ne trouve pas l’argent qui permettrait de continuer la publication au-delà du n° 2. Tout de même, comme l’écrit Radek, ce qui compte, c’est qu’en s’associant au mouvement zimmerwaldien les militants révolutionnaires sont partis de l’idée qu’« il était impossible de former d’emblée une organisation de combat à partir des débris de l’ancienne Interna­ tionale29». N o u v ea u x

po in t s d ’a p p u i

En réalité, des forces nouvelles commencent à se dégager de la lutte des idées et des combats de classe renaissants, dans de nombreux pays et souvent sous l’influence directe des réfugiés révolutionnaires russes. En France, Trotsky et le groupe de Naché Slovo se sont liés au noyau syndicaliste révo­ lutionnaire de La Vie ouvrière de Pierre Monatte et Alfred Rosmer, qui agit d’abord dans la CGT puis s’élargit au PS avec des éléments socialistes comme Fernand Loriot et le jeune intellectuel Raymond Lefebvre. Syndicalistes et socialistes antiguerre vont se retrouver au Comité pour la reprise des relations internationales. L ’influence de Naché Slovo est euro­ 25. La bibliographie est abondante ; nous renvoyons ici notre Rakovsky, p. 111-112. 26.Sotsial-demokrat, lî octobre 1915. 27.P. Broué, Rakovsky, p. 115. 28. Ibidem, p. U3-1I8. 29. K. Radek, Lichtstrahlen, n° 1,3 octobre 1915.

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péenne. Le bolchevik Petroff, émigré en 1907, et l’ouvrier tailleur Fineberg ont traduit en Grande-Bretagne les principaux articles de Trotsky et les ont fait connaître notamment à Maclean qui écrira pour lui l’histoire des grèves de îa Clyde30. Les traductions allemandes des articles de Trotsky paraissent dans le Berner Tagwacht et sont envoyées à Liebknecht, qui, à la fin de la guerre, connaît tous les écrits de Trotsky. En Suède, les émigrés russes bolcheviques ou proches sont en contact avec les Suédois qui travaillent depuis des années à transporter les matériaux et les hommes jusqu’en Russie. Au congrès de Copenhague, en 1910, Lénine a discuté avec deux sôciaîistes finlandais, Sirola et Wiik, de la question des « routes ». II s’est même rendu en Suède pour convaincre le jeune socialiste Zett Hoglund d’aider les bolcheviks en ce domaine. Boukharine, Kollontaï se sont liés avec plusieurs responsables socialistes. Le dirigeant des jeunesses et éditeur du journal Stormklockan, Zett Hoglund, avec son camarade Ture Nerman, a rencontré Lénine à la veille de la conférence de Zimmerwald. Il est condamné pour « haute trahison » en 1916, Une puissante aile gauche est animée par Otto Fredrick Strôm, avocat, secrétaire du parti suédois en 1911, écarté en 1916. Elle est en liaison avec la gauche qui se développe dans le Parti ouvrier norvégien31. Aux États-Unis naît un noyau cosmopolite qui se réunit le 14janvier 1917 pour décider de sa stratégie dans le PS américain. Il y a là quatre Russes - Trotsky, Boukharine, Kollontaï, Goldstein-Voîodarsky -, le Japonais Katayama Sen, le Hollandais Rütgers et quatre Américains, dont Louis Fraina, vingt-quatre ans, ancien dirigeant du Socialist Labor Party (SLP) et militant des Industrial Workers of the World (IW W ), l’un des chefs de file de la gauche du PS, signataire d’une motion pour le congrès avec Trotsky et partisan proclamé d’une nouvelle Internationale32. En Grande-Bretagne, l’héroïque John Maclean incarne la lutte révolutionnaire contre le chauvinisme ; il est le Liebknecht britannique, en liaison avec Petroff et Litvinov, qui travaille dans l’édition sous le nom de Haxrison, sert de confondant aux bolcheviks. Les éléments dirigeants des grèves de la Clyde, les militants du SLP, sont proches des zimmerwaldiens. Maclean connaît Trotsky et écrit pour Naché Slovo. En 1916, un bateau russe vient mouiller dans la baie de la Clyde et 200 marins débarquent pour assister à un meeting de protestation contre l’emprisonnement de Maclean et de leur compatriote Petroff, héros de la révolution de 190533. Les dirigeants et les militants de Suisse ont été soumis à la pression constante et ont subi l’influence des bolcheviks et autres émigrés. Si Robert Grimm, le leader du PSS, est resté un authentique centriste, Fritz Platten, qui avait déjà participé à la révolution de 1905, est tout acquis aux bolcheviks. Sur place, Lénine, qui a gagné deux fidèles, le Polonais Bronski et le jeune Allemand W illy Münzenberg, se bat pour gagner des indi­ vidualités. Les Allemands du groupe Spartakus ont demandé à Paul Levi, réformé, d’assu­ rer en Suisse les relations internationales. Ce brillant intellectuel, qu’on connaît ici sous le nom de Paul Hartstein, fréquente Radek et penche aussi pour Lénine. Le jeune prodige Valeriu Marcu, ce fils de capitaliste allemand de Bucarest que Rakovsky a envoyé à Lénine comme courrier et déjà révolutionnaire, devient un jeune bolchevik, admirateur du diri­ geant russe, ami de Paul Levi et de Münzenberg, puis retourne en Roumanie - tout droit en prison - via la Russie34. 30. N. Milton, John Maclean, p. 111-112. 31. On peut suivre ces développements dans M. Futtrell, op. c it et dans les recueils consacrés à la lutte contre la guerre, comme Gankin et Fischer, The Bolsheviks and the World War. 32. X Draper, The Roots ofAmerican Communism, p. 81-S4. 33. W. Kendall, op. cit., p. 128. 34. P. Broué, Rakovsky, p. 113.

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ils ont v u d ét r u it l ’ ou v ra g e d e l e u r v ie .,

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Nous pensons qu’il faut aussi se garder d’oublier l’insurrection irlandaise de Pâques 1916, preuve concrète que la guerre n’arrête pas mais au contraire alimente la révolution. A ceux, comme Radek, qui arguent du caractère religieux et petit-bourgeois du mouve­ ment, en dépit de l’existence de l’Armée citoyenne appuyée sur le mouvement ouvrier et inspirée par le militant ouvrier James Connolly, Lénine rétorque qu’il n’existe pas de révolution prolétarienne pure et que ce mouvement populaire est la conséquence directe de l’oppression impérialiste35. D’ailleurs, 1917 va renvoyer au second plan bien des discussions. Le

to urn a n t d e

1917

Les dirigeants du monde capitaliste ont appelé cette année « l’année terrible ». Elle a en tout cas complètement bouleversé les données de l’histoire que nous nous efforçons d’analyser en modifiant radicalement le rapport de forces entre les révolutionnaires, qui divergeaient sur les délais de création de la nouvelle ïntemationale. Tous attendaient, sans pouvoir réellement intervenir pour accélérer les processus, deux phénomènes qu’ils pré­ voyaient liés l’un à l’autre. D’une part, une crise politique au sein des organisations social-démocrates traditionnelles, vraisemblablement d’abord dans le SPD allemand. Ensuite, un réveil du mouvement ouvrier, des grèves et des manifestations, un soulève­ ment, peut-être une insurrection contre la guerre. Il va s’y ajouter la crise au sein des armées, les désertions et les mutineries. Des événements de ces deux types se sont bien produits. Mais, contrairement à ce qu’escomptaient beaucoup de révolutionnaires de l’épo­ que, il n’y a pas eu une révolution allemande arrachant définitivement le masque de la social-démocratie et facilitant son remplacement avec la création d’un nouveau parti et d’une nouvelle Internationale. Par ailleurs, c’est dans l’Empire russe qu’éclate la révolution, que se soulèvent en février 1917 les travailleurs des villes, puis les marins et les soldats qui constituent leur propre pouvoir, les conseils (soviets) élus de députés d’ouvriers, paysans, soldats et marins. Les bolcheviks sont les seuls qui aient assez d’audace pour poser devant le peuple les questions cruciales, celles de la paix et de la terre. Le petit groupe de conspirateurs - les « coupeurs de cheveux en quatre », comme disaient leurs adversaires -, chevauche un mouvement de millions d’hommes qui les écoutent mais les poussent aussi en avant. Les échos de leur lutte pour la paix se font maintenant entendre dans la boue des tranchées. Leur décision d’appeler au partage des terres des propriétaires fait le tour des villages misérables de l’Andalousie et dresse les masses paysannes paupérisées dans un rêve qui paraît désormais réalisable. Quand ils ont pris le pouvoir, à la suite de l’insurrection d’octobre, il est clair qu’aux yeux des travailleurs, sinon des socialistes du monde entier, les rapports de forces ont changé. Lénine et Trotsky sont les premiers et les seuls socialistes dans l’histoire qui soient allés jusqu’au pouvoir, qui aient « osé », comme l’écrit Rosa Luxemburg. Us sont surs maintenant qu’ils ont montré la voie juste en désignant l’objectif d’une nouvelle Internationale. Mais la route qui y conduit est encore longue et sinueuse. Scission en A llem ag n e : la n aissance

de

l ’USPD

C’est l’initiative de l’appareil social-démocrate contre l’indiscipline des minoritaires, révolutionnaires et centristes, qui a perpétré une véritable scission et poussé ces derniers à proclamer un nouveau parti - lequel était simplement la reproduction de l’ancien, celui 35. Cité par C. Desmond Greaves, The Life ofJames Connolly, p. 423.

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d’avant 1914, doté d’une décentralisation qui ne le rendait guère capable d’agir en cas d’urgence. Tout a commencé par l’exclusion des opposants de la fraction parlementaire du parti. Liebknecht d’abord, le 12 janvier 1915, après son refus de voter les crédits militaires ; Haase ensuite, pour s’être opposé avec 32 autres députés au renouvellement de l’état de siège. Les exclus forment au Reichstag un « collectif de travail social-démocrate » qui tient Liebknecht à l’écart : il n’y a qu’un parti, mais deux groupes parlementaires.^ trois tendances... L ’exécutif attaque pour une reprise en main. La confiscation, en octobre 1916, du quotidien Vorwarts de Berlin par l’autorité militaire et sa remise à la direction nationale sont ressenties comme un véritable attentat. Une banale conférence des oppositions tenue le 7 janvier 1917 montre son impuissance en décidant de garder le contact dans le cadre des statuts, et l’exécutif saisit le prétexte pour décréter que « l’opposition s’est mise d’elle-même en dehors du parti ». Toutes les organisations locales tenues par des mino­ ritaires, 91 au total, sont ainsi exclues, et la majorité des militants dans les plus grandes villes. Tirant la leçon des faits et n’ayant d’autre solution en dehors d’un suicide collectif, l’opposition, dans une conférence tenue à Gotha à Pâques, décide de se constituer en Parti social-démocrate indépendant (USPD). « La réadoption solennelle par le congrès de Gotha du vieux programme d’Erfurt donne à la fondation du parti tout son sens : il s’agit de faire revivre le vieux parti social-démocrate et ses vieilles méthodes de combat, sa tradition d’opposition et de refus de collaboration, mais aussi son scepticisme à l’égard de la révolution prolétarienne, toujours considérée comme un objectif désirable mais hors d’atteinte. » Et, pour tirer ce qui leur paraît les leçons du passé avec l’ultracentralisation de l’appareil, les social-démocrates indépendants suppriment pratiquement toute centra­ lisation sérieuse. C’est à ce parti que décident de se rattacher alors les gens de Rosa Luxemburg et de Karl Liebknecht, le groupe Spartakus - ce que d’autres, qu’inspire l’exemple des bolcheviks et qui s’en réclament, considèrent comme une grave erreur. L ’a d h ésio n

d es spa r t a k ist es

à l ’USPD

Aucune des raisons mises en avant, à l’époque et depuis, par les spartakistes pour expliquer leur adhésion au parti indépendant, qui comptait dans ses rangs bien sûr Haase et Ledebour, mais aussi Kautsky et Bemstein - ils ne symbolisaient pas que le centrisme ne paraît crédible au premier abord. Tentant d’expliquer cette décision surprenante, j ’écrivai en 197136qu’elle découlait sans doute de leur conception même de la révolution, de leur conviction que les masses trouveraient et bâtiraient elles-mêmes dans l’action les formes d’organisation nécessaires à leur combat. Mais on peut se demander si précisément les « Délégués révolutionnaires » des usines de Berlin n’étaient pas en train de mettre sur pied une nouvelle forme d’organisation en réseau, et s'interroger sur l’importance que les spartakistes lui ont accordée. En vérité, le plus grave, c'est qu’était ainsi consacrée une véritable scission entre révolutionnaires. Début décembre, à Brème, Johann Knief avait demandé que l’opposition se fixe l’objectif de la construction d’un parti révolutionnaire. Dans les colonnes du nouveau journal des Brêmois, Arbeiterpolitik, Karl Radek menait campagne contre la dangereuse utopie qu’était à ses yeux l’idée de construire un parti en commun avec les centristes. Un article non signé montrait la responsabilité énorme des spartakistes qui 36, P. Broué, Révolution en Allemagne, p, 93.

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il s o n t v u d é t r u it l ’o u v ra g e d e l e u r v ie ..

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allaient bien inutilement prolonger la phase préparatoire. Paul Levi partageait cette opi­ nion. Rosa Luxemburg ne semble pas s’être passionnée pour cette question et aucun de ses biographes ne mentionne de prise de position de sa part. C’est Jogiches qui fit le tour des opposants pour les faire renoncer à leur opposition. C’est qu’au même moment la révolution en Russie posait tous les problèmes et que peu d’Allemands réalisaient clai­ rement où ils en étaient et où ils allaient. Relevons tout de même que Kautsky se réjouissait que îa scission de l’USPD ait barré la route à Spartakus, et que Rosa Luxemburg, alors emprisonnée, a été hostile au départ du SPD et à l’entrée dans l’USPD. Qu’Arbeiterpolitik anéammoins fait de « Frau Luxemburg » la cible de sa polémique contre l’opportunisme en matière d’organisation. Que Franz Mehring a reconnu dèsjuillet 1917 que l’entrée de Spartakus dans l’USPD était une erreur. Enfin, que Lénine a sauvé la face du héros Liebknecht en faisant semblant de le croire : « En réalité, Liebknecht n’a pas entièrement fusionné avec les kautskystes : il a conservé son autonomie en matière d’organisation, pour constituer uniquement un bloc temporaire et conditionnel contre les socialistes chauvins37. » LA RÉVOLUTION RUSSE Radek a raconté qu’un jour de mars 1917 il avait quitté Berne, où il habitait, pour discuter avec Paul Levi, qui vivait à Bâle. Au restaurant où ils prirent leur repas du soir, le serveur leur dît qu’il y avait eu des émeutes à Petrograd et que le tsar avait abdiqué. Radek décida de revenir à Berne. Un message de Lénine l’y attendait, lui demandant de le rejoindre rapidement. Iî prit le premier train pour Zurich. Lénine l’attendait à la gare38. Quelques jours plus tard, Lénine et une trentaine d’émigrés russes étaient autorisés par l’état-major allemand, après des négociations conduites par le socialiste suisse Fritz Platten, à traverser le territoire allemand pour se rendre en Suède afin d’être rapatriés (c’est l’histoire du wagon dit plombé). Lénine signait la déclaration des partants, Paul Levi se portait garant pour eux. Radek, qui s’était joint aux voyageurs, ne signait rien. D’ailleurs, il devait s’arrêter à Stockholm. L ’histoire venait de faire une nouvelle donne. H ne s’agit pas ici pour nous de faire l’histoire de la Révolution russe mais d’indiquer quel impact elle eut sur le reste du monde. Les révolutionnaires russes, même les camarades de Lénine, qu’on appelait alors les « maximaîistes », étaient inconnus la veille. Ils étaient maintenant cloués au pilori par la presse et les gouvernants du monde, et, du coup, leurs noms éveillaient au contraire la sympathie de millions d’exploités et de malheureux voués à finir comme chair à canon. C’étaient eux que les ouvriers italiens acclamaient à travers les représentants du gouvernement provisoire39, que les paysans andalous invoquaient pour sejustifier d’avoir occupé et commencé à défricher les terres en friche du grand propriétaire sur lesquelles ils mouraient de faim40. C’était leur nom que les travailleurs écrivaient sur les murs dans les quartiers ouvriers des villes d’Occident, comme le constatera avec une stupeurjoyeuse un bolchevik venu nouer des liens45. Les journalistes ou les hommes politiques qui avaient appelé les soldats allemands à 37. Lénine, Œuvres, t. XXIV, p. 3311, article de la Pravda du 12 mal {29 avril) 1917. 38. W. Lemer, Karl Radek, the iast Internationaliste p. 52-53. 39. La venue de représentants du gouvernement provisoire russe en Italie au printemps de 1917 avait provoqué des déchaînements d’enthousiasme dont ils étaient les premiers surpris. 40. G. Meaker, The Revolutionary Left in Spain 1914-1923, p. 122 sq. 41. D s’agit de Dëgott, « V “svobodnom” podpol'e (Vospominaniia o podpol'nioj rabote za granitsh v 1919-1921 goda) », dont nous avons utilisé la traduction italienne, « Nella “libéra” cïandestinità (Ricordi del lavoro clandestinio all’estero nelfarmi 1919-1923 », reproduite dans L'Est, n° 1, mars 1967, p. 177-214.

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débarrasser les Russes du joug tsariste et l’Europe de la menace du tsar comprenaient-ils le prestige qu’ils avaient ainsi contribué à donner à cette poignée d’hommes, inconnus la veille, qui venaient de renverser et de chasser le monarque autocrate ? On sait que Rosa Luxemburg écrivit des notes à la fois enthousiastes et fort critiques sur la prise du pouvoir par les bolcheviks, la terreur rouge, la dissolution de la Constituante, la suspension des libertés. On oublie peut-être souvent qu’elle s’était opposée à leur publication : il s’agissait de notes de travail à son usage personnel, d’idées dont ellp n’était pas certaine d’avoir le droit ou le devoir de les exprimer, du fait de la faiblessé de son information. Elles ne seront publiées qu’après sa mort, dans un contexte politique qui leur donnait évidemment un sens différent42. En outre, on ne nous en voudra pas de souligner que, même résolument internationalistes, les révolutionnaires sont gens sérieux et qu’il s’agissait plus pour eux d’œuvrer à la révolution, à la lutte contre la guerre dans leur propre pays, que de critiquer ce que leurs frères faisaient ailleurs. Une

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RÉVOLUTIONNAIRE : g r èv es

o u v r iè r es

Ce sont les dirigeants, le gouvernement, qui sont les premiers à voir un danger qu’ils considèrent évidemment comme un simple effet de contagion. En Allemagne, un ministre parle au Conseil de « l’effet enivrant de la révolution russe », et un autre, de l’agitation qu’entretient dans le pays le mouvement révolutionnaire de Russie et du risque d’une tempête dont le gouvernement ne pourrait se rendre maître. Les autorités comprennent le danger du mot d’ordre « Mettre fin à la guerre par des grèves » et font appel aux dirigeants syndicaux pour conjurer le danger43. La première épreuve de force va être pour le mois d’avril 1917, une grève lancée pour le ravitaillement - un mot d’ordre très populaire -, destinée à écarter ou noyer l’agitation pour la libération du président des Délégués révolutionnaires, le tourneur Richard Müller, A Berlin puis à Leipzig se succèdent assemblées générales, élection de comités de grève dans lesquels figurent les syndicats, élaboration des revendications - de plus en plus politiques contre la répression. Les ouvriers dela Knorr-Bremse réclament la iibération de Liebknecht, élisent un « conseil ouvrier » etappellent les autres usines àfaire demême. Le travail reprend difficilement. Plus de 50 000 travailleurs soutenus par des députés USPD dénoncent la « trahison » de la grève par les syndicats44. Le F mai 1917 est marqué par un geste hautement symbolique. Le conseil des soldats de la ville roumaine de Ia§i, après avoir pris contact avec les rares socialistes roumains encore en liberté, découvre que Khristian Rakovsky est détenu dans la prison de cette ville. Le prisonnier politique est solennellement libéré par une gigantesque manifestation, avec les soldats russes en armes derrière leurs drapeaux rouges. C’est un immense sym­ bole : la révolution vient de défaire ce que la guerre avait fait. Rakovsky rejoint Odessa en révolution, puis Petrograd45. Durant ce même mois de mai 1917, il y a en France la grève des midinettes, qui travaillent dans les usines textiles. Les manifestantes crient « A bas la guerre ». Leur grève est prolongée par celle des employés de banque et surtout des métallos des usines de guerre de la région parisienne, qui lancent des mots d’ordre politiques - par exemple la publication des buts de guerre46. 42. Il s’agit du texte intitulé La Révolution russe. 43. P. Broué, Révolution en Allemagne, p. 10!. 44. Ibidem, p. 101-105. 45. P. Broué, Rakovsky, p. 126-129. 46. A. Marty, La Révolte de la mer Noire.

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L es «

po ilu s

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ils on t v u d ét ru it l ’o uv ra g e d e l e u r v ie ...

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s e r év o lten t

D’avril à juin, des mutineries touchent les trois quarts de l’armée française, et notam­ ment les grandes unités qui ont combattu au front. L'offensive conduite par le général Nivelle a été une vraie boucherie. Elle a fait en quelques heures, le matin du 16 avril 1917,35 000 morts et 90 000 blessés. Au total, 140 000 morts et des centaines de milliers de blessés et de mutilés en moins de quinze jours. On connaîtra plus tard les noms de Craonne, du Chemin des Dames, de Cœuvres, de Fère-en-Tardenois. Les soldats ont refusé d’obéir, et notamment de remonter au front, certains ont voulu marcher sur Paris. Ils ont menacé les officiers. On a entendu crier « Vive la révolution », « Vivent les Russes », « A Paris ». Des unités ont arboré le drapeau rouge, chanté VInternationale et l’anonyme

Chanson de Craonne C’est à Craonne sur le plateau Qu’on doit laisser sa peau (..J Mais c ’est fini, car les troufions Vont tous se mettre en grève Quelque 60 divisions sont touchées, les deux tiers du total47. Des maniaques dénoncent un complot alors qu’il s’agit du désespoir et de la colère de centaines de milliers de combattants. Le général Franchet d’Esperey clame qu’il est « prouvé » que les révoltes ont été préparées de Faîtière, que deux régiments marchaient sur Paris, qu’on avait distribué des tracts « La Commune vous attend ». La répression est sévère. L ’instituteur syndicaliste Paul Breton a été condamné à mort et grâcié sur l’insistance des hommes politiques, dont Paul Painlevé, auprès du général Pétain. Mais un autre enseignant, le caporal Lefèvre, vingt ans, le caporal Julien Dauphin, le mineur Cordonnier et plusieurs centaines d’autres sont passés par les armes : le général Philippe Pétain reprend l'armée en main, avec 554 condamnations à mort48. Un silence absolu a été gardé dans la presse sur cette crise. Raymond Lefebvre, un des socialistes du noyau antiguerre, écrit que « le prolétariat militaire [qui] couve son rêve de justice » réglera « la question de la guerre ». Juin 1917, ce sont aussi Î0 000 soldats russes du camp de la Courtine qui se soulèvent. Ils veulent rentrer chez eux. Ils ne veulent plus de leurs officiers. Il n’y a pas parmi eux un seul bolchevik, mais à bien des égards ils se comportent comme tels49. En Autriche, sous l’influence d’un délégué à Kienthal qui connaît Lénine, Boukharine et Radek, Franz Koritschoner, et de la très jeune îîona Duczynska, qui a vécu à Zurich ces dernières années, un petit groupe d’étudiants socialistes qu’anime une autre jeune femme, Elfriede Friedlânder-Eisler, s’active. Après qu’une grève ouvrière générale à Vienne a réussi en mai à faire rétablir une ration de pain qui venait d’être diminuée, ils parviennent à se réunir à Sankt Aegyd, dans les bois, en juillet, et à organiser une force révolutionnaire qui s’oppose à la gauche pacifiste. Le 7 décembre, ils tiennent à Vienne une réunion illégale pour îa paix à laquelle participent quelque 700 personnes, dont un certain nombre d’ouvriers50.

47. J. Rabaut, L ’Antimilitarisme en France, p. 109-112 ; J. Williams, Mutiny 1917, p. 30-52 ; G. Pédroncini, Us Mutineries de 1917. 48. Voir le récit des procès dans J. Williams, op. c il, passim. 49. On a enfin sur cette question un travail solide, celui de R. Adam, Histoire des soldats russes en France 19)5-1920. Les damnés de la guerre. 50. L. Laurat, « Le Parti communiste autrichien », Contributions à l'histoire du Comintern, p. 69.

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L es MARINS ALLEMANDS CONTRE LA GUERRE

C’est au mois de juin de la même année qu’apparaît au grand jour en Allemagne le mouvement d’organisation des marins de îa flotte de guerre, avec la constitution de « commissions de cambuses » dont l’inspirateur, le marin Max Reichpietsch, explique qu’elles constituent un premier pas vers des conseils de marins comme en Russie. Les députés de l’USPD qu’il rencontre l’incitent à organiser des « actions pour îa paix », malheureusement sans la protection populaire ni les précautions nécessaires. L ’état-major frappe. Tous les dirigeants sont arrêtés, jugés, condamnés. Reichpietsch est fusillé51. Pour Lénine, cette affaire prouve qu’on approche de la révolution mondiale. Mais elle est pourtant un revers sur sa route et une source d’inquiétude, car il n’y a pas de parti ouvrier pour en assumer les responsabilités et celle des travailleurs auprès des jeunes marins. On peut se passer d’une telle organisation pour libérer un prisonnier politique. Elle est indispensable pour soulever la flotte de guerre. L ’E u r o pe

sec o u ée

Les fronts chancellent : il y a des mutineries de soldats écossais et canadiens sur le front français, de soldats grecs, réprimées dans le sang, d’italiens aussi. Et un peu partout» les désertions se multiplient, prenant souvent la forme de redditions : les AlsaciensLorrains désertent les tranchées allemandes, les Tchèques et les Croates, les rangs austrohongrois. Puis on déserte pour sauver sa vie, parfois en masse - on parle de « grève militaire » -, comme les soldats italiens après le désastre de Caporetto le 24 octobre 1917. Toute l’Europe semble trembler sur ses bases. Le 13 août, deux diririgeants mencheviques russes, envoyés du gouvernement provisoire de Kerensky, sont acclamés à Turin par une foule enthousiaste de 40 000 personnes qui crient « Vive Lénine ! » Du 22 au 25 août, à la suite d’une pénurie totale de pain, c’est la grève et un véritable soulèvement des ouvriers contre leurs conditions de vie et contre îa guerre. Les ouvriers turinois, face à la répression, dressent des barricades, se battent rue par rue. Il y a plus de 50 victimes parmi les travailleurs, des centaines de blessés, des arrestations en masse. Un tribunal militaire va juger les « dirigeants » désignés par le gouvernement, à commencer par celui du Parti socialiste italien, G.M. Serrati, accouru pour essayer de prendre la tête de ce mouvement spontané. C’est dans cette vague révolutionnaire et en défense des travailleurs qu’apparaissent pour la première fois au grand jour des noms comme ceux d’Amadeo Bordiga et d’Antonio Gramsci52. Au mois d’août, la classe ouvrière espagnole - l’Espagne est neutre - a fait une autre expérience avec la grève générale du 15 au 18 août sur des mots d’ordre et revendications politiques pour l’instauration d’une république démocratique. Elle se termine par des arrestations en masse de militants ainsi que de la direction nationale de la grève, syndi­ calistes et membres du PSOE, comme le dirigeant réformiste de ce dernier, Francisco Largo Caballero, condamné à îa prison à vie. Partis et syndicats étaient avec les travailleurs, certes, mais ces derniers n’avaient pas d’armes53.

51. P. Broué, Révolution en Allemagne, p. 106-109. 52. P. Spriano, Storia del Partito comunista italiano, I, p 11. 53. G. Meaker, op. cit., p. 99-132.

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ils o nt vu détruit l -o uv ra g e d e l e u r v ie ..

r év o lu t io n r u sse , avan t la n o u v e lle

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I n tern a t io n a le

A son arrivée en Russie, dans ses fameuses « thèses d’avril », où il appelait les tra­ vailleurs à lutter pour le pouvoir des soviets - conseils d’ouvriers et de soldats -, Lénine affirmait que la fondation de la IIIeInternationale était à l’ordre du jour en tant que tâche actuelle urgente. Il ne va cesser de le répéterjusqu’à la prise du pouvoir, saisissant toutes les occasions pour souligner l’importance de Karl Liebknecht et de leur accord. Il ne perd pas de vue une minute la question de l’Internationale, même s’il doit consacrer tout son temps à la survie - ou à la victoire ? ~ de la révolution dans l’Empire russe. Avec Karl Radek, déposé au passage à Stockholm, que rejoignent les Polonais experts en clandestinité que sont Hanecki (Fürstenberg) et Vorovski, il a constitué un bureau du parti à Stockholm, dont la mission est double. Il faut donner au monde, et en particulier au mouvement ouvrier allemand, des informations sur ce qui se passe réellement en Russie et surtout sur la politique bolchevique. Il faut aussi obtenir d’Allemagne les informations nécessaires à la direction du parti russe. Les trois ont reçu, au lendemain des journées de juillet, le renfort de Rakovsky, menacé d’extradition en Roumanie par le gouvernement provisoire, cible des généraux blancs, que les militants bolcheviques ont aidé à quitter Petrograd et à gagner Stockholm. Pour informer l’Europe, on a tâté le terrain avec la publication d’une feuille ronéotypée de format réduit, Russische Korrespondenz-Pmvda. Son succès permet de viser plus haut avec Thebdomadaire imprimé Bote der russiscken Révolution, qui publie en allemand à Stockholm et en français à Genève les nouvelles de Russie - informations de la Pravda surtout - arrivées par la Finlande. Pour les nouvelles d’Allemagne, c’est plus simple encore. Johann Knief, l’homme é'Arbeiterpolitik lié à Radek, a laissé domicile et travail pour se consacrer à leur collecte et adresse à son ami à Stockholm des informations que ce dernier transmet aussi par téléphone à Lénine54. Balabanova, la secrétaire de la commission de Zimmerwald, que la présence de Rakovsky a rapprochée des trois autres représentants du parti de Lénine, a évoqué dans ses Mémoires la « période de grande excitation et de constante anxiété, dans cette première semaine historique de novembre, quand la question du destin de la révolution et du socialisme lui-même semblaient se jouer55». Quand Rakovsky revient à Petrograd, l’insurrection, décidée par le Parti bolchevique, exécutée de main de maître par Trotsky, a réussi. Le congrès des soviets a proclamé qu’il prenait le pouvoir. L ’ancien dirigeant du PS roumain et membre du Bureau socialiste international donne son adhésion au parti de Lénine, qui lui fait accorder une ancienneté à partir de 1892. La révolution commence à rassembler. Tous ceux qui, depuis 1914, ont pris part à la lutte contre la guerre et pour la renaissance du mouvement socialiste international ressentent la victoire de la révolution d’Octobre comme un fait historique. Clara Zeîkin parle d’« événement exaltant », Rosa Luxemburg, d’« événement magnifique » et d’« élixir de vie ». Dans sa critique citée plus haut de la Révolution russe, elle écrit aussi ces lignes sans ambiguïté : « Les Lénine et les Trotsky avec leurs amis ont été les premiers qui aient devancé le prolétariat mondial par leur exemple. Ils sont les seuls jusqu’ici à pouvoir s’écrier avec Ulrich de Hütten : “J ’ai osé cela" C’est ce qui est l’essentiel et ce qui reste de îa politique des bolcheviks56. » L ’organe anarchiste de Catalogne Tierra y Libertad, lui, salue tout simplement « les frères en idées 54. P. Broué, Rakovsky, p. 132-134. 55. Cité dans P. Broué, ibidem, p, 134. 56. R. Luxemburg, La Révolution russe, dernière page du texte dans toutes les éditions.

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et en révolution57» dont Faction victorieuse fait battre les cœurs d’enthousiasme. L ’ou­ vrage de Lénine VÉtai et la révolution gagne plus d’un libertaire, anarchiste, anarchosyndicaliste ou syndicaliste révolutionnaire. Après cette première et grande victoire révolutionnaire, la voie de l’Internationale peut sembler grande ouverte. En fait, les puissances mondiales - « l’impérialisme », cdmme disent les révolutionnaires - tentent de l’étauffer en même temps que la révolution, dans une Russie cerclée de fer et de feu, /

5'/. Tierra y Libertad, 28 novembre 1917, cité par G. Meaker, The Revolutionary Left in Spain, p. 101.

CHAPITRE II

De la guerre à la révolution mondiale

( 1918) 1918 est îa dernière année de la guerre. Personne ne le sait. Tout le monde le souhaite. Bîle commence très mal pour la monarchie austro-hongroise, avec ce signe décidément annonciateur des grands craquements qu’est la révolte des marins parqués dans l’enfer des navires de guerre et sans ennemi en vue. P r em ièr es

m u t in e r ie s d a n s l ’a r m ée d e t e r r e

Dès 1915, l’armée austro-hongroise donne des signes d’ébranlement. Le 4e régiment de ligne de Bosnie-Herzégovine, où se sont produites des manifestations antiguerre et anti-impériales, est décimé. Dominique Gros écrit : A partir de 1917, de véritables hordes de déserteurs armés quittent l’année de terre et se réfugient dans les montagnes de Croatie et de Slovénie. La plus grosse partie de ces « cadets verts » va se constituer en 8 bataillons de 1000 hommes, concentrés [...] sur les montagnes du littoral [...] ainsi que dans les forêts. La population les protège et les nourrit, et [...] l’armée austro-hongroise renonce complètement, dès l’hiver 1917, à entreprendre contre eux une action militaire. Mais c’est dans la marine impériale que l’agitation révolutionnaire démocratique est la plus importante ; c’est là qu’elle revêt ses formes spécifiques!. C’est également à cette époque que se produit à Mostar la mutinerie des soldats d’un bataillon du 22erégiment d’infanterie2. Bientôt, c’est le coup de tonnerre de la manifes­ tation pour la paix des matins de Cattaro, passée sous silence dans îa plupart des ouvrages consacrés à la guerre de 1914-1918. Les avertissements s’accumulent, mais le pouvoir ne peut plus faire grand chose. Un officier a essayé de parler de religion aux marins, et l’un d’eux lui a brutalement répondu qu’il n’y avait « plus de Dieu3». Ainsi, après la révolution russe qui a frappé l’Entente, l’affaiblissement austro-hongrois menace les Centraux.

1.D. Gros, Les Conseils ouvriers. Espérances et défaites de la révolution en Autriche-Hongrie, p. 192, Dijon. Nous lui devons aussi le récit qui suit. 2. Ibidem, p. 94. 3. Ibidem, p. 97.

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La

m o n t ée

L a « m u t in e r ie » d e C attaro

Après la destitution de l’amiral de la flotte, le « Yougoslave » Hans, c’est un aristocrate hongrois, l’amiral Miklôs Horthy, qui prend le commandement. Le gros des navires - une quarantaine - est ancré normalement à Cattaro (Kotor). Il y a eu, avant la nomination de Horthy, de vifs incidents qui ont provoqué le limogeage de son prédécesseur et la création d’un Comité révolutionnaire yougoslave, animé par un enseigne croate de vingt-six ans, Antun SeSan, qui place ses espoirs dans une action commune avec les forces armées italiennes4. Le début du mouvement, avec les conditions matérielles et le mépris dont sont accablés les marins par des officiers brutaux et arrogants rappelle irrésistiblement la mutinerie du Potemkine. Mais là aussi l’étincelle vient du mouvement ouvrier. Une grève éclate à l’arse­ nal, et les grévistes lancent des mots d’ordre pour la paix. Une assemblée de marins tenue dans une auberge de Gjenovic le 20 janvier décide, sur proposition du quartier-maître morave Frantisek RaS, qu’appuie le marin tchèque Gustav Stonavsky, organisateur d’une grève de la faim dans la flotte en 1912 contre la guerre des Balkans, de manifester pour la paix sur tous les bateaux le 1èrfévrier à midi. La résolution, diffusée sur tous les bateaux, est approuvée : les marins répondent à un sentiment de solidarité. Le 1er février 1918, ils manifestent à leur tour pour îa paix, titrent leur résolution « Ce que nous voulons » et revendiquent la paix générale et immédiate, sans annexion, le désarmement, le droit à l’autodétermination des peuples, îa « démocratisation ». Une autre série de revendications porte sur le ravitaillement, la suppression des privilèges des offi­ ciers. Un comité de travailleurs civils, élu par les ouvriers du port, se joint aux marins5. L ’action n’est pas facile car il y a sur les bateaux 16,3 % d’Autrichiens allemands, 20,4 % de Hongrois, 11 % de Tchèques et de Slovaques, 34,1 % de Yougoslaves, les Slaves du Sud, Croates surtout, 14, 3 % d’italiens, 3,8 % de Polonais6. C’est la tour de Babel. Les hommes se définissent non comme mutins mais comme grévistes. Ils élisent leurs comités de navires et un comité central de quatre membres, dont RaS. Ces hommes sont intrépides. Ils ont demandé l’aide du mouvement ouvrier, attendent avec confiance, igno­ rant pourtant que les amiraux et les généraux ont intercepté leurs appels au secours, qui n’arriveront pas7. RaS dit à l’amiral qui lui communique les ordres en forme d’ultimatum de Horthy : « Notre mouvement est une révolution. Et toute révolution coûte du sang. Nous avons pris le pouvoir [...]. Peu m’importe d’être pendu aujourd’hui ou demain. » Et d’expliquer à l’amiral ébahi qu’il va falloir « rompre avec l’État, comme en Russie8». Isolés, les marins doivent céder le 10 février sous le bombardement et se refusent à riposter. 40 « mutins » sont traduits en conseil de guerre. Quatre sont condamnés à mort, dont RaS, et aussitôt fusillés, les autres sont condamnés à de lourdes peines, ainsi qu’une seconde fournée de 3829. L ’ordre est rétabli. Mais ce coup de tonnerre annonce de sérieuses tempêtes. Le II, les dirigeants social-démocrates sont venus protester et même menacer : on leur promet qu’il n’y aura pas de nouvelles exécutions et que la répression sera plus modérée . 4. Ibidem, p. 97-99. 5. Ibidem, p, 96. 6. Ibidem, p. 94-95. 7. Ibidem, p. 98-99, 8. Ibidem, p. 96. 9. Ibidem, p. 99. 10. Ibidem.

De l a

Un peu

g u e r r e a l a r é v o l u t i o n m o n d ia le

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pa rto ut , d es sec o u sses

A des milliers de kilomètres de là, en France, quelques semaines plus tôt, un charpentier en fer de 42 ans, Clovis Andrieu, est revenu chez lui, à Firminy, où il dirige le syndicat des métaux CGT. Il avait été mobilisé le 27 novembre 1917, sous prétexte de propos subversifs, en fait à cause de sa combativité, mais une grève généralisée dans le bassin de îa Loire a obligé les autorités militaires à le renvoyer dans ses foyers. Il profite de îa mobilisation des travailleurs pour préparer ce qu’il appelle « la grève insurrectionnelle », dont il attend la révolution et la fin de îa guerre n. En Finlande, une terrible guerre civile commence. Le Parlement élu, à majorité socialedémocrate, présidé par Kullervo Manner, a été dissous par le Gouvernement provisoire russe et remplacé par un gouvernement dirigé par le président du Sénat, Svinhuvfud, un régent qui cherche un roi. Il a obtenu en 1917 sa reconnaissance par la Russie soviétique et le retrait des troupes russes de son territoire. Mais les 26 et 27 janvier 1918 éclate à Helsinki le soulèvement des social-démocrates finnois appuyés par les travailleurs et les soldats russes. Une guerre civile commence où s’affrontent les gardes rouges, les forces armées du gouvernement révolutionnaire de Kullervo Manner et les gardes blancs du major-général tsariste Cari von Mannerheim, regroupés dans le Nord. Ainsi va l’Europe. Dernière année de guerre, première année de révolution et de guerre civile. La

c r is e a u stro -h o n g r o ise s ’a g g r a v e

Pour l’amiral Horthy, Cattaro et les signes de décomposition qui venaient de s’y manifester n’étaient « que partie du grand bouleversement, qui, partout dans l’empire des tsars en 1917, atteignait les pays Baltes, l’Autriche-Hongrie, l’Allemagne et la Turquie ». Le mois de mai voit les premières mutineries dans l’armée de terre. Le 22, le 17ebataillon d’infanterie proclame la démobilisation et déclare : « Debout avec les bolcheviks. Vive le pain, à bas la guerre ! » Dans les jours suivants se produisent des refus d’obéissance d’unité entières, dont le 7e bataillon de chasseurs de Rumburg, constitué d’ouvriers de Plzeù qui refusent de monter au front sous l’impulsion de l’un d’entre eux, Franttëek Noha, un jeune ouvrier tourneur qui a été prisonnier de guerre en Russie et y a été gagné par les idées révolutionaires des bolcheviks. Noha et neuf de ses camarades, dont un télégraphiste des chemins de fer, le sous-officier Vodiôka, sont fusillés le 25 mai 1918. Le gouverneur de Prague s’inquiète du « rapport devenu évident entre la révolution sociale de Russie et la situation militaire et politique à l’intérieur de la monarchie12». Et le mouvement continue, parfois animé par d’anciens prisonniers russes, révolte de soldats ukrainiens et slovènes, fin mai, du 7Ierégiment d’infanterie slovaque à Kragujevac en juin. Le général commandant en Galicie informe Vienne qu’il ne contrôle plus rienl3. Dans la Flotte, ce sont les comités d’action ou comités révolutionnaires animés par des Croates qui tiennent le haut du pavé. Modèle d’organisation, le comité « révolutionnaire » - devenu « populaire » - de Sibenik s’effondrera sans gloire, parce que les sous-officiers qui l’ont créé par une activité courageuse et patiente font confiance aux hommes politiques nationalistes qui veulent avant tout éviter l’insurrection et se laissent prendre à revers par 11.G. RaffaeiSi et M. Zancarini, «Clovis Andrieu», dans Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français, ci-après Maitron, p. î 55-158. 12. D. Gros, op. cit., p. 101. 13. Ibidem, p. 103.

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m o n tée

les Italiens : ces héros de l’indépendance yougoslave sont en prison quand celle-ci est en passe d’être acquise14. Le

p r o b lèm e d e l a p a ix

La guerre avait provoqué îa révolution en Russie. C’était à la paix qu’aspiraient d’abord les soldats et les travailleurs russes. En cela au moins leurs aspirations répondaient à celles des travailleurs du monde entier. Les dirigeants bolcheviques ne l’avaiertt emporté sur leurs concurrents pour le pouvoir, de février à octobre, que parce qu’ils avaient fermement maintenu la revendication pour la paix, alors que les autres partis, cédant aux pressions des Alliés et de leurs propres chefs militaires, avaient continué la guerre et les sanglantes offensives qui avaient finalement abouti à la décomposition de l’armée russe. Aussi, dès la prise du pouvoir, le gouvernement de Lénine publia ce qu’il appelait un « décret sur la paix » : « Le gouvernement des ouvriers et des paysans [...] propose à toutes les nations belligérantes et à leurs gouvernements de commencer immédiatement les négociations en vue d’une paix équitable et démocratique [...] une paix immédiate sans annexion (c’est-à-dire sans confiscation de territoires étrangers, sans annexion forcée de nationalités étrangères) et sans indemnités15. » Cette première manifestation demeura sans réponse. Le 20 novembre, le gouvernement adressa au général Doukhonine, commandant en chef des armées russes, une note lui prescrivant d’engager des négociations afin de conclure un armistice sur tous les fronts16. Le 21 novembre, Trotsky adressa à tous les ambassadeurs alliés à Petrograd une note dans laquelle il les priait de prendre en considération « une proposition formelle d’armis­ tice immédiat sur tous les fronts et d’ouverture immédiate des négociations de paix ». La même note était adressée à tous les belligérants17. Mais le généralissime ne reconnaissait pas le gouvernement. H refusa purement et simplement de demander l’armistice. Le gouvernement le révoqua le 22 novembre et désigna pour lui succéder un nouveau com­ mandant en chef, l’enseigne Krylenko, sans doute le bolchevik le plus ancien dans le grade le plus élevé ! Le 23, les représentants alliés à Petrograd, soutenus par l’attaché militaire américain, s’adressèrent directement à leur tour au général Doukhonine, lui rappelant que les Russes s’étaient engagés à ne pas conclure de paix séparée18. Le 24, Trotsky, rappelant que les Alliés n’avaient pas répondu à la note du 8, déclarait au nom du gouvernement soviétique que leur appel au général Doukhonine constituait « une immixtion dans les affaires inté­ rieures du pays ayant pour objectif de provoquer la guerre civile19». Or le général Doukhonine s’était pour sa part effectivement engagé dans la voie de la guerre civile en adressant le même jour une proclamation aux soldats contre la politique de paix du gouvernement. H allait être lynché par des soldats le 3 décembre lors de l’occupation de son QG par Kiylenko et son escorte de marins. N ég o c ia t io n s D’a r m ist ic e

Entre-temps, le 28 novembre, le haut-commandement allemand avait fait savoir qu’il était prêt pour sa part à négocier un armistice. La date du 2 décembre fut fixée pour 14. Ibidem, annexes. 15. Cité dans Gankia et Fischer, The Bolshevik Révolution 1917-1918 (documents), p 125. 16. Ibidem, p. 233. 17. Ibidem, p. 243. 18. Gankin et Fischer. The Bolshevik Révolution, p. 245. 19. Ibidem, p. 244-246.

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g u e r r e a l a r é v o l u t i o n m o n d iale

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permettre aux Alliés de rejoindre un rendez-vous fixé à Brest-Litovsk. L ’ordre n° 3 du commandant en chef Krylenko ordonna « de cesser le feu immédiatement et de commencer la fraternisation sur tous les fronts ». Les Alliés ne vinrent pas au rendez-vous. La bataille internationale pour la paix commençait. A Brest-Litovsk et en Europe. Dans les pourparlers commencés dans îa vieille ville de Brest-Litovsk, les Russes sont seuls face aux Centraux, et ce n’est pas ce qu’ils avaient voulu. La délégation soviétique, présidée par A. A. Ioffe, comprend Kamenev, Karakhane, Sokolnikov, une socialisterévolutionnaire, Anastasia Bitsenko, un officier, un paysan, un ouvrier et huit « experts ». Les Russes essaient de gagner du temps, notamment en posant comme condition préalable à la conclusion d’un armistice l’engagement du gouvernement allemand de ne pas trans­ férer à l’Ouest les troupes du front de l’Est. Le 5 décembre est signé un accord pour une trêve jusqu’au 17. Si les Alliés ne viennent pas, il va falloir négocier une paix séparée pour tenir la promesse des bolcheviks de ramener les soldats chez eux. A partir du 12 reprennent les négociations d’armistice proprement dites, et les Russes obtiennent qu’il n’y ait pas de transfert de troupes allemandes à l’Ouest pour une durée d’un mois et que des contacts pour îa « fraternisation » des troupes soient organisés à l’Est : « des rencontres de 25 personnes au maximum, sans armes, de chaque côté », ce qui était largement suffisant pour les objectifs des bolcheviks, ce que les généraux alle­ mands ne comprirent sans doute pas sur le coup. L ’armistice est prolongé jusqu’au î 8janvier. C’est Trotsky, en sa qualité de commissaire du peuple aux Affaires étrangères, qui dirige la délégation russe aux négociations de paix. Petrov (l’ex-Petroff) vient d’être « expulsé » de sa prison britannique et travaille avec lui. Comme il ne veut faire courir aucun risque à Trotsky, à leur arrivée à Brest, il court en avant, arborant un drapeau blanc, pour s’assurer qu’il n’y aura pas de « méprise ». Trotsky, lui, ne met pas son drapeau rouge dans sa poche. Après avoir semoncé ses collaborateurs qui ont accepté de manger à la même table que leurs adversaires, il annonce publiquement le 22 décembre l’envoi en Allemagne, la veille, d’un wagon de propagande socialiste et pacifiste, et précise : « Bien que nous soyons en train de négocier avec l’Allemagne, nous parlons toujours la langue de la révolution20. » Il marque d’entrée bien des points. Les généraux ennemis sont en effet surpris par sa dialectique, ne savent trop que répondre et le laissent parler. En réalité, par-dessus leurs têtes, ils s’adresse à leurs soldats, pour les aider à penser et à se dresser contre la guerre. Les généraux austro-allemands découvrent d’ailleurs avec colère que, au cours de ces « contacts » qu’ils ont accepté d’organiser entre soldats des deux camps, les leurs sont inondés d’une littérature subversive qui les appelle à la déso­ béissance et qu’il y a un réel risque de « contagion ». De Karl Radek, Trotsky a dit à Sadoul qu’il « appréciait l’intelligence et l’élan de cet homme énergique et passionné25», et il le charge d’organiser la propagande en direction des soldats allemands et austro-hongrois pour des actions de « fraternisation ». Radek s’y adonne à cœur joie. Il a préparé, avant de venir, un numéro en allemand d’un journal intitulé Der Fackel, qui appelle les soldats à se révolter. Il le distribue à son arrivée, en pleine gare, aux militaires allemands présents, sous les yeux de leurs officiers. Il scandalise l’ennemi au point que le général Hoffmann demande son exclusion de la délégation russe en expliquant que ces pratiques sont contraires aux usages diplomatiques et que, de toute façon, ce « déserteur autrichien » n’est pas à sa place dans une délégation gouvernementale russe. On peut comprendre son étonnement et apprécier la situation ainsi créée. 20. L. Trotsky, Sotch, III, 2, p. 215. 21. Cité dans P. Broüé, Trotsky, p. 223.

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n ég o c ia tio n s d e pa ix

Pendant plusieurs semaines, la délégation russe à Brest-Litovsk et particulièrement Trotsky réussissent à tenir en haleine les négociateurs et à gagner chaque jour un peu de temps en embarquant leurs interlocuteurs dans une joute oratoire où ils marquent presque toujours les points, à la grande irritation des porteurs de sabre de la délégation des Centraux. L ’état-major allemand décide alors de revenir à la diplomatie du coup Üe poing sur la table. Le 9 février, le général Hoffmann dépose un document, une carte géographique sur laquelle une ligne jaune marque les annexions revendiquées par les Centraux et le contour des nouvelles frontières. C’est une amputation dans la chair vive de la Russie telle qu’elle était sous le tsar, pour ne pas parler de la Russie soviétique (un quart du territoire, 44 % de la population, un tiers des récoltes, 27 % du revenu de l’Etat, 80 % des raffineries de sucre, 73 % de l’acier, 75 % du charbon, 9 000 entreprises sur 16000). Face au diktat, les bolcheviks se divisent. Lénine pense que les soldats, qui ont déserté en masse pour rentrer chez eux, ont « voté avec les pieds ». On ne peut pas se battre quand on n’a pas d’armée, et il n’y a plus d’armée russe. Le gouvernement soviétique ne peut que s’incliner, signer la paix aux conditions allemandes, pour ne pas périr et entraîner avec lui la révolution dans le monde. Les «communistes de gauche», autour de Boukharine, expliquent que signer la paix serait au contraire trahir la révolution allemande qui monte et contre laquelle l’armée impériale pourrait alors se tourner. C’est aussi trahir le prolétariat occidental et les soldats contre lesquels l’état-major allemand pourra employer des effectifs jusque là retenus à l’Est. Contre l’occupation étrangère, contre l’oppression, on n’a certes pas d’armée, mais on dispose en revanche de tous les moyens de la « guerre révolutionnaire », les actions de partisans, de terroristes, qu'on ne définit pas avec une grande rigueur mais qui répondent en gros à la notion de résistance populaire armée. Trotsky, pour sa part, préconise une solution audacieuse, terriblement risquée, qui prétend répondre aux exigences contradictoires de la situation : l’impossibilité de faire îa guerre et la nécessité de ne pas trahir les révolutionnaires. Elle tient dans sa formule « Ni paix ni guerre ». Il ne faut pas signer la paix, mais il ne faut pas continuer la guerre, et il faut le déclarer ouvertement à la face des Allemands et des peuples du monde. C’est ce qui est fait après une discussion acharnée à l’intérieur du Parti bolchevique. Complètement ahuris dans un premier temps et sans doute tout près de se laisser prendre, les généraux allemands se ressaisissent ensuite et lancent une attaque terrible, avançant profondément sans rencontrer de résistance. Ils aggravent leurs conditions, qu’il faut bien accepter pour survivre et, cette fois, Trotsky assure le succès de la position de Lénine. On signe22. T em pêt e

o u v r iè r e su r l ’E u r o pe

L ’année 1918 commence par une grève dans îa capitale hongroise. Les chercheurs de différents pays ont découvert plusieurs pistes qui les ont menésjusqu’aux deux principaux dirigeants, pionniers des conseils ouvriers en Hongrie, Antal Mosolygô et Sândor Ôszterreicher. Ceux-ci sont en effet en contact avec le cercle Galilée, formé d’étudiants socialistes gagnés à la révolution, à qui Ilona Duczynska, après Vienne, a apporté ses documents sur les conférences internationales. Les étudiants d’Otto Korvin, qui rejoignent le cercle, ont, eux, été formés aux techniques conspiratives par Vladimir Justus, prisonnier de guerre russe et bolchevik ! 22. Voir le récit de ces développements dans P. Broué, Trotsky, p. 224-236.

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La grève commence le 14janvier à Budapest, le 16elle s’étend aux usines de munitions de Basse-Autriche, le 17 à toute îa classe ouvrière de Vienne. Quelques jours plus tard, ce sont les ouvriers des usines de guerre de Berlin, suivis par les métallos et d’autres corporations. Aucune direction syndicale officielle n’a appelé à la grève. Ce sont dejeunes étudiants liés à des ouvriers, s’appelant «radicaux de gauche», qui sont à l’origine du mouvement à Budapest et à Vienne. A Berlin, les dirigeants ont été les Délégués révo­ lutionnaires, à Brunswick, les spartakistes. L ’Autrichien Franz Borkenau, après sa rupture avec le communisme, commente en 1939 dans un ouvrage sur l’Internationale commu­ niste: Malgré cela ou plutôt pour cette raison même, cette grève a étéen plus d’un sens le plus grand mouvement révolutionnaire d’origine réellement prolétarienne que le monde moderne ait jamais vu. Bien que vaguement lié à l’agitation paysanne, il reposa sur ses propres forces. Et, ce qui est le plus remarquable, ce fut l’unique action internationale de grève de cette importance connue dans l’histoire. La coordination internationale que la Comintem essaya si souvent plus tard de réaliser fut automatiquement produite ici, à l’intérieur des frontières des puissances centrales, par la communauté d’intérêts dans tous les pays concernés et par la prédominance, partout, des deux problèmes principaux, le pain et les négociations deBrest. Partout les mots d’ordre revendiquaient une paix avec la Russie, sans annexion ni compensation, des rations plus grosses et une pleine démocratie politique. Le mouvement secoua les puissances centrales jusqu’à leurs fondations mêmes. Il est certai­ nement inexact de dire que la guerre a été perdue du fait des activités des révolutionnaires, car les puissances centrales ont été battues sur le champ de bataille. Mais elle a accéléré leur défaite et dessiné les grandes lignes de la révolution qui venait. Elle fut due à la révolution russe, ou cette dernière fut sa cause la plus immédiate. Et il reste ce fait remarquable que le plus gros effet qu’eut sur l’Europe la révolution russe fut obtenu avant qu’il ait existé une Internationale com­ muniste23. La répression est sévère. Nombre d’ouvriers sont arrêtés et condamnés, des révolu­ tionnaires aussi, et parmi eux îlona Duczynska, qui vient d’avoir dix-neuf ans. La

p a ix e t s e s len d em a in s

Les bolcheviks avaient absolument besoin de îa paix - et ils l’ont obtenue à Brest, mais à un prix exorbitant, Ils avaient escompté le secours du prolétariat international. Celui-ci s’est manifestée dans les pays belligérants, surtout en Allemagne et en AutricheHongrie, mais ni au moment ni avec la puissance nécessaires pour leur épargner cette terrible épreuve : les grandes grèves de 1917 n’ont pu empêcher que la révolution fût saignée au traité de Brest-Litovsk et dans le cours de son application. Les lendemains sont en effet dramatiques. En quelques semaines, les Allemands ont consolidé leurs positions dans ou à proximité de régions industrielles vitales, et occupé des « greniers à blé ». Chassant des gouvernements nationaux ou installés par les bolche­ viks, ils installent leurs propres fantoches, civils ou militaires, qu’ils soutiennent de leurs baïonnettes. De îa Baltique à la mer Noire, traversant l’Ukraine, s’étendent des dépen­ dances - des intendances aussi - de l’armée impériale allemande, et avec elles l’ordre des potences. La révolution semble y être écrasée par les protectorats installés par l’étatmajor impérial de Berlin. Le traité oblige les Russes à retirer leurs troupes de Finlande. Ce retrait n’est pas achevé que le général Rüdiger von der Golz, ancien aide de camp de Guillaume II, 23. R Borkenau, World Communism, p. 92-93.

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débarque à Hangoe, dans îe dos des troupes rouges, à la tête de la division de la Baltique : il entre à Helsinki le 14 avril. Le gouvernement socialiste de Finlande n’a pas réussi à évacuer à temps toute îa population ouvrière, ainsi qu’il avait espéré pouvoir le faire. La plupart des dirigeants du mouvement révolutionnaire réussissent à trouver refuge en Russie. Le gouvernement blanc est rétabli le 4 mai sous la présidence du général major von Mannerheim, La répression se déchaîne. Borkenau écrit à ce sujet : « C’est le premier exemple où l’on vit une terreur blanche qui vengeait quelques centaines de victimes de la classe possédante dans le sang de dizaines de milliers de pauvres24. » Une évaluation des victimes de la terreur blanche fait apparaître 8 000 à 15000 victimes, selon les social-démocrates, 15 000 à 20 000 pour les communistes. L ’avance des troupes russes en Roumanie semblait sur le point de s’étendre à ce pays tout entier en mars 1918 et de faire sa jonction avec un mouvement populaire combatif. Elle se retire, et c’est le déferlement des troupes des Centraux. Rakovsky, porte-drapeau de cette «conquête révolutionnaire», doit se réfugier en Russie soviétique. H est condamné à mort par contumace par un tribunal militaire roumain. C r is e

au so m m et d u

P a r t i b o lc h ev iq u e

Dans l’intervalle, sur la proposition de Lénine, le Parti bolchevique a quitté sa « chemise sale », l’étiquette de « social-démocrate », pour devenir un parti « communiste ». Cela ne lui évite pas une crise très profonde. Des régions entières ne se considèrent pas comme engagées par le traité de paix. Les communistes de gauche agissent en fraction indépen­ dante, négocient avec les autres formations, publient leur propre presse, indépendamment du parti et de sa direction. Le Parti bolchevique est en état de scission de fait, H ne restaurera son unité qu’avec l’effondrement des armées des Centraux, qui donne raison à Lénine, mais qu’il faudra attendre encore pendant de longs mois. A l’extérieur de la Russie, et particulièrement en Allemagne, venant après l’échec du grand mouvement gréviste de Berlin à Leipzig en passant par Budapest et Vienne - une action de masse dont beaucoup avaient espéré qu’elle allait prendre à revers les maréchaux du Kaiser -, après l’offensive allemande et le démembrement du territoire soviétique, ces défaites sont un coup au moral du camp révolutionnaire. La correspondance entre les dirigeants allemands emprisonnés en apporte la preuve. Aucun doigt accusateur ne s’élève certes contre les bolcheviks, qui, après tout, ont « osé » mais qui sont restés seuls. Il n’en existe pas moins un sentiment de frustration, voire un ressentiment à leur égard. Ils ont certes desserré l’étreinte, mais n’est-ce pas au prix de son resserrement sur la gorge de la révolution allemande ? C’est ce que pensent bien des dirigeants, et surtout des cadres. C’est ce que pense Rosa Luxemburg, qui écrit un article de condamnation très ferme de la politique de Lénine. Il faudra la pression et la grande insistance de Paul Levi, son avocat, amant, camarade de combat et dirigeant clandestin de son organisation, pour qu’elle renonce à exiger sa publication. Le déclin de l’influence de ceux qu’on appelle toujours « radicaux de gauche » fLinksradikalen) est net dans les mouvements de grèves. Les social-démocrates majoritaires ont repris du poil de la bête, les indépendants de l’USPD ont de toute évidence moins peur d’apparaître comme des « opportunistes », et les spartakistes, du fait des bolcheviks, ont perdu une part de leur autorité. La répression gouvernementale aggrave évidemment cette situation. Les bolcheviks, qui en ont conscience, ont pourtant vu dans les mouvements révolutionnaires un signe bien plus important que le balancement de sentiments subjectifs : 24. F. Borkenau, op. cit., p, 106.

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en Hongrie comme en Autriche sont nés au cours des grèves de véritables soviets, des conseils ouvriers qui conféraient au mouvement sa réalité sociale-politique et son caractère international. En d’autres termes, et sans le savoir, les combattants ouvriers pour la paix d’Europe centrale se sont engagés dans la lutte pour la dictature du prolétariat. Des

d iplo m a t es t r ès spéc ia u x

Déjà, au lendemain de la révolution russe, en janvier 1918, pensant assurer la sécurité de l’héroïque militant écossais, le gouvernement soviétique avait nommé John Maclean consul de Russie à Glasgow. Au lendemain du traité de Brest-Litovsk, en février 1918, la Russie avait gagné le droit d’avoir des représentations diplomatiques dans les rares pays qui la reconnaissaient ou acceptaient une présence officieuse. Deux de ces missions ont joué un rôle particulièrement important : l’ambassade de Berlin et la mission diplo­ matique de Berne. Les gens qui les composent sont évidemment des diplomates très spéciaux, avant tout des militants qui ont une expérience conspirative et clandestine et dont îa mission est d’aider politiquement et matériellement les révolutionnaires du pays où ils sont affectés. L ’ambassadeur à Berlin est A.A. Ioffe, ami de Trotsky et ancien exilé pour son activité au service de la diffusion de la Pravda de Vienne, négociateur à Brest-Litovsk. Il parle couramment l’allemand, connaît beaucoup de monde, des révolutionnaires au chancelier en passant par les princes et généraux rencontrés à Brest. Il annonce la couleur dès son arrivée, refusant d’aller présenter à l’empereur Guillaume II ses lettres de créance. H invite en revanche révolutionnaires, socialistes et intellectuels pacifistes, dès sa première récep­ tion. Le personnel de l’ambassade est formé d’hommes et de femmes connaissant l’Alle­ magne et le métier de révolutionnaire. Le premier secrétaire, Vladimir Zagorsky, est un vieux bolchevik qui a vécu plusieurs années à Leipzig et était avant la guerre le responsable du « centre bolchevique » en Allemagne. Les autorités allemandes ne donnent pas leur agrément à Marchlewski (Karski), trop connu de leurs services de police. L ’ambassade, située sur Unter den Linden, est un lieu de passage et de séjour pour les bolcheviks en circulation pour raisons semblablement « diplomatiques » dans des pays voisins. Deux voyageurs importants y ont séjourné assez longtemps et ont pu travailler avec Ioffe à démêler les problèmes allemands, Boukharine et Rakovsky, dont Berlin était le port d’attache quand il avait terminé une discussion avec l’une des créatures allemandes d’Ukraine, ainsi l’ataman Skoropadsky. Nous savons quToffe fut un conseiller, mais non un mentor. II n’opéra aucun choix parmi les groupes, donna, selon ses propres déclarations aux hvestia le 6 décembre de la même année, plusieurs centaines de milliers de marks à Emil Barth, président des Délégués révolutionnaires, responsable de la préparation de l’insurrection, qui n’apparte­ nait nullement à la mouvance bolchevique, Il confia à l’avocat et membre de l’USPD, Oscar Cohn, chargé des affaires de l’ambassade, un fonds de 10 millions de roubles destiné à aider la révolution en Allemagne. L ’ambassade russe a financé pendant cette période six journaux de TUSPD sans qu’il soit possible de dire qu’elle les dirigeait ou leur dictait une orientation. A l’agence de presse Rosta, qu’il implanta à Berlin, position stratégique pour l’information, mais aussi travail rémunéré, Ioffe embaucha un bon spé­ cialiste, Emil Eichhom, ancien responsable du bureau de presse du Parti social-démocrate, dirigeant berlinois de l’USPD, ainsi que les spartakistes Ernst Meyer et Eugen Léviné. La mission diplomatique de Berne, elle, fut formée de militants familiers avec la Suisse. Son organisateur, arrivé avant tous les autres à la suite d’un long périple, fut un adjoint de Trotsky et son proche collaborateur, un vieux bolchevik, le Dr Ivan Zalkind. Docteur

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en médecine, ayant vécu longtemps à Paris, où il a connu Trotsky, il est marié à une Française (Suzanne). Arrivé dix jours avant Berzine, il ouvre la voie à la mission. Il était en effet parti de Petrograd avec Kamenev le 1er février 1918, était passé par Stockholm, puis par l'Écosse et Londres, et n’était arrivé à la frontière suisse que le 7 mai. Pendant son séjour, il tenta de passer en ïtalie mais fut refoulé. Une partie du personnel de la mission a été recrutée sur place, ou presque. Son chef n’a rien d’un diplomate professionnel : l’ouvrier letton Jan Berzine, dit Winter, éfait venu en Suisse comme représentant de son parti dans la gauche de Zimmerwald. Il parlait un français parfait. Le conseiller était aussi un vieux bolchevik, G.L. Chklovsky, ami de Zinoviev, qui avait vécu en émigration en Suisse de 1909 à 1917. Le Polonais Bronski, pilier de la gauche de Zimmerwald en Suisse, collaborateur de Lénine, n’avait fait qu’un bref séjour à Petrograd avant de revenir en Suisse. La militante italo-russe Angelica Balabanova était, nous le savons, la secrétaire du groupe zimmerwaldien, La femme de Fritz Platten, Olga, travaillait également à la mission. Certains des hommes de la mission étaient peu connus. Un ancien terroriste SR de 1905, devenu bolchevik en émigration, lakov Reich, était chargé du bulletin d’information à destination de l’Allemagne et de la France avec un spécialiste russe de la presse, Zamiatine. Il était compétent en affaires. Ce révolutionnaire professionnel était une sorte de factotum universel. Le Serbe Ilya Milkic avait représenté le parti socialiste de son pays à la conférence de la IIe Internationale à Copenhague en 1910. Élu conseiller municipal de Belgrade sur une liste du PS serbe, il avait émigré en Suisse pendant la guerre et correspondu avec Trotsky. Le Polonais Stefan Bratman, métallo à Zurich, était avec les bolcheviks dans l’émigration : il devint secrétaire de îa mission. N.N. Lîoubarsky, lui, venait d’Extrême-Orient et allait se diriger vers l’Italie, où il deviendrait Carlo Niccolini. De Petrograd vint aussi le jeune Hongrois Tibor Szamuely. Fils de gros commerçants, journaliste socialiste possédant plusieurs langues, devenu communiste alors qu’il était prisonnier de guerre en Russie, il semblait promis à un bel avenir de dirigeant révolu­ tionnaire. L ’ a g ita tio n

r év o lu t io n n a ir e c o n t in u e

La lutte se poursuit dans les autres pays à un niveau qui n’est certes pas celui de l’Europe centrale. Elle n’en est qu’à son début. En France, le 1er mai, c’est une nouvelle grève victorieuse des ouvriers du bassin de Firminy pour la libération de six d’entre eux menacés du conseil de guerre. C’est aussi, au lendemain du congrès de Saint-Étienne des minoritaires révolutionnaires de la CGT, la grève de Vienne et l’arrestation de ses dirigeants, Richetta, Herclet et Miglioretti, condamnés à de lourdes peines pour s’être livrés lors de la grève générale à de « îa provocation au meurtre et [à] la provocation de militaires à désobéissance25». En Italie, il y a des grèves à Milan le 1ermai, avec des mots d’ordre contre la guerre. Des rencontres traduisent les efforts pour la création à îa gauche du PSI d’une fraction « intran­ sigeante », etl’onremarquel’orientationrévolutionnaire desJeunesses socialistes, qui regar­ dent vers Moscou. En mai, la condamnation de Serrati à trois ans de prison pour « trahison indirecte » du fait de sa « participation » aux événements de 1917contribue à freiner la cris­ tallisation d’unegauche. Lui-mêmedéclare d’ailleurs devantle tribunal que, si les socialistes sont capables d’interpréter l’histoire, ils ne peuvent pas la faire. En Grande-Bretagne, John Maclean, condamné à trois ans de prison, libéré après 25. Voir les notices correspondantes dans le Maitron.

De

la g u err e a l a révolution mondiale

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quatorze mois, écrit un livre intitulé War after the War (Guerre après la guerre). De nouveau arrêté après le grand meeting de janvier 1918 contre la mobilisation des jeunes de dix-huit ans, il est incarcéré à la prison de Duke Street et va pouvoir entendre les clameurs pour sa libération poussées par les 100000 manifestants du 1er mai 1918, manifestation organisée par le Comité des ouvriers de îa Clyde, centre de la résistance ouvrière à la guerre et à l’exploitation. Le monde n’entendra pas, du fait de la censure, sa célèbre plaidoirie devant le tribunal qui le juge pour son « action inconstitutionnelle » : « Je ne suis pas ici en tant qu’accusé ; je suis ici en tant qu’accusateur du capitalisme ruisselant de sang de la tête aux pieds26, » En Espagne, où la révolution russe est apparue, acclamée par presse et groupes anar­ chistes, comme îa révolution qui donne îa terre aux paysans, l’agitation revêt une grande ampleur à partir de mai 1918, faiblit un peu en été pour reprendre en automne avec le congrès syndicaliste de Castro del Rio du 25 au 27 octobre et le déclenchement d’une grève générale totale, y compris dans 34 villes de la province de Cordoue, avec un degré decoordination sans précédent. Dans les villes, le congrès de Sâns de la CNT de Catalogne mettant en avant la forme d’organisation du Sindicato ûnico marque le point de départ d’un mouvement massif de syndicalisation, l’apparition de nouveaux jeunes dirigeants, le Catalan Salvador Segui et le Léonnais Angel Pestana, et le début des « deux années rouges », le bienio bolchevique. La fermentation politique est importante, aussi bien dans les organisations syndicales, y compris celles qu’influencent les anarchistes et les « syn­ dicalistes », que dans le PSOE, où les jeunesses socialistes sont à l’avant-garde de la «reconnaissance » du modèle russe27. L e s É tats-U n is

d a n s l a g u er r e

Un facteur nouveau est venu perturber l’évolution jusque-là linéaire des affaires mon­ diales. Les États-Unis sont entrés en guerre le 2 avril 1917, au lendemain de la sortie de la guerre de la Russie soviétique. Bien des facteurs poussaient leur président, élu sur un programme de politique extérieure isolationniste. Il y avait les marchés des belligérants à conquérir, leurs économies à coloniser aujourd’hui ou demain, la révolution à étouffer dans l’œuf avant qu’il ne soit trop tard. Bientôt, il apparut que la guerre fournissait à la classe dirigeante l’occasion d’une répression colossale contre le mouvement socialiste et révolutionnaire dans le pays, d’une remise au pas des travailleurs, L ’État américain et la classe dirigeante déployèrent toutes les ressources de leurs moyens de répression : lourdes condamnations, discutables - contre les anarchistes, Berkman, Emma Goldman et surtout Tom Mooney -, interdiction ou suppression de fait des journaux par le refus de la poste de les acheminer, attaques contre les locaux du Parti socialiste ou de syndicats, opérations terroristes de déportation des familles des grévistes en Arizona, utilisation des vigilantes protégés par la police pour briser des grèves, et casser des réunions, lynchages. Après Joe Hill, c’est celui de Frank Little, adversaire de l’entrée en guerre et organisateur à l’été 1917 de la grève de 75 000 mineurs du cuivre, qu’il concevait comme une action contre la guerre. Il fut enlevé dans la nuit du 1er août 1917, traîné derrière une auto dans les rues de Butte (Montana) et pendu à un viaduc de chemin de fer. La classe dirigeante américaine déclarait la guerre à la révolution. Ce fut parfaitement visible avec l’énorme procès pour la suppression de l’organisation de classe des travailleurs nord-américains, les Industrial Workers of the World (IWW), les mbblies qui avaient tant fait pour les revendications comme pour la défense des droits 26. N. Milton, John Maclean, p. 172. Nan Milton, morte en Î996, était la fille de John Maclean. 27. G. Meaker, op. cit., p. 133-188.

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démocratiques des plus défavorisés pendant des décennies. Le 1er avril 1918 il s’ouvre à Chicago avec 101 membres des IWW. Il va durer cinq mois. Certain de l’issue, son dirigeant et symbole, le grand Bill Haywood, a cherché refuge en Russie. Les accusés et leurs avocats se défendent en attaquant et réussissent à faire le procès du capitalisme et de sa prétendue démocratie, John Reed, toujours grand témoin, donne de remarquables comptes rendus des audiences dans The Masses, écrivant quelques pages éblouissantes. Enfin, le président Wilson se manifeste spectaculairement sur la question des buts de guerre. Ce n’est évidemment pas un hasard si c’est au moment précis où la délégation russe revenait à Brest-Litovsk qu’il prononça au Congrès, le 8 janvier 1918, le célèbre discours dans lequel il énonçait les quatorze points pour une paix démocratique. L ’idée lui venait, semble-t-il, des diplomates américains de Petrograd qui suggéraient de « refor­ muler les buts de guerre anti-impérialistes [sic] et les exigences de paix démocratique des États-Unis », en somme, selon l’expression d’Ë.G. Sisson, lui-même inspiré par le colonel Robins, « des paragraphes de publicité ». Quelles qu’aient été les intentions de Woodrow Wilson, ses « quatorze points », venant après l’entrée en guerre des États-Unis, modifiaient profondément le rapport des forces et augmentaient fortement les capacités de résistance des puissances à îa révolution. Non seulement l’armée américaine, bien équipée, remplaçait avantageusement l’armée russe et rompait définitivement l’équilibre des forces militaires en faveur des Alliés, mais encore les « quatorze points » proclamés comme buts de guerre privaient les Russes de l’exclu­ sivité de leur politique de paix, et donc de leur prestige. Dans la lutte contre la révolution montante et les initiatives « comme les Russes », ils allaient en effet constituer le vêtement idéologique de la social-démocratie, voire des socialistes centristes qui refusaient dé rompre avec leur bourgeoisie nationale mais ne pouvaient pas ou plus approuver une politique de guerre dont la fin ne serait pas une « paix démocratique ». La fo r t er esse a s s ié g é e C’est à l’été 1918 que la Russie révolutionnaire achève de revêtir la physionomie sous laquelle elle a été connue du reste du monde en ses premières années et qui lui a été imposée de fait par les entreprises meurtrières conduites contre elle par les puissances en guerre. Commence alors l’époque du communisme de guerre et de la terreur rouge. La lutte sans merci, dans des conditions matérielles de plus en plus difficiles, dans l’état d’isolement de ce pays arriéré, dans le cadre vertigineux de cette guerre impérialiste déjà guerre civile, impose aux dirigeants l’application d’un régime économique d’exception que l’on a baptisé - ce pourrait être par ironie - le « communisme de guerre » : Le communisme de guerre naît des nécessités même de îa guerre. Il faut, pour les mobiliser, contrôler toutes les ressources du pays : c’est sous l'emprise de la nécessité qu’il faudra natio­ naliser l'industrie sans que les ouvriers aient eu le temps de passer par l’école du contrôle. Le ravitaillement et l’équipement, l’armement, sont des impératifs absolus. Le commerce privé dis­ paraît totalement pour nourrir soldats et citadins ; les détachements d’ouvriers armés perquisi­ tionnent dans les villages, réquisitionnent le grain. Les paysans pauvres sont organisés contre le koulak pour la défense du régime. Les recettes budgétaires sont nulles et le gouvernement n’a pas l’appareil nécessaire à la levée d’impôts : la planche à billets fonctionne sans discontinuer. Une gigantesque inflation augmente les difficultés que seule une contrainte accrue permet de surmonter. Bientôt on paiera en nature les salaires qui sont déjà bien inférieurs au strict minimum alimentaire. Ainsi que le souligne Isaac Deutscher, il y a dans cette situation une grimaçante ironie : le contrôle gouvernemental total, la suppression du marché, la disparition de la monnaie, l’égalisation des conditions de vie semblent la réalisation du programme communiste alors qu’ils

D e l a g u e r r e a l a r é v o lu tio n m on diale

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n’en sont que la tragique caricature. Car ce communisme-là n’est pas né de l’épanouissement des forces productives mais de leur effondrement. Il n’est que l’égalité dans la misère, proche du retour à ia barbarie. Il faut toute l’énergie révolutionnaire des bolcheviks pour entrevoir, derrière les flammes cruelles de l’énorme fournaise, ainsi que le dit Trotsky auxjeunes communistes, la iutte de i’homme pour se rendre maître de sa propre vie28. A partir de juillet aussi on voit s’imposer avec brutalité la puissance de la Tcheka, « Commission extraordinaire pour combattre la contre-révolution et le sabotage », qui a été confiée au Polonais Dzeijinski. L ’assassinat du populaire orateur bolchevique Volodarsky - formé aux États-Unis - déclenche îa riposte qu’on appelle la « terreur rouge » : il faut combattre l’Anglais, les Tchèques, le terroriste Savinkov, et la trahison est partout, avec l’ennemi de classe. On liquide le tsar et sa famille. La terreur blanche frappe encore. Ouritsky est tué, Lénine, grièvement blessé. La révolution russe a elle aussi ses massacres de Septembre. La Tcheka a pour mission d’exterminer îa bourgeoisie en tant que classe ; elle agit en toute indépendance, au-dessus de toutes les autorités puisque la sécurité est ia nécessité suprême. Trotsky justifie : « Maintenant qu’on accuse les ouvriers de faire preuve de cruauté dans la guerre civile, nous disons, instruits par l’expérience, que l’indul­ gence envers les classes ennemies serait îa seule faute impardonnable que puisse com­ mettre en ce moment la classe ouvrière russe. Nous nous battons, au nom du plus grand bien de l’humanité, au nom de sa régénérescence, pour la tirer des ténèbres et de l’escla­ vage. » Il explique aussi : « La révolution n’implique pas “logiquement” le terrorisme, de même qu’elle n’implique pas l’insurrection armée. Mais elle exige de 1a classe révolu­ tionnaire qu’elle mette en œuvre tous les moyens pour atteindre cette fin : par l’insurrection armée s’il le faut, par le terrorisme si nécessaire29. » Les bolcheviks, et bien des révolutionnaires avec eux, avaient rêvé d’une démocratie socialiste, et même cru qu’ils avaient commencé à la bâtir. Sans chercher à duper le reste du monde, ils doivent vite reconnaître qu’ils en sont en réalité très loin, et c’est avec toute leur conviction qu'ils mettent l'accent sur le mot d’ordre de dictature pour caractériser le nouveau régime des soviets par 1a domination sans partage du parti : Trotsky le dit crûment : « La domination révolutionnaire du prolétariat suppose dans le prolétariat même la domination d’un parti pourvu d’un programme d’action bien défini et fort d’une dis­ cipline interne indiscutée . » Ainsi se forge et se façonne, se consolide et se trempe dans le fer et le feu le premier détachement de l’Internationale, l’avant-garde qui, la première, s’est emparée du pouvoir et a l’ambition de montrer la voie, celle qui est, qu’on le veuille ou non, une sorte de modèle pour les autres. De

la g u er r e à l a g u er r e

Dans un premier temps, immédiatement après le traité de Brest-Litovsk, les Alliés interviennent en Russie sous le prétexte de prendre position contre ~ voire de combattre l’avance des armées allemandes au-delà des limites fixées à Brest-Litovsk. Leur interven­ tion prend ensuite un élan décisif avec la constitution de la Légion tchécoslovaque, primitivement destinée à combattre les Centraux, dont le « rapatriement » par voie terrestre vers Vladivostok, le refus de se laisser désarmer et le retour vers la Russie d’Europe vont donner le signal de la guerre civile. Elle va en effet servir de point d’appui aux entreprises des Alliés et aux ambitions des généraux tsaristes qui aspirent à renverser à leur profit le 28. P. Broué, Le Parti bolchevique, p. 126. 29. L. Trotsky, Défense du terrorism, p. 75. 30. Ibidem, p. 143.

La

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m ontée

régime bolchevique et à mettre fin à îa révolution. Les débarquements successifs des Américains et des Japonais à Vladivostok, des Anglais à Arkhangelsk et Mourmansk, en liaison avec la Légion tchécoslovaque, et une opération militaire à Iarosîavl conduite par l’ancien terroriste SR et ministre de Kerensky Boris Savinkov posent les jalons d’une intervention qui serait une grande opération de guerre.^ C’est dans ce cadre qu’apparaît l’amiral Koltchak. Écartant les responsables civils de la contre-révolution et s’adjugeant le titre de commandant suprême, il va être, presque jusqu’à la fin de son aventure, l’incarnation de la « légalité » en Russie aux yeux des « démocraties ». C’est également dans ce cadre que se situe en juillet 1918, après l’assas­ sinat de l'ambassadeur allemand von Mirbach, la tentative d’insurrection des SR de gauche à Moscou, facilement réprimée par les gardes rouges et les volontaires étrangers ainsi que par les fusiliers lettons. Les Alliés, dès îa fin de la guerre avec l’Allemagne, peuvent intervenir directement et ouvertement sur place, fournissant aux armées blanches armes, munitions et même parfois uniformes. Louis Fischer, journaliste américain, a pu écrire : Avec l’élévation de Koltchak, même le prétexte le plus mince d’une opposition démocratique au bolchevisme disparut. Tous les généraux, en Ukraine ou sur le Don, au Kouban ou dans le Caucase, qu’ils fussent pour l’Allemagne ou pour l’Entente, étaient franchement réactionnaires et autocrates et pour la plupart des monarchistes enthousiastes, Krasnov, Alekseiev, Doutov, Denikine, Kalédine et autres ne prétendirentjamais être appuyés par le peuple. Le gouvernement d’Arkhangelsk était de même un instrument aux mains des Alliés. En novembre 1918 par consé­ quent, îa guerre civile en Russie devint clairement unelutte entre la révolution ronge et la réaction noire, entre les communistes et les monarchistes, entre les bolcheviks ennemis de la démocratie bourgeoise et les ennemis de toute démocratie. Les Alliés se rangèrent dans ce second parti31. En août 1918, îa situation des bolcheviks est extrêmement précaire, Moscou est mena­ cée de tous côtés. Les victoires de Trotsky devant Kazan et de Toukhatchevsky à Simbirsk desserrent l’étreinte. L ’effondrement des empires centraux ne garantit pourtant pas la survie aux bolcheviks. S’il ouvre la voie à des révolutions dans ces pays, tout devient possible. Sinon, les Alliés vont poursuivre impunément leur action contre-révolutionnaire. Avant même la demande allemande d’armistice, le chef du gouvernement français Geor­ ges Clemenceau donne des instructions au général Franchet d’Esperey pour la « grande intervention » en vue de 1a « chute du bolchevisme », Les troupes de Koltchak étant rejetées vers l’est, une conférence des Blancs en Roumanie confie les affaires au général Denikine et enregistre îa promesse du prochain débarquement à Odessa de douze divisions françaises avec artillerie, tanks et avions. L ’encerclement final est en préparation. Plus que jamais le sort de la révolution russe dépend des autres pays, ou plutôt le sort de la révolution en Russie dépend de la poursuite de la révolution mondiale. Jamais sans doute le besoin de l’Intemationale communiste n’avait été aussi présent à l’esprit des Russes, que ce fût pour leur défense ou pour la victoire dans d’autres pays. Après la guerre et avec leur guerre à eux, les Alliés allaient internationaliser la révolution, forcer la naissance de l’Internationale nouvelle. La

m u t in e r ie d e

R a d o m ir

C’est en Bulgarie qu’apparut le premier signe de la deuxième rupture dans la chaîne des partis en guerre. La situation y devint brutalement critique sans qu’apparemment les amis bulgares des bolcheviks, les tesnjaki, en aient pris conscience. Le tsar venait de 31. L. Fischer, Les Soviets dans les affaires mondiales, p. 113.

De la

g uerre a la révolution mondiale

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constituer un gouvernement présidé par Malinov, qui recherchait les voies d’un armistice avec les Alliés. Le 15 septembre, le corps expéditionnaire allié commandé par le général français Franchet d’Esperey réussissait à enfoncer les lignes bulgares sur le front de Macédoine. Le résultat fut d’abord une débandade gigantesque, puis les soldats bulgares se révoltèrent. Une partie d’entre eux désertèrent pour retourner chez eux. Les autres décidèrent d’en finir avec le régime et de marcher sur Sofia afin de punir le tsar Ferdinand et les politiciens responsables de la guerre. Le 14 septembre, les soldats rebelles s’emparaient du nœud ferroviaire de Kiustendil, proche de Sofia. Le gouvernement décida alors de libérer de sa prison le dirigeant de l’Union agraire, Alexandre Stambolisky, et Malinov lui proposa d’entrer dans un gouver­ nement national avec la mission d’assurer la paix dans l’ordre et de négocier l’armistice avec les Alliés. Il refusa. Le dirigeant paysan se rendit ensuite au domicile du dirigeant des socialistes «étroits », les iesnjaki, Dmitri Blagoiev, qu’il trouva alité, et lui proposa une alliance pour la prise du pouvoir. Il se disait prêt à appliquer le programme socialiste à la seule condition que soit maintenue la propriété privée des petits paysans. Il se heurta à un refus catégorique. Le parti « étroit » ne voulut pas de l’alliance avec la paysannerie pour la prise du pouvoir à la tête d'une république démocratique et à la place du régime impérial, qui resta en place. Ainsi, dans des circonstances exceptionnelles, le parti socia­ liste « étroit » des Bulgares démontrait-il qu’il n’avait pas assimilé l’expérience de ces bolcheviks dont il se réclamait. Ce que voulaient les tesnjaki, disaient-ils, ce n’était pas « la démocratie » mais le socialisme. Stambolisky se porta alors au-devant des soldats mutinés, qu’il rencontra à une qua­ rantaine de kilomètres de Sofia, se plaça à leur tête, se proclamant président de îa Répu­ blique bulgare, et désigna un gouvernement provisoire. Privée de tout appui parmi les travailleurs des villes, jetée dans une impasse qui lui imposait l’action avant la cristalli­ sation organique du mouvement de masse, l’insurrection ne pouvait que marquer le pas. La décision, très rapide alors - et pour cause -, du gouvernement de demander des négociations d’armistice fit le reste. C’était fini, l’occasion favorable était passée, pas seulement pour la Bulgarie. Pourquoi ? Pas par couardise, bien sûr, mais du fait d’un profond sectarisme, dont les « étroits » n’étaient pas les seuls à souffrir. Les soldats et sous-officiers mutins de Radomir se dispersèrent aux quatre vents et le parti « étroit » bulgare retomba dans son isolement sectaire, commentant d’un ton acerbe les « préten­ tions » des agrariens qui pourtant, eux, avaient au moins combattu la guerre. Ainsi ceux qui n’avaient pas bougé se réjouirent bruyamment d’avoir « des principes » qui leur évitaient de commettre des « erreurs ». L es

g r o u pes c o m m u n ist es en

R u s s ie

Les Russes s’étaient préparés de leur mieux à l’internationalisation de la révolution. Au mois de janvier 1918, ils avaient envoyé Kamenev et Zaîkind en Occident pour tenter de trouver alliés ou appuis. La tournée anglaise avait été médiocre, malgré l’aide de Liîvinov. La rencontre de Kamenev avec les Webb n’avait guère d’intérêt. Son entrevue avec Tom Bell et Arthur MacManus, qui eut probablement lieu, en avait un peu plus. Le gouvernement Clemenceau refusa de l’admettre en France alors même qu’il avait un visa de l’ambassade de France en Norvège. Zalkind aboutit à Berne. Mais les bolcheviks avaient une profonde tradition internationaliste. Ils surent utiliser le matériel humain dont ils disposaient, des hommes retenus contre leur gré sur le territoire russe et qui cherchaient, eux aussi, à lutter pour mettre fin à la guerre et, parfois, pour faire la révolution, « comme les Russes ». Il y avait alors en Russie 2 millions de prison­

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La

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niers de guerre, qui vivaient ou plutôt survivaient dans des conditions très précaires, souffrant de la faim et du froid ; plusieurs centaines de milliers devaient d’ailleurs suc­ comber à ces effroyables conditions de vie. Les simples soldats servaient de main-d’œuvre dans les industries locales, ce qui les mit en contact avec des travailleurs et des militants russes. Dans les camps prévalait l’autorité des officiers, traditionalistes, antisocialistes et antisémites, pas toujours appréciée, ii s’en faut, et la situation, déjà tendue, y explosa avec la révolution russe. L ’organisation de prisonniers de guerre dans des « sections étrangères » du Parti bol­ chevique est l’un des épisodes qui constituent la préface à la naissance formelle de l’Internationale communiste. Nous trouverons dans les groupes communistes étrangers de Russie bien des noms qui seront plus tard ceux d’importants dirigeants de l’Internationale et des partis communistes, et qui ont fait là leurs premières armes. Ce travail a été entièrement animé, impulsé et organisé par Karl Radek, nommé dans ce but commissaire du peuple adjoint aux Affaires étrangères, dont nous savons qu’il avait reproché son caractère flou à la ligne spartakiste et qu’il soutint résolument en Allemagne le groupe qui publiait Arbeiierpolitik depuis 1916. Ses « services » étaient le département de la propagande internationale du commissariat aux Affaires étrangères. L ’appareil de l’Inter­ nationale communiste est là en germe. Le

g r o u pe c o m m u n ist e h o n g ro is

Du groupe de social-démocrates hongrois prisonniers de guerre qui sont devenus com­ munistes en Russie se détache le nom de Béla Kun, trente et un ans en 1917. Socialiste à seize ans, il a été journaliste dans la presse social-démocrate et employé d’une caisse d’assurances ouvrière. D est brillant intellectuellement et écrit bien. Mobilisé en 1914, il est devenu sous-lieutenant. II est fait prisonnier en mars 1916. Visage poupin, bon orateur, plume alerte, esprit vif, il plaît. Interné dans un camp près de Tomsk, il y trouve des camarades de parti, et, avec un petit groupe, commence à apprendre le russe et à lire les classiques du marxisme. Au printemps de 1917, ils organisent dans le camp une action contre la répartition injuste et inégale des colis de îa Croix-Rouge. Kun rejoint en mai le Parti bolchevique à Tomsk. Lui et ses camarades sont mis en liberté. Nombre d’autres groupes de Hongrois sont apparus dans différents camps et suivent la même voie. En décembre 1917, Karl Radek, qui a remarqué son dynamisme, fait appel à lui pour coor­ donner et développer l’action des différents groupes communistes de prisonniers. Béla Kun, installé à Petrograd, organise son équipe : Endre ou Andréas Rudnyânszky, trentedeux ans, avocat en Hongrie, qui a épousé la sœur de Boukharine, et quelques autres, anciens responsables syndicaux ou socialistes, le typo Sândor Kellner, le mécanicien de précision Joszef Rabinovits. Tibor Szamuely, vingt-sept ans, est lui aussi journaliste, très jeune, un homme d’action, militant socialiste et athée. Chassé du camp de prisonniers - il est lieutenant - par des officiers réactionnaires qui l’ont grièvement blessé, il a travaillé en usine et rejoint les bolcheviks par leur organisation ouvrière. H parle plusieurs langues étrangères et a le goût des choses militaires. Au lendemain de la tenue à Moscou d’une conférence de l’Internationale social-démocrate des prisonniers de guerre, qu’ils ont contribué à organiser, Kun et ses camarades hongrois, au cours d’une réunion le 24 mars 1918, fondent la section hongroise du parti russe, qui proclame sa détermination d’aider à la pénétration du mouvement communiste en Hongrie et aux États-Unis, pour lesquels Tibor Szamuely est volontaire. Le 14 avril, au cours d’un grand meeting de prisonniers de guerre à Moscou, Béla Kun lance un appel

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enflammé.II faut réduire en cendres les châteaux et les palais, balayer les obstacles à l’affranchissement des esclaves. Il dit aux soldats : « Tournez vos armes contre vos offi­ ciers et contre les palais. Que chacun d’entre vous soit un enseignant de révolution dans son régiment. » Bêla Kun est président, Tibor Szamuely - c’est un signe des temps secrétaire aux affaires militaires, commissaire d’un bataillon international constitué par les élèves de son cours d’agitation. Ces hommes sont proches des dirigeants russes, prennent part à leurs discussions comme à leurs combats. On peut dire qu’ils sont des leurs. Bêla Kun est au nombre des « communistes de gauche » autour de Boukharine, qui combattent avec acharnement la signature de la paix de Brest-Litovsk. Tibor Szamuely est l’un des chefs improvisés qui étouffent quelques semaines plus tard dans 1a capitale le soulèvement des SR de gauche, auxquels il enlève le bâtiment de la poste. Ferenc Münnich, Maté Zalka (futur général Lukâcs), Manfred Stem (futur général Kléber) se battent dans les rangs de l’Armée rouge. L ’importance des militants hongrois est soulignée par le fait que Béla Kun est élu le 17 avril à la présidence de la Fédération des bolcheviks des sections étrangères, par le passage de centaines de leurs compatriotes par leur école d’agitation-propagande (en même temps école militaire), à Moscou et Omsk, et par la diffusion de leur journal de recrutement et d’organisation, Szocialisî Forradalom (Révolution sociale). Tibor Sza­ muely, lui, est plus qu’un membre du groupe hongrois. En 1918, il est d’abord affecté à la mission de Berne, centre de l’activité bolchevique en Europe, Il est ensuite délégué au premier congrès des conseils ouvriers allemands à Berlin et a, de même que les autres envoyés de VIC - dont Radek-, d’importantes discussions avec les révolutionnaires allemands. C’est en novembre 1918 que le comité directeur, réuni à l’hôtel Dresden à Moscou, décide que le temps de la révolution est arrivé dans l’ancien empire des Habsbourg et que les Hongrois doivent regagner leur pays. Béla Kun est à Budapest au début de novembre, avec pas mal d’argent. Quelque 200 communistes hongrois sont ainsi rapatriés par petits groupes. Rudnyânszky reste en Russie, remplaçant Kun à la tête de la Fédération des sections étrangères. L es

c o m m u n istes a llem a n d s

L ’histoire des communistes allemands en Russie n’est pas moins intéressante que celle des Hongrois, mais elle a été moins étudiée. C’est en effet en Allemagne et pas en Russie que se trouve en 1917 le gros des futurs dirigeants allemands. Le groupe compta sans doute quelques centaines de membres. Il faut ajouter que les colonies allemandes de la Volga donnaient aux communistes allemands une sorte de base territoriale et qu’elles facilitèrent leur adaptation à la Russie. Le futur président du groupe allemand de Russie, Karl Toman, un ancien secrétaire du syndicat des orfèvres, est en réalité un Autrichien, une nuance de peu d’importance en Russie à l’époque. Il était dans un camp de prisonniers de guerre près d’Omsk, comme le noyau des Hongrois, et a été avec eux à l’origine du travail de recrutement parmi les étrangers. Parmi les autres membres autrichiens de la section allemande du PC de Russie, il faut citer Artur Ebenholz, un des dirigeants du mouvement des prisonniers, le cordonnier Johann Koplenig, qui rejoint les bolcheviks à Nijni-Novgorod, puis dirige les prisonniers de guerre communistes de Perm. Il revient en Autriche en 1920 et sera le président du PC autrichien de 1965 à 1985. Enfin, l’officier d’état-major de l’armée austro-hongroise Otto Steindrück va servir dans l’Armée rouge et dans celle de la République hongroise, et devenir un des meilleurs officiers de rensei­ gnement de l’armée russe.

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La personnalité la plus étonnante du groupe est cependant le journaliste Emst Reuter, né en 1889. Fils d’officier, étudiant révolté, enseignant, devenu journaliste socialiste, révisionniste et radical de gauche en même temps, en correspondance avec Hugo Haase et Romain Rolland, il a été grièvement blessé sur le front russe en août 1916 Fait prisonnier, il aboutit après quelques pérégrinations à l’hôpital de Nijni-Novgorod. En dix-huit mois il a appris à lire, écrire et parler le russe couramment. Guéri, il connaît en Russie un itinéraire exceptionnel. Travailleur forcé dans une mine près de Toula,;chef de la révolte ouvrière, il chasse le directeur après la révolution d’Octobre et en prend la direction avec un groupe d’autres prisonniers, dont le Hambourgeois Rudolf Rothkegel, le Brémois Hermann Osterloh, et l’appui de tous les travailleurs. Il entre ainsi dans le mouvement communiste par la porte de la lutte. Il est alors appelé à Moscou par Radek, et l’on peut croire qu’il va faire une carrière analogue à celle des Hongrois. Collaborateur, avec Irma Hellrich Petrova - la femme du Petroff que nous avons rencontré en GrandeBretagne et qui est devenu commissaire du peuple adjoint aux Affaires étrangères après sa libération -, du journal des soldats en quatre \m^ü&s,Vôlkeïfriede>Reuter peut dès lors être considéré comme l’un des futurs dirigeants de ce mouvement dans un avenir proche. Or il n’en est rien. Emst Reuter est connu des principaux dirigeants soviétiques. H est considéré comme un homme si remarquable qu’il se voit confier une vraie responsabilité d’État, celle du commissariat des Allemands de la Volga - cette colonie dont l’existence remonte à la Grande Catherine -, qui devient le 19 octobre 1918 îa Commune ouvrière des Allemands de la Volga, dont il est alors le commissaire. Pendant quelques mois, cet homme de vingt-neuf ans est le chef d’un État minuscule - 450 000 personnes - et y fait merveille avec une équipe d’hommes recrutés en Russie parmi les prisonniers comme lui, Rudolf Rothkegel, Hermann Osterloh et Josef Bôhm. Avec eux travaillent aussi un ouvrier agri­ cole, l’Allemand de la Volga Klinger, et le fils d’un ouvrier immigré, Nicolas Krebs, qui a russisé son nom en Nikolaï Rakov, milite auprès de Radek et devient bientôt pour tous Félix Wolf. Wilhelm Hering, dit Ferry, va militer dans l’appareil de l’IC (il est envoyé en Allemagne). Membre de l’appareil clandestin, il sera exclu comme « mouchard » en 1921. En novembre 1918, la révolution allemande tant attendue est là. Une délégation de l’exécutif des soviets part pour Berlin participer au congrès des conseils d’ouvriers et de soldats : Radek, Reuter et Félix Wolf en sont, avec Ioffe et Rakovsky. La jonction se prépare. Quand les délégués sont tous arrêtés à Kovno par les troupes allemandes, Lénine donne à Radek par téléphone son accord pour que Wolf, Reuter et lui gagnent Berlin clandestinement, ce qu’ils font, déguisés sans mal en prisonniers de guerre rapatriés. Szamuely arrive à son tour par une autre voie. A u t r es

g r o u pes c o m m u n ist es

La légende, qui concurrence sérieusement l’histoire dans les médias, a fait du futur maréchal Tito un combattant de l’Armée rouge et l’un des fondateurs en Russie du Parti communiste de Yougoslavie. L ’intéressé, qui était alors le sergent croate Josip Broz, prisonnier de guerre en Russie, a démenti et donné un récit de ce séjour. Fait prisonnier en mars 1915, il était au cachot lors de la révolution de février 1917. Quelques semaines plus tard, il rencontrait des bolcheviks et commençait ses lectures. Évadé, il participa à Petrograd aux journées de juillet, tenta de se cacher en Finlande quand la répression se déchaîna, mais fut repris. Après la révolution d’Octobre, il s’engagea à Omsk dans la Garde rouge internationale, formée d’anciens prisonniers mais n’eut pas l’occasion de

De

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combattre. Il vécut clandestinement chez les Kirghizes, épousa une très jeune Russe et revint dans son pays. Dans l’intervalle s’étaient organisés des groupes communistes serbes, croates, slovènes. Sous l’impulsion d’Ilya Milkic, ancien délégué au congrès de Copenhague de l’Interna­ tionale, en 1910, qui avait passé la guerre en France, puis en Suisse, et avait travaillé à la représentation soviétique deBerne, les communistes yougoslaves de Russie et d’Ukraine se regroupaient dans une ligue puis un parti communiste dont la direction rentra très vite au pays. Des prisonniers yougoslaves ont constitué leur propre section à Moscou en novembre 1918. Bien des noms de membres de ces organisations jalonnent l’histoire du PC yougoslave : contentons-nous de mentionner Lazar Vukiéevic, le Serbe Nikola Kovacevié, le Dalmate Vlado Copié, le Croate Ivan Vuk, qui vient d’Ukraine, Ivan Matuzovic, qui ira combattre aux côtés des Hongrois avec des volontaires yougoslaves, le célèbre cavalier Danilo Srdic. Beaucoup combattent dans l’Armée rouge. Les prisonniers de guerre yougoslaves gagnés au communisme étaient plus de 300. Il y avait en Russie plus de 200 000 militaires tchécoslovaques : les légionnaires et les prisonniers de guerre. En mai 1918, deux groupes de syndicalistes et de socialistes tchè­ ques prisonniers de guerre, déjà constitués à Kiev et à Petrograd, constituent à Moscou un Parti communiste tchéco-slovaque. Parmi eux, Alois Muna, trente-deux ans, un tailleur qui publia à Kiev le journal Svoboda (Liberté), Amo Hais, fils d’un dirigeant syndical de la chimie, Jaroslav Handlir, trente ans, menuisier, Brétislav Hüla, vingt-cinq ans, Cenëk HruSka, vingt-neuf ans, ouvrier agricole. Le Croate Gustav BarabâS se révèle grand chef de guerre dans l’Armée rouge. Mentionnons aussi le jeune FrantiSek BeneS, l’instituteur Volek, deux intellectuels qui deviendront célèbres, le père du Brave Soldat Chveïk, Jaroslav HaSek, et le mathématicien et philosophe Amost Kolman. Pour des raisons que nous ignorons, les Tchécoslovaques furent autorisés à fonder en Russie leur propre parti, comptant un millier de membres selon Pavel Reimann, au cours d’un congrès tenu à Moscou du 25 au 27 mai 1918. Le temps d’une formation sommaire, après deux discussions de Muna avec Lénine, le gros de ces communistes tchèques furent renvoyés au pays très vite, en novembre 1918, et durent faire face dès leur arrivée à une campagne de meurtres qui ne leur laissa d’autre choix que d’aller se placer sous la protection des ouvriers mineurs de Kladno, un endroit sûr pour eux où ils purent déve­ lopper leur action de « groupe communiste de Bohême » pour la constitution d’un parti communiste et publièrent de nouveau Svoboda. C’est en Tchécoslovaquie que devait être fondé pour de bon le parti communiste de ce pays, trois ans plus tard. Socialiste, le Turc Mustapha Subhi s’était réfugié à Moscou après la révolution de février, et le Gouvernement provisoire l’avait considéré comme prisonnier de guerre. Les prisonniers turcs étaient également assez nombreux. Subhi commença à les organiser. Deux de ses recrues au moins ont joué plus tard un certain rôle dans le PC turc : Ismail Hakki, de Kayseri, et l’électricien Süleyman Nuri. A la fin de 1918, il avait formé un groupe turc ainsi que des organisations militaro-politiques turques, et parlait - sans doute avec quelque exagération - de milliers de volontaires turcs servant dans l’Armée rouge. Il y eut aussi un groupe communiste français à Moscou, alors qu’il n’y avait pas de prisonniers de guerre, la France étant un pays allié. On en connaît assez bien l’histoire aujourd’hui. Il avait commencé sous la forme d’un groupe franco-anglais, avec M. Phi­ lips Price, journaliste britannique gagné au bolchevisme, et sous la direction d’un ancien compagnon de Lénine en Suisse, Niourine. L ’énumération de ses membres ressemble à un dîner de têtes de Prévert : des membres de la mission militaire et diplomatique française, des officiers de réserve, l’avocat Jacques Sadoul et le professeur agrégé Pierre Pascal, le

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correspondant du Figaro, René Marchand, les soldats de deuxième classe Marcel Body, typographe, et Robert Petit, fils de cheminot, ainsi que îa femme du second, Marie-Louise, les institutrices privées Jeanne Labourbe, Rosalie Barberet, Suzanne Depollier-Girault, et le fils de Rosalie, Henri Barberet, dix-huit ans ; enfin, à partir de février 1919, l’écrivain Henri Guilbeaux, agent double, servant le 2e bureau français et probablement la Tcheka en même temps. Deux des membres de ce groupe, le mécanicien Robert Deymes, un sergent, et l'ingénieur Edmond Rozier, ancien directeur technique de Renault,^sollicités par Trotsky, font une contribution capitale à la guerre civile en dressant les plans pour la construction des premiers tanks de l’Armée rouge. Le petit groupe a en outre fourni plusieurs courriers, et surtout joué un rôle très important dans la lutte contre l’occupation française à Odessa et pour la fraternisation entre ouvriers russes et soldats et marins français. Deux de ses membres ont été tués, Jeanne Labourbe et Henri Barberet, fl y a aussi un groupe communiste bulgare à Moscou, dont l'un des animateurs, Stojan Djorov, devenu bolchevik en 1917, à trente-quatre ans, a parcouru le territoire soviétique jusqu’au Daghestan à la recherche de recrues bulgares et fondé en 1918 à Odessa des « brigades » bulgares pour combattre dans les rangs de l’Armée rouge. Un fort groupe bulgare à Odessa était formé de militants plus proches de Rakovsky que des

tesnjakl Des prisonniers de guerre roumains sont également devenus communistes. On cite Hilarion Pescariu et Emil Bozdogh, tous deux nés en Transylvanie, Iuliu Delianu, orga­ nisateur à Petrograd, et Alexei Genegariu. Enfin, il faut sans doute signaler que l’expé­ rience bolchevique inspira des initiatives analogues en Occident. C’est ainsi qu’à l’au­ tomne 1918 le cheminot italien Francesco Misiano se rendit en Autriche pour y organiser le travail politique parmi les soldats italiens prisonniers de guerre. V er s

l 'I n t er n a t io n a le

Ces groupes constituent en quelque sorte une pré-Intemationale. Tous sont évidemment partisans de îa fondation de celle-ci, non seulement sous l’influence des bolcheviks, mais par la force des choses et de leur propre itinéraire. Ils ne sont pas le facteur essentiel de la fondation de lTntemationale communiste, mais un catalyseur, un exemple mais aussi une force, qui, bien que réduite, donnait tout de même vraisemblance et substance aux rêves fondateurs. Nombre de ces hommes ont combattu la Légion tchèque et les Blancs de Koltchak. Us ont eu leurs héros .*Béla Jaross, commandant d’un régiment de l’Armée rouge, le jeune officier Artur Dukesz, ancien dirigeant des étudiants révolutionnaires de Budapest, tous deux faits prisonniers et fusillés, et les centaines de tués dans les rangs de leurs volontaires, Jan Vodiéka, qui a été condamné pour « insubordination » dans la Légion tchèque où il appelait ses camarades à ne pas combattre les bolcheviks, qu’il avait appris à estimer I Pour eux n’avait pas encore commencé ce qui était leur banc d’épreuve décisif. Novembre 1918 était en effet non seulement la date de la fin de îa Première Guerre mondiale, mais aussi celle du début des premières révolutions après celle de Russie.

CHAPITRE IH

Un tournant incertain et sanglant1

Encore aujourd’hui, l’histoire de ce temps reste difficile à déchiffrer C’est en effet l’histoire d’une période révolutionnaire, dont une partie demeure cachée. C’est aussi une histoire réellement, organiquement internationale, dont les traces sont dispersées aux quatre vents et dont les documents sont restés inaccessibles pendant de longues périodes. Les plus grandes difficultés proviennent sans doute du fait que les très grands événe­ ments - ceux qui restent dans la mémoire - masquent tous les autres et, d’une certaine façon, les déforment par leur ombre. Tel est particulièrement le cas de la période de quelques mois qui s’ouvre en novembre 1918. N o v em br e r o u g e

Quelle image choisir pour caractériser ce mois extraordinaire ? La capitulation dans la clairière de Rethondes ? Le défilé militaire sur les Champs-Elysées ? La « grève de la guerre », la fuite, îe refus de continuer à se laisser massacrer qui fait courir, le dos à l’ennemi, des dizaines de milliers de soldats et même d’officiers italiens n’accepta plus de mourir pour rien ? Un nom pour cette manifestation géante, cette fuite, terrible et barbare, Caporetto ? La grève générale en Suisse, les combats à Zurich sur les barricades entre soldatspaysans décidés à en découdre et ouvriers décidés à ne plus accepter la vie chère et l’arbitraire des patrons, les interdictions - celle des manifestations pour la Russie -, les expulsions - celle du jeune socialiste allemand W illy Münzenberg -, puis, plus grave encore, celle des diplomates de la mission de Berne et des étrangers en contact avec elle ? La décomposition de l’Empire austro-hongrois, la prise du pouvoir par les différents «conseils nationaux », l’éclatement en nations de l’empire des Habsbourg ? On comprendra que nous choisissions plutôt la grande cavale des marins de Kiel qui viennent de refuser la « sortie » suicidaire que leur préparait l’amiral de la flotte à titre de baroud d’honneur, et qui ont entamé un tour éperdu de l’Allemagne ouvrière pour 1. Pour tout ce qui concerne la révolution allemande, qui est au cœur de ce chapitre, on s’est beaucoup servi de P. Broué, Révolution en Allemagne J918-1923.

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appeler au secours, pour qu’on les défende, pour qu’on les aide à ne pas mourir bêtement, maintenant que la guerre finit et qu’on la voit toute nue et si sale avec son cortège de misères et de crimes. Et, tout de suite après, la manifestation de Berlin le 9 novembre, les foules ouvrières en rangs serrés et disciplinés, descendant vers le centre de la capitale pour clamer que c’est assez, qu’elles veulent qu’il soit mis fin à la guerre, qu’on fasse la paix, qu’on vive de nouveau. Et le social-démocrate Scheidemann, encore ministre impérial, proclamant tout sim­ plement la « République » du haut d’un balcon du Reichstag, tandis que Karl Liebknecht, presque la veille encore détenu dans une prison militaire, proclame sous un tonnerre humain la « République socialiste » du haut d’un balcon du palais impérial. Le Kaiser Guillaume II, lui, fait ses valises. « II faut sacrifier l’empereur pour sauver le pays », disait quelques jours auparavant un dirigeant socialiste. La

r év o lu t io n d e n o v em br e

Deux mois avant ces événements, le dirigeant spartakiste Emst Meyer écrivait à Lénine qu’on pouvait s’attendre à une accélération des développements politiques... pendant l’hiver. La révolution est allée plus vite que les révolutionnaires, dont les dirigeants sont d’ailleurs presque tous emprisonnés. Mieux informés, les chefs de l’armée, Hindenburg et Ludendorff, annoncent que celle-ci ne peut tenir. Pour « prévenir le bouleversement d’en bas par une révolution d’en haut », il faut négocier avec les Alliés au nom d’un gouvernement comprenant des social-démocrates. Ce sera chose faite le 4 octobre, par un. gouvernement Max de Bade comprenant deux ministres socialistes. Il demande l’ouverture des discussions d'armistice, et les ministres social-démocrates obtiennent la libération des prisonniers politiques, au premier chef Karl Liebknecht, pour désamorcer l’agitation. L ’homme qui symbolise la lutte contre la guerre est à Berlin le 23 octobre. Il harangue la foule, salue la révolution russe et la révolution socialiste allemande. Puis il se rend à l’ambassade russe, discute longuement avec Boukharine, qui découvre en lui « un vrai bolchevik », participe à la grande fête donnée le soir par loffe, à qui Lénine envoie un télégramme. Mais ce drapeau vivant de la révolution n’a pas d’organisation - 50 sparta­ kistes à peine dans la capitale - et refuse d’être coopté à îa direction de l’USPD, comme elle le lui propose. Il s’épuise dans les jours suivants à discuter au sein du « conseil ouvrier provisoire » constitué par les Délégués révolutionnaires, où il a été coopté avec Pieck et Emst Meyer. Pour lui, il faut multiplier les meetings, les manifestations, tremper les masses, lancer la jeunesse dans îa rue, pousser aux initiatives. Mais il se heurte à des apprentis conspirateurs hésitants qui tergiversent et se gaussent de ce qu’ils appellent sa « gymnastique révolutionnaire ». Le gouvernement, lui, hésite moins. Le 5 novembre, il fait un geste chargé de signi­ fication tant à l’adresse du pays qu’à celle des Alliés. Ce jour-là, en effet, le nouveau ministre des affaires étrangères, Soif, convoque Ioffe et l’informe que, l’ambassade russe violant la loi internationale, il a décidé un retrait des représentants de part et d’autre. Cela signifie que les diplomates russes doivent quitter Berlin, ce qu’ils font le lendemain, avec leurs hôtes, tous conduits à la frontière par train spécial. La question de la révolution reste entière. Les marins vont la régler sans attendre. A Kiel, ils ont commencé à agir parce qu’ils ne veulent pas être sacrifiés dans une « sortie » pour la gloire. Certains sont arrêtés, d’autres manifestent. Une patrouille tire et il y a un mort. Alors ils se lancent : un comité est élu par 20 000 marins, des conseils de marins dirigent les bateaux où flotte le drapeau rouge. La mutinerie se répand dans les ports puis

Un tournant incertain e t

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les villes où les marins vont appeler au secours. Partout surgissent des comités d’ouvriers et marins ou soldats. La révolution s’étend comme une nappe d’huile. Partout, sauf à Berlin. Là, c’est l’arrestation du futur chef militaire de l’insurrection - le lieutenant Walz, dit Lindner- qui décide les conspirateurs à faire le saut. Emil Barth rédige un tract appelant à l’insurrection le 9 pour abattre le régime impérial, établir une république des conseils. Ses camarades des Délégués révolutionnaires et l’USPD berlinoise suivent. Dans la soirée, les rapports des usines sont unanimes : les ouvriers vont sortir dans la rue et manifester. Le Parti social-démocrate décide de prendre le train en marche. Il y parvient sans mal le lendemain, réussit avec beaucoup d’audace à gagner la sympathie de la majorité des conseils de soldats, peu politisés, qu’il fait élire, et seprésententpartout sous l’étiquette de « conseil ouvrier ». Ses dirigeants proposent aux Indépendants de partager avec eux les responsabilités gouvernementales, ce que ces derniers finissent par accepter. Pour le monde, neutres et une partie des belligérants, la révolution allemande de novembre signifie d’abord la fin de la guerre. Pour les communistes de Russie, l’apparition des conseils ouvriers, la révolte des soldats, les manifestations de masse, l’abdication de Guillaume H, l’anivée au pouvoir d’un Conseil des commissaires du peuple (Volksbeauftragien) signifient qu’ils ne sont plus seuls. Un autre pays, un pays avancé, le plus avancé d'Europe, dit Lénine, celui qui fut longtemps îa patrie des socialistes organisés, vient de s’engager à son tour dans la voie de la révolution, confirmant tous leurs espoirs et mettant un terme à une si longue attente. Karl Radek, qui se trouve alors, pour peu de temps encore, à Moscou, raconte : « Quand îa nouvelle de la révolution allemande nous parvint, une joie tumultueuse envahit la classe ouvrière de Russie. Des dizaines de milliers d’ouvriers éclatèrent en vivats sauvages. Je n’avais jamais rien vu de semblable. Tard dans la soirée, ouvriers et soldats rouges défilaient encore. La révolution mondiale était arrivée. Notre isolement était terminé. » Il explique : « La classe ouvrière russe, plusjeune, plus faible sur le plan de l’organisation, sait bien que, sans la révolution socialiste en Allemagne, la révolution ouvrière russe, reposant sur elle seule, n’aura pas la force suffisante pour construire une nouvelle maison sur les ruines laissées par le capitalisme2. » D u a l it é

d e po u v o ir s

La dualité de pouvoirs qui apparaît en Allemagne en novembre 1918, comme en Russie en février 1917, est d’un type original. Bien sûr, les conseils d’ouvriers et de soldats ont tous les attributs d’un pouvoir que n’a plus, souvent, l’ancienne administration. Mais ils sont dirigés par les éléments les plus modérés de la classe ouvrière. En particulier, au nom de la démocratie, les social-démocrates « majoritaires » ont obtenu très souvent la parité dans l’exécutif du conseil entre eux et les indépendants. Dans la pyramide des conseils, l’influence de l’appareil syndical et de celui du Parti social-démocrate ne cesse d’augmenter de la base au sommet. La pointe de la pyramide, c’est le social-démocrate majoritaire Friedrich Ebert, à qui Max de Bade a transmis les pouvoirs de chancelier du Reich que lui avait conférés Guillaume II, et qui a été élu président du Conseil des commissaires du peuple, chef de l’État bourgeois et en même temps de l’État révolution­ naire des conseils. En réalité, Ebert, qui accepte l’installation d’un téléphone direct avec le maréchal Hindenburg pour le maintien de l’ordre, est décidé à restaurer l’autorité de l’État ~ celui qui n’est pas « révolutionnaire », car lui-même « hait 1a révolution autant que le péché ». L ’armée, sur ce point, lui fait confiance : il n’y a pas d’autre parti pour l’aider et pour la couvrir que le parti social-démocrate dit « majoritaire », le SPD. 2. Krasnaia Novt n° 10,1926, p. 140, trad. allemande « November. Eine kleine Seite aus meinen Emmerungen », Archivfîir Sozialgscbichte, II, 1962, p. 121D.

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Le contraste est frappant en Allemagne entre l’allant, la fougue, la masse des mani­ festations d’ouvriers et de soldats, la généralisation des conseils, le rôle personnel des militants révolutionnaires, et la faiblesse de ces derniers sur le plan de l’organisation. Incontestablement, Liebknecht apparaît bien comme le général de la révolution allemande. H ne manque pas de troupes, mais il n’a ni état-major ni officiers. La Ligue Spartakus - qui n’a pas officiellement quitté l’USPD - a décidé d’agir en toute indépendance par rapport à ce dernier, qui a envoyé ses représentants comme ministres dans le gouvernement Ebert. Désireuse de se donner les moyens de cette politique, elle s’empare dans un premier temps des locaux et du matériel d’imprimerie d’un grand quotidien, mais n’a pas la force de le conserver face à l’opposition des nouvelles autorités. Die Rote Fahne, son organe, ne paraît qu’avec un réel retard dans une période où les jours comptent pour des mois et les mois pour des années. C’est Rosa Luxemburg, libérée parmi les derniers, qui écrit les éditoriaux et trace les grandes lignes de la politique, tandis que Liebknecht poursuit un inlassable et écrasant travail d’agitation dans les masses. Les deux dirigeants spartakistes qui incarnent la révolution concentrent sur leurs personnes la haine des classes dirigeantes, des militaristes, des antisémites, de la bourgeoisie et des Junker comme des anciens combattants nationalistes, convaincus d’avoir été « trahis » par des gens de leur espèce. Il y a conflit de pouvoir entre le Conseil des commissaires du peuple d’Ebert et le conseil exécutif des ouvriers et soldats de Berlin, que dirigent de fait les Délégués révo­ lutionnaires, l’aile gauche de PUSPD, et leur représentant, le dirigeant syndical Richard Müller. La question centrale est celle de la force armée dans la capitale. La décision de l’exécutif de Berlin de constituer une Garde rouge, prise le 12 novembre, se heurte à une mobilisation des soldats par les social-démocrates majoritaire et doit être abandonnée. Quelques jours plus tard, une tentative de l’exécutif d’organiser une force armée notam­ ment au service de la préfecture de police, qu’occupe Emil Eichhom, aboutit au résultat contraire, la formation d’une troupe de 17 000 hommes sous les ordres du commandant social-démocrate de la capitale, Otto Wels. Une nouvelle défaite attend les dirigeants du comité exécutif. Une résolution de Daiimig, présentée le 16 novembre, se prononçant pour une «république des conseils», préconise la convocation d’un conseil central des conseils de tout le pays afin d’étudier « une nouvelle Constitution conforme aux principes de la démocratie prolétarienne ». Après une bataille confuse, elle passe avec un additif d’Hermann Müller précisant que la nouvelle Constitution devra être soumise à « une assemblée constituante convoquée par le conseil central3». Les membres du Parti social-démocrate dans les conseils ont réussi à y faire passer la ligne de la destruction de îa dualité de pouvoir et îa disparition des conseils en tant qu’organes de pouvoir. La convocation de îa Constituante est décidée. Dans Die Rote Fahne, Rosa Luxemburg écrit l’épitaphe du conseil exécutif de Berlin : Il est clair que c’était dans le conseil exécutif, dans les conseils d’ouvriers et de soldats, que les masses devaient seretrouver. Or leur organe, l’organe de la révolution prolétarienne, est réduit à un état d’impuissance totale. Le pouvoir lui a glissé des mains pour passer dans celles de la bourgeoisie. Aucun organe de pouvoir politique ne laisse de son plein gré échapper le pouvoir à moins d’avoir commis quelque faute. Ce sont la passivité et même l’indolence du conseil exécutif qui ont rendu possible le jeu d’Ebert-Scheidemann4. Ce jeu va aller jusqu’au bout. Le congrès central des conseils se réunit le 16 décembre. Sur 489 délégués, dont 405 de conseils ouvriers, il y a 288 membres du SPD contre 90 indépendants - 10 spartakistes seulement. Ni Liebknecht ni Rosa Luxemburg n’ont 3. P. Broué, Révolution en Allemagne, p. 182, 4. Die Rote Fahne, 11 décembre 1918.

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été élus, et le congrès refuse de les inviter. S’inspirant sans doute de l’exemple des «journées» de la Révolution française, les spartakistes organisent avec les Délégués révolutionnaires d’énormes manifestations - 250 000 le premierjour -, dont une de soldats et une autre de grévistes qui tentent de faire pression sur le congrès où elles viennent défendre leurs revendications. En vain. Les jeux sont faits. Le congrès des conseils, sauf sur la question de l’armée, où le vote sur les « sept points de Hambourg » signifie la fin de l’armée impériale, suit Ebert. Le dernier vote politique sur une motion Daiimig en faveur du pouvoir des conseils ne lui donne que 344 voix contre 988. Immédiatement se déroulent dans toute l’Allemagne ouvrière des manifestations contre le pouvoir central et contre la perspective électorale adoptée par le congrès, l’élection de la « Constituante ». Protestation, ou perspective immédiate de lutter pour le pouvoir des conseils contre les représentants et sans doute îa majorité des travailleurs - les moins politisés ~ qui suivent le SPD ? Pourtant, un élément extrêmement positif subsiste aux yeux des spartakistes. A chaque agression ou tentative de la droite, les travailleurs berlinois ont jusqu’à présent riposté avec toujours plus de force. Le 8 décembre après une fusillade contre une manifestation de la Ligue des soldats ronges, le 10 décembre après l’entrée dans la capitale des troupes du général Lequis, arrivées en bon ordre et qui se dissolvent littéralement, le 25 décembre enfin, « le Noël sangîant », où les troupes appelées pour réprimer îa mutinerie des marins de la Division du Peuple sont littéralement balayées par des centaines de milliers de manifestants. Dans ces manifestations comme dans le début d’un mouvement de grèves, Rosa Luxemburg voit le cheminement des masses, la révolution même. Le revers de îa médaille, c’est que les mobilisations auxquelles les spartakistes entraî­ nent dans la rue les démobilisés, les déserteurs, les chômeurs, toutes les victimes de la guerre et de la crise, sont loin d’être parfaitement contrôlées ni même contrôlables, que des éléments suspects, voire provocateurs, s’immiscent dans leurs rangs, poussant aux violences, réclamant à ia grande joie des jeunes et des éléments apolitiques enragés la chute du gouvernement et dénonçant les social-démocrates comme l’ennemi n° 1. L ’inci­ dent le plus grave a lieu à Noël. A l’initiative de militants spartakistes, le journal socialdémocrate Vorwarts est occupé par des manifestants. Us se souviennent que ce journal, payé autrefois par des milliers et des milliers de souscriptions d’ouvriers, avait pris position contre la guerre en 1914 et avait été confisqué par les autorités militaires puis remis aux social-démocrates majoritaires. Pour eux, iî s’agit de reprendre « leur bien », celui des travailleurs. Les occupants publient des tracts signés Vorwarts rouge, appelant au renver­ sement du gouvernement Ebert et à son remplacement par « de vrais socialistes, c’està-dire des communistes », puis, sous la signature « Ouvriers et soldats du Grand-Berlin », un véritable ultimatum au gouvernement. Le journal est finalement évacué, mais l’épisode nourrit la calomnie sans cesse rabâchée selon laquelle les spartakistes veulent détruire par la force et la violence la liberté d’expression. C o n seils

o u v r ier s et pa r t is c o m m u n ist es

En cet automne de 1918, une partie de l’Europe centrale et orientale se couvre de conseils analogues aux soviets, et cela paraît aux dirigeants bolcheviques le label de l’authenticité du mouvement prolétarien » comme le leur. La guerre civile semble installée à demeure, en une sorte de prolongement de la guerre civile russe. La perspective de la défaite des empires centraux encourage toutes les formes de lutte. Les travailleurs de Roumanie - qui font îeur apprentissage - en sont aux grandioses manifestations de rue. Le gouvernement réplique par un véritable massacre de manifestants à Bucarest le

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m ontée

18 décembre : l’armée tire, faisant 60 morts dans la foule et d’innombrables blessés. Aussitôt après, la police arrête 65 dirigeants du mouvement ouvrier politique et syndical, qu’elle incarcère. L ’un des plus valeureux dirigeants du Parti socialiste roumain, Ioan Frimu, va mourir en prison, du typhus, dira-t-on5. On a pu, pendant quelques jours, dans le sillage de la révolution allemande, croire à une révolution dans les Pays-Bas. Le 11 novembre, le leader social-démocrate Pieter Jelles Troelstra se disait partisan d’une révolution prolétarienne, et le lendemain exigeait îa remise du pouvoir à son parti, le SDAP. Un Comité socialiste révolutionnaire dont le SDAP était membre demandait un gouvernement reposant sur les conseils d’ouvriers et de soldats, l’abolition de la propriété privée des moyens de production, la journée de huit heures, la démobilisation, le droit pour les soldats de conserver leurs armes, le vote des femmes. David Wijnkoop, dans un meeting de masse, appelait à l’élection de conseils et à la saisie des moyens de production, la proclamation de la Commune d’Amsterdam et de la République socialiste fédérale des Pays-Bas. Le 13, Wijnkoop réclamait au Parlement la formation d’un gouvernement basé sur les conseils et l’abolition de la monarchie. Une fusillade contre une manifestation faisait dix morts et Wijnkoop, sur les marches de la Bourse, appelait à la proclamation de la Commune d’Amsterdam. Les choses en restèrent là avec un appel au calme du SDAP, Troelstra compris, le lendemain. C’est sans doute en Autriche proprement dite que le mouvement a été le plus faible. Là, aucune gauche ne s’est vraiment développée pendant la guerre. Le geste héroïque et symbolique de Friedrich Adler, abattant le chef du gouvernement, l’homme de îa guerre, le comte von Stürgkh, le 24 octobre 1916, avait donné un coup de fouet et encouragé la résistance ouvrière, mais en même temps fait de lui un symbole révolutionnaire. Or il ne se décide pas à quitter le Parti social-démocrate et à se tourner vers le communisme, même après le 19 novembre 1918, où il reçoit à Vienne îa brève visite de Béla Kun qui lui apporte une lettre pressante de la part de Lénine. Quand, le 30 octobre 1919, au milieu de l’éclatement de l’empire, se constitue un gouvernement provisoire pour F Autriche proprement dite, la floraison des conseils d’ouvriers et de soldats, le rétablissement des libertés démocratiques et la libération des prisonniers politiques font apparaître la toutepuissance des social-démocrates, désormais dirigés par la gauche d’Otto Bauer, et l’insigne faiblesse des groupes révolutionnaires. Le groupe le plus sérieux est celui de Franz Koritschoner et de Josef Strasser Le second est un excellent journaliste. Le premier a alors vingt-six ans. ïssu d'une famille de banquiers juifs, neveu de Rudolf Hilferding, le théoricien social-démocrate, il s’est lié d’amitié avec Boukharine et, par lui, politiquement avec les bolcheviks. Il connaît Lénine depuis Kienthal. Il avait été arrêté après les grèves de janvier. Ses amis restés en liberté, dont Strasser, sont en contact avec Paul Levi et îa Ligue Spartakus. Il a avec lui la très jeune ïiona Duczynska, qui était à Zurich et a connu tous les zimmerwaldiens. Le deuxième groupe est celui de l’Association libre des étudiants socialistes, que dirige Elfriede Eisler, unejeune femme de vingt-trois ans, avec son jeune mari Paul Friedlânder, son frère Gerhardt Eisler et Karl Frank, vingt-trois ans tous les deux. Il a été dissous en janvier et a poursuivi une activité clandestine, Elfriede se liant pendant l’été avec un typographe, exclu du Parti social-démocrate et fondateur d’un petit cercle communiste, Karl Steinhardt, quarante-trois ans. L ’homme est en contact avec la mission diplomatique soviétique de Vienne, ce qui va permettre au groupe de recevoir une aide matérielle bien utile. Le troisième groupe, quelques dizaines de jeunes militants, était, lui, constitué sous la 5. P. Broué, Rakovsky, op. cit., p. 138.

Un tournant incertain

e t sanglant

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direction de Johannes et Hilde Wertheim et surtout de Léo Rothziegel, un typographe de vingt-six ans. D’abord anarchiste, déserteur, mutin, évadé de la prison militaire, il s’était rallié au marxisme fin 1917 sous l’influence de Koritschoner, avait joué un grand rôle dans les grèves de janvier 1918. Arrêté en avril, il avait constitué en novembre, à sa libération de prison, la Fédération des socialistes révolutionnaires « Internationale ». Le 3, il était entré dans la Garde rouge, dont il fut aussitôt l’un des mentors. Le Parti communiste autrichien a été créé comme à la sauvette, le 3 novembre 1918, par « un congrès convoqué on ne sait trop comment [...] de bouche à oreille », écrit le futur Lucien Laurat, à l’époque Otto Maschl6. Les amis de Koritschoner sont absents et persuadés qu’ils ont été délibérément tenus à l’écart. Le groupe de Léo Rothziegel n’est pas représenté non plus. En revanche, Steinhardt est présent. La présence de Karl Toman et de quelques autres ex-prisonniers de guerre venant de Moscou montre qu’une liaison existe. Le 12 novembre, à îa suite de violents incidents avec la police, qui prétend interdire rentrée du Parlement à une délégation, Koritschoner est grièvement blessé par balle. Un autre incident, l’occupation d’un journal pendant quelques heures par le groupe Friedlander, provoque l’arrestation de la jeune femme et, semble-t-il, une volte-face des amis de Koritschoner, qui rejoignent le jeune PC. Après de longues négociations, le groupe des Wertheim et de Rothziegel le rejoint aussi dans une « unification » formellement réalisée à la conférence le 9 février 1919. Ainsi le groupuscule peut-il grandir. De quelques centaines au plus à sa naissance, il est passé à quelque 10 000 en mars Î919. C’est pourtant un effectif tout à fait dérisoire, si on le compare aux 500 000 membres du Parti socialdémocrate autrichien. Les militants en provenance de Moscou ont eu beaucoup plus d’importance dans la naissance du parti communiste en Hongrie. La presse de Budapest avait fait à Béla Kun une énorme publicité. Aux yeux des militants gagnés au modèle ou au moins à l’exemple russe, il était celui d’entre eux qui jouissait de l’appui de Lénine. Lors de l’arrivée de Kun à Budapest, le 17 novembre, la situation est particulièrement complexe, entre le gouvernement provisoire du grand seigneur démocrate le comte Mihaly Karolyi, le Conseil national hongrois, le Conseil des soldats animé parJôszef Pogâny et le Conseil des ouvriers de Budapest. La force politique dominante dans ces trois organismes était évidemment le Parti social-démocrate, dont îa direction niait de toutes ses forces que fût engagé un développement de dualité de pouvoir. Il y a aussi, en dehors des nouveaux adhérents, plusieurs groupes qui se réclament de la révolution, dans une situation économique et sociale catastrophique où le gouvernement Karolyi, avec l’appui et sous la pression des social-démocrates, multiplie les concessions, ce dont le ministre socialiste Kunfi suggère qu’il soit récompensé par « une suspension de six semaines de la lutte de classes ». Le groupe dit des « socialistes indépendants » rassemble des opposants d’avant guerre et des dirigeants ouvriers comme Sândor Ôzsfreicher. La « vieille opposition socialiste » se réveille ensuite avec Béla Vagô, Jenô Lâszlo, Béla Szântô. Le groupe d’Otto Korvin, qui s’intitule socialiste révolutionnaire, né du combat antimilitariste, réalise l’exploit de dif­ fuser par avion sur un meeting social-démocrate l’appel enflammé à la révolution lancé de Moscou par Sverdlov et censuré depuis par tous les moyens d’information. Un groupe interusines de « métallos socialistes » avec Aladar Komjât et un autre de « technocrates révolutionnaires » animé par Gyula Hevesi, vingt-six ans, se joignent à eux. Ce sont ces groupes qui vont se réunir le 24 novembre, après d’intenses discussions d’une semaine. Seul manque le groupe du cheminot Jeno Landler, que Kun n’a pu convaincre. L ’ouvrier Antaî Mosolygô est vice-président mais ne restera pas. Le comité 6. L. Laurat, « Le PC autrichiea », op. cil.

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central comprend 18 membres dont 6 du groupe des ex-prisonniers de guerre, venu de Moscou, quatre anciens responsables social-démocrates de la vieille opposition et un représentant de chacun des autres groupes. Béla Kun a réussi une très belle opération7. Le Parti communiste de Pologne devait évidemment avoir une histoire bien différente de celle des autres8. D’abord parce que la Pologne, divisée par ses puissants voisins, avait été jusqu’au terme de la guerre partagée entre la Russie et l’Autriche-Hongrie. Ensuite parce que le mouvement socialiste y était profondément divisé sur îa question nationale, mais sous un angle particulier. En effet, on sait que Rosa Luxemburg, opposée de façon irréductible à la théorie de r« autodétermination » des nationalités de Lénine, refusait de prendre en compte quelque revendication nationale que ce soit, et en particulier celle d’une indépendance nationale polonaise - et que c’était cette position, à l’intérieur du mouvement ouvrier polonais, qui s’opposait à celle des chauvins partisans d’une restau­ ration nationale. On s’explique ainsi sans peine que tant de militants d’origine polonaise, ayant commencé leurs premières armes dans une organisation polonaise, soient devenus des militants à part entière en Russie et en Allemagne et y soient demeurés ou allés après 1917 quand ils avaient survécu. Tel fut le cas de Dzerjinski, de Worowski, qui deviendra Vorovsky, de Hanecki (Ganetsky), d’Ounschlicht, militant dans les rangs russes, de Radek, Marchlewski-Karski, mais surtout Rosa Luxemburg et Léo Jogiches, militant dans le parti allemand. Bien sûr, la Pologne ne fut pas épargnée par la floraison ou l’explosion des conseils ouvriers à la fin de la guerre, surtout après la fin de l’occupation germano-autrichienne en 1918. M. Dziewanowski, enseignant d’histoire à Harvard, va même jusqu’à exprimer l’idée que «jamais les forces de soulèvement de la société n’eurent de chance de réussite comme pendant cette brève période9». Le premier conseil ouvrier surgit à Lubün le 6 novembre, seulement pour donner son allégeance à un gouvernement « du peuple » constitué dans la même ville sous un président socialiste, puis la transférer à un autre gouvernement de même type, à Varsovie. Bientôt cependant apparurent des conseils ouvriers de type plus combatif, encadrés par des socialistes plus avancés. Le soutien à Varsovie de celui de Lôdz provoqua de vives protestations de sa minorité. En revanche, dans le conseil ouvrier de îa zone minière de D§browa, la majorité, dirigée par l’ouvrier communiste Hibner, s’engagea dans îa voie révolutionnaire, manifestant sa solidarité avec la Russie soviétique, condamnant le gouvernement de Varsovie, appelant à la formation de îa Garde rouge et instaurant îa journée de travail de huit heures. L ’appel de D^browa à la grève générale illimitée n’a pas fait l’unanimité et n’a été que partiellement suivi par les ouvriers, cependant qu’il entraînait îa formation de quelques conseils de paysans. A la mi-décembre, le gouvernement de Varsovie utilisa son armée toute neuve pour désarmer la Garde rouge, dissoudre les conseils à Dçbrowa et faire condamner les dirigeants du mouvement. Deux groupes ici étaient prêts à franchir le pas, le SDKPiL, Parti social-démocrate du royaume de Pologne et de Lituanie, pour qui, comme l’écrit M. Dziewanowski, « la réalité d’une nation polonaise séparée était comme l’apparition soudaine de quelqu’un dont on annoncé la mort et l’enterrement à plusieurs reprises avec joie et soulagement10». C’était une surprise aussi désagréable pour la gauche du PPS, qui avait finalement suivi le SDKPiL.

7. Voir les ouvrages de Tokés et Borsanyi. 8. Le livre le plus accessible est celui de M.K. Dziewanowski, The Communist Party of Poiand. 9. Ibidem, p. 70. 10. Ibidem, p. 14.

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N a issa n c e

d u pa r t i en

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P o lo g n e

Après une conférence de ce dernier qui constata que l’unification devait se faire sur son programme à lui, confirmé par les faits, et envoya ses projets de résolutions à Rosa Luxemburg et Léo Jogiches pour approbation le congrès d’unification se réunit le 16 décembre 1918 à Varsovie. Il choisit d’appeler le nouveau parti «communiste» en hommage au nom nouveau du parti russe, et « ouvrier » pour rester dans sa tradition « luxembourgiste ». Il assura qu’il avait pour but la révolution sociale et la dictature du prolétariat qui serait réalisée par les soviets de villes et de villages. La plate-forme adoptée réitérait la position de Rosa Luxemburg sur la question nationale : « Le prolétariat polonais rejette toute solution politique liée à l’évolution du monde capitaliste comme autonomie, indépendance et autodétermination. [...] Pour le camp international de la révolution sociale, il n’y a pas de problème de frontières nationalesn. » C’était un parti squelettique formé de cadres de grande qualité et riche de virtualités. Finalement, on peut se demander si la naissance de l’État polonais n’a pas levé un obstacle sur la voie de l’unification des révolutionnaires. En tout cas, le mouvement se poursuit dans tous les pays. P r em ier s

pa s en

I t a l ie

Relevons un indice d’un des plus importants développements au sein du mouvement européen. On connaît la puissance du Parti socialiste en Italie, son influence chez les ouvriers des villes et aussi chez les paysans pauvres. Le 18 novembre 1918, au domicile d’un avocat socialiste, à Florence, s’est tenue une réunion des représentants des plus importantes sections maximalistes - un nom qu’ils ont pris récemment, mauvaise traduc­ tion de « bolcheviks », les révolutionnaires, « de gauche » - du P S I12. Parmi les présents se trouve évidemment Giacinto Menotti Serrati, chef incontesté de ce parti de plus de 80 000 membres, mais également le vétéran Constantino Lazzari, soixante et un ans, fondateur et secrétaire général du parti, ancien zimmerwaldien, depuis des années en contact avec le mouvement international en Suisse par l’intermédiaire de l’ancien secrétaire des JS italiennes, Isaac Schweide, vingt-huit ans, un Suisse né en Argentine, réfugié après avoir été expulsé d’Italie en 1915l3, On relève aussi la présence de deux militants presque inconnus qui vont dominer toute la première histoire du mouvement communiste, Amadeo Bordiga, vingt-neuf ans, qui publie à Naples le journal II Soviet, et Antonio Gramsci, vingt-sept ans, qui, dans quelques mois, va commencer la publication de L'Ordine nuovo. La CLÉ : l a

fo nd atio n d u pa r t i a llem a n d

La naissance du Parti communiste allemand (Spartakus), qu’on appellera KPD(S), est un fait capital. La clé de la révolution en Europe se trouve en effet - l’accord là-dessus est général - en Allemagne. A Moscou, on pense qu’elle est entre les mains du Spartakusbund et des IKD de Brème et Hambourg, les anciens d’Arbeiterpolitik, et de leur capacité à servir de socle à un grand parti. Un autre problème est posé du même coup, en relation indirecte d’ailleurs avec l’appartenance des spartakistes à l’USPD qui constitue un obstacle à cette politique : c’est la question des Délégués révolutionnaires de Berlin. Ces hommes sont dans la capitale la direction reconnue des travailleurs - on peut même I l Ibidem, p. 78. 12. Spriano, Storia del Partito comunista italiano, 1.1, p. 3. 13. Premier Congrès de Vinternationale communiste, « Introduction », n. 10, p. 39.

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dire leur direction révolutionnaire -, et leur groupe, initialement constitué comme un réseau de délégués ouvriers du parti appuyé sur un appareil syndical, ajoué etjoue encore un rôle d’état-major. D semble que les spartakistes aient été les premiers à se faire une raison et à décider à la fois de quitter l’USPD et de s’ouvrir à une fusion avec les IKD. Et que, parmi eux, Jogiches fut le dernier à accepter ce tournant. Les spartakistes n’ont pas apprécié les critiques et commentaires acerbes contre eux dans les pages 6'Arbeiterpolitik mais ils ont maintenant à faire face à un nouveau danger : ils redoutent, sur îa base de l’expérience qu’ils ont faite à Berlin, qu’un nouveau parti ne se constitue avec les indépendants de gauche comme Ledebour et Daümig et îa participation des Délégués révolutionnaires, une formation qui occuperait leur espace et deviendrait un écran entre eux et les ouvriers les plus avancés. Les IKD, les anciens d'Arbeiterpolitik, qu’on appelle aussi parfois Linksradikalen, ne sont pas non plus enthousiastes pour se retrouver - et en minorité - dans îa même organisation que « Frau Luxemburg », comme ils ont écrit (madame au lieu de camarade, Genossin). Moscou vient d’envoyer Radek à Berlin. Il connaît ces militants, qui sont non seulement ses camarades mais d’une certaine manière ses disciples. Pendant toute la guerre, Radek est resté en relation avec Knief, et celui-ci, dès leur première rencontre, en décembre 1918, ne lui a pas caché son hostilité à la fusion avec Spartakus tant pour des raisons politiques que du fait des méthodes autoritaires que Jogiches a fait prévaloir dans cette organisation centralisée. Radek s’emploie à surmonter ces arguments. Il plaide les besoins du prolétariat allemand, leur urgence, leur importance historique, îa nécessité de relativiser les vieilles rancunes, minimise la poigne de Jogiches, certes lourde dans îa clandestinité mais forcément remise en question avec l’initiative des groupes dans une période d’activité des masses. Knief et ses camarades finissent par se laisser convaincre. Leur conférence, le 24décembre, se prononce pour l’unification des deux organisations. La première bataille est gagnée. Mais la deuxième, la conquête des Délégués révolutionnaires, va être perdue. Il semble que Liebknecht et Pieck, qui avaient collaboré avec eux, étaient convaincus que la tâche serait facile. Pieck ne proposa en effet au congrès qu’une demi-heure d’interruption de ses travaux pour mener cette discussion. Elle eut lieu en réalité, dans le cours même du congrès, le 31 décembre 1918 et le 1er janvier 1919. La délégation (sept membres) des Délégués révolutionnaires était plus une délégation d’indépendants de gauche que de Délégués, avec Daümig, Ledebour - traditionnellement hostile aux spartakistes, qu’il traitait de « putschistes » -, et Richard Müller, que les spartakistes avaient traité avec une extrême sévérité pour son activité comme président de l’exécutif des conseils de Berlin. Les Délégués révolutionnaires veulent bien entrer dans le nouveau parti, mais ils posent des conditions. La première est que le congrès revienne sur sa décision de ne pas participer aux élections à îa Constituante. La deuxième était qu’eux-mêmes soient admis à parité dans la commission du congrès chargée du programme et de la tactique. Ils voulaient en outre que le mot Spartakus disparaisse du nom de la nouvelle organisation et qu’un droit de regard sur la presse soit organisé pour eux. Bien que certains, du côté des Délégués révolutionnaires, aient escompté que ces conditions allaient faire échouer tout accord, il faut bien admettre qu’elles n’étaient pas déraisonnables : moins nombreux à Berlin que les spartakistes, les Délégués pouvaient-ils s’enfermer dès le départ dans une situation minoritaire alors que leur influence était infiniment plus large ? L ’argument selon lequel iî ne pouvait y avoir parité entre une organisation purement berlinoise et une organisation nationale n’était guère valable non plus. Il y avait là des inquiétudes de chapelle : après tout, les spartakistes n’étaient pas

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200 à Berlin ! Liebknecht pensait que « les Délégués révolutionnaires du Grand Berlin [étaient] les meilleurs et les plus actifs du prolétariat berlinois, [qui dépassaient] de cent coudées les bonzes des cadres de l’USPD [et qu’ils étaient] dignes de confiance14». Mais aunomdes spartakistes, il déclara que les exigences des Délégués révolutionnaires étaient « inacceptables ». Les spartakistes espéraient-ils une base plus favorable à la fusion que les chefs qui formaient îa délégation ? Ils demandèrent un vote à l’assemblée générale des Délégués révolutionnaires. Celle-ci se prononça par 26 voix contre 16 en faveur de l’exigence de la participation aux élections et par 35 voix contre 7 pour leur propre admission à parité dans les commisssions du congrès du programme et de îa tactique. Sans avoir fait une seule concession, et ayant opposé à ses partenaires sa majorité numérique, le congrès du KPD enregistre à l’unanimité le refus des Délégués révolutionnaires d’être partie dans l’unification. Une déclaration assure que « quelques membres du Parti indépendant en pleine faillite qui jouent les extrémistes » cherchent à « troubler l’alliance entre les spar­ takistes et les Délégués révolutionnaires et à faire obstacle au développement » du parti à Berlin15. Il est incontestable qu’une importante occasion a été perdue là dans la bataille pour la construction d’un véritable parti et contre la marginalisation qui guette le parti en train d’être fondé. Radek est inquiet, qui a perçu dans le congrès une certaine ironie condes­ cendante à l’égard des Délégués révolutionnaires. Ces derniers, dans leur assemblée générale du 1erjanvier, se divisent sur l’avenir. Une partie d’entre eux souhaite l’adhésion au KPD, d’autres, dirigés par Ledebour, Daümig, Wegmann et Eckert, veulent la fondation d’un nouveau parti qui irait aux élections. La majorité décide de rester provisoirement à TUSPD puisqu’elle en contrôle l’organisation berlinoise. La conférence de Berlin, Spartakusbund et IKD réunis, décide « de créer un nouveau parti autonome, décidé à aller de l’avant avec audace, un parti solide et homogène dans sa théorie et sa volonté, se donnant un programme clair, qui fixe les buts et les moyens appropriés aux intérêts de la révolution mondiale16». Les autres décisions portent pourtant la marque du sectarisme, ou plutôt du gauchisme, qui apparaissait dans les négociations avec les Délégués révolutionnaires. Après un rapport de Paul Levi qui explique la néces­ sité, pour l’agitation et pour la construction du parti communiste, de participer aux élec­ tions à la Constituante, le congrès refuse, par 62 voix contre 23. C’est une défaite non seulement pour Levi, mais pour Rosa Luxemburg personnellement. Déjà, dans l’IKD, Knief avait été battu sur ce point par Paul Frolich et ses amis. Si la discussion sur les syndicats ne se termine pas par un vote, elle révèle que l’hostilité aux dirigeants syndicaux marqués pendant la guerre par leur politique de collaboration de classes est devenue une opposition aux syndicats eux-mêmes, et une volonté de les « déserter ». A Clara Zetkin qui s’inquiète de ces positions gauchistes et sectaires, Rosa Luxemburg explique qu’il s’agit d’un phénomène infantile, « un extrémisme un peu puéril », expli­ cable par la jeunesse et l’inexpérience des délégués. Son grand discours sur le programme marque toute la distance qui existe entre sa pensée - celle de la direction - et celle de la majorité des militants impatients de la base et de la frange sympathisante : Il n’est rien qui soit plus nuisible à îa révolution que les illusions, rien qui lui soit plus utile que la vérité franche et claire [...]. La lutte pour le socialisme ne peut être menée que par les masses, dans un combat corps à corps contre le capitalisme, dans chaque entreprise, opposant 14. Der Gründungsparteitag, p. 277. 15. Ibidem, p. 271. 16. Ibidem, p. 171.

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chaque prolétaire à son patron. Alors seulement il s’agira d’une révolution socialiste [...]. Nous devons conquérir le pouvoir politique par le bas et non par le haut [...}. Si Spartakus s’empare du pouvoir, ce sera sous la forme de la volonté claire, indubitable, de la grande majorité des masses prolétariennes, dans toute l’Allemagne La victoire de Spartakus ne se situe pas au début, mais à la fin de la révolutioni7.

C’est très clair, mais on est en droit de douter que cadres, militants et même certains dirigeants aient vraiment compris et cru ce que disait l’oratrice. L e problèm e de l ’In te rn a tio n a le posé

Depuis août 1914 et l’enregistrement par lui de la faillite de la IIeInternationale, Lénine n’avait cessé de répéter qu’il fallait constituer une nouvelle Internationale, et, depuis que les bolcheviks avaient abandonné la chemise saie social-démocrate pour devenir commu­ nistes, il s’agissait pour lui de l’Internationale communiste, ou encore IIIeInternationale. Les bolcheviks avaient dû cependant admettre que cette construction ne pouvait être entreprise immédiatement. Avec Zimmerwald et la constitution de la gauche zimmerwaldienne, Lénine avait parlé de « première pierre de la nouvelle Internationale ». Dans ses fameuses thèses d’avril 1917, Lénine insistait sur le fait que le premier devoir de son parti était de fonder sans attendre la HT Internationale. Les bolcheviks avaient cependant conscience qu’il n’était pas possible de lancer l’Inter­ nationale à partir d’un seul parti et que la collaboration d’au moins un parti communiste d’Europe occidentale était souhaitable. Le 24 décembre, parlant des programmes de Spartakus et du PC autrichien, Lénine, dans la Pravda, parlait de « la vitalité et des progrès de la IIIe Internationale ». La naissance du KPD apportait la condition manquante, La condition essentielle était toutefois le consentement du parti allemand, et, sur ce plan-là, les choses ne se présentaient pas bien. De même qu’eile était hostile à la constitution d’un parti « communiste », Rosa Luxemburg l’était à la formation d’une Internationale ainsi nommée. Son camarade de parti Eberlein, dont le témoignage est ici corroboré par celui de Paul Levi, explique en ces termes sa position à la fin de l’année 1918 : Le Parti communiste russe est encore le seul dans l'Internationale [...]. Le devoir des com­ munistes est d’arracher les partis socialistes de l’Europe occidentale à îa IIe Internationale afin de fonder une nouvelle Internationale révolutionnaire. Le Parti communiste russe n’y arrivera jamais à lui tout seul (...J. C’est à nous, révolutionnaires allemands, qu’il appartient de servir de trait d’union entre les révolutionnaires de Test de l’Europe et les socialistes encore réformistes d’Occident18.

Lors de son intervention au congrès de fondation du KPD à Berlin, le 25 décembre 1918, l’envoyé du parti russe, Karl Radek, avait conclu en saluant « l’Internationale qui sera îa ligue des classes ouvrières, dans laquelîe chacune saura pourquoi elle combat, où chacune suivra son propre chemin, où la révolution mondiale libérera la classe ouvrière, où le socialisme ne sera plus l’objet du combat mais ie sujet de notre travail conscient19». Ce langage fleuri dissimulait sans doute sa déception : il ne pouvait en effet ignorer que la direction du nouveau parti partageait la position de Rosa Luxemburg. Vingt-quatre heures plus tard arrivait à Moscou l’avocat Eduard Fuchs, porteur d’une lettre de Rosa Luxemburg pour Lénine et chargé d’une mission d’information quant aux intentions des dirigeants bolcheviques. Lénine donnait aussitôt des instructions à Tchit17.Ibidem, p. 387 et 401. 18. Eberlein « Spartakus et la ÏÏF Internationale », Itiprekorr, n°28,29 février 1924, p 306-307. 19. Grilndungsparteitag, p. 86.

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chérine, commissaire du peuple aux Affaires étrangères, afin qu’il prépare d’urgence des documents pour la convocation d’une « conférence socialiste internationale » dont il pro­ posait qu’elle ait lieu le Ier février à Berlin si elle y était possible légalement, et sinon aux Pays-Bas. Fuchs emporta les documents à Berlin. Le retour de Fuchs avec la docu­ mentation confirmait les craintes de Rosa Luxemburg : Lénine et ses camarades étaient engagés sur une voie qu’elle estimait fausse, et, dans le meilleur des cas, la fondation serait prématurée. Mais cela ne la fit nullement fléchir. Bien entendu, le KPD(S) va envoyer des représentants à la conférence de Moscou. Ce sont Hugo Eberlein et Eugen Léviné. Les instructions que leur donne Rosa sont parfaitement nettes : dans les conditions actuellement données, ne voter en aucun cas en faveur de la création d’une nouvelle Internationale. La

sem a in e sa n g la n t e

Mais la situation allemande évolue très rapidement. La crise de l’USPD, les combats du 10, puis du 25 décembre précipitent les événements. Le gouvernement et l’état-major sont toujours convaincus qu’il faut désarmer les ouvriers berlinois mais pensent que l’armée revenue du front n’en a pas la capacité. Or, au même moment, à l’initiative du général de division Maercker, est constitué un « corps franc de chasseurs volontaires » sur le modèle de ceux qui luttent à l’Est contre les bolcheviks, mais spécialement entraîné et préparé aux tâches militaires d’une guerre civile. Le remaniement ministériel provoqué par la démission des ministres indépendants va fournir celui qui est capable de l’utiliser : le social-démocrate de droite Gustav Noske, lié depuis de longues années aux milieux de Fétat-major, dont il a la confiance, un homme à poigne, décidé à employer la force et, comme il dit, « à jouer le rôle du bourreau ». Sa tâche va être facilitée par d’énormes erreurs de ses adversaires. L ’épreuve de force va porter, une fois de plus, sur la question de la force armée. En l’occurrence, il s’agit du préfet de police de la capitale depuis la révolution, celui que par analogie avec la France en 1848 on surnommait parfois « le Caussidière allemand », Emil Eichhom. Ce vétéran social-démocrate, indépendant de gauche, lié à Ioffe, jouit de la confiance des travailleurs berlinois, qui se sentent protégés et sont effectivement aidés par lui. En revanche, il est haï de la droite, à commencer par les social-démocrates, parce qu’il constitue un obstacle à ses plans de reprise en main. Le 1erjanvier 1919, le Vorwarts social-démocrate commence la préparation de l’offensive contre lui en l’accusant de tous les méfaits : bénéficiaire de « l’or russe » à l’agence Rosta, il a acheté illégalement des armes, trafiqué sur les produits alimentaires, c’est « un danger pour la sécurité publique ». Le 3, un haut fonctionnaire du ministère de l’Intérieur l’accuse officiellement des mêmes méfaits et d’autres, de l’escroquerie au vol à main armée. Le 4, il est révoqué et remplacé par le social-démocrate Eugen Emst. Or, méprisant les arguments juridiques de certains, il refuse de quitter le poste auquel l’ont placé les travailleurs berlinois en novembre. Résolutions, grèves, manifestations, lui renouvellent leur soutien. Le soir même il reçoit celui des Indépendants de gauche de Berlin, des Délégués révolutionnaires et du KPD. La centrale de ce dernier, en se prononçant pour la grève, précise qu’il ne faut pas lancer de mots d’ordre impliquant celui du renversement du gouvernement. Radek s’inquiète cependant, car Liebknecht, dans une conversation privée, lui a confié : « Si notre gouver­ nement est encore impossible, un gouvernement Ledebour appuyé sur les Délégués révo­ lutionnaires est d’ores et déjà possible20. » 20. K. Radek, « November... », loc. cit., p. 137.

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L ’appel à la manifestation, paru dans Freiheit et Die Rote Fahne et signé par les Délégués révolutionnaires, l’USPD et le KPD, dénonce une « conspiration méprisable » dans la révocation d’Eichhom, afin d’établir « une autorité despotique contre les ouvriers révolutionnaires ». H se termine par un appel à la mobilisation : « Venez en masse ! Votre liberté, votre avenir, le destin de la révolution sont en jeu. A bas le despotisme d’Ebert, Scheidemann, Hirsch et Emst ! Vive le socialisme révolutionnaire international25!» L ’envoyé de Moscou témoigne : La participation des masses à la manifestation [du 5 janvier] fut telle qu’il était tout à fait possible, cesjours-là, de prendre le pouvoir à Berlin. Le gouvernement installé à la Wilhelmstrasse n’était protégé que par des ouvriers social-démocrates non armés. Pas un seul soldat devant le siège du gouvernement Personne ne fixa aux masses descendues dans la rue un objectif précis. Rosa était d’avis que prendre le pouvoir à Berlin ne rimait à rien si la province ne se soulevait pas22.

Un dirigeant communiste resté anonyme à l’époque - il s’agit de Paul Levi - décrit ce qui était peut-être, écrit-il, « la plus grande action prolétarienne de masse jamais vue dans l’Histoire [...] une armée de 200 000 hommes comme aucun Ludendorff n’en avait jamais vue23». Eichhom clame sa détermination : « J ’ai reçu mon poste de la révolution et je ne le rendrai qu’à la révolution24. » Les chefs ouvriers, eux, délibèrent. Bien entendu, il y a Ledebour, Daümig, les Délégués révolutionnaires que préside désormais Paul Scholze, Anton Grylewicz, l’adjoint d’Eich­ hom, et Liebknecht, toujours flanqué de Wilhelm Pieck. On apprendque des collaborateurs d’Eichhom, que le social-démocrate Fischer avait tenté de corrompre, dénoncent l’entre­ prise et soutiennent leur chef. On envisage tout, depuis le recul jusqu’à l’attaque. C’est finalement le héros du 25 décembre, i’ex-lieutenant Dorrenbach, chef de la Division de marine du Peuple, lié à Liebknecht, qui fait pencher la balance : il y a, assure-t-il, des craquements dans les forces de l’ordre, lui-même dispose de la Division de marine et il assure que plusieurs milliers d’hommes, disposant de 2 000 mitrailleuses et de 20 camions, cantonnés à Spandau, où le spartakiste von Lojewski dirige le conseil de soldats, sont prêts à appuyer les travailleurs berlinois. Il convainc Ledebour et Liebknecht, et c’est à une forte majorité, contre un petit groupe avec Richard Müller et Daümig, qu’on se décide à aller de l’avant afin de renverser le gouvernement. On désigne alors un comité révolu­ tionnaire formé de trois membres, Liebknecht, Ledebour et Scholze, qui « proclame îa déposition » du gouvernement et « assume provisoirement les fonctions gouvernementa­ les25». Ce devrait être le début de l’insurrection26. Pendant ce temps, dans Berlin, des groupes armés agissant de leur propre initiative et peut-être à celle de provocateurs plusieurs enquêteurs ont parlé du garçon de café Alfred Roland ~ occupent les locaux du Vorwarts* D’autres journaux et entreprises de presse sont également occupés. L ’Italien Misiano est parmi les occupants du Vorwàrts. Le réveil est amer. D’abord, dans la nuit, aux environs de 13 heures, la réunion commune des dirigeants révolutionnaires - 35 personnes autour des 3 membres du comité révolutionnaire - s’est transportée au Marstalî à la suggestion de Dorrenbach pour se placer sous la protection des marins de la Division du Peuple. Dans la journée, les marins, 21. Freiheit et Die Rote Fahne, 5 janvier 1919. 22. K. Radek, « November,,. », toc. cit., p. 137. 23. Die Rote Fahne, 5 septembre 1920. 24. Ibidem, 6 janvier 1919. 25. Ce texte est reproduit dans lllustrierte Geschichte der deutschen Révolution, p. 272. 26. Cet appel n’aura aucune suite I

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mécontents de roccupation de leur Marstall par des civils qui s’emparent de leurs armes, accusent Dorrenbach de n’avoir consulté personne à la Division de marine, même pas le

comité des 5 qui la commande et dont il fait partie. Les marins commencent par libérer les prisonniers social-démocrates arrêtés au matin (dont Franz Fischer et Otto Wels), puis expulsent le comité révolutionnaire : la troupe de choc de la révolution chasse le gouver­ nement révolutionnaire, désormais sans domicile fixe ! Un détachement de 300 hommes partis occuper le ministère de la Guerre se volatilise. Son chef est allé chercher un ordre... écrit, puis s’est endormi. Las d’attendre, les hommes sont partis. Or, dans la nuit du 5 au ' 6, un tract de l’exécutif social-démocrate allemand parle des « bandits armés », des « fous et des criminels », de menaces contre les travailleurs, « meurtres, guerre civile sanglante, anarchie et famine ». Du côté des « insurgés », au sommet, c’est le désarroi. Les dirigeants nationaux de l’USPD font pression sur Ledebour pour qu’il accepte de négocier. Le « grand » comité révolutionnaire décide de le faire par 51 voix contre 10. Radek, à qui la centrale a demandé de se cacher, envoie un message pour dire qu’il faut appeler à la reprise du travail et mener campagne pour îa réélection des conseils. Rosa Luxemburg lui répond que les Indépendants se disposent à capituler et qu’il ne faut pas leur faciliter la tâche. Jogiches réclame le désaveu de Liebknecht et Pieck, qui, depuis le 5 au soir, agissent sans mandat, sans contact et dans un sens opposé à la ligne du parti. Mais la centrale ne s’y décide pas. Les négociations commencent le 6 au soir, se prolongent sans résultat jusqu’au 8 au soir. La seule question abordée est de savoir si l’évacuation des immeubles occupés par les révolutionnaires est un objet de négociation ou un préalable. Le 8, au Reichstag, on organise des régiments de volontaires dirigés par un journaliste social-démocrate et un officier. Les ministres se réunissent en secret et nomment Noske commandant en chef. Il concentre les corps francs près de la capitale. Liebknecht va saluer les occupants du Vorwarts - dont son propre fils - et dénonce la trahison des Indépendants. Surtout, une proclamation gouvernementale annonce la couleur, dénonçant « Spartakus » qui « se bat pour tout le pouvoir », a muselé le peuple, suspend liberté personnelle et sécurité, inter­ rompt le ravitaillement. Le gouvernement annonce qu’il va «répondre par la force à la force ». « Le pouvoir organisé du peuple va mettre un terme à l’anarchie. » En fait, c’est le même jour qu’ont commencé les premières opérations militaires pour reprendre l’immeuble de la direction des chemins de fer. Le 10, c’est l’attaque contre la garnison de Spandau, l’assassinat en prison de Max von Lojevski. Dans la nuit du 10 au 11, c’est l’arrestation de Ledebour et d’Emst Meyer. Le 11 au matin commence le bombardement du Vorwarts, Les occupants capitulent au bout de deux heures ; l’un des dirigeants de l’occupation, l’IKD Wemer Môller, est abattu sur place. Parmi les prisonniers se trouve le cheminot italien Francisco Misiano, déjà rencontré en Suisse. Même scénario à la préfecture de police, le 13, où le communiste Justus Braun est abattu lui aussi. Dans l’intervalle, Levi et Radek ontencore fait tout leur possible pour éviter la poursuite d’une politique désastreuse qui équivaut à un suicide. Radek a écrit à la centrale une longue lettre où il rappelle l’expérience des bolcheviks, la décision de battre en retraite au moment des journées de juillet 1917. Rosa Luxemburg écrit ses derniers articles en rejetant la responsabilité du désastre et des morts qui s’entassent dans Berlin sur « la direction », les gens de l’USPD. Ni Liebknecht ni elle n’acceptent de quitter Berlin, ils tentent de s’y cacher. Ils ont de faux papiers qui ont l’air de ce qu’ils sont. Ils sont arrêtés dans la soirée du 15 janvier et transférés à l’hôtel Eden, QG de la division de la Garde. Après un très dur interrogatoire, ils sont tous deux assassinés de façon atroce. Le cadavre de Rosa Luxemburg est jeté dans un canal, celui de Liebknecht, abattu au Tiergarten, est présenté comme celui d’un inconnu. La vérité se ferajour difficilement, après une enquête

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longue et dangereuse, menée notamment par Léo Jogiches, assassiné à son tour en mars en prison, et par Paul Levi. Tibor Szamuely réussit à s’échapper de Berlin en flammes : on n’aurait pas donné cher de sa peau s’il était tombé aux mains des Corps francs. Quelle était sa mission ? Quel rôle a-t-il joué ? On sait seulement qu’il était partisan de prendre le pouvoir et qu’il reprocha à Liebknecht non de s’être avancé, mais de ne pas s’être avancé plus loin et plus vite. H réussit à rejoindre Budapest. Le

pa ssa g e d u r b l a is

Ainsi, ce qui reste de l’armée allemande, organisé dans la troupe de guerre civile que constituent les Corps francs, frappe à 1a tête la révolution mondiale en Europe en assas­ sinant deux de ses dirigeants les plus prestigieux, Rosa Luxemburg, qui était sans doute l’une des plus grandes théoriciennes socialistes, et Liebknecht, génial agitateur à la stature internationale de héros. Ils ne seront pas remplacés. Les Alliés ont tenté dans la même période un encerclement de îa Russie rouge. Utilisant leur victoire sur les Centraux, soit pour prendre purement et simplement leur place, soit au contraire en sous-louant leurs services de façon qu’ils leur servent de transition avant la relève, ils ont probablement espéré aussi un instant étouffer le cœur même de la révolution avec la Russie rouge. Lénine Pavait compris : dès la confirmation de l’armistice à l’Ouest, il dit à Tchitchérine : « Et maintenant le Grand Capital va se mettre en branle contre nous27. » Les Alliés commencent à appliquer des plans de longtemps préparés. C’est le 22 novembre que le général Denikine, stationné à Ekaterinodar, fut avisé de la prochaine arrivée d’une escadre alliée, et le 23 elle mouilla dans la mer Noire en face de Novorossisk : avec la défaite des Turcs, la voie des Dardanelles était ouverte. Avec l’escadre arrivait une mission dont le chef français apportait le salut à « la vaillante armée de volontaires » et la reconnaissance du général comme chef de la Russie du Sud : il n’allait manquer désormais ni d’argent, ni d’armes, ni de munitions, Denikine allait pouvoir commencer la conquête de l’Ukraine, mais s’inquiétait tout de même, réclamant le 7 décembre au générai Franchet d’Esperey l’envoi de deux divisions au moins vers Kharkov et Ekaterinoslav. Une semaine plus tard, lesdites divisions se faisant attendre, il priait le général français de bien vouloir faire son possible pour que les troupes allemandes n’évacuent pas Kharkov avant une relève, alliée ou blanche. Le premier débarquement français eut lieu le 17 décembre, à Odessa, et toute la côte ukrainienne de îa mer Noire ainsi qu’une bande de territoire d’une profondeur de plus de 100 kilomètres furent occupées par une force de 12000 hommes, Français, Polonais, Grecs, Algériens et Sénégalais. Cette armée moderne de qualité comptait des tanks et une aviation efficace et entraînée. Ses arrières étaient assurés par une puissante flotte com­ prenant notamment trois cuirassés et huit croiseurs, une grande puissance de feu. La Crimée était également occupée par quelques soldats français, des Grecs et des Sénégalais. Les Anglais, eux, débarquaient à Batoum, quelques mois après la fameuse et ignoble exécution des « 26 commissaires » de Bakou. La mission Malleson s’installait à Bakou. Dans le même temps, d’autres troupes britanniques débarquaient à Riga, puis déchar­ geaient à Tallinn de grandes quantités d’armes et de munitions et un certain nombre de canons. On pouvait compter sur l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie, nettoyées par le général allemand von der Golz, déjà vainqueur de la Finlande rouge, pour la croisade finale en direction de Petrograd avec la Finlande blanche de Mannerheim. Quelques semaines plus tard, cependant, politiques et militaires alliés parmi les plus 27. Cité par L. Fischer, qui le tient de Tchitchérine, les Soviets dans les affaires mondiales, p. 126.

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chauds partisans de l’intervention commençaient à faire entendre des paroles de prudence. Du côté des bolcheviks, une adroite diplomatie essayait d’amener r adversaire à renoncer. Le message de Noël de Litvinov au président Wilson, au nom du gouvernement soviétique, était bien de nature à troubler peuples et dirigeants. II disait notamment : Les ouvriers et paysans russes n’arrivent pas à comprendre que les pays étrangers qui n’ont jamais songé à intervenir dans les affaires de la Russie quand elle était gouvernée par la barbarie des tsars et soumise au militarisme, et qui ont même défendu ce régime, puissent aujourd’hui se sentir autorisés à intervenir en Russie La dictature des travailleurs et des producteurs n’est pas un but en soi, mais le moyen de construire un système social nouveau dans lequel on donnerait à tous les citoyens du travail utile et des droits égaux [...]. On peut ou non y croire, mais en tout cas, on n’a pas le droit d’envoyer des troupes étrangères pour combattre contre lui, ni d’armer et de soutenir les classes qui ont intérêt à la restauration de l’ancien système d’exploitation de l’homme par l’homme28.

L ’in t er n a t io n a lism e co m battan t

C’est peut-être en Ukraine que se cristallise à cette époque le premier élément vérita­ blement militant de la IIIeInternationale, dans un combat qui fait plusieurs victimes. Les meilleurs militants bolcheviques d’Ukraine, ceux qui ont la plus grande expérience de la clandestinité, comme l’ouvrier Goloubenko, sont venus renforcer les bolcheviks d’Odessa. Citons parmi ces jeunes gens le secrétaire des Komsomols d’Odessa, plus tard grand historien de la Révolution française, Viktor Daline, et l’historienne Anna Pankratova sous le nom de Nioura Paiitch. Le travail pour la « fraternisation » avec les militaires français est considéré comme essentiel. Il est dirigé par un ancien ouvrier du Livre de Paris, où il était Tami proche de Lénine, Vladimir Dëgott. Le PC va y être sérieusement appuyé par le groupe communiste français de Russie et le bureau du Sud de l’Internationale commu­ niste. Une répression impitoyable va faire ici les premiers martyrs du communisme fran­ çais, l’institutrice Jeanne Labourbe et le lycéen Henri Barberet. Peut-être l’unité du sujet que nous avons entrepris de traiter ici est-elle symbolisée par le fait que F ami de Rosa Luxemburg en Suisse et de Liebknecht à Berlin, Khristian Rakovsky, arrive en Ukraine, choisi par Lénine comme chef du gouvernement le 22janvier 1919. Dans le discours qu’il prononce à son arrivée, il parle avec l’émotion qu’on peut imaginer de l’assassinat de Liebknecht et Rosa Luxemburg. H est à ce poste pour faire del’Ukraine la tête de pont de la révolution européenne et tente dans ce but de développer l’Internationale communiste dont il est l’un des principaux dirigeants... Un souvenir personnel pour conclure sur les difficultés de l’historien hier et aujourd’hui dans ce champ de recherche. Dans les débuts de la perestroïka, une historienne soviétique rencontrée à Moscou m’offrit une photographie de la réception en Ukraine de délégués français. Ils étaient dans une voiture découverte, et la foule massée dans la rue les acclamait. Avec eux, dans îa voiture, se trouvait un homme d’une quarantaine d’années, en uniforme de F Armée rouge. C’était Khristian Rakovsky, le chef du gouvernement ukrainien. Elle ne savait pas qui il était. Elle ignorait jusqu’à son nom. Sa bonne foi était entière. Mesure-t-on la tâche de rhistorien du communisme, devant ces trous béants de la mémoire, qui ne sont pas le fruit du hasard ?

28. Extraits dans L, Fischer, op. cil, p. 136.

CHAPITRE IV

L ’Acte fondateur1

C’est pendant les terribles journées de janvier 1919 que Moscou a complété les pré­ paratifs de sa « conférence » en vue de la fondation de la IIIe Internationale. Lénine est persuadé que le pas décisif en ce sens a été franchi avec la fondation du parti allemand, qui donne au parti russe le partenaire tant attendu. Il en a longuement discuté avec Trotsky et avec Rakovsky. Le 26 janvier, il écrit, dans une « Lettre aux ouvriers d’Europe et d’Amérique » : « Lorsque la Ligue Spartakus se fût intitulée Parti communiste allemand, alors la fondation de la IIIeInternationale, de l’Internationale communiste, véritablement communiste, véritablement internationale, devint un fait. Formellement cette fondation n’a pas encore été consacrée, mais en réalité la IIIeInternationale existe, dès à présent2. » Il ignore bien sûr alors l’assassinat des deux dirigeants communistes allemands. Il ne l’apprendra que le 21 janvier, et l’article paraîtra dans la Pravda du 24. Le journal du Parti communiste russe publie le mêmejour la lettre d’invitation à îa conférence socialiste internationale. Contrairement à des affirmations opposées, toutes inspirées directement ou non par Staline, elle a été rédigée par Trotsky et a d’ailleurs pris place dans le tome X III de ses œuvres, paru en URSS en 1926. LA LETTRE D’INVITATION

La lettre, rédigée donc par Trotsky3, est signée par Lénine et Trotsky pour le PCR(b), Karski (Marchlewski) pour le bureau étranger du parti polonais, Rudnyânszkÿ pour celui du parti hongrois, Duda pour celui du parti autrichien, Rozine pour le bureau russe du parti letton, Sirola pour le CC finlandais, Rakovsky pour la Fédération social-démocrate des Balkans et Reinstein du Socialist Labor Party américain. Des hommes qui se trouvent tous sur le territoire soviétique. Elle a probablement été écrite en décembre, avant le départ de Fuchs, puisqu'elle ne mentionne pas le Parti communiste allemand mais seulement la Ligue Spartakus. La première phrase annonce la couleur : « Les partis et organisations

î. Nous avons utilisé ie volume Premier Congrès de l'Internationale communiste, ci-après PCIC. 2. Lénine, Œuvres, t. 28, p. 451. 3. L. Trotsky, Sotchineniya, X II, p. 33-37. Nous faisons référence ici à la traduction dans PCIC.

L ’ acte

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soussignés considèrent que ia convocation dupremier congrès de la nouvelle Internationale révolutionnaire est d’une urgente nécessité4. » Elle commence par un rapide tableau de la situation mondiale, faillite de îa IIe Inter­ nationale, incapacité du « centre », montée très rapide de la révolution mondiale. Le danger d’étouffement de cette révolution par F alliance des États capitalistes sous le drapeau hypocrite de la Société des Nations, les tentatives des partis social-traîtres de se réunir et d’aider encore leurs gouvernements et leurs bourgeoisies pour trahir la classe ouvrière après s’être mutuel­ lement « amnistiés », enfin l’expérience révolutionnaire extrêmement riche déjà acquise et le caractère mondial de l’ensemble du mouvement révolutionnaire - toutes ces circonstances nous obligent à mettre à l’ordre du jour la question de la convocation d ’un congrès international des partis prolétariens révolutionnaires5.

Les buts et îa tactique sont définis dans une première partie. La période est celle de la décomposition et de l’effondrement du capitalisme mondial et sera celle de l’effondre­ ment de la civilisation européenne si le socialisme ne l’emporte pas. Le prolétariat doit prendre le pouvoir^c’est-à-dire détruire l’appareil d’État de la bourgeoisie et organiser un nouvel appareil d’Etat prolétarien, « instrument du renversement systématique de la classe exploiteuse et de son expropriation ». Une définition est donnée de l’État prolétarien : Non la fausse démocratie bourgeoise - cette forme hypocrite de la domination de l’oligarchie financière - avec son égalité purement formelle, mais îa démocratie prolétarienne avec la possi­ bilité de réaliser la liberté des masses laborieuses; non le parlementarisme, mais l’autoadministration de ces masses par leurs organismes élus ; non la bureaucratie capitaliste, mais des organes d’administration créés par les masses elles-mêmes avec la participation réelle des masses à l’administration dupays et à l’activité de la construction socialiste Le pouvoir des conseils ouvriers est sa forme concrète6. D faut l’expropriation immédiate du capital, l’abolition de la propriété privée des moyens de production et sa transformation en propriété sociale. La socialisation est définie comme « la remise de la propriété privée à l’État prolétarien et à l’administration socialiste de la classe ouvrière ». Elle s’applique à la grande industrie et aux banques, aux terres des grands propriétaires fonciers et de la production agricole capitaliste, implique la monopolisation du commerce, le socialisation des immeubles des grandes villes, « l’intro­ duction de l’administration ouvrière et la centralisation des fonctions économiques entre les mains des organisations émanant de îa dictature prolétarienne ». Le désarmement complet de la bourgeoisie, l’armement général du prolétariat, l’union complète des pays où la révolution a vaincu sont d’absolues nécessités. Et le texte fait ce rappel apparemment nécessaire : « La méthode fondamentale de îa lutte est l’action de masse du prolétariat, y compris la lutte armée ouverte contre le pouvoir d’État du capital7. » La dernière partie porte sur les relations avec les partis dits socialistes. Elle préconise îa lutte implacable contre les social-patriotes, la critique impitoyable pour séparer les éléments révolutionnaires du centre de ses chefs, « la rupture d’organisation avec le centre » étant à un moment nécessaire. La gauche révolutionnaire des partis socialistes doit en outre s’allier avec « les éléments qui se placent sur le terrain de 1a dictature du prolétariat sous îa forme du pouvoir des conseils, en premier lieu les éléments syndicalistes du mouvement ouvrier8». La lettre énumère ensuite les 39 groupes ou organisations aux­ 4. PC/C, p. 39. 5. Ibidem. 6. Ibidem, p. 40. 7. Ibidem, p. 41. 8. Ibidem.

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quels elle est adressée : les partis communistes déjà existants, les éléments révolutionnaires de partis socialistes, groupements syndicalistes et unionistes. L ’invitation de Moscou a-t-elle touché tous ses destinataires et les a-t-elle touchés à temps ? Non. La conférence est terminée depuis une semaine quand ses destinataires de Calgary, au Canada, la reçoivent. Ils acceptent d’ailleurs l’invitation. Au X IV econgrès du PSI, Constantino Lazzari dira que l’invitation officielle et originale lui était parvenue au mois de mars 1919 par les chaussures d’un « pauvre vagabond » (pobre pellegrino) venant de Moscou et aussitôt arrêté9. En revanche, une circulaire interne de février de 1aFédéra­ tion de la jeunesse socialiste italienne avait publié le texte de l’invitation, accompagné d’une acceptation enthousiaste de son secrétaire, Luigi Polano, vingt-deux ans, dont les policiers italiens se demandaient si elle ne pourrait pas servir à l’inculper de « sédition militaire » : « Sûrs d’être les interprètes de l’immense phalange des jeunes socialistes, non seulement d’Italie mais du monde entier, nous répondons à l’appel de Nicolas Lénine [sic] par un vibrant “Présents” ! Communistes du monde, jeunes et adultes, au congrès10!» Le délégué norvégien à la conférence, Emil Stange, est parti de Christiania sans que l’invita­ tion soit parvenue à son parti. On sait aussi que les combats en Ukraine ont empêché les deux délégués hongrois venant de Hongrie même d’arriver, et qu’ils se sont contentés de télégraphier leur solidarité, qu’un seul voyageur allemand a pu arriver, etc. D es

d élég u és peu r epr ésen t a t ifs

Tous les auteurs ont insisté sur le caractère peu représentatif des délégués de ce congrès de fondation. C’est une évidence. Au total, 51 délégués ont pris part à ses travaux, compte tenu des arrivées en retard, des départs avant la fin, des absences momentanées. Parmi eux, huit délégués du PCR (b), Lénine, Trotsky, Zinoviev, Staline, Boukharine, Tchitcherine, et les deux suppléants, Obolensky-Ossinsky et Vorovsky. Nombre d’entre eux, envi­ ron une quarantaine, dont 20 avec voix consultative, sont en réalité des militants bolche­ viques: ceux du parti russe, bien sûr, mais aussi ceux des partis letton, lituanien, biélorusse, arménien, de Russie orientale. II en est de même des membres des sections étrangères du PCR(b), des groupes communistes tchèque, bulgare, yougoslave, français, chinois, coréen et nord-américain, ainsi que de celui des Allemands de la Commune de la Volga et des sections du bureau central des peuples d’Orient et des sections étrangères du parti groupant des étrangers vivant en Russie. Le Parti communiste finlandais avait son existence propre mais il avait été fondé à Moscou et sa direction y résidait. Il était une forme de transition avec les partis du troisième type. Les partis communistes ayant une existence propre étaient le parti allemand, le parti polonais, le parti autrichien, le parti hongrois, récemment fondés. Le cas allemand était évidemment un cas particulier. Le KPD avait envoyé deux militants, mais l’un d’entre eux, d’origine russe, le journaliste de l’agence Rosta Eugen Léviné, avait été arrêté et refoulé à la frontière. Hugo Eberlein fut le seul délégué qui réussit à arriver à Moscou. Vieux spartakiste, il ne brillait pas par son intelligence, mais il semble que Jogiches l’avait choisi pour sa ténacité. Il utilisait le pseudonyme d’Albert, avait un mandat de sa centrale, donné par Rosa Luxemburg quelques jours avant sa mort. Il était pourtant bien diffi­ cile d’affirmer qu’il représentait ce qu’était devenu le parti allemand après le bain de sang de janvier et l’assassinat de cadres et de militants, y compris les deux dirigeants symboliques. En tout cas, après son arrivée à Moscou, il logea chez îa femme de Marchlewski, qui, avec Balabanova, commença son siège. Au cours de plusieurs rencontres 9. Compte rendu (en italien) du XIVecongrès, p. 38. 10. Document d’archives cité par P. Spriano, op. cit., 1.1, p. 23.

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au domicile de Lénine, il eut à subir aussi, raconte-t-il, les assauts de Trotsky, Boukharine et Rakovsky. Les autres partis avaient une existence réelle, de faibles effectifs et encore aucune centralisation politique véritable. Le délégué autrichien, Steinhardt, arriva en cours de congrès avec un Letton du nom de Petine, qui avait eu des responsabilités dans la Com­ mune de la Volga et avait peut-être travaillé à Vienne. Le parti polonais avait confié son mandat à l’un des siens vivant en Russie, Josef Ounschlicht. Quant au parti hongrois, dont les dirigeants se trouvaient alors en prison à Budapest, il avait envoyé deux délégués, nous le savons, qui ne réussirent finalement pas à traverser à temps le terrain miné par la guerre et la révolution. Son représentant à Moscou, Rudnyânszkÿ, dut se contenter des informations reçues le 15 février pour parler de la situation au pays. La situation était différente avec les partis qui n’avaient pas le label de « communistes » mais une existence réelle de partis indépendants. C’était le cas du parti social-démocrate de gauche de Suède -17 000 membres - fondé en 1916 par les vieux amis des bolcheviks F.O. Strom et Z. Hoglund et représenté par Otto Grimîund, vingt-quatre ans, arrivé au troisième jour de la conférence avec un mandat qui devra toutefois être ratifié par un congrès. C’était plus encore le cas du Parti ouvrier norvégien, le DNA (Det Norske Arbeiderpartie), qui compte 100000 membres et a vu arriver à la direction en 1918 la gauche syndicaliste de Martin Tranmael : il était représenté au congrès par son secrétaire Emil Stange, venu, lui, à temps. Fritz Platten était membre du PS suisse et en représentait la gauche. H contestait vigoureusement la représentativité du groupe Forderung, qui avait délégué à la conférence de Moscou l’étudiante polonaise de Suisse Léonie, dite Lea Kascher, 27 ans, dûment mandatée par ce groupuscule. L’Américain Boris Reinstein n’avait pas non plus de mandat de son parti, le Socialist Labor Party. Il avait quitté les États-Unis au début de 1918. Le cas du Néerlandais S i. Rütgers était peut-être plus caricatural encore, bien qu’il ne représentait pas, dans le cadre des groupes de Moscou, le Parti social-démocrate hollandais (tribuniste) dont il aurait pu aussi bien être représen­ tatif. H venait des États-Unis, où il était resté longtemps et représentait une ligue pour îa propagande socialiste ; il était passé par le Japon. Quant à Rakovsky, il représentait la Fédération balkanique, les tesnjaki bulgares et le PC roumain. Il n’a évidemment aucun contact avec aucune des trois organisations, la Fédération depuis son congrès de 1915, les Bulgares depuis aussi longtemps et les Roumains depuis 1916. Aucune explication n’est donnée de l’absence des Bulgares. On croit d’abord que personne ne songera à disputerà Rakovsky ces mandats qui lui reviennent en vertu d’un droit historique. Pourtant, à la commission des mandats, il est contesté pour la Fédération balkanique par le Serbe Milkié et par un Grec. Personne ne peut évidemment soutenir que ce congrès est réellement représentatif du mouvement ouvrier mondial. Il ne l’est même pas de cette avant-garde révolutionnaire qui a mûri pendant la guerre et bourgeonne depuis 1917. Et pourtant le mouvement qu’il incarne est un mouvement bien réel et qui emporte vers le combat de classe des centaines de milliers, sinon des millions d’individus. L es débats : rap p o rts

C’est bien entendu Lénine qui ouvre le congrès. Bref, concis, mais toujours aussi clair et pédagogue. Il apporte ce qui est au fond « la bonne nouvelle » des bolcheviks : La dictature du prolétariat, c’était jusqu’à maintenant du latin pour les masses. Maintenant, grâce au rayonnement du système des soviets dans le monde, ce latin est traduit dans toutes les langues modernes : les masses ouvrières ont trouvé la forme praüque de la dictature. Elle est devenue compréhensible pour les grandes masses ouvrières grâce au pouvoir des soviets en Russie,

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aux spartakistes en Allemagne, à des organisations analogues dans d’autres pays, comme, par exemple, les comités de délégués d’atelier (Shop-stewards committees) en Angleterre'1.

Le congrès a duré du 2 au 6 mars et nous n’en avons pas un compte rendu sténographique, ce qui reflète la pénurie de moyens élémentaires dont souffraient les bolcheviks, même au sommet du parti et de l’État, à cette époque. Nous parlerons successivement des rapports, de la décision sur la fondation de l’Internationale ensuite et finalement du Manifeste qui devait faire connaître au monde cette naissance. Les rapports sont souvent des comptes rendus, parfois des récits. On informe les Russes et les Russes informent. Le premier est celui d’Eberlein, l’Allemand qui apparaît sous le nom d’Albert et se trouve d’emblée au centre de l’attention du congrès. C’est en grande partie un compte rendu, pas toujours très fidèle, de ce qui s’est passé en Allemagne depuis 1914. Il parie de la semaine sanglante, de l’occupation et de la reprise du Vorwarts, du meurtre de Rosa Luxemburg et de Liebknecht, et même de l’arrestation de Radek, qu’il appelle curieusement « notre camarade russe ». A le lire, on éprouve cependant un sen-. timent de malaise. Dans son désir de faire apparaître son parti comme un vrai parti révolutionnaire candidat au pouvoir, n’exagère-t-il pas sa force et son importance, ne bluffe-t-il pas ses propres camarades, ce qui est une erreur terrible en politique ? Qui se douterait, à l’écouter, que son parti comprenait 50 membres à Berlin au 7 novembre, à peine 200 au moment du congrès ? Ce n’est pas suggérer correctement la réalité que de dire qu’il y a des endroits où « le prolétariat allemand n’est pas encore rallié au parti communiste12». Le contraste est frappant avec les textes qu’au même moment Karl Radek écrit de sa prison et qui décrivent ce petit parti saigné et désorienté dont les membres sont capables de mourir en braves mais pas de prendre le pouvoir et moins encore de le garder. Relevons par contraste les renseignements que donne Zinoviev sur les effectifs du Parti bolchevique russe : 10 000 membres environ à îa veille de la guerre, 500 000 aujourd’hui. Il parle de sa pénétration chez les paysans, de la transformation et des progrès de l’école, tente de justifier la « terreur rouge », dont il croit que le double meurtre en Allemagne va démontrer à tous la nécessité. Il admet très franchement qu’il y a nombre de mécontents chez les ouvriers russes. Pour conclure, fort intelligemment, adroitement même, il s’efforce, pour ces nouveaux venus qui connaissent un peu l’histoire, de placer la révo­ lution russe dans le sillage de la Commune de Paris de 1871. II assure : « Dès le début nous nous sommes donné pour tâche d’embrasser tout le travail de la Commune de Paris, de comprendre ce que les ouvriers parisiens avaient montré au monde en 1871 et de continuer leur œuvre dans des conditions nouvelles. Il va sans dire que nous devons mettre la plus grande partie de notre travail au compte de nos précurseurs, les ouvriers fran­ çais !3. » C’est là-dessus qu’il conclut : Camarades, nous bâtissons tout notre travail sur l’expérience que nous a léguée l’héroïque Commune de Paris de 1871. Notre grand maître, Karl Marx, nous a appris à aimer la Commune. Le testament de la Commune de Paris est pour nous sacré. Travailler à la réalisation de l’idée dont nous avons hérité, aider à îa victoire de la classe ouvrière internationale sur la bourgeoisie, voilà notre grande ambition, voilà ce qui sera notre plus grande gloire14.

Sirola parle brièvement de îa révolution finlandaise pour souligner que ses camarades et lui ont été pendant longtemps prisonniers d’une idéologie « unitaire », ne se résignant 11.PCIC, p. 53. 12. Ibidem, p. 65. 13. Ibidem, p. 75. 14. Ibidem.

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pas à la scission et hésitant sur la question de la dictature, ce qui a probablement coûté cher aux prolétaires de Finlande. Stange explique que son parti, le DNA, n’a pas encore abandonné complètement la ligne de la démocratie pour se rallier à la dictature du prolétariat à travers les « conseils ». Reinstein essaie d’expliquer au congrès les traits originaux de la classe ouvrière et du mouvement ouvrier de son pays. Il s’attache à décrire la radicalisation qui s’est produite à partir de 1917, rend un hommage particulier, pour sa lutte contre la guerre, au socialiste Eugene Debs. Il assure : « Je suis convaincu que, dans cette lutte du prolétariat mondial contre le capitalisme mondial, le prolétariat américain aura une influence aussi décisive pour la victoire du prolétariat mondial que l’eut le capital américain dans cette guerre impérialiste contre les puissances centrales15. » Rudnyânszky fait le point sur ce qu’il sait de la situation dans son pays, dont il ignore tout depuis janvier. Lea Kascher, la déléguée suisse du groupuscule qui s’intitule PC, fait une des­ cription fantasmagorique des « masses révolutionnaires » suisses : « Après que les masses eurent appris la trahison de la direction de la grève qui, pour les gens de l’extérieur, était inattendue, tout le monde se mit à crier : “Des conseils ouvriers ! Les communistes ont raison !” Les masses avaient compris16... » Mais ce récit épique ne sert que de support à une attaque en règle contre la gauche du PS suisse que Fritz Platten représente à Moscou et qu’elle somme de rompre « complètement » et de s’engager « dans une politique purement communiste57». Une brève intervention de Trotsky sur les problèmes de l’Armée rouge lui permet de donner les explications de toute évidence nécessaires ici sur l’utilisation des officiers de carrière et le rôle des commissaires politiques. Le deuxièmejour, on entend le Français Jacques Sadoul célébrer les « puissants leaders Lénine et Trotsky, pleinement à la hauteur de leur tâche grandiose [...] qui dirigeront à l’avenir le prolétariat mondial18», le deuxième voyant reconnaître « son énergie inébran­ lable, sa haute intelligence et son génie incontestable19». Sadoul assure : « Non seulement le communisme français ne possède pas, du moins pour le moment, de maréchal, mais il ne dispose même pas de ces généraux révolutionnaires comme il y en a tant en Russie et qui sont dans leur essence un produit purement national, créé par la nature même du pays, les différences aiguës de son climat, l’immensité de ses territoires20. » L ’Anglo-Russe Joe Fineberg (Iossif Fajnberg) intervient sur la question du mouvement ouvrier britannique et révèle des connaissances précises et une conception générale solide. Il montre l’impor­ tance et les limites du mouvement des shop-stewards. Il parle aussi de l’insurrection de Pâques 1916 en Irlande, du rôle qu’y ont joué le syndicaliste irlandais James Connolly et le syndicat des transports, de l’appui du mouvement ouvrier britannique au mouvement national irlandais. L ’homme a été membre du BSP et proche de Maclean, lié à Petroff et secrétaire de Litvinov21. Cela se sent. Le

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Tout le monde sait que le problème de l’Internationale se débat en coulisses. On ne le cache pas au congrès. Le premier jour, Platten explique qu’il y a eu des désaccords en commission préparatoire. Certains pensent que la réunion doit proclamer la IIIeInterna­ tionale. « Un délégué venu de l’étranger » - c’est Eberlein - demande qu’on se contente 15. PC/C, p. 85. 16. ibidem, p. 89. 11. Ibidem, p. 211. 18.Ibidem, p. 111. 19. Ibidem, p. 107. 20. Ibidem, p. 111. 21. Voir W. Kendall, op. cit., passim.

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de parler de « conférence communiste » et qu’on renvoie à plus tard, dans une conférence élargie, la proclamation de la IIIe Internationale. Il explique sa position, dit Platten, par la faible représentativité de la conférence, par le petit nombre d’invités touchés à temps22. Zinoviev intervient à son tour et parle plus clairement : « Notre parti considère qu’il est grand temps de fonder formellement la IIIe Internationale. Et nous proposions que la fondation soit effectuée dès cette première séance. Mais, comme nos amis du Parti com­ muniste allemand insistent pour que notre assemblée ne se constitue qu’en conférence, nous estimons nécessaire de nous rallier provisoirement à la proposition des communistes allemands23. » Lénine s’incline-t-il devant Rosa Luxemburg morte ? Le Finlandais Kuusinen ne s’y résigne pas. Il accepte de reculer le jour même mais prévient qu’il compte reprendre la bataille et arracher la décision de fondation avant la fin de la conférence24. Le lendemain, au cours de la discussion sur le programme et la plate-forme, Eberlein revient sur la question pour rassurer ceux qui ont cm que les communistes allemands avaient une position de principe hostile à la IIIe Internationale. Il n’en est rien, dit-il, ils pensent simplement que les ouvriers ont de la méfiance pour les créations et fondations d’en haut, dans des conférences confidentielles, et il souligne qu’il faut d’abord avoir un programme, le faire adopter aux ouvriers du monde, afin qu’ils construisent eux-mêmes la IIIeInternationale. L ’occasion est bonne pour Kuusinen de développer un peu plus ses arguments et de contrer ceux d’Eberlein. La IIIeInternationale ne sera pas comme la IIe, car elle sera l’Internationale de l’action. La plate-forme est bonne mais exige des conclu­ sions pratiques dont la fondation de l’Internationale est îa première. Il est vrai que l’assemblée n’est pas représentative, mais l’argument est faible, car l’Internationale est nécessaire parce que la révolution internationale a commencé. Il ne lui sera pas répondu. Les présents ne peuvent pas ignorer qu’on discute ferme en coulisses, entre membres du PC russe, depuis l’arrivée de Rakovsky, à midi. Ce dernier reste ferme en effet dans sa détermination de peser de tout son poids pour que soit fondée la IIIe Internationale. On va donc écouter le dernier discours, enflammé, de Steinhardt, qui vient d’arriver, sous le nom de Gruber, et donne une description sans doute à peine exagérée de l’Europe centrale en cet après-guerre, terminant par cette exclamation : « Nous sommes partis de Vienne pour Moscou il y a dix-septjours. Nous avons fait tout le voyage avec des compagnons ouvriers, sur des tenders, dans des locomotives, sur des tampons, dans des wagons à bestiaux, à pied à travers les lignes des bandes de brigands ukrainiens et polonais, en danger de mort permanent mais avec cette idée : nous voulons, nous devons aller à Moscou et rien ne doit nous empêcher d’y parvenir25. » Le lendemain 4 mars, la question de l’Internationale est remise tout naturellement à l’ordre du jour. Fritz Platten, qui préside, annonce le dépôt d’une motion émanant de toute évidence de Rakovsky, mais qui est signée également de Gruber-Steinhardt, Rudnyânszkÿ et Grimlund. Elle se prononce pour îa fondation de la IIIe Internationale, « organisation unifiée, commune et internationale de tous les éléments communistes qui se placent sur le terrain [...] de la dictature du prolétariat26». Tout le monde peut comprendre alors que la discussion qui s’est déroulée en dehors du congrès, depuis l’arrivée de Rakovsky, entre dirigeants russes et avec Eberlein, a été réglée. C’est évidemment la condition minimale pour que la conférence revienne sur une décision acquise. L ’intervention d’Eberlein est un baroud d’honneur, mais pas une formalité. Il argumente, 11. PCIC, p. 54-55. 23. Ibidem, p. 55. 24. Ibidem. 25. Ibidem, p. 140. 26. Ibidem, p. 164-165.

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et explique d’abord que la décision antérieure avait été prise sur l’insistance de « la délégation allemande » ~ c’est ainsi qu’il se désigne - tenue par un mandat qui lui interdit de participer à une fondation immédiate. La résolution Rakovsky l’oblige à expliquer. Il conteste que la fondation soit une nécessité absolue. Il faut certes un centre politique, mais celui-ci existe déjà, et la rupture des partisans du système des conseils est en train de se faire partout. La IIIeInternationale devra être le « fondement d’une puissance d’organisa­ tion ». Or ses bases d’organisation n’existent pas et il est faux d’insister pour la fonder, sous prétexte que la IIe essaie de ressusciter à Berne. Les interventions au congrès ont montré, selon lui, d’importantes divergences quant aux objectifs et aux méthodes. Il pense que les délégués sont venus plus pour s’informer que pour fonder une Internationale. Si nous voulons entreprendre la fondation de la IIIe Internationale, il nous faut d’abord dire au monde ce que nous voulons, expliquer le chemin qui est devant nous, sur quoi nous voulons et pouvons nous unir Il n’existe de véritables partis communistes que dans peu de pays ; dans la plupart, ils ont été créés au cours des dernières semaines ; dans plusieurs pays, il existe aujourd’hui des communistes, ceux-ci n’ont pas encore d’organisation27. Démontrant ensuite la non-représentativité des délégués - sur la base des travaux de la commission des mandats, et mettant même en cause Rakovsky, déjà contesté par un Grec et un Serbe pour son mandat de la Fédération balkanique -, il conclut : Ï1 y a si peu d’organisations qui participent à la fondation de la IIIe Internationale qu’il est difficile d’apparaître publiquement. Iî est par conséquent nécessaire, avant d’entreprendre la fondation, de faire connaître notre plate-forme au monde entier et d’inviter les organisations communistes à déclarer si elles sont prêtes à fonder avec nous la IIIeInternationale [...]. Je vous demande instamment de ne pas entreprendre dès aujourd’hui la fondation de la IIIeInternationale et je vous prie de ne pas agir avec précipitation, mais de convoquer à bref délai un congrès qui fondera ensuite la nouvelle Internationale, mais une Internationale qui regroupera alors effecti­ vement des forces derrière elle28. C’est Zinoviev qui lui répond. La commission des résolutions a discuté la veille de cette question et a décidé à l’unanimité de proposer à l’assemblée de se constituer en IIIe Internationale. Pourquoi remettre à plus tard la fondation de la IIIe Internationale, demande-t-il à Eberlein, retournant contre lui ses arguments et les affirmations de son rapport sur le fait que les communistes allemands seraient proches du pouvoir : « Nous avons vécu une révolution prolétarienne victorieuse dans un grand pays, nous avons une révolution qui marche à îa victoire dans deux pays, et après cela nous disons que nous sommes encore trop faibles ? [...] Il y a un parti qui marche au pouvoir et qui, dans quelques mois, formera, en Allemagne, un gouvernement prolétarien. Et nous devrions hésiter29? » Il conclut : Nousnevoulonspastravaillermaintenantaveclesentimentd’êtretropfaibles, maisnousdevons être pénétrés du sentiment de notre force, de la conviction que l’avenir appartient à la IIIeInterna­ tionale, et, si nous travaillons dans cet esprit, nous franchirons sans hésitation ce pas nécessaire. Après mûre réflexion, noue parti propose de constituer immédiatement la IIIeInternationale. Le mondeentier verra ainsi que nous sommes armés intellectuellement et organisationnellement30. Les jeux sont faits. Angelica Balabanova déclare que les organisations et partis qui constituèrent Zimmerwald sont aujourd’hui pour la fondation de la IIIe Internationale. 27. PC/C, p. 166. 28. Ibidem, p, 166-167. 29. Ibidem, p. 167. 30. Ibidem, p. 168.

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L ’un des délégués finlandais, Yukka Rakhia, lit une déclaration de son parti, rédigée après une entrevue avec Eberlein la veille. Puis, dans une intervention fougueuse, il affirme que le soutien à la fondation de îa BP Internationale se trouve dans « l’immense mouvement révolutionnaire » en train de se développer dans l’Europe entière. Rudnyânszkÿ, Sadoul, Steinhardt, ajoutent quelques arguments. Le délégué polonais Jozef Ounschlicht lance un appel passionné à Eberlein pour qu’il cesse de s’opposer à îa fondation. Rakovsky, dans une intervention très écourtée et probablement involontairement tronquée dans le compte rendu, fait un rapprochement entre la crainte de l’opinion manifestée par Eberlein et î’atdtude de Ledebour. Iî souligne aussi, après Yukka Rakhia, le caractère formel des raisons du report proposé par Eberlein, et leur oppose les nécessités politiques. Finalement, la proposition de Rakovsky et des autres est mise aux voix. Eberlein s’abstient. Tous les autres délégués votent pour. La ffleInternationale est née. L es

d o c u m en ts pro g ra m m a tiq u es

C’est Lénine qui a écrit et présenté les thèses en 22 points sur « Démocratie bourgeoise et dictature du prolétariat ». Ecrites avec beaucoup de sobriété et de clarté, elles sont une sorte de bréviaire de l’agitateur sur ces deux questions que Lénine fusionne en une seule. H explique en effet que la défense de la domination des exploiteurs est assurée aujourd’hui, notamment par des social-traîtres, au moyen d’arguments philosophico-politiques de condamnation de la dictature et d’apologie de la démocratie en général. Mais ces gens se gardent bien de donner un contenu de classe à ces notions, alors qu’il n’existe dans le monde, dit Lénine, que la démocratie bourgeoise et la dictature du prolétariat. L ’histoire démontre selon lui qu’aucune classe n’a pu prendre ni garder le pouvoir sans avoir brisé par îa violence la résistance des anciennes classes dominantes. Tous les social-traîtres d’aujourd’hui ont enseigné hier cette idée de Marx et Engels que « la république bour­ geoise la plus démocratique n’est rien d’autre qu’une machine à opprimer la classe ouvrière par la bourgeoisie, la masse de la population active par une poignée de capita­ listes31». La Commune de Paris, dont les communistes se réclament, ne fut pas une institution parlementaire. Sa signification consiste «en ce qu’eîle a tenté de briser, de détruire de fond en comble l’appareil d’État bourgeois, l’appareil bureaucratique, judi­ ciaire, militaire et policier, pour les remplacer par l’organisation des masses de travailleurs se gérant elles-mêmes et ne connaissant pas la séparation des pouvoirs législatif et exé­ cutif32». Il examine ensuite très concrètement ce que sont en régime capitaliste la liberté de réunion, la liberté de la presse, par exemple, pour ceux qui n’ont pas les moyens matériels leur permettant d’en disposer réellement. H montre que îa terreur qui règne dans de nombreux pays démocratiques depuis les États-Unis jusqu’à l’Allemagne, qui a vu assas­ siner Rosa Luxemburg et Liebknecht, est l’expression normale d’une classe privilégiée défendant sa domination. Il développe : « Dans un tel état de fait, la dictature du prolétariat ne se justifie pas seulement en tant que moyen de renverser les exploiteurs et de briser leur résistance,mais aussi par le fait qu’elle est nécessaire à îa masse des travailleurs comme unique moyen de défense contre îa dictature de la bourgeoisie qui a mené à la guerre et en prépare de nouvelles33. » Il insiste sur le deuxième point, car il est évident que la dictature du prolétariat exige des formes nouvelles de démocratie, des institutions 31. PC/C, p. 151. 32. Ibidem, p. 152. 33. Ibidem, p. 155.

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et aussi des conditions nouvelles d’application, qui n’ont pas encore été trouvées ou n’existent pas encore. Cela peut nourrir des désillusions ou l’idée que l’unique objectif de îa dictature du prolétariat est celui - capital, il est vrai, mais pas unique - de briser la résistance des anciens maîtres. La dictature du prolétariat est 1a répression par la violence de la résistance des exploiteurs, c’est-à-dire d’une minorité infime de grands propriétaires fonciers et de capitalistes 11en résulte que îa dictature du prolétariat doit entraîner non seulement le changement des formes et institutions démocratiques en général, mais encore une extension sans précédent de la démocratie réelle pour 1aclasse ouvrière assujettie par le capitalisme34. Il explique : L’ancienne démocratie, c’est-à-dire la démocratie bourgeoiseet le parlementarisme, était orga­ niséedefaçon àéliminer avant tout, précisément, lesclasses laborieusesdel’appareil administratif. Le pouvoir des soviets, c’est-à-dire la dictature du prolétariat, est organisé au contraire de façon à rapprocherles masses laborieuses de l’appareil administratif Seule la démocratiesoviétique ouprolétarienne conduit pratiquement à l’abolition du pouvoir d’état, car elle commence aussitôt à préparer le dépérissement complet de tout État en associant les organisations des masses laborieuses à la gestion de cet État35. La plate-forme de F Internationale a été préparée et présentée par Boukharine. Elle est écrite avec le même souci de clarté et de pédagogie. L ’introduction explique que le capitalisme a tenté de surmonter ses contradictions par la guerre mais qu’il a seulement abouti à 1a transformation de la guerre impérialiste en guerre civile, qui marque le début de la révolution communiste du prolétariat. Puis elle développe le thème de la conquête du pouvoir politique, où parallèlement se poursuivent la destruction de l’ancien appareil d’État et la construction du nouveau : le désarmement de îa bourgeoisie, la destruction du corps des officiers et l’armement du prolétariat, la formation de la Garde rouge, la destitution des juges bourgeois et Férection de tribunaux prolétariens. Elle comporte une importante partie sur démocratie et dictature, qui souligne : « Le système des conseils rend possible îa véritable démocratie prolétarienne, démocratie pour le prolétariat et à l’intérieur du prolétariat, dirigée contre la bourgeoisie36.» La position dominante du prolétariat industriel y constitue un privilège seulement temporaire. Sur le plan économique, l’objectif est la socialisation de F économie, qui permettra sa centralisation et la subordination de la production à un Plan unique. Elle réalisera d’abord la socialisation des grandes banques, des branches industrielles trustifiées ou cartellisées, des grandes propriétés agricoles. La petite propriété ne doit pas être expropriée. La tâche de la dictature prolétarienne ne sera réalisée en ce domaine que « dans la mesure où le prolétariat saura créer des organes centralisés de direction de la production et réaliser la gestion par les ouvriers eux-mêmes, [...] appeler à un travail d’administration directe des couches toujours plus nombreuses des masses laborieuses37». Le grand commerce sera également socialisé. On donnera aux techniciens et spécialistes qualifiés la possibilité de développer l’activité créatrice. La plate-forme se termine en indiquant que « le chemin de îa victoire » passe par la rupture avec îes social-démocrates de droite et du centre, et par l’union avec les éléments qui se placent sur le terrain du pouvoir des conseils. Elle définit également le rôle de l’Internationale, au-delà de la coordination des efforts du prolétariat international: 34. PC/C, p. 156. 35. Ibidem, p. 156-157. 36. Ibidem, p. 220. 37. Ibidem, p. 221-222.

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« L ’Internationale, qui subordonnera les intérêts dits nationaux aux intérêts de la révolu­ tion mondiale, réalisera l’entraide des prolétaires des différents pays soutiendra les peuples exploités des colonies dans leur lutte contre l’impérialisme, afin de hâter l’effon­ drement du système impérialiste mondial38. » L e M a n ifes t e de l ’In te rn a tio n a le com m uniste

C’est à Trotsky que revint la mission de rédiger, après celui de Zimmerwald, le mani­ feste nécessaire à la proclamation de la nouvelle Internationale. Il est d’une tout autre qualité que la plate-forme. Trotsky le lit et le traduit lui-même, à la tribune. C’est au Manifeste de Marx et Engels qu’il fait référence dans son introduction : « Au fond, le mouvement a suivi le chemin tracé par le Manifeste du parti communiste. L ’heure de la lutte finale et décisive est arrivée plus tard que ne l’escomptaient et ne l’espéraient les précurseurs de la révolution sociale. Mais elle est arrivée . » D explique que les com­ munistes se sentent héritiers et exécuteurs testamentaires de l’œuvre annoncée il y a soixante-douze ans. Leur tâche est de généraliser l’expérience révolutionnaire, d’éliminer « les scories dissolvantes de l’opportunisme et du social-patriotisme », d’unir les forces de «tous les partis vraiment révolutionnaires du prolétariat mondial40». La guerre a couvert l’Europe de ruines. Il rappelle que le socialisme l’a prédite pendant des années et l’a considérée comme inéluctable, dénonçant l’impérialisme comme le fauteur de la guerre future. Après un tour d’horizon sur les diverses responsabilités gouvernementales, il aborde la question de fond : « Les contradictions du régime capitaliste se sont trans­ formées pour l’humanité, par suite de la guerre, en souffrances inhumaines : faim, froid, épidémies, barbarie morale. La vieille querelle académique des socialistes sur la théorie de la paupérisation et le passage progressif du capitalisme au socialisme a ainsi été définitivement tranchée41. » Il souligne que la guerre a balayé toutes les conquêtes de la lutte syndicale et parlementaire, a permis au capital financier de militariser l’État» et qu’elle l’a militarisé lui-même. Le retour à îa libre concurrence est pour ïui impossible : « La question est uniquement de savoir qui sera désormais l’agent de la production étatisée : l’État impérialiste ou l’État du prolétariat victorieux42?» Il poursuit : Abréger l’époque de crise actuelle n’est possible que par les méthodes de îa dictature du prolétariat qui ne regarde pas vers le passé, qui ne tient compte ni des privilèges héréditaires, ni du droit de propriété, mais uniquement de la nécessité de sauver les masses affamées, qui mobilise à cet effet tous les moyens et toutes les forces, décrète l’obligation du travail pour tous, institue le régime de la discipline du travail afin de guérir en quelques aimées les plaies béantes de la guerre mais aussi d’élever l’humanité à des sommets nouveaux et insoupçonnés43.

L ’État national, qui impulsa vigoureusement le développement capitaliste, est devenu un corset trop étroit pour les forces productives. Les impérialistes des deux camps oppri­ ment les petits peuples, les affament et les humilient sans cesser de parler du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Seule îa révolution prolétarienne leur offre une pers­ pective réelle en les unifiant sur le plan économique, tout en garantissant leur indépendance dans leurs affaires et leur culture nationale. La question coloniale a été mise aussi à l’ordre du jour par la guerre, et dès à présent îa lutte dans certaines colonies n’est plus engagée 38. PC/C, p. 223. 39. Ibidem, p. 206. 40. Ibidem. 41. Ibidem, p. 208. 42. Ibidem, p. 209. 43. Ibidem.

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seulement pour la libération nationale mais revêt un caractère social. C’est l’Europe socialiste qui apportera l’aide décisive aux colonies libérées. H répond aux accusations lancées contre les révolutionnaires russes par la bourgeoisie : « L ’ensemble du monde bourgeois accuse le communisme d'anéantir les libertés et la démocratie politique. Mais c’est faux. En prenant le pouvoir, le prolétariat ne fait que constater l’impossibilité d’appliquer les méthodes de la démocratie bourgeoise et crée les conditions et les formes d’une démocratie ouvrière nouvelle et supérieure44. » Dans le règne de la destruction de l’économie et des institutions politiques, le prolétariat a créé son propre appareil, les conseils ouvriers, souple et ouvert aux autres couches exploitées et opprimées, « la conquête la plus importante et l’arme la plus puissante du prolétariat à notre époque ». Arme indispensable au moment où « la guerre impérialiste, qui oppose les nations les unes aux autres, se transforme en gueire civile qui oppose une classe sociale à une autre45». Et Trotsky de retrouver sa verve de polémiste : Les vociférations du monde bourgeois sur la guerre civile et la terreur rouge constituent la plus monstrueuse hypocrisie qu’ait connue jusqu’à présent l’histoire des luttes politiques. Il n’y aurait pas de guerre civile en effet, si les cliques d’exploiteurs qui ont entraîné l’humanité au bord de l’abîme ne s’opposaient pas à tout progrès des niasses travailleuses, n’organisaient pas des complots et des meurtres, ne sollicitaient pas le secours de l’étranger pour maintenir ou restaurer leurs privilèges usurpés. La guerre civile est imposée à la classe ouvrière par ses ennemis mortels^6.

H affirme que les communistes ne provoquent pas artificiellement la guerre civile, cherchent à l’abréger, à réduire le nombre de ses victimes et avant tout à assurer la victoire du prolétariat. C'est pourquoi il faut armer le prolétariat à temps. C’est pourquoi la Russie se protège par son Armée rouge. Il en vient pour finir à la question de l’Internationale, rappelant que, dès l’origine du mouvement socialiste organisé, les ouvriers les plus avancés ont tendu vers une association internationale. Après un bref résumé de l’histoire des Internationales et du rôle qu’elles ont joué dans le développement général, il affirme : Nous nous considérons, nous, communistes, rassemblés dans la 10eInternationale, comme les continuateurs directs des efforts héroïques et du martyre d’une longue série de générations révo­ lutionnaires depuis Babeuf jusqu’à Karî Liebknecht et Rosa Luxemburg. Si la Iiæ Internationale a prévu le développement de l’histoire et préparé ses voies, si la IIeInternationale a rassemblé et organisé des millions de prolétaires, la IIIeInternationale, elle, est l’Internationale de Faction de masse ouverte, de la réalisation révolutionnaire de l'Internationale de l’action. La critique socialiste a suffisamment stigmatisé l’univers bourgeois. La tâche du parti com­ muniste international consiste à renverser cet ordre social et à édifier à sa place le régime socialiste47.

C o n d itio n s

e t po r t ée d e la fo nd atio n

Les conditions de la proclamation de la IIIeInternationale - l’acronyme russe aussitôt utilisé a étéKomintem, dont Français etBritanniques ont fait Comintern, en toute logique ont depuis été l’objet de bien des polémiques. On peut se l’expliquer par les hésitations manifestes de la direction russe devant l’opposition posthume de Rosa Luxemburg expri­ 44. PC/C, p. 21i. 45. Ibidem, p. 212. 46. Ibidem. 47. Ibidem, p. 214.

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mée par Eberlein. Une première version, née des premiers comptes rendus, bien résumée et adoptée en 1939 par Franz Borkenau, attribuait le changement de position des Russes et d’autres délégués à l’intervention de Steinhardt, qui aurait fait passer dans la réunion internationale le souffle de la guerre civile et de la révolution en Europe centrale. L ’inter­ prétation est tout de même surprenante. Aucun des Russes présents n’était un enfant de chœur disposé à prendre des décisions de cette importance sur la base d’un rapport qui montrait seulement de façon concrète ce que tout le monde savait de façon générale. Trotsky, interrogé plus tard par ses jeunes camarades, dont Pierre Naville, leur répondit qu’il y avait eu une vraie hésitation chez les dirigeants bolcheviques, y compris Lénine et lui, et que l’homme qui avait retourné la situation au soir de la deuxième journée, le jour même de son arrivée, était son ami Khristian Rakovsky. Mais l’origine de cette version, sans doute honnêtement présentée par Borkenau, se trouve dans une déclaration de Zinoviev au congrès du PCR(b) en mars 1919, dans laquelle il assure que l’arrivée de Grimlund, Rakovsky et Steinhardt contribua, aussi bien que le cours du congrès lui-même, à infléchir l’attitude d’Eberlein et celle de la délégation russe. Une autre source peut être aussi un article de Vorovski, membre de la délégation russe, dans la Pravda du 7 mars 1919, où il qualifie l’arrivée de Steinhardt de « moment rare et mémorable, resté profondément ancré dans les cœurs et les esprits des présents ». Il vit en Steinhardt, avec ses grandes bottes, ses vêtements en loques, qu’il fendit avec son couteau pour en extirper son mandat, et sa barbe inculte, l’image même du prolétariat, et assure qu’il était « impossible d’écouter sans émotion le simple récit de ce camarade autrichien». Il faut pourtant souligner qu’en 1924 c’était au discours de Rakovsky qu’Eberlein aussi attribuait le mérite d’avoir retourné la conférence. La polémique a été relancée en 1965 par une contribution d’Angelica Balabanova sur « Lénine et la création du Comintem ». L ’ancienne secrétaire de Zimmerwald n’hésite pas à affirmer dans ce texte que cette affaire constitue « une fraude probablement sans précédent dans l’histoire des relations entre hommes d’un minimum de niveau moral, à plus forte raison dans l’histoire du mouvement ouvrier ». Elle en attribue l’initiative à Zinoviev, « avec le concours direct de Boukharine et non sans l’approbation de Lénine et deTrotsky48». Mais cette version, qui a acquis droit de cité chez quelques historiens, n’est pas soutenable non plus. Elle affirme en effet que Tintervention de Steinhardt - à ses yeux une machination - provoqua un tonnerre d’applaudissements à la faveur desquels Zinoviev fît sa proposition de revenir sur le vote acquis. C’est désolant pour Balabanova, mais le compte rendu publié alors qu’elle était secrétaire de l’Internationale communiste révèle sans erreur possible qu’il est faux d’assurer, comme elle le fait, que le congrès fiit prolongé d’un jour afin de permettre l’intervention de Steinhardt. Celui-ci parla en effet à la fin de la session du 3 mars. La proposition de Zinoviev fut faite en séance vingt-quatre heures plus tard, à la fin de la séance du 4 : pour pouvoir accepter îa version de Balabanova, il faudrait admettre des applaudissements vraiment très prolongés... D’autres contradictions et impossibilités flagrantes interdisent de prendre au sérieux ce témoignage-réquisitoire tardif qui pourrait bien, lui, n’être qu’une fraude : il est par exemple tout à fait impossible que les bolcheviks aient réussi à coordonner et à synchro­ niser, dans les conditions de l’époque, l’arrivée de Steinhardt et de Guilbeaux, vieil ennemi de Balabanova, qui y voit pourtant la preuve d’un complot. Ajoutons que la militante italo-russe, en son vieil âge, assure s’être abstenue, alors que le compte rendu indique que tous les délégués à titre consultatif, dont elle était, ont voté pour la proclamation immédiate, et mentionne bien le vote d’Eberlein qui, lui, s’est vraiment abstenu. Elle 48. A. Balabanova, « Lénine et la création du Comintem », Contributions à l’histoire du Comintem, p. 32.

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assure que Lénine lui demanda de voter au nom du PS italien alors qu’elle n’était à la conférence qu’en tant que représentante de la commission de Zimmerwald. Elle n’ajamais

démenti le compte rendu qui lui fait dire : « Il est de mon droit et de mon devoir de déclarer que la plupart des partis qui se réunirent à Zimmerwald soutiennent la fondation immédiate de la IUe Internationale49. » Enfin, sa version et la chronologie sur laquelle elle l’appuie sont contredites par tous les autres témoignages et documents, selon lesquels la question fut discutée dans la soirée du 3 mars non seulement au sein de la commission des résolutions mais dans le cours d’une rencontre entre Eberlein et la délégation finlan­ daise. Fraude délibérée ? Énorme anachronisme, paranoïa de vieillard imaginant à l’épo­ que de Lénine des machinations staliniennes ? Balabanova est sans doute excusable, mais pas ceux qui reprennent ces évidentes erreurs dans un but intéressé. Nous ne conclurons pas là-dessus, mais seulement sur le fait que le compte rendu officiel était honnête et que, de toute évidence, les bolcheviks étaient suffisamment mal informés et hésitants pour avoir changé leur fusil d’épaule en vingt-quatre heures. Pour achever sur ce point, nous ajouterons un détail. Après la mort tragique de Rosa Luxemburg et de Jogiches, les deux adversaires de la proclamation de l’Internationale, il n’y eut pas de suites ni de critique contre Eberlein dans le parti allemand. C’est presque incidemment qu’Emst Meyer rappela au Ve congrès du parti que le mandat d’Eberlein était aussi de quitter la conférence si elle se décidait pour la proclamation. Les commu­ nistes et les socialistes qui se préparaient à devenir communistes acceptèrent avec enthou­ siasme la création de l’Internationale, Des décisions de longue portée concernant la direction furent prises à la fin de ce congrès de fondation. Les cinq dirigeants désignés furent Rakovsky, Lénine, Trotsky, Zinoviev et Platten. Mais cette direction-îà, symbolique et prestigieuse aux yeux des militants, n’était que de pure forme, et quatre de ses membres étaient indisponibles pour le travail quotidien. Rakovsky était mobilisé à la pointe du combat, à la tête du gouver­ nement ukrainien, Lénine à la tête du gouvernement russe, Trotsky au commandement de l’Armée rouge. Platten, lui, partant pour la Suisse, fut arrêté en Finlande le 8 avril, expulsé en Russie en mai, tenta de repartir en passant par la Roumanie, fut à nouveau arrêté et ne parvint en Suisse qu’au printemps 1920. Zinoviev était, par la force des choses, et du consentement de Lénine et de Trotsky, président de l’Internationale, avec l’aide intermit­ tente de Boukharine. Franz Borkenau commente : Ce choix n’était pas heureux. [...] Brillant orateur et débatteur, il avait l’ait de traiter avec toute sorte de gens mais sa duplicité innée et un amour du doublejeu et de l’intrigue dégoûtèrent les plus enthousiastes. Il était notoire qu’il manquait de courage, mais, comme il arrive souvent à des gens excitables, il était capable d’exagérer terriblement les chances et incapable de recon­ naître les échecs. 11avait fait carrière dans une soumission totale à Lénine qui le trouvait utile parce qu’il répétait à la lettre les idées du maître mais avec un don polémique et littéraire qui manquait à Lénine. Mais il avait refusé de le suivre dans les jours décisifs et en novembre 1917 avait deux fois publiquement rejeté la responsabilité pour le coup d’État bolchevique. C’était cet homme, qu’on n’avait pasjugé digne d’un poste important dans l’État soviétique, qui était mis à la tête de l’Internationale communiste50. Et il poursuit par une accusation ravageuse : Bien sûr, les gens qui comptaient réellement à l’époque étaient écrasés de travail mais il n’existe pas de meilleur symptôme de îa véritable échelle des valeurs d’un mouvement que sa décision quant à ce qui est essentiel et ce qui est moins important en cas d’urgence. Les Russes 49. PC/C, p. 169-170. 50. F. Borkenau, op. cit., p. 163.

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croyaient sincèrement qu’ils œuvraient pour la révolution mondiale et considéraient que leur propre révolution en faisait partie. Mais en même temps, pour cette tâche, sans en avoir conscience, dans le choix des hommes qu’ils y déléguaient, ils étaient des nationalistes russes qui considéraient déjà les autres partis comme des auxiliaires de leur propre cause51.

On peut - c’est notre cas - considérer la fin de cette phrase comme un jugement reposant sur un anachronisme. On peut néammoins penser que le choix de Zinoviev pour présider aux destinées de rintemaîionale n’était pas vraiment heureux. Trotsky disait de Zinoviev que, toujours enthousiaste pour gagner les esprits et les cœurs, il s’effondrait devant les décisions d’action, ce qui n’est évidemment pas une qualité pour un poste de cette importance. L

a d ir ec t io n a u jo u r l e jo u r

Iakov Reich, alias Thomas, indique dans ses Mémoires que le premier bureau de PIC, sous la présidence de Zinoviev, avait Balabanova comme secrétaire. Elle remplaçait théo­ riquement Radek, alors détenu à Berlin, mais ses rapports avec Zinoviev étaient si mauvais que Rakovsky accepta de l’emmener en Ukraine, où il lui confia un poste gouvernemental et ranimation du bureau du Sud de l’Internationale communiste. Elle fut alors remplacée par Vorovsky, qui fut peu actif, car malade, mais suppléé par son adjoint, Jan BerzineWinter. L ’Allemand de la Volga Klinger était secrétaire administratif. Les membres ordi­ naires étaient, outre Boukharine, Lioubarsky et Reich - en somme à peu près les anciens collaborateurs de Radek au département de la propagande des affaires étrangères et anciens membres de la mission diplomatique de Berne. Le Russe Mikhaïl Kobetsky, trente-huit ans, longtemps chargé des transports clandestins de la presse bolchevique à partir du Danemark, rejoint ce noyau. Les premiers fonctionnaires de l’Internationale sont des hommes hors normes. Le Russo-Belge Kibaltchitch» vingt-neuf ans, dit Victor Serge, un ancien anarchiste, n’a pas encore adhéré au parti vers lequel il se dirige. Zinoviev le recrute pour la revue L'Inter­ nationale communiste. En même temps que lui, on recrute un homme exceptionnel dont il nous a laissé un portrait attachant : V.O. Lichtenstadt, dit Mazine, trente-sept ans, condamné pour attentat terroriste à la bombe en 1906, forçat pendant dix ans au terrible bagne de Schlüsselbourg, qui, lui aussi, rejoint les bolcheviks. A Petrograd, on les loge à l'hôtel Astoria, chauffé et éclairé, et on leur donne à Smolny une grande salle avec une table et deux chaises. Le premier numéro de la revue sort avec un article de Zinoviev qui assure que la victoire de la révolution allemande n’est qu’une question de mois, peut-être seulement de semaines. Serge rencontre à l’exécutif Boukharine, qui vient d’ailleurs de temps en temps, Klinger, Sirola, Rudnyânszky, des Bulgares qu’il ne nomme pas et aussi, fréquemment, un chef militaire d’origine anarchiste, le Russo-Américain, William dit Bill Chatov, passionné par les discussions. Les services de TIC seront bientôt transférés à Moscou, où ils auront alors tout l’espace voulu dans un hôtel particulier où avait logé Pambasadeur allemand von Mixbach. Bien entendu, contrairement à une légende savamment entretenue surla base de simples fantasmes, ce n’est pas par suite d’une volonté « grand-russe » de soumission de la Comintern à Moscou que cette dernière est restée dans la capitale soviétique, mais sim­ plement parce que les circonstances, guerre et guerres civiles, faisaient que c’était effec­ tivement le seul endroit au monde où elle pouvait fonctionner. A cet égard, il n’y a aucune raison de douter de l’honnêteté de Zinoviev et de Trotsky quand, en 1919, ils indiquent 51. Ibidem, p. 175.

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que le siège de la Comintem sera déplacé, dans les années qui viennent, à Berlin ou à Paris. Nous connaissons les noms d’un certain nombre des hommes que la Comintem utilisa à cette époque. C’étaient généralement soit des Russes que les vicissitudes de la guerre civile avaient privés de leur milieu, ou qui, ayant milité hors de Russie avant îa guerre, étaient utiles par leurs liaisons personnelles et leur connaissance du terrain, soit des étrangers réfugiés. Ainsi faut-il ajouter aux noms des anciens de Berne ceux de Vladimir Dëgott, Aleksandr Abramovitch, Daniel Riedel, tous anciens Parisiens, et Chaim Heller, ex-italien, ainsi que ceux des émigrés communistes finlandais Edward Gylling et Mauno Heimo. En fait, très vite, les responsables de TIC ont essayé, non de décentraliser leur appareil mais d’établir des antennes ou des avant-postes, des « bureaux » qui devaient dans leur esprit les rapprocher de l’Occident, dans cette période où le voyage de Moscou, du fait du blocus et des opérations militaires, était mortellement dangereux. Ils le feront d’abord sur le territoire ukrainien - soit théoriquement à l’étranger -, puis réellement à l’étranger. Le

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R a fallu l’ouverture des archives de Moscou pour que les historiens se rendent compte que rintemationale avait très tôt créé un bureau en Ukraine qui avait laissé des archives. Angelica Balabanova, qui était alors, on s’en souvient, secrétaire du comité de Zimmer­ wald, raconte que c’est Lénine en personne qui lui demanda de s’établir en Ukraine car ce pays était alors la tête de pont vers l’Europe en effervescence et qu’elle en serait ainsi beaucoup plus proche. Un seul inconvénient ; il était possible que se tienne bientôt dans la capitale une conférence internationale, et, dans ce cas, il lui ferait envoyer un train pour qu’elle puisse y participer. Elle vint donc, avec Rakovsky, un jour en retard, comme on sait. C’est dans îa ligne de cette première décision qu’il fut décidé, au cours du congrès, d’installer en Ukraine un « bureau du Sud », dont la direction politique confiée à Rakovsky et Angelica Balabanova montrait l’importance qu’on y attachait. C’est au congrès même que furent recrutés les premiers collaborateurs de ce bureau, Rakovsky ayant personnel­ lement sollicité Jacques Sadoul. Avocat, membre du Parti socialiste, capitaine de réserve, Sadoul est membre du cabinet du ministre socialiste Albert Thomas quand ce dernier le fait affecter comme observateur politique à la mission militaire française en Russie, à l’été 1916, et il a été pendant plusieurs mois l’intermédiaire politique officieux entre les Alliés et le gouvernement de Lénine. Peu à peu gagné par le bolchevisme, il adhère au Groupe communiste français à l’été 1918. Il a trente-huit ans quand il arrive en Ukraine, en mars 1919. Marcel Body a donné un récit coloré du voyage des gens du congrès vers le siège du nouveau bureau : l’arrêt à Koursk, la participation de dirigeants ukrainiens à un meeting, leur retour au galop pour éviter des poursuivants armés et le départ précipité du train. L ’ombre semble grouiller d’ennemis. A plusieurs reprises les balles sifflent, des inconnus tentent de tuer des passagers, dont beaucoup - comme Alexandra Kollontaï sont impavides. Ce n’est pas par hasard que plusieurs Français sont du voyage. L ’un des points névral­ giques de la situation en Ukraine est le grand port d’Odessa, tenu par les troupes françaises du général d’Anselme, tête de pont de l’intervention des armées du monde capitaliste. L’agitation et la propagande révolutionnaire en direction des soldats et marins français sont au centre de la stratégie bolchevique, et il faut, pour la mener à bien, des Français ou des francophones. C’est le PC ukrainien, épaulé par le centre, qui a jusqu’alors dirigé

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cette activité. Mais ses membres, les Ivan Goloubenko, Ian Gamarnik, Lavrenti Kartvelichvili, jeunes hommes rompus aux activités clandestines par leur action dans les villes ukrainiennes occupées, ne peuvent l’assumer seuls. Il est difficile de distinguer, dans l’activité en question, îa part qui revient au parti russe, à l’ukrainien, au « collège étranger » ou aux émissaires du bureau du Sud. C’est là un travail international et internationaliste, on peut même dire un creuset où naît îa nouvelle Internationale. La composition du bureau a beaucoup varié. Autour d’un staff technique formé de Russes, dirigé en 1920 par Mark Moisseiev, qui comprend sténos, comptables, téléphonistes, une trentaine de personnes au total, des politiques : Jacques Sadoul, qui assure la direction au jour le jour, le You­ goslave Milkic, le Bulgare Chabline, la Française Rosalie Barberet et un peu plus tard le Polonais Feliks Kon et l'orientaliste russe Mikhaïl Veltman, dit Pavlovitch. Le premier front a été celui d’Odessa, où il y a eu beaucoup de victimes. L ’institutrice Jeanne Labourbe, quarante-trois ans, compagne d’un communiste yougoslave, envoyée de Moscou en février, arrêtée, violée et sauvagement massacrée par des hommes du SR français en mars 1919, est la plus célèbre, suivie peu après du jeune Henri Barberet, dix-huit ans, organisateur de la diffusion de journaux et de tracts communistes, tué en combattant les hommes de l’ataman Grigoriev, ralliés aux bolcheviks puis mutinés. Les militants sont des révolutionnaires professionnels qui connaissent le français, Russes comme Vladimir Dëgott, ouvrier relieur, proche de Lénine qui a milité avec lui à Paris, des Roumains aussi, Mihaïl Bujor, évadé de prison le même jour que Rakovsky et passé en Russie avec lui, Daniel Riedel, ex-Parisien, qui, au début, a fait passer les militants venus de Moscou à travers les lignes ennemies, l’un des organisateurs du travail d’Odessa ensuite, Alter Zalik, un Franco-Roumain, et la journaliste luxembourgeoise Stella Kosta, membre du Parti socialiste français depuis 1904. Le second front, c’est le reste du monde. Il s’agit d’envoyer des émissaires dans les pays voisins pour y prendre des contacts, de recevoir aussi ceux qui parviennent jusqu’à Kiev d’abord, Kharkov ensuite. Nous connaissons les noms des courriers. Ce sont en général des inconnus. Parfois porteurs de fortunes en roubles « Nicolas », en monnaie du pays de destination, en diamants et bijoux, ils se sont révélés honnêtes : un seul a disparu, mais on ne sait comment, un autre n’a pu remettre le « trésor » dont il avait été chargé à son destinataire, mais il est revenu pour s’en expliquer. Les hommes sont envoyés en fonction de la destination choisie et de leurs propres capacités. Plusieurs partent ainsi pour la France : Boris Pokhitonov, dit Wulfert, dont la mère est belge, se rend les poches pleines au congrès de Strasbourg du PS, où il renoue les contacts avec des socialistes de gauche. L ’ancien marin de îa mer Noire Louis Badina, évadé d’une prison roumaine et réfugié en Ukraine, est envoyé en France porteur d’un vrai trésor. D’autres émissaires pareillement chargés partent d’Ukraine pour Sofia, Belgrade, Athènes, Bucarest, Ankara. Des émissaires arrivent aussi de différents pays. Le bureau a interrogé les plus notables. Presque tous les membres responsables veulent rencontrer Rakovsky, sauf les Bulgares du parti tesnjak de Blagoiev, qui sont plutôt réticents et vont plus volontiers à Moscou. Il y a un peu de tout parmi les arrivants et les partants, deux Turcs par exemple, dont l’arrivée réjouit, maisdont nous nesavons rien. Ces hommesont parfois connu devéritables odyssées. Ainsi le commandant de l’armée bulgare Georgi Dontchev, qui s’est mutiné à la tête de ses soldats alors que le mouvement auquel il croyait participer était annulé. Il apporte des nouvelles fraîches, mais de Serbie, où il s’était réfugié. Ainsi le dirigeant desjeunesses communistes, le Bosniaque Mio ïvic, qui apporte un précieux rapport sur la naissance du PC yougoslave. Il a quitté Belgrade le 4 février 1920, sans argent, est arrivé à Salonique, où il a travaillé pour avoir de l’argent, mais, passager clandestin pour Istanbul, a été dépouillé de tout son pécule à son débarquement. Aidé par des Italiens, il parvient à

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Batoum, d’où il est refoulé sur la Géorgie. C’est par la montagne, traversant sans chaus­ sures des zones enneigées, qu’il a atteint Vladikavkaz, où les communistes locaux lui ont donné de l’argent, ce qui lui a permis d’atteindre Rostov-sur-le-Don puis Kharkov, où il arrive enfin le 18 avril. Ces premiers contacts permettent de passer au niveau supérieur, l’organisation de « routes » clandestines s’appuyant sur des réseaux. Il y en a deux, la « maritime » pour la Bulgarie, la « terrestre » pour la Roumanie, la Gaîicie, la Bukovine, avec des relais, de faux papiers, de l’argent, bien sûr. Dans l’ensemble cela fonctionne. C’est en Turquie qu’il y a le plus de « voyageurs » communistes tués. Un autre pan de l’histoire de la IIIe Internationale se déroule en 1919 en Europe centrale. Ce n’est pas une affaire de clandestins, mais celle de deux États en révolution dirigés par des communistes, avec des armées « rouges » en lutte contre les Roumains que protègent les Alliés. Nous parlerons plus loin de la révolution hongroise et de la République des conseils dirigée par Béla Kun. Beaucoup ont cru que l’avenir de la révolution en Europe se jouait là, dans l’éventuelle jonction des forces révolutionnaires des armées rouges d’Ukraine et de Hongrie. Rakovsky semble bien avoir été dupé par la confiance en eux des dirigeants hongrois, et notamment par leurs rodomontades sur leur armée, en réalité minée par l’activité secrète des « Blancs ». La réciproque n’est pas vraie. Béla Kun est, semble-t-il, jaloux de son autorité, ombrageux et brutal. Aucune discussion n’a lieu avec Rakovsky, et Kun s’adresse systématiquement au seul Lénine, d’ailleurs pour se plaindre de Rakovsky. Nous ignorons ce que Tibor Szamuely, très critique à l’égard de la politique de Béla Kun, et Rakovsky se sont dits quand ils se sont rencontrés à Kharkov, pendant le voyage en avion du premier vers Moscou. Béla Kun a fait fusiller deux officiers rouges, Grigory Efimov et Junkelson, que lui a envoyés Rakovsky, en les accusant de « comploter » contre lui avec un « groupe anarchiste ». Son armée, minée de l’intérieur, s’effondre, à peine lancée dans l’offensive contre les troupes roumaines, ce qui oblige l’Armée rouge à évacuer l’Ukraine. Béla Kun a tenté inlassablement, le reste de sa vie, de rejeter sur Rakovsky la responsabilité de la défaite. Après l’assassinat des dirigeants spartakistes allemands, c’est en effet une grave défaite, îa première « occasion manquée » d’un élargissement sérieux de la révolution en

Europe. C’est aussi îa fin de ce qu’on est tenté d’appeler la brève période Rakovsky de l’Internationale communiste, probablement rêvée un moment par Lénine. Le

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B e r l in

Une nuit du printemps 1919, Lénine convoque chez lui Iakov Reich. Il le connaît assez bien et l’estime. Il veut lui parler d’un projet qui concerne l’Internationale. Il pense qu’on ne peut plus continuer à aider depuis Moscou des inconnus ou des gens inexpérimentés à s’engager dans le travail révolutionnaire. Le voyage de Moscou, dans les deux sens, est en outre trop aléatoire, dangereux à tous égards. L ’idée de Lénine, comme toujours, est très simple. Il faut installer un avant-poste de l’Internationale à l’étranger, avec des hommes expérimentés, rompus à la clandestinité et capables en matière financière. Ces gens seront pourvus de capitaux importants pour disposer et faire disposer autour d’eux de moyens matériels. Ils devront s’occuper de publier journaux, brochures, livres, au besoin créer une maison d’édition à l’étranger. Il demande à Reich de se rendre à Berlin afin d’y organiser un bureau d’Occident de l’Internationale. Ce dernier accepte : pour cette mission et pour l’histoire, il sera désormais le camarade Thomas52. 52. On trouvera le « Récit du camarade Thomas » sur la fondation de ce bureau de Berlin dans les Contributions, op. cit., p. 5*27.

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L ’homme est né à Lemberg, et a la nationalité polonaise. Il a été socialiste dès ses années de lycée, a organisé et dirigé une imprimerie clandestine à Varsovie en 1905 puis a fait partie d’une organisation de combat et participé - avec Pilsudski, dit-on - à un attentat contre le gouverneur de Varsovie. Réfugié en Allemagne puis en Suisse, il a été chimiste puis enseignant, membre du Parti social-démocrate suisse. C’est là qu’il s’est lié avec les émigrés russes, particulièrement Zinoviev. Recruté en 1918 à la mission diplo­ matique russe de Berne, il a édité un journal et lancé une maison d’édition. Expulsé après la grève générale de novembre 1918, il est arrivé à Moscou en janvier 1919 et y a utilisé notamment le pseudonyme de James Gordon. Il a reçu pour sa mission la somme énorme de 1 million de roubles en devises. En outre, Lénine Va envoyé dans le sous-sol du Palais de justice auprès du trésorier des affaires secrètes, le Polonais Hanecki (Fiirstenberg), qui lui a remis des diamants d’une immense valeur, butin de la Tcheka. Nous avons quelques témoignages sur l’homme, ses dons exceptionnels de conspirateur, ses habitudes et sa prudence. En novembre, F Estonien Kingisepp, qui sert de relais, informe Zinoviev que Thomas a créé deux bureaux - dont un illégal -, établi des com­ munications sûres avec la Hollande, la Scandinavie, l’Autriche et les Balkans, et, par la Suisse, avec la France, l’Italie et la Grande-Bretagne. En fait, Thomas exploite et perfec­ tionne les réseaux existants du Suédois Otto Frederick Strom, trente-neuf ans, et du Suisse cosmopolite Isaac Schweide, vingt-neuf ans. En décembre, il a organisé à Francfort une première conférence des PC d’Europe. Dans le même temps, il prépare l’installation à Vienne d’un sous-bureau dirigé vers le Sud-Est européen. Ce sous-bureau viennois est placé sous la direction d’un militant polonais proche de Radek, Josef Rotstadt, dit Krasny, trente*trois ans, et de militants autrichiens, Gerhardt Eisler, trente-trois ans, le frère d’Elfriede Friedlander, Karl Frank, vingt-six ans, et Richard Schüller, dix-huit ans. Bientôt ils seront aidés et presque envahis par des responsables hongrois réfugiés. Des représen­ tants de 1TC sont acheminés et implantés par ses soins dans plusieurs pays. Alexandre Abramovitch, trente et un ans, qui fut proche de Lénine en Suisse, travaille à Berlin sous le nom d’Albrecht puis en France sous celui de Zalewski. Dëgott va bientôt retourner à Paris. N.N. Lioubarsky est à Vienne à l’été 1919 et sa destination est l’Italie, où il va être délégué auprès du PSI sous l’identité de Carlo Niccolini. Le Polonais Chaim Heiler, trente-huit ans, qui vivait en Italie depuis 1911, se présente à Antonio Gramsci à Turin sous le nom d’Antonio Chiarini. Le Franco-Roumain Daniel Riedel, dit Ivan, est aussi envoyé en Italie. Le secrétariat d’Europe occidentale de l’Internationale communiste (W ES) est déjà en place. Ses membres ont été choisis en commun par Radek et Thomas. En plus d’eux deux - Karl Radek est toujours prisonnier à Berlin, mais sa cellule est devenue un salon politique et souvent un lieu de décision pour les communistes -, il comprend les Allemands Paul Levi, Thalheimer, dirigeants du parti, W illi Münzenberg, des Jeunesses. Il comprend aussi le Polonais Mieczyslav Warszawski, dit Bronski, trente-sept ans, ancien de îa mission de Berne puis de l’ambassade soviétique expulsé en 1918, revenu en 1919 prendre des contacts, envoyé auparavant par l’exécutif de l’IC, Félix Wolf, vingt-neuf ans, venu clandestinement en Allemagne en 1918 avec Radek, et, comme trésorier, Eduard Fuchs, quarante-neuf ans, célèbre avocat et spécialiste d’art érotique. L ’équipe technique autour de Thomas comprend sa secrétaire, sa propre femme, Ruth Jensen, dite Ruth Gebhardt, Félix Wolf, un exceptionnel faussaire du nom de Slivkine, la Russe Elena Stassova. En quelques mois le W ES s’est constitué un remarquable appareil. Il a acheté une maison d’édition, Cari Hoym, à Hambourg, qui lui sert de façade légale. Sa façade illégale est dans une librairie berlinoise, et il a aussi un bureau annexe à Leipzig, au rôle toutefois

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secondaire. Il a réussi à nouer de solides relations d’affaires avec plusieurs banques intéressées par la Russie soviétique, notammment la Bankhaus Schell de Reval. On ne peut évidemment comparer les réalisations du bureau de Berlin et celles du bureau du Sud. Le deuxième est implanté dans une région minée, paupérisée, et doit par exemple utiliser pour son travail les deux côtés de feuilles de papier qui ont la consistance d’un mauvais buvard. Dans l’Allemagne capitaliste en crise, le détenteur de devises - et c’est le cas du bureau de Berlin - n’a que l’embarras du choix pour réaliser de bonnes affaires s’il a quelque expérience, comme c’est le cas de l’équipe constituée autour de Thomas53, Le bu r ea u

d ’A m st er d a m

Le bureau d’Amsterdam de l’IC n’est en rien comparable aux deux précédents, celui de Kiev - Kharkov dans le tohu-bohu d’une révolution et d’une sanglante guerre civile où les protagonistes prennent et reprennent les villes, fusillant à chaque fois les vaincus, ni celui de Berlin, machine bien huilée avec des spécialistes et un vrai trésor de guerre, embusqué dans une grande capitale ennemie qui ne le découvrira pas. C’est en septembre 1919 que îa décision de fonder un bureau à Amsterdam est prise à l’exécutif de l’Inter­ nationale. L ’homme qu’on en charge est Sebald Justinus Rütgers, un ingénieur qui avait suivi le groupe gauchiste des « tribunistes » lors de la scission du Parti social-démocrate néerlan­ dais. Après un long séjour aux Indes néerlandaises, il a joué un rôle aux États-Unis pendant la guerre dans le milieu internationaliste, fréquentant Trotsky, Fraina, Katayama Sen. II avait participé au congrès de fondation, Il semble que le CE de TIC ait désigné pour en faire partie avec lui David Wijnkoop, Van Ravesteyn, Henriette Roland-Holst, Gorter et Pannekoek. Ces deux derniers ne participeront d’ailleurs pas au bureau à cause de leurs divergences avec les autres membres. Mais, très vite, Rütgers et ses amis gau­ chistes sont victimes de leurs grandes illusions dans la démocratie bourgeoise en général et la démocratie hollandaise en particulier. Le bureau d’Amsterdam était évidemment un avant-poste, visait le Nouveau Monde, la Grande-Bretagne, la France et de façon générale l’Extrême-Occident. Les Néerlandais ont des relations avec les Britanniques. Rütgers lui-même est lié à bien des éléments avancés du mouvement socialiste américain, notamment Louis Fraina, qui fut en 1917 associé à Trotsky. Ils ont réussi à faire partir de leur pays pour le continent américain le Russo-Américain Grusenberg, dit Borodine, avec 500000 dollars pour le mouvement communiste américain. Malheureusement, le petit groupe hollandais, sous l’influence des tribunistes, se prend pour une avant-garde, un rôle qu’aucun communiste du monde n’était prêt à lui concéder. B manifestait en outre au même moment un invraisemblable amateu­ risme dans l’organisation de sa conférence et un réel cynisme dans la façon de décider au nom de l’Internationale tout entière. Nous reviendrons plus tard sur cette question, S to ckh o lm ?

Faut-il ajouter à cette liste le bureau de Stockholm, d’où partent des émissaires - deux d’entre eux à destination de la Grande-Bretagne, le Finlandais Vertheim et le Norvégien 53. On peut se faire «ne idée des ressources financières du bureau de Thomas en constatant qu’il affréta à deux reprises des avions privés, ce qui coûtait à l’époque très cher. Valtin, friand de comptes financiers, donne le chiffre de 400000 marks remis à Fuchs, selon une lettre de Kingisepp à Zinoviev du 30 juillet 1919 (RTsfChIDNI, 324/1/ 549, p. 105), et parle d’un bénéfice de 10 millions pour les éditions dans leur première année (RTsKhIDNI, 495/19/ 1847).

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Zachariassen, ont été repérés - souvent porteurs de fonds importants destinés aux sections occidentales ? Branko Lazitch souligne qu’il a plutôt un rôle administratif. Par ailleurs, Lars Bjôriin souligne le rôle internationaliste important du parti suédois, qui atteint, écrit-il, son apogée en 1920. Il était dirigé par Frederick Strom, l’un des principaux dirigeants du PC suédois, probablement en étroite liaison avec le Russe V.M. Smimov, longtemps professeur à Helsinki, devenu consul général à Stockholm. Ses collaborateurs étaient sans doute les réfugiés finlandais Edward Gylîing, le jeune Mauno Heimo, Allan Wallenius. Alexander Kan a étudié l’activité de Strom sans distinguer toujours - mais est-ce possible ? - la part qui revient au parti suédois et à la Comintern54. Il a souligné l’impor­ tance de son activité en 1920, dans l’organisation de l’action contre l’attaque polonaise. Il a relevé dans le carnet de Strom des notes qui révèlent l’état d’esprit du dirigeant : il attend avec impatience que « les chevaux de Boudienny s’abreuvent dans les eaux de la Spree, de îa Seine et de la Tamise53». M a r ée

m o n tan te

D’une certaine façon, les événements qui se déroulent dans le mouvement ouvrier de nombre de pays semblent confirmer le pari de Lénine et la résolution Rakovsky pour la nouvelle Internationale. A un moment où l’information ne circule guère, ou sous une forme spéciale comme la dépêche lue à l’émetteur radio de Lyon sur l’activité des bour­ reaux chinois de Lénine dans les rues désertes de Kiev, groupes et individus, cercles et partis petits ou grands, unions et même syndicats, se mettent en mouvement dans sa direction. La présentation d’un volume de documents de l’Internationale pour la période qui va de sa proclamation à l’ouverture du IIe congrès, commence par ces paragraphes que nous reproduisons textuellement : Sept jours après la clôture des travaux (du congrès], à des milliers de kilomètres, au Canada, où l’on ignore encore qu’il s’est tenu et où Ton vient en revanche de recevoir la lettre qui le convoquait, se tient à Calgary la Western Labour Conférence à l’initiative des militants canadiens qui refusent l’union sacrée et la campagne antisoviétique. Sur la proposition de Kavanagh, l’un des dirigeants de la Fédération of Labour de Colombie-Britannique - qui sera quelques semaines plus tard l’un des leaders de îa grève générale de Wînnipeg, ce coup de vent « soviétique » sur le nouveau continent -, cette conférence ouvrière décide de répondre à l’appel de Moscou en proclamant « son accord total et sa sympathie à l’égard des buts et objectifs de la révolution des bolcheviks russes et des spartakistes allemands, J son adhésion sans réserve à la dictature du prolétariat en tant que moyen de transformer la propriété privée capitaliste en communauté», et elle adresse son fraternel salut au gouvernement soviétique et à la Ligue spartakiste allemande. Treize jours après la clôture du congrès mondial, par dix voix contre trois, le comité directeur du Parti socialiste italien, sur la base du même appel de janvier, décide de proposer au congrès national l’adhésion à l’Internationale communiste. Il a, à cette époque, 84000 membres et en comptera 264 000 en 1920. Toutes les contradictions qui caractérisent la vague des premières adhésions sont concentrées dans ce double ralliement.

Mais il allait falloir encore plus d’une année pour les mettre côte à côte dans une salle de congrès. 54. Alexander Kan, « Der bolschevistische “Revolmionsexport” im Jahre 1920», Jahrbuchfûr Kommnismusfors' chung, 1994, p. 88-103. 55. Ibidem, p. 90.

CHAPITRE V

L ’âge ingrat

Pour les hommes d’État occidentaux, l’année 1917 avait été « l’année terrible ». Pour tout le monde, 1918 avait été « l’année rouge », 1919 fut pour la Russie rouge « l’année del’apocalypse » où les quatre fameux cavaliers se ruaient sur elle à la curée. Elle survécut, A trois reprises au cours de cette année, les troupes blanches soutenues par les subsides et le matériel des Occidentaux forent sur le point de remporter la victoire définitive et d’abattre le gouvernement de Moscou. Chaque fois la situation fut redressée. Dans plu­ sieurs régions les gouvernements alliés raccourcissent leurs lignes et s’en vont. C’est le cas au nord, dans la région d’Arkhangelsk et Mourmansk, où les troupes britanniques rembarquent en septembre, laissant sans « protection » le gouvernement blanc de la pro­ vince du Nord. A Odessa, les troupes du général d’Anselme, minées par la résistance ouvrière et par le mécontentement des soldats et marins français qui veulent que la guerre se termine aussi pour eux, doivent à leur tour rembarquer en avril. C’est aussi que la révolution russe n’est plus isolée, 1919 est l’année de la révolution. Le Premier ministre britannique Lloyd George déclare dans un mémoire confidentiel : « L’Europe entière est pleine d’un esprit de révolution. Il existe un profond sentiment non seulement de mécontentement mais de colère et de révolte des travailleurs contre leurs conditions d’avant guerre. L ’ensemble de l’ordre social existant, dans ses aspects politi­ ques, sociaux et économiques, est mis en question par les masses de la population d’une extrémité à l’autre de l’Europe1. » Au mois de janvier, il assure à ses collègues qu’il est impossible d’envoyer des troupes contre les Russes car elles se mutineraient, et précise : « Si on commençait une entreprise militaire contre les bolcheviks, cela rendrait l’Angle­ terre bolcheviste et il y aurait un soviet à Londres2. » Ces réserves n’empêchent pas le gouvernement français de se faire le champion de la lutte contre le communisme. Résumant devant le Sénat américain une intervention de Clemenceau à une session du conseil des Dix du 21 janvier 1919, William Bullitt écrit : «Le bolchevisme s’étendait. Il avait envahi les provinces de la Baltique et la Pologne, et, le matin même, on reçut de très mauvaises nouvelles concernant son succès à Budapest 1. Cité par E.H. Carr, Bolshevik Révolution, t. EU, p. 128. 2. E.H Carr, op. cit., p. 126.

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et Vienne. L ’Italie aussi était en danger. Si le bolchevisme, après avoir gagné l’Allemagne, traversait l’Autriche et la Hongrie et atteignait ainsi l’Italie, l’Europe serait confrontée à un très grand danger. Il fallait donc faire quelque chose contre le bolchevisme3. » Le journaliste américain Louis Fischer n’a sans doute pas tort d’en conclure que Clemenceau, représentant d’un système social, se sentait obligé de plaider pour la guerre contre un système rival4. L es

g r a n d es o f fen siv es d es

B la n c s

Dans la région de la Baltique, les hommes du Baltikum, volontaires baltes et allemands du général von der Golz, le bourreau de la Commune finlandaise, revenues au mois de janvier, reprennent Riga en mai. Elles l’évacuent sur injonction des Alliés, mais von der Golz réussit à se faire naturaliser russe par un gouvernement blanc, en même temps que 45 000 volontaires de son Baltikum. En octobre, sous le commandement du général Ioudénitch, une petite armée blanche, appuyée par des tanks anglais, arrive aux portes de Petrograd. Envoyé en catastrophe par une décision du Politburo du 15 octobre, Trotsky arrive le 16, galvanise le moral des défenseurs et des habitants, dirige une semaine plus tard la contre-attaque victorieuse. La capitale de la révolution est sauvée. Le péril n’a pas été moins grand sur le front Sud. Après la reprise d’Odessa, et au moment où s’ouvrait la perspective d’unejonction entre l’armée de la république hongroise des conseils et l’Armée rouge du front Sud, la défection d’un des chefs de cette dernière, N.A. Grigoriev - qui se proclame ataman -, déclenche une guerre civile de plusieurs semaines dans le camp des Rouges. C’est peut-être là un des moments où l’histoire bascule. Sans la défection de Grigoriev, la jonction, des armées russe et hongroise ouvrait la porte à la révolution dans toute l’Europe centrale et balkanique. L ’effondrement de l’armée hongroise minée par la trahison fait le reste. En mai, les forces de Denikine, supérieurement armées, pénètrent dans le Donets ; en juin, elles prennent Kharkov puis Tsaritsyne. En septembre, elles ne sont plus qu’à 300 kilomètres de Moscou. Pourtant, c’est pour elles le commencement de la fin. Les territoires occupés sombrent dans le chaos avec la cupidité des chefs, la restitution des terres aux seigneurs, îa résistance populaire, les révoltes paysannes, les insurrections bolcheviques, et ce malgré la terreur blanche redoublée. En novembre, l’armée de Denikine est en pleine retraite. En décembre, l’Armée rouge a reconquis l’Ukraine. A l’est, enfin, après avoir assassiné ou exécuté pratiquement tous les communistes sibériens, « l’armée occidentale » de Koltchak se lance à l’assaut. Elle remporte au prin­ temps de 1919 de premiers succès, perce le front à la mi-avril, et ses chefs entrevoient alors une victoire proche avec la prise de Moscou. Une contre-offensive rouge dirigée par Mikhaïl Frounze les brise. Après une pénible retraite, après une dernière exécution massive d’otages, qui provoque l’horreur même de ses employeurs occidentaux, l’amiral est livré aux bolcheviks par la Légion tchécoslovaque et son patron français, Je général Janin. Bien qu’à Moscou on souhaite un grand procès public, le nouveau dirigeant de îa Sibérie, l’ouvrier bolchevique Ivan Nikititch Smimov, reconnaît aux travailleurs d’Irkoutsk et de cette région le droit de juger le commandant suprême qui fut leur bourreau. Condamné à mort, l’amiral est exécuté. La guerre civile n’est pas terminée. Mais elle a déjà marqué la révolution de son empreinte. Si celle-ci n’a pas été vaincue, elle a été contenue. Ensuite, l’armée blanche 3. Cité par L. Fischer, Les Soviets dans les affaires mondiales, p. 140. 4. Ibidem.

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fusille, pend, incendie, ravage les régions dont elle reprend le contrôle, extermine, par exemple, tous les communistes de Sibérie. Toute-puissance de la Tcheka, exécutions

sommaires, prises d’otages : la terreur pratiquée dans le camp d’en face façonne sans doute plus encore la mentalité des communistes russes. Ce qui est certain, en tout cas, c’est qu’ils ne sont pour le moment guère préoccupés de contrôler la Comintern, même si, quand c’est nécessaire, ils doivent intervenir dans les discussions pour rappeler à des disciples zélés que les enseignements de leur révolution ne se résument pas à l’emploi du fusil et de la force militaire et policière nécessaires chez eux à ce moment. H o n g rie : d e l a

pr iso n a u po u v o ir

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L’histoire de l’accession au pouvoir des communistes hongrois en mars 1919 est presque incroyable. La crise politique due à l’effondrement de la monarchie à la fin de la guerre et l’accession à la direction d’une Hongrie territorialement très diminuée d’un gouvernement de bourgeois démocrates très faible, sous le comte Mihâly Kârolyi, la féroce crise économique qui ravageait le pays, la misère des chômeurs et des anciens combattants, tout cela constituait un contexte favorable. 11est d’autre part évident que les communistes hongrois n’avaient pas perdu leur temps en Russie à l’école des bolcheviks et dans les écoles d’agitateurs de Tibor Szamuely : ils étaient devenus de véritables maîtres dans le domaine de l’agit - prop. Meetings, mani­ festations, appels à l’action se succédaient, mobilisant les jeunes, les chômeurs, les tra­ vailleurs, les anciens combattants, apportant tous les jours au parti de nouveaux contin­ gents d’adhésions, puisqu’il passa de 4 000 à 5 000 membres en novembre 1918 à environ 70000 en 1919. C’est dire qu’il avait le vent en poupe. Hs’est trouvé des « témoins » pour raconter l’explosion dejoie au congrès de fondation de la Comintern à la nouvelle de l’arrivée des communistes hongrois au pouvoir : les faussaires, involontaires ou non, s’épargneraient quelque discrédit en consultant les chro­ nologies, C’est en effet le 21 mars, soit deux semaines après la fin du congrès de Moscou, que Béla Kun devient membre du gouvernement hongrois. Personne pourtant n’avait prophétisé la façon dont cette arrivée au pouvoir s’était faite. C’est en effet en prison que ses futurs collègues du gouvernement, membres du Parti socialiste, sont allés chercher Béla Kun pour le faire entrer dans le gouvernement hongrois. Au point de départ de cette extraordinaire aventure, il y a le désir de nombre de ministres, y compris socialistes, d’en finir avec la constante pression des manifestations communistes dans la rue et les progrès continus de leur parti. Le 20 février, l’association des chômeurs manifeste en masse devant le journal social-démocrate Népszava pour présenter ses revendications aux ministres socialistes. La direction du journal, se disant menacée, appelle îa police et des coups de feu sont échangés. Quatre policiers sont tués par des manifestants, des soldats anarchistes, dira-t-on. Le PC crie tout de suite à la provocation. Mais le gouvernement, socialistes compris, décide de donner un coup d’arrêt : 68 responsables communistes, dont Béla Kun, sont arrêtés et incarcérés le 21. Avertis de leur arrestation, ils avaient décidé de la subir, se contentant de désigner un comité central de rechange. Les communistes, déjà en bonne position du fait de leur arrestation, vont bientôt faire figure de martyrs aux yeux des travailleurs. Les policiers, sous prétexte d’enquête et pour venger leurs camarades, passent à tabac Béla Kun, que l’on dit grave­ 5. Ne connaissant pas la langue hongroise, nous avons utilisé pour cette partie les chapitres correspondants de Bennett Kovrig, Commmism in Hungaryfrom Kun to Kodar, Rudolf L. îûkés, Béla Kun and the ffungarian Soviet Republic ; ainsi que la traduction allemande du Béla Kun de l’historien hongrois Gyorgy Borsanyi.

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ment blessé. Un meeting des socialistes de droite en l’honneur des policiers tués connaît un certain succès. Mais un autre, des anciens du cercle Galilée, rappelant l’attitude passée des social-démocrates, le meurtre de Liebknecht et Luxemburg, dénonce la persécution dont sont victimes les détenus en soulignant que, de toute évidence, Kun et ses camarades ne sont pas arrêtés pour le meurtre des policiers mais parce qu’ils sont communistes. Finalement, devant les protestations dans le pays et les menaces de représailles de Moscou, le gouvernement accorde aux détenus communistes un régime politique confortable (cel­ lules ouvertes, nombre illimité de visites, salle de réunion). Cette répression chaotique et hésitante divise les socialistes. Une aile dirigée par Zsigmond Kunfi reproche à la direction du parti une politique de répression policière. Mais les communistes réussissent un coup audacieux. Un « second comité central », dirigé par Tibor Szamuely, reparaît ouvertement, publie de nouveau le journal, rouvre les locaux, appelle à la création d’une armée ouvrière et annonce qu’il va prendre des « mesures militaires ». Divisé et probablement ahuri, le gouvernement ne bouge pas. Du coup, les arrestations du 20 mars se retournent contre leurs instigateurs au moment où la crise sociale ne cesse de s’aggraver, avec la saisie des usines par les ouvriers, des terres des grands propriétaires et de leurs stocks par les paysans, de 1’élimination des administrations et municipalités par les conseils ouvriers, de l’impuissance de la police dans la rue face aux marins et aux groupes de soldats rouges en armes. Dans ces conditions, rien d’étonnant si les socialistes qui veulent rompre avec le gouvernement ont décidé d’aller prendre contact en prison avec les dirigeants commu­ nistes. Là, Béla Kun se dit prêt à un accord total. Il propose aux socialistes de soumettre le programme communiste à une « conférence des révolutionnaires », Exigeant de ses éventuels partenaires la reconnaissance de l’impérialisme comme un stade distinct du capitalisme, le constat de la faillite du capitalisme, du socialisme d’État et du capitalisme d’Etat, il leur demande d’œuvrer à la prise du pouvoir pour une république des conseils comme nouvelle forme d’État et d’adhérer à l’Internationale communiste. Les socialistes hésitent. Ce sont finalement les exigences de l’Entente qui précipitent le mouvement. Le 19mars, alors qu’on discute toujours avec acharnement en prison entre détenus et visiteurs, l’Entente présente un ultimatum qui signifie qu’elle va occuper la plus grande partie du pays. Le gouvernement refuse, déclare qu’il veut céder la place à un gouvernement socialiste, mais la nouvelle majorité des socialistes, isolant l’aile droite, ne veut pas aller au pouvoir sans le Parti communiste. L ’accord est donc conclu, toujours en prison, en quelques heures ; fusion des deux partis, socialiste et communiste ; formation d’un gou­ vernement basé sur les conseils d’ouvriers et de paysans, annulation des élections prévues à la Constituante, formation d’une armée prolétarienne. Les communistes sortent de prison et se rendent à leurs ministères. Tous les organismes du PC rejoignent le parti unifié, qui s’appelle désormais Parti socialiste hongrois. Le 22 mars se réunit le nouveau gouvernement, qui s’appelle Conseil révolutionnaire de gouvernement. H comprend 17 commissaires du peuple socialistes, 12 communistes et 2 experts. Son président est le socialiste Sândor Garbai. Béla Kun est ministre des Affaires étrangères, mais c’est lui le véritable chef. Une

r év o lu t io n pa c ifiq u e

?

On peut aujourd’hui, à la lumière de l’expérience, et aussi peut-être faute d’imagination, trouver saugrenue cette façon de prendre le pouvoir et s’étonner que le monde n’ait pas pris la « révolution hongroise » pour une aventure d’opérette qu’elle n’était pas. En réalité, on est frappé de ce qu’elle frit prise très au sérieux, notamment par Lénine qui y vit le

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reflet de la profonde crise mondiale de la domination de la bourgeoisie et déclara dans son discours de clôture au V IIIecongrès du PCR(b) le 23 mars 1919 : Quelles que soient les difficultés qui se dressent en Hongrie, nous avons là, outre la victoire du pouvoir soviétique, une victoire morale. La bourgeoisie la plus radicale, la plus démocratique et conciliatrice, a reconnu qu’à l’heure d’une très grave crise, alors que son pays, épuisé par la guerre, est menacé d’une guerre nouvelle, le pouvoir soviétique est une nécessité historique : elle a reconnu qu’il ne peut y avoir dans ce pays d’autre pouvoir que celui des soviets, que la dictature du prolétariat6.

Relevons également que Lénine, aucours de ses entretiens avec Béla Kun, avant le retour en Hongrie de ce dernier, avait beaucoup insisté sur le danger d’une prise de pouvoir prématurée par un putsch. C’est une vue opposée que défendit alors Zinoviev : « La classe ouvrière ne peut pas vaincre trop tôt. C’est ce que disait Kautsky il y a dix ans, quand il était encore un socialiste. C’est ce que nous disons aujourd’hui. La classe ouvrière ne peut pas proclamer trop tôt sa dictature. La situation est mûre pour la victoire du socialisme. La dictature du prolétariat est à l’ordre du jour dans l’ensemble du monde civilisé » 7. Les inquiétudes de Lénine sont ailleurs, et il ne les rend pas publiques. Il télégraphie par radio le même jour à Béla Kun : Je vous prie de me faire savoir quelles garanties effectives vous avez que le nouveau gouver­ nement hongrois sera réellement communiste et pas seulement socialiste, c’est-à-dire social-traître. Lescommunisîes sont-ilsenmajorité augouvernement ? Quand auralieu le congrès dessoviets ? En quoi consiste concrètement la reconnaissance de la dictature du prolétariat par les socialistes ? Il est absolument hors de doute qu’une imitation pure et simple de notre tactique russe dans tous les détails serait une erreur, étant donné les conditions particulières de îa révolution hongroise. 3e dois mettre en garde contre cette erreur, mais je voudrais savoir quelles garanties effectives vous avez8.

La réponse de Béla Kun paraît à certains égards une dérobade, mais reflète aussi sans doute sa pensée. Elle va être publiée dans la Pravda : Le centre et la gauche du Parti social-démocrate hongrois ont accepté ma plate-forme. Cette plate-forme adhère strictement aux principes de la dictature prolétarienne et du système des soviets. Elle est conforme aux principes des thèses de Boukharine et en complète harmonie avec les thèses de Lénine sur la dictature. La droite socialiste a rompu avec le parti sans entraîner personne. Les forces véritablement les meilleures qui aient jamais existé au sein du mouvement ouvrier hongrois participent main­ tenant au gouvernement, lequel, puisqu’il n’y a pas de véritables soviets ouvriers et paysans, détient le pouvoir, comme c’était le cas en Russie quand les comités de soldats assuraient l’ordre. H y a un directoire dans le gouvernement, moi-même et Vagâ du Parti communiste, Landler (qui a été emprisonné pendant la guerre) et Pogâny (qui était chez nous avant la fusion Ils ontété en fait nos représentants dans la gauche socialiste ; et Kunfi, qui est quelqu’un comme votre Lounatcharsky. Mon influence personnelle sur le Conseil révolutionnaire de gouvernement est telle que la ferme dictature du prolétariat sera assurée. En outre, les masses sont derrière moi...9

En fait, du point de vue des bolcheviks, le plus étonnant est incontestablement la quasi-disparition du parti, dont la compétence semble être confisquée parle gouvernement. 6, Lénine, Œuvres, t. XIX, p. 225. 7. G. Zinoviev, « Les perspectives de la révolution prolétarienne », Die Kommunistische Internationale. n° 1,1919. p. XIV. 8. Lénine, Œuvres, t. XIX, p. 228 9, Pravda, 28 mars 1919

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Le 28 mars, un manifeste de l’Internationale communiste salue le passage du pouvoir en Hongrie « aux mains de la classe ouvrière » et appelle travailleurs et soldats français à s’opposer aux pians d'intervention de Clemenceau. La

r é p u b l iq u e d es c o n seils d e

B a v iè r e î0

La révolution de novembre avait porté au pouvoir en Bavière le dirigeant indépendant Kurt Eisner, qui avait constitué un véritable réseau de combattants pour la paix dans l’USPD et parmi les ouvriers des usines Krupp de Munich. Il était en outre allié à l’aile socialisante de la Ligue paysanne animée par l’aveugle Gandorfer. C’est lui qui, sortant d’une longue peine de prison, avait conduit la manifestation du 7 novembre au cours de laquelle avait été décidée la grève générale et l’assaut des casernes. Le roi avait abdiqué et le journaliste juif Kurt Eisner, militant USPD, pacifiste, objet de la haine de la droite, était devenu président du Conseil des ouvriers et soldats de Bavière. Il avait été assassiné le 21 février par un officier d’extrême droite, le comte Anton von Arco-Valley. Après trois semaines d’une période extrêmement confuse d’interrègne du social-démocrate Johannes Hoffmann, la république des conseils avait été proclamée à Munich par un conseil d’ouvriers et de soldats reflétant une curieuse coalition où figuraient militants de rUSPD, anarchistes, quelques représentants de la bohème littéraire et artistique, et même d’évidents malades mentaux légers - ce qui rappelle des traits mineurs de la Commune de Paris. Le plus surprenant était tout de même la présence dans cette coalition d'un ministre social-démocrate majoritaire de Bavière, Emst Schneppenhorst. Les communistes, par la voix de l’ancien journaliste d’origine russe de la Rosta, Eugen Léviné, rescapé de l’affaire du Vorwàrts, que la centrale du KPD venait d’envoyer en Bavière, avaient pris position contre l’instauration du pouvoir des soviets autour d’« une table de café » et exclu l’un d’entre eux, qui y avait accepté des responsabilités. Léviné, qu’avaient rejoint deux autres communistes, W illy Budich et Karl Erde, venait de réor­ ganiser le Parti communiste et de rompre la coalition permanente de groupes armés que son prédécesseur Max Levien avait maintenue dans la période précédente avec les anar­ chistes d’Erich Mühsam et Gustav Landauer, tous deux commissaires du peuple dans ce gouvernement qui ne dura d’ailleurs que six jours et dont le commissaire du peuple aux Affaires étrangères crut nécessaire d’aviser Lénine que son prédécesseur avait emporté la clé des WC... H est assez difficile de comprendre pourquoi, après six jours de pouvoir de ce « pseudo­ conseil », comme disaient les communistes, forts de l’appui des conseils d’ouvriers de Munich où ils venaient de conquérir la majorité, ils ont subitement décidé de prendre à leur compte la défense de cette république que, la veille encore, ils qualifiaient de « mas­ carade ». Aux premiers coups de feu tirés par les forces de sécurité, le 13 avril, le conseil des ouvriers et des soldats de Munich, installé à l’hôtel de ville, désigna un comité exécutif de quatre membres présidé par Léviné. L ’initiative était diamétralement opposée à la politique prescrite à l’époque par la centrale communiste, qui interdisait tout putsch et toute aventure. Le petit groupe communiste discute dur. Budich est résolument partisan de prendre le pouvoir. Il est le seul décidé et il l’emporte. Léviné, en leur nom, proclame : « Finalement la Bavière a elle aussi érigé la dictature du prolétariat [...]. Le soleil de la révolution mondiale s’est levé ! Vive la Révolution mondiale ! Vive la République de Bavière ! Vive le communisme11!» On a longtemps cru que les événements de Bavière 10. A. Mitchell, Révolution in Bavaria 1918-1919, eî H. Beyer, Von der Novemberrevolution zur Raterpublik in Münchert. 11. Cité par A. Miîcheü, op. cit., p. 319.

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se sont déroulés indépendamment de tout contact avec îa centrale du KPD(S). Les Mémoi­ res de Karl Erde (sous le nom de Retzlaw) nous ont appris que, mandaté par les com­ munistes de Munich, il s’était, dès le 14 avril, rendu à Leipzig, y avait rencontré Paul Levi, lui avait rendu compte et en était revenu, comme le souhaitaient les communistes de Munich, avec Paul Frolich dissimulé sous le nom de Wemer Mannteyl2. Le programme de la république des conseils de Bavière était celui de la Ligue Spartakus, approuvé par les délégués des conseils d’usine. L ’effort essentiel de ses dirigeants com­ munistes pendant les deux semaines où ils furent au pouvoir porta avant tout sur l’organi­ sation de leur « armée rouge » et de leur police. Les organisateurs de la première furent les délégués des conseils de soldats, l’indépendantEmst Tôlier, unécrivain, et les communistes Rudolf Egelhofer, un ancien marin de Kiel, et W illy Budich, l’ancien chef de la Ligue des soldats rouges de Berlin, aidés par deux officiers communistes, Emst Günther et Erich Wolîenberg. La « commission pour îa répression de la contre-révolution » fut dirigée par leMunichois Strobel ; la police, par lejournaliste de Die Rote Fahne de Munich, Ferdinand Mairgünther, et par Retzlaw. Ce dernier se rappelle que leur attention fut attirée par ia société dite « de Thulé », à laquelle appartenaient des officiers comme l’assassin d’Eisner, le comte Anton von Arco-Valîey, mais aussi le capitaine Emst Rohm et Rudolf Hess. Il signale îa présence dans les casernes munichoises, à cette date, de militaires en cours de démobilisation comme Hans Frank, Alfred Rosenberg et Adolf Hitler, mouchard du com­ mandement à la caserne de la 2ecompagnie du 2erégiment d’infanterie. Paul Frolich prend la parole peu après son arrivée dans une grande manifestation, saluant « îa révolution mondiale, la dernière des révolutions » en marche, et jurant la détermination de tous les présents de mourir pour elle s’il le fallait. Aucun des commu­ nistes n’avait apparemment d’illusions. Cette république des soviets ne dure que deux semaines. Son exécutif communiste étant mis en minorité au conseil par une opposition conduite par un jeune ouvrier de l’USPD et par Emst Tôlier, le chef de son armée, la république des conseils passe ses derniers jours et heures sous îa férule de l’énergique Rudolf Egelhofer. L’exécution, ordonnée par lui, d’une vingtaine d’otages - dont quelques membres de la fameuse société « prénazie » de Thulé ~ sert de prétexte à une bacchanale sanguinaire. Munich, reprise par les troupes du général von Oven et par les fameux corps francs, la Brigade de marine d’Ehrhardt, est nettoyée de ses « communistes » à la mitrailleuse et au lance-flammes. Egelhofer et Gandoifer sont abattus sans autre forme de procès, Landauer est battu à mort. Mühsam est condamné à quinze ans, Eugen Léviné et l’employé de banque com­ muniste Seidel, condamnés à mort, sont exécutés en juin. On n’a fait aucune distinction entre les deux républiques successives. Max Lewien parvint à s’enfuir et retourna en Russie. Retzlaw, Frolich, Budich, réussirent également à sortir de la fournaise. Le rôle des deux derniers resta inconnu des services de police, bien que Frolich ait écrit sous îe pseudonyme de Paul Wemer une histoire de la république des conseils de Bavière. Pourquoi consacrer autant de place à un épisode somme toute mineur de la crise révolutionnaire en Europe ? La raison n’en est pas qu1Adolf Hitler en tant que caporal et Eugenio Pacelli, futur Pie X II, en tant que nonce apostolique, en ont été les témoins, probablement marqués par elle. Elle est plus simple : l’épisode en question fait partie de la mythologie de la Comintern à l’époque. La veille de l’entrée des troupes des corps francs dans Munich, Lénine, dans son grand discours du 1er mai, proclamait sur îa place Rouge à Moscou : « Dans toutes les nations, les travailleurs se sont engagés sur la route de la lutte contre l’impérialisme. La classe ouvrière libérée céîèbre librement et ouverte­ 12. K. Retzlaw, Spartakus. Aufstieg und Niedergang, p. 157-158.

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ment son anniversaire non seulement en Russie soviétique, mais aussi en Hongrie sovié­ tique et en Bavière soviétique13. » La révolution bavaroise a provoqué beaucoup d’espoir et fit beaucoup rêver dans le monde communiste. Rares sont les communistes étrangers qui ont eu le temps de la rallier dans les faits : on peut citer l’Italien Edmundo Peluso, pèlerin des insurrections perdues, fondateur des premiers groupes communistes du Portugal, qui revenait des combats de janvier à Berlin. Mais des dizaines et peut-être des centaines d’autres accoururent, dont beaucoup n’arrivèrent pas à temps. L es

c en t q u a ra n te -t r o is jo u r s d e l a

C o m m u n e h o n g r o ise

Excellent observateur, ayant l’art de la formule, Franz Borkenau écrit sur le gouver­ nement de Béla Kun ce jugement en deux phrases percutantes : En Russie, Kun avait vu trois choses qui étaient d’une importance fondamentale pour une révolution hongroise : la révolution agraire, la lutte acharnée de Lénine contre les « réformistes », et les négociations de paix avec les Allemands à Brest-Litovsk. De ces trois expériences, il semble avoir tiré les surprenants principes qu’il ne fallait pas donner la terre aux paysans, qu’il fallait à tout prix faire la guerre et qu’au moment décisif un révolutionnaire doit conclure une alliance avec les réformistesi4.

Un bilan de politique économique et sociale sur une période aussi courte n’a guère de sens. Mais il est vrai que l’admiration des communistes hongrois pour la centralisation, les grandes entreprises et la planification leur a inspiré une politique qui ne pouvait pas, bien au contraire, rallier les paysans à leur cause, par exemple une nationalisation des grands domaines qui laissait la plupart du temps leur administration aux mains des anciens propriétaires. Aux difficultés qui les avaient amenés au pouvoir se sont ajoutées celles qu’a provo­ quées leur arrivée au pouvoir, les pires n’étant pas la coexistence de deux monnaies, la « bonne vieille bleue » héritée des temps anciens et la nouvelle, la « blanche », imprimée par le nouveau gouvernement, et le refus général d’accepter la seconde, terriblement et rapidement dévaluée, y compris par les ouvriers - défenseurs du régime mais aussi de leur pouvoir d’achat. Des mesures hâtives, dénotant l’impatience et la volonté de se manifester en véritables communistes, une certaine façon aussi, peut-être, de copier la politique du communisme de guerre, inspirée en Russie par les circonstances de la guerre civile, comme l’interdiction de tout commerce privé, l’abolition par décret de toute pro­ priété privée des moyens de production, ne firent qu’aggraver le chaos économique hérité de l’ancien régime. Très vite, l’effondrement de la production, la disparition de tout marché de produits, y compris alimentaires, fit apparaître le spectre de la famine. Bor­ kenau, encore lui, relève que le seul facteur qui conserva au régime de Béla Kun une base populaire large fut son hostilité à l’Entente et sa détermination affichée de ne pas reculer devant la guerre et les provocations de l’Entente, par exemple à travers la Rou­ manie. En fait, comme le même auteur le souligne, le gouvernement de Béla Kun fut perçu en Hongrie comme « un gouvernement de défense nationale allié à la Russie soviétique », les dirigeants de cette dernière et de la Comintern la considérant pour leur part comme un pont vers la révolution dans le sud-est et le centre de l’Europe. Très vite, cependant, il apparut qu’au sein même du gouvernement et du parti leur dirigeant se heurtait à une double opposition, qui ne cessa de se renforcer avec le déclin 13. Izvestia, 3 mai 1919. Lénine, Œuvres, t. XXXIX, p. 333. 14. F. Borkenau, op. cit., p. 114.

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du soutien populaire initial, celle d’une fraction importante de ses alliés socialistes, sur sa droite, celle de sa propre gauche, née du « second comité central », inspirée par Tibor Szamuely. Bien entendu, ce n’est pas par hasard que les chocs les plus importants eurent lieu sur la question du maintien de l’ordre et du contrôle des forces de police. Dès le début ils se produisirent avec les bandes irrégulières des « Enfants de Lénine » de Jozsef Csemy, qui « chassaient le bourgeois », et avec les services de sécurité, la « tcheka » d’Ottô Korvin, l’ancien anarchiste. Les plus graves se déroulèrent à l’occasion du soulè­ vement paysan à l’ouest, en pleine offensive de l’armée hongroise, en juin, qui coïncida avec une grève des cheminots pour leurs rations et le paiement de leurs salaires espèces sonnantes et trébuchantes, et fut sévèrement réprimé par Tibor Szamuely, A la suite de la protestation des ministres socialistes, la plupart des communistes impliqués dans la répression, dont Szamuely, furent envoyés au front en qualité de « commissaires poli­ tiques ». Un peu plus tard, sous prétexte d’un complot « gauchiste » ou « anarchiste », les hommes de Béla Kun abattent sur son ordre, sans jugement, Grigori Efïmov et Isaï Junkelson, deux officiers de l’Armée rouge, envoyés personnels de Rakovsky. Cette âpre lutte se poursuivit jusqu’aux tout derniers jours. Le biographe de Kun, Borsânyi, assure que c’est là l’unique condamnation qu’il prononça lui-même, hors de lui, devant ce qu’il croyait une « trahison », et qu’il le regretta très vite amèrement. Indiquons à ce propos que la propagande anticommuniste a fait beaucoup de bruit autour de la répression menée par le régime des conseils, particulièrement par Otté Korvin et Tibor Szamuely, qu’elle présente comme des bourreaux couverts de sang. En fait, le nombre total des victimes de la « terreur rouge » est inférieur à celui des victimes de la répression, la plupart du tempsjugée « modérée », menée au sein de l’armée française par Pétain après les mutineries de 1917. Et relevons la remarque judicieuse du biographe hongrois de Béla Kun rappelant que l’écrivain Lajos Këssak a pu répondre publiquement à des attaques politiques de Kun : « Les générations suivantes peuvent s’étonner : dans quel pays communiste un écrivain pouvait-il s’en prendre à l’homme du sommet du Parti-Etat dans une brochure publiée légalement par lui et, après cela, conserver quand même son poste ? Cet épisode mineur tend à prouver que l’éthique et les normes dès communistes de 1919 différaient assez de leur éthique d’après 1945l5. » Pourtant, la littérature de haine - il n’est pas d’autre mot - triomphe avec la Commune hongroise, et les frères Tharaud se distinguent par leur acharnement et le choix d’être bas dans leur récit et nuls dans leur explication. Par opposition à ces gens qui n’étaient même pas des témoins éloignés, citons Vex-jeune comtesse Katarina Andrâssy, épouse du comte Michel Kârolyi, baptisée « la comtesse rouge » par la droite, et notons la façon dont elle parle de deux protagonistes de la révolution : Il y avait aussi Ilona Duczynska qui appartenait à une noble famille polonaise ; une personnalité hors série ; pendant la guerre, elle avait fait de la prison pour avoir distribué des tracts antimili­ taristes aux soldats ; aux assises, elle avait le visage transparent d’une icône, rayonnant de passion et auréolé de cheveux dorés. Tant que je vivrai, je me souviendrai du lct mai 1919. La guerre faisait rage, l’Armée rouge hongroise se battait courageusement contre les envahisseurs. Szamuely, le Saint-Just de la Com­ mune hongroise, avait fait draper de rouge la capitale : les édifices publics étaient recouverts de kilomètres de draperies rouges ; elles couvraient les statues, flottaient au-dessus des ponts... La bourgeoisie se terrait15. 15. G. Borsânyi, The Life of a Communist Revolutionary. Béla Kun, p. 190. 16. C. Karolyi, On m’appelait la comtesse rouge, Paris, Budapest, 1981, p. 220.

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m on tée

« L ’histoire intérieure » de la république dite « des conseils » hongrois peut se résumer ■ par le combat fractionnel du « centre » de Kun pour contrôler les organes de décision, et notamment le « Conseil des 80 », qui succéda en mai au conseil ouvrier de Budapest, après des élections qui virent le succès d’une liste syndicaliste dans un arrondissement de Budapest et l’annulation de ce résultat, et dont l’un des signes extérieurs a été la réforme des statuts du parti et son changement de nom, qui en fit le Parti socialistecommuniste. L ’Armée rouge des Hongrois avait été bâtie au début sur le volontariat, mais il apparut : nécessaire de recourir à la conscription. C’est peut-être ici que réside une originalité vraie de la révolution hongroise : la conscription fut effectuée par les syndicats, qui fournirent des contingents de travailleurs correspondant aux effectifs demandés. Le combat armé se poursuit jusqu’au bout. Devant le Conseil des ouvriers et soldats, Tibor Szamuely, le 1er août 1919, lance un appel à la résistance et aux barricades. Béla Kun et ses collègues démissionnent et quittent le pays. Szamuely est assassiné ou se suicide à la frontière. Ottô Korvin est pendu. Les dernières phrases de Béla Kun sur le prolétariat hongrois qu’il avait prétendu représenter ont été prononcées dans un discours du 1er août et méritent d’être connues ; ; Le prolétariat de Hongrie n’a pas seulement trahi ses dirigeants, mais lui-même. S’il y avait eu un prolétariat révolutionnaire avec une conscience de classe, la dictature du prolétariat ne serait pas tombée ainsi. J ’aurais préféré une fin différente. J ’aurais aimé voir le prolétariat combattre sur les barricades [...} déclarant qu’il préférait mourir qu’abandonner son pouvoir. [,..] Le prolé­ tariat qui était mécontent de notre gouvernement, qui criait dans ses propres usines « A bas 3a dictature du prolétariat ! » sera plus mécontent encore de tout gouvernement à venir. Je,vois maintenant que notre expérience pour l’éducation des masses prolétariennes de ce pays pour en faire des révolutionnaires avec une conscience de classe a été vaine. Ce prolétariat a besoin de la dictature la plus inhumaine et la plus cruelle, de 1a dictature de la bourgeoisie pour devenir révolutionnaire17.

Quittant Budapest pour Vienne avec les siens et ses proches dans un train spécial, bénéficiant de l’immunité diplomatique, Béla Kun, après un internement de quelques mois, allait pouvoir se consacrer à « l’éducation révolutionnaire » des prolétaires de tous les pays. En Hongrie, en tout cas, sous l’autorité du régent Miklôs Horthy, que nous avons déjà rencontré, il y eut dans les premières années, au titre de la répression antirévolutionnaire, 5 000 exécutions capitales, 75 000 arrestations et condamnations à la prison. 100 000 Hon- ; grois émigrèrent. La r év o lu t io n

h o n g r o ise e t l a r év o lu t io n m o n d ia le

La révolution hongroise avait dès le début soulevé de grands élans d’enthousiasme dans le monde, bien qu’on en parlât peu dans la presse en dehors de l’Autriche et de l’Italie. UAvanti ! du PSI y avait un excellent correspondant, ïsaac Schweide, qui signait ses articles Brante Iso. C’est en partie pour rompre son isolement que le gouvernement de Kun finança peu après sa naissance une revue suisse, Le Phare, dont la direction fut confiée à Jules Humbert-Droz. De nombreux étrangers de Budapest furent emportés par l’élan. Ainsi, l’étudiant en chimie Evzen Fried, originaire de Slovaquie, devint agent de liaison avec les révolutionnaires de son pays. Ainsi, Petko Miletic, jeune charpentier monténégrin travaillant à Budapest, entra dans la carrière de révolutionnaire professionnel

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en combattant dans les rangs des Hongrois rouges. On étudia à Moscou avec Rudnyânszkÿ l’organisation d’un corps de volontaires pour tenter une percée en Bukovine. A Vienne, Léo Rothziegel organisa une sorte de brigade internationale pour défendre la Hongrie. II aurait réuni 400 volontaires, partis le 2 avril, qui seraient devenus 1 200 et qui furent envoyés aux points chauds. Il fut tué au combat le 28 avril. Parmi les autres volontaires étrangers, il y eut des Italiens - Dario Fieramenti et Colombo Menghi. Les étrangers volontaires qui habitaient la Hongrie furent organisés dans un Bataillon international balkanique que commanda le Croate Ivan Matuzovic. Dès la naissance de la république hongroise des conseils, la lutte militaire prit la coloration d’une lutte entre révolution et contre-révolution dans l’Europe centrale et balkanique. Une perspective apparaissait proche et presque tangible : celle de la jonction entre l’Armée rouge d’Ukraine et la Hongrie rouge. Contrairement à ce qui a été écrit à l’époque stalinienne et parfois repris, non seulement Rakovsky n’y était pas hostile, mais il apparaît qu’il s’engagea à fond dans cette perspective de priorité à la révolution mon­ diale, qui donnait pour lui tout son sens à sa mission en Ukraine. Il provoqua ainsi d’ailleurs le grand mécontentement de Lénine, qui semble avoir été à cette époque obnubilé - non sans raisons - par la menace des troupes de Denikine à l’ouest contre le cœur du pouvoir rouge. L ’historien hongrois Miklôs Molnar explique dans un colloque à Montréal que la bourgeoisie internationale, elle, prit cette perspective, si l’on préfère ce danger pour elle, très au sérieux. Il écrit en effet : Les milieux politiques français aussi bien que les milieux militaires semblaient être convaincus (jusqu’au mois de mai en tout cas, jusqu’à la volte-face de l’ataman N.A.Grigoriev en Ukraine) du danger ou de l’éventualité d’une jonction entre l’Armée rouge soviétique et l’armée de la république hongroise des conseils. C’est ce qui a amené Foch à insister devant le conseil des Quatre sur la nécessité d’occuper Budapest. Plusieurs documents aux Archives du minisère de la Guerre ainsi qu’aux Affaires étrangères confirment qu’au-delà du cas hongrois c’était bien une éventuelle percée de l’Armée rouge d’Ukraine qui préoccupait les militaires français18.

Cette perspective ne se concrétisa pas, alors qu’une attaque commune contre les troupes roumaines avait été décidée entre les forces hongroises et Armée rouge d’Ukraine. Dès les premières attaques, l’armée hongroise s’effondra. Non seulement l’Armée rouge resta seule dans îa bataille, mais, profondément affaiblie par la trahison de Grigoriev, qui était devenu l’un de ses chefs, elle fut affaiblie par trois semaines de combat interne, au terme desquelles elle fut incapable, comme nous l’avons indiqué plus tôt, de résister à l’assaut des troupes de Denikine, bien armées, bien équipées, tout au début d’un élan qui allait les entraîner beaucoup plus loin. Mais la chute de l’Ukraine aggravait la position hon­ groise. Le choix qu’avait fait Lénine n’est-il pas analogue à celui qu’il avait fait pour Brest-Litovsk ? La question est ouverte. Béla Kun» lui, malgré une loyale défense de Lénine, ne cessa d’accuser Rakovsky d’être responsable de ce grave revers. Ce n’était que le premier. Une chance au moins d’un sursis se présenta presque immédiatement, à la suite des désaccords entre Alliés. Le général sud-africain Smuts, représentant les Britanniques, se rendit à Budapest avec une proposition de compromis II proposait une ligne de démarcation nouvelle, pratiquement le rétablissement de celle dont la modification avait provoqué îa démission de Kârolyi. L ’Entente exigeait en échange qu’il n’y ait pas de mobilisation et que cesse la propagande à l’extérieur. Ces conditions étaient à accepter tout de suite, en bloc. Les Alliés s’engageaient à faire leur possible 18. Colloque Montréal, 1976, Situations révolutionnaires en Europe 1917-1922, commentaire de M. Molnar, p. 96.

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pour fournir à Budapest farine et graisses. Craignant un piège, pensant que les Alliés ■ donnaient là une preuve de faiblesse, il ne répondit pas, et l’offre de Smuts tomba à l’eau. ; Il n’y aurait pas de Brest-Litovsk pour la Hongrie. Franchet d’Esperey, l’ennemi juré, l’emportait. En quelques jours, ses troupes - roumaines - percèrent le front et, fin avril, approchèrent de Budapest. C’est alors que surgit enfin la révolmion. Nous laissons la parole à Borkenau : C’est alors que l’imprévu se produisit. Les ouvriers de Budapest se soulevèrent. Ils voyaient que la victoire des Roumains signifiait celle de îa contre-révolution. Les vieux partis féodaux avaient déjà commencé à se réorganiser et avaient formé un gouvernement « blanc » à Szeged. Les Roumains victorieux leur remettraient le pouvoir. Ainsi l’instinct de classe se combinait-il avec l’orgueil national blessé en un splendide geste d’héroïsme. Peut-être la moitié du prolétariat de Budapest fut-elle volontaire pour le front. Comme on n’avait pas le temps de créer au débotté une organisation militaire, on les organisa en bataillons et compagnies d’usines. Nombre d’officiers de métier s’engagèrent pour la guerre de défense nationale. Et d’un seul coup furent mises sur pied pas moins de quatre arméesIS> .

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Sous le commandement en chef du leader syndicaliste social-démocrate Vilmos Bôhm, | avec pour chef d’état-major un militaire de carrière, le colonel Aurel Stromfeld, i’année .'ï hongroise contre-attaqua, faisant refluer Tchèques et Roumains vers leur point de départ, i Le soulèvement paysan à l’ouest et la grève des cheminots brisèrent cet élan. La r év o lu t io n

h o n g r o ise d ébo r d e d e s e s

FRONTIÈRES

Béla Kun avait tenté de répandre la révolution hors de ses frontières. Un appel aux travailleurs des pays de l’Entente leur avait assuré que l’avenir de l’humanité reposait sur leurs épaules. Un comité tchéco-slovaque animé en Hongrie par l’ancien prisonnier Antonin Janousek avait organisé la propagande révolutionnaire en Bohême et en Slovaquie, Une entreprise alliée entraîna la contre-attaque de l’Armée rouge hongroise, qui s’empara de Koftce le 6 juin, de Presov le 9, et qui proclama le 16, par la voix du communiste slovaque Stefan Stehlik la République soviétique slovaque, avec un Conseil de commissaires du peuple présidé par Antonin Janousek. On organisa une unité rouge de combattants non hongrois commandée par Matuzovic, qui enregistra des milliers de volontaires. C’est à ce moment qu’une note de Clemenceau proposa au gouvernement hongrois l’évacuation des provinces occupées par les Roumains en échange de celle de la Slovaquie, où les Hongrois venaient de proclamer, à Presov, dans la partie orientale, une « république des conseils » animée par leurs amis slovaques, Antonin Janousek, Stefan Stehlik, le jeune Hynëk Lenorovic et d’autres. Dans le n° 3 de îa revue de la Comintern Kommunistitcheskii Intematsional, Rudnyânszkÿ expliquait gravement : « La Hongrie s’est trouvée sa pre­ mière Ukraine, la République des conseils de Slovaquie.» Cette fois, Kun argua de l’exemple de Brest-Litovsk pour accepter cette proposition et battre en retraite. Les chefs de l’armée démissionnèrent, et, au congrès du parti, Kun eut à subir une ravageuse critique de Szamuely, tandis que Kunfi le soutenait. Terrible paradoxe et signe de la confusion des temps : contre le « défaitisme gauchiste », comme il disait, de son camarade de parti Tibor Szamuely, acquis comme lui à la révolution mondiale, il recevait le secours d’un « pacifiste » aboutissant sur le coup aux mêmes conclusions que lui. Le gouvernement de Kun s’achève par un spectaculaire échec à l’extérieur, la Bettelheimerei dans l’histoire communiste, à savoir la tentative de putsch organisée à Vienne par le Dr Ernô Bettelheim sur les directives de Béla Kun. C’est vers la mi-mai que cet 19. F. Borkenau, op. cit., p. !23.

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homme, qui s’était jusque-là surtout occupé de la presse, arriva à Vienne en compagnie de son adjoint Ernô Czébel, ainsi qu’une vingtaine de « spécialistes » hongrois, muni de fonds pratiquement illimités - selon toute vraisemblance, de faux billets autrichiens. Le PC autrichien avait alors, à son échelle, le vent en poupe. Il avait décuplé ses effectifs depuis sa naissance, atteignant les 40 000, et subissait positivement le contre-coup du sursaut ouvrier et national hongrois. Il fallut d’abord convaincre ses dirigeants, ce que Bettelheim fit avec l’autorité de celui qui parle au nom d’une révolution qui a vaincu. La discussion fut pourtant longue et difficile. Finalement on désigna une direction restreinte, un directoire de trois membres, Toman, Koritschoner et Wertheim. D était chargé de l’agitation et de la propagande, de la partie visible des préparatifs. Le reste était l’affaire des Hongrois. Bien entendu, le secret n’était pas possible sur de tels préparatifs, et le Parti socialdémocrate réussit à mobiliser les conseils eux-mêmes contre l’entreprise, qui dût être décommandée deux jours avant la date prévue. L ’arrestation des principaux dirigeants communistes et la répression d’une manifestation firent quelques morts le jour fixé pour 1Jinsurrection décommandée, le 15 juin 1919. L ’entreprise fut unanimement condamnée ét devint symbolique d’un « putsch ». Dans la Comintem, Ernô Bettelheim, mais non Béla Kun, porta le poids de cet échec prévisible. La révolution hongroise eut aussi de profonds échos et des prolongements en Yougos­ lavie. Dominique Gros écrit : La grève générale du 1er mai 1918, lancée par l’Internationale communiste, fut interdite par le gouvernement yougoslave, inquiet de l’agitation qu’entrenaient les communistes dans l’armée et particulièrement à Sarajevo. Les dirigeants communistes de Bosnie tentèrent d’organiser la grève malgré l’interdiction gouvernementale et furent arrêtés. Un des sommets de la crise révolutionnaire fut atteint le 20 juillet 1919, jour fixé par la Comintem pour le déclenchement d’une grève générale de solidarité avec la Russie et la Hongrie soviétique. Dans la plupart des pays d’Europe, cette action fut un demi-échec ; en revanche, elle fut si large et si efficace en Yougoslavie que l’historien Hasanagié a pu la considérer comme le plus grand succès politique obtenu par les communistes yougoslaves après la Première Guerre mondiale. Mais la direction du parti laissa les militants sans consignes politiques et ne lança aucune action centrale pour la prise du pouvoir. Il y eut seulement, sous l’influence directe de la révolution hongroise, deux importantes mutineries vers la frontière nord de la Croatie-Slavonie : des groupes d’anciens prisonniers de guerre rapatriés de Russie tentèrent de prendre le pouvoir à Maribor et à Varazdin ; l’insurrection fut matée en moins de vingt-quatre heures par les unités régulières de l’armée serbe. Pour ne pas parler de l’appui donné par la population urbaine au « conseil révo­ lutionnaire» des insurgés, un communiqué officiel du gouvernement attribua l’événement à Faction de minorités allemandes. Il s’agissait en fait pour les paysans soldats révolutionnaires de proclamer la « république socialiste ». Il semble que ces tentatives isolées de prise du pouvoir aient fait partie d’un plan plus large, révélé par la découverte de complots insurrectionnels à Osijek, Subotica et Zagreb. Un nommé A. Diamantstein, délégué des communistes croates à Budapest, fut arrêté à Zagreb. Il avoua être responsable de l’attribution de subsides aux révolutionnaires yougoslaves et tenir ses instructions de Budapest. Il semble donc qu’il se soit agi d’une petite « affaire Bettelheim » [BettelheimereiJ organisée par les communistes hongrois pour hâter la formation de républiques soviétiques dans les Balkans. Il reste à établir quels furent les liens entre Budapest et la direction du nouveau Parti socialiste ouvrier yougoslave.

Le 5 août, l’exécutif de l’Internationale communiste fait une déclaration où il souligne :

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« La sanglante leçon de Hongrie a enseigné aux prolétaires du monde entier qu’il ne peut y avoir de coalition, de compromis, avec les social-capitulards. » A sa façon, Béla Kun se souviendra de la leçon. Pour le moment, il médite dans le château de Karlstein, où il a été mis en résidence surveillée et où amis et ennemis conspirent pour l’enlever. La

r év o lt e d es so ld a ts d e

L’E n t en t e

Les arguments utilisés par les bolcheviks dans leur guerre verbale contre les dirigeants de l’Entente frappèrent-ils soldats et marins dans leurs refus d’obéissance, leurs révoltes, leurs « grèves la crosse en l’air » ? C’est infiniment probable car ils étaient extrêmement percutants et ils leur furent rabâchés, surtout dans la situation où des soldats étaient maintenus sous les drapeaux, alors que la guerre était terminée, et utilisés à des opérations de maintien de l’ordre dans un pays avec lequel le leur n’était pas en guerre. Le 31 janvier 1919 commençait à Glasgow une grève pour les quarante heures. 70 000 grévistes. Une charge de police, le Vendredi Rouge, faisait 40 blessés à St-George’s Square. Les dirigéants des ouvriers en grève furent accusés d’incitation à l’émeute. Le secrétaire d’État à l’Écosse R. Munro déclara que le terme de « grève » était impropre pour désigner ce mouvement, qui était en réalité « un soulèvement bolchevique ». Il était clair qu’on ne pouvait compter pour la répression sur les soldats et les marins. 10000 soldats refusaient au même moment à Folkestone d’embarquer pour la France. 4 000 manifestaient à Douvres leur solidarité avec eux. 1500 soldats d’Osterley Park allaient manifester devant Whitehall. Des soldats en armes manifestent à la parade des Horse Guards. 20000 soldats refusent d’obéir aux ordres à Calais, et le général Byng négocie avec eux. 200 soldats manifestent en uniforme devant le 10 Downing Street. Tout cela en janvier 1919. Au total, une centaine de mutineries, dont quelques-unes ont été très sérieuses. Winston Churchill, qui était responsable de l’armée et de la démobilisation, parlera plus tard de « convulsion d’indiscipline ». II y a de toute évidence plusieurs organisations clandestines dans la flotte de guerre. L ’équipage d’un croiseur se mutine dans la Baltique. Des bateaux sont renvoyés d’Arkhangelsk et de Mourmansk tandis que d’autres ne partent pas d’Invergordon, Portsmouth, Davenport, etc. L ’équipage d’un croiseur refuse de quitter Rosyth pendant plusieurs semaines, ceux d’une escadre de destroyers de laisser le Firth of Forth pour la Baltique. Le 13 janvier 1919, les marins du HMS Kiîlbride hissent le drapeau rouge au grand mât et télégraphient : « La moitié de la flotte en grève, l’autre moitié bientôt. » Comment, dans ces conditions, s’étonner que le Premier ministre britannique David Lloyd George déçoive ses interlocuteurs de Versailles en assurant qu’en cas d’intervention ouverte « les armées se soulèveraient ». Il en est de même dans les troupes d’intervention françaises, où des militaires qui ont souvent un passé syndicaliste ou socialiste, souvent abonnés au journal La Vague, consti­ tuent des noyaux qui vont devenir des centres de résistance. Les premiers refus d’obéis­ sance se produisent dans l’armée de terre : le 58e d’infanterie, à l’initiative du noyau qu’anime l’ancien marin Arsène Guettier, refuse de marcher sur Tiraspol et doit être rapatrié, le 2erégiment d’artillerie de montagne, le 176ed’infanterie, à Kherson, le P RMA (zouaves)20. Dans la flotte française de la mer Noire, l’organisation clandestine des marins se généralise et aboutit à un état de révolte généralisée. Le 17 avril, une partie de l’équipage du cuirassé France refuse de bombarder les lignes des révolutionnaires russes. Le 20, c’est la mutinerie d’une partie de l’équipage avec à sa tête le jeune Virgile 20. A. Marty, La Révolte de la mer Noire, p. 76-94,135.



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L ’ a g ein g rat

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V u ille m in , vingt ans, l’élection de délégués, les revendications présentées à l’amiral21. Le 16 avril, l’officier mécanicien André Marty, du Protêt, qui a projeté une mutinerie sur ce torpilleur pour entrer dans le port d’Odessa en arborant le drapeau rouge, est arrêté et transféré sur le Waldeck-Rousseau, dont l’équipage se mutine à son tour22. Bien d’autres suivront La mutinerie du Guichen a été immortalisée par un très beau livre d’un ancien quartier-maître mécanicien de vingt et un ans, le mutin Charles Tillon, La révolte vient de loin, devenu entre-temps dirigeant communiste, chef des FTP, ministre et... exclu du PCF. ' Pendant ce temps, le gouvernement français a renoncé à l’aventure ukrainienne. L’armée du général d’Anselme, venu à Odessa en triomphateur, doit repartir assez piteu­ sement. L ’entrée des soldats rouges dans le grand port apparaît comme un événement considérable, en dépit des réserves que Louis Fischer exprime. Les bolcheviks sont impres­ sionnés par leurs propres succès auprès des troupes françaises, non seulement par les mutineries, mais par leurs positions politiques, leurs liens avec la clandestinité russe, l’organisation de leur propre réseau. Des noms, inconnus aujourd’hui, symbolisent ce travail commun : Georges Laysse, marin français, membre du soviet de Sébastopol, Fer­ dinand Leuze, radio du Jean-Bart, qui assure l’information des équipages des navires ancrés dans ce port23. Les soldats coloniaux tiennent leur place. On relève qu’un matelot vietnamien, Ton Duc Thang, a hissé le drapeau rouge sur le Jean-Bart, ce qui lui vaut d’être envoyé au bagne de Poulo-Condore. Nous reparlerons de lui.

L es

c iv il s bo u g en t a u s si

Sous couleur de représentation de la Croix-Rouge, une mission bolchevique est envoyée en France : elle comprend Inessa Armand, Manouilsky et Jan Davtian et y reste de février à avril. A son retour, elle déclare que les gouvernants français ont avant tout peur que leur pays soit « contaminé par le bolchevisme ». Les voyageurs ont été particulièrement impressionnés par la manifestation parisienne contre l’acquittement de l’assassin de Jau­ rès, en mars, et par le spectacle du buste du tribun recouvert des décorations que s’arrachent les anciens combattants, tandis que le grand écrivain Anatole France salue les manifestants au cri de « Vive l’Internationale révolutionnaire ! » De janvier à avril, les grèves se succèdent : cheminots, mineurs de fer de Lorraine, travailleurs de îa confection à Paris. La pression de la base est telle que les dirigeants réformistes de la CGT doivent mettre, à côté de l’augmentation des salaires et de la journée de huit heures, pour le 1er mai, les mots d’ordre de démobilisation, d’amnistie et de condamnation de l’intervention en Russie. En avril, le syndicaliste révolutionnaire Raymond Péricat fonde une secte qu’il baptise Parti communiste. Mais le 1er mai, avec les 500 000 manifestants de Paris, est impressionnant. Des soldats manifestent. Il y a des heurts et un mort. Les grèves, îes mutineries, les manifestations décident les militants regroupés contre la guerre à franchir un pas décisif vers l’organisation des révolutionnaires. De façon significative, le Comité pour la reprise des relations internationales décide le 8 mai de se transformer en Comité de la IIIeInternationale. A sa tête, Femand Loriot, Alfred Rosmer, Pierre Monatte, Marcel Martinet, le vieux noyau de La Vie ouvrière, mais aussi des militants socialistes plus jeunes, comme le journaliste Boris Souvarine. A la démobilisa­ tion, en juillet, le comité compte une centaine de membres. Toujours en mai se crée à 21. Ibidem, p. 266-295. 22. Ibidem, p. 235-263. 23. Ibidem.

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Paris le groupe Clarté qui veut constituer une Internationale des écrivains et artistes. Henri Barbusse, F écrivain pacifiste, l’anime avec Souvarine, toujours lui, et le jeune Raymond Lefebvre, l’un des animateurs de l’Association républicaine des anciens combattants, fondée en novembre 1917 et qui est en train de devenir un foyer révolution­ naire. En juin, le congrès national des Jeunesses socialistes se prononce pour la IIIeInter­ nationale, apportant à la cause du communisme des milliers de jeunes ardents. Les mutineries de la mer Noire ont un prolongement sur le sol français. Le 6 juin, le quartier-maître Boucher, après la manifestation des hommes du Provence, dit à l’amiral Lacaze que les marins refusent qu’on touche un seul cheveu de leurs camarades qui ont défendu la révolution en Russie. Une délégation de l’équipage se rend à la Bourse du travail pour demander l’appui des syndicats. Le 12, les marins manifestent dans la rue, soutenus par des soldats du 112eRI et du 143ed’artillerie coloniale. Le 28 juin, c’est une vraie bataille de rue autour de la prison maritime de Toulon, d’où des milliers de marins veulent libérer leurs camarades. Le bilan de la répression est lourd. 28 soldats et 102 marins ont été condamnés à un total de six siècles de prison24. Aux yeux des communistes, ce sont les prémices de la nouvelle révolution française. L ’annulation en France par la direction de la CGT de la grève internationale du 21 juillet contre l’intervention en Russie et en Hongrie est certes un coup porté au mouvement qu’elle aurait pu centraliser et lancer en avant. Mais elle est aussi un facteur de clarification et de reclassement des militants : Raymond Lefebvre adhère au Comité de la IIIe Internationale, alors que la scission à l’Association républicaine des anciens combattants laisse la voie libre aux hommes comme lui pour rassembler autour des communistes les ennemis irréductibles de la guerre, de retour du front. L ’Espagne n’est pas en reste. Le début de l’année a été marqué en Catalogne par un combat ouvrier qui va rester dans toutes les mémoires, une grève victorieuse de quarantequatre jours. L ’objectif en a été déterminé avec soin : c’est le tout neuf Sindicato Unico des travailleurs de l’eau, du gaz et de l’électricité de la CRT (CNT de Catalogne) qui s’en prend à la Ebro Power & Irrigation, couramment appelée La Canadiense, qui fournit l’électricité à tout le complexe industriel de Barcelone. La grève est dirigée par un très grand meneur d’hommes et organisateur, formidable orateur, Salvador Seguf, «■El Noy de Sucre ». Joaquin Maurîn l’a vu et, presque un demi-siècle plus tard, il est encore sous le choc, transporté, comme alors, par cet orateur extraordinaire qui est aussi un organisateur hors pair, « grand, athlétique, aux traits énergiques qu’adoucissait une aura de noblesse et de bonté quand il souriait25». La grève résiste victorieusement à l’appel sous les drapeaux des grévistes de vingt-trois à trente et un ans, à plus de 45 000 arrestations, et se termine par un succès sans précédent, les termes de l’accord final étant approuvés par 25 000 travailleurs réunis sur la Plaza de Toros de las Arenas à Barcelone. Dans la CNT, le courant de sympathie pour îa révolution russe est puissant, et F adhésion à la Comintern rassemble bien des sympathies. On observe cependant que les syndicalistes, partisans de l’organisation, sont parfois moins enthousiastes que les anarchistes, pour qui la leçon de la révolution en Russie se réduit au fait qu’elle est « au bout du fusil ». Un Seguf met les ouvriers en garde contre les actions minoritaires ou prématurées, plaide pour l’organisation et la préparation méthodique, comme un bolchevik ordinaire, bien qu’il soit sceptique sur les résultats économiques de la révolution et convaincu de la nécessité d’un contrôle à confier aux syndicats. A Madrid, lors du congrès de la CNT, du 24. A. Marty, op. cit., p. 45i-485. 25. i, Maurîn, « Les Hommes et l’Histoire », Espaiïa Libre, New York, 19 février I960, sur lequel l’attention de l’auteur a été obligeamment attirée par Éveiyne Riottot, auteur d’une thèse sur Maurîn.

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10 au 18 décembre 1919, 437 délégués représentent 714 000 syndiqués. Des hommes prestigieux comme Eusebio Carbô, Salvador Segui, Angel Pestana, mais aussi des mili­ tants peu connus comme Hilario Arlandis, Jesüs Ibanez, Andrés Nio, penchent pour l’adhésion à la Comintern. Le congrès décide une « adhésion provisoire » et l’envoi d’une délégation de la ONT à Moscou pour étudier la question de l’adhésion. Au congrès du PSOE, toujours à Madrid, du 10 au 15 décembre, les ierceristas derrière Daniel Anguiano, réputé pour sa droiture, ancien secrétaire du fondateur du parti, Pablo Iglesias, se voient opposer une adhésion conditionnelle retardée. Chez les étudiants et les jeunes socialistes -15 000 membres environ - se dessine un fort courant pour l’adhésion, avec l’Asturien José Loredo Aparicio, les Madrilènes Juan Andrade et Gabriel Ledn Trilia, le Valencien Luis Portela, tous hommes de valeur. Il semble que l’arrivée et les rencontres dejanvier 1920 avec le Russe Borodine qui vient du Mexique et son compagnon Ramirez - un des multiples pseudonymes d’un Américain de vingt-cinq ans, Richard Francis Phillips, un des fondateurs du PC mexicain - aient joué un rôle important dans leur orientation ultérieure. Non seulement l’Espagne n’est pas en retard, mais elle semble être bien engagée dans la voie commune aux autres pays d’Europe. La situation est bien différente en Italie26. Ici il n’est pas question d’arracher une adhésion à la Comintem. Le PSI, un des plus grands partis socialistes du monde, a déjà donné son adhésion le 18 mars 1919 et va la confirmer au congrès de Bologne en octobre. En son nom, Oddino Morgan, son « ministre des Affaires étrangères », a annoncé son arrivée à Moscou dans une lettre à Lénine, assurant qu’il venait « exprimer au bolchevisme là solidarité sans réserve, enthousiaste et reconnaissante, du parti et du prolétariat italien conscient27». La situation italienne relève plus de celle des pays vaincus que des vain­ queurs, dont elle est en théorie. L ’inflation, la chute de la production, les grèves et manifestations incessantes la caractérisent. Le PSI, à l’image de son dirigeant Serrati, ne croit pas que les révolutionnaires puissent « faire l’histoire » : la révolution viendra d’ellemême28. Le parti, qui est plus porté sur les discussions idéologiques abstraites que sur les mots d’ordre d’agitation plus concrets, peut et doit l’aider en développant sa propa­ gande. Son XVIecongrès, à Bologne, en octobre 1919, confirme l’adhésion à la IIIeInterna­ tionale et, par 65 % des voix, la motion « maximaliste » des amis de Serrati en faveur d’un « régime transitoire de dictature de tout le prolétariat à travers les conseils d’ouvriers, de paysans et de soldats29». C’est Vladimir Dëgott, que nous avons plusieurs fois ren­ contré, qui représente la Comintem à ce congrès. Il a été terriblement impressionné par les inscriptions de « Vive Lénine, vive Trotsky » dans tous les quartiers ouvriers30. Lénine écrit à Serrati pour le féliciter de cette « éclatante victoire du communisme » et souligne enparticulier l’importance des résolutions sur le parlementarisme bourgeois et l’utilisation du Parlement comme une tribune pour les révolutionnaires. De toute évidence, il est très satisfait de constater que le risque d’une tentative prématurée de prise de pouvoir n’existe pas du côté de la direction du PSI. D souligne dans la même lettre : De lourdes tâches incombent au prolétariat italien en raison de la situation internationale de 26. Le guide est ici l’ouvrage de Paolo Spriano, Storia del Partito comumsta iialiano, vol. I. 27. P. Spriano, op. cit., p. 23. 28. Serrati, dans « En vue du congrès de Bologne », Comunismo, n° 1,1eroctobre 1919, écrit : « Nous, marxistes, nous interprétons l’histoire, nous ne la faisons pas. » 29. R. Paris, Histoire dufascisme en Italie, I, p. 174. 30. Nous n’avons pu mettre la main sur l’original russe de ses souvenirs V « slobodom » podpolie (En « liberté » dans l’illégalité), mais seulement sur un extrait de revue italienne publié sous forme de « tiré à part » où ne figurent ni le titre ni la date mais dont tout confirme qu'il s’agit d’extraits d’une traduction du travail de Dëgott

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montée

l’Italie. Ii se peut que l’Angleterre et la France, avec l’aide de la bourgeoisie italienne, s’efforcent de provoquer un soulèvement prématuré du prolétariat italien afin de l’écraser plus facilement. Mais cette provocation ne réussira pas. Le brillant travail des communistes italiens est le gage qu’ils réussiront avec le même succès à conquérir le prolétariat industriel et tout le prolétariat rural, plus la paysannerie : dès lors, la conjoncture internationale étant bien choisie, la victoire de la dictature du prolétariat en Italie sera bien solide. C’est ce que garantissent aussi les succès des communistes en France, en Angleterre et dans le monde entier3’.

Les liaisons se sont considérablement améliorées. A Milan, le Russe Lioubarsky, que nous avons déjà plusieurs fois rencontré, cette fois sous le nom de Carlo Niccolini, a beaucoup aidé à la mise sur pied de la revue Comunismo, qui se présente comme « revue de la HF Internationale ». H apporte en quelque sorte la caution de la IIIeInternationale à la direction maximaliste et rappelle volontiers la nécessité de l’unité - un problème aigu dans le parti italien puisqu’une minorité ouvertement réformiste y est restée autour de Filippo Turati. En réalité, cette unité est remise en question à gauche. Amadeo Bordiga, le Napolitain, avec son journal II Soviet et les jeunes militants de valeur qu’il a su regrouper autour de lui, se pose la question de îa scission. Us sont partis de r«abstentionnisme», né de «la nécessité de couper tout contact avec le système démocratique de l’actuelle période révolutionnaire». Mais cette attitude leur semble impliquer la scission qui permettrait de constituer « un parti purement communiste ». Polémiquant aussi bien avec la direction maximaliste qu’avec les jeunes théoriciens turinois des conseils ouvriers, Bordiga affirme nettement : « Le problème le plus impor­ tant est celui d’organiser un puissant parti de classe [communiste] qui prépare îa conquête insurrectionnelle du pouvoir [pour le prendre] des mains du gouvernement32. » Dans sa lettre à Moscou du 10 novembre 1919, il pose trois questions à la direction de la Comintern : l’attitude des communistes par rapport aux élections, la scission du PSI et enfin celle, tactique, de îa constitution de soviets dans un Etat bourgeois et de leurs limites. A Turin, qu’on appelle alors « la Petrograd italienne », paraît depuis le 1er mai une revue communiste, ÏOrdine nuovo, animée par de jeunes intellectuels déjà plus commu­ nistes que socialistes, qui ont été plongés dans toutes les actions et les débats du prolétariat turinois en ces années de lutte, de bouillonnement intellectuel et d’agitation. Leur objectif avec la revue a été de « traduire dans îa langue italienne historique les principaux postulats de la doctrine et de la tactique de l’Internationale communiste en 1919-1920 [...] ce que voulaient dire les mots d’ordre de conseils ouvriers et de contrôle de îa production, c’est-à-dire des organes de toute la masse des producteurs pour l’expropriation des expropriateurs, pour la substitution du prolétariat à la bourgeoisie dans le gouvernement de l’industrie et par conséquent de l’Etat33». Autour d’Antonio Gramsci, jeune intellectuel sarde de vingt-huit ans, d’autres jeunes gens, tous très brillants, Angeîo Tasca, vingt-sept ans, Umberto Terracini, vingt-quatre, Alfonso Leonetti, vingt-quatre, Palmiro Togliatti, vingt-six. Lénine a beaucoup de considération pour la revue, qu’il tient pour une vraie revue communiste. Un membre du PCR(b), Chaïm Heller, est à Turin depuis octobre 1919 et collabore au travail sous le nom de Chiarini. La Grande-Bretagne est en retard. Pourtant, il s’y développe de façon confuse et chaotique un mouvement communiste. Des éléments existent dans l’Independent Labour Party (ILP), pacifiste et souvent marqué par îa religion, dans le British Socialist Party 31. Lénine, Œuvres, t. XXX, p. 86-87, lettre datée du 28 octobre. 32. A. Bordiga, Il Soviet, 20 février 1920. 33. A. Gramsci, «Notre Programme», Online nuovo, n“ 34, î-15 avril 1924.

L ’ a geingrat

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(BSP) - qui va d’ailleurs demander son adhésion -, dans le Mouvement des comités ouvriers, né du réseau des shop-stewards, antiparlementarisle et partisan de P« action

directe», dans le Socialist Labour Party (SLP), surtout implanté en Écosse, dans la Socialist Workers Fédération de Sylvia Pankhurst, née d’une scission du mouvement féministe, et dans la South Wales Socialist Society. L ’année 1919 se passe en interminables discussions de fusion traversées par les polémiques sur le rôle du parlementarisme, sur celui des organisations « unionistes » à la place des syndicats comme en Allemagne, et par une âpre concurrence pour les faveurs du représentant secret de la Comintem, Fedor Rothstein, opérant sous le nom de John Bryan, venu pour hâter l’unification et qui dispose de fonds importants. Maclean, une fois de plus arrêté et condamné à une lourde peine de prison en 1918 ~ des dizaines de milliers de travailleurs scandent « Johnny, Johnny ! » -, a certes été libéré à la fin de l’année, mais il est malade, près de l’épuisement, chômeur et de plus en plus obnubilé par les problèmes nationaux de l’Écosse, dont certains lui représentent qu’ils ne peuvent être réglés que par un PC britannique et en aucun cas par un parti communiste écossais, ce qui est pourtant sa conviction. U n e to ur

de

B a bel

po lit iq u e

?

Ainsi, deux types d’organisations hésitent devant la nouvelle Internationale, y entrent ou envisagent d’y entrer. D’un côté, il y a des partis social-démocrates traditionnels, souvent partis de masse, avec de forts courants révolutionnaires surtout dans leur base ouvrière ou chez les anciens combattants dressés contre la guerre et ses grands massacres, mais aussi un réel attache­ ment aux formes d’action traditionnelles, un mode d’organisation axé sur les élections, une tactique structurée par l’action parlementaire. Tel est le cas du parti italien, qui a adhéré, nous l’avons vu, au lendemain de la naissance de la Comintem, avec ses lutteurs antiguerre mais aussi ses social-patriotes et ses réformistes comme Filipo Turati, qui les symbolise tous. De l’autre, des militants, parfois adhérents d’ailleurs à ces mêmes partis socialistes mais surtout très attachés à la pratique dite « unioniste » en Amérique, « syndicaliste révolutionnaire » ou « anarcho-syndicaliste » en Europe. Dans l’élan qui les entraîne au rejet total du parlementarisme, ils condamnent le principe même de l’« action politique », refusent de se prononcer pour un « parti ouvrier », célèbrent la supériorité absolue des syndicats d’industrie sur les syndicats de métier dans la lutte pour la transformation du monde. Du coup, les formations qui rejoignent l’Internationale communiste, bien entendu nées dans un contexte et placées dans le cours d’une histoire différente, présentent les types et nuances les plus divers sous une même étiquette « communiste » et tout en se consi­ dérant comme émules et disciples du Parti bolchevique, sous l’influence directe ou indi­ recte duquel elles se sont souvent constituées. Le 9 mars 1919, les militants venus de Russie avaient fondé l’organisation illégale Union communiste révolutionnaire yougoslave. Le Parti ouvrier socialiste (communiste) yougoslave (en fait serbe-croate-slovène-bosniaque) est né au congrès d’unification de Belgrade du 20 au 23 avril 1919 de la fusion de diverses formations socialistes de ces nationalités, après des contacts approfondis avec Kiev, où se trouve Milkic, membre du bureau du Sud. Il reçoit de l’argent après le voyage d’Ivic à Kharkov et un grand rapport préparatoire à la fusion ; à îa fin de l’année, il compte alors 50 000 membres, dont une forte minorité décidée à ne quitter ni le parti ni la IIeInternationale, et reste en partie dirigé par des « centristes ». Ses principaux dirigeants sont Filip Filipovic et Zivko Topalovié, secré­

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taire, Sima Markovié et Copié, qui vient de Russie. Le 1er mai, à la suite d’une grève de 200 000 travailleurs et de manifestations en Bosnie, la police arrête les dirigeants commu­ nistes de cette région. Cette répression entraîne des manifestations dont la répression, en juillet, provoque de graves émeutes, n y a plus de 1000 arrestations. Nombreux sont les militants communistesjugés dans les procès qui se déroulent alors devantle tribunal de N il Le parti communiste bulgare, lui, est né en mai 1919, de la transformation en parti communiste du parti social-démocrate tesnjak, traditionnellement aligné sur les bolcheviks, mais qui ne s’est rallié que tard au mot d’ordre de la nouvelle Internationale. Il compte alors un peu plus de 20 000 membres, recueillera 20 % des suffrages aux élections de 1920 mais se trouve sur des positions sectaires et pourtant aux prises avec une minorité qui l’est plus encore et réclame la condamnation par principe de toute action parlementaire. Le parti social-démocrate de gauche suédois de Hoglund et Strôm, avec ses 17 000adhé­ rents, rejoint 1TC le 14 juin 1919, un fait moins important sans doute que l’adhésion, le 8 avril 1919, du parti ouvrier norvégien du peintre en bâtiment Martin Tranmael, 30 000 membres, qui prétend cependant conserver son indépendance au sein de l’Inter­ nationale. Le comité exécutif du Parti socialiste suisse a préconisé le 12 juillet l’adhésion à la Comintem, et le congrès de Bâle l’a décidée le 17 août, mais le référendum de ratification a vu 8 722 voix se prononcer pour l’adhésion et 14 612 contre. Il n’y a pas de scission, bien qu’on s’y prépare activement des deux côtés. Le 22juin, le PC polonais a confirmé son adhésion. Il a déjà décidé de ne pas participer aux élections quand, au début de 1919, il refuse de se faire « enregistrer » conformément à la loi, passant dans l’illégalité pour le quart de siècle à venir. H compte alors environ 6 000 membres. En août le parti de Galicie orientale a demandé l’entrée dans îa Comintern. Il y a dans cette région une véritable insurrection paysanne dont le chef, Tomasz Dombal, va rejoindre le PC. Ses dirigeants, Brand, Domsky, Prôchnfak, sont loin d’avoir la notoriété de ceux qui sont restés en Russie et militent dans le parti de Lénine. En août 1919, une formation d’origine SR influencée par les nationalistes ukrainiens devient le PC ukrainien « borotbiste » et demande son adhésion à la Comintem : elle est plus populaire et plus ukrainienne que le PC officiel et compte dans ses rangs des hommes de qualité. En septembre adhèrent le petit Parti communiste d’Alsace-Lorraine, et la fédération ukrainienne du Parti socialiste américain. Les effectifs du PC autrichien s’effilochent au fil des semaines qui suivent la « Bettelheimerei ». De ses dirigeants, il a perdu Elfriede Friedlânder, tout à fait discréditée, partie en Allemagne, et Rothziegel, tué sur le front hongrois. Steinhardt a été arrêté par les Roumains au lendemain du congrès de Moscou, puis relâché. D’autres partis dits communistes ne sont que des sectes : le Parti socialiste ouvrier grec, qui atteint difficilement 2 000 membres, avec une tendance pro-Comintern que dirigent Ligdopoulos et Tzoulatis, les anciens dirigeants des Jeunesses socialistes, et la revue Kommounismou ; et aussi le PC suisse « vieux communiste », issu du groupe Forderung. On hésite à caractériser le PC mexicain34, formation socialo-anarchiste de moins de 1 000 membres, fondé par des militants mexicains et des émigrés américains qui ont fui la répression (les siackers), qui demande son adhésion à l’IC en septembre 1919. H comptait déjà dans ses rangs l’Indien M.N. Roy, qui le représentait au IIe congrès.

34. Sur les débuts du communisme au Mexique, voir les premiers chapitres d’Amoldo Martinez Verdugo, Historia del Partido comunista mexicano et celui de Paco Ignacio Talbo II, Bolshevikis Historia narrativa de los origenss deI Comumsmo en México 1919-1925.

L ’AGE INGRAT

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Début octobre, il reçoit, accompagné de l’étudiant de Détroit Rafaël Mallén, son « cor­ nac », Mikhaïl Markovitch Grusenberg, dit Borodine, collaborateur du secrétariat de la Comintern, qui trouve le moyen, en quelques semaines, de recruter un des jeunes généraux de la révolution, Francisco J. Mugica. Mais c’est le règne de la confusion que ce parti. C’est un cas dramatique que celui du Socialist Party of America35, avec sa scission, le 1er septembre 1919, au terme du congrès de Chicago, en deux partis hostiles, le Communist Party of America, appuyé sur les fédérations de langue slave du vieux Parti socialiste, et le Communist Labor Party, qui se veut un parti « américanisé », sous la houlette du journaliste John Reed, le talentueux auteur de Dix jours qui ébranlèrent le monde, conquis par le spectacle de la révolution en 1917, Ils n’ont que 40 000 membres à eux deux, et demandent tous les deux leur adhésion à l’Internationale communiste En même temps que les naissances par fusion commencent à apparaître les naissances par scission dans les rangs de l’Internationale et des partis communistes. Personne ne s’en inquiète en principe, car c’est évidemment compris dans la dialectique du dévelop­ pement des organisations. En revanche, dans le cours de ce même mois de septembre, à l’initiative du syndicaliste de Chicago John Fitzpatrick, héros de grandes grèves, se fonde le National Labor Party, fondé sur les puissants syndicats locaux, qui va fédérer des partis nés dans d’autres États36. Le 22 septembre 1919, à l’appel d’un comité d’organisation animé par William Z. Foster, un ami du noyau français de La Vie ouvrière, commence la grande grève de î’acier, entraînant 365 000 ouvriers dans une lutte de trois mois. Les chocs avec les « cosaques » de la police montée de Pennsylvanie feront 22 morts dans cette vraie guerre civile. Le patronat déchaîne contre les ouvriers qui s’organisent non seulement ses vigilantes traditionnels mais aussi ses policiers spécialisés : les raids Palmer - du nom de l’attomey général qui anime la répression ~ tentent, à partir de l’automne 1919, d'écraser toute vélléité de regroupement. Plusieurs réunions internationales se prononcent aussi pour la IIIe Internationale. Ainsi la conférence d’Imola, réunie à l’occasion du congrès du PSI le 10 octobre 1919, avec des socialistes français et suisses, un Slovène, un Autrichien et l’Anglaise Sylvia Pankhurst. Cette dernière est aussi, fin décembre, à la conférence de Francfort-sur-leMain où sont représentés les partis russe (Thomas), polonais (Bronski), roumain (Valeriu Marcu), allemand (Clara Zetkin), autrichien (Karl Frank), une initiative du secrétariat de Berlin37. Une des dernières batailles de classe de l’année 1919 se déroule en Bulgarie en décembre38. Une grève sauvage des cheminots trouve l’appui des communistes et des socialistes qui appellent à la grève générale le 28 décembre. Stambolisky mobilise tout ce qu’il peut pour briser cette grève et y parvient en alternant ordres de mobilisation et arrestations. Le mot d’ordre de grève est rapporté le 5 janvier. Les travailleurs des trans­ ports et les mineurs de Pemik continuent. Leur grève est terminée le 19 février. Stambo­ lisky annule toutes les sanctions et restitue au PC bulgare ses droits et la possibilité d’un fonctionnement normal. Mais ce n’est que le début d’un conflit long et tragique. L’ère des combats armés et des guerres civiles n’est pas près de prendre fin en Europe.

35. T. Draper, The Roots of American Communism. 36. N. Fine, Labor and Farmer Parties in the United States 1828-1928. 37. Voir les textes de cette conférence dans P. Broué, éd.. Du Premier au Deuxième Congrès de l'Internationale communiste, p. 281-305. 38. J.D. Beil, The Bulgarian Communist Party from Blagoev to Zhivkov, p. 27-29.

CHAPITRE VI

L ’épicentre allemand1

Dans sa prison de Moabit - désormais convenablement installé au point de pouvoir bientôt faire de sa cellule un « salon politique » - Radek médite sur îa révolution alle­ mande. Dans sa célèbre lettre au journaliste Alfons Paquet, le 11 mars 1919, il révèle ses sentiments face à la situation allemande. Il y exprime le sentiment qui le submerge « devant cette hémorragie interminable et sans objectif clair2». Pour lui, c’est faute d’un parti révolutionnaire - le KPD(S) ne l’était pas et ne pouvait l’être -, que la révolution allémande a subi cette défaite coûteuse. Il écrit : « La guerre civile sera beaucoup plus acharnée et destructrice en Allemagne qu’en Russie3.» A terme, iî garde confiance; « Dès qu’apparaîtra en Allemagne un gouvernement ouvrier énergique, les éléments de désorganisation seront rapidement surmontés, précisément à cause de ces traditions d’orga­ nisation qui aboutissent aujourd'hui à des résultats très différents4. » Au-delà des murs de sa prison, le parti qu’il a vu naître essaie de survivre dans des conditions terribles.

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KPD(S) a pr ès

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Les contacts avaient été coupés après le meurtre de Rosa Luxemburg et de Liebknecht à Berlin. Le KPD(S) est hors la loi. Pendant les mois qui suivent, les corps francs de Noske parcourent 1’Allemagne pour éteindre l’un après l’autre les foyers révolutionnaires où les conseils ouvriers ou les soldats et marins rouges gardent une bribe de pouvoir et surtout des armes. La légende, entretenue par quelques historiens, veut qu’il y ait eu dans le pays une série de putschs communistes. En réalité, nombre des entreprises ainsi qua­ lifiées n’étaient que des tentatives de résistance à une normalisation menaçante. Il ne faut pas oublier qu’on sort alors d’une guerre mondiale et que les gens qui se battent, des

1. Vîliustriene Geschichte der deutschen Révolution est évidemment la source documentaire principale du côté des communistes. Il faut ajouter les brochures comme celle de M,J. Braun (le Polonais Bronski), les Mémoires de Kapp et von Luttwitz, de Noske, de Severing, et, du point de vue de l’année, les ouvrages de Gordon et de WheelerBennett qui éclairent de l’intérieur le camp putschiste. 2. A. Paquet, Der Geist der msischen Révolution, p. XL 3. Ibidem, p. ix. 4. Ibidem, p. x.

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L ’épicen tre

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deux côtés, dans les rues des grandes villes allemandes, se sont battus pendant parfois cinq ans sur les divers fronts de la guerre mondiale. En janvier 1919, il y a eu des heurts armés un peu partout et du sang : à Dresde, à Stuttgart, où tous les dirigeants communistes sont arrêtés pour « complot », à Leipzig, à Duisbourg, à Hambourg, à Halle. Les éléments révolutionnaires prennent le pouvoir à Düsseldorf et à Brème, proclamée « république des conseils », qu’un corps franc reprend en quarante-huit heures, faisant une centaine de victimes. En février, c’est l’intervention sanglante dans la Ruhr, où les mineurs exigent la nationalisation des mines de charbon. Leur grève est brisée, avec des centaines de victimes. A la fin du mois, c’est la grève générale en Allemagne centrale, bien organisée et centralisée sous la direction d’un conseil ouvrier régional. Elle est brisée en une semaine par les troupes du général Maercker, aux méthodes aussi sommaires que brutales : le chef des marins rouges, Karl Meseberg, est tué « dans une tentative de fuite ». En mars, c’est îa grève générale à Berlin. Les violences se multiplient. Les chars d’assaut foncent dans la foule des manifestants à Spandau. Le Marstall est pris d’assaut. Le 8, à la suite de îa mort de 5 policiers, un journal annonce que 70 d’entre eux ont été massacrés dans l’immeuble de la police de Lichtenberg - ce qui est faux. Noske ordonne de fusiller sur place tout individu pris les armes à la main. Il y a quelque 3 000 victimes, et, dans la pure tradition des Versaillais français réprimant les Communards, l’exécution à la mitrailleuse de 28 marins prisonniers choisis « pour leur air intelligent ». Le 10 mars, Léo Jogiches, arrêté, est abattu pour « tentative de fuite ». Le 19 mai, les Corps francs prennent Etsenach et capturent Heinrich Dorrenbach ; il subit le même sort que Jogiches des mains du même “maton” , au même endroit et sous le même prétexte, avec la même impunité. Nous avons vu plus haut le sort de l’éphémère république des conseils en Bavière. Il n’y a pratiquement plus de Parti communiste allemand, seulement des militants et détachements épars qui se battent avec l’énergie du désespoir, sans contact avec une direction qui n’existe plus, et qui y perdent la vie. Paul Levi va bientôt tirer un bilan, au nom de ce qui reste de son parti, après et à travers la répression : « C’était une erreur de croire que quelques troupes d’assaut du prolétariat pouvaient remplir la mission historique qui est celle du prolétariat ; Berlin et Leipzig, Halle et Erfurt, Brème et Munich ont traduit dans les faits ce putschisme et démontré que seul l’ensemble de la classe prolétarienne de la ville et de la campagne peut s’emparer du pouvoir politique5. » A-t-il existé une centrale entre janvier et mars, quand Léo Jogiches a été abattu ? On peut en douter. En tout cas, aucune proposition publique n’a émané d’elle pour la défense, par exemple, de îa république des conseils de Bavière. H semble bien que l’ancien compagnon de Rosa ait consacré pendant ces mois son temps et son énergie à la tâche essentielle qui était de faire îa vérité sur le double meurtre. II a réalisé cet objectif et en est sans doute mort La centrale, en tout cas, est reconstituée au cours du mois de mars, et son nouveau dirigeant est incontestablement Paul Levi. Pa u l L e v i

L’homme appartient à la plus jeune génération des spartakistes. Il est venu tard aux responsabilités, en fait après sa liaison avec Rosa, qu’il connut parce qu’il fut son avocat. Il serévèle bonjournaliste et excellent orateur. Grand bourgeois d’origine, ayant beaucoup d’argent et des goûts de luxe, collectionneur de jades, amateur de jolies femmes, plutôt 5. P. Levi, « Épuration », Die Internationale., n0515-16,1er novembre 1919, p. 283.

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hautain, il n’est pas très populaire, respecté cependant dans le parti pour le courage et les qualités d’organisateur qu’il manifeste dans cette période où les Corps francs lui rendent involontairement hommage en mettant sa tête à prix pour 200 000 marks. Pour les Russes, il est loin d’être un inconnu. Il a été très lié à Radek. Il connaît bien Lénine et Zinoviev, qui l’appellent par son pseudonyme, Paul Hartstein. Lénine dira qu’il était déjà pendant la guerre un bolchevik, compliment rare dans sa bouche à l’adresse d’un étranger6. Levi a d’ailleurs combattu les positions de Rosa Luxemburg contre îa scission d’avec le parti indépendant, s’est prononcé très tôt, avec Radek et les IKD, pour la rupture avec Î’USPD et îa fondation d’un parti communiste en Ailemagne. Depuis îa fondation du KPD(S), il a été à contre-courant de sa majorité gauchisante, prônant la participation aux élections et présentant au congrès un rapport en ce sens qui a été rejeté. H a été très hostile à l’occupation des entreprises de presse, qui lui paraît une provocation, et n’a pas caché ses critiques à l’égard de celle du Vorwarts. En liaison avec Radek, pendant que ce dernier se cache, il mène îa lutte pour que le parti désavoue Liebknecht et ses initiatives en dehors du parti, pour que la centrale tente de reprendre en main les militants et appelle les travailleurs berlinois à battre en retraite. Arrêté peu après ses camarades, libéré grâce à sa qualité d’avocat et à l’ignorance de ceux qui le détiennent, il enquête aussi sur l’assassinat de Rosa et parvient à trouver témoignages et documents décisifs, son enquête complétant celle de Léo Jogiches. Le 27 mars 1919, il écrit à Lénine et lui dit que, devant la plus sauvage des terreurs blanches à Berlin, il a fallu replier la direction et le journal sur Leipzig7. L e v i d ev a n t

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Il dépeint îa situation allemande, les efforts qu’iî faut faire pour retenir les camarades, parmi lesquels il y a, insiste-t-il, beaucoup de « syndicalistes », empêcherqu’ils ne donnent au gouvernement l’occasion d’une « nouvelle saignée », les retenir de « commettre des folies ». H indique d’ailleurs que les mêmes éléments tentent de réaliser des « coups d’État dans le parti lui-même ». Après une conférence d’organisation début avril, qui restructure en 22 districts, sous un secrétaire, les quelque 100000 membres du KPD, Pauï Levi reprend contact avec Radek incarcéré. Les deux hommes ont des analyses souvent très proches et des divergences sur lesquelles nous reviendrons. En revanche, îors de la confé­ rence du KPD(S) qui se tient les 16 et 17 août à Francfort-sur-le-Main, Levi doit affronter les assauts d’une tendance gauchiste, dont le porte-parole, dénonciateur des « bonzes du parti », est W ilîy Münzenberg : elle exige de îa conférence une condamnation définitive du parlementarisme, c’est-à-dire de toute participation aux élections. C’est probablement à ce moment que Paul Levi, qui croit la révolution totalement épuisée, et que Radek a par ailleurs convaincu de ne pas tout abandonner, comme il le souhaitait, décide de recourir à des moyens extrêmes pour assurer le redressement du parti. La discussion qui s’engage dans le KPD, après l’expérience vécue, l’a convaincu en effet que les tenants des deux positions qui s’affrontent n’ont pas îeur place dans le mêmeparti. L ’ampleur de la lutte pour îa révolution mondiale implique tactique et stratégie à long terme. H faudra beaucoup de temps dans un pays comme l’Allemagne pour que change radicalement la conscience des masses aujourd’hui abusées. Dans ces conditions, un PC se heurte à deux déviations dangereuses, le « syndicalisme » dans le domaine économique, le « gauchisme » en politique. Les masses ne dirigent pas leurs propres combats. H leur faut un parti qui soit leur mémoire, îeur expérience, leur 6. Lénine, Œuvres, t. X X X II, p. 549. 7. Archives Paul Levi, Bonn, p. 55/4.

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lieu de discussion, mais aussi leur direction dans le combat. Or la situation allemande est caractérisée par l’existence de syndicats de masses et de deux partis social-démocrates qui organisent l’écrasante majorité des travailleurs. Pour la victoire de la révolution, il faut conquérir la majorité de ces derniers. Ne pas le comprendre c’est, dit-il, faire preuve d’un « sectarisme communiste infantile ». II ne faut pas prendre îa fin pour le commen­ cement, ni se contenter d’attendre le grand chambardement, ou de proclamer à tout moment la « trahison » des autres. Il faut convaincre et organiser. Et il est clair que Levi, comme Radek et le groupe de Chemnitz, avec Brandler, le plus nombreux du pays, est persuadé que la première tâche des communistes allemands est de gagner au communisme les ouvriers qui suivent l’USPD. De leur côté, les éléments « gauchistes », avec l’affaissement de l’élan des masses, se dispersent à la recherche de nouvelles recettes. En gros, cependant, ils continuent à opposer « les masses » aux « chefs » - les « bonzes » ~, la « spontanéité » et « l’initiative de la base » à îa « bureaucratie ». Certains préconisent une nouvelle forme d’organisation, p« union », cumulant les fonctions économiques et politiques, celles du syndicat et celles du parti. Levi pense qu’il ne s’agit là que d’un effroyable « retour en amère, vers l’aube du mouvement ouvrier », un reflet de la terrible défaite subie. Dissensio ns entre L ev i et R adek C’est à partir du mois d’août que Paul Levi et Karl Radek ont eu, dans la cellule de prison de ce dernier, des discussions de fond. Leur accord est fondamental sur la question de îa prise du pouvoir, qui ne peut être effectuée que sur la base de l’accord de la majorité de la classe ouvrière. Ils sont en gros d’accord aussi sur la nécessité de débarrasser le parti des malheureux réflexes « putschistes » qui lui ont coûté et lui coûtent encore si cher. Radek dira - mais bien plus tard - qu’il a été d’accord avec les thèses de Paul Levi pour le IIe congrès en dépit de « quelques formulations opportunistes ». Reste qu’ils ne sont pas toujours d’accord sur ce qu’il faut ou non considérer comme un putsch, et que leurs discussions sur la république des conseils de Hongrie et sur celle de Bavière débou­ chent sur des constats de désaccord qu’ils exprimeront dans des articles publiés quelques mois plus tard dans la revue de l’Internationale ou dans celle du parti. Sur la république des conseils hongroise, Paul Levi s’était déjà expliqué, alors que Radek était encore en cellule. Dans un article paru dans le Freiheit de Hanau le 24 mars, il faisait une comparaison explicite entre le soulèvement manqué de janvier à Berlin, où les masses étaient dans la rue, et l’arrivée au pouvoir des communistes à Budapest, écrivant : La nouvelle révolution hongroise, qui a remplacé la démocratie bourgeoise par le gouvernement des conseils, n’est pas le prix immédiat d’une bataille que le prolétariat hongrois aurait victo­ rieusement livrée à la bourgeoisie et aux hobereaux hongrois. Elle ne résulte pas d’un corps à corps entre le prolétariat et la bourgeoisie où cette dernière aurait été renversée. Elle est la simple conséquence de ce que 1a bourgeoisie hongroise a - il n’y a pas d’autre mot - crevé [...J. Tout ce qui reste, c’est le prolétariat8. Il dresse ensuite un véritable réquisitoire contre l’union avec les socialistes réalisée par les communistes de Kun : Au début de notre révolution, il y avait aussi « l’union de tous les socialistes ». Les canailles qui ont trahi le prolétariat hongrois, comme Ebert et Scheidemann ont trahi le prolétariat allemand, s’enthousiasment maintenant pour la république des conseils et la dictature du prolétariat. C’est 8.Cité par P. Levi dans « Les Leçons de la révolution hongroise », Die Internationale, n° 24,24 juin 1920, p. 32.

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un danger qui menace dès aujourd’hui ia révolution hongroise et nous devons le dénoncer, dans l’intérêt de nos frères hongrois comme dans celui du mouvement allemand9.

H ajoute que tout ce qui s’est passé était parfaitement prévisible, mais aussi que Ton ne doit absolument pas s’engager dans une voie où l’on est certain de ne pouvoir gagner. C’est pourtant ce qu’ont fait les communistes hongrois, après s’être liés les mains par ralliance avec les social-démocrates. Bien entendu, il condamne avec sévérité la Bettelheimerei comme un véritable putsch. En ce qui concerne l’action des communistes en Bavière en faveur de la république des conseils, il est sans doute plus sévère encore. Selon lui, les communistes ont en effet commis en Bavière une double erreur. La première est d’avoir sans raison apparente, surtout sans explication, abandonné îeur hostilité ironique à l’égard d’une république des conseils, dont iis savaient et disaient îa veille encore qu’elle n’avait aucune base, et de s’être lancés à la défense « de cette caricature de république des conseils ». La deuxième est qu’ils ont accepté que cette action défensive se transforme sans aucune raison solide en action offensive, en appelant à établir à Munich la dictature des conseils, sans se soucier de ce qui se passait dans le reste de l’Allemagne. Son jugement tient en une formule sévère : « Une “République des conseils” indépendantemajoritaro-anarchiste étabîie sans base suffisante dans les masses, remplacée par une république des conseils communiste qui commet exactement îa même faute, cela s’appelle mettre un zéro à la place d’un autre zéroi0. » Aussi féroce que lui à l’égard de la Bettelheimerei, critique sévère de la fusion des partis communiste et social-démocrate en Hongrie, Radek ne suit pas Levi sur le terrain de la critique de l’action. Pour lui, Béla Kun comme Léviné ont eu raison de se lancer au combat dans îa mesure où une fraction du prolétariat attendait d’eux le salut, dans la mesure aussi où îa Hongrie et îa Bavière n’étaient pas le champ de bataille de la révolution prolétarienne mais des avant-postes de celle-ci, des combats avancés de îa révolution européenne. Dans un texte public ultérieur, il va saluer ces deux dirigeants vaincus comme de véritables combattants, de vrais révolutionnaires prolétariens : « Béîa Kun, dans î’histoire de la révolution, de même que Léviné, ne sera pas un aventurier révolutionnaire, mais un dirigeant révolutionnaire tel que Marx îe comprenaitn. » B ironise lourdement - vise-t-il Paul Levi ? - à propos de ceux qui ne sont prêts à se lancer dans la bataille que si la victoire leur est garantie par un acte notarié. Nous savons aussi par Radek que les deux hommes ont pris acte de deux autres désaccords entre eux à ce moment. Radek était de plus en plus persuadé de l’importance du travail à l’intérieur des syndicats, « question de vie ou de mort », et voulait une vraie bataille pour y implanter tous les membres du KPD(S). Paul Levi, lui, refuse de la mener car il n’en a pas îa force et se contentera d’appeler les communistes à ne pas les quitter. Une escarmouche significative mais qui jaillit, elle aussi, de leurs discussions serrées, se produit en écho à la politique de répression des bolcheviks dans le cadre du commu­ nisme de guerre et à la répulsion qu’elle inspire à Paul Levi, bon disciple de Rosa Luxemburg. Radek ayant dit que les révolutionnaires devaient savoir ériger des potences, Levi lui répond par une démonstration en forme de gifle dans son style impeccable : Élever l’érecdon de potences à îa hauteur d’une méthode pour unifier et souder le prolétariat au moment de la constitution du pouvoir des conseils, procéder à l’organisation et à îa consoli­ dation du prolétariat, non pas sur îa base de « îa volonté claire et sans équivoque de îa grande majorité du prolétariat », de son « accord conscient avec les idées, les buts et les méthodes de 9. Ibidem, p. 33. 10. « Le revers de la médaille », Die Internationale, nos 9-10,4 août 1919, p. 10-11. 11. K. Radek, Soll die VKPD, p. 102.

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lutte » du communisme, mais sur la base d’exécutions capitales et de pendaisons, me paraît - je ne veux pas être trop dur - une méthode très malheureusei2.

Et il retourne contre Radek l’expérience russe : A ma connaissance, la république russe des conseils n’a pas placé la potence dans son emblème entre la faucille et le marteau ; je crois que cette omission n’est pas l’effet du hasard ni d’une simple pudeur, mais qu’elle provient de ce que la république russe des conseils est construite, elle aussi, sur d’autres bases que celles que recommande le camarade Radek pour la Hongrie. Le lien qui fait la cohésion du prolétariat en tant que classe n’est sans doute pas une guirlande de roses, mais ce n’est pas en tout cas îa corde d’un gibetl3.

Du même point de vue, le choix des journées de juillet 1917 à Petrograd comme exemple des circonstances où les communistes russes ne se sont pas battus quand les masses - les ouvriers de Petrograd comme les ouvriers munichois - le voulaient, et ont au contraire appelé à battre en retraite, renforce sa position. Il écrit avec l’aisance d’un vainqueur moral mais sans gloriole : « Depuis les journées de lutte armée à Berlin, en janvier et en mars 1919, depuis la fin de Munich et celle de la Hongrie, ma foi dans les vertus miraculeuses de la défaite est ébranlée. Je ne crois pas que l’on ait raison de passer aussi légèrement que le fait Radek sur des défaites aussi lourdes que la révolution hon­ groise... 14». Et c’est en militant, en dirigeant responsable, nous semble-t-il, qu’il ajoute cette remarque qui porte la marque de son temps : J ’ai peur que, les choses étant ce qu’elles sont, la situation en Hongrie ne permette pas avant longtemps au prolétariat de ce pays de déployer « cette volonté renforcée et approfondie » dont parle Radek. Je ressens la Hongrie, de même que Munich, comme à porter au passif, pas à l’actif de la révolution mondiale, et ne puis me persuader que c’est agir en direction communiste que de conduire des actions comme s’il était indifférent que leurs résultats soient à porter à l’actif ou au passif. Et je suis moins disposé encore à dire qu’il faut provoquer une défaite si on ne peut provoquer de victoire, sous prétexte que la défaite aussi a du bon,5.

Points de rencontre, désaccords ? Un autre point de rencontre en tout cas apparaît solide en cet été de 1919 entre Karl Radek et Paul Levi : les deux hommes ont compris ie rôle décisif pour la construction d’un parti révolutionnaire en Allemagne des ouvriers qui suivent le parti indépendant, l’USPD. La

g a u c h e d u pa r t i in d épen d a n t

Les résultats des élections à la Constituante du 19 janvier 1919 avaient montré des développements et un reclassement extrêmement intéressant dans l’électorat des partis ouvriers. Us indiquaient d’abord une forte poussée à gauche : les deux partis socialdémocrates ensemble, majoritaires et indépendants, obtenaient 46 % des voix, alors que les dernières élections, celles de 1912, avaient donné 34,8 % au Parti social-démocrate alors uni. Mais le plus important est la composition de ce vote. Dans les zones non industrialisées, le Parti social-démocrate majoritaire fait un bond en avant. Au contraire, dans les régions de forte concentration ouvrière, il subit de lourdes pertes et se retrouve surclassé par le succès des indépendants. Ces partis à eux deux ont dans plusieurs régions ouvrières la majorité absolue mais souvent le Parti indépendant la frôle à lui tout seul. Il y a donc eu un véritable transfert dans l’électorat ouvrier. Les travailleurs industriels sont 12. P. Levi, « Die Lehren », op. cit., n. 6, p. 37. 13. Ibidem. 14. Ibidem, p. 40. 15. Ibidem.

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passés aux indépendants et sont remplacés, et parfois au-delà, par des couches non poli­ tisées d’ouvriers ou par les employés. Le Parti indépendant est passé au cours de l’année 1919 de 300 000 à 750 000 membres, dépassant de très loin l’influence qu’il avait eue au moment de îa révolution. Il a des bastions, 100 000 dans le district de Berlin-Brandebourg, dont 45 000 à Berlin même, 75 000 dans celui de Halle, 62 500 dans îa Ruhr, 45 000 à Hambourg et Leipzig, etc. Ce parti ouvrier est un parti national, un parti de masses, avec un appareil. Dans le cours de la révolution il a été dans plusieurs régions une minorité dirigeante, l’animateur des conseils et des organes locaux et régionaux de pouvoir. Il a une large influence, avec en 1919, 46 quotidiens, plusieurs hebdomadaires spécialisés, un service de presse très pro­ fessionnel. Le phénomène essentiel est qu’au cours de l’année 1919 une aile gauche s’y dessine, dont l’objectif est l’adhésion à l’Internationale communiste. Il est facile de comprendre que le KPD(S) ne pouvait exercer et n’exerça aucune attraction sur îa gauche de l’USPD, à côté duquel il était ridiculement petit et qui ne le prenait pas au sérieux : 100 000 face à 750 000 travailleurs. Mais il en allait tout autrement avec la Comintern. D’abord parce que celle-ci bénéficiait évidemment du prestige de îa révolution d’Octobre, de l’attrait qu’elle exerçait dans de nombreux pays sur les partis socialistes ou sur les partis socialistes de gauche. Du coup, le rôle de la Comintern se fit décisif dans î’orientation de plusieurs centaines de milliers de travailleurs, dans un pays qui restait, malgré sa défaite, l’un des plus avancés du monde. Les masses et leurs dirigeants, après la révolution et la contrerévolution des corps francs, ne pouvaient envisager l’adhésion à une Internationale dans laquelle se trouvaient les hommes du parti de Noske. Ils se tournaient donc vers Moscou sur le plan international, comme, au même moment, en Allemagne, ils se tournaient vers des luttes de classes organisées. Malgré toutes les hésitations et les contradictions de sa direction, l’USPD avait effectué des avancées considérables, notamment dans les syndicats. Au Xe congrès national des syndicats de 1919, c’étaient deux indépendants, tous deux métallos, Robert Dissmann et Richard Müîler, qui avaientjeté les bases d’une opposition « lutte de classes » à la direction ultraréformiste et au solide appareil de Cari Legien, et obtenu 181 voix contre 420 à la fin du débat d’orientation. Tout le groupe des anciens Délégués révolutionnaires de Berlin, derrière Richard Müller, appartenait à la nouvelle équipe dirigeante du syndicat des métaux qui, à Berlin, était le noyau d’une nouvelle majorité du cartel des syndicats de îa capitale, derrière les anciens Délégués Oskar Rusch et Otto Tost. Le syndicat des métiers de l’imprimerie était l’un des bastions de l’opposition, et son organe devient, à partir du 1er septembre 1919, celui de î’ensembîe de l’opposition de gauche dans les syndicats. Toutes ces positions étaient d’autant plus solides qu’il n’y avait personne pour les contester sur leur gauche, les communistes ayant, on le sait, la plupart du temps abandonné les syndicats. Mais il a fallu du temps pour que se cristallise, en dehors de Berlin, une opposition de gauche dans le parti indépendant. Au IIecongrès, une minorité de gauche, se retrouve autour d’un projet institutionnel bien schématique et idéaliste de conseils ouvriers, élaboré par Daümig. C’est au cours de l’été que les premiers contacts sont pris entre Paul Levi, d’une part, en tant que représentant, non du KPD(S) mais de la Comintern, et, de l’autre, les membres d’une « nouvelle vague » d’indépendants, particulièrement Walter Stoecker et Curt Geyer. Radek surveille de près ces contacts, dont Paul Levi lui rend compte. Dans îa brochure qu’il écrit en prison en 1919, Karl Radek a été l’un des premiers à poser, comme Pauî Levi, le problème de îa conquête par le communisme des ouvriers du parti indépendant. Il explique qu’il ne s’agit pas de les pousser à rompre avec leurs dirigeants mais de les aider

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à chasser les éléments droitiers et centristes des postes de responsabilité, pour constituer, à côté du KPD(S), une autre « armée du prolétariat ». Sa brochure se termine par un appel non seulement à renforcer l’Internationale communiste et à défendre la révolution russe, mais à « rassembler toutes les tendances révolutionnaires de la vieille Internationale ». Des troupes fraîches se rapprochent de l’Internationale : ce ne sont plus seulement les Délégués révolutionnaires, mais des hommes, des cadres ouvriers dont le rôle a été important dans la guerre et îa révolution : les frères Bemhard et Wilhelm Koenen, Anton Grylewicz, Bemhard Düwell, Paul Bôttcher, Hermann Remmele. Des organisations régio­ nales et locales, donc des journaux, deviennent des propagandistes pour l’adhésion « à Moscou », comme on dit, le Hamburger Volkszeiiung dirigé par Wilhelm Herzog, le Gothaer Volksblaît pour ne parler que des premiers. A la conférence d’Iéna, Walter Stoecker, au nom de la gauche, pose le problème de l’adhésion à la Comintem en ellemême, et celui de la défense de F URSS. Au congrès de Leipzig, le programme du parti est remanié dans un sens qui convient à îa gauche et aux Russes. La dictature du prolétariat se définit par le pouvoir des conseils ouvriers, Faction parlementaire est subordonnée à l’action de masses. Mais le congrès préfère à la motion Stoecker d’adhésion à la IIIeune résolution préconisant l’union dans une Internationale de toutes les formations socialistes révolutionnaires ; ce n’est qu’en cas d’échec que l’USPD entrerait dans la IIIeInternationale. Radek salue dans le congrès « une victoire des masses ouvrières indépendantes sur leurs dirigeants opportunistes ». Pour lui, la tactique des communistes dans la construction de la Comintem doit désormais s’appuyer sur le fait que les masses du parti indépendant sont communistes et qu’il existe à la tête du parti une aile gauche qui veut réellement s’engager dans la voie révolutionnaire. Les commentaires de Lénine sont plutôt féroces. Il reste cependant à régler la question du KPD(S), à lui faire surmonter sa crise, à en faire un parti d’action dirigé vers la formation d’un parti de masse et vers la conquête des ouvriers indépendants. Ce n’est pas l’affaire de Radek, mais celle, exclusive, de Paul Levi. La sc issio n

v o u lu e d u

KPD(S)

La conférence d’août a convaincu Levi qu’il ne l’emportera pas dans son parti en gagnant la majorité, et que le nombre de ses partisans à lui ne peut au contraire que s’amenuiser s’il demeure le champ d’action des gauchistes. Désormais certain qu’il ne peut obtenir des militants la discipline nécessaire, alors qu’il faut absolument revenir sur les décisions erronées du congrès de fondation, Paul Levi prépare donc le IIecongrès du parti dans la perspective d’y exclure, si c’est possible et nécessaire, la majorité même. Il modifie le mode de représentation, qui se faisait au détriment des groupes les plus nom­ breux, comme Chemnitz, qui le soutient, dissout aussi le repaire des éléments les plus remuants des gauchistes, la Ligue des soldats rouges. Au congrès de Heidelberg, du 10 au Î4 octobre 1919, auquel les délégués ont été élus avant que les membres du parti connaissent les thèses proposées, il attaque par un rapport politique mettant l’accent sur la question du rôle du parti communiste, qui divise les « gauchistes », par ailleurs d’accord contre la participation aux syndicats et aux élections. Wolffiieim, délégué de Hambourg, propose d’inverser les points à l’ordre du jour, et Levi s’étonne qu’on propose de discuter de l’application d’abord et des principes ensuite. Le congrès le suit là-dessus par 23 voix contre 19, puis, par 24 contre 18, donne le droit de vote aux membres de la centrale, assurant ainsi la majorité à Levi. Cela ne lui suffit pas. H veut l’adoption des thèses sur les principes et la tactique, et, pour la cohésion du parti et la clarté du débat, l’exclusion de ceux qui votent contre elles et ne peuvent, assure-t-il,

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demeurer dans un parti dont ils désapprouvent les principes. Le piège se referme sur ses adversaires. Il gagne les deux premiers votes par 25 voix contre 23, le troisième par 21 contre 20, l’ensemble par 31 contre 18. Les délégués de l’opposition, exclus, s’en vont et ne reviendront pas. Levi a désormais les mains libres, mais le coup est rude pour le parti, qui perd plus de la moitié des 50 000 membres qu’il compte en principe, avec des régions entières comme la Ruhr, Hambourg et Brème, Berlin surtout. On dénombre 500 militants sur 800 dans la capitale, 43 àEssen sur 2 000. Radek est mécontent, sinon surpris. Il avait approuvé les thèses de Levi, mais, ayant appris par une lettre de Bronski, apportée dans sa prison par Elfriede Friedlânder, la jeune Autrichienne, émigrée à Berlin et devenue Ruth Fischer, que Levi se préparait à exclure l’opposition, lui avait aussitôt écrit pour tenter de l’en dissuader. Levi n’en avait tenu aucun compte. Quant à Lénine, il n’en est fut pas moins surpris. Pour lui, les thèses présentées par Levi étaient évidemment correctes. Mais l’exclu­ sion d’une opposition marquée par sajeunesse et son inexpérience ne l’était pas. Prudent tout de même, et connaissant Paul Levi, il lui propose avec beaucoup de précaution d’essayer de renouer les fils. Dans une lettre du 28 octobre 1919 adressée à la centrale de Levi, il écrit : « Si la scission était inévitable, il faut vous efforcer de ne pas l’aggraver, faire appel à l’arbitrage du comité exécutif de l’Internationale, forcer les gauchistes à formuler leurs divergences dans des thèses ou dans une brochure16. » Il s’adresse dans le même sens aux minoritaires. Une

esc a r m o u c h e a v ec

L én in e

Les « gauchistes », et pas seulement allemands, vont en effet très bientôt formuler leurs divergences. En attendant, une petite polémique éclate entre Lénine et la direction du KPD(S), ou plus exactement Thalheimer, le « théoricien » de la centrale, ancien élève de Rosa Luxemburg, un « petit » qui n’a pas peur de «jouer dans la cour des grands », car c’est ainsi à l’époque de l’Internationale naissante. Dans un texte rédigé le 10 octobre 1919, intitulé Salut aux communistes italiens, français et allemands, Lénine a abordé la question de la scission du KPD(S) et des relations avec les indépendants. Il regrette la scission et, rappelant l’histoire des luttes internes de la fraction bolchevique, essaie de convaincre ses lecteurs qu’elle n’était pas nécessaire. Il répète fermement que îa centrale a raison et qu’elle avait raison au congrès, explique que l’opposition est en train d’aban­ donner les idées du marxisme pour celles du syndicalisme. Les communistes, affime-t-il, doivent prendre part aux élections parlementaires, militer dans les syndicats réactionnaires, être et agir partout où il y a des ouvriers, partout où l’on peut s’adresser à eux. Dans le même mouvement, il critique sévèrement les gens de îa gauche des indépendants, dont il assure qu’« elle allie peureusement, sans égards pour les principes, les vieux préjugés de la petite bourgeoisie sur les élections parlementaires à la reconnaissance communiste de la dictature du prolétariat, du pouvoir des ouvriers17». Ce jugement public de Lénine est bien gênant pour le KPD(S) et pour la gauche indépendante. La droite des indépendants le reprend et l’orchestre. Thalheimer écrit une réponse qui va être reproduite avec le texte de Lénine. H souligne que, de son propre aveu, Lénine manque d’informations sur 1a situation allemande et que sa lettre a été écrite avant le congrès de Leipzig, qui a créé une situation nouvelle. Mais il exprime clairement ses désaccords. Pour lui, les indépendants se sont trompés. Les communistes ne doivent pas cesser de les critiquer franchement et brutalement. Mais, ajoute-t-il, « nous refusons 16. Lénine, Œuvres, t. XXX, p. 83. 17. Ibidem, p. 48.

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de les mettre dans le même sac sur le plan moral et intellectuel que les traîtres au socialisme, les fossiles de l’époque de la stagnation purement parlementaire du mouvement ouvrier allemand18». Quant à la scission, Thalheimer assure que les communistes allemands ont à ce sujet la même position générale que Lénine, mais qu’au moment de Heidelberg il s’agissait de beaucoup plus, à savoir tout simplement la survie du Parti communiste allemand, menacé alors d’autodissolution dans les organisations d’entreprise. Il assure donc que, loin d’être une erreur, la scission de Heidelberg est un exemple pour les autres partis occidentaux, et conteste l’universalité de l’expérience russe sous-entendue dans la lettre de Lénine : « Le milieu historique de l’Allemagne est plus proche de celui des pays occidentaux que ne l’est celui de la Russie. Les expériences allemandes en matière de tactique seront par conséquent d’une valeur particulière pour les Occidentauxi9. » Il est vrai que la construc­ tion du Parti communiste allemand commence à être conçue d’une façon originale et nouvelle avec la conquête de la gauche des Indépendants et qu’elle laisse en arrière ce qu’on considérait jusqu’alors comme le « modèle » bolchevique. Dans le même temps, le dirigeant ouvrier de Chemnitz, Heinrich Brandler, intervenant devant le Ier congrès des conseils d’usine, réfléchit à haute voix et soulève la question de ce qu’on appellera plus tard les « mots d’ordre de transition », des mots d’ordre adaptés à l’état d’esprit et aux possibilités du moment des travailleurs mais susceptibles de les faire avancer d’un pas, consciemment, vers d’autres mots d’ordre les rapprochant de la dictature du prolétariat. Ainsi îa lutte et le développement du mouvement communiste posent-ils de nouveaux problèmes. L ’apparition des premiers éléments d’une discussion publique, fraternelle, mais sans concessions n’est pas l’un des moindres. L ’autre est celui des rapports entre communistes allemands et russes. Thalheimer, le jeune disciple de Rosa Luxemburg, discute avec Lénine sur un pied d’égalité. Cela peut être un acquis important. LE PUTSCH de K a pp 20 Alors que la discussion vient à peine de commencer, moins de quatre mois après le congrès de Heidelberg, à propos duquel tout le monde avait plus ou moins enterré le mouvement de masse et la première phase de îa révolution, voilà que l’Allemagne vit la plus grande grève générale de son histoire et que commence au sein du mouvement ouvrier une longue marche qui va amener au communisme des centaines de milliers de nouveaux adhérents. C’est l’armée, ou plutôt sa colonne vertébrale, le corps des officiers, qui fait germer cette moisson-là. Le traité de Versailles réduit ses effectifs, prévoit que soient jugés les crimes de guerre commis par des officiers, bref, les menace dans leur emploi, leurs privilèges et leur sécurité. Mais Noske, leur ancien utilisateur, ne les suit pas dans leur réaction corporatiste contre un traité voulu par les vainqueurs. Bourreau peut-être, mais pas aventurier. Le retour en Allemagne des Corps francs, imposé par l’Entente, complique les problèmes de postes et d’effectifs etjette sur la scène allemande des hommes prêts à tous les coups durs. Côté putschiste, on retrouve presque tous les noms de ceux qui, d’en haut ou sur le terrain, ont combattu les milices ouvrières et les Gardes rouges en Allemagne, l’Armée 18. Thalheimer, Der Weg der Révolution, p. 18, 19. Ibidem, p. 18. 20. La bibliographie est abondante sur le putsch de Kapp, mais ce n’esî que ces dernières années et encore en RDA qu’on a commencé à s’intéresser aux problèmes politiques soulevés. Citons entre autres les articles de Naumann et Voigtlânder, « Zum Problem einer Arbeiterregierung nach dem Kapp-Putsch », BzG, n° 3,1963, Erwin Kônneman, « Zura Probiem der Bildung einer Arbeiterregierung nach dem Kapp-Putsch », BzG, n ° 6 ,1963.

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rouge sur les confins orientaux. Il y a là le général von Lüttwitz, le général Rüdiger von der Golz en personne, le lieutenant de vaisseau Ehrhardt à la tête de sa Brigade de marine, et, avec ses Gardes, le capitaine Waldemar Pabst, dont les hommes arrêtèrent, martyrisèrent et achevèrent Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht il y a un peu plus d’un an. Tout ce beau monde appartient à une conspiration dans laquelle trempent aussi Ludendorff, l’ancien quartier-maître générai de l’empereur, et les éléments les plus réactionnaires de la politique allemande, et dont tous les chefs militaires sont informés. Il s’agit de renverser le gouvernement de îa république et de refuser de signer îe traité de Versailles. Pour présider leur gouvernement, les généraux putschistes ont choisi un civil encore plus réactionnaire et obtus qu’eux, le directeur de l’agriculture en Prusse, îe haut fonctionnaire Wolfgang Kapp, homme de confiance des Junker, les féodaux de l’Est. Les hommes d’Ehrhardt marchent sur Berlin dans la nuit du 12 au 13 mars 1920, s’installent sans résistance. La police ordinaire et îa police de sécurité (Sicherheitspolizei) sont gagnées au putsch. Les chefs putschistes ont exigé la démission du président et du gouvernement, la dissolution du Reichstag et un cabinet de techniciens avec un général à la Guerre. Les généraux non liés au complot ont informé Noske qu’ils ne résisteraient pas par les armes. Le général von Seeckt a lancé sa formule célèbre : « Les troupes ne tireront pas sur les troupes. » Le gouvernement, moins deux ministres, est parti en toute hâte chercher refuge à Dresde, puis à Stuttgart ; 200 députés sont partis aussi, dont nombre de sociaî-démocrates. Kapp, qui s’est installé à îa chancellerie, fait hisser îe drapeau impérial, proclame l’état de siège, suspend tous les journaux, nomme le général von Lüttwitz commandant en chef. Tout est terminé ? Voire. A I î heures, en effet, îe même 13 mars, le vieux président des syndicats, i’ultraréformiste Cari Legien, comprenant que îa victoire des putschistes signifierait la fin du mou­ vement ouvrier organisé, a réuni dans un souterrain sa commission exécutive, et ceîîe-ci lance le mot d’ordre de grève générale. Otto Wels, un des rares dirigeants socialistes restés sur place, rédige un appel à la grève générale, qu’il signe - sans les consulter des noms des ministres en fuite, et qui est un appel à combattre la contre-révolution et à défendre la république. Les Indépendants appellent de leur côté à la grève, mais l’accord ne peut se faire sur un comité central de grève unique, car ils refusent de « défendre le gouvernement Ebert-Noske ». Iî y a donc deux comités centraux de grève, îes syndicats de Berlin se regroupant avec l’USPD. Le Parti communiste allemand ne se manifeste que le 14. Paul Levi est en prison. La veille au soir, après avoir entendu un rapport très pessimiste du responsable de l’organi­ sation fantômatique du KPD de Berlin, Friesland (Emst Reuter), la centrale - contre l’opposition du seul Walcher - a adopté un appel que publie ce jour-îà Die Rote Fahne. C’est un refus pur et simple de combattre îe putsch militaire et d’approuver les appels à îa grève générale. Les communistes disent qu’ils n’ont pas à défendre le gouvernement Bauer, Ebert-Noske, et que la classe ouvrière est pour le moment incapable d’agir. Le po u v o ir

o u v r ier in su r r ec t io n n el

Fort heureusement, les ouvriers allemands ne se soucient pas vraiment des mots d’ordre du KPD. Le 13 mars, les communistes de Chemnitz - iis sont îe premier parti de cette ville ouvrière avec 14 000 membres -, que dirige Heinrich Brandler, ont formé un comité d’action qui arme une Garde rouge et prend le pouvoir, en commençant par désarmer les amis des putschistes, puis le font confirmer par l’élection d’un conseil ouvrier local par un vote dans les entreprises. Son autorité s’étend à 60 kilomètres à ia ronde. Toute l’Allemagne se couvre à nouveau d’organes ouvriers insurrectionnels, nés cette

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fois de la grève contre le putsch de Kapp et composés, sous la pression de l’aile la plus radicale - tous ceux qui ont appelé à la lutte armée contre les officiers réactionnaires -, de militants indépendants de gauche et de communistes. C’est en effet la milice ouvrière, le premier organe de combat spontanément constitué, dont les premières initiatives consis­ tent à se procurer des armes, qui appelle à centraliser l’autorité aux mains de comités d’action et surtout de leurs exécutifs. La question est de savoir si les organes ouvriers ainsi constitués sont prêts à laisser dans les zones industrielles le pouvoir aux bras armés de la bourgeoisie allemande, la police, la Sipo et l’armée, sans oublier les corps francs, que ces derniers se soient ou non prononcés en faveur des putschistes. Il n’en est pas question. Des comités d’action couvrent la Ruhr et bien d’autres régions d’un réseau aux mailles serrées. Leurs milices, improvisées mais rompues aux combats de la guerre civile, attaquent les troupes pour les désarmer et se gaussent des dirigeants social-démocrates qui les adjurent de respecter les officiers « loyaux ». L ’historien Eberhard Lucas parle du pouvoir des conseils exécutifs : ils s’en emparent, soit en repoussant, soit en prévenant l’assaut des putschistes ou de leurs compères21. Le même auteur décrit minutieusement les développements dans la Ruhr aux mains des nouveaux «conseils ouvriers»22. A Hagen, par exemple, le dirigeant syndicaliste indépendant, le responsable du syndicat des métallos Josef Emst, est à la fois dirigeant politique et chef militaire, porté au sommet par le mouvement pour constituer des milices ouvrières armées et un exécutif local du comité d’action23. A Dortmund, ce rôle d’inspi­ rateur et de porte-voix du mouvement est joué par le jeune communiste Adolf Meinberg, héros des combats de 1919, libéré de prison par les travailleurs aux premières heures du putsch24. Ces troupes ouvrières improvisées prennent les devants aux premiers signes d’une velléité d’intervention du général von Watter - qui joue effectivement doublejeu -, surprennent en mouvement les éléments du corps franc Lichtschlag, qu’ils déciment, et durégiment de hussards de Paderborn, mettent îa main sur des documents qui leur révèlent les plans militaires des putschistes. La Ruhr s’enflamme et la profondeur du mouvement dans le bassin attire l’attention, mais elle n’est pas isolée et les ouvriers résistent partout, de même que les marins restent fidèles à leur propre tradition de combat. Ceux de la flotte de la Baltique arrêtent leur amiral, à Wilhelmshaven, et internent quelques centaines d’officiers. Partout il y a des combats et partout il y a des morts ouvriers qui galvanisent la volonté de résistance. H y a de durs combats en Allemagne centrale. Des villes tombées aux mains des militaires, comme Halle, sont reprises par les travailleurs des villes voisines. A Leipzig, la police a commencé par tirer à la grenade et à la mitrailleuse contre les manifestants ouvriers, Chemnitz apparaît comme une sorte de modèle d’organisation et d’action des révolu­ tionnaires. Le représentant de l’agence Wolff télégraphie à son bureau que le mouvement ouvrier y est au pouvoir et décrit longuement les nouvelles institutions, le comité d’action tricéphale, avec un social-démocrate, un indépendant et un communiste qui coprésident, le désarmement des éléments bourgeois, l’armement de 3 000 ouvriers, l’occupation, aux premières heures, de la poste, des banques, de la gare de chemins de fer, l’interdiction des journaux de droite. Ici le vote a sanctionné l’action spontanée à chaud. Le conseil ouvrier a été élu dans l’ensemble des usines par 78 000 travailleurs avec un programme national qui comporte le désarmement et la dissolution de la police, de la Reichswehr, des formations paramilitaires de droite, la sécurité assurée par des gardes rouges ouvriers 21. E. Lucas, « Die Herrschaft der Vollzugrâte », Màrzrevolution 1920, p. 7-30. 22. Ibidem, p. 9-30. 23. Ibidem, p. 69-73. 24. A. Meinberg, Aufsrnd an dem Ruhr.

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contrôlés par le conseil, îa convocation d’un congrès des conseils pour l’ensemble du pays, rérection d’un tribunal révolutionnaire pour juger les kappistes et leurs complices, la libération des prisonniers politiques, l’emprisonnement des patrons qui ont retenu les salaires des jours de grève. Il n’y a eu que deux voix contre ce programme. Pour tous, c’est ainsi que les ouvriers accèdent au pouvoir avec leurs organisations. On va pourtant reprocher aux dirigeants communistes de Chemnitz - Eberhard Lucas, de même que les historiens SED Kônnemann et Krusch, se fait l’écho de ces attaques qu’ils développent25 - et particulièrement à Heinrich Brandler, le maçon qui est le vrai chef du parti ici, de n’avoir pas su utiliser ce bastion pour attaquer à l’échelle du pays, d’être resté cantonné dans son petit espace, bref, de s’être aligné sur... la défensive social-démocrate. Personne n’a l’idée de réprimander ou de réprimer, même s’il ne l’approuve pas, l’organisateur communiste des chômeurs de l’Ergzgebirge-Vogtland, l’ancien militant du conseil des ouvriers et soldats de Falkenstein, Max Holz, qui fait clairement bande à part à partir du 15 mars. Max Holz est en effet l’organisateur de chômeurs et de desperados dans une région paupérisée. Sa guérilla est celle de la récupération des produits de première nécessité et de leur distribution aux pauvres. Il est immensément populaire, mais son communisme primitif de la « prise au tas » surprend les militants disciplinés. Il demeure cependant un frère d’armes. L ’A r m ée

ro u g e d e l a

R uhr

Dans les jours qui suivent, de nombreuses unités, dont les effectifs varient de quelques dizaines à quelques centaines - l’unité de base, la compagnie, est de 400 hommes -, voire un millier, s’unifient dans la Ruhr en une « Armée rouge » que commandent des militants indépendants Josef Emst et Karl Wohîgemuth, et le « syndicaliste » Karl Leidner, Les historiens allemands l’ont évaluée à 100 000 hommes. L ’historien Bock y dénombre trois directions centrales rivales. Leurs chefs sont des ouvriers, souvent métallos, mais aussi mineurs et cheminots, nommés au sommet par les comités d’action, élus dans les cadres moyens et sur le terrain. La majorité d’entre eux appartient à l’USPD, et, bien entendu, à sa gauche ; les autres appartiennent au KPD ou à son opposition, qu’ils soient exclus ou non. L ’un de ces derniers, Gottfried Karrusseit, un mécanicien de Geîsenkirchen, le seul à être cité nommément par Ruth Fischer26 comme un des « chefs », est, selon l’his­ torien Eberhard Lucas, un agent de îa Reichswehr27. Lucas trace d’intéressants portraits de ces chefs issus de îa cîasse ouvrière, parfois anciens militaires: August Mülîer, trente-cinq ans, cheminot, ajusteur, ancien sousofficier, Hermann Weidtkamp, trente-deux ans, ajusteur, ancien marin rouge, ancien mutin, Hans Ficks, vingt-neuf ans, outilleur, ancien membre du Conseil général des soldats en 1918-1919, le peintre décorateur Karl Leidner, trente-trois ans . Ces hommes sont d’anciens combattants de îa guerre mondiale, certains ont été sous-officiers. Ils ont des connaissances pratiques du maniement des armes et des opérations militaires à petite échelle, et souvent un intérêt particulier pour la chose militaire qui en fait de vrais experts. Ils ont souvent commandé dans le passé des unités de gardes rouges et sont en quelque sorte, en tant que militants, des spécialistes de la guerre civile, les équivalents allemands des Frounze, Mouklevitch et autres jeunes ouvriers devenus généraux. 25. E. Lucas, op. cit., p. 163-164, et Kônnemann et Krusch, Aktionseinheit contra Kapp-Putsch, p. 198-199. 26. R. Fischer, Staiin and G erm n Communism, p. 133. 27. E. Lucas, op. cit., p. 183-184. Les historiens SED Kônnemann et Krusch confirment, op. cit., p. 439. 28. Ibidem, p. 73-74.

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L ’armement du prolétariat a resurgi, avec des sections de mitrailleuses (les ouvriers en ont environ 400), une vingtaine de canons légers et de mortiers, et même le régiment d’autos blindées des travailleurs de l’usine de Zella-Mehlis, commandé par l’ouvrier Richard Jung. Les fusils sortent de partout, même de certains dépôts de la police, et sont apportés par des policier^ socialistes. Et, comme dans toute révolution, les ouvriers sont vite équipés des armes arrachées ou dérobées à l’adversaire, parfois apportées par des soldats qui ne veulent pas combattre le peuple. Mais l’Armée rouge de la Ruhr n’est que l’une des formations ouvrières armées qui s’organisent contre le putsch. En Thuringe se constitue en quelques jours une Armée de défense du peuple de plus de 5 000 hommes. Elle est commandée par un ouvrier de l’usine de wagons de Gotha, président de son conseil ouvrier, qui est aussi député USPD de gauche au Landtag, August Creuzburg. LA GRÈVE GÉNÉRALE

Mais il y a surtout la grève générale, silencieuse, terriblement efficace, un cauchemar pour les généraux. Comme le souligne un ancien en RDA, « elle ne règle rien par elle-* même, mais elle fait que tout est possible ». Les putschistes sont pris à la gorge. Le 16mars, deux jours après leur arrivée au pouvoir, ils n’ont pu ni le faire savoir, ni disposer de transports, de ravitaillement, ni même d’argent, puisque les ouvriers de l’Imprimerie nationale est en grève. Kapp demande à Ehrhardt d’aller s’emparer de force à la Reichsbank des fonds nécessaires pour payer les soldes, intensifier la propagande, et s’entend répondre par l’officier qu’il n’a pas marché sur Berlin pour braquer des banques. La fille de Kapp ne trouve aucune dactylo pour taper le texte du manifeste des putschistes au pays, et ce n’est que quarante-huit heures plus tard que la presse, d’ailleurs toujours paralysée par la grève, reçoit la déclaration d’intentions des kappistes. L ’historien britan­ nique Wheeler-Bennett écrit : « Les rouages gouvernementaux s’étaient arrêtés de tourner, l’industrie et le commerce s’étaient arrêtés ; tous les services publics - électricité, eau, transports - étaient arrêtés» A ï heure de l’après-midi, toujours le 16 mars, le nouveau chef du Wehrkreis de Berlin, un général dont le nom nous est familier, Rtidiger von der Golz, donne l’ordre de fusiller tous les « meneurs » et les membres des piquets de grève. Il en a reçu l’ordre, et, de plus, il se souvient que ça avait marché en Finlande. Ici il ferait presque rire30. A la suite de cette menace, en tout cas, une délégation du grand patronat va dire à Kapp que la classe ouvrière est si unanime contre lui qu’on ne saurait distinguer les « meneurs » des autres. Le « congé » créé par la grève donne le loisir de tenir partout des assemblées ouvrières où l’on discute âprement et où on se prépare à renforcer et à durcir l’action. Partout la gauche de l’USPD s’impose au détriment de sa droite. Nombre de militants de l’opposition s’organisent d’ores et déjà pour combattre les putschistes les armes à îa main. Certains s’abstiennent. Les communistes sont en général au moins actifs dans la grève. Die Rote Fahne a corrigé sa position absurde du 14 et appelé à son tour à la grève générale. Le 16, de sa prison, Paul Levi envoie à la centrale une lettre terrible3*. Comment a-t-elle pu ne pas voir les possibilités que la lutte contre le putsch offrait aux révolutionnaires ? La situation des putschistes se détériore rapidement. Dans la nuit du 16 au 17, un régiment du génie dont le commandement a rallié les putschistes se mutine et met ses officiers en prison. Il faut l’intervention du corps franc Ehrhardt pour le désarmer. Dans

29. Wheeler-Bennett, The Nemesis of Power. The Germn Arrny in Politics (19J8-I945), p. 78. 30. J. Benoist-Méchjn, Histoire de Vannée allemande, t. II, p. 102-103. 31. Die Kommunistische Internationale, n° 12, 30 juillet 1920, col. 2145-2148.

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plusieurs villes, les officiers doivent consigner, voire mettre aux arrêts des sous-officiers et de simples soldats qui refusent la politique des chefs. Au petit matin, la police de sécurité (Sipo) retourne sa veste et abandonne les put­ schistes. Le 17, Kapp s’enfuit. Il quitte la chancellerie en taxi, avec un bonnet enfoncé jusqu’aux yeux, suivi de sa fille en pleurs. Faute de temps, ses vêtements ont été roulés dans une couverture qui est jetée à la hâte sur îe toit du véhicule et il arrive à l’étranger avec une courte tête d’avance sur le général von Lüttwitz. Au cours d’un conseil drama­ tique, le lieutenant-colonel von Wetzell a dit aux généraux, à la fureur d’Ehrhardt, que les troupes ne suivent plus et qu’eiles vont se mutiner si les chefs s’obstinent. En quittant Berlin, Ehrhardt, dont les troupes sont conspuées et menacées dans îa rue, fait tirer dans îe tas pour dégager sa route. Le putsch est terminé. Ses conséquences se développent. Il tue encore : ainsi l’officier de marine pacifiste Hans Paasche, traître à la caste militaire, est-il abattu par ses ennemis de toujours. Le pr o b lèm e d u

g o u v er n em en t o u v r ier

A îa différence de novembre 1918, l’Allemagne - sauf dans la Ruhr et autour de Chemuitz - n’est pas couverte d’un réseau de conseils ouvriers mais, partout, de comités d’action formés de représentants des partis ouvriers et des syndicats qui ont pris de fait îe pouvoir dans le bref moment de sa vacance entre îa normalité et la guerre civile. Vont-ils le garder ? Vont-ils îe transmettre, et à qui ? A qui rendront-iis leurs armes - s’ils les rendent ? Pour nombre d’ouvriers, y compris partisans du Parti social-démocrate, il n’est pas possible de revenir à la coalition parlementaire antérieure, couverture de la réalité politique de l’alliance de Noske et des chefs de l’armée : c’est cette poîitique-là qui a fait faillite avec le putsch. Même le Vorwarts l’écrit : « Le gouvernement doit être remanié. Pas à droite. A gauche. Il nous faut un gouvernement qui soit décidé sans réserves à lutter contre la réaction militaire et nationaliste, et qui sache gagner la confiance des travailleurs aussi loin que possible sur sa gauche32. » C’est Legien qui est le grand vainqueur. Le vieux bureaucrate syndical, pilier du gouvernement Ebert en 1918, a parfaitement senti le vent et mieux compris que les révolutionnaires autoproclamés les aspirations et la puissance des travailleurs unis. Lui non plus n’a pas appelé à îa grève générale contre les putschistes armés jusqu’aux dents pour revenir à la situation antérieure, une formule gouvernementaîe se réduisant à EbertNoske. Le 17 mars, il invite à son conseil général des syndicats des représentants de l’exécutif de l’USPD. Les représentants de ce dernier, Hilferding et Wiîhelm Koenen, l’entendent proposer la formation d’un « gouvernement ouvrier » composé des partis ouvriers, particulièrement les deux partis social-démocrates, îe majoritaire et l’indépen­ dant, et des syndicats. Un communiste, le cheminot Ottomar Geschke, est également présent, à la demande des Indépendants. Les majoritaires ne peuvent qu’accepter cette proposition. Quelles que soient leurs réserves et l’hostilité de beaucoup, îeur parti n’est pas en mesure d’endosser les consé­ quences qu’aurait pour eux le refus de cette proposition syndicale. Tout dépend évidem­ ment des indépendants. Mais leur expérience gouvernementaîe récente constitue pour eux un souvenir cuisant et la combativité manifestée par les travailleurs leur fait craindre d’être débordés sur îeur gauche. Alors que les deux hommes qui ont négocié avec Legien, Hilferding et Koenen, sont partisans d’accepter sa proposition, ils se heurtent à l’aile droite du parti, qui a peur de cette aventure et se couvre d’arguments « de gauche ». 32. Vorwarts, 18 mars 1920.

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Artur Crispien clame qu’il ne saurait être question d’aller au gouvernement avec des « traîtres » et « assassins ». C’est l’argument même qu’a employé au temps du gouver­ nement Scheidemann-Haase l’aile gauche indépendante d’Emst Daümig, et ce dernier, assurant que le gouvernement proposé par Legien ne saurait être qu’une nouvelle mouture du gouvernement Ebert-Noske, appuie la proposition de refus de Crispien. L ’USPD refuse donc la proposition de Legien, avec des formes, bien que les dirigeants Indépendants des syndicats berlinois autour d’Oskar Rusch, habituellement proches de Daümig, mais profondément plongés dans le mouvement gréviste, se soient prononcés fermement pour son acceptation. On n’en revient pas pour autant à la case départ. Legien ne pense pas qu’il soit avisé et même simplement correct d’appeler à la reprise du travail sans que les travailleurs, qui ont gagné cette bataille, reçoivent des garanties sérieuses. Il proroge donc le mot d’ordre de grève générale, se déclare prêt à prendre lui-même la tête du gouvernement. Ce gouvernement, qui, bien entendu, aurait écarté Noske et ses amis, mettrait des dirigeants syndicaux aux postes clés et aurait comme première tâche d’épurer profondément îa police et l’armée allemandes. Cette fois, Daümig est ébranié. Il se dit prêt à accepter à condition que le « gouver­ nement ouvrier » ainsi formé appelle à la constitution de conseils ouvriers. Ce n’est pas compatible avec l’esprit même de la proposition de Legien, qui finit donc par renoncer, formulant pour l’arrêt de îa grève et le prochain gouvernement les « Neuf Points des syndicats » qui comprennent nombre des revendications des travailleurs, depuis le châti­ ment des putschistes et l’épuration jusqu’à la réforme démocratique de î’État, îa prépa­ ration de la socialisation et les autres points du programme qu’iî avait rêvé de confier à un gouvernement ouvrier. De s

d éba ts p u b l ic s

Les dirigeants du KPD(S) se sont divisés aussi profondément sur cette question que ceux des indépendants. Lors de l’assemblée du comité de grève du Grand Berlin, le 21 mars, après l’arrivée de la nouvelle selon laquelle il y a des combats acharnés dans la Ruhr entre la Reichswehr non putschiste et les ouvriers armés depuis le putsch, les orateurs communistes, suivis par de nombreux ouvriers indépendants, se prononcent contre l’arrêt de la grève. Pieck et Walcher expliquent que la grève doit continuer jusqu’à ce que les travailleurs aient obtenu l’unique garantie sérieuse qu’on puisse, selon eux, îeur proposer, î’armement du prolétariat. Pour la première fois, îa proposition de « gouvernement ouvrier » sort des cercles dirigeants politiques et syndicaux, et elle est enfin mentionnée et débattue publiquement dans une assemblée ouvrière très large et tout à fait représentative. Tandis qu’Emst Daümig réitère son exigence d’une reconnaissance formelle de la dictature du prolétariat par l’éventuel gouvernement ouvrier, les deux dirigeants communistes présents, Wilhelm Pieck et Jakob Waîcher, qui assurent que les communistes n’ont pas été informés, soulignent qu’iîs ne parient qu’à titre personnel, sans mandat de leur parti, et doivent improviser. Or l’improvisation des communistes, dans ce cadre, ne manque pas d’intérêt. Contre Daümig, Waîcher souligne en effet que le gouvernement proposé par Legien ne serait pas une « nouvelle mouture » de l’ancien gouvernement, mais au contraire « un gouvernement socialiste contre Ebert et Haase », de fait îe gouvernement de la grève générale contre le putsch et contre Noske, mais aussi contre les ministres en fuite. Il serait en soi un pas en avant, une conquête du mouvement ouvrier. Tourné vers les représentants des syndicats, il affirme : Si vous prenez au sérieux votre engagement, si vous voulez vraiment aider les ouvriers et

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désarmerla contre-révolution, si vous voulez vraiment épurerl’administration de tous les éléments contre-révolutionnaires, alors cela signifie la guerre civile. Dans ce cas, il va de soi que non seulement nous soutiendrons le gouvernement, mais que nous serons à la pointe du combat. Dans le cas contraire, si vous trahissez votre programme et si vous frappez les travailleurs dans le dos, alors nous - et nous espérons bien que nous serons suivis, dans ce cas, de gens venant de vos propres rangs -, nous entreprendrons 3alutte îa plus résolue, sans réserves et avec tous les moyens à notre disposition33. Le comité de grève du Grand Berlin décide finalement, avec l’appui des représentants du KPD(S), de voter pour la poursuite de la grève tant que n’ont pas été obtenues des garanties sur « l’intégration d’ouvriers dans les forces de défense républicaine » réclamée par les syndicats. Le gouvernement Bauer - celui de Noske, toujours théoriquement en place - s’engage aussitôt à respecter les quatre conditions que posent les syndicats : retrait des troupes de Berlin, levée de l’état de siège renforcé, engagement de ne diriger aucune attaque dans la Ruhr contre les ouvriers en armes, en Prusse, enrôlement d’ouvriers, sous le contrôle des syndicats, dans les « groupes de sécurité ». La crise de l’USPD se double maintenant d’une crise au sommet du KPD(S). A peine sortie la circulaire datée du 2 2 mars 1920 précisant sa nouvelle position sur le problème nouveau du gouvernement ouvrier, la centrale, après une très longue et très vive discussion, décide de désavouer ses représentants au comité de grève du Grand Berlin pour leur vote de la veille sur les conditions de la reprise du travail et leur prise de position sur le gouvernement ouvrier. Cette déclaration est lue au comité de grève le 2 2 à midi. Quelques heures plus tard, en dépit d’une opposition de gauche avec Daümig, Koenen, Geyer et Stoecker, la direction de l’USPD se déclare satisfaite des nouvelles concessions dés social-démocrates. Dans la soirée, un texte signé des syndicats, de PUSPD et du SPD appelle à la reprise du travail, compte tenu des nouvelles concessions. Le KPD(S), qui considère cette décision comme une capitulation, change une fois de plus d’avis sur la question du gouvernement ouvrier. Prenant conscience que le putsch a signifié la rupture entre la social-démocratie et la bourgeoisie, il assure que la lutte contre les militaires vise à l’élargissement du pouvoir politique des travailleurs et explique : L’étape actuelle du combat, où le prolétariat n’a à sa disposition aucune force militaire suffisante, où le Parti social-démocrate majoritaire a encore une grande influence sur les fonc­ tionnaires, les employés et les autres couches de travailleurs, où le Parti social-démocrate indé­ pendant a derrière lui la majorité des ouvriers des villes, prouve que les bases solides de la dictature du prolétariat n’existent pas encore. Pour que les couches profondes des masses prolé­ tariennes acceptent la doctrine communiste, il faut créer un état de choses où la liberté politique sera presque absolue et empêcher la bourgeoisie d’exercer sa dictature. Le KPD estime que la constitution d’un gouvernement socialiste sans le moindre élément bourgeois et capitaliste créera des conditions extrêmement favorables à l’action énergique des masses prolétariennes et leur permettra d’atteindre la majorité dont elles ont besoin pour réaliser leur dictature politique et sociale. Le parti déclare que son activité conservera le caractère d’une opposition loyale tant que le gouvernement n’attentera pas aux garanties qui assurent à la classe ouvrière sa liberté d’action politique et tant qu’il combattra par tous les moyens la contrerévolution bourgeoise et n’empêchera pas le renforcement de l’organisation sociale de la classe ouvrière. En déclarant que l’activité de notre parti « conservera le caractère d’une oppposition loyale », nous sous-entendons que le parti ne préparera pas de coup d’Etat révolutionnaire mais

33. Cité par J. Walcher, « La centrale du KPD(S) et ie putsch de Kapp », Die Kommunistische Internationale, n° I, 1926, p. 406.

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conservera une liberté d’action complète en ce qui concerne la propagande politique en faveur de ses idées34. .

H semble que cette claire prise de position - qui ne sera rendue publique que le 26 mars - ait influencé les Indépendants, qui l’ont évidemment connue. Lorsqu’à la nouvelle de la reprise des combats dans la Ruhr, au matin du 22, les responsables des organisations ouvrières se réunissent de nouveau, les Indépendants renoncent à exiger qu’un gouvernement ouvrier prenne position en faveur de îa dictature du prolétariat, du pouvoir des conseils. Daümig et Pieck polémiquent devant le comité de grève du Grand Berlin. Pieck explique : « La situation n’est pas mûre pour une république des conseiîs, mais elle l’est pour un gouvernement purement ouvrier. En tant qu’ouvriers révolution­ naires, nous désirons ardemment un gouvernement purement ouvrier35. » Et de regretter que PUSPD n’ait pas compris l’intérêt du prolétariat dans une situation favorable. Une occasion perdue L’assemblée vota la reprise du travail. Iî n’y eut pas de gouvernement ouvrier. En revanche, îa fin de îa guerre civile dans la Ruhr constitua la revanche de la Reichswehr. Comme au temps de Noske, bien des combattants rouges périrent dans des combats perdus d’avance et parfaitement inutiles. La quasi-totalité des cadres survivants se retrouvèrent enprison. Parmi les morts, on relève le nom du cheminot USPD August Müîler, « Dudo », un des chefs de l’Armée rouge. Solidaire de sa classe et soucieux d’efficacité, îe général von Seeckt a utilisé pour îe rétablissement de l’ordre deux corps francs compromis jusqu’au cou avec les putschistes, celui de Rossbach et îa Brigade de marine Ehrhardt. A propos de la situation et du déroulement général des événements dans la Ruhr, Brandler s’exclame tristement qu’il n’existe pas là de parti communiste. Pour illustrer la confusion qui règne au lendemain du putsch dans les sommets du KPD(S), il faut ajouter que îe comité central de ce parti décida à son tour, par 12 voix contre 8 , de condamner la « déclaration d’opposition loyale ». La nouveauté, décidément, ne passait pas. D éba t

in t er r o m pu d a n s l ’I n t er n a t io n a le

A Moscou, on avait cru une fois de plus que l’heure de la révolution allemande et de sa victoire prochaine avait sonné. Dans la lointaine Ukraine, Rakovsky l’avait annoncé avec joie à son ami Korolenko. Un manifeste de la Comintern, le 25 mars, avait salué « îa guerre civile en Allemagne », affirmant que les travailleurs étaient les maîtres de trois régions importantes, qu’une armée rouge régulière était apparue36. Lénine, dans son discours d’ouverture du IX e congrès du parti, le 29 mars 1920, comparait le putsch de Kapp à celui de Komiîov - qui avait précédé de très peu l’insurrection d’octobre 1917 et assurait que le moment n’était plus très éloigné où l’on allait marcher « la main dans la main avec un gouvernement soviétique allemand37 ». La vérité une fois connue, on s’aperçut que la nouveauté ne passait pas non plus dans îa Comintern, où il y eut une vraie levée de boucliers. L ’erreur majeure du KPD(S), au moment du déclenchement du putsch, en faisait une cible facile. L ’entrée de deux poids îourds dans le débat montre que ia question est prise au sérieux. 34. Die Rote Fahne, 26 mars 1920. 35. Freiheît, 24 mars 1920. 36. Deuxième Congrès de l'Internationale communiste, ci-après OC/C, p. Î86. 37. Lénine, Œuvres, t. XXX, p. 454.

136

La

montre

Dans la revue Kommunismus de Vienne, Béla Kun, que tous les communistes avaient épargné en 1919, accable les dirigeants allemands tant pour leur passivité initiale que pour la déclaration d’opposition loyale38. Il ironise férocement, évoquant à propos de cette dernière « la révolution honnête » des démocrates bourgeois, dont Marx aimait à se gausser et qui n’est, dit-il, que sa sœurjumelle, née d’une utopie réactionnaire de fraternité, un mot d’ordre qui désarme îa vigilance et empêche la préparation à la révolution, qu’il ne faut utiliser en aucune circonstance, d’autant qu’il n’a aucune chance de se réaliser39. L ’attaque de Radek, qui vient de revenir à Moscou et de reprendre sa place au secrétariat de la Comintem, est dirigée contre Waîcher, Pieck et les autres tenants de la « déclaration d’opposition loyale ». Mais elle vise avant tout Paul Levi, qui s’est contenté, prudemment, de montrer comment la centrale s’était lié les mains par sa première réaction. Radek écrit que la déclaration d’opposition loyale a été une grosse erreur, qu’il serait faux de passer aux pertes et profits comme une banale erreur de calcul. Pour lui, la direction du KPD(S) souffre du mal contraire à ce putschisme qu’elle a combattu. Elle est maintenant atteinte de ce qu’il appelle « un possibilisme communiste » qu’il faut liquider le plus vite possible. Jouant les prophètes, il assure que, si un gouvernement ouvrier voit le jour, ce sera pour trahir aussitôt et que c’est une grossière erreur de croire à l’existence de formes intermé­ diaires entre le parlementarisme bourgeois et la dictature du prolétariat. LÉN IN E DONNE LE COUP D’ARRET

Tout cela - qui, au premier coup d’œil, ressemble à un hallali contre la direction du KPD(S) - est arrêté très vite par quelques phrases de Lénine, rajoutées au dernier moment à son travail sur le gauchisme. Tout en condamnant des formulations qu’il pense fausses, par exemple sur « la démocratie bourgeoise qui ne serait pas la dictature de la bourgeoisie » ou l’emploi de l’expression « gouvernement socialiste » alors qu1il faudrait parler de « gou­ vernement de social-traîtres », il écarte froidement les arguments de catéchisme des grands prêtres etassure que îa déclaration d’opposition loyale procédait d’une « tactiquejuste quant au fond, parfaitementjuste dans ses prémisses fondamentales et saconclusion pratique40 ». Quant il prend connaissance de l’article de Béla Kun, il écrit tout spécialement que ce dernier « oublie ce qui est la substance même, l’âme vivante du marxisme: l’analyse concrète d’une situation concrète ». Il ajoute à ce jugement sévère, quelques phrases en guise de leçon, une leçon dans laquelle il prend au piège les catéchistes de l’expérience russe attachés à la forme et qui ne voient pas le fond : Si la majorité des ouvriers des villes ont abandonné les tenants de Scheidemann pour les kautskystes, et si, au sein du parti kautskyste (« indépendant » par rapport à la tactique révolu* tionnaire juste), ils continuent à passer de la droite à la gauche, c’est-à-dire en fait au communisme, si ia situation est telle, est-il permis de ne pas prendre en considération des mesures de transition et de compromis à l’égard de ces ouvriers ? Est-il permis de négliger, de passer sous silence r expérience des bolcheviks qui, en avril et en mai 1917, ont mené quant au fond cette politique de compromis en disant qu’il était impossible de renverser purement et simplement le gouvernement provisoire (de Lvov, Milioukov, Kerensky et autres), car les ouvriers des soviets étaient encore pour eux, qu’il fallait d’abord un changement dans l’opinion de îa majorité ou d’une grande partie d’entre eux ? Il me semble que ce n’est pas permis41. 38. Béla Kun, « Les événements en Allemagne », Kommunismus, 14,17 avril 1920, p. 403-411. 39. Ibidem, p. 407. 40. Lénine, Œuvres, t. X X I, p. 107. 41. Ibidem, p. 168.

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L ’ épicentre

allemand

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Le problème des mots d’ordre de transition, celui du gouvernement ouvrier, posés par la vie, devaient reparaître deux ans plus tard et prendre place dans l’arsenal programmatique de la Comintern lors de son IV econgrès. C’est une des façons qu’a l’Histoire de progresser -en bégayant. Pour l’histoire de l’Internationale, il est capital qu’elle ait bégayé ences mois en russe et en allemand, mais tout de même plus en allemand qu’en russe. En juin, en tout cas, les élections au premier Reichstag donnent des résultats qui doivent inspirer la modestie aux communistes en ce qui concerne l’Allemagne. Les social-démo­ crates, avec 6104 400 voix, ont 102députés. Les Indépendants, avec 5 046 800, en ont 84. Les communistes, eux, obtiennent 589 000 voix et deux députés, Paul Levi et Clara Zetkin. N o u vea u

d épa rt

C’était un signe de vitalité que l’apparition au sein de la Comintern de préoccupations tactiques à la place du credo simpliste sur le pouvoir au bout du fusil. C’étaient également de bons signes, malgré le ton suffisant de Béla Kun et l’arrogance de procureur de Radek, que le début de telles discussions, l’effort de création et de conservation dans le domaine des idées, bref, la dialectique de la discussion politique. Les militants ont-ils pris bonne note que les communistes n’approchaient décidément du pouvoir en ces années, en 1920 comme en 1917, que sous la forme d’une réaction défensive des masses à un coup de force de la réaction militariste et de l’extrême droite ? La leçon, en tout cas, n’est pas tirée clairement sur le coup. Bien au contraire, les adeptes de ce qu’on commence à appeler l’offensive balaient cet important élément d’expérience collective, et c’est cette idée qui sous-tend le développement de ce « gauchisme » que Lénine va baptiser la « maladie infantile » du communisme. Il faut pourtant ajouter aussi, si l’on veut parler d’expérience et de bilan, que, moins d’une année après sa proclamation dans une petite salle du Kremlin, bien que les rangs de la nouvelle Internationale aient beaucoup grossi sous l’affluence de travailleurs et de jeunes dans l’Europe entière, il y avait déjà bien des places vides. Épuisé par ses années de prison, méfiant à l’égard de ceux qui s’affairent pour prendre la tête d’un parti com­ muniste britannique, ancré dans la conviction qu’il faut surtout construire un parti com­ muniste en Écosse, John Maclean avait laissé la sienne inoccupée. Parmi ceux qui man­ quent le plus, il y a, bien sûr, toute la vieille direction allemande, non seulement Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht, mais aussi, conséquence directe et indirecte de leur assassinat, Léo Jogiches, assassiné lui aussi, et Franz Mehring, mort de chagrin. Johann Knief, lui, est mort de la maladie des pauvres. Il y a des vides béants dans les rangs des plus jeunes, des combattants, de ceux qui ont mené les hommes aux premiers combats, Rudolf Egelhofer et Heinrich Dorrenbach en Allemagne, Léo Rothziegel l’Autrichien, l’homme de la Comintern, Mazine, les Hon­ grois Tibor Szamuely, assassiné, et Ottô Korvin, pendu, la Française Jeanne Labourbe, massacrée, les marins, l’Allemand Max Reichpietsch, fusillé, et le Morave Franttëek RaS, pendu, les mutins comme le Tchèque FrantiSek Noha, fusillés, le garde rouge finlandais Yukka Rakhia, assassiné par des terroristes de son propre parti, militaires et tchékistes, « la fraction revolver ». Tous seront remplacés ; ils étaient pourtant tous irremplaçables et il avait fallu des années pour faire d’eux les femmes et les hommes qu’ils étaient - ce pourquoi ils étaient morts. La Comintern naissait, bien sûr, mais dans une interminable saignée. Ce n’était pas elle qui avait inscrit sur son histoire le signe du sang. On allait pourtant lui en faire porter la responsabilité jusqu’à nos jours.

CHAPITRE VH

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Gauchisme récurrent et

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opportunisme rampant

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\ Paul Levi avait cru se livrer à Heidelberg à une opération chirurgicale afin de préserver l’organisme, qu’il jugeait sain, du communisme allemand. Lénine lui reprochait d’avoir employé la chirurgie pour guérir une maladie spécifique de Yenfance. L ’un comme l’autre, en fait, se trompaient. La « maladie » que Lénine venait de baptiser « gauchisme » était en réalité beaucoup plus répandue et profonde que tous deux ne le pensaient. C’était une composante organique du mouvement communiste, un élément constituant de îa Comintem naissante. Lénine fut probablement l’un des premiers à s’en apercevoir et à pousser les gauchistes à s’exprimer, à la fois pour les enfermer dans le cadre d’une discussion et pour détruire leurs postulats dans une discussion sérieuse. L ’ex-féministe britannique ralliée au communisme, Syîvia Pankhurst, avait ouvert le feu la première en sa direction dans une lettre qu’il reçut en septembre 1919, qui fut publiée dans The Call du 22 avril 1920 et qui servit de support aux premières réflexions du dirigeant bolchevique sur cette question.

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S y l v ia P a n k h u r st

Fille de la fondatrice du mouvement des suffragettes pour le vote des femmes, devenue socialiste et fondatrice, à partir du mouvement féministe Workers Suffrage Fédération, de la Workers Socialist Fédération qui éditait le périodique Workers' Dreadnought, Sylvia Pankhurst avait été la première révolutionnaire britannique à s’engager avec les bolcheviks, à partir de mai 1918, à travers son contact avec Litvinov à Londres, et avait été le point d’arrivée des courriers de la Comintern dans les années suivantes. Elle avait assisté en 1919 au congrès de Bologne du PSI, participé aux conférences d’Imola et de Francfort, organisées par le bureau de Berlin de la Comintern, avant de se rendre à Moscou, de rencontrer Lénine et de participer à son retour à la conférence d’Amsterdam, organisée par le « bureau occidental ». Elle avait commencé par porter des critiques contre le fait que l’activité électorale nuisait au travail politique révolutionnaire en général, puis contre le fait que les élus n’utilisaient pas leurs positions pour appuyer les luttes ouvrières ou diffuser les thèmes d’agitation révolutionnaire, avant de prendre définitivement et catégoriquement position

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G auchisme

réc u rren t e t opportunisme rampant

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en 1919, puis de confirmer dans sa « Lettre ouverte à Lénine » son hostilité au principe même de la participation aux élections. Elle y écrivait notamment : « Le mouvement travailliste en Angleterre a été ruiné sous mes yeux par la politique parlementaire et municipale. Les dirigeants comme les masses ne font qu’attendre les élections, et, dans leur préparation de la campagne électorale, oublient complètement le travail socialiste. Pire, ils suppriment toute propagande socialiste pour ne pas effrayer les électeurs » Parallèlement, elle s’opposait résolument à ce que les communistes britanniques du parti à construire pussent envisager d'être affiliés au Labour Party, comme le recomman­ dait Lénine à partir de l’exemple du BSP. Lénine, dans sa première réponse, proposa de créer temporairement deux partis communistes séparés par la question de la participation aux élections. Bientôt pourtant, il va faire de Sylvia Pankhurst Tune de ses cibles dans son attaque générale contre les gauchistes et dans sa critique de ce qu’il appelle la «maladie infantile». L es H a m bo u r g eo is

Les premiers oppositionnels exclus du KPD(S) à Heidelberg à réagir sous forme organisée sont les Hambourgeois qu’animent, depuis l’époque de la guerre, le professeur d’histoire, puis journaliste, Heinrich Laufenberg et le journaliste Fritz Wplffheim, qui ont dirigé ensemble le conseil d’ouvriers et soldats de Hambourg à partir de novembre 1918 et animé la fraction communiste au congrès des conseils de décembre 1918 à Berlin. Dès octobre 1918, les deux hommes avaient défendu à Hambourg l’idée de la transformation de la révolution en guerre populaire révolutionnaire contre les impérialistes de l’Entente et l’alliance de l’Allemagne avec la Russie. En mai 1919, dans le Kommunistische Arbeiterzeitung de Hambourg, ils condamnent la signature éventuelle du traité de Versailles, qu’ils qualifient de capitulation devant l’impérialisme mondial. Bs ne sont pas attaqués par Levi sur ce terrain au congrès mais seulement pour leurs positions « syndicalistes ». Dès le lendemain de l’exclusion de tous les délégués de l’opposition, ils tentent de rallier derrière eux tous les groupes opposants en appelant à prendre contact avec eux toutes les organisations de parti du KPD qui pensent que la dictature du prolétariat doit être la dictature de la classe ouvrière et non celle des dirigeants d’un parti, qui pensent en outre que les actionsrévolutionnaires de masse ne sont pas commandées d’enhaut par un groupe de chefs mais doivent émaner de la volonté des masses elles-mêmes et être préparées par le rassemblement sur le plan de l’organisation des prolétaires révolutionnaires dans les organisations de masse sur la base de la démocratie la plus large2. Le 3 novembre, en supplément à leur journal, ils publient une « Première Adresse communiste au prolétariat allemand », bientôt publiée à part sous le titre Guerre populaire révolutionnaire ou Guerre civile contre-révolutionnaire ? - « antiparti », comme le sou­ ligne Thistorien Louis Dupeux, mais aussi « point d’ancrage d’un authentique nationa­ lisme communiste3 ». C’est dans les semaines qui ont suivi qu’ils ont pris, avec beaucoup de précautions, des contacts avec des éléments de la droite nationaliste, des cercles d’officiers à Hambourg mais aussi le comte Emst zu Reventlow - et non pas, comme la centrale du KPD(S) l’a assuré, avec le général von Lettow-Vorbeck. Laufenberg fut arrêté peu après.

1. Workers’ Dreadnought, 17juillet 1920. 2. Kommunistische Arbeiteneitung, Hambourg, 18 décembre 1919. 3.L. Dupeux, National-Bolchevisme, p. 106 et 107.

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L es

La

montée

c o m m u n ist es d e g a u c h e

En réalité, les nouvelles perspectives des Hambourgeois sont plutôt mal accueillies dans r opposition, fortement influencée par les deux théoriciens hollandais Hermann Gorter, installé à Berlin, et Anton Pannekoek, revenu à Brème. Maîtres à penser d’une gauche social-démocrate allemande avant guerre, revenus en novembre 1918, les deux hommes, qui ne peuvent accepter les positions des Hambourgeois, s’attachent à clarifier les questions où il y a désaccord avec la centrale. Pannekoek, il faut le souligner, est un marxiste convaincu, un savant rigoureux. Lénine, qui a pour lui de l’estime, est tout à fait convaincu qu’il est possible de le convaincre, lui et bien d’autres du même coup, en Péclairant. Pannekoek s’attache à développer ses positions dans une série d’articles parus dans Kommunismus de Brème, puis dans une étude intitulée La Révolution mondiale et la tactique communiste. Il rallie, au moins superficiellement, une bonne partie des gau­ chistes. Reconnaissant avec Radek et Levi que l’Allemagne a vu refluer sa révolution et que la révolution mondiale est condamnée à être un processus très long, il souligne qu’il existe bien deux tendances fondamentales dans le mouvement révolutionnaire. Étant donné que la révolution ne peut être l’œuvre de personne, et en particulier d’aucun parti, quelle que soit sa forme, il explique que l’opportunisme se cramponne au « parti », que le mouvement s’est divisé entre une aile « radicale » et une aile « opportuniste ». La première met en avant des principes nouveaux, le système des soviets et la dictature du prolétariat, l’autre utilise encore les vieux moyens, élections, Parlement, syndicats. La racine de tout cela se trouve selon lui dans le fait que les masses sont encore dans une large mesure soumises « au mode de pensée de la bourgeoisie », qui fait qu’elles conservent leur croyance « dans les partis, les organisations, les chefs ». L ’avenir de la révolution se situe dans les pays où la bourgeoisie est faible et encore récente et où le prolétariat est à l’abri de sa corruption et de son influence délétère. Rien d’étonnant, dans ces conditions, que les Brêmois Cari Becker et Paul Frolich en premier, ne manifestent aucun zèle pour une scission et pour la création d’un nouveau parti, et mènent le combat politique sur deux fronts, contre les Hambourgeois et contre la centrale « opportuniste ». Chargés du bureau d’information (te l’opposition, ils font prévaloir cette ligne et manifestent leur modération en février 1920 lors de la création de l’Union générale ouvrière d’Allemagne (AAUD), sans pour autant obtenir de concession de la centrale qui exige la rupture publique avec Wolffheim et Laufenberg avant d’envi­ sager quelque réadmission que ce soit dans les rangs du KPD(S). Déjà F opposition semble près de se décomposer. Une aile se détache ouvertement du marxisme, avec Otto Rühle, à qui Franz Pfemfert va emboîter le pas. Ici on célèbre un « communisme antiautoritaire », proche du communisme libertaire de l’anarchisme : on oppose la liberté d’initiative, la spontanéité, le refus de la discipline, que l’on tient pour des traits « prolétariens » par essence, à la discipline, à îa centralisation, à l’organisation, « bourgeoises » par définition.

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L a conférence d’Amsterdam

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Jusque-là, les débats avec Moscou se déroulent apparemment dans une atmosphère bon enfant, et ce n’est qu’en Allemagne qu’ils prennent, au moins dans îa polémique écrite, un tour âpre et violent. Mais tout commence à se gâter à la suite d’une série d’initiatives prises par le bureau d’Amsterdam et ses inspirateurs néerlandais. Partant du fait que l’exécutif de la Comintern à Moscou a décidé du renvoi, sans fixation immédiate d’une nouvelle date, de la conférence internationale prévue en Europe occidentale pour la fin

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G auchism e réc u rren t

e t opportunisme rampant

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dejanvier 1920, le bureau d’Amsterdam a convoqué sa propre conférence pour le 3 février. H a diffusé uniquement ses propres matériaux, et pas ceux du secrétariat de Berlin, invité avec beaucoup de retard les représentants de ce dernier et du KPD. Cette légèreté est d’autant plus impardonnable qu’il était parfaitement informé de l’existence de désaccords et de leur ampleur. Sûrs du caractère inoffensif d’une police qu’ils connaissent et tiennent pour pacifique, les Hollandais traitent joyeusement, bruyamment et ostensiblement leurs hôtes étrangers, les logeant dans les plus grands hôtels, se faisant remarquer, par exemple, en entonnant avec eux au café des chants révolutionnaires. Us désignent, apparemment sans problèmes, un bureau dont font partie des éléments connus pour leurs critiques du bolchevisme, particulièrement Hermann Gorter. Puis, devant les interpellations policières qui commencent, les attaques de la presse contre « la conférence des rouges », la découverte que les premiers jours des débats de la conférence ont été enregistrés, ils perdent la tête. Leurs dirigeants admettent auprès des policiers qu’ils ont organisé une « conférence communiste », tentent de faire refouler sans expli­ cation Clara Zetkin, qui est arrêtée et prend très mal toute l’affaire. C’en est fini du bureau d’Amsterdam. Il y aura seulement, résidu de ses quelques mois de travail, un bureau américain créé à México avec quelques-uns des participants à la désastreuse conférence de février 1920. On ne saura que plus tard que les Néerlandais ne sont pas les seuls responsables. La police fédérale américaine, dans une entreprise de longue haleine, avait réussi à placer un de ses hommes dans la confiance du délégué des Etats-Unis, Louis Fraina. L ’informateur, Nosivitsky, l’organisateur des écoutes, faisait un rapport quotidien à ses chefs et à ceux de la police britannique. Les bonnes gens com­ munistes d’Amsterdam ne faisaient décidément pas le poids. Le

b il a n d ’A m st er d a m

Ï 1 est tout de même difficile de comprendre ce qui s’est passé avec la conférence d’Amsterdam, Bien sûr, il y a eu une accumulation d’insuffisances matérielles, de tâches non accomplies, avec des décisions unilatérales, autoritaires, arbitraires, privant de leurs droits les communistes qui avaient une orientation différente, voire des nuances avec les organisateurs, retenant leurs documents. Les communistes qui ont pris ces initiatives croyaient-ils agir dans une situation d’urgence et être autorisés à prendre des mesures de « salut public » ? Ou bien ont-ils vraiment cru qu’une sorte de vacance du pouvoir dans l’Internationale les autorisait à trancher des discussions encore inentamées ? On penche tout de même plus pour la sottise ou la candeur que pour le cynisme et la brutalité comme clés du comportement des responsables d’Amsterdam. On ne peut tout de même pas s’empêcher de soupeser l’incommensurable incompétence et en même temps prétention qui les ont lancés dans une aventure pour laquelle rien ne les qualifiait et qui a fait des Hollandais, pendant quelques jours, de véritables inconnus dans leur propre maison, incapables de voir le danger quotidien que la police faisait peser sur un étranger ou sur un individu considéré comme subversif. Le bilan est plus lourd encore si l’on imagine l’effet produit par de telles « mésaventures » sur un révolutionnaire professionnel du parti russe ayant derrière lui quelques années de travail clandestin et l’idée qu’il pouvait en retirer du « parti mondial de la révolution socialiste ». Laissons de côté les fautes énormes contre la sécurité. Il en est de plus grosses contre la démocratie. Plusieurs des futurs « délégués » étaient déjà présents quand on décida de convoquer les autres. Le délégué de l’opposition allemande fut prévenu à temps. Ni le parti ni le bureau de Berlin ne le furent. Les textes préparatoires à la conférence émanant du secrétariat de Berlin ne furent pas diffusés par les organisateurs avant et lors de la

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montée

conférence, et ces derniers ne communiquèrent aux participants que les leurs. La confé­ rence crut aussi de son droit de répartir sans consultation des intéressés ni des organismes déjà existants les pays dépendant des deux bureaux d’Europe, se réservant l’Europe occidentale et cantonnant Berlin dans l’Europe centrale, prenant ainsi des décisions qui avaient tout d’un « coup d’État » au sein de l’Internationale ou d’un diktat prononçant des annexions. Les organisateurs avaient d’ailleurs déjà décidé, avant même sa tenue, de la composition des organes exécutifs qui appartenaient tous à un groupe politiquement homogène non ouvertement déclaré. Enfn, sur deux points au moins, les « décisions » de cette conférence, si elles avaient été appliquées, auraient coupé court à des discussions à peine commencées, par exemple celle de l’affiliation au Labour Party du futur PC bri­ tannique, défendue par le BSP et par... Lénine, ou encore la définition très américaine des syndicats de métier comme « aristocratie ouvrière », rejetant dans les pays occidentaux 16 millions de syndiqués dans cette catégorie ! La

fo n d atio n d u

KAPD

L ’oppposition, qui s’en allait à vau-l’eau pendant les premiers mois de 1920, fut ressuscitée par un choc qui l’électrisa, l’explosion de gauchisme qui suivit le putsch de Kapp, et, en particulier dans la Ruhr, les rivalités entre petits groupes et petits chefs pour se déborder mutuellement sur leur gauche dans le jusqu’au-boutisme le plus suicidaire après la fin de la grève générale. Aux yeux des anciens de l’opposition exclus à Heidelberg, les travailleurs allemands jusqu’au dernier avaient désormais « compris » la « trahison » de la « centrale Levi » au jour du putsch : celle-ci avait selon eux appelé à la passivité* puis défendu le respect des accords de Bielefeld, ce qui revenait à faire déposer les armes aux ouvriers devant l’ennemi de classe. C’est Karl Schroder, trente-cinq ans, militant d’avant guerre, intellectuel lié à Mehring, puis à Liebknecht et Rosa Luxemburg, disciple d’Hermann Gorter, qui, de Berlin, prit l’initiative de convoquer une conférence de l’oppo­ sition communiste pour lui poser la question de la fondation d’un nouveau parti commu­ niste. Onze délégués de Berlin, rejoints par vingt-quatre délégués d’organisations de province, représentant, assurèrent-ils, environ 38 000 militants, répondirent à son appel Le groupe de Brème, qui, avec 8 000 membres, était l’un des plus importants, n’était pas venu et, Cari Becker en tête, demandait sa réintégration dans le KPD(S). La conférence décida de fonder le Kommunistische Arbeiterpartei Deutschlands, KAPD, Parti communiste ouvrier d’Allemagne. Ce parti était censé être d’un style nou­ veau, libéré de tout chef, tournant le dos non seulement à la « centrale Levi » à cause de sa « trahison » mais au « parti vieux style Spartakus ». Il se disait « porté par les sentiments antiautoritaires des masses ». Son programme correspondait en tout point aux grandes lignes définies récemment par Anton Pannekoek. Il comportait ces phrases, copiées plus tard par Lénine avec indignation : Deux partis communistes se trouvent maintenant en présence.

L’un est le parti des chefs qui entend organiser la lutte révolutionnaire et la diriger par en haut, acceptant les compromis et le parlementarisme, afin de créer des situations permettant à ces chefs d’entrer d’entrer dans un gouvernement de coalition qui détiendrait la dictature. L ’autre est le parti des masses qui attend d’en bas l’essor de la lutte révolutionnaire, qui ne connaît et n’applique dans cette lutte que la seule méthode menant clairement au but, qui repousse toutes les méthodes parlementaires et opportunistes. Cette unique méthode est celle du renverse­ ment résolu de la bourgeoisie afin d’instaurer la dictature prolétarienne de classe et réaliser le socialisme. [...]

G auchisme

récurren t et opportunisme rampant

143

Là, c’est la dictature des chefs ; ici, c’est la direction des masses ! Tel est notre mot d’ordre4.

Les conditions objectives de la révolution prolétarienne étaient plus que mûres, mais la condition subjective, l’état d’esprit du prolétariat, elle, ne l’était pas encore, et il fallait « développer sa conscience de classe », ce qui était le rôle du parti : « Le KAPD n’est pas un parti traditionnel. Il n’est pas un parti de chefs. Son travail essentiel consistera à soutenir l’émancipation du prolétariat à l’égard de toute direction [...]. L ’émancipation du prolétariat à l’égard de toute politique traître et contre-révolutionnaire de dirigeants quels qu’ils soient est le moyen le plus authentique de sa libération5. » Enfin, tout en sollicitant son admission dans l’Internationale communiste, le congrès du KAPD condam­ nait sans appel, comme « opportuniste », le travail dans les syndicats réformistes ou dans les Parlements. Il annonçait aussi son intention dejouer un rôle actif dans les organisations para-militaires illégales, avec les autres partis ouvriers, les « organisations de combat ». H ne fut pratiquement pas question de la naissance du KAPD au 3econgrès du KPD(S), qui suivit de près sa naissance. En revanche, le secrétariat d’Europe occidentale de la Comintem à Berlin fit une déclaration concernant sa demande d’adhésion à l’Internatio­ nale communiste. C’était une vraie déclaration de guerre, utilisant à fond la présence de Laufenberg et de Wolffheim dans le nouveau parti. R ipo st e

a u x g a u c h ist es

Les premières ripostes sont évidemment rédigées par Radek et dirigées contre les pires des gauchistes allemands, Wolffheim et Laufenberg. Il s’attache notamment à démontrer combien est illusoire leur idée de se débarrasser du traité de Versailles en surprenant l’ennemi par une « offensive immédiate » : « fanfaronnades », « politique de café du Com­ merce », dit-il, et de plus dangereuse, qui ferait le jeu de la droite nationaliste en France. L’affaire du putsch de Kapp et de ses lendemains une fois passés, on peut en venir à la clarification qui s’impose sur le fond. Une résolution du mois de mai de l’exécutif de l'Internationale communiste met fin à la mission du bureau d’Amsterdam : Il a été décidé à l’unanimité d’annuler le mandat du bureau d’Amsterdam étant donné que celui-ci défend sur toutes ces questions (élections, syndicats) un point de vue opposé à celui de l’exécutif. Ses fonctions sont dévolues au secrétariat d’Europe occidentale. Si des conférences partielles de partis adhérents à la HF Internationale sont réunies, leurs décisions ne peuvent avoir qu’un caractère préparatoire. Seul le congrès international convoqué par le comité exécutif peut prendre des décisions définitives4.

Wolffheim et Laufenberg se discréditent par la bassesse de leurs attaques contre Paul Levi, qu’ils traitent de Judas qui a « poignardé dans le dos » le front allemand en 1918, se laissant même aller à son propos à des injures antisémites. A l’été 1920, ils ont disparu du mouvement révolutionnaire. Mais, comme l’hydre de la légende, le gauchisme, toujours décapité, voit repousser sur lui de nouvelles têtes. Bordiga s’enhardit sur ses positions abstentionnistes et pose le problème de la présence dans le PSI d’un Turati qui mène au Parlement la politique de son choix et se moque ouvertement de ceux de son parti. H s’adresse à la Comintem par écrit. Le petit parti belge de War van Overstraeten se joint à son tour au chœur des « antiparlementaristes ». Un nouveau centre de sensibilité gauchiste surgit avec le bureau de Vienne et surtout sa revue Kommunismus, pourtant dirigée par Krasny, un proche de Radek, S’additionnent 4. Transcrit effectivement avec indignation par Lénine dans Œuvres, t. XXXI, p. 35. 5. Communiqué sur la dissolution du bureau d’Amsterdam, DCIC, p. 437. 6. Auîre communiqué DCIC, p. 436.

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m ontée

et se combinent en ce sens plusieurs influences : celle du sectaire PC autrichien, celle surtout de Béla Kun et du groupe d’émigrés hongrois de Vienne, avec à leur tête l’intel­ lectuel Gyorgy Lukàcs. Ce dernier s’efforce de rattacher la participation électorale non aux principes mais à la tactique, et Lénine le juge nul. Béla Kun, lui, invente à ce sujet ce qu’il appelle « le boycott actif », « l’agitation révolutionnaire aussi large que si le parti participait aux débats ». Lénine se gausse de lui. L’historien Franz Borkenau pense pour sa part que le philosophe, dans sa langue spéciale, était alors en train de caricaturer en la poussantjusqu’à l’absurde la pensée de Lénine, faisant du parti l’unique et tout puissant facteur de l’histoire, donc de la révolution. N o u v e lle

in t er v en t io n d e

L én in e

Lénine, avec l’affaire d’Amsterdam, s’est décidé à intervenir sur îa question du gau­ chisme dans la discussion internationale ouverte par une décision du CE de Î’IC du 1erseptembre et restée assez confuse. Il s’agit de porter sur îe plan international la bataille publique d’idées. Il écrit le long texte intitulé La Maladie infantile du communisme, le gauchisme, avant de connaître la fondation du KAPD, et en écrit les dernières lignes au mois de mai 1920. Est-ce de sa part un désir de s’expliquer sur îa validité de l’expérience russe qui lui reste de la discussion précédente avec Thalheimer ? En tout cas, il commence par une longue explication selon laquelle certains traits de l’expérience russe ont une portée internationale, c’est-à-dire une influence sur tous les pays, les mêmes traits se répétant inévitablement à l’échelle internationale. Il ajoute aussitôt, comme s’il pressentait l’usage nuisible qui pourrait être fait de cette idée systématisée, qu’il ne s’agit que des traits essentiels et que, dès îa victoire de îa révolution dans un pays avancé, la Russie redeviendra bientôt, non plus exemplaire, mais retardataire au point de vue « soviétique » et socialiste. Il s’attache ensuite longuement à une idée intéressante sur la résistance que rencontre îe prolétariat dans sa révolution et sur ce qui en découle selon lui : La dictature duprolétariat, c’est la guerre la plus héroïque et la plus implacable de la nouvelle classe contre un ennemi plus puissant, contre la bourgeoisie dont la résistance est décuplée du fait de son renversement et dont la puissance ne réside pas seulement dans la force du capital international, dans la force et îa solidité internationales des liaisons dela bourgeoisie, mais encore dans la force de l'habitude, dans la force de îa petite production. Car malheureusement il reste encore au monde une très, très grande quantité de petite production : or la petite production engendre le capitalisme et la bourgeoisie, constamment, chaquejour, à chaque heure, spontané­ ment et dans de vastes proportions. Pour toutes ces raisons, la dictature du prolétariat est indis­ pensable et il est impossible de vaincre la bourgeoisie sans une guerre prolongée, opiniâtre, acharnée, sans une guerreà mort qui exige la maîtrise de soi, la discipline, îa fermeté, une volonté une et inflexible7. C’est là le premier trait commun que îe monde emprunte à îa révolution russe. C’est cette tâche, dans ces conditions, qui exige un parti fort, solide, discipliné, trempé. Les autres traits sont la lutte contre l’opportunisme et, comme si elle était son revers, la lutte contre « l’esprit révolutionnaire petit-bourgeois qui frise l’anarchisme ». Il soulignera plus loin : L’Histoire, soit dit en passant, a confirmé aujourd’hui sur une vaste échelle, à l’échelle mondiale, ce que nous avons toujours défendu, à savoir que la social-démocratie révolutionnaire d’Allemagne ressemblait le plus au parti dont le prolétariat révolutionnaire a besoin pour vaincre. Maintenant, en 1920, après toutes les honteuses faillites et les crises de l’époque de la guerre et des premières années qui la suivirent, il apparaît clairement que, de tous les partis d’Occident, 7. Lénine, Œuvres, t. XXXI, p. 17-18,

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c’est la social-démocratie révolutionnaire d’Allemagne qui a donné les meilleurs chefs, qui s’est remise sur pied, s’est rétablie, a repris des forces avant les autres. On peut le voir dans le parti spartakiste et dans l’aile gauche, prolétarienne, du Parti social-démocrate indépendant d’Allema­ gne qui mène sans défaillance la lutte contre l’opportunisme et le manque de caractère des Kautsky, des Hilferding, des Ledebour et des Crispien8.

Revenant à l’histoire bolchevique, il mentionne les deux affaires au cours desquelles ce parti a souffert de gauchisme : en 1908, lorsque certains refusaient d’utiliser le Parle­ ment le plus réactionnaire qui soit, et en 1918, quand d’autres gauchistes refusaient le « compromis » c’est-à-dire l’acceptation du diktat de Brest-Litovsk qui devait permettre à la révolution de survivre. Il rappelle que les syndicats ont marqué un progrès gigantesque de la classe ouvrière au début du développement du capitalisme et ont marqué le passage de l’état de dispersion et d’impuissance aux premières ébauches du groupement de classe. B est vrai qu’un certain esprit réactionnaire y est inévitable, qu’ils sont souvent aux mains de l’aristocratie ouvrière, mais il ne s’agit pas de lutter contre elle ou telle catégorie d’ouvriers : il faut les conquérir tous en les arrachant à l’influence de l’ennemi : « Ne pas travailler dans les syndicats réactionnaires, c’est abandonner les masses ouvrières insuf­ fisamment développées ou arriérées à l’influence des leaders réactionnaires, des agents de la bourgeoisie, des aristocrates ouvriers ou des ouvriers embourgeoisés9. » Sur Faction parlementaire, il retourne contre les gauchistes tout leur argument : « La critique la plus violente, la plus implacable, îa plus intransigeante, doit être dirigée non point contre le parlementarisme ou Faction parlementaire, mais contre les chefs qui ne savent pas - et plus encore qui ne veulent pas - tirer parti des élections au Parlement et de la tribune parlementaire en révolutionnaires et communistes10. » Dans le chapitre consacré aux communistes « de gauche » britanniques, Lénine n’est pas moins sévère, La tactique préconisée par Sylvia Pankhurst n’est selon lui qu’un « enfantillage d’intellectuels ». Il rappelle que la révolution ne peut vaincre que lorsque « ceux d’en bas » ne veulent plus et que « ceux d’en haut » ne peuvent plus continuer à vivre à l’ancienne manière. Le parti de la classe ouvrière doit donc d’abord obliger les prétendus socialistes Henderson et Snowden à battre les bourgeois Lloyd George et Churchill, puis aider la classe ouvrière à comprendre qu’ils ne sont que des « bons à rien ». Concrètement, cela veut dire constituer un parti communiste unifié, proposer au Labour une alliance électorale, tout en conservant à son égard une totale liberté. La démonstration est dans l’ensemble percutante. Lénine montre bien que les communistes de gauche prennent leurs désirs pour une réalité objective, que, pour gagner la majorité des opprimés, il faut une tactique : « Le tout est de savoir employer cette tactique à élever et non à abaisser dans le camp du prolétariat le niveau général de conscience, d’esprit révolutionnaire, de capacité de lutte et de victoire u. » La réponse de Gorter à Lénine semble, elle, curieusement en dehors des luttes quoti­ diennes et même de l’impatience activiste des communistes de gauche. Il reste selon lui à gagner l’avant-garde, ce qui signifie arracher l’ouvrier à la propagande bourgeoise qui l’étreint à travers les élections et les syndicats. Seul un travail depropagande et d’éducation peut y parvenir. Il ne s’agit pas aujourd’hui de créer des partis de masses mais «des noyaux purs et solides de communistes12 ». 8. Ibidem, p. 28. 9. Ibidem, p. 48. 10. Ibidem, p. 61. II.Ibidem, p. 70. 12. H. Gorter, Offener Brief an den Genossen Lenin, p. 108.

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montée

L e KAPD et la Comintern Pourtant, le KAPD va lutter pour être affilié à l’Internationale communiste. Le groupe de Berlin en particulier semble avoir donné à cette affiliation une énorme importance. Au congrès de fondation, son rapporteur souligne qu’il ne s’agit pas pour îe nouveau parti de demander son adhésion à îa Comintern, mais seulement de l’expliquer. Les gens du KAPD expliquent qu’il y a un accord fondamental entre le programme révolutionnaire du KAPD et celui de la Comintern, alors que la « centrale Levi », dont on connaît la politique opportuniste, a été hostile à la fondation de îa Comintern. C’est une résolution unanime qui a proclamé que le KAPD se tenait fermement sur le terrain de la IIIeInter­ nationale. Il ne fallait pas s’attendre à une sympathie quelconque du bureau de Berlin, dont nous avons indiqué qu’il avait déclaré la guerre au KAPD dans son communiqué du 18 avril, assurant notamment : Au cours des dernières semaines, la position du KAP a été ia suivante : 1. Il a entretenu des relations avec des officiers kappistes et provoqué ainsi îe risque de putschs agencés par des agents provocateurs. 2. En relation avec ces officiers kappistes, il a renouvelé ses concessions au nationalbolchevisme et est allé plus loin dans la complicité avec lui qu’il n’était allé jusque-là de par l’appartenance à ses rangs du groupe national-bolcheviste bien connu. 3. U préconise la terreur individuelle et le sabotage industriel. 4. Il croit de son devoir de combattre, y compris par des méthodes terroristes, le KPD(S) adhérent de l’Internationale communiste. U est possible de prévoir la décision que prendra l’Inter­ nationale communiste au sujet de la demande d’adhésion du KAPD d’après le passage suivant de la réponse de l’exécutif de TIC à la lettre de l’USPD concernant son adhésion : « Pas un mot dans les décisions de son congrès sur l’unification avec le KPD. L'unité du prolétariat révolutionnaire l’exige. On ne peut reconnaître sincèrement la dictature du prolétariat et le pouvoir des soviets si l’on ne veut pas en même temps prendre des mesures réelles, sérieuses, conscientes, pour que l ’avant-garde du prolétariat de ce pays, qui a prouvé par une lutte longue et dure (contre les opportunistes aussi bien que contre les syndicalistes et les demi-anarchistes soi-disant de gauche) sa capacité à conduire la classe ouvrière vers cette dictature, bénéficie du soutien de tous les ouvriers conscients, pour que son autorité soit renforcée et la tradition ainsi acquise soigneusement préservée et développée. La Ligue Spartakus en Allemagne, qui a été fondée par des dirigeants comme Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht, constitue précisément une avant-garde qui a acquis une importance internationale et il est impossible de la passer sous silence comme le font les Indépendants d'Allemagne

»

Avec cette fin de non-recevoir, il ne restait plus que de tenter d’avoir à, Moscou, des discussions directes avec les dirigeants de îa Comintern. Ce fut l’objectif du voyage aventureux entrepris par îe marin Jan Appel et îe jeune intellectuel et artiste Franz Jung. Partis sur un bateau de pêche, qu’ils détournèrent en haute mer, contraignant l’équipage à se diriger vers Mourmansk, ils arrivèrent à Moscou le 1er mai et y furent amicalement reçus, rencontrant longuement Lénine, Zinoviev, Radek. Lénine îeur fit lire des passages de son travail, terminé depuis quelques jours, mais pas encore publié. Les deux délégués, comme ils devaient îe confesser plus tard, se sentaient assez mal à l’aise, n’ayant pas eu connaissance avant leur départ du programme de leur parti - vivement critiqué par leurs interlocuteurs - et étant personnellement hostiles à la politique de Wolffheim et Laufenberg, dont îa présence dans le KAPD était au centre des accusations contre leur parti. 13. Communiqué du secrétariat d’Europe occidentale, Die Rote Fahne, 18 avril 1920, DCIC. p. 344.

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Après un mois de longues entrevues et séances de travail et une réunion spéciale de l’exécutif, la réponse fut donnée sous la forme d’une lettre de l’exécutif de la Comintem en date du 2 juin. Elle commence par une affirmation destinée à fixer le cadre du débat : « Nous savons que l’énorme majorité des membres du KAPD sont des travailleurs sincères, desrévolutionnaires, qu’ils sont pénétrés de la volonté sacrée de lutter pour l’émancipation du prolétariat, qu’ils sont profondément convaincus de se situer sur le terrain de l’Inter­ nationale communiste. Nous savons également que notrejugement sur l’attitude du KAPD les peinera u. » Le comité exécutif a pour tâche d’être « le centre de gravité politique dirigeant des mouvements ouvriers de tous les pays » et, dans le cas présent, doit s’expri­ mer tout à fait ouvertement sur la nature des controverses. Aussi commence-t-il par déclarer sans ambages que les conceptions du KAPD, à la différence de celles du KPD(S), sont « une déviation directe du communisme ». Sur la question du mot d’ordre de sortie des syndicats qui a été lancé par le KAPD, l’exécutif rappelle que la majorité des travailleurs allemands sont syndiqués et reconnaît bien volontiers que les accusations contre les bureaucrates syndicaux portées par le KAPD sont justes, mais assure que c’est précisément pourquoi le mot d’ordre de sortie « est un mot d’ordre insensé qui ne fait que renforcer les bureaucrates syndicaux haïs ». Après des explications longues et détaillées, il conclut sur ce point : « Non pas sortie des syndicats, non pas renoncement méprisant, aristocratique, au travail dans les syndicats,

mais travail assidu au sein des syndicats, formation de fractions communistes jusque dans les plus petites sections des syndicats, lutte inlassable contre la social-démocratie dans les syndicats, travail syndical systématique, afin d’arracher cet instrument d'asservisse­ ment des travailleurs des mains des agents du capital15. » Sur la question du parlementarisme, l’exécutif assure qu’il ne peut en aucun cas s’agir d’un motif de scission, rappelle aussi l’expérience russe et celle de Liebknecht au Reichstag pendant îa guerre pour dire qu’il est opposé aux positions du KAPD. H consacre ensuite un long développement aux divergences sur le rôle du parti com­ muniste dans la révolution. Les communistes de gauche « confondent désespérément les concepts de classe et de parti ; ils oublient que le parti est Vavant-garde de îa classe ouvrière, sa fraction la plus avancée. Ils oublient que la tâche de l’avant-garde [...] est d’élever les masses jusqu’au niveau de l’avant-garde [...] ils oublient que le parti com­ muniste est le cerveau de la classe ouvrière, son état-major général, sans lequel le puissant ennemi, la bourgeoisie, ne peut pas être vaincuî6 ». Il reprend les arguments bien connus de Lénine sur la centralisation de fer et la discipline militaire absolument nécessaires à la victoire, et sur le tort que cause à la classe ouvrière « la moindre fausse note, la moindre concession aux anarchistes [...] sur le rôle du parti communiste dans la révolution prolé­ tarienne 17 ». Après un développement consacré aux Indépendants sur lequel nous reviendrons plus loin, l’exécutif de la Comintem aborde la question de la présence, dans le KAPD, de Wolffheim et Laufenberg, dont « la guerre contre l’Entente est l’alpha et l’oméga de la politiquei8 ». L ’exécutif, particulièrement bien documenté sur ce point, mentionne un article de Laufenberg, empli, dit-il, de « poison nationaliste » dans le journal du KAPD, le manifeste du 1er mai de Laufenberg, Communisme contre spartakisme : « Dans le style des misérables plumitifs du nationalisme allemand, Laufenberg et Wolffheim ont pu, au 14. « Lettre ouverte aux membres du KAPD », DCIC, p. 224. 15. Ibidem, p. 230. 16. Ibidem, p. 233. 17. Ibidem, p. 235. 18. Ibidem, p. 236.

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nom de toute une organisation de votre parti, accuser Paul Levi d’avoir poignardé le front allemand par son agitation ! [...] Ce que Laufenberg et Wolffheim reprochent au Spartakusbund constitue en fait son acte de gloire dans l’histoire de la révolution mondiale19. » Sur ce point, l’atttitude du KAPD est inacceptable : soutenir Wolffheim et Laufenberg, assure l’exécutif, c’est finalement rejeter sur les spartakistes la responsabilité du sang versé et blanchir les bourreaux contre-révolutionnaires de l’armée, des corps francs et de la social-démocratie. Aussi, sur ce point, rend-il un véritable verdict en forme d’ultima­ tum: Le comité exécutif de l’Internationale communiste a déclaré à vos délégués qu’il ne peut pas vous considérer comme un parti communiste révolutionnaire sérieux tant que vous admettrez chez vous ces calomniateurs infâmes de ia glorieuse histoire du communisme allemand, tant que vous tolérerez dans vos rangs des gens et des organisations qui piétinent les principes mêmes du communisme. Vos représentants se sont vus contraints de reconnaître solennellement qu’ils exi­ geraient à leur retour en Allemagne l’exclusion de Laufenberg et de Wolffheim, ainsi que des organisations qui se reconnaissent dans leur point de vue. Nous saluons ce réveil de l’honneur prolétarien et de la clairvoyance prolétarienne de vos délégués et espérons fermement que vous remplirez vos devoirs solennellement acceptés et que vous vous fraierez la voie vers î’Internationale communiste20.

Il apparaît de même à l’exécutif qu’il est incompatible avec l’appartenance à un parti membre de l’Internationale communiste d’affirmer en même temps être opposé à l’exis­ tence même de l’Internationale communiste, comme Otto Rühle l’a fait le 18 avril au congrès de l’organisation de Dresde du KAPD. Les délégués du KAPD ont accepté de réclamer l’exclusion de Rühle et des organisations qui partagent son point de vue, L ’exé­ cutif prévient : « Nous attendons de vous que vous accomplissiez cette tâche. Vous devez l’accomplir si vous voulez venir au congrès international en tant que parti communiste. [...] La condition est une déclaration préalable affirmant que vous vous soumettrez aux résolutions du congrès de l’Internationale communiste21. » Après une dernière remarque concernant une phrase « ouvriériste » dans le programme du KAPD, qu’il traite de « point de vue absolument insensé et démagogique », expression de « la politique anarchiste petite-bourgeoise », l’exécutif termine son long message par une proposition pratique s’ajoutant aux conditions précitées, la constitution immédiate avec la centrale du KPD(S) d’un bureau paritaire sous la présidence d’un membre de l’exécutif de la Comintern. Sa conclusion est celle d’un organisme qui n’hésite pas à s’affirmer et semble convaincu que la discussion sérieuse lui donnera raison : Nous vous avons dit ouvertement notre opinion sur les questions controversées. Il n’existe pas pour nous de « neutralité » dans la lutte pour la victoire de la révolution mondiale. Il n’existe pas pour nous de « pays étranger» où l’Internationale n’aurait pas le droit de s’immiscer. L ’Interna­ tionale est la patrie de tous les travailleurs ; elle le fut dans les thèses écrites par Rosa Luxemburg et qui représentaient un phare pour les meilleurs travailleurs révolutionnaires allemands à l’époque où ils versaient leur sang sur les champs de bataille pour la patrie capitaliste. Nous sommes convaincus que chaque travailleur révolutionnaire allemand saluera notre franchise de langage, quelles que soient ses positions à l’égard des idées qui y sont exposées. Faites en sorte que notre lettre vous parvienne à des milliers d’exemplaires, qu’elle devienne l’objet de discussions sérieuses de votre organisation, que l’opinion publique des membres du KAPD contraigne vos dirigeants 19. Ibidem, p. 237-238. 20. ibidem, p. 239. 21. Ibidem, p. 240.

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à faire abstraction de tout amour-propre et à songer à ce qui est enjeu pour vous. (...) Ne prenez pas votre décision à la légère. Prenez-la après mûre réflexion et après une discussion motivée. Puisse notre lettre fraternelle contribuer à unifier les ouvriers communistes d’Allemagne en un front de lutte résolu22.

En fait la lettre a mis énormément de temps pour atteindre îe KAPD. Dans l’intervalle, sans nouvelles d’Appel et de Jung, le KAPD a envoyé deux nouveaux délégués, August Merges et Otto Rühle, dont les entretiens avec l’exécutif ne commenceront que le Î9 juillet. L es I n d épen d a n ts

fa c e à

M o sco u

Il y avait dans îa Comintern un désaccord sur la question du parti indépendant allemand. Lénine avait parlé de ce parti avec beaucoup de sécheresse. Sous îe nom d’Arnold Struthahn, en revanche, Karl Radek avait écrit qu’il constituait « un tournant dans l’histoire du mouvement ouvrier allemand [...] une pierre angulaire dans le développement de la révolution prolétarienne mondiale23 ». Lénine pendant ce temps continuait à vitupérer ceux qu’il appelait « les kautskystes » ~ Karî Kautsky étant membre de l’USPD. A îa lettre de Crispien proposant une conférence internationale, le bureau de Berlin, en dépit de Paul Levi, réagissait dèsjanvier 1920 avec une circulaire d’une grande brutalité, disant qu’il restait aux indépendants à démontrer qu’ils étaient révolutionnaires et à se débarrasser des social-patriotes, précisant enfin qu’il n’accepterait de discussions que publiques. La réponse de l’exécutif de la Comintern en date du 5 février est-elle plus positive ? Oui, bien qu’elle soit adressée en premier îieu « aux travailleurs allemands », en deuxième « à la centrale du KPD(S) » et seulement à la fin « au comité central de l’USPD ». Oui, bien qu’elle soit un long réquisitoire contre les dirigeants indépendants pour leur comportement dans le cours de la révolution, leurs erreurs, leur agitationpropagande et leur organisation « petites-bourgeoises démocratiques » et non « révolutionnaires-prolétariennes », ne reconnaissant que du bout des lèvres la dictature du pro­ létariat et le système soviétique. Oui enfin parce que, au bout de la philippique, iî y a des propositions : ouvrir des discussions bilatérales directes en envoyant à Moscou des délé­ gués de l’USPD, étudier un élargissement du programme de î’Internationale, îa fusion avec le KPD(S). Bien entendu, toute collaboration est refusée d’avance avec « les diri­ geants de droite des Indépendants ». Tout s’arrête là, pour des mois. C’est en effet au tout début d’avril, soit trois mois plus tard, que Mikhaïl Borodine se présente dans les locaux de l’USPD, porteur de cette lettre du 5 février 1920 que les dirigeants indépendants, qui se disent étonnés de ce retard, ne publieront eux-mêmes qu’à partir du 29 mai dans leurs journaux, un mois après Die Rote Fahne (23 et du 26 au 28 avril). C’est le coup d’accélérateur après la pause. Borodine a insisté auprès de Crispien pour l’envoi à Moscou d’une délégation. Des gens de la gauche indépendante prennent des positions de combat, comme Wilhelm Herzog, qui titre son numéro de Forum : « De Moscou à Leipzig. Clarté à tout prix î » Chliapnikov, qui séjourne à Berlin comme représentant des syndicats russes, est invité à une séance de l’exécutif indépendant îe 7 mai. Il dément que Moscou ait posé quelque préalable aux pourparlers, du type exclusion d’éléments droitiers ou fusion avec îe KPD(S). En fait, Lénine a changé d’attitude, parce qu’il a été convaincu. Déjà dans La Maladie infantile, achevée un peu avant la fin d’avril, il écrivait : 22. OC/C, p. 242. 23. A. Struthahn, « Les Indépendants « l’Internationale », Die Internationale, 1er novembre 1919, p. 299.

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L ’USPD manque nettement d’homogénéité : à côté des vieux chefs opportunistes (Kautsky, Hilferding et vraisemblablement, dans une large mesure, Crispien, Ledebour et autres) qui ont prouvé leur incapacité à comprendre la signification du pouvoir des soviets et de la dictature du prolétariat, leur incapacité à diriger ce dernier, il s’est formé dans ce parti une aile gauche, prolétarienne, qui suit une progression rapide. Des centaines de milliers de membres de ce parti (qui en compte, je crois, jusqu’à 3/4 de million) sont des prolétaires qui [...] marchent à grands pas vers le communisme. [...] Redouter un « compromis » avec cette aile du parti serait tout simplement ridicule. Au contraire, les communistes se doivent de chercher et de trouver une forme appropriée de compromis susceptible de hâter la complète et nécessaire fusion avec cette aile24,

. Il

H revient dans l’annexe du livre sur la question de la « déclaration d’opposition loyale » et la justifie, nous le savons, par la nécessité d’un compromis indispensable avec les ouvriers indépendants. La suite sejouera à Moscou et aussi dans toutes les villes ouvrières allemandes. L ’Internationale vit.

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e t e s p o ir s

Au moment où les enjeux commençaient à s’élever, c’était encore et toujours l’Ailemagne qui tenait la tête, avec cette fois une perspective surprenante et grandiose, un parti communiste se comptant en centaines de milliers de membres. Les choses sont pourtant loin de se développer partout au même rythme. Et l’on enregistre des déceptions dans des pays sur lesquels les bolcheviks avaient nourri des espérances pourtant apparemment raisonnables En Tchécoslovaquie25, les Russes avaient cru que les cadres recrutés dans les camps de prisonniers de guerre opéreraient rapidement leur fusion avec les éléments avancés de la classe ouvrière de Bohême et de Moravie au moins. Les Tchèques étaient les seuls que les Russes avaient autorisés à former en Russie un parti communiste et les avaient très vite renvoyés au pays, où l’écrivain Ivan Olbracht, venu à son compte en Russie, les avait rejoints. La déception est grande. La combativité ouvrière est réelle partout, mais les réactions nationales diverses. La Bohême est sortie de la guerre obnubilée par la fragilité de l’indépendance nationale enfin acquise et par le souci de ne pas la perdre, alors que les minorités, Slovaques, Hongrois, Allemands, pensent qu’ils ont été joués et paient les dettes qui ne sont pas leurs. A peine sont-ils de retour au pays qu’Alois Muna et ses camarades se retrouvent les cibles de leurs adversaires et compatriotes de la guerre civile, les « légionnaires » de I’ex-Légion tchèque, motivés par la solidarité des combats et la haine du communisme. Les communistes venus d’URSS s’établissent en majorité à Kladno, centre ouvrier de métallurgie et de mines, où ils sont sous la protection des travailleurs, pour qui ils symbolisent à la fois les aspirations ouvrières et la révolution russe. La gauche socialdémocrate les a accueillis à bras ouverts. Mais elle est prudente. L ’appel qu’elle leur a lancé à leur retour souligne les différences qui existent entre la Tchécoslovaquie et l’Ailemagne ou la Russie. Pour elle, la situation de la Tchécoslovaquie est exceptionnelle et unique puisque le gouvernement national, obtenu après des siècles, a promis de satisfaire les revendications minimales des ouvriers et de répondre aux aspirations à des réformes démocratiques du Parti social-démocrate. La difficulté d’une scission apparaît d’ailleurs dans le destin personnel de Muna. 24. Lénine, Œuvres, t. XXXI, p. 69-70. 25. On a utilisé ici îe livre de Zinner, The Communist Party Straiegy and Tactics in Czechoslovakia, 1918-1948, ainsi que l’article de G. Skilling, « The Formation of a Coirununist Party in Czechoslovkja ».

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Celui-ci développe dans son journal de Kladno la ligne communiste, indépendamment de la gauche social-démocrate. A Prague, une autre cellule communiste, dirigée par Handiïr, en iiaison radio avec Moscou, développe elle aussi les thèmes de îa Comintern. Muna est exclu du parti par î’exécutif en janvier 1919, par 25 voix contre 20. La mesure n’est pourtant ratifiée par aucun des échelons inférieurs - que la gauche contrôle. Cela n’empê­ che pas la même gauche, au même moment, d’assurer que la politique bolchevique et spartakiste n’a apporté que « ruine et catastrophe » en Russie et en Allemagne. Maîtresse d’une partie de l’appareil - elle est majoritaire à Kladno, mais aussi à Bmo et Ostrava -, elle entend bien s’emparer du parti de l’intérieur, mais proclame qu’elle refuse d’employer la violence. Pour l’instant, elle se définit seulement, dans le parti, comme la Gauche marxiste (Marxisticka levice). Le leader de la Gauche marxiste tchèque est Bohumir Smeral. C’est un politicien consommé qui a joué pendant îa guerre la carte de î’austro-slavisme, l’obtention de l’indépendance tchèque par îa monarchie. Alfred Rosmer a séjourné à Prague quelques jours en mai 1920. Il écrit, sans doute avec une excessive sévérité un peu puritaine : La lutte était fort vive à l’intérieur du parti ; ses dirigeants voulaient maintenir ia coalition réalisée pendant îa guerre entre la bourgeoisie nationale de Masaryk-BeneS et le Parti, socialdémocrate, malgré les critiques d’une forte opposition qui demandait la rupture et le retour à une politique socialiste de lutte de classe. [...] Je fus frappé par la façon dont mes interlocuteurs parlaient de Bohumir Smeral : c’était un opportuniste avéré ; il avait été député au Reichsrat sous les Habsbourg et avait fait, si l’on peut dire, ses preuves. Ils en étaient embarrassés mais ne pouvaient cependant se défendre d’une certaine admiration pour son habileté de politicien madré. Ils répétèrent plusieurs fois qu’« on ne pouvait rien faire sans Smeral », comme répondant à une objection toujours présente26.

On estime généralement que la gauche pouvait compter sur les trois quarts, voire les deux tiers des membres du parti. Mais elle ne cherchait pas à s’emparer de la direction et surtout à exclure îa droite. En 1920, îa Comintern s’impatiente et demande à Bohumir Smeral de s’identifier clairement au communisme, de rompre avec le suivisme et de cesser de jouer, avec sa tendance, à être un observateur du développement politique, Smeral, comme les gens de l’exécutif, sait qu’il faudra un jour régler la question. Au cours d’une rencontre à Moscou avec Lénine, le 5 mai 1920, il lui assure que îe prolétariat tchèque est révolutionnaire mais qu’il n’est pas prêt pour autant à tout perdre, comme l’ont fait les ouvriers de Vienne et de Budapest. Selon Hana Majderovâ, iî a également rencontré, outre Lénine, Trotsky, Radek, Zinoviev. Tous lui font confiance, tous pensent que sa tactique est juste27. Lui, en réalité, n’a gagné que du temps, mais c’est particulièrement précieux à ce moment. Les critiques et réserves contre lui proviennent de îa gauche tchèque, tant qu’il ne se décide pas, de Muna, d’Olbracht, sous l’influence russe tous les deux, et du dirigeant ouvrier de Kladno, Antonin Zâpotockÿ. Elles viennent aussi des Allemands et de leur leader Karl Kreibich, de Reichenberg, qui a soutenu îa position de Lénine contre la guerre dès 1914. Iî y a aussi des marxistes slovaques et hongrois qui se réclament du communisme, comme on l’a vu dans l’immédiat après-guerre. Mais ia question nationale, pour eux, se pose en grande partie en opposition à la Bohême et aux Tchèques, nouvelle « grande nation » qui domine îe nouvel Etat dit « tchécoslovaque ». En France, au congrès de Strasbourg, les « longuettistes » ou centristes ont pris la 26. A. Rosmer, Moscou sous Lénine, p. 47. 27. H. Majderova, « Die Entstehung der kommunistischen Paitei der Tschechoslovakei », Jahrbuch filr Kommunismusforschung, p. 133.

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direction du Parti socialiste. A gauche, le comité de la IIIe Internationale regroupe socialistes et syndicalistes combatifs. Boris Souvarine va bientôt publier son Bulletin communiste, grâce aux subsides qu’apporte Dëgott. De grands espoirs naissent avec ce qu’Annie Kriegel appelle une interprétation d’extrême gauche à dominante syndicaliste. La grève des cheminots de Périgueux en janvier 1920 a été l’éclair annonciateur de la grève générale des cheminots du PLM en février. Elle a résulté d’une mobilisation foudroyante où les masses ont débordé les militants. Comme dit la même historienne, l’affaire locale est devenue affaire nationale, et même affrontement de classe. Contrairement à ce qu’attendaient certains, elle n’a pas déclenché le mécanisme révolutionnaire. L ’une des conséquences a été cependant l’arrivée aux commandes dans le syndicat des cheminots d’une équipe syndicaliste révolutionnaire animée par Gaston Monmousseau, conseillé par Pierre Monatte. L ’épreuve de force est préparée des deux côtés. Elle l’est mieux du côté des compagnies et du gouvernement : briseurs de grève, Union civique, garde prétorienne des patrons, groupes d’anciens combattants de droite, à l’exemple américain. Du côté des grévistes, en revanche, la tactique dite des « grèves par vagues » se révèle désastreuse. Le gouvernement saisit 1’occasion. Des centaines de révocations, le mouvement ouvrier organisé atteint - dissolution de la CGT, très nombreuses arrestations pour un prétendu complot contre la sûreté de l'État. Boris Souvarine, Gaston Monmousseau, Pierre Monatte sont à la prison de la Santé. Non seulement on ne s’affole pas, mais on se dirige enfin vers la création d’un parti communiste. De jeunes hommes comme Raymond Lefebvre et Paul Vaillant-Couturier pensent, eux, que l’on est entré dans une période prérévolutionnaire, et l’émissaire de la Comintem, Vladimir Dëgott, est séduit par leur enthousiasme et leur allant. Le premier va partir pour Moscou par la voie maritime. Alfred Rosmer, délégué par les amis de Loriot du comité de la IIIe, part fin avril via l’Italie et arrive à Moscou le 20 juin. Il y a été précédé par deux dirigeants centristes du PS, Frossard, un pacifiste de la guerre, et Cachin, un « social-chauvin », qui, partis le 31 mai, étaient arrivés le 14 juin. La formation du PC est en route. On peut penser qu’on est sorti d’une longue période de difficultés en Grande-Bretagne, L ’action pour la défense de la révolution russe y est plus efficace quejamais. Le 10 mai, les dockers du port de Londres découvrent des caisses de munitions à destination de la Pologne sur le cargo Jolly George et commencent la grève. Le secrétaire du district de Londres du syndicat des dockers, Fred Thompson, soutient les dockers, affirme qu’aucune caisse de munitions ne doit partir. Finalement, le mouvement est élargi à l’ensemble des ports du pays sous l’impulsion du secrétaire du syndicat, Ernest Bevin. La fédération des mineurs demande le 10 juin 1920 aux autres organisations de préparer une grève nationale contre l’envoi d’armes en Pologne et contre la répression en Mande. Le comité Hands off Russia (Bas les pattes devant la Russie) mène une campagne à laquelle de nombreux syndicats s’associent. La publication dans le Daily Herald de documents émanant d’un officier blanc célébrant l’efficacité de l’aide apportée aux généraux par Winston Churchill apporte de l’eau au moulin des adversaires de l’intervention. Dans la même période, les interminables pourparlers pour l’unification des forces communistes aboutissent enfin, réunissant autour du BSP les divers groupes militants de délégués. Sylvia Pankhurst et son groupe, toujours abstentionnistes, ne participent pas à l’unification. John Maclean, qui soupçonne le représentant de la Comintem Theodore Rothstein, dit John Bryan, d’avoir été un agent du gouvernement britannique pendant la guene, est retourné en Écosse. A la convention d’unité, un comité provisoire commun présidé par Rothstein est créé pour le Parti communiste (section britannique de la IIIeInter­ nationale), le CP (BSTI).

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Les travailleurs d’Europe occidentale ont réagi en règle générale comme les mineurs anglais. Les dockers de Dantzig bloquent tout transport vers la Pologne blanche. Les cheminots tchèques fouillent tous les trains et en débarquent tout ce qui est armes et munitions, légalement transportées ou non. C’est un combat international, une pré-guerre civile : l’armée polonaise est conseillée par une mission militaire française avec le général Weygand. Les grévistes peuvent avoir le sentiment d’avoir collaboré à la défaite des agresseurs. Le 26 avril, Pilsudski a annoncé l’entrée de son armée sur le territoire sovié­ tique. Le 8 mai, il prend Kiev, mais le 13juin il doit l’évacuer. Ses troupes sont poursuivies par l’armée de Toukhatchevsky, avec Smilga et Rakovsky comme commissaires politiques, en marche sur Varsovie. Nous y reviendrons. Un c o n flit m û r it en

I t a l ie

En Italie, la grève de Turin en avril pour la reconnaissance des conseils d’usine, inspirée par les gens de L ’Ordine nuovo est le signe d’une importante radicalisation des travail­ leurs : les métallos (50 000) sont en grève pendant un mois entier et les autres travailleurs, par solidarité, onze jours, dans un arrêt de travail de toutes les corporations qui a com­ mencé le 11 avril (500 000 grévistes). Antonio Gramsci y voit non sans raison « le champ debataille de deux partis politiques, l’un officiel, l’autre formé par les bonzes syndicaux ». Un peu plus tard, le 26juin, les troupes concentrées à Ancône pour une expédition contre l’Albanie se mutinent. L’étincelle d’Ancône provoque une vague de grèves dans les usines de munitions : il s’agit cette fois d’empêcher l’intervention contre la Russie, et les ouvriers, de Rome à Milan, sont lock-outés pour avoir fait grève contre la fourniture d’armes à la Pologne ; d’autres ouvriers saisissent en représailles une usine de munitions. Gramsci hurle littéra­ lement : « Où va le Parti socialiste ? » La question est effectivement posée. La section turinoise du PSI, dirigée par Angelo Tasca, adopte un texte intitulé « Pour la rénovation du Parti socialiste italien », qui sera distribué à tous les délégués du He congrès de l’Internationale communiste. ZlNOVÏEV ANNONCE LA COULEUR

C’est dans le mois précédant l’ouverture du IIecongrès de l’Internationale communiste que son président Zinoviev annonce au grand jour la couleur dans un article intitulé « Ce que l’Internationale communiste a été jusqu’à maintenant et ce qu’elle doit devenir28 ». D l’annonce dès la première phrase : « Nous sommes à la croisée des chemins. L’Inter­ nationale communiste doit maintenant accomplir son travail à un rythme tout nouveau29. » H explique qu’avant la fondation de l’Internationale communiste, la IIe Internationale retenait encore les partis les plus importants et que seuls les groupes audacieux rejoignirent îa IIIe. Tout a changé aujourd’hui, dit-il : D’un côté, la IIIeInternationale vers laquelle se tournent presque tous îes vieux partis et qui dispose déjà dans tous îes pays d’une solide base d’organisation, et de l’autre, à la place de la IIeInternationale, un tas de décombres. Jusqu’àmaintenant l’Internationale communiste aétéessentiellement unorganedepropagande et d ’agitation.Elle devient maintenant uneorganisation de combat àlaquelle il incombede diriger directement le mouvement dans les différents pays. Au cours de la première année de son existence, l’Internationale communiste n’a été que le porte-drapeau du prolétariat international 28.DC/C.p. 464-478. 29. Ibidem, p. 464.

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qui se dressait pour le combat décisif. Maintenant elle devient également i'organisateur pratique de ce grandiose combat mondial sans précédent dans l’histoire30. Il découle de cette situation nouvelle des devoirs nouveaux, et d’abord prudence et précautions quand il s'agit de l’affiliation à la IIIe de partis appartenant la veille encore à la IIe, qui viennent poussés par leur base, avec des chefs, semble-t-il, résignés. Zinoviev insiste : « Il faut avant tout arriver à ce que les partis en question soient suffisamment au clair sur ce que devient maintenant la IIIâ Internationale et sur les obligations qu’elle impose à tout parti qui y entre31. » H précise : « L ’Internationale communiste insiste, de façon absolument impérative, sur la nécessité de la rupture avec le réformisme et les réformistes, même dans les partis où nos partisans ont la majorité, par exemple en Italie, en Suède, en Yougoslavie, et ailleurs. Que les représentants des partis énumérés ci-dessus qui désirent adhérer à l’Internationale communiste veuillent bien tenir compte de cette position32. » Et, pratiquement sans transition, il accuse. Dans le texte du parti indépendant, il n’y a aucune réponse « nette, directe, franche », aux questions posées, et il est clair que les dirigeants cherchent des échappatoires. La situation n’est pas meilleure avec la direction du PS français. Son organe, L ’Humanité, dont Marcel Cachin est le directeur, vient de publier sans commentaire un article de Pierre Renaudel, « agent de la SDN » et un autre d’Ignacy Daszynski, qualifié de « camarade » alors qu’il est le bras droit de Pilsudski qui vient de lancer son armée contre la Russie soviétique. Dans le PS suisse, Robert Grimm se déclare partisan d’adhérer à îa IIeen insistant sur le fait qu’il faut d’abord une revue socialiste internationale, exerçant en permanence une influence sur l’action parlementaire, une agence socialiste internationale ! Selon le témoignage de Serrati, le réformiste italien Modigliani aurait dit à Jean Longuet : « Quelle raison pourrions-nous avoir de ne pas adhérer à l’Internationale communiste ? A quoi cela nous oblige-t-il ? En fait, à rien d’autre qu’à envoyer tous les quinze jours une carte postale avec de jolies vues et de jolis paysages au comité exécutifde l’Internationale communiste33. » Il est impossible de laisser des gens comme lui saboter demain de l’intérieur la dictature du prolétariat. Il faut à l’Internationale non des diplomates, mais des combattants. Zinoviev en vient ensuite à ce qu’il appelle « le mouvement instinctivement révolu­ tionnaire mais théoriquement encore très confus, des shop-stewards en Angleterre, des IW W dans plusieurs pays, ainsi que du secteur révolutionnaire des syndicalistes et des anarchistes34». Il explique qu’il s’agit de mouvements certes confus mais sains, des mouvements de transition vers le communisme, nés de la dégénérescence des partis opportunistes, n faut absolument leur faire comprendre le rôle du parti communiste, et pour cela leur montrer dans la pratique d’autres partis vraiment communistes - en somme, de la propagande par l’action. Il souligne ici îa nécessité de constituer coûte que coûte, face à l’Internationale jaune d’Amsterdam qui vient de naître, une Internationale syndicale rouge. Les syndicats adhérents participeront aux congrès nationaux et internationaux des syndicats, mais pas à l’Internationale d’Amsterdam ? Les communistes sont contre la scission immédiate et générale de tous les syndicats, ils sont pour y entrer, mais en même temps pour y mener une lutte sans merci contre les dirigeants jaunes. Il insiste sur la nécessité d’une réunification en Allemagne, condamnant les déviations gauchistes du 30. Ibidem. 31. Ibidem, p. 465. 32. Ibidem. 33. Ibidem, p. 470. 34. Ibidem, p. 471.

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KAPD et les erreurs du KPD. H invite les Français à surmonter leur scepticisme ~ ici, une discrète allusion à Rosmer - et à fonder, coûte que coûte, un parti communiste. Il se prononce pour l’unification britannique et pour le retour de Sylvia Pankhurst et de son groupe à la tâche commune. On attendait les « tâches » assignées au PSI. Le programme est lourd. Le parti de Serrati devra s’épurer de ses éléments réformistes, arracher les syndicats des mains de ces réformistes qui n’ont pas convoqué de congrès en six ans. Suédois, Yougoslaves et même Bulgares ont des devoirs analogues. Quelques mots sur le courage des prolétaires soumis à la terreur blanche en Finlande et en Hongrie, et le président termine par un appel où percent tout de même quelques thèmes de ce qu’on pourrait considérer comme un certain gauchisme d’appareil : Presque dans le monde entier désormais, la bourgeoisie ne subsiste que grâce à l ’appui des jaunes social-démocrates. Jamais encore le rôle réactionnaire des partisans de la IIeInternationale n’était apparu aussi clairement qu’aujourd’hui. L’Internationale communiste et tous les partis qui en sont membres ont devant eux un travail gigantesque.L’Internationalecommunistedoitdevenirl'état-majoreffectifdel’arméeprolétarienne internationale en train de s’éveiller et de se renforcer sous nos yeux. Le mouvement communiste internationalgrossitàlafaçond’uneavalanche. La révolutionprolétariennegrandit.L’Internationale communistedoit savoir l’organiser et la diriger. C’est l’affaire de l’Internationale communiste non seulementdepréparerîa victoire, nonseulementdediriger îaclasseouvrièrependantla conquêtedu pouvoir, mais aussi de diriger l’ensemble de l’activité de la cîasse ouvrière après îa conquête du pouvoir. Ou bien l’Internationale sera uneorganisation internationaledecombat, centralisée, disci­ plinée, homogène, oubienelle seraincapable deremplir sagrandemissionhistorique35. Le congrès de Moscou sera chaud. L es

s o c ia list es e n vo ya g e

Les voyages ne sont pas faciles entre l’étranger et Moscou, mais ils sont possibles. Rosmer a raconté le sien - et les rencontres qu’il a faites dans l’Europe ouvrière. Passant par Milan, il rencontre d’abord son guide russe, qu’il appelle Ivan, et qui était probable­ ment Daniel Riedeî, que nous avons déjà entraperçu, et Amadeo Bordiga, qui lui bat froid : le syndicalisme révolutionnaire, lui dit-il, est une théorie « erronée, antimarxiste et par conséquent dangereuse ». Puis il se rend chez Serrati, où se tient une réunion informelle de voyageurs, autour de Serrati et de deux autres Italiens, dont Gustavo Sacerdote, des Hongrois, des Autrichiens, un Russe, N.N Lioubarsky, un Roumain, un Bulgare et Fernand Loriot. Sacerdote présente sur la situation italienne une « sorte de rapport administratif ». Puis Serrati parle franchement : « Nous avons avec nous la ville et la campagne. Les ouvriers répondent à nos appels ; les paysans ne sont pas moins ardents ; dans de nombreuses communes rurales îes paysans ont remplacé dans leur mairie le portrait du roi par celui de Lénine. Nous avons la force. Nous l’avons si absolument que personne, aucun adversaire ne songerait à îe contester. Le problème pour nous, c’est l’utilisation de cette force36. » Rosmer rencontre Lioubarsky. Ils parlent de Comunismo, Puis il rend visite au vétéran anarchiste Malatesta, très attiré par la Comintern mais qui se demande ce qu’y font îes réformistes dirigeants de îa CGL. A Vienne, il passe trois jours. La ville respire la pauvreté. Là, la réunion est dominée par îes réfugiés hongrois. H découvre Kommunismus, « de tendance gauchiste », dit-il, ajoutant : « Sa rédaction était certainement originale, plus personnelle, moins dépendante 35. DCIC, p, 478. 36. A. Rosmer, op. cit., p. 38.

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des positions considérées comme officielles37. » A Prague, il n’y a pas de voyageurs; « Les communistes n’avaient pas de raison d’y venir ; ils en avaient de l’éviter . » A f Berlin, il rencontre d’abord Clara Zetkin, « optimiste et pleine d’entrain », et, sur son i:: conseil, Paul Levi, « sombre et geignard », obsédé, comme persécuté par ses gauchistes39. Il retrouve aussi Lioubarsky, clandestin sans papiers, ce qui indigne Serrati à qui on a : fixé un rendez-vous avec lui dans une rue. Il rencontre d’autres voyageurs en route pour Moscou, Angel Pestana, le Roumain et le Bulgare de Milan, d’autres Bulgares, dont Kolarov, à l’allure de « notaires ou négociants cossus40 ». Il retrouve avec plaisir Chliap- j nikov, venu en délégué fraternel au congrès du syndicat des métallos allemands, qui lui apprend que Frossard et Cachin sont aussi à Berlin, en route pour Moscou. Puis c’est Stettin, le bateau pour Reval. Le bon Rosmer est gêné quand il aperçoit l’Anglais Murphy l ou l’Américain Fraina, passagers clandestins dans la soute à charbon, qui tentent de prendre l’air sans se faire repérer. A la mission soviétique de Reval, en attente de départ, il a de longues conversations avec Angel Pestana, qui lui assure que la situation de J l’Espagne est tout à fait révolutionnaire. j; Jules Humbert-Droz, lui, a voyagé de Stettin à Reval avec des « légaux », les délégués f indépendants allemands et Paul Levi, mais aussi des illégaux, le Suisse Walter Bringolf, le Bulgare Minev, le Belge War van Overstraeten, Voja Vuyovié, un Serbe des JS fran- j çaises, qui est là avec Goldenberg. Il écrit : « Le plus impressionnant était les amoncel- \ lements de locomotives et de wagons mitraillés, démolis et à moitié calcinés. A l Petrograd, l’impression fut décevante et douloureuse, les usines fermées, les vitres brisées remplacées par des planches, toutes les vitrines de magasins éventrées, barrées de palis- J sades, une grande partie des rues dépavées, les pavés de bois étant utilisés par la population j; j comme bois de chauffage41. » La

n o r ia d es v is it e u r s

Tout ce monde arrive finalement à Petrograd, d’où délégués et accompagnateurs seront i transférés à Moscou, parfois bizarrement groupés. Certains sont reçus avec beaucoup I d’apparat, comme les douze Italiens, bien que, le 18 juin, Boukharine, dans la Pravda, leur donne une volée de bois vert, les invitant sans ménagements à se décider enfin à $ mettre franchement sur leur porte l’enseigne du communisme et à chasser de leurs rangs les réformistes turatiens. f Les délégués réagissent évidemment au spectacle de la rue, des villes, des banlieues, des campagnes. Angel Pestana, en arrivant à la frontière, est d’abord plein d’enthousiasme, d’admiration, de joie intense, puis il est impressionnépar latristesse des visages : « Pas f un sourire, pas un éclair de joie, pas la moindre manifestation de bonheur. [...] Et un silence impénétrable42. » John Reed, lui, connaît déjà la Russie et l’a vue en 1919. Il est f frappé du changement positif, bien que subsistent « misère, maladie, désespoir ». Il y a \ de réels progrès, mais à partir d’un abîme. Pierre Pascal se souvenait avec émotion du sérieux de l’enquête menée par Raymond Lefebvre et ses camarades Marcel Vergeat et Jules Bertho dit Lepetit, de leurs critiques passionnées d’une cause qui les enthousiasmait. Murphy note qu’il y a partout « tranchées, barbelés, bâtiments en mine, débris de rails43 ». 37. Ibidem, p. 43. 38. Ibidem, p. 46. 39. Ibidem, p. 48-49. 40. Ibidem, p. 50. 41. Jules Humbert-Droz, Mon évolution du tolsioïsrne au communisme,p. 433. 42. A. Pestana, Setenta dias : Lo que yo vi, p. 5-14. 43. T, Murphy, New Horizons, p. 145.

ï. t

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En tout cas, les délégués ne sont pas chambrés, ils peuvent voir et interroger, écouter des gens qui maudissent les bolcheviks. Ils mangent très mal, une atroce soupe de poisson, la plupart du temps, et on se réjouit que les Italiens aient apporté vin et vivres comme pour un régiment. Certains pestent contre les camarades garçons d’étage qui ne cirent pas les souliers placés devant les portes. Les délégués se posent beaucoup de questions sur la Russie et assaillent les Russes, qui répondent de leur mieux. Ils s’informent aussi les uns les autres, et les rumeurs vont bon train. Rosmer, non sans malice - rappelant les larmes de Cachin à Strasbourg, pendant le discours de Poincaré célébrant le retour de l’Alsace à la France -, raconte qu’un Russe, assis à côté de lui à sa première réunion lors de son arrivée, lui a dit : « Dommage quez vous n’étiez pas là hier quand votre Cachin et votre Frossard ont comparu devant le comité central du parti : c’est Boukharine qui leur a rappelé leur chauvinisme, leur trahison du temps de guerre ; c’était bien émouvant : Cachin pleurait44. » On les loge, on les introduit, on leur donne un emploi du temps - rarement respecté. Mais tout de même on les écoute, on les oblige à écouter. On les invite et on les interroge. On fait pression sur eux - amicalement, bien sûr - pour qu’ils vivent ensemble. Lénine insiste pour les rencontrer tous, dès leur arrivée, et avoir avec eux un entretien. Certains tiennent un journal et écrivent quelques lignes tout de suite. Tous, d’une façon ou d’une autre, pour un public ou pour un autre, écriront un jour : « J ’ai rencontré Lénine. » Mais ils ne publieront pas les mêmes souvenirs. Pour certains même, les souvenirs changeront au fil des ans. Le travail du IIecongrès commence plusieurs semaines avant son ouverture. Au fond, c’est l’Intemationaie communiste elle-même qui commence son existence.

44. A. Rosmer, op. cit., p. 60-61.

CHAPITRE V lîï

Le congrès des grandes espérances

Le IIecongrès rassemble à Moscou 217 délégués de 37 pays et 67 organisations dont la représentativité n’est pas discutée. Les témoignages concordent à son sujet. Alfred Rosmer a écrit : En ce mois dejuin 1920, l’atmosphère de Moscou avait quelque chose d’exaltant ; on sentait encore îe frémissement de la révolution en armes. Parmi îes délégués venus de tous les pays et de tous les horizons politiques, certains se connaissaient déjà, îa plupart se rencontraient là pour la première fois. Une vraie camaraderie naissait spontanément entre eux ; les discussions étaient ardentes car les points de divergence ne manquaient pas, mais ce qui les dominait, c’était chez tous un attachement absolu à la révolution et au communisme naissant1. La situation militaire et politique peut paraître en effet tout à fait favorable. L ’A r m ée

ro u g e v e r s

B e r l in ?

La marche sur Varsovie de l’armée de Toukhatchevsky n’est pas seulement pour tous le signe de la fin de la guerre civile, de la victoire sur les généraux blancs et les puissances qui les ont équipés et armés pendant ces années. Elle ouvre une perspective révolutionnaire en Pologne - et pourquoi pas, aux yeux de beaucoup, dans cette Allemagne qui frémit toujours, comme l’ont montré les combats du printemps, peut-être le début tant attendu de îa révolution européenne. Radek, libéré, a repris ses fonctions de secrétaire de la Comintern. Il a pris comme secrétaire Ilona Duczynska, Le 5 mai, il présente un rapport que la revue de la Comintern va publier. Le gouvernement soviétique mène une guerre défensive, mais il ne traitera qu’avec un gouvernement ouvrier et paysan de la Pologne soviétique. Il expose que l’Armée rouge est l’instrument de la dictature du prolétariat : elle doit libérer îes peuples d’Ukraine et de Biélorussie opprimés sous îe joug polonais tout en reconnaissant le plein droit des Polonais à l’indépendance nationale, et libérer îes masses laborieuses polonaises de l’oppression de leur propre bourgeoisie. Devant le congrès, dès l’ouverture, Julian Marchlewski, dont on ne sait pas qu’il a 1. A. Rosmer, op. cit., p. 67-68.

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Le c o n g r è s d es g ra n d es e sp éran ces

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secrètement négocié avec Pilsudski pour faire l’économie de cette guerre, reçoit un accueil triomphal quand il salue l’avance de l’Armée rouge et les progrès de la révolution polo­ naise : on sait qu’il sera demain le chef du gouvernement de la Pologne rouge puisqu’il dirige le Revkom - comité révolutionnaire - de ce pays. De façon très symbolique, c’est le leader du PC allemand, Paul Levi, qui propose au congrès de lancer un appel à l’aide effective de la classe ouvrière d’Europe contre la Pologne blanche. Un peu plus tard, l’indépendant Daümig est acclamé quand il assure que tout kilomètre d’avance de l’Armée rouge est un pas vers la révolution en Allemagne. Dans l’esprit des dirigeants russes, c’est la deuxième fois, après la révolution allemande de novembre, que les communistes russes peuvent envisager la fin de leur isolement, et c’est la bonne. Seuls Trotsky et Radek font des réserves. Zinoviev, lui, y croit. L ’autre facteur de la situation internationale éminemment favorable qu’ils pensent vivre est la mort de la social-démocratie, pratiquement acquise, selon Zinoviev, avec la venue à Moscou des représentants de quelques-uns de ses plus grands partis, même si, en ce qui concerne certains d’entre eux, la seule signification de ce voyage est que les rats quittent le navire. R epo rt

d e l/o u v er t u r e

Chaque délégué a trouvé dans sa chambre d’hôtel un important dossier, rapport écrit du comité exécutif, rapports des différents partis, projets de résolutions, le livre de Trotsky contre Kautsky, Terrorisme et communisme, et celui de Lénine sur La Maladie infantile. Certains éprouvent un choc en prenant connaissance de ces textes : ainsi Murphy, déjà ébranlé par une discussion à l’usine Poutilov, a-t-il le sentiment que le texte sur le parti équivaut à une véritable révolution dans la conception du parti de chaque délégué. Il y a aussi un projet, préparé par Lénine, de 16 conditions d’admission dans l’Internationale communiste. Un comité exécutif, sérieusement élargi - y entrent notamment Rosmer et Smeral -, constatant le retard de nombre de délégués, décide de reporter l’ouverture du congrès d'une semaine, ce qui permettra un travail préparatoire dans plusieurs domaines et une belle fête à Petrograd. C’est dans un autobus urbain conduit par Kalinine, ancien secrétaire du syndicat des chauffeurs, que les délégués se rendent de la gare à Smolny, où ils font un grand repas. La séance d’ouverture se tient au théâtre Ouritsky ~ l’ancien palais de Tauride - en présence de milliers d’ouvriers de l’ancienne capitale. Au terme d’une gigantesque manifestation de rue, la foule assiste à partir de minuit, devant l’ancienne Bourse, à une pièce de « théâtre de masse » - en grande vogue à l’époque - intitulée Spectacle de deux mondes (bourgeoisie sur la scène, travailleurs au sous-sol) jouée par 5000 acteurs, dont W illy Münzenberg, John Reed et Alfred Rosmer ont donné des descriptions minutieuses, légèrement différentes, à une vingtaine d’années d’intervalle. Elle retrace « la marche du socialisme vers la victoire, à travers luttes et défaites ». On part du Manifeste du parti communiste, dont la phrase « Prolétaires de tous les pays, unissez-vous » s’inscrit en lettres immenses. Les trois coups sont donnés par les canons de la forteresse. Des scènes évoquent la Commune de Paris, avec danses et chant de La Carmagnole, l’assassinat de Jaurès, les chefs de la IIeInternationale prosternés, Liebknecht reprenant le drapeau rouge qu’ils ont laissé tomber et criant « A bas la guerre ». La révolution est représentée par l’apparition d’autos chargées d’ouvriers en armes et de marins de Cronstadt qui jettent à bas l’édifice tsariste. On aperçoit Kerensky, chassé par Lénine et Trotsky. Une charge de la cavalerie de Boudienny, résumant la guerre civile, achève le spectacle. Des centaines de drapeaux rouges flottent sur le palais d’Hiver. Les

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navires de guerre s’illuminent sur la Neva et une étoile gigantesque se dessine dans le ciel. Le spectateur d’aujourd’hui peut suivre quatre minutes de cette représentation gran­ diose, une course de la foule en liesse avec au premier rang un Zinoviev hilare» dans un film retrouvé par Marc Ferro et intégré dans ses Reportages sur Lénine. La première session, à Petrograd, est ouverte par un intéressant rapport de l’exécutif qui rend compte de son intervention dans ia vie des partis communistes, indique qu’il s’occupe de la création d’organisations internationales de jeunes et de femmes. Au pas­ sage, il décline toute responsabilité pour la Bettelheimerei, faute exclusive du PC hongrois, et pour la fixation de la date de 1a manifestation internationale du 21 juillet, organisée essentiellement par le PSI, souligne-t-il, et dont l’échec est dû à la trahison des dirigeants syndicalistes français. Le rapport insiste sur le fait que cette « trahison » est d’autant plus grave que des troupes françaises ont pris part à l’offensive contre la république des conseils de Hongrie. Il justifie également très franchement la dissolution du bureau d’Amsterdam. On relève aussi les explications qu’il donne sur l’envoi de délégués auprès des partis et l’aide financière qu’il accorde à certains. Lénine fait ensuite une analyse de la situation mondiale relativement fouillée, insistant sur la crise du capitalisme en s’appuyant beau­ coup sur un rapport de Paul Levi, ainsi que la critique du livre récemment paru de Keynes. Puis les délégués se voient octroyer une interruption de trois jours, jusqu’à la reprise des travaux, cette fois à Moscou. Jusqu’en 1941 en effet - mais on ne le sait pas encore - le siège de la Comintern est installé dans la capitale, à la Mokhovaïa, et ses collaborateurs étrangers permanents ainsi que les hôtes importants de passage sont logés à l’hôtel Lux, au 36 de la Tverskaïa, à quelques minutes à pied du Kremlin. Là, évidemment, ils sont nombreux et donc dispersés dans la ville. U n v ra i cong rès

Les délégués vont désormais siéger au Kremlin dans îa grande salle du trône du tsar Vladimir. L ’estrade du trône est occupée par la tribune. Les pièces autour de la grande salle ont été aménagées et spécialisées : salle de lecture, fumoir, secrétariat, cantine, chambre de repos avec un lit du tsar qui peut accueillir cinq personnes en même temps. C’est dans le fumoir que se trouve la célèbre carte sur laquelle on porte chaque jour l’avance de l’Armée rouge sur le front polonais. Le trône, lui, se trouve dans la salle de travail et sert de portemanteau. Les documents sont dactylographiés en quatre langues, anglais, français, allemand et russe. Les traducteurs - dont Balabanova et Humbert-Droz - protestent vivement contre les interruptions, très gênantes pour eux. Les interventions ne sont pas traduites simulta­ nément, mais seulement quand elles sont terminées. Certaines traductions ne sont que des résumés, sauf celles de Balabanova, que Jules Humbert-Droz soupçonne de broder, car, avec très peu de notes, elle parle beaucoup plus longtemps que l’orateur. Le congrès a désigné une commission présidentielle ou bureau du congrès, une commission des mandats et des commissions spéciales pour chaque point à l’ordre du jour. Le système des voix dans les votes est très compliqué : ce ne sont pas les partis les plus nombreux qui ont le plus de voix, et îe jeu des nécessités politiques fait que les Britanniques, avec leur minuscule parti, en ont plus que îes Italiens. Les délégués votent en général à main levée, carte rouge pour îes délégués à titre déîibératif, verte s’ils sont là à titre consultatif. Le vote par appel nominal est de droit si trois délégations îe demandent Les délégués russes sont les plus nombreux, mais ils votent rarement tous. Aucun vote n’a été contesté. Les délégués prennent leurs repas au Kremlin, où ils viennent à pied de l’hôtel où ils

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donnent et prennent le petit déjeuner. E fait très chaud. Les Russes ont distribué des chemises de couleur qu’on porte sur le pantalon avec une ceinture de cuir. Humbert-Droz raconte que, sans doute pour marquer leurs réserves à l’égard de la politique bolchevique* les deux Allemands de l’USPD, Crispien et Dittmann, se sont mis à porter leurs chemises allemandes fendues sur le côté avec une ceinture de soie noire ! Tout le Gotha de l’univers communiste est présent. Il manque tout de même Béla Kun. Réfugié à Vienne, où il a été interné pendant presque une année, il a eu, dans la traversée de l’Allemagne, des difficultés que la pression soviétique a finalement aplanies. Il n’arrivera que le congrès terminé, juste à temps pour se joindre à îa délégation du congrès qui se rend à Bakou. Lors de la séance d’ouverture, Zinoviev, très en forme, fait grosse impression, promet­ tant que le prochain congrès se tiendra dans une grande capitale occidentaîe. Il assure avec solennité : « Le IIIe congrès de ÎTntemationale est entré dans l’histoire au moment même où il s’ouvrait. Souvenez-vous de ce jour. Sachez qu’il est la récompense de toutes nos privations, de notre lutte courageuse et décidée. Dites-le, expliquez-le à vos enfants, qu’ils en comprennent la signification. Gardez au cœur F empreinte de cette heure2. » L es

g ran d s d éba t s

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Le congrès commence par les grands débats de principe. Le premier point à l’ordre du jour porte sur le rôle et la structure des partis communistes. Il a été communiqué en quatre langues. Zinoviev, qui introduit le débat, frappe par une aisance et une assurance nouvelles. Il polémique contre Pannekoek, qui oppose « masses » et « parti » : pour les communistes, le parti est seulement la fraction la plus avancée, la plus consciente, donc la plus révolutionnaire, des masses. Il insiste sur ce que ne doit pas être un parti, et qui a été démontré selon lui par ceux de la IIeInternationale. Il invite les délégués à réfléchir très sérieusement au fait que les communistes auraient été vaincus vingt fois en Russie s’ils n’avaient pas eu un parti centralisé avec une discipline militaire. De toute façon, tous les partis devront affronter une guerre civile et seuls ceux qui sont organisés sur un tel modèle sont capables de la gagner. Il défend le rôle du parti communiste comme moteur des autres organisations et la nécessité de son maintien après la prise du pouvoir, Angel Pestana, l’anarcho-syndicaliste espagnol, n’est pas du tout convaincu de la nécessité d’un parti et assure que la Révolution française n’en a pas eu besoin, sur quoi Trotsky, de la salle, lui crie : « Et les Jacobins ? » Les groupes britanniques se chamaillent, surtout à cause de la volonté du BSP d’adhérer au Labour pour « garder le contact avec les masses ouvrières3 ». Très intéressantes sont les interventions de délégués qui parlent de leur propre expérience d’un parti communiste. Le Hongrois Matyas Râkosi attribue la défaite de la révolution en Hongrie à la fusion avec le Parti social-démocrate qui a débilité le PC. Il assure sous une forme dogmatique et brutale : « Les expériences de la république des conseils hongroise ont confirmé à tous égards les idées des camarades russes et, chaque fois que nous en avons dévié, nous l’avons payé d’énormes pertes4. » Paul Levi revient sur la question de ce qui distingue le parti de la classe ; c’est en particulier, pour lui, « îa clarté, la tête claire, l’objectif clair, la nature claire et bien définie et le programme clair et bien défini » du parti. Mais la coquille dégénère sans noyau et tout parti qui ne trouve pas le chemin des masses est condamné à devenir une secte : c’est là, pour lui, le 2. Troisième Congrès de l ’Internationale communiste (éd. allemande) ci-après, DCIC, p. 14. Dans les noies suivantes se référant au compte rendu du congrès, nous nous contenterons d’indiquer la page. 3. P. 78.

4. P. 81.

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problème essentiel5. Serrati proclame son accord total avec le rapport de Zinoviev, appelle Tattention du congrès sur la franc-maçonnerie, dont il souhaite que les communistes ne puissent y adhérer. Il aura satisfaction. U critique aussi les concessions faites par les Russes aux « paysans moyens » et aux « demi-prolétaires6 ». Trotsky critique Levi, à qui il reproche d’avoir assuré avec beaucoup d’emphase que la grande masse des travailleurs a conscience de la nécessité d’un parti, ce qui n’est pas exact. Pour Trotsky, les travailleurs ont le sentiment d’avoir le choix entre un parti à ia Scheidemann et toutes îes nuances de ceux qui rejettent tout parti, précisément ceux avec lesquels il veut discuter dans ce congrès. Iî rappelle aux délégués qu’en France, au début de la guerre, le révolutionnaire russe qu’il était s’est senti infiniment proche des syndi­ calistes Rosmer et Monatte et tout à fait opposé aux Renaudei et Albert Thomas, membres, eux, du Parti socialiste, comme lui. Puis il engage îe fer avec ses amis syndicalistes révolutionnaires qui ne veulent pas d’un parti mais d’une minorité révolutionnaire dans îes syndicats, îes engageant dans l’action. Il s’écrie : Les syndicalistes français eux-mêmes ne savaient pas très bien ce qu’ils entendaient par « minorité ». C’était une anticipation du développement à venir. [...} Que signifie pour eux cette minorité ? Elle signifie la meilleure partie de la classe ouvrière française, qui a un programme clair et une organisation qui débat de toutes les questions - non seulement débat mais décide -, une organisation liée par une certaine discipline. A travers l’expérience de îa lutte de classes contre la bourgeoisie, à travers leur expérience propre et celle d’autres pays, îes syndicalistes français devront former un parti communiste7. Avant de rejeter les critiques de Serrati au nom de îa nécessité du compromis, il répond à Pestana que ce que la Comintern lui offre, c’est « le Parti communiste international, c’est-à-dire l’unification des éléments les plus avancés de îa classe ouvrière, qui apportent ici leur expérience, l’échangent avec les autres, se critiquent les uns îes autres, tranchent, et ainsi de suite8 ». Iî apparaît vite qu’il y a une discussion dans la discussion, celle qui oppose partisans et adversaires de l’affiliation au Labour. Quelques-uns des délégués non britanniques s’expriment là-dessus. Le Hollandais Wijnkoop propose que îa décision soit prise par les Anglais, dans leur parti, Paul Levi pense que c’est ce congrès qui doit trancher et que les gens du BSP doivent à tout prix garder le lien avec îes masses, ce qui signifie, en Grande-Bretagne, rester dans le Labour. Serrati affirme en revanche que l’adhésion des communistes au Labour signifierait laisser la porte ouverte au possibiîisme. Lénine prend la parole pour assurer que les syndicalistes sont au fond très près d’accepter un parti dans 1a mesure où ils acceptent îe rôle d’une minorité dirigeante. Il pense que îe congrès doit trancher la question du Labour Party et que les communistes doivent y être, à la condition de jouir d’une liberté totale de critique. Il répond vertement à Serrati : « Serrati parle de collaboration de classe. J ’affirme que cela n’en sera pas. Quand îes Italiens tolèrent dans leur parti des opportunistes comme Turati et compagnie - c’est-à-dire des éléments bourgeois -, c’est vraiment de îa collaboration de classe. Dans cette affaire, en ce qui concerne le Labour Party, il s’agit simplement de la collaboration entre la minorité avancée des ouvriers britanniques et la grande majorité des ouvriers9. » La conclusion de Zinoviev indique les modifications apportées aux thèses sur un certain 5. P. 86. 6. P. 87 et 86. 7. P. 93. 8. P. 94. 9. P. 90.

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nombre de points, une formulation plus précise. Pour le reste, ce sont des bras grand ouverts : Nous voulons dire à nos camarades, très clairement et très franchement, que ce peut être pour plus d’un vieux camarade une tragédie que de rompre avec ses vieux amis. Mais il n’y a rien à faire. Une nouvelle période historique vient de commencer. Nous disons aux meilleurs de ces vieux dirigeants : « 11 vous faut comprendre qu*une nouvelle époque vient de naître et que vous devez dire : Nous avions tort ; nous venons vers vous, nous voulons continuer à faire avancer avec vous la révolution prolétarienne10. Les thèses sont adoptées à l’unanimité.

ÿ Un violent incident Le parcours n’est pourtant pas sans obstacles. Une commission a été désignée pour débattre des conditions d’admission des partis à l’Internationale communiste. Le Hollan­ dais Wijnkoop proteste vigoureusement, avec des arguments tout à fait formalistes, parce que l’USPD et le PS français y ont été invités. Pour lui, aucune négociation n’est possible avec l’USPD, « parti gouvernemental » puisque représenté au bureau du Reichstag (sic) et il assure que le Parti socialiste français doit formuler, avant toute invitation en com­ mission, une demande d’adhésion. Henri Guilbeaux le soutient. Bien entendu, c’est un règlement de comptes ouvert dans l’affaire du bureau d’Amsterdam qui se cache derrière ces affirmations formalistes, et le ton monte très vite. Radek explique que l’USPD a été invitée, à la demande de ses centaines de milliers de membres ouvriers, et Ta été avec droit de vote consultatif et de participation aux discussions. Il juge inqualifiable, « un acte (...] contre les masses d’ouvriers allemands », îa proposition de Wijnkoop de revenir sur cette promesse. Il accuse Wijnkoop et Guilbeaux de faire « du radicalisme verbal derrière lequel il n’y a aucune volonté d’agir11 ». Daümig proteste contre les qualificatifs donnés à son parti et à ses militants ouvriers. Wijnkoop riposte en l’accusant d’avoir refusé, pendant le putsch de Kapp, d’appeler les travailleurs à s’armer. Radek le traite de « fou ». Wijnkoop dénonce bruyamment îa présence de Daümig et de Cachin. Zinoviev à son tour entre dans la mêlée. Il juge les propos de Wijnkoop « simplement ridicules ». Il est franc : « Il serait absurde et ridicule de faire attention au camarade Wijnkoop qui parle au nom d’un parti qui, après quinze ans d’activité, a 1500 membres, et de refuser d’admettre les représentants d’un parti qui organise des centaines de milliers de travailleurs de base, des ouvriers qui luttent toujours coude à coude avec les communistes et qui sont honnêtes et révolutionnaires comme le sont toujours les prolétaires12. » Paul Levi assure que non seulement Wijnkoop n’est pas informé, mais qu’il refuse de l’être. Rappelant des accusations lancées contre Wijnkoop par Gorter, il dit que Wijnkoop est le dernier à avoir le droit de jouer les procureurs et rappelle que îa seule aide des Hollandais au KPD(S), au pire moment, fut de lui envoyer en Allemagne Gorter et Pannekoek. Wijnkoop ayant clamé que Dittmann et Crispien ne sont pas au tombeau, il rétorque : « Vous aussi, vous aviez la possibilité de mourir en Allemagne, et des centaines et des milliers d’ouvriers de l’USPD sont morts et vous êtes resté aux Pays-Bas, sur vos sacs de café!3. » Boukharine, à îa présidence, arrête les frais, sans ménagements pour le «parti frère» de Hollande, qui avait sollicité un mandat pour le révérend J.W Kruyt, 10. P. 113. 11. P. i31. 12. P. 133. 13. P. 135.

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; dirigeant du Bond van Christen-Socialisten et membre du même groupe parlementaire I que Wijnkoop au Parlement : « Je suis contre faire trop de bruit sur les représentants d’un ! parti qui est si révolutionnaire qu’il a donné un mandat supplémentaire à un membre \ d’une organisation de prêcheurs chrétiens. Je propose d’arrêter la discussion et de passer \ à l’ordre du jour14. » La proposition d’ordre du jour et de composition des commissions est adoptée à une large majorité. L ’incident a pourtant fait apparaître, derrière la fraternité de façade, des rancunes tenaces, des rumeurs et probablement des haines personnelles et des intrigues l souterraines. | L e débat su r la qu estion n a tio n a le e t c o lo n ia le

Lénine annonce que la commission a adopté ses thèses amendées ainsi que celles de TIndien M.N. Roy, ce qui a réalisé une unanimité complète sur les questions importantes. Selon lui, l’idée essentielle des thèses présentées est îa distinction entre nations oppresseuses et nations opprimées. La deuxième idée est que les relations entre peuples sont maintenant déterminées par la lutte d’un groupe de nations impérialistes contre la Russie soviétique. La troisième est l’importance du mouvement bourgeois-démocratique dans les pays arriérés, qui a conduit îa commission à remplacer « bourgeois-démocratique » par « nationai-révolutionnaire » pour qualifier le mouvement que la Comintern doit soutenir, alors qu’elle doit combattre la bourgeoisie réformiste. H souligne enfin que la commission a repoussé l’idée selon laquelle les pays arriérés devraient obligatoirement traverser une phase de développement capitaliste pour sortir de leur condition présente. Après îa lecture des amendements, M.N. Roy prend îa paroîe pour parler du dévelop­ pement d’un mouvement de masse des travailleurs aux Indes qui a dès le début, selon lui, î’allure d’un mouvement de classe. Il souligne l’importance du nationalisme révolution­ naire, qui peut provoquer l’effondrement de rimpérialisme européen, d’une immense importance pour le prolétariat européen. L ’Américain John Reed présente le problème des Noirs aux États-Unis sous son double aspect de mouvement social et racial et prolétarien ouvrier. H se prononce pour que les communistes voient dans les Noirs d’abord des ouvriers. Un autre Américain après lui, Louis Fraina, souligne qu’il faut opérer îa distinction entre les travailleurs immigrés cé ceux des colonies. Il montre que TAmérique latine est une sorte de base coloniale des États-Unis. L ’intervention de Radek, elle, est un véritable réquisitoire contre les Britanniques : Nous disons à nos camarades britanniques qu’il est de leur devoir de soutenir le mouvement irlandais de toutes îeurs ressources, de faire de l’agitation dans les troupes britanniques, d’empêcherla politique desouvriers des transportset cheminsde ferqui laissent aujourd’hui les transports de troupes embarquer pour l’Irlande. Iî est très facile aujourd’hui en Grande-Bretagne de s’élever contre l’intervention en Russie, surtout depuis que la gauche bourgeoise est contre. II est plus difficile pour nos camarades britanniques de se dresser pour l’indépendance irlandaise et pour l’activité antimilitariste, mais nous avons le droit d’exiger ce travail difficile de nos camarades britanniques15.

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Pour lui, l’Intemationaîe communiste ne battra pas l’impérialisme à l’aide des seules masses européennes mais aussi à l’aide de ses colonies. Rappelant l’utilisation des troupes 14. P. 135. Le piquant de l’affaire est que notre lecteur retrouvera Kruyt entré au service du NKVD et finalement assassiné par l'occupant pendant îa guerre. 15. P. 162.

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africaines, il dit que la Comintem doit agir. Le devoir des communistes est de donner une aide directe, aux luttes de libération des peuples. Mentionnant, dans la nouvelle époque, ce qu’on appelle « les grandes migrations des peuples », iî s’écrie : « Les com­ munistes n’ont pas besoin d’avoir peur du péril jaune. Nous pouvons tendre îa main à tous ies opprimés. Ce n’est pas l’exploitation que nous apportons, c’est l’assistance fraternelle . » Un nouvel incident, beaucoup plus grave sans doute que celui de la veille, éclate alors. Serrati réclame îa clôture. Il assure que le congrès a perdu son temps en écoutant des détails sur les Noirs à Chicago, sans traiter des questions générales de fond. De toute évidence l’intervention déplaît d’autant plus qu’aucun Italien n’est allé à îa commission sur la question nationale et coloniale. Finalement, Serrati retire sa motion et le congrès entend les interventions de délégués sur l’Iran, îa Corée, îa Chine, la Turquie, et deux interventions sur l’Irlande. Le Hollandais Sneevliet, sous le nom de Maring, parle longuement des Indes néerlan­ daises et du mouvement national où il a milité. Il explique le développement du mouve­ ment nationaliste Sarekat Islam, qui, en partie sous l’influence de quelques militants marxistes néerlandais, prend de plus en plus un caractère révolutionnaire. Il parle aussi du travail mené chez les marins et soldats des forces coloniales, de îa répression contre les mouvements de protestation et îes mutineries. Wijnkoop se remet en avant en clamant qu’aucun parti n’a rempli comme le sien son devoir vis-à-vis des peuples coloniaux. Après un vif débat sur la Palestine et le sionisme éclate un nouvel incident. Serrati annonce qu’il va s’abstenir. Parce qu’il n’est pas satisfait de la définition des « peuples arriérés », parce qu’il veut que le prolétariat garde son indépendance à l’égard des bourgeois démocrates, même rebaptisés « national-révolutionnaires », et parce qu’il croit que l’émancipation des peuples sera l’œuvre de la révolution prolétarienne et de l’ordre soviétique. Wijnkoop est au premier rang de ceux qui protestent et accusent Serrati de se dérober aux critiques et à la discussion. Zinoviev l’accuse de manquer aux règles de la camaraderie mais confie le jugement final aux travailleurs italiens. Serrati reprend îa parole pour accuser ses accusateurs et dire qu’en aucun cas on ne doit soutenir une bourgeoisie. Graziadei se désolidarise alors de lui. La motion est finalement votée à l’unanimité moins trois abstentions. Quel obscur combat a livré sur ce point le leader italien ? N’a-t-il pas cherché à tomber à gauche, sachant ce qui, de toute façon, l’attendait ? Une dernière remarque cependant qui illustre bien l’importance du lien entre question nationale et communisme : Thomas Darragh, l’un des délégués irlandais au congrès, est en réalité le fils de lames Connolîy, le militant ouvrier des transports, lié à l’Écossais Maclean, fusillé comme dirigeant de l’insurrection irlandaise de Pâques Î916. L es CONDITIONS D’ADMISSION : PREMIÈRE a ppro c h e

L’historien américain David T. Cattell, dans une étude sur les origines des vingt et une conditions!7, a mis en relief l’importance accordée lors du IIecongrès de Moscou à la défaite de îa révolution hongroise et par conséquent à l’alliance initialement conclue à Budapest entre social-démocrates et communistes. Il y voit l’origine des préoccupations qui ont conduit à l’élaboration des fameuses vingt et une conditions. Le débat sur les conditions d’admission à la Comintem commence dans une commission à laquelle il 16. P. 164. 17. D.T. Cattell, « The Hungarian révolution of 1919 and îhe reorganization of the Comintem in 1920», Journal ofCentral European Affairs, janvier-avril 1951, p. 27-38.

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semble bien qu’aucun délégué italien n’ait participé, à aucun titre. Elle est présidée par Emst Meyer, du KPD(S). Les premières passes d’armes ont lieu à propos de la défense des dirigeants indépendants, qui se disent d’accord avec les thèses qu’on leur présente mais rejettent nombre des critiques qui leur ont été faites. Les deux délégués français, Cachin surtout, sont plus humbles. C’est une caractéristique du congrès que le problème, toujours sous-jacent, du PSI. Répondant aux Allemands Crispien et Dittmann, Zinoviev assure que les dirigeants de la Comintern vont exclure Turati et les siens. En séance plénière, le rapport de Zinoviev est bien plus qu’une information sur la commission et l’ajout de deux conditions d’admission. C’est une véritable explication politique : « Aujourd’hui, les vieux partis veulent adhérer à la IIIe Internationale. Dans la mesure où les travailleurs ont évolué vers le communisme, il nous faut les admettre. Mais nous ne devons pas oublier qu’ils viennent avec toute leur vieille racaille, la vieille direction, qui, pendant et après la guerre, a mené une lutte acharnée contre le commu­ nisme18. » Évoquant une allusion de Râkosi dans un débat général, il le cite aussi pour ce qu’il a dit dans la commission : « Nous avons le sentiment que nombre de partis de la IIe Internationale acceptent nos conditions maintenant aussi volontiers que ce fut le cas dans la république des soviets de Hongrie19. » Il déclare très nettement, non en tant que rapporteur, précise-t-il, mais au nom de la direction du Parti communiste russe : « S’il arrivait que nos camarades italiens ou d’autres réclament de garder des liens avec des éléments de droite, notre parti est prêt à rester entièrement seul plutôt que de nouer des liens avec des éléments qu’il estime bourgeois20.» Il donne quelques exemples empruntés à la presse des socialistes français et s’exclame : « n y a ceux qui considèrent que l’Internationale communiste est une bonne taverne où les représentants de différents partis chantent VInternationale et se complimentent les uns les autres, puis se séparent et continuent leurs pratiques comme avant21. » Il dresse aussi un réquisitoire contre les Indépendants, qu’il accuse d’être marqués par le kautskysme, d’avoir écrit par exemple des condamnations de la terreur qui nuisent au socialisme sous prétexte de le protéger à long terme. Quant au PS italien, il ne le ménage pas : C’est l’un des meilleurs partis de ceux qui ont quitté îa IIeInternationale. La classe ouvrière italienne est une classe ouvrière héroïque et nous î’aimons tous à cause de son sérieux au sujet de îa révolution et du communisme. Malheureusement on ne peut en dire autant de ses chefs. «Vous nous parlez toujours de Turati, nous dît le camarade Serrati, cela finit par être ennuyeux. » Bien, camarade Serrati, nous n’arrêterons pas de îe faire tant que des gens comme Turati sont dans nos rangs. [...] En ce moment, Turati est membre de l’Internationale communiste [...J. Pourtant, ils font en Italie de la propagande contre-révolutionnaire22. Radek, premier orateur, parle de Î’USPD. Qu’en est-il de son évolution, célébrée par les uns, vitupérée par d’autres qui n’y voient que façade ? Un parti, explique-t-il, ne peut pas changer de caractère du jour au lendemain en signant un document ou en acceptant des conditions. Il faut prendre en compte deux faits. L ’un est l’incessante radicalisation de îa classe ouvrière allemande, l’autre, les efforts de ia direction de î’USPD pour freiner ce mouvement. H cite un texte de Crispien assurant que la route de Moscou est celle du suicide et ironise férocement dans son style très personnel : « Il y a beaucoup de cadavres ambulants dans l’Internationale. Crispien est notre hôte et nous sommes très heureux 18. DCIC, p. 236. 19. P. 241. 20. Ibidem. 21. P. 239-240. 22. P. 250.

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de le voir déambuler parmi nous. S’il est là, c’est le résultat de la pression des travail­ leurs23. » Marcel Cachin lit une déclaration dans laquelle les deux délégués français (Frossard et lui-même) se déclarent d’accord avec tout ce qu’on leur a demandé et assurent qu’ils vont appeler leur parti à adhérer en acceptant les conditions posées. Raymond Lefebvre, étonné de la conversion soudaine des deux dirigeants français, craint qu’elle ne devienne très platonique dès leur retour en France. Évoquant la « trahison de la révolution » par les dirigeants français lors de la grève de mai, il assure qu’il faudra tout changer dans le parti et se montrer implacable. Boris Goldenberg, des Jeunesses, va voter contre les thèses car il ne croit pas que le Parti socialiste, même épuré, puisse servir la cause révolutionnaire. Il faut selon lui rompre pour pouvoir unifier socialistes de gauche et syndicalistes. Amadeo fîordiga plaide de son côté avec chaleur pour la construction de « barrières infranchissables » à l’entrée du parti contre la social-démocratie. Bombacci, fraîchement converti, réclame l’exclusion d’au moins une cinquantaine de réformistes en même temps que Turati. Hostile à l’adhésion des indépendants et du PS français, il ne s’y résignera que si on décide une rigoureuse épuration sur la base de l’étude attentive du passé politique de chacun. Luigi Polano, le dirigeant des Jeunesses italiennes, assure qu’il est impossible de redresser et même d’épurer le PSI si l’on admet par ailleurs dans TInternationale les Cachin et les Crispien. Râkosi, fermement accroché à sa comparaison avec les socialistes hongrois, réclame un durcissement et se déclare prêt à accepter toute mesure en ce sens. Emst Meyer apporte dans le débat une position originale. Après avoir défini le double jeu de la droite indépendante, il avoue qu’à la différence de Radek il ne croit pas que la gauche soit capable de choisir une politique claire et de rompre avec la démocratie bourgeoise. Aussi propose-t-il que le comité exécutif s’adresse à la base du parti indé­ pendant pour le gagner à l’Internationale. Wijnkoop, qui décidément n’en manque pas une, fait un procès à l’exécutif parce qu’il n’y a pas au congrès de représentants du KAPD. Il pense d’ailleurs que l’exécutif tente délibérément de réhabiliter les dirigeants de droite de l’USPD et du parti français. Willy Münzenberg lui explique que les représentants du KAPD, invités dans les règles, ont quitté Moscou de leur plein gré en refusant de prendre part au congrès : de toute évidence, fait-il remarquer, Wijnkoop parle sans avoir lu son dossier. C’est évident. La première partie de la discussion donne le sentiment d’une extrême confusion que nous avons essayé de restituer dans notre résumé ci-dessus. Mais les délégués qui y sont intervenus semblent se dresser en majorité contre la politique proposée par l’exécutif et manifestent une grande hostilité à l’égard des dirigeants des partis qui se sont tournés vers la Comintem. On peut même se demander si le congrès n’aurait pas été entraîné plus loin encore sur la voie des conditions inacceptables s’il y avait eu dans la salle des porte-parole un tant soit peu adroits du communisme de gauche, ce que ne sont ni Râkosi ni encore moins Wijnkoop, roi de la gaffe en ce congrès. L es

c o n d itio n s d ’a d m issio n

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L ’intervention d’Artur Crispien marque un tournant dans le débat. C’est l’un des dirigeants de l’USPD. Il a été spartakiste en 1914, dans le premier noyau. Il est beaucoup 23. P. 261.

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moins marqué à droite que bien d’autres. Il intervient de façon très modérée, presque souple, essayant de répondre à la question de savoir pourquoi il est venu et ce qu’il attend du congrès en tant que dirigeant de l’USPD. Sa critique de îa volonté de l’exécutif d’« opposer îes masses aux chefs » est accompagnée de commentaires destinés à trouver l’oreiîle des travailleurs de son parti qui l’ont, dit-iî, élu, et ne îe toléreraient pas s’il était « un traître ». Sa remarque en passant concernant le fait que Wijnkoop n’a pas encore accusé « les traîtres » d’être des « policiers » montre qu’il s’adresse aussi aux délégués que Wijnkoop indispose. Bien entendu, Ü ne nie pas Vhostilité de son parti à la fondation de l’Internationale communiste en 1919, mais souligne que îe crime n’est pas grand si l’on en croit le rapport de Zinoviev : Seuls les communistes russes n’ont pas été critiqués. En dehors d’eux, aucun parti adhérent n’a échappé à la critique. Et les représentants de ces mêmes partis ainsi critiqués prononcent ici îa condamnation à mort de ces vauriens d’indépendants en Allemagne. Ils ne tiennent pas compte du fait que nous avons rompu avec les socialistes de droite. Nous, nous n’avons pas reculé devant' la scission quand elle nous est apparue inévitable Pourtant, il ne faut jamais entreprendre une scission à la légère. Je peux imaginer qu’une scission soit nécessaire. L’existence de l’USPD en Allemagne en est îa preuve. Mais c’est une amère nécessité. Avant de scissionner il faut essayer de gagner îes ouvriers à une position claire, principieîîe. II faut pour cela du temps et de la patience. Il est plus facile de scissionner îes ouvriers que de les gagner et de les rassembler pour la révolution en Allemagne. C’est l’un des plus tristes spectacles en Alîemagne que la division de la gauche entre trois ou quatre partis, USPD, KPD, KAPD, et récemment on a fait de la propagande pour quelque chose de nouveau, î’Union ouvrière [...î. Ce qu’il nous faut, c’est une Internationale capable d’agir, et cela exige que nous puissions organiser solidement les ouvriers dans l’unité24. H en vient au passé récent : « C’est vrai. A Leipzig, je me suis opposé à l’adhésion immédiate à Moscou. Pourquoi ? Eh bien, camarades, au Ier congrès à Moscou, on a décidé de détruire l’USPD. [...] Nous n’étions pas contre des affiliations mais d’abord pour nous débarrasser des résolutions hostiles. On ne peut pas rosser les gens et s’attendre à ce qu’ils se disent vos amis parce que vous les rossez. Toutes ces choses, il faut les comprendre25. » Sur la question de l’emploi de la force et de îa terreur, il dit qu’il ne peut pas exclure l’emploi de la première. « Mais déclarer maintenant, avant d’avoir le pouvoir, que nous devrons établir un règne de terreur, ce n’est pas pareil que de dire que nous ne pourrons pas éviter d’employer îa force26. » Interrompu au cri de « Kautsky ! » puis « Ledebour ! » quand iî assure avoir toujours été pour les bolcheviks, il répond : « Oui, Kautsky a fait des critiques, mais iî ne contrôle pas îa direction du parti. C’est une grosse erreur. Ledebour non plus n’a pas décrié îes bolcheviks. Vous vous trompez. Il s’est battu ouvertement et sans peur de la mort pour la révolution. Il pense que vous ne devez pas faire de la terreur un principe politique27. » Il répond aux accusations sur le retard des réponses par le fait que la îettre de Moscou est arrivée en plein putsch, suivi d’élections. D affirme que son parti a voulu donner priorité à Moscou avant de chercher à faire une autre conférence : 11n’est pas vrai que Koenen ait dit en Suisse que nous étions en train de fonder une nouvelle Internationale. Nous avons dit que si Moscou nous écartait, nous examinerions cela ensuite. 24. P. 315-316. 25. P. 316. 26. P. 317. 27. Ibidem.

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pouvons-nous nous permettre d’être exclus de la politique internationale ? Pensez-vous qu’un mouvementde l’importance de l’USPD nedoivepasavoir d’activitéinternationale ? Bien entendu, vous, communistes d’Allemagne, nous avez déclarés morts depuis notre naissance en tant que parti- Votre espoir de notre mort prochaine ne nous dérange pas28. Sa conclusion est positive. Après un bref rappel historique depuis l’apparition du marxisme, il conclut : Formulez votre réponse comme vous voulez, c’est notre aspiration sincère, notre désir sincère, d’établirunfrontcommunavecl’Internationalecommuniste. Vousnepouveznier notreconviction, notre détermination, notre activité révolutionnaires. Révolutionnaires nous resterons, quelles que soient les accusations d’opportunisme contre nous. De quelque façon que vous nousjugiez, nous n’arrêterons pas de mobiliser toutes nos forces en Allemagne pour la révolution prolétarienne mondiale. Mais si vous nous répondez que le prolétariat allemand qui est dans nos rangs sera reçu avecjoie, alors tant mieux pour la construction d’un front prolétarien international29. C’est à Dittmann que va revenir la tâche de réfuter un certain nombre d’accusations, par­ fois mêmetrès longuement, comme dans le cas de l’expulsion d’Allemagne de l’ambassade soviétique, en novembre 1917. Sa conclusion est extrêmement mesurée. Il assure les con­ gressistes qu’il serait impossible que des millions de travailleurs votent pour l’USPD si les accusations lancées ici étaient exactes. Ils ne viennent pas poussés par les masses mais de leurpropre mouvement et réflexion de socialistes et combattants de la révolution mondiale : Si vous voulez ce que nous voulons - îa réunion dans l’unité et la solidarité des prolétariats de Russie et d’Allemagne et derrière eux celui du monde entier -, alors essayez, avec autant de sérieux que nous l’avons essayé et continuerons, de trouver la voie pour des négociations ulté­ rieures qui nous permettent de nous mettre rapidement d'accord afin de pouvoir mener ensemble la bataille contre le capitalisme au compte du prolétariat du monde entier30. Le 30juillet, Rakovsky ouvre le feu avec son témoignage sur l’expulsion d’Allemagne de Ioffe, dont il partagea le sort. Il note que Dittmann ajuste constaté l’impossibilité pour les socialistes de se faire entendre dans un gouvernement bourgeois mais qu’en outre il n’a pas eu un mot de regret. Pour lui, Dittmann et Crispien n’ont rien appris et rien oublié, n explique : « Les erreurs passées peuvent avoir deux sens différents. On peut commettre des erreurs - le prolétariat en commet forcément - mais on doit en tirer les leçons au lieu de venir ici faire de longs discours qui tiennent plus du mémoire d’avocat que du credo révolutionnaire, plutôt que d’utiliser tous les moyens et tous les trucs de la procédure parlementaire pour essayer de justifier le comportement de l’USPD31. » Il explique la vraie responsabilité - politique - des indépendants, qui ont choisi l’impérialisme pour sauver l’Allemagne : Ils ont perdu. Ils portent la responsabilité de tout ce qui a découlé de la collaboration qu’ils ontchoisiedès le début. Ils portent îa responsabilité de la défaitedes mouvementsrévolutionnaires prolétariens qui sont apparus après cette collaboration. Oui, le prolétariat allemand a été endormi et abusé par la collaboration des indépendants et des majoritaires. Il espérait que le salut de l’Allemagne viendrait de l’Entente, de Wilson et de Versailles. Et maintenant qu’il est clair que cela a conduit l’Allemagne au désastre, la responsabilité doit en reposer sur les indépendants et les socialistes de droite32. 28. P. 319. 29. P. 320. 30. P. 329. 31. P. 334. 32. P. 335.

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Puis il s’en prend à la déclaration lue par Cachin, dont il dit qu’après une bonne première impression il a été déçu par un examen plus attentif : « Relisant le texte qu’il a lu, je suis surpris non seulement par sa prudence, mais aussi par ses hésitations, ses omissions, et j ’ajouterais, par ses restrictions mentales33. » Il relève que la déclaration voit « des circonstances » dans lesquelles « les intérêts nationaux s’identifient avec ceux de la ploutocratie », ce qui tend à indiquer qu’il en est d’autres où ce n’est pas vrai. Pour lui, l’ancien guesdiste, c’est en 1904, au congrès d’Amsterdam, que le socialisme révo­ lutionnaire est mort en France. Rakovsky formule ensuite une intéressante critique contre Bordiga, qui a dit qu’on ne prépare pas la révolution, mais îe prolétariat pour la révolution. H explique : Les conditions d’adhésion à l’Internationale communiste ne nous donneront aucune garantie. Il faut îes considérer comme un minimum et si nécessaire, les rendre plus rigoureuses. Mais je crois que l’Internationale communiste trouvera d'autres garanties. Seule îa création d’un centre réel pourle mouvementinternational, la création d’unvéritable état-majorgénéral deîa révolution, armé de la pleine autorité pour diriger îe mouvement dans le monde entier, assurera la mise en pratique des conditions d’admission. Il est de touteévidence vital quece centre ait une très grande autorité34.

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Serrati a une lourde tâche après l’intervention de Rakovsky. En vieux routier, il prend I avantage d’une critique de Zinoviev, « son ami » Zinoviev, pour montrer que les délégués I se connaissent si mal que ce dernier ignore totalement la nuance entre le « tu » et le ï « vous » de îa langue italienne. Il souligne le caractère extraordinaire du congrès : f Jamais il n’y a eu de telles différences dans un congrès. Je ne parle pas des langues et des ! cultures des hommes, mais de îeur force. Que suis-je, moi, comparé à Lénine ? Il est la révolution russe. Quant à moi, je représente un tout petit parti socialiste. Oui, je répète « socialiste » parce queje ne connais pas d’autre socialisme que le communisme. Mais si notre parti italien est l’un des meilleurs, que sont îes autres ? Pourtant, vous, camarades britanniques, vous avez le même droit de vote que le camarade Lénine. Wijnkoop ne pèse pas lourd par rapport à Lénine qui a un grand poids35.., H explique aux Russes qu’ils sont en avant et que les autres doivent les suivre ; Vous, chers camarades russes, vous avez pu tenir votre engagement. Très bien. Le devoir du prolétariat tout entier est de vous suivre, parce que partout les conditions économiques, politiques et morale permettent de lancer la bataille contre îa bourgeoisie et de faire la révolution. Pour faire cette révolution, il faut user de tous îes moyens. Mais veillons dans ce congrès à ne pas nous comporter en maîtres d’école qui attribuent bonnes ou mauvaises notes à chacun. Nous sommes venus ici pour évaluer les forces révolutionnaires du prolétariat international. Je ne discute pas si les Français ont plus de droits que les Allemands d’adhérer à la IIIeInternationale. Je dis que ses portes doivent être grand ouvertes à tous les partis qui peuvent faire la révolution avec nous, et on discutera après36. Il n’a pas confiance pour sa part dans l’action révolutionnaire du PS français parce que îa situation en France n’est pas révolutionnaire. Il se rappelle que les Français lui ont parlé de la grève pour la défense de la révolution russe ~ il dit qu’il ignore s’ils étaient sincères, faute d’avoir « un sincéromètre dans la poche » - mais précise qu’ils n’ont pas fait la grève. En Allemagne, la situation est différente car elle est révolutionnaire et « le 33. Ibidem. 34. R 338. 35. P. 340. 36. P. 340-341.

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parti indépendant est une force puissante dans les masses ouvrières ». Il en revient enfin à l’Italie : Permettez-moi de revenir à mon sujet, l’Italie. Malgré vos critiques, chers amis russes, vous et nous, nous nous aimons. Vous aimeriez certainement nous boxer les oreilles une fois, c’est compris, mais c’est seulement entre amis. Plutôt que de parler tout îe temps de Turati et de Modigliani, il nous faut faire la révolution en Italie. Nous y avons une situation révolutionnaire plus marquée que dans les autres pays prétendus vainqueurs. La situation économique est mau­ vaise, l’État en faillite, les paysans mécontents. Bien sûr on a plus d’argent qu’avant la guerre mais personne ne veut plus travailler pour ie patron. « Je veux travailler dans une usine à moi, dans des champs à moi », dit le travailleur. La situation est réellement révolutionnaire, aussi bien du point de vue économique que psychologique37. II faut bien se décider à parler de 'Rirati. Serrati aborde la question par des cercles concentriques. La Critica sociale tire à 953 exemplaires. Turati est un honnête homme. Les Italiens aiment les hommes comme lui. H a toujours été discipliné. L ’attaque fuse, probablement dans une allusion à Cachin, dont la visite décida Mussolini à passer chez les va-t-en-guerre : « Et bien que vous nous demandiez d’exclure ces hommes, vous vous préparez à accueillir dans l’Internationale communiste des partis où il y a des gens qui ont parcouru l’Europe pendant la guerre les poches gonflées de billets pour corrompre la classe ouvrière38. » Serrati rappelle que Turati a voté contre la guerre, en socialiste, puis, soudain, semble tourner ie feu de ses arguments : « Je ne veux pas en faire une question de personne. C’est seulement une question d’utilité. Si Turati nous est utile, gardons-le, s’il est dangereux pour nous, nous le rejetons. Je n’ai aucun sentiment à l’égard de qui que ce soit39. » Interrompu par un Lénine sceptique, il reprend : « Non, mon attitude, vous le savez bien, n’est pas du sentimentalisme. J ’ai dit qu’il fallait nous libérer de ces hommes, mais sans perdre le contact avec les masses. Nous mettrons des circonstances à profit. Je l’ai essayé à plusieurs reprises40. » Et de nouveau : « Je l’ai dit et répété. Il faut épurer le parti. Turati doit en partir mais pas parce qu’il aura été exclu. Je l’ai dit au camarade Lénine et je l’ai écrit. Il faut savoir ce dont il s’agit, garder les masses ouvrières et ne pas perdre même ceux qui n’ont plus qu’une valeur décorative. Plus, les thèses ne disent pas autre chose et c’est pourquoi nous les acceptons41. » Ses derniers mots ressemblent à une prière : « Non, chers camarades, permettez au Parti socialiste italien de choisir le moment pour la purge. Nous vous assurons à tous - et je ne crois pas que quelqu’un puisse dire que nous avons une seule fois manqué à notre parole - que la purge sera menée à bien, mais laissez-nous îa possibilité de îe faire d’une façon utile pour les masses laborieuses, le parti et la révolution que nous préparons42. » Après Serrati, Lénine doit répondre à Crispien et à l’Italien. Une réponse en forme de couperet pour îe premier. 11 s’attache à démontrer point par point que Crispien est resté de bout en bout fidèle à l’esprit et à îa méthode de Kautsky. Relevons simplement, à propos de la terreur : Noussommesobligésderecourir àla coercitionet àla terreurcontredesgensqui secomportent comme les officiers allemands qui ont assassiné Liebknecht et Rosa Luxemburg ou des gens comme Stinnes et Krupp qui achètent la presse. Bien sûr il n’est pas nécessaire de proclamer 37. P. 342-343. 38. P. 344. 39. Ibidem. 40. P. 344-345. 41. P. 345. 42. P. 346.

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d’avance que nous allons recourir à la terreur, mais si les officiers allemands et les partisans de Kapp restent ce qu’ils sont aujourd’hui, l’emploi de la terreur sera inévitable43.

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Avec Serrati, il est encore plus sec. Celui-ci n’a fait selon lui que répéter ce qu’a dit Crispien. Pour Lénine, c’est la rupture : « Nous devons simplement dire aux camarades italiens que c’est la ligne des membres de L ’Ordine nuovo qui correspond à celle de l’Internationale et non celle de l’actuelle majorité des dirigeants du Parti socialiste et de leur groupe parlementaire. » Quand Serrati l’interrompt pour lui demander s’il fait exprès de le confondre avec Turati, Lénine dit simplement au congrès : « Personne ne confond Serrati et Turati, sauf Serrati, quand il défend Turati44. » C’est fini pour Serrati. Après une polémique sur le passé et sur le congrès de Leipzig, Paul Levi ne cache pas son scepticisme à l’égard des conditions, qui sont alors au nombre de dix-huit. Elles ne permettent pas en effet selon lui de faire comprendre aux masses de î’USPD ce qui est en jeu. Pour cela, il faut un programme d’action et îe rôle ~ décisif selon îui - du KPD(S). Le Suisse Jules Humbert-Droz souhaite que îa discussion revienne sur îes conditions générales d’admission. Il juge inquiétante la situation, qu’il résume ainsi : Placés devant le cadre de la IF Internationale et l’impossibilité de la reconstruire, les vieux partis socialistes sont conduits vers 1a IIIeInternationale alors qu’ils n’ont pas son état d’esprit, n’ont pas adopté ses principes, craignent sa discipline et sa surveillance. Pour ne pas rester isolés, ces partis accepteront n’importe quelles conditions, espérant pouvoir travailler de l’intérieur de l’Internationale communiste. [...] Menacée d’être envahie et contaminée par îes partis opportu­ nistes, l’Internationaleest sans défense. Ces gens-làsigneront tout ce qu’onîeur présentera. Même vingt conditions ne nous permettront pas de les tenir hors de nos rangs45, Humbert-Droz rejoint Bordiga, qui a demandé que î’une des conditions soit l’exclusion de tous ceux qui ont voté contre le programme de l’Internationale communiste. Iî demande qu’au « droit de trahir », que certains revendiquent à cor et à cri, on oppose le devoir de contrôle et d’épuration de l’exécutif sur tous les partis. Les deux orateurs de îa gauche des Indépendants étaient très attendus. Ils sont un peu décevants car ils n’apportent aucun argument neuf. Emst Daümig souligne que, si î’on ne veut pas donner raison à Kautsky, qui prédit que l’Internationale communiste ne comprendra qu’un vrai parti, îe russe, et une multitude de sectes, iî faut admettre de vrais partis et admettre qu’ils sont, plus que les autres, discutables et critiquables. Iî insiste sur les rapports entre l’USPD et îe KPD(S) et conclut qu’il s’agit maintenant non de demander ou non l’adhésion, mais d’enregistrer les conditions, de les expliquer et de s’employer à convaincre ia majorité de l’USPD de îes accepter. Ceux qui ne seront pas convaincus s’en iront. Walter Stoecker, lui, s’indigne qu’Emst Meyer - lequel dit d’ailleurs qu’il s’agit d’un lapsus - ait pu parler de scission de Î’USPD. Il s’écrie, provoquant un vrai chahut : « Aujourd’hui notre parti tout entier soutient la révolution sociale et la dictature du prolétariat, rejetant la fausse démocratie, bien qu’il manque parfois de îa clarté nécessaire concernant la signification et îes méthodes de la dictature prolétarienne. [...] Maintenant que îes communistes ont adopté une base marxiste, claire, qui maintenant fiait îa différence entre eux et nous46 ? »

43. P. 349. 44. P. 352-352. 45. P. 365. 46. P. 375-376.

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La conclusion de Zinoviev après un débat où certains moments ont été de bonne tenue est, elle aussi, décevante. De la discussion proprement dite, il ne retire que des blâmes, qu’il répartit. La déclaration Frossard-Cachin est un recul, les critiques de gauche, sans intérêt. L ’exécutif, doté du pouvoir d’exclure par les statuts, n’a rien à craindre. Pour le PSI, le jugement ne cesse de s’aggraver : Je voudrais dire au camarade Serrati que la situation en Italie est intolérable pour l’Interna­ tionale communiste. Tout le mouvement syndical est aux mains des réformistes. C’est le parti qui est à blâmer pour cela Les syndicats italiens n’ont pas convoqué de congrès depuis sept ans, et c’est toléré par un parti qui appartient à l’Internationale communiste. Les gens du type D’Aragona savent très bien que s’ils convoquent un congrès, les travailleurs les chasseront. De telles concessions sont scandaleuses [...]. Si les dirigeants du parti italien tolèrent cela plus longtemps, nous en appellerons aux ouvriers d’Italie par-dessus leurs têtes47. En ce qui concerne l’USPD, Dittmann et Crispien ont démontré, assure-t-il, leur « kautskysme ». Quant à la gauche, « elle n’est pas organisée, parce qu’elle ne sait pas ce qu’elle veut, parce qu’elle ne peut pas se libérer de l’étreinte des opportunistes de droite à moitié morts48 ». Zinoviev définit clairement la position des Russes par rapport à F Internationale, telle du moins qu’elle sort incontestablement de ce congrès : Nous ne nous considérons pas seulement comme un parti qui gouverne un grand pays mais aussi - et c’est notre fierté - comme un parti communiste qui, avec d’autres, a fondé l’Interna­ tionale communiste. L ’Internationale communiste n’est pas une organisation russe, c’est une organisation mondiale. Nous sommes fiers que le congrès puisse se tenir sur notre sol. Bien entendu, nous sommes fiers aussi que certains d’entre vous disent qu’ici, en Russie, quelque chose a été accompli. Pourtant nous devons exiger de vous de ne pas venir avec de la rhétorique mais denous dire ouvertement etclairement quand le mouvement syndical italien, quandla grande classeouvrière italienne, serontfinalement libérés, quanddespartis communistes serontfinalement construits partout49. D eu x

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H restait au congrès, après les conditions d’admission, à régler deux grands débats de principe, discutés pendant les mois qui l’avaient précédé, sur le « parlementarisme » et sur les syndicats, conseils d’usine, etc. La première question est discutée dans la journée du 9 août. C’est Boukharine qui présente le rapport de la majorité de la commission. II explique que le parlementarisme, qui, comme bien d’autres conquêtes ou instruments de luttes ouvrières, avait été intégré dans l’appareil d’État particulièrement pendant l’époque de la guerre et du « capitalisme d’État », était maintenant devenu un « nouveau parle­ mentarisme » à l’époque des crises et des révolutions et que les communistes devaient y prendre leur place. Mais il relève aussi que c’est le plus souvent le plus pur opportunisme qui l’emporte dans l’activité des groupes parlementaires. En fait, seul un vrai parti com­ muniste, dit-il, peut mener une véritable activité révolutionnaire au Parlement. Le rapport de la minorité est présenté par Bordiga, dont on connaît la position « abs­ tentionniste ». Pour lui, il ne s’agit pas d’une question de principe, mais iî est complète47. P. 384-385. 48. P. 385. 49. P. 386-387.

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ment erroné, à l’ère des soviets, de se faire représenter dans l’institution de la démocratie bourgeoise. Le débat fait apparaître les clivages déjà connus. L ’Écossais William Gallacher, le Suisse Joggi Herzog, le Français Boris Goldenberg, suivent Bordiga. J T. Murphy, l’Italien Luigi Polano fraîchement converti, votent pour les thèses de Boukharine, cependant que le Bulgare Nikoîaï Chabline fait une apologie de l’activité «parlementaire révolution­ naire » du PC bulgare. Serrati semble avoir retrouvé sa verve méditerranéenne quand il apostrophe Bordiga ; « Ne m’interromps pas,camarade Bordiga. J ’aidormi pendant ton rapport pour ne pas t’interrompre50. » La question syndicale fut, selon Rosmer, très mal traitée par le congrès, « sans ampleur ni profit51 ». Les débats qui s’y déroulèrent en commission avaient été menés des dizaines de fois. D’un côté se trouvaient groupés derrière Karl Radek, qui n’avait aucune expérience syndicale, les défenseurs de la conception social-démocrate traditionnelle du travail dans îes syndicats. De l’autre, les délégués d’atelier, les syndicalistes, Jack Tanner et aussi Rosmer, ainsi que leur allié circonstanciel, John Reed, horrifié à l’idée qu’on pût demander à un communiste de militer au sein de l’AFL, « boringfrom wiîhin ». La même commis­ sion doit également traiter de la question des conseilsouvriers (soviets), deîeur formation et de leur rôle, avec moins de difficultés que pour les syndicats. Elle va décider de créer une commission préparatoire à un congrès des « syndicats rouges », une initiative de longue portée et de lourdes conséquences, qui, de toute évidence, n’avaient été entrevues par personne. Sur cette question, dédaignant l’essentiel, le congrès de F Internationale n’avait débattu que de bricoles. Sans pour autant négliger d’autres commissions, nous retiendrons celle sur « la situation internationale et les tâches de l’Internationale communiste », où le nombre des participai!ts dépassait parfois celui des congressistes présents en séance publique. Lénine y participa de bout en bout, obligeant Boukharine à la suivre également. La responsabilité et le rapport y étaient confiés - preuve de confiance - à Alfred Rosmer. Ses « thèses » dressaient une sorte de bilan du congrès, de ses jugements et de ses décisions. Elles condamnaient une fois de plus le gauchisme, le situant plus précisément dans îe KAPD, le PC suisse de Herzog, Kommunismus, qualifié d’« organe du secrétariat est-européen de l’Internationale communiste à Vienne », chez quelques camarades hollandais - îe défunt bureau d’Ams­ terdam n’était pas mentionné, à la suite d’un vote où Lénine et Rosmer obtinrent une voix de majorité contre Zinoviev et Radek -, dans quelques organisations britanniques et américaines. Les conditions étaient devenues vingt et une, trois conditions étant ajoutées par la commission à la suite du débat : obligation de tenir un congrès sur la base des résolutions de Moscou, majorité des deux tiers dans les organismes dirigeants de membres partisans de l’adhésion avant le F congrès, exclusion des adversaires des conditions et thèses de l’Internationale. Le règlement de la question italienne se fit sur les positions défendues par les Russes mais définies dans un texte présenté par Graziadei, Bombacci et Polano : En ce qui concerne le Parti socialiste d’Italie, le IIecongrès de l’Internationale communiste considère que la révision do programme du parti adoptée au congrès de Bologne l’an dernier est un pas très positif sur le chemin du parti vers le communisme. Les propositions soumises au conseil national du Parti socialiste d’Italie au nom de la section du parti de Turin, telles que 50. Cette réplique ne figure pas dans DCIC, mais dans ia récente édition américaine, Workers of the World, Oppressed People, Unité /, à la page 469 du compte rendu. 51. A. Rosmer, op. cit., p. 107.

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publiées dans L’Ordine nuovo du 8 mai 1920, correspondent aux principes fondamentaux de la Hf Internationale. En conséquence, le IIecongrès de la IIP Internationale demande au Parti socialiste d’Italie de convoquer son prochain congrès conformément aux statuts et avec les conditions d’admission de l’Internationale communiste et d’y discuter, avec ces propositions, toutes les décisions des deux congrès de l’Internationale communiste, particulièrement celles qui concernent la fraction parle­ mentaire, les syndicats et les éléments non communistes dans le parti52. La page était tournée. Le

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C’est à Trotsky qu’aîîait revenir l’honneur de présenter le manifeste du congrès. D éblouit l’assistance non seulement par la qualité du texte mais par sa présentation magni­ fique, sans l’aide d’aucune note, pendant une heure. Il décrivait d’abord la situation mondiale, les relations internationales au lendemain du traité de Versailles, dépeignait la situation économique et sociale marquée par la désorganisation de la production et la paupérisation de la population, les interventions de l’État ne faisant qu’aggraver le chaos d’une économie de plus en plus ravagée par les spéculateurs. Il montrait que la bourgeoisie renonçait aux réformes et que partout l’appareil d’État tendait à redevenir le détachement d’hommes armés qui était son essence même. La conclusion était claire : pour que vive l’humanité, il fallait abattre l’impérialisme. La révolution russe l’avait prouvé dans les faits. Trotsky résumait alors à grands traits les décisions du congrès, montrant leur signi­ fication à l’échelle mondiale dans l’océan de misère et de désespoir où était plongée la grande majorité de l’humanité, avant de conclure : Dans toute son activité, que ce soit en tant que dirigeant d’une grève révolutionnaire, en tant qu’organisateur de groupes clandestins, de secrétaire de syndicat, député, agitateur, coopérateur ou combattant sur une barricade, le communiste demeure toujours fidèle à lui-même, membre discipliné de son parti, ennemi implacable de îa société capitaliste, de son régime économique, de son État, de ses mensonges démocratiques, de sa religion et de sa morale- Il est un soldat dévoué de la révolution prolétarienne et l’annonciateur infatigable de la société nouvelle. Ouvriers et ouvrières ! Il n’existe sur cette terre qu’un seul drapeau qui soit digne que l’on combatte, que î’on vive et que l’on meure pour lui, c’est le drapeau de l’Internationale commu­ niste53. Lénine, tentant un bilan et énumérant les victoires depuis une année, écrit : « Plus grande encore est notre victoire sur les esprits et les cœurs des ouvriers, des masses opprimées par le capital, la victoire des idées et des organisations communistes dans le monde entier54. » U n e d éc ept io n

Quand s’achève îe IIe congrès de îa Comintem, le 7 août 1920, on peut penser que l’Armée rouge est sur le point de remporter en Pologne une grande victoire. Kamenev a communiqué à Londres les conditions soviétiques de paix, et le gouvernement britannique conseille à Varsovie de les accepter sans tarder : îes deux délégations doivent se retrouver à Minsk le 11 août. Il n’en sera rien. On s’en doute, ce n’était pas sur la seule Armée 52. DCIC, p. 744-745. 53. P. 741. 54. Kommunist, 3-4, août-septembre 1920, Lénine, Œuvres, t. XXXI, p. 282.

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rouge que les dirigeants de Moscou comptaient dans cette guerre, et leur objectif allait au-delà des problèmes de frontières. La question a fait l’objet d’études et de discussions sérieuses menées avec les dirigeants communistes polonais, dont l’opinion a été écoutée, En fiait, à l’exception de Trotsky et de Radek, qui ne comptaient pas sur une révolution polonaise, la totalité de la direction, Lénine en tête, y croyait dur comme fer. Ses partisans comme lui-même, peut-être à îa suite des communistes polonais, renouvelaient Terreur ancienne de Rosa Luxemburg en sous-estimant la question nationale en Pologne, qui amena la grande majorité de ia population à se dresser contre l’envahisseur, traditionnel­ lement russe, sans s’occuper de savoir s’il était communiste et si son armée était « rouge ». Le 5 mai, le gouvernement soviétique avait créé un conseil spécial pour l’étude des problèmes de la guerre avec la Pologne55. Dans cette guerre défensive, machinée par le gouvernement français, iî le soulignait, le gouvernement des soviets avait désormais deux objectifs : la libération du joug polonais des nations ukrainienne et biélorusse, la seconde, la libération des masses laborieuses polonaises du joug de îa bourgeoisie. Le conseil adopta une résolution reprenant ces thèmes, qui fut adoptée par l’exécutif des soviets sous la forme d’un « Appel aux ouvriers, paysans et soldats de Pologne ». Dans un article contemporain, tout en affirmant que la Pologne déciderait librement de ses relations avec la Russie, Radek précisait : « La Pologne doit cesser d’être un mur protégeant l’Europe de la Russie et devenir un pont entre îa Russie et l’Allemagne56. » Le même 5 mai, une réunion du CC polonais élargi, tenue après le conseil sur la guerre, écoutait et approuvait un rapport présenté par Stanislaw Budzynski s’attachant à décrire les tensions entre classes en Pologne et concluant que le pays était mûr pour un soulèvement social. Dans ses Mémoires, Hersh Mendel confirme en pariantde la situation en Pologne à cette époque, fin 1919 début 1920 : « La lutte pour gagner F âme des ouvriers ' polonais débuta. Les ouvriers des chemins de fer, des usines métallurgiques, les plus importantes, des tramways, de la construction et de la cordonnerie étaient sous influence communiste. La cause était entendue chez les mineurs de Zagîembie et la classe ouvrière basculait du côté des communistes également57. » Nous avons pris connaissance des résolutions enthousiastes du IIe congrès en faveur de la révolution polonaise, mais il faut ajouter qu’aucune ne se prononçait sur l’alternative : partage des grands domaines ou nationalisation avec vastes domaines collectifs, laissant les Polonais choisir eux-mêmes. Marchlewski, le futur dirigeant de la Pologne rouge, donna lui-même la réponse au congrès en assurant que, dans un pays céréalier comme îa Pologne, il ne fallait pas détruire les grands domaines seigneuriaux, mais en faire des usines d’État de production de grain. V er s

l e po u v o ir à

V a r so v ie

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C’est le 2 août 1920, après la chute de Bialystok, première ville polonaise importante prise par l’Armée rouge, que fut constitué le Comité révolutionnaire provisoire pour la Pologne. Marchlewski en était le président, Dzeijinsky58, Félix Kon et Ounschlicht, ses adjoints, Prôchnfak, son secrétaire. Le Conseil révolutionnaire de îa guerre de l’URSS avait adjoint au comité polonais, en tant que conseiller; l’un de ses membres les plus brillants, le Letton Ivar Teunissovitch Smilga, chargé à la fois de conseiller les autorités 55. M.K. Dziewanowski, The Communist Party of Poland, p. 89-90. 56. K. Radek, « La question polonaise et la révolution internationale », Die Kommunistische Internationale, n° 12, 1920. 57. H. Mendel, Mémoires d'un révolutionnairejuif, p. 215-217. 58. Certains auteurs, « confient » cette présidence à Dzeijinski, sans doute parce qu’ii était i’homme de la Tcheka !

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militaires soviétiques d’occupation et de coordonner les activités des comités révolutionnaires locaux. Le comité ne perdit pas de temps. Une de ses premières initiatives fut de faire lancer par avion au-dessus de la Pologne des millions d’appels aux travailleurs polonais des villes et des champs présentant son programme : nationalisation des usines et des mines. Le pouvoir devait revenir aux conseils ouvriers dans villes et villages, être remis au RKP en cas de chute de Varsovie, précédant l’établissement d’un gouvernement socialiste de la République soviétique polonaise. Marchlewski préconisa, pour «faire mieux que Lénine », disait-il, la transition par les coopératives agraires de production, une marche vers la collectivisation. Mais cette perspective était loin d’être populaire chez les paysans polonais. Ce programme n’eut pas d’écho favorable chez eux. Dans les villes, il semble que la classe ouvrière avait été très mécontente de l’attaque de l’armée polonaise contre Kiev, et la classe ouvrière juive enragée des pogroms commis dans leur retraite par des unités agissant sans ordre - de sanglants pogroms. Le bundiste Henryk Erlich exprima les sentiments de la « ruejuive » dans une courageuse intervention publique. Mais avec le reflux des troupes polonaises apparaissait le danger d’une victoire des Russes, oppresseurs séculaires. Le vent tourne. Alors même que la IIe Internationale condamne Pilsudski et l’agression polonaise, îe PPS, lui, se situe sur le plan de l’union sacrée avec la Pologne des bourgeois et magnats menacée. A Varsovie, il prépare ses groupes de combat à la lutte armée contre les Russes à leur entrée dans îa capitale. C’est au moment de l’offensive que le RKP met sur pied un certain nombre d’organismes, à peu près au moment du reflux des armées polonaises : soviets (conseils) ouvriers et paysans dans les zones libérées avant tout. Mais il se prépare aussi dans la zone encore tenue par îe gouvernement polonais. C’est ainsi qu’est constitué à Varsovie un Comité militaire révolutionnaire clandestin, n est présidé par Stefan Krôlikowski, dirigeant de 1905, ancien leader du PPS, et comprend notamment Yisroel Gajst, ex-sioniste de gauche, représentant des ouvriers juifs, qui, arrêté, sera remplacé par H. Sztokfish. Il y a aussi Karoîski, l’un des orateurs les plus populaires dans îe milieu ouvrier juif, évidemment réfractaire au chauvinisme polonais. L ’objectif de ce CMR n’est pas de prendre le pouvoir à Varsovie, même en cas d’entrée dans la capitale de î’Armée rouge. Sa mission est autre. Hersh Mendel la précise clairement : « Le Comité militaire révolutionnaire devait organiser des sections rouges ayant pour mission de combattre les sections du PPS et de faciliter la progression de l’Armée rouge vers îa frontière allemande, où elle devait, selon l’expression de Lénine, “prendre le pouls de îa révolution en Allemagne” 59. » C’est finalement F état-major de la XV Iearmée rouge qui fait savoir au CMR varsovien qu’il ne faut plus rien entreprendre parce que son entrée dans Varsovie est imminente. Il déploie alors une grande activité. Plans militaires pour occuper casernes et commissariats et les principales imprimeries. Plans politiques, car le Bund désirait participer au nouveau gouvernement et réclamait le portefeuille des Affaires populaires juives : la question fut renvoyée à plus tard. Un « plus tard » qui ne vint jamais, car î’Armée rouge battit en retraite pour de bon. L es

c a u ses d e l ’éc h ec

Faut-il suivre l’historien M.K. Dziewanowski, qui, s’alignant sur un jugement du PC stalinisé, en 1930, selon lequel le RKP aurait révélé sa faiblesse congénitale, son manque 59. H. Mendel, op. cit., p. 218.

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d’activité révolutionnaire eî une passivité provoquée par les victoires de l’Armée rouge ? Les Mémoires d’Hersh Mendel - que cet auteur ne cite pas - ne confirment pas ce jugement. Le parti polonais ne manquait ni de courage ni de combativité, mais il était sans doute au-dessus des forces d’un parti communiste quelconque de lutter contre le sentiment antirusse des masses, qui s’exaspéra de voir les troupes russes franchir le Bug. Il a eu en effet à subir la campagne accusant les Russes de pillages et de viols, ressassant aux Polonais les tristes expériences passées de l’occupation de la Pologne par les troupes russes du tsar et les massacres commis par les bolcheviks dans leur propre camp. Peut-être aussi, dans les zones occupées, la tutelle de fait des autorités soviétiques sur les conseils polonais apparut-elle comme une véritable annexion. Les causes de la défaite de l’Armée rouge tiennent en partie à l’étirement des lignes et du ralentissement du rythme de l’offensive. Mais il semble qu’elle fut pratiquement décidée par l'indiscipline de l’armée d’Egorov, dont Staline était le commissaire politique. Tous deux décidèrent en effet de ne pas obéir à l’ordre de Toukhatchevsky de concentration des troupes contre Varsovie et laissèrent la cavalerie de Boudionny piquer vers le sud-ouest, afin de s’assurer un succès par la prise de Lvov, ce qui obligea la cavalerie de l’armée de Toukhatchevsky à battre en retraite et sauva Varsovie60. L ’affaire provoqua un sérieux conflit entre Lénine et Staline, et îa démission de ce dernier du Comité militaire révolutionnaire. Il fallut bientôt se rendre à l’évidence. Malgré l’agitation ouvrière en Europe, les puissances, et en particulier le gouvernement français, intervenaient à nouveau. Il y avait déjà à Varsovie une mission militaire, 200 officiers environ, dont îe capitaine Charles de Gaulle. Le gouvernement français envoya l’ancien collaborateur de Foch, le général Weygand, convaincu que sa mission était de restaurer, avec la Pologne, « le rempart de la civilisation chrétienne, de l’Occident6Î ». Le capitaine de Gaulle a « observé le degré de misère que peuvent atteindre des hommes [...] 1a foule affreuse des faubourgs ». Lui aussi voit « la civilisation menacée » : « Notre civilisation, écrit-il, tient à bien peu de chose. Toutes îes richesses dont elle est fière auraient vite disparu sous la lame de fureur des masses désespérées ». Les troupes polonaises arrêtèrent l’armée russe devant Varsovie, et, après les trois jours de la « bataille de la Vistuîe » (certains diront, bien sûr, « le miracle de îa Vistule »), du 14 au 17 août, commençèrent à la refouler. L ’armistice fut signé îe 12 octobre. La révolution ne serait pas exportée par les armes. Le moral des révolutionnaires recevait un coup sérieux. Le RKP était en tout cas convaincu et mobilisé dans îa perspective révo­ lutionnaire à court terme, comme le montre ses analyses de l’été 1920, par exemple cette résolution du comité central à ia 2econférence qui affirmait : « L ’éclatement de la révo­ lution en Europe sera pour les régiments rouges de Russie le signal de la reprise de îeur marche vers l’Ouest62. » L es

su c c ès d es c o m m u n ist es po lo n a is

Paradoxalement, îes éléments ne manquaient pas pour sous-estimer l’importance des dégâts et du mal fait au RKP par l’avance de l’Armée rouge en Pologne. Les lendemains de la guerre enregistrèrent de grands succès pour le parti polonais. Dans la seconde moitié de 1920, c’est d’abord le fait qu’un certain nombre d’éléments de la gauche du PPS, 60. Sur cet épisode, voir le livre (Toukhatchevsky) d’un auteur iié auxservices de renseignements militaires français, Sophie de Lastours, et le résumé qu’elle fait, p. 141-158, du contenu des publications et des documents d'archives soviétiques sur la question. 61. J. Nobécourt, Une histoire politique de l'armée, 1.1, 1919-1942, De Pétain à Pétain, p. 74. 62. Cité par Dziewanowski, op. cit., p. 95.

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révulsés par l’attitude non seulement anticommuniste mais antiouvrière de leur parti, rejoignent le RKP : parmi eux, Jerzy Sochacki, un avocat, ancien secrétaire général, et un député, le cheminot Stanislaw Lancucki, D’autres groupes socialistes suivent. Surtout, à partir de 1921, ce sont des groupes très importants de socialistes juifs, eux aussi révulsés par l’attitude du PPS et par son alignement sur les chauvins et les pogromistes, qui rejoignent les communistes. C’est d’abord le Kombund, l’aile gauche, com­ muniste, du Bund, que dirigent Aleksander Mine, Abè Fîug, Abè Kantor, puis les gens de Poaîe Zion avec Gershon Dua, Szaül Amsterdam, Mendel Michrowski, Alfred Lampe et les Vereinigte (unifiés) avec Lestchinsky. H. Mendel peut écrire qu’à partir de cette date le PC polonais est devenu « la force principale dans le mouvement ouvrier juif63 », un parti juif de masses. Il recrute également un dirigeant paysan populaire, membre du Parti radical paysan et député au Sejm, Tamasz Dabal, dit Dombal, qui va devenir un des dirigeants de la future Internationale paysanne, la Krestintem. Le fait qu’il est le deuxième député à le rejoindre, après Lancucki, apporte au PC une capacité d’agitation infiniment supérieure que les deux hommes sauront exploiter. Malgré les apparences et la légende entretenue en Occident, la déception polonaise à l’été 1920 n’est pas le catastrophique effondrement d’une grande illusion. Les causes de la défaite polonaise sont parfaitement compréhensibles avec la tentative d’exporter la révolution à travers TArmée rouge. L ’attachement des paysans au partage de la terre est souligné. Finalement, les progrès des Polonais justifient la politique de la Comintem.

63. H. Mendel, op. cit., p. 237.

CHAPITRE IX

Le pain blanc des illusions1

Le IF congrès de la Comintem est une pierre angulaire de sa construction, un jalon capital dans le cours de son développement. Au fond, l’Internationale n’avait été que proclamée. La voilà en train d’être construite, véritablement fondée. Depuis ce mois d’août 1920, elle existe, et, en ce sens, l’appel de Zinoviev aux délégués d’enregistrer ces jours dans leur mémoire était parfaitement justifié. P r e m iè r e s

d éc ept io n s

Pourtant, les lendemains de cet événement considérable n’ont pas été ceux qu’atten­ daient ses organisateurs. Bien sûr, les partis ont continué à solliciter leur admission dans les rangs de la nouvelle Internationale. Bien sûr, des centaines de milliers de femmes et d’hommes ont revendiqué dans les mois suivants îe titre et le nom de communistes, l’objectif, le programme du communisme, et revendiqué sa noblesse, à laquelle ils offraient leur vie même. Mais il y avait déjà dans le fruit un ver que l’on ne voyait pas et qui compromettait la cueillette. L ’Armée rouge avait été arrêtée aux portes de Varsovie et il n’y avait pas eu de début de révolution avec son avance, ni en Pologne ni en Allemagne. Les centaines de milliers de grévistes en Italie et en Bohême, les usines occupées, les gares prises d’assaut, îe drapeau russe flottant sur les usines italiennes, les grands partis français, indépendant allemand, tchèque, se pressant à la porte, tout cela avait une saveur de victoire et de lendemains qui chantaient. Le temps n’était pourtant pas loin où les communistes allaient déchanter et, pour îa première fois de leur brève histoire, perdre, sans avoir eu à livrer une bataiîîe décisive, mais sous le poids de leur propre faiblesse, une partie des conquêtes qu’ils avaient cru assurées avec le IIe congrès, celui des espé­ rances, devenu rétrospectivement celui des espérances déçues.

1. P. Frank, op. c ia , 2 'partie, chap. il» « Premières difficultés », p. 121-152 ; C.L.R. James, op. cit., saute par-dessus cette période.

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Le IIecongrès était à peine terminé qu’un certain nombre de délégués, parmi lesquels Zinoviev, Radek, Tom Queich, Jansen, Alfred Rosmer, John Reed, auxquels était adjoint

Béla Kun, enfin arrivé à Moscou, prirent îe train pour se rendre à Bakou. Là allait commencer îe îer septembre le congrès des peuples d’Orient. Béla Kun, Zinoviev et Radek représentaient l’Internationale, les autres, les partis de pays possédant des colonies. L ’ini­

tiative ne faisait pas l’unanimité. M.N. Roy, qui l’appelait « le cirque Zinoviev », refusa de s’y joindre, n’y voyant qu’une parade propagandiste. L’exécutif avait décidé la tenue de ce congrès et envoyé la convocation au temps de la convocation du Ier congrès. Elle avait expliqué aux « ouvriers et paysans du ProcheOrient» qu’il leur fallait s’organiser, s’armer, s’allier à l’Armée rouge pour défier les capitalistes français, anglais et américains et se libérer de leurs oppresseurs » : « Chaque année, vous traversez îes déserts pour vous rendre aux Lieux saints. Maintenant, frayezvous un chemin à travers déserts, montagnes et rivières pour vous réunir ensemble, pour décider ensemble des moyens de vous libérer des chaînes de la servitude, de vous unir dans une union fraternelle et de vivre comme des hommes libres et égaux3. » Un important travail préparatoire avait été fait par les militants, communistes ou non, de cette région, notamment ceux d’Azerbaïdjan. Bakou avait été choisie comme capitale d’une république qui se trouvait au croisement entre la Russie et l’Orient. Le comité d’organisation comprenait les communistes d’Azerbaïdjan Nariman Narimanov et M.D. Gousseinov, Saïd Gabiev, du Daghestan, le communiste turc Mustafa Subhi et les membres du CC du parti russe Sergo Ordjonikidze et Elena Stassova. C’était, et de loin, le plus grand rassemblementjamais organisé par l’Internationale communiste : 2 850 délé­ gués, dont 235 Turcs, 192 « Persans et Parsis », 157 Arméniens, 100Géorgiens, 8 Chinois, 8 Kurdes, 3 Arabes, des Caucasiens divers, 15 Indiens, des Coréens. Certains avaient cheminé pendant des mois. Les délégués de Moscou, eux, n’avaient mis que cinq jours en train, avec bien des arrêts pour la propagande. Deux Iraniens avaient trouvé la mort près d’Enzeli, mitraillés sur îeur bateau par un avion anglais, deux autres furent tués à la frontière par des gardes iraniens. Les délégués indiens vinrent à travers le Turkestan, et aussi quelques déserteurs indiens de l’armée britannique. Il y avait parmi eux des com­ munistes. Parmi les vieux militants, on peut citer Narimanov et l’Iranien Ahmed Sultanzadeh. D’autres étaient des combattants nationalistes, notamment Ryskoulov et surtout Narboutebakov, porte-parole des non-communistes. Zinoviev, un tribun qui sentait sa salle, comprit qu’il ne fallait pas être trop dogmatique. H mit une sourdine aux mots d’ordre de classe en langage marxiste, et mit au contraire l’accent sur les sentiments nationaux et religieux* La tradition du djihad, la guerre sainte contre l’infidèle, fut utilisée pour la croisade moderne des peuples opprimés contre les impérialistes oppresseurs. La salle tout entière fut électrisée : Camarades ! Frères ! Le temps est venu de commencer à organiser une véritable guerre sainte du peuple contre les voleurs et les oppresseurs. L’Internationale communiste se tourne aujourd’hui vers les peuples d’Orient et leur dit : Frères, nous vous appelons à la guerre sainte et d’abord contre l’impérialisme britannique (Tempête d’applaudissements, ovation prolongée. Les membres du congrès se lèvent et brandissent leurs armes. L’orateur ne peut plus pendant 2. Nous avons suivi ici l’excellente édition américaine sur ce congrès avec ses documents, To See the Dawn. First Congress of the Peoples of the East, ci-après Bakou. 3. Bakou, p. 40.

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longtemps continuer son discours. Tous les délégués, debout, applaudissent. On crie : « Nous ie jurons. ») Que cette déclaration soit entendue à Londres, à Paris» dans toutes les villes où les capitalistes ont encore ie pouvoir ! Qu’elle inspire le serment solennel par les représentants de dizaines de millions de travailleurs d’Orient, qu’en Orient le poids de l’oppression britannique, le joug capitaliste qui pèsent sur les travailleurs doivent cesser ! Vive l’union fraternelle des peuples d’Orient avec l’Internationale communiste ! (« A bas le capital ! Vive l’empire du travail ! » [Tempête d’applaudissements.] « Vive la résurrection de l’Orient ! », [cris de « Hourrah ! ». Applaudissements.] Des voix : « Vive la IIIe Internationale communiste ! ». [Cris « Hourrah ! ». Applaudissementsj Voix : « Vive l’unité de l’Orient, de nos dirigeants respectés, de l’Armée rouge ! ». [Cris « Hourrah ! ». Applaudissements.])4.

Un incident est évité de justesse du fait de la présence du dirigeant nationaliste jeune-turc Enver Pacha. D’énormes difficultés de traduction rendent évidemment difficile les discussions et les débats d’idées : certains émettent des réserves sur l’exactitude de traductions faites par Piotr Petroff - celui que nous avons rencontré en Grande-Bretagne car elles soulèvent un enthousiasme que rien, dans le propos à traduire, ne semble justifier. Relevons des discussions sur le sionisme, le rôle des femmes, des critiques surtout de musulmans du Turkestan sur le comportement « grand-russe » de certains communistes. Nabourtabekov prononce un discours retentissant. Pour lui, les masses ouvrières du Turkestan ont à lutter sur deux fronts, ici contre les mollahs réactionnaires et là contre les tendances étroitement nationalistes des Européens. Il s’écrie : « Nous vous disons : débarrassez-nous de vos contre-révolutionnaires, de vos éléments étrangers qui sèment la discorde nationale, débarrassez-nous de vos colonisateurs travaillant sous le masque des communistes5 ! » D s’en prend aussi aux persécutions déchaînées contre les musulmans privés de prières, de rites d’enterrement, ce qui, selon lui, signifie « semer la contrerévolution dans les masses laborieuses6». Il ne semble pas que l’avertissement ait été vraiment entendu. H sera pourtant répété. On se retrouve plus à l’aise dans les grandes manifestations, les gestes et les couleurs : ainsi pour l’inauguration d’un monument à Karl Marx, ou pour l’enterrement solennel de 26 commissaires massacrés au début de la guerre civile. Pour le reste, le congrès publie deux manifestes et crée un conseil de propagande et d’action de 47 membres de 20 natio­ nalités et un présidium de 7 membres, dont 2 représentant la Comintem. Il sera éphémère. Mais c’est de l’acte qui l’a fondé que découle la fondation de l’institut de propagande de Tachkent, puis l’Université des peuples d’Orient, fondée en 1921 avec 700 étudiants de 57 nationalités et des branches à Bakou et à Irkoutsk. Un des historiens de l’IC écrit que « la contribution du IIe congrès et du congrès de Bakou à la marche de la plus grande partie de l’humanité vers le socialisme constitue un fait historique colossal ». Cela tient évidemment de la galéjade propagandiste. On peut néanmoins reconnaître que c’était là le début d’un long développement, d’un tournant dans l’histoire de l’Orient en particulier et d’un mouvement des nationalités qui prenait historiquement appui sur la révolution russe.

4. Bakou, p. 78. 5. Ibidem, p. 107. 6. Ibidem, p. 108.

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Le lendemain du IIecongrès est marqué par un certain nombre de pertes humaines qui sont directement liées à sa tenue et à ses conséquences. D’abord John Reed, « Jack ». Il avait été à lui seul une sorte de comité d’accueil du IIecongrès et s’était usé en discussions q u ’ i l a jugées très vaines sur la question syndicale, notamment avec Radek. Il se lassait de plus en plus de ces Russes qui pensaient avoir toujours raison. Il semble en particulier avoir eu pour cette raison beaucoup d’hostilité à l’égard de Zinoviev. Puis il est allé à Bakou. L’un de ses biographes, Robert Rosenstone raconte : « John, vêtu d’une chemise rayée sans col et d’un pantalon large [...] essayait de se faire comprendre par signes ou utilisait une demi-douzaine de langues rudimentaires ; il s’émerveillait que la révolution ait pu avoir un aussi grand retentissement et rêva à nouveau d’enfourcher un cheval et de suivre ses nouveaux amis dans les montagnes7. » Rosmer semble n’avoir vu que lui au cours de ce voyage. D nous le montre curieux, enthousiaste, autant des fruits que des soieries et de la mer dans laquelle il plonge dès qu’il le peut. Il lui est apparu très triste pendant le voyage de retour, qui dut lui paraître longpuisqu’il attendait avec une immense impatience de retrouver à Moscou sa compagne Louise Bryant, venue le rejoindre des États-Unis. Il était aussi incontestablement déçu. Il trouva bien Louise à son arrivée mais tomba malade au bout de dix jours. Il fut hospitalisé et il fallut quelquesjours pour diagnostiquer le typhus. Il lutta encore contre de mauvaises traductions de ses interventions aux congrès. Il mourut le 17 octobre 1920, à trente-trois ans. L’urne contenant ses cendres prit place dans le mur du Kremlin. Avec lui disparaissait non seulement un incomparable chroniqueur et historien de la révolution russe, un très grand journaliste, mais aussi un homme enthousiaste, généreux, sincère et désintéressé, convaincu de ce qu’il disait et prêt à souffrir et mourir pour ses idées - un homme véritable, beaucoup plus que le « révolutionnaire romantique » vu par Rosenstone. Lors de l’enterrement de Jack Reed, il y avait déjà plusieurs semaines qu’avaient péri trois délégués français, disparus en mer avec leur interprète, le russo-français Sacha Toubine, et qui n’ont donc jamais eu de funérailles. Écrivain, socialiste, pacifiste avant de se joindre aux communistes, Raymond Lefebvre avait vingt-sept ans et, selon l’expression de Victor Serge, « il clamait pour les survivants d’une génération enterrée dans les fosses communes8 ». Il venait de rejoindre à Paris îe comité de la IIIeInternationale. Marcel Vergeat, vingt-neuf ans, ouvrier tourneur mécanicien, responsable des Jeunesses syndicalistes dans les métaux parisiens, était un modeste, un organisateur syndicaliste révolutionnaire. Il avait soutenu Zimmerwald et Kienthal et était membre du CDS (Comité de défense syndicaliste). Louis Bertho, dit Jules Lepetit, trente et un ans, ouvrier terrassier, puis chauffeur de petites voitures, était anarchiste et syndicaliste, un vrai « chef prolétaire », dit Victor Serge. Il avait appartenu aux Jeunesses syndicalistes, avait adhéré pendant la guerre au Comité pour la reprise des relations internationales. Alfred Rosmer parle des trois Français et de leur comportement en Russie : Le choix était excellent et cette délégation, petite par îe nombre, était bien représentative des tendances présentesdumouvement ouvrier français. RaymondLefebvre était le plus enthousiaste ; il participait avec uneardeurjuvénile auxdiscussionsentrelesdéîégués, questionnant, s’informant. «Tout ce que nous avons fait jusqu’à présent est à reprendre», me dit-il un jour: c’était 1a conclusion de ce qu’il avait vu et appris pendant son séjour. Vergeat, par tempérament et du fait qu’il restait en dehors du parti, était plus réservé ; c’était un militant solide qui ne se prononçait î. R. Rosenstone, John Reed, le romantisme révolutionnaire, p. 579. 8. V. Serge, Mémoires d'un révolutionnaire, p. 115.

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pas sans réflexion ; il était de ces syndicalistes qui, entièrement dévoués à la révolution russe, avaient encore besoin de se concerter, d’examiner entre eux le grave problème que posait l’adhé­ sion à un parti politique. Des trois, Lepetit était naturellement le plus critique ; cependant, les lettres qu’il écrivit de Moscou et que publia Le Libertaire montraient que ses critiques, même vives, n’entamaient pas sa sympathie pour le nouveau régime9. D ’a u t r es

m o rts su r l e c h em in d u r et o u r

Raymond Lefebvre a fait sur ceux qui l’ont connu une grande impression. Victor Serge parle d’un mélange d’enfance et de génie. Jacques Sadoul écrit à Paul Vaillant-Couturier qu’il l’a vu comme une « figure lumineuse, jeune homme magnifiquement doué [...], un génie politique près de s’épanouir10 ». Tous ces gens ïe considéraient comme le chef de demain du communisme en France. Vergeat et Lepetit étaient des militants ouvriers d’une grande honnêteté que Pierre Pascal, qualifie de « révolutionnaires loyaux et réalistes », convaincus, gagnés au communisme par leur séjour et leur enquête. Les circonstances de leur mort ont donné lieu à polémique, des accusations d’assassinat par les Russes - normales de la part de la droite, mais qui nous semblent un véritable anachronisme, car Lénine n’était pas Staline et les deux époques sont bien différentes. En réalité, ce qui est indiscutable, c’est que les trois hommes étaient pressés de revenir en France et que le chemin normal pour un homme qui revenait de Russie dans les conditions qui étaient les leurs passait par Mourmansk et la voie maritime. Ils partirent malgré le gros temps et n’arrivèrent pas. Annie Kriegel a enquêté sans résultats et doit reconnaître que rien ne permet de parler d’assassinat, et que rien ne permet de le démentir, une conclusion qui peut s’appliquer à bien des décès accidentels ! Dans ses souvenirs, Alfred Rosmer cite longuement Pierre Pascal, qui les fréquenta beaucoup à Moscou : Vergeat et Lepetit ont quitté la Russie bien changés. Ils ont appris ici une grande vérité qui leur manquait en France. Ils se figuraient jadis, plus ou moins consciemment, que la société nouvelle de leurs rêves, sans classes ni exploitation, pouvait être instaurée d’unjour à l’autre et succéder toute faite au régime capitaliste au lendemain de la révolution, fis ont appris en Russie que cette société devait au contraire se forger dans la peine et dans l’effort de longues années [...]. Et puis leur éducation avait été complétée par Lénine en personne, oralement et par écrit. Ils eurent avec lui un long et cordial entretien ; iis lurent la traduction française de son ouvrage L'État et la révolution. Cette lecture fut pour eux une véritable révélation [...]. Leur sentiment du devoir fut cause de leur mort. Us périrent victimes de leur hâte à apporter en France la bonne parole du communisme11. Le délégué grec au congrès, l’étudiant Démosthénès Ligdopoulos, et le représen­ tant fraîchement désigné de la Comintem en Grèce, Orion Alexakis, un Russe d’ori­ gine grecque, ont probablement été assassinés par les pêcheurs du petit bateau sur lequel ils avaient embarqué pour revenir clandestinement au pays. La disparition de Ligdopoulos, qui, avant ïe congrès, s’était longuement entretenu avec Rakovsky, était une lourde perte. Enfin, pour un groupe de militants turcs, le 13econgrès fut aussi l’une de leurs dernières activités politiques. Parmi eux se trouvaient deux militants du temps de la guerre et du groupe communiste de Russie, Mustafa Subhi et îsmail Hakki. Revenus légalement dans 9. A. Rosmer, op. cit., p. 132. 10. Lettre de J. Sadoul à P. Vaillant-Couturier, 19 novembre 1920, Bulletin communiste, n° 16, 21 avril 1921, p. 255-260. 11. A. Rosmer, op. cit., p. 123.

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leur pays, ils y furent assassinés par la police, qui se contenta de les noyer dans la mer de Marmara. L es

g ra n d es g r èv es d it a l ie

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Beaucoup considèrent que la grève avec occupation des usines en Italie en septembre 1920 marque l’apogée de la montée révolutionnaire, 1’affirmation de la volonté de la classe ouvrière de s’approprier l’instrument de production et le droit de diriger la société tout entière. Or le mot d’ordre d’occupation fut lancé par les dirigeants très modérés du syndicat des métaux, la FIOM, pour éviter la grève, qu’ils jugeaient trop dure et trop dangereuse. Mais il fut repris au vol par les travailleurs survoltés. L ’occupation est intervenue au terme de quatre mois de négociations interminables sur les salaires sous forme de dialogue de sourds. Antonio Gramsci, l’homme de UOrdine nuovo, a le premier saisi le changement qualitatif qu’elle apportait : Quand les travailleurs faisaient grève, le devoir des grévistes se limitait à avoir confiance dans leurs dirigeants lointains Si les ouvriers en lutte occupent les usines et décident de continuer la production, la position morale des masses change brusquement et prend force et valeur diffé­ rentes. Les bonzes [...] ne peuvent plus tout diriger [..J la masse doit résoudre les problèmes de : j'usine par ses propres méthodes et à travers ses propres hommesl3. L’occupation des usines par îes métallos s’est déroulée du 1er au 4 septembre 1920. On dénombre au total dans tout le pays 400 000 occupants métallos, 500 000 avec ceux qui manifestent leur solidarité en les imitant. Les techniciens sont avec les ouvriers. Sur toutes les usines occupées flotte le drapeau rouge, parfois une véritable forêt. On chante, on danse, on joue de îa mandoline. L ’occupation est à la fois le travail pour soi et îa joie pour tous. Le plus souvent une Garde rouge armée assure la sécurité. Une mitrailleuse sur le toit d’une usine Fiat. C’est îe cas à Turin, où il y a plus de 100 000 occupants. Dans un très bel article, au demeurant pénétrant, Antonio Gramsci, dans YAvanti du 5 septembre 1920, a salué avec enthousiasme le « dimanche rouge » des métallos. Mais tous les observateurs de l’époque, d’Angeîo Tasca à Paîmiro Togliatti, sans oublier les réformistes et les maximalistes, soulignent la terrible insuffisance de la préparation mili­ taire des ouvriers, qui ne sauraient passer à l’offensive au-dehors des usines sans initiative de ce genre. L ’armement, quand iî existe, et ia Garde rouge, quand elle est organisée, n’ont de signification que défensive, et encore une défense fort limitée dans le temps par îa faiblesse de l’armement et la pénurie de munitions. Les socialistes maximalistes ont parlé jusqu’à plus soif de îa révolution mais il n’y a pas eu une once de préparation révolutionnaire réalisée sous leur direction. Aussi est-ce en pleine connaissance de cause que, le 6 septembre, la direction de la CGL interroge les socialistes turinois lors de son conseil national et leur demande s’ils veulent passer à l’offensive et sont prêts à la diriger. C’est Togliatti qui répond : « Ne comptez pas sur une action lancée par Turin seule, Nous n’attaquerons pas. Cela exige une action simultanée à îa campagne. Et surtout, cela exige une action à l’échelle nationalei4. » Le 10 septembre après-midi se tient une dramatique réunion commune de la direction de îa CGL et de celle du PSI. Au nom de la première, D’Aragona déclare que, si le parti pense que le moment est venu pour 1a révolution, son organisation syndicale refusera de 12. On peut se reporter à l’ouvrage déjà cité de Paolo Spriano ainsi qu’à son travail sur l’occupation des usines, et à Angelo Tasca, Naissance dufascisme. 13. A. Gramsci, « Le dimanche rouge », L'Ordine nuovo, 5 septembre 1920. 14. Cité par J.M. Cammett, Antonio Gramsci and the Origins ofBolshevism, p. 118 ; P. Spriano, La Occupazione de lasfabricas, p. 96-97.

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lancer le prolétariat dans le suicide et démissionnera, laissant aux dirigeants socialistes la direction de l’ensemble du mouvement. La direction du parti se dérobe et cherche à se dédouaner : elle ruse et demande que la décision soit prise par le conseil national de la CGL. Là, la motion de D’Aragona obtient 591000 voix contre 400000. La direction réformiste l'emporte. Pour les battus, y compris les communistes partisans de Moscou, ce n’est que partie remise. Mais Giolitti, chef du gouvernement, s’engage dans cette porte étroite. Son projet d'institutionnalisation du contrôle ouvrier rencontre l’approbation du patronat et de la direction syndicale. L'accord est signé le 19 septembre et doit être soumis à référendum des grévistes. Les réformistes crient victoire. Des

b r èc h es r év é l a t r ic es

La coupure de fait entre le parti et Moscou est totale. Ni Serrati ni Bordiga ne sont encore revenus de leur voyage de Moscou. Ce n’est que le 21 septembre que l’exécutif de l’Internationale discute de la situation en Italie et charge Zinoviev de lancer un appel au prolétariat italien. A cette date, les appels à Faction - formation de soviets, insurrection armée, etc. - qui vont pleuvoir de Moscou sont déjà si anachroniques que personne ne va les publier. En fait, c’est de Paul Levi, dans une interview à YAvanti, les 14 et 15 septembre, qu’est venue la première critique communiste de l’extérieur. Pour lui, l’Italie vit un grand moment révolutionnaire, mais il n’y a « aucun objectif révolutionnaire clair ». Les risques sont énormes, écrit-il, « si îe parti ne s’empare pas tout de suite des rênes du mouvement pour maîtriser les événements et devenir la force motrice ». H admet qu’il est possible que le temps ne soit pas venu d’établir îa république italienne des soviets, mais en tout cas il l’est de lancer le mot d’ordre de conseils ouvriers politiques et d’établir un pouvoir ouvrier, créant ainsi une situation de double pouvoir, Serrati, revenu le 16, déclare le 20 qu’il s’agit d’un succès puisque le principe de îa propriété privée a été violé par l’accord, mais il souligne le danger de l’institution d’un contrôle syndical, source de collaboration de classes, et dit que l’accord est une victoire politique pour la bourgeoisie. Les amis de Bordiga à la Fiat de Turin, conduits par Giovanni Parodi, annoncent qu’ils scissionnent pour former un parti communiste. Les réactions sont finalement mitigées - Bordiga désavoue ses Turinois - et le référendum organisé par la FIOM donne à l’accord une approbation de soulagement. Gramsci, îe 24 septembre, dans un article de VAvant! de Turin, assure qu’on a laissé passer une occasion révolutionnaire ; « Un mouvement révolutionnaire ne peut reposer que sur une avant-garde ouvrière et doit être dirigé sans consultations préalables et sans l’appareil d’assemblées représentatives. » Il dénonce la forme « antirévolutionnaire » du référendum. H n'est pas le seul : un ouvrier de Florence explique : « Si le vote est oui, il faut rentrer, et si le vote est non, il nous faut sortir15. » Personne ne sait encore que ce revers est le début d’un profond reflux. On îe sait moins encore dans la mesure où les organes de presse et certains responsables de l’Inter­ nationale communiste ont donné du mouvement une description qui n’a qu’un rapport lointain avec la réalité. Ainsi ce récit épique, imaginé de loin par Karl Radek, d’une révolution trahie : De même queles masses dans les métaux, le textile et la chimie occupent les usines et montrent la porte auxpatrons d’hier, de mêmela massedes prolétaires sans logispassent àl’action, occupent les villas et les palais des riches, y installent leurs femmes et leurs enfants. Le mouvement s’étend à la campagne, A partir de la Sicile, puis remontant d’Italie du Sud vers l’Italie centrale, les 15. Cité par G.A. Williams, Proleterian Order, p. 273.

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paysans marchent, drapeaux rouges en tête, pour saisir les grands domaines et former leur Garde rouge16. DÉBUT DE LA SCISSION EN TCHÉCOSLOVAQUIE17

C’est dans le numéro 15 de la revue U Internationale communiste que paraît au début de 1921 le premier compte rendu substantiel sur la Tchécoslovaquie : celui du congrès de Bakou et la notice de Victor Serge sur Raymond Lefebvre y figurent aussi. L’article est signé « Huila ». H s’agit en réalité de Brétisiav Hula, un ancien prisonnier de guerre en Russie, proche de Muna et membre du premier noyau communiste. L ’enjeu est considérable. La Tchécoslovaquie n’est pas un pays arriéré. Elle compte 13,5 millions de travailleurs salariés, dont 45 % dans la seule industrie. Les dirigeants du Parti social-démocrate tchécoslovaque annoncent 700 000 membres. Aux élections légis­ latives du début 1920, ils ont obtenu 600 000 voix et 74 élus. Or la conférence de la Gauche marxiste à Prague, le 5 septembre 1920, discute de l’adhésion à la Comintern, mais seulement comme une possibilité. On sait combien les dirigeants de ce parti - et même ceux qui se disent à gauche, comme Bohumir Smeral - sont réticents devant toute posture révolutionnaire, y compris devant la perspective de la scission d’un parti qu’ils veulent conquérir de l’intérieur sans en chasser personne, ou le moins possible. A cet égard, les ressemblances sont grandes avec les socialistes italiens. Pourtant, sous la pres­ sion de l'Internationale communiste, la gauche tchèque finit par se décider à faire cam­ pagne pour le retrait des ministres social-démocrates du gouvernement, où iis cohabitent avec des ministres bourgeois. B a t a ille

po u r u n c o n g rès

L ’exécutif- en majorité de droite - décide alors de convoquer un congrès extraordinaire du 26 au 28 septembre avec un ordre du jour comportant non seulement un rapport d’activité, mais la discussion du programme et de la tactique de l’Internationale socialiste, des statuts. La gauche, exploitant les difficultés de la coalition au pouvoir et la crise économique et sociale, mène campagne sur le triple thème de la démission des ministres social-démocrates du gouvernement, de la rupture avec les partis bourgeois, de l’élection de conseils ouvriers et de l’adhésion à îa IIIe Internationale. Au mois d’août, lors d’une réunion de l’exécutif, ce dernier ne peut que constater que la grande majorité des délégués au congrès - 1 pour 1 0 0 0 membres - ont déjà été élus et que les deux tiers d’entre eux appartiennent à la gauche, ainsi déjà assurée de la majorité. Cette perspective paraît d’autant plus inadmissible à la droite du Parti sociàidémocrate que dirige Antonin Nemec, qu’elle est évidemment informée de ce qui s’est passé à Moscou, alors que les communistes viennent, avec Bolen, de s’emparer du syndicat des ouvriers agricoles. Après une discussion avec le ministre Eduard BeneS, homme de confiance du président Masaryk et vraie tête politique du gouvernement, elle décide de passerbrutalement à l’offensive. Une direction restreinte prend toute une série de décisions capitales. D’abord, les ministres social-démocrates quittent le gouvernement, ce qui enlève aux gens de la Gauche marxiste un des arguments qu’ils ont le plus utilisé. La direction social-démocrate affirme la fidélité du parti à son programme et à sa tactique et souligne, à la lumière des décisions du W congrès de la Comintern, F incompatibilité absolue entre 16. K. Radek, La Via dell’Internationale comunista, Rome, 1921 ; P. Spriano, op. cit., I, p. 83, n. 4. 17. Nous renvoyons aux ouvrages déjà cités de P. Zinner, G. Skilling et à l’article de B. Hûla (ici Huila), « La scission dans la social-démocratie tchécoslovaque », Die Kommunistische Internationale, n° 15,1921.

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« communisme » et « social-démocratie », excluant donc du parti automatiquement qui­ conque se réclame du communisme et, bien entendu, de liens avec l’Internationale com­ muniste. Dans ces conditions, elle estime nécessaire la vérification des convictions et du passé de chaque délégué élu et un engagement personnel écrit de sa part qu’il refuse tout lien avec le communisme. Aussi le congrès est-il reporté de deux mois et renvoyé aux 25 et 26 novembre afin de permettre cette épuration. BATAILLE POUR UN IMMEUBLE

Cette décision ahurissante de champions de la démocratie formelle rappelle évidem­ ment l’exclusion, en 1916, par le Parti social-démocrate allemand de son opposition qui allait donner naissance à l’USPD. Deux différences sont néanmoins à souligner : d’abord, c’est un processus statutaire de discussion qui est interrompu brutalement dès qu’il appa­ raît que la direction est en minorité ; ensuite, la direction est évidemment ici à contrecourant du sentiment du parti, ce qui n’était pas donné dans l’Allemagne de Scheidemann, comme le souligne Brétislav Hüla. C’est probablement dans cette période que la direction du parti réalise une opération juridique qui fait passer la propriété des biens du parti à un groupe dépendant d’elle sous la présidence d’un des siens, ce que la gauche ignore. Celle-ci, de son côté, prend des dispositions pour que le comité d’entreprise du grand immeuble du parti, la Lidovy dum, prenne le contrôle de l’immeuble ainsi que de l’impri­ merie du parti et de son quotidien à Prague, le Pravo Lidu. Cette fois la gauche se décide à la bataille que la droite recherche, une épreuve de force, mais pas la lutte pour la scission. Dans une réunion tenue le 15 septembre, au café Zabransky, dans le quartier ouvrier de Karlin, sous la pression des travailleurs pragois indignés, elle décide de tenir le congrès comme prévu, si nécessaire sans les représentants de la droite et du centre. Le 18 septembre 1920 paraissent deux Pravo Lidu, l’un que dirige Smeral, et qui sort sur les presses de la Lidovy dum, comme d’habitude, l’autre, sous la direction d’Antomn Nemec, qui est imprimé dans une entreprise privée. Mais ce dernier, s’adressant à la justice, dépose une plainte qui lui vaut à titre conservatoire de se voir réserver par les services des postes tout courrier, argent etc. adressé à l’ancienne adresse de Pravo Lidu. Le journal de la Gauche marxiste devra changer de nom et se rebaptiser Rudé Pravo, laissant l’ancien titre, qu’elle estimait sien, à la droite. Une brève rencontre, à laquelle la Gauche marxiste est représentée par Smeral, Skalâk et Zâpotockÿ, lesquels font une proposition de compromis notamment sur la date du congrès, ne donne rien : la droite, qui est sûre du soutien de l’appareil d’État, même sans ministres, veut aller jusqu’au bout. Et c’est finalement elle qui obtient cette scission que Smeral avait si longtemps refusée à l’Internationale communiste. L a Gauche

m a r x ist e m a I t r e s s e d u c o n g rès

Quand le congrès, reporté par la droite mais ressaisi au vol par la gauche, se réunit le 26 septembre, 338 délégués régulièrement élus (sur 537) sont présents. Des délégations des membres de la gauche sociale-démocrate des différentes nationalités du pays sont là aussi, non seulement les Allemands, avec Karl Kreibich, mais les Polonais, les Magyars, les Juifs - qui sont dans l’expectative, puisque le IIecongrès leur a demandé de rejoindre un parti communiste de Tchécoslovaquie et que les Tchèques ne bronchent pas sur ce terrain. Bohumir Smeral, très sûr de lui, fait un discours qui peut paraître acrobatique. Il se proclame communiste, expliquant que « communiste » signifie « social-démocrate hon­

L e pain b la n c des illu s io n s

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nête ». Il se proclame partisan de « la révolution », mais souligne qu’il faut en choisir avec soin le moment. Il déclare : Dest intéressant de relever qu’alors qu’on nous dit que nous sommes des agents de Moscou, nous sommes les seuls à n’avoir pas suivi l’exemple russe. [...] Je sentais depuis le début que cette tactique ne marcherait pas ici. [...j Nous avons élaboré notre tactique propre. [,..] Quandje suis allé en Russie, j’ai dit que, bien que poursuivant nos objectifs révolutionnaires, nous ne pouvions appliquer la tactique élaborée à Moscou [...] et nous pensons que notre tactique a eu plus de succès que celle qui a été appliquée à Vienne et à Budapest. Notre point de vue n’a pas été compris sur-le-champ, mais au bout du compte,je pense que îes camarades russes ont reconnu la justesse de notre politique, pour le moment au moinsl8. Il insiste : ce dont il s’agit, ce n’est pas de la révolution dans un pays ou un autre, mais de îa révolution en Europe centrale. Après lui, Skalâk parle du IIe congrès et des conditions d’admission, de la nécessité d’un PCT représentatif des communistes de toutes nationalités. La Gauche marxiste adopte un Programme d’action dont l’idée de base est le caractère inéluctable du socialisme. La dictature du prolétariat y est définie comme « l’étape inter­ médiaire au cours de laquelle, après la prise du pouvoir de l’appareil d’État, la classe ouvrière commence à construire l’ordre socialiste ». Elle disparaîtra avec la réalisation de la société sans classes19. Le programme appelle à îa formation des soviets et se prononce pour l’autodétermination nationale. Il admet la participation aux élections à condition qu’une lutte sans concessions soit menée au Parlement contre les partis bourgeois. Il condamne sans appel « la politique de coalition et le ministérialisme ». C’est Smeral qui conclut : « Le parti doit donner chair et sang aux idées révolutionnaires20. » Le congrès, après un fraternel salut à la IIIeInternationale et au prolétariat russe, élit pour finir une direction dont Hula, dans son compte rendu, assure qu’elle comporte une majorité d’ouvriers d’usine. Le président, signale-t-il, est un ouvrier. Le 7 octobre, c’est îa scission au sein du groupe parlementaire. La majorité des parlementaires va vers la droite, avec 56 députés, 18 seulement soutenant la gauche. Le 16 octobre commence l’enquête sur la plainte déposée par Nemec contre l’occupation illégale, dit-il, de l’impri­ merie de Pravo Lidu et de la Narodni dum. Nous en parlerons plus loin. B a t a ille po u r

l ’USPD 21

La bataille pour l’USPD s’échelonne des derniers jours d’août au milieu d’octobre. Plus que les autres, elle subit les conséquences de l’échec de l’armée russe devant Varsovie. Ses progrès foudroyants, la quasi-certitude que les travailleurs polonais allaient se soulever à l’approche de l’armée russe, que l’événement aurait d’importantes conséquences en Allemagne, tout cela avait entretenu au congrès une ferveur révolutionnaire nourrie d’espé­ rances à court terme. La constitution, le 4 août, du Comité révolutionnaire provisoire de Pologne présidé par Julian Marchlevski - ce Revkom dont nous avons parlé - accréditait l’idée de la proximité de la victoire au moins autant que la discussion engagée sur îe règlement de la question agraire en Pologne. Plus dure fut la chute, exploitée évidemment contre les partisans de l’adhésion à la Comintern, dont nombreux étaient ceux qui avaient « vendu la peau de l’ours ». Un autre facteur jouait également contre les partisans de 18. Cité par P. Zinner, op. cit., p. 31, Hula, loc, cit., p. 220. 19. Cité par Hula, loc. cit., p. 221-222. 20.Ibidem, p. 221. 21. îi existe là-dessus une documentation très importante : Robert Wheeier, USPD und die Internationale, David W. Morgan, The Socialist Left and the German Révolution, sont îes plus importants.

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l’adhésion à l’IC : la décision de lutter contre l’Internationale syndicale d’Amsterdam et surtout la création, en marge du IIecongrès, d’un Comité international provisoire, sous la présidence de Lozovsky, afin de préparer un congrès international des syndicats rouges. Indifférentes à Moscou dans le milieu du congrès, ces inititatives éveillaient en Alle­ magne des échos hostiles et inquiets dans les milieux syndicaux, relativement influents chez les ouvriers Indépendants. Les quatre délégués allemands de l’USPD sont de retour à Berlin le 23 août. Le 24, l’exécutif décide d’organiser le 1er septembre une conférence préliminaire où ils feront leurs rapports et commence à organiser la discussion. Le 25, Freiheit publie îe texte des vingt et une conditions. Le 26, y paraît la première contribution à la discussion, signée de Daümig. Tout de suite, il est clair que la bataille est acharnée. Avec les Indépendants de gauche, il n’y a plus le seul Paul Levi, qui a d’ailleurs été choqué à Moscou par des procédés incorrects et certaines attaques déloyales, particuliè­ rement atteint par le fait que, dans son dos, Radek et Zinoviev ont essayé de débaucher Emst Meyer, son proche collaborateur, pour animer contre lui une tendance de gauche. En fait, cette bataille lui échappe comme elle échappe au KPD(S), qui est en train de changer son nom en KPD pour se conformer aux décisions de l’Internationale. L a BATAILLE DE L’EXÉCUTIF

L ’exécutif, lui, joue une partie essentielle. C’est pour lui îe premier des combats, à bien des égards décisifs, qui doivent permettre d’éliminer les éléments centristes et de prendre la tête des anciens partis socialistes de masse. L ’enjeu est considérable : un parti de 800 000 membres avec une base matérielle très solide - 54 quotidiens - et surtout des cadres ouvriers trempés dans les luttes politiques et les combats de la guerre civile. Ce n’est pas un problème allemand, c’est le problème de l’Internationale, c’est Octobre confronté aux combats de demain matin. C’est la préparation à îa guerre civile. L ’exécutif adresse le 29 septembre une lettre ouverte aux membres du parti indépendant. Il explique que l’Internationale communiste est devenue d’une certaine manière une mode et qu’on ne peut y accepter tous ceux qui sollicitent d’être admis : « Nous ouvrons largement nos portes à toute organisation prolétarienne de masse mais nous réfléchirons plus de dix fois avant d’ouvrir les portes de l’Internationale communiste à des nouveaux venus du camp des dirigeants petits-bourgeois, les bureaucrates, les opportunistes, comme Hilferding et Crispien22. » Il s’efforce dejustifier le caractère d’état-majorgénéral international de l’Internationale, assure aussi qu’en ces circonstances la scission est un « devoir sacré ». L ’historien bri­ tannique David Morgan a remarqué cet état d’esprit de mobilisation offensive qui cimente les gens de la gauche USPD, unanimes pour affirmer, comme Stoecker, qu’on est entré dans une « guerre civile décisive aiguë contre la bourgeoisie », qu’on a besoin de « cen­ tralisme ». Daümig parle de « discipline militaire » et le vieil Adolf Hoffmann de « dic­ tature, même dans nos rangs ». Pour le reste, la gauche dénonce l’opportunisme, îa collaboration de classes, le réformisme, le chauvinisme, le pacifisme. Elle crie : « Vive Moscou ! » La droite, elle, parle d’indépendance, d’autodétermination des partis, de liberté d’opi­ nion, d’indépendance des syndicats, de respect de la démocratie, dénonce les diktats, les papes « infaillibles », la « colonisation » russe et même la barbarie asiatique. Elle crie : « A bas Moscou ! » Lors de la conférence préparatoire, les forces semblent à peu près égales. Se prononcent 22. Die Rote Fahne, 12 octobre 1920.

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contre l’acceptation des conditions d’admission la presse et les élus, ainsi que la quasitotalité de l’appareil, les responsables syndicaux. Mais le courant en faveur de Moscou grandit tous les jours et la droite, effrayée, va abréger la discussion en avançant au 12 octobre la date du congrès, d’abord prévu pour îe 20. Jour après jour, cependant, se succèdent îes informations sur les « assemblées de membres » avec débat contradictoire et vote. Au bout du compte, sur 851 650 membres consultés, 136 665 se sont prononcés pour l’acceptation des vingt et une conditions et 99 668 contre, ce qui va donner 225 délé­ gués et 155. Du côté des Russes et de l’Internationale communiste, c’est Zinoviev maintenant qui fait îe voyage. Il part dans la nuit du 8 au 9, accompagné de son beau-frère Ionov et du Bulgare Chabline, ainsi que de «cinq courriers soviétiques», dit-il, dont sans doute quelques anges gardiens. Après quelques heures d’attente à Revaî, iî embarque sur un vapeur et débarque finalement à Stettin le troisième jour. Des camarades allemands l’atten­ dent, dont Curt Geyer, qu’il a connu au IIe congrès et qui lui annonce : «Nous avons la majorité. » C’est évidemment lui le grand invité de la gauche, avec Lozovsky, arrivé le premier. La droite, elle, a invité Martov, le menchevik, ancien ami de Lénine, des socialistes français, îe centriste Jean Longuet, petit-fils de Karl Marx, et Salomon Grumbach, « sociaîchauvin» célèbre en 14-18. La liste des délégués est une sorte de Gotha du mouvement ouvrier allemand et l’on y retrouve même nombre des « délégués révolutionnaires » de 19î 8 et de dirigeants des guerres civiles subies par 1*Allemagne depuis cette date. L e congrès d e H a lle

Le congrès extraordinaire se réunit à la Schlachtfeld de Halle. La salle a été magnifi­ quement décorée de symboles et d’affiches communistes, par les soins de l’organisation locale, gagnée à l’adhésion. Curieusement, les délégués se sont regroupés par affinité politique, chaque tendance occupant un des côtés de la salle, sans cohabitation ni coudeà-coude. L ’atmosphère est très tendue. Les partisans de l’adhésion ont peur d’un incident dont leurs adversaires prendraient prétexte pour quitter la salle en expliquant qu’il n’y a pas eu de véritable discussion. U n’y eut qu’un seul incident qui fît peur. Las du discours interminable de Losovsky, les adversaires de Moscou chahutèrent et couvrirent sa voix jusqu’à ce qu’il abandonne la tribune. Ses amis avaient la consigne de faire îe poing dans leurs poches. Dans le même souci d’unité parfaite avant îa scission, on avait désigné deux présidents appartenant aux deux tendances qui s’opposaient, Wilhelm Dittmann pour la droite, et Otto Brass pour la gauche. Après les quatre délégués et leurs comptes rendus, ce fut l’intervention tant attendue de Zinoviev, qui parla plus de quatre heures et demie - îe discours le plus long d’une carrière riche en longs discours, assura-t-iî -, en allemand, un peu hésitant d’abord, puis se décontractant et déployant son immense talent d’orateur populaire. Il est passionnément écouté et se targuera à son retour de n’avoir jamais été interrompu, même par Ledebour, orfèvre en îa matière. Il va discuter amplement les questions sur lesquelles les indépendants de droite expriment des désaccords, la politique agraire des bolcheviks, leur politique nationale en Orient, la question syndicale, la structure et le rôle des soviets, la terreur enfin. En matière agraire, iî dit que les bolcheviks ont mené l’unique politique qui pouvait leur assurer îa victoire. Toute autre aurait dressé contre eux les masses paysannes. Làdessus et sur la question nationale, il dit que ses adversaires révèlent l’étroitesse de leur horizon. La révolution ne saurait être que mondiale, et, en Orient, elle sera d’abord

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nationale et agraire. Celui qui nie les problèmes coloniaux aide de fait l’impérialisme à maintenir sa domination dans le monde. Il ironise sans pitié sur ceux qu’indignent la « terreur rouge » et la « dictature » du parti, et qu’on n’a pas entendus revendiquer aussi fort la fin de l’oppression au temps du tsarisme ou les ravages de la terreur blanche, puis il résume : « Nous sommes en train de réaliser la scission, non parce que vous voulez dix-huit conditions au lieu de vingt et une, mais parce que nous sommes en désaccord sur la question de la révolution mondiale, de la démocratie et de la dictature du proléta­ riat23. » A ses adversaires, il reproche d’être inspirés avant tout par la peur de la révolution. Or lui se fait fort de démontrer qu’elle est là : « Nous sommes en 1847 » ; elle frappe à la porte dans toute l’Europe, mais surtout en Allemagne. La situation y est révolutionnaire. Le seul rempart de l’ordre, c’est l’aristocratie ouvrière, les partis réformistes et leur bureaucratie, celle des syndicats. Il faut détruire ce fer de lance de la réaction et l’adoption des vingt et une conditions par ce congrès sera le premier pas vers îa victoire de îa révolution prolétarienne en Allemagne. La réponse de l’orateur de la droite, Rudolf Hilferding, est toute défensive. Il invoque Rosa Luxemburg pourjustifier ses distances vis-à-vis du centralisme bolchevique, critique la politique du bolchevisme comme une sorte de pari perpétuel - il utilise le terme va-banco - car il croit à l’existence de tendances révolutionnaires, mais aussi que la révolution ne se décrète ni ne peut être soumise à des conditions. Le grand débat n’a guère déplacé de voix et sans doute Zinoviev exagère-t-il en assurant qu’il en a person­ nellement gagné quatorze. Les jeux étaient faits et sont restés ce qu’ils étaient. Le congrès vote l’acceptation des vingt et une conditions et le début des négociations de fusion avec le KPD. C’est alors que le président de droite déclare qu’en acceptant les vingt et une conditions la conférence vient de se mettre d’elle-même en dehors de l’USPD et invite la minorité à quitter la salle pour se réunir ailleurs. N a issa n c e d ’ün grand parti com m uniste

Restait la question de la fusion avec le KPD. L ’Internationale la souhaitait rapide. Mais elle maintenait sa pression pour que cette fusion englobe aussi le KAPD, d’ailleurs impressionné par l’opération réalisée à Moscou et à Halle. Le KAPD, ayant exclu Rühle, qui avait pris sur lui de rompre avec Moscou, entama des négociations. L ’USPD et le KPD fusionnèrent dans le congrès qui eut lieu du 4 au 7 décembre 1920 et formèrent alors le Parti communiste unifié d’Allemagne (VKPD). Il comptait à cette date environ 350 000 membres, une forte proportion d’ouvriers, le noyau de la vieille garde des gauches et pas seulement spartakistes, les militants et les cadres organisateurs des travailleurs à l’époque de la guerre et de la révolution. Symboliquement, il se donne deux présidents, Paul Levi et Emst Daümig. L a scissio n en T chécoslovaquie

Au moment où les communistes allemands et la direction de ITntemationale commu­ niste pouvaient entonner leur chant de victoire, c’était au tour de leurs camarades de Tchécoslovaquie de subir une répression sévère de la part d’une bourgeoisie qu’ils avaient si longtemps ménagée. Le mouvement commencé en septembre en Bohême se généralisait. En septembre 1920, la Jeunesse socialiste de Slovaquie - animée par le Hongrois Mihaly Farkas - se prononçait pour l’adhésion à la Comintem, vers laquelle se dirigeait aussi d’autres groupes. En Bohême, dans le conflit ouvert par îa scission de septembre où le 23. Prvtokoll USPD, p. 156.

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gouvernement avait soutenu politiquement la social-démocratie, les autorités avaient joué un rôle décisif de conseil. Elles vont maintenant intervenir directement. Le signal de la résistance et l'information à l’Europe capitaliste avaient été donnés par plusieurs déclarations officielles de soutien aux réformistes, notamment une du président Masaryk. Le second signal très clair fut la présence au « congrès » social-démocrate des 26 et 27 novembre des trois symboles qu’étaient Émile Vandervelde, Camille Huysmans et Hermann Müller. Début décembre, les premiers incidents éclatent avec la suspension par îe gouvernement de plusieurs journaux de la Gauche marxiste. La décision d’assurer la garde de l’immeuble de la Lidovy dum n’est pas exécutée du fait de l’indifférence à cette question de îa direction du parti dans la capitale et de l’impossibilité de renouveler les détachements d’ouvriers de Kladno. Le 9décembre, à l’appel du député social-démocrate Himmelhans, devenu discrètement « propriétaire » des biens du parti, la police intervient, balaie les quelques piquets qui veillaient à l’entrée et reçoit bientôt le renfort de plusieurs centaines de gendarmes. Plusieurs députés ou dirigeants de la Gauche marxiste qui tentent de susciter des mou­ vements de protestation sont arrêtés, et certains passés à tabac. En fin d’après-midi, des groupes de travailleurs alarmés par ies rumeurs se retrouvent devant la Lidovy dum gardée par îes forces de l’ordre, avec plusieurs centaines de responsables convoqués à une réunion de travail. Des incidents éclatent et îa police procède à un « nettoyage » sommaire de îa place. Le soir, Antonin Nemec, entouré de ses amis politiques, revient dans îe local que lui a « restitué » îa police. L ’affaire n’est pas sans rappeler celle de la saisie du Vorwarts dans 1*Allemagne impériale. Le 10 au matin, le comité exécutif de la Gauche marxiste et ses députés se réunissent au Parîamentskîub, faute de disposer d’une salle. Plusieurs milliers de personnes sont déjà massées devant îa Lidovy dum ; plusieurs appels à la grève générale y sont lancés, et elle est votée par acclamations. Dans F après-midi se forment des cortèges de protestation, et il y a de nombreux heurts dans les rues entre manifestants et forces de l’ordre. L ’exécutif de la Gauche marxiste lance Tordre de grève générale. A la fin de îa journée, il y a des dizaines de blessés et de plus en plus d’uniformes dans les rues. Gr èv e g én ér a le à l ’a ppel d e la G auche m a r x ist e

La grève qui commence îe 11 décembre n’est pas générale. Elle ne prend un caractère révolutionnaire qu’à Kladno et Bmo, où des conseils ouvriers assument le pouvoir et où se constituent, par volontariat mais aussi mobilisation des jeunes travailleurs, des gardes rouges, vraies unités paramilitaires. On assiste cependant dans tout le pays à une explosion derevendications politiques et économiques, qui vont de la confiscation des grands domai­ nes au droit de vote des soldats, de îa réquisition des logements à l’élection d’un nouveau Parlement ou de soviets. Le 12, le gouvernement a décrété l’État de siège, qui suspend toutes les libertés publiques et facilite la répression y compris pour délit d’opinion, n y a un peu partout de violents affrontements entre les forces de l’ordre et des ouvriers, grévistes ou manifestants, mais ces derniers ne sont qu’une minorité. Le 15 décembre, enfin, devant le refus du président Masaryk de négocier, îe comité exécutif de la Gauche marxiste, effrayé par les perspectives aventuristes qu’il redoute, incapable de faire face à une répression qui se déchaîne, prend sur lui de rapporter îe mot d’ordre de grève générale. Dy a déjà plus de 3 000 travailleurs emprisonnés, et parmi eux, arrêtés avec îes dirigeants du mouvement à Kladno, Alois Muna et Antonin Zâpotockÿ. Zinoviev compare îa grève de décembre aux journées de juillet en Russie et annonce la prochaine venue d’Octobre. L ’exécutif de Moscou ne rendra public son jugement que

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quelques mois plus tard, dans une lettre sévère à l’égard de la direction. Pourtant le mouvement vers le communisme avance. Gordon Skilling écrit : Les événements de décembre 1920 démontraient aux yeux des communistes les conséquences de l’absence d’un parti prolétarien révolutionnaire et d’une direction authentiquement commu­ niste ; on n’avait pas réussi à profiter de conditions favorables pour une révolution sociale et on avait permis la restauration de la bourgeoisie et la stabilisation de sa position de classe dirigeante. Quelle que soit la vérité contenue dans cette analyse, c’est de ces circonstances que se développa l’élan qui mena en une année à la fondation du PC tchécoslovaque24.

A Moscou, on évalue alors à 400 000 îe nombre de membres des organisations socialesdémocrates nationales - tchèques, moraves, slovaques, allemands, magyars, etc. - de Tchécoslovaquie susceptibles de s’affilier à l’Internationale communiste25. P r e m iè r e s

attaq ues fa sc ist es en

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C’est tout de suite après îa fin du mouvement gréviste avec occupation des usines qu’ont commencé en Italie les premières « expéditions punitives » lancées par les squadristi de Benito Mussolini, ancien socialiste, fondateur des Faisceaux et du « fascisme ». La corrélation est évidente, pas exclusive. Il est vrai que l’occupation des usines a effrayé les possédants, humilié les propriétaires, que îa division des dirigeants du mouvement ouvrier, qu’elle a rendue éclatante, a pu encourager ses ennemis. Le fascisme et ses bandes existaient déjà, nés de la guerre et de la frustration des anciens combattants, de îa volonté de certains secteurs patronaux de briser l’organisation ouvrière, de la rage des grands propriétaires devant la révolte paysanne et de la collaboration de l’État, qui y voit un instrument utile et très efficace contre la menace révolutionnaire. L ’affaiblissement visible de l’adversaire a été un encouragement déterminant. Historien du début du fascisme, Angelo Tasca met en relief l’agression fasciste du 21 novembre 1920 à Bologne, où la liste socialiste, très marquée à gauche, avait obtenu 18 000 voix contre 12000 aux listes adverses et où les fascistes avaient annoncé qu’ils ne siégeraient pas. Les socialistes bolognais avaient dit qu’ils se défendraient eux-mêmes. Les squadristi, arrivés sans rencontrer d’obstacles, embusqués au coin de la place de îa Mairie, tirent sur la foule quand paraît au balcon 1e maire communiste. Il y a sept morts et une centaine de blessés, tous socialistes ou sympathisants tant par balles fascistes que par l’explosion des bombes que les socialistes agressés, suipris, ont laissé choir. A l’intérieur de la mairie, des coups de feu éclatent et une balle tirée des tribunes contre la minorité du conseil tue un élu de droite, avocat, ancien combattant, nationaliste et antisocialiste. La haine se déchaîne contre les « antinationaux » qui, disent les fascistes, ont tué « dans un traquenard » un ancien combattant, héros de îa guerre. Angelo Tasca commente : « Le cadavre de l’ancien combattant est exploité jusqu’au délire ; on oublie la provocation fasciste, l’illégalité armée contre une administration régulièrement élue, les neuf morts socialistes. [...] Les hésitants s’écartent ou passent aux fascistes. Les socialistes, qui n’ont su ni utiliser la légalité ni organiser l’illégalité, voient se dresser contre eux en même temps les escouades fascistes et la force publique. L ’ère des violences, des représailles et des « expéditions punitives » com­ mence27.

24. G. Skilling, ioc. cit. p. 352-353. . 25. H. Majderovâ donne le chiffre de 600000 pour la Gauche marxiste. 26. Les travaux essentiels son ceux de Tasca et de Spriano.

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La méthode se généralise. En Vénétie Julienne, on lutte à la fois contre les « étrangers » - les Slaves - et contre îes socialistes-communistes. Dans îa province de Ferrare, les organisations syndicalistes révolutionnaires antisocialistes d’ouvriers agricoles basculent et passent au fascisme. Partout l’objectif est le même. Il s’agit de détruire les organisations ouvrières, partis et syndicats, et de les chasser des positions qu’elles ont conquises, municipalités ou contrats collectifs. Il s’agit aussi de terroriser les hommes et parfois, souvent, de îes supprimer. Face à cette contre-révolution, guerre de classe, guerre civile itinérante, on ne voit s’élaborer aucune réponse politique générale du côté du PSI. Les socialistes, maximalistes en premier, sont en plein désarroi et 1e manifestent. Les com­ munistes pensent qu’il faut se préparer à la riposte armée, et Antonio Gramsci s’emploie à démontrer que la révolution reste à faire et qu’on n’est pas en train de vivre une période de réaction. De semaine en semaine, pourtant, malgré l’héroïsme des militants, mairies, maisons du peuple, chambres du travail, locaux syndicaux et politiques brûlent, imprimeries et entreprises de presse sont saccagées et les militants tombent. Les fascistes ne cessent de se renforcer ; en juillet 1920 il y a une centaine de fasci, dont certains en voie de constitution, en octobre le double, 800 à îa fin de l’année, et ce n’est qu’un début. Du mouvement ouvrier, Angelo Tasca nous dit qu’après la grève de septembre « c’est la chute ininterrompue ». On ne le sait pas encore à Moscou et on continue à s’attacher avant tout, par toute la pression possible, à obtenir du Parti socialiste italien qu’il exciue ses réfor­ mistes, Turati et autres. Pour Bordiga, le fascisme et la social-démocratie sont deux visages différents du même ennemi : l’Internationale communiste ne discutera du fascisme en congrès que deux ans après ses premières expéditions punitives et deux mois après son arrivée au pouvoir... D e B er n e

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T o u r s 28

L ’éclatant succès de Halle a laissé quelque peu dans l’ombre celui de Berne, où la sortie de la minorité de gauche du PS suisse constitua le gage tant attendu de la naissance prochaine d’un PC suisse. C’est à Jules Humbert-Droz qu’il revint de présenter la défense et illustration des vingt et une conditions, épisode piquant puisque l’ancien pasteur eut à justifier l’emploi de la violence et même de la terreur, ce qu’il fit avec beaucoup de franchise. Le vote donna la majorité au comité central par 350 voix contre 213. Le résultat connu, un porte-parole de la minorité déclara que celle-ci était plus que jamais décidée à construire une section suisse de la IIIeInternationale acceptant les vingt et une conditions, et plus de 200 délégués quittèrent la salle. Humbert-Droz avait déjà reçu mission du représentant de l’IC, Abramovitch, d’œuvrer à la fusion de sa minorité avec le PC de Suisse alémanique et disposait même d’ores et déjà dans ce but d’un salaire et d’un fonds pour îes publications29. Le parti socialiste français était une tout autre affaire. Les choses se présentaient bien chez les jeunes avec l’orientation des Étudiants socialistes révolutionnaires qu’animaient Jean de Saint-Prix, mort à 22 ans, et le Serbe Voja Vujovié. Des noms de tout jeunes gens, Jacques Doriot, Gabriel Péri, Henri Lozeray, Marie Wiarczag (Rosa Michel), Mau­ rice Honel, apparaissent. La décision des Jeunesses socialistes, îe 31 octobre 1920, dans 28. Il existe une abondante littérature sur le congrès deTours, !e livre d’Annie Kriegel et celui des Éditions sociales, de volume différent, portant le même titre, et le début du premier chapitre du tome I de Ph. Robrieux, op. cit., « Le parti de Tours ». 29. On trouvera un bon résumé de la situation générale et des développements politiques à ia fin du premier volume des Mémoires de Jules Humbert-Droz, Mon évolution du tohtoïsme au communisme.

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une session de congrès présidée par Vital Gayman, de devenir Jeunesses communistes, était de bon augure. C’est le 23 décembre 1920 que s’ouvrit en cette ville, à la salle du Manège, le Xe congrès du Parti socialiste unifié de France. Il réunit 285 délégués repré­ sentant 4 575 mandats. Les jeux étaient faits en principe, puisque 3 200 mandats s’étaient portés en faveur de l’acceptation des vingt et une conditions, 1236, contre, et qu’il y avait 150 abstentions. Il ne vint à ce congrès aucun délégué russe officiel, faute de visa, Zinoviev se manifesta seulement par une lettre, baptisée « télégramme », très spectacu­ laire. L ’arrivée de Clara Zetkin et ie jeu des lumières qui s’éteignirent dans la salle pour protéger son départ était une très belle mise en scène pour îa vieille dame aux cheveux blancs qui venait par-dessus îe marché de traverser clandestinement îa frontière francoallemande sous la houlette de l’ouvrier français de Longwy Auguste Mougeot, un ami de Rosmer. Le congrès de Tours ne ressembla guère à celui de Halle, dont il était en principe la suite ou la réédition. Dans la cité industrielle allemande, la frontière dans 1e parti était passée entre le centre et la gauche. Il fallut du temps pour apercevoir à la tribune unjeune orateur ancien combattant, l’avocat Paul Vaillant-Couturier, qui pariait au nom de îa gauche. Celle-ci, on ie sait, était déjà particulièrement faible au sein du parti lui-même. Mais elle avait presque disparu au congrès. D’abord du fait de la tragique disparition de Raymond Lefebvre - il eût été un porte-parole incomparable de « la génération des tranchées » qui comptait énormément dans la minorité. Ensuite, deux de ses principaux dirigeants, Femand Loriot et le jeune Boris Souvarine, étaient en prison préventive à la Santé, attendant d’être traduits en justice pour îeur prétendu « complot », En réalité, dès le retour en France de Cachin et Frossard, ces derniers avaient passé un accord pour une préparation en commun du congrès avec leurs camarades du comité de la IIIe alors à la Santé et avec ceux qui se trouvaient en liberté. On s’était également mis d’accord sur la nécessité ou la possibilité de tenir compte des concessions promises par Zinoviev à Daniel Renoult, à Halle, et sur la possibilité d’enlever Jean Longuet et Paul Faure de îa listes des hommes à exclure a priori et sans discussion. Jean-Louis Panné, le biographe de Souvarine, a sans doute tout à fait raison quand il écrit que la scission de la SFIO à Tours fut en grande partie l’œuvre de Boris Souvarine, qui ne s’y trouvait pourtant pas. La liaison était en fait assurée entre sa cellule et celle de Loriot à la Santé, d’une part, la salle du Manège, de l’autre, par André Le Troquer et René Reynaud. Cela n’est évidemment guère apparu au public, pourqui les deux défenseurs de l’adhésion furent les centristes de retour de Moscou, Cachin et Frossard, revenus, comme disait Dunois, « réincarnés, non plus mandataires du parti, mais mandataires de Moscou ». Les « concessions » faites par les partisans de l’adhésion, elles, ne manquent pas. La première concernait les syndicats et précisait « îa coopération des syndicats avec le parti » au lieu de leur « subordination ». Pour le reste, nous laissons la parole à Souvarine : Le comité leur fit quelques concessions d’importance secondaire et scella ainsi l’alliance des deux tendances contre l’approbation des vingt et une conditions, la modification de celle qui avait trait aux rapports du parti avec les syndicats, P ajournement du changement de titre du parti, l’abandon par le comité du droit aux deux tiers des sièges des organismes directeurs, la transfor­ mation de l’exclusion a priori de certains centristes en exclusion a posteriori entraînée par le refus d’accepter la résolution du congrès30.

Ces concessions devaient en principe aller plus loin puisque Daniel Renoult revenait de Berlin porteur d’une assurance de Zinoviev sur îa possibilité d’admettre Jean Longuet 30. Cité par J.-L. Panné, Souvarine, p. 90.

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et Paul Faure sur la base de cette dernière concession. Or un coup de théâtre mit fin à l’opération. Un message de Riga, baptisé « télégramme de Zinoviev », la qualifiait de « compromis embrouillé » et « ruineux » qui deviendrait pour le parti « un véritable bou­ let » et assurait que l’Internationale communiste ne pouvait rien avoir de commun avec les auteurs de la motion Longuet et autres. C’est ce qu’on appela l’exclusive de Zinoviev contre Longuet31. Elle fut acceptée par une bonne partie du centre, Dans une lettre à Lénine, Clara Zetkin proteste à propos du « télégramme » et des interventions de l’exécutif en général, contre le caractère « d’une intervention brutale autoritaire, en l’absence d’une connaissance exacte des circonstances réelles qu’il faut prendre en compte », des inter­ ventions de l’exécutif. Elle ajoute des détails sur les vives réactions ainsi inutilement provoquées du congrès, l’irritation provoquée notamment par l’emploi d’injures32. On ne peut pas parler du congrès de Tours sans mentionner l’intervention dans le débat de Léon Blum, défenseur des « résistants », c’est-à-dire de ceux qui ne voulaient à aucun prix des conditions ni de l’adhésion à F Internationale communiste. Dans une fort belle langue, iî expliqua que le PS était un parti populaire, contrôlé par ses militants, un parti de recrutement large, de liberté de pensée, jouissant de la représentation proportionnelle des tendances, menant une action d’éducation populaire et de propagande publique, un parti socialiste, donc révolutionnaire. On veut lui substituer, dit-il, un parti avec des pans entiers illégaux et clandestins, un comité directeur occulte. On assure que le réformisme n’existe plus, qu’il faut un parti socialiste, avec une rupture de continuité pour la conquête du pouvoir politique sur cette base. Or les bolcheviks voulaient une prise du pouvoir de type blanquiste, une dictature, dit-il. Blum assure qu’il n’y a pas de position de principe pour ou contre la défense nationale, et conclut qu’aucun vote de majorité n’étoufferait son « cri de conscience », Il impressionne ses adversaires, mais la bataille continue ! C’est finalement Charles Rappoport qui donna le meilleur résumé du bilan du congrès de Tours dans la Revue communiste : La motion de Tours, groupant une majorité écrasante, fut un compromis. Les points ne furent pas mis sur îes i. Les « vingt et une » conditions ne sont pas acceptées telles quelles, mais « reconstruites » selon 1avieille méthode diplomatique des concessions mutuelles. [...] Le nouveau comité directeur, îa nouvelle Humanité se trouvent aux mains des anciens reconstructeurs, conver­ tis - pour îa plupart de bonne foi - au communisme révolutionnaire33.

Le vote décisif est acquis par 3 247 mandats contre 1308. Le Parti communiste, section française de l’Internationale communiste (SFIC), est né. L es autres partis

D’autres partis, la plupart du temps infiniment plus petits, sont nés pendant cette période et entreront d’une façon ou d’une autre dans l’Internationale communiste. Le 7 novembre 1920 se constitue le Parti socialiste de gauche, bientôt Parti communiste danois, d’emblée d’accord avec îes vingt et une conditions, gros de 2 500 membres environ. En août 1920, est fondé le Communist Party of Great Britain (CPGB), de 2 000 mem­ bres environ, qui prend la place du CP (BSTI) et accepte les 21 conditions. Johnny, 31. On a appelé « le télégramme de Zinoviev » une adresse au congrès de l’exécutif de la Comintern, « sous forme d’ultimatum », écrit Robrieux, exigeant l’élimination de Jean Longuet. Ce texte était signé non seulement de Zinoviev mais d’autres membres de l’exécutif, Lénine, Boukharine, Trotsky, Rosmer. 32. Cité par G. Badia, Clara Zetkin, féministe sans frontières, p. 220. 33. C. Rappoport, « Le début d’une ère nouvelle communiste en France », Revue communiste n° 11-12,1921, cité par J.-L. Panné, op. cit., p. 93.

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John Maclean n’est pas au congrès d’unité. Il a été tenu à l’écart. Son hostilité à l’égard de l’émissaire de Moscou, Theodor Rothstein, et sa conviction qu’il faut un parti com­ muniste en Écosse, le fait qu’il ait refusé d’entreprendre le voyage illégal pour Moscou, ont apparemment dressé une barrière entre l’Internationale et lui. Après de nouveaux combats et de nouvelles condamnations, de nouvelles grèves de la faim, il meurt en 1923 à quarante-quatre ans. C’est à l’été 1920 qu’est fondé le PC d'Irlande. L ’un des derniers amis de Maclean, ancien combattant et jeune héros - le boy commander de l’insurrection de Dublin en 1916 -, un ancien combattant de TIRA, le grand orateur Sean McLoughlin, en est le secrétaire. En novembre 1920, le Parti communiste de Serbie, Croatie, Slovénie, qui a exclu ses centristes à Vukovar, en juin, remporte un éclatant succès aux élections avec 200 000 voix et 54 députés. Au début de décembre, les mineurs de Bosnie ont engagé une grève très dure. Elle culmine avec une insurrection armée dans la région de Tuzla, à partir du bourg minier de Husina, dont l’éclatement a été célébré depuis, chaque 22 décembre, de 1944 à 1996, comme un événement historique, glorieux anniversaire. Mais le 29 décembre, peut-être pour venir à bout de la grève des mineurs de Bosnie, le gouvernement invoque un complot communiste et réalise un véritable coup d’État établissant, dit le dirigeant communiste Sima Markovic, «la dictature ouverte d’une clique de cour militaristebancaire », avec une armée de 150 000 hommes et une gendarmerie de 50 000, financées, dit-on, par le gouvernement français II dissout le PC, ferme les locaux syndicaux et les maisons du peuple, les bibliothèques et librairies ouvrières, interdit sa presse, suspend la liberté de réunion et d’organisation et abolit l’immunité parlementaire. Le PC passe dans l’illégalité. Le Parti socialiste grec de Ligdopoulos, privé de son dirigeant principal, devient « com­ muniste » dans son 33e congrès en avril 1920, sans apparemment susciter à Moscou un grand intérêt. Sa direction manifeste de grandes réticences sur l’adhésion aux vingt et une conditions. H y a du nouveau en revanche sur le front de l’Espagne. En effet, un délégué du PCE, le parti fondé par les JS, qu’on considère à Moscou comme un petit parti aux tendances sectaires, Ramôn Merino Gracfa, se rend au IIe congrès. Il n’arrive que le 27 août et ne rencontre pas Zinoviev. Devant l’exécutif, il défend son parti, réclame l’argent qui lui avait été promis par Borodine, puis va rendre visite au front sud, d’où il revient enthou­ siasmé par le moral de l’Année rouge. Il a juste le temps de croiser avant son départ deux délégués du PSOE qui arrivent le 18 octobre : l’un d’eux, Fernando de los Rfos, est adversaire des vingt et une conditions, et Daniel Anguiano en est partisan. Mais l’un et l’autre sont très éloignés de ce que les bolcheviks attendent de communistes, et Boukharine est chargé de le leur expliquer de façon très pédagogique. Les deux hommes repartent sur les mêmes positions qu’ils avaient en arrivant. Leur parti va trancher, bien qu’avec retard. Dans la CNT, malgré la réaction négative de Pestana aux propositions de Moscou, l’idée de l’adhésion progresse : on constate la montée de jeunes cadres, qu’on commence à appeler « communistes syndicalistes ». Joaquin Maurin et Andrés Nin, qui échappe de peu à un assassin en novembre 1920, apparaissent au premier plan. Mais l’énorme erreur de la campagne de terrorisme déclenchée par les anarchistes contre les patrons provoque des représailles. Le général Severiano Martmez Anido, gouverneur militaire de Catalogne, est décidé à en finir avec l’agitation sociale et va évidemment, avec des moyens d’Etat, battre les anarchistes au petit jeu de l’assassinat et des hommes de main. Soutenant les

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syndicats dits libres, disposant des pistoleros patronaux et de ceux des libres, il lance une campagne d’extermination des cadres de la CNT, assassinés l’un après F autre. L’Internationale s’était appliquée de toute son autorité à obtenir des communistes des États-Unis qu’ils mettent fin à leurs querelles fractionnelles pour s’unifier dans un seul parti communiste. En avril 1921, une minorité du Communist Party - dominé par les fédérations de langue étrangère -, dirigée par Charles Ruthenberg, se révolte et réclame l’unification avec le Communist Labor Party. L ’occasion en est un tract de la direction de leur parti qui a appelé les cheminots en grève à... déclencher l’insurrection armée. L’Internationale réagit par l’envoi d’une délégation de trois responsables connaissant bien les États-Unis, Charles Scott, Louis Fraina et Katayama. La minorité Ruthenberg et le Communist Labor Party fusionnent au mois de mai. C’est un tout petit premier pas. En Amérique latine, îe PSI de Penelôn adopte les vingt et une conditions et devient le Parti communiste de la République Argentine. Il est aux prises avec une minorité gauchiste qui compte des militants ouvriers de valeur, comme Héctor Raurich, Angelica Meitdoza, les frères Juan et Rafaël Grecco, Miguel Contreras, que nous retrouverons chez les « chispistes ». Mais il reçoit un renfort important avec l’adhésion de la minorité du PS favorable « à Moscou », les « terceristas », groupés autour de Claridad, quelques anciens - dont le prestigieux Enrique del Valle Iberlucea - et de jeunes militants qui décident leur adhésion au congrès de la salie Roma à Avellaneda. Parmi eux, un Prosper Olivier Lissagaray, homonyme parfait du vétéran historien de la commune. Bientôt le parti ouvrier socialiste du Chili, sous l’impulsion de Recabairen, rejoint les Argentins en devenant parti communiste et en adhérant à la Comintern, comme le fait le parti uruguayen, né du PCRA. Ces derniers essaiment aussi dans le sud du Brésil, créant un groupe communiste à Porto Alegre, d’où partira, en mars 1922, le PC du Brésil avec quelques-uns des plus grands dirigeants du mouvement de 1917-1918, notamment l’ancien anarchiste Astrogildo Pereira et le typo Joao da Costa Pimenta. Le premier secrétaire du PCB est un barbier syrien de Porto Alegre, Abou Nakt, devenu Abilio de Nequete. A Cuba, l’ancien compagnon de José Marti et dirigeant du PS de Cuba, Carlos Balino, fonde une Agrupaciôn socialista de La Havane que préside le leader syndical de la Fédération ouvrière de La Havane, José Pena Vilaboa. D’autres groupes apparaissent, noyaux de futurs PC : à Panama, le Grupo comunista fondé par le journaliste espagnol Blâzquez de Pedro, un autre au Pérou avec Alfredo Goldsmith. L ’Internationale communiste met le pied en Asie, où existait déjà le Parti socialiste coréen de Djishun Pak (orthographié à Fépoque Pak Din Shun) avec des hommes qui viennent de Pétersbourg ou de Corée. Des Turcs qui ont vécu à Berlin et qui se disent « spartakistes » rejoignent les amis de Subhi et fondent à Ankara en juin 1920, un parti communiste turc clandestin. Ils font assez d’ombrage à Mustafa Kemal pour que leur chef, Nethem le Circassien, soit obligé de s’enfuir à travers les lignes de Fennemi grec. En juillet 1920, à Enzeli, est fondé, comme continuateur du Parti social-démocrate Alâdat, le Parti communiste de Perse, dont l’un des initiateurs, Kaferzadé, vient d’être exécuté. Le PKI, îe Parti communiste d’Indonésie, avait été fondé en mars 1920 à la suite et sur la base de l’ISDV (Association sociale-démocrate des Indes), elle-même fondée par deux militants hollandais en 1913, Baars et Sneevîiet. Ce parti, dirigé par les Javanais Semaoun et Darsono, rejoint l’Internationale communiste en décembre. Le gros de ses militants, jeunes, est issu de l’organisation nationaliste Sarekat Islam.

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La fondation du Parti communiste de l’Inde, en dépit des mises en garde de Lénine, fut décidée à une réunion tenue à Tachkent à l’initiative de M.N. Roy le 17 octobre 1920. Il comptait alors 7 membres, dont 2 compagnes européennes de militants indiens. H atteignit l’effectif de 13 à la fin du mois de décembre de la même année. L ’Internationale prit la sage décision de ne le reconnaître qu’en qualité de groupe. Nous reviendrons sur ces partis dans un chapitre particulier ultérieur. La

f in d e l a g u er r e c iv il e

En fait, pendant que le devant de la scène avait semblé occupé par les congrès, les motions et résolutions, les commissions et les compromis, la guerre civile s’était pour­ suivie et elle était en train de se terminer. Les forces du dernier des généraux blancs, le baron P.V. Wrangel, créature des Français, réfugiées en Crimée, avaient été ressuscitées par l’offensive polonaise, puis par la guerre. Aidé financièrement, bien équipé, le général baron avait récupéré nombre d’officiers de l’armée Denikine, formés à la guerre civile et trempés dans les plus durs combats : ses troupes étaient maintenant aux abois, îe dos à la mer en Crimée. Elles avancèrent au temps de la bataille de la Vistule, puis durent reculer devant l’Armée rouge qui détourna d’ailleurs du front polonais des forces impor­ tantes, dans l’espoir de liquider avec elles le dernier des abcès. Les Rouges -175 000 hom­ mes, le double de Wrangel - disposaient de plusieurs atouts nouveaux, chars, canons, avions, train blindé même, prises de guerre aux dépens des armées en déroute de Denikine et de Koltchak. Frounze, qui les commandait, tenta de s’emparer de l’isthme de Perekop, « le goulot de la bouteille », pour leur interdire l’accès en Crimée, mais il échoua après une bataille acharnée de sept jours Les troupes de Wrangel purent trouver asile dans la bouteille. Pourtant leur sort était scellé. Le 10 novembre la péninsule tout entière était aux mains de l’Année rouge ; Wrangel et une partie de ses hommes embarquaient sur leurs navires et ceux de ses alliés - une centaine au total -, et émigraient définitivement. Us allaient se fixer nombreux à Constantinople, dans les Balkans et même en Occident, et consti­ tuèrent un vivier de choix pour les agents soviétiques à la recherche de recrues aimant l’aventure, le risque et l’argent. Après le congrès de Bakou, Béla Kun avait été affecté comme commissaire politique auprès d’une division de l’armée de Frounze. Une légende tenace, après des allusions de Levi aux « Turkestaner », relancée par Victor Serge, veut que, gouverneur militaire de la Crimée au lendemain de la victoire, il ait fait exécuter des prisonniers blancs à qui Frounze et lui-même avaient promis la vie sauve s’ils se rendaient. On parle de 13 000 victimes. Lénine, révolté d’une telle déloyauté, aurait d’abord exigé qu’il soit fusillé, puis, se rendant aux arguments de vieux camarades, se serait contenté d’un exil au Turkestan, d’où ses amis le sortirent très rapidement. Victor Serge raconte : « Je rencontrai bien des témoins horrifiés de ces tueries par lesquelles un révolutionnaire faible de caractère et d’intelligence vacillante avait stupidement tenté de se poser en « homme de fer34. » Borsanyï, le biographe hongrois de Béla Kun, est très réservé sur cette question, dont il ne dissimule pourtant pas qu’elle agita beaucoup, à l’époque, l’univers communiste. Nul doute pour lui que la Crimée reconquise fut soumise à la terreur rouge et au traitement de choc des tchékistes, mais il souligne que cela n’avait rien d’exceptionnel. D signale cependant, sans les citer, qu’on trouve dans les archives des documents, dans lesquels Frounze accuse Béla Kun d’abus de pouvoir et de mesures arbitraires. En revanche, l’affectation au Turkestan, elle, semble bien relever de la légende. 34. V. Serge, Mémoires d'un révolutionnaire, p. 147-148. Pouvons-nous dire que Serge, fin portraitiste, ne semble pas avoir bien vu Béla Kun ?

CHAPITRE X

Le pain noir ou l’infantilisme bureaucratique1 On pouvait s’attendre à ce que la fin de la guerre civile, atténuant les tensions, provoque une certaine détente. Il n’en fut rien. Elle provoqua en effet une aspiration au mieux-être, à la fin des contraintes, à la détente, si l’on veut, qui ne pouvait être satisfaite et se transforma en son contraire. Les ouvriers estimaient qu’ils avaient le droit de manger et qu’aucune menace de la part des Blancs vaincus ne leur interdisait maintenant de défendre leurs revendications élémentaires. Les paysans, qui n’avaient plus peur que des généraux tsaristes viennent leur reprendre les terres, refusaient maintenant de livrer leurs récoltes pour nourrir les villes ou l’armée, ou exigeaient au moins d’être payés. Les bolcheviks au pouvoir furent pris dans le tourbillon de leurs problèmes internes, de leurs difficultés économiques, de leurs divergences de parti. L ’état

d e la

R u s s ie

a u d ébu t d e

1921

Un historien favorable aux bolcheviks peint ce tableau économique de la Russie au début de 1921 : Le pays [...] semble se décomposer. Des régions entières vivent dans un état d’anarchie proche de la barbarie, sous la menace de bandes de brigands. Toute la structure économique semble s’être écroulée. L ’industrie produit en quantité 20 % de sa production d’avant guerre, 13 % en valeur. La production de fer représente 1,6 %, celle d’acier, 2,4 %. La production de pétrole et de charbon, les secteurs les moins atteints, ne représente que 41 et 27 % de celle d’avant guerre ; dans les autres secteurs, le pourcentage varie entre 0 et 20 %. L ’équipement est atteint ; 60 % des loco­ motives sont hors d’usage, 63 % des voies ferrées, inutilisables. La production agricole a baissé en quantité comme en valeur. La surface cultivée est réduite de 16 %. Dans les régions les plus riches, les cultures spécialisées ont disparu et laissé la place à de pauvres cultures de subsistance. Les échanges entre villes et campagnes sont réduits au minimum, de la réquisition, au troc2.

La situation sociale est une vraie tragédie : « Le niveau de vie des populations urbaines 1. En dehors de tous les ouvrages anciens et du moins récent mais toujours utile travail d’Angress, Stillbom Révolution, il faut évidemment donner une place importante au livre de Sigrid Koch-Baumgartner, Aufstand der Avantgarde. 2. P. Broué, Le Parti bolchevique, p. 148.

202

La

m o n tée

est bien inférieur au strict minimum vital. En 1920, les syndicats estiment que les dépenses absolument nécessaires représentent des sommes deux et demie à trois fois supérieures aux salaires. Aussi les villes, affamées, se vident-elles [...]. En trois ans Petrograd a perdu 57,5 et Moscou 44,3 % de sa population. Par rapport à l’avant-guerre, l’une a perdu la moitié et l’autre le tiers de ses habitants3. » Suivant l’expression de Boukharine, il y a une véritable désintégration du prolétariat. Il n’y a plus de véritable classe ouvrière, et a fortiori plus d*avant-garde ouvrière puisque ceux qui la composaient sont maintenant dans l’appareil du parti, de l’armée, de l’État, de la Tcheka, des « commandants d’ouvriers ». Et ce dans un pays qui va connaître en 1921 une réapparition de la famine frappant durement les campagnes. On conçoit du même coup la nécessité vitale et la terrible difficulté de la construction d’une Internationale autour du Parti bolchevique au moment où la fin de la guerre civile et celle du blocus vont permettre la reprise des relations internationales. Or le parti connaît du fait de cette situation et de l’urgence d’un redressement une crise très sérieuse à travers ce qu’on a appelé la « discussion syndicale ». Au point de départ, il y a des propositions de Trotsky, lequel a proposé quelques mois plus tôt vainement des mesures d’apaisement qui ont été repoussées, et qui cherche donc une solution dans le cadre du « communisme de guerre ». Nommé commissaire aux Transports, il emploie les méthodes qui lui ont réussi à la tête de l’Armée rouge, et en tire la conclusion d’une nécessaire « militarisation des syndicats » qui provoque les protestations non seulement des syndicats mais d’une fraction du parti, où Chliapnikov anime l’Opposition ouvrière. Lénine le suit dans un premier temps et accepte la création d’« armées du travail », puis il se convainc que la situation est dangereuse et recule. Trotsky va être mis en minorité cependant que Zinoviev fait campagne contre la militarisation du parti et pour le retour à la démocratie soviétique de 1917. Grèves et manifestations de mécontentement se multiplient, l’agitation paysanne prend la forme de véritables révoltes. L ’espoir renaît chez les émigrés blancs. L ’atout allem a n d

Dans ces conditions, on comprend l’importance que revêtaient les premières victoires internationales remportées au lendemain du IIecongrès de l’Internationale, et en particulier la conquête de la majorité du Parti social-démocrate indépendant allemand. Bien entendu, la totalité de cette majorité n’a pas rejoint le nouveau parti communiste unifié, car l’ancien USPD s’est en réalité partagé en trois parties, celle qui a rejoint le KPD, celle qui est restée organisée à part et celle des anciens membres qui ont, au moins pour le moment, abandonné toute affiliation et qui, selon les évolutions traditionnelles dans ce genre de crise, n’étaient sans doute pas loin de constituer une majorité silencieuse et impuissante. C’est Paul Levi qui le souligne lui-même : la naissance du VKPD est un événement allemand de la révolution mondiale, « la formation du premier membre important et constitué sur le plan de l’organisation, de l’Internationale des opprimés aux côtés de îa Russie soviétique4». Le nouveau parti compte de 300 à 350 000 membres, ce qui en fait une force consi­ dérable. Les représentants de l’Internationale se mettent aussitôt au travail pour l’aider à bâtir le nécessaire appareil, les départements spécialisés - questions syndicales, questions paysannes, presse et agit-prop, cadres et formation -, sans parler du nécessaire appareil clandestin, militaire, mais aussi de renseignements. Un historien de la révolution alle­ mande écrit sur ce point : 3. Ibidem, p. 148-149, 4. P. Levi, Rapport sur la fusion USPD-KPD, p. 38.

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203

Au sein du nouveau parti unifié se retrouvent les hommes de la vieille garde des radicaux d’avant guerre, le noyau des fidèles de Rosa Luxemburg, mais aussi les social-démocrates de gauche de toujours, les Emst Daümig, Friedrich Geyer, Adolf Hoffmann, Emil Eichhom, dont Lénine disait qu’ils étaient « les anneaux vivants qui relient le parti aux larges masses ouvrières dont ils possèdent la confiance ». Avec eux, les militants ouvriers, les cadres organisateurs de la classe, les dirigeants des grandes grèves de masses de Berlin pendant 1a guerre, les constructeurs des conseils ouvriers, le noyau des Délégués révolutionnaires berlinois de la guerre et de la révolution, Richard Millier lui-même, et les Wegmann, Paul Eckert, Paul Scholze, Heinrich Malzahn et Paul Neumann, dont Lénine disait que « ce sont des gens comme eux qui forment les larges colonnes aux rangs solides du prolétariat révolutionnaire » et que « c’est sur leur force indomptable que tout repose dans les usines et dans les syndicats ». Tous ces hommes retrouvent la vieille garde spartakiste qui cohabite désormais, dans îe nouveau parti, avec les militants de toutes les régions d’Allemagne qui ont, depuis 1917, dirigé les combats révolutionnaires, Erich Wollenberg, rescapé de l’armée des conseils de Bavière, Hermann Remmele, le métallo de Mannheim, les frères Bernard et Wiîhelm Koenen de Halle, le typographe saxon Paul Bôttcher, Bemhard Düwell, de Zeitz, le docker Emst Thâlmann de Hambourg, le métallo de Remscheid Otto Brass, et Curt Geyer, l’ancien président du conseil ouvrier de Leipzig en 19195.

Au moment du débat de Moscou et avant la retraite de l’Armée rouge qui a détruit bien des espoirs, la majorité de îa direction russe s’était divisée. Si on laisse de côté ceux qui, comme Trotsky et Radek, ne pensaient pas que l’avance de l’Armée rouge puisse provoquer un soulèvement ouvrier en Allemagne, deux tendances s’étaient constituées. Les uns pensaient qu’une victoire militaire aboutirait à la destruction du fer de lance du capitalisme allemand, sa force militaire réduite, et que îa voie serait ainsi ouverte à îa révolution allemande agissant de ses propres forces. D’autres avaient au contraire pensé àunepercée dans les Balkans, dans l’Europe du Sud-Est, qui pouvait fournir à la révolution allemande comme à îa révoîution italienne un arrière-pays agricole. Le report de l’échéance révolutionnaire à plusieurs mois, peut-être une année - car c’est probablement dans une fourchette de cet ordre que se faisaient les pronostics des dirigeants de l’Inter­ nationale -, amena d’autres divergences. Lénine, on le sait, était l’un des premiers à avoir perçu au début de décembre l’essouf­ flement du mouvement des masses. Mais, pour la majorité des autres dirigeants de l’Inter­ nationale, de même que dans la période précédente c’était l’absence de parti qui expliquait les défaites de ia révolution, de même dans la période qui s’ouvrait le facteur décisif était l’existence d’un vrai parti communiste allemand. Zinoviev îe proclamait : « Un grand parti communiste est né en Allemagne. Cela va entraîner des événements d’une signifi­ cation historique sans précédent6. » En réalité, pour lui, la scission comportait en ellemême le germe de îa réunification. Comment un parti communiste de centaines de milliers de membres ne viendrait-il pas à bout de l’aristocratie ouvrière et ne serait-il pas capable de conquérir la direction de l’écrasante majorité de la classe ouvrière ? La

po sit io n o r ig in a le d e

Pa u l L e v i

Paul Levi pense comme Lénine, mais a tout de même une position originale sur deux points capitaux. D’abord, il ne pense pas que ia révolution allemande, qui s’est déjà développée de façon tout à fait originale, puisse se développer au même rythme et sous les mêmes formes que la révolution russe. Tout en reconnaissant que Lénine a eu raison 5. P. Broué, Révolution en Allemagne, p. 432-433. 6. Zinoviev, ZwôlfTage in Deutschland, p. 57.

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L a montée

contre Rosa Luxemburg sur la fondation du parti et que le KPD aurait dû être constitué bien avant, il continue à affirmer que le prolétariat conscient est plus important que le parti en soi. Il ne revient pas sur la critique formulée par Clara Zetkin, dans une lettre à Lénine, concernant les sommes dont disposent les envoyés spéciaux de l’exécutif à l’étran­ ger et l’usage discutable qu’ils en font. Mais il signale le danger pour l’Internationale qui naît du rôle joué en Russie par le parti et du risque, par son intermédiaire, d’une pression des besoins diplomatiques de l’État soviétique sur la politique du parti allemand. Enfin, pour le moment, sa ligne est de toute évidence de gagner par des actions communes les masses ouvrières qui ne sont pas venues au parti et se trouvent à sa droite, de travailler à ressouder, avant l’assaut final, le front des prolétaires allemands. C’est clairement à lui que s’oppose Zinoviev, à la veille du congrès de Halle, quand il explique qu’il ne suffit pas d’un parti communiste, qu’« il faut un parti fortement centra­ lisé, avec une discipline de fer et une organisation militaire7». C’est derrière Zinoviev aussi que s’embusquent les adversaires de Paul Levi, tel un jeune militant allemand d’origine russe, Arkadi Maslow, qui critique l’absence du KAPD dans l’unification et souhaite ajouter à la ligne juste du KPD « un peu d’élan révolutionnaire ». C’est aussi et surtout Radek qui fait ajouter à la résolution du congrès d’unification un paragraphe nettement orienté contre Levi : « Alors qu’un parti qui n’a que l’audience de dizaines de milliers d’hommes recrute ses adhérents avant tout par la propagande, un parti dont l’organisation regroupe des centaines de milliers et qui a l’audience de millions doit recruter avant tout par l’action. Le VKPD a suffisamment de force pour passer tout seul à l’action là où les événements le permettent et l’exigent l » Dans son commentaire du congrès, Levi persiste et signe ; « La tâche des communistes [...] est de conquérir les cœurs et les cerveaux de la classe prolétarienne et de tous ses organes qui, aujourd’hui, retiennent à la bourgeoisie des fractions de la classe ouvrière9. » Le cadre des divergences est ainsi posé. Sans doute peu nombreux sont les communistes qui en ont vraiment conscience ou qui ont une idée de la façon brutale dont il va être réglé par une catastrophe pour le jeune grand parti. L a « le ttr e o u ve rte »

La première initiative du VKPD dans îe sens de îa politique préconisée par Levi est-elle venue réellement de la base, ou plutôt de la base par l’intermédiaire du parti ? Les témoignages sur ce point sont contradictoires. Les faits en tout cas sont simples. Au point de départ public, il y a une initiative des militants communistes dans le syndicat des métallos de Stuttgart que dirige l’un d’eux, Erich Melcher. A îa suite d’une assemblée générale où les métallos communistes réussissent à mettre en minorité le leader du syndicat (le DMV), l’indépendant Robert Dissmann en personne, les métallos et le cartel local de l’ADGB reprennent les revendications présentées : baisse du prix des produits alimentai­ res, inventaire de la production, augmentation des allocations de chômage, diminution des impôts sur les salaires et institution d’un impôt sur les grosses fortunes, contrôle ouvrier des fournitures et de îa répartition des matières premières et du ravitaillement, désarmement des bandes réactionnaires et armement du prolétariat. Les ouvriers deman­ dent aux directions syndicales DMV et ADGB d’entreprendre immédiatement une lutte d’ensemble pour satisfaire ces revendications concrètes. La centrale du KPD pubîie î’appel des métallos dans Die Rote Fahne et l’accompagne 7. Zinoviev, Kommunistische Rundschau, n° 1 ,1er octobre 1920. 8. Rapport sur le congrès d’unification, p. 232. 9. Paul Levi, « Le congrès d'unification », Die Rote Fahne, 4 décembre J92Û.

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d’une «Lettre ouverte» qu’elle adresse en même temps, le 7 janvier, à toutes les organisations ouvrières, partis et syndicats, dans laquelle elle leur propose l’organisation d’actions communes sur des points précis. Elle mentionne, dans cette lettre à toutes les organisations politiques et syndicales se réclamant de la classe ouvrière, la défense du niveau de vie des travailleurs, l’organisation de l’autodéfense ouvrière armée, la campa­ gne pour la libération des prisonniers politiques ouvriers et la reprise des relations commerciales avec l’Union soviétique. Elle explique qu’elle ne renonce pas à ses objec­ tifs révolutionnaires, mais qu’elle propose une action véritable menée en commun et réclame un engagement: «Dès aujourd’hui, le Parti communiste allemand unifié (VKPD) s’adresse à toutes les organisations prolétariennes du Reich et aux masses groupées autour d’elles en les appelant à proclamer dans des assemblées leur volonté de se défendre ensemble contre le capitalisme et la réaction, de défendre en commun leurs intérêtsl0. » La « Lettre ouverte » n’obtint aucune réponse positive des organisations à l’échelle nationale. Elle eut un immense écho dans les entreprises et syndicats, au point que les directions durent menacer d’exclure les membres syndiqués qui lui faisaient écho, ce qui se produisit à Chemnitz, où le syndicat du bâtiment exclut Heckert et Brandler, ainsi que Bachmann, secrétaire de l’union locale. Elle se heurta en revanche à une sévère critique à l’intérieur du VKPD et de l’Internationale. A la séance du comité central du 27 janvier, de très vives critiques se sont élevées contre elle et contre son orientation, qualifiée d’« opportuniste ». La direction du district de Berlin-Brandebourg du VKPD, avec son secrétaire Friesland - îe nouveau nom d’Ernst Reuter -, Ruth Fischer - que nous avons connue sous le nom d’Elfriede Friedlander - et son compagnon ïsaak Tchémérinsky - sous le pseudonyme d’Arkadî Maslow - se déchaîne d’ailleurs sur tous les terrains contre Levi, qu’elle accuse aussi de « national-bolchevisme » pour un appel qu’il a lancé au Reichstag pour l’alliance avec la Russie soviétique. Plus grave encore, au petit bureau de l’Interna­ tionale, la « Lettre ouverte », vivement critiquée par Zinoviev, soutenue par Boukharine, est condamnée. C’est l’intervention de Lénine qui oblige à revenir sur cette décision - comme dans l’affaire du « gouvernement ouvrier ». Il va écrire en juin qu’il s’agissait d’une « initiative politique modèle ». Il faut faire ici une place à part à la critique qui émane de Kommunismus - dans îa mesure où îes hommes qui l’animent viennent d’être intégrés à l’appareil de la Comintern et où leurs critiques sont justifiées selon eux par une nouvelle théorie qu’ils baptisent « théorie de l’offensive ». Sigrid Koch-Baumgarten a donné une pertinente analyse de cette théorie exposée dans une série d’articles de Béla Kun tant sur le putsch de Kapp que sur les événements ultérieurs. Il s’agit d’une conception à la fois mécaniste et idéaliste qui lie la crise économique du capitalisme à la nécessité de la réaction ouvrière, mais fait de la détermination de l’action contre-révolutionnaire, et non plus de la conscience de classe des travailleurs, le moteur de la révolution u. Du côté des révolutionnaires, c’est une théorie activiste de la provocation : l’initiative offensive de groupes d’hommes armés au combat qui permet de lancer des mots d’ordre toujours plus avancés et de mobiliser dans îe combat des couches toujours plus larges. L ’ensemble du mécanisme peut parfai­ tement être mis en marche par la provocation. Pour l’instant, les choses se situent sur un autre terrain. Un rapport confidentiel de Curt Geyer, représentant du VKPD à Moscou auprès de l’exécutif de l’Internationale, assure que Zinoviev et îa majorité des gens de l’exécutif sont extrêmement hostiles à Paul 10. « Lettre ouverte du KPD », Die Rote Fahne, 7 janvier 1921. U. Sigrid Koch-Bawngarten, « L ’offensive sous forme de provocation », dans Aufstand der Avantgarde, p. 79-81.

La

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montée

Levi et à Daümig - apparemment avant la fin janvier.12Curt Geyer assure que Zinoviev a dit que rintemationaie communiste avait laissé entrer beaucoup trop de gens dans ses rangs et qu’il serait mieux de n’admettre plus personne et de se concentrer sur l’élimination des « Serrati ». Selon Geyer, Zinoviev apportait alors tout son soutien aux éléments de gauche berlinois qui critiquaient P« opportunisme » de Levi et Daümig. C’est effective­ ment l’affaire Serrati qui va servir de premier révélateur. Le

c o n g rès d e

L iv o u r n e 13

Le congrès de Livourne du Parti socialiste italien se réunit du 15 au 21 janvier, au moment où enfle la vague des attaques terroristes des squadristi, les « expéditions puni­ tives » qui visent ce parti en tant que tel et particulièrement ses éléments socialistes beaucoup plus que ses éléments communistes. On aurait pu supposer que l’ampleur et la gravité de la vague de terreur fasciste contre le mouvement ouvrier provoquerait, sinon des corrections, du moins des nuances dans l’application stricte des vingt et une conditions dans un contexte nouveau où le facteur essentiel n’était pas pris en compte par les résolutions du IIecongrès. On acceptait comme un phénomène normal îe fait que Francesco Misiano, condamné à mort par les fascistes, devait se présenter au congrès entouré de gardes armés. Gramsci semble bien avoir été alors le seul responsable italien à avoir compris que se produisait un phénomène grave et nouveau. Bordiga, pour sa part, restait enfermé dans sa logique de classe consistant à souligner que la social-démocratie et le fascisme étaient en réalité l’une et l’autre des faces différentes de la réaction bourgeoisie. Personne apparemment ne vit là de raison de réfléchir sérieusement à l’application des conditions à des camarades particulièrement visés, et même plus visés, parce que plus connus, que ceux qui les excluaient. Cela indiqué, la situation apparaissait sans issue autre que l’application mécanique de la décision de scission. La tendance Serrati, qui avait pris le nom de « communiste unitaire », représentait 100 000 membres dont les délégués avaient la totale maîtrise du congrès. Elle acceptait les vingt et une conditions mais voulait choisir le moment de leur application. Bordiga, avec Bombacci et Graziadei, représentait une gauche, de 50 000 membres environ, réunissant des communistes et des anarcho-syndicaîistes, qui acceptait sans réserve les vingt et une conditions. Il y avait enfin les 14 000 membres de la droite turatienne qui n’étaient pas allés à Moscou et dont Moscou réclamait l’exclusion sans délai. Il est tout à fait possible que Paul Levi, qui se rendit à Livourne pour y représenter le VKPD, ait pensé que le feu vert finalement donné à la « Lettre ouverte » était un signe qu’on trouverait avec le PSI un accommodement. Après tout, on en avait trouvé un avec les centristes français, qui n’avaient pas le même bilan d’honnêteté et de lutte contre la guerre ; ni même rattachement qu’avaient pour la IIIeInternationale Serrati et ses amis. Or il n’en fut rien. Les deux délégués de l’exécutif étaient Khristo Kabaktchiev, un Bulgare, et le Hongrois Matyas Râkosi, ces soldats d’armées vaincues que le chef d’étatmajor de la Grande Armée, le président de rintemationaie, envoyait avec un mandat impératif : Serrati et les siens devaient se soumettre ou se démettre. L ’expérience avait enseigné combien le Hongrois pouvait être cassant et brutal, tant dans son argumentation que dans le ton qu’il employait. H le fut particulièrement à Livourne, puisqu’il parlait avec toute son autorité de représentant plénipotentiaire de l’exécutif et était convaincu de faire le juste procès de deux « opportunistes », Serrati et Paul Levi ! On n’en est pas 12. Ibidem, p. 114-116. 13. R Spriano, op. cit., t. î.

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encore sûr à l’époque, mais la suite de sa carrière le montrera. Râkosi était l’un des plus bornés et des plus brutaux individus qu’ait jamais produit le mouvement communiste. L ev i et

le

KPD su r

l a sc issio n

La centrale du VKPD avait discuté de la situation au sein du PSI à la veille de son congrès, avant le départ de Levi. Ce dernier considérait qu’une scission était inévitable. H souhaitait cependant qu’elle n’ait pas lieu entre partisans de Serrati et partisans de Bordiga mais - comme en France - le plus possible au cœur du centre, englobant le plus grand nombre possible de la centaine de milliers d’ouvriers révolutionnaires qui avaient continué à suivre Serrati quand ses lieutenants l’avaient abandonné. Il redoutait avant tout la formation en Italie d’un parti communiste de gauchistes qui aurait fermé pour longtemps toute possibilité révolutionnaire en décourageant les masses qui avaient jusque là été fidèles à Serrati et qui ne comprendraient pas une scission sous les coups des fascistes. La centrale fut d’accord pour que Paul Levi fasse son possible à Livoume afin de convaincre Serrati d’exclure Turati et ses amis réformistes. Pour le reste, elle souhaitait un compromis permettant de garder îe gros des troupes serratiennes et leur chef dans le parti. Radek, consulté, approuva cette ligne, et les deux hommes tombèrent d’accord pour éviter un conflit aigu au cas où les envoyés de l’exécutif auraient une ligne différente. Mais le lendemain arrivait à Berlin un télégramme de Moscou prescrivant de mener contre Serrati « le combat le plus décidé ». L ’exécutif, par ses hésitations puis ses crises d’auto­ rité, envenimait une situation déjà difficile. Dès son arrivée, Levi constate que l’attitude des représentants de l’exécutif n’est pas du tout conforme à son objectif. Ils s’en tiennent à la motion Bordiga qui prépare la scission avec tous les serratistes et refuse toute modification. L ’intervention de Kabaktchiev est tout entière dirigée contre Serrati. Paul Levi a plusieurs entretiens avec ce dernier, dont un de plus de deux heures. Il en sort avec la conviction que l’exécutif est mal informé : Serrati lui a raconté que Bombacci embrassait Turati en plein Parlement. Il est de moins en moins d’accord avec l’application mécanique des conditions aux Italiens, dans la situation du pays, après les énormes concessions faites à des Français infiniment plus droitiers que Serrati. S c issio n

du

PC

d ’I t a l ie

Mais les délégués de l’exécutif demeurent inflexibles et Râkosi va accuser Paul Levi d’avoir encouragé Serrati à résister aux exigences de Moscou en lui confiant son opinion personnelle. Levi se contente d’une intervention purement formelle. Le résultat du vote est de 98 028 voix pour les « centristes », 58 783 pour les « communistes » et 14 695 pour les « réformistes ». Aussitôt après, les hommes de la gauche, autour de Graziadei, Bom­ bacci, Bordiga et Gramsci, se retirent et vont fonder un peu plus loin dans Livoume, au théâtre Goldoni, le Parti communiste d’Italie. Il ne semble pas que Levi soit véritablement inquiet et qu’il considère la situation comme irréversible tellement le résultat lui paraît - à juste titre - absurde. Il n’a aucune estime pour les envoyés de l’exécutif et pense qu’ils n’ont pas compris leurs instructions ou les ont appliquées bêtement, avec trop de rigueur, et que l’exécutif va arranger les choses. C’est ce qu’il explique à mots couverts dans Die Rote Fahne du 23 janvier : la scission était inévitable, mais pas sous la forme qu’elle a prise, et qui a mis hors des rangs de l’Internationale l’élite des travailleurs italiens. Radek répond vertement, trois jours plus tard : les ouvriers restés avec Serrati n’étaient partisans de l’Internationale qu’en paroles, l’élite des ouvriers révolutionnaires italiens est aujourd’hui dans le PC.

La

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montée

L a c r ise

La querelle désormais apparaît dans toute sa gravité. A la réunion du 25, devant les accusations de Radek, Paul Levi claque la porte. Le lendemain, Radek s’est excusé et le dialogue peut reprendre. Levi rappelle à Radek leur accord, F arrivée après îa bataille des directives de Moscou, se défend d’avoir attaqué l’exécutif, exige de savoir s’il a encore sa confiance. Le 29, se tient une nouvelle réunion de la centrale où Radek rapporte sur les problèmes internationaux. Il explique qu’il est personnellement opposé aux « gauchis­ tes » (les gens du Sud-Est) et pense que le centre de la révolution est aujourd’hui en Allemagne et en Italie. Il reconnaît îes efforts de l’exécutif pour « activer » le parti allemand, nie qu’il y ait là un rapport avec la situation russe ou un souci de diversion, H explique son explosion contre Levi par le sentiment qu’il a eu d’une absence de solidarité avec l’exécutif, dont il admet qu’il a des faiblesses mais pour lequel iî réclame des critiques constructives. Levi semble rasséréné, mais tient à être très clair. Il assure notamment : Mes relations avec Zinoviev se sont également améliorées depuis son séjour en Allemagne, mais je dois le répéter ici : nous nous trouvons devant une certaine méfiance et toute tentative de notre part de critiquer des erreurs sera interprétée seulement comme un acte d’opposition à TInternationale communiste. [...] Cette discussion m’a ouvert les yeux : le camarade Max (Radek) s’est emballé pendant la discussion et on a vu surgir des thèmes qui sont vigoureux et vivants i Moscou. En fonction de tous ces faits, je crois que nous aggraverions la maladie au lieu de favoriser la guérison en exprimant ce qu’on appelle des critiques positivesM.

Après de nombreux rebondissements, on semble avoir trouvé de nouveau un terrain d’entente, cette fois sur proposition de Clara Zetkin, qui exprime le souhait de la fusion du PCI avec les communistes restés avec Serrati et aborde la question des difficultés avec l’exécutif sous l’angle « des différences entre les tâches du parti communiste d’un pro­ létariat victorieux et celles des partis communistes qui sont dans des pays où il faut en premier lieu lutter pour la dictature du prolétariatIS. » Elle fait même adopter un texte qui prévoit des voyages d’information de membres de l’exécutif, dont deux du parti russe, pour se familiariser avec les conditions de travail. N o u v ea u

r ebo n d

Tout rebondit pourtant une fois de plus. Jacques Mesnil, dans L*Humanité, rendant compte du congrès de Livoume, écrit en effet que la forme de la scission est due en partie à la croyance de l’exécutif en « l’imminence de la révolution ». Puis il s’associe aux critiques formulées par Serrati contre les « éminences grises » - les envoyés de l’exécutifet « leur croyance aveugle dans les vertus de la centralisation16». Serrati vient à Berlin et rencontre Paul Levi. Au retour, il s’arrête à Stuttgart pour rencontrer Clara Zetkin. Et les membres de l’exécutif et gauchistes allemands de dénoncer « le complot droitier »... Bientôt, Râkosi arrive à Berlin, à son tour, pour y faire campagne, moins pour lui-même sans doute que pour l’exécutif. A la centrale, il parvient à retourner Thalheimer et Stoecker, mais pas à renverser îe vote précédent. Il revient donc au comité central et attaque comme un furieux, s’inscrivant en faux contre les affirmations de Levi et de Clara Zetkin. Il ne répète certes pas ce qu’il a confié en tête à tête à Clara Zetkin, que le parti allemand est trop nombreux, qu’il faut souhaiter 14. Archives Levi, p. 50 a 5. 15. C. Zetkin, Die Rote Fahne, 2 février 1921. 16.1 Mesnil, L ’Humanité, 25 janvier 1921.

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de nombreux départs, que Livourne est un bon exemple et qu’il ne faut pas hésiter à scissionner dix fois s’il le faut. Levi et Clara Zetkin commencent à penser qu’ils ont bel et bien affaire à une entreprise de l’exécutif contre eux, parfaitement concertée. Et le coup de théâtre se produit. Le comité central adopte par 19voix contre 23 la motion ThalheimerStoecker qui se range aux côtés de Râkosi. Sur-le-champ, en séance, les deux présidents du parti, Levi et Daümig, démissionnent, ainsi que trois membres de la centrale, Clara Zetkin, Brass et Hoffmann. Marquant leurs distances à l’égard de Serrati, ils se délimitent aussi de Râkosi, qui vise, disent-ils, à « créer des partis plus solides et plus purs par la méthode des scissions mécaniques17». La crise est ouverte, et Zinoviev, au congrès du parti russe, se réjouit que Paul Levi ait été enfin « démasqué18». Levi, pour sa part croit à une discussion qu’il aurait voulu éviter mais qui est devenue indispensable. En bonne tradition marxiste, il essaie de la porter sur le terrain des rapports de classes, souligne en particulier la contre-offensive bourgeoise qui se traduit notamment en Alle­ magne par les succès des social-démocrates dans les syndicats, l’augmentation du nombre de leurs voix et l’exclusion de communistes. H délimite ses divergences avec les dirigeants russes de rintemationaie. D’abord, ceux-ci ne tiennent aucun compte des millions de travailleurs organisés dans les syndicats, une situation qu’ils n’ont jamais connue et dont ils sous-estiment l’importance. Ensuite, rappelant l’échec de la marche sur Varsovie, il rappelle que la révolution ne peut résulter que de la volonté consciente des travailleurs. Toutes ces erreurs se sont trouvées concentrées en Italie, où la scission était nécessaire avec Turati mais où les gens de l’exécutif se sont battus pour la faire avec Serrati. La tâche en Allemagne, après la victoire de Halle, ce n’est pas d’éduquer les nouveaux adhérents par de nouvelles scissions, c’est de les éduquer, « de vivre avec eux le temps, la révolution et les choses, et de parvenir ainsi à un niveau supérieur, dans les masses et avec elles19». Il est, souligne-t-il, tout à fait absurde d’avoir pendant deux ans fait de Serrati un porte-drapeau de rintemationaie et de croire comme l’exécutif qu’on va le « démasquer » en quelques semaines par des « lettres ouvertes ». Ces pratiques étrangères au mouvement ouvrier occidental proviennent incontestablement du parti russe. Levi se dit conscient du rôle que jouent pour les dirigeants de ce dernier leur isolement, la rareté de leurs contacts, leur éloignement, la difficulté qu’ils ont à se faire une idée de la situation exacte, et aussi l’influence qu’exerce sur leur pensée et leur pratique le fait qu’ils sont à îa tête d’un État qui doit faire face à tant de difficultés. Il croit que la discussion est possible. L ’exécutif va lui montrer qu’elle ne l’est pas. L ’aggravatio n

d e l a c r is e r u sse

Dans quelle mesure les dirigeants russes - en dehors de Zinoviev et de son groupe de collaborateurs, dont c’est le métier - sont-ils en mesure de consacrer du temps à la démission de Levi et de ses camarades ? Dans quelle mesure peuvent-ils prendre au sérieux l’agitation à la tête d’un parti frère dans un pays qui ne connaît ni grève ni combat armé ? Nous avons déjà mentionné l’âpre lutte menée dans la « discussion syndicale », qui disparaît, dépassée par les problèmes nouveaux lors du Xecongrès du parti, du 8 au 16 mars. Mais celui-ci, devant la catastrophe économique et la crise sociale, à l’initiative de Lénine, renverse îa vapeur, abandonne la politique du « communisme de guerre » au profit d’une nouvelle politique économique, qu’on appelle la Nep. En revanche, la nouvelle 17. Déclaration des présidents, Die Rote Fahne, 28 février 1921. 18. Première publication en Occident dans Freiheit> 10 avril 1921. 19. « Nous et l’exécutif », 6 février 1921.

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tendance, dite Opposition ouvrière, animée par Aleksandr Chliapnikov et Aleksandra Kollontaï, ne désarme pas, bien au contraire. La Nep, élaborée par le comité central du parti au cours des premiers mois de 1921, est une retraite sur le terrain économique, marquée par la suppression du système des réquisitions et par l’introduction au niveau le plus élémentaire d’un embryon de marché. On espère ainsi le retour aux échanges et à l’économie monétaire, l’encouragement à l’initiative privée, voire le recours, sous contrôle, aux investissements étrangers. Son objectif est double: rallier îes masses paysannes, et développer à travers l’industrie les bases économiques et sociales du nouveau régime. C’est pourquoi Lénine la définit comme « un compromis entre le prolétariat qui exerce sa dictature et tient entre ses mains le pouvoir d’État, et la majorité de la population paysanne20». L ’Opposition ouvrière dénonce ce recul qui fait porter à ia classe ouvrière le poids de la crise de la révolution. Le contexte de ces décisions est celui d’un immense mécontentement qui secoue tout le pays, et en particulier îes masses paysannes et ouvrières. C’est probablement à l’été 1920qu’ont commencé les premiers troubles sérieux dans îes campagnes, bientôt aggravés par îa fin de la guerre civile et par la disparition de l’épouvantail des Blancs. C’est à partir de là en tout cas que se dessine et se développe îe grand soulèvement paysan de la région de Tambov, dirigé par le socialiste révolutionnaire A.S. Antonov. Les SR, ici, se sont emparés de l’Union des paysans travailleurs et ont formé des milices armées que l’on estime à une vingtaine de milliers de combattants, contre lesquels il faudra en définitive envoyer une armée, commandée par Toukhatchevsky, dans une mission de pacification21 qui sera rigoureuse. L ’affaire devient beaucoup plus sérieuse à partir du moment où l’agitation gagne les villes et les usines. A Moscou, les ouvriers sont enragés de la pénurie de ravitaillement. Des réunions dans les usines revendiquent îa fin du communisme de guerre, le droit pour les travailleurs d’aller se ravitailler dans les cam­ pagnes. Les dirigeants du parti sont mal reçus, certains même sont chassés de la tribune. Bientôt se systématisent des revendications économiques ~ liberté du commerce, aug­ mentation des rations, fin des réquisitions - puis politiques - droits et libertés publics, parfois élection d’une Constituante. Quelques manifestations de rue sont endiguées, sans brutalités. A Petrograd, 1a situation est plus grave. Il n’y a plus ni ravitaillement ni combustible depuis des semaines. Les habitants souffrent de la faim et du froid. Comme à Moscou, toutes les questions sont posées dans les assemblées d’usines : ravitaillement, privilèges, politique paysanne. On revendique îa distribution de chaussures et de vête­ ments, l’augmentation des rations alimentaires. Une usine appelle à manifester avec le soutien des étudiants de la fameuse École des mines. La veille encore, Zinoviev, patron du parti et du soviet de îa capitale, réclamait la restauration de la démocratie ouvrière de 1917. Mais il panique. On constitue dans chaque district une tro'ika baptisée comité de défense et dotée des pleins pouvoirs. Les usines agitées sont inondées de propagande et de militaires en armes. L ’usine dont les ouvriers ont manifesté est fermée. L ’usine Poutilov entre dans le mouvement. De toute évidence, l’influence des anciens partis socialistes se fait sentir de nouveau, SR, certes, mais aussi mencheviks, et on réclame la libération de ceux d’entre eux qui sont emprisonnés, ainsi que des « élections libres ». Zinoviev, qui n’est plus le champion de la démocratie, fait arrêter 5 000 « mencheviks » et 500 « meneurs ». C’est dans ce contexte qu’éclate ce qu’on a appelé l’insurrection de Cronstadt. Ici, la 20. Cité dans P. Broué, Le Parti bolchevique, p. 155. 21. Le rapport d’Antonov-Ovseenko à Lénine sur le soulèvement paysan de Tambov se trouve dans les Trotsky’s Papers, vol. II, p. 485-523.

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crise frappe au cœur de îa légende. C’est que la campagne de Zinoviev pour îa démocratie ouvrière, en réalité contre l’administration politique de ia flotte, qui dépend de Trotsky, porte des fruits inattendus pour lui. Les rumeurs qui circulent sur la répression de mani­ festations ouvrières à Petrograd mettent le feu aux poudres, avec rassemblée des équipages à bord du cuirassé Petropavlovsk et l’adoption d’une résolution en dix points, «salve contre la politique du communisme de guerre22», écrit l’historien Paul Avrich, qui sym­ pathise avec les insurgés. CRONSTADT : LA RÉPRESSION

On connaît îa suite, l’insurrection, l’échec des négociations, la décision des bolcheviks d’attaquer pendant que îa glace n’a pas encore fondu et avant que la mer libérée ne protège denouveau l’île et la flotte de guerre, qui constituerait alors un danger mortel et une base possible pour n’importe quelle intervention extérieure. C’est îe comité de défense institué par Zinoviev - et non par Trotsky, comme on î’assure trop souvent - qui emploie la menace historique de tirer îes insurgés « comme des perdreaux23». L ’offensive est meur­ trière, puisque les canons de Cronstadt tirent sur îa glace où avancent les soldats de TArmée rouge : 10 000 tués sur 50 000 hommes. Les vainqueurs, du coup, sont sans pitié. Cronstadt tombe le 18 mars. Le Xe congrès du Parti communiste de Russie, qui vient de voter les mesures qui concernent la Nep et dont plus d’une centaine de délégués sont allés se battre contre les marins soulevés, termine son travail par des décisions qui marqueront l’histoire du parti. A l’appel de Lénine, qui s’inquiète, dans les circonstances données, de l’activité de l’Opposition ouvrière - il la tient pour une déviation anarcho-syndicaîiste -, le parti interdit les fractions et adopte toute une série de mesures qui restreignent sérieusement la démocratie. En outre, l’élection des membres du comité central à la proportionnelle des votes sur la base des tendances qui s’affrontaient dans îa question syndicale amène le départ de nombre de camarades de Trotsky ~ moins autoritaires que ne le clamaient leurs adversaires - et l’entrée en force d’apparatchiks silencieux ralliés denière Lénine et Zinoviev par Staline, qui commence à constituer une force dans l’appareil. LE CONTEXTE INTERNATIONAL DE LA SITUATION ALLEMANDE

Nombre d’auteurs s’acharnent à vouloir démontrer que l’action de mars en Allemagne découle directement de îa déception provoquée par Cronstadt au sommet du parti de Lénine. Rappelons brièvement les dates. Les grèves commencent à Petrograd le 23 février, î’insurrection de Cronstadt, îe 28 février. Le congrès qui adopte la Nep se déroule du 8 au 16 mars. L ’insurrection est écrasée le 18 mars. En Allemagne, la mission de l’exécutif arrive fin février-début mars, a des entretiens avec les dirigeants du KPD, assiste à son comité central les 16 et 17 mars, fait lancer le mot d’ordre de grève générale le 24 et commence des combats qui durent jusqu’au 30 mars. Il faut ajouter à tous ces éléments une particulière tension des relations internationales pendant les trois premiers mois de 1921. Le conflit sur les réparations entre l’Allemagne et les Alliés aboutit à une impasse. Les négociations, ouvertes le 1ermars, se sont arrêtées le 7, sur îe rejet, par îe gouvernement allemand de l’ultimatum allié. Le 8, en représailles, l’armée française occupe Duisburg, Düsseldorf et Ruhrort. Le référendum sur la haute Silésie devait avoir lieu le 20 mars. Beaucoup de responsables croyaient à la reprise de 22. Paul Avrich, La Tragédie de Cronstadt, 1921, p. 77. 23, La menace, odieuse il est vrai, a été attribuée à Trotsky et continue de l’être !

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la guerre avec la Pologne, dont Thomas, l’homme du bureau de Berlin, assure qu’elle était au centre de sa perspective : « Nous étions persuadés qu’elle allait reprendre d’un moment à l’autre. Nos hommes de confiance étaient en contact avec les marins de Stettin et de Hambourg. A Danîzig, nous avions fait sauter des moteurs d’avion, et à Stuttgart, un train français entier de munitions. Beaucoup d’autres plans de ce genre étaient en préparation24. » Tout cela, cependant, ne suffit pas pour étayer certaines démonstrations. La m issio n

de

Béla Kun : À Moscou

C’est vers la fin de février ou au début de mars qu’arrive à Berlin une délégation de l’exécutif, envoyée à îa suite de la démission de Paul Levi et de ses camarades. Elle comprend Béla Kun et très probablement, sous le nom de Berger, Josef Pogâny, un autre Hongrois de l’appareil de ITC, ainsi qu’un des proches collaborateurs de Zinoviev, Haifisz, dit Gouralsky, lui aussi apparatchik de l’Internationale. Aucun de ces hommes ne connaît bien les problèmes allemands. Tous les trois, en revanche, apparaissent liés au groupe gauchiste de Kommunismus, dont Lénine avait fait condamner la ligne lors du IIecongrès de TInternationale. H existe toute une littérature et une tradition orale autour de ce qu’on appelle «la mission de Kun en mars 1921 ». Contentons-nous de la résumer : elle serait tout simple­ ment un moyen désespéré de forcer la révolution en Occident afin de faire faire à îa Russie l’économie de la Nep, cette retraite que les gauchistes désapprouvent sans oser la combattre. Certains auteurs sont même allés jusqu’à lui attribuer la valeur d’un contreCronstadt, alors que l’insurrection des marins ne s’est produite que bien après son départ Entretiens personnels, encouragements à demi mots, sous-entendus et, pourquoi pas, clins d’œil dans la rue, pots de fleur sur les fenêtres, langage codé entre bureaux, sondage psychanalytique des reins et du cœur du Hongrois, rien n’a manqué pour essayer de déterminer qui était l’inspirateur de Béla Kun, et si l’on devait faire remonter la respon­ sabilité du contenu de sa mission jusqu’à Lénine ou s’arrêter en route à Zinoviev. Disons-le franchement, il nous semble que Béla Kun avait assez de prétention et de limites intel­ lectuelles à la fois pour s’être cm capable en la circonstance d’agir en sauveur suprême. Il se présentait à Moscou en père de îa théorie et de la stratégie de l’offensive, et Alfred Rosmer raconte qu’il avait même tenté au début de l’année d’y convertir Trotsky, lequel l’avait accueilli plutôt fraîchement. Trotsky confirme que Béla Kun tenta à plusieurs reprises de 1e convaincre que la révolution était perdue en Russie si elle ne l’emportait pas tout de suite dans un autre pays. En outre, c’est une anticipation qui inspire cette enquête, une conception qui militarise ia Comintern beaucoup plus qu’elle ne l’était à l’époque. Tous les éléments dont nous disposons, et peut-être le fait que nous ne disposons pas d’autres informations, indiquent que la mission de Kun est venue en Allemagne avec comme seule inspiration, pour sortir de sa crise le parti allemand, de « l’activer » confor­ mément à la recette gauchiste, ou, si l’on préfère, conformément à la doctrine à la mode dans les bureaux. La nature même de la question posée exclut en tout cas toute intervention de Lénine. Le plus vraisemblable est que Béla Kun a pris dans sa mission allemande des initiatives inspirées par sa conception de l’action révolutionnaire dans le cadre d’un accord général avec Zinoviev et Boukharine, à l’époque inspirateurs de l’IC. Les seuls procès-verbaux ou comptes rendus concernant cette mission auquel nous ayons eu accès pendant long­ temps sont ceux de îa réunion des 22-23 février du comité exécutif de l'Internationale, 24. « Récit du camarade Thomas », Contributions, p. 24-25.

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Curt Geyer y attaque l’admission du KAPD dans l’Internationale, la politique des repré­ sentants de l’exécutif au congrès de Livourne, et défend la « Lettre ouverte ». Les grands chefs sont très méprisants, Zinoviev se moquant de cette « billevesée littéraire » en s’éton­ nant qu’on puisse proposer « aux ouvriers de pactiser avec d’autres partis ouvriers ». Boukharine est sans doute encore un cran au-dessous dans l’humour - ou ce qu’il prend pour tel - puisqu’il aurait dit : « Nous voulons la dictature du prolétariat, c’est ça qu’il faut dire. Mais cette lettre dit : nous voulons que le prolétariat vive. C’est comique. Vivons-nous pour un nouveau capitalisme25? » Sur la situation du parti, ce sont surtout Gouralsky et Radek qui parlent. Ils le jugent très malade du fait de la direction droitière, pensent qu’il faut le redresser et le souder, en éliminant Levi et les siens. Chez tous les intervenants s’exprime l’idée de îa nécessité pressante d’une action dure en Allemagne, de toute évidence pour soulager la pression qui pèse sur la Russie, peut-être pour limiter la retraite entamée. Quelques-uns indiquent qu’une attaque de l’extrême droite pourrait cristalliser une opposition frontale de îa classe ouvrière : on a le sentiment que l’idée de provocation est ici sous-jacente. Béla Kun est là. Il n’est cité que quand il propose îa création d’un comité d’action de cinq membres pour l’Allemagne, deux du VKPD, deux du KAPD, présidé par un représentant de l’exé­ cutif ; il vient de tracer sa propre voie et, à vrai dire, doit d’ores et déjà savoir où il veut aller, même s’il se contente de laisser les autres îe suggérer. B éla K un

à

B e r l in

Nous avons toute une série d’informations sur l’activité de Béla Kun à Berlin dans les milieux dirigeants, où il apparaît sous îe pseudonyme de Spanier (que Thomas orthogra­ phie Spanior). Pendant les deux premières semaines, il est logé avec ses deux camarades de mission dans un appartement du nord de îa Friedrichstrasse à Berlin, sous la protection d’un homme du M-Apparat, l’appareil militaire clandestin, Karl Retzîaw. Il rencontre par petits groupes et individuellement les camarades qui comptent à la direction du parti, notamment Clara Zetkin et Paul Levi. Il semble qu’à tous il explique îa nécessité d’aider îa Russie par un succès révolutionnaire extérieur, et, pour ce faire, suggère l’emploi de îa provocation pour décider îa classe ouvrière allemande à se battre. Il a dit à Clara Zetkin que le parti avait suffisamment de membres pour lancer 150000 d’entre eux à î’assaut du gouvernement et entraîner îa classe à ses premières victoires. La vieille dame marxiste est épouvantée que rintemationaie soit représentée par ce médiocre parieur qui joue avec la vie des hommes et de leur parti. Elle refuse désormais de îe rencontrer sans témoin. De cette entrevue, elle va écrire à Lénine : « B. était d’avis que les masses se mobiliseraient si îa contre-révolution se montrait agressive. Il nous fallait, par des provocations, amener la contre-révolution à déclencher les hostilités26. » Paul Levi, lui, quitte l’Allemagne après leur rencontre et part en principe pour l’Italie, envacances. Mais il s’arrête à Vienne, observatoire commode pour un homme qui s’attend à une catastrophe et n’a pas renoncé à intervenir. Nous ignorons totalement s’il a fait quelques tentatives pour organiser la résistance ou s’il a tout simplement attendu l’inévi­ table bataille contre Kun de la part de ceux qui venaient de le désavouer lui. Thomas, dans ses souvenirs, parle de Kun à Berlin : Il se mit aussitôt au travail, prit la parole et s’aboucha directement avec les communistes allemands. Par le ton de ses propos, je me rendis très vite compte qu’on allait tenter la grande 25. Protokoll de la réunion de l’exécutif trouvé dans les archives allemandes, M,L. Goidbach, Karl Radek, p. 135143, ici, p. 141. 26. C. Zetkin à Lénine.

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aventure. Cela sentait à plein nez la provocation. Il ne me mettait pas aucourant de ses véritables plans, mais le sens général en était clair. Je lui proposai un entretien avec moi et deux autres communistesqueje lui présentai commede vieux camaradespolonaisayantunelongueexpérience des problèmes politiques, et d’examinerensemblela situation. Ces vieuxcamaradesétaient Warski et Lapinski. Béla Kun accepta. L’entretien eut lieu à Charlottenburg. II dura plusieurs heures puis dégénéra en discussion orageuse. Là encore, Béla Kun ne précisa pas ses plans, mais leur nature n’était que trop visible. Warski aussi bien que Lapinski se prononcèrent catégoriquement contre le soulèvement et contre toute aventure en général. A la fin Béla Kun eut des paroles très dures ; « Sie haben Dît Herz in den Hosen » (Vous avez le cœur dans les culottes), dit-il. « Vous n’analysez pas la situation à la bolchevique. » Lui comprenait mieux : les ouvriers sont prêts à s’insurger, les chefs les en empê­ chent. L’entrevue se termina sur un échec27. En réalité, Béla Kun a déjà partiellement réussi. Ses plans, son autorité, celle de la centrale, sa façon de bousculer les camarades, de rappeler à chaque instant la nécessité de l’action, du courage, du dévouement, ont ébranlé puis mis à sa merci la majorité des dirigeants du parti. En deux semaines, l’envoyé de l’exécutif a mis dans sa poche la majorité du comité central du VKPD et va s’offrir le îuxe de le laisser fonctionner hors de sa présence et de celle de ses adjoints afin de prendre les 16 et 17 mars les décisions qui s’imposent. H a obtenu le renfort d’hommes qui sont considérés à Moscou comme d’excellents spécialistes militaires : le Letton Rose, qu’on appelle Skoblevsky, mais aussi le Hongrois Ferenc Münnich, le Roumain Manfred Stern et l’ex-officier d’état-major austro-hongrois qui a combattu dans l’armée rouge hongroise et sert dans les services de renseignements de l’Armée rouge, Otto Steindriick. On ne peut pas imaginer que le déplacement de spécialistes militaires de cette dimension ait été simple affaire de routine, et il parait difficile d’envisager que Béla Kun ait eu recours à eux sans le feu vert de Zinoviev, non pas forcément pour une insurrection, mais « au cas où »... Le comité central s’ouvre le 16 mars par un rapport de Brandler, qui commence par une longue énumération des tensions et des crises à l’échelle du monde, traite de 1a conférence de Londres, du prochain plébiscite en haute Silésie, des plans contrerévolutionnaires du groupe ultranationaliste de VOrgesch, de l’armement des groupe­ ments « blancs » en Bavière. Il aboutit de façon un peu inattendue quand même à l’affirmation qu’il y a 90 % de chances pour qu’on arrive à des conflits armés, et en tout cas qu’une guerre anglo-américaine est à peu près inévitable. L ’objectif, iî ne le cache pas, est de « mettre les masses en mouvement ». Il va mêmejusqu’à les chiffrer, écrivant : « Je maintiens que nous avons aujourd’hui dans îe Reich de 2 à 3 millions d’ouvriers non communistes qui peuvent être influencés par notre organisation communiste, qui combattront sur notre drapeau [...] même dans une action offensive. Si j ’ai raison [...], il nous faut intervenir par des actions qui peuvent changer en notre faveur îe cours des choses28. » Dans la discussion, on relève une intervention presque hystérique de Pauî Frolich. Parlant des relations entre l’Entente et l’Allemagne, il assure : « Nous devons faire tout notre possible pour que se produise une rupture, par notre activité, au besoin par une provocation29.» Il s’agit, assure-t-il, d’une rupture complète avec le passé: «Jusqu’à présent notre tactique consistait à laisser venir les choses et, dans une situation donnée,

27. Thomas, loc. cit., p. 25. 28. Archives Levi, p. 83/9. 29. Ibidem, p. 23/9.

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à prendre nos décisions dans ce cadre. Aujourd’hui nous devons nous-mêmes forger le destin du parti et de la révolution30. » La concrétisation de ces discours en actions se heurte pourtant à un obstacle objectif : la semaine qui vient est celle des congés de Pâques, où les usines ferment du 25 au 28 mars inclus. Qu’à cela ne tienne, on en fait une semaine de préparation de l’action. L ’a ctio n de m ars (M arzaktio n )

Et c’est alors, vers la fin de la session, qu’arrive une nouvelle qui bouleverse tous les « plans de la révolution ». La « contre-révolution », elle aussi, a fait ses plans de son côté. l ’Oberpràsident de îa Saxe prussienne, le social-démocrate Otto Horsing, vient d’annon­ cer qu’il allait faire occuper plusieurs régions industrielles, dont îe secteur minier de Mansfeld-Eisîeben, afin de les «assainir». Officiellement, il s’agit d’en finir avec le banditisme de groupes organisés, des délits de droit commun allant du vol au sabotage et aux agressions contre les surveillants d’usine. En fait, il s’agit probablement de désarmer les travailleurs qui sont restés armés depuis îa résistance au putsch de Kapp. L ’historien américain Wemer Angress commente de façon pertinente : « L’occasion que la centrale avait tant attendue était arrivée, mais de façon prématurée et dans une région inattendue. Les communistes étaient tout d’un coup forcés d’affronter une situation imprévue dans laquelle c’étaient leurs adversaires qui avaient pris l’initiative31. » Bien entendu, avec l’intervention dans l’opération de Horsing du commissaire prussien à l’Ordre public, le Dr Weissmann, il est permis de se demander s’il ne s’agissait que d’une opération locale ou si, informés par leurs services de sécurité de l’attente des dirigeants communistes, les dirigeants prussiens avaient décidé de leur offrir sur un plateau l’occasion dont ils rêvaient afin d’avoir un vrai prétexte pour les frapper. L’opération locale devient une opération soutenue par l’État au lendemain de l’explosion d’une bombe contre une vénérable colonne de la Victoire à Berlin, un attentat commis par un commu­ niste free-lance. Le 19 octobre, les forces de police au service de Horsing, avec le patronage du ministre de l’Intérieur de Prusse, Severing, entrent dans la zone de MansfeldEisleben. Leur objectif proclamé est « le désarmement » des bandes années. Le comité central est informé à la fin de ses travaux. Radek raconte que Frôlich « a bondi comme un lieutenant de cavalerie » et aussitôt affirmé : « De ce jour, nous brisons avec la tradition du parti. Jusqu’à maintenant, nous avions attendu, mais maintenant nous prenons l’ini­ tiative, nous forçons la révolution32. » On peut comprendre l’enthousiasme de néophytes de l’offensive. Le district de HalleMerseburg qui couvre la région concernée est un bastion du VKPD. Aux élections du Landtag du 20 février 1921, il a obtenu 197 113 voix, îe SPD, 70 340, et l’USPD, 74 754. Dans îa mêmerégion, le VKPD compte 66 000 membres, îe SPD, moins de 6 000, l’USPD, moins de 15 000, et le KAPD, 3 200. Sur les 22 000 travailleurs de la Leuna, la grande entreprise chimique de la région, il y a 2 500 membres du VKPD et une union ouvrière de 8000 adhérents. Les dirigeants de Halle-Merseburg reçoivent des instructions précises : proclamer la grève générale à la première occupation d’usine par la police, se préparer à la résistance armée. L ’opération de Horsing devient le bon prétexte, à la place de la crise internationale. Le lendemain, ce sont les clairons de la guerre civile qui sonnent dans les colonnes de Die Rôle Fahne, dénonçant la bande des socialistes majoritaires, mais aussi l’Entente, YOrgesck, organisation terroriste nationaliste, arméejusqu’aux dents tandis que 30. Ibidem. 31. W. Angress, Stillbom Révolution, p. 126. 32. Radek, Protokoll des III. Kongress, p. 463.

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les travailleurs ont les mains et ia poitrine nues, la Bavière qui devient une place forte des Blancs. Le texte, écrit par Béla Kun, comporte une phrase célèbre : « Chaque ouvrier ignorera simplement la loi et doit empoigner un fusil là où il pourra en prendre un33. » Le 20 mars, Die Rote Fahne titre : « Horsing ordonne d’entrer à sa bande d’assassins ! » Le même numéro comporte un éditorial extraordinaire, intitulé « Qui n’est pas avec moi est contre moi - Un mot aux ouvriers social-démocrates et indépendants ». Il énumère tout ce que les communistes exigent des autres pour les accepter dans le combat commun, un texte d’une telle stupidité que Paul Levi le qualifiera de « déclaration de guerre aux 4/5 des ouvriers allemands au début de l’action », tandis que le Vorwarts social-démocrate titre « Moscou a besoin de cadavres ». A partir du moment où l’action est déclenchée, c’est une direction restreinte qui prend les rênes, avec les trois membres du CE de l’IC et Hugo Eberlein, en tant que chef du parti clandestin, Frolich et Waîcher, qui assurent le lien avec la presse et font passer la ligne. Gouralsky, qu’on appelle « îe camarade Schmidt, de l’exécutif », est en Saxe, et Pogâny, devenu Berger, à Hambourg. Béla Kun est resté à Berlin à la tête d’un comité d’action qui comprend deux membres du KPD et deux du KAPD. Certains indices ont fait penser que les deux membres du KPD étaient Stoecker et Thalheimer, mais il est impossible de l’affirmer. Dès le 18 mars, le district de Halle-Merseburg a été chargé d’organiser la résistance à Horsing : c’est d’eux que doit partir la mobilisation dans l’action. Le VKPD en a chargé à Halle deux de ses responsables locaux, le quatrième secrétaire, chargé des questions agraires, Adolf Lemck, patron ici de l’appareil militaire, et Paul Bowitsky, Dans une conférence sur place le 19, sur rapport de Fred Oelssner qui leur reproche de marcher sans se préoccuper de n’avoir pas les masses derrière eux, on s’interroge sur les moyens de provoquer enfin l’étincelle révolutionnaire, ce qui n’est apparemment pas évident. Des tracts commencent par l’appel à résister à la police et se terminent par l’appel à ériger la dictature du prolétariat. Stefan Weber, sans donner de référence, donne l’information de la présence à ce moment dans la région de Mansfeld d’un « spécialiste militaire » de l’Internationale communiste venu de Moscou, Manfred Stem. Peut-être était-il déjà sur place. La fin de semaine est calme, mais, le 21, le VKPD publie un appel aux travailleurs leur demandant de se lancer dans 1a grève générale et d’« être prêts à toutes les éventualités ». C’est que la grève ne progresse que lentement. Le 22 mars, Hugo Eberlein, le dirigeant du M-Apparaî, arrive à Halle pour prendre les choses en main. Pour gagner le soutien des masses, il propose successivement à ses camarades stupéfaits toute une série d’initiatives du genre provocateur qui pourraient soulever leur colère, par exemple îe kidnapping de Lemck et Bowitsky, ou l’explosion en agglomération d’un train de munitions, ce qui permettrait d’accuser la police d’être responsable des victimes de cette explosion. Il échoue dans toutes ces entreprises, faute de disposer ici, dira-t-il, d’un matériel convenable. L ’INTERVENTION DE M AX HÔLZ

Mais l’action est sauvée par îa provocation véritable, îa réapparition dans la région, les armes à la main, de Max Holz, héros de la lutte contre le putsch de Kapp, qui réédite là l’action de son personnage de Robin des Bois allemand du xxesiècle, « condottiere avec une conscience sociale et le tempérament d’un rebelle qui se bat pour le pauvre et pour l’opprimé34». Dès le 22 il est à l’entrée des puits, entraîne de jeunes ouvriers sur les marchés, où ils désarment et rossent les policiers. Dans la nuit du 22 au 23, sous son 33. Die Rote Fahne, 20 mars 1921. 34. E Anderson, Hammer or Anvil, p. 80.

Le

paîn

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im p u lsio n , la grève se transforme en début d’insurrection. Il dirige un commando de 200 à 400 hommes. Margarete Buber-Neumann décrit dans ses Souvenirs combien les cœurs desjeunes communistes allemandes brûlèrent pour ce héros. Les communistes réussissent à former leurs propres détachements armés, et placent auprès de Hôlz un « contrôleur », le journaliste Josef Schneider, qui ne peut d’ailleurs que le suivre, non sans mal. La région est dans l’ensemble livrée à Hôlz et à ses partisans, qui pillent, volent, dévalisent les banques - 20 000 marks au Kreditanstalt -, rançonnent les industriels et les commerçants, ouvrent les prisons et libèrent les détenus, font sauter bâtiments et trains, distribuent leur butin aux chômeurs et équipent le KAPD. Les excès de Hôlz - que désapprouvent nombre de cadres communistes -, les frictions permanentes entre KAPD et VKPD créent une confusion extrême. La situation échappe totalement aux dirigeants communistes locaux du VKPD, et les facteur essentiels deviennent Hoiz et sa bande, ainsi que les groupes armés que vient organiser un autre « guérillero urbain » issu, lui, du KAPD et spécialiste des « expropriations », Karl Plattner. Bientôt les usines de la Leuna, 22 000 ouvriers, le phare prolétarien de la région, sont en grève. Le comité de grève, présidé par le membre du KAPD Peter Utzelman, dit Kempin, est pratiquement coupé en deux. Finalement, les 2 000 ouvriers qui s'y sont armés restent dans l’usine l’arme au pied tandis que les plus actifs partent guerroyer avec Hôltz ou Plattner. L’agitation gagne Hambourg, où la direction a envoyé Paul Frôlich. L ’invasion des chantiers navals de Bohm et Voss, Vulkan et Deutsche Werft par des chômeurs conduits par les gens du VKPD ouvre un nouveau front. De violents affrontements avec la police font plus de vingt morts, des centaines de blessés. La bataille est dirigée sur le terrain par le président du district du VKPD, le docker Emst Thalmann, et par le secrétaire, renseignant Hugo Urbahns. L ’état de siège est décrété à Hambourg.

Le KPD APPELLE À LA GRÈVE GÉNÉRALE La centrale riposte, le 24 mars, en lançant le mot d’ordre de grève générale à l’échelle nationale. Cette fois, il y a de fortes résistances. L ’une des plus éclatantes est celle du métallo Heinrich Malzahn, ouvrier révolutionnaire et vieux responsable syndical, secré­ taire syndical du VKPD, qui prédit que les communistes, avec un tel mot d’ordre, vont totalement s’isoler. Battu au vote, il s’incline et part organiser la grève générale dans la Ruhr. En fait, il ne peut pas y avoir de grève générale dans de telles conditions, surtout quand elle est lancée par un parti minoritaire qui s’est délibérément isolé jusque là. Ce jeudi 24 mars, les communistes vont tenter par tous les moyens, y compris la force, de déclencher la grève générale. Des détachement de militants essaient d’occuper les usines par surprise afin d’en interdire l’entrée à ceux qu’ils appellent les «jaunes », l’énorme masse des travailleurs non communistes. Ailleurs, ce sont des groupes de chômeurs qui s’en prennent aux ouvriers au travail ou s’y rendant. Des incidents se produisent à Berlin dans plusieurs grandes entreprises, dans la Ruhr et à Hambourg, où chômeurs et dockers qui ont occupé les quais en sont chassés après une vive fusillade. Le bilan d’ensemble est mince : 200000 grévistes selon les pessimistes, un demi-million suivant les optimistes. Certains échecs sont cuisants, comme celui de Sült, qui ne parvient pas à convaincre ses camarades des centrales électriques. La manifestation commune des deux partis communistes VKPD et KAPD ne rassemble même pas 4000 personnes au Lustgarten, alors que 1e VKPD avait recueilli 200000 voix aux élections quelques semaines auparavant. La grève est pratiquement inexistante à Berlin35. Le vieux Daümig insulte les membres de la centrale qui lancent les prolétaires les uns 35. P. Broué, Révolution en Allemagne, op. cit., p. 484.

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contre les autres. Mais les journaux communistes, eux, nagent dans le pathos. L ’édito du journal qui appelle à la grève se termine ainsi : « Les bataillons prolétariens d’Allemagne centrale sont prêts à combattre. Ouvriers allemands, manifestez votre solidarité révolu­ tionnaire, rejoignez vos frères, secouez votre indifférence, débarrassez-vous de vos diri­ geants lâches et traîtres, et battez-vous - ou vous mourrez36. » Déjà, pourtant, des chefs de détachements communistes armés, comme Oto Bechstedt à Mansfeld, négocient un cessez-le-feu local. L ’action de mars vit ses derniers jours. Une rencontre entre le «commandant» Lemck, flanqué du «commissaire politique» Bowitsky, et Max Holz pour dégager les usines de îa Leuna n’aboutit pas. La Leuna est bombardée - on compte une trentaine de morts parmi les défenseurs assiégés -, occupée par la police et Parmée, et ses défenseurs presque tous emprisonnés dans des conditions effroyables. Sa tête mise à prix pour 185 000 marks, Max Holz est pris, s’évade, est repris. D va être condamné à la prison à perpétuité. A la centrale, le 30 mars, Paul Franken, qui arrive de Rhénanie, exige la fin de l’action. Brandler, Stoecker, Thalheimer, Heckert le suivent. Mais on suspend la décision afin de consulter les sept absents. Le 30 mars, Die Rote Fahne écrit : « Honte à l’ouvrier qui aujourd’hui encore se tient à l’écart ; honte à celui qui ne sait pas encore où se trouve sa place. » Ce n’est que le 1er avril que la centrale donne l’ordre de mettre fin à la grève, une action depuis longtemps sans espoir mais qu’une poignée d’hommes a menée avec courage et ténacité. La veille, l’un des plus populaires militants ouvriers du Parti communiste, l’électricien Wilhelm Suit, arrêté dans une réunion communiste de délégués d’entreprise à Berlin, avait été abattu dans une prétendue « tentative de fuite », comme avant lui Liebknecht, Dorrenbach et Jogiches. Béla Kun et ses adjoints pourront sans difficulté regagner Moscou, le premier au moins en avion. Nous ne savons pas si Kun a pensé ou dit que les ouvriers allemands avaient, comme les ouvriers hongrois avant eux, manqué de conscience et de courage. Mais nous savons qu’il a défendujusqu’au bout ses initiatives et sa politique, et qu’il a eu la possibilité de le faire. Après le UIecongrès et la condam­ nation de sa pratique dans le PC hongrois, il est affecté dans l’Oural et ne refait surface qu’en 1924. M a rs

en a v r il à

M o sco u

La presse russe avait suivi avec enthousiasme et le retard habituel les combats en Allemagne. Le 30 mars, à l’instant de la fin, la Pravda, sous le titre « La révolution allemande », saluait le prolétariat allemand qui se lançait à l’assaut « sous le mot d’ordre d’alliance avec la Russie soviétique, sous la direction des communistes, afin d’aider le pouvoir soviétique » - une interprétation intéressante. Elle y voyait « la combinaison de grève et de soulèvements armés qui constitue la forme de lutte la plus élevée que connaisse le prolétariat » et disait sa joie : « Pour la première fois, le prolétariat allemand s’était levé, avec, à la tête de son combat, un parti communiste d’un demi-million de membres. » Mais le mensonge ne pouvait pas durer. A peine cinq jours plus tard, dans les Izvestia, Steklov posait la question de savoir si les communistes allemands n’avaient pas commis une grave erreur en se lançant prématurément à l’assaut du pouvoir et s’ils ne portaient pas ainsi la responsabilité d’une grave défaite37. On pouvait encore appeler un chat un chat, et il était clair qu’on allait faire un bilan. L ’histoire des guerres et des conflits armés conduit souvent l’historien à mettre en parallèle le courage et l’esprit de sacrifice des soldats et des officiers du rang, face à la 36. Die Rote Fahne, 24 mars 1921. 37. Izveslia, 4 avril 1920.

L e PAIN NOIR OU L’INFANTILISME bureaucratique

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stupidité et à l’ambition des chefs politiques et militaires. Mais c’était la première fois que semblable contraste était reproduit dans le cours des combats de la classe ou­ vrière, et ce n’était certes pas un titre de gloire pour rintemationaie communiste à peine fondée.

CHAPITRE XI

La peau de chagrin

L ’action de mars 1921 fut pour le VKPD une véritable tornade - un cyclone tropical accumulant les ruines sur son passage. Du 17 mars, date de l’entrée des forces policières de VOberpràsident Horsing dans la région de Mansfeld, au lef avril, où îa centrale du Parti communiste lança l’appel de l’émissaire de l’exécutif, on avait assisté à la liquidation de plusieurs années d’efforts de construction. A peine né, le rêve du parti de masses en Allemagne était saccagé, piétiné, terminé. L ’Internationale devenait une peau de chagrin, rétrécissant de combat en congrès. R é p r es s io n

e t r u pt u r es

Les forces de l’ordre et la direction des communistes allemands partagent à cet égard la responsabilité. Les Schupo et les Sipo n’ont pas été tendres en Allemagne centrale et ont plusieurs morts à leur actif, prisonniers abattus quand ils se rendaient, voire tués en prison. Une commission du Landtag a fait la lumière à ce sujet mais aucun responsable des ces « excès de l’ordre » n’a eu de comptes à rendre. Le dirigeant syndical Wilhelm Siilt, abattu en prison par un gardien pour « tentative de fuite », a agonisé de longues heures, sans soins. Son meurtrier, identifié et arrêté, a été finalement libéré. Les pertes au combat sont difficiles à évaluer. Pour l’Allemagne centrale, une estimation donne 145 tués et 3 470 prisonniers Nous ne disposons d’aucune statistique permettant une évaluation du nombre des blessés. Une source officielle du gouvernement de Prusse estime que4 000 insurgés ontété condam­ nés à environ trois mille années de prison et de pénitencier. Il y a eu 4 condamnations à mort et 8 à la prison perpétuelle. Selon les communistes, 6 000 insurgés furent arrêtés, 1500, libérés au bout de quelques semaines, 4 300,jugés par des tribunaux spéciaux, qui devaient en acquitter 500 et condamner les autres2. Le gros des condamnés le furent avant même la fin dejuin : les 4 condamnés à mort, 400 à mille cinq cents années de réclusion, 500 à huit cents années de prison, 8 à la réclusion perpétuelle3. Brandler, président du parti, est condamné pour « haute trahison » à cinq ans de réclusion. 1. Il s’agit de l’estimation du policier W. Drobnig, citée par S. Weber, Ein kommunistiscker Putsch ?, p. 179. 2. Ibidem, p. 177. 3. Ibidem.

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peau d e chagrin

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Nous avons les mêmes difficultés pour évaluer le nombre des travailleurs jetés sur le pavé pour leur participation à la grève. Nous n’avons que des chiffres épars et parfois incertains, 459 à Remscheid, de 500 à 1 500 à Hambourg, 2 000 à la Leuna, Mais on sait que beaucoup de patrons ont profité des circonstances pour « faire 1e ménage » et se débarrasser d’agitateurs encombrants. Ï1 y a eu aussi et peut-être surtout ce que Sigrid Koch-Baumgarten appelle « l’exode des militants », Un vétéran raconte que dans son usine de Barmen, où travaillaient 100 personnes, îe parti comptait de 35 à 40 membres. Le jour de la grève générale, ils se retrouvèrent à trois dans la rue. Quant aux effectifs globaux, si l’on s’en tient aux chiffres officiels, ils seraient passés, de la veille de l’action de mars à îa fin de l’année 1921, de 359 613 à 180 443, ce dernier chiffre étant considéré par les spécialistes comme supérieur à une réalité qui devait tourner autour de 135 000 à 150 000. De toute façon, le VKPD a perdu dans les semaines qui ont suivi l’action de mars la moitié environ de ses membres. Les proportions varient évidemment d’une région à l’autre : le parti perd la moitié de ses membres dans le district de Hambourg, les deux tiers en Allemagne centrale, entre les deux en Rhénanie-'Westphalie avec des pointes comme Remscheid, où il perd 12000 membres et n’en garde que 4 000. Peut-être, pour permettre au lecteur de mieux saisir la blessure à long terme et le coup au moral qui frappa les communistes allemands à travers une main venue secrètement de Moscou, est-il nécessaire de rappeler ici que les militants de base et la majorité des cadres n’ont nullement vécu Faction de mars comme nous l’avons décrite. Ils ignoraient la présence de Béla Kun et de ses lieutenants, le rôle dirigeant du comité d’action et des organismes clandestins. Ils ont cru à ce qu’on leur a dit, aux crimes perpétrés contre eux, aux victoires qu’ils allaient remporter, à la proximité des dangers dont on les menaçait et des objectifs qu’on leur assignait, à la cause enfin pour laquelle iis combattaient à court terme, la défense de la Russie soviétique, en danger, par une avance à marche forcée vers la révolution mondiale. La révélation de la vérité a été pour eux un coup très dur, si dur que certains ne l’ont ni vue ni entendue, l’ont niée et se sont interdit toute réflexion, pour le reste de leur vie. D’autres l’ont entendue et n’ont ressenti que l’immense douleur de découvrir que c’était l’adversaire, î’ennemi social-démocrate qui l’avait dite. Beaucoup ont cessé de croire quoi et qui que ce soit, pour le reste de leurs jours. Tous ces combattants courageux qui avaient accompli un devoir qu’ils avaient cru comprendre dans un combat qu’ils jugeaient nécessaire ont reçu des blessures inguérissables. Ajoutons cependant, en hommage à notre sujet, que c’est finalement grâce à l’Inter­ nationale qu’a eu lieu une discussion qui leur a permis, à eux, d’approcher de la connais­ sance de ce qui s’était réellement passé, du rôle qu’on leur avait réellement fait jouer, l’unique consolation possible de combattants bernés. L ’a p p e l

à

L é n in e

La direction, au début, tente d’esquiver ses responsabilités. Lors d’une assemblée de responsables de Berlin, le 7 avril, Friesland présente une version à l’eau de rose. Les combats, assure-t-il, ont éclaté en Allemagne centrale contre la volonté et les consignes de la centrale. Il y a eu des maladresses et de mauvaises formulations dans Die Rote Fahne, sans parler des méthodes terroristes et provocatrices du KAPD. Mais il conclut à peu près comme Kun avait conclu la révolution hongroise, en rejetant la responsabilité du désastre sur les travailleurs : « La faute incombe à la faillite des masses ouvrières qui n’ont pas compris la situation et n’ont pas donné la réponse qu’eiîes auraient dû donner4. » 4. Archives Levi, p. 83/9.

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La

montée

Paul Levi était parti, on le sait, persuadé que rien ne pouvait se produire avant Pâques. C’est à Vienne qu’il apprend le cours désastreux ouvert quelques jours après sa démission. H revient précipitamment à Berlin et mène l’enquête pour savoir ce qui s’est passé. II est catastrophé par les informations qu’il obtient, confirmation de ce qu’il avait redouté, à savoir l’emploi de la provocation par Kun et les siens pour « forcer » la révolution. Clara Zetkin expliquera plus tard à Lénine ce que furent alors ses réactions : « H a été remué jusqu’au tréfonds par cette malheureuse action de mars. II était convaincu qu’elle avait étourdiment mis en péril l’existence du parti et gaspillé ce pour quoi Rosa, Karl et Léo, et tant d’autres, avaient donné leur vie. Il a pleuré, littéralement pleuré de douleur à l’idée que le parti était perdu5. » Son premier réflexe est de se tourner vers Lénine en lui adressant tous les éléments d’information dont il dispose. U lui fait le récit des entretiens de Béla Kun avec lui-même et avec Clara Zetkin sur la nécessité de « soulager » la Russie par des mouvements en Occident et d’engager le combat pour la chute du gouvernement. Il fait ensuite un récit de l’action, soulignant qu’il n’y a pas eu d’actions partielles du prolétariat allemand mais seulement des « entreprises privées du parti ». Pour lui, la vie du parti est en danger et c’est pourquoi il demande l’intervention de Lénine, dont il ignore s’il est informé des détails de la politique de la Comintern. Il lui demande de réfléchir et éventuellement d’agir en consé­ quence. Paul Levi assure à Lénine que, pour sa part, il va s’en tenir à la position d’absolue neutralité qu’il a exposée à Radek ; il écrira peut-être une brochure où, assure-t-il, iî ne formulera pas de critiques des nouvelles instances du parti ou de l’Internationale, H eu r t s

d a n s l ’a p p a r e il

Le comité exécutif de l’Internationale se réunit pendant les jours où Paul Levi rédige sa brochure, n est marqué par une sérieuse offensive de Radek, qui apparaît comme un « ultra » de la lutte contre les « lévites », puisqu’il propose une « guerre préventive » contre ce qu’il appelle la droite, cherche à la présenter comme responsable de la défaite, dénonce avec violence les cinq démissionnaires et leur état d’esprit menchevique réfor­ miste. Wilhelm Koenen approuve la résolution de la majorité, tandis que Brass et Curt Geyer font une déclaration repoussant toutes les accusations contre Levi et ses camarades. L ’exécutif adresse un texte solennel aux prolétaires allemands, leur assurant qu’ils ont « bien agi » et « tourné une nouvelle page de l’histoire de la classe ouvrière allemande ». Datée du 6 avril, ce texte paraît dans Die Rote Fahne le 14. Dans l’intervalle, Paul Levi n’a pas été convoqué au comité central, qui se réunit clandestinement le 6 avril, ce dont il est informé par Clara Zetkin. Or il en est membre, n’ayant démissionné que de la centrale, comme Clara Zetkin, qui, elle, est convoquée. Mais ce n’est pas une erreur. Dûment chapitrés par les émissaires, les dirigeants du parti ont délibérément choisi de tenir à l’écart celui dont ils ont tout à craindre et qu’on leur a présenté comme l’ennemi de l’Internationale, le porte-parole des opportunistes. Il est vrai que, par rapport aux règles et statuts de îeur propre parti, ils n’en sont plus maintenant à une illégalité près. Ils savent sans doute qu’ils ont à craindre la colère de Lénine, bien sûr, mais Radek leur a assuré qu’il était totalement accaparé par les questions de politique russe et nullement en mesure de suivre les questions de l’Internationale et même la situation allemande. Ils refusent donc de convoquer Levi, non seulement quand il le leur demande, mais aussi, en séance, au comité central, quand c’est Clara Zetkin qui en fait la proposition - et ils savent que cela laissera des traces. 5. C. Zetkin, Souvenirs sur Lénine, p. 43.

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pbau d e chagrin

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La vieille dame, elle, est décidée à se battre. Après un rapport défensif de Brandler qui assure que la ligne était juste, elle attaque de toute sa vigueur l’utilisation de mots d’ordre extrémistes et inadaptés, dénonce la « gymnastique révolutionnaire » à laquelle s’est livrée la direction. Elle conclut par le dépôt d’une motion qui blâme la centrale et décide la convocation d’un congrès extraordinaire. La discussion est brève : une exécution, plutôt. La motion de la vieille dame est rejetée par 43 voix contre 6 et 3 abstentions. En revanche, une motion de la direction est adoptée par 26 voix contre 14. Elle affirme que la situation exigeait l’initative révolutionnaire du prolétariat, l’action indépendante et une contre-attaque. La politique de la centrale était juste, mais elle a échoué devant « îa passivité des masses », brisées par îe chômage et égarées par la démagogie des socialdémocrates. A défaut de îa guerre civile dans le pays, le comité central se prépare à en mener une dans le parti puisque sa motion condamne F opposition passive et active de « certains camarades » et confie à îa centrale la mission de mettre l’organisation sur pied de guerre maximal en adoptant toutes mesures nécessaires dans ce but, à commencer par îe droit d’exclusion. Un de ses membres, Max Sievers, est exclu du CC pour indiscipline. A peine informé du résultat de cette réunion du comité centrai, Paul Levi fait très précisément ce qu’il avait promis à Lénine de ne pas faire. Il attaque la direction et, sans le désigner, l’exécutif, au cours d’une assemblée de cadres, îe 7 avril. L ’affaire, assure-t-il, concerne le destin non seulement du parti allemand, mais de rintemationaie. L ’action de mars a vu s’opposer deux conceptions, celle de Marx, qu’il partage et selon laquelle c’est le prolétariat qui est îe facteur de la révolution, et celle de Bakounine, selon laquelle îe parti peut agir sur la base de ses propres forces. C’est cette dernière qui a prévalu, Paul Levi explique qu’il est faux qu’un parti puisse « faire la révolution » par-dessus la tête des prolétaires et que c’est une idée fatale que de croire qu’on peut organiser des grèves contre la majorité du prolétariat. L ’action de mars a dressé un mur de défiance entre les communistes et le reste de la classe ouvrière au moment où la bourgeoisie, comme le montre le cas du fascisme italien, commence sa contre-attaque. L e débat en p u b lic

C’est entre le 2 et le 4 avril que Levi a rédigé îa brochure dont il a parlé à Lénine. Clara Zetkin, à qui il l’a montrée, la trouve « tout bonnement excellente », mais il est difficile d’admettre qu’elle ne comporte aucune attaque contre la direction. Levi semble s’être décidé à îa publier après îe comité central et ses résultats politiques Elle paraît le 12 avril. Son titre est Unser Weg - Wider den Putschismus (Notre Voie - Contre le putschisme). Ce réquisitoire passionné est en même temps un exposé d’ensemble de la conception que Fauteur a de la révolution. Pour Levi, les « conditions objectives » de la révolution, au nombre desquelles il range l’existence d’une Internationale communiste, sont données. Il n’en est pas de même des conditions subjectives ; le Parti communiste n’est encore qu’une minorité au sein du prolétariat. Levi rappelle que Lénine jugeait dans ces conditions une insurrection impossible et énumère les conditions qui manquent en Allemagne. Il rappelle que, pendant ces années, le travail du Parti communiste a été de créer des situations de combat « par îa clarté et la décision de ses interventions, la vigueur et Vaudace de son travail d*agitation et de propagande, l’influence intellectuelle et organisationnelîe qu’il acquiert sur les masses, bref, par des moyens politiques6». C’est cette tradition qui est attaquée aujourd’hui par ceux qui appellent à rompre avec le passé, à abandonner la « passivité », Faction « propagandiste », etc. Leur idée est que 6. P. Levi, Unser Weg, p. 33.

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La

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l’on peut créer aussi des situations de combat par des méthodes policières, par la provo­ cation. Après avoir multiplié de façon anonyme les exemples les plus scandaleux à ses yeux de déclarations ou d’initiatives des dirigeants sur cette ligne, il explique « qu’on ne dirige pas un parti de masse comme Ludendorff dirigeait l’armée impériale et qu’on ne peut diriger des militants ouvriers sans tenir compte de ce qu’ils ressentent, des sentiments qu’ils partagent avec la majorité de leur classe, des liens qui les unissent au reste des travailleurs avec qui ils vivent et luttent7». Sa conclusion est : « L ’action de mars est le plus grand putsch bakouniste de l’histoire8. » Or la direction allemande n’en porte pas seule la responsabilité, car l’initiative n’est pas venue d’elle : « Le comité exécutif de l’Internationale communiste porte, sans qu’il soit possible d’entrer dans les détails, au moins une part de responsabilité. » L ’essentiel est dit. Levi parle de la difficulté des communications avec Moscou, de l’utilisation d’émissaires qui non seulement ne sont pas les meilleurs, mais, dans le meilleur des cas, des médiocres. Dans une allusion, transparente pour les initiés, au bref exil de Béla Kun, Paul Levi parle de ces hommes en les appelant les « Türkestaner ». Dans un sévère réquisitoire, ramassant les éléments disponibles, il montre qu’« il manque une direction politique émanant du centre » : « L ’exécutif n’agit pas autrement qu’une Tcheka projetée par-dessus les frontières de la Russie : une situation impossible. Reven­ diquer précisément un changement, et que les mains incompétentes des délégués incom­ pétents cessent de s’approprier la direction dans les différents pays, réclamer une direction politique et protester contre une police de parti, ce n’est pas revendiquer l’autonomie9. » B est clair que, sur un point au moins, Paul Levi a raison : il ne remet pas en cause les principes sur lesquels l’Internationale a été fondée. Au contraire. L ’exécutif, lui, a le sentiment de défendre sa peau, ou, si l’on préfère, son autorité. Pour lui, la brochure de Levi montre que les raisons de sa démission, qu’il appelle «désertion», n’étaient pas dans son désaccord sur la politique italienne mais dans ses « vacillations opportunistes sur la politique allemande et internationale ». Encouragée, la centrale exclut Levi du parti le 15 avril, non pour ses critiques, dit-elle, mais pour « son soutien ouvert de l’ennemii0». Dès le lendemain, huit dirigeants impor­ tants du VKPD se déclarent solidaires de lui. Ce sont Emst Daümig, Clara Zetkin, Otto Brass, Adolf Hoffmann, qui ont quitté la centrale avec lui, Curt Geyer, représentant du parti à Moscou, et trois métallos, vétérans des Délégués révolutionnaires responsables du département syndical, Heimich Malzahn, Paul Neumann et Paul Eckert. Le même jour, Lénine achève de rédiger sa réponse à Levi et Clara Zetkin. Il confesse son ignorance, mais pas son scepticisme quant à leurs révélations : « Qu’un représentant de l’exécutif de l’Internationale ait proposé une tactique imbécile, gauchiste, d’action immédiate, “pour aider les Russes”, je le crois sans trop de peine : ce représentant se trouve souvent trop à gauche H. » Mais il reproche leur démission à ses correspondants : Démissionner de la centrale ! C’est une erreur énorme en tout cas ! S’il fallait admettre l’habitude que les membres responsables de la centrale démissionnent quand ils ont été mis en minorité, jamais les partis communistes ne se développeraient ni ne se redresseraient. Au lieu de démissionner, iî vaut infiniment mieux discuter la question litigieuse avec î’exécutif. Maintenant le camarade Levi veut écrire une brochure. C’est à mon avis une grosse erreur. Pourquoi ne pas attendre ? Le 1erjuin, congrès ici. Pourquoi pas une conversation privée ici, avant le congrès ? 7. P. Broué, Révolution en Allemagne, p. 494. 8. P. Levi, Unser Wegt p. 29. 9. Ibidem, p. 55. 10. Die Rote Fahne, 16 avril 1921. 11. Cité par P. Broué, Révolution en Allemagne, p. 498.

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Sans polémique publique, sans démissions, sans brochures sur les divergences. Nous avons si peu de forces éprouvées que, pour ma part, je suis opposé à ce que des camarades démissionnent, etc. Faire tout son possible et même l’impossible - mais, coûte que coûte, éviter les démissions et ne pas aggraver les divergences12. Mais il est déjà trop tard. Levi a publié une brochure et a été exclu. C’est probablement au même moment que Béla Kun, qui s’est claquemuré dans un appartement à Berlin pour rédiger avec Froîich et Thalheimer une brochure dejustification sur la « théorie de l’offen­ sive », est rappelé sur instructions de Lénine. Thomas, qui avait demandé en vain son rappel, semble jubiler en racontant : « [II] partit en avion pour Moscou. ïl y eut là-bas un beau concert. Je n’en connais pas les détails, maisje sais que Lénine jeta feu et flamme. Kun eut une crise cardiaque ; après son entretien avec Lénine, il tomba dans la rue. On le porta chez lui à bras d’hommes et il dut s’aliter. Moscou demanda des comptes. Tous ceux qui étaient impliqués dans l’affaire furent convoqués13.» C’était le début d’une punition qui n’allait pas être terrible. C o n fro n tatio n : q u el

es t l e c r im e

?

La direction allemande, pressentant des difficultés, fait une petite concession. Elle admet que Paul Levi vienne présenter lui-même devant le comité centrai son appel contre son exclusion. Il le fait le 4 avril avec son talent habituel et publie son intervention dans une brochure qui porte le titre Was ist das Verbrechen ? Die Màrzaktion oder die Kritïk âaran ? (Quel est le crime ? L ’action de mars ou sa critique ?) Ce texte présente selon nous un intérêt particulier car plusieurs commentateurs ont répété jusqu’à plus soif que la rupture du VKPD avec Paul Levi avait été une rupture avec un représentant de la tradition luxemburgiste. H est vrai que Paul Levi était alors un des fidèles de la pensée et de îa tradition de Rosa Luxemburg, mais aussi qu’il avait su dans les derniers jours de îa grande militante montrer l’originalité de sa pensée et de sa personnalité. La défense de la tradition révolutionnaire qu’il fait au CC contre ses accusateurs est aussi une défense de la tradition bolchevique piétinée par eux. Toutes ses explications sur îe caractère formel de la discipline qu’on prétend lui imposer et par laquelle on cherche à justifier son exclusion sont en effet empruntées à l’histoire du courant bolchevique, puis communiste. On lui reproche d’avoir publié des textes empruntés à des procès-verbaux de réunions internes du parti. Lénine a fait cela, dit-il, et avec raison, dans sa polémique contre Zinoviev et Kamenev à îa veille et au lendemain d’octobre 1917.11 rappelle que, pour ne pas blesser ses camarades de la centrale, il n’avait pas voulu que soit publiée la lettre féroce qu’il leur avait écrite de sa prison après leur affirmation que la classe ouvrière ne bougerait pas le petit doigt en 1920 contre îe putsch de Kapp. Mais îa lettre fut publiée, malgré lui, par l’exécutif, sur proposition de Zinoviev, dans la revue VInternationale communiste, alors qu’il s’agissait d’une critique interne de îa direction. On lui reproche d’avoir dénoncé îa politique aventuriste de îa centrale en 1921 et de s’être tu devant les erreurs de Rosa Luxemburg en janvier 1918. Il répond qu’alors de grandes masses se trompaient et que ce n’était pas un petit cénacle se prétendant infaillible qui avait précipité les masses berlinoises vers îe massacre. Pour le reste, quand on l’accuse d’avoir attaqué enpublic ses propres camarades dans sa brochure parue îe 8 avril, après la fin des combats, contrairement à l’accusation, iî peut se contenter de citer les journaux russes répétant les 12. P. Broué, Révolution en Allemagne, p. 498. 13. P. Levi, « Récit du camarade Thomas », Contributions, p. 26.

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propos de Zinoviev au Xe congrès du PC russe : « En Allemagne, nous avons engagé la lutte contre LeviM. » Les idées qu’il développe ensuite sur la critique mutuelle, la publicité de cette critique, sont la défense et illustration de ce que fut la tradition bolchevique en la matière : quand un parti est en danger, le devoir suprême est de parler, de dire la vérité pour le protéger. D serait absurde de s’expliquer entre communistes en se cachant des travailleurs, qui ont précisément beaucoup à apprendre de ces critiques mutuelles. Et de rappeler à ses juges que « le parti est là pour le prolétariat et non l’inverse15». Il affirme : « S’il y a quelque chose à apprendre de cette action de mars, cela ne pourra se faire qu’à condition que les masses connaissent et discutent les fautes dans le cadre le plus large et le plus libre16. » C’est enfin dans la plus pure tradition marxiste qu’il définit le type de parti nécessaire maintenant dans des pays comme F Allemagne et qui n’est pas celui qui fut nécessaire en Russie tsariste : Sous la démocratie, c’est-à-dire sous ce qu’il faut entendre par démocratie sous la domination de la bourgeoisie, l’organisation des travailleurs prend d’autres formes que sous l’État du féoda­ lisme agraire, sous l’absolutisme. Ainsi, en Europe occidentale, la forme d’organisation ne peut être que celle d’un parti de masses ouvert, de ces partis de masses ouverts qui ne peuvent donc jamais être mus quedans le fluide invisible où ils baignent, dans l’interaction psychologique avec tout le reste de ia masse prolétarienne. Ils ne bougent pas au commandement ; ils bougent dans le mouvement de ces mêmes classes prolétariennes dont il leur faut ensuite être les dirigeants et les conducteurs dans le mouvement. Ils dépendent d’elles comme elles d’eux, et c’est pourquoi, camarades, ce fut une erreur fatale, de îa part de la centrale, que sa tentative, pas du tout révolutionnaire, de liquider dans quelques instances l’ensembie des questions qui se posaient11. Une brève remarque en passant indique le danger qu’il y a, dans la pratique du Parti communiste, à le voir évoluer vers la forme d’un parti ouvrier divisé verticalement selon des facteurs de différenciation sociale. De façon générale, Levi, très à l’aise, marque des points, tournant même ses adversaires en ridicule. C’est ainsi qu’il cite longuement un auteur qui assure qu’on ne peut engager l’avant-garde dans une lutte décisive avant que les larges masses aient manifesté au moins îeur sympathie et précise qu’il ne s’agirait pas là d’une folie, mais d’un crime. Puis il ajoute : « L ’homme qui a écrit ça a eu 1a chance de ne pas avoir encore été traité par vous de “lévite”. C’est Lénine18. » D ÉU RE VERBAL SUR L’OFFENSIVE

Dans un premier temps, tout se passe comme si la théorie de l’offensive avait été en quelque sorte sanctifiée par la défaite qu’elle a provoquée. Elle devient une sorte de foi nouvelle, un dogme révélé. Friesland, apprenant que l’exécutif n’a exclu Levi que pour ses actes d’indiscipline, déclare qu’il le regrette : « C’est toute une conception du monde qui nous sépare de lu ii9. » Les problèmes commencent dès qu’il s’agit de la définir en termes simples. Les gauchistes, anciens et nouveaux, se dépassent les uns les autres par la sottise de leurs généralités sur ce plan. Maslow : « Un parti sur la défensive est un parti social-démocrate . » Ruth Fischer : « Un parti de 5 000 membres qui ne combat pas ne 14. H'as ist das Verbrechen, p. 43. 15. Ibidem, p. 44. 16. Ibidem, p. 29. 17. Ibidem, p. 21. 18. Ibidem. 19. Die Rôle Fahne, 10 mai î 921. 20. Archives P. Levi, p. 83/9.

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peut que devenir un bourbier et c’est ce qu’il était devenu21. » Arthur Rosenberg : « C’est une insurrection quand on gagne et un putsch quand on perd22. » Un peu plus sophistiquées, les thèses de Thalheimer ne disent pas autre chose, puisqu’elles décrivent la situation comme résultant d’une crise de la bourgeoisie alle­ mande, obligée à la fois de renforcer la contre-révolution « blanche » et ses liens avec la social-démocratie afin de passer avec l’Entente un compromis aux dépens du prolétariat. D’où la nécessité pour ce dernier, pour ne pas rester passif, de se montrer actif... à l’offensive. Selon ces thèses, l’action de mars, bien qu’un échec, a éclairé toutes les forces en présence, montrant leur véritable nature, et surtout le devoir du parti, qui est de « demeurer fermement sur la ligne de l’offensive révolutionnaire qui était à la base de l’action de mars et d’avancer avec détermination et assurance dans cette voie23». Kun, dans sa retraite berlinoise, a contribué, sous le pseudonyme de Franz Richter, à la rédaction d’une brochure intitulée Taktik und Organisation der revolulionâren Offensive. Die Lehren der Mârz-Aktion (Tactique et organisation de l’offensive révolutionnaire. Les leçons de l’action de mars). Il y explique que les deux succès de l’action de mars ont été de démasquer l’opposition droitière au sommet du parti et de révéler l’incapacité de ses chefs à diriger les masses. Mais elle a le mérite à ses yeux d’avoir permis une « épuration organique » du parti et montré l’absolue nécessité de renforcer considérablement la cen­ tralisation et la discipline. Brûlant de passion théoricienne, il oppose son modèle de parti de masses en pays occidental à celui de Paul Levi : il s’agit de faire un parti intégralement dirigé selon une discipline militaire par un appareil de « révolutionnaires professionnels ». En d’autres termes, il faut un parti de fonctionnaires à plein temps, fréquemment épurés pour en chasser tout élément hésitant et surtout n’ayant aucun ancrage dans les organi­ sations locales ou activités, et susceptibles d’être transférés du jour au lendemain dans une autre tâche. Par une ironie que l’histoire affectionne, cette recette parfaitement absurde pour pré­ parer une révolution à travers un parti de masses va devenir le moyen d’en parler dans une secte qui en vit et à qui il fournit un modèle prêt à porter souvent copié depuis ! On reste par ailleurs stupéfait de voir que non seulement Béla Kun lui-même mais bien d’autres qui étudient ces événements ont cru voir dans sa position une sorte d’ultraléninisme, leur seule excuse étant peut-être que les exagérations sur la discipline lancées au moment du IIe congrès et des vingt et une conditions avaient déformé ceux qui ne demandaient qu’à l’être.

Prudence de l/exécutif Que s’est-il passé à l’exécutif ? La correspondance de Radek avec l’Allemagne montre la prudence que manifestent ses responsables, Zinoviev en tête. Les documents envoyés par Levi et Zetkin sont accablants pour la direction du KPD et pour ses émissaires à lui. Le 7 avril, Radek indique que le Vieux (Lénine) espère que les gens vont se ressaisir et que l’exécutif attend que « la droite se démasque ». Mais tout indique aussi son inquié­ tude : le congrès du PSOE a lieu du 9 au 13 avril et l’adhésion aux vingt et une conditions est repoussée. La minorité forme un nouveau parti, le Parti communiste ouvrier d’Espagne, dont les démêlés ne semblent pas passionner Moscou : aucun délégué de l’exécutif n’était au congrès.

21. R. Fischer « L’Action de mars était-elle une Bettelheimerei ? », Die Internationale, n° 6, 1921, p. 470. 22. Archives Levi, p. 83/9. 23. « Thèses sur l’action de mars », Die Internationale, n° 4, 1921, p. 126.

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en r et r a it e

Quand l’exécutif se manifeste, îe 16 avril, soit îe jour où Lénine répond à Levi et Zetkin, c’est pour préciser dans une déclaration solennelle signée des noms les plus prestigieux qu’il n’y a pas de doute que Paul Levi s’est comporté en ennemi en parlant de « provocation » par îes dirigeants du VKPD. Et pour dire qu’il ratifie l’exclusion de Paul Levi du parti. En revanche, î’exécutif ne prend pas position sur l’action de mars. Invoquant l’ampleur des divergences qui se manifestent sur cette question, il déclare qu’il lui semble nécessaire et préférable de mener la discussion dans îe cadre du prochain congrès de l’Internationale. Le 10mai, un article de Radek montre l’ampleur de la retraite effectuée par les ennemis de Levi, au premier rang desquels iî n’a cessé de se tenir avec une haine particulière et semble-t-il personnelle. Bien entendu, il reprend tous les arguments contre Levi à partir de son hostilité au KPD c’est-à-dire à ce qu'il appelle « la fraction insurrectionnelle du prolétariat », et parle de sa trahison. Mais il est moins à l’aise avec sa défense de Faction de mars elle-même. Ce n’est pas un putsch, affirme-t-il, et des centaines de milliers d’ouvriers se sont battus en toute conscience, comprenant « qu’il s’agissait pour eux de se défendre contre une nouvelle offensive du capital ». La direction a commis des fautes : passer sans effort de propagande de la passivité à Faction ; n’avoir pas tenu en mains îes ouvriers et n’avoir pas déterminé s’il s’agissait dans l’action de grève ou d’action armée ; et enfin de parler d’« offensive » quand il s’agissait - sans rire - de « défensive offensive ». Il n’oublie tout de même pas de signaler pour l’aspect international des leçons de mars Fimportance du fait que « îes intellectuels » ont pris peur et ont reculé24. On peut trouver répugnantes ces palinodies - c’est mon cas -, mais il faut bien admettre que, derrière ces grimaces et gesticulations, Karl Radek battait précipitamment en retraite devant Lénine. L a q u estion dans le p a rti russe

Lénine avait été à la tête des optimistes et même des grands optimistes lors de îa marche sur Varsovie à l’été 1920, mais avait été aussi F un des premiers, dès le début de décembre 1920, à relever un ralentissement du rythme de îa révolution européenne et l’erreur qu’il y aurait à compter sur une reprise rapide. Absorbé par les questions russes, iî ne regarde pas les papiers qui concernent l’Internationale communiste jusqu’à î’envoi des documents par Paul Levi et Zetkin, se contentant îe 21 février d’anêter la pluie d’anathèmes qui tombent trop bruyamment à son goût contre îa politique de la « Lettre ouverte » en Allemagne, en réalité F une des premières phases de l’attaque tous azimuths contre Levi. Mais il comprend l’importance de îa question, sonde un peu ses camarades de îa direction et se rend bientôt compte qu’il est plus proche sur cette question de Trotsky que de tous les autres, alors que la discussion syndicale avait provoqué entre eux certaines frictions. Trotsky, de son côté, sonde Radek, et Lénine, l’ayant appris, demande à Trotsky de venir le voir. Les deux hommes tombent d’accord. Pour faire l’économie d’une discussion de congrès sur pareille question, qu’il juge difficile, Lénine règle d’avance îa question en faisant coopter au bureau politique Kamenev, qui partage leur point de vue : il s’assure ainsi une majorité au bureau politique contre Zinoviev, Boukharine et Radek, qui siège sur les questions allemandes ; îes négo­ ciations entre les deux fractions se mènent entre Trotsky et Radek, que Zinoviev accusera 24. Cet article a été largement diffusé dans la presse des sections : voir Bulletin communiste, n° 24,8 juin 1921.

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d’avoir « tout lâché ». Finalement, l’accord se fait sur une position moyenne : Levi est condamné pour son indiscipline, Faction de mars ne peut être considérée comme un putsch, et la théorie de l’offensive révolutionnaire est bonne pour îa poubelle de l’his­ toire. En outre, Lénine a exigé qu’en plus de Clara Zetkin, 1opposition lévite ait des représentants au congrès : ce seront trois ouvriers, Heinrich Malzahn, Paul Neumann et Paul Franken. Un autre événement important se produit. Brandler, arrêté en tant que président du parti, a eu à repenser l’action de mars telle qu’il l’a vécue et commence du coup à se poser des questions qui le détournent radicalement de son enthousiaste conversion à l’offensive, pour le ramener à son vieux problème des mots d’ordre de transition. Il l’écrit à la centrale le 17 juin, renvoyant ses camarades à la lecture des textes de Lénine à la veille d’octobre 19I725. Quand August Thalheimer arrive à Moscou porteur de thèses pures et dures de glori­ fication de l’offensive et d’autojustification de la direction allemande, il comprend rapi­ dement que l’affrontement direct est tout à fait impossible et qu’il va falloir manœuvrer. Il est certain que les Russes ne voudront pas de ses thèses. Après des discussions avec Béla Kun, patron ici de tous les « offensivistes » et expert du sérail, il décide de procéder autrement que prévu en proposant des amendements, qui vont dans le sens des thèses du KPD, à celles que va présenter Radek au nom du parti russe26.

L e compromis de L énine L ’opération semble près de réussir. Mais Lénine en est extrêmement irrité. Dans une lettre à Zinoviev, le 10 juin, il écrit que les thèses de Thalheimer et de Béla Kun sont « radicalement fausses » et que les amendements acceptés par Radek sont « des exemples classiques de la médiocrité d’esprit de Thalheimer et de Béla Kun, ainsi que de la complaisance empressée de Radek27». Sur le fond, il est catégorique : il est faux de dire que la période de la propagande est terminée et que celle de l’action commence. Un parti ne doit jamais cesser de lutter pour gagner la majorité de la classe ouvrière. Et il lance des menaces tout à fait inhabituelles mais significatives de son exaspération : « Tous ceux qui n’ont pas compris que îa tactique de la “Lettre ouverte” est obligatoire doivent être exclus de l’Internationale dans un délai maximum d’un mois après le congrès28. » Sur l’action de mars elle-même, désormais convaincu tant par les éléments fournis par Levi et Clara Zetkin que par la brochure de Brandler, Lénine estime que les clameurs qui la présentent comme une action offensive sont absolument stupides et que les dirigeants allemands, en appelant à la grève générale, sont tombés dans la provocation gouverne­ mentale. Il faut sanctionner Levi qui a parlé de putsch, parce que c’est faux, mais il faut condamner définitivement la théorie de l’offensive. Le compromis ainsi esquissé - qui sauve les partisans de la provocation et ceux qui l’ont employée et imposée - passe mal dans le parti russe. Dans son rapport à la conférence du PC russe sur les tâches du IIIe congrès, Radek explique que îa racine de la crise réside dans îa conviction de dirigeants comme Serrati et Levi que la révolution mondiale est en recul. Contrairement à ce que pensent et vont expliquer Lénine et Trotsky, il explique non seulement que la crise révolutionnaire est 25. La lettre du 17juin de Brandler a été publiée par Levi dans Sowjet, 5, i 921, p. 172-174. 26. A. Reisberg, « Ein neuer Brief V.L Lenin über die Talklik der Kl », BzG 1965,4, p. 687. 27. « Bemerkungen zu den Entwürfen der Thesen über die Taklik fiir den III. Kongress der Kl Brief an G,J. Sinowjew », ibidem, p. 687-691. 28. Ibidem.

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devenue plus menaçante après F échec russe devant Varsovie, mais encore que, si la révolution était en recul, il faudrait rayer de l’ordre du jour îa lutte pour le pouvoir. Un a c c u eil plu t ô t f r a is Iî apparaît très vite pourtant que îes efforts de Radek, comme ceux de Thalheimer et de Béla Kun, soutenus en sous-main par Zinoviev, vont se heurter à îa résistance décidée de Lénine, de Trotsky et de leur garde rapprochée. Les délégués de î’opposition lévite arrivent sans la masse des documents recueillis pour Lénine, qui ont été confisqués par la police allemande à îa frontière. Ils expliquent qu’ils ont pris ce risque en toute connais» sance de cause, pensant qu'il était impossible de les confier au courrier clandestin de l’Internationale. Néammoins, la position de Lénine n’a pas varié et il reçoit les délégués allemands avec toute sa force de conviction et beaucoup de pugnacité. Un des premiers reçus, Fritz Heckert, venu avec Râkosi en comptant sans doute sur sa protection, raconte qu’il est sorti complètement anéanti du bureau de Lénine, qui les a accusés tous les deux de ne proférer que des inepties. Une première rencontre, toujours dans le bureau de Lénine, tourne à la catastrophe pour la délégation allemande fraîchement débarquée et dont les porte-parole sont ridiculisés par les sarcasmes du dirigeant russe. Comme ils lui expliquent que les ouvriers allemands ont pu s’instruire sous les coups de îa répression et du chômage, il îes interrompt pour leur demander comment se fait concrètement cette opération. Wilhelm Koenen lui répond textuellement : « Leur estomac communique à leur cerveau l’énergie révolutionnaire29. » Malheur à lui, car Lénine désor­ mais conclura toutes ses critiques des positions allemandes par cette remarque assassine ; « Bien sûr, tout cela provient chez vous de l’énergie que l’estomac communique au cerveau30. » C’est encore Heckert qui raconte que, dans une réunion ultérieure, sarcastique et véhément, iî leur dit : La provocation était claire connue le jour. Ht au lieu de mobiliser dans un but défensif les masses ouvrières afin de repousser les attaques de îa bourgeoisie et de prouver ainsi que vous aviez le droit pour vous, vous avez inventé votre «théorie de l’offensive», théorie absurde qui offre à toutes les autorités policières et réactionnaires îa possibilité de vous présenter comme ceux qui ont pris l’initiative de l’agression contre laquelle il s’agissait de défendre le peuple31.

Dans ses attaques, Lénine n’oublie pas Béla Kun et ne ménage pas son cœur, malgré la première expérience au lendemain du retour de l’émissaire à Moscou. Pour qualifier ses initiatives, il a forgé un mot nouveau que l’on peut traduire librement par « kuneries », tourne en ridicule ce qu’il appelle ses « maquillages théoriques, historiques ou littéraires » ou encore ses «rêveries de poète»32. Kun se défend parfois âprement, ce qui redouble la sévérité de Lénine, par exemple à l’exécutif du 17 juin. Fritz Heckert a témoigné non seulement du désarroi mais aussi de la hargne contre Lénine des majoritaires allemands. Ds ont été dans un premier temps cueillis à froid lors de l’accueil, qu’ils n’imaginaient certainement pas de cette nature, ris sont ensuite tournés en ridicule devant les autres délégations, tandis que l’homme qui a inspiré la politique qu’ils étaient venus pour glorifier et pas pour défendre est traité de crétin à toute occasion, que son nom est utilisé comme un nom commun synonyme de bêtise, et humilié au point que les rédacteurs des comptes rendus - nous le savons par Victor Serge - atténuent 29. R Heckert, « Mes rencontres avec Lénine », Lénine tel qu'il jut, p. 804. 30. Ibidem. 31. Ibidem. 32. C. Zetkin, Souvenirs sur Lénine, p. 35.

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parfois le vocabulaire de Lénine pour ne pas totalement ruiner moralement le dirigeant hongrois. C’est tout à fait délibérément que Lénine écrase ainsi les dirigeants du parti allemand. Il s’agit pour lui de façon urgente de « tordre le cou », comme il dit à Clara Zetkin, à cette théorie de l’offensive qui constitue un danger mortel pour l’Internationale et ses partis. Mais il ne veut pas la mort du pécheur et entend bien accorder quelques miettes à ceux qui, finalement, ont été les victimes d’un exécutif qui s’en tire mieux qu’eux. Aussi, dans les entretiens que Trotsky et lui ont avec Clara Zetkin, lui expliquentils la nécessité d’un compromis. Leur part dans îe compromis, c’est d’accepter que soient prises des sanctions contre Levi pour la façon dont il a brutalement agressé les militants et le parti au lendemain de Faction, et qui a été durement ressentie. Le

d ér o u lem en t d u c o n g rès

Le IIIecongrès est celui qui a réuni le plus de délégués : 605, de 103 organisations et - c’est un bond quantitatif - de 52 pays. L ’ordonnancement même de l’ordre du jour manifeste l’existence d’un compromis entre Lénine-Trotsky et Zinoviev-Radek. Le congrès va débuter par les thèses rédigées par Trotsky et Varga sur « 1asituation mondiale » - qui constituera donc le cadre donné au débat ultérieur. Le rapport de Trotsky comme les thèses qu’il présente avec Varga rappellent les grandes étapes de la vague révolutionnaire mondiale ouverte par la révolution russe. Les thèses poursuivent : « Cette puissante vague n’a cependant pas réussi à renverser le capitalisme mondial ni même îe capitalisme européen. Pendant l’année écoulée entre le IIe et le HT congrès de 1Internationale communiste, toute une série de soulèvements et de luttes de la classe ouvrière se sont terminés au moins partiellement par des défaites33. » A la question de savoir s’il faut adapter la ligne de l’Internationale au fléchissement relevé, la réponse est catégoriquement donnée : « Aujourd’hui, pour la première fois, nous voyons et nous sentons que nous ne sommes pas si immédiatement près du but, à savoir la conquête du pouvoir, la révolution mondiale. En 1919, nous disions : “C’est une question de mois.” Aujourd’hui nous disons : “C’est peut-être une question d’années” 34. » Ce n’est pas à Zinoviev, président de l’Internationale et auteur du rapport d’activité de l’exécutif, qu’il revient de dresser le bilan de l’action de mars. Il se contente de rejeter l’appréciation selon laquelle iî s’agissait d’un « putsch » et assure : « Nous sommes d’avis que le parti allemand, dans l’ensemble, n’a pas à avoir honte de cette lutte. Bien au contraire35. » Il ne dit rien de plus, mais tente apparemment de régler la question par la bande en présentant à la fin de son rapport une Solution générale qui approuve notam­ ment les sanctions prises au cours de l’année par l’exécutif. Personne, évidemment, ne peut empêcher Clara Zetkin de protester avec une réelle indignation contre cette façon de régler îe cas Levi avant même qu’il ait été discuté. Et, du même coup, elle répond aussi aux propositions de compromis de Lénine : « Si Paul Levi doit être durement puni pour sa critique de l’action de mars et pour la faute incontestable qu’il a commise à cette occasion, quelle punition méritent donc ceux qui ont commis ces fautes elles-mêmes ? Le putschisme que nous avons mis en accusation [...] était dans les cerveaux de la centrale qui conduisait les masses dans la lutte de cette façon36. » C’est dans le débat sur la tactique qu’est examinée l’action de mars. Ainsi se manifeste clairement la volonté de l’exécutif de ne pas régler les comptes - sauf avec Levi - pour 33. Bulletin communiste, n° 29, 14juillet 1921, p. 480. 34. Protokoll des III. Kongress, p. 90. 35. Ibidem, p. 4243.

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m o n tée

le passé, mais de préserver l’avenir en balayant la théorie de l’offensive. Radek accable la direction allemande, qui, selon lui, a été surprise par Horsing, n’a pas compris qu’il fallait défendre les mineurs de Mansfeid sans leur laisser croire qu’ils pouvaient vaincre. De plus, elle a aggravé la situation en appelant à la grève générale et révélé au grand jour sa faiblesse. Enfin, plutôt que de reconnaître ses torts, elle a contribué à forger la théorie de l’offensive. Malgré l’ironie dont il accable les dirigeants du VKPD, malgré la sainte indignation qu’il manifeste contre Levi, coupable d’avoir parlé de putsch, il faut admettre que le rapport de Radek est une bien piètre pièce de politique policienne, un faux plutôt répugnant destiné à sauver les vrais responsables de l’aventure et de la catastrophe alle­ mande, les gens de l’exécutif dont iî est, et l’homme qu’ils ont envoyé en Allemagne, Béîa Kun. Ce rapport aussi fielleux que malhonnête, provoque la discussion qu’il mérite : un déballage de linge sale, d’accusations réciproques et d’injures entre partisans de îa centrale et amis de Levi et Zetkin, chacun accusant l’autre d’avoir pris part à l’élaboration de la théorie de l’offensive. Aucun des problèmes de fond concernant le fonctionnement de l’exécutif de l’Internationale et la nature de ses liens avec la centrale allemande n’est abordé. La

g u é r il l a g a u c h ist e

Béla Kun, protégé par l’immense parapluie du «compromis» conclu dans le parti russe, semble enrager. Il se tait, n’intervenant - et encore sur l’ordre du jour - que pour se plaindre avec hargne que Trotsky ait attaqué dans ce débat la « prétendue gauche », dont il rappelle qu’il fait partie. Quant à Clara Zetkin, elle met carrément les pieds dans le plat en soulignant la responsabilité politique de Radek, et assure - sans nommer personne - qu’il a jugé « idiote » - elle dit que le mot était plus fort - la ligne politique impulsée par Kun. Elle fait aussi sensation quand elle demande qu’on réserve à Paul Levi la même sanction que le Parti bolchevique a appliquée à Zinoviev et Kamenev pour une faute analogue en 1917. La grande bataiîîe ne commence cependant qu’avec l’intervention de Lénine, qui, avec Trotsky, est décidé à prendre le risque d’être mis en minorité mais tient à éviter cette conclusion. La guérilla dans les couloirs contre Trotsky et lui, qu’on accuse d’être devenus « droitiers », les incessantes récriminations de Zinoviev et Radek contre le discours de Trotsky et les thèses, l’accusation mille fois répétée contre lui d’avoir violé le compromis, l’irritent au plus haut point, mais il attend son heure. Eîîe vient quand arrivent en discussion les amendements aux thèses présentés par îa délégation allemande, avec le soutien des délégations italienne et autrichienne, et l’approbation tacite des Allemands de Tchécos­ lovaquie, de la majorité hongroise et du parti polonais, dont un candide délégué vient même dire à la tribune qu’on raconte que Lénine et Trotsky sont devenus droitiers. Heckert déclenche la bataille en s’en prenant directement à Lénine pour faire une apologie enflammée de l’action de mars et de îa direction allemande. Thâlmann, qui dirigea l’action à Hambourg, s’en prend à Trotsky dans la même veine. Le jeune Italien Terracini s’indigne qu’on puisse croire que la faiblesse des effectifs d’un parti communiste est un obstacle à la victoire d’une révolution. Et il donne l’exemple du Parti bolchevique en octobre 1917. Juste avant lui, Appel, délégué du KAPD, s’en était pris avec violence à îa « Lettre ouverte » affirmant qu’elle était et ne pouvait être qu’opportuniste. L é n in e

s e fâ c h e

Lénine, pendant toute l’intervention de Terracini, a tenté de le caîmer en lui susurrant en français de faire preuve de souplesse. Mais décidément le moment est venu pour lui

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de mettre les points sur les i. A l’homme du KAPD, il dit d’abord qu’à « son grand regret et sa grande honte », il a déjà entendu exprimer en privé des opinions semblables, mais que c’est «une honte et une infamie» que de qualifier d’opportuniste la «Lettre ouverte » : « La “Lettre ouverte” est une initiative politique exemplaire. C’est ce que disent nos thèses. Et il faut absolument le soutenir. Exemplaire parce que c’est le premier acte d’une méthode pratique visant à conquérir la majorité de la classe ouvrière. » Son verdict tombe comme un couperet : « Celui qui ne comprend pas qu’en Europe, où presque tous les prolétaires sont organisés, nous devons conquérir la majorité de la classe ouvrière, celui-là est perdu pour le mouvement communiste et n’apprendra jamais rien s’il ne l’a pas encore appris en trois ans de grande révolution37. » Il s’en prend ensuite à Terracini et à tous les communistes de gauche qui brandissent l’expérience bolchevique comme modèle et bouclier : « Le camarade Terracini n’a pas compris grand chose à îa révolution russe. Nous étions en Russie un petit parti mais nous avions la majorité dans les soviets d’ouvriers et de paysans dans le pays tout entier. Où l’avez-vous ? Nous avions au moins la moitié de l’armée, qui comptait des millions d’hommes38! » Et il lance cet avertissement : « Si îes idées du camarade Terracini étaient partagées par trois délégations, alors il y aurait quelque chose de pourri dans l’Intemationale. Alors nous devrions dire : “Halte ! Lutte sans merci ! Bientôt l’Internationale sera perdue !” 39» Après lui, Trotsky revient à la charge, reproche aux Allemands de plaider au lieu d’étudier et d’analyser. Qualifiant la théorie de l’offensive de « crime politique », il lance cette belle apostrophe : « Regardez-donc autour de vous : il n’existe pas seulement dans ce monde des opportunistes mais aussi des classes40. » Il dit clairement qu’il n’ira pas plus loin que les thèses, concession à la tendance gauchiste «représentée ici par de nombreux camarades, Thalmann compris41». Le III6 congrès, après le triomphe du compromis qui a permis de ne pas désigner clairement îes responsabilités de la tragédie de mars et l’affaiblissement dramatique du VKPD, lance aux partis de l’Internationale un appel à se tourner vers les masses, à les conquérir, à les gagner au communisme. Lénine s’inquiète d’un parti allemand déchiré où se sont manifestés antagonismes personnels, rancunes, jalousies. Les arguments ont volé bas, entre Allemands notamment et Radek, par ses attaques contre Levi, mérite certainement la palme de la nuisance. L ’une des réalisations du congrès a été le vote de deux résolutions sur les principes et l’organisation de l’Internationale. Elles insistent fortement sur la discipline qui doit être celle d’une organisation de combat et sur îa nécessité d’un travail illégal. Elles définissent clairement le principe de double subordination des comités centraux des partis aux congrès qui les ont élus et à l’exécutif de rintemationaîe. L ’exécutif est élargi et comprendra désormais cinq membres du parti russe, deux des autres grands partis et un du reste. Le petit bureau de sept membres est officialisé. Il deviendra au mois d’août le « présidium » : il comprend pour le moment Zinoviev, Boukharine, Heckert, Gennari, Radek, Kun et Souvarine. C’est dans les mois qui suivent que l’on expérimente pour la première fois la pratique de sessions de « l’exécutif élargi », véritable petit congrès que l’on tiendra en principe désormais deux fois par an.

37. Protokoll des lll Kongress, p. 511. Ibidem, p. 512 39. Ibidem. 40. Ibidem, p. 650. 41. Ibidem, p. 638.

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Le Dêcongrès avait décidé la constitution d’une commission préparatoire à la fondation d’une Internationale syndicale rouge (ISR, Profintem) dont Alfred Rosmer, demeuré à Moscou après le congrès, avait assumé la responsabilité jusqu’au IIIecongrès. L ’attraction de la révolution russe était encore très vigoureuse sur tout le courant libertaire. Autant les communistes russes - et avec eux l’exécutif de l’Internationale - étaient déterminés à organiser la scission des partis socialistes pour créer des partis communistes, autant ils se refusaient à envisager des scissions syndicales pour la constitution de syndicats révo­ lutionnaires ou rouges. L ’idée sous-jacente à la fondation de l’Internationale syndicale rouge était la création d’un centre syndical international concurrent de l’Internationale syndicale d’Amsterdam et susceptible de recevoir, comme cette dernière, les adhésions de syndicats entiers, voire de cartels régionaux et locaux ou de minorités éventuellement, mais en respectant l’unité des organisations existantes. Une telle construction était parfaitement logique dans la perspective du développement révolutionnaire en termes de mois, ce qui était le cas lors du Ge congrès. En revanche, elle devenait carrément contradictoire à partir du moment où, comme le m6congrès, on pensait qu’il s’agissait désormais d’années, car tes bureau­ cratie syndicales disposaient alors de tous les moyens de protection et de poEce interne, y compris, comme le prouvait l’expérience de la CGT française, celui d’organiser la scission pour conserver la direction. La situation était d’ailleurs bien différente au HIecongrès. D’abord, l’Union syndicale italienne d’Armando Borghi, indisposée par ce qu’il appelait «le contrôle» du Parti communiste, avait décidé de se tenir à l’écart. La CNT, détruite en Catalogne en tant qu’organisation de masse par la campagne de meurtres du général Martinez Anido, s’éloi­ gnait sur des thèmes libertaires et ne reviendrait pas. On î’ignorait encore, et Rosmer parlait avec admiration de la « nouvelle génération de syndicalistes » prêts à comprendre l’Octobre russe. Victor Serge a laissé des croquis inoubliables d’Andrés Nin et de Maurfn, le premier « sous des lunettes cerclées d’or, avec une expression concentrée que la joie de vivre allégeait », le second avec « une allure de jeune chevalier comme les dessinaient les préraphaélites. [...] Ils n’étaient qu’enthousiasme42. » Les Russes qui dirigeaient ce travail, à l’exception de Losovsky, manifestaient une grande méconnaissance des milieux syndicaux d’Occident, dont nombre de membres importants ne purent jamais se faire au style des proclamations à la Zinoviev et surtout à sa propension aux injures. Le congrès de fondation, d’abord prévu pour le 1er mai 1921, fut reporté en juillet, à la suite de celui de l’Internationale. Il fut convoqué en commun par la commission de préparation et par l’exécutif de TIC, et l’invitation fut adressée à tous îes syndicats hostiles à l’Internationale d’Amsterdam, « dernière barricade de la bourgeoisie internationale », disait Zinoviev. 380 délégués, dont 336 votants, représentant 41 pays et, disait-on, 17 mil­ lions de syndiqués sur un total mondial de 40, étaient présents. Le débat, assez vif, porta sur deux points. L ’Américain B ill Haywood, le héros IWW, se fit le porte-parole de ceux qui voulaient la rupture avec tous les syndicats existants et fut contré tant par Losovsky que par Zinoviev. La guérilla des Français, des Espagnols et d’autres sur la question de l’indépendance des syndicats aboutit à un texte, rédigé par l’Anglais Tom Mann et éga­ lement signé de Rosmer, prévoyant un contact organique étroit entre îes différents mou­ vements ouvriers révolutionnaires, avant tout Internationale communiste et ISR. Cette 42. V. Serge. Mémoires d'un révolutionnaire, p. 152.

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formule fut adoptée par 282 voix contre 25. Elle allait contribuer puissamment à l'échec de l’ISR. Les ennemis du communisme en conclurent à l’existence de ce qui correspondait souvent à l’attitude pratique des communistes russes, à savoir la volonté de leur part de subordination des syndicats. Mais c’est de scissionnisme qu’ils les accusèrent avec le plus de succès. Le

c o n g rès d e l a

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Il était inattendu que le congrès des Jeunesses, de la KIM, se tienne à Moscou dans le sillage de celui du parti. Cette initiative, rompant avec une tradition, peut être tenue au minimum pour une précaution de la part d’un exécutif inquiet. L ’Internationale de la jeunesse communiste (K M ), née indépendamment - ses statuts la définissaient comme indépendante - de la Comintern, à partir de l’organisation internationale des Jeunes socialistes de W illy Münzenberg, s’était beaucoup développée, mais apparemment sans contrôle de la Comintern depuis sa fondation au congrès de Berlin en novembre 1920, avec les délégués de 49 pays représentant 800 000 jeunes. Ses dirigeants sont alors de jeunes militants éprouvés : autour de W illy Münzenberg, le Russe Lazar Chatskine, les Allemands Léo Flieg et Alfred Kurella, l’Autrichien Richard Schüller. Certains ont-ils songé à s’opposer? Il y a incontestablement un conflit de principe. Münzenberg est attaché, comme Lénine l’avait été pour la Jeunesse vis-à-vis du parti, à l’indépendance de la KIM. Lazar Chatskine, le délégué du Komsomol, est partisan de sa subordination43. Le conflit est ouvert et public à la première réunion plénière du bureau, du 9 au 13 juin 1920. Münzenberg, dans son rapport, attaque vivement le WES, qui se refuse même, dit-il, à assurer les communications avec Moscou. Le WES est défendu par ses deux représentants présents, Albrecht (Abramovitch) et Félix Wolf. L ’épreuve de force a lieu en 1921, dans la crise montante au lendemain de l’action de mars. Une lettre de la Comintern en date du 1er avril invite la direction de la KIM à tenir pour nulles les éventuelles décisions de son congrès, qui était convoqué à Iéna le 7 avril, et à reporter îa suite de ses travaux à Moscou, au lendemain du IIIe congrès de l’Inter­ nationale. Contrairement à ce qu’a écrit Münzenberg44, la véritable cause de cette initiative n’est pas la répression qui s’abat sur l’Allemagne et les retombées de « l’action de mars », mais la détermination de Zinoviev de soumettre la KIM à son contrôle. Il semble que certains dirigeants de la KIM aient voulu passer outre : la publication de la lettre dans un journal « lévite » de Berlin résulte de toute évidence d’une « fuite » organisée. Pourtant, finalement, devant les difficultés qui l’assaillent, en particulier l’absence de plusieurs délégations dont celle des komsomols russes, les dirigeants de la KIM cèdent, après avoir néanmoins tenu trois séances de congrès, et renvoient la suite des travaux à Moscou. C’est donc le 14juillet 1921 que s’ouvrit à Moscou, dans la salle du Trône du Kremlin, après une grande fête d’ouverture à l’Opéra de Moscou, le congrès de l’Internationale desjeunes communistes, ainsi déplacé d’office trois mois auparavant. D fut traité avec les plus grands égards, l’accueil officiel étant confié à Kalinine, chef de l’État, et Trotsky lui apportant le salut de l’Internationale avec une brillante défense et illustration des décisions de son IIIecongrès. Lénine y prit également la parole. La réalité politique était cependant que l’Internationale des jeunes (KIM ) perdait formellement son indépendance en approu­ vant une résolution dont la conclusion était : « L ’Internationale de la jeunesse communiste 43. W. Münzenberg, Unter dem rote Banner. Bericht über den l. Kongress der Kommunistischen Jugendinternationale, Berlin, n.d., p. 42-44, et L. Chatskine, Die Aufgaben der Kommunistischen Jugendorganisaüonen wch der Obemahme der Macht durch das Prolétariat, Berlin, n i., p. 10. 44. W. Münzenberg, Der Dritte Front, p. 343-344.

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fait partie de l’Internationale communiste et, en tant que telle, est tenue de respecter toutes les résolutions des congrès de l’Intematinale communiste et de son comité exécutif45. » W illy Münzenberg, qui l’avait dirigée depuis 1e début, manifestant souvent manifesté des tendances gauchistes, fut affecté à un poste important dans l’organisation d’aide, la MOPR. Cette décision, comme l’obligation de tenir le congrès à Moscou, était-elle un moyen d’assurer la dépendance de l’organisation, comme on l’a dit et répété ? Cela paraît plus que vraisemblable, mais aucun texte n’est venu jusqu’à présent étayer clairement cette hypothèse, à l’exception de la note de la Grande Encyclopédie soviétique de 1938, qui parle d’une « lutte acharnée » à la veille du congrès et aussi de la « correction des eneurs commises dans îes relations avec la Comintem ». T er r eu r

et v io len c e fa sc ist e

Les raisons d’inquiétude ne manquent pourtant pas. Au premier rang d’entre elles, il faut mettre la situation italienne, avec l’offensive forcenée de la terreur fasciste, les expéditions punitives contre le mouvement ouvrier organisé en Italie. C’est en effet vers îa fin de 1920 et au début de 1921 que les squadri fascistes généralisent îa méthode des expéditions punitives, qui vont en quelques mois briser ce que d’aucuns appelaient alors « l’empire socialiste » ou « l’empire maximaîiste », les positions conquises par îe PSI et les syndicats dans des décennies de lutte électorale et parlementaire. Dans son ouvrage déjà cité sur le fascisme, Angelo Tasca décrit leur mécanisme : Dans la vallée du Pô, la ville est en général moins « rouge » que la campagne puisqu’en ville se trouvent les seigneurs agrariens, les officiers des garnisons, les étudiants des universités, les fonctionnaires, les rentiers, les membres des professions libérales, les commerçants. C’est dans' ces catégories que se recrutent les fascistes et ce sont elles qui fournissent îes cadres des premières escouades armées. L ’expédition punitive part donc presque toujours d’un centre urbain et rayonne dans la cam­ pagne environnante. Montées sur des camions, années par l’Association agrarienne ou par les magasins des régiments, les « Chemises noires » se dirigent vers l’endroit qui est le but de leur expédition. Une fois arrivés, on commence par frapper à coups de bâton tous ceux qu’on rencontre dans les rues, qui ne se découvrent pas au passage des fanions, ou qui portent une cravate, un mouchoir, un corsage rouges. Si quelqu’un se révolte, s’il a un geste de défense, si un fasciste est blessé ou un peu bousculé, la « punition » s’amplifie. On se précipite au siège de la Bourse du travail, du syndicat, de la coopérative, à la Maison du peuple, on enfonce les portes, on jette dans la rue mobilier, livres, marchandises et on verse des bidons d’essence : quelques minutes après, tout flambe. Ceux qu’on trouve dans îe local sont frappés sauvagement ou tués, les drapeaux sont brûlés ou emportés comme trophées. Le plus souvent l’expédition part avec un but précis, celui de « nettoyer » la localité. Les camions s’arrêtent alors tout de suite devant îes sièges des organisations « rouges » et on les détruit. Des groupes fascistes vont à la recherche des « chefs », maire et conseillers de îa commune, secrétaire de îa ligue, président de îa coopérative : on leur impose de se démettre, on les « bannit » pour toujours du pays sous peine de mort ou de destruction de leur famille. [...] Ou le chef cède, ou la violence succède à la persuasion. Il cède presque toujours. Sinon, la parole est aux revolvers. Lorsque le dirigeant local tient bon malgré tout, on le supprime [...]. On l’abat sur le seuil ou bien il se laisse enlever et les fascistes l’emmènent dans un champ où on îe retrouve mort [...1 parfois après lui avoir fait subir les pires sévices46.

45. Cité par E.H. Carr, The Bolshevik Révolution, IU, p. 403. 46. A. Tasca, Naissance dufascisme, p. 129-130.

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H faut ajouter toutes les humiliations possibles, notamment pour les femmes. On les viole, publiquement ou non, collectivement ou non. On leur fait ingurgiter de l’huile de ricin pour qu’elles donnent un spectacle dégradant. On les rase parfois. La terreur est entretenue par îes avertissements et les menaces, datés et signés, qu’aucun policier ni aucun tribunal ne prend jamais en compte. D’ailleurs, à peu près partout les carabiniers sont complices de l’entreprise, escortant les squadristi, interdisant à quiconque d’entrer ou de sortir de l’endroit où ils opèrent, leur fournissant munitions et moyens logistiques. La supériorité des fascistes tient bien sûr à leur armement et à leur mobilité, à la possibilité qu’ils ont de se déplacer et de se concentrer. Chaque village ou petite ville reste sur place, concentrée autour de sa maison du peuple. Les centres socialistes, « punis » l’un après l’autre, sont isolés les uns des autres, et il n’y a pas de résistance collective ni même solidaire, surtout avec îa scission du parti et les âpres luttes qui s’ensuivent. Analysant la configuration des forces, des foules réunies par les socialistes maximalistes aux colonnes de camions des squadristi, Angelo Tasca a cette formule terrible : « La fourmilière à la merci de la légion. » De la vallée du Pô, la peste noire se répand vers le reste de l’Italie, Bologne, Mantoue, selon le même scénario. Florence et îa Toscane sont particulièrement touchées. Et le mouvement continue, s’amplifie parfois. Il y a de véritables opérations militaires. A Sienne, les fascistes doivent recourir à l’artillerie pour casser les murs de la maison du peuple. A la Chambre des députés, des élus fascistes, revolver au poing, s’en prennent à Francesco Misiano, député communiste, et l’empêchent de siéger sous peine de mort. C é c it é

fa c e a u fa sc ism e

?

On reste un peu confondu devant le flegme du jeune Parti communiste d’Italie, au moment, il est vrai, où ce sont quand même les socialistes qui, parce que les plus puissants, reçoivent les coups les plus durs. Sa déclaration du 2 mars 1921 est une véritable tartarinade : « Le prolétariat révolutionnaire d’Italie ne cède pas sous les coups de la méthode réactionnaire inaugurée depuis quelques mois par la classe bourgeoise au moyen de bandes armées de Blancs47. » Faut-il en conclure que, toujours en Russie dans leur tête, ils ne se sont pas aperçus du changement de couleur de l’ennemi, et que les Blancs sont ce que le commun des mortels appelle des Chemises noires ? Ce serait abusif. Mais ce « suivisme » dans îe vocabulaire, ce langage de secte sont significatifs, tendent à faire d’eux des exilés volontaires dans leur propre pays. Le 1er mai, Amadeo Bordiga, qui est le dirigeant du PCI, se livre malheureusement à des paris stupides et à des pronostics de perdant sous la forme d’une question qu’il croit pertinente : « Quelles sont les forces sociales qui ont intérêt en Italie à revenir en amère, du régime libéral vers les formes dépassées de l’absolutisme48?» Le bilan est pourtant assez lourd pour qu’on puisse s’attendre à ce qu’un dirigeant communiste y pense sérieusement et constate qu’il s’agit d’un mouvement nouveau, d’une arme nouvelle que les classes possédantes utilisent pour conjurer îe progrès des révolu­ tionnaires. Pour les six premiers mois de 1921, on dénombre la destruction de 17 impri­ meries et entreprises de presse ouvrières, de 59 Maisons du peuple, de 119 Bourses du travail ; de 83 ligues paysannes, de 151 cercles socialistes et de tout ce qui leur appartient, de 151 cercles culturels. On ne note pas ici le nombre de morts, de blessés, d’hommes et de femmes détruits par la violence, la peur, l’humiliation, la ruine, le sentiment d’impuis­ sance. 47. Cité par P. Spriano, op. cit., I, p. 133. 48. A. Bordiga, « Vieille fixation », Il Comunista, î" mai 1921, cité par P. Spriano, op. cit., p. 135.

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Pourtant, dans le peuple italien, classe ouvrière et paysans, on est prêt à se battre. Le PSI est à genoux, ivre de coups, prêt à se cramponner à la première perspective de répit. Le 3 août, il signe avec Mussolini, qui en a temporairement besoin, un « accord de pacification ». Le PCI, par sa politique, s’est privé des moyens d’exploiter cette erreur énorme du parti de Serrati. Après tout, en novembre 1921, les effectifs des Fasci ont plus que décuplé en une année. De 22 000, ils sont passés à 320 000 environ. Si les organi­ sations ouvrières n’organisent pas la résistance, elles sont perdues. L ’a ffa ire des A r d it i d el po po lo

On va le mesurer avec l’apparition des Arditi delpopolo. Au point de départ, un groupe d’officiers anciens combattants, qui ont combattu avec Gabriele D’Annunzio, rompent avec les Fasci et décident de fonder une organisation de défense du peuple, des ouvriers et des paysans piétinés et massacrés par les hommes de main des puissants. Le groupe initial comprend aussi quelques anarchistes, désireux de combattre les armes à la main, et peut-être quelques aventuriers. Mais les adhésions d’hommes très divers qui veulent se battre vont être très nombreuses. Pas seulement chez les jeunes socialistes, comme le député Giorgio Mingrino, ou comme Guido Piceîli, qui fera de Parme un bastion contre les fascistes et montrera concrètement qu’on peut les battre sur leur propre terrain, mais aussi parmi les communistes, les sans-parti, les simples démocrates. Dans plusieurs loca­ lités, ils commencent déjà à tenir tête, puis mettent en fuite les agresseurs et ouvrent ainsi une perspective face à la terreur, Le Parti communiste interdit à ses membres de rejoindre les Arditi del popolo, dont la création constitue, dit-il, une « manœuvre de la bourgeoisie ». Le 7 août, il déclare dans un communiqué : Les Arditi del popolo se proposent, paraît-il, de traduire la réaction prolétarienne contre les excès du fascisme, pourrétablir « l’ordre et la normalité de îa vie sociale ». Le but des communistes est tout autre : ils tiennent à conduire la lutte prolétarienne jusqu’à îa victoire révolutionnaire, ils se placent du point de vue de l’antithèse implacable entre îa dictature de la réaction bourgeoise et la dictature de îa révolution prolétarienne.

Angelo Tasca, membre dirigeant du PCI en 1921, écrit dans son histoire de la naissance du fascisme : « Tout cela n’est que démagogie sectaire et impuissante : des communistes se battront dans quelques endroits, tireront quelques coups de revolver dans quelques localités, participeront, malgré le veto du parti, à des groupements à'Arditi del popolo, mais le Parti communiste en tant que tel restera pratiquement absent de la îutte et facilitera sensiblement par sa tactique la victoire du fascisme49, » C’est un verdict que l’histoire retiendra malgré la création d’une organisation concurrente VArdito rosso, ressentie comme un acte de division par îes Arditi del popolo et les combattants. L ’historien du PCI Paoîo Spriano indique que Vorovsky, ambassadeur de Russie à Rome, critiqua sévè­ rement, dans un rapport à Moscou, îe comportement sectaire des dirigeants italiens dans cette question50. Il mentionne aussi un rapport envoyé par Ruggero Grieco à l’exécutif de l’Internationale le 7 novembre 1921. Le dirigeant du PCI fait état de rumeurs infamantes concernant le chef des Arditi del popolo mais admet que le prolétariat, dans toute l’Italie, s’est groupé autour de cette organisation, « particulièrement dans îes régions où les actions des gardes blancs [en chemise noire - PB] étaient les plus violentes ». Iî énumère enfin un certain nombre de mauvaises raisons invoquées par les dirigeants du PC pour justifier cette abstention : la 49. A. Tasca, op. cit., p. 182. 50. P. Spriano, op. cit., p. 149.

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supériorité technique des unités communistes, les difficultés que provoquerait une « double discipline51». La réponse de l’exécutif de l’Internationale, dont nous ne connaissons pas le rédacteur, est tout à fait cinglante : Il est clair que nous avions affaire au début à une organisation de masse prolétarienne et en partie petite-bourgeoise qui se rebellait spontanément contre le terrorisme [...]. Où étaient alors les communistes ? Ils étaient occupés à étudier à la loupe ce mouvement pour décider s’il était assez marxiste et conforme au programme. Le PCI aurait dû tout de suite pénétrer énergiquement dans le mouvement des Arditi, y réunir autour de lui les ouvriers de façon à faire des sympathisants des éléments petits-bourgeois, dénoncer les aventuriers et les éliminer des postes de direction, placer à la tête du mouvement des hommes dignes de confiance. Le parti communiste est le cœur et le cerveau de la classe ouvrière et il n’est pas de mouvement auquel participent des masses ouvrières qui soit pour lui trop bas et trop impur52.

Mais il était déjà trop tard. Spriano se fait par ailleurs l’écho d’une croyance enracinée dans le parti italien et plus que vraisemblable selon laquelle Lénine serait aussi person­ nellement vainement intervenu pour obtenir du PC qu’il change d’avis sur cette question cruciale53. L ’a bo u t issem en t

a vec

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Il est impossible, à la fin de ce chapitre, de ne pas souligner que l’exécutif de l’Inter­ nationale, après avoir fait allègrement son deuil - pour ne pas dire plus - de dirigeants comme Serrati et Paul Levi et de deux partis de masse décisifs comme le PSI et le VKPD, continuer à manifester une longue patience à l’égard d’un homme qui était dans l’autre camp pendant la guerrre, celui des social-chauvins, le Tchèque Bohumir Smeral. Les résolutions du congrès sur la question tchécoslovaque avaient un but commun : la nais­ sance d’un parti à l’échelle de la Tchécoslovaquie. La grève de décembre, la radicalisation ouvrière, l’action en ce sens des Jeunesses permirent d’en approcher lentement. D’abord, les 9 et 10 janvier 1921, la conférence de district du Parti social-démocrate de Reichenberg (Libérée), dirigée par Alois Neurath et Karl (Karel) Kreibich, réunit 73 délégués et trois représentants de la Gauche marxiste tchèque. Elle réclame la convocation d’un congrès extraordinaire du parti et se prononce pour l’acceptation des vingt et une conditions : elle est exclue le 17 du Parti social-démocrate. Le 12 mars, allant à marche forcée, elle se réunit en congrès et adopte le nom de Parti communiste de Tchécoslovaquie, section allemande. Pendant le même mois dejanvier, la gauche du parti en Slovaquie convoque, à Lubochna un congrès auquel assistent 149 délégués, dont 88 Slovaques, 36 Hongrois, 15 Allemands, 6 Ruthènes et 4 représentants d’un groupe juif. Le congrès est présidé par Marek Culen. Ivan Olbracht y représente la Gauche marxiste tchèque et Karel Kreibich les communistes allemands. Le congrès slovaque accepte les conditions d’admission, à l’exception de la dix-septième. Il met à l’étude son nom à venir, se contentant pour le moment de s’appeler Parti socialiste de Slovaquie. Le 6janvier 1921 a lieu la fusion de toutes les organisations de jeunesses communistes du pays, vqui réunit 40 000 membres. Les JC tchèques, repré­ sentés par Josef Guttmann et Maria Svabova, avaient déjà annoncé qu’elles n’attendraient pas la fusion au niveau des partis. La Comintern accentue sa pression. Au mois d’avril, Béla Kun, retour d’Allemagne, 51. Ibidem, p. 149-150. 52. Ibidem, p. 150. 53. Ibidem, p. 151.

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et Gyula Alpari viennent en secret à Dresde. Ils ont des difficultés avec ies Tchèques. Le parti allemand de Tchécoslovaquie a envoyé Karl Kreibich, mais Smeral n’est pas venu et a composé la délégation de dirigeants de second plan. La tension est grande. Béla Kun, qui a été quelque peu étrillé par ies résultats de l’« action de mars », ne peut pas ne pas voir là une sorte de défi. Smeral et ses proches se refusent à subir îe sort de Paul Levi, et on dit tout haut dans leur entourage qu’iî faut se garder d’adhérer à la Comintem si c’est pour être exclu à îa première occasion. En réalité, Smeral cherche à gagner du temps. Devant le Xecongrès du PC russe, Zinoviev a déjà vivement attaqué sa « tactique hési­ tante » et affirmé qu’il fallait créer un parti communiste en Tchécoslovaquie, au besoin sans lui, et, si nécessaire, contre lui. Le message adressé au congrès par l’exécutif est plutôt sévère : La grève de décembre a démontré non seulement l’audace et l’énergie des ouvriers révolu­ tionnaires tchécoslovaques, mais aussi îes lacunes organisationnelles et politiques qui ont leurs racines dans le parti de la gauche socialiste qu’ils ont fondé. Dans la grève de décembre il n’y avait absolument aucune direction ni organisationnelle ni politique. [...] Le sommet du parti ne manquait pas d’éléments qui ont consciemment ou non saboté le mouvement communiste. Nous espérons que îe congrès adoptera îe nom de Parti communiste non seulement pour se distinguer extérieurement des social-démocrates mais aussi pour accepter îa tactique et les prin­ cipes de la fflc Internationale54.

La lettre affirme en conclusion que ie temps des demi-mesures est passé et que c’est seulement dans certaines limites qu’on peut faire des concessions à des individus et à des traditions. Smeral reste à la fois ferme et conciliant. Au congrès de îa Gauche marxiste, qui se. tient à Prague-Karîin du 14 au 16 mai 1921, iî explique loyalement ses positions, y compris ses hésitations. Il a recherché, dit-il, les moyens d’amener à îa conscience du caractère révolutionnaire de l’époque « non un petit groupe ou une secte, mais un grand parti de masses prolétariennes^5». Pour lui, cet objectif est atteint puisque ïe parti qui naît va compter 300 000 membres au départ. Il n’oublie cependant pas de poursuivre la polémique contre « l’impatience révolutionnaire », le gauchisme et le putschisme. H est clair, comme l’a fort bien démontré Hana Majderovâ, que Smeral et, derrière lux, îes communistes tchèques, sont bien décidés à ne pas rejoindre l’Intemationaîe si, par malheur, son prochain congrès ne condamnait pas nettement le gauchisme56. La grande différence de leur situation avec celle de la Russie en 1917 est que, dans ce dernier pays, il n’y avait pas de parti social-patriote de masses, alors qu’en Tchécoslovaquie iî s’agit d’arracher les masses aux opportunistes, non de les leur livrer par une scission précipitée et des aventures à l’allemande, Le résultat du vote est écrasant : 562 délégués contre 7 décident la formation d’un parti communiste unique qui demande à entrer dans la Comintem en acceptant les vingt et une conditions. Mais les convocations au IIIe congrès ont encore été envoyées au KP d’Allemagne et Bohême, au PS de Slovaquie, à la Gauche marxiste des socialistes tchèques et au Parti socialiste international de la population ruthène, qui enverront au total 19 délé­ gués à Moscou.

54. « L’exécutif de rintemationaie communiste au congrès de la Gauche tchèque », Die Kommunistische Interna­ tionale, n° 17,1921, p. 415417. 55. Rapport de Smeral au 1“ congrès du PCT, p. 107. 56. H. Majderovâ, op. cit., p. 137-138.

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IIIe c o n g rès

Débat à l’intérieur du grand débat, mais d’une certaine façon débat à retardement, le débat continue. Zinoviev critique les Tchèques, accuse la direction de passivité, de tiédeur révolutionnaire, d’insuffisance dans la formation marxiste des militants. Edmund Burian, au nom des communistes tchécoslovaques, répond avec vivacité, dément l’existence de désaccords entre Smeral et les dirigeants ouvriers emprisonnés, Muna, Hula, Zâpotocky. Il affirme qu’il n’y a aucun droitier parmi les communistes de Tchécoslovaquie, dément l’existence d’une « direction Smeral », reproche à l’exécutif son impatience et son incom­ préhension - ce qui ne peut se comprendre en dehors du contexte international marqué parJ ’action de mars. Smeral, avec ses centaines de milliers d’adhérents, est tout de même en position de force. Peut-on massacrer le parti tchèque après avoir gravement blessé le parti allemand ? Lénine, dans le débat de la commission tchécoslovaque, suggère que Smeral fasse deux pas à gauche, et ses critiques allemands, comme Kreibich, un pas vers les Tchèques. L ’un et Fautre répondent à son appel. Au cours du débat en commission, Lénine a d’ailleurs fait allusion au reflux de la vague révolutionnaire d’après guerre et affirmé la nécessité deconstituer des partis communistes de masses pour une nouvelle période révolutionnaire, ce qui n’est pas très éloigné de la position défendue par Smeral, De toute façon, la ligne du congrès est incontestablement un appui donné à la politique de Smeral. Le PC tché­ coslovaque va naître enfin, en octobre 1921, avec quelque 420 000 membres, une solide réputation de droitier, et de gros désaccords, notamment sur la question syndicale. Mais c’est apparemment de justesse que le jeu de massacre ne s’est pas poursuivi de Serrati et Levi jusqu’à Smeral, dont les états de service n’étaient pourtant pas comparables à ceux de ces dirigeants chassés dans l’année. De

m a u v a is pr ésa g es

Ce sont des mois sinistres qui se sont écoulés dans l’Internationale depuis le début de l’année 1921, La politique, «gauchiste» peut-être, maïs surtout irresponsable, et pas seulement des envoyés de l’exécutif, de Râkosi et Kabaktchiev à Béla Kun, Pogâny et Gouralsky, a littéralement dynamité les deux grandes conquêtes de l’Internationale com­ muniste tellement célébrées par ses chefs et par ses chantres. Le Parti socialiste italien, premier fleuron de F Internationale en 1919, a été chassé comme un malpropre par un Râkosi mandaté par l’exécutif, et c’est Béla Kun, lui aussi émissaire de FIC, qui a fait exploser en Allemagne une partie de la vieille garde spartakiste et ce VKPD dont tous étaient si fiers. Dans le même temps, la direction de l’Internationale avait continué à manifester la plus extrême patience vis-à-vis des communistes tchèques, comme si Smeral valait la peine de déployer des efforts qui étaient au même moment refusés en faveur de Serrati et Paul Levi. On peut penser que, finalement, en Italie comme en Allemagne, l’intervention de Lénine - aussi bien contre l’action de mars que dans la lutte contre le fascisme dans les rangs desArditi del popoio - a été trop tardive. Mais comment comprendre que Béla Kun, après son exploit allemand, soit réélu à F exécutif de l’Internationale ? Que Râkosi, après le HT congrès, soit de nouveau utilisé comme émissaire de l’exécutif dans une mission auprès des socialistes italiens ? Que Béla Kun ne soit finalement écarté des postes de la Comintern qu’après les incidents qui se sont produits dans le parti hongrois sur le retour des militants en Hongrie et après la désertion de Rudnyânszkÿ, devenu joaillier à Timiçoara ? Pour autant, l’affectation de Kun à Ekaterinburg et le séjour d’un an qu’il y

242

La

montée

fait ne changent pas la pratique de la Comintern. Les PC inspirés par Zinoviev se sont coupés de la masse des travailleurs et le phénomène «fasciste» passe sous le nez, précisément, de ceux des partis qui ont été pris en main par l’exécutif. N’y avait-il personne dans l’Internationale susceptible de remplacer Béla Kun ou Râkosi ? Ou bien Lénine avait-il encore suffisamment de force pour convaincre ses camarades de changer sur le plan politique, mais pas ou plus celle d’imposer des hommes à qui l’on pouvait faire confiance, ou simplement d’écarter des incapables et des idiots ? Combien misérables en tout cas apparaissent dans ce contexte les arguments contre l’« indiscipline » de Levi i Et puis, bien qu’il y ait eu beaucoup de morts inutiles dans des combats bêtement recherchés, il nous semble que les pertes politiques sont exceptionnellement graves en cette année 192L Qu’il s’agisse des pertes spectaculaires, comme celle de Paul Levi, certainement le plus proche disciple et compagnon d’armes de Rosa Luxemburg, et l’un des plus capables des dirigeants communistes mondiaux, ou de celles du gros de ces Délégués révolution­ naires qui avaient dirigé les combats des ouvriers berlinois pendant la guerre et joué un rôle décisif dans leurs combats à partir de la révolution de novembre, ou même qu’il s’agisse des pertes silencieuses qu’on a oublié de commenter et même d’apprécier, comme celle de John Maclean, humilié par des hommes de Moscou qui ne valaient pas la semelle de ses souliers, le bilan est impressionnant. La question est la suivante. Bien sûr, Lénine, bien sûr, Trotsky. Bien sûr, leur « bloc » au IIIe congrès. Mais en dehors de ces deux hommes, quel dirigeant de rintemationaie a l’envergure, la culture, le sens de la mesure, le prestige et aussi l’indépendance de l’esprit et du cœur nécessaires ? Quelques-uns, bien sûr, mais iis sont d’autant plus indispensables dans les fonctions qu’ils exercent ailleurs. Faute d’avoir pu en former d’autres, on va continuer à travailler à rintemationaie avec des planches pourries. Comme aimait à dire Paul Levi, pétri de culture latine, « Hic Rhodus, hic salîa ». C’était là le nœud de la question. UNE AUTRE CONCEPTION

Dans une communication de congrès, Phistorien polonais Feliks T^ch s’est attaché à ce qu’il appelle « l’axe politique » KPD-KPP. Il montre combien se rejoignent en cette période les critiques des proches de Rosa Luxemburg Clara Zetkin et Paul Levi, Marchlewski, Warski et aussi Kostrzewa, contre la conception du parti chez Lénine et la méthode de construction de îa Comintem, politique aventuriste impulsée par Zinoviev. Il écrit : Dans unedeses lettresécrites à Lénine de Berlin à la fin dejanvier 1921, Clara Zetkin accusait îes émissaires du comité exécutif de îa Comintem d’avoir soutenu îa scission dans le PSI à Livourne. Elle assurait qu’ils avaient agi ainsi pour établir un parti communiste sectaire, petit mais inconditionnellement loyal à Moscou, au lieu d’essayer de gagner à l’Internationale com­ muniste îa majorité du PSI avec un dirigeant très populaire comme Giacinto Serrati. Dans cette même lettre, elle demandait à Lénine « d’examiner sérieusement îa politique de l’exécutif parce ce que ses recommandations étaient souvent accompagnées d’une intervention seigneuriale, bru­ tale, dépourvue de îa connaissance réelle des conditions véritables57. Elle posait à Lénine une question cruciale : qu’est-ce qui est plus important pour Î’IC, le mouvement ou la tâche de se retrancher en une secte stérile ? « Dans les conditions italiennes, Terreur était infiniment plus grande et infiniment plus sérieuse que ne l’avait été la nôtre en Allemagne quand nous nous sommes constitués en parti séparé en décembre 57. Lettre de C. Zetkin à Lénine, 25 janvier 1921, RTsKhlNDl, 5/3/204.

La

peau de chagrin

243

1918. Soit dit en passant, Léo (Jogiches) Tyszka a toujours partagé, jusqu’à sa mort, mon opinion là-dessus58. » Bien que î’« axe politique » relevé par Feliks Tych ait été parfai­ tement informel, on ne peut s’empêcher d’imaginer qu’il y avait en lui une sérieuse chance de redresser la politique des dirigeants de l’Internationale, et par conséquent de sauver cette dernière.

58. idem, ibidem, 5/3/283. La citation ci-dessus est de Feliks lych, « The KPD-KKP poiitical “Axis” against Zinoviev-Stalin and the Communist International 1919-1924 », Centre and Periphery, p. 85.

CHAPITRE XH

La fin de l’époque de Lénine

Le IIIecongrès a constitué un rétablissement difficile. C’est de justesse que Lénine et Trotsky ont réussi à maîtriser la situation. L ’autorité de Lénine chez les communistes n’est pas la poigne que les anticommunistes systématiques imaginent et dépeignent. Elle est surtout faite de son prestige et de sa force de persuasion, mais elle a des limites. Nous avons dit notre surprise qu’un Béla Kun soit maintenu à l’exécutif après ses « kuneries », que certains pouvaient tenir pour des crimes. Une anecdote permettra de s’étonner un peu plus de la marge de tolérance dont il bénéficia. Contacté par des anarchistes, Boris Souvarine, membre de l’exécutif, alla dans une prison de Moscou pour enquêter sur des plaintes concernant les traitements infligés à leurs camarades. II le fit ouvertement, avec îes autorisations voulues. Son interprète le dénonça. L ’affaire vint au petit bureau de l’Internationale. Béla Kun proposa ni plus ni moins que d’arrêter le Français. Il revint à Lénine, écrit Jean-Louis Panné, le biographe de Souvarine, de « remettre Béla Kun à sa place1». L es

len d em a in s d u

HT

c o n g rès m o n d ia l

La tâche qui attend la direction de Tlntemationale communiste est immense. Rares sont les partis qui n’ont pas été secoués par la crise à partir de mars 1921, et encore un certain nombre de ceux-là connaîtront-ils avec quelque retard cette même crise et rejoue­ ront le débat de Moscou. Il s’agit de façon générale d’une normalisation, au sens strict du terme, le retour à une activité normale, non de prise du pouvoir, mais de conquête des masses, avec un investissement dans les organisations de masses, comme les syndicats, la participation aux élections, mais aussi le respect des engagements compris dans les vingt et une conditions, comme le soutien aux peuples coloniaux et l’activité antimilita­ riste. En outre, partout, il s’agit d’assurer l’unité du parti, de la conserver ou de la conquérir. Et, à l’usage, cela se révèle extrêmement difficile.

L J.-L. Panné, Boris Souvarine, p. 103.

L a FIN DE L’ÉPOQUE DE LÉNINE

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L’Espagne Nous avons dit que l’Internationale ne s’était pas trop intéressée à l’Espagne et qu’elle avait laissé se tenir sans représentant de son exécutif le congrès du PSOE d’avril 1921, où ses délégués avaient rendu compte de leur séjour à Moscou à îa fin de 1920. Après un débat chaud, entrecoupé d’injures et de menaces à l’espagnole, c’est le point de vue présenté de façon très professorale par Fernando de îos Rios qui l’emporte, par 8 068 voix , contre 3 652, sur î’adhésion aux vingt et une conditions, défendue par Daniel Anguiano et îe jeune typographe Ram où la présidence de Boukharine avait amené nombre d’hommes dévoués à ses idées et à sa personne, mais aussi et surtout à partir du sommet de plusieurs sections nationales, dont le KPD et le PC des États-Unis. Ces hommes-là sont aussi des anciens, moins éminents peut-être que ceux de l’Opposition de gauche, mais avec plus de responsabilités et plus d’expérience dans Tappareil. H faut citer Jules Humbert-Droz, secrétaire de l’Internationale, et le « camarade Thomas », du secrétariat de Berlin, mais aussi l’Italien Angelo Tasca, îes Américains Lovestone et Bertram D. Wolfe, le Suédois Kilb0m, les Espagnols Maurfn et Gorkin, l’Indien M.N. Roy et les Allemands Brandler et Thalheimer, bien sûr, qui en furent le cœur, mais aussi Paul Frolich et Jakob Waîcher, les anciens élèves de Rosa Luxemburg. Au temps de l’alliance entre Staline et Boukharine, la « droite » était plutôt un état d’esprit, un réseau assez lâche, sauf en Allemagne, où elle avait eu des positions dans l’appareil et où une fraction de l’ancien centre - les conciliateurs - considérait comme indispensable son maintien dans le parti. Un peu partout, c’est l’offensive, en particulier celle de Staline en 1929, qui a contraint au choix les gens de l’appareil international Un des deux partis encore à cette époque contrôlés par des opposants de droite était alors I. T. Bergmann, 50 Jahre KPD (Opposition), Hanovre, 1978.

L a CHUTE

552

le parti suédois, exemple unique puisqu’il a résisté à l’oukaze de l’Internationale et subsisté en tant que parti pendant des années après son exclusion. Partout ailleurs, les « droitiers » qui n’avaient pas accepté de se renier se sont retrouvés exclus, cibles des attaques des partis réorganisés2. Le

d r a pea u

: B o u k h a r in e

Boukharine s’était fait le champion de la Nep, conçue, selon îa formule de son bio­ graphe Stephen Cohen, comme une politique qui assurait « l’existence d’un pluralisme social significatif dans le cadre de la dictature d’un parti unique », associant dans l’activité économique les paysans, au premier rang desquels les paysans aisés, les kulaki, les artisans et petits commerçants, les « spécialistes bourgeois » dans l’industrie comme dans l’admi­ nistration et surtout dans la vie culturelle. Le premier heurt sérieux entre Boukharine et Staline se produisit lors des fameuses « mesures d’exception » du début de 1928, qui semblaient ressusciter les mesures de coercition de l’époque du « communisme de guerre ». Il apparut assez vite, comme l’écrit Cohen, que, « dans l’ensemble, les initiatives politiques de Staline menaçaient l’interpré­ tation boukharinienne prédominante de la Nep comme un système de paix sociale et de relations de marché entre ville et campagne [...] et heurtaient brutalement la conviction de la droite que tous les problèmes devaient et pouvaient être réglés dans les conditions et sur les bases de la Nep3». Très vite Boukharine comprend qu’il va devoir se battre. Pour lui, Staline et les siens mènent une politique de guerre civile : il est convaincu qu’ils vont devoir noyer dans le sang des soulèvements4. Les attaques de Boukharine dans ses discours officiels ou ses articles, tout en respectant la règle du jeu et en ne nommant pas Staline, s’accompagnent d’un réquisitoire contre le régime intérieur et la dictature de la bureaucratie. Le 28 novembre 1928, dans une confé­ rence à des journalistes, après avoir parlé de la « stupidité » de la politique économique qu’il résume, iî s’en prend aux « bureaucrates » et aux « bandes de complices » qu’ils constituent, parle de « dissimulation communiste » et de « politique de fous ». Il rencontre Kamenev en secret le 11juillet, le sollicite pour un renversement des alliances, car Staline, « nouveau Gengis Khan », est sur une « ligne ruineuse pour la révolution5». Effective­ ment, Boukharine s’engage dans la résistance. Ses «Notes d’un économiste6» sont un véritable acte d’accusation contre l’aventurisme stalinien en matière économique. Dans un article du 24janvier sur « Le testament politique de Lénine », il rappelle tous îes textes importants de ce dernier sur le régime du parti et contre la bureaucratie, fait appel à la tradition bolchevique de pensée critique et met en garde contre « la destruction de la République soviétique » qui pourrait surgir d’une politique différente7. Ainsi se dessine la physionomie politique d’un communiste modéré, convaincu que des années de Nep et la renaissance du marché et de l’initiative individuelle allaient donner la base d’un développement économique, mais déjà inquiet des progrès de la bureaucra­ tisation et de l’autocratie et dont nous savons aujourd’hui qu’il hésita et ne se décida jamais que trop tard à prendre des initiatives rarement heureuses. A la conférence de Wuppertal sur Boukharine, Silvio Pons résuma la pensée politique de Boukharine dans 2. Sauf indication contraire, nous faisons ci-dessous référence au travail de Robert J. Alexander. 3. S. Cohen, Boukharine, éd. anglaise, p. 284. 4. Entrevue avec Kamenev, 1î juillet 1928, Papiers Trotsky, Harvard, T 1817. 5. Ibidem. 6. Boukharine, « Notes d’un économiste », Pravda, 30 septembre 1928. 7. Boukharine, « Le testament de Lénine », Pravda, 24janvier 1929.

L ’O pposition

com muniste d e droite

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sa dernière expression par cette formule en triptyque : « Révolution culturelle, l’État en tant que Commune, un parti de paix civile l » U n’est pas certain que tous les communistes

« de droite » aient eu une vue identique. C’est de l’Internationale communiste que nous traitons ici. Nous avons vu le personnage que composait Boukharine aux yeux des militants. Mais qu’avait-il à dire sur la Comintern et à elle ? Là-dessus, son biographe Stephen Cohen, qui assure qu’il était la seule « alter­ native » à Staline, demeure d’une totale discrétion. Il est vrai que les interventions de Boukharine ne sont pas marquées dans la Comintern de ces années du sceau de l’audace. Il conseille discrètement la capitulation aux militants étrangers, disparaît en vacances au moment des votes décisifs, bref, a l’attitude d’un homme qui se sait vaincu. Staline, après avoir liquidé les positions des droitiers dans l’appareil du parti russe, s’en prend aux hommes et commence les exclusions. La répression n’est pas comparable pour le moment à celle qui a frappé l’Opposition de gauche. Les dirigeants sont finalement isolés au sommet. Ils tentent une ultime manœuvre en déclarant au comité central qu’ils ont toujours été d’accord avec la ligne générale mais ont seulement préconisé une autre méthode pour son application, qu’ils ne croient pas périmée. Staline dénonce là une manœuvre fractionnelle digne des « trotskystes », chasse Boukharine du bureau politique, fait proclamer dans la Pravda que « le Parti » exige des chefs de la droite une capitulation totale. Elle paraît dans la Pravda du 26 novembre 1929: Au cours des dix-huit mois écoulés, il y a eu entre nous et la majorité du comité central du parti des divergences sur une série de questions politiques et tactiques. Nous avons présenté nos idées dans une série de documents et de déclarations au plénum et à d’autres sessions du comité central et de la commission centrale de contrôle du parti. Nous estimons de noire devoir de déclarer que, dans cette discussion, le parti et le comité central avaient raison. Nos idées, présentées dm des documents bien connus, se sont révélées erronées. En reconnaissant nos fautes, nous ferons pour notre part tous nos efforts pour mener, en commun avec tout le parti, une lutte résolue contre toutes les déviations de la ligne générale et en particulier contre les déviations de droite et la tendance conciliatrice afin de surmonter toutes les difficultés et d’assurer la victoire îa plus rapide de l’édification socialiste. Boukharine, Rykov et Tomsky avaient capitulé devant Staline sans avoir livré combat et fini par réciter à sa demande leurs actes de contrition. Nous nous garderons bien de parler de lâcheté personnelle. Mais il est clair que ces hommes se situaient sur le terrain du « socialisme dans un seul pays » et que les partisans dans la Comintern - les leurs qu’ils abandonnaient ainsi étaient le cadet de leurs soucis. Restait que l’opposition de droite dans la Comintern était désormais privée de celui que de nombreux communistes avaient pris pour drapeau. Dans l’intervalle, Boukharine et ses proches avaient souvent contribué à désorienter les opposants dans l’Internationale en soufflant alternativement le chaud et îe froid, en les mobilisant par leur élan critique puis en les désorientant par un soudain retrait dans l’ombre et des conseils insistants pour qu’ils capitulent. Une exception cependant devrait être faite ici : jusqu’en 1929, l’Italien Ercoli (Palmiro Togliatti) a soutenu dans les organismes de la Comintern des positions politiques qui n'étaient pas celles de Staline et reflétaient sans doute celles de Boukharine. L ’historien peut être tenté de les négliger, du fait que l’homme a capitulé ensuite et démontré sa souplesse à tous points de vue, s’identifiant aux positions qu’il avait combattues. Mais ceux qui l’ont entendu les exposer ont pensé - et avaient sans doute raison de penser 8. S. Pons, dans Liebling der Partei, colloque de Wuppertal, p. 329.

La

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qu’ils entendaient là l’opinion de Boukharine. Contentons-nous de deux exemples emprun­ tés à son intervention au IX e plénum de l’exécutif de l’Internationale en février 1928. D’abord sur le social-fascisme, après les affirmations sommaires de Thàlmann, qu’il qualifie gentiment de « généralisations excessives » : Le fascisme est un mouvement de masse, un mouvement de petite et moyenne bourgeoisie dominé parla grandebourgeoisie et les agrariens. De plus, il n’apas debasedansune organisation traditionnelle de la classe ouvrière. La social-démocratie, en revanche, est un mouvement à base ouvrière et petite-bourgeoise qui tire sa force principalement d’une organisation reconnue par de grandes masses ouvrières comme l’organisation traditionnelle de leur classe9. Ensuite sur les questions d’organisation, où il répond aux réquisitoires ultra-centralistes des Ulbricht et des Thàlmann : Nous pourrions prendre comme modèle pour notre activité de formation des directions de partis les derniers mots prononcés par Goethe mourant: «Mehr Licht» (Plus de lumière !). L’avant-garde ouvrière ne peut pas se battre dans l’obscurité. L’étai-major de la révolution ne peut pas se former dans une lutte fractionnelle sans principe. H existe des formes de lutte qui consistent à adopter certaines mesures d’organisation qui, appliquées inconsidérément, prennent une valeur indépendante de notre volonté, agissant même en dehors d’elle, en poussant à la désagrégation, voire à la dispersion des forces des directions de nos partis10. Ce furent là les dernières paroles prononcées par un dirigeant communiste contre la ligne « classe contre classe » dans un organisme dirigeant officiel de l’Internationale, Le fait que l’homme qui les a prononcées ait capitulé par la suite ne doit pas entrer en ligne de compte quand il s’agit d’apprécier la ligne sur laquelle se trouvaient les droitiers par rapport à deux questions clés du mouvement communiste: la nature de la socialdémocratie et le régime de leur parti. L es

d is c ip l e s r u sses

R io u t in e

C’est en 1932qu’est apparu à Moscou un groupe clandestin indépendant appelé l’Union des marxistes-léninistes, sous la direction d’un apparatchik jusque-là surtout connu pour son appartenance à la droite et pour l’organisation de violences physiques contre îes gens de l’Opposition de gauche, M.N. Rioutine. Ce groupe, probablement organisé en 1930 et dont les membres ont été arrêtés en 1932, avait l’ambition d’unifier les oppositions pour abattre Staline. Il comptait parmi ses membres d’anciens militants de l’Opposition de gauche, de nuance trotskyste ou zinoviéviste, et, en majorité, d’anciens partisans de Boukharine. Dans leur correspondance, Trotsky et son fils Sedov appellent ce groupe «les droitiers». L ’«Adresse aux membres du parti» de ce groupe de juin 1932H - seulement connue après la perestroïka - commence en forme de réquisitoire : Le parti et la dictature du prolétariat sont conduits par Staline et sa clique dans une impasse sansprécédent et traversent une crise mortellement dangereuse. Utilisant la tromperie, la calomnie et l’avilissement des militants, recourant à la terreur et à une incroyable violence, Staline, pendant les cinq dernières années, a amputé le parti de ses meilleurs cadres authentiquement bolcheviques, au nom de la pureté des principes et de l’unité ; il a instauré sa dictature personnelle sur le parti et l’ensemble du pays, rompu avec le léninisme et s’est engagé sur la voie du pire aventurisme et d’un arbitraire personnel sauvage menant l’Union soviétique au bord de îa faillite12. 9. V ïï' congrès, Ercoli, Corr. int., n° 89,22 août 1928, p. 887. 10. VU4congrès, loc. cit., p. 950. 11. Manifeste de Rioutine, trad. fr., Cahiers Léon Trotsky, n°37, mars 1989, p.108-114. 12. Rioutine, loc. cit., p. 1Û8-Î09.

L ’ ÛPPOSmON COMMUNISTE DE DROITE

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Elle dénonce « un rythme d’industrialisation aventuriste qui entraîne une diminution colossale des salaires, [...] une collectivisation aventuriste menée au prix de la terreur, d’incroyables violences et d’une dékoulakisation qui a touché en réalité îes masses rurales moyennes et pauvres, [...] l’appauvrissement effrayant des masses et îa famine, tant à la campagne que dans ies villes ». Elle poursuit : Le pays tout entier est muselé ; l’injustice, l’arbitraire et la violence, ies menaces perpétuelles pèsent sur chaque ouvrier, chaque paysan. La légalité révolutionnaire est totalement bafouée. Il n’existeplusdeconfianceenl’avenir. Les masses travailleuses et ia classe ouvrière ontétéacculées audésespoirparla politique stalinienne. La haine, la rage et i’indignation des masses comprimées sous îe couvercle de la teneur sont comme une eau qui bout [...]. L’enseignement de Marx et de Lénine est honteusement déformé et falsifié par Staline et sa clique14. Le procès qu’ils font de l’appareil et du régime du parti est peut-être plus féroce encore ; ils parlent du « système de la menace, de îa terreur et de la tromperie », de la direction collective devenue « le système des hommes de main », des « politicards sans principes, froussards et menteurs [...j roublards, malhonnêtes, [...] des carriéristes, des flagorneurs et des laquais15». La partie consacrée à la Comintem est réduite : un simple paragraphe après un exorde vigoureux : « D’état-major de îa révolution communiste mon­ diale, 1IC a été rabaissée au niveau de simple chancellerie au service de Staline pour ies affaires des partis communistes, où siègent des bureaucrates couards qui exécutent la volonté de leur chef. La crise du PC(b) a entraîné celle de l’IC i6. » Le programme, esquissé pour l’URSS, ne comporte pas de mesures de redressement pour îa Comintem. On peut penser qu’il eût exercé une grande influence sur les courants de droite et même plus largement dans îes partis. Mais iî ne fut pas connu, et il n’en fut question de façon précise que des années après son démantèlement et l’emprisonnement de ses dirigeants. Il faut pourtant se poser la question : n’est-ce pas le fait que îe groupe Rioutine se situait lui aussi sur le terrain de îa construction du socialisme dans un seul pays qui explique ce dramatique silence ? L a DROITE ALLEMANDE : LES « BRANDLÉRIENS »

C’est en 1921 que Heinrich Brandler a été porté à la tête du KPD, au lendemain de î’« erreur gauchiste » de l’action de mars. Le choix a été opéré par les dirigeants de rintemationaie, et il est avisé. Brandler est un militant ouvrier solide, un excellent orga­ nisateur, un homme simple et populaire qui a fait partie du noyau spartakiste. Il est bien entouré d’hommes de son âge et d’expériences diverses, August Thalheimer, journaliste de talent, qui est à l’époque le théoricien du parti, et des militants éprouvés dans les combats de classe, comme Jakob Walcher, organisateur syndical, Paul Bottcher, Paul Frôlich et le gros de la génération ouvrière spartakiste du KPD, mais aussi des indépen­ dants de rUSPD. Pendant toute une période, il a répondu à l’attente de ia direction de TIC par son attitude très ferme - certains trouvaient qu’elle l’était trop - à l’égard de la « Gauche » de Ruth Fischer et de Maslow, qu’il jugeait gauchiste et aventuriste. Pas convaincu de l’approche de l’Octobre allemand, il se laisse cependant gagner à Moscou par l’enthousiasme des Russes et collabore avec eux, particulièrement avec Trotsky, pour qui il a une grande admiration, dans la minutieuse préparation de l’Octobre allemand17, 13. Manifeste de Rioutine, op. cit., p. 109. U.Ibidem, p. 110-111. 15. Ibidem, p. 111. 16.Ibidem, p. 111-112. 17. R. Fischer, Stalin and Germon Communism, p. 305-328.

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chute

Ses évidentes hésitations de dernière minute, le fait qu’il ait été celui qui donna le signal de la retraite, font pourtant de lui un bouc émissaire tout trouvé pour le terrible fiasco de 1923. Éperdu, Brandler croit pouvoir s’en tirer en désavouant Trotsky. Cette palinodie ne l’a pas empêché d’être éliminé de la direction du parti. Faisant le bilan de 1923, lui et ses proches vont désormais nier les possibilités révolutionnaires de 1923, dressant ainsi un mur entre eux et les trotskystesl8. Exilé à Moscou, Brandler ne perd pourtant pas le contact avec ses camarades. Au début de 1925, avec Thalheimer, Radek, Félix Wolf, Waîcher, tous résidant à Moscou et membres du PC russe, il est accusé de travail fractionnel et traduit -du 10 au 28 mars, en quatre sessions - devant la commission centrale de contrôle du PC russe élargie à plusieurs dirigeants de la Comintern, dont Piatnitsky et le tchékiste Peters. Ils sont accusés d’avoir mené un travail « fractionnel » par l’intermédiaire de plusieurs fonctionnaires allemands de l’ambassade d’URSS à Berlin, d’où Gerhard Eisler a été rappelé après îa découverte de « l’affaire19», Les « accusés » nient énergiquement, et Brandler va même jusqu’à proclamer qu’iî sera toujours dans îe camp de la révolution quand nombre de ses accusateurs seront dans celui de îa contrerévolution. L ’« accusée » Edda Baum, visiblement membre des services, avoue qu’elle a parlé des affaires allemandes avec Trilisser, homme du GPU, dont îe nom - l’ombre - ne fait que passer dans îe procès-verbal. La commission est saisie d’une demande d’exclusion; mais elle se contente d’un « blâme sévère » ainsi que de l’interdiction absolue d’intervenir dans la vie du KPD pour Brandler, Thalheimer, Radek, Edda Baum, Félix Wolf et Heinz Môller, et dans la Comintern pour Brandler, Thalheimer et Radek20. Il semble que Brandler et ses amis allemands de Moscou, sous 1a pression de leurs camarades russes, aient agi avec plus de prudence par la suite, et au moins cessé de laisser des traces. Brandler fut affecté à la Profintern, au Conseil de l’économie nationale puis à la Krestintern, dont il devint même vice-président. Thalheimer fut affecté à l’Institut Marx-Engels et enseigna à l’université Sun Zhongshan de Moscou. Us furent à nouveau critiqués à l’exécutif de novembre-décembre 1926. Pourtant, il y avait des tiraillements au sujet de cet exil, même chez des gens dans la ligne. Clara Zetkin, on îe savait, avait refusé de réintégrer la direction si Emst Meyer et Waîcher n’y étaient pas eux aussi réintégrés, si Thalheimer et Frolich ne recevaient pas d’importantes responsabilités. Et puis l’exclusion de Ruth Fischer pouvait justifier une concession. Finalement, les délé­ gations russe et allemande se rencontrèrent lors de l’exécutif de février 1928 pour régler l’affaire, après avoir soigneusement évité d’en informer Clara Zetkin. L ’accord se fit en définitive sur la décision de laisser rentrer les exilés à des conditions très strictes, dictées par Staline. Thalheimer revint en mars et reprit les contacts fractionnels. Brandler, lui, arriva à Berlin en septembre, en pleine affaire Wittorf. Si lui et les siens avaient eu des illusions, elles furent de brève durée. Les 3 et 4 novembre 1928, Thàlmann présenta le rapport politique à îa conférence du parti alle­ mand. Il soulignait l’évolution de la social-démocratie en social-impérialisme et ensuite en social-fascisme, un fait selon lui acquis. Il dénonçait « la déviation de droite » et son « bloc » avec les « conciliateurs », et affirmait la nécessité de le combattre systématique­ ment. La droite - quatre représentants - dénonça le « centralisme bureaucratique régnant » et le fait que les membres du parti étaient « muselés », et Bôttcher appela en son nom à lutter « contre la toute-puissance de l’appareil incontrôlé et la tolérance [dont il faisait preuve] à l’égard de la corruption ». C’était bien dit, mais les quatre eurent contre eux 18. P. Broué, Révolution en Allemagne, p. 792. 19, J. Becker, T. Bergmann, A. Waltin (hrsgb), Das ente Tribunal. Das Moskauer Parteiverfakren gegen Brandler, Thalheimer und Radek, accusation p. 65-90. 20.Ibidem, p. 185-187.

L ’ O pposition

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221 voix sur un texte qui les qualifiait de « liquidateurs et traîtres au parti ». D y eut d’importantes résistances dans les assemblées générales de plusieurs districts, et les réso­ lutions contre la direction l’emportèrent même ici ou là. Les « conciliateurs » faisaient tout pour éviter ce qui leur paraissait un arrêt de mort pour le communisme en Allemagne, un crève-cœur aussi, car les hommes menacés d’exclusion avaient incarné la cause du communisme pendant les années de la guerre et de la révolution, parfois enflammé l’enthousiasme des militants de base et jeunes qu’ils étaient alors. Emst Meyer participa au secrétariat politique de la Comintem à la fin novembre et fit une intervention sérieuse et argumentée, hachée par les interruptions de Walter Ulbricht. Au CC du KPD des 13 et 14 décembre, la direction, constatant que la droite avait reconstitué une fraction, lui donna jusqu’au 20 décembre pour capituler par écrit et renoncer à ses propres idées sous peine d’exclusion. Les « conciliateurs », eux, faisaient des efforts désespérés pour maintenir une balance inégale entre la droite, « ennemi principal », et les « tendances sectaires de gauche » de la direction. A l’exécutif de l’IC, Staline avait martelé qu’on ne pouvait plus supporter ces agis­ sements, qu’il fallait au parti une discipline de fer. A Hausen et Galm, convoqués les premiers, Boukharine conseillait de capituler. Clara Zetkin y était opposée, préconisait la liberté de discussion. Humbert-Droz aussi était opposé, ainsi que l’Italien Angelo Tasca. Entre le 21 décembre, pour les Allemands membres du KPD, et le 1er janvier 1929, pour ceux qui l’étaient du parti russe, du fait de leur exil, tous les « agents réformistes dans le parti communiste », indépendamment de leurs états de service de fondateurs du parti, furent exclus sans autre forme de procès. La réunion fractionnelle du 30 décembre 1928 des oppositionnels de droite autour de Brandler et de Thalheimer devenait donc rétroactivement, le 1erjanvier, après l’exclusion de ces deux derniers, l’acte de fondation d’une organisation communiste nouvelle, la KPO (Parti communiste oppo­ sition)21. L ’ex c lu sio n

d e l a d r o it e en

T c h éc o slo v a q u ie

La scission se produisit en Tchécoslovaquie peu après l’accession aux leviers de com­ mande du PC de l’équipe de Klement Gottwald. Les nouveaux dirigeants de la fraction à la direction des syndicats rouges, le MVS, s’étaient lancés dans une grève minoritaire chez îes ouvriers du textile du nord de îa Bohême, s’attaquant aux syndicats réformistes comme à la majorité de leur propre syndicat. L ’ancienne direction autour de Josef Hais, sous l’impulsion d’Amo Hais, voulait mener la contre-attaque. L ’impossible se produisit, ce que l’historiographie stalinienne appela « un putsch ». Le 10 mars 1929, un vote de la direction syndicale déposa les dirigeants et réinstalla au secrétariat général l’ancien titu­ laire de ce poste, Josef Hais, écarté par une décision de la fraction du PCT dans le MVS sur instructions de la direction Gottwald. C’était un défi démocratique et une affirmation pratique de l’indépendance syndicale que le PCT ne pouvait accepter. Le 13 mars, ie comité centrai du parti tchécoslovaque prononça l’exclusion non seu­ lement de Hais mais d’une série d’autres dirigeants considérés comme droitiers, Vâclav Bolen, Alois Muna, Josef Skalâk et l’ancien secrétaire général du parti Bohuslav Jflek. 26 députés et sénateurs animés par Jflek et Neurath dénoncèrent le cours ultragauche qui menait à îa faillite et ferait du parti une secte. La Profintem essaya - ou fit mine d’essayer de trouver un compromis pour empêcher la scission de sa section tchécoslovaque. Les 26 et 27 mars, à Dresde, une délégation formée de Losovsky, Dimitrov, Heckert, Merker, 21. R. Alexander, op. cit., p. 137.

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Herclet et Witkowski rencontra des délégués des deux fractions tchécoslovaques opposées. Rien n'en sortit C’était îe signal de ia scission du MVS, dont deux tiers environ restèrent sous la direction de l'homme du PCT, Antonin Zâpotocky, cependant que 40 000 partisans de Hais allaient à terme rejoindre les syndicats réformistes, un coup dur pour la Profintern, moins important cependant que prévu par îes amis des Hais. Exclus ou partis d’euxmêmes, les communistes de droite furent représentés à une conférence organisée à Kladno enjuin, enprésence d’un délégué de la KPO allemande, Erich Hausen. Forte de 6 000mem­ bres au départ et du ralliement d’hommes de gauche comme Alois Neurath, elle contrôlait des maisons du peuple et d’autres institutions importantes du mouvement ouvrier. Les autres dirigeants étaient des vétérans du noyau initial, Alois Muna, Vâcîav Bolen, Josef et Arao Hais, Brétislav Hula, L ’opposition communiste se regroupa. Le Groupe léniniste d’opposition de Bohuslav Jflek et l’opposition de Bmo autour de Vâcîav Kovanda fusionnaient au sein du Groupe léniniste, dont la fusion avec une partie de l’opposition « léniniste » donnant naissance à l’Opposition unifiée du parti communiste tchécoslovaque, KSC-Opozice. Ces développe­ ments étaient autant de revers pour Klement Gottwald et les siens. Trotsky ne fut pas moins atteint par le fait qu’un opposant de gauche de l’importance de Neurath, rompant avec Zinoviev, se ralliât à l’Opposition de droite. Il dut pour sa part batailler dur contre ses camarades de Tchécoslovaquie qui pensaient eux aussi au début que l’opposition de droite pourrait offrir un toit commun à différentes familles issues du parti. Malgré ses succès initiaux, l’opposition de droite allait faire long feu assez vite. Dans un premier temps, en 1930, la fraction de l’opposition « léniniste » qui n’avait pas rejoint l’opposition, de droite, et, dans un second temps, en 1932, Muna et quelques autres, passèrent à la social-démocratie. C’est cette dernière qui fut ici directement bénéficiaire de la crise et de la scission du parti, l’Opposition de droite perdant même Neurath en 193222. La

d r o it e fr a n ç a ise et la

SFIO

Il n’y eut pas en France de droite au sens international du terme, de « droite brandlérienne », pour employer le jargon. Peut-être les conditions de îa scission de Tours, l’impor­ tance des militants du « centre » ralliés à Moscou expliquent-eiles une très rapide hémor­ ragie sur la droite du PC. En 1923, L.O. Frossard, Tancien secrétaire général, en réalité en révolte contre le communisme, fonde avec Pauî-Louis l’Union socialiste-communiste, qui devient en 1927 le Parti socialiste-communiste. En 1929, c’est la tactique « classe contre classe » qui chasse un groupe de conseillers municipaux de Paris, dont un autre ancien secrétaire général, Louis Sellier, et l’ancien dirigeant des JC François Chasseigne, qui vont fonder le Parti ouvrier et paysan. Ces deux petites formations, PSC et POP, fusionnent en 1930 au sein du PUP (Parti d’unité prolétarienne), dont Paul-Louis fut aussi secrétaire, et qui subsistajusqu’à sa fusion avec îa SFIO en 1937, ayant réussi à conserver quelques députés et recruté sur une base unitaire des militants syndicaux ex-membres du PC, comme l’enseignant et historien Maurice Dommanget. Sans vouloir négliger l’importance de ces deux organisations, qui semblent n’avoir eu aucun rapport direct avec l’Opposition de droite, il faut sans doute souligner d’abord que cette dernière n’avait guère de chances en France à partir du moment où celui qui, parmi les anciens communistes, était sans doute le plus proche d’elle, après le début des années 22. On trouvera une étude sur les syndicats rouges en Tchécoslovaquie pendant les années 20, ainsi que îe récit de la lutte finale de 1929, dans K. McDermott, The Czech Red Unions 1918-1929. A Study of their Relations with the CP and the Moscow International.

L ’ O pposition com m uniste d e

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30, Boris Souvarine, ne s’y engagea jamais : il rejetait avec indignation F assimilation avec elle. Par ailleurs, la période de l’entre-deux guerres a vu une continuelle hémorragie du PCF, avec le passage à la SFIO de militants exclus ou écœurés au lendemain d’une de ses nombreuses crises. Ce fut le cas de deux hommes bien différents, L.O. Frossard, l’opportuniste, au milieu des années 20, Amédée Dunois, homme de rigueur morale, via le POP, en 1930, et aussi de nombre d’ex-opposants du PC, de Maurice et Magdeleine Paz à Albert Treint et Henri Barré en passant par Maschl-Revo, devenu Lucien Laurat. L es

lo v bst o n ist es

Jay Lovestone (Jakob Liebstein), fils d’émigrés d’Europe orientale, avait adhéré très jeune au Parti communiste des États-Unis et s’y était immédiatement engagé dans la lutte qui faisait alors rage entre les trois fractions rivales. L ’homme avait de remarquables qualités d’organisateur et passait pour un redoutable manœuvrier rompu aux bagarres d’appareil. En 1925, battu de peu aux élections pour le congrès par la tendance Foster-Cannon, il s’était vu introniser tout de même à la tête du CPUS A : un télégramme de l’exécutif avait enjoint à son représentant S.I. Goussev de faire de lui le chef du parti. Jusque-là second de Charles Ruthenberg, il avait pris de l’importance après la mort de ce dernier. En septembre 1927, il était le secrétaire incontesté du parti, et allait le rester pendant deux ans. Personnellement lié à Boukharine, au cours de ses nombreux voyages à Moscou, il était son conseiller pour les affaires américaines. Il s’était distingué en 1928 - un des premiers dans la Comintern - par l’organisation de violences physiques contre les « trotskystes », dont les appartements furent cambriolés et saccagés, les femmes inju­ riées et traitées de putains, les militants attaqués et battus dans la rue, exclus par dizaines. Mais, la même année, il avait commis pour sa carrière l’erreur majeure de ne pas com­ prendre à temps l’affaiblissement des positions de Boukharine. Il avait même réclamé au VIecongrès la réunion du « conseil des anciens » - les chefs de délégation - pour mettre un terme aux calomnies contre lui et aux rumeurs le concernant, ce qui lui avait valu un refus offensé et le ressentiment de Staline. Son tour arriva sans qu’il s’y soit apparemment attendu si tôt. H n’accepta pas îes « propositions » de Staline, qui voulait ie faire venir à Moscou sous le prétexte de le faire travailler à la Comintem, afin, bien sûr, de l’éloigner du parti américain. La résistance opposée à cette proposition par les délégués à Moscou du parti américain ne fît qu’enve­ nimer les choses. Staline mena l’attaque au cours de la session du présidium en mai 1929. Hmanifestade plus en plus ouvertement son cynisme et interpella Lovestone en ces termes : « Aujourd’hui vous avez encore formellement la majorité. Demain, vous ne l’aurez plus - si vous cherchez à lutter contre les décisions du présidium du comité exécutif de la Comintem - et vous serez complètement isolés. Prenez-en conscience. Si les camarades de la délégation américaine se rallient à nos propositions, c’est bien, sinon, tant pis pour eux. La Comintem fera ce [qu’elle a décidé de faire], dans toutes les conditions23. » Le dirigeant en passe d’être disgracié savait cette fois ce qui allait lui arriver. Il avait préparé d’avance un transfert des propriétés du parti. Il venait à peine de quitter Moscou qu’iî était déjà remplacé à la tête du parti. Il apprit deux jours après son arrivée qu’il avait été exclu dans une charrette de 300 à 350 militants, avec qui iî fonda le Communist Party of the USA (Majority Group), publiant Revolutionary Age, puis Workers Age : parmi eux, 1î membres titulaires du comité central, 4 suppléants, 2 membres de la commission de contrôle. Staline avait vraiment coupé sans ménagements la tête du CPUSA. 23. El. Firtsov, op. cit., p. 102.

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A utres

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organisations e t groupes

Née dans l’appareil autour d’hommes dont l’autorité reposait aussi sur les méthodes d’appareil, l’Opposition de droite, à la différence de l’Opposition de gauche, a, sans doute pour cette raison, réussi à entraîner des pans entiers des organisations régionales et même un parti tout entier. En Inde, M.N. Roy avait été l’une des vedettes des débuts de l’IC avant de devenir un admirateur de Staline, qui le considérait pourtant comme un « boukharinien », se méfia toujours de lui et le persécuta très tôt. Il a été exclu à Moscou en 1929 au moment où il était établi à Berlin, lié à Brandler et surtout à Thalheimer, qui était alors devenu, suivant sa propre expression, son « gourou ». Il s’efforça aussitôt de mettre sur pied un groupe communiste d’opposition. Les premiers membres en furent recrutés par lui à Berlin : panmi eux, Brajash Singh, futur mari de Svetlana Alliloueva Staline. Il envoya trois des siens en Inde en août 1930 avec un manifeste assurant qu’iî n’était pas question dans l’immédiat d’appeler à former en Inde une république soviétique. Lié à Nehru, il accomplit un gros travail initial, notamment dans les organisations paysannes, mais sans aucun résultat dans le Parti du Congrès. Les communistes de Suisse avaient été les premiers à manifester leur résistance à la décision de Staline - prise sans même une réunion du secrétariat politique de îa Comintern - de contraindre le comité central allemand à revenir sur son vote et à rétablir Thalmann dans ses fonctions. Humbert-Droz avait télégraphié son désaccord et maintenu sa position lors de la réunion du présidium, face à Staline et avec le soutien de Clara Zetkin. Pour des raisons qui nous échappent, Staline l’épargna et le conserva sous étroit contrôle dans l’appareil de l’IC. Les dégâts furent donc relativement limités en Suisse. Le premier exclu fut Paul Thalmann, ex-membre du bureau politique et membre du comité central, accusé d’être « droitier » et « fractîonniste ». Fritz Wieser, secrétaire du parti, le suivit de peu. Le parti suisse fut placé sous la tutelle d’un « proconsul », l’Allemand Richard Gyptner. Il se heurta à l’organisation du PC de Schaffhouse, dirigée par Walter Bringolf, qui refusa de suivre les conseils de Humbert-Droz et fut exclu. L ’Opposition communiste suisse fut ainsi bâtie autour de Schaffhouse, avec la presse, l’appareil, îes élus du PC dans cette région. Elle y avait dans les premiers temps une influence électorale et sociale bien supérieure. L ’organisation de la KPO suisse fut cependant fondée en dehors d’elle par les efforts d’un responsable de Zurich, l’émigré communiste hongrois Moritz Mande!, qui y rallia l’organisation de Schaffhouse d’abord et son chef ensuite. Il n’y avait pas de personnalité comparable à Jules Humbert-Droz en Suède. Le parti communiste, jusqu’alors dirigé par Karl Kilbom, comptait en 1927 environ 18 000 mem­ bres. Il avait une influence non négligeable dans îes syndicats. Boukharine, qui avait vécu en Suède pendant la guerre, était bien connu et bien vu des dirigeants et des membres. Un incident à propos de l’analyse par Remmele du capitalisme suédois comme un « impé­ rialisme dirigeant » provoqua en 1929 une lettre de l’exécutif et une réunion du comité central du parti suédois, qui la rejeta à la majorité. Invités à des « négociations » à Moscou, les dirigeants suédois se trouvèrent en face d’une commission de dirigeants de la Comintem, dont Manouilsky, Ulbricht, Reimann, Remmele, qui exigèrent d’eux îa reconnais­ sance de leurs erreurs. Ils refusèrent et revinrent au pays. Le PC suédois présentait l’originalité d’avoir ses propres ressources et de ne pas dépendre de l’aide de Moscou. Le parti suédois envoya alors une nouvelle délégation dont Kilbom était membre. Cette fois, on arriva à un accord qui prévoyait une discussion de quatre mois précédant la décision définitive. Mais îe débat fut porté en public au Riksdag par la fraction minoritaire

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pro-Moscou de Hugo Silîen. Après le Xe plénum, l’exécutif prononça l’exclusion des dirigeants qui lui résistaient. Ceux-ci convoquèrent le V IIIecongrès de leur parti, dont ils conservèrent la majorité, 7 000 membres contre 4 000 sur un total de 17 000 avant la scission - la note était très lourde. Les dirigeants exclus emmenèrent avec eux appareil, presse, responsabilités syndicales et autres et la majeure partie de Félectorat communiste. Le groupe d’opposition communiste norvégien d’Erling Falk avec la revue Mot Dag, les groupes finlandais et danois suivirent de loin l’exemple de Stockholm, Les uns et les autres plongèrent dans un travail syndical qui leur valut des responsabilités sur une ligne d’« opposition loyale » à la bureaucratie réformiste. L ’influence des brandlériens était, au début, le facteur déterminant pour tous. Au fil des années, cependant, ils allaient se rapprocher de la social-démocratie. En Espagne, en dehors des luttes fractionnelles permanentes qui avaient abouti à la remise de l’autorité au groupe des trois, Bullejos, Leôn Trilla et Adame, le point de départ de îa crise fut en 1927 la directive de l’exécutif de participer à des Cortes dont l’élection avait été décidée par le dictateur Primo de Rivera. Maurîn y fît opposition au nom de îa fédération catalano-baîéare, et une conférence du parti refusa de suivre îa Comintem sur ce terrain. Maurûi avait été soutenu dans son opposition par Andrés Nin, alors toujours à Moscou, secrétaire de îa Profintem. En 1931, tout un pan du parti communiste - le tiers de ses effectifs - le quitta après l’exclusion de îa fédération catalano-baléare de Joaquin Maurîn. La fédération fut aussitôt rejointe par un petit parti en désaccord avec î’IC à cause de ses propres tendances cataîanistes, le Partit Comunista Catalâ, mais aussi par des vétérans comme Luis Portela et de plus jeunes, tel Juîiân Gorkin, qui avait été permanent à la Comintem à Moscou avant de flirter pendant plusieurs mois avec l’Oppo­ sition de gauche. Tous furent étiquetés de droite cependant, car leurs contacts internatio­ naux et îes amitiés personnelles de Maurîn - beau-frère de Souvarine - étaient du côté de la droite24. Pendant quelque temps, Andrés Nin, de retour de Moscou, songea à rejoindre Maurîn, qu’il avait retrouvé en prison. Ce fut là le premier de ses graves conflits avec Trotsky au cours de ces années. C’est également sur la question nationale que le Parti communiste d’Alsace s’est trouvé en 1929 engagé du côté de l’opposition de droite, en refusant le mot d’ordre du PCP d’« Alsace soviétique ». Il réaffirmait que le caractère national de la République soviétique alsacienne serait déterminé par le calendrier de la révolution en Allemagne et en France, et qu’il faudrait de toute façon prendre en compte les revendications nationales partielles. Exclu, il a alors entraîné l’écrasante majorité des électeurs et des militants communistes alsaciens. A sa tête, le député et maire de Strasbourg Charles Hueber - l’homme qui avait apporté au congrès de Tours l’appui de l’organisation social-démocrate entière du district de Strasbourg aux communistes - et un autre député, Jean-Pierre Mourer. Fraction d’un parti minuscule, l’opposition de droite d’Autriche fondé en 1929 n’est digne d’être mentionnée que du fait de la présence à sa tête de l’ancien dirigeant des Jeunesses, W illi Schlamm, qui, après 1933, dirigea en exil pendant quelques mois le prestigieux hebdomadaire en allemand Die Neue Weltbühne, où iî donna largement la parole à Trotsky. Les dirigeants du courant communiste au Canada qui animaient les groupes de Montréal et Toronto, Jack MacDonald - passé à l’opposition de gauche en 1932 - et William Moriarty, ancien secrétaire du Parti communiste du Canada, avaient été exclus pour avoir refusé d’exclure Israël Breslow, un jeune ouvrier qui recevait îe matériel de cette organi­ sation. Us n’ont pas joué de rôle indépendant de l’opposition de Lovestone, qui les a 24. V. Alba et S. Schwartz, Spanish Marxism vs Soviet Communism, p. 1-88.

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recrutés et dont ils étaient en quelque sorte des groupes locaux. Il en est de même des dirigeants de Montréal, Michel Buhay et Kalmen Kaplansky. Au Mexique, Diego Rivera, ami personnel de Bertram D. Wolfe, l’un des principaux collaborateurs de Lovestone, a donné de l’argent mais pas son adhésion à l’opposition de droite. Retenant la bonne formule de Robert J. Alexander sur « les oppositions qui ne sont pas nées », nous ne le suivrons pas dans sa quête de groupes nationaux dans les colonnes de la presse lovestoniste, qui abuse souvent ses lecteurs ou s’abuse sur 1a force de ses camarades étrangers. Nous ne mentionnerons que les Italiens et les Polonais. La fraction des communistes d’Italie qui avaient été formés dans la polémique avec la gauche bordiguiste avait été très proche de Boukharine, Ercoli-Togliatti ne le dissimule pas au VIe congrès. Mais Staline savait surmonter les résistances qui provenaient d’un parti d’émigrés. Togliatti capitula, même sur la théorie du social-fascisme, dont il avait maintes fois montré qu’il n’en croyait pas un mot. Angelo Tasca (Serra) fut exclu, ainsi que Secondo Tranquilli, le futur romancier Ignazio Silone. Gramsci était mis en quaran­ taine dans sa prison : il avait émis des critiques à l’égard de la direction stalinienne. Il n’y eut pas d’opposition de droite organisée de communistes italiens. Angelo Tasca, réfugié en émigration en France, devint Amilcare Rossi, membre de la SFIO, et André Leroux, collaborateur du Populaire. En Pologne, les quatre W - Warski, Wera Kostrzewa, Walecki et Weber-Prôchmak -, avec nombre de militants de la vieille garde communiste, ont été considérés comme des « brandlériens » et attaqués comme des « opposants de droite », ce qu’ils n’étaient que dans une certaine mesure sur le plan des idées et des orientations fondamentales. Ce que nous savons d’eux explique cependant qu’ils se soient tenus à l’écart. Sur eux, plus que sur tous les autres, jouait à plein le phénomène de l’attachement à la révolution russe et de la dévotion au parti russe. Aux Pays-Bas, le vigilant Robert J. Alexander a commis une petite erreur. H croit identifier un groupe de l’Opposition de droite dans la scission dirigée par Wijnkoop, le PC hollandais-comité central (CPH-CC), alors que 1*assimilation est impossible, mais semble n’avoir en revanche pas remarqué le petit groupe dirigé de 1933 à 1935 par Richard Van Riel, la Communistische Partij Oppositie (CPO), qui en fut membre pendant les deux années de son existence. P rogram m e d e l ’O pposition internatio nale

C’est en 1930 que naquit l’Opposition communiste internationale unifiée (IVKO, ou UICO) au congrès de Berlin, où le rapport fut présenté par Lovestone. Celui-ci la présenta « non comme une nouvelle Comintern », mais comme « le centre organisationnel de la lutte pour la restauration et la reconstruction de l’Internationale communiste25». La plate-forme programmatique rappelait les « principes de base » du « communisme [...] l’établissement d’une dictature du prolétariat sous la forme d’un État soviétique comme la transition nécessaire vers une société socialiste sans classes » et « la défense de l’Union soviétique en tant qu’État ouvrier » - une façon de reconnaître la possibilité de la construc­ tion du socialisme dans un seul pays... Le moyen devait être un parti unifié mondial, régi par les règles du centralisme démocratique : pour l’instant, la plate-forme disait émaner d’une « tendance tactique organisée dans la Comintern ». Pour elle, il fallait mener une lutte irréductible contre le réformisme ouvert et le réformisme caché des centristes. Elle 25. Revolutionary Age, 7 mars 1931.

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critiquait ia théorie stalinienne de la « troisième période », qui, selon elle, « ne résulte pas d’une analyse réelle du capitalisme mondial mais d’un transfert schématique des étapes principales de la construction socialiste en Union soviétique ». Elle se prononçait pour le front unique avec pour objet de « gagner au communisme la majorité de la classe ouvrière » et d’organiser sa lutte. Elle condamnait 1apolitique de scission des organisations syndicales et préconisait la réunification là où elle avait eu lieu. En ce qui concerne le régime interne, elle insistait sur la nécessité d’une direction internationale « unifiée et centralisée, basée sur des représentants des partis qui sont en mesure d’avoir leur propre évaluation des rapports declasses dans leurs pays et ne soient pas de simples fonctionnaires de la direction internationale, mais des représentants jouissant vraiment de la confiance de leurs sections ». Elle revendiquait aussi l’élection des responsables, l’organisation de véritables discussions, la libre discussion avant l’action, et préconisait l’exclusion des éléments corrompus. Elle réclamait la réintégration de « tous les exclus pour s’être opposés au cours ultragauche actuel26». Le silence absolu maintenu sur la politique en URSS surprend peut-être mais s’explique très bien. Les dirigeants de l’opposition de droite étaient connus comme boukhariniens. Certains d’entre eux étaient même des amis personnels de Boukharine. Il serait puéril de penser que leur silence s’expliquait par la crainte de compromettre leurs amis soviétiques. Ils l’expliquaient eux-mêmes, bien que de façon un peu formelle, par leur souci de laisser d’abord les intéressés se prononcer sur les affaires de leur pays : les brandlériens n’ont pas admis, disaient-ils, l’ingérence du parti russe en Allemagne, et c’est précisément pour cela qu’ils s’abstiennent pour leur part de tout commentaire sur la politique de leurs camarades russes. Les gens de l’Opposition de gauche disent que Brandler notamment a toujours espéré que la raison s’imposerait à Staline et que, devant le désastre imminent provoqué par ses hommes à lui, il ferait de nouveau appel à ceux qui auraient été des opposants loyaux et discrets de sa politique et les ennemis de ses ennemis : une attitude qui conduisit en tout cas Brandler à dénoncer bruyamment « les trotskystes » et à approu­ ver les deux premiers procès de Moscou. La

po sit io n d e

M .N . R o y

Une récente étude de l'historien indien Sobhanlal Dutta Gupta27s’est attachée à dresser un tableau d’ensemble de la critique de M.N. Roy à l’égard de la Comintern. D’abord une critique de la « troisième période » sur la base de son expérience vécue comme dirigeant pendant dix ans. Puis les trois points cruciaux, la ligne générale ultragauchiste, la russification grandissante de la direction de la Comintem, la subordination de cette dernière aux diktats du parti soviétique, enfin les implications désastreuses de cette ligne sur 1a lutte révolutionnaire en Inde. L ’auteur y souligne que « la droite » a été détruite dans l’Internationale avant que Boukharine soit éliminé des postes de responsabilité en Union soviétique, et qu’il subit ainsi l’attaque décisive au moment où il était totalement isolé. H explique que les deux erreurs de Moscou consistaient à l’époque à surestimer la puissance de la social-démocratie et à sous-estimer celle du fascisme. Il montre ensuite que la divergence entre Roy et la Comintem portait sur le degré de stabilisation du capitalisme, que Roy considérait comme relativement important et qui ne justifiait pas à l’époque de « tactique offensive sur tous les fronts » mais seulement prudence et tactique défensive. 26. Revolutionary Age, 25 avril 1931. 27. S.D. Gupta, « M.N. Roy’s Critique of the Comintem : An Exercise in Bukharinism ? », The Calcutta Historical Journal, XVI, I, janvier-juin 1994, p.101-125.

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CHUTE

Pour Roy, il faudrait distinguer entre la lutte pour ia direction de îa classe ouvrière et le combat pour le pouvoir, la première seule étant à Tordre du jour et exigeant une conquête lente et patiente de la majorité à travers les organisations de masse, notamment les syndicats. Roy ne remet pas en question îa théorie de la « construction du socialisme dans un seul pays ». Mais il considère que îes dirigeants russes, depuis la mort de Lénine sont des médiocres, « des hommes de second plan » écrasés par les difficultés dans îeur propre parti et souvent « obligés de traiter r internationale comme un simple instrument dans leurs luttes internes ». Il ne critique pas îa collectivisation, mais seulement son rythme, et qu’elle soit imposée de force et par des méthodes bureaucratiques. En revanche, il est très critique quant à l’accent mis par la Comintern sur îe « danger de guerre » contre l’URSS, sous-estimation selon lui et des contradictions interimpérialistes, et de la puis­ sance de l’URSS. A la différence de Brandler, il se prononce sur le régime interne de l’URSS, et contre la répression qui frappe la droite : « L ’utilisation de la terreur à l’inté­ rieur de la classe révolutionnaire est très risquée et ce danger peut être fatal si le régime de terreur s’étend à î’intérieur du parti de îa classe révolutionnaire28. » Il écrit sur le problème de fond : « Tout le système de direction doit être changé avant que la Comintern puisse se remettre de sa crise actuelle, qui est une crise de direction. Tant que le système actuel, à savoir la détermination de la politique de toute l’Internationale sur la base des besoins des luttes internes au Parti communiste de l’Union Soviétique dans les conditions postrévolutionnaires, continue, on ne peut prévoir la fin de cette crise29, » Sans jamais mentionner la lutte antérieure de l’Opposition de gauche ni 1aterreur autrement rigoureuse qui l’a frappée avant la droite, il affirme son optimisme du fait que l’industrialisation, « victoire de Staline », a infusé un sang nouveau dans le prolétariat et qu’elle a ébranlé, les bases de la bureaucratisation, une affirmation qui est sans doute la plus surprenante de ce développement sur la situation en URSS. Quant à l’Inde, après plusieurs tournants et volte-face, M.N. Roy condamne fermement la tactique isolationniste ultragauchiste d’un petit parti créant ses propres syndicats rouges, coupé de tout le mouvement des exploités et des opprimés. Pour sa part, iî en est venu i ia conclusion de la nécessité de partis ouvriers et paysans, regroupant nationalistes avancés et communistes, et travaillant à l’intérieur du Parti du Congrès, à la fois pour s’y protéger et pour le radicaliser de l’intérieur. S.D. Gupta, ici, défend M.N. Roy contre Trotsky en s’efforçant de démontrer que ce qu’il avait en vue, ce n’étaient pas des partis « ouvriers et paysans » à la stalinienne, substituts de partis communistes, mais des partis pouvant jouer le rôle de ponts vers îes masses qui suivaient le Parti du Congrès et d’instruments de pression à l’intérieur de ce dernier. E ssor e t d éc lin d e l 'O pposition d e d r o it e 30

L ’Opposition de droite a commencé par des succès partout où elle avait de solides points d’appui, dans la mesure où elle attirait ceux que rebutaient le sectarisme et l’absur­ dité de la politique de îa « troisième période ». Mais, refusant de se distancier de la politique stalinienne en URSS, elle en subissait d’autant plus durement les contrecoups. Enfin, elle avait aussi beaucoup de mal à se différencier de la gauche social-démocrate, qui, elle aussi, combattait pour le front unique. Les Allemands de la KPO n’ont pas réussi à entraîner avec eux la « vieille dame », compagne d’annes de Rosa Luxemburg, qui les avait protégés et encouragés avec prudence 28. M.N. Roy, cité ibidem, p. 110.

29. M.N. Roy, cité ibidem, p. II. 30. Nous emprtmtûBS ici au livre de R J. Alexander, The Right Opposition.

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jusqu’alors, Clara Zetkin. En revanche, ils réussissent à emmener « le camarade Thomas ». L ’opposition de droite est née dans 1TC. Elle comptait alors un millier de membres environ. L ’année suivante, lors de sa deuxième conférence, en novembre 1929, elle en revendique 6 000, presque tous anciens du parti ou des jeunesses. Sa position de principe est le refus de créer un nouveau parti : la mission qu’elle s’est donnée, c’est de sauver le KPD de la ligne ultragauchiste de la Comintem. Elle adopte un programme rédigé par Thalheimer et montre sa capacité à mener une discussion politique sérieuse et démocra­ tique. On peut cependant remarquer l’absence de référence aux « questions russes », et, de façon générale, aux responsabilités de Staline et de la bureaucratie. La KPO allemande de Brandler a, au départ, une solide force d’organisation, avec huit hebdomadaires tirant au total à 25 000 exemplaires et un quotidien, Arbeiîerpolitik Dans ses bastions, comme la Thuringe, elle réussit quelques bons scores électoraux, jusqu’en 1932, où elle obtint 21 élus municipaux quand îe KPD en avait 38. Elle a, de façon générale, des militants dans les syndicats et notamment dans celui de la métallurgie, le DMV. Sa propagande était axée sur îa nécessité du front unique face aux nazis et sur la critique de la politique de division du SPD et du KPD, soulignant l’égale responsabilité des deux grands partis ouvriers. Elle dénonçait comme un non-sens la politique qui qualifiait les social-démocrates de social-fascistes. Elle a mené plusieurs campagnes poli­ tiques, notamment en 1929, contre îe plan Dawes, soutenu en 1932 la candidature de Thâîmann à la présidence de la République. Elle connaît sa première crise en Î932, où une importante minorité conduite par Waîcher et Frolich se prononce pour la fusion avec le SAP, qui vient d’être constitué par l’exclusion de la gauche de la social-démocratie et qui regroupe plusieurs dizaines de milliers de membres. Ces communistes d’opposition, qui ne sont initialement que quelques centaines, vont effectivement réaliser F objectifqu’ils se fixent en rompant avec la KPO, à savoir conquérir la majorité du SAP, qui compte, lui, des dizaines de milliers d’adhérents. Mais ce succès, qui aurait pu, à terme, dans une situation en développement, avoir d’importantes consé­ quences, reste sans lendemain car il est remporté dans lesjours mêmes où l’anivée d’Hitler au pouvoir interdit l’activité de tous les partis ouvriers et les rejette dans une clandestinité précaire où la police aura la possibilité de les décimer et de les faire disparaître en tant que force significative. La KPO suisse avait pratiquement hérité du parti officiel dans la région de Schaffhouse, avec une implantation suffisante pour assurer en 1932 l’élection de Walther Bringolf comme maire de Schaffhouse. Le Parti communiste de Suède s’était vaillamment comporté face aux assauts du PC « officiel » reconstitué par i’IC et avait encore plus de voix que lui en 1932 aux élections, malgré des positions syndicales assez faibles. Le groupe de Lovestone aux États-Unis se distingua par son exceptionnelle habileté organisationnelle. B publiait un bon hebdomadaire, Workers Age, et quelques organes spécialisés, dont un journal en yiddish. Î1 noua des relations étroites avec des intellectuels qui s’orientaient vers le marxisme, comme V.F. Calverton, joua un rôle non négligeable dans Modem Monthly et Marxist Review. Le nombre des membres est à situer pour les années suivantes à 1000, peut-être 1 500. Sa première caractéristique était l’accent mis sur la formation des cadres, la mise sur pied à l’usage des membres du groupe d’un enseignement de théorie marxiste et d’analyse économique marxiste, ainsi que de la société américaine contemporaine. La deuxième est un engagement très profond et un important investissement de militants dans le mouvement syndical, où ses bastions furent le Local 22 de l’ILGWU, le Local 155 de l’ILG, tous deux syndicats du vêtement, les fourreurs, les fabricants de chaussures,

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mais aussi les mineurs, l’UMW, et les enseignants de New York. Il réussit ainsi à inspirer confiance à nombre de responsables en révolte contre la bureaucratie de l’AFL. Convaincu de T« exceptionnalisme américain », il puise dans cette conviction la force et la capacité de s’adapter aux milieux qu’il veut conquérir et sut ainsi acquérir une influence qui dépassa largement sa propre dimension. Avec la grande vague de syndicalisation de la fin des années 30, les « lovestonistes » se trouvèrent ainsi propulsés au tout premier plan du mouvement d’organisation syndicale. Le plus étonnant est qu’il semble être maintenant prouvé, après l’ouverture des archives de la Comintern, que Lovestone, exclu du PC américain et de l’Internationale, continua jusqu’à 1936 environ à travailler pour le NKVD31et à attendre de cette collaboration un retour en grâce au sommet de la Comintern. Homme seul, M.N. Roy est sans doute celui des communistes de droite qui fît la percée la plus impressionnante. De Berlin, iî envoya un manifeste qui expliquait que le PC de l’Inde ne pouvait pas attirer les masses et que l’Inde ne pouvait pas devenir dans l’immédiat une république soviétique : le devoir des communistes était donc pour le moment d’affran­ chir de l’influence bourgeoise le mouvement révolutionnaire pour l’indépendance, et, dans ce but, ils devaient investir les organisations nationales de masse, au premier chef le Parti du Congrès. Les quelques mois d’activité dont Roy bénéficia entre son retour en Inde fin décembre 1930 et son arrestation fin juillet 1931 îui permirent de jeter des bases. Entrés dans le Parti du Congrès, les royistes y constituèrent le Comité d’action pour l’indépen­ dance, plus tard noyau de Ligue pour l’indépendance. Lui-même conquit personnellement une position dirigeante hégémonique dans les coulisses de la Ligue paysanne centrale. Libéré seulement fin novembre 1936, il avait tout de même réussi à organiser un petit All-India Communist Party, ou encore Revolutionary Party of the Indian Working Class. Ses militants avaient travaillé dans les syndicats, y occupant quelques responsabilités, notamment deux vice-présidences dans le All-India Trade Union Committee (AITUC), qu’ils essaient de conduire à l’unification. Liés seulement de très loin à l’opposition de droite, les gens de la fédération catalanobaléare de Maurîn, devenue la Federaciôn Comunista Ibérica groupant autour d’elle le Bloque Obrero y Campesino, connaissent aussi de grands succès avec leur journal bar­ celonais La Baialla et des militants bien implantés dans les organisations syndicales, surtout en Catalogne. Ils vont jouer un rôle important en 1934 avec le mot d’ordre de l’Alianza Obrera repris dans de larges secteurs du mouvement ouvrier et le rôle de leurs militants aux Asturies lors de l’insurrection. Pourtant, ces développements prometteurs n’allaient pas donner les fruits escomptés au début des années 30. D’abord parce que le recrutement, qui s’était fait au départ dans les rangs des partis, ne se renouvelait guère et que ces oppositions semblaient autant de chapelles avec leur langue et leur visage propre, au moment même où se produisait un regain d’activité dans les masses et un début de radicalisation dans la jeunesse. Ensuite parce que l’attitude des dirigeants les plus connus à l’égard de la politique intérieure de l’Union soviétique était de moins en moins compréhensible à beaucoup, surtout dans leurs propres rangs. Il sembîe que Brandler espérait aussi être réintégré et que c’est dans ce but qu’il défendit îe verdict des procès de Moscou en 1936 et 1937. Theodor Bergmann écrit que c’est à l’initiative d’August Thalheimer que cette attitude fut modifiée lorsqu’il s’agit, dans le troisième procès, de la tête et de l’honneur de Boukharine, une preuve s’il en fallait de l’étroitesse d’esprit et de la mentalité de secte de bien des gens de la KPO. Les lovestonistes eurent la même attitude, un peu plus agressive peut-être, Lovestone se 31. Klehr, Haynes et Fiitsov, The Secret World o f American Communism, p. 130-132.

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joignant en 1934 au chœur contre les assassins de Kirov, tonnant contre les affirmations de Trotsky sur « Thermidor », « la guerre civile » et les crimes de Staline, et assurant en 1936 que personne ne pouvait mettre en doute les aveux des accusés de Moscou. C’est Bertram D. Wolfe qui prit l’initative d’affirmer l’erreur commise à propos des deux premiers procès. En réalité, ce qui avait au début fait la force des « droitiers » par rapport à une Opposition de gauche trop « russe » faisait désormais leur faiblesse, puisqu’ils n’avaient rigoureusement rien à dire sur la question autour de laquelle s’opérait la différenciation majeure. Au fond, très rapidement, îes sections de l’opposition de droite furent déchirées par des courants centrifuges. Là où ils avaient une influence de masse, en Tchécoslovaquie, en Suède, à Schaffhouse, la tentation était de « régulariser » une situation qui leur donnait une place dans une alternative socialiste « raisonnable » au stalinisme, et de rejoindre la social-démocratie et sa gauche, qui commençaient à se développer sérieusement. Ailleurs, les militants de l’Opposition de droite se tournaient vers des solutions qui leur auraient permis de s’approcher des couches les plus militantes et les plus jeunes et de les « gagner au communisme » : tel fut le cas des minorités en Allemagne et aux États-Unis. A l’approche de l’arrivée au pouvoir d'Hitler, alors que la question de la possibilité du « redressement » de l’Internationale n’avait pas encore été réglée, de plus en plus nombreux étaient îes militants qui souhaitaient s’engager dans la voie de la création d’un « nouveau parti », rejoignant ainsi le point de vue adopté par Trotsky en 1933. Mécontent des positions ouvertement prostaliniennes de Brandler et estimant qu’on ne pouvait se taire sur l’URSS et critiquer la politique de l’IC en Allemagne, Alois Neurath était passé à TOpposition de gauche en 1932. En janvier de l’année suivante, le gros de l’Opposition de droite en pays tchèque, dirigé par Alois Muna et Berger, décidait de rallier le Parti social-démocrate. Après l’échec des négociations menées par Humbert-Droz avec TIC pour îa réintégration des gens de Schaffhouse dans le parti suisse, Bringolf rallia le Parti socialiste, où il fut bientôt suivi par... Humbert-Droz. Dès cette époque, les compagnons de Maurîn ne se souciaient plus guère de lutte à l’intérieur du PC E et songaîent à la construction d’un nouveau parti. Il fut constitué en septembre 1935 par îa fusion du Bloque avec toute une série d’organisations plus petites, dont îa Izquierda Comunista, venue de l’opposition de gauche, constituant le Partido Obrero de Unificaciôn Marxista (PO UM ). L ’histoire du POUM, assassiné pendant la guerre civile sous l’accusation de « trotskysme », dont nous parlerons dans un chapitre ultérieur, ne peut être rattachée historiquement ni à celle de l’Opposition de droite ni à celle de l’Opposition de gauche. En fait, comme le parti communiste lui-même dans les années 20, comme l’Opposition de gauche depuis sa naissance, l’Opposition de droite apparut à son tour vouée aux scissions successives.

Aux États-Unis, elle vit s’en aller Ben Gitlow et Herbert Zam, qui rejoignirent un parti socialiste « ail-inclusive ». D’autres furent attirés par les regroupements que les trotskys­ tes, après l’abandon de leur attitude oppositionnelle, cherchaient à réaliser, et notamment dans un premier temps avec l’American Workers Party (AWP) d’A.J. Muste, qui constitua le Workers Party of the United States (WPUS) en fusionnant avec eux. L ’Opposition de droite aux États-Unis s’est survécue en tant que réseau et peut-être groupe amical jusqu’à la guerre, lors de laquelle Lovestone opéra son tournant vers l’union sacrée. Le trait était tiré, et l’ancien opposant chatouilleux était devenu un anticommuniste déterminé et effi­ cace. En Allemagne, on l’a vu, c’est beaucoup plus tôt que la minorité Walcher-Frôlich s’était posé la question d’une attitude politique vis-à-vis du stalinisme et de la nécessité

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de créer un nouveau parti, voire une nouvelle Internationale. Au début de 1932, eüe quitte la KPO pour rejoindre le SAP, organisation de plusieurs dizaines de milliers de membres ayant rompu à gauche avec le Parti social-démocrate, que Waîcher compte bien « gagner au communisme ». Brisé dans son nouvel élan par la victoire d’Hitler, le SAP, dirigé par Waîcher à partir de 1933, travailla quelque temps avec les trotskystes, signant la Lettre des Quatre pour une nouvelle Internationale en 1934, puis rejoignit le Front populaire32. La KPO secoua un peu sa routine prostalinienne dans la guerre d’Espagne. Même à la fin de îa Seconde Guerre mondiale, le Brandler qui revenait de son exil cubain pensait encore sérieusement pouvoir se faire réintégrer au KPD33' C’est en 1933 que îe parti suédois, lui aussi attiré par la puissance des partis socialdémocrates de Scandinavie, rompit avec l’opposition internationale et devint un parti « socialiste ». Les Alsaciens finirent beaucoup plus mal Leur député, Mourer, vota en 1934 pour le gouvernement Doumergue, et le groupe lui-même, dans son zèle « autono­ miste », se lia à des groupements manipulés par les nazis, ce qui l’entraîna très loin pendant la guerre. Mourer finit au poteau d’exécution. Hueber suivit également les nazis. L ’opposition en Tchécoslovaquie resta confinée dans la région d’Asch jusqu’en 1938, et disparut avec l’entrée des troupes d’Hitler. En Inde, M.N. Roy, libéré en 1936, se heurta presque aussitôt à un groupe chassant sur ses terres, le Congress Socialist Party (CSP), qu’il traita de « groupe petit-bourgeois » tout en lui reprochant de trop parier de son objectif « socialiste ». Attaché à Staline, il prit ses distances vis-à-vis de l’Opposition internationale, qu’il jugeait trop antistalinienne, en 1938, et rompit avec le communisme, entraînant ses maigres troupes. En février 1938, les débris de l’Opposition de droite participèrent à un regroupement d’organisations dont la majorité appartenait au bureau de Londres inspiré par l’ILP bri­ tannique et le SAP, afin de « rassembler, sur la base des principes du marxisme-léninisme, toutes les forces qui sont prêtes à coopérer dans la lutte révolutionnaire contre toutes îes forces impérialistes, contre les puissances capitalistes soi-disant démocratiques aussi bien que contre les puissances fascistes, contre l’exploitation impérialiste, la guerre et la pauvreté34». Le Centre marxiste révolutionnaire international, formellement constitué en avril 1939, ne survécut pas à la guerre. On a donc réellement beaucoup de peine à dater la disparition de l’Opposition de droite. Son historien, Robert J.Alexander, s’interroge sur ce qu’il tient pour un paradoxe : « Bien que l’Opposition de droite en tant que groupe restât formellement loyale à l’idée de F “opposition communiste” plus longtemps que Trotsky et ses partisans, ils allèrent plus loin que les trotskystes en répudiant le marxismeléninisme dans son ensemble35. » L ’explication de l’historien américain est que les « droites » n’avaient pas de corps de doctrine autour duquel se reconstruire, alors qu’il existait îe « trotskysme », c’est-à-dire un corpus théorique autour duquel se regroupèrent les anciens de l’Opposition de gauche et leurs successeurs. La différence entre les deux groupes d’opposition tiendrait donc simplement à ce que Trotsky, expulsé d’URSS, put s’exprimer, développer et adapter sa doctrine, tandis que Boukharine, prisonnier de fait en URSS, ne put ni théoriser ni îe faire savoir, alors qu’il existait potentiellement dans ses idées une remise en question du « léninisme » qui n’existait pas chez Trotsky. L ’explication, bien qu’ingénieuse, n’est pas convaincante. Elle nous semble même un peu trop sophistiquée. C’est, selon nous, sa nature d’opposition d’appareil, et en consé­ 32. H. Drechsler, Die Sozialistische Arbeiterpartei Deutschlands. 33. K.H. Tjaden, Struktur und Funktion des KPD-(Oppositm). 34.A New Hopefor WorldSocialism, p. 8-9. Ce texte avait été écrit par Brockway et Lovestone. 35. R.J. Alexander, op. cit., p. 12.

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quence sa « neutralité » au sujet de î’Union soviétique - du stalinisme -, qui ont constitué le talon d’Achille de l’Opposition de droite, obligée de ne regarder le monde que d’un œil. On peut penser ce que l’on veut du système d’idées de Trotsky, mais est indéniable qu’il présentait une cohérence dans le domaine des idées, proposait un lien dialectique avec le développement en cours, et qu’il apportait en route ces mille et une vérifications qui l’ont abusivement fait traiter de « prophète ». Et, sur l’URSS, il s’exprimait clairement. Quel crédit pouvaient réclamer pour eux-mêmes dans le domaine de la cohérence des idées - on peut même dire de l’honnêteté et de la morale - ces dirigeants communistes qui, pendant des années, approuvèrent ou se turent au sujet des crimes de Staline contre son propre parti et les compagnons de Lénine, et ne changèrent d’avis, à regret, qu’au moment du procès de Boukharine ? Ils ne pouvaient faire moins. L ’expérience récente démontre, après tout, que le stalinisme et la démoralisation qu’il engendre, qu’on soit bourreau ou victime, sont la voie la plus rapide pour passer du communisme fanatique à l’anticommunisme le plus déterminé. N’est-ce pas là le sort d’un Lovestone, pour prendre le cas le plus extrême ? En tout cas, c’est en cela que l’histoire de l’Opposition de droite dans la Comintem, même exclue, est partie intégrante de l'histoire de l’Internationale communiste elle-même. En revanche, il faut prendre acte du courage de ceux qui n’ont pas accepté la capitu­ lation de Boukharine. De ceux-là, Rioutine a été exécuté et Slepkov s’est pendu dans sa cellule. Ils avaient sans doute plus appris de leur expérience que notre ami Alexander puisqu’ils recherchaient l’alliance de l’Opposition de gauche.

CHAPITRE XXVÏI

L ’Opposition de gauche internationale de 1928 à 1933 La première année qui suit les exclusions du parti et le départ en exil de milliers d'oppositsionneri, Tannée 1928, voit se développer une série de succès pour Topposition. L es succès d e l ’O pposition

Non seulement ceux qui n’ont pas été exilés manifestent une grande combativitéî notam­ ment dans les entreprises, organisant à Tété 1928 les grandes grèves ouvrières de Kiev, puis diverses manifestations contre la répression en Ukraine et en Géorgie. Non seulement elle peut menerune discussion sur la situation, débattre, après la lettre de Rakovsky à Valentinov sur « les dangers professionnels du pouvoir », de la nature sociale de TÉtat soviétique, mais encore collaborer de façon collective à la déclaration de l’Opposition de gauche au V Iecon­ grès de l’Internationale communiste et à la Critique du projet de programme rédigées par Trotsky à Alma-Ata. De ce point de vue, les résultats de Faction des oppositionnels de gauche, dirigés par S.O. Bolotnikov, qui travaillent dans l’appareil de la Comintern sur le congrès, sont spectaculaires, comme le montrent les rapports qu’ils lui adressent sur les discussions avec certains délégués comme Ercoli (Palmiro Togliatti) et Maurice Thorez1. Mieux, un tout jeune délégué du PC indonésien qui utilise le pseudonyme d’Alfonso est monté à la tribune pour défendre le point de vue de l’Opposition de gauche sur la révolution chinoise. Quelques délégués étrangers enfin sont convaincus par l’argumentation de Trotsky dans les textes de lui qu’on leur a distribués et qu’ils doivent rendre. R ep r és a illes stalin ien n es

Les représailles ne tardent pas, et Staline, outre un blocus postal rigoureux et différencié imposé à leur insu aux déportés, entreprend une campagne d’extermination de l’Opposition de gauche. Les arrestations succèdent aux condamnations et aux exclusions. La différence est mince entre les simples « capitulards » et les hommes qui trahissent vraiment, comme Radek, qui livre 725 noms de ses camarades à la direction et propose à ses nouveaux « patrons » une véritable stratégie d’organisation de la panique dans les rangs de l’oppo­ 1. Papiers Trotsky, archives Harvard, T 15665.

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sition. L ’Opposition de gauche russe semble très affaiblie en 1929 par les capitulations successives d’un nombre important des vieux bolcheviks qu’elle avait comptés à sa tête et dans ses rangs. Son existence devient cependant de plus en plus précaire, notamment du fait des agents provocateurs infiltrés dans ses rangs par le GPU, Les arrestations successives des membres de ses « centres » qui se renouvellent constamment, la mise à l’écart des femmes et des hommes de la relève, de B.M. Eltsine Grigori Iakovine, et Dingelstedt jusqu’à « Kostia » Konstantinov en passant par Sokrat Gevorkîan, Aleksandr Voronsky, Grigori Stopalov, Moussia Magid, Tatiana Miagkova, sont une hémorragie permanente qui l’affaiblit durablement Ceux qui tiennent bon en exil sont surtout des jeunes, de jeunes ouvriers en particulier. Parmi les anciens, Sosnovsky, soumis à un régime très dur, Mouralov, les collaborateurs de Trotsky à la tête de l’Armée rouge, Varsenika Kasparova et Karl Grünstein, et surtout Rakovsky, qui pendant un certain temps, grâce au relais organisé par la colonie de déportés de Biisk, reste en contact intermittent avec le centre de Moscou et même avec Trotsky. H bénéficie en outre de la collaboration précieuse de jeunes militants, l’Ukrainien Lipa A. Wolfson, qui est l’organisateur de ses communications clandestines, et la jeune Olga Ivanovna Smimova, fille d’Ivan Nikititch, qui rédige avec lui la déclaration de l’opposition de 1930 et, revenue à Moscou, assure d’autres liaisons et l’informe. Jusqu’en 1933, il y a des contacts avec Lev Sedov, et ses émissaires et des membres moscovites de l’Opposition de gauche. Après la mort de Nina Vorovskaia en 1931 via Berlin. Il comprenait le traducteur Louis Aragon, Iakov Kotcherec, « îe Français », qui, selon Raymond Molinier, a rendu visite à Trotsky pendant son séjour à Prinkipo. N aissance de L’0PP0srri0N en C hine

En 1929, à son retour de Moscou, où il a suivi les cours de l’École Lénine, Liu Renjing s’arrête presque un mois à Prinkipo et y a de longues discussions avec Trotsky. Mais l’événement le plus considérable pour l’Opposition de gauche internationale dans le début de cette période est évidemment l’apparition de l’Opposition de gauche en Chine, en fait îe contact entre le groupe chinois de Chen Duxiu et Peng Shuzhi et les étudiants chinois oppositionnels de Moscou. C’est au printemps de 1929 que Peng Shuzhi a rencontré à Shanghai deux anciens étudiants de l’université Sun Zhongshan qui l’ont informé de l’activité de l’Opposition de gauche en URSS et de ses positions sur la révolution chinoise. Ils lui ont également remis deux textes de Trotsky, La Question chinoise après le V f congrès et Bilan et perspectives de la révolution chinoise. Peng est convaincu, et Chen Duxiu avec lui. Ils décident ensemble de s’engager de nouveau dans le combat politique afin d’organiser une opposition de gauche dans le parti chinois. Ils commencent alors à prendre des contacts avec un certain nombre de camarades, à leur faire lire les documents en leur possession. En deux mois, ils ont recruté 40 camarades et tiennent une réunion de constitution de leur groupe d’opposition, dont le centre est formé par Chen Duxiu, Peng Shuzhi et Yi Kuan, et décident la publication du journal Wuchanzhe (Prolétaires). H sort de ce premier travail deux textes capitaux, la « Lettre ouverte » de Chen Duxiu aux communistes chinois, en date du 10 novembre 1929 et «Notre position politique », un texte signé de 81 cadres et militants connus du parti, daté du 15 novembre, qui affirme notamment : « Si nous avions eu la direction politique de Trotsky avant 1927, peut-être aurions-nous été capables de diriger la révolution chinoise sur le chemin de la victoire2. » 2. Papiers Trotsky, T 3117.

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Le choc est rude pour le PC chinois. Il accélère la répression interne contre le « centre liquidateur Trotsky-Chen » et commence à exclure en série. Chen Duxiu et Peng Shuzhi sont exclus les premiers, le 15 novembre 1929. La réaction de l’exécutif de F Internationale est empreinte d’inquiétude et même d’hésitation. Un émissaire vient inviter Chen Duxiu à se rendre à Moscou et lui laisse entendre que, dans le cas où il serait d’accord, il pourrait recevoir un poste important dans la Comintern. La réponse négative de Chen est donnée le 15 février 1930. Une des raisons d’inquiétude de la direction de l’Internationale est le profond écho des idées de l’Opposition de gauche. Une nouvelle opposition vient en effet d’apparaître au sein du PC, de militants qu’on appelle les « conciliateurs ». Elle est animée par le comité régional du Jiangsu, dont un document politique, entre autres sur l’insurrection de Canton, est publiquement loué par Trotsky. Parmi ses dirigeants se trouvent le secrétaire régional Wang Ruofei, l’un des principaux responsables du parti à Pékin, He Mengxiong, les syndicalistes Lin Yunan, Li Weihan et Luo Zhanglong, et le dirigeant des Jeunesses communistes Li Juiji. Si l’on en croit le stalinien Wang Ming, « les conciliateurs suggé­ raient que le parti réintègre dans ses rangs Chen Duxiu et Peng Shuzhi ». Liu Shaoqi fait partie de ce groupe. Il est convoqué d’urgence à Moscou, où il subit une énorme pression pour renier ses idées et ses camarades. C’est que le danger est sérieux pour la direction. En fait, ce sont les jeunes partisans de l’Opposition qui vont faire hésiter les « conci­ liateurs » et reporter l’unification un instant entrevue des oppositions. Les jeunes militants venus de Moscou ont immédiatement formé leurs propres groupes, qui prennent les noms de Militant, Octobre (Shiyue she) et Notre Parole (Women de huaj. Ils sont en général très hostiles à Chen Duxiu, qu’ils ont connu à travers les lunettes de Moscou pendant la révolution. Trotsky, à Prinkipo, est inondé de documents, la majorité émanant de Liu Renjing ou inspirés par lui, qui dénoncent inlassablement P« opportunisme » passé et présent de Chen Duxiu et assurent que la priorité pour l’Opposition de gauche est la lutte contre lui. Leur presse ne se privant pas de faire écho à ces atttaques, les conciliateurs battent en retraite : ils sont intéressés par un travail en commun avec Chen, Peng et les cadres qu’ils ont réunis autour d’eux, mais repoussés par le spectacle des querelles fractionnelles des jeunes du « retour » : Féchec d’une conférence des quatre groupes se réclamant de l’opposition, en novembre 1929, malgré îa création d’un « comité consul­ tatif », n’est pas pour les rassurer. Trotsky s’est d’abord étonné de la virulence des attaques contre Chen Duxiu. Le 22 décembre 1929, il écrit à Fun des groupes qu’il connaît très bien la politique que ce dernier a suivie pendant la révolution, « la politique Staline-Boukharine-Martynov, poli­ tique [...] de menchevisme de droite », mais il ajoute : « Le camarade N. (Liu Renjing) m’a cependant écrit que Chen Duxiu, sur ia base de son expérience de la révolution, s’était considérablement rapproché de nos positions. Il va sans dire qu’on ne peut que s’en réjouir3. » Après avoir lu la « Lettre ouverte » du 10décembre 1929, Trotsky s’engage résolument du côté de Chen Duxiu. Iî écrit : Alors que nous disposons d’un révolutionnaire de premier plan comme Chen Duxiu qui a rompu avec le parti et a été exclu, qui annonce qu’il est désormais d’accord à 100 % avec l’opposition internationale, comment pourrions-nous l’ignorer ? Est-il possible que vous disposiez de beaucoup de membres du Parti communiste aussi expérimentés que Chen Duxiu ? U a commis beaucoup d’erreurs parle passé mais il en a désormais conscience. Comprendre ses erreurs passées

3. Papiers Trotsky, 22 décembre 1929, T 3261.

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est profitable aux révolutionnaires et aux cadres. Il y a dans l’opposition de jeunes camarades qui peuvent et doivent apprendre du camarade Chen Duxiu4. D eu x coups durs

Pendant que se mène activement la préparation de la conférence, un coup très dur frappe le mouvement communiste. Le 17 janvier 1931,25 militants de l’opposition des conciliateurs réunis autour de He Mengxiong dans un hôtel de la concession britannique de Shanghai sont arrêtés et livrés à la police du Guomindang. Ils refusent de capituler et sont exécutés le 7 février 1931 à Lungwha, près de Shanghai. Des rumeurs persistantes et concordantes - on ne prête qu’aux riches - font de Wang Ming, le nouvel homme de Staline, et des hommes d’appareil qu’il a amenés avec lui, les dénonciateurs du groupe de He Mengxiong. Chen Bilan donne une interprétation un peu différente : ces hommes, en excluant les conciliateurs, les ont privés de tout moyen de subsistance en pleine clandestinité et les ont acculés à des imprudences comme la réunion dans l’hôtel où ils ont été arrêtés. La conférence d’unification des groupes se réclamant de l’opposition de gauche chi­ noise se tient finalement du 1er au 3 mai 1931. On évalue les effectifs des groupes qui y prennent part à 200 pour Prolétariat, qui a 5 délégués, 80 pour Octobre, qui en a 4, une trentaine pour Militant, qui en a 2, et entre 120 et 140 pour Notre Parole, qui en a 6. Au total, un peu moins de 500, presque tous des cadres venus du PCC. Chen Duxiu présente le rapport politique. Un seul point de désaccord subsiste : Chen Duxiu n’exclut pas que le Guomindang puisse réaliser une apparence d’unité nationale, mais il retire cette affir­ mation devant l’hostilité de tous les autres. Les résolutions sont votées à l’unanimité, ainsi que l’élection des 8 membres de la direction, dont Chen Duxiu et Peng Shuzhi. On décide de créer un journal qui s’appellera VÉtincelle. On déborde d’enthousiasme, et le nouveau secrétaire, Luo Han, télégraphie à Trotsky que les bolchevîks-léninîstes chinois vont faire flotter leur drapeau d’un bout à l’autre de la Chine. Le PC traverse une crise grave, et après la liquidation de l’équipe de Li Lisan est venue celle de Qu Qiubo. Tous les espoirs semblent permis avec la nouvelle direction de Wang Ming, imposé de Moscou. Trois semaines plus tard, c’est l’autre coup dur. Informée par un « repenti », la police du Guomindang réussit un coup de filet exceptionnel sur la direction, auquel échappent seulement Peng Shuzhi, Chen Duxiu et Luo Han. Les deux premiers, réduits à une clandestinité précaire, difficile pour des hommes aussi connus qu’ils le sont, finissent par tomber à leur tour le 15 octobre 1932. Une campagne politique internationale, qui mobilisa même des gens du Guomindang, leur permet d’échapper aux tribunaux militaires où leur sort était réglé. Ils sont condamnées à treize ans de prison, ramenés en appel à huit ans. Pendant plusieurs années, il ne survit en Chine qu’un petit groupe d’oppositionnels vivant dans des conditions de clandestinité précaire grâce à Frank Glass et au journaliste amé­ ricain Harold R. Isaacs qui cache Liu Renjing et travaille avec son aide à son livre La

Tragédie de la révolution chinoise. ÉMIETTEMENT

Nous savons que l’Opposition unifiée en URSS était formée de deux composantes essentielles, « trotskyste », l’opposition de 1923, et « zinoviéviste », dite Nouvelle Oppo­ sition, battue en 1925. Nous savons aussi que l’unification ne fut pas facile, car il y avait entre les deux fractions bien des antagonismes et surtout des rancunes. Les « trotskystes », 4. Papiers Trotsky, 22 août 1930, T 9412.

L a chute

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qui avaient été persécutés dans le passé par îes zinoviévistes, étaient évidemment plutôt froids, et, parmi eux, ceux de Leningrad, qui avaient eu particulièrement à souffrir de la poigne de Zinoviev, résistèrent plus longtemps que les autres. Les résistances furent finalement surmontées par de longues discussions, des engagements mutuels et surtout une grande bonne volonté des dirigeants des deux fractions, qui comprenaient fort bien que cette politique d’unification répondait à leur intérêt à court et à long terme. Il n’en allait pas de même hors d’Union soviétique. « Zinoviévistes » et « trotskystes » ne disposaient d’aucun pan de l’appareil, si petit fût-il, et d’aucun soutien autre que très limité parmi les travailleurs. C’étaient de petits groupes, soumis à leurs propres lois, leurs propres motivations, leur propre histoire. Pendant la « bolchevisation », îes zinoviévistes avaient calomnié et exclu les trotskystes. Us incarnaient le Mal aux yeux de leurs anciennes victimes plus peut-être encore que les staliniens, qu’ils mirent plus de temps à reconnaître. Pour leur part, les zinoviévistes dénonçaient leur propre passé, et n’hésitaient pas à lancer contre les trotskystes des accusations d’opportunisme à l’égard de îa social-démocratie ou des courants syndicalistes, qui n’étaient pas toujours une pure invention. En France comme en Allemagne, cette situation conduisit à un affaiblissement considérable de l’opposition et à la dispersion de ses partisans. Elle continue à marquer de son empreinte les efforts de recomposition de l’opposition qu’entreprend Trotsky dès sa sortie d’URSS, En novembre 1927, la ligne appliquée en Europe par les zinoviévistes sous l’impulsion de Safarov, notamment à la conférence de Berlin5, avait été celle de îa constitution d’un « nouveau parti ». Bien que Zinoviev et Kamenev, dès janvier 1928, aient condamné comme la pire des trahisons « trotskystes » l’orientation vers un nouveau parti, le gros de leurs camarades a continué en Europe sur le même élan pendant les mois qui ont suivi. En janvier 1928, les oppositionnels zinoviévistes allemands - malgré une lettre de Trotsky et l’avis nettement opposé des représentants de l’opposition russe en Allemagne ~~décident la fondation d’une « fraction publique », la Ligue Lénine (Leninbund), comprenant plu­ sieurs milliers de membres, surtout des travailleurs et des jeunes. Les chefs historiques de la Gauche, Ruth Fischer et Maslow, appartiennent à sa direction6. Les conséquences de cette décision n’ont pas le temps de se fairer sentir. L ’entreprise, encore dans l’œuf, reçoit un coup très dur. La pression de Zinoviev et Kamenev, qui capitulent devant Staline, la promesse de Moscou de ne pas prendre de sanctions contre ceux qui abandonneraient tout de suite la Leninbund, décident Fischer et Maslow à abandonner cette organisation qu’ils viennent de fonder. C’est la crise7. La nouvelle direction d’Hugo Urbahns - que Solntsev avait essayé de gagner à l’opposition sur les positions de Trotsky - oscille entre la ligne de l’opposition et celle d’un nouveau parti. Les partisans d’une véritable opposition de gauche dans le parti, comme Wemer Scholem, s’en vont. Les partisans de Trotsky proprement dits se comptent sur les doigts de la main. Une

sit u a t io n c o n fu se

La situation était non seulement mauvaise mais confuse. En France, les hommes du « noyau » de La Révolution prolétarienne commençaient à tourner le dos au mouvement communiste, se préparaient à fonder îa Ligue syndicaliste et à reprendre le vieux nom abandonné de « syndicalistes révolutionnaires ». Les zinoviévistes français connaissaient 5, P. Broué, « Gauche allemande et Opposition russe (1926-1928) », Cahiers Léon Trotsky, n022, juin 1985, p. 14 et n. 33, p. 38. 6, Ibidem, p. 15-18. Pour tout ce qui suit sur cette quetion, se reporter aussi au livre de Rüdiger Zimmermann, Der Leninbund.

7, P. Broué, loc. cit., p. 17.

L ’ OPPOSÎTION DE GAUCHE INTERNATIONALE DE 1928 A 1933

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à leur tour une scission. Suzanne Girault retournait au PC. Quant à Treint, il fondait avec une douzaine de camarades Le Redressement communiste. La polémique faisait rage, mais il était bien difficile de saisir les véritables divergences politiques, et l’on se battait parfois au nom de protecteurs, les Russes mandatés par l’Opposition russe. C’est ainsi que Treint clamait qu’il avait le soutien absolu de Pierre (Perevertsev) alors que Paz se réclamait de celui de « Joseph » (Kharine). Contre le courant prétendait être devenu le centre d’unification de l’Opposition de gauche en France, et cette prétention provoquait la colère ou l’ironie de tous les autres, prétendants ou non. Sur le plan international, la Leninbund avait pris une initiative pour le regroupement international de l’opposition. Malgré les réserves exprimées par Solntsev, elle avait préparé une conférence internationale qui se tint à Aix-la-Chapelle le 17 février 1929. Elle y était représentée par Urbahns, et y participaient également le groupe hollandais de Sneevliet, Contre le courant et des syndicalistes allemands. Le groupe de Treint n’était pas représenté, faute de moyens financiers, dit-il. Il n’y avait aucun Soviétique. En dépit de ses ambitions, cette conférence n’eut qu’un seul résultat, la création d’un fond d’aide à Trotsky et aux oppositionnels exilés8. Pour le moment, c’était sans importance: la sortie d’URSS de Trotsky constituait à elle seule une nouvelle donne.

Un n o u vel a x e La crise de l’Opposition russe en 1929 se révéla un facteur d’accélération du redres­ sement dans l’opposition. La défection de la majorité des vieux bolcheviks en Russie augmenta encore le poids de Trotsky, celui de l’« extérieur » par rapport au « pays » divisé où les dirigeants qui n’avaient pas capitulé étaient confinés dans l’isolement. Trotsky reçut énormément de visites dans son exil turc. Les premiers visiteurs étaient des Français : Alfred et Marguerite Rosmer, les frères Raymond et Henri Moiinier et la femme du premier, Jeanne Martin des Pallières, Pierre Frank et Pierre Gourget, mais aussi des hommes du cercle de Rosmer, Lucien Marzet, le Dr Bercher (Péra), Robert Ranc, Pierre et Denise Navilîe, Gérard Rosenthal et Maurice Paz. Marzet, Ranc et Frank séjournèrent un certain temps comme secrétaires, ainsi que le jeune Jean van Heijenoort, arrivé en 1932, qui, lui, n’avait jamais été membre du Parti communiste9. Un rôle particulier fut joué par de jeunes militants tchécoslovaques. Wolfgang Salus (Krieger) vint de lui-même offrir ses services, fit venir Jirf Kopp et FrantiSek Kohout. Raïssa Adler, la vieille amie de Vienne, envoya au début de 1930 Jan Frankel, qui allait rester trois ans et fut l’un des plus proches collaborateurs de Trotsky en exil. Elle eut la main moins heureuse avec Jakob Frank, qui resta trois mois : c’était un agent du GPUt0. Des Allemands vinrent aussi, mais plus tard. Citons les frères Sobolevicius, connus comme Roman, Well et Sénine, agents du GPU infiltrés dans l’Opposition comme le Letton Jakob Frank venu de Vienne, et des hommes sans responsabilités, le jeune historien Heinz Schürer, sans oublier les militants recrutés pour la garde et le secrétariat, l’ouvrier saxon Otto Schüssler et l’étudiant hambourgeois Rudolf Klement. Ni Urbahns ni aucun autre leader de la Lenin­ bund ne vint. Sneevliet et Josef Frey ne se déplacèrent pas non plusn. L ’« axe » choisi par Trotsky pour opérer un regroupement politique sur une base claire fut Alfred Rosmer. Pour Trotsky, Rosmer était un ami personnel, mais surtout un homme méritant une totale confiance par sa loyauté et sa rigueur morale. C’était aussi un vétéran 8. P. Broué, loc. cit., p. 19-20 ; Voîkswille, 27 février 1929. 9. P. Broué, Trotsky, p. 615-618. 10. Ibidem, p. 614-615. 11. Ibidem, p. 620-621.

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des luttes contre le courant, l’adversaire indomptable de l’union sacrée, un des piliers du noyau internationaliste de 1914 et l’un des premiers Français à se rendre à Moscou pour se mettre au service de la révolution, un lutteur à îa biographie significative. Ce n’était ni un manœuvrier, ni un orateur, ni un théoricien, et surtout pas un apparatchik. Exclu du PCF aux jours du zinoviévisme, il n’avait jamais été vraiment du noyau dirigeant, était peu informé des querelles d’appareil, mais parfaitement au courant de tout ce qui concer­ nait le mouvement ouvrier en France et internationalement. Les hommes qui avaient facilement gagné leurs galons de « dirigeants communistes » dans le parti né à Tours et si vite bolchevisé considéraient avec un peu de condescendance ce compagnon de route très « syndicaliste », discret, qui méprisait les querelles entre petits chefs. De la même façon, les principaux dirigeants des autres groupes étaient prêts à l’accepter parmi eux comme un lieutenant. Personne ne concevait qu’il pût être général en chef, et chacun îe démontra à sa manière. T r o t sk y

pr o po se d es c r it è r e s

Trotsky commença par définir les critères qui devaient permettre à l’Opposition de gauche de se définir : 12 c’étaient pour lui l’attitude à l’égard du Comité syndical anglorusse, à l’égard de la révolution chinoise et de la politique économique de l’URSS, Il s’agissait de rompre avec l’opportunisme politique. Il fallait traiter « la question russe», la théorie de la « construction du socialisme dans un seul pays », comme un problème de classe, la réfraction sur le monde soviétique de la lutte des classes internationale. Une position nette et sans ambiguïté, qui fut qualifiée d’« ultimatiste » par ceux qui souhaitaient demeurer dans la confusion et continuer un débat abstrait. En réalité, ces critères ne furent pas décisifs, les aléas de l’histoire en ayant décidé autrement. Dans l’affaire du chemin de fer sino-russe, Trotsky, analysant le conflit en termes de lutte de classes internationale, préconisa le soutien de l’État soviétique et de la révolution chinoise, contre la contre-révolution nationaliste de Jiang Jieshi. Il se heurta à l’opposition de Robert Louzon et de la majorité du noyau de La Révolution prolétarienne, à Maurice Paz et Contre le courant, à Urbahns, à la Leninbund et Die Fahne des Kommunismus, qui, tous les trois, défendaient le droit de propriété de îa Chine et dénonçaient « l’impé­ rialisme soviétique ». Aux divergences d’idées s’ajoutaient les ressentiments et les riva­ lités. Maurice Paz, par exemple, avait attendu de Trotsky une investiture et n’acceptait pas la confiance accordée à Rosmer. Hugo Urbahns défendait son pré carré, Louzon, ses idées personnelles bien ancrées sur l’URSS. De toute façon, aucun des petits chefs n’était prêt à jouer les lieutenants de Rosmer. Ainsi le regroupement recherché se fit-il non avec les groupes existants, mais avec des minorités de ces groupes. Rosmer réussit à convaincre Marthe Bigot et Ferdinand Charbit, du « noyau » de 1a Révolution prolétarienne, les autres continuant la revue « syndicaliste révolutionnaire » avec Pierre Monatte et Robert Louzon. Du courant de Souvarine vinrent les jeunes intellectuels Pierre Naville et Gérard Rosenthal, qui avaient été longtemps indépendants avec La Lutte de classes, qu’ils amenaient avec eux, ainsi que Pierre Gourget. Du Redressement communiste vint le jeune Jean-Jacques Tchemobelsky. Enfin, le projet de Rosmer reçut l’adhésion enthousiaste du groupe de Raymond Moîinier, que Trotsky estimait énormément à cause de son esprit d’entreprise, de sa combativité et de l’efficacité de son travail dans tous les domaines.

12. L. Trotsky, « Lettre à propos des différents groupements de l’opposition communiste » (31 mars 1929), dans Le Mouvement communiste en France, p. 317-321.

L ’ Opposition de g au ch e in te r n a t io n a le d e 1928 a 1933

C o n tacts

en

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E u r o pe

Alfred Rosmer fit une tournée en Europe centrale. Elle révéla les difficultés que le travail international rencontrerait en Autriche avec Josef Frey, fractionniste enragé, mais aussi - et c’était plus grave - avec Hugo Urbahns et ses collaborateurs, qui, selon Rosmer, ne pouvaient envisager de tolérer une supervision quelconque de leur activité et avaient donné une preuve de leur manque d’internationalisme et de loyauté en commettant la faute majeure aux yeux de Rosmer et de Trotsky : utiliser pour leur organisation les fonds levés pour la solidarité avec les Russes, et s’irriter que la question fût même soulevée13. Les contacts pris par Rosmer pendant sa tournée permirent de mettre au point une stratégie de construction pour l’Allemagne : Kurt Landau, qui se déclarait partisan enthou­ siaste de Trotsky, et qui avait à Vienne des relations empoisonnées avec Frey, allait venir s’établir à Berlin au sein de l’opposition de Wedding, un quartier prolétarien, dont il fut bientôt le dirigeant politique14. Par ailleurs, les proches de Trotsky dans la Leninbund se réunissaient au début de 1930 dans une « minorité de la Leninbund » dont la personnalité le plus en vue était Anton Grylewicz. Cet homme est sans aucun doute très représentatif de la tradition révolution­ naire de îa classe ouvrière allemande. Métallo, il a fait partie du fameux cercle des Délégués révolutionnaires qui ont organisé et dirigé pendant la guerre des grèves pour la libération de Liebknecht et pour la paix. En novembre 1918, c’est en tant que représentant des ouvriers berlinois qu’il a été nommé adjoint du préfet de police de la révolution, Emil Eichhom. Dirigeant de l’organisation de l’USPD de la capitale, il se révèle important dans l’adhésion à 1a Comintem de ce grand parti en 1921. En 1923, il est l’un des Allemands envoyés à Moscou pour la préparation de l’Octobre allemand. Membre de la gauche allemande, d’abord partisan de Zinoviev dans l’Internationale, représentant de l’opposition unifiée au V IIecongrès du KPD, secrétaire d’organisation de la Leninbund, il s’en détourne quand Zinoviev capitule, puis s’oppose à îa politique de la « fraction publique » d’Urbahns parce qu’il reste attaché à une politique d’opposition dans le KPD15, A ses côtés dans l’Opposition unifiée, un autre vétéran estimé, Oskar Seipold, député au Landtag de Prusse qui conserve son mandat pour utiliser l’assemblée comme une tribune pour Imposition. Mais la qualité d’hommes comme Giylewicz et Seipold ne peut faire seule la décision. Après l’exclusion de la minorité de la Leninbund, celle-ci s’unifie avec l’opposition de Wedding et un petit groupe que dirigent les deux agents du GPU Roman Well et Sénine. L ’Opposition de gauche unifiée (VLO) naît en mars 1930. Mais son sort est scellé. A peine constituée, elle voit se rallumer la guerre fractionnelle que nourrit le tempérament de Landau et qu’exaspèrent les provocations de Roman Well. Trotsky s’alarme parce que Well, très vite, a semblé pousser à la scission. En fait, elle est consommée par les initiatives de Landau, le 31 mai 1931, Il y aura encore une scission, quand les deux provocateurs seront démasqués, en décembre 1932. La situation en Tchécoslovaquie n’est pas merveilleuse, mais elle n’est pas aussi catastrophique16. Là aussi le point de départ de l’opposition se trouve dans la personne d’un militant respecté, qui a conduit au communisme les masses social-démocrates de la 13. L. Trosky, A. et M. Rosmer, Correspondance 1929-1939, ici lettre de Rosmer, de Vienne,juillet 1929, p. 34*36. 14. H. Schafranek, Das kurze Leben des Kurt Landau, p. 198. 15. P. Broué, Trotsky, p. 674-676, et, sur Grylewicz, p. 1057. 16. Pour les pages suivantes, écrites d’après îa correspondance de Trotsky à Harvard, dans les archives, nous avons supprimé les centaines de références qui seraient nécessaires. Nous renvoyons au résumé de R.J. Alexander, Interna­ tional Trotskyism.

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région de Libérée (Reichenberg) après la guerre, Alois Neurath, qui a été secrétaire du PC de Tchécoslovaquie et aussi de la Comintern. Il a appartenu à l’opposition zinoviéviste, n’a pas capitulé avec elle et a été exclu en 1928. Mais, avec ses camarades, il fonde un Parti communiste (opposition) lié à l’Opposition de droite, sans doute pour préserver l’unité de son organisation et concentrer son action sur les problèmes de démocratie du parti et de politique nationale, dont il pense qu’ils intéressent plus « îes masses ». Il est cependant déçu, et, en 1932, quitte les brandlériens et se rallie spectaculairement à l’Oppo­ sition de gauche. Il y est aussi mal accueilli dans son pays que Chen Duxiu en Chine : les autres groupes, malgré Trotsky, refusent la qualité d’opposiîionnel à un homme qui est pour eux un incorrigible opportuniste. Un autre groupe s’est développé, appuyé sur Hynêk Lenorovié en Slovaquie et sur les conseils de Trotsky. Wolfgang Salus s’est attelé à cette tâche dès son retour de Turquie avec l’aide de Kohout et Kopp, et son groupe, Jiskra, a acquis une certaine surface. Il n’a pas réussi à ébranler îes positions pragoises du professeur Arthur Pollack, qui anime un cercle d’intellectuels, il a tout de même réussi à former des groupes locaux, dans la capitale autour des dirigeants des Jeunesses com­ munistes, Otto Friedmann et Michalec (Karel Fischer), un ancien collaborateur de Zino­ viev, à Brno avec Vladimir Burian, recruté en URSS, où il travaillait à la Profintern, à Plzen avec l’ouvrier Juskiévic, un meneur très populaire. C’est incontestablement en Tchécoslovaquie que l’Opposition de gauche a eu îa plus grande influence dans le Parti communiste puisque, à partir de 1933, fait unique, elle a gagné à elle deux dirigeants nationaux importants, Josef Guttmann, l’ancien membre du bureau politique et du secré­ tariat, et Zâviî) Kalandra, écrivain et historien, ancien rédacteur en chef de Rudé Pravo, Les éléments espagnols de l’opposition se sont regroupés finalement en Opposition communiste d’Espagne en mai 1931. Renforcés peu après par le retour d’URSS d’Andrés Nin, ils ont publié Comunismo, revue théorique de qualité. Trotsky entre en conflit avec ce dernier, à qui il reproche de s’engager dans l’organisation communiste, qu’il juge catalaniste, de Maurfn. Une autre crise sévère éclate avec l’Opposition internationale quand, en mars 1932, ils se donnent le nom d’Izquierda comunista de Espana, ce qui apparaît à Trotsky comme une rupture avec îa politique d’opposition dans le PCE, dont ils ne veulent effectivement plus, en tout cas en Espagne. En 1933, ils subissent une nouvelle crise grave avec la scission de leur secrétaire générai Henri Lacroix (Francisco Garcia Lavid), qui fait des offres de services aux staliniens, avant de rallier finalement îe PSOE. La Belgique est le seul pays où l’Opposition ait eu pendant quelque temps la majorité au comité central. Mais le parti était faible, et faible aussi son opposition. La section belge est la seule dont les dirigeants se sont prononcés contre Trotsky dans l’affaire du chemin de fer sino-russe, et c’est sur cette question que Van Overstraeten et Hennaut ont quitté l’opposition. L ’organisation continue sous la direction de Léon Lesoil, qui était en même temps l’un des dirigeants de l’organisation des Chevaliers du travail dans les mines du Borinage. Le caractère profondément ouvrier de l’opposition belge s’est trouvé renforcé par la rupture avec l’ancienne organisation de ses militants de Bruxelles, travailleurs en majorité et qui, par Georges Vereeken, contrôlaient un syndicat de taxis de la capitale. L es

n o u v elles sec t io n s

L’un des signes de développement encourageants pour cette Opposition de gauche qui rencontre tant de difficultés est l’entrée dans ses rangs de sections nouvelles, issues des partis communistes, qui lui apportent dirigeants et cadres. La plus prometteuse est sans doute celle des États-Unis. Là, l’Opposition internationale avait eu des contacts individuels

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avec des personnalités liées à Trotsky, depuis la guerre, comme Ludwig Lore, depuis la révolution, comme Max Eastman. Avec le continent américain, tout a commencé au VIecongrès de la Comintem. Voulant conserver l’exemplaire de ia Critique du projet de programme qui leur avait été remis mais qu’ils devaient restituer, deux délégués enivrèrent un troisième, lui volèrent ce document qu” ils convoitaient et réussirent à l’emporter dans leurs bagages. Tous deux forent secoués par leur découverte. C’est pourquoi ils empor­ tèrent le document avec eux aux États-Unis, décidés à y implanter l’Opposition de gauche. Ces deux délégués étaient le jeune dirigeant canadien Maurice Spector, trente ans, qui venait juste d’être élu membre de l’exécutif de la Comintern, et l’Américain James P. Cannon, quarante-trois ans, un homme dur et expérimenté, ancien militant des ÏWW, ancien leader de la gauche du Parti socialiste, membre de la fraction dite «FosterCannon », la fraction dite prolétarienne du parti. Au cours de leur voyage de retour, ils rencontrèrent Urbahns à Berlin, puis à New York Solntsev et Max Eastman, qui finança leurs premières publications et notamment l’organe de l’opposition, The Militant Ils avaient contacté et convaincu nombre de cadres proches d’eux, de vieux militants et de jeunes communistes, dont le brillant Max Shachtman, le responsable de YInternational Labor Defence, qui allait être le bras droit de Cannon, Arne Swabeck, d’origine danoise, ancien de la grève de Seattle, militant ouvrier communiste très influent à Chicago, Martin Abem, ancien leader socialiste dans le Min­ nesota, l’agitateur itinérant Hugo Oehler, sorti tout droit d’un roman de Steinbeck, et bien d’autres cadres représentatifs de ce parti d’avant-garde. Le premier numéro du Militant était sorti en novembre 1928, et c’est en mai 1929 que l’opposition se constitua en organisation après que la plupart de ses membres eurent été exclus du Parti communiste. Elle prit le nom de Communist League of America. Elle allait commencer trois années d’une dure existence, secouée par des luttes fractionnelles et harcelée par les difficultés matérielles - au point que Trotsky personnellement l’aida financièrement, à la grande colère de Lev Sedov, qui connaissait bien les conditions de vie plus misérables encore des Russes. Des États-Unis, le mouvement oppositionnel gagna îes pays voisins. Spector recruta quelques Canadiens, l’intellectuel Earle Bimey - plus tard grand poète national et surtout en 1932 l’ancien secrétaire du Parti communiste, l’énergique métallo Jack MacDonald. Au Mexique, un membre de l’opposition nord-américaine, Russell Blackwell, qui se fait appeler Rosalio Negrete, organisateur des « pionniers » (enfants communistes) et secrétaire d’organisation de la Jeunesse communiste, regroupe des militants mexicains déjà en liaison avec Golod (Gonzalez) et, nous l’avons vu, surtout les Cubains Julio Antonio Mella, assassiné peu après, et Sandalio Junco. Parmi eux, le futur grand romancier José Revueltas, alors adolescent. Le Bolivien Gustavo Navarro est là aussi. D’autres sections pénétraient aussi sur d’autres territoires. Au Brésil, c’était de Paris que Pedrosa prenait contact avec les communistes qui allaient constituer le premier déta­ chement de l’Opposition, Livio Xavier, Hilcar Leite, Aristides Lobo, et ce noyau avec Barbosa était renforcé par Rodolfo Coutinho, retour de Moscou, où il avait été convaincu en 1928, et par Plinio Melo, secrétaire du Parti communiste dans le Rio Grande. Le club communiste Lénine devient en 1932 la Ligue communiste du Brésil, avec une réelle influence dans îes cadres et même la direction du PC. En Argentine, les débuts de l’opposition s’effectuaient sous le signe des croisements. Le premier groupe, sorti du PCRA de José F. Penelôn - lequel tient à demeurer sur un plan national après avoir été échaudé -, est animé par Roberto Guinney, Ukrainien d’ori­ gine, qui a connu Kropotkine et Tom Mann, et qui fonde un Comité d’opposition com­ muniste avec d’autres dirigeants exclus pour leurs désaccords sur la question russe. Il va

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être suivi par un certain nombre de « chispistes », dont Mateo Fossa, Angelica Mendoza et son compagnon Héctor Raurich, qui, avec l’étudiant Gallo, ont été en contact enEspagne avec Nin. Ils fondent avec lui une deuxième organisation, les chispistes exclus du PC Argentin constituant la troisième. La lutte fait rage entre les trois. Dans le parti lui-même se constitue une tendance qui combat pour une politique de « front unique » et condamne la politique allemande de la Comintern. Son leader, Luis Koiffmann, ancien dirigeant des Jeunesses, est exclu en 1932 et rejoint l’Opposition de gauche. Sandalio Junco, un ouvrier boulanger noir de Cuba, organisateur des syndicats dans l’île, a rencontré à Moscou, à la Profintern, Andrés Nin, qui l’a convaincu et gagné à F Opposition. A son retour de Moscou, avec deux autres dirigeants syndicaux, dont Barreiro, secrétaire du syndicat cubain des tabaqueros du Mexique, il milite avec Mella et le groupe de Negrete, participe aux préparatifs de débarquement à Cuba de Mella, et, à son retour dans l’île, cinq ans plus tard, fonde le Parti bolchevique-léniniste de Cuba, qui se réclame des positions de Trotsky. Au Chili aussi il s’agit d’un parti, et nous nous contentons ici de le mentionner car nous en reparlerons. Le Parti communiste - l’un des deux, car il y a une scission en deux moitiés égales -, celui qu’on appelle Hidalgo, du nom de son dirigeant, le sénateurManuel Hidalgo, adhère en bloc à l’Opposition internationale en 1933 sous l’influence de la Izquierda comunista d’Andrés Nin. Ce groupe gagne de nombreux réfugiés, dont un cadre du PC bolivien, ancien dirigeant étudiant, José Aguirre Gainsborg. Dans l’Italie sous la botte fasciste, le Parti communiste a été pratiquement écrasé et seuls subsistent des groupes sans liens entre eux relevant de l’état d’esprit bordiguiste. Le parti en exil, sous la direction d’Ercoü (Palmiro Togliatti), exécute sans broncher les tournants et les analyses que lui dicte l’exécutif. Les bordiguistes exclus ont constitué une organisation en exil qui édite la revue Promeîeo. Maîtres des groupes de langue italienne dans le PC français, ils ont une assez grande influence. Nous avons vu qu’il s’est formé au sommet une opposition à la politique suicidaire du parti, dictée par la direction de la Comintern. Elle est constituée de ceux qu’on appelle « îes trois », Pietro Tresso, dit aussi Blasco, ancien bordiguiste, ancien responsable du centre du parti clan­ destin. Avec lui, Alfonso Leonetti, dit Feroci, compagnon de Gramsci, qui a dirigé L'Ordine nuovo et L ’Unità, et Paolo Ravazzoli, dit Santini, îe chef des syndicats clan­ destins. Moscou exige du PC italien leur exclusion et menace même de dissoudre le comité central italien au cas où il refuserait d’exclure « îes trois17». Il obtempère. De leur côté, ces derniers s’adressent à Rosmer et prennent contact avec Trotsky. Sous le nom de NOI (Nuova Opposizione italiana), ils constituent, malgré les protestations des bordiguistes, la section italienne de l’Opposition de gauche. Avec les trois, quelques révolutionnaires professionnels comme Mario Bavassano (Giacomi), officier dans l’Armée rouge, et Nicola di Bartolomeo. En fait, coupée des travailleurs de l’exil, contrôlés par les staliniens et les bordiguistes, incapable matériellement de reconstruire le parti en Italie à cause de la répression, la NOI a végété tout en fournissant des hommes de qualité aux organes internationaux de l’Opposition (Leonetti) et à îa section française (Blasco). En Grèce, une organisation qui s’est détachée du PC en 1924, l’organisation archiomarxiste, que dirige d’abord F. Tzoulatis et, à partir de 1926, son ancien secrétaire Mitsos Yotopoulos, et qui compte entre 1600 et 2 000 membres, s’affilie en 1930. Sa rivale, Spartakos, est une véritable organisation oppositionnelle dirigée par Pantelis Pouliopoulos, ancien secrétaire général du Parti communiste grec, mais elle ne compte qu’une soixan­ taine de membres. Elle proteste contre l’admission à l’Opposition internationale des 17. Cité par lialia contemporanea, octobre-décembre 1976, p. 55.

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archiomarxistes, parti et non opposition, une atteinte aux principes sur lesquels repose cette dernière18. En Bulgarie, des contacts ont été pris avec de vieux militants de l’époque de Rakovsky, Stepan Manov et Sider Todorov, père d’un militant de l’Opposition de gauche russe, V. Sidorov. Ils fondent avec L. Sammaîiev l’opposition bulgare, qui va publier le journal Osbvobodjenie. L ’ancien responsable militaire du PCB, Dimitar Gatchev, au terme de sept ans de prison, entre dans la direction de l’Opposition, En Pologne, une opposition s’est constituée à Varsovie à la fin de 1931, sous l’impulsion de Hersh Mendel Sztokfisz, du Bureau juif, et de Pavel Pinkus Mine, du CC du PC polonais, que rejoint très vite le membre du CC, ancien du Kombund, Abram (Abè) Flug. Elle regroupe à la fois des partisans de l’opposition de gauche et de droite. La scission se produit avec Flug quand Sztokfisz refuse de répondre à la convocation de Moscou si l’exécutif ne déclare pas publiquement qu’il est convoqué en tant que minoritaire : ceux qui restent avec lui, décidément de gauche, prennent contact avec le secrétariat de l’Oppo­ sition internationale et Trotsky. Bientôt, les militants polonais reçoivent le renfort décisif de Kazimierz Badowski, de retour d’Anvers» et de Slomo Ehrlich, qui vient de Suisse, tous deux en contact avec les trotskystes d’Occident. Ils ont avec eux deux journalistes de talent, Artur Redler et Isaac Deutscher19. En Grande-Bretagne, une Marxist League est fondée en 1929 par F.A. Ridley, l’Indien Chandu Ram (Agarwala) et les Cinghalais Colvin R. de Silva et Leslie Goonawardena. On retrouvera l’un des siens, Hugo Dewar, avec Harry Wicks, cheminot révoqué, ancien de l’École Lénine à Moscou, et Reg Groves dans le « groupe de Balham » d’où va naître l’opposition de gauche britannique20. Les Britanniques envoient en Afrique du Sud l’un des leurs, C. Frank Glass, que l’on retrouvera bientôt en Chine, où il a joué un rôle important. La Hongrie, toujours sous la dictature et la terreur blanche de l’amiral Horthy et avec un PC totalement stalinisé, va être finalement abordée sous des angles différents. A Bratislava, Lenorovic a réussi à construire un groupe hongrois qu’anime Terebassÿ. En France, les oppositionnels français prennent contact avec le responsable des communistes hongrois de Paris, Karoly Szilvassÿ, qui les suit. Ensemble, ils réussissent à nouer le contact avec le très clandestin groupe de jeunesses communistes qui a évolué tout seul vers l’Opposition de gauche et que dirige le jeune ouvrier Ivan Hartstein. En ce qui concerne l’Indochine, des militants communistes rêvant du Guomindang ont bâti un Parti annamite de l’indépendance qui semble plutôt une reproduction de l’Etoile nord-africaine, avec quelques centaines de militants dans la région parisienne. Le heurt inévitable avec les dirigeants de la Comintern qui font la chasse aux « nationalismes petits-bourgeois » renvoie ses dirigeants les plus avancés vers l’Opposition de gauche, et trois de ses dirigeants, Ta Thu Thau, Huynh Van Phuong et Phan Van Chanh la rejoi­ gnent21. Es organisent le 22 mai 1930 une manifestation surprise d’une centaine d’étu­ diants devant VElysée contre la répression dans leur pays, et 19 d’entre eux, dont le noyau trotskyste, sont refoulés vers Saigon le 30 mai. L ’organisation se développe alors au pays, et les militants expulsés fondent l’Opposition de gauche indochinoise, qui publie la revue Thang Muoi (Octobre). Mais l’apparition de deux autres groupes rivaux déclenche le virus fractionniste, et les querelles fratricides empêchent le développement du mouvement 18. Les Mémoires d’A. Stinas sont l’unique ouvrage en français accessible sur ces questions. 19. Hersh Mendel, op. cit., p. 308-318. 20. H. Wicks, Keeping myHead, Bomstein et Richardson, Against theStream. A History ofihe TrotskyistMovement in Britain, 1924-1938. 21. D. Hémeiy, op. cit., discute cette évolution, p, 209-217.

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jusqu’au lancement du grand journal La Lutte, où îes oppositionnels cohabitent avec les membres du PC. L a reconstruction

Le développement de l’Opposition de gauche en ces quelques années peut apparaître limite. Il peut aussi apparaître fantastique, puisque effectué malgré îa double répression des États qui les traitaient en communistes et des communistes staliniens qui îes traitaient comme leurs pires ennemis. Tous les continents étaient finalement atteints, rares îes pays où l’existence d’un PC n’avait pas engendré celle d’une opposition. R y eut même des localités et des régions, particulièrement en Amérique du Sud, où l’opposition apparut parfois au grand jour avant le Parti communiste lui-même. Une des premières tâches à entreprendre, en même temps que la construction et le développement des sections, était la construction d’une direction internationale de l’Oppo­ sition, et Trotsky n’abandonna sans doute jamais cette préoccupation après sa sortie du territoire soviétique. Le premier bureau, désigné à la première conférence, composé de Rosmer, Andrés Nin et Landau, avait belle allure, mais il resta sur le papier et ne se réunit jamais, on comprend facilement pourquoi. Très vite, le travail fut aux mains d’un secrétariat dont la composition changea cepen­ dant très souvent. On peut mentionner parmi ceux qui en ont fait partie pour un temps plus ou moins long dans cette période, en dehors des premiers membres du bureau mentionnés plus haut, le Grec Rosencweig (Myrtos), l’Italien Leonetti, îes frères Roman Well et Sénine, Eugen Bauer (Ackerknecht), le Grec Yotoupolos (Vitte) et le citoyen soviétique M ill. De toute façon, une grande partie de la besogne était faite par Trotsky et Sedov avec les proches collaborateurs de Trotsky, comme Frankel ou Jean van Heijenoort. Trotsky considérait comme capital ce travail de direction internationale, cherchait à le renforcer et n’en fut jamais vraiment satisfait. L ’Opposition de gauche se prononçait pour le redressement de l’Internationale com­ muniste et s’opposait donc à toute initiative tendant à faire naître un second parti, a fortiori une nouvelle Internationale. C’est sur cette question que se produisit la rupture avec Sneevliet et Urbahns, la base des divergences avec la section espagnole, la Izquierda comunista étant apparemment convaincue de l’existence d’une sorte d’« exceptionnalisme» espagnol qui excluait, selon elle, tout développement futur du stalinisme en Espagne. Relevons aussi la tolérance manifestée dans les cas du parti archiomarxiste et du PC chilien de Hidalgo, c’est-à-dire chaque fois que îe parti « oppositionnel » avait des forces comparables ou supérieures à celle du parti officiel. Les oppositionnels français ont emprunté à leurs camarades russes et fièrement conservé le titre plutôt exotique de « bolcheviks-léninistes » qui résumait îeur objectif, « le retour à Lénine », et soulignait que c’est en se situant sur le terrain de la révolution russe et de sa défense qu’ils avaient accepté la rupture, encouru l’exclusion et pris forme d’organisation. Les autres sections n’avaient pas toutes la même attitude, et les Américains, par exemple, n’acceptaient pas volontiers les vocables russes, qui semblaient les rejeter de la communauté nationale. B ag ag e th éo riq ue

Sur le plan programmatique et théorique, l’Opposition de gauche pensait que l’héritage de la Comintern ne provenait pas intégralement de Lénine et qu’il ne fallait pas tout y chercher. Elle considérait comme erronées les décisions des Veet V Iecongrès, et voulait récrire le programme rédigé par Boukharine et accepté au V Ie. Sa base programmatique était donc celle des quatre premiers congrès de l’Internationale communiste. C’est au nom

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de la nécessaire indépendance du parti ouvrier que l’Opposition de gauche condamnait comme opportuniste la politique menée en Chine avec le Guomindang, le maintien au Comité syndical anglo-russe après la défaite de ia grève générale et les « partis ouvriers et paysans ». C’est au nom du caractère international de la révolution prolétarienne qu’elle rejetait la théorie de « la construction du socialisme dans un seul pays » et ses corollaires, comme le « national-bolchevisme ». Elle considérait l’URSS comme un État ouvrier dégénéré qu’il fallait défendre contre l’impérialisme. L ’Opposition condamnait la politi­ que économique de Staline dans son ensemble, dans toutes ses variantes et sous toutes ses formes - tant l’opportunisme des années 1923-1928 (non la Nep, comme on le dit trop souvent) que l’aventurisme économique de l’industrialisation et de la collectivisation forcées à partir de 1928. Comme Lénine, l’Opposition se prononçait pour une présence active dans les organisations de masse, en premier lieu les syndicats réformistes, et dénonçait îe rôle néfaste des syndicats rouges. Elle rejetait îa formule de la « dictature démocratique des ouvriers et des paysans » que la Comintem avait avancée à la place de celle de « dictature du prolétariat ». Elle préconisait l’emploi de mots d’ordre de transition, afin d’éclairer la conscience des masses par leur propre expérience, et en particulier de mots d’ordre démocratiques. Reprenant les formules de Lénine sur le front unique ouvrier, l’Opposition condamnait leur interprétation comme « front unique à la base » et la pseudo­ théorie du stalinisme sur la transformation de îa social-démocratie en « social-fascisme ». Enfin, elle revendiquait la restauration de la démocratie dans le parti comme au temps de Lénine, dans îes règles et en pratique. Force sélectionnée avec des cadres trempés et un dirigeant prestigieux, l’Opposition internationale croyait que l’histoire lui réservait dans la révolution à venir, à la tête d’une Internationale régénérée, le rôle que le Parti bolche­ vique avait joué en 1917. B ata ille su r l ’A llem ag n e

La grande bataille de l’opposition en cette période est la campagne menée par Trotsky sur les progrès du nazisme en Allemagne, la politique suicidaire de la Comintem et les moyens de redresser la situation. Bien informé par ses collaborateurs à Berlin, Erwin Ackerknecht (Bauer) et Lev Sedov, comme par des observateurs de qualité, Werner Scholem et quelques autres vétérans, le révolutionnaire en exil écrit quelques-unes de ces pages les plus pénétrantes et îes plus percutantes de ses oeuvres. Mais, lu, écouté, admiré, il n’est pas suivi. P r em ièr es an alyses

C’est au lendemain des élections de septembre 1930 qu’iî s’attaque à la situation allemande, dans un article de fond intitulé « Le tournant de l’Internationale commu­ niste22», où il développe l’idée selon laquelle elle résulte d’un rapport de forces tout à fait original, « résultat non seulement des deux périodes de stabilisation en Allemagne depuis îa guerre mais aussi de trois périodes d’erreurs de l’Internationale communiste ». A l’opposé des clameurs de victoire au sujet du gain de 1300 000 voix par les commu­ nistes, il souligne les deux faits importants à ses yeux, la fulgurante progression du Parti national-socialiste, qui passe de 600 000 à 6 400 000 voix, et le maintien relatif de la social-démocratie, qui a recueilli plus de voix que le KPD. Le fait est, pour lui, que la place du Parti communiste « demeure faible et disproportionnée du point de vue des conditions historiques concrètes ». Il explique : « La faiblesse des positions du commu­ 22. Nous renvoyons ici à l’édition française sans date de 1971 titrée Comment vaincre le fascisme.

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nisme est indissolublement liée à la politique et au fonctionnement interne de l’Interna­ tionale communiste ; elle se révèle de façon encore plus criante si l’on compare îe rôle social actuel du Parti communiste et ses tâches concrètes et urgentes dans les conditions historiques présentes23. » Analysant les forces sociales, les hésitations de la grande bour­ geoisie entre la thérapie sociale-démocrate trop coûteuse, et « l’intervention chirurgicale » fasciste trop risquée, il poursuit : La croissance gigantesque du national-socialisme traduit deux faits essentiels : une crise sociale profonde, arrachant les masses petites-bourgeoises à leur équilibre, eî l’absence d’un parti révo­ lutionnaire qui jouerait dès à présent aux yeux des masses le rôle de dirigeant révolutionnaire reconnu. Si le Parti communiste est le parti de l’espoir révolutionnaire, le fascisme en tant que mouvement de masse est le parti du désespoir contre-révolutionnaire24.

Le chemin de la révolution s’ouvre quand le prolétariat s’engage tout entier sur cette voie, entraînant d’importantes couches de ia petite-bourgeoisie. Les élections allemandes donnent l’image opposée: «Le désespoir contre-révolutionnaire s’est emparé de la masse petite-bourgeoise avec une force telle qu’elle a entraîné derrière elle d’importan­ tes couches du prolétariat25.» Les explications en sont multiples, particulièrement l’expérience du KPD, l’essentiel étant que « la méfiance [de la petite-bourgeoisie pour la révolution prolétarienne] se nourrit de celle des millions d’ouvriers social-démocrates à l’égard du Parti communiste26». Son diagnostic est clair: «Le fascisme est devenu en Allemagne un danger réel II est l’expression de l’impasse aiguë du régime bourgeois, du rôle conservateur de la social-démocratie face à ce régime et de la faiblesse accu­ mulée du Parti communiste incapable de le renverser. Il faut le comprendre à temps27. » Rappelant l’utilisation systématique par la Comintern et le KPD du vocable de « socialfascistes » pour désigner la social-démocratie et la politique de cette dernière, il assure : «En votant le cœur serré pour la social-démocratie, les ouvriers qui le font ne lui manifestent pas leur confiance, ils expriment leur méfiance envers le Parti commu­ niste28. » Envisageant ensuite les variantes possibles, il souligne que l’un des facteurs décisifs est l’adoption par les communistes d’une tactique correcte dans la mesure où c’est ia tactique erronée du KPD qui s’exprime à travers la théorie stupide du « social-fascisme » qui a assuré la consolidation de la social-démocratie. Il souligne aussi la nécessité absolue d’un changement de régime du parti afin de « l’arracher à sa prison bureaucratique» : « Le parti doit s’arracher à cette atmosphère hypocrite, conventionnelle, où l’on passe sous silence les maux réels et où Ton glorifie des valeurs fictives, en un mot à l’atmosphère pernicieuse du stalinisme qui est le résultat non d’une influence idéologique et politique mais d’une grossière dépendance matérielle de l’appareil et des méthodes de comman­ dement qui en découlent29. » El ser a bien tô t trop tard

L ’article « La clé de la situation internationale est en Allemagne » porte la date du 26 novembre 1931. U y explique que le dénouement est proche et que la situation préré23, Comment vaincre le fascisme, p. 20, 24. Ibidem, p. 22. 25. Ibidem, p. 23. 26, Ibidem, p. 233-234. 21. Ibidem, p. 234. 28. Ibidem, p. 27. 29. Ibidem, p. 37.

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voîutionnaire doit se résoudre très vite et devenir révolutionnaire ou contre-révolu­ tionnaire : L’heure de la décision a sonné. [...] Le parti dirigeant de l’Internationale communiste, ie PC de l’Union soviétique, n’a pris aucune position. [...] Les « chefs du prolétariat mondial » se réfugient dans le silence. Ils ont remplacé ia politique de Lénine par celle de l’autruche. Nous approchons d’un des moments les plus cruciaux de l’histoire ; l’Internationale communiste a déjà commis une série d’erreurs graves mais partielles qui ont sapé et ébranlé les forces accumulées pendant ses cinq premières années ; elle risque aujourd’hui d’accomplir une erreur fondamentale et fatale qui risque de la rayer en tant que facteur révolutionnaire de la carte politique pour toute une période historique30.

L ’appréciation qu’il porte sur la direction berlinoise, visiblement puisée à bonne source, est féroce ; Ces gens-là n’ont pas l’habitude de prendre leurs responsabilités. Aujourd’hui iis rêvent de démontrer, peu importe comment, que le « marxisme-léninisme » exige qu’on refuse le combat. [...] Le sens de leur (nouvelle) théorie est le suivant : le fascisme croît irrésistiblement, sa victoire est de toute façon inéluctable ; plutôt que de se précipiter « aveuglément » dans la lutte et se faire battre, il vaut mieux reculer prudemment et laisser le fascisme prendre le pouvoir et se compro­ mettre. Et alors - oh, alors ! - nous nous montrerons. [...] La victoire des fascistes que l’on déclarait impensable il y a un an est considérée aujourd’hui comme assurée. Un quelconque Kuusinen, conseillé en coulisse par un quelconque Radek, prépare pour Staline une formule stratégique géniale : reculer en temps opportun, retirer ies troupes révolutionnaires de la ligne de feu, tendre un piège aux fascistes sous la forme... du pouvoir gouvernemental. Si cette théorie était définitivement adoptée [...] ce serait de la part de l’Internationale com­ muniste une trahison d’une ampleur historique au moins égale à celle de la social-démocratie le 4 août 1914- avec des conséquences encore plus effroyables31.

H s’attache à montrer les terribles conséquences de ce danger : L’arrivée au pouvoir des « nationaux-socialistes » signifierait avant tout rextermination de l’élite du prolétariat allemand, la destruction de ses organisations et la perte de sa confiance dans ses propres forces et dans son avenir. [...] Les chefs et (es institutions peuvent battre en retraite. Des personnes isolées peuvent se cacher. Mais la classe ouvrière ne saura ni où reculer ni où se cacher face au pouvoir fasciste. [..J Dans un avenir immédiat, la victoire du fascisme en Allemagne provoquerait une coupure dans l’héritage révolutionnaire, le naufrage de l’Internationale commu­ niste, le triomphe de l’impérialisme mondial sous ses formes les plus odieuses et les plus san­ guinaires, La victoire du fascisme impliquerait forcément une guerre contre l’URSS, [...j Si Hitler arrive au pouvoir [...}, îe gouvernement fasciste sera le seul gouvernement capable d’entreprendre une guerre contre l’URSS. [...] En cas de victoire, Hitler deviendrait le super-Wrangel de la bourgeoisie allemande. [...] Cela impliquerait pour l’URSS un isolement terrible et une lutte à mort dans les conditions les plus pénibles et les plus dangereuses32.

Sa conclusion montre la conscience qu’il a de l’ampleur de l’enjeu et de l’urgence du tournant : La force des nationaux-socialistes ne réside pas tant actuellement dans leur propre armée que dans la division qui règne au sein de l’armée de leur ennemi mortel. C’est précisément la réalité et la croissance du danger fasciste, c’est son caractère imminent, c’est la conscience de la nécessité d’écarter ce danger coûte que coûte, qui poussent les ouvriers à s’unir pour se défendre. La 30. Ibidem, « La clé de la situation... », p. 55-56. 31. Ibidem, p. 57-58. 32. Ibidem, p. 58-60.

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concentration des forces prolétariennes se fera d’autant plus vite et avec d’autant plus de succès que le pivot de ce processus, le Parti communiste, sera plus solide. La clé de la situation est encore entre ses mains. Malheur à îui s’il la laisse échapper ! Ces dernières années, les fonctionnaires de la Comintern criaient à tout propos et parfois pour des raisons futiles que l’URSS était directement menacée militairement. Aujourd’hui ce danger devient tout à fait réel et concret. Tout ouvrier révolutionnaire doit considérer comme un axiome l’affirmation suivante : la tentative des fascistes de s’emparer du pouvoir en Allemagne doit entraîner une mobilisation de l’Armée rouge. Pour l’État prolétarien, il s’agira d’autodéfense révolutionnaire au sens plein du terme. L’Allemagne n’est pas seulement î’Alîemagne. Elle est le cœur de l’Europe. Hitler n’est pas seulement Hitler. Il peut devenir un super-Wrangel. Mais l’Armée rouge n’est pas seulement l’Armée rouge. Elle est l’instrument de la révolution prolé­ tarienne mondiale33. Peu après, le 8 décembre 1931, il concentre son feu dans une «Lettre ouverte à un ouvrier membre du KPD » qui se conclut ainsi : Ouvriers communistes, vous êtes des centaines de milliers, des millions. Vous n’avez nulle part où aller, il n’y aura pas pour vous assez de passeports. Si le fascisme arrive au pouvoir, il passera comme un tank effroyable sur vos crânes et sur vos échines. II n’existe de salut que dans une lutte sans merci. Seul unrapprochement dans la lutte avec les ouvriers social-démocrates peut apporter la victoire. Dépêchez-vous, ouvriers communistes. II ne vousreste quepeude temps34! L E « NATIONAL-COMMUNISME »

Trotsky revient une nouvelle fois sur la question allemande et sur la politique stalinienne de façon plus pressante encore, moins d’une année plus tard, dans l’article intitulé « Contre le national-communisme » daté du 31 août 1932, consacré à ce que le KPD appelle « le plébiscite rouge ». H consacre des développements sarcastiques et virulents à la nouvelle pratique du KPD qui consiste à agir contre le fascisme en utilisant ses armes, en lui empruntant ses couleurs et en se livrant avec lui à une surenchère chauvine. Il prend l’exemple de l’emploi systématique, au Heu de « révolution prolétarienne », de l’expres­ sion « révolution populaire », « fanfaronnade et charlatanisme, concurrence de bazar aux fascistes faite au prix d’une confusion qu’on sème dans la tête des ouvriers », conciliation avec l’idéologie du fascisme, « en leur permettant de croire qu’il n’y a pas de nécessité de faire le choix puisque des deux côtés, c’est de la révolution populaire qu’il s’agit » et que le procédé permet de faire croire qu’en Allemagne impérialiste, « c’est de îa “libé­ ration nationale” qu’il s’agit». On se doutait en 1932, à travers une déclaration de Piatnitsky, que la décision de teindre en rouge le plébiscite brun avait été prise à Moscou, contre les réticences du KPD. On sait aujourd’hui par îes historiens allemands de îa RDA que Staline et Molotov ont forcé la décision sur îe caractère « rouge » du plébiscite. Trotsky, à l’époque, souligne le silence prudent observé par Staline et, au regard, ce qu’iî appelle « la vantardise inepte et honteuse » de la Pravda du 12août assurant que îe résultat du vote était le coup îe plus grave jamais porté par les travailleurs à la social-démocratie. B u r ea u c r a t ie

st a lin ien n e et po lit iq u e a llem a n d e

Les travaux ultérieurs de Trotsky, surtout Et maintenant. La Révolution allemande et la bureaucratie stalinienne, et La Seule Voie, développent des thèmes identiques sur une 33. Comment vaincre le fascisme, p. 64 65. 34. Ibidem, p, 80.

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actualité postérieure, accumulent aussi les références à l’histoire et aux écrits de Lénine nécessaires pour convaincre un lecteur membre ou sympathisant du KPD. Nous en relè­ verons deux extraits qui nous semblent utiles dans un ouvrage sur l’histoire de la Comin­ tern: La fraction dirigeante de l’Internationale communiste ne relève pas du centrisme « en géné­ ral » ; c’est une formation historique bien définie, avec des racines sociales puissantes, quoique récentes. Il s’agit avant toutdela bureaucratie soviétique. Dans les écrits des théoriciens staliniens, cette couche sociale n’existe pas. Il n’y est question que du « léninisme », de la direction désin­ carnée, de la tradition idéologique ; de l’esprit du bolchevisme, de l’inconsistante « ligne géné­ rale » ; pas un mot sur le fait quele fonctionnaire bien vivant, en chair et en os, maniecette ligne générale tel un pompier sa lance. Il y a plusieurs millions de fonctionnaires [...]. Cette couche dirigeante de plusieurs millions d’individus a-t-elle unpoids social et une influence politique dans le pays ? Oui ou non35? Il explique par F existence de la bureaucratie les oscillations de la politique de la Comintem : Les oscillations du centrisme bureaucratique qui sont en rapport avec sa puissance, ses res­ sources et les contradictions aiguës de sa situation ont atteint uneampleur inégalée : des aventures ultragauchistes en Bulgarie et en Estonie à l’alliance avec Jiang Jieshi, Radié et Purcell, de la honteuse fraternisation avec les briseurs de grève anglais au refus catégorique de la politique de front unique avec les syndicats de masse. La bureaucratie stalinienne exporte ses méthodes et ses zigzags dans les autres pays, dans la mesure où, par l’intermédiaire du parti, non seulement elle dirige l'Internationale mais de plus lui donne des ordres36. Il fait une comparaison ravageuse avec le Parti bolchevique : La force du parti révolutionnaire réside dans l’esprit d’initiative de l’avant-garde qui met à l’épreuve et sélectionne ses cadres ; c’est la confiance qu’elle a dans ses dirigeants qui les élève progressivement vers le sommet. Cela crée un lien indestructible entre les cadres et les masses, entre les dirigeants et les cadres, et donne de l’assurance à toute la direction. Rien de pareil n’existe dans les partis communistes actuels. Les chefs sont désignés. Ils se choisissent des subordonnés. La base du parti est obligée d’accepter les chefs désignés autour desquels on crée une atmosphère artificielle de publicité. Les cadres dépendent du sommet et non de la base. Dans une large mesure, ils cherchent les raisons de leur influence et de leur existence à l’extérieur des masses. Ils tirent leurs mots d’ordre politiques du télégraphe et non de l’expérience de la lutte. En même temps, Staline tient en réserve à tout hasard des documents accusateurs. Chacun de ces chefs sait qu’à chaque instant il peut être balayé comme un fêtu de paille37. Sa conclusion sur ce qu’iî faut faire pour faire face est empreinte d’optimisme révo­ lutionnaire : Une discussion publique, sans interruption des réunions, sans citations tronquées, sans calom­ nies venimeuses, un échange loyal d’opinions sont nécessaires dans les rangs des communistes et de tout le prolétariat : c’est ainsi qu’en Russie, durant toute l’année 1917, nous avons polémiqué avec tous les partis et en notre sein même. Il faut, au travers de cette large discussion, préparer un congrès extraordinaire du parti avec un point unique à l’ordre dujour : « Que faire ? » [...] Si le Parti communiste est contraint d’appliquer la politique du front unique, cela permettra presque à coup sûr de repousser l’offensive des fascistes. Et une victoire sérieuse sur le fascisme ouvrira la voie à la dictature du prolétariat. [...1 La victoire de la révolution prolétarienne en Allemagne 35. Comment vaincre le fascisme, «Et maintenant », p. 173-174. 36. Ibidem, p. 177. 11. Ibidem, p. 78-79.

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devrait avoir pour lâche première la liquidation de la dépendance bureaucratique à l’égard de l’appareil stalinien. Demain, après la victoire du prolétariat allemand, et même dans sa lutte pour le pouvoir, îe carcan qui paralyse l’Internationale communiste sautera. L’indigence des idées du centrisme bureaucratique, les limitations nationales desonhorizon, le caractèreantiprolétariendesonrégime, tout cela apparaîtra à la lumière de la révolution allemande qui sera incomparablement plus vive que celle de la révolution d’Octobre, et les idées de Marx et de Lénine triompheront immanqua­ blement au sein du prolétariat allemand3®. Le

co m bat d e l 'O ppo sit io n

On est tout de même un peu surpris que l’Opposition n’ait pas mieux exploité pour elle-même la campagne de Trotsky et les échos qu’elle rencontrait. Les lettres qui arri­ vaient à Prinkipo l’attestent, tant par leur quantité que par la qualité des expéditeurs : l’exilé ne prêchait pas dans le désert. La lecture de la correspondance allemande, de ia presse allemande montre îe sérieux de la lutte menée par la petite organisation d’un demi-millier d’oppositionnels recrutés en trois ans par une poignée de vétérans et de jeunes communistes. Ni Trotsky ni ses camarades ne perdent îa foi, et jusqu’au bout les oppositionnels allemands - îes vétérans comme Seipold et Grylewicz, les jeunes gens comme Erwin Ackerknecht, Walter Heîd, Oskar Hippe - vont de meeting en meeting, les leurs comme ceux des autres, appelant les travailleurs à imposer le front unique à leurs dirigeants. Ils discutent aussi pied à pied avec des membres du Parti communiste qui acceptent de îe faire, avec des socialdémocrates, des syndicalistes. Ils obtiennent certains succès. Une goutte d’eau dans l’immense raz de marée qu’il faudrait provoquer, et pourtant îe ralliement de groupes, des appels communs, la constitution de comités ou de milices ouvrières dans de petites agglomérations. C’est le cas à Bruchsal en Bade, Schmachtenhagen, Erkenschwick, dans la Ruhr, Sachsenhausen, Birkenweder, souvent avec l’appui du SAP formé après l’exclu­ sion de sociaî-démocrates sur la gauche du parti. L ’un des succès de l’Opposition a revêtu un éclat particulier. Elle a réussi à gagner, début 1932, un oppositionnel «indépendant» d’Oranienburg, Helmuth Schneeweiss, trente ans, président du comité local de chômeurs, qui est alors exclu du KPD. Ce dernier a réussi ensuite à obtenir l’accord des organisations locales pour former des milices ouvrières qui disperseront le 30 janvier 1933 le « défilé de victoire » des nationauxsocialistes dans leur ville et réussiront à empêcher pendant plusieurs semaines les bandes national-socialistes de pénétrer dans leur zone industrielle, alors qu’Hitler est déjà chan­ celier. Un autre succès est plus discret. A la fin de 1932, Werner Scholem, qui s’étaitjusque-là tenu à l’écart, se consacrant à des études de droit qu’il avait décidé de suivre pour devenir avocat, accepte de rédiger des articles signés de pseudonymes dans le journal de l’Oppo­ sition, de rédiger des notes d’information pour Trotsky, de discuter de la situation avec Sedov. En 1933, il vient de décider de reprendre l’activité politique avec l’Opposition clandestine quand iî est arrêté. Juif et communiste, iî n’a aucune chance, il est exécuté au camp après d’infinis raffinements de torture. Il y a aussi des recrues de dernière heure qui se décident peut-être à cause de î’urgence. Parmi eux, un collaborateur du trust Münzenberg, Walter Nettelbeck, qui amène avec lui plusieurs camarades. Dès la fin de 1932, Sedov est sur la trace d’un groupe d’opposition 38. Comment vaincre le fascisme, p. 228-229.

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dans le KPD qui compte à Berlin plusieurs dizaines de membres. Ce groupe est dirigé par un camarade qui a occupé des positions responsables dans îe KPD puis a dirigé l’organe de la Leninbund, Volkswiîle, avant de revenir au parti et d’y travailler avec une opposition qu’il a créée dans un quartier prolétarien où il milite. L ’adhésion de cet homme, Karl Ludwig, est considérée par Sedov comme une grande victoire, mais ce cadre, arrêté, disparaît, sans doute tué, en 1941. P o urq u o i l 'O ppo sit io n

n *a pa s a t t ein t so n bu t

Deux provocateurs, les frères Sobolevicius, tentèrent en décembre 1930 une opération de grande envergure en publiant un faux numéro du journal de l’Opposition et une déclaration assurant que Trotsky et l’Opposition avaient eu tort et que la politique alle­ mande de Staline était juste. Le procédé, vu a posteriori, n’apparaît pas d’une grande finesse, mais se paya sans doute cher en termes de discrédit et de découragement. On est évidemment tenté de répondre à la question de savoir pourquoi l’Opposition a été impuissante par un truisme du genre de « il était trop tard ». A quoi Trotsky répondrait qu’il fallait avoir tenté de le faire pour savoir que c’était trop tard, et qu’en tout cas rien n’était alors possible par l’improvisation d’une nouvelle organisation. Il faut donc se contenter de prendre acte. Pas plus que îa magnifique contribution écrite de Trotsky, l’agitation menée par ses camarades de l’Opposition n’a pu libérer les travailleurs alle­ mands de l’emprise de la bureaucratie, même s’ils comprenaient sa nature. Ils ont pris le risque de ne rien casser, et tout s’est pourtant désagrégé. Pour préciser, ajoutons que l’Opposition allemande a été en fait incapable de modifier la ligne du KPD de capitulation devant l’appareil de la Comintem, qui ouvrait la voie d’une victoire sans combat des nationaux-socialistes. Bien sûr que la classe ouvrière allemande, divisée, désorientée, égarée, éperdue, n’avait pas le temps d’organiser pour survivre un combat sur de nouvelles lignes. H reste qu’elle n’a pas été capable de « sauver » le KPD. Et c’est ce qui constitua îe facteur décisif dans le tournant de Trotsky en 1933. Quand Trotsky proclama la faillite du KPD d’abord, puis celle des autres partis communistes et surtout de la Comintem, « définitivement passée du côté de l’ordre bourgeois », il reconnut du même coup la faillite de sa propre politique de « redressement » des organisations fondées par la révolution et pour elle, et atteintes, par la suite, de dégénérescence bureaucratique. L ’OPPOSmON HORS D’URSS MARGINALISÉE

Gardons-nous pourtant de chercher dans l’opposition elle-même les causes de son échec. Ces hommes ont leurs racines sociales et intellectuelles dans les partis communistes et, plus en amont, îes partis socialistes, les syndicats, les mouvements nationalistes révo­ lutionnaires qui les ont formés et d’une certaine façon conditionnés. Durant la période de la lutte de l’Opposition, les PC n’étaient encore implantés que superficiellement : ils ne relevaient pas des traditions de îeurs classes ouvrières respectives, et, contrairement au bolchevisme dont ils se réclamaient, avaient plus souvent nagé contre le courant qu’à son fil. C’est dans ce cadre artificiel, fut déterminé par ses rapports avec l’élément extérieur que constituait Moscou, que l’Opposition tenta de s’insérer et de se développer. A partir de 1928, quand l’Opposition était en train de bâtir un cadre d’organisation, les partis communistes poursuivirent, à l’instigation de îa Comintem staîinisée, une poli­ tique gauchiste qui îes éloigna de la large masse des ouvriers, de sorte que, nous l’avons vu, le KPD devint un parti de passants et de chômeurs. Plus sérieux, la crise économique et sociale plaça l’appareil du parti - non seulement son fonctionnement, mais les salaires de ses pennanents - dans une étroite dépendance de « l’aide » financière de Moscou. Les

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chute

oppositionnels avaient donc à affronter plusieurs répressions emboîtées comme des poupées russes : en tant que communistes, celle de l’État et de la police, celle de l’appareil dans le parti ; en tant que militants syndicaux, celle de l’appareil social-démocrate dans les grandes centrales et de l’appareil stalinien dans les « syndicats rouges » ; celle enfin des employeurs qui les plaçaient sur leurs « listes noires ». Même si la situation y était sans doute moins grave qu’en Allemagne, on trouve les mêmes traits en France et aux États-Unis. Ce n’est pas par hasard que nombre de militants étaient recrutés parmi les travailleurs immigrés, victimes traditionnelles de la surexploitation, mais aussi extérieurs « aux gros bataillons de la classe ». Les membres du « groupejuif », influent dans l’Oppo­ sition à Paris, étaient des artisans que la misère avaient chassés de leur pays et qui ne subissaient pas la pression de îa tradition nationale et ouvrière du pays où ils s’étaient réfugiés. Les militants communistes juifs de New York qui publiaient Klorkheit avaient d’abord été dans la même situation, mais s’intégrèrent mieux dans îe travail de l’Oppo­ sition, cessant très vite d’être un « groupe de langue ». Presque partout, l’Opposition avait les traits d’une secte. Les pratiques et la mentaîité provenaient parfois du PC lui~même. Ainsi îe KP autrichien, patrie du « fractionnisme », transmit cette caractéristique peu plaisante à son opposition, pour laquelle Jan Frankel inventa le nom spécial d’« austrooppositionniste ». La plupart du temps, cependant, ce furent les conditions de l’existence et de l’activité de ces groupes qui déterminèrent leur mentalité et leurs pratiques. De petits groupes se réunissaient autour d’un « chef » qui était tenu pour infaillible ~ et c’était rarementTrotsky, élevé à la position de Dieu, mais « si mal informé », répétaient-ils. C’étaient finalement très souvent moins des fractions ou des tendances que des cliques ou des clans. L ’histoire des groupes nationaux est celle d’une succession de crises et de scissions, quelquefois d’unifications, rarement de réunifications. La scission devint un phénomène de la vie quotidienne. I! n’y avait en effet guère de risques de dommages matériels puisque la situation ainsi créée, à coup sûr pas meilleure, ne pouvait pas être pire. On continua donc à voir des groupes d’une dizaine de membres, élaborant des « thèses » et des « platesformes » et attendant des masses qu’elles soient assez bonnes pour les « reconnaître » comme direction sur la base de leur activité théorique : une attitude que Trotsky qualifiait de « propagandiste ». La

pén ét r a tio n d u

GPU

Sur de telles bases il était évidemment difficile de dresser une barrière efficace contre la «pénétration », et en particulier contre l’infiltration d’agents staliniens, provocateurs ou non. On ne manque pas d’exemples de ces agissements, même si on est loin de tout savoir à leur sujet. La première crise fut provoquée par le ralliement au GPU de Solomon Kharine, fonctionnaire soviétique de Paris, qui devait être fusillé en 1936. Quand éclata en Autriche la deuxième crise, les « efforts » de Jakob Frank pour la réunification abou­ tirent à la création d’une troisième organisation, qu’il dirigea pendant quelques mois avant de revendiquer sa réintégration au PC. Les deux agents soviétiques qui furent spécialement formés pour ce travail, Abraham Sobolevicius, connu sous le nom de Sénine, et son frère aîné Ruvin, connu sous les noms de Roman Well, Schmidt et Sobolev, jouèrent un rôle important. Tous deux étaient membres du secrétariat international de l’Opposition, et, avec un autre agent, M ill (Pavel Okhun), y avaient la majorité. Des militants qui avaient la confiance de Trotsky leur ouvrirent les portes : ainsi, Raymond Molinier, dans la fureur de sa lutte contre Rosmer, organisa une « fraction » avec les trois agents. Lev Sedov, qui

L ’Opposition de g a u c h e i n te r n a tio n a le de 1928 a 1933

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était au courant, n’informa pas Trotsky parce qu’il était d’accord avec l’objectif de cette fraction qui voulait chasser Rosmer, protecteur, selon lui, de Navilîe qu’il exécrait. Tous ces agents avaient en commun leur désir d’aggraver les conflits internes, d’avoir aussi peu d’activité politique que possible, de jeter de l’huile sur le feu des rapports personnels et de contribuer eux-mêmes à empoisonner l’atmosphère par calomnies et rumeurs, dont ils n’avaient certes pas le monopole mais dont ils étaient souvent l’origine. Us réussirent à intoxiquer d’honnêtes militants. Ainsi Pierre Frank, manœuvré par eux, assura-t-il à Trotsky avoir découvert et être en mesure de prouver un détournement de la correspondance des exilés d’URSS, qu’il attribuait à Landau, alors que l’unique respon­ sable des lettres manquantes était le GPU, organisateur du blocus postal au départ en URSS. Dans la même affaire, Sénine et îe citoyen soviétique Lepoladsky, dit Melev, s’allièrent pour assurer à Trotsky que Landau menaçait de faire un scandale avec des lettres d’URSS dont il s’était emparé. Il n’y avait là rien de vrai. Et Trotsky s’inquiéta plutôt que Well ait sauté sur l’affaire pour proposer d’exclure Landau. Le

d éc o u ra g em en t

Comment, dans ces conditions, s’étonner de l’usure et du découragement des « anciens » ? Pour nombre d’entre eux, l’entrée en communisme avait été aussi importante que leur premier pas dans le mouvement ouvrier et révolutionnaire. Et il n’y avait que dix ans de cela. La correspondance de Rosmer manifeste sa fatigue, son refus des méthodes et même des manières des jeunes militants qui ne le respectent pas et dont il n’a pas bonne opinion. Comment, après avoir vu détruit deux fois l’ouvrage de sa vie, pouvait-il se résigner à prendre part à un troisième processus de dégénérescence, avec son rituel d’accusations ridicules et fausses, un spectacle qui ne pouvait que l’écœurer ? Les oppo­ sitionnels sérieux se consolaient en se disant qu’ils n’étaient pas les premiers à connaître des conditions aussi démoralisantes de vie et de combat et que les bolcheviks avaient eux aussi été un groupe déchiré de fractions et de scissions avant de devenir en 1917 le parti de masse du prolétariat. Bien sûr, ils savaient qu’ils vivaient le reflux qui avait suivi la défaite après le recul de 1923 en Allemagne. Ils n’avaient aucun contrôle des facteurs d’un succès éventuel - une nouvelle vague de luttes ouvrières. Rien de cela ne se produisit entre 1923 et 1933. La révolution chinoise coïncida avec l’organisation et le premier développement de l’Opposition unifiée, en URSS particulièrement, mais la défaite de la première annonça celle de îa seconde et rejeta en arrière tous ceux qui voulaient être à l’avant-garde. Après 1929, la situation mondiale était totalement dominée par la crise allemande, la montée du nazisme et les efforts des social-démocrates et des staliniens pour empêcher tout front unique contre le danger commun. Un changement de politique du KPD sur cette question cruciale aurait sans aucun doute rendu possible une lutte sérieuse pour le « redressement » et peut-être renversé la situation. Mais il ne se produisit pas. La brève montée de l’Opposition de gauche, qui s’était bien produite, n’avait été, contrairement à la prédiction de Trotsky dans Nouvelle Étape, qu’une « simple ride », non la vague qu’il avait escomptée. V er s

un éla r g is se m e n t d e l 'O ppo sit io n

?

L ’année 1932 a probablement constitué une année charnière dans l’histoire de l’Inter­ nationale communiste, par l’ampleur de la crise et des réactions provoquées dans ses rangs - essentiellement ses cadres -, par la gravité de la crise en Union soviétique et la catastrophique politique allemande imposée par Staline à la Comintem. Nous avons aperçu au passage le groupe fondé par M.N. Rioutine, ancien droitier qui ambitionnait de ras­

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sembler sous le même drapeau les oppositsionneri de droite et de gauche et recruta quelques éléments de gauche en effet. C’est à peu près au même moment que se constitua un groupe dont les composants, enfants chéris de l’appareil au temps de la lutte contre Trotsky, avaient cependant déjà subi les foudres de la condamnation et répreuve de l’autocritique. Ces « Jeunes stali­ niens », comme les appelaient les autres, étaient en réalité les anciens cadres des Jeunesses communistes, les komsomols, et à certains égards de la KIM. Leurs chefs de file étaient le Géorgien « Besso » Lominadze, ancien favori de Staline, le philosophe Jan Sten, qui lui avait donné des leçons particulières de dialectique marxiste, Lazar Chatskine, l’un des hommes les plus brillants de sa génération, et leurs proches, les Arméniens Kostanian et Vartanian notamment. Eux aussi voulaient revenir sur le passé, se rapprocher d’adversaires qu’ils avaient contribué à écraser. Les membres des anciennes oppositions, les zinoviévistes, autour de Zinoviev et Kame­ nev, avaient, après leur capitulation, maintenu les contacts entre eux et les discussions politiques avec d’autres - dans la Comintern, vraisemblablement Béla Kun, Ludvik Magyar, Lerîski - et se préoccupaient énormément de la politique allemande, dont ils appréhendaient les conséquences. Tel était également le comportement des anciens « sanschef », au moins de ceux qui avaient capitulé en déportation, plusieurs mois après le rameau zinoviéviste de la Nouvelle Opposition : les têtes ici étaient évidemment Georgi Safarov et Oskar Tarkhanov, deux hommes particulièrement au fait des questions de la Comintern. Le groupe trotskyste proprement dit avait été réduit à sa plus simple expression, mais voilà qu’un groupe d’anciens « capitulards » s’était décidé très tôt à se ranimer et à reprendre avec prudence une activité oppositionnelle. Andrés Nin en avait parlé publi­ quement à sa sortie d’URSS. Informés en 1931 de l’activité de ce groupe que Sedov appela d’abord « trotskystes ex-capitulards », Trotsky et son fils acceptèrent de considérer qu’il s’agissait d’hommes et de femmes revenus à l’Opposition de gauche et qui faisaient partie de ses rangs. Ce dernier groupe était animé par Ivan Nikititch Smimov, par sa jeune femme Aleksandra Safonova, par sa fille Olga Ivanovna, par Ter-Vaganian et Mratchkovsky, auteurs de la déclaration de capitulation avec Ivan Nikititch et par des hommes connus pour leur appartenance à l’Opposition de gauche, comme Bolotnikov, Konstantinov, Grünstein et d’autres. Preobrajensky l’avait rejoint et Smilga en était proche. Smimov et Sedov se rencontrèrent à Berlin en 1931, organisèrent échanges et communications, Olga Ivanovna Smimova assurant le contact avec Rakovsky. L ’année suivante, un émissaire vint apporter à Sedov une lettre de Smimov pour son père et lui. Il annonçait la naissance d’un « bloc des oppositions » réunissant les groupes ci-dessus à l’exception du groupe Safarov, qui était en train de négocier son entrée. La répression allait très vite mettre fin à l’activité de ce bloc, dont il fut pourtant question tout à fait ouvertement en janvier 1935 lors de îa déposition de Safarov devant le tribunal qui jugeait Zinoviev et Kamenev et, de façon dissimulée, qui faisait de lui la trame de l’accusation, au premier procès de Moscou en août 1936. Jusqu’à son envoi à Moscou pour îui extorquer des aveux, peu avant son procès, en août 1936, Smimov s’est considéré et comporté comme un dirigeant de l’opposition. Une ancienne détenue proche des SR, Ilinskaia, l’a rencontré à l’isoîateur de Souzdal et l’a décrit, menant de la fenêtre de sa cellule des discussions politiques avec ses camarades circulant librement dans l’enceinte et qui venaient se grouper au pied du bâtiment, leur remontant le moral, dénonçant les opérations staliniennes, bref, combattant.

L ’Opposition de g au ch e in te r n a tio n a le de 1928 a 1933

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élém en t s d ’u n r eg r o u pem en t

L ’Opposition de gauche internationale n’avait sans doute pas la force de provoquer un tel regroupement à l’échelle de la Comintem. Mais il n’en était pas de même du bloc des oppositions39. Nous avons parlé de l’attitude de Lenski au X IIeplénum ; cela ne fait aucun doute, le dirigeant polonais avait voulu s’en prendre, devant le plénum, à la politique de Thalmann, c’est-à-dire la politique allemande de Staline, dans l’espoir de provoquer un regroupement pour éliminer Thalmann. Nombreux étaient apparemment les cadres qui pen­ saient qu’un redressement de la politique allemande de la Comintem entraînerait un redres­ sement général et surtout le démantèlement du bloc stalinien au pouvoir. C’est ce que pensaient un certain nombre de gens de l’appareil de l’exécutif à Moscou, dont Bék Kun et Smoliansky, qui, en leurnom, demandaau printemps à Günter Reimann, du KPD, de fournir une documentation nécessaire à la bataille à Moscou contre les hommes de Staline à Ber­ lin40. L ’Opposition de gauche, animée par Siggi Neumann, se prononce dans le mène sens. Les gens du bloc des oppositions n’étaient pas les seuls à s’avancer avec prudence sur le terrain de l’Internationale. Les conciliateurs - qu’on ferait mieux d’appeler « unitaires », ce qu’ils étaient - avaient apparemment les mêmes projets de « regroupement » en un « bîoc », et trouvaient des collaborateurs à l’exécutif, par exemple Mike Grollman 3t Boris Idelson, qui fournissent à Humbert-Droz la documentation pour s’en prendre à Thâlmann et à la politique allemande de Staline. Un récent article de Bemhard Bayeriein, fruit d’années de réflexion, fait apparaître cette ambition devant laquelle Jules Humbert-Droz prend peur. Mais comment ne pas se poser des questions devant le rôle que jouert, avant d’être rappelés à Moscou, des unitaires comme l’Allemand Kurt Heinrich, îe Hongrois Magyar ? Tout indique qu’ils ont renié pour n’être pas arrêtés mais qu’ils sont sur la ligne «unitaire» de KarlVolk. Ici se pose la question du groupe de Neumann et Remmele et de ses éventuelles liaisons. Neumann est sans doute îe plus sûr élément de liaison avec le bloc par l’inter­ médiaire de Lominadze, en 1932. Et le fils de Remmele, qui fait partie avec les autres dirigeants des JC du « groupe », est à Magnitogorsk. La question de l’attitude de l’Oppo­ sition de gauche internationale, plutôt hostile à l’égard des nouveaux opposants, particu­ lièrement des Allemands du groupe Neumann, perd tout intérêt. La politique étant la politique et Trotsky ayant conclu en 1926 un bloc avec Zinoviev, il est clair que les oppositionnels autour de Trotsky ne peuvent sérieusement avoir repoussé par principe une approche de ce groupe allemand, effectivement coupable d’avoir constitué la garde rap­ prochée de Thâlmann et donc la grande muraille de défense de la politique de Staline contre les communistes. Qui donc informa Werner Scholem des réunions au sommet du KPD sanctionnant « le groupe » en 1932, sinon des membres de ce dernier ? A partir du moment où le groupe Neumann admet pourtant que la défaite allemande de 1933 - l’arrivée sans combat d’Hitler au pouvoir - est aussi grave que celle d’août 1914, il était normal de penser à un rapprochement des oppositions alors qu’au même moment ce qui reste des unitaires, appelés Versôhnler, a adopté les mêmes positions critiques sur la politique de Staline face à la montée des nazis. Ce ne sont là que des hypothèses. On peut aussi imaginer, de la part de l’Opposition, un réflexe de secte, dirigeant son feu le plus nourri contre les plus proches d’elle. Ou une précaution, pour ne pas être liée avec des gens qui vont peut-être se mettre à genoux 39. Sur cette question, l’essentiel a été écrit dans mon premier article sur cette question : P. Broué «Trotsky et le bloc des oppositions de 1932 », Cahiers Léon Trotsky, n° 5, janvier-mars 1980, p. 5-38. 40. G. Reimann, Berlin-Moskau 1932, p. 54, et ci-dessus, chapitre « Massacre à la tronçonneuse ».

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demain ? Enfin, si Neumann et Remmele, tout en attribuant à Staline la responsabilité du crime, pensaient ne pouvoir réaliser qu’une « révolution de palais » qu’il pourrait tolérer, il était évident dans ce cas que l’Opposition de gauche ne pouvait cautionner une attitude qui consistait à ménager l'adversaire principal II faut aussi prendre en compte une pratique très courante de Trotsky, qui critique vertement ceux qui ont avancé vers lui non seulement pour les faire avancer plus vite, mais pour ne pas donner prétexte à répression contre eux avant qu’on ait su d’eux qu’ils n’attendaient rien de l’appareii. Les positions de Neumann et Remmele que nous connaissons et qu’ils n’ont pas rendues publiques sont étonnantes par leur pénétration, mais Bemhard Bayerlein démontre qu’il en est de même des prises de position des clandestins de îa tendance des Versôhnler, après leur mise hors la loi et îe début de leur massacre, n demeure bien entendu un blocage chez îes fidèles de Khrouchtchev qui avaient été peu auparavant ceux de Staline, et certains chercheurs académiques préfèrent souvent voir s’effondrer le toit et les murs de la maison plutôt que d’en explorer les caves. Mais iî y a tout de même aujourd’hui beaucoup moins de cohortes efficaces de gardiens des secrets du Temple, défendant bec et ongles îes Thalmann de tous les pays, serviteurs de Staline et fourriers d’Hitler. Une percée sera-t-elle réalisée ? Trotsky va jusqu’au bout croire que c’est une possi­ bilité réelle, et c’était sans doute vrai. Mais, en 1933, au lendemain de la victoire sans combat d’Hitler en Allemagne, il déclare « faillie » la IIIe Internationale et appelle à îa fondation d’une nouvelle Internationale, îa IV e. En quittant la Comintern, Trotsky et ses partisans quittent formellement notre sujet. Nous ne les apercevrons plus que de loin en loin, à l’extérieur de cette organisation.

TROISIÈME PARTIE

De l’activité politique à l ’activité policière

La défaite allemande clôt une période. Elle est si profonde, si durable que même les sursauts de France et d’Espagne ne sauront offrir un débouché positif aux inititatives des masses et à la haine universelle contre le « fascisme ». Il faudra du temps, beaucoup de temps, pour que les masses, après la politique étroitement sectaire de la « troisième période » et de la dénonciation du « social-fascisme », dont elles sont enfin libérées, commencent à découvrir que îa nouvelle politique est tout simplement l’ancienne retour­ née, le revers opportuniste de l’ancienne politique sectaire. Le début de la Seconde Guerre mondiale ne leur laissera pas le temps de peser les expériences vécues de 1936 à 1939. H leur faudra encore accepter, côte à côte, la lutte pour la « démocratie » et l’assassinat des compagnons de Lénine, puis l’alliance avec Hitler. En fait, pour dominer ces contradictions, un régime sauvage de dictature policière est mis en place. Un historien écrit que le NKVD a dévoré la Comintern de l’intérieur. C’est ce que qu’écrit, des années plus tard, victime et témoin de dix-huit ans, le jeune Igor Piatnitsky, fils d’un vieux bolchevik : « La Comintern était une institution léniniste ; ensuite, elle est passée sous la direction d’Ejov et de Moskvine-Trilisser1. » C’est le désastre de îa politique de front populaire en Espagne, en Grèce, en France, et en même temps, en queîque sorte parallèlement, la liquidation des cadres communistes de la Comintern dans une immense bacchanale de massacres. La Comintern, à la botte de Staline, combat la révolution et assassine les révolutionnaires. Il ne reste pas grand chose du passé quand Staline décide de le liquider en faisant dissoudre TInternationale communiste, pour une fois conforme à sa vérité intime : une dépendance de la police politique de Moscou. Le rideau tombe sur le rêve. Est-ce vraiment la fin ?

1. loulia Piatniîskaïa, Chronique d’une déraison, note d’Igor Piatnitsky, p. 73.

CHAPITRE XXVHI

La Comintem stalinienne

Au tournant entre ies années 20 et les années 30, le Parti bolchevique et, par voie de conséquence, la Comintem, entrent dans une ère véritablement nouvelle. C’est le début de l’ère stalinienne. Nombreux sont ceux qui ne s’en aperçoivent pas et que ce nom qu’on lui donne surprend parfois plus que sa réalité. Un

a d je c t if n o u vea u

Cette dénomination est en effet pour beaucoup, alors, une surprise. Staline n’est pas encore connu en dehors de l’URSS. Ce n’est, on îe sait, ni un orateur, ni un tribun, ni un homme de masses, ni un débatteur. Ses interventions portent encore la marque du sémi­ naire, par leurs répétitions lassantes, leur style de litanie, îe ronron de leur rythme et le vide de certaines affirmations. En fait, Staline, l’homme de l’appareil, a grandi dans l’ombre et détient déjà un pouvoir absolu depuis plusieurs années quand des communistes occidentaux aussi avertis que Pierre Navilîe découvrent en même temps son existence et sa toute-puissance. Cet homme semble être devenu du jour au lendemain le chef du Parti bolchevique, qu’il a complètement remodelé en quelques années. C’est un parti mécon­ naissable pour ceux qui se souviennent de « la chère bande unie et hardie » que célébrait encore en 1927 l’écrivain Voronsky dans ses Mémoires, Eaux vives et marécages. Mais c’est cette réalité-Ià qu’on désigne quand on parle du « Parti ». Le

pa r t i n o u vea u

Ce parti ne ressemble donc plus guère à celui qu’on avait connu du temps de Lénine, îl ne tient plus d’assemblées publiques de discussion, de tribunes ouvertes dans sa presse : pour lui, les désaccords internes sont devenus un signe de faiblesse, sinon pis. Ses congrès, où les délégués sont désormais à 80 % des permanents, ne sont plus que des parades préfabriquées, dans le meilleur des cas des chambres d’enregistrement. Il n’y a plus d’élection à aucun niveau, mais cooptation et nomination. L ’autorité d’un dirigeant se mesure au niveau des postes auxquels il peut nommer (sa nomenklatura). Le comité central n’est plus qu’un organisme purement formel, impotent par le seul nombre de ses membres, et îe pouvoir appartient à la coterie du « Chef », dont les membres sont aussi les patrons

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D e L’ACTIVITÉ POLITIQUE À L’ACTIVITÉ POLICIÈRE

de l’appareil. C’est au cours de l’année 1922 que le secrétaire général, le Gensek, dira-t-on, Staline, s’est imposé comme l’unique patron de l’appareil du parti. Comme l’a démontré l’historien russe Aleksandr Pochtchekoldine \ il a su unifier en quelques mois le corps des bureaucrates, les homogénéiser en les privilégiant, mais aussi en se les soumettant, tout-puissants pour leurs administrés et tout petits devant lui. Il ne fait pas encore figure de tsar, mais c’est un personnage de ce type qui commence à percer sous la carapace «débonnaire du maître clandestin du jeu2», comme écrit Pierre Naville. Le parti est maître de l’État, et l’appareil est maître du parti. En ce qui concerne la Comintern, Staline est tout à fait inapte en principe à y jouer un rôle dans la mesure où il a très peu vécu à l’étranger et où son horizon géographique et politique est encore plus limité par son ignorance de toute langue étrangère. Il ne s’est lancé qu’avec retard dans les affaires de la Comintern, après avoir assuré sa prise par des hommes qu’il tient ou croit tenir. Il a gardé le silence pendant des années dans tous les débats décisifs. Quand il commence à parler, il dicte. Et sans réplique. Mais il le fait avec autant de cynisme et de brutalité qu’il en a manifestés dans la vie du parti russe. Et certains, dans le parti ou dans la Comintern, commencent à avoir vraiment peur. Quelques années auparavant, Radek, à l’époque où il s’inquiétait pour le sort de la démocratie interne du parti, avait souligné qu’un parti sans ses « gauchistes » risquait de devenir un parti du type de l’USPD, mais que, sans des hommes comme Brandler et ses vieux camarades spartakistes, il risquait de devenir un KAPD. La réalité maintenant dépasse la fiction. Épurés de leur « gauche » et de leur « droite », les partis communistes, monoli­ thiques à l’exemple du PCUS, ne sont plus des partis communistes, mais seulement des partis manipulés par un appareil, des partis staliniens, une trouvaille que Radek n’avait pas prévue, car les calembours n’ouvrent pas toujours les portes de la connaissance. UNE IDÉOLOGIE : LE LÉNINISME

C’est en 1923 qu’est apparu le mot « léninisme ». On l’opposait alors, dans les sommets de l’appareil, à ce qu’on appelait le « trotskysme », c’est-à-dire le corpus d’idées qui avait prévalu au temps de la victoire du bolchevisme et de ses lendemains immédiats. Il deviendra bientôt le « marxisme-léninisme ». II désigne de fait - et c’est nouveau - une véritable idéologie, ce que n’était pas auparavant la pensée marxiste dans sa diversité, ni celle de Lénine dans sa flexibilité. Elle revêt à certains égards la forme d’une croyance s’incarnant dans un catéchisme et une série de formules et de recettes découpant les textes de Lénine en citations à tout faire coupées de leur contexte. Le vocabulaire est nouveau, différent de l’ancien et s’opposant à bien des égards à lui. Certains mots deviennnent courants, qui désignent une attitude interprétée de façon radicalement nouvelle, comme celui de « déviation ». D’autres, peu employés auparavant, rarement, ou au moins plus rarement, surgissent ou resurgissent, porteurs cette fois de connotations positives, parce qu’ils impliquent des notions d’unanimité, de dogme et de discipline. C’est ainsi que le parti idéal devient « coulé dans le même moule », « monolithique », « soudé », et que l’appareil est sa « colonne vertébrale ». Le parti est « entouré d’ennemis », la lutte des classes ne cesse de s’aggraver et la vigilance contre les ennemis de l’intérieur devient l’un des devoirs essentiels dans une forteresse assiégée de tous côtés. La nouvelle notion de « critique et autocritique » est à l’image de ce changement. Elle ne signifie nullement que subsiste le droit de critique dont les bolcheviks avaient fait entre eux un si large usage L A. Pochtchekoldine, « Sur la voie du pouvoir exorbitant, ou les débuts du stalinisme », Cahiers Léon Trotsky, n°44, décembre 1990, p. 107-111. 2. P. Naville, Trotsky vivant, p. 25.

L a C omintern

stalinienne

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dans îa période de lutte pour le pouvoir et dans les lendemains d’octobre 1917. Car la critique interne devient maintenant le signe par lequel se trahissent les ennemis, même s’ils ne sont encore que des « ennemis objectifs ». La direction, en revanche, a le droit et le devoir d’exercer contre les membres sa « critique » et de les contraindre ainsi à « l’autocritique ». Une étude de Berthold Unfried, par ailleurs contestable dans la mesure où elle fait de la critique et de l’autocritique staliniennes, phénomène nouveau sous une étiquette ancienne, un trait familier de l’histoire du bolchevisme, apporte cependant de très pré.cieuses indications. C’est ainsi qu’il souligne, par exemple, que la critique et l’autocritique ne doivent pas se limiter à la reconnaissance de telle ou telle erreur ou déviation, mais en donner aussi une qualification générale, désigner ses origines ; ses « racines » doivent être en même temps recherchées et dénoncées, à îa fois par celui qui est critiqué et par ceux qui écoutent ou lisent son autocritique3. On parle de « déviation de droite » ou « de gauche », d’influence « social-démocrate », de « liaisons avec des personnes suspectes », et on fouille îa vie privée de celui qui s’accuse, pour y découvrir les influences négatives ou les culpabilités par association. Les séances de critique et d’autocritique, notamment à l’École Lénine, dont il sera question plus loin, peuvent apparaître ici comme de véritables rituels d’initiation. C’est là un point commun supplémentaire entre certaines des organi­ sations nées avec la Comintem et les sectes religieuses ou politiques qui essaiment dans notre siècle, les « sectes » en générai C’est du même ordre de contrôle que relève la rédaction régulière de biographies, les « bxos », exigées périodiquement des militants et dont la relecture et la comparaison peuvent être sources d’interrogatoires et d’accusations. La voie vers la sectarisation est en tout cas grande ouverte à travers le mouchardage généralisé, une activité qui a rempli les tiroirs des bureaux de îa Comintem et du parti, sans parler de ia GPU, devenue KGB et NKVD, de ces lettres de dénonciation - Vaksberg leur a consacré un chapitre entier de son Hôtel Lux ~ qui dégagent une odeur fétide, au cœur de laquelle iî faut beaucoup d’imagination pour se remémorer « les lendemains qui chantent ». La

p y r a m id e b u r e a u c r a t iq u e

Après la victoire sur l’Opposition de gauche obtenue en 1923 et 1927, le parti est maître de l’appareil d’État, et l’appareil est maître du parti. C’est à environ 25 000 per­ sonnes, soit 1 membre du parti sur 40, que Moîotov évalue le total des fonctionnaires permanents du parti en 1927, son appareil, et l’on peut retenir ce chiffre à titre indicatif. C’est « l’élite », comme disent les Anglo-Saxons, les nouveaux barines, disent parfois les Russes, ceux en tout cas dont on a peur. A sa tête se trouve Staline, le secrétaire général. Le secrétariat est lui-même divisé en un certain nombre de bureaux. Le principal est YOrgaspred, né en 1924 de la fusion entre le bureau d’organisation et d’instruction et le bureau des affectations. Son activité s’est élargie depuis, au point qu’on le subdivise à nouveau en 1930, après une année où il a fait plus de 11000 nominations. Le service d’instruction et d’organisation est compétent pour les nominations dans l’appareil du parti proprement dit, et celui des affectations désigne les membres du parti placés aux postes dirigeants dans l’appareil administratifet économique, autrement dit les cadres de l’activité en dehors du parti. Nous reviendrons sur les autres subdivisions. Sur le caractère même de cette centralisation, il faut apporter quelques précisions, résumées ci-dessous : La toute-puissance de cet appareiî centrai qui compte, au début des années 30, quelque 3. B. Unfried, « Rituelle von Konfession and Selbstkritik », Jahrbuch fur historische Kommunismusforschung, p. 148-164.

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D e L’ACTIVITÉ POLITIQUE À L’ACTIVITÉ POLICIÈRE

800 permanents, ne doit pas faire croire à une centralisation totale et directe. L’appareil est une pyramide : l’autorité des bureaux centraux s’étendjusqu’aux comités régionaux qui, au-delàd’une zone où ils partagent leur pouvoir de nomination avec le secrétariat, ont à leur disposition un champ d’action où leur pouvoir de nomination à eux est sans partage, en fait, sinon en droit. Les archives font bien apparaître cette hiérarchisation de l’autorité, le partage entre les différents échelons de ce que îes Russes appellent la nomenklarura, c’est-à-dire la responsabilité des nomi­ nations4. Le même système est appliqué d’abord jusqu’au niveau du rayon, puis du rayon à la localité, les comités disposant à chaque niveau d’une nomenklatura précise qui s’étend aussi aux nominations dans les soviets du niveau correspondant. Nous écrivions il y a quelques années à propos de cette pyramide : La pyramide bureaucratique ainsi construite à l’intérieur de l’État, au-dedans, puis au-dessus des soviets, auxquels elle ôte définitivement toute existence, n’a pas été délibérément conçue ni voulue. Elle est le fruit des circonstances, des efforts de l’appareil pour se substituer à l’initiative défaillante des masses ouvrières et paysannes, pendant et après ia guerre civile, et de son réflexe conservateur de défense contre la discussion, les critiques, l’action spontanée qui remettent en cause à ses yeux l’application des directives, l’application des tâches pratiques et, comme le disait franchement Kalinine, compliquent en définitive le travail des responsables3. Khristian Rakovsky est sans doute le premier à avoir décrit la genèse de cette caste bureaucratique, dont le fonctionnaire, « conscient de son originalité, de son rôle, de son caractère irremplaçable, organise son travail, cherche à façonner le monde à son image » et lutte pour élargir et consolider ses privilèges matériels, et en premier lieu le pouvoir de la caste à laquelle il appartient. Il a écrit en 1928 : Sous les conditions de la dictature du parti, un pouvoir gigantesque est concentré aux mains de la direction, un pouvoir tel qu’aucune organisation politique n’en ajamais connu au cours de l’histoire. [...J La direction s’est peu à peu habituée à étendre l’attitude négative de la dictature prolétarienne à l’égard de la pseudo-démocratie bourgeoise à ces garanties élémentaires de la démocratie consciente sans l’appui desquelles il est impossible de guider la classe ouvrière et le parti. Du vivant deLénine, l’appareil du parti ne détenait pas un dixième du pouvoir qu’il détient aujourd’hui et, par là, tout ce que Lénine redoutait est devenu dix fois plus dangereux6. L a « POLICE DES POLICES » Pourtant, la pyramide bureaucratique, qui semble garantir fermement r autorité des bureaucrates qui la composent, ne présente aucune garantie de fidélité à son chef. Des pans entiers de pouvoir bureaucratique peuvent presque normalement lui échapper, sur des bases administratives ou géographiques, dans le cours d’un fonctionnement qui n’est en outre assuré contre aucune secousse. D’où sans doute la crainte permanente de Staline, son obsession du complot et la nécessité qu’il a ressentie d’un système finalement mis au point de façon un peu empirique et en définitive adopté afin d’organiser solidement le contrôle de son propre appareil, un contrôle qui a véritablement tous îes caractères d’une infiltration, voire d’un « noyautage ». L ’activité du pouvoir dans l’URSS stalinienne et, par voie de conséquence, dans la Comintern est soumise en effet à un double contrôle. D’un côté, il y a celui qu’on peut 4. P. Broué, Le Parti bolchevique, p, 304. 5. Ibidem, p. 305-306. 6. K. Rakovsky, lettre à Trotsky, 18 mai 1928, Cahiers Léon Trotsky, 18 juin 1984, p. 65-66.

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sans risques appeler « constitutionnel », car il ne se dissimule guère et invoque toujours le bénéfice de la légalité révolutionnaire, celui du parti par lui-même, celui de l’État par le parti, bref, l’activité de la pyramide et le contrôle horizontal et vertical. Mais, à côté, Staline a su organiser, à partir de ses réseaux devenus son secrétariat personnel, un autre contrôle par infiltration, exercé par des hommes ou des organismes qui partent de sa personne et sont en dernière analyse ce que Niels Rosenfeldt appelle avec beaucoup de bonheur des « extensions » du GPU dans l’appareil du parti. Ces infiltrations commencent évidemment au niveau du secrétariat général avec le fameux Service secret, que Rosenfeldt qualifie de « centre nerveux du régime stalinien ». Ce service est dirigé par Aleksandr Poskrebytchev, qui en cumule la responsabilité avec celle du secrétariat personnel de Staline. Une remarquable étude due au politologue danois nous donne îes éléments essentiels - qui ont longtemps manqué - sur le contrôle par Staline du contrôle sur le parti, mais aussi et surtout, dans le cadre de ce travail, sur la Comintem7. Le secrétariat personnel de Staline, où travaille aussi pendant des années le jeune Malenkov, compte 90 personnes environ. Les hommes de Staline constituent le lien direct et secret entre le secrétaire général et son appareil. Ce lien - c’est là la grande nouveauté - ne passe pas par îa hiérarchie externe visible, mais au contraire par l’intérieur et îe secret. Il existe en outre ce que Rosenfeldt appelle « les points de contact » entre ce service et les autres, notamment les « bureaux » qui dépendent du département secret du secrétariat, ceux du secrétariat, du bureau politique, du bureau d’organisation, du code et du bureau secret. Il écrit : « C’est tout particulièrement l’étroite intégration entre îe secré­ tariat personnel de îa chancellerie secrète officielle de Staline qui a permis [...] de parler de ce groupe de “fonctionnaires” comme du gouvernement de facto de l’Union soviétique [...] ou du saint des saints8. » La distinction est difficile entre la section spéciale, liée au secrétariat personnel, et le département secret du parti. C’est pourtant dans cette zone-là que s’effectue le travail particulièrement important du contrôle de tous les autres dirigeants, de la surveillance et, bien entendu, de îa répression des « ennemis du peuple », la sécurité et la protection de îa vie du Chef étant l’apanage d’un autre bureau lui aussi infiltré mais par des hommes différents que d’autres contrôlent. En réalité, nombre d’hommes qui portent, dans l’appa­ reil et près du sommet, le titre d’assistants de tel ou tel grand personnage, sont les véritables chefs. Ce sont infiniment plus des contrôleurs que des assistants, ou, si l’on préfère, ils contrôlent en pratique ceux qu’ils sont censés assister. Le

c o n trô le d e l a

C o m in t er n

C’est de toute évidence plus vrai encore pour la Comintem que pour le PCUS. Niels Rosenfeldt assure, par exemple, que son étude l’a conduit à la conclusion que 1e véritable patron de la Comintem, à travers îe secrétariat personnel de Staline et le GPU, était en fait le Finlandais Mauno Heimo, par ailleurs simple secrétaire d’Otto Kuusinen, qui tient enréalité « tous les fils » 9. Selon lui, l’infiltration des hommes de Staline se serait réalisée à travers l’OMS, qui n’était pas seulement une sorte d’Intourist pour conspirateurs com­ munistes, selon Theureuse expression de Ruth von Mayenburg, mais qui acheminait les hommes, les fonds, les directives, îes matériaux, assurait le lien avec les clandestins, collaborait pour l’espionnage avec le 4edépartement de l’Armée rouge. C’était en quelque sorte un gigantesque réseau comprenant des militants de tout pays, des opérateurs de 7. N.E. Rosenfeidt, Stalin's Secret Chanceliery and the Comintem, p. 15. 8. Ibidem, p. 17. 9. Ibidem, p. 24,

D e L’ACTIVITÉ POLITIQUE À L’ACTIVITÉ POLICIÈRE

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radio, des spécialistes de faux papiers, valises à double-fond, des courriers, des représen­ tant permanents, des correspondants, en somme bien plus que l’Intourist pour conspirateur. Elle était aussi et en plus une superpolice de contrôle permanent dans les différentes sections, chargée de jouer du « fouet politique » avec les dirigeants des partis nationauxl0. Après avoir rappelé que M.N. Roy considérait l’OMS comme infiniment plus puissante que l’exécutif, voire le présidium de la Comintern, et que, dès le début des années 30, elle travaillait en liaison étroite avec le chef du département extérieur du GPU, Meyer Trilisser, dit Moskvine, Nieîs Rosenfeldt conclut que l’organisation de la sécurité et du renseignement, en somme l’infiltration des hommes de Staline, ont en définitive « dévoré de l’intérieur la Comintern », ce qui doit comporter une bonne part de vérité Bien entendu, les militants des partis ne connaissaient pas ces faits, même si ceux qui avaient approché, par exemple en Espagne, les cadres dirigeants internationaux savaient qu’il y avait partout des « capitaines » (membres des services) qui faisaient peur aux « généraux » (commandants en chef sous la lumière de F actualité). V iv r e

d ans un pa r t i c o m m u n ist e

Pour les militants communistes, la bureaucratisation d’abord puis la stalinisation se marquèrent dans leur vie personnelle à travers leurs obligations, leurs tâches de militants, finalement leur vie quotidienne. Nous n’avons qu’un témoignage assez complet malgré sa précocité. II s’agit de celui de l’Américain Ben Gitlow décrivant la vie quotidienne dans le PC américain. On lui trouvera peut-être des aspects modernes, ce système ayant été reproduit depuis lors, pour elles-mêmes, par certaines petites organisations, sectes ou non, qui se sont réclamées du communisme, celui précisément de ces années, dont elles dérivent. Gitlow explique : Les membres du parti, malgré les luttes fractionnelles, étaient dévoués au parti et fanatiques dans leur croyance au communisme. La plus grande ambition d'un membredu parti était de servir la cause et de devenir révolutionnaire professionnel - responsable et organisateur rétribué (« per­ manent »). Les membres étaient extrêmement disciplinés. Ils fonctionnaient comme de simples soldats dans une unité militaire. Les ordres donnés étaient exécutés. Les considérations person­ nelles et familiales n’étaient pas prises en compte ; les prendre encompte eût été petit-bourgeois, l’insulte la plus grave pour un communiste. Le parti était dynamique, intensément actif dans tout ce qu’il faisait. C’était possible parce que nos membres donnaient chaque moment de leur temps libre au parti. C’est difficile àcomprendrepourquelqu’unqui n’y apas milité. Onpeut le décrire parl’emploi du temps quotidien de routine d’un membre ordinaire du parti, camarade de la base, membre d’un syndicat, travaillant le jour. Il achète le matin son journal communiste et le lit en se rendant au travail. Il peut arriver un peu plus tôt que ses camarades d’atelier pour diffuser des tracts tout autour sans être remarqué. A midi, il a quelque activité de parti ou de fraction syndicale. Après le travail, au lieu de rentrer chez lui, iî se me au local du parti pour assister à une réunion de commission du parti ou de sa fraction syndicale, etc. Plus tard, après 8 heures du soir, il peut avoir une réunion du syndicat ou du parti. Après la réunion, iî devra probablement revenir au local pour avoir des instructions sur les activités du lendemain. Un membre du parti est toujours en réunion, car la règle est d’appartenir aux autres organisations [dont les noms suivent, P.B.j. Dans toutes ces organisations dont il est membre, il y a des organisations de gauche organisées par îes communistes en fractions de membres du parti. Toutes se réunissent. Le membre du parti doit y prendre part. En outre, il doit suivre l’école du parti, contribuer à la diffusion desjournaux, 10. Ibidem, p. 27-28 11. Ibidem, p. 32.

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participer aux réunions de fraction et être présent à toutes les réunions importantes convoquées par le parti. De plus, toutes les organisations, ainsi que les organisations dans les organisations auxquelles il appartient, ont des commissions propres, ce qui fait que les membres du PC sont toujours en train de courir d’une réunion à l’autre. Il arrive qu’un militant de base prenne part à une dizaine de réunions dans la soirée jusque tard dans la nuit. Les samedis après-midi sont particulièrement surchargés de réunions avec peut-être de temps en temps une manifestation au milieu. Le soir, il doit être là pour uneconférence ou un forumcommuniste, ou mieux, il doit être à un bal ou à une fête communiste. Le dimanche aussi, s’il y a des réunions et conférences suivies de conférences communistes et autres affaires en soirée. En été, si le membre du PC trouve la possibilité de prendre quelques week-ends pour partir en vacances quelques semaines, il doit aller dans un camp d’été communiste, où il va s’engagerdans les innombrables activités ducamp pour leparti, lejournaletla multitudedescampagnesdanslesquellesles communisteslèventdel’argent La vie d’un communiste est dans et du mouvement. Il est comme un écureuil dans sa cage, courant toujours en rond. II est si occupé, si fiévreusement actif qu’il lui est impossible de voir ce qui se passe autour de lui. Son travail dans le parti est une incessante ronde de réunions. Ses relations personnelles sont presque exclusivement confinées à des communistes. H lit la presse communiste et îes nombreux tracts et revues. Un membre du parti parle même une langue propre aux communistes, étrangère pour îes autres. Les membres du Parti communiste parlent et pensent de la même façon, parce qu’ils ne cessent d’absorber les phrases, arguments et expressions dont le parti ies gave à travers sa presse, sa propagande et ses départements culturels. Le zèle fanatique des membres du Parti communiste repose sur sa croyance dans la puissance de l'Union soviétique et dans sa victoire finale sur le monde capitaliste. Pour un membre duParti communiste, l’Union soviétique est un paradis d’ouvriers, l’endroit le plus désirable au monde pour vivre. Non seulement le membre du Parti communiste donne tous ses moments à la cause mais aussi tout l’argent qu’il peut économiser, donnant parfois plus qu’il ne peut. En fait, les contributions réclamées aux membres du Parti communiste sont conçues comme étant hors de proportion avec leurs moyens. Ce sont les cotisations au parti, au syndicat, à la fraction, aux organisations d’aide, à la gauche de leur syndicat, à une organisation communiste sœur, au club ouvrier, en dehors des cotisations à l’organisation du parti, aujournal, des appels spéciaux de la direction pour des « campagnes financières » et toutes les entreprises quotidiennement menées par le parti. Dans le soutien comme celui dujournal, il arrive que les membres soient appelés à donner plus d’unjour de salaire par mois. Il faut en outre acheter ou vendre constamment des bons, des dizaines par semaine pour toutes sortes d’affaires. Le membre du parti donne librement, heureux de le faire. Le communiste individuellement contribue généreusement, le bureaucrate du parti dépense de façon extravagante Courageux et disciplinés, les membres du parti sont prêts à donner leur vie pour lui. Ils exécutent ses ordres d’aller dans les manifestations dangereuses, de faire les piquets dans les grèves, de défier les injonctions, de quitter maison et famille pour s’engager dans des activités de parti dans quelque coin éloigné da pays. Pourtant, dans de nombreux cas, ils ne le font pas seulement par esprit de sacrifice, mais dans une large mesure comme un investissement pour leur propre carrière future. Tous les membres du parti se considèrent comme des dirigeants politiques potentiels de la classe ouvrière. [...] Bien entendu, ils magnifient leur propre importance et exagèrentl’ampleurdeleurs activités etréalisations. S’ils sont incapablesdepercer, ils exagéreront les difficultés auxquelles ils se heurtent sans rapport avec les faits réels, parce qu’un membre du parti qui ne réussit pas à réaliser l’activité qui lui a été assignée est soumis à la plus sévère des critiques. Ils en ont peur et font tout pour l’éviter12. Nous avons reproduit ce texte presque in extenso car il ne comporte aucun détail inutile. 12, B. Gitlow, I confess, p. 288-291.

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De L’ACTIVITÉ POLITIQUE À L’ACTIVITÉ POLICIÈRE

L ’activisme enragé, l’emploi du temps surchargé, l’impossibilité pour un membre du parti de trouver le temps de réfléchir, de lire, de discuter, d’avoir finalement une vie et une pensée personnelles, n’étaient pas le résultat de l’enchaînement d’une série de hasards mais une politique, volontaire et délibérément assumée, tendant à faire des membres ordinaires de véritables robots, des pompes à finances permanentes, des écureuils tournant leur roue dans leur cage et n’ayant aucun désir de s’informer ailleurs, voire de confronter réellement les thèses de leur parti avec d’autres ou simplement avec la réalité. Le PCF DES années

30

Le texte de Gitlow comme ceux de Stinas ou de Mendel cités plus haut sont ceux de témoins et acteurs. L ’historien Philippe Robrieux, bien qu’il ait une expérience du PCF après la Seconde Guerre mondiale, n’est pas exactement un témoin mais un commentateur lucide. Il est loin de manifester la même sévérité à l’égard des militants français de F ère zinoviéviste, puis boukharinienne. Des premiers, il écrit qu’ils furent formés à « des dogmes à la fois rigides, simples, simplistes et suffisamment souples pour s’adapter aux réalités politiques et sociales les plus changeantes », et que c’est de là que « proviennent leur éclat persistant et leur force incomparable13». Ce parti nouveau, que Souvarine a été le premier des anciens à voir apparaître sous les défroques du passé, Philippe Robrieux, qui ne peut évidemment citer les exemples d’infiltration en son sein de gens de Moscou, mais seulement se faire l’écho des rumeurs qui accusent par exemple Suzanne Girauît, en a saisi avec beaucoup de pertinence certains traits, comme le montre par exemple ce qu’il écrit à propos de l’aide financière de Moscou : « Pour corrompre un jeune révolu­ tionnaire, il n’est nul besoin de lui offrir de l’argent, il suffit de créer à l’aide de cet argent, du mysticisme et du goût du pouvoir, une situation où il se trouve par la force des choses asservi matériellement et moralement à ceux qui le payent14. » Le nouvel esprit du parti a aux yeux de Robrieux une dimension religieuse. Il caractérise son atmosphère « de jeunesse, d’enthousiasme révolutionnaire, d’élan, de romantisme et aussi d’accepta­ tion d’une certaine immoralité, voire d’un certain cynisme, au nom de la cause », souligne que c’est l’enthousiasme révolutionnaire qui a permis « une russification mili­ tante » - laquelle commence à étouffer le parti16. Les bouches s’ouvrent à nouveau au début de la période de « russification boukhari­ nienne ». Robrieux cite Renaud Jean, qui dénonce l’exagération du nombre des recrues et ajoute : « Trop d’échelons, trop de bureaucrates, trop de circulaires massives, trop de littérature indigeste qu’aucun militant ne se donne la peine de lire17. » Mais la pression russe s’accentue : son rôle dans la formation des cadres en vase clos modifie toute la physiologie de l’organisation, qui tend à devenir une contre-société. Sur les cadres, Robrieux a cette phrase lourde de la force des choses : « Peu ancrés dans leur vie d’origine, mal à l’aise dans la société et îa vie quotidienne, les cadres communistes apparaissent comme des révoltés qui pensent trouver dans îe parti leurs raisons de vivre18. » Si l’on pouvait remplir le cadre proposé par Gitlow de données provenant du parti français, il est bien probable que le second tableau ne différerait guère du premier. On trouvera par ailleurs un grand intérêt à la lecture d’une lettre adressée à Jules Humbert13. Ph. Robrieux, Histoire intérieure..., I, p. 229. 14. Ibidem, p. 232. 15. Ibidem, p. 233, 16. Ibidem, p. 236. 17. Ibidem, p. 254. 18. Ibidem, p. 269.

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Droz par André Marty le 26 juin 1928. Ici aussi le texte se situe en amont de notre sujet, et l’on comprend pourquoi. A partir du moment où le PC est totalement stalinisé, iî n’y a plus de témoin ni de chroniqueur fiable. Le mérite du texte de Marty est de faire comprendre que le pire des tous les maux qui frappaient à cette époque les partis com­ munistes était la conséquence d’une politique menée à d’autres fins que le développement de la conscience ouvrière et l’armement du parti en expériences et idées neuves. C’était le développement d’un régime interne intolérable, dont nous avons compris qu’il était la conséquence de la russification puis de la stalinisation du parti. Sur le début de ce .phénomène dans le PCF, nous nous contenterons de citer des extraits de ce document. André Marty écrit : Presque partout où on est à nombre d’appointés, le régime intérieur est insupportable. [...] La plupart du temps, c’est les éléments pourris qu’on soutient contre les éléments sains. Exemple Douamenez [où] Tillon tient tête, évidemment avec les colères d’un ouvrier honnête contre îa corruption. Résultat, c’est lui qui est déplacé. [...] Cette « peur de la base », de la large discussion, est une marque de défiance de la force créatrice du prolétariat et une conception napoléonienne antiouvrière. [...] Le roulement continu de membres de la base et l’absence de démocratie per­ mettent aux pires éléments de diriger le parti. Une bonne partie de l’appareil est composée d’incapables, de perroquets ou, ce qui est pire, d’aventuriers. [...1 On est installé dans le métier d’employé communiste. [,..] îa servilité est la règle de l’appareil. J’y vois des valets, mais pas des révolutionnaires. Et on y aime l’argent. [...1 En un mot, l’appareil est corrompu. [...] Jamais ne sont expliqués clairement ni discutés les problèmes du moment. [...] Ce qui est grave, c’est que l'instinct de classe disparaisse dans le parti19. Le réquisitoire est particulièrement sévère. « Incapables », « aventuriers », « serviles », « valets », « corrompus », les qualificatifs rivalisent ! On peut en outre noter que les remèdes préconisés par André Marty sentent le soufre oppositionnel : les deux conditions d’un redressement sont en effet selon lui, « la construction d’une bonne organisation et l’établissement d’un régime intérieur démocratique de libre élection à tous les éche­ lons20». Un ancien cadre du PCF, Jean Chaintron, a gardé en mémoire une image moins accusée. H évalue à 40 000, dont 30 000 « permanents », les effectifs des « cadres » pour un parti qui compte alors 300 000 membres. Il écrit : Plus ou moins consciemment, les 30000 permanents politiques, dans leur ensemble, consti­ tuaient un encadrement, un corps, une hiérarchie, une élite. Il est vrai que quelque-uns de nos plus précieux dirigeants - une dizaine peut-être- avaient des conditions de vie assez aisées, sinon luxueuses. Mais les milliers de permanents et les millions de simples gens qui s’accommodaient d’une certaine pauvreté trouvaient bon que ceux qui avaient les plus grandes responsabilités dans la vie du parti soient à l’aise pour déployer pleinement toutes leurs aptitudes21. Chaintron ne connaissait probablement pas, à l’époque où il écrivait, les éléments donnés depuis par Dominique Grisoni et Güles Herzog sur le yacht Vanadis, 35 mètres de long et deux salons tout en acajou, ce palace flottant pour la croisière océanique, sur les galas qui y furent organisés22, ainsi que sur les réceptions données, du côté d’Evreux, dans un petit château baroque ayant appartenu à la Du Barry, chez un ami de Ceretti, « aristocrate pur-sang » : le Vanadis, assure Ceretti, était destiné à servir à l’appareil de la Comintem « de parapluie en cas d’orage », c’est-à-dire de permettre à ses chefs de 19. A. Marty à J. Humbert-Droz, 26juin 1928,Archives de J. Humbert-Droz, vol EH, 1928-1932,55-71, IV, 60-64. 20. Ibidem, p. 65. 21. J. Chaintron, Le vent soufflait devant ma porte, p. 196. 22. D. Grisoni et G. Herzog, Les Brigades de la mer, p. 190-191.

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gagner l’URSS sans encombre par la voie maritime23. Ce ne fut pas nécessaire : les sommes dépensées pour ces agapes, destinées à assurer la sécurité des chefs, ne servirent à rien de sérieux. La t er r eu r

h o rs

d’URSS a u s si

L ’une des questions essentielles est la façon dont le système stalinien, qui reposait sur un appareil de répression étatique, a pu être transposé dans des partis où l’État était aux mains de « l’adversaire de classe ». Comment a pu, en particulier, être introduite dans certains partis l’atmosphère de « terreur » nécessaire à la stalinisation totale ? Pour prendre un exemple extrême : comment est-il possible que le comité central du PC roumain ait accepté comme secrétaire général le Polonais Aleksandr Stefanski, qui n’avait aucun mérite particulier sauf celui, très remarquable, de ne pas connaître le roumain ? D n’y a pas de réponse valable pour tous les cas. A l’extrême, on a tué dans certains partis, quand c’était nécessaire. A Sartrouville, des militants du PC italien tentent d’assassiner leur camarade Eros Vecchi, qu’il soupçonnent d’avoir conclu un accord avec la police de Mussolini. L ’affaire fait grand bruit et Charles Plisnier en a tiré un épisode romancé pour Faux Passeports, où le jeune Italien sert de modèle au personnage d’Alessandro Cassini, On a vu, dans « l’affaire de la rue Barbier », un tribunal clandestin présidé à Saigon par Ton Duc Tang, un vétéran du bagne, futur successeur d’Hô Chi Minh à la présidence de la République du Vietnam, condamner à mort un adolescent qui avait séduit une jeune fille membre du parti. On va voir communistes brésiliens et envoyés de la Comintern étrangler une jeune femme, compagne d’un dirigeant du parti, sur la base de fragiles soupçons. Ces grands dirigeants tiennent solidement la malheureuse victime tandis qu’un de leurs sbires l’étrangle. Quelques années plus tôt, d’autres du parti brésilien avaient fait abattre le jeune cadre des JC de Rio, Tobias Warszawski, soupçonné à tort de trahison. Il s’agit, comme avec le NKVD dans la Patrie socialiste, de condamnations administratives, sans procès ni débat, sans défense ni même accusation. La malheureuse victime meurt la plupart du temps sans savoir pourquoi ou ne le découvre qu’à l’instant d’en mourir. A sa famille, on dira que c’est un crime policier et on le clamera. Mais la terreur a parfois simplement une valeur exemplaire moins directe. Pour l’URSS, mais sans doute aussi pour bien des agents des différents services et ceux de la Comintern à l’étranger, l’exécution en 1929 de Iakov Blumkine, membre des services et de l’Oppo­ sition de gauche, qui a rendu visite à Trotsky en Turquie, n’est pas seulement un trait de sang entre l’Opposition de gauche et le parti, mais un avertissement à qui serait tenté de l’imiter. En outre, on exécute dans cette affaire l’agent du GPU Rabinovitch, qui a donné les éléments d’information sur la détention de Blumkine, et le journaliste Silov, qui les a mis discrètement en circulation. La terreur exige le silence. La grande orchestration, à partir de 1929, de la lutte de la Comintern et de ses partis contre le fascisme et la guerre devient un des moyens les plus puissants pour venir à bout des militants mécontents. Si l’on critique Staline ou le parti, cela signifie qu’on a accepté dejouer le jeu de ces ennemis mortels, les bêtes féroces que sont le fascisme et la guerre, que le parti combat tous les jours, dans tous les détails de son action. Quiconque combat « le parti » renforce le fascisme et rapproche la guerre, sinon volontairement, du moins « objectivement », qu’il le veuille ou non. Ainsi îe parti, ou plus exactement le noyau stalinien dans son appareil, réussit-il à créer une sorte d’ambiance de guerre civile où il n’y aurait pas de masses, mais où la Tcheka aurait à faire face à une conspiration 23. Ibidem, p. 192-193.

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permanente, à abattre par tous les moyens, sans s’occuper des faux frais qui peuvent éventuellement, comme des balles perdues, n’atteindre que des innocents. La façon dont est orchestrée en France l’affaire du « groupe Barbé-Célor » est une autre forme de ces méthodes « terroristes » employées dans l’appareil. Elle fait de terribles ravages psycho­ logiques chez ceux qui l’ont vécue et certains ne s’en remettront jamais, cependant que les proches témoins demeurent traumatisés. C’est aussi d’une forme de terreur proprement idéologique que naît en 1931 « le culte de Staline ». Plusieurs auteurs en ont vu justement jeter les fondements dans la fameuse lettre de Staline à la revue Proietarskaïa Revoliutsïa, à propos d’un article de l’historien Sloutsky. Staline y part en guerre contre îes « bureaucrates incurables » qui se fient « aux documents-papier » et osent affirmer qu’en 1914 Lénine n’avait pas démasqué les cen­ tristes allemands comme Kautsky. La première affirmation interdit aux historiens d’utiliser les documents pour établir la vérité historique. La seconde réserve la sentence en la matière au seul Staline, toute opinion différente étant étiquetée « contrebande trotskyste », dont on sait de quelles peines elle est passible devant les tribunaux et dans les mains du GPU. Staline, dès lors autoproclamé infaillible, sans résistance, ne peut pas désormais ne pas être traité comme tel. La pyramide est enfin couronnée de sa statue, celle du souverain absolu. Le coût en hommes et en forces matérielles de cette infaillibilité stalinienne, qui est évidemment la condition de l’adoration religieuse, du culte du Chef, est elle-même incompatible avec le fonctionnement normal d’un parti. L es

b a s e s d u t o t a lit a r ism e st a l in ie n

Dans son remarquable ouvrage sur la Comintem, malheureusement toujours inédit en 1997, Volker, hôrt die Signale, Bemhard Bayeriein a relevé que la prise en main des sections par le centre se fait sous îe triple signe du substitutisme, de l’ultracentralisme et du bureaucratisme. Tout est effectivement là, et le reste n’est qu’anecdotes, bien que leurs épisodes soient parfois ahurissants et qu’à lire Robrieux on se prenne à penser que les principaux protagonistes de ce drame bouffon que fut l’affaire Barbé-Célor auraient eu avant tout besoin, en sortant de ce trou noir que fut pour eux la rétention à Moscou, des services de psychiatres avertis de îa politique stalinienne. Pour ce qui est des privilèges matériels, les apparaichiki des sections sont loin du compte par rapport à leurs camarades soviétiques. Jean Chaintron insiste là-dessus : pour lui, c’est d’un confort de bonne classe moyenne que bénéficient les dirigeants du parti, avec ce détail cependant qu’ils bénéficient d’« aides » pour îe ménage et pour le travail politique, sans compter les chauffeurs-gardes du corps, souvent factotums. Le vrai privilège, ils apprennent pourtant parfois à le connaî­ tre à l’occasion de vacances en Union soviétique, pour eux ou pour leurs enfants. Il reste que, dans la période de la Grande Dépression, c’est un énorme privilège que d’avoir un emploi rétribué permanent, surtout quand on a de fortes chances d’être inscrit sur les listes noires du patronat. Et, bien entendu, îa stabilité de l’emploi des hommes et des femmes de l’appareil communiste est étroitement liée à leur obéissance et à leur docilité à la ligne et à ses tournants. Nous laissons pour un chapitre sur l’Allemagne les précieuses indica­ tions en ce sens retenues sur le KPD. Il faut cependant relever ici que, si le permanent est en effet pieds et poings liés à la merci de son employeur et si c’est le plus souvent le parti lui-même, il arrive qu’indirectement ou directement ce soit l’État soviétique qui paie. Harry Wicks conte dans ses Mémoires qu’il découvrit un jour de 1926 que tous les membres du comité national de la Ligue des jeunes communistes britanniques - sauf

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DE L’ACTIVITÉ POLITIQUE À L’ACTIVITÉ POLICIÈRE

lui-même - étaient employés et rétribués dans des institutions commerciales soviétiques de Londres24. Pouvons-nous ajouter que, si le Parti communiste attire en général dans cette période, comme l’écrit Marty, nombre de témoins, des carriéristes et des aventuriers, c’est que l’atmosphère qui y règne exalte les personnalités autoritaires, assoiffées de pouvoir, et promet souvent des conquêtes sexuelles faciles ? Un « chef » trouve toujours une femme pour lui dans le cheptel féminin du parti, et ce serait un déshonneur pour nombre de ces dernières que de se refuser à un homme qui consacre sa vie « au parti ». Ainsi se satisfait par une voie spéciale la soif de pouvoir. Pourtant, ce type de recrutement favorise aussi l’inflitration policière, dont il y a de nombreux exemples à cette époque. On ne manque pas d’exemples d’analphabètes politiques parvenus très haut dans l’appareil sur la base d’un discours qui consiste tout simplement en une sempiternelle dénonciation des « canail­ les trotskystes », le parti allemand ayant vu les nazis infiltrés effectuer leur ascension dans les secteurs clés par ce type de déclamations, peu coûteuses mais très payantes pour des gens comme eux. L a C o m in t er n

e t l *« a r g en t d e

M o sco u »

Nous n’entrerons pas dans le détail du soutien financier de la Comintern, c’est-à-dire de l’Union soviétique, aux différents partis. Nous ne doutons pas qu’elles vont faire l’objet de publications détaillées. Walter Krivitsky, lors de sa défection, en 1938, a indiqué que ces subsides représentaient en moyenne au cours des années précédentes environ 95 % des dépenses totales des sections nationales. Philippe Robrieux, d’après Albert Vassart, assure que le parti français avait pour 1932 un budget mensuel de 250 000 francs, l’aide « interna­ tionale » s’élevant àunesommesituée entre 175 000et 200 000francs endevises étrangères, transmises par l’OMS. Ce sont des dollars qui confortent du début à la fin l’expédition brésilienne, avec force bilans et budgets. La presse des partis bénéficie de ce soutien. Mais la Comintern l’aide aussi dans son alimentation en informations à travers les agences sovié­ tiques et le bulletin Inprekorr, plus tard Soviet Union-Press. Le trustMünzenberg, ses livres, ses magazines, ses films, ses disques, constituent également une aide enmême temps qu’une ceinture protectrice. Le Secours rouge est une admirable couverture pour îes agents comme Vidali et Tina Modotti, qui font partie de son personnel en Espagne, par exemple, mais les Amis de l’URSS fournissent aussi quelques « planques » à des hommes discrets. Nous citons par ailleurs Jean Auber (de son vrai nom Sosso), l’un de ses responsables, qui va en URSS avec... un faux passeport, Rémi Skouteîski, dans sa thèse, a repéré Georges Marouzé, secrétaire du SRI dans le Nord. Avec la guerre, tous les cadres de cette organisation— dont Sosso — sont affectés aux groupes araiés. Lors du conflit, l’ensembîe des cadres de cette organisation dissoute sont affectés aux formations armées. Il est hors de doute que les partis communistes dépendent alors presque totalement de l’aide de Moscou, ou, pour être plus précis, qu’ils ne peuvent vivre sur le pied où ils vivent que grâce à cette aide dont la suppression entraînerait des licenciements de pennanents, des fermetures dejournaux, des ventes ou résiliations de baux de locaux, bref, une activité singulièrement réduite - et pour tous les militants sincères, une dommageable perte d’influence. Le

t r a v a il a n t im il it a r ist e

L ’une des activités les plus coûteuses pour un parti communiste est sans aucun doute son activité antimilitariste, qui demande d’infinies précautions et protections, un appareil 24. H. Wicks, Keeping my Head, p. 72.

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spécial, totalement clandestin, et les moyens de cette clandestinité ne sont évidemment pas à la portée des garçons et filles des Jeunesses communistes engagés dans ce travail. Us ne sont en effet chargés que du travail préalable, le « contact », la recherche et fré­ quentation de militaires, les discussions-sondages. Le reste, les diffusions de tracts, l’orga­ nisation de cellules dans F armée, la transmission de « lettres de soldats », est en général réservé aux spécialistes de ce travail éminemment délicat. La recherche historique n’a pas encore donné ici de grands résultats, comme le reconnaît le jeune chercheur Jean-Max Girault, qui se refuse même à employer le terme d’« implantation » pour parler du rapport entre le PCF et les casernes sur le territoire français. Des souvenirs de militants, comme Jean Chaintron, Albert Vassart, apportent quelques bribes d’information. On peut constater que, dans les climats favorables, celui de la côte algérienne, selon le témoignage de François Campiglia, et sous les tropiques, selon Leôncio Basbaum, la plage et le maillot de bain sont le « local » et « l’uniforme » qui permettent aux militants et militantes de rencontrer des militaires dont la tenue n’attire pas l’attention. Quelle est l’ampleur du « travail » ? Pour un pays comme la France, les indications abondent pour la période d’après la Première Guerre mondiale ; mais les témoignages n’ont jamais été vérifiés : par exemple celui de Maurice Lampe, qui assurait en novembre 1974 que 200 à 300 mili­ taires français arrêtés pour refus d’obéissance dans les unités devant Varsovie à l’été 1920 avaient été embarqués sur le Gueydon à Riga et transférés en France25. Jacques Varin cite un jeune travailleur sous l'uniforme, pas encore communiste, qui fit trois mois de prison pour avoir fait de l’agitation dans sa caserne contre la guerre du Rif : il s’agit de Lucien Monjauvis, futur préfet de la Résistance26. Après un examen critique des sources, Philippe Robrieux dresse ce bilan : Il n’y a probablement pas eu plus de cinq ou six cellules de soldats pour réussir à maintenir une vie àpeu près régulière durant la période concernée ; quant aux600 militants des 200cellules recensées, [...] il n’enreste probablement guère plus de 100ou 150dont on puisse dire qu’ils ont eu à un moment ou à un autre une véritable activité clandestine. En ce qui concerne les 2 millions de tracts, papillons et affiches, il est peu vraisemblable que plus du dixième de tout ce matériel soit effectivement parvenu à destination27. Dans la période suivante, l’activité repose sur le journal La Caserne, qui tire jusqu’à 20 000 exemplaires et sur les suppléments à'Avant-Garde comme la « page de Jean Le Goin » destinée aux marins. Une grande partie du travail est effectuée auprès des conscrits avant le départ afin d’assurer des liens pour les mois qui suivent : sou du soldat, repas, fêtes, assemblées de conscrits. Philippe Robrieux parle, pour cette époque de « l’essor de l’antimilitarisme militant des Jeunesses » et précise : Un appareil important est chargé d’impulser et d’organiser le travail au sein de l’armée. Rodé, bien en place, il va fonctionner jusqu’au Front populaire. Subventionné et supervisé par la Comintem, iî est dirigé nationalement par trois hommes : îe secrétaire général du parti, celui de la Jeunesse communiste, et un responsable à l’organisation technique du travail qu’on appelle « le technique ». Au poste de techniquenational, après François Chasseigne [...] vont ainsi se succéder Raymond Guyot, André Grillot, Pierre Rougier, François Billoux, Blanc et Laurent Casanova. [Varin ajoute à cette liste Marius, le métallo Simon Rolland, de Saint-Denis.] Très logiquement, « dans chaque région de garnison », la même structure est mise sur pied avec [...] le technique régional, qui « a le contact avec les différentes casernes28». 25. Cité par Jacques Varin, Jeune comme JC , p. 46. 26. Ibidem, p. 104. 27. Ph. Robrieux, op.cit., p. 153-154. 28. Ibidem, p. 270-271.

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Ailleurs, le « travail anti » a un tout autre caractère. En Chine, dans les années de la seconde révolution, ce sont aussi des officiers de tout grade et même des chefs d’armée, comme Ye Ting ou He Long, qui rejoignent le Parti communiste, prêts à lui amener - du moins tout le monde le croit-il - les unités qu’ils commandent en cas de conflit armé. Et ce n’est pas seulement chez les cadets de Huangpu que les communistes recrutent, mais dans toutes les écoles et cours politiques qui foisonnent dans F armée de Jiang Jieshi. Au Brésil, où ce travail « anti » s’appelle « antimil », il ne s’agit pas seulement de diffuser du matériel, mais avant tout de gagner des hommes et même des unités. H ne s’agit plus de contacts au « bouton de veste » entre des troufions et de jolies filles : on recrute des officiers jusqu’à l’École de guerre, on recrute massivement des caporaux et des sergents, et ce sont eux qui, à leur tour, recrutent des hommes. Bien entendu, la structure de l’organisation « tenentiste » facilite ce travail en liaison avec le PCB puisque Prestes et d’autres, non des moindres, appartiennent aux deux organisations, comme en Chine à l’époque du Guomindang, et il y a ici aussi des unités militaires que Ton peut considérer comme communistes par leur inspiration politique comme leur encadrement. En Allema­ gne, la situation est plus originale encore. Le prolétariat de ce pays a hérité de la révolution de Novembre des formations militaires qui n’ont pas toutes été dissoutes par la contrerévolution : la Division de marine du peuple, à Berlin, le régiment de îa garde de Kieî, îe régiment de sécurité de Halle, la force de sécurité de Hambourg, et nous en avons vu îes prolongements plus encore que les restes face à Kapp puis face à îa Sipo et à la Reichswehr dans la Ruhr. Le Rotekâmpferbund est en quelque sorte l ’héritier de ces formations lorsque s’éteignent les feux des préparatifs révolutionnaires de 1923 et des fameuses Centuries prolétariennes. Ce lien avec ce passé s’incarne en la personne de îeur chef militaire Erich Wollenberg, héros de la révolution de 1918-1919 en Bavière et officier de l’Armée rouge revenu d’URSS. Armée de parti, le RFB est aussi le détachement d’une partie de îa classe ouvrière, Ne parlons pas des armes, à la fois rares et collectives. Les uniformes ou ce qui en tient lieu, îes équipements de type baudrier, vêtements et chaussures de sport ne sont pas des articles de luxe, mais il faut frapper les esprits et ne pas faire trop « pauvre » à côté des concurrents bourgeois qui brillent de tous leurs cuivres. H faut aussi assurer le ravi­ taillement dans les rassemblements et les sorties. Tout cela coûte cher, et aucun parti communiste ne pourrait supporter à lui seul ces dépenses. Là aussi, il faut de fortes subventions et un contrôle sérieux du parti. LES « ORGANISATIONS DE MASSE »

Il faudrait aussi pouvoir étudier dans le détail le fonctionnement des organisations dites « de masse » même quand elles ne sont que des squelettes aux mains de militants du PC. Zinoviev les qualifiait d’organismes auxiliaires, subordonnés mais très utiles. Au premier rang, il y a les syndicats rouges, adhérents directs à îa Profintern, l’Internationale syndicale rouge, dont le rôle n’est jamais négligeable. H reste dans la forme quelques traces de son passé d’« indépendance », mais iî n’en reste pas dans les faits, et c’est la Comintern qui règle tous les différends syndicaux et remplace, si nécessaire, les dirigeants rétifs. Cer­ taines organisations conservent cependant un rôle et une activité précieux pour îa Comin­ tern. Ce sont celles qui assurent communications et relais mondiaux. Ainsi l’Internationale des marins et travailleurs des ports est-elle l’enveloppe protectrice des activités lointaines de F OMS. Le Danois Richard Jensen, l’un de ses principaux dirigeants sur le plan national et international, est certainement très influent dans la « maison », vu le rôle qu’il joue, malgré ses dénégations ultérieures, car iî assure la répartition des messages et des mes­

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sagers, mission de confiance. A travers lui et ses hommes, Copenhague joue désormais dans les années 30 le rôle dévolu à Stockholm dans les premières années 20. Mais, dans le monde entier, les hommes d’Emst Wollweber et d’Albert Walter constituent une force non négligeable. Les Jeunesses communistes ont leur propre Internationale, la KIM, contrôlée du haut en bas par l’exécutif de la Comintem et par les comités centraux des partis avec les « extensions » : depuis îa mise à l’écart de Münzenberg, les jeunes n’ont pas semblé vouloir secouer ïe joug. En fait, l’intégration des JC dans une organisation internationale unifiée semble leur avoir coûté une bonne partie de leur vitalité initiale. Ce sont les dirigeants de la première génération qu’on trouvera parmi îes hommes qui se battent dans les oppositions. La deuxième génération fournit les apparatchiki qui accèdent aux postes dirigeants au tournant des années 30. Le Secours ouvrier international (MRP), à l’origine une sorte de Croix-Rouge com­ muniste, brasse des sommes considérables et vient au secours des victimes de la répression, communistes mais aussi anarchistes injustement accusés de terrorisme. Elle a été une organisation bien structurée et une entreprise bien gérée avec de larges activités, de l’humanitaire au culturel, et a certainement soulagé bien des misères. La nécessité de ne pas tarir des sources financières importantes a facilité la volonté d’indépendance de Münzenberg, dont les capacités protègent en quelque sorte cette zone fragile autant qu’utile. Pourtant, son Secours rouge international (MOPR) n’est pas humanitaire, mais politique, étroitement contrôlé à ce titre. Les communistes, par l’intermédiaire de ces organisations, réussirent de véritables campagnes mondiales, à l’écho immense, hors de proportion avec leurs propres effectifs, lors de la condamnation de Tom Mooney et Warren BiHings, finalement sauvés, pour Sacco et Vanzettî, exécutés en 1927 malgré une série de manifestations internationales grandioses, et finalement aussi par la campagne de 1933 contre le procès de l’incendie du Reichstag à Leipzig, qui se termina par l’acquittement éclatant de Dimitrov. C’est à travers ces campagnes qu’ils se lièrent aux défenseurs des droits de l’homme dans de nombreux pays, notamment des avocats et des juristes. La Krestintern (KSI), en réalité conseil paysan, n’existe en tant qu’organisation de masse que dans les pays coloniaux où la paysannerie peut constituer, une fois organisée, une force révolutionnaire. Son activité s’est affaissée après le fiasco bulgare et l’amaque croate. Elle compte un Français parmi ses permanents de Moscou dans les années 30, Charles Martel, ancien secrétaire fédéral du PC dans l’Isère, La Sportintem organise au plan national et international les sportifs de toute spécialité et veut opposer les sportifs « ouvriers » aux sportifs organisés par les bourgeois. Elle est souvent en conflit avec la KIM. On se doute qu’elle intéresse beaucoup les services d’action. Fidèle à la tradition des Sokols, les Tchèques - Karel Aksamit, Jozka Jabürkovâ, des sportifs qui sont aussi des cadres politiques - y jouent un rôle essentiel. Le Secrétariat international des femmes, fidèle à une solide tradition de la W Interna­ tionale, s’est montré aussi récalcitrant et plus tenace que l’Internationale des jeunes. En 1926, il a été supprimé et remplacé par un simple département féminin de l’exécutif. Toutes ces organisations internationales sont dirigées par des hommes ou des femmes formés dans les cadres de la Comintem et ne sont que des rouages du contrôle auquel nul n’échappe, d’aucune façon. Il arrive d’ailleurs que les fonctionnaires passent d’un organisme à un autre, par mutation. L ’exemple le plus caractéristique de cette subordi­ nation est sans doute la fameuse Ligue contre l’impérialisme, construite par W illi Miinzenberg, qui avait été un réel succès de îa politique de la Comintem, l’associant à des secteurs divers et importants. Nous avons signalé déjà la brutalité du tournant. Münzen­ berg, qui semble avoir cru d’abord à une erreur passagère, écrivit à Kuusinen, le 28 décem­

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bre 1927, après la conférence de Bruxelles : « A la conférence de Bruxelles, nous sommes allés trop fort et trop brutalement. Divers groupes que nous avions pu lier à notre travail et dont nous avions besoin sont de toute évidence devenus méfiants et cherchent à s’éloi­ gner29. » En quelques années, sous le contrôle de Lajos Dobos (Louis Gibarti), la Ligue contre l’impérialisme est littéralement anéantie en tant qu’organisation, transformée, selon l’expression de Mustapha Haïkal, en « simple agence de la Comintern », tandis que le secrétariat politique de cette dernière discute pour savoir s’il ne vaudrait pas mieux tout simplement la dissoudre. Mustapha Haïkal donne F exemple extrême : le gros des archives du secrétariat de la Ligue est tombé à Berlin entre les mains des nazis en 1933, faute d’un accord exprès envoyé de Moscou pour leur transfert à Paris. Le bureaucratisme absurde dépasse ici ses propres limites et devient réellement agent de l’ennemi30. M

ilit a n t s c o m m u n ist es et

« s e r v ic e s » so v iét iq u es

U reste le délicat problème des hommes. Lesquels « en » étaient ? Au risque de décevoir les amateurs de sensationnel, nous dirons simplement que ceux-là n’étaient pas forcément les pires. A côté des tueurs de communistes, on trouve en effet des hommes qui ont eu le courage de dénoncer ces crimes au péril de leur vie. L ’exemple qu’il ne faut pas oublier est celui du militant du PC polonais Nathan Markovitch Poretski, l’agent Ludwig du 4eBureau, connu après sa mort sous le nom d’Ignace Reiss. Il n’est pas facile de répondre à la question de l’identification des « agents », car les documents du GPU, du NKVD, etc, ne sont accessibles à Moscou qu’à une minorité de privilégiés de la fortune ou de la position sociale. Mais, par ailleurs, tout travail sérieux sur une section nationale fait apparaître des membres des JC qui jouent le rôle de « courrier », travaillent pour l’Internationale com­ muniste ici ou là. Au sujet des « extensions du GPU » ou du 4eBureau dans l’OMS et là Comintern, nous avons déjà mentionné Mauno Heimo. H faudrait probablement ajouter, presque sur le même plan, soncompatriote Waldemar Tuure Léhen, le Hongrois Eraô Gerô, les Bulgares Minev-Stepanov, Ivanov-Bogdanov, Belov-Damianov surtout, dont l’autorité était énorme. Il ne faudrait pas négliger les Soviétiques, comme Boris Melnikov, A.L. Abramov et autres grands responsables de l’OMS, et finalement la plupart des responsables importants de la Comintern et sans doute aussi ses grands techniciens, comme Richard Jensen et Emst Wollweber. Par ailleurs, le parti américain fourmille d’agents, grands et petits, et jusque dans la propre famille de Browder, non seulement sa femme, mais aussi sa sœur. Comment distinguer un dirigeant d’un PC et un NKVédiste en service ? A cet égard, le rôle clé de Louis Budenz, ancien et futur fils de l’Église catholique romaine, dans l’assassinat de Trotsky, est exactement celui d’un agent d’exécution dans un gang. Un problème délicat est celui des membres « hors cadres », ces hommes appartenant à la classe dirigeante que le parti ne peut ni ne veut dévoiler. Le KPD en utilisa plusieurs. Hubert von Ranke, alias Moritz Bressler, rejeton d’une grande famille, fut de ceux-là : sa tentative d’adhérer au KPD se termina par une période de sa vie dans laquelle il travailla pour Gerô et le NKVD, notamment en Espagne, où il rompit. Les Américains aussi en ont eu un, reconnu, descendant d’un milliardaire de légende, Cornélius Vanderbilt. Fre­ derick Vanderbilt Field, qui admet son appartenance au PC dans ses Mémoires, ne militait dans aucune cellule mais siégeait au bureau politique. Ernest Lundeen, sénateur du Min­ nesota, a été accusé post mortem, d’être « un agent » et était en tout cas très proche du PC. Et il ne faut pas oublier le fameux Noël Field, représentant d’une organisation 29.Cité par M. Haïkal, «W ilii Münzenberg et la Ligue contre l’impérialisme», W illi Münzenberg, colloque, p. 118. 30, Ibidem, p. 151.

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humanitaire qui essayait de se procurer à Marseille en 1940 les adresses des antistaliniens fuyant les nazis. Enfin, îa vieille socialiste Meta Berger, veuve d’un dirigeant socialiste de droite, adhérente secrète, se révéla très efficace. Parmi les Français, il faut citer le cas, relevé par Nicole Racine dans le dictionnaire Maitron, de l’écrivain et journaliste André Wurmser qui, toute sa vie, fut censé avoir adhéré au PCF en 1942, alors qu’il en était membre dès 1929 et avait suivi les cours de l’École Lénine en 1932-1934, comme l’on montré un travail universitaire récent d’Annie Burger. Cela ne l’empêcha pas de jouer, en tant que non-communiste, un rôle important dans le CVIA (Comité de vigilance des intellectuels antifascistes) et les organisations d’intellectuels en général. C’est un cas un peu particulier que celui des membres de la direction de la JSU espagnole, originaires des JS, qui adhérèrent en bloc au PCE en novembre 1936 mais dont l’adhésion ne fut pas rendue publique. Raymond Guyot expliqua devant l’exécutif que cela permettait de gonfler artificiellement les effectifs du PC dans les comités d’orga­ nisation. On passe ici, insensiblement, du recrutement de « hors-cadres » au noyautage des organisations alliées. Ajoutons qu’il existe des agents « en sommeil », que l’on peut au besoin réveiller, comme Gaston Yemaux le fut par le parti belge lors du passage à la lutte armée. C’est peut-être aussi le cas de Claude Servais, dont nous parlons plus loin. Qui « e n » é t a u ? II reste une question qui passionne les échotiers, mais qui est loin d’avoir l’importance qu’ils lui attribuent : qui étaient, dans les différents partis communistes, les « hommes de Moscou », ceux qui avaient été gagnés aux « services », comme on disait avec pudeur et prudence quand on ne pouvait faire autrement que d’en parler, bref, ceux qui contrôlaient îes contrôleurs ? Pour la France, les dossiers d’Orlov ont fait enfin apparaître le nom de Georges Soria. Il soulevait beaucoup d’hostilité parmi ses camarades, et des documents de Moscou - notamment une lettre qui est à coup sûr de Vital Gayman, le commandant Vidal - se plaignent de lui et de ses articles. A vrai dire, on s’en doutait, c’était un grand agent de désinformation, le complice agissant des pires crimes commis en Espagne. Il était marié à Julia Rodriguez Danilevskaïa, important agent, directement placée sous les ordres d’Orlov en Espagne31, On a vu apparaître, sur îa base des archives de Moscou, les noms d’hommes beaucoup moins connus, comme Charles Hainchelin ou Giovanni Sosso, dit colonel Guillemot, rencontrés tous les deux au cours de l’enquête sur l’assassinat de Pietro Tresso. On a parlé aussi de Joseph Beaufils, dit ultérieurement colonel Drumont, relais de l’OMS en 1933 à Paris pour des communistes berlinois, présent aux côtés de Dallidet en 1939, de Georges Beyer, aussi, du Service B. La rumeur-renforcée par les affirmations de Trotsky - a longtemps accusé aussi Jacques Duclos. La menace réelle qui a pesé sur lui à Moscou à la fin des années 30 ne joue pas à sa décharge, à une époque où des hommes du NKVD étaient parmi les cibles comme parmi les victimes. En 1932, c’est lui qui, à Moscou même, menace de mesures « pénales » du droit soviétique les Espagnols autour de Bullejos, qui tenteraient, alors qu’ils sont exclus, de joindre leurs compatriotes. L ’ancien dirigeant des JC et député Maurice Honel en était. Il a même participé en 1930 à l’enlèvement du général blanc Koutiepov, à Paris. Nous l’avons rencontré en plusieurs 31. «Espias espanoias al servicio del KGB », Cambio 16 ,6 novembre 1995.

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circonstances, dans des missions très diverses : en Indochine, pour obtenir la rupture avec les trotskystes, avec les «renégats» de 1940 pour les «surveiller32». Le fait que son camarade d’enfance Pierre Provost ait travaillé avec Cremet pour le 4e Bureau inspire peut-être les rumeurs sur Rosa Michel, qui fut avec eux au Mouvement des enfants puis aux JC, d’ailleurs vivier de recrutement d’« agents ». On a prononcé bien d’autres noms. Celui de Raymond Guyot au premier chef, dont Faligot et Kauffer écrivent qu’il baigna toute sa vie «dans l’atmosphère fétide des missions spéciales33». Il était le chef du « département spécial » au WEB. Nous savons entre autres que c’est lui qui veilla person­ nellement à l’infiltration dans les Jeunesses socialistes du jeune agent Daniel Béranger, compagnon de Montserrat, la sœur de Mercader, qui joua dans l’ombre un rôle important, hébergeant Mercader en 1938 et le colonel Gilles sous l’Occupation. Raymond Guyot fut parachuté en France en 1943 par le SOE sur la base de l’accord SOE-NKVD pour les parachutages en Europe occupée, ce qui est évidemment une présomption, non une preuve. On a parlé aussi de Marius Magnien, d’Octave Rabaté, de l’enseignant Georges Fourniaî, essentiellement, semble-t-il, à cause de leurs responsabilités internationales, de Jean Jérôme, Maurice Tréand, Léon Mauvais, Pierre Villon pour leurs rôles spécifiques. On a mis, à regret sans doute, des points d’interrogation sur Francine Fromond, jeune et belle femme, dévouée et héroïque, morte sous la torture, elle qui connaissait tant de secrets, et Mounette Dutilleul, femme de dévouement et d’énergie, pour son rôle au SRI et aux cadres. Pour les autres partis, sont souvent cités les noms des Italiens Giulio Ceretti, dit Allard, de Vittorio Vidali, dont Carlo Tresca disait qu’on « sentait l’odeur de la mort » quand il arrivait34... Parmi ceux pour lesquels on a plus que des présomptions, on peut citer Carlo Codevilla, dit le Maure, tueur spécialisé qui fut assassiné, de Vittorio Codovilla, de l’Écossais Alex Massie, des JC et de la KIM, de l’Anglais David Springhall, condamné pour espionnage au service de l’URSS en 1943, d’Artur Illner, Richard Staimer et de nombre de ceux qui utilisèrent la couverture d’interbrigadistes en Espagne, sans oublier l’acrobate Irving Goff, dont nous savons qu’il a plus tard servi l’OSS en Italie avec l’accord de son parti et malgré les réserves des dirigeants de la Comintern. La polémique n’est pas terminée aujourd’hui autour d’Artur London. L ’attention enfin ne s’est que rarement portée sur celui qui, de son vivant, le mettait en cause, Hubert von Ranke, qui, sous le nom de Moritz Bressler, joua pourtant un rôle policier important en Espagne, avant de prendre conscience du rôle qui était le sien et de s’évader35. On a cité aussi Fritz (Bedrich) Geminder, le Tchécoslovaque, le féroce Hongrois Michal Wolf, Béla Biro (à ne pas confondre avec Zoltân Râkosi dit Biro), les Polonais Jan Paszyn, Bierut, Marceli Novotko et, bien sûr, Boleslaw Molojec avec son supérieur, le Bulgare Ivanov et l’autre Bulgare Vlko Tchervenkov, le beau-frère de Dimitrov, îa Roumaine Anna Pauker, les Italiens Antonio Roasio et Luigi Polano. On n’a pas mentionné le jeune Tchèque Jan Cerny, des « Cadres » à Albacete, ni ses compatriotes, Josefa Fajmanovâ, qui avait reçu une formation de trois années en URSS, ou Jozka Jaburkovâ, passée par Sportintem et l’École Lénine, qui ont « le bon profil ». 32. Le point de la question est fait dans un autre livre de R. Faligot et R. Kauffer, Les Secrets de l'espionnage français, p. 347-348. 33. R. Faligot et R, Kauffer, Kang Sheng et les services secrets chinois, op. cit., p. 133. La même phrase s’applique au fameux policier tortionnaire Farkas. 34. Who killed Tresca ?, p. 13, cité dans P. Broué, « L ’affaire Robinson-Rubens», Cahiers Léon Trotsky, n° 3, 1979, p. 166. 35. C’est sous la caution et avec la recommandation de deux hommes qui avaient été ses « victimes », Manès Sperber et Paul Thàlmann, que j’ai pris contact avec Hubert von Ranke, qui, au lendemain de la parution de mon premier livre sur l’Espagne, où i! avait sévi sous le nom de Moritz Bressler, me signala qu’Artur London, dit Gerhardt, avait été l’un de ses proches collaborateurs dans la répression des poumistes, trotskystes et autres « gauchistes ».

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On trouve des indications sur les Espagnols recrutés par le NKVD pendant et juste après la guerre civile dans l’ouvrage de David Pike. Ce dernier mentionne Pedro Martmez Cartôn, membre dü bureau politique, et surtout Joaqum Olaso, adjoint de Gerô à Barce­ lone, qui fut ensuite un chasseur de trotskystes et de poumistes en France, puis l’un des dirigeants des FTP-MOI, avant de finir sa vie par un double désastre, accusé - faussement, disent certains - d’avoir été dénonciateur et mis en quarantaine. Sa compagne, Dolorès Garcia, fut secrétaire de Pablo Neruda à l’ambassade du Chili à Paris pour renforcer le contrôle sur les réfugiés d’Espagne à destination de l’Amérique latine. Pike cite aussi le jeune Santiago de Paul, fils de la députée socialiste Margarita Neîken, tué en 1943 sur le front de l’Est comme capitaine de la Garde dans l’Armée rouge, Jésus Hemândez, après sa dénonciation de Vidali, a été accusé par le PCE d’en être. On se demande si Carmen dePedro aurait pu occuper les fonctions qu’elle occupa si elle n’en avait pas été. Nombreux aussi ont été les agents dans les services de police divers, particulièrement le SIM, qu’il fallait contrôler directement, et dont nous avons parlé au passage, comme Francisco Ordonez ou Santiago Garcès. Soudoplatov a fait connaître aussi l’existence d’Africa, de son vrai nom Maria de las Heras, une Espagnole, fille d’officier, ancienne des Jeunesses communistes, spécialiste de radio, qui communiqua îes informations à Moscou pendant le séjour de Trotsky en Norvège et au Mexique mais qui, contrairement à ce qu’il a écrit, ne fut pas la secrétaire de l’exilé36. Elle mourut colonel du NKVD. C’est à la même catégorie qu’appartiennent les deux soeurs Elena et Julia Rodrfguez Danilevskaia, elles aussi des filles d’officiers, communistes en 1936, la première dans l’équipe d’Eitingon, la seconde, collaboratrice d’Orlov et épouse du journaliste français Soria37. Et puis iî y a Caridad Mercader, la mère de l’assassin de Trotsky, dont ii est difficile de penser qu’elle n’était pas déjà des services quand elle était, en 1934 membre de la XVe section de la SFIO à Paris, quand elle organisa, sous le contrôle de Raymond Guyot, l’entrée dans les JS du jeune agent Daniel Béranger, l’ami de sa fille. Pour les Grecs, il y a eu bien des noms proposés ou suggérés : ainsi Sakarelos, meurtrier d’un archiomarxiste, plus tard envoyé pour « redresser » le PC en 1943, Bartzotas, qui s’est vanté de la suppression par TOPLA de 800 « trotskystes », et probablement Damianos Mathessis, chargé, selon Stinas, de missions de confiance de la Comintem38. Arkadi Vaksberg, qui ne mentionne pas ses sources, ce qui ne l’empêche pas d’affirmer sans crainte - il a souvent vu les dossiers interdits au commun des mortels -, cite îes Chinois Zhou Enlai, Liu Shaoqi et îe Sino-Russe Guo, recrutés, écrit-il, par Boris Melnikov au temps où il était consul général à Kharbine39. Nous pouvons ajouter pour l’Amérique latine, des personnages, bien différents les uns des autres : Fabio Grobart, à Cuba, Ricardo A. Martmez, le « dur » Vénézuélien, mais peut-être aussi le héros de l’insurrection salvadorienne Agustfn Farabundo Marti, ancien de la Comintem chez Sandino, qu’un his­ torien cité par Roque Dalton dans son travail sur Miguel Marmol appelle « un agent direct» (« un agente direcîo, una especie de vocal de la ïnternacional comunista»)40, dont tous les témoignages font un homme d’une qualité exceptionnelle. Enfin, il ne faut pas oublier celle que les amoureux de sensation ont baptisée « la Mata Hari » de la Comintem, l’Américaine Agnes Smedley. Elle a effectivement au moins un très beau tableau de chasse érotique, avec une belle pièce, Mao Zedong soi-même. Elle et Tina Modotti, qui fut l’amie de Vidali, mais aussi de Diego Rivera, de Xavier Guerrero 36. P. Soudoplatov, Missions spéciales, p. 102,115. 37. « Espias espanolas al servicio del KGB », loc. cit. 38. Stinas, op. cit., p. 212. 39. A. Vaksberg, Hôtel Lux, p. 219-220. 40. R. Daiton, op. cit., p. 174.

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et de tant d’autres comme Julio Antonio Mella, sont des espionnes ou agents de charme, au point qu’une mode fait qu’on découvre aujourd’hui celui de Tina Modotti sans jamais rappeler qu’il était terriblement vénéneux et que longue est la liste de ceux qu’on Ta accusée de les avoir entraînés vers les gueules des Mauser. Il y a là un aspect d’autant plus piquant que sévissait aussi dans les cadres de la Comintern et de certains PC, pas très loin du cœur de Yappareil, un rigorisme moralisant très strict. Waack n’écrit-il pas que Germaine Willard, championne des droits de l’homme et des causes féminines, épouse de l’avocat Marcel Wiîlard, fit la grimace pour îa campagne de soutien d’Oiga Benario, emprisonnée au Brésil, car cette dernière avait eu, à son sens, un peu trop de « maris » et qu’on ne savait pas qui était réellement le père de l’enfant qu’elle portait41? On peut dire que la dame de France manifesta à cette occasion une innocence vraie, car le rôle des femmes embauchées par le NKVD ne se limitait évidemment pas, même quand elles étaient simples secrétaires, à la station verticale. Nous dirons cependant, pour terminer, que îa question que nous venons de poser parce qu’elle est à la mode dans une certaine littérature historique est dans une large mesure tout à fait vaine. Membre ou non des « services », tout militant, et particulièrement tout cadre de l’appareil de l’Internationale et d’un parti, travaillait avec et pour les services, adressait des rapports sur les hommes qui allaient dans leurs bureaux, exécutait les ordres qu’ils lançaient. Ce à quoi peu de commentateurs du livre de BartoSek où il aborde l’affaire London semblent avoir pensé. L ’historien, sous peine de donner dans l’« espionnite », doit réagir contre la vision conventionnelle selon laquelle un communiste entre dans les services comme on devient espion en entrant dans un réseau. Car chaque communiste, par son appartenance même, est dévoué aux ordres de cette catégorie supérieure de communistes que sont les agents des services. Il n’y a rien de plus et rien de moins à dire. A s’en souvenir, on évitera des polémiques aussi bruyantes que destructrices. Une dernière remarque : il y a un changement des mentalités dans les « services » comme dans îes rangs de la bureaucratie, que l’on peut situer approximativement au milieu des années 30. Il est vrai qu’avant cette date les plus convaincus et les plus désintéressés des militants communistes considéraient comme un honneur l’appartenance aux services, qui rassemblaient « les meilleurs ». A partir du milieu des années 30, on voit apparaître en nombre les «professionnels» de l’espionnage, du vol et du meurtre, îes mercenaires comme Roland Abbiate et les sanguinaires, les Russes blancs à îa recherche d’un billet de retour, comme Sergéi Efron, mari de poétesse, que certains prétendent avoir découvert dans les archives alors qu’il était dénoncé dès les années 30 par les Rosmer, Victor Serge et autres amis de Trotsky. L e s « es pio n s » q u i v en a ien t

d u fr o id

Certaines affaires pourtant sentent à plein nez l’espionnage pur et simple, et la recherche sur Comintern et parti communiste se réduit alors à la chasse sur les pistes à espions. Laissons, comme trop connus, Trepper et l’Orchestre rouge, affaire de communistes. Le cas le plus célèbre est bien entendu « l’affaire Iltis », bien éclairée aujourd’hui par Roger Faligot et Rémi Kauffer42, dont l’analyse a été confirmée depuis parles documents trouvés en Allemagne de l’Est. Sous le pseudonyme de Boulanger, l’homme était devenu un personnage important des FTP. Or on découvre qu’il a donné à la Gestapo toute leur direction dans la zone Sud. Il apparaît ensuite qu’Ijtis était né en Allemagne, Lucian et non Lucien, avait été membre du KPD, élève de l’École Lénine de 1929 à 1931, officier 41. W. Waack, Camaradas, p. 339. 42. R. Faligot et R. Kauffer, Service B, p. 271-277.

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de 1*Aimée rouge, chargé, dans le service de renseignements du KPD, de l’infiltration de la police43. Transféré en Autriche, puis en France, il est rédacteur en chef de VHumanité d’Alsace-Lorraine de 1936 à 1939. Pris par les Allemands en 1940, il aurait été « retourné » par la Gestapo. Deux, voire trois, hypothèses. Ou bien Lucian Iltis était un ennemi du communisme infiltré dans l’appareil, et l’on ne peut dans ce cas que constater qu’un homme parvenu à ce niveau peut occuper les fonctions les plus importantes dans un parti communiste comme s’il était muni d’un passe-partout et d’un passeport universel. Ou bien c’était un communiste de très haut niveau qui avait accepté de se faire mouchard et sur lequel son parti était resté très discret alors qu’il dénonçait au même moment comme espions des militants coupables de simples critiques. La troisième hypothèse, à partir de l’attitude d’Iltis en 1940, c’est que son comportement serait une manifestation d’une collaboration plus étroite qu’on ne l’a dit entre services allemands et soviétiques. Ce serait très grave, infiniment grave s’il apparaissait que cette collaboration s’articula pour détruire un pan entier du PCF, son organisation en zone Sud. Et l’on comprendrait mal que le silence soit maintenu aujourd’hui encore. Des personnages rencontrés dans l’univers des partis, des agents ou des «nonpersonnes » ont longtemps été des mystères pour nous. Citons-en deux, presque élucidés. Louis Monnereau, qui était un cadre important, compagnon d’une ex-secrétaire de la fédération de la Seine, secrétaire de confiance de la Comintem dans les années 30, Suzanne Tilge, a été condamné à dix ans de prison en 1931 pour espionnage, et le Maitron nous assure que seul Vassart le rencontrait épisodiquement. On découvre à Moscou que, sous le nom de Garaier, il a fait partie de la délégation du PCF au V IIecongrès de la Comintem. Puis Peter Huber nous apprend que cet homme, que tout désigne comme un collaborateur du NKVD, a été de 1935 à 1937 membre du secrétariat de Manouilsky44. Claude Servais, membre des JC en 1925, secrétaire régional de la RP en 1926, élève de l’École Lénine, secrétaire à l’agit-prop du PC en 1930, blâmé pour son appartenance au « groupe », est affecté à Moscou où il travaille au secrétariat latin de la Comintem, puis est exclu pour un motif que nous ignorons. H revient en France et doit se tenir à l’écart du PC. Il travaille en usine sous le nom de Marcel Fabre. Étranger, il ne peut s’engager dans l’armée française, sauf la Légion étrangère, et renonce. Réintégré dans le PC clandestin en octobre 1940, il est chef de secteur FTP dans la région parisienne dès leur création. Interrégional FTP dans l’Yonne, puis à Bordeaux, il est tué en 1944, après avoir été blessé dans un accrochage. Peter Huber nous apprend qu’il était en 1937 membre du secrétariat de Manouilsky45. Les dossiers qui contiennent la vérité sur ces gens-là et sur d’autres, insoupçonnés aujourd’hui, sont encore inaccessibles. Personne ne peut donc, sauf excep­ tion, sur de telles questions et pour le moment, affirmer quoi que ce soit, sauf quand tous les papiers de Moscou seront disponibles et pourront être recoupés. L e contrôle du GPU

sur les partis

Nous n’allons pas ouvrir à nouveau la querelle sur l’appartenance de Jacques Duclos au GPU, affirmée par Trotsky, qui pensait en outre qu’il était le vrai « patron » du parti de par ses fonctions secrètes. La subordination des sections nationales à la Comintem et parfois directement au NKVD, elle, n’est en tout cas pas discutable. L ’exemple le plus frappant est évidemment celui du PC mexicain, dont Hemân Laborde et Valentfn Campa, 43. Der Nachrichtendienst der KPD 1919-1937, p. 205. 44. « The Cadre Department, the OMS and the “Dimitrov” and “Manuilsky” Secrétariats during the Phase of the Terror», Centre and Periphery, p. 151. 45. Ibidem, p. 152.

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ses principaux dirigeants, qui avaient jusqu’alors mené sans sourciller une abominable campagne de calomnies contre Trotsky, regimbèrent quand il fut question de mettre le parti mexicain au service de l’infrastructure de son assassinat, P« opération Canard », comme l’exigeait le NKVD. C’est en effet un congrès extraordinaire de ce parti, tenu du 24 au 29 février 1940, qui, sous la pression de la Comintern, parlant publiquement sous le pseudonyme d’une « commission d’épuration », élimina Laborde et Campa comme « trotskystes et corrompus » et ouvrit la voie à la mobilisation d’un parti entier pour un assassinat et la couverture des assassins. Nous connaissons une partie des faits par les Mémoires de Valentin Campa46, qui signale le rôle important joué dans l’affaire par l’Argentin Codovilla et le Vénézuélien Ricardo A. Martfnez, auxquels nous pouvons ajouter V Vidali, seulement plus discret, parce que réfugié. Le congrès fut évidemment accompagné d’une forte poussée de fièvre de culte pour Staline, quelques mois après le pacte germano-soviétique. Le PC mexicain ne s’en est jamais remis. Pour le contrôle dans la vie quotidienne, on peut citer le PSUC, dont les dirigeants, regroupés à dessein dans le grand immeuble de la Pedrera, à Barcelone, sont ainsi surveillés par les services d’un homme de Gerô déjà cité, Joaquin Olaso, qui les surveille au titre de l’État {inspecteur général de l’ordre public et membre du SIM) et du parti (section des cadres et commission de contrôle), incarnant ainsi le rêve de toute police politique. Une ultime remarque est nécessaire : dans les moments de grande tension, campagne de terreur ou, au contraire, résistance à une répression sévère, îes frontières s’effacent entre les combattants de cette armée bien particulière. Ainsi, pendant îa Résistance fran­ çaise, un membre de la section des cadres a-t-il le droit, sous certaines conditions, comme un membre des services, de négocier avec le SOE. Et des communistes, une fois leur parti au pouvoir, acceptent de travailler pour la Sécurité parce que c’est, croient-ils, leur devoir î C’est une difficulté suplémentaire de taille pour l’enquêteur. Nous ne manquons pas d’exemples. Le plus connu est évidemment celui de Richard Sorge - en qui certains auteurs ont salué « l’espion du siècle » -, qui commença comme militant du KPD, devint membre de son M-Apparat, servit la Comintern par l’OMS plusieurs années, devint finalement un homme du 4e Bureau de l’Armée rouge, un espion de grande classe. De même, les Français Joseph Tommasi et Jean Cremet, l’un après l’autre, tous deux membres de la direction, ont été au service de l’espionnage de l’État soviétique par l’intermédiaire du même 4e Bureau, ce qui brisa leurs positions dans îe parti et la Comintern. Ils se considéraient dans leur « réseau » comme des militants communistes affectés à des tâches spéciales. Il est possible que des accusations d’appartenir aux services aient été portées faussement contre tel ou tel, mais iî nous semble que îes victimes seraient mieux inspirées en se tournant vers Moscou pour obtenir des copies certifiées de leur dossier personnel que de pousser les hauts cris et de porter plainte devant des tribunaux occidentaux qui manquent évidemment d’éléments pour trancher. LA FORMATION DES CADRES : LES UNIVERSITÉS COMMUNISTES

Bien entendu, l’un des premiers soucis des gouvernants soviétiques et des dirigeants de la Comintern avait été îa formation de cadres communistes d’un niveau scientifique sérieux. Les Rabfaki, qui servaient de pont entre î’usine et l’université, l’Institut des professeurs rouges, furent des institutions dont on voulait, du temps de Lénine, faire îes instruments de cette politique. C’est dans le même état d’esprit qu’avaient été fondées les universités destinées aux étrangers : la KUTV, Université des peuples d’Orient, qui, dès 46. V. Campa, Mi Testimonio, 1978, dans le chapitre « El Caso Trotsky », p. 159-166.

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1921, recevait plus de 600 étudiants appartenant à 44 nationalités, la KUNMZ, pour les minorités nationales d’Occident, avec le même statut près l’Université Sverdlov que l’École supérieure du parti, fondée en 1919. Jusqu’en 1927, ces universités avaient eu des recteurs choisis en fonction de leurs compétences et quels qu’aient été leurs liens passés avec d’autres partis ou récents avec une opposition : Broido, un ancien menchevik, Marchlewski, Froumkina, ancienne bundiste, Regina Budzinska, Karl Radek, membres de l’opposition unifiée, étaient de prestigieux recteurs, et le corps enseignant comptait des oppositsionneri connus. Peng Shuzhi puis Wang Fanxi n’ont mentionné qu’en passant les conditions de vie des étudiants dans l’une de ces universités, la KUTV, qu’on appelait aussi Dongda. Aleksandr Pantsov a expliqué l’organisation des études et de la recherche, les problèmes d’organi­ sation en général47. Peng parle de la joie des étudiants chinois s’attendant à étudier à plein temps dans d’excellentes conditions matérielles, et indique qu’il ne cessa, pendant son séjour à Moscou, de souffrir de la faim, ce qui était le sort de la majorité dans le pays48. On devine à travers ses Souvenirs et ceux de Wang Fanxi qu’il y avait assez peu de confort en temps ordinaire et que ies étudiants dormaient dans de vastes dortoirs, que la préparation militaire était prise sur îe temps des vacances, avec un séjour d’un mois en caserne, et que l’hygiène laissait à désirer. Au total, toutes les écoles de la Comintem auraient donné une formation supérieure à 3 000 communistes environ, dont on ne saurait dire combien survécurent aux purges de îa fin des années 30. Nous ne prenons pas en compte ici les sections pour étrangers des écoles militaires, particulièrement l’Académie Frounze, qui en a formé quelques-uns. Le tableau est moins brillant pour les sections nationales, car la Comintem se refuse à subventionner leurs écoles centrales. Il y a celle de Bobigny, en France, la première et longtemps la seule, des projets souvent repoussés, rarement réalisés, en Tchécoslovaquie, en Allemagne, en Norvège, en Grande-Bretagne. L ’École internationale L énine

Les dirigeants prirent rapidement conscience que les universités existantes ne corres­ pondaient pas aux besoins des dirigeants à l’époque de la « boîchevisation ». C’est en mai 1926, après plusieurs échecs, que s’ouvrit, au 25a de îa rue Vorovskaïa, non loin de l’Arbat, dans un ancien pensionnat pour jeunes filles, doublé d’un bâtiment neuf de style stalinien, l’École internationale Lénine (ISL), qui allait se charger de la scolarité des cadres communistes internationaux. Elle eut pour recteurs Boukharine, puis Klavdia Kirsanova, compagne d’Iaroslavsky, Wilhelm Pieck, de nouveau Klavdia Kirsanova, Vlko Tchervenkov enfin et le Bulgare Mikhailov à Kouchnarenkovo pendant la guerre. La scolarité, d’abord de deux années, fut portée à trois, puis ramenée à deux. Il y avait cependant un cycle spécial court de neuf mois. Les étudiants ne se plaignaient pas de leur sort. Ils avaient chambre à quatre, puis deux, et tables de travail, une bonne cantine, beaucoup de liens avec le monde communiste de Moscou. Robrieux signale qu’on man­ quait de lavabos et d’installations sanitaires. Les étudiants recevaient une bourse substan­ tielle, équivalant au salaire d’un couple de travailleurs soviétiques49. Ils disposaient d’un manège et de chevaux qu’on pouvait monter, ce qui attirait des hôtes du Lux, dont Brandler 47. Voir le premier chapitre de l’étude d’A. Pantsov, « Les étudiants chinois en Russie soviétique », Cahiers Léon 1966, p. 7-32. 48. Peng Shuzhi, op. cit., p. 265-266, 49. C'est ce que dit Manouilsky, selon Babitchenko, « Die Kaderschulung für Komintern », Jahrbuchftir Kommu­ nismus forschung, 1993, p. 37-59. Wicks parle d’une somme équivalant à la moitié. De toute façon, ils étaient privilégiés. Trotsky, n° 57,

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De L’ACTIVITÉ POLITIQUE à L’ACTIVITÉ POLICIÈRE

pendant son long séjour50. La sélection était opérée par la direction des sections nationales, mais les élèves ainsi présentés avaient à subir un examen écrit sur la base de lectures établies par l’École. Nombre de dirigeants importants sont passés par là. Mais le niveau d'instruction est faible, et c’est voulu. Codovilla écrit à ce sujet au Vénézuélien Martfnez de la Torre, le 29 mars 1929 : « L ’élève doit être un ouvrier ou un paysan, qui connaît les quatre opérations élémentaires et a un esprit révolutionnaire éprouvé. Il doit bien se porter - le changement de climat pourrait lui nuire - et avoir entre vingt et trente-cinq ans51. » Le très faible niveau de scolarisation de la grande majorité des élèves posait de gros problèmes pédagogiques au staff des enseignants, pris dans les organismes centraux de la Comintern, et qui ne brillaient pas par leurs qualités d’enseignants, mais plus souvent par leurs qualités d’agitateurs. C’était d’ailleurs ce qui était nécessaire pour répondre aux exigences des axes prévus pour la formation : l’étude de l’histoire du PCR(b), de l’expé­ rience des bolcheviks et de la construction du socialisme en URSS, vus, on s’en doute, à partir de 1927, avec des lunettes staliniennes. Nous avons pris connaissance de trois témoignages, ceux du jeune Anglais Harry Wicks, du Français Albert Vassart et du Brésilien Heitor Ferreira Lima. Harry Wicks a passé deux années à l’école à partir de l’automne 1927, sous un pseudonyme, comme tous les élèves, lesquels remettaient leur passeport et changeaient d’identité pour la durée du séjour. Il s’appelait lui-même Jack Tanner et n’a identifié qu’un petit nombre de condisciples, à l’exception des Anglais qu’il connaissait déjà. Parmi eux, Jim Larkin fils, Anna Pauker, sa future femme, Vlko Tchervenkov et sa future femme, sœur de Dimitrov, l’Américain Joseph Cass (Kornfeder). Le séjour commençait par un stage en usine couplé avec des cours de russe. Wicks, à la fin de son séjour, lisait et parlait le russe couramment. Puis commençaient les cours, avec une répartition en quatre sections de langue, russe, français, anglais et allemand. Il y avait d’infinies possibilités de traduction. Le département de Wicks était dirigé par le Canadien Stewart Smith, élève de 3e année. Les enseignants étaient soit instructeurs, soit « professeurs rouges », chefs de département. Ainsi, celui d’histoire, pour qui Wicks eut beaucoup d’admiration, était le philosophe hongrois Laszlo Rudas. Isaak Mine dirigeait celui du léninisme. Les conférenciers ne manquaient pas, visiteurs notamment52. Heitor Ferreira Lima, pour sa part, cite l’enseignant d’économie L. Segal, pour qui il a beaucoup d’admiration, îe Polonais Maîecki, le Bulgare Kabak­ tchiev, le Russe Majorsky, qui enseigne l’histoire du PCR(b), et, parmi îes conférenciers, Losovsky et Boukharine53. Un des enseignements de l’école qui a le plus intéressé Wicks a été apparemment la préparation militaire. Il écrit : En plus des exigences académiques, on attendait de nous que nous participions à l’Ossoaviakhim (préparation militaire). Nous commencions par les armes de base. Un officier de l’Armée rouge dans un bel uniforme venait avec un assortiment d’armes courtes, russes et autres, et de mitraillettes, modernes et anciennes. Il les démontait, mélangeait les pièces et nous demandait de les remonter. Plus tard - et bien sûr c’était un peu particulier à l’École Lénine - nous passions à l’étude des insurrections, nous nous servions dejeux et de simulations ; nos exemples récents comprenaient la Russie, l’insurrection de Hambourg, celle d’Estonie, celle d’Irlande en 1916, etc. C’est dans ce contexte quej’ai connu Erich Wollenberg54. Il semble, d’après les éléments apportés par Leonid Babitchenko, qu’un effort fut 50. H. Wicks, Keeping my Head, p. 84. 51. RTsKhIDNI, F/495/218:6/9-l 1. 52. H. Wicks, op. cit., p. 86-88. 53. H. Ferreira Lima, op. cit., p. 84. 54. H. Wicks, op. cit., p. 90.

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décidé pour abandonner « les lunettes roses » et voir la réalité, y compris dans ses aspects négatifs. Sans doute essayait-on vraiment de former des cadres, mais cela n’allait pas jusqu’à leur laisser exposer les véritables propositions des « trotskystes ». Du temps de Wicks, les élèves gardaient une certaine indépendance dans l’expression de leurjugement. A la fin de la première année, Stewart Smith proposa une résolution dans laquelle il était dit que Trotsky était « objectivement révolutionnaire ». L ’Américain Cass (Komfeder) proposa un amendement pour faire disparaître cette affirmation ; iî n’obtint que deux voix, la sienne et celle de Wicksss. En revanche, la situation se détériora rapidement avec îa publication déjà mentionnée de îa lettre adressée par Staline à îa revue Proletarskaia Revoliuisia. A très juste titre inquiets, sinon effrayés, les enseignants et les chercheurs commencèrent à chercher un abri contre d’éventuelles accusations et le trouvèrent sous îe couvert de la multiplication de citations de Lénine et de Staline, ce qui n’avait pas exactement le résultat recherché quant à î’amélioration et î’élévation du niveau de l’ensei­ gnement. II y eut en 1934 une nouvelle tentative d’éiever le niveau en faisant appel à de bons enseignants, comme Arnold Reisberg, l’historien autrichien, ou Magyar et Safarov, mais elle tourna court avec la vague de répression de la fin de l’année, après l’assassinat de Kirov et les arrestations d’enseignants - dont deux précités. L ’École Lénine ne pouvait échapper à la société dont elle était le produit. Quand elle produisit des fruits, ce furent des fruits secs. Avec îes grandes purges et la mobilisation des étudiants contre les maîtres dénoncés, comme Reisberg, ce fut la décomposition morale totale56. La révocation de Kirsanova en 1937 et l’intronisation à sa place de Tchervenkov, un homme de Dimitrov, étaient le signe que l’École internationale Lénine était entraînée dans îe tourbillon stali­ nien. Son dernier directeur fut encore un Bulgare, Ruben Avramov, dit Mikhailov. Woîfgang Leonhard, dans ses Mémoires, nous a laissé une description intéressante de sa dernière année à Kouchnarenkovo. Combien d’élèves avaient suivi ses cours ? Entre 1926 et 1930, deux sources divergent, l’une indiquant 413, l’autre 560 personnes ; pour la période de 1926 à 1931, on est d’accord pour le chiffre de 903, et pour 1932-33, pour celui de 597. R éa c t io n s

d es o ppo sa n ts

Une dernière question se pose, celle des résistances rencontrées par cette transforma­ tion, à un moment ou à un autre, en nous en tenant à l’appareil russe et à celui de l’Internationale, une fois chassées îes grandes oppositions. Nous parlons ici de ceux de leurs membres qui ont compris qu’ils n’étaient pas sur la même ligne que la direction et qui se sont consciemment opposés à elle, d’une façon ou d’une autre, le plus souvent dans de petits groupes qui pouvaient passer pour des coteries amicales. En URSS, en règle générale, une conversation ou une autre ayant été dénoncée, les prétendus « com­ ploteurs » ont le plus souvent reconnu îe propos incriminé et essayé de le compenser par l’ardeur d’une autocritique approfondie qui avait pour but de désarmer l’éventueî délateur, nouveau ou aux aguets. Ceux qui résistaient - ils étaient rares - ont généralement disparu, les autres - ceux qui semblaient ruser - ont été laissés dans une liberté très surveillée par le GPU et entourés de mouchards, jusqu’à la prochaine arrestation. Relevons simplement que le début de la reconstitution de « groupes » ou de « cercles » s’accompagne d’une tendance, d’un désir d’unification des oppositions, comme nous l’avons remarqué précédemment. Cette intention nettement formulée de îa part d’hommes 55. Ibidem, p, 97.

56. H. Schafranek, « Die Internationale Lenin-Schule und der “Fall Reisberg” (1937) », Jahrbuch 1994. Dokumenten Archiv des ôsterreichische Widerstands, Vienne.

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qui venaient des quatre coins de l’horizon communiste éparpillé avait certainement une signification profonde, même si les coups de la répression ont fini par les museler défi­ nitivement. Sans doute faut-il aussi relativiser ici le sens du mot « capitulation ». Pour nombre de « capitulards », il s’agissait seulement de ce qu’ils appelaient entre eux une « capitulation tactique », c'est-à-dire formelle, permettant avant tout de poursuivre le combat et surtout de rester dans le parti pour y poursuivre ce combat, qui, pour la majorité d’entre eux, n’avait pas de sens au-dehors. Faut-il ajouter que certains de ceux qui tombèrent dans le piège des bureaucrates - mis en avant puis «jetés » sans vergogne, interrogés comme des suspects, traités comme des bandits - quittèrent « le parti » au premier prétexte, ce qui les entraîna parfois très loin ? Pas plus que Jacques Doriot, qui avait été un jeune communiste enthousiaste et courageux, n’était de tout temps destiné à mourir sous l’uniforme allemand des nazis, Henri Barbé ni Pierre Célor, qui avaient été de vaillants combattants ouvriers et antimilitaristes chez les JC, ne l’étaient à devenir doriotistes. Nous ne croyons pas en outre, quant à nous, que, s’ils devinrent tous deux catholiques avant de mourir, ce fut parce que la Providence avait utilisé la main de Staline pour les lui amener 1Ses voies, ici, se laissent facilement retracer. Ceux qui échappaient à la machine à broyer devaient lutter contre une atroce dépression, et la religion était la consolation de leur âme endeuillée - expression que nous choisissons délibérément pour ne pas sembler paraphraser Marx et sa fameuse analyse. L E RÉGIME DE L’AVENIR

Nous aimerions ajouter à cette séquence 1a description que donne l’historien et poli­ tologue Karel Kaplan du parti et de l’État tchécoslovaque des années 50, en un mot, de l’avenir que îes hommes dont nous venons de parler avaient préparé, et qui est à l’image de leur passé : Au commencement du pouvoir était le parti. Le Parti communiste qui savait exactement ce qu’il voulait : accaparer le pôle du pouvoir. Tout était subordonné à cet unique objectif. [..J Le noyau dur du Parti communiste était composé d’hommes de la Comintern qui déterminait îes orientations politiques. Formés à son école ils avaient assimilé ses idées et ses mœurs qu’ils transposaient dans la vie du parti et la politique en général. Gorgés d’une idéologie intolérante et d’opinions antidémocratiques, ils étaient mentalement incapables d’envisager une cohabitation démocratique avec d’autres courants politiques. Ils n’avaientjamais secoué le lien de subordination vis-à-vis de Moscou, ils étaient passés maîtres dans l’art de tout mettre en oeuvre pour conquérir et maintenir leur pouvoir. L’étude des procès politiques me permit de mieux connaître îa véritable essence du système57.

Il en vient à traiter de la subordination totale, aveugle, des dirigeants tchécoslovaques à Moscou, du réseau des « conseillers soviétiques », et surtout de l’existence et de l’action d’« un service international de sécurité, dirigé par Moscou et opérant dans les pays socialistes derrière le dos de leurs organes politiques58». Il s’attache ensuite à décrire l’arbitraire généralisé : « D’une part, très peu de familles n’ont pas eu à souffrir directe­ ment ou indirectement de l’arbitraire, sous les formes les plus variées. D’autre part, l’écrasante majorité de ces victimes étaient des ouvriers, des agriculteurs, des artisans ou des fonctionnaires [...]: l’arbitraire massif frappe justement les masses, donc les travail­ leurs59. » Nous sommes apparemment un peu hors du sujet, pourtant nous comprenons 57. K. Kaplan, Dans les archives du comité central, p. 97. 58. Ibidem, p. 103-104. 59. Ibidem, p. 139.

L a C om intern

stalinienne

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mieux en quoi et au nom de quels intérêts l’appareil du Parti communiste, son « noyau dur », depuis que Staline et la bureaucratie ont accédé au pouvoir, mène, pour schématiser à l’extrême, une politique de conservation de son pouvoir au détriment des intérêts et des aspirations des masses qu’il prétend représenter. Incontestablement, en dehors de cet aspect des choses, l’ensemble de la politique communiste relèverait de la simple psycho-

CHAPITRE XXÏX

La montée ouvrière de 1933-1934

La « pensée unique » a mis hors la loi non seulement les révolutions, mais aussi « les masses ». Dans le meilleur des cas, le spécialiste académique fronce îe nez en demandant' de quoi il s’agit et ce que sont ces « masses ». De temps en temps, pourtant, l’histoire en train de se faire, la vie, si l’on préfère, démontre une fois de plus leur réalité. L ’ é v e il

d es

« m a sses»

On peut parler de « masses » quand des millions d’individus, le plus souvent des travailleurs, qui forment la majorité du peuple, se groupent, se coagulent de telle sorte qu’ils sentent, pressentent, pensent et agissent de façon collective comme s’ils n’étaient qu’un seul. Il n’y a bien sûr de masses qu’en attente ou en action. Refuser de le voir, c’est évidemment se condamner à ne pas voir un facteur particulièrement puissant de l’histoire sans lequel, souvent, aucune explication n’est possible. C’est ainsi qu’à partir de 1933, après l’arrivée au pouvoir, sans combat, des bandes d’Hitler, les masses, qui avaient disparu de la scène politique européenne, y sont revenues en force, créant une situation entièrement nouvelle. Au fur et à mesure que les informations données de temps en temps par la presse, les témoignages des premiers réfugiés ont fait connaître la réalité concrète de la dictature hitlérienne - la portée du nazisme sur la vie de tous et de chacun -, très rapidement s’est imposée la compréhension de la nécessité absolue de résister. Des hommes ont commencé à comprendre que, même si la victoire n’était sans doute pas au bout de ce premier combat, c’était de toute façon pour le mouvement ouvrier une question de vie et de mort que de résister aux tueurs. Se manifeste tout d’abord, dans une minorité il est vrai, l’idée ou plutôt le sentiment qu’une défaite sans combat est insupportable et que le combat est absolument nécessaire, sinon pour la victoire immédiate, du moins pour la victoire finale, car il faut bien com­ mencer à se battre, à un moment ou à un autre. Dans un second temps s’impose la recherche des conditions politiques de la victoire, dont la première est, de toute évidence, pour tous et dans tous les pays, de mettre un terme à la division des rangs ouvriers, de réaliser au moins l’unité dans la résistance en action aux attaques de l’ennemi, « le fascisme ». L ’aspiration à l’unité s’est manifesté dans tous les partis, mais moins dans les

La m on tée o u v riè re d e 1933-1934

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PC, où les sentiments des travailleurs sont plus soigneusement contrôlés et bridés. Elle a été particulièrement vigoureusement exprimée par les jeunes ouvriers dans les organisa­ tions social-démocrates, comme le montrent les exemples autrichien et espagnol. On relèvera aussi que, au moment où les représentants de 1a Comintern répètent à satiété aux sections qu’il ne faut pas imiter les bolcheviks et refaire les mêmes erreurs, des groupes compacts de jeunes se tournent vers l’expérience bolchevique et y voient la réponse à toutes les questions qu’ils se posent pour en finir avec la dictature du capital et la menace du fascisme. Ce n’est pas pour autant qu’ils se dirigent vers les organisations de la Comintern ni qu’ils entendent leurs mises en garde. Ce n’est finalement que quand ces dernières auront opéré le tournant nécessaire pour garder le contact avec les masses et ne pas rester en arrière, loin derrière elles, en d’autres termes de changer pour survivre, qu’ils commencent à se diriger vers elles avec parfois le sentiment d’avoir à les remettre en marche. La réalité est que le mouvement de masses, à travers ce rapprochement, va être à son tour entraîné dans le rassemblement et l’idéologie antifasciste, qui n’étaient déjà plus exactement la réponse à leur aspiration initiale vers l’unité de combat. L a C o m in tern

et l a po u ssée d es m a sses

C’est ainsi que la Comintern, que le tonnerre de la catastrophe de la défaite sans-combat en Allemagne n’avait pas réussi à réveiller en janvier 1933, et qui avait clamé ensuite sa propre infaillibilité devant les décombres et devant sa propre faillite, a été obligée de tourner. Bien entendu, « tourner » ne signifie pas ici revenir à la politique du front unique définie par Lénine et les congrès de l’Internationale, jetée à la poubelle depuis longtemps, un rejet confirmé tous les jours dans îes années décisives de la montée d’Hitler. Un exemple suffira pour illustrer notre propos. Au début de 1934, la situation politique et sociale est extrêmement tendue au Portugal sous le gouvernement clérical autoritaire de Salazar. C’est encore la « troisième période » qui se manifeste dans la grande grève de îa verrerie de Marinha Grande, où dix usines emploient 5 000 ouvriers et où les commu­ nistes ont quelques membres. Le 18 janvier 1934, le syndicat national des travailleurs de la verrerie appelle à la grève générale. A l’initiative des communistes de Marinha Grande, des ouvriers attaquent le poste de police et proclament un « soviet » au nom de tous. Ils ne sont maîtres de la ville que de 2 heures du matin à midi. Les ouvriers, tous unis contre patrons et gouvernement, ne le sont pas pour défendre un organisme autoproclamé qu’on leur a imposé sans les consulter. Une fois de plus, l’ardeur unitaire des masses se brise contre les initiatives de division, imposant une politique et une orientation sans permettre aucun débat. Le dynamitage du grand barrage de Coimbra est aussi une action de type « troisième période ». « Tourner », pour îa Comintern et ses partis, signifie tenir compte des aspirations unitaires des masses et s’efforcer de ne pas les heurter de front, dans un premier temps, afin de les utiliser, dans un second temps, pour une autre politique, celle des fronts populaires. C’est uniquement pour la clarté de l’exposition que nous avons séparé en deux chapitres différents ces deux moments de l’histoire de la Comintern : la montée ouvrière en Europe, et ensuite le changement de cap de la politique de îa Comintern à travers îe V IF congrès et ses suites. Les deux phénomènes sont étroitement liés. La montée des masses a poussé au tournant de la Comintern, qui Fa imposé aux partis ; et le début de sa réalisation a accéléré et parfois modifié l’orientation du mouvement des masses, pro­ voquant de bizarres conversions et reconversions, comme l’alliance, contre les socialistes de gauche espagnols, du bloc des communistes, des républicains et des socialistes de droite, qui marqua les débuts du Frenîe popular. Nous aborderons ici ces questions à

628

D e L’ACTIVITÉ POLITIQUE À L’ACTIVITÉ POLICIÈRE

travers trois pays, deux où le mouvement communiste avait à peine réussi à mordre sur la social-démocratie et où ceîle-ci était donc beaucoup plus sensible à la pression des masses, et le troisième, la France, où la situation, analogue, avait aussi d’autres originalités. L a RÉVOLUTION CUBAINE1

L ’histoire cubaine a été marquée par le sentiment nationaliste, la haine de l’oppression impérialiste - espagnole puis américaine - et de ce fameux « amendement Platt » qui donne au gouvernement des États-Unis le droit d’intervention à Cuba. La crise économique va secouer très fort la dictature, jusque-là solide, du général Machado. C’est ce contexte qui est à l’origine de la mission à Cuba de l’adjoint au secrétaire d’État, Sumner Welles, à la recherche d’un apaisement pour éviter une conflagration continentale et qui multiplie les contacts avec l’opposition et les conseils au dictateur. Le coup d’envoi est donné par les chauffeurs d’autobus, en grève dès le 25 juillet. Les traminots suivent, avec les employés de commerce et les travailleurs des journaux. La grève est générale îe 4 août. Comprenant l’imminence et la nature du danger, Machado s’adresse aux dirigeants com­ munistes de la centrale syndicale, la CNOC, et leur propose reconnaissance et soutien s’ils mettent fin à la grève. Le leader communiste de la CNOC, César Vilar, est partisan d’accepter. L ’affaire vient devant le CC. Grobart est également partisan d’accepter la proposition. Le secrétaire général du parti, Jorge Vivo, qui résiste, est révoqué, et la proposition de Machado est acceptée. Martfnez Villena dénonce l’ingérence des envoyés de Moscou. C’est une explosion de colère chez les travailleurs. Les opposants communistes comme Sandalio Junco et Marcos Garcia Villareal, et bien d’autres responsables ouvriers, dénon­ cent la « trahison » de la direction officielle, désavouée aussi par les assemblées de grévistes. Au moment où une rumeur sur la démission du dictateur lance une foule inorganisée contre le palais présidentiel, F accueil policier faisant une vingtaine de morts, la grève reprend de plus belle. Machado s’en va aux Bahamas et le candidat de Sumner Welles devient chef du gouvernement. Ï1 ne le reste que quelques semaines, poussé dehors par le succès du manifeste-programme du directoire étudiant, par le choix des nouveaux responsables de l’ordre et finalement, le 4 septembre, par un soulèvement de la garnison de la capitale sous la «junte des Huit », formée de sergents et dont l’animateur est un homme de droite, Fulgencio Batista. L ’intervention des étudiants dans les casernes, la diffusion de leurs mots d’ordre transforment, comme l’écrit un auteur cubain, «une insubordination en une révolution ». G o u v er n em en t

r év o lu t io n n a ir e à

C u ba

Le gouvernement révolutionnaire est bâti autour du professeur Grau San Martin, adver­ saire de la dictature et champion des droits de l’homme, qui se révèle un politique, du nationaliste socialisant Antonio Guiteras et de Batista, modeste sergent mais froid calcu­ lateur devenu en quelques semaines « chefdes forces armées de la République ». Il connaît une très grande popularité, la plupart de ses dirigeants sachant, semble-t-il, exprimer les aspirations populaires au changement. Successivement sont adoptées la suppression de l’amendement Platt, c’est-à-dire le droit constitutionnel d’ingérence des Etats-Unis dans les affaires cubaines, la création d’un département du Travail, l’autonomie de l’Université, l’interdiction de l’importation de travailleurs de Haïti et de la Jamaïque, la « nationalisation du travail » obligeant les entreprises à employer au moins 50 % de Cubains. Viennent 1. Nous suivons ici L.E. Aguiiar, Cuba 1933, p. 128-148.

L a MONTÉE OUVRIÈRE DE 1933-1934

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ensuite la création d’associations de colons, le droit des paysans sur la terre qu’ils occu­ pent, l’annonce d’un programme de distribution des terres, la réduction massive des intérêts des prêts et la répression de l’usure, l’interdiction des partis autorisés sous Machado, le droit de vote des femmes, la baisse de 40 % des tarifs de l’électricité. Grau San Martin explique qu’il s’agit de « liquider la structure coloniale qui survit à Cuba depuis l’indépendance ». Mais il y a dans les états-majors beaucoup d’hésitants, aucun parti solide aux idées claires. Le directoire étudiant, en pleine crise, se dissout. Les mesures contre les compagnies américaines effraient les modérés, mais les ouvriers se mettent en grève pour appuyer. Guiteras propose un plan pour renforcer l’orientation gouvernemen­ tale : accélération du jugement des tueurs de Machado, application de toutes les lois révolutionnaires, épuration du gouvernement. Il propose de prévenir la naissance de kou­ laks, de créer des fermes coopératives. La réplique du PC consiste à affirmer que le gouvernement révolutionnaire est « un gouvernement établi par la petite-bourgeoisie et l’armée, un gouvernement qui défend les intérêts de la bourgeoisie, des grands proprié­ taires et des impérialistes ». Son seul succès ~ relatif - est remporté dans l’affaire du Realengo 18, territoire domanial occupé pendant îes années de crise par 50 000 familles et dont îes grandes compagnies de raffineries, dont îa puissante centrale anglo-américaine Ermita, réclament la restitution en vue d’une privatisation « rentable ». Les occupants sont organisés en un « comité noir » autour de Lino Alvarez avec îe soutien du PC, et ils ont finalement gain de cause. Par ailleurs, les travailleurs de cellule communiste de la centrale sucrière Mabay en Oriente, après que leur comité de grève a pris le pouvoir dans l’entreprise et la localité, décident de lancer un soviet dont l’inspirateur est le communiste Rogelio Recio. Pour le reste, le PC célèbre un soviet dans tout ce qui bouge et les drapeaux rouges qui flottent, proclame que « îa révolution sociale est en route ». Elle l’est, mais pas derrière lui, et les pronunciamientos de l’automne montrent qu’on ne va pas rejouer si vite et avec autant de simplicité le scénario triangulaire Kerensky-Komilov-Lénine. Dans Kommunist de décembre 1934, G. Sinani, le nouveau responsable de la Comintern pour l’Amérique latine, qui revient de Chine, pose le problème de la nécessaire chute du gouvernement de Grau San Martin. Si, comme beaucoup, nous nous laissions aller à personnifier l’Histoire, nous dirions que, malheureusement, elle l’entendit bientôt. En janvier 1935, un nouveau coup d’État de Fulgencio Batista chasse Grau San Martin, donne à l’ex-sergent îe pouvoir sans partage avec la protection des États-Unis et met fin à la révolution. Le PC continue sans avoir rien appris. LA CRISE AUTRICHIENNE

La situation de l’Autriche, que tant d’Autrichiens ne considéraient d’ailleurs ni comme un pays ni comme un pays viable, était très particulière. Iî y avait à îa fois polarisation et équilibre. Polarisation entre forces bourgeoises catholiques et grands propriétaires qui tenaient le pays rural, et forces social-démocrates qui tenaient les grandes villes. Blocage de l’évolution, qui faisait qu’en l’année Î933 on n’avait pas réglé îe problème posé en 1929 par l’acquittement de huit voyous assassins d’un ouvrier social-démocrate et de son fils de huit ans, l’explosion de colère des ouvriers de Vienne le 15 juillet 1927 après un article incendiaire de Friedrich Austerlitz dans le journal socialiste et la police tirant dans la foule des manifestants et laissant onze morts sur le pavé. Bien sûr, le dirigeant de ceux qu’on appelait les « austro-marxistes », Otto Bauer, était nettement plus à gauche que les social-démocrates allemands, mais sa stratégie de la défensive îe condamnait à d’inces­ sants reculs, alors que le nouveau chancelier Ignaz Seipel, prélat catholique, prélat sans merci, et son successeur Engelbert Dollfuss, ces « austro-fascistes », que nous préférons

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D e L’ACTIVITÉ POLITIQUE À L’ACTIVITÉ POLICIÈRE

appeler « catho-fascistes », ne pouvaient, pour survivre, que passer à l’offensive, contre les ouvriers ou contre les nazis proallemands. A l’été 1927, après la fusillade du 15 juillet, apparaît dans le Parti social-démocrate une nouvelle opposition de gauche. Celle-ci est animée par une jeune femme qui est aussi une grande ancienne, que nous avons déjà rencontrée. Ilona Duczynska avait apporté pendant la guerre aux ouvriers avancés de Budapest les informations sur Zimmerwald, Kienthal, les bolcheviks, et avait participé à la révolution hongroise. Elle avait ensuite travaillé à la Comintern avec Radek, puis rompu en même temps que Paul Levi et en solidarité avec lui. Mariée à Vienne, enseignante, elle reprit du service en 1927. Elle constitua son groupe, la Communauté de travail politique comme une opposition de gauche avec une base chez de jeunes étudiants et intellectuels, des ouvriers de Florisdorf et un groupe de Schutzbiindler (les miliciens de la Garde ouvrière) de Favoriten. Elle était très attachée à l’indépendance du Schutzbund par rapport au parti. Elle fut exclue du parti en 1928. La jeunesse commença à faire pression sur la gauche. Vienne est alors une ville d’avant-garde, par le style de vie, les cadres qu’elle invente, l’art, les recherches sur la psychanalyse et la sexualité. Les problèmes de la jeunesse y ont une grande place. Le militant socialiste Emst Fischer publie en 1931 un livre retentissant sur la Crise de la jeunesse, analysant les dégâts non matériels de la crise chez les jeunes. En 1932, c’est précisément Emst Fischer qui apparaît comme l’un des premiers animateurs d’un nouveau réseau d’« opposition de gauche », intellectuels, ouvriers, permanents du parti et surtout jeunes gens. Elle joue un rôle important quand le chancelier Dollfuss brise très brutalement la grève des cheminots puis ferme tout simplement le Parlement. H fallait réagir. Otto Bauer et sa majorité choisissent de ne pas le faire. Il expliquera plus tard : Nous aurions pu riposter le 15 mars en appelant à une grève générale. Jamais les conditions du succès d’une grève n’avaient été meilleures. La contre-révolution qui atteignait juste son plein développement en Allemagne, avait soulevé les masses autrichiennes. Les masses de travailleurs attendaient notre signal pour se battre. [...] Nous aurions pu gagner, Mais nous avons reculé, en plein désarroi, devant le combat [...], nous l’avons reporté parce que nous voulions éviter au pays le désastre d’une sanglante guerre civile2.

Cette politique est très mal accueillie, et nombreux sont les militants et cadres, surtout jeunes, qui demandent que le parti et le Schutzbund se préparent à combattre : il ne faut pas renouveler l’exemple allemand. On ignore si la lettre ouverte envoyée par Trotsky aux opposants de gauche, les invitant à manifester sans souci de la discipline s’ils ne sont pas prêts à capituler sans combat devant leur fascisme, trouve sa réponse dans le manifeste d’août, qui proclame précisément cette volonté de se battre. Le congrès du parti se réunit en 1933 dans une atmosphère déprimante de lendemain de défaite - îa victoire hitlé­ rienne -, de répression et d’interdictions inspirées à Dollfuss par la constante pression de Mussolini : le Schutzbund est dissous, la presse est hachée par îa censure, les militants sont arrêtés pour des vétilles. L ’atmosphère du congrès est irrespirable. Au même moment, en outre, des districts entiers sont en état de révolte et ne reconnaissent aucune directive du centre du parti. Évoquant la circulaire du parti qui a prescrit de n’opposer aucune résistance à la dissolution du Schutzbund îe 31 mars, îe leader du Parti social-démocrate à Linz, Richard Bemaschek écrit : « Quand vint, le 31 octobre, l’ordre ahurissant de ne pas résister, les Schutzbiindler s’agitaient, le visage rouge de honte. Mais ils sauvaient leurs armes et brûlaient les documents3. » Les ouvriers autrichiens et particulièrement les 2. Cité par A. Rabinbach, The Crisis ofAustrian Socialism, p, 9L 3. Ibidem, p. 93.

L a m o n tée o u v riè re de 1933-1934

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plus jeunes d’entre eux sont littéralement révoltés par la politique de leurs dirigeants sociaux-démocrates, dont iis pensent maintenant que, comme les Allemands, ils se sont engagés sans retour dans la voie de la capitulation sans gloire et de la défaite sans combat. Le

p r e m ie r co m bat

Le 5 février 1934, les gens de l’opposition de gauche se réunissent chez Ernst Fischer. L ’historien Rabinbach raconte, d’après les souvenirs de Karl Mark : « Ils étaient d’accord que la lutte finale ne saurait tarder à éclater et que, si elle éclatait dans la semaine, elle serait évidemment vouée à l’échec mais pas dénuée de sens. Le fait même que la classe ouvrière autrichienne ne permît pas au fascisme de vaincre sans résistance serait un acte d’une importance symbolique incommensurable pour l’ensemble du mouvement ouvrier européen4. » C’est finalement le gouvernement catho-fasciste qui a tranché le nœud gordien par l’attaque et la provocation. Le 11 février 1934, en effet, le secrétaire du parti et chef du Schutzbund de Linz - qu’il a totalement fusionnés -, Richard Bernaschek, envoie une lettre à trois dirigeants du parti où il leur annonce que si, comme on le dit, des perquisitions commencent îe lendemain en Haute-Autriche et si des membres du parti, en particulier des Schutzbündler, sont arrêtés, on résistera par la force et on utilisera les armes. La décision est irrévocable. Il semble bien que la police ait capté îes conversations téléphoniques provoquées par cette lettre entre dirigeants à Vienne et qu’on ait en conséquence décidé d’attaquer du côté catho-fasciste. Dans la nuit du U au 12 février, une cinquantaine d’hommes du Schutzbund sont dans l’hôtel Schiff, quartier général du parti où ont été cachées les armes. Quand la police se présente, elle ne trouve que Bernaschek et un autre dirigeant local, qui tentent de se défendre avec leurs revolvers mais sont rapidement maîtrisés. Au moment où la police approche du cinéma où sont stockées les armes, îes Schutzbündler, jusque-là dissimulés, ouvrent le feu. Partout en Autriche les combats éclatent à peu près au même moment selon le même scénario de la prétendue perquisition. C’est un combat inégal. Les rues sont vides. Il n’y a pas îes foules ouvrières qui entourent, poussent, parfois protègent les combattants. Beaucoup de militants sont devenus sceptiques, se sont décou­ ragés. Beaucoup n’y croient pas et se demandent à quoi bon. Les Schutzbündler sont écrasés par le nombre de leurs adversaires et leur armement. Les chiffres officiels leur attribuent 196 morts et 319 blessés, ce qui est très inférieur à la réalité. Neuf militants, dont le jeune cordonnier Karl Münichreiter, collaborateur d’Ernst Fischer, arraché de son lit d’hôpital pour être exécuté, et Kolloman Wallisch, rescapé de la révolution hongroise de 1918, sont pendus. La répression est très dure. On ignore le nombre d’années de prison distribuées et le nombre d’exilés volontaires. B ila n

d ’u n e r ésist a n c e

Beaucoup de commentateurs parlent de combats inutiles, de défaite des combattants du Schutzbund. C’est très exactement le contraire qui est vrai. Ce combat, comme l’avait prévu l’Opposition de gauche, a eu un sens, celui de montrer qu’on pouvait et qu’on devait se battre, et que la politique de capitulation n’était pas inscrite dans le déroulement des événements. Il n’est pas le dernier combat de la lutte contre le fascisme, mais le premier d’une longue série après la victoire hitlérienne. Ce combat justifie tous ceux qui, en Autriche comme en Allemagne, ont, tel Remmele en janvier 1933, tenté de mobiliser les travailleurs et les groupes armés pour un combat qui eût pu n’être aussi qu’un baroud 4. Cité par A. Rabinbach, op. cit., p. 187,

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DE L’ACTIVITÉ POLITIQUE À L’ACTIVITÉ POLICIÈRE

d’honneur mais aurait peut-être changé ia face du monde. Il est également frappant que l’initiative de l’affrontement et de la résistance armée soit venue de jeunes ouvriers sociaux-démocrates et non pas communistes, démontrant ainsi la place des premiers dans la lutte antifasciste et faisant justice des calomnies antisocialistes. Leur majorité va pour­ tant se tourner vers les communistes. Les combats armés de Vienne répondent positivement à la première question posée dans tous les pays du monde menacés par le fascisme : on peut lutter contre lui les armes à la main. Elle laisse intacte la question essentielle : seuls de jeunes ouvriers que leurs dirigeants ont isolés des masses se sont battus. La grande masse s’est abstenue, non qu’elle ne se sentait pas concernée, mais parce que toutes les décisions avaient été prises pour elles, à sa place, par des dirigeants qui avaient démontré qu’on ne pouvait attendre d’eux aucun succès. C r is e

dans l e

PC

fr a n ç a is

?

Pendant la période qui s’est écoulée depuis îa victoire hitlérienne, ia situation du PCF est loin d’être bonne. Il est non seulement complètement isolé et attaqué de tous côtés, y compris de l’intérieur, mais aussi plutôt mal vu à Moscou. Sous cet angle, Serge Wolikow résume fidèlement la longue résolution adoptée îe 1er avril 1933 par le présidium de la Comintem : [Le PCF] est mis en accusation devant les instances de rintemationaie qui critiquent les erreurs opportunistes de sa direction. Les responsables de l’organisation, de la propagande, et même le secrétaire général, Maurice Thorez, sont explicitement critiqués pour leur absence de fermeté dans leurs rapports avec les socialistes, qu’ils auraient ménagés, et face aux critiques, comme aux interrogations, qui visaient les faiblesses du Parti communiste allemand5.

La roue va pourtant rapidement tourner. Dans un article consacré au tournant du PCF en 1934, l’historien Philippe Robrieux commence par une fresque qui est comme un miroir à deux faces de la politique du Parti communiste français. Il écrit : 1934, au printemps, la Comintem et sa section française continuaient à dénoncer comme autant de traîtres à la cause du prolétariat tous ceux qui, à l’instar de Trotsky, osaient proposer, contre îe nazisme ou le fascisme, la moindre alliance tactique avec un Parti socialiste qu’ils qualifiaient systématiquement de « social-fasciste ». Comme l’avait fait la section allemande face à la « résistibîe » ascension de Hitler vers îe pouvoir, Comintem et parti français persistaient à proclamer que fascistes et socialistes étaient « frères jumeaux », mais ne cessaient de s’appliquer à « porter le coup principal contre le parti socialiste » et la démocratie républicaine que ce dernier prétendait défendre. En cette même année 34, pourtant, avant que l’été ne se fût avancé, le PC français exprimait solennellement sa volonté de s’entendre à n’importe quel prix avec les socialistes contre les fascistes. A l’entendre, du même coup, il fallait désormais d’abord et avant tout sauver îa démo­ cratie qui était jusque-là à détruire en priorité. Depuis des années, les chefs du Parti communiste français flétrissaient la CGT de Jouhaux, en laquelle ils ne voulaient voir qu’une pure et simple ligue de mercenaires à la solde des capitalistes. Subitement, au même moment, ils se mirent à militer pour le retour de leur CGTU au sein d’une CGT que Jouhaux ne pouvait que continuer à diriger. Us avaient anathématisé le Parti radical, le parti du grand capital : ils n’avaient maintenant de cesse de s’allier avec lui dans ce qu’ils nommaient depuis le début de cet été-là le front populaire. Jusque-là, ils étaient totalement antimilitaristes et antipatriotes, et les militants qui îes suivaient dénonçaient violemment le drapeau tricolore, La Marseillaise, l’armée, ses maréchaux, ses grades, 5. S, Wolikow, Le Front populaire en France, p. 53.

La MONTÉE OUVRIÈRE DE 1933-1934

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ses galonnés et toutes ses « gueules de vaches » [appellation populaire des officiers et sousofficiers, PBj, ainsi que l’État, la magistrature, l’Église et ses prêtres. Avant peu, les mêmes militants allaient devoir tendre la main aux curés et revendiquer Jeanne d’Arc et Rouget de Lisle tandis que la véhémente rubrique antimilitariste de L ’Humanité et de L ’Avant-Garde qui clouait îes GDV [gueules de vache], au pilori allait se dissoudre en un pâle propos républicain Dans les derniers jours de 1933, à Moscou, devant les responsables de îa Comintern, le même Thorez, le jeune secrétaire politique du PCF, avait été bafoué par le lieutenant de Staline, Manouilsky ; ce dernier étant allé jusqu’à îui asséner qu’il était « trop servile pour devenir un véritable dirigeant ». A Moscou toujours, moins de deux ans après, au V IIe congrès, le même Thorez était couvert d’honneurs. Assis à la droite de Staline, [...] « Maurice », rayonnant, accédait aux privilèges du culte de la personnalité que Staline réservait aux happy few qu’il avait lui-même sélectionnés6.

Tout commence pourtant en 1933 par de graves conséquences d’une terrible secousse. Deux des membres du bureau politique, Jacques Doriot et André Ferrât, ont exprimé leurs doutes au sein de cet organisme quant à la justesse de la ligne face à Hitler. Le deuxième a certes fait son autocritique, mais en fait il reste insoumis et envisage de s’engager dans une lutte contre la Comintern. Il tâte le terrain avec des alliés possibles, Jacques Doriot, qui l'inquiète par son cynisme et qu’il soupçonne d’avoir de bonnes relations avec Pierre Laval, son voisin comme maire d’Aubervilliers, Georges Kagan, le Polonais adjoint de Fried, représentant de l’exécutif à Paris. Un autre dirigeant élevé du parti, le responsable de F appareil clandestin, dont il est F un des secrétaires, Albert Vassart, a, lui aussi, des doutes et des contacts discrets avec Jacques Doriot. Il s’est jusqu’à présent abstenu car iî croit que îa Comintern va opérer un tournant à son X IIIeplénum. La déception est rude. Non seulement la Comintern affirme avoir toujours eu raison, mais elle exige de Thorez une autocritique en règle sur « la sous-estimation du rôle du Parti socialiste et de la CGT comme agents de l’influence de la bourgeoisie impérialiste dans les rangs de la classe ouvrière » et le fait que, sur ce point, « la ligne de l’Internationale communiste » soit souvent « remise en question », y compris à la direction. C’était la première mesure contre les semi-opposants. La seconde est une réorganisation. Vassart est appelé à Moscou pour remplacer Marty, qui se substitue à Ferrât à la tête de L'Humanité. Monmousseau est appelé à la Profintern. Ainsi Vassart et Doriot sont-ils séparés, Ferrât isolé, coupé des contacts qu’il avait aujournal central, Monmousseau mis à l’abri des pressions extérieures. Manouilsky et ses collaborateurs espèrent avoir tué ainsi dans l’œuf, pour survivre, le « groupe d’opposition » dont ils craignent la naissance. « Les masses » en décideront autrement par leurs réactions dans la crise française. C r is e

po lit iq u e en

F ra n ce

La France vit alors les semaines décisives de l’affaire Stavisky. Ce financier escroc a été trouvé mort, officiellement suicidé, dans îe chalet où il s’était caché. L ’homme a compromis plusieurs politiciens, notamment radicaux, et l’agitation des organisations d’extrême droite - qu’on appelle « les ligues » - contre les parlementaires sur le thème « A bas les voleurs » atteint son apogée. Cette agitation fascisante qui se rend peu à peu maîtresse de la rue jouit à Paris de l’appui agissant du préfet de police Jean Chiappe, qui apparaît à beaucoup comme la cheville ouvrière d’un complot pour l’instauration d’un régime autoritaire balayant la république parlementaire. Il en faudrait plus pour émouvoir la direction du PC. Au comité centrai du 24 janvier, Thorez assure que, s’il faut noter les 6. Ph. Robrieux, « 1934, on tourne à Moscou », Cahiers Léon Trotsky, n° 27, p. 7-8.

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progrès réalisés par « les partis ouvertement réactionnaires et de tendance fasciste », iî n’en demeure pas moins que « tous les partis de la bourgeoisie, y compris îes fractions de la social-démocratie, coopèrent à l’œuvre de fascisation ». Il n’y a, selon lui, aucun accord à rechercher avec ces « ennemis » que sont les dirigeants du Parti socialiste. Cette fois, il y a désaccord ouvert. Doriot - qui est sans doute déjà intervenu îà-dessus au bureau politique - prend la parole pour proposer de « compléter » îa tactique du front unique par des « propositions opportunes au sommet » : pour lui, il existe un danger fasciste réel. Il vote contre la résolution et Ferrât s’abstient, pour ne pas voter comme Doriot, nous dira-t-il plus tard. La rue va bouleverser la nouvelle donne. Un gouvernement Daîadier, qui vient d’être investi, décide d’attaquer îe mal à la racine et révoque le protecteur des Ligues, le préfet de police Jean Chiappe. Les Ligues décident de riposter par une manifestation organisée par l’Union nationale des anciens combattants, nationa­ liste et réactionnaire. L ’ARAC, organisation d’anciens combattants contrôlée par le Parti communiste, appelle ses adhérents à y participer. L es

t r o is jo u r n ées d e f é v r ie r

Daniel Guérin écrit dans ses Souvenirs : « Dans la soirée du 6 février 1934, le fascisme fait son apparition au cœur de Paris7. » La manifestation des Ligues tourne en effet à l’émeute. Une importante fraction des manifestants essaient de s’ouvrir un chemin vers la Chambre des députés, sur la place de ia Concorde. Les gardes mobiles, débordés par l’agressivité des manifestants, dont beaucoup sont armés, tirent, en abattant plusieurs. Doriot et Renaud Jean, à la Chambre des députés assiégée, s’adressent à Thorez, lui demandent de lancer un appel à la classe ouvrière pour qu’elle agisse et que commencent aussitôt des négociations avec la direction du Parti socialiste. Plusieurs milliers de com­ munistes de Saint-Dénis marchent du rond-point des Champs-Élysées au faubourg Mont­ martre, contre les Ligues. Un peu après minuit, à l’issue d’une réunion dramatique de leurs commissions exécutives, les fédérations socialistes de la Seine et de îa Seine-et-Oise, animées par Marceau Pivert et Jean Zyromski, socialistes de gauche, décident une mani­ festation pour le 8 et viennent proposer au PC de l’organiser ensemble. Aux uns et aux autres, au nom du PC, Maurice Thorez répond non. Les décisions de îa Comintem interdisent tout contact et donc toute entente avec les dirigeants social-fascistes. L’Huma­ nité du lendemain le dit à sa manière : « Contre les fascistes, contre la démocratie qui se fascise, Paris ouvrier a riposté8. » Il y a déjà douze morts et pîus de 200 blessés. Le LENDEMAIN DE L’ÉMEUTE ; DU 6 AU 12 FÉVRIER En fait, l’émeute a gagné. Daladier démissionne. II est remplacé par l’ancien président de la République Gaston Doumergue, qui prend la tête d’un cabinet où figurent toutes les gloires d’un éventuel régime autoritaire, du maréchal Pétain à André Tardieu et Pierre Laval. Son programme est simple : révision de la Constitution, instauration d’un régime fort. La situation se tend immédiatement. Réunie d’urgence, îa commission administrative de îa CGT décide d’appeler à la grève générale pour le 12 février. Devant cette initiative et le refus communiste de participer à la manifestation du 8, les fédérations socialistes de la région parisienne renvoient au 12 leur manifestation du 8, que le gouvernement vient d’interdire, ainsi que celle que le PC a annoncée pour le 9. Le bureau politique du PC, également réuni l’après-midi, s’entend proposer par Thorez de maintenir malgré l’inter7. D. Guérin, Front populaire, révolution manquée, p. 66. 8. L'Humanité, 7 février 1934.

La MONTÉE OUVRIÈRE DE 1933-Î934

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diction îa manifestation du 9, et qu’aucun des membres de la direction n’y participera, les menaces d’arrestation exigeant son passage dans la clandestinité. Jacques Doriot proteste énergiquement contre le fait que la direction engage les travailleurs communistes dans des combats d’où elle est elle-même absente. Philippe Robrieux fait état, d’après les souvenirs d’Adrien Langumier, de la révolte qui secoue militants et cadres du PC : [Doriot] ne fut pas suivi et demeura, apparemment du moins, quasiment isolé dans son oppo­ sition déclarée. Il n’en fut pas de même le soir, dans la grande salle de la Grange-aux-Belles où les membres du parti de ia région parisienne avaient été convoqués par la direction : « Thorez avait évoqué la lettre des socialistes et repris ensuite ses accusations habituelles contre leur parti, rejetant leurs propositions d’action commune. [...] Doriot et Renaud lean s’étaient levés et s’étaient prononcés pour une réponse favorable. Rendus tout à fait convaincants par “la menace fasciste” qui semblait grandir encore, leurs arguments furent simples et directs. Ils expliquèrent tous les deux que “refuser l’union” serait une erreur et une faute dont les travailleurs risqueraient de faire les frais. Leurs interventions portèrent et “une grande partie de la salle” commença à montrer qu’elle “partageait leur point de vue". Déjà en difficulté, la direction se trouva très vite débordée. Non seulement il n’y eut pas de vote, mais la résolution se termina dans la confusion9. »

Sur la manifestation du 9 février, nous retiendrons le témoignage de Daniel Guérin, alors socialiste, qui y participa : Pendant cinq heures, de 7 heures à minuit, nous nous battons violemment avec les flics. Nous dressons un peu partout des barricades et échangeons avec la police force coups de feu. L ’émeute fait tache d’huile jusqu’aux faubourgs ouvriers du XXe. Dans les ruelles avoisinant les rues de Belleville et de Ménilmontant, on se bat furieusement : charges et contre-charges. J ’ai l’impression à 1a fois excitante et un peu terrifiante que ce quartier, qui m’est si familier, a repris son visage du temps de la Commune. Le bilan est lourd, six morts, plusieurs centaines de blessés. Les combattants ont fait preuve de courage. Par ce baroud d’honneur, le Parti communiste se flatte à la fois de racheter son inconduite du 6 février et de prouver l’inutilité du front unique à la tête10.

Robrieux raconte, toujours d’après Langumier : A la fin de la manifestation, dans un café du boulevard Sébastopol, au milieu de maires et de conseillers généraux du parti, Doriot, qui avait perdu dans la bagarre son écharpe de député et qui saignait encore du visage, dénonçait, avec le succès que l’on imagine, les « lâches » [...] qui, disait-il, après avoir envoyé les travailleurs au casse-pipe, avaient disparu pour se mettre à l’abri.

La popularité de celui qui apparaissait déjà au su et au vu du parti militant comme le chef de file de l’opposition unitaire s’était encore accrue dans des proportions fantastiques, avec tout ce que cela entraînait comme risque supplémentaire pour une direction qui avait disparu au moment du danger et se retrouvait du coup sévèrement jugée par la base militante n.

C’est dans cette ambiance chargée de poudre que, débordée en province et risquant de l’être à Paris, la CA de la CGTU décide d’appeler à la grève générale le même jour, 12 février, que la CGT. Cette décision ouvre la voie à un événement considérable sur lequel nous citons encore Daniel Guérin : L ’après-midi du 12, en pleine grève, les socialistes ont organisé une manifestation au cours de Vmcennes. Les communistes, tempérant enfin leur hargne sectaire, décident de s’y rallier. Une marée humaine déferle sur la place de la Nation. C’est le premier des rassemblements gigantesques qui marqueront l’âge dit du Front populaire. Le cortège communiste tourne autour du rond-point dans un sens et le cortège socialiste dans le sens contraire. Quand ils se rencontrent, leurs flots 9. Ph. Robrieux, loc. cit., p. 18-19. 10. D. Guérin, op. cit., p. 72. 11. Ph. Robrieux, loc. cit., p. 19.

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se rejoignent, se fondent au cri de « Unité ! ». Leur masse avance maintenant en rangs serrés sur toute la largeur du cours de Vmcennes, chantant L’Internationale. Quant à chacun de nous, fétus de paille au milieu de cet océan, la confiance nous gonfle la poitrine. Enfin, pour la première fois, nous agissons ensemble. Ce dont le mouvement ouvrier allemand s’est révélé incapable jusqu’à la dernière minute contre Hitler, nous venons, nous, de le faire. Les fascistes et leurs complices peuvent s’amuser à allumer des incendies sur nos places publiques : ce sont là jeux de gamins. Nous venons de prouver que nous sommes capables de paralyser toute la vie du pays. [...] Nous découvrons que nous sommes forts12.

D o r io t

et l ’O ppo sit io n u n it a ir e

L ’attitude courageuse de Doriot dans îes combats de rues du 9, sa prise de position sans ambiguïté pour le front unique entre socialistes et communistes font de lui îe leader de l’opposition « unitaire » à îa politique suicidaire dictée par la Comintern, un dirigeant qui pourrait même devenir un drapeau international Dans un grand meeting au théâtre de Saint-Denis, dont il est maire, il fait acclamer par la fouie les mots d’ordre de « Une seule classe ouvrière, une seule CGT, un seul parti ouvrier » et fait élire un « comité de vigilance antifasciste » dont il veut faire « îe comité dirigeant des opérations de la classe ouvrière de Saint-Denis contre le fascisme ». Il appelle à créer partout des comités de ce type. D écrit une « Lettre ouverte à rintemationaie communiste » qui fait le procès de la politique de la Comintem et présente une défense et illustration de la nécessaire politique de front unique. Mais il ne recule pas devant les contradictions : critiquant l’unanimité en usage dans le PC, il crée dans L’Emancipation une tribune de discussion qui ne publiera aucun article émanant de ses adversaires ! La politique qu’il propose n’est certes pas toujours parfaitement cohérente. Dans l’appa­ reil, des hommes proches de ses analyses, comme André Ferrât et Albert Vassart, sont inquiets des bonnes relations qu’il entretient avec son voisin le maire d’Aubervilliers, Pierre Laval, s’inquiètent d’un cynisme grandissant qu’il ne dissimule plus. Jacques Doriot n’est plus le jeune communiste enthousiaste que l’on a connu, ni le héraut de l’unité ouvrière que d’aucuns imaginent : le laminoir de la cour de Moscou lui a rogné les ailes, son atmosphère l’a corrompu et son expérience a sapé son moral. Il conserve certes un véritable charisme dans son fief. Mais seul îe rayon voisin de Saint-Ouen, avec Henri Barbé, approuve le soutien que lui accorde le rayon de Saint-Denis. De la direction « large », seul le représentant du parti à la tête de l’ARAC, Guy Jerram, le soutient. De vieux communistes déjà cités dans ce travail, Marcel Body, Amédée Dunois, Alfred Rosmer, ont cru à la possibilité, à travers son action, de la libération de pans entiers du Parti communiste de l’influence stalinienne. Trotsky insiste pour que ses camarades de France prennent contact avec Doriot. Ainsi Gérard Rosenthaî et l’Italien Pietro Tresso (Blasco), qui l’a rencontré dans les congrès de la Comintem, vont-ils lui rendre visite à Saint-Denis et s’informer sur ses perspectives. Il révèle ses faiblesses sur le plan de la compréhension « politique » des problèmes auxquels il s’attaque quand il fait dire à son journal de Saint-Denis L ’Émancipation qu’on a « corrigé » à juste titre îes vendeurs d’un journal « trotskyste », ou quand il assure que ce groupe n’a aucun avenir faute d’avoir dans ses rangs ou à sa tête « un homme de masses ». C’est là poursuivre la politique de « division » de l’appareil de Staline au moment où lui-même proclame qu’il faut un nouveau « Congrès de Tours » ! Les efforts du PCF à l’époque pour l’assimiler aux trotskystes et gagner ainsi l’appui de ia Comintem stalinisée ne peuvent constituer un 12. D. Guérin, op. cit., p. 72-73.

LA MONTÉE OUVRIÈRE DE 1933-1934

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argument en sa faveur. Dans la mesure où les militants trotskystes se révélaient depuis îes journées de février comme particulièrement efficaces dans la lutte pour la constitution de comités de front unique, il est bien évident que les attaques de Doriot contre eux ne pouvaient être interprétées comme un signe d’honnêteté politique et d’attachement au front unique. En tout cas, la discussion devient publique à partir du 6 avril, où Thorez, dans L’Humanité mentionne « la conception opportuniste » du « camarade Doriot », ce dernier ripostant le 7 par un article intitulé « Saint-Denis et la discussion du parti ». D o rio t ro m pt

a v ec

M o sco u

Albert Vassart, arrivé à Moscou dans la seconde quinzaine d’avril, découvre avec stupeur qu’il y a chez les dirigeants de la Comintern non seulement un intérêt tout neuf pour îa section française, mais une réelle compréhension de la nécessité d’un tournant vis-à-vis des socialistes, non que cette politique apparaisse comme l’objectif à atteindre, mais tout simplement parce que l’opposition à l’unité va contribuer à isoler plus encore le Parti communiste, et donc îa Comintern en France. Au cours d’une réunion restreinte de îa commission politique, Vassart révèle la conversation qu’il a eue avec Doriot, lequel lui a dit que, s’il était convoqué à Moscou, iî se rendrait à l’invitation de l’exécutif. Manouilsky lui demande aussitôt d’expédier lui-même à Paris au bureau politique, à Thorez et à Doriot, le télégramme suivant : « Nous considérons nécessaire de cesser îa lutte intérieure dans le parti. Envoyez Thorez et Doriot ici. L’Internationale communiste examinera le désaccord fractionnel dans le parti français. Informez-nous quand ils parti­ ront13, » Ainsi Thorez et Doriot sont-ils placés sur le même plan, ce qui ne laisse pas de surprendre et permet à Philippe Robrieux d’avancer l’hypothèse d’un « piège » destiné à attirer Doriot à Moscou. Doriot ne se rend pas à cette invitation. Le 10 mai, quatrejours après sa réélection au conseil municipal de Saint-Denis, dont il avait démissionné pour obtenir l’approbation de ses électeurs, il reçoit un autre télégramme : « Avez-vous l’inten­ tion de venir à Moscou, étant convoqué par le comité exécutif de l’Internationale com­ muniste ? Répondez par oui, ou par non14. » Sa réponse est publique : « Je veux aller discuter avec les dirigeants de l’IC d’égal à égal. Je ne veux pas me rendre à Moscou en bourgeois de Calais, en chemise et la corde au cou. J ’irai à Moscou quand les chefs de l’IC auront désavoué ou rectifié les calomnies et les mensonges qui depuis trois mois sont répandus sur mon compte dans la presse du parti et par îes militants du comité centralI3. » Au présidium de l’IC, 1e 16 mai, Manouilsky prend acte : « H a pour ainsi dire rompu avec TIC, il a abusé de la confiance des ouvriers et par conséquent il faudra mettre au premier plan dans notre travail la conquête de Saint-DenisI6. » Le

to urn a n t

Après la rupture avec Doriot, la Comintern prend vis-à-vis des socialistes le tournant (dont nous traiterons dans le chapitre suivant) qui n’était pas encore pris à l’époque de la venue de Thorez et du refus d’obtempérer de Doriot. Les recommandations de la Comintern sont déjà clairement exprimées dans une lettre envoyée de Moscou par Vassart le 11 juin en vue de la conférence du PC. D faut arrêter les attaques contre les socialistes 13. A. Vassart, cité par A. et C. Vassart « Moscow Origins of the Popular Front », in Drachkovitch Lazitch, Comintern Historical Highlights, p. 244.

14. J.-P. Brunet, Jacques Doriot, p. 161. 15. Ibidem. 16. Cité par J.-P. Bruneî, op. cit., p. 163.

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D e L’a c tiv ité p o litiq u e à L’ACTIVITÉ p o l ic è r e

et ne plus hésiter à s’adresser à leurs dirigeants avec des propositions concrètes de lutte en commun. Les négociations menées pendant cette période sont à plusieurs reprises près d’être rompues définitivement. Les socialistes exigent en effet que cessent dans îa presse communiste les attaques contre eux, et les communistes disent que c’est leur droit de critique qui est ainsi mis en cause. La pression de l’aile gauche du Parti socialiste sur ses dirigeants, îes exigences fermes de i’exécutif de îa Comintern sur ceux du PC obligent finalement les uns et les autres à aboutir. Le 27 juillet est enfin signé le pacte d’unité d’action entre le Parti communiste et le Parti socialiste SFIO. C’est dans ces conditions, très nouvelles, que se développent les actions unitaires organisées contre les ligues d’extrême droite. Elles donnent lieu à des mobilisations massives et parfois, comme à Limoges et à Grenoble, à de vrais combats de rue, avec construction de barricades, ripostes à des initiatives ressenties comme des agressions, par exemple la venue en province d’orateurs particulièrement virulents, tel Philippe Henriot, ou de manifestations des organisations tenues pour fascistes, quel que soit leur nom. La lutte contre le fascisme est maintenant devenue en elle-même l’un des facteurs de la radicalisation ouvrière. La France commence à son tour à vivre une ambiance de guerre civile. Tout indique d’ores et déjà que les choses ne se passeront pas comme elles se sont passées en Allemagne, que « îe fascisme » n’arrivera pas au pouvoir sans rencontrer de résistance et qu’il ne vaincra pas sans combat. Au début de juillet, il semble que les Pays Bas s’engagent dans une voie analogue. Contre la décision du gouvernement de diminuer les allocations de chômage, les organi­ sations de chômeurs appellent le 1er juillet à une grande manifestation de protestation. Elle va rapidement tourner à l’émeute dans les quartiers ouvriers, Jordaan à Amsterdam, où des barricades sont construites et les ponts bloqués, Crooswijk à Rotterdam. La police tire sur les dizaines de milliers de manifestants exaspérés par son attitude agressive, et dont la colère n’obéit à aucun mot d’ordre. Ce sont les autos blindées de la police qui font la décision. On compte à Jordaan six morts et plus de 100 blessés. La répression frappe les politiques, avec l’arrestation de P.J. Schmidt, secrétaire du Parti socialiste indépendant, l’OSP, début de la radicalisation de cette organisation, qui fusionne bientôt avec le RSP de Sneevliet pour former un parti unifié qui s’engage dans la construction de la IV e Internationale. Paul De Groot, le dirigeant du Parti communiste, se précipite à Moscou pour rendre compte et recevoir des directives. Il revient avec des propositions de front unique à toutes les organisations, le RSP excepté. L a ra d ic a lis a tio n espagnole

L ’Espagne n’a pas vécu sur le même rythme que le reste de l’Europe. La dictature du général Primo de Rivera s’est effondrée en 1930, et cette chute a précédé de peu celle de la monarchie elle-même. La deuxième République a été gouvernée par une coalition des socialistes et des républicains qui n’a réglé aucun des problèmes fondamentaux se posant au pays, la puissance de l’Eglise et de l’armée, le règne des grands proprétaires terriens, la corruption et les élections-dérision. Contre les paysans et les ouvriers animés par la FAI, elle a été cruelle dans la répression. La loi sur la défense de la République d’octobre 1931 a bien marqué cette orientation. Tout le monde sent en 1933 que cette coalition arrive à son terme. On va savoir comment à l’occasion de l’école d’été, un camp de formation des Jeunesses socialistes qui réunit, en août 1933,150 stagiaires sous la tente à Torreladones. Ces jeunes gens sont très déçus par les vedettes du PSOE et de l’UGT - le syndicat qu’il contrôle qu’on leur a envoyées, Julian Besteiro, le président de l’UGT, et Indalecio Prieto. Le

L a MONTÉE OUVRIÈRE DE 1933-1934

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jeune secrétaire de F école, Santiago Canillo, quatorze ans, décide alors d’inviter Largo Caballero. L ’homme, un ancien ouvrier plâtrier - précisément stuquiste -, qui n’a appris à lire qu’à l’âge de vingt-quatre ans, est l’un des dirigeants îes plus connus du mouvement ouvrier espagnol. Il a été î’un des adversaires résolus de l’adhésion à la Comintern, puis, sous la dictature de Primo de Rivera, a été partisan et artisan d’une collaboration qui permettait de développer le syndicat. Il était en faveur de l’alliance avec les partis répu­ blicains contre la monarchie, a été ministre du Travail dans le gouvernement de coalition. H est le symbole du socialisme réformiste. Or, au milieu de 1933, au moment d’ailleurs où les socialistes vont être exclus du gouvernement, plusieurs facteurs se combinent pour pousser Largo Caballero à tenir un langage nettement plus à gauche. Il est très amer de constater que sa législation sociale, sabotée par les fonctionnaires de tout grade, est restée lettre morte, et que le patronat reprend partout l’offensive. Il est aussi très impressionné par la victoire hitlérienne et la destruction totale du mouvement ouvrier allemand ainsi que de toutes ses conquêtes sociales. Il est influencé par l’analyse - proche de celle de Trotsky - que fait de cette victoire sans combat son camarade de parti Luis Araquistâin, qui était ambassadeur à Berlin et tente de mobiliser l’opinion ouvrière contre la division des rangs ouvriers face au danger fasciste. Enfin, avec des dizaines de milliers d’autres, il est convaincu que le chef de l’Alliance populaire espagnole, José Maria Gfl Robles, est en train de s’engager dans la voie du fascisme en essayant de s’emparer du pouvoir par les voies légales. Il pense que c’est désormais l’existence même du Parti socialiste qui est en jeu. Le premier signe de ce tournant vers la gauche a été donné par un discours qu’il a prononcé le 23 juillet au cinéma Pardinas de Madrid devant les Jeunesses socialistes de la capitale. Tout en justifiant la participation au gouvernement, il s’attache à démontrer que le fascisme est le dernier recours du capitalisme aux abois et lance quelques formules audacieuses, affirmant notamment qu’il préfère « la dictature socialiste » à « la dictature bourgeoise ou au fascisme ». A Torreladones, il revient à îa charge dans l’école d’été. Sur la participation ministérielle, il dit qu’il n’en fait pas une question de principe mais qu’il ne croit pas à la possibilité de réaliser le socialisme dans le cadre d’une société bourgeoise, assure que le Parti socialiste doit avoir pour objectif de prendre le pouvoir, qu’une république socialiste abolira l’exploitation de l’homme par l’homme, et évoque la formule d’Engels en faveur de « la dictature du prolétariat ». C’est à l’hebdomadaire des JS qu’il donne sa première interview après le départ des socialistes du gouvernement : il explique que son expérience le fait douter de la possibilité de la réalisation des reven­ dications, même les plus minimes, des travailleurs dans le cadre républicain bourgeois. Il pense que l’Espagne est à la veille de la révolution sociale et assure aux jeunes que leur mission sera d’épurer le parti, d’en chasser les éléments indécis et tous ceux qui sont passifs et ne peuvent servir la révolution. Une

c a m pa g n e élec t o r a le t r ès g a u c h ist e

Largo Caballero se lance dans la campagne électorale de novembre sur cette ligne, à la tête d’un Parti socialiste qui, cette fois, n’a noué aucune alliance avec les républicains bourgeois. Sa tournée suscite un énorme enthousiasme chez les travailleurs, et l’historien britannique Paul Preston relève : « Son langage se faisait plus révolutionnaire à mesure qu’il voyageait [...] en réponse à l’enthousiasme sans limite des masses qui acclamaient ses discours bien avant qu’ils soient terminés1?. » Le 30 octobre 1933, dans un discours 17. P. Preston, The Corning ofthe Spanisk Civil War, p. 91.

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D e L’ACTIVITÉ POLITIQUE à L’ACTIVITÉ POLICIÈRE

à Zafra, il annonce l’ouverture d’une nouvelle période révolutionnaire qui culminera avec l’implantation de la république sociale. Le 9 novembre, à Don Benito, il affirme que la révolution qui vient sera la révolution sociale, qu’elle expropriera la bourgeoisie par la violence, et qu’il faudra lutterjusqu’à ce que le drapeau rouge flotte sur tous les bâtiments officiels. Le 10, à Azuaga, il dit que cette révolution sera soutenue dans l’armée par un « mouvement de soldats et de sergents pour 1a révolution sociale18». Le 13, à Albacete, il assure : « C’est vrai, si la légalité ne nous sert pas, si elle empêche notre avance, alors nous laisserons de côté la république bourgeoise et nous irons vers la conquête révolu­ tionnaire du pouvoirt9. » Le 14, à Murcie, il conclut : « Il nous faudra une période de transition vers le socialisme, et cette période, c’est celle de îa dictature du prolétariat vers laquelle nous allons20. » Son langage, celui d’un révolutionnaire, sa détermination, alors qu’il est chef d’un grand parti, contribuent sans aucun doute à l’expression générale de la colère des ouvriers et paysans et de leur orientation révolutionnaire. Le PCE, toujours sur la ligne de la dénonciation des « social-fascistes » et, puisqu’on est en Espagne, des « anarcho-fascistes », ne compte pour rien dans cette authentique montée révolutionnaire. Le Parti socialiste n’obtient que 58 sièges, alors qu’il a recueilli le chiffre sans précédent de 1620 000 voix, la loi électorale lui étant défavorable à partir du moment où il n’a plus d’alliance. Les anarchistes, qui ne lui pardonnent pas la répression de la période précé­ dente, n’ont pas voté. Les classes possédantes ont employé les grands moyens, fraude, bien sûr, mais aussi violence, parfois même terreur. D’où un mépris profond, dans le peuple, pour des résultats qui ne peuvent en aucun cas incarner la « légalité » et la « volonté du peuple », la colère aussi contre ceux qui ont volé leur victoire. L ’éditorial d’El Socialista, le 2 janvier 1934, est sur la même ligne : « Concorde ? Non. Guerre de classe. Haine mortelle contre la bourgeoisie criminelle. Concorde ? Oui, Entre prolétaires d’idées différentes. » Mario de Coca, adversaire personnel de Largo Caballero et le plus féroce de ses critiques contemporains, apporte de ce point de vue à l’historien un témoi­ gnage précieux puisqu’il dit qu’il y eut à cette époque, dans le monde ouvrier, une « avalanche rouge », mentionne « îes signes bolcheviques qui étaient devenus îe mot d’ordre unanime de l’immense majorité du prolétariat socialiste » et affirme : « Au prin­ temps de 1934, l’ensemble du prolétariat espagnol était dévoué corps et âme à l’esprit dynamique de la révolution, et [...] il y avait déjà une force en marche, un esprit avec sa vitalité propre que personne n’aurait pu retenir21. » Les résultats électoraux et la campagne de Largo Caballero inspirent de la prudence à la droite. Gfl Robles, devenu le chef de la CEDA, regroupement des droites, variante espagnole de ce que nous avons appelé en Autriche le catho-fascisme, a conscience de la précarité du succès électoral. Un gouvernement de îa droite et du centre provoquerait immédiatement, dans l’ambiance qui règne après la campagne, un rassemblement général contre la droite. Il se prononce donc, pour le moment, en faveur d’un gouvernement du centre soutenu par la droite. Il s’agit dans son esprit d’un gouvernement de transition qui amnistierait les militaires soulevés en 1932, réviserait les timides lois sur la religion, la réforme agraire, et surtout empêcherait l’application dans les campagnes des lois sociales, dont les grands propriétaires ne veulent pas. Cette tâche réalisée, Gil Robles croit que la CEDA devra alors prendre le pouvoir elle-même et réaliser son programme, et d’abord la révision de la Constitution qui doit lui permettre d’instaurer l’État national corporatiste, une forme qui combine les traits des États de Mussolini, d’Hitler et de Doîlfuss. 18. El Socialista, 11 octobre 1933. 19. Ibidem, 14 octobre 1933. 20. Ibidem, 15 octobre 1933. 21. Gabriel Mârio de Coca, Anti-Caballero, p. 98.

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L ’état-m ajor « lé n in iste » du PSO E

Largo Caballero n’est pas un homme seul et il ne saurait l’être. Disciple respectueux de Pablo Iglesias, il n’est ni un organisateur, ni un tribun, ni un débatteur parlementaire. C’est un homme calme, sincère et dévoué, en qui îes travailleurs se reconnaissent. D sait associer et ne manque pas de colîaborateurs de valeur. Il y a d’abord autour de lui un certain nombre de militants ouvriers d’expérience, socialistes occupant des responsabilités à rUGT, l’ouvrier du bâtiment Anastasio de Gracia, îe typographe Wenceslao Carrillo, les métallos Enrique de Francisco et Pascual Tomâs. Il y a aussi des intellectuels qui forment, dira-t-on, son brain trust- un mot à la mode. Au premier plan, Luis Araquistâin, venu au socialisme à l’âge adulte, ambassadeur à Berlin de février 1932 à février 1933. Iî a assisté aux derniers mois de l’ascension d’Hitler et conclut à la double faillite de la social-démocratie et du stalinisme. Pour vaincre le fascisme, il faut, selon lui, opposer à cette « franche dictature bourgeoise » ce qu’il appelle « une franche dictature socialiste ». Ses conférences, ses articles émeuvent, alarment, mobilisent. Son beau-frère, Julio Alva­ rez del Vayo, grand journaliste, est aussi avec Largo Caballero, ainsi qu’un journaliste basque de talent, ancien militant nationaliste rallié au socialisme à l’âge adulte, Carlos de Baraïbar. Enfin, il y a les «jeunes», les nouveaux venus de cette Fédération des jeunesses socialistes qui a fait de lui son président d’honneur. Citons les plus connus, l’ouvrier des transports Carlos Hemândez Zancajo, jeune président de syndicat, l’employé de banque Amaro del Rosal, l’instituteur de Pampelune Ricardo Zabaîza, qui anime la minorité dans le syndicat très important des travailleurs de îa terrre, ia FNTT. Et arrive une nouvelle génération de jeunes d’une vingtaine d’années et moins, ex-dirigeants étu­ diants comme José Lara, Serrano Ponceîa et le tout jeune Santiago, fils de Wenceslao Carrillo. Au lendemain des élections, ces hommes sont d’accord pour voir le danger principal de « fascisme » dans îa CEDA de Gfl Robles et dans son ambition affichée d’instaurer un État national corporatif, un régime fasciste. Devant la menace de destruction de la république et de tous les acquis du mouvement ouvrier, il s’agit désormais pour eux de se préparer à la lutte pour repousser les fascistes. A la fin de décembre 1933, Largo Caballero annonce la grande nouvelle à J.S.Vidarte, secrétaire du parti : « Je crois que le moment décisif est venu. Nous n’avons pas d’autre issue que la révolution, et notre devoir est de la préparer rapidement, sans perdre de temps, pour n’être pas dépassés par les événements et avoir pour îe reste de notre vie à déplorer une passivité comme celle d’Otto Bauer22. » Soulignons-le, c’est important. Il ne s’agit pas de préparer la révolution quoi qu’il arrive, mais seulement d’être prêt à îa déclencher si la voie démocratique parlementaire était fermée, c’est-à-dire notamment si îa CEDA prenait le pouvoir ou entrait au gouver­ nement. C’est donc une décision conditionnelle. En janvier 1934 est désignée une com­ mission mixte PSOE-UGT présidée par Largo Caballero qui doit étudier les modalités pratiques de ce soulèvement, dont l’ennemi de classe est finalement libre de fixer la date ! La

c o n q u ête d e l ’a p p a r e il

Tel qu’il est, le projet de Largo Caballero exige l’identification entre les organismes du parti et du syndicat et les organes insurrectionnels. La première condition de sa réalisation est donc l’homogénéisation de î’appareil, l’épuration des éléments droitiers de Besteiro pour qui ce projet est de l’aventurisme pur. Le principal obstacle est la centrale 22. J.S. Vidaite, El Bienio negro, p. 111.

D e L’ACTIVITÉ POLITIQUE À L’ACTIVITÉ POLICIÈRE

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syndicale, l’UGT. Présidée par Julian Besteiro, elle a deux piliers, la FNTT, l’organisation paysanne et la fédération des cheminots. La seconde, réduite à sa plus simple expression, est un bastion imprenable. C’est contre la direction de la FNTT que se tournent les largocaballéristes : les dirigeants besteiristes de cette fédération ont affaire à une offensive patronale forcenée et à une énorme combativité de leurs adhérents. Comme le secrétaire général a pris position contre Largo Caballero sans consulter la base, une révolte bien organisée et soutenue de l’extérieur par le quotidien du PSOE le fait désavouer par la commission nationale, et il démissionne. La direction est désormais aux mains d’une équipe proche de Largo Caballero, que dirige l’instituteur navarrais Ricardo Zabalza. Le changement de majorité permet celui de PUGT, où Besteiro a provoqué ie conflit en publiant en circulaire un texte d’Amaro del Rosal qui affirmait « la nécessité de l’orga­ nisation d’urgence, avec le Parti socialiste, d’un mouvement de caractère révolutionnaire national afin de s’emparer du pouvoir politique intégralement pour la classe ouvrière23». Besteiro et son équipe sont donc désavoués et remplacés. Anastasio de Gracia devient président, Largo Caballero, secrétaire général. Carlos Hemândez Zancajo et Ricardo Zabalza sont membres de l’exécutif. Durant le même mois de janvier 1934, et dans îe même élan, l’aile « léniniste » réussit à s’emparer de Yagrupaciôn madrilène du PSOE. L ’affaire est rondement menée par Carlos Hemândez Zancajo, appuyé sur les Jeunesses socialistes. Ils occupent désormais les postes clés. La commission mixte UGT-PSOE, présidée par Largo Caballero et dont, le secrétaire est Enrique de Francisco, peut préparer tranquillement l’insurrection. Elle comprend J.S. Vidarte, Pascual Tomâs, José Dfaz Alor, Carlos Hemândez Zancajo et Santiago Carrillo, soit, outre Largo Caballero, deux représentants du PSOE, deux de l’UGT, deux de la FJS. Le dernier bastion à basculer est la Fédération des jeunesses socialistes. Lors de son congrès de Madrid, le 20 avriî, Carlos Hemândez Zancajo en prend ia présidence. Le pouvoir réel appartient au secrétariat, qui peut, lui, consacrer toutes ses forces à ce travail, secondaire pour lui ; le jeune Carrillo et son adjoint José Lafn en sont les hommes forts avec Federico Melchor, José Cazorîâ, Segundo Serrano Poncela, Léoncio Pérez de Valence et Juan Pablo Garcia l’Asturien. Largo Caballero a tracé les perspectives du combat auquel il appelle dans un grand discours du 14 janvier 1934 aux travailleurs de l’imprimerie : Il n’y aura aucune émancipation tant que le pouvoir demeurera aux mains de la bourgeoisie. Et, pour réaliser cette transformation, il faudra le lui arracher. [...] Il faut préparer les masses à îa révolution, spirituellement, mais aussi matériellement. [...] Les ouvriers espagnols sont assiégés, sans espoir que d’autres forces viennent à leur aide ou qu’une brèche s’ouvre dans les rangs des attaquants. Parmi ceux qui nous assiègent, il y a aussi les républicains. [...] Il ne s’agit pas d’une lutte entre quelques patrons et quelques ouvriers isolés. C’est la classe capitaliste, avec ses partis politiques, qui tente de nous détruire. Nous devons nous en convaincre et nous préparer pour nous battre et pour vaincre24.

« La

m a g n ifiq u e

J eu n e s se

s o c ia l ist e

» (T r o t sk y )

La Jeunesse socialiste est la force de frappe de Largo Caballero, qu’elle accueille le 21 avril 1934 par des transports d’enthousiasme. Elle est aussi sa gauche, et on le sait depuis 1933. Quand la décision d’insurrection conditionnelle est prise, la FJS - qui a également des positions propres dans FUGT - proclame ouvertement que l’insurrection 23. Cité par P. Preston, op. cit., p. 102. 24. El Socialista, 15 janvier 1934.

L a MONTÉE OUVRIÈRE DE 1933-1934

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ne saurait être à ses yeux qu’une insurrection pour le pouvoir, pour la dictature du prolétariat. Déjà à cette époque» Renovaciôn, l'hebdomadaire de la fédération, défend les positions les plus révolutionnaires qui s’expriment à l’époque dans l’univers socialiste. C’est d’ailleurs une véritable fraction organisée qui s’empare en janvier 1934 de la direction de la FJS (elle compte alors 20 000 membres et en aura le double après quelques mois). Sa victoire écrasante, elle l’a remportée sur la base d’un rapport politique présenté au congrès par José Lam. Il y explique la nécessité d’une rupture immédiate avec la bourgeoisie afin de pouvoir passer tout de suite à la préparation de la prise du pouvoir par le prolétariat, c’est-à-dire le Parti socialiste. Les perspectives qu’ils exposent dans leur presse, et d’abord Renovaciôn, portent certes l’empreinte d’une tendance à éviter l’analyse concrète, mais elles ont le mérite d’être celles de Largo Caballero présentées sous une forme agitative. Renovaciôn est l’organe permanent de l’agitation générale en faveur de l’action révolutionnaire. La résolution présentée par José Lain après son rapport au Ve congrès, en 1934, souligne entre autres « îa ferme conviction [des JS} quant aux principes de la révolution prolétarienne et qu’ils n’offrent dans la période actuelle d’autre issue que l'insurrection armée de la classe ouvrière pour s’emparer complètement du pouvoir politique, instaurer la dictature du prolétariat, et sa proposition que, dans le plus bref délai possible, on arrive à une entente avec les organisations politiques ouvrières de classe sur la base de Faction commune pour ce mouvement insurrectionnel25». La jeune génération ne semble pas être du genre suiviste. Dans un article du numéro du 18 avril, sous le titre « Crise de confiance », Serrano Poncela se demande, comme ses camarades, dit-il, si les hommes de la vieille génération sont capables de prendre le pouvoir et d’instaurer la dictature du prolétariat après tant d’années « d’interprétations fausses, réformistes, de îa lutte des classes ». Peut-être certains y parviendront-ils, mais il prévient : « La nouvelle génération socialiste s’opposera à toute altération de la pureté marxiste dans son concept de pouvoir politique26, » Surtout, l’organe des JS met en avant îa perspective de l’épuration du parti des principaux dirigeants réformistes. En fait, son activité théorique est souvent marquée du sceau d’un gauchisme un peu infantile et d’un certain provincialisme. Face aux JC, en juillet 1934, le jeune Carrillo énonce sentencieu­ sement que l’unique programme possible d’un front unique, c’est la prise du pouvoir, qu’aucune lutte ne vaut d’être menée si telle n’est pas sa perspective, que rien ne permet de croire qu’il puisse exister en Espagne des organismes de type « soviétique » et que seules les « alliances ouvrières, aussi bien organes de lutte qu’organes du pouvoir », y ont un avenir. C’est avec de tels arguments que les JS soutiendront à fond Largo Caballero quand il s’oppose à la grève des travailleurs de la terre lancée par la FNTT de Zabalza après un vote écrasant, mais dont il estime qu’elle risque de faire courir des risques aux préparatifs d’insurrection. Le résultat en sera une défaite sévère, qui pèsera lourd dans les décisives années qui mènent à 1936. En même temps, et sans marquer trop de considération pour « les trotskystes », l’équipe dirigeante des JS saisit toutes les occasions de manifester son respect pour Trotsky. Federico Melchor aborde même au dernier trimestre de 1933 le problème de la « IVeInter­ nationale », soulignant l’accord des JS avec les organisations qui s’en réclament, sur les points suivants : « Lutte contre le fascisme, conquête révolutionnaire du pouvoir politique ; imminence de la révolution ; nécessité d’abattre le réformisme ; démocratie interne au parti27. » Il reproche cependant aux trotskystes, qui livrent le même combat « contre le 25. El Socialista, 21 avril 1934. 26. Renovaciôn, 18 avrii 1934. 27. F. Meîchor, « IV International », 11 novembre et 9 décembre 1933, Renovaciôn, décembre 1934 [?].

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D e L’ACTIVITÉ POLITIQUE À L’ACTIVITÉ POLICIÈRE

stalinisme et le révisionnisme », d’affaiblir ce combat en ne le menant pas dans l’une des Internationales existantes. Pour combattre les tenants des deux tactiques, également erro­ nées selon lui, « la tactique socia-démocrate réformiste et petite-bourgeoise » et la « tac­ tique intransigeante et sectaire de l’Internationale communiste », Santiago Carrillo expli­ que aux JC l’importance des alliances ouvrières, dont il croit que le mouvement des masses obligera les communistes à y entrer. Mais il assure curieusement que ce type d’organe ne peut avoir que la prise du pouvoir comme objectif et ne saurait être utilisé dans des luttes partielles. L 'é v e il

d e l a c la ss e o u v r iè r e a m ér ic a in e

C’est peut-être la conjonction, après des années de crise terrible et de misère grandis­ sante, de plusieurs victoires ouvrières au cœur même du bastion du capitalisme qui constitue l’événement essentiel de la montée de cette année-là. Leur trait commun est que, utilisant chaque fois des formes syndicales jugées « périmées » par les observateurs et les spécialistes, des groupes avancés - « radicaux », comme on dit - prennent l’initiative d’appuyer une grève, de l’organiser efficacement et, d’une certaine manière, de l’armer en l’associant étroitement dans l’action et sous le signe de la solidarité aux couches populaires les plus larges, et notamment aux chômeurs. A Toledo, le Local AFL 18384 part en grève le 23 février 1934 et reçoit le soutien efficace du groupe local de chômeurs organisé par le Committee for Progressive Labor Action qu’anime le pasteur A i. Muste, ancien directeur pédagogique de l’Université ouvrière, le Brookwood Labor College, et que vient épauler ici le journaliste Louis Budenz. Tracts, journal des grévistes, piquets de grève - jusqu’à 10 000 -, résistance acharnée aux forces de police, débauchage par la propagande de jeunes gardes nationaux. C’est l’expérience d’un siècle de luttes ouvrières dans le monde qui est reprise ici et qui obtient la première victoire dans la longue nuit de la Grande Dépression. La compagnie capitule le 4 juin. A ce moment-là, une seconde grande grève est engagée à Minneapolis par les conduc­ teurs de camions, les teamsters du Local 574 de leur Fraternité internationale. Le noyau militant, ici, ce sont les ouvriers trotskystes de la Communist League, le vétéran Cari Skoglund et les frères Dunne, ainsi qu’un travailleur qui se révèle un vrai stratège de la lutte des classes, Farrell Dobbs. L ’invention, l’arme imparable, est née à la base, c’est le piquet de grève mobile, bientôt baptisé «flyin g squadron », dont îa multiplication et l’ubiquité égarent les forces de répression. Les patrons ont recruté une armée privée de 2 000 hommes, et quelques tueurs. La bataille fait rage pour le centre de la ville, qui reste aux mains des ouvriers. La population sort en foule pour soutenir les grévistes : les victimes de la crise savent qui sont leurs frères. Le 20 juillet, les forces de répression tuent délibérément plusieurs membres de piquets. Le Parti communiste, lui, dénonce les dirigeants de la grève comme « flics » et « agents des patrons ». Les arrestations soulèvent l’indignation générale. Les compagnies capitulent le 22 août, après la deuxième grève, qui a duré cinq semaines. La grève des dockers de San Francisco, elle, va durer onze semaines et être hachée d’innommables violences commises sur le waterfront par les forces de police, la Garde nationale. Mais la grève, désavouée par îes bonzes syndicaux nationaux, a bénéficié de la solidarité. Il y a des morts, des centaines de blessés, des centaines d’arrestations. Des bandes armées s’en prennent aux locaux des organisations ouvrières. Le noyau ici est animé par un proche du PC, l’Australien Harry Bridges, qui n’a cessé de militer à l’AFL et a évité le piège des syndicats « gauchistes » où se sont empêtrés en général les militants du PC. Comme Dobbs, il est maintenant connu du pays tout entier.

L a m on tée o u v riè re d e 1933-1934

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Les trois grèves frappaient-elles les trois coups annonçant la révolution et inscrivaientelles sur les murs des viiles américaines le début de la guerre civile ? On pouvait le penser. Celle de San Francisco annonçait le développement foudroyant des syndicats maritimes derrière le vieux SUP du vétéran Furuseth. Un peu plus loin se profilaient les grands combats de masse qui allaient donner naissance au CIO. Comme en d’autres pays, en Europe notamment, le PC semblait avoir été marginalisé par son propre sectarisme et ses attaques contre les dirigeants du mouvement, n’être plus en mesure, en tout cas, de jouer dans les combats qui s’annonçaient un rôle important. L es

s o c ia list es espa g n o ls pr épa r en t l ’în su r r ec t io n

Les dirigeants socialistes prennent au sérieux leur décision de recourir à l’insurrection si la droite accède au pouvoir. Le problème le plus délicat est sans doute celui de l’armement. La plus grosse affaire semble avoir été le rachat d’armes, au début de 1934, avec un chèque falsifié, à un groupe de conspirateurs portugais qui ont tenté de îes livrer aux Asturies par le vapeur Turquesa. Un nombre important de fusils furent volés dans les arsenaux par les travailleurs qui les fabriquaient. En fait, on comptait, dans le début de Finsurrection, s’emparer des stocks dans les arsenaux et îes postes de police avec des complicités de l’intérieur. L ’un des conspirateurs, le JS Manuel Taguena, a raconté le perpétuel déménagement des stocks et l’amateurisme qui présidait à ces opérations. Les chefs socialistes avaient incontestablement des relations avec certains chefs mili­ taires, On ne sait toujours rien de ceux qui avaient été récrutés par Prieto - plusieurs généraux appartenant à la franc-maçonnerie -, qui sont restés parfaitement passifs pendant tout le soulèvement. Des rumeurs ont indiqué que Largo Caballero avait lui, le contact avec l’officier d’artillerie socialiste Rodrigo Gfl. Parmi les officiers qui ont été inculpés ou seulement soupçonnés, il faut citer le sergent Vâsquez, le seul condamné à mort qui fut exécuté, et ceux qu’on retrouvera en 1936, socialistes ou maçons, les asalîos Moreno et José del Castülo, Carlos Faraudo, le garde civil Fernando Condès, pas mal de sousofficiers. L ’organisation des milices constituées clandestinement nous est connue par des archives des JS de Murcie qui se trouvent dans les papiers de la Sécurité de Madrid à Salamanque28. La responsabilité en revient aux JS, et il est prescrit de veiller à ce qu’ils y soient en majorité. Les miliciens sont organisés en « dizaines » commandées par un chef, qui, comme le chef local, commandant aux dizaines, est nommé par le comité local des JS. On choisit de préférence des gens ayant une connaissance des armes, par exemple parce qu’ils ont fait leur service militaire, avec une préférence pour les sous-officiers et officiers. Les hommes apprennent le maniement des armes lors de sorties champêtres du genre scout. Préparation, stockage, éventuellement fabrication d’explosifs dépendent d’une section spécialisée. L ’autorité est divisée entre îe « chef supérieur », qui relève du comité provincial, et îe comité local, qui nomme, mais aussi juge et punit. Comme îes social-démocrates autrichiens de la région de Linz à la même époque, îes JS semblent dissous dans leur propre organisation militaire et avoir ainsi le caractère d’une organisation semi-clandestine. Mais, comme ils ont en même temps une activité publique de militants politiques et d’organisation, il semble bien qu’il devait y avoir un certain désordre et bien des fuites. Les dirigeants des milices sont en principe José Lain, l’employé de banque Victoriano Marcos et l’Italien Fernando De Rosa. Mais c’est ce dernier qui est le vrai chef militaire - ii a été officier. Parmi ses collaborateurs étudiants, l’un deviendra général et un autre 28. Archives de Ja guerre civile, AHN Madrid, Legajo 721.

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D e L’ACTIVITÉ POLITIQUE À L’ACTIVITÉ POLICIÈRE

grand chef de la police politique : Manuel Taguena et Francisco Ordonez. Les hésitations des dirigeants socialistes à déclencher l’insurrection, l’hypothèse de Largo Caballero selon laquelle la CEDA n’allait pas entrer au gouvernement semblent indiquer que, dans îa tête des dirigeants du parti, l’insurrection annoncée était aussi un moyen de pression sur les hommes politiques du centre, et en particulier sur le président de la République, qui prenait la décision finale, L ’O c t o br e

d ’E spa g n e

Trotsky avait pensé qu’une politique hardie des révolutionnaires catalans pour la répu­ blique indépendante de Catalogne aurait pu constituer le premier pas vers la révolution prolétarienne dans l’ensemble de la péninsule. L ’abstention totale de la CNT catalane, qui regarda « l’arme au pied » les autres organisations tentant de se soulever puis d’échap­ per à la répression, fut sans doute le facteur décisif d’un échec qui coûta son statut d’autonomie à la Catalogne, Aux Asturies, en revanche, non seulement les anarchosyndicalistes, conduits par un remarquable dirigeant ouvrier, José Maria Martmez, adhé­ rèrent à l’Alliance ouvrière, mais leur apport fut infiniment plus décisif que l’adhésion à la onzième heure - à la suite du CC des 11 et 12 septembre - des responsables commu­ nistes, qui n’avaient cessé jusque-là de condamner l’«opportunisme» des «socialfascistes » de l’Alliance ouvrière. Les socialistes de gauche disposent d’un outil efficace avec Avance , que dirige le jeune et brillant journaliste Javier Bueno. L ’épopée asturienne - dix jours de combat acharné des mineurs contre des troupes de métier très bien armées et équipées - a été l’un des grands moments de l’histoire ouvrière du XXe siècle. Luis Araquistâin y a vu « l’œuvre des jeunesses ouvrières, un mouvement irrésistible, parti du bas, d’une masse qui n’était pas disposée à laisser échapper sa bataille contre le fascisme [...}» une bataille où ce prolétariat, jusque-là pacifique, exigeait le baptême du feu comme le début d’une nouvelle attitude historique29». Le gouverneur civil des Asturies, limogé par le gouvernement, plaide sa cause en ces termes : « Les énormes contingents ouvriers qui peuplent les Asturies - pas moins de 120 000 -, tous encadrés dans les organisations, UGT, PSOE, PC et CNT, se mettant d’accord pour une action commune au sein de ce qu’on a appelé l’Alliance ouvrière, faisaient de cette province un cas unique en Espagne de dangerosité sociale30. » Cinq mois plus tard, un envoyé du gouvernement écrit dans son rapport sur les Asturies ces lignes significatives qui donnent sans doute la clé de ce chapitre et de quelques autres : « Les jeunesses de toutes îes organisations révolutionnaires sont unies dans un désir de subversion, et îes dirigeants et les hommes mûrs de la CNT et de l’UGT s’engagent dans des ruptures et des changements de tactique tout à fait dignes d’être pris en considération et qui peuvent donner des résultats excellents Le potentiel dangereux de la classe ouvrière nous semble devoir être combattu très vite au moyen de la division31. » On s’explique l’acharnement de la répression. Le coût humain est élevé : parmi les morts, il y a le militant libertaire José Maria Martmez. Le socialiste de gauche Javier Bueno est férocement torturé en prison. Le mouvement fut une catastrophe d’inorgani­ sation et d’improvisation dans tout le reste de l’Espagne. Les futurs combattants ont attendu pendant des heures des instructions qui ne sont pas venues, des chefs qui étaient en retard ou ailleurs. Les rendez-vous et rassemblements étaient connus de la police, qui a eu tous îes moyens d’aggraver le désordre avant de frapper des gens qui ne savaient 29. L. Araquistâin « La Revokcion de Octobre en Espafia », Leviatân, février 1936 p. 343. 30. Archives de la guerre civile ; AHN Madrid, Legajo 721. 31. Rapport du 9 mars 1935, ibidem.

L a MONTÉE OUVRIÈRE DE 1933-1934

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plus où ils étaient. C’est parfois par centaines que les hommes ont été raflés avant d’avoir pu faire un geste. Sauf à Madrid, qui semble avoir été sinistrement mal organisée sous Amaro del Rosal, on peut découvrir tout d’un coup qu’il s’est passé quelque chose là où l’on croyait qu’il ne s’était rien passé. Comment serait-il possible d’inculper à Pampelune 127 personnes et d’en arrêter 145 s’il ne s’était rien passé ? Comment expliquer les condamnations à vingt, quatorze et dix ans de prison qui frappent des militants à SaintSébastien, s’il ne s’y est vraiment rien passé ? E ffer v esc en c e

en

A m ér iq u e la t in e

Nous pensons qu’il est intéressant de s’arrêter quelques instants sur les premières traductions cubaines de la politique de front populaire deux ans après îa lutte acharnée du PC cubain contre îe gouvernement de Grau San-Martm. Dans Bandera roja du 4 décem­ bre 1936, le nouveau chef du parti cubain développe la raison d’être du tournant des PC. B écrit: «La bourgeoisie nationale, par ses contradictions avec l’impérialisme qui rétouffe, accumule les énergies révolutionnaires qu’il ne faut pas laisser perdre [...]. Toutes îes couches de la population, du prolétariat à la bourgeoisie nationale, peuvent et doivent constituer un vaste front populaire contre l’oppresseur étranger. » Et de s’acharner par une autocritique du « sectarisme meurtrier » de 1934 face à Grau et Guiteras, de justifier l’abandon, deux ans plus tard, de toute perspective révolutionnaire... C’est au Chili, où les masses sont en mouvement, que les choses sont le plus claires. Elu sur un programme « de gauche », le gouvernement d’Alessandri est un gouvernement « de droite » qui, quoi qu’il en ait, est incapable d’empêcher la progression du mouvement des masses. Le mouvement paysan se développe à un rythme accéléré. De nombreux syndicats se constituent, et, sous l’influence d’Emilio Zapata, naît en 1935 la Ligue nationale de défense des paysans pauvres. Quelque 10000 paysans dans la région de Lanquimay occupent des terres usurpées par îes grands propriétaires. On se bat en juinjuillet 1934, et il y a plus d’une centaine de morts parmi les occupants, en plus de leurs dirigeants, l’enseignant Juan Leiva, fusillé, et José Bascunân Zurita, noyé. De leur côté, les ouvriers mènent des luttes victorieuses, ceux de la construction notamment, mais aussi ies cheminots en février 1936. Alessandri riposte en décrétant îa grève « subversive » et en proclamant l’état de siège, puis en remettant l’administration des chemins de fer à l’armée. C’est l’ensemble des travailleurs chiliens qui lui répond par une grève de soli­ darité impressionnante. Et puis les rumeurs de fascisme, en Europe mais aussi au Brésil voisin, mobilisent pour l’unité et le combat. Le Parti socialiste chilien fonde des milices qui ripostent aux violences et aux agressions des groupes d’extrême droite. Bientôt se constitue pour coordonner tout cela un bloc des gauches, que l’opposition Hidalgo, deve­ nue Gauche communiste et adhérant aux principes de l’opposition de gauche internatio­ nale, considère comme le résultat et l’expression d’une politique de front unique ouvrier. A l l ia n c e

o u v r iè r e a u

B r é s il

Octobre 1934 est aussi le moment où se réalise au Brésil, comme en Espagne, un front unique ouvrier parfois baptisé Alliance ouvrière. Le danger fasciste est ici incarné par I’Açâo Integralista Brasiîeira, îes ïntégraîistes en chemises vertes de Plinio Salgado, qui ont été encouragées par l’accession d’Hitler au pouvoir et tentent de briser le mouvement ouvrier, se livrant à toutes sortes de violences et cherchant partout à s’emparer de la rue en semant la terreur32. La riposte va être organisée à l’initiative des trotskystes. Un rôle

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De

va c t i v i t é

p o l i t i q u e à l ’a c t i v i t é p o l i c i è r e

décisif est joué par des émigrés italiens, qui ont tiré les enseignements de leur défaite face aux Chemises noires, comme Goffredo Rosini, ancien camarade de prison de Gramsci. Quand, au mois d’octobre 1934, les Intégralistes de Salgado annoncent leur intention de manifester au cœur de Sâo Paulo, Praça da Sé, afin de démontrer leur force et de s’ouvrir la route du pouvoir, la résistance s’organise, à l’initiative des trotskystes, Mârio Pedrosa et Fulvio Abramo notamment, qui réussissent à constituer une Alliance ouvrière pour leur barrer la route. Celle-ci regroupe la quasi-totalité des syndicats, les groupes de militaires qui se réclament de Luis Carlos Prestes, « prestistes » ou « tenentes », les anarchistes des Grupos Libertarias, qui constituent une force importante, les socialistes, et même l’orga­ nisation régionale de Sâo Paulo du PC du Brésil avec Herminio Saccheta, qui s’engage ainsi dans la voie de l’exclusion du Parti communiste. L ’affaire est bien préparée du côté de l’Alliance ouvrière, dont les contre-manifestants attendent sur la place où les Chemises vertes intégralistes ont annoncé qu’ils se déploieraient. Des toits, ils les prennent sous le feu de leurs armes dès les premiers coups tirés par les fascistes - 5 000 - quand Fulvio Abramo prend la parole. Disciplinés, bien encadrés par des militaires expérimentés et par leurs propres dirigeants, les travailleurs de Sâo Paulo tiennent bon et mettent les Intégra­ listes en déroute33. C’est évidemment un événement considérable, mais qui sera peu connu dans le reste du monde. D é f a it e

sa n s c o m bat o u c o m bat sa n s v ic t o ir e

?

La vraie signification de cette année 1934 et de l’insurrection des Asturies est à inscrire en quelque sorte en contrepoint de la défaite sans combat en Allemagne. Des centaines de milliers d’Espagnols, avec Largo Caballero et ses camarades emprisonnés ou exilés, ont été convaincus par le combat des Asturies que le prolétariat pouvait vaincre le fascisme et les meilleurs troupes de l’État bourgeois. Et ils ont également été convaincus que la clé de la victoire reposait dans l’unité d’action, comme le rappelle le fameux mot d’ordre des combattants des Asturies appelant à l’union leurs frères prolétaires, le retentissant UHP (Ou-Hatché-Pé), qui a plus tard, à l’été 1936, rassemblé pour le combat et Passant des casernes, puis dans les rangs des milices, îes ouvriers et les paysans. Moins de deux ans après la victoire sans combat des bandes hitlériennes, îa classe ouvrière de plusieurs pays d’Europe avait donc été capable de renverser îa situation et de puiser dans la défaite les raisons pour elle de combattre aujourd’hui pour que tous puissent vaincre demain. H fallait bien un appareil international de la puissance de la Comintem, et encore paré du prestige et de l’autorité de la révolution russe, pour enrayer ce mouvement-îà.

32. Heitor Ferreira Lima, dans ses Mémoires, mentionne l’existence et l’action dans ces années de ia Légion du travail du Ceara, organisation proche des Intégralistes de Salgado, dont le fondateur est le père Hélder Câmara, plus tard évêque et incarnation du progressisme catholique au Brésil, ancêtre de la « théologie de la libération ». Sans doute une preuve supplémentaire que les voies de la Providence sont impénétrables... 33. Nous avons publié dans les Cahiers Léon Trotsky n° 11, 1982, p. 83-89, une longue entrevue avec Fuîvio Abramo où il s’étend notamment sur cette importante bataille de rues.

CHAPITRE XXX

Autour du VIIe congrès de la Comintern1

Pour comprendre les développements politiques qui ont donné naissance au Front populaire, il faut les replacer dans leur contexte : sur le plan international, une montée ouvrière à laquelle la Comintern devait donner une réponse qui ne pouvait pas être celle qu’elle avait donnée aux ouvriers allemands, et, sur le plan russe, l’inquiétude par rapport à l’agression extérieure-provoquée notamment par le Japon -, et, à l’intérieur, l’utilisation de l’assassinat de Kirov pour déchaîner une répression sans précédent culminant avec les grands procès de Moscou contre les compagnons de Lénine et le prestige de la révolution d’Octobre. Il ne faut pas séparer ces composantes. C’est pourtant ce qu’ont fait et ce que font encore tant d’historiens qui décrivent de la main droite la marche des Soviétiques vers une démocratie rayonnante, luttant pour abattre le fascisme et empêcher la guerre, mais doivent en même temps montrer de leur main gauche la préparation et les progrès de la dictature totalitaire impitoyable et se croient obligés d’assurer qu’elle était destinée à faire face au double danger du fascisme et de la guerre : deux histoires différentes ayant pourtant la même conclusion, précisément l’avènement du fascisme et la guerre. Dans l’intervalle, d’ailleurs, Staline signe avec Hitler, incarnation du « fascisme », un pacte qui permet à ce dernier de se lancer dans la guerre à l’Ouest. La guerre que Staline n’avait pas réussi à éviter a commencé alors qu’il venait de massacrer toute une génération de cadres militaires de grande valeur... L ’a ppa r it io n

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Dimitrov était un vétéran des tesnjaki bulgares, ancien dirigeant syndical, ancien mem­ bre du comité central et de l’exécutif de la Comintern, affecté en 1929 au secrétariat du bureau de Berlin de la Comintern, un poste clandestin qui jouait avant tout le rôle de centre de communications. Il avait continué à faire partie de l’exécutif, s’était rendu aux plénums régulièrement. Rien ne permet à Stephen Koch d’affirmer qu’il était déjà proche collaborateur de Staline et mondialement connu. Arkadi Vaksberg écrit, au contraire, et 1. Nous utilisons ici le travail de compilation publié en deux volumes à Erloagen en 1974. 2. Rien ne permet de dire que l'apparition de Dimitrov résulte d’une mise en scène, comme le soutient Stephen Koch, le grand maître de l’histoire-roman.

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tout porte à le croire, qu’il était « loin des premiers rôles » et « qu’il ne suscitait ni l’affection ni le respect de ses camarades », citant à son propos le témoignage d’Aïno Kuusinen, pour qui il ne s’intéressait qu’aux beuveries et aux coucheries et était exécré de tous, ce qui expliquerait son exil à Berlin3. Nous avons connaissance d’une seule intervention personnelle de sa part dans la politique allemande de la Comintern, en faveur du front unique, en octobre 1932, ce qui ne signifie pas grand-chose. Nous savons aussi que, inquiet d’être tenu à l’écart par le groupe de jeunes dirigeants autour de Petar Iskrov qui lui reprochaient d’avoir encore la mentalité sectaire des tesnjaki, il réclama à plusieurs reprises, mais en vain, sa réaffectation au travail de son parti d’origine. C’est la répression hitlérienne après l’incendie du Reichstag qui le poussa au premier plan. Hitler voulait attribuer cet incendie aux communistes, mais le communiste hollandais Marinus Van der Lubbe, un faible d’esprit, semble-t-il, qui avait été arrêté par la police, ne faisait pas son affaire et il exigea d’elle de plus gros poissons. C’est ainsi que Georgi Dimitrov fut arrêté le 9 mars 1933 avec deux de ses compatriotes et collaborateurs, Blagoï Popov et Vassil Hadjitanev, dit Tanev, ainsi que le chef du groupe parlementaire du KPD au Reichstag, Emst Torgler, tous quatre accusés d’avoir organisé l’incendie du Reichstag. Hitler voulait donner beaucoup d’éclat au procès des « terroristes » et « incendiaires » étrangers. Le « procès de Leipzig » se déroula en présence de correspondants de la presse mondiale du 21 septembre au 23 décembre 1933. Son résultat fut inattendu, au moins pour Hitler : le comportement de Dimitrov, sa combativité face à Gôring, son courage eurent un écho extraordinaire. S’expliquent-il, comme Font assuré certains, de Ruth Fischer à Stephen Koch - le second moins fiable encore que la première -, par le fait qu’il avait l’assurance, quoi qu’il arrivât, de recouvrer prochainement sa liberté, du fait d’un accord entre gouvernement ou services secrets allemands et russes ? On nous per­ mettra d’en douter. Un accusé entre les mains des nazis à ce niveau ne pouvait être sûr de rien. En outre, ce n’est pas avec la complicité de Gôring, tout au contraire, que Dimitrov démolit totalement l’accusation et innocenta aux yeux des assistants ses camarades et lui. Son action apparut en tout cas courageuse et rencontra un énorme écho grâce à la cam­ pagne des services de W illi Münzenberg pour sa défense. Ce dernier publia un ouvrage bourré de documents qui démentaient la thèse nazie, le fameux Livre brun. Propagandiste et organisateur hors de pair, il utilisa, pour rapporter d’Allemagne une part importante de sa documentation, la comtesse Catherine Karolyi, qui venait de faire ses débuts de jour­ naliste et fut une courageuse porteuse de documents4. Il utilisa ensuite en elle l’aristocrate - elle était née Andrassy ~ pour assurer le financement du livre par les généreuses donations de riches Britanniques5. Le Livre brun valut à Dimitrov un immense prestige de combattant antifasciste, qui fut utilisé ensuite par la Comintern au service de Staline. Acquittés, les trois Bulgares restèrent en détention. Leur situation était précaire, car le gouvernement bulgare, plein de zèle pronazi, les avait déchus de leur nationalité. On craignait pour eux des représailles de Gôring, assassinat ou mort accidentelle. Le 29 décembre 1933, Piatnitsky transmit à Staline un télégramme de Wilheîm Pieck assurant qu’il serait bien avisé d’informer le gouvernement allemand que le gouvernement soviéti­ que était disposé à accueillir les trois hommes6. Le 16février 1934, l’ambassadeur d’URSS remit au ministre des Affaires étrangères allemand une note indiquant que Dimitrov, Popov et Tanev avaient reçu la nationalité soviétique et qu’ils sollicitaient l’autorisation pour eux de rejoindre l’Union soviétique. Les trois prirent l’avion pour Moscou le 27 février. 3. A. Vaksberg, Hôtel Lux, p. 65-66. 4. Catherine Karolyi, dans On m'appelait la comtesse rouge, p. 319-329, a fait le récit de sa collecte. 5. Ibidem,

p. 329-330.

6. RTsKMNDI, 495/19/48. Le télégramme de Pieck est daté du 28 décembre.

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Dimitrov fut accueilli comme un héros à Moscou, la Pravda saluant en lui « le symbole de la lutte des masses prolétariennes de tous les pays », mais il commença par une période de repos. Qui eut l’idée de lui donner une place centrale dans la Comintern ? Pour l’instant, on l’ignore. A priori, îes anciens pouvaient le considérer comme un rival. Arvo Tuominen a raconté les appréhensions nourries par Kuusinen. Mais ils étaient inquiets de l’attitude . de Staline, qui manifestait à î’égard de la Comintem et de ses travaux un grand désintérêt. On sait par Firtsov7qu’il avait purement et simplement refusé de lire les thèses préparées par le secrétariat pour le X IIIeplénum parce qu’il les trouvait « trop longues ». Piatnitsky avait dû en faire un résumé agrémenté d’extraits qu’il lui envoya le 21 novembre, pour obtenir de lui l’expression d’une opinion. Le 14 décembre 1933, ce dernier avait encore insisté auprès de Staline, Molotov et Kaganovitch pour qu’ils lisent les thèses et projets de résolutions, donnent leur opinion, corrigent, amendent. Ce manque d’intérêt était de mauvais augure. Dès que Staline manifesta qu’il n’était pas hostile à l’association de Dimitrov au travail, il semble que les dirigeants - particulièrement Manouilsky - se réjouirent et acceptèrent l’arrivée dans leur cercle dirigeant de celui qui allait pourtant se placer immédiatement au-dessus d’eux. Car cela signifiait en tout cas pour eux que le travail continuait. C’est le 7 avril que Dimitrov commence ses rencontres officielles. Il est invité au Politburo du parti russe et appelé à faire des remarques sur îe travail. Il répond en suggérant une modification profonde des rapports entre îa Comintem et les pays occidentaux ; une idée que Staline avait trouvée intéressante lors de leur première rencontre. Il semble que Staline n’ait pas été convaincu mais qu’il fut au moins intéressé par cet homme qui pouvait donner le sentiment d’une « rénovation ». D le recommanda pour d’importantes responsabilités à la Comintem. C’est lui - on le répéta - qui demanda à la délégation du PC de l’Union soviétique à l’exécutif de la Comintern de faire intégrer Dimitrov dans la direction. Le 22 avril, c’était chose faite. Il prenait aussitôt îa place, occupée jusque-là par Wilhelm Knorine, de chef du bureau d’Europe centrale, entrait au présidium et s’occupait d’élaborer une nouvelle ligne politique à travers une correspon­ dance avec Staline d’avril à juillet 1934. Il y a déjà quelques années que Fernando Claudin a fait une mise au point sur îe tournant de la Comintem en rappelant que VHumanité avait publié le 31 mai 1934 un article de îa Pravda argumentant en faveur de l’entente avec les dirigeants socialistes. Il soulignait alors fort opportunément que îes discussions entre dirigeants internationaux n’avaient commencé qu’après îe feu vert ainsi donné par îa Pravda : « Le tournant n’est pas le fruit de la discussion de TIC, mais le contraire : les dirigeants de l’IC pouvaient discuter parce que Staline avait commencé à tourner8. » Les quelques textes cités par Firtsov de la correspondance entre Staline et Dimitrov ne donnent nullement le sentiment d’un accord complet entre les deux hommes. Us nous semblent en revanche révéler la disposition de Staline à laisser faire et à utiliser au mieux une politique dont il ne risque rien à l’essayer, pourvu qu’il n’apparaisse pas désavoué. Le 1erjuillet, Dimitrov demande : « Est-il juste de qualifier en vrac la social-démocratie de social-fascisme ? » Staline répond : « Pour les chefs, oui - mais pas en vrac. » Plus loin, Dimitrov : « Est-iljuste de dénoncer partout et en toutes circonstances la social-démocratie comme le principal soutien de la bourgeoisie ? » Staline : « En Perse, naturellement non. Dans les principaux pays capitalistes, oui. » Dimitrov demande : « Est-il juste de consi7.F.I. Firtsov, Istoria i Stalinizm, p. 109. 8. F. Claudin, La Crisis del movimienio comunista, 1.1, p. 138-139.

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dérer les groupes social-démocrates de gauche comme le principal danger en toutes circonstances ? » Staline : « Objectivement, oui. » Sur le front unique, Dimitrov interroge : « Au lieu de le considérer comme une manœuvre pour démasquer la social-démocratie, sans essayer sérieusement de réaliser l’unité véritable des travailleurs en lutte, ne faut-il pas en faire un facteur puissant du déploiement de la lutte des masses contre l’offensive du fascisme ? » Staline écrit en marge : « Il le faut. » Et puis aussi cette question qui semble bien une menace voilée : « Contre qui sont dirigées ces thèses9? » Répétons-le, Dimitrov est un grand symbole mais il n’est pas un grand dirigeant. Ses idées ne sont pas pour le moment « la ligne ». Ainsi discute-t-il longuement le U mai avec Maurice Thorez, en butte aux critiques de Doriot, venu à Moscou, et lui explique-t-il la nécessité d’«abattre le mur entre socialistes et communistes» et de «tourner le dos aux vieux schémas dogmatiques de la période de Zinoviev [sic] 10». Thorez repart cependant sans avoir changé de position. Monmousseau, lui, a déjà fait devant le présidium une critique de son propre parti et de ses hurlements contre « Daladier le fusilleur » : « C’est clair que la position de notre parti n’était pas juste et qu’il fallait attaquer le gouvernement Daladier parce qu’il n’avait pas fait suffisamment donner sa police contre les fascistes11. » Thorez, lui, manifeste, comme le relève Serge Wolikow, « prudence et embarras » et « demeure sur la réserve » tant qu’il n’est pas certain que les choses sont réglées à Moscou n. Ce n’est qu’au début de juillet que les choses semblent réglées et le consentement de Staline acquis. Fermement soutenu par Manouilsky, Dimitrov peut désormais s’engager dans la préparation du V IIecongrès de la Comintern, qui a été décidé pour l’automne par le X IIIe plénum et devient une absolue nécessité dans la situation donnée, tant pour l’organisation que pour lui. Y

A-T-IL EU BATAILLE POLITIQUE À LA COMINTERN ?

Des historiens occidentaux, on pourrait dire des chroniqueurs, incapables de saisir les différences entre phénomènes sociaux et politiques en dehors de leur couverture séman­ tique, et particulièrement de comprendre le phénomène stalinien, ont donné de cette période une image d’Épinal où les partisans de « l’unité » et de la « démocratie », avec à leur tête le grand antifasciste Dimitrov, ont brisé la résistance des « sectaires » dont la ligne avait prévalu en Allemagne et ouvert la porte à Hitler. Leur argumentaire a été emprunté au seul ouvrage sérieux publié en URSS sur cette question, le livre de Leibson et Chirinya qui traite du tournant de la Comintern et dans laquel Staline apparaît comme l’arbitre suprême, soutenant fermement la clairvoyance du grand Dimitrov. Ce travail a évidemment l’immense mérite d’exposer au lecteur occidental qu’il s’agit d’une politique nouvelle, l’antifascisme, c’est-à-dire la lutte contre l’Allemagne. Bien entendu, les lecteurs qui nous ont suivi jusqu’à ce point du parcours savent que ces conceptions relèvent d’une vue de l’esprit proche du conte de fées. Staline seul faisait la politique de l’URSS, dont la Comintern n’était plus qu’un secteur rétrécissant comme une peau de chagrin. Il la contrôlait pourtant avec d’autant plus de soin que la politique de la Comintern touchait à sa politique étrangère, à ce qu’il jugeait nécessaire à la sécurité de l’URSS et à au maintien de son pouvoir. S’il est vrai que, comme l’assurent îes auteurs des Otcherki, Dimitrov a eu l’appui de Manouilsky, de Kuusinen, du Polonais Bronkowski et de l’Allemand Max Maddalena, il 9. F.I. Firtsov, op.dt., p. 185. 10. Leibson et Chirinya, Povorot v polilike Kominterna, p. 93. 11. RTsKhNIDI, 495/2/178. Réunion du présidium de la Comintern, 17 février 1934. 12. S. WoJikow, op. cit., p. 73.

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se heurte, au présidium, sinon à la résistance, du moins aux réticences de Béla Kun, Losovsky, Knorine, Wang Ming. Mais il n’y a pas de vraie bataille. Le journal que Dimitrov a tenu pendant ces années, bien que nous n’en connaissions que les extraits que nous ont livrés des historiens comme Sirkov et surtout Fridrikh Firtsov, a l’immense mérite de dynamiter toutes ces légendes. Bien entendu, sur la politique de la Comintem, il arrive que Staline demande l’avis de ses collaborateurs et les écoute jusqu’au bout, ou encore qu’il leur laisse la bride sur le cou, mais c’est toujours lui qui tranche. G demande à ses collaborateurs d’écrire sur telle ou telle question, accepte, refuse ou amende les projets qu’ils lui soumettent, Dimitrov le premier. Les hommes qui écrivent ces textes n’exposent pas forcément leurs idées - cela peut arriver tout de même, si elles coïncident avec ce que Staline leur prescrit ou les autorise à écrire. D im ttro v

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Auréolé par son comportement héroïque devant les juges nazis de Leipzig et face à Gôring, Dimitrov s’est sans doute exprimé plus franchement que les autres et avant eux sur le tournant nécessaire à la Comintem, mais c’est Staline et lui seul qui a décidé ce qu’il retenait de son discours pour une politique nouvelle dont il savait par expérience, pour avoir déjà pris quelques tournants aigus sous l’emprise de la nécessité, qu’elle devait prendre 1e contre-pied de la précédente, n apparaît clairement que Staline a consenti à un tournant radical qui lui est apparu nécessaire. Mais, tout en autorisant les dirigeants de la Comintern à l’opérer et en les contrôlant de près, il a exigé qu’il soit présenté comme le résultat du changement de la situation et en aucun cas d’une critique de la politique passée. D n’y avait pas eu d’erreurs. Staline ne se trompe jamais. Il est d’ailleurs probable que Dimitrov, dans la mesure où il a été partie prenante de cette politique et a pu en mesurer les conséquences, devait avoir une idée assez précise de tout ce qu’il lui fallait faire pour éviter îa catastrophe qui le menaçait de tous côtés, celui de Staline compris. A-t-il au moins écrit îes textes fondamentaux, ceux qui argumentent et ceux qui établis­ sent ? C’est peu probable. Le Bulgare n’était pas un styliste subtil et les textes en question trahissent une main plus experte. Nous avons sur ce point le témoignage d’Arvo Tuominen, évidemment invérifiable. Il raconte que Dimitrov ne se fit pas prier pour utiliser les services d’un « secrétaire » qui avait fait ses preuves auprès de Staline. En homme qui sait de quoi il parle, Tuominen écrit : Kuusinen était maintenant un secrétaire sous Dimitrov, un parmi beaucoup. [...] Comme il en avait l’habitude, il se fit très important, presque indispensable à Dimitrov. Celui-ci réalisait à quel point cette haute fonction exigeait de îui d’être aussi un théoricien, et qu’il ne le pouvait qu’avec l’aide de Kuusinen. Aussi était-il disposé à accepter ses services afin de briller par ses résolutions et ses discours sur la théorie. Et l’observateur finlandais de conclure : « Dimitrov récolta une réputation considérable avant tout par des discours qui avaient été écrits par Kuusinen. Kuusinen connaissait la ligne de Staline et c’était un maître dans l’art de la formulation. H créa son propre style, exceptionnellement coupeur de cheveux en quatre, ce qu’on a appelé le style Comin­ tem . » Le vaillant Bulgare, propulsé par Manouilsky, allait ainsi occuper le devant de la scène et prononcer des discours unitaires écrits par Kuusinen, de la façon qu’exigeait le maître tatillon. Staline disposait enfin d’une ligne politique susceptible de détourner les travailleurs d’un front des seuls partis ouvriers et d’en faire une composante de la politique de recherche de l’alliance des « bourgeois antifascistes », c’est-à-dire des bour­ 13. A,Tuominen, The Bells of the Kremlin, p. 249.

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geois de tous les pays disposés à s’opposer à l’expansionnisme allemand. Une politique qui n’était pas axée sur la révolution, comme le disent bêtement tant d’auteurs, mais déjà sur la guerre. D ES ALLUSIONS FEUTRÉES

D n’y a donc eu ni combat ni vraie discussion. Personne, dans F état-major de la Comintern, ne pouvait, même en rêve, s’imaginer en opposant à la ligne, et personne ne s’y risqua. Cela ne signifiait pas qu’il y avait unanimité. Au contraire, la nouvelle ligne faisait naître beaucoup d’inquiétudes. Au premier chef, les Allemands continuaient à défendre leur ligne passée comme un apparatchik défend sa peau et tentaient par des subtilités de langage de réintroduire leurs principes, sinon dans les textes, du moins dans leurs commentaires. Ils s’acharnaient particulièrement contre Heinz Neumann pour appa­ raître plus propres par contraste, et lui attribuaient toutes les décisions « sectaires », comme on disait. Les véritables sectaires, eux, se dressaient contre la ligne dans son ensemble. C’était le cas du Letton Wilheîm Knoriue, chef du département d’Europe centrale, qui avait au moins le mérite de la constance. Il croyait vraiment, semble-t-il, à la fascisation de la social-démocratie. Pour lui, la nouvelle ligne d’unité ouvrière était intolérable dans la mesure où elle signifiait une alliance avec des social-fascistes. Un troisième groupe, dont les positions ont été systématiquement déformées par Leibson et Chirinya, était celui d’hommes qui avaient combattu la ligne absurde du social-fascisme au point de songer à se débarrasser de Staline pour pouvoir s’allier avec des social-démocrates de gauche nous en reparlerons. Pour eux, la nouvelle politique n’était rien moins que rassurante puisqu’elle était de fait un abandon de l’objectif révolutionnaire au profit de l’alliance avec des secteurs de la bourgeoisie nationale, même dans des pays impérialistes. H y a toutes raisons de penser que l’homme de base de cette orientation était Béla Kun, qui, en 1932, avait compté aussi sur Neumann et Lenski pour opérer un renversement de politique par une révolution de palais, mais qui, après la victoire hitlérienne, ne pouvait guère que traîner les pieds, avec Lenski toujours, dans une sorte de guérilla. Leibson et Chirinya, admettant ainsi implicitement qu’il était resté sur une ligne révolutionnaire quand la Comintern s’en détournait, définissent sa politique comme suit : « Béla Kun continuait à considérer le front unique comme l’un des outils en vue de îa lutte pour îa dictature du prolétariatK. » Avait-il conclu un accord secret avec Zinoviev, ce qui soustendra les aveux qu’on tentera de lui arracher par la torture ? On peut le penser dans la mesure où leurs positions - qui étaient aussi celles du bloc des oppositions - semblent avoir été proches en 1932. On sait que, dans son intervention au congrès, Béla Kun se prit îa langue dans un terrible lapsus freudien quand, voulant faire référence « au discours du camarade Dimitrov », il parla du discours du « camarade Zinoviev », ce dont nous ignorons si cela provoqua des rires et si, à l’époque, quelqu’un a pensé que cela pourrait un jour lui coûter la vie. Son biographe Gyôrgy Borsanyi a soigneusement étudié ses écrits de l’époque. Malheureusement, confondant lui-même constamment front unique et front populaire, il ne comprend évidemment pas que Béla Kun ne se rapprochait pas de ce dernier, bien au contraire, puisqu’il le qualifiait de « bloc sans principe ». Il souligne cependant que Kun niait l’identité de la social-démocratie et du fascisme et soulignait la nécessité de l’alliance sur des points précis entre partis social-démocrates et communistes.

14. Leibson et Chirinya, op. cit., p. 70. Faute de pouvoir disposer de ce livre sur une période étendue, nous avons ici utilisé souvent son édition en italien.

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La préparation du congrès C’était le X IIIeplénum qui avait fait la proposition de tenir le V IF congrès, et Staline avait donné son accord. Il était temps. La Comintem, qui s’était réunie tous les ans du vivant de Lénine, n’avait pas tenu de congrès depuis que Staline avait assuré seul la direction du parti et de l’État soviétique : sept ans allaient séparer le V Ieet le V IIecongrès, signe éloquent du rôle subalterne des délibérations et aussi de l’exaltation propagandiste que pouvait provoquer sa tenue. Le présidium avait à proposer Tordre du jour et les noms des rapporteurs, avec, bien entendu, l’accord préalable de Staline. Le 11 mai 1934, le secrétariat politique discute de la question. Manouilsky et Piatnitsky communiquent les résultats de cette importante réunion au comité central du PC russe. Le 26 mai, le Politburo donne son feu vert et désigne une commission présidée par Staline pour superviser l’ensemble de la préparation. L ’exécutif de la Comintem désigne le 28 mai quatre rap­ porteurs. Wilhelm Pieck présentera le rapport d’activité de l’exécutif depuis le V Iecongrès, donc sa politique allemande. Manouilsky parlera de la construction socialiste en URSS. Ercoîi (Togliatti) présentera îa question de la lutte contre le danger de guerre, et Dimitrov le rapport sur « L ’offensive du fascisme et ies tâches communistes dans la lutte pour l’unité de îa cîasse ouvrière contre le fascisme ». Des commissions sont mises sur pied pour étudier îes différentes questions, avec des membres de l’appareil central et des représentants des différents partis communistes. Le 14juin, la commission, sous la présidence de Kuusinen, écoute le projet de Pieck soulignant la nécessité de modifier la tactique. Insuffisamment sans doute, car Manouilsky intervient longuement, parlant du caractère «abstrait» et «schématique» des mots d’ordre employés jusqu’à présent. Il dit que l’on a en Allemagne sous-estimé le danger fasciste et fait comme si îa lutte révolutionnaire se menait « contre les social-démocrates ». Il explique la nécessité d’un nouveau programme d’action et souligne - c’est là un changement décisif - qu’il ne « s’agit pas de la dictature du prolétariat, du socialisme, mais d’un programme qui conduira les masses à lutter pour îa dictature prolétarienne et le socialisme15». On ne saura rien de la discussion, mais Leibson et Chirinya assurent qu’il y a eu opposition de Béla Kun, Heckert, Losovsky, Knorine et Piatnitsky, mettant tous ces hommes dans le même sac et sans plus de détails. Au cours du mois de juin, Dimitrov adresse une note aux membres de la commission préparatoire sur le deuxième point à l’ordre du jour. Il y dit notamment : « La qualification sommaire de la socialdémocratie comme social-fascisme nous a bané le chemin vers les ouvriers sociauxdémocrates. [...] D faut abandonner la position selon laquelle le front unique ne peut être réalisé qu’à îa base16. » Le 1erjuillet, cette commission se réunit. Sa composition indique son importance : il y a là Dimitrov, Piatnitsky, Kuusinen, Losovsky et Varga, ainsi que Kostanian et Maddalena17. Dimitrov y donne les grandes lignes d’un rapport qui analyse îa démagogie fasciste, souligne que la leçon allemande concerne les prolétaires du monde entier, dit que le grand problème de la période d’offensive fasciste est dans les rapports des communistes avec la social-démocratie, se prononce pour un front unique au sommet et à la base, pour un front unique dans îe mouvement syndical, et propose une réorganisation des PC du point de vue de la lutte contre le fascisme18. Le projet est accompagné d’une lettre à l’exécutif 15. Firtsov, op. cit., p. 186. 16. Voprosy Istorii, LPSS, 1965, 7, p. 85-86. 17. Ibidem, p. 88, n. 1. 18. Ibidem, p. 86-88.

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et au CC du PC de l’URSS qui remet en question la qualification des socialistes comme « social-fascistes » et arme principale de la bourgeoisie. Il propose enfin « un changement dans les méthodes de direction de la Comintern » afin de tenir compte, dit-il, du fait qu’il est impossible de donner des directives sur toutes les questions à 65 sections nationales à partir de Moscou. Dans îa soirée du lendemain, Dimitrov intervient en commission, disant qu’au cours de îa période précédente l’analyse marxiste avait été remplacée par des schémas abstraits sans rapport avec îa réalité concrète et contestant une fois de plus trois mots d’ordre de îa période antérieure: îa qualification de «social-fascistes» appliquée aux sociaîdémocrates, l’affirmation qu’ils sont î’arme principale de îa bourgeoisie et que les socialdémocrates de gauche sont l’ennemi principal des communistes. C’est vrai qu’il s’agissait d’une profonde révision de quelques dogmes staliniens. On sait seulement que la discus­ sion se prolongea tard dans la nuit. C’est le 17juillet 1934 que Togliatti présenta son rapport en commission. Le fascisme étant agresseur, il souleva la question de l’attitude des communistes vis-à-vis de la défense, nationale dans les pays soumis à une agression fasciste. La discussion se déroula de nouveau en partie sur l’attitude à l’égard de la social-démocratie, si Ton en croit Leibson et Chirinya, qui, une fois de plus, déforment la position de Béla Kun, lequel s’était exprimé par écrit. Il assurait que, dans un pays capitaliste allié de l’URSS, îes communistes devaient continuer à se battre pour la défaite de leur impérialisme mais aussi pour îa victoire de l’URSS et la conquête par eux de leur propre armée. Manouilsky, Kuusinen, Codovilla, Kolarov, ferraillaient contre les critiques de Togliatti. L ’AGONIE DU VŒUX KPD L ’un des plus gros problèmes auxquels se heurtait la nouvelle ligne était celui du KPD, ou plutôt de ses apparatchiki en exil, divisés en cliques rivales et devenus difficilement contrôlables. Déjà, au X IIIeplénum, le rapport de Pieck, remplaçant de Thàlmann, avait été, avec l’hommage obligatoire à Staline et au « véritable bolchevik Dimitrov », une sorte d’autojustification de la politique allemande, la responsabilité de la défaite incombant essentiellement selon lui à la social-démocratie et au groupe de Heinz Neumann. Ulbricht et Pieck, restés à Moscou, avaient été petit à petit fermement conduits vers îes positions défendues par Dimitrov avec la bénédiction de Staline et s’étaient alignés dès qu’ils avaient compris que c’était îà le bon choix. Mais leurs moyens de pression, éventuellement de répression, sur les exilés étaient faibles. Bientôt îe groupe de Paris animé par Fritz Schulte et Hermann Schubert (Max Richter) incarna la résistance au tournant. Un heurt était inévitable. On sait que, le 30 juin 1934, Hitler et Gôring se débarrassèrent de leurs adversaires par une série d’assassinats. Tandis que le second veillait à l’élimination de von Schîeicher et de l’opposant nazi Gregor Strasser, îe premier se chargeait personnellement d’éliminer f état-major de l’armée brune des SA, son chef Emst Rohm et ses « généraux », comme l’ancien chef de corps-franc Hans Peter von Heydebreck, ainsi que les Karl Emst et Edmund Heines, connus pour îeur brutalité et leurs goûts dépravés. Il sembîe que tout îe monde à la Comintern et chez îes exilés du KPD crut, au moins dans un premier temps, que c’était le commencement de la fin pour les nazis. Le groupe des réfugiés de Paris derrière Schubert et Schulte était convaincu que cette Nuit des longs couteaux exprimait une crise grave du régime nazi, et s’attendait à sa chute prochaine. Les Allemands des deux groupes furent convoqués au présidium du 9 juillet pour débattre de îa situation dans leur pays. Schubert (Richter) admit que des erreurs avaient été commises dans le

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passé, particulièrement dans la façon d'aborder les ouvriers social-démocrates. Il parla cependant aussi, du début de la crise du régime fasciste, de la nouvelle montée révolu­ tionnaire. Piatnitsky appela à un front unique avec les ouvriers social-démocrates et assura que, selon lui, la faiblesse du KPD remontait à l’incapacité dans laquelle il avait été de résister au coup d’État de von Papen en Prusse en juillet 1932. Une session du CC du KPD à Moscou le Ier août 1934 acheva, au moins en apparence, de recoller pièces et morceaux. Elle se prononça pour « un front unique des masses laborieuses contre la dictature fasciste d’Hitler», et en appela à 3’unité d’action des ouvriers communistes et social-démocrates ainsi que des éléments dans l’opposition chez îes SA, déçus par le fascisme. Il fallait reforger l’unité des rangs du parti sur le programme de îa Comintem, lutter pour la réunification syndicale, abandonner l’indépendance de ia RGO. Ce fut donc un événement significatif que l’intervention, le 2 août, à la commission Dimitrov, du délégué allemand Sepp Schwab, dûment mandaté, affirmant qu'il fallait condamner l’identification de îa social-démocratie et du fascisme.

Vers une réforme des structures Ce sont probablement îes difficutés rencontrées dans l’adoption de la nouvelle ligne qu’iî proposait qui ont incité Dimitrov à proposer à Staline une modification des structures de îa Comintern, réduisant îe degré de centralisation. Une première fois, il écrit dans une note à Staline qu’iî est, selon îui, impossible de « guider, de Moscou, l’ensemble des 65 sections qui travaillent dans des conditions différentes ». Le 20 octobre, iî soulève de nouveau cette même question : Selon la pratique existante, les organes dirigeants de la Comintem donnent la solution des questionsles concernant qui se posent àtoutes les sections. Le résultat estqu’il devient impossible, d’unepart dese concentrer sur les questions principales, de l’autre, queles dirigeants des sections de la Comintem prennent l’habitude d’attendre de Moscou des directives et n’élaborent aucune initiative propre engageant 1aresponsabilité pour la direction de leur parti. Staline se déclare d’accord avec une révision des méthodes de travail dans les organes de Î’ÎC, leur réorganisation et des changements de personnesl9. Des instructions sont données à la délégation du parti russe à l’exécutif pour qu’iî y travaille à une restructuration des méthodes de direction dans îa Comintem, à savoir développement des initiatives, administration efficace, développement et promotion des cadres, de façon à transférer systématiquement aux sections le centre de gravité de l’administration quotidienne20. La nouvelle méthode est ainsi définie : « L ’Internationale communiste guidera les différentes sections sur la base d’une étude très approfondie et d’un bilan des situations concrètes et particulières du mouvement communiste dans un pays donné, en évitant tout élément de commandement, appliquant des méthodes de clarification, de persuasion et de conseil amical21. »

Vers le Front populaire Les difficultés demeuraient, bien que nous soyons loin de connaître leurs tenants et aboutissants. On sait que c’est du PCF et de son secrétaire général Maurice Thorez, dont le sectarisme à toute épreuve avait provoqué notamment la révolte de Jacques Doriot, que vint l’inflexion vers îa droite, transformant îa lutte pour le front unique ouvrier en lutte 19. Firtsov, op. cit., p. 456. 20. Ibidem, p. 456457. 21. Ibidem»p. 457.

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pour le front populaire, en France l’alliance des partis ouvriers, socialiste et communiste, avec l’un des plus importants des partis de la bourgeoisie française, le Parti radical. Peu après avoir rencontré, avec Jacques Duclos, le chef historique de ce parti, Édouard Herriot, Maurice Thorez se rendit à Nantes, à la veille du congrès radical, pour lancer à ce dernier un vibrant appel à la constitution d’un front populaire comprenant non seulement les partis socialiste et communiste mais aussi le Parti radical lui-même. Faut-il croire l’agent de la Comintern et sans doute de l’OGPU, l’Italien Giulio Ceretti, qui a raconté la visite à Thorez avant son départ pour Nantes, le 24 octobre, d’une délégation de la Comintern comprenant son délégué en France, Evzen Fried, Togliatti et Gottwald, et dont le porteparole, Togliatti, lui assura que Manouilsky et Dimitrov étaient extrêmement inquiets de cette initiative ? Thorez tint bon, selon cette version, qui a toutes les chances d’être sinon enjolivée, du moins tronquée. Nous savons qu’il y eut discussion, soulevée à Moscou, le 14 novembre 1934, par Béla Kun, qui adressa à l’exécutif une coupure de presse de Thorez et demanda comment il était possible qu’on laisse la politique de front unique dégénérer à ce point en une vulgaire politique de blocs. Pourtant, Maurice Thorez avait gagné la partie. Est-ce, comme il l’a lui-même assuré, parce que Staline appuya son initiative ? Cela paraît probable, car une alliance de type front populaire avec des formations bourgeoises correspondait mieux qu’un front ouvrier aux objectifs de Staline, lancé à la recherche d’alliés dans les pays occidentaux. A la réunion du présidium des 9-10 décembre 1934 à Moscou, en tout cas, Thorez fut invité à présenter un rapport au sujet de son initiative qui faisait du PCF un parti modèle pour tous les autres. Le 15janvier 1935, le secrétariat politique de l’exécutif vota une résolution félicitant le PCF d’avoir élaboré un programme de revendications authentiques pour un front populaire. Une époque nouvelle commençait. La

v a g u e d e r épr essio n en

URSS

C’est à quelques jours près à la même date qu’ont été prises deux décisions capitales pour l’histoire de l’URSS et celle de la Comintern. Au moment où Staline décidait de donner son investiture aux initiateurs de la politique de front populaire, il décida d’utiliser l’assassinat de Kirov le 1er décembre à Leningrad pour lancer une campagne de terreur, « la grande terreur », contre ses adversaires dans le parti, c’est-à-dire essentiellement contre îa vieille garde bolchevique. L ’assassinat de Kirov a été suivi de mesures d’excep­ tion facilitant îa répression et de l’arrestation de centaines, voire de milliers de commu­ nistes. Parmi les communistes étrangers arrêtés se trouve le Hongrois Magyar. Le 24 décembre, aux mains des enquêteurs, il met en cause comme membres d’un groupe antiparti Béla Kun et nombre de collaborateurs de la Comintern22. Les intéressés sont-ils au courant ? Probablement pas, mais ils peuvent îe craindre. Début janvier, apprenant qu’il est convoqué par Î’OGPU, l’intrépide Besso Lominadze se suicide. Ce Géorgien, ancien favori de Staline, dirigeant des JC et de îa KIM et ancien membre du présidium de l’exécutif de la Comintern, avait dirigé la sinistre aventure de l’insurrection de Canton. Condamné pour sa critique de la collectivisation et les méthodes de direction du parti, il avait maintenu un groupe oppositionnel, avec Jan Sten et Lazar Chatskine, et rejoint en 1932 le bloc des oppositions. Il avait continué à rencontrer Neumann. Les communistes qui reviennent de l’étranger sont saisis par le changement qu’ils constatent chez leurs camarades. Heinz Neumann, expulsé de Suisse, a appris par Margarete, sur le bateau qui le ramène, le suicide de son ami, et en a conclu qu’« ils » îes 22. Interrogatoire de Magyar, archives du KGB, in The International Newsletter, n05 7-8,1996.

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arrêteraient eux aussi. Il est à Moscou au début de 1935 et rend aussitôt visite à la veuve de son ami. Margarete Buber-Neumann raconte : Une semaine plus tard, on le convoquait à ia commission centrale decontrôle de la Comintem. Ii duty subir un interrogatoire. Quel mobile l’avait poussé à serendre chezla veuve de Lominadze et de quoi avaient-ils parlé ? Neumann répondit qu’il avait seulement présenté ses condoléances. L’excuse fut récusée avec indignation par les inquisiteurs. Le plus zélé d’entre eux, Manouilsky, iui demanda ironiquement s’il avait préparé une meilleure justification pour sa seconde visite. Lorsqu’on entendit Neumann répondre qu’il avait oublié son imperméable, ce fut un éclat de rire général. Personne ne le crut. [...] À partir de ce moment-là, les convocations ne cessèrent de se succéder23. Un ami commun, ancien dirigeant de îa KIM également, Amo Vartanian, leur parla à contrecoeur, sur leurs instances, du suicide de Lominadze, de son désespoir devant la dégénérescence du communisme. Mais ni Heinz Neumann ni sa compagne n’avaient vraiment compris, comme le montre leur réaction à une tentative de Piatnitsky de leur sauver îa vie : Lorsque Neumannfut convoquéparOssipPiatnitsky àla Mokovaïa, la maisonde la Comintem, il fut persuadé que c’était l’heure du châtiment auquel il s’attendait depuis son arrivée à Moscou. A sa grande surprise, c’est un Piatnitsky plutôt bienveillant qui le reçut. Neumann voulait-il aller au Brésil chargé d’une mission de îa Comintem ? [...] Neumann répliqua qu’iî était allemand et voulait travailler non au Brésil, mais dans le parti allemand. Piatnitsky se mit en colère. Le chef de l’OMS déclara tout net que, pour Neumann, qui avait formé ungroupe antiparti, il ne pouvait plus être question d’une activité au sein du KPD. Il devait s’estimer heureux de n’avoir pas été encore exclu du parti, dit-il d’un ton paternel, « l’air de Moscou ne vous vaut rien »24. Neumann décida de partir. Une autre preuve de la terreur que commencent à vivre les communistes nous est donnée par l’autobiographie de Jules Humbert-Droz. En 1933, ce dernier a organisé à Zurich une réunion avec des « conciliateurs » allemands, notamment Karî Voîk. Au lendemain du X IIIeplénum, il rompt avec eux toutes relations et fuit comme la peste tout opposant éventuel, tout en se faisant îe chantre de la nouvelle ligne, dont iî se croit îe père. La preuve irréfutable enfin que îes communistes peuvent commencer à avoir peur, c’est que, du 15 au 18 janvier 1935, dix-neuf accusés ont comparu devant le collège militaire de la Cour suprême. Parmi eux, Zinoviev, qui fut président de la Comin­ tem de sa naissance, en 1919, jusqu’en 1926, Il accepte devant sesjuges ia « responsabilité morale » de l’assassinat de Kirov, est condamné à dix ans de prison. A ce procès, G.I. Safarov, un autre ancien dirigeant de la Comintern, condamné à l’exil par l’OGPU, vient témoigner, parle longuement de l’activité ouverte du bloc des oppositions dans cette année 1932, dont Staline se prépare à solder les comptes. Un nouveau dispositif de répression est mis en place : des mesures juridiques, comme la responsabilité familiale collective - cela ne manque pas de piquant si l’on pense aux affirmations sur les libertés et droits démocratiques dans la commission qui va préparer îe congrès de la Comintem-, mais aussi des changements d’affectation et des nominations, n y a un remaniement au sommet à îa suite de l’assassinat de Kirov. Un apparatchik jusque-là obscur, devenu l'homme de Staline, Nikolaï Ivanovitch Ejov, qui travaille à la commission des cadres du parti, prend la place de Kirov au secrétariat, et la présidence de la commission de contrôle à la place de Kaganovitch. Il est bientôt chargé de l’enquête 23. M. Buber-Neumann, op. cit., p. 347. 24. Ibidem, p. 345-346.

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sur la Société des anciens forçats et prisonniers politiques, dissoute, et dont les papiers sont aux mains de l’OGPU. C’est un autre homme de Staline, Malenkov, membre de son secrétariat personnel, qui dirige pour sa part l’enquête sur la Société des vieux bolcheviks, dissoute dans les mêmes conditions. Une purge sévère est annoncée dans le parti par des circulaires secrètes. Bien entendu, ces circonstances, dont certaines sont publiques, d’autres non, mais que la plupart des protagonistes du débat à îa Comintern connaissent, pèsent lourd sur ces derniers. Chacun sait désormais qu’une critique formulée à haute voix, une maladresse dans l’expression d’une opinion, peuvent le conduire en prison. Les données de ce qui était déjà un faux débat sont donc radicalement changées. Il y eut cependant des soubre­ sauts, les derniers. Knorine s’exprima de nouveau au secrétariat politique. Nous savons seulement que Togliatti i’accusa de « provincialisme », parla de la faiblesse du KPD dans la politique du front unique et recommanda au KPD l’adoption d’une « large politique de front populaire ». Pendant plusieurs mois encore, Fadoption de la ligne de front populaire relança, quoique faiblement, les critiques de ceux que Leibson et Chirinya appellent « les sectaires ». Ainsi, à peine le CC du KPD autoconstitué à Moscou vient-il de se décider à appeler à un front antifasciste et bien sûr à dénoncer îe « sectarisme » de ses adversaires, que Schubert (Max Richter) et Schulte arrivent à Moscou et reprennent leurs critiques dans une discussion au bureau d’Europe occidentale, où ils auraient été soutenus par Knorine et Piatnitsky. Béla Kun écrit dans îa revue de TInternationale : « Le front unique ne peut être qu’un front de classe des ouvriers contre le capital25. » Pour la deuxième fois, îe 5 mars 1935, le congrès est repoussé, cette fois à la fin de juillet. Quelques semaines plus tard est conclu le pacte franco-soviétique. Staline, le 16 mai, confie à Pierre Laval, qui le répétera évidemment à son arrivée en France, qu’il approuve la politique de défense nationale du gouvernement français. Staline a parlé très clairement. La politique de front populaire, c’est aussi le soutien par les partis communistes des gouvernements bourgeois hostiles « au fascisme ». Cette fois, personne ne discute : le temps de îa discussion est passé. Quelques jours avant l’ouverture du V IIecongrès, Heinz Neumann et sa compagne, qui ont terminé leur stage de formation pour leur mission brésilienne, attendent dans l’angoisse le signal du départ. Mais ce qui arrive, c’est un coup de téléphone de Manouilsky : « Neumann ? Vous ne partez pas26. » Il raccroche sans un mot de plus. Heinz Neumann venait en effet de perdre son principal protecteur: la décision venait d’être prise de relever Piatnitsky de ses fonctions à la Comintern. LE DÉBUT DU

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Le V IIecongrès de la Comintern - îe dernier - s’est ouvert dans la soirée du 25 juillet 1935, sept ans après le V Ie, dans la salle des Colonnes du bâtiment des syndicats de Moscou. Les 65 partis qui revendiquaient tous ensemble 3 millions de membres étaient représentés par 513 délégués, dont 371 avec droit de vote, 53 % étant classés comme « ouvriers ». Staline n’était pas là. Il n’y a pas lieu de s’en étonner. Comme l’écrit E.H Carr, « son manque d’enthousiasme pour îa Comintern et pour les communistes étrangers était bien connu ». Il avait été présent, muet, au premier congrès, actif dans îes couloirs au Ve, absent aux autres. Ici, chaque mention de son nom provoque des tonnerres d’applau­ dissements. Un premier signe quant à l’orientation du congrès apparaît avec la désignation des candidats à son présidium. Béla Kun n’en est pas. H tente de faire appel à Staline, 25. Kommunistitcheskii Intematsional, 1934, n° 31, p. 20,1935, n° 9, p. 123. 26. M. Buber-Neumann, op. cit., p. 350. 27. E.H. Carr, op. cit., p. 403.

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qui ne le reçoit pas. Il manifeste son mécontentement en restant ostensiblement assis pendant l’ovation rituelle et rythmée qui salue ie nom de Manouilsky. Le salut aux congressistes est prononcé par Wilhelm Pieck, ce vétéran qui avait échappé et devait échapper à toutes îes purges, peut-être parce qu’il ne pourrait jamais se dégager des soupçons qui pesaient sur lui, arrêté et détenu avec Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht e n janvier 1 9 1 9 , mais sorti vivant de l’aventure, libéré par les assassins. Il est suivi d’un certain nombre de saluts de délégués, dont l’Espagnole Doîorès ïbarruri, se terminant tous par un vibrant hommage à Staline. Enfin, Ercoîi (Togliatti) présente un ahurissant salut ducongrès « au camarade Staline, le Chef, îe Maître et F Ami du prolétariat et des opprimés du monde entier ». En tant que l’un des premiers écrits d’une littérature appelée à se développer sur îe même modèle, iî mérite qu’on en cite de larges extraits : Au nom de l’armée de millions de combattants de îa révolution prolétarienne mondiale, au nomdes travailleurs de tous les pays, nous nous adressons à toi, camarade Staline, notre chef, le vrai successeur de {'œuvre de Marx, Engels et Lénine, toi qui as su, avec Lénine, forger un parti detype nouveau, le parti des bolcheviks, le parti qui aremporté la victoire deîa Grande Révolution prolétarienne d’Ocîobre, la victoire du sociaîisme en Union soviétique. Nous nous adressons à toi, chef bien-aimé du prolétariat international et de tous les opprimés, avec un salut ardent. [...î Sous ta direction, le socialisme a triomphé en Union soviétique et une base inébranlable de la révolution mondiale a été construite. [...] Sous ta direction a été bâti un bastion inexpugnable de la révolution socialiste, un bastion de la révolution, un bastion pour la lutte contre le fascisme et la réaction, contre la guerre. [...] La victoire du socialisme en Union soviétique ouvre une nouvelle étape de la révolution prolétarienne mondiale. Nos héroïques combattants d’Allemagne, de Chine, du Japon, d’Espagne, de Pologne, d’Italie et d’autres pays - avec ton nom, camarade Staline, dans nos cœurs - dirigent les masses au combat. Ton nomleur donne une confiance totale dans la victoire de notre cause. Tu nous a enseigné et tunous enseignes à nous, communistes, qu’une politique de fidélité aux principes est îa seule politiquejuste. [...] Dans la lutte contre les trotskystes-zinoviévistes contrerévolutionnaires, dans la lutte contre les droitiers et les opportunistes de droite, toi, camarade Staline, tu as défendu les leçons marxistes-léninistes. [.„] Le VIIecongrès de l’Internationalecommunistet’assure, camarade Staline, au nomde 65partis communistes, queles communistesresterontjusqu’auboutfidèles audrapeaudeMarxetd’Engels, de Lénine et de Staline. C’est sous ce drapeau que le communisme triomphera dans le monde entier28.

Ainsi l’époque des « fronts populaires » commence-t-elle avec îe salut flagorneur au chef « bien-aimé ». Le rapport d’activité de l’exécutif est présenté par Pieck. Il aurait dû être un moment extraordinaire, en tant que bilan d’années chargées d’événements. Mais personne n’en était capable dans cette organisation mondiale de raillions de membres. Ce ne fut qu’un discours de routine, avec des généralités pas trop compromettantes, le blâme sur les social-démocrates, la réprimande sur îes sectaires, le salut au tournant novateur. Il exalte les militants du KPD, privés de leur centre, ravagé par îa Gestapo, luttant contre une terreur moyenâgeuse. Il célèbre aussi les victoires ouvrières de France, d’Espagne et d’Autriche, et termine par un appel pressant à l’unité contre le fascisme et îa guerre, et à l’alliance avec l’Union soviétique. La discussion sur îe rapport de Pieck dure six jours avec des orateurs de 46 pays. On relève la contribution d’un Allemand sous pseudonyme 28. Protokoll des VII. Weltkongresses, p. 16-18 (Protokoll dans les notes ci-après).

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qui pense que le KPD, trop préoccupé par la dénonciation de la social-démocratie, n’a pas assez insisté sur les droits et libertés démocratiques. Mais l’intervention remarquée vient du Britannique J.R. Campbell, indigné que Pieck n’ait pas examiné l’activité de l’exécutif dans les sept années écoulées. Il interpelle : L’exécutif peut-il vraiment dire que les responsables des erreurs sont les partis ? Peut-il vraiment dire qu’il a pris à temps l'initiative des corrections ? S’est-il assuré, quand on est passé de la tactique du front unique à la base à celle du front unique à la base et au sommet, que ce tournant a été pris vite et vigoureusement ? En tout cas, c’est une question à poser et discuter ici, dans ce congrès29. Très conciliant dans sa réponse, Pieck assure qu’à l’avenir l’exécutif ne s’immiscera pas dans la politique des partis, sauf si celle-ci révèle de graves insuffisances. Le

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de D im it r o v

A son arrivée à la tribune, Dimitrov est accueilli par une tempête d’acclamations et par L'Internationale chantée dans toutes les langues sous la direction des délégués chinois. Dans un rapport truffé de citations de Lénine et de Staline, il n’apporte rien de neuf. Mais il plaît par son attitude ouverte et son parler franc. B commence son intervention par une longue analyse du fascisme, dont il souligne qu’il n’est ni une dictature de îa bourgeoisie ni une dictature de îa petite bourgeoisie, mais une dictature terroriste du capital financier. H explique de façon passionnante pour les congressistes que le fascisme ne joue pas seulement, comme tout le monde le sait, sur les préjugés réactionnaires comme le racisme, mais aussi sur les sentiments les meilleurs des travailleurs, îeur sens de îa justice et même, parfois sur leurs traditions révolutionnaires : « Les fascistes allemands essaient d’exploiter îa force de la révolution, de pousser pour le socialisme, qui vit dans îe cœur des larges masses d’ouvriers allemands30. » Dans le corps de l’exposé, sa critique des partis est explicite et développée, sa critique des organes dirigeants de l’exécutif, implicite. Il tient cependant à relever qu’il est regrettable que, dans le passé, îa campagne contre le secta­ risme de gauche n’ait pas été menée avec autant de vigueur que la campagne contre l’opportunisme de droite. L ’objectif est maintenant « un large iront populaire antifasciste sur la base du front unique prolétarien35». Sur la question de la démocratie, il martèle. Pour lui, il faut être prêt à défendre, sous quelque régime que ce soit, toute parcelle de conquête démocratique réalisée par îa classe ouvrière. Sur la nation, iî rappeîîe Lénine, pour qui les communistes n’étaient pas des nihilistes de la nation. Il annonce les pour­ parlers entre Internationales, et» avec une discrète allusion à l’objectif final, dit qu’il s’agit de « balayer le fascisme et avec lui le capitalisme de la surface de îa terre32». 60 orateurs environ s’inscrivent pour intervenir dans le débat. Nous reviendrons plus tard sur les interventions de Béla Kun, Lenski et Harry Pollitt. Maurice Thorez est unejeune vedette de ce congrès. Il n’oublie pas l’hommage appuyé à Dimitrov au début de sa longue intervention, ni le coup de chapeau à « la politique de paix du camarade Staline », ni l’allusion à la rage des trotskystes lors de la déclaration du 16mai sur la défense nationale du gouvernement Laval. L ’ensemble de son intervention est tout de même consacré à îa glorification des succès de ce PCF qu’il dirige. Il raconte par le menu, comme une marche triomphale, sa politique des dernières années et proclame qu’il est devenu îe porte-drapeau de la tradition révolutionnaire nationale : « Nous ne 29. Protokoll p. 95. 30. Ibidem, p. 324. 31. Ibidem, p. 342. 32. Ibidem, p. 380.

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laisserons pas usurper par nos ennemis, les fascistes, le drapeau tricolore, celui de la Grande Révolution française, ni La Marseillaise, l’hymne des armées de la Convendon33. » Le PCF revendique également La Marseillaise et VInternationale. Thorez relève enfin que Dimitrov s’est prononcé pour l’éventuelle participation de communistes à un gouvernement antifasciste. Après lui, d’autres orateurs surprennent un peu» mais dans la ligne. Ainsi, l’Italien Ruggero Grieco évoque Garibaldi pourjustifier son patriotisme. Gottwald semble justifier une éventuelle participation ministérielle par la lutte contre le fascisme. Jésus Hemândez appelle « Largo Caballero et ses amis » à s’allier au PC qui avait fait d’eux sa cible. Ni Manouilsky, ni Kuusinen, ni Knorine n’interviennent. Humbert-Droz non plus, bien qu’iî soit convaincu d’avoir eu raison avant tout le monde et d’avoir inventé le front populaire au temps de l’assassinat de Matteotti. Kolarov grogne contre les sectaires. Walter Ulbricht parle de liquider îes oppositions quand elles sont importantes et de lutter pour ia démo­ cratie. La réponse de Dimitrov est longue et argumentée. Après un peu d’ironie sur ies formules creuses de ce qu’on appelle aujourd’hui îa langue de bois, il cite Lénine : « Ce serait une erreur profonde de supposer que 1a lutte pour la démocratie pourrait détourner le prolétariat de la révolution socialiste. [...] Il n’est pas possible d’arriver à îa victoire du socialisme sans la réalisation d’une totale démocratie. De même, le prolétariat ne peut pas se préparer à la victoire sans mener une lutte acharnée, consistante et révolutionnaire pour la démocratie34. » Il envisage ensuite le développement du front unique jusqu’au « front populaire pleinement développé au sommet et à îa base ». Il envisage la question difficile du gouvernement, qui pourra prendre des formes diverses. Son nom, couplé à celui de Staline, est scandé par les délégués pendant une vingtaine de minutes. La Pravda du 15 août écrit : « Le rapport de Dimitrov et sa réponse après la discussion sont parmi îes plus importants documents du mouvement ouvrier. » L es

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Togliatti illustre son rapport sur îe danger de guerre par un intelligent commentaire de la situation mondiale. Les avertissements ne manquent pas : l’agression japonaise en Mandchourie, l’agression italienne en Abyssinie, la menace des nazis en Europe, l’effon­ drement du système de Versailles. Il présente une défense et illustration de la politique de paix de î’Union soviétique, notamment de son entrée dans ia SDN et de ses traités avec îa Tchécoslovaquie et îa France pour faire pièce au danger nazi. Bardé lui aussi de citations de Lénine sur la nécessité de guerres défensives de la part d’un pays socialiste où la révolution a vaincu, il souscrit avec lui aux accords passés avec des États impérialistes et à l’utilisation des contradictions interimpérialistes. Il termine son discours par un appel aux travailleurs du monde entier pour défendre l’URSS en cas d’agression et par un hommage dithyrambique à Staline. La discussion est moins importante et moins poussée que sur îe rapport de Dimitrov. André Marty, î’ancien mutin de la mer Noire, s’en prend aux « renégats » qui ont critiqué le pacte franco-soviétique, célèbre l’Armée rouge et les volontaires français de 1793. Knorine s’abstient de parier des questions controversées, rend hommage à Dimitrov, et Kuusinen souligne l’importance des organisations de jeunesse. Dans sa conclusion, Togliatti s’en prend à ceux qui établissent un lien mécanique entre capitalisme et guerre : ia lutte pour ia paix est possible. Manouilsky, Iuî, célèbre les victoires soviétiques dans 33.Protokoll, p. 389-390. 34. Ibidem, p. 734.

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la construction du socialisme, et il n’y a pas de discussion sur son rapport, seulement des remerciements d’André Marty, au nom de quelques délégués. L es « NUANCES » DU CONGRÈS

Les interventions dans le cours du congrès font bien apparaître les courants de pensée - les nuances, si Ton préfère - qui divisent la direction. Sous des dehors souvent presque identiques, il est des conclusions généralement, des remarques parfois, qui ne trompent pas. Les critères sont faciles à repérer. Les partisans de la nouvelle ligne célèbrent Staline et Dimitrov, mettent l’accent sur leur politique de défense de l’URSS stalinienne et « oublient » la révolution prolétarienne mondiale. Ainsi le Français Maurice Thorez, s’il développe avec complaisance les succès de son parti dans la lutte pour le front unique, les place-t-il dans la bonne perspective. Au terme d’un lent mais solennel crescendo sur ce que signifierait la « victoire du fascisme » en France, il conclut : « La victoire du fascisme serait une catastrophe pour tout le pays, un triomphe de la réaction déchaînée dans toute l’Europe. La victoire du fascisme signifierait Vattaque contre l ’URSS. Nous voulons à tout prix éviter cette catastrophe, cette abomination pour notre pays, pour l’Europe, pour le monde entier35. » Togliatti replace aussi le mot d’ordre du front unique dans « la lutte pour la paix et îa défense de l’Union soviétique », avant d’affirmer : « Nous avons un chef, le camarade Staline, dont nous savons qu’iî a toujours dans îes pires moments trouvé la ligne qui a mené la victoire. » Le représentant des jeunes, Raymond Guyot, qui connaît îe sérail, dénonce en passant « les trotskystes, les scissionnistes et les contre-révolutionnaires qui sèment la route d’obstacles ». Ces hommes servent Staline et sa politique du moment, sans problèmes apparents. Béla Kun, Lenski, Harry Pollitt, eux, parlent un langage différent, celui d’hommes qui conservent la perspective de la révolution et s’efforcent de trouver, ne serait-ce qu’en paroles, un pont entre elle et la politique nouvelle. Béla Kun souligne que îes communistes sont partisans non de la démocratie bourgeoise, mais de îa démocratie soviétique, et qu’ils lutteront pour la première, non seulement pour repousser les attaques fascistes contre les droits des travailleurs, mais pour gagner ces derniers à îa démocratie soviétique, au pouvoir des conseils. Il assure qu’il ne faut pas considérer la lutte pour la démocratie bourgeoise comme un « moindre mal » mais comme une voie de passage36. Lenski, lui, s’inquiète de l’absence de mots d’ordre positifs sur la démocratie ouvrière permettant de ne pas nourrir d’illusions démocratiques dans les rangs des travailleurs. Il voit le front unique comme cœur et moteur du front populaire qui rassemblera les couches prolétariennes que l’on peut gagner au combat des travailleurs37. Harry Pollitt, quant à lui, parle une autre langue que les rapporteurs, mentionne la « montée révolutionnaire des masses » et expli­ que que le front unique n’est pas un but en soi mais un « moyen vers un but ». D faut ajouter que Dimitrov et les autres dirigeants après lui s’efforcent de donner de la Comintern et de sa vie intérieure une image renouvelée : on insiste sur les particularités nationales, sur le caractère néfaste d’une centralisation excessive, sur la nécessité de îa souplesse dans l’application d’une ligne « générale » dans des conditions différentes. La méfiance subsiste certes à î’extérieur, mais chez les militants îes plus expérimentés : chez les socialistes espagnols, Araquistâin ironise, mais îe jeune José Lain s’enthousiasme pour la transformation radicale de la Comintern, qui rend possible à ses yeux la réunification du mouvement ouvrier. 35. Protokoll, p. 381. 36. Ibidem, p. 428 sq. 37. Ibidem, p. 410-412.

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L ’ÉLECTION DE LA DIRECTION

L ’élection des organismes dirigeants clôt la période ouverte par la crise à la veille de 1933. Parmi les dirigeants de la Comintern, deux ne sont pas réélus au comité exécutif, Knorine et Piatnitsky. Béla Kun n’est pas réélu au présidium. Il demeure membre de l’exécutif, ce qui n’est qu’une fonction décorative. Losovsky, rétrogradé, devient suppléant des deux organismes. Dimitrov prend le poste nouveau de secrétaire général, qui lui donne la prééminence, et les autres secrétaires sont Manouilsky, Kuusinen, Togliatti, Pieck, Marty et Gottwald. En réalité, tous ces gens, même s’ils ont rallié Staline ou ont toujours été derrière lui, sont placés sous haute surveillance. Le guépéoutiste M.A. Trilisser entre dans le présidium sous le nom de Moskvine, et c’est lui qui contrôle désormais cadres et affectations en même temps que les enquêtes policières. L ’homme qui monte et sera l’année suivante commissaire du peuple à l’Intérieur et chef du NKVD, Nîkolaï Ejov, est, lui, membre du présidium, avec la possibilité, donc, de compléter le contrôle total d’en haut. La délégation hongroise est très émue de ce qui s’est passé avec Béla Kun, au début et à la fin du congrès, et, selon Borsânyi, son responsable, Ferenc Huszti, va exprimer cette émotion à Manouilsky. La réponse, tout imprégnée d’état d’esprit policier, donne le véritable sens de ce congrès. Manouilsky parle longuement des fautes de Kun, remontant à 1926, où il aurait lutté pour retarder l’expulsion de Trotsky. Il a fêté le nouvel an chez Kamenev exclu et y a bu à la santé d’autres exclus du parti, membres de l’opposition. Il a soutenu en 1934 le renouvellement de la carte de parti de Magyar qui, depuis, a reconnu devant îes enquêteurs du GPU qu’il est « un espion » en liaison avec Trotsky. Il est clair qu’il ne s’agit pas d’une réintégration : c’est la prison qui attend Béla Kun. L en d em a in s

d e c o n g rès

Le prétexte pour l’accélération de îa procédure est donné par une sévère vague d’attes­ tations en Hongrie. Béla Kun, rendu responsable du « sabotage » par îe PC hongrois de la politique de front populaire, se voit écarté du travail dans ce parti comme dans la Comintern. Dans îes mois qui suivent, il mendie un petit travail, une petite responsabilité, et attend vainement une réponse. Rencontrant l’écrivain Ervin Sinko, il lui fait des confi­ dences sur la terreur et la magnanimité passée de la révolution : « Rosa Luxemburg a écrit : “Il n’est nul besoin de la terreur pour réaliser les objectifs de la révolution ; la révolution abhorre et méprise les meurtres” 38. » Il n’y avait pas de délégué indien au V IIe congrès : ils avaient été arrêtés en route à Singapour. Une fois de plus, ils vont être suppléés par des membres du parti mentor, le CPGB, et ce sont des « thèses » rédigées par Palme Dutt et Benjamin Bradley qui vont poser le cadre de l’application à l’Inde de la poîitique du « front anti-impérialiste ». Elles sont tout entières tournées vers le Parti du Congrès, maintenant crédité d’avoir réalisé un énorme travail pour la libération nationale et d’en être « Tannée de masse », et dont l’aile gauche est qualifiée de « socialiste ». L ’une des premières tâches était d’aligner le KPD sur l’Internationale une fois pour toutes. Ce fut chose faite avec la conférence dite de Bruxelles, qui se tint près de Moscou pendant plusieurs semaines en octobre 1935, au lendemain du V IIecongrès. Le KPD ne pouvait que s’aligner lui aussi, et, après avoir rejeté la responsabilité de l’échec sur la politique du groupe Neumann, revendiquer la formation d’un front populaire allemand n . Protokoll, p. 398-399.

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De L’ACTIVITÉ POLITIQUE À L’ACTIVITÉ POLICIERE

contre le fascisme et la guerre. Malgré les réticences et les arrière-pensées, il s’y résolut sous la pression de Manouilsky et d’Ercoli, délégués par l’exécutif, et aussi de Walter Ulbricht, candidat à la succession de Thalmann, et de son lieutenant Herbert Wehner. Wehner, dans ses Souvenirs, donne plusieurs informations intéressantes sur la poursuite de la lutte au sein de F appareil. Il raconte notamment que, rendant visite à Manouilsky à Barvicha, il y rencontra Heinz Neumann qui essayait de convaincre son hôte de le réintégrer dans le travail du KPD, ce que Manouilsky ne refusait pas a priori39. On comprend la colère de Wehner, agent de Moscou et homme d’Uîbricht, devant une telle menace. Néammoins, Neumann a adressé par la suite à la conférence une lettre demandant sa réintégration, toute l’affaire ayant été, selon Wehner, préparée dans les bureaux de la Comintern par les soins de Smoliansky et de Boris N. Mülîer, autrement dit Melnikov, des Cadres®. Là encore, Wehner se targue d’avoir été l’obstacle à cette réintégration, un refus qui poussait évidemment un peu plus vite Heinz Neumann vers le couloir de îa mort, où il a précédé Smoliansky et Melnikov. Mais c’était là le travail de Wehner. L ’ in su r r ec t io n

b r é s il ie n n e 41

En octobre 1935 s’est tenue la ÏÏT conférence communiste d’Amérique latine, dont la mission est d’approuver et de trouver les formes du tournant décidé par l’exécutif entre juin et août. 19 délégués y prennent part, dont 5 Brésiliens. Elle précède de très peu îe soulèvement militaire au Brésil de l’automne 1935, appelé «insurrection nationalelibératrice ». Le drapeau en était l’ancien lieutenant Luis Carlos Prestes, symbole des tenentes, ces officiers nationalistes et populistes. Il était célèbre depuis 1924-1927 par l’épopée de sa « colonne », comparable, avec ses 36 000 kilomètres de marche en trois ans, à la Longue Marche de Mao Zedong, et qui îui avait valu, avec l’aide de l’appareil de propagande de Münzenberg, le surnom durable de « Chevalier de l’Espérance ». Après une longue discussion préparé par l’instructeur Gonzâlez Alberdi, avait adhéré au PCB en 1934, et, devenu Garoto, avait participé à Moscou à la préparation d’un soulèvement militaire au Brésil, où il était revenu en mai 1935 et avait été élu à îa tête de l’Alliance nationale libératrice, organisation des communistes et des tenentes de gauche. Margarete Buber-Neumann raconte que c’est à ce projet de soulèvement militaire qu’elle et Neumann avaient été préparés. Nous savons par ailleurs que la troïka chargée des préparatifs de l’insurrection était formée de Piatnitsky, Sinani et Vassiiiev. Le groupe envoyé sur place par îa Comintern pour épauler Prestes devait comprendre, outre Heinz Neumann, Arthur Ewert, l’ancien chef de file des « conciliateurs », l’Argentin Rodolfo Ghioldi et le Nord-Américain Victor Aîlan Barron, qui avait suivi les cours de radio de l’OMS pendant deux ans. Tous partirent, tous sauf les Neumann, retenus, comme on sait, au dernier moment, et les délégués à Moscou rejoignirent chacun son poste. L ’exploration des dossiers personnels par le journaliste William Waack révèle que d’autres hommes et femmes de la Comintern prirent part à l’expédition : l’Allemand Jan Jolies, longtemps « instructeur » du parti sous le nom de Guilherme, l’Italien Ezio - Amîeto Locateîîi de son vrai nom -, Johann, dit Jonny De Graaf, ancien marin de Kiel, libéré d’une lourde condamnation par la révolution de Novembre, commandant d’un bataillon de marins rouges dans la Ruhr, venu en 1930 en URSS, où il avait reçu une sérieuse 39. H. Wehner, Zeugnis, p. 166-167. 40. Ibidem. 4L La source îa plus complète en même temps que ia plus récente est îe livre de William Waack. Nous avons préféré l’édition brésilienne, Camaradas, à l’édition allemande, Die Vergessene Révolution, fâcheusement amputée de tout son appareil scientifique. Mais ii souffre du caractère exclusif de sources bureaucratiques.

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formation, sa femme, Hélène Krüger, responsable du département des sports au KPD de Berlin, Paveî Stoukhovsky enfin, un ancien du bureau du Sud de Kharkov, et sa femme Sofia Margoulian42. La liaison s’est faite à Moscou avec Silo Meireles. L ’insurrection était prévue au Brésil, à la suite d’une réunion, du « comité antimil » de l’Internationale, pour le premier semestre de 1936. Dimitrov fit remplacer le mot d’ordre de « Gouvernement ouvrier et paysan » par celui de « Gouvernement populaire national-révolutionnaire ». Le soulèvement militaire éclata plus tôt que prévu, par suite de diverses initatives, et ne fut finalement qu’un feu de paille43. L ’insurrection commença à Natal, où elle fut l’œuvre de sous-officiers liés au PC qui entraînaient le quart de la garnison. Un comité populaire révolutionnaire fut proclamé, dominé politiquement par le PC et son représentant, le savetier José Praxedes de Andrade, qui s’efforça de rallier la population par des mesures destinées à alléger le sort des couches pauvres. Mais il inquiéta par ses réquisitions et ses expropriations, et ne parvint pas à gagner ni même à apaiser « messieurs les commerçants », son objectif principal. Le sergent Quintilino Clementino de Barros, chef de la « défense », ne réussit pas non plus à rallier la garnison. Au bout de quatre jours, les insurgés sonnèrent la retraite. A Recife, la révolte, déclenchée avec beaucoup de légèreté par le responsable du PC Caetano Machado, est écrasée en vingtquatre heures. Ici, les militaires comptent sur « le peuple », et, à l’initiative du sergent Bezerra, on arme 6 000 civils malgré les protestations des chefs du PC. Le jeune lieutenant Lamartine Coutinho, devenu chef de l’insurrection, rêve de devenir Trotsky et de bâtir une Armée rouge44. Il s’en prend à Caetano Machado, qu’il traite fort justement d’idiot et d’incapable. Mais il est submergé par les forces fidèles sans même que les civils armés aient été engagés. C’est sous l’état de siège et après l’arrestation de plus de 400 personnes, soit le gros des cadres de l’ANL à Rio, que, pour en finir, Luis Carlos Prestes y donne F ordre d'insurrection, mais la force de frappe révolutionnaire - les 1700 hommes du 3e régiment d’infanterie et l’École des officiers de l’armée de l’air - ne peut se rendre maîtresse de Rio. Il semble qu’il y ait eu beaucoup de défections, des illusions surtout quant à l’attitude de nombreux officiers. 41 d’entre eux, pourtant, sont arrêtés à Rio pour rébellion. Des groupes ouvriers d’une ou deux dizaines d’hommes, la brigade des métallos, celles des travailleurs du port, des Jeunesses communistes se battent avec vaillance, mais sans l’expérience, ni P encadrement, ni l’armement nécessaires. C’est un désastre. L’offi­ cier communiste Agildo Barada entre à Rio dans la légende des émules de Cambronne. Quand le chef des contre-attaquants interpelle les rebelles qui se rendent en demandant qui est « le fils de pute qui s’appelle Agildo Barada », celui-ci répond : « Agildo Barada, c’est moi, et le fils de pute, c’est toi î » H y eut des milliers de prisonniers, et le PCB fut très durement frappé. Le cœur de la mission de la Comintem tomba aux mains de la police. Les documents publiés par Waack révèlent un dangereux amateurisme chez ces conspirateurs *. ils sont trois à vivre dans le même appartement que Barron, chargé de la liaison radio45; toute une famille avec une nichée d’enfants habite l’appartement aux 50 kilos d’explosifs46, les femmes de ménage d’Ewert et de Prestes, bonnes amies, papotent quotidiennement sur leurs « patrons ».

42. Sur ce poupe, Waack, qui a travaillé dans les archives de la Comintem, est de loin le mieux informé. Sur le mouvement lui-même, il l’est moins. 43. On peut se servir pour Natal da livre à'Homero Costa, A Insumcïâo Comunista de 1935. Natal, O Primeiro Ato de la Tragédia. 44. Pour Recife et Rio, se reporter au récit de Marly de Almeida Gomes Vianna, Revolucionarios de 35. 45. W. Waack, op. cit., p. 254. 46. Ibidem, p. 249.

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D e L’ACTIVITÉ POLITIQUE À L’ACTIVITÉ POLICIÈRE

Pourtant, l’argent n’a pas manqué : ils ont reçu de Moscou 27 000 dollars, dont la moitié seulement a été dépensée47. La note, cependant, fut lourde. Arthur Ewert, capturé sous le nom de Harry Berger, fut atrocement torturé et obligé d’assister au viol de sa femme. Il ne dit pas un mot mais perdit la raison. La presse hurlait à îa mort contre celui qu’O Globo appelait îe 31 décembre 1935 dans un gros titre le « fils d’Israël, agent de Staline ». Il allait demeurer pour îe reste de sa vie dans un hôpital psychiatrique, même après sa libération et son arrivée en RDA. L ’Américain Barron - fils de Harrison George ~ mourut sous 1a toiture ou fut assassiné. Prestes, condamné à quarante-six ans de prison, y resta dix ans, Rodolfo Ghioldi, traité avec beaucoup de mansuétude, sans doute parce qu’il avait été plutôt bavard, fut libéré après quatre ans. Elisabeth Saborowski, la compagne d’Ewert, après son calvaire aux mains des policiers brésiliens, fut livrée au gouvernement nazi et mourut à Ravensbrück en 1939. La femme de Prestes, Olga Benario, Juive allemande et membre du 4e Bureau de l’Armée rouge, également livrée aux nazis, mourut elle aussi en camp, exécutée en 1942. C’est alors que les dirigeants communistes clandestins, poussés par Bangu, malgré les conseils de Saccheta et îa résistance de Roberto Morena, étranglèrent de leurs propres mains une toutejeune femme, ia compagne du secrétaire général Miranda, Eisa Copoli, qu’ils soupçonnaient à tort d’appartenir à ia police. Quel était le rapport entre ia lutte pour un front populaire antifasciste et la participation au soulèvement militaire ? La Comintern n’avait-elle pas violé ses nouveaux principes démocratiques ? Non. L ’ANL était en réalité pour la Comintern un front uni anti-impé­ rialiste, forme du front populaire dans un pays semi-colonial comme le Brésil, et les communistes avaient joué la partie entamée par leurs alliés, les tenentes, représentants de la petite-bourgeoisie démocratique. L ’officier de marine prestiste Roberto Sisson a bien défini le caractère de ce mouvement, où le PC ne travaillait qu’indirectement pour luimême : « Cette révolution fut spontanée, prestiste, militaire ; de libération nationale et par conséquent anti-impérialiste, anti-intégraliste, pour l’industrialisation du pays et pour la démocratisation et l’efficacité de l’Armée nouvelle48. » Cette défaite, qui coûta très cher aux combattants, ne pesa d’ailleurs pas lourd dans la balance politique de la Comin­ tern. L ’extrême habileté de l’appareil de Münzenberg dans sa campagne en faveur de Prestes et de ses amis permit d’en faire une « victoire morale ». Et déjà personne n’osait plus demander de comptes. E n c o re

u n e r éo r g a n isa t io n

L ’une des premières conséquences du congrès, en réalité la concrétisation de son orientation politique, fut une nouvelle réorganisation. Grant Adibekov et Eleonora Chakhnarazova expliquent : « Les tâches nouvelles fixées par le V IF congrès préconditionnaient la reconstruction organisationnelle de î’appareil du CEIC en septembre-décembre 193549. » D’abord, au nom de l’«indépendance» tactique des partis eux-mêmes, on supprime le secrétariat politique, ses commissions, îes secrétariats régionaux, l’institution de représentants permanents et d’instructeurs du CEIC dans les PC. On établit à la place un secrétariat de TIC avec son propre appareil. On va supprimer plusieurs départements et commissions : le travail dans les régions rurales, îe travail chez îes femmes ; îe dépar­ tement sur ia coopération, la construction du parti, les commissions permanentes (lutte

47. Ibidem, p. 209-210. Ewert avait demandé presque le double, 50 000 dollars, avec une argumentation solide. 48. Ibidem, p. 270. 49. G. Adibekov et E. Chakhnazarova, loc. cit., Newsletter, 5-6, p. 27-33, ici, p. 32.

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contre la guerre, le fascisme et la social-démocratie, construction du socialisme en URSS)50, dont les fonctions sont réparties entre les secrétaires. Nos auteurs écrivent : La nouvelle structure est couronnée par le secrétaire général du CEIC, Georgi Dimitrov. C’est lui qui prépare l’examen de questions politiques par les organismes dirigeants, fixe l’ordre dujour des réunions de secrétariat, désigne les neufsecrétaires de l’exécutif qui doivent veiller sur tel ou tel parti. Ainsi, le secrétaire général adjoint Togliatti était responsable pour les liens avec les PC d’Allemagne, Tchécoslovaquie, Autriche, Hongrie, Suisse, Hollande et Indonésie. Le secrétariat de Manouilsky avec les partis communistes de France, Italie, Espagne, Portugal, Luxembourg et îes colonies de la France ; le secrétariat de W. Pieck avec les partis communistes de Turquie, de Perse, de Roumanie, de Yougoslavie, de Grèce, d’Albanie ; le secrétariat d’Otto Kuusinen avec îes partis communistes du Japon, de l’Inde, de la Corée et du Siam ; le secrétariat d’André Marty avec les partis communistes de Grande-Bretagne, des États-Unis, du Canada, de la NouvelleZélande et îes colonies de la Grande-Bretagne ; ie secrétariat de M. Moskvine avec les partis communistes de Pologne, Finlande, Estonie, Lettonie, Lituanie (après l’arrestation de Moskvin par le NKVD, les fonctions de son secrétariat turent transférées à celui de Gottwald) ; îe secrétariat de Florin avec ies partis communistes de Suède, Norvège, Danemark, Islande ; le secrétariat de Wang Ming avec les partis communistes d’Argentine, Bolivie, Brésil, Haïti, Guatemala, Honduras, Cuba, Mexique, Nicaragua, Panama, Paraguay, Porto Rico, Salvador, Uruguay, Chili. Après le départ de Wang Ming pour la Chine, son secrétariat passa sous la direction de Doîorès Ibârruri.

Les secrétariats comprenaient des représentants de nombre des partis ainsi « guidés ». Outre Manouilsky, Kuusinen était responsable du département du personnel de l’exécutif, Marty du travail de îa KIM, Moskvine des finances de l’exécutif et du travail de l’OMS et de l'adminis­ tration, Gottwald du travail de la fraction communiste dans le MOPR, de la direction de la revue Vîniernationaie communiste et du département de la propagande. La troïka Dimitrov, Togliatti et Pieck avait la direction de la fraction communiste dans la Profintem51. Le coeur de la réorganisation était sans doute ailleurs, avec la création du très important département du personnel, qui s’occupait des cadres des différents partis comme de l’appareil international et de tous les transferts vers le VKP(b). Il avait le droit de poser les questions concernant les cadres devant le secrétariat avec la présence obligatoire d’un cadre du parti concerné. Le î î février 1936, îe département du personnel reçut îa res­ ponsabilité de îa direction du travail des écoles internationales, le contrôle de la compo­ sition de leur appareil et l’organisation du recrutement pour ces écoles, l’analyse de l’attitude des PC dans la protection de leurs organisations, des recommandations et sug­ gestions, pour la protection des partis communistes illégaux52. En juillet 1936, îe secré­ tariat décida que le département de presse et de propagande remplacerait celui de la propagande dans les organisations de masse, et que îe département des liens internationaux serait rebaptisé service des connexions. Nulle part les étiquettes collées sur îe flacon n’apparaissaient susceptibles de modifier le contenu. Le 5 mars, îe secrétariat décida une vérification générale des étrangers communistes en URSS, c’est-à-dire au premier chef dans l’appareil de la Comintern : ce furent les débuts de îa « commission Moskvine », dont faisaient partie, à côté de ce grand chef de la police secrète, Anvelt et Florin, le responsable des cadres Alikhanov, le secrétaire de Moskvine, Filimonov, et un certain Samsonov53. Ceux-là allaient faire du nouveau. 50. G. Adibekov et E. Chakhnazarova, loc. cit., Newsletter, 5-6. Les auteurs ci-dessus renvoient aux archives RTsKhIDNI 495 /1/S/10511733. 51. Ibidem, p. 179-186. 52. RTsKhIDNI, 1073/17-20. 53. L. Babitcheako, « Die Moskvin Kommission », Newsletter, 5-6, p. 35-39.

D e L’ACTIVITÉ POLITIQUE À L’ACTIVITÉ POLICIÈRE

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P o r t ée

d ’un c o n g rès

Indépendamment du fait qu’il fut le dernier, quelle est îa place du V IIe congrès dans l’histoire de la Comintern ? Comme le V Ie, c’est une grande parade, mais avec cette fois une orchestration tout entière axée sur Staline, et un petit peu Dimitrov, sur les épaules duquel tombent tout de même quelques poussières d’étoile. Mais îe grand changement par rapport au VIe congrès est ailleurs. Là, îa direction, profondément marquée déjà par la bureaucratie au pouvoir en URSS, se caractérisait par des hésitations, des tournants brusques, un empirisme grossier dans ia façon d’aborder les problèmes de la révolution. Au V IIecongrès, au moment où se préparent îes alliances pour la Seconde Guerre mon­ diale, la révolution mondiale n'est plus qu’une référence rituelle, une allusion routinière au bout de grandes phrases. Iî s’agit désormais de mobiliser les communistes du monde entier pour défendre l’Union soviétique et son régime, et en particulier celui qui lui donne sa valeur et son invincibilité, le génial Staline. Manouilsky dit : « Aujourd’hui, les intérêts de la défense de l’URSS déterminent la ligne fondamentale du prolétariat mondial face à la guerre. La lutte contre l’Allemagne, le Japon, l’Italie, en tant qu’instigateurs de la guerre mondiale, constitue une position authentiquement révolutionnaire54. »

Dimitrov donne îa clé : L’Union soviétique n’est pas un pays ordinaire. Elle est la cause du prolétariat mondial Ses frontières réelles passent dans le monde entier et englobent tous ceux qui vivent pour la classe ouvrière et luttent pour sa cause. L’Union soviétique, le pays où se construit le socialisme, où l’idéal du socialisme est en train de se réaliser, est la patrie socialiste des travailleurs de tous les pays53.

En introduction à un recueil de documents sur la Comintern, nous citions il y a quelques années un jugement important de Fernando Cîaudfn : « Il ne s’agissait pas de supprimer tout centre international du mouvement communiste, mais d’établir, enfin affranchi de l’institution intermédiaire qui le compromettait, celui qui, depuis déjà pas mal d’années, constituait 1a direction réelle du mouvement communiste : le centre soviétique56. » Telle était l’appréciation que nous portions en 197î sur le V IIecongrès. Elle était juste. Nous avons pourtant beaucoup appris depuis, en particulier sur le rôle joué dans ses organes dirigeants par deux nouveaux venus que nous avons signalés, Ejov et Moskvine. L ’entrée de ces deux hommes dans les organismes dirigeants de la Comintern pose le problème de îa nature de cette organisation. La Comintern est-elle encore une organisation politique marquée par la domination exclusive d’une de ses sections, un parti au pouvoir qui se confond avec l’État soviétique, lequel la contrôle par sa police politique ? Ou n’est-elle qu’une dépendance directe de îa police politique de ce même État ? La présence à sa tête des « superflics » Moskvine et Ejov est îa réponse à cette question. Les pages qui suivent ne sont déjà plus l’histoire d’une Internationale communiste, mais celle de l’agonie d’un des services extérieurs de la police de Staline. R ec la ssem en t s

po lit iq u es

Pourtant, en même temps, îes décisions du V IIe congrès en matière d’organisation jouent le rôle de miroir aux alouettes. Ce sont elles qui vont dans une large mesure donner l’occasion de se réaliser à îa scission du courant gauche qui était en train de se développer 54. Cité par Premier Congrès de I7C, p. 20. 55. Ibidem. 56. F. Claudin, op. cit., p. 93, cité dans Premier congrès, p. 21.

A u teu r

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dans les partis socialistes. Déjà, en Autriche, le courant de la direction des Jeunesses socialistes qu’inspire Ernst Fischer, tirant le bilan de l’échec social-démocrate, se tourne vers la Comintern : nombre de combattants de Vienne se retrouvent à Moscou. En Espagne, les articles enthousiastes du jeune dirigeant socialiste réfugié à Moscou, José Lain, les lettres d’autres réfugiés, les prises de position d’une Margarita Nelken, expriment la même idée : le V IIe congrès a rendu à la fois nécessaire et possible la réunification ouvrière, et la Comintern peut devenir la maison de tous car la scission va être surmontée. Là, les choses iront loin, puisque le gros de îa JS, nous le verrons, va rejoindre finalement le PC, îui apportant la base de masse qu’il n’avait pas. Mais Luis Araquistâin a une analyse plus réaliste et tente de démystifier les résolutions de Moscou57. Bientôt, îa majorité des JS avec quelques militants « adultes » du PSOE comme Julio Alvarez del Vayo et Margarita Nelken vont se tourner franchement vers îa Comintern, tandis que Largo Caballero et Araquistâin s’efforcent de maintenir leur ligne, dans des conditions désormais très difficiles, car la défection des JS leur fait perdre la main. En 1935, malgré Trotsky qui conseille à ses partisans d’entrer en Espagne dans le PSOE afin de conquérir les JS à la IV e Internationale, les petites formations minoritaires comme le Bloc ouvrier et paysan de Catalogne de Maurîn, David Rey et Gorkin, la Izquierda comunista d’Andrès Nin, Juan Andrade, les petits groupes communistes catalans, décident de s’unifier dans un nouveau parti qu’ils appellent le POUM, Partido obrero de unification marxista (POUM). En France, une grande opération de noyautage a été projetée par la Comintern en direction de îa JS de la Seine, que dirige Fred Zeîler. Le jeune Daniel Béranger, introduit dans la JS et dans îa XVesection du PS et contrôlé par Raymond Guyot, a réussi à gagner la confiance de Zeller. Une réunion se tient en secret au café des Tramways de l’Est pour étudier îes modalités d’une action concertée entre îes dirigeants russes des komsomoîs et de la KM , Kossarev et Tchemodanov, venus illégalement, et les dirigeants de l’entente des JS de la Seine, autour de Fred Zeîler58. Mais les Russes insistent pour l’abandon de la lutte antimilitariste, à laquelle les JS viennent d’arriver avec enthousiasme. La secrétaire de Zeîler remet aux trotskystes îe compte rendu de la réunion « secrète », qui va être publié, et les dirigeants de la JS, avec Zeîler, vont rejoindre les trotskystes. C’est dans ce contexte qu’explose, au Parti socialiste, la vieille tendance de gauche de la Bataille socialiste, que maintient Jean Zyromski, désormais proche du Parti communiste, tandis que Marceau Pivert - qui vient de rendre visite à Trotsky à Domène mais veut garder ses distances à son égard ~ fonde la Gauche révolutionnaire, qui rallie d’autres groupes d’opposants socialistes et communistes59. En Belgique, la gauche du Parti ouvrier belge, le POB, connaît des développements semblables : Albert Marteaux se dirige vers le PC tandis que Paul-Henri Spaak prend contact avec Trotsky. Les Jeunes Gardes socialistes (JGS) de Femand Godefroid, tenant du front populaire, et ceux de Walter Dauge, l’Action socialiste « révolutionnaire » (ASR), qui rejoint îes trotskystes belges, se séparent bruyamment. Aux États-Unis, la tendance de gauche The Militant se tourne vers le PC. Lieutenant d’A.J. Muste, Louis Budenz va rejoindre le PC ouvertement après une brève période où il joue les « compagnons de route ». Entre 1934 et 1936 se déroule dans presque tous les partis communistes une lutte sévère contre des minorités qui n’acceptent pas l’alliance avec une partie de la bourgeoisie, 57. P. Broué, « Quand Carriilo était “gauchiste” : les Jeunesses socialistes d’Espagne, 1934-1936 », Cahiers Léon Trotsky, n° 16, décembre 1983, p. 17-53, ici p. 44-46, et Staline et la révolution, p. 58-60. 58. J. Varin, Jeunes comme JC , p. 192. 59. J.-P. Joubert, Révolutionnaires de la SFIO ; Yves Kergoat, Marceau Pivert, « socialiste de gauche ».

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D e L’ACTIVITÉ POLITIQUE À L’ACTIVITÉ POLICIÈRE

essence de la politique de front populaire, et qui se révoltent particulièrement contre certains de ses aspects, comme l’abandon de la lutte antimilitariste. Dans le monde colonial, c’était prévu, les deux animateurs de l’Internationale nègre, George Padmore et Garan Kouyaté, s’en vont. George Padmore a découvert à sa sortie de prison à Copenhague, au printemps de 1933, que la Comintern avait supprimé son organisation, ITUC-NW, un geste évidemment conciliant à l’adresse des gouvernements français et britannique. Indi­ gné, il écrit que l’Internationale communiste a été appelée non seulement à appuyer la nouvelle politique diplomatique de l’URSS, mais « à freiner le travail anti-impérialiste de ses sections et à sacrifier ainsi les jeunes mouvements nationaux de libération en Asie et en Afrique ». Il proclame : « Je considère qu’il s’agit là d’une trahison des intérêts fondamentaux de mon peuple, à laquelle je ne saurais m’identifier. C’est pourquoi je n’ai d’autre choix que de me séparer de l’Internationale communiste. J’ai formulé ma position très clairement dans une déclaration politique que j’ai soumise à l’exécutif de la Comintern»

En Europe, c’est en Tchécoslovaquie qu’une fois de plus la ligne stalinienne rencontre une résistance réelle. Le Comité pour la vérité et la justice y mobilise largement contre les procès de Moscou. Des personnalités de premier plan de l’univers communiste, comme l’écrivain Ivan Olbracht, le grand avocat Ivan Sekanina, prennent la défense des accusés, dénoncent l’imposture. Guttmann et Zâvtë Kalandra, l’ancien rédacteur en chef de Rudé Pravo comme lui, vont manifester leur double opposition aux procès de Moscou et à la politique de Staline en Espagne, et entraînent des centaines de militants avec eux. En France, la rupture de Jacques Doriot avait été ressentie par nombre d’oppositionnels comme une occasion manquée. Nous avons vu que les trotskystes Gérard Rosenthal et. Pietro Tresso lui avaient rendu visite, mais il n’en était rien sorti. L ’homme était, semblet-il, plus démoralisé encore, au sens fort du terme, qu’il ne le paraissait. Son entourage immédiat, Marcel Marschall, Simon Rolland - qui finira dans les rangs de 1*Abwehr -, après des années dans le PC stalinisé, tenait plus de la clique personnelle que du groupe de militants. On remarque pourtant qu’il ne s’agissait pas seulement d’idées. Les méthodes employées par la direction du PC pour isoler et discréditer Doriot provoquent des critiques de la part de responsables à un titre ou un autre de L’Humanité, comme Maurice Cléroy et Maurice Lebrun, qui sont exclus. Parmi les non-Dionysiens qui rallient Doriot, citons Henri Barbé. Bien des communistes exclus ou sur le point de l’être firent avec Doriot un bout de chemin sans pouvoir freiner sa course à l’abîme ; citons des hommes de valeur, Alfred Bernard, Marcel Body, Michel Coîlinet, Amédée Dunois, le syndicaliste enseignant Gilbert Serret. Avec le tournant patriotique inhérent au front populaire, les rangs des anciens responsables des JC de l’époque héroïque s’éclaircissent dans le PCF. C’est la rupture avec le PC d’une génération d’anciens des Jeunesses communistes et du travail antimilitariste, des cadres ouvriers, comme Paul Valière, ancien membre du CC, et Gustave Galopin, ancien membre du bureau politique, tous deux anciens responsables nationaux de la CGTU, mais aussi des militants comme Louis Coutheillas. Mais on est loin du compte de ceux qu’un Doriot, s’il était demeuré un honnête communiste, aurait pu entraî­ ner avec lui. Pour sa part, il va droit vers le fascisme à la tête de sa « bande », comme dit Jules Romains, proche de lui : son itinéraire est bouclé avec la fondation du PPF, en 1936. Il n’y aura pas non plus de fusion entre ces communistes révolutionnaires et les « clandestins » qui diffusent la revue Que faire ? et qui n’apparaîtront au grandjour qu’en 1936, derrière leurs animateurs, André Ferrât, un ancien du BP, membre du CC, et le 60. J.R. Hooker, Black Revolutionary. George Padmore’s Pathfront Communism 10 Pan-Africanism, p. 31.

A uteur

du

VIIe congrès

d e la

C omintern

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polonais Kagan, de F équipe envoyée par la Comintern. Exclus, ses membres se retrou­ veront vite au Parti socialiste. En juin 1938, une petite révolte éclate chez Renault, quatorze membres du parti écrivent à Maurice Thorez. Il y a des exclus, dont deux délégués CGT et deux membres du secrétariat de la section communiste de la grande usine automobile. Le député Honel exprime dans une lettre à Thorez l’inquiétude des militants de la métal­ lurgie. L ’émotion provoquée par le pacte Hitler-Staline, la déclaration de guerre, la répres­ sion contre le PCF vont écraser tout cela. En Grande-Bretagne, Eric Starkey Jackson, ancien dirigeant des JC, rejoint les trots­ kystes, comme le fait en Espagne le tout jeune animateur des JC du rayon sud de Madrid, Jésus Blanco, et les frères Femandez Granell, dont Eugenio, alors pianiste et futur grand peintre. En Grèce, Asimidis, un ancien de l’École Lénine, imposé à la direction du parti par la Comintern en 1931, refuse en 1935 de se rallier à la nouvelle ligne du parti, qu’il qualifie de « social-patriotique ». Exclu, il ne se sent finalement pas assez fort pour maintenir son groupe en lutte dans une opposition au parti, et, abandonnant la politique, reprend son métier d’avocat. En Norvège, une poignée de militants rejoignent Trotsky, avec l’ancienne membre du bureau politique Jeanette Olsen. En Suède, une militante exemplaire, qui fut des pionniers du parti, Marie-Sophie Nielson, claque la porte et se rapproche, elle aussi, des trotskystes. En Argentine, le dirigeant étudiant de Rosario, David A. Siburu, rompt avec le parti et tente d’unifier ses adversaires de gauche, trotskystes compris. Une opposition numé­ riquement plus importante provoque une véritable scission dans le Parti communiste du Brésil : quelque 300 militants autour d’un membre du CC, le secrétaire régional de Sâo Paulo, Herminio Saccheta, sont exclus et rejoignent la IVe Internationale. Au même moment, à Moscou, Abobora, qui est complice de l’assassinat d’Eisa, mène l’enquête sur les autres : c’est qu’il est « aux Cadres ».

Pas D’AUTRE issue ? Dans l’ensemble, et malgré ces alertes, les rangs restent fermes : c’est dans la « troi­ sième période », sous îa discipline la plus stricte et dans l’isolement, qu’a été formée îa génération qui pilote îes membres du parti dans le nouveau tournant : ils ont appris à museler les opposants. Certains de ces derniers parviennent à s’organiser en dehors du PC et échappent à îa violence stalinienne : les militants tchécoslovaques groupés autour de Josef Guttmann et Zâvi§ Kaîandra s’unifient avec les trotskystes rescapés des opposi­ tions précédentes à la fin de 1937. Mais ils vont être aussitôt frappés par la répression nazie, qui détruit aussi et en même temps les partis communistes. Une partie des éléments de l’ancienne Gauche communiste du Chili fusionne avec la gauche du Parti socialiste et fonde le Parti socialiste des travailleurs, qui ne sera guère qu’un groupuscule. La menace hitlérienne, qui se concrétise, brise matériellement ou moralement plus d’un effort de résistance. L ’Europe brune se profile à l’horizon. Mais, avant qu’arrivent ces heures noires, le grand espoir du Front populaire a brillé d’un intense éclat, qui, d’une certaine façon, survivra à l’écroulement de l’enthousiasme qu’il avait un instant nourri. Au Chili, la Gauche communiste scissionne sa majorité, derrière Manuel Hidalgo et Jorge Levin (Mendoza) entre dans le PS, tandis que la minorité tente de se maintenir comme organi­ sation indépendante.

CHAPITRE XXXI

Front populaire : image et réalités

Aujourd’hui encore flotte autour du souvenir du Front populaire îa haine de îa bour­ geoisie contre les rouges, la peur qu’elle eut des foules dans la rue, mais aussi la volonté de lutte contre le fascisme, les grandes espérances en l’unité enfin réalisée et les nouveaux alliés des « classes moyennes », bref, une politique nouvelle marquée par le triomphe de l’unité et de la fraternité après une décennie de sectarisme et de division systématique. La politique de front populaire est d’abord une invention destinée à la politique française. Elle a été reproduite et finalement généralisée avec des variantes circonstancielles dans d’autres pays, notamment en Espagne et aux États-Unis, où le mot d’ordre s’inscrivait dans un contexte et selon un enchaînement parfois très différents. Dans le chapitre pré­ cédent, nous avons braqué notre projecteur sur îe côté communiste de sa genèse, îes initiatives de Maurice Thorez, articles et discours, les réactions ouvertes de Moscou, mais nous avons délibérément laissé de côté l’aspect « secret » des choses, ou du moins une partie. Car il y a dans le Front populaire un partenaire bourgeois qu’on ne saurait sousestimer. Même l’étude de Serge Berstein sur le Parti radical *, par exemple, ne nous éclaire nullement sur une vieille légende, de toute façon significative : îe magnat de l’électricité - un prête-nom, disait-on -, Ernest Mercier, qui avait étéjusqu’en février 1934 îe bailleur de fonds des Ligues, aurait changé son fusil d’épaule et financé à partir de ce moment îe Parti radical. Rien n’est prouvé. Il faut pourtant reconnaître que ce n’eût été ni extraor­ dinaire ni stupéfiant. La

n a issa n c e d u

F ro n t

po pu la ir e

Les déclarations fracassantes de Maurice Thorez à l’automne 1934 n’ont pas été des bouteilles à îa mer. Elles avaient été soigneusement préparées. Le 7 octobre, en effet, Julien Racamond, dirigeant de la CGTU et du PC, avait sollicité une rencontre avec Édouard Daladier, chef de file des radicaux les plus « à gauche » de ce parti, rival d’Édouard Herriot. Il se disait préoccupé « de rechercher les meilleurs moyens pour briser les tentatives fascistes et préserver îes libertés démocratiques2». Nous savons que l’entre1. S. Berstein, Histoire du Parti radical. 2. Ibidem, II, p. 364.

F ront

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vue a eu lieu : Racamond a écrit directement à Daladier pour lui faire savoir qu’iî avait informé de son contenu Marcel Cachin et ia direction de son parti. La proposition de Maurice Thorez, le 9 octobre 1934, à une réunion du comité de coordination des partis socialiste et communiste, de « sceller l’alliance des classes moyennes avec la classe ouvrière », n’était donc pas un saut dans l’inconnu, pas plus que son discours le lendemain à BuIIier, où il parla de ce «rassemblement populaire» dont Marcel Cachin, quelques jours plus tard, allait faire, dans U Humanité, le Front populaire. Ces propositions, écrit Serge Berstein, provoquent chez les dirigeants radicaux à la fois intérêt et incrédulité. L’historien relève cependant : On voit alors les communistes écarter du programme d’action que leur proposent les socialistes un certain nombre de mesures hardies dont ils craignent qu’elles soient de nature à empêcher la réalisation d’un vaste rassemblement populaire : diminution des heures de travail sans diminution des salaires, socialisations, mise sous séquestre des entreprises en faillite, etc. [...] En janvier 1935, L ’Ère nouvelle, que nul ne peut soupçonner de sympathies pour l’extrême gauche, relève avec satisfaction les réserves significatives des communistes devant le programme socialiste que nous venons d’évoquer3.

La signature du traité franco-soviétique, la déclaration de Staline sur la défense natio­ nale française vont, à partir de mai 1935, accélérer le processus : les radicaux n’ont plus guère de raisons de se refuser à une alliance avec les communistes devenus « nationaux ». Les élections municipales feront le reste et les engagent dans le Front populaire. Du moins engagent-ils leur jambe gauche, puisque la droite demeure dans les gouvernements dits d’union nationale que îes partis du Front populaire dénoncent tous îes jours. C’est avec beaucoup de finesse que, analysant les discussions au comité national du rassemblement populaire d’octobre 1935 àjanvier 1936, l’historien du Parti radical souligne leur concep­ tion du front populaire comme centre de liaison entre organisations, à tous les niveaux, restreignant la compétence des comités locaux et n’ayant aucune possibilité de présenter des candidats aux élections indépendamment des partis. Il enregistre aussi la victoire commune des radicaux et du Parti communiste sur les socialistes et leur ambitieux plan de nationalisations. Il approuve le radical Jean Zay qui assure alors que, quoique plus modéré par certains aspects, le programme du rassemblement populaire est en réalité le vieux programme radical. Il souligne en outre que les radicaux obtiennent sans mal que ce programme ne soit ni un programme électoral ni éventuellement un programme gou­ vernemental. Ainsi le Front populaire, présenté initialement par le Parti communiste, qui en est l’initiateur, comme un front de lutte contre îe fascisme, apparaît-îl de plus en plus comme un frein aux revendications sociales « excessives », un instrument de l’alignement des deux partis ouvriers sur îe Parti radical - dont les ministres continuent pourtant, après la chute du gouvernement Doumergue, dont ils étaient, de siéger au gouvernement de Pierre Laval, puis d’Albert Sarraut. Est-il abusif de dire que d’instrument de lutte contre le fascisme dans l’intention et en tout cas selon les affirmations de ses initiateurs, îe Front populaire apparaît très rapidement en France comme un instrument de lutte contre une perspective révolutionnaire et même, pour îe moment, contre les audaces réformistes du Parti socialiste ? E spa g n e, len d em a in s

d e d éfa it e

Rappelant dans un excellent article que le Front populaire se situe dans un contexte d’affrontement social et pas dans les seuls états-majors politiques des partis ouvriers, René 3. S. Berstein, op. cit., p. 365.

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D e L’ACTIVITÉ POLITIQUE À L’ACTIVITÉ POLICIÈRE

Revol écrit à propos de la genèse du Frenie popular espagnol : « L ’initiative ici n’appar­ tient ni au Parti communiste ni à l’Internationale, qui sont simplement montés dans un train mis en marche, au lendemain de la défaite de l’insurrection d’Octobre, par Manuel Azana, Diego Martinez Barrio et Felipe Sânchez Român, avec la complicité et l’aide active du leader socialiste Indalecio Prieto, “cheval de Troie” des républicains bourgeois dans le PSO E»4. Au moment de l’insurrection d’Octobre, ies partis républicains sont regroupés dans trois organisations principales, toutes les trois hostiles tant à la CEDA qu’à l’insurrection socialiste et abandonnées sur le bord de la route, comme tous les conciliateurs au moment de l’explosion d’un conflit. Ces trois partis, la Izquierda repu» blicana de l’ancien Premier ministre Manuel Azana, I’Uniôn republicana de Diego Mar­ tmez Barrio et le Partido nacional republicano de Felipe Sânchez Român, se prononcent pour îa « défense de la République » et l’intervention de l’État dans le domaine social et économique afin d’atténuer les oppositions sociales. Ils n’ont entre eux que des nuances. Santos Julia résume la position par une formule fulgurante : « Le projet d’Azana était de prendre les rênes de l’Etat pour élever la République au-dessus de la guerre sociale, entre la tyrannie et l’anarchie. La tyrannie, c’est le gouvernement de îa droite, l’anarchie, c’est le prolétariat en mal de révolution. Et cela, seul peut l’éviter un Parti socialiste solide, bien assis et décidé à collaborer5. » La droite, par ses persécutions, a revalorisé Azana. Elle îe haïssait particulièrement, îe poursuivit pour sa participation à l’insurrection à Barcelone. Il fut arrêté et emprisonné, finalement acquitté. Cette persécution haineuse et revancharde redora son blason, et en fit l’un des 30 000 prisonniers politiques, lui permettant ainsi, après trois mois d’une détention supportable, de se faire le champion de l’amnistie et de la libération de tous, au cours de meetings comme îe fameux rassemblement de Comillas, près de Madrid, en octobre 1935, auquel assistèrent entre 300000 et 400 000 personnes, plus de partisans des socialistes, de toute évidence, que de « républicains ». R ec la ssem en t s

a u s e in d u

P a r t i s o c ia l ist e

espa g n o l

Or îes socialistes ne tiraient pas tous d’Octobre le même bilan, on s’en doute. Dans une brochure écrite en prison par Santiago Carrillo et Amaro del Rosal, signée par Carlos Hemândez Zancajo, Octubre. Segunda Etapa, les dirigeants emprisonnés des Jeunes socia­ listes dénonçaient les « chefs et petits chefs » à l’intérieur de leur parti, qui avaient « saboté la ligne insurrectionnelle », réclamant une épuration - qu’ils baptisaient de façon provo­ cante « boîchevisation » - de leur parti. Ils proclamaient haut et fort que leur objectif n’était pas seulement la révolution espagnole, mais la révolution mondiale, la dictature du prolétariat dans tous les pays conformément aux « meilleures traditions du bolchevisme russe » et aux enseignements des « paladins du socialisme classique, Marx et Lénine ». De l’autre côté, ceux que l’on appelait îes « centristes », Prieto, en exil, Gonzalez Pena, en prison, dont îe prestige avait grandi dans îes combats, se faisaient îes champions de l’unité du parti, et, dans le même temps, condamnaient la politique « suicidaire » de rupture avec les républicains en 1933, « l’infantilisme » des JS, réclamaient îe retour à une alliance avec îes républicains pour îa défense de la République, du mouvement ouvrier, et pour l’amnistie des prisonniers politique. René Revol explique : « Dans l’intervalle, le V IIe congrès de l’IC a pris à revers Largo Caballero. Dans un style plus offensif que le Front populaire français, les hommes des JS et du PSOE qui ont assisté au congrès 4. R. Revol, « Républicains bourgeois et radicaux dans ia genèse du Frentepopular», Cahiers Léon Trotsky, n° 28, décembre 1986, p. 59-60. 5. S. Julia, Origenes del Frente popular en Espaha 1934-1936, p. 29.

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expliquent que le front unique des socialistes et des communistes doit devenir îe noyau d’une “concentration antifasciste” 6. » Dès lors, Azana, toujours soucieux de « brider le prolétariat en maî de révolution », ne se gêne pas et pose ses conditions en novembre 1935 au PSOE en lui proposant une alliance électorale dont il a en poche le programme rédigé par Sânchez Român. La base de l’alliance sera îe retour à la législation sociale de ia République, la reconnaissance de îa légitimité des organisations syndicales, une îoi d’amnistie. Il est clair : « Les républi­ cains ne doivent ni ne peuvent s’engager à autre chose7. » Bien qu’aujourd’hui encore il se trouve des historiens et des politiques pour ergoter sur la nature du pacte électoral de 1936 et essayer de démontrer qu’il ne s’agissait pas d’un front populaire, il est clair que la combinaison des facteurs mondiaux - la politique de la Comintern - et de la situation espagnole, avec les 30 000 emprisonnés et la crise du PSOE, aboutissait à cette coalition électorale sur une plate-forme rédigée par un républicain modéré et dont les candidatures furent organisées de façon à donner le pouvoir aux républicains et non aux socialistes : il faudra deux fois plus de voix aux élections pour élire un socialiste que pour élire un républicain. V ic t o ir e

élec t o r a le d es g a u c h es espa g n o les

L ’élection de février 1936 donne la victoire à la coalition des gauches qu’on appellera donc bientôt le Front populaire. Ses membres ont gagné au total 1 miîlion de voix, alors que la CEDA n’en gagnait que 750 000, malgré le renouvellement de ses pratiques de violence et de terreur. Le nombre des élus de chaque regroupement indique une polari­ sation réelle mais profondément faussée dans sa représentation. Iî y a en effet 278 élus du Front populaire (dont 85 socialistes et 14 communistes seulement), 134 de droite et 55 du centre. Sans doute la voie légaliste est-elle jugée très difficile à îa fois par les masses ouvrières et par les représentants des classes dirigeantes. Les premières commen­ cent à appliquer la loi d’amnistie avant qu’elle ait été votée et donnent l’assaut aux prisons pour libérer leurs camarades. Les autres, au premier rang desquelles plusieurs généraux, dont Emilio Mola et Francisco Franco, se posent et posent à leurs amis la question du recours aux armes pour annuler très vite ces élections et renverser le régime. Largo Caballero, qui a démissionné de la présidence du Parti socialiste et espère bien la reprendre à court terme dans îe prochain congrès, sous la poussée des masses, a mené la campagne sur ses propres conceptions et rappelé aux travailleurs que îa conquête du pouvoir ne peut se faire à travers îa démocratie bourgeoise ; c’est sa pression qui empêche les socialistes modérés de participer au gouvernement, et les républicains gouvernent donc seuls, avec Azana, puis, après l’élection de ce dernier à la présidence de la République, Santiago Casarès Quiroga. Araquistâin explique, pour sa part : « Les possibilités de stabilisation d’une république démocratique dans notre pays diminuent chaque jour. Les élections ne sont qu’une variante de îa guerre civile, dont le principal objectif, pour nous, socialistes, est de libérer ceux qui ont été jetés en prison en octobre et d’imposer la réintégration de tous ceux qui ont été licenciés8. » C’est cela que veulent les travailleurs, et plus encore. Dans des provinces entières des colonnes de paysans sans terre organisées par la FNTT et le PSOE marchent sur les grandes propriétés dont elîes s’emparent pour les mettre en culture. Les grèves se multiplient dans les entreprises. Les grévistes exigent non seulement la réintégration des ouvriers licenciés, mais encore le salaire dont ils estiment qu’il leur 6. R, Revol, bc. cit., p. 65. 7. Cité par M. Bamo, Memorias, p. 282. 8. Araquistâin, « Paraielo historico entre ia revoluctôn rasa y ia espaiïola », Leviatân, n° 22,1“ mars 1936, p. 22.

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D e L’ACTIVITÉ POLITIQUE À L'ACTIVITE POLICIÈRE

est dû depuis la date de leur arrestation. Nombre de patrons clament qu’ils ne peuvent supporter le poids des revendications, les travailleurs les prennent au mot et la grève devient alors gestionnaire, les travailleurs se chargeant eux-mêmes de faire tourner et de gérer l’entreprise, par exemple, à Madrid, les tramways. De l’autre côté, les généraux continuent leurs préparatifs. Francisco Franco, un peu trop pressé, a été prié par ses pairs de faire preuve de patience. Les préparatifs sont dirigés au Portugal par un vieux conspirateur, le général Sanjurjo, ancien chef de la Garde civile, et sur place par le général Mola, muté du Maroc à Pampelune, où il est au cœur de l’Espagne réactionnaire. Contrairement à une tenace légende intéressée, les chefs politi­ ques de la droite et de l’extrême droite n’ont pas été mis à l’écart par les conjurés. On sait que Gil Robles a versé à Mola des sommes importantes, que José Calvo Sotelo a participé aux réunions de désignation des cadres de l’État nouveau. L ’adhésion de îa Phalange, dirigée par le fils de l’ancien dictateur, José Antonio Primo de Rivera, le mouvement le plus proche du fascisme authentique et qui bénéficiait de subsides de l’Italie fasciste, consacre une unification totale des forces de droite, îes nouvelles s’associant ainsi aux anciennes, les traditionalistes et carlistes, déjà engagés derrière la conspiration. Mais cette unification se fait au profit des forces le plus strictement fascistes et liées aux grands chefs militaires ; ainsi Ramôn Serrano Suner, beau-frère de Franco, chef des Jeunesses de Gfl Robles, les JAP, adhère à la Phalange de Primo de Rivera. Le soulèvement militaire, prévu d’abord pour avril 1936, est reporté. Les préparatifs sont plus longs que prévu. D faut d’abord consolider dans l’armée l’autorité des conspi­ rateurs. n y a parmi les soldats et les sous-officiers, et même parmi les officiers, bien des gens de gauche, socialistes ou communistes. Nombre d’officiers qui ont d’autres opinions sont attachés à la neutralité politique de l’armée et, de toute façon, « loyalistes ». Les conspirateurs doivent se débarrasser de tous ces gens-îà et îe font par des déplacements, des mutations, des neutralisations et un gros travail de renseignement. Par ailleurs, le gouvernement de front populaire constitué, îes communistes ont donné le mot d’ordre d’abandon des milices, et Manuel Taguena, militant communiste, déjà jeune spécialiste militaire, raconte dans ses Mémoires9que nombre de communistes ont, dans ces condi­ tions, rejoint les Milices socialistes et parfois les JS. Les socialistes du PSOE subissent là un grave revers. Déjà serrés de près pendant leur séjour en prison par îes émissaires de la Comintem, notamment l’Italo-Argentin Vittorio Codovilla, dit Luis Medina, les dirigeants des JS et particulièrement Santiago Carriîlo sont en majorité assez vite conquis. Us prêtent la main à une unification avec îes Jeunesses communistes qui fait d’eux les dirigeants des JSU (Juvenîudes Socialisîas Unificadas), échappant totalement à l’autorité du PSOE et disposant désormais de moyens matériels énormes, ce qui fait d’elles en quelques mois une organisation de masse de centaine de milliers de membres. C’est pour Largo Caballero une énorme déception, pour d’autres, comme Araquistâin, une véritable trahison. Quelques dirigeants socialistes vont suivre les dirigeants JSU sur la voie qui les conduit à Staline. L e F r en t e p o p u ia r au p o uvoir

Les gouvernements qui se sont succédé jusqu’au début de la guerre civile étaient des gouvernements formés par les républicains et soutenus par les votes des députés socialistes et communistes, dont la responsabilité est ainsi totalement engagée dans leur politique et, disons-le, leur impuissance et la nullité devant le danger miîitaro-fasciste, toujours inspirée 9. M. Taguefia Lacoxte, Testimonio de dos Guerras.

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par le souci de « contenir le prolétariat en mal de révolution ». La décision de renoncer pour le moment à organiser les élections municipales est un bon exemple de cette poli­ tique : plutôt que de laisser, comme c’était prévisible, élire de nombreuses municipalités socialistes de gauche et de fidèles de Largo Caballero, le gouvernement républicain préféra maintenir en place les partisans de Gfl Robles, ou, plus simplement, les agents du grand propriétaire local qui désignaient les maires à travers un simulacre d’élection. En ce qui concerne la conspiration militaire, il est tout à fait indiscutable aujourd’hui que îes diri­ geants républicains, policiers aussi bien que politiques, ont fermé îes yeux sur les prépa­ ratifs des conspirateurs et laissé se développer leur entreprise. On citait au moment de î’écîatement de la gueixe civile un rapport du colonel Julio Mangada sur la conspiration militaire, dont le gouvernement Casarès Quiroga ne tint aucun compte, sous prétexte que l’homme aurait été un peu farfelu. Les historiens navarrais nous ont fait connaître plusieurs épisodes significatifs. Le 23 juin, le général Moîa reçoit îa visite de l’envoyé de Casarès Quiroga, le général Domingo Batet, qui l’informe que le gouvernement sait tout de la conspiration et de son rôle à îui et le prie... de demander sa mutation. Mola refuse. Quelques semaines plus tard, ses hommes, sur son ordre, fusilleront le général Batet. Les mêmes historiens ont égale­ ment révélé l’épisode du monastère d’Irache où, le 14 juillet, le général Moîa a réuni l'état-major du soulèvement pour les dernières instructions. Le maire nationaliste basque d’Estrelîa, informé de ce qui se passe, fait boucler le couvent par ses policiers municipaux et informe îe gouverneur civil, membre du parti d’Azana. Casarès Quiroga, averti, donne l’ordre de lever le dispositif. La conspiration peut continuer. Le maire d’Estrella sera fusillé par les hommes du général Moîa10. L ’historien Francisco Gômez Moreno, dans son magnifique travail sur Cordoue, apporte également la preuve qu’à deux reprises, le 12 et le 18 juillet, îa Sûreté républicaine a tout appris sur les préparatifs et les hommes du pronunciamiento, et jusqu’à l’ultime entretien à l’heure H entre le général Queipo de Llano, chef du soulèvement à Séviîîe, et le général Cascajo, de Cordoue, et qu’elle les a laissés aller jusqu’au bout31. On sait que la répression antiouvrière, au lendemain du soulèvement, fut d’une excep­ tionnelle férocité. La Sûreté républicaine, en décidant de ne pas arrêter le bras des conspi­ rateurs, avait pris cet énorme risque. En fait, la politique du gouvernement républicain de Front populaire se réduisit, en dernière analyse, exception faite de conspirateurs particu­ lièrement voyants, comme îe fameux requete Varela, à unjeu des quatre coins dans lequel on échange les commandements sans jamais modifier le rapport des forces à l’intérieur du corps des officiers entre les « goîpistes » (partisans du coup) et les autres. On peut ajouter que, parmi les officiers généraux fusillés par les franquistes dès le début du soulèvement, un bon nombre avaient été littéralement jetés dans la gueule du loup par le gouvernement, dans des missions de paix où îes attendait le peloton d’exécution : ce fut le cas du général Batet et du général Migueî Nunez de Prado, envoyé à la mort dans une mission à Burgosn. Ce gouvernement, qui assurait que les officiers lui étaient loyaux, envoya ses rares fidèles au poteau sur ce refrain mensonger. De façon générale, d’ailleurs, îa guerre civile commença par un massacre dans les casernes et les prisons militaires. C’est en pataugeant dans îe sang des soldats socialistes et des officiers républicains que les « rebelles » quittèrent les casernes pour marcher sur les quartiers ouvriers.

10. P. Broué, « La Navarre, un révélateur ? », Cahiers Léon Trotsky, n° 28, décembre i996, p. 53-54. H. F. Gômez Moreno, La Guerra Civii en Cordoba, p. i2. 12. P. Broué, loc. cit., n° 26, p. 54.

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L ’a r m em en t

D e L’ACTIVITÉ POLITIQUE À L’ACTIVITÉ POLICIÈRE

d u pr o lét a r ia t

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Les officiers de gauche qui avaient réussi à échapper à la répression de 1934 s’étaient organisés dans l’armée. Pour faire face à l’UME, que contrôlaient les conspirateurs, ils avaient constitué une Uniôn militar republicana antifascista (UMRA) que dirigeait un proche de Largo Caballero, le commandant Eleuterio Diaz-Tendero. Le gouvernement n’utilisa jamais les informations, les fichiers, les volontaires de cette organisation d’hom­ mes courageux. Aux renseignements que certains lui apportaient, le chef du gouverne­ ment ripostait en parlant de sa confiance en la « parole donnée » par les officiers qui étaient à la tête de la conspiration. Quelques-uns des officiers de l’UMRA apparaissent en 1936 à des postes responsables. Le communiste Luis Barceîo, officiellement membre du parti du président, est aide de camp de Casarès Quiroga. D’autres ont des liens avec le PSOE et les JSU. Le commandant Carlos Faraudo est instructeur des milices socialistes et accepte de les commander. L ’ancien fantassin José del Castillo, l’ancien cavalier Maximo Moreno, devenus asaltos, instruisent aussi les jeunes miliciens. Madrid compte bien quelques dizaines de ces courageux officiers qui mourront dans les tout premiers. Et puis il y a îes sous-officiers, dont, plusieurs arrivent à soulever des hommes dans les casernes et à ouvrir les portes des prisons militaires au moment où les chefs se préparent à frapper. Le problème des armes est plus grave encore qu’en 1934. Plusieurs officiers ouvrent les magasins des casernes : ainsi le lieutenant-coîonel Rodrigo Gfl, au parc d’artillerie à Madrid ; ainsi un autre socialiste, le lieutenant-colonel du génie Emesto Carratalâ, aussitôt assassiné pour avoir ouvert ceux de la caserne de Carabanchel. Le comité de Catalogne de la CNT a réussi à se procurer et à stocker 300 carabines Winchester, Mais, dans ce domaine aussi, les autorités républicainesjouent un rôle - volontaire ou non ~ de complices des factieux. Ainsi, le gouverneur de la province de Cordoue, membre du parti du prési­ dent, Rodrîguez de Leôn, se fait remettre toutes les armes, saisit celles des armureries et les fait entreposer dans les casernes. Stupidité intégrale et impardonnable ou trahison ouverte ? Il faut enfin relever que, tout au long de la période, despistoleros de la Phalange ont assassiné des policiers qui les recherchaient, des militaires ou des militants qui les combattaient, des juges qui les condamnaient. La plupart de ces meurtres sont restés impunis. On remarquera aussi un acharnement particulier contre les officiers qui travail­ laient avec les socialistes, une volonté délibérée de détruire î’organisation militaire ouvrière avant qu’elle ait été mise sur pied. Très significatifs à cet égard sont îes meurtres de Carlos Faraudo et de José del Castillo. Et, pour essayer d’en finir avec une légende tenace, il n’est pas vrai que î’assassinat de José Calvo Soteîo ait déclenché l’insurrection militaire, planifiée et préparée depuis longtemps. Les partisans de cette thèse oublient souvent que îe meurtre de Calvo Soteîo fut le résultat, en partie accidentel, d’une expé­ dition punitive d’officiers des gardes civils et gardes d’assaut, après l’assassinat de leur camarade Castillo, destinée à montrer qu’ils ne seraient plus un gibier paralysé, mais rendraient coup pour coup. Pendant toute cette période, îe Parti communiste a mené une politique résolument modérée, pour ne pas dire modérantiste, insistant seulement sur la nécessité de contrôler le gouvernement. A partir de juin, cependant, il commence à s’inquiéter de la multipli­ cation des grèves, de la nature des revendications - qu’il juge excessives et irréalistes se pose en champion de l’ordre désirant rassurer « les classes moyennes ». Dans un premier temps, il accuse le patronat de chercher à affamer et à désespérer les travailleurs afin qu’ils se lancent dans des grèves violentes pour que « les ouvriers affrontent la force de

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répression de l’État, le gouvernement, et rompent le Front populaire13». Dans un second temps, il opère entre les grèves une distinction pour le moins curieuse, approuvant les grèves nécessaires qui renforcent îa combativité et « les grèves qui peuvent vaincre », et condamnant « les luttes qui portent îa marque de l’aventurisme [...] qui traduisent des mouvements [...] de défaite que îa classe ouvrière paie de son sang14». En d’autres termes, il commence à s’engager nettement contre îes grèves inspirées par îa CNT et celles qui ont un caractère qu’il juge révolutionnaire. Il embraie en même temps sur de furieuses attaques contre « les trotskystes » en général. En Espagne, il vise le POUM, ce regrou­ pement de communistes opposants allant de Gorkin et Maurin à Andrés Nin et Juan Andrade, et qui n’est pas trotskyste. C’est ainsi qu’il qualifie Maurin, son secrétaire général et député, d’« ennemi du Front populaire » et de « trotskyste masqué dans les rangs du prolétariat ». Les lettres des socialistes venues d’Union soviétique introduisent dans la presse socialiste un ton nouveau, par exemple dans cette « lettre ouverte » à Largo Caballero : « Assez de farces. La révolution, l’Union soviétique, la ligne politique bol­ chevique sont indivisibles. Voilà îa vérité. Le reste n’est que charlatanisme . » En vérité, les choses deviennent sérieuses en Europe. L a Fra n c e

à son to ur

La situation française a été marquée dans les débuts de l’année 1 9 3 6 par la réunification syndicale entre CGT et CGTU, sorte de pendant syndical du Front populaire. C’est un succès : de mars à mai, îa centrale réunifiée enregistre 2 5 0 0 0 0 adhésions et se montre capable d’enrayer îes grèves sauvages et même des mouvements revendicatifs qui pour­ raient gêner îa préparation des élections. Celles-ci ont lieu en mai et consacrent la victoire du Front populaire, mais, à la différence de l’Espagne, ce sont îes socialistes qui en constitueront îa force principale à la Chambre des députés. Le Front populaire a 3 2 9 dépu­ tés, dont 7 2 communistes, 1 4 6 socialistes et 1 0 6 radicaux. La droite en a 2 2 0 . Selon Georges Luciani, correspondant du Temps, et les confidences qu’il a recueillies, on n’est pas très heureux à Moscou d’une situation qui risque de reproduire une situation pire que l’espagnole avec un mouvement revendicatif puissant et des poussées révolutionnaires. Les négociations sur les revendications commencent partout et aussitôt avec un gouver­ nement Léon Blum de Front populaire, constitué en toute hâte officieusement pour freiner le déclenchement des grèves. Les communistes ont décliné la proposition d’y participer par un texte signé de Jacques Duclos, mais qui soit en réalité tel quel des délibérations du secrétariat politique de la Comintern. En attendant, ils soufflent calme et modération. Duclos décîare à îa presse que les communistes respectent la propriété privée. Waldeck Rochet explique que îes électeurs ne se sont pas prononcés pour îa révolution. Les ligues ont mis une sourdine à leurs attaques. La population, qui a organisé des rassemblements et quelques défilés de victoire, se prépare à une grande journée de célébration. L a vague de g rèves de ju in 1 9 3 6 en F ra n ce

Les ouvriers français vont en décider autrement. Il y a d’abord deux grèves, au Havre et à Toulouse, brèves parce que victorieuses, contre des licenciements d’ouvriers ayant chômé le 1er mai et qui sont réintégrés. Quelques jours plus tard éclate à l’usine Bloch de Courbevoie une grève pour obliger le patron à négocier sur les revendications. Le 13. Cf. le discours de José Dfaz ie ln juin 1936 à Saragosse et ce qu’ii dit sur « îes grèves, celles qui sont nécessaires », Diez ctnos de lucha, p. 193, 14. Mundo obrero, 11 juillet 1936. 15. Archives de la guerre civile, Madrid, Legajo 2371.

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D e l *a c t iv it é p o l it iq u e à l *a c t iv it é p o l ic iè r e

2 4 mai, c’est la grande manifestation au mur des Fédérés, où 600 000 manifestants défilent

devant Léon Blum et Maurice Thorez. Danos et Gibelin écrivent : « La foule ouvrière prend conscience de son nombre et de sa forcei6. » Une série de grèves vont éclater le mardi à Lavalette, Saint-Ouen, Hotchkiss, Levallois et dans bien d’autres usines, où elles s’accompagnent de l’occupation renforcée par des piquets de grève. La journée du 2 8 est décisive, avec la grève des 35 000 ouvriers de Renault, qui entraîne une dizaine d’autres usines phares de la région parisienne. La stupeur est grande devant ce que Le Temps appelle « l’initiative sensationnelle » que constitue le phénomène généralisé de l’occupa­ tion. Le patronat le dénonce immédiatement comme une violation de la loi, un attentat politique. Nous n’allons pas faire ici le récit de cette vague de grèves, qui était à l’époque unique dans l’histoire, mais seulement souligner combien ce mouvement échappant au contrôle des organisations syndicales faisait peur parce qu’il pouvait annoncer le début d’une révolution, un spectre que chacun s’efforçait de conjurer. Le 2 8 mai, sortant d’une entrevue avec Albert Sarraut, le secrétaire du PCF Jacques Duclos assure : « Nous obéis­ sons à une double préoccupation : d’abord éviter tout désordre, ensuite obtenir que des pourparlers s’engagent le plus vite possible, en vue d’un règlement rapide du conflit11, » André Delmas, le secrétaire du syndicat des instituteurs, parle de la matinée du 7 juin à la CA de la CGT : « Jouhaux venait de dire une fois de plus que la seule conduite à adopter était de donner l’impression à l’opinion publique que îa CGT n’avait pas perdu le contrôle des réactions ouvrières et qu’elle seule pourrait ramener le calme lorsque des satisfactions auraient été données aux salariés!8. » La signature des accords Matignon, célébrée par les négociateurs ouvriers comme une victoire extraordinaire - et elle l’était -, unique dans l’histoire ouvrière, un véritable triomphe, n’a pas suffi à arrêter la grève, qui, au contraire, s’est étendue dans les jours suivants à l’ensemble du pays. Le PC doit faire un choix : s’il continue à accompagner et soutenir les grévistes et leurs revendications, il s’avance trop, se coupe du gouvernement et des radicaux dans le Front populaire, de ces « classes moyennes » qu’il rêve si fort de conquérir. C’est ce qui constitue l’essentiel du rapport de Maurice Thorez le 11 juin, avec ces phrases capitales : « D faut savoir terminer une grève dès que satisfaction a été obtenue. Il faut même savoir consentir au compromis si toutes les revendications n’ont pas été encore acceptées, mais que l’on a obtenu la victoire sur les plus essentielles des reven­ dications. Tout n’est pas possible maintenant19. » Le commentaire fait par la résolution adoptée au comité central du 13 juin est parfaitement clair : Le PC, conscient de ses responsabilités, a ainsi pris courageusement position sans craindre de s’attaquer aux gesticulations hystériques des trotskystes et trotskysants, comme il a fait triompher le Front populaire en combattant le bavardage des sectaires qui condamnaient l’alliance de la classe ouvrière et des classes moyennes. Le CC appprouve le BP d’avoir combattu les opinions de ceux qui, sans aucun souci des responsabilités qui pèsent sur les organisations ouvrières, [?] que « tout estpossible », et il oppose à cette formule dangereuse la déclaration communiste : tout n’est pas possible ; le mot d’ordre capital du parti reste : « Tout pour le Front populaire ! Tout par le Front populaire20! » Balayant du même coup de balai « les trotskystes », André Ferrât, critique du soutien de l’accord Matignon et de la déclaration du 11juin, et Marceau Pivert, qui avait écrit dans Le 16. Danos et Gibelin, Juin 36, p. 41. 17. Cité ibidem, p. 48. 18. A. Delmas, op. cit., p, 99. 19. Rapport de M. Thorez, L'Humanité, 13juin 1936. 20. Ibidem.

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Populaire que tout était possible, le CC du PCF affirmait bien, à sa manière et, dans la circonstance, unefois deplus contreTrotsky, qu’il n’allait pas y avoir derévolution française parce qu’il avait eu le grand courage de l’étouffer dans l’œuf. Concluons ce paragraphe par une remarque de l’ancien dirigeant des JSU, le regretté Fernando Claudfn, commentant ces déclarations : « Le parti mit en circulation la formule suivante : “Le Front populaire n’est pas la révolution”. Et en effet, c’était autre chose : dans la France de juin 1936, il était le frein de la révolution, après avoir contribué à ouvrir ses écluses21. » Quelques mois plus tard, lors dela découverteducomplot militaro-civil des franquistes français baptisé « cagoulards » par ceux qui veulent minimiser l’affaire, n’est-ce pas l’homme fort du Front popu­ laire, îe radical Edouard Daladier, qui décide de faire bénéficier tous les militaires de l’impu­ nité totale, marquant ainsi un point de plus contre la révolution22? C’est aussi le gouvernement espagnol de Front populaire qui va refuser de tenter de briser les troupes de choc de Franco en proclamant l’indépendance du Maroc espagnol. Des militants français comme Louzon et Rousset avaient cherché à jouer les intermédiaires entre Espagnols et Marocains. Les gouvernements britannique et français ont exprimé leur opposition : c’était le début de l’éclatement des empires coloniaux. Ainsi, en s’inclinant, socialistes et commu­ nistes du Front populaire se font-ils les défenseurs de îa propriété et de l’ordre, y compris colonial. Comment, dans ces conditions, gagner la guerre des pauvres et des opprimés ? L es B e l g e s

à leu r to ur

Les Belges avaient connu en 1932 une explosion ouvrière contre îa misère, essentiel­ lement dans le Borinage, où les mineurs avaient fait grève trois mois. Dejeunes générations de militants ouvriers des Jeunes Gardes socialistes, les JGS, s’y sont aguerries. Des dirigeants sont apparus, comme Léon Lesoil à Charleroi, à la tête de îa petite organisation qui y devient majoritaire par sa combativité, les Chevaliers du travail. La grève commence îe 2 juin 1936 dans le port d’Anvers et s’étend très vite, faisant tache d’huile dans tous ies bassins miniers et îes régions industrielles. Mines et usines sont occupées. Devant la radicalisation du mouvement, partis et gouvernement cèdent, tombant d’accord sur des revendications analogues à celle de France : îa semaine de quarante heures dans les ports et îes mines, îes congés payés, une hausse des salaires de 7 %. En 1933, les partis ouvriers s’étaient laissé imposer la dissolution de leurs formations armées, notamment la Milice de défense ouvrière créée en 1926pourfaire face aux groupes d’assaut fascisants. L ’Action socialiste révolutionnaire, une scission du POB animée par Lesoil et par le jeune et populaire orateur Walter Dauge, maintient des milices armées, l’Union socialiste antifas­ ciste. Mais ici, comme en Italie après la grève des métallos de septembre 1920, la peur sociale suscite un mouvement fasciste. Il s’appelle Rex, est issu, comme en Espagne, de l’Action catholique. Son chef est un disciple d’Hitler et fervent catholique, Léon Degrelle. n est financé par îe gouvernement fasciste italien, a reçu des promesses de Berlin en ce sens. Il annonce à grand fracas une « marche sur Bruxelles » îe 24 octobre 1936. Le gouvernement l’interdit, et il n’a pas la force de passer outre. C’est le début de son reflux. Du c o up D 'É tat m il it a ir e

à l a r év o lu t io n en

E spa g n e

Au moment où se déroulaient en France et en Belgique mouvements sociaux et autocongratulations des partis du Front populaire, convaincus d’avoir fait reculer « le fas21. F. Claudtn , op. cit., p. 162. 22. Sur ce point, cf. M.W. Attignies, « Complot franquiste : Ja Cagoule », Cahiers Léon Trotsky, n° 31, septembre 1987, p. 89-90.

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D e L’ACTIVITÉ POLITIQUE à L’ACTIVITÉ POLICIÈRE

cisme », l’Espagne, elle, approchait de cette révolution que les généraux réunis derrière Sanjurjo et Moîa voulaient étouffer dans l’œuf par la force brutale. Leur intervention provoqua l’explosion, cette « révolution inopportune » pour Moscou, selon la formule de Claudfn. Le gouvernement de Casarès Quiroga fut jusqu’au bout fidèle à lui-même dans son odieuse irresponsabilité. Son chef, apprenant le soulèvement de l’armée du Maroc le 17 juillet au soir, aurait annoncé que puisqu’ils s’étaient soulevés (levantado), il allait pour sa part se coucher. Le 18juillet à 15 heures, le gouvernement annonçait contre toute vraisemblance qu’un vaste mouvement antirépublicain avait été étouffé au Maroc et qu’il n’avait trouvé aucun appui dans la péninsule. Le soir même, un Conseil des ministres, auquel s’était joint Prieto, refusait îa demande de l’UGT, présentée par Largo Caballero, de donner des armes aux travailleurs. Les partis socialiste et communiste, dans un com­ muniqué commun, assurent dans îa nuit que « îe gouvernement est certain de posséder îes moyens suffisants » et surtout que « le gouvernement commande et le Front populaire obéit ». En fait, les combats sont près de s’engager dans tout îe pays, et à 4 heures du matin Casarès Quiroga démissionne. Diego Martmez Barrio îui succède, flanqué de Sânchez Roman et du général Miaja. C’est une ultime tentative pour renouer îe dialogue, mais le général Moîa les envoie brutalement promener. Dans la capitale, des centaines de milliers de Madrilènes manifestent en réclamant des armes. Martmez Barrio ne veut pas armer le peuple. Il démissionne. Quand on lui trouve un successeur, le Dr José Giral, professeur d’université et grand propriétaire, celui-ci constate que les ouvriers sont armés et consent donc à leur armement. Le sort des armes varie avec l’orientation politique des combattants ouvriers qui défen­ dent leurs villes et leurs quartiers ou attaquent les casernes : Il n’est pas imprudent d’affirmer quec’est moins dans l’action des rebelles que dans la réaction des ouvriers, des partis et des syndicats et leur capacité à s’organiser militairement, en un mot dans leur perspective politique même, que réside la clé de l’issue des premiers combats. Chaque fois en effet que les organisations ouvrières se laissent paralyser par le souci de respecter la légalité républicaine, chaque fois que leurs dirigeants se contentent de la parole donnée par les officiers, ces derniers remportent. Par contre, le Movimiento est mis en échec chaque fois que les travailleurs ont eu le temps de s’armer, chaque fois qu’ils se sont immédiatement attaqués à îa destruction de l’aimée en tant que telle, indépendamment des prises de position de ses chefs ou de l’attitude des pouvoirs publics légitimes23. L ’application de la politique de front populaire et l’obéissance à ses gouvernements de pantins impuissants en cesjours tragiques était en effet une des conditions d’une défaite assurée. Notons cependant une remarque de Gômez Moreno : îes jeunes, même d’un parti de Front populaire, se sont moins souvent laissé prendre que les vieux, et même de vieux anarchistes sont tombés dans îe piège. L ’Andalousie ouvrière et paysanne tombe partout selon le même schéma : îes autorités refusent les armes aux ouvriers et se portent garantes de î’armée. Quand îes travailleurs refluent, les généraux frappent. A Séville, îe général Queipo de Llano l’emporte par un coup de bluff, puis un pont aérien d’avions italiens lui amène hommes et armes. La résistance ouvrière commence trop tard : îe faubourg ouvrier de Triana est nettoyé au couteau et à la grenade, une opération qui fait quelque 20 000 vic­ times. Les travailleurs de Malaga l’emportent grâce à un sous-officier hardi et à l’encer­ clement des casernes par un incendie au pétrole qui laisse aux ouvriers le temps de s’organiser. A Saragosse, bastion de la CNT, les anarcho-syndicaîistes se laissent rouler par le général Cabanellas, vieux républicain et franc-maçon. Les ouvriers ne s’arment pas 23. P. Broué et E. Témime, La Révolution et la guerre d ’Espagne, p. 87-88.

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et ne réagissent qu’aux premières arrestations, en se lançant dans la grève générale, écrasée en une semaine. A Oviedo, c’est un scénario semblable. Javier Bueno, l’héroïque jour­ naliste du journal socialiste Avance, a révélé que le colonel Aranda, chef républicain de la garnison, va passer à l’insurrection. Mais ce dernier réussit à convaincre socialistes de droite et républicains de ses bons sentiments. Trois colonnes de mineurs partent au secours de Madrid, et c’est alors que le colonel se soulève. A Gijôn, les ouvriers attaquent la garnison alors même qu’elle s’est déclarée loyale pour mieux les tromper. A Santander et Saint-Sébastien, ce sont les militaires qui se soulèvent trop tard et se cassent le nez sur les barricades. Prévenus par un sous-officier radio, Benjamin Balboâ, les marins se débar­ rassent de leurs officiers conspirateurs, mais se voient refuser le combustible pour leurs bateaux par la marine britannique. A Barcelone, c’est la foule ouvrière, entraînée par les Durruti, Ascaso et autres militants anarchistes, qui submerge les militaires, sans armes ou presque. H y a des pertes énormes. Des unités de la Garde civile et de l’aviation soutiennent les travailleurs. Le chef des rebelles, le général Goded, se rend au bout de deux jours. Une militante communiste peu connue, Caridad Mercader, empêche la foule de le lyncher. A Madrid, les casernes n’ont pas encore bougé que déjà des milices armées, cénétistes et socialistes, patrouillent. Le combat se gagne dans l’assaut de la caserne de la Montana, n y a aussi de lourdes pertes. Le général Fanjul, chef des insurgés, se rend. R év o lu t io n

d u c ô té

« r é p u b l ic a in »

Au soir du 20 juillet, la situation est claire. Ou bien les militaires ont vaincu, massacré et emprisonné tout ce qui était susceptible de résister - même si rien ne s’est passé, comme en Navarre -, et la population est soumise à une terreur blanche qu’appliquent parfois des prêtres, souvent des phalangistes, mais aussi des policiers et de simples militaires. Ou bien le soulèvement militaire a échoué et il ne reste plus qu’ici ou là une autorité - les ministres à Madrid, un gouverneur civil par-ci par-là. Les ouvriers se sont battus sous la direction de leurs organisations regroupées dans des « comités » qui, avec le consentement et l’appui des travailleurs en armes, exercent tout le pouvoir et commen­ cent à s’organiser pour continuer la guerre et transformer la société : ce sont les comitésgobiemo (comités-gouvemement), qui portent des noms hérités du passé français ou espagnol, des comités ouvriers, de guerre, de défense, exécutifs, de salut public, révolu­ tionnaires, antifascistes. Ils ont été élus de mille et une manières, dans des assemblées générales ou des meetings, par acclamation ou au vote, par désignation des organisations que chacun représente, par eux-mêmes quelquefois. Ils sont essentiellement révocables, contrôlés par une base exigeante qui les pousse plus qu’ils ne la dirigent. Ils ont toutes les fonctions : Tous décident souverainement, non seulement desproblèmes immédiats demaintien de l’ordre et de contrôle des prix, mais aussi des tâches révolutionnaires de l’heure, socialisation ou syndi­ calisation des entreprises industrielles, expropriation des biens du clergé, des factieux ou tout simplement des grands propriétaires, distribution entre les métayers ou en exploitation collective de la terre, confiscation des comptes en banque, municipalisation des logements, organisation de l’information, écrite ou parlée, de l’enseignement, de l’assistance sociale24. A partir de ces pouvoirs locaux se dressent des pouvoirs régionaux : à côté du faible gouvernement de la Généralité de Catalogne, le puissant comité central des milices anti­ fascistes de Catalogne qu’anime le libertaire luan Garcia Oliver, pouvoir révolutionnaire qui a créé des départements spécialisés qu’on appellerait ailleurs des ministères, et qui 24. P. Broué et E. Témirae, op. cit., p. 111-112.

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D e L’ACTIVITÉ POLITIQUE À L’ACTIVITÉ POLICIÈRE

disposent, avec la CNT-FAI, de l’autorité sur la police syndicale des patrouilles de contrôle. Il y en a d’autres ailleurs. A Valence, un comité exécutif populaire réussit à éliminer la junte déléguée de Martmez Barrio. Aux Asturies, deux comités rivaux, celui de Sama de Langreo avec les socialistes, celui de Gijôn, animé par la CNT. A Malaga, un comité de vigilance animé par la CNT qui fait contresigner ses ordres par le gouverneur civil. En Aragon, ce que César Lorenzo appelle îe « crypto-gouvernement libertaire », le Conseil d’Aragon, investi par un congrès des comités de villes et de villages et représentant les courants anarchistes îes plus avancés. Autour de ces gouvernements foisonnent les orga­ nismes nouveaux, tribunaux populaires, organisation de milices, comités d’économie, etc. Au sommet, le gouvernement subsiste, « monument d'inactivité », dit Franz Borkenau. Et iî n’y a pas à côté de lui de second gouvernement révolutionnaire, ce qui permet de nier l’existence d’une révolution et d’affirmer comme une réalité ce Front populaire qui a volé en éclats - sauf au sommet ! L a QUESTION DES MILICES

Les travailleurs ont démontré leur supériorité dans les combats de rues, des rues de leurs villes et de leurs usines. Mais, dès qu’ils sont en rase campagne, ils ne savent pas se battre et manquent d’armes. Les avions, îes bombardements comme îes mitraillages, provoquent dans leurs rangs de terribles et destructrices paniques. Bien des chefs sont tués parce qu’ils s’exposent inutilement pour insuffler îe calme aux hommes inexpéri­ mentés qui s’affolent. Les chefs sont parfois des militaires improvisés, des hommes qui ont un sens inné du combat et de ia tactique. Gomez Moreno mentionne un jeune paysan de vingt-quatre ans, José Bemete, connu sous îe nom de Ximeno, organisateur d’un groupe de cavalerie paysanne qui fera de terribles ravages par des raids meurtriers chez l’ennemi. Il cite aussi un ancien militant des JS de Valence, l’avocat et député de Jaen, Aîejandro Péris, organisateur et dirigeant au combat des redoutables milices socialistes de Jaen. Mais les premiers combats coûtent très cher en vies humaines, et particulièrement en cadres militaires, conduits à s’exposer excessivement. Ainsi tombent au combat des mili­ tants comme l’Argentin Hippolito Etchebéhère et l’anarchiste Francisco Ascaso, mais aussi des professionnels comme l’Italien De Rosa, les officiers Condès, Martfnez Vicente, admirateur de Trotsky, Arturo Gonzâlez Gfl, Fontân et bien d’autres de l’UMRA. Et puis les milices n’ont pas d’armes. Le gouvernement français était lié par un accord antérieur à la victoire du Front populaire dans les deux pays, par lequel il était tenu de fournir des armes sur demande. Le gouvernement français de Front populaire ne livra pas les armes demandées. Pour des raisons de politique extérieure, la gravité de la tension internationale et du danger de guerre, certes, l’opposition du gouvernement conservateur britannique, dont les citoyens fortunés se voyaient atteints par les confiscations et les syndicalisations, mais surtout, parce que le partenaire décisif dans le Front populaire, le Parti radical, était opposé à toute aide à un pays où l’ordre et la propriété étaient en effet sérieusement menacés. Il ne restera au gouvernement Blum qu’à ruser avec sa nonintervention grâce aux syndicalistes des douanes et à Gaston Cusin. L e DÉSASTRE EN GRÈCE

Le PC grec, qui se voulait fidèle entre les orthodoxes, entra rapidement à son tour dans la voie de la politique de front populaire, qu’iî approuva en septembre 1935 dans une conférence. En décembre, le V Iecongrès du parti décida la formation d’un parti paysan, et, en toute logique, suivant son grand modèle, inaugura le culte du chef omniscient {panexymos), Zachariadès. Aux élections de janvier 1935, îe KKE recueillit 73 411 voix,

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soit 5,76 %, et eut cinq élus. Mais la situation faisait de lui l’arbitre entre la « gauche » et îa « droite », qui avaient respectivement 14î et 143 sièges. Il conclut alors en secret, par l’intermédiaire de Leonidas Stringos, un accord avec les libéraux de Thémistoclès Sophoulis. Si l’on en croyait ia presse communiste du monde, ies progrès considérables réalisés en Grèce ouvraient devant le parti une voie triomphale puisque, à la tête d’une coalition de petits partis, il jouait au Parlement grec un rôle charnière. Il s’en glorifiait bruyamment. Surestimant peut-être la protection dont ils jouissaient ainsi, les travailleurs grecs commencèrent à avancer à découvert sur le terrain interdit des revendications. D’un côté, le KKE, en vertu de son accord avec Sophoulis, se préparait à soutenir un gouver­ nement libéral et qualifiait ce soutien de « lutte contre le fascisme ». Ses dirigeants allaient assurer au roi qu’ils respecteraient la Constitution et se placeraient rigoureusement dans îe cadre des institutions. De î’autre, les généraux, dont le chef de file était Metaxas, prévenaient îes politiques que toute alliance avec les communistes était à leurs yeux une menace pour l’ordre et la loi. Si ces événements ont eu une influence sur les travailleurs, ce fut en leur donnant confiance dans leurs propres forces, en îes engageant à se lancer eux-mêmes dans îa bataille. Comme en France et comme en Espagne, grèves et manifes­ tations se succèdent à partir de mai 1936, et la droite en profite pour clamer que « îa liberté et la propriété » sont en danger et pour attiser de toutes ses forces la peur sociale. Les modérés, à commencer par ies libéraux, reculent alors - Sophoulis renonce à son accord avec ie Front populaire - et assurent de leur confiance î’homme fort du gouver­ nement, le général Metaxas, qui attend tranquillement son heure. L ’explosion qui va servir de prétexte se produit à Thessalonique le 9 mai. Une mani­ festation des ouvriers du tabac en grève se heurte à la police. Les ouvriers du textile les rejoignent. On se bat dans ies rues. Les autorités proclament l’état d’urgence. Mais les chefs militaires disent qu’on ne peut pas compter sur îes soldats face aux manifestants : ce sont des enfants du pays. Le lendemain, on autorise donc une nouvelle manifestation. Cette fois la police tire : 12 morts, 32 blessés graves, 250 sérieux. Le lendemain, il y a 150000 grévistes. Stinas écrit : Ce carnage ne produit pas l’effet attendu. Les assassins croyaient frapper de terreur, ils ne réussirent qu’à provoquer la colère et l’exaspération. Ils espéraient que le mouvement refluerait et se désagrégerait : au contraire, il resserra les rangs pour l’attaque. Les cloches des églises de tous les quartiers ouvriers sonnent à toute volée et appellent le peuple à descendre dans la rue. Ouvriers et ouvrières de tous âges envahissent la chaussée. Des détachements de soldats frater­ nisent avec îa foule. Les commissariats sont assiégés. Les ouvriers sont maîtres de la ville. Le comité central de grève, auquel appartient un internationaliste, représentant des tisserands, est îe seul pouvoir effectif dans îa ville en révolution. Tout s’est arrêté. Le peuple est dans la me25.

Le KKE se voit avec angoisse pris entre l’exigence d’action des travailleurs et les inquiétudes des libéraux, qu’iî veut toujours porter au gouvernement en tant qu’élus du Front populaire. Dans les six premiers mois de 1936, on dénombre 344grèves, 195 000 gré­ vistes, 1990 jours de grève. Les services de renseignements de î’armée multiplient les rapports montrant que celle-ci est infiltrée par des « agitateurs ». Le général républicain Plastiras lui-même conseille à Metaxas d’agir pendant qu’il est encore temps. Le PC et îa CGTU se décident alors. Ils ramènent le calme à Thessalonique, en se portant garants de la parole du général, qui veut seulement, disent-ils, un apaisement. Ils jurent que les travailleurs grecs n’ont de revendications qu’économiques, condamnent ce qu’ils appellent maintenant îes « aventures », comme la « grève générale ». Les travailleurs se démobili­ 25. A. Stinas, Mémoires, p. 159.

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De L’ACTIVITE POLITIQUE À L’ACTIVITÉ POLICIÈRE

sent, retournent chez eux. La réaction monarchiste et militaire peut alors frapper. Stinas raconte : « La nuit suivante, les rues, tous les carrefours et les hauteurs de la ville sont occupés par des gendarmes équipés de mitrailleuses. L ’armée peut désormais intervenir sans crainte. Une division entière monte de Larissa. Quatre navires de guerre mouillent dans le port. Les arrestations massives commencent26. » Il poursuit : « Le mouvement commença alors inévitablement sa décrue. Les masses découragées baissèrent de nouveau la tête. [...] Le terrain social était ainsi déblayé pour la dictature du 4 août27. » Le général Metaxas réalise son coup d’État le 4 août 1936 selon un plan minutieux. Toutes les organisations subversives sont dissoutes, les partis, suspendus, les libertés politiques, mises en veilleuse, les « suspects » arrêtés, emprisonnés ou internés : 1 330 « communistes » en trois mois. Atterrés, ceux des dirigeants du PC qui n’ont pas été arrêtés par surprise plongent dans la clandestinité ou s’enfuient au hasard, terrorisés par cette victoire-éclair d’un « fascisme » qu’ils prétendaient et croyaient peut-être avoir fait reculer. Le PC grec ne bouge pas le petit doigt. A la différence de l’Espagne, il n’existe pas en Grèce de forces susceptibles d’ouvrir la voie du combat. Un ministre de l’Intérieur imaginatif, Konstantinos Maniadiakis, va perfectionner cette offensive militaire par une offensive policière, des provocations, de fausses évasions, de prétendues trahisons, intoxiquer et diviser les militants. En quelques mois, le KKE est balayé. Profondément bureaucratisé, il se révèle encore plus décomposé que le Parti communiste allemand en 1933. Plusieurs de ses dirigeants - tous des staliniens virulents et chasseurs de trotskystes se rallient à la dictature, se mettent au service de la Sûreté ; parmi eux, les membres du bureau politique Michael Tyrimos et Yannis Michaïîidis, îe secrétaire des JC de ThessaIonique, Lithoxopoulos, le député Manoléas... L ’homme qui en était le tout-puissant dirigeant, Nikos Zachariadès, est arrêté, emprisonné. Livré aux Allemands, iî ne sortira de camp de concentration qu’en 1945. C’est îa déroute d’un parti où les honnêtes gens, qui obéissent depuis toujours à ia baguette, ne savent pas défendre leurs idées ni même faire tout seuls une simple analyse. Le « monarcho-fascisme » grec triomphe du mouve­ ment ouvrier, par la grâce du stalinisme le plus obtus. Les staliniens prennent leur revanche dans îes prisons et les camps. Le régime qu’ils y imposent aux opposants et à leurs propres membres parfois mériterait un ouvrage à lui tout seul. Nous nous contenterons de citer îe précieux témoin qu’est Stinas. Il est d’abord incarcéré à la prison d’Égine : Nous n’étions pas plus de 150. La direction des staliniens réglait îes affaires intérieures du rayon [des politiques] avec l’accord du chef des gardiens. Ils s’étaient choisi les meilleures chambrées, plus spacieuses, confortables, aérées et ensoleillées. Les trotskystes et les archiomarxistes, ils les avaient entassés dans un cachot qui ne disposait que d’une petite fenêtre et qui était juste à côté des WC. [...j Ce qu’ils disaient et faisaient était programmé, contrôlé et surveillé. La GPU avait un œil dans chaque chambrée : un type qui surveillait tout avec vigilance et devait présenter son rapport chaque matin. Le courrier privé des militants à leurs parents, à leur femme, à leurs frères, avant de passer par la censure de la prison, subissait d’abord celle de îa direction stalinienne.

Transféré ensuite au camp de concentration d’Acronaupîie, il en écrit : Le régime que nous imposaient l’organisation et la direction staliniennes ressemblait mais en pire, à celui d’Égine, car les staliniens étaient responsables des repas et disposaient ainsi d’un moyen supplémentaire, et d’importance, pour nous compliquer la vie. Les détenus étaient organisés au su de Fadministration du camp et avec son consentement. Il 26. A. Stinas, op. cit., p. 161. 27. Ibidem,

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existait un comité administratif, nommé bien sûr par la direction du parti. Chaque chambrée avait son chef et son sous-chef, un infirmier et un aide-infirmier, ses responsables de la cuisine, de ia buanderie et de l'atelier, ses facteurs, etc. Tous recevaient double portion de nourriture et servaient de nervis à la direction stalinienne Nous devions obligatoirement donner au groupe d’entraide la moitié de l’argent et des vivres que nous recevions de l’extérieur. Seuls les malades étaient exemptés. Ils gardaient tout parce qu’ils avaient soi-disant besoin de plus de nourriture. Comme par hasard, la plupart des cadres du parti étaient malades et exemptés de contributions et de corvées pour le groupe d’entraide. Les médecins qui les déclaraient malades et bons pour un régime étaient des médecins staliniens détenus28.

Nombre de militants étaient mis en quarantaine pour les idées exprimées ou pour un acte d’« indiscipline ». Stinas raconte le lynchage de trois d’entre eux, des militants communistes, sur décision de la direction stalinienne, qui ne fut suivi d’aucune sanction de la part de la direction du camp. Beaucoup ne sortirent de ces prisons et de ces camps que pour être assassinés par leurs ex-codétenus staliniens. Ainsi, par une de ces farces tragiques dont l’histoire est coutumière, la « société nouvelle » du « petit père des peu­ ples » se reproduisait-elle et s’annonçait en même temps dans les bagnes des « monarchofascistes » grecs. L ’U n io n

so v iét iq u e s ’a b st ie n t en

E spa g n e

Dans la terrible période dejuillet à septembre 1936, l’Espagne qui résiste aux militaires et aux fascistes - qu'on appellera bientôt « franquistes » - est totalement isolée. L ’Union soviétique, en ces mois décisifs, ne bouge pas le petit doigt pour sa défense. C’est qu’elle a comme premier objectif d’élargir son pacte avec la France au gouvernement britannique, et que celui-ci, déjà inquiet du résultat des élections françaises, est carrément alarmé par îa situation espagnole. Depuis des mois, des personnages aussi influents que sir Auckland Geddes, le PDG de la Rio Tinto, conjurent le gouvernement de Londres de prendre des initiatives pour préserver les « intérêts britanniques ». Les consuls britanniques en Espa­ gne, depuis îe début de la guerre civile, soufflent un vent d’alarme et même de panique pour îa sécurité des biens et des personnes. L ’Union soviétique, outre que cette perspective révolutionnaire risquerait de se retourner contre elle plus ou moins directement, semble avoir redouté ou au moins évoqué l’éventualité qu’une perspective de croisade antirévo­ lutionnaire et à terme antisoviétique à cette occasion ne rapproche la Grande-Bretagne de l’Itaîie et de l’Allemagne. On peut aussi craindre une contagion révolutionnaire en France et l’affaiblissement de î’armée. Les premiers signes d’un tournant apparaissent à la réunion de l’exécutif de îa Comintem du 18 septembre 1936, avec îe vote d’une résolution dont îe premier point - résidu de la période antérieure - souligne la nécessité de dénoncer toutes les violations, allemande, italienne, portugaise, de l’accord de non-intervention, les deux derniers points préconisant l’envoi en Espagne d’ouvriers volontaires ayant une expérience militaire et d’ouvriers et techniciens qualifiés29. Selon un article dans l’heb­ domadaire Fûfcfy i Argumenti qae nous n’avons malheureusement pas pu nous procurer, l’historien Iouri Rybalkine indique que c’est le 29 septembre qu’a été prise la décision d’envoyer en URSS une « aide de grande envergure », à la suite de la proposition du gouvernement de Largo Caballero de gager l’or espagnol sur cette aide. H y a déjà sur

28. A. Stinas, op. cit., p. 193. 29. RTsKhINDÎ, 495/18/ 1135, p. 1.

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De l ’a c t iv ité p o litiq u e à l 1a c t iv i t é p o lic iè r e

place des gens du 4e Bureau de l’Armée rouge et des représentants officieux de l’Inter­ nationale, préparant l’entrée en lice des Brigades internationales. La

m u t in er ie d es m a r in s po r t u g a is

Nous avons découvert récemment un fait qui revêt une grande signification dans la guerre civile replacée dans la perspective européennne. Le 8 septembre 1936, les équipages de trois navires de guerre portugais, les torpilleurs Afonso de Aîbuquerque, Dâo et Bartolome Dias se mutinent près de Lisbonne, tentent de maîtriser leurs officiers et de sortir de la rade. Les autorités portugaises assurent qu’ils cherchaient à rallier derrière eux les marins du reste de la flotte. Le Diario de Noticias du 9 septembre écrit : « Les mutins prétendaient faire cause commune avec les marxistes espagnols. » Tous les auteurs vont le répéter après la presse de Salazar. Au lendemain de îa « révolution des œillets », les survivants ont parlé après des années de bagne : en fait, le mouvement était une réaction contre la répression aggravée depuis îe début de 1aguerre civile espagnole, une discipline toujours plus féroce, les longues consignes à bord quand le bateau touchait un port contrôlé par les « républicains ». A la fin du mois d’août 1936, au retour d’une tournée dans les ports républicains espagnols où il avait récupéré des Portugais désireux de regagner le pays, YAfonso de Aîbuquerque avait débarqué à Lisbonne 37 marins accusés de « com­ plot » qui s’étaient retrouvés en prison. D’autres allaient suivre. S’agit-il d’une entreprise communiste ? Les suggestions de l’histoire communiste offi­ cielle30en ce sens ont été longtemps discrètes. Au point de provoquer notre scepticisme devant le peu de vraisemblance d’une mutinerie dirigée par les communistes à une époque où ces derniers cherchent surtout à démontrer qu’ils ne sont pas « révolutionnaires ». Les Mémoires de Joâo Faria Borda, « l’âme de îa révolte», ont consolidé les doutes. Les communistes étaient bien les meneurs, mais ils ne cherchaient pas, comme les propagan­ distes Font dit après coup, à rallier la marine républicaine espagnole. Nombre de marins communistes avaient été éliminés préventivement : ainsi Manuel Guedes, engagé à vingt et un ans, au PC à vingt-deux, arrêté à vingt-trois, premier dirigeant de l’ORA, condamné à dix-huit mois de prison, réussit à s’évader et gagne l’Espagne. Bien entendu, c’était l’ORA qui tirait les ficelles, et ses hommes tiraient celles de la mutinerie35. Mais si cette mutinerie, comme d’autres aperçues au cours de la troisième période, avait résulté de Faction de l’appareil communiste international, voire national, il nous serait donné sur ce point beaucoup plus de détails. L ’événement est d’autant plus important : il atteste l’existence de forces révolutionnaires à l’intérieur même des pays ligués contre l’Espagne et leur capacité de se défendre contre une répression de plus en plus sauvage. C’est le même mouvement qui a porté en Espagne les ouvriers à l’assaut des casernes menaçantes et à la chasse aux officiers et aux senoritos, qui lance ici les marins contre les officiers. Nouvelle preuve du caractère européen, au moins, de cette crise en train de devenir révolutionnaire. Pour les dirigeants portugais, c’était bien en tout cas le spectre de îa révolution qui surgissait dans la marine portugaise. L ’ombre du cuirassé Poîemkine sortait des flots et semait la panique. Sans autre forme de procès, les gros canons des batteries côtières commencèrent à écraser sous leurs obus les trois bâtiments « mutinés ». Certains marins réussirent à s’enfuir. Les autres hissèrent le drapeau blanc. Le chef de la mutinerie du Dâo se suicida à l’arrivée sur le bateau des forces de répresssion. Les tribunaux militaires et plus encore les geôliers furent impitoyables. Sur 218 marins com­ promis dans la révolte, 116 sont exclus de l’armée, 10 sont acquittés sur la reconnaissance 30. Guerra y Revoluciôn en Espana, 1.1, p. 219. 31. Voir J. Borda, A Révolta dos Marinheiros.

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des services rendus au « maintien de l’ordre », 34 sont condamnés à vingt ans de travaux forcés et expédiés au pénitencier africain de Tarrafal, le sinistre « camp de la mort », près du cap Vert, dont ils ne sortiront qu’en 1951. Parmi eux, José fîarata Jünior, Antonio Dinis Cabao, dit 0 Tojalinho, Joaquim Casquinha, artilleur sur YAfonso de Albuquerque, enfin M o Faria Borda et Fernando Vicente, qui avaient remplacé Manuel Guedes à la tête de l’ORA. Aux victimes des bombardements, une dizaine, il faut ajouter cinq marins qui moururent entre îes mains de îa poîice politique et autant dans le camp de Tarrafal. Certains ne sortirent qu’en 1951, voire deux ans plus tard. D’autres, évadés, comme Joaquim de Sousa Teixeira, outiîîeur devenu l’ouvrier Joaquim Valarinho, ne reprirent îeur identité qu’après îa révolution des oeillets. Tant de vies perdues... Et pourtant îes Espagnols n’étaient pas seuls. S t a lin e

a peu r d e l a r év o lu t io n

Ce sont sans doute en effet les aspects révolutionnaires proprement dits qui inquiètent le plus î’Union soviétique dans la guerre civile et son contexte international. Les aspects révolutionnaires espagnols sont pour elle peu engageants. Elle ne peut que s’inquiéter de l’influence libertaire et de îa puissance de la CNT-FAI. Surtout, elle a toutes raisons de s’alarmer de l’existence d’un parti communiste antistalinien, ce POUM qui est dirigé par des vétérans du PC espagnol et dont le chef, Andrés Nin, fut un ami de Trotsky. Ce parti, au mois d’août, proteste contre le procès de Moscou et demande au gouvernement de la Généralité de Catalogne d’accorder l’asile politique à Trotsky. Il y a là aux yeux de Staline un très grave danger. Or il semble bien que sa politique n’ait pas fait l’unanimité parmi les autres dirigeants du PC de l’URSS et qu’il se soit heurté à une réelle opposition au sommet. C’est ainsi qu’on a relevé dans les ïzvestia des articles de Karl Radek défendant « la révolution espagnole », s’en prenant aux capitalistes britanniques, qu’il est impossible d’attribuer à une initiative personnelle et qui expriment une réelle opposition à la ligne stalinienne. L ’historien américain Stephen Cohen est le premier à avoir émis l’hypothèse, consolidéepar îa lecture des documents diplomatiques, notamment les rapports de l’ambas­ sadeur français Coulondre, seîon laquelle il y aurait eu alors une véritable opposition contre la politique de Staline vis-à-vis de l’Espagne, qui serait îa toile de fond du deuxième procès de Moscou. On a prononcé à ce sujet îe nom d’Ordjonikidze, qui se suicidera en 1937. Le livre récent de l’historien soviétique Oleg Khlevniouk sur l’activité du Politburo ne com­ portejamais îe mot « Espagne », une absence qui constitue un éîément important de ren­ forcement de cette thèse. Staline aurait réussi à dominer cette opposition en la privant apparemment, seîon une méthode qui lui était familière, d’une partie de son programme. Il se serait décidé à aider l’Espagne républicaine en assorîissant cette aide de conditions politiques qui lui permettaient dejouer un rôle direct dans la lutte contre la révolution. Telle estla politique, en tout cas, que va préconiser en Espagne l’ambassadeur Marcel Rosenberg, arrivé fin août, plus d’un mois après l’insurrection militaire. Sa pression insistante empêche la formation du « gouvernement syndical » envisagé par Largo Caballero et amène celui-ci à accepter de présider un gouvernement de front populaire où il prend lui-même îe porte­ feuille de la Guerre, un pas décisif puisque ce gouvernement émane en principe du Parle­ ment, îes Cortes et comprend deux ministres communistes Jésus Hemândez et Uribe. Telle est îa politique clairement exprimée en décembre 1936 par Staline dans une lettre au chef du gouvernement espagnol dans laquelle, après avoir indiqué qu’il serait « possible que la voie parlementaire se révèle comme un procédé de développement révolutionnaire plus efficace en Espagne qu’elle ne le fut en Russie », iî formule quatre « conseils amicaux » soumis à la « discrétion » de son correspondant :

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D e L’ACTIVITÉ POLITIQUE À L’ACTIVrTÉ POLICIÈRE

1) Il conviendrait d’accorder de l’attention aux paysans, qui ont un grand poids dans un pays agraire comme i’Espagne. li serait souhaitable de promulguer des décrets de caractère agraire et fiscal qui satisfassent leurs intérêts. Iî conviendrait également de les attirer à l’armée et de former à l’arrière des années fascistes des groupes de guérilleros composés de paysans. Des décrets en leur faveur pourraient faciliter le règlement de cette question. 2) H conviendrait d'attirer aux côtés du gouvernement la bourgeoisie urbaine petite et moyenne,ou, en tout cas, de lui donner la possibilité d’adopter une attitude de neutralité favorable au gouvernement en la protégeant contre toute confiscation et en lui assurant dans la mesure du possible la liberté du commerce. Dans le cas contraire, ces secteurs suivraient les fascistes. 3) II ne faut pas repousser les dirigeants des partis républicains mais au contraire les attirer, se rapprocher d’eux et les associer à l’effort commun du gouvernement. II est en particulier nécessaire d’assurer au gouvernement l’appui d’Azana et de son groupe, en faisant tout ce qui est possible pour les aider à surmonter leurs hésitations. C’est également nécessaire pour empêcher que les ennemis de la République ne voient en elle une république communiste, et pour empêcher ainsi leur intervention déclarée, ce qui constitue le plus grand péril pour l’Espagne républicaine; 4) On pourrait saisir l’occasion pour déclarer dans la presse que le gouvernement de l’Espagne ne tolérera pas que qui que ce soit porte atteinte à la propriété et aux intérêts légitimes des étrangers en Espagne, des citoyens des pays qui n’appuient pas les fascistes32.

Le débat à l’exécutif de la Comintern est à cet égard très intéressant. A celui de septembre, André Marty montre le développement des initiatives révolutionnaires, dit qu’il faut les combattre mais qu’on ne peut le faire de front. II hésite même à qualifier Nin de « trotskyste », et c’est Moskvine, l’homme du NKVD, qui l’interrompt pour le rappeler à l’ordre sur ce point33. A l’exécutif suivant, c’est Raymond Guyot, de retour d’Espagne, qui, avec beaucoup d’arrogance, balaie les hésitations de l’ancien. H faut affronter cette révolution nuisible. Dans cette même intervention, en novembre 1936, il annonce à l’exécutif l’adhésion au PCE de Santiago Carrillo et de ses camarades, et aussi que la nouvelle doit être gardée secrète. Nous comprenons pourquoi34. L a re sta u ra tio n

de l'É t a t en Espagne

C’est par l’armée que tout a commencé, et c’est compréhensible. Les catastrophiques paniques dues à l’inexpérience de milices mal armées, l’aide en armes et matériel apportée aux armées des généraux rebelles par ritalie mussolinienne puis l’Allemagne hitlérienne, soulignaient fortement les faiblesses congénitales des milices : une discipline approxima­ tive - les combattants rentraient chez eux librement quand ils le jugeaient bon -, l’incom­ pétence de nombreux chefs, l’inexpérience des troupes et leur inévitable effroi contre des armes modernes de terreur auxquelles elles ne connaissaient pas de parade. La multiplicité des commandements interdisait en outre toute opération d’envergure, et surtout toute véritable offensive. H était clair qu’il fallait une armée et un commandement uniques. Mais quelle sorte d’armée ? Placés devant le même problème, les Russes-en l’occurrence, Trotsky - avaient construit l’Armée rouge, qui luttait pour la victoire de la révolution. Les créateurs de l’Armée populaire espagnole expliquaient qu’il fallait « d’abord gagner la guerre » et ensuite faire la révolution. Ils devaient donc être prêts à la combattre tout de suite, pour gagner la guerre demain. Cela justifiait à leurs yeux le rétablissement des 32. Fac-similé dans Guerra y Revoïuciôn en Espaüa, t. Il, entre les p. 102-103. 33. RTsKhINDI, 495/18/117, p. 1-45. 34. Ibidem, 495/18/ 1126, p. 18-45. Le PC, du coup, pouvait être représenté dans les comités non seulement par lui-même et éventuellement l’ÜGT, mais par îa JSU, dont il tenait tout l’appareil. C’est ainsi qu’il assura son contrôle sur la junte de défense de Madrid.

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grades, des galons et des soldes fortement hiérarchisées. L ’Armée populaire employa des milliers d’officiers « républicains », qui étaient soumis au contrôle de « commissaires politiques ». Ces derniers n’étaient pas, comme ils l’avaient été dans l’Armée rouge, les agitateurs et propagandistes de la révolution, mais au contraire les propagandistes de Tordre pour « gagner d’abord la guerre ». L ’un des plus éminents experts de la contrerévolution du XXesiècle, le Britannique Winston Churchill, est sans doute l’un des premiers observateurs à avoir saisi la signification profonde de la dissolution des milices et de la militarisation qui donnait naissance à une armée régulière de type traditionnel, baptisée « populaire » : « Quand, dans quelque pays que ce soit, toute la structure de îa civilisation et de la vie sociale est détruite, l’État ne peut se reconstituer que dans un cadre militaire. [...] Dans sa nouvelle armée, la République espagnole possède un instrument dont îa signification n’est pas seulement militaire, mais politique33. » Pour la création de l’Armée populaire, les communistes, qui en furent îa pointe avancée, bénéficièrent du concours de nombreux officiers de carrière, républicains ou qui se sont trouvés du côté républicain après le début des combats. Ces hommes retrouvaient dans îes unités communistes comme ie fameux 5e régiment, puis dans l’Armée populaire, l’autorité, îe respect, îes méthodes de commandement dont ils avaient î’habitude et sur lesquelles ils fondaient leur supériorité. Certains de ces hommes étaient des hommes de droite, ayant appartenu à l’UME, comme le lieutenant-colonel Vicente Rojo et le général Miaja, qui avait eu un comportement très suspect dans les premiers temps de la guerre civile, si l’on en croit Gômez Moreno. Ils trouvaient dans le PC une protection contre leur propre passé, mais en étaient également prisonniers. Si l’on ajoute à ces facteurs l’utilisation des dossiers du commandant Dfaz-Tendero, aide de camp de Largo Caballero très vite rallié secrètement au PC, on comprend que la plupart des chefs militaires de îa République se soient trouvés engagés avec le PCE alors que de toute évidence ils n’avaient pas la moindre sympathie pour les travailleurs qui s’étaient défendus contre leurs frères d’armes. L’autre instrument de ce que les adversaires du PCE ont appelé sa « colonisa­ tion » de l’armée a été l’institution des commissaires politiques, dans laquelle iî a été majoritaire ~ 1000 environ, avec un salaire de général - grâce à l’aide de ses alliés et de î’Ëcole des commissaires politiques, dirigée par José Lain. L ’institution du commissariat fut l’une des plus attaquées dans îes organisations ouvrières non staliniennes, Carlos de Barafbar, collaborateur proche de Largo Caballero et son ancien secrétaire d’État à îa Guerre, allant jusqu’à écrire que c’était l’instrument îe plus perfectionné de îa « merveil­ leuse machine de corruption de l’Armée populaire ». Le même scénario s’est développé autour de la reconstitution de la police, soustraite dans un premier temps au contrôle syndical puis tout simplement réorganisée sçus des militaires communistes qui dirigent la Sûreté nationale, îes services spéciaux, l’École de police, le SIM (les renseignements militaires). La création par le ministre des Finances de Largo Caballero, Juan Negrin, du corps des carabiniers, en principe destinés aux frontières, permit, après la dissolution de fait des Gardes civils et des Gardes d’assaut, îa reconstitution d’un corps de policiers bien tenu par le gouvernement et le PC. L ’É tat

st a lin ien d a n s l ’É tat r é p u b l ic a in

Les armes ne sont pas venues seules. Avec elles débarquent en Espagne à partir de septembre 1936 toutes sortes de spécialistes qui vont constituer ce que les initiés appellent « la Mission S » - mission militaire soviétique dont les deux principaux chefs furent les 35. W. Churchill, Journal politique, p. 178.

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D e L’ACTIVITÉ POLITIQUE À L’ACTIVITÉ POLICIÈRE

généraux Berzine et Goriev, vétérans des luttes internationales. Les plus connus sont évidemment les militaires. Quelque-uns, comme Joukov, Voronov, Koniev, Malinovsky, Meretzkov, N.N. Kouznetzov, connaîtront plus tard la notoriété. Beaucoup d’autres, comme Goriev, Berzine, Koulik, Pavlov, Smoutchkievitch, Stem, ont vu leur vie arrêtée dans les caves de la Loubianka par la balle dans la nuque ou le peloton d’exécution ordinaire qui sera le sort de nombreux « Mexicains », comme on appelle en URSS ceux de la Mission S. De nombre de responsables, on ignore s’ils étaient agents de îa Comintem ou du NKVD, ou des deux en même temps. Certains ont passé quelques jours en Espagne dans la plus grande discrétion comme, au cours des premières semaines, les deux Fin­ landais Mauno Heimo et Tuure Léhen, « Markus ». Nous ignorons à quel titre s’y trouve Rosa Michel, l’ancienne dirigeante des JC de France Marie Wiarczag, entrée dans les années 20 dans l’appareil de la Comintem, qui fut longtemps à Berlin membre du bureau d’Europe occidentale, l’épouse de Walter Ulbricht. Une lettre de Marty aux dirigeants français explique le faible niveau de son activité par îe fait qu’elle est enceinte. Certains sont des représentants de ia Comintem en titre. Ainsi le plus ancien, Vittorio Codovilla, dit aussi Luis ou Medina. D’autres sont de plus grands personnages encore : c’est le cas de Palmiro Togliatti, membre du secrétariat, qui est à Valence sous îe nom d’Alfredo, de Minev, dit Stepanov, qui s’appelle ici aussi Moreno et a été secrétaire de Dimitrov, du Hongrois Ernô Gerô, dit Pedro, à Barcelone, qui était le bras droit de Manouilsky. Ce sont des responsabilités d’«instructeur» que Charles Tiîlon attribue à François Biîîoux. André Marty est îe grand personnage étranger de ces brigades, mais il n’est pas « le boucher » qu’ont dépeint ses adversaires. C’est certes un authentique « gueu­ lard », mais pas un tueur hystérique, et l’auteur de îa thèse sur îes Brigades, Rémy Skouteîski, s’est honoré en commençant 1a démolition de la légende du «bourreau d’Albacete ». Le chef des services secrets de Staline est le fameux général Orlov, de son vrai nom L.L. Feldbine, avec Mikhaïl Spiegelglass et NX Eitigon, dit Léonide et Kotov et ses « recrues » Morris Cohen et Mercader... On doit renoncer à signaler ses autres colla­ borateurs, à l’exception peut-être du journaliste français Georges Soria, chargé en Espa­ gne de la diffusion des interprétations souhaitées par le NKVD sur les événements d’Espagne et ainsi complice des meurtriers, par la couverture qu’il leur fournit sciem­ ment. Certains des hommes de ia Comintem sont ici, que l’on considère généralement comme de hauts responsables des services : îe Bulgare Beîov, de son vrai nom Georgi Damianov, l’homme qui connaît tous les cadres, îes Allemands Mieîke et Ulbricht. Ceux-là ont comme couverture les Brigades internationales. Mais iî y a aussi des agents polyvalents, souvent accusés de meurtre, comme îes précédents, par la rumeur ou des dénonciations. Citons enfin l’Italien Vittorio Vidali, îe « comandante Carlos», son camarade Ilio Baroutni, et sa compagne Tina Modotti, le Russe blanc Lev Narvitch, les Allemands Hlner, Staimer, Alfred Herz et Chaya Kindermann, Lothar Marx, l’Améri­ cain Irving Goff, le Brésilien José Escoy, dit Ioussik - qui sera peut-être bientôt iden­ tifié -, et bien d’autres dont les noms sont mentionnés dans les opérations d’enlèvement et de meurtre. ^ Le nouvel État se révèle accueillant. Un exemple suffira : certains services de îa Généralité de Catalogne sont confiés à des étrangers recommandés - pratiquement impo­ sés - par les « services » soviétiques. Ainsi, à Barcelone, le chef du bureau chargé de la surveillance des antifascistes de langue allemande est-il l’Allemand Hubert von Ranke, dit Moritz Bressler. Très vite, d’ailleurs, le réseau policier de l’Espagne républicaine et celui qu’installent les services soviétiques se compénètrent étroitement. Les prisons pri­ vées tenues par les communistes, ies checas, sont fournies en prisonniers par les policiers

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officiels, et bien des disparus des prisons d’État connaîtront le passage ou la mort dans les checas. Le militant libertaire Melchor Rodriguez a dénoncé dans une enquête reten­ tissante les liens entre les checas et le secrétaire de la junte de Madrid à l’Ordre public, le dirigeant JSU José Cazorlà, ainsi que îa corruption dans laquelle baignaient presque toutes ces affaires politico-policières. Bien entendu, il faut ajouter les Brigades internationales, qui furent d’une certaine manière, et saufpour les naïfs, les forces armées de la Comintern dans la guerre d’Espagne. Les premiers volontaires ne relevaient d’aucun cadre d’organisation et ont obéi au senti­ ment de solidarité ou au goût de la bataille. Mais les forces organisées qui constituent les Brigades proprement dites relèvent de Faction d’organisation de la Comintern. Le PCF a évidemment joué un rôle particulier dans cette tâche. Les gens de l’appareil étaient là, avec l’homme des cadres, Maurice Tréand, mais aussi René Mourre et une commission où siègent de jeunes députés, Airoldi, Catelas, et le précieux douanier Jean CristofoL Quelques officiers de réserve français viennent, dont un cadre politique déchu, Gayman, ex-dirigeant des JC envoyé par le PCF ou PCE comme « conseiller militaire ». La grande majorité de leurs cadres militaires - pour ne pas parler des politiques - sont des hommes servant ou ayant servi dans l’Armée rouge ou ses services, envoyés pour encadrer les volontaires. On retrouve parmi eux nombre d’officiers gagnés pendant la guerre dans les camps de prisonniers, officiers soviétiques dépendant de la Comintern et du 4e Bureau, notamment des hommes qui ont combattu en Allemagne et en Chine. Il faut citer parmi ces derniers le Polonais Karol Swierczewki, dit général Walter, le Hongrois Maté Zalka, dit général Lukâcs, les Hongrois Galicz, dit général Gai, Desider Fried, dit colonel Blanco, un des premiers interbrigadistes tués au combat, Ferenc Münnich, qui commande une brigade, îes Allemands Hans Kahle et Wiîhelm Zaisser, dit général Gémez, sans oublier le plus célèbre d’entre eux, Manfred Stem, dit général Emiîio Kleber. Mentionnons aussi le très discret mais très important Finlandais Waldemar Tuure Léhen, dit Marcus, venu mettre le travail en place, reparti assez vite. Dans un énorme mémoire encore inédit, Vital Gayman assure que seuî Hans Kahle était capable de diriger un régiment ou une unité supérieure. Les rangs des volontaires, leurs cadres politiques et militaires, comptent de nombreux militants qui seront ou dont on attend qu’ils soient, quelques années plus tard, des diri­ geants et cadres de leurs partis respectifs, donc nombre d’anciens de l’École Lénine. Il y alà les Anglais William Rust et David Springhall, ies Allemands Ulbricht, K.H. Hoffmann et Franz Dahlem, ies Italiens Luigi Longo, dit Galîo, et Di Vittorio, dit Nicoletti, Bianco, dit Krieger, les cadres yougoslaves qui feront avec Tito la guerre de partisans, comme Bebîer, Viajko Begovic, Ivan Gosnjak, les Kovaéevié, Vuk, Vlahovic. Il y a aussi les « punis », comme les Yougoslaves Blagoje Parovic et Rodoîjub Coîakovic, le Roumain Borila, les Bulgares Loukanov et Bolgaranov, îe Canadien Tim Buck, le Hongrois Laszlo Rajk, qui se fait appeler FirtoS, les Français Auguste Lecœur, André Heussler, Pierre Rebière, îes jeunes Tchécoslovaques Jan Cemy, Alexandr BubeniSek, Jaroslav Klivar et Josef Paveî, et nous en passons. Nous avons gardé pour la fin le Bulgare Georgi Damianov, dit Belov, le tout-puissant responsable des cadres de la Comintern, qui porte ici le nom de colonel Belov, vrai patron des Brigades jusqu’à son départ à la fin 1937. Contrairement à ce que certains auteurs affirment avec beaucoup de légèreté, îe SIM - la police politique militaire - des Brigades internationales est beaucoup mieux contrôlé par les hommes des « services » que celui de l’armée espagnole. La répression a-t-elle été plus sévère dans les Brigades qu’ailleurs en Espagne ? Il est impossible de répondre à cette question. Sauf quelques cas exceptionnels, les liquidations d’adversaires politiques

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D e L’ACTIVITÉ POLITIQUE à L’ACTIVITÉ POLICIÈRE

ou prétendus tels parmi les interbrigadistes relèvent du secret d’État. Et, surtout, il est très facile de liquider discrètement quelqu’un au front. M eu rtres en s ér ie

A un mois près, le début de la guerre d’Espagne coïncide avec le premier procès de Moscou, qui marque ia première étape du grand massacre des bolcheviks, des révolution­ naires russes compagnons et contemporains de Lénine et de îa jeunesse qui a cru marcher sur leurs traces - ces « trotskystes » fusillés par dizaines à la mitrailleuse à Vorkouta et à Magadan, et des dizaines de milliers de communistes dont on retrouve les cadavres dans des charniers. Staline, incontestablement, était plus préoccupé de faire aboutir son propre plan d’extermination que d’arrêter celui que venait de promettre et d’engager le général Franco avec l’appui d’Hitler et de Mussolini. La lutte contre le « trotskysme » déchaînée en URSS va être transposée sur le sol espagnol, visant au premier chef les vrais trotskystes - des étrangers en général - et le POUM, mais aussi les anarchistes qui refusent la collaboration avec le Front populaire et les socialistes de gauche irréductibles. La première étape est la provocation préparée depuis des mois à Barcelone contre la CNT et le POUM, l’attaque de l’immeuble de la Telefonica, contrôlé par les miliciens de la CNT, qui provoque la réaction fantastique des travailleurs de la cité catalane, ce que Ton a appelé « les journées de Mai » 1937 - grève et occupation des usines, construction de barricades, exigences politiques - elle-même point de départ d’une offensive dans la presse, déjà longuement menée contre le POUM. Ces événements qui servent de prétexte aux communistes et aux hommes de Moscou pour chasser du pouvoir Largo Caballero, pas assez souple, et installer un homme à leurs ordres, le Dr Juan Negrfn, membre de l’aile priétiste du Parti socialiste et plus maniable même que Jesüs Hemândez et Uribe, commence une nouvelle étape. Parmi les nombreux meurtres dont les services spéciaux de Staline appuyés sur l’appa­ reil de la Comintern se rendirent coupables en Espagne, nous mentionnerons ici ceux d’anciens membres de groupes d’opposition dans les PC, comme l'Autrichien Kurt Lan­ dau, sur lequel un dossier - inaccessible aux pauvres - se trouve aux archives du KGB, et des proches de Trotsky comme le Tchécoslovaque Erwin Wolf et le jeune Allemand Hans Freund, dit Moulin, tous trois enlevés, détenus dans des checas, et qui ont défini­ tivement disparu. Aucune enquête n’a pu conclure encore, faute d’accès aux archives du KGB, pour d’autres cas où des accusations précises et solides ont été portées, par exemple à propos de la mort « au combat » en Espagne du député communiste allemand Hans Beimler, qui avait pris contact avec un groupe de l’Opposition de gauche après son évasion d’Allemagne, et partit se battre en Espagne avant la création des Brigades internationales. Les mêmes accusations ont été portées à propos de la mort du communiste italien Guido Picelli, le héros de la résistance aux chemises noires fascistes du quartier d’Oltra Torrente à Parme, qui n’avait pas caché ses sentiments antistaliniens lors de son passage à Paris entre Moscou et l’Espagne et qui fut tué peu après son arrivée d’une balle tirée par derrière, disent certains, au cours d’un affrontement avec les franquistes. H y a eu aussi bien des rumeurs à propos de la mort d’un membre du CC du CPGB, ancien dirigeant des JC et commandant d’une demi-brigade, Wally Tapsell, qui avait pris fait et cause pour les interbrigadistes britanniques contre leur chef militaire, le Hongrois Gai, avait été renvoyé en Angleterre et était revenu périr officiellement à Teruel. D’autres pays, la Suisse avec Raymond Kamerzin, les États-Unis avec Albert Wallach, ont leurs disparus, en qui divers auteurs voient des victimes de la répression stalinienne. On admet aujourd’hui le meurtre en Espagne d’un des officiers communistes brésiliens, héros de l’insuirection de

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1 9 3 5 , envoyés les premiers pour servir dans l’Armée populaire, le lieutenant Alberto B e s o u c h e t, dont des documents récemment découverts par l’historien brésilien Dainis

Karepovs montrent la traque à laquelle prit part « Maria », du SRI et du commissariat des Brigades, à savoir Tina Modotti. Mark Rein, fils d’Abramovitch, est tué aussi. On connaît parfaitement désormais les tenants et les aboutissants de l’assassinat d’Andrés Nin, longtemps nié par les staliniens de tous les pays et connu aujourd’hui par le téléfilm Opération Nikolaï, de Llibert Ferri et Dolorès Genovès, lui-même rendu pos­ sible par la vente au gouvernement catalan des documents accablants pour les assassins des services de Staline découverts dans îes dossiers Orlov des archives du KGB. Un rapport d’Orîov à Moscou indique qu’il a fait fabriquer un faux document démasquant Nin comme un espion de Franco, destiné à être « trouvé » avec les documents d’une authentique organisation phalangiste découverte à Madrid. Après son arrestation et des interrogatoires normaux par la police et la justice, qui l’inculpa, Nin fut transféré de Valence à Aîcalâ de Henares et de nouveau interrogé. Orlov suggère qu’il s’agissait de lui arracher des « aveux » comme ceux des accusés de Moscou. Mais Nin tint bon. Finalement, il fut enlevé dans îa prison d’Alcalâ de Henarès par des gens d’Orlov et transféré dans une villa appartenant au couple stalinien, le général Hidalgo de Cisneros, chef de l’aviation républicaine, et sa femme, l’aristocratique Constancia de la Mora, petite-fille du politicien conservateur Maura, ancienne chef de la censure à Madrid, à qui îe POUM avait fait censurer un passage de Lénine et un autre du Manifeste du parti communiste. Ses bourreaux ne purent rien lui arracher. En désespoir de cause, les tueurs, dont Orlov, GerÔ et « Escoy », un Brésilien spécialiste de ce genre d’opération, dont on ignore encore - peut-être pour peu de temps - l’identité réelle, l’achevèrent et l’enterrèrent à une quarantaine de kilomètres de la ville36. La machine de propagande animée par Georges Soria et autres se mit alors en branle pour accréditer îa thèse seîon laquelle Nin avait été libéré par des agents de la Gestapo camouflés en combattants des Brigades internationales, qui avaient organisé son évasion et sa sortie du pays : il se trouvait selon les uns à Salamanque auprès de Franco, selon d’autres à Berlin près d’Hitler. Ce crime perpétré contre un homme qui avait été l’une des plus grandes figures du mouvement espagnol des vingt dernières années était sans doute une faute de trop. Il a pour toujours déshonoré ses auteurs, leurs alliés et leurs complices, aussi haut placés soient-ils, et les trop nombreux historiens qui, jusqu’aux révélations des dossiers d’Orîov, se sont tus ou ont tenté de justifier l’abominable. Allant jusqu’au bout, les représentants de la Comintem, comme le montre à Moscou un rapport de Longo, ont tenté de recom­ mencer avec îes camarades de Nin un procès de Moscou en Espagne. Malgré leurs précautions, leur chantage, leurs menaces, bien qu’ils aient siégé en coulisses avec le président du tribunal et le procureur général pour déterminer avec eux ses moindres modalités, ce procès a été un échec éclatant, et les rapports rageurs dans îes archives de Moscou le confirment. Il reste qu’en assassinant Andrés Nin, ancien dirigeant des Jeu­ nesses socialistes de Catalogne, ancien secrétaire de la CNT, un des pionniers du com­ munisme en Espagne, ancien membre du soviet de Moscou, ami de Trotsky, ancien secrétaire de la Profmtem, ce n’est pas seulement un symbole de la révolution qu’ils ont tué, mais la révolution elle-même, encore vivante, quoique blessée, née l’année précédente et contre laquelle tous îes grands de ce monde s’étaient acharnés. Deux ans plus tard, la victoire de Franco était totale. Tous les partis du Front populaire venaient de se soulever contre le gouvernement Negrin, aux ordres du Parti communiste. 36. Cf. îe film de Liiben Ferri et Dolorès Genovès, Opération Nikolaï, utilisant les documents du dossier Orlov au NKVD.

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D restait contre la Comintern la haine. Celle de John Dos Passos, après l’assassinat de son ami Robles. Celle des libertaires pour îe meurtre de Camillo Bemeri. L e F ront po pu la ir e a u x É tats-Un is

Bien des commentateurs n’ont pas encore réussi à dégager leur pensée de la catégorie médiévale du « nominalisme ». Ainsi en viennent-ils à nier formellement l’existence d’une politique de « front populaire » de la part de la Comintern en Amérique du Nord, du fait de l’absence d’un mot recouvrant un tel front électoral, des alliances parlementaires de ce type, etc. II y eut pourtant aux États-Unis une telle politique et un puissant dévelop­ pement du Parti communiste, mais évidemment dans le cadre de la société et de la tradition politique américaines. Ce n’est que récemment que cette thèse a trouvé crédit dans le monde universitaire avec les travaux de Malcolm Sylvers. Il faut dire à leur décharge que, empêtrés dans leur pratique sectaire, manquant dans la société américaine de précédents qui pouvaient les orienter, les dirigeants communistes américains furent longs à prendre véritablement le tournant, c'est-à-dire autrement qu’en phrases redondantes. C’est seule­ ment de 1937 que l’on peut vraiment dater le début de l’application de la politique de front populaire dans ce pays. Un autre facteur de retard fut aussi la radicalisation du Socialist Party, son virage à gauche, puis l’entrée dans ses rangs des trotskystes de Cannon et Shachtman et l’engagement de nombreux socialistes aux côtés des trotskystes dans la dénonciation des procès de Moscou et des crimes du stalinisme en URSS. Roosevelt avait longtemps été l’une des cibles favorites de la propagande du PC. En 1936, le parti avait annoncé qu’il recherchait, contre le président sortant, les conditions d’une candidature « ouvrière et paysanne ». En mai, pourtant, il décidait d’imiter les grands syndicats, dont la popularité grandissait, et d’appeler à voter pour Roosevelt à la présidentielle. Au lendemain de la victoire de ce dernier, Earl Browder, secrétaire général du Parti commu­ niste, salue ce qu’il appelle une « reconstruction complète dans la politique américaine » : « Ce nouveau parti prend forme sous nos yeux, englobant une majorité de la population, c’est ce que nous, communistes, avons en tête quand nous parlons d’expression américaine du front populaire37. » Howe et Coser commentent fort justement : « En d’autres termes, le front populaire maintenant était le Parti démocrate . » Il est difficile, dans les deux ans qui suivent, de trouver dans la presse communiste une critique, même légère, à l’égard de celui qu’on presse de se présenter une troisième fois, car il est, dit Browder, « l’égal de Jefferson, Jackson et Lincoln », et l’on tend même la main à ceux des chefs républicains qui sont « le plus proches des masses ». L ’am éricanisatio n du PC

Le parti fait, de ce moment, les plus grands efforts pour devenir « respectable », dans le langage, les manières, le costume même de ses membres, clame que « le communisme sera l’américanisme du xxc siècle ». Il se manifeste aux matches de football, aux cultes dominicaux, fait remonter ses propres origines à Paul Revere et à George Washington, célèbre ainsi la filiation du « patriotisme », courtise les catholiques, les Juifs, les « gens de couleur » - il ne dit plus « les nègres ». Il développe des organisations « de masse » spécifiques comme 1*American League against War and Fascism, avec à sa tête, la dirigeant théoriquement, des pasteurs, professeurs d’université, écrivains, avocats, mais en réalité

37. Cité par Hov/e et Coser, op. cit., p. 331. 38. Ibidem.

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totalement contrôlée par lui. H réussit avec une politique semblable à contrôler le National Negro Congress, l’American Student Union, F American Youth Congress. C’est dans la même période que, après des années d’une politique aussi héroïque que sectaire parmi les travailleurs, après une longue hésitation devant l’apparition des syndicats de masse levés à l’appel du CIO et de John L. Lewis, le dirigeant des mineurs, le PC se lance dans les nouveaux syndicats pour en conquérir la direction. La pénétration dans les cadres des nouveaux syndicats par les militants du PC se fait selon trois voies. Dans un petit nombre de cas, ce sont les dirigeants même de la grève, issus de la base, membres du parti ou sympathisants, qui gagnent la confiance de leurs camarades. Mais les grandes campagnes d’« organisation » du CIO et de Lewis sont menées par des « organisateurs » embauchés par un comité d’organisation : John L. Lewis manque de monde et recrute nombre de ses anciens adversaires, réservant aux communistes une place à part du fait de leur efficacité et de l’illusion qu’iî a de pouvoir s’en débarrasser plus vite que des autres. Enfin, les hommes en place dans les syndicats CIO embauchent, à des postes administratifs notamment, nombre de militants ou de sympathisants communistes actifs parmi îes chômeurs, qui étoffent le réseau. Les communistes ou leurs compagnons de route, si fidèles qu’on ne peut îes en distinguer, occupent des postes clés : ainsi Harry Bridges, directeur du syndicat pour toute îa côte ouest, John Brophy, qui a combattu Lewis chez les mineurs, et que ce dernier appelle lui-même, Len DeCaux, qui devient directeur de CIO News, Lee Pressman, l’homme de l’appareil, et bien d’autres. Cette position leur permet de faire des syndicats des refuges pour leurs propres camarades chômeurs et parfois des couvertures pour des agents du NKVD : ainsi Anthony DeMaio, officier dans les Brigades internationales et surtout ancien du SIM dans ces unités, a-t-il un point de chute, à son retour, à l’United Electrical Radio and Machine Workers of America. M eu r t r es

e t k id n a ppin g s

Le parti américain a incontestablement changé de visage pendant la période où il a appliqué la politique de front populaire. Il n’a pourtant pas changé de nature. Non seu­ lement il a poursuivi les attaques terroristes les plus basses contre les « trotskystes », et notamment contre les Jeunesses socialistes gagnées à ces derniers, mais il joue un rôle actif dans la politique d’agression à leur égard. C’est avec sa participation et sous sa couverture que se déroule ce qu’on a appelé l’affaire Robinson-Rubens, une prétendue disparition d’un citoyen américain, probablement une tentative de provocation contre les trotskystes du SWP avec l’appui du Dr Philip Rosenbîiett, beau-frère de Cannon39. Il a îa même attitude suspecte dans la disparition - vraisemblablement l’assassinat - d’une de ses premières militantes, Juliet Stuart Poyntz, enlevée en plein cœur de New York40. C’est une de ses militantes ou agentes, Syîvia Callen, qu’il pousse pour qu’elle devienne sténo-dactylo auprès de Cannon, surveillant ainsi toute îa correspondance de Trotsky41. C’est l’un de ses dirigeants, Louis Budenz, qui recrute et forme Ruby Weil, « Miss Y » dans ses Mémoires, dont iî va se servir pour introduire î’agent Ramôn Mercader dans l’entourage de Trotsky, qu’il est chargé d’assassiner42. Le CPUS clame qu’il est un parti démocratique et réunit ses cellules en « branches », continue à chasser les opposants de

39. P. Broué, « Procès d’Américains à Moscou ou procès de Moscou à New York ? L’affaire Robinson-Rubens », Cahiers Léon Trotsky, n° 3, juillet-septembre 1979, p. 151-183. 40. Ibidem, p. 160-164 et 188-200. 41. P. Broué, L ’Assassinat de Trotsky, p. 114. 42. Ibidem,

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De L’ACTIVITÉ POLITIQUE À L’ACTIVITÉ POLICIÈRE

l’intérieur. Son « appareil secret » est passé des mains de Peters à celles d’un autre membre de la direction, Rudy Baker. Le seul changement est que le « secret » est mieux protégé.

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L e « FRONT UNI » EN CHINE

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Il n’est pas question de retracer ici l’ensemble des rapports entre le PC chinois et le Guomindang au temps de la guerre sino-japonaise, ouverte par l’agression du Japon en Chine le 13 août 1937. On sait que l’armée maoïste se soumit formellement aux chefs de l’armée de Jiang Jieshi et réussit à préserver ses unités et la structure de son commande­ ment. La Longue Marche, en la transportant près de la frontière mandchoue, Tavait amenée au premier rang de la lutte contre le Japon tout en rendant difficile une lutte pour le pouvoir en Chine. L ’agression japonaise déclencha une crise profonde et entama une décomposition irréversible du régime, que, pour le moment, les communistes, tout à l’«union», ne cherchèrent pas à exploiter. L ’ancienne «Armée rouge» devenue « V IIIearmée de route », comptait douze régiments, 45 000 hommes. Ses unités ne chercheront pas à tenir un front mais resteront en gros à l’arrière des lignes japonaises, les menaçant et les inquiétant perpétuellement. A partir de 1938, avec la permission du gouvernements de Jiang apparaît la IV earmée nouvelle qui, elle aussi, va organiser toute une série de « bases » importantes qui mettent ies combattant chinois au contact direct de la question agraire, des revendications paysannes Pour cette politique, Mao Zedong met en avant la formule de la « démocratie nouvelle », qu’il définit comme l’union des « quatre classes anti-impérialistes » et « antiféodales » : le prolétariat, la paysannerie, la petite bourgeoisie et la bourgeoisie nationale. L ’État ne contrôlera que les grandes entreprises industrielles, les terres seront « égalisées », et Tun des objectifs essentiels sera « une nouvelle culture » de caractère « national, scientifique et populaire ». Jacques Guillermaz relève le malaise dans les rangs du Parti communiste au lendemain de ce tournant brutal et ses efforts pour y parer avec le « Mouvement de rectification » : L ’allégeance au gouvernement central, les changements d’appellation, la renonciation aux soviets, l’abandon du programme agraire et jusqu’à des détails d’uniforme (le remplacement de l’étoile rouge par le soleil blanc du Guomindang, par exemple) ne pouvaient manquer de créer confusions et crises de conscience. Des cinq campagnes du Kiangsi et de la Longue Marche au « front uni », le virage pouvait paraître court à beaucoup de militants43.

Les militants trotskystes avaient eux aussi été libérés de prison, en tant que commu­ nistes. Mais ils se retrouvaient une fois de plus devant la division de leurs propres rangs, avec une direction reconstituée à Shanghaï autour de Peng Shuzhi d’un côté et Chen Duxiu de l’autre. En réalité, ils se trouvaient avant leurs camarades du reste du monde devant la même situation que ces derniers allaient avoir à affronter en 1939 et 1941. Pour certains d’entre eux, iî apparaissait que la lutte pour le pouvoir, même à un terme assez éloigné, ne pouvait être conçue dans la situation du monde en guerre autrement qu’à travers la « lutte armée ». Tel était le point de vue de l’ouvrier Chen Zhongxi, ancien dirigeant de guérilla paysanne, qui organisa une unité de guérilla dans le Guangdong. Tel était celui de Wang Changyao, un ancien de la KUTV revenu début 1930 et de sa femme Zhang Sanjie, qui organisèrent une guérilla de 3 000 combattants dans le Shandong. Le premier fut battu par îes Japonais, le deuxième par les forces du PC qui le prirent à revers. Tel était aussi le point de vue de Chen Duxiu, dont nous savons qu’il avait décidé d’accepter les propositions dujeune général He Jifeng, héros de la résistance à la première 43. J. Guillermaz, Histoire du PC chinois, II, p. 67.

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attaque japonaise, grièvement blessé, nommé commandant de de la 179e division de la XXIXearmée,,qui lui offrait en toute connaissance de cause d’être responsable de Tédu­ cation politique des hommes de sa division - et qui, précisément pour cette raison, fut relevé de ses fonctions. Ces débats tendus, qui nous sont traduits par Wang Fanxi dans ses Souvenirs44, allaient se reproduire en Europe et en Amérique. Trotsky, à la surprise générale chez ses partisans - et sans que qui que ce soit, même pas lui, ait su ce qui se passait chez leurs camarades chinois -, mettait en avant la formule tout à fait neuve de « politique militaire du prolétariat », se plaçant ainsi sur la même position et abordant les tâches avec la même méthode que Chen Duxiu, L ’UNTTÉ ORGANIQUE AUX PHILIPPINES

Alors que le PC philippin se débattait sous les coups de la répression, un Parti socialiste avait pris dans le pays un bon départ. Son principal dirigeant et fondateur, Pedro Abad Santos, homme déjà âgé, vétéran de îa guerre contre îes États-Unis, bourgeois libéral collectionneur de littérature socialiste, était essentiellement le défenseur des paysans. Le parti se développa rapidement à partir d’octobre 1935 quand îe secrétariat général en fut confié à un homme instruit d’origine paysanne, Luis Taruc, déjà dirigeant d’un syndicat paysan. Après îa défaite d'un soulèvement paysan, en 1935, un reclassement politique s’opère. Les communistes, grâce à quelques militants d’exception comme Juan Feleo, ont maintenant un solide ancrage chez les fermiers et paysans pauvres et une réelle influence dans FUnion des paysans des Philippines. En 1937, à peu près au moment où les dirigeants du Parti communiste philippin, détenus depuis 1932, sont enfin libérés, ils reçoivent la visite d’un émissaire de la Comintem, l’Américain James S. Allen. L ’un des résultats de cette libération et de cette visite est la fusion, réalisée le 7 novembre 1938, dans un congrès tenu le jour anniversaire de îa révolution russe, entre îe PC de Crisanto Evangeîista et de Juan Feleo, et le Parti socialiste de l’ancien bagnard, l’avocat des fermiers Pedro Abad Santos, et de îa jeune génération paysanne incarnée par Luis Taruc. L e F ro n t

po pu la ir e en

I n d o c h in e

Le Front populaire en Indochine fut à certains égards comme en France à l’origine d’une période d’espoir et de montée des revendications avec l’essor des comités d’action lancés par La Lutte et le développement d’une vague de grèves sans précédent. Mais la politique même du Front populaire passait en quelque sorte sous la table du fait de l’alliance avec les trotskystes dans La Lutte. Il fallait y mettre fin. Le 19 mai 1937, l’un des secrétaires du PCF - dénoncé par la suite comme un policier et abattu sous l’occupation - Marcel Gitton, écrivait, au nom de la commission coloniale de son parti, aux communistes Indochinois qu’iî fallait absolument rompre toute collaboration avec «les trotskystes» et qu’il en référait pour sa part à «la Maison», à laquelle il transmettait les éléments nécessaires. Le marin porteur de la lettre ayant confondu Tao et Thau, la remit, non à Nguyên Van Tao, à qui elle était adressée, mais à Ta Thu Thau, qui 1apublia, ce qui permit au PC d’attaquer les trotskystes parce qu’ils se comportaient en « vulgaires flics» détournant la correspondance. La rupture fût aussi l’objet de la mission du député communiste de Clichy, Maurice Honeî, un ancien des JC lié aux services, qui arriva à Saigon 1e 18 juillet 1937 et en repartit le 12 septembre. Il venait apporter îe soutien de la Comintern aux staliniens qui, comme Duong bach Mai le tchékiste, avaient, dans L'Avant-Garde, traité les « trotskystes » de « frères jumeaux du 44. Wang Fanxi, La Marche de Wang, p. 232-235.

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D e L’ACTIVITÉ POLITIQUE À L’ACTIVITÉ POLICIÈRE

fascisme », et exiger la cessation de tout travail commun. H s’efforça en même temps de constituer un Front populaire indochinois sans rivages à droite. L ’historien vietnamien Ngo Van peut écrire, après avoir parlé du séjour de Maurice Honel, un chapitre qu’il intitule « Le PCI [indochinois] à l’ombre du drapeau tricolore ». Il y cite un télégramme du gouverneur général Brévié qui se réjouit de cette politique. « Alors que les communistes staliniens ont compris avec Nguyên Van Tao que l’intérêt de la masse annamite îui commandait de se rapprocher de la France, les trotskystes, sous l’égide de Ta Thu Thau, ne craignent pas de pousser les indigènes à se soulever afin de faire leur profit d’une guerre possible pour obtenir ia libération totale45. » Le succès des trotskystes aux élections coloniales d’avril 1939 et leur victoire sur les staliniens montraient que le danger était réel de les voir prendre la tête d’un mouvement des masses. Sur la riposte préparée alors par la Comintern stalinienne, nous laissons la parole à l’historien vietnamien : Le 10 mai 1939, le futur Hô Chi Minh réagit à la défaite de son parti et au succès trotskyste par une lettre envoyée de Chine à ses « camarades bien-aimés » du Tonkin sur « le visage répugnant du trotskysme et des trotskystes », première d’une série de trois « leçons » de plus en plus délirantes, bientôt publiées parle journal stalinien de Hanoï, Notre Voix. En juillet, dans un rapport [à la Comintern], il réitérait sa fidélité aux vues de Moscou : « A l’égard des trotskystes, aucune réconciliation ni concession possible. Il faut par tous les moyens les démasquer comme agents du fascisme, iî faut îes exterminer (tien diet) au point de vue politique. » Si on lit les trois lettres, il devient évident qu’elles contiennent un appel au meurtre. Il sera entendu : les trotskystes seront assassinés par ses acolytes dès qu’il aura le pouvoir, en 194546,

La POLITIQUE DE « FRONT ANTI-IMPÉRIALISTE » EN INDE La première initiative d’une alliance anti-impérialiste en Inde n’émane pas du CPI mais du Parti socialiste du Congrès, dont le secrétaire général, Jayaprakash Narayan, propose en janvier 1936 à sa conférence de Meerut l’admission à titre individuel dans ses rangs de membres du Parti communiste, toujours illégal. C’est le nouveau secrétaire, P.C. Joshi, qui impose à une direction méfiante l’acceptation de cette proposition. Quelques mois plus tard, les militants du CPI ainsi « entrés » ont construit des bases solides, au Kerala derrière E.M.S. Namboodiripad, dans FAndhra derrière Puchalapalîi Sundarayya. En février 1937 éclate entre les partenaires socialistes et communistes un vrai conflit politique ; le bureau politique du CPI préconise une « nouveauté », l’inclusion dans le front anti-impérialiste à bâtir, à côté du Parti socialiste du Congrès, du Parti du Congrès et des « organisations de masse d’ouvriers et de paysans », de « certaines organisations de marchands et d’industriels ». Les socialistes du Congrès sont en outre exaspérés de îa « chasse aux opposants » dans le CPI : en août 1937, l’accord socialistes-communistes en Inde a vécu. En revanche, les communistes pensent que leur position se consolide pour une alliance avec le Parti du Congrès lui-même, leur objectif essentiel. Les historiens Overstreet et Windmiîler îe pensent aussi, qui écrivent : Au début de 1939, les communistes avaient recueilli un bénéfice énorme de leur pénétration dans le Parti socialiste du Congrès, car elle leur avait donné la possibilité non seulement de capturer certaines unités de cette organisation, mais d’influencer son audience de masse en Inde. Le PC avait grandi extraordinairement, multipliant plusieurs fois ses effectifs dans l’espace de 45. Cité par Ngo Van, op. cit., p. 259. 46. Ibidem, p. 264.

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ces trois ans. Iî avait construit un appareil d'organisation très soudé et pouvait revendiquer une série d’organes de presse. Le plus important cependant était qu’il avait gagné l’accès au Parti du Congrès lui-même47.

Au congrès de Tripuri, en mars 1939, quand Gandhi s’oppose à la candidature du leader gauche du centre, Subhas Chandra Bose, les socialistes s’abstiennent et les com­ munistes choisissent Gandhi. La base et même certains cadres du parti semblent avoir été très secoués par ce ralliement à îa direction de la bourgeoisie indienne contre laquelle ils s’étaient souvent constitués et pour lesquels on leur conseille de mettre un frein à l’agi­ tation ouvrière et de conduire les grèves pour « gagner îe soutien du Parti du Congrès ». C’était bien entendu de la « ligne antifasciste » qu’il s’agissait, à savoir l’alliance contre la menace hitlérienne. Harry Pollitt îe télégraphiait au parti indien : « La question d’une énorme importance en Inde est selon nous l’unité de toutes les forces nationales sous la direction du Congrès national indien48. » L e F ront po pu la ir e

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C’est l’ensemble de la politique des dernières années et la création du Parti socialiste du Chili dans la vague de la « République socialiste » qui expliquent îes énormes résis­ tances à la ligne du front populaire de façon générale dans îe mouvement ouvrier - avec la Gauche communiste au premier rang et dans le Parti socialiste lui-même, dont elle a un impérieux besoin. En février 1936, le IIIecongrès du PSC définit îa politique de front populaire comme « une combinaison où prévaut la politique de l’aile la plus conservatrice, soutien du régime capitaliste, ceîle du Parti radical Le Front populaire unit des partis politiques représentant des classes différentes et opposées, et iî est pour cette raison impossible de concevoir une action harmonieuse vigoureuse pour la défense des aspira­ tions populaires49. » A la Chambre des députés, au mois de mai, c’est îe député socialiste César Godoy Urrutia qui se fait le défenseur de la politique de front unique, opposée à celle de front populaire avec des emprunts à Trotsky. Mais la direction du PS chilien finit par céder. Le bloc des gauches est prétendument élargi en front populaire. Une convention nationale de ce dernier, composée sur la base des représentations municipales, donne 400 élus aux radicaux, 300 aux socialistes, 160 aux communistes, 120 aux démocrates et 120aux syndicalistes. La coalition ouvrière aurait fait élire sans peine îe candidat socialiste Grove. Mais c’est finalement ïe radical Pedro Aguirre Cerda qui est candidat et élu président en octobre 1938. L ’ère front populaire au Chili se termine donc par l’élection d’un président radical, du centre-droit, qui appelle au gouvernement des ministres com­ munistes. La Gauche socialiste est entrée au PS, en plein déclin et en crise permanente. L’oligarchie, encore battue aux élections, conserve le pouvoir. L’historien marxiste Luis Vitale, dressant le bilan des années de gouvernement, constate qu’il y a eu une « modernisation » et « un développement » incontestables du capitalisme chilien, y compris à îa campagne. Les profits ont beaucoup augmenté, les revenus des cols durs de façon réelle, mais moindre, ceux des ouvriers à peine. Encore les Chiliens ont-ils évité îa guerre, qui a massacré et ruiné tant de travailleurs d’Europe et d’Asie. Les résultats sont minces après une aussi grande espérance50.

47. Overstreet et Windmiller, op. cit., p. 166. 48. Cité ibidem, p. i7û. 49. Cité par L. Vitale, op. cit., p. 125. 50. Ibidem, p. 136-140,

704

L es

D e L'ACTIVITÉ POLITIQUE à L’ACTIVITÉ po licière

fo sso y eu r s d e l ’e spo ir

Les servitudes de la composition d’un livre sur un si vaste sujet nous empêchent évidemment ici de rappeler en détail les données du grand massacre qui se déroula en URSS à l’époque du Front populaire dans le monde. Nous avons simplement rappelé les dates importantes de cette répression de masse en quelques notations de la chronologie qui termine ce travail. Les trois procès de Moscou ont liquidé toute une série d’hommes alors inconnus mais qui étaient des cadres importants de la partie clandestine de la Comintern, comme Fritz David et autres, mais surtout ceux des compagnons de Lénine qui n’ont pas servi Staline jusqu’au bout, dont quelques-uns des dirigeants historiques de la Comintern : Rakovsky, le rédacteur de la résolution qui la fonda, membre de son premier bureau, Zinoviev, qui la présida, Boukharine, qui la dirigea ensuite. Les fantasmagoriques aveux que leur ont arrachés leurs tortionnaires spécialisés ont couvert de boue leur géné­ ration : ces hommes qui ont dirigé la révolution avec Lénine sont présentés comme des espions, des saboteurs, des assassins, des traîtres déjà en activité avant 1917. C’est Limage même de la révolution d’Octobre que leurs aveux salissent. L ’épuration secrète, îes juge­ ments administratifs, les exécutions de masse frappent des millions d’hommes dans le peuple russe, et parmi eux le gros des vieux bolcheviks qui ont suivi Staline contre les oppositions. A l’exception des Molotov et Kuusinen, tous les cadres de la Comintern sont frappés, et, nous l’avons vu, plusieurs meurent sous les coups quand ils ont refusé de se rendre. Ainsi, le « Front populaire pour la paix et la liberté » qu’acclamaient et servaient dans le monde en toute bonne foi et enthousiasme les communistes étrangers avait pour pendant en terre soviétique le massacre d’innombrables innocents, l’extermination de deux générations, celle des vieux bolcheviks et celle de la génération d’Octobre, symbolisée par le massacre à la mitrailleuse des trotskystes survivants pendant plusieurs mois dans la briquetterie proche de Yorkouta et par le massacre dont les traces se retrouvent aujourd’hui dans les charniers comme celui de Boutovo - 20 000 communistes assassinés et identifiés pour le moment, dont la majorité des hauts fonctionnaires étrangers de la Comintern. Cela est vrai aussi de l’atmosphère de certains partis et des méthodes employées. L ’ancien secrétaire général du PC du Brésil Heitor Ferreira Lima raconte dans ses Mémoires comment il a été exclu, en même temps que Grazini et le journaliste Corifeu de Azevedo Marquez, pour s’être opposé, en pleine « troisième période », au lancement d’un «soviet» dans le cours de la grève de Niteroi en 1932. L ’exclusion de ces trois militants ouvriers est décidée en 1935, dans la période de front populaire, les noms et les pseudonymes des exclus publiés dans A Classe Operaria le 19 octobre 1935. Ce vétéran parle dans ses Mémoires à ce sujet d’« hypocrisie sordide5Î » et commente pour la période 1937-1938 : «Jamais le PCB n’a manifesté autant de bassesse morale, de malhonnêteté, une si totale absence de scrupules52. » L ’« UTOPIE » TOUJOURS RENAISSANTE ?

Le cheminot catalan Joan Farré Gasso, qui avait été l’un des fondateurs du Parti communiste à Lérida avant de devenir l’un des dirigeants du POUM dans cette petite ville ouvrière, écrivait en 1936, en pleine « illusion lyrique » - une expression d’André Malraux pour désigner l’élan révolutionnaire des masses : « Le triomphe de la révolution espagnole est le début d’un puissant mouvement révolutionnaire mondial. Le triomphe 51. H. Ferreira Lima, op. cit., p. 183. 52. Ibidem.

F ron t

populaire

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e t réa lités

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de la révolution espagnole déplacera le méridien d’origine de Moscou à Barcelone. Le parti bolchevique a dégénéré et c’est le POUM qui relève ie drapeau de sa tradition et le déploie sur le monde entier53. » Laissons les sceptiques sourire devant l’utopie incarnée par un ouvrier catalan. La « non-intervention » de Léon Bîum a-t-elle empêché la défaite finale de la République, l’attaque allemande contre la Pologne, la chute de Paris ? L ’art et la manière de savoir terminer une grève, comme disait Maurice Thorez, ont-ils empêché les communistes de tomber devant îes fusils des pelotons d’exécution de Châteaubriant ? La condamnation furibonde des « provocateurs trotskystes » par VHumanité a-t-elle empê•ché que le maréchal Pétain, acclamé par les petits-bourgeois et propulsé par les banquiers, devienne chef de l’État français et anéantisse ia République que les valets de Staline voulaient bien défendre après l’avoir couverte d’injures ? Peut-être le moment est-il venu pour l’auteur d’exprimer des sentiments qu’il ajusqu’ici réprimés sans pourtant ies dissimuler. Pour quiconque croit que l’histoire n’est pas écrite à l’avance, que ie développement politique n’est pas, comme nous l’avons déjà dit, l’agencement d’un gigantesque Meccano, qu’il n’y a jamais un seul, mais toujours plu­ sieurs possibles, comment ne pas se rendre compte que ces années 1936-1937 ont été, comme l'avait été 1917, un de ces « dimanches de l’Histoire » dont parlait autrefois Karel BartoSek à propos du printemps de Prague ? Ni Franco, ni Mussolini, ni Salazar, ni même Hitler n’étaient alors à l’abri du mouvement des masses qui commençait à secouer l’Europe. Personne ne se souvient aujourd’hui ~ et ce n’est sans doute pas par hasard ~ dela mutinerie dans îa flotte portugaise de septembre 1936 ni de la bataille de Guadalajara, enmars 1937, où une propagande pourtant timide de « fraternisation » provoqua ia débâcle des arrogantes légions du Duce à travers la révolte massive des prétendus « volontaires ». Nous avons parlé ci-dessus de la première, qui se situait hors des frontières espagnoles. La deuxième a été improvisée devant îa gravité du danger d’une offensive du corps expéditionnaire italien îe 8 mars 1937. Quelques mois auparavant, pourtant, un appel du PC italien avait assuré : « Seule l’union fraternelle du peuple italien provoquée par la réconciliation des fascistes et des non-fascistes permettra d’abattre la puissance des buveurs de sang dans notre pays54. » Voiîà que maintenant une propagande « défaitiste » arrêtait l’offensive italienne. Une commission spéciale du commissariat de Madrid com­ prenant notamment Vittorio Vidali, Luigi Longo, Di Vittorio et Pietro Nenni rédigeait un premiertract, largement diffusé : « Frères, pourquoi êtes-vous venus sur une terre étrangère assassiner des travailleurs ? Mussolini vous avait promis la terre, mais vous ne trouverez qu’un tombeau. Il vous a promis la gloire et vous ne trouverez que la mort55. » Pendant les jours qui suivent, ies appels aux « frères italiens » alternent avec îes chants révolu­ tionnaires, surtout Bandiera rossa, dans ies haut-parleurs des défenseurs de Madrid, et îes défections se multiplient dans les troupes italiennes. Le 18, c’est la débandade partout où elles sont engagés. L ’historien américain Colodny écrit : « Dans Brihuega reconquise, les prisonniers italiens chantaient Bandiera rossa et fraternisaient avec ceux de Garibaldi, alors que quelque 2 000 de leurs camarades avaient trouvé les tombeaux dont les tracts et haut-parieurs îes avaient mis en garde56. » Cette politique, adoptée au dernier moment après avoir été repoussée à Moscou pendant des mois, devenait une politique désespérée, un moyen ultime. Au lieu de chercher à transformer la guerre étrangère en guerre civile, les hommes de Staline essayaient de revenir aux méthodes de îa guerre civile, et, les premiers succès passés, ils y renoncèrent 53. Cité par La Batalla, 25 décembre 1936. 54. Cité par Howe et Coser, op. cit., p. 325. 55. R.G. Colodny, The Struggle for Madrid, p. 134. 56. Ibidem, p. 143.

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D e l 'a c t i v i t é p o litiq u e à l ’a c t iv ité p o lic iè r e

très vite, de même que la lutte de partisans, confisquée aux paysans, devenait le privilège de militaires spécialisés. Le peuple en armes leur faisait peur... D reste que îes risques qu’une organisation révolutionnaire (comme l’avait été îa Comintern), aurait pu prendre à cette époque pouvaient - c’était là l’un des possibles - faire faire à l’humanité l’économie de ce grand massacre, de ce carnaval fou de souffrances que fut îa Seconde Guerre mondiale. Au lieu de cela, du fait de Staline et de ses laquais dirigeants des partis communistes, l’ère du front populaire fut le temps des fossoyeurs. Que ceux qui en doutent encore examinent les dates. Après tout, c’est à l’époque du grand triomphe du front populaire dans îes rues et les cœurs que furent exécutés et jetés dans le charnier de Boutovo - à 80 kilomètres de Moscou - plusieurs dizaines de milliers de communistes, sur ordre de Staline en personne. Finalement, et pour aider îe lecteur à se remettre de la lecture de pages sans doute chargées de trop de passion, citons îe propos d’un dirigeant et historien bulgare esquissant un bilan de la politique de front populaire dans son pays : La politique de front populaire suivie par le PCB entre 1934 et 1939, bien qu’elle ne fût pas couronnée du succès stratégique escompté - l’objectif était de renverser la dictature monarchofasciste et de constituer un gouvernement de front populaire -, a joué un rôle particulièrement important dans la vie politique de la Bulgarie. Bile a surtout contribué au développement et à l’affirmation du PCB, à le libérer des conceptions sectaires et dogmatiques accumulées pendant les années précédentes57.

De qui Petko Boev se moque-t-il en essayant de nous faire croire que la politique stalinienne de front populaire frit en quelque sorte un contre-poison de îa politique stali­ nienne de dénonciation du « social-fascisme» ? Elle fit en tout cas beaucoup plus de victimes bulgares que cette dernière. N’est-ce pas là une idée banalement et discrètement présente dans les analyses des spécialistes, qui, dans îe meilleur des cas, ne veulent pas trop réfléchir ? Ce qui est vrai en revanche, c’est que cette politique de lutte contre la révolution que fut le Front populaire fut prise et vécue comme son contraire par la majorité des combattants communistes. Évoquant sa première arrivée en Espagne en février 1937, le métallo ex-dirigeant des JC et futur colonel Roi, Henri Tanguy, qui avait alors vingt-neuf ans, assure qu’il n’avait en tête qu’une seule idée : « Bon, tu pars pour l’Espagne, tu vas te battre là-bas, mais je voudrais bien revenir en France pour la révolution ! » Tel était l’état d’esprit dans lequel nous étions.

Cette contradiction apparemment absolue est plus proche de la vérité en marche que les acrobaties verbales de l’historien bulgare.

57. Petko Boev, « La politique de front populaire du Parti communiste bulgare 1934-1939 », Cahiers d’kistoire de l’Institut de recherches marxistes, n° 27,1987, p. 150.

CHAPITRE XXXÎi

Massacre à la tronçonneuse

Depuis la mort de Staline et le début de ce qu’on appelait alors « îa déstalinisation », on a commencé à percevoir des lueurs sur ce qui s’est déroulé en URSS au sommet de l’Internationale dans la dernière période. Il est apparu d’une part que des résistances s’étaient manifestées dans l’appareil à la nouvelle politique adoptée au V IIe congrès de la Comintern, d’autre part que toute une série de personnages ayant un lien avec la Comintern avaient été frappés par la répression, éliminés des postes dirigeants puis ont disparu sans avoir été jugés publiquement. Une

pü r g e lo n g tem ps in a per ç u e

Ce n’est évidemment pas particulier à la Comintern, puisque c’est l’époque de ce que l’on a appelé la grande purge, baptisée par les Russes Ejovîchina, du nom de l’exécutant de Staline dans cette entreprise» Nikolaï Ejov. La Comintern a été frappée comme l’ont été le parti, l’appareil d’État, l’armée, le NKVD. La purge des rangs de la Comintern en Union soviétique avait pourtant un aspect particulièrement dramatique dans la mesure où elle touchait avant tout des communistes étrangers dont la plupart étaient des réfugiés politiques qui avaient fui la persécution, des condamnations, les menaces contre leur vie. C’étaient des hommes qui fuyaient les régimes dictatoriaux de droite des pays limitrophes, Pologne, Bulgarie, Roumanie, pays Baltes, mais aussi le régime fasciste de Mussolini, celui d’Hitler enfin. L’ampleur de cette exécution massive n’a pas été vraiment mesurée, sur le coup, en Occident. Il n’y eut pas de grand procès. La presse ne fit guère d’allusions à l’élimination de ces hommes, et c’est plutôt la disparition dans la presse des mentions des noms les plus célèbres qui attira l’attention de quelques spécialistes. La vérité ne se fit jour que petit à petit et des années plus tard pour les Hongrois, par exemple avec les dates de décès des communistes hongrois dans les index des œuvres de Béla Kun réhabilité : les notices biographiques de ses compagnons exécutés dans cette période et réhabilités avec lui se terminaient par l’hypocrite formule « mort victime des calomnies de l’ennemi ». Des hommes ou des femmes qui avaient séjourné à Moscou revinrent dans leurs Mémoires sur l’atmosphère angoissée de l’hôte! Lux, les visites nocturnes ou matinales des hommes

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De L’ACTIVITÉ POLITIQUE À L’ACTIVITÉ POLICIÈRE

du NKVD, les départs sans retour. On trouva ensuite ici ou là d’intéressants récits de la chute de l’un ou de l’autre. Nous allons essayer de montrer comment l’historien a pu remonter un peu le temps, à partir des révélations sur deux arrestations, celle de Béla Kun et celle de Piatnitsky. La CHUTE DE BÉLA

K un

Le Finlandais Arvo Tuominen, qui avait été membre de l’exécutif de rintemationaie et de son présidium jusqu’en 1939, a raconté dans ses Mémoires une pénible scène qui marqua le début de la chute de Béla Kun, au cours d’une réunion du présidium de la Comintem - que G. Borsânyi, recoupé par des fragments de procès-verbal, date du 5 septembre 1936 -, sous la présidence de Dimitrov et après un rapport de Manouilsky sur « l’affaire Kun », unique point à l’ordre du jour. Ce dernier aurait compris immédia­ tement ce qui le menaçait : le rapporteur ne parlait pas de lui comme du « camarade Kun », mais du « citoyen Kun ». On lui mit sous le nez une circulaire adressée au parti hongrois clandestin dans laquelle il était écrit - par lui - que le PC d’Union soviétique était « mal représenté dans la Comintem ». C’était là, disait Manouilsky, une attaque directe contre Staline, qui était précisément l’un de ses représentants. Tuominen a décrit une réaction violente de Béla Kun criant : « Je ne faisais pas référence à Staline, mais à vous, camarade Manouilsky, et à Moskvine, qui êtes au secrétariat et de piètres bolcheviks. Je sais que Staline est membre du présidium, comme Jdanov et Ejov, mais ils ne participent que rarement à ses réunions Ce sont de bons bolcheviks, les meilleurs au monde, mais vous, Manouilsky, n’êtes pas du tout bolchevik1.» Tuominen raconte le duel oratoire auquel îes autres membres du présidium, Kuusinen, Gottwald, Pieck, Togliatti, Florin, Wang Ming et lui, assistaient en silence, et décrit la fin : Manouilsky déclencha une sonnerie, déclara que la discussion était close et annonça que le cas du citoyen Béla Kun ferait Pobjet d’une enquête par une commission de trois, et que jusqu’à sa conclusion iî était suspendu de toutes ses activités dans le parti hongrois et à la Coraintem, La réunion était terminée. Béla Kun eut la permission de sortir, mais, la porte franchie, deux hommes du GPU l’empoignèrent. On n’entendit plus parler de lui après cela et son affaire ne revint pas au présidium de la Comintem. Il circulait juste une rumeur seîon laquelle il avait été fusillé2.

Tout cela apparaît bien romancé. En fait, Béla Kun resta encore quelques mois en liberté, et pas seulement îe temps de démentir sa disgrâce, à îa demande de Staline, dans une interview donnée à un journaliste étranger. Après son arrestation, qui eut lieu, d’ail­ leurs, plus tard que ne l’indique Tuominen, îe 29 juin 1937, il passa de longs mois à îa prison de Lefortovo aux mains des gens du NKVD - en particulier d’un officier nommé Osmolovsky - qui tentaient de lui arracher des aveux, et il résista avec une extraordinaire énergie. Nous savons qu’il fut contraint à plusieurs reprises de rester debout sur une seule jambe pendant plus de dix heures ; son masque livide le rendait méconnaissable, selon îe témoignage de son compagnon d’infortune, le général Moukîevitch, si l’on en croit Robert Conquest. Iî tint longtemps. Il fut ensuite transféré à la Boutyrka. La date officielle de son exécution, d’abord donnée comme le 29 novembre 1939, fut corrigée un demi-siècle plus tard par voie de presse, en 1989, sans raison. Depuis cette époque, la date officielle de sa mort - de son exécution, si l’on préfère - est officiellement îe 29 août 1938, le lendemain même de sa condamnation pour « trotskysme ». 1. A. T\iominen, op. cit., p. 221-222. 2. Ibidem, p. 222.

M a ssa cre

a la tronçonneuse

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L ’ affaire P iatnitsky

Les révélations sur la liquidation de Piatnitsky vinrent plus tard, et d’Union soviétique directement. Dans son ouvrage samizdat, l’historien Antonov-Ovseenko raconte qu’à la veille du plénum de juin du comité central Piatnitsky avait eu autour d’une tasse de thé une conversation avec deux autres camarades et qu’ils s’étaient mis d’accord sur la nécessité d’obtenir au plénum l’arrêt de la terreur et le départ de Staline du poste de secrétaire général. Les faits avaient été dénoncés par Filatov, l’un des trois. Staline fît arrêter tout îe monde, et Piatnitsky, enfermé dans îa cellule n° 96 de la prison de Lefortovo, fut torturé atrocement au cours de dix-huit séances d’interrogatoire, par îe guépéoutiste Langfang. Selon îe témoignage de l’un de ses compagnons d’infortune, cité par AntonovOvseenko : li était accusé des crimes suivants :

a) en sélectionnant des cadres pour les partis frères, il avait placé un provocateur dans chacun d’eux ; b) il avait inséré des formulations trotskystes dans les livres traduits en langues étrangères et les œuvres de Marx, Engeis, Lénine et Staline ; c) il s’était approprié 30 000 roubles destinés à une maison d’édition3.

En réalité, comme on l’a appris plus tard, au temps de 1aperestroïka, Piatnitsky avait eu le rare courage de prendre 1aparole au plénum dejuin 1937, de prendre position contre la liquidation physique de Boukharine et de ses amis, de suggérer qu’il serait suffisant de îes exclure. Il avait également mis en doute la pertinence de la décision dotant Ejov de pouvoirs exceptionnels. Dès le lendemain, Ejov avait répliqué en affirmant qu’il détenait la preuve que Piatnitsky avait travaillé pour l’Okhrana. Et le plénum avait voté une résolution dans laquelle il retirait sa confiance à Piatnitsky, ce qui avait amené son arrestation4. Depuis, les pièces du puzzle ont commencé à s’emboîter. On a commencé à penser que Staline avait pu projeter un procès des « espions » au sein de la Comintern, dont, semble-t-il, Dimitrov pensait et disait dès avril 1937 qu’elle en était réellement infestée. La résistance des éventuels accusés, particulièrement Béla Kun et Piatnitsky, le rendit impossible. Il fallut renoncer. Les hommes furent exécutés séparément, à des dates dif­ férentes. En 1992 a paru le livre de la veuve de Piatnitsky, Ioulia Piatnitskaïa, Chronique d’une déraison, avec de précieuses notes de leur fils, le regretté Igor, que nous avons eu l’honneur de rencontrer à Moscou peu avant sa mort. Il donne d’abord en introduction le récit du plénum du 23 juin émanant de Vladimir Gouberman, à l’époque secrétaire de Kaganovitch. A l’ouverture, Staline a réclamé la liquidation physique de tous les repré­ sentants de l’opposition de droite et l’octroi de pouvoirs extraordinaires à Ejov pour combattre la contre-révolution5. Piatnitsky s’est élevé contre îa liquidation physique des droitiers et a réclamé un contrôle sur Ejov, car il avait été amené, a-t-il dit, à « prendre connaissance de ses méthodes d’interrogatoire ». Il fut arrêté par Ejov le 7 juillet 19376. Igor Piatnitsky, dans ses notes, apporte bien des éléments. Il indique que, dans sa réponse à Piatnitsky, le 25 juin, Ejov l’a accusé de « trotskysme » et a cité à l’appui de ses accusations des dépositions de Béla Kun et de Knorine, déjà emprisonnés7. Plus tard, il 3. Antonov-Ovseenko, The Time of Staline, p. 127-128. 4. Moscow News, 10 avril 1988. 5.1. Piatnitskaïa, op. cit., p. 14-17. 6. Cité par Antonov-Ovseenko, op. cit., p. 127-128. 7.1. Piatnitskaïa, op. cit., p. 20.

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D e L'ACTIVITÉ POLITIQUE À L’ACTIVITÉ POLICIÈRE

a été accusé aussi par Abramov, Melnikov, Tchemomordik. H a été sévèrement battu dans les deux premiers mois où il a subi deux cents heures d’interrogatoire II avait décidé seulement « de ne pas reconnaître ce qu’il n’avait pas fait ». Du 10 avril au 27 juillet 1938, il a été soumis à la prison de Lefortovo à 72 interrogatoires qui n’ont fait l’objet d’aucun procès-verbal, un total de deux cent vingt heures de passage à tabac systémati­ que8. Igor Piatnitsky mentionne des confidences du procureur Terekhov pour qui, parmi les inculpés de la Comintem, il n’y avait « pratiquement pas d’ennemis9». En annexe, il publie le témoignage du compagnon de cellule de Piatnitsky, Aron Tiomkine, déjà cité, à qui il a raconté l’histoire de « la tasse de thé » avec Filatov, le dénonciateur, et Kaminsky, ami de Rakovsky, qui a voté avec lui au plénum, ce qui lui a valu aussi la morti0. Piatnitsky ne lui a pas répété ce qu’il avait dit dans cette brève conversation mais, en revanche, a confirmé que Filatov l’avait bel et bien dénoncé. Il a été exécuté le 28 juillet 1938, alors que l’instruction de son affaire était terminée depuis plusieurs semaines11. L e « COMPLOT » DES GENS DE LA COMINTERN

En 1993, Bemhard Bayeriein et nous-mêmes avons rencontré à Leipzig un vétéran du KPD, spécialiste des questions économiques, Günter Reimann, qui avait été lié à l’appareil international par ses fonctions mêmes. Il nous parla de son voyage à Moscou en 1932, où il avait constaté une éclosion tranquille d’expression du mécontentement contre Staline dans l’appareil, au cours de ce qu’il appelle « le printemps de Moscou », et nous assura avoir été associé au cours de ce séjour à ce qu’il appelait une « conspiration politique » dont les dirigeants étaient Piatnitsky et Béla Kun. n s’agissait selon lui de dresser tout ensemble la direction de l’Internationale communiste et celle des partis pour arracher rélimination de Staline et son remplacement par Boukharine, dont la politique de relâ­ chement des tensions et d’apaisement, une deuxième Nep à tous égards, permettrait de rapprocher les différentes fractions et tendances. Il ne connut pas la suite, car, Hitler ayant pris le pouvoir en Allemagne, il choisit finalement l’Occident en apprenant que plusieurs de ses proches camarades avaient été emprisonnés en URSS. Quelques mois après notre rencontre paraissait le livre de Günter Reimann, intitulé Beriin-Moskau 1932. Il y raconte son entrevue avec Smoliansky à l’exécutif, la commande qu’on lui fait d’une enquête sur la situation des ouvriers en Allemagne et la discussion qui suit : La direction russe de la Comintem, avec à sa têîe le Hongrois Béla Kun, voulait remettre en cause la stalinisation du parti allemand, et on n’attendrait pas Staline pour le faire. Avec le début d’une seconde Nep - sans Staline -, le CE de PIC voulait libérer le mouvement de la camisole de force du stalinisme. Une nouvelle direction du parti, élue par ses membres, nouerait des liens de coopération avec la gauche sympathisante de la social-démocratie et regagnerait les [...] intellectuels [...] qui s’étaient éloignés du KPD ces dernières années12.

Reimann pense - et a raison de penser - qu’il a vécu à Moscou à cette époque une sorte de « printemps » comparable à celui que Prague devait connaître en 1968. Curieu­ sement pour nous, ce n’estpas à l’activité presque ouverte des gens du bloc des oppositions ou du groupe Rioutine qu’iî fait allusion mais à ce noyau du parti russe dans la Comintem. en rupture avec le stalinisme, dont nous venons d’approcher avec iui. Une discussion avec Frida Rubiner sur la situation au sein du comité central soviétique - où elle travaille 8.1. Piatnitskaïa, op. cit., p. 21. 9. Ibidem, p. 101. W. Ibidem, p. 173-180. 11.Ibidem, p. 177. 12. G. Reimaan, Beriin-Moskau 1932, p. 48.

M assacre

a la tronçonneuse

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exaspérée d’être coupée de toute autorité et même de toute information, des rumeurs sur les assurances de Toukhatchevsky que l’Armée rouge, refusant de jouer les Bonaparte, était prête en revanche à abattre celui du Kremlin, les rumeurs concernant Boukharine, tout cela l’a convaincu à l’époque du sérieux de l’entreprise des gens de l’exécutif. Trotsky et Sedov, de leur côté, envisagaient dans îeur correspondance la chute de Staline et l’avènement des « droitiers ». Il est certain que les opposants avaient entrepris d’abattre les barrières, résidus des guerres fractionnelles du passé qui les séparaient. Humbert-Droz, qui fut tenté mais eut bien trop peur à la première menace pour se compromettre vraiment, raconte qu’iî fut en désaccord avec le dirigeant de la fraction internationale des « conci­ liateurs », Karl Volk, lors de leur rencontre à Zurich en 1933 : « Je m’opposai à la suggestion de prendre des contacts avec les trotskystes et les zinoviévistes, avec Neumann, qui se trouvait à Zurich après avoir été éliminé de la direction du KPD, et avec Dorioti3. » A propos du X IIIe plénum de décembre 1933, il raconte avec effroi dans une lettre de Moscou à sa femme : « On m’interpelle sur la question allemande en cherchant à me mettre sur le même plan que Neumann, Remmele, Schüller, Guttmann et un groupe de Versôhnler qui ont pris une position semblable14. » Nous en étions là quand l’excellent article de Bemhard Bayerlein sur les Versôhnler15 nous montra que la route se poursuivait. Un an plus tard, deux ans après notre rencontre avec Reimann, un matin de novembre 1995, nous trouvions, au courrier, des photocopies des interrogatoires de plusieurs de ces hommes de l’exécutif de la Comintern par les gens du NKVD, en provenance anonyme de Moscou et des archives du KGB. On pouvait commencer à essayer de comprendre et de répondre enfin à la question : pourquoi le massacre des cadres de la Comintern, appareil central et directions des partis réfugiées en URSS ? Il faut s’armer de courage pour tenter de présenter une réponse acceptable. La détestable paresse de nombre de commentateurs a fini par accréditer l’idée suivant laquelle c’est « le système » communiste qui exigeait du sang, ou encore que Staline personnellement en était en permanence assoiffé. Mais addition de tautologies ne fait pas explication. M éth o d e

d ’a n a ly se

Notre analyse du premier procès de Moscou, au départ tout empirique mais faisant apparaître entre les accusés un lien inconnu jusque-là, celui du « bloc des oppositions » animé par les principaux accusés du procès pour leurs groupes respectifs, avait mis en évidence dans le montage des grands procès une préparation policière à deux niveaux. L ’accusation retenait un squelette réel, avec un calendrier, des rencontres qui avaient eu lieu, bref, les signes concrets d’une activité qui, la plupart du temps, correspondait à un certain travail d’organisation politique, voire à un simple échange de vues. Commençait ensuite le travail des référents du GPU pour le recouvrir de ce que nous avons appelé le « vernis de la falsification », consistant en aveux extorqués, voire en documents souvent évoqués, jamais montrés. Comment alors démêler le vrai du faux ? Il faut d’abord com­ parer les aveux à tous les éléments dont on peut disposer sur les circonstances auxquelles ils se rapportent H est aussi bien utile d’avoir des témoins. Sur l’épisode qui nous intéresse ici, il est certain que nous aurons de nouveaux documents dans îes années qui viennent. Et nous avons eu Günter Reimann. Grattons le vernis. Il y a d’abord des accusations, 13. J. Humbert-Droz, Dix /tns de lutte antifasciste 1931-1941, p. 89. 14.1. Humbert-Droz, op. cit., p, 96. 15. B. Bayerlein, « L ’histoire inconnue des “conciliateurs” dans le KPD », dans les Mélanges offerts à Marian Britovsek, The Crisis of Social Ideas, p. 321-340.

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D e L’activ ité

po litique à l ’activité po licière

notamment contre Ludwig Magyar et Henrykowski, d’avoir assuré des liaisons avec Trotsky en Norvège et à Paris. Personne ne peut les croire après la contre-enquête sur les procès de Moscou, qui ne laisse pas place à de telles rencontres. On conçoit en revanche le souci des hommes du GPU de lier les accusés à Trotsky-Satan. Tout cela fait incon­ testablement partie du vernis de falsification, ainsi que certains autres contacts imaginés ou baptisés tels en fonction de îa nécessité de compromettre tel ou tel des accusés et de provoquer ses « aveux ». En revanche, les souvenirs précis de Günter Reimann, selon lequel celui qui se trouvait au centre de l’entreprise dans laquelle il s’engagea était Béla Kun, sont confortés par l’affirmation constante - tant des enquêteurs que des accusés qui « avouent » - que c’était bien lui le chef de la « conspiration », évidemment une énième tentative d’organiser une véritable opposition à la direction stalinienne, mais cette fois à l’échelle de l’Internationale tout entière. Personne ne conteste, dans le cours des interrogatoires, ceux qui apparaissent comme la troïka dirigeante de ce groupe qui a fonctionné en 1932, a été démantelé en 1935 après le V IIecongrès et dont ies membres ont été liquidés à partir de 1937. Ce sont le Hongrois Béla Kun, le Letton Richard Mirring et le Russe Aleksandr Lazarevitch Abramov - et non Iakov Mirov-Abramov, comme l’écrivent la plupart des auteurs qui se copient les uns les autres -, l’homme de l’OMS et des liaisons internationales, indispen­ sable dans une telle entreprise. Piatnitsky, lui, n’en faisait pas partie, et les efforts des enquêteurs visaient à l’impliquer dans une affaire à laquelle il était probablement étranger quand il prit la parole au comité central. Plus que de la falsification, son implication relève de l’amalgame. A partir de là, on comprend qu’il s’est agi d’abord pour ces hommes de combattre Staline et, en même temps, sa nouvelle politique, celle qui allait voir îe jour au V IIe congrès, pour schématiser, la ligne du « front populaire », incarnée pour tous, communistes et anticommunistes, par Georgi Dimitrov, dont ia légende dorée veut qu’il l’ait en quelque sorte plus ou moins imposée à un Staline hésitant et réticent. Arvo T\iominen a probablement raison quand il écrit que ce sont les textes de résolutions rédigées par Otto Kuusinen qui ont finalement obtenu l'assentiment de Staline à la ligne nouvelle. Mais il ne faut pas oublier que Staline était îe seul en définitive à trancher et à décider, et les archives citées par Firtsov nous montrent des dirigeants de 1a Comintern lui soumettant texte après texte pour approbation. C’est d’ailleurs pourquoi la tentative des conspirateurs, évoquée par les enquêteurs, d’entraîner Harry Pollitt à contester la nomination de Dimitrov au secrétariat général était un véritable attentat, un crime de lèse-majesté commis non contre Dimitrov, qui n’existait que par la volonté du Chef, mais contre le Chef lui-même dont Yaura s’étendait à ses valets, qu’il s’agisse d’un Thalmann ou d’un Dimitrov, à partir du moment où il les avait approuvés. P o ur

un r eg r o u pem en t d es o ppo sa n ts

Plus difficile à régler est îa question des contacts entre ces conspirateurs politiques et d’autres opposants ou ex-opposants, Allemands du groupe Neumann-Remmele-Flieg ou conciliateurs, ou encore autres militants critiques à titre individuel. La réaction instinctive consiste à juger impossible un tel rapprochement et à penser qu’il s’agit tout simplement d’un amalgame policier. Mais, dans un second temps, il faut bien constater que ce rap­ prochement s’est fait à la même époque sans trop de difficultés sur le plan purement russe entre hommes séparés jusque-là par des murailles de Chine. Il n’y avait pas un tel mur entre ces hommes. Les documents cités par Bayerlein le prouvent. En dépit d’une rupture annoncée, Heinrich Süsskind est toujours en contact avec les « conciliateurs ». Or il travaille à Moscou dans les services de Béla Kun et d’Abramov. Le rôle unificateur des

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oppositions, pour lequel on avait en 1932 cru voir s’ébaucher une rivalité entre Rioutine et I.N. Smimov, revient ici à la fraction - pas dissoute dans les faits - des prétendus « c o n c ilia te u rs », et, sur le plan des personnes, à V o lk , Siisskind et Magyar. Leur expres­ sion la plus achevée est certainement l’Opposition de Berlin, dont les archives HumbertDroz ont montré qu’elle relevait d’eux. Or, contrairement à une légende bien ancrée, les adversaires de Staline dans la Comintem après le désastre allemand n’étaient pas tous des nostalgiques du social-fascisme, de la « troisième période » et autres postures sectaires qui avaient pavé la voie aux nazis. Pour eux, la direction Staline-Thâlmann portait la r e s p o n s a b ilité du désastre, mais cela ne validait pas la nouvelle politique. L ’Opposition de Berlin le montrait bien quand elle expliquait l’hostilité des ouvriers berlinois à 1a politique de front populaire : après l’expérience des dernières années, ils redoutaient à juste titre de nouvelles aventures coûteuses et voyaient dans la nouvelle politique des propositions d’alliance opportuniste avec des forces bourgeoises nationales et l’engage­ ment dans la perspective d’une guerre où défendre l’Union soviétique et ses alliés. Pour pousser plus loin notre analyse, nous avons décidé d’abandonner le terme de « conciliateur » donné à ce groupe par les hommes de Staline-Thâlmann et justifié à leurs yeux par son refus de cautionner l’exclusion de « la droite ». En refusant cette exclusion, en préconisant l’existence d’une tendance avec laquelle ils avaient, pour leur part, d’impor­ tantes divergences, les prétendus conciliateurs ont en effet montré qu’ils avaient l’attitude de communistes unitaires, soucieux de conserver la pluralité des tendances et la perma­ nence du débat démocratique à l’intérieur du parti. C’est sur cette même ligne que ces communistes unitaires se disposent, après la victoire hitlérienne et devant la perspective d’une répression interne accrue contre les fractions anti ou non staliniennes. îls refusent le front populaire parce qu’il signifie l’alliance avec une fraction de la bourgeoisie, ce qui est pour eux une autre forme d’aventurisme. Dans l’ensemble, les éléments relevés par Bayeriein coïncident avec les aveux des gens de la Comintern aux mains des enquêteurs. C’est un regroupement des oppositions qui s’est esquissé quand îes communistes unitaires allemands et leurs alliés de Moscou ont pris contact avec Heinz Neumann et Hermann Remmele. Et, comme pour îe premier procès de Moscou, il pourrait y avoir plus qu’un grain de vérité dans l’accusation mortelle lancée par îes hommes de Staline aux gens qu’ils appellent le bloc polono-aîlemand, ou encore Lerîski-Neumann. De toute façon, îes contacts étaient plus nombreux qu’on ne saurait l’imaginer. Il est difficile de penser, par exemple, qu’il est indifférent à nos préoccupations que le jeune Heîmuth Remmele ait travaillé comme métallo dans une usine de Magnitogorsk - la ville même où le parti était dirigé par le vieil ami de Neumann, Besso Lominadze. Il semble même que, maîgré les anathèmes - destinés à se protéger que ces hommes proféraient parfois contre Trotsky et les siens, ils n’aient pas exclu un éventuel contact avec eux, comme les gens de l’opposition de Berlin Font fait en Espagne. Lenski l’a en tout cas cité en référence dans son intervention au X IIIe plénum. Nous en resterons là. Tous les hommes de tous ces groupes se sont retrouvés à un moment ou à un autre aux mains des bourreaux ou devant leurs exécuteurs. C’est le mérite des com­ munistes unitaires d’avoir montré finalement que ceux de leurs frères d’armes qui capi­ tulaient, c’est-à-dire qui mentaient pour survivre un peu, parfois pour pouvoir continuer à lutter, et ceux qu’on abattait avec ou sans procès sont tombés du même côté du front, et que, finalement, îa façon dont ils ont tenu dans îes interrogatoires a empêché Staline de faire avec eux un nouveau procès-spectacle. La conclusion de ce chapitre, tout près de la fin notariée de la Comintem, est que Staline s’est trouvé à îa fin des années 30 dans l’obligation de tuer tous ies cadres communistes qui étaient à portée de sa main, ceux qui lui avaient résisté et ne îe faisaient

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plus comme ceux qui lui résistaient encore, et même ceux qu’il avait chargés de le débarrasser des premiers. En d’autres termes, qu'il a réellement assassiné la Comintern à travers ses survivants, y compris ceux qui avaient été ses garde-chiourme et ses tueurs. N’en déplaise à ceux qui se pourléchent devant le spectacle de sa prostitution, l’histoire de la Comintern est une immense tragédie. Piatnitsky et ses camarades Font aidée à conserver une certaine dignité. La découverte de la dernière entreprise des rescapés de l’hôtel Lux et des unitaires baptisés conciliateurs permet en effet de considérer sans nausée l’histoire de ses dernières années. Mais pas sans horreur. L ’a m pleu r

d u m a ssa c r e

Il est impossible aujourd’hui encore de faire un bilan des étrangers victimes de ce grand massacre. Aldo Agosti reconnaît après Zaccaria que 2 000 Italiens, qui avaient fui en URSS le régime de Mussolini, y ont péri à la fin des années 30. Spriano divisait ce nombre par deux. Petko Boev, lui, évalue à environ 1000 sur un total de 2 500 arrêtés le. nombre de Bulgares réfugiés qui ont été exécutés ou sont morts en prison. Les Yougoslaves chiffrent à 800 le nombre de leurs concitoyens qui ont péri alors. Il faut nous contenter des dirigeants. Quand on confronte les noms qui suivent avec ceux qui ont été cités dans les pages précédentes, le bilan est impressionnant. Les fondateurs de l’Internationale ont tous été supprimés par ordre de Staline. Nous reviendrons sur Trotsky. Zinoviev» qui l’a présidée de 1919 à 1926, Boukharine, qui l’a dirigée de 1926 à 1929, ont été exécutés après des procès à spectacle. Rakovsky, membre de son premier bureau, a été fusillé après avoir été condamné à mort par le NKVD en 1941. Karl Radek est mort en prison, comme Hugo Eberlein, qui avait défendu le mandat de Rosa Luxemburg contre la fondation immédiate d’une Internationale nouvelle. Fritz Platten, le Suisse, dont le rôle avait été déterminant dans le retour de Lénine en Russie, et qui présida le congrès de fondation de rintemationaie communiste, arrêté en mars 1938, condamné à quatre ans de Goulag en octobre 1939, fut exécuté le 22 avril 1941 près d’Arkhangelsk. Ont également été exécutés en prison ou au Goulag les premiers secrétaires de l’Internationale, Jan Berzine, arrêté en 1937, mort en 1941, Mikhaïl Kobetsky, arrêté et exécuté en 1937, Mieczyslaw Bronski, compagnon de Lénine et de Zinoviev en Suisse, « mort » en 1942. Il ne faut pas oublier ici Béla Kun, qui avait été un héros de l’Internationale après ia révolution hongroise, ce qui lui avait valu un immense prestige, et qui ne mourut pas de ses « kuneries » mais d’avoir sans doute résisté à Staline, ni Iossif Ounschlicht, un des dirigeants du GPU, d’origine polonaise, « mort en prison » ie 28 juillet 1938. Il faut mentionner Aleksandr Tivel, dont le rôle avait été important du temps de Zinoviev, ainsi que Richard Pikel. Le nombre de victimes parmi les fonctionnaires de la Comintem est particulièrement élevé. Mikhaïl Panteleiev, sur un total de 133 victimes, a relevé 88 arrestations dans l’appareil en 1937, 19 en 1938, Ossip Piatnitsky en avait été le grand technicien, patron du bureau d’organisation, ainsi qu’Abramov et Vassiliev, hommes clés jusqu’en 1935. Mais il faut citer bien d’autres noms : 1e Letton Wilhelm Knorine, chef du secrétariat pour l’Europe centrale, arrêté en 1937, exécuté en 1939. Henryk Walecki, membre de la commission internationale de contrôle élue en 1935, arrêté en 1937, exécuté en 1938. Le Finlandais Mauno Heimo, qui s’occupait de l’administration dans le secrétariat de Mosk­ vine avec le Letton Richard Mining, l’Arménien Gevork Alikhanov, responsable du département des cadres, et son collaborateur Moissei B. Tchemomordik, Mikhaïl Kreps, responsable de la presse puis des éditions, l’Allemande Martha Moritz, du département des pays scandinaves, fusillée en 1938, les Melnikov, Agnesa Dobrovolskaia, Pavel Mif, Grigori Smolianski - le contact de Günter Reimann -, Andréi Karolski, l’ancien héros

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de la « rue juive » de Varsovie, tous arrêtés en 1937 ou 1938, morts en prison, vraisem­ blablement exécutés, à des dates variables, des gens des Cadres Gretewilde. D’autres « travailleurs de la Comintern », déjà éliminés des postes responsables, disparurent à îa même période, en prison, de la torture, de conditions de détention terribles, ou exécutés d’une façon ou d’une autre : Moiséi Rafès, Josef Pogany, Félix Wolf, pour ne citer que ceux que nous avons fait un peu plus que mentionner ici. 11faut aussi ajouter à cette liste de victimes les noms de îeurs bourreaux et souvent exécuteurs, Moskvine lui-même, et le fonctionnaire du NKVD chargé de la « maison », îe Hongrois Laszîo. M, Polliaczek, qui va faire quinze ans de Goulag, sans oublier Artouzov, mort en accusateur, ni Lea Abramovicz du 4ebureau. DIVERSITÉ DES « CAS » DES PARTIS

Le massacre des cadres communistes a été très inégal d’un parti à l’autre. 11y a au moins deux partis dont tous îes dirigeants réfugiés en URSS sauf un ont été massacrés : il s’agit du parti turc et du parti letton. Dans une étude sur le massacre, très neuve à r époque, un peu datée aujourd’hui, mais qui reste valable, Branko Lazitch énumérait, après le premier groupe que nous venons de mentionner, les compagnons de Lénine et vétérans de la Comintern, ies catégories suivantes : 2. Les dirigeants des partis qui avaient été rais hors la loi dans leurs propres pays et s’étaient réfugiés en Union soviétique connurent un sort identique. Djilas confirme cette règle politique de Staline dans son livre Conversations avec Staline : « Les purges furent particulièrement sévères chez les émigrés communistes, car ces membres de partis illégaux ne pouvaient se tourner vers personne sauf les Soviétiques. » 3. Les dirigeants qui appartenaient à des partis communistes légaux dans les démocraties parlementaires survécurent au massacre. Discutant îa question des pays scandinaves, Tuominen le confirme : « Dans les pays scandinaves, écrit-il, les partis communistes étaient légaux ; c’est ce qui sauva leurs dirigeants. Ils ne résidaient pas à Moscou et, quand ils s’y trouvaient, ils avaient conservé leur nationalité et n’étaient pas à la merci des Soviétiques16. »

Dans ce cadre, il y a eu tout de même des cas particuliers, le plus intéressant étant ceiui du Parti communiste polonais, pour le destin duquel se combinèrent différents facteurs de politique internationale et d’histoire de îa Comintern, mais dont il faut signaler que les seuls parmi ses dirigeants à survivre furent ceux qui avaient eu « la chance » d’être emprisonnés dans leur propre pays par le régime fascisant des colonels qui avaient succédé à Piîsudski. Ici, en tout cas, ce ne furent pas seulement les hommes qui furent tués, mais le Parti communiste lui-même. Le cas d u PC p o lonais Les origines de la tragédie peuvent évidemment être trouvées dans la défense deTrotsky par les communistes polonais, en 1923-1924, et dans l’erreur d’avril 1926. Mais c’est en 1934 qu’apparaissent les premiers signes d’une « sale histoire » - pour tout dire, une affaire de services secrets. Les organes de presse de îa Comintern annoncent à la fin de 1934 et au début de 1935 des révélations sur le fait que l’on venait de « démasquer des provocateurs » à l’intérieur du KPP, d’anciens membres de l’Organisation militaire de Piîsudski. Jerzy Sochacki, ancien secrétaire générai du PPS, ancien dirigeant du KPP, était arrêté à Moscou comme « espion, provocateur, diversionniste », agent des services secrets 16. B. Lazitch, « Le massacre des dirigeants communistes étrangers », The Comintern, historical Highlights, p. 139-174, ici p. 141.

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polonais. Un deuxième homme, un ancien officier, Sylwester Wojewôdzki, ancien diri­ geant du Parti paysan indépendant, rallié au KPP, était accusé d’être « agent spécial » et « homme de confiance » des gens de Piîsudski. Enfin, un troisième personnage, Tadeusz Z§rski, était accusé d’appartenir aux services polonais, d’avoir travaillé pour eux dans la gauche du PPS et d’avoir dénoncé ceux qui, dans le KPP, constituaient des obstacles à son arrivée à la direction17. Ces accusations grossières avait pour objectif de préparer l’affirmation selon laquelle les services secrets de Piîsudski et les trotskystes, travaillant la main dans 1a main, avaient réussi à s’emparer de la direction du parti polonais. On fit disparaître sous ce prétexte non seulement douze membres du comité central, ses chefs historiques, mais des centaines de cadres moyens et de militants de base. Au bout de l’opération, le parti polonais, officiellement qualifié de « nid d’espions », fut supprimé et disparut d’un coup de tous îes discours et de tous îes articles de îa presse communiste mondiale. On ne prit même pas îa peine de donner une date pour l’oukase qui avait décidé sa disparition. On expliqua aussi que cette situation s’était développée « depuis le début ». Nous ne sommes pas en mesure de donner une explication particulière, qu’aucun document n’est venu éclairer. Au contentieux ancien entre les Polonais et Staline s’ajoutait évidemment la haine que ce dernier portait aux Juifs, particulièrement nombreux à la tête du KPP. Surtout, dans le cas d’une alliance avec r Allemagne - Staline eut toujours deux fers au feu, dont celui-là -, l’existence d’un parti communiste polonais pouvait être une gêne considérable, sinon plus grave encore, pour îes dirigeants de l’Union soviétique. Sa suppression était donc la meilleure solution : elle leur laissait les mains libres pour un partage de la Pologne dans le cadre d’un accord avec Hitler. R épr essio n

c o n tre l e s c o m m u n ist es po lo n a is

Le récit que fait Firtsov de l’affaire du PC polonais ne lui donne pas au début une place à part dans la répression générale. L ’impression qui s’en dégage est que l’affaire polonaise est venue au premier plan parce que îa répression y a frappé plus de gens, ce qui n’est pas une explication lumineuse. Selon l’historien russe, en tout cas, dès février 1937, très mécontent de la médiocrité des résultats obtenus en France, en Espagne et en Chine, et du texte de la Comintem sur îe procès Radek-Piatakov, Staline assurait à Dimitrov : « Vous tous ici à la Comintern, vous faites le jeu de nos ennemis18. » Il lâchait la bride à Ejov - d’ailleurs lui-même membre de l’exécutif de la Comintem - pour la préparation d’une répression systématique contre îes communistes étrangers. Six mois plus tard, le 31 août 1937, Jan Bielewski, probablement l’un des rares dirigeants du KPP en URSS encore en vie et en liberté, écrivait à Moskvine : « L ’arrestation d’une série de membres du KPP et surtout de membres du CC de ce parti par les organes du NKVD a révélé l’existence d’une agence de l’ennemi de classe, c’est-à-dire de gens de Piîsudski et de trotskystes dans les rangs du KPP et de son comité centrall9. » Cette lettre apportait la certitude qu’il n’y avait plus de direction du KPP. Firtsov pense qu’elle a pu convaincre Dimitrov que la situation dans nombre de partis était analogue à celle du KPP et que cela posait un redoutable problème. Elle posait en tout cas implicitement celui de la dissolution du parti polonais. Staline avait répété le 11 novembre, insistant : « Tous îes trotskystes doivent être pourchassés, abattus, exterminés20. » Il demanda par une lettre du 28 novem­ bre à l’exécutif de lui adresser un projet en ce sens, Dimitrov rédigea un projet de 17. Dziewanowski, op. cit., p. 147-148. 18. F. Firtsov, Istoriia, p. 458. 19. F. Firtsov, loc. cit., p. 193. 20. F. Firtsov, loc. cit. p. 458.

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résolution sur la dissolution du KPP, suggérant à Staline de l’adresser aux communistes polonais avec une lettre ouverte. II demandait en même temps à Staline avis et instruc­ tions: 1. Sur ia question de savoir s’il fallait envoyer une telle lettre avant la conclusion de l’enquête sur les anciens dirigeants du parti polonais ou s’il valait mieux attendre plus longtemps ; 2. sur le contenu et le caractère de cette résolution sur la dissolution du PC polonais21.

Après réception de cette lettre du 2 décembre, Staline écrivit dessus : « Cette dissolution a deux ans de retard. Elle est nécessaire, mais selon moi, vous ne devriez rien publier22. » Firtsov commente de façon pertinente : « Ainsi, Staline donnait l’ordre de dissoudre le KPP et en même temps de ne pas rendre publique cette décision, laissant à l’exécutif de l'Internationale communiste la responsabilité des actes de répression en secret contre l’ensemble du parti23. » Mais les arrestations ne touchaient pas seulement ies militants polonais se trouvant en URSS, Il y eut ensuite la mission d’un responsable survivant, Edward Zawadzki, dit Jasny, qui fut envoyé de Moscou en Pologne, où il arriva en juillet-août 1938, avec des instructions pour faire venir en URSS les militants requis, généralement pour les exécuter. Puis ce fut le tour des pays occidentaux, dont le « centre » du PC polonais de Paris était dirigé par Lenski. Le travail fut dirigé ici par un Bulgare, Anton ïvanov, dit Bogdanov. Au cours de l’année 1937, un « groupe d’initiative chargé des relations entre le PC polonais et la Comintern », dit « groupe parisien », dirigé par ïvanov, présidait à l’examen et à l’envoi en URSS des membres du parti alors en Pologne, en Espagne et en France. ïvanov avait commencé par se rendre en Espagne, d’où il renvoya en URSS Reicher et Cichowski qui y furent fusillés. Puis il s’employa, avec l’aide de quelques hommes sélectionnés en Espagne, dont Pinkus Kartin, à liquider le parti en Pologne même, une tâche qui fut apparemment menée à bien en septembre 1938, sans qu’on sache comment le travail fut partagé avec Jasny. Le groupe d’initiative devint alors le groupe « chargé des affaires polonaises auprès de la Comintern24». Son responsable, Boleslav Molojec, revenait de loin : emprisonné en URSS, iî faisait partie des 132 prisonniers « indispensables » pour le travail dans d’autres pays dont Dimitrov avait obtenu la libération, et des 11 qui avaient été incorporés dans le NKVD25. C’est vers la fin de l’année que l’exécutif appliqua la directive donnée par Staline. Mais il n’adopta jamais cette résolution, qui ne fut signée que le 16 août 193S par six des dix-neuf membres du présidium, Dimitrov, Manouilsky, Moskvine, Kuusinen, Ercoli (Togliatti), Florin. Du même coup, Staline transférait au présidium de la Comintern la responsabilité du massacre26. Dimitrov et ses collaborateurs l’avaient compris. Pendant plusieurs semaines, ils adressèrent des lettres à toutes les institutions répressives pour savoir où étaient passés les gens arrêtés, de quoi ils étaient accusés, lesquels d’entre eux étaient déjà morts. D paraît que cela sauva la vie à certains. Était-ce volontaire ? Ou bien s’agit-il d’un de ces « effets pervers » chers aux politologues : les hiérarques, en essayant de se protéger, sauvèrent quelques-unes de leurs victimes. Ce n’est qu’en 1939, dans le cours du X V IIIecongrès du PCUS, que fut faite en public la première allusion vague à la liquidation du PC polonais. Manouilsky indique que des 21. F. Firîsov, op. cit., p. 459. 22. Ibidem. 23. Ibidem. 24. A. Podraza, « Les communistes polonais en France dans les années 1938-1939 », in Bartosek et autres, De ia Résistance à l'exil, p. 102-103. 25. A. Vaksberg, Hôtel Lux, p. 103-104, où Molojec est orthographié « Moloets » et « Molsets ». 26. Ibidem, p. 459.

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« criminels trotskystes-fascistes » avaient « contaminé les organisations », qu’on ne les avait démasqués qu’avec retard, qu’iî avait fallu dissoudre des organisations qu’on se mettait désormais à reconstituer27. L ’historien Firtsov tire un bilan : « La Comintern [...] ne put jamais retrouver son prestige après ces événements. Quand ils recevaient l’infor­ mation sur l’arrestation de membres du personnel du comité exécutif, îes dirigeants de la Comintern se contentaient de prendre la décision de les exclure. Le secrétariat du comité exécutif de ia Comintern avait à réorganiser son appareil et à trouver du personnel nouveau pour quelques-uns des partis communistes28. » L es

v ic t im es

Au premier rang des victimes, il y avait évidemment les quatre W avec lesquels Staîine avait un très vieux contentieux à cause de îeur défense de Trotsky en 1923-1924. Warski avait été l’un des fondateurs du Parti social-démocrate polonais, avait participé aux confé­ rences de Zimmerwald et de Kienthaî, puis dirigé îe PC polonais. H était député au Sejm; en 1926, mais, depuis 1929, s’était réfugié à Moscou, où il travaillait à l’Institut MarxEngels. Il fut fusillé en août 1937, à soixante-dix ans. Walecki, lui, après des études supérieures scientifiques à Gand, avait évolué du PPS à sa gauche, puis au Parti commu­ niste. Depuis ia création de l’Internationale, iî avait travaillé au sommet de l’appareil de la Comintern, qui l’utilisa comme un négociateur habile, un homme de compromis. Membre de l’exécutif, adjoint de Béla Kun au secrétariat, il fut arrêté en 1937 et fusillé en 1938. Wera Kostrzewa, dont Boris Souvarine écrit qu’elle « alliait le charme du brillant intellectuel au raffinement féminin et à un courage masculin29», aussi séduisante par son physique que par son intelligence et sa sensibilité, selon Sztokfisch, venait, elle aussi, de la gauche du PPS et avait été parmi les fondateurs du KPP. Avec des éclipses, elle était restée à ia direction jusqu’en juin 1929. Elle se réfugia en URSS et y mourut en prison en 1938. Edward Prdchnfak (Weber) avait été le seul Polonais de l’école de Lénine à Longjumeau et le secrétaire du gouvernement révolutionnaire polonais de 1920, longtemps membre ou suppléant de l’exécutif. Toute une série d’autres dirigeants étaient des survivants de îa gauche de Zimmerwald : Jakob Hanecki, homme d’affaires rouge, ancien membre de la représentation bolchevique à Stockholm, travaillait à financer la Comintern. B fut exécuté en 1937. Antoni Krajewski travaillait au département des cadres, fut élu à la commission centrale de contrôle de la Comintern en 1935, exclu et arrêté en 1937, exécuté. Stanislaw Lapinski, lui aussi un ancien des conférences de Suisse, fut arrêté en 1938 et disparut également. Stefan Bratman, du SPRDiL de Rosa Luxemburg, que nous avions vu dans la mission soviétique de Berne et qui était devenu ambassadeur. Mais c’était aussi îe tour de ceux qui avaient combattu les quatre W et servi Staline. Lenski, qui avait travaillé avec Staline en 1917, était devenu par sa faveur secrétaire générai du parti : arrêté et exécuté en 1939. Domski, tombé en disgrâce, disparut également. Jerzy Heryng, Ryng, le théoricien, qui avait été lié à Gramsci, chef du parti clandestin en Pologne, rappelé, fut exécuté. Brand, dont Souvarine se souvenait comme d’un « étincelant causeur », un enthousiaste de l’industrialisation sovié­ tique, travaillait au Gospîan. Henryk Henrykowski, qui avait contrôlé le PC tchécoslovaque avant d’être clandestin en Allemagne, fut rappelé sous l’accusation d’avoir servi à des liaisons avec Trotsky et, arrêté, disparut. Bronislaw Bronkowski également, ancien res­ ponsable du GRU et membre du présidium de la Comintern. Disparurent encore trois 27. XVU1 S"ezd VKP(b), p. 63. 28. F. Firtsov, loc. cit., p. 460. 29. B. Souvarine, « Commentaires sur le massacre », Historical Highligkis, p. 177.

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députés, Stefan Krélikowski, ancien président du CMR de 1920, membre du CC du parti depuis sa création, réfugié en URSS où il travaillait comme interprète, Tamasz Dombal, ancien leader paysan, fondateur et porte-drapeau de la Krestintern, Stanislaw Lancucki, cheminot, qui avait été l’un des deux premiers députés du parti. Mentionnons aussi Waclaw Wrôblewski, du CC, Stanislaw Bobirïski, ancien responsable de îa section polonaise du PC russe, vice-recteur de la KUNMZ, une des plus grandes universités communistes, les anciens du SPDiL Z. Leder, lié à Radek avant la guerre, collaborateur de l’agit-prop à la Comintem, Alexander Malecki, professeur d’université et responsable de bibliothèques, Jôzef Ciszewski, membre du CC, envoyé en Espagne par la Comintem, tué au retour, Wâclaw Bogucki, qui travaillait dans les services du procureur Vychinsky, Franciszek Grzegorszewski, du Secours ouvrier international, élu en 1935 à la commission de contrôle internationale, arrêté en 1937, Gustav Reicher, dit Rwai, un ancien enseignant, arrêté à son retour d’Espagne. On peut ajouter à cette îiste Jacob Dolecki, directeur de l’agence Tass, qui, au premier signe, a préféré se suicider. Panteîeiev nous permet d’ajouter Jan Borowski, du secrétariat des Polonais à l’exécutif, Romana Wolf Jazierska, de îa section polonaise, comme Kazimierz Cichowski, Stanisîav Skulski, fusillé en 1938, Abraham Ovsianko, de Î’OMS, Henryk Bittner, îe parlementaire, Stanislaw Budzynski, auteur du rapport du 5 mai 1920. Alfred Lampe, détenu à Dantzig, a évité l’exécution sur le coup et y échappe. Mais les autres dirigeants des organisations juives, Kombund, Poale Zion, Vereinigte, tous militants éprouvés ralliés au communisme, Abram Karoîski, Ysroel Gajst, Abè Flug, Abé Kantor, Szaul Amsterdam, déjà mentionné sous le nom d’Henrykowski, Mendel Michrowski, Nahoum Leschchinski. Le long bras de Staline s’étendra jusqu’au Bund et liquidera avec un peu de décalage ses deux prestigieux dirigeants, Henryk Erlich et Wiktor Aîter, venus négocier et qu’iî fit fusiller. Les protections haut placées n’ont sauvé aucun de ces hom­ mes : Aron Wizner, émissaire de îa Comintern en Italie dans îes années 20, devenu chef de cabinet de Molotov, chargé d’assurer la liaison avec îa Comintem, fut parmi les victimes. Et nous n’oublions pas Jan Paszyn (Roman Bielewski), îe sonneur du glas, qui périt l’année même où il annonça la mort des autres. Détail abject. Le vailîant « combattant antifasciste » et champion de îa démocratie Georgi Dimitrov avait été chargé, pour faciliter les opérations du NKVD, de convoquer dans son bureau les Polonais que ce dernier se proposait d’arrêter. Il a soigneusement noté dans son Journal la date de l’amvée de chacun d’eux, et précisé qu’il l’avait « envoyé à Ejov ». Firtsov, qui a pu consulter ce journal aux archives de Sofia, l’a cité dans ie colloque de La Chaux-de-Fonds : 17*6-37. Lenski est arrivé. Aussi convoqué Rylski, Skulski et Prochni'ak. 20-6-37. Lferiski] chez Ejov. 21-6-37. Waîecki aussi. 07-7-38 Prochni'ak est venu. - Chez Ejov30,

Ce « chef du prolétariat international », aujourd’hui encore célébré bien au-delà des frontières de l’univers stalinien comme un symbole de Vantifascisme, transformé en concierge de ia mort, convoquait ainsi les futures victimes pour îes livrer à leurs tortion­ naires et bourreaux. On ne commentera pas cette déchéance. Nous savons pourtant qu’iî réussit à sauver quelques-uns de ces hommes. La seule conclusion est sans doute que l’homme nouveau, l’homme « communiste », était bien en noir et blanc et que « l’indomp­ table Dimitrov » avait peur de mourir. 30. F. Firtsov, loc. cit., p. 458.

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L es H ongrois

Les Hongrois avaient été les premiers réfugiés politiques, et on se souvient que, dans un premier temps, ils avaient semblé coloniser l’appareil de la Comintem. Mais la fin des années 30 les vit presque tous périr sous les coups de la répression, à la fois pour des raisons générales et du fait de la chute de Béla Kun. L ’homme qui avait accumulé les erreurs et n’avait jamais été frappé sérieusement n’avait pas vraiment gardé le silence sur les crimes de Staline, et Ta payé de sa vie. Nous le verrons quand nous parlerons des dirigeants de la Comintern. L*histoire du PC hongrois en cette période n’est pas sans rappeler celle du PC polonais. Les Hongrois ont mal accepté ia politique de front populaire et le tournant de 1934, comme Béla Kun. Le parti a subi en outre en Hongrie de lourdes pertes du fait de la répression en 1935 et au début de 1936. Ce sera le prétexte qui permettra de se débarrasser d’une sourde opposition de sa part. Les 7 et 8 mai 1936, l’exécutif de la Comintern dissout le comité central et transfère ses responsabilités à un comité de trois personnes dirigé par Zoltân Szânto, siégeant à Prague. La résolution condamne très énergiquement ce qu’elle appelle « les méthodes sectaires, bureaucratiques et antidémocratiques du parti ». On sait que Zoltân Szânto dit qu’il a reçu une plainte, déposée par Jôszef Rêvai, qui dénonce l’hostilité de la direction hongroise à ia politique de front populaire. La commission décide de déférer devant la commission centrale de contrôle de la Comintem les dirigeants hongrois impliqués comme anciens membres du CC. Les sanctions ne se font pas attendre et interviennent en juin et au plus tard octobre 1936, avec la stupéfiante décision sur laquelle nous disposons de témoignages précis, mais pas d’un document : la dissolution du parti clandestin, prise par voie administrative et imposée entre autres par Togliatti. Cette décision, alors sans précédent, signifie l’aban­ don à leur sort, dans un pays dont le régime est qualifié de « fasciste », de 900 militants hier encore qualifiés de « révolutionnaires professionnels », dont 500 sont en prison. Une des conséquences immédiates est que les quelques militants épargnés vont être eux aussi largués et coupés de tout jusqu’en 1940 au moins, les Ferenc Rôsza, Lajos Papp, Kâroly Kiss, qui vont reconstituer le parti en Hongrie dans les pires conditions, mais « sur la ligne » - qui a d’ailleurs changé. A Moscou, pendant ce temps, Staline frappe les communistes hongrois plus durement que ne le fait au même moment le régime de Horthy. La plupart des anciens dirigeants clandestins qui ont l’imprudence de revenir sont exécutés. Parmi îes victimes du grand massacre, on trouve l’écrasante majorité des communistes hongrois connus. JôzsefPogâny, le trop fameux Pepper, relevé de toutes ses fonctions à la Comintem en 1928, affecté au Gosplan, est arrêté et exécuté en 1937 ; Béla Székeîy, ancien vice-commissaire aux Finan­ ces ; DezsÔ Bokânyi, ancien dirigeant socialiste, membre du CC, ancien commissaire au Travail, haut responsable en URSS de îa sécurité sociale, mort en prison en 1940 ; Ludwig Magyar, longtemps dans l’appareil de la Comintem pour l’agit-prop, plus tard chef de file des conciliateurs, mort aux îles Solovietsky ; Jdzsef Rabinovits, ouvrier, ancien secré­ taire du parti chargé de l’agit-prop, employé au Secours ouvrier international à Moscou, mort en prison en 1940 ; Béia Vagô, membre du CC et ancien commissaire du peuple à l'Intérieur, petit employé à Moscou, mort en prison en 1939 ; Jozsef Haubrich, commis­ saire au Commerce, commandant en chef des troupes de Budapest, membre de la com­ mission centrale de contrôle du parti unifié en 1919, mort en 1938 ; Istvân Bierman, leader en 1919 du conseil ouvrier de Budapest, devenu directeur de la centrale de Dniepropetrovsk, mort en prison en 1937 ; Jânos Kocsis, membre du CC, réfugié en URSS en 1929, exécuté en 1938 à trente-neuf ans ; Ferenc Jancsik, métallo, commandant de la Garde

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rouge de Budapest, réfugié en Russie en 1922, exécuté en 1938 ; Ede Chîepko, métallo, membre du CC, commissaire politique de la Garde rouge, réfugié en URSS en 1923,

exécuté en 1938 ; l’ancien dirigeant de la gauche du syndicat des métallos, Ferenc Bâjaki ; le serrurier Kârikas Frigyes, militant en France avant guerre, devenu communiste comme prisonnier de guerre en Russie, exécuté en 1938, après une longue détention... en Hongrie ; ^ingénieur Joszef Kélen, un ancien du cercle Galilée, ami d’Ordjonikidze Frantiszek Fiedler. Les humoristes disent que ces communistes et îe radiologue Hamburger ont eu le privilège d’être liquidés par des compatriotes : Emô Gerô, secrétaire de Dimitrov, rappelé d’Espagne dans ce but, et Jôzsef Rêvai. Robert Conquest a recensé 15 commis­ saires du peuple de 1919 disparus en URSS à cette époque. L es Y o u g o sla ves

Le Parti communiste de Yougoslavie a reçu lui aussi de rudes coups, avec quelque 800 victimes, presque tous des cadres et plusieurs anciens secrétaires généraux. L ’épu­ ration sembîe avoir été confiée au Lituanien Zigmas Alexa, alias Angaretis, qui opéra dans la circonstance sous le nom de Bradonia. Le fondateur du parti, Sima Markovié, travaillait à l’Académie des sciences de l’URSS à Moscou quand iî fut arrêté en juillet 1939 et disparut après une condamnation comme « agent de l’impérialisme ». Filip Filipovié, ancien président du parti, vivait à Moscou depuis 1924 sous le nom de Boskovic et avait été membre de l’exécutif jusqu’en 1935, il fut arrêté en février 1938 et exécuté la même année. Milan Gorkic avait dirigé îes jeunesses, puis le parti jusqu’en 1935. Il avait été secrétaire général du PCY de 1932 à 1937, membre de l’exécutif depuis 1935. I! fut arrêté et exécuté en 1937. C’est probablement lui qui se trouvait au centre de l’affaire. La lumière est loin d’être totale sur lui, en dépit de l’important travail du regretté Ivan Oéak. D était très jeune, n’avait jamais été vraiment l’homme de Staline. Il avait connu les oppositionnels. N’avait-il pas été membre du même secrétariat de la KIM que Voja Vujovié, son compatriote, et que le Tchèque Michalec ? N’avait-il pas été un protégé de Boukharine ? Tito, dans les souvenirs qu’il a confiés à Dedijer, suggère que Gorkié était le préféré des gens de la Comintern. Il insiste sur le fait qu’on lui reprochait de diriger le parti de l’extérieur du pays, et que presque tous ses envoyés étaient arrêtés en arrivant au pays. B raconte aussi que l’arrestation de Gorkic était la conséquence de celle de sa femme, Betty Gîan, Polonaise qui « travaillait pour l’Intelligence Service » ! Pour la suite, il ne cache pas qu’iî était du côté de Staline contre Gorkic, qui avait « travaillé contre le parti », fait des rapports inexacts, entretenu des relations avec des bourgeois de Belgrade, notamment le colonel Dra2a Mikhaiîovié, le futur chef des tchetniks3'. Disons-le nette­ ment : si ce n’est pas Tito qui est à l’origine de la chute de Gorkic, il est certain que ses rapports y ont puissamment contribué, et il est peu probable qu’il ne s’en soit pas réjoui. Nous touchons ici pour la deuxième fois îe problème de l’écriture de l’histoire du temps de la déstalinisation, où l’on noircit avant tout Staline et aussi les boucs émissaires que sont quelques-uns de ses adversaires, comme ce fut le cas dans l’historiographie allemande vis-à-vis d’un Neumann au temps de Khrouchtchev. Véra Mujbegovic a présenté récemment les premières pièces d’archives sur l’affaire. Le PCY a réuni son CC à Vienne, les 9 et 10 avril 1936, et - crime de lèse-majesté, assurément - l’a fait sans même avoir informé l’exécutif, qui se saisit de l’affaire en avril et convoque Gorkié à Moscou. Le rapport de Dimitrov, le 15 août 1936, ne manque pas de piquant pour qui se souvient de ses discours sur l’« autonomie » des sections. La 31. Dedijer, Tito park, p. 127.

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direction du PC yougoslave est accusée de n’avoir pas le moindre souci de la discipline internationale et de ne s’intéresser nullement à l’application de la politique de la Comin­ tem, à laquelle elle est visiblement hostile32. Il est tout à fait évident que le secrétaire général Gorkié fait mal son travail - à moins qu’il ne le sabote. La décision est prise au secrétariat de la Comintern le 7 janvier 1937. L ’ancien bureau politique et Milan Gorkié lui-même sont déposés et remplacés par une nouvelle direction autour de Walter (J. BrozTito). La place est nette pour le NKVD, Convoqué à Moscou quelques semaines plus tard, Gorkié est emprisonné au moment où le sont bien d’autres de la Comintem. Il sera liquidé, condamné à mort le 1er novembre 1937 et exécuté. Sa mort est le signal de la liquidation des cadres du PCY, au moins de tous ceux qui sont à la portée du long bras du NKVD. Parmi les autres dirigeants yougoslaves exécutés ou morts en prison, citons les frères Djuka et Stefan Cvijié, probablement tous deux en 1938, les trois frères Vuyovié, Voja, ancien dirigeant de la KIM, rintemationaie desjeunesses, membre de F opposition unifiée, lié à Safarov, et ses deux frères Rada et Grgur, qui travaillaient dans les services de l’exécutif, Vlada Copié, recruté en Russie, ancien du bureau politique et combattant d’Espagne, rappelé et arrêté en 1938, Jovan Maîi&c, ancien secrétaire du comité central, disparu en 1938, Kosta Novakovic, député, évadé d’une prison yougoslave, membre de F appareil de la Comintem, arrêté, condamné et exécuté en novembre 1938 ; 1e Croate Kamilo Horvatin, réfugié en 1929, membre du bureau politique, arrêté en 1938, disparu, comme l’ouvrier Slovène Rudolf Furlan. Ivo Grzetic, qui avait représenté son parti à la Comintem, convoqué à Moscou, est arrêté fin 1937 ; Anton Mavrak, ancien secrétaire général du PCY qui travaillait en URSS comme ouvrier ; le député Sima MilijouS, arrêté en 1938, mort au Goulag, et d’autres encore, signalés par Panteleiev, le Macédonien Nikola Orovéanac, et les hommes qui étaient à la disposition des cadres à la Comintem, îe « musulman » Akif Seremet, dit Karl Berger, le dirigeant des Jeunesses Viîim Horvaj, dit Schwarzmann, le Croate Rudolf Hercigonia - et nous ne mentionnons ci-dessus que des cadres du parti à l’époque où ce dernier était dirigé par Gorkié. Il faut ajouter îes hommes qui ont combattu avec l’Armée rouge pendant la guerre civile, le Croate Gustav BarabâS et le Serbe devenu général de cavalerie de l’Armée rouge Danilo Srdic. Petko Miletic, héros du parti, arrêté à son arrivée à Moscou en 1938 et exécuté, il ne subsistait à îa veille de la guerre qu’un dirigeant yougoslave encore en vie, Josip Broz, dit Walter, le futur Tito. Selon ses confidences à Dedijer33, on aurait envisagé de faire subir au parti yougoslave, une fois son sort pratique réglé, îe sort officiel que l’on avait réservé au PC polonais, c’est-à-dire de le dissoudre. La seule information donnée par Tito fut 1a publi­ cation des décisions d’exclusions dans Proieter, îe journal clandestin du parti. Le numéro du 1ermai 193934informe des exclusions de Milan Gorkic, Sima Markovic, Sima Miljous, Anton Mavrak, sous leur vrai nom, d’Ivan Grzetic, Kosta Novakovic, Djura et Stefek (Stefan) Cvijié, Kamiîo et Jovanka Horvatin, des frères Gregur et Rade Vuyovié, Vladimir Copié, Jovan MaliSic, Viîim Horvaj, sous leurs pseudonymes. Commentant ces exécutions, bien après sa rupture avec îe communisme, Miîovan Djilas a écrit : Après le voyage de Uto à Moscou, si je me souviens bien, à l’automne 1938, nous n’avons pas appris grand-chose des arrestations de Yougoslaves là-bas. On avait dit à Tito de ne pas parler des purges. ïl dit quelques mots à ce sujet à Kardelj, mais très peu à nous. Pourtant, après son deuxième et son troisième voyage, à l’été 1939 et au printemps de 1940, nous en avons appris 32. RTsKHIDNI, 495 /18/1/ 1309/ 4,5, 6, cité par Véra Mujbegovié. 33. Dedijer, op. cit., p. 127. 34. Fac-similé dans Ivan Oëafc, Braca.Cvijiéi, p. 471.

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beaucoup plus. Tito nous donna la version officielle et, dans l’ensemble, on le crut. Le comité central décida d’exclure tous ceux qui étaient arrêtés à Moscou, dont certains l’étaient depuis deux ans et d’autres avaient déjà été fusillés. Leur exclusion ne fut même pas discutée au CC. Tito donna simplement l’information dans Proleter. Personne ne souleva d’objection. Au contraire, nous étions enchantés que l’Union soviétique ait donné le coup de grâce aux émigrés. C’était particulièrement vrai de Tito et Kardelj, qui étaient plus familiers avec ce qui se passait à Moscou35.

C’est d’ailleurs à l’initiative de Djilas et de Rankovic que le vétéran Liouba Radovanovié fut exclu du parti pour avoir refusé d’admettre les accusations lancées contre les victimes36. La correspondance de Tito et de ses collaborateurs montre d’ailleurs la peur qu’éprouvaient ces gens devant les résistances dans le parti à accepter les procès de Moscou et leur présentation stalinienne Le pa r t i a llem a n d Le parti allemand a moins souffert, parce que tous les cadres ne s’en trouvaient pas à Moscou, le gros des émigrés, entraînant nombre d’entre eux, s’étant dirigé vers l’Occident en 1933. Mais les motifs d’une épuration sanglante étaient au moins aussi puissants que dans les partis cités plus haut : règlements de comptes, recherche de boucs émissaires pour la défaite, résistance aussi au nouveau cours de la Comintern vers le front populaire, ce que le secrétariat politique appelle « les tendances sectaires ». Nous avons déjà men­ tionné le sort d’Eberlein. Il faut ajouter maintenant les gens des groupes qui ont critiqué la politique de Thàlmann et ont été dénoncés en 1932, et d’abord Heinz Neumann, arrêté en avril, condamné et exécuté en novembre 1937. Cet ancien protégé de Staline et enfant chéri du parti, le «charmeur», avait organisé l’insurrection de Canton en 1927 avec Lominadze. Avec l’ancien président du KPD, Hermann Remmele - arrêté en mai 1937, condamné, devenu fou en prison et probablement exécuté en mars 1939 -, et son patron Emst Thalmann, il avait été l’un des trois grands hommes du parti. Léo Flieg, embarqué dans leur aventure, était en 1935 membre de la commision de contrôle de la Comintern et avait été l’incarnation de la continuité de îa direction du KPD en tant que responsable de l’appareil clandestin, en liaison avec Piatnitsky. Réfugié à Paris, convoqué à Moscou en 1937, il fut arrêté, condamné et fusillé en mars 1939. La liste ici aussi est longue : les « militaires » du KPD, Hans Kippenberger, le chef du M-Apparat, arrêté en novembre 1936, condamné et exécuté enjanvier 1937 et qui continue à être interminablement dénoncé sous les tortures ; Léo Roth, jeune chef du N-Apparat, dont le mariage avec la fille du général von Hammerstein facilitait la tâche ; Otto Bulian, chef de VOrdner-Dienst en 1923 ; Rudolf Podubecky, Wilheîm Wloch, Hermann Tautenberger, ce dernier lié à Wollenberg, officier de l’Armée rouge en correspondance avec Trotsky, tous îes quatre anciens officiers entrés au service de l’Armée rouge de Bavière, puis du M-Apparat ; W illy Leow, chef du RFB, arrêté en 1937, condamné au goulag, mort en 1943, Rudolf Margies, et Otto Steindriick, cet ancien officier qui avait joué un rôle important en 1921 et en 1923. August Creuzburg, le chef de l’armée ouvrière qui avait affronté les kappistes en 1920, arrêté en 1937, fut exécuté en 1938. Les « politiques » constituent une longue liste, qu’il s’agisse des gens du groupe dit « conciliateur » ou d’hommes de Thalmann. Wemer Hirsch, son secrétaire, surnommé son spiritus rector, arrêté et condamné en 1937, meurt en 1941. Son proche collaborateur 35. M. Djilas, Memoirs of a Revolutionary, p. 303. 36. M. Djilas, op. cit., p. 304.

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Erich Birkenhauer, ainsi qu’Heinrich Kurella réfugié à Moscou, est fusillé en 1937. Heinrich Meyer, dit Heino, spécialiste de l’agit-prop, employé au secrétariat, arrêté en 1937, est fusillé en 1938. Il faut citer aussi les membres du CC, Fritz Schulte, arrêté en 1937, condamné en 1939, mort en 1941, Hermann Schubert (Max Richter), ex-membre du W EB, apparemment successeur de Thalmann un bref laps de temps en 1933, arrêté en 1937. W illi Budich, arrêté en 1937, fusillé en 1938, était, comme Max Levien, arrêté et exécuté en 1937, un survivant de la république des conseils de Bavière ; Eisenberger, Fhomme des Cadres, Kurt Sauerland, « l’idéologue du parti », Irene Bentz fusillé en 1938. Wemer Peterman, du secrétariat d’Ercoli, fut arrêté en 1938. Le nombre des dirigeants communistes allemands victimes de la répression stalinienne, important, est inférieur certes mais tout à fait comparable à celui des victimes du régime hitlérien, qui en avait beaucoup plus à sa portée. Hermann Weber a fait les comptes37: 6 anciens membres du Polburo du temps de Weimar ont été tués par Hitler, 5 membres titulaires et 2 suppléants par Staline. Sur les membres du dernier Polburo, 2 ont été tués par Hitler; 5 par Staline. Sur les 35 membres du comité central élu en 1927, 7 ont été tués en Allemagne et autant en Union soviétique. Sur les 38 membres du CC élus en 1929, 7 ont péri en Allemagne, 6 en URSS. Sur les 131 membres ou suppléants du CC du temps de Weimar, 18 ont été victimes de Hitler, 15 de Staline. 36 anciens députés communistes au Reichstag ont péri sous Hitler et 13 sous Staline. Sur les 127 délégués du congrès de fondation du KPD, 4 ont été tués par la droite, 4 par Hitler, 7 par Staline, LA LÉGENDE BULGARE

Une légende tenace veut que les communistes bulgares émigrés en URSS aient été épargnés du fait de la protection que leur aurait accordée Dimitrov. Milovan Djilas écrit à ce sujet : « Les émigrés bulgares ont eu de îa chance que Dimitrov ait été secrétaire de la Comintern et un homme jouissant de tant d’autorité. Il a sauvé nombre d’entre eux3*. » Bien sûr, jouant jusque dans le détail le rôle d’un kapo dans un camp de concentration, Dimitrov, que nous avons vu livrer îes futures victimes, a veillé à protéger les siens - ses propres partisans - et limité îe nombre des victimes parmi les responsables bulgares. Cela n’empêcha pas le massacre du gros des émigrés, un sur deux environ, autour de 1000, disent certains, de 400 à 600, disent d’autres. Il s’agissait en outre d’une protection sélective. Dimitrov a tiré de la Loubianka un Khristo Kabaktchiev dont la santé fut ébranlée pour toujours par ce séjour. Il a également « sauvé » son propre beau-frère, Vlko Tchervenkov, mais son ex-coaccusé de Leipzig, Blagoï Popov, condamné et rescapé après seize ans de Goulag, dit qu’il n’a pas levé le petit doigt pour lui, malgré des appels au secours répétés. Gendre d’Otto Kuusinen, iî était aussi le chef de file de la tendance hostile à Dimitrov, que les partisans de ce dernier appelaient îes « sectaires de gauche ». Vassiî Tanev, le troisième Bulgare jugé à Leipzig, a été condamné et n’est sorti du Goulag que pour aller à la mort dans un parachutage suicidaire. Krum Bachvakov, militant communiste en Bulgarie, puis élève d’une académie mili­ taire, responsable, pendant un temps, des communistes bulgares en URSS puis com­ missaire politique de brigade dans l’Armée rouge, est arrêté et exécuté en 1937, et Petar Iskrov, dirigeant des Jeunesses, condamné à mort dans son pays, critique de gauche de Dimitrov, membre de ia commission de contrôle internationale depuis 1935. Mais nous savons maintenant qu’il faut ajouter au nom d’Iskrov, leader des adversaires de Dimitrov dans son parti, ceux de ses camarades des JC passés à la tête du parti dans 37. H. Weber* « Weisse Hecken » in der Geschichte, p. 20-22. 38, M. Djilas, Conversations avec Staline.

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les années 30 et adversaires de Dimitrov, Giorgi Lambrev, qui, sous le nom de Rosen, travaillait à la. Profintem, ïvan Pavlov, dit Encho, ancien secrétaire général du parti, Ivan Vassiliev, dit Bojko, Nevena Gentchev, anciens protégés de îa Comintem contre Dimitrov. Ces gens-là, comme Ta révélé Bîagoï Popov dans un pamphlet en 1981, ont

été les victimes directes de Dimitrov et de Kolarov, dans les deux procès dits de « la conspiration ukrainienne » et des « trotskystes » - les sectaires de gauche - annoncés

par une brochure-réquisitoire de Kolarov au lendemain du procès des Seize, procès qui ont fait des centaines de victimes, précisément les adversaires bulgares de Dimitrov. panteîeiev39signale en outre la répression qui a frappé à F OMS Petko Petkov, condamné à quinze ans. On peut ajouter Boris Stomoniakov, un réfugié devenu diplomate et Kofardjiev, à titre posthume ! L es

a u tres pa r t is

Moins importants numériquement, plus durement frappés chez eux par la répression, îes Roumains ont eu beaucoup moins de victimes en URSS. Alexandru DobrogeanuGherea était îe fils du fondateur du parti, Constantin, l’ami de Rakovsky. Il fît des années de prison dans son pays puis se réfugia à Moscou en 1932, fut arrêté en 1936 et mourut en prison en 1938. Marcel Pauker avait été secrétaire général du parti et on le disait l’un des meilleurs disciples de Rakovsky. Il fut accusé de collusion avec Zinoviev et liquidé en prison peu après le premier procès de Moscou. Ghiza Moscu avait eu de hautes responsabilités en Moldavie, mais avait été dénoncé depuis comme «nationaliste bour­ geois ». Branko Lazitch mentionne Clara Schain, îe Dr Rozvany, dirigeant communiste deTransylvanie, l’ouvrière Elena Filipovici, dirigeante des JC, une héroïne de tout le parti après une retentissante évasion. Sous le nom de Maria Ciobanu, eîîe était au secrétariat de îa Comintem en 1935. Le Hongrois de Roumanie, Kôblôs, est du nombre. Iî faut citer également des dirigeants grecs réfugiés en URSS après des condamnations à îa prison : Andronikos Khaitas, ancien secrétaire général, l’homme qui avait réussi la stalinisation du parti, arrêté et fusillé en Russie, ainsi que son bras droit Kostas Eftychiadis, Giorgios Kolozov, secrétaire général des JC, membre du CC du parti, ancien élève de la KUTV à Moscou, et Giorgios Douvas, secrétaire des JC, membre du BP du KKE et de l’exécutif de la KIM. Les Finlandais étaient nombreux à s’être réfugiés en Russie après l’échec de leur révolution, et iî ne semble pas qu’Otto Kuusinen îes ait beaucoup protégés ! Comme les Hongrois, ils comptèrent de nombreuses victimes. Kullervo Manner, l’ancien dirigeant socialiste et président du Parlement au début de la révolution, fut condamné à dix ans de prison en 1935 et disparut ainsi que sa compagne, Hanna Malm, héroïne de la révolution et de la clandestinité. Ce fut également le cas des anciens dirigeants de la révolution, Edward Gylling, qui avait été ministre des Finances, Eero Haapalainen, ancien chef de îa Garde rouge, de Mauno Heimo, ancien secrétaire de Zinoviev, qui avait été, au bureau d’organisation de la Comintern, son vrai « patron », de Gustaa Rovio, ancien chef de la milice d’Helsinki, arrêté en 1937, fusillé en 1938, de Jukka Lehtosaari, président du parti et délégué à l’exécutif, arrêté le 27 janvier 1938, au 20e anniversaire de la révolution finlandaise, d’Ejno Rakhia, un proche de Zinoviev, exclu depuis 1928. Dans ses Souvenirs, Arvo Tuominen évoque d’autres victimes, le juriste Eino Laaksovirta, le professeur rouge Vaïno Pukka, l’agent de îa Comintern Niilo Virtanen, ancien instructeur au Canada, spécialiste de l’action clandestine, qui se rendit notamment en Allemagne après 1933, 39.Mikhaïl Panteîeiev (et non Panîeliev), «La terreur stalinienne en 1937-1938; les chiffres et ies causes», Communisme, Les Komintemiens H n“ 40-4i 1995 p. 37-52.

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l’extraordinaire fabulateur - qui n’a jamais été chef de la Garde rouge - devenu directeur d’usine à Moscou Herki Kaljunen et Johannes Makinen, ancien représentant du parti à l’exécutif, fusillé comme sa femme Martha Moritz. Inkéri Lehtinen commit l’erreur d’avoir deux maris officiels mais échappa à la mort. Toivo Antikainen, Aimo Altonen survécurent grâce à la chance qu’ils eurent de se trouver en prison en Finlande, à l’abri des tueurs, au moment du massacre de leurs camarades. Les Estoniens furent durement frappés En ce qui concerne le Parti communiste estonien (EKP), Jangowski et Kuuli, déjà cités, parlent de milliers de victimes, à commencer par Hans PÔgelman, qui avait été délégué au 1er congrès de la Comintern et mis à l’écart en 1935, Rudolf Vakman, longtemps secrétaire du comité de parti de Revel (Tallinn), et Otto Rjastas. Ses épurateurs suivirent, Jan Anvelt, l’ancien bras droit de Zinoviev à la Comintem, tué par les coups que lui porte pendant huit heures le juge d’instruction Langfang. Son collaborateur Eduard Allas est exécuté, ainsi que sa compagne Alida, secrétaire technique. Le représentant de l’EKP à l’extérieur, Johannes Meerits (Léo Looring en URSS), rappelé à Moscou, refusa de s’y rendre, obtenant l’asile politique en Suède. Tous les dirigeants lettons, après Knoring (Knorine) et Richard Mining, deux impor­ tants dirigeants du PC d’Union sovétique, nés lettons, Jan Roudzoutak et Robert Eikhe, les autres Lettons furent extenninés, même le vétéran Robert Endrup, soixante-treize ans, C’est ainsi que furent arrêtés, après le responsable de la section lettone de la Comintern, Janis Kroumins, fusillé en 1938, Julijs Danichevskis et Janis Lencmanis, deux vieux bolcheviks, et, bien entendu Janis Berzins, déjà vu, Karl Ballod, Filip Milter, Minna Koher, employés à l’exécutif, ainsi que Robert Martynovitch Kirchenstein dit Prince, David Beika, qui revenait d’Espagne, et le tchékiste Reinhold Berzine, sans oublier Karlis Jansons qui, sous le nom de Charles Edward Scott, avait joué un rôle important en Amérique du Nord et au Japon, puis à la Profintern. Beika survécut. Le Lituanien Alexa, dit Angaretis, épurateur des Yougoslaves sous le nom de Bradonia, tomba également à la fin. Les autres étaient tombés avant lui, comme Rafail Rasikas qui était vétéran de la social-démocratie lettonne et lituanienne, bolchevik en 1917. Les trois partis des pays Baltes n’avaient plus de direction. Même Mickiewicz-Kapuskas, mort en 1935 de mort naturelle, était accusé post mortem de « trotskysme ». Togliatti a-t-il aussi protégé les Italiens ? G. Zaccaria a établi une liste de 200 com­ munistes italiens morts en URSS dans les purges, mais surtout en camp et Aldo Agosti semble d’accord avec cette estimation. Dante Comeli40victime et rescapé, a donné beau­ coup d’informations. Finalement, il y a eu une seule victime de premier plan, Edmundo Peluso, imprimeur devenu journaliste, qui parcourut l’Europe en révolution, adhéra au PCI, fut membre de sa direction et se réfugia en URSS, où il travailla dans l’appareil de la Comintern puis à l’Institut Marx Engels. Il mourut en 1942 au Goulag. Citons également l’ancien secrétaire de la fédération communiste de Rome, Vincenzo Baccalà, accusé d’avoir critiqué Staline à l’Interclub d’Odessa, arrêté et fusillé en 1937 après s’être vu refuser le droit d’aller se battre en Espagne, Ugo Citerio, arrêté, lui, à son retour d’Espagne, où il avait combattu l’interbrigadiste Premoli comme le tchékiste Lampredi, Giuseppe Rimola, représentant à Moscou des JC d’Italie, le héros des grèves turinoises Lino Mansergivi, tous deux militants responsables du Secours rouge international, arrêtés et dispa­ rus, Aldo Gorelli, ouvrier de Novare, ancien des jeunesses, délégué aux IIeet IIIecongrès de la Comintern, arrêté en 1936, mort à Kolyma Spriano parle de 104 réhabilitations, cite une vingtaine de ces cadres communistes condamnés par les tribunaux fascistes et morts dans les prisons d’Union soviétique où ils avaient cherché refuge. Dante 40. D, Comeli, Persecutori e vitiime, p. 75.

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Corneli, enfin, mentionne le triste sort de Francesco Misiano, que nous connaissons, mort au cours de l’enquête sur sa présence en 1934 à une réunion d’anciens JC - dont Chatskine et Faivilovitch41-, que le NKVD rattacha à la préparation de l’assassinat de Kirov. Une autre victime célèbre des purges est l’un des pionniers du communisme en Autri­ che, Franz Koritschoner, en contact avec Lénine pendant la guerre, dirigeant du PC autrichien, arrêté en 1937 à Moscou et livré à Hitler avec d’autres détenus en 194042, mort en 1941. Ont également péri les Autrichiens Malka Schott, dite Hertha Müller, membredu CC, et Otto Stemdrück, déjà cité avec les Allemands, l’ancien officier impérial devenu spécialiste des renseignements. Les communistes suisses ont eu leur part de victimes dans la mesure où ils avaient fourni nombre de collaborateurs à la Comintem. En dehors de Fritz Platten, évidemment, il faut mentionner Lydia Dübi, installée en URSS en 1924, élève de l’École Lénine, puis chargée du poste de l’OMS à Paris à partir de 1932. Elle fut rappelée en 1937, accusée de liens avec les « conciliateurs » et fusillée. Bertha Zimmermann, venue très jeune à Moscou, longtemps mariée à Fritz Platten, ayant aussi des responsabilités dans F OMS, fut arrêtée en 1937, condamnée à mort et fusillée. Peter Huber ajoute à ces noms celui de l’aviateur, commandant de l’Armée rouge, Emst Schacht, rappelé d’Espagne et fusillé en 1937 avec toute sa famille43. La discussion est ouverte pour d’autres. La presque totalité des militants juifs ayant milité dans le PC palestinien sont parmi les victimes. Nahoum Leschchinski, venu de Russie en 1920, représentant de la Comintem en Égypte en 1931, fut arrêté en 1936. Yéhel Kossior, qui milita également en Égypte, Wolf Auerbukh, dirigeant du PCP de 1923 à 1929, Yeshaia Darfel, Moishé Kupermann, responsable de la sécurité du PCP de 1924 à 1929, EÜha Tepper, « Élie le Russe », actif dans le soutien de la révolte druze-syrienne en 1925-1926, un des dirigeants du PC de Syrie et du Liban, ont connu le même sort. Il faut ajouter à cette longue liste, le nom d’un citoyen d’un pays démocratique, mais petit, Ame Münch-Pedersen, délégué auprès de l’exécutif. Arrêté, il mourut en prison avant d’avoir été jugé. Furent également exécuter le couple Freund, pionniers du PC portugais. Le Mexicain Evelio Vadillo, enseignant, JC du temps de Mella, ancien déporté aux Islas Marias, membre du PC et organisateur des attaques physiques contre les trotskystes, est allé en URSS et y a disparu. Contrairement à ce qui a été écrit, le Chinois Guo Shaotang, qui représentait le PCC à l’exécutif et appartenait sans doute aux « services », n’a pas péri avec des dizaines de trotskystes chinois, et Sacha Pantsov a pu l’interroger pour son travail de thèse. Liu Shaoqi fut, raconte-t-on, sauvé d’extrême justesse, sorti de prison par Dimitrov. Wang raconte que trois vétérans du PC chinois, Yu Xiusong, Dong Yixiang et Zhou Dawen, suspects de « sympathies trotskystes », furent arrêtés en Chine dans le Xinshiang, amenés en URSS par Wang Ming en 1937, et qu’ils y furent fusillés en 1938. Il semble qu’ils avaient été une première fois frappés par la répression au temps où ils étaient à l’École Lénine, lors de l’épuration de sa directrice, Kirsanova. Ils avaient alors été exilés en Sibérie. Les Indiens Virendranath Chattopadhyahya, Abani Mukheijee, G.A.K. Luhani, déjà mentionnés, perdirent la vie en URSS. Tous îes communistes coréens furent arrêtés et beaucoup exécutés. Et ies Turcs, Salih Hacioglu en tête. Le communiste iranien Suîtanzadé, l’ancien leader du PC, fut fusillé en 1938. 41. Ibidem. 42. E Sehr Franck (cf. 41). v •43. Cf. 42.

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De V ACTIVITÉ POLITIQUE À L’ACTIVITÉ POLICIÈRE

Un auteur compétent cite « l’Anglais Charles Johnson », dont nous ne connaîtrions rien, s’il ne s’agissait plus probablement de Charles E. Scott, qui se fit aussi appeler ainsi, et dont le véritable nom était Karlis Jansons, cité plus haut. En revanche, parmi les victimes se trouve Rosa Cohen, d’origine polonaise, anglaise, mariée, il est vrai, à Petrovsky Bennett. Citons pour finir un homme qu’on crut longtemps exécuté, qu’on ne sait à quel parti rattacher et qui fut vraiment au sens propre du terme l’un des chefs militaires de la Comintern, Manfred Stem, combattant de 1921 et conspirateur de 1923 en Allemagne, un des plus populaires des chefs des Brigades internationales sous le nom de générai Kléber, dont nous savons maintenant qu’il était un critique de gauche de la politique de front populaire, mais qu’il n’est pas mort au Goulag, où il a pourtant passé des années. L es

a ssa ssin s en l ib e r t é

Le massacre en série n’a été possible que parce qu’en URSS les homme visés se trouvaient dans le piège, incapables de s’échapper ou de se cacher. Ailleurs, il fallait les traquer. Les crimes commis dans ces conditions ont été niés effrontément, avec souvent des tentatives de les rejeter sur d’autres. On ne sait plus aujourd’hui que l’assassinat de Trotsky, pourtant supervisé directement par îe NKVD, fut en son temps attribué par la presse aux ordres de Staline à un « trotskyste repenti », et que l’assassin portait sur lui une lettre destinée à accréditer cette version. Nous ne parlerons pas de l’assassinat de Lev Davidovitch Trotsky, maintenant bien connu. Rappelons seulement que les responsables de la Comintern, au premier chef Earl Browder, mobilisèrent le parti mexicain pour l’aligner sur la politique du crime, et que le futur assassin avait eu pour comac, via un autre dirigeant du CPUS, Louis Budenz, une dénommée Gertrude, dont on sait aujourd’hui qu’elle était l’épouse d’un dirigeant du PC vénézuélien et prenait ses journées de repos en France chez deux agents des mêmes services, par ailleurs membres de la 15e section de la SFIO, le couple Béranger. Nous ne parlerons pas plus de la mort de son fils Lev Lvovitch Sedov - surveillé depuis des années par l’agent Zborowski -, dont les tueurs d’Iagoda et Ejov se disputèrent la responsabilité, les agents du second torturant ceux du premier pour îeur faire « avouer » qu’ils ne l’avaient pas tué ! Bien qu’il soit maintenant établi que l’ancien dirigeant du PC d’I Pietro Tresso a été assassiné en 1943 dans un maquis FTP commandé par un communiste italien membre des services, Giovanni Sosso, on ne sait pas encore quel « grand dirigeant du PCI et de ia Comintern », couvert ensuite par Togliatti, en a donné l’ordre44. Les États-Unis n’ont pas été épargnés, et ce qu’on a appelé « l’affaire Robinson-Rubens » a commencé par l’enîèvement et îa disparition défi­ nitive d’une femme qui cherchait à rompre, enseignante connue, ancienne membre du CPUSA et collaboratrice des services, Juîiet Stuart Poyntz, ancienne membre de la direc­ tion, déléguée au V Iecongrès, une affaire sur laquelle le mystère est resté entier45. Nous avons déjà parié de l’assassinat d’Andrés Nin par îes hommes d’Orlov et men­ tionné les nombreux assassinats de militants, espagnols ou étrangers, dans le cours de la guerre d’Espagne par les mêmes tueurs professionnels. Les assassinats de volontaires venus combattre en Espagne ont été nombreux. Apôlonio de Carvalho, homme de confiance de Moscou à l’époque, évoquait très récemment en le déplorant celui d’Alberto Bomilcar Besouchet, ancien lieutenant de l’armée brésilienne, membre du PCB gagné à l’opposition de gauche. Selon des informations parues au Brésil, il s’était couvert de gloire sur le front de Guadaîajara et, promu colonel, avait été affecté à l’état-major du général Miaja. Il disparaît ensuite sans laisser de trace. L ’assassinatne fait aucun doute. Ce livre était presque 44. P. Broué et R. Vacheron, avec la collaboration d’A. Dugrand, Meurtres au maquis. 45.P. Broué, « L ’affaire Robinson-Rubens», Cahiers Léon Trotsky, n° 3,1979, p. 151-202, ici p. 160-164.

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achevé quand le chercheur Dainis Karepovs nous a fait part de ses découvertes dans les copies de Rio des archives de Moscou : Besouchet serait mort au moment des Journées de Mai 1937 à Barcelone. Une correspondance à son sujet ne laisse guère de doute : Tina Modotti, la compagne de Vidali, renseigne sur lui Martins, en route pour Moscou : il est traqué. Un autre meurtre aété complètement élucidé aujourd’hui par l’historien suisse Peter Huber, celui de l’agent des services Ludwig, de son vrai nom Nathan Poretski, qu’on connaît - le cas est rare - seulement après sa mort sous îe nom d’Ignace Reiss46, un combattant professionnel de l’ombre que nous avons aperçu en 1923 en Saxe et qui organisa les premiers achats et acheminements d’armes pour l’Espagne. Il avait claqué la porte après le deuxième procès de Moscou et annoncé qu’iî rejoignait la IVeInternationale. Désormais filé en permanence par les auxiliaires des tueurs, il fut attiré dans un guet-apens en Suisse, assassiné par une équipe de tueurs dont le chef, Michel Strange, était jusqu’alors inconnu. Notons pour î’ironie de l’histoire que î’ex-communiste allemande qui l’avait attiré dans ie guet-apens, Gertrud Schiîdbach, aiïêtée en 1938 et condamnée en 1940, est morte au Goulag, tandis que Sergéi Efron, un des chefs de la bande, ancien officier blanc et mari de îa poétesse Marina Tsviétaiéva, fut exécuté en URSS, où il avait cherché refuge, et que sa femme se pendit. Enfin, Soudoplatov a cyniquement donné des détails sur l’assassinat d’un collaborateur de Trotsky, l’Allemand Rudolf Kîement, piégé par le Lituanien Taubman et assassiné par Korotkov et un ancien officier turc. Ï! reste aussi îe mystère de la mort de W illi Münzenberg en 1940, en France, où il s’était réfugié. Il était pratiquement au centre de toutes les questions posées aux détenus de l’affaire Piatnitsky et de tous îes aveux qu’on a essayé d’extorquer à tant d’hommes et de femmes. C’est évidemment en toute connaissance de cause qu’il a refusé de déférer à ia convocation à Moscou que Staline avait demandé à Dimitrov de lui envoyer îe 11 novembre 1937. Des bruits persistants attribuent aussi le massacre par la police du groupe communiste iranien du Dr Taqi (ou Taghi) Arani, en 1938, à une dénonciation d’un Iranien des services soviétiques, Abdussamad Kambakhsh, infiltré dans ses rangs : Arani était lié à des diri­ geants exclus pour leur opposition « gauchiste » à la ligne de front populaire. A ceux qui pourraient douter de la persévérance de Staline dans la pratique de l’assas­ sinat, rappelons simplement que la presse soviétique a révélé à l’époque de la perestroïka que îe long bras des services avait assassiné sans bavures à Munich en 1953 le Tchécos­ lovaque Wolfgang V. Salus, dont le crime était d’avoir en 1927 rejoint l’Opposition de gauchedans son pays, rencontré Trotsky et partagé son combat. La mort de Salus, quelques semaines après celle de Staline, passa pour une mort naturelle. Mais le compte rendu du crime, adressé à ses successeurs, se trouve dans les archives et a été publié par les soins de Nataîia Gevorkian. L es

in terro g a to ires pa r l e

NKVD47

Les interrogatoires du NKVD apportent quelques éléments. D’abord, on y trouve une confirmation importante par Béla Kun de son opposition à la ligne à partir de 1932 et 46. Comme si la vérité historique était facile à trouver, Danie] Kunzi, dans un téléfilm, rebaptise Nathan Poretski, celui qu’on a nommé après sa mort Ignace Reiss, et l’appelle Ludwig Reiss, une double absurdité, un prénom qui était un pseudonyme et un nom qu’il ne porta jamais et qui est inséparable du prénom d’Ignace. Il lui donne ainsi une enfance et même toute une biographie. Aucun avertissement amicai ne l’a détourné de persévérer dans ce choix indéfendable. Sans doute pense-t-il qu’un auteur de film présenté comme historique peut à son gré déformer, voire changer les noms de ses personnages. Ce serait en somme un droit régalien, « le droit de fauteur » ? 47. Nous faisons référence ici aux copies reçues par la poste et dont nous avons vérifié l’authenticité. Nous en connaissons les références, mais ne les citons pas car elles n’ont pas servi dans notre recherche. On trouvera certains deces textes dans The International Newsletter, n° 7*8,1996.

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D e L’ACTIVITÉ POLITIQUE À L’ACTIVITÉ POLICIÈRE

d’un « bloc » qu’il aurait conclu alors avec Lenski et Heinz Neumann. C’est plausible : Trotsky avait remarqué une intervention critique de Lenski au X IIeplénum. A.L. Abramov. énumère les conspirateurs, nomme Piatnitsky, Knorine, Béla Kun, Krajewski : avec Piatv : nitsky, il y a Boris Vassiliev, Mike Grollman, Niilo Virtanen, Boris Ideîson ; avec Knorine, i Grigori Smoliansky et Andréi Karolski ; avec Béla Kun, Heinrich Süsskind. Selon lui, ; Magyar a fait des voyages à Paris, Mirring à Londres, Henrykowski à Oslo pour rencontrer ; Trotsky ou des trotskystes. Abramov mentionne une petite conspiration pour que Pollitt prenne la parole contre Dimitrov au V IIecongrès. Eberlein, qui parle aussi de cette période, \ mentionne la participation de Harry Pollitt avant le V IIecongrès et de Münzenberg, qu’il ■ lie à Erich Wollenberg. Ludwig Magyar, qui travaillait au secrétariat de la Comintern, est ; ; arrêté en 1934, après l’assassinat de Kirov. Le 29 décembre, il dénonce les gens de l’appareil de la Comintern qui, selon les enquêteurs, appartiennent à « l’organisation ; zinoviéviste»: ce sont Smoliansky, Mirring, Béia Kun, Gerhardt (Eisler), Süsskind, Rylski, Kirsanova, Choubine, Iavlonsky, Lorenz, Pavel M if et Stepanov. Les enquêteurs £ ont « ratissé large ». L ’affaire n’est reprise qu’en mai 1937, au moment où on se prépare à frapper les droitiers à travers le procès Boukharine. Il semble que les gens du NKVD ^ cherchaient plutôt à organiser un procès de la Comintern. Les premiers arrêtés sont Béla Kun, Abramov, Smoliansky, Tchemomordik, Melnikov. Knorine, apparemment très coo- J ; pératif, mais dont tout le monde sait qu’il a été sauvagement torturé, a expliqué le 1erjuin 1937 aux enquêteurs l’organigramme des liaisons du groupe dirigé selon lui par Béla Kun, Vassiliev et Kostanian. Piatnitsky y était chargé de îa liaison avec Boukharine, 1 Kostanian avec Lominadze, Magyar avec Zinoviev et Abramov avec Trotsky. Les choses vont se précipiter avec l’intervention de Piatnitsky au comité central dejuin, La plupart des gens mis en cause sont arrêtés entre juin et août. Nous n’avons de compte rendu d’interrogatoire de Béla Kun qu’en décembre 1937 et d’Eberlein qu’en août 1939. [ Ces gens ont résisté plus longtemps que les autres. Parmi les gens dénoncés à notre connaissance pour la première fois dans cette affaire à îa fois ancienne et nouvelle, citons, en mai, Abramov et deux courriers de l’OMS, les frères Feyerherd, Fritz Keller et Pavlov ; enjuin, Sauerland, Alfred Kurelîa, Paul Dietrich, Karl Brückmann, dénoncés par Knorine ; j; enjuillet, Georg Samueli, c’est-à-dire Manouilsky lui-même, îe guépéoutiste de îa Comin­ tern, le hongrois Laszlo Pollasczek, les frères Krejcsi, hongrois aussi, courriers de Î’OMS, dénoncés par Magyar. En août, Krajewski donne les noms de pratiquement tous les fonc­ tionnaires ducentre de la Comintern, mais aussi d’hommes de l’appareil militaire allemand, Kippenberger, Otto Bulian, Léo Roth, du secrétaire de Thalmann, Wemer Hirsch, et de / « Max Richter », présenté comme un des conspirateurs les plus actifs (il s’agit de Hermann Schubert). En septembre, Smoliansky nomme encore des Allemands, Hans Knodt, du £ département des organisations de masse, Heinrich Meyer (Most), du secrétariat de îa ?. Comintern, l’ancien collaborateur de Thàlmann Ernst Bîrkenhauer. En décembre, Béla Kun | ajoute à îa liste Gyula Alpari, qui n’est pas à Moscou, Garai, alias Karl Kurchner ou i Kürschner, Kreps, le responsable des éditions, Erich Wendt, Martha Moritz, qui représentait la Finlande à 1’extérieur. Eberlein n’a plus personne à dénoncer quand il cède et donne des l noms de gens déjà dénoncés, voire exécutés. Des années plus tard, trop épuisé pour sup- f porter un transport, il est abattu par ses gardes. Reinhard Müller a publié côte à côte - et : c’est bouleversant - ses aveux et une lettre qu’il a fait parvenir à sa compagne, lui disant ? ce qui se passe réellement48. Remarquons tout de même que cette conspiration - la i seconde - a pour seule raison d’être de réunir des noms pour envoyer des gens à la mort.

48. R. Müller, « Der Fall des Anti-Komintem Blocks : ein vierter Moskau Schauprozesses ? », Jhk,

1996.

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UN EFFROYABLE. BILAN

■Bien des auteurs ont repris à propos du massacre des survivants de la Comintern en URSS la fameuse expression suivant laquelle « la révolution dévore ses enfants ». Cette intéressante formule n’est pas à sa place ici. En 1937, Staline n’était pas la révolution, et ceux qu’il « dévorait » n’étaient pas ses enfants mais les tristes débris de ce qui restait de ses pairs. Que le « complot » de Béla Kun et de ses camarades de travail ait été une ; affaire sérieuse ou î’un de ces « complots » d’après-boire dont il existe tant d’exemples dans la Russie stalinienne, il révélait une opposition à Staline que celui-ci ne pardonnait jamais : intention faisait crime, comme le montre le sort de Piatnitsky, exécuté pour avoir voté «contre» au CC. Nous avons, au cours de nos recherches49, démontré de façon irréfutable, nous semble-t-il, que le premier procès de Moscou résultait de la volonté de Staline d’exterminer les gens qui avaient constitué contre lui le « bloc des oppositions », ce que symbolisait la présence côte à côte dans le box des accusés de Zinoviev et d’Ivan ■Nikititch Smimov, l’homme du bloc. Au cours du plénum de juin, dans l’échange mena­ çant qui suit l’intervention de Piatnitsky, Ejov, comme Staline dans le fameux télégramme de Sotchi, qui sonna en 1936 1e glas pour Iagoda, parle des quatre années de retard du NKVD. C’est très clair : ce sont les comptes de 1932 que Staline règle en 1937. Le compte des Russes de l’exécutif de la Comintern comme celui de Béla Kun. Le compte de Toukhatchevsky comme celui de Boukharine. ;: Staline a suivi de très près ce massacre qu’il avait ordonné. Le 11 février 1937, il assure à Dimitrov : « Vous tous, dans la Comintern, vous travaillez la main dans la main avec l’ennemi. » Et Ejov d’assurer que îes plus grands espions ont fait leur nid dans la Comintem. Le 7 novembre 1937 - c’est le 20e anniversaire de la révolution -, Staline confie à Dimitrov qu’il ne faut pas aller trop vite pour faire connaître l’activité contrerévolutionnaire qui vient d’être démasquée. Il précise : « Knorine est polonais et espion allemand (depuis longtemps et jusque récemment). Piatnitsky est trotskyste. Ils le disent tous (entre autres Knorine). Kun s’est allié aux trotskystes contre le parti. Il est très vraisemblable qu’il est aussi engagé dans l’espionnage50. » La Comintern, pour lui, c’est une petite clique nuisible, une boutique (lavotchka). Avec la collaboration de la commis­ sion des cadres de la Comintem, on la liquide en lâchant les chiens d’Ejov. Et ceux-ci procèdent comme ils en ont l’habitude : menaces, coups, chantage sur la vie des proches. Leur tour viendra, couvrant les traces. D’aveux en aveux, on constitue une chaîne à laquelle on rive nouveaux suspects et nouveaux « coupables », nouvelles victimes de toute façon. C’est le système bureaucratique qui le commande, c’est lui qui donne cet aspect de démence que revêt la répression. Ce n’est pas Staline qui est dément. Lui, c’est le tyran qui défend son pouvoir. Comme il peut, quand il peut. Le « complot » des gens de la Comintem contre lui n’était qu’un des aspects du mécontentement général qui avait gagnéle parti et qui secouait maintenant en 1932 la bureaucratie et ses couches dirigeantes elles-mêmessl. Revenu à Moscou plus tard dans la même année 1932, Günter Reimann a trouvé fanées les fleurs printanières, une atmosphère sombre de pessimisme qui l’a conduit, après sa dernière visite dans les bureaux de la Comintem, à la conclusion que ses amis avaient déjà perdu leur dernière chance de se « libérer » de la bureaucratie du parti, et, du même coup, deia menace hitlérienne. Admettons que Staline et Ejov avaient raison quand ils assuraient 49. P. Broué, «Trotsky et le bloc des oppositions de 1932 », Cahiers Léon Trotsky, n° 5,1980, p. 6-37. 50. Citation par Firtsov du Journal de Dimitrov, reprise par Reinhard Müller. 51. Voir B.A. Staricov, « The Trial that was aot held », Europe Asia Smdies, 46 (1994), p. 1297-1316.

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D e L’ACTIVITÉ POLITIQUE À L’ACTIVITÉ POLICIÈRE

que leurs services de sécurité, leur police politique, avait des années, quatre ou cinq, de retard parrapport à l’activité des hommes qu’ils frappèrent en 1937. C’est possible. Comme il est également possible que les chefs du NKVD se soient contentés pendant ces années de garder un œil sur des gens suffisamment importants dans le régime pour leur inspirer quelque prudence et qui, après tout, se contentaient de grogner et de « comploter » autour d’une « tasse de thé » - et que Staline leur ait imputé cette prudence à crime. Il reste à savoir pourquoi il a frappé aussi fort des hommes qui ne semblaient pas en mesure de le menacer désormais sérieusement. Nous avons personnellement entendu en privé un élément d’une explication possible dans la bouche d’un ancien du NKVD, long­ temps interprète de Staline, Valentin Berejkov, dans le cours d’un colloque àThionville. Il arrivait, selon lui, à Staline de se laisser aller à des confidences. Il lui aurait dit un jourmais Berejkov ne le répète pas dans ses Mémoires - qu’il avait beaucoup appris d’Hitler. En particulier, ce dernier lui avait montré la seule façon efficace de régler le compte d’une opposition et des opposants, en lui donnant l’exemple, évidemment frappant, de la Nuit des longs couteaux et du massacre d’Emst Rohm et des chefs des SA qui « complotaient » contre lui. Pour les hommes et les femmes de la Comintern en Union soviétique, îes années 1937 et 1938, grâce à Staline et en partie donc grâce à Hitler, furent en effet une longue, très longue « nuit des longs couteaux ». On a découvert récemment que bien des dossiers avaient été préparés au NKVD contre des responsables de îa Comintem, en prévision d’un éventuel procès dont îe scénario fut remanié au moins trois fois : Dimitrov lui-même, mais aussi Manouilsky, Walter (Tito), Togliatti, Jacques Duclos, Harry Pollitt, Smeral, Zapotocky, Pieck et Ulbricht, Mao Zedong, Zhu De, Zhou Enlai, Liu Shaoqi. Il ne sembîe pas exclu qu’on ait sérieusement préparé pour Staline les moyens de liquider rapidement, en quelque sorte à volonté, tous les dirigeants et le personnel de la Comintem. Mais que restait-il, pendant et après cette tragédie, de l’ambitieuse Internationale com­ muniste fondée en 1919 pour conduire à la victoire îa révolution prolétarienne mondiale ? La question se posait déjà après îe V IIecongrès. Pas seulement à 1!historien : nous avons vu qu’Igor Piatnitsky y fait allusion dans ses notes aux souvenirs poignants de sa mère. Elle s’impose. C’est en effet l’histoire d’un service policier soviétique couvert des défro­ ques d’un cadavre - la Comintem - auquel il a dérobé ses papiers d’identité que nous retraçons maintenant, avec îe désagréable sentiment d’avoir changé de sujet, en quelque sorte déraillé en cours de route. Et c’est pourtant à ce moment-îà que des jeunes femmes et des jeunes hommes, en France, en Espagne, aux États-Unis, entrent en communisme avec une foi aveugle, à l’époque du Front populaire. Ce chapitre était terminé quand nous avons pris connaissance de deux articles impor­ tants, i’un de Boris Starkov, l’autre de Reinhard Müller. C’est le grand mérite de Boris Starkov d’avoir décelé îes lignes qui, au milieu d’une masse d’arrestations, vont vers un procès des gens de la Comintem. Reinhard Müller lui aussi a eu îe privilège d’accéder à certains documents des archives du KGB. On ne peut cependant que regretter plus encore que, même avec des guillemets, il contribue à entretenir îa confusion en titrant sur îe « bîoc anti-Comintem », c’est-à-dire le vocable par lequel Staline avait décidé de désigner ces victimes. Car, en vérité, s’il y a une opération anti-Comintern, elle est le fait de Staline. Le seul bloc anti-Comintem de l’époque est celui qui va d’Hitler à Franco en passant par Mussolini et Rooseveît, c’est-à-dire îes gouvernements, îes moyens d’information, la presse et la radio qui ont aidé Staline à accréditer sa thèse et à discréditer ses adversaires - un phénomène sans doute unique dans l’histoire mondiale puisqu’ils l’ont tous appuyé dans cette besogne tout en jurant qu’iî était leur ennemi. Finalement, parti pris - mais alors pourquoi diable ? - ou ignorance, aucun de ces deux auteurs ne semble accepter de seule­ ment tenir compte de l’existence de ce bîoc des opppositions russes, que nous avons

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découvert et expliqué voilà plus de quinze ans. Sa conclusion en 1932 donne évidemment à cette affaire une tout autre dimension. Tant qu’ils ne consentiront pas à admettre une découverte qui n’est pas leur fait, ces auteurs et d’autres seront condamnés à exprimer une vision partielle ou partiale des développements et des faits.

CHAPITRE XXXIII

Étrange interlude

Le pacte de non-agression germano-soviétique fut l’un des événements capitaux de l’histoire européenne dans la première moitié du siècle. Il a été 1*occasion de beaucoup de polémiques, pas toujours sérieuses du point de vue historique, parce que avant tout inspirées par la volonté d’identifier nazisme et communisme, conformément à cette pensée unique qui est aujourd’hui en train de tenter d’investir îe domaine des historiens. Une

s u r p r is e q u i s ’é c l a ir e

Ce pacte ne fut pas vraiment une surprise pour les spécialistes et îes politiques sérieux. Mais il en fut une pour îes opinions publiques du monde entier, celles des « démocraties » comme celles des « dictatures », qui n’y avaient pas été préparées. Il fut l’un des coups qui annonçaient la guerre. Il fut celui du tonnerre annonçant « l’orage » dont parla Gabriel Péri dans une brochure clandestine, une épouvantable tempête en tout cas pour tous les membres et sympathisants des organisations de la Comintern à travers le monde. Il ne s’agit donc pas pour nous ici de nous concentrer sur les réactions qu’il y provoqua, base et sommet, partis et exécutif. La question a été singulièrement éclaircie récemment non seulement par îa publication de documents des archives de Moscou, notamment par l’équipe de chercheurs français autour de Communisme, mais aussi et surtout par ies chercheurs bulgares et russes exploitant îes fonds emportés par Dimitrov lors de son retour au pays et déposés dans les archives du PC bulgare à Sofia. Il en est sorti une vue assez nouvelle et en tout cas infiniment plus précise que la conception traditionnelle, celle que résume à grands traits Firtsov \ comme l’apport très neuf de Dimitar Sirkov dans sa récente étude sur îa politique de la Comintern à îa veille et au début de la Seconde Guerre mondiale2.

1. Voir essentiellement F.I. Firtsov, « Staün i Kommounistitcheskii International », Istoriia i stalinizm, p-131-199. 2. D. Sirkov, « On the Poücy of the Communist International on the Eve and at the Beginning of World War II »t Jahrbuch fiir historische Kammunimusforschimg (JkK), 1995, p. 52-62.

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Le pacte g erm ano -ru sse

Au lendemain de l’accord de Munich, qui annonçait le dépècement de la Tchécoslo­ vaquie, Manouilsky, l’un des « grands » de la Comintern, se laissait aller auprès du jeune Autrichien Emst Fischer, venu à Moscou sous le nom de Peter Wieden, jeune et brillante recrue issue des Jeunesses socialistes autrichiennes, en lui expliquant : La classe ouvrière allemande ne s’est pas soulevée contre Hitler. Les Schutzbündler autrichiens se sont battus en 1934, mais en 1938 l’Autriche a capitulé sans combat. Et c’est sans combat que la Tchécoslovaquie vient de capituler. La guerre d’Espagne touche à sa fin. Le Front populaire commence à s’effondrer, L ’Union soviétique va se trouver seule, devra mener seule la guerre contre Hitler qu’appuient tous les gouvernements d’Europe, une guerre désespérée, une gueite qui dépasse l’imagination3.

H y a du vrai dans ce tissu de mensonges, même si les larmes de Manouilsky, homme fort intelligent, rappellent celles des camarades crocodiles. Car il savait très bien, quant àlui, pourquoi les ouvriers allemands n’avaient pas pu se soulever contre Hitler et pourquoi la guerre d’Espagne touchait à sa fin dans les conditions que l’on sait. Mais beaucoup d'hommes et de femmes ressentirent les choses ainsi et ce discours leur fit accepter la gorge serrée et la rage au cœur le traité entre Hitler et Staline. Bien que de nombreux auteurs fassent le silence sur cet épisode, on sait que Trotsky, au moment du discours prononcé par Staline le 10 mars 1939 devant le Xe congrès du parti russe, avait démontré sans contestation possible que le dirigeant soviétique venait d’ouvrir la voie à la possibilité d’une alliance de l’URSS avec l’Allemagne hitlérienne4. Il y avait en effet mis en garde « les fauteurs de guerre » qui ont l’habitude que d’autres tirent pour eux les marrons du feu, un avertissement clairement destiné à la GrandeBretagne et à la France. La presse mondiale, en tout cas, n’y accorda alors aucune attention, et il est donc tout à fait normal que, malgré cet avertissement et sa confirmation par Molotov, les peuples du monde aient été surpris, parfois littéralement choqués, à la nouvelle de la signature du pacte. Dimitar Sirkov, lui, s’est posé la question de savoir quel était l’état de cette question du côté des dirigeants de la Comintem. Il relève d’abord que la moisson est maigre en ce qui concerne le Journal de Dimitrov, qui ne semble pas avoir relevé d’indication spéciale en dehors de l’affirmation de Molotov, le 28 mai, que l’URSS poursuivrait sa ligne de souveraineté même si elle signait un accord avec les Occidentaux. Mais il relève aussi que plusieurs quotidiens communistes du 22 août laissent entendre qu’un tel accord est possible. Étaient-ils informés d’avance ? On a seulement la certitude que Klement Gottwald, lui, l’était depuis la veille, comme l’a montré une conversation qu’il eut avec Ernst Fischer. Co up d e t o n n er r e

C’est probablement en fin d’après-midi ou en soirée, le 22 août, que le secrétariat de l’exécutif s’est réuni avec à l’ordre du jour un seul point, la question de « la campagne antisoviétique concernant les négociations entre l’URSS et l’Allemagne ». Étaient présents Dimitrov, Gottwald, Kuusinen, Manouilsky, Marty et Florin. Une résolution en sept points y fut adoptée. Elle accusait les Franco-Britanniques de freiner les négociations et de retarder un accord, et exprimait le souhait que ce pacte oblige les Occidentaux à passer 3. E. Fischer, Le Grand Rêve socialiste, p. 383. 4. Dans Trotsky, Œuvres, t. XX, on trouve sur ce thème, à îa date du 6 mars 1939, l’article « Hitler et Staline », p. 205-209, et à la date du II, après le discours, « La capitulation de Staline », p. 251-255.

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De L’ACTIVITÉ POLITIQUE À L’ACTIVITÉ POLICIÈRE

à la conclusion d’un traité avec les Soviétiques. Le texte se terminait par un appel enflammé à renforcer la lutte contre les agresseurs, particulièrement le nazisme allemand. C’est ce que disait la presse communiste d’Europe les 23 et 24 août 1939. On sait que le ministre allemand des Affaires étangères, Joachim von Ribbentrop, arriva à Moscou le 23, que la nouvelle fut immédiatement diffusée et l’accord signé îe 24 août. La plupart des commentaires des partis communistes européens insistent sur le fait qu’iî s’agit de la part « des fascistes » d’un signe de faiblesse, et que le traité îeur porte un coup très rude. Les PC s’en tenaient donc encore à leur antifascisme de la période précédente. Ils allaient être forcés d’en changer par l’action conjuguée des gouvernements occidentaux et des dirigeants soviétiques. La première réaction de la majorité des partis avait été de saluer un « pacte de paix ». Pour eux, le geste s’insérait dans la politique antifasciste. Pierre-Laurent Damar, dans VHumanité, continuait à « appeler la Nation française contre l’agresseur hitlérien », et Louis Aragon, dans Ce Soir, titrait : « Tous contre l’agresseur ! » Devant le groupe parlementaire, le 25 août, Maurice Thorez affir­ mait : « En agissant ainsi, l’URSS a mis en échec îe plan de Munich. Mais si Hitler, malgré tout, déclenche la gueire, alors qu’il sache bien qu’il trouvera devant lui le peuple de France uni, les communistes au premier rang, pour défendre la sécurité du pays, la liberté et l’indépendance des peuples5. » En fait, les choses n’allaient pas toutes seules. C’est sans doute vers le 20 septembre que Raymond Guyot arriva de Moscou. Membre de l’exécutif de la Comintern, secrétaire du « département spécial » du W EB, le secrétaire de la KIM est à îa fois un grand personnage et un haut fonctionnaire zélé. De même qu’iî avait été employé à corriger « erreurs » et « faiblesses » de Marty face à la révolution espagnole en 1936, il Ta pro­ bablement été ici aussi à redresser, malgré ses démentis ultérieurs6, c’est-à-dire à contrain­ dre îe PCF à renoncer à poursuivre sur la ligne antifasciste. En dernière analyse, pourtant, c’est tout bêtement le gouvernement Daladier qui, en déclenchant la répression, allait trancher dans le sens de l’alignement du PCF sur Moscou. L ’Humanité était suspendue le 26 août. Le 1er septembre, la Wehrmacht envahissait la Pologne. Le 3, la France et la Grande-Bretagne déclaraient la guerre à l’Allemagne. Bientôt îe PC franchissait le Rubicon avec îa décision de Maurice Thorez de déserter pour « reprendre son poste à la tête du parti » ~ directive pressante de la Comintern -, c’est-à-dire qu’iî passa en Belgique et y prit un avion pour Copenhague avec correspondance pour Moscou, puis s’installa dans une datcha de Kountsevo sous îe nom d’Ivanov. À BAS LA GUERRE IM PÉRIALISTE !

On pouvait à bon droit s’inquiéter de ce qu’allaient être les réactions dans les partis communistes à cette alliance avec le démon. André Marty, qui était à Moscou, essaya d’en parler à Staline et se fit envoyer sur les roses : Staline ne s’occupait pas de ces contingences-là, c’était très précisément à des gens comme André Marty de faire en sorte que le PCF ne plie pas. Dans l’ensemble, les PC tinrent bon. Le CPGB déclarait le 1er septembre qu’il voulait la lutte contre Hitler, mais exigerait pour cela le départ de Chamberlain. Le secrétariat de îa Comintern, le même jour, avait donné son approbation pour cette position au secrétaire du parti britannique Harry Pollitt. Toujours îe 1er sep­ tembre, il télégraphia à Maurice Thorez que îe PCF ne devait en aucun cas soutenir inconditionnellement le gouvernement Daladier-Bonnet car il fallait, pour mener îa lutte 5. L'Humanité, 26 août 1937, Ce numéro fut saisi. 6. Cf. son interview aux Cahiers d’histoire de l'Institut Maurice Thorez, n° 5, oct-nov. 1973, p. 68-69. Mais des notes de Thorez publiées ultérieurement dans la même revue parlent de claires instructions apportées par lui.

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contre Hitler, un gouvernement qui n’ait pas les mains tachées par la répression anti­ ouvrière. Le secrétariat de la Comintern chargea alors une commission formée de Dimi­ trov, Manouilsky et Kuusinen de rédiger un texte faisant le point de la situation et des tâches des partis. Pendant qu’elle était au travail, le 7 septembre, Dimitrov fut convoqué et reçu par Staline, flanqué de Molotov et Jdanov. Dimitar Sirkov donne dans son étude un résumé de l’intervention de Staline fait d’après les notes de Dimitrov conservées dans ses papiers ; La guerre était entre deux groupes de pays capitalistes pour un nouveau partage du monde, pour la domination mondiale. Nous n’avons rien contre ça, qu’ils se battent entre eux et s’épuisent mutuellement. Nous avons le champ pour manœuvrer, en appuyer un pour qu’ils se battent plus fort. Le pacte germano-soviétique, dans une certaine mesure, était profitable pour le moment à l’Allemagne ; à la dernière minute, on pourrait pousser les autres... Aujourd’hui la Pologne est un État fasciste qui opprime les Ukrainiens, les Biélorusses et autres. Sa destruction dans les conditions actuelles, ce serait un État fasciste de moins. Qu’est-ce qui n’irait pas si, en résultat de la défaite de la Pologne, nous étendions le système socialiste à d’autres territoires et popula­ tions ? Pour la tactique politique de l’Internationale communiste et des partis, ce qui importe, : c’est ce qui suit. Avant la guerre, il étaitjuste d’opposer les régimes démocratiques et le fascisme, mais après que la guerre a éclaté, ce n’est plus correct. La division des Etats capitalistes entre démocratiques et fascistes a perdu sa signification antérieure. Le front populaire uni a été fondé pour améliorer la situation des esclaves sous 1e régime capitaliste, tandis que, dans les conditions de la guerre, c’est l’abolition de l’esclavage qui est en question. Soutenir le front populaire, l’unité de îa nation, aujourd’hui, c’est retomber sur des positions bourgeoises. II faut suspendre ce mot d’ordre sur le front7.

Ce que Staline dictait là, ce n’était ni ia politique exprimée par son gouvernement depuis îe 24 août, ni celle qu’avait mise en avant la Comintem dans les derniers jours, ni ceîîe des partis français, britannique et autres. La politique antifasciste était bel et bien passée à îa poubelle. Zélés, les gens de ia Comintem traduisirent aussitôt îe nouveau tournant en directives datées du 8 septembre : les partis communistes devaient se déclarer contre îa guerre, dénoncer son caractère impérialiste, voter contre les crédits de guerre et lancer une politique résolue contre îa politique de trahison de la sociaî-démocratie. Dans les jours qui suivent, îa commission travaille toujours sur des thèses qui, finale* ment, ne verront pas le jour. Sa tâche n’est pas facile, et il lui faut sans doute souvent reprendre ce qui vient d’être écrit et ne peut plus l’être. Particulièrement difficile à expliquer est î’entrée en Pologne de î’Armée rouge, le 17 septembre, en vertu de protocoles secrets dont les commissaires ignorent totalement î’existence mais qui commandent ia leur ! Le récit de Dimitrov ne fait pas grâce des grossièretés de Jdanov, qui, de la datcha de Staline, lui répondit aimablement et en bon courtisan que, depuis le temps qu'il écrivait ces thèses, Staline, lui, aurait écrit un livre. La tension recommença à propos d’un article qui avait été demandé à Dimitrov sur îa situation et les tâches. Il demandait vainement l’opinion de Staline, ne recevait pas de réponse, appelait au téléphone, se faisait raccrocher au nez et finalement convoquer pour « discuter » avec Staline et Jdanov. Les notes de Dimitrov montrent un Staline qui lui reproche d’être « trop précipité », de lancer en même temps des mots d’ordre qui devront être échelonnés. Relevons cette phrase : « Placer maintenant ia question de la paix sur la base de l’élimination du capital, cela signifie aider Chamberlain, les fauteurs de guerre, nous isoler nous-mêmes des masses8. » Staline supprime du projet toutes les allusions au défaitisme révolutionnaire. Il prend soin de 7. D. Sirkov, loc. cit., p. 58. 8. Ibidem, p. 60.

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recommander, dans ce nouveau contexte de guerre, de ne pas imiter l’attitude des bol­ cheviks au cours de la Première Guerre mondiale : « Nous étions trop pressés. Nous avons commis des erreurs9. » L ’article, préparé par Dimitrov mais corrigé de la main de Staline, va finalement paraître dans la presse communiste en Russie et dans quelques autres pays sous le titre « La guerre et la classe ouvrière des pays capitalistes ». Le feu vert pour son impression est donné le 31 octobre, ü commence par le coup de chapeau rituel à l’action de Lénine pendant la Première Guerre mondiale et au génie de Staline, qui a su prévoir la Seconde. Il écrit sur la nature de la guerre : Aujourd'hui, comme en 1914, c’est îa bourgeoisie impérialiste qui fait la guerre. Elle est la continuation directe de la lutte entre puissances impérialistes pour une nouvelle répartition de la terre, pour la domination du monde. Seuls des aveugles peuvent ne pas voir, et seuls de parfaits charlatans et menteurs peuvent nier que, dans la guerre actuelle entre la Grande-Bretagne et la France d’un côté, r Allemagne de l’autre, on se bat pour les colonies, les matières premières, la domination sur les routes maritimes, la soumission et l’exploitation des peuples [...]• Le heurt des' armes entre États belligérants se fait pour l’hégémonie en Europe, les possessions coloniales en Afrique et autres parties du globe, pour le pétrole, le charbon, le fer, le cuivre, et pas du tout pour la défense de la « démocratie », de la « liberté » du « droit international » et la garantie de l’indépendance des petites nations et peuples, comme le disent la presse bourgeoise et îes socialdémocrates qui trompent la classe ouvrière10.

Il explique ensuite que c’est l’existence même de l’Union soviétique qui a bouleversé îes données de la politique. La politique de Munich cherchait à tourner l’Allemagne hitlérienne vers l’est, à ia lancer contre Î’URSS. Mais celle-ci est une force « gigantesque » du fait de « la construction d’une société socialiste et par sa sage politique stalinienne de paix ». Aussi l’Allemagne ne s’est-elle pas, au moment décisif, résolue à être la troupe de choc contre l’URSS, et ses dirigeants « ont choisi la voie de relations pacifiques avec la Russie soviétique ». Puis l’article en vient à la Pologne, « prison des peuples, régime de réaction et de terreur, d’oppression et de pillage ». Face à elle, « l’Union soviétique a pris les mesures résolues pour assurer la paix dans toute l’Europe occidentale » : En faisant entrer l’Armée rouge dans Îa république d’Ukraine occidentale et la Biélorussie occidentale, le peuple soviétique a aidé ses frères qui gémissaient sous le joug de la noblesse polonaise, a arraché 13 millions d’êtres humains au massacre sanglant, les a affranchis de l’escla­ vage capitaliste, a ouvert devant eux la voie vers une vie heureuse en leur assurant la liberté de développement national et culturel11.

n entreprend ensuite de réfuter la propagande des capitalistes occidentaux selon laquelle leur guerre serait une gueire antifasciste, de la démocratie contre îe fascisme pour îa liberté des peuples. Après avoir souligné îa répression en France contre les communistes, îes syndicalistes et les travailleurs en général, iî poursuit : « Le prolétariat, les travailleurs, n’ont rien à défendre dans cette guerre. Ce n’est pas îeur guerre, c’est celle de leurs exploiteurs. Elle leur apporte la souffrance, les privations, la ruine et la mort. En soutenant une telle guerre, ils défendraient simplement les intérêts de leurs esclavagistes et oppres­ seurs, soutiendraient l’esclavage capitaliste n. » La conclusion est que les communistes 9. D. Sirkov, loc. cit. p. 60. 10. G. Dimitrov « La guerre et la classe ouvrière des pays capitalistes », cité dans World News and Views, reproduit dans Degras, The Communist International Documents, III, p. 449. 11. Ibidem, p. 453. 12. Degras, op. cit., p. 454.

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doivent combattre la guerre de toutes leurs forces, « agir comme le leur a enseigné Lénine, comme le leur apprend maintenant le grand dirigeant avisé du peuple travailleur, Staline » : Les impérialistes des pays belligérants ont commencé ia guerre pour un nouveau partage du monde, pour l’hégémonie mondiale, vouant à la mort des millions d’hommes. La classe ouvrière doit mettre un terme à la guerre à sa manière, dans son intérêt à elle, dans l’intérêt de toute l’humanité laborieuse, et détruire une fois pour toutes les causes fondamentales qui donnent naissance à des guerres impérialistes13. Peut-être est-iî de quelque utilité de citer ici un autre message du comité exécutif de la Comintem adressé à Staline en novembre à l’occasion de son soixantième anniversaire, un peu après le début de la guerre contre la Finlande : « Au chef, maître et ami des travailleurs du monde. A vous, camarade Staline, grand dirigeant, enseignant sagace et ami suprêmement aimé des travailleurs du monde entier14. » Un monument d’adulation ; englobant une révision de l’histoire en confiserie, était-ce vraiment tout ce que la Comin­ tem avait à dire? Î; '■L a

r ésist a n c e d e

H a r r y P o llit t

Il y a eu, disent certains, au moins un cas de « résistance » à l’adoption du tournant de la Comintern, bien que nombre d’historiens mettent avec un peu de parti pris des guillemets à ce mot quand ils sont amenés à l’utiliser à propos de l’attitude de Harry Pollitt en 1939. Ce n’est pas un enfant de chœur. Cet ancien ouvrier a été l’infatigable organisateur du NMM, puis l’un des principaux dirigeants du CPGB, stalinien convaincu, certes, mais aussi tête dure. Iî est combatif, pugnace, charmeur, plein d’un réel humour, organisateur capable et orateur passionné. Ce sont les Russes qui l’ont porté au secrétariat générai quand ils ont obligé le parti à remplacer l’ancienne direction. On l’a soupçonné d’un complot contre la candidature de Dimitrov lors du V IIe congrès. Il a été un bon secrétaire général de la « troisième période », mais aussi un adepte convaincu de la ligne antifasciste après 1935. C’est îui qui fait publier par le Daily Worker, le 2 septembre 1939, îe manifeste du parti sur îa guerre, où ce dernier se déclare « prêt à participer à toute lutte, politique ou militaire, pour assurer la défaite du fascisme ». Il le publie à nouveau dans la brochure How to win the War (Comment gagner la guerre), le 14 septembre, où il déclare notamment - le décalage est déjà important avec Moscou : Le Parti communiste soutient la gueiTe, parce qu’il pense que c’est une guerrejuste qui devrait avoir le soutien de toute la classe ouvrière et de tous les amis de la démocratie. II est vrai que îe gouvernement polonais était réactionnaire dans son attitude vis-à-vis du mouvement ouvrier polonais, mais c’est le peuple de Pologne qui nous intéresse au premier chef. Si on laissait Hitler imposer sa domination à la Pologne, le peuple serait forcé d’accepter des conditions infiniment pires que tout ce qu’il ajusqu’à présent souffert. Le Parti nazi et 1aGestapo mettront hors la loi 1e moindre atome d’organisation ouvrière, des dizaines de milliers seront massacrés, envoyés en camp de concentration, des centaines de milliers seront exilés comme travailleurs forcés en Allemagne, des impôts écrasants seront levés pour renforcer la machine de guerre allemande et sa prochaine agression15. Mais la brochure n’était pas encore entre toutes ies mains communistes que l’entrée des troupes soviétiques en Pologne îe 17 septembre démontrait que le CPGB n’était absolument pas sur la ligne de Moscou. Le débat commençait. Le bureau politique était 13. Degras, op. cit., p. 459. 14. Ibidem, p. 460. 15. How to win the War.

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divisé, avec, d’un côté, Campbell et Pollitt, partisans du maintien de la « ligne » de « lutte sur deux fronts », et, de l’autre, Rust et Palme Dutt, qui, eux, exigeaient la condamnation de la guerre impérialiste. Incapable de trancher, le bureau politique en appela au comité central, dont les débats, fréquemment interrompus - la plupart de ses membres n’étaient pas des permanents et travaillaient -, durèrent presque une semaine. La majorité était près de se prononcer pour le maintien de la ligne de soutien à la guerre contre le fascisme quand, le 23 ou 24 septembre, arriva à Londres, venant de Moscou, l’ancien dirigeant des JC David Springhall, qui, comme sans doute Raymond Guyot en France au même moment, venait faire connaître aux communistes égarés le message de Dimitrov assurant qu’il s’agissait d’une guerre impérialiste. Le parti britannique ne se rendit pas à la première sommation. Pollitt et Campbell continuaient à se battre. Ils avaient rallié autour d’eux les personnalités les plus indépendantes de la direction, le vétéran Tom Mann, le dirigeant mineur Arthur Horner. La déclaration russo-allemande du 29 septembre en faveur de la paix assura leur défaite. Dès le 30 septembre, un éditorial du Daily Worker parlait de « situation entièrement nouvelle » et qualifiait de « pure folie » la poursuite de la guerre. Au comité central, l’affaire fut menée par Palme Dutt, qui, tout en clouant au pilori des « déserteurs » et des « traîtres » qu’il ne nommait pas, présenta une résolution selon laquelle la lutte du peuple britannique contre Chamberlain et Churchill était la plus grande aide à celle du peuple allemand contre Hitler. Elle ne disait pas noir sur blanc que îa guerre était « impérialiste », mais une déclaration publiée le 12octobre dans îe Daily Worker reconnut que les premières prises de position du parti avaient été erronées, que les responsabilités britanniques, françaises et polonaises dans le déclenchement de îa gueiTe étaient les mêmes que celîes du « fascisme allemand ». Campbell est véhément et incisif ; iî s’en prend à la Pravda, selon laquelle l’Allemagne veut désormais la paix : « II n’y a pas un iota de preuve que cette puissance, exaltée par cette victoire facile et bon marché, du butin plein les mains, avec des ressources industrielles nouvelles pour faire la guerre, peut être considérée comme ayant abandonné ses buts d’agression et est devenue l’objet des déprédations des impérialismes français, britannique et sans doute polonais1(S. » Pollitt ne recule pas non plus : « En politique, iî n’y a ni amitié ni loyauté, et, dans îes luttes politiques, il est absolument essentiel d’aller jusqu’au bout. Personne, dans le CC, n’a nourri d’illusions quand le camarade Dutt a fait référence au “déserteur” ce matin, ou à “celui qui doit porter la marque d’une honte politique étemelle” i7. » Ses camarades du CC saisissent-ils toute la profondeur de son ironie quand, critiquant la perspective révolutionnaire qui resurgit, il assure : « Je suis certain que Staline n’ajamais eu l’idée que la ligne de l’Union soviétique a affaibli le fascisme au point que la révolution soit à l’ordre du jourî8» ? Il termine en disant qu’iî s’agit de l’honneur du parti que d’être pour îa défaite du fascisme. Il n’admettra pas ~ et il menace ouvertement Palme Dutt - d’être traité de « déserteur». Pollitt, Campbell et Gaîîacher votent contre îa résolution finale. Moscou l’avait « sug­ géré », il fut décidé à Londres de sanctionner îa gravité de leur erreur en les relevant de leurs responsabilités dans îa direction centraîe. Le premier fut affecté à une responsabilité en Galles du Sud et îe deuxième en Écosse. Le 19 novembre, l’un et l’autre allaient prononcer leur autocritique devant le comité central. Campbell déclara : Après avoir sérieusement examiné la situation depuis la dernière réunion du comité central, \6.About Tum, p. 104. 17. Ibidem, p. 197. 18.Ibidem, p. 205.

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j ’accepte maintenant complètement le fait que le manifeste du 2 septembre donnait une évaluation entièrement fausse de la situation et désorientait le parti quant au caractère de ses tâches dans la guerre. Je déclare soutenir la résolution du comité central et ie manifeste sur la paix et ie caractère de îa guerre publié après la dernière réunion du comité central. Je suis en complet accord avec l’article du camarade Dimitrov publié dans le Daily Worker du 4 novembre. En ce qui concerne les fautes que j ’ai commises, les fautes centrales, à mon avis, étaient les suivantes : 1. La politique de la lutte sur deux fronts, qui aurait été une politique juste (en paix ou en guerre) vis-à-vis d’un gouvernement impérialiste allié à l’Union soviétique, était étendue à une guerre entre deux gouvernements impérialistes. 2. Elle a été étendue parce que je restreignais îa perspective, de sorte que je me concentrais sur le fascisme allemand comme ennemi principal de la classe ouvrière britannique et ne voyais pas que îa marche en avant pour les travailleurs, aussi bien britanniques qu’allemands, résidait dans la lutte contre l’ennemi principal, c’est-à-dire leur propre impérialisme. J ’ai ainsi glissé sur une position de défensenationale dans uneguerre impérialiste, impliquant objectivement le soutien de notre propre impérialisme. Mon attitude à l’égard des propositions de paix découlait de cette perspective erronée. Incontestablement ma défense obstinée de cette position erronée a nui au parti quand il a été obligé de faire un tournant aigu dans une situation très difficile, etje dois accepter la responsabilité d’avoir résisté à ce qui s’est révélé être la ligne juste19.

De son côté, Hariy Pollitt disait : En tant que dirigeant responsable de notre parti dans la période précédant immédiatement le début de l’actuelle guerre impérialiste, il était de mon devoir particulier d’accorder une attention plus qu’habituelle aux problèmes qui se présentaient à nous avec l’échec des négociations anglosoviétiques et la conclusion subséquente du pacte de non-agression soviéto-allemand. C’était devenu plus que nécessaire quand commencèrent à se produire les événements de la fin d’août et que l’impérialisme britannique commença à prendre une attitude plus agressive contre l’Alle­ magne, qui était en contraste marqué avec tout ce qui avait caractérisé sa politique depuis l’arrivée d’Hitler au pouvoir en 1933. Les principales raisons pour lesquelles je n’ai pas saisi rapidement et résolument les questions nouvelles de politique que nous posait la nouvelle situation avaient un triple caractère. L Mes doutes sur notre politique traditionnelle dans une guerre impérialiste dans laquelle l’une des puissances belligérantes était le fascisme allemand. 2. Ma haine du fascisme s’était développée à travers les cinq années de propagande antifasciste intense, ce qui m’a conduit à une situation où je n’ai pas pu voir à temps le rôle véritable de l’impérialisme britannique et ne voyais que le fascisme allemand comme ennemi principal du mouvement ouvrier britannique. 3. L ’influence de la gueite fasciste d’invasion contre l’Espagne républicaine a aussi affecté ma vision, à cause des forts sentiment personnels soulevés par ce que j’avais vu en Espagne et îa responsabilité que je ressentais par rapport au sacrifice du bataillon britannique de la Brigade internationale. Après un examen extrêmement sérieux de l’ensemble de la situation, j ’accepte sans réserve la politique du Parti communiste et de l’Internationale communiste et m’engage à îa soutenir en l’expliquant, en îa popularisant, en contribuant à l’appliquer jusqu’à îa victoire. Je reconnais que le fait que j ’ai résisté à appliquer îa ligne du parti et de l’Internationale communiste a constitué une infraction inadmissible à la discipline de notre parti et faisait le jeu de l’ennemi de classe, et particulièrement des dirigeants réactionnaires du Labour qui voyaient dans mon attitude ia justi­ fication de leur propre politique de soutien du gouvernement Chamberlain. Je demande au comité Î9. C. Black, Stalinism in Britain, reproduit en annexe, p. 398-399.

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central d’accepter cette déclaration et de me donner la possibilité de prouver dans les faits que ■ je sais comment prendre ma place au premier rang de notre parti dans le combat pour gagner les ' masses au soutien de la politique du Parti communiste de Grande-Bretagne et de l’Internationale communiste20.

La capitulation de Pollitt était indiscutablement une victoire des dirigeants de la Comin-... tem. Peut-on ajouter qu’elle ne pouvait plus guère avoir de plus grand succès, et que celui-là était à la hauteur de ce qu’eile-même était devenue ? Un détail supplémentaire, tout de même, pour terminer cette histoire de famille cominterno-britannique. David t Springhall, l’envoyé de Moscou, devint secrétaire à l’organisation du CPGB. Cet agent ■ (ou futur agent) des services soviétiques - du GRU> apparemment - était bien entendu le ■ plus sûr à ce poste. Il se fît pincer sottement dans une affaire d’espionnage ordinaire et ; fut condamné en 1943 à sept ans de prison. Pollitt, remis en selle à l’époque, se fit un plaisir de l’exclure du parti. Les historiens du CPGB s’accordent pour dire que ce dernier : a beaucoup souffert de la guerre de Finlande, qui fut ressentie comme une agression ■>, brutale contre un petit peuple. Le Daily Worker, lui, assurait, ’e 3janvier 1940 : « Derrière l’Armée rouge, la vie commence pour le peuple finlandais. » Le parti perdit la majorité de ses sympathisants et quelques cadres, comme Tom |; Wintringham, des anciens d’Espagne particulièrement liés à la politique antifasciste, et nombre de militants - la moitié de ses 5 000 membres à Londres. L ’originalité de cette .■ > crise fut l’initiative prise par Tom Wintrigham, avec d’autres anciens d’Espagne, de créer une école militaire spéciale à Osterley pour donner aux membres de la Home Guard la formation militaire nécessaire : ce fut l’unique début de réalisation de la « politique militaire prolétarienne » préconisée alors par Trotsky, mais l’initiative ne plaisait guère aux conservateurs britanniques, même va-t-en-guerre, et il y fut rapidement mis fin. Le Daily Worker fut interdit en janvier pendant plusieurs mois. Dans l’ensemble, le ton des écrits communistes rejoignait et parfois dépassait celui des pires moments de îa « troisième période ». Par exemple, il était reproché à Winston Churchill, après le 18 juin 1940, de s’être allié au « superfasciste français » de Gaulle. La campagne contre la guerre culmina en janvier 1941 avec une « Convention du peuple » réunie à Londres avec 2 000 délégués. Le CPGB se prépara à partir de cette date à passer dans l’illégalité, mais modéra également le ton de ses attaques afin d’éviter de provoquer ia répression. Il s’était jusque-là parti­ culièrement acharné contre Winston Churchill, dont l’alliance avec Attlee promettait au pays, selon lui, misère et catastrophe finale. L e s COMMUNISTES ET LA GUERRE EN INDE

Les historiens du communisme et ies commentateurs amateurs, qui ne manquent pas, j ne saisissent pas le caractère spécifique du moment dans les pays coloniaux. Comment les colonisés des empires britannique et français auraient-ils des difficultés à admettre la nature impérialiste de îa puissance à laquelle ils sont soumis, donc de ia guerre qu’elle mène ? Avant 1939, même le Parti du Congrès de Gandhi et Nehru pensaient qu’une guerre entre la Grande-Bretagne et F Allemagne ne pouvait être qu’une guerre impérialiste à laquelle « l’Inde, opposée à l’impérialisme et au fascisme », ne saurait participer. Pour­ tant, au lendemain de la déclaration de guerre, le Parti du Congrès fait une ouverture, demandant au gouvernement britannique une déclaration d’intention pour l’indépendance de l’Inde et les concessions possibles tout de suite. Mais Winston Churchill reste intran­ sigeant. En revanche, le Parti socialiste du Congrès et le Bloc de Subhas Chandra Bose 20. C. Black, op. cit., p. 399-400.

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sont dès le début opposés à toute entrée en guerre de l’Inde, eî dénoncent le Parti du Congrès, que le CPI soutient. Ils attendent de lui une action déterminée contre l’impé­ rialisme britannique. La riposte du gouvernement de Winston Churchill est brutale. En mars 1940, il fait arrêter sans crier gare plusieurs centaines de communistes et de membres des autres organisations de gauche, Parti du Congrès et Bloc de Subhas Chandra Bose, ainsi que des syndicats ouvriers et des organisations paysannes ; la Grande-Bretagne ne fait pas la guerre pour libérer ses propres colonies ! Le CPI, lui, ne veut pas la révolution, mais l’union nationale et même antifasciste avec la puissance coloniale. L es Y a n k ees

e t l e pa c te

La lecture du Daily Worker dans les jours suivant le pacte rappelle VHumanité : même élan guerrier antifasciste, même fermeté démocratique. On y félicite Maurice Thorez, parti aux armées à la réception de son ordre de mobilisation, qui « offre ainsi sa vie pour la sécurité nationale de îa France». Mais ia roue tourne, et îe Daily Worker aussi. Le 12 septembre, Earl Browder y parle de « guerre impérialiste ». Le 15, il reproduit un article de la Pravda dénonçant l’attitude du gouvernement polonais. Le 18, ce gouverne­ ment est devenu « semi-fasciste », et l’attaque soviétique est saluée avec enthousiasme car elle est destinée à « protéger le peuple polonais » et annonce « un triomphe pour la liberté humaine». Le CPUSA bénéficie cependant d’un traitement spécial. Iî est loin, il a besoin, par manque d’expérience, par suite de sa fragilité peut-être, qu’on lui mette les points sur les L En 1938, après Munich, la Comintem s’est préoccupée de préparer une liaison radio directe avec Browder. Elle fonctionne fin septembre et début octobre pour deux télégrammes dont Earl Browder, après son exclusion, a communiqué le texte à Philip M e. A côté des analyses générales que nous connaissons, il y a des remarques particu­ lières tenant compte du contexte. Dans le premier : « Nous serions des pédants, pas des révolutionnaires, si nous nous cramponnions aux mots d’ordre de front populaire, front démocratique, alors que les fondements même du capitalisme sont ruinés. D’autant plus vite les dirigeants de la social-démocratie passeront à la réaction, d’autant plus puissant sera le mouvement dans îes masses vers l’idée de renverser le capitalisme21. » La Comin­ tem précise qu’il faut cesser de « filer le train » à Roosevelt (FDR) et se rendre totalement indépendant du leader syndical John L. Lewis. Pourtant, deux ambiguïtés subsistent, sur les perspectives et sur Roosevelt. Le second télégramme vient préciser : « La situation nouvelle change nos rapports avec FDR, étanttoujours bien entendu que î’ennemi principal est îe camp de la bourgeoisie impérialiste. Mais beaucoup dépend de FDR. [...] Il peut vouloir aider Chamberlain et Daîadier22 » Vient enfin ia recommandation suprême, la seule qui ne doive pas varier avec la situation et îa conjoncture : « Ouvriers doivent étudier Parti communiste d’Union soviétique, jamais imiter. Les jours changent, les besoins aussi23.» Les besoins, pour le moment, c’est que les États-Unis n’entrent pas dans ia guerre européenne, Moscou ne le cache pas. Ses mots d’ordre, ce sont « Les États-Unis pas dans la guerre » et celui, très populaire, qui renverse le mot d’ordre interventionniste de 1916 : « Ÿanks are not coming » (Les Yankees ne viennent pas). Comme les journalistes com­ munistes aiment les références à l’histoire, Louis Budenz en fait une qu’on peut ne pas apprécier : « La Fayette, nous sommes là et nous y resterons. » Browder, lui, va devoir payer une lourde note. Il tient un meeting au Symphony Hall de Boston le 5 novembre 2t. P.J. Jafife, The Rise an Fall of American Communism, p. 44- 46, ici p. 44. 22. Ibidem, p. 46. 23. Ibidem, p. 47.

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1939 pour l’anniversaire de la révolution russe, où, après une attaque contre la guerre, « querelle de famille entre impérialistes », il rappelle que les bolcheviks étaient en 1914 aussi faibles que l’est le parti américain. Pourtant, rappelle-t-il, c'est de leur lutte contre la première guerre impérialiste qu’est sortie la marche au pouvoir de îa cîasse ouvrière et des peuples laborieux sur un sixième du globe, le début de F abolition du capitalisme et de ia construction d’une société nouvelle, le socialisme. Après un tel discours, la répression ne pouvait que F attendre au tournant. Quelques semaines plus tard, convaincu d’avoir utilisé de faux papiers pour se rendre en URSS aux réunions de la Comintern, il est condamné à quatre ans de prison, dont iî ne fait que quatorze mois avant d’être libéré sur parole. Avec la force traditionnelle du courant profondément américain en faveur de Fisoîationnisme auquel précisément se heurte Roosevelt, les communistes américains ne connurent pas trop de problèmes pour le moment. Quelques jeunes communistes rejoignirent les trotskystes, mais ce courant se tarit très vite à cause de la crise ouverte dans les rangs de ces derniers par la controverse sur la nature de l’URSS, déclenchée par le pacte. Il faut tout de même signaler une défection d’importance en 1939, celle d’un homme clé de l’appareil clandestin, Harry Gold. Il semble qu’il ait bénéficié d’un régime de faveur de la part de ses chefs, une sorte de congé qui s’interrompit avec l’attaque allemande contre l’URSS.

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La MAISON DES FOUS EN 1940 Ernst Fischer, hôte de l’hôtel Lux et des bureaux de la Comintern, nous a laissé de vivantes vignettes. Par exemple, à propos d’André Marty, juste après le début du défer­ lement de la Wehrmacht sur la France : Nousétionsducôtédela France,nous, îa majoritédesgensdelaComintern, àleurtête, Dimitrov, Manouilsky, Togliatti et avecnouslepeuplerusse. A présent, il s’agissaitdela France, Parviendraitelle à stopper ies Allemands ? Tiendrait-elle ? Combien de temps ? Combien de mois ? - Des mois ? bougonnait Marty Tout auplus quatre semaines I Nous îe crûmes fou. II était fou, cet ancien mutin de la flotte française qui était intervenue en 1919 dans îa mer Noire contre l’Union soviétique, cet homme de haute stature, plein de morgue, entêté, undeGaulle surle modeplébéien, avecdestraits d’unepersonnalitémarquanteetunemanie croissante de la persécution. J ’avais oséjadis, en ma qualité de rédacteur deDie Kommunistische Internationale, proposer quelques petites retouches à son brillant article sur l’Indochine. Il me fit venir dans sonbureau. A monentrée, il selevaet, sans mesaluer, passaàgrandes enjambées àcôté de moi, ferma la porte àclé, retira la clé dela serrure, alla s’asseoir à la table de travail, cria : - Qu’est-ce que vous pensez, aujuste ? Je ne savais que répondre -Je sais parfaitement ce que vous pense2 . Vous me prenez pour un dément capable de tout. Par exemple, de vous faire coller au mur. Vous ai-je percé à jour ? Vous reconnaissez que vous me prenez pour un fou ? Je le reconnus, ü devint plus affable. -Dans cette maison, tout le monde me prend pour un fou. Mais c’est la maison qui l’est, folle ! Moi je pense avec ma tête à moi. Voilà tout. Il pensait avec sa tête à lui. - La France va capituler d’ici quatre semaines au plus tard. Le régime est corrompu, l’armée pourrie, le pays sans chefs. Marty me dit cela le 15 mai24. 24. E. Fischer, op. cit., p. 399-400.

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Sur les réactions dans le monde, Philippe Buton écrit de façon péremptoire mais apparemment sur la base d’informations réduites :

Tous les partis communistes ont admis le revirement total qui leur est imposé. Tous adoptent unepolitiquedeneutralitéet d’hostilité àla guerreencours, àl’imagedescommunistesaméricains lançant à la fin du mois de mai 1940 le spirituel « Let God save the King ». Le PC belge encense la neutralité de son pays, celle-là même qu’il dénonçait avant le 1erseptembre. Pour leur part, les communistes syriens et libanais, qui acceptaient le mandat français depuis que le Front populaire était parvenu au pouvoir, fustigent de nouveau, à partir de septembre 1930, l’impérialisme fran‘ 25 çais .

Sans vouloir jouer les Salomon, nous constaterons simplement que le contraste grandit entre les exilés de Moscou, dont la correspondance trahit souvent le découragement et la démoralisation, et la volonté de se battre qui resurgit dans les masses travailleuses des pays occupés, affamés et brutalisés par la Gestapo. C’est là une contradiction réelle, une contradiction de la vie. C’est son inexistence qui eût été stupéfiante. Emst Fischer évoque une séance de l’exécutif où « les Allemands », Pieck et Ulbricht, affrontent, sur la question de la prééminence du pacte, « les autres », Dimitrov, Manouilsky, Ercoli-Togliatti. Il se lance dans la mêlée et décrit ceux qui l’écoutent : « Je sentais dans le visage impassible de Dimitrov, dans le clignement d’yeux presque imperceptible de Manouilsky, dans l’air méditatif et impénétrable de Togliatti, non le refus, mais une prudente sympathie26. » La réunion s’enflamme. On le traite d’agent de l’impérialisme. Dimitrov frappe sur la table : « Je ne tolérerai pas27! » Maison de fous ! A u t res « m a iso n s »

Il n’y a plus de Parti communiste en Pologne. Il n’y a que des communistes polonais qui, dans l’ensemble, pendant le début de la guerre, réussissent à échapper aux prisons et aux camps. Leur orientation n’est pas du tout « neutraliste ». Sans avoir la moindre sympathie pour « le régime des colonels » - les successeurs de Piîsudski -, ils voient dans l’armée allemande l’ennemi n° I. Sans doute fallait-il des militants communistes pourdresser des barricades dans Varsovie et tenter de les défendre une à une. La Comintem n’aura pas l’occasion de célébrer îa mort sur l’une d’elles d’un de ses héros, Marian Buczek, l’ancien chef des gardes rouges de Lublin, ancien élève de l’École Lénine. Ce n’est probablement qu’après la guerre que la Comintem découvrit son initiative, et, en tout cas, put en parler. Le parti allemand, pour des raisons faciles à comprendre, a été un de ceux où se sont manifestées le moins de résistances au pacte. W illi Münzenberg, qui avait déjà rompu avec Moscou, a cherché î’appui et la reconnaissance du gouvernement Daladier, mais celui-ci l’a envoyé dans un camp d’internement qui fut pour lui l’antichambre de la mort. Franz Dahlem a réuni autour de lui des militants en exil hostiles au pacte, Gerhardt Eisler, Paul Bertz, Paul Merker2S, et a adressé à Daîadier une lettre dans laquelle il demandait

25.R Buton, «Le parti, ia guerre et la révolution, 1939-1940», Communisme, n0532-33-34, 1993, p. 41-66. 26. E. Fischer, op. cit, p. 402. 27. ibidem, p. 403. 28. W. KiesHng, « Paul Merkers “Unverstëndnis” für den Hitler-Staiin Pakt », Jahrbuch für historische Kommunismusforschung, 1993, p. 137-144.

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que les antifascistes allemands soient autorisés à combattre le fascisme. Il a été un peu plus tard livré par Vichy à Hitler. Le comité central du PC italien a publié dès le 25 août une déclaration dans laquelle il salue le pacte comme un coup porté à la politique agressive des puissances fascistes, et notamment à Taxe Rome-Beriin. Il affirme qu’en cas de guerre la défaite politique et militaire du fascisme serait l’une des conditions qui ouvriraient un avenir aux peuples de l’Europe capitaliste. Juste avant son arrestation en France, Togliatti, le 29 août, a écrit au PSI, lui reprochant d’avoir rompu le pacte d’unité d’action à cause du pacte germano* soviétique, qu’il défend, mais ajoute : « Nous combattrons de toutes nos forces pour que sorte de la guerre la défaite du fascisme, que sorte en Italie la révolution. Pour atteindre ce but, nous utiliserons toutes les possibilités qui s’offriront, y compris entrer éventuel­ lement dans l’armée française pour combattre les fascistes et aider à les mettre en déroute comme nous l’avons fait en Espagne à Guadalajara29. » Pourtant, il a veillé à ce que Romano Cocchi, qui a condamné le pacte, soit exclu et dénoncé comme renégat. Parmi les dirigeants qui se trouvent à l’étranger, on sait que Luigi Longo défend incondition­ nellement le pacte dès îe début tandis que Mario Montagnana l’approuve comme un acte de paix, mais soutient la nécessité de îa « lutte contre les agresseurs fascistes ». A sa libération, en février 1940, Togliatti s’aligne sur la position désormais bien connue de ia Comintern, réorganise un bureau à l’étranger à Paris, dont la majorité, qui a douté ou plié sur le pacte, est exclue : avec Montagnana, va retrouver au Mexique Di Vittorio et Jacopo Berti. La Comintern, en juillet 1940, dissout les anciens organes du PCI, confirme la création du bureau à l’étranger, dirigé par Roasio à Paris, et à Moscou d’un « Centre idéologique et de réorganisation » provisoirement dirigé par Togliatti. En Italie, îe PCd'I - les colonies d’exilés, évidemment - est durement secoué. Dans la colonie de déportés de Ventontene sont réunis quelques-uns des plus importants dirigeants du PCI depuis îa mort de Gramsci. Le vétéran Umberto Terracini - condamné en août 1926 à vingt-deux ; ans et neuf mois de prison, gracié et exilé en résidence surveillée (il confino) en 1937 -, appuyé par Camiîla Ravera, s’oppose à 1adirection (le Directivo) qui, elle, défend le pacte -, et s’aligne sur la Comintern. Contrairement à ce qui a été souvent écrit, Terracini ne condamne nullement le pacte. H ne conteste pas le caractère « impérialiste » de la gueire, qu’il décrit comme une guerre entre impérialistes repus et impérialistes affamés, pour un nouveau partage du monde. Mais il n’accepte pas l’idée que îe nazisme n’est plus l’ennemi n° 1. « On ne peut pas ne pas voir que îa victoire du nazisme coïnciderait à la fin de îa guerre avec la fascisation de l’Europe, l’aggravation extrême de la menace contre l’URSS30. » Ravera et lui seront exclus au début de 1943, bien longtemps après l’attaque de la Wehrmacht contre l’URSS, et pour d’autres divergences. Togliatti les fera réintégrer en 1945. Tout indique aussi qu’à son retour en URSS Togliatti ~ sans remettre en cause îa place du pacte dans la politique de l’État soviétique ~ avait des doutes très sérieux sur la justesse de îa politique de la Comintern s’identifiant à cette dernière, mais qu’il a . estimé, comme toujours, cette fois sans doute à juste titre dans les conditions données, que le moment n’était vraiment pas venu de les exprimer. En tout cas, lors de l’entrée en guerre de l’Italie, en juin 1940, sa position sera de rappeler que « l’ennemi principal », le fascisme et le régime mussolinien, se trouve dans le pays. Du PC espagnol, on ne pouvait guère s’attendre ni à l’enthousiasme, car les bases mêmes de la politique communiste depuis 1936 s’effondraient, ni à de véritables protes­ tations, les exilés dépendant largement de l’appareil international de la Comintern. On 29. Materiale ecc. APC 1523. Le fait que Togliatti en soit l’auteur est au conditionnel. 30. P. Spriano, op. cit., III, p. 335,

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relève pourtant des désaccords chez les Catalans, dans le PSUC, chez les Basques et chez les Espagnols parvenus en Amérique latine. Le PSUC, d’abord aligné sur la position première du PCF, ne redresse pas la ligne et continue dans le même sens de ia « lutte contre le fascisme ». Une vingtaine de cadres signent un texte dénonçant le pacte et la politique qui en découle. Us sont tous exclus. Le dirigeant catalan Josep Miret Muste, une première fois arrêté avec l’agent des services Josep Blanc31, a repris les rênes du PSUC en France. H n’a pourtant pas été repris en main lui-même, puisque son premier acte avec l’occupation allemande est de publier un bulletin qui appelle à la résistance contre les nazis sur le thème « Défaite, combat, révolution ». Il devient l’un des dirigeants des FTP-MOI, est arrêté - « donné », selon Pike, par Joaquin Olaso, un autre agent des services, ce que démentent des historiens français. Il est déporté à Mauthausen puis dans un commando. Blessé sous un bombardement en novembre 1944, il est achevé par les SS. Le dirigeant catalan José del Barrio, qui s’est laissé aller, à Moscou, auprès de Manouilsky, à une critique du pacte, est exilé au Chili, avec d’autres militants qualifiés de« trotskystes », Miquel Serra Pamiès et le Basque Luis Cabo Giorlà, parce qu’ils mettent en cause la Comintem et Staline. Le remède de Moscou est administré au PSUC par Joan Comorera, son dirigeant historique : le CC est dissous et reconstitué par lui. Pour le PC tchécoslovaque, le pacte était difficile à avaler au lendemain du dépècement du pays et de îa terreur qui s’y était abattue. Jacques Rupnik a une heureuse formule quand iî écrit : « Le pacte [...j demandait ouvertement aux communistes de choisir entre la Tchécoslovaquie dépecée et occupée et l’Union soviétique alliée et complice de l’expan­ sion allemande . » Aucune protestation ne s’est fait entendre à Moscou. Pourtant, il y avait au pays une extrême tension. Jiff Pelikan a évoqué les nuits blanches passées à discuter avec son frère, qui défend le pacte maisjuge impossible de diffuser les instructions envoyées de Moscou. Pelikan parle de « surprise » et de « colère », de sa part et de celle deses camarades, à l’écoute de Radio-Moscou : « Nous, pour qui la lutte contre l’occupant nazi était une réalité quotidienne, nous commencions à nous poser des questions sur l’avenir33. » Le 29 septembre, un message radio du CC clandestin à Prague indique qu’« il y a une grande désorientation, même chez les ouvriers, quant au caractère de la guerre et à la politique de l’Union soviétique ». Il évoque la montée de l’état d’esprit antifasciste dans la population. La réponse de Gottwald, un message aux communistes restés au pays, montre bien qu’il a conscience du danger que cet état d’esprit fait courir aux alliances soviétiques, puisqu’il conseille : « Soyez aussi prudents que possible. Ne vous laissez pas entraîner à des actions prématurées. Notre heure viendra. En tout état de cause, faites confiance à notre grande patrie34. » De leur côté, les dirigeants tchèques pressentent un autre danger. Le 15 avril 1940, ils télégraphient à Gottwald : « Ne laissez pas l’Occident s’occuper du peuple tchèque devant l’opinion. Développez [...] la campagne contre la terreur, contre la persécution ; popularisez notre lutte pourl’indépendance35. » Les émigrés en Occident eurent la possibilité de s’exprimer. Le député slovaque Vladimir Clementis, membre du PCT depuis 1924, ancien combattant des Brigades internationales, condamna le pacte, fut exclu et s’engagea dans l’armée française. En Tchécoslovaquie, la Gestapo continuait à remplir les prisons de communistes ou prétendus tels. En Bulgarie, nous n’avons pas connaisance de réactions hostiles au pacte et avons seulement vu mentionner le dithyrambe à son sujet du théoricien du PCT Todor Pavlov. 31. AN F 714 990. 32. J. Rupnik, op. cit., p. 137. 33. J. Pelikan, S’ils me tuent, p. 28. 34. J. Rtipnik, op. cit., p. 137. 35. Cité par J. Pelikan, op. cit., p. 30.

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En fait, le pacte créa une situation curieuse : le Parti ouvrier, couverture du PC, jouissait î de la légalité alors que îes partis pro-occidentaux étaient persécutés. Aux élections de 1940, iî obtint 10 députés au lieu de 5, îa moitié du total de î’opposition. Bien que le tsar : j Boris III ait appelé au pouvoir, au moment de la déclaration de guerre, un germanophile fascisant, la Bulgarie se déclara neutre. L ’appui de l’Allemagne et de l’URSS lui permit de « persuader » îa Roumanie de lui « restituer » îa partie méridionale de la Dobroudja. En août 1940, les dirigeants communistes commencèrent à s’inquiéter sérieusement de la F dérive vers l’Allemagne du gouvernement Bogdan Fiîov et à lancer de violentes attaques : contre le régime « monarcho-fasciste ». Cette intéressante initiative fut brisée par une convocation à Moscou de Tsolia Dragoicheva, qui s’entendit dire par Dimitrov que cette campagne était jugée inopportune en haut lieu et qu’eîle gênait la diplomatie soviétique. Le PC s’entendit recommander à sa place une campagne pour f alliance avec l’URSS. Après le refus par les Bulgares des propositions de traité de Moîotov, le PC fut chargé de faire une grande campagne d’information sur ces négociations sans issue. En Grèce, iî n’y avait pas en Î939 moins de trois comités centraux pour un KKE liquidé en tant qu’organisation. Le « vieux » comité central était formé d’hommes qui avaient échappé à l’arrestation, dont Dimitris Papayannis, vieux cadre syndical, et un homme de confiance de Moscou, probablement membre des « services », Damianos Mathessis, ancien officier qui avait exercé d’importantes responsabilités et que son parti devait sans preuves qualifier bientôt de « mouchard suprême ». Le « vieux CC » est sur la ligne antiguerre de îa Comintern. Il est évidemment très faible. Un deuxième élément est introduit par l’initiative du ministre de l’Intérieur Konstantin Maniadakis, qui crée de toutes pièces une direction « clandestine » du PC dans îes bureaux de la Sûreté : la « Direction temporaire », formée de dirigeants staliniens qui se sont mis au service de la police et ont été libérés, deux membres du bureau politique de Zachariadès, Yannis Michaïlidis, un ancien de îa KUTV - il avait ia confiance de Zachariadès, lequel lui donna à la prison de Corfou instruction de faire une déclaration pour sortir et reprendre l’activité, ce qui évidemment avait enchanté Maniadakis -, le député Michael Tyrimos, secrétaire de l’organisation du parti à Athènes et membre du bureau politique, et le populaire député du Pirée, Emanouel Manoîeas. Ces hommes aux ordres de la Sûreté, dans une proclamation au parti, accusent les membres du « vieux » CC d’être... passés au service de la Sûreté et réclament le soutien des militants pour maintenir le parti. Ils abusent bien des militants et c’est ainsi que ces agents de la police sont reconnus comme direction par les détenus membres du KKE du fameux camp de concentration d’Acronaupîie. «Evénement sans exemple dans l’histoire politique », assure Stinas, qui commente : « Ce succès de la Sûreté, incroyable, invraisemblable et sans précédent, ne pouvait être obtenu que par un parti | stalinien et les cadres qu’il avait formés. » Une troisième « direction », enfin, est constituée j par les quelques anciens membres du CC regroupés autour de Siantos et en relations avec la Comintern. En février 1939, ils ont assuré que l’ennemi principal était le « monarchofascisme », donc le régime de Metaxas. La Comintern ies a corrigés en assurant que tout gouvernement qui résiste à l’impérialisme italien, y compris celui de Metaxas, est un allié ? objectif. C’est ce que pense aussi le « vieux CC », conforté par le pacte. Et, bien entendu, . la Direction temporaire. Ainsi la politique du KKE peut-eîîe apparaître comme définie vis-à-vis du pacte par les agents de la police politique de la monarchie et du général Metaxas plantés au-dessus d’eux, au moins autant que par ia Comintern. Au Vietnam, îa répression a frappé dès le début de îa guerre indistinctement trotskystes et staliniens : des centaines d’arrestations et de condamnations à de lourdes peines de prison. Le PC indochinois abandonne le mot d’ordre de front démocratique, lance celui de front uni anti-impérialiste des peuples indochinois, et envisage « la préparation à j

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l’insurrection pour la libération nationale » afin de « lutter avec l’appui de l’URSS, for­ teresse de la révolution mondiale, de renverser l’impérialisme français et les féodaux indigènes, de recouvrer l’indépendance de l’Indochine et d’instaurer une Union républi­ caine démocratique indochinoise36». Le programme n’est pas révolutionnaire, puisqu’il continue à ne pas parler de révolution agraire, mais il ouvre tout de même la porte à l’aventure. Ce sera, du 21 novembre au 31 décembre 1940, l’insurrection décidée par le comité de pays de Cochinchine pour établir un gouvernement populaire provisoire. La répression est féroce, menée par l’infanterie coloniale française et la Légion étrangère, qui ratissent des villages entiers. Une centaine d’insurgés sont tués. Il y a presque 6000 arrestations, sur lesquelles 221 condamnations à mort, nombre d’insurgés mourant de façon atroce, prisonniers dans des chalands. Plusieurs dirigeants communistes sont incarcérés puis liquidés, comme Ta Uyen, du comité régional du Nam Ky, mort sous la torture, Phan Dang Luu, membre du comité central du PCI, exécuté en mai 1941, ainsi que Ha Huy Tap, chef du parti depuis 1936, emprisonné en 1938, et plusieurs dirigeants, dont une femme, Nguyên Thi Minh Kai, pourtant incarcérés avant l'insurrection. L ’amiral Decoux, îe gouverneur général, reste sourd aux objurgations de son collègue et ministre l’amiral Platon : on ne peut ni ne doit, selon lui, atténuer une répression qui est en réalité une précaution politique majeure. Contre qui ? Contre le « désordre », comme l’amiral vichyste îe montrera en s’empressant aux ordres des chefs militaires japonais. Pour cela, il sera acquitté par la Haute Cour qui n’avait pas à juger des massacres d’indigènes :perpétrés sous son autorité î A la répression française sur le coup viennent s’ajouter à terme les terribles souffrances des condamnés, dans les bagnes comme Poulo Condore, et îa répression interne contre les dirigeants responsables de cette insurrection officielle­ ment non programmée, dont plusieurs furent condamnés à mort par le parti. L ’historien Ngo Van précise que cette insurrection est, à sa connaissance, absente de l’histoire du parti, qui veut l’extirper de son passé. L ’épisode de la «renaissance» de l’organisation nationaliste Viêt-minh est en revanche au premier plan de l’histoire en question. Se présentant en octobre 1940 au bourreau de Canton, îe général Li Jishen, comme des patriotes en lutte contre le Japon, les communistes indochinois obtiennent de lui et du Guomindang accueil et protection. Hors d’Europe, il semble bien que l’opinion des partis a été plutôt divisée. Nombre de communistes algériens qui subissaient l’assaut d’une poignée d’ex-nationalistes appuyés par Berlin ont, comme Ben Ali Boukort, réprouvé le pacte. Il y a eu des critiques dans plusieurs PC d’Amérique latine

Le pacte e t le s

com m unistes

D n’est pas très difficile de comprendre pourquoi le pacte et îa nouvelle politique qu’il impliquait, selon Staline, ont été un épouvantable choc pour les militants communistes, au moins dans les pays avancés. Depuis le début de la nouvelle politique, consacrée au VDecongrès, avec la ligne de « front populaire » et de l’antifascisme, ils étaient sortis de leur isolement de secte dans nombre de pays, avaient acquis stature et statut dirigeant, s’étaient enthousiasmés eux-mêmes au son de leur propre propagande et grisés d’amour pour1a« cause espagnole » et de haine contre les « bandits fascistes ». Comment accepter, au moins sans des doutes profonds, un pacte qui renversait complètement la situation et semblait un reniement de l’antifascisme porté si haut sur les drapeaux pendant îa guerre civile espagnole ? Sans doute certains pouvaient-ils comprendre le pacte lui-même comme 36. Texte du 6 novembre 1939, cité par Ngo Van, op. cit., p, 277.

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D e L’ACTIVITÉ POLITIQUE à L’ACTIVITÉ POLICIÈRE

une réplique à Munich, la réponse du berger à ia bergère. Mais il n’en était pas de même des appréciations nouvelles portées à Moscou sur la guerre, du brevet de « pacifisme » décerné à l’Allemagne, de l’évidence, après le partage de la Pologne, que ce pacte de « non-agression » comportait aussi des accords d’agression. Ce fut encore une chance pour la Comintern et ses partis que personne ne connaisse à l’époque les scandaleuses livraisons à l’Allemagne nazie de détenus communistes allemands et autrichiens en URSS, qui ont été connues après la guerre par la déposition de Margarete Buber-Neumann - elle en était - et par les travaux de l’historien Hans Schafranek. L ’un des principaux facteurs de rassemblement autour des dirigeants qui s’inclinaient devant Moscou fut la répression gouvernementale. En France, elle empêcha toute discussion dans les rangs du PCF, rejeta les uns contre les autres les militants frappés ensemble, fit taire les désaccords face à la répression de « l’ennemi de classe ». L ’exemple le plus connu parmi les dirigeants opposés à la politique de Moscou qui, arrêtés, refusèrent de désavouer la politique de leur parti, est celui d’Albert Vassart, ancien secrétaire du parti et ancien membre de l’exécutif à Moscou, qui avait condamné le pacte dans son parti, mais refusa de se désolidariser de ce dernier devant les juges et les policiers et fut condamné à cinq ans de prison. C’est un cas différent que celui de l’écrivain Paul Nizan, rompant avec le PCF à cause du « pacte », traité de « policier » et qui trouva la mort au combat quelques m'ois plus tard, au front. L ’autre facteur est évidemment l’attachement des membres des partis à l’Union soviétique, doublé de la méfiance à l’égard de tout ce que colportait la presse à son sujet, deux sentiments qui poussaient les militants à rejeter le vrai avec le faux dans les informations et l’interprétation qu’on îeur assenait. Et comment quelqu’un qui se réclamait du communisme pouvait-il accepter sans bondir îe thème souvent développé dans une certaine presse de province suivant lequel il fallait faire cette guerre contre l’Allemagne nazie parce que celle-ci était « devenue commu­ niste », jouet entre les mains de Staline ? Pourtant, dans l’ensemble, et dans tous îes pays, nombre de militants se prononcèrent « avec leurs pieds », comme aurait dit Lénine, c’est-à-dire qu’ils quittèrent tout simplement ce parti qu’ils ne reconnaissaient plus ou ne tentèrent pas de renouer un lien coupé par îa mobilisation ou par son interdiction. Une génération entière laissa là les rêves de combat antifasciste que le parti avait nourris, entretenus et exaltés. Pour l’appareil, ceux qui restaient étaient évidemment îes meilleurs : prisons et camps permirent de les regrouper, de îes « tremper » et de s’assurer de leur totale fidélité, déjà contenue dans leur approbation de îa politique de 1939. Sous cet angle, l’attitude vis-à-vis du pacte fut en quelque sorte un « révélateur» du degré de fidélité et d’obéissance, y compris dans la période d’union sacrée et de résistance nationale. Il est en effet significatif que, dans le cours des années suivantes, et même avec l’apparition des conditions tout à fait nouvelles de îa guerre devenue « grande » et « patrio­ tique » de l’URSS contre l’Allemagne hitlérienne et de îa Résistance dans les pays de l’Europe occupée, la distance prise en 1939 à l’égard de îa politique stalinienne après îe pacte soit entrée en ligne de compte pour la sélection des prisonniers communistes auto­ risés à participer aux évasions collectives entreprises sur décision du PCF. Nous avons porté dans un autre travail37des accusations précises sur ce point contre Giovanni Sosso, déjà mentionné, agent des services, membre du PCF et chef FTP, qui, selon des commu­ nistes détenus en 1943 à la prison de Saini-Étienne et déportés ensuite à Dachau, aurait refusé de laisser s’évader des hommes « politiquement peu sûrs », dont tous ceux qui avaient eu en 1939 des hésitations à approuver le pacte. Nous avons ici consacré peu de place aux conséquences immédiates du stupéfiant accord entre Hitler et Staline, mais ce 37. P. Broué et R. Vacheron, Meurtres au Maquis, Paris, 1997.

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sont des pages lourdes. Nous avons essayé d’y retracer le déroulement de ce premier coup, sérieux et définitif, porté au stalinisme par lui-même. Dans F histoire de îa Comin­ tem, il a constitué simplement l’un des derniers râles de la mourante. M is e

en pla c e d e l 1a p p a r e il c la n d est in

En attendant, iî faut mettre en place un appareil clandestin. Nous sommes loin d’avoir des informations abondantes pour cette opération, qui fut délicate dans îes pays où il n’y avait pas de « structure d’accueil ». Ailleurs, îes choses étaient simplifiées. En Belgique, le représentant de l’exécutif auprès du parti était Denis, de son vrai nom Andor Berei, un Hongrois, ancien des JC et de la KIM, qui avait auprès de lui une petite équipe de militants et de techniciens. C’est lui, bien plus que le parti belge, qui avec l’avocat Fouteyne, organisa l’accueil et l’installation du «Centre» pour la France avec Ev2en Fried, dit Clément, et, pour quelque temps, Jacques Ducîos, Giulio Cerretti et la jeune et belle - Cerreti insiste beaucoup sur ce point - Francine Fromond, une employée de la Comintem depuis son adolescence, qui partirent pour l’URSS, où elle devint sa « secrétaire particu­ lière ». Fried, « le Grand », est entouré à Bruxelles par des militants et militantes du PC belge, Sonia Leit, Edith Buch. Il est en liaison avec Paris par Mourre, « homme de î’ombre », cheville ouvrière du bureau politique du PCF alors que Decaux est prisonnier, dont iî n’était pas officiellement membre, et qui passa le mois d’octobre et une partie de novembre à « renouer les fils avec îe Centre international » avant d’être arrêté et liquidé sans procès, comme otage. D est aussi en liaison avec Londres par un homme qui a la couverture de journaliste, Sam Russell - lequel fit une retentissante interview de Thorez -, et avec Amsterdam par Daan Goulooze, membre du bureau politique et responsable de l’appareil clandestin néerlandais, membre du GRU, qui dispose d’un bon émetteur radio. Il semble avoir collaboré étroitement avec Andor Berei, Clavel, contrairement à la règle du cloisonnement, f Santiago Carrillo raconte que Codovilla et lui ont séjourné quelque temps à Bruxelles, en contact avec les gens de ce Centre. Pour l’Espagne, apparaît, à la tête des débris du parti en France, une inconnue, impor­ tante pendant la guerre civile dans l’appareil central et auprès de Togliatti, une sorte de « Mourre espagnole », la jeune Carmen de Pedro, de toute évidence au moins collabora­ trice de la Comintem, ce qui expliquerait l’importance de ses fonctions pendant îa guerre, îa rapidité de son ascension et le fait qu’eîle ait pu communiquer de Suisse avec Moscou par radio. Elle a été installée par Francisco Anton, lors de son départ pour Moscou, dans la direction mise en place en 1940. Il est difficile de maintenir partout des directions. Ainsi la troïka à laquelle était confiée l’Amérique, Browder, Vittorio Codovilla, Santiago Carrillo, se désintègre-t-elle au bout de quelques mois sans avoir fonctionné. L ’Argentin est en prison et les deux autres n’ont même pas de langue commune pour se parler et se comprendre. Carrillo va à Cuba avec Santiago Alvarez. Finalement la technique supplée à l’absence d’hommes, et c’est la plupart du temps par radio que la communication se fait de Moscou avec l’Occident Jacques Duclos et Fried disposent d’émetteurs-récepteurs - et avec les directions tchèque, yougoslave, bulgare. Le reste, l’information, îa propagande, sera l’affaire des émissions en langues étrangères de Radio-Moscou et des émetteurs spécialisés, comme Radio Khristo-Botev en direction de la Bulgarie.

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De L’ACTIVITÉ POLITIQUE à L’ACTIVITÉ POLICIÈRE

L ’a ctio n de la C om intern de 1 9 3 9 a 1 9 4 i

Sur la politique de la Comintern dans cette période, Philip J. Jaffe a écrit ces lignes f pénétrantes : fBien que Staline ait été certain que la guerre entre 1a France et l’Angleterre d’un côté, l’Allemagne de l’autre, allait continuer, il redoutait aussi une extension de la guerre avec des participants nouveaux, particulièrement les États-Unis. La participation américaine pouvait provoquer la défaite d’Hitler et mettre ainsi en péril la possibilité pour Staline d’acquérir des zones f: nouvelles comme c’était accepté dans les protocoles secrets, risquant ainsi d’entraîner la Russie tdans une guerre que Staline voulait à tout prix éviter. Aussi la Comintern donna-t-elle des directives . différentes, apparemment contradictoires, pour les différents pays, toutes avec un objectifidentique [ - garder l’Union soviétique en dehors de la guerre. Pour la Grande-Bretagne, c’était un appel à la classe ouvrière pour qu’elle détruise la domination de classe de 1a bourgeoisie et établisse une f société socialiste ; pour l’Inde, c’était d’empêcher le Congrès national panindien de Gandhi et . Nehru de s’engager dans la gueire aux côtés de la Grande-Bretagne ; pour la Chine, c’était de [ maintenir un .front uni antijaponais contre le Guomindang, etc.38. .|

C’est là une excellente remarque qui ne doit nullement être prise sous la forme première et brute de contradictions apparentes : ces dernières sont inscrites dans le développement réel, et le rôle des partis communistes est d’aller tout de même dans la bonne direction en tenant compte des particularités nationales ou continentales : est-ce là l’unique résidu de la « démocratisation » de la Comintern, de P« autonomie » prétendument accordée par le V IIe congrès à ses différentes sections ? Il est permis de îe penser.

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L e PC am érica in d e 1939 À 1941

On découvre donc un seul aspect de la ligne de la Comintern à travers une section légale comme le fut à l’époque le Parti communiste américain (CPUS) dirigé par Earl Browder. L ’organisation « frontiste » du parti de l’époque du front populaire, VAmerican League Againsî War and Fascism n’avait évidemment plus de raison d’être. C’est à sa place, mais avec des objectifs tout différents, que naquit, au cours d’un gigantesque meeting de 22 000 personnes dont 6 000 délégués, à Chicago, la Mobilisation américaine pour la paix, qui lui succéda à partir du 2 septembre 1940. A cette date, Roosevelt était devenu l’ennemi n° 1 des communistes américains, le « meilleur disciple des fascistes », disaient-ils. La nouvelle ligue, dont le secrétaire général était Frederick Vanderbilt Field, un communiste « hors cadre » d’une famille de millionnaires, trouva encore des intelîectuels et des pasteurs - le genre de clients que le front populaire avait amenés au Parti communiste. Elle sut maintenir un certain niveau d’agitation pacifiste mélangeant les sentiments chrétiens aux invectives contre les « marchands de canons ». Elle assura un piquet permanent pour la paix devant îa Maison Blanche, renforcé parfois de marins envoyés par le communiste et boss syndical Joe Curran. Les communistes regimbèrent tout de même quand Frederick V. Field entra en négociations avec les isolationnistes îes plus réactionnaires autour du sénateur Wheeler. Sur îe plan politique proprement dit, îes communistes furent pris à revers par îa politique de Staline. C’était d’eux qu’était venue au congrès national du CIO en novembre 1938 la proposition d’une résolution en faveur d’une troisième rééîection de Roosevelt. Il n’était évidemment pas question de poursuivre sur cette ligne après septembre 1939. Mais îe tournant du PC fut facilité par la décision 38. P.J. Jaffe, op. cit., p. 42.

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deJohn L. Lewis de rompre avec Roosevelî du fait de sa politique antiouvrière. L ’élection de Roosevelt pour un troisième mandat avait évidemment la signification de la préparation à l’entrée en guerre des États-Unis. L ’adoption par le Congrès en juin 1940 du Smith Act, première mesure restreignant sérieusement les libertés en temps de paix, signifiait un retour à la répression contre les organisations refusant l’union sacrée : elle prévoyait de sérieuses pénalités pour les attein­ tes au moral des forces armées, oralement ou par écrit, contre tout appel au renversement par la force et la violence de tout gouvernement légal des États-Unis ainsi que contre la propagande et l’organisation dans ce but. La mesure, qui fut critiquée par les libéraux et le CPUS, était évidemment dirigée contre ce dernier, mais seuls les trotskystes en furent victimes pendant la guerre, avec l’approbation enthousiaste des disciples de Staline. Pour les communistes américains, le bilan est évidemment négatif, mais pas autant qu’on aurait pu le penser ; alors que la candidature communiste avait obtenu 80 181 voix à la prési­ dentielle de 1936, le « ticket » Browder-Ford en obtint 46 251 en 1940. Le CPUS et

l a so c iét é a m ér ic a in e

:

Art Preis, l'historien du CIO, souligne qu’il y a eu beaucoup plus de grèves et de grévistes aux États-Unis en 1941 qu’en 1939. Les travailleurs sentaient que la conjoncture était redevenue plus favorable à leurs revendications et que le gouvernement s’opposait de toutes ses forces à leur satisfaction, au nom des intérêts de « l’économie », c’est-à-dire des grandes sociétés qui exigeaient maintenant que les syndicats soient enfin bridés. Agissant avec prudence, le CPUS réussit à conserver l’essentiel de ses positions dans la CIO, à soutenir, sans se compromettre, deux grèves importantes dans des usines d’arme­ ment, l’usine de chars d’assaut Allis & Chalmers de Milwaukee et North American d’Inglewood, en Californie. Il s’abritait derrière l’immense autorité de John L. Lewis pour justifier le refus de la politique de « sacrifices » que prêchaient les Hillman et Dubinsky, lieutenants ouvriers de Roosevelt, devenu ouvertement briseur de grève. Le 17juin 1941, dans un article mémorable qu’il allait sans doute regretter très vite d’avoir écrit, William Z, Foster, président du CPUS, écrivit dans le Daily Worker :

Quand le président Roosevelt a envoyé les troupes fédérales contre les ouvriers de l’aviation ■ et brisé leur grève, c’était un avant-goût du terrorisme hitlérien que les capitalistes de Wall Street ont en tête à l’égard de la classe ouvrière. Ces impérialistes fauteurs de guerre qui dominent l’administration Roosevelt sont décidés à obliger les ouvriers à accepter un niveau de vie inférieur et des libertés civiles réduites, comme partie de leurs plans plus vastes.

C’est probablement sur le terrain de son influence parmi les Juifs américains que le CPUS perdit îe plus de terrain, des militants importants comme Schachno Epstein, et, de façon générale, la confiance dont il avait joui auprès d’eux au temps de sa politique d’« antifascisme ». Que, de façon générale, il ait souffert des outrances de sa politique de « paix », on peut le comprendre en lisant ces phrases extraites d’un discours de Browder du 11 mai 1940 : « Cette guerre est une guerre impérialiste et le peuple juif n’a rien à gagner à une victoire alliée, pas plus qu’à une victoire du fascisme . » Officiellement, il coupa tous ses liens avec la Comintem, à la suite du vote du Voorhis Act de 1940, qui devait prendre effet auT rjanvier 1941 et avait pour but de « démasquer » le PC comme « agent de l’étranger ». Il prit les devants, annonçant qu’il coupait lui-même officiellement ses liens internationaux. Plus que tout autre parti communiste, en tout cas, le parti amé­ ricain prolongea et fit durer la politique de 1939. Un exemple frappant en est donné par 39. Daily Worker, 12 mai 1940.

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D e l ’a c t iv ité p o litiq u e à

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a c t iv ité p o lic iè r e

le discours prononcé en mai 1941 par Milton Wolff, agent des services mais aussi président des anciens de la brigade Lincoln :

Sous le mot d’ordre malhonnête d’antifascisme, il [le président Roosevelt] prépare la chasse aux rouges, le harcèlement des syndicats, la chasse aux étrangers, la voie antinègre, antisémite nationaliste vers le fascisme en Amérique ; nous l’accusons. S’appuyant cyniquement sur ses propres mensonges et ses fausses promesses, il entraîne le peuple américain, en dépit de l’expres­ sion répétée de son opposition, vers une participation de plus en plus grande au massacre impé­ rialiste, dans lequel la jeunesse de notre pays, si on le laisse faire, ira rejoindre les 1000 marins britanniques en haute mer, les 30 000 cadavres allemands flottant sur la Méditerranée, les cadavres ensanglantés et mutilés sur les champs de bataille du monde entier, pour la très grande gloire du commerce extérieur et la brutale oppression des peuples libres à l’intérieur comme à l’extérieur, nous l’accusons. Franklin Démagogue Roosevelt, nous accusons : sans répit et jusqu’à ce que le peuple nous entende et nous comprenne, nous l’accusons. Nous combattons l’entrée de notre pays ■ dans une gueire impérialiste dont la grande majorité du peuple américain ne peut attendre que la misère, la souffrance et îa mort. Nous nous opposons farouchement à toute initiative de Roosevelt et des fauteurs de guerre dans ce sens, et appelons le peuple américain à organiser et exprimer 1 son opposition profonde et sincère à tout programme de convois et de corps expéditionnaire américain40. U ne

l ig n e q u i s e d éfa it pe u à peu

Une intéressante étude de Michel Narinski sur la période cruciale de 1940 fait apparaître dans un premier temps la vive critique des communistes français faite par André Marty, carré sur la position stalinienne, puis l’infléchissement adopté au moment de l’invasion de la France par la Wehrmacht jusqu’à faire dire à la « Déclaration du PCF », à côté de la condamnation de la guerre impérialiste : « Nous lutterons contre l’assujettissement de notre peuple par les envahisseurs, par des impérialistes étrangers. La classe ouvrière, le peuple ne se résigneront jamais à subir le joug de l’étranger41. » On s’interroge un peu tout de même sur l’analyse de la situation en Europe et en France faite par la direction de la Comintern lorsqu’on lit la note dans laquelle Manouilsky propose de renvoyer immédiatement en France Thorez, Marty, Raymond Guyot et Arthur Ramette pour sou­ lever le peuple contre la bourgeoisie « traîtresse ». Il s’agit bien de les renvoyer en France occupée, où, vers la même époque, îa Comintern s’alarme des tentatives d’obtenir de l’occupant l’autorisation de faire paraître YHumanité, exigeant qu’il y soit mis un terme et en faisant porter la responsabilité à Jacques Duclos. Quoi d’étonnant pour qui a relevé, cité par Narinski, que Jacques Duclos, dans un texte de septembre 1939, écrivait que la guerre qui commençait était une guerre impérialiste ayant un caractère révolutionnaire antifasciste ? Il envisageait en outre dans le même texte îa possibilité de iutter contre « Chamberlain-Daîadier » avec un gouvernement formé par l’Allemagne avec des amis des communistes ! En réalité, tout examen un tant soit peu attentif des débats sur la politique communiste de 1939 à 1941 fait apparaître une confusion qui ne prévaut pas seulement dans les jugements des historiens, mais qui est enracinée dans la réalité concrète. Pourtant, dans l’ensemble, très vite, à partir de l’été 1940, la politique de la Comintern est pîus nuancée et bien pîus antihitlérienne qu’on ne l’a dit trop vite et trop souvent. Moscou, par exemple, 40. Discours au congrès de mai 1941 des anciens de la brigade Lincoln en Espagne de leur président Milton Wolff, Secret World, op. cit., p. 369. 4L Déclaration du PCF, RTsKMDNI, 495/&8/1321//1517.

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c o n s e ille de ne pas trop parier des gaullistes, qui, après tout, sont antiallemands, et ainsi d’éviter de s’en prendre à eux comme à des réactionnaires qu’ils sont. On luttera sur deux fronts, contre Vichy et contre Paris, mais, s’il faut un traitement inégal, on réservera les coups à Paris, plus lié aux occupants. J acques D uclos et la lég a lit é

Il y a d’abord la question de la « légalité ». Nous ne reviendrons pas sur l’épisode de la demande de parution légale de L’Humanité, bien connu aujourd’hui, mais aussi gonflé pour attacher aux communistes en général l’étiquette de « trahison » : petite manœuvre risquée dans le cadre d’une politique plus vaste, elle provoque par sa durée et sa lourdeur la colère de l’exécutif et une véritable sommation à Duclos d’y mettre fin. Elle aura au passage ruiné la vie d’un des hommes de confiance de la Comintem, Maurice Tréand, dit Legros, définitivement mis à l’écart après cet épisode, où il n’avait fait que suivre des instructions, mais en est le bouc émissaire. Jacques Duclos l’accuse en effet avec insistance de « saboter », à la tête d’un « groupe » dans lequel il compte Denise Reydet-Ginoüin, responsable des cadres de îa région parisienne, et Jean Catelas. Une dénonciation dont Stéphane Courtois a suivi le détail répugnant. En France, c’est aussi Jacques Duclos qui a donné aux membres du parti la directive de rejoindre leur domicile antérieur et, si possible, de reprendre leur travail. La directive est particulièrement impérative pour les élus municipaux ou responsables syndicaux. La Vie du parti, rédigée par lui en septembre 1940, insistait là-dessus : « Agir avec audace pour reconquérir la légalité de ses militants, la réinstallation de nos municipalités [...], mettre en avant nos dirigeants authentiques, exiger îa parution de L'Humanité, [...] dire que la police a peur42. » Faute d’autre perspective et malgré, sans doute, quelque inquiétude ou angoisse, mem­ bres ordinaires et cadres inférieurs et moyens viennent ainsi se jeter dans la gueule du loup. Charles Tillon a commenté le récit fait par le député Femand Grenier de son retour à Saint-Denis après sa démobilisation, les rencontres dans la rue, les visites, l’organisation de Saint-Denis qui « devient de plus en plus active » : Cette réorganisation au grand soleil sous l’œil des policiers et à partir du logement de Grenier, c’est l’image de la reconstitution du parti dans la région parisienne. [...] Pendant ce temps, la police au service des nazis regarde, écoute, file les militants, note les adresses, reconstitue les fichiers en doublure de la police allemande ! Grenier est arrêté le 5 octobre comme Mauvais et tous les suiveurs pris au gîte. Interné à Aincourt, Grenier raconte encore : « Nous sommes près de trois cents militants, tous des communistes connus43. »

Le préfet de police Langeron, dans son Bulletin municipal du 21 octobre 1940, parle de « 871 meneurs » arrêtés de juillet à octobre ; et c’est vrai dans toutes les zones, le retour des militants facilitant la répression, puisqu’ils sont dans des localités où ils sont connus de tous, et a fortiori de la police. Un rapport de la Gestapo de janvier 1941, cité par Halvorsen, donne le chiffre de 1250 arrestations de communistes44. Là aussi, cette politique est critiquée par Moscou, par Dimitrov aussi bien que par Marty et Thorez : il ne faut pas, répètent-ils, engager trop de cadres. Ils ne sont pas écoutés.

42. La Vie du parti, septembre 1940. 43. Ch. TiHon, On chantait rouge, p. 317-318. 44. T. Haivorsen, « Die kommunisîischen Parteien Europas im zweitem Jaiir des deutsch-sowjetischen Paktes am Beispeiel Norwegens und Frankreich», Jahrbuch fur historische Kommunismusforschung, 1995, p. 47.

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D e l ’a ctiv ité

po litique à l *a c tiv ité po licière

c la n d est in it é t r a n spa r en t e en

B el g iq u e

Un scénario identique se reproduit en Belgique, et c’est pour cette « légalité »-là que José Gotovitch a inventé la saisissante expression de « clandestinité transparente » défen­ due, écrit-il, par le « parti de la guerre courte ». C’est évidemment un cas limite que celui du secrétaire national du PC belge, Julien Lahaut, député de Liège. Il sollicite le 6 juillet 1940 du Nationalsozialistische Volkswohlfart, chargé du rapatriement des Belges en Bel­ gique, l’autorisation de se rendre en France afin d’obtenir ces retours. Il l’obtient et fait revenir de nombreux jeunes Liégeois. Faut-il suivre José Gotovitch qui invite ses lecteurs à « replacer cette action dans son cadre », à comprendre que ce retour était « l’exigence quasi unanime du moment », et qui voit chez Lahaut de la naïveté et des illusions en même temps que sa grande gueule (il était « haut en voix », écrit-il) et son indiscipline ? Nous n’en ferons rien. Au mois de mai 1941, Julien Lahaut, excipant de son titre de député communiste, tient des réunions publiques à Seraing en toute impunité. Les com­ munistes interviennent certes pour soutenir les manifestations ouvrières : grèves, marches de la faim. Mais le journal clandestin du PC n’hésite pas à dénoncer nommément comme « partisan de la victoire des capitalistes anglais » le dirigeant JGS René Delbrouck - un véritable mouchardage au bénéfice de la police des occupants. En juin 1941, je lendemain même de l’attaque allemande, plusieurs centaines de militants sont ainsi pris et envoyés directement en camp ou dans les chambres de torture. Lahaut est du nombre. Cela ne prouve rien. Auparavant, sa politique était utile, mais le moment est désormais venu où elle ne l’est plus. L ’affaire Lahaut n’est pas un épisode subalterne, mais un témoignage de l’irresponsabilité de certains dirigeants et du désarroi de l’appareil L e « lé g a lism e » com m un iste en T chécoslovaquie

Une communication de Karel BartoSek dans un colloque parisien insiste beaucoup sur ce qu’il appelle le « légalisme » communiste entre 1939 et 1941 en Tchécoslovaquie, un j phénomène identique. Il cite ainsi une lettre de Gottwald sur la jonction entre « révolu­ tionnaires de l’intérieur et Armée rouge », annotée par Dimitrov, et multiplie les exemptes qui montrent que le PCT cherche à faire croire qu’il est investi à ce moment d’une « mission révolutionnaire », ce qui justifie son apparente « neutralité ». Ü a fallu, par exemple, six mois de discussion entre Gottwald et la Comintern pour que les communistes tchèques renoncent au patriotisme tchécoslovaque après îa sécession, décidée par Hitler, de la Slovaquie. Réaction pendulaire ? En mai 1941, l’ancien dirigeant de l’organisation communiste des petits paysans slovaques, qui a vécu dix ans en URSS, Jân Osoha, se prononce pour une « Slovaquie soviétique ». Qualifié de « sectaire », il recule finalement. Pour le reste, Jacques Rupnik écrit : « Entre septembre 1939 et jusqu’à l’entrée en guerre de l’URSS, le PCT ne participa que de façon limitée aux activités de la résistance. On peut dire que, pendant cette période, son appareil clandestin faisait un considérable “travail illégal” d’organisation nécessaire à sa préservation, mais assez peu de “travail de résis­ tance” 45.» Peut-être faudrait-il signaler pourtant qu’il subit une répression énorme. En fait, il avait déjà dû faire appel à ses réserves, les hommes des cadres des JC, les anciens de l’École Lénine. Il fallait mettre aux postes de commande des hommes expérimentés préparés à cette tâcheron le fit. On y mit Jaroslav Klivar, Emanuel Klima, Jan Cerny, Ladislav Hanus, Jan Zika, les frères Otto et Viktor Synêk. Jaroslav Klivar, un homme de l’appareil, 45. J. Rupnik, op. cit., p. 142.

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ancien des JC, des syndicats rouges, des Brigades internationales - la carrière modèle pour ces responsabilités -, tomba le 10 avril 1939. Après onze mois à la prison de Pancrac aux mains de la Gestapo, on l’envoya mourir à Oranienburg. Il n’était que le premier des membres des CC à périr. Le PCT envoya même - sacrifice suprême - ses deux meilleurs dirigeants ouvriers demeurés en usine, Frantisek Siska et Jân Ziska. En vain. Le premier CC lui-même tomba le 13 février 1941, donc bien avant l’attaque contre l’URSS. Bien des militants et des militantes, cadres dirigeants, étaient déjà dans les prisons. Il reste le problème de Julius Fucik : il a longtemps relevé du sacré mais est ouvert maintenant à la discussion : ce héros célébré dans 80 langues pour ses Écrits sous la potence, qui lui ont peut-être été en partie dictés, était-il vraiment un pur héros ou un maladroit et, de plus, un faible qui flancha ? Le débat est en cours. Le

d é b u t d ’u n t o u r n a n t

Lorsqu’au matin du 22 juin 1941 Dimitrov, convoqué d’urgence, se présente au Kre­ mlin, c’est pour apprendre que l’armée allemande a attaqué à l’aube. Tout va tourner brutalement dans l’univers et la vie des hommes de la Comintem. Avec d’importantes différences cependant selon qu’ils appartiennent à des nations occidentales ou coloniale èt semi-coloniales. Faut-il pour autant penser que c’est l’agression allemande contre l’URSS qui a seule déterminé le tournant et le cours ultérieur de sa politique et de celle de ses partis ? Certainement pas. En fait, déjà à cette date, avaient commencé dans le monde entier des actions de résistance aux armées ennemies, allemande, italienne, japo­ naise, occupant des pays agressés et présentement pillés et asservis. La situation imposée à l’Europe sous la botte brune provoque déjà des réactions populaires d’une telle ampleur et signification que Staline songe un instant à dissoudre la Comintem et en entretient Dimitrov. Le 20 avril 1941, il lui dit : Maintenant, les tâches nationales sont au premier plan pour tous les pays. Mais la position des partis communistes en tant que sections d’une organisation internationale subordonnée à l’exécutif de l’Internationale communiste constitue un obstacle. Dans la situation actuelle, l’appartenance à la Comintem facilite la persécution des partis communistes par la bourgeoisie, renforce leur isolement du reste de la population, empêche leur développement indépendant et la réalisation de leurs objectifs comme partis nationaux46; D comprend qu’il n’a plus les moyens de contrôler totalement les partis communistes dans îes pays ainsi embrasés et que des conflits armés avec l’occupant risquent de pro­ voquer une crise entre le ÏÏF Reich et l’URSS que celle-ci n’aurait pas voulue. Le Norvégien Terje Halvorsen présente dans ce débat des arguments solides47. Il reprend l’idée, exprimée par José Gotovitch à propos de la Belgique, d’un tournant de la Comin­ tern, non en juin 1941, avec l’attaque allemande, mais des mois auparavant, en janvier 1941* H souligne l’importance de îa grève d’Amsterdam en février, celle des mineurs français du Nord en mars, deux mouvements ouvriers de masse, dans des conditions terribles, où les communistes sont totalement investis. En N o r v è g e Terje Halvorsen s’inscrit en faux contre îes thèses traditionnelles qui ont fait du PC norvégien un parangon de la collaboration avec les occupants du pays. Il le fait avec des arguments solides, notamment des textes importants découverts dans les archives de la 46. Firîsov, colloque La Chaux-de-Fonds, p. 462 ; Firtsov, op. cit., p. 26. 47. T. Halvorsen, loc. cit., p. 32-51.

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D e L’ACTIVITÉ POLITIQUE à L’ACTIVITÉ POLICIÈRE

Comintern à Moscou. Bien entendu, le PC norvégien, pendant la période qui va de Tinvasion du pays, le 9 avril, à son interdiction par les occupants allemands, le 20 août, a défendu la ligne de la Comintern comme il la comprenait, politique de paix, dénonciation des responsabilités britanniques dans la guerre impérialiste. Mais la direction de la Comintem apporte une note nouvelle dans ses directives du 28 juin 1940 : ce jour-là, une lettre du secrétariat de l’exécutif préconise une nette délimitation d’avec les autorités d’occupation, une lutte idéologique contre le fascisme et ses thèmes favoris comme l’antisémitisme, une propagande en ce sens auprès des soldats de l’armée allemande d’occupation, enfin, trace comme perspective la lutte pour l’indépendance nationale à travers la lutte contre la clique Quisling mise au pouvoir par les nazis48. En septembre, le PC norvégien commence à s*investir dans les syndicats, qui, eux, n’ont pas été dissous : un des leaders de l’ancienne opposition syndicale, le dirigeant des ouvriers du bâtiment Jens Tanger, prend pour secrétaire l’ancien dirigeant communiste Martin Brendberg, constituant ainsi une force qui peut commencer à s’opposer ouvertement au gouvernement « national » installé parîes nazis4!). L ’exécutifne semble pas s’être montré début 1941, selon l’historien Trond Gilberg, à Oslo entre un de ses représentants et îa direction du NKP50. Peu après, cependant, Florin, au nom de î’exécutif, met ce dernier en garde contre les tendances à îa capitulation devant les nazis, qu’il redoute de la part de Tanger. De nouvelles directives, en février 1941 insistent sur la nécessité de préserver i’indépendance des syndicats visà-vis du gouvernement et de l’occupant : la classe ouvrière doit prendre la tête de la lutte pour l’indépendance nationale, et ne pas hésiter à s’allier à des groupes qui attendent le salut de Londres51. Les nazis ne s’y trompent pas.

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Aux P ays-Bas

La grève d’Amsterdam de février 1941 est tombée dans les oubliettes de l’histoire. L ’événement est pourtant d’importance. Des manifestations quotidiennes dans îe centre d’Amsterdam et des heurts avec îa police et les nazis du SRB hollandais. Une grève des : métallos contre l’envoi de travailleurs en Allemagne. Une campagne généralisée contre . les mesures antisémites de l’occupant. La grève des étudiants de Delft et de Leyde contre la révocation des professeurs juifs. Des groupes ouvriers de pîus en pîus nombreux et agressifs contre les groupes de choc des nazis hollandais. W.S. Pelt écrit à propos de la grève du 25 février : Jansen rédigea un appel à une grève dirigée presque exclusivement contre îes forces d’occupation et la terreur antisémite des nazis. Pas un mot, dans ce manifeste, contre l’impérialisme . [ britannique, Tandis que cette proclamation était en elle-même une rupture nette avec la politique | du pacte, la grève ainsi proposée allait au-delà des limites fixées par îa politique de la Comintern. Des centaines de milliers de grévistes se dressaient contre l’occupation allemande. Les transports publics étaient paraîysés et il y avait de violentes confrontations entre les Hollandais et la police allemande [...] ; la grève, qui s’était répandue dans toutes les villes autour d’Amsterdam, se teimina au bout de deux jours52. L ’intervention des SS fut brutale et décisive. A Amsterdam, il y eut 13 morts et des dizaines de blessés, un grand nombre d’arrestations. La répression fut particulièrement sévère à Fégard des communistes : José Gotovitch parle de l’arrestation en six mois de 48. T. Halvorsen, loc. cit., p. 39-40 ; RTsKhINDI, 4918-1322. 49. Ibidem, p. 40-41. 50. Trong Gilberg, op. cit., p. 103. 51. T. Halvorsen, loc. cit., p. 43-44. RTsKhINDI, 495-15-61. 52. Colloque d’Amsterdam, W.S. Pelt, The CP o f the Netherlands and the Comintern, p. 17.

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interlude

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1 000 communistes, soit en gros la moitié du parti d’avant guerre53. Comment expliquer cette explosion populaire qui a entraîné avec elle les cadres du Parti communiste ? Les aspirations des masses n’étaient pas un privilège des Pays-Bas en ces débuts d’occupation del’Europe par l’Allemagne. Et ce n’est pourtant pas pour autant qu’il y eut des explosions de ce type dans tous les pays à cette date. Sans doute faut-il chercher îes raisons de cette explosion dans la situation particulière du parti néerlandais - le CPN, bien que peu nombreux, quelques milliers de membres -, car il était la direction reconnue d’un puissant mouvement de chômeurs. Dans la Comintem, il avait occupé les dernières années une place à part. Sa direction est apparue très désorientée, puis très divisée, comme le montrent ses textes successifs, face au pacte et surtout à ses conséquences. Pelt relève îa prudence du parti dans ses activités de 1939-1940, mais aussi la combativité accrue des chômeurs devant l’aggravation de leurs difficultés. Le CPN n’était d’ailleurs pas passé dans la clandestinité, même s’il s’était donné une direction restreinte, une troïka dirigée par De Groote, qui espérait, selon Pelt, une convocation à Moscou d’où il pourrait diriger son parti par la radio de î’OMS54. Aux Pays-Bas aussi on a négocié la parution légale de l’organe communiste, ici le Het Voîksdagbiat. Un projet d’article de De Groote, non signé, préconisant une attitude « cor­ recte » vis-à-vis de l’occupant, a été rejeté par Moscou, à qui Fried l’a transmis, et, si l’on en croit Pelt, « a provoqué dans îe parti beaucoup de confusion et d’irritation55». Un tournant est très tôt perceptible, que 1aComintem ne semble pas avoir combattu, alors que Gottwald Fa fait au même moment en direction de la Tchécoslovaquie. En novembre 1940, un article probablement inspiré par la ligne des gens du KPD à Amsterdam, sous la direction de Knochel, a tracé un signe d’égalité entre les deux ennemis, laissant pourtant entendre que l’ennemi principal est le Reich allemand à cause des ses visées annexion­ nistes56. Dans 1a voie de l’agitation antinazie, les communistes néerlandais avancent beaucoup plus loin que leurs camarades français et belges, ce qui ne va pas sans contradictions. Tetje Haïvorsen cite des mots d’ordre lancés en novembre 1940 par De Waarheid clan­ destine contre « 1efascisme », F« antisémitisme et ie racisme », la collaboration avec « la puissance occupante57». Mais quand Alex De Leeuw soutient des idées de « résistance » avant la lettre - alliance avec la fraction probritannique de la bourgeoisie néerlandaise -, iî est exclu au début de 194158. Rien, décidément, n’est simple. En fait, les journées d’Amsterdam, magnifique mobilisation collective, montrent que les larges masses sont prêtes à se mobiliser non seulement sur des mots d’ordre de classe, économiques, sociaux, politiques, mais aussi qu’eîles s’engagent de leur propre mouvement vers le combat armé et qu’elles ne peuvent aboutir que par l’organisation de la lutte armée. G u é r il l a a u x P h il ip p in e s ?

Cette période se place sous le signe du grand succès communiste que constitue la fusion des deux partis, communiste et socialiste. Le nouveau parti, appelé « parti com­ muniste », était dirigé par d’authentiques communistes dont son président, Cristano Evangelista. Le nouveau PC philippin, fort de ses liens avec îes masses paysannes, commence53. J. Gotoviîch, Du rouge au tricolore, p. 141-142. 54. W.S. Pelt, op. cit., p. 16.

55. Ibidem. 56. Ibidem, p. 18-19. 57. T. Halvorsen, loc. cit., p. 49. 58. W.S. Pelt, op. cit., p. 6-17.

D E L’ACTIVITÉ POLITIQUE À L’ACTIVITÉ POLICIÈRE

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t-il à organiser ses forces en vue de îa guériîla ? Ce serait une réponse facile, mais on peut en douter. On sait seulement qu’en octobre 1941 il avait proposé aux autorités de contituer une armée pour lutter contre les Japonais, proposition qui avait été repoussée. La vérité est que le moteur du mouvement pour une action armée, ce sont les masses paysannes et leur organisation, et que certains communistes y sont appréciés. 20 000 pay­ sans pauvres sont déjà organisés contre les grands propriétaires et se sont donné un embryon d’armée avec ies groupes de défense paysans, dans îe centre de Luzon. Quand l’armée japonaise arrive et arrête ses principaux dirigeants, Cristano Evangelista et Pedro Abad Santos, bientôt assassinés en prison, îe PC philippin est prêt au combat armé que prépare sa « commission militaire », présidée par Luis Taruc. G

u é r il l a e n

G rèce ?

Il a fallu l’instauration d’une féroce dictature fascisante en Grèce sous le général Metaxas pour sauver la monarchie abhorrée du roi Georges et de ses protecteurs britan­ niques, sans oublier la reine Frederica, ancienne des Jeunesses hitlériennes et petite-fille de Guillaume II. Mais l’échec de l’invasion italienne, puis l’intervention allemande, qui a mis fin à la résistance grecque, constituent une nouvelle donne, au moins aussi importante que îe piîîage des ressources alimentaires par les occupants. Les troupes allemandes entrent dans Athènes un dimanche d’avril 1941. L ’effondrement de l’armée grecque et l’inévitable désordre provoqué dans i’appareil d’État par îe passage à une administration au service de l’occupant ont eu deux conséquences capitales pour îe déroulement ultérieur des événements et de ce qu’on appelle « la Résistance ». D’une part, paysans et ouvriers ont souvent pu constituer des stocks d’armes abandonnées ou jetées par ies militaires. D’autre part, la désorganisation temporaire des institutions répressives a permis plusieurs centaines d’évasions, et, au premier chef, de cadres communistes emprisonnés par le régime métaxiste. Le résultat est que des unités de guérilla se forment et commencent à combattre, particulièrement dans la région de la Thrace et de la Macédoine, où se trouvent des armes en abondance. Elles subissent, semble-t-il, de sérieux revers. Par ailleurs, un « groupe d’orientation » formé de cadres moyens du PCG est formé à Athènes, qui cherche à reconstituer le parti et à le lancer dans l’action. Le PC - le CC de Siantos, désormais authentifié - réussit ainsi à fonder l’EA (Solidarité nationale), destinée à recueillir les fonds pour aider les victimes de îa répression, puis l’EEAM (Front national ouvrier de libération), qui groupe les trois centrales syndicales. Mais il ne réussit pas - du moins . pour le moment - à convaincre les grands partis, le Parti libéral et le Parti progressiste, 1 de constituer avec lui et d’autres formations plus modestes un Front national de la résis- f tance. La situation et difficile pour ia Comintern, qui n’a personne sur place alors que ies dirigeants communistes grecs en qui elle a confiance et qu’elle a mis en place, comme f Nikos Zachariadès, sont en prison et n’en sortiront pas. En outre, le roi s’est réfugié sous i la protection britannique ainsi que ies débris de l’armée et de la flotte royales, réorganisés en Egypte sous des officiers métaxistes. La Grèce est un cocktail qui peut exploser à tout i; moment, dont elle ne sait que faire et dont, pour îe moment, elle ne peut rien faire, f % D’ailleurs, l’attaque allemande va accaparer très bientôt toute son attention. E n Y o u g o s l a v ie

La Yougoslavie va être bientôt un autre problème de ce genre. Là non plus, il n’y a pas de représentant de îa Comintern, seulement deux possibilités de contact par RadioZagreb et Belgrade. Là, tout a commencé par l’engagement du régent Paul dans l’alliance allemande, vraisemblablement dans îa perspective de l’attaque contre l’Union soviétiq u e.

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Mais le même jour éclataient dans toutes les grandes villes du pays des manifestations populaires dénonçant sa « trahison ». Le 27 mars, un groupe de jeunes officiers réalisait un coup d’État pour renverser la politique extérieure du pays et installait au gouvernement le générai Du§an Simovitch, qui n'avait aucune idée de la politique à mener. Hitler, lui, après avoir largement consulté ses alliés, commença l’attaque en bombardant sauvagement Belgrade le 6 avril 1941. Dimitrov, de Moscou, demanda par radio s’il y avait des survivants dans le comité central. Ils avaient tous survécu. Le poste radio de Belgrade avait été détruit. Le gouvernement et le roi, avec les principaux chefs militaires, avaient pris la fuite en avion et mis le cap sur la Grande-Bretagne. Réuni dans un appartement de Zagreb, fin avril, le comité central du PCY décida le passage à la lutte armée. Il en prévint Dimitrov par radio. Moscou lui dit que les Yougoslaves menaient contre l’Alle­ magne « une guerre juste », ce dont ils se doutaient. Tout le monde savait que l’attaque hitlérienne contre l’URSS était imminente. Le peuple yougoslave serait ainsi galvanisé dans sa propre insurrection que les communistes préparaient activement, dans une ambiance caractérisée par la terreur imposée par l’occupant àTensemble de la population et par la désorganisation qui laissait les mains libres aux chercheurs d’armes et aux chercheurs d’hommes. E n F rance

L’ouvrage de Claude Angeli et Paul Gillet puis celui de Charles Tillon ont les premiers attiré l’attention sur la coexistence au sein des différents PC, à commencer par le PCF, de deux « lignes », ce qui est beaucoup dire. On connaît celle de la « guerre courte » et de la « clandestinité transparente ». L ’autre était celle de la lutte armée contre l’occupant. Bien sûr, depuis l’été 1940, le ton du PC était devenu extrêmement dur à l’égard du régime de Vichy et du maréchal Pétain, sans pour autant cesser de brocarder le général de Gaulle et sans s’en prendre au nazisme. Mais il y a très tôt des exceptions. Ainsi, fin juillet 1940, Charles Tillon, à Bordeaux, rédige une directive aux cadres de sa région dans laquelle il désigne comme les ennemis « îes oppresseurs et exploiteurs, les capitalistes, leur tourbe de valets et de traîtres et les envahisseurs auxquels ils ont livré l’indépendance du pays ». Dans les mots d’ordre de la fin, on retrouve côte à côte « A bas la guerre impérialiste et antisoviétique » et « A bas le fascisme international »59. C’est en tout cas à lui et sans doute en toute connaissance de cause qu’est confiée l’organisation des « groupes spéciaux » (OS) qui ne sont pas encore prévus pour une action « contre les occupants » mais en seront de fait îe noyau. Ce n’est pas non plus une nouveauté extraor­ dinaire que l’appel, avant l’attaque allemande, à la constitution en France d’un Front national, même si, pour les adeptes du Meccano, elle est un cuisant démenti. La grève des mineurs du Nord et du Pas-de-Calais commencée au puits Dahomey de Montigny-en-Gohelle le 26 mai 1941 marque en effet le réveil des travailleurs en tant que force politique et sociale. Les « gueules noires » ont fait grève pour leurs revendica­ tions. Ce fut, écrit Roger Pannequin, « une grève organisée, mais sur la base d’un mou­ vement spontané60». Leurs revendications sont celles de travailleurs exploités dont les conditions de travail et de subsistance menacent la vie même : ils veulent des pommes de terre, du pain, du savon mou, l’augmentation des rations, l’extension des droits des ouvriers étrangers61. Ils ont contre eux les compagnies, les autorités françaises, la police française, la police et l’armée allemande, avec eux un Parti communiste réorganisé dans 59. C. Angeli et P. Gillet, Debout, partisans!, p. 118-120. 60. Roger Pannequin, Ami, si tu tombes, p. 44. 61. C. Angeli et P. Gillet, op. cit., p. 272.

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De L’ACTIVITÉ POLITIQUE à L’a c t i v i t é POLICIÈRE

cette région par Auguste Lecœur. Ils ont avec eux la population laborieuse du bassin, comme le montre îa manifestation de 2 000 femmes îe 29 mai devant le siège des com­ pagnies à Hénin-Liétard, marquée par îa prise de parole d’une militante, Émilienne Mopty. Ils protègent par des jeunes gens sommairement armés les prises de parole et les diffusions de tracts62. Us gagnent sur leurs revendications et reprennent îe travail le 9juin. Les cadres de cette grève seront ceux de la lutte armée pour îe reste de îeur courte vie : outre Michel Brûlé, c’est en elle et autour d’elîe qu’apparaissent les premiers chefs communistes de partisans, Julien Hapiot, surtout, JC et ancien d’Espagne, Charles Debarge, Eusebio Fer­ rari. Roger Pannequin, qui fut des leurs, raconte que Julien Hapiot l’avait convaincu que « l’issue de la guerre serait révolutionnaire63», qu’il critiquait la direction du PC, qui s’en prenait à Vichy sans mentionner l’occupant, et disait : « Ils ne comprennent pas qu’il faut tuer le maître avant de tirer sur le chien64. » II faut en tout cas relever que ni îa radio anglaise ni îe général de Gaulle à Londres n’ont jugé bon de parler de îa grève des mineurs français dont le caractère de classe évidemment inquiétant à leurs yeux - justifiait sans doute îeur décision de ne pas la ranger parmi les actions de « résistance ». De son côté, VHumanité salua la grève comme une lutte revendicative, sans plus. Anticipant sur la « Résistance », sans évidemment s’en douter, le CC du PCF envoya une adresse particulière aux mineurs du Pas-de-Calais, proclamant : «Vous, mineurs, qui avez combattu côte à côte, restez unis et dites-vous bien que ce n’est pas dans la victoire d’un impérialisme sur un autre que réside notre salut commun65. » L ’ i n é v it a b l e c o n f l i t

Y a-t-il donc eu deux courants au sein du PCF, deux courants au sein de îa Comintern ? Nous n’en croyons rien. Des hommes, en cette époque difficile, ont souvent cheminé seuls et sont amvés à des conclusions différentes ou identiques à des moments distincts. Fondamentalement, pourtant, c’est îa situation des masses, le début des luttes contre l’occupant et les capitalistes à la fois, qui ont dicté un changement d’orientation à un moment où il allait être rendu explosif par l’attaque contre l’URSS, que tout le monde attendait. Ce toumant-îà, la Comintern ne pouvait pas ne pas îe prendre - ne serait-ce que si elle voulait maîtriser ensuite un mouvement qui risquait de brouiller ses cartes et la politique de Staline. Le mouvement qui commence dans les rues d’Amsterdam et les mines du nord de la France occupées annonce un soulèvement de classe d’une ampleur sans précédent, préface d’une lutte armée non seulement inévitable, mais nécessaire, que l’attaque allemande contre l’URSS et le tournant « patriotique » de la Comintern vers îa guerre vont cependant dévier vers une politique chauvine antiallemande. Les responsables staliniens en comprennent îe danger et tentent de lui fixer des limites : il est significatif que ce ne soit pas au lendemain de la grève d’Amsterdam, mais au lendemain du 22juin 1941, que, faisant appel à ses anciens d’Espagne, le CPN constitue et fait entrer en action ses « M il’groupes » (Groupes militaires) dirigés par Jan Hendrik Van Gilse, un ancien interbrigadiste. Lénine avait lutté pour la transformation de la guerre impérialiste en guerre civile. L ’agression d’Hitler contre l’URSS allait permettre de transformer ia guerre civile internationale, qui commençait à se dessiner, en une « grande guerre patriotique ». Nous retiendrons à ce sujet le rapport écrit à îa mi-juin, quelques jours avant î’agression 62. R. Pannequin, op. cit., p. 103. 63. Ibidem, p. 90. 64. Ibidem. 65. L ’Humanité, 20 juin 1941.

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allemande, par un des hommes de la Comintem, Joseph Epstein. Il commence par une remarquable analyse de la situation en France après une année d’occupation et conclut : « Si un jour l’URSS entrait en guerre contre l’Allemagne, elle aurait avec elle l’immense majorité du peuple de France66. » L ’espoir s’y lit entre les lignes, comme dans l’assurance toujours réitérée dujeune communiste d’origine italienne, Eusebio Ferrari, un des premiers partisans français : « L ’URSS ne peut pas nous laisser tomber67. » En attaquant l’URSS, Hitler tranche d’une certaine façon pour un temps le nœud gordien de la politique stali­ nienne et réconcilie avec eux-mêmes les membres des partis communistes d’Europe. Pourtant, cette homogénéité apparemment retrouvée ne règle pas pour autant les problèmes de l’appareil, de son insécurité, de sa rancune tenace. Ce n’est sans doute pas par hasard que des hommes connus pour avoir été en 1940 et 194Î sur une ligne de « révolution et de lutte armée », comme le Catalan Josep Miret ou îe Français Julien Hapiot, sont morts dans des conditions que certains de leurs camarades, des années plus tard, disent « mys­ térieuses », et que des hommes des services ou réputés tels sont accusés ou soupçonnés de les avoir livrés. On ne prête qu’aux riches. : Bien entendu, dans ce moment où l’on semble vouloir écarter les éléments considérés comme fragiles, ou prônent au contraire îes hommes - ou les femmes - sûrs du fait de leur appartenance à l’élite du Saint des Saints, les Cadres : ainsi Springhaîl en GrandeBretagne. Arthur Dallidet et Pierre Villon en France, Carmen de Pedro en Espagne. Ils sont les piliers de îa nouvelle fondation, extensions au cœur de l’appareil pour des partis à rebâtir.

66. Reproduit dans C. Angeli et P. Gillet, op. ci!., p. 286-291, ici p. 291. 67. C. Angeli et P. Gillet, op. cit., p. 281.

CHAPITRE XXXIV

La « Grande Guerre patriotique »

Le 16octobre 1941, à 11 heures du matin, raconte Valentin Berejkov, les fonctionnaires: du ministère des Affaires étrangères, où il travaillait, ont été prévenus de la décision d’évacuation immédiate. Il raconte : « Dans la haute salle d’attente de la gare de Kazan, il y avait beaucoup de voyageurs. Parmi eux se trouvait un groupe de collaborateurs de la Comintern avec, à sa tête, D.Z. Manouilsky. Ils devaient également quitter Moscou. L ’embarquement n’était pas encore annoncé. Les voyageurs faisaient les cent pas dans la salle, formaient des groupes, discutaient des derniers événements. J ’allai vers Manouilsky » La Comintern quittait Moscou. Elle ne devait jamais plus y revenir, et c’est une scène à la fois historique et banale que dépeint ici l’ancien interprète de Staline. L a DERNIÈRE « RÉORGANISATION »

Le 22 juin 1941, une réunion extraordinaire de l’exécutif de la Comintern avait décidé d’établir une direction de crise, la troïka Dimitrov, Manouilsky, Togliatti, pour la direction au jour le jour du travail de la Comintern. Dans la nuit du 1B au 19, alors que les troupes allemandes approchaient dangereusement de Moscou, la décision fut prise d’évacuer » l’appareil de l’exécutif à Oufa - et non à Kouibychev, où se trouvait Dimitrov, pour des raisons que nous ignorons. Eleonora Chakhnarazova dit à ce sujet : j Les structures d’organisation suivantes y fonctionnèrent : le secrétariat du CEIC, l’appareil du [ secrétariat du CEIC (les assistants politiques des secrétaires duCEIC, les conseillers et consultants I politiques), les missions des partis communistes d’Autriche, Bulgarie, Allemagne, Espagne, Italie, Turquie, France, Tchécoslovaquie, le département du personnel, celui de la presse et de la pro­ pagande, les comitésderédaction desradios, le départementétabli par la combinaison des sen.ces des liens internationaux et le département des affaires de l’exécutif2. Le soir du 22, par train spécial, les secrétaires étaient partis pour l’ancienne Samara, Kouibychev, « où irait le gouvenement », précise Ceretti. Le gros des collaborateurs irait 1. V. Berejkov, J ’étais interprète de Staline, p. 113. 2. Adibekov et Chakhnarazova, « Reconstructions of the Comintern organizational Structure », The International Newsletter of Historical Studies, 1994-1995, II, n055-6, p. 33.

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L a « G rande G u erre

patriotique

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à Oufa, à 500 kilomètres de là. Il n’y avait d’ailleurs plus guère de Comintem. Ce sont, semble-t-il, les secrétaires respectifs de Manouilsky et de Dimitrov, le Hongrois Ernô GerÔ et le Bulgare Stepanov - tous deux de retour d’Espagne - qui assurèrent le travail courant, même plus un travail de liquidation des affaires courantes, bien que îa Comintem servît encore d’intermédiaire pour des problèmes importants. A Oufa, bien des gens du Lux ont l’impression d’être tombés ou retombés au bas de l’échelle sociale, avec les équipements sommaires de l’ïnstitut de géophysique, de grandes chambres collectives sans sommier ni matelas où l’on dort à même le sol. Les plus importants d’entre eux bénéficient cependant du confort relatif de l’hôtel Bachkiria : c’est le cas de Dimitrov, de Manouilsky et de Lebedeva, quand ils sont là - très rarement -, et, en permanence, d’Ercoli, le seul de la troïka présent à Oufa, de Boris Ponomarev, Anna Pauker, Dolorès Ibarruri, Togliatti, André Marty, Koplenig, Klement Gottwald, Pieck, Ulbricht, Geminder. C’est aussi à Oufa, dans l’enclave de Kouchnarenkovo, que se trouve l’École Lénine, devenue simplement l’école de la Comintem. Enseignants et élèves appartiennent au même monde, parfois aux mêmes familles que ceux de l’Institut et de l’hôtel Wolfgang Leonhard a témoigné sur les études et la vie dans cette école3. Vlahovié, du PCY, n’est pas là. LA «MÉCANIQUE» DE L’HlSTOIRE

Certains historiens croient que tout est simple et mécanique, que tout s’articule sans contradiction, que les communistes ont pris les armes quand il a fallu défendre l’URSS en guerre. Mais, dans l’histoire, comme alors dans le vaste monde, il n’y a pas seulement « les communistes » et « l’URSS », il y a des classes, des entrepreneurs ou managers qui veulent préserver et assurer leurs profits, des chefs militaires qui sont prêts à sacrifier des centaines de milliers d’hommes pour un bâton de maréchal, et aussi des millions qui ne veulent ni ne peuvent plus vivre comme ils y sont obligés, des gens qui préfèrent mourir debout que vivre à genoux. B faut comprendre tout cela pour comprendre ce qui s’est passé aussi chez « les communistes » comme dans « la Comintem » à partir de 1941. Ce qui se passe d’abord, dans un certain nombre de pays, c’est la guérilla paysanne. Les communistes ne la « font » pas, comme l’écrivent certains, elle naît sous l’action de leurs mots d’ordre là où ils rencontrent de l’écho et à travers leur action d’organisation quand ils ont quelque expérience. Parfois, ils sont obligés de chevaucher tant bien que mal un mouvement parti en dehors d’eux, et d’autres fois ils ont seulement à labourer un terrain favorable, pour que tout se coule dans le cadre qu’ils ont préparé. Parfois aussi, ils sont entraînés si loin de leur point de départ qu’ils ne se reconnaîtront pas eux-mêmes. G r èc e « e r r e u r » a u

d épa r t

C’est le 1erjuillet 1941 que se réunit à Athènes le nouveau comité central du PC grec, formé par cooptation au cours des semaines précédentes à partir du noyau Siantos. Il compte quelques militants connus et éprouvés comme Dimitris Glinos - qui a pris les contacts avec les autres partis - Petros Roussos et Andréas Tzimas. II explique que l’agression allemande a changé le caractère de la guerre et qu’il l’a transformée en une guerre progressiste des peuples dirigée contre la « barbarie fasciste ». L ’auteur de La Résistance grecque, l’historien André Kedros, commente : Les communistes grecs ont été peu ébranlés par les implications du pacte germano-soviétique. Leurs dirigeants véritables sont des hommes d’origine populaire, étroitement liés aux masses, d’une grande combativité et ne manquant pas de pénétration dans l’analyse des phénomènes 3. W. Leonhard, Child of the Révolution.

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politiques intérieurs. Mais parmi eux sont peu nombreux ceux qui, comme Zachariadis, ont pu suivre les écoles supérieures du parti en URSS. Ces hommes au caractère d’acier non seulement n’ont pour ainsi dire jamais voyagé à l’étranger, mais ont été coupés du monde par la prison et la déportation. De ce fait, leur formation théorique et leur information générale laissent souvent à désirer. Il en résulte que beaucoup d’entre eux ont une méconnaissance très fâcheuse des problèmes internationaux, voire une certaine allergie. Cette allergie [...] a préservé dirigeants et militants de la crise qui s’est fait jour dans les partis communistes de l’Europe occidentale après la signature du fameux pacte. Et de conclure doctement, disons-le, de façon plutôt inattendue, que « l’inexpérience des affaires internationales, privant les dirigeants communistes de la hauteur de vue nécessaire aux véritables hommes d’État, leur fera commettre plus tard des erreurs graves qui coûteront cher à leur parti, au mouvement de la Résistance et finalement au peuple grec tout entier4». C’est un véritable tour de force intellectuel qu’accomplit ici cet historien incontestablement honnête. Parti de prémisses justes, il aboutit à la conclusion radicalement fausse qui fait porter aux dirigeants du PC grec de 1941 les ,responsabilités historiques qui sont en réalité celles de Winston Churchill et de Staline, pour ne parler que de ceux qu’on appelait alors « îes Grands ». Par-dessus îe marché, c’est au cours de la réunion qu’il commente dans les termes cités ci-dessus que îes dirigeants communistes grecs firent les deux glissades qui allaient les perdre - et îeur mouvement avec eux - aux yeux de Staline et des dirigeants serviles de la Comintern, îes deux « erreurs graves » qu’on peut leur reprocher d’un point de vue stalinien. La première est d’avoir écrit parmi îes objectifs du parti, au sujet de la formation d’un gouvernement provisoire : «D aura îa tâche de rétablir îes libertés démocratiques du peuple, de veiller à ce que celui-ci ait du travail et du pain, de convoquer une Assemblée nationale constituante et de défendre l’intégrité de îa Grèce contre toute puissance impé­ rialiste5. » En écrivant ces lignes, les dirigeants ont sans aucun doute exprimé la volonté des communistes grecs et, plus profondément du peuple grec, qui abhorrait la monarchie, le monarque et son « protecteur » britannique, mais ils ont du coup pris position, faisant obstacle à la politique extérieure d’alliances de Staline, qui, par devoir envers le gouver­ nement Churchill, se devait de ne faire aucune menace ou atteinte aux intérêts des Bri­ tanniques « protecteurs de îa Grèce » et de respecter la monarchie, l’un des instruments de cette domination. La même déclaration récidivait, sur un plan plus général, il est vrai, en assurant, contrairement à la ligne de Staline et de la Comintern, qu’il s’agissait « d’organiser la révolte du peuple pour une libération nationale et sociale de la Grèce6». C’était mordre très sérieusement le trait, et pour la troisième fois. Quant à nous, nous préférerions dire que la seule erreur des communistes grecs en ce 1er juillet 1941 fut à nos yeux de n’avoir pas compris ce qu’étaient le stalinisme et sa politique.

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DÉVELOPPEMENT DES LUTTES DE MASSES EN GRÈCE

C’est le 27 septembre 1941 qu’est créé îe Front national de libération, l’EAM, que rejoindront plusieurs petits partis, dont le Parti sociaî-démocrate. Son programme - qui a néammoins supprimé les mots de « libération sociale » et de « puissance impérialiste » reprend le reste du programme du parti, l’indépendance nationale et l’assemblée consti­ tuante. Nous pensons qu’Àndré Kedros, qui souligne avec beaucoup de bonheur que 4. A. Kedros, Histoire de ia Résistance grecque, p. 104. 5. Ibidem, p. 105. 6. Ibidem.

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l’appel de TEAM au peuple entier, où les communistes sont cités sur le même plan que les petits-bourgeois et les artisans, n’a aucun caractère de classe. Nous pensons surtout qu’il a tort de considérer que le mot d’ordre de « gouvernement de TEAM » a inquiété les éventuels alliés. Le vrai problème, c’est le mot d’ordre d’assemblée constituante, qui s’opposait de front à Churchill, et à Staline par voie de conséquence. En tout cas, réponse du berger à la bergère, c’est dans la même période que naît une autre organisation de type front, l’EDES, union nationale grecque démocratique patronnée en exil par le général républicain Plastiras et dont l’homme fort est le général Napoléon Zervas. Mais TEAM est une organisation de masses superbement organisée, et c’est vers elle que se tournent les masses : manifestation de 6 000 mutilés de guerre du 26 janvier, encadrée par des infirmières de TEAM, deuxième manifestation de mutilés le 17 mars, nombreux rassem­ blements du 25 mars 1942, jour de îa fête nationale, du 12 au 21 avril, grève des 50 000 fonctionnaires de l’État qui obtiennent satisfaction sur les salaires, grève de l’usine d’engrais du Pirée en août, manifestation ordonnée de 4 000 paysans dans îe Péloponnèse et enfin grèves et manifestations les 20 et 21 décembre contre la terreur - 40 000 grévistes à Athènes et au Pirée - et, pour couronner le tout, véritable « levée en masse » (l’expres­ sion est d’André Kedros) contre le service obligatoire du travail en février 1941, avec ses manifestations géantes et la grève des fonctionnaires en mars 1942. Toutes ces actions constituent une immense chanson de geste, la plus belle de la lutte des travailleurs européens pendant l’Occupation. Fait unique, devant cette résistance qu’il ne peut briser, le gouvernement du Reich renonce à introduire le STO en Grèce. La

lu t t e a r m ée en

G r èc e

C’est à l’été 1942 que sont constitués les premiers groupes à'andartes. La première implantation a été réalisée sous les ordres du kapetanios Athanassas Klaras, qui va devenir Aris Velouchiotis. Trente-sept ans', ancien militant du PC grec, dirigeant des JC, héros de la lutte antimilitariste, plusieurs fois emprisonné dans les aventures de la troisième période, devenu un dilossias (renégat) quand il a subitement signé en 1939 une déclaration de repentir qui le poursuivra toute sa vie et dont on ignore dans quelles conditions elle fut faite. Héros populaire admiré et redouté, Aris devient pourtant très vite la figure de proue de l’organisation militaire de l’EAM, FELAS (Armée nationale de libération du peuple). Ses succès militaires ne se comptent pas, face aux Italiens, puis face aux Allemands ou aux collaborateurs. Mais les deux faits capitaux sont d’ordre politique. L ’apparition de ses hommes dans les villages s’accompagne d’une véritable « révolutionnarisation ». Pour mobiliser le paysan contre l’occupant, on le mobilise d’abord contre l’ennemi naturel, le riche propriétaire, le bourgeois, îe gendarme. Sous l’égide des hommes d’Aris, les assem­ blées générales de villageois désignent des conseils municipaux qui sont de véritables soviets, exerçant tout le pouvoir local, y compris la «justice populaire ». Un rapport de l’Abwehr de novembre 1942 signale : « Dans la région Trikala-Karditsa, certains districts sont totalement entre les mains des bandes, de sorte que 1a population obéit aux ordres des chefs de bandes7. » C’est que partout et très vite l’exemple d’Aris et de ses hommes a été suivi. André Kedros écrit : « Ce même rapport évoque de nombreuses attaques de partisans contre des postes de gendarmerie, des préfectures et des mairies. Les andartes brûlent les documents officiels, exécutent les traîtres et les V Manner (agents allemands), s’emparent des céréales réquisitionnées par le gouvernement et les distribuent à la popu­ lation qu’ils incitent à la rébellion8. » 7. A. Kedros, op. cit., p, 131. 8. Ibidem.

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De plus en plus, et par la force des choses, la « Grande Guerre patriotique » des : Soviétiques devient en Grèce une guerre civile. L ’EAM s’en prend aux forces de l’ordre, et en premier lieu aux organisations fascistes, réussissant par exemple à dynamiter les ■ locaux de l’organisation nationale-socialiste grecque, FESPO, exécutant l’état-major de deux autres, similaires, l’EEE et l’OEDE. La bourgeoisie grecque collaboratrice et les Allemands ripostent en créant des organisations prétendues « résistantes » à leur botte, « l’organisation X » du colonel Grivas, la PAO, que l’EAM-ELAS réussit à détruire. Ces formations sont soutenues non seulement par l’occupant et par le gouvernement qu’il a mis en place, mais aussi par le gouvernement royal en exil et par certains services secrets •; alliés. Il y a des incidents entre les maquisards de l’ELAS et les hommes de Zervas, F beaucoup plus à droite que l’EDES qu’il représente. C’est dans ce contexte qu’au début : de l’année 1943, et malgré les risques que cela représente pour lui, Aris est convoqué à Athènes par Siantos, dont l’évasion, en septembre 1940, a fait le secrétaire général du PC grec. L ’affaire se solde par une semonce. Siantos demande à Aris de veiller à ce que ne se reproduisent pas des « erreurs » comme son incursion dans les territoires de l’EDES à la poursuite de déserteurs de l’ELAS, ou certains « excès » - le massacre, commis d’ail- . leurs en son absence, d’une famille de collaborateurs. Rien n’indique qu’Aris ait résisté. Il semble, selon Kedros, qu’il ait alors été réintégré dans le PC grec et qu’il soit remonté dans la montagne avec l’intention d’appliquer les nouvelles directives. La tâche n’est pas facile. La nouvelle idée du brigadier Myers, chef du SOE en Grèce - l’homme qui voit en Aris l’ennemi n° 1-, est en effet de s’appuyer systématiquement sur ce qu’il appelle les « bandes nationales apolitiques », qu’il promet de financer et d’armer. Napoléon Zervas se rallie aussitôt pour profiter de la manne. L ’opération fait long feu. Myers a misé sur le colonel Saraphis, un officier de la gauche modérée, chef d’une organisation d’officiers antiallemands, l’AAA, qui vient de créer un maquis. Mais Aris et ses hommes enlèvent ce dernier, le conduisent à leur quartier-général, d’où il sort en annonçant son ralliement à l’ELAS, qui le nomme commandant en chef de ses forces. C’est, semble-t-il, le début d’une ascension irrésistible de FELAS, dont les troupes libèrent en février et mars les villes de Karditsa puis Gvéréna. Zervas, qui s’est rallié au roi et au gouvernement en exil, se présente en champion de l’ordre et des Alliés, contre les « révolutionnaires » qu’incarnent les « bandits » d’Aris Velouchiotis. La Grèce marche vers une guerre civile. On peut concevoir ce qu’en pensent les Soviétiques, car, au même moment, ils s’efforcent d’apaiser le mécontentement qui gronde en Egypte dans l’armée et la marine royales grecques contre les officiers métaxistes qui les commandent. | L ’inexpérience des dirigeants improvisés du PC grec, les aspirations à la « libération | sociale » des paysans et des ouvriers grecs, la personnalité même, les hésitations de chefs comme Aris Velouchiotis, font que îa Grèce risque de devenir une sérieuse pomme de { discorde entre Britanniques et Soviétiques et, à terme, un foyer révolutionnaire dont on f ne veut à aucun prix à Moscou. j Nous n’avons pas les documents de la Comintern qui corroboreraient cette interpréta- ■ ; tion. Mais ceux dont nous disposons pour la Yougoslavie ne laissent aucun doute quant à sa véracité. Les communistes grecs, depuis le début de la résistance en Grèce, avaient mordu le trait. Ils n’étaient fidèles à la ligne stalinienne que sur un point : la férocité avec £ laquelle leurs cadres organisèrent systématiquement du début à la fin de la guerre îe massacre des « trotskystes » - « plus de 800 », plastronnera Phanis Bartzotas au bout du ■ ■ '■ 1 compte -, des anciens opposants, systématiquement tués, même à la tête d’unités de

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l’ELAM, comme Stauros Gakis, et d’anciens responsables actifs contre le régime d’occu­ pation, comme Assimidis et bien d’autres9. L ’INSUKRECTION YOUGOSLAVE, PAS LA RÉVOLUTION

Le 22 juin 1941, le monde apprit la décision d’Hitler d’attaquer l’Union soviétique. « Grand-père » - la signature employée par Dimitrov, indique Dedijer - télégraphiait au PCY: L’attaque par traîtrise de l’Allemagne contre l’URSS n’estpas seulement uncoup dirigé contre le pays du socialisme, elle est aussi un coup contrela liberté et l’indépendancede tous les peuples. La défense de l'URSS est en même temps îa défense des peuples occupés par l’Allemagne. Une occasion s’offre aux peuples de Yougoslavie de développer une lutte totale de libération contre l’envahisseur allemand. C’est une nécessité vitale que de prendre toutes mesures pour faciliter la juste lutte du peuple soviétique. C’est une nécessité vitale que de développer un mouvement sous le mot d’ordre de front national et très vite de front international uni de lutte contre les brigands fascistes allemands et italiens pour la protection des peuples sous le joug du fascisme, Un tel exploit est indissolublement lié avec la victoire de l’URSS. Gardez à l’esprit que la phase actuelle est celle de la libération de l’occupation fasciste et pas celle de la révolution socialiste10. Le jour même, réuni dans un faubourg de Belgrade, le bureau politique du PC you­ goslave décidait de répondre en passant à l’insurrection et lançait une proclamation qui montrait à quel point iî était un parti communiste modèle : Prolétaires de toutes les régions de Yougoslavie, à vos places, aux premiers rangs. Serrez les rangs autour de votre avant-garde, le Parti communiste de Yougoslavie. Chacun à son poste ! Sans hésitation et avec discipline ; faites votre devoir prolétarien. Préparez-vous immédiatement pour la bataille ultime et décisive. L’heure a sonné de prendre les armes pour défendre votre liberté contre les agresseurs fascistes. Faites votre devoir dans le combat pour la liberté, sous la direction du Parti communiste yougoslave. La guerre de l’Union soviétique est votre guerre parce que l’Union soviétique se bat contre vos ennemis. Faites votre devoir de prolétaires. Ne laissez pas l’héroïque peuple soviétique verser seul le sang précieux de ses enfants (...]. Mobilisez toutes vos forces pour empêcher que notre pays devienne une base de ravitaillement pour les hordes fascistes qui attaquentcomme des chiens enragés l’Union soviétique, notrepatrie socialiste chérie, notreespérance et notre phare sur lequel sont fixés les yeux des travailleurs qui souffrent dans 1e monde entier11. Les premières opérations eurent lieu le 23juin 1941. Le 27, le comité central transforma le QG de l’insurrection en quartier général des Groupes partisans pour la libération nationale, commandé par le secrétaire général du parti, Josip Broz, connu plus tard sous îe nomde Tito, et dont firent partie tous les membres du bureau politique. Autour de lui, des anciens d’Espagne, certes, mais aussi des hommes de l’intérieur, comme Djiîas, Kardelj, Rankovié, et d’autres qui viennent de Moscou, comme Zuyovié. L ’emblème du mouvement devint îe drapeau yougoslave avec l’étoile à cinq branches au milieu. La première initiative fut une attaque concertée des Jeunesses communistes, menée par une centaine de petits groupes pour détruire les journaux de la collaboration. Trois jeunes gens furent arrêtés et fusillés. Deux jours plus tard, la même opération recommençait. Un nouveau télégramme de Grand-père, îe 1erjuillet, précisait les tâches urgentes : 9. A. Stinas, dans ses Mémoires, p. 268-269, énumère quelques-uns des cas les plus connus. 10.Cité par M. Drachkoviîch, «The Comitem and the insurrectional acüvity of the CP of Yugoslavia in 19411942», The Comintem : historical Highlights, p. 184-213, ici p. 192. 11. M. Drachkovitch, loc. cit.

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L’heure a sonnéoù les communistes doivent déclencher une lutte ouverte contre l’envahisseur. Organisez, sans perdre une minute, des détachements de partisans et déclenchez une guerre de partisans sur les arrières de l'ennemi. Incendiez les usines de guerre, les dépôts de matières inflammables (pétrole, essence et autres), îes aéroports ; détruisez et démolissez les chemins de fer, le réseau de télégraphe et de téléphone. Interdisez îe transport de troupes et de munitions, de matériel de guerre en général. Organisez la paysannerie pour qu’elle cache son grain et mène son bétail dans les bois. Il est indispensable d’utiliser tous les moyens pour terroriser l’ennemi ; pour lui donner le sentiment d’être dans une forteresse assiégée. Confirmez réception de ces directives et communiquez les faits prouvant qu’elles ont été exécutées.12 Le 4 juillet était achevée la préparation d’un plan pour l’implantation de détachements de partisans dans tout le pays. A Beîda Crvka, un ancien d’Espagne, Zikica Jovanovic, qui haranguait le peuple pour qu’il rejoigne ies partisans, abat deux gendarmes qui tentent de l’arrêter. La guerre était déclarée. SE DÉBARRASSER D’ABORD DES TROTSKYSTES Ces disciples de Staline jugèrent nécessaire dans un premier temps de se débarrasser des « trotskystes ». Ce fut fait avec un certain nombre de meurtres, dont le plus connu, à Belgrade, est celui du Monténégrin Slobodan Marculic. Une partie de ceux qui échappè­ rent furent rattrapés quelques mois plus tard. Zivojin Pavlovié, ami de Gorkic, dirigeant du parti pendant des années, avait écrit à Paris un ouvrage sur le Bilan du Thermidor stalinien. Dénoncé comme « policier », il fut torturé et exécuté à Uzice en novembre 1941. Milovan Djilas, qui le dénonça dans Kommunist et participa personnellement à son inter­ rogatoire, persiste et signe après sa propre exclusion du parti en le qualifiant d’agent de la police secrète royale î Le principal dirigeant du groupe trotskyste, Nikola Popovic, un ancien dirigeant des JC en Serbie, échappa alors à ses poursuivants, mais ils devaient îe prendre et le fusiller en 1945. Ayant assuré leurs arrières, les dirigeants se dispersèrent, ayant ainsi fait dans les rangs communistes des victimes que les « conservateurs méca­ niciens » méprisent tant. C’est là une attitude, il faut le reconnaître, qui a trouvé jusqu'au bout de nouveaux défenseurs sur lesquels on a cru faire tomber le silence définitif. Les premiers groupes de six partisans apparurent, se procurant des armes comme ils le pou­ vaient, en attaquant des postes de police ou des militaires allemands isolés. Au Monté­ négro, de gros stocks d’armes appartenant à l’armée avaient été cachés lors de la défaite. Elles servirent en juillet, où éclata un soulèvement contre le projet d’annexion du Mon­ ténégro à l’Italie. Deux divisions italiennes furent alors désarmées. D é r iv e

a gauche

Ce parti stalinien modèle allait pourtant dévier de la ligne pendant les longues semaines où le Blitzkrieg de la Wehrmacht coupa les communications entre Moscou et Zagreb et dans l’ambiance de guerre mortelle qui se développait au pays. Un des facteurs de cette radicalisation fut l’apparition d’une organisation rivale de « résistance ». Le colonel Draza Mihailovié, l’un des hommes du coup d’État contre le pacte, avait gagné les bois et réuni autour de lui plusieurs unités qui constituèrent le noyau de ceux qu’on appela les tchetniks de Serbie. Le programme politique de Mihailovic était le rétablissement de la Yougoslavie dans son état antérieur à ia guerre. Il reconnaissait l’autorité du roi et préconisait une politique attentiste évitant les actions contre îes occupants. Pendant ce temps, les partisans organisaient un QG par province et un état-major suprême, donnaient îe mot d’ordre 12. M. Drachkoviîch, loc. cit., p. 192.

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d’élargissement des territoires libérés avec formation de comités de libération nationale se substituant aux autorités, et le regroupement des partisans en unités plus larges, batail­ lons si possible. Dans un premier temps, les communistes yougoslaves insistaient sur le caractère temporaire des comités. Kardelj écrivait : « Ils sont aujourd’hui les détenteurs effectifs, quoique temporaires, du pouvoir. Car leur tâche est d’exercer leurs fonctions dans l’intérêt de la lutte de libération du peuple, jusqu’au moment où, l’ennemi chassé de notre pays, on pourra entreprendre l’organisation de l’État13. » Avec îa première contre-attaque sérieuse des Allemands, îa « république d’Uzice » résista pendant plus de deux mois. Elle avait été attaquée dans la nuit du 2 au 3 novembre parles tchetniks, qu’elle avait repoussés, pourchassés puis encerclés au mont Radna-Gora. Selon le témoignage de Dedijer, c’est à ce moment qu’il entendit à Radio-Moscou un hommage appuyé à Mihailovié en tant que chef de la résistance yougoslave. Informé aussitôt, Tito donna l’ordre d’envoyer des parlementaires pour éviter tout affrontement avec les tchetniks, avec ce commentaire : « Nous devons éviter soigneusement de gêner l’Union soviétique dans ses relations extérieures14. » A la fin de l’année 1941, qui avait vu la république d’Uzice tomber sous les coups des forces allemandes, on comptait déjà en Yougoslavie quelque 80 000 partisans groupés en 92 détachements. Co n flit

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C o m in t er n ; l e

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Les relations se tendaient de plus en plus avec Moscou. Le communiste yougoslave Dedijer, ancien partisan, écrit : Le conflit était déjà latent entre notre mouvement de libération nationale et Staline. Ce dernier supportaitmal quenousayonsinstauré une forme nouvelle d’autorité, contre sa volonté, Il désirait incontestablement 1edéveloppement de la lutte en Yougoslavie, mais à la seule fin de gêner ies mouvements de l’armée allemande. Il ne souhaitait certainement pas la création d’un mouvement progressiste ayant ses racines propres, s’appuyant sur des forces nationales et ne comptant pas uniquement sur l’Année rouge pour libérer le paysl5. A îa fin de l’année 1941, ce sont les doubles nécessités de la lutte contre l’occupant et du combat contre les tchetniks qui amènent Tito à décider la création de troupes d’élite, les Brigades prolétariennes, qui seront sa force de frappe et la force militaire qui « communisera » îes partisans. Fortes de 800 à 1100 combattants, avec un drapeau qui porte la faucille et le marteau, elles vont permettre îa « Longue Marche » qui amène le cœur des troupes vers îa Bosnie occidentale. Le 9 février 1942, Tito écrit avec une joie évidente à Kardelj et Ivo Lola Ribar que, depuis deux semaines, les partisans ont le contact direct avec Moscou, un « contact magnifique », dit-il, et qu’il a donné toutes les informations sur l’activité des partisans. Mais ce ne sont pas des félicitations qu’il reçoit, après que Moscou s’est sans doute donné le temps de la réflexion. Le 13 février - cela a tout l’air d’un examen - Grand-père télégraphie : Le GQG des partisans devrait adresser, au nomdu peuple yougoslave, une brève proclamation auxpopulations des pays occupés, surtout celles de Tchécoslovaquie et de France. Cette procla­ mation devrait insister sur la lutte que votre peuple mène pour son indépendance et faire appel aux populations des autres pays pour qu’elles cessent de fabriquer du matériel de guerre et de remettre des matières premières et du ravitaillement dans les mains sanglantes d’Hitler. Les pays occupés devraient briser la machine de guerre ennemie par tous les moyens et amplifier chez eux 13. Cité par M. Drachkoviîch, loc. cit., p. 199, 14. V, Dedijer, Tito parle..., p. 177. 15. Ibidem, p, 182.

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D e L’ACTIVITÉ POLITIQUE à L’ACTIVITÉ POLICIÈRE

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les mouvements de résistance à l’envahisseur, n’épargnant aucun effort pour infliger une défaite totale à cet ennemi mortei de tous les peuples d’Europe, l’impérialisme germano-fasciste. Nous pourrions donner à cette proclamation la pius grande diffusion par voie de presse et radioJ6.

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Le 5 mars, le messager de la Comintern à Moscou abat son jeu et interpelle vivement les dirigeants des partisans : h A la lumière des informations que vous nous avez envoyées, il sembleque la Grande-Bretagne | et le gouvernement yougoslave aient debonnesraisonsdesuspecterle mouvementpartisan d’avoir [■ pris uncaractèrecommunisteet deviser àla soviétisationdeia Yougoslavie.Par exemple, pourquoi favoir créé une brigade prolétarienne ? A l’heure actuelle, le devoir essentiel et immédiat est de fusionner tous les courants antinazis, d’écraser les envahisseurs et d’achever votre libération \ nationale. j; Comment se fait-il que les amis de la Grande-Bretagne en viennent à créer des unités armées | pour combattre les détachements de partisans ? N’y a-t-il vraiment pas d’autres patriotes yougos- l; laves, endehors des communistes et deleurs sympathisants, avec lesquels vous puissiez fusionner f pour la lutte en commun contre l’envahisseur ? Il est difficile d’admettre que le gouvernement l yougoslave et celui de Londres se rangent du côté des oppresseurs. Il doit y avoir là un grave [ malentendu. Nous vous demandons franchement de bien réfléchir à votre tactique, à vos actes, | et de vous assurer que vous avez bien fait tout votre possible pour créer un front national unique \ groupant tous les ennemis d’Hitîer et de Mussolini et n’ayant pour but commun que de chasser I. les envahisseurs. Si on peut encore faire quelque chose dans ce domaine, prenez les mesures : | nécessaires et prévenez-nous17. : Dimitrov souligne concrètement : Tenez compte de ce que l’Union soviétique a des traités avec ie roi de Yougoslavie et son gouvernement, et que prendre position ouvertement contre eux créerait de nouvelles difficultés dans l’effort de gueire commun et îes rapports entre l’Union soviétique d’un côté, la GrandeBretagne et l’Amérique de l’autre. Ne voyez pas les problèmes de votreseul point devue national, mais aussi du point de vue de la coalition internationale britannico-américano-soviétique. Tout en faisant votrepossible pour consoliderles positions gagnées dansla lutte delibération nationale, manifestezenmême temps l’élasticité politique et un peudecapacité àmanœuvrer. Nous sommes enthousiasmés par votre combat héroïque, et nous réjouissons de tout cœur de vos succès. Nous essayons de populariser largement votre cause dans tous les pays et cela excite l’enthousiasme des peuples qui combattent lé fascisme et sert d’exemple à la résistance populaire des autres pays occupés. Nous souhaitons que vous surmontiez courageusement tous les obstacles qui vous attendent et remportiez d’autres succès!8.

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Quant au projet de « proclamation », îa Comintern demande de l’amender profondé- | ment. II faut en particulier supprimer la phrase : « Vive la révolte de tous les peuples esclaves d’Europe contre l’envahisseur » et tout ce qui est hommage à la seule Union j soviétique, et ajouter un paragraphe « saluant la puissante coalition de l’Amérique, de ia 1 Grande-Bretagne et de l’URSS à laquelle se rallient tous les peuples épris de paix20».

16. V. Dedijer, op. cit., p. 188. 17. Ibidem, p. 189. 18. M. Drachkovitch, loc. cit., p. 207. 19. Cité par V. Dedijer, op. cit., p. 189. 20. Ibidem.

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L a question

patriotique »

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de l/ aide matérielle

La déception est profonde à Foca, où arrivent les télégrammes, d’autant plus que le commandement partisan a demandé à Moscou des médicaments, des munitions et des armes automatiques, du sérum contre le typhus, des chaussures, du drap d’uniforme. Mosa pijade attendra longtemps, à l’endroit fixé pour le parachutage. La réponse est « Niei ». Le 29 mars, Grand-père télégraphie : « On fait tous les efforts possibles pour vous aider en armements. En réalité, les difficultés sont énormes. Nous ne pourrons pas les surmonter dans un proche avenir21. » Fin avril, Dimitrov confirme que les Yougoslaves ne doivent pas s’attendre à recevoir munitions et armes automatiques et invite îes combattants à utiliser les leurs parcimonieusement î Chaque soldat des Brigades prolétariennes ne dis­ pose que de cinq cartouches quand il va au combat. Vîado Dedijer, historien communiste de Tito, écrit : « H ressort clairement des archives du gouvernement royal que les raisons pour lesquelles Moscou n’a pas voulu aider les partisans en 1942 étaient politiques et non pas techniques22. » Dans la même période, Moscou proposait l’envoi de matériel et d’une mission militaire aux tchetniks. Une fois de plus, les dirigeants de la Comintem mettaient leurs mensonges au service de la politique de Staline. Et îes partisans allaient tenir une année de plus, aidés, il est vrai, par la capitulation italienne et par les armes prises à cette occasion. Retenons au passage cet épisode sinistre : la division Pinerolo demanda à servir 1a résistance ; elle fut désarmée. Ses hommes, abandonnés, moururent de faim et de froid. A certains égards, les dirigeants communistes yougoslaves peuvent - mais est-ce de leur propre initiative ? - apparaître plus offensifs sur îe plan politique. En 1942, dans une lettre à ses camarades croates, Tito franchissait un pas en précisant : « En un mot, cessez de souligner îe caractère temporaire des pouvoirs des comités de libération du peuple, soulignez-les, eux, en tant qu’organes d’autorité et comme embryon et base du futur régime populaire23. » L ’un des plus respectés des communistes yougoslaves, Mosa Pijade, écrira plus tard à propos des comités de libération et de leur développement à cette époque : Ils reposaient de toute évidence sur l’expérience des soviets. Leur nom était en conformité avecîesconditionsdenotresoulèvementet la guerre. Le méritedenosdirigeants fut non seulement d’adopter cette forme mais aussi le fait qu’ils comprirent que la lutte pour la libération du pays ne pouvait aboutir si n’était pas détruit en même temps l’ancien appareil du pouvoir, son rem­ placement étant assuré par une nouvelle autorité révolutionnaire24. Pourtant, leurs dirigeants allaient reculer une fois encore avec l’affaire de l’AVNOJ, une initiative des partisans pour établir définitivement leur représentativité contre Mihaiîovié. Le 12 novembre 1942, Tito télégraphiait à Dimitrov : « Nous allons maintenant mettresur pied quelque chose comme un gouvernement provisoire qu’on appellera Comité national de libération de Yougoslavie (AVNOJ). B comprendra des représentants de toutes les nationalités de Yougoslavie25. » La réponse de Dimitrov répétait la ligne : « La création d’un Comité de libération nationale de Yougoslavie est tout à fait nécessaire et d’une importance exceptionnelle. Ne manquez pas de donner au comité un caractère pan-national yougoslave et antifasciste de tous les partis. [...] Ne l’opposez pas au gouvernement 21. V. Dedijer, op. cit., p. 187. 22. Ibidem, p. 189-190. 23. Cité par M. Drachkovitch, loc. cit., p. 200. 24. Ibidem, p. 200-201. 25. Ibidem, p, 209.

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De L ’ACTIVITÉ POLITIQUE à

L'ACTIVITÉ POLICIÈRE

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yougoslave de Londres. A l'étape actuelle, ne soulevez pas la question de l’abolition de la monarchie. Ne lancez pas le mot d’ordre de république26. » Les dirigeants yougoslaves tinrent compte de toutes les recommandations de la Comintern, au moins formellement Après la création de l’AVNOJ, Tito rendit compte à Dimitrov : Nous sommes d’accord avec le conseil donné dans votre télégramme et nous en tiendrons compte. Mais je dois précisément vous informer que ies civils actifs duconseil et tous les présents ont condamné comme traître le gouvernement yougoslave. Bien que nous ne considérions pas le comité exécutif comme une sorte de gouvernement, ii essaiera quand même de régler toutes les questions de l’État et s’occupera de la guerre, dans laquelle il aura le soutien des comités de libération du peuple tant dans les territoires libérés que dans les autres. Il n’existe en Yougoslavie aucune autorité publique en dehors de ces comités et de l’autorité militaire qui conduit la lutte. Cette réunion a été convoquée par Pétat-major suprême de l’Armée nationale de libération eî des détachements partisans de Yougoslavie, qui jouit d’une immense autorité dans toute la Yougoslavie27.

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Le conflit ne disparut pas avec îa dissolution de la Comintern, mais nous savonsque c’est une tout autre histoire.

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En tant que « parti de Dimitrov », le Parti communiste bulgare, débarrassé des adversaires du dirigeant de la Comintern, était devenu en quelque sorte un parti modèle. Ses dirigeants avaient apparemment fort bien accepté les petites rectifications imposées à leur politique, comme celle de Tété 1940. Tout semble commencer comme en Yougoslavie au matin du 22 juin 1941. Les trois principaux dirigeants du Parti, Traitcho Kostov, Tsoia Dragoicheva et Anton ïvanov, qui ont été informés par Radio-Sofia le matin, sont dans un local clandestin du parti où ils écoutent Radio-Moscou. Puis ils rédigent un manifeste brûlant au peuple bulgare : L ’Histoire ne connaît pas de guerre pîus criminelle, plus impérialiste, plus contre-révolutionnaire que celle que le fascisme a lancée contre l’URSS, et il n’y a jamais eu une gueire plusjuste, plus progressiste, que celle du peuple soviétique contre l’agression fasciste, dont dépend le destin du monde [...]. Nous avons devant nous la tâche colossale d’empêcher que notre pays ou notre armée servent aux projets criminels du fascisme allemand. Nous avons la tâche d’aider de toutes les manières le peuple soviétique dans sa difficile lutte. Pas un grain de blé, pas une croûte de pain bulgare pour les fascistes et pillards allemands, Pas un seul Bulgare à leur service. Chacun à son poste28i

Dans la nuit, le premier radiogramme de Dimitrov arrive, donnant comme directive « de prendre toutes mesures pour aider la lutte du peuple soviétique, de s’opposer aux plans antisoviétiques de la réaction bulgare, de consolider un front populaire uni dans la lutte contre le fascisme29». Dans la soirée du 24 juin, une réunion élargie du bureau politique décide la préparation du renversement du régime « monarcho-fasciste » par les armes. Elle constitue une commission militaire générale de six membres en liaison avec le bureau politique. Elle avait pour mission d’organiser « des actions de diversion le long des routes, lignes de téléphone et de télégraphe servant aux hitlériens, de faire sauter les rails de chemins de fer, les tunnels et les ponts pour désorganiser l’arrière allemand et 26. Ibidem. 27. M. Drachkovitch, loc. cit., p. 211-212. 28. J.D. Bell, The Bulgarian Communist Party from Blagoev to Jivkov, p. 58. 29. J.D. Bell, op. cit.

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empêcher le transport de troupes et de matériel vers le front Est, [...j organiser le sabotage économique particulièrement dans les branches industrielles dont les produits sont expor­

tés en Allemagne ». Le texte de la résolution ajoutait : « II faut étendre aussi l’activité de résistance aux campagnes pour enflammer une opposition de masse à la confiscation du

bétail et des récoltes par les forces hitlériennes ; si ce n’est pas possible, iî faut brûler les récoîtes ; détruire îes meules dans les champs ainsi que îes machines, détruire la production potagère30. » Mais îa Bulgarie n'était pas la Yougoslavie. Le parti bulgare n’était pas le parti yougoslave. Il semble avoir été réticent devant ce type d’action ~ il avait payé cher les combats armés - et démoralisé par les défaites de F Armée rouge. Dragoicheva a écrit que le peuple bulgare n’avait peut-être pas assez souffert des Allemands, rien de compa­ rable en tout cas avec les Yougoslaves, et Tito accusa les dirigeants d’avoir, pour ia victoire, compté seulement sur l’arrivée de l’Armée rouge. Moscou fit pour les dirigeants communistes bulgares îes gros efforts qu’iî avait refusés à Tito : installation de l’émetteur « Khristo Botev » à destination de la Bulgarie, envoi de 58 spéciaîistes militaires d’origine bulgare, parachutés ou venus par sous-marin. Ils furent tous dénoncés par un radio russe et arrêtés, sauf Tsviatko Radoinov - ancien des Brigades internationales-, qui réussit à atteindre Sofia et prit la direction de la commission militaire. Le pire était encore à venir. Le chef de îa Division A - la police politique - Nikoîa Gechev avait réussi à infiltrer l’appareil et à repérer Georgi Minchev, membre de la Commission militaire centrale (CMC), qu’il surveilla et fila pendant plusieurs semaines. Arrêté et brisé par une torture féroce, ce dernier donna tout et tous. Le 4 mars 1942, la police réussit à mettre la main sur 46 dirigeants du CC et de la CMC, dont Radoinov et Anton Ivanov, et, quelques jours plus tard, Traitcho Kostov. T o urn ant t a c tiq u e

Le gouvernement bulgare, à travers deux procès gigantesques, à l’été, chercha à frapper îes imaginations. Lors de celui des 27 « parachutistes » envoyés par Moscou, 18 accusés, dont Radoinov, furent condamnés à mort et exécutés le jour même. Le second, dit « procès des 62 », fut celui des gens de l’appareil, et surtout de ia Commission militaire centrale. 11y eut 5 condamnations à mort, dont celles d’Anton Ivanov et Georgi Minchev, exécutés sur-le-champ dans les tunnels sous les casernes. Les autres furent condamnés à des peines de prison allant de la perpétuité à quinze ans, et à des peines plus légères. Kostov, pour qui un ami avait imploré la grâce du tsar Boris ni, ne fut condamné qu’à la prison à vie, mais, du coup, resta désormais suspect aux yeux de beaucoup. A la fin de 1942, non seulement il n’y avait eu aucun pas vers l’insurrection, mais plus d’un millier de cadres politiques et militaires du parti et des jeunesses avaient été arrêtés. La direction procéda à une réorganisation en cooptant deux nouveaux membres, Iordan Katrandjiev et Dimitar Ganev. Elle confia une nouvelle Commission militaire à Emil Markov. Celle-ci décida alors de se tourner vers le terrorisme individuel. Un « groupe decombat en missions spéciales » d’une quinzaine de militantes et militants, choisis parmi les meilleurs, commandés par Metodi Chatorov et Slavcho Radomirski, spécialement entraînés, commencèrent en 1943 une chasse à l’homme contre îes principaux leaders du régime, abattant coup sur coup le général Loukov, chef de la Légion fasciste, et îe président du tribunal militaire de Sofia, le colonel Pantev. Mais ce commando de tueurs, comme c’est souvent le cas dans des conditions analogues, échappa bientôt à tout contrôle. Markov tombe. Au moment où la Comintern fut dissoute, la CMC décida de passer à une forme 30. Ibidem, p. 59.

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D e L’ACTIVITÉ POLITIQUE À L’ACTIVITÉ POLICIÈRE

de lutte copiée sur celle des Yougoslaves. Les historiens bulgares assurent qu’on pouvait alors compter sur l’existence dans le pays d’une quarantaine de bandes, avec quelque 600 combattants au total. D if f ic il e

sit u a t io n eh

P o lo g n e

La situation était loin d’être simple en Pologne, après la tornade de 1937, qui avait emporté tant de militants, et la cruauté de l’occupation soviétique et des massacres organisés et exécutés par le NKVD, qui avaient frappé la population dans la zone occupée par l’Armée rouge. Le mot même de « communiste » y était largement discrédité, y compris aux yeux des travailleurs. Toutes les initiatives prises pour reconstituer un parti communiste pendant la période du pacte échouèrent devant le refus de la Comintern. Mais la tension renouvelée des relations germano-russes, la crise du pacte, dans la seconde moitié de 1940, remirent la question à l’ordre du jour. Le 1er décembre 1941 se tint à Saratov une conférence d’anciens membres du parti polonais présidée par Wanda Wassiliewska, qui aboutit à la fondation d’une Union des patriotes polonais. Dimitrov expédia un de ses collaborateurs dans les localités polonaises où d’anciens communistes s’étaient portés volontaires pour un nouveau départ. Cinq furent choisis, envoyés à Moscou pour y recevoir une formation spéciale. Ils reparurent sous l’étiquette de « groupe prépara­ toire», qui fusionnait ainsi avec le groupe d’initiative formé à Paris en 193B. C’est en janvier 1942 que fut annoncée la naissance du «nouveau» parti, îe PPR, parti ouvrier polonais, un nom choisi par Dimitrov. Il était dirigé par trois hommes, dont les deux premiers avaient été parachutés en Pologne occupée par des avions soviétiques, le secré­ taire Marceli Nowotko, son adjoint Pawel Finder et Boleslaw Molojec, dont on se rappelle qu’il avait participé avec le Bulgare ïvanov à l’épuration des Polonais en Occident, lors de la liquidation du parti, et au processus de celle-ci en Pologne même. La présence à sa tête d’au moins un agent des services n’empêchait pas la nouvelle direction d’assurer : « Le PPR n’est pas une section de la Comintern ni d’aucune autre organisation interna­ tionale. B se base cependant sur îa doctrine marxiste-léniniste qui enseigne que la libé­ ration nationale n’est possible que si elle est couplée avec la libération sociale31. » Le parti avait sa propre force de frappe, la Garde du peuple, dont la première opération militaire eut lieu en mars 1942. H se spécialisait dans îes attentats contre les clubs ou les cafés, voire les hôpitaux allemands. Il grandit rapidement, comptait 4 000 membres dans tout le pays au début de 1942, pîus de 7 000 à la fin de 1942 et B 000 au début de 1943, Bien des détails de son histoire nous échappent. Nous savons qu’il lui avait été demandé avec insistance à ses débuts de bien veiller à ne pas altérer les relations avec Londres. Nowotko semble s’en être assez souvent irrité. Mais nous ignorons tout des ressorts de la tragédie qui a frappé îe PPR en novembre 1942 : Nowotko assassiné par un autre membre de la direction, Molojec, lui-même abattu par ses camarades de parti. Nous ignorons l’enjeu. Nous nous contenterons d’indiquer que le successeur de Nowotko, Pawel Finder, ainsi que sa femme, Maîgorzata Fomalska, furent arrêtés peu après. La direction du PPR passa alors à Wieslaw, l’ouvrier Wîadislaw Gomulka, membre du parti russe, et à un autre communiste polonais, « sauvé de la purge par la prison », un homme de la Comintern qui venait de purger à Prague une condamnation à sept années de prison, Boleslaw Bierut. Incontestablement, le parti polonais nouveau-né ne menaçait pas l’auto­ rité de la Comintern. H ne menaçait d’ailleurs pas non plus l’ordre allemand ni l’ordre social. 31. Cité par Dziewanowski, op. cit., p, 162.

L a « G rande G uerre

L a tragédie

de la

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T chécoslovaquie

En Tchécoslovaquie, la situation est tragique. H n’y a pas d’offensive, pas de résistance de masse organisée. Les vagues terrifiantes de répression, îes raids terroristes lancés dès le lendemain de l’arrivée à Prague de ce policier hors pair à F âme de tueur que fut Reinhard Heydrich, ainsi qu’au lendemain de son assassinat par des hommes de Londres, récemment parachutés, brisent toute velléité de résistance. Un exemple nous suffira : la Gestapo avait mis la main en 1940 sur ie responsable des cadres du parti, Jan Pestuka, trente-cinq ans. Heydrich le fit mettre à mort au lendemain de îa promulgation de îa loi d’exception qu’il avait exigée en septembre 1941. L ’exécution, décidée par Reinhard Heydrich, de tous îes communistes qui se trouvaient en prison lors de son arrivée marque le début d’une hémorragie permanente, et aucun événement extérieur ne semble pouvoir en renverser ie cours. L ’historique du comité central clandestin est une longue suite de tragédies. Les membres des deux premières équipes de remplaçants sont morts ou vont mourir en déportation. Une génération entière a péri, la fleur des jeunesses communistes d’avant guerre, Jân Cemy, ancien responsable des cadres à Albacete, Karel Elsnic, l’ancien maçon Klivar, l’instituteur Emanuel Klima, îes frères Synêk étant tombés malencontreu­ sement ensemble. Jan Zika, un ouvrier du cuir, saute par la fenêtre pour ne pas être pris. En 1943, la grande année de la première résistance organisée ailleurs, on fait appel, pour îa troisième direction depuis le début de l’occupation, à une jeune femme, ancienne cheftaine des scouts spartakistes, Josefa Fajmanovâ, trente-deux ans, promue en une année de sa fonction de collaboratrice du premier CC à celle de membre à part entière du deuxième. Elle a passé cinq années à se « former » à Moscou, dont deux à l’École Lénine. Elle tombe la même année, L ’apparatchik Benada survivra quatre ans à Manthemsen. En 1942 et pendant les premiers mois de 1943, l’ouvrier Anton Sedlacek près de Zilina, le tailleur Josef Kostâlek en Bohême du Sud, l’enseignant Alexander Markus dans les Carpathes, le fraiseur Ladislav Exnar et Albin Grznar, l’aviateur Ludovit Kukureîli en Slovaquie orientale, ont accompli le début de leur mission et implanté des formations armées dans les montagnes slovaques. Mais aucun de ces hommes, qui périront héroï­ quement, ne sera Tito, voirevAris. En 1943 on est à constituer le quatrième comité central clandestin, avec Frantisek Siska, un militant ouvrier resté à l’usine jusqu’en 1938. Les responsables du travail culturel comme Dvorak sont tombés. Il ne reste de cette génération que ceux qui se sont, comme Dostal, trouvés à Moscou au bon moment. L ’I t a lie

pr o c h e d u so u lèv em en t

En Italie, îa situation économique qui se dégrade, la hausse des prix, îa baisse du niveau de vie, provoquent les premiers signes de mécontentement chez les travailleurs et îes premiers indices d’une crise du régime fasciste. De ce point de vue, l’année 1941 marque un tournant qui n’est pas seulement celui de la guerre et de l’attaque allemande contre l’URSS. A partir de cette date, en tout cas, ies rapports de police étudiés par Paolo Spriano montrent une montée du mécontentement chez les travailleurs comme dans la jeunesse et unepolitisation en liaison avec la guerre, îa résistance, puis les premiers succès de l’Armée rouge. Milan, Turin, Rome sont des centres névralgiques de ce mécontentement. Des militants de la vieille époque se réactivent, prennent contact avec des jeunes. On assiste en 1941 et 1942 à une véritable floraison de groupes ouvriers qui se disent souvent communistes et n’ont aucun rapport avec le PCI, se réclament à la fois de ia « révolution » contre le fascisme et de Staline, symbole pour eux de la guerre antifasciste. A Rome, Fun d’entre eux, Scintilla (L ’Étincelle) - un rappel de Ylskra de Lénine -, dirigé entre autres

D e L’ACTIVITÉ POLITIQUE À L’ACTIVITÉ POLICIÈRE

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par le jeune Felice Chilanîi, s’engage dans la lutte armée sous la direction d’Ezio Malatesta. H est de très loin plus important numériquement que tous les autres, PCI compris32. A Turin, les « intégralistes » qui éditent Stella Rossa (L ’Étoile rouge) sous la direction de Pasquale Rainone et Themistocle Vaccarella - des bordiguistes - sont aussi importants à la mi-1943 que les « officiels ». On connaît bientôt l’un d’entre eux, Mario Acquaviva33. On peut mentionner aussi ies groupes des frères Carlo et Mauro Venegoni, îeur journal Il Lavoratorez\ et leurs liens avec le groupe de Bruno Fortichiari et Luigino Repossi, des « anciens » aussi35. Ces oppositions ne sont pas antistaliniennes. Au contraire, elles exal­ tent en général celui qu’elles identifient à l’URSS et à la révolution d’Octobre. Mais le mot de « rouge » revient toujours dans les titres et sur les drapeaux, et elles sont pour la révolution, pour la révolution mondiale, dont elles croient que Staline est l’âme. Le PCI d a n s l a

c o u r se

Il y a là un danger. Le 1eraoût 1941, l’envoyé du parti, Umberto Massola, est sur place pour la constitution d’un centre interne et la reconstruction du PCI. Dans le même temps, le bureau à l’étranger a commencé à regrouper dans le sud-est de la France îes militants évadés ou qui ont échappé à la police de Vichy ; tous ceux-là, dont les « Espagnols », fidèles des fidèles, sont prêts à revenir en Italie au premier signal du parti. De Moscou, Radio Milano Liberté, que dirige Giulîo Ceretti, assure la propagande générale. Le parti doit se reconstituer et en même temps iî s’efforce de se subordonner, voire de constituer, les premiers groupes armés qui apparaissent pendant l’hiver 1942-1943, Le glas du fas­ cisme finit par sonner avec la fin de la peur, le 5 mars 1943, à 10 heures, par les sirènes qui annoncent la grève à l’usine Mirafiori de Fiat à Turin. Cette fois, ce sont les ouvriers qui vont se lancer en masse dans la bataille. C’est le retour du pendule. Tout a été préparé minutieusement entre le responsable national Umberto Massola et celui des communistes de l’usine, Léo Lanfranco. A Fiat-Mirafiori, un tract a été distribué. Il dit tout, dans îe langage de tous : il faut « plus de pain, plus de viande, plus de graisse ». Il conclut : Pour le pain et la liberté \ Contre les 12 heures et la guerre maudite ! Exigeons la chute de Mussolini du pouvoir i Luttons pour îa paix et l’indépendance de notre pays ! Pour l’augmentation du salaire et qu’il nous soit payé î L’action, la grève, la lutte sont les seules armes que nous possédions, Tunique voie de notre salut. Grève, grève, grève36! D ébu t

d e l a c r is e r év o lu t io n n a ir e

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Le pouvoir a hésité, n’a pas réprimé durement. Les jours suivants, îa grève se répand dans les usines de la région. Le 15 mars, les autorités annoncent le paiement d’une prime ; quelques militants communistes sont arrêtés. La grève est terminée, mais c’est bien autre chose qui commence Les ouvriers de Milan prennent le relais à partir du 23 mars. En bas, on ne veut plus. Au sommet, on commence à ne plus pouvoir. Les hiérarques se 32. A. Peregalii, L ’altra Resistenza, II PCI e le opposizîoni di sinistra 1943-1945, p. 16-19. 33. Ibidem, p. 244 sq. 34. Ibidem, p. 295-301. 35. Ibidem, p. 312-315. 36. P. Spriano, op. cit., t. IV, p. 1270.

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querellent entre eux. Mussolini assure que la police « manque de mordant ». Beaucoup lui reprochent à lui sa négligence à l’égard des problèmes sociaux qui ont provoqué ces grèves. Nombre de rats commencent à penser qu’il faudrait peut-être quitter îe navire. Le chef des carabiniers insiste : la population est en train de se retourner contre îe fascisme, et le Duce ne le comprend pas. Le maréchal Badogîio prend contact avec un dirigeant de l’opposition démocratique et lui suggère qu’il faudrait éviter que « l’écroulement du régime mussolinien aille trop à gauche ». Tous les partis clandestins sont d’ores et déjà prêts à discuter avec le PC italien. Pour la première fois depuis 1939, la classe ouvrière d’un pays qui compte est au premier rang du combat social et national. Pour la première fois un régime fasciste est ébranlé de l’intérieur par des travailleurs que le Parti commu­ niste inspire peut-être, au moins en partie, mais qu’il ne contrôle pas. L E RETARD FRANÇAIS

Il n’y a rien de vraiment neuf en France, après la grande grève des mineurs du Nord, rien en tout cas qui ressemble aux développements de Grèce, de Yougoslavie, voire d’Italie. Le PC est très long à s’orienter de façon décisive vers la lutte armée. Il l’a commencée déjà par des actions militaires puis des sabotages dans le Nord-Pas-de-Calais et dans la région parisienne, où se distingue une poignée de jeunes communistes. En revanche, iî a été très vite en mesure de frapper ceux qu’il appelle îes « renégats » et qui ne le sont pas toujours, avec un groupe d’action où s’illustre Fosco Focardi et, selon certains, Pierre Georges, dit Frédo, tous deux anciens d’Espagne. Mais ce n’est qu’en octobre 1941 que Î’OS (Organisation spéciale) devient un appareil militaire unique dirigé par un Comité militaire national avec Charles Tillon, le syndicaliste Eugène Hénaff, les interbrigadistes « espagnols » Jules Dumont et Rebière, le JC Ouzoulias et l’homme de l’appareil clandestin Georges Beyer. Il semble que ce soit par sa pesanteur et sa force d’inertie que le « vieux » parti communiste a résisté aux appels à l’action armée. Le petit groupe d’anciens JC et combattants d’Espagne qu’entraîne Pierre Georges - futur colonel Fabien, auteur de l’attentat de Barbès, qui donne le signal - le fait avancer pas à pas. Il semble même à un moment qu’en dehors de cette poignée d’hommes iî n’y ait que les fameux combattants étrangers de la MOI (Main-d’œuvre immigrée) pour se battre les armes à îa main. Et aussi qu’il y ait, à des postes importants de l’appareil de ce parti, des hommes faibles, voire louches, comme ie signalait Marty dix ans auparavant. C’est sans doute pour cette raison que la répression est terriblement efficace. C’est un homme de îa commission des cadres, par ailleurs spécialiste de îa lutte contre la provocation et « les trotskystes », rédacteur responsable des « listes noires », Armand (Edmond Foeglin), qui a procuré des « planques » à Félix Cadras et Gabriel Péri, tous deux arrêtés et exécutés, ce qui n’empêche pas « Armand » de survivre après la conclusion d’un « deal » avec le PC et îa reconnaissance qu’il a dénoncé Péri. La répression est aussi terriblement efficace. On ne remarque pas toujours le nombre de dirigeants syndicalistes ouvriers qui figurent parmi les otages fusillés en représailles après les premiers attentats : Jean-Pierre Timbaud (métallurgie), Jean Pouîmarch (chimie), Charles Michels (cuirs et peaux), Jean Grandel (postes), que nous avons aperçus en Espagne. Des milliers de communistes sont arrêtés lors des rafles de 1941. En décembre, deux dirigeants qui sont aussi d’anciens journalistes de YHumanité, parmi îes plus popu* laires dans le parti, Lucien Sampaix et surtout, nous l’avons dit, Gabriel Péri, sont fusillés. En janvier et février 1942, c’est l’appareil centrai qui est tout près de tomber, avec l’arrestation d’une centaine de cadres importants. La direction proprement dite ne doit sonsalut qu’à l’héroïsme sous la torture de Félix Cadras et Arthur Dallidet, qui connaissent

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D e L’ACTIVITÉ POLITIQUE À L’ACTIVITÉ POLICIÈRE

tous les fils et se taisent. Les nouveaux responsables à l’organisation et aux cadres tombent à leur tour en mai. Il y a décidément bien des faiblesses dans l’organisation clandestine. En mars 1942, à îa suite de l’ordre du jour de Staline du 23 février 1942, YHumanité clandestine publie un commentaire appelant les Français à « la lutte libératrice » : « Les patriotes doivent constituer partout des groupes de partisans et de francs-tireurs qui mène­ ront la vie dure à l’occupant et feront une guerre de guérilla qui, de la ligne de démarcation aux coins les plus reculés du pays, ne laissera aucun répit à l’ennemi. » Cette nouvelle ligne qui vise à transformer la poignée - une centaine - de combattants de FOS en cadres d’une véritable armée de partisans rencontre une réelle résistance, finalement surmontée, bien que les communistes français aient dans ce domaine un retard considérable, dont les historiens n’ont pas réussi jusqu’à présent à situer les racines. C’est dans ces conditions que deux importants dirigeants historiques, Julien Racamond et surtout Marcel Cachin, condamnent « les attentats individuels ». D’autres désaccords se manifes­ tent : ainsi, l’instituteur Georges Guingouin implante ses combattants dans le milieu rural et travaille à la yougoslave ou à la chinoise, sans le savoir, au milieu de la population paysanne du Limousin ; il est très tôt suspecté et, semble-t-il, condamné37. Le sens de certaines affaires nous échappe encore. Par exemple, il est difficile de croire à la version de la police selon laquelle André Heussler, un des plus glorieux interbrigadistes français, aurait été tué en 1942 par ses propres camarades pour avoir « trahi » et « donné ». Le combat passé de ce militant, l’éloge - très rare - que fit de lui André Marty, qui l’avait nommé commissaire politique de la X Ie brigade internationale en Espagne, semblent incompatibles avec cette interprétation. Le silence de la direction du PCF sur cette affaire est d’autant plus frappant qu’il l’est aussi en ce qui concerne Foeglin qui a admis avoir « donné » Péri. Et ce n’est pas parce que des collègues bien informés assurent dans le couloir des colloques qu’ils « savent la vérité » que les problèmes qui naissent de la comparaison entre le sort de Heussler et celui de Foeglin sont réglés. C’est dans cette période aussi que se noue l’affaire Iltis, ce communiste allemand, ancien de l’École Lénine, qui infiltre la résistance communiste française pour le compte de la Gestapo et va dénoncer toute la direction de la zone Sud38. La création des Francs-tireurs et partisans, issus de l’OS et des Bataillons de la jeunesse, encadrés par des anciens d’Espagne, commandés par Charles Tillon, ne produit pas dans la Résistance française un changement qualitatif39. Dans bien des régions de France - le Dauphiné -, les actions armées sont conduites par les seuls combattants des FTP-MOI. Deux des chefs FTP les pîus prestigieux en France sont le Yougoslave Ljubomir Ilic, dit Louis, et le Brésilien Apôlonio de Carvaîho, dit Edmond, tous deux anciens d’Espagne. Leurs héros, avec l’interbrigadiste Fabien, sont les travailleurs immigrés Langer, de Toulouse, et Manouchian, de Paris. Il n’y a pas, là non plus, une situation qui puisse faire penser à celle de la Yougoslavie. L ’objectif des dirigeants communistes français, en accord avec la ligne, loin de s’opposer au « gouver­ nement de Londres », est de se faire reconnaître par lui. Que des militants rêvent de révolution, c’est une autre histoire, décrite notamment par Claude Angeli, Paul Gillet, Roger Pannequin. Ce dernier cite la dernière lettre de Julien Hapiot, interbrigadiste, l’homme de la grève des mineurs : « Je n’ai ménagé aucun effort pour contribuer à l’abolition du régime capitaliste générateur de guerres et de misère. J ’ai conscience d’avoir porté ma brique à l’édification d’une société nouvelle qui libérera socialement notre pays ». 37. Voir M. Taubman, L'Affaire Guingouin. 38. Cf. ci-dessus. 39. C. Tillon, Les FTP.

L a « G rande G uerre

Le

cas d e l a

patriotique

»

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B elgique

La Belgique est incontestablement un cas d’espèce. Dirigé en réalité directement par un homme de la Comintem, Andor Béréi, îe parti belge reste apparemment solide sur le pian des principes et des perspectives, mais îe moins qu’on puisse dire est qu’il ne manque pas d’originalité dans ia pratique. Sur l’analyse de la situation et l’axe de la politique, tout est clair avec une circulaire du secrétariat du parti de la mi-juillet 1941, signée Jean-Pierre, probablement, selon José Gotovitch, Constant Colin, secrétaire à l’organisa­ tion. Elle explique : La lutte menée actuellement par l’URSS est une guerre de défense nationale contre la barbarie fasciste. D ne s’agit donc pas d’une lutte entre deux systèmes, le socialisme et ie capitalisme, mais d’une lutte pour abattre le fascisme et empêcher Hitler de réaliser ses plans de conquête et de domination du monde. Toute autre interprétation, tout bavardage sur la révolution mondiale, ne peut que servir la propagande hitlérienne (souligné par moi, PB] qui s’efforce d’organiser une croisade contre le communisme40. Ici, c’est avec une extrême prudence que l’on met lentement en place les structures partisanes, sous le contrôle direct de Béréi, sous le commandement de Joseph Leemans, un ouvrier, ancien interbrigadiste, membre du BP et responsable de la commission des cadres, et de Paul Nothomb, personnage hors série, fils de banquier, ancien officier, ancien observateur de l’escadrille de Malraux en Espagne et l’un des personnages de son roman L’Espoir*1. Ce que l’on vise, ce sont les usines, les dépôts de foin, de bois, les ponts, les cabines électriques, bientôt les wagons, les locomotives, les centrales de mines et d’entre­ prises, le matériel ferroviaire. Un juge allemand mérite les félicitations de Gotovitch pour avoir écrit et « décrypté la stratégie communiste » : « Fomenter des troubles dans une région industrielle importante, développer la résistance en Belgique, désorganiser l’admi­ nistration d’occupation et surtout, par toutes ces actions, aider l’URSS en guerre42. » Il n’y a pas ici d’opérations militaires, d’embuscades, d’attaques de postes militaires ou de voitures ou camions isolés. Béréi a versé dans ce travail les collaborateurs de la Comintem dont il disposait, dont le technicien radio de l’OMS, Gaston Yemaux, qui va être tué en avril 1943. Il y a des attentats individuels, des « exécutions » : on tue des « collabos », des policiers particulièrement dangereux. José Gotovitch s’étend un peu sur le cas d’un des tout premiers groupes spécialisés dans ce travail, celui de Jean Dehareng, un fondeur de la région de Liège, venu des JGS, abattu en avril 1942. Mais, contrairement à ce qui s’est passé en France, à la même époque, il n’y a pas d’attentats individuels contre des soldats allemands. Todor Angelov, le chef respecté et influent de la MOI, s’y est opposé. H a travaillé avec les communistes allemands, en Espagne, en camp, il croit au rôle du TA (travail allemand) et refuse ce qu’il appelle « la chasse à l’uniforme ». Béréi a confirmé à Gotovitch que nombreux sont les partisans qui partagent son opinion43. Ce phénomène était-il plus répandu qu’on ne l’a cru ? Cette « première Résistance communiste belge » est bientôt à un doigt de s’effondrer ; des pans entiers tombent à partir de janvier 1943. Bastien, Angelov, sont arrêtés en janvier, le second exécuté en novembre. Prévôt, responsable sécurité-logements, est arrêté en mars, Yemaux est tué en avril, Nothomb, arrêté le 13 mai, parle beaucoup. Sont arrêtés ensuite les « quatre » - Relecom, Leemans, Van den Boom et Pierre Joye - qui concluent avec 40. J. Gotovitch, Du rouge au tricolore>p. 146. 41. Ibidem, p. 158-159. 42. Ibidem, p. 167. 43. Ibidem, p. 179.

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la police allemande, îa SIPO, un « compromis » que le parti va désavouer fermement : ils acceptent de «délier» du secret les trois dirigeants des partisans armés détenus, permettant ainsi l’arrestation de ceux qui sont resté libres, tandis que îes policiers s’enga­ gent à n’exécuter personne. L es

n o u v ea u x

S c a bs

a n g la is

En Europe, il n’y a plus alors que le CPGB qui ne soit pas dissous ou passé dans la clandestinité. Après avoir été à l’époque du pacte germano-soviétique l’incarnation de la violence verbale dans sa défense, il montre les crocs dans un bellicisme total et absolu. S’arrogeant le droit de parler au nom des travailleurs, il réclame en leur nom leur droit de faire des sacrifices. Harry Pollitt écrit : « Je dis que, dans une guerre populaire, une guerre comme celle que nous menons aux côtés de l’Union soviétique pour notre exis­ tence même de peuples libres, [...] ies travailleurs industriels ont autant de droits à faire des sacrifices que les gars dans îes forces armées44. » Le communiste Jack Owen publie un livre dans lequel il explique les différentes manières d’augmenter la productivité du travail tout en diminuant les salaires, ce que la situation d’un pays en guerre exige selon lui. Dans un discours de 1942 à la conférence du parti, îe même Pollitt, après avoir salué le geste d’un docker qui a quitté une assemblée générale pour aller travailler à charger un bateau dont l’armée a besoin, s’écrie : « Ce n’est pas là briser une grève. C’est porter au fascisme un coup aussi décisif que celui que tout gars de l’Armée rouge peut porter; aujourd’hui au fascisme. [...] Les trotskystes et l’ILP nous accusent, le parti et moi en particulier, d’être des briseurs de grève. Nous pouvons affronter cette accusation de îa part de gens dont ia ligne politique est d’aider consciemment le développement du fascisme45. » Le juriste D.N. Pritt, avocat qui avait cautionné la régularité juridique des procès de Moscou, déterre les textes des gouvernements les plus réactionnaires permet­ tant de poursuivre des grévistes en justice, comme le Trade-Unions Act de 1927, que le CPGB à l’époque avait qualifié de mesure d’introduction du fascisme en GrandeBretagne. Le Parti communiste soutient désormais sans réserve le gouvernement de Winston Churchill ; « Le gouvernement Churchill représente l’unité nationale pour la réalisation du pacte anglo-soviétique. L ’affaiblissement du gouvernement Churchill signifierait l’affaiblissement de l’unité nationale. [...] Notre objectif politique doit être orienté dans le sens du renforcement du gouvernement Churchill46. » H soutient même le gouvernement contre les revendications des colonies, et, après le début en 1942 de l’agitation en Inde, déclare à la presse par la voix de Harry Pollitt : « Nous déplorons que 1a résolution du Congrès envisage même l’adoption de la désobéissance civile au cas où ses propositions seraient rejetées. Un tel cours serait suicidaire pour la cause de l’indépendance indienne et ne pourrait dans la situation présente que faire le jeu des puissances de l’Axe47. » Que les Indiens veuillent donc bien attendre la fin de la guerre et on verra, comme dirait n’importe quel congrès libéral ou conservateur. Une lettre à Churchill, toujours de Pollitt, souligne que le conflit entre Grande-Bretagne et Inde est inutile puisque « c’est un conflit entre des parties qui sont également opposées au fascisme48». Palme Dutt, dans son livre Britain in îhe World Front, va pîus loin encore : il se plaint que le gouvernement britan­ 44. A Caîl to Arms, 1941, cité dans R. Black, op. cil., p. 165. 45. R. Biack, op. cit., p. 171. 46. Conférence nationale de mai 1932, The Way to win, p. 152. 47. Déclaration du 9 août 1942, ibidem, p. 165. 48. R. Black, op. cit., p. 165-166.

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nique ne fasse pas un bon usage des abondantes réserves dont iî dispose, de ce que îes PC appelaient autrefois « îa chair à canon », les masses indiennes : Le peuple indien et tous îes peuples coloniaux représentent un réservoir gigantesque de forces démocratiques antifascistes. Leur volonté de liberté, leur capacité de lutte et de sacrifice, démon­ trées dans les luttes nationales, pourraient jouer un rôle important dans le front commun et la victoire commune. [...] Mais, jusqu’à présent, on a à peine mobilisé la frange de cette puissance et de ces ressources. En Inde, jusqu’à maintenant, l'année compte î million d’hommes sur une population de 4 millions ; îe recrutement est limité et on détourne îes masses des bureaux de recrutement49. On peut légitimement se poser la question que Robert Black, l’auteur de Sîalinism in Britain, à qui nous avons emprunté bien des citations, a pour sa part résolue : la politique du CPGB n’a-t-elle finalement pas été plus utile aux classes dirigeantes britanniques qu’à îa défense de l’U RSS? R em o u s

d an s l ’a r m ée b r it a n n iq u e

Les membres du PC britannique vont bientôt venir au secours du gouvernement et du commandement dans l’armée même, en Afrique, Un bureau spécial de l’armée a été mis sur pied afin de donner à des soldats manquant visiblement de moral une idée de « pour­ quoi ils combattent ». Il s’agit essentiellement de démontrer la malfaisance du fascisme et les bienfaits de îa démocratie, ainsi que les vertus de la discussion libre. Il apparaît très vite que la liberté d’expression dans les débats entre militaires est réelle, malgré îa rogne des officiers contre cette discussion « bolshie50». Le zèle pour démontrer la supériorité du régime parlementaire conduit à des simulations avec élections parlementaires, création de gouvernements, affrontement de programmes. Les trotskystes avancent avec prudence mais sont vite repérés par leurs vieux ennemis. Au Caire, ils inspirent un « Parlement du Labour » qui décide de nationaliser les banques. Ils réussissent à faire publier dans le journal de i*armée un article dénonçant le livre de l’ambassadeur Davies, Mission to Moscow, comme une apologie des procès de Moscou. Le trotskyste Arthur Leadbetter devient Premier ministre du « Parlement de Benghazi51». Bien entendu, les soldats repérés sont rapidement déplacés et isolés. Les protestations des soldats proches du CPGB ont souvent attiré inattention des responsables de îa sécurité. L ’expérience se termine. I n t erv en tio n n ist es , b r is e u r s

d e g r èv e e t po u r v o y eu r s d e pr iso n s

La période où les États-Unis combattirent au côté de l’Union soviétique fut sans doute extraordinaire pour le Parti communiste, qui réussit à doubler ses effectifs, atteignant les 80000 membres en 1944. Défenseur bien gauche de îa paix, accusateur des profiteurs capitalistes et de îa répression rooseveîtienne contre les grévistes, il fut, lui, à la différence des autres partis déjà étudiés pour cette période, brutalement transporté d’un camp dans l’autre, comme le montre le texte de Foster cité plus haut, qui fut publié la veille même du jour où il allait commencer à clamer le contraire. Devenu ultra-interventionniste, iî dut attendre quelques mois, jusqu’au bombardement de Pearl Harbor, pour se retrouver dans l’unanimité nationale dont il rêvait pour la défense de l’URSS. Browder était bien entendu un communiste heureux. Il avait été remis en liberté dans un geste d’apaisement de Roosevelt qui était une avance politique. Iî n’avait rien à craindre d’une Comintem 49. R. Palme Dutt, Britain in the World Front, cité ibidem, p. 166-167. 50. H. Ratner, Reluctant Revoîutionary, p, 51. 51. Ibidem, p. 52.

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dont il était le responsable pour tout le continent. Il n’y avait aucun problème d’interpré­ tation de sa ligne, qui fut d’abord l’intervention et ensuite le bellicisme le plus violent, l’interdiction des grèves et la répression contre les traîtres : tant que la guerre durait, tant que les Russes comptaient sur l’aide et l’alliance américaine et redoutaient tout éventuel éloignement ou refroidissement, il n’avait rien à redouter et, au contraire, tout à attendre de Moscou. Les communistes américains donnèrent tête baissée dans l'effort de guerre, payant de leurs personnes quand ils le jugeaient nécessaire. C’est le dirigeant communiste Milton Wolff, dont nous avons relevé les propos anti-Roosevelt en mai 1941, qui négocie quelques mois plus tard, effrayant même Dimitrov, la mise à la disposition de l’OSS, ancêtre de la CIA, et du SOE, émanation de l’Intelligence Service, de militants commu­ nistes rompus aux exercices de la guerre de partisans. Irving Goff et ses anciens amis d’Espagne répondent donc « présent » au général Donovan quand Wolff leur demande de mettre leurs connaissances de « spécialistes » acquises en Espagne sous ies ordres d’Orlov au service d’une OSS qui manquait alors terriblement de « professionnels » : l’occasion était propice pour espionner et dénoncer les trotskystes italiens, et ils ne s’en privèrent pas. L ’affaire de Minneapolis est exemplaire de leur politique. A l’occasion d’un règlement de comptes du bureaucrate syndical Daniel Tobin avec ies militants trotskystes de Min­ neapolis et New York, Roosevelt, en campagne électorale, avait fait à ce dernier la politesse de consentir aux poursuites contre ces militants ouvriers - dont le vétéran communiste James P. Cannon. Elles furent entreprises en vertu du Smith Act, conçu contre îes com­ munistes du CPUS, qui l’avaient dénoncé comme une forme malhonnête de répression antiouvrière. Les inculpés furent lourdement condamnés. Là, loin de protester contre sa première application, ils relancèrent dans le pays l’air de la grande calomnie qu’ils avaient déjà chanté au moment des procès de Moscou, approuvèrent bruyamment le procès et Futilisadon du Smith Act, proclamèrent qu’ils étaient solidaires de « la lutte pour l’éli­ mination de la 5ecolonne trotskyste de la vie de la nation », protestèrent même parce que les trotskystes étaient jugés comme révolutionnaires et non comme « agents du fascisme ». Les trotskystes allèrent en prison avec leurs camarades syndicalistes. Les gens du PC étendirent d’ailleurs le champ de leurs cibles en faisant de John L. Lewis un nazi, candidat au poste de Gauleiter, en l’accusant de « trahison » pour avoir « œuvré pendant deux ans au moins dans les rang de la 5e colonne nazie, visant à une paix négociée avec Hitler et à l’asservissement aux nazis des Etats-Unis eux-mêmes », en faisant du CIO et de l’AFL, en bloc, des « conspirateurs contre la guerre » ! Ils profitèrent en outre des responsabilités syndicales que la protection gouvernementale leur permettait d’augmenter pour s’opposer à toute grève et affirmer pour l’avenir des positions de collaboration de classe mettant les grèves hors la loi. Leur dirigeant William Z. Poster, héros de plusieurs grandes grèves, ne déclara-t-il pas que, dans les circonstances de la guerre, c’était pour îui en effet un sujet de grande fierté que d’être réellement un briseur de grèves ? Leur propagande s’efforçait d’assimiler grèves et « trahison », îa grève était dénoncée comme un « crime contre l’unité nationale », et un de leurs mots d’ordre disait : « Plus jamais de grève. » Certaines des positions des communistes américains sont d’ail­ leurs ahurissantes par leur outrance. Ainsi, Browder assura qu’il fallait obliger des patrons réticents à faire des profits plus élevés. En ce qui concerne le combat des Noirs, tous ceux qui s’opposaient à 1a suspension pour la durée de la guerre de la lutte pour l’égalité des droits - c’est-à-dire toutes les organisations noires représentatives - furent traités de saboteurs de l’effort de guerre, « aidant le camp nazi ». Non seulement, comme partout ailleurs, il n’y a plus dans le discours du Parti communiste aux États-Unis de perspectives socialistes, mais on y exalte un capitalisme enjolivé. Browder écrit en 1942 : « Le PC a entièrement subordonné ses propres idées au système économique et social qui est le

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meilleur possible pour notre pays [...] à la nécessité d’unifier îa nation tout entière, y compris les très grands capitalistes. [...] Nous ne ferons aucune proposition socialiste pour les Etats-Unis sous une forme qui pourrait perturber l’unité nationale52. » On peut se demander comment ce dirigeant communiste concevait l'existence d’un parti communiste. Mais ce serait pure hypocrisie de notre part, car, comme on le sait, il finit par faire décider au PC américain sa propre dissolution. L ’I n d e et

la g u er r e

Ce sont bien entendu les communistes britanniques qui ont eu la charge de réorienter les communistes indiens avec îe début de la guerre allemande contre l’URSS. En sep­ tembre 1941, dans les Notes du mois, Rajani Palme Dutt écrit, pour eux et pour quelques autres : « L ’intérêt des peuples de l’Inde, de l’Irlande et de tous les peuples coloniaux, comme de tous les peuples du monde, est lié à la victoire des peuples contre le fascisme, absolument et inconditionnellement, et ne dépend pas des promesses ou concessions des gouvernements53. » Mais, comme en 1939, ce n’est pas si simple, et aucun parti commu­ niste ne connut, semble-t-il, de discussion aussi longue et âpre que celui de l’Inde pendant les six mois qui suivirent l’attaque de la Wehrmacht contre Î’URSS. D’un côté, la direction et les cadres du Parti communiste, internés au camp de concentration de Deoli à AjmerMerwara, lancent le mot d’ordre de la « guerre du peuple », dans la perspective de l’union nationale comme arme pour îa défense de l’URSS. C’est à peu de choses près la ligne de la Comintem, alors que nous ignorons si celle-ci a pu pénétrer à Deoli, d’où sont en revanche sorties des « thèses » clandestinement diffusées. Les textes dont nous avons connaissance en provenance des éléments communistes dispersés sous la direction nomi­ nale de P.C. Joshi sont, eux, plus marqués par l’influence de l’environnement. Bien entendu, personne parmi les militants non emprisonnés ne discute le fait qu’iî faut se battre pour l’Union soviétique menacée, mais tous pensent que îe but de îa guerre est maintenant infiniment plus large et que c’est désormais de la «victoire du peuple à l’échelle du monde » qu’il s’agit. Un texte cité par Overstreet et Windmiller assure même : «Cela signifie donc, non un appui complaisant sur l’aide britannique et américaine pour îa victoire soviétique et un monde nouveau, mais une lutte incessante pour démasquer les buts impérialistes des gouvernants britanniques et américains et îes isoder, et la mobili­ sation du peuple pour prendre le pouvoir54. » Telle est en tout cas la position très radicale que défendent publiquement les communistes : au lendemain de la conférence des étu­ diants du Pendjab, Hirendranath Mukerjee, un de leurs porte-parole, assure qu’il faut « tout faire pour gagner la liberté du pays ». C’est en novembre-décembre 1941, après de longs échanges techniquement difficiles que îe CPI de la clandestinité se raîlie au bureau politique en prison. Les communistes et leurs sympathisants - il faut, semble-t il, citer au premier rang Krishna Menon - se dépensent pour obtenir la légalisation du CPI et la libération de ses dirigeants. En marsavril 1942, avec la mission en Inde de l’ancien travailliste de gauche sir Stafford Cripps, le Parti du Congrès déclare les propositions.de Churchill insuffisantes, îe CPI se prononce au contraire pour l’acceptation. A l’instar des PC briseurs de grève du monde occidental, il assure que les autorités n’auront pas à craindre de grèves si seulement les communistes sont autorisés à îes aider. Finalement, en juillet 1942, les autorités britanniques décident

52. Browder, Victory and After, cité par Coser et Howe, op. cit., p. 425. 53. S. Palme Dutt, Labour Monthly, X X III, sept. 1941, p, 381. 54. Overstreet et Windmiüer, op. cit., p. 196.

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de restituer au Parti communiste son statut de parti légal et de libérer ceux de ses membres qui sont encore en prison ou en camp. Une besogne particulière attend ce parti. « Q m In d ia ! » L a ré v o lte du peuple

Sir Stafford Cripps avait apporté aux Indiens une proposition du gouvernement Chur­ chill : faire de l’Inde, après îa guerre, un dominion doté d’une Assemblée constituante, chaque province restant libre de son choix Le commentaire de Gandhi avait été sévère : Churchill proposait « un chèque postdaté sur une banque en faillite ». C’est à îa suite de l’échec de ces négociations que Gandhi s’était décidé à lancer le mot d’ordre « Quit India ! » (Quittez l’Inde !) aux Britanniques et à l’appuyer par une gigantesque campagne de désobéissance civique. Le 7 août 1942, en dépit des réserves de plusieurs» dont Jawa­ harlal Nehru, le comité panindien du Parti du Congrès avait fait sienne îa proposition de Gandhi : les Indiens la prirent au sérieux. Les Britanniques également, puisque, îe 9 août, îe monde entier put voir quelle était la conception de îa démocratie du gouvernement de Winston Churchill dans cette guerre : Gandhi, Nehru et tous les dirigeants du Congrès étaient arrêtés. Ce fut l’explosion de tout un peuple, à laquelle Gandhi répondit d’ailleurs aussitôt en entamant un jeûne de protestation de trois semaines contre les violences de ceux qui exigeaient sa libération. Le soulèvement donna îe signal d’une énorme explosion qui ébranla jusqu’aux fondements de la domination britannique en mobilisant très large­ ment la population. Bien que la classe ouvrière, dans certaines régions - à Bombay par exemple -, ait observé une certaine réserve, ou se soit, comme au Jamshedpur, cantonnée au terrain des revendications, les grèves débouchent parfois sur des manifestations et même des combats armés. Dans ies villes, la petite bourgeoisie est prête à se battre, les étudiants vont d’une usine à l’autre, haranguent les cortèges. Bientôt, les paysans se lancent, forment des groupes de partisans qui se battront pendant des mois avec l’appui des villages. Un vétéran témoigne : Ils ont combattu pratiquement ies mains nues et sont tombés. Des centaines d’hommes oui été abattus dans les rues, comme des chiens, des dizaines de villages ont été incendiés, des femmes violées par centaines et des enfants transpercés à la baïonnette. Atomisées dans des poches de résistance éparpillées, leurs luttes ne pouvaient être ni coor­ données ni centralisées : pourtant ils combattaient toujours et formèrent îes Bidyut Bahinis (éclai­ reurs, détachements de 1amort) et des Palri Sarkars (gouvernements parallèles) [...]. Ils ont pris d’assaut plusieurs prisons et libéré les dirigeants politiques55. Un autre raconte : A partir du lundi 10 août, le mouvement commença à se répandre de province en province. Les immenses réserves d’énergie révolutionnaire explosaient partout sans plan ni système. A Bangalore, dans le Mysore, les étudiants forent le fer de lance de l’attaque contre le pouvoir féodal indien et l’impérialisme britannique ; les ouvriers, dans les usines, les mines et les ateliers de Mysore, soutinrent activement îes masses petites-bourgeoises en déclenchant une série d’atta­ ques contre le gouvernement du prince indien et du Raj britannique ; ils furent repoussés par les troupes et la police en aimes. Nombre d’entre eux furent abattus, beaucoup furent blessés. [...] Kerala se tint à l’écart dans le sud (c’est îe bastion du PC au Sud) mais, même là, ies masses commencèrent à rejoindre le combat, et réunions et manifestations staliniennes furent brisées par des foules violentes56. 55. Cité par P. Broué, « Notes sur l’histoire des oppositions et du mouvement trotskyste en Inde », Cahiers Léon Trotsky, n° 21,1985, p. 33. 56. Rupsingh, « Le combat d’août 1942 », ibidem, p. 92-93.

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En fait la crainte de nuire à la défense de l’Union soviétique et surtout la pression des organisations du PC et des dirigeants des syndicats sous leur contrôle parviennent à empêcher les grèves ou provoquent une reprise en pleine tourmente. Le soulèvement spontané qui revêt des aspects d’insurrection populaire ne mobilise qu’une partie des travailleurs du pays, et la division provoquée dès le départ par les initiatives du CPI, véritablement ennemi intérieur de ce début de révolution, brise son élan. La répression policière fait le reste. On relève qu’elle s’acharne particulièrement contre les groupes dissidents du CPI. Soumyendranath Tagore, un ancien du CPI, fondateur du RCP (Revolutionary Communisi Partyj, est en prison depuis trois ans, il y reste trois ans encore. Gour P i, évadé et repris, est maltraité après août et reste trois ans de plus en prison. Jayaprakash Narayan, le leader des socialistes du Congrès, est soumis au manque de sommeil prolongé, le jeune trotskyste Kamalesh Banerji ne quitte pas la prison entre septembre 1942 et octobre 1945. Quand ces hommes recouvreront la liberté, une grande partie de la jeune génération aura disparu dans les combats et la répression ultérieure, et les conditions politiques auront bien changé avec le vent de pessimisme qui suit ies défaites quand on n’est pas à même d’en comprendre les causes : l’Inde est désormais le pays des antagonismes religieux, des émeutes communalistes, de la revendication de la partition en vue de la création du Pakistan, bref, dans une situation beaucoup plus réac­ tionnaire qu’elle ne l’avait été en pleine guerre. G u ér illa

pa t r io t iq u e a u

V iet n a m

En mai 1941, le CC du PC indochinois enregistre la renaissance du Viêt-minh et son objectif : « Chasser les fascistes français etjaponais pour rétablir l’indépendance complète du Vietnam en alliance avec les démocraties en lutte contre le fascisme et l’agression57. » Après l’attaque allemande, un manifeste précise son programme : « Union de toutes les classes sociales, collaboration avec les éléments antifascistes français, destruction du colonialisme et de l’impérialisme français58. » En novembre 1941, d’un premier réseau naît, autour de Vo Nguyên Giap, un petit groupe armé que l’on qualifie de « noyau de l’armée de libération nationale ». En octobre 1942, le Viêt-minh « tend une main frater­ nelle aux gaullistes d’Indochine ». Mais c’est en tentant d’obtenir des armes que Nguyên Ai Quôc, devenu Hô Chi Minh, est arrêté par les forces du Guomindang, qui vont le garder presque deux ans sous les verrous : l’alliance n’est pas encore très au point avec les Alliés. Pourtant, aucun mouvement de masse n’éclate en Indochine. Sans doute les traces cruelles de la répression qui a suivi la révolte de Cochinchine se font-elles encore sentir lourdement. Le régime de l’amiral Decoux, la poigne de fer du marin qui représente le gouvernement de Vichy, font d’ailleurs peser sur le pays une véritable terreur. G u ér illa

pa y sa n n e a u x

P h il ip p in e s

Les communistes philippins ont-ils appris de leurs camarades chinois ? La guérilla est certes l’arme qui mène au pouvoir, mais, pour l’instant, elle est surtout l’arme de défense contre l’envahisseur, l’occupant japonais, et ses complices, les autorités philippines. Mais ce sont précisément ces groupes paysans de défense, multipliés et agrandis, placés sous l’autorité du communiste Luis Taruc, qui forment très vite l’Armée du peuple antijapo­ naise, dite, par contraction du nom en langue tagalo, Hukbong Bayan laban san Hapo, Hukbalahap, plus simplement encore Huks, officiellement fondée en 1943. Après la chute 57.Cité par Ngo Van, op. cit., p. 297. 58. Ngo Van, op. cit., p. 298.

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de Bataan, en avril 1942, les communistes philippins décident en effet de passer à la lutte armée, la guérilla. Le comportement des autorités d’occupation et des autorités autochtones est tel qu’ils forment sans doute le facteur déterminant. Très vite, les polices japonaise et philippine unies s’efforcent de décapiter le mouvement, dont elles tuent un certain nombre de dirigeants : en décembre 1942, deux des grands chefs tombent entre leurs mains. Cristano Evangeiista, le pionnier communiste, mort sous la torture des policiers japonais en 1942, a été l’une des premières victimes, précédant de peu Pedro Abad f. Santos, abattu dans la même prison que lui. Mais leur jeune camarade Luis Taruc est . j devenu El Supremo, le grand chef des combattants. Les Huks, encadrés et animés par les communistes philippins, revendiquent pour la durée de leur guerre, à partir de 1942, 1 200 engagements contre l’armée japonaise, 24 000 Japonais tués. Leur combat est en plein développement quand intervient la dissolution de la Comintern : les Huks sortent alors de notre sujet, mais nous nous permettrons de souligner que les grands vainqueurs de la guerre, Américains, durent consacrer beaucoup d’efforts et d’argent pour les éliminer - et qu’ils ne bénéficièrent pour cela d’aucun élan de solidarité ni même d'une simple information loyale. Là aussi la grande arme a été l’assassinat : pour commencer, celui du leader paysan Juan Feleo, enlevé et assassiné en 1946 par îes hommes de main du régime américano-philippin. Il semble bien que, déjà, les services secrets chinois et russes riva­ lisaient dans les mouvements partisans d’Asie : le Coréen Kim II sung est un homme du GRU, mais son compatriote Mu Chong est lié aux Chinois. Le Malais Maung Thein Pci, lié aux Anglais, l’est aussi à Mao. Le Chinois Ong Viet dirige une école politico-militaire dans les montagnes des Philippines. L a POLITIQUE DANS LA GUERRE

L ’historien nord-américain Gabriel Kolko, examinant la situation du monde en 19421943 dans son célèbre ouvrage Politics o f War, dégage trois problèmes clés dont le premier est celui du danger révolutionnaire. Il écrit : « Avant tout, il y avait la question de la gauche ou, ce qui est la même chose, de la désintégration des systèmes antérieurs à la guerre et du développement de mouvements révolutionnaires, ainsi que la possibilité de subversion dans le monde entier59. » Giulio Ceretti, dans ses Mémoires, esquisse une explication de la dissolution de la Comintern en évoquant les pressions du président Roosevelt sur Staline au début de 1943, à l’époque où les Soviétiques réclamaient un « second front » pour soulager leurs armées. Ï1 écrit : Depuis de nombreux mois, le président américain Roosevelt insistait auprès de Staline pour * que les nations capitalistes alliées obtiennent un gage, gage qui devait permettre de garantir la I paix au monde. Son argument principal : son peuple aurait difficilement admis qu’on signe ua ! pacte d’amitié durable avec une nation qui donnait l’hospitalité « à un centre de subversion I mondiale comme l’Internationale communiste ». Churchill ne ménageait pas ses attaques et plus I, d’une fois iî avait appuyé Roosevelt avec énergie60. ! Au mois de mai était arrivé à Moscou l’ancien ambassadeur Joseph Davies, un conservateur grand admirateur de Staline. Il était porteur d’une lettre personnelle de Roosevelt à ce sujet. Bien entendu, il est dans le rôle d’un Ceretti d’expliquer la dissolution de la Comintern par les exigences alliées et par une sorte de chantage au second front. D est incontestable que cette pression s’est exercée et qu’elle répondait aux préoccupations qui étaient alors celles de Staline : la montée de mouvements révolutionnaires dans différents 59. G. Kolko, trad castillane, Politicas de Guerra, p. 13. 60. G. Ceretti, op. cit., p. 299.

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pays, au moment où s’annonçait l’effondrement des puissances de l’Axe, avec toutes les conséquences que cela signifiait. Nous savons que Staline était résolument opposé à tout mouvement qui risquait de compromettre ses alliances occidentales. C’est finalement pour les mêmes raisons avancées par Roosevelt, mais de son point de vue à lui, qu’il a accepté son insistante proposition. Encore une fois, ce n’était ni au 10 Downing Street, ni à la Maison Blanche ni au Kremlin que se décidait l’un des grands tournants de l’histoire, mais dans îes rues d’Athènes, sur le carreau des mines, aux usines Fiat à Turin, dans îes montagnes de Bosnie et sous îa menace de voir prochainement se soulever îes villes et les fouies ouvrières, se rebeller les campagnes et îes combattants des montagnes et des rizières dans le monde entier, se mutiner les soldats des armées. C’est un signe de la renaissance de ce danger qu’en 1942, en pleine guene contre le Japon, îa propagande et î’appareil de Mao-Staline dirigés par Wang Ming et Kang Sheng se déchaînent contre Wang Shiwei, à qui l’on reproche non seulement un « passé trots­ kyste » réel, mais des textes dans lesquels iî dénonce îa bureaucratisation, la constitution d’une nouvelle classe de privilégiés à Yenan et les procès de Moscou. Iî est tué en prison. C’est le même sens qu’a eu la chasse aux trotskystes des communistes yougoslaves la traque de Kusovac, rattrapé en... 1948 et l’assassinat de Vlada, Zivojin Pavlovic. Le trotskyste allemand Walter Heîd, qui avait été proche de Trotsky en Norvège, réfugié en Suède, muni d’un passeport américain, traverse imprudemment l’URSS en train pour aller s’embarquer à Vladivostok pour les Etats-Unis. Arrêté à Saratov, transféré à Moscou, iî résiste à toutes les pressions, est contraint d’assister à l’exécution de sa femme et de son enfant avant d’être lui-même liquidé. En réalité, îa guerre est de nouveau grosse de tous les dangers pour îes pouvoirs en place, et en particulier de celui de la révolution. C’est peut-être ce qui va entraîner îa condamnation à mort de ia Comintern. Elle était déjà, nous le savons, à l’agonie depuis longtemps. C’est évidemment dans ce contexte que nous allons maintenant aborder la question de sa dissolution, qui marque la fin de notre travail, mais pas ceîîe du développement historique qu’elle était, elle aussi, destinée à empêcher.

CHAPITRE XXXV

L ’arrêt de mort La dissolution de la Comintern C’est en mai 1943, à une date qui marque un tournant important de la Seconde Guerre mondiale, que la Comintern reparaît brièvement à la une de la presse dans le monde entier. C’est son chant du cygne, le faire-part de son décès. UN ORGANISME DÉCADENT

Pour l’historien d’aujourd’hui, il est difficile d’imaginer que l’information fut une surprise. Depuis le début de la guerre, en 1939, et surtout depuis 1941,l’organisation communiste internationale, dans un monde découpé par les lignes de feu et les océans livrés à la guerre sous-marine, n’était plus que la caricature de ce qu’elle avait été, même après des années de décadence. Citant les documents des archives de Moscou, îes histo­ riens russes Nataîia Lebedeva et Mikhaïl Narinsky1tracent de la Comintern dans ses années d’exiî un tableau plutôt sinistre : Staline n’a plus îe temps de recevoir Dimilrov, l’appareiî de l’exécutif ne dispose plus des devises nécessaires pour un travail international même élémentaire ; les dirigeants ne sont plus guère à Oufa ; îe secrétariat ne se réunit que rarement. Les deux historiens citent un rapport tout à fait désabusé de Manouilsky, datant de l’automne 1942, indiquant qu’il n’y a plus de réunions du secrétariat politique, que Gottwald boit, que Thorez est un prétentieux qui se prend pour Lénine, que Doiorès Ibarruri perd son temps à écrire des projets, que les rapports sont détestables entre les responsables et le personnel, que régnent enfin l’ignorance et îe bluff. Le seul parti - en émigration - que la Comintern ait eu îes moyens de contrôler, îe Parti communiste espagnol, s’en va en lambeaux sous ia poussée des règlements de compte et des rivalités médiocres : les dirigeants s’accusent mutuellement de s’adjuger îes rations alimentaires et de monopoliser îes femmes, quand ce n’est pas d’abuser d’elles. Staline en a vu d’autres et ce n’est évidemment pas cet état de déliquescence qui va le décider à prendre la décision finale.

1. N. Lebedeva et M. Narinsky, « Dissolution of the Comintern in 1943 », International Affairs (Moscou), n° 8 1944 [?], p. 89-98, ici p. 89.

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l t d ée de la dissolution

Le Journal de Dimitrov, pour le moment encore inaccessible au commun des cher­ cheurs, fournit cependant un certain nombre d’indications, grâce à des citations qu’en a faites F.I. Firtsov. Selon, ce dernier, Staline avait déjà pensé à une éventuelle dissolution de la Comintern au moment où, de son côté, il dissolvait le PC polonais. On peut imaginer qu’il a reculé devant l’exploitation de cette dernière dans le monde, la crainte, peut-être, de laisser un espace « aux trotskystes » et à la IV e Internationale qu’il semble avoir redoutée. Selon ce Journal, Staline dit à Dimitrov le 12 avril 1941 : Sous Marx, on acréé l’Internationale dansl’attented’unerévolution. La Comintema été créée sous Lénine dans une période semblable. Maintenant, ce sont les tâches nationales des partis qui sont au premier plan dans tous îes pays. Mais la position des partis communistes en tant que sections d’une organisation intemationaîe subordonnée à î’exécutif de la Comintem est un obs­ tacle. [...] Dans la situation actuelle, l’appartenance à la Comintem facilite à la bourgeoisie la : persécution des partis communistes, renforce leur isolement de la population de leurs propres pays, les empêche de se développer de façon indépendante et de réaliser leurs objectifs en tant que partis nationaux2. Natalia Lebedeva et Mikhaïl Narinsky sont d’accord pour penser qu’il y avait là de îa part de Staline l’hypothèse d’une concession qu’iî fallait peut-être consentir à Hitler, en même temps qu’on dégageait l’URSS de l’étreinte de sections pouvant devenir embar­ rassantes si elles s’engageaient trop dans l’action contre îes occupants en Europe. Seîon eux, Staline n’a pas donné suite à cette remarque, faute de temps sans doute, peut-être aussi parce que l’agression hitlérienne créait une situation nouvelle, et que la dissolution de la Comintern dans cette conjoncture pourrait apparaître comme une capitulation devant Hitler. Pourtant, il n’est pas prêt à rendre à la Comintern un rôle important. L ’agression hitlérienne ne change pas là-dessus son point de vue. Il dit à Dimitrov, le 22 juin 1941 : « Les partis, chez eux, ont développé un mouvement de soutien de l’URSS. Ne pas poser la question de la révolution socialiste. Le peuple soviétique fait la guerre à l’Allemagne fasciste. La question est la défaite du fascisme qui a réduit des peuples en esclavage et tente de le faire à d’autres3. » Les victoires militaires à partir de la fin de 1942 redonnent d’ailleurs vie à la Comintem, dont les deux historiens soviétiques indiquent qu’elle connut alors un regain d’activité, créa des commissions pour étudier les tâches des PC de France et d’Italie, un manifeste à publier par le KPD et une résolution sur la ligne politique et les tâches du PC tchécos­ lovaque, les deux derniers textes étant datés de décembre 1942 et de janvier 1943. Ils indiquent également que la Comintem a pris des mesures pour l’organisation de la pro­ pagande en direction des millions de prisonniers de guerre, la création d’écoles dites « antifascistes », qu’elle rédige un texte sur « Le tournant de la guerre et îes tâches de îa propagande » (février) et des directives pour le 1ermai (fin avril). Le 6 mai, elle crée une commission de 25 responsables de l’exécutif chargée d’étudier l’ordre du jour de Staline pourle 1ermai et d’élaborer des directives pour la propagande radiophonique : elle remettra son rapport le 15. Or, à cette date, îa Comintem n’a déjà plus que quelques heures à vivre.

2. Firtsov, op. cit., p. 462. L’exemplaire original du journal de Dimitrov se trouve à Sofia aux archives du parti. I! semble que Firtsov en ait emporté une copie aux États-Unis, où l’on annonce sa publication, déjà programmée. 3. Ibidem.

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P répa ra tio n

D e L’ACTIVITÉ POLITIQUE À L'ACTIVITÉ POLICIÈRE

d e la d isso lu t io n

Dans la soirée du 8 mai, en effet, Dimitrov et Manouilsky sont convoqués au Kremlin par Molotov. Celui-ci les informe que Staline a pris une décision : « La Comintern en tant que centre des partis communistes constitue un obstacle dans les conditions d’aujourd’hui pour le développement indépendant des partis communistes et la réalisation de leurs tâches particulières . » Dimitrov note dans son Journal : « Ds en sont venus à la conclusion que dans la situation actuelle, la Comintern en tant que centre dirigeant des partis communistes était un obstacle à leur développement indépendant et à îa réalisation de leurs objectifs spécifiques. [...] Élaborer un document pour la dissolution de ce cen­ tre5. » Les deux secrétaires sont en effet priés de préparer un document annonçant la dissolution de la Comintern, dont Molotov îeur indique évidemment les grandes lignes. Le 11 mai, Dimitrov et Manouilsky ont terminé leur projet de résolution du présidium de l’exécutif de la Comintern décidant ia dissolution de cette dernière, et leur projet est immédiatement transmis à Staline. L ’après-midi, Staline reçoit les auteurs de la résolution avec Molotov à son côté. Ds lui présentent ce texte où ils assurent que îa raison de la dissolution est la constatation qu’en tant que centre dirigeant du mouvement ouvrier international la Comintern est maintenant incapable de faire face aux exigences croissantes et au développement des partis communistes et des partis ouvriers en général dans tous les pays et qu’elle est même devenue un obstacle à ce développement. Les quatre hommes sont d’accord sur le fond, discutent seulement la façon dont la résolution sera adoptée. Ds tombent d’accord pour que le projet soit soumis à une réunion du présidium pour approbation en tant que projet adressé à toutes îes sections, et pour ne publier le document qu’après avoir reçu leurs réponses. C’est la Comintern elle-même qui doit annoncer sa propre disparition. C’est son suicide qui a été programmé, ou plutôt sa mort, maquillée en suicide. Le 11 mai, Dimitrov informe tous les membres de l’exécutif et leur indique que le projet va être adressé par radio aux dirigeants des principaux partis, qu’il s’agit d’un texte secret, et demande leur accord. Le 13 mai enfin se tient une réunion à huis clos du présidium avec un certain nombre de membres et de suppléants de l’exécutif ainsi que des représentants des différents partis6. Staline doit avoir un soupçon d’inquiétude, car il envoie par écrit des recommandations à Dimitrov avant le début de la réunion, lesquelles prouvent d’ailleurs qu’il connaît bien son personnel, plus occupé de son emploi que de la politique mondiale : 1. Prenez votre temps dans cette affaire. Soumettez le projet à la discussion, donnez aux . membres duprésidiumde l’exécutifdeuxàtroisjours poury penseret proposer des amendements. II [Staline, selon Lebedeva et Narinsky] va aussi en proposer quelques-uns. 2. N’envoyez pas tout de suite le projet à l’étranger. Nous en déciderons plus tard. 3. Ne donnez pas l’impressionque nous sommes simplement en train d’expulser les camarades dirigeants étrangers. Ils vont travailler pour les journaux. On va en fonder quatre en allemand, roumain, italien et hongrois, et ce pourrait être utile de créer des comités antifascistes séparés pour les Allemands et les autres7.

4. Firtsov, op. cit., p, 90. 5. Cité par Firtsov, op. cit., p. 463. 6. N. Lebedeva et M. Narinsky, loc. cit., p. 90. 7. Ibidem, p. 90*91.

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L a réunion du présidium du 13 mai

C’est bien entendu Dimitrov qui ouvre au présidium du 13 mai 1943 le débat sur la dissolution de la Comintem comme centre directeur. ïl souligne vigoureusement que ce n’est pas une ruse de guerre, que c’est bien d’une vraie dissolution dont il s’agit, pas d’un simple geste sans contenu. Il suggère que les membres du présidium présentent leurs remarques sur l’opportunité politique et celle du moment de cette décision, et suggère des propositions et des amendements au texte qu’il présente. La plupart des orateurs, nous disent Lebedeva et Narynski, prirent au sérieux l’idée de la dissolution de la Comintern et soulignèrent les avantages qu’on allait pouvoir en tirer pour l’unification des forces antifascistes dans un front national commun, et soutinrent donc le projet. Maurice Thorez se dit pleinement en accord avec le projet et précise : «Nous, les communistes, nous n’avons pas réussi à battre la social-démocratie et à barrer au fascisme la route du pouvoir dans plusieurs pays. Nous n’avons pas non plus réussi à empêcher les fascistes de déclencher leur guerre de pillage. La forme existante d’asso­ ciation internationale des travailleurs a perdu toute utilité . » Kolarov, le doyen, est très satisfait et n’a aucun regret pour la Comintem, qui ne fonctionnait plus, dit-il, « comme un organe de direction ». Sa déclaration est presque une sorte d’aveu, le bilan d’une vie :
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Chronologie

1914 Juin -28, assassinat à Sarajevo de l’archiduc d’Autriche François-Ferdinand. Juillet -16-17, le congrès du PS français préconise la grève générale pour empêcher la guerre. -16-17, échec de la conférence d’unification des socia­ listes russesconvoquéeparle BSI ; les bolcheviks isolés ? -25, proclamation de la direction du SPD contre la guerre (Allemagne). -29-30, manifestations contre la guerre à Paris, Berlin et Bruxelles à l’occasion de la réunion du BSI. -31, assassinat à Paris de Jean Jaurès*. Août - 1er, le PS serbe refuse de voter les crédits de guerre. -1", guerre entre Russie et Allemagne. -3, guerre entre la France et l’Allemagne. -3, Trotsky* va de Vienne à Zurich. -4, les députés social-démocrates allemands votent les crédits de guerre. -4, offensive de l’armée allemande à l’ouest. -4, à Berlin, réunion d’adversaires de l’union sacrée, internationalistes, autour de Rosa Luxemburg*, -4, grèvesà Petersbourg pour l’anniversaire du massacre de la Léna. -5, conférence à Milan du PSI et de 1aCGL notamment, qui se déclare opposée à la guerre et en faveur de la neutralité italienne. -5-10, les grandes lignes du conflit se dessinent: l'Entente (France, Grande-Bretagne, Russie) contre les «Centraux» (Allemagne, Autriche-Hongrie). - 8,en Suisse, Lénine* fait adopter le manifeste du Parti bolchevique contre la guerre.

- 8, les bolcheviks votent contre les crédits de guerre à la Douma. Septembre - 5, arrivée de Lénine* à Berne. -6-7, le CC du Parti bolchevique, réuni à Berne, adopte les thèses de Lénine* sur la guerre. - 21, après une discussion avec les ouvriers de Stuttgart, K. Liebknecht* déclare qu’il a eu tort de voter pour les crédits militaires « par discipline » de parti. - 27, deux ministres socialistes dans le gouvernement français d’union sacrée. -Bataille de la Marne. Octobre -début de la guerre de tranchées. Novembre - TVotsky* commence à publier àParis, dans Golos, « La Guerre et l’Internationale ». - 3, conférence bolchevique en Russie qui approuve les thèses de Lénine*. -5, arrestation des délégués à la conférence du 3. -19, Trotsky* à Paris, rejoint Golos. -Benito Mussolini* fonde II Popolo d'Italia pour l’entrée de l’Italie dans la guerre, n est exclu du PSI. Décembre -2, Liebknecht* seul à voter au Reichstag contre les crédits de guerre.

1915 Janvier -entrée des troupes de Pancho Villa* et Emiliano Zapata* dans Mexico.

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C hronologie

Février - auMexique, pactedela VeraCruz, oùla Casadel Obrero mundial crée les Bataillons rouges pour lutter auxcôtés du gouvernement contre les forces paysannes armées. - 7, Karl Liebknecht* mobilisé malgré son âge. - 7, arrestation de John Maclean*. -10-13, les députés bolcheviques condamnés à l’exil en Sibérie. -16, début de grève aux chantiers de îa Ciyde en Écosse. -18, arrestation de Rosa Luxemburg* pour une affaire d’avant guerre. -19, Golos devient Naché Siovo. Février-juin -tournée de Rakovsky à travers l’Europe pour une conférence socialiste internationale. Mars - 4, première conférence de l’opposition internationaliste à Berlin. - 4, fin de la grève de ia Clyde. -18, Liebknecht* et Otto Rühle* votent au Reichstag contre les crédits de guerre. - 26-28, conférence socialiste internationale des Femmes à Berne sous l’impulsion de Clara Zetkin*. Avril - 5-7, conférence de Berne de l’Internationale desjeunes socialistes, animée par Münzenberg*, qui se proclame indépendante de la IF Internationale. -14, numéro 1 de Die Internationale, en Allemagne. -15, départ de Martov* de Naché Slovo, que TVotsky* prend en main. -Rencontre de Trotsky* avec le noyau de La Vie ouvrière, Pierre Monatte*, Alfred Rosmer*, Marcel

Martinet*. Mai -15-16, l’exécutif du PS italien décide, sur l'insistance de Rakovsky*, de travailler à organiser une conférence socialiste internationale. -17-18, grève générale en Italie ; heurts violents à Turin. - 27, tract de Liebknecht* : « L’ennemi est dans notre pays ». Juillet - fondation du comité des ouvriers de la Clyde. - 6-8, conférence des partis socialistes des Balkans à Belgrade, à l’initiative de Rakovsky*. - les marines américains occupent Haïti. Août - 5-8,conférence socialiste internationale à Zimmerwald. Trotsky* rédige le manifeste, Rakovsky* est élu au comité international, Lénine* fonde la gauche de Zimmerwald. Octobre -27, Arrestation de Maclean* condamné à quelques jours de prison.

Novembre ~ manifestations de femmes contre la vie chère à Berlin. -10, manifestations de rues contre le procès et ia condamnation de Maclean*. - assassinat aux États-Unis du militant IWW anti-guerre JoeH ill* -20-21, le congrès du PS suisse, à Aarau, décide d’appuyer les résolutions de Zimmerwald. - automne, parution àPékin de la revue de Chen Duxiu*, Xiang Qiangnang. Décembre -21,18 députés social-démocrates, dont le président du groupe Hugo Haase*, votent au Reichstag contre les crédits de guerre. -25-29, le congrès du PS français approuve la politique de l’union sacrée dans la guerre. -29, anestation de Peter Petroff*, compagnon' i!e Maclean*.

1916 Janvier ~ Ier, la conférence du groupe Internationale adopte les thèses de Rosa Luxemburg*, laquelle achève la « bro­ chure Junius ». -fin, libération de Rosa Luxemburg*. Février -8, grand meeting à Berne où Rakovsky* se prononce pour une nouvelle Internationale, Mars ~ 16-18, îes Jeunesses socialistes de Suède contre le g( uvemement. - 24,17 députés social-démocrates, dont Haase*, exc'm du parti pour leur vote. Avril -13, Maclean* condamné à 3 ans de travaux forcés en prison. -24, «Pâques sanglantes», début du soulèvement en Irlande. -24-30, deuxième conférence de Zimmerwald à Kienthal. -expédition au Mexique, contre Pancho Viüa*, de l’armée nord-américaine commandéepar le général Pershing*. Mai -1", Liebknecht* en uniforme distribue destracts contre la guerre sur la place de Potsdam à Berlin. - i", fin des combats à Dublin. - 8, dans le Berner Tagwacht, Lénine* salue l’insurrec­ tion irlandaise, coup rude porté à l’impérialisme britan­ nique. - 9, anestation de James Connolly*. -12, exécution à Dublin de James Connolly*.

\ I

C hronologie -550000 grévistes à Berlin à l’appel des Revolutionàre Obkute. Juin -27, condamnation de Karl Liebknecht* («Je ne suis pas pour la paix civile, mais pour la guerre civile »). - 27-30,55 000 travailleurs en grève pour Liebknecht*. - Chliapnikov * part aux États-Unis pour le financement du Parti bolchevique. Juillet -10, nouvelle incarcération de Rosa Luxembarg*, par mesure administrative. _ 16, manifestations ouvrières à Galatzi contre la guerre, Rakovsky* arrêté, puis libéré. Septembre ■- \a, les autorités militaires saisissent le Vbrwdrte berli­ nois, trop critique, et le remettent à la direction nationale du SPD. - lrt, première « Lettre de Spartakus ». -15, interdiction de Naché Slovo, -23, Rakovsky « enlevé » par la police et emprisonné sans laisser de traces. -30, Trotsky, expulsé ie 16, est conduit à la frontière espagnole. Octobre -Retour de Chliapnikov* à Petrograd, -24, îe dirigeant socialiste de gauche Friedrich Adler* assassine le chef du gouvernement austro-hongrois, le comte von Stürgkh*. Novembre -Victoire des métallos de Sheffield sur le contrôle des sursis. - victoire de Woodraw Wilson* à la présidentielle amé­ ricaine. Décembre - 25,Trotsky* et sa famille embarquent à Barcelone pour New York.

1917 Janvier -7, conférence de l’opposition à l’intérieur du SPD autour de Haase*. -13, Trotsky* à New York -14, TVotsky* se met au travail avec Boukharine* et l’équipe du Novy Mir. Il va se lier à des militants amé­ ricains du SPA, Fraina* et L. Lore*. -16, les opposants sont exclus du SPD, ainsi que les organisations qui les soutiennent. -18, les exclus décident de constituer l’USPD. Février - 1“, début de ia guerre sous-marine.

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- 23 (8 mars), mot d'ordre de grève pour la journée des Femmes travailleuses. -23-27 (8-12 mars), heurts dans la rue entre ouvriers et policiers. -27 (12 mars), naissance du Soviet des ouvriers et pay­ sans de Petrograd. Mars -1“ (14), le Soviet de Petrograd adopte le Prikaz n° ! qui va contribuer à détruire la discipline dans l’armée. - 2 (15), abdication du tsar Nicolas H. -2(15), constitution d’un « gouvernement provisoire ». -3(16), appel du Soviet pour la paix et l'Internationale. -12 (25), Staline et Kamenev retour de déportation prennent une attitude « défensiste ». Mars-juin -offensive militaire allemande à l’ouest. Avril -3 (16), retour de Lénine* à Petrograd et publication des Thèses d ’avril. -4 (l7)-24 (7 mai), discussion des Thèses d'avril dans le parti. - 6, entrée en guerre des États-Unis du côté de l’Entente. Le général Pershing* va commander le corps expédi­ tionnaire. - 6-8, la conférence de l’opposition allemande à Gotha se constitue en Parti social-démocrate indépendant (USPD). - division chez les révolutionnaires allemands, Spartakus acceptant de rejoindre l’USPD, les autres s’y refusant. - 6, après deux semainesd’offensive du général Nivelle*, cette journée fait 35 000 morts et 90 000 blessés, environ 1/5 du total pour cette opération. -Grèves à Berlin sous îa direction des Revolutionàre Obleute, puis à Leipzig. Mai - 7 (20), arrivée deTrotsky* à Petrograd après un voyage mouvementé (internement au Canada). -13, scission en Suède avec la naissance du PS de gau­ che, des amis des bolcheviks, Strôm* et Hoglund*. -17 (30), reprise de contact entre Lénine* et Trotsky*. Juin - 3, convention de Leeds, 1300 délégués pour les conseils ouvriers, « la paix et l’émancipation économique des travailleurs ». - libération anticipée de Maclean*. -15, arrivée des troupes russes au bord de la révolte au camp de La Courtine. Juillet -mutineries sur le front français après l’offensive Nivelle* et répression par le général Pétain* : des « fusil­ lés pour l’exemple ». - l{r, manifestation monstre à Petrograd contre les offen­ sives. -3-4 (16-17), manifestation armée contre le Gouverne­

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C hronologie

ment provisoire à Petrograd et pour « tout !e pouvoir aux soviets ». -5-12 (18-30), répression contre le Parti bolchevique : Lénine* en fuite. -dans le mois, réunion en forêt à St. Aegyd, de respon­ sables révolutionnaires autrichiens, convoqués par Koritschoner*. -22 (4 août), ïïotsky* arrêté. -26 (8 août), début du VF congrès du POSDR (bolche­ vique), dit d’unification, 200000 membres, avec admis­ sion de Trotsky*. Août - ltf, Frank Little*, des IWW, est lynché à Butte (Mon­ tana). - 2, manifestation des marins de la flotte de guerre alle­ mande pour la paix, à l’appel des « commissions de cam­ buses ». ~3 (16), fin du VI* congrès du Parti bolchevique, Trotsky* est élu au CC in absentia. -13, manifestation à Turin de sympathies à la révolution russe et aux bolcheviks. -15-18, grève générale en Espagne, condamnation sévère des dirigeants. - 22-28, émeute de ia faim qui se transforme en insur­ rection à Tbrin. -25, condamnation des dirigeants du mouvement des marins allemands. -25 (7 septembre), début du soulèvement du général Kornilov*. - 30 (12 septembre), fin de la « korniloviade » devant la résistance unie de la classe ouvrière à laquelle les bol­ cheviks ont aussitôt fait appel. Septembre -4 (17), TVotsky*, libéré sous caution, siège pour la première fois au CC bolchevique. - 5, les dirigeants des marins allemands Kobis* et Reichpietsch* exécutés. -9 (22), ies bolcheviks gagnent la majorité au soviet de Petrograd. -14-19, assaut des troupes françaises contre le camp de La Courtine. Octobre - 9 (22), TVotsky élu président du soviet de Petrograd, dit que le Gouvernement provisoire doit s’en aller. -10 (23), vote de principe du CC bolchevique pour l’insurrection. -12 (25), le Soviet de Petrograd crée son comité militaire révolutionnaire. - 24, début de îa déroute et panique des Italiens à Caporetto, sur le front autrichien. - 25 (7 novembre), déroulement de l’insurrection sous la direction du CMR, appuyé par le Soviet de Petrograd. Prise du palais d’Hiver, fuite du Gouvernement provi­ soire, ouverture du IF congrès panrusse des soviets d’ouvriers et de paysans, qui va sanctionner cette prise de pouvoir. —26-27 (8-9 novembre), Conseil des commissaires du peuple sous Lénine*.

-26 (8 novembre), décret sur la terre. -26-28 (8-16 novembre), insurrection des bolcheviks à Moscou. -27 (9 novembre), le général Krasnov, en marche sur Petrograd, arrêté par ies Gardes rouges. Novembre - 4, fin de la débandade sur le front après Caporetto. -7, déclaration Balfour du gouvernement britannique, ; promettant son aide à la création en Palestine d’un foyer national juif. -13 (26), décrets sur la journée de 8 heures et la création d’une milice ouvrière (ia Garde rouge). ~ 13 (26), le Soviet de Bakou prend le pouvoir. -14 (27), premières mesures pour ia répartition des terres aux paysans. -15 (28), publication de la Déclaration des droits des peuples travailleurs. -20 (3 décembre), arrestation et lynchage du général.

Doukhonine*. -21 (4 décembre), début de la publication du texte des traités secrets. -25 (8 décembre), décret sur la supressioa des casteset grades civils. Décembre - 4 (15), signature de l’armistice à Brest-Litovsk. -4 (15), décret sur le droit de rappel des députés. - 7, manifestation contre la guerre à Vienne. -7 (20), création de la Ve-Tcheka, « contre le sabotage. et la contre-révolution ». -9 (22), ouverture des pourparlers de paix à BrestLitovsk. - 22 (29), décret abolissant grades et manifestations extérieures de respect, ainsi que l’égalité dans l’armée et admettant l’élection. -31 (12 janvier), décret instituant le mariage civil. - Radek* fait venir à Petrograd le prisonnier de guerre hongrois Béla Kun* pour s’occuper avec lui des prison- ■ : niers internationalistes. -trois armées blanches sont prêtes sous Alekseiev*, . Kornilov* et Kaledine* ; ils laisseront leur place àDenî*

kine*, Wrangel*, Koltchak*.

1918 Janvier - 1er (14), décret interdisant le commerce des terrains . dans les villes. -2, début de la vague gréviste en Autriche-Hongrie, totale dans les industries de guerre. -5 (18), ultimatum du général Hoffmann* à BrestLitovsk, un diktat. - 6 (19), ouverture et dissolution de 1aConstituante russe élue avant Octobre et la scission SR, où les SR de droite avaient la majorité. - 8, annonce des 14 points du président Wiison*. -20, les marins de la flotte austro-hongroise ancrée à Cattaro décident une manifestation pour la paix.

C hronologie

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-11 (24), le CC se divise. Lénine* veut signer, et [ Juin -11, mobilisation de cinq classes d’âge dans l’Armée Trotsky * arrêter la guerre sans faire la paix. Boukha­ rouge. rine* est pour une' « guerre révolutionnaire ». -13, on annonce 80 000 arrestations en Finlande. -12 (25), le CC suit Trotsky*. -14, mencheviks et SR de droite exclus de l’exécutifdes -arrestation deMaclean*, manifestation de protestation. soviets. -15 (28), décret sur la création d’une Armée rouge - 20, assassinat de Voîodarsky*. -26-27, soulèvement ouvrier en Finlande, début de ia - 30, nationalisation des grandes industries et du com­ guerre civile. merce de gros. Février - T (14), entrée en vigueur du calendrier grégorien. -2, fin du mouvement de Cattaro. -3, séparation de l’Église de l’État et de l’École. -8, confiscation des banques. -10, annulation des dettes extérieures de la Russie. -10, Trotsky* à Brest ; « Nous sortons de la guerrre ». -11, lourdes condamnations contre les mutins de Cat­ taro. -12, exécution de quatre « meneurs » de Cattaro. -18, l’Allemagne dénonce l’armistice et lance une offen­ sive foudroyante. -23, Trotsky* se rallie à Lénifie* et le CC décide de signer ie diktat. Mars -3, ies représentants russes signent sans discuter îe traité de paix. -6-8, le congrès du Parti bolchevique approuve la signa­ ture et décide de prendre le nom de « communiste ». -débarquement britannique à Mourmansk. -11, le siège du gouvernement est transféré à Moscou. -13, Trotsky* commissaire du peuple à la Guerre, -29, constitution, sous ia direction de Béla Kun* et Tibor Szamuely*, de ia section hongroise du PC russe. Avril

- î", début à Chicago du grand procès des IWW. -3, les troupes du général von der Golz* débarquent en Finlande et prennent les Gardes rouges à revers. -5, débarquement britannique à Vladivostok. -6, Ioffe ambassadeur russe à Berlin. -10, décret sur le droit d’asile des réfugiés. -17, constitution de la Fédération bolchevique des sec­ tions étrangères, présidée par Béla Kun*. -22, nationalisation du commerce extérieur. -26, préparation militaire obligatoire et service de 6 mois.

Mai ~1", abolition de l’héritage en Russie. -1er, grandiose manifestation pour la libération de Maclean*.

-22, premières mutineries de troupes austro-hongroises de l’armée de terre. Exécution de « meneurs » comme Frantisek Noha*. -25-27, conférence et création à Moscou du PC tchéco­ slovaque. -26, soulèvement de la Légion tchèque, qui marque le début de la guerre civile en Russie. -31, décision pour la mixité de l’école.

Juillet - 6, sur ordre de la direction de son parti, le SR de gauche Blumkine* assassine l’ambassadeur allemand von Mir* bach*, ce qui est la préface d’une insurrection avortée des SR de gauche. -10, scission des SR de gauche. -12, trahison et suicide ducommandantdufront oriental. -16, exécution du tsar Nicolas II* et de sa famille. -29, mobilisation de 18 à 45 ans. Août - 4, occupation de Bakou par les Anglais. -8, départ de TYotsky* et de son train pour Kazan. - 30, attentat de Fanny Kaplan* contre Lénine*, qui est grièvement blessé ; assassinat d’Ouritsky*. -31, suppression de 1a propriété immobilière dans les villes. Septembre - 5, le commissariat à l’Intérieur, dans le cadre de la Terreur rouge, prescrit les arrestations d’otages. -10, l’Armée rouge reprend Kazan. -14, mutinerie des soldats bulgares à Radomir. - 25, Stambolisky*, leader paysan bulgare, propose aux tesnjaki une alliance en soutien des soldats mutinés pour renverser le régime et imposer la paix. Le futur dirigeant communiste Blagoiev* refuse. -30, signature de l’armistice avec les Bulgares. Octobre ~ 1er, le grand état-major général allemand se prononce pour la paix afin d’éviter la révolution. - 2, gouvernement Max de Bade* à Berlin avec deux ministres socialistes, Ebert* et Scheidemann*. -16, création de l’école unique du Travail au niveau élémentaire. -16, premier congrès des JC russes (komsomol). - 21, Liebknecht* libéré. - 28, sécession de la Bohême. - 30, agitation dans la marine de guerre allemande face à la perspective d’une « sortie ». -30, révolution à Vienne, gouvernement provisoire qui promet la démocratie, - 31, révolution à Budapest qui porte au pouvoir le comte Karolyi*. - levée de l’exclusion des mencheviks qui ont décidé de soutenir le pouvoir de façon critique. Novembre - 3, mutineries de Kiel. Les marins vont faire le tour des villes allemandes.

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C hronologie

- 6, le VF congrès des soviets offre ia paix aux Alliés. - 6, création du conseil ouvrier de Lublin, imité dans toutes ies régions industrielles. - 7, fondation en Pologne du « gouvernement populaire » dirigé par le socialiste Daszynski*, remplacé en quelques jours par Moraczewski*. ~8, manifestation grandiose à Munich: l’indépendant Kurt Eisner* président du conseil des ouvriers et sol­ dats, devient Premier ministre de Bavière. - 9, vaguedecréation deconseils d’ouvriers et desoldats. - 9, libération de Rosa luxemburg*. - 9, révolution à Berlin. Les social-démocrates prennent le train en marche. -10, Ebert*, chancelier du Reich, est investi comme président du Conseil des commissaires du peuple par les conseils de Berlin, sommet unique de deux pyramides de double pouvoir. - H , Spartakus {50 membres à Berlin) s’organise et se donne une centrale et un journal. - U, armistice franco-allemand à Rethondes. -12, proclamation de la république des conseils de Bavière. -13, décret annulant en Russie le traité de Brest-Litovsk. -15, appel du conseil ouvrier de D^browa, en Pologne, fort de sa « Garde rouge », à une grève générale, - les militants étrangers de Moscou décident le retour au pays. -15-16, fondation du premier PC autrichien. -16, accord patronat-syndicats en Allemagne, notam­ ment sur îes 8 heures. -17, formation du Soviet de Reval. -17, arrivée de Béla Kun* à Budapest. -18, les Français débarquent à Odessa, les Anglais à Batoum. -18, réunion à Florence, chez un avocat, de militants «maximalistes»: parmi eux, Serrati*, Bordiga*, Gramsci*. -18, éliminant ses rivaux, l’amiral Koltchak* se pro­ clame « régent suprême ». -19, Béla Kun* porte à Fritz Adler*, à Vienne, une lettre pressante de Lénine. - 24, le gouvernement blanc d’Omsk, issu de la Consti­ tuante, confie tous les pouvoirs à l’amiral Koltchak*, « commandant suprême ». - 24, fondation à Budapest du PC de Hongrie, résultat de la fusion de plusieurs groupes. Décembre - début, une grosse délégation russe part pour Berlin avec Ioffe*, Rakovsky*, Boukharine*, etc. Ils sont arrêtés et refoulés. Seuls Radek* et des militants moins connus atteindront Berlin, presque un mois plus tard. - 4 décembre, formation des premiers Corps francs, uni­ tés spécialisées dans la guerre civile. - 6, le Conseil des commissaires du peuple se prononce pour l’élection d’une Assemblée constituante. -10, Ebert* salue des troupes revenues du front en bon ordre comme «rentrées invaincues» des champs de bataille. -14, chute en Ukraine du gouvernement Skoropadsky* installé par l’état-major allemand.

-15-16, fondation à Varsovie, par fusion, du Parti ouvrier communiste de Pologne. :^ -16-21, le congrès allemand des conseils se prononce i pour îa convocation de l’Assemblée constituante. | -18, manifestation ouvrière à Bucarest, la police rou-. tj maine tire : 60 morts. | - 21, la nouvelle armée « régulière » écrase la république î. des conseils de D^browa en Pologne. '' |; - 23-25, « Noël sanglant », combats à Berlin d’ouvriers f armés et de marins contre des unités de l’armée. ï -25, au cours d’une manifestation ouvrière, à l’instiga- | tion de gauchistes et peut-être de provocateurs, l’immeu- F ble du Vorwarts est occupé et le journal social-démocrate ne peut paraître. -27, prise de pouvoir des soviets à Riga. f -29, les ministres membres de PUSPD démissionnent;. ï Ebert* fait appel à Noske*comme ministre de la Guerre, f - 30, ouverture à Berlin du congrès des communistes >| allemands, spartakistes et radicaux de gauche, avec' pré-.. sence des Obleute et de Radek*. - fondation du bureau central des organisations comtnunistes des nations d’Extrême-Orient, l

1919

Janvier . - 1M, fin du congrès du nouveau parti appelé KPD(S), t seuls y sont entrés spartakistes et radicaux de' gauche (IK D ) ,

-4, révocation d’Eichhora*, USPD et préfet de police de Berlin. - 5, grandiose manifestation, nouvelle occupation du Vorwâris et désignation d’un comité révolutionnaire qui ne prend pas d’initiative, - 6-12, appelés par Noske*. les Corps francs rétablissent Tordre à Berlin par le feu et le sang. -15, Liebknecht* et Rosa Luxemburg*, arrêtés, soiït assassinés par les militaires chargés de îes escorter. -18, début de la conférence de la paix, pour laquelle le seul dirigeant russe est l’amiral Koltchak*. - 22, Rakovsky* arrive à Kharkov pour prendre la tête du gouvernement ukrainien. ~ 26, élections à ia Constituante, les social-démocrates remportent un succès mais pas la majorité absolue. - 31,70 000 grévistes à Glasgow pour les 40 heures, une charge fait de nombreux blessés. - nombreuses mutineries de soldats et marins exigeant !a démobilisation immédiate. - en Égypte, soulèvement révolutionnaire. Février -début de la tournée des Corps francs, nombreux meur­ tres de militants ouvriers responsables. -1", ouverture de la première Rabfak (faculté ouvrière ouvrant l’université aux travailleurs) à Moscou. -5, Barcelone, début de la grève de la Canadiense, avec l’occupation de l’usine dirigée par Salvador Segui*. -9, « unification » communiste en Autriche, -10, réunion de l’Assemblée constituante à Weimar. ; - il, Ebert* élu président de la République. Scheide^

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C hronologie

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mann* chancelier à la tête d’un gouvernement de coali- I ~ 15, des éléments d’extrême droite incendient l’immeu­ ble du journal socialiste italien Avanti. -°12, arrestation de Karl Radek* à Berlin. -16, effondrement de l'armée hongroise devant l’offen­ _ 14' défaut des grèves et combats armés dans la Ruhr. sive roumaine. -19-22,grève générale dans la Ruhr contre la dissolution -mutineries dans la flotte française de la mer Noire. d'un conseil. -16, airestation pour tentative de sédition de l’officier -20 arrestation de communistes hongrois dont Béla mécanicien André Marty*. Kun* pour atteinte à l’ordre public. -17, les marins du France, avec Virgile Vuillemin*, -22, assassinat de Kurt Eisner* à Munich par un refusent de bombarder les révolutionnaires russes. homme d’extrême droite. - 20-23, fondation du Parti socialiste ouvrier yougoslave. - massacre d’Amritsar aux Indes, des centaines de mani­ festants tués sur l’ordre du général Dyer*. - T, arrivée des Corps francs à Halle. -2-6, à Petrograd, tenue d’une conférence socialiste Mai internationale qui, sur le vote d’une motion de - 1", grève générale en France, 500 000 manifestants à Rakovsky*, se proclame congrès de fondation de l'Inter­ Paris. nationale communiste (Comintern), dite également « la - 1“ , le Comité pour la reprise des relations internatio­ troisième ». Rakovsky*» Trotsky,* Lénine*, sont dans nales à Paris devient le Comité de la III* Internationale. sa direction, mais son président est Zinoviev*. ~ Tf, 200 000 grévistes en Yougoslavie. -2-6, congrès extraordinaire de i’USPD à Berlin. - ltr, parution à Turin de L ’Ordine nuovo. -3, interdiction de Die Rote Fahne, journal du KPD(S). -1-10, répression féroce et aveugle contre les révolution­ -3-8, grève générale à Berlin et répression féroce dirigée naires. Les Corps francs nettoient au lance-flamme et à par Noske* : c’est « la semaine sanglante ». îa mitrailleuse. -installation, sous l’autorité de Rakovsky*, avec Jac­ -4, début des manifestations d’étudiants chinois contre ques Sadoul* et Balabanova*, du bureau du Sud de les traités et l’impérialisme qui a dépecé et opprime leur l'Internationale. pays. Apparition de Chen Duxiu* et Li Dazhao*, intel­ - 8; exil à Malte de Zaghlouî Pacha* et des autres diri­ lectuels qui deviennent des dirigeants politiques. geants du Wafd égyptien. - 7, la conférence de la paix dicte ses conditions à l’Alle­ - 10,LeoJogiches^quienquêtaitsurPassassinatde Rosa magne. ;Luxemburg*, est tué par un de ses gardiens de prison. -7, trahison de l’ataman Grigoriev*. -10, Paul Levi* prend la direction de la centrale du KPD -11, prise de Leipzig par les Cotps francs. et décide son transfert à Leipzig. -13, Les blancs du Nord-Ouest menacent Petrograd. -10, émeutes au Caire ouvrant la révolution égyptienne. -17, Dorrenbach*, ancien chefde la Division de marine -16, mort de Sverdîov*, remplacé à la présidence du du peuple, arrêté, est tué par son gardien. VTsIK par Kalinîne*. -20, démission de Scheidemann*, hostile au diktat de -18-23, V lir congrès du PC à Moscou ; formation d’un :politburode5membres :Lénine*, Kamenev*, Trotsky,* Versailles. Staline*, Krestinsky*, d’un Orgburo et d’un secrétariat -25, adhésion à la Comintem du Parti ouvrier socialduCC. démocrate bulgare (tesnjak), -18, ie PSI décide d’adhérer à la Comintem. -28, fin de la grève générale dans la Ruhr. -21, Béla Kun*, après ia conclusion d’un accord négo­ cié en prison avec le Parti social-démocrate, qui prévoit Mai (J5)-juin (26) la fusion des deux partis, sort de prison pour entrer au -grève générale à Winnipeg, au Canada. gouvernement, C’est le début de la «république des conseils ». Juin -31, début de la grève générale dans la Ruhr. -12, début du 1" congrès du Parti socialiste hongrois (socialistes et communistes unifiés). Avril -14, adhésion à la Comintem du PS de Suède -suite du mouvement révolutionnaire en Égypte et (17 000 membres). répression. -15, date fixée pour l’insurrection autrichienne préparée -1*, débutde la grève d’un mois des mineurs de la Ruhr. puis annulée par le Dr Bettelheim* (la Betteiheimem), -6, manifestations en France contre l’acquittement de envoyé à Vienne par Béla Kun. l’assassin de Jaurès*. -16, proclamation de la république slovaque desconseils -7, proclamation de la pseudo-république des conseils à l’initiative des Hongrois. bavarois, surla proposition du social-démocrate Schnep~ 16, la police tire sur les communistes sans défense : penhorst*. Ses gouvernants vont se couvrir de ridicule. 20 morts. -8, adhésion du DNA norvégien (30 000 membres). -20, l’infanterie des Blancs aux portes de Petrograd et -10, fondation du PC hollandais. une escadre britannique devant Cronstadt. -13, coup d’État des communistes de Munich, pourtant - 22, appel de Mustafa Kemal* à la convocation d’un critiquesdeia « républiquedes conseils », qui s’en empa­ rentàleurproprecompte, et vont recevoir des « renforts » congrès national, venus d’ailleurs, dont Paul Frolich*, -28, signature du traité de Versailles.

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C hronologie

Juillet -2, déclaration de Karakhane* au nom du gouverne­ ment soviétique qui renonce à tout droit et privilège en Chine : la nouvelle met un an à atteindre la Chine. ~ 6, naissancede îa fraction abstentionniste italienne avec Bordiga*. -14, succès militaires contre Koltchak* ; Volga et Oural libérés. Août

-1", départ de Kun* et de la majorité des dirigeants pour Vienne. -2, début de îa «terreur blanche » en Hongrie sous la dictature de l’amiral Horthy*. -5, Petrograd dégagé. -5, mémorandum de Trotsky* sur les possibilités mili­ taires en Inde. -16, conférence de Francfort du KPD(S) ; début du conflit entre Paul Levi* et les « gauchistes ». -17, le PC bulgare, avec 118 000 voix et 47 députés, est le deuxième du pays. -31, fondation de deux PC aux États-Unis. -fin, l’Ukraine entièrement perdue avec l’avance de

Denikine*. Septembre - lettre de Sylvia Pankhurst* à Lénine*, défendant le refus de siéger dans les parlements, - r , aux États-Unis, début de la grève des travailleurs de l’acier dirigée par Foster* 365 000 ouvriers concer­ nés. Il y aura 22morts. Elle se termine le 20janvier 1920. -convaincu par Borodine*, le PC mexicain (à peine 120 membres) décide d’adhérer à l’Internationale com­ muniste. - îa Comintem charge Rütgers* de créer un bureau à Amsterdam. Octobre -5-8, le congrès de Bologne du PSI confirme son adhé­ sion. La motion « maximaliste » de Serrât!*, appuyé par Gramsci*, obtient 48 000 voix, la motion réformiste 14 000 et la motion abstentionniste 3 000. -12, Ioudenitch*, avec des tanks britanniques, aux por­ tes de Petrograd. -13, Denikine* s’empare d’Orel et marche sur Moscou. -16, arrivée de TVotsky* et de son train à Petrograd. H organise la défense. -17, Ioudenitch* prend Tsarskoïe Selo et Gatchina. - Fondation à Tachkentpar M.N. Roy* d’unPC de l’Inde d’une dizaine de membres. -20-24, 32e congrès du KPD(S) «de Heidelberg»: Levi* réussit à exclure îes gauchistes. -21, échec de la Journée de solidarité internationale pour la défense de la révolution hongroise {sauf en Yougo­ slavie, où elle prend ici ou là un tour insurrectionnel). -21, Ioudenitch* arrêté à Poulkovo, à 15km environ de Petrograd ; ses troupes se débandent. - 23, les rouges reprennent Orel et l’armée de Denikine* bat en retraite jusqu’à la mer Noire. En même temps, soulèvement paysan sibérien.

Novembre ~ !“ , début de la grève des mineurs aux États-Unis. - 8, à Budapest, exécutions de communistes. -10, le gouvernement Koltchak* évacue Omsk. -14, les rouges entrent à Omsk. -20-26 ; fondation de l'Internationale des Jeunes Cou munistes (KIM ) au congrès de Berlin. - 29, premier congrès des communistes musulmans. - fondation du bureau d’Amsterdam de l’IC. -fondation par Thomas* du bureau de Berlin. ~ 30, début du congrès de Leipzig de l’USPD. Décembre - 5, libération de Radek*. - 6, fin du congrès de l’USPD : poussée à gauche. ~ 10*18, congrès de la CNT à la Comedia de Madrid, où s’exprime la sympathie pour la révolution russe. -12, reparution de Die Rote Fahne. - 24, insurrection d’Irkoutsk contre Koltchak*. ~ 24, échec de lajournée de manifestations organise pur le PC bulgare contre Stamboulisky*. Nombreux heurts. - 25, grève sauvage des ouvriers du transport. Appel du PC bulgare à la grève générale le 28 décembre, -27, Koltchak* arrêté par des officiers tchèques aux ordres du général Janin*. - 28, le gouvernement de Stamboulisky* brise la grève, mais après l’ordre de reprise le 5 janvier, rétablit les libertés démocratiques suspendues et organise de nouvel­ les élections.

1920 Janvier - Début en Italie de la « frénésie de grèves ». ~ Aux États-Unis, le Raid Palmer* opère des malien; d’arrestations de gens «subversifs» ou suspectés de l’être, des milliers d’étrangers sont expulsés. - 3, victoire de l’insurrection d’Irkoutsk. ~ 10, création officielle de la SDN. -13, manifestation ouvrière devant le Reichstag, sur la loi sur les conseils ouvriers. Fusillade : 42 manifestants tués. -13, TVotsky* se prononce pour la « militarisation du travail ». ~ 27, Koltchak* prisonnier du Soviet d’Irkoutsk, qui refuse à LN. Smimov* de le livrer au gouvernement central pour un procès public. Février -3, début de la conférence d’Amsterdam, interrompue et inachevée car pénétrée par la police. -7, Koltchak* passé par les armes sur ordre du Soviet -création, du Rabkrin, confié à Staline. - 25-26,3econgrès du KPD(S) à Karlsruhe. - 25-29, congrès de Strasbourg du PS, où est présent un émissaire du bureau du Sud apportant des subsides à la minorité révolutionnaire. - armées russes transformée en armée du travail. - grève de 70 000mineurs noirs en Afrique du Sudcontîfi la discrimination raciale.

C hronologie _ 13, contre l'acceptation du traité de Versailles, putsch dit de Kapp*, du générai von Lüttwitz* d’une partie de l’année et des Corps francs, qui prennent Berlin sans coup férir. -14, déclaration de la centrale du KPD(S) : la classe ouvrière ne doit pas lever îe petit doigt pour défendre ie gouvernement de Noske*. _ 14, début de la grève générale appelée par le dirigeant syndical Legien*, qui étouffe le putsch. -Levi*, de la prison de la Lehrerstrasse, écrit que la position de la centrale constitue « un crime », « un coup de poignard dans le dos ». -17, fuite de Kapp* et des principaux kappistes. - 17, Legien* demande un « gouvernement ouvrier ». -17, départ de Radek* pour Moscou. -17-21, vivesdiscussions : la gauchede l’USPD opposée au « gouvernement ouvrier », le KPD oscille. -22, accords de Bielefeld pour un cessez-le-feu, dénon­ cés comme une « trahison » par certains communistes. -23, Berlin, démission de Noske*. —23, la centraîedu KPD(S) fait unedéclaration d’« oppo­ sition loyale » à un éventuel gouvernement ouvrier. -24, offensive de l’armée polonaise de Rteudski* contre la Russie, progrès foudroyants. —26, Legien* refuse le poste de chancelier dans un gou­ vernement de coalition. -27, Hermann Müller* chancelier. -29, début du IX 4congrès du Parti bolchevique. Avril - début, arrivée à Pékin de Voitinsky*, Yang Minzhai* et Gogonovkine*. premiers contacts avec L i Dazhao* puis Chen Duxiu* queLénine* leur a demandéde pren­ dre. -3, offensive de la Reichswehr dans la Ruhr. -4-5, conférence à Berlin de l’opposition communiste allemande et fondation du KAPD. -5-7, grève générale en Irlande qui obtient la libération de 100 prisonniers politiques. -Emiliano Zapata* tué dans un guet-apens tendu par l’armée mexicaine. -13, débutdela grève des métallos d’Italie du Nord pour la défense des conseils d’usine. Le mouvement demeure isolé par la volonté des syndicats. -14-15, congrès du KPD(S) à Berlin. -16, fondation, du PCOE à Madrid par les militants des JS. -23, fondation du PC indonésien. -La «Grande Assemblée nationale» convoquée par Mustafa Kemal* se déclare représentante de ia nation turque. -24, attaque surprise de l’armée polonaise de Pifsudski*, encouragé par le gouvernement français, contre ia Russie : premiers progrès foudroyants. -24, fin de la grève des métallos d’Italie du Nord, épui­ sés. Mai -1", arrivée d’une délégation de syndicalistes britanniJean Bréâa Bredis Breiner Bremer, Paul Brémond, Jean de Bren, Josef Brenner, Paula Breno, Julio Breno, Lauro Brénot, André Bresciani Bressler, Moritz Breton Breton Breton Breton Breuer, Lex Bréval, Marcel Breveter, Martin Brévard Briche Bridges, Harry Brigitte Briggs, Edouard Briker Brikner, Betka Bring Brings, Max Brink Bnnkmann, Georg Brinsky Briquet Briszky, Anton Brito Brk Brkk, Oskar Brkk, W. Bm Brock Brock Brodowski, Stefan Bron, Michal Bronîewicz Bronislav Bronkowski Bronowivz Bmska-Pampuch Bronski, Mieczysiâw Bronstein Brooks Brooks, Paul Brosch, Anton Brouwer Brown Brown Brown

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Mieczysiâw Warszawski Ger (Bronski) Jan Ef. Janson SU Wilhelm Guddorf Ger Eduard Urx Cz Gaston Monmousseau Fr André Simone Cz Jan Sprogis Let Béla Brogner Rum K.B. Sobelsohn (Radek) SU Raymond Molinier Fr Isaac Deutscher Pol Ger Roberta Gropper Adolfo Zamora Padilla Mex Adolfo Zamora Padilla Mex Edgar Manguine Fr It Giovanni Nicolà Hubert von Ranke Ger Fr Marcel Cachin Fr Robert Dubois Fr Jean Lebreton Fr René Villa Ger Adolf Ende Fr André Morel (Ferrât) Mex Bimbaum Gaston Monmousseau Fr Fr Jean Meichier Aus Alfred Benton Biyan Aïno Kuusinen Fin Fr Paul Rüegg Bul Bestoujev Rum Bella Weinraub Siegfried Kissin Ger Kurt Woznik Ger Ger Fritz Besser Ger Georg Brückmann Chi Ren Bishi Bul Bestoujev Hun Petya Gyàgya Sp José Lago Molares Rade KonSar H Trajco Muskovski Jug Josip Broz Jug Cz Erwin Wolf Rum Victor Blazek Marcel Pennetier Fr Pol Stefan Bratman Pol Miss Bronstein Pol Léon Sakowski Wladyslav Stein Pol Pol Bronislaw Bortnowski Pol Juïian Brun Alfred Burmeister Pol Mieczysiâw Warszawski Pol Mieczysiâw Warszawski Pol Pol Henryk Walecki Let Paavo Kruks Hun Miklos Steinmetz NL Henk Sneevliet US John Becker US Harry Braverman Irl Jim Larkin

894 Brown, Arthur Brorn, Frank Brown George Brozié Bruckère Brückmann, Georg Brudza Bruhns Bruhns Bruminel Brun Brune! Brunetto (cdt) Brunewicz Brunkère Bruno Carlo Bruno Bruno Bruno Bruno Bruno Bruno Bruno Bruno Bruno Bruno Bruno Brunon Brunon Brunot, Louis Bruschi, Antonio Brux Bryan, John Bu Yifan Bublitz Buchar, Jan Bûcher, Albert Buckley, James Buchmann, Willi Buchwald Buddy Bueno Bühler, Klaus Bukshom, Pinkus Bukvoed Buligin A.M. Bulnes Bulow Bulzek Bumbar Bunié V. Bünke, Max Buntari Bur Bur, Jan Burchardt, Fritz Burckhardl, Jakob Burdacq, Henri Bureg Bure!, F.A.

R épertoire

d es pseudonym es

Ger Arthur Ewert US Alfred Knutson Mikhaïl Grusenberg SU (Borodine) Sima Markovié Pol Fr André Morizet Ger Georg Brmkmarm Pol Jerzy Sochacki Ger Alexander Abusch Woifgang Klose Ger Hugo Ehrlich Cz Neli Grunberg Rum Pierre Le Queinec Fr Ju Ljubomir Iiié Léon Sakowski Pol André Morizet Fr It Arturo Colombi It Bruno Bibbi Let Iakovas Birger Ger Théo Bottiander Franz Gribovsky Ger « Louis Gronowski » Pol Oes Jfosef Hindels Ed. Kornhaus Ger Amleto Locatelli ït José Caîeano Machado Bra Léon Purman Pol Mikhaiiov SU Pawel Finder Pol Léon Purman Pol Fr « Louis Gronovski » It Ugo Fedeli Henry Opta Bel Theodor Rothstein US Bu Detsi Chi Inge Volker Ger Josef Guttman Cz Ger Harry Robinson Fr Henri Guilbeaux Vassyl Czech Ger Jan Paszyn Poi Jesse Simons US Francisco Calderio {Blas Cub Roca) Richard Kleineibst Ger Juüan Juisji Pol D,B, Goldendakh SU Robert Valgoni Jug Jestis Gonzâlez Lara Sp Arrigo Boîdrini ït Franciszek Fiedler Pol Antun Rob Jug Sima Markovié Jug David Kagan Ger Paul Thalmann Cz Vladislav Burian Cz Walter Nettelbeck Ger Fritz Borde Ger Ger Karl Ziîlich David Freiman Cz Milan Gorkié Jug Jan Krejci Cz

Burei Burg Burg Burg Burg, Fritz Burg, Fritz Burger Burger, Félix Burger, Hans Burger, Kurt Burgler, Albert Burke, Madelene Burkley, James Burmeister, Alfred Bum Bums Burns, Kid Bums, Martha Burns, Tom Burrough, Marty Bursch Burton Busson Busteros, Luciano Bussy Buturac Butta Buttinger, Otto Butureanu Bumreanu Bykov

M.Gertié Ju Gustav Kônig Ger Aima Konig Ger Ewald Funke Ger Arthur Heimburger Ger August Creuzburg Ger Kurt Grossmann Ger Gerhardt Eisler Ger Karl Glanz Ger Zolian Zippay Hun Madeleine O’Shea US Henri Guilbeaux Fr Wanda Pampuch-Bronska Pol James Burnham us Alee Massie GB Lewis MacDonald Can Martha Lankin US Jock Haston GB Mary Adams US Milan Gorkié Jug Sam Gordon us Giorgios Vitsoris Gre Rodoifo Ghioidi Arg Alfred Maileret Fr Josip Broz Jug Giovanni Bottaioli It Otto Richter Oes David Fabian Ru David Fabian Ru Shpak SU

C Cabezâo Cabman, James Câceres Cadet Cadet Cai Zhang Caïd Cailleux Pierre Cailloux Catus Caïus Gracchus Caldwell, Sylvia Caligola Callas Calverton, VF. Calvetti Camargo Camboâ, N. Camen Cami Camille Camille Camille Camilo Camilo

Francisco Natividade Lisa Marc Dauber Carmen Fortoul Gaston Beau Benoît Frachon Ca Ziesen Henri Molinier Pierre Pagès Yves Péron Paul Levi Francis A.Ridley Sylvia CaJien ép. Franklin, Dowsee Gaetano Invemizzi Gaston Beau George Goetz Lenoir Noé Gertel Mârio Pedrosa Giuliano Pajetta' Rudolf Klement ’ Rudolf Klement Fanny Bré ■ Ana Pauker Tomâs Ortega Guerrero Maximo Tolstoï Carone

Bra: US Ven Fr Fr Chi Fr Fr Fr Ger GB US It Fr US Fr Fr Bra It Ger Ger Fr Rum Sp It

R éperto ire Camilo

Çaminade Camomille Campbell Campos Canadien Canapino Canario Canard Carias, Francisco Cance, Henri Candiani Candy Cantais Cao Zhen Capa Capablanca Capek Capitâo Caprino Car Caraquemada Carbajal V. Cârdenas, Juan Carie Cartier, Henriette Carlini, Adolfo Carlitos Carlo Carlo Carlo Carlo Carlo Carlo Carlo Carlo Magno Carlos Carlos Carlos (cdt) Carlson B Carlton, Louis Carmen Carmen la Gorda Camen Carol Carpigny Carr, John Carr, Sam Carrel, André Carsten, Charles Cartelli Carter, Joe Cartier, Henriette Cartigny Carton Casa Casanova Casanova, Danièle Casey, James

895

d es pseudonym es

Livio Xavier Bra Germaine Christophe Fr Rudolf Klement Ger George Aîlison GB Mario Grazini Bra Stefan Kozlowski Pol Giacomo Calandrone It José Guedes Moreira Bra Fr Accard Romero (Romulo Arg Cristalli) Fr Hervé Combes Enrico Russo It George Casterline US Fr Walter Ginsburger (Villon) Chi Zheng Chaoiin Arg Hugo Bressano Gastôn Médina Cub Rudolf Appelt Cz Euclides de Oliveira Bra Giuseppe Berti It Fr Yvonne Carillon Ram6n Vila Capdevilla Sp Arg Aurelio Narvaja Sp Francisco Antôn Fr Charles Margne Fr Eva Neumann Domenico Sedran It Luis Gonzâlez Sp US Joseph Cohen Gottardi It It Léo Lanfranco N.M.Ljubarski SU It Umberto Massola Domenico Oriandi It Emile Capiort Fr Stojan Minev Bul Sam Kurz (Curtiss) SU Fr Louis Rigaadias It Vittorio Vidali SU Karl Radek Love» Fort-Whiteman US Fr Léonide Herbin Carmen Martmez Cartôn Sp It Giuliano, Pajetta Rum Béla Brainer Pierre Hentgès Fr Ludwig Katterfeid US Schnil Kogan Can Fr André Hoschiller US Charles Olney Comell It Vittorio Flecchia US Joseph Friedman Fr Eva Neumann, ép. Cartier Henri Guilbeaux Fr André Cerf Fr Ramôn Casaneilas Lluch Sp Mieczysiâw Bortenstein Poi Vincentelia Perrini Fr James Glaeser US

Cass, Joseph Cassell, Louis Cassidy Cassius Castejôn, Carlos Castella M, Castelnuovo Castor & Poilux Castro Castro Cat Catherine Catherine Catilina Cauldwell, Christopher Cauldwell, Sylvia Cauquil Cavalelro Cavalieri Cavalla Cavalli Cavalli, Pietro Cavallini Cavanna, José Cavigal Caylus Cazén Ceausu Ceco Cegrav Celan, Cvetto Cello, Jean Cencio Cenjié, Ivka Çentenera Cerny, Jaroslav Cerny, Pavel Cerny Petr Cerny, Vaclav Cerny, Zdenek Cervantes Cervantes Cervantes Cervantes Cesare Cestero Chabach ach Maki, al Chablin, Nikolaï Chalcrofi Chalier Chalmers Chaloupka, Hynek Champ Chance!, Paul Chang Chang Piao Chaoiin Chaouinian Artur A. Chap Chapelier

Joseoh Komfeder Irving Howe Félix Morrow Jésus Casas Anatoîi Serov Manuel Sacristân Luis Arraras Atlan & Guedj Artur Ewert Sebastiâo Francisco Catulle Gambier Jeanne Lapoumeyroulie Judith Heytin Paui Hermann Christopher St John Springg Sylvia Callen, ép. Franklin Raymond Barbé Luis Carlos Prestes Ettore Vacchieri Carlo Reggiani Carlo Reggiani Luigo Danielis Michele Bucci Heriberto Quinones Manuel Dfaz Guy Serbat Jan Jolies Emil Bodnaras Svetislav Stefanovié Max Gavensky Stevan Civjié André Pruhommeaux Vicenzo Baldacci Avgust Cesarec Demetrio Rodrfguez Alois Neurath Julius Fu&k Jaroslav Kliva? Alois Neurath Zdeâek Novâk Léon Purman Alberto Pérez Ayalâ Luis Fernândez Juan Bloquez Cesare (?) Sessa Jean van Heijenoort Ibrahim Yusuf Yazbek Ivan Nedjalkov Harry Wicks Maurice Thorez Denzil D.Harber Witoid Tomorowicz Adolphe Acker Adolphe Acker Li Dazhao Zhang Guotao Zheng Chaoiin Gaoeng Lucien Chapelain Emile Mailer

US US US Mex SU Sp Sp Fr Ger Bra Fr Fr Fr Cz GB US Fr Bra It It It It It Sp Sp Fr Ger Rum Jug Pol Jug Fr It Jug ? Cz Cz Cz Cz Cz Cz Sp Sp Sp It Fr Lib Bul GB Fr GB Pol Fr Fr Chi Chi Chi Chi Fr Bel

896

R épertoire

Djilali Chabtra Chapuis Octave Dumotiiin Charasse (colonel) Chardon Pierre Hervé Charivari Rafaël Mann Fernand Demany Charles Schimme! Gold Charles Liu Renjing Charles Karl Molle Charles Jésus Monz6n Reparaz Charles Kari Radek Charles Szaja Rochman Charles Hendrik Reynaers Charles Karoly Szilvassÿ Charles Sam Kurz (Curtiss) Charles, C. Charles, V. Charles van Gelderen Charles Cwejgenbaum Charles le Vieux Marceau Pivert Ckarleiie Richard F. Phillips Charlie Ckarlier Jean Terfve Metodi Chatonov Chariot Gérard van Moerkercke Chariot Raymond Buriüon Chariot (capitaine) Charlotte Evîen Fried Chamay André Morel (Ferrât) Lieb Samsonovich Charnie, Charles Paul Bemick Chamis Charpentier Jules Humbert-Droz Kurt Steinfeld Chartos, Pedro Charvet Louis Lyon Charvet, Adrien Léon Depollier Léon Depollier Charvoz, Adrien Charyguibe Li Libai Chassagne, Henri Charles Hainchelin Chassy (Paul ou Pierre) Paul Laguesse Chatelain Gaston Comavin Chatelain, Marcel César Luccarini Chato (El) Juan Feraândez Pacheco Chato (El) Antonio Rodriguez Chavannes, M. David Retchisky Chavaroche, Dr Georges Stojan Minev Chayen Ho Chi Minh Chayen Le Hong Phong Chazé, Henri Gaston Davoust Chemin Jean Weiss Karl Volk Chemnitz, Karl Chen Kuang Zhou Enlai Chen T.S. Chen Duxiu Chen Dosheng Chen Duxiu Chen Shangyou Chen Boda Chen Wanli Chen Boda Chen Youji Chen Duxiu Chen Yuan Qu Qiubo Chen Zimei Chen Boda Cheng Ckong Chen Duxiu Cheng Jiangliang Chen Boda Cheng Kuang Zhou Enlai Chen Xiaofeng Qu Qiubo Cheng-Zhai Tan Pingshan Chemigovsky A.A.Sloutsky Cherreau, Anne Marthe Bigot Cherstisky Liu Bojian Chervonyi, Andréi Boris Choumiatsky

des PSEUDONYMES

Aig Fr Fr Sp Bel Pol Chi Ger Sp SU Bei Bel Hun US sda Fr Fr Mex Bel Bul Bel Fr Cz Fr Can US Swi Arg Fr Fr Fr Chi Fr Fr Fr Fr Sp Sp Fr Bul VN VN Fr Fr Ger Chi Chi Chi Chi Chi Chi Chi Chi Chi Chi Chi Chi Chi SU Fr Chi SU

Chester, Bob Chevalier Chevalier, Paul Chevalier, Raymond Chino, El Chiarini, Antonio Chile J. Chispazo Chiskov, Boris Chitatel Chkiriatov Chlopski Chojnacki, Alex Chong Fu Chongh Hu Chong Kang Chong Shan Chong Yuan Chong Zi Chopski Choraz, Julius Chosni el~Arabi Choudnovsky Chourka Christiansen, Max Chris: Christophe Christophe, Pierre Claude Chtyk Chun Chun Mu Chun Nian Chwolsohn, Nora Cian Solin Ciemny Cienki Cili Cino Cintinha Cintra Cintrinha Cioban ou Ciubanu Maria Citrons Civis Clainville, Max Clair Clair, Louis Clark, Joseph Clarke, George Clart Claude Claude (cdt) Claude Claus Claus Claus Clavego, Pablo

Robert Chertov Gabriel Faure Léo Valiani Daniel Trellu Manuel Hurtado Caïn Mordka Heller Karl Radek Roberto Fresno Filippov Spas Belkov V.I.Lénine TVQïngqi Tomasz Dombal Witold Tomorowic2 Chen Duxiu Liu Shaoqi Kang Sheng Chen Duxiu Deng Zhongxia Deng Zhongxia Tomasz Dabai Julius Volek Yéhe! Kossoi ? Nikola KovaCevié André Adam Max Klausen Khristian Rakovsky Jules Humbert-Droz Yahya Satdoun

US Fr Fr Fr Sp SU SU Sp Bul SU Chi Pol Pol Chi Chi Chi Chi Chi CH Pol Cz Pal Jug Bel Ger SU Swi Alg

VA. Antonov-Ovseenko SU Zhang Tailei (Zhang Chi Cengkang) Zhang Tailei Chi Zhang Tailei Chi Brenda Bersing Pol Girolamo Li Causi It lossif Unschiicht SU Julian Pol Leszczenski-Lenski Ante Ciliga Jug Vincenzo Moscatelli It Antonio Costa Correia Bra Alberto Moniz da Rocha Bra Barras Antonio Costa Correia Bra Rum Elena Filipovici Strautnieks Jean Rous Max Bloncourt André Chamfroy Lewis Coser Joseph Cohen Fred Hurwitz Jean Rous Henri Laurent Lucien Bernard Juliette Ténine R.Stamm Karl Maron Hermann Nuding Ettore Quaglierini

Let Fr Fr Fr US US US Fr Bel Fr Fir Ger Ger Ger It

R épertoire Cfawl dément Clément Clément dém en t

Qffjçi Cliff, Tony çios Ciotilde

Cohen, Philip Cobrat Cochrane qoco

Coco C8d\ Cohen Cojo, Camilo Cojot Col Colt Colakovié, Rodoljub Colibri Coliins Collins, G.F. Colombi Colombo, Andrés Colten, Aron Comevaili Comini Communard Compiègne Conder, Dan Conev Conibert, Paul Conrad Constant, Etienne Constant, Lucien Conti, Aldo Conti, Louis Contreras, Carlos Conway, Duncan Cook Cook Coolidge, David Cooper, George Cope, Jack Coppola, Gennaro Coq Coquelin Coral Corbeau Cordoba Corey, Lewis Corin Cork, Jim Comevaili Comier, Olympia Coron, docteur Conienti, Mario Corsell, Johann Luis

d es pseudonym es

Andor Berei Bei Jean Bailiet Fr Evien Fried Cz Henri Laurent Bel Pierre Martin Fr Natale Premoli U Jigal Giuckstein Pal Roger Métayer Fr Suzanne Depollier Fr (Giraüît) Hal Draper US Henri Guilbeaux Fr Percy E. Glading GB Jules Teulade Fr Jacques Vaillant Fr Dang thue Hua VN CX.R. James US Tomâs Ortega Guerrero Sp Cojolewicz Fr Catulle Cambier Fr Michel Collinet Fr P.Vukovié Jug -Iules Humbert-Droz Swi Fred Hurwitz (Clarke) US Richard Krebs Ger Carfo Bruno It Andrés Garcfa de la Riva Sp Béla Kun Hun Egidio Gennari It Bros Vecchi It Wang Jiaxiang Chi Jean Béthinger Fr Bialomski SU Gavril Genov Bul Velio Spano It Jerzy Sochacki Pol Sofia Luca, ép. Jancu Rum Gregory Kagan Pol Vincenzo Moscatelii It Ljubomir Ilic Jug Vittorio Vidali It Dtmcan Ferguson US James P.Cannon US Komeiev SU Ernest Rice McKinney US Félix Morrow US Hans Kopenhauer US Luigi Toeltino It Gouvernement français André Morel (Ferrât) Fr « Jean Duret » Fr Georg Mohr Ger Miguel Contreras Arg Louis Fraina US Pinchas Mine Pol Hairy Greenberg US Egidiuo Gennari It Suzanne Depollier Fr (Girault) François Kalmanovitch Fr Palmiro Togliatti It Niilo J. Virtanen Fin

Cort, Michael Cortes, Carlos Cortez, Fernando Coser, Lewis Costa Costa Costa Costa Costa Costar Cotten Cotton Coucou Couraniaud Court R. Courtney Courtois Cousin de Bruxelles Covolli Cracoviensis Craig Cresby Crisostomo Cristallo Cristescu Crni Cmmpton, Charles Crone Crouillatset Cru Cruse W. Crucy François Crux Csaba, Ede Csatâri, Jôsef Cserniawski Csemijakowski Cseslaw Czeszejko, Jerzy Csiarnevski Csillag, Lad Csillik, Gabor Csiomy Csirriges, Jânos CT Cuenca Anduera, Félix Curé (le) Culié Cunha Curtiss, Charles Curto Cuthbert Cwilichowski Cwinek Czarneda Czameda Czarny Ciamy, Abè

897

Floyd Cleveland Miller US Sam Kurz (Curtiss) US Romano Cocchi It Stanislaw Braun US Luigi Longo It Heinz Neumann Ger Carlos da Costa Leite Bra Arg Esteban Rey ? José Sandoval Jean-Féîix Minard Fr Elliot Cohen US Eliiot Cohen US Gôsta Anderson Sue Roger Launay Fr Raoul Courtois Fr Ernest Rice McKinney US Marcel Hamon Fr Paul-Henri Spaak Bel Carlo Reggiani It Henry Stein (Domski) Pol Joseph Vanzler US Pascal R.Cosgrove US Cristano Evangelista Phil Giuseppe Alberganti It Ghempert Rum Jug Sreten Zuyovié Fred Breth Cz August Creuzburg Ger Edouard Scherrer Swi SU Trotsky Werner Mielenz Ger Fr Maurice Rousselot Trotsky SU Hun Ede Czimkowics J Jerzy Czekin Czubel Czyz

Jakob Furstenberg (Hanecki) Jerzy Sochacki Karoly Gardos Lajos Cseban Jerzy Sochacki Vassili Jarocki iakub Dutlinger Heinrich Bittner

des pseudonym es

Pol Pol Hun Hun Pol Poi Pol Pol

D D Da Lei Da Mei Daan Dabal Dabrowski Dabrowski Dabrowski Dabud, Abu Dahan Dahl, Harold Daisy Dallant Dallant Nlcholas SL Dalle Dallet Dalo Dalou Dama Damiant Jean-Luc Damien Damien Damiens, Jeanne Damon, Anna Damon, David Damoranc Dampf Dan Dan Dancers Danic Danica Dànicke, Max Daniel Daniel Daniel Daniel Daniel Danièle Danielouk Daniels Danielson Danilov Danilov E.E. Danilov F Fanilov, Jan Danjou Dank, Léo

Grigory Yakovine Zhang Tailei Zhou Enlai Daniel Goulooze Tomasz Dombal Jôzef Ciszewski Antoni Krajewski Wladyslaw Stein Mahmoud al Atrach Elie Kamouü Whitey E.Evans Alice Stewart Stefan Cora Nikolai Dozenberg Ema Kolbe Josef Frey Jules Davister Henri Guilbeaux Eisa Bemaut Lucien Streiff Sebastien Garcia Millân Pierre Philippe Marcelle Richard Anna R.David Charles E,Ruthenberg Julien Racamond Franz Schmidtke AH Frolich Jean van Heijenoort Harvey Swados Alfred Diamantstajn Taüana Marinié Franz Riegg Woif Auerbukh Jean Roch Georgi Dimitrov Hugo Eberlein Sherry Mangan Georgi Dimitrov Eduard Stefanski Andras Durovecs Daniel Goulooze Zhu De E.D. Kantor F.V. Chotman Jan Vogeier Marcel Beaufrère Hermann Neissel

SU Chi Chi

NL Pol Pol Pol Pol Pai Fr US US Hun US Ger Oes Bel Fr Pol Fr Sp Fr Fr US US Fr Ger Pal Fr US Jug Jug Ger Pal Bel Bul Ger US Bui Pol Hun NL Chi SU

su Ger Fr Ger

Danovski Danton Darbout Darcourt Darcy, André Darcy, Samuel Adams Dario Dario Dario Darragh, Thomas Daman Pierre-Laurent Darvas, Jôzsef Daskal Daskal Dassac Raoul Passant Jean-Pierre Daube, Gertruda Daude Dauhin fou Dauphin) Dauvergne, Georges Dave David David David Fritz David David David H, Davide Davidson Davies, Cari Davis, David Davis, H. Davis, Jacob N Dawud, Abu Dax Day Doyen, Henri Dayez, Charles Dazhao Dean A. Debeljko Debesle Debinski Debroczi, Tibor Debroe Debur (Dzebur ?) Decock Decoster Dédée De Dios, Juan Degen Dejesaierii Mahmoud Dékan, Jôzsef Dékan, Sândor Delattre Delbret Delgado J. De Leeuw A.S Delhaye E.

Ludwik Prentki Blanquet Marcel Pennetier Emile Roger André Giusti Samuel Dardeck îlio Barontini Carlo Venegoni Agustm Zoroa Sânchez Roderic Connoliy Pierre Laurent J.Dumitrâs Dosai! Drenovsky DJankovté Claude Bernard Fritz Frânken Lotte Walter André Daudenthin Amédée Catonné (Dunois) Félix Cadras Ernst Rice McKinney George Allison David Barozine Ilya Krouglansky Jésus Monzon Reparaz Staline Heinz Epe Osvaldo Peppi Boris Reinstein Albert Giotzer Reg Groves George Weston Jakob Golos Mahmoud al-Atrach Marcel Pimpaud Francis A.Morrow Paul Fabre Jean Chômât Li Dazhao Denzil D.Harber Kamilo Horvatin Armand Latour Frantisek GrzelszakGrzegorzewski Tîbor Dôgl Paul Libois Tomasz Dombal Pierre Joye Rudolf Schonberg Fernande Codou Samuel Haifisz (Gouralsky) Hermann Nuding Menouer Abd el-Aziz Liouba Smimov Sândor Diamant Gérard van Moerkercke Camille Marceau Eduardo Arze Loureiro Jo de Vries Ahmed ou Hamedi

Poi Pr Fr Fr Fr US It It Sp Irl Fr Hun Jug Jug Fr Ger Ger. It F: Fr ÜS GB F; Ger Sp SI Ger It US US GB US US Aig Fr L'S Fr Fr Cm GB Jug Fr Pol Hun Bel Pol Bel Bel Ff SU Ger Alg SU Hun Bel Fr Bol NL Ain

R éperto ire Del Mar, Gaston Delmare, Marthe . Delmer Delmont Delny Delta Delval Delval Delvosal De Majo Demaz Dembicki Demby, Frank Deméndi, Lûjos Demeny, Pal Demianov Detnid Demontovitch Demoulin Deng Chongjie Deng Chongyuan Deng Kong Deng Longbo Denis Dents Denis Denis Denissov, Iakov Denissov, EN. Denk, Peter Dennis, Eugene Denys DerHâgen Maller Desbois A, Deschamps Desmond Desmore, Elsie Desnots, Jacques Despallières, Jeanne Despotovic De Streaighl Desurmont Devi Jaya Dm, Santa Devos Devouchkine De Vries AS. Deuter, Walter Devries Devyatauab Devyatkine Dewinter Dhli Dhros Diana, Antonio Dietrich Di Kang Di Mei Diadia, Tom Diamant David Diamant Max

Ricardo Valle Cîosa Martha Desrumeaux Jacques Wurth Victor Joannès Robert Petitgand Elena Stassova Marian Pakulski Octave Rabaté Joseph Thonet Alfonso Leonetti Albert Demazière Stanislaw Burzynski Edward L. Sard Lajos Cserba Pal Szegi Asen Bosadjezev lizslo Fried Aleksandra Kollontaï Charles Reder Deng Zhongxia Deng Zhongxia Deng Zhongxia Deng Zhongxia Andor Berei André Duroméa Eugène Hénaff Raymond Losserand lannis loannidis Petr Brcié Josef Cisaï Francis X.Waldron Eugène Hénaff Theodor Maly Femand Desprès Jean Meuris Philip Spratt Nancy Macdonald Jacques Le Ricard J. Martin des Pallières Konstantin Vassiliévitch Bojkov Eugène Honorien Henri Barbé A. Deva Angadi Evelyn Roy Pierre Joye Chklovsky A.S. de Leeuw Sândor Nogradi Edgar Lalmand Ji Dacaî Ji Dacai André Adam Vilem Sirokÿ Spiros Priftis Angel Soriano Arthur Ewert ? Qu Qiubo Qu Qiubo V.D. Bontch-Brouévitch David Ehrlich Hans Diesel

des pseudonymes

Bol Fr Bel Fr Fr SU Pol Fr Bel It Fr Pol US Hun Hun Bul Hun SU Swi Chi Chi Chi Chi Hun Fr Fr Fr Gr Jug Cz US Fr SU Fr Fr GB US Fr Fr Bul Fr Fr Ind Ind Bel SU NL Hun Bel Chi Chi Bel Cz Gre Sp Ger Chi Chi SU Fr Ger

899

Dlaz de la Peha, Manuel Richard F.Phillips Mex Diaz Contreras, Carlos Vittorio Vidali II Dick M.Maslennikov SU Dicke, der Yakov Reich (Thomas) Ger Dickman Yakov Reich (Thomas) Ger Didier André More! (Ferrât) Fr Didrjo, Pardi Mas Prawirodidjo Aiimin Indo Dieckfeldt Else Steinfurth Ger Diego Jacobo Belzicky Ven Diego Hans Glaubauf Oes Diego Stanisiaw Pestkowski Pol Diesel, Hans Max Diamant Ger Dieter Franz Lederer Oes Dietrich Willi Budich Ger Dietrich Arthur Ewert Ger Dietrich Stefan Heymann Ger Dietrich, Paul Heinz Neumann Ger Dihy, Marek Vilem Sirokÿ Cz Fr Dillen, Alex, René Jean Cremet Di Mei Qu Qiubo Chi Dimgov Dimitar Gatchev Bul Dimitri Mitsos Yotopoulos Gre Dimitrov G.G. Gavril Genov Bul Dimitriu Nicolas Zachariadès Gre Dimov Bul Georges Dimitrov Din Niklaus von Dingelstedt SU Din Fedor N. Dingelstedt SI Dinamine Zhao Je Chi Ger Dirks Joseph Knoll Diros Spiros Priftis Gre Divino Valdivino de Oliveira Bra Dix Lev Sedov SU Dixon FJ. Earl Browder US Dixon, Paul Denzil D.Harber GB Manuel Azcarate Diz, Juan SP Djakomi Mario Bavassano It Djazaïr El Menouer Abd el-Aziz Alg Djepi (Xhepi) Sadik Premtaj Alb Djido Milovan Djilas Jug ? Karlson Djon, Alexander Djordjevié, Sverta I.V. Lopatchev Jug Djudi Milovan Djilas Jug Jan Suriok Cz Dlogy Dloha, Mery Mari Kotokova Pol Dlwnski, Ostap Pol Langer Dmitri Gre Mitsos Yotopoulos Fichelev Dnieprov SU Le hong Son VN Do Dobin Charles Dirba US Dobler Wilhelm Kowalski Ger Jug Dobric Boris Kidrié Dobrogeanu A.K. Katz Rum Dobroyev Bul Miron Georgiev Cz Doctor Franz Breth Dojats Dimitar Gatchev Bul Hun Dokanyi, Desiio Mihaiy Kegyel Pol Delecki Jakob Fenigstein Dneprovsky S.S. Pikker SU Do Ngoc Du VN Phiem Chu Pol Dolecki Wladyslaw Fenigstein Dolgolevski, Moshé SU N.I. Boukharine SU Dolicki, Stefan D.Z. Manouilsky

900 Doline Doîine Dolivet, Louis Dolly Domb Dombal Dombromki W. Dominguez Domov Domskaia Domski Dong Long Don Don Quichotte & Sancho Pança Don Quijote Don Quijote Donald Donat Donath Dong Jiangping Dong Long Dong Yongwei Dong Zichen Donitz, Oswald Donner Donner Doktora Dontsov Dontsov Dontcho Dora Doran, Dave Dorarlie Doré, Guy Dormans Dom Dom Doroctynski, Nikolaï Dorodnyi Domine Doros Dôrr, Ludwig Dorsay Dorsey Dorval, Jean Dorval Jacques Dos Rios, ûrlando Dose, Paul Doucet Dostka Douglas Douglas Dounaieva, Ana Dowien, Franz Doyen, Alfred Doyeg der Dozorov h Serg. D-r Drabkine la. D, Dragacevac

R épertoire

N.I. Podvoisky Moisei Rafts Ludwig Brecher Jacques Grunzig Leopold Trepper Tomasz Dabal Wladyslaw Siein (A.Krajewski) Juan Montera M.N. Pokrovsky Sofia Ounschlich? Henryk Stein Qu Qiubo Sam Donchia Zinoviev & Kamenev

d es pseudonym es

SU SU Rum Bel Pol Pol Pol Sp SU SU Pol Chi US SU

José Bullejos Sp Gabriel Leôn Trilla Sp GB George AUison Maurice Nadeau Fr Emst Schneller Ger Dong Ruchen Chi Chi Qu Qiubo Chi Dong Biwu Dong Ruchen Chi Ger Lesse Iouri P. Gaven(is) SU John Schehr Ger Dontchev, Dimiîar Bul Wang Jinshou Chi Wang Kinrtao Chi Bul Vassili Tanev Sândor Rado Hun US David Dransky Tieraoko Garan Kouyaté Mali Fr Jacques Doriot Robert Durif Fr Robert Lehmann Bel Murry Weiss US Pol Bernard Maciej Je Waifang Chi Pan Wenyu Chi Gre Theos Kostas Pau! Speck Ger William Z.Foster US William Z,Poster US Jean-Nicolas Oswaîd Fr Jean-Nicolas Oswaid Fr Carlos Marighella Bra ? Kaiakoutsky Auguste Gillot Fr Anîoni Distler Cz Clemens Palme Dutt GB Yakov Smoutchkiévitch SU YeYin Chi Josef Frey Oes Harry Robinson Ger Bierman-Rozenberg Pol Deng Xiaoping Chi D.M. Bîagoiev Bul Sergéi Iv.Goussev SU Kosta Novakovié Jug

Draganov Dragica Drake Dramtszieher Dranovski Draper, Mal Dreifus Dreitser, lsadore Dreyer, Arnold Dromik Drozdov Drozniak Drumont Dru St. Dryden, Théodore Du Bisheng Du Weizhî Diibendoifer, Paul Dubner Dubois Dubois Dubois Dubois Dubois Dubois Dubois Dubois Dubois, André Dubois, Georges Dubreuil Dubroloublov Duc Duchêne Ducos Dudas Jôzsef Dudek Dudo Dufresnes Dufrenne Duller, Jenô Dumas Dumonâ, Jacques Dumoulin Dunajevjski Duncan, Edward Dung Duniak, Feliks Dunois, Amédée Dunois Daniel Dunoyer André Dunski Duo Dupont Dupont Dupont Dupont Dupont Albert Dupré Dupuis Dupuy Durain Enrique

Boris Stefanov Djordje Mitrovié George Breitman Heinrich Biucher Jankovié Harold Dubinsky Carmo Giacomelli Charles Krumbein Wilheîm Koenen Jerzy Heryng-Ryng Feliks Kon Jerzy Heryng-Ryng Georges Beaufils Herta Has Irving Howe Zhou Enlai ’ni Qmgpi Paul Bôttcher Abraham Jakira Albert Aimé Bernadette Cattaneo Femand Desprès Mieczysiaw Domanskî Eîfriede Eisler (R. Fischer) Alexandre, Jan Kallor Hillel Katz André Ouzoulias J. Lenski Léon Mabille Marcel Haraon Gitorski Giuseppe Dozza Gaston Piissonnier Pierre Eggenschwiller Kovacs Voros Jakub Dutlinger August Müller 0. Petkhevitch Georges Dreyfus Gustave Meltzeid Jacques Grinblat Jacques Doriot Henri Kunstlinger Saul Amsterdam Robert Minor Li Dazhao Wladyslaw Gomulka Amédée Catonné Simon Anker André Essel Saul Amsterdam M.N. Toukhatchevsky Joseph Ducroux Roland Filiâtre Haifisz dit Gouralsky Abraham Lissner Jean Vincent Marcel Asmas Arthur Rameîte Higinio Canga Antoni Sesé

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R épertoire Dur Duran, Marie-Louise Durand Durand Durand Durand, Jean Durand, Léon Durandy, Jean Durant, Pierre Dure!, A. Duret Jean Dutt, Palme Salme Duty Duval Duval Duval Duval, A. Duval, Charles Duval, Vve Duverger Du Xiu Dvoikine Dvorine Dybov

Lev Sedov Irene Wosikowski Marceau Perrutei Hiliel Gruszkowski Lev Sedov Mojesz Einhom François Polleunis Mojesz Einhom Ettore Quaglierini Rodolphe Prager Roger Koral Salme Merritt Hermann Lowy Femand Demany Pierre Emmanueili Jean Pauriol Jan Sverma Vittorio Vidali Thérèse Müller (Muraille) Jean-René Chauvin Chen Duxiu Fa Xueîi Pedro Manulis Planinsky

des pseudonym es

SU Ger Fr Fr SU Bel Bel Pol It Fr Fr Fin Ger Bel Fr Fr Cz It SU Fr Chi Chi Bra Bul

Egorov Egorov G.I. Egri, Jânos Eiche Eiffel, Paul Eiler, Hans Einaudi Eiche Eisbar Eiser Ejalkowski Ek, Karl Ek, Sdndor Ek Ehonomisi El Elberfeld, Gerhardt Elberfeld, Willi Eldé (Eldey) El Djezaïri Elena Elena Vassilievna El Hadj Allemane El Hadj el Djaïaïri Eliari

E Ebb, Gunnar Eberhardt Eça Ecke, Karl Eckers Edgar Edie Edith Edmond Edmund Edo Edo Edol Edouard Edu Eduard Eduard Eduardo Eduardo Eduardo Edvin Edwin Edward Edwards Edwards, E. Edwards, John Eedrupji Yarrumji Ege, Ismaïl Egon Egon Egon

Paavo Kuskinen Ignacy Poretski Pavel Stoukhovsky Max Karschalski Joseph Parent Fritz Burde Editch Schor Margarita Watzowâ Apolônio de Carvalho Hans Kippenberger Eduard Fimmen Eduardo D’Onofrio Lodewijk Poik Benoît Frachon Gustav Stem (Sandoz) Georg Jungdas Gustav Stem Augusto Besouchet Hugo Oehler Octave Rabaté Walter Trautzsch Octave Rabaté Boleslaw Molojec Oliver Carlson Gerhardt Eisler John Russell Murray W.Purdy Ismail Akhmerov Edgar Woog Erich Gentsch Fritz Runge Fritz Schubert

Fin Pol SU Ger Bel Ger US Cz Br Ger NL It Bel Fr Ger Ger Ger Bra US Fr Ger Fr Pol US Ger US Ind SU Swi Ger Cz Ger

Elischa Elie Elio Eüzavetine Elizarova Etli El Ounadi Eloy Eloy Eisa Eisa Eisner, Marcel Emek Emel, Aleksandr Emi Xiao Emil Emil Emil Emil Emile Emile Emile Emile, Georges Emilie Emilien R. Emilio Emma Emmanuel Emmem, Oscar Emmons jEmmons Encho Ende (ND) Endlen Paul H.

901

D.N. Blagoev Bul GlSafarov SU Müller Hun Ger Walter Ulbricht Ger Paul Kirchhoff Ludwig Lask Ger Guido Bucciarelli It Walter Ulbricht Ger Ottomar Geschke Ger Fritz Niescher Oes Jan Paszyn Pol Aivo Tuominen Fin Sândor Leicht Hun Viktor B. Eltsine SU D.B. Goldendakh SU SU Ï.S. Loguinov Artur London Hun Ger Max Pfeiffer Trotsky SU Alg Hadj Ali Sofia Sokolovskaia SU Elena Krylenko SU ép. Eatsman Klems Ger/Mar Alg Messali Hadj Emelian Yarosiavsky SU (Gubeiman) Pal Moshé Lewin Fr Elie Kamoun Fr Elie Gabay Chi Wang Pingyi Chi Pang Jingquo Ger Cilli Hassmann Ben Ali Boukort Alg Bra Hilcar Leitô Bel Boris Ordower Himmelhener Oes Eivira Coppello Coloni Ven Lucien Cahen Fr Pal Moshé Kouperman SU Moisei N.Lourié Xiao San Chi Ev2en Fried Cz Ger Wilhelm Kuôchel Ger Dr Swienty Vukasin Radunovié H Fr Arthur Daliidet Pol Emile Rosijanski Fr Victor Joannès Oes Franz Marek Kolokovtsev SU Fr Emile Berenbaum Pol Jan Jolies Ger Erwin H.Ackerknecht Sp Joaqutn Olaso Piera SU Sergéi P.Razoumov (Tarkhanov) Can Joseph Knight Ella Reeve Bloor US Bul Ivan Pavlov Niklaus von Dingelstedt SU Swi Siegfried Bamatter

902 Engert, Otto Engelmann, Otto Enlai Ensminger Entcho Eoles Eolo Epoca, Emesto Era Erasmus, Alfred Erbe Ercoli, Ercole Ercoli, Mario Erdberg, Oscar Erde, Georgi Erde, Karl Erdei, Jôzsef Eric Eric Erich Erich Erich Erich Ericsson Erik Eriksson Erler, Karl Ermete Ema Ernest, Louis Ernest Emst Emst Ernest Ernest Emst Emst Emst, David Emesto Eros Er Qing Erw Erwe Erwin Erwin Erwin Erwin Es Esemi Eschwege, Hermann Escobar, Santiago Escotomo del Val Espanhol, Paulo Espartaco Esquinazao, El Esquire Essem Esteban, Juan Estella Ester

R éperto ire

d es pseudon ym es

Erich Gentsch Ger Ger Léo Jogiches Chi Zhou Enlai Pol Félix Nawrotski Ivan Pavlov Bul Jan Jolies Ger It Girolamo Li Causi Alessandro Simgaglia It It Alessandro Sinigaglia Ger Wilheîm Knoche! Klaus Zweiling Ger It Palmiro Togliatti It Paimiro Togliatti SU Sergéi P. Razoumov (Tarkhanov) Ger Erwin Hoemle Ger Karl Grohl Hun Mihaly Kereker Mirosiav Krleza Jug DeWiit Parker US Ger Fritz Apelt Tomo Cacié H Karl Ganz Ger Ger Hermann Remmele Fin Johannes Mâkinen Abraham Johannes Muste US Ger Josef Weber Ger Heinrich Laufenberg It Agostino Novella Schuite Ger Idelson SU Georg Scheuer Oes Ger Hugo Eberlein Hun Emô Gero Milan Gorkié Jug Henri Janin Fr Ger Hermann Matem Eiena Stasova SU Elliot Cohen US Eduardo Mauricio Sp It Didimo Ferrari NL Henk Sneeviiet Erwin HAckerknecht Ger Roman SoboJevicius Ger Ger Heinz Neumann Franz Schubert Ger SU Piatnitsky Erich Weinert Ger Liîia Ya Ginzberg SU (Estrine) Chi Xio Hermann Budzislawski Ger Enrique Carmona Arg It Francesco Scotti Heliodoro Carrera Bra Gabriel Leôn Trilla Sp Antonio Beltrân Sp Jakob Frank Let Maurice Seigelraann Fr Stefanelli It Teresa Noce It M.Ya. Froumkina SU

Etienne Etienne Etienne Etienne Etienne, JM . Eugen Eugen Eugen Eugène Eugène Europacus Eva Evans Evaristo Everett E. Everhardt Evgenii Em aios Ewald Ewald Ewas, John Ewen, T. Ezio

Imre Békés Glass Hun Neli Granberg Rum Stefan Lamed Pol Mordka Zborowski Pol Neli Grunberg Rum Kurt Granzow Ger Eugen Schônhaar Ger Erich Wollenberg Ger Waiter Dauge Bel Erwin H.Ackerknecht Ger Lewis Coser us Harry Pollitt GB Harold D.Whittey (Dahl) US Trifôn Medrano Sp Ewert Bengstrom us Arthur Ewert Ger Ivar Tenissovitch Smilga SU Giorgios Siantos Gr ? Donald Robinson Eugen Schônhaar Ger Paul Wasserman Ger Tom McEwen Can Amîeto Locatellt ït

F F.F Fa Fa Shen Fabian Fabian Fabien (colonel) Fabio Fabre, Marcel Fabrichnyi Fabrizio Fabrochnyi M. Faget, Claire Fahan R. Fahd Faja, Arnold Falcén, Irene Falinski Faik, Jules Faîter, Inge Faltermann Famillioni Fan Jinbiao Fan Kang Fan Yfii Fang Tsengfei Fang Tsinglu Fang Wenghui Fang Wenhui Fangs Fangscon, R.F. Fanny Fantini Fantomas

V,L Lénine Qu Qiubo Li Dazhao Rudi Auerhaus Jan Paszyn Pierre Georges Luigî Longo David Retchisky (Servais) V. Noguine Umberto Calosso V.P. Noguine Clara Feigenbaum Irwing Howe Salman Youssouf Roman Fllipcev Irene Lévi Rodriguez Edouard Prochniak Julius Jacobsrin Friedel Malter Anna Wallendorf Ettore Vanni Fang Wenhui Qu Qiubo Qu Qiubo WangWenyuang Wang Wenyuang WangWenyuang WangWenyuang Irving Howe Irving Howe Frances O'Brien Giuseppe Rossi Isaiah Bir

SU Chi Chi Oes Pol Fr ït Fr SU ït SU Ru US ïrk Jug Sp Po! US Ger Ger ït Chi Chi Chi Chi Chi Chi Chi US US US ït

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R épertoire Fargé Farkas Farkas, Mihaly Farley, Duncan Former, Roy Fasanov Fassolt Fati Fatine Fauch Fauchoir Fauchois Faudat ou Faudet Faussecave, Marguerite Favine Favre, Pierre Feder, Johann Fedia Fedia Fedia Fedïne FedMel FedorD. Fedot M, Fei Fei Fein, Arnold Feld Feldmann Felek Feliceîi Féliks ou Félix Félix Félix Félix Félix Félix Félix Félix Félix Félix Félix (Joséfovitch) Felizardo Felkai, Denes Felsberg Feng Kang Fenwick, James Ferenc, Pedro Ferda Ferdi Ferdinand Ferguson, Robert Ferb Fermai Fernand Femand Fernand Femand Fernando Femandes Femandes, Adalberto Femandes, Eisa

Charles Bruneton Sândor Poii Micha Lowy-Woif Edward L.Sard William Mahoney Li Hesbing Margarita Miilier Andrija Hebrang M.G. Petine Albert Goldman Albert Goldman Albert Goldman François Billoux Marg. Mouîène, ép. Carrière V.V. Vorovsky Marcel Bleibtreu Jerzy Sochacki Ber Grüss Alfred Kraus Secrétariaî international Alfred Kraus Federico Melchor F.N.Dingelstedî Ber Griiss Zhou Enlai A. Heifeîz (Gouralsky) Paul Merker Gustav Briihn Jozef Ciszewski Giuseppe Fornari Michal Mazliak Imre Farkas Samuel Haifetz Erich Jungmann Lassalle Vsevolod Holubntchy Marius Magnien G.Prokofiev Charles Rappoport Wladyslaw Stem V.V Vorovsky Felipe Moreira Lima Evien Fried Paul Dietrich Wang Ming C.K.Stewart Lajos Csebi Ferdinand Jeràbek Sefik Hüsnu Degmer Johny Schehr Robert Treash Francisco Corredor Lucien Bernard Eusebio Ferrari Boris ïdelson Milan Karafaîid Vicente Lôpez Tovar Antônio Maciel Bonfim Luis Carlos Prestes Antônio Maciel Bonfim Elvira Copelo Coloni

903

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Fr Hun Hun US US Chi Ger Jug SU US US US Fr Fr SU Fr Pol Ger Ger Ger Sp SU Ger Chi SU Ger Ger Pol It Pol Hun SU Ger Fr SU Fr SU Fr Pol SU Bra Hun Ger Chi US Hun Cz Tur Ger US Sp Fr Fr SU Jug Sp Bra Bra Bra Bra

Luis Carlos Prestes Femandes, Pedro Elvira Copelo Colonio Femàndez, Eisa Enrique Rivera Fernàndez, Enrique Femàndez, Juan Nicolas Chiaramonte Femàndez, Luis Carbs Louis C,Fraina Femàndez, Maximiliano José Aguirre Gainsborg Femàndez, Miguel Pablo Azcarate Flores Femàndez, Pedro Lajos Csebi Femàndez Garcia BoSko Petrovié Femàndez hquierdo, P. Pedro Femàndez Checa Femàndez, Isabel Pilar Bravo Femàndez Martin, Juan Juiiân Gorkin Fernando Wilhelm Bahnik Ropano Cocchi Fernando Fernando Arisîides Lobo Fernando Antônio Maciel Bonfim Féro Alfonso Leonetti Feroci Alfonso Leonetti Ferossy Alfonso Leonetti Ferrao Edmundo Monfz Ferrari Romano Cocchi Ferrari, Luigi Aldo Soncelli Ferrer, Miguel Ramôn Fuster Ferretti, Mario Gino Giovetti Ferri Alfonso Leonetti Ferri Ceieste Negarvile Ferri Agostino Novella Ferrini Ceieste Negarvile Ferruccio Mario Lanfranchi Ferron (cdt) Louis Schapiro Ferry Paul Feldmann Ferry, F.X. Francis Heisler Ferry, Olek Aleksandr Bekier Ferry, William Irving Kristol Ferryk Anconin MaSek Fersberg, Paul Paul Dietrich Fersen, L. Enrique Femàndez Festner, Erwin Fiedler Field, B.J. Field, Esther Figueira, Octavio Filip Filip FHippou Filippov Filomeno Fimmen, Edo Fininho Fink Fino Firmo Firtos Fischer Fischer August Fischer, Eduard Fischer, Emmanuel Fischer, Enrique

Sendôn Heinrich Heyne Fritz Schulte Max Gould Esther Gould Augustin Farabundo Martf Naftali Botwin Stanislaw Pestkowski Spiros Priftis Gao Feng Camillo Montanari Eduardo D’Onofrio Pascacio de Sousa Fonseca WilH Frank Pascacio de Sousa Fonseca Carlos da Costa Leite Lâzslo R4jk Ivo Lola Riba! Alexander Munschke Ewald Munschke Emmanuel Bürgin Heinz Neumann

Bra Bra Arg It US Bol Sp Hun Jug Sp Sp SP Ger It Bra Bra It It It Bra It It Sp It It It It It It Fr Po! US Pol US Pol Ger Sp Ger Ger US US Sal Pol Pol Gre Chi It It Bra Oes Bra Bra Hun Jug Ger Ger

7

Ger

90 4

R éperto ire

des pseudonym es

Oes Heddy Pollak Hun Îsîvan Feketehalmi Ger Otto Schüssler Swi Emil Hofmaier Ger Elfriede Eisler, ép. Friedlander, Geschke, Pleuchot US Moeses Fishman, Moses Hun Rezso Lengye! Fitos, VilmoS Ivan Grzetié Jug Flajszer, Ivan Ger Otto Niebergall Flamera, Alwin Hun Ferenc Münnich Flatter, Otto It Giulio Ceretti Flavien, Lucien SU Salomon Kharine Flavius Fr Victor Méric Flax, Luc Ivan Grzetié FlaySer (Fleischer) Jug US Fleischinger, Joseph Stefan Mesaroch (S.Nelson) Aus Hermann Fleetman Flint Swi L.F. Huissoud Floquet Bel Florent Galloy Flor Fr Francine Fromond Florence Bul Georgi Dimitrov Florent Paulino Gonzalez Alberdi Arg Flores Homero R.Cristalii Arg Flores Bol Gustavo A.Navarro Flores, Vtcente Pol Stefan Bratman Florian Pol Stefan Bratman Floriansky Pol Witold Koîski Floriansky Swi Marianne Kater Florine US Edward J.Lindgren Flynn Qu Qiu bo Chi Fo Ger Maria Wemer Fodor, Grete Chi Rong Li Fokina SU D.Z. Manouilsky Foma Konon Berman-Yourine SU Fomitch Sp Benigno Andrade Foncellas Fr André Lafond Fontela Fr Fontenoy, Jean lean Garreau Ger Wilheîm Knochel Forgbert, Ehrard Pal FordJ. Israël Amter Chi Forel, Aleksei Nakmitch Fang Wenhui Bel Forel, Pierre Rebé Blick Fr Forestier Arthur Dallidet Fr Yves De Boton Forge Fr Yves De Boton Forgue Pol Aleksandr Rozanski Formai Iî Fomi Giuseppe Dozza US Rae Spiegel Forrest, Freâdy Ger Markus Wolf Forster Ger Jiirgen Kuczyaski Forster, Peter Ger Emst Thalmann Fôrsterling Bel Samuel Herssens Fortin Pavel Mif SU Fortus, M. A. Bul Fos-Rudin B, Nenadova It Foschi Sergio Di Giovanni It Nicola di Bartolomeo Fosco Fr Fraises, Jacques Emile Cochard Pol Franc Jan Sobecki Jug Franc, Roman Toma Pezer Yakov Kotcherets SU Français, k Franceschini Pasquale Marconi Jug Fischer, H Fischer, îstvân Fischer, Oscar Fischer, Paul Fischer, Ruth

Francesco Franci Francine Francis Francis Francisco Franciszek

Umberto Massola It Vasco Jacoponi It Paulette Laugery Fr Yvan Craipeau Fr Henri Vidal Fr Victor Azevedo Pinheiro Bra Jakob Furstenberg Pol (Hanecki) Jean van Heijenoort Franck, Jean Fr Trotsky Franck, Léon SU Simondy (Mondy) Axel Rum François Jean Devienne François Fr Jan Frankel François Cz Léo Lepla François Bel Françoise H Feuillet Fr Franek F.E. Dzerjinsky Pol Franciszek Jozwiâk Franek Pol FrantiSek Krieger Franek Pol Franek Vassiî Kolarov Bul Frank Sam Carr Can Grozovsky Frank SU Frank-Coeur Alphonse Georget Fr Frank, Edward R, Bert Cochran US Jan Frankel Frank, John Cz Hans Hauska Frank, Walter Ger Franken, Anna Anna Müller Ger Frankl, Jan Jan Frankel Cz Albert Goldman Franklin US Rosetta Negarvile Franklin It Franklin-Marquet, Henri Pierre Laurent Fr Franskeur Alphonse Georget Fr Fritz Apelt Franz Ger Stmel Armsky Cz Franz Fritz Berge! Cz Franz Franz Franz Dahlem Ger Bemhardt Gablin Ger Franz Albert Hôssier Ger Franz Ger Willy Hünecke Franz cw Franz Koller Franz Ger Hans Kippenberger Franz Franz Koritschoner Oes Franz Ger Franz Ewald Seiler Cz Franz Wiadimir Wolpert Ger Franz, Karl Benedikt Freistadt Ger Paul Frôlich Franz, Karl Ger Paul Frôlich Franz, R, Ger Franchi A.K. Artuzov : Ger Frau, S. Isa Strasser Ger Fred Hans Berger US Benjamin Francis Fred Bradley Oes Fred Karl Frank Fr Fred Jacques Duclos Pol Fred Pawel Finder Ger Fred Alfred Kaps Ger Rudolf Klement Fred Ger Fred Heinrich Schmitt SU Fred Manfred Stem Fr Fred Frédéric Zeîler Ger Freddy Hans Berger Pol Alfred Lampe Fredek Fr Frédéric Jacques Duclos

R éperto ire Frédéric Frédéric Frederick, John Frédo Frédo Frei Frei, Bruno Freier Freiman, E. Freimth Freitag, G. Freitas Frire Fresno Fresno, Roberto Freund Frey, R Fric Fridman Fridrnn Fried Friedberg, Hans Friedberg, Karl Friedel Friedemann, K. Friedl Friedjung Friedmann Frtedmann, Georg Friedmann Bornât Friedrich Friedrich Friedrich Friedrich Friedrich Friedrich Friedrich Friedrich, G. Friesland Frigormi Fritz Fritz Fritz Fritz Fritz Fritz Fritz Fritz Fritz Fritz Fritz Fritz Fritz, Pabio Fritzmann Frogé Frôhlich, Wilheîm Frôhlig, Wdhelm From, Walter Fromentin, Gaston Frommelt Fronsac

905

d es pseudonym es

Rudolf Klement Ger Albert Marteaux Bel John E Dwyer US Pierre Georges Fr Frédéric Sérazin Fr V.I. Lénine SU Benedikt Freistadt Ger Walter Ulbricht Ger Hermann Sandomirsky SU Hermann Remmele Ger Tarchis (Iossif Piatnitsky) SU Bra Duviîiliano Ramos Jules Davister Bel Mendez Sp Manuel Adame Sp Amédée Danois Fr (Catonné) Boris Goldenberg Ger Miroslav Krleza Jug Djuro Djakovté Jug Heiena Stassova SU Fritz Stemberg Ger Ger Kari Retzlaw Friedberg, Martin Ger Ger Friedel Hagedom Herbert Wehner Ger Erwin Polak Cz FridaRubiner Ger Ger Herbert Wehner Ger Djuro Djakovté Stefan Kubik Cz Ger Wilheîm Florin Bedrich Geminder Cz Siegfried Kissin Ger Siegfried Rade! Ger Ger Wilheîm Firl Wilheîm Pieck Ger Ger Hans Weber Cz Bedrich Geminder Ernst Reufer Ger Arg Reinaldo Frigerio Veniamine Beletsky SU Ger Jan Bur (Nettelbeck) Hanna Dôrfel Ger Ger Fritz Emrich Ger Erwin Fischer Wilheîm Knochel Ger Max Laufer Ger Erich Mielke Ger Ger Fritz Pfordt Ger Friedrich Runge Max Schmidt Ger Ludwig Singer Oes P.LBatov SU Elena Stassova (Emst) SU Rino Scoiari Fr Joseph Wintemitz Ger Paul Frôlich Ger Eino Laakso Fin Fr Georges Friedmann Rudolf Margies Ger Fr René Fromage

Frost, Sidney Frühling Fryd Fuchs, Dr Fuchs, Martin Fuentes, Carlos Fugam Funk, Kurt Furini Furman, Pierre Furmanski Fuzzy

Max Bosch Wiîli Bauer Pawel Finder Aladar Komjat Paul Merker Ibrahim Un Malakka Pasquale Dionisi Herbert Wehner Giuseppe Dozïa Dimitrije Stanislajevié Pavel Roslak Pauline Furth

Ger Ger Pol Hun Ger Indo It Ger It Jug Pol US

G G, G.A. G.Z Gabard Gabe Gabey, Emile Gabier Gabier Gabier, Fritz Gabo Gabriel Gabriel Gabriel Gabriel Gabrinetti Gaby Gaday, U. Gaevoi Gaguinho Gai Sheng Gaj Gajewski Gai Gai Galambosi Istvân Galanty Galen, Lucenio Galen Galine Gall El Gallen Galletto Gallo Galo Galsky, Anton Galvani Gamboa Gamelin Gandi Gandhi Gantcho Ganz, Karl Gao Junyu Garai

Gr. Briliiant SU Gr. Briliiant SU G. Zinoviev SU Elio Gabai Fr Mikhalis N. Raptis Gre Elio Gabai Fr Desprès Fr Siegfried Bamatter Swi Siegfried Bamatter Swi Gabo Lewin Ger William S. Farreli US M.N. Raptis Gre Strojouian SU Maurice Tréand Fr Leôncio Basbaum Bra Gabrielle Brausch Fr Franz Pfemferî Ger Hu Pengji Chi Manuel Severiano Bra Cavalcante Kang Sheng Chi Lev S. Levin SU Jan Paszyn Pol Jânos Gaiics Hun Lev Sedov SU Istvân Grestyâk Hun Klebholz Ger Marcos Contreras Garret Chil Vassili K.Blucher SU V. Blücher SU Georges Delcamp Fr V.K. Blücher SU Giuseppe Pianizza It Luigi Longo It Gustave Galopin Fr V.Ovseenko SU Paul Rivière Fr Mârio Pedrosa Bra Leonida Repaci It Compagni It Pietro Germani It Gavriil Genov Bul Kurt Bürger Ger Gao Zhangde Chi Karl Kouchner Hun

906

R épertoire

des pseudon ym es

Z. Zakhariev Bul Constante Masatti It José Diaz Ramos Sp Cub Alejandro Barreiro Oliveira SU Garda, Juan ou Antonio S.Raraichvili Enrique Castro Deigado Sp Garcia, Luis Jean van Heijenoort Fr Garcia, Cestero José Diaz Sp Garcio, Andrés Fr Armand Latour Gardet, Yves NL Peter J. Schmidt Gardner Fr Henri Lozeray Gardon It Giacomo Bemolfo Gargantua Victor Serge Garine, Georges SU It Rtiggerio Grieco Garîandi Robert Monnereau Fr Gamier, Michel Fr René Garmy Gamier, Pierre Elvira Copelo Colon! Brâ Garota Bra Luis Carlos Prestes Garoto Emmanuel Geltman US Garnît, Manny Galina Sérébriakova SU Gart, Svit Ger Otto Braun Gartner Ger Elîi Schmidt Gartner, Irene SU Aleksandr Volkov Gaske, Rudolf Marian Krajevic Jug Gasparac, Petar Bra Honorio de Freitas Gaspar Guimarâes Janko Misié Gaspard Jug Victor Gragnon Fr Gaspard Fr Henri Masi Gaspart Gustav Riedel Gassovitch Ger Ger Otto Niebergall Gaston Georges Marrane Gaston Fr Kurt Woznik Gaston, Ger Boris Holban Gaston, Olivier Rum Gates, Albert Albert Glotzer US Gates, John US Sol Regenstreiff Luigo Longo Gatti, Luigi It Fr Max Barel Gautier Gavrilov, L V.D. Bontch-Brouévkch SU Sîrojouian Gavrilovitch SU It Giacinto M, Serrati Gavroche Hun Pal Hajdu Gaydu, Pavel Fr Jean Meichler Gazé, îe Cz Gebert Ladislas Porzsolt Ottomar Geschke Gebhardt Ger Gerhardt Eisler Geisler Ger B J, Grigoriev Hun Geiger, Béla Rum Ghitza Badulescu Gelbert Fr François Magnien Gélix Gemisto It Francesco Moranini Genbevsky M. VI. Borissov Buî Genkin SU Mikhaïl AJPolevoï Gustavo Sacerdote It Genosse Gentili It Viliani Geoffroy Fr Jean-Marie François Geoffroy, Max Paul Parisot Fr Georg Ger Jan But Georg Vladimir Ôopié Jug Georg Djouka Cvijié Jug Georg Manfred Stem Oes Georg Fritz Schulte Ger Garanov Gararti Garda, Antonio Garcia, Alejandro

Georg Georg Georg, Adela George George George George George George Georges Georges Georges Georges Georges Georges Georges Georges Georges Georges Georges Georges Georges Georges Georgescu Georget Georgévitch Georgijevic Ger Geraid Geraldo Geraldo Gérard Gérard Gérard Gérard Gérard Gérard, Francis Gerbel, G. Gerber, R, Gerbilski Gerhardt, Jan Gerjni Gerland, Jarvis German, G. ou L Germain (cdt) Germain Germain Germain R. Germaine German Germano Germinal Gerô, Ernô Geros Gerster, Julius Gerstoiff, K.L, Gertel, Eugenio Gémis Gervais Gewis Geyer, Fiorian

Aleksei A.Stetsky Guido Zamis Adele Mahlow Giorgi Andreytchine Tom Bel! Gouvernement Paul Daudisch CLR James Lev Sedov Emil Altorfer Boris Gordower René Hilsum Victor Joannès Nahman List Smelek Livshitz Robert Noireau Tadeusz Oppmann Mârio Pedrosa Antoine Polotti David Roussel Jost von Steiger Maurice Tréand Milan Vinkovié Alexander Crisan David Roussei S, MiliouS Josip Broz Gérard Rosenthal Gérard Werth Jovino Assef Campinas Joanny Berlioz François Ecot Jules Genehian Artur London Gabriel Péri Gérard Rosenthal Georg Jungclas Richard Schlesinger Willi Budich Viktor Bardach Schmidt Jean van Heijenoort MX Froumkine François Griîlot Raymond Guyot Henri Robinson Raymond Guyot Georgette Bodineau Julius Danichevskis Adelino Deicola dos Santos Maurice Thorez Emst Singer Giorgios Siantos Jost von Steiger Fritz Stemberg Reinaldo Brandâo Stravitsky Auguste Lecœur Fritz Schulte Kurt Glowna

SU Jug Ger Bul GB GB Oes Tri su Bel Bel Fr Fr Pol Bel Fr Pol Bia ït Fr Swi Fr Jug Rum Fr Jug Jug

ft fir Bra Bra Fr Fr Bel Cz Rr Fr Ger Ger Ger Pol Ger Fr SU Fr Fr Ger? Fr Fr Let Brâ Fr Hun Gre Swi Ger Bra Rr Fr Ger Ger

R é p e r t o ir e Ghelenjiceanu, DragomirKh. Rakovsky Constantin Katz Gherea Deborah Seidenfeîd ép. Ghita Stratielski Orestes Ghioldi Ghitor, Edmondo Mario Bavassano Giacomi Henri Robinson Giacomo Matyas Râkosi Giacomo Gérard Rosenthai Giai Phong Giovanni Boero Gianni Raffaele Fferagostini Gianni, Giorgio Giovanni Zannarini Giannina Lajos Dobos Giberti David F. Springhail Gibbons Wîliy Dôtter Giessen Luigo Danielis Gigi Luigï Longo Gigi Lev Sedov GH Y van Craipeau Gilbert Hoang don Tri Gilbert Grigory Kagan Gilbert Boris Goldenberg Gilbert, Boris Sofia Luca, ép. Stancu Gilbert; Hélène Leopold Trepper Gilbert, Jean Astrogildo Pereira Gildo Joseph Epstein Gilles (col.) Mordka Zborowski Ginine, E. Luigi Alfani Gino Celeste Negarvile Gino Giuseppe Gaddi Gino Al. Sinigaglia Gino Ginzberg M.M, Grusenberg (Borodine) Romano Cocchi Giorgio Eugenio Curiel Giorgio Gustavo Mersu Giorgio Giovanni Heinz Neumann Giovanni Remo Scarpini Gioveiti Mario Ferreto Giral, Georges Jean Beaussier Girard, Jean Marc Wiliems Giraud Sam Gordon Girault, Léon Adrien Charvoz Girault, Suzanne Suzanne Depollier Gimella Earique Adroher Giscard Santiago Carrillo Giiano, El Olmedo Gilton, Marcel Marcel Giroux Giulio Libero Brigante Giulio Renato Giaccheti Give Georges Vereeken Gkdnev S.M. Sachs Glajkos K. Asimidis Glaser Antun Mavrak Glaser Max Stem Glassbrenner Paui Bertz Gleditch Glebov Glee, Martin Max Geltman Glenn, John Jan Frankel Glenner, John Jan Frankel Gles; Sally Samuel Glesel Gligorijevic Josip Broz

d es pseu d o n y m es

Rum Rum Hun Arg It Ger Hun Fr It It It Hun Bra Ger It It SU Fr VN Pol Ger Rum Pol Br Pol SU It It It Swi SU It It It Ger ït It Fr Bel US Fr Fr Sp Sp Sp Fr li It Bei SU Gre Jug Oes Ger SU US Cz Cz ? Jug

Gligorijevic, MiloU Glinski, Piotr Glisié Gm GhalU Khyfik Gniadowskigen Goi, Moshé Gold, Harry Gold, Michael Gôtdbergen Alexander Goldfarb, Alexandr Goldfarb Max Goldman

DuSan Petrovié Stefan Krdiikowski Grzegor Vuyovié Josepf Guttman Abi Bou Yaki Stanislaw Huberman Lev M. Lew Jakob Golodnotsky Irving Rarich J.Peters Josef Peter David Lipec Aleksandr Skoblevsky (Rose) Goldman, Albert Verblen Goldsky Jean Goldschild Goliath, Ernest Ennio Gnudi Goline R, M. Rafês Golzwzig Elfriede Klage Goljcev J. Veselinov Golnow, Kurt Karl Sieiner Wang Ming Golobiev Golos, Jakob Jakob Rasin Goloubiev Wang Ming Goloubieva Anna Razoumova Golovaiev J.Veselinov Goltz, Friedrick Friedrich Franken Gombos, Anna Maria Blumgnmd Gômbôs Pal Fâbry Romano Cocchi Gâmez Gémez (général) Wilheîm Zaisser Gâmez, Giuseppe Giovanni Barberis Gômez, Jesüs Richard F.Phiiipps Rosovsky Gômez, Julio Gômez, Manuel Charles Philipps Gômez, Miguel Ruven Abramov Gômez Trejo, Francisco Frank G. Tinker Gômez Villar, A. Marcos Garcîa Villareal Gompers Juliân Gumperz José Lago Molares Gonçalvez, G, Gondek, Jan Stefan Major ou Mayer Goni, Erginio Francisco De Cabo Gonzaga Mârio Pedrosa Gonzâlez Hernan Laborde Gonzâlez, Alberto Abraham Golod Gonzâlez, Alejandro Ricardo Marfn Gonzâlez Canet, César Martin Zalacâin Gonzâlez Palacios, Luis Octavio Femândez Vilchis Gordo, El Vittorio Codovilla Gordon Jack Giordanas Gordon, James Yakov Reich Gordon, John Josef Guttman Gordon, Léo Mandelowicz Gordon Tomasz Dabal Goreva, A, A.I. Elizarova Goriev Aleksandr Skoblevsky Staline Gorilla Gorizia Remigio Maurovich Gorkié, Milan Josip Cizinski Gorkin, Juliân Juliân Garcia Gômez V.D. Bontch-Brouévitch Gorlenko

907 Jug Pol Jug Cz ? poi Pal US US SU SU SU SU Cz Fr It SU Ger Bul Ger Chi Hun Chi SU Bul Ger Hun Hun It Ger It Mex Mex US Bul US Cub Ger Bra Rum Sp Bra Mex SU Sp Sp Mex Arg US SU Cz Pol Pol SU SU SU It Jug

Sp SU

908 Gormley, Jim Gorod, N. Gorski Gottfried Gottfried Goiîlieb Gottlieb Gottlieb Gottlieb, Al Gouanneau Goubarev Goubine Goudkov Gould, Lois Gouralsky, August Gourévitch Gourget, Pierre Gourov, G. Goussa Goussev, S I Goussias Govoroun Gr Graberticsa Grabkovsky Gracchus Gracco Gradov Grâf, Max Graham, A. Graham, Justin Graham, K. Graham, Ralph Graham, Wally, Graichen, Fritz Gramarov Granados Granas, Alexandre Grandi Grandjean Grandval Granet Grange Granger Granger Granovoisky, Efim Grant Grant, Alfred Grant Granville Grassi Gratz, Paul ou Rudolf Gravas Grave Graves Gray Gray, Laura Grebenarov Grebenarov

R épertoire

des pseudonym es

US John Reed Cz Ladislas Novomesky Pol Konstanti Graezer Ger Konrad Blenkle Ger Heinrich Kurelia SU Katschi V.L. Kibaltchich (Serge) SU Ger? Henri Robinson ÜS George Mink Fr Louis Goineaud Chi Liu Yïng Chi Se Lin Chi Shen Zelin US Louise Orr SU Samuel Haifisz ou Haifetz su Samuel Haifisz ou Haifetz Fr David Baiozine su Trotsky SU Elena Stassova SU la. D. Drabkine Gre Giorgios Voutissios Chi Lu Mengyi SU G. Zinoviev Jug Jovanka Horvatina SU V.F. Gaikine GB Tom Wintringham It Angelo Gracci SU L.B. Rosenfeld (Kamenev) Let Jakob Frank US Albert Glotzer Justin Grossmann US Cz Klement Gottwald US C. Frank Glass GB Wadell Ger Otto Gentsch SU M.I. Froumkine Sp Vicente Arroyo Pol Wronsky It Alfredo Boncîani Fr René Villa Hüîî Ernô Gero Fr Albert Demazière Fr Marcel Bioch ÜS Peter Berlinrut Fr Emile Guikovaty Sp Heriberto Quinones US Ted Selander Simon Cukier Pol Jug T. Misié Fr Louis Blésy Arg Esteban Peano Ger Rudolf Lindau Fr Fernand Coitale Fr Jacques Danos US C. Frank Glass US Frank Visconfi US Laura Solbe Bert Dimitrov Bul Bui II. Paoumov

Green Green, Gilbert Green, P. Gregg Grégoire Grégoire Grégoire Grégoire Grégoire Gregor Gregor Grégore, Greg Gregoriev, Dionisy Greise (cdt) Grelet Gremling Grenet Grenier Greno Grenz Gresshônner, Maria Grete Grete Grete Grey Gribioedov Gricha Grichine Griegher Grigorescu Grigorévitch Grigoriev Grigoriev Grigoriev, A. Grigorov Grigorovitch Grigorovitch Grigory, G. Grike Gril Grillo Griman Griolet Griso Griszdinko Gritl Grober, Johann Grobart, Fabio Groboi, Pavel Groma, Gromov Gromovoi Gronovski Gross Grossi Grosz Grosz Grosz, Peter Grosovsky Grossi

Nick Origlass Aus Gilbert Greenberg US Sergéi IGoussev SU (Drabkine) Tom J, Beil Can Giulio Ceretti It Jestis Xbanez Sp Rudolf Schônberg Bel Marcel Tréand Fr Giorgios Vitsoris Gre Grzegur Vujovié Jug G.E. Zinoviev SU G.E. Zinoviev SU Kh. Rakovsky SU Paul Arman SU Pierre Céior Fr Romano Cocchi It Pierre Célor Fr François Cuissard Fr Georges Delcamp Fr Paul Fischer Ger Maria Osten Ger Gertrud Braun Ger Heïga von Hammerstein Ger Margarete Buber Ger: Arthur Ewert Ger Ji Dacai CM G, Zinoviev SU Jan A. Berzine SU Vincenzo Bianco It Alexander Danielok Rum G.M.Stem SU Khristian Rakovsky SU Li Fuchen Chi V.D. Bontch-Brouévitch SU Traitcho Kostov Bul SU Grigory M. Stern G.E. Zinoviev SU E. Grégoire-Micheü Fr let Janis Lencmanis Ger Anton Grylewicz It Amerigo Clocchiati Ger Peter Maslowski Fr Félix Preiss It Luigi Visentin Grigori Ivamenko-Baraba UK Ger Kark Brichmann Ger Karl Katz Cub Abraham Simkovits SU F.E. Komarov Sp Andrés Paredés SU O.K.Aussem SU Youri Gaven Pol Louis Brunot Ferenc Huszti ou Franz Hun Gusti It Francesco Scotti Hun Ferenc Huszti Hun Béla Kun Hun Matyas Râkosi Ger Léo Jogiches It Francesco Scotti

R éperto ire Grothe, Reuben Gmuchko, Natalia Grube, Emst Gruber Gruber, Franz Gruber, Ph. Gruber Gruja Grudniewski Grün, Toni Griinbaum Griinberg, Wilheîm Griinwald Gruszk Gry&Gryl Gryncharov, Rajko Grngorz Grzegorzewski Grzech Grzdc&k Grzetic Gitan Yu Gucmter Coll, Jaime Guber Gubinelli, Aniônio Guérin Guérin Maurice Guérin, R. Güero Guerra, Antonio Guemica, Juan de Gurnra, Antonio de Guerrero, Victor Guerrier, Jean Guibard Guido Guido Guilheme Guilherme Macario Yolles Guilleau, Jacques Guilleminault Guillemot (colonel) Guillen Guiilotin, Dr Gump Gunther Günther, Kurt Guraleikov Gurgen Guscza Gusmâo Gustav Gustav Gustav Gustav Gustaw Gustave Gustave

Rubin Gotesky US N.V. Ostrovskaia SU Ger Anton Karl Steinhardt Oes Johann de Graaf Ger Alfred Klahr Oes Heinz Neumann Ger Aleksandr Rankovié Jug Jerzy Sochacki Pol Ciara Riesedel, ép. Muth Ger Nathan Szapiro Pol SU Yakovenko Ger Heinrich Gavrylowicz Stanislaw Burzynski Pol Ger Anton Grylewicz Bul Jocho Guymynshev Pol Jerzy Sochacki Pol Franciszek Grzeczak Pol Vladimir Kowalski Franciszek Pol Grzegorzewski Ivo Fleischman Jug Chi Gaoeng Ladislas Holdôs Hun Karlo Brasovié Jug Bra Mario Grazini Fr Alfred Costes Fr Joseph Roques Fr Jacques Gallienne Ven Carlos Irrazabal Luis Pérez Yanez Mex Dolorès Ibarruri Sp Sp Dolorès Ibarruri Jorge Abelardo Ramos Arg Fr Jean Goidschiid Fr David Grünblatt Bra Fulvio Abramo It Aldo Lampredi Ger Jan Jolies Ger Jan Jolies Jaques Doriot Gaston Monmousseau Jean Sosso Guillermo Hemândez Rodriguez André Wurmser Julian Gumperz Albert Gromulat Alfred Winkler Haifisz-Gouralsky Mikhaïl Tshakaia Elena Stassova José Medina Paul Frolich Wilheîm Pieck Hans Pfeiffer Albert Priewe Henryk Stemhell Ahcène Issaad Yahia Saïdoun

909

d es pseudonym es

Fr Fr Fr Col Fr Ger Ger Ger ? SU SU Bra Ger Ger Ger Ger Pol Alg Alg

Guiderez, Luis Guy Gutmund, Rolf Gvozd, Semion

Octavio Fernândez Mex Vilchis Arthur Daiiidet Fr Richard Krebs Ger V,D, Bontch-Brouévitch SU

H Haak, Toni Haas Hac Hadié Hadjar Hadjar Hadji, El Haegerman Hajher Hagen Hagen Hahn Hahn, Alfred Hairius Hajashi Hajdû, Sândor Haka Hakim Mirza Hal Hal Hala Hall, Ben Hall, Gus Hall, Otto Halle, Willy Hallos Halpem Halpem, Jan Halz Hamanou, Ali Hamanou, Harbi Hamburg Hamerlak Hammer Hammer Hanada Handler, Paul Hanecki Hanin Hanjes Hank Hans Hans Hans, Georg Hansa, Raj Hansen Hansen Hanson, Elisabeth Harde, Bernard Hardee, Albert Hardee, Bernard Hardman, J.B.S.

Maria Wemer Ger Henri Teichman Ger Duong Hac Dinh VN Ljubomir Mitié Jug Pal Wolf Auerbach Mahmoud Halik Wilad Pal Messali Hadj Alg Bel Honoré Wiliems KovaCevié Nikita Jug Karl Frank Oes Kamilo Horvatin Jug Hermann Remmele Jug Ger Albert Heine Roger Hagnauer Fr Pol Kynicki Fokuda Géza Dunavôlgyi Hun NL Kolthek, Harjur A.C.Banerji Ind Harold Draper US Haroid Ware US Amleto Locatelli It Herman Benson US US Arvo Holberg US Karl Jones Willy Sachse Ger Yannis Kordatos Gre Paul Rücker Ger Pol Viktor Bardach Fr Frantz Jourdain Alg Abd el-Aziz Menouer Aig Abd el-Aziz Menouer Ger Josef Schlapper Wiadislaw Zavadski Pol Jug Edouard Kunstek Oes Willi Scholze Jap Sano Manabts Swi Siegfried Bamatter Pol Jakob Firstenberg Rum Ion Heiglman Sp Jesds Ibanez US Henry Malter Ger Gerhart Eisler Ger Modest Rubinstein Ger Hans Kahle Ind A.Deva Angadi Ger Heinz Epe Ger Edwin Hômle Fin Aïno Kuusinen Bernard Wolfe US US Albert Wolfe US Bernard Wolfe US Josef Zaloutsky

910

R épertoire

Erich Wollenberg Erich Wollenberg Alfred Adolph Joseph Kornfeder Anton Ackermann Anton Pannekoek Don Chenevitch Catherine Harrison Maksim WaJlach (Litvinov) Emil Kunder Harry Hans Amo Eckelman Harry Arthur Ewert Harry Harry Robinson Harry Heinrich Schmeer Harry Jan Paszyn Harsanyi Jânos Hochvart Harst Jan Paszyn Harst, Simon Erich Wollenberg Harî, Martin Joseph Kornfeder Hartfield ou Harfield Paul Levi Hartlaub, Paul Erwin SchaÆner Hartman Béla Kun Hartmann Hartmann, Rosa ïrene Bentz Hartstein, Paul Paul Levi Theodor Hartwig Hartw Wilhelm Russo Hamvig Lecram Hasfeld Marcel Hasler Konrad Blenkte Mustafa Aris Hassan Hassanov Nikbin Hassan (Kerim-Aga Forsi) Hassamadeh Nikbin Hassan (Kerim-Aga Forsi) Ferdinand Panzenbôck Hassier, Hans Hâtszeghi Otto Hatz Gustav Sobotka Hauer Haus, Rudolfou Robert Robert Hausschild Rosner Hauser Hauser Josip Broz Aloïs Adalbert Hoch Haut, Louis David Reîchisky Hauteroche Kurt Konrad-Beer Havlat, Jan Havliéek, Jaromir Josip Broz Benjamin Gitlow Hay, James Kyushii Tokada Hayashi Arkadi Maslow HCN He Songlin He Jinîiang Frederick Vanderbilt Heam, Lawrence Field Louba Ivotchevitch Hediger, Louise Hediger, Rudolf Georgi Dimitrov Heiner, Peter Hermann Jacobs Margarete Müller Hedwig Heinest Milan Gorkié Hans Kippenberger Heini Heinicke, Moriti Fritz Lehmann Heinrich Meyer Heino Heinrich Georg Mohr Heinrich Karl Schmidt Heinrich Willy Schmuszkovitz Heinrich Heinrich Süsskind Hardi, Egon Hardt, Eugen Hardy Harfield, James Harnsen Harper, John Harris Harris, Kitty Harrison

d es pseudonym es

Ger Ger Ger US Ger NL US US SU Ger Ger Ger Ger Ger Pol Hun Pol Ger US Ger Ger Hun Ger Ger Ger Ge Fr Ge Syr Per Per Oes Hun Ger Ger Ger Jug Cz Fr Cz Jug US Jap Ger Chi US SU Bul Swi Ger Jug Ger Ger Ger Ger Ger Ger Ger

Heinrich, Kurt Heinrich, Meta Heinz Heinz Heinz Heinz, Pol Hel Held, Walter Hélène Hélène Heler Helga Hell Heller Heller Heller Heller, AM. Heller, Adolf Heller, Franz Heller, Otto Heller, Otto Hellwig, Karl Hellwig, Kurt Helm Helmuth Helmuth Helmuth Helmuth Helvettcus Hemod Hempel Hempel Henderson Henderson Hendrich, E. Hendrîckx Henk Henk, Else Henri Henri Henri Henri Henri de B. Henri Henric ou Henrik Henrietta Henriette Henriette Henriette Henrik Henrique Henriquez, Diego Henry Henry Henry Henry, E. Henry, Lucien Henry, 0. Henryk

Heinrich Süsskind Dina Winter Heinrich Brandler Heinz Pôppel Hans Weber Paul Rakov Karî Fugger Heinz Epe Hélène Savanier Elena Stassova Ivan Gozetié ïrene Wositowski Fritz Schimanski Salomon Eilbaum Ivo Grzetié Kamilo Horvatin Antonio Chiarim Richard Krebs Paul Thalmann Fritz Bergel Viktor Stem Karl Sinvogel Km Sinvogel Paul Beitz Georgi Dimitrov Wilhelm Feilendorff V.P. Goriev August Laas Franz Welti Mauno Heino Jan Appel D.Z. Manouilsky Joseph Hansen JosieMapma Jan Sverma Joseph Hansert Heinrich Reissel Margarete Neumann Heinz Epe Enrique Femàndez Sendôn Stanislaw Matuszak Pierre Georges Charles Tillon Gérard van Moerkercke Henri Kmistiinger Tatiana Moisseienko (Ruegg) Eva Cariier-Neumann Marguerite Mertens Gertrud Rüegg Saul Amsterdam Enrique Lister Enrique Sepulveda Quesada George Ashkenzie Nadal Alfred Rosmer Ernest Mazey Charles Hainchelin Henry Optât Stanislaw Budzynski

Ger Ger Ger Ger Ger Ger Ger Ger Fr su Jug Ger Ger Pol Jug Jug su Ger Swi Cz Cz 1rtr Ger Ger Bul Ger su Gsr Svt f'ri Ger SU US 0 Cî US Gsr Ger Ger S? Pol Fr Fr Bel Fr SU Fr Bel SU Pol Sp Chil US Sp Ff US Fr Bel Pol

R é p e r t o ir e

Henryk Henryk Henryk Henryk Henrykowski Henzd François

Herbert Herbert Herfiirt Hering Herman, Ben Hermann Hermann Hermann Hermann, Karl Hernies Hemândez, Saturnino Hemdndez, José Herobin Herrero, A. Hers! Herse Herssens, Samuel Herta Hertha Hertha Hervé Herzen, A. Herzog Herzog Hess Hess, Emst Hete H-so m Mario Hilda Hilden Hidasi Hillyer Hindi, R.H. Hippolyte Hirsch, Georges Hirt, Wilheîm Hirzel, Paul Hisioricus HK HM Ho Ba Cu Ho Chi Minh Ho Nam Hoang Quoc Viet Hochsiâtter, Selma Hodiger Hofer, Peter Hoffmann, général Hoffmann, G. Hoffmann, G. Hoffmann, G,

911

d es pseu d o n y m es

Pol Hanecki Fr Henri Kunstlinger Pol Henryk Torunczyk Hershi Zimmermann Pol Saul Amsterdam Pol Ger Max Friedemann Pol Pinchas Mine Tatiana Moisseienko SU (Gertrud Rliegg) Ger Willy Münzenberg Jerzy Ring Pol US Herman Benson Ger Ludwig Becker SU D.Z. Manouilsky Wolfgang von Wiskow Ger Hun Béla Kun Bra Domingo Pereira Marques Cub Sandalio Junco Bra Aristides Lobo ? D. Jakasa Sp Francisco Gômez Hun Széker Fr Yves Labous Paul Riiegg SU SU Eiena Stassova Elena Stassova SU Ger Maria Grolimann Pol Unguck ( Jacques Kaminski) Ger Hermann Remmele Ger Fritz Heckeit Ger Arthur Kônig US Morris Slavin Ger Léo Roth Ger Lotte Rambauseck Mex Antonio Hidalgo B Ger Oskar Hippe Hiîario Arîandis Sp Ger Î.V. Staline Bel Henri Heerbrant Hun Jânos Him US Cari Shier înd Tayab Shaikh Bel Auguste Bouxain US George Mirtk Oes Josef Frey Fr Michel Varjagier Ger Arthur Rosenberg Nor Hjordis Knudsen Fr Henri Molinier VN Ho tung Mau VN Suan wen Qing VN Tran van Giau VN Ha ba Cang Po! Brinde Bersing Bui Georgi Dimitrov Oes Paul Steiner Ger Richard Staimer Cz Karel Kreibich Cz Pavel Reimann Ger Richard Staimer

Hoffmann, Inge Hofkirchner Hofkirchner, Siegfried Hôft Hôllander Holm, Peter Holz Holz, Bmnhilde HOM Homero Homme aux yeux tragiques Homunculus Hont Honza Hoorgin Hopei Frank Hora, Josef Horace Horaz Horejsi Horenko Horenko Hom Hom Hom Horner, Karl Horvaj Korvaj, Wilheîm Horst Horvath, Ferenc Horvath, Jânos Horvath, Manon Hossoî Houénou Howard G HP Hrabia Hri Hristic Hron Peter Hu Bisheng Hu Feng Hu Fu Hu Guang Hua Fu Hua Yun Huang Ping Huber, Stach Hubert Hubert Hubert Hubert Hubert Hubert Hugo Huitton Hulot Humbold Humboldt Humboldt, Max Hum

Netcha Lourié Grünberg Fümberg Karl Hôflich Imre Saîlai Georg Kaufman Franz Meyer Brunhilde Ebem H.O. Martell H.R.Cristalli Ruvin Sobolevicius

Swi Cz Ger Ger Hun Ger Ger Ger Cz Arg Ger

D.S, Zaslavsky Ferenc Holczer Jan Frankel E.M.Skliansky Tom J. Bell Karel Stemberg Jacques Wurth Julius Volek Gustav BareS AI. Hiller Franciszek Mazur Aleksandser Danichuk Filip Daub Hans Knodt Anton Pannekoek Vilim Schwarzmann Milan Belié Joseph Koch Richârd Bûireti Antal Janos Schiller Ishikawa Shoichi Kojo Trovaiou Trevor Maguire Heinz Pàchter Kazimierz Cichowski RR.Isaacs Jovan MaliSié Vladimir Clementis Zhou Enlai Zhang Gufei Zhou Enlai Ho Chi Minh Otto Braun Lîu Shaoqi Huang Guozo Stanislaw Huberman Hans Alexandrowisz A.Heyfetz (Gouralsky) Boris Kidrié Albert van Loo Hermann Nüding Gérard van Moerkercke Hugo Marx Henry Simon Jacques Piquemal David Lipec Wilheîm Tebarth David Lipec (Petrovsky) Lajos Urbân

SU Hun Cz SU Can Cz Bel Cz Cz Ger Pol Pol Ger Ger NL Jug Jug Ger Hun Hun Hun Jap Dah US Ger Pol US Jug Cz Chi Chi Chi VN Ger

ai Chi Pol Oes SU Jug Bel Ger Bel Ger Fr Fr US Ger SU Hun

912 Hurtado Huszâr, Aladâr Hutter, Trent Hutschneder Hyros

R épertoire d e s Juan Andrade Roàrîguez Sp Hun Huszâr Baréti Peter Bloch US Vassile Spiru Rum Ladislav Szânto Hun

i l Losen Iakov lakovlévitch, Karl lamnov Ianov Ibarra, Maria Ibamza Ibrahim Ibrahimov Icarus Ichibashi Yogo Ichtiar Ignacy Ignasiak, Janina Ignatiev ïgnaz Igor Igonev Ihâsz, Miklés lka Ikhtman IL llescu Ant. ligner, Otio Iliane Ilic lline, A,K Ilinicz, Vincent Ilk lling, Franz Ilona Ilovaisky Ilya llya Ilya llza Im Indio, E l Indio, El Inès Inessa Inkov Innokenti(ev) Insam, Kk G. Intelvi Intendant Inverni, Carlo louline lourovsky lossif, F.I.

H.R. Isaacs Chi/US A, Heifisz (Gouralsky) SU Anton Mavrak Jug SU B,Z. Choumiatsky Dimitar Ditchev Bu! Perpelua Rojas Sp José Gallo Unarmmo Sp Muhmm&d Kushi Ind Lazar Chaîskine SU Schneider Ger Sadachika Nabeyama Jap Wolf Auerfaakh Pal Jan Paszyn Poi Maria Maciejewska Pol Aleksandr Ger Parvus-Hephand Fritz Grosse Ger Fr Pierre Pascal Boris I. Goldman SU M. Izrael Hun Ger Richard Sorge lordan Katrandjiev Bul Elie Maïssi Fr Otto Maschl Oes Heinrich Brandler Ger SU EM . Yaroslavsky Rajko Jovanovié Jug A.F. Iline-Jinevsky SU Suchodotiski Pol Julius Brun Pol Hans Glaubauf Ger D. Jankovié Jug V.R. Menjinsky ■SU B.Z, Choumiatsky SU MiliouS Jug Jug Ivo Lola Ribar D. jankovié Jug Imanuel Mejsnar Cz Rodolfo Gftioldi Arg Manuel Hidalgo Plaza Chil Tulchnitska (ép. SU Gouralsky ?) Inès Steffen-Armand Fr Niklaus Krebs (F. Wolf) Ger ï.F, Doubrovinsky SU Khristian Rakovsky SU Eugenio Curiel It Fr Georges BartholSet Vittorio Foa II Pol Julian Lenski SU lossif Ounschlicht I.F. Bauman SU

pseudonym es

lova Iperoig Iranski Iren Iren Irène Irish Irlan Irma Irma Irma IS Ishibashi, Yogo Iskrinsky Islas, Edouard Ismaïlov Ismar Isolde Issac Istomine, Al Italo Ilszok Ivan Ivanov Ivanov Ivanov Ivanov, Ivan Ivanovitch Ivanovna Ivanovsky Ivica Ivin A. IvNik haoudov Ilba J. Izdatel lynaïlov Izmaïlov

Lev Sedov Fr Victor de Azevedo Bra Fedor Rothstein US Stojan Minev Bul Ilya Ehrenbourg SÜ Andrée Smersman, née Bel Bruntea Cripnici Vaughn O’Brien US Mateo Fossa Aig Perpetua Regas ou Rojas Sp Walter Uibricht Ger Irma Heilrich (Petrova) Ger H.R.Isaacs US Sadachika Nabeyama Jap M,N. Pokrovsky Sü Pedro Milessi Arg Si Mai ai IIvo Mereiles Bra D. Petrovsky US Aleksandr Abramson SU Huang Jiu Chi Luigi Longo It Joseph Chapiro S\',1 Daniel Riedel Sü D.Z. Manouilsky SÜ Vassil Tanev Bul Maurice Thorez Fr Eduard S.Dimé SU Staline SU Elena Stassova SU A,S. Boubnov SU Josip Broz Jug A.A.Ivanov B1 IN . Smirnov SU Chen Changhao Chi Jaroslav Kabes Ci V.D. Bontch-Broiiévitch SU Simai Chi Zhang Wenîian Cn.

J Sa Jac Jaccard Jacek Jack Jack Jack Jack, Ferdinand Jackson, Charles Jackson, Tom Jaco Jacsort Frank Jacob Jacov Jacobsen, Jo Jacopo Jacqueline Jacquemin

Jakob Waîcher Mario Bavassano Eduard Fimmen F.E. Dzerjinski Arnold Retd Franciszek Fiedler Groupe Dewar Edmond Jacquemotte Edgar B.Keemer Albert Nuzla Mario Bavassano Ramon Mercader Benjamin Feingold Hermann Jacobs Reich Giuseppe Serti Anna Przenioslo Charles Bettelheim

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R épertoire Jacques Jacques Jacques Jacques

Jacques Jacques Jacques Jacques

Jacques Jacques Jacques,

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Jacquet

Jacquet Jacquin Jacson, Frank Jadransky

Jdger Jàger, Otto Jagen Tom de Jagié Jahn, prof Jéoda, Bedrich Jahoâa Jtème Jctin N.M, Jakopoviô Jakub Jûkubovicz Jamagata Jamazaki James James Jantes James Jmes> George James, Miss Jân Jân Jân Jân Jân Jancszun Jan Zhoulai Janda Janda Janda Janequette, William Janev Janicki Janin Jankl

Jankovié Jankovié Jankowski Jankowski Jankowski Jannasch, Johann Jdnos Janovicz Janbwski Jansen

Jean Baillet Ivo Baljkas Heinrich Buchbinder Edouard Cormon Giulio Cerreti José Garcia Avecedo Marcel Hamon Giacobîe Levi Marcel Paul Harry Robinson Jacques Tchernobelsky Auguste Havez Victor Meert Jean Jurquet Ramân Mercader Rajko Jovanovié Walter Nettelbeck Heinz Neumann Erich Gentz Miljo Gretski Georgi Dimitrov Josef Guttman Otakar Cernich Tito Vezio Batini Lotelawalla Josko Stanié Jerzy Sochacki Bronislav Berraan Karlis Jansons Karlis Jansons Victor A. Barron Choubine Eüzarova Elizarva Gerry Healy Trotsky James Reich Jan Bazant Iakov Davtian Jan Frankel Richard Krebs Ludwig Ries Alfred Lampe Oscar Taikhanov Christian Broda Vladimir Copié Vladimir Copié Harnson George Dimo Ditchev Benjamin Goldflam Yvon Delcourt jân Frankel Kamilo Horvatin Istvân Kmdeij Bronislaw Berman Juliân Brun Féliks Kon Stanislaw Huberman Istvân Molnar Ronovicz Boleslaw Bierut Otto Kuusinen

913

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Fr Jug Swi Fr It Sp Fr Bel Fr Ger Fr Fr Bel Fr Sp Jug Ger Ger Ger Bu! Bul Cz Cz Bra Ind Jug Pol Pol Jap Jap US SU SU SU GB SU SU Cz SU Cz Ger Ger Pol SU Oes Jug lug US Bul Pol Bei Cz Jug Hun Poi Pol Pol Pol Hun Pol Pol Fin

Jansen Jansen, Cari Jansky, Karel Janssens Janssens Janusz Japy Jar (JAR, J.A.R.) Jarbas Jarecki Jaro Jaro Jarocki, Wassilij Jaroslav Jaroslav, Karl Jaroslavsky Jarville, Robert Jasia Jasins Jasinski Jasinska Jasinski Jason, V/alter Jaworski Jay Jean Jean Jean Jean Jean Jean Jean Jean Jean Jean Jean (Cdt) Jean-Jacques Jean le Muet Jean-Louis Jean, Victor Jeanne Jeanne Jeanne Jeanne Jean-Christophe Jean-Claude Jean-François Jean-Michel Jeannot Jean-Pierre Jean-Pierre Jean-Pierre Jean-Pierre Jeanselme Jeantet, Charlotte Jehan Jelenski Jelesov Jelesov Jelemiak

Jan Proost Kariis Jansons Jiri Kortatko Emile Altorfer Louis Verheyen Jerzy Heryng (Ryng) Charles Tillon Juan Andrade Rodriguez Domingo Bras Alfred Lampe Djuka Cvijié Janko A.Czekin Karel Knofliîek Augustin Schram V.S. Nesterovitch Emilien Mezemenc Maigorzata Fomalska Kazimierz Cichowski Kazimierz Cichowski Maigorzata Fomalska Maigorzata Fornalska Branko J.Widick Mieczyslav Bemstein Gregory Bardacke Joseph Chaumeil Franz Dahlem Jakov Davtian Jan Frankel Hans Holm Anton ïvanov François Koral Felice Piatone Maurice Thorez Richard Schüller Wiktor Bardach Jean Tchernobelsky Gustave Galopin Jean de Soubeyran de Saint-Prix Victor Joannès Fanny Guingold Jeanne Oppmann Elena Ounschlicht Judith Rayski Jules Humbert-Droz René Villa Jean Chaintron Henri Gourdeaux Jean Hemmen Gaston Cané Albert Crémieux Sândor Strauss Constant Colin Raymond Molinier Dolorès Garcia Echevarrieta Mélis Usdenski D.N. Blagoiev G. Mikhaïiov NX Tolmatchev

NL US Cz Bel Bel Pol Fr Sp Bra Pol Jug Jug Jug Cz Cz SU Fr Pol Pol Pol Poi Pol US Pol US Fr Ger SU Cz Ger Bul Fr It Fr Oes Pol Fr Fr Fr Fr Ger Pol SU Pol Swi Fr Fr Fr Fr Fr Fr Hun Bel Fr Sp Bel Pol Bul Bul SU

914 Jelka, Jelié Jenô Jenô Jens Jensen, Cari Jep Jérôme Jérôme Jérôme, Jean Jerzy Jerzy Jerzy Jerzynski Ji Bugong Ji Chang Ji Ming Ji Shugong Ji Yen Jia Jiac Jian Jianshang Jian Ytng Jim Jim Jimel Jimenez Orgue, Julio Jimmy Jing Hua Jing Zhat Jirka Jiu Xien Jiu Xiong Jix Joachim Joachim Joad Joan Joaquin Joe Joe Joe Joffe, AA. Joffe, A,M. Jàggi Johann Johann Johann Johnson Jones Jorczek John Johny Johnson Johnson, Charles Johnson, J.R, Johnson, Ruth Johnston R Johre S.L Joinville Joko

R épertoire BoSkovié Evzen Fried Josepf Wienermann Herbert Warnke Karlis Jansons Tan Malakka David Retchisky M.N. Raptis Michal Feintuch Mieczysiâw Broriski Ostap Dluski Adolf WarskiWarszawski Adolf WarskiWarszawski Qi Shujong Li Dazhao Li Dazhao Qi Shugong Chen Duxiu Li Lisan Mario Bavassano Chen Duxiu Li Dazhao Jean Kessîer Jakob Walcher Otto Maschl Vladimir K. Glinoievski CLR James Qu Qiubo Luo Yinong Jin Kopp Ou Fang Liu Shaoqi William Johnston-Hicks Hermann Remmele Fritz Wum Sam Gordon Richard Schüller Gômez Acutia Sam Carr Joseph Friedman Joseph Hansen Viktor Krymsky A.M, Deborine Jakob Hereog Paul Bertz Hiller Richard Sorge Karl Jansons Otto Hall Josip Broz Paul Wassermann James Deane Karlis Jansons Karlis Jansons CLR James Ruth Benson Florence A.Custance Josef Weber Alfred Maileret Joseph Kohn

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Jug Cz Hun Ger Let Indo Fr Gre Fr Pol Pol Pol Pol Chi Chi Chi Chi Chi Chi It Chi Chi Fr Ger Oes Bul Tri Chi Ch Cz Chi Chi GB Ger Ger US Oes Sp Can US US

su su Swi Ger Ger Ger SU US Jug Ger GB SU US Tri US Can Ger Fr Ger

Jola Jones Jones Jones Jonni, Jonny Jonny Jorano Jorga Jorge Jorge Jorge, Hans José José José Luis Josef Josef Josef Josef Joseph Joseph Joseph Joseph Joseph Joseph Joseph Joseph Joseph Joseph Joseph A. Joseph Max Joséphine Joszka Joubert, Jean

Jouravlev Jourdan Jovan Jovanovié Jovic Joyce, James Joza Jozef JR Juan Juan Juan Antonio Juan José Juan Pablo Juana la Loca Juanin Juanito Juarez Judd, Henry Judim Juillet, Biaise Juin, André Jules Jules Jules Jules Jules Julian Julian K.

Josef Lang Vincent R.Dunne Otto Hall Josef Jakobovits Wilhelm Riechen Johann de Graaf Eugenio Reale John Schehr Szaja Kinderman Joào da Costa Pimenta Hans Kahle Domingo Brâs Joào Mateus Jésus Monzôn Reparaz Heinrich Brandler Karl Frank Siegfried Kissin Gustaw Reicher Staline Georges Beaufils Georges Beyer Heinrich Brandler Amoldo Cantone Joseph Epstein Benoît Frachon Salomon Kharine Henry Optât Vosgerikian Vladimir Dëgott Sepp Schwab V.V.Vorovsky Josef Kafka Eugène Hénaff Bei Ytmfeng Victor Gagnaire Ivan MaJigié Avgust Cesarec Milan Arsenijevié Dwight Macdonald Janko Misié F.E, Dzerjinski Joachim Unger Manuel Azcarate Mendel Mûrochevsky Joaqm'n Maurîn Francisco Garcfa Lavid Gabriel Le6n Trilla Liborio Justo Juan Femàndez AyaM Francisco Garcfa Millau Sandalio Junco Stanley Pîastrik Salomon Ehrlich Charles Tillon Serge Dome Mario Bavassano Eugène Hénaff Henri Laurent Raymond Molinier Henry Optât Wemberisch Jerzy Sochacki

Ger US US Oes Ger Ger It Ger SU Bra Ger Bra Bra Sp Ger Oes Ger Pol Fr Fr Ger It Pol Fr SU Bel Sü Sü Ger SU Cz Rr Chi Fr Jug Jug Jug US H Pol Ger Sp SU Sp Sp Sp Alg Sp Sp Cub US Pol Fr Fr It Fr Bel Fr Fr Ger Pol

R ép er t o ir e Julianski Julianski Julien Julien, Alfred Julienne Julik Juline, K. Julio Julio Julio Julio, Mario Julio, Miguel Julius Julius Julius Julius Julski Jung Jung A. Juniper Junius Junius Junius Junker Junosza Juranâir Jupp Jurck Jürgens, A. ou Léo Jurka Jurowicz Jury, Kalino Jury Justo Justus

Jerzy Sochacki Pol Julian Brun Poi Pietro Tresso It Paul Rüegg SU Deborah Seidenfeid Pol Wenze! Kozlecki Ger Lenski Pol Heitor Ferreira Lima Bra Paco Mera Sp Heitor Ferreira Lima Bra David Serrano Mex Andonegui David Serrano Mex Andonegui Gyuiâ Alpari Hun Wiïii Beokel Ger Wenzel Kozlecki Ger Mark Rein SU (Abramovitch) Leszczinski (Lenski) Poi Abraham Heyfetz SU (Gouralsky) Rodolphe Prager Ger Julius Emspak US Rosa Luxemburg Ger Cz Alois Adaïbert Hocî) Herbert Solow US Adam Maksymiuk Pol Wladyslaw Stein Pol Joaqum Camara Ferreira Nra Josef Weber Ger Josef Weber Ger Léo FUeg Ger Joseph Epstein Pol Pol Kazimierz Cichowski Djuro Cvijié Jug Jan Paszyn Pol David Serrano Mex Andoneguf Swi Jost von Steiger

Jv K K.T. Kabusaburo Yashiro Kachine Kaiarba Kai Feng Kai }ïn Kairos, Anton Kaizuka Kaliarik Kalina Kalle Kam Kamen Kamensky G. Kamil

N.V. Kroupskaîa VI, Lénine Sadachika Nabeyama Liu Ying Lev M. Karakhane Liu Shaoqi Zhang Guotao Ev2en Fried Toshihiko Sakai Ladislav Hôldôs Julian Leszczinski (Lenski) Artur Illner L.B. Kamenev Pajetta Doiecki Evzen Fried

915

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SU SU Jap Chi SU Chi Chi Cz Jap Cz Pol Ger SU It Pol Cz

Kaminskaia Kaminski Kaminski, Bronislav Kaminski, Henryk Kaminski, Jacques Kaminski, Slanisiaw Kamo Kampfer Kampfer, Johannes Kdmpfer, Johannes Kampfer, Ruth Kamy Kan Yulou Kandic Kang Hsin Kang Sin Kanizsai, îmre Kang Wng Kang Yi Kanzcû KapUnskaia, Bertha Karageorgis, Kostas Karbov Karel Kareno Karesky Karié Karl Karl Karl Karl Karl Karl Karl, Jean Karlovski Kantien, Roma Kame Kami Karolsky Karolsky, Andrzej Karoly, Jôzsef Karos, Jôzsefné Karpaty Karpinsky, S. Karpinsky, S.N. Karpinsky, Tadeusz Karpov Karski, Julian Karrio Karsten, Johann Karsten, Richard Kartothekoviich Kasp Kasperski Kaperski Kassai Kassian Kast Kastritis, Kostas Katajima, Shin Katayama Sen Katelnikov

Sofia Ounschlicht Lajos Dobos Wladyslaw Stein Henryk Stein Unguck Jan Paszyn Abraham Sadek Georges Cogniot Léo Jogiches Julian Marchlewski Ruth Fischer David Kamenovoisky Chen Duxiu Grzegor Vuyovié Kang Sheng Kang Sheng Imre Palotas Kang Sheng Qu Qiubo Walter Gollmick Elena Stassova Kostas Gyftodoumos Ljubomir Todorov Laco Hôldos Ivar T.Smilga Ye Minhchie Fiiip Filipovié Walter Hâhnel Wilheîm Knoche! Kurt Lesse Mavrié Herzsl Mendl Sztokfisz Grzegor Vuyovié Raymond Kamerzin Efraim Goldstein Rima Lazarévitch P. Gelbert Alfred Lampe Kamerzin Abram Weizblum Ferenc Albrecht Irén Benke K. Karolyi A.A. Bogdanov S.N. Ravitch Pawel Finder V.I. Lénine Julian Marchlevski O.S. Tarkhanov Herbert Wehner Robert Korb Hans Pfeiffer V.D.Kasparova Francizek Gzegorzewski Friedrich Feuerherd Géza Oldner Ter-Kasparian Paul Hirzel Loukas Karliaftis T. Sakai Suagturo Yabuki Zhang Guotao

SU Pol Pol Po! Pol Pol Fr Ger Pol Pol Ger Bei Chi Jug Chi Chi Hun Chi Chi Ger SU Gre Bul Cz SU Chi Jug Ger Ger Ger Hun Pol Jug Swi Po! SU US Pol Swi Pol Hun Hun Hun SU SU Poi SU Pol SU Ger Cz Ger SU Po! Ger Hun Arm Fr Gre Jap Jap Chi

916 Kalia Kato Kato, K. Katz Katz, Béla Katz, Pinchas Katz, Rudolf Karikâs, Frygies Kauffman Kauîbach Kavanagh, Jack Kavki Kammura Kay Kay, Helen Kazik Kazika Kazimierz Kazimierz Keats, John Kegel Keil, Alex Keil, M. Keilson Kel Kelemen, Ernô Kelemen, Sarla Keller Keller, Fritz Keller, Jan Keller, Joseph Keller, Werner Kellermann, Alexandr Kelvin Kemeny Kemeny Kemerer Kemp, Paul Kemphausen Kempin Kempinsky Kennedy Kensis Kent Kenyatta, Jomo Ker Kerber Kerber, Gustav Keresztes, Ferenc Kereszti, S. Kerim Aga, Farsi Kerjentsev (VP & PM) Kemorver Kero Kersten, Walter Kessin Kessle Keswar, Ivan Kever Khabawv, MM.

R épertoire

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Elena Stassova SU Jap Manabu Sano SU Staline Herschl Mendl Sztokfîsz Pol Hun Béla Râcz Pal Woif Auerbukh Ger Léo Bauer Hun Jôzsef Ringer Ger Fritz Runge Ger Hans Barion Aus lames Nelson Jap Sen Katayama Jap Shomiro Kasuga Antoinette Konikow US US Helen Goidfrank Pol Léon Purman Pol Edmund Kosczinski Pol Jakub Dutlinger Pol Léon Purman US Kenneth Goff Oes Karl Fischer Sândor Ek Hun Ger Hans (Johann) Schwalbach Ger Willi Lôwenthaî Cz Jan Frankel Ernest Müller Hun Hun Lâszlô Boros Francisczek Fiedler Pol Friedrich Feyerherd Ger Cz Jan Frankel Art Preis US Jan Frankel Cz « Sândor Nôgrâdi » Hun (A. S. Gnmbaum) US James Bumham Pavel Lukâcs (Zalka) Hun Hun Jôzsef Rêvai SU V.T. Taratouta Ger Gerhard Bry Erich Glückauf Ger Peter Utzeîman Ger Ger Karl Herbert Lenz US Robert Stewart Let Janis Lencmanis Viktor Soukoulov SU Johnstone Kamau Ken Louis Antoine Keim Fr Antun Mavrak Jug Ger Karl Thoma Hun Fischer Sândor Keller Huit Nikbin Hassan Per P.M. Lebedev SU Fr Frédéric (Fred) Zelier Louis Antoine Keim Fr Ger Robert Barth ? Stassis Gavrys Pal Yéhel Kossoi Valencia Bol Deje Nemes Hun Chi Liu Renzhou

Khaimov Khantarov Khartchenko Kheritov Khevesi, Akusius Khlebnikov Khosika Khranovitsky, L Khrapovitsky Khristanov Khristian, G. Khristov Kichich, Esteban Kievlanine Kievsky, P. m Kii Kim Kim Kim Tron Kin King, P. Kipfer, Léo Kipinsky, Harry Kiplmskaia, Bertha

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Kirill Kirilsky, S. Kirk Kirsch Kirsch, Heinrich Kiryouchina Kisanko Kiss, Ernô Kissovoy, A. Kiü Kivi, Esko Klamm Klar Klassenkampf Klassner Klaus Klaus Klavdine Kléber Kléber Kleber, Emilio Klecanda, Ludwik Klein Klein Klein, Albert Karl Klein, Herbert Kleine Klein, Victor Kleine, August Kleins Kleist Klemo Kleopatra

A.V. Lounatcharsky su Petko Petkov Bul Mikhaïl Khvatov SU SI. Goussev SU Gyulâ Hevesi Hun VP. Noguine SU V.L Béradze SU Larissa Reissner SU Larissa Reissner SU Oscar Teige Bul Khristian G. Rakovsky su Eduard Kardelj Jug Esteban Vilitch Ur Pierre Pascal Fr L.G. Piatakov SU Erwin Wolf Cz A.O. Tarchis (Pitanitsky) SU loaqum Maurîn S? Julio A. Mella Cub Nguyên Tuan VN Lev Sedov SU Y.P. Song Chi Fritz Rück Ger Maurice Spector Can Elena Stassova SU A.P. Berezovsky SU M.M. Grusenberg SU (Borodine) S.F. Kavtaradze SU Clara Frazier US Djuro Cvijié H Heinrich Wiatrek Ger U Cailan U\ A.S. Boubnov SU Istvân Czisrnaf Hun A. Kaiourov SU Marguerite Montré Fr Fin Herikki Repo Max Schmidt Ger Grzegor Vuyovié Jug Bra Rodoifo Lauff Ger Paul Wandel Gei Fritz Heckert Ger Hermann Nuding SU Emelian Yaroslavsky Fr Fernand Beccard Ff Jean Chapon Oes Manfred Stem Ci Kan Krejci Jug Djuro Cvijié Jug Nikola Kovaievié Ger Albert Zwicker Ger Bernard ? SU Samuel Haifisz SU Victor Kibaltchitch (Serge) SU Samuel Haifisz Let Mauscher Ger Willi Kerff Cz Klement Gottwald Ger Irmgaaid Raasch, ép. Enderle

R épertoire Klevkin, Vass. Pavl Klimov Klinger Klinger, Otio ou Max ? Klivar KM KMar Knaü Kneiler, Léo Kneuser Knerz Knorke Knorke Ko Koba Kobecki, S. Kobal Kôbes Koch, Maria Kochewa, M. Kôczkas, Ferenc Kodak Kodel Kodra, Lame Koeller, Fritz Koenig Koenig Kohn Kohoutek, Frantisek Kol Kolar, Stavko Kolarovitch, V. Kolec Koller Koüa Koliadine, 0. Kolokol Kolokohsev Kolossev, G. Kôloszvary, Balazs Kolsky, Josef Komarov, S. Komi Komkor Komlosy, Sândor Kommissarov Kon, Eber Kon Sin Konar Konecki Kônig, Hanni Konny Konopliev Konrad Konrad Konrad Konrad Konrad, Friedrich Konrad, Julian Konstantinidis, Yannis Kûnstantinov, Boris

Wang Wenyuan Evgenii Kuo ou Guo Berthold Grad Curt Geyer Petr Cemy Wemer Scholem Wemer Scholem Erwin H. Ackerknecht Michel Relenque Andor PathÔ Emst Bioch Erich Wundersee Willi Leow I.N.Smimov Staline Kazimierz Baranski Aies Bebler Karl Mewis Rosi Wolfstein Maria Koszutka (Kostrzewa) Ferenc Kôrôs Jules Dumont Ivo Marié Seymuliah Maiiochova Emst WoiSweber I.V, Koniev Deje Nemes Béla Kun ZâviS Kalandra I,N. Smimov Josip Broz V.V. Obolensky Sergéi Al. Petrovié Emst Wollweber N.N. Kouznetzov A.L Rykov I. N. Smimov I. N. Smimov V.D. Bontch-Brouévitch Béla Kun Bauman S,P. Serebrovsky Vital! Primakov A.I. Lapine Zoltan Kamamachey Liu Boqi Michal Cohen Kang Sheng Pelechtchouk Léon Rozine Lucie Bauer Albert Norden Li Shile Fritz Altwein Hermann Dünow Emst Fedem Franz Modlik Jos von Steiger Jerzy Sochacki Yannis Giafkov Vassil Tanev

917

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Chi Chi Oes Ger Cz Ger Ger Ger Fr Hun Ger Ger Ger SU SU Pol Jug Ger Ger Pol Jug Fr Jug Aib Ger SU Hun Hun Cz SU Jug SU Jug Ger SU SU SU SU SU Hun SU SU SU Hun Chi Oes Chi SU Let Ger Ger Chi Ger Ger Oes Oes Swi Pol Bul Bul

Konstantmov, K. Kûnstantinov, M Konstantinovna Kopp, Wilheîm Koralov Korciik Korfialis Kormos, Pal Kornelije, Vuka Komer Kôrner, Paum Korolenko Korondi, Béla Kôrosi Korovina Korpus, Lily Korsak Korsch Korsov, S. Kos Kos, Jaroslav Kosend'tc Kossanyi, Imre Kossert, Hans Kossoy Kossuth-Spillenberga Kostaluka Kosmjek, Ivan Kostecki, Josef Kostia Kostia Kostsin Kostos Kostrzewa, Wera Kot Koté Koter Kotecki Kother, Walther Koti Kotov Kou Kou Koubovitsky Koukoumber Kounom Koumtzov Kovacs Kovacs Kovacs Kovacs, Imre Kovâcs, Istvân Kovacs, Pal Kovâcs, Pal Kovagô, Dezsô Kovagô, Gyulâ Kovalec, I.B Kovâf Kovâr, Vâcldv Kôves, Lâszlô Kowacek Kowalczuk

K. E. Komarov V.I. Lénine Elena Stassova Wilheîm Koenen Franciszek Kriegel Josef Lohinowicz Spiros Priftis Imre Palotâs Avgust Cesarec Karl Hudomal Karl Schrader Yanbg Huabo Béla Dergân Andor Klein Zhai Ruzhi Lily Becher A.A. Bogdanov Wang Zhuling V.I. Lénine Boris Kidrié Marian Buczek Zika Pecarski Imre Palotâs Hans Knodt Yéhelokolovsky Ivan Kishâzi Matija Vidakovié Josip Broz Josef Kolorz A.A. Konstantinov N.N. Krestinsky K.V. Gej Theos Kostas Maria Koszutka Dimitrije Koturovicz Alipi M. Tsintadze Ogorowski Marcel Kallor Adoif Deter Tatana Moisseienko (Gertrud Rüegg) N.M. Eitingon Otto Kuusinen Aaron Goldwasser Pierre Lerouge Paul Fischer Jia Jongshan V.A. Antonov-Ovseenko Aladar Komjat Lajos Honti Ketzenbaum Jenô Rosner Stefan Cora Paul Klein Kafer Feher Stanka Dragié Bedrich Reicin Josef Guttman Kohn Stefan Duchlirtski Aleksander Hiller

SU SU SU Ger Cz Poi Gre Hun Hun Jug Ger Chi Hun Hun Chi Ger SU Chi SU Jug Pol Jug Hun Ger Pal Hun Jug Jug Pol SU SU SU Gre Pol Pol SU Pol Pol Ger SU SU Fin Pol Fr Bul Chi SU Hun Hun Hun Hun Hun Hun Hun Hun Jug Cz Cz Hun Pol Pol

918 Kowalewski Kozen Kowalski Koziol Kozlicki, Cyprian Kraft Kraft, Johannes Krajevié, Marjan Krajewski, Antoni Krakowski Krakus Kramarov Kramer Kramer, Otto Kramer, Otto Krasni Krasny, Jozef Krassine Krntine Kratinos, K. Kratky Kratter Kraus Kraus Kraus Kraus, Franz Kraus, Fryderyk Kraus, Fritz Krause Krause Krause Krebs Kreczynski Krei Krejci, Jan Kresié Krezov Krieger Krieger Krieger, Wolf Kreger, Waher Krimov Kristev ou Kridtiou Kristoforovitch Kristov Krivitsky, Walter Krka Krokavec, Jan Krokavec, Jan Krolik Kronar, EUen Krone Krosnienczyk Kroulikov, Anton Kroumov Krowodorski Kriiger Krüger Kriiger Krüger Krüger, Heinz

R éperto ire Wilhelm Steinitz Toshihiko Sakai Vladislaw Gomuika Stanislaw F. Bobiriski Stefan Krôlokowski Max Seydewitz Léo Jogiches Peter Gasparac Wladisiaw Stein Isaac Deutscher Henryk Stein Domski M l Froumkine Karlo Sîajner Bedrich Geminder Otto Katz Abracha Krasnobrodski Josef Roîstadt Chen Qiaonian Tuure Lehen K. Sklavos Alfred Breslauer Emil Hrsel Gustav BareS Wilhelm Koenen Josef Winternitz Franz Rotter Viteslav Pospisil Wilhelm Koenen Friedrich Deglavs Tiire Lehen Alfred Sorgatz Abraham Heyfetz (Gouralsky) Stanislaw Félix Dobiriski Jan Krejci Livshitz Djuro Cvijié Li Fuchan Vicenzo Bianco Wolfgang Salus Wolfgang Salus Rudolf Morgtes Guo Shaotang Rakovsky G.S.Kossenkov Eduard Kardelj Samuel Ginsburg D.Stanisîavljevîtch Vladimir Clementis Ladislaw Szanto Samuil Kroï Dr Edith Schuman August Creuzburg Wladyslaw Gomuika V.D. Bontch-Brouévitch Ilya Siîev Sefan Krôlikowski Wemer Horwitz Wilhelm Knôchen Theodor Neubauer Karl Polzer Hans Bürger

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Ger Jap Pol Poi Poi Ger Ger Jug Pol Pol Pol SU Jug Cz Cz Bel Pol Chi SU Gre Cz Cz Cz Ger Ger Ger Cz Ger Let Fin Ger SU Pol Cz Cz Jug Chi It Cz Cz Ger Chi SU Bul Jog SU J«g Cz Cz SU Ger Ger Poi SU Bul Pol Swi Ger Ger Ger Ger

Kriiger, Stefan Krugersen Krukis Kruks Krumbügel Krums Krumov Krymov Krymov, Afanassy Krzybalski Ksiadz / Ksiadz Kuan Kuan Sheng Kuba Kuba Kuba Kubarià Kuba Kuba Kubal, Jan Kubin Kuh, Alfons Kuk Kuku Kulcs Kulen Kuki Kulik Kuligowski, Stefan Kulischer Kulski, Stefan Kutnbiigel Km Kunert, Emst Kunert, Franz Kunert, Franz Kunigunde Kunkel, Hugo Kuno Kuns Kunze, Fritz Kuo, Evgenii Kupfer Kupper Kuratov Kurelia, Alfred Kuriek Kurc Kuroki Kurinsky Kurt Kurt Kurz Kurt Kurt Kurt Kun Kurt

Gustaw Reicher Karl Polzer M. Pauser Trotsky Léo Jogiches Janis Lencmanis Ilya Sitev Aleksandr Skoblevsky Guo Shaotang Stefan Wisniewski Josef Ciszewski Alexander Malecki Zhou Enlai Zhou Enlai Kurt Baithel Jakob Dutiinger Jakob Furstenberg (Hanecki) S, MiliouS Jaan Bachrach Jakob Hanecki (Fürstenberg) Leopold Griinwald Otto Niebergall Georgi Dimitrov Yu Latian Otto Kuusinen tiszld Zsenet Marek Tsalen Kurt Liebermann Alfons Barte! Stefan Martens Sândor Rado Stefan Martens Léo Jogiches Djordje Andreevié Hans Bohla Franz FaSk Géza Reimann Jan Bur (Nettelbeck) Hugo Eberlein Fritz Rau Albert Sakkart Efim Silberkneit Guo Shaotang Paul Langner G.LKulik Wladysiaw Feinsteift (Leder) Alfred Bernard Arvo Tuominen Jerzy Heryng Kazüo Fukumoto Istvân Molnar Franz Dahlem Jozef Dycka Wiliy Langrock Willy Münzenberg Heinz Neumann Anton Saefkow Heinrich Süsskind Herbert Wehaer

Pol Ger Let SU Ger Poi Bul SU Chi Pol Poî Pol Chi Chi Ger Pol Pol Jug Bel Pol Cz Ger; Bul Chi Fin Huit Pol Ger;; Ger Pol Hun Pol Ger Jug Ger Ger Ger Ger Ger Ger Est Ger Chi Ger SÜ Pol Fr Fin Pol Jap Hun Ger Han Swi Ger Ger Ger Ger Ger

R ép er t o ir e Kurz Kutz Kurz Kurz Kurz, Max Kusovac, labud Kuth, Alfons Kutner, David Kuus Kuznetzov Kiycharu

Stefan Cvijié Istvân Krasznai Wïily Langrock Emil Sdimiiîinger Josif Jagan Oborov Georgi Dimitrov Aron Skrobek Albert Sakkart Trajko Miskovski Seigen Tanaka

Jug Hun Ger Ger Ger Hun Bui Cz Est Jug Jap

L Labaïrou Laban, Gérard Labord Laborda, A.A. Laborde Labrousse Lacasa lad Laco Lacroix Lacroix, Henri La Cuve Ladi Peter 011 Petro Lada W. LaF Laffaurie, Pierre LaFoll Laforge Laforge Lafouev Lagos Lai Lajos Lakatos, Emit Lakerbaïa Lalic Laloy Lam Duc Tu Lamarc Lambert Lambert Lambert Lambert Lambert Lambert Lambert Lambert Lambert, Léon Lambert, Pierre Lamette Lamill Lammers Lan, R.S. Lancasier

Camuiile Larribère Gerhardt Léo Louis Bonnei Heriberto Quinones Gonzâlez Casimir Lucibeilo Jules Héftin Antonio Mije Garcia Mihaly Jararich Radoslav Hôldos Henri Barbé Francisco Garcfa Lavid Henri Favoriti Sândor Sziklai Zdsisîaw Leder (Vladislaw Feinstein) Suzanne LaFollette Raymond Barbé Suzanne LaFollette Benoît Frachon Marcel Gibelin Ye Qing Reinaldo Frigerio Nikolai Boudberg Joszef Fazekas Lowenwirth Lavrentii Béria Ljuba Radovanovié Radoslav Hôldôs Nguyên Cong Vien Marcel Gibelin Nikoîaï Avatîne Léo Bauer Pierre Boussel Artur London Edouard Fardeau Léon Lesoil Casimir Lucibeilo Raymond Molinier Léo Zuckeiman Pierre Boussel Léon Lesoil Raymond Molinier Wilheîm Koenen Richard Slanskÿ Sol Lankin

919

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Landau Lande Landi Landuzzi Landy, Abraham Lanet Lang lœng Lang Lang, Albert ÎJtng, Franz fjing, Frederick J. Lang, Frida Lange Lange Lange, der Lange, Fritz Lange, Martin Langer Langer, Alfred Langer, Robert Langley Lansing Lansing Lantier Lantos Lanze Lanzi Lao Lao Dai Lao Reh Lapeyre Lapine Lapine, Vladimir Sem. Lapinski, Stanislaw Lapka Lapomme Importe Laporte, Maurice Lappon Larea La Redingote Larew Lari Larme, M. Larine, Youri Larkina Laroche Laroche Laroche, Gaston Larquet Larsen, Heinrich Larsky Lary Larzac Laskowski Lasowiak Lassalle Lassen, John Laszlo, Raoul La Terra, Giovanni

Rosa Tomarkin Hermann Kôhler Mauro Venegoni Ennio Gnudi Karol Witkowski Georges Roudil Vladimir Copié Berthoid Grad Jôzsef Poganÿ Joseph Davidowitz Jakob Rosner Frank Lovell Frida Rubiner Abraham Heyfetz (Gouralsky) Théodore Maly Leopold Hagmüiier Bruno Hartmann Otto Niebergall Georg Scheuer Tuure Lehen Willi Budich Jay Lovestone William Z. Poster Ame Swabeck Marcel Blanc Pal Sebes Walter Ulbricht Pietro Tresso Lao Xiuchao Liu Shaoqi Henk Sneevliet Femand Cortale Charles Dvirba Emelian Yaroslavsky Pawel Lewinson G.A. Aleksinsky Léon Mauvais Peter Mod Emile Drouillas Sândor Sziklai Jorge Semprun Viktor Kopp Alfred Oelssner Camille Larribère Lariss Reissner Moisei Lourié Atchar Singhka A. Schoenberg Paul Thalmann Boris Matline Julien Racamond Heinrich Blücher N.N.Ljubarsky Camille Larribère André Jacquot Julien Leszczynski Tamasz Dombal Pablo Dfaz Gonzâlez Jânos Lékai Richard Lengyel Cesare Aiessandri

Ger Ger It It Pol Fr Jug Oes Hun Fre Ger US Ger SU SU Oes Ger Ger Oes Fin Ger US US US Fr Hun Ger It Chi Chi NL Fr Let SU Pol SU Fr Hun Fr Hun Sp SU Ger Fr SU SU Ind? Oes Swi Fr Fr Ger SU Fr Fr Pol Pol Cub Hun Hun It

920 latour Latychev Laudier Lauer Lauersen Laufen Lauffer, Adolf Laugen Laurat, Lucien Laurens, Marcel Laurent Laurent Laurent, E. Laurent, Marcel Laurent, Pierre Lavan, George Lavaro, Juan Laviel Lavrentiev Lawrence, Frank Lawrence, John Lawrence, L Lazare Lazié Lazo L.D. Le huy Doan Le van Phan Le Wen Song Leandro Lebedev Lebel, Marguerite Leblanc Leblanc Leblanc Lebon, Marie Lebreton ou Le Breton Lebrun Lebrun Lechat Leclair Lecram Léchaud Leclercq Leder, Zdsislaw Ledo, Amerigo Ledo, Amerigo Ledov, V. Leduc Lee Leeds, David Lefebvre, Roger Lefèvre, André Lefort Lefort Lefranc, Serge Legendre Legendre Legendre Legrand

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André Jacquot Fr Xu Zhezniuan Chi François Bilieux Fr Fr Jacques Duclos Dn Axel Larsen Ger Léo Fiieg Ger Léo Flieg Fr Camille Januel Ger Otto Maschl Fr Marcel Body Fr Jean Catelas Ger Aloïs Zimmermann Fr Pierre Navilîe Marcel Body Fr Fr P.-L, Damar US George Weissman Emanitel Curie! Sp Fr Gustave Galopin SU L.I. Kartvelichvili US George Weissman John MacDonald US US George Weissman Roger Roucaute Fr Lazar Stefanovié Jug Lazar Stefanovié Jug SU Trotsky Le hong Phong VN VN Le hong Son Henk Sneevliet NL Fr Rolande Depaepe Bu! Stojan Minev Marg. Moulène, ép. Fr Carrière David Rousset Fr Maurice Tréand Fr Fr Jean Jérôme Oiga Banéié Jug Marcel Cachin Fr François Cuissard Fr Mârio Pedrosa Bra Pierre Katz Fr Michel Braudo Fr Marcel Hatzfeld Fr Maurice Choury Fr Georges van den Boom Bel Wîadyslaw Feinsteis Pol Bra Fernand Lacerda Bra Astrogildo Pereira SU V.K. Vladimirsky Robert Petit Fr Li Dazhao Chi US David Amariglio Fr Michel Braudo Fr Abraham Sadek PaulJany Fr Rum Georges Grynfeld Joseph Ducroux Fr James P. Cannon US Fr Y van Craipeau Fr Magdeleine Marx, ép. Paz Cz Jenô Fried

Legrand Legrand, Henri Legrand, Samuel Legros Legros Legros, Henri Lehmann Lehmann, Otto Lehoz, Giorgi Lei Lei Yin Leiciague, Lucie Leiko, F.L Leinad Leitner Lej, L J & Lejeune Léko Lektorov Lelida Lélis Leliwa Lella Le Loi Le Maguet, Claude Lemaire Lemoine, Marcel Lena Lenardt Lengyel, R. Lenoir Lenoir Lenoir, Pierre Lenomand, Louis Lenôtre Lenotia Lenowicz, Aleksandr Lens, Alejo Leitski, julian Lenski Lensky Lenti, Giulio Lenutza Lenz Lenz Lenzi Léo Léo Léo Léo Léo Léo Léo Léo Léo Léo Léo Léo Léo Léo Léo Léo

Samuel Herssens Henri Féraud Samuel Herssens Benoît Frachon Maurice Tréand Henri Courtade Walter Lanius Samuel Hundert Dimitrov Zhang Tailei Zhang Taiîei Jeanne Leciauguecahar V.I, Lénine Daniel Martin Erich Mielke Pierre Boussel Aleksandr Rankovié Li Ping Stanislaw Bobinski Aaron Glanz Stanisiav Budzynski Vincentella Perini Le duy Diem Jean de Soubeyran de Saint-Prix François Biîloux André Heussier Léo Fiieg Arthur Walker Raoul Câsztô Hanel Faîtenberg Marko Lipszyc Grigori Kagan Georg Semmelmann André Esseî Elena Fiiipovtci Isaak Gordine José Allen Julian Leszczynski Ivan Grzetié Liu Renjing Ezio Zanelli Elena Fiiipovié A. Bergmann Josef Wintemitz Urbano Lorenzini Karl Abasch Alfred Bardin Jacques Duclos Hans Giaubauf Milan Gorkié Walter Hâbich Leonardo Janaccone Hans Kippenberger Etienne Michelli Franz Marek Léon Purman Arthur Ramette Léon Trotsky José Andrés Jacques Le Roux Hany Robinson

Bel Fr Bel Fr Fr Fr Ger Ger Bul Chi Chi Fr SU Fr Ger Fr Jug Xhi Pol US Pol It VN Fr Fr Fr Ger GB Hun Pol Pol Pol Ger Fr Rum SU Mex Poî Jug Chi It Ru Ger Ger It Ger Fr Fit Ger Jug Ger It Ger Fr Oes Poi Fr SÜ Sp Fr Gef

R épertoire Léo Finas Léon Léon Léon A. Léon, Abraham Leôn, Nicolas Léonard Léonard Léonard Leonhard Leonid Leonidas Leonidas Leonidov Leonidov Léonie Uonov Leonov Léopold Léopold, J . Lepetit Lepetit Le Ricard Lerman, L Leroux, André LeRoy Leroy Leroy Lerse Les Leskafck Leskovar, Hermann Lessart Lesse Lessner Lestin Leszak Letié Letoumeur, Marcel Leunoîs, Jean Leuschner, Frieda Lev Levack Levasseur Lève Lévêque Leverrier, Jules Levien, Max Levin, Jorge Levine Lévine, Daniel Levine, Morris Levitsky Lévy, Abraham l*vy, Anton Uwald Lewinski LeWen

Larissa Reissner Gerhardt Eisier Léon Purman Aiida Leonhard Abraham Wajnstock Esteban Rey Albert DeWinter Reris Richard Sorge Joachim Unger N. Eitingon Herminio Saccheta S.A. Youchkjévitch Liu Amlin L.S. Gordon Patricia Gaivâo Naoum Eitingon Mikhaïl Tchahkaia Jacques Duclos J.M. Eseîwein Samuel Haifisz André Tourné Jacques Desnots Louis Bninot (Gronowski ?) Angelo Tasca Joseph LeRoy Hansen Raoul Calas Léon David Franz Modlik Léon Lesoil R Lejsek Josef Huber André Essel Oswald DSnitz Georg Karle Marcel Beaufrère Peirach Kohn Milan Gorkié Jean van Heijenoort Amédée Catonné (Dunois) Olga Benario Walter Habich George Aiîken Abraham Galpérine Eduard Kardelj Raymond Bossus Julian Brun Wiolli Schjul Humberto Mendoza Banados Jack Weber (Jacobs) Paul Le Pape Hermann P.Levine N.N. Popov Abraham Pimstein Lamm A.V. Lounatcharsky Ulrich Oske Ostap Dlulski Qu Qiubo

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Lewis, Sara Lewitt, Martin Lex, Adolf Li Li Chang LI I l Cheng Li Cheng U Do U Facken Li Fu Li Fu Jen Li Furen Li Fusheng Li Jichang Li Hanjia Li Kuang Li Longzhi Li Marnai Li Qangji Li Qinhua Li Shaochang Li Syheng Li Souchang Li Teh Li Wang Li Yangming Li Yimang Li Xirtsheng Li Xuanbi Li Zhao Li Zhizhao Liang Liang, John Liang Daci Liao Chenguyn Liber Libert, Marcel Libih Ucht (Liht) Lichtenstein Lidia Lidin Lido Lieben, Hermann Lieber Liebermann Liedes, Ashti Lifshitz, Malfa Libve Lima Lima Limanowski Lime, Maurice Lin Un, Alfred Lin Gmzhen Lin Chulan Lin Fu Lin Zigu Lin Paichu

Sara Jacobs Martin Seymour Lipset Lex Ende Otto Braun Li Dazhao Elle Maïssi Deng Zhongxia Li Lisan Qu Qiubo Li Sazhaio Zhen Yuandao C. Frank Glass G Frank Glass Zhang Hao Li Lisan Luo Yinong Su Chaocheng Li Lisan Liu Yin Zhoing Yongcan Li Dazhao Li Dazhao Ki Dazhao Li Dazhao Otto Braun Chen You Li Dashao Li Minshu Ma Yufu Li Dazhao Li Dazhao Li Dazhao Liu Yin C. Frank Glass Liang Ganqkiao Chen Yun Marcel Beaufrère Marcel Craste J.E. Roudzoutak Radomir Vuyovié Hugo Eberlein Elena Stassova Albert Htebec Qu Qiubo Albert Hoîopp Ternay Voline V. Bergmann Maria Froumkina Tran Phu Honorio de Freitas Guimarâes José Murât Roman Matys Maurice Feisenchwalbe Li Dazhao Walter Netteibeck (Bur) Zheng Chaolin Zhang Hao Qu Qiubo Luo Yinong Lin Cuhan

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922 Lin Pochu Lin Yuying Linard Linck Lincarès ou Lincarie Lijdine Linde Linden Lindner Lindner Lindt Linier Lino Lino Lino L-koF. Linov Uoubitsky Liova Lipine, S. Lipitskaia Lippmann, Alfred Liso, Florencio Lissner Lissytine List, Albert Liszewski, lieutenantcolonel Litvinov Litvinov Liu Changsheng Liu Bochin Liu Changsheng Liu Ershi Liu Guangming Liu Hanyi Liu Jingren Liu Jingyuan Liu Jingyun Liu Losan Liu Ren Liu Renjun Liu Renyu Liu Zuohuang Liu Shiqi Liu Wen Liu Yanqi Liu Yanchu Liu Ting Liu Xi Liu Xiangzhang Liu Yangcbu Liu Yuyu LhZhiqi Literator Li Marnai Liurze Livadic Livera, S. Livijus Livingstone Livio

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Liu Xuhan Chi Zhang Hao Chi Jacques Doriot Fr Roger Foirier Fr Jules Raveau Fr Cz Albert Hlebec Ger Paul Schlecht Ger Woifgang Leonhard Paul Waltz Ger Woifgang Leonhard Ger Ger Karl Ludwig Raymond Molinier Fr Paolo Ravazzoli It Hilcar Leite Bra Lourenço Justinho Bra V.I. Lénine SU Ho Chi Minh VN V.M. Zagorsky SU Lev Sedov SU D. Zaslavsky SU Blena Stassova SU Ger Johannes Liebers Adolfo Morales Martfnez Sp S.Ginsberg (Krivitsky) SU Enrique Lister SU Karl Wagner (O.Braun) Ger Pol Unguck Dong Ruzhen Le Hong Phong Wang Sianbo Bo Feng Wang Sianbo Liu Renjing Liu Shaoqi Luo Han Liu Rengjing Liu Renjing Liu Renjing Liu Renjing Liu Shaoqi Liu Renjing Liu Renjing Liu Shaoqi Cai Zhende Liu Shaoqi Liu Renjing Liu Renjing Liu Yin Liu Shaoqi Liu Shaoqi Liu Renjing Liu Renjing Liu Shaoqi Victor Serge Liu Yin Liu Renjing Stevan Cvijié Donc de Sooza Josip Broz Fred Hurwitz Paolo Scarpone

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Lev Sedov SU Pierre Boussel Fr Zhang Wentien Chi Wang Sianbo Chi Max Maddalena Ger Enrique Lister Sp Pablo Ldpez ChÜ Jacques Doriot Fr J.H. van Droggenbock Lux Umberto Massola It Ivo Marié Jug Adolf Muk Jug Otto Neustedtl Cz Jean van Heijenoort Fr Lo Han Chi Joachim Unger Ger Stanislaw K.Neumann Cz Ivo Ribar Jug Lilia Ya Ginzberg SU (Estrine) Elena Ginzburg Lola SU (Smimova) Lombard Isaac Baümol Pol Lomine Vissarion V. Lominadze SU M,A. Rojkov Lomzik SU Londinière Jacques Béthinger Fr Long, Mary Maria Kotakova Pol Longobardi Oreate Lizzadri ït Looring, Léo Johannes Meering Est Jan Frankel Lôpez, José Cz Julio Antonio Mella Lâpez, Juan Cub Lôpez, Juan Agapito Garefa Atadeïl Sp Lâpez de Asts, HipoUto Santiago Cacrilio Sp Loran, Stan Stanley Frid US Lore Anne Kerff Ger Theodor Neubauer Lormz Ger Ger Otto Winzer Lorenz Hans Malchow Ger Lorenz, Franz Loris It Bruno Fortichiari Loris Carlos Imaz Uru Loris, Marc Jean van Heijenoort Fr Fr Lorrain Elie Rouaix SU Lorsky Mîron Mirochevsky Losen US H.R.Isaacs Ger Lothar Hermann Jacobs Ger Lothar Wilheîm Pieck Fr Lothringen Charles Hainchelin SU Lvovitch Loti SU Lotov M.I. Kazounine Ger Lotte Kaîhe Lübeck Cbi Lougovoi Jia Zhongzhun Fr André Morel (Ferrât) Louis Swi Louis Jules Humbert-Droz SU Louis Boris Idelson US Louis John Goff SU Louis Boris Idelson Jug Louis Ljubomir Ilié Ger Louis Sepp Schwab SU Louis Lev Sedov Hun Louis, Otto Lajos Dobos Fr Louise Clara Feigenbaum Aleksandrina Rakovskaia SU Louksandra Lj & Ljova U Lo Fu Lo Kng Lobedanz Lobo Lobos, Emilio Lochet Lode, Roelandt Lodi Loewy Loewy Loeffler, Erich Logan, Daniel Loganov Lohse Lokalides Lola Lola

R éperto ire Loulou Loulou Loureiro Louximin Lounine Lov Lovera, Romolino Lovi Lovitsky Lovro Lowen, Hilde Ldwison JJwison Lozovsky, A, ou SA. Lozovsky Lse LuXun Lu Ttyuan Lubeski Lubin Lubovsky, Moriiz Lubra Luc Lucas, Louis Lucholdi, Werner Luciano Lucie Lucien Lucien Lucien Lucien Lucien Lucien Lucien Lucien Lucien Lucien, L. Lucifer Luâek Ludo Ludovic Ludwig ludwig Ludwig Ludwig Ludwig Ludwig Ludwig Ludwig, £ Ludwik Ludwik Luft Luigi Luigi Luis Luis Luis Luis Luis Luis (général) Luise

Michel Muzard Louis Pietri Vaîdevino de Oliveira Marcel Pauker Russiido Magalhâes Miroslav Wolf Luigi Amadesi Adolf Muk N.N. Popov Vladimir Copié Hilde Hausschild Hans Linde Lisa Linde S.A. Dridzo Miron Mirochevsky Joachim Unger Zhou Shuren Lu Yuan Josef Ciszewski Jean Leleu Siegfried Bamatter Lucien Braslawski José Lain Entralgo Marcel Paul Hermann Remmele Luciano Stefanini Claudine Michaut Louis Bonnel Charles Camus Y von Delcourt C. Frank Glass Sania Gontarber Lu Sanh Hanh Ladislas Mandel Conrado Miret Muste Tadeusz Oppmann Lucien Laroulandie C. Frank Glass Josip Abramovié Ignati Rylski C. Frank Glass Rudolf Engel Karl Fischer R. Kleraem Richard Lipset N.M. Poretski Lev Sedov Benjamin Suhl Eduard Alexander Julian Brun Wladyslaw Gomuika Paul Ruegg Luigi Tolentino Pietro Tresso Enrique Castro Delgado Vittorio Codovilla Jules Humbert-Droz Johannes Kürîen Hiiario de Lacerda Manna Emesto Luis Femàndez Aloïsia Soucek

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Luisne Luj Luka Lukâcs, Pavel ou Pal Lukas Lukas Lukaszewicz, Kazimierz Lukhamich Luna Luna, Dionisio Lund Lmd Lunen, Wilhelm Lungo Luo Fu Luo Man Luo Tinong Lupo Luppe Kossuul Lustig Liitzow Lux Lux Luximin Luzicky, Fernand Lvov Lvov L Ly Thuy Lyaline Lyon L. Lyons, Chris Lyubov

Huynkh khuong An VN Lovro Kuhar Jug Anton Bogdanov Bul Béla Frank Hun Kurt Biirger Ger Nikolaus Kunert Hun Kazimierz Cichowski Pol Fan Shaoyuan Chi Rafaël Pérez Candela Sp Juan Andrade Rodriguez Sp Trotsky SU Ernest Erber US Josef Weber Ger Silvio Ortona It Zhang Wentian Chi Li Weihan Chi Luo Jiao Chi Mario Musolesi It Andor Berei Bei Emst Hiibman Oes Bruno Kühn Ger Rosa Luxemburg Ger Pierre Sémard Fr Marcel Pauker Rum Karel Kreibich Cz Trotsky SU L.M. Kliatchko SU Ho Chi Minh VN Zhao Ji Chi Livio Xavier Br John Loeb US Karl Rimm Ger

n Sp Pol Fr US Jug Pol US Ger Oes Ger Ger Pol SU Ger Ger Pol Pol Swi It It Sp Arg Swi Ger Bra Sp Oes

M MA. Ma Maas M.B. Ma Lin Macario Macchi, Francesco Magda McClure McDonald McGee McGee, Jim McKay Mach, Jiri Machado Machado, Augusio Machvuroff, Willy Maciej Maciejewski Maciel, Pedro Maciejewska, Maria Mack McYee, Reschal Madar, Frantikk Madin

Marguerite Bonnet Heinz Neumann Martin Leclercq G. Zinoviev Henk Sneevliet Jan Jolies Galindo Zabardi D.Z. Manouilsky C. Frank Glass Blake Lear Grâce Carlson James P.Cannon William Sherman Vladimir Prochazka Leôncio Basbaum Leôncio Basbaum Wilhelm H.Fehlendorff Marian Buczek Szcepan Rybacki Pedro Milessi Janina ïgnasiak Joseph Vanzler Michel Reschal Vladimir Madera Henk Sneevliet

Fr Ger Bel SU NL NL It SU US US

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924 Madriles Maerlens, Marie Maes Maese, Pedro Maestro, El Mafran Magda Magda Magda Magdeleine Maggi Maggioni Magneux, Lucien Magnin, Louis Magno, Carlo Magnus Magrini Magyar, Ludwig Mahlow, Georg Mahmoud Mahmoud Mahmoud Dr Mahmoud Mahoney Maibaum, Julius Maier Mailly Maislcy, Ivan Major, Jôzsef Major, Tamâs Makar Makorjanc Maksimov Maksimov, N. Maksymowici Malam Malaquais, Jean Malaurie, Jean Malecki Malem Mali Maline, Elena Malino Malj Mallaun, Karl Malien) Mallet Mal Peigné Malou Maller, Frieda Malwin Maly Mamachkine Mamaiévitch Mamader Mammacari

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? Olmedo Martha Desrumeaux Fr Bel Emile Mailer Chil Arturo Sepdlveda Quesada Juliân Villapadierna Sp Garcia Jean Chaumeil Pr Cz Magdalena Dosakovâ-Saiichovâ D.Z. Manouilsky SU Mandalian Tadeusz Ger Marguerite Bonnet Fr Egidso Gennari ït Stjepan Moskovitz Hun Sania Gontarber Fr Louis Daimas de Fr Poügnac Bu! Stojan Minev Richard Gyptner Ger It Aldo Garosci Lajos Miigdorf Hun Ger Georg Krausz Ind Ahmed Habib Kamalesh Baneiji Ind Mohammed Shafïq Ind M.N. Roy Ind GB Roy Farman Cz Julius Branik V. Lénine SU Boris Guimpel Fr SU Î.M. Liakhovetsky Joseph Mayer Hun Elemer Mânyai Hun V.P. Noiguine SU Matije Cecié Jug Ersilkio Ambrogi It A.A. Bogdanov SU Karol Savrycz Pol Arkadi Maslow Ger Vladimir MaSacki Fr Gilbert Serret Fr Alexander Rubinstein Pol Arkadi Tchémérinsky Ger (Maslow) Pajo Grigorié % A. Koliontai SU Rodion Malinovsky SU Jovan Malj§i