Histoire de l'Antiquité [1]

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EDUARD MEYER

HISTOIRE

DE L’ANTIQUITÉ TOME PREMIER INTRODUCTION A L ’ÉTUDE DES SOCIÉTÉS ANCIENNES (ÉVOLUTION DES GROUPEMENTS HUMAINS)

TRADUIT PAR

MAXIME DAVID A GRÉGÉ

DE

l’u

NIVERSITÉ

PARIS L IB R A IR IE

P A U L GEUTHNER

13, RUE JACOB, V I' 1912

ossède la liberté de ses mouvements; s’il veut se soustraire à la volonté collective, celle-ci le contraint à rentrer sous ses lois, ou l’expulse et l’anéantit. Par là se trouve donné un facteur purement spirituel, issu, sans doute, de besoins concrets, mais qui n’est pas objet de perception sensible; il n’en a pas moins une pleine réalité et agit comme tel sans interruption, mais seulement par des processus psychiques (conscients ou non), par l’influence de l’idée du groupe sur la conduite de l’individu. Il en est ainsi pour tous les grou­ pements animaux : l’individu, l’abeille ou la fourmi par exemple, n’est concevable que comme membre d’un tout plus étendu, dont ses actions servent les fins, souvent jus­ qu’au sacrifice de sa propre existence. Jusqu’où peut aller chez les animaux le développement de groupes organisés, c’est ce que j ’ai souvent observé, il y a 30 ans, à Constanti­ nople, sur les chiens des rues ; ils s’étaient organisés en quartiers, séparés par des démarcations tranchées, où ils ne laissaient entrer aucun chien étranger ; et, chaque soir, tous les chiens de chaque quar­ tier tenaient sur une place déserte une réunion qui durait environ une demi-heure, avec des abolments animés. Ainsi l’on peut ici parler proprement d’Élats de chiens, délimités dans l’espace.

fl. Il en est de même jrourla vie de l’homme, dès le début.

L EVOLUTION POLITIQUE ET SOCIALE

Car si nous admettons, dans l’histoire de l’évolution, que l’homme est sorti d’un animal supérieur, et pouvons nous attendre à voir s’accroître, grâce à de nouvelles trouvailles (v. § 600), le peu de traces d’ un tel anthropoïde, qu’oii a jus­ qu’ici découvertes, il ne saurait faire de doute qu’un être ayant la nature physique de l’homme ne pouvait absolument se produire et se conserver que si l’évolution intellectuelle marchait de pair avec l'évolution organique, l’une réagis­ sant continuellement sur l’autre. Cette évolution intellec­ tuelle, — on peut dire, entérines physiologiques, le dévelop­ pement de la substance corticale, — forme l’indispensable complément de la constitution organique et supplée aux grands défauts qui s’y attachent; en première ligne, peut-être, doit-on considérer ici l’extrême lenteur du développement de l’enfant, qui rend singulièrement plus difficile la conser­ vation de l’espèce. Mais l’ensemble de l’évolution intellec­ tuelle de l’homme supjiose l’existence de groupements déli­ mités. Avant tout, l’outil le plus important de l’homme, le langage, qui seul en ïait un homme, et qui seul a permis le développement de notre pensée formulée, iie s’est pas créé chez l’homme isolé ni dans les rapports des parents avec les enfants : il naît du besoin de communication entre égaux, grâce aux intérêts communs et aux relations réglementées entre des êtres unis. Mais, en outre, l’invention des outils, l’acquisition du feu, l’élevage des animaux domestiques, l ’établissement dans des habitations, etc., ne sont possibles qu’à l ’intérieur d’un groupe, ou du moins n’ont acquis d’im­ portance que pour cette raison, que ce qui a pu tout d’abord réussir à un individu devient propriété du groupement tout entier. Que, de plus, les mœurs, le droit, la religion et tout autre bien spirituel n'aient pu prendre naissance qu’au sein de tels groupements, c’est ce qu’il est inutile de montrer plus au long. Par conséquent, l'organisation en de tels groupe­ ments (hordes, clans), que nous rencontrons, empiriquement, partout où nous connaissons des hommes, n’est pas seule-

GROUPEMENTS SOCIAUX ET COMMENCEMENTS DE e 'ÉTAT — S 4

ment aussi vieille, mais beaucoup plus vieille que l’homme : elle est la condition préalable do la naissance même du genre humain. Cette considération met en lumière la contradiction interne que renferme la conception, issue de représentations mythi((ues, qui fait descendre d'nn couple unique le genre humain fout entier, ou même un peuple unique. 'i. Entre les groupements où s’est ell’ectuée l’évolution du genre humain, a-t-il existé, dès l’origine, de.s dill’ërences physi(|ues et psychiques de race? Ou bien y a-t-il eu un temps où tous ces groupements étaient aussi semblables que plusieurs troupeaux de la même espèce animale ? Nous n’en savons rien (cf. § .16). Ce qui, en revanche, ne fait pas de doute, c’est que l’évolution ultérieure a, sinon créé, du moins continuellement accentué une telle difl'érenciation. Chaque groupement devient possesseur d’un fonds héréditaire, transmis et accru de génération en génération, de proprié­ tés à la fois physiques et, surtout, spirituelles : acquisitions matérielles, idées, coutumes et institutions, que nous embrassons sous le nom de civilisation. Eu dépit d’une concordance dans les traits essentiels, ce fonds diffère spé­ cifiquement, dans le détail, d’avec celui de tout autre grou­ pement. Ainsi s’ajoute à la séparation extérieure des groupe­ ments une différence intrinsèque : contrairement à ce qui a lieu pour les animaux, pour une bande de cerfs, par exemple, ou une troupe d’abeilles, chaque groupement humain pos­ sède un caractère propre, une individualité déterminée. Cette évolution trouve un contrepoids dans le constant échange physique et spirituel qui s’accomplit d’un groupe­ ment à l’autre, et ipii les réunit à nouveau en groupes plus étendus, essenliellenient homogènes (§ 3.5 et suiv.). Mais les mêmes tendances opposées s’exercent également au sein de chaque groupement particulier ; la civilisation, en se déve­ loppant, crée des différences, à la fois dans la situation des individus qui en sont membres, et dans leur capacité de s’approprier et d’accroitre le bien Iransmis en héritage ; elle

L ÉVOLUTION POLITIQUE ET SOCIALE

produit, en même temps, une variété toujours plus grande de ressources vitales. Par là, les dispositions particulières, tant physiques qu’intellectuelles, de l’individu obtiennent un champ de manifestation de plus en plus étendu, qu’on leur reconnaît et qu’on met à profit de façons très diverses; et le caractère de l’homme individuel, non seulement acquiert ainsi une importance autonome pour sa propre vie, mais en même temjis réagit sur la conslilulion de la collectivité. Au sein du groupe homogène se forment des oppositions entre les capacités, les volontés et les fins, qui conduisent à «les conflits susceptibles de bouleverser l’ordre du groiipemeiil, voire d’en rompre l’unité. Mais, précisément .alors, la force contraignante des facteurs universels, qui ont amené l’orga­ nisation en groupements sociaux, n’apparaît que plus forte­ ment en lumière. Un individu peut bien parfois, dans des circonstances particulières, pendant quelque temps, s’affir­ mer indépendant, et mener, comme brigand par exemple, ou comme solitaire, une existence isolée ; finalement, il retombe toujours dans les groupements organisés, s’il ne réussit pas à rnssemblei'liii-mèiiie un nouveau groupe au­ tour de lui et à devenir ainsi le fondateur d’une nouvelle association. Et de même, les débris d’un groupement dis­ sous ne conservent une possibilité d'existence que s’ils peu­ vent s'unir en une foi’ination nouvelle ou s’agréger à des groupements déjà existants. 5. Partout où nous soiiiines renseignés sur la maniè d’être des hommes, nous rencontrons, non pas, comme chez les animaux grégaires, un seul groupeiiieiit social, mais une pluralité de groupements. (|iii s’englobent les uns les autres, et aussi s’entre-croisent. De petites collectivités, tribus (Stämme), hordes, établissements locaux, sont associées entre elles, ou directement réunies eu un Etat qui les embrasse, ou tout au moins se sentent les parties d’un toiitplusé tendu, d’un peuple. A l’intérieur des tribus il y a des phratries (Blutsbriiderschaflen;, des clans (Clans), des familles \Ge~

GROUPEMENTS SOCIAUX ET COMMENCEMENTS DEL ETA T---5

schlerhter), qui peuveul à leur tour s’étendre à travers plu­ sieurs tribus ou sous-tribus, cl créer ainsi, entre membres de plusieurs tribus, un lien coiumuii, — plus lard, des divisions politiques et militaires, des communautés cultuelles, des "roupemcnis professionnels; rinflueuce de l’habitat se ma­ nifeste dans des groupements cantonaux et des communau­ tés de village, etc. Ces groupements diffèrent entre eux tant par les fins auxquelles ils servent que par la façon plus ou moins énergi(|ue dont leurs membres y sont incorporés. A ipiels groupements appartient chaque individu, c'est ce qui jamais ne fait de doute, non plus i|ue de savoir ar ailleurs, s’élendi e de leui- côté leurs efforts et leurs fins propres. 11 peut bien lui-même, en tant ipie tout, contracter, de gré ou de force, d’une manière passagère ou durable, un lien ferme avec d’autres groupements semblables, subordonner sa volonté à une volonté étrangère et plus forte (par e.xemple, à titre d’Etat vassal); ])our ses membres, en revanche, il ne reconnaîtpas, en cas de conflit, d’obligation envers iin groupement étranger; au contraire, il les sépare de tous les autres hommes d’une

l ' é v o l u t io n

p o l it iq u e

et

s o c ia l e

façon tranchée. Cette forme dominaiile du groupement so­ cial, ([ui renferme en son essence la conscience d’une unité complète, reposant sui‘ elle-iiicme, nous l’appelons l^lal. Nous devons par suite considérer la société poliliipie, en un sens non seulement conceptuel, mais encore histoi*i(|iu’ , comme la foiiiie primaii*e de la communauté humaine, voire mémo comme le gi*oupoinenl social corresponHaiil au trou­ peau animal, et «l’une origine plus ancienne iclls), droit mater­ nel, 10, n. Khause, a ., 02, 11. Langage et linguistique, 1 et ii., 3. — Famille linguistique, 37. Lihunics, régime matrimonial, 10, n. Libyens, mariage et droit maternel, 10, n. ; amazones, 20, n. Linguistique, v. Langage. Litige, 16. L ittm ann , E., 9, n.

Livres religieux, v. llcligion. Lune ^Culte de la), 09. L üschan (Von), 141, n. Lusitaniens, absence de droit ma­ ternel, 10, n. Lyciens, droit maternel, 10, n. M Ma'at, divinité égyptienne du droit, 75.

Madelainc (La), civilisation paléoli­ thique, 143, n. Magic, 47 sq. ; evolution, 67, sq.; magiciens, 32, 48, 94. Malates, v. Picles. Mariage, essence, 8, 9; différentes formes, 10 sq. ; théories modernes, 7; situation des femmes dans le mariage, 20 ; rapt de femmes, 33. Maspero , G., 147. Massageles, coutumes, 10, n., il, 12 et n. Maternel (Droit), 10 et n., 20; son existence prétendue chez les Sé­ mites, 10, n. Matriarcat, v. Maternel (Droit). Âléroé, mariage et droit d’héritage des femmes, 10, n. Métèques, 34. Mexicains, 49 et n., 68. Mois, 437. Morale, essence et origine, 14, 15; rapport avec la religion, 71, 72, 74 sq., 76 sq. Morls (Culte des), 9, 58 sq. ; cf. En­ sevelissement et Ancélres (Culte des). Mossyiicques, mariage, 10, n. Müller , Max, 1, n. Müller , S ophijs, 143, n.

Mythe; pensée mythique, 47 sq.; dans les arts techniques, 94; in­ fluence de la fantaisie, 97 ; mytho­ logie comparée, 57; mythes des (lieux, 57, 70; leur transformation, 74, 76; mythes de la création du monde, v. Création. N Nasamons, mariage, 10, n. ; culte des ancêtres, 59, n. Nationalilc, 38 sq. N iebuhr , B. G., 146. N , F ., 102. ie t z s c h e

r

Noblesse, origine, 22, 31, 32; aristo­ cratie, 25 sq. NOldeke , 11, n.

Nom des esprits et des dieux, 51,53 ; d’hommes et de tribus, 55 ; dation de nom, 97. Nombres sacrés, 47 ; cf. Sept. O

Orientale (Cosmologie), v. Babylonic. P Padéens de l’Inde, mariage, 10, n. ; mise à mort des vieillards, 12, n. Paléolithique (Civilisation), 143, n. Patriarcal (Uégime) du mariage et de la famille, 10, 12, 20. Pédérastie, 48, n. « Pères », esprits des morts, 59. Phéniciens, invention de l’alphabet, 123. Philosophie, 90, 91 ; philosophie de l’histoire, 102, n. Phratries, 5,9. Phylai, 6.

Pietés, communauté des femmes, 11 et n. Pierre, siège des dieux, 54; age de pierre, v. Paléolitiquc (Civilisa­ tion). Pisidieus, culte des ancêtres, 59, ii. Platon, 77, 113, n. Polyandrie, 8 ; à Sparte, 11, n. ; chez les Sabéens, 11, n. Possédés et fous dans la religion, 48, 81. Préhistoire, t, 23, 143 et n. Prêtres, 32, 64, 79 s([. ; décisions ju­ diciaires, 16. Progrès indéfini (Idée de), 102. Prophètes, 80 sq. Propriété, évolution, 18sq., 22; pro­ priété foncière collective, 31, n.

Prostitution sacrée chez les Sémites, H. Psychologie et histoire, 104,106,114, 118. H Uace, 36. R anke , L., 104 et n.; Jlisloive uni­ verselle, 146. R atzel , sa conception de l’ Ktal, 5, n. R auh , s ., 12, n. R aw u n so n , g ., 147, n. Réforme, v. Christianisme. R e i n h a r d t , 143, n. Religion, essence, 47 et n. ; défini­ tion, 47, n., 50 sq.; — , tradition et État, 71 sq., 100; transformation interne, 74, 75 sq. ; l’absurde dans la religion, 88 ; histoire des reli­ gions, 65 sq.; séparation d’avec l’Ktat et la nationalité, 85 sq. ; re­ ligions universelles, 85 s(j.; livres religieux, 88. Repas, signification religieuse, 48, n., 32. Romains, mariage, 11, n. ; païria poleslas, 12,13, 20; situation des vieillards, 21 ; conceptions sur l'ori­ gine de l’État, 13. R oon, opinion sur l’objet de la re­ cherche historique, 113, n. Royauté, 26 sq.; divinité des rois, 34. S Sabéens, polyandrie, 11, n.; mariage du fils et de la mère, 12, n.; rei­ nes, 10, u. Sacrifice, 32; disparition du sacri­ fice, 74, 103. Sang; parenté par lo sang, 7 sq. ; droit du sang, vengeance du sang, 16, 33; magie sanglante, 32. Saracènes, mariage, 11, n. Sardes, mise à mort des vieillards, 12, n.

Sarmates (Sauromates), amazones, 20, n. SCHLE1ER.MACHER, définition dc la religion, 47, n. SciiXfer , D., 100. Schleicher , A, 1, n. ScHURTz, II., 8, n. Science, 90, 91,92, 93. Sémites, sacrifice, 32 ; représentations relatives aux morts, 37; mariage. I l et n.; prostitution. H ; situa­ tion des enfants, 12;des vieillards, 21 ; constitution politique, 28. Sept (Nombre), 47. Sexuelle (Vie), 7, 8; conception ma­ gique, 48, n., 32. Sigynncs, peuple iranien d’Europe, 20, n. S.MiTii, R o b ., 10, n.. I l , n. Soleil, divinité, 60. Sparte, mariage et éducation des en­ fants, 11 et n.; situation des vieil­ lards, 21. S t a d e , li, 62, n. Stam .m lër, R., 13, n. Steinth al , 47. ï Tapyres des bords de la mer Cas­ pienne, mariage, 11, n. Thraces, mariage, 10, n. Thucydide, 134. Tibarenes, couvade, 10, n.; mise à mort des vieillards, 12, n. Tlinkils, peuple de l’Amérique du Nord occidentale, croyances rela­ tives aux âmes des morts, 62, n. Tombes, attitude accroupie, 61. TOi’ Peeb, 10, n ; 20, n. Totémisme, 54, 55, 62, n., 97. Tradition et individualité, 41 sq., 99 sq.; dans la religion,71 sq., 78, 87 sq. ; dans l’évolution de la pen­ sée, 91 ; des arts, 98; tradition his­ torique, 128 sq.

Tribu et Ktal, 6 sq. ; dieux tribaux, oJ sq. Troglodytes, droit maternel, 40, n. ; mise à mort des vieillards, 12; traitement réservé aux cadavres, 42, n. U

Vnccécns d’Espagne, partage de la propriété foncière, 31, n. Végétation (Dieux de la), 51, 57, G3 sq. Vieillards ; traitement réservé aux vieillards, 42 et n. ; situation poli­ tique, 21; conseil des anciens, 21, 25.

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Y Yohwislc (Le), 132, n.

U S E N E R , 5 1 , 11.

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40, n., 44, n. G. A., 41, n. WiSLiCENUS, 436, n. Wolfram d’Esclienbacli, 400, n. W

W iL K E N ,

447, n.

Zaucques, tribu libyenne, amazones, 20, n. Z e c i i , J., 442, n . Zénobie, reine de Palmyrc, 40, n. Z

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, 4 I , n.

Zoroaslre, sa situation dans l’iiistoirc des religions, 82; iraitement ré­ servé aux cadavres, 42, n., 47, n.; mariage entre parentsconsanguins, 42, n.