Grecs et Romains aux prises avec l'histoire: réprésentations, récits et idéologie; colloque de Nantes et Angers [12 - 15 septembre 2001] [2] 2868477364, 9782868477361

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Polecaj historie

Grecs et Romains aux prises avec l'histoire: réprésentations, récits et idéologie; colloque de Nantes et Angers [12 - 15 septembre 2001] [2]
 2868477364, 9782868477361

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Collection "Histoire" dirigée par Hervé MAR11N et Jacqueline (voir en fin de vol11111c)

SAINCLIVIER

Sous la direction de Guy LACHENAUD et Dominique LONGRÉE

Grecset Ro111ains

auxprisesavecl'histoire Représentations, récitset idéologie

Colloque de Nantes et Angers

Volume II

Presses Universitaires de Rennes

2003

Colloque de Nantes et Angers 12-15 septembre2001 Cette publication a été réalisée grâce aux subventions accordées par les Conseils Généraux de Loire-Atlantique et du Maine et Loire, par l'agglomération d'Angers, et grâce au soutien financier de nos Centres de Recherches et des Conseils Scientifiques des Universités de Nantes et d'Angers

Nous remercions nos collègues Bernard MINEO (Nantes), Laurent GOURMELEN(Angers), Bénédicte BOUDOU(Paris X-Nancerre) pour leur contribution à la publication.

© Presses Universitaires de Rennes Campus de La Harpe 2, rue du doyen Denis-Leroy

35044 RENNES Cedex Mise en page: Patricia Perrin pour le compte des PUR

Dépôt légal : 2e trimestre 2003

ISBN: 2-86847-736-4 ISNN: 1255-2364

Volume II

PRÉSENCE DE LHISTOIRE ET PRATIQUES DES HISTORIENS

Avant-propos

Guy L-\CHENAUD

Les articles recueillis dans le premier volume de nos Actes ont démontré à quel point la relation entre la réalité des faits et les textes historiques est complexe, qu'il s'agisse de la recherche des causes, de l'élaboration d'une temporalité propre au récit ou de la formation des récits. C'est pourquoi les considérations portant sur la méthode des historiens anciens, mais aussi. de manière explicite ou implicite, les préoccupations théoriques de l'épistémologie et la philosophie de l'histoire (nous aurions pu inviter des philosophes. mais c'était courir le risque d'un colloque démesuré) ont été présentes dans notre premier volume. Pour autant, il ne me semble pas que nos études tombent sous le coup des critiques formulées enrre auues par Arnaldo Momigliano quand il regrettait que la nouvelle hisroire et l'épistémologie historique débouchent surtout sur des productions purement rhétoriques 1. Le lecteur en effet devrait apprécier que le texte des hisroricns anciens soit examiné sous toutes ses coutures. En 1783, !'Abbé Mably s'en prenait aux notes de bas de page chez les modernes parce quïl jugeait essentiellement du point de vue de la qualité littéraire. De cc point de vue, les historiens anciens ne risquent pas de nous décevoir: comme disait Michel de Certeau, leur « parole noble » oblitère la trace de ses auxiliaires 2. Par ailleurs, ce que l'on appelle « digressions » (diexodikoilogoidit Polybe) exige autant de calent que de tisser le récit 3. Écrire l'luscoire ne relève pas d'w1e instance bureaucratique qui se contenterait d'enregistrer les données de l'autopsie, la variété des témoignages ec les controverses. Le discours de l'histoire n'est pas seulement narratif ec

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PIŒSENCE DE Lrf/S7VIRE ET PI/ATIQVESDESHISTORIENS

explicatif (le niveau des faits et de leur agencemenc, les constellations narratives plus ou moins fictionndles), il csr aussi descriptif ou figuratif (les personnes) dans la mesure où il s'affranchit de la linéarité du récit et fait briller les astres au firmament de l'histoire en exposant ce qu'il faut choisir et ce qu'il faut füir, comme le dit la vulgate philosophique, mais aussi Polybe. C'est une amre manière d'orienter la consommation du texte par le lecteur. Polybe, en effet, se référant à Ephore, souligne que l'historien doit nécessairement,, mesurer» le blâme ou l'éloge•!. Fornara souligne l'origine rhétorique de ces modes d'écricure et cout lecteur de Cicéron saie à quel point rhéteurs et historiens se jalousent et rivalisent. Certains articles de notre deuxième volume cernent les momenrs où le caractère (celui des personnages ou celui de l'auteur) est présent pour lui-même et indépendamment en somme du cadre politique. En effet, la biographie est le concurrent le plus sérieux de l'histoire 5, er les éléments autobiographiques ne peuvenc être considérés comme une parekbasis du genre hiscoriographique. C'est pourquoi nos collègues recourent à des notions comme celles de figures, de paradigmes, ou encore d'emblèmes, pour cerner ce que Régis Debray appelle, dans un autre contexte, la« production des icônes »6, dès lors qu'il y a focaJisation sur les rxemplaproposés par les Grands qui sont mis en scène sur le Theatrum vitae lmmanae7, typologie des personnages et recours aux topoi pour lire le grand livre de l'histoire. La philologie des humanistes et leur réflexion sur l'histoire, la poésie épique et l'emblématique. transgressant les frontières des genres, manifestent la réception et la présence de l'histoire ancienne dans les siècles ultérieurs. Ainsi, nos travaux auront pu contribuer à illustrer la modernité de l'antique qui figure au fronton de notre centre de recherches nantais.

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AVANT-PROPOS

NOTES 1. A. Momigliano, qui fü partie de l'équipe fondatrice d' Historyand Theroyesr

2. 3.

4.

5.

ciré par M. MOGGI 1989 : "La sroriografia greca fra continuicà cd innovazione •. (Atti del Convegno dans / Ra.contidi Clio. Temichena"ative da/a sroriografia, di Srudi, An:zzo, 6-8 nov. 1986), La Porta di Corno 6. Pise, Niscri-Lischi, p. 1551 : • An increasing proportion of historical rcsearch is made in rhe form of rherorical and ideologic:11analysis of pas1 hiscorians » (,, Considerations on Hiscory in an Age of Ideologies ... dans Settimo ContributoallaSro,iatkgli Srudi C/assicie tkl MondoAntico, Rome. 1984, p. 254. Mably est cité par S. BANN, The Clothingof Clio:A srudyof the rrpmentation of historyin nineteenth-cmturyBritain and France,Cambridge, 1984, p. 16. Pol., XII. 28 Voir CH. W. FORNARA. The Nature of History in Ancient Grreceand Rome, Univ. of Cal. Press, Berkeley, Los Angeles. London, 1983. en particulier, p. 108. son commentaire d'un passage où Polybe, dans sa pol~mique comre limée, défend la qualité des appréciations personnelles d'Ephore (XII. 28, 10: tov ÈmµEtpoûvta À.Oyov). Cf. CH. W. FORNARA, p. 185.

6. R. DEBRAY,Dùu, un itinlrairr, Matériaux pour /'histoiretk l'Eternelen Occitknt, Ed. O. Jacob, Paris 2000, p. 236.

7. Cf. le Bisontin J.J. Boissard. Francfort, 1596 (fonds ancien de la Bibliothèque de la Faculté de Médecine de Montpellier). Le mot tlu:atrum est égalemelll utilisé par Henri Esrienne dans sa préface à l"histoire c1·Hérodien (Lyon, P. Ravaud. 1624). Nous devons ces références au numéro consacré à l'écriture de l'histoire par la Nouvelle&vue du XVI' sièc/.e(Paris-Gen('Ve, Droz, 2001 ).

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Sixième partie

PRÉSENCEDE L'HISTOIRE DANS LES

AUTRES GENRESLITTÉRAIRES

u rhtiurrgrrcJ.eIjnJarir. La vilk a hé fondée vm 396 av.f.-C. par Dmys de Syr=e e1 des cokmslocrienschassés p,ir kr Sparriaw Jurla côteIJ"hb,imne de la Sicik. u 1héâ1"grrca Iré transfam1ém amphirhiâ1"par kr Romairu.

De l'usage des comiques comme source historique: les Vies de Plutarque et la Comédie Ancienne

Dominique LENFANr

C'est un des mérites notoires de Plutarque que d'avoir cité dans ses Vies un nombre de sources considérable, d'autant qu'il avait de beaucoup d'entre elles une connaissance directe. C'était sans doute le cas de la Comédie Ancienne, que l'on pouvait encore lire au ue siècle de notre ère, même si cela impliquait le recours à des ouvrages d'exégèse 1. Les citations de comiques athéniens ne sont pas rares dans son œuvrc, qui est, avec celle d'Athénée, l'un de nos grands réservoirs de« fragments>► comiques. Dans les Viescomme dans les Moralia, il est fréquent que l'auteur emprunte à une comédie tdle périphrase ou telle maxime et il lui arrive aussi de faire d'un poète comique l'objet d'une critique morale ou esthétique. Mais c'est à son utilisation de la comédie comme source historique que je voudrais consacrer cette étude. C'est cet usage qui prédomine dans les Viesoù, quelles que soient ses préoccupations de moraliste, Plutarque prétend aussi rechercher la vérité 2. L-i Comédie Ancienne avait des rapports bien spécifiques avec les réalités de son temps et sa pratique de la caricature n'a évidemment pas échappé à Plutarque. Néanmoins, dès le N• siècle avant J.-C., des historiens avaient pris des allusions comiques, voire des scènes de comédie pour le reflet direct de faits historiques, sous-estimant parfois les ressources du genre en matière de fantaisie3. Spécifique dans son rapport à la réalité, la comédie fait-elle l'objet d'un usage particulier? L'auteur des Viesprétend-il en tirer des informations et

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DOMINIQUELENFANT

excrce-c-il une critique appropriée au genre comique? Prétendre résoudre la question ne va pas sans présomption: l'hisrorien moderne s'estime plus critique cc son objectif n'est pas cdui du moraliste, mais rien ne garantie qu'il soit roujours capable d'apprécier mieux que Plutarque le rapporc du ccx.recomique à la réalité historique, sans compter qu'il a, par rapport au moraliste, cette infériorité indéniable de ne pas toujours disposer des texces comiques que ce dernier pouvait encore lire. Autant reconnaître d'emblée qu'un cerrain nombre d'analyses en la matière relèveront nécessairement de l'hypothèse. De plus, Plutarque est non seulemenr lecteur de comédies. mais aussi lecteur de lecteurs de comédies. Au-delà des références explicites aux comiques. l'historien qui utilise aujourd'hui son œuvre doit aussi s'interroger sur l'usage indirect ec parfois inconscient de celles sources, question plus délicate encore que la première 4.

Les références explicites aux comiques On ne s'étonnera pas de constater que l'immense majorité des références aux comiques renvoie à la Comédie Ancienne. qui se distinguait par ses attaques satiriques concre les grandes figures contemporaines. De fait, les citations tirées de la Comédie Moyenne ou Nouvelle. sans être inexistantes. demeurent extrêmement rares: pour la Comédie Moyenne, on ne compte guère que les railleries d'Antiphanès cc d'un comique anonyme visant l'éloquence de Démosthène 5; pour la Comédie Nouvelle, une citation de Ménandre parodiant les récits de prodiges sur Alexandrc6, ainsi que des allusions aux attaques de Philippidès contre Stratodès, à propos de Démétrios 7: on peut y ajouter la paraphrase d'un poète comique anonyme qui visait, du temps du même Démétrios, la courtisane Lamia 8_ En dehors de ces cinq cas. les citations proviennent de comiques du vc siècle avanc J.-C. 9 Cela se comprend aisément, si l'on songe d'abord que les Viesd'Athéniens du ive siècle (celles de Démosthène et de Phocion) sont crois fois moins nombreuses que celles d'Athéniens du vc siècle et que figure. de surcroît. parmi lespremiers le personnage de Phocion, qui, par sa réputation de droiture, se prêtait beaucoup moins que d'autres à la caricature 10. Mais la raison fondamentale t•sr sans nul doute dans le changement des ressorts comiques et dans le recul notoire de la satire individuelle dans la Comédie dire Moyenne et Nouvelle (Ne siècle avant J.-C.). De manière tout aussi logique, c'est dans les vies d'Athéniens du vc siècle. contemporains de la Comédie Ancienne, que Plutarque cire le plus souvent les corniques. On trouve œrtcs quelques allusions dans d'autres Vies,pour des données qui som sans rappon avec le personnage donc Plutarque esr en train de retracer l'histoire: c'est ainsi que le portrait de Timon d'Athènes

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est esquissé, d'après les comiques, dans le cadre de la Vie d'Antoine (70, 12), parce que le personnage éponyme prérendir quelque temps imiter les façons du misanthrope athénien. Mais de tels cas sont en nombre réduit 11_ On rencontre aussi, dispersées dans l'œuvre de Plutarque (et notamment en dehors des Viesd'Athéniens du vesiècle), des expressions que l'auteur emprunte à un comique pour leur force imagée et qu'il place dans un cadre historique sans rapport avec leur contexte d'origine. C'est ainsi qu'il emprunte à Aristophane une formule qui suggère la surenchère de flatterie envers Démétrios 12_ De tels emprunts ne sont pas rares 13, dans les Vil'! comme dans les Moralia, et, du reste, ils ne sont pas réservés aux seuls comiques 14_ Mais leur écude touche des questions d'esthétique littéraire qui sont écrangères à notre propos. On laissera enfin de côté les cas où une raillerie comique est mentionnée comme un fait historique en soi. Ainsi, quand Plutarque précise que Batalos éraie un personnage tourné en ridicule dans une comédie dAntipbanès et que c'est une origine possible du surnom de Démosthène 15, il n'utilise pas le propos comique comme une source historique dont il entendrait déduire une réalité correspondante 16. Un tel cas ne sera donc pas pris en considération. Si l'on s'en tient à la perspective adoptée ici, l'essentiel des citations de comiques figure donc dans les vies d'Athéniens du vc siècle, Aristide, Thémistock Cimon.Nicias.Alàbiatk et Périclès.qui totalisent à elles toutes une quarantaine de références explicites à tel ou tel comique. Mais la répartition entre ces six vies est très inégale: par ordre croissant, on trouve une référence dans Aristük, deux dans Thémistocle,trois dans Cimon, sept dans Nicias, huit dans Alcibiadeet. .. dix-neuf dans Périclès17. Les trois biographies qui comportent le plus grand nombre de références comiques, celles de Nicias, d'Alcibiade et de Périclès, sont aussi celles des personnages qui suscitèrent les réactions les plus passionnées 18 et celles de contemporains de la Comédie Ancienne dans sa période florissante. Avec près de la moitié des citations, Périclès l'emporte haut la main, tandis qu'à l'autre exrrême, la vie d'Aristide (le Juste ... ) n'esr concernée que par une citation (5, 8), qui. du reste, ne touche pas le personnage éponyme. mais la famille de Callias 1?. Ainsi, la disparité de la répartition s'explique à la fois par des considérations chronologiques (les temps forts de la satire comique), par le caracrère plus ou moins consensuel du personnage, mais aussi par la longueur de sa carrière. Tout cela ne fait que confirmer des choses que l'on aurait pu deviner ... Ce cadre étant fixé. il convient d'observer dans quelle mesure et dans quel esprit Plutarque utilise ces textes comiques comme sources historiques: les considère-r-il comme une documentation spécifique requérant des précautions particulières?

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Il est d'abord certain qu'il lui arrive fréquemment d'établir un rapport entre une plaisanterie comique et la réalité qui l'a inspirée et de présenter cette satire comme une allusion, voire comme un témoignage. On peut souvent (mais pas toujours) distinguer deux cas de figure: dans le premier, la plaisanterie est citée comme une illustration complémentaire, faite par parenthèse(« c'est à cela que tel comique fait allusion ... »), alors que, dans le second, elle est donnée comme témoignage à l'appui du propos historique(« en témoigne telle allusion comique»). Dans le premier cas de figure (la plaisanterie comme illustration complémentaire), Plutarque rapporte d'abord tel ou tel fait, et cite, dans un second temps, une plaisanterie comique censée y faire allusion 20. C'est ainsi qu'après avoir évoqué la tête allongée de Périclès, il la donne pour l'origine (o0EV) d'une série de plaisanteries comiques 21, dont il cite plusieurs exemples 22. Dans de tels cas, on ne peur dire que Plutarque se réfère au passage comique comme à une source d'information, mais plutôt comme à un fait littéraire se greffant sur un fait hisrorique. Il s'agir d'une précision faire au passage, qui prétend plus éclairer l'allusion comique en la mettant en rapporr avec les événements de l'époque qu'invoquer un comique comme témoin. Il faut néanmoins admettre qu'il y a un certain nombre de cas limites où l'allusion comique est certes donnée comme un complément, mais où elle a. m:ilgré tout, pour fonction tacite de confirmer les dires Jc Plutarque, notamment parce qu'elle est la seule source qu'il cite à l'appui. C'est ainsi qu'à propos du défaut de prononciation d'Alcibiade, il die qu'« Aristophane aussi le mentionne » (Ale. 1, 7) cc qu'Archippos y fuie allusion. Mais ce sont en fait les seules sources qu'il cite sur la question et l'on peut soupçonner qu'il n'a connaissance de la chose que par le biais des textes comiques et de leurs commentaires 23. On lui accordera sans peine que ces plaisanteries n'auraient pas eu de sens si Alcibiade n'avait eu effectivement un défaut de prononciation. Mais, du point de vue fonctionnel, on retiendra que cette précision, donnée comme une parenthèse, vient en fait appuyer les dires de Plurarque. Toutefois, il n'est pas rare que les plaisanteries comiques soient explicitement présentées comme un témoignage (µapn>pia): c'est le cas pour les traits de caractère et la réputation de Nicias24, l'origine du surnom d'Olympien donné à Périclès 25, les qualités de l'éloquence d'Alcibiade26 ou l'audace oratoire de Démosthène 27. De fait, les comiques apparaissent comme des témoins parmi d'autres. Il n'est pas rare qu'ils soient cités à côté d'un philosophe ou d'un hisrorien, pour un témoignage convergent, jugé équivalent au leur: le témoignage de Cratinos sur la générosité de Cimon28 est suivi de ceux de Gorgias et de Critias et, concernant l'éloquence de Démosthène, « les poètes comiques » sont logés à la même enseigne qu'Eratosthène er Démétrios de Phalère 29.

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Le poète comique esc même parfois reconnu comme l'aureur d'interprétations hisroriques, comme il resson du commentaire de certaines formules. Ainsi, Plucarque conteste la semence d'Aristophane scion qui Thémistocle « pétrit le Pirée avec la ville », parce que, de son point de vue, il est plus juste de dire, au contraire, que c'est la ville qui a été rattachée au port et à la mer30. Et, à J'inverse, il lui arrive de trouver judicieuse une interprétation comique, comme c'est le cas pour les fumeux vers d'Ariscophane qui évoquent les rapports complexes encre le peuple d'Athènes et le personnage d'Alcibiade (« il l'aime. il le déteste et pourtant veut l'avoir »)31. Les textes comiques se voient même parfois reconnaître des avantages. Tom d'abord, ils comblent les silences des autres sources. Ainsi, relie allusion du comique Phrynichos est donnée pour un complément utile au récit de Thucydide, parce que, contrairement à l'historien, elle indique le nom des dénonciateurs dans l'affaire des hermès 32. Mais ces sources ont aussi pour qualité reconnue d'être contemporaines, et à ce titre plus fiables sur certains points, comme, par exemple, sur l'origine du surnom d'Olympien donné à Périclès33. Pour aucant, Plutarque a bien conscience des difficulrés que présence le genre comique en tant que source historique. Ce dernier apporte, à ses yeux, un éclairage spécifique, qu'il oppose, concernant Périclès, à celui que fournit Thucydide: « si Thucydide dépeint la puissance de Périclès d'une manière sûre (craq>ç), les poètes comiques, eux, nous la font voir d'une façon malveillance,. (KaKo~0roç) 34. Cette malveillance inhérente au genre comiquc3S est un défaut que Plmarque juge roue aussi dommageable chez l'hisrorien, comme il l'a longuement souligné dans son traité sur la KaKo~0Eta d'Hérodote. Dans le cas présent, il estime pouvoir cirer profit des témoignages comiques en tenant compte de leur caractère polémique. Mais cet exemple précis ne présence en fair aucune difficulté. puisque le témoignage des comiques conduit aux mêmes conclusions que celui de Thucydide (Périclès jouissait d'une puissance hors du commun). li en va différemmenr quand la source comique diverge des autres, quand elle esr la seule ou encore quand elle contredit la couleur morale du portrait en cours. Plutarque se heurte alors à la question de savoir à quel moment la polémique devient calomnie. C'est ainsi qu'à propos de Phidias et de Périclès, il évoque les injures et les calomnies que les comiques ont déversées sur leur compte36 et conclut qu'il est bien difficile aux historiens de dépister la vérité37: « Ceux qui écrivent longtemps après les événements ont devant eux le voile du temps écoulé qui leur en dérobe la connaissance, et ceux qui racontent les actes et la vie des concemporains mutilenc et dénaturent la vérité soit par envie et malveillance, soit pour leur plaire et les flatter" 38. Les comiques font bien évidemment partie de ces témoins que, d'un côté, on ne peur ignorer parce qu'ils étaient contemporains, mais auxquels on ne peut se fier parce qu'ils ont déformé la vérité.

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DOMINIQUE!ENFANT

De même. il arrive que Plutarque exprime ses réserves vis-à-vis de l'usage d'un témoignage comique par un prédécesseur: il signale que Diodore le Périégèce a localisé au Pirée la combe de Thémisrode en appelanr à témoin des vers de Platon le comique ( Them.32, 5-6). Considérant que le tombeau de Thémistocle se trouve à M1gnésie, il désapprouve l'afürmation de Diodore et la déduction que ce dernier cire d'une allusion comique: cela relève plus, i>rrovovµâÀ.À.ov i\ die-il, de la supposition que de la connaissance (wç 'Yl'YVWcrKwv). S'il signale que sa source utilise des vers comiques39, c'est dans l'intention manifeste de la discréditer, ou de tenir ses allégations à distance 40. Ceue position étant affichée, force est de constarer que Plutarque se montre plus rigoureux dans la critique de cc prédécesseur que dans sa propre pratique, car il n'use guère de précaution dans l'usage des témoignages comiques, sauf à supposer arbitrairement qu'il a censuré des allusions qui lui semblaient peu fiables ou encore qu'en mentionnant sa source il entend donner au lecteur le moyen d'être critique. Qui plus est, il lui arrive de faire lui-même des déductions imprudences. Sesaffirmations concernanc la disparition des osrracophories après que la mesure eut frappé Hyperbolos en fournissent un exemple éloquent. Après avoir relaté l'ostracisme du personnage, il ajoute: Sur I.emoment, /.esAthéniens nefirmt que s'amwer et riredt· sa misaventurr, maisplus tard ilsforent fiichis de voir qur cme institution de l'ostracis= hait aviliepar /ïndigniti de l'exiM,car cme sanctioncomportait une sortede noblesse,ouplutôt. si l'on considéraitl'ostracismecomme un abaissementquand il s'appliquaità un ThucydiM. à un Aristide ou à desgem de lestrvaleur,pour un Hyperbolosau contr,zirec'était un honneur et 1111sujet de vantardiseque d'être trait/, à causede sa scllbatesse,comme l'élite descitoyens.Aussi Platon le Comique dit-il en par/am de lui: " Cettepeine. que sa conduite a méritée, Convient mal pour un être aussi tari que lui: L'ostracismen'estpasfait pour de tell.esgens •· (Nic. 11. 6-7).

Ainsi, l'idée que l'ostracisme éraie trop d'honneur pour un homme aussi bas qu'Hyperbolos paraît directement inspirée à Plurarque par les vers de Platon 41 : elle paraphrase tout bonnement (avec une complaisance qui sert ses préjugés sociaux) les crois vers de Placon que l'auteur cice ensuite. Mais, par un glissement, c'est aux Athéniens que Plutarque attribue cette idée. Or, par leur vote, ces derniers ont su manifester, à l'occasion, qu'ils ne partageaient pas, pour la plupart, le mépris des poètes comiques pour les leaders populistes ou qu'ils n'entendaient pas cirer de conséquences politiques de ces plaisanteries qui les faisaient bien rire 42. On retrouve dans Alcibiade13,9 une affirmation idcncique, selon laqueUc Hyperbolos ne s';mcndait pas à être ostracisé « car jamais un homme sans mérite et sans réputation n'encourait ce traitement », et Plutarque s'appuie

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là encore sur la même citation de Plarnn le comique. Cette seconde référence à l'appui de la même affirmation tend à confirmer que c'est là l'unique source de Plutarque. Ce détail n'est pas sans imporcance pour interpréter la fin des ostracophorics après Hypcrbolos: Plutarque établit un lien de cause à effet entre la« bassesse» d'Hyperbolos et l'abandon de la pracique43 cr de nombreux modernes lui ont emboîté le pas. D'autres ont mis en douce, à juste titre, le bien-fondé de cette causalité, en pondéranc les effets de la tradition polémique visant Hypcrbolos par une analyse de l'évolution des pratiques politiques 44. En soulignant l'inspiration manifestement comique du propos de Plutarque, on ajoute aux raisons d'être sceptique. Si l'auteur adhère ici à un jugement comique dont il dénonce ailleurs la malveillance, c'est aussi que ce dernier concorde avec ses préjugés sociaux. Au total, il lui arrive d'être assurément trop confiant aux yeux d'un historien moderne, mais il fàuc reconnaître qu'il lui présence souvent les allégations comiques pour ce qu'elles sont, quitte à lui transmettre sa propre perplexité.

l?utilisation indirecte de sources comiques Il ne saurait en aller de même quand il se livre à un usage indirect, voire inconscient. de sources comiques: il y a. dans les Vies, un certain nombre d'anecdotes suspectes que l'on peut soupçonner d'être des plaisanteries comiques converties en faits historiques, cette mutation remontant aux sources de Plutarque. En d'aurres termes, il utilise alors un récit qui a luimême un texte comique pour source probable. mais autant que l'on sache inavouée. Sur quels indices peut-on fonder de tels soupçons? Qu'un scénario air une allure comique, qu'il soit invraisemblable. qu'il ne soit pas attesté de source indépendante, cc sont là des critères certes aléatoires et non probants en soi. mais qui peuvent peser de leur poids s'ils s'additionnent encre eux et s'ils se combinent à des indices plus concluants. Certains signes peuvent créer une plus forte présomption, comme le fait que l'auteur nommément cité par Plutarque air coutume de s'inspirer de scènes de comédie (cas de Douris) ou que le personnage mis en cause dans l'anecdote air été une des cibles favorites des comiques (cas de Cléon). Mais les indices les plus significatif:~sont sans doute la proximité d'une citation comique ou, mieux encore, le fair qu'une allégation air un analogue attesté dans les textes comiques conservés. Ainsi, l'idée que Périclès entreprit l'expédition de Samos pour complaire à Aspasie45 rappelle, entre autres, l'allégation des Achamims d'après laquelle il aurait déclenché la guerre du Péloponnèse à cause d'elle 46: il s'agit évidemment d'un rhème comique. De même. l'idée

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DOMINIQUELENFANT

qu'il« avait sûrement contre les Mégariens quelque motif secret de haine personnelle »47 ressemble fort à une compréhension littérale de ce même passage desAcharniens. cité, du reste, peu après par Plutarque lui-même48. Naturellement, aucun de ces indices n'est totalement probant: une anecdote peut être à la fois comique et réelle et, à l'inverse, un scénario à l'origine burlesque peut perdre tout trait cocasse et ne garder que son invraisemblance49; une scène qui n'est pas autrement attestée n'est pas pour autant d'origine comique; et même la proximité d'une citation de comédie n'est pas un critère concluant. Car elle peut assurément suggérer l'utilisation plus large de telles sources dans le contexte immédiat 50, mais elle demeure un indice incertain, dans la mesure oü, comme on l'a vu, Plutarque emprunte fréquemment aux comiques des formules dont il apprécie simplement la valeur expressive: qu'il reprenne une formule ne veut pas dire qu'il en emprunte le contexte 51. C'est dire si la prudence est requise dans la détection de possibles sources comiques et s'il est important de cumuler les indices. En fair, si l'on trouve en divers passages des Viesdes indications invraisemblables ou loufoques qui pourraient avoir une origine comique 52, presque tous les cas se concentrent dans deux d'entre elles, celles de Nicias cr de Périclès. La première comporte plusieurs détails que l'on peut soupçonner d'être tirés d'une comédie. On n'en citera que trois 53. Quand Plutarque rapporte que Théramène ne valait pas Nicias et Thucydide « car sa naissance (on le disait étranger, né à Céos) lui valait de dures attaques " {Ktaum (« élévation 11), tatem(«aisance»), tatem(«abondance») : la spécificité de l'histoire n'est donc pas très claire. Angelo Mai, le découvreur du texte, lit

historiaeaptam au lieu d'historiasoperaapta. On pourrait ainsi traduire de deux façons contradictoires selon qu'on suppose ou non un neque devant le nom tronqué:~ l'abondance [?]n'est pas appropriée à l'histoire comme son sens de la mesure ne convient pas à l'éloquence» 14ou comme le fait C. R. Haines, « a facility adapted ro history, and not chat restrainc which is suitable for oratory II IS. La suite pose moins de problèmes:« et même, pour ce qui est des figures, que les Grecs désignent sous le nom de crX11µui:a, l'un a employé celles qui conviennent à l'histoire, l'autre celles qui conviennent à l'éloquence». Il s'agit, d'une part, de Salluste, d'autre part, de Cicéron. Fronton vante les antithèses, les paronomases et peur-èrre - le texte n'est pas sûr 16-, les épanaphores de l'historien. En esquissant, fùc-ce brièvement et, dans l'état actuel du texte. de façon assez.énigmatique, une distinction encre le style de l'histoire et celui des discours, Fronton semble rejoindre une tradition représentée par Cicéron, Quintilien ou Pline le Jeune, qui, eux aussi, distinguent ces deux genres tour en leur reconnaissant beaucoup d'éléments communs 17.On se souvient, par exemple, que dans I'Orator66, Cicéron assigne à l'histoire un style moins impétueux et plus égalque celui de féloquence, qui est en prise directe avec le présent, ce qui nous inciterait à préférer la première traduction 18_ Dans d'autres lettres, Fronton apporre des précisions sur sa conception du style de l'histoire: ce qui la caractérise, c'esr l'éclat ( 106, 25) - il emploie splendidusou des mors de la même famille 19.Dans une lettre à Verus datant de 16420, Fronton établir une disrinction entre les lettres des historiens, qui sont brèves (124, 16) et celles que rédigent les généraux - visiblement ce sont les rapporcs adressés aux autorités romaines-, qui doivent dérailler bien davantage les opérations 21 _ Comparant le rapport de Verus au Sénat à celui du général Lucatius Catulus, il critique chez ce dernier l'alliance d'une certaine emphase et de« mors pour ainsi dire délicats» (tenerisprope erbis( 125, 3) 22 et ajoure: historiatamen potim splenduk perscribenda: si ad senatum scribernur. etiam caute23 (125, 3-4: ~ Cependant l'histoire doit plutôr être rédigée avc..-c éclat: et même, si on écrit au Sénat, avec précaution »). On s'aperçoit par lit que dans ce cas historia ne désigne pas un ouvrage historique proprement dit, mais un écrit, quel qu'il soit, relatif à des événements, y compris un rapport au Sénat sur une guerre: elle peut donc prendre la forme d'une lettre ou d'un discours écrit. Quintilien, X, 1, 33, quant à lui, parle du nitor de l'histoire, mais les deux notions semblent différences: le nitor implique une forme d'élégance qui peut confiner à la préciosité24; il s'agit plus de brillant que d'éclat;

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RÉMI' l'OIGNAULT

selon Quintilien le style de l'historien n'est pas aussi viril et efficace que celui de l'orateur, comme s'il ne relevait que de l'apparat, ce dont témoigne la comparaison qu'il établit entre les ressources de l'historien et les muscles d'un athlète ou le vêtement bariolé de Démérrius de Phalère, randis que l'orateur est assimilé à un soldat 25. Fronton emploie ici avec les mots de la famille de splendidusle même vocabulaire que celui par lequel Cicéron désigne une qualiré du style non de l'hisrorien, mais de l'orateur 26. Fronton rejoint également Pline le Jeune, pour lequel aussi l'histoire doit avoir de l'éclat, puisqu'elle s'occupe« de l'extraordinaire, du grand, du sublime» (omnia recondita,sp/endida.excel.sa) 27. Lucien, au contraire, dans Comment il faut écrirel'histoire(43-44), rédigé à la suite de la prolifération d'ouvrages hisroriques relatifs à la guerre parthique de Verus, mais sans connaître la correspondance de Fronton, propose une autre esthétique et réclame netteté, clarté, simplicité. Si à certains moments Fronton semble reconnaître une certaine spécificité au style du genre historique28, c'est le plus souvent en rhéteur qu'il aborde l'histoire, la considérant comme un recueil d'exemplaou rirant des hisroriens des leçons d'écriture29 , et il rend à estomper la ligne de démarcation entre rhétorique et histoire. Plmôt que pour ses exploits en Orient, Fronton félicite Verus pour les qualités littéraires de son rapport au Sénat; il associe étroitement rhétorique et histoire, puisqu'il estime que ce sont elles qui ont forgé les venus militaires de Verus: « Ces vues sages, mon empereur, cc n'est assurément ni le bouclier ni la cuirasse qui te les ont inculquées dès ta prime enfance, mais cc som les livres et l'étude des lettres. En lisant constammenr dans les ouvrages hiscoriques et les discours beaucoup d'exemples de bon conseil, ru t'es servi de l'éloquence comme école de l'art militaire »30. Fronton se dit convaincu que ce qui a conduit Verus à prendre les dispositions nécessaires avec une armée qui avait perdu ses aptitudes guerrières, ce sont « la sévérité d'Hannibal, la discipline de l'Africain et les exemples de Metellus décrits en détail dans les livres d'histoire ,.31. On songe à la lecture de TireLive cr de Salluste, mais Fronton pense aussi à son auteur de prédilection, Caron, dont il donne une citation (128, 20-129, 6) pour montrer que si Verus, avant d'attaquer massivement l'ennemi, a su donner confiance à ses troupes en kur faisant livrer d'abord seulement de petits affrontements, il le doit aux écrits de ce grand homme. Fronton croit aux venus de la linérature. Les exemplahistoriques que l'on trouve dans les livres d'hisroire comme chez les orateurs seraient préférables à l'expérience acquise sur le terrain, ce qui est pousser à l'extrême la célèbre formule de Cicéron - Historia[. .. ], magistrauitae'>l. De mème, dans le De bello Parthico, Fronton vante à Marc Aurèle un discours de Cicéron, le De impmo Cn. Pompei,pour la perfection de l'éloge de Pompée

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HISTORJOGRAPHIE FT RHlTORJQUE (FRONTON)

qu'il constitue, et il lui en recommande la lecture car il y trouvera des conseils pour mener à bien la guerre contre les Parthes en ce qui concerne le choix des généraux, la prise en compte des intérêts des alliés, la protection des provinces, les qualités dont doivent faire preuve ceux qui dirigent les opérations (225, 3-11)33. Le bon maître prend ici le contre-pied de Marius, qui, dans un fameux discours du Beilum lugurthinum (85), oppose les actes à la littéramre et se moque de la jeunesse dorée romaine qui n'a d'autre expérience des armes que ce qu'elle a pu en lire, tandis que, lui, a fait ses preuves sur le terrain. Alors que Marius valorise lesJacta par rapport aux dicta, pour Fronton. les dicta conduisent aux Jacta. L'intellectuel est convaincu de l"excellence de son univers, car, à ses yeux, la rhétorique englobe tout, l'art militaire, comme l'histoire. Et quand il parle des historiens, c'est surtout pour donner à ses destinataires des conseils de style. Dans le De eloquentia34, Fronton montre combien la marque personnelle de la manière d'écrire de chaque auteur est importante; il caractérise la diversité des styles de poètes, d'historiens et d'orateurs par des formules brèves, avant de montrer que les philosophes eux aussi ont chacun leur style propre. Il considère les historiens surtout du point de vue de l'arrangement des mots: « !;histoire, Salluste l'a écrite dans un style bien construit, Pictor en désordre, Claudius avec grâce. Anrias sans charme: Sisenna intarissablement. C.1ron en :ttrelant beaucoup de mots, Cœlius sans mettre plus d'un mot pour chaque chose »35. On voie nettement que Fronton, tout en distinguant encore les genres, les traite du même point de vue: la qualité de l'écriture. Son propos est. en effet, d' essayer de convaincre Marc Aurèle de ne pas abandonner l'éloquence, c'està-d.ire le souci du bien dire, car elle est nécessaire même à la philosophie. Caton, dans cette liste, dont nous n'avons repris que le passage concernant les historiens, apparaît à la fois parmi ceux-ci et parmi les orateurs politiques et judiciaires (134, 3-5), en raison de la diversité de ses activités. Mais, dans une autre lettre 36, Fronton range aussi Salluste, juste après Caton, dans la catégorie des orateurs, parmi les auteurs particulièrement soucieux du choix cr de la place des mors: « le plus grand de tous les orateurs depuis l'origine de l'humanité, Caton et son fervent disciple Salluste »37. Un peu plus loin (56, 22-23), L. Cœlius (Antipater), le créareur de la monographie historique à Rome, est présenté comme un imitateur zélé du poète Ennius. Les frontières génériques ne comptent plus 38. Chez Fronton, Salluste apparaît aussi bien chez les historiens (96, 20 sqq.; 124, 10 sqq.) que parmi les orateurs. Dans le de efoquentia (148, 8 sqq.), il figure comme un modèle d'éloquence de grand style et il est rapproché de Caton et de Cicéron. De fait, on retient de plus en plus à partir du second siècle en Salluste un orateur 39; Granius Licinianus, d'ailleurs, considère que cet auteur doit être lu comme tel car il utilise des discours, des digressions oü

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IŒMY/'O/GNAULT

il décrit les lieux et adopte une visée morale en critiquant son temps 40. Pour Fronton, outre le recours au.x discours. il semble que c'est davantage le souci de l'expression, le choix et la disposition des mots qui valent à Sallusce d'être assimilé aux oraceurs. De fait, dans ses conseils de lecture pour la formation du style, Fronton indique aussi bien des orateurs que des historiens ou des poètes pourvu qu'ils soient attentifs au choix cc à la place des mors; cc Marc évoque des historiens comme des orateurs ec des poètes quand il lui demande pour ses lectures quelque chose de disertissimum {105, l-18). et il constitue des excnpta de Salluste comme de Cicéron (105, 4-5). Une note marginale du manuscrit rendant compte d'un passage lacunaire de la réponse de Fronton à cette letcre 41 est révélatrice de ce que Fronton attend des lecmres de ses élèves comme bienfait du point de vue stylistique: « Des discours des anciens vous tirerez des maximes pleines de noblesse, de leurs poèmes des maximes pleines d'agrément, des maximes pleines d'éclat de leurs ouvrages d'histoire, de leurs comédies des maximes pleines de grâce, de leurs togatae des maximes pleines d'esprit, ou des maximes pleines de finesse et d'enjouement de leurs atellanes ~42. L'histoire, au même cirre que les autres genres littéraires. peut être une source oü puiser des yv~>µat 43, que Fronton prise cane, ces formules vigoureuses et bien frappées qui conden.~enr l'expre....~ion clela pensée. Là encore, il n'y :1 pas de différenciation générique bien marquée, cout au plus une différence de tonalité, le con de l'histoire étant une nouvelle fois caractérisé par l'éclat (splendidas) 44. Alors que Cicéron mettait surtout l'accent sur la nécessité de connaissances historiques pour la formation de l'orateur, qui devait y puiser des exemples ainsi que des connaissances juridiques et administratives 45, et sur la nécessité, pour l'hisrorien, de soigner son style, Fronton retient principalement dans l'histoire, en plus des modèles de comporcement pour l'homme d'action, une leçon stylistique pour l'orateur. Une autre caractéristique de l'hisroriographie doit être, selon Fronton, le souci de la vérité. li attache, en effer, de manière générale, une extrême importance à la sincérité. Lucius Verus proteste ainsi qu'il ne saurait feindre devant son maître, dont il a « appris la franchise er l'amour véritable bien avant l'art de parler avec élégance ,.46_ Marc Aurèle lui reconnaît aussi cette droiture morale (44, 24; 51. 8-9) et c'est, d'ailleurs, le rejet de l'hypocrisie et le sens des valeurs affectives plucôc que son enseignement rhétorique qu'il retienc de son maître dans ses Pensées (1, 11). Dans le domaine militaire également Fronton souligne son attachement à la vérité. Dans une le erre à Verus 47, après avoir affirmé la nécessité pour un imperator de connaitre l'éloquence pour exercer ses fonctions. il rappelle que,, [chez nos ancêtres] on a considéré que substituer un enfant est un sacrilège, que publier un faux bulletin de campagne est une infamie militaire, et que faire un faux témoignage est un crime capital 48. li y a sans douce ici une aJlu-

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HISTORIOGIIAPHIE ET RHFTORIQUE(FRONTON)

sion à Q. Minucius Thermus49, à qui l'on refusa en 190 av. J.-C. un triomphe sur les Ligures, sc:lon Tire-Live (XXXVII, 46, 2), qui n'explique pas cc:refus; mais on sait par Aulu-Gelle (X, 3, 17) que Caton - que Fronton admire - a attaqué Minucius dans un ouvrage intitulé De fa/sispugnis50. Une noce marginale des Principia historiae condamne sans appel le mensonge dans le cadre de l'historiographie: ••Celui qui est amoureux est libre de se taire sans que ce soit une faute. De fait, tous les hommes mentent sur le moment, mais les mensonges méritent une réprobation et un souvenir éternels ~s1. Sans doute y a-t-il là un écho de Polybc52: si des amoureux peuvent être trompés par leur passion, il n'est pas permis à un historien digne de ce nom de falsifier la vérité par omission ou mensonge. Fronton s'inscrit ici dans une tradition que Cicéron a rappelée dans le De oratore (Il, 62) : « Qui ne sait que la première loi du genre est de ne rien oser dire de faux? la seconde, d'oser dire roue cc qui est vrai? d'éviter en écrivant, jusqu'au moindre soupçon de faveur ou de haine? ~ 53. Il nous appartient maincenanc d'examiner ce qu'il reste de ces principes quand Fronton écrit sur la guerre parchique 54. De prime abord, Fronton paraît devoir bénéficier d'un accès à tous les documents permettant une vue précise des fuies. Dans un courrier 55. Verus se dit, en effet, prêt à lui fournir toutes ces sources, à la collecte desquelles semble préposé un certain Fulvianus. Il s'agit de lettres de généraux à Verus. de lettres par lesquelles Verus leur donnait ses directives, de tableaux (pictttras)analogues sans doute aux tableaux, voire aux cartes. présentés dans les triomphes 56, de commentariidemandés spécialement aux génératLxAvidius Cassius et Martius Verus quo magù te quasi in rem praesentem inducerem (• pour t'amener davantage pour ainsi dire devant les fairs comme s'ils étaient présents»); Verus promet même, si Fronton en a besoin, de lui rédiger personnellement un commmtariusoù il ferait figurer cout ce que souhaite son maître. Il y aura aussi les orationesad senatum de Verus - cc sont les lettres qu'il a adressées à l'assemblée au cours de la guerre;7-, ses discours aux troupes (adlocutionesnostrasad exercitum)et même ses entretiens avec les barbares (108. 7, 21: sermonesmeoscum barbarishabitas).Voilà qui fournit un éclairage iméressant sur les archives d'une guerre. Mais Fronton ne jouira pas de l'indépendance que Lucien souhaite pour l'historien: il se trouve plutôt dans la position de Lucceius 58 vis-à-vis de Cicéron. qui lui demandait de se faire le laudateur de son consulat. Verus, en effet, donne des consignes à son historien. li attend très ncccemcnt que Fronton travaille à sa gloire: ,, Je suis. en effet, prêt à me plier à tout cc que tu veux pourvu que tu donnes du lustre à mes actions »59. Il faut que cellesci soient expliquées ( 108. 10: ut et consiliorummeorum rationescommemontrepossis;K pour que tu puisses aussi rappeler les raisons de mes décisions~). Certes, Cicéron, après les Grecs, a souligné que la fonction de l'histoire est de dégager l'enchaînement des causes; mais il paraît évident ici que Verus

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RÉMY POIGNAULT

veut que Fronton justifie sa politique en en montrant le bien-fondé, d'autant plus qu'il lui demande d'insister sur cc qui s'est passé avant son arrivée sur le théâtre des opérations - on sait que l'armée romaine a subi alors de graves revers-. cc qui permettrait de mettre l'acccm sur le rôle positif de Verus par la suite. I.:empereur a beau s'appuyer sur le précédent de Thucydide qui. avant de relater la guerre du Péloponnèse, remonte cinquante ans en arrière pour mieux expliquer le processus qui a conduit au conflit; quoi qu'il en dise, il est moins intéressé par les causes de la guerre que par le contraste enue les désastres qui ont précédé son arrivée et les succès qui one suivi:« m r'anarderas longtemps sur les causes et les débuts de la guerre, et même sur les échecs qui se sont produits quand nous n'étions pas là; tu en arriveras à notre action sans te presser ~ 60. Le but est exprimé sans ambages: « En outre, je considère comme nécessaire que soit bien claire la grande supériorité des Parthes avant mon arrivée, afin qu'apparaisse nettement toute la portée de notre acrion ,,61. Il semble ne laisser à son maître qu'une faible marge de manœuvre pour le mieux servir, en poursuivant: « Donc, ce sera à toi de voir si ru dois, comme Thucydide a exposé la Perztekontaetie, condenser tout cela, ou bien approfondir 1111 peu plus sans coucefois développer autant que ru le feras pour nos actions par la suite ,,62_Verus conclut sa de l'écho que troulecrre en faisant porter sur l'historien la n.:spo11s:1bilité veront ses actions:« En somme. mes hauts foirs onr l'importance qu'ils ont, évidemment. quels qu'ils soient; mais l'opinion ne leur donnera que l'importance que, coi. tu voudras qu'elle leur donne,, 63_Fronton reprend la même idée dans les Principia hùtoriae (203, 9-12). Il n'a pas manqué de recommander à ses élèves la lecrure de Sallusrc et il se souvient de Cat. 8. 4, où esr montrée l'importance du travail de l'hisroricn pour la gloire de l'acteur de l'histoire: « Ainsi le mérite des grands hommes se mesure au talent de ceux qui ont su exalter leur génic64 ,,. Le rôle de !'écrivain est très important car c'esc la qualité de son style qui rend sensible la noblesse cc la beauté des actions. li ne sauraic y avoir de grand homme sans grand hiscorien. Salluste met l'accent sur la diff.culré de la tâche de l'historien, car « d'abord son récit doit être à la hauteur des faits65 ». On sait que Pline le Jeune tient des propos analogues dans une lettre à T.1cite, en affectant de concilier l'ex.a!tationdu sujec et le respHILOCHORE

ment de sa représentation traditionnelle. C'est à cet écan flagrant qu'il faut être attentif. Il se manifeste dans le texte de deux manières: par la forme que prend cc rassemblement des hommes et par l'explication qui en est donnée. De toute évidence. ce double écart peut être considéré comme l'indice d'une réécriture des données mythiques, réécriture forcément motivée, donc il faut comprendre les enjeux et les raisons. La forme que prend ce rassemblement, cout d'abord, semble se conformer au modèle de la fondation de cité. Il faut être attentif au verbe employé, auvouciÇElv. bien attesté et caractérisé par une riche polysémie, au sein de laquelle domine constamment l'idée de réunion, d'association 10, Car, avant même de désigner l'acte de fondation (ou de refondation) de cité. le verbe signifie en premier lieu« loger ensemble des individus~. d'abord au sein de l'oikos (au sens d'unir, marier), puis au sein d'une communauté sociale (au sens de réunir, grouper). En atteste un passage du Sur /'Echange d'Jsocrate, évoquant le temps des origines, « quand le genre humain commenrroÀ.EtÇ)». Mais çait à naître er à se grouper en cités (cruvotKîÇrn0m KU'tCX le verbe est surtout employé pour désigner l'acte bien connu du synoecisme de Thésée. Il figure sur l'inscription du Marbre de Paros. chez Thucydide {Il, 15, 2, avec reprise au paragraphe suivant). chez Démosthène (Contre Nééra. 75). Dans le fragment de Philochore, l'usage du verbe présence donc la création de la dodécapolc dans un rapport étroit avec le synoccismc de Thésée, qui l'explique en grande partie. Le texte l'affirme clairement en sa phrase conclusive qui fait intervenir, cette fois. le verbe employé par Isocrate dans !'Éloge d'Hélène (35) -et que l'on retrouve dans la notice de l'EtymokgicumMagnum-cruvayELv, à l'aoriste. Le premier rassemblement opéré par Kékrops annonce le second et lui donne une raison d'être supplémentaire; mais seul le synoecismc permet de fonder la véritable ciré, une et indivisible (µiuv). la cité actuelle ('tTlVvûv) 11. Néanmoins, l'usage du verbe permet aussi de suggérer, sans l'énoncer explicitement, une possible unité encre ces douze cités, une sorte de« présynoecisme ~ d'une certaine manière. I..:autre texte qui évoque la dodécapole kékropienne la présente explicitement comme une entité unifiée, en la qualifiant de « regroupement des citoyens " ('tTJV-rT}qui séduit Constantin reste muette. Son anirude à l'écart« près du vestibule de la Lune » 51 se charge néanmoins d'un faisceau de significations. La lune peut symboliser le goût de Constantin pour la débauche nocturne dom elle est dans une certaine mesure complice 52. Elle est aussi l'emblème de la nouvelle ville fondée par Constantin sur le site de l'antique Byzance et objet de ses préoccupations 53. Cene préscnta1ion négative n'empêche pas les candidats à la divinisation de vanter leurs mérites en se conformant pour l'essentiel à la topique préconisée par Ménandros I (à qui nous devons une théorie générale de l'éloge), par Ménandros II (qui proposait un manuel pratique de composition des éloges adaptés à chaque situation) et par Anaximène de Lampsaque

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AI./PELEHMANN

(auteur présumé de la Rhitorique à Alexandre)54. On notera toutefois dans les discours improvisés par les souverains une lacune ou un traitement original réservé au topos de la généalogie et de la naissance. Ni César, ni Octavien, ni Trajan, ni Marc Aurèle, ni Constantin ne s'enorgueillissent de descendre d'une illustre famille 55. Nulle mention n'est faire de présages ou de prodiges au moment de leur venue au monde 56.À propos de César, le lecteur est de prime abord surpris de constater qu'il passe sous silence les origines divines de la gensJulia et le prcscige dom s'honorait sa famille. Le César historique n'avait-il pas, aux dires de Suétone, saisi au vol l'occasion des funérailles de sa tance Julie (veuve de Marius) et de son épouse Cornélie (fille de Cinna) pour se lancer dans une laudatio fonebris assortie d'un développement grandiose sur les deux branches de sa propre famille57? Or Julien s'abstient ici de route allusion aux origines à la fois royales (la mère de sa tante descendait d'Ancus Martius) et divine (par la gens Julia) de César. À moins que le refuge que trouve César, à la fin de la joute, auprès d'Arès et d'Aphrodite ne se réfère implicitement à cette donnée de sa biographie 58. Quant à Alexandre, d'abord occupé à réfuter les arguments de son adversaire, il ne se targue de sa glorieuse ascendance que lorsqu'il entreprend de vanter ses propres exploits 59. Encore ne présente-t-il pas Héraklès comme son ancêtre - à la diftërence d'Achille - mais seulement comme une divinité tutélaire. Le topos du genos est ainsi utilisé dans la trame du discours en même temps qu'il est intégré à la ficrion narrative: Héraclès a constamment à cœur de protéger ou d'aider Alexandre60. C'est lui que le Macédonien s'empresse d'aller rejoindre après le verdict des dieux 61. Traité de manière originale pour César et pour Alexandre, le topos du yÉvoç est inexistant dans le discours d'Octavicn donc l'incipit coïncide avec le moment de son accession au pouvoir 62. Tout au plus la désignation du princepspar l'appellation Octauianos63rappelle-t-elle, par le biais détourné de l'onomastique, l'attribution à Octave après son adoption par César, du nom officiel de C. Julius CaesarOctauianus, synthèse des tria nomina du dictateur et du nomengentile de son père véritable C Octauitts Thurinu.s64. En outre, dans LesCésarsde Julien, Octavien n'a droit à son titre d'Auguscus (l:1:J3acrwç) que dans la deuxième partie du concours lorsqu'il est apostrophé par Hermès 65. Trajan, pour sa part, s'abstient lui aussi de se référer à sa famille et entame son propre éloge avec l'évocation du débur de son règne. Peur-être Julien s'est-il souvenu ici du procédé recommandé par Ménandros li pour les souverains dont le yÉvoç manquait d'éclat 66. Marc Aurèle, trop modeste pour se glorifier lui-même dans un discours ne nous livre rien sur la lignée donc il descend. Il est vrai que l'un de ses maîtres, mentionné dans les Pensées67,lunius Rusticus, l'avait mis en garde contre les excès, l'imposture

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ÉLOGEET BLÂMEDANS LESCl:SARSDEJULIEN

et le caractère factice d'une rhétorique de mauvais aloi 68. Quant à Constantin, le point de vue délibérément malveillant de Julien à son égard explique sans doute qu'il n'ait droit à aucune présentation solennelle fondée sur la grandeur de ses ancêtres proches ou lointains 69. Les libertés prises par Julien vis-à-vis du toposdu genm ne l'empêchent pas de suivre assez fidèlement les préceptes des rhéteurs pour les autres rhèmes abordés, malgré les variantes que l'on observe d'un discours à l'autre. César se lance ainsi dans un vibrant éloge de Rome et de ses habitancs, glissant ainsi de l'éloge de sa personne à celui de sa cité 70. Er sans doute Julien avait-il en mémoire, au moment où il en écrivait le texte, le fametLxéloge de Rome d'Aélius Aristide 71. De fait, développé uniquement dans le discours de César, le topos de l'éloge de Rome a probablement pour fonction, dans l'économie générale des apologies successives, d'introduire et de lancer la problématique de la conquête, die-même complétée par l'évocation des vertus des souverains qui vient alimenter la réflexion sur I'optimttsprinceps72. Ainsi. lorsqu'il en vient à parler de se.~exploits, César ne s'appuie+il que sur des faits authentiques et dûment attestés par la tradition historique, biographique et autobiographique 73. Néanmoins, il sacrifie aux usages de la rhétorique et de la sophistique et son discours aboutit à une présentation tendancieuse des événements. En effet, conçue en fonction des titres de gloire dont pourra se prévaloir Alexandre, son argumentation repose pour l'essentiel sur le procédé de la comparaison 74. Ainsi, loin de se présenter comme un récit linéaire et chronologique, l'allocution de César se fonder-die sur des éléments épars puisés dans sa carrière au mépris de la temporalité réelle ou sur des événements mineurs pourvu qu'ils présentent un point commun avec les actes de son rival. Dans cette optique, César évoque la guerre civile avant la guerre des Gaules pour opposer, à son avantage, sa lutte contre Pompée à celle d'Alexandre contre Darius 75. En bon élève des rhéteurs. il a recours au procédé du dénigrement de l'adversaire en minorant l'expédition d'Alexandre contre les Gères par rapport à son exploit germanique grâce à un critère de fréquence: « Alexandre n'a passé le Danube qu'une fois, j'ai, par deux fois, passé le Rhin» 76. Toujours à propos de sa lutte contre les Germains, il fait valoir l'argument de la difficulté 77: il eut, dit-il, à affronter le redoutable Arioviste, tandis qu'Alexandre ne se heurta auprès des peuples danubiens à aucune résistance78. César ne fait pas faute non plus de revendiquer la priorité pour deux actes mémorables: il se targue d'avoir, le premier, exploré !'Océan et d'avoir, en premier lieu, débarqué sur la terre bretonne 79, et cela au prix d'une entorse à la vérité historique: sur ce dernier point, il s'attribue en effet à lui-même le mérite du porte-aigle de la Xelégion 80.

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Apparemment modeste, il s'exprime par prétérition à propos des Helvètes et des Ibères. En revanche, ses campagnes en Gaule fonr l'objet de données chiffrées destinées à impressionner l'auditoire81, au même titre que les statistiques avancées plus loin dans son bilan final 82. Rompu à la sophistique, il sait donner un cour avantageux aux faits susceptibles de prêter le flanc à la critique. C'est ainsi qu'il assimile subtilement Pompée à un véritable ennemi, gommanr par là même le caractère sacrilège des luttes intestines 83. Bien plus, il présence sa victoire sur son rival et ses partisans comme particulièrement méritoire eu égard au tempérament belliqueux du peuple romain et à la qualité de ses chefs 84. Il va même jusqu'à déformer l'histoire lorsqu'il oppose l'efficacité militaire et diplomatique de son intervention en Égypte au.xpromenades « touristiques ,, d'Alexandre à travers le déserr libyque85. Il termine son auto-éloge en se situant tout à fair dans la lignée des panégyriques d'empereurs par la mise en évidence de ses vertus. Il invoque ainsi sa modération dans ses succès, sa clémence vis-à-vis de ses ennemis, son sens de la justice, en regard de la cruauté de son adversaire, même vis-à-vis de ses amis 86_Il insiste sur sa philanthropie, à propos des Helvètes dont il releva les villes. tandis qu'Alexandre détruisit la cité des Thébains 87. Le discours s'achève par une vigoureuse apostrophe directe qui sollicite la réponse d'Alexandre. Celui-ci se livre alors à un exercice difficile: l'exposé de son propre éloge assorti d'une réfutation des arguments de l'adversaire. Il commence ainsi par affirmer sinon sa supériorité, tout au moins son antériorité par rapport à I'impmuor romain 88. Nul doute que Julien ne rappelle ici, par la bouche d'Alexandre, l'anecdote rendue célèbre par Plutarque et par Suétone aux termes de laquelle César, alors simple questeur. avait été surpris à Cadix en train de pleurer devant une statue du Macédonien qui, à 33 ans. l'âge de César, avait déjà soumis l'Empire Perse 89. Alexandre s'ingénie ensuite à dénigrer la personne de Pompée: d'après lui les succès de l'adversaire de César sont imputables à ses collaborateurs et à ses alliés; il n'aurait été qu'un efféminé ayanc bénéficié pour un cemps de l'aide de la Fortune 90. Le Macédonien se fait ensuite un plaisir de rappeler les difficulcésrencontrées par César à Dyrrachium et l'erreur de stratégie, cause de sa défaite 91. Bien plus, il n'hésite pas à expliquer la victoire finale de César par l'impéritie de Pompée plutôt que par le génie stratégique du dictateur, en faisant probablement allusion à une déclaration de César lui-même rapportée par Plutarque: « La victoire était aujourd'hui à nos ennemis s'ils eussent eu un chef qui eùt su vaincre» 92. Alexandre se prévam ensuite de son expédition contre les Perses, preuve de sa vaillance mais aussi de son philhellénisme. Il pousse même la perfidie sophistique jusqu'à affirmer que son offensive contre les cirés grecques

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ÉLOGE ET BlÀME DANS lE:5Cl:SARSDEJUUEN

n'avait d'autre but que de lui assurer un libre passage pour rétablir les valeurs de la civilisation des Hellènes dans l'empire perse93. En revanche, non seulement il souligne l'impiété de la lune de César contre Pom()(=e,mais il montre que la guerre des Gaules et l'expédition contre les Germains n'étaient que les prémisses de la guerre civile 94. De plus, piqué au vif par la remarque de César sur la mollesse de ses ennemis perses, Alexandre aborde le chapitre des relations éternellement confliccuelles des Romains avec les Parthes 95. Puis, soucieux de réfuter l'accusation de cruauté et d'injustice, Alexandre réplique qu'il ne s'en est jamais pris à des innocents 96. Allusif à propos de Clicus, il a néanmoins à cœur de justifier son acte criminel 97. Et peut-être s'est-il souvenu des considérations politiques et morales développées par certains sophistes de son entourage pour le consoler de son geste fatal et irréversible. On sait en effet que l'Olynchien Callisthène avait fait valoir pour atténuer le chagrin du roi, les principes d'une éthique réinterprétée en fonction des circonstances. Et, de son côté, Anaxarque d'Abdère affirmait que le souverain se sicuait au-dessus des lois et était parfaitement autorisé à« mépriser l'opinion des hommes» 98. De plus, pour quêter l'indulgence des dieux, Alexandre insiste sur le remords qu'il éprouva une fois revenu de sa colère 99. Le discours d'Octavien se signale par une brièveté que n'explique pas uniquement le temps de parole limité dont il dispose 100. Octavien prend soin non seulement de sélectionner les faits sur lesquels il s'appuie, mais de brouiller la chronologie pour subordonner leur exposé à son intention apologétique. Formellement irréprochable, son discours obéir au même plan binaire "exploits militaires/actions en temps de paix» que ceux de ses prédécesseurs 101. Octavien, à titre de transition, prend du reste soin de se sicuer en continuité par rapport à eux: comme Alexandre il a, dit-il. été appelé très jeune à exercer les plus hautes fonctions, comme César il s'est distingué par ses glorieuses actions contre les Germains 102. Il en vient ainsi à la première partie du bilan de ses activités er à l'énumération très sèche de ses victoires 103. Cela dit l'absence d'emphase oratoire ec de recherche stylistique n'occulte en rien l'irrespect de la chronologie, l'amalgame subtilement opéré entre les guerres extérieures et la guerre civile, l'égocentrisme dominateur qui pousse le prince à s'attribuer personnellement les mérites de ses généraux, pas plus que ses silences sur certains événements moins édifiants 104. Au chapitre des guerres civiles, il présente sa victoire sur Antoine comme un triomphe sur l'Égypte, puis la défaite infligée aux républicains comme une vengeance du meurtre de César 105. Enfin. il minimise le succès remporté sur Sextus Pompée au nord de la Sicile à Myles et à Nauloque en 36 av. J.-C. : là encore, il s'attribue à lui-même les actions d'éclat de ses généraux -Agrippa et Statilius Taurus 106.

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Mais c'est surrout en pacificateur qu'il se pose après un bref rappel de sa formation philosophique ec de l'influence heureuse qu'exercèrent sur lui Achénodore et Aréius, tous deux maîcres à penser du stoïcisme, bien connus de Julien. Lempercur rappelle en effet aux Alexandrins - dans une lettre datée de 362 apr. J .-C. - qu'Auguste avait jadis épargné leur cité en raison de son affection pour Aréius 107. Le même philosophe, qui avait refusé de gouverner l'Égypte, est memionné dans l'Épîtreà Thémistiusrédigée en 361, dans laquelle Julien s'efforce de démontrer la supériorité de la méditation sur l'action 108. Quant à Achénodore de Tarse, Julien se conrenre de reprendre l'anecdote fameuse, relative à sa rcappqcria: Plucarque ec Dion Cassius raconrenr en effet qu'avant de se retirer de l'encourage du prince, il s'étaie permis de lui indiquer un remède efficace contre les colères trop promptes: celui qui consiscair à se réciter mentalemenc l'alphabec avant de donner la réplique à un importun 109. Mais, dans le discours d'Octavien, le regard furciveme111jeté sur la nmoeia impériale 110 et sur les conseillers du prince annoncent et accréditent le tableau d'une politique délibérément pacifiste 111. Vient ensuite une allusion rapide à son œuvre de législateur qui mec l'accent non plus sur ses acta mais sur ses uirtutes et ses consilia. Pour finir. il se met à critiquer les conquérams insatiables « morts dans leurs expéditions» et ceux qui, tout en guerroyan1, n'onr pas su résister aux plaisirs 112. Prena111alors b parole à son tour, Trajan use de tous les artifices classiques de la rhétorique; il vise d'abord à faire ressortir le caractère unique et exceptionnel de son action contre les peuples du Danube 113; en même temps, il esquisse une comparaison encre la postérité de son règne et la désastreuse tyrannie de son prédécesseur Domitien qu'il s'abstient de désigner nommément 114. Bien plus, il insiste sur le courage extraordinaire de ses adversaires, les Gères, qualifiés par le superlatif µax1µormto1 et il explique les raisons de leur combativité hors pair, à savoir leur énergie physique mais aussi leur croyance en l'immortalité de l'âme. conformément à la docrrinc de Zalmoxis I IS. Il ajoute une donnée chiffrée pour conférer à son action encore davanragc d'éclat: cdlc des cinq années qui lui suffirent pour mener à bien la première et la deuxième guerre contre les Daces et célébrer un double triomphe 116. Parmi ses uirtutes, Trajan se prévaut d'abord de sa clementia, supérieure d'après lui à celle de ses prédéce.~seurs117. Il mec en valeur ensuite son sens de la justice puisque, fidèle au vieux principe du pium iustumque belium, il n'a attaqué les Parthes qu'après que ceux-ci avaient offensé les Romains I IS_ Enfin, pour compléter son portrait de souverain accompli, il se pare des qualités d'empereur philosophe 119. Ce trait n'a pas manqué d'étonner les commentateurs. Il convient toutefois de rappder, à cet égard, la posicion des stoïciens vis-à-vis de la guerre et des conquérams. On sait

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en effet que le Portique condamnait l'inaction cause d'amollissement en temps de paix et justifiait les guerres de conquête au nom d'une morale de l'énergie 120. Il n'est pas exclu que Julien partage le point de vue ascétique des stoïciens, ennemis de l'inertie, à l'inverse du cynique Diogène, mis en scène par Dion de Pruse face à Alexandre pour le préserver de l'ambition excessive et de l'appétit immodéré de conquêtes 121. Mais c'est surtout pour sa clémence que Trajan est récompensé par les dieux, dès la fin de son allocution 122. À cet égard, il est possible que Julien ait gardé en mémoire la teneur du premier discours royal prononcé par Dion de Pruse en présence de Trajan. En effet, cet éloge à dimension parénétique incitait discrètement l'imperator assoiffé de conquêtes, sur la base de l'énumération des injustices d'Alexandre, à faire preuve de plus de clémence et de plus d'équité 123. Marc Aurèle est pressenti pour encrer dans la joute oratoire après Trajan; mais, à la surprise générale, le disciple de Fronton refuse de prendre la parole, suscitant par là même l'admiration des dieux. Er Julien explique leur approbation du silence de l'empereur philosophe à l'aide d'une citation d'Euripide: « Parler quand il fallait, et se taire à propos » 124. C'est donc le commentaire des dieux qui fait office d'éloge décerné à Marc Aurèle: ils reconnaissent en lui 1111sage et un être d'exception 125. Le concours d'éloges s'achève avec l'allocution de Constantin. Celui-ci entame son auto-éloge en affirmant d'emblée sa supériorité sur les autres participants 126. Les arguments qu'il développe ne font l'objet d'aucune recherche stylisàque, leur force de persuasion est faible. Il se contente d'opposer les Germains et les Scythes qui furent ses adversaires aux Barbares qu'affronta Alexandre, puis les tyrans qu'il a châtiés aux« honnêtes citoyens ,. combattus par César et Octavien sans donner le moindre relief aux antithèses 127. Il suggère timidement que la reconquête des territoires déjà soumis par Trajan est peut-être plus méritoire que leur conquête initiale 128. Tout porte à croire que Julien se livre ici à une réécriture volomaircment gauchie des nombreux panégyriques rédigés à la gloire de Constantin de manière à obtenir un éloge maladroit, peu convaincant et plus déshonorant pour son bénéficiaire que ne le serait un blâme. On notera tout d'abord en effet, pour Constantin, l'abandon du plan binaire émanant de la dichotomie actaluirtutes. Non seulement les exploits guerriers sont dénigrés, mais Julien ne mentionne à aucun momenc la .Il s'agit, dans les deux cas. de suivre les textes légaux au pied de la lettre. Là où le texte de Dion Cassius donne une interprétation restreinte, Tacite propose une analyse générale. mais il n'y a pas nécessairement contradiction entre ces deux témoignages. Dans ces conditions. l'indication de la science juridique de Nerva prend rout son sens: die pourrait paraître superflue car elle a déjà été mentionnée, mais Tacite, qui a décrit plus haut la

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MICHÈLE /ll

:co.S

répression er b rerrcur qui suivircnr l\:xéc11rio11de Séj:in 40, qui a décrie la morr affreuse de: Drusus, k· perir-îils de Tibèn.:41 er souligné la ruprure de tour lien social dans b rerreur, réussir à faire ressorrir une nouvelle fois la disparirion de l:i légaliré en s'arcardanr sur la mon volontaire d'un juriste, familier de l'empereur. Il l'acccnrue même en rappdanr il nouveau la compé1ence juridique de Nerva 42 au momc:n1 oü ce dernier refuse cerre rupture de l"État d.::droir. Si le cu:icrère politique de ce suicide est manifesre, l'in1rusion du politique dans le droi1 est plus évidence encore dans le cas de Labeo er de Capiro·U. Pour ces deux juristes éminents, T1ci1e oppose deux carrières et dc.:uxtypes de conduite. Deux carrières, C:1pi10. proche du pouvoir et des empereurs. qui parvint :Ill consubt; L:1beo donr la carrière politique s'arrêta à la prémre. Deux conduites: l'esprir de soumission (obseq11ium)pour C,1piro, comportement goùré des p11iss:rn1sc1 qui favorisa sa carrière, l'esprit d'indépendance de Labeo (libertas) qui mir fin à sa carrière politique. Capico esr proche de l'empercm; T1circ s'arrête longuemcnr sur une de ses interventions au Sénat 011,sous couleur d'indépendance, il rend à affirmer er renforccr la toute puissance impériale 44. De fait, d'aurres documents font appar:iirrc les liens de Capi10 avec Tihèrc. Selon Suérone4~, alors que M. Pomponius M,1rccllus :1v:1ircririqué un mm employé par1i6ère, Capico défendir l'empereur cr ~vlarccllus répliqu,1 que Tibère pouvait donner la citoyenneté romaine aLLX individus, mais non aux mois. L.:épigraphieconfinnc aussi h place de Capi10 dans l'activi1é du sénat: son nom figure dans le séna1us-consultc de Larinum donc il for l'un des rédac1eurs, et dans le sénams-consulre de Pisonc patr,•4u. Cc juris1c se I rouve ainsi associé à l'adminisrra1ion impériale et proche des empereurs. Pour les historiens,,, l'accélération de sa carrière ,,47. indiquée par Tacite prète à discussion; R. Syme48 considère.: qu'il n'en est rien. Si l'on en croie Pomponius 4EZ (F.). Das Sen11t11.s Conm/tum dr Cn. Pisone Pam·. Munich 1996: DAMON (C.) & TAKACS (S.) (éds). The Senatus Consulcum de Cn. Pisone Patrc. 7èxr, Transi.arion,Discussion=A.j.Ph 120, 1 (1999). 9. DEVILLERS(o.)," [Oct,wie cr lesAn11aksde Ï:1circ ", Vit,1L,ztinan° 159, septembre 2000. p. 51-66. IO. Sur ces auteurs et plus largement sur l'his1oriographic du 1er siècle apr. J.-C., WILKES(w.), .. Julio-Claudian Hiswri:ins .., C 65. 6, l ')72, p. 177-192. 197203; NOË (E.), Storiogmjiaimperù1/eprrtacitian,1.Lim·e,li Sl'olgimmto,Florence, 1984; DURET (L.), ,, Dans l'ombre des plus gr;111ds:Il. Poètes et prosateurs mal connus de la latinité d'argent ,,, A.NR. \\'III 32, 5. 1986. p. 3152-3346; aussi CIZEK (E.), Histoire et historiensà Rome d,ms /'Antiquité. Lyon 1995. p. 179200; ARNAUD-LINDET (M.-r.), Histoireet politique à Rome. us historiensromains (!Il' av. J-C. - vr api:J-C.). Rosny 2001. p. 204-213; PEVILLERS, (o.)« Nabis in artoet ingloriuslabor. Hisroirc cr historiens sous les Julio-Claudicns ,,. brochure • Faculté Ouverte», Liège, fëvrier 2001, 23 p. 11. Hypothèse fondée sur la chronique ..'V(chapitre 5, 22-.30: deux doubles pages er dc.:miedans l'édirion de la CUF)S, raconte la mission accomplie, c.:naoûr-septcmbrc 355, par Ursicin, supérieur d'Ammien -qui l'accompagnait-, dc.:puisMilan jusqu'à Cologne, pour érouflcr dans l'œufl'usurparion du général Silvanus. Ursicin et son petit ,, commando» feignent de sc rallier à l'11surpa1eur cr soudoie111certains de ses soldats pour l'assassintT. Ces p:1gesconstiu1e111une unité narratiw ncrtemenl individualisée et en marge des aucres secrions à caractère autobiographique, qui sonc plus développées et routes rassemblées dans les livres XVIII cr XIX, insérées dans le.:récit de Li grande offensive perse de 359 en Mésopor:unie romaine. Ce solll dies qui recicndronr surrour notre attention. Un premier ensemble (XVIII, 6,5-À'VIIU 4 - douze doublcs pages et dt·mie) détaille les péripéties des vaines tenrarives d'Ursicin pour enrayer l'avance ennemie. Afîn de conserver k co111rôlcstratégique de ses troupes, Ursicin doit quiner Nisibe, trop exposée, et échappe de peu à l'avant-garde perse, dans une fui ce éperdue qui le mène à Amida. De cette dernière ville, Ammien mène. seul avec un cemurion, une mission de reconnaissance sur la rive gauche du Tigre. en Gordyène -ancienne possession romaine passée dans l'orbite perse.:. Gdce :1ses relations personnelles avec le satrape Jovinianus, Ammien parvient à un poste d'observation d'où il peut vérifier de loin l'entrée en campagne de l'armée perse. ;1insi qu'évaluer les effectifs engagés p:ir lt: Grand Roi Sapor. Tandis qu'Ursicin organise la défense en profondeur du territoire romain entre le Tigre cl l'Euphrare, les Perses modificm leurs plans et se dirigem vers Amida, qui n'était pas leur objectif initial. Ursicin doi1 à nouveau quitter la ville oü il s'est établi, mais trop tard pour éviter des uni rés de cavalerie qui dispersem et déciment son état-major et sa suite. Il parvien1 à s'échapper presque seul. mais Ammien, isolé, esc contraint de retourner s'enfermer dans Amida, bienrôt cernée par le gros dc l'armée perse. Enfin, les huit premiers chapitres du livre XIX (vingtdeux doubles pages) relatent le siège de soixante-quatorze jours soutenu, du 25 juillet au 5 octohrc, par la garnison romaine. Après l'assaur final, Ammien parvic111i1se cacher. puis à fuir de nuit avec deux compagnons jusqu'à Mélitène sur !'Euphrate.:- tandis que les Perses renoncent à poursuivre leur oHènsive c.:nautomne et se retirent vers leur fromière, après avoir rasé Amid;i. L'ensemble de ces événcmenrs ne couvre-cr assez parriellemcnr- que deux étés. Ammien est donc loin d'avoir parlé de toutes les péripéties de sa vie militaire (pour ne rien dire de sa vie d'homme). La plupart nous resteront inconnues, et même touce une pan de son expérience est rapportée d'un poin1 de vue désindividualisé; il s'agit du long récit de la campagne de Julien en Perst·, en 3ô3 (livres XXIV er X>-.'V)à laquelle Ammien a participé. cr dont le récit mêle à la troisième personne un nos

(,22

AI.ITOBJOGRAPHJE ET METHODECHEZAMMIEN MARCELLJN

(Je.Romani) collectif de mémorialiste où l'rgo n'apparaît jarnais-.'XXIII.1-5. Probus.XIX. 2. 8. HistoireRomaine, XXX 45, 5-6. 9. Roma rriumphans. Bâle 1559. p. 214-215: Miratique uliquando sumus quo sit factum modo ut sieurrriumphalispompa pri.scisomnium cekberrima e l-ari.-ano et ab Apollinis t,·mploin urbem duceb,1tur,ira et chri.sti,misremporibusecc/esi,uticorum ordinum processionesq11,1ecumque sol,·mnese \l,uicm10pariter et ,1beati Pm·i ba.silic,1 qwu in illius templip,1rteconstroct,1,·stim·,mt... \·éstes11ero quibttS S,zliii11pomp,, uteb,mtur.subtili simpliciquesericoceml,·ofaere colon, candidioribus uirgulisintertextis,quibus Constaminopolitam,mparriarchamuti 11ùlrmus et c,mdam nulfosustmtanu rraheba11t Salii nostrornmc,mlinalium morequi illos imitati uidmtzir cauda longiorrancilequeunum ex iis, quae caelodecidissedicebant, bracchiot,mquam in prorlio aptatum dejèrrbam. [. ../ 1O. Stefano lnfessura, Dù1riodefl,zcitû di Roma, p. 261 1 1. Ibid. p. 282. 12. Vacicanus L11i1111s 3762. 13. Louis Duchesne. Liber Pontificalis,1882-1957. Vol. II p. 282 Gregorius VII (1073-1085). Extrait du procès-verbal de l'élection de Grégoire VII: /. . .] Congregatiin basilica Beari Petri ad Vincu/a, nos

s,mcteRomanemtholice et apostolicaeecclesiaecardinales,c/erici,acoliri.mbdiaconi,prt'sbiteri.pmesentibm 11ene1'dbilibus episcopiset ,1bbatibus.c/ericùet 111Çtep KlVOUVEUOVtl Kcx0cxpovqmÀ.Euyôvtwv. « Cexpression vient d'« Adraste,, et s'applique à ceux qui, après avoir connu un son heureux, sombrent dans le malheur. [ ... ] De là vient qu'on cite le proverbe à propos de ceux qui, coupables d'injustices, n'échappent pas à la justice. "Voir aussi Diogénien, I. 54 (éd. cit.. p. 189). Pour d'autres écymologies. par exemple, le jeu de mocs possible avec (Üopacrtoç. « celle qu'on ne peut fuir ,,, voir la SOUDA dans Lexitogr.Gr.,éd. A ADLER, t. 1. 1, p. 54. n° 523. Enfin, Paus. 1.33 rappelle les vers d'Antimaque (= fr. 43, Epic. Gr.ec.fhigm., éd. KINKEL., p. 273), cités par Strab. XIII, I 2, 588, qui rapporte qu'un roi phrygien, Adraste, aurait édifié sur les rives de l'Aisoposun sancruaire à Némésis, qui aurait alors pris le nom d'Adr.mée. Toutes ces étiologies som reprises dans Eust..ad. Jliad.B, 828 et Érasme, Adages.II. vi. 38.

n

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LA JUSTITIAPRINCIPISDANSLESSYMB.QUAESTIONESDil. BOCCHI

40. La présence dc:s ailes, de la bride et de la coudée permctcent également de confirmer que. malgré l'épithète de Rhamnusia,le type évoqué par Bocchi est celui de Smyrne. 41. Anth. Plan., X. 223: ·H Nɵrnu; 1tpoÀÉ-yE1 t'!)ltllXEt t'!} tEXUÂ1v4i/µ11t' v µT]t· àxâï..1va ÀÉynv. ~ Némésis. munie: de sa coudée et iiµEtpov -n 7tOtEÎ de son mors. nous invite à ne: rien faire sans mesure. à ne rien dire sans retenue. - La répartition symbolique est reprise par Alcia1, Emblnnata, éd. Tozzi. Padoue, 1621, XXVII: [ ... ] Continet et cubitum duraquefrena manu/Ne ma/a

quid fadas ne11eimprobauerba loquaris!Etiubet in cunctisrebttsadessemod11m. « Némésis a dans la main ec la coudée cc le dur mors, pour empêcher les mauvaises actions et les paroles inconsidérées. Elle ordonne d'avoir de la mesure en toutes choses. " 42. Voir. pour Bocchi, le S 117. 43. Le symbole de: la balance, lié à la justice, est logiquement et fréquemment suggéré dans l'évocation de Némésis. Voir par exem~le l'épiP.ramme de Théétète 4ans l'Anth. Plan.. 221, v. 9: 'Avt1taÀavn:ûw taç ÉÀ.mÔaç,« je contrebalance les espoirs humains• et Mésomède, Hymneà Némésis.II, 40: Piou pona. " la balance de la vie "· De plus. le mot nnxuç. s'il renvoie bien à la coudée, peut aussi désigner un élément du fléau de la balance: cc évoquer méconymiquement l'appareil tout entier. 44. Pour la formulation. comparer avec Hor. Sat., I, 2. 24: dum uitant stultiuitia.

in contrariacurrunt.

45. HOC BOCCHIAN!SYMBOLVMES< T > NVM!SMATIS:MATVR-4FEST/NATIO. lnc(vta fa/catis insignia sustinet AluNnguibus et µnôÈv fort àvaPaUoµEvo,;./ Contraaliussu,uletmagnisrationibusatque/Exemp/issemper nâvta àvapaÀÂ.oµEvoç/AstegonecµTJÔÈv neqttesemperncxvta, sed inter!Htfc duo quodpositum est,id satisessep1110.I puto,M nequecunctandum nimis est,ira est necproperandum.lMaturr celn-ini/ pritts est genio./Hic ,rgnar,iuumis pr3r De mentis effigie conatussttm multa, ex quibus um,m ad te mitto expictumiam sed nondum camtine satis ex animo meo expressumsymbolmn, « Sur la représentation de l'âme, j'ai fait de nombreuses tentatives; je t'envoie l'une d'entre elles, un symbole qui est déjà sous forme de dessin, mais que mon cerveau n'a pas encore exprimé suffisamment bien sous forme de vers. » 107. v. 18-32: Accensain medio ccntri quadrata lttcerna!Pcnsilisipsa suo /ibransse pondere cyclis!StRpta tribus. tum dispositissex axibus apte/Etfacile usque uolttbilis undique nec tamen olim!No11erecta. Lieu uehementer stRpeagitato!Exterius quatefocta globo, manet et sibi constat./ lmmensa replensmundttm /uce intus et extra/Et mage comprehenditquam comprehendaturab illo./ Tum repetensfaimmis rutifantibus dthera, tamquamllncensura manum, pendens folua unde catena/1/lamcausarumserkm notat immortalem,/Perquam prùtcipium non immemor ips,zsui mens/Fi11emquc agnoscensmiro inflammatur amore et!Astrasuper celerilapsu ttolatardtta 11amquellgneus est olli uigoret ctRlestis origo.,, Une lampe de forme carrée a été allumée au centre du globe et se tient suspendue, gardant son équilibre grâce à son propre poids. enclose dans crois cercles; ensuite, grâce à l'heureuse répartition de six axes, elle se meut partout cr toujours avec facilité, demeure droite cependant et se tient fixe sur elle-même, quoique souvent ébranlée violemment par l'agitation du globe qui l'entoure. Elle diffuse sa clarté 0

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ANNEROl.ET

immense :1l'intérieur et à l'extérieur du monde et elle l'englobe, bien plus qu'elle ne pourrait ém: englobée par lui. Ensuite, elle cherche :1rejoindre les espaces éthérés de ses flammes rougeoyantes, comme si elle voulait enflammer la rmin d'oü pend la chaîne dorée qui signifie la série infinie des causes. A travers clic, la Mens. gardant le souvenir d'elle-même et reconnaissant son origine et sa fin. s'enflamme d'un amour extraordinaire et s'envole à tire-d'aile, au-ddà des astres élevés, car elle possède: une essence ignée et une origine céleste. ,, Pour la chaîne d'or du v. 27. voir Hom., Il., 'XV, 18-21 et son intcrprùation dans le Ps.-HÉRACL., Allég. d'Homèr,·. XL, 14; sur l'envol platonicien de l'âme vers son lieu ( >< u

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taôuo tcôv ovoµa.twv) de Cicéron. Pour trouver les noms propres que cite Valeriano. il faut à nouveau avoir recours à un auteur antique, Pline cette fois. Dans le livre XVIII, comme il explique l'étymologie agricole de certains noms, Pline rappelle l'origine analogue des surnoms rom:ùns: usprrmien surnomsfartnt tirls aussitk l'agricu/turr:celuitk Pilumnus, inventeur du pilon (pilum) à piler le bU, celui tk Piso, qui vient tk pisere

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ST!PHAJI/EROLET

(piln). uu.,· tks Fabii (tk fabù, ftve), des unruli (tk lms. kmilk}, tks Cidrom (tk cictr, poischicht), nomml chacun d'après l'espèct tk ligume quïl excellait à cultiver?.

Si Pilumnus a disparu chez Valeriano, en revanche, on trouve, en compagnie de Cicéron, les trois autres noms qu'il cire ec l'ultime membre de phrase est aussi emprunté à Pline. Mais Valeriano procède à J'inverse de sa source. li imagine d'abord la défense de Cicéron, à qui ses amis recommandent de changer de nom et il commence par prêœr à Cicéron la justification donnée par Pline en dernier lieu, à savoir que ces noms antiques sont respectables et que tout un chacun était jadis« nommé[ ... ] d'après l'espèce de légume qu'il excellait à cultiver ». Valeriano introduit donc une motivation élogieuse du nom propre personnel. qui fleure la simplicité pieuse et rustique du bon citoyen républicain, là où Plutarque, dans le passage qui, dans la Vietk Cicéron,précède celui que nous avons cité, donnair une explication ayant rrait à une forme de nez parùculière 10. Mais il va plus loin avec le motif de la coupe. En dfet, il est d'abord important qu'il s'agisse d'un objet précieux, personnel et identifiable. En outre, il n'est pas indifférent que cette coupe soie destinée aux dieux, qui doivent reconnaître à son nom le donateur. Or le nom qui identifie vraiment un Latin, c'est le troisième. son surnom, cr ici il esr rendu visihle sous forme d'un objet figuré. L'humaniste qu'est Valeriano est sensible à ce raccourci figuré: le signe mué en hiéroglyphe devient immédiatement accessible à ces dieux qui. de par leur condition divine, communiquent par un langage différent de celui dt~ mortels 11. Du même coup. cela explique qu'il aie gommé le caractère plaisant, selon Plutarque. de cecre idée cicéronienne. Le contexte du sacrifice l'excluait et il fallait rendre à l'événement le sérieux qui lui convenait. Ajourons qu'il montre en même temps que le prince incontesté des orateurs latins pouvait abandonner momentanément sa langue et, dans le contexte particulier du sacrifice, miliser le langage hiéroglyphique pour s'adresser aux dieux. C'était faire reconnaitre la prééminence du langage hiéroglyphique grâce au modèle de l'orateur. Enfin, ce hiéroglyphe s'apparcnre à ·un rébus (remplacer le vocable phonétique par la figuration de son signifiant), ce qui signifie donc que, pour Valeriano, ce type de jeu sur les mots encre dans la catégorie des hiéroglyphes. D'ailleurs. il va plus loin, lorsque, dans les quelques lignes qui précèdenr Lrnccdore de la coupe, il écrit que: Il ne contrevient p,zsà la loi hiéroglyphique d'utiliser comme son propre un llgume ou un fruit qui ait unt ronsonanu avec so11nom pasomzel. aimi une lentille pour Lcntulus. une flv,· pour Fabius 12. 110m

C'est écrire clairement que ce jeu de rébus est aurorisé d:ins la fabrication de hiéroglyphes cc. ici, même si Valeriano vient de décoder plusieurs signes grâce à Pline. il propose. de fair. un encodage possible à tout lecteur

"'I DU TRIPLESCEAUD'AUGUSTEÀ L'ANNEAUDU PAPE

donc le nom auraic, d'avenrure, quelque accointance sonore avec un végécal aisémenr figurablc. Mais, ce qu'il cait. c'esc que l'ucilisacion du rébus esr scriccemenr interdite dans la constitution des devises, jeu de cour qui est particulièrement à la mode 13. De faic, il singularise donc le langage hiéroglyphique qui, lui, fair entrer le rébus 14 dans son domaine. Or le rébus offre une possibilité qui est fore simple pour figurer un nom propre et donc la dignité esc garantie, puisque d'ülustres exemples romains en sancàonnent l'usage. Ainsi, la coupe de Cicéron est pour Valeriano le prétexre à fournir une explication de l'origine des noms propres, à partir d'une analyse portant sur ceux d'entre eux qui, verbalement, conservent quelque chose de leur lointaine naissance hiéroglyphique.

Les trois sceaux d'Auguste Dans cene collection d'objets rendus mythiques par leurs porteurs, la coupe de Cicéron était sans doute moins connue que le sceau ou plutôt les sceaux succcssivemenr utilisés par Auguste. Ceux-ci ne pouvaient qu'attiser la curiosité du lecteur. car, fondateur de l'empire romain, Auguste est sans doute, à la Renaissance, la plus grande figure parmi les princes de l'ancienne Rome. Valeriano évoque ses sceaux par deux fois. À propos du sphinx, dans un paragraphe intitulé " Secrets à protéger "· Arcana ttgenda, il mentionne les deux premiers sceaux d'Augustc:

Bien plus, dans les templestks Égyptiens,lessphinx indiquent hiérogly-

phûp«mmrqueks cruyanasa ks principesmystüp«s,ainsiqueks rtglasacrles doivent êm conservési11tacts par ks nœudstks énigmesloin tk lafoule profane lafigurr et exposésuniquement dans tks formulations secrètes:c'estdonc a11ec du mutisme du sphinx qu 'OctavienAugusteseplut longtempsà scellertablettes et lettres; il k rejetaplus tard, utilisant ensuite.pour sa valeur d1,em-e11.,: présage.l'imaged 'Alexandn.'5.

Le sphinx est situé d'emblée au sommer de la hiérarchie hiéroglyphique. puisque, chez les .1:.gyptiens,il est mis en rapport avec les secrets divins dont il indique l'indispensable et nécessaire protection. Mais l'animal est parfaitement connu du monde gréco-latin pour l'énigme difficile qu'il posa à Œdipe. En apparence donc, il paraît fort éloigné des préoccupations politiques du prince. Pourtant, gdce à Auguste, Valeriano établir une relation entre ces deux applications. Ce qu'il met en avant, c'est le silence (taciturnitati.r) qui doit entourer ses décisions, comme si dies étaient sacrées. Puis, il signale qu'Auguste préféra ensuite le portrait d'Alexandre. La justificaàon de ce changement n'est pas donnée de manière positive, il faut la retrouver en creux dans l'expression« pour sa valeur d'heureux présage ».filicis ominis causa, appliquée à l'image d'Alexandre. En effet, une telle

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STÉPHANE ROLET

formulation suppose que le sphinx avair une connocarion opposée. En outre,

comme on saie qu'il exiscc un troisième sceau, on peur s'interroger sur le double silence de Valeriano.

Le sphinx, un sceau trop parlant? Comme Valeriano memionne ailleurs les croissceaux ensemble, on pouvait penser qu'il se montrerait alors plus disert. En effet. après avoir fuie allusion il quelques monnaies d'Augustc, il évoque le motif de ses sceaux successifs: Comme il{= Auguste) avait rejetéle sphinx avec lequel il avait /1Jabituik M scellerSt'S rablettes,non s,msavoir esmyélesplaisanteriesde nombreuxdestinataù-rsqui ironis,tiemen disalll qu ïl était co11tumin·M leur envoyerMs énigmes, il scelb1üSU-Z longtemps,zveclïmage d'Alexandre,jusqu'à ce qu'enfin il lui vint la fa11r,1isie d"utiliserla sienne, puisque son autorité déjà tour à fait soliM étuit rmfa,-céecr sa gloire reconnue.Bim plus, lesprinces qui lui succédnenr co11Iinuh-r11t, eux aussi, à utiliser un sceauà son image 16.

On a alors l'impression de comprendre qu'Auguste a préféré changer de sceau. parce qu'il lui est apparu que le choix n'en était pas judicieux, à cause des moqueries qu'il entendait à son sujet. Ici il est clair que, comme le sphinx rhébain, Auguste envoie des énigmes. On peut doncalors penser que le choix d'Alexandre comme sceau établir. au contraire, une plus grande et plus claire adéquarion enrre le prince er son symbole, puisqu'Augusre peut rivaliser avec le conquérant macédonien, eu égard à son expédition égyptienne et au fair qu'il air bâri un empire. Mais, Valeriano n'en resre pas là er indique qu'Augusre finir par uriliser sa propre image. Ici sa source principale, mais non unique, esc Suétone qui rappelle laconiquement la succession des crois sceaux: Pour cachererles brevets.lespiècesofficielleset seslettres,il employad'abord l'imagedim sphinx. mmite une effigied'Alcx,mdrele Grand, enfin sonproprt' portrait gravép,ir Dioscuride,qui resra le sceau des empereurs suivanrs 17.

Suécone donne le nom de Dioscuride, le sculpteur de ce sceau, une information que Valeriano aurair peut-être fournie dans un auue concexce. Mais on peuc comprendre qu'il n'aie pas même mentionné ce sceau auparavant, car cet usage de sa propre image par Auguste csr caurologique ec non plus symbolique ou hiéroglyphique. li indique pourtant cet ultime changcmeni de sceau car les successeurs d'Auguste vont s'approprier l'image de leur prédécesseur et donc donner un senssymboliqueà une imagequi, sousAuguste. n'en a pas encore.Ce qui lui en confère une, c'est précisément la raison qui a poussé Auguste lui-même à adopter son image, c'est-à-dire sa gloire. son empire (autoritatisiam ualidissimaeco"obotae, clarissimusque):la distance entre le signifiant er le signifié du symbole est abolie, Auguste est devenu son propre symbole et n'a plus besoin de la médiation de la figure

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DU TRIPLESCEAUD'AUGUSTEAI.:ANNEAUDU PAPE

d'Alexandre. Il est clair que la succession des trois sceaux forme à son tour une sorte de séduisante suite où l'on passe de l'énigme à l'évidence, la figure d'Alexandre, symbole du roi conquérant, permettant d'assurer la transition entre le Sphinx et Auguste, qui ne représente plus que lui-même. Auguste devient pour ses successeurs ce qu'Alexandre a été pour lui, jusqu'à ce qu'il l'égale et l'éclipse. Dans ce cas, de même que César Borgia prit comme devise" Ou César ou rien », Aut C4Sar aut nihi/18, Valeriano montre que, pour les successeurs d'Auguste, ce sceau à son image possède presque, sinon la forme. du moins la valeur d'une devise 19, car il s'agir pour eux d'assumer un héritage et de prétendre faire aussi bien que lui. Reste pourtant à expliquer clairement pourquoi Auguste s'est détourné de son sphinx pour choisir Alexandre. Curieusement la suite du premier texte de Valeriano que nous avons ciré n'explicite pas la formule« pour sa valeur d'heureux présage », felicis ominis causa, mais le deuxième passage ciré y pourvoit. En effet, après avoir indiqué que les successeurs d'Auguste se serviront de son image, Valeriano revient de fair sur ... Alexandre à qui il consacre un paragraphe entier pour exposer qu'il est un signe de • prospérité ", prosperitas. À l'appui de ses dires. il cire Trebellius Pollion évoquant le goût prononcé des Macriens pour J'image d'Alexandre: Pour ce qui rou,:heà /'image d'Alnc,mdre. on se persuadajadis, à cause d'11neopinion fort répandueparmi les hommes. que celui qui porterait une image d'Akxandre ftapple dans l'or ou l'argentverrait tolll lui réussirhrum,sement et toutessesactionsen èrn favorisées.si bien que lafomi/k Mamana. que Trebe/JiwassuT'I! avoir éti la plus nobk tk Rome en son temps. avait pris /1,abitruktU considlrerl'imaged'AkxandT'I!com= étant quasifamiliak, chez leshommessur kur orjt,,rnû ou kur argentnie. dxr, ks.fommt:5sur kurs risilks, kurs bracelen,kurs anneaux et tous leursautresgenT'l!s tk parures20.

Valeriano fair donc un usage rétrospectif de Trebellius Pollion pour expliquer le changement de sceau d'Augusce. Alexandre devient alors une sorte de porte bonheur qui, rapporté à l'époque d'Augusre, accompagnerait le sentiment de la restauration d'un âge d'or. Pourtant, une autre source connue et utilisée par Valeriano invite à découvrir dans la succession qu'il décrit une autre motivation. En effet, il n'a pas inventé la réflexion ironique des destinataires d'Augusre devant son sphinx, Pline en rend compte en ces termes: 4

Le divin Auguste, à sesdlbun, empluyaun cachetreprésentantun sphinx: il en avait trouvé deux,absol11ment semblables,parmi les baguesde sa mm: pendant lesguerresciviles,en son absence,sesamis employèrentl'un tks deux pour cacheter les lettres cc les édics que les circonstances obligeaient de donner en son nom: ceux qui ks recevaientdisaient non sanshumour q~ ce sphinx kur apportaittU1énigmes.B~n sur la grenouillede Mécène était aussi fort redoutée lorstU1prrceptionsdïmpôt1. Dans la suite.A1'gusu,pour éviter lessarr:ammp« sonsphinx dicknchair, seservitd'un cachet figurant Akxa,u/T'I! le Gra,u/11.

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STEPHANEROLET

Cc texte rc::consrirueun cheminement que Valeriano a compris, ce donr atteste l'expression« pour sa valeur d'heureux présage »,jèlicù ominis causa, qui justifie le choix d'Alexandre comme sceau. Si. avec Auguste, le sphinx est appelé à devenir un symbole des « secrets à cacher "• arcana tegmda, il doit lui-même être secret, puisqu'il permet à Auguste de valider des décisions politiques par le truchement de ses amis, sans érre présent à Rome donc, quand on comprend bien que sa présence serait normalement requise. L'invention de ce sceau dans les affàires personnelles. privées donc secrètes, de la mère d'Augusre est déjà emblématique de sa fonction. De plus, ce sceau n'est pas unique, mais en double exemplaire, ce qui d'emblée renforce sa duplicité, si besoin était. Plus grave sans doute, ce cachet est utilisé pendant les guerres civiles, peur-être pour les proscriptions (edicta). En oucre. il n'est pas certain que l'esprit, dont font preuve les récipiendaires des lettres, soit autre chose que celui du désespoir, alors qu'ils reçoivent l'énigme morrdle du sphinx, dont aucune réponse ne peut les sauver. En effet, le risque inhérem à la mésimerprétarion du discours crypté du sphinx conduit inéluctablement à la mort et fait du sphinx lui-même un présage de mort. La suite du texte de Pline paraît aller dans ce sens. En effet, s'il écrit que« la grenouille de Mécène 22 était aussi fort redoutée» cela signifie rétrospectivement que le sphinx d'Auguste esr cerres un signe de reconnaissance politique, mais qu'il a également été un instrument de terreur cr donc un calamitatisomen pour qui le recevait. Si le sceau du ministre. une paisible grenouille, effrayait, le sphinx du maitre devait pouvoir terroriser. On ajoutera que Valeriano rassemble ailleurs, implicitement, les deux sceaux d'Augus1e e1 de Mécène. En effet, il circ la seule grenouille de Mécène comme un hiéroglyphe du silence et il ajoure qu'Augustc prisair beaucoup la compagnie de Mécène, précisément à cause de son « mutisme ~, taciturnitas, ce qui est exactement le sens hiéroglyphique du sphinx. Ainsi la disparition de ce sphinx, que V.-ilerianone paraît p:L~beaucoup regretter, est peurêtre due à son excessiveet involontaire garmlitas. Car si le sphinx cache des secrets, l'ombre de b mort plane trop au-dessus de lui, pour que, dans 1111 mouvement de retour imprévu, il ne dévoile pas ce qu'il était censé celer, les machiavéliques projets du Prince. Aussi, entre le sphinx trop parlant et la propre effigie du prince, il n'est guère surprenant que Valeriano air plu1ùt mis l'accent sur l'cnrre-demc, l'image d'Alexandre, qui vient servir une prop:igande du bonheur, dont la mode au cours des siècles ne faiblit pas.

Le sceau pontifical Parmi les rares objets symboliques contemporains que cite Valeriano dans les Hieroglyphica,le sceau papal nous parair rencontrer les attentes qu'il exprime dans l'évocation du sceau d'Auguste. Après avoir rappelé que.

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DU TRIN~ SCEAU D'AUGUSTEÀ üf.NNEAU DU l'Ai'E

dans !'Antiquité païenne cr, en particulier. sur les monnaies, le navire signifie souvent le « succès "· filicitas, Valeriano se tourne vers le monde chrétien et il mentionne alors le sceau pontifical, dans un paragraphe intitulé « réussite de la foi chrétienne», Christianaepietatis succmus: La foi chrétien nt' el/t' aussi a pour signe de sa très heureuu réussitt' un navire 23, accompagné de Pierre le pêchror. qu'on voit gravés aussi bien sur l'anneau penon ne/ du Souverain Pontift que sur les monnaies du foc pontifical et qui sont ks signes tout à fait clain deson succèsà venir. montrés bien des années auparavant24.

On voir ici rassemblés sceau et monnaie. alliance qui aurait pu être notée aussi pour Auguste 25. Le sceau papal est composé de deux éléments, un navire et Pierre en pêcheur. Que le navire signifie le« succès ,,,filicitas,est acquis par les lignes précédant celles-ci. En l'occurrence, le navire apporte bien évidemment le succès à celui qu'il porte. Pierre signifie la religion chrétienne pour plusieurs raisons qu'il convient de passer en revue. D'abord, il est un disciple du Christ. un pêcheur d'hommes 26, à qui a été confiée la charge de l'i:glise. En cela, il ne représente pas seulement Pierre, mais la communauté chrétienne, qu'il dirige en tant que premier pape. D'une manière analogue à ce que nous observions pour le sceau d'Auguste

figurant son image et repris par ses successeurs,

prendre le

motif de Pierre sur son navire, est, pour le pape, une façon de revendiquer à son tour son héritage. le succès que Pierre est censé avoir apporté à la foi chrétienne, et sa fonction, la charge de la communauté des Chrétiens. Comme Pierre est la pierre sur laquelle le Christ édifie son Église 27, de même, l'occupant du trône de saine Pierre constitue la pierre angulaire de l'Église qu'il dirige. Par une sorte de rébus métaphorique, oü la figure humaine de Pierre désigne à son tour la pierre que le Christ a voulu qu'il soit et qui explique qu'il lui ait donné ce nouveau nom, la figure de Pierre sur son anneau rappelle aussi au pape le sens de sa mission. Ainsi le sceau pontifical combine, dans une version chrétienne. les valeurs signifiantes revêtues par les deux derniers sceaux d'Auguste. l'image d'Alexandre, « prospérité », prosperitas, et le propre portrait d'Auguste. modèle du fondateur à imirer. Ce faisant, Valeriano établir sans le dire. une équivalence dans le fonctionnement symbolique des mondes païen er chrétien, renforcée par le fait que Rome reste le centre de l'un et de l'autre.

La relecture des symboles anùques opérée par Valeriano montre la fécondité de son interprétation. Pour lui, le passage par !'Antiquité n'est pas un détour. mais une étape indispensable. La communauté des Anciens, Égyptiens, Hébreux, Grecs, Latins, païens comme chrétiens, donnent seuls les dés des symboles de son temps. Le sens de ces signes. objectif ultime de l'entreprise de Valeriano. ne se dévoile qu'au terme d'un voyage dont aucune

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STll'HANE ROLET

escale n'est sans importance. Mais. percevant son monde comme écanr l'héritier direct de l'Anriquité, Valeriano place les usages symboliques modernes comme le terme d'une longue évolution« historique» ec tente de susciter une possible émulation des productions modernes avec celles des Anciens. Pour lui. cela fuit aussi partie d'une vaste tentative de synthèse entre monde antique et monde contempor.iin. Dans le cas présent, il trouve une manière de relier les princes du cemps. qui possèdent, eux aussi. sceaux, armes ec boucliers, qui font battre monnaie et frappent des médailles, avec les souverains de !'Antiquité, qui s"offrent ici en modèles, non par une exemplarité éthique. mais par l'inventivité et la finesse d'une expression allégorique qu'ils ont su mettre au service de leur personne.

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DU TRIPLESCEAUD'AUGUSTEÀ t:ANNEAUDU PAPE

NOTES 1. Sur les Hieroglyphica de Valeriano, voir ROLET (s.) 2000. LesHieroglyphica (J 556)

dt Pierio Valeriano:somme et sourcedu langagesymboliquetk la Renaissance. Thèse de l'Université de Tours. 2000 et, en particulier. la bibliographie, vol. 2, p. 579-582. 2. Sur la question des hiéroglyphes à la Renaissance, on consultera l'immense somme toujours d'actualité composée par GIEHLOW (K.). " Die Hieroglyphenkunde des Humanismus in der Allegorie der Renaissance bcsonders der Ehrenpfone Kaisers Maximilian 1. •, Jahrbuch tkr kunsthistorischen Hefi l. Vienne-Leipzig, Sammlungm desalin-hochstmKaimhauses,.Bana'XXXII. 1915, p. 1-232 et BAI.AVOINE(c.)," Le modèle hiéroglyphique à la Renaissance,,, dans Lt Modèk à la &naissance,l:cudes réunies cr présentées par C. BALAVOINE, J. LAFOND et P. LAURENS, Paris, Vrin, 1986, p. 209-225. 3. Voir les deux éditions commencées de l'Hypnerotomachia Poliphi/i,celle toujours très utile de G. POZZI er L.A. CIAPPONI, 2 vol., Padoue, Antenore, 1980 (Ire éd. de 1964 revue et augmenrée d'un complémenr bibliographique) er celle de M. ARIANI/M. GABRJELE, 2 vol., Rome. Addphi, 1998. 4. On verra, par exemple, les motifs de l'ancre et du dauphin repris à une célèbre monnaie: de lïtus, Hypnerotomachia1998, vol. 1, p. 69 et les rdiefs circulaires de l'obélisque de César, ibidem,p. 244-246, conçus comme des reliefs monétaires classiques. Sur l'influence de Colonna sur Valeriano, voir ROLET (s.) 2000, vol. l, p. 266-283. 5. Voir ROLET (S.) 1998, « Figures de l'illusion hiéroglyphique: les deux suites égyptiennes des Hieroglyphica de Pic:rioValeriano ( 1556) •· dans SuitdSlrie/Slqumce. Actes du colloque: organisé par la MSHS de Poitiers et le Collège: International de Philosophie (mai 1998), La Licorne, 47, 1998, p. 257-289 c:cROLET (S.) 2002, • Invention et exégèse: symbolique à la Renaissance:: le • tombeau de d'Auréolus » dans les AntùJuitatesMediolantnstsd'Alciat et les Hieroglyphica Pierio Valeriano•• Albertiana, V, 2002 (sous presse). 6. 57, Papyrus,414 BC: Cicero.qui cum poculum argentt:umDis met dicaturus.

praenomenac nomen littris signauit: sedpro Ciceronù.dctrisfigumm imculpsit, nihi/ utritusquod iam id cognomentiutrttrat in ca11illum, adgrauemusqueamicorum expostulationemmonmtium, ut ad ludibrium roitandum aliud sibi cog110men adscisctret,quod nunquam impetra" potutrunt. Cur enim ipsekguminis honorari,maximequt utilis nuncupariontmabho"errt, quod hontstissimisfamiliiJ olim tssetsumma cum lalllk darum. ut quisquesrilicetaiiquod optimegenus Strn'tt? ira Piso,Lmru/us, Fabiusuocabatur.Nous cicons le texte de Valeriano d'après la seule édition complète parue de son vivant, à Bâle, chez lsingrin, en 1556. 7, Plut .. Cie. l, 5: Ainoç 'YEµnv KucÉpwv, Ù!tÈp ot tta ôuo tcÎ>Vovoµatù>V ÈnÉ'ypllljlE. 'tOV tE Mâpicov Kai tOV TuU1ov. àvti ÔÈtOÛ tpttO\J crlC007ttWV ÈpÉf31v8ovÈKÊÀ.ru }ACQUIN

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Séquences narratives et commentaires du narrateur dans les chroniques latines du Haut Moyen Âge

Sândor

Klss

Comme le titre de mon exposé l'indique, je m'intéresserai à quelques procédés linguistiques essentiels qui sont à l'origine de la constiturion du tc:xtcdans un corpus limité. Il s'agit de quatre textes qui s'échelonnent entre le rve et le vmc siècle, et dont rrois sont des chroniques latines de la soidisant basse époque - elles relatent donc des événements qui one éré jugés importants du point de vue de telle ou telle communauté germanique succédant à l'Empire romain. Je proposerai ici les Getica(Histoire des Goths) de Jordanès (VI< siècle), le soi-disant Frédégaireet ses Continuations (VJJCVJIJCsiècle) et !'Histoiretks Lombardscomposée par Paul Diacre (VIII.TEFILTREPOUR US ELITES

César obéit à une autre règle de fer: aucun mot frappant, aucun néologisme, mais l'usage normal de la langue parlée usuelle, une langue culrivéc et pleine d'urbanité. C'est la raison pour laquelle on ne trouve que très peu de termini technici chez ce soi-disant auteur spécialisé. Même les termes miliraires sont rejetés. Lorsqu'ils sont indispensables, ils sont expliqués. Ce style même allait au-devant de ce XJXé siècle puritain et ennemi de toute rhétorique. Voilà donc quelques traits caractéristiques de ce texte. Pour résumer nous conscacons que son auteur et premier acteur s'y présente comme l'homme à succès, au succès mérité -l'idéal de la société européenne. Son regard au départ est un regard militaire: voir sans être vu. C'est avec le regard du stratège qu'il considère les trois parties de la Gaule; l'objectif c'est la conquête du terrain observé. César agie après avoir fair une analyse de la situation fondée sur un excellent réseau d'information. Il est conscient que toute supériorité est tout d'abord une supériorité du savoir. Et il est surcout conscient de l'inlerioricé de ses adversaires. sentiment que nous retrouvons d'ailleurs bien répandu autour de nous aujourd'hui: nous parlons de peuples sous-développés (expression qu'on a vite remplacée par l'euphémisme« en voie de développemenr »}; quelle arrogance que ces deux expressions qui ne permettent qu'une seule mesure: notre concept économique cr social. Je ne souhaire pas quitter le texte trop vice. Dans le Bellum Gallicum il y a le fameux excursus sur les Gaulois (VI. 11-20) 4. Comment vivent-ils? Apparemment dans des conditions insupportables, ingouvernables. sans paix. Toute la vie politique est soumise aux fu.ctiones(...paene etiam in singulis domibw. 11, 2) ; une aristocratie, principes,règne à son gré. Cela est vrai pour coure la Gaule (l 1, 5). Seule l'intervention de César a permis, die-il. de mettre fin aux éternels conflits, aux incursions et massacres internes (chap. 12). Quant aux couches sociales. les chevaliers, equites.et les druidesse partagent l'ensemble du pouvoir. Le reste de la population, plebes.ne vaut pas mieux que des esclaves. La répression est caractérisée par le despotisme er la contrainte par corps () 3, 1 sqq.). Les druides, eux, exercent un pouvoir illimité. Ils désignent à volonté ceux qu'ils excluent, ce qui équivaut à une mise au ban. Ils choisissent les victimes des sacrifices humains parmi les délinquants, et, faute de quoi, parmi les innocents aussi (16. 5). La famille a une structure autoritaire et extrêmement paternaliste, die César (comme si la famille romaine était reliement différence!): en ca.~de mon du chef de famille les femmes peuvent être soumises, comme des esclaves, à la torture pour leur faire avouer la cause du décès (19, 3).

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PETE//\f 1ÜLFING

Ainsi les Gaulois sont-ils peu fiables, peu compérenrs (temerarii. imperiti, 20, 2). Toue ceci conduit à la conclusion qu'un voisin responsable ne devrait pas laisser un rel peuple à lui-même. D'aucuns voudraient peur-être donner raison à César. Il se peur bien que certains éléments lui étaient correctement signalés. Il exisredes peuples impliqués dans des difficultés intérieures insurmontables. Mais l'intervention exrérieure résour-elle leurs problèmes? Peur-elle:résoudre quoi que ce soir? Dans le cas des Gaulois, c'est l'intervention de César qui les a fait disparaître de l'histoire. C'est le règne de la contrainte: des faits. L'adversaire, l'objet, la victime de cecceaction perd dans les mêmes proportions rousses droits. Il doit, lui, veiller scrupuleusement à ne pas devenir parjure, rebelle ou passible de haute trahison par un comportement percurbareur ou déterminé par la défense de ses propres intérêts. Aujourd'hui on le qualifierait de terroriste. Ce qui lui reste, c'est comprendre qu'il lui faut accepter, et le plus vite possible, son destin manifeste (pour employer cet horrible concept); aujourd'hui on parlerait d'intégration. Et cet état de fait est donné comme irréversible par la sobriété du style, par le ton distancié de l'auteur et par son apparente volonté de rendre compte de ses actes devant l'opinion publique. Ce processus se retrouve intégralement dans les :tttirudes des pays dies développés; tout notre rationalisme européen est présent dans le Be/lum Gallicum,y compris notre immoralisme: la fucilité avec laquelle on détourne les lois er les droits au nom de la capacité, de la possibilité et du succès. Celui qui s'organise, qui est capable de se discipliner, celui qui rient bon, qui subordonne ses autres besoins vitaux à des objectifs précis. celui qui esr capable d'acquérir rapidement des connaissances et des apritudes reconnues comme nécessaires et qui sait les utiliser, celui-là évince tous ceux qui ne le font pas ou pas assez vice:. Bien évidemment personne n'est contraint de rester sur la position que César a esquissée de façon significative dans la Bellum Gallicum.La personnalité même de César était beaucoup plus riche qu'elle ne s'y dévoile. Je ne pouvais parler ici du grand réformateur qui a tant fair à l'intérieur de l'empire romain pour l'égalité des droits, par ex. entre la métropole et la province, entre la ville et la campagne5. En effet l'objet du débat n'éraie pas la personnalité de César ... mais bien son Bellum Galliettmvu par les élites européennes. qui éraient. au XIXesiècle. formées par une instruction publique très marquée par le latin.

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LA CU ERREDESGAULES:UN TEXTE FILTRE POUR LES tl/TES

NOTES l. Plus largement détaillé et étayé par H. CANCIK,• Rationalitat und Militar. Caesars Kriege gegen Mensch und Natur • clans Mituilungsblatt des Deutschtn Altphi/ologen-Vrrbandes/Niedmachstn,1986. p. 7-14; développé dans H. J. GLÜCKUCH (Ed.) Larrinische Lireratur.heuu wirkmd (la /ittlratu" latineaujourd'hui), t. Il, Gôningen 1987. p. 7-29. 2. H. CANCIK, • Disziplin und Rationalitat. Zur Analysemilirarischer Incelligenz am Beispid von Caesars 'Gallischem Krieg' •· Sarculum 37, Cahier 2. 1986, p. 174. 3. Un exemple tiré d'Astérix: Le Domaine des Dieux. 4. u. ROSNER, • Die Rômer ais Ordnungsmacht in Gallien ... dans DerAltsprarhliche Unrerricht5. 1988, 5-22. étudie l'excursus et sa fonction pour le reste du &Uum Ga/licum. 5. o. SEEL, Caes,zr-Studim,Snmgart 1967, p. 63 avec note 85.

765

Index des auteurs anciens A

Acilius, 66. 70, 73. 76 Aelius Aristide. 244. 510,

513, 521 Aélius Tubéro. 63-83 pan. Agathon, 9 Akousilaos. 77

Alcée.675 219230. 266. 268. 276. 328. 330, 359. 361. 364-5. 3667, 619-630. 674,677 Ampélius. 455, 548 Anaxagore, 53. 408 An:umquc. 515 Ammien Marcellin.

Anaximène

(Lampsaque).

511 An11ak1Maximi. 71. 161 Amh. lat .. 5.'4 Anth. Pal, 679 Antl,. Pla11.,674-5. 677 A111h. grrrq,~. 657. 663 Antinuque. 674 Antipluncs, 390-1 Antisthène, 223, 408 Apollodore (Ps.). 488 Apollonios de Rhodes, 178 Appien, 106, 155. 161. 172. 276. 426. 445. 449. 455. 457-8. 468-9 Apsinès. 502 Apulée. 293 Amos de Sicyone. 35. 36. 48 Autos, 680 Aschélaos, 487 Aschippos. 392. 402-3

Areius (Arius de Didyme),

516 Aristoboulos, 117 Aristophane, 3. 4, 391-410

pan., 489 Asistote. 9. 10, 11. 39. 5.l,

70. 88, 100, 162, 203. 2401. 243-4, 344. 367, 409. 485. 488,489.586. 660.

C Caecilius de Kalé Al«é, 495 Callias (comique). 398-401.

407 Callimorphos, 214 Callisthène, 17,515 Calpurnius Pison. 65. 66,

76. 527. 534-5 Cu,iodo,c, 266. 268,616 Cassius Hémino. 63-83

739 Amobc. 155 Arrien, 99. 100, 105. 213,

pars.,170. 174, 534-5

216. 521

Caron l'Ancien, 63-83 pan..

Anémidorc, 674 Asclépiade de Mendès. 253 Atéius Capito. 562, 566-8.

571. 573 Athénée. 219, 389, 407-8,

487, 489. 503 Athénion. 487 Athfoodore de Tar50. 368. 679 Olympie, 24, 508, 518

p Jérusalem,

Parthes, 100. 113, 203, 255-61 p,w.. 258. 261,423. 428, 4.30-2. 457. 460, 4649 /'IVJ .. 472. 515-6. 553-4. 558,748 Péloponnése (-icns). 37. 42, 48. 59,204.210, 395,409, 428. 464. 472. 494 Pergame. l 51. 211 Pérouse, 283 Pmc (s). 34-48 pau., 101. 189.-201. 21 9-230 pass. 244. 285. 362, 365. 406, 408, 473. 496. 513-4. 6245. 513,655.672, 683. 732. 734-5. 740 Phénicie (-icns), 424. 485 Phigalic, 23-5 Philippes. 243. 547, 566 Pirée, 209, 393-4, 401. 498, 503 Pfa1écs.103,207.212 Pouzzoles. 255-7. 261, 329. 573.594.604 Préneste, 148. 155. 456 Pydna, 279, 284

Palcsrinc, 11.3 Pannonie. 116, 21'l, 227.

419

778

s Sabins. 69. 127-141 pass.,

532 S,ccs. 195-6 Sago111c,,34. 281. 288

S,i111-Jc,an.. 677 Soissons, 703. 7 15 Sparte, 39. 50. 178. 188, 208. 472. 485, 499 Syracuse, 38, 284 Syrie (-iens), 35. 36, 39, 41. 423-33. 467. 559. 562, 573,595,731

T

Tarente, 292 Tessin, 284, 286, 295. 446 Teutons, 349 Th~bes. 213, 273. 485,

Turcs, 647. 732

514,658

Vcics, 129-150 pan., 146-

Thc!ra, 178-186 Thermoprlcs, 70-1 , 103 Thrace (s). 39, 2 U. 221.

549,622,628.740 Tibcriadc. 582. 599, 600.

602-3 libre, 128. 147, 532. 542,

532.680 1igre. 207. 554. 620 Tirynthe, 26. 30 Trasim~ne, 35. 73, 76. 2813, 286-9

Trébie, 281. 286-7. 446.

450 Troie (Ilion). 26. 58, 65. 70,

150-156. 168. 172-4, 364. 407,441.465,712

779

V

155, 159, 162-174p,m .. 525. 532. 537-550 pm,. Venise. 647, 671. 704-5. 711,712 Volsinics (Orviéro), 530, 532-3 y

Yavnch, 583, 585

z Zama, Luc. 14 Zara. 705-6.

Index analytique Abondance /ropia), luxe, mollesse, 81-2, 510-1. 529,

Énonciation

(puolc,

o~st&n(fatum, timL1rmt•n~1. personne), 327-341. 590,

p,m.. 741

55, 58, 100, 105, 110, 170, 177, 178, 182, 183

600, 605, 619, 621, 623. 625-8, 758, 760

Animaux, 26. 28, 30, 99,

DiabasiJ.35. 37, 40. 48

l:popéc. 90. 99. 150-1. 174,

101. 105-6. 187, 189-91, 252, 272. 448-9. 456, 483. 627. 633. 658. 675. 694-6, 700-1

Discours (5"ns linguistique), 300. '183, commentaire.

182-3. 252. 271. 273. 435.. 467,548, 444. 446-S