Écrits d’histoire et de philosophie des sciences: Volume IV Mathématiques et Philosophie 9783110784749, 9783110784688

Les textes réunis dans ces quatre volumes portent sur l’histoire et la philosophie des mathématiques et de leurs applica

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Écrits d’histoire et de philosophie des sciences: Volume IV Mathématiques et Philosophie
 9783110784749, 9783110784688

Table of contents :
AVANT-PROPOS
TABLE DES MATIÈRES
Première section : probabilités et sciences sociales
L’INTRODUCTION DE LA MATHÉMATIQUE DU PROBABLE DANS LA SCIENCE SOCIALE
LA « MATHÉMATISATION » DE L’INFORME DANS LA SCIENCE SOCIALE : LA CONDUITE DE L’HOMME BERNOULLIEN
MATHÉMATIQUES ET MATHÉMATIQUE SOCIALE AU TEMPS DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
PROBABILITÉ CONDITIONNELLE ET CAUSALITÉ : UN PROBLÈME D’APPLICATION DES MATHÉMATIQUES
Deuxième section : entre mathématiques et philosophie
L’ANALYSE ET LA SYNTHÈSE SELON IBN AL-HAYTHAM
COMBINATOIRE ET MÉTAPHYSIQUE : IBN SINĀ, AL-ṬŪSĪ ET AL-ḤALABĪ
PHILOSOPHIE ET MATHÉMATIQUE SELON MAÏMONIDE : LE MODÈLE ANDALOU DE RENCONTRE PHILOSOPHIQUE
LE CONCEPT DE DÉMONSTRATION DE L’ANTIQUITÉ À L’ÂGE CLASSIQUE
LA DÉMONSTRATION AUX COMMENCEMENTS DE L’ALGÈBRE
L’ÉTUDE MATHÉMATIQUE DU LIEU
THE PHILOSOPHY OF MATHEMATICS IN THE ARABIC TRADITION
L’ANGLE DE CONTINGENCE : UN PROBLÈME DE PHILOSOPHIE DES MATHÉMATIQUES
DESCARTES ET L’INFINIMENT PETIT
PHILOSOPHY AND MATHEMATICS: INTERACTIONS
AVICENNE, «PHILOSOPHE ANALYTIQUE » DES MATHÉMATIQUES
LA MULTIPLICITÉ DES STYLES : LES ISOPÉRIMÈTRES
DÉMONSTRATION PAR L’ABSURDE OU DÉMONSTRATION DIRECTE : AL-SIJZĪ, SUR L’INCOMMENSURABILITÉ DE LA DIAGONALE AVEC LE CÔTÉ
IBN AL-HAYTHAM, IBN SĪNĀ, AL-ṬŪSĪ : ÉGALITÉ OU CONGRUENCE
FERMAT CRITIQUE DE LA GÉOMÉTRIE DE DESCARTES
MÉNÉLAÜS : UN MATHÉMATICIEN PROTO-INTUITIONNISTE ?
Troisième section : l’asymptote
AL-SIJZĪ ET MAÏMONIDE : COMMENTAIRE MATHEMATIQUE ET PHILOSOPHIQUE DE LA PROPOSITION II-14 DES CONIQUES
L’ASYMPTOTE : APOLLONIUS ET SES LECTEURS
LE PSEUDO AL-ḤASAN IBN AL-HAYTHAM : SUR L’ASYMPTOTE
Quatrième section : histoire des mathématiques, problèmes et méthodes
LA NOTION DE SCIENCE OCCIDENTALE
LA PÉRIODISATION DES MATHÉMATIQUES CLASSIQUES
MATHÉMATIQUES TRADITIONNELLES DANS LES PAYS ISLAMIQUES AU XIX e SIÈCLE : L’EXEMPLE DE L’IRAN
SCIENCE CLASSIQUE ET SCIENCE MODERNE À L’ÉPOQUE DE L’EXPANSION DE LA SCIENCE EUROPÉENNE
MODERNITÉ CLASSIQUE ET SCIENCE ARABE
L’HISTOIRE DES SCIENCES ENTRE ÉPISTÉMOLOGIE ET HISTOIRE
CONCEPTUAL TRADITION AND TEXTUAL TRADITION: ARABIC MANUSCRIPTS OF SCIENCE
COMMUNAUTÉ SCIENTIFIQUE ET TRADITION NATIONALE DE RECHERCHE
HISTORY OF SCIENCE AT THE BEGINNING OF THE 21th CENTURY
GREEK INTO ARABIC: TRANSMISSION AND TRANSLATION
A. YOUSCHKEVITCH HISTORIEN DES MATHÉMATIQUES ARABES
OTTO NEUGEBAUER 1899-1990
FOUNDING ACTS AND MAJOR TURNING-POINTS IN ARAB MATHEMATICS

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Roshdi Rashed Écrits d’histoire et de philosophie des sciences IV

Scientia Graeco-Arabica herausgegeben von Marwan Rashed

Band 36/4

De Gruyter

Roshdi Rashed

Écrits d’histoire et de philosophie des sciences Volume IV Mathématiques et Philosophie

De Gruyter

ISBN 978-3-11-078468-8 e-ISBN (PDF) 978-3-11-078474-9 ISSN 1868-7172

Library of Congress Control Number: 2023940476 Bibliographic information published by the Deutsche Nationalbibliothek The Deutsche Nationalbibliothek lists this publication in the Deutsche Nationalbibliografie; detailed bibliographic data are available on the internet at http://dnb.dnb.de. © 2023 Walter de Gruyter GmbH, Berlin/Boston Printing and binding: CPI books GmbH, Leck www.degruyter.com

AVANT-PROPOS

Les études réunies dans ces quatre volumes ont été publiées pendant les cinquante dernières années dans différentes revues et Actes de colloques. Y figurent également quelques écrits encore inédits. Toutes ces études portent sur l’histoire des mathématiques, leurs applications et leurs philosophies. Quelques unes traitent de la mathématisation des sciences sociales à partir du xviii e siècle. La plupart relèvent de l’histoire des mathématiques, de l’optique et de l’astronomie entre le ix e et le xvii e siècle, en arabe, en latin, etc. D’autres enfin se réfèrent à des auteurs plus anciens – Euclide, Archimède, Apollonius, Diophante, Ménélaüs, etc. – et mettent en perspective les découvertes et les pratiques de leurs successeurs. Ces recherches historiques procèdent toutes de la même intention : décrire la constitution des rationalités successives de chacune de ces disciplines et suivre la formation des différentes modernités. Quant à la méthode, c’est celle qui a présidé à la rédaction de la plupart de mes livres : elle consiste à restituer les faits encore inconnus par l’édition critique et la traduction des textes des anciens mathématiciens, en les éclairant d’un commentaire historique et mathématique qui dégage les concepts et les pratiques à l’œuvre et permet de comprendre leurs développements. J’ai choisi d’intervenir aussi peu que possible dans ces écrits, présentés ici dans l’ordre de leur publication. J’ai bien sûr corrigé les erreurs ou coquilles qui avaient pu échapper à leur première publication, mais j’ai conservé en l’état toutes les références bibliographiques, même si elles sont obsolètes. Certaines citations, certaines notes, certaines références renvoient en effet à des textes qui n’étaient alors disponibles que sous forme de manuscrits ou d’éditions provisoires, et dont j’ai, tout au long de ces années, publié l’édition critique, la traduction et le commentaire historique et mathématique. Plutôt que d’intégrer ces modifications, je donne cidessous les références de ces nouvelles publications. Dans le premier volume, on a recueilli les études sur l’histoire de l’arithmétique, de la théorie des nombres et de l’algèbre. Le second est consacré à l’histoire des constructions et des méthodes géométriques. Le troisième porte sur l’histoire de l’optique et de l’astronomie. Dans le quatrième, on se situe à la frontière de la phi-

vi

IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

losophie et des mathématiques, et on examine certains aspects de la transmission scientifique. Remerciements

Je tiens à exprimer ma gratitude au Dr Moza al-Rabban, Présidente de l’ARSCO (Arab Scientific Community Organization), qui a amicalement soutenu la publication de ces volumes. Je remercie Monsieur Yannis Haralambous, qui a mis sa compétence et son talent au service de leur réalisation.

R. Rashed : Sources bibliographiques mises à jour

Diophante : Les Arithmétiques, Livre IV, vol. 3. ; Livres V, VI, VII, vol 4. « Collection des Universités de France », Paris : Les Belles Lettres, 1984. Sharaf al-Dīn al-Ṭūsī, Œuvres mathématiques. Algèbre et Géométrie au xii e siècle, 2 volumes. Collection « Sciences et philosophie arabes – textes et études », Paris : Les Belles Lettres, 1986. Nouvelle édition, 2018. Les Mathématiques infinitésimales du ix e au xi e siècle. 5 volumes, London : al-Furqān Islamic Heritage Foundation, 1993-2006. Traduction anglaise. A History of Arabic Sciences and Mathematics, 5 volumes, Culture and Civilization in the Middle East, London, Centre for Arab Unity Studies, Routledge, 2011-2016. Œuvres philosophiques et scientifiques d’al-Kindī. Vol. I : L’Optique et la Catoptrique d’al-Kindī, Leiden : E.J. Brill, 1997. Vol. II : Métaphysique et Cosmologie, (avec J. Jolivet), Leiden, E.J. Brill, 1998. Al-Khayyām mathématicien, en collaboration avec B. Vahabzadeh, Paris, Librairie Blanchard, 1999. Version anglaise : Omar Khayyam. The Mathematician, Persian Heritage Series n o 40, New York, Bibliotheca Persica Press, 2000, (sans les textes arabes). Pierre Fermat : La théorie des nombres, Textes traduits par P. Tannery, introduits et commentés par R. Rashed, Ch. Houzel et G. Christol, Paris, Blanchard, 1999. Ibrāhīm ibn Sinān. Logique et géométrie au x e siècle, en collaboration avec Hélène Bellosta, Leiden, E.J. Brill, 2000. Les Catoptriciens grecs. I : Les miroirs ardents, édition, traduction et commentaire, Collection des Universités de France, publiée sous le patronage de l’Association Guillaume Budé, Paris : Les Belles Lettres, 2000. Œuvre mathématique d’al-Sijzī. Volume I : Géométrie des coniques et théorie des nombres au x e siècle, Les Cahiers du Mideo, 3, Louvain-Paris, Éditions Peeters, 2004. Geometry and Dioptrics in Classical Islam, Londres, al-Furqān, 2005 Apollonius de Perge : Les Coniques, 5 volumes ; commentaire historique et mathématique, édition et traduction du texte arabe, Berlin / New York, Walter de Gruyter, 2008-2010. Al-Khwārizmī : Le commencement de l’algèbre, Paris, Librairie A. Blanchard, 2007, viii-386 p. Trad. anglaise : Al-Khwārizmī : The Beginnings of Algebra, « His-

AVANT-PROPOS

vii

tory of Science and Philosophy in Classical Islam », Londres, Saqi Books, 2009. Apollonius de Perge, La section des droites selon des rapports, commentaire historique et mathématique, édition et traduction du texte arabe par Roshdi Rashed et Hélène Bellosta, Scientia Graeco-Arabica, vol. 2, Berlin / New York, Walter de Gruyter, 2009. Thābit ibn Qurra. Science and Philosophy in Ninth-Century Baghdad (éditeur et coauteur), Scientia Graeco-Arabica, vol. 4, Berlin / New York, Walter de Gruyter, 2009. Abū Kāmil : Algèbre et analyse diophantienne, Berlin/ New York, Walter de Gruyter, 2012. Histoire de l’analyse diophantienne classique : D’Abū Kāmil à Fermat, Scientia GraecoArabica, 12, Berlin, New York, Walter de Gruyter, 2013. Les Arithmétiques de Diophante : Lecture historique et mathématique (en collaboration avec Ch. Houzel), Berlin, New York, Walter de Gruyter, 2013. Angles et grandeur : D’Euclide à Kamāl al-Dīn al-Fārisī, Berlin, New York, Walter de Gruyter, 2015. Al-Khilāṭī : Nūr al-Dalāla li-Fakhr al-Dīn al-Khilāṭī : al-jabr al-ḥisābī fī al-qarn al-thālith ʾashar, Markaz Ḥasan b. Muḥammad li-al-Dirasāt al-tārīkhiyya, Qatar, 2016 Lexique historique de la langue scientifique arabe (editor), Hildesheim, W. Georg Olms, 2017. Menelaus’ Spherics : Early Translation and al-Māhānī / al-Harawī’s Version (en collaboration avec A. Papadopoulos), edition, translation and commentary, Berlin, De Gruyter, 2017. Fermat et les débuts modernes de la géométrie, Olms ; Hildesheim, Zurich, New York, 2018. Al-Samawʾal. Algèbre arithmétique au xii e siècle – Al-Bāhir d’al-Samawʾal, commentaire historique et mathématique, édition et traduction du texte arabe par Roshdi Rashed, Scientia Graeco-Arabica, Berlin / New York, Walter de Gruyter, 2020. L’hydrostatique de Ménélaüs, introduction, édition et traduction, De Gruyter, 2020. Ibn al-Haytham. L’émergence de la modernité classique, Paris, Hermann, 2021.

TABLE DES MATIÈRES TOME IV

Avant propos . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

v

Première section : probabilités et sciences sociales « L’introduction de la mathématique du probable dans la science sociale », in Actes du XII e Congrès International d’Histoire des Sciences, vol. 9, Paris, Blanchard, 1971, p. 55-59. . . . . . .

1

« La mathématisation des doctrines informes dans la science sociale », in La mathématisation des doctrines informes, sous la direction de G. Canguilhem, Paris, Hermann, 1972, p. 73105. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

7

« Mathématiques et mathématique sociale au temps de la révolution française », in Bulletin d’information de l’Association des écrivains scientifiques de France, n o 38, octobre 1989. . . . .

31

« Probabilité conditionnelle et causalité : un problème d’application des mathématiques », in J. Proust et E. Schwartz (éds), La connaissance philosophique. Essais sur l’œuvre de Gilles Gaston Granger, Paris, PUF, 1994, p. 271-293. . . . . . . . . . . . . . . .

41

Deuxième section : entre mathématiques et philosophie « L’analyse et la synthèse selon Ibn al-Haytham », in Mathématiques et philosophie de l’Antiquité à l’âge classique. Études en hommage à Jules Vuillemin, éditées par R. Rashed, Paris : éditions du CNRS, 1991, p. 131-162. . . . . . . . . . . . . .

61

« Combinatoire et métaphysique : Ibn Sīnā, al-Ṭūsī et alḤalabī », dans Les Doctrines de la science de l’antiquité à l’âge classique, R. Rashed et J. Biard (éd.), Leuven, éd. Peeters, 1999, p. 61-86. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

95

« Philosophie et mathématiques selon Maïmonide : Le modèle andalou de rencontre philosophique », dans Maïmonide, philosophe et savant (1138-1204), Études réunies par Tony Lévy et Roshdi Rashed, Ancient and Classical Sciences and Philosophy, Leuven, Peeters, 2004, p. 253-273. . . . . . . . . . . .

119

x

IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

« Le concept de démonstration de l’antiquité à l’âge classique », Préface des Actes d’un colloque qui s’est tenu les 3-6 juin 2008 au Centre d’Histoire des Sciences et des Philosophies Arabes et Médiévales (CNRS, Universités Paris 7 et Paris 1). . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

141

« La démonstration aux commencements de l’algèbre », conférence prononcée lors du colloque « Le concept de démonstration de l’antiquité à l’âge classique », Paris, les 3-6 juin 2008. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

145

« L’étude mathématique du lieu », dans Oggetto e spazio. Fenomenologia dell’oggetto, forma e cosa dai secoli XIII-XIV ai post-cartesiani, Atti del Convegno (Perugia, 8-10 settembre 2005), a cura di Graziella Federici Vescovini e Orsola Rignani, Micrologus’ Library 24, Florence, Sismel-Edizioni del Galluzzo, 2008), p. 71-79. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

159

« The Philosophy of Mathematics », dans Shahid Rahman, Tony Street, Hassan Tahiri (éd.), The Unity of Science in the Arabic Tradition, Science, Logic, Epistemology and their Interactions, vol. 11, Springer, 2008, p. 153-182. . . . . . . . . . . . . . .

169

« L’angle de contingence : un problème de philosophie des mathématiques », Arabic Sciences and Philosophy, 22.1, 2012, p. 1-50. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 207 « Descartes et l’infiniment petit », Bollettino di storia delle scienze matematiche, vol. XXXIII, Fasc. 1, 2013, p. 151-169. . . . . . .

259

« Philosophy and Mathematics : Interactions », Physis, vol. XLVIII, fasc. 1-2, 2011-2014, p. 241-257. . . . . . . . . . . .

279

« Avicenne, “Philosophe analytique” des mathématiques », Les Études philosophiques, avril 2016-2, p. 283-306. . . . . . . . .

297

« La multiplicité des styles : les isopérimètres », conférence prononcée à l’occasion du colloque consacré à l’étude de la pensée de Gilles-Gaston Granger, co-organisé par Élisabeth Schwartz, David Lefebvre et David Rabouin. Clermont Ferrand, les 16-18 mars 2017. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

325

« Démonstration par l’absurde ou démonstration directe : AlSijzī, sur l’incommensurabilité de la diagonale avec le côté », Arabic sciences and philosophy, 29 (2019) : 61-85. . . . . . . . .

337

« Ibn al-Haytham, Ibn Sinā, al-Ṭūsī : égalité ou congruence », Arabic Sciences and Philosophy, 29 (2) (2019), p. 157-170. . . 363 « Fermat critique de la Géométrie de Descartes », in E. Haffner et D. Rabouin (dir.), L’épistémologie du dedans. Mélanges en l’honneur d’Hourya Benis Sinaceur, p. 251-263, Garnier, 2020. . . . . .

377

TABLE DES MATIÈRES

xi

« Ménélaüs : un mathématicien proto-intuitionniste ? », conférence prononcée au colloque sur « L’intuitionnisme entre philosophie, mathématique et logique : mutations et histoire longue », Paris, 25-27 octobre 2021. . . . . . . . . . . . . . 389 Troisième section : l’asymptote « Al-Sijzī et Maïmonide : Commentaire mathématique et philosophique de la proposition II-14 des Coniques d’Apollonius », Archives Internationales d’Histoire des Sciences, n o 119, vol. 37, 1987, p. 263-296. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

397

« L’asymptote : Apollonius et ses lecteurs », Bollettino di storia delle scienze matematiche, vol. XXX, fasc. 2, 2010, p. 223-254. . . 435 « Le pseudo-al-Ḥasan ibn al-Haytham : sur l’asymptote », dans R. Fontaine, R. Glasner, R. Leicht et G. Veltri (éd.), Studies in the History of Culture and Science. A Tribute to Gad Freudenthal, Leiden / Boston, Brill, 2011, p. 7-41. . . . . . . . . . . . . . 469 Quatrième section : histoire des mathématiques, problèmes et méthodes « La notion de science occidentale », in Human Implications of Scientific Advance, ed. E.G. Forbes (Edinburgh, 1978), p. 45-54. 505 « La périodisation des mathématiques classiques », Revue de synthèse, IV e S., n os 3-4, 1987, p. 349-360. . . . . . . . . . . . .

525

« Mathématiques traditionnelles dans les pays islamiques au xix e siècle : l’exemple de l’Iran », in E. Ihsanoglu (éd.), Transfer of Modern Science and Technology to the Muslim World, Istanbul, 1992, p. 393-404. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

531

« Science classique et science moderne à l’époque de l’expansion de la science européenne », in P. Petitjean, C. Jami et A. M. Moulin (éds), Science and Empires, Boston Studies in the Philosophy of Science, Kluwer Academic Publishers, 1992, p. 19-30. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 543 « Modernité classique et science arabe », in C. Goldstein et J. Ritter (éds), Mathématiques en Europe, MSH, 1996, p. 68-81.

555

« L’histoire des sciences entre épistémologie et histoire », Conférence terminale prononcée à l’Université de Tokyo le 19 mars 1997 ; publiée dans Historia scientiarum, 7.1, 1997, p. 1-10. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 569 « Conceptual Tradition and Textual Tradition : Arabic Manuscripts on Science », dans Y. Ibish (éd.), Editing Islamic Manuscripts on Science, Proceedings of the Fourth Conference of al-Furqān Islamic Heritage Foundation (London, 29th30th November 1997), London, al-Furqān, 1999, p. 15-51.

583

xii

IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

« Communauté scientifique et tradition nationale de recherche », conférence prononcée en 2002 à l’Université des Émirats arabes unis. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

617

« Inaugural Lecture : History of Science and Diversity at the Beginning of the 21st Century », dans Juan José Saldaña (éd.), Science and Cultural Diversity, Proceedings of the XXIst International Congress of History of Science (Mexico City, 7-14 July 2001), Mexico, 2003, vol. I, p. 15-29. . . . . . . . . . 639 « Greek into Arabic : Transmission and Translation », dans James E. Montgomery (éd.), Arabic Theology, Arabic Philosophy. From the Many to the One : Essays in Celebration of Richard M. Frank, Orientalia Lovaniensia Analecta 152, Leuven-Paris, Peeters, 2006, p. 157-196. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

655

« A. Youschkevitch, historien des mathématiques arabes », dans Mémorial Adolf Youschkevitch, édité par Serguei S. Demidov et Roshdi Rashed, Archives internationales d’histoire des sciences, vol. 58, n os 160-161, Juin-décembre 2008, p. 9-13. . . . . . . . 695 « Études et travaux : Otto Neugebauer (1899-1990) » (en collaboration avec Lewis Pyenson), Revue d’histoire des sciences, tome 65-2, juillet-décembre 2012, p. 381-394. . . . . . . .

701

« Founding Acts and Major Turning-Points in Arab Mathematics », dans J. Z. Buchwald (éd.), A Master of Science History : Essays in Honor of Charles Coulston Gillispie, Archimedes 30. New Studies in the History and Philosophy of Sciences and Technology, Dordrecht-Heidelberg-London-New York Springer, 2012, p. 253-271. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

713

TOME I Avant propos . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . « Savoir hellénistique », dans Le savoir grec : Dictionnaire critique, édité par Pierre Pellegrin et al., Paris : Flammarion, 2011, p. 447-469 . . . « L’induction mathématique : Al-Karajī, As-Samawʾal », Archive for History of Exact Sciences, 9 (1972), p. 1-21 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . « Algèbre et linguistique : l’analyse combinatoire dans la science arabe », in R. Cohen (éd.), Boston Studies in the Philosophy of Sciences, Reidel : Boston, 1973, p. 383-399 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . « Al-Karajī », in Dictionary of Scientific Biography, vol. 7 (New York : Scribner, 1973), p. 240-246 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . « L’arithmétisation de l’algèbre au xii e siècle », in Actes du XIII e Congrès d’Histoire des Sciences, Moscou, 1974, p. 3 -30 . . . . . . . . . . . . . « Résolution des équations numériques et algèbre : Sharaf al-Dīn al-Ṭūsī Viète », Archive for History of Exact Sciences, 12.3 (1974), p. 244 -290

v 1 25

49 65 77 83

TABLE DES MATIÈRES

« Les travaux perdus de Diophante, I », Revue d’Histoire des Sciences, 27.2 (1974), p. 97-122 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . « Les travaux perdus de Diophante, II », Revue d’Histoire des Sciences, 28.1 (1975), p. 3-30 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . « Les recommencements de l’algèbre aux xi e et xii e siècles », in J.E. Murdoch and E.D. Sylla (éds), The cultural Context of Medieval Learning, Dordrecht : Reidel, 1975, p. 33-60 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . « L’extraction de la racine n-ième et l’invention des fractions décimales », Archive for History of Exact Sciences, 18.3 (1978), p. 191-243 . . . . . « L’analyse diophantienne au x e siècle : l’exemple d’al-Khāzin », Revue d’Histoire des Sciences, 32 (1979), p. 193-222 . . . . . . . . . . « Ibn al-Haytham et le théorème de Wilson », Archive for History of Exact Sciences, 22.4 (1980), p. 305-321 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . « L’idée de l’algèbre selon al-Khwārizmī », Fundamenta Scientiae, 4 (1983), p. 87-100 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . « Nombres amiables, parties aliquotes et nombres figurés aux xiii e et xiv e siècles », Archive for History of Exact Sciences, 28 (1983), p. 107-147 « Lagrange lecteur de Diophante », in Sciences à l’époque de la Révolution française. Recherches historiques. Travaux de l’équipe REHSEIS, édités par R.Rashed. Paris : Blanchard, 1988, p. 39-83 . . . . . . . . . . . . . « Ibn al-Haytham et les nombres parfaits », Historia Mathematica 16, 1989, p. 343-352 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . « Al-Samawʾal, al-Bīrūnī et Brahmagupta : les méthodes d’interpolation », Arabic Sciences and Philosophy : a Historical Journal, 1, 1991, p. 100-160 « Notes sur la version arabe des trois premiers livres des Arithmétiques de Diophante, et sur le problème 1. 39», in Historia Scientiarum, 4-1 (1994), p. 39-46 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . « Fibonacci et les Mathématiques arabes », in Micrologus II - 1994, p. 145160 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ∑ « Al-Yazdī et l’équation ni=1 x2i = x2 in Historia Scientiarum, Vol. 4-2 (1994), p. 79-101. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . « Fermat et les débuts modernes de l’analyse diophantienne », Historia Scientiarum, vol. 9-1, 1999, p. 3-16 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . « Fermat and Algebraic Geometry », Historia Scientiarum, 11.1, 2001, p. 2447 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . « Diofanto di alessandria », Storia della scienza, vol. I : La scienza antica, Enciclopedia Italiana, 2001, p. 800-805 . . . . . . . . . . . . . . . . . . « Fibonacci et le prolongement latin des mathématiques arabes »,Bollettino di Storia delle Scienze Matematiche, Anno XXIII, Numero 2, Dicembre 2003, Pisa-Roma, Istituti Editoriali e Poligrafici Internaziolali, MMV, p. 55-73 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . « The impossible problems in rational numbers and the inaccessible problems » ; traduction anglaise de Histoire de l’analyse diophantienne classique : D’Abū Kāmil à Fermat, Berlin, De Gruyter, 2013, chap. III

xiii

139 165

189 213 275 309 331 345

393 443 455

513 523 537 565 583 611

629

647

TOME II Avant propos . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . « Al-Kindī’s commentary on Archimedes’ “The Measurement of the Circle” », Arabic Sciences and Philosophy, vol. 3 (1993), p. 7-53 . . .

v 1

xiv

IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

« Ibn Sahl et al-Qūhī : dioptrique et méthodes projectives au x e siècle », in S. Garma, D. Flament, V. Navarro (éds), Contra los titanes de la rutina, Madrid : CSIC, 1994, p. 9-18 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . « Ibn Sahl et al-Qūhī : Les projections. Addenda & Corrigenda », Arabic Sciences and Philosophy, vol. 10.1, 2000, p. 79-100 . . . . . . . . . . « Archimedean Learning in the Middle Ages : The Banū Mūsā », Historia Scientiarum, 6-1 (1996), p. 1-16. Publié en français : « Les commencements des mathématiques archimédiennes en arabe : Banū Mūsā », in Perspectives médiévales arabes et latines sur la tradition scientifique et philosophique grecque, Actes du Colloque de la SIHSPAI, Paris/Louvain, 1996, p. 1-19 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Article « Thābit ibn Qurra », in Lexikon des Mittelalters, Munich, 1996. « La Géométrie de Descartes et la distinction entre courbes géométriques et courbes mécaniques », dans J. Biard et R. Rashed (éds), Descartes et le Moyen Âge, Études de philosophie médiévale LXXV, Paris, Vrin, 1997, p. 1-26 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . « Al-Qūhī et al-Sijzī : sur le compas parfait et le tracé continu des sections coniques », Arabic Sciences and Philosophy, 13.1, 2003, p. 9-44 . . . « Les mathématiques de la terre », dans G. Marchetti, O. Rignani et V. Sorge (éd.), Ratio et superstitio, Essays in Honor of Graziella Federici Vescovini, Textes et études du Moyen Âge, 24, Louvain-la-Neuve, FIDEM, 2003, p. 285-318 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . « La classification des courbes, Géminus et al-Sijzi », Words, Texts, and Concepts Cruising the Mediterranean Sea : Studies on the Sources, Contents and Influences of Islamic Civilization and Arabic Philosophy and Science : Dedicated to Gerhard Endress on His Sixty-fifth Birthday, Peeters publisher, 2004, p. 387-399 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . « Thābit ibn Qurra et la théorie des parallèles » (en collaboration avec Ch. Houzel), Arabic Sciences and Philosophy, 15.1, 2005, p. 9-55 . . . . . « La modernité mathématique : Descartes et Fermat », dans Philosophie des mathématiques et théorie de la connaissance. L’Œuvre de Jules Vuillemin, éd. R. Rashed et P. Pellegrin, Collection Sciences dans l’histoire, Paris, Librairie A. Blanchard, 2005, p. 239-252 . . . . . . . . . . . . . . . « Les premières classifications des courbes », Physis, XLII.1, 2005, p. 164 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . « Les ovales de Descartes », Physis, XLII.2, 2005, p. 333-354 . . . . . . « Arabic Versions and Reediting Apollonius’ Conics », dans Study of the History of Mathematics, Research Institute for Mathematical Sciences, Kyoto University, Kyoto, Avril 2007, p. 128-137 . . . . . . . . . . . « Lire les anciens textes mathématiques : le cinquième livre des Coniques d’Apollonius », Bollettino di storia delle scienze matematiche, vol. XXVII, fasc. 2, 2007, p. 265-288 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . « Le concept de tangente dans les Coniques d’Apollonius », dans Kosmos und Zahl. Beiträge zur Mathematik- und Astronomiegeschichte, zu Alexander von Humboldt und Leibniz, Berlin, 2008, p. 361-371 . . . . . . . « Les constructions géométriques entre géométrie et algèbre : l’Épître d’Abū al-Jūd à al-Bīrūnī », Arabic Sciences and Philosophy, 20.1 (2010), p. 1-51 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . « Sur un théorème de géométrie sphérique : Théodose, Ménélaüs, Ibn ʿIrāq et Ibn Hūd » (en collaboration avec M. Houjairi), 20.2, Arabic Sciences and Philosophy, 2010, p. 207-253 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

45 55

77 97

101 121

155

187 201

249 265 329

351

363

387

403

457

TABLE DES MATIÈRES

xv

« Qu’est-ce que les Coniques d’Apollonius ? », dans Les Courbes : Études sur l’histoire d’un concept, édité par Roshdi Rashed et Pascal Crozet, Collection Sciences dans l’histoire, Paris : Librairie A. Blanchard, 2013, p. 1-16 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

507

« On Menelaus’ Spherics III.5 in Arabic Mathematics, I : Ibn ʿIrāq » (en collaboration avec Athanase Papadopoulos), Arabic Sciences and Philosophy, 24.1, 2014, p. 1-68 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

523

« On Menelaus’ Spherics III.5 in Arabic Mathematics, II : Naṣīr al-Dīn al-Ṭūsī and Ibn Abī Jarrāda » (en collaboration avec Athanase Papadopoulos), Arabic Sciences and Philosophy, 25.1, 2015, p. 1-33 . . . .

593

« Abū Naṣr ibn ʿIrāq : ʿindamā kāna al-Amīr āliman (When the Prince was a scientist) », al-Tafahom, 40, 2013, p. 145-170. . . . . . . . . . . .

625

TOME III Avant propos . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

v

« Le discours de la lumière d’Ibn al-Haytham (Alhazen) », Revue d’Histoire des Sciences, 21 (1968), p. 197-224. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

1

« Optique géométrique et doctrine optique chez Ibn al-Haytham », Archive for History of Exact Sciences, 6.4 (1970), p. 271-298. . . . . .

29

« Le modèle de la sphère transparente et l’explication de l’arc-en-ciel : Ibn al-Haytham, al-Fārisī », Revue d’Histoire des Sciences, 23 (1970), p. 109140. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

63

« Kamāl al-Dīn al-Fārisī », in Dictionary of Scientific Biography, vol. 7, New York : Scribner, 1973, p. 212-219. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

95

« Lumière et vision : l’application des mathématiques dans l’optique d’Alhazen », in Roemer et la vitesse de la lumière ed. R. Taton, Paris : Vrin, 1978, p. 19-44. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

109

« Problems of the Transmission of Greek Scientific Thought into Arabic : examples from Mathematics and Optics », History of Science, XXVII, 1989, p. 199-209. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

135

« A Pioneer in Anaclastics. Ibn Sahl on Burning Mirrors and Lenses », Isis, 1990, 81, p. 464-491. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

147

« Fūthīṭos (?) et al-Kindī sur “l’illusion lunaire” », in M.-O. Goulet, G. Madec, D. O’Brien (éds), Σοφίης Μαιήτορες, « Chercheurs de sagesse », Hommage à Jean Pépin », Collection des Études Augustiniennes. Série Antiquité 131, Paris : Institut d’Études Augustiniennes, 1992, p. 533559. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

183

« De Constantinople à Bagdad : Anthémius de Tralles et al-Kindī », in Actes du Colloque : La Syrie de Byzance à l’Islam (Lyon, 1990) ; Damas, 1992, p. 165-170. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

213

« Conic Sections and Burning Mirrors : An Example of the Application of Ancient and Classical Mathematics », in K. Gavroglu et al. (eds.), Physics, Philosophy and the Scientific Community, 1995, Kluwer Academic Publishers, p. 357-376. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

221

« Le commentaire par al-Kindī de l’Optique d’Euclide : un traité jusqu’ici inconnu », in Arabic Sciences and Philosophy, 7.1 (1997), p. 9-57. . .

241

xvi

IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

« De la géométrie du regard aux mathématiques des phénomènes lumineux », dans G. Vescovini, Filosofia e scienza classica, arabo-latina medievale e l’età moderna, Fédération Internationale des Instituts d’Études Médiévales (FIDEM), Textes et études du Moyen Âge, 11, Louvain-la-Neuve, 1999, p. 43-59. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . « Al-Qūhī vs. Aristotle : On motion », Arabic Sciences and Philosophy, 9.1, 1999, p. 7-24. Version française : « Al-Qūhī contre Aristote : sur le mouvement », Oriens-Occidens. Sciences, mathématiques et philosophie de l’Antiquité à l’Âge classique, 2 (1998), p. 95-117. . . . . . . . . . . . . « Sur une construction du miroir parabolique par Abū al-Wafāʾ alBūzjānī » (avec Otto Neugebauer), Arabic Sciences and Philosophy, 9.2, 1999, p. 261-277. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . « Astronomie et mathématiques anciennes et classiques », dans Épistémologiques (Revue internationale Paris / São Paulo) : Cosmologie et philosophie, hommage à Jacques Merleau-Ponty, vol. I (1-2), janvier-juin 2000, p. 89-100. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . « Al-Qūhī : From Meteorology to Astronomy », Arabic Sciences and Philosophy, 11.2, 2001, p. 157-204 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . « Transmission et innovation : l’exemple du miroir parabolique », dans 4 000 ans d’histoire des mathématiques : les mathématiques dans la longue durée, Actes du treizième colloque Inter-IREM d’Histoire et d’Epistémologie des mathématiques, IREM de Rennes, les 6-7-8 mai 2000, IREM de Rennes, 2002, p. 57-77 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . « The Celestial Kinematics of Ibn al-Haytham », Arabic Sciences and Philosophy, 17, 1, 2007, p. 7-55. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . « The Configuration of the Universe : a Book by al-Ḥasan ibn al-Haytham ? », Revue d’Histoire des Sciences, tome 60, numéro 1, janvier-juin 2007, p. 47-63. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . « Ibn al-Haytham’s Scientific Research Program », dans M. Alamri, M. ElGomati et M. Suhail Zubairy (éd.), Optics in Our Time, Springer, 2016, p. 25-39. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . « Ptolemy, Ibn al-Haytham, and al-Fārisī : the beginnings of quantitative research in optics », dans Ana Maria Cetto, Maria Teresa Josefina Pérez de Celis Herrero (eds.), Light Beyond 2015, Luz más allá de 2015, Univ. Nacionál Autónoma de México, 2017. . . . . . . . . . . . . . « Ibn al-Haytham’s Problem » (en collaboration avec Pierre Coullet), dans Rashed et alii. (eds.), Light-Based Science, CRC Press, Taylor and Francis Group, Boca Raton, London, New York, 2018, pp. 109-121. . . « Fermat et le principe du moindre temps », Comptes Rendus Mécanique, vol. 347, 4, 2019. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . « Ibn al-Haytham et le mouvement d’enroulement », en collaboration avec Erwan Penchèvre, Arabic sciences and philosophy, 30 (2020) : 27-137. « Pseudo-Euclide, Pseudo-Ptolémée et Thiasos : sur les miroirs », Arabic Sciences and Philosophy, 32, 2022, p. 1-65. . . . . . . . . . . . . . . . « Ibn Al-Hayṯam : sur le miroir ardent parabolique », Arabic Sciences and Philosophy, 33, 2023, p. 25-54. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

289

305 327

347 359

409 435 481 497

517 531 545 559 653 747

L’INTRODUCTION DE LA MATHÉMATIQUE DU PROBABLE DANS LA SCIENCE SOCIALE Enoncé au xviii e siècle, le projet d’un statut mathématique de la science sociale n’a guère cessé depuis d’accueillir de nouveaux adeptes. D’emblée, le recours au probable sembla indispensable à la formulation du projet : il apparut que seul le secours du « calcul » pour épauler la « raison » autoriserait, ici comme ailleurs, la constitution d’une connaissance objective. La mathématique du probable se présentait ainsi comme l’instrument le plus efficace pour assister une doctrine du social. Mais introduire la probabilité dans la science sociale, c’était s’engager à traiter au moins deux questions, selon que par probable on entend l’estimation subjective de la valeur d’un pari ou une distribution de fréquences : le probable suivit ces deux voies pour atteindre la science sociale. Contrairement à une histoire souvent faite, on constate que deux interprétations de la notion de probabilité — jadis technique 1, aujourd’hui axiomatique — sont mêlées dans les travaux des probabilistes. La prééminence de l’une ou de l’autre est liée à une idée de l’objet : soit qu’il s’agisse de la répétition de l’expérience aléatoire, soit que l’on indique une situation de décision. Le projet avait déjà été suggéré par les probabilistes dans l’exercice de leur instrument, et certains sociologues et historiens de la science sociale furent tentés d’y voir les premiers pas d’une science sociale mathématique. Cependant, évoqué par des mathématiciens au titre d’un domaine d’exercice de leur instrument propre, ce projet ne correspond en rien à la délimitation d’une problématique. Faut-il rappeler qu’un problème « évoqué » n’est nullement un problème « posé » ? Jacques Bernoulli formule un souhait 2, et si Nicolas Bernoulli va plus loin en traitant certains problèmes de droits, d’assurance et même de témoignages, à aucun moment on ne peut soupçonner dans ses travaux l’ambition de donner un sta-

Paru dans Actes du XII e Congrès International d’Histoire des Sciences, vol. 9 (Paris : Blanchard, 1971), p. 55-59. ‎1. Quotient du nombre des cas favorables par le nombre des cas possibles. ‎2. Cf. la 4 e partie de l’Ars Conjectandi, Bâle 1713.

2

IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

tut mathématique à la science sociale 1. Certes, il arriva aux premiers probabilistes de souligner l’analogie entre la situation du pari et celle de la décision ; ils proposèrent même, comme fit Montmort 2, de revenir aux individus pour leur donner des règles de conduite dans des situations « morales » et « politiques » : il s’agissait, là, de se servir du calcul pour nous apprendre « la conduite que nous devons tenir pour trouver (dans nos diverses entreprises) le plus d’avantage qu’il soit possible ». Mais l’analogie évoquée est aussitôt différée. Montmort remarque, non sans pertinence, qu’il n’est pas en mesure de traiter, au moyen de l’instrument probabilitaire, « les choses de la vie civile qui ont rapport à l’avenir », sans s’arrêter à des « choses trop connues ou peu exactes », en sorte qu’il ne reste qu’un rapprochement d’allure très générale entre les « paris sur les jeux et sur les choses de la vie sur lesquelles nous avons à prendre parti ». C’est bien plus tard que cette analogie, suivant deux voies différentes, désignera une problématique de la science sociale : – la première voie fait suite à une doctrine en quelque sorte « utilitariste » de la conduite sociale mais aussi à une reconsidération de l’idée toute juridique de l’égalité des chances comme équité formelle : principalement chez Daniel Bernoulli 3 ; – la deuxième voie a trouvé dans la doctrine contractualiste de la société et de son origine, un support à l’introduction d’une mathématique du probable pour la constitution d’une science mathématique du social avec Condorcet 4. Pour l’interprétation fréquentielle, on peut affirmer de même que ce n’est ni dans les ouvrages d’arithmétique politique 5, ni dans les analyses de tableaux statistiques contenus dans les mémoires de diverses académies 6, que l’on peut trouver le projet d’une science ‎1. Cf. N. Bernoulli, Specimina Artis Conjectandi – ad Quaestiones Juris applicatae, Bâle, 1709. ‎2. Montmort, Essai d’analyse sur les jeux de hasard, 2 e éd., 1713, p. 15. ‎3. D. Bernoulli, Specimen Theoriae Novae de Mensura Sortis, commentaires de l’Académie de Saint-Pétersbourg, 1713-1731, éd., 1738. ‎4. Condorcet, Essai sur l’application de l’analyse à la probabilité des décisions rendues à la pluralité des voix, Paris, 1785. ‎5. Cf. les ouvrages de J. Grant, Natural and political observations made upon the bills of mentality (1662) ; ou encore : W. Petty, The political anatomy in Ireland (1671-76) ; Deparcieux, Essai sur les probabilités de la vie humaine (1746) ; Buffon, Des probabilités de la durée de la vie, in Histoire Naturelle... vol. 2, Paris 1849. ‎6. Cf. les études de Babli (1790-1791), Bonino (1831), dans les Mémoires de l’Académie de Turin ; celles de Hermann (1832-1834) dans les Mémoires conservés à l’Académie de Saint-Pétersbourg.

L’INTRODUCTION DE LA MATHÉMATIQUE DU PROBABLE

3

sociale dont l’objet ne saurait être décrit que dans les termes de l’aléatoire. Il faut attendre la doctrine de « l’homme moyen » pour voir s’esquisser une représentation du social, considéré comme muni d’un dispositif producteur d’événements aléatoires, analogue aux dispositifs des jeux de hasard, notamment chez Quételet 1. C’est seulement grâce à cette articulation, et dans ses limites, que l’on a pu poser le problème d’une connaissance scientifique du social : nous nous contenterons ici d’évoquer en guise d’illustration la démarche qui, énoncée par Condorcet, fut reprise par Laplace puis Poisson et enfin par Cournot. La doctrine contractualiste se donna pour thème un sujet parmi d’autres, tous égaux dans la mesure où, devant la décision, chacun d’eux se soumet librement à la loi de la majorité et tient à se conformer, pour chaque décision, à la volonté « générale ». Pour le « sociologue », chaque « partie prenante » au contrat doit faire correspondre son intérêt à l’intérêt général et son jugement au vœu de la majorité, pour aboutir à la vérité la plus probable, de même que pour l’économiste, la libre-concurrence doit accorder aux individus la plus grande satisfaction. La probabilité apparaît ici bien plus comme un moyen de régler la conduite du sujet que comme une catégorie pour la décrire. Le problème reste alors de fournir un critère interne pour coordonner les jugements du sujet après les avoir accordés avec les vérités probables. Ce critère se présenta chez Condorcet 2 sous la forme d’un principe : une probabilité suffisamment grande entraîne une crédibilité très proche de la certitude. Ainsi, le « motif de croire » chez Condorcet, qui deviendra « raison de croire » chez Poisson 3, se substituera alors à la définition de la probabilité comme quotient des cas favorables par les cas possibles et se présentera comme une définition élargie, à la fois support et justification, de l’application du calcul des probabilités au domaine social. Ce ne sont pourtant pas les conditions les plus générales de la décision — parce que les plus essentielles — qui constituent l’objet de la nouvelle science : mais seulement les conditions de la décision, eu égard à la confiance qui lui est assignée. À un premier niveau, la constitution de cet objet exige que l’on attribue aux votants « une égale sagacité, une égale justesse d’esprit »,

‎1. Voir en particulier A. Quételet : Du système social et des lois qui le régissent, Paris, 1868, et aussi « Sur la statistique morale et les principes qui doivent informer la base » dans Mémoires de l’Académie royale de Belgique, 1848. ‎2. Condorcet, Op. cit., VII sq. et Éléments de calcul des probabilités, Paris, p. 81. ‎3. Poisson, Recherches sur la probabilité des jugements, Paris, 1837, p. 30.

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IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

de telle sorte que la confiance probable accordée 1 à la décision, ait pour seules composantes celles associées à la décision de chaque votant : toute influence est aussitôt égalisée. Indépendance et additivité des probabilités individuelles sont les fondements de la détermination, en probabilité, de la décision collective. Par la suite, une constitution moins abstraite de l’objet et se proposant de mieux rendre compte de la pratique sociale du vote, amènera d’autres modifications dont la plus importante considère la chance de correction de la décision comme une variable aléatoire. Formulée par Condorcet 2, cette modification sera confirmée par Laplace 3 pour s’inscrire dans une tradition dès lors acquise 4. Si importante soit-elle, la modification ne supprima guère l’allure abstraite de l’objet construit. Pour gagner en réalisme, et aussi en intelligibilité, il était nécessaire de revendiquer, en outre, une rectification de l’hypothèse de l’égalité des votants. Un autre niveau de constitution s’imposait, si l’on prévoyait de faire entrer dans le calcul, selon l’expression de Condorcet 5, « la différence de sagacité ou de justesse des votants, les effets de la partialité et l’influence d’un des votants sur les autres ». Il devenait alors possible d’introduire dans la conception de l’homo suffragans, des déterminations supplémentaires — propres à sa présence parmi d’autres — des effets de la situation où il s’insère : se greffant sur les caractéristiques individuelles, ces déterminations commandent le résultat du vote. Tout indique cependant qu’il eût fallu un instrument probabilitaire plus puissant que celui dont disposaient les probabilistes, ainsi qu’une plus grande explicitation des effets, afin que cette nouvelle constitution assure, et efficacement, une meilleure intelligence du phénomène du vote. C’est peut-être à cause de ces failles qu’au deuxième niveau, Condorcet fut bref, Laplace pessimiste 6 et Poisson silencieux ; quant à Cournot, il chercha à éliminer dans le calcul 7 les effets dus à la situation pour ne conserver que les caractéristiques individuelles. ‎1. Dans une première approche, Condorcet considère en effet que la probabilité de la décision est conforme à la vérité et la même pour tous les votants. Cf. Op. cit., p. 21 et p. 9 sq. ‎2. Condorcet, Op. cit., p. 248 sq. ‎3. Laplace, Œuvres, vol. VII, p. 526-527, Paris, éd. de 1886. ‎4. Poisson, Op. cit., p. 338 ; Cournot, Exposition de la théorie des chances et des probabilités, Paris, 1843, p. 361-362. ‎5. Condorcet, Op. cit., p. 252 sq. ‎6. Pour autant qu’il considère comme conditions de soumission au calcul des décisions prises à la majorité, les « lumières » et « l’impartialité » des membres, Op. cit., p. XL. ‎7. Cournot, Op. cit., p. 380.

L’INTRODUCTION DE LA MATHÉMATIQUE DU PROBABLE

5

S’il est donc possible d’affirmer que seule l’articulation d’une doctrine philosophico-politique et d’une mathématique du probable a permis de poser le problème d’une science sociale, elle n’a pas tardé à indiquer des chemins de réforme dont les possibilités d’exploration seront le gage de progrès futurs.

LA « MATHÉMATISATION » DE L’INFORME DANS LA SCIENCE SOCIALE : LA CONDUITE DE L’HOMME BERNOULLIEN

À première vue, il peut paraître contradictoire de qualifier une doctrine d’informe, fût-elle peu articulée. Une doctrine n’est-elle pas en effet l’organisation d’un savoir, de représentations ou d’une pratique à partir d’une saisie des formes ? Même si l’organisation ne procède pas d’une rectification contraignante et efficace des concepts, elle interdit déjà l’identification d’une doctrine avec la pensée commune ou vulgaire, et l’informe n’est pas l’absence de formes. C’est donc un sens moins immédiat qui est suggéré lorsqu’on s’interroge sur la mathématisation des doctrines informes, et des précisions préalables sont nécessaires avant de retrouver le problème dans la science sociale. Par doctrine informe, on peut désigner deux choses différentes et souvent confondues, selon que par doctrine on entend une philosophie naïve de l’expérience ou l’annexion à un autre terrain d’une théorie scientifique constituée ou considérée alors comme telle. Sont donc informes au même titre que la physique aristotélicienne, l’appropriation par une ancienne dynamique de la statique archimédienne ou la saisie de la mécanique newtonienne par diverses disciplines au dix-huitième siècle. Le même terme pourrait décrire indifféremment aussi bien le contractualisme du dix-huitième siècle que le darwinisme social plus récent. Au premier sens cependant, pour la physique aristotélicienne ou le contractualisme, une doctrine informe n’est que l’interprétation, plus ou moins systématisée et prolongée sur le même terrain, d’une expérience particulière, alors qu’au deuxième sens, elle est une confiscation sur un autre terrain d’une théorie constituée ailleurs et à d’autres fins. Même s’il ne doit alors rester de la théorie constituée qu’un reflet appauvri et dénaturé, le prestige scientifique de la théorie importée masque souvent, surtout aux yeux des contemporains, la nature et les limites véritables de la

Paru dans La mathématisation des doctrines informes, sous la direction de G. Canguilhem (Paris : Hermann, 1972), p. 73-105.

8

IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

confiscation 1. Le pouvoir explicatif de la théorie scientifique, la précision de ses concepts, son langage dépouillé apparaissent à l’heure du transfert, comme autant de garanties pour assurer à la discipline d’accueil sa propre promotion au statut d’une science. La confiscation est ainsi visée comme la saisie non seulement des éléments et des moyens d’une théorie, mais aussi de sa validité. On comprend alors qu’elle soit toujours valorisée. On verra par la suite l’importance de cette valorisation pour la mathématisation des doctrines informes. Pour l’instant, il suffit de remarquer que si la confiscation est devenue une méthode courante à la suite de la science classique, surtout après Newton, elle a toujours existé comme moyen heuristique, particulièrement en mécanique et en optique. Cependant, transposée ou confisquée, une notion informe reste un élément d’une interprétation naïve de l’expérience. Par naïve, il ne faut pas seulement comprendre qu’elle est véhiculée par le langage parlé, mais surtout que cette interprétation est intimement liée à cette expérience et se réfère à sa réalisation effective, dans l’acte même de sa constitution, comme au seul plan de son existence. L’informe est la forme d’une expérience réelle, et par là-même particulière, et nullement une forme impure, enfouie dans l’élément empirique : elle n’est donc point une idéalité saisie après la chute de l’idée dans le monde ici-bas de l’empirie. La confiscation même d’une théorie scientifique n’est pas la réduction des concepts de celle-ci aux éléments empiriques : c’est la poursuite dans un autre domaine de cette forme de l’expérience réelle, l’appropriation d’une interprétation qu’on croit convenir à ladite expérience, en sorte que même si le domaine d’objectivité de l’interprétation est fondé dans les données du sens commun, dans l’immédiateté des événements d’une pratique culturelle ou technologique, une doctrine informe ne se réduit pas au prolongement verbal de l’expérience naïvement et immédiatement réaliste. Une nouvelle intention théorique distingue dès le départ le savoir doctrinal de la connaissance commune : elle veut diminuer l’adhérence de l’interprétation aux données. C’est pour réaliser cette intention que le savoir doctrinal se soumet déjà à d’autres critères dont les plus importants sont la médiatisation naïve et la cohérence. La médiatisation naïve montre qu’une doctrine informe ne se borne pas à exprimer d’une manière directe le contenu d’une expérience particulière et ne procède pas en mettant brutalement en correspondance un concept et un événement ou une proposition et

‎1. Nous empruntons les termes de « théorie confisquée » à un cours sur « l’histoire de la psychologie », professé par Georges Canguilhem à l’Institut d’Histoire des Sciences en 1969.

LA « MATHÉMATISATION » DE L’INFORME DANS LA SCIENCE SOCIALE 9

un donné, mais bien, une proposition et une autre proposition, c’està-dire un rapport de concepts et un autre rapport, de telle sorte que le donné soit déjà médiatisé. Même si on peut identifier l’activité du doctrinaire et celle, toute linguistique, qui consiste à systématiser les dénominations, dans la mesure où pour fixer son objet, sa seule méthode demeure de lui attribuer un nom, il reste que cette systématisation procède elle-même de la médiatisation naïve. Celle-ci permet, seule, de retrouver les données dans les cadres d’une représentation générale du phénomène, dans la mesure où elle rend possible de les concevoir dans une transcendance relative. Ainsi, les données de l’expérience immédiate ne constituent qu’un point de départ, seule leur médiatisation conduira à la constitution d’une doctrine. On peut rappeler à cet égard que la doctrine aristotélicienne du mouvement n’est nullement formée de propositions directement liées à l’expérience sensible du mouvement de déplacement, mais seulement à celles qui concernent la correspondance de « l’acte de ce qui est en puissance en tant que tel » avec les propositions relatives aux « natures déterminées » et à l’ordre cosmologique ; de même que la doctrine sociale de J.-J. Rousseau ne concerne pas la pratique vécue du suffrage, mais lie une conception du pacte à celle du suffrage comme déclaration de la volonté générale. Médiatisation naïve, transcendance relative, conditionnent et déterminent l’emploi de l’autre critère : la cohérence, que le doctrinaire veut sévère. Que médiatisation et transcendance soient les conditions de possibilité de la cohérence, c’est dans la mesure où, permettant de prendre des distances avec l’être déterminé et de construire des rapports de propositions, elles autorisent les premières élaborations du discours. Qu’elles surdéterminent le sens de la cohérence, c’est dans la mesure où médiatisation naïve et transcendance relative ne concernent pas plus un objet général qu’un objet en général. En sorte que, si la cohérence est pour le doctrinaire le moyen de contraindre l’autre à ratifier la vérité de sa doctrine, elle renvoie en même temps et d’une manière diffuse — puisque présente aussi bien dans la totalité de la doctrine qu’à chaque moment de l’argumentation — à la consistance logique et à l’action architectonique. Produit d’une transposition ou d’une confiscation, c’est-à-dire effet du prolongement d’une phénoménologie pour encadrer les événements, ou de la restriction de la phénoménologie d’un autre univers à celui où l’explication est entreprise, la doctrine informe se constitue à partir des critères de médiatisation et de cohérence. Attribuer à ce savoir le seul statut du mythe, c’est oublier son projet, celui de se conformer délibérément et graduellement aux-dits critères ; c’est aussi méconnaître qu’il progresse par amendements

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successifs pour mieux épuiser les données d’une expérience particulière dans un exposé toujours plus cohérent. En bref, c’est oublier qu’une doctrine informe est le produit d’un travail rationnel, donc intentionnel, accumulé dans un passé. Si schématique qu’elle puisse paraître, la distinction proposée entre les deux sens de l’expression « doctrine informe » est importante pour différencier deux voies de la mathématisation. On n’a pas assez distingué, en effet, deux manières d’appliquer les mathématiques à une doctrine informe : distinction pourtant essentielle pour démêler deux intentions rationnelles bien éloignées, deux idées de science suffisamment séparées. La première entend par application une substitution directe et complète des relations mathématiques aux notions d’une doctrine, la deuxième a précisément pour origine le rejet de cette prétention, pour subordonner alors la substitution à l’entremise d’une tierce-discipline, dominée par la connaissance mathématique du moment. Les correspondances analogiques des deux disciplines sont le moyen de mathématiser l’informe. Or, le recours à une discipline intermédiaire représente une classe particulière de confiscation, suscitée par la recherche d’une meilleure composition des mathématiques et de la représentation doctrinale du phénomène. Déjà le chemin parcouru par le philosophe pour rejoindre le géomètre n’est ni le plus court ni le plus aisé. Une science, fût-elle de l’optique, de la mécanique ou du social, est au premier sens une mathématique, une science pure, disons une logique. Au deuxième sens, l’idée de science est déjà différente, puisque les correspondances analogiques permettent de rapporter les notions d’une doctrine au plan d’une situation expérimentale. Contrairement donc à ce qu’on sait de la science pure, les normes expérimentales surgissent et interviennent dans l’idée de science. On peut rappeler comment une certaine cinématique a été requise — depuis Ptolémée et surtout depuis Alhazen — comme discipline intermédiaire par une optique, comment la statique — surtout au seizième siècle à l’exemple de Tartaglia — a été invoquée par une ancienne science du mouvement. Évidente en optique et en mécanique, cette situation l’est moins, au premier abord, dans la science sociale qui avait annexé cependant la science du probable comme discipline intermédiaire, dès le dix-huitième siècle. L’ambiguïté tient sans doute au double aspect de la science du probable : « doctrine des chances » et « calcul des chances », pour parler un langage connu bien que désuet, théorie de la décision pour les uns, de l’expérience aléatoire pour les autres, et calcul des probabilités pour les uns et les autres. Si le prestige du calcul comme branche des mathématiques a souvent voilé l’importance du premier aspect, c’est pourtant en vue de la « doctrine des chances »

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— théorie de la décision ou de l’expérience aléatoire, et beaucoup moins pour le calcul, que sociologues et économistes sont partis à l’assaut de la science du probable. En somme, l’appel à cette science s’est toujours montré insistant, prometteur, et depuis le dix-huitième siècle il réapparaît, sans cesse renouvelé tandis que le calcul s’avère en ce domaine, et pour longtemps, inefficace. Si donc la mathématique du probable s’est présentée comme le moyen le plus efficace pour assister une doctrine du social, c’est dans la mesure où l’on a pu, ou cru, établir des correspondances analogiques entre cette doctrine et la théorie de la décision ou de l’expérience aléatoire. Mais établir des correspondances analogiques, c’est réduire le domaine d’exploration du sujet de la science et fixer au sujet de la connaissance un nouveau système de visée, en sorte que, contrairement à l’application directe et complète des mathématiques, l’instrument mathématique n’est pas ici un langage qui ne pense point ou un instrument indifférent à son objet. Contrairement à une affirmation répandue, l’avènement du calcul des probabilités n’a rien apporté, ou presque rien, à l’élaboration du projet d’une science sociale mathématique, aussi longtemps que le domaine du sociologue ou de l’économiste était évoqué au seul titre d’un domaine d’exercice du calcul nouvellement créé, comme chez J. Bernoulli, Montmort, N. Bernoulli, De Moivre. Désigner une ressemblance entre la situation du pari et celle du sujet confronté à des choix ou à des décisions, à la manière essentiellement empirique de Montmort, ne donne guère les moyens de poser ce problème. Il a fallu d’abord retrouver et déduire toutes les ressemblances, sinon au moyen d’une analogie parfaitement assurée entre deux théories dont chacune possède déjà un statut mathématique, du moins par un rapprochement provoqué, donc systématique et constamment soutenu par un effort discursif, entre la théorie du probable — physique de l’aléatoire ou théorie de la décision, dominée par la mathématique du probable — et une doctrine informe du social, donc encore inaccessible au traitement mathématique. Provoquer un rapprochement c’est, en effet, construire un ensemble de correspondances analogiques permettant d’instituer un mode particulier d’explication par réduction. Si précaire soit-elle, cette analogie peu assurée requiert toutefois des conditions qui modifient très vite la configuration d’une doctrine informe, acquise dans une tradition ou nouvellement créée, dans la mesure où elle intervient pour en régler la transformation. En effet, si on a pu donner à la doctrine comme règles de formation, la médiatisation naïve, la transcendance relative et une cohérence à la fois logique et architectonique, les principes de la doctrine sont encore supposés évidents par eux-mêmes et absolument vrais, sans

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justifications supplémentaires. À l’aide de l’analogie, il faudrait non seulement pouvoir dériver les hypothèses de la tierce-discipline des principes de cette doctrine, mais aussi être en mesure de déduire les principes de la doctrine des hypothèses de la tierce-discipline. On a ainsi les deux conditions de la composition des mathématiques et des éléments de la doctrine : la première exige la transformation de celleci en vue d’une telle dérivation, la deuxième lui impose de ne plus réclamer pour ses principes, évidence et vérité absolue. La difficulté rencontrée par la mathématisation est que, souvent, chacune des deux tâches renvoie immédiatement à l’autre et que la réalisation de chacune dépend de la réalisation de l’autre. L’exemple de la science sociale montrera la portée et les limites de cette difficulté, obstacle à une mathématisation efficace. Il suffit de rappeler, pour l’instant, qu’on ne verra apparaître de véritables démarches pour élaborer une science sociale mathématique que plusieurs décennies après les travaux des premiers probabilistes et conformément aux voies de l’analogie : la première voie succède à l’aménagement d’une doctrine utilitariste de la conduite sociale, de même qu’à une reconsidération de l’idée toute juridique de l’égalité des chances comme équité formelle, principalement par D. Bernoulli ; les correspondances analogiques s’établissent entre une doctrine de la répartition et une théorie de la décision, pour la constitution de ce qu’on peut appeler l’homme bernoullien. La deuxième voie exploite avec Condorcet l’analogie entre une théorie de la décision et une doctrine contractualiste de la société et de son origine : on construit ici l’équivalent politique de l’homme bernoullien, c’est-à-dire l’homo suffragans. Il faudra attendre le dix-neuvième siècle pour voir apparaître la doctrine de l’homme moyen, principalement avec Quetelet. C’est alors qu’on peut voir s’esquisser une représentation du social, considéré comme muni d’un dispositif, producteur d’événements aléatoires. Encore reste-t-il à remarquer que « l’homme moyen » ne se situe pas au même plan que les deux premiers. Les différentes idées de science sociale mathématique se réduisent pour l’essentiel à celles qu’on vient de citer et à leurs combinaisons. On se limitera ici à exposer brièvement la conduite de l’homme bernoullien. On pourrait croire que l’analogie entre la situation du pari et celle du sujet est donnée dans une évidence antérieure à toute thématisation conceptuelle. Ne peut-on affirmer que toute conduite est toujours par essence une décision ou un choix ? Que l’invariant qui demeure identique à travers les variations du comportement est constitué précisément par l’acte même de la décision ? La description de la conduite donne lieu de conclure que cet acte, comme toute décision, implique un coup de dés : agir c’est alors essentiellement

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parier. Immédiatement la situation du sujet se traduit dans la langue du pari : selon cette idée, fonder une science sociale reviendrait à exploiter cette possibilité de traduction. Aussi évidente qu’elle soit, cette analogie ne se présente jamais d’elle- même et, pour générale qu’elle apparaisse, elle ne s’applique pas à toute conduite, mais seulement à une certaine catégorie de la conduite où agir c’est essentiellement distribuer, répartir une richesse, un avantage physique ou moral. On vient d’indiquer, en effet, que la constitution de l’analogie exige la rencontre d’une doctrine et d’une tierce-discipline, d’une part, des transformations respectives dans chaque domaine, d’autre part. L’une devait engager le probabiliste à reconsidérer l’égalité des chances comme équité formelle, l’autre amenait le philosophe et l’économiste à reformuler une doctrine utilitariste de la conduite sociale. Seule la rencontre de cette théorie du probable et de cette doctrine — essentiellement de la répartition — a permis la constitution de l’analogie, pour poser le problème de la conduite de l’homme bernoullien. Présent depuis D. Bernoulli, celui-ci resta en quelque sorte dans l’oubli, avant d’être récemment redécouvert. Pour le constituer, il a fallu d’abord dériver les hypothèses de la théorie de la décision des principes de la doctrine de la répartition : il s’agissait de placer le parieur dans la situation de l’homo mercator, afin de préserver son action des inconséquences éventuelles. Au dix-huitième siècle, on voulait épargner au parieur le paradoxe de Saint-Pétersbourg. Mais pour adapter les principes de la doctrine à la théorie de la décision, il était nécessaire que l’homo mercator fût placé dans la situation du pari. Tâche délicate qui a exigé, d’une part, une élaboration des principes plus poussée qu’à l’heure de la psychologie introspective et, d’autre part, que les hypothèses du probable pussent être lues dans la notation de la théorie des ensembles, c’est-à-dire après les Grundbegriffe der Wahrscheinlichkeitsrechnung de Kolmogorov (1933). C’est seulement par suite de ces transformations que Von Neumann et Morgenstern pourront montrer que l’homo oeconomicus des marginalistes, s’il veut se conduire comme « il se doit », a nécessairement le probable pour moyen d’action. On comprendra alors qu’au cours de l’histoire récente, les axiomatiques proposées aient voulu obtenir une mesure de la probabilité pour définir une mesure de l’utilité. Il est évidemment tout à fait impossible de faire, dans les brèves limites de cet exposé, une histoire, fût-elle peu détaillée, des rapports de la doctrine de la répartition et de la théorie de la décision, c’est-à-dire du concept de conduite bernoullienne. Dans une esquisse historique, je me bornerai à insister sur le commencement du projet chez D. Bernoulli et sur son développement récent avec Savage. Dès

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le dix-huitième siècle, on avait découvert, à l’occasion d’un problème posé par N. Bernoulli à Montmort, qu’un paradoxe, celui de SaintPétersbourg, menaçait de paralyser l’action du parieur, si celui-ci tenait, pour un usage général, à la règle de l’espérance mathématique comme règle de décision. Dans les termes mêmes de N. Bernoulli, le problème est le suivant : A promet de donner un écu à B si, avec un dé ordinaire, il amène au premier coup six points, deux écus s’il amène le six au second, trois écus s’il amène ce point au troisième coup, quatre écus s’il l’amène au quatrième et ainsi de suite ; on demande quelle est l’espérance de B.

Si le jeu devait continuer indéfiniment, la règle de l’espérance donnerait à B une espérance infinie. Mais cette règle ayant été proposée pour un jeu équitable, c’est-à-dire où l’égalité des chances assurée par un jeu indépendant des habiletés respectives des joueurs, entraîne que les risques courus par A et B sont de valeur égale, il faut que B verse une somme infinie comme enjeu, dans ce jeu où il est sûr de gagner. D’où le paradoxe : comme l’écrivait Buffon, cette solution est si éloignée d’être la vraie, qu’au lieu de donner une somme infinie, ou même une très grande somme, ce qui est déjà fort différent, il n’y a point d’homme de bon sens qui voulût donner vingt écus, ni même dix, pour acheter cette espérance en se mettant à la place de celui qui ne peut que gagner.

Pour soustraire le parieur à ce paradoxe, on voit apparaître deux types essentiels de démarches : le premier se borne à l’éliminer sans le résoudre ; on n’y voit qu’un malentendu, puisqu’un jeu ne saurait durer indéfiniment et il suffit, comme le pense d’Alembert, de réduire le nombre des coups à jouer et de toujours retenir l’espérance mathématique. Le deuxième type, à la fois plus important et plus courant, s’efforce, comme on vient de le dire, de mettre le parieur dans la situation de l’homo mercator. Encore que diversement réalisée, cette tentative est commune à Cramer, Buffon, D. Bernoulli. Tous trois ont vu que le paradoxe part d’une confusion dans l’évaluation de l’argent : Alors que, écrit Cramer (dans la théorie), les mathématiciens estiment l’argent à proportion de sa quantité... (dans la pratique) les hommes de bon sens, à proportion de l’usage qu’ils en peuvent faire.

En 1730, Buffon remarque, en termes presque identiques, que la contradiction entre le calcul et le bon sens consiste « dans le peu de

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proportion qu’il y a entre l’argent et l’avantage qui en résulte ». Dans un texte célèbre, il écrivait : Un mathématicien dans son calcul n’estime l’argent que par sa quantité, c’est-à-dire par sa valeur numérique, mais l’homme moral doit l’estimer autrement et uniquement par les avantages ou le plaisir qu’il peut procurer.

D. Bernoulli reprend les mêmes idées et propose de considérer que l’avantage ou l’utilité qu’une personne peut se procurer à partir d’une variation infinitésimale de sa fortune est directement proportionnel à cette variation et inversement proportionnel à sa fortune initiale. Soit x la fortune initiale exprimée en valeur monétaire, l’utilité d’un accroissement dx est supposée égale à dy = b xdx avec b constant. b log x

On aura donc pour l’utilité de la fortune x, y = |c| avec c constant. C’est à partir de cette définition de y qu’on peut calculer l’espérance morale ou l’espérance d’utilité 1. Pour D. Bernoulli, l’espérance de gain d’une somme ne serait donc pas exprimée par la somme elle-même, mais par le rapport de cette somme à la fortune — la quantité de biens — de celui qui doit la gagner. Le choix de la fonction logarithmique pour exprimer l’utilité est, depuis, le plus favorisé. Des économistes comme A. Marshall l’adoptaient encore, et, plus récemment, Savage écrivait : « Nulle autre fonction n’a été suggérée qui fût un meilleur prototype à la fonction de l’utilité de tout homme. » S’interroger sur la justification de ce choix c’est, en fait, saisir le type de comportement auquel le parieur doit se conformer. Chez D. Bernoulli, et souvent par la suite, cette justification consiste à admettre l’hypothèse que voici : « l’utilité d’un petit accroissement de la richesse est inversement proportionnelle à la quantité des biens déjà possédée. » Cette hypothèse combine manifestement deux idées, lesquelles réunies, nécessitent une fonction continue, monotone, croissante, différentiable et tendant très lentement vers l’infini quand x tend vers l’infini 2 : on pourrait dire, de manière intuitive, qu’elle croît moins vite que la variable. D’une part, en effet, on affirme qu’il y a un accroissement de l’utilité en fonction de l’appropriation — et ceci par quantité infinitésimale — et, d’autre part, qu’il y a une baisse tendancielle, une dévaluation pour ainsi dire de l’utilité, en fonction de la croissance ‎1. Soit a la fortune initiale, x1 , x2 , x3 , . . . les accroissements de la fortune, avec les probabilités respectives p1 , p2 , p3 , . . . et telles que p1 + p2 + p2 + · · · = 1. La fortune morale sera égale à b log[(a + x1 )p1 (a + x2 )p2 (a + x3 )p3 · · · ] − b log |c|. ‎2. On a par la croissance comparée de deux fonctions, limx→∞ logx x = +∞.

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de la quantité des biens. Ainsi, quel que soit le revenu initial d’un individu, deux unités de gain sont toujours plus utiles qu’une seule et moins utiles que trois unités. Mais en fonction de ce revenu initial, l’utilité de la dernière unité n’est jamais la même, en sorte que, finalement, la validité du choix de la fonction logarithmique renvoie aux notions nécessaires pour fonder l’hypothèse, dont la compréhension varie selon qu’elle est rattachée au domaine du psychologue ou à celui de l’économiste. Dans l’œuvre même de D. Bernoulli, la formulation de cette hypothèse fait intervenir parfois des notions d’une psychologie hédoniste, composée avec une psychométrie d’inspiration leibnizienne, et parfois des notions de doctrines économiques et financières qui, à cette époque, faisaient déjà partie de la connaissance commune. Comme hypothèse d’une psychologie hédoniste, elle est fondée à l’aide de deux idées complémentaires, présentes, mais non encore explicites dans l’exposé de D. Bernoulli. Ces idées ne seront explicitées qu’avec le développement de la doctrine de l’utilité chez des économistes comme Galiani, Graslin, Condillac et, d’une certaine manière, Turgot. La première affirme que tout besoin ne peut recevoir qu’une satisfaction finie et bornée, tandis que la deuxième confirme que cette satisfaction est elle-même commandée par celle du besoin, et nullement par les biens qui peuvent, pour leur part, procurer une satisfaction infinie. Telle qu’elle se présente, enfouie dans une doctrine des désirs, et non encore des besoins, l’hypothèse de D. Bernoulli ne peut être fondée par ces idées qu’à la condition d’admettre l’existence d’un désir commun à tous les hommes, auquel ils doivent se référer pour l’appréciation de l’utilité. Ce désir est non seulement celui de l’appropriation des richesses, mais encore celui de la poursuite de cette appropriation, c’est-à- dire le désir mercantile. Mais comme tous les désirs doivent se soumettre en plus à la même régulation, ils ont pour mesure, nécessairement, celle du désir général, en sorte que tous les désirs ont, comme celui-ci, la monnaie pour étalon commun à leurs satisfactions, une détermination commune à tous. Si la lecture psychologique de l’hypothèse débouche donc sur le domaine de l’économie, la lecture économique dégagera une notion de comportement dans la mesure où le sujet doit, pour agir, différencier des valeurs. Cette lecture est rendue possible par la formulation que donne D. Bernoulli de son hypothèse. Dans cette formulation, l’utilité est une valeur opposée au prix, liée à un concept supplémentaire : la quantité des biens. Par ce concept, D. Bernoulli désigne essentiellement le revenu individuel, estimé en valeurs monétaires, et son hypothèse peut être résumée de la manière suivante : « l’utilité d’un gain, aussi insignifiant soit-il, est inversement proportionnelle

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au revenu individuel. » L’utilité doit donc être comprise par le sujet comme la valeur d’un gain monétaire, différente de la valeur numérique ou quantitative de ce gain. Avant tout calcul de l’utilité, il lui faut donc différencier la valeur réelle et la valeur numérique du gain. Cette différenciation, aujourd’hui immédiate, était alors récemment acquise, et sur le terrain de réflexions financières et économiques. On sait, sinon depuis la controverse Malestroit-Bodin, du moins depuis Davanzati ou Locke, et en dépit de leurs convictions mercantilistes, que la valeur de la monnaie, de chaque unité monétaire, est inversement proportionnelle à la quantité monétaire en circulation. Bien que cette doctrine ne concerne que le revenu de l’État, qu’elle considère la valeur réelle comme une fonction décroissante du revenu, elle justifie la différenciation entre valeur réelle et valeur numérique, et montre qu’une détermination de la valeur réelle doit nécessairement rapporter chaque unité monétaire, chaque quantité infinitésimale, au revenu. Pour comprendre l’exposé de D. Bernoulli, il faut donc entreprendre une double lecture. Il apparaît alors que l’appréciation subjective de l’utilité dépend d’un désir général, disons social, le désir mercantile, et d’un sujet capable à la fois de différencier des valeurs — et dont le moyen d’entrer en rapport avec les autres reste cependant le prix —, de faire son calcul d’une manière parfaitement autonome, de chercher à maximiser l’utilité, c’est-à- dire de l’homo mercator. Si pour D. Bernoulli, comme pour ses successeurs, on obtient ainsi la conduite de tout homme rationnel, il s’agit en fait d’une interprétation de la conduite d’un sujet localisé historiquement et même géographiquement. Partout présent pour D. Bernoulli, puisque tout homme a un revenu — en dernière analyse, l’équivalent monétaire de sa « force de travail » —, il peut toujours agir car en se conformant à sa propre norme de conduite et en poursuivant le meilleur gain, il ne nuira à personne, mais favorisera au contraire une juste répartition. Pour y parvenir, il doit commencer par séparer la valeur de la monnaie de son apparence immédiate et, dans son calcul, il doit compter les sommes monétaires, non pas en quantité, mais en valeur réelle. Quoi qu’il en soit, c’est aux normes de l’homo mercator que le parieur doit se référer et à ses calculs qu’il doit se convertir, s’il veut se comporter en homme doué de raison et agir sans inconséquence. En bref, pour être rationnel, il doit être mercantile, car pour éviter le paradoxe de Saint-Pétersbourg, il doit se conformer à l’homo mercator, reconsidérer la règle de répartition et, enfin, le pari. Avant de trouver sa propre vérité, le sujet, avec Pascal, Huygens, J. Bernoulli, Montmort, De Moivre, se contentait pour parier d’échanger une somme certaine contre une espérance incertaine. Il s’agissait

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alors d’une répartition directe. Maintenant, il faut commencer par calculer les sommes monétaires à échanger contre leurs véritables valeurs. C’est lorsque le parieur procède à cette transformation et remplace les gains par leurs utilités — dans le calcul des espérances — qu’il obtient une règle de calcul juste parce qu’indirecte : l’espérance d’utilité, espérance relative, dira Condorcet, espérance morale, selon Laplace. Ainsi, l’idéalité restituée par le mathématicien à la conduite s’appuie sur une historicité dissimulée, c’est-à-dire sur l’interprétation d’une expérience réelle, Alors que l’acte de restitution procède de la redéfinition de l’égalité des chances, celle-ci, en définitive, fait reposer la théorie de la décision sur une doctrine utilitariste. Bien qu’elle soit encore peu articulée, la doctrine reste active, dans la mesure où l’on déduit de ses principes l’hypothèse de la théorie de la décision. Or l’homme bernoullien n’est pas encore l’objet d’une science sociale mathématique. Ce projet se dégagera avec une force incomparable quand les principes mêmes de la doctrine utilitariste auront rompu tout lien avec une pseudo-évidence et seront devenus relatifs à la théorie de la décision. On pourrait s’étonner que cette tâche n’ait pas suivi la tentative de D. Bernoulli. Mais cela n’était guère possible et tout indique au contraire qu’il fallait attendre une analyse plus détaillée et mieux articulée, au terme de laquelle la doctrine utilitariste se fût présentée, non plus comme une doctrine de la conduite en général, mais pour un contenu particulier. Au cours du temps nécessaire à cette élaboration, la tentative de D. Bernoulli a été conservée au musée de ses origines, celui des probabilistes. Qu’on me permette de passer sous silence aussi bien l’histoire de la constitution de la doctrine de la répartition sous le signe de l’utilité, à partir des années 40 du dix-huitième siècle chez les philosophes et les économistes, que l’histoire de son renouvellement sous le titre de l’utilité marginale avec Dupuit et Gossen. Je ne rappellerai pas, non plus, les discussions d’Edgeworth, Pareto, Johnson, Sultsky, et beaucoup d’autres, sur les conditions nécessaires pour penser d’une manière précise l’utilité comme grandeur repérable, sinon mesurable, pour traiter directement, et encore une fois brièvement, de la résurrection de l’homme bernoullien, notamment après la deuxième édition de Theory of Games and Economic Behavior de Von Neumann et Morgenstern, en 1947, et la parution de Foundations of Statistics de L. Savage, en 1954. Le choix de ces contributions se justifie seulement par le courant de recherches qu’elles ont suscité en science sociale et nullement pour revenir au problème traditionnel des fondements du calcul des probabilités. Une différence qualitative distingue dès le départ la mathémati-

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sation de l’utilité de celle qui fut tentée par des marginalistes comme Jevons, Walras, et même Pareto, ainsi que tant d’autres. Avec Von Neumann puis Savage, la mathématisation de la doctrine de l’utilité n’est plus seulement l’œuvre des économistes, ou plus précisément d’économistes rompus à l’exercice d’une mathématique enseignée ; elle est reprise désormais par des mathématiciens qui, grâce au développement de la théorie des ensembles — surtout des ensembles convexes — pensent être en mesure de fournir à la doctrine des conduites économiques, de nouvelles structures mathématiques, susceptibles d’une meilleure articulation avec les idées de la doctrine. Il pourrait sembler qu’on assiste à une répétition de la tentative de D. Bernoulli, mais soutenue par d’autres instruments mathématiques. Il reste que ces tentatives, du moins en ce qui concerne la mathématisation de l’informe, diffèrent de celle de Bernoulli, tant par leurs buts que par leurs intentions. On veut cette fois résoudre les difficultés soulevées par les discussions des marginalistes sur la possibilité pour le sujet économique de comparer les utilités. Il s’agit donc de placer l’homo mercator dans la situation du pari et non plus seulement le parieur dans celle de l’homo mercator. C’est à cette condition qu’il devient possible de justifier et de déduire l’existence d’une fonction, telle que la valeur de son espérance peut contrôler les choix du sujet. Pour décider, compte tenu du risque ou de l’incertitude, l’homo mercator doit prendre pour modèle de sa conduite celle du parieur, de telle sorte que sa conduite devienne un cas particulier d’une catégorie générale et que la science du probable puisse servir de discipline intermédiaire pour mathématiser l’informe. Toujours est-il que c’est dans le changement de la relation des deux concepts d’homo mercator et d’homo aleator que réside l’originalité de la position moderne. Pour D. Bernoulli, l’homo aleator doit agir selon la doctrine de l’utilité pour éviter les inconséquences. Pour Von Neumann et Morgenstern, l’homo mercator, devenu entre temps l’homo oeconomicus des marginalistes — donc toujours représenté selon une doctrine de l’utilité, encore que mieux articulée —, afin de se conduire comme « il se doit », se conformera à un certain nombre de maximes, exprimées par les axiomes du système : il a donc nécessairement pour moyen le probable. La deuxième différence entre Bernoulli et le mathématicien moderne suit immédiatement, dans la mesure où le but de celui-ci est de rapporter les principes de la doctrine de l’utilité aux hypothèses de la science du probable, soit comme Von Neumann et Morgenstern en introduisant dès le départ la probabilité pour mesure de l’utilité, soit comme Savage en dérivant la mesure de l’utilité des mêmes axiomes que la probabilité doit auparavant vérifier. Il s’ensuit que les principes de la doctrine

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ne sont plus évidents en eux-mêmes, dans les termes d’une philosophie des Lumières, d’une psychologie de la raison ou de la volonté, mais qu’ils dépendent d’un système d’axiomes dans lequel intervient le probable, système qui permet d’abord de dériver le probable, lequel servira à son tour à démontrer l’existence d’une fonction d’utilité. On voit donc que l’existence d’une certaine fonction d’utilité, dont le rôle serait de traduire les principes de la doctrine, n’est plus, comme chez D. Bernoulli, postulée, mais déduite des hypothèses du probable. L’homme bernoullien n’est plus, à la limite, exclusif, ni expansionniste, dans la mesure où tout homme n’est pas nécessairement bernoullien. Il se peut même qu’il n’y en ait aucun. Mais s’il en existe au moins un, il doit satisfaire au système d’axiomes. En dépit de cette situation-limite, chaque auteur laisse entendre à un moment ou à l’autre que la plupart des hommes sont proches de ce modèle dans la situation psychologico-économique de la répartition. L’affectation des ressources ou le choix des investissements sont d’ailleurs depuis les marginalistes des cas particuliers de la répartition. Pour montrer brièvement, mais d’une manière précise, comment les principes d’une doctrine de l’utilité dépendent des hypothèses de la science du probable comme science de la décision, il est nécessaire d’expliciter comment à l’ordre des articulations logiques de la démonstration mathématique se superpose un ordre des significations, et comment ce groupement de significations commande les étapes de la démonstration mathématique. Cette méthode de l’histoire des sciences qui a fait ses preuves dans l’étude de l’œuvre d’Euclide, mériterait assurément d’être reprise en d’autres domaines pour éclaircir des débats litigieux. Mais avant de donner les conclusions de l’application de la méthode à l’analyse de Savage, il serait utile de rappeler une supposition commune aux tentatives de Von Neumann et de Savage. Cette supposition revient à dériver une mesure de l’utilité au moyen de la probabilité. D’une manière plus explicite, en posant que la poursuite de l’utilité peut seule régler, en dernière analyse, la répartition ou la conduite, et que les choix d’un sujet ne sont en réalité que des utilités comparées, on s’efforce de construire une mesure de l’utilité pour contrôler les choix. Von Neumann et Morgenstern s’attachent donc à montrer que les principes de l’utilité sont les conséquences d’une conduite vérifiant des axiomes, parmi lesquels on introduit la probabilité. Dans ce cas, on veut pouvoir considérer la conduite comme une décision, non seulement entre des perspectives certaines, mais aussi entre des perspectives aléatoires. Par perspective aléatoire, on désigne [αx1 , (1 − α)x2 ] avec x1 , x2 , les perspectives possibles, α, (1 − α), leurs probabilités respectives. Ainsi, après avoir

LA « MATHÉMATISATION » DE L’INFORME DANS LA SCIENCE SOCIALE 21

proposé une axiomatique que la conduite doit vérifier, Von Neumann et Morgenstern montrent qu’il existe une fonction u à variable réelle : 1) x1 ≥ x2 ⇐⇒ u(x1 ) ≥ u(x2 ), 2) u[αx1 , (1 − α)x2 ] = αu(x1 ) + (1 − α)u(x2 ) avec α ∈ [∅, 1]. La fonction u est unique, à une transformation linéaire près. On voit ainsi que l’utilité d’une perspective aléatoire est calculée au moyen des règles du calcul des probabilités. La proposition 2 exprime en effet que la règle du calcul de l’utilité d’une perspective aléatoire est celle de l’espérance d’utilité. Si l’on revient à Savage, on s’aperçoit que, contrairement à Von Neumann et Morgenstern, il n’introduit pas la probabilité dès le départ. Il veut en fait montrer que si une personne procède toujours à un choix parmi des actes possibles, compte tenu de l’incertitude, et si le choix vérifie certains axiomes — dits de rationalité — elle ne fait qu’associer, d’une manière latente, des nombres aux événements réalisables, ces nombres possédant toutes les caractéristiques des probabilités, nommées probabilités subjectives. Une fois ces probabilités « exhibées », on peut calculer les choix que ferait le sujet entre certains actes simples. On peut construire en outre une fonction d’utilité linéaire, au sens de Von Neumann et Morgenstern, ramenant ainsi tout choix entre les actes à une comparaison d’utilités associées. Soient S l’ensemble des états de la nature ou éventualités, d’éléments s, s˙ , . . . ; F l’ensemble des conséquences, d’éléments f, g, h, . . . ; F˙ ˙ une l’ensemble des applications de S dans F d’éléments f˙, g˙ , h˙ , . . . ; ≤ relation binaire nommée relation de préférence, se lisant « non préféré à ».

AXIOMES

˙ — non préféré à — est un préordre complet sur les Ax I La relation ≤ actes. Ax II Si f˙, g˙ et f˙ ′ , g˙ ′ sont tels que 1) dans ∼ B, f(s) = g(s), f ′ (s) = g ′ (s), 2) dans B, f(s) = f ′ (s), g(s) = g ′ (s), où B est un évènement, ∼ B le complémentaire de B (un évènement est un ensemble des états de la nature), alors ˙ g˙ ⇐⇒ f˙ ′ ≤ ˙ g˙ ′ . f˙ ≤ ′ ∼ ′ ˙ ˙ ∼ ˙ f˙ ′ )/B ⇐⇒ g ≤ ˙ g ′ (donc Ax III Si f = g, f = g et B est non nul, alors (f˙ ≤ ′ ˙ ˙ ˙ f ). ⇐⇒ f ≤

22

IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

Ax IV Si f, f ′ , g, g ′ ; A, B ; f˙A , f˙B , g˙ A , g˙ B sont tels que

˙ f, g ′ < ˙ g, 1) f ′ < 2) a) fA (s) = f, gA (s) = g pour s ∈ A fA (s) = f ′ , gA (s) = g ′ pour s ∈∼ A b) fB (s) = f, gB (s) = g pour s ∈ B fB (s) = f ′ , gB (s) = g ′ pour s ∈∼ B ˙ f˙B , 3) c) f˙A ≤ ˙ g˙ B . alors g˙ A ≤ ˙ f. Ax V Il existe au moins un couple de conséquences f, f ′ ; f ′ < ˙ ˙ h et pour tout f ∈ F, une légère modification de g˙ en ˜g˙ est Ax VI Si g˙ < ˙ ˙ h. possible telle que ˜ g˙
B, B > C, A > C, dans l’ordre A > B > C, ou si A > C est plus probable que A > B, B > C. La finalité d’une consultation ou d’une délibération revient donc, selon Condorcet, à dégager une majorité qui décide en faveur de la vérité d’une proposition à voter, qui serait ainsi réputée avoir été décidée par la société pour exprimer la volonté commune. L’idéologie contractualiste, d’une part, la doctrine du motif de croire, de l’autre, ont été pour Condorcet des moyens de définir la conduite sociale, et de la soumettre à l’« instrument des mathématiciens ». C’est ainsi que, d’une part, l’analyse s’applique au calcul des probabilités, et qu’à son tour le calcul des probabilités s’applique aux actes sociaux. On vient donc de voir que la prédominance de l’analyse, et l’effort pour l’appliquer à tous les domaines de la réalité, la nature aussi bien que les actions de l’homme, caractérisent les mathématiques du temps de la Révolution Française, et imposent un nouveau climat, celui des mathématiques appliquées, et un nouveau style : la langue de l’analyse devient une langue universelle.

PROBABILITÉ CONDITIONNELLE ET CAUSALITÉ : UN PROBLÈME D’APPLICATION DES MATHÉMATIQUES [...] car le traitement effectif des hypothèses dans le processus de connaissance scientifique n’est pas réductible à du logique pur. G. G. Granger : La vérification, p. 231.

En histoire des mathématiques, et des sciences en général, il est des situations propices au développement de la philosophie théorique. Deux sont particulièrement favorables : la première est provoquée par l’inadéquation, sinon la contradiction, entre les moyens et techniques à la disposition du mathématicien, et les nouveaux objets qu’il devine, plus qu’il ne perçoit, se dessiner au loin, à l’horizon. Que l’on pense à ceux qui, avant toute topologie, voulurent traiter des comportements asymptotiques ; ou encore à ceux qui, en théorie des nombres, affrontaient les problèmes impossibles, armés des seuls moyens élémentaires de la géométrie euclidienne ou de l’algèbre des polynômes. Non moins féconde pour le philosophe : la persistance d’une indétermination sémantique irréductible, situation qu’il n’est pas rare de rencontrer lors de l’application des mathématiques. Le décalage entre le modèle mathématique et son interprétation laisse apparaître une indétermination sémantique, en rapport inverse à l’élaboration théorique des notions qui doivent épouser les mathématiques : c’est là que s’impose l’élucidation philosophique. L’application des mathématiques aux sciences sociales, ainsi que certaines applications du calcul des probabilités, ont suscité, depuis Condorcet tout particulièrement, ces deux types de situation. On comprend qu’un philosophe des mathématiques et des sciences, préoccupé aussi des problèmes de notre temps, s’intéresse à ces contextes favorables à la philosophie théorique : les sciences sociales et Condorcet. C’est précisément cela qui a retenu l’attention de Gilles-Gaston Granger depuis le début de sa carrière philosophique 1. Pour aborder toutes ces questions et Paru dans J. Proust et E. Schwartz (éds), La connaissance philosophique. Essais sur l’œuvre de Gilles Gaston Granger, Paris : PUF, 1994, p. 271-293. ‎1. Parmi les nombreux travaux de G. G. Granger, on peut d’abord citer ses deux thèses : Méthodologie économique, P.U.F. 1955 ; et La mathématique sociale du Marquis

42

IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

ces domaines, il a conçu la méthode de l’épistémologie comparative, qui l’a en outre mené à une philosophie vivante et thématique des sciences, l’une des plus historiques qui soient, sans pour autant s’identifier à une philosophie de l’histoire des sciences, ni même se réclamer directement de la pratique de l’historien des sciences. Il nous a donc paru opportun de reprendre ici une question soulevée par le calcul des probabilités et par ses applications, élaborée par Condorcet lorsqu’il formula la mathématique sociale, et abordée en d’autres termes dans plusieurs livres de G. Granger 1 : la causalité en rapport avec les probabilités conditionnelles. C’est là un bon exemple de ce problème évoqué ci-dessus : celui de l’écart entre le modèle et l’interprétation, et de l’irréductibilité d’une certaine indétermination sémantique, qui n’a cessé d’attirer l’attention des mathématiciens et des philosophes depuis la fin du xviii e siècle. Tous d’ailleurs ramènent cette question à celle de la dépendance stochastique, c’est-à-dire à celle de la probabilité conditionnelle et au théorème de Bayes. Ainsi, P. Suppes 2, à qui l’on doit l’une des dernières réactivations, commence par définir la cause prima facie 3, qui ne fait que traduire l’idée intuitive que l’information relative à l’événement B change notre manière de parier sur l’événement A ; c’est-à-dire que P(A | B) · P(A). Lorsqu’en effet on a P(A | B) = P(A), l’information relative à la réalisation de B ne permet aucune inférence sur celle de A. P. Suppes exige en plus que l’événement B ait une probabilité positive. Dans ce cas on peut en effet écrire, pour un événement quelconque A P(A | B) , P(B)

(1)

formule de la probabilité conditionnelle. C’est là un exemple de cette démarche qui transforme le problème général de la causalité en rapport avec les probabilités

de Condorcet, P.U.F. 1956 (nouvelle édition : Odile Jacob, 1989) ; ainsi que Pensée formelle et sciences de l’homme, Aubier 1960. ‎1. Cf. notamment Essai d’une philosophie du style, Armand Colin 1968 (nouvelle édition : Odile Jacob, 1988) ; ainsi que le dernier livre, La vérification, Odile Jacob 1992). ‎2. P. Suppes : Probabilistic Metaphysics, N. Y. 1984. D’autres livres ont paru depuis sur ce thème, où les auteurs développent selon les règles de la «scolastique moderne» la discussion engagée par P. Suppes. ‎3. Ibid. : p. 47 sq. Rappelons seulement ici la définition donnée par Suppes : «un événement B est une cause prima facie d’un événement A si et seulement si (i) B a lieu plus tôt que A (ii) la probabilité conditionnelle de la réalisation de A, sachant que B a lieu, est plus grande que la probabilité non-conditionnelle de la réalisation de A».

PROBABILITÉ CONDITIONNELLE ET CAUSALITÉ

43

conditionnelles, en celui historiquement déterminé de la dépendance stochastique, et du théorème de Bayes. Pour mieux élucider ce problème de la causalité conditionnelle ainsi que son assimilation au problème historique évoqué, il nous faut savoir quand eut lieu cette assimilation et qui en fut l’auteur ; il nous faut l’expliquer ainsi que ses changements de sens, pour ensuite localiser cette indétermination sémantique. Nous devons donc revenir au terrain mouvant de l’histoire du calcul des probabilités, ou tout au moins à deux de ses moments importants : lorsque fut formulé pour la première fois ce concept de probabilité conditionnelle, en liaison avec l’élaboration du théorème de Bayes ; puis, aux premières axiomatiques en calcul des probabilités, et à leurs effets sur le statut de ce concept et sur ses interprétations. Il aurait fallu pour être complet – ce à quoi nous ne prétendons nullement ici – revenir à l’histoire de la statistique et aux différentes applications du calcul des probabilités.

I Dans son Essay towards solving a problem in the doctrine of chances, publié en 1763 – deux ans après sa mort – Bayes pose le problème suivant : donné le nombre des réalisations et des non réalisations d’un événement inconnu ; demandé la chance pour que la probabilité de la réalisation de cet événement dans une seule épreuve se trouve entre deux degrés de probabilité que l’on peut nommer 1.

Par le terme « chance », Bayes souligne qu’il ne veut signifier rien d’autre que la probabilité. Le problème consiste donc pour lui à déterminer la probabilité pour que P(E) – la probabilité de la réalisation de l’événement E – soit dans un intervalle [a, b] ⊂ [0, 1], c’est-à-dire P(a ≤ P(E) ≤ b), connaissant la fréquence de E pour une suite de répétitions de l’épreuve. Bayes donne la solution de ce problème – comme l’a déjà noté Todhunter 2 – en termes de rapports entre les aires sous les courbes, et n’utilise nullement le langage des intégrales. Dans une autre notation que celle de Bayes, on peut ainsi réécrire sa réponse

‎1. Bayes : An Essay towards solving a problem in the doctrine of chances (communicated by M. Price), Philosophical Transactions, 1763, 1764. ‎2. I. Todhunter : A History of the Mathematical Theory of Probability, 1865 ; reproduit par Chelsea, N. Y., 1949 : p. 295.

44

IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

P[a ≤ x ≤ b | E a eu lieu p fois dans p + q = n épreuves]

( ) n p q x (1 − x) dx p a , = ∫ 1( ) n p q x (1 − x) dx p 0 ∫

b

(*)

x est la probabilité a priori de l’évènement E.

Notons que Bayes ne considère qu’une seule valeur de x tirée d’une distribution uniforme sur [0, 1], et qu’une suite d’épreuves de Bernoulli a été engendrée avec une probabilité x. Or, l’examen du Mémoire de Bayes montre que l’auteur entend résoudre un problème strictement mathématique : inverser le théorème de Bernoulli. Jacques Bernoulli avait en effet démontré que, si l’on suppose connue la probabilité d’un événement E, on peut évaluer la fréquence de la réalisation de E, de sorte que cette valeur de la fréquence peut être aussi voisine que l’on veut de la probabilité de E. Autrement dit, si ε > 0 quelconque donné

n r n

p

n

o − p < ε → 1 quand n → ∞,

rn est le nombre de réalisations de E dans n épreuves indépendantes (une forme de loi des grands nombres, qui sert de base à la notion intuitive de la probabilité comme mesure de la fréquence relative) 1. À la suite du renouvellement du problème de l’induction, maints auteurs ont trouvé dans ce Mémoire de Bayes la première tentative, sinon d’une théorie exacte et quantitative de l’induction, tout au moins de l’inférence statistique. Lisons par exemple ce qu’écrit Sir R. A. Fisher : Que lui (Bayes) semble avoir été le premier en Europe à voir l’importance de développer une théorie exacte et quantitative du raisonnement inductif, et d’argumenter à partir des faits d’observation jusqu’aux théories qui doivent les expliquer, suffit sûrement à lui donner une place dans l’histoire des sciences 2. ‎1. Voici ce qu’écrit Jacques Bernoulli : «Soit donc le nombre des cas favorables aux cas défavorables, précisément ou approximativement, dans un rapport r/s, et tel r qu’il soit au nombre total des cas dans un rapport r+ ou rt contenu dans les limites r+t 1 s

1 et r− . Il faut donc montrer qu’il est possible de procéder à des épreuves en nombre t tel que sur un certain nombre de répétitions, par exemple c, il apparaisse vraisemblable que le nombre des observations favorables doit tomber plutôt à l’intérieur de ces limites qu’à l’extérieur. C’est-à-dire que le nombre des observations favorables au nombre total doit être dans un rapport inférieur ou égal à r+t 1 et supérieur ou égal à r−1 .» Ars Conjectandi, 1973 : 236. t ‎2. R. A. Fisher : The design of experiments, London, 1960 : p. 6.

PROBABILITÉ CONDITIONNELLE ET CAUSALITÉ

45

Tout ce que l’on peut dire en revanche est que la notion de probabilité conditionnelle a été introduite par surcroît et sans bruit au cours de la solution d’un problème technique ; que Bayes ne cherche pas, explicitement tout au moins, à poser le problème de l’inférence statistique ; et qu’enfin la formulation discrète du théorème de Bayes ne se trouve pas dans son Mémoire. La situation sera-t-elle différente dans le Mémoire de Laplace, onze ans plus tard, en 1774 ? On serait enclin à le penser, si l’on se fie au titre, et à la terminologie. Il nous faut cependant examiner ce texte que Laplace rédigea avant de subir l’influence de Condorcet. Dans ce mémoire de 1774 intitulé La probabilité des causes par les événements, Laplace se propose de déterminer la probabilité des causes par les événements, matière neuve à bien des égards, et qui mérite d’autant plus d’être cultivée que c’est principalement sous ce point de vue que la science des hasards peut être utile pour la vie civile 1.

Il ne faut cependant pas se méprendre sur cette dernière affirmation de Laplace : l’idée d’une utilité du calcul des probabilités pour la vie civile était l’apanage des probabilistes depuis J. Bernoulli, Montmort et N. Bernoulli ; mais elle n’est liée à aucun projet précis. Dès le commencement de son mémoire, Laplace distingue nettement entre deux classes auxquelles peuvent être ramenés « tous les problèmes qui dépendent de la théorie des hasards». Dans un cas l’événement qui nous intéresse est incertain, mais la cause dont dépend la probabilité de son existence est connue, et dans l’autre cas l’événement est connu et la cause inconnue 2. On reconnaît dans ce texte le problème direct et le problème inverse. Pour traiter le second – l’événement est connu et la cause inconnue – Laplace établit le principe suivant : si un événement peut être produit par un nombre n de causes différentes, les probabilités de l’existence de ces causes prises de l’événement sont entre elles comme les probabilités de l’événement prises de ces causes, et la probabilité de l’existence de chacune d’elles est égale à la probabilité de l’événement prise de cette cause, divisée par la somme de toutes les probabilités de l’événement prises de chacune de ces causes 3.

‎1. Cf. Œuvres complètes de Laplace, Paris 1841, T. VIII : p. 28. ‎2. Ibid. : p. 29. ‎3. Ibid.

46

IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

En d’autres termes, Laplace établit les deux résultats suivants : P(Ci | E) P(E | Ci ) = , P(Cj | E) P(E | Cj )

(2)

P(E | Ci ) P(Ci | E) = Pn , j=1 P(E | Cj )

(3)

pour i, j ∈ {1, . . . , n} avec i ̸= j. Notons que Laplace est le premier à formuler le théorème de Bayes dans le cas discret ; il suppose que les probabilités a priori sont égales. Laplace applique ensuite son principe pour résoudre le problème suivant : Si une urne renferme une infinité de billets blancs et noirs dans un rapport inconnu, et que l’on tire p + q billets dont p soient blancs et q soient noirs ; on demande la probabilité qu’en tirant un nouveau billet de cette urne il sera blanc 1”.

Après avoir montré que la probabilité de tirer de l’urne p billets blancs et q noirs est, dans ce cas xp (1 − x)q Laplace applique son principe et trouve que la probabilité que le vrai rapport soit entre entre x et x + dx est xp (1 − x)q dx

R1 0

xp (1 − x)q dx

(4)

.

Laplace déduit de (4) la probabilité que le nouveau billet tiré soit blanc : R 1 p+1 x (1 − x)q dx 0 . (5) R1 xp (1 − x)q dx 0 Si maintenant nous intégrons (4) entre a ≤ x ≤ b, nous obtenons la probabilité que x, le vrai rapport entre le nombre de billets blancs et le nombre total de billets, se trouve entre a et b, sachant que l’on a tiré p billets blancs et q noirs :

Rb P[a ≤ x ≤ b | p blancs et q noirs] = Ra1

xp (1 − x)q dx

xp (1 − x)q dx 0

‎1. Ibid. : p. 30 sq.

.

(6)

PROBABILITÉ CONDITIONNELLE ET CAUSALITÉ

47

Laplace obtient ainsi le cas de Bayes. Il ne s’arrête cependant pas là ; en généralisant (6), il obtient

R1 P[m blancs et n noirs | p blancs et q noirs] =

0

xp+m (1 − x)q+n dx

R1 0

xp (1 − x)q dx

. (7)

Si l’on ne tient pas compte de l’ordre du tirage des (m + n) billets, on +n ) ; doit multiplier par le coefficient binomial correspondant, ici ( mm 1 ce qui sera ensuite explicité par Condorcet . À la lecture de ce mémoire, une conclusion s’impose : Laplace a retrouvé (6), le cas de Bayes, grâce aux moyens de l’analyse, et donc avec une notation plus commode et des idées plus claires. Il n’en reste pas moins que sa principale préoccupation était d’obtenir (7), avec tous les calculs qui s’imposent. Pour mieux comprendre ce travail achevé en 1773, il nous faut rappeler quelques faits historiques. Laplace en était alors à ses débuts, il n’avait que 24 ans. Entre 1770 et 1774, il a fait paraître trois mémoires dont le titre indique clairement ce qu’il poursuivait : [1] Sur les suites récurrentes appliquées à la théorie des probabilités [1772] ; [2] Recherches sur l’intégration des équations différentielles aux différences finies et sur leur application à l’analyse des hasards (1772-1773) ; et enfin [3] le Mémoire sur les probabilités des causes, rédigé en 1773. Les deux premiers mémoires sont consacrés aux équations aux différences finies – leur intégration, leur développement en série récurrente ou récurro – récurrente selon le cas. Dans tous ces mémoires, Laplace ne vise rien d’autre qu’à améliorer ou à inventer les moyens mathématiques nécessaires à la théorie des probabilités, pour sa constitution, ainsi qu’il l’écrira lui-même plus tard, comme théorie analytique. Ce programme amorcé avec Jacques Bernoulli et Abraham de Moivre prend donc ici toute son extension. Notons d’autre part que, tout comme Bayes, Laplace prend la densité a priori égale à 1 ; de même que son prédécesseur, il suppose donc que les probabilités sont a priori égales, et réduit cette égalité à notre ignorance. Alors que Bayes écrivait : «I have no reason to think that ...», Laplace notait : « ... on ne voit aucune raison qui rende l’un plus probable que l’autre... ». L’un comme l’autre considèrent la probabilité d’une cause comme une variable aléatoire à valeurs dans [0, 1], à laquelle on associe une fonction de répartition a priori qui définit une densité ; mais l’assimilation de la probabilité d’une cause à une variable aléatoire a rapidement soulevé discussions et critiques. ‎1. Condorcet : Essai sur l’application de l’Analyse à la probabilité des décisions rendues à la pluralité des voix, Paris 1785 : p. 187-189.

48

IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

Que signifie au juste « cause» dans le mémoire de Laplace ? C’est en vain que l’on chercherait une définition. Un siècle un quart plus tard, Joseph Bertrand écrivait encore à ce propos : Les causes sont pour nous des accidents qui ont accompagné ou précédé un événement observé. Le mot n’implique pas qu’au sens philosophique l’événement soit un effet produit par la cause. Pierre a parié d’amener avec trois dés un point supérieur à 16 ; il a gagné : tel est l’événement. Le point amené peut être 17 ou 18 : telles sont les causes possibles du succès 1.

L’affirmation de Bertrand est vraie tant que, par des analogies sinon des métaphores, on assimile le phénomène à un tirage dans une urne de composition inconnue. Telle était, en tout cas, la situation dans le mémoire de 1774, malgré son titre suggestif. Il semble donc que l’introduction de la notion de dépendance stochastique ait été naturellement suscitée, au cours de la solution mathématique de problèmes mathématiques. La terminologie causale à laquelle recourait Laplace, outre qu’elle était équivoque, se réduisait très rapidement à la notion, très générale, de dépendance stochastique. Rien encore ne suggèrait une problématique de l’induction ou de l’inférence. Cette problématique ne tarda cependant pas à se poser, lorsqu’on tenta de recourir aux schémas probabilistes, et surtout au schéma bayesien, pour décrire, localement au moins, le comportement d’un phénomène naturel ou considéré comme tel ; il s’agit de ces tentatives pour donner un contenu particulier aux schémas du calcul, et pour transformer ainsi la mathématique du probable en une science où intervient le probable. Or c’est précisément là que nous rencontrons les véritables interprétations de ces schémas, qui, en eux-mêmes, sont neutres par rapport à toute interprétation. Mais, sans tarder, va se constituer une complexité, dont les éléments sont très difficiles à démêler : le problème de la causalité, le problème de l’inférence, et le débat sur les fondements. C’est à Condorcet 2 que revient la première interprétation du théorème de Bayes ; il l’a utilisé pour construire des modèles du suffrage, ou plus exactement du comportement d’un homo suffragans, défini par les notions de la doctrine contractualiste de la société et de son origine. Dans son Essai sur l’application de l’analyse à la probabilité

‎1. J. Bertrand : Calcul des probabilités, 2 e édition (1907), Paris : p. 138-139. ‎2. Nous avons montré dans Condorcet. Mathématique et Société, Hermann, Paris, 1974, que c’est avec Condorcet que se pose la problématique de l’«estimation». Nous reprenons ici cette argumentation.

PROBABILITÉ CONDITIONNELLE ET CAUSALITÉ

49

des décisions rendues à la pluralité des voix [1785], Condorcet veut fonder une nouvelle science, dont l’objet est les conditions de la décision par rapport à la confiance que l’on peut lui accorder. Il s’agit, comme l’écrit Condorcet, de chercher quelle confiance plus ou moins grande mérite le jugement d’assemblées plus ou moins nombreuses, assujetties à une pluralité plus ou moins forte, partagées en plusieurs corps différents ou réunies en un seul, formées d’hommes plus ou moins éclairés 1.

L’idée de Condorcet est en effet la suivante : de même que l’homo suffragans, sujet de la science, doit décider conformément à la vérité avec une certaine probabilité, de même le sujet de la connaissance utilisera désormais le calcul des probabilités pour évaluer la confiance qu’il faut attribuer à la composition majoritaire des décisions des suffrageants. Condorcet procède alors par la construction de différents modèles, selon que l’homo suffragans se conduit ou non conformément à ses propres normes, c’est-à-dire conformément ou non à la situation naturelle du renouvellement du pacte social : libre, et égal à tous, il ne reçoit guère plus qu’il ne donne, et son seul moyen d’entrer en rapport avec les autres est le vote. Ce n’est pas ici le lieu de reproduire la démarche de Condorcet 2 ; rappelons simplement que la variable toujours étudiée est la suivante : la probabilité qu’une décision rendue à une pluralité donnée soit vraie ; ce qui ramène au schéma de Bayes. Mais, afin que ce schéma épouse la conduite de l’homo suffragans, Condorcet s’est efforcé d’élaborer une doctrine de psychologie rationnelle, la doctrine du « motif de croire ». Aussi naïve, aussi arbitraire soit-elle, elle pose pour la première fois le problème de la conduite d’inférence alors décrite dans les termes d’une psychologie de la raison. Pour Condorcet, la méthode de Bayes fournit à la doctrine de croyance ou de crédibilité une mesure précise, un moyen opératoire pour décider parmi les différents jugements 3. Cette mesure opère de la manière suivante : 1. que si la probabilité d’un événement est plus grande que celle de l’événement contraire, nous avons un motif de croire que l’événement arrivera, plutôt que de croire qu’il n’arrivera pas ;

‎1. Essai..., op. cit. : IV. ‎2. Cf. G. G. Granger : La mathématique sociale du Marquis de Condorcet, op. cit. : p. 102 sq. ; et R. Rashed : Condorcet. Mathématique et Société, op. cit. : p. 64 sq. ‎3. Condorcet : Essai..., op. cit. : p. 83-85 de l’Introduction.

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IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

2. que plus la probabilité de l’événement l’emporte sur celle de l’événement contraire, plus ce motif doit être puissant ; 3. qu’il croît proportionnellement à cette probabilité. Condorcet affirme cependant que ces propositions ne sont pas indépendantes, et que l’on peut déduire les deux dernières de la première. L’analyse détaillée de la pensée de Condorcet révèle qu’il s’agit d’un problème d’estimation, que l’on peut résoudre par la formule (∗). Quant à la nature de ce motif, Condorcet écrit : si nous examinons à présent quel motif nous avons à croire d’après cette probabilité, nous trouverons que c’est le même qui nous porte à croire qu’un fait arrivé constamment continuera d’arriver encore. Mais ce motif est celui qui nous fait admettre ce principe général, que les événements naturels sont assujettis à des lois constantes, puisque nous ne pouvons fonder cette opinion que sur l’observation de l’ordre des événements passés, et de la supposition qu’il continuera d’être le même pour les événements futurs 1.

Cette contribution de Condorcet, brièvement évoquée ici, influencera les probabilistes ensuite, y compris Laplace.

II Reprenons le même problème, mais cette fois à partir des études axiomatiques des probabilités, pour pouvoir l’examiner dans des situations mieux contrôlées syntactiquement. Il s’agit de savoir comment se présente la notion de dépendance stochastique dans de telles études, et comment elle se justifie. La nécessité d’un exposé axiomatique s’est fait jour au début de ce siècle, beaucoup moins pour résoudre les paradoxes du calcul des probabilités, qu’affectionnait J. Bertrand, par exemple, que pour rendre compte des nouvelles applications de ce calcul en mathématiques et en physique, et en raison de la multiplicité et de la richesse des résultats obtenus depuis Laplace. L’axiomatisation devient en fait un mot d’ordre lancé par Hilbert au Congrès de Paris, en 1901, sixième problème. Voici ce que disait Hilbert : Les recherches sur les principes fondamentaux de la géométrie nous conduisent à envisager ce problème : traiter sur ce modèle les branches

‎1. Cf. l’article « Probabilité», dans l’Encyclopédie méthodique, rédigé par Condorcet, Paris, 1785 : p. 651.

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de la physique où les mathématiques jouent un rôle aujourd’hui prépondérant ; ces branches de la science sont, avant toutes autres, le calcul des probabilité et la mécanique. Quant aux axiomes du calcul des probabilités, il me semblerait très désirable que l’on en fît la discussion en même temps qu’en physique mathématique, on développerait parallèlement d’une manière rigoureuse et satisfaisante la méthode des valeurs moyennes, et cela tout particulièrement dans la théorie cinétique des gaz [p. 81].

Hilbert se fait ainsi l’écho d’un mouvement alors à peine perceptible, mais qui va en s’amplifiant sur un demi-siècle. Il cite lui-même Bohlman (1900). On peut ajouter A. Wiman (1900, 1901), ainsi que d’autres tentatives qui ne tarderont pas à succéder à celles-ci : É. Borel (1905), S. N. Bernstein (1917), R. von Mises (1919), A. Łomnicki (1923), H. Steinhaus (1923), etc. Les différentes axiomatiques doivent toutes répondre à deux questions que l’on peut ainsi formuler : 1. quels sont les événements, c’est-à-dire les objets, supposés probables ? 2. quel type de fonction sur les événements devrait être la probabilité ? La réponse qui va rallier la majorité des mathématiciens consistait à répondre à la question «des objets supposés probables» par l’algèbre de Boole, et à celle du « type de fonction» par la théorie borélienne de la mesure, et plus spécifiquement par la théorie de Lebesgue. Cette réponse, chacun sait qu’elle fut celle de A. N. Kolmogorov en 1933 1, mais cette histoire ne nous concerne pas ici. Rappelons cependant, en termes équivalents, qu’il s’agit, pour un ensemble Ω d’événements, de définir une σ-algèbre sur Ω qui le transforme en un espace mesurable ; la probabilité ne sera alors rien d’autre qu’une mesure positive de masse 1. À partir de cette date, la théorie des probabilités ne s’attache, comme l’écrit Doob, qu’aux « propriétés de mesure des différents espaces et [aux] relations mutuelles des fonctions mesurables définies sur ces espaces» 2 ; ou encore, «la théorie des probabilités est simplement une branche de la théorie de mesure, avec une insistance particulière et un domaine particulier d’application 3 ».

‎1. Il s’agit de Grundbegriffe der Wahrscheinlichkeitsrechnung, publié en 1933 dans les Ergebnisse der Mathematik, traduit en anglais en 1950 : Foundations of the Theory of Probability, Chelsea, N. Y. ‎2. J. L. Doob : Stochastic Processes, J. Wiley, London : p. 2. ‎3. Ibid. : V.

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IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

Ce point de vue est un acquis définitif depuis l’axiomatique de Kolmogorov. Une notion cependant demeure qui empêche de réduire complètement – sur le plan sémantique – la théorie des probabilités à l’analyse : c’est la notion de conditionnement, même si celle-ci se ramène syntactiquement à la désintégration des mesures ; Kolmogorov lui-même introduit 1 la probabilité conditionnelle à partir du théorème des probabilités composées (et le théorème de Bayes à partir du théorème des probabilités totale). Il écrit alors (1) avec P(B) ̸= 0. Mais cette définition de la probabilité conditionnelle a fait surgir une difficulté. Voici ce qu’écrit de Finetti à ce propos : Il semble n’y avoir aucune justification de l’utilisation du théorème de la probabilité composée comme définition de la probabilité conditionnelle, pas plus que de l’introduction de la restriction P(B) ̸= 0 2.

Si on accepte cette critique de de Finetti, on pourra ainsi avoir P(A | B) = 0/0, indéterminé. Plus généralement, dans certains problèmes de probabilités, on rencontre des mesures non bornées, alors que la théorie de Kolmogorov ne reconnaît qu’une mesure bornée normée par la condition P(Ω) = 1. Le problème peut être exprimé de la manière suivante : des mesures non bornées peuvent être utilisées pour calculer la probabilité conditionnelle comme quotient des valeurs d’une mesure non bornée de deux ensembles (le premier est contenu dans le second) et de cette manière nous pouvons obtenir des valeurs raisonnables, qui n’excèdent pas 1. C’est la raison pour laquelle les mesures non bornées peuvent être utilisées avec succès pour le calcul des probabilités conditionnelles ; mais, comme l’emploi de ces mesures ne peut trouver sa justification dans la théorie de Kolmogorov, il va falloir généraliser cette théorie. Il semble bien que Kolmogorov lui-même a pensé à cette généralisation ; mais c’est un autre mathématicien, A. Rényi, qui l’a tentée en 1954. Pour généraliser la théorie de Kolmogorov, Rényi 3 a précisément donné la primauté au concept de probabilité conditionnelle, et énonce ce système d’axiomes : Soient Ω, A : σ-algèbre sur Ω, B ⊂ A. Ax. 1. P(A | B) ≥ 0 si A ∈ A et B∈ B. De plus P(B | B) = 1 si B ∈ B.

‎1. Op. cit. (trad. anglaise) : p. 6. ‎2. Bruno de Finetti : Probability, induction and statistics, J. Wiley, London 1972 : p. 82. ‎3. A. Rényi : «On a new Axiomatic Theory of Probability», Acta Math. Acad. Sci. Hungaricæ, 6 (1955) : p. 285-334.

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Ax. 2. Soit B ∈ B quelconque donné, P(A | B) est une mesure, c’est-àdire : si An ∈ A (n = 1, . . .) et Aj Ak = ∅, pour j ̸= k (j, k, = 1, 2, . . .), on a

( P

∞ ∑ i=1

) Ai | B

=

∞ ∑

P(Ai | B).

i=1

Ax. 3. Si A ∈ A, B ∈ A, C ∈ B et BC ∈ B, on a P(A | BC) · P(B | C) = P(AB | C). Si ces trois axiomes sont satisfaits, on a alors l’espace des probabilités conditionnelles [Ω, A, B, P(A | B)].

Ici, mais à un autre niveau, le concept de probabilité conditionnelle se trouve introduit comme concept de base destiné à résoudre mathématiquement un problème mathématique : celui des mesures non-bornées. Mais il demeure dans ce concept un résidu de sens indéterminé qui a incité Rényi à se convertir en philosophe et à écrire un dialogue philosophique 1 qui met en scène une correspondance scientifique imaginaire entre Pascal et Fermat, en pur style du xvii e siècle. Dans ce dialogue, il justifie sa démarche par un nouvel axiome, qu’il nomme l’axiome de probabilité objective, et qui n’est en fait, selon ses propres termes, que l’axiome de la causalité, selon lequel toutes les causes qui influencent ensemble un phénomène déterminent exactement la cause du phénomène, et les mêmes causes déterminent toujours les mêmes effets 2.

Quant à la probabilité conditionnelle, Rényi affirme qu’elle ne diffère pas fondamentalement de la probabilité simple. La raison en est, selon ses propres termes, la suivante : «La probabilité d’un événement quelconque dépend des conditions relativement auxquelles sa réalisation ou sa non-réalisation est observée 3 ». Or, par le terme « conditions», Rényi ne semble pas désigner la catégorie d’épreuve uniquement, mais, bien plus, une «généralisation du principe de causalité» : Toutes les circonstances qui peuvent, dans leur totalité, influencer un phénomène, déterminent la cause de ce phénomène de manière nonéquivoque ; quand, cependant, seulement une partie de ces circonstances est connue, alors la cause du phénomène n’est pas, en général, fixée d’une manière non-équivoque ; mais il y a plusieurs possibilités, chacune d’elles ayant une certaine probabilité 4. ‎1. ‎2. ‎3. ‎4.

A. Rényi : Letters on probability, Wayne State University Press, Detroit 1972. Ibid. : p. 43-44. Ibid. : p. 32. Ibid. : p. 44

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IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

Dans ces conditions, le point de départ de Rényi est clair : Les probabilités sont toutes conditionnelles ; quant les conditions sont bien connues et invariables, elles ne sont pas mentionnées du tout. Mais si les conditions changent, cela doit être considéré aussi bien. Ainsi l’expression « probabilité conditionnelle » est en fait un pléonasme, tout comme l’expression «un homme mortel », puisqu’on sait que tout homme est mortel. Toutefois, pour éviter les malentendus, il est toujours commode de parler de probabilités conditionnelles si les conditions sont variables 1.

Ces quelques phrases suffisent à montrer que, pour le probabiliste, si la probabilité conditionnelle est justifiée dans les termes généraux d’un principe de causalité, elle se présente comme mesure de la dépendance en fonction de la variation des causes et de notre pouvoir de les connaître. Aussi n’est-il guère surprenant que le parti pris objectiviste masque une interprétation subjectiviste que Rényi ne parvient pas à éliminer. Nous avons compris que la notion de «probabilité conditionnelle » est celle qui empêche de réduire le calcul des probabilités à l’analyse ; mais nous avons également vu que cette notion, dans l’exposé de Rényi par exemple, s’impose à l’heure de la solution d’un problème technique ; enfin, nous avons pu noter que l’écart entre la maîtrise mathématique du concept et une certaine indétermination sémantique de celui-ci a exigé du mathématicien qu’il approfondisse l’élucidation philosophique du sens de « conditionnel». Rényi l’a poursuivie en termes trop généraux pour être vraiment efficaces ; et le problème de la causalité est évoqué d’une manière à ce point informe, qu’il cesse d’être pertinent. Sur le plan intuitif, une justification de la probabilité conditionnelle devrait, dès le départ, rendre compte de l’information fournie par la réalisation d’un événement, qui modifie notre connaissance de l’autre, ou des autres, qui en dépendent ; ou encore, il lui faudrait montrer comment cette information modifie l’ensemble des événements Ω, de manière à en supprimer toutes les épreuves incompatibles avec cette même information. Or l’étude de cette justification est étroitement liée aux recherches sur le comportement d’inférence, ou « le comportement inductif», selon l’expression de de Finetti, c’est-à-dire «qui dénote une sorte de conduite qui prend en compte ce qui est arrivé dans le passé 2 ». L’exemple le plus célèbre reste celui de L. Savage.

‎1. Ibid. : p. 32 ‎2. B. de Finetti : op. cit. : p. 162

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Dans The Foundation of statistics 1, Savage cherche délibérement à construire un modèle de l’homme rationnel devant l’incertain, pour poser le problème de l’inférence statistique. Il veut en effet montrer que, si une personne procède toujours à un choix parmi des actes possibles, compte-tenu de l’incertitude, et si les choix vérifient certains axiomes, dits de rationalité, c’est-à-dire de cohérence, d’invariance etc., elle ne fait qu’associer, d’une manière implicite, des nombres aux événements réalisables ; ces nombres possèdent toutes les caractéristiques des probabilités subjectives. Ces probabilités étant ainsi « révélées», il est possible de calculer le choix que ferait l’individu entre certains actes simples ; et même, en admettant un nouvel axiome, de construire une fonction d’utilité, ramenant tout choix entre des actes quelconques à une comparaison entre les utilités associées. C’est là en fait, on le verra, un modèle de comportement bayesien et bernoullien (relativement à D. Bernoulli). Mais, pour achever la construction, il reste à montrer rigoureusement que toute probabilité quantitative nous permet de définir une probabilité qualitative sur les événements ; et, réciproquement, qu’à partir d’une probabilité qualitative remplissant certaines conditions, on montre l’existence d’une probabilité quantitative compatible avec la première. Il ne nous est pas possible de reprendre ici le modèle de Savage. Insistons simplement sur ses principales articulations. Commençons par rappeler les notions primitives : S d’éléments s, s ′ , . . . les états de la nature, F d’éléments f, g, h, . . . les conséquences, ¯, . . . ¯ d’éléments ¯f, ¯ F g, h applications de S → F les actes ˙ relation binaire de préférence ; se lit « non préféré à... ». ≤

Le premier niveau du modèle, construit grâce à trois axiomes, concerne exclusivement les choix parmi les actes. Savage suppose à ce niveau que le sujet a toujours le choix entre plusieurs actes, et que ces choix sont transitifs. Même dans le cas où l’équivalence entre deux actes interdirait le choix, il suffirait d’associer une prime ou une bonification infinitésimale aux conséquences de l’un d’eux pour lui assurer la préférence du sujet ; cette préférence demeurerait par la suite consistante. La sensibilité du sujet à toute croissance, si petite soit-elle, de son revenu, reste en dernière analyse la justification la ‎1. Publié en 1954 chez J. Wiley, et en 1971 chez Dover. Cf. également notre analyse de la contribution de Savage : « La mathématisation des doctrines informes dans la science sociale», La mathématisation des doctrines informes, Paris, Hermann 1972 : p. 73-105.

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IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

plus vraisemblable, selon Savage, de la possibilité de la décision et de sa consistance. Le premier axiome pose donc l’existence d’un préordre complet ˙ , « non préfésur l’ensemble des actes, ce qui signifie que la relation ≤ ré à », est un préordre complet sur les actes [on dira ¯f est indifférent ˙ ¯f]. Le précédent préordre va induire un ˙ ¯g et ¯g ≤ ௠g, noté ¯f ∼ = ¯g si ¯f ≤ préordre conditionnel, un préordre sur les actes dans le cas d’une information partielle, c’est-a-dire lorsqu’on sait que l’événement B s’est ˙ ¯g)/B réalisé. Savage introduit un deuxième axiome pour définir (¯f ≤ comme un préordre complet des choix conditionnels sur les actes. Grâce à un troisième axiome, ce préordre conditionnel va induire un préordre sur les conséquences, ce qui permet de définir ce préordre comme une relation intrinsèque indépendante des états de la nature. À ce premier niveau, on constate le soin pris par Savage pour introduire les choix conditionnels. Le deuxième niveau du modèle, construit à l’aide de trois axiomes supplémentaires, concerne exclusivement la probabilité qualitative et subjective. Savage procède en fait par l’analyse de la notion intuitive selon laquelle « un événement n’est pas plus probable qu’un autre». Son intention est d’attribuer un acte à chaque événement par un système de primes. Or, si cette association d’un événement et d’un acte permet de définir un préordre sur les actes, on veut que ce préordre ne dépende nullement du montant des primes. ˙. Savage définit alors une probabilité qualitative sur les événements ≤ Pour B, C, D, . . . événements.

˙ est un préordre complet, 1. ≤ ˙ C ⇐⇒ B ∪ D ≤ ˙ C ∪ D lorsque B ∩ D = C ∩ D = ∅, 2. B ≤ ˙ B; ∅ < ˙ S. 3. ∅ ≤ ˙ » sur les événements Savage montre ensuite que la relation « ≤ est une probabilité qualitative. Le troisième niveau du modèle est entièrement consacré à la probabilité quantitative sur les événements. Pour achever cette étape, Savage n’a recours qu’aux six axiomes déjà introduits, et aux résultats obtenus précédemment. Il définit une probabilité quantitative, ou mesure de probabilité, comme une fonction d’ensemble P(B) associant à tout B ⊂ S un nombre réel tel que 1. P(B) ≥ 0, P(S) = 1 ; 2. si B ∩ C = ∅, P(B ∪ C) = P(B) + P(C). Il est clair que toute probabilité quantitative permet de définir une probabilité qualitative sur les événements, alors que l’inverse

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n’est pas vrai. Rappelons que la mesure de probabilité P est dite ˙ si : (strictement) compatible avec la probabilité quantitative ≤

˙ C. P(B) ≤ P(C) ⇐⇒ B ≤ On dit qu’elle est presque compatible avec celle-ci si :

˙ C ⇒ P(B) ≤ P(C). B≤ ˙ C.] [Il peut arriver que P(B) = P(C) bien que B < ˙ assurent l’exisSavage montre que certaines conditions sur ≤ tence d’une mesure de probabilité strictement compatible avec la probabilité qualitative construite précédemment ; il montre ensuite l’existence d’une mesure de probabilité conditionnelle quantitative strictement compatible. Le quatrième niveau du modèle est consacré à la déduction de l’existence d’une fonction d’utilité, au sens de von Neumann et Morgenstern. Alors seulement un acte sera l’objet d’une moindre préférence qu’un autre, si l’espérance mathématique de son utilité est plus petite que l’espérance mathématique de l’autre ; et la comparaison des actes sera celle des espérances de leurs utilités. La reconstruction de la démonstration de Savage fait apparaître que l’ordre des déductions se superpose à un ordre des significations, si bien que le groupement selon le sens des propositions : choix parmi les actes, probabilité qualitative, probabilité quantitative et utilité, commande les étapes mêmes de la démonstration mathématique 1. L’existence d’une fonction d’utilité se déduit de celle de la probabilité conditionnelle quantitative compatible, laquelle est déduite de la probabilité qualitative, et, finalement, de la préférence conditionnelle sur les actes. Pour justifier la notion de probabilité conditionnelle, il fallait donc construire un modèle du comportement, un modèle de l’homo rationalis œconomicus. Il suffit à celui-ci de se conformer aux exigences de la cohérence, de l’invariance, etc., pour se comporter comme s’il disposait d’une mesure de probabilité qui, d’une part, transforme l’information vague sur les événements élémentaires en une distribution des probabilités a priori, au terme de laquelle, d’autre part, le choix revient à maximiser l’espérance de l’utilité. C’est un schéma bayesien, complété par une maxime bernoullienne ; ou encore, selon la description de de Finetti :

‎1. R. Rashed : Ibid.

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IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

La formulation bayesienne est celle qui nous apprend comment tenir correctement compte de chaque nouvel élément de connaissance : l’opinion initiale (ou, techniquement, la distribution) est remplacée, pas à pas, par chaque nouvelle donnée, pour donner, lorsque le processus est achevé, l’opinion finale (ou distribution). Le critère bernoullien fournit alors la manière de choisir, étant donné l’opinion finale (ou distribution) la meilleure parmi les décisions possibles 1.

Cependant le problème, même si l’on admettait les hypothèses de Savage, reste entier : l’homo rationalis œconomicus doit posséder une méthode pour choisir une distribution a priori, qui utilise au mieux son information a priori. La théorie de Savage ne semble pas être d’une grande aide à cet égard ; mais c’est le même problème que l’on rencontre dans la situation de décision statistique.

∗ Ainsi, deux fois dans l’histoire et à deux siècles environ d’intervalle, le problème de la probabilité conditionnelle s’est posé pour des raisons intrinsèques au calcul des probabilités, indépendamment de toute interprétation. La question du sens de la probabilité conditionnelle et de son interprétation n’a vraiment été formulée que lorsqu’on a voulu construire un modèle de l’une ou l’autre situation de décision ; et les hypothèses de nature théorique sur cette situation de décision sont celles-là même qui ont fourni à l’interprétation ses éléments constituants. Dans les deux cas ici considérés, on a pu voir que, sous la terminologie causale introduite par Laplace et qui lui a survécu, il ne reste que le comportement inductif. Deux fois dans l’histoire, on assiste à une double démarche, malgré une différence de situation : saisi d’abord par la probabilité conditionnelle à l’occasion d’une recherche purement mathématique, le concept de dépendance stochastique change de forme, et on n’obtient en fait qu’une version très affaiblie, puisque très générale et qui plus est atemporelle, de la causalité : c’est ce qu’on a pu lire dans Laplace, Condorcet, Rényi, et bien d’autres. Appliquée ensuite à un modèle de décision, il ne reste de la probabilité conditionnelle qu’un problème d’induction statistique : c’est ce qu’on a pu lire avec Condorcet et Savage. Dans ce cas, ce qu’on obtient n’est pas une information sur le rapport entre causes et effets, mais « les degrés de crédibilité ou de croyance» qui nous guident dans les choix entre les décisions sur la base de l’information disponible. L’indétermination sémantique irréductible est au

‎1. B. de Finetti : Op. cit. : p. 161.

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cœur même de l’homo suffragans, de l’homo bernoullien ou de l’homo rationalis œconomicus, dont chacun se présente à la fois comme une description commode pour établir une axiomatique d’une théorie de la décision, et comme une théorie du phénomène où l’on veut retrouver le langage de la causalité. Cette dualité est un trait commun à bien des travaux à la suite de Wald, de Neyman et Pearson, de von Neumann et Morgenstern, de T. Haavelmo, de Savage ... On comprend les tentatives récentes, comme celle de P. Suppes, d’introduire la variable temps pour poser le problème de la causalité, c’est-à-dire en modifiant l’algèbre des événements, en indexant ceux-ci par le temps, et en établissant un rapport de succession entre les événements. Cette tentative semble encore insuffisante, dans la mesure où il s’agit en fait d’un rapport pseudo-temporel entre deux propositions pour déterminer la probabilité, laquelle permettra d’estimer la validité d’une cause indépendamment de toute considération sur la théorie qui définit cette cause, comme la cause d’un certain effet. C’est d’ailleurs très vraisemblablement dans ces directions et pour surmonter ces difficultés que s’engagera la recherche future sur la causalité et les probabilités conditionnelles, comme l’indiquent les travaux sur la théorie des processus stochastiques, où on conjugue le conditionnement à la variable temps.

L’ANALYSE ET LA SYNTHÈSE SELON IBN AL-HAYTHAM Parmi les problèmes à la frontière de la philosophie et des mathématiques, l’analyse el la synthèse a occupé durant deux millénaires une place centrale. Rares, il est vrai, sont les problèmes de philosophie des mathématiques qui ont aussi longtemps vécu, et qui ont suscité autant d’écrits. Présent en filigrane dans les écrits d’Aristote 1, il est là en personne dans les travaux des commentateurs 2, des philosophes et des logiciens, jusqu’au début du siècle dernier. On imagine sans peine la diversité des sens et la multiplicité des formulations de cette question de l’analyse et de la synthèse, qui a désigné alors un domaine assez vaste pour comprendre à la fois une ars demonstrandi et une ars inveniendi. Dans l’histoire des mathématiques, la situation n’est pas tout à fait la même : analyse et synthèse se présentent davantage par les applications qu’en faisaient les mathématiciens, que par les formulations Paru dans Mathématiques et philosophie de l’Antiquité à l’âge classique. Études en hommage à Jules Vuillemin, éditées par R. Rashed, Paris : Éditions du CNRS, 1991, p. 131-162. ‎1. Plusieurs textes d’Aristote attestent cette présence de « l’analyse et de la synthèse ». Le plus souvent cité est celui de l’Éthique à Nicomaque, 1112 b. Viennent ensuite ceux des Premiers Analytiques, 46 b et 51 b, ainsi que de la Physique, H, 9, 200a. À cela il faut encore ajouter les Premiers Analytiques, 43 b.Pour les commentateurs de certains de ces passages — cf B. Einatson [1936, 36-37] le problème reste de savoir quels sont les rapports exacts entre l’analyse au sens syllogistique chez Aristote, et « l’analyse» mathématique comme on la trouve dans le célèbre texte de Pappus. N. Gulley [1958] et G. Granger [1976] par exemple pensent qu’il s’agit du même schéma. Ainsi G. Granger écrit [1976, 313] à propos de la conception par Aristote de la démonstration mathématique : «le schéma fondamental semble bien sûr être pour lui l’analyse, décrite exactement comme le fera Pappus six siècles plus tard». N. Gulley avait écrit de son côté : « We have then, in Aristotle, the recognition of a method of analysis in geometry, corresponding to Pappus’ description (as an upward movement to prior assumptions from which our initial assumption follows), and illustrated by examples where the relation between ἀρχή and συμπέρασμα is recognised to be irreversible» [1958, 8- 9] ; ce rapprochement entre Aristote et Pappus part d’une interprétation toute logique du texte de Pappus. Un autre problème, non moins important, soulevé par les historiens, est celui de l’existence chez Platon d’une telle conception de l’«analyse» mathématique, même si le mot est absent, et de son rapport avec l’analyse philosophique. Ch. Mugler, par exemple, a défendu la thèse selon laquelle l’analyse et la synthèse se trouvent déjà en germe dans la République [1948, cinquième chapitre, 290 sqq.], thèse ensuite rejetée par H. Cherniss [1951, 115-416]. ‎2. Sur la position des commentateurs, voir N. Gulley [1958].

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IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

théoriques qu’ils en donnaient. Ainsi le couple « analyse-synthèse » marque, à première vue, chez Archimède 1 deux étapes ordonnées de la démonstration géométrique ; mais rien ne nous assure qu’il fut le premier à introduire un tel usage, et rien ne nous révèle le sens que visait vraiment le mathématicien. Il est de fait que cet usage devint alors systématique, tout au moins dans les écrits des successeurs d’Archimède, comme dans certains livres d’Apollonius 2, pour ensuite ne plus jamais faire défaut chez les géomètres jusqu’à la fin du xviii e siècle et au début du siècle suivant. Mais rares sont, en revanche, les textes théoriques consacrés à ce problème par les mathématiciens – deux courts textes d’importance inégale d’ailleurs : une page de Pappus, et quelques lignes d’un pseudo-Euclide, qui tous deux posent un certain nombre de problèmes historiques et philologiques. Ces textes, et notamment celui de Pappus, ne manquèrent pas de susciter un certain nombre d’interrogations, de débats, voire de controverses. L’analyse et la synthèse désignent-elles, chez les anciens géomètres, une méthode de démonstration des propositions et de résolution des problèmes géométriques posés ? Selon certains commentateurs, c’est bien de cela, et uniquement, qu’il s’agit, et le problème sous-jacent à l’analyse et la synthèse serait purement logique : les conditions de la réversibilité de l’analyse pour parvenir à la synthèse, et ainsi à la démonstration. Or les règles de cette méthode ne se trouvent pas dans le texte de Pappus, ni du reste dans aucun texte connu d’un mathématicien de l’antiquité. À cette difficulté s’en ajoute une autre : nul ne donnait, à l’époque, à l’analyse et à la synthèse une valeur prescriptive. Si donc ces termes indiquent une méthode, il nous faut d’abord chercher le sens que recouvre ce mot, et la fonction assurée par ce nouveau sens. On a également pu se demander si l’analyse et la synthèse ne désigneraient pas une discipline ; cette thèse a été soutenue par certains historiens, qui voulaient exclure l’idée d’une méthode 3 : pour eux, il s’agit d’un « corpus de techniques» mathématiques. Mais, ce que comprenait en fait ce corpus, personne n’est en mesure de le dire, et, si l’on écarte l’hypothèse d’un ensemble de recettes destinées à résoudre les problèmes géométriques, nous voyons surgir plusieurs questions : Quelle serait cette discipline ? Serait-ce une discipline mathématique autre que la géométrie, supérieure à celle-ci ? Quels seraient enfin ses rapports avec la géométrie, mais aussi avec l’arithmétique, qui use bien, elle aussi, de la terminologie de l’analyse et de la synthèse, comme ‎1. Archimède, De la Sphère et du Cylindre II, prop. 4, 5, 6, par exemple. ‎2. Bien qu’il cite le terme dans l’introduction du livre IV des Coniques [1974, 4, l. 16], c’est surtout dans des livres comme Sur la section des droites selon des rapports qu’Apollonius a recours à l’analyse et à la synthèse. ‎3. Cf. M. Mahoney [1968].

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en témoignent les Arithmétiques de Diophante ? Tel qu’il se présente, le texte de Pappus n’est d’aucun secours pour éclairer ces questions, mais ajoute, bien au contraire, des problèmes supplémentaires. Pappus, il est vrai, parle du « domaine de l’analyse», ἀναλυόμενος, occupé principalement par trois hommes, Euclide, Apollonius, et Aristée l’ancien, et où l’on procède par analyse et synthèse 1. Or, nous le savons, l’ordre d’exposition des Éléments est synthétique, et il en est de même pour les Coniques ; les sept livres qui nous sont parvenus des Coniques sont en effet écrits dans un style nettement synthétique, même pour les plus analytiques d’entre eux, au fond, comme le cinquième. Nous devons donc nous adresser aux autres livres de ces auteurs — comme les Données et la Section des droites selon des rapports — pour reconstituer la matière éventuelle d’une telle discipline. Mais, quelle assurance pouvons-nous avoir contre l’arbitraire ? À cette question, comme à bien d’autres, il nous paraît vain de vouloir répondre en torturant une fois de plus le texte de Pappus. Nous nous proposons de commencer par les écrits des héritiers des mathématiques hellénistiques qui se sont attachés à ce problème de l’analyse et de la synthèse. Or, au cours de l’histoire des mathématiques classiques, deux moments furent essentiels pour la recherche sur ce thème. Le premier n’est guère connu, et n’est pas encore étudié : au x e et au xi e siècles, les plus éminents géomètres ont abordé cette question, lui consacrant même, pour certains, de volumineux traités. Le second se situe six siècles plus tard. Je me propose d’examiner ici la plus importante des contributions à ce thème qui s’élaborèrent aux x e-xi e siècles, celle du mathématicien et physicien Ibn al-Haytham. Celui-ci est en fait l’auteur de deux traités qui se rapportent directement à ce sujet : l’un a pour titre L’Analyse et la Synthèse, et l’autre, annoncé dans l’introduction du précédent, s’intitule Les Connus ; à quoi il faut encore ajouter d’autres opuscules qui portent sur le même thème. Mais, avant d’entreprendre l’examen de ces traités, arrêtons-nous à certains traits de la pratique mathématique d’Ibn al-Haytham, qui nous permettront de comprendre sa contribution. Construction et Existence L’un des caractères les plus marquants des écrits géométriques d’Ibn al-Haytham est le renforcement de la distinction entre la construction d’un objet mathématique, et la démonstration de son

‎1. Hultsch [1876], traduction de Ver Eecke [1933, 2 e vol. 477-478]. La traduction de ce passage pose quelques sérieux problèmes. Nous n’en discutons pas ici. Cf. Th. Heath [1921], et récemment Hintikka et Remes [1974, 8-10].

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existence. Entrevue par les mathématiciens hellénistiques, cette distinction sera de mieux en mieux marquée par leurs successeurs arabes du x e siècle : al-Qūhī, Ibn Sahl, Al-Sijzī, parmi bien d’autres — en raison des changements advenus à l’activité mathématique ellemême : le nombre grandissant des problèmes solides, le début de la traduction algébrique de certains d’entre eux, la réactivation de la recherche sur les aires des surfaces courbes, la recherche sur les courbes coniques nécessaire à l’étude des propriétés optiques des miroirs et des lentilles, etc. Avec Ibn al-Haytham, on observe un souci croissant de faire suivre la construction par une preuve d’existence, notamment dans les problèmes non constructibles à la règle et au compas. Pour mieux comprendre la portée de cette distinction, rappelons que pour les mathématiciens grecs et arabes, l’existence fut en quelque sorte définie par la construction aussi longtemps que l’objet considéré était constructible à la règle et au compas. On ne peut mieux dire que Zeuthen lorsqu’il écrit : « la valeur essentielle de la construction géométrique réside en ce qu’elle doit servir à démontrer que cela même, à la détermination de quoi la construction aboutit, existe réellement » 1. Aussi peut-il paraître, pour cette classe d’objets — constructibles à la règle et au compas — qu’existence abstraite et existence effective, résultant de ces instruments, se recouvrent dans la mesure où la construction fournit enfin un théorème d’existence. Mais, même dans ce cas, il reste à prouver que la construction détermine bien ce qu’elle entendait déterminer ; et, pour concevoir cette dernière démonstration, le mathématicien se voit obligé d’invoquer des propriétés primordiales concernant les rapports de position des droites et des cercles les uns aux autres, relevant donc d’une géométrie de situation. Lorsque, en revanche, il s’agit d’objets non constructibles à la règle et au compas, mais seulement à l’aide des coniques ou encore des courbes transcendantes, on doit, explicitement cette fois, transformer la construction en preuve logique d’existence. Ici encore, le mathématicien est amené à invoquer des propriétés primordiales des courbes, qui cette fois relèvent d’une proto-topologie. Il lui faut en tout cas, pour parler de l’existence des objets inexprimables, un langage plus général que celui de la règle et du compas ; et cette tâche n’est pas, à l’évidence, simplement linguistique mais aussi mathématique et méthodologique, car ces propriétés primordiales doivent être ou bien postulées, ou déduites d’autres propriétés elles-mêmes postulées. Mais avant de montrer comment le couple analyse-synthèse est

‎1. H. G. Zeuthen [1902, 74]. Cf. également le commentaire de O. Becker [1954, 90 sqq.].

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lié à ce problème, commençons par illustrer rapidement cette distinction entre construction et existence dans les travaux mathématiques d’Ibn al-Haytham. Une part importante de la recherche mathématique d’Ibn alHaytham est précisément consacrée aux problèmes solides : deux traités sur l’heptagone régulier, un court mémoire sur le lemme à la quatrième proposition du second livre De la Sphère et du Cylindre d’Archimède 1 et un problème numérique solide qu’il s’est posé. Tout comme ses prédécesseurs, Ibn al Haytham construisait les pointssolutions à l’aide des intersections des coniques. Cette technique — ainsi que l’intersection d’une conique et d’un cercle — sont encore d’un usage fréquent dans un traité ou le mathématicien s’efforce de reconstituer le huitième livre, perdu, des Coniques d’Apollonius. Mais, dans tous ses écrits, Ibn al-Haytham ne manque pas de démontrer que le point ainsi détermimé existe réellement, ou de préciser les conditions nécessaires et suffisantes à son existence. Ainsi, par exemple, pour résoudre le problème numérique solide qu’il ramène à X = (a — X) 3, 0 ai pour 1 ≤ i ≤ 3, a1 /a2 = a2 /a3 = a3 /a4 et a4 − a3 /a1 = k rapport donné. La solution, si elle existe, dépendra d’un paramètre. Pour résoudre ce problème, l’auteur pose k = b/c, et dans un repère (Nx, Ny) = (NC, NU), il prend les points A(c, b), B(c, 0), D(2c, 0), E(2c, b), et considère

H = {(x, y) | y(x − c) = bc, x > c} (E ∈ H), P = {(x, y) | y = x2 /c, x > 0}. L’auteur montre que H et P se coupent nécessairement en G(x0 , y0 ). Si en effet P ∈ P on a d(P, AB) → +∞ quand xP → +∞, et si M ∈ H on a d(M, AB) → 0 quand xM → c, car AB est asymptote de H. L’existence de G est prouvée par Ibn al-Haytham dans les termes suivants, où P est désignée par NO, et H par EGH la section NO coupe la section EGH, puisque plus on prolonge la section NO dans la direction de O, plus elle s’éloigne de l’axe NU et elle s’éloigne de la droite AB et que, plus on prolonge la section EGH dans la direction de E, plus elle s’approche de la droite BA, comme il a été montré dans la proposition 14 du livre 2 des Coniques. La section NO coupe donc la section EGH, qu’elle la coupe au point G.

‎1. R. Rashed, Les Mathématiques infinitésimales du ix e au xi e siècle. 5 volumes, London : al-Furqān Islamic Heritage Foundation, 1993-2006. Traduction anglaise. A History of Arabic Sciences and Mathematics, 5 volumes, Culture and Civilization in the Middle East, London, Centre for Arab Unity Studies, Routledge, 2011-2016.

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IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

y A

E

U

G H

O

x C

D

B

N

Fig. 1

On voit qu’ici Ibn al-Haytham utilise la continuité des courbes et leur comportement à l’infini. Ainsi, indépendamment du calcul de x0 et y0 , après avoir prouvé l’existence de G(x0 , y0 ), l’auteur donne la solution : a1 = c, a2 = x0 , a3 = y0 = x20 /c, a4 = y0 + b = x20 /c + kc, solution dépendant du paramètre c. Le nombre x0 est racine de l’équation du troisième degré 1 x3 − cx2 = kc3 . Cet exemple ne présente rien d’exceptionnel. Depuis un demisiècle, les problèmes solides se sont bien multipliés, et ne se cantonnent plus désormais à ceux qu’on avait hérités de l’antiquité : la trisection de l’angle, les deux moyennes, la duplication du cube, l’heptagone régulier... Quant à ce type de démonstration d’existence, il est présent dans d’autres travaux d’Ibn al-Haytham. Ainsi, dans le traité qu’il a consacré à la reconstitution du huitième livre, perdu, des Coniques d’Apollonius 2, Ibn al-Haytham n’applique pas cette technique de démonstration, avec toutes les notions qui s’y rattachent, aux seuls problèmes solides, mais également aux problèmes plans, qui, eux, sont constructibles. La remarque est d’importance ; elle signifie que ce souci de démontrer l’existence se manifeste même si le problème est constructible, et que le recours à l’intersection des courbes devient une technique relativement indépendante de son terrain d’origine : les problèmes solides. Evoquons ici à titre d’exemple le problème 20 qui s’énonce : ‎1. Notons qu’al-Khayyām, tout comme al-Ṭūsī, étudient cette même équation plus tard, à l’aide d’une hyperbole et d’une parabole, mais que le choix des courbes est différent. Cf. Sharaf al-Dīn al-Ṭūsī [1986, vol. 1, clxvi sqq. et 66 sqq.]. ‎2. Les Mathématiques infinitésimales du ix e au xi e siècle, op. cit.

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si on a une section de cône donnée [parabole ou hyperbole], et si on suppose sur son axe deux points, comment mener de ces deux points deux droites qui se rencontrent sur le pourtour de la section, et telles que leur somme soit égale à une droite donnée,

il se ramène à l’étude de l’intersection d’une parabole — ou d’une hyperbole — et d’une ellipse de même axe. Ici non plus, Ibn al-Haytham n’oublie pas de démontrer l’existence des points d’intersection à l’aide de notions telles que intérieur, extérieur. Il en est de même pour une autre classe de problèmes de ce livre — de 1 à 17 — où il s’agit de trouver une tangente à une conique ayant une propriété caractérisée par la donnée d’une longueur, ou du rapport de deux longueurs. Ces problèmes sont, chacun, ramenés à la détermination du point de contact de la tangente cherchée, ou d’un point d’où l’on déduira ce point de contact. Or, Ibn al-Haytham n’entreprend pas ici une construction géométrique avec règle et compas, mais montre, à l’aide de l’intersection d’une conique et d’une droite, ou d’une conique et d’un cercle, ou de deux coniques, selon le cas, et en faisant appel aux notions d’intérieur, d’extérieur, de concavité, de comportement asymptotique, que ce point existe, avec ou sans conditions supplémentaires. On pourrait trouver dans les travaux d’Ibn al-Haytham bien d’autres exemples, qui, tous, confirment que l’étude de l’intersection des courbes constitue bien, dans la géométrie de l’époque, et notamment chez Ibn al-Haytham, un domaine privilégié et avancé de la recherche. Même si derrière l’essor de ces travaux on voit se profiler les intérêts et les sollicitations des algébristes, il reste vrai que les géomètres, et en premier lieu Ibn al-Haytham, ont bel et bien reconnu dans ces études les éléments d’une géométrie des coordonnées, et font appel, tout naturellement pourrait-on dire, aux notions d’intérieur, d’extérieur, de concavité, de comportement asymptotique, pour pouvoir traiter de l’existence des points. Dans les exemples précédents, comme dans bien d’autres problèmes étudiés par Ibn al-Haytham, on remarque que les propriétés essentielles à l’argumentation ne sont pas explicitement évoquées. Il s’agit des propriétés des courbes nécessaires, en dernière analyse, à l’établissement de l’existence de points d’intersection, et qui reviennent toutes, en quelque sorte, à la notion de convexité. Il aurait suffi, il est vrai, pour fonder solidement les démonstrations d’existence, de postuler explicitement des propriétés telles que : si une droite a des points de part et d’autre d’un cercle, ou plus généralement d’une courbe fermée, elle coupe celle-ci ; ou encore : si une courbe continue a des points de part et d’autre d’une courbe convexe, elle la coupe. Or ces propriétés, comme bien d’autres

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IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

qui devaient être des axiomes ou en découler directement, sont fondées sur des notions telles que la continuité. Leur mise en œuvre dans la solution des problèmes, comme en témoignent les travaux d’Ibn alHaytham et ceux de ses contemporains et de ses successeurs, exige donc que l’on fasse appel aux coordonnées. Soucieux de la démonstration d’existence, Ibn al-Haytham ne pouvait être indifférent à ce manque ; aussi lui fallait-il assurer ces propriétés et les notions qui les fondent, telle la continuité. La continuité des courbes est-elle, chez Ibn al-Haytham, garantie par un postulat déguisé, ou découle-t-elle d’une propriété pour lui plus primitive ? En bref, qu’est-ce qui assure la continuité des courbes et des surfaces ? À cette question, la réponse d’Ibn al-Haytham est, en partie, traditionnelle : c’est le mouvement qui assure la continuité. Pour lui, comme pour ses prédécesseurs grecs et arabes, une courbe est obtenue cinématiquement par un mouvement, ou deux mouvements, continus, dont il suffit de concevoir la coordination. Or c’est grâce à l’uniformité des mouvements qu’Ibn al-Haytham parvient à concevoir cette coordination : c’est dire que la continuité se trouve assurée par la coordination des mouvements uniformes. Si, de plus, la courbe est convexe, on ne peut passer de son intérieur à son extérieur sans la couper. De même, une courbe déjà conçue balaiera d’un mouvement uniforme une surface, cette surface pouvant elle-même envelopper un solide. Il n’y a donc de continu, courbe ou surface, que là où il y a mouvement uniforme. Rien de bien nouveau dans tout cela. Pour les mathématiciens grecs, cône, cylindre, sphère, cissoïde, conchoïde, hélice, spirale, quadratrice etc. 1 sont tous obtenus par mouvement. Même lorsque la courbe était construite par points — la parabole chez Dioclés par exemple — elle n’avait droit à son nom qu’une fois montré qu’elle vérifie le symptoma de la courbe obtenue, elle, par mouvement (ici ‎1. Nous discutons de ces courbes ailleurs [Les Mathématiques infinitésimales du ix e au xi e siècle]. Notons seulement pour l’heure que la quadratrice de Dinostrate est engendrée à l’aide de deux mouvements : un mouvement d’entraînement vertical de vitesse constante, et un mouvement relatif sur l’horizontale mobile. Ainsi, selon la description de Pappus, on trace BOA un quart de cercle ; le rayon OM tourne uniformément de OB jusqu’à OA ; et en même temps une horizontale P qui coupe le rayon en N descend uniformément de telle sorte que son pied P aille de B à O.

B

M P O

N A

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mouvement et section plane). Seuls font exception, dans les Éléments, la droite, le cercle et les polyèdres. Le mouvement, il est vrai, est exclu des livres de géométrie plane du traité d’Euclide, et n’est introduit — bien discrètement d’ailleurs – qu’au livre XI ; sauf si l’on considère que l’usage d’un compas est un mouvement — comme l’a envisagé Thābit ibn Qurra [mort en 901]. Ibn al-Haytham opte donc pour une conception cinématique des courbes, et compose, à l’exemple de ses prédécesseurs, comme Ibn Sahl 1, un traité pour la construction mécanique des courbes. Mais cette conception devait néanmoins affronter deux difficultés : le mouvement est absent du lexique géométrique défini essentiellement par les Éléments ; d’autre part, la distinction entre constructibilité et existence dresse un autre obstacle : comment recourir à une continuité assurée mécaniquement lorsque l’on démontre l’existence, éventuellement sans considérer la constructibilité ? Pour contourner ces difficultés, la meilleure méthode consiste à introduire le mouvement dans les notions primitives de la géométrie ; ce à quoi s’emploie Ibn al-Haytham. Dans son commentaire des Éléments rédigé avant le traité sur l’analyse et la synthèse et le traité sur Les Connus, Ibn al-Haytham reprend les principales définitions euclidiennes de la droite, du cercle, de l’angle, ..., pour introduire le mouvement. La droite est ainsi définie comme «la ligne telle que si on fixe deux quelconques de ses points et si on la fait tourner, sa position ne change pas ». Le mouvement intervient également dans la discussion des figures, comme dans le cas du cinquième postulat. Ibn al-Haytham sera d’ailleurs critiqué un siècle plus tard par son successeur al-Khayyām pour avoir fait un tel usage de cette notion. Dans son traité sur Les Connus, directement lié à l’analyse et à la synthèse, Ibn al-Haytham, comme nous le verrons, fait entrer le mouvement dans la géométrie, tant pour garantir la continuité que pour justifier les transformations géométriques. Notons pour l’heure que l’exigence à laquelle il s’est soumis pour démontrer l’existence de solutions des problèmes solides, a conduit Ibn al-Haytham à l’examen de propriétés appartenant à une géométrie de situation, ou de propriétés topologiques. Le langage un peu plus général que celui de la règle et du compas, nécessaire à l’évocation de l’existence de tels objets, devait pouvoir exprimer, de quelque manière, ces propriétés.

‎1. R. Rashed, Géométrie et Dioptrique au x e siècle : Ibn Sahl, al-Qūhī, Ibn al-Haytham, Paris : Les Belles Lettres, 1993. Ibn Sahl construit les trois coniques par un procédé mécanique.

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IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

Existence de grandeurs transcendantes Mais ce n’est pas seulement pour des grandeurs algébriques qu’Ibn al-Haytham a considéré ce problème d’existence, mais aussi pour des grandeurs transcendantes. Une partie importante de sa recherche est en effet consacrée aux lunules et à la quadrature du cercle 1. En examinant très brièvement ce dernier cas, nous verrons comment il conçoit la distinction entre existence et constructibilité. Ibn al-Haytham commence par rappeler deux résultats sur les lunules, connus d’Hippocrate de Chio. Soit un cercle donné, de diamètre AC, deux demi-cercles de diamètre AB et BC respectivement ; on a L1 + L2 = tr(A B C). (1)

L₁

B L₂

A

D

C

Fig. 2

Considérons maintenant le cas particulier où B est le milieu de l’arc AC, et D le milieu du segment AC, on a L = tr(A B D).

(2)

Soit maintenant la médiatrice DK de AB qui coupe les arcs AB des deux cercles en leurs milieux respectifs H et E ; et soit le cercle tangent C(HE) aux deux cercles, on a C(HE) < L et



C(HE)/L = k [= π( 2 − 1)2 /2]. Soit alors DU tel que DU/DA = k, alors tr(BDU)/tr(BDA) = k, donc

tr(BDU) = C(HE). ‎1. Les Mathématiques infinitésimales du ix e au xi e siècle, op. cit.

L’ANALYSE ET LA SYNTHÈSE SELON IBN AL-HAYTHAM

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Mais on sait construire un carré SPQO équivalent à tr(BDU), donc C(HE) = carré SPQO. On construit ensuite un carré de côté QX, tel que QP/QX = EH/AC ; on a alors C(AC) = carré TQXY.

Q H

P

B

L

O

T

S

E

A

U

D

C

x

y

Fig. 3

Il est clair que tout le raisonnement s’appuie sur l’existence de k, rapport de deux surfaces planes. De l’existence de k se déduit celle des segments DU, QP et QX, même si leur construction n’est possible que quand k est connu. Ibn al-Haytham consacre alors un long passage à l’existence de ce rapport indépendamment de sa constructibilité. Voici ce qu’il écrit : Ce cercle est par conséquent lui-même une partie de cette lunule. Mais toute grandeur a un rapport à toute autre grandeur dont elle est une partie, même si on ne connaît pas ce rapport, et même si on ne peut pas parvenir à sa construction, car le rapport entre deux grandeurs n’est pas dû à la connaissance qu’en ont les hommes, ni dû à leur pouvoir de les déterminer et de les connaître. Le rapport entre les grandeurs est une notion propre aux grandeurs qui sont d’un même genre. Si donc de deux grandeurs quelconques de même genre, chacune est limitée, finie, invariable, conserve sa grandeur et ne change d’aucune manière, ni par augmentation, ni par diminution, ni par genre, alors l’une a, relativement à l’autre, un seul et même rapport, qui ne change pas, et qui ne modifie sa forme d’aucune manière.

Le moyen qu’utilise Ibn al-Haytham pour montrer l’existence de ce rapport est de ramener le problème aux éléments « connus», c’està-dire, selon ses propres termes, à ce qui est « fixe dans son état et

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IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

ne change pas, car le connu chez les mathématiciens est ce qui ne change pas », tel que AC, AB, l’arc AB, EH, la lunule AEBH, le cercle HE, etc. Démontrer l’existence de ce rapport — pour nous transcendant — a amené Ibn al-Haytham à l’étude des éléments invariants de la figure, grandeurs, formes, positions. On comprend dans ces conditions les raisons qui ont incité Ibn al-Haytham à opter pour un réalisme mathématique ici peu nuancé. Quant à la construction de ce rapport, Ibn al-Haytham promet d’en traiter dans un autre mémoire, lequel ne nous est jamais parvenu, si tant est qu’il fut écrit. Mais les « connus » sont précisément ce à quoi doit parvenir l’analyse avant que soit engagée la synthèse.

Une discipline géométrique nouvelle : « Les Connus » On vient de voir qu’au x e siècle, les recherches portant sur une vaste classe de problèmes, et notamment les problèmes inconstructibles, ont conduit les mathématiciens à dégager ce qui ne faisait qu’affleurer dans les mathématiques hellénistiques tardives, et à poser la question de l’existence d’une manière plus abstraite, indépendamment donc de la construction. Tout au long du siècle, cette nouvelle exigence s’est renforcée, pour tenir, avec Ibn al-Haytham, le rôle d’une norme. C’est là, selon nous, la principale raison de cet intérêt sans précédent pour le problème de l’analyse et de la synthèse. Mais, pour se conformer autant que faire se peut à cette norme, il a paru nécessaire de faire progresser la connaissance des propriétés générales des figures, c’est-à-dire de ces propriétés qui subsistent alors même que la figure se transforme, et même si on l’exprime d’une autre manière, comme à la suite du changement d’un système de coordonnées : ce sont là des situations de plus en plus fréquentes dans la pratique mathématique. Il était par exemple courant, dans l’étude des problèmes inconstructibles, de ramener à un même système de coordonnées les différentes parties d’une figure décrites dans des systèmes de coordonnées différents ; ou encore, dans l’étude des surfaces et des volumes courbes, de procéder par transformations affines ; ou enfin, dans l’étude de la représentation exacte de la sphère sur un plan, de définir et d’examiner les projections cylindriques et coniques 1. Toutefois, ces propriétés générales sont d’origines diverses : elles peuvent résulter de la position des éléments de la figure, comme elles peuvent provenir de sa forme.

‎1. Géométrie et Dioptrique au x e siècle, ... op. cit.

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Or, c’est précisément à l’étude de ces propriétés qu’Ibn alHaytham consacre un volumineux traité, intitulé Les Connus. Ce livre, rédigé après son traité sur L’Analyse et la Synthèse 1, est néanmoins déjà annoncé dans l’introduction de ce dernier comme une propédeutique à l’analyse et la synthèse. Aussi nous faut-il nous arrêter à ce livre sur Les Connus. Selon Ibn al-Haytham, une notion est dite « connue » lorsqu’elle n’admet pas le changement, que cette notion soit ou non pensée par quelqu’un. Les «connus» désignent des propriétés invariables, indépendamment de la connaissance que nous en avons. Or nous pouvons lire dans son traité sur L’Analyse et la Synthèse que le but de l’analyste est précisément d’aboutir à ces notions connues, et que c’est seulement lorsqu’il atteint ces notions que sa tâche s’achève et que la synthèse peut être engagée. Le livre qu’Ibn al-Haytham consacre à ces notions s’ouvre sur une longue et profonde introduction, où se mêlent, dans un langage aristotélo-euclidien des notions bien traditionnelles, à d’autres qui le sont moins. C’est ainsi qu’Ibn al-Haytham commence par rappeler la subdivision aristotélicienne de la quantité. Il expose d’abord les subdivisions de la quantité discrète, mais sans étudier ensuite dans les autres parties du livre aucun problème qui en relève, puisque seuls seront traités les problèmes géométriques. La quantité continue comprend toutes les grandeurs. De même que ses prédécesseurs, Ibn al-Haytham considère comme un ensemble de grandeurs un ensemble d’éléments, totalement ordonné, muni de l’addition, tel que A + B > A et que A > B entraîne l’existence d’un élément C tel que A = B + C. Cet ensemble est, de plus, archimédien. Pour Ibn al-Haytham, comme pour tout archimédien, cet ensemble peut être formé par des segments de droite, des aires, des nombres, des angles rectilignes, des arcs de courbes, des aires gauches, des temps, des poids. Ce sont là précisément la plupart des grandeurs considérées dans son livre. Or, à ce départ traditionnel se superpose une autre perspective, qui l’est moins : un parti pris ensembliste. Quand il traite d’un élément d’une figure, Ibn al-Haytham ne le considère pas seulement comme une grandeur, mais aussi comme une variété de la famille à laquelle il appartient. Ainsi, la connaissance de cet élément portera sur sa grandeur, sa position, sa forme, ainsi que sur les rapports qu’il entretient avec d’autres ; en bref, les propriétés de l’espace. Le pas accompli est bien important, et Ibn al-Haytham consacre

‎1. Cf. Appendice.

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IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

toute son introduction à l’élucidation de ces notions ; prenons, à titre d’exemple, la notion désormais centrale de position. La position est définie par Ibn al-Haytham à l’aide de trois notions : mouvement, ordre et relation. Ainsi, la position d’un point — considéré comme l’extrémité d’une ligne — est connue lorsque sa distance (ou ses distances) à un autre point (ou à d’autres points) reste invariable. Plusieurs cas sont à considérer : le point P est fixe et les autres points le sont également ; le point P se meut d’un mouvement circulaire autour d’un point fixe, mais sans que la distance entre eux change ; le point P et les autres points sont tous animés d’un même mouvement qui laisse invariées les distances entre P et chacun de ces points De même, la position de la ligne est définie par rapport à des points fixes, dans ce cas, la ligne ne se meut d’aucun mouvement, excepté l’augmentation et la diminution, et les distances entre ses points, et deux points, ou davantage, ne varient pas. Cette ligne sera dite de position connue absolument. La position de la ligne pourra également être repérée par rapport à un seul point fixe, et dans ce cas les notions connues seront les distances invariables entre tout point de la ligne et ce point fixe, que la ligne soit elle-même fixe ou mobile. On repère egalement la position de la ligne par rapport à une autre ligne, que cette dernière soit fixe ou mobile. On repère encore la position de la ligne par rapport à un point mobile ou à un ensemble de points mobiles, et les notions connues seront dans ce cas les distances invariables entre chaque point de la ligne et chacun des points mobiles ; la ligne doit alors être animée du même mouvement, et dans la même direction que le mouvement des points considérés. On repère enfin la position de la ligne par rapport à une ligne fixe, et la notion connue dans ce cas est celle de l’angle formé par l’intersection de ces deux lignes ou de leurs prolongements, que la ligne dont on cherche à connaître la position soit fixe ou mobile, à condition toutefois que l’angle formé demeure invariable. Si la ligne, ou son prolongement, ne coupe pas la ligne par rapport à laquelle elle sera connue de position, elle le sera en tous les cas si les deux lignes sont coupées par une droite qui formera avec chacune d’elles un angle connu. Ibn al-Haytham poursuit encore son énumération et repère la position de la ligne par rapport à une ligne mobile, puis par rapport à une surface fixe, et enfin par rapport à une surface mobile. Il reprend une tâche analogue pour définir la position d’une surface et la position d’un solide, et pour examiner les autres notions de forme connue, de grandeur connue, et de rapport connu. On voit dès l’abord, à l’examen de cette longue introduction de son livre, qu’Ibn al-Haytham a intégré le mouvement au titre

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de notion primitive de la géométrie, notion nécessaire à la définition de la position et de la forme de toute grandeur géométrique, et comme en assurant la continuité. Le même examen montre ensuite que cet héritier d’Archimède en même temps que d’Apollonius distingue explicitement les propriétés de position des propriétés métriques. Même si une propriété de position peut se présenter à l’aide de mesures de distances et d’angles, c’est-à-dire sous forme métrique, Ibn al-Haytham tient cependant à décrire ce qui est propre à la position. L’essentiel est à ce stade de repérer la position — disons d’un point — sans l’intervention d’aucun système de coordonnées, mais seulement par rapport à des points ou à des lignes, fixes ou mobiles ; il s’agit donc pour ainsi dire d’une géométrie descriptive au sens propre du terme. L’objectif que se propose Ibn al-Haytham dans Les Connus est clair : identifier les relations invariantes qui permettent de décrire la position, la forme, la grandeur, le rapport. Chaque groupe de relations constituera un chapitre d’une géométrie à venir, ou de cette science baptisée « Les Connus ». Mais cette introduction foisonnant d’intuitions puissantes et de visions pénétrantes risque d’égarer le commentateur ; le mieux est donc de revenir, aussi brièvement que possible, aux deux parties du livre d’Ibn al-Haytham. Dans la première, cet éminent mathématicien et physicien revendique une entière originalité ; il commence par une proposition qui établit que l’ensemble des points situés à une distance donnée d’un point A est un cercle de centre A et de rayon la distance fixée. Sa démonstration se fait à l’aide des définitions précédentes. Dans les trois propositions suivantes, il montre que si à tout point de cet ensemble est associé un point ayant une propriété P donnée, ce deuxième point appartient à une figure de position et de grandeur connues, qui se déduit de l’ensemble des points — c’est-à-dire du cercle — par une transformation, qu’Ibn alHaytham caractérise. Ainsi, dans les propositions 2 et 4, il caractérise une similitude (centre, rapport, angle) ; dans la proposition 3, il caractérise une homothétie (centre, rapport) ; dans la proposition 11, il montre que deux cercles égaux se correspondent dans une translation définie par les deux centres, et il utilise cette propriété dans la proposition 12 ; dans les propositions 13 et 14, il part de trois points fixes non alignés A, B, C, et cherche à déterminer pour D ∈ [AB] l’ensemble des points E ∈ [CD) définis dans 13 par DC/DE = DA/DB, et dans 14 par DC · DE = DA · DB. Dans les deux cas, E est l’image de D par une transformation l,

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et l’ensemble E des points E est l[AB]. Chaque fois, il détermine le support de E : dans 13, une droite, et, dans 14, un cercle. Dans les propositions 15, 16, 17, il utilise la puissance d’un point par rapport à un cercle. Dans un autre groupe, formé par les propositions 6, 8, 9, 10, 23, il étudie chaque fois un ensemble de points M définis à partir de deux points A et B, et ayant une propriété P(M). Dans chaque cas, il montre que l’ensemble des points M a pour support une droite ou un cercle connus. P(M) est donnée respectivement par : A M B = α,

α un angle donné ;

MA = MB ; MA/MB = k,

aire(AMB) = S, 2

2

2

MA + MB = l ,

k ̸= l, rapport donné ; S aire donnée ; somme donnée.

Dans la seconde partie de son livre, Ibn al-Haytham annonce qu’il traitera des propositions du genre de celles que l’on trouve dans les Données d’Euclide, mais qui n’ont pas été considérées par ce dernier. Ce sont, pour la plupart, des problèmes de construction. Ainsi, dans un groupe de onze problèmes — de 1 à 5 et de 14 à 20 — il considère une droite passant par un point donné et vérifiant une propriété P relative aux éléments donnés. Il montre que, si une telle droite existe, elle passera par un deuxième point, défini par l’intersection de deux lignes : une droite et un cercle, ou deux cercles, selon le cas. L’une de ces lignes est une donnée du problème, tandis que la seconde est obtenue à partir de la propriété P lorsque l’on applique une des propositions de la première partie du livre. Ibn al-Haytham cherche à montrer à propos de ce genre de problème que, si une telle droite existe, elle est alors de position connue. Dans un autre groupe de cinq propositions — 6, 7, 8, 21, 22 — il s’agit de l’étude de deux droites passant chacune par un point donné, et vérifiant une propriété P. Ces deux droites sont déterminées par leur point d’intersection défini comme précédemment : le point d’intersection de deux lignes. D’une manière générale, la plupart des propositions de cette seconde partie sont ramenées à la détermination d’un point par l’intersection de deux lignes, ou à la détermination de deux points dont le premier est obtenu par l’intersection de deux lignes, et dont le second s’en déduit. Sans nous attarder davantage, notons que les deux parties de ce livre sont bien complémentaires : dans la première Ibn al-Haytham s’occupe d’ensembles de points et de transformations géométriques ponctuelles ; il cherche dans la seconde les moyens géométriques les

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plus simples pour déterminer les positions des points, ainsi que les rapports entre eux, à partir des éléments connus. Même rapide, cet exposé nous dévoile la destinée du livre d’Ibn al-Haytham : il entend obtenir des résultats géométriques qui peuvent effectivement abréger l’analyse, et, bien plus, contribuer à l’élaboration d’une discipline géométrique qui traite des « connus». Or, nous avons montré que les objets de cette discipline sont les propriétés invariables des figures obtenues par mouvement et par sections planes ; on ne s’intéresse pas seulement aux propriétés métriques, mais surtout aux propriétés de position et de forme, qui demeurent inaltérables après les transformations ponctuelles des figures. Même si dans ce livre Ibn al-Haytham emprunte ses exemples à la géométrie plane, il considère, dans l’introduction, ces notions pour elles-mêmes, c’est-à-dire comme notions communes aux différents domaines de la géométrie. La discipline géométrique qui porte sur les « connus» semble donc être destinée à relier les chapitres particuliers de la géométrie, ce qui la rend plus générale et plus substantielle que chacun de ces chapitres. De l’aveu même d’Ibn al-Haytham, l’art de l’analyse et de la synthèse trouve ses lois et ses principes dans cette discipline géométrique. L’analyste ne s’est acquitté de sa tâche qu’une fois parvenu aux propriétés invariables de la figure géométrique considérée — les notions connues — pour ensuite montrer comment — et sous quelles conditions, déjà remplies ou à ajouter — ces propriétés sont bien les propriétés de cette figure, et d’elle seule. Il s’ensuit donc que, si l’art de l’analyse et de la synthèse désigne une méthode, cette méthode ne prend son sens et son extension qu’à partir de cette discipline. Elle doit en effet y renvoyer ; sa généralité est l’écho de celle des objets de la discipline géométrique, et n’exprime pas une universalité qui la caractériserait comme méthode. Encore faut-il examiner les étapes qui jalonnent l’application de cette méthode aux différentes espèces de problèmes. C’est à cette tâche qu’Ibn al-Haytham consacre l’autre traité — le premier. Mais notons d’abord que, s’il réunit les écrits d’Ibn al-Haytham où interviennent l’analyse et la synthèse, un lecteur moderne verra se dessiner dans cette discipline géométrique des notions qui, définies bien plus tard, appartiendront à différentes disciplines : géométrie descriptive, géométrie des coordonnées, proto-topologie. Ainsi s’éclairent les termes d’Ibn al-Haytham, lorsqu’il revendique l’originalité en la matière, et décèle les traces de cette discipline dans les Données d’Euclide.



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En ce premier sens, selon nous fondamental, analyse et synthèse ne sont donc pour Ibn al-Haytham ni deux étapes d’une méthode universelle, ni même une méthode commune à l’ensemble des mathématiques. Analyse et synthèse sont déterminées par cette discipline géométrique conçue par Ibn al-Haytham afin de répondre aux nouvelles exigences de la pratique mathématique. Si ces concepts décrivent un procédé de découverte et de démonstration, c’est dans la mesure où on les applique à un problème de cette discipline, ou qui en comprend une des notions. Mais, à cette première détermination du sens de l’analyse et de la synthèse s’en superpose une autre, d’origine différente : ce second sens apparaît lorsqu’Ibn al-Haytham reprend, en la généralisant, une interrogation traditionnelle sur la démarche à suivre pour trouver les concepts géométriques. Thābit ibn Qurra avait déjà composé un mémoire sur ce problème 1, repris ensuite par les autres mathématiciens, comme son petit-fils Ibrāhīm Ibn Sinān 2 et al-Sijzī. Fidèle à son style, Ibn al-Haytham se pose alors la question de la démarche, ou de la méthode, la plus commune aux différentes disciplines mathématiques. Le domaine d’application de l’analyse et de la synthèse s’identifie cette fois à celui de la quantité : discrète aussi bien que continue. Aussi le problème est-il de savoir ce qui fonde cette extension de l’analyse et de la synthèse. Ici encore reparaissent « les connus», ou cette discipline géométrique conçue par Ibn al-Haytham, dans la mesure où seules les analogies avec celle-ci permettaient de fonder la dite extension. Ibn al-Haytham façonne en effet, pour toutes les autres disciplines qui traitent de la quantité, des définitions à l’image de celles qui ont été conçues pour la géométrie. C’est ainsi qu’en arithmétique il parlera « d’un nombre de quantité connue » pour la grandeur, des « propriétés connues » – nombre parfait par exemple — pour la position et la forme. Mais les soins consacrés à l’introduction de ces définitions contrastent avec leur sort futur : ces notions, l’analogie une fois assurée, ne serviront plus à rien, puisque le livre sur les connus ne contient que des problèmes géométriques. Si cette extension analogique voile quelque peu l’origine géométrique de l’analyse et de la synthèse, elle ne manque pas d’en infléchir le sens méthodologique et formel. Alors se posent pour Ibn al-Haytham les problèmes toujours mis en avant lorsque l’on traite de l’analyse et de la synthèse, c’est-à-dire ceux que celles-ci peuvent ‎1. Ms. 4832 Aya Sofya — Süleymaniye, İstanbul, ff. 1 v-4 r. ‎2. Ibrāhīm ibn Sinān a composé un traité intitulé Sur la méthode de l’analyse et de la synthèse et les autres procédés dans les problèmes géométriques, voir R. Rashed, Ibrāhīm ibn Sinān. Logique et géométrie au x e siècle, en collaboration avec Hélène Bellosta, Leiden, E.J. Brill, 2000.

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soulever, comme art de la découverte et art de la démonstration : les différents types de démonstration, le rôle de l’intuition comme intuition formée, la réversibilité de l’analyse, le rôle des propriétés supplémentaires nécessaires pour rendre l’analyse réversible, la distinction entre propositions et problèmes, les sens de l’analyse et de la synthèse dans chacun des cas, et la distinction entre les problèmes suivant le nombre des solutions, des hypothèses etc. Ibn al-Haytham contribue à l’étude de ces problèmes de manière substantielle, mais ce serait l’objet d’un autre exposé. Notons pour conclure la double détermination de l’analyse et de la synthèse, en rapport avec la pratique mathématique elle-même.

Ouvrages cités Heiberg, I.L. : Apollonius Pergaeus edidit I.L. Heiberg, Teubner, Stuttgart [1974]. Becker, O. : Grundlagen der Mathematik in geschichtlicher Entwicklung, FreiburgMunich [1964]. Cherniss, H. : « Plato as mathematician », in Revue of metaphysics, IV [1951, 395425]. Einatson. B. : « On certain mathematical terms in Aristotle’s logic », American Journal of Philology, 57 [1936, 33-54 et 151-172]. Granger, G. G. : La théorie aristotélicienne de la science, Aubier [1976]. Gulley. N. : « Greek geometrical analysis», in Phronesis, III 1 [1958, 1-14]. Heath, T. : A history of Greek mathematics, Oxford [1921, vol. 2, 400-401]. Hintikka, J. et Remes, U. : The method of analysis, Reidel [1974]. Mahoney. M. : « Another look at geometrical analysis», in Archive for History of Exact Sciences, vol. V, n os 3-4 [1968. 318-348]. Mugler. C. : Platon et la recherche mathématique de son époque. Heitz, StrasbourgZurich [1948]. Pappus d’Alexandrie : La collection mathématique, trad. P. Ver Eecke, ParisBruges [1933]. Hultsch, F. : Pappi Alexandrini Collectionis... quae supersunt e libris manu scriptis edidit latina interpretatione et commentariis instruxit F. Hultsch, Berlin [18761878]. Rashed, R. : « Ibn al-Haytham et les nombres parfaits ». Historia mathematica, 16 [1989. 343-352]. Rashed. R. : Géométrie et Dioptrique au x e siècle : Ibn Sahl, al-Qūhī. Ibn alHaytham, Les Belles Lettres, sous presse. Sharaf al-Dīn al-Tūsī : Œuvres mathématiques. Algèbre et Géométrie au xii e siècle, édition, traduction et commentaire par R. Rashed, I et II, Les Belles Lettres [1986]. Zeuthen, H. G. : Histoire des mathématiques dans l’Antiquité et le Moyen-Âge, traduit par J. Mascart, Paris [1902].

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Appendice Traduction de l’introduction du traité d’Ibn al-Haytham sur l’analyse et la synthèse 1 Toute science et toute étude ont une fin et cette fin est le sommet vers lequel on s’élève, et auquel aspire l’esprit de ceux qui la recherchent avec zèle, dans le but de l’atteindre et de la maîtriser. Les sciences mathématiques sont fondées sur les démonstrations ; elles ont pour fins auxquelles on s’élève la détermination, dans leurs parties, des inconnues, et l’établissement de démonstrations qui indiquent la vérité de leurs concepts. Le sommet auquel aspire l’esprit de ceux qui recherchent ces sciences avec zèle, est d’obtenir des démonstrations par lesquelles on déduit les inconnues dans ces sciences. La démonstration est le syllogisme qui indique nécessairement la vérité de sa propre conclusion. Ce syllogisme est composé de prémisses dont l’entendement reconnaît la vérité et la validité, sans être troublé d’aucun doute à leur propos ; et d’un ordre et d’un arrangement tels de ces prémisses, qu’ils contraignent l’auditeur à être convaincu de leurs conséquences et à croire en la validité de ce qui résulte de leur arrangement. La méthode pour obtenir ces syllogismes est de poursuivre la recherche de leurs prémisses, de s’ingénier à les trouver, et de chercher leur arrangement. L’art par lequel on poursuit la recherche de ces prémisses et on parvient à cet arrangement menant à ceux de leurs résultats que l’on recherche, s’appelle l’art de l’analyse. Tout ce qui a vu le jour en sciences mathématiques n’est dû qu’à cet art. Nous expliquons dans ce traité comment procède l’art de l’analyse, qui conduit à déterminer les inconnues des sciences mathématiques, et comment procéder pour poursuivre la recherche des prémisses, qui sont le matériau des démonstrations indiquant la validité de ce qu’on détermine des inconnues de ces sciences, et la méthode pour parvenir à l’arrangement de ces prémisses et à la figure de leur combinaison. Nous montrons également comment sont ces prémisses et l’inverse de leur arrangement, qui est le syllogisme démonstratif, et c’est ce qu’on appelle la synthèse ; on l’a en effet appelée synthèse car c’est la composition des prémisses déduites par l’analyse, et c’est la synthèse syllogistique. En outre, nous partageons cet art en ses subdivisions, nous en évoquons les règles et les lois,

‎1. Nous avons déjà traduit et analysé un autre texte de ce traité, sur les nombres parfaits, cf. « Ibn al-Haytham et les nombres parfaits», Historia Mathematica (16) (1989). Pour l’ensemble du texte de ce traité, voir notre édition et traduction dans la revue MIDEO (Mélanges de l’institut Dominicain d’Études Orientales) tome 20, 1990.

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et nous exposons le détail de ses parties. Nous apportons également notre aide pour tous ces principes utilisés en cet art et requis par lui, et ainsi nous commençons par y dire : Nous disons que la façon de procéder dans l’analyse est de supposer le recherché tout à fait achevé et complet, puis nous examinons les propriétés de son objet nécessaires à cet objet et à son genre, puis les conséquences nécessaires de celles-ci, puis les conséquences nécessaires de ces dernières, jusqu’à ce que l’on aboutisse à une chose donnée dans ce recherché, qui ne soit pas impossible en lui. Voici comment on procède en général dans l’analyse. Quand cet examen aboutit à la notion donnée, on interrompt l’examen de ce recherché, et celui qui examine s’arrête là ; le donné est la notion que l’on ne peut rejeter, et que rien ne peut empêcher. La façon de procéder dans la synthèse consiste à supposer la chose donnée, à laquelle a abouti l’analyse et à laquelle s’est arrêté celui qui examine, puis à lui ajouter la propriété trouvée, avant cette dernière ; on suit dans cet arrangement l’inverse de l’arrangement suivi dans l’analyse ; si, en effet, l’on suit cette voie, l’arrangement aboutit à la notion recherchée, car elle était le premier objet dans l’analyse ; si on inverse l’arrangement, le premier devient alors le dernier ; et si l’arrangement inversé aboutit au premier recherché supposé, alors cet arrangement sera un syllogisme démonstratif, et le premier recherché supposé sera sa conclusion ; le recherché existera alors, et de plus sa validité sera certaine, car elle est conclusion d’un syllogisme démonstratif indiquant nécessairement la validité de sa conclusion. L’art de l’analyse exige une connaissance préalable des principes des mathématiques et de leur exercice, de sorte que l’analyste a ces principes à l’esprit lors de la pratique de l’analyse, et a en outre recours à une intuition dans cet art ; tout art ne s’achève en effet pour celui qui le pratique que par une intuition de la méthode qui mène à ce que l’on recherche. On a recours à l’intuition dans l’art de l’analyse lorsque l’analyste ne trouve pas dans l’objet du problème des propriétés données qui, une fois composées, conduisent au recherché ; dans ce cas, l’analyste a besoin de l’intuition. Ce qu’il a besoin de saisir par l’intuition est un ajout, qu’il ajoute à l’objet, afin qu’il se produise, une fois ceci ajouté, des propriétés de l’objet qui conduisent, avec cet ajout, aux propriétés qui, une fois composées, ont pour résultat, le recherché. Dans la suite de cet exposé, nous donnerons des exemples de tout ce que nous venons de mentionner, qui font apparaître toutes les notions que nous avons déterminées : le mode de ces notions s’exhibera, celles d’entre elles qui étaient obscures se dévoileront, en outre la

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validité de ce que nous avons déterminé et arrangé se vérifiera et deviendra certaine, une fois que nous aurons exposé cet art en détail, que nous l’aurons arrangé, et que nous aurons embrassé toutes ses espèces et toutes ses parties. Cet art se partage selon la division de ses objets, car la méthode pour analyser chacune des espèces de ses objets est autre que la méthode dans l’analyse des espèces restantes. Les objets de cet art sont les inconnues dans les parties des sciences mathématiques ; ces inconnues dans les parties des sciences mathématiques se divisent elles-mêmes suivant les subdivisions de toutes les parties de ces sciences. Or, les parties de ces sciences se divisent d’abord en deux subdivisions : le théorique et le pratique ; toute partie des sciences mathématiques est en effet ou bien théorique ou bien pratique. Celle d’entre elles qui est théorique est celle où l’on recherche la connaissance de la vérité d’une propriété nécessaire à cette partie en raison de son essence et de sa forme. Celle qui est pratique est celle qu’on cherche à effectuer et à réaliser dans l’être par l’action. Nous donnons pour le théorique et pour le pratique des exemples des parties de chaque espèce des sciences mathématiques, afin qu’apparaisse la validité de ce que nous avons mentionné. Les notions propres à la partie théorique de la science des nombres sont à l’exemple de notre énoncé : pour deux nombres carrés, le rapport de l’un à l’autre est égal au rapport du côté au côté multiplié par lui-même ; et à l’exemple de notre énoncé : étant donnés des nombres successivement proportionnels, et qui sont les plus petits nombres suivant leur rapport, chacun des deux extrémités est premier avec l’autre 1 ; et à l’exemple de notre énoncé : pour deux nombres dont l’un mesure l’autre, celui qui est mesuré a une partie homonyme de celui qui le mesure. C’est selon cette manière que sont toutes les notions théoriques dans la science des nombres. Les notions propres à la partie pratique de la science des nombres sont à l’exemple de notre énoncé : trouver deux nombres carrés tels que leur somme soit un carré ; et à l’exemple de notre énoncé ; trouver des nombres successifs suivant le même rapport, à volonté ; et à l’exemple de notre énoncé : trouver un nombre parfait 2. C’est selon cette manière que sont toutes les notions pratiques de la science des nombres. Les notions théoriques de la géométrie sont à l’exemple de notre énoncé : deux côtés d’un triangle est plus grande que

‎1. Comparer à Euclide, Éléments, IX, 15. ‎2. Litt.: « le nombre parfait ».

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le côté restant ; et à l’exemple de notre énoncé : la somme des angles d’un triangle est égale à deux angles droits ; et à l’exemple de notre énoncé : les côtés et les angles opposés dans les surfaces à côtés parallèles sont égaux deux à deux. Les notions pratiques de la géométrie sont à l’exemple de notre énoncé : construire un triangle équilatéral sur une droite donnée ; et à l’exemple de notre énoncé : construire sur une droite donnée un angle égal à un angle donné ; et à l’exemple de notre énoncé : construire un carré égal à une figure donnée. Les notions théoriques de l’astronomie sont à l’exemple de notre énoncé : le centre de la sphère du soleil est à l’extérieur du centre de l’Univers ; et à l’exemple de notre énoncé : le mouvement des Gémeaux est à l’opposé de la succession des signes du Zodiaque 1 ; et à l’exemple de notre énoncé : la sphère des étoiles fixes est plus haute que les sphères des astres errants. Les notions pratiques de l’astronomie ne se trouvent pas dans l’astronomie elle-même, mais dans ses démonstrations, comme par exemple : retrancher un rapport d’un rapport, ou ajouter un rapport à un rapport, ou mener d’un point une perpendiculaire à l’une des lignes imaginées en astronomie, ou construire un triangle sur des lignes de l’astronomie. Toutes ces notions se ramènent à la science des nombres ou à la géométrie. Nous pouvons y mentionner la construction des instruments par lesquels on observe les astres, et ceci n’entre pas dans la somme des sciences mathématiques théoriques. Les notions théoriques de la musique sont à l’exemple de notre énoncé : l’intervalle d’octave est composé de l’intervalle de quarte et de l’intervalle de quinte ; et à l’exemple de notre énoncé : l’intervalle d’octave est deux fois composé de quinze degrés d’intervalle ; et à l’exemple de notre énoncé : l’intervalle de quarte se partage en plus de deux tons. Les notions pratiques de la musique sont la composition des degrés ; elles se ramènent à la science des nombres, car elles se ramènent à la composition des rapports numériques. Quant à la pratique de la musique, c’est-à-dire la pratique par la main qui consiste à frapper les cordes et les instruments, et à composer le son, elle n’intervient pas dans l’ensemble de cet examen. Aucune notion, dans l’une ou l’autre des sciences mathématiques, ne peut être que théorique ou pratique. La partie pratique se partage

‎1. La constellation des Gémeaux participe au mouvement diurne, qui a lieu dans le sens rétrograde autour de l’axe du monde. La progression annuelle apparente du soleil à travers les signes du Zodiaque se fait dans le sens direct.

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ensuite en deux subdivisions, avec discussion ou sans discussion. La partie avec discussion est à l’exemple de notre énoncé dans les parties de la science des nombres : diviser deux nombres connus selon deux rapports connus ; si on n’impose pas la condition que l’un des deux rapports soit plus grand que le rapport de l’un des nombres divisés à l’autre, et que l’autre rapport soit plus petit que le rapport des deux nombres divisés l’un par l’autre, il ne sera pas possible que l’on divise ces deux nombres selon ces deux rapports 1 — cette condition est appelée discussion ; et à l’exemple de notre énoncé : trouver le plus grand nombre qui mesure deux nombres connus ; si on n’impose pas aux deux nombres la condition qu’ils soient commensurables, il ne peut exister un nombre qui les mesure — cette condition est la discussion ; et à l’exemple de notre énoncé : trouver un troisième nombre en proportion avec deux nombres connus 2 ; si on n’impose pas aux deux nombres la condition qu’ils soient commensurables, il ne peut exister un troisième nombre en proportion avec ces deux nombres. Ce qui est avec discussion dans les parties de la géométrie est à l’exemple de notre énoncé : construire à partir de trois droites données un triangle ; si nous n’imposons pas aux droites la condition que la somme de toute paire de deux d’entre elles soit plus grande que la troisième, on ne pourra pas construire un triangle à partir de ces trois droites ; et à l’exemple de notre énoncé : mener dans un cercle connu une corde égale à une droite connue ; si nous n’imposons pas à la droite la condition qu’elle ne soit pas plus grande que le diamètre de ce cercle, on ne pourra pas mener la corde dans le cercle ; et à l’exemple de notre énoncé : mener d’un point connu à une droite connue une droite qui lui soit perpendiculaire ; si nous n’imposons pas à la droite la condition qu’elle ne soit pas finie, alors peut-être ceci ne sera-t-il pas possible. Ces trois conditions sont la discussion de ces trois propositions. L’astronomie et ta musique ne comportent pas, quant à elles, de discussion, car elles ne contiennent de notions pratiques que dans leurs démonstrations et dans leurs syllogismes ; et tout ce qui est dans ces procédés est numérique ou géométrique, et leur discussion appartient à la discussion dans la science des nombres et dans la géométrie. La partie sans discussion se partage en deux subdivisions, l’indéterminé et le non-indéterminé. L’indéterminé est celui qui a

‎1. Si a et b sont les nombres donnés, k1 et k2 les rapports donnés, on cherche a1 et a2 , b1 et b2 tels que a1 + a2 = a, b1 + b2 = b, a1 /b1 = k1 , a2 /b2 = k2 . Ce problème est le sixième du texte ; on a montré que si k1 < k2 , il est nécessaire que k1 < a/b < k2 . 2 ‎2. a et b étant donnés, trouver x tel que ab = xb , x = ba .

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plusieurs solutions, et le non-indéterminé est celui qui a une seule solution, c’est-à-dire qui ne s’achève que d’une seule manière. L’indéterminé dans les parties de la science des nombres est à l’exemple de notre énoncé : trouver deux nombres carrés tels que leur somme soit un carré. Cet énoncé peut avoir plusieurs solutions, c’està-dire qu’il peut exister de multiples carrés, en nombre infini, tels que chaque paire d’entre eux ait une somme carrée 1 ; et à l’exemple de notre énoncé : trouver un nombre ayant des parties données ; il peut se trouver de multiples nombres, en nombre infini, dont chacun a ces mêmes parties ; et à l’exemple de notre énoncé dans les parties de la géométrie : construire un cercle qui soit tangent à deux cercles connus donnés ; cette notion peut être construite de multiples manières, car le cercle construit peut être tangent aux deux cercles par sa convexité aux convexités des deux cercles ; il peut être tangent à l’un des deux cercles par sa convexité à la convexité de celui-ci, et tangent à l’autre par sa concavité à la convexité de celui-là ; il peut être tangent à chacun des deux cercles par sa concavité aux convexités des deux cercles — la construction de ce cercle se fait donc de trois manières 2 ; et à l’exemple de notre énoncé : mener d’un point donné une droite tangente à un cercle donné 3 ; cette construction se fait de deux manières, car si on joint ce point au centre du cercle par une droite, on peut mener de ce point deux droites de part et d’autre de cette droite, chacune d’elles étant tangente au cercle. Dans la science des nombres et la géométrie, les exemples de ces notions sont multiples ; il peut y avoir dans les problèmes sans discussion des problèmes indéterminés, et les exemples que nous avons mentionnés sont suffisants pour tous. Il ne peut y avoir dans l’astronomie de parties pratiques, si ce n’est dans ses démonstrations qui se ramènent à la science des nombres ou à la géométrie. Il reste qu’il peut se trouver parmi les mouvements des astres ceux qui peuvent se produire de deux manières, comme le mouvement du soleil qui peut être suivant deux orbes, dont l’un a pour centre le centre de l’Univers 4, et l’autre est son ‎1. L’expression risque d’être ambiguë. L’auteur veut dire qu’il existe des paires de nombres carrés, en nombre infini, telles que la somme des deux termes de chaque paire soit un carré. ‎2. Il s’agit ici de trois types de problèmes dont chacun a une infinité de solutions. Le cercle cherché peut avoir 1) un contact extérieur avec chacun des cercles donnés A et B ; 2) un contact intérieur avec A et B ; 3) un contact intérieur avec A (ou B) et extérieur avec B (ou A). ‎3. Il est sous-entendu que le point est à l’extérieur du cercle, sinon le problème comporte une discussion. ‎4. Il s’agit du cercle appelé déférent ; son centre est U, centre de l’univers ; le soleil S décrit l’épicycle dont le centre P décrit le déférent.

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épicycle et a son centre sur le pourtour du premier ; le mouvement du soleil peut être suivant un seul orbe 1 dont le centre est à l’extérieur du centre de l’Univers. Cette notion ne peut cependant pas être dite pratique, car elle-même n’est que suivant l’une des deux manières, et ne peut être suivant l’autre manière. Il peut y avoir dans les parties de la musique des parties pratiques indéterminées ; il reste que leur construction se ramène à la science des nombres, à l’exemple de notre énoncé ; diviser l’intervalle d’octave dans les deux intervalles de quinte et de quarte ; la division de cet intervalle a lieu en effet selon deux positions ; nous pouvons faire en sorte que l’intervalle de quarte précède l’intervalle de quinte, et nous pouvons faire en sorte que l’intervalle de quinte précède l’intervalle de quarte ; et à l’exemple de notre énoncé : diviser l’intervalle de quarte en trois intervalles ; cet intervalle, c’est-à-dire de quarte, se partage en deux tons et un reste ; ce reste peut être à son début, ou il peut être en son milieu, ou il peut être à sa fin ; la division est donc possible de trois manières, si ce n’est que ces subdivisions se ramènent à la science des nombres, car elles se partagent d’après la division des rapports numériques par lesquels les intervalles se trouvent selon ces rapports 2. Il est clair à partir de tout ce que nous avons montré à propos de la division des parties des sciences mathématiques qu’elles se partagent d’abord en deux subdivisions. L’une des subdivisions se partage ensuite en trois subdivisions. Il s’ensuit que l’analyse des parties de ces sciences doit se partager suivant ces subdivisions. L’analyse de la partie théorique est d’un seul genre. L’analyse de la partie pratique est également d’un seul genre, mais elle se partage en trois espèces. Montrons maintenant comment est l’analyse de ces subdivisions. L’analyse de la partie théorique est d’un seul genre. 11 est vrai qu’une même partie théorique peut être analysée de plusieurs manières, mais ces manières ne relèvent néanmoins que d’un seul genre. Ceci en effet car, si ce qu’on recherche est théorique, son analyse doit se faire par la poursuite des propriétés de l’objet de la notion recherchée seulement. Si donc il est analysé de plusieurs manières, c’est-à-dire si on suit dans son analyse plusieurs méthodes, alors son analyse, pour chacune de ces méthodes, ne se fait que par la poursuite de ses propriétés, une fois supposé que ce qui est demandé est donné d’une manière complètement achevée, et parfaite. Si on

‎1. Cercle appelé parfois excentrique, dont le centre E est différent de U. ‎2. Les trois sections de la partie pratique sont les suivantes : – avec discussion / – sans discussion déterminé / – sans discussion indéterminé.

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ne trouve pas, de quelque manière, pour ce demandé, des propriétés qui mènent à une propriété qui existe en lui, telle que, lorsqu’on la compose avec d’autres elle produise ce demandé, il faut alors que l’analyste ajoute à cet objet des ajouts qui ne l’éloignent pas de sa réalité ; il doit ensuite examiner les propriétés de l’objet – il faut en effet que d’autres propriétés adviennent à l’objet en raison de cet ajout ; si, avec cet ajout, s’achève l’analyse, alors c’est celle qui, si on l’inverse, produit le demandé ; sinon, on ajoute à cet ajout un autre ajout, et ainsi de suite jusqu’à ce qu’adviennent, avec les ajouts, des propriétés qui, une fois inversées et composées, produisent le recherché. Ces ajouts ne peuvent se faire que par une intuition dans l’art, par laquelle on saisit les prémisses. Cette intuition est celle que nous avons mentionnée précédemment, et la loi de cette intuition est de rechercher un ajout tel que, si on le joint au premier objet, il résulte de leur réunion une propriété ou des propriétés qui n’existaient pas avant cet ajout. Si l’analyste se tient dans cette voie, il ne peut qu’aboutir à une propriété donnée, ou à une propriété fausse. Si cette voie mène à une propriété donnée, alors la notion recherchée est valide et a une réalité ; mais si cette voie aboutit à une propriété fausse, la notion recherchée est fausse et n’a pas de réalité. Nous allons montrer ensuite par des exemples comment on ajoute ces ajouts, comment on cherche leurs propriétés, comment on les inverse et comment on les compose. Si l’analyse mène ensuite à une propriété donnée et qui a une réalité, alors, si on compose cette analyse, on montre à partir d’elle par la vraie démonstration que la notion recherchée est vraie et indubitable. Mais, si l’analyse mène à une donnée impossible, ceci indique que la notion recherchée est impossible, et l’analyse elle-même sera une démonstration de la fausseté de l’assertion, si l’analyse est faite comme démonstration par l’absurde ; la démonstration par l’absurde revient en effet à supposer l’assertion selon ce qui y était consigné, pour ensuite examiner ses conséquences nécessaires. Mais on a supposé dans l’analyse qui mène à l’impossible l’assertion selon ce qui y a été consigné, pour ensuite examiner ses conséquences nécessaires ; ces conséquences ont donc mené à l’impossible. L’analyse qui mène à l’impossible est donc une démonstration par l’absurde de la fausseté de la notion recherchée. C’est de cette manière que se fait l’analyse des parties théoriques des notions mathématiques, ainsi que leur synthèse. L’analyse de la partie pratique est du genre des procédés ingénieux. On cherche en effet à faire quelque chose qui soit de ces pratiques subtiles, or toutes les pratiques subtiles sont du genre des procédés ingénieux. La première chose que l’analyste doit faire à propos de l’analyse de ces parties pratiques, est, après avoir suppo-

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IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

sé que le recherché est complètement achevé et parfait, d’examiner ses conséquences nécessaires, s’il existe suivant la qualité demandée dans la pratique, et d’examiner ce qui s’ensuit nécessairement de ces propriétés, et ce qui s’ensuit nécessairement de ses dernières conséquences, jusqu’à ce qu’il aboutisse à une chose donnée, comme nous l’avons montré dans l’analyse de la partie théorique. S’il n’apparaît pas à l’analyste de propriété qui mène au recherché, il ajoute à l’objet des ajouts, à partir desquels des propriétés s’engendrent, comme nous en avons montré l’exemple dans la partie théorique, et il examine les propriétés de ce qui se produit jusqu’à ce qu’il aboutisse à une chose donnée ; s’il aboutit ainsi à une chose donnée, il examine alors pour chacune de ces propriétés comment on peut trouver cette propriété, et comment concevoir l’astuce pour la trouver, pour qu’elle ait lieu, et qu’elle se réalise selon la qualité qui dérive nécessairement de la forme de la notion dont on cherche l’existence. Dans sa réflexion sur le mode de découverte de chacune de ces propriétés, et sur l’imagination d’une ruse pour faire venir cette forme à l’existence, il lui apparaît que cette propriété requiert une condition et une discussion, ou n’en requiert pas. Si elle est de ces propriétés qui requièrent une condition, alors il lui apparaît que cette propriété peut ne pas exister, et que son existence peut n’avoir pas lieu ; ou qu’elle peut exister. C’est lorsqu’il met ainsi en balance qu’il lui apparaît que le recherché requiert une discussion. C’est alors qu’il faut qu’il suppose l’existence de cette propriété ou de cette notion dont l’existence l’a emporté, et se demande quand il est possible qu’elle s’achève, et quand il n’est pas possible qu’elle s’achève. Si alors la qualité par laquelle s’achève la découverte de cette propriété ou de ce recherché se fixe pour l’analyste, l’analyse s’achève, et s’achève la découverte du recherché. Si dans sa réflexion et sa considération astucieuse du moyen de trouver les propriétés et les notions par lesquelles s’achève le recherché, il ne rencontre rien d’impossible pour les trouver qui s’oppose à une partie d’entre elles, alors ce recherché ne requiert ni condition ni discussion. Dans ce cas, il s’applique à faire passer à l’acte ces propriétés qui sont apparues ; mais en faisant passer à l’acte ces propriétés et ces notions, il lui apparaît que ces propriétés, ou l’une de ces propriétés, s’achèvent de plusieurs manières, ou ne s’achèvent que d’une seule manière. Si chacune de ces propriétés ne s’achève que d’une seule manière, alors ce qu’on recherche n’est pas indéterminé. Et si ces propriétés, ou l’une d’elles, s’achèvent de plusieurs manières, alors ce qu’on recherche s’achève de plusieurs manières. Si donc l’analyse, dans cette partie, aboutit également à l’impossible, alors ce qu’on recherche ne s’achève pas. Toutes ces subdivisions, qui constituent l’analyse de la partie pratique, sont d’un même genre, et la méthode

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pour les analyser est semblable à l’analyse de la partie théorique, à cette différence près entre l’analyse de la partie théorique et l’analyse de la partie pratique, que l’analyse de la partie théorique est une recherche d’une propriété qui appartient à la notion recherchée et qui existe en elle, alors que l’analyse de la partie pratique consiste à concevoir la ruse pour trouver la notion demandée et pour la faire passer à l’acte, et la méthode pour la trouver et la faire passer à l’acte est de faire passer à l’acte chacune des propriétés qui apparaissent dans l’analyse. Ce que nous venons d’exposer est l’ensemble des parties de l’analyse, et le mode de chacune de ces parties ; quand nous mentionnerons les exemples, chacune de ces parties va s’éclairer et se dévoiler, et apparaîtront le mode de l’art de l’analyse, et son existence en acte. Quant aux lois de cet art et à ses fondements, sur lesquels s’achève la découverte des propriétés et la saisie des prémisses, et qui sont les bases des mathématiques, dont nous avons dit précédemment que la connaissance préalable est en effet nécessaire à l’achèvement de l’art de l’analyse ; ce sont les notions appelées « les connus». Les connus se partagent en cinq parties, qui sont : le connu en nombre, le connu en grandeur, le connu en rapport, le connu en position, le connu en forme. Le livre d’Euclide rendu par Les Données comprend de nombreuses notions de ces connus, qui sont parmi les instruments de l’art de l’analyse ; et la majeure partie de l’art de l’analyse est fondée sur ces notions, à ceci près qu’il reste d’autres notions des connus dont on ne peut se dispenser dans l’art de l’analyse, et dont on a besoin dans de nombreuses occurrences, déduites par l’analyse, qui ne sont pas contenues dans ce livre, et que nous n’avons trouvées dans aucun livre. Nous montrons dans ce livre ce que nous utilisons des connus dans les exemples de l’analyse de ce traité, ce qui existe dans les livres, et également ce qui n’est pas mentionné. Nous résumons chacune de ces notions connues, et nous dévoilons sa réalité ; et nous engagerons dorénavant pour les connus un traité indépendant, après avoir achevé ce traité, dans lequel nous montrons les essences des notions connues que l’on utilise dans les sciences mathématiques ; nous traiterons exhaustivement toutes ces parties, et nous mentionnerons tout ce qui les concerne. Nous disons ici : le connu, en termes généraux, est ce qui ne change pas, car toute chose qui change et qui a dans sa nature le changement, n’a pas de réalité déterminée, ni assignable. Si elle n’a pas une réalité déterminée et assignable qui soit son essence, il n’est pas juste qu’elle soit connue, car il est possible que tout ce qu’on connaît d’elle change de ce qu’il a été ; la chose ne sera connue que si elle est fixe, selon un seul état, qui est son essence, qui lui est propre.

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IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

S’il en est ainsi, le connu est ce qui ne change pas. Maintenant que l’essence du connu est mise en place, expliquons alors chacune des notions connues que nous avions mentionnées précédemment et qui sont les matériaux de l’art de l’analyse. Nous disons : le connu en nombre est celui dont le nombre ne change pas, et le nombre est une unité ou une somme composée d’unités ; le connu en nombre est celui dont les unités ne changent pas, c’est-à-dire n’augmentent ni ne diminuent. Le connu en grandeur est celui dont les grandeurs ne changent pas, car le connu est ce qui ne change pas. Ce qui est connu d’une chose de grandeur connue est sa grandeur. Le connu en grandeur est celui dont la grandeur ne change pas. Les grandeurs se partagent en deux parties, naturelles et imaginaires. Les grandeurs naturelles sont les corps sensibles, leurs surfaces, leurs dimensions, qui sont leur longueur, leur largeur et leur profondeur. Les grandeurs imaginaires sont les grandeurs abstraites par l’imagination à partir des grandeurs sensibles ; ce sont les dimensions qui sont la droite, la surface, et le solide mathématique. Nous avons déterminé ces notions dans notre livre à propos du Commentaire des postulats d’Euclide ; et à part cela, ces notions sont fameuses chez quiconque a touché à la géométrie : leur célébrité nous dispense de les déterminer en cet endroit. Le connu en grandeur est celui dont la grandeur ne change pas ; mais la grandeur est la dimension ou les dimensions, donc le connu en grandeur est celui dont la dimension ou les dimensions ne changent pas, c’est-à-dire que sa dimension ou ses dimensions n’augmentent ni ne diminuent. Le connu en rapport est celui dont le rapport ne change pas. Mais le rapport est la mesure de la quantité de ce qui est rapporté à la quantité de ce à quoi on le rapporte. Mais le rapport ne peut être que entre deux grandeurs d’une même espèce, et qui sont réunies sous une même définition. Le rapport est dans les deux espèces, qui sont les nombres 1 et les grandeurs. Quant au rapport qui est dans les nombres qui sont plus grands que un, il revient entièrement à une seule base, qui est : l’un des deux nombres est des parties de l’autre nombre, si on rapporte le plus petit au plus grand, et si on rapporte le plus grand au plus petit ; et si on rapporte les égaux l’un à l’autre, chacun d’eux sera des parties de l’autre tout en lui étant égal, car chacune des unités qui sont dans le nombre est une partie de l’autre nombre, et tout nombre plus grand que un est une réunion d’unités ; et tout nombre est des parties de tout nombre ; ainsi pour deux nombres, l’un est des parties de l’autre ; le connu en rapport, parmi les nombres, ce ‎1. Littéralement «le nombre» — singulier qui désigne un pluriel.

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sont deux nombres dont les parties de l’un par rapport à l’autre ne changent pas, c’est-à-dire que les unités de chacun d’eux n’augmentent ni ne diminuent. Quant au rapport qui est dans les grandeurs, il se partage en deux parties : un rapport numérique, et un rapport non numérique. Nous avons montré la distinction de chacun de ces deux rapports dans notre livre sur le Commentaire des Postulats , et nous y avons montré que chacun de ces deux rapports existe dans les grandeurs. Nous éclairons ici chacun de ces deux rapports par un bref propos, à partir duquel on éclaire leur sens. Le rapport numérique qui est entre deux grandeurs est celui par lequel le rapport de l’une de ses deux grandeurs à l’autre est égal au rapport d’un nombre à un nombre. Et le rapport non numérique est celui par lequel le rapport de ses deux grandeurs n’est pas le rapport d’un nombre à un nombre ; mais le rapport par lequel l’une de ses deux grandeurs à l’autre est le rapport d’un nombre à un nombre, est celui par lequel l’une de ses deux grandeurs est une partie ou des parties de l’autre, c’est-à-dire qu’on peut partager chacune d’elles en parties égales, de sorte que chacune des parties de l’une soit égale à chacune des parties de l’autre, ou que l’une soit mesurée par l’autre. Le rapport non numérique est celui pour lequel ceci n’est pas possible. Le rapport connu, qui est entre deux grandeurs, se partage en deux parties. L’une des parties est lorsque le rapport de l’une des deux grandeurs à l’autre est égal au rapport d’un nombre connu à un nombre connu et l’autre partie est lorsque le rapport de l’une des deux grandeurs à l’autre est égal au rapport d’une grandeur connue, qu’on peut trouver et repérer, à une grandeur connue, qu’on peut trouver et repérer. Il est possible de réunir les deux parties sous cette partie ; on dit alors : le rapport connu qui est entre deux grandeurs est tel que le rapport de l’une de ses deux grandeurs à l’autre est égal à un rapport d’une grandeur connue qu’on peut trouver et repérer, à une grandeur connue qu’on peut trouver et repérer ; car, pour deux grandeurs dont le rapport de l’une à l’autre est égal au rapport d’un nombre connu à un nombre connu, il est possible de trouver deux grandeurs suivant leur rapport. Le rapport connu entre deux grandeurs est donc tel qu’on peut trouver deux grandeurs connues suivant le rapport de ses deux grandeurs. Si on trouve deux grandeurs connues suivant le rapport de deux grandeurs, alors le rapport entre ses deux grandeurs ne change pas, car les deux grandeurs connues ne changent pas, étant donné qu’elles sont connues. Le connu en position, c’est celui dont la position ne change pas. Quant à ce qu’est la position, c’est la situation 1, et la situation s’établit par rap‎1. Nous traduisons ainsi le terme qui habituellement rend le grec

θέσις.

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IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

port à une chose posée. La position est dans le corps, dans la surface, dans la ligne et dans le point. La position dans le corps se partage en deux sortes : ou bien elle peut être relative à une chose fixe, ou bien elle peut être relative à une chose mobile. Ce qui est relatif à une chose fixe, c’est ce qui ne se déplace ni ne se meut par aucune sorte de mouvement ; le corps de position connue relatif à une chose fixe est celui dont la distance de chacun de ses points aux points fixes qui se trouvent dans la chose fixe est une même distance qui ne change pas ; cette partie est celle appelée de position connue absolument. Quant au corps de position connue relativement à une chose mobile, c’est celui dont la distance de chacun de ses points à tout point de cette chose mobile est une même distance, qui ne change pas. Il s’ensuit que ce corps, qui est de position connue, quand la chose à laquelle il est relatif se meut, se meut d’un mouvement égal à son mouvement, de sorte que les distances entre chacun de ses points et tout point de la chose à laquelle il est relatif soient les mêmes distances que celles qui étaient entre eux, comme une partie déterminée des parties du corps mobile, et comme l’organe déterminé des organes de l’homme. Les distances de chaque point de la partie déterminée des parties du corps à chaque point des parties du corps qui restent ne changent pas ; cependant si ce corps se meut, cette partie se meut par son mouvement et les distances de chaque point de cette partie à chaque point du reste de ce corps sont les mêmes distances et ne changent pas. Cette partie est dite de position connue par rapport à ceci ou à cela, et on ne peut se référer à ce connu en position, sans se référer à l’autre chose par rapport à laquelle il est de position connue, tout en se référant à lui. De même, les surfaces de position connue se partagent aussi en deux sortes et leur situation pour leur position est comme la situation des corps, sans aucune différence : ou bien leur position est relative à des surfaces, ou à des lignes, ou à des points fixes ; ou bien leur position est relative à des surfaces, ou à des lignes, ou à des points mobiles ; et ces surfaces seront en mouvement par le mouvement des choses auxquelles la position est relative. De même la position des lignes se partage en deux parties selon la même division que les surfaces ; et de même pour les points, si on dit : le point de position connue absolument est celui dont la position est relative à un point ou à des points fixes, et est celui qui ne se déplace ni ne se meut. Si on dit que le point est de position connue par rapport à une chose mobile, ce sera celui dont la distance à tout point de cette chose mobile est la même distance, qui ne change pas. Et si la chose se meut, le point se meut par son mouvement, comme le centre du cercle, dont la distance à chaque point de la circonférence du cercle est la même distance, qui ne change pas ; et cependant, si le

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cercle se meut, son centre se meut avec lui. comme pour le centre de la sphère, et comme pour le sommet du cône ; et de cela les exemples sont nombreux. Le connu en position se partage donc en deux parties dans chacune des grandeurs qui sont la ligne, la surface et le corps : il en est de même pour les points. Quant au connu en forme, il n’existe que pour les figures ; ainsi la figure de forme connue est celle dont les angles sont connus, et dont les rapports de ses côtés les uns aux autres sont connus. Les figures existent dans les surfaces et dans les corps ; les figures planes peuvent comprendre des figures de forme connue, et les figures solides peuvent comprendre des figures de forme connue. Ce que nous avons mentionné, ce sont toutes les parties des connus, elles sont toutes utilisées dans l’art de l’analyse ; tous les connus, mentionnés par Euclide dans son livre appelé Les Données 1, sont compris dans l’ensemble des parties que nous avons mentionnées ; et dans ce que nous avons mentionné, il y a quelque chose qu’Euclide n’a pas mentionné : ce sont les choses mobiles de position connue. Il reste encore dans ces parties une notion qu’aucun des anciens n’a mentionnée, et que nous n’avons trouvée dans aucun livre ; c’est l’une des notions dont on a besoin dans l’art de l’analyse, et dont l’utilité pour résoudre les problèmes croît ; nous mentionnons dans ce lieu certaines de ses parties pour les utiliser dans les exemples de l’analyse et pour montrer comment utiliser ces connus, et comment le besoin se fait sentir de cette notion ; et nous allons exhiber où elle satisfait dans l’art de l’analyse, et l’insuffisance des connus qui sont dans les livres à couvrir les parties des notions connues : nous couvrirons ensuite toutes les parties des connus, et nous tiendrons sur eux un propos exhaustif dans ce traité dont nous allons poursuivre la composition.

‎1. C’est ainsi qu’il l’appelle ici, contrairement à précédemment.

COMBINATOIRE ET MÉTAPHYSIQUE : IBN SINĀ, AL-ṬŪSĪ ET AL-ḤALABĪ I Sept siècles durant, une recherche mathématique avancée se faisait en arabe, et dans les centres urbains de l’Islam. Nous sommes en droit de nous demander si les philosophes y ont puisé des thèmes de réflexion, s’ils ont été incités à chercher dans les mathématiques des modèles pour l’élaboration de leurs systèmes, ou si au contraire ils se sont repliés sur ce que les historiens se plaisent à nommer falsafa, c’est-à-dire une doctrine de l’Être et de l’Âme indifférente aux autres savoirs et indépendante de toute détermination, si ce n’est celle de la religion : en bref, un héritage de l’Antiquité tardive aux couleurs de l’Islam. Cette question intéresserait aussi bien l’historien de la philosophie que l’historien des sciences. À dire vrai, comment imaginer que, face à un foisonnement sans précédent de disciplines et de résultats mathématiques — algèbre, géométrie algébrique, analyse diophantienne, théorie des parallèles, méthodes projectives... — les philosophes aient pu demeurer indifférents ? On a encore plus de peine à croire qu’ils aient pu rester sans réaction, alors que sous leurs yeux surgissaient des questions épistémologiques inédites posées par la nouvelle mathesis. Entre autres, celle de l’applicabilité des mathématiques : jamais auparavant on n’avait autant appliqué les disciplines mathématiques les unes aux autres ; jamais non plus on n’avait conçu la nécessité d’appliquer les mathématiques en physique, comme condition d’apodicticité de cette dernière (Ibn al-Haytham) ; jamais enfin on n’avait pensé à inventer une discipline apte à exprimer les résultats tant en géométrie de position qu’en géométrie métrique, à savoir une topologie avant la lettre. Ces événements épistémiques sont loin d’être les seuls. Il serait bien étonnant que tous aient échappé au regard des philosophes, dont certains étaient euxmêmes mathématiciens, et la plupart au fait des mathématiques. Rien n’impose, certes, qu’une discipline ou une activité scientifique ait la

Paru dans Les Doctrines de la science de l’antiquité à l’âge classique, R. Rashed et J. Biard (éd.), Leuven, éd. Peeters, 1999, p. 61-86.

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IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

philosophie qu’elle mérite, ni que le philosophe joue un rôle quelconque dans le développement des mathématiques et des sciences. C’est dire qu’il n’y a aucune détermination a priori des rapports entre mathématiques et philosophie théorique, mais c’est une raison de plus pour soulever la question et revenir aux écrits des uns et des autres — philosophes et mathématiciens — pour tenter d’élucider ces rapports. Un résultat me semble déjà acquis : en m’attelant à plusieurs reprises à cette tâche, je crois avoir montré la richesse jusqu’ici insoupçonnée de la philosophie des mathématiques dans l’Islam classique, celle des mathématiciens comme al-Sijzī, Ibn Sinān, Ibn al-Haytham, etc., et celle des philosophes comme al-Kindī, alFārābī, Ibn Sīnā... Cette fois, c’est à d’autres rapports entre mathématiques et philosophie dans l’Islam classique que l’on entend s’arrêter : les liens qui se nouent lorsque le philosophe emprunte aux mathématiques un instrument pour la solution d’une question logico-métaphysique. Or la situation qui précisément nous intéresse ici a un trait spécifique : cet emprunt, par un effet de retour, s’avère fécond pour le progrès du domaine mathématique qui a fourni l’instrument. L’échange entre combinatoire et métaphysique est une excellente illustration de ce double mouvement : Ibn Sīnā avait donné, à partir de ses conceptions ontologiques et cosmogoniques, une formulation de la doctrine de l’émanation à partir de l’Un. Naṣīr al-Dīn al-Ṭūsī, pour pouvoir dériver la multiplicité à partir de l’Un, a entrevu dans la doctrine même d’Ibn Sīnā la possibilité de la doter d’une armature combinatoire, empruntée alors aux algébristes. Mais, pour que l’acte d’al-Ṭūsī fût possible, il fallait interpréter les règles des combinaisons des algébristes de façon combinatoire : or c’est cette interprétation combinatoire qui signa, en quelque sorte, l’acte de naissance de cette discipline, l’analyse combinatoire, que les successeurs mathématiciens d’al-Ṭūsī, comme al-Fārisī et Ibn al-Bannāʾ, entre autres, exploiteront. Un philosophe tardif, al-Ḥalabī, tentera, à partir de cette contribution, d’organiser les éléments de la nouvelle discipline, en la désignant d’un nom pour marquer son autonomie. Mais, avant d’examiner ce mouvement, il nous faut d’abord le distinguer d’un cheminement comme celui de Raymond Lulle. Ce dernier a combiné des notions selon des règles mécaniques, dont les résultats se sont avérés plus tard des arrangements ou des combinaisons. Mais Lulle n’a rien emprunté aux mathématiques, et n’a jamais reconnu dans sa propre démarche quoi que ce soit de mathématique. Le cheminement d’al-Ṭūsī est en revanche plus proche de la démarche leibnizienne, en dépit de ce qui sépare les deux projets — le premier, nous l’avons dit, entend résoudre mathématiquement

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ce problème de l’émanation de la multiplicité à partir de l’Un, ce qui l’a conduit à fournir à la doctrine avicennienne de la création une armature combinatoire, tandis que le second voulait bâtir sur la combinatoire une Ars inveniendi.

II L’émanation des Intelligences et des orbes célestes ainsi que des autres mondes — celui de la nature et celui des choses corporelles — à partir de l’Un, est l’une des doctrines centrales de la métaphysique d’Ibn Sīnā. Cette doctrine soulève une question à la fois ontologique et noétique : comment à partir d’un être unique et simple peut émaner une multiplicité, qui est aussi une complexité, laquelle, à la fin, comprend aussi bien la matière des choses que les formes des corps et les âmes humaines ? Cette dualité ontologique et noétique érige la question en obstacle, comme une difficulté à la fois logique et métaphysique qu’il faut dénouer. On comprend dès lors, du moins en partie, pourquoi dans ses différents écrits Ibn Sīnā revient inlassablement à cette doctrine, et, implicitement, à cette question. L’étude de l’évolution historique de la pensée d’Ibn Sīnā sur ce problème, dans ses différents écrits, nous montrerait comment il a pu amender une formulation initiale en fonction d’une telle difficulté. Pour nous en tenir à al-Shifāʾ et à al-Ishārāt wa-al-Tanbīhāt, Ibn Sīnā expose les principes de cette doctrine ainsi que les règles de l’émanation des multiples à partir d’une unité simple. Son explication a l’allure d’une exposition articulée et ordonnée, mais n’a pas la valeur d’une preuve rigoureuse : Ibn Sīnā n’y donne pas, en effet, les règles syntactiques aptes à épouser la sémantique de l’émanation. Or c’est précisément ici que réside la difficulté de la question de la dérivation de la multiplicité à partir de l’Un. Mais il y a bien longtemps que cette dérivation a été perçue comme problème, et examinée comme telle. Le mathématicien, philosophe et commentateur d’Ibn Sīnā, Naṣīr alDīn al-Ṭūsī [1201/1273], non seulement a saisi la difficulté, mais a voulu fournir les règles syntactiques qui faisaient défaut. Al-Ṭūsī en effet, dans son commentaire d’al-Ishārāt wa-al-Tanbīhāt, introduit le langage et les procédés des combinaisons pour poursuivre l’émanation jusqu’au troisième rang des êtres. Il cesse là l’application de ces procédés, pour conclure : « si nous dépassons ensuite ces rangs [les trois premiers], il peut exister une multiplicité dénombrable (lā yuḥṣā ʿadaduhā) dans un seul rang, et à l’infini » 1. L’in‎1. Éd. S. Dunyā, Le Caire, 1971, vol. iii, p. 217-218.

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IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

tention d’al-Ṭūsī est donc claire, et le procédé appliqué pour les trois premiers rangs n’autorise aucun doute : il faut fournir la preuve et les moyens qui manquaient à Ibn Sīnā. Mais à ce stade al-Ṭūsī est encore loin du but. C’est une chose en effet de procéder par combinaisons pour un nombre d’objets, c’en est une autre d’introduire un langage avec sa syntaxe. Ici, ce langage serait celui des combinaisons. Or, c’est précisément à l’introduction de ce langage que s’emploie alṬūsī dans un mémoire indépendant 1, et dont le titre ne laisse planer aucune ambiguïté : Sur la démonstration du mode de l’émanation des choses infini à partir du Principe Premier Unique. Cette fois, on va le voir, al-Ṭūsī procède d’une manière générale à l’aide de l’analyse combinatoire. Le texte d’al-Ṭūsī et les résultats qu’il renferme ne disparaîtront pas avec leur auteur ; on les retrouve dans un traité tardif entièrement consacré à l’analyse combinatoire. Ainsi la solution d’alṬūsī non seulement distingue un style de recherche en philosophie, mais représente une contribution intéressante à l’histoire des mathématiques elles-mêmes. Afin de comprendre cette contribution, il nous faut revenir à Ibn Sīnā, pour rappeler les éléments de sa doctrine nécessaires à notre exposé, mais aussi pour saisir, si peu soit-il, dans son exposition synthétique et systématique, le principe formel dont la présence a rendu possible l’introduction des règles de l’analyse combinatoire. En fait, c’est ce principe qui permet à Ibn Sīnā de développer son exposé de manière déductive. Il lui fallait en effet assurer d’une part l’unité de l’Être, qui se dit alors de tout selon le même sens, et une différence irréductible entre le Principe Premier et ses créations. Il élabore alors une conception générale, en quelque sorte « formelle », de l’Être : considéré en tant qu’être, il n’est objet d’aucune détermination, pas même celle des modalités ; il n’est qu’être. Il n’est pas un genre, mais un « état » de tout ce qui est, et se laisse saisir seulement dans son opposition au non-être, sans pour autant que celui-ci le précède dans le temps — cette opposition est selon l’ordre de la raison

‎1. Ce mémoire a d’abord été établi par Mohammad Danesh Pajouh et a été publié dans Intishārāt Dānishkā Tehrān 296, p. 13-20 ; il a ensuite été établi par ʿAbd Allāh Nūrānī et publié à la suite de son édition du Talkhīs al-muḥaṣṣal avec d’autres mémoires d’al-Ṭūsī, Téhéran, 1980, p. 509-515. Ces deux publications, notées respectivement [D] et [N] ; ont suivi le manuscrit Dānishkā 1079/12. Nous avons établi ce texte à partir des manuscrits suivants : – İstanbul, Ayasofia 4855, f os 203 r-207 r, noté [A] – Téhéran, Dānishkā 1079/12, f os 16-31, noté [B] – Marʿashī 7036, f os 193 v-195 r, noté [M] – Āstān Quds 2798, f os 49-51, qui est une copie de [M].

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uniquement. D’autre part, seul le Principe Premier reçoit son existence de lui-même 1. C’est donc la seule existence nécessaire, et c’est donc seulement dans ce cas que l’existence coïncide avec l’essence. Tous les autres êtres reçoivent leur existence du Principe Premier, par émanation. Cette ontologie et la cosmogonie qui l’accompagne fournissent les trois points de vue sous lesquels on envisage un être : en tant qu’être, en tant qu’émanation 2 du Principe Premier, et en tant qu’être de sa quiddité (sous l’angle des deux premiers regards, c’est la nécessité de cet être qui s’impose, alors que c’est sa contingence que révèle le troisième). Ce sont là, schématiquement évoquées, les notions sur lesquelles Ibn Sīnā va établir ses postulats, qui sont : 1. Il existe un Principe Premier, Être nécessaire par essence, un, indivisible d’aucune manière, qui n’est ni un corps, ni dans un corps. 2. La totalité de l’être émane du Principe Premier. 3. L’émanation ne se fait ni « selon une intention (ʿalā sabīl qaṣd) » ni pour parvenir à une fin, mais par une nécessité de l’être du Principe Premier, c’est-à-dire son auto-intellection. 4. De l’Un n’émane que l’Un. 5. Il y a une hiérarchie dans l’émanation, de ceux dont l’être est le plus parfait (al-akmalu wujūdan) à ceux dont l’être est le moins parfait (al-akhaṣṣu wujūdan). On pourrait voir quelque contradiction entre certains de ces postulats, par exemple 2 et 4, ou soupçonner que d’aucuns entraînent des conséquences contradictoires. C’est pour éviter cette première impression qu’Ibn Sīnā introduit des déterminations supplémentaires au cours de sa déduction. Ainsi, de 1, 2, 4 et 5 il s’ensuit que la totalité ‎1. Ibn Sīnā distingue existence et essence pour tous les autres êtres. Sur ce point, voir A. M. Goichon, La Distinction entre existence et essence, Paris, 1957 et M. E. Marmura, «Quiddity and Universality in Avicenna», dans P. Morewedge (éd.), Neoplatonism and Islamic Philosophy, State University of New York Press, Albany, 1992, p. 77-87. Voir aussi Djémil Saliba, Sur la Métaphysique d’Avicenne, Pau, 1926 ; G. Verbeke, « Le statut de la métaphysique» ; introduction à Avicenna Latinus, Liber de Philosophia Prima, de S. Van Riet, Louvain-Leiden, 1977, p. 1-122. ‎2. Sur sa doctrine de l’émanation, cf. L. Gardet « En l’honneur du millénaire d’Avicenne», Revue Thomiste, LIX e année, t. li, n o 2 (1951), p. 333-345 ; N. Heer, «AlRāzī and al-Ṭūsī on Ibn Sīnāʾs Theory of Emanation», dans P. Morewedge (éd.), Neoplatonism and Islamic Philosophy, p. 111-125 ; et notamment l’article de A. Hasnawi, « Fayḍ», dans Philosophie occidentale, p. 966-972. On peut lire aussi les contributions de Th.-A. Druart, « Al-Fārābī, Emanation, and Metaphysics», p. 127-148 ; P. Morewedge, « The Neoplatonic Structure of Some Islamic Mystical Doctrines», p. 51-75 ; J. Owens, « The Relevance of Avicennian Neoplanism», p. 41-50, de l’ouvrage Neoplatonism and Islamic Thought, cité ci-dessus.

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IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

de l’être, en plus du Principe Premier, est un ensemble ordonné par la relation à la fois logique et axiologique prédécesseur-successeur, eu égard aussi bien à la priorité de l’être qu’à son excellence. Si en effet on excepte le Principe Premier, chaque être ne peut avoir qu’un seul prédécesseur (ainsi que le prédécesseur de son prédécesseur, et ainsi de suite). D’autre part chaque être, y compris le Principe Premier, ne peut avoir qu’un seul successeur (respectivement le successeur, son successeur...). Mais le philosophe, et son commentateur, savaient que, pris à la lettre, cet ordre interdit l’existence des êtres multiples, c’est-à-dire leur coexistence indépendante, sans que les uns soient logiquement prioritaires aux autres ni plus parfaits qu’eux ; ce qui rend cet ordre manifestement faux, comme le dit al-Ṭūsī 1. Il est donc nécessaire d’introduire des précisions supplémentaires, ainsi que des êtres intermédiaires. Or 1 et 2 interdisent à leur tour que la multiplicité procède des «élans » (nuzūʿāt), et des « perspectives » (jihāt), du Principe Premier, car, supposer en Lui élans et perspectives, c’est nier son unicité et sa simplicité. Enfin, 3, 4 et 5 impliquent que l’émanation comme acte du Principe Premier ne soit pas à l’image d’un acte humain, puisque son Auteur ne connaît ni intention ni fin. Tout indique donc qu’il faut introduire des êtres intermédiaires (mutawassiṭa), hiérarchisés sans aucun doute, mais qui permettent de rendre compte de la multiplicité-complexité. Commençons comme il se doit par le Principe Premier, et désignons-le comme le fait Ibn Sīnā dans son opuscule al-Nayrūziyya par la première lettre de l’alphabet — a. Le Principe Premier s’« intellige» lui-même par essence. Dans son auto-intellection, il «intellige» la totalité de l’être dont il est le propre principe 2, sans qu’il y ait en lui obstacle à l’émanation de cette totalité, ni refus d’elle. C’est en ce sens seulement que l’on dit du Principe Premier qu’il est «agent» ( fāʿil) de la totalité de l’être. Mais, ceci étant admis, il reste à expliquer comment s’effectue cette émanation nécessaire de la totalité de l’être, sans qu’il faille ajouter quoi que ce soit qui puisse contredire l’Unicité du Principe Premier. Selon 1, 4, 5, un seul être émane du Principe Premier, qui est nécessairement du second rang d’existence et de perfection. Mais, comme il émane d’un être unique, pur et simple, à la fois vérité pure, puissance pure, bonté pure..., sans qu’aucun de ces attributs existe en lui indépendamment afin que soit garantie l’unité du Principe

‎1. Op. cit., p. 216. ‎2. Ibn Sīnā, al-Shifāʾ, al-Ilāhiyāt, éd. M. Y. Mūsā, S. Dunyā et S. Zāyed, revue et introduite par I. Madkour, Le Caire, 1960, vol. II, p. 402, l. 16.

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Premier, cet être dérivé ne peut être qu’un Intellect pur. Cette implication respecte 4, car, si cet intellect n’était pas pur, on devrait conclure que de l’Un émane plus qu’un. Il s’agit ici du premier Intellect séparé, le premier effet (maʿlūl) du Principe Premier. Comme Ibn Sīnā, désignons-le par b. Tout est maintenant en place pour expliquer la multiplicitécomplexité. Par essence, cet Intellect pur est un effet : il est donc contingent. Mais, comme émanation du Principe Premier, il est nécessaire, puisqu’il a été « intelligé » par ce dernier. À cette dualité ontologique se superpose une multiplicité noétique : cet Intellect pur se connaît et connaît son propre être comme être contingent, c’est-à-dire que son essence est différente de celle du Principe Premier, qui est nécessaire ; mais d’autre part il connaît le Principe Premier comme Être nécessaire ; et enfin il connaît la nécessité de son propre être comme émanation du Principe Premier. Je viens ici de paraphraser ce qu’écrit Ibn Sīnā lui-même dans al-Shifāʾ 1. Il répond d’avance à un éventuel détracteur, en remarquant que cette multiplicité-complexité n’est pas, si l’on peut dire, une propriété héréditaire : ce n’est pas du Principe Premier que l’Intellect pur la reçoit, et ceci pour deux raisons. D’abord, la contingence de son être appartient à sa propre essence, et non pas au Principe Premier, qui lui a donné la nécessité de son être. D’autre part, la connaissance qu’il a de lui-même, aussi bien que la connaissance qu’il a du Principe Premier, est une multiplicité, qui résulte de la nécessité de son être à partir du Principe Premier. Dans de telles conditions, Ibn Sīnā peut rejeter l’accusation d’attribuer cette multiplicité au Principe Premier. Ibn Sīnā décrit ensuite comment, à partir de cet Intellect Pur, émanent les autres Intellects séparés, les Orbes célestes, et des Âmes qui permettent aux Intellects d’agir. Ainsi, de l’Intellect pur b émane, par son intellection de a, un deuxième Intellect, soit c ; et par son intellection de son essence, l’Âme du neuvième Orbe céleste ; et par son intellection de son être comme être contingent le corps de ce neuvième Orbe. Désignons l’Âme de cet Orbe et son corps par d. Ibn Sīnā poursuit ainsi la description de l’émanation des Intellects, des Orbes célestes avec Âmes et leurs corps. De tout Intellect émanent désormais la matière des choses sublunaires, les formes des corps et les âmes humaines. Or cette explication d’Ibn Sīnā, même si elle a l’avantage de ne pas séparer la question de la multiplicité à partir de l’un de celle de la complexité, c’est-à-dire du contenu ontologique de la multiplicité, ne permet cependant pas une connaissance rigoureuse de celle-ci, dans la mesure où aucune règle générale n’est ‎1. Ibid., p. 405-406.

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IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

donnée. Ibn Sīnā ne fait que conduire les éléments jusqu’à l’Intellect Agent. C’est précisément ici qu’intervient al-Ṭūsī. Il va démontrer qu’effectivement, à partir du Principe Premier, émane, selon les règles d’Ibn Sīnā et à l’aide d’un nombre réduit d’intermédiaires, une multiplicité, de sorte que chaque effet n’aura qu’une seule cause qui existe indépendamment. On verra que ce progrès certain dans la connaissance de la multiplicité a pour prix l’appauvrissement du contenu ontologique : de la multiplicité-complexité ne restera en fait que la multiplicité. L’idée d’al-Ṭūsī est de soumettre ce problème à une étude combinatoire. Mais, pour que l’intervention d’une combinatoire soit possible, il faut s’assurer que la variable temps est neutralisée, ce qui se traduit dans le cas de la doctrine de l’émanation ou bien par la mise à l’écart du devenir, ou, tout au moins, par son interprétation purement logique. Or cette condition, on l’a vu, Ibn Sīnā lui-même l’offrait. On a pu noter à juste titre que l’émanation ne se déroule pas dans le temps 1, et qu’antériorité et postériorité doivent être entendues comme essentielles, et non pas en un sens temporel. Cette interprétation, capitale, à nos yeux, dans le système avicennien, renvoie à sa propre conception du nécessaire, du possible et de l’impossible. Rappelons en effet, pour le dire en un mot, que dans al-Shifāʾ 2, Ibn Sīnā reprend cet ancien problème, pour rejeter d’entrée de jeu toutes les doctrines anciennes, lesquelles, selon lui, sont circulaires : elles ont recours, pour définir l’un des trois termes, à l’un ou l’autre des deux restants. Pour rompre ce cercle, Ibn Sīnā pense donc restreindre la définition de chaque terme en le ramenant à la notion d’existence. Il distingue alors ce qui est considéré en lui-même d’existence nécessaire, de ce qui, également considéré en lui-même, peut exister, et peut aussi ne pas exister. Nécessité et contingence sont pour lui inhérentes aux êtres mêmes. Quant à l’être possible, son existence, ainsi que sa non-existence, dépendent d’une cause extérieure ‎1. Voir A. Hasnawi, « Fayḍ», et L. Gardet, qui écrit : « Le processus décrit par Ibn Sīnā ne se déroule pas dans le temps. L’antériorité du Principe Premier par rapport aux Intelligences, et plus généralement au Tout, est une antériorité essentielle et non temporelle». Al-Shifāʾ, VI, 2, p. 266. Sur ces questions, voir aussi H. A. Davidson, Proofs for Eternity Creation and the Existence of God in Medieval Islamic and Jewish Philosophy, New York / Oxford, 1987 ; Th.-A. Druart, «Al-Farabi and Emanationism», dans J. F. Wippell (éd.), Studies in Medieval Philosophy, Washington, The Catholic University of America Press, 1987, p. 23-43 ; P. Morewedge, « The Logic of Emanationism and Ṣūfism in the Philosophy of Ibn Sīnā (Avicenna), Part II », Journal of the American Oriental Society, 92 (1972), p. 1-18. ‎2. Cf. notamment livre 3, chapitre 4 du Syllogisme, vol. iv, éd. Saʿīd Zāyed, introduction et révision I. Madkour, Le Caire, 1964.

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à lui. La contingence n’apparaît donc pas comme une nécessité déchue, mais comme un autre mode d’existence. Il se peut même que l’être possible, tout en le restant en lui-même, soit d’une existence nécessaire sous l’action d’un autre être. Sans vouloir suivre ici les subtilités du développement d’Ibn Sīnā, notons seulement que, de cette définition particulière du nécessaire et du possible, Ibn Sīnā fonde les termes de l’émanation dans la nature des êtres, neutralisant d’emblée, comme on l’a souligné plus haut, la variable temps. De ces définitions, il déduit en effet des propositions, dont la majorité est établie par réduction à l’absurde. Il montre que le nécessaire ne peut pas ne pas exister, qu’il ne peut pas, par essence, avoir une cause, que sa nécessité englobe tous ses aspects, qu’il est un et ne peut, d’aucune manière, admettre la multiplicité, qu’il est simple, sans aucune composition... Sur tous ces points, il s’oppose au possible. C’est donc dans la définition même du nécessaire et du possible, et dans la dialectique engagée entre eux, que se trouvent à jamais fixés l’antériorité du Principe Premier, ainsi que ses rapports avec les Intelligences.

Si donc on peut décrire l’émanation sans recourir au temps, c’est dans la mesure où ses propres termes sont donnés dans une logique du nécessaire et du possible. Que cette doctrine n’aille pas sans difficultés, ce n’est pas la question ici : nous savons, en revanche, que les conditions de l’introduction d’une combinatoire étaient déjà bien assurées par Ibn Sīnā lui-même.

Nous avons dit que de a émane b ; ce dernier est donc au premier rang des effets. De a et b ensemble émane c — soit le second intellect ; de b tout seul émane d — soit l’Orbe céleste. On a donc dans le second rang deux éléments c et d dont aucun n’est cause de l’autre. Mais on a en tout jusqu’ici quatre éléments : la cause première, a, et trois effets, b, c et d. Al-Ṭūsī appelle ces quatre éléments les principes. Combinons à présent ces quatre éléments deux à deux, puis trois à trois, et enfin quatre à quatre. On obtient successivement six combinaisons — ab, ac, ad, bc, bd, cd -, quatre combinaisons — abc, abd, acd, bcd -, et une combinaison à quatre éléments — abcd. Si l’on tient des combinaisons de ces quatre éléments 1 à 1, on a comme somme 15 éléments dont 12 appartiennent au troisième rang des effets, sans que les uns soient des êtres intermédiaires pour dériver des autres. C’est cela qu’al-Ṭūsī expose dans le commentaire d’al-Ishārāt wa-al-Tanbīhāt, ainsi que dans son traité que nous avons évoqué. Mais, dès que l’on dépasse le troisième rang, les choses ne tardent pas à se compliquer, et al-Ṭūsī doit introduire dans son traité le lemme suivant :

104

IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

Le nombre des combinaisons de n éléments est égal à n ( ) ∑ n

k

k=1

.

Pour calculer ce nombre, al-Ṭūsī utilise l’égalité

( ) n k

( =

n

)

n−k

.

Ainsi, pour n = 12, il obtient 4 095 éléments. Notons que pour déduire ces nombres, il montre ici les expressions de la somme en combinant les lettres de l’alphabet. Al-Ṭūsī revient ensuite au calcul du nombre des éléments du quatrième rang. Il considère alors les quatre principes avec les douze êtres du troisième rang ; il obtient 16 éléments, à partir desquels il obtient 65 520 effets. Pour parvenir à ce nombre, al-Ṭūsī procède à l’aide d’une expression équivalente à

) m ( )( ∑ m n , k p−k

pour 1 ≤ p ≤ 16, m = 4, n = 12,

(*)

k=0

dont la valeur est le coefficient binomial

(

)

m+n . p

Aucun de ces éléments — à l’exception de a, b et ab — n’est un intermédiaire pour les autres. Aussi la réponse d’al-Ṭūsī est-elle générale, et (*) donne une règle permettant de connaître la multiplicité dans chaque rang. Après avoir établi ces règles et donné l’exemple du quatrième rang, avec ses 65 520 éléments, al-Ṭūsī est en mesure d’affirmer qu’il a répondu à la question de la possibilité de l’émanation de la multiplicité dénombrable à partir du Principe Premier sous la condition que de l’Un n’émane qu’un et sans que les effets soient successifs (en chaîne). Ce qu’il fallait démontrer.

Ce succès d’al-Ṭūsī : faire parler à l’ontologie d’Ibn Sīnā la langue de l’analyse combinatoire, a été le moteur de deux évolutions importantes : à la fois de la doctrine d’Ibn Sīnā et de la combinatoire. Il est clair que cette fois la question de la multiplicité est maintenue à certaine distance de celle de la complexité de l’être. Al-Ṭūsī ne se soucie guère du statut ontologique de chacun de ces milliers d’êtres

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qui composent, par exemple, le quatrième rang. Mais il y a plus : le discours métaphysique nous permet à présent de parler d’un être sans nous rendre aptes à nous le représenter exactement. Cette évolution en quelque sorte « formelle » de l’ontologie, flagrante ici, ne fait qu’amplifier une tendance déjà présente chez Ibn Sīnā, et que nous avons soulignée ailleurs, dans ses considérations sur « la chose » (al-shayʾ) 1. Ce mouvement « formel » est accentué par la possibilité de désigner les êtres par les lettres de l’alphabet. Pas même le Principe Premier n’échappe à la règle, puisqu’il est désigné par la lettre a. Là encore al-Ṭūsī amplifie une pratique avicennienne, mais il en fléchit le sens. Dans l’épître al-Nayrūziyya, Ibn Sīnā avait eu recours à ce symbolisme, mais à deux différences près cependant : d’une part, il a attribué à la succession des lettres de l’alphabet arabe selon l’ordre abjad hawaḍ la valeur d’un ordre de priorité, d’une antériorité logique ; d’autre part, il a utilisé les valeurs numériques des lettres (a = 1, b = 2, etc.). Al-Ṭūsī, s’il garde implicitement l’ordre de priorité en désignant, comme Ibn Sīnā, le Principe Premier par a, l’Intellect par b, a abandonné cette hiérarchie au profit de la valeur conventionnelle du symbole. Quant à la valeur numérique, elle a disparu. Il fallait d’ailleurs cela pour que ces lettres fussent objet d’une combinatoire. Mathématicien et philosophe, al-Ṭūsī a pensé la doctrine avicennienne de l’émanation dans un sens formel, favorisant ainsi une tendance déjà présente dans l’ontologie d’Ibn Sīnā. L’historien des mathématiques, cette fois, ne peut demeurer insensible à la seconde évolution, celle de l’analyse combinatoire ellemême. Pour en mesurer l’importance, rappelons brièvement deux faits d’histoire. Le premier remonte à la fin du x e siècle, lorsqu’alKarajī conçoit le triangle arithmétique, sa loi de formation et la formule du développement binomial. Al-Karajī établit ces expressions à l’aide d’une récurrence archaïque. Ce sont là des formules algébriques qui comportaient sans aucun doute, mais implicitement seulement, un sens combinatoire. Les successeurs d’al-Karajī recoururent eux-aussi à ce sens combinatoire, mais sans davantage l’exhiber. Al-Ṭūsī lui-même, dans son livre d’arithmétique Jawāmiʿ alḥisāb, donne ces règles obtenues par al-Karajī, sans s’arrêter à cette signification implicite. On sait d’autre part que, depuis le viii e siècle, c’est-à-dire depuis al-Khalīl ibn Aḥmad, les lexicographes et les linguistes usaient des procédés combinatoires, qu’ils ne se souciaient pas de démontrer. Mais, ce qui n’était pas le cas chez les mathématiciens, ils insistaient sur la nature combinatoire de ces procédés.

‎1. Études sur Avicenne, dirigées par Jean Jolivet et Roshdi Rashed, « Collection sciences et philosophie arabes. Études et reprises », Paris, Les Belles Lettres, 1984.

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IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

Ces deux courants confluent dans le texte d’al-Ṭūsī, fondant ainsi l’analyse combinatoire en lui conférant le statut d’un chapitre des mathématiques à part entière. Les formules algébriques sont explicitement cette fois dotées d’un sens combinatoire et sont illustrées par un calcul sur les lettres. Tout se passe donc comme si l’application de ce calcul à des domaines tels que celui qui nous intéresse avait servi de révélateur, en incitant le mathématicien à exhiber le sens combinatoire sous-jacent et à fondre deux courants jusqu’ici indépendants. Que cet acte unificateur soit le fait d’al-Ṭūsī, ou qu’il lui ait été suggéré par un prédécesseur lui aussi mathématicien et philosophe, de nous inconnu, c’est un fait d’histoire qui ne nous importe guère ici. Mais cet acte a permis à la langue des combinaisons d’épouser celle de la doctrine d’Ibn Sīnā, en l’armant des règles syntactiques qui lui manquaient initialement. La doctrine, on l’a vu, n’en sortira pas intacte, puisque ce gain est aux dépens de la richesse intuitive.

III Un retour à l’histoire des mathématiques nous permettra de vérifier la validité de nos analyses, si nous suivons, partiellement tout au moins, la destinée du texte d’al-Ṭūsī. Cette fois encore la bonne fortune nous a présenté un mathématicien-philosophe jamais étudié, et a mis entre nos mains un traité par lui composé, jusqu’ici inconnu. C’est un mathématicien-philosophe tardif et de second rang, Ibrāhīm al-Ḥalabī 1, et son traité est le premier de nous connu qui soit entièrement consacré à l’analyse combinatoire. Les règles de cette analyse, en effet, n’y apparaissent plus simplement lors de leur application algébrique, linguistique ou philosophique, mais pour elles-mêmes, dans un chapitre principal, doté d’un titre : « les éventualités combinables ». Ce titre est une désignation générique, qui renvoie aussi bien aux permutations, qu’aux arrangements, combinaisons, etc., c’est-à-dire à toutes les combinaisons alors étudiées. Or, dans ce traité, le texte d’al-Ṭūsī, repris et amplifié, occupe une place de choix : il tient lieu de méthode pour déterminer et établir les combinaisons. Venons-en rapidement à ce traité d’al-Ḥalabī ; nous comprendrons quelle place est réservée à la solution d’un problème métaphysique dans un traité d’analyse combinatoire. Al-Ḥalabī commence

‎1. Risālat fī istikhrāj ʿiddat al-iḥtimālāt al-tarkībiyya min ayy ʿadad kāna, ms Istanbul, Süleymaniye, Hamidiye 873, f os 69 v-86 r.

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par s’interroger sur les différentes méthodes possibles pour étudier les «éventualités combinables » (al-iḥtimālāt al-tarkībiyya). Le but d’al-Ḥalabī est clair : « déterminer le nombre des éventualités combinables pour un nombre quelconque d’objets» 1. Il écarte la méthode empirique d’énumération, qui n’offre aucune règle générale, malgré son efficacité dans les cas simples. Cette méthode consiste à énumérer, pour un ensemble de trois éléments (a, b, c) par exemple, les sept « éventualités combinables » {a, b, c, ab, ac, bc, abc}. La difficulté est manifeste pour un ensemble à n éléments 2. La seconde méthode 3, en revanche, fournit une règle générale, dont al-Ḥalabī est fier. Il s’agit d’une expression équivalente à un = 2un−1 + 1, avec un l’ensemble des « éventualités combinables» à n éléments. Dans notre langage : un =

n ( ) ∑ n

.

k

k=1

Cette méthode est sans doute établie à partir de la règle connue depuis la fin du x e siècle :

( ) n k

(

=

n−1 k−1

)

(

+

)

n−1 . k

Al-Ḥalabī s’écarte également de cette méthode, qui exige un calcul compliqué, celui de tous les ui pour 1 ≤ i ≤ n − 1. Pour définir une meilleure méthode, al-Ḥalabī part d’abord de l’expression

( ) n k

=

sachant que

n! k!(n − k)!

( ) n k

et que

(

n n+r

)

( =

1 ≤ k ≤ n,

)

n n−k

( ) = 0;

n n

( ) =

n 0

= 1.

Il définit ensuite plusieurs « éventualités combinables», avec les règles de calcul correspondantes. C’est ainsi qu’on a 1. La matière (al-mādda) 4 des éventualités de la k-ième espèce — c’està-dire les combinaisons sans répétition données par la formule précédente. ‎1. ‎2. ‎3. ‎4.

Ibid., f o 69 v. Ibid., f o 70 r. Ibid., f os 70 r-71 v. Ibid., f o 71 v.

108

IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

2. La matière et la forme (majmūʿ al-mādda wa-al-ṣūra) 1 des éventualités de la k-ième espèce — c’est-à-dire les arrangements sans répétition ( ) n! n k = An = k! . k (n − k)! 3. La forme (al-ṣūra) 2 des éventualités de la k-ième espèce : il suffit de soustraire de la matière et la forme (2) la matière. 4. La forme des éventualités, indépendamment de l’espèce : c’est-àdire les permutations de n objets, soit n! = n(n − 1) · · · 1. 5. La matière, la forme et la répétition des éventualités de la k-ième espèce 3, c’est-à-dire les arrangements avec répétition de n objets pris k à k, soit nk . Notons que le lexique technique de la langue de l’analyse combinatoire qu’emploie al-Ḥalabī dans ce traité est un composé de termes déjà employés par al-Ṭūsī (tarkība), de termes qui lui sont propres, comme iḥtimālāt (éventualité), tikrār (répétition), mais aussi d’emprunts à la langue aristotélicienne, comme mādda (matière) et ṣūra (forme). Ces deux termes lui imposent du reste d’introduire des problèmes étrangers à son sujet, voire superflus dans ce contexte, et en tout cas préjudiciables à la clarté de l’exposé : il se demande par exemple si l’on peut séparer matière et forme. Une fois ces règles posées, al-Ḥalabī écrit : « Pour déterminer les éventualités matérielles (al-iḥtimālāt al-māddiyya) (c’est-à-dire les combinaisons sans répétition), il y a une autre méthode qui a été mentionnée pour déterminer les Intellects Accidentels (al-ʿuqūl alʿaraḍiyya) ». C’est alors qu’il intègre le texte d’al-Ṭūsī, tantôt in verbis, tantôt en développant le calcul. Ainsi il trace le triangle arithmétique jusqu’à 12, et somme les éléments de la diagonale, qu’il nomme «combinaisons simples » (al-iḥtimālāt al-basīṭa), pour obtenir le nombre 4 095 mentionné par al-Ṭūsī. Il nomme combinaisons composées (aliḥtimālāt al-murakkaba) 4

( m ( ) ) ( n ( )) ∑ m ∑ n k=1

‎1. ‎2. ‎3. ‎4.

k

Ibid., f o 72 r. Ibid., f os 72 v-73 r. Ibid., f os 73 v-74 r. Ibid., f o 81 r.

i=1

j

pour m = 4, n = 12

(**)

COMBINATOIRE ET MÉTAPHYSIQUE

109

et montre que l’expression (*) est la somme des combinaisons simples et des combinaisons composées. Al-Ḥalabī procède encore à d’autres calculs sur les données fournies par al-Ṭūsī, et se livre à des réflexions sur le texte de son prédécesseur. Celles-ci portent toutes sur les propriétés combinatoires. On est bien loin du problème de l’émanation de la multiplicité à partir de l’Un, dont il ne reste qu’un pâle souvenir : déjà estompé chez al-Ṭūsī, le contenu ontologique s’évanouit complètement dans ce traité d’analyse combinatoire, pour ne plus laisser que les méthodes et les résultats nécessaires ou utiles au corps de ce dernier. Si donc l’allure « axiomatique » de la doctrine d’Ibn Sīnā, et un penchant vers une ontologie formelle, ont rendu concevable à al-Ṭūsī l’espoir d’une solution mathématique de ce problème métaphysique, cette solution s’est trouvée elle-même intégrée ensuite aux travaux mathématiques, indépendamment du problème métaphysique qu’elle a pu susciter. Ceci était possible dans la mesure où les êtres de la combinatoire peuvent être des Intellects ou des objets quelconques, à condition seulement qu’ils soient séparés d’un nombre aussi grand que l’on veut, mais toujours fini. D’Ibn Sīnā à al-Ḥalabī, on vient d’assister à l’évanouissement du contenu ontologique d’une doctrine, au profit des méthodes combinatoires, dont pourtant l’intervention était initialement au service de cette ontologie. Unificateur de deux courants, séparés, de la recherche — celui des linguistes et celui des mathématiciens — l’acte d’al-Ṭūsī est fondateur de ce mouvement, et, de ce fait, de l’analyse combinatoire. Bien que mathématicien de second ordre, al-Ḥalabī a assuré au chapitre une existence autonome, en lui consacrant un traité et en lui attribuant un nom de baptême. Mais, entre al-Ṭūsī et al-Ḥalabī, il y en a bien d’autres, qui semblent avoir été eux aussi dans la mouvance d’al-Ṭūsī ; je pense en particulier à al-Fārisī et à Ibn al-Bannāʾ 1. Cet exemple, comme quelques autres d’ailleurs, témoigne de la part qui revient à la philosophie des mathématiques dans l’Islam classique. Il montre aussi que les mathématiques jouaient un rôle effectif en philosophie — ce qui ne surprend guère — mais, d’autre part, que le rôle de la philosophie dans le progrès de cette branche des mathématiques n’est pas moins effectif. Historiens des sciences, nous ne pouvons tourner le dos à l’histoire de la philosophie ; mais, historiens de la philosophie islamique, il nous serait fatal d’ignorer le rôle des nouveaux savoirs. ‎1. R. Rashed, «Nombres amiables, parties aliquotes et nombres figurés», dans Entre arithmétique et algèbre. Recherches sur l’histoire des mathématiques arabes, Paris, Les Belles Lettres, 1984, p. 259-299.

‫‪1‬‬

‫و‪-٢٠٣-‬ا‬ ‫‪-٢٧‬ب‬ ‫ظ‪-١٩٣-‬م‬

‫ةيفيك‬ ‫رودص ءايشألا‬ ‫ريصن< نيدلا يسوطلا يف نايب‬ ‫‪ 2‬ةيهانتملا أدبملا‬ ‫نع‬ ‫ريغلا‬ ‫لوألا >دحاولا‬ ‫هذه ةلاسر اهركذ انالوم مظعملا مامإلاو مظعألا ناطلس ءامكحلا نيرحبتملاو لضفأ نيمدقتملا‬

‫نيرخأتملاو ةودق نيققحملا ريصن قحلا نيدلاو ةجح مالسإلا نيملسملاو يف نايب ةيفيك رودص ءايشألا‬ ‫ريغلا ةيهانتملا نع أدبملا لوألا ‪.‬دحاولا‬

‫‪:‬لاق تلاق ‪: 3‬ءامكحلا أدبملا لوألا ‪ 4‬عيمجل ‪،‬تادوجوملا ‪،‬دحاو ىلاعت ‪،‬هركذ نإو ‪ 5‬دحاولا ال‬

‫ردصي هنع الإ دحاو ‪ .6‬ليق ‪:‬مهل نإف ‪ 7‬ناك اذكه بجو نأ نوكي هتالولعم اًدحاو دعب دحاو‬

‫ةلسلستم ىلإ لولعملا ريخألا ‪ٍ ،8‬ذئنيحو ‪ 9‬ال نكمي نأ دجوي نائيش ‪ 10‬الإ نوكيو امهدحأ ةلع رخآلل‬ ‫طسوتب ‪ 11‬وأ ريغب طسوت ‪: .12‬اولاق امنإ ‪:‬انلق نإ دحاولا ال ردصي هنع نم ةهج ةدحاو الإ دحاو ‪13‬؛ ‪/‬‬

‫امأ ‪ 14‬اذإ ترثكت ‪ 15‬تاهجلا دقف ردصي هنع نم كلت تاهجلا ةرثك الو نوكي كلذ اًضقانم ‪:‬انلوقل‬

‫ال ردصي هنع الإ دحاو ‪.16‬‬

‫‪:‬اولاق لولعملاو لّوألا يذلا وه لقع لّوأ هيف تاهج ‪،‬ةريثك اهادحإ هدوجو ‪ 17‬رداصلا نع‬

‫أدبملا لوألا ‪ ،18‬يناثلاو هتيهام يتلا اهيضتقت هتيريغ‬

‫‪19‬‬

‫‪.‬هتاذب‬

‫‪،‬لّوألل ثلاثلاو هملع ‪،‬لّوألاب عبارلاو هملع‬

‫‪ ‎1.‬مسب ‪: ...‬دحاولا هذه ةلاسر اهعرتخا ىلوملا ديعسلا ققحملا ةمالعلا لضفا نيرخاتملا ريصن قحلا نيدلاو ‪،‬ىسوطلا‬ ‫همحر ‪،‬هّللا يف للعلا ‪.‬تالولعملاو مسب هّللا نمحرلا ميحرلا ‪،‬ب[ ‪،‬د ]ن مسب هللا نمحرلا ميحرلا هبو يتقث هذه ةلاسر‬

‫اهعرتخا ققحملا يسوطلا باط هّمر يف للعلا تالولعملاو ]م[‬ ‫ىلع اهلاح نود ةراشإلا‬

‫‪ ‎2.‬ريغلا ‪:‬ةيهانتملا حصفألا ريغ« ‪»،‬ةيهانتملا اهكرتنسو‬

‫‪ ‎3.‬لاق ‪:‬تلاق ةلئسم لاق ]م[ ةلئسم تلاق ‪،‬ب[ ‪،‬د ]ن‬

‫‪: ‎4.‬لوألا لوال ]د[‬

‫‪: ‎8.‬ريخألا رخآلا ‪،‬ب[ ‪،‬د ]ن‬ ‫‪: ‎7.‬نإف ناو ]م[‬ ‫‪: ‎6.‬دحاو دحاولا ]م[‬ ‫‪: ‎5.‬نإو نأو ]ن[‬ ‫‪: ‎11.‬طسوتب طسوب‬ ‫‪: ‎10.‬نائيش نالولعم ]م[‬ ‫‪ٍ: ‎9.‬ذئنيحو حو ‪]،‬م[ راصتخالا فورعملا دنع خاسنلا‬ ‫‪: ‎14.‬امأ اماو‬ ‫‪: ‎13.‬دحاو ادحاو ]م[‬ ‫‪: ‎12.‬طسوت طسو ‪،‬ب[ ‪،‬د ‪،‬م ]ن‬ ‫‪،‬ب[ ‪،‬د ‪،‬م ]ن‬ ‫]م[‬ ‫‪: ‎17.‬هدوجو اهدوجو‬ ‫‪: ‎16.‬دحاو ادحاو ‪].‬م[‬ ‫‪: ‎15.‬ترثكت ترركت ‪،‬د[ ]ن ةلمهم ]ب[‬ ‫]م[‬

‫‪: ‎18.‬لوألا لوال ]د[‬

‫‪: ‎19.‬هتيريغ اهتيريغ ]ا[‬

‫ظ‪-٢٠٣-‬ا‬

‫‪111‬‬

‫‪COMBINATOIRE ET MÉTAPHYSIQUE‬‬

‫‪:‬اولاق نكميو نأ ردصي هنع نم هذه تاهجلا ةعبرأ ‪:‬ءايشأ لقع ٍناث ‪ 1‬ىلويهو ةروصو بّكرتي‬

‫امهنع كلف وه مظعأ ‪،‬كالفألا ٌسفنو ربدت كلذ كلفلا هكّرحتو ‪2‬؛ مث ردصي نع كلذ لقعلا ٌلقع‬ ‫ٌكلفو ‪ٌ،‬سفنو اذكهو ‪ 3‬ىلإ نأ ريصت ‪ 4‬لوقعلا ةرشع ُكالفألاو ؛ةعست ردصتو ‪ 5‬نع لقعلا ريخألا‬

‫‪6‬‬

‫ىلويه ملاع نوكلا ‪،‬داسفلاو روصلاو ةبقاعتملا اهنم ‪ 7‬ىلع ليصفت ‪.‬هوركذ‬

‫ليق ‪:‬مهل هذه تاهجلا يتلا يف لقعلا لوألا نإ تناك تادوجوم ‪،‬ةرياغتم دقف ردص نع‬

‫أدبملا لوألا ‪ٌ،‬ةرثك نإو مل نكت ‪، 8‬تادوجوم فيكف لقعُي رودص َءايشأ نع ءيش دحاو نم‬ ‫‪11‬‬ ‫تاهج ال دوجو ؟اهل مث مكّنإ ‪:‬نولوقت ّنإ كالفألا ةريثك ‪ 9‬اهيفو بكاوك ةتباث ‪ 10‬ال ىصحت‬

‫‪-٢٧‬ب‬

‫بكاوكو ‪، 12‬ةراّيس عيمجف اذه ‪ 13‬نم نيأ ؟ءاج امو ؟اهللع لاطو ‪ /‬عزانتلا ‪ 14‬هيف ‪ 15‬نيب نيقيرفلا‬ ‫امك وه روهشملا نيب ‪.‬راظنلا‬

‫‪:‬لوقأ نكميو نأ ردصي نع أدبملا لوألا ‪ ،16‬ىلع دعاوق ‪،‬ءامكحلا ٌةرثك ريغ ةبترتم طئاسوب‬

‫‪،‬ةليلق الو نوكي أدبم ‪ 17‬لك لولعم الإ ةلع ةدوجوم اهدارفناب ريغ رمأ يرابتعا ةهجو ‪ 18‬ال دوجو‬ ‫اهل ‪ 19‬دارفنالاب ‪.20‬‬

‫نكيلو ‪ 21‬أدبملا لوألا ‪ 22‬ا هلولعمو لوألا ب وهو يف ىلوأ ‪ 23‬بتارم تالولعملا ‪ ،24‬مث ردصيل‬

‫و‪-٢٠٤-‬ا‬

‫نع ا عم ب‪ :‬ـج نعو ب هدحو د‪ ،‬امهف يف ةيناث اهبتارم امهو نالولعم ‪ /‬ريغ ‪،‬نيبترتم يأ‬ ‫سيل امهدحأ ةلع ‪،‬رخآلل عومجمو تالولعملا عم ةلعلا ىلوألا ةعبرأ يه ‪ :25‬ا ب ـج د‪ ،‬اهمسنلو‬ ‫ئدابملاب ‪ ،26‬اهتاجاودزاو ةيئانثلا‬

‫‪ٍ: ‎1.‬ناث ىناث ‪،‬د[ ]ن‬

‫‪27‬‬

‫ةتس‬

‫‪28‬‬

‫‪:‬يه ا ب ا ـج ا د ب ـج ب د ـج د ‪ ،29‬ةيثالثلاو‬

‫‪: ‎2.‬هكرحتو هكرحيو ]م[‬

‫‪: ‎3.‬اذكهو ةصقان ]م[‬

‫‪: ‎4.‬ريصت ريصي ‪،‬د[ ]ن‬

‫‪: ‎8.‬نكت‬ ‫‪: ‎7.‬اهنم اهيف ‪،‬د[ ‪،‬م ]ن‬ ‫‪: ‎6.‬ريخألا رخآلا ]ن[ رخالا ]د[‬ ‫‪: ‎5.‬ردصتو ردصيو ‪،‬د[ ]ن‬ ‫‪: ‎11.‬ىصحت رصحي ]م[‬ ‫‪: ‎10.‬ةتباث ةبتاث ‪،‬د[ ]ن‬ ‫‪: ‎9.‬ةريثك ةصقان ‪،‬ب[ ‪،‬د ]ن ةعست ]م[‬ ‫نكي ]م[‬ ‫‪: ‎14.‬عزانتلا‬ ‫‪: ‎13.‬اذه هذه ‪،‬ب[ ‪،‬د ‪،‬م ]ن‬ ‫‪: ‎12.‬بكاوكو بكاوك ]ب[ بكاوك)و( ‪،‬د[ ]ن‬

‫‪: ‎17.‬أدبم ءدبم ]د[‬ ‫‪: ‎16.‬لوألا لوال ]د[‬ ‫‪: ‎15.‬هيف ةصقان ‪،‬د[ ]ن‬ ‫عازنلا ‪،‬ب[ ‪،‬د ‪،‬م ]ن‬ ‫‪: ‎20.‬دارفنالاب دارفناب ‪،‬د[ ]ن‬ ‫‪: ‎19.‬اهل ةصقان ]ب[ )اهل( ‪،‬د[ ]ن‬ ‫‪: ‎18.‬ةهجو وا ةهج ‪،‬ب[ ‪،‬د ‪،‬م ]ن‬ ‫‪: ‎21.‬نكيلو نكيلف ‪،‬ب[ ‪،‬د ‪،‬ن ]م‬

‫‪: ‎22.‬لوألا ىلوالا ‪،‬ب[ ]د‬

‫‪: ‎23.‬ىلوأ لوأ ‪،‬ب[ ‪،‬د ‪،‬م ]ن‬

‫‪: ‎24.‬تالولعملا يبلحلا فيضي انه اًريسفت مث» يف لك ةبترم ذخؤت اهتالامتحا ‪،‬اهدحو مث تالامتحا مض اهتالامتحا‬

‫ىلإ تالامتحا ةلمج بتارملا يتلا ‪،‬اهلبق مث عمجت تالامتحالا ‪،‬ىلوألا مستلو ‪،‬ةطيسبلا ىلإ تالامتحالا ‪،‬ةيناثلا مستلو‬ ‫‪: ‎25.‬يه ةصقان‬ ‫‪.‬ةبكرملا امأو ةلمج بتارملا يتلا لبق ةريخألا الف ذخؤت اهدحو اهنأل دق تذخأ «ًالوأ ‪.‬ظ‪٧٥-‬‬ ‫‪: ‎27.‬ةيئانثلا ةينانثلا‬ ‫‪: ‎26.‬ئدابملاب يدابملاب ‪،‬ب[ ‪،‬د ‪،‬م ‪]،‬ن نلو ريشن اهيلإ اميف دعب‬ ‫‪،‬ب[ ‪،‬د ‪،‬م ]ن‬ ‫]ن[ ةيناثلا ]م[‬

‫‪: ‎28.‬ةتس ٌّتس ‪،‬ب[ ‪،‬د ‪،‬م ]ن‬

‫‪ ‎29.‬ـج د‪ :‬د ـج ]م[ اهتبثأ قوف رطسلا ]ب[‬

‫‪112‬‬

‫‪IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE‬‬

‫ةعبرأ ‪ :1‬ـجبا دبا دجا دجب‪ ،‬ةيعابرلاو ةدحاو يهو ‪ 2‬عومجم دجبا‪ ،‬عيمجلاو ةسمخ ‪.‬رشع نكميو نأ‬

‫ردصي نع لك ةدحاو ‪ 3‬نم هذه ‪ -‬ةدرفم تناك ‪ 4‬وأ ةجودزم ‪ - 5‬لولعم ّالإ نم ا هدحو نمو‬ ‫ب هدحو نمو ا ب ‪.‬اًعم نإف تالولعم هذه ةثالثلا ‪ 6‬ةروكذم يف نيتبترملا ىلوألا ‪،‬ةيناثلاو ىقبيف‬

‫‪7‬‬

‫انثا ‪، 8‬رشع اهنم نانثا ىدارف امه ـج ود ةسمخو ةيئانث ةعبرأو ةيثالث دحاوو ‪،‬يعابر اهتالولعمو‬

‫انثا ‪، 9‬رشع يهو يف ةثلاث بتارم تالولعملا نم ريغ نأ طسوتي ضعبلا يف رودص ‪.‬ضعبلا مث يف‬

‫ةبترملا ةعبارلا لصحت ‪ 10‬تالولعم ‪ 11‬ديزي اهددع ‪ 12‬ىلع ةسمخ نيتسو ‪.‬اًفلأ‬ ‫مدقنلو ىلع نايب‬

‫‪13‬‬

‫كلذ ةمدقم يه‬

‫تاجاودزالاو ةيئانث ةيثالثو امو داز اهيلع‬

‫‪14‬‬ ‫‪17‬‬

‫نأ ‪:‬لوقن اذإ‬

‫‪15‬‬

‫انربتعا يف ينثالا‬

‫رشع دارفألا‬

‫‪16‬‬

‫ىلإ ينثا رشع لصح انل ةعبرأ فالآ ]ناتئامو[‬

‫‪18‬‬

‫ةسمخو نوعستو اًددع اهنم لصاح دارفألا ‪ ١٢‬لصاحو تايئانثلا ‪ ٦٦‬لصاحو تايثالثلا ‪٢٢٠‬‬ ‫لصاحو تايعابرلا ‪ ٤٩٥‬لصاحو تايسامخلا ‪٧٩٢‬‬

‫تايعابسلا لثم ‪ /‬تايسامخلا ‪ -‬ذإ‬

‫‪21‬‬

‫كرت اهيف‬

‫‪22‬‬

‫‪19‬‬

‫لصاحو تايسادسلا ‪ ٩٢٤‬لصاحو‬

‫ةسمخ نم دادعألا ينثالا رشع‬

‫‪23‬‬

‫‪20‬‬

‫امك نأ يف‬

‫و‪-١٩٤-‬م‬

‫تايسامخلا ذخأ ةسمخ ‪ -‬كلذكو تاينامثلا لثم تايعابرلا تايعاستلاو لثم تايثالثلا تايراشعلاو‬

‫لثم تايئانثلا دحألاو تايرشع لثم دارفألا انثالاو ‪ 24‬يرشع ‪ 25‬دحاو ال ‪.‬ريغ‬ ‫عضنلو نايبل كلذ ينثالا رشع ‪:‬يهو ‪ /‬ـه و ز ح‬

‫نأ اهدارفأ ‪ ١٢‬؛طقف نأو اهتايئانث لصحت‬

‫‪28‬‬

‫نم مامضنا و عم ‪ /‬لك دحاو امم هدعب وهو‬

‫‪26‬‬

‫ط ي اي بي ـجي‬

‫‪27‬‬

‫دي هي وي‪ ،‬رهاظف‬

‫نم مامضنا ـه عم لك دحاو امم هادع وهو ‪ ١١‬مث‬

‫‪29‬‬

‫‪ ١٠‬اذكهو اميف دعب و عومجملاو لصحي نم عيمج‬

‫دادعألا ةيلاوتملا نم دحاو ىلإ دحأ رشع وهو ‪ ٦٦‬ال ريغ وهو لصاح ‪.‬تايئانثلا‬

‫‪: ‎3.‬ةدحاو دحاو ‪،‬ب[ ‪،‬د ‪،‬م ]ن‬ ‫‪: ‎2.‬يهو يه ‪،‬ب[ ‪،‬د ‪،‬م ]ن‬ ‫‪: ‎1.‬ةعبرأ عبرأ ‪،‬ب[ ‪،‬د ‪،‬م ]ن‬ ‫‪: ‎6.‬ةثالثلا ةثلثلا ‪،‬ا[ ‪،‬ب ‪،‬د ]م نلو ريشن اهيلإ اميف‬ ‫‪: ‎5.‬ةجودزم درف جوزو ]م[‬ ‫‪: ‎4.‬تناك ةصقان ]م[‬ ‫‪: ‎9.‬انثا‬ ‫‪: ‎8.‬انثا ىنثا ]م[ نلو ريشن اهيلإ اميف دعب‬ ‫‪: ‎7.‬ىقبيف ىقبو ‪،‬ب[ ‪،‬د ‪،‬م ]ن ىقبف ]ا[‬ ‫دعب‬ ‫‪: ‎12.‬اهددع اهتدع‬ ‫‪: ‎11.‬تالولعم ام ]م[‬ ‫‪: ‎10.‬لصحت لصحي ‪،‬د[ ‪،‬م ]ن‬ ‫اتنثا ‪،‬ب[ ‪،‬د ‪،‬م ]ن‬ ‫‪: ‎16.‬ينثالا‬ ‫‪: ‎15.‬اذإ ذا ]م[‬ ‫‪: ‎14.‬يه يهو ]م[‬ ‫‪ ‎13.‬ىلع ‪:‬نايب نايبل ]م[‬ ‫‪،‬ب[ ‪،‬د ‪،‬م ]ن‬ ‫‪]: ‎18.‬ناتئامو[ اذه ددعلا‬ ‫‪: ‎17.‬اهيلع ىلع ‪،‬كلذ بتكو «كلذ» قوف رطسلا ]م[‬ ‫انثالا ‪،‬ب[ ‪،‬د ‪،‬م ]ن‬

‫‪، ٧٩٣ :٧٩٢ ‎19.‬ا[ ‪،‬ب ‪،‬د ‪،‬م‬ ‫حيحص يف ةلاسر يبلحلا ‪)،‬و‪ (٧٦-‬امبر تناك هدنع ةخسن ىرخأ وأ هححص‬ ‫‪ ‎22.‬كرت ‪:‬اهيف اهيف كرت ‪،‬ب[ ‪،‬د ‪،‬م ]ن‬ ‫‪: ‎21.‬ذإ وا ]م[‬ ‫‪: ‎20.‬لصاح ةصقان ‪،‬ب[ ‪،‬د ‪،‬م ]ن‬ ‫]ن‬ ‫‪: ‎23.‬رشع ىرشع ]م[‬

‫‪: ‎24.‬انثالاو انثاو ]د[ ىنثالاو ]م[‬

‫ـح ]م[‬ ‫‪ ‎27.‬ـجي‪ :‬حي ]م[‬ ‫‪،‬ا[ ‪،‬ب ‪،‬د ‪،‬م ]ن‬

‫ظ‪-٢٠٤-‬ا‬

‫‪: ‎25.‬يرشع تايرشع ]م[‬

‫‪: ‎28.‬لصحت لعجت ‪،‬د[ ‪،‬م ]ن لعجي ‪].‬ب[‬

‫‪ ‎26.‬ح‪:‬‬

‫‪ ‎29.‬وهو ‪):‬ةيناثلا( يهو‬

‫‪-٢٨‬ب‬

‫‪113‬‬

‫‪COMBINATOIRE ET MÉTAPHYSIQUE‬‬

‫امأو تايثالثلا لصحتف ‪ 1‬نم مامضنا ـه عم و امهو عم دحاو دحاو نم ةيقابلا يهو ‪،١٠‬‬

‫مث نم مامضنا ـه عم ز ‪ 2‬امهو عم دحاو دحاو امم امهدعب ‪ 3‬يهو ‪ ،٩‬اذكهو ىلإ نأ متت ‪ 4‬دادعألا‬

‫لصحيو ددع بكرتي ‪ 5‬نم دحاولا ىلإ ةرشعلا ىلع يلاوتلا وهو ‪ ٥٥‬نوكي ـه دحأ ءازجأ ؛اهعيمج مث‬

‫يّلخن ‪ 6‬نع ـه ربتعنو ‪ 7‬و عم ز امهو عم دحاو دحاو نم ةيقابلا لصحي ‪ ،٩‬نمو رابتعا و عم ح امهو‬ ‫عم دحاو دحاو ‪ 8‬امم امهدعب لصحي ‪ ،٨ 9‬اذكهو ىلإ ‪،‬رخآلا لصحيو ددع بكرتي نم دحاولا ىلإ‬

‫ةعستلا ىلع يلاوتلا وهو ‪ ،٤٥‬ىلعو اذه سايقلا ربتعي‬

‫‪10‬‬

‫اميف‬

‫‪11‬‬

‫دعب و لصحيو‬

‫‪12‬‬

‫انل دادعأ ةبكرم‬

‫نم دحاولا ىلإ ةينامثلا نمو دحاولا ىلإ ةعبسلا ىلإ نأ يهتنن ‪ 13‬ىلإ دحاولا ‪،‬هدحو نوكتف ‪ 14‬دادعألا‬

‫اهعيمج ‪ 15‬هذه هن هم ول ‪ 16‬حك ‪ 17‬اك هي ي و ـج ا ‪ 18‬اهعومجمو ‪ ،٢٢٠‬كلذو وه لصاح ‪.‬تايثالثلا‬ ‫امأو تايعابرلا نوكتف‬

‫‪19‬‬

‫يف رابتعالا لوألا ـه و ز عم دحاو دحاو نم ةعستلا ‪،‬ةيقابلا مث‬

‫رابتعا ـه و عم نينثا نينثا ‪ 20‬امم ‪،‬امهدعب مث رابتعا ـه عم ةثالث ‪،‬ةثالث لصحي ام جرخي ‪ 21‬نم دحاولا‬

‫اًمضنم ىلإ دادعألا ةيلاوتملا يتلا اهدعب ىلإ ةعست ‪ ،22‬مث هنم ىلإ ةينامث ‪ ،23‬مث هنم ىلإ ةعبس ‪ 24‬اذكهو‬

‫و‪-٢٠٥-‬ا‬

‫ىلإ دحاولا ‪،‬هدحو لصحتو ‪ 25‬نم عيمجلا هذه دادعألا ةيلاوتملا ‪ 26‬هسق ـكق دف ‪ 27‬ون هل ـك ي د ا ‪/‬‬

‫اهعومجمو ‪ ،٤٩٥‬كلذو وه لصاح ‪.‬تايعابرلا‬

‫ىلعو اذه سايقلا لمعن ‪ 28‬يف بلط تاجاودزالا ةيسامخلا ‪ ،29‬لصحتو ‪ 30‬هذه دادعألا ةيلاوتم‬

‫يف رخآ لمعلا لش ير وكق ع هل هي ـه ا‪ ،‬اهعومجمو ‪ ٧٩٢‬وهو لصاح ‪.‬تايسامخلا‬

‫لمعنو ‪ 31‬اًضيأ يف بلط تاجاودزالا ةيسادسلا لثم ‪،‬كلذ لصحتف ‪ 32‬هذه دادعألا بست‬

‫‪: ‎1.‬لصحتف لصحيف ‪،‬ب[ ‪،‬د ‪،‬م ]ن‬

‫ّمتي ‪،‬د[ م ]ن‬

‫‪ ‎2.‬ز‪ :‬د ‪،‬ب[ ‪،‬د ]ن‬

‫‪: ‎5.‬بكرتي بكرم ‪،‬د[ ]ن بكري ]ب[‬

‫‪: ‎3.‬امهدعب اهدعب ‪،‬ا[ ]م‬

‫‪: ‎6.‬يّلخن ىّلخي ‪،‬د[ ]ن‬

‫‪33‬‬

‫‪: ‎4.‬متت‬

‫‪: ‎7.‬ربتعنو ربتعيو ‪،‬د[‬

‫‪8 ‎8.‬‏‪ -‬نم ةيقابلا ‪ ...‬دحاو ‪:‬دحاو ةصقان ]م[‬ ‫‪: ‎10.‬ربتعي‬ ‫‪ ‎9.‬لصحي ‪ :٨‬اهتبثأ يف شماهلا ]ب[‬ ‫]ن‬ ‫‪: ‎13.‬يهتنن يهتني ‪،‬د[ ‪،‬م ]ن‬ ‫‪: ‎12.‬لصحيو لصحي ]م[‬ ‫‪: ‎11.‬اميف امم ‪،‬ب[ ‪،‬د ‪،‬م ]ن‬ ‫ربتعن ]م[‬

‫‪: ‎14.‬نوكتف نوكيو ‪،‬ب[ ‪،‬د ‪،‬م ]ن‬

‫‪: ‎15.‬اهعيمج اهيعمج ]د[‬

‫‪ ‎16.‬ول‪ :‬وط ]م[‬

‫‪ ‎17.‬حك‪ :‬جك‬

‫‪،‬د[ ]ن حي ]م[‬ ‫‪ ‎20.‬نينثا ‪:‬نينثا نيتنثا نيتنثا‬ ‫‪: ‎19.‬نوكتف نوكيف ‪،‬د[ ‪،‬م ]ن‬ ‫‪ ‎18.‬ا‪ :‬ةصقان ]م[‬ ‫‪ ‎23.‬ةينامث مث هنم ‪:‬ىلإ ةصقان‬ ‫‪: ‎22.‬ةعست ةعستلا ]م[‬ ‫‪: ‎21.‬جرخي عمتجي ‪،‬ب[ ‪،‬د ‪،‬م ]ن‬ ‫‪،‬د[ ]ن‬ ‫‪: ‎26.‬ةيلاوتملا ةيلاوتم ]ا[ ةصقان‬ ‫‪: ‎25.‬لصحتو لصحيو ‪،‬ب[ ‪،‬د ‪،‬م ]ن‬ ‫‪: ‎24.‬ةعبس هعبس ]ن[‬ ‫]م[‬ ‫‪: ‎29.‬ةيسامخلا‬ ‫‪: ‎28.‬لمعن لمعي ‪،‬ب[ ‪،‬د ]ن‬ ‫‪: ‎27.‬دف دم ‪،‬د[ ]ن ةلمهم ]ب[‬ ‫‪،‬ب[ ‪،‬د ‪،‬م ]ن‬ ‫‪: ‎32.‬لصحتف‬ ‫‪: ‎31.‬لمعنو لمعيو ‪،‬د[ ]ن‬ ‫‪: ‎30.‬لصحتو لصحيو ‪،‬د[ ‪،‬م ‪].‬ن‬ ‫تايسامخلا ]م[‬ ‫‪: ‎33.‬بست تسق ‪،‬ا[ ‪،‬ب ‪،‬د ]ن‬ ‫لصحيف ‪،‬د[ ‪،‬م ]ن‬

‫‪114‬‬

‫‪IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE‬‬

‫بنر وكق ون اك و ا ‪ ،1‬اهعومجمو ‪ ٩٢٤ 2‬وهو لصاح ‪.‬تايسادسلا دقو انركذ نأ ‪ 3‬تايعابسلا‬

‫نوكت ‪ 4‬لثم ‪،‬تايسامخلا تاينامثلاو لثم تايعابرلا تايعاستلاو لثم ‪،‬تايثالثلا تايراشعلاو لثم‬ ‫‪،‬تايئانثلا دحألاو تايرشع لثم ‪،‬دارفألا انثالاو يرشع دحاو ال ‪،‬ريغ عومجملاو ‪ 5‬ام هانركذ نم‬

‫‪.‬ددعلا اذهف ام تدرأ هميدقت ‪.6‬‬

‫دعنلو ىلإ ‪،‬دوصقملا ‪:‬لوقنف اذإ ‪ 7‬انربتعا ‪ 8‬ئدابملا ةعبرألا ةروكذملا عم ينثالا رشع يتلا ‪ 9‬يف‬

‫ةبترملا ةثلاثلا اًدارفأ تايئانثو ‪ 10‬تايثالثو ‪ 11‬ىلإ ةتسلا ‪،‬رشع يتلا يه ‪،‬عومجملا تلصح ‪ 12‬تابيكرت‬

‫ةريثك‬

‫‪13‬‬

‫اهتدع‬

‫‪14‬‬

‫ام انركذ ‪ .15‬امأ رابتعا داحآلا‬

‫‪16‬‬

‫ىدارف‬

‫الف ديزي ىلع ‪ ١٢‬يهو‬

‫‪17‬‬

‫ددعلا يذلا ‪ /‬يف ةبترملا ‪،‬ةثلاثلا نأل ئدابملا ال زوجي نأ ريصت‬ ‫‪.‬تالولعملا‬

‫امأو تايئانثلا اهلصاحف نم‬

‫‪20‬‬

‫‪19‬‬

‫‪18‬‬

‫تالولعم‬

‫ةرم ىرخأ ئدابم ءيشل نم‬

‫رابتعا ينثالا رشع ‪ ،٦٦‬امك ‪ّ.‬رم لصحيو نم مامضنا لك‬

‫دحاو نم ئدابملا عم دحاو دحاو نم ينثالا رشع ام لصحي نم‬

‫‪ ،٤٨‬عيمجلاو ‪ ١١٤‬ال ديزن ‪ 22‬هيلع ‪.23‬‬

‫امأو ‪،‬تايثالثلا لصاحف تايثالثلا‬

‫‪24‬‬

‫يتنثالا‬

‫‪25‬‬

‫‪21‬‬

‫برض ةعبرأ يف ‪ ١٢‬وهو‬

‫ةيرشع ‪ ،٢٢٠‬لصاحلاو نم مامضنا لك‬

‫دحاو >دحاو< نم ئدابملا ىلإ دحاو دحاو نم لصاح تايئانثلا‬

‫‪26‬‬

‫يتنثالا‬

‫‪27‬‬

‫ةيرشع ام لصحي‬

‫نم ‪ /‬برض ‪ /‬ةعبرأ يف ‪ ٦٦‬وهو ‪ ،٢٦٤‬نمو مامضنا لك نينثا نم ئدابملا ىلإ لك دحاو نم‬

‫ينثالا رشع ام لصحي نم برض ةتس يف ‪ ١٢‬وهو ‪ ،٧٢‬عومجملاو ‪ ٥٥٦‬ال ديزن ‪. 28‬هيلع‬ ‫امأو ‪،‬تايعابرلا لصاحف تايعابرلا يتنثالا‬

‫‪29‬‬

‫ةيرشع ‪ ،٤٩٥‬لصاحلاو نم مامضنا لك‬

‫‪1 ‎3.‬‏‪: ... ٧٩٢ -‬اهعومجمو اهتبثأ يف شماهلا ]ب[‬ ‫‪: ‎2.‬نأ ةرركم ]د[‬ ‫‪ ‎1.‬بست ‪: ...‬ا ةصقان ]م[‬ ‫‪: ‎7.‬اذإ ذا‬ ‫‪: ‎6.‬هميدقت اهححص اهقوف ]ب[‬ ‫‪: ‎5.‬عومجملاو عومجمو ]م[‬ ‫‪: ‎4.‬نوكت نوكي ‪،‬د[ ‪،‬م ]ن‬ ‫‪: ‎10.‬تايئانثو وا تايئانث ‪،‬د[‬ ‫‪9 ‎9.‬‏‪ -‬عم ينثالا رشع ‪:‬يتلا ةصقان ]م[‬ ‫‪: ‎8.‬انربتعا ربتعا ]م[‬ ‫]م[‬ ‫]ن‬

‫‪: ‎11.‬تايثالثو وا تايثالث ]ن[ اهتبثأ يف شماهلا ]ب[‬

‫‪: ‎12.‬تلصح لصح ‪،‬ا[ ‪،‬ب ‪،‬د ‪،‬م ]ن‬

‫‪: ‎16.‬داحآلا ةيداحالا‬ ‫‪: ‎15.‬انركذ هانركذ ]ن[‬ ‫‪: ‎14.‬اهتدع اهتدمع ‪،‬د[ ]ن‬ ‫‪: ‎13.‬ةريثك ريثك ]م[‬ ‫‪ ‎20.‬نم‬ ‫‪: ‎19.‬ريصت ريصي ‪،‬د[ ]م‬ ‫‪: ‎18.‬يهو يه ‪،‬د[ ]ن‬ ‫‪: ‎17.‬ىدارف ةصقان ]م[‬ ‫]م[‬

‫‪):‬ىلوألا( يف ‪،‬ب[ ‪،‬د ‪،‬م ]ن‬ ‫‪: ‎23.‬هيلع هيملع ]د[‬ ‫]ن‬

‫‪-٢٩‬ب‬

‫‪ ‎21.‬نم ‪):‬ةثلاثلا( يف ‪،‬ب[ ‪،‬د ]ن‬ ‫‪ ‎24.‬لصاحف ‪:‬تايثالثلا اهلصاحف ]م[‬

‫‪ ‎26.‬دحاو نم لصاح ‪:‬تايئانثلا اهتبثأ يف شماهلا ]ب[‬ ‫‪،‬م ]ن‬ ‫‪: ‎29.‬يتنثالا ينثالا ‪،‬ا[ ‪،‬ب ‪،‬د ‪،‬م ]ن‬ ‫‪: ‎28.‬ديزن ديزم ‪،‬د[ ‪].‬ن‬

‫‪: ‎22.‬ديزن ‪:‬ديزم ‪،‬ب[ ‪،‬د ‪،‬م‬ ‫‪: ‎25.‬يتنثالا ينثالا ‪،‬ا[ ‪،‬ب ‪،‬د‬

‫‪: ‎27.‬يتنثالا ينثالا ‪،‬ا[ ‪،‬ب ‪،‬د ‪،‬م ]ن‬

‫ظ‪-١٩٤-‬م‬ ‫ظ‪-٢٠٥-‬ا‬

‫‪115‬‬

‫‪COMBINATOIRE ET MÉTAPHYSIQUE‬‬

‫نم ئدابملا ىلإ لصاح تايثالثلا يذلا وه ‪ ٢٢٠‬ام لصحي نم برض ةعبرأ ‪،‬هيف وهو‬

‫‪ ،٨٨٠‬نمو مامضنا لك نينثا ‪ 1‬نم ئدابملا ىلإ لصاح تايئانثلا يذلا وه ‪ ٦٦‬ام لصحي نم‬

‫برض ةتس هيف وهو ‪ ،٣٩٦‬نمو مامضنا ةثالث نم ئدابملا ىلإ لصاح دارفألا ‪ -‬وهو ‪ - ١٢‬ام‬

‫لصحي نم برض ةعبرأ ‪،‬هيف وهو ‪ ،٤٨‬عومجملاو ‪ ١٨١٩‬ال ديزن ‪ 3 , 2‬هيلع ‪.4‬‬

‫امأو ‪،‬تايسامخلا اهلصاحف انثالا ‪ 5‬يرشع ‪ ،6 ٧٩٢‬لصاحلاو نم مامضنا لك دحاو نم‬

‫ئدابملا ىلإ لصاح تايعابرلا ام لصحي نم برض ةعبرأ يف ‪ ٤٩٥‬وهو ‪ ،١٩٨٠‬نمو مامضنا‬ ‫لك نينثا ‪ 7‬اهنم ىلإ لصاح تايثالثلا ام لصحي نم برض ةتس يف ‪ ٢٢٠‬وهو ‪ ،١٣٢٠‬نمو‬

‫مامضنا لك ةثالث اهنم ىلإ لصاح تايئانثلا ‪ 8‬ام لصحي نم برض ةعبرأ يف ‪ ٦٦‬وهو ‪،٢٦٤ 9‬‬

‫نمو مامضنا ئدابملا ةعبرألا ىلإ لصاح دارفألا ام لصحي نم برض دحاو يف ‪ ١٢‬وهو ‪،١٢‬‬

‫عومجملاو ‪.10 ٤٣٦٨‬‬

‫امأو ‪،‬تايسادسلا اهلصاحف انثالا يرشع ‪ ،٩٢٤‬نمو مامضنا دحاو دحاو نم ئدابملا ىلإ‬

‫و‪-٢٠٧-‬ا‬ ‫‪-٣٠‬ب‬

‫لصاح تايسامخلا ‪٣١٦٨‬‬

‫‪11‬‬

‫‪ /‬نمو نينثا نينثا ىلإ لصاح تايعابرلا ‪ ،12 ٢٩٧٠‬نمو ةثالث‬

‫ةثالث ‪ 13‬ىلإ لصاح تايثالثلا ‪ ،٨٨٠‬نمو ةعبرألا ىلإ لصاح تايئانثلا ‪ ،/٦٦‬عومجملاو ‪.٨٠٠٨‬‬ ‫امأو ‪،‬تايعابسلا اهلصاحف انثالا يرشع ‪ ،٧٩٢‬لصاحلاو نم مامضنا داحآ ئدابملا ىلإ‬

‫لصاح تايسادسلا ‪ ،٣٦٩٦‬نمو مامضنا اهتايئانث ىلإ لصاح تايسامخلا ‪ ،14 ٤٧٥٢‬نمو‬

‫اهتايثالث ىلإ لصاح تايعابرلا ‪ ،١٩٨٠‬نمو اهتعبرأ ‪ 15‬ىلإ لصاح تايثالثلا ‪ ،16 ٢٢٠‬عومجملاو‬

‫‪.17 ١١٤٤٠‬‬

‫امأو ‪،‬تاينامثلا اهلصاحف انثالا يرشع ‪ ،٤٩٥‬لصاحلاو نم داحآ‬

‫‪18‬‬

‫ئدابملا عم لصاح‬

‫تايعابسلا ‪ ،٣١٦٨‬نمو اهتايئانث عم لصاح تايسادسلا ‪ ،٥٥٤٤‬نمو اهتايثالث عم لصاح‬ ‫تايسامخلا ‪ ،٣١٦٨‬نمو اهتعبرأ ‪ 19‬عم لصاح تايعابرلا ‪ ،٤٩٥‬عومجملاو ‪.21 ١٢٨٧٠ 20‬‬ ‫‪: ‎1.‬نينثا نيتنثا ‪،‬د[ ]ن‬

‫‪،‬ب[ ‪،‬د ]ن‬

‫نيتنثا ‪،‬د[ ]ن‬

‫‪] ٣٦٨‬م[‬

‫‪ ‎9.‬وهو ‪ :١٢‬ةصقان ‪،‬ب[ ‪،‬د ‪،‬م ]ن‬

‫‪:٤٣٦٨ ‎10.‬‬

‫‪ ‎2.‬ال ديزن ‪:‬هيلع ةصقان ]م[‬

‫‪: ‎5.‬انثالا ينثالا ]ا[‬

‫‪ :٧٩٢ ‎6.‬عبس ةئام وا نانثا نوعستو ‪،‬د[ ]ن ‪] ٧٧٢‬م[‬

‫‪: ‎8.‬تايئانثلا تايثالثلا ]م[‬

‫‪: ‎7.‬نينثا‬

‫‪ :٣١٦٨ ‎11.‬ررك اهدعب نمو» مامضنا ئدابملا ةعبرألا ىلإ لصاح دارفألا ام لصحي نم برض‬

‫دحاو ‪«،‬يف مث برض اهيلع ملقلاب ]ا[‬

‫‪ :٢٩٧٠ ‎12.‬نانثا عستو ةئام نوعبسو ‪،‬ن[ ]د ‪] ٩٧٢‬م[ ‪] ٩٧٢٠‬ا[‬

‫‪: ‎13.‬ةثالث ةصقان ]ن[ اهتبثأ تحت رطسلا ]ب[‬

‫‪] ٢٢ :٢٢٠ ‎16.‬م[‬ ‫اهتايعابر ]م[‬

‫‪: ‎3.‬ديزن ديزي ‪،‬د[ ]ن‬

‫‪: ‎4.‬هيلع ةصقان‬

‫‪] ٧٥٢ :٤٧٥٢ ‎14.‬م[‬

‫‪] ٤٤٠ :١١٤٤٠ ‎17.‬م[‬

‫‪: ‎15.‬اهتعبرأ تايعابر ]م[‬

‫‪: ‎18.‬داحآ مامضنا داحآ ‪].‬م[‬

‫‪: ‎20.‬عومجملاو عومجملاو نوكي ‪،‬ب[ ‪،‬د ‪،‬م ]ن‬

‫‪: ‎19.‬اهتعبرأ‬

‫‪] ٢٨٧٠ :١٢٨٧٠ ‎21.‬م[‬

‫‪116‬‬

‫‪IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE‬‬

‫امأو ‪،‬تايعاستلا اهلصاحف انثالا يرشع ‪ ،٢٢٠‬لصاحلاو نم داحآ ‪ 1‬ئدابملا عم لصاح‬

‫تاينامثلا ‪ ،١٩٨٠‬نمو اهتايئانث عم لصاح تايعابسلا ‪ ،٤٧٥٢‬نمو اهتايثالث عم لصاح‬

‫تايسادسلا ‪ ،2 ٣٦٩٦‬نمو اهتعبرأ ‪ 3‬عم ‪ 4‬لصاح تايسامخلا ‪ ،٧٩٢‬عومجملاو ‪.١١٤٤٠‬‬

‫امأو ‪،‬تايراشعلا اهلصاحف انثالا يرشع ‪ ،٦٦‬لصاحلاو نم داحآ ئدابملا عم لصاح‬

‫تايعاستلا ‪ ٨٨٠‬نمو اهتايئانث عم لصاح تاينامثلا ‪ ،٢٩٧٠‬نمو اهتايثالث عم لصاح تايعابسلا‬

‫‪ ،٣١٦٨‬نمو اهتعبرأ ‪ 5‬عم لصاح تايسادسلا ‪ ،٩٢٤‬عومجملاو ‪.٨٠٠٨‬‬

‫امأو دحألا تايرشع ‪ ،6‬اهلصاحف انثالا يرشع ‪ ،١٢‬لصاحلاو نم داحآ ‪ /‬ئدابملا عم‬

‫ظ‪-٢٠٧-‬ا‬

‫لصاح تايراشعلا ‪ ،٢٦٤‬نمو اهتايئانث عم لصاح تايعاستلا ‪ ،7 ١٣٢٠‬نمو اهتايثالث ‪ 8‬عم‬ ‫لصاح تاينامثلا ‪ ،١٩٨٠‬نمو اهتعبرأ ‪ 9‬عم لصاح تايعابسلا ‪ ،٧٩٢‬عومجملاو ‪.٤٣٦٨‬‬ ‫امأو انثالا‬

‫‪10‬‬

‫‪،‬تايرشع اهلصاحف انثالا‬

‫‪11‬‬

‫يرشع ‪،‬دحاو لصاحلاو نم داحآ ئدابملا عم‬

‫لصاح دحألا تايرشع ‪ ،٤٨‬نمو اهتايئانث عم لصاح تايرشعلا ‪ / ،٣٩٦‬نمو اهتايثالث عم‬ ‫لصاح تايعاستلا ‪ ،٨٨٠ 12‬نمو اهتعبرأ ‪ 13‬عم لصاح تاينامثلا ‪ ،٤٩٥‬عومجملاو ‪./١٨٢٠‬‬

‫امأو ةثالثلا تايرشع سيلف اهل لصاح انثا ‪،‬يرشع لصاحلاو نم داحآ ئدابملا عم لصاح‬

‫انثالا يرشع ‪،‬ةعبرأ نمو اهتايئانث عم لصاح دحألا تايرشع ‪ ،14 ٧٢‬نمو اهتايثالث عم لصاح‬

‫تايرشعلا ‪ ،15 ٢٦٤‬نمو اهتعبرأ ‪ 16‬عم لصاح ‪ 17‬تايعاستلا ‪ ،٢٢٠‬عومجملاو ‪.18 ٥٦٠‬‬ ‫امأو ةعبرألا‬

‫‪19‬‬

‫‪،‬تايرشع سيلف اهل لصاح انثا يرشع الو لصاح عم داحآ ‪،‬ئدابملا‬

‫لصاحلاو نم تايئانث ئدابملا عم لصاحلا انثالا ‪ 20‬يرشع ‪،‬ةتس نمو اهتايثالث عم لصاح دحألا‬ ‫تايرشع ‪ ٤٨،‬نمو اهتعبرأ ‪ 21‬عم لصاح تايراشعلا ‪ ،٦٦‬عومجملاو ‪.١٢٠‬‬

‫‪: ‎1.‬داحآ مامضنا داحآ ]م[‬

‫‪،‬ب[ ‪،‬د ]ن‬

‫‪] ٣٦٩٠ :٣٦٩٦ ‎2.‬م[‬

‫‪: ‎5.‬اهتعبرأ اهتايعابر ]م[‬

‫‪: ‎3.‬اهتعبرأ اهتايعابر ]م[‬

‫‪: ‎4.‬عم يف‬

‫‪ ‎6.‬دحألا ‪:‬تايرشع حصفألا ىدحإلا ةيرشع اذكهو اتنثالا ةيرشع‬

‫ثالثو تايرشعلا وأ( ثالثلا )ةيرشع عبرأو تايرشعلا وأ( عبرألا )ةيرشع ‪ ...‬خلا نكلو هانكرت اهانربتعاو اًدودح‬

‫‪ ‎8.‬اهتايثالث ‪: ١٩٨٠ ...‬نمو ةصقان ]م[‬ ‫‪] ١٣٨٠ :١٣٢٠ ‎7.‬م[‬ ‫‪: ‎11.‬انثالا ىنثالا ‪،‬د[ ]ن‬ ‫‪: ‎10.‬انثالا ىنثالا ]ن[‬ ‫اهتايعابر ]م[‬ ‫‪،‬ب ]م‬

‫‪: ‎13.‬اهتعبرأ اهعبرأ ‪،‬ب[ ‪،‬د ]ن اهتايعابر ]م[‬

‫]م ثالث ةئام ةتسو نوعستو ‪،‬د[ ]ن‬

‫]ن[‬ ‫]م[‬

‫‪] ٦٢ :٧٢ ‎14.‬م[‬

‫‪: ‎16.‬اهتعبرأ اهتايعابر ]م[‬

‫‪، ٢٩٢ :٥٦٠ ‎18.‬ا[ ‪،‬ب ‪،‬د ‪،‬م ‪].‬ن‬

‫‪: ‎20.‬انثالا نم ىنثالا ‪،‬ب[ ‪،‬د ‪،‬م ]ن‬

‫‪: ‎9.‬اهتعبرأ اهعبرأ ‪،‬ب[ ‪،‬د ]ن‬ ‫‪: ‎12.‬تايعاستلا تايعابسلا ‪،‬ا[‬ ‫‪، ٣٩٢ :٢٦٤ ‎15.‬ا[‬

‫‪20 ‎17.‬‏‪ -‬دحألا ‪ ...‬عم ‪:‬لصاح ةرركم‬

‫‪: ‎19.‬ةعبرألا ةعبراالا ]د[ ‪،‬ةسمخلا بتكو اهقوف باوصلا‬

‫‪: ‎21.‬اهتعبرأ اهتايعابر ]م[‬

‫و‪-١٩٥-‬م‬ ‫‪-٣١‬ب‬

‫‪117‬‬

‫‪COMBINATOIRE ET MÉTAPHYSIQUE‬‬

‫امأو ةسمخلا ‪ 1‬تايرشع سيلف اهل لصاح انثا ‪،‬يرشع الو لصاح عم داحآ ئدابملا ‪،‬اهتايئانثو‬

‫لصاحلاو نم اهتايثالث عم لصاح انثالا ‪ 2‬يرشع ‪،‬ةعبرأ نمو اهتعبرأ ‪ 3‬عم لصاح دحألا تايرشع‬ ‫‪ ،١٢‬عومجملاو ‪.١٦‬‬

‫امأو ةتسلا تايرشع ‪ 4‬دحاوف ال ‪.‬ريغ‬

‫نذإف ‪ 5‬لصح اهل ‪ 6‬نم هذه تاجاودزالا هذه دادعألا دارفألا ‪ ١٢‬تايئانثلاو ‪،١١٤‬‬

‫و‪-٢٠٧-‬ا‬

‫تايثالثلا ‪ ،٥٥٦‬تايعابرلا ‪ ،١٨١٩‬تايسامخلا ‪ ،7 ٤٣٦٨‬تايسادسلا ‪ / ،٨٠٠٨‬تايعابسلا‬

‫‪ ،١١٤٤٠‬تاينامثلا ‪ ،١٢٨٧٠‬تايعاستلا ‪ ،١١٤٤٠‬تايراشعلا ‪ ،٨٠٠٨‬دحألا تايرشع‬ ‫‪ ،٤٣٦٨‬انثالا تايرشع ‪ ،١٨٢٠‬ةثالثلا تايرشع ‪ ،8 ٥٦٠‬ةعبرألا تايرشع ‪ ،9 ١٢٠‬ةسمخلا‬ ‫تايرشع ‪ ،10 ١٦‬ةتسلا تايرشع‬

‫يتلا‬

‫‪14‬‬

‫نكمي نأ عقت‬

‫‪15‬‬

‫‪11‬‬

‫‪ ،١‬اهعومجمو‬

‫‪12‬‬

‫‪٦٥٥٢٠‬‬

‫يف ةبترملا ةعبارلا تالولعملل نم ريغ‬

‫‪16‬‬

‫‪13‬‬

‫‪،‬اًددع يه دادعأ تالولعملا‬

‫أدبملا لوألا نم ريغ طيسوت‬

‫‪17‬‬

‫ضعبلا ضعبلل ‪ ،18‬نمو ريغ ام نيب ‪ 19‬تارابتعالا تاهجلاو يتلا ال دجوت ‪ 20‬لالعتسالاب ‪.21‬‬

‫نإو ربتعا ام دعب هذه ةبترملا ّدُعو ام عقي اهيف تراص دادعألا ةرِسَع طابضنالا ‪.‬اهترثكل‬

‫دقو نيبت نم كلذ ناكمإ ‪ 22‬رودص ةرثكلا يتلا ال رصحنت ‪ 23‬نع ‪ 24‬أدبملا لوألا ىلع ةطيرش‬

‫نأ ال ردصي نم دحاو‬

‫‪26‬‬

‫الإ دحاو‬

‫‪27‬‬

‫نم ريغ نأ نوكت‬

‫هنايب يف هذه ‪،‬ةلأسملا هّللاو ملعأ ‪.‬باوصلاب‬

‫‪: ‎1.‬ةسمخلا هسمخلا ]د[‬

‫ةيرشع ]د[ ةتسلا ةرشع ]ب[‬

‫‪، ٤٣٤٨‬ب[ ‪،‬د ]م‬ ‫]ب[‬

‫‪: ‎2.‬انثالا ىنثا ]م[‬

‫‪: ‎3.‬اهتعبرأ اهتايعابر ]م[‬

‫‪: ‎5.‬نذإف نذإو ‪،‬ب[ ‪،‬د ]ن‬

‫‪، ٦٩٢ :٥٦٠ ‎8.‬ا[ ‪،‬د ‪،‬م ]ن‬

‫‪، ٦١ :١٦ ‎10.‬ب[ ‪،‬د ]ن‬

‫‪28‬‬

‫تالولعملا ‪،‬ةسلستم كلذو ام اندرأ‬

‫‪25‬‬ ‫‪29‬‬

‫‪ ‎4.‬ةتسلا ‪:‬تايرشع هتتسلا‬

‫‪: ‎6.‬اهل انل ‪،‬ب[ ‪،‬د ‪،‬م ]ن‬

‫‪:٤٣٦٨ ‎7.‬‬

‫‪ ‎9.‬ةعبرألا تايرشع ‪ :١٢٠‬اهتبثأ يف شماهلا‬

‫‪: ‎11.‬تايرشع ةصقان ]د[‬

‫‪: ‎12.‬اهعومجمو عومجملاو لصاحلا‬

‫‪] ٦٥٦٥٢ :٦٥٥٢٠ ‎13.‬ا[ ةسمخ نوتسو اًفلأ تسو ةئام نانثاو نوسمخو ‪،‬ب[‬ ‫نم كلذ ‪،‬ب[ ‪،‬د ‪،‬م ]ن‬ ‫‪: ‎16.‬ريغ دنع ‪،‬ب[ ‪،‬د ‪،‬م ]ن‬ ‫‪: ‎15.‬عقت عقي ]د[‬ ‫‪ ‎14.‬تالولعملا ‪:‬يتلا ةصقان ]م[‬ ‫‪،‬د ‪،‬م ]ن‬

‫‪ ‎19.‬ام ‪:‬نيب ريثأت ‪،‬ب[ ‪،‬د‬ ‫‪: ‎18.‬ضعبلل اهتبثأ قوف رطسلا ]ب[‬ ‫‪: ‎17.‬طيسوت طّسوت ‪،‬ب[ ‪،‬د ‪،‬م ]ن‬ ‫‪: ‎22.‬ناكمإ‬ ‫‪: ‎21.‬لالعتسالاب لالقتسالاب ‪،‬د[ ‪،‬م ]ن ةلمهم ]ب[‬ ‫‪: ‎20.‬دجوت دجوي ]م[‬ ‫‪،‬م ]ن‬ ‫‪: ‎25.‬ةطيرش طيرش ]ب[‬ ‫‪: ‎24.‬نع نم ‪،‬ب[ ‪،‬د ‪،‬م ]ن‬ ‫‪: ‎23.‬رصحنت رصحني ]م[‬ ‫ةصقان ]م[‬ ‫‪: ‎26.‬دحاو دحاولا ]م[‬

‫تدرأ ‪،‬ا[ ‪،‬ب ‪،‬د ‪،‬م ‪].‬ن‬

‫‪: ‎27.‬دحاو دحاولا ]م[‬

‫‪: ‎28.‬نوكت نوكي ‪،‬ب[ ‪،‬د ]ن‬

‫‪: ‎29.‬اندرأ‬

PHILOSOPHIE ET MATHÉMATIQUE SELON MAÏMONIDE : LE MODÈLE ANDALOU DE RENCONTRE PHILOSOPHIQUE Lorsque l’on s’interroge sur les modèles de rencontre philosophique, il n’est pas rare que l’on évoque al-Andalūs, ou, plus généralement, l’Espagne musulmane. Ce modèle est souvent perçu selon deux sens à la fois : l’image d’une positivité historique, et un paradigme ; un idéal jadis réalisé, qu’on aspire à épouser dans le possible. Il est vrai que l’historien peut débattre de l’un de ces sens ; il peut même repérer des zones d’ombre qui entacheraient le sens paradigmatique. En revanche, la base sur laquelle ce modèle a été forgé, il lui est vraiment impossible de la méconnaître. Contrairement à ce qui a souvent été dit, il ne s’agit sans doute pas d’une quelconque idée de la tolérance encouragée par la piété islamique, mais de la reconnaissance formelle d’un statut juridique conféré à une certaine multiplicité et à une certaine différence. À cet égard, l’Espagne musulmane ne se distingue nullement des autres pays du monde musulman de la même époque. Nul n’ignore en effet que ce qui régissait la société islamique, c’est le droit élaboré par les juristes à partir du Qurʾān, de la parole prophétique attestée. Selon celle-ci, les religions révélées, et elles seules, ont le droit d’exister comme telles, avec leurs institutions, au sein de la cité islamique. Ce n’est donc pas au titre de « tolérées» que ces religions et leurs institutions font partie de la cité ; elles tirent la légitimité de leur existence et de leur présence, tout comme leurs fidèles, de la révélation islamique elle-même. Quelle que soit la modalité qui réglait leur présence, celle-ci n’était jamais à la merci de quiconque, fût-il prince, roi, ou même calife. Restreinte aux seules religions révélées, la multiplicité trouve donc des racines juridiques dans le Qurʾān et dans la loi islamique. Or c’est précisément cette multiplicité juridiquement reconnue qui a rendu possibles les rencontres et leur diversité. On comprend dès lors la présence, ainsi que le poids, des philosophes, savants, hauts fonctionnaires juifs et chrétiens dans la cité islamique, depuis les Omeyyades d’Espagne. Dans

Paru dans Maïmonide, philosophe et savant (1138-1204), Études réunies par Tony Lévy et Roshdi Rashed, Ancient and Classical Sciences and Philosophy, Leuven, Peeters, 2004, p. 253-273.

120

IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

la chrétienté, un seul exemple peut suggérer une situation analogue, mais due à la volonté du Prince, celui de la Sicile de Frédéric II et, dans une moindre mesure, Robert d’Anjou au xiv e siècle. On sait en revanche qu’en Espagne avec la Reconquête on retrouvera le modèle unitaire et exclusif, et l’aboutissement qui fut le sien : la tragédie des Morisques au début du xvii e siècle. La question des rencontres philosophiques ou scientifiques n’ouvre donc pas sur celle de la tolérance ; elle soulève celle de la multiplicité juridiquement reconnue et socialement acceptée ; d’aucuns parleraient aujourd’hui du droit à la différence au sein de la cité. Comment cette rencontre s’opérait-elle ? Globalement, l’Espagne musulmane apparaît ce qu’elle n’a jamais cessé d’être : une partie frontière de ce monde islamique qui s’étend jusqu’en Chine, dans toute sa diversité ; et une unité de la conception de la cité islamique. Une fresque immense suffirait à peine à la dépeindre, mais nous n’avons ni le temps, ni la compétence, pour une telle entreprise. Nous nous satisferons d’un simple portrait pour illustrer cette situation, le portrait d’un philosophe, et non des moindres, Abū ʿUmrān Mūsā ibn Maymūn, alias Maïmonide. Sa biographie est emblématique de celle des philosophes et des savants de cette époque et de cette société. Né à Cordoue en 1135 – ou en 1138 –, formé en Espagne et au Maroc, sous le règne des Almohades, il opte vers la trentaine pour l’Égypte. Il séjourne d’abord à Alexandrie, avant de s’installer au Caire et de devenir médecin de la cour et président de la communauté juive. Juif et arabophone, il rédige son œuvre philosophique et scientifique en arabe. Son opus magnum en philosophie est le célèbre Guide des égarés, rédigé en arabe entre 1186 et 1190 et traduit en hébreu quelques années plus tard, avant de l’être en latin. L’impact de ce livre ne s’est pas limité à la sphère des penseurs médiévaux, puisqu’il atteint Leibniz, Spinoza et, à la fin du xviii e siècle, Salomon Maïmon. Cette rapide esquisse a le mérite de révéler plusieurs rencontres. D’abord, la rencontre entre philosophie, kālam, sciences et mathématiques, où s’est ressourcé l’acte de philosopher. D’autre part, dans une société qui reconnaît la multiplicité, même si celle-ci n’englobe que les religions révélées, le philosophe, s’il ne veut pas être un théologien, doit parler une langue commune et reconnaître les critères admis par tous en dépit de leur différence. Or c’est précisément au langage de l’aristotélisme néo-platonicien et aux critères de la preuve qu’al-Kindī a eu recours au ix e siècle, en cela suivi par tous, que ce soit le chrétien Yaḥyā ibn ʿAdī ou le juif Maïmonide. Nous éviterons de nous perdre dans les généralités, en nous demandant précisément comment cette rencontre a été conçue par Maïmonide. Notre point

PHILOSOPHIE ET MATHÉMATIQUE SELON MAÏMONIDE

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fixe sera cette charnière qui semble dominer sa démarche et qui est souvent passée inaperçue, là où se nouent philosophie et mathématiques. Venons-en au Guide des égarés, et citons Maïmonide. Il écrit : Écoute ce que les mathématiques nous ont apporté et combien sont grandes les prémisses que nous leur avons empruntées 1.

Ainsi parlait Maïmonide dans le Guide des égarés ; il exhortait son lecteur à acquérir cet enseignement propédeutique à la philosophie. Cette exhortation est aussi un aveu : le philosophe admet, bien plus, il le revendique, avoir eu recours aux mathématiques pour mener ses recherches métaphysiques. Et de fait, pour peu que l’on fréquente le Guide, on repère aisément les traces des mathématiques : dans les préliminaires, dans les thèmes de réflexion, dans les procédés de démonstration, elles sont partout présentes. En cela, disons-le une fois pour toutes, Maïmonide est bien ancré dans cette tradition engagée au moins trois siècles auparavant par al-Kindī, et poursuivie sans relâche par al-Fārābī, Ibn Sīnā, Ibn Bājja, pour ne citer qu’eux. Reste à savoir comment Maïmonide a conçu les rapports entre mathématiques et métaphysique. Tel est le sujet du présent exposé. Mais il faut avant tout connaître la culture mathématique de Maïmonide, ainsi que le pouvoir de pénétration qui était le sien en ce domaine. C’est aussi de cela en effet que dépend sa conception des rapports entre les deux disciplines. Plusieurs éléments bibliographiques, de valeur inégale, du reste, nous montrent Maïmonide aux prises avec les sciences mathématiques. Ces éléments sont pour la plupart bien connus, et nous les rappellerons très brièvement. Tout d’abord, Maïmonide lui-même nous informe : il se réfère à Euclide – au livre X des Éléments –, aux Coniques d’Apollonius, à l’ouvrage des Banū Mūsā sur les Procédés ingénieux, à certains travaux de Thābit ibn Qurra, d’al-Qabīṣī, de Jābir ibn Aflaḥ, etc. Il s’agit donc de la connaissance géométricoastronomique d’un intellectuel du xii e siècle, dont le sommet est sans doute les Coniques d’Apollonius. Maïmonide évoque deux de ses maîtres en sciences mathématiques : un élève d’Ibn Bājja, et le propre fils de Jābir ibn Aflaḥ. Un second groupe d’éléments bibliographiques, plus intéressant, nous présente Maïmonide non seulement étudiant les sciences mathématiques, mais, en quelque sorte, les enseignant. On sait en effet que Maïmonide a dicté – et non écrit – les Gloses sur certaines propositions du livre des Coniques 2. Il s’agit là d’un commentaire oral, vraisemblablement adressé à un cercle de ses élèves, selon ‎1. Guide des égarés, éd. Hüseyin Atay (Ankara, 1974 ; reprod. Le Caire, s.d.), p. 210. ‎2. Ms. Manisa Genel 1706, fol. 26 v-33 v.

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IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

le mode d’enseignement en vigueur à l’époque. D’autre part, quand il s’adresse à son élève Yūsuf ibn Yaḥyā ibn Shamʿūn à propos de l’Almageste, il écrit : « quand tu as étudié sous ma direction (qaraʾta ʿalayya) ce que tu as étudié en astronomie ainsi que les propédeutiques indispensables en mathématiques pour préparer cette étude » 1, preuve qu’il connaissait assez les sciences mathématiques pour les enseigner à ses élèves philosophes. Telle est d’ailleurs la réputation que certains biobibliographes de l’époque lui ont faite. Nous connaissons tous le témoignage d’al-Qifṭī 2 : Maïmonide aurait rectifié le livre de Jābir ibn Aflaḥ en astronomie, ainsi que le compendium mathématique attribué à Ibn Hūd : al-Istikmāl. À cela, on peut encore ajouter quelques éléments glanés çà et là, mais qui n’altèrent en rien ce portrait : un philosophe d’une culture géométrico-astronomique, dont le point culminant est les Coniques d’Apollonius, ainsi qu’un livre d’Ibn al-Haytham. Mais, observé de loin, ce sommet apparaît bien haut : les Coniques d’Apollonius sont l’un des ouvrages les plus difficiles des mathématiques anciennes et classiques, dont, cinq siècles après Maïmonide, Descartes nous informe «qu’on trouve à peine en tout un pays un homme qui soit capable de les entendre» 3. Maïmonide connaissait également L’Achèvement des coniques, d’Ibn al-Haytham. Ce dernier livre semble avoir été confondu par le copiste, si ce n’est par Maïmonide lui-même, avec le huitième livre, perdu très tôt, des Coniques 4. Le nom d’Ibn al-Haytham n’apparaît en effet nulle part dans le commentaire du philosophe. Donc, vue de loin, la connaissance mathématique de Maïmonide semble bien au niveau des travaux d’Apollonius et d’Ibn al-Haytham. Mais, pour ajuster cette impression, arrêtons-nous quelque peu à son commentaire des Coniques. Or l’étude de ce commentaire transmis par une copie particulièrement fautive nous le montre sous un jour paradoxal : alors qu’il porte sur les sections coniques, il n’en traite jamais les propriétés, mais s’en tient à des détails de démonstration, c’està-dire à certaines implications géométriques simples, délibérément laissées au soin du lecteur par Apollonius et Ibn al-Haytham : similitude des triangles, explicitation des rapports, inégalités d’angles, etc. Les gloses de Maïmonide donnent donc les étapes d’un raisonnement, qui permettent de passer d’un premier résultat à la conclusion, déduction considérée comme évidente par Apollonius ‎1. Guide des Égarés, éd. Atay, p. 7. ‎2. Al-Qifṭī, Taʾrikh al-ḥukamāʾ, éd. J. Lippert (Leipzig, 1903). ‎3. Lettre à Huygens, Leyde, Juillet 1640. ‎4. R. Rashed, Les Mathématiques infinitésimales du ix e au xi e siècle, vol. III : Ibn al-Haytham. Théorie des coniques, constructions géométriques et géométrie pratique (Londres, 2000).

PHILOSOPHIE ET MATHÉMATIQUE SELON MAÏMONIDE

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et Ibn al-Haytham. Ainsi, dans le commentaire de la proposition II.20 des Coniques, Maïmonide ne fait que justifier l’égalité de deux angles alternes-internes, justification qu’Apollonius a naturellement laissée à son lecteur 1. Autre exemple : la proposition II.23. Apollonius, au cours de sa démonstration, a laissé sans justification l’égalité de deux produits de segments, tout en donnant cependant l’hypothèse nécessaire pour y parvenir immédiatement : le commentaire de Maïmonide se réduit à la démonstration de cette égalité 2. Enfin, dans son commentaire de la proposition II.61, Maïmonide invoque le troisième livre des Éléments, pour justifier une égalité qui comporte une tangente et une sécante issues d’un même point (il s’agit de la proposition III.36 des Éléments, dite de la puissance d’un point extérieur à un cercle). Ici encore le commentaire de Maïmonide n’ajoute rien de substantiel au texte d’Apollonius 3. Il en est de même pour les commentaires des propositions II.62, III.24, V.44, entre autres. Il arrive même à Maïmonide de confondre deux cas traités séparément par Apollonius, et de commenter la conclusion du second cas en prenant pour hypothèse des égalités qui ne sont valables que pour le premier. On trouve cette confusion grave dans le commentaire de la dernière proposition du second livre des Coniques 4. Les exemples que je viens d’évoquer brièvement sont bien représentatifs du commentaire de Maïmonide, et désignent, à qui veut les voir, les limites de sa connaissance mathématique. Le philosophe connaissait à l’évidence assez de mathématiques pour tenter, plume à la main, de lire, peut-être même d’enseigner et de commenter, des œuvres mathématiques comme les Coniques, c’est-à-dire du niveau le plus élevé de l’époque. Mais son commentaire, nous l’avons vu, ne porte jamais sur les idées essentielles, sur les propriétés véritablement étudiées dans cette œuvre ; il s’attache seulement aux techniques élémentaires de démonstration, enseignées, pour la plupart, dans les six premiers livres des Éléments d’Euclide. En bref et en clair, son commentaire n’est nullement au niveau des œuvres commentées. Mais alors, pourquoi Maïmonide a-t-il mobilisé temps et énergie – considérables, sans doute – pour aboutir à un si maigre résultat ? Certes, on peut invoquer, selon les termes de Maïmonide lui-même, le rôle des mathématiques pour entraîner l’esprit (tarwīḍ al-dhihn) à parvenir à la perfection humaine 5. Mais il y a bien plus : il

‎1. ‎2. ‎3. ‎4. ‎5.

Voir infra, Appendice I. Voir infra, Appendice II. Voir infra, Appendice III. Voir infra, Appendice IV. Guide des égarés, éd. Atay, p. 76.

124

IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

s’agit des autres rapports entre mathématiques et philosophie. Nous nous en tiendrons aux plus importants. Le point de départ de Maïmonide, faut-il le rappeler, est le dogme, et non pas la philosophie : « éclairer, dit-il, les difficultés du dogme (mushkilāt al-sharīʿa), et rendre manifestes ses vérités cachées qui dépassent de loin la compréhension du commun » 1. C’est là une des principales tâches de la philosophie depuis al-Kindī (voir son traité sur la quantité des livres d’Aristote), qui consiste à atteindre la vérité transmise par les écritures par la voie de la raison, de la spéculation philosophique. Or pour accomplir cette tâche, voire simplement l’engager, il fallait admettre une parfaite concordance entre les deux ordres de vérité, celle des Écritures et celle de la raison et de la philosophie. Cette « concordance » repose sur un principe ainsi formulé par Averroès : « une vérité ne contredit pas une vérité mais s’accorde avec elle et témoigne en sa faveur » 2. En cela, le moyen pour lequel Maïmonide a opté est le même que celui dont s’étaient munis ses prédécesseurs : « la voie démonstrative susceptible d’aucun doute (al-ṭarīq al-burhānī alladhī lā rayb fīhi)», c’est-à-dire d’établir par la « démonstration véritable (al-burḥān al-ḥaqīqī) » les vérités du dogme : l’existence de Dieu, son unicité et son incorporalité. Or une telle démonstration ne pouvait procéder, pour ces philosophes, que selon le modèle mathématique. Mais, pour qu’il en fût ainsi, il fallait user d’un autre langage que celui de la Révélation, un langage dont les concepts, définis par la seule raison, fussent dotés d’une certaine neutralité ontologique. La « démonstration véritable», c’est-à-dire selon le modèle mathématique, est donc la voie nécessaire pour que les vérités de la Révélation accèdent aussi au statut de vérités de raison, lequel n’est nullement le propre d’une religion particulière, révélée ou non. Tel est le premier rapport entre mathématiques et philosophie. Mais ces rapports, on le verra, sont étagés. Tout d’abord, la démarche générale de Maïmonide consiste à emprunter les notions à la philosophie aristotélicienne de ses prédécesseurs, et, aux mathématiques, les procédés d’exposition et de démonstration ; c’est, par exemple, la démarche qui est à l’œuvre dans la partie principale du second livre du Guide. La méthode suit donc celle des géomètres, auxquels on doit certains procédés – notamment la reductio ad absurdum – pour établir chaque élément de l’exposition. Dans le Guide, ces éléments sont au nombre de vingt-cinq ; vingt-cinq lemmes dont la plupart sont

‎1. Ibid., p. 278. ‎2. Ibn Rushd, Manāhij al-adilla, p. 32.

PHILOSOPHIE ET MATHÉMATIQUE SELON MAÏMONIDE

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évoqués par leur énoncé, mais qui tous ont été considérés par Maïmonide comme rigoureusement démontrés par les prédécesseurs. À ces lemmes, il ajoute un postulat, et c’est de ces vingt-six propositions qu’il déduit son « théorème principal» : Dieu existe, il est unique, et il n’est ni un corps ni dans un corps. L’intérêt de ce passage du Guide tient moins à la force de la preuve, qu’à l’agencement délibéré en métaphysique d’un exposé more geometrico. Les premiers lemmes sont eux-mêmes susceptibles d’un traitement logico-mathématique depuis Aristote, réactivé par al-Kindī, ensuite repris par maints métaphysiciens comme Muḥammad ibn Zakariyā al-Rāzī, Abū al-Barakāt al-Baghdādī, Fakhr al-Dīn al-Rāzī, Naṣīr al-Dīn al-Ṭūsī, entre autres ; enfin, ils se retrouvent groupés dans le commentaire du Guide par al-Tabrīzī, et dans celui de Crescas ensuite. Il s’agit de l’impossibilité d’une grandeur infinie, et de l’impossibilité d’un nombre infini de grandeurs coexistantes. Le troisième lemme énonce l’impossibilité d’une chaîne infinie de causes-effets, matériels ou non – ce qui condamne d’avance la régression à l’infini des causes. À ces trois lemmes succèdent trois énoncés. Le premier porte sur le changement : le changement se produit selon quatre catégories, la substance, la quantité, la qualité et le lieu. Le second concerne le mouvement : tout mouvement est un changement, et passage de la puissance à l’acte. Le troisième énoncé énumère les espèces du mouvement. Le septième lemme est ainsi énoncé : « Tout sujet de changement est divisible, c’est pourquoi tout ce qui se meut est divisible et c’est nécessairement un corps ; inversement aucun indivisible ne se meut, et c’est pourquoi ce n’est nullement un corps». Le huitième lemme affirme que « tout ce qui est en mouvement par accident s’arrête nécessairement». Le neuvième, que «tout corps qui en meut un autre se meut également lors de ce mouvement». Ainsi avance l’énoncé des propositions liminaires, dont la quatorzième pose que le déplacement précède tous les mouvements, et la vingt-cinquième que toute substance individuelle composée a une matière et une forme. Ces vingt-cinq lemmes, dont nous venons de rappeler quelquesuns, relèvent tous de la philosophie aristotélicienne. Ils ne sont cependant pas homogènes : leur origine les sépare, ainsi que leur complexité logique. Maïmonide n’ignore nullement cette hétérogénéité, et nous livre globalement ses sources : « La Physique et ses commentaires», et « La Métaphysique et son commentaire». Pour les livres de la Physique et de la Métaphysique, il est aisé de les identifier : le troisième et le huitième livre de la Physique et le dixième et le onzième de la Métaphysique. Mais s’il s’agit de localiser avec précision les commentaires de la Physique et le commentaire de la Métaphysique, le problème est tout autre, et c’est une tâche qui n’est pas la nôtre

126

IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

ici. La complexité logique des lemmes est ainsi décrite par Maïmonide : « Il y a des lemmes clairs par la moindre considération et par des prémisses démonstratives et des notions intelligibles premières ou proches de celles-ci» et « il y a des lemmes qui nécessitent des démonstrations et de nombreuses prémisses mais qui ont été démontrées par une démonstration indubitable». Autrement dit, il y a des lemmes qui sont si proches des axiomes qu’ils sont évidents par « la moindre considération (adnā taʾammul) » ; et d’autres en sont si loin qu’ils exigent plusieurs propositions intermédiaires pour pouvoir être établis, mais cela a été fait par Aristote, ses commentateurs et ses successeurs. Les vingt-cinq lemmes du système se partagent entre les deux espèces. Maïmonide n’ignore pas qu’une preuve, pour mériter son nom, doit être à la fois universelle et contraignante. Or, tel ne pourra être le cas de la question traitée ici, eu égard à l’opposition irréductible entre les deux vérités, révélée et philosophique, sur l’éternité du monde. Pour que la preuve soit à l’image de la preuve mathématique, c’est-à-dire véritablement apodictique, il faut qu’elle soit toujours valable, que l’on croie ou non à l’éternité du monde. C’est donc pour ainsi dire en mathématicien que Maïmonide introduit dans le système, et ceci contre sa propre conviction, l’éternité du monde à titre de postulat, portant ainsi le nombre des propositions liminaires à vingt-six. À ce propos, il écrit sans la moindre ambiguïté : J’ajoute aux lemmes précédents (les vingt-cinq) un seul lemme qui nécessite l’éternité ; Aristote prétend qu’il est vrai et mérite d’être cru en premier, nous l’admettons donc d’une manière conventionnelle (ʿalā jihat al-taqrīr), afin de montrer ce que nous avons voulu démontrer.

C’est donc en tant que postulat nécessaire à la complétude du système, et, de ce fait, à la déduction de son « théorème », que Maïmonide introduit l’éternité du monde. Cet aspect conventionnel – mais non arbitraire – de la proposition, prend tout son éclat lorsqu’on sait que Maïmonide ne croit pas à la doctrine de l’éternité du monde. Lisons ce qu’il écrit, par exemple : La véritable manière pour moi, qui est la voie démonstrative, non susceptible d’aucun doute, est d’établir l’existence de Dieu, son Unicité et la négation de sa corporalité par les voies des philosophes, mais fondées sur l’éternité du monde ; non pas que je croie à l’éternité du monde ou que je la leur accorde, mais parce que c’est par cette voie que la démonstration devient valide ; et l’on atteint la certitude parfaite par ces trois

PHILOSOPHIE ET MATHÉMATIQUE SELON MAÏMONIDE

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choses, c’est-à-dire l’existence de Dieu, qu’il est unique et qu’il n’est pas un corps, sans prendre soin de juger si le monde est éternel ou créé 1.

En fait, Maïmonide savait que le problème de l’éternité du monde ne peut pas avoir une solution positive ; d’aucuns diraient plus tard que la raison dialectique s’y heurte à une antinomie, attendu qu’il faudrait déterminer les propriétés des choses qui n’existent pas encore. L’architectonique de cette partie du Guide est assurément conçue à la façon d’un exposé mathématique, selon l’ordre de la géométrie. Cet ordre apparaît en fait comme une condition de la certitude d’une connaissance métaphysique, notamment celle de Dieu, de son existence, de son unicité et de son incorporalité. C’est cette idée séminale, déjà présente chez al-Kindī, que l’on retrouvera plus tard chez Spinoza. Mais, comme l’avait noté Crescas, tout le problème reste de savoir si ces vingt-cinq propositions ont été effectivement démontrées ; et si, d’autre part, on peut véritablement en déduire « le théorème». Ces deux questions ne cesseront de hanter les successeurs de Maïmonide. Ainsi le commentaire d’al-Tabrīzī est destiné à démontrer ces propositions ; Crescas, lui, suit la même démarche, mais l’intention est de les invalider. Maïmonide lui-même tente cette déduction, que nous ne pouvons suivre que très schématiquement, mais en soulignant l’esprit dans lequel elle a été faite. D’après le vingt-cinquième lemme, toute substance individuelle composée a besoin pour exister d’un moteur, qui prépare convenablement la matière et la rend propre à recevoir la forme. Mais, d’après le quatrième lemme, il existe nécessairement un autre moteur, qui peut ne pas être de même espèce, précédant ce dernier moteur. Or, suivant le troisième lemme, cette chaîne de moteurs / mobiles est nécessairement finie : le mouvement aboutit donc à la sphère céleste pour s’y arrêter. Celle-ci est animée d’un mouvement de déplacement, puisque ce mouvement précède tout autre mouvement pour les quatre catégories du changement, selon le quatorzième lemme. Or, d’après le dix-septième lemme, tout ce qui se meut a nécessairement un moteur, donc la sphère céleste a nécessairement un moteur. Ce moteur, ou bien est extérieur au mobile, ou bien il est en lui. C’est là une division nécessaire. Si le moteur lui est extérieur, ou bien c’est un corps extérieur à la sphère céleste, ou bien il n’est pas dans un corps ; dans ce dernier cas, le moteur est dit «séparé» de l’Orbe céleste. Si le moteur est en celui-ci, c’est ou bien une force diffuse en lui, ou bien une force indivisible, comme est l’âme pour l’homme. On

‎1.

Guide des égarés, éd. Atay, p. 184.

128

IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

se trouve ainsi face à quatre possibilités, dont Maïmonide va rejeter trois comme impossibles, à l’aide de différents lemmes. Reste pour finir la seule possibilité d’un non-corps extérieur à la sphère céleste, séparé d’elle, qui la meut d’un mouvement de déplacement dans l’espace. Maïmonide conclut son long raisonnement sur ces mots : On a ainsi démontré (faqad tabarhana) que le moteur du premier Orbe, si son mouvement est éternel et continu, n’est nécessairement ni un corps ni d’aucune manière une puissance dans un corps, pour que son moteur ne puisse avoir un mouvement ni par essence ni par accident ; c’est pourquoi il n’admet ni division ni changement, comme on l’a mentionné dans le cinquième et le septième lemme. C’est Dieu, Glorieux soit Son Nom, c’est-à-dire la cause première qui meut l’Orbe céleste ; il est impossible qu’il soit deux ou plus [...]. C’est ce qu’il fallait démontrer 1.

Nous venons donc de voir que, pour Maïmonide, c’est en trois sens que les mathématiques se présentent comme conditions de la connaissance métaphysique. Le plus immédiatement, les mathématiques sont un exercice de l’esprit. En second lieu, elles fournissent un modèle de construction – une architechtonique – permettant de parvenir à la certitude. Enfin, elles offrent des procédés de démonstration : la méthode apagogique notamment. Mais ces rapports entre mathématiques et métaphysique ne sont pas les seuls que l’on rencontre dans le Guide. Nous avons naguère attiré l’attention sur un autre rapport, non moins important : les mathématiques peuvent jouer le rôle de moyen d’argumentation en métaphysique. L’exemple le plus fameux, et le plus pertinent, est précisément tiré des Coniques d’Apollonius : l’asymptote à une hyperbole équilatère permet de penser le problème des rapports entre imaginer et concevoir. Dans sa critique du Kalām, Maïmonide entend en effet réfuter la thèse selon laquelle «tout ce qui peut être imaginé est possible pour la raison ». Il veut pour cela établir la négation de cette thèse : il existe des choses que l’on ne peut pas imaginer, c’est-à-dire que l’on ne peut se figurer d’aucune manière par l’imagination, mais dont on peut établir l’existence par la démonstration. C’est dire que, pour Maïmonide, il n’existe aucun principe qui permette de passer de l’imagination à la réalité métaphysique. Il formule ainsi sa thèse : Sache qu’il y a certaines choses que l’homme, lorsqu’il les considère par l’imagination, ne peut nullement se figurer, et qu’au contraire il trouve aussi impossibles par l’imagination que le serait la réunion des choses contraires ; et cependant, cette chose qu’il est impossible de s’imaginer,

‎1. Ibid., p. 272.

PHILOSOPHIE ET MATHÉMATIQUE SELON MAÏMONIDE

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on peut établir par la démonstration qu’elle existe et en faire sortir la réalité 1.

Dans ces termes, nous avons eu l’occasion de le montrer 2, Maïmonide reprend en l’infléchissant le problème de la démonstration de ce que l’on ne peut concevoir, problème soulevé au x e siècle par le mathématicien al-Sijzī. L’exemple invoqué par Maïmonide pour illustrer cette question est le même que celui discuté par son prédécesseur – la proposition II.14 des Coniques d’Apollonius relative aux asymptotes à une hyperbole équilatère : la courbe et ses asymptotes se rapprochent toujours à mesure qu’on les prolonge indéfiniment, sans pourtant se rencontrer. Ceci, écrit Maïmonide, ne peut être imaginé, et ne peut tomber en aucune manière dans le filet de l’imagination. Ces deux lignes sont l’une droite, l’autre courbe, ainsi qu’il y est exposé. Il est donc démontré l’existence de ce qu’on ne peut s’imaginer et qui ne saurait être saisi par l’imagination, mais lui paraît impossible 3.

L’imagination invoquée ici par Maïmonide est l’imagination mathématique : même pour celle-ci, rien n’assure le passage à la réalité métaphysique. Mais on peut affirmer sans risque que ce qui est vrai pour l’imagination mathématique l’est a fortiori pour toutes les autres formes de cette faculté. L’évocation de cette proposition des Coniques semble, dans l’esprit de Maïmonide, avoir bien plus de force qu’un simple exemple : c’est un procédé d’argumentation que le métaphysicien emprunte aux mathématiques. En conclusion : tout comme ses prédécesseurs depuis al-Kindī, Maïmonide a trouvé dans les mathématiques à la fois un modèle pour l’architechtonique, des procédés de démonstration et des moyens d’argumentation. Le rôle des mathématiques n’est donc pour lui nullement réduit à celui d’une propédeutique à l’enseignement de la philosophie. Nous comprenons à présent que, si Maïmonide a consacré temps et énergie à l’acquisition d’un savoir mathématique –

‎1. Ibid., p. 214. ‎2. «Al-Sijzī et Maïmonide : Commentaire mathématique et philosophique de la proposition II-14 des Coniques d’Apollonius», Archives internationales d’histoire des sciences, vol. 37, n o 119 (1987), p. 263-296. Traduction anglaise : « Conceivability, Imaginability and Provability in Demonstrative Reasoning : al-Sijzī and Maimonides on II.14 of Apollonius’ Conic Sections », Fundamenta Scientiae, vol. 8, n os 3/4 (1987), p. 241256. ‎3. Guide des égarés, éd. Atay, p. 215.

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IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

même modeste – c’est qu’il la concevait, de même que ses prédécesseurs, comme une tâche profondément philosophique : celle de résoudre mathématiquement des problèmes métaphysiques. Nous venons de voir grâce à Maïmonide, que si des rencontres de ce type ont incité l’acte de philosopher à se ressourcer, c’est parce qu’elles ont neutralisé les particularités pour asseoir la pensée sur des bases solides, lieux d’une convergence possible. N’est-ce pas là la voie la plus sûre pour s’approcher de l’universel ?

PHILOSOPHIE ET MATHÉMATIQUE SELON MAÏMONIDE

131

Appendice I 

.1 ‫هلوق لكو ةيواز ـك ح ع ةيواسم ةيوازل ل ع ح‬: — ‫لكش ـك‬

‫ وهو طخ‬5 ‫ اًعيمج طخ دحاو ميقتسم‬4 ‫ دقو عقو امهيلع‬،‫ح‬

‫ اًيزاوم طخل ـك‬3 ‫ طخ ع ل‬2 ‫ةلع كلذ نوك‬

.‫ح ع‬

‫ميقتسم اطخ ادحاو‬: ‫ طخ دحاو‬5. ‫امهيلع اهيلع‬: 4. ‫ خ ل‬:‫ ع ل‬3. ‫نوك نود‬: 2. ‫ ل خ ح‬:‫ ل ع ح‬1.

‫اميقتسم‬.

Proposition 20. – Son énoncé : L’angle KHO tout entier est égal à l’angle LOH. La raison en est que la droite OL est parallèle à la droite KH et une seule droite tombe sur elles, soit la droite HO.

132

IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

Appendice II Apollonius veut démontrer que KM · ML = 2 CH2 .

On sait que d’après la proposition II.22 CH2 = IM · ME

et

CH2 = IK · KE;

mais IM · ME + IK · KE = LM · MK,

(1)

car KE = IL, donc LM · MK = 2 CH2 . Dans sa glose, Maïmonide donne une démonstration de l’égalité (1) qu’Apollonius a utilisée en rappelant l’hypothèse KE = IL. On a immédiatement LM · MK = (KE + IM)(ME + EK) = IM · ME + EK(KE + EM + MI)

= IM · ME + EK · KI, ce qui explique pourquoi Apollonius s’est dispensé de justifier.

‫‪133‬‬

‫‪PHILOSOPHIE ET MATHÉMATIQUE SELON MAÏMONIDE‬‬

‫‪Maïmonide va donner une longue, et moins simple, justification‬‬ ‫‪de cette implication évidente. Voici son texte (fol. 27 r) :‬‬

‫لكش ـجك ‪: — 1‬هلوق نكلو حطس ط م يف م ه عم حطس ط ـك يف ـك ه ٍواسم حطسل ل م يف م‬

‫ـك‪.‬‬

‫ـك‪ .‬جرخنف‪‬‬

‫‪:‬هناهرب نأ طخ ه ل لثم طخ ـك ط ‪ ،2‬برضف ط ـك يف ـك ه لثم برض ل ه يف ه‬ ‫نم ةطقن ه طخ ه ص لثم طخ ه ـك ىلع اياوز ‪،‬ةمئاق ممتيو حطس ل ص‪ ،‬جرخنو نم ةطقن م طخ م ق‬

‫ىلع اياوز ةمئاق لثم طخ م ه‪ ،‬متيو حطس ق ط ‪3‬؛ مث جرخن نم ةطقن م اًطخ اًيزاوم طخل ه ص‪ ،‬هذفننو ىلإ‬

‫ع‪ ،‬لعجنو ف ع لثم م ق‪ ،‬ممتيو حطس ل ع‪ .‬نيبف نأ حطس ل ع وه نئاكلا نم حطس ل م يف م ـك‪،‬‬

‫َحطسو ل ص وه نئاكلا نم حطس ل ه يف ه ـك حطسو ق ط وه نئاكلا نم حطس ط م يف م ه؛ لوقأف‬

‫نإ يحطس ل ص ق ط لثم حطس ل ع‪ ،‬كلذو نأب طقسن حطس ل ف ؛كرتشملا ‪:‬لوقأف نإ حطس ش ع‬

‫لثم حطس ط ق عم حطس ف ه؛ نأل حطس ش ع لثم حطس ط م يف م ق ول ط يف م ق‪ .‬حطسو‬ ‫ط م يف م ق وه حطس ط ق‪ ،‬حطسو ل ط يف م ق وه حطس ف ه‪ ،‬نأل م ق لثم م ه ول ط لثم‬

‫ص ه؛ كلذو ام اندرأ ‪.‬هنايب‬

‫‪ 1.‬ـجك‪ :‬ـك ح ‪ 2.‬ـك ط‪ :‬طل‬

‫‪ 3.‬ق ط‪ :‬و ط‪.‬‬

‫‪‬‬

‫‪Proposition 23. – Son énoncé : mais le produit de IM par ME plus le produit‬‬ ‫‪de IK par KE est égal au produit de LM par MK.‬‬

‫‪Démonstration. – La droite EL est égale à la droite KI, donc le pro‬‬‫‪duit de IK par KE est égal au produit de LE par EK. Menons du point E‬‬ ‫‪perpendiculairement une droite EU égale à la droite EK. On achève la‬‬

134

IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

surface LU. Menons du point M, perpendiculairement, la droite MQ égale à la droite ME. On achève la surface QI. Menons ensuite du point M une droite parallèle à la droite EU, prolongeons-la jusqu’à O et faisons PO égale à MQ. On achève la surface LO. Il est clair que la surface LO est le produit de LM par MK, que la surface LU est le produit de LE par EK et que la surface QI est le produit de IM par ME ; je dis que les deux surfaces LU et QI sont égales à la surface LO, et cela en enlevant la surface LP commune. Je dis que la surface XO est égale à la surface IQ plus la surface PE, car la surface XO est égale au produit de IM par MQ plus LI par MQ. Mais le produit de IM par MQ est la surface IQ et le produit de LI par MQ est la surface PE, car MQ est égale à ME et LI est égale à UE. Ce qu’il fallait démontrer.

PHILOSOPHIE ET MATHÉMATIQUE SELON MAÏMONIDE

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Appendice III Il s’agit de la seconde partie de la proposition LI de l’édition de Heiberg. Voici ce qu’écrit Maïmonide (fol. 27 r) : فرط‬3 ‫م‬

‫مئاقلا ناك طخ ـك ل اًسامم ةرئادل ز ـك‬، ‫ لثم‬2 ‫هلوق نإف ناك بناجملا‬: - 1 ‫لكش اس‬ .‫رطق ص ن‬ ‫هضرف‬. ‫مئاقلا حطسف ز ل يف ل ط لثم عبرم ل ـك ىلع ام طرش يف‬، ‫هناهرب هنأل نإ ناك بناجملا لثم‬:

‫لوصألا هنوكو اًسامم‬. ‫كلذك نإف طخ ل ـك ٌسامم ةرئادلل امك ناب نم ةلاقملا ةثلاثلا نم باتك‬، ‫اذإو ناك كلذ‬ ‫ يذلاو ىرُي نم همالك يف‬.‫ وز ل ٍزاوم ـل ن ص‬،‫ن نأل ـك ل ضرف اًدومع ىلع ز ل‬: ‫ىلع فرط رطق ص‬ ‫ةرئادلا جرخو هيلإ نم اهزكرم طخ‬، ‫اذه لكشلا نأ م ص لثم ص ـك ٌنيب نأل م ـك طخ ميقتسم عقو يف‬

‫هنايب‬. ‫ وهف هعطقي ؛نيفصنب كلذو ام اندرأ‬،‫ ىلع طخ م ل‬4 ‫ةمئاق نأل نم ةطقن ن جرخ ٌدومع‬، ‫هعطقو ىلع اياوز‬ 

‫اًدومع‬. ‫ٌدومع‬: 4.

‫ هكر‬:‫ ز ـك م‬3. ‫بناجملا بناجلا‬: 2. ‫ اص‬:‫ اس‬1.

Proposition 61. – Son énoncé : si le diamètre transverse est égal au côté droit, alors la droite KL sera tangente au cercle GKM à l’extrémité du diamètre UN. Démonstration. – Si le diamètre transverse est égal au côté droit, alors le produit de GL par LI est égal au carré de LK, selon ce qui est requis dans l’hypothèse. S’il en est ainsi, alors la droite LK est tangente au cercle, comme on l’a montré à partir du livre trois des Éléments. Elle est tangente à l’extrémité du diamètre UN, car KL a été supposée perpendiculaire à GL et GL est parallèle à NU. Ce que l’on voit à partir de ses propos dans cette proposition que MU est égale à UK, est clair, car MK est une droite qui tombe dans le cercle et vers laquelle a été menée du centre une droite qui la coupe suivant des angles droits, car du point N est issue une perpendiculaire à la droite ML, elle la coupe donc en deux moitiés. Ce qu’il fallait démontrer. On voit bien qu’il s’agit de démontrer que : si GL · LI/LK2 = d/c avec d = c, alors LK est tangente au cercle GIK. La démonstration comme le rappelle Maïmonide se fait par le troisième livre des Éléments. Il s’agit de III.36. Le commentaire de

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IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

Maïmonide n’ajoute rien à la démonstration, il se réduit à rappeler que, dans un cercle, un diamètre perpendiculaire à une corde la coupe en deux moitiés.

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Appendice IV

.‫هيف نإ ثلثم ـك ط ه هيبش ثلثمب ف ص م‬: ‫لكشلا ريخألا نم ةلاقملا< ةيناثلا >نم هلوق‬



‫ر‬

‫ نأل حطس م‬،1 ‫هلاق نإف ر ص طسو يف ةبسنلا نيب يطخ م ر ر ف‬، ‫هناهرب دعب ليصحت لك ام‬:

‫ هنأل‬،‫ةرئاد كلذكو ـك ل طسو يف ةبسنلا نيب يطخ ط ل ل ه‬. ‫ امهنأل يف‬،‫ لثم عبرم ص ر‬2 ‫يف ر ف‬ 4

‫ حطسف< ط ل يف ل ه دنع عبرم ـك ل >لثم حطس‬.3 ‫نيبت نأ حطس ط ل يف ل ه لثم عبرم ـك ل‬

‫ ةبسنو ط ل ىلإ ل ـك‬،6 ‫ ةبسنف م ر ىلإ ر ص ةبسنك ر ص ىلإ ف ر‬،‫ دنع عبرم ر ص‬5 ‫م ر يف ر ف‬

‫ نوكت ةبسن ـك ل ىلإ ل ه ةبسنك‬،‫ نكل نم لجأ هباشت يثلثم ـك ل ه ص ف ر‬.‫ةبسنك ـك ل ىلإ ل ه‬

‫ةمئاق ثلثمف‬، ‫ اتيوازو ل ُّلك ةدحاو امهنم‬،‫ ةبسنف م ر ىلإ ر ص ةبسنك ط ل ىلإ ل ـك‬،‫ص ر ىلإ ر ف‬

‫هنايب‬. ‫ عيمجف ثلثم ـك ه ط هيبش عيمجب ثلثم ص ف م؛ كلذو ام اندرأ‬،‫ـك ل ط هيبش ثلثمب ص ر م‬

 .‫ ح ر‬:‫ ف ر‬6. ‫ ر و‬:‫ ر ف‬5. ‫حطس حطسل‬: 4. ‫ ح ر ـك ل‬:‫ ـك ل‬3. ‫ ر و‬:‫ ر ف‬2. ‫ ر و‬:‫ ر ف‬1.

La dernière proposition du livre deux où il affirme que le triangle KIE est semblable au triangle PUM. Démonstration. – Après avoir acquis tout ce qu’il a dit, alors RU est une moyenne proportionnelle entre les droites MR et RP, car le produit de MR par RP est égal au carré de UR, car ils sont dans un cercle. De même, KL est moyenne proportionnelle entre les deux droites IL et LE, car on a montré que le produit de IL par LE est égal au carré de KL. Le produit de IL par LE par rapport au carré de KL est égal au produit de MR par RP par rapport au carré de RU, donc le rapport de MR à RU est égal au rapport de RU à PR et le rapport de IL à LK est égal au rapport de KL à LE. Mais en raison de la similitude des triangles KLE et UPR, on a le rapport de KL à LE égal au rapport de UR à RP, donc le rapport de MR à RU est égal au rapport de IL à LK ; mais

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IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

chacun des deux angles en L est droit, donc le triangle KLI est semblable au triangle URM, donc le triangle KEI tout entier est semblable au triangle UPM, tout entier. Ce qu’il fallait démontrer. Cette dernière proposition, la soixante-treizième selon la traduction arabe des Coniques, consultée par Maïmonide, s’écrit : Comment mener une tangente à l’ellipse qui forme un angle aigu égal à un angle donné, lorsqu’elle rencontre le diamètre mené par le point de contact, à condition toutefois que l’angle aigu donné soit plus petit que l’angle adjacent limité par les deux droites menées de deux extrémités du plus grand axe à l’extrémité du plus petit axe. (fol. 90 v)

La démonstration d’Apollonius comporte deux cas :

ˆ (T ˆ angle donné), [ = ACB [ =T a) ACH ˆ [ [ b) ACH < T, donc ACH aigu. Dans le premier cas, chacun des angles ACH et ACB est nécessairement droit, donc l’ellipse devient un cercle. Ce cas est traité par Apollonius de façon très simple, sans faire intervenir des triangles semblables.

Dans ce cas, le triangle IKE est rectangle et il en serait de même du triangle MUP (triangle qu’Apollonius ne fait intervenir que dans le second cas). Ces triangles ont pour hauteurs respectives KL et UR, et on a KL2 = LI · LE et RU2 = MR · RP, (*) ces relations ne sont vraies que dans le premier cas a. Maïmonide, comme on peut le lire, veut donner une justification d’un passage du cas b, le second, Apollonius ayant établi que le triangle KLE est semblable à RUP. On déduit immédiatement « que le triangle KIE est semblable au triangle PUM ». Pour justifier cette affirmation, Maïmonide utilise les deux égalités (*) qui ne sont pas vraies dans ce cas. On a en effet d EL · LI = c KL2

et

d MR · RP = c RU2

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(d et c étant le diamètre et le côté droit), égalités utilisées par Apollonius dans le cours de sa démonstration de ce dernier cas.

LE CONCEPT DE DÉMONSTRATION DE L’ANTIQUITÉ À L’ÂGE CLASSIQUE Les philosophes, et notamment les plus grands, n’ont cessé de réfléchir sur les pratiques démonstratives et sur le concept de démonstration. C’est le cas lorsqu’ils veulent élaborer une doctrine de la connaissance rigoureuse, comme Aristote, ou une doctrine de la science, comme Bolzano. Il arrive également que les philosophes mènent cette réflexion lorsqu’ils cherchent à fonder leur système sur des assises solides et procèdent par une détermination abstraite des conditions de l’apodicticité – Kant ou Husserl, par exemple. Le plus souvent, pour y parvenir, ils empruntent aux mathématiques à la fois méthodes et objets. L’histoire de la philosophie théorique, comme celle des sciences, a trouvé en retour dans le concept élaboré de démonstration et dans l’application des procédés démonstratifs un moyen de distinguer entre les différents styles philosophiques, et même entre les différentes architechtoniques qui les structurent. Dans ce livre, on se propose d’examiner le concept de démonstration de deux points de vue : historique et systématique. Le but est de contribuer à l’histoire de ce concept et de ses différentes applications dans quelques moments privilégiés de son élaboration, de l’antiquité à l’âge classique, de mieux le saisir grâce aux récents acquis de la logique et de l’algorithmique et de mieux contrôler les procédés démonstratifs mis en œuvre par les philosophes et les savants. Au terme de cette recherche, nous serons mieux armés pour repérer les différences entre les styles philosophiques, et aussi entre les différentes rationalités scientifiques. Vers le troisième siècle avant notre ère, on le sait, les mathématiciens non seulement exigeaient que l’on procédât par une démonstration rigoureuse, mais s’interrogeaient déjà sur l’architectonique qui garantit cette rigueur. Comme la démonstration s’identifiait alors à la démonstration géométrique, cette structure fondatrice a pris la forme d’un exposé « axiomatique», qui trouvera dans les Éléments d’Euclide son illustration la plus achevée. De leur

Préface des Actes d’un colloque qui s’est tenu les 3-6 juin 2008 au Centre d’Histoire des Sciences et des Philosophies Arabes et Médiévales (CNRS, Universités Paris 7 et Paris 1), Actes non publiés à ce jour.

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IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

côté, les philosophes, qui voulaient édifier une doctrine de la connaissance rigoureuse, et par conséquent de la démonstration, sur des bases solides, conçurent une nouvelle discipline : la logique. Celleci est longtemps restée leur apanage, avant de leur être ravie au cours des années trente du siècle dernier par les mathématiciens, qui commencèrent alors à penser mathématiquement leur propre discipline, ainsi que les méthodes et les procédés de démonstration qu’ils mettent en œuvre. Ces premières contributions mathématiques et philosophiques donnèrent le jour à quelques thèses historiques et philosophiques, qui ne cessèrent de se développer et de prendre de l’ampleur au cours des deux derniers siècles. Il est unanimement admis que l’idée même de démonstration rigoureuse est fille de la positivité grecque, et d’elle seule : elle n’est présente ni avant ni ailleurs. On affirme que le modèle de la connaissance apodictique est la géométrie, ou plus généralement les mathématiques, puisque c’est le lieu d’élection de la démonstration rigoureuse. On va même jusqu’à identifier les critères de l’apodicticité à ceux de la connaissance mathématique, et on mesure la rigueur démonstrative des autres disciplines à l’aune des mathématiques qui s’y trouvent. Mais comment ces thèses, et bien d’autres encore, se sont-elles ensuite développées, nuancées, diversifiées et rectifiées, au gré des nouveaux acquis en histoire de la philosophie et en histoire des sciences ? Aujourd’hui, en effet, on sait bien que d’autres disciplines, qui ne sont pas moins importantes que la géométrie euclidienne, ont contribué au développement du concept de démonstration. L’analyse de Diophante est l’une d’elles. On rencontre dans ses Arithmétiques des méthodes algorithmiques toujours en usage – bien qu’autrement formulées – en théorie des nombres et en géométrie algébrique. Ces méthodes n’ont cessé de susciter de nouvelles questions, telles que les relations entre algorithme et démonstration, ou encore : quelle est la valeur démonstrative intrinsèque d’un algorithme ? L’algorithme diophantien de l’équation double du second degré, par exemple, emprunté par les mathématiciens arabes, par Fermat, par Euler, et toujours en vie, a-t-il une valeur démonstrative ? Grâce à la logique mathématique, nous pouvons aborder ces questions de manière précise et sûre. Mais l’analyse de Diophante n’est pas la seule discipline qui ait participé à l’histoire du concept de démonstration. Avec Archimède notamment se pose la question des rapports entre heuristique mécanique et démonstration mathématique ; avec Apollonius, que ce soit dans les Coniques ou dans ses autres travaux, on voit se développer la méthode de l’analyse et de la synthèse, avec toutes les questions

LE CONCEPT DE DÉMONSTRATION

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logiques qu’elle soulève : le rôle des constructions auxiliaires dans la démonstration ; celui du diorisme ; la question de l’inversibilité des implications, etc. Avec Ménélaüs dans ses Sphériques s’élabore une géométrie différente de celle d’Euclide. Même si on parle encore la langue de la théorie des proportions, on ne peut plus faire l’économie de questions directement liées à la théorie de la démonstration : construction et existence ; critère de légitimité des constructions ; classification des propositions mathématiques, analyse et synthèse, etc., comme l’attestent les écrits de Galien, Pappus, Proclus, ... L’essentiel de cet héritage, scientifique et philosophique, fut reçu par les savants et philosophes arabes et fit l’objet à partir du ix e siècle de plusieurs réformes, qui en fait révolutionnent la configuration même des mathématiques et enrichissent le concept de démonstration. L’acte fondateur de ce mouvement fut la conception d’une discipline mathématique nouvelle, différente à la fois de la géométrie et de l’arithmétique, mais qui s’applique à ces dernières. L’algèbre, puisque c’est de cette nouvelle discipline qu’il s’agit, a permis ce qui auparavant était inconcevable : étendre l’application des disciplines mathématiques les unes aux autres en suscitant ainsi de nouveaux chapitres tels que la géométrie algébrique, l’analyse combinatoire, l’analyse diophantienne entière, etc. De nouveaux problèmes se sont alors posés en théorie de la démonstration : démonstration algébrique versus démonstration géométrique, démonstration d’un algorithme algébrique, démonstration par récurrence finie, démonstration purement arithmétique en théorie des nombres, etc. Les nouvelles disciplines et les nouvelles méthodes de démonstration ont abouti à un développement sans précédent de la recherche sur les thèmes liés à la théorie de la démonstration : traités substantiels sur l’analyse et la synthèse ; nouvelles classifications des propositions mathématiques ; introduction d’une notion de calculabilité dans une logique modale ; discussion de problèmes sémantiquement indécidables, etc. Mais ce renouvellement ne s’est pas limité aux mathématiques et à leur philosophie ; on l’observe aussi en physique (optique, statique) et en astronomie. On a introduit l’expérimentation comme catégorie de la preuve (Ibn al-Haytham) : désormais la preuve en physique est mathématique et expérimentale. Cet héritage passe pour l’essentiel en latin, et on assiste avec l’école italienne à la démonstration algébrique des équations cubiques et biquadratiques. Au xvii e siècle les méthodes précédentes se développent et de nouvelles sont inventées, telles que la démonstration par descente infinie en théorie des nombres (Fermat), les

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IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

procédés des « indivisibles» (Cavalieri notamment), avant que soit constitué le calcul différentiel. Mais pendant que ces recherches se poursuivaient autour de la Méditerranée, on étudiait les mathématiques en Inde et en Chine. Une étude comparative des procédés démonstratifs permet non seulement de mieux restituer l’histoire, mais aussi de formuler de nouvelles questions, logiques et philosophiques. Ce livre réunit les Actes d’un colloque qui s’est tenu les 3-6 juin 2008 au Centre d’Histoire des Sciences et des Philosophies Arabes et Médiévales (CNRS, Universités Paris 7 et Paris 1). Cette rencontre avait une double visée : réfléchir sur l’évolution de la théorie et des pratiques de la démonstration, et examiner son impact sur la pensée philosophique. Par sa conception et par son thème – interaction entre philosophie et mathématiques de l’antiquité à l’âge classique – ce livre s’inscrit dans le sillage de deux autres. Le premier, Mathématiques et Philosophie de l’Antiquité à l’Âge classique 1, conçu en hommage au philosophe Jules Vuillemin ; le second, Les Doctrines de la science de l’antiquité à l’âge classique 2.

‎1. Mathématiques et Philosophie de l’Antiquité à l’Âge classique. Études en hommage à Jules Vuillemin, éditées par R. Rashed. Paris : éditions du C.N.R.S, 1991. ‎2. Les Doctrines de la science de l’antiquité à l’âge classique, R. Rashed et J. Biard (éd.), Leuven, éd. Peeters, 1999.

LA DÉMONSTRATION AUX COMMENCEMENTS DE L’ALGÈBRE I. Les documents archéologiques et les textes historiques que nous connaissons attestent un fait inébranlable : c’est dans les cités grecques que l’on a élaboré, au terme d’un long parcours mathématique et philosophique, une pratique et une idée de la démonstration mathématique. Sur la contribution des mathématiciens d’Égypte et de Babylone à l’émergence des pratiques démonstratives et des normes de la preuve mathématique, nous ne savons pour l’heure rien de définitif – même si les résultats et les quelques textes qui nous sont parvenus laissent supposer que ces derniers ont vérifié leurs procédures de calcul et de solution des problèmes et les ont, en quelque sorte, justifiées. La recherche future nous en dira plus. Telle qu’elle est écrite aujourd’hui, l’histoire des mathématiques nous enseigne qu’autour du quatrième siècle avant notre ère, les mathématiciens grecs procédaient par antiphairesis, par neusis ..., avant de définir le concept de démonstration rigoureuse. Philosophes et mathématiciens vont engager deux courants de recherche pour parvenir à cette définition. Le premier a conduit à fonder la structure de la démonstration mathématique sous la forme d’une « axiomatique », qui trouvera dans les Éléments d’Euclide son illustration la plus achevée. L’autre a abouti à l’édification de la démonstration sur des bases théoriques solides : c’est Aristote qui, dans les Seconds Analytiques, achève cette démarche, en édifiant la première théorie du système déductif connue. Pendant deux millénaires au moins, mathématiciens, logiciens, philosophes et bien d’autres encore, enrichiront sans relâche la bibliothèque des commentaires, des critiques et des développements de ces deux livres, celui d’Euclide et celui d’Aristote. Mais, déjà au x e siècle et au début du siècle suivant, les mathématiciens de Bagdad, de Chiraz et du Caire élaboraient une théorie de la découverte qui, jointe à celle de la démonstration, constituait ce qu’on appellera

Conférence prononcée lors du colloque « Le concept de démonstration de l’antiquité à l’âge classique », Paris, les 3-6 juin 2008. Cette conférence a été reprise, étendue et enrichie, dans Abū Kāmil : Algèbre et analyse diophantienne, Berlin/New York, 2012, chapitre VII, p. 221-240.

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IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

plus tard l’ars analytica. Je pense à Ibrāhīm ibn Sinān, al-Sijzī et Ibn al-Haytham notamment. Soulignons cependant que l’exposé « axiomatique » et le concept de démonstration qui lui est intimement lié ont été conçus en géométrie, et, si j’ose dire, pour la géométrie. Même si l’idée de système déductif était évoquée ailleurs – en philosophie, en jurisprudence etc. – c’était par analogie, voire par métaphore. Le système déductif n’opère que sur les disciplines géométriques : optique, statique et certaines parties de l’astronomie ; et sur celles qui leur sont liées, telles que l’arithmétique euclidienne. Les autres disciplines mathématiques – la logistique, l’arithmétique néo-pythagorienne telle que celles de Nicomaque de Gérase, de Jamblique, ou de Théon de Smyrne, et l’arithmétique de Diophante – sont restées hors du champ d’application du système déductif, si bien qu’avec ces dernières et, plus généralement, avec les disciplines algorithmiques, se pose une question épistémique majeure, celle des rapports entre algorithme et démonstration dans une discipline nécessairement algorithmique. Encore en germe dans les Arithmétiques de Diophante par exemple, cette question sera explicitement formulée au ix e siècle, à l’heure de la constitution de l’algèbre comme discipline différente de la géométrie, mais aussi de l’arithmétique, fût-elle celle de Diophante. Cette nouvelle situation épistémique dura pendant des siècles, et s’avéra féconde tout au long de l’histoire de la discipline, jusqu’à ce que l’on parvînt, au xix e siècle, à donner en algèbre un exposé axiomatique. Au ix e siècle, la situation était la suivante : al-Khwārizmī – le fondateur de l’algèbre – et ses successeurs adhéraient aux normes de la démonstration héritées de la tradition euclidienne, sans être cependant en mesure de procéder par un exposé axiomatique. D’autre part ils concevaient l’algèbre comme nécessairement algorithmique. Toute la question est donc de savoir quel fut le retentissement de cette situation, à première vue paradoxale, sur le concept et les méthodes de la démonstration. À cette question, il n’y a de réponse qu’historique. Revenons donc au commencement de l’algèbre avec alKhwārizmī. II. Le projet d’al-Khwārizmī est précis : élaborer une théorie des équations des deux premiers degrés à une seule inconnue résolubles par radicaux. Une fois en possession de cette théorie, on peut procéder à la solution des problèmes arithmétiques ou géométriques traduisibles dans son langage. L’exigence de résoudre par radicaux les équations a contraint al-Khwārizmī à se borner aux seules équations des deux premiers degrés, et à l’étude des opérations du calcul sur les expressions polynomiales associées à celles-ci seulement.

LA DÉMONSTRATION AUX COMMENCEMENTS DE L’ALGÈBRE

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S’inspirant de la démarche euclidienne, al-Khwārizmī 1 commence par définir les termes primitifs de la théorie qu’il entend élaborer : le nombre, l’inconnue, le carré de l’inconnue, les équations composées de ces termes et les opérations qu’on va leur appliquer. Tout comme Euclide, al-Khwārizmī exige que les éléments de cette théorie soient apodictiques, c’est-à-dire démontrés, et non seulement justifiés. Mais les ressemblances s’arrêtent là. Al-Khwārizmī, lui, ne part ni de postulats ni d’axiomes, mais des types idéaux d’équations définis a priori ; c’est-à-dire de l’ensemble exhaustif des formes fixes auxquelles se réduisent toutes les autres. Pour parvenir à ces types idéaux d’équations, il lui a fallu procéder à l’aide d’une combinatoire des termes primitifs, en faisant intervenir l’addition, la multiplication et la notion d’égalité. Al-Khwārizmī détermine ensuite l’algorithme propre à chacune des équations ainsi obtenues. À la différence d’Euclide, al-Khwārizmī n’entend pas démontrer la vérité d’un énoncé ; il veut démontrer que l’algorithme qui permet de déterminer l’inconnue à partir du connu est bien établi, qu’il est nécessaire et universel – c’est-à-dire qu’il mène nécessairement à la solution et que celle-ci ne dépend pas des données particulières de l’équation, mais vaut quels que soient les coefficients. Il s’agit donc de démontrer que les étapes successives, en nombre fini, qui composent l’algorithme aboutissent nécessairement et universellement à la détermination de l’objet individuel cherché : l’inconnue. Notons qu’al-Khwārizmī, tout comme Diophante avant lui et encore au xvii e siècle les algébristes, désigne les paramètres par des nombres. Tous savent cependant qu’il s’agit d’une valeur quelconque, provisoirement maintenue constante. Pour al-Khwārizmī, répétons-le, il ne suffit pas de vérifier l’algorithme en montrant qu’il est satisfait pour certaines valeurs de l’inconnue, mais d’établir par des déductions contraignantes que l’algorithme mène à la détermination de l’inconnue. Cette démonstration doit donc, selon l’expression d’al-Khwārizmī, établir « la cause » de l’algorithme, en théorie des équations aussi bien qu’en calcul algébrique. Or cette démonstration « par la cause » consiste à dériver l’algorithme des relations géométriques établies entre les éléments d’une figure, délibérément construite pour traduire géométriquement les notions primitives de l’algèbre ainsi que les relations qui les lient et que décrit l’équation. Cette démonstration « par la

‎1. R. Rashed, Al-Khwārizmī : Le commencement de l’algèbre, Paris, Librairie A. Blanchard, 2007. Trad. anglaise : Al-Khwārizmī : The Beginnings of Algebra, History of Science and Philosophy in Classical Islam, Londres, Saqi Books, 2009.

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IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

cause » est fondée sur une traduction géométrique des identités suivantes :

( x2 + bx = c ⇐⇒

x+

( x + c = bx ⇐⇒ 2

( x2 = bx + c ⇐⇒

b 2

b x− 2 x−

b 2

( )2

)2 =

b 2

+ c,

b 2

− c,

b 2

+ c.

( )2

)2 = )2

( )2 =

Al-Khwārizmī trace les figures nécessaires, à partir desquelles il établit ces identités. Ses successeurs ont reconnu dans cette démonstration géométrique l’équivalent des propositions (II.5) et (II.6) des Éléments d’Euclide. Il est vrai que, tout comme Euclide dans le second livre des Éléments, al-Khwārizmī ne procède pas par la méthode d’application des aires, laquelle exige le recours à la théorie des proportions. C’est plus tard, on le verra, que les algébristes eurent recours à cette méthode. Dans le second chapitre de son livre, al-Khwārizmī étudie les algorithmes du calcul sur les binômes et les trinômes associés aux équations. C’est à ce propos qu’il introduit une distinction séminale entre deux modes de démonstration : « par la cause » (celle que l’on vient d’évoquer) ; et une autre, dite « par l’expression » (al-lafẓ). Pour donner un contenu à cette distinction, rappelons d’abord que le concept central de « chose » revêt chez al-Khwārizmī trois statuts indissociables : c’est un nombre rationnel ; c’est un irrationnel quadratique ; c’est une solution d’une équation du premier ou du second degré. Comme, dans les deux derniers cas, la « chose » est représentée par un segment de droite, on peut donc lui appliquer les démonstrations qui valent pour les segments. Mais lorsque, dans le calcul algébrique, on ne peut plus représenter « la chose » par un segment, son carré par une surface carrée et son produit par un nombre par un rectangle, il faut trouver une démonstration autre que celle « par la cause » : c’est la démonstration « par l’expression ». Cette nouvelle démonstration est intrinsèque à l’algèbre : on n’y considère que les formules algébriques dites alors dans la langue naturelle, sans aucun recours à la construction des figures géométriques. Dans cette démonstration, on procède par équivalence entre formules, ou expressions. En y regardant de plus près, on voit qu’interviennent des propriétés, non-énoncées, de commutativité, d’associativité et de distributivité de la multiplication par rapport à l’addition. L’idée de démonstration algébrique s’est donc imposée à alKhwārizmī lors de l’étude des algorithmes du calcul algébrique,

LA DÉMONSTRATION AUX COMMENCEMENTS DE L’ALGÈBRE

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lorsque la démonstration « par la cause » n’opérait plus. Dans son livre, comme longtemps encore chez ses successeurs, la théorie des équations s’accommodait de la démonstration géométrique. C’était alors la demonstratio potissima. La démonstration algébrique prendra, mais bien plus tard, le pas sur cette dernière, même dans la théorie des équations. Mais, avant que cette hiérarchie s’inverse, il a fallu une extension sans précédent du calcul algébrique abstrait. Or c’est immédiatement à la suite d’al-Khwārizmī que s’amorce ce mouvement, en raison de l’établissement de nouveaux rapports, entre la nouvelle discipline et l’arithmétique d’une part, et la géométrie d’autre part. En théorie des équations des deux premiers degrés, on a substitué aux figures géométriques d’al-Khwārizmī les propositions du second livre des Éléments. Avec ces dernières la démonstration « par la cause » est explicitement devenue ce qu’en fait elle n’avait jamais cessé d’être : la démonstration géométrique. À côté du nom de Thābit ibn Qurra 1 (mort en 901), on peut en citer beaucoup d’autres, comme Naʿīm ibn Mūsā 2, son élève, et, surtout, Abū Kāmil 3. Déjà le lexique forgé par al-Khwārizmī avait commencé à accueillir des termes euclidiens. Plus important encore : Thābit et son élève ne se sont pas arrêtés aux emprunts au second livre des Éléments, mais ils ont également recouru à la méthode d’application des aires telle qu’elle se présente au sixième livre, conduisant ainsi les démonstrations dans la langue de la théorie des proportions. On recourra d’ailleurs de plus en plus à cette langue et aux concepts qu’elle véhicule pour formuler les démonstrations en algèbre, qu’elles soient géométriques ou algébriques. Thābit ibn Qurra fut, à ma connaissance, le premier à démontrer que l’application des aires est équivalente à une équation quadratique, et qu’un problème de division d’une droite donnée, sous une condition exprimée par l’égalité de deux aires, conduit à une équation du second degré, résoluble par l’application des aires. Le primat de la géométrie s’est encore confirmé à l’époque, lorsque l’on eut commencé à traduire des problèmes solides en équations cubiques, dont la solution est donnée par l’intersection de deux sections coniques : c’est ainsi que procède al-Māhānī lorsqu’il étudie le pro-

‎1. R. Rashed (éd.), Thābit ibn Qurra. Science and Philosophy in Ninth-Century Baghdad, Scientia Graeco-Arabica, vol. 4, Berlin / New York, Walter de Gruyter, 2009. ‎2. R. Rashed et Ch. Houzel, Recherche et enseignement des mathématiques au ix e siècle. Le recueil de propositions géométriques de Naʿīm ibn Mūsā, Les Cahiers du Mideo, 2, Louvain-Paris, Peeters, 2004. ‎3. Voir R. Rashed, « Algèbre », « Analyse combinatoire, analyse numérique, analyse diophantienne et théorie des nombres », dans Histoire des sciences arabes, 3 vol., Paris, Le Seuil, 1997, t. II, p. 31-91.

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IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

blème de la droite d’Archimède. C’est à al-Khayyām, nous le verrons plus loin, qu’on doit la théorie de cette double traduction. Ne quittons pas les successeurs immédiats d’al-Khwārizmī, et le plus importants d’entre eux : Abū Kāmil. Avec lui on assiste aux premiers développements de l’algèbre arithmétique, et par conséquent des méthodes de démonstration algébrique, sans que toutefois la géométrie y perde sa primauté. La preuve en est qu’il n’est pas rare qu’Abū Kāmil et ses successeurs fassent suivre une démonstration algébrique d’une autre démonstration, géométrique cette fois, de la même proposition. Quoi qu’il en soit, c’est Abū Kāmil qui le premier intégra les irrationnels quadratiques à l’algèbre, non seulement comme inconnues – ce qu’al-Khwārizmī avait déjà accompli – mais aussi comme coefficients ; il a ainsi élargi le champ du calcul algébrique. Cette intégration a été amplifiée et accélérée par les premières tentatives – celle d’al-Māhānī par exemple – de traduire le dixième livre des Éléments dans les termes de l’algèbre ; et cette extension du champ du calcul a repoussé les limites du domaine d’exercice de la démonstration algébrique. C’est également Abū Kāmil qui fut le premier à introduire l’analyse indéterminée des deux premiers degrés en tant que chapitre à part entière de tout traité d’algèbre. Les algorithmes de cette analyse connus d’Abū Kāmil, auxquels on ajoutera ceux de Diophante, une fois réunis à ceux du calcul algébrique, furent autant de moyens pour conduire les démonstrations algébriques. On observe ainsi dans le sillage d’al-Khwārizmī, et en dépit du prestige intact de la démonstration géométrique, que l’élargissement du domaine du calcul algébrique et l’enrichissement de ses techniques ont incité les mathématiciens à recourir de plus en plus à des démonstrations algébriques et à multiplier leurs méthodes. III. À partir d’Abū Kāmil, et surtout d’al-Karajī à la fin du x e siècle, le recours à des démonstrations algébriques est devenu de plus en plus fréquent. Les mathématiciens de cette tradition arithmético-algébrique ont su, d’une part, convertir des méthodes de démonstration en les transposant de l’arithmétique à l’algèbre, et, d’autre part, en inventer de nouvelles. Parmi les méthodes empruntées, notons celle de l’algorithme euclidien pour étudier la divisibilité des expressions polynomiales. Citons aussi la démonstration quasigénérale rencontrée dans les livres dits arithmétiques d’Euclide : il s’agit de démontrer la formule pour les trois ou quatre premiers nombres, puis de la supposer vraie pour un nombre quelconque. Il y a également la démonstration par régression, c’est-à-dire par réductions successives. Ces deux méthodes sont appliquées dans le

LA DÉMONSTRATION AUX COMMENCEMENTS DE L’ALGÈBRE

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chapitre de l’algèbre où l’on cherche à établir les formules des séries de puissances. Il y a aussi la méthode de l’élimination. On peut en trouver l’origine dans la méthode dite « de la corde », que Diophante applique dans ses Arithmétiques. Abū Kāmil l’a retrouvée et appliquée aux systèmes d’équations linéaires ainsi qu’aux systèmes d’équations indéterminées. Il s’agit, à l’aide de substitutions et de transformations, d’abaisser d’une unité le nombre des équations données aussi bien que le nombre des inconnues, et de réitérer le processus autant de fois que nécessaire pour finalement parvenir à une équation du premier degré, ou, au plus, du second degré. Lorsqu’il recourt à cette méthode, Abū Kāmil désigne les différentes inconnues par les termes « chose », « fels », « dirham », « dīnār », autant de noms de pièces de monnaie. Les algébristes l’ont appliquée par la suite à des systèmes d’équations plus nombreuses. Ainsi Al-Samawʾal (mort en 1175) l’utilise pour résoudre un système de 210 équations linéaires à 6 inconnues. Il a noté les équations par les lettres de l’alphabet dans le système abjad et les inconnues par les chiffres du système décimal. On pourrait évoquer bien d’autres emprunts. Fibonacci par exemple se sert de la célèbre méthode de Théétète (Théétète démontre que la racine carrée d’un entier non carré est irrationnelle) pour établir que l’équation d’al-Khayyām x3 + 20x2 + 10x = 200 n’a pas de solution rationnelle. Ce sont les algébristes de cette tradition qui furent les premiers à procéder par une induction complète finie. C’est ainsi qu’al-Karajī a établi la formule du binôme et le tableau des coefficients binomiaux. C’est encore par cette même méthode que l’on a démontré que (ab)n = an bn , formule nécessaire à l’établissement de la formule du binôme. Par la suite, le raisonnement par récurrence n’a cessé d’investir d’autres chapitres de l’algèbre, comme l’analyse combinatoire et d’autres domaines, tels que le calcul des sommes de puissances. Ainsi au début du xi e siècle, Ibn al-Haytham (mort après 1040) démontre les expressions suivantes en vue de déterminer le volume du paraboloïde engendré par la rotation de la parabole autour d’un de ses diamètres :

(n + 1)

n ∑

i

k =

k=1

n ∑ k=1

i+1

k

+

( p ) n ∑ ∑ ki

p=1

,

avec i = 1, 2, 3, . . .

k=1

et

∑[ ∑[ ]2 ]2 8 8 n(n + 1)4 ≤ (n + 1)2 − k2 ≤ (n + 1)5 ≤ (n + 1)2 − k2 . 15 15 n

n

k=1

k=0

152

IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

D’autres méthodes de démonstration algébrique ont pu être appliquées grâce à l’intégration de l’analyse diophantienne à l’algèbre et au développement de la recherche en ce domaine. En effet, la variété des types et des systèmes d’équations résultant de cette intégration de l’analyse diophantienne a incité les algébristes à engager une réflexion plus générale sur les équations algébriques et sur les conditions de la démonstration. Mais, comment mener une telle réflexion en l’absence d’un cadre axiomatique ? Dans de telles conditions, où l’on ne peut résoudre mathématiquement ce genre de problème, on a coutume de se tourner vers une réponse logico-philosophique. C’est précisément la démarche d’alSamawʾal dans un chapitre de son Algèbre. Dans cette réponse, qu’il formule dans le langage traditionnel des modalités, il procède à une classification des problèmes, c’est-à-dire des équations et des systèmes d’équations, d’abord selon les modalités, ensuite en fonction du nombre des solutions et enfin en fonction des conditions que celles-ci doivent vérifier. Les termes « nécessaire », « possible » et « impossible », notons-le d’entrée de jeu, portent sur la démonstration de l’existence, ou non, de solutions. Voici en effet ce qu’écrit al-Samawʾal : Toute proposition et problème que l’arithméticien ou le géomètre examine, lorsqu’il l’envisage, il ne manque pas de trouver une démonstration de son existence : il l’appelle alors « nécessaire » ; ou de son inaccessibilité : il l’appelle alors inaccessible et impossible ; ou il ne trouve de démonstration ni de son existence, ni de sa non-existence, ni de son inaccessibilité : il l’ignore donc, et l’appelle « possible », car il n’a démontré ni son existence ni sa non-existence, et cela mène à ce que l’existant est non-existant et le nécessaire est inaccessible, ce qui est impossible 1.

Al-Samawʾal divise ensuite les problèmes nécessaires en quatre classes : 1) « Ceux dont le recherché existe dans tous les nombres ». Il s’agit des identités. Il donne deux exemples : x+y x+y (x + y)2 + = x y xy et x(n2 x) = y2 . Il est clair qu’ici la démonstration algébrique est une vérification. ‎1. R. Rashed et S. Ahmad, Al-Bāhir en Algèbre d’As-Samaw’al, Damas, Presses de l’Université de Damas, 1972, arabe p. 249.

LA DÉMONSTRATION AUX COMMENCEMENTS DE L’ALGÈBRE

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2) « Ceux dont le recherché se trouve dans certains nombres et a une infinité de réponses ». Il s’agit des équations indéterminées qui ont un nombre infini de solutions, sans pourtant être des identités. Al-Samawʾal donne par exemple : x2 + y2 = a2 , qui n’est autre que (II.8) des Arithmétiques de Diophante et

{

x + a = y21 x − a = y22 ,

qui est (II.10) des mêmes Arithmétiques.

Al-Samawʾal commence par donner une démonstration algébrique de ce dernier problème : on a y21 − y22 = (y1 + y2 )(y1 − y2 ) = 2a, et on tire 1 1 y1 = (a + 2) et y2 = (a − 2) 2 2 par la méthode de la double équation qui est celle de Diophante. 3) « Ceux qui ont de nombreuses réponses, mais (en nombre) fini ; et on ne peut donc pas les augmenter ». Comme exemple, alSamawʾal donne un système d’équations linéaires diophantiennes. 4) « Ceux qui ont une solution unique ». Il donne pour exemple un système de n équations à n inconnues ; soit ax = y2 et bx = y. Al-Samawʾal classe ensuite les problèmes nécessaires selon le nombre des conditions qu’ils doivent vérifier. 1) Aucune condition. Exemple : xy = a, yz = b, xz = c. 2) Une seule condition. Exemple : x2 + y2 = a et xy = b ; condition a ≥ 2b. Autre exemple : x + y = a, y + z = b, z + x = c ; condition a+2b+c > a, b, c. 3) Plusieurs conditions. Exemple : un système de 210 équations à 6 inconnues. Al-Samawʾal calcule 504 conditions. Viennent ensuite les problèmes impossibles, c’est-à-dire ceux dont on peut démontrer l’impossibilité. Al-Samawʾal distingue alors deux classes de problèmes impossibles : ceux qui sont intrinsèquement impossibles, c’est-à-dire selon leur définition même, comme le système

x y

=

y21 y22

et xy ̸= z2 ; ceux qui sont impossibles selon les

hypothèses, c’est-à-dire qu’il suffit de changer l’une ou l’autre des hypothèses pour qu’ils deviennent nécessaires, comme par exemple le système x2 + y2 = xy et xy = 72. Quant aux problèmes possibles, ils sont ceux dont on ne peut démontrer ni la nécessité, ni l’impossibilité. La possibilité, rappelle al-Samawʾal, ne porte pas sur l’indétermination de la solution, mais

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IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

sur son existence et sur la démonstration qui l’établit. Il ne donne aucun exemple. Cette classification, menée dans le langage des modalités, semble viser davantage que ce qu’en dit al-Samawʾal. On observe en effet que tous les exemples mentionnés sont des équations ou des systèmes d’équations algébriques. Aucun exemple géométrique ou arithmétique. On remarque aussi qu’al-Samawʾal reconnaît explicitement les équations diophantiennes et leurs subdivisions en fonction du nombre des solutions (fini, infini, identité). On observe enfin que cette classification est doublée d’une autre, selon les hypothèses à vérifier et leur nombre. Tout se passe comme si le mathématicien voulait formuler une théorie des équations algébriques à l’aide de la logique des modalités, faute des moyens mathématiques d’y parvenir. Or il est clair que cette théorie des équations algébriques avait, entre autres objectifs, celui de fixer ce que la démonstration algébrique doit établir, et ce dont elle doit s’assurer. Restent les problèmes possibles. Al-Samawʾal n’en donne aucun exemple. Pensait-il, comme il m’est arrivé de le suggérer, à une sorte d’« indécidabilité sémantique » ? ou avait-il à l’esprit les cas n = 3, 4 de l’équation xn + yn = zn , discutée un siècle, au moins, avant lui par al-Khujandī et al-Khāzin, et également évoquée par les philosophes comme Avicenne ? IV. Nous n’avons considéré jusqu’ici que la tradition de l’algèbre arithmétique. Mais il y a également celle de l’algèbre géométrique, ou encore celle d’une géométrie algébrique élémentaire. Rappelons qu’al-Khwārizmī et ses successeurs s’en sont tenus, dans le domaine des équations algébriques, aux seules équations quadratiques. Les seules tentatives dont nous ayons connaissance, dans cette tradition, de résoudre une équation cubique, consistaient à poser des conditions pour ramener le problème – par un changement de variable – à l’extraction d’une racine cubique. C’est ainsi qu’ont procédé al-Sulamī, Ibn al-Bannā et Maître Dardi. L’autre tradition s’est constituée autour de la solution géométrique de l’équation cubique et biquadratique, ou plus précisément en vue d’élaborer une théorie géométrique des équations de degré inférieur ou égal à 4. Mais il a fallu un siècle et demi de recherche mathématique avant qu’alKhayyām formule cette théorie. Ce dernier inaugure une tradition qui verra naître d’autres méthodes de démonstration, dont certaines sont géométrico-algébriques, et les autres algébriques. Après avoir défini les termes primitifs de sa théorie et les avoir construits pour déterminer a priori tous les types d’équations des trois premiers degrés, al-Khayyām traduit géométriquement les équations cubiques ; il détermine ensuite les racines positives au moyen de l’in-

LA DÉMONSTRATION AUX COMMENCEMENTS DE L’ALGÈBRE

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tersection de courbes coniques. Ainsi, pour x3 + ax2 + bx = c, avec a, b, c réels strictement positifs, il détermine une racine strictement positive par l’intersection d’un demi-cercle et d’une branche d’hyperbole équilatère. Il démontre que l’abscisse du point d’intersection donne cette racine. Al-Khayyām procède à l’aide des propositions des Coniques d’Apollonius. Il s’agit d’une démonstration géométrico-algébrique rédigée dans la langue de la théorie des proportions. Le successeur d’al-Khayyām, Sharaf al-Dīn al-Ṭūsī, ne tarde pas à infléchir cette démonstration géométrico-algébrique dans un sens analytique pour satisfaire à une nouvelle exigence démonstrative : démontrer l’existence de ces racines positives. Al-Ṭūsī se trouve alors dans l’obligation d’étudier les maxima des expressions polynomiales. Reprenons les principales étapes de sa démonstration pour l’équation x3 + c = bx, avec b, c réels positifs. Posons f(x) = (b − x2 )x. Al-Ṭūsī commence par montrer

( ) 21 f(x0 ) = sup f(x) √ 0 x0 ⇒ f(x1 ) < f(x0 ); x2 < x0 ⇒ f(x2 ) < f(x0 ); il calcule ensuite le maximum f(x0 ) =

2 b 3

( ) 21 b 3

( ) 23 =2

b 3

= 2x30

et distingue : – si c > 2 – si c = 2

( b ) 23 3

, l’équation n’a pas de solution ;

3

, x0 =

( b ) 23

( b ) 23

– si c < 2 3 x1 < x0 < x2 .

( b ) 21 3

est une solution double ;

, l’équation a deux solutions x1 et x2 telles que

La démonstration d’al-Ṭūsī emprunte le langage de l’algèbre géométrique : l’inconnue est représentée par un segment de droite, son carré par une surface carrée, son cube par un cube, les produits par des rectangles et par des solides, les différences par des gnomons plans et solides – le tout formulé dans une langue qui mêle celle de

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IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

la théorie des proportions à des termes analytiques. C’est ce type de démonstration qu’on rencontre dans les livres d’algèbre jusqu’au xvii e siècle. Al-Ṭūsī introduit en effet, et sans aucune explication supplémentaire, une notion de maximum et le procédé algébrique de dérivation. Il y recourra encore pour démontrer, mais algébriquement cette fois, un algorithme pour la solution numérique des équations. Cet algorithme est équivalent, pour les équations des second et troisième degré, à celui dit de Ruffini-Horner. Pour établir sa validité, il a fallu qu’al-Ṭūsī s’assure de chaque étape, en déterminant successivement les différents chiffres de la plus grande racine positive de l’équation f(x) = N ; f est un polynôme. Pour déterminer le premier chiffre de cette racine, al-Ṭūsī élabore une théorie des « polynômes dominants » : il s’agit de comparer entre les poids respectifs du polynôme formé par les premiers termes de f(x) et ceux de N. Cette théorie permet en effet de tenir compte des poids des coefficients, mais non de ceux des puissances de l’inconnue. Ce sera beaucoup plus tard qu’elle sera en mesure de prendre en compte aussi bien les premiers que les seconds, sous le titre des polygones de Newton – comme l’a montré Christian Houzel 1. Quoi qu’il en soit, la démonstration donnée par al-Ṭūsī est purement algébrique. Lorsqu’il s’agit des autres chiffres de la racine, à partir du second, la démonstration d’al-Ṭūsī est plus heureuse. On reconnaît chez lui la méthode de Newton pour la résolution approchée des équations. Une fois déterminés le premier chiffre, soit σ0 , et son ordre décimal r, on récrit la racine sous la forme x = s0 + y, avec s0 = σ0 10r . Pour déterminer le second chiffre, on développe f(s0 + y) en y, si l’équation initiale s’écrit f(x) = 0. Al-Ṭūsī fait alors apparaître comme coefficient de y la valeur f ′ (s0 ) de la dérivée de f en s0 . Il obtient le second chiffre f(s ) en prenant la partie entière de − f ′ (s00 ) ; soit σ1 . Il réitère la même méthode pour déterminer le troisième chiffre et continue jusqu’à ce qu’il obtienne la racine. La démarche par laquelle al-Ṭūsī démontre l’algorithme de résolution numérique des équations, aussi bien pour le premier chiffre que pour les chiffres suivants de la plus grande racine positive, est purement algébrique ; ou, si l’on veut, algébrico-analytique. V. L’évolution des pratiques de la démonstration aussi bien que de la notion même de démonstration pendant les trois premiers siècles de l’histoire de l’algèbre nous a permis de dégager les conclusions suivantes : ‎1. « Sharaf al-Dīn al-Ṭūsī et le polygone de Newton », Arabic Sciences and Philosophy, 5.2, 1995, p. 239-262.

LA DÉMONSTRATION AUX COMMENCEMENTS DE L’ALGÈBRE

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1. Le premier objectif des algébristes était d’élaborer une théorie des équations algébriques, pour les équations des deux premiers degrés d’abord, et donc de démontrer l’algorithme de solution par radicaux. Ils ont ensuite travaillé à la conception d’une théorie géométrique des équations des trois premiers degrés, puis des quatre premiers degrés. Dans ces théories successives, ils procédaient selon une démonstration géométrico-algébrique, laquelle n’a cessé de prendre de la consistance, d’abord grâce au second, puis au sixième livre des Éléments, et ensuite aux Coniques d’Apollonius. C’est Descartes qui franchit l’étape suivante, lorsqu’il élabore la notion d’une équation de degré quelconque aussi bien que celle de la courbe algébrique qu’elle définit. Mais entre temps l’école italienne du xvi e siècle avait résolu l’équation cubique et l’équation biquadratique par radicaux. La démonstration est encore du genre géométrico-algébrique déjà rencontré chez Sharaf al-Dīn al-Ṭūsī. 2. Dès le commencement de l’algèbre avec al-Khwārizmī on a vu naître l’idée d’une démonstration purement algébrique. On a également observé que celle-ci a vu le jour dans le domaine du calcul algébrique. Bien plus, c’est le développement de ce calcul qui n’a cessé de lui offrir les nouvelles formes dont elle s’est enrichie : méthode d’élimination, méthodes empruntées à l’arithmétique euclidienne, méthodes empruntées à l’arithmétique de Diophante, méthodes combinatoires, induction complète finie. On conçoit d’autres méthodes, comme celle des coefficients indéterminés, qui sera développée plus tard par Faulhaber, Descartes et Hudde. D’autres calculs exigés par des acquis plus tardifs vont encore intégrer la notion de démonstration algébrique : relations entre les racines et les coefficients des équations algébriques à partir de Viète ; le nombre des racines d’une équation d’un degré quelconque et l’apparition empirique des nombres imaginaires (Bombelli, Roth, A. Girard ...). 3. La démonstration algébrique n’a pas tardé à se répandre dans d’autres domaines voisins, sous deux formes. Elle se présente ainsi en personne dans certains travaux de la théorie des nombres. Al-Khāzin, par exemple, y a recours dans le chapitre de l’analyse diophantienne entière, alors que plus tard al-Fārisī l’applique à l’étude des fonctions arithmétiques élémentaires (somme des diviseurs d’un entier et nombre des diviseurs). La démonstration algébrique intervient sous une seconde forme lorsque l’on traduit un problème dans les termes d’une équation algébrique. C’est précisément cette forme que le même algébriste, al-Fārīsī, a appliquée pour démontrer le théorème d’Ibn Qurra sur les nombres amiables ; et, avant lui, alSamaw’al, pour établir des relations trigonométriques. Plus généralement, il n’est pas rare que l’on procède par une

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IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

démonstration algébrique pour établir les différents algorithmes : l’extraction de la racine n-ième d’un entier, les algorithmes d’interpolation quadratique, etc. 4. Au xii e siècle déjà, on a conçu un troisième type de démonstration en algèbre : la démonstration algébrico-analytique. Elle opère aussi bien en théorie des équations que dans le calcul algébrique, et non pas dans un des domaines à l’exclusion de l’autre. Nous avons rappelé que Sharaf al-Dīn al-Ṭūsī l’applique pour prouver l’existence des racines positives et pour déterminer les chiffres de la plus grande racine positive, lors de la résolution numérique des équations. Cette méthode renaîtra au xvii e siècle chez Fermat, et trouvera puissance et ampleur avec la constitution de l’analyse infinitésimale. Tels sont les axes de l’histoire de la notion de démonstration en algèbre durant les trois premiers siècles de son existence.

L’ÉTUDE MATHÉMATIQUE DU LIEU On assiste au x e-xi e siècle à une évolution des concepts géométriques, qui a conduit à ne plus s’intéresser aux seules propriétés géométriques des figures, mais aussi à leurs transformations. C’est au cours de cette évolution, et en raison d’elle, que les géomètres ont renouvelé la notion de lieu, et plus généralement celle d’espace. C’est dire que non plus que le lieu, l’espace en géométrie n’a rien d’inné ni d’a priori. Engagée notamment entre le ix e et le xi e siècle, cette évolution s’est faite au cours de recherches variées en géométrie infinitésimale, géométrie des coniques, constructions géométriques, procédés effectifs pour tracer les coniques, ainsi que sur les instruments astronomiques, les problèmes optiques, etc. D’autre part, les transformations géométriques, affines et projectives, se présentent d’abord comme des techniques géométriques, avant de devenir ellesmêmes, et graduellement, objet de géométrie. On peut à l’intérieur de ce domaine distinguer plusieurs régions, dont la première serait désignée comme l’étude projective de la sphère et des figures tracées sur elle. Cette région s’est constituée progressivement, à partir du ix e siècle, à l’occasion de l’étude des instruments astronomiques : astrolabes et cadrans solaires notamment. Au ix e siècle déjà les Banū Mūsā, al-Kindī, al-Farghānī, al-Marwarrūdhī ... discutaient des avantages respectifs des différentes projections, et en particulier de ceux de la projection stéréographique héritée de Ptolémée. L’étude théorique de cette projection a été faite à l’occasion de la rencontre entre la recherche sur les sections coniques et la recherche sur les instruments astronomiques – l’astrolabe avec al-Farghānī. Thābit ibn Qurra et son petit-fils Ibrāhīm ibn Sinān élaborent ensuite une théorie géométrique des cadrans solaires. Un peu plus tard, al-Qūhī et Ibn Sahl développent ce nouveau chapitre sur les projections où ils étudient les propriétés géométriques des projections coniques et cylindriques. L’effort sera poursuivi par beaucoup d’autres, comme al-Bīrūnī. Ainsi, au xi e siècle, les mathématiques se sont-elles enrichies d’un chapitre qui se distingue par son objet aussi bien que par Paru dans Oggetto e spazio. Fenomenologia dell’oggetto, forma e cosa dai secoli XIIIXIV ai post-cartesiani, Atti del Convegno (Perugia, 8-10 settembre 2005), a cura di Graziella Federici Vescovini e Orsola Rignani, Micrologus’ Library 24, Florence, Sismel-Edizioni del Galluzzo, 2008), p. 71-79.

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IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

son langage et ses procédés de démonstration. L’objet : ce sont les projections de la sphère et des figures tracées sur elle. Le langage est mixte : au vocabulaire de la théorie des proportions se mêlent des termes qui désormais désignent les concepts projectifs. Les démonstrations, quant à elles, sont composées de comparaisons de rapports, de projections et de rabattements. Il fallait dans ces conditions renouveler complètement le concept de lieu, sinon celui d’espace : le lieu doit nécessairement être le lieu des projections. Les projections ne sont pas les seules transformations traitées par les mathématiciens de l’époque. Ils se sont en effet intéressés, et fort tôt, à d’autres transformations géométriques, dont l’usage et l’étude commencent également très tôt avec al-Ḥasan ibn Mūsā, au ix e siècle. Pour obtenir l’ellipse, celui-ci procède par dilatation ou contraction – c’est-à-dire une affinité orthogonale d’un cercle. Il a également recours, dans son livre, à l’homothétie. Rappelons que ce livre était connu du mathématicien originaire de Cordoue et mort à Grenade en 1035, Ibn al-Samḥ, qui l’a repris. Quant à l’élève d’alḤasan ibn Mūsā, Thābit ibn Qurra, il applique l’homothétie. Son petit fils Ibrāhīm ibn Sinān a recours à l’affinité pour étudier la mesure de la parabole, ainsi qu’à d’autres transformations lors de sa recherche sur les sections coniques. Vers la fin du siècle le nombre des transformations ponctuelles va en s’accroissant, ainsi que l’étude de leurs propriétés. La recherche sur les transformations géométriques ne pouvait s’accommoder d’une conception du lieu comme limite du corps enveloppant. Il fallait une représentation plus abstraite qui pût accueillir ces transformations. Telle est précisément la tâche qu’attaque Ibn alHaytham. Dans un traité sur le lieu (Fī al-makān) 1, connu mais jamais étudié, Ibn al-Haytham commence par rappeler les deux thèses en vigueur sur le lieu – le lieu d’un corps comme la surface enveloppant ce corps ; et le lieu d’un corps comme le vide imaginé rempli par ce corps – thèses qu’il rejettera l’une comme l’autre. Pour comprendre la démarche d’Ibn al-Haytham, il faut rappeler les buts qui sont les siens dans cette révision des représentations traditionnelles. Nous venons de souligner l’évolution de la géométrie : celle-ci ne s’intéresse plus aux seules figures, mais à leurs transformations et de ce fait aux propriétés de l’espace. Il lui faut donc un lieu homogène et complètement indifférent à la nature des objets qui l’occupent. Autrement dit, la «nature» de l’objet ne doit plus compter. Ibn al-Haytham

‎1. R. Rashed, Les Mathématiques infinitésimales du ix e au xi e siècle, vol. IV : Méthodes géométriques, transformations ponctuelles et philosophie des mathématique, London 2002, chap. III.

L’ÉTUDE MATHÉMATIQUE DU LIEU

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va alors définir ce lieu par les distances entre des couples de points, sans redouter le vide ni craindre l’infini actuel. Contre la thèse aristotélicienne de la limite de la surface du corps enveloppant, Ibn al-Haytham invoque plusieurs arguments qui tous se ramènent au fait que le corps peut changer de forme sans changer de volume, la surface enveloppante changeant donc de forme et d’aire latérale. Si par exemple on prend un parallélépipède qu’on partage en tranches de faces parallèles, et parallèles à deux de ses faces, et qu’on recompose ces tranches de sorte que les faces parallèles composent les faces d’un nouveau parallélépipède, le volume reste invariable, alors que l’aire latérale de la surface enveloppante, et donc le lieu, a beaucoup augmenté. Si en revanche on a un cube en cire qu’on transforme en une sphère, son aire latérale diminue – en vertu des propriétés isépiphaniques – et par conséquent son lieu aussi, sans que le corps soit augmenté ni diminué. Ibn al-Haytham propose donc d’admettre le vide, à condition de ne voir dans celui-ci que les distances – ou intervalles – imaginées égales aux distances – ou intervalles – du corps si les distances se superposent. Un examen plus précis de la doctrine d’Ibn al-Haytham révèle que pour lui l’occupation d’un lieu par un corps est conçue comme une bijection entre les points de ce lieu et les points du corps. À ce niveau déjà on assiste à une double distanciation : la première par rapport à la géométrie grecque, avec le remplacement des figures par le lieu, celui-ci étant pensé comme un ensemble infini de points structuré par leurs relations de distance ; la seconde par rapport à la physique d’Aristote, le lieu d’un corps étant conçu comme une partie de l’espace euclidien, avec la métrique induite, et non point comme la surface qui l’enveloppe. Si l’on fait appel à un langage inconnu d’Ibn al-Haytham, sa conception peut être ainsi formulée : au corps considéré, C, on associe un schéma imaginé abstrait – le lieu – qui est un ensemble V, appelé «vide », avec une bijection de C dans V. Les distances entre les points de C sont transportées à V par cette bijection. Les distances sont considérées comme des segments de droite. Ainsi le « vide » V, lieu du corps C, est un espace métrique construit par abstraction à partir de C. Les distances qui définissent le lieu ne dépendent pas du corps qui remplit ce lieu : elles sont invariables en grandeur et en position. Ce lieu devient le lieu de ce corps seulement lorsqu’on établit la bijection isométrique ci-dessus. Mais il a une réalité indépendante du corps : cette réalité est la famille des distances. Il s’agit donc d’une conception des espaces métriques, en ce sens qu’on considère un ensemble, à chaque couple de points duquel on associe une distance «fixe et invariable », comme le dit Ibn

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IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

al-Haytham. Il est évident que ces distances sont pensées dans le cadre de la géométrie euclidienne, et que leurs propriétés sont admises implicitement. In fine, le lieu d’un corps est donc défini comme la métrique de la partie de l’espace euclidien occupée par ce corps. Ainsi, pour répondre aux nouvelles exigences géométriques, Ibn al-Haytham dégage la notion de lieu, dont il présente la première mathématisation, première à ma connaissance en tout cas. Cette mathématisation revient en fait à construire le lieu à l’aide des opérations que nous appelons aujourd’hui algébriques. Cette construction n’est possible qu’à condition de détruire l’intuition géométrique initiale du lieu et de l’extérieur. Mais un mathématicien qui refuse de voir dans une construction une preuve d’existence devait alors démontrer l’existence du lieu, à moins d’opter au préalable pour une position réaliste. Telle était, semble-t-il, la position d’Ibn alHaytham. En proposant sa théorie du lieu, Ibn al-Haytham ne pouvait ignorer qu’elle susciterait bien des réactions, en raison de son contenu et de son style. Le contenu, non seulement diffère de ce que proposent les doctrines philosophiques, mais il se présente comme critique radicale de celles-ci. Délibérément mathématique, le style tranche avec celui de toutes les rédactions consacrées au lieu, qu’elles soient antérieures ou contemporaines. Dans cette nouvelle théorie, on l’a vu, de l’objet ne reste que l’ensemble infini des points reliés par la relation de distance ; de l’extension, il ne reste non plus qu’un ensemble de même espèce. Nous sommes bien en présence d’une conception ensembliste et relationnelle destinée à exclure celle de la totalité de la surface enveloppante, de l’objet-substance et du lieu naturel. Résolument non aristotélicienne, cette théorie se démarque également de celle de Philopon. On peut maintenant se demander comment les philosophes réagirent à cette mathématisation du lieu. À cet égard, trois attitudes se profilent. Celle, d’abord, des philosophes qui n’en ont même pas fait état, alors qu’ils étaient au courant de certains écrits d’Ibn alHaytham : c’est précisément le cas d’Averroès, qui a continué à penser le lieu dans le sillage d’Aristote. D’autres ont voulu défendre la doctrine du Stagirite et sont partis à l’attaque contre celle d’Ibn alHaytham ; telle est l’attitude du philosophe ʿAbd al-Laṭīf al-Baghdādī (1162-1231) qui a écrit une Réfutation du Lieu d’Ibn al-Haytham. La troisième attitude est celle du philosophe théologien Fakhr al-Dīn al-Rāzī, qui, malgré ses vues différentes, a tenu à résumer la théorie d’Ibn al-Haytham. Mais, pour comprendre ces attitudes, indifférentes ou hostiles à la théorie d’Ibn al-Haytham, sans accabler ceux qui les ont adoptées,

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rappelons la singularité de cette théorie relativement à l’état de la physique de l’époque. Ce ne sont pas seulement son contenu et son style mathématique qui la distinguent, mais aussi le refus d’Ibn alHaytham des thèses qui sous-tendent la doctrine du lieu-enveloppe. C’est-à-dire les doctrines de la matière-forme et de la puissance-acte. Cette rupture avec la physique aristotélicienne, c’est-à-dire avec la seule physique de l’époque qui offrait une vision globale et cohérente de la nature, ne pouvait qu’engendrer ou bien l’étonnement, ou bien l’indifférence ou l’hostilité. Trois attitudes que nous avons distinguées plus haut. Arrêtons-nous aux deux premières, représentées par Averroès et al-Baghdādī. Au cours de sa discussion du concept de lieu, Averroès commence – à la suite d’Aristote – par soulever la question de son existence, pour la régler aussitôt. L’existence du lieu est donnée dans une évidence immédiate et n’exige aucune démonstration. Il suffit pour s’en convaincre d’examiner les attributs propres du lieu : tous se rapportent à une chose qui existe. Le haut et le bas ne sont pas des notions relatives, mais les lieux vers lesquels certains éléments se dirigent par nature. Il s’agit donc bien du «lieu» tel qu’il se présente dans l’expérience immédiate, et dans ce cas le lieu d’un corps l’enveloppe sans être ni plus grand ni plus petit que lui. La véritable difficulté que présente la connaissance du lieu ne relève donc pas de l’existence de celui-ci, mais de son essence et de sa définition. La voie poursuivie par Averroès est désormais tracée : il faut d’abord chercher ceux des attributs qui portent sur une partie de l’essence. Le philosophe n’en trouve qu’un : la propriété d’envelopper un corps. Mais l’« enveloppant» comme tel est une limite, la limite extérieure du corps enveloppant. Le lieu est donc la limite enveloppante (alnihāya al-muḥīṭa). Reste à justifier cette définition, en en déduisant toutes les implications. Ici Averroès procède à l’instar d’Aristote, par la méthode d’élimination : on se débarrasse au fur et à mesure des fausses représentations du lieu, pour ne retenir que celle qui résiste à l’épreuve. Il s’agit donc d’examiner tous les sens que peut revêtir l’expression « une chose en enveloppe une autre». À la suite d’Aristote, le philosophe de Cordoue relève quatre sens, entre lesquels il faut distinguer (1) le lieu est la forme pour la matière, comme lorsqu’on dit « la statue est dans le cuivre» ; (2) le lieu est la matière pour la forme, comme lorsqu’on dit « le bois est dans la chaise » ; (3) le lieu est l’extension ou l’intervalle entre les extrémités, à l’exemple de «l’eau est dans la coupe» – au sens où l’eau est dans l’extension et l’intervalle entre les extrémités de la coupe, et dans ce cas l’intervalle est séparé ; (4) le

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IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

lieu est les extrémités mêmes, ainsi l’eau est dans les extrémités de la coupe, et il n’y a pas d’intervalle séparé. Il est clair qu’Averroès ne s’écarte pas de la discussion menée par Aristote dans le quatrième livre de la Physique. Il rejette donc les deux premières acceptions, en invoquant l’argument que le mouvement de déplacement serait une génération et une corruption [50, 5-10]. Seules les deux dernières solutions lui paraissent dignes d’examen, à savoir le lieu comme intervalle (διάστημα) et le lieu comme les extrémités mêmes. Lorsqu’il discute la thèse qui définit le lieu-intervalle, Averroès n’ignore pas qu’elle exprime deux positions : celle qui affirme que les intervalles sont vides de corps, croyant ainsi à la réalité du vide absolu ; et celle qui présente ces intervalles avec les corps qui leur sont toujours associés, même si ces intervalles existent par eux-mêmes. Averroès montre alors, grâce à un raisonnement apagogique, les absurdités qui découlent de ces positions. Il ne reste donc plus, selon la méthode par lui suivie, que la dernière thèse à retenir, celle qui définit le lieu comme «la limite du corps enveloppant». Encore faut-il expliquer ce que signifient un corps enveloppé et un corps enveloppant pour toute chose : c’est là qu’Averroès étend l’explication dans deux directions à la fois, ainsi que l’avait déjà fait Aristote : il s’agit d’une part de discuter de la structure du monde sublunaire pour préciser ce qui est l’extrémité des éléments ; d’autre part de passer de la physique à la cosmologie pour considérer la sphère céleste. Sans approfondir davantage les détails de la doctrine du lieu comme « limite immobile du contenant », notons seulement que, tout au long de sa discussion, Averroès tente de redécouvrir la vraie pensée d’Aristote, sa théorie complexe du lieu, et de montrer que sa cohérence suffit bien aux besoins de la physique. Venons-en à présent à la principale critique qu’al-Baghdādī formule contre la théorie du lieu d’Ibn al-Haytham. Mais pour comprendre cette critique d’al-Baghdādī, rappelons que la plupart des contre-exemples conçus par Ibn al-Haytham pour réfuter la doctrine du Stagirite sont de type isépiphanique. Le mathématicien sait, parce que son prédécesseur al-Khāzin l’avait déjà démontré, que de tous les solides ayant une superficie donnée, c’est la sphère qui a le plus grand volume 1. Il avait lui-même démontré que, parmi les polyèdres réguliers à faces semblables inscrits dans une même sphère, celui qui a le

‎1. R. Rashed, Les Mathématiques infinitésimales du ix e au xi e siècle. Vol. I : Fondateurs et commentateurs : Banū Mūsā, Thābit ibn Qurra, Ibn Sinān, al-Khāzin, al-Qūhī, Ibn al-Samḥ, Ibn Hūd, London 1996, 776 et 828.

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plus grand nombre de faces a la plus grande aire et le plus grand volume 1. Ces théorèmes isépiphaniques permettent à Ibn al-Haytham d’affirmer que, parmi les polyèdres réguliers ayant un même volume, c’est la sphère qui a l’aire latérale la plus petite. Il peut donc soutenir que, si l’on façonne une même quantité de cire en un cube puis en une sphère, elle aura une surface latérale plus grande dans le premier état que dans le second : pour le même volume de cire, l’aire latérale du cube est plus grande que celle de la sphère. Al-Baghdādī est cependant en droit de rejeter l’argument d’Ibn al-Haytham à partir de la doctrine aristotélicienne de matière-forme et de l’individuation des corps. L’aire de la surface latérale d’un corps sera dans ce dernier cas une propriété spécifique de ce corps qui n’augmente pas, ne diminue pas, demeure indivisible et invariable en acte, même si en puissance il est divisible et variable. En fait, al-Baghdādī était un philosophe trop formé pour rejeter purement et simplement l’argument isépiphanique. Mais il tentait de l’interpréter de telle sorte qu’il s’accommode de la doctrine de matière-forme. Il accorde donc à Ibn al-Haytham qu’un corps peut demeurer le même tandis que ses surfaces enveloppantes varient. Mais, alors qu’Ibn al-Haytham se fonde sur cette conclusion, bâtie sur l’argument isépiphanique, pour dénoncer la thèse du lieu-enveloppe, al-Baghdādī retourne l’argument et trouve que cette critique est sans effet si on admet que le corps avait changé de forme. Dans ce cas en effet les surfaces enveloppantes varient, et de ce fait les lieux. Ainsi, la sphère de cire et le cube de cire, de même volume, ont deux formes différentes, et chacun a une place propre et une aire propre, en fonction de sa forme. Pour prolonger le propos d’al-Baghdādī, on peut dire que l’individu sphère et l’individu cube, chacun composé de matière-forme, ont deux lieux différents, même s’ils ont le même volume de cire. Mais reste encore à expliquer comment chacune de ces formes peut être, elle-même, la surface enveloppante d’un même volume de cire. Al-Baghdādī ne s’attarde guère sur cette question. Voici sa réponse : Or la surface intérieure de la sphère est plus petite que la surface intérieure du cube qui lui est égal. Et la sphère contient plus de substance que celle que contient le cube, tandis que ce que l’intérieur de la sphère et l’intérieur du cube rencontrent des surfaces du corps enveloppé est identique et ne peut absolument pas se différencier 2.

‎1. R. Rashed, Les Mathématiques infinitésimales du ix e au xi e siècle. Vol. II : Ibn alHaytham, London 1993, 381-2 et 451-7. ‎2. Voir Réfutation du Lieu d’Ibn al-Haytham, dans Les Mathématiques infinitésimales du ix e au xi e siècle, IV, 924.

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L’argument isépiphanique garantit en effet que pour le même volume l’aire de la surface latérale de la sphère est plus petite que celle du cube, raison pour laquelle al-Baghdādī affirme que la surface intérieure de la sphère contient « plus de substance». Il n’explique cependant pas comment une surface sphérique concave d’aire plus petite et une surface cubique à figures rectilignes, d’aire plus grande, enveloppent d’une manière identique le corps qu’elles contiennent. Pour tout dire, à la lecture du livre d’al-Baghdādī contre Ibn alHaytham on ne peut s’empêcher de penser aux propos que Galilée prête à Simplicius contre Salviati dans les Dialogues sur les deux systèmes du monde. Nous venons d’évoquer dans leurs grandes lignes trois contributions, qui élucident le concept de lieu, et d’assister à l’émergence de deux styles philosophiques bien différents. Si en effet Ibn al-Haytham d’une part, et Averroès et al-Baghdādī d’autre part, partagent un même trait, ils se séparent ensuite en tout point. Tous les trois, il est vrai, sont résolument rationalistes, et la seule voie qu’ils reconnaissent est celle de la raison démonstrative. Mais les styles divergent tant par l’origine des problèmes que par les visées poursuivies. Pour Ibn al-Haytham, le problème du lieu s’impose comme une conséquence de l’évolution de la géométrie, qui s’est enrichie de nouveaux chapitres, notamment ceux qui traitent des transformations : il fallait dégager une notion du lieu où ces transformations puissent trouver leur place. Averroès et al-Baghdādī rencontrent le problème du lieu au cours de leur réflexion sur les fondements de cette physique du mouvement naturel ; c’est-à-dire, en fait, lors de sa lecture du livre IV de la Physique d’Aristote, complétée par l’étude du De caelo. Il s’agit de comprendre le véritable sens du concept aristotélicien en se référant à la totalité de l’encyclopédie du Stagirite. Il est clair que pour Ibn al-Haytham la recherche philosophique est thématique et éclatée : c’est celle du savant, son souffle est un peu court. Pour le grand métaphysicien de Cordoue en revanche ainsi que pour alBaghdādī, elle est systématique et totalisante. Chaque notion, telle que le lieu, exige que l’on revienne à la totalité de la philosophie achevée. Au cours du travail d’élucidation philosophique, les visées diffèrent également. Le projet d’Ibn al-Haytham est ouvert et inachevé : il ne s’agit pas moins que de la mathématisation du lieu comme une étape sur la voie de la mathématisation de l’espace. De ce parcours, le premier acte est de faire table rase de toute différence qualitative entre les lieux ou les régions de l’espace, ce qui impose la critique de la conception aristotélicienne du lieu. Les intentions d’Ibn alHaytham sont donc autant de potentialités pour l’avenir. Il en va

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tout autrement pour Averroès et al-Baghdādī. Pour les raisons que l’on sait, ils ne pouvaient accepter de ramener l’expérience vécue du lieu à son expression géométrique ; ils tenaient, tout comme Aristote, aux qualités secondes, à la constitution d’une théorie qualitative des éléments et au refus de tout mathématisme en métaphysique et en physique. Le dessein du philosophe était donc de dégager avec la plus grande rigueur la difficile théorie aristotélicienne du lieu : c’est elle qui respecte tous les critères précédents ; c’est elle qui donne au lieu toute l’idéalité nécessaire dans la mesure où le Stagirite l’a élaborée pour un corps quelconque. Les visées d’Averroès et d’al-Baghdādī sont en fait d’ores et déjà réalisées dans la philosophie achevée : il leur suffisait de les redécouvrir. C’est là que le génie du commentaire atteint les dimensions de la recherche philosophique la plus authentique.

THE PHILOSOPHY OF MATHEMATICS IN THE ARABIC TRADITION ABSTRACT. Is there a philosophy of mathematics in classical Islam? If so, what are the conditions and the scope of its presence? To answer these questions, hitherto left unnoticed, it is not sufficient to present the philosophical views on mathematics, but one should examine the interactions between mathematics and theoretical philosophy. These interactions are numerous, and mainly foundational. Mathematics has provided to theoretical philosophy some of its central themes, methods of exposition and techniques of argumentation. The aim of this chapter is to study some of these interactions, in an effort to give some answers to the questions raised above. The themes which will be successively discussed are mathematics as a model for the philosophical activity (al-Kindī, Maimonides), mathematics in the philosophical syntheses (Ibn Sīnā, Naṣīr al-Dīn alṬūsī), and finally the constitution of ars analytica (Thābit ibn Qurra, Ibn Sinān, al-Sijzī, Ibn al-Haytham).

The historians of Islamic philosophy take a particular interest in what some, at times, like to call falsafa (‫)ةفسلف‬. As they see it, it comprises the doctrines of the Being and the Soul developed by the authors of Islamic culture, indifferent to other kinds of knowledge and independent of all determination other than the link they have with religion. These philosophers would, then, be working in the Aristotelian tradition of Neo-Platonism, heirs of late antiquity under the colours of Islam. This historical bias ensures, superficially at least, a smooth passage from Aristotle, Plotinus and Proclus, among others, to the philosophers of Islam from the ninth century on. But the price is high: it often, but not always, results in a pale and impoverished image of philosophical activity and transforms the historian into an archaeologist, although one deprived of the latter’s resources. Indeed, it is not uncommon for the historian to take on as his main task an excavation of the domain of Islamic philosophy, looking for the remnants of Greek works lost in their original but preserved in Arabic translation; or, for want of such a translation, to declare himself satisfied with the fragments of the ancient philosophers often

Paru dans Shahid Rahman, Tony Street, Hassan Tahiri (ed.), “The Unity of Science in the Arabic Tradition,” Science, Logic, Epistemology and their Interactions, vol. 11, Springer, 2008, p. 153-182.

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studied with talent and competence by historians of Greek philosophy. It is true that recently, some historians have turned to doctrines elaborated in other fields beyond the wake of the Greek inheritance: the philosophy of law, developed in magisterial manner by the jurists; the philosophy of Kalām (‫)ملع مالكلا‬, that is, of the philosophical theologian, refined and subtle; the Sufism of the great masters as alḤallāj and Ibn ʿArabī and others. Such studies enrich and correct the picture and reflect more faithfully the philosophical activity of the time. They also allow for a better understanding the place of the Greek inheritance in Islamic philosophy. But the sciences and mathematics have not yet received the same attention as law, the Kalām, linguistics or Sufism and, even today, the links—in our opinion essential—between sciences and philosophy, and notably between mathematics and philosophy are disregarded. The links between mathematics and philosophy in the works of the philosophers of Islam as al-Kindī, al-Fārābī, Ibn Sīnā, and others are sometimes tackled, but in what must be termed a totally superficial way. Their views on the links between the two domains are described in an attempt to find a connection between these views and the Platonic or Aristotelian doctrines, or sometimes the possible influence of the Neo-Pythagoreans is examined. This means that there is no attempt to understand the repercussions of the philosophers’ mathematical knowledge on their philosophies, and not even the impact on their own philosophical doctrines of their activities as scientists, which of course most of them were. The historians of philosophy are not alone accountable for this deficiency; the responsibility is also that of the historians of sciences. It is true that, to examine the links between the sciences and philosophy, it is necessary to have a particularly wide scope of competence, a much finer linguistic knowledge than what suffices in geometry, syntactically elementary and lexically poor; and a knowledge of the history of philosophy itself. If to these demands we add a conception of the links between science and philosophy that is itself inherited from the present positivism, it is easier to understand the deep indifference of the historians of science in this domain. Yet—we must remind ourselves—the links between sciences and philosophy are an integral part of the history of sciences. To be sure, the situation is a little paradoxical: for seven centuries, a scientific and mathematical research of the most advanced was elaborated in Arabic in the urban centres of Islam. Is it likely that philosophers who were sometimes themselves mathematicians, physicians, and so on, should have carried out their philosophi-

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cal activity as recluses, indifferent to the changes that were taking place under their eyes, blind to a succession of scientific results that were following one another? How is this imaginable in the face of an unprecedented profusion of disciplines and successes: astronomy critical of Ptolemaic models, reformed and renewed optics, the creation of algebra, the invention of algebraic geometry, the transformation of Diophantine analysis, the discussion of the theory of parallels, the development of projective methods, and so forth—the philosophers should have been so insensitive as to remain within the relatively narrow frame of the Aristotelian tradition of NeoPlatonism? The apparent poverty of the philosophy of classical Islam is undoubtedly due to its historians rather than to history. Nevertheless, to we examine the links between philosophy and science or philosophy and mathematics—to which we will limit ourselves here—, only as they appear in the philosophers’ works, is to make only one third of the journey. It is also necessary to question mathematician-philosophers and mathematicians. But to consider mathematics alone demands an explanation at the outset, all the more so as this means of proceeding is in no way the norm in the study of Islamic philosophy. No scientific discipline has contributed as much to the genesis of theoretical philosophy as mathematics; none has had such ancient and numerous links with philosophy. From antiquity, mathematics has constantly provided central themes for philosophical reflection; it has supplied methods of exposition, argument techniques, and even implements appropriate to its analyses. And finally, it offers itself to the philosopher as an object of study: he sets about clarifying mathematical knowledge itself by studying its object, its methods, by probing its apodictic characters. From start to finish in the history of philosophy, questions have kept recurring on the conditions of mathematical knowledge, its capacity to be extended, the nature of the certainty it reaches, and its place at the heart other kinds of knowledge. The philosophers of Islam are no exception to this rule: al-Kindī, al-Fārābī, Ibn Bājja, Maimonides among many others. Other less obvious links have appeared between mathematics and theoretical philosophy. It is common for them to collaborate in order to elaborate a method, a logic even, as the encounter between Aristotle and Euclid over the axiomatic method, or al-Ṭūsī’s appeal to combinatorial analysis to solve the philosophical problem of emanation from the One. But whatever form this link may take, there is one which is particularly noticeable and which, in this case, was created by a mathematician, not a philosopher: we mean the doctrines developed by the mathematicians to justify their own practice.

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The conditions most propitious for these theoretical constructions are present when a mathematician, ahead of contemporary research, is confronted with an insurmountable obstacle, as a result of the unsuitability of available mathematical techniques for the new objects that are beginning to emerge. Just think of the different variants of the theory of parallels, notably from the time of Thābit ibn Qurra (d. 901), of a kind of analysis situs conceived by Ibn al-Haytham, or of the doctrine of the indivisibles in the seventeenth century. The links between theoretical philosophy and mathematics are to be found mainly in four types of works: the works of philosophers; those of the mathematician-philosophers as al-Kindī, Muḥammad ibn al-Haytham (not to be mistaken for al-Ḥasan ibn al-Haytham [see Rashed, 1993b, II, pp. 8–19; 2000, III, pp. 937–941]); those of the philosopher-mathematicians as Naṣīr al-Dīn al-Ṭūsī, and others; and those of mathematicians as Thābit ibn Qurra, his grandson Ibrāhīm ibn Sinān, al-Qūhī, Ibn al-Haytham, and others. Therefore to limit oneself to one group or another when examining the links between philosophy and mathematics is to condemn oneself to the loss of an essential dimension of the field of study. We have tried on several occasions now to provide an exposition of some of the themes of the philosophy of mathematics; these are but a few soundings intended to reveal the riches of a domain rather more soundings, in fact, than a systematic examination of the domain. Such a project deserves a substantial volume, a volume which has yet to be written. The fact remains that the way that seems best suited to the task differs from merely setting out the views the philosophers may have expressed on mathematics and its importance; rather, it considers which themes were tackled, the intimate links between mathematics and philosophy and their role in the elaboration of doctrines and systems—that is to say the organisational role of mathematics. Notably, we will show how mathematician-philosophers set about solving philosophical problems mathematically, a fruitful approach generating new doctrines, new disciplines even. We will bring out the attempts of mathematicians to resolve mathematical problems philosophically and we shall see it constitutes an investigation which is profound and necessary. I will deal with the following topics: 1. Mathematics as the condition and source of models for philosophical activity. From the numerous philosophers who may illustrate this theme, we have selected just two: a mathematician philosopher and a philosopher who without being a mathematician was yet knowledgeable in mathematics: al-Kindī and Maimonides.

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2. Mathematics in philosophical synthesis. It is with the first known synthesis, that of Ibn Sīnā, that mathematics as such intervenes in philosophical works. One of the results—and by no means the least—is the “formal” turn in ontology; which permitted the mathematical treatment of a philosophical problem. Naturally, we will consider here the contribution of Ibn Sīnā, a philosopher well-read in mathematics, which was continued by the mathematician Naṣīr al-Dīn al-Ṭūsī. 3. The third topic, mainly cultivated by mathematicians dealing with the problem of mathematical invention, is ars inveniendi and ars analytica with Thābit ibn Qurra, Ibrāhīm ibn Sinān, al-Sijzī and Ibn al-Haytham.

1. Mathematics as Conditions and Models of Philosophical Activity: al-Kindī, Maimonides The links between philosophy and mathematics are essential to the reconstitution of al-Kindī’s system (the ninth century); it is indeed such a dependence that the philosopher advertises when he writes a book entitled Philosophy can only be acquired through mathematical discipline (al-Nadīm, ed. 1971, p. 316), and when in his epistle on The quantity of Aristotle’s books (‫( لئاسرلا‬i.e., Rasāʾil), Al-Kindī, 1950, pp. 363–384), he presents mathematics as a propaedeutic to philosophical teaching. He even goes as far as calling out to the student in philosophy, warning him that he is facing the following alternative: to begin with the study of mathematics before tackling Aristotle’s books, according to the order given by al-Kindī—and then he can hope to become a true philosopher; or to do without mathematics and come merely to parrot philosophy, if he is capable of memorising by heart. Having mentioned Aristotle’s different groups of books, al-Kindī writes: This is the number of his books, that we have already mentioned, and which a perfect philosopher needs to know, after mathematics, that is to say, the mathematics I have defined by name. For if somebody is lacking in mathematical knowledge, that is, arithmetic, geometry, astronomy and music, and thereafter uses these books throughout his life, he will not be able to complete his knowledge of them, and all his efforts will allow him only to master the ‘ability’ to repeat if he can remember by heart. As for their deep knowledge and the way to acquire it, these are absolutely non existent if he has no knowledge of mathematics (ibid., I, pp. 369–370).

For al-Kindī, then, mathematics is at the base of the philo-

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sophical programme. By going deeper into its role in al-Kindī’s philosophy—which is not our purpose here—one will be able to understand more rigorously the specificity of his work, which indeed historians often approach in two different ways. According to the first interpretation, al-Kindī presents himself as a Muslim representative of the Aristotelian tradition of Neo-Platonism, a philosopher of a doubly late antiquity. The second interpretation sees in him a follower of philosophical theology (Kalām), a theologian who would have liked to change its language for that of Greek philosophy. But if we give back to mathematics the role which has been devolved on it in the elaboration of his philosophy, al-Kindī’s fundamental options will open up before our eyes. One of them comes from his Islamic convictions, as they were explained and set out in the tradition of philosophical theology, notably that of al-Tawḥīdi (the doctrine of God’s unicity), that Revelation delivers us the truth, which is unique and rational. The second one refers us back to Euclid’s elements as method and model: what is rational can be reached in a concise, very condensed and almost instantaneous way by Revelation, and can equally be derived through collective and cumulative work—that of philosophers—from truths of reason, independent of Revelation, which should satisfy the criteria of geometric proof. These truths of reason, which are used as primitive notions and postulates, were provided at the time of al-Kindī by the Aristotelian tradition of NeoPlatonism. They were chosen to replace the truths that Revelation offers in philosophical theology since they could fulfil the requirements of geometric thought and make possible an axiomatic style of exposition. The “mathematical examination (‫ ”)صحفلا يضايرلا‬became then the instrument of metaphysics. That is in fact the case for the epistles in theoretical philosophy, such as for example First Philosophy, and the Epistle for Explaining the Finitude of the Body of the World (Rashed and Jolivet, 1988). To take the latter text as an example, al-Kindī proceeds methodically to prove the inconsistency of the concept of an infinite body. He begins by defining primitive terms: magnitude and homogenous magnitudes. He then introduces what he calls “a certain proposition (‫( ”)ةيضق قح‬ibid., p. 161, l. 16), or, as he explains elsewhere, “the first true and immediately intelligible premises (‫( ”)تامدقملا ىلوألا ةيقحلا ةلوقعملا طسوتالب‬First Philosophy, ibid., p. 29, l. 8), or else “the first obvious true and immediately intelligible premises” (On the Unicity of God and the Finitude of the Body of the World, ibid., p. 139, l. 1), i.e., tautological propositions. These are expressed in terms of primitive notions, of order relations on them, of union and separation operations on them, of predications: finite and infinite. The following statements illustrate such propositions: homogeneous

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magnitudes which are no bigger than each other are equal; or, if one of equal homogeneous magnitudes is added to a magnitude which is homogeneous to it, then they become unequal (ibid., p. 160). Finally, al-Kindī uses a process of proof, reductio ad absurdum, by adopting a hypothesis: the part of an infinite magnitude is necessarily finite. This is the path al-Kindī follows in his other writings. As in his First Philosophy, he proceeds more geometrico in his epistle On the Quiddity of What Cannot Be Infinite and of What is called Infinite, this is how al-Kindī wants to prove the impossibility that the world and time are infinite. Al-Kindī begins here once again by stating four premises: (1) “Of anything from which some thing is taken away, what remains is smaller than what was before the subtraction was carried out”; (2) “Anything from which some thing is taken away, if what is taken away is given back to the former, it goes back to the original quantity”; (3) “For all finite things, if they are put together, a finite thing is obtained”; (4) “If there are two things such that one is smaller than the other, then the smaller measures the bigger or measures a part of it, and if it entirely measures it, then it measures a part of it” (Rashed and Jolivet, 1998, p. 150). From these premises, inspired directly by Euclid’s Elements, al-Kindī intends to establish his philosophical assertion. He then assumes an infinite body from which some finite thing is taken away, and the question is whether what remains is finite or infinite. He then shows that both hypotheses lead to contradictions, and concludes that no infinite body can exist. He goes on, showing that it is the same for the body’s accidents, notably time. And time, movement and the body are reciprocally involved. He then shows that there is no infinite time a parte ante and that neither the body, movement, nor time are eternal. There is therefore no eternal thing, and the infinite is only potential, as in the case of numbers. These examples, briefly mentioned, show how al-Kindī articulated simultaneously mathematical principles and methods, and philosophy according to the Aristotelian tradition of Neo-Platonism. It should be noted that al-Kindī the philosopher was also a mathematician as his works in optics (Rashed, 1996) and mathematics (Rashed, 1993a) testify. In philosophy, he was also familiar not only with Aristotle’s accounts and those of the Aristotelian and Neo-Platonist tradition, but also with Aristotelian commentators such as Alexander. Maimonides (1135–1204), while not productive in mathematics like al-Kindī, was informed about the subject. He obviously has enough knowledge of mathematics to try to read, pen in hand, perhaps even to teach and to comment on, mathematical works as Apollonius’ Conics, which is to say, works of the highest level at the time. But his commentary never bears on the fundamental ideas, on

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the properties really studied in the work; he is interested only in the elementary proof techniques taught, for the most part, in the first six books of Euclid’s Elements. Put bluntly, his commentary is nowhere near the level of the works commented upon. But why did Maimonides spend so much time and energy for so meagre an outcome? We can certainly invoke—in Maimonides’ own words—the role of mathematics in training the mind(‫ )ضيورت نهذلا‬to reach human perfection (Maimonides, 1972, p. 80). But there is more: it has to do with the other connections between mathematics and philosophy. We will confine ourselves to the most important of these. One must to bear in mind that the starting point of Maimonides is dogma and not philosophy: “to elucidate (as he says) the difficulties of dogma(‫)تالكشُم ةعيرَّشلا‬, and to make plain its hidden truths, which are far above the comprehension of the multitude.” (ibid., p. 282). This has been one of the major tasks of philosophy since al-Kindī (see his epistle On the Quantity of Aristotle’s Books), and consists in reaching the truth passed on by the Scriptures through reason, that is to say, philosophical speculation. To accomplish this task, even simply to initiate it, a perfect concordance had to be assumed between the two kinds of truth, that of the Scriptures and that of reason and philosophy. This “concordance” lies on a principle formulated by Ibn Rushd as follows (1126–1198): “a truth does not contradict a truth but accords with it and testifies for it” (Ibn Rushd, 1983, pp. 31–32). In this respect, the means for which Maimonides opted is the same as that with which his predecessors were equipped: “the method based on indubitable proof (‫( ”)قيرطلا يذلا ال بير هيف‬Maimonides, 1972, p. 187), i.e., to establish by the “true proof (‫ ”)ناهربلا يقيقحلا‬the truth of dogma: the existence of God, His unity and His incorporeality. For these philosophers, this proof can only be conceived of as a mathematical model. And to do so, a language other than that of the Revelation had to be used, a language whose concepts, defined by reason alone, are endowed with a certain ontological neutrality. The “true proof,” that is, according to the mathematical model, is the way necessary for the truths of Revelation to obtain further the status of truths of reason, which is in no way peculiar to a particular religion, revealed or not. Such is the first connection between mathematics and philosophy. But these connections, as we shall see, occur at different levels. First of all, Maimonides’ general approach consists in borrowing notions from the Aristotelian philosophy of his predecessors, and proof and exposition techniques from mathematics; it is this approach which has been effectively used, for example, in the major part of the second book of the Guide. The method follows that of geometers, to whom he owes certain proof techniques—mainly re-

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ductio ad absurdum—to establish each element of his exposition. In the Guide, there are twenty-five such elements, twenty-five lemmas most of which are quoted, but all of which are taken by Maimonides to have been rigorously proved by his predecessors. To these lemmas, he adds one postulate, and from these twenty-six propositions he infers his “principal theorem”: god exists, he is unique, and he is neither a body nor in a body. The importance of this passage is due not so much to the strength of the proof as to the deliberate metaphysical arrangement of a more geometrico exposition. The first lemmas were the potential subject of a logical and mathematical treatment since Aristotle, revived by al-Kindī, then picked up by several metaphysicians like Ibn Zakariyā al-Rāzī, Abū al-Barakāt alBaghdādī (11th-12th), Fakhr al-Dīn al-Rāzī (1150–1210), Naṣīr al-Dīn al-Ṭūsī (1201–1274), among others; finally, they are put together in the commentary of the Guide by al-Tabrīzī and later, in that of Hasdai Crescas (1340-ca 1414). They concern the impossibility of the existence of an infinite magnitude, and the impossibility of the coexistence of an infinite number of finite magnitudes. The third lemma states the impossibility of the existence of an infinite chain of causes and effects, material or not—thus condemning in advance the infinite regression of causes. Three propositions follow the three lemmas. The first deals with change; four categories are subject to change: substance, quantity, quality, and place. The second concerns motion: motion implies change and transition from potentiality to actuality. The third proposition enumerates the different kinds of motion. The seventh lemma is stated as follows: “Things which are changeable are, at same the time, divisible. That is why everything that moves is divisible, and necessarily corporeal; but that which is indivisible cannot move, and cannot therefore be corporeal” (Maimonides, 1972, p. 249). The eighth lemma asserts that: “anything that moves accidentally will necessarily come to rest” (ibid., p. 251). The ninth, that “a body that sets another corporeal thing in motion can only effect this by setting itself in motion at the time” (ibid., p. 252). The exposition of the preliminary propositions goes on in like manner; the fourteenth postulates that locomotion precedes all motions, and the twenty-fifth that each compound substance consists of matter and form. These twenty-five lemmas, some of which have just been mentioned, all belong to the Aristotelian philosophy. But they are not homogeneous: their origin separates them as much as their logical complexity. Maimonides acknowledges this heterogeneity, since he generally gives us his sources: “Physics and its commentaries,” and “Metaphysics and its commentary”. The books of Physics and Metaphysics

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IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

are easy to identify: the third and the eighth book of Physics and the tenth and the eleventh of Metaphysics. But to identify exactly which commentaries on Physics, and which commentary on Metaphysics, is another matter, though not our concern here. The logical complexity of the lemmas is described by Maimonides as follows: “some lemmas are obvious by the least reflection and by demonstrative premises and by primary intelligible notions or by those close to them,” while “others require more proofs, many premises, all of which, however, have been established by indubitable proofs” (Maimonides, 1972, p. 272). In other words, there are lemmas which are so close to axioms that they become self-evident by applying only the “merest reflection (‫لمأتلا‬

‫ ;”)رسيألا‬others which are so remote that their proof requires many

intermediary propositions, a task which has been accomplished by Aristotle, his commentators and his successors. The twenty-five lemmas of the system belong to one type or the other. Maimonides is aware that, to be worth the name, a proof has to be both universal and compelling. But that is not the case for the question examined here regarding the irreducible opposition between the two truths, revealed and philosophical, concerning the eternity of the world. For the proof to have the form of a mathematical proof, that is, be truly apodictic, it should always be valid, whether one believes in the eternity of the world or not. Maimonides thus introduces into the system, as a mathematician so to speak, and also against his own conviction, the eternity of the world as a postulate, bringing the number of the preliminary propositions up to twenty-six. Regarding this, he says without the slightest ambiguity: To the above lemmas one lemma must be added which enunciates that the universe is eternal, which is held by Aristotle to be true, and which has to be believed first and foremost. We therefore admit it by convention (‫ )ىلع ةهج ريرقتلا‬only for the purpose of demonstrating our theorem (ibid., p. 272).

Maimonides thus introduces the eternity of the world as a necessary postulate for the completion of the system and, subsequently, for the deduction of his “theorem”. The conventional—but nonarbitrary—aspect of the proposition is in sharp contrast with his rejection of the doctrine of the eternity of the world. Here, for example, is what he has to say on this matter: The true method, which is based on a logical and indubitable proof, consists, in my opinion, in demonstrating the existence of God, His unity, and His incorporeality by philosophical methods, but founded on the theory of the eternity of the universe; I do not propose this method as

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though I believed in the eternity of the universe, for I do not follow the philosophers on this point, but because by the aid of this method the proof can be valid; and certainty can be reached concerning these three principles, viz., the existence of God, His unity and His incorporeality, irrespectively of the question as to whether the universe is eternal or created (ibid., p. 187).

In fact, Maimonides knew that the problem of the eternity of the universe cannot have a positive solution. Some were to say later that dialectical reason comes up against an antinomy, since the properties of things which do not yet exist have be determined. The architectonic of this part of the Guide is surely conceived of as a mathematical exposition, following the order of geometry. In fact, this order appears to be a condition for the certainty of metaphysical knowledge, namely that of God, of His existence and of His incorporeality. This seminal idea, already present in al-Kindī, will be found later in Spinoza. But, as noted by Crescas, the big problem still remains as to whether these twenty-five propositions have effectively been proved; and, whether, even then, the “theorem” can really be deduced. These two questions will keep on haunting Maimonides’ successors. Al-Tabrīzī’s commentary is designed to prove these propositions, and Crescas’ attempt is motivated by the same intention. Maimonides himself attempts this deduction, which we will expound in broad terms, while emphasising the spirit in which it is carried out. According to the twenty-fifth lemma, each composite individual substance needs for its existence a motor which properly prepares matter and enables it to receive form. But, according to the fourth lemma, there exists necessarily another motor which can be of a different class and which precedes the first motor. Following the third lemma, this chain of motors/mobiles is necessarily finite: motion finishes in the celestial sphere and then comes to rest. The celestial sphere establishes the act of locomotion, since this motion precedes all the other kinds of motion for the four categories of change, according to the fourteenth lemma. But the celestial sphere must have a motor since each moving object has necessarily a motor according to the seventeenth lemma. And this motor either resides within or without the moving object. This is a necessary division. If the motor is outside, then either it is an object outside the celestial sphere, or it is not in an object; in the latter case, the motor is said to be “separate” from the sphere. If the motor is within, it must be either a force distributed throughout, or an indivisible force, like soul in man. Four cases have then to be examined; three of them have been rejected by Maimonides since he shows their impossibility with the

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help of different lemmas. He is then left with only one possibility, of an incorporeal object outside and separate which is the cause of locomotion of the celestial sphere in space. Maimonides concludes his long proof in these words: It is therefore proved (‫ )دقف نهربت‬that the motor of the first Orb, if its motion be eternal and continuous, is necessarily neither itself corporeal nor does it reside as a potentia in a corporeal object for this motor to move, either of its own accord or accidentally; that is why it must be indivisible and unchangeable, as it has been mentioned in the fifth and the seventh lemmas. This prime Motor of the sphere is God, praised be His name. It is impossible that He could be two or more […]. That is what had to be proved (ibid., p. 276).

We have just shown that according to Maimonides, mathematics can be considered as a condition for metaphysical knowledge in three senses. The most obvious one is that mathematics is an exercise for the mind. In the second place, it offers a construction model—an architectonic—which can lead to certainty. And finally, it provides theoretical-proof techniques, mainly, the apagogic method. But these are not the only connections between mathematics and metaphysics that we can find in the Guide. We have quite recently drawn attention to another connection which is by no means less important: mathematics can play the role of an argumentation method in metaphysics. The most famous example, and the most relevant, is precisely taken from Apollonius’ Conics: the problem of the relation between imagination and conception can best be dealt with by taking the example of an asymptote to an equilateral hyperbola. In his criticism of Kalām, Maimonides intends to refute the following thesis: “everything conceived by imagination is admitted by the intellect as possible”. His strategy is to establish the negation of the thesis: there are unimaginable things, that is, things that can in no way be imagined though their existence can be proved. This shows that, for Maimonides, there is no principle which licenses a move from imagination to the metaphysical reality. He expresses his thesis as follows: Know that there are certain things, which would appear impossible, if tested by man’s imagination, being as inconceivable as the co-existence of two opposite properties in one object; yet the existence of those same things, which cannot be represented by imagination, can nevertheless be established by proof, and their reality brought about (ibid., p. 214).

We have had the opportunity of showing (Rashed, 1987) that in these terms Maimonides takes up the problem of proving what cannot be conceived, a problem posed in the tenth century by the

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mathematician al-Sijzī. The example invoked by Maimonides to make his point is the same as the one discussed by his predecessor— proposition II. 14 of Apollonius’ Conics concerning asymptotes to an equilateral hyperbola: the curve and its asymptotes will always come closer to each other if they are prolonged indefinitely, but they never meet. This is a fact, writes Maimonides, which cannot easily be conceived, and which does not come within the scope of imagination. Of these two lines the one is straight, the other curved, as stated in the aforementioned book. One has consequently proved the existence of what cannot be perceived or imagined, and would be found impossible if tested solely by imagination (ibid., p. 215).

The imagination invoked here by Maimonides is the mathematical imagination: nothing ensures even the way to metaphysical reality. But it can be stated with certainty that what is true for the mathematical imagination is a fortiori also true for all other forms of this faculty. Invoking the Conics proposition seems, in Maimonides’ mind, to have more force than just that of mere example: it is an argumentation technique that the metaphysician borrows from mathematics. To conclude: as did his predecessors from the time of al-Kindī, Maimonides finds in mathematics an architectonic model, proof techniques and model argumentation methods. The role of mathematics is in no way reduced to that of a propaedeutic to philosophical teaching: if Maimonides devoted time and energy to acquiring a mathematical knowledge—however modest one—it is because he conceived of it, as did his predecessors, as a deeply philosophical task: that of resolving metaphysical problems mathematically.

2. Mathematics in the Philosophical Synthesis and the “formal” Modification of Ontology: Ibn Sīnā and Naṣīr al-Dīn al-Ṭūsī In his monumental al-Shifāʾ, as in his book al-Najāt, and in his DanishNameh, Ibn Sīnā gives mathematics a particular prominence. To take the Shifāʾ alone, Ibn Sīnā (980–1037) devotes no fewer than four books to mathematical sciences. To this must be added some independent chapters in astronomy and music. In all these writings, it has not been sufficiently understood that the presence of mathematics is significant in two respects. We have seen that al-Kindī

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IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

was interested in mathematics on two accounts, in his capacity as a philosopher, and as a mathematician. So when he treats of burning mirrors, optics, sundials, astronomy, and when he comments on Archimedes, he does so as a mathematician. Mathematics is also a source of inspiration and an argumentation model for the philosopher. While al-Kindī’s tradition survived him in the writings of Muḥammad ibn al-Haytham, Ibn Sīnā belongs only in part to this tradition. His mathematical knowledge, as one can see, is fairly wideranging though traditional. He probably knew the works of Euclid, of Nicomachus of Gerasa, and of Thābit ibn Qurra on the amicable numbers. He was also familiar with elementary algebra, with the theory of numbers and with certain works in Diophantine analysis. He seems not to have been well informed about contemporary research, as is shown by his claims about the regular heptagon. We can say, then, without fear of contradiction that Ibn Sīnā had a solid mathematical knowledge which allowed him to deal with certain applications, though not to undertake true mathematical research. This means that it is just as inaccurate to reduce his mathematical knowledge to Euclid’s Elements and to Nicomachus of Gerasa’s Introduction to Mathematics, as it is to represent him as a major mathematician of the tenth century. For this great logician, metaphysician and physician, mathematics plays a different role from that in al-Kindī since it is not only a source of inspiration for philosophical research but an integral part in a philosophical system. This explains the presence of four books in al-Shifāʾ devoted successively to the disciplines of the quadrivium. The question therefore is to assess the philosophical implications of this state of affairs. If we consider Ibn Sīnā’s theoretical views on the status of mathematics, the nature of its objects and the number of disciplines of which it is composed, we can conclude that he is the direct heir to a tradition: the status of mathematics is defined accordance with the Aristotelian theory of the classification of sciences, itself founded on the famous doctrine of Being; its objects are defined thanks to abstraction theory; as for the number of its disciplines, it is the well-known number passed on by the ancient Greek tradition. This concerns the three disciplines of the intermediary science (‫)ملعلا طسوَألا‬, which make up theoretical philosophy the objects of which are distributed among physics, mathematics and metaphysics—an order that the composition of al-Shifāʾ follows as a function of the materiality and mobility of the objects studied. Therefore mathematics considers objects abstracted from experience, separated from mobile, material and physical objects. The four disciplines which form mathematics are called the Quadrivium: Arithmetic, Geometry, As-

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tronomy and Music. Ibn Sīnā always comes back to this doctrine, in the Isagoge as well as in the Metaphysics of al-Shifāʾ, and also in an opuscule devoted to the classification of sciences, among other writings. The types of sciences set out to consider beings either as moving objects, according to their conception and constitution, and as having to do with particular species and matters; either as separated from matters, according to the conception but not the constitution; or as separated according to the constitution and the conception. The first part of these sciences is physics; the second part is pure mathematics which includes the famous theory of numbers. As for the nature of numbers as numbers, they do not belong to this science. The third part is metaphysics. Since beings are by nature according to the three parts, theoretical philosophical sciences are those ones. Practical philosophy has to do either with the teaching of opinions whose use makes it possible to order the participation in common human things, and is known as the city’s organisation; it is called politics; or with what makes it possible to order the participation in private human things, and is known as the home’s organisation, ; or finally what makes it possible to order the state of one person in order to build his soul: that is called ethics. (al-Shifāʾ, Isagoge, p. 14)

There is nothing new in this conception. If we stop at this Aristotelian bias of Ibn Sīnā, the real role that mathematics plays in al-Shifāʾ cannot be captured. Perhaps we should wonder, first and foremost, whether such a position of principle corresponds to the philosopher’s mathematical knowledge and whether the theoretical classification reflects a possible de facto classification. But to assess and to understand the distance, if it exists, between these two classifications, it is necessary to refer first to Ibn Sīnā’s mathematical studies. Only arithmetic will be considered, even if geometry provides the philosopher with further opportunities for reflection (the fifth postulate for example, as in Danish-Nameh). If we first consider purely biographical details, we know that while receiving his philosophical teaching, Ibn Sīnā was learning Indian arithmetic and algebra. It is only later that he was to learn logic, Euclid’s Elements and the Almagest; an account given by many biobibliographers such as al-Bayhaqī, Ibn al-ʿImād, Ibn Khallikān, al-Qifṭī and Ibn Abī Uṣaybiʿa. Al-Bayhaqī reports for example: When he was ten years old, he knew certain fundamental texts of literature by heart. His father was studying and reflecting upon an opuscule of the Brothers of the Purity. He also reflected over it. His father took him to a greengrocer named Marmūd al-Massār who knew Indian calculation and algebra and al-muqābala (Al-Bayhaqī, 1946, p. 53).

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IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

Ibn al-ʿImād gives this biographical anecdote in the same words and, quoting Ibn Khallikān, he writes: “When he was ten years old, he improved his knowledge in the science of the Glorious Qurʾān, literature, and he knew certain religious foundations by heart, Indian calculation and algebra and al-muqābala” (Ibn al-ʿImād, n.d., III, p. 234; see also Ibn Khallikān, 1969, II, pp. 157–158). As for Ibn Sīnā himself, he writes: “My father took me to a greengrocer who practised Indian arithmetic so that he could teach me.” (al-Qifṭī, Taʾrīkh al-Ḥukamāʾ, p. 413 and Ibn Abī Uṣaybiʿa, 1965, p. 437). But these new disciplines—Indian arithmetic and algebra— unknown to the Alexandrians, cannot find their place in the traditional framework of the classification of sciences without at least changing its general outline, if not changing drastically its underlying conceptions. But in Ibn Sīnā’s classification, they appear under the sole title of “secondary parts of arithmetic (‫”)ماسقألا ةيعرفلا‬. Ibn Sīnā gives no explanation whatsoever of this notion; contents himself simply with their enumeration. Here is what he writes: The secondary parts of mathematics—branches of the [science of] numbers: the science of addition and of separation of the Indian arithmetic; the science of algebra and al-muqābala. And the branches of the science of geometry: the science of measurement, the science of ingenious devices the science of the traction of heavy bodies; the science of weights and scales; the science of instruments specific to arts; the science of perspectives and mirrors; the hydraulic science. And the branches of astronomy: the science of astronomical tables and of calendars. And the branches of music: the use of wonderful and curious instruments as the organ and the like (Parts of rational sciences, p. 112).

Thus we learn only that arithmetic has as secondary parts Indian arithmetic and algebra. But the number of arithmetic disciplines invoked by Ibn Sīnā is not limited to the last two given in his classification of sciences. We have in fact already mentioned the volume that he devotes, in al Shifā’, to the science of calculation called alArithmāṭīqī. To this two further disciplines have yet to be added: one, though named, has never had its status fixed by Ibn Sīnā—it is al-Ḥisāb; the other is only present through its objects: integral Diophantine analysis. The theory of numbers, al-Arithmāṭīqī, Indian arithmetic, algebra, al-Ḥisāb and integral Diophantine analysis: six disciplines which overlap and which are sometimes superimposed to cover the study of numbers. The reality is thus obviously much more complex than it looks in the classificatory schema of sciences. But to disentangle these disciplines and to elucidate their connections, we must briefly

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recall the works of the mathematicians at the time. The latter in fact distinguished, by denoting them under two different names, the Hellenistic tradition of arithmetic and its Arabic development: the number theory (‫ )ملع دادعألا‬on the one hand, and the discipline denoted by the phonetic transcription of ἡ ἀριθμητική on the other. If their connotation was not altogether unrelated, each of these terms did however refer to a distinct tradition. The expression “number theory (‫ ”)ملع دادعألا‬referred to the arithmetic books of Euclid’s Elements, and also to later works such as those of Thābit ibn Qurra, for example. Meanwhile, the phonetic transcription of ἡ ἀριθμητική (al-arithmāṭīqī) denoted the arithmetic tradition of the Neo-Pythagoreans, that is, the tradition as Nicomachus of Gerasa understands it in his Introduction; a term translated nevertheless by Ibn Qurra under the title Introduction

to the Number theory (‫( )لخدملا ىلإ ملع دادعألا‬see Nicomachus, 1958). Without being systematic, the terminological difference between the ninth and tenth centuries seems to measure the gap which separated the two disciplines at the time. To understand how this gap was perceived later, let us read what Ibn al-Haytham writes. There are two ways in which the properties of numbers appear: the first is induction, since if we follow numbers one by one, and if we distinguish them, we find all their properties by distinguishing and by considering them, and to find the number in this way is called al-arithmāṭīqī. This is shown by [Nicomachus’] al-arithmāṭīqī. The other way in which the properties of numbers appear is by proofs and deductions. All the properties of numbers seized by proofs are contained in these three books [of Euclid] or in what is related to them (Rashed, 1980, p. 236).

This eminent mathematician deems both approaches to be scientific; a remark all the more important since Ibn al-Haytham demanded, everywhere and without restriction, rigorous proofs. And in fact, from the tenth century at least, these two traditions offered mathematicians the same conception of the object of arithmetic: an integer arithmetic represented by line segments. But while in number theory the norm of proof is restrictive, in al-arithmāṭīqī a simple induction can be used. For scientists of the tenth century, the difference between the two traditions was reduced to a distinction between methods and norms of rationality. It is precisely this conception of the connection between the two disciplines which is expressed by Ibn Sīnā. In al-Shifāʾ, arithmetic appears twice: the first time in the geometry of al-Shifāʾ in which he merely summarises Euclid’s books on arithmetic. On the second occasion, he writes his own book of al-arithmāṭīqī—which will

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be read and taught for many centuries—and whose real foundations, according to the author himself, can be mainly found in the Elements. Perhaps it is also this vision of the relationship between the two disciplines which explains why, in his al-arithmāṭīqī, Ibn Sīnā is not content with a simple summary of Nicomachus, as he had been for the theory of numbers, with Euclid’s Elements. It would thus become clear how far he departs in this regard from the Neo-Pythagorean tradition. From now on, all the ontological and cosmological considerations which burdened the notion of number are de facto banned from al-arithmāṭīqī, considered thus as a science. What is left is the philosophical intention common to all branches of philosophy, whether theoretical or practical, that is, the perfection of the soul. Ibn Sīnā thus directs his attacks against the Neo-Pythagoreans: It is customary, for those who deal with this art of arithmetic, to appeal, here and elsewhere, to developments foreign to this art, and even more foreign to the custom of those who proceed by proof, [developments which are] closer to the exposition of rhetoricians and poets. It should be abandoned (al-Shifāʾ, al-Arithmāṭīqī, ed. Maẓhar, p. 60. It should be noted that few lines earlier, Ibn Sīnā clearly mentions them by their name, i.e., the Pythagoreans).

He can even partly abandon traditional language, and adopt that of the algebraists, to express the successive powers of an integer. The terms “square (‫)لام‬,” “cube (‫)بعك‬,” “square-square (‫)لام لام‬,” which used to denote the successive powers of the unknown, were thus employed by the philosopher to name the powers of an integer (ibid., p. 19). In these conditions, nothing prevented Ibn Sīnā from including in his al-arithmāṭīqī theorems and results obtained elsewhere, without repeating the proof (if there was one). That is what he did when he adopted (without proof) Thābit ibn Qurra’s theorem on amicable numbers, in the Thābit’s pure Euclidean style. Ibn Sīnā mentions as well several problems of congruence. If you add even-even four numbers and a unit, if you get a prime number, provided that, if the last of them is added, and if the preceding one is taken away, and if the sum and the remainder are prime, then the product of the sum by the remainder, and the total by the last added numbers, yields a number which has a friend; its friend is the number obtained by adding the sum and the remainder, multiplied by the last of the added numbers, and by adding the product to the first number which had a friend. These two numbers are amicable (after correction of some errors in the Cairo edition, p. 28).

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To these two traditions, a third also mentioned by Ibn Sīnā should be added which concerns the integral Diophantine analysis. In the logical part of al-Shifāʾ devoted to the proof, Ibn Sīnā considers the example of the first case of Fermat’s conjecture, already dealt with by at least two mathematicians of the tenth century, alKhujandī and al-Khāzin. Ibn Sīnā writes: When we wonder […] whether the sum of two cubic numbers is a cube, in the same way as the sum of two square numbers was a square, we pose then an arithmetic problem (‫ باسح‬or ḥisāb) (Ibn Sīnā, 1956, pp. 194–195).

We realise specifically that the term ḥisāb seems to designate here a discipline which includes disciplines other than the Euclidean theory of numbers and al-arithmāṭīqī. By ḥisāb, Ibn Sīnā seems to mean a science which includes all those which deal with numbers, rationals or algebraic irrationals; the last paragraph of his al-Arithmāṭīqī is unambiguous in this respect. That is what we meant in the science of al-arithmāṭīqī. Certain cases have been left aside since we consider that mentioning them here would be extrinsic to the rule of this art. There remains in the science of al-Hisāb what suits us in the use and determination of numbers. What ultimately remains in practice is like algebra and al-muqābala, the Indian science of addition and separation. But for the latter, it would be best to mention them among the derivative parts (Ibn Sīnā, 1975, p. 69).

Everything thus indicates that, in al-Arithmāṭīqī as in the summarised Euclidean arithmetic books, Ibn Sīnā, like his predecessors and contemporaries, restricts his study to natural numbers. As soon as he meets some problems which would urge him to examine the conditions of rationality, whether it comes to searching for a positive rational solution or, more generally, to considering a class of irrational numbers, he finds himself outside these two sciences. The term of al-ḥisāb (‫ )باسحلا‬thus encompasses all arithmetic researches which are carried out by such disciplines as algebra, Indian arithmetic and the like. These disciplines have consequently an instrumental and, so to speak, applied aspect which puts them in opposition to the ancient number theory. And it is precisely this instrumental and applied character which enables Ibn Sīnā, as can be verified, to distinguish in his classification the set of “derivative parts,” which are then defined as such. The “derivative parts (‫ ”)ماسقألا ةيعرفلا‬of physics are therefore medicine, astrology, physiognomy, oneiromancy, the divinatory art, talisman, theurgy and alchemy. To understand the distance put by Ibn Sīnā between himself and traditional, Hellenistic and Greek classifications as well as between

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himself and his own theoretical classification, it is worth introducing here one of his predecessors, al-Fārābī (872–950). Whether Ibn Sīnā’s opuscule The parts of rational sciences is related to al-Fārābī’s classification expounded in his Enumeration of Sciences is a question first posed by Steinschneider, who denied that there was any such relation. Wiedemann (1970, p. 327) confirms this opinion, and claims that Ibn Sīnā lists only separated sciences, whereas al-Fārābī designates and characterises them by their mutual dependence; or, as he puts it “Ibn Sīnā zählt im wesentlichen die einzelnen Wissenschaften auf, während alFārābī sie in zusammenhängender Darstellung charakterisiert.” In fact the comparison forces itself upon us anew, since the examination of “derivative parts” of Ibn Sīnā’s arithmetic shows that they are nothing but those disciplines brought together by al-Fārābī under the title “the science of ingenious techniques,” which he defines as follows: The science of the way to proceed when we apply all whose existence is proved, by predication and proof, in the previously mentioned mathematical sciences, to physical bodies; and when we achieve and put it effectively in the physical objects (Al-Fārābī, 1968, p. 108).

According to al-Fārābī, the object of mathematics is lines, surfaces, solids and numbers that he considers as intelligible by themselves, and separate (‫)ةعزتنم‬, that is, abstracted from physical objects. Intentionally to discover and show mathematical notions in the latter with the help of the art would require the conception of ingenious devices, the invention of techniques and methods capable of overcoming the obstacles posed by the materiality of empirical objects. In arithmetic, the ingenious devices involve, among other things, “the science known by our contemporaries under the name of algebra and al-muqābala, and what is similar to it” (ibid., p. 109). He also takes notice however that “this science is common both to arithmetic and geometry” and further on adds that: It includes the ingenious devices to determine the numbers that we try to determine and use, those which are rational and irrational the principles of which are given in Euclid’s al-Usṭuqusāt 10th book, and those which are not mentioned by Euclid. Since the relation of rational to irrational numbers—to one another—is like the relation of numbers to numbers, each number is thus homologous with a certain rational or irrational magnitude. If we determine the numbers which are homologous with magnitude ratios, we then determine these magnitudes in a certain manner. That is why we postulate certain rational numbers to be homologous with rational magnitudes, and certain irrational numbers to be homologous with irrational magnitudes (ibid., p. 109).

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In this text of capital importance, algebra is distinguished from science on two accounts: although—like every science—apodictic, it nevertheless represents the domain of application not only of one science but of two at the same time, arithmetic and geometry. As for its object, it includes geometric magnitudes as well as numbers, which can be both rational or algebraic irrational. In the presence of this new discipline which has to be taken into account, the new classification of the sciences which aimed at both universality and exhaustiveness has to justify in one way or another the abandonment of certain Aristotelian theses. Names such as “science of ingenious devices,” “derivative parts” are coined so that a non-Aristotelian zone can be arranged within a received Aristotelian style of classification. The philosophical impact caused by such a revision is on a larger scale and—especially—more profound than mere taxonomic modification. If algebra is in fact common to arithmetic and geometry, without in any way giving up its status as science, it is because its very object, the “algebraic unknown,” that is, the “thing (‫ءيشلا‬, res),” can refer indifferently to a number or to a geometric magnitude. More than that: since a number can also be irrational, “the thing” designates then a quantity which can be known only by approximation. Accordingly the algebraists’ subject matter must be general enough to receive a wide range of contents; but it must moreover exist independently of its own determinations, so that it can always be possible to improve the approximation. The Aristotelian theory is obviously unable to account for the ontological status of such an object. So a new ontology has to be made to intervene that allows us to speak of an object devoid of the character which would none the less enable us to discern what it is the abstraction of; an ontology which must also enable us to know an object without being able to represent it exactly. This is precisely what has been developing in Islamic philosophy since al-Fārābī: an ontology which is “formal” enough, in a way, to meet the requirements mentioned above, among other things. In this new ontology, “the thing (‫ ”)ءيشلا‬has a more general connotation than the existent. This is a distinction made more precise by al-Fārābī when he writes: “the thing can be said of every thing that has a quiddity, whether it is external to the soul or [merely] conceived of in any way” whereas the “existent is always said of every thing that has a quiddity, external to the soul, and cannot be said of a quiddity merely conceived of.” Therefore, according to him, the “impossible (‫ ”)ليحتسملا‬can be named a “thing” but cannot be “existent” (Al-Fārābī, 1970, p. 128). As regards the history of mathematics, this trend has been again

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IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

confirmed between al-Fārābī and Ibn Sīnā: al-Karajī particularly gives a more general status to algebra, and emphasises the extension of the concept of number. A contemporary to Ibn Sīnā, al-Bīrūnī goes even further and writes without hesitation: The circumference of a circle is in a given proportion to its diameter. The number of the one to the number of the other is also a proportion, even if it is irrational (Al-Bīrūnī, 1954, I, p. 303).

As regards philosophy, Ibn Sīnā—a consistent metaphysician— includes al-Fārābī’s conception into a doctrine that he wants to be more systematic and which is expounded in his al-Shifāʾ. According to this doctrine, “the thing” is given in an immediate evidence or, in Ibn Sīnā’s own terms, is imprinted immediately in the soul, just as “the existent” and “the necessary”; along with these two other ideas, it is the principle behind all things. While the existent signifies the same meaning as “asserted (‫ ”)تبثُملا‬and “achieved (‫)لَّصحُملا‬,” the thing is, writes Ibn Sīnā, what the predication concerns (the proposition). Hence every existent is a thing but the converse is not correct, though it is impossible that a thing should exist neither as a concrete subject nor in the mind (Ibn Sīnā, 1960a, I, p. 29 sq. and p. 195 sq.). A full description of Ibn Sīnā’s doctrine is outside the scope of the present chapter, but it is sufficient to recall that, being neither Platonic nor Aristotelian, this new ontology arose to, in part at least, due to the new results in mathematical sciences. If mathematics leads Ibn Sīnā to shift his ontology in a “formal” direction, so to speak, it acts in the same way on his conception of the ontology of emanation, as we shall see later with al-Ṭūsī’s commentary. The emanation from the One of Intelligences and celestial orbs and the other worlds—that of nature and corporeal things—, is one of the central doctrines of Ibn Sīnā’s metaphysics. This doctrine raises both ontological and noetic questions: how can a multiplicity emanate from one unique and simple being, a multiplicity which is also a complex, ultimately containing the matter of things as well as the form of bodies and human souls? This ontological and noetic duality sets up the question as an obstacle, as both a logical and metaphysical tangle that must be unravelled. From that point we understand, in part at least, why Ibn Sīnā returns tirelessly to this doctrine and implicitly to this question in his different writings. The study of the historical evolution of Ibn Sīnā’s thought on this problem through his different writings would show how he was able to amend his initial formulation as a function of this difficulty. To limit ourselves to al-Shifāʾ and al-Ishārāt, Ibn Sīnā expounds the princi-

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ples of the doctrine and the rules of the emanation of multiples from one simple unity. His explanation looks like an articulated and ordered exposition but does not constitute a rigorous proof: Ibn Sīnā does not in fact give the syntactic rules capable of matching the semantics of emanation. This is precisely where the difficulty of the derivation of the multiplicity from the One lies. This derivation has long been seen as a problem and examined as such. The mathematician, philosopher and commentator of Ibn Sīnā, Naṣīr al-Dīn al-Ṭūsī, not only grasped the difficulty, but wanted to offer the syntactic rules that were lacking. To understand this contribution, we have at the outset to go back to Ibn Sīnā to recall the elements of his doctrine and also to grasp, however weakly, the formal principle in his synthetic and systematic exposition whose presence has made possible the introduction of the rules of combinatorial analysis. In fact, this principle allows Ibn Sīnā to develop his exposition in a deductive style. He has to ascertain on the one hand the unity of Being, which is said of everything in the same sense and, on the other, the irreducible difference between the First Principle and His creation. He then develops a somewhat “formal” general conception of the Being: considered as a being, he is not the subject of any determination, not even that of modalities; it is just a being. It is not a genus, but a “state” of whatever there is, and can only be grasped in its opposition to non-being, without nevertheless being preceded in time by the latter—this opposition is only according to the order of reason. On the other hand, only the First Principle receives His existence from Himself (Ibn Sīnā distinguishes between existence and essence for all other beings; on this point, see Goichon, 1957; D. Saliba, 1926; Verbeke, 1977). So this existence is what is necessary, and it is in this case that existence coincides with essence. All other beings receive their existence from The First Principle by emanation. This ontology and the cosmogony that goes with it provide the three points of view under which a being is envisaged: as a being, as an emanation (see Gardet 1951, Heer 1992, Hasnawi 1990, Druart 1992, Morewedge 1992, Marmura 1992, Owens 1992) of the First Principle, and as being its quiddity (viewed from the first two angles, the necessity of the being imposes itself while its contingency reveals the third). These are, briefly mentioned, the three notions on which Ibn Sīnā is going to establish his postulates, which are: 1. There is a First Principle, a necessary Being by essence, one, in no way divisible, which is neither a body nor in a body. 2. The totality of Being emanates from The First Principle. 3. The emanation is not carried out either “according to an inten-

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IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

tion (‫ ”)ىلع ليبس دصقلا‬or to achieve any purpose, but by a necessity of the being of the First Principle, that is, His self-intellection. 4. From the One only one proceeds. 5. There is a hierarchy in the emanation, from those whose being is most perfect (‫ )ُلمكألا ًادوجو‬to those whose being is least perfect (‫ًادوجو‬

‫)ُّسخألا‬.

We might think that certain postulates seem to contradict each other, as, for example, 2 and 4, or suspect that some lead to contradictory consequences. To avoid this first impression, Ibn Sīnā introduces further determinations in the course of his deduction. So from 1, 2, 4 and 5 follows that the totality of Being, in addition to the First Principle, is a set ordered by both the logical and axiological predecessor-successor relation, regarding both the priority of the being as well as its excellence. Barring the First Principle, each being can have only one predecessor (as the predecessor of its predecessor, and so on). On the other hand, each being, including the First Principle, can have only one successor (respectively the successor of its successor, and so on). But the philosopher and his commentator know that, taken literally, this order forbids the existence of multiple beings, that is, their independent coexistence, without some having logical priority over others or being more perfect than them; which makes this order clearly false, as al-Ṭūsī says (al-Ṭūsī, 1971, p. 216). Thus it is necessary to introduce further details and intermediary beings. But 1 and 2 in their turn exclude multiplicity to be a product of the First Principle’s “momenta” (‫ )تاعوزن‬and “perspectives” (‫)تاهج‬, since assuming momenta and perspectives in Him amounts to denying His unity and simplicity. Finally, 3, 4, and 5 imply that the emanation as an act of the First Principle is not like a human act, because its Author has neither intention nor purpose. Everything indicates then that intermediary beings (mutawassiṭa), hierarchically ordered, no doubt, have to be used to account for the multiplicitycomplexity. Let us begin, as one should, with the First Principle, and designate it, as Ibn Sīnā does in his opuscule al-Nayrūziyya, by the first letter of the alphabet—a. The First Principle intellects itself by essence. In Its self-intellection, It “intellects” the totality of the being of which It is the very principle (Ibn Sīnā, 1960b, p. 402, l. 16), without there being in Itself any obstacle to the emanation of this totality, nor to its rejection. It is in this sense only that the First Principle is said to be the “agent” (‫ )لعاف‬of the totality of being. But having admitted this, one has yet to explain how the nec-

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essary emanation of the totality of being can be achieved without having to add anything which could be inconsistent with the Unity of the First Principle. Following 1, 4, 5, from the First Principle only one being emanates, a being which necessarily belongs to the second rank in existence and perfection. But, as it is the emanation from a pure and simple unique being, at the same time pure truth, pure power, pure goodness…, with none any of these attributes existing in it independently so as to ensure the unity of the First Principle, this derived being can only be a pure Intellect. This conclusion respects 4, since, if this intellect were not pure, we should conclude that more than one emanates from the One. We have here the first separate Intellect, the first effect (‫ )لولعم‬of the First Principle. Following Ibn Sīnā, let us refer to it as b. Everything is now in place to explain the multiplicity-complexity. By essence, this pure Intellect is an effect: it is therefore contingent. But, as an emanation from the First Principle, it is necessary since it was “intellected” by the latter. This ontological duality is superimposed upon a noetic multiplicity: this pure Intellect knows itself and knows its own being as contingent being, that is, its essence is different from that of the First Principle since the latter is necessary; on the other hand, it knows the First Principle as the necessary Being; and finally it knows the necessity of its own being as an emanation of the First Principle. I have just paraphrased here what Ibn Sīnā writes himself in al-Shifāʾ (ibid., pp. 405-406). He replies in advance to a possible detractor, noting that this multiplicitycomplexity is not, if we may say so, a hereditary property: the pure Intellect does not receive it from the First Principle, for two reasons. First the contingency of its being belongs to its own essence, and not to the First Principle, which gave it the necessity of being. On the other hand, the knowledge that it has of itself, as well as the knowledge that it has of the First Principle, is a multiplicity, which is the result of the necessity of its being which derives from the First Principle. In these conditions, Ibn Sīnā can reject the accusation of attributing this multiplicity to the First Principle. Ibn Sīnā then describes how the other separated Intellects, celestial Orbs, and Souls which enable the Intellects to act, emanate from the Pure Intellect. So, from the pure Intellect b emanates, by its intellection of a, a second intellect; let it be named c; and by its intellection of its own essence, the Soul of the ninth celestial Orb; and by its intellection of its own being as contingent being the body of this ninth Orb. Let us denote the Soul of this Orb and its body as d. Ibn Sīnā thus continues to describe the emanation of Intellects, celestial Orbs with Souls and their bodies. From now on, the matter

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IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

of sublunary things emanates from every Intellect, the forms of the bodies and human souls. But even if Ibn Sīnā’s explanation has the advantage of not separating the question of the multiplicity from that of complexity, that is, the ontological content of the multiplicity, it does not however lead to a rigorous knowledge of the latter, since no general rule is given. Ibn Sīnā does nothing but lead the elements back to the Agent Intellect. It is precisely here that al-Ṭūsī intervenes. He will actually show that there emanates from the First Principle—following Ibn Sīnā’s rule and with the help of a reduced number of intermediaries—a multiplicity such that each effect will have only one cause which exists independently. We shall see that the price of such undeniable progress in knowledge of the multiplicity is impoverishment of the ontological content: from multiplicity-complexity there will in fact remain only the multiplicity. In his commentary of al-Ishārāt, al-Ṭūsī introduces the language and techniques of combinatorial analysis to follow the emanation to the third rank of beings. Here he stops the application of these techniques, to conclude: “if we then go beyond [the first three] ranks, there may exist an uncountable multiplicity (‫ )ىصحيال اهددع‬in only one rank, and go on ad infinitum” (al-Ṭūsī, 1971 pp. 217–218). The intention of al-Ṭūsī is thus clear, and the device applied to the first three ranks leaves no doubt: one must provide the proof and means lacking in Ibn Sīnā. But al-Ṭūsī is at this stage still distant from his goal. Indeed it is one thing to proceed by combinations for a number of objects, and another to introduce a language with its syntax. The language in this case would be that of combinations. It is to this task that al-Ṭūsī applies himself in an independent dissertation (Rashed, 1999), whose title leaves no room for ambiguity: On the proof of the Mode of Metaphysics: emanation of Things in an Infinite from the Unique First Principle. In this instance, as we shall see, al-Ṭūsī proceeds in a general way with the help of combinatorial analysis. The text of al-Ṭūsī and its results do not pass away with the death of its author; they are to be found in a later treatise entirely devoted to combinatorial analysis. Thus al-Ṭūsī’s solution not only distinguishes a style of research in philosophy, but represents an interesting contribution to the history of mathematics itself. Al-Ṭūsī’s idea is to subject this problem to combinatorial analysis. But, for combinatorics to be used, he has to make sure that the time variable is neutralised, which in the case of the doctrine of emanation involves either discarding Becoming, or, at least, offering a purely logical interpretation of it. This condition has already been suggested by Ibn Sīnā himself, as we have shown. It should

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rightly be noted that emanation does not take place in time, and anteriority and posteriority have to be understood essentially, not temporally (al-Shifāʾ, VI, 2, p. 266. See Hasnawi 1990, Gardet 1951, Davidson 1987, Druart 1987, Morewedge 1972). This interpretation, in our view crucial in the Avicenian system, refers to his own conception of the necessary, the possible and the impossible. Let us recall, briefly, that in al-Shifāʾ (see especially book 3, chapter 4 of Syllogism, IV, Ibn Sīnā, 1964), Ibn Sīnā takes up this old problem to reject right from the start all ancient doctrines which are, according to him, circular: they use in the definition of each of the three terms one or the other of the two remaining ones. To break this circularity, Ibn Sīnā intends to restrict the definition of each term by bringing it back to the notion of existence. He distinguishes then what is considered in itself as necessary existence from what, equally considered in itself, can exist and may also not exist. Necessity and contingency are for him inherent in the beings themselves. As for possible being, its existence and non-existence depend on a cause external to it. Contingency does not appear thus as a denied necessity, but as another mode of existence. The possible being might even be, while remaining in itself, of a necessary existence as an effect of another being. Without wanting to follow here the subtleties of Ibn Sīnā’s development, it is sufficient to note that, from this particular definition of the necessary and the possible, Ibn Sīnā bases the terms of emanation in the nature of beings, neutralising from the outset—as it has been underlined above—the time variable. From these definitions, he infers some propositions, the majority of which are established by reductio ad absurdum. He shows that the necessary cannot but exist, that by essence it cannot have a cause, that its necessity includes all its aspects, that it is one and can in no way admit a multiplicity, that it is simple, without any composition…. On all these points, it is opposed to the possible. Thus it is in the very definition of the necessary and the possible, and in the dialectic in which they enter, that are forever fixed the anteriority of the First Principle and its relation with the Intelligences. If therefore emanation can be described without appealing to time, it is because its own terms are given in the logic of the necessary and the possible. This doctrine may raise difficulties, but it is not the point here: we know that the conditions for introducing a combinatorics have already been ensured by Ibn Sīnā himself. We have said that from a emanates b; the latter is then in the first rank of effects. From a and b together emanates c, that is, the second intellect; from b alone emanates d, that is, the celestial Orb. We have thus in the second rank two elements c and d such that

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each one is not the cause of the other. Up to now we have in all four elements: the first cause a and three effects b, c and d. Al-Ṭūsī calls these four elements the principles. At this point, let us combine the four elements two by two, then three by three, and finally four by four. We successively get six combinations—ab, ac, ad, bc, bd, cd—, four combinations—abc, abd, acd, bcd—, and one combination of four elements—abcd. If we take into account the combinations of these four elements 1 by 1, we get a total of 15 elements; of which 12 are in the third rank of effects, without any of them being used as intermediary to obtain the others. That is what al-Ṭūsī sets out in his commentary on the al-Ishārāt, as well as in the treatise mentioned above. But as soon as we go beyond the third rank, things quickly get complicated, and al-Ṭūsī has to introduce in his treatise the following lemma: The number of combinations of elements is equal to n ( ) ∑ n

k

k=1

.

To calculate this number, al-Ṭūsī uses the equality

( ) n k

( =

n

)

n−k

.

So, for n = 12, he gets 4,095 elements. It should be noted that to deduce these numbers, he gives the expressions of the sum by combining the alphabetical letters. Al-Ṭūsī returns later to calculate the number of elements of the fourth rank. He then considers the four principles with the twelve beings of the third rank; he gets 16 elements, from which he gets 65,520 effects. To reach this number, al-Ṭūsī proceeds with the help of an expression equivalent to

) m ( )( ∑ m n k p−k

for 1 ≤ p ≤ 16, m = 4, n = 12,

(*)

k=0

the value of which is the binomial coefficient

(

)

m+ν . p

None of these elements—with the exception of a, b, and ab—is an intermediary for the others. Hence al-Ṭūsī’s response is general, and (*) gives a rule which permits ascertaining the multiplicity in each rank.

THE PHILOSOPHY OF MATHEMATICS IN THE ARABIC TRADITION 197

Having established these rules and given the example of the fourth rank, with its 65520 elements, al-Ṭūsī is able to give a definitive answer to the question “of the possibility of the emanation of the accountable multiplicity from the First Principle under the condition that from the One emanates only one and without the effects being successive (in chain). That is what had to be proved.” Al-Ṭūsī’s achievement—to make Ibn Sīnā’s ontology speak in terms of combinatorial analysis—has driven two important evolutions: both in Ibn Sīnā’s doctrine and in combinatorics. It is clear that this time the question of multiplicity is kept at a certain distance from that of the complexity of being. Al-Ṭūsī cares little about the ontological status of each of the thousands of beings which make up, for example, the fourth rank. Even more: metaphysical discourse at this point allows us to speak of a being without allowing us to represent it exactly. This somewhat “formal” evolution of ontology, which is here blatant, does nothing but amplify a trend already present in Ibn Sīnā in his considerations on “the thing (‫)ءيشلا‬,” as we have emphasised above. This “formal” movement is accentuated by the possibility of designating beings by the letters of the alphabet. Even the First Principle is no exception to the rule, since It was denoted by a. In this al-Ṭūsī once again amplifies an Avicenian practice while modifying its sense. In the epistle al-Nayrūziyya, Ibn Sīnā resorted to this symbolism, but with two differences. On the one hand, he attributed to the succession of the letters of the Arabic alphabet following the order abjad hawad the value of a priority order, of logical anteriority; on the other hand, he has used the numerical values of the letters (a = 1, b = 2, etc.). Although al-Ṭūsī implicitly keeps the order of priority by denoting—as does Ibn Sīnā—the First Principle by a, the pure Intellect by b, he has dropped the hierarchy in favour of the conventional value of the symbol. And the numerical value has disappeared. This is necessary for the letters to be the objects of a combinatorics. A mathematician and a philosopher, al-Ṭūsī has thought through Ibn Sīnā’s doctrine of emanation in a formal sense, thus favouring a trend already present in Ibn Sīnā’s ontology.

3. From ars inveniendi to ars analytica Due to reasons internal to the evolution of the discipline, mathematicians of the ninth century confronted the problem of the duality of order: is the order of exposition identical to the order of discovery? Naturally, this question was raised concerning the very model of the

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mathematical composition at that time and for many centuries to come, namely Euclid’s Elements. Thābit ibn Qurra devotes a treatise to this problem in which he claims that Euclid’s order of exposition is just the logical order of proofs, and differs from the order of discovery. To characterise the latter, Thābit develops a psychological doctrine of mathematical invention. We are already in a sense within the philosophy of mathematics. This question of order was soon to be included in a problematic of a more general nature, that of analysis and synthesis, profoundly transformed. Mentioned by Galen, Pappus, and occasionally Proclus, this topic had never assumed the dimension that it took on in the tenth century. The development of mathematics and the conception of new chapters from the ninth century were enormously significant for the breadth and understanding of this subject, giving rise to the development of a real philosophy of mathematics. Indeed we witness in succession the elaboration of a philosophical logic of mathematics, then the project of an ars inveniendi and, finally, of an ars analytica. Everything began, apparently, with Ibrāhīm ibn Sinān (909– 946). He wrote a book devoted entirely and uniquely to analysis and synthesis, entitled On the Method of Analysis and Synthesis in the Problems of Geometry (Rashed and Bellosta, 2000, chapter I). The importance of this is clear. From now on analysis and synthesis constitute a domain which the mathematician can occupy both as a geometer and as a logician-philosopher. Here is how Ibn Sinān describes his enterprise and his intention: I have then, exhaustively, established in this book a method designed for students, which contains all that is necessary to resolve the problems of geometry. I have exposed in general terms the various classes of geometric problems; I have then subdivided these classes and illustrated each of them by an example; I have afterwards shown the student the way thanks to which he will be able to know in which of these classes to put the problems which will be posed to him, by which he will know how to analyse the problems—as well as the subdivisions and conditions necessary to that purpose—, and to carry out their synthesis—as well as the necessary conditions for that—, then how he will know whether the problem is among those which are solvable in one or several trials, and more generally, all that he must know in these matters. I have pointed out the kind of errors committed by the geometers when analysing because of a habit they have acquired: excessive abbreviation. I have also indicated for what reason there may seemingly be for the geometers, in the propositions and the problems, a difference between analysis and synthesis, and I have shown that their analysis is different from synthesis only due to abbreviations, and that, if they had completed their analysis as it should be, it would have been identical to the synthesis; the doubt

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would then have left the hearts of those who suspect them of producing in the synthesis things which had not been mentioned previously in the analysis—the things, lines, surfaces, and such, which are seen in their synthesis, without having been mentioned in the analysis; I have shown that and I have illustrated it by examples. I have presented a method thanks to which analysis is such that it coincides with synthesis; I have warned against the things which are tolerated by the geometers in analysis, and I have shown what kind of errors attach to them if they are tolerated (Rashed and Bellosta, 2000, pp. 96–98).

The intention of Ibn Sinān is clear, and his project is well articulated: to classify the geometric problems according to different criteria in order to show how to carry on, in each class, by analysis and synthesis, and to point to the occurrence of errors so that they can be avoided. Here is a broad outline of his classification. 1. The problems whose assumptions are completely given 1.1 The true problems 1.2 The impossible problems 2. The problems for which it is necessary to modify some assumptions 2.1 The problems with discussion (diorism) 2.2 The indeterminate problems 2.2.1 The indeterminate problems strictly speaking 2.2.2 The indeterminate problems with discussion 2.3 The overabundant problems 2.3.1 The indeterminate problems to which an addition is made 2.3.2 The problems with discussion to which an addition is made 2.3.3 The true problems to which an addition is made To this may further added the modal classification of propositions. This classification is made from several criteria: the number of solutions, the number of assumptions, their compatibility and their possible independence. A little over two centuries later, al-Samawʾal takes up this classification, still starting from the number of solutions and the number of assumptions (Ahmad and Rashed, 1972). He further refines the classification. He distinguishes identities from the problems which have an infinite number of solutions without being identities. He furthermore introduces the notion of undecidable problems, for

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which no proof, either of existence or of impossibility, can be found (Rashed, 1984b, p. 52). Unfortunately the author gives no example. The least to be said however is that the mathematician was able to shift the Aristotelian notions of the necessary, possible and impossible to those of computability and semantic undecidability. In his book, Ibn Sinān discusses other logical problems such as the place of auxiliary constructions, the reversibility of analysis, and apagogic reasoning. Analysis and synthesis thus appear in his book both as a discipline and as a method. The former is in fact a philosophical and pragmatic logic, since it makes possible the combination of an ars inveniendi and an ars demonstrandi, the latter is a technique founded on a proof theory that Ibn Sinān endeavoured to elaborate. One generation after Ibn Sinān, the mathematician al-Sijzī (last third of the tenth century) designed a different project, that of an ars inveniendi which meets both logical and didactic requirements. AlSijzī begins by enumerating certain methods aimed at facilitating mathematical invention—at least seven. Among them, “analysis and synthesis” figures as the principal method, which are provided with effective means of discovery by several specific methods such as the method of punctual transformations and the method of ingenious devices. All these specific methods share the idea of transforming and varying the figures as well as the propositions and solution techniques. Summarising his project, al-Sijzī writes As the examination of the nature of propositions (‫ )لاكشألا‬and of their properties in themselves is surely carried out following one of these two ways: either we imagine the necessity of their properties by having their species vary, an imagining which draws on sensation or what is common to the senses; or by setting these properties and also the lemmas they necessitate, successively, by a geometric necessity […] (Rashed, 2002, p. 818).

For al-Sijzī, the ars inveniendi consists mainly of two ways. All specific methods are put together in the first way, while the second is nothing but “analysis and synthesis”. It is this distinction, the nature of the first way and this close relationship between the two, which single out al-Sijzī’s conception and reflect the originality of his contribution. It remains to be noted that the first of the two ways is divided into two, according to the two senses of the term shakl (‫)لكش‬. This term, chosen to render διάγραμμα by the translators of Greek mathematical writings, designates as the latter indifferently both the figure and the proposition. This double meaning is not too fraught with

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ambiguity as long as the figure graphically translates—in a static manner, if I may say so—the proposition; in other words, as long as geometry remains mainly the study of figures. But complications arise when the figures are subjected both to transformations and variations, as is already the case in certain branches of geometry at the time of al-Sijzī. The double reference then requires clarification. Let us begin with the first sense, that of “figure”. In this treatise, al-Sijzī recommends, on three occasions, proceeding by variation of the figure: when a punctual transformation is carried out; when one element of the figure is changed, all others remaining fixed; finally, when an auxiliary construction is chosen. But several elements are common to these different techniques. Firstly the goal: we always try to reach, thanks to transformation and variation, invariable properties of the figure associated with the proposition, those which characterise it specifically. It is precisely these invariable properties which are stated in the figure as a proposition. The second element is also related to the goal: variation and transformation are means of discovery since they lead to invariable properties. The imagination takes over at this stage, a power of the soul capable of drawing upon the multiplicity suggested by the senses, through the variable properties of the figures, the invariable properties, and the essence of things. The third element concerns the particular role of the figure, as a representation this time: the role, mentioned by al-Sijzī, of fixing the imagination, of helping it in its task when it draws upon the sensation. And the last element, but not the least, deals with the duality figure-proposition: there is no oneto-one relation. To the same and sole proposition can be related a variety of figures; just as to one sole figure can be related a whole family of propositions. Al-Sijzī chose to deal at length with the last case. These new connections between figure and proposition that alSijzī was the first to point out, so far as I know, require that a new chapter of ars inveniendi be thought through: the analysis of figures and their connections to propositions. This is precisely what seems to have been inaugurated by al-Sijzī. One generation later, Ibn al-Haytham (d. after 1040) conceives another project: founding a scientific art, with its rules and vocabulary. Ibn al-Haytham begins by recalling that mathematics is founded on proofs. By proof, he means “the syllogism which necessarily indicates the truth of its own conclusion” (Rashed, 1991, p. 36; 2002, p. 162 sqq.). This syllogism is made up in its turn “of premises whose truth and validity are recognised by the understanding, without its being troubled by any doubt about them; and of an order and arrangement of these premises such that they compel the listener to

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be convinced of their necessary consequences and to believe in the validity of what follows on their arrangement” (ibid.). The Art of analysis (‫ )ةعانِص ليلحتلا‬offers the method to obtain these syllogisms, that is, “to pursue the research of their premises, to contrive to find them, and to try to find their arrangement” (ibid.). In this sense, the Art of analysis is an ars demonstrandi. It is also an ars inveniendi, since it is because of this art that we are led to “discover the unknowns of mathematical science and how to carry on seeking the premises (literally ‘to hunt (‫ )ديصت‬for the proofs’), which are the material of proofs indicating the validity of what is discovered from the unknowns of these sciences, and the method to reach the arrangement of these premises and the figure of the combination” (ibid., p. 38). For Ibn al-Haytham, it is indeed an Ars (τέχνη, ‫ )ةعانص‬Analytica, which has to be conceived and constructed. But to my knowledge nobody before him considered analysis and synthesis as an art or, more precisely, as a double art, of proof and discovery. In the former, the analyst (‫ )للحملا‬has to know the principles (‫ )لوصأ‬of mathematics. This knowledge has to be backed both by an “ingenuity” and an “intuition formed by the art” (‫)سدح يعانص‬. Indispensable for discovery, this intuition is equally proved to be necessary when the synthesis is not the strict reversal of the analysis, but requires further data and properties which have to be discovered. That the knowledge of principles, ingenuity and intuition are numerous means that the analyst must have at his disposal the ability to discover mathematical unknowns. The “laws” and “principles” of this analytical art remain yet to be ascertained. This necessary knowledge is the subject of a discipline which bears on the foundations of mathematics, and which deals with the “knowns”. It must itself be constructed. The latter is a feature peculiar to Ibn al-Haytham, since nobody before him, not even Ibn Sinān, had considered elaborating an analytical art founded on a specific mathematical discipline. To this Ibn al-Haytham devotes a second treatise, The Knowns (Rashed, 1993c), one that he had promised in his treatise on Analysis and Synthesis (Rashed, 1991, p. 68). He himself presents this new discipline as that which offers the analyst the “laws” of this art and the “foundations” in which discovery of properties and apprehension of premises are brought to completion; in other words, it reaches the basis of mathematics, the prior knowledge of which is in fact, as we have said, necessary to the completion of the art of analysis: these are the notions called the “knowns” (ibid., p. 58). It should be observed that whenever he deals with a foundational problem, as in his treatise On Squaring the Circle (Rashed, 1993b, pp. 91–95), Ibn al-Haytham comes back to the “knowns”. According to Ibn al-Haytham, a notion is said to be “known”

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when it remains invariable and admits no change, whether or not it is thought by a knowing subject. The “knowns” refer to the invariable properties, independent of the knowledge that we have of them, and remain unchanged even though the other elements of the mathematical object vary. The aim of the analyst, according to Ibn al-Haytham, is precisely to lead to these invariable properties. Once these fixed elements have been reached, his task ends, and the synthesis can then start. The Ars inveniendi is neither mechanical nor blind, it should lead to the “knowns” through sustained ingenuity. The analytical art thus requires for its construction a mathematical discipline, itself to be constructed. The latter contains the “laws” and the “principles” of the former. According to this conception, the analytical art cannot be reduced to any logic, but its own logical component is immersed in the mathematical discipline. We immediately discover the limit of the range of this art.

Conclusion The contributions briefly sketched here indicate several situations where mathematicians deal with the philosophy of mathematics. We have previously examined other situations where philosophermathematicians and mathematician-philosophers contribute to the philosophy of mathematics. These contributions are obviously part of the history of philosophy and the history of the sciences, the history of the mathematical thought of classical Islam. To neglect these contributions is both to impoverish of the history of philosophy and to cut short the history of mathematics.

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L’ANGLE DE CONTINGENCE : UN PROBLÈME DE PHILOSOPHIE DES MATHÉMATIQUES

ABSTRACT. – From Euclid to the second half of the 17th century, mathematicians as well as philosophers continued to raise the question of the angle of contact, and, generally, of the concept of angle. This article is the first essay devoted to this subject in Arabic mathematics. It deals with Greek writings translated into Arabic on the one hand, and contributions of Arabic mathematicians on the other hand : al-Nayrīzī, Ibn al-Haytham, al-Samawʾal, al-Shīrāzī, al-Fārisī, al-Qūshjī, among others. Most of these contributions are hitherto unknown. RÉSUMÉ. – Depuis Euclide jusque tard dans le xvii e siècle, mathématiciens et philosophes n’ont cessé de s’interroger sur l’angle de contingence et, plus généralement, sur la notion d’angle. Cet article est le premier essai où sont examinés les écrits grecs portant sur ce thème et transmis en arabe, ainsi que les nombreux travaux, pour la plupart jusqu’ici inconnus, des mathématiciens arabes eux-mêmes : al-Nayrīzī, Ibn al-Haytham, al-Samawʾal, al-Shīrāzī, al-Fārisī, al-Qūshjī, entre autres.

Introduction 1 Parmi les problèmes des mathématiques anciennes et classiques que les mathématiciens et les philosophes ont partagés figurent notamment la quadrature du cercle, l’asymptote à une hyperbole, l’angle mixtiligne et l’angle de contingence. Jusqu’à la première moitié du xvii e siècle, on n’avait cessé d’en discuter ; ainsi un mathématicien-philosophe, le Père Mersenne, évoque ces deux derniers problèmes, à côté de la duplication du cube, comme exemples de ces problèmes traités par les mathématiciens et les philosophes, dans son livre de 1625: La vérité des sciences. 2 Ces problèmes, comme

Paru dans Arabic Sciences and Philosophy, 22.1, 2012, p. 1-50. ‎1. Cette étude fait partie d’un livre intitulé Angles et grandeur : D’Euclide à Kamāl al-Dīn al-Fārisī, Berlin, New York, 2015. On y trouvera l’édition critique et la traduction de tous les textes évoqués. ‎2. Marin Mersenne, La vérité des sciences (Paris, 1625), p. 859 sqq. Après avoir rappelé la définition de l’angle de contingence, il écrit : « Néanmoins quelques-uns

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beaucoup d’autres rencontrés en histoire des mathématiques, représentent une situation particulière : un décalage et une inadéquation entre le phénomène étudié et les moyens mathématiques disponibles, qui exigent, et non seulement suscitent, une élucidation philosophique de la part du mathématicien lui-même et aussi de la part de certains philosophes. Avec la quadrature du cercle, depuis Hippocrate de Chios et les écrits d’Aristote, on voit se développer un thème de réflexion mathématico-philosophique autour de la notion d’existence en mathématiques et de ses rapports avec celle de constructibilité. 1 Le problème de l’asymptote à une hyperbole porte sur le comportement asymptotique, dont la description exigeait l’introduction de l’infiniment petit avant que soit inventé le calcul différentiel. Il conduit à poser la question philosophique des propositions vraies, puisque rigoureusement démontrées, dont les objets sont conçus par l’entendement mais inaccessibles à l’imagination (Géminus, Proclus, al-Sijzī, Maïmonide, etc. 2). Autrement dit, il s’agit du problème des rapports entre démonstration et imagination, dont on connaît toute l’importance pour la philosophie du xvii e siècle. Le problème de l’angle rectiligne, de l’angle mixtiligne, et notamment de l’angle de contingence, confronte le mathématicien à la double question : ces deux angles sont-ils d’un même genre ? sont-ils des grandeurs, et de quelle nature ? Pendant deux millénaires au moins, les mathématiciens ont manqué des vrais moyens d’y répondre – il aurait fallu pour cela savoir étudier la notion de contact des courbes, mesurer la courbure et ordonner les infiniment petits ; et, même s’ils ont amorcé quelques tentatives en ce sens, il a fallu attendre Newton et ses successeurs, notamment Jacques Bernoulli, pour que soit esquissée une première solution, 3 laquelle est aujourd’hui un élément ne veulent pas accorder que l’espace qui est entre la tangente et le cercle soit un angle, c’est pourquoi Viète conclut au huitième livre de ses réponses mathématiques chapitre treize que l’angle du demi-cercle n’étant pas obtus, ni aigu, qu’il semble être droit, et par conséquent que ce qui reste, c’est-à-dire ce qu’on appelle angle de contingence, κερατοειδής, n’a aucune quantité, et que c’est seulement un angle imaginaire, γωνία εἰκονική, d’autant qu’il n’est mesuré par aucune circonférence [...] » (ibid., pp. 866–7). ‎1. R. Rashed, Les mathématiques infinitésimales du ix e au xi e siècle, vol. IV : Méthodes géométriques, transformations ponctuelles et philosophie des mathématiques (Londres, 2002) et « L’analyse et la synthèse selon Ibn al-Haytham», dans R. Rashed (éd.) Mathématiques et philosophie de l’Antiquité à l’âge classique. Études en hommage à Jules Vuillemin (Paris, 1991), pp. 131–62. ‎2. R. Rashed, Œuvre mathématique d’al-Sijzī. Volume I : Géométrie des coniques et théorie des nombres au x e siècle, Les Cahiers du Mideo 3 (Louvain-Paris, 2004), pp. 93– 104 et 294–309. ‎3. Newton étudie à plusieurs reprises l’angle de contact que les courbes définies par les équations y = kxα font avec l’axe des abscisses à l’origine. Il compare entre elles

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de tout un chapitre consacré à l’étude asymptotique des fonctions. Durant toute cette période, les mathématiciens ne pouvaient que mêler à la solution mathématique des réflexions de nature philosophique, sur l’infini, la grandeur, la continuité, la nature de l’objet angle, etc. Quant aux philosophes, ils devaient à leur tour affronter un paradoxe : voici un objet, l’angle de contingence, qui aurait pu relever de la catégorie de la quantité, mais qui cependant ne vérifie pas la définition de la quantité. Fallait-il admettre qu’il relève de plusieurs catégories à la fois – quantité, qualité, relation, position –, ou qu’il ne réponde à aucune des catégories définies par Aristote ? Que l’on interprète les catégories d’Aristote dans un sens taxinomique ou classificatoire, 1 la question reste entière. Aristote lui-même évoque l’angle mixtiligne, et non pas le cas particulier de l’angle de contingence, en deux endroits au moins : les Seconds Analytiques 2 et les Météorologiques, 3 ce qui a incité I. L. Heiberg à conjecturer que « l’usage des angles mixtilignes a probablement joué un rôle plus grand dans la géométrie pré-euclidienne avec laquelle Aristote était familier ». 4 Les commentateurs et les successeurs philosophes d’Aristote n’ont cessé de s’interroger sur l’angle comme objet mathématique, même si cer-

les diverses ordonnées correspondant à la même abscisse. En d’autres termes, il ordonne les angles suivant les valeurs de l’exposant α, et trouve ainsi ce qui devient plus tard l’ordre des infiniment petits. Il engage aussi la recherche sur la mesure de la courbure, que ses successeurs continueront à développer. Voir notamment le problème 5 de «Methods of series and fluxions », dans D. T. Whiteside (éd.), Mathematical Papers of Isaac Newton (Cambridge, 1969), vol. III : 1670–1673, pp. 150 sqq. ; La méthode des fluxions et des suites infinies, traduit par M. de Buffon (Paris, 1740 ; réimpr. 1966), p. 63 sqq. ; voir également vol. I, pp. 83–7. Newton étudie le problème dans les Principia Mathematica, livre I, section 1, scholie au lemme XI : «Dans toutes les courbes qui ont une courbure finie au point de contact, la soustendante évanouissante d’un angle de contact est à la fin en raison doublée de la soustendante de l’arc qu’elle termine » (Isaac Newton’s Philosophiae naturalis Principia mathematica, éd. A. Koyré et I. B. Cohen [Cambridge, Mass., 1972], vol. I, p. 83 ; Principes mathématiques de la philosophie naturelle, traduction de la Marquise du Chastellet [Paris, 1966], p. 44). Voir aussi les lemmes prédédents, VI à IX. Notons que cette recherche de Newton qui conclut tant d’études et de controverses sur l’angle de contingence est directement liée au calcul infinitésimal, qu’il fondait pendant les années 1664–1686. ‎1. D. Morrison, «The taxonomical interpretation of Aristotle’s Categories : A criticism », dans P. Anton (éd.), Essay in Ancient Greek Philosophy. Volume V : Aristotle’s Ontology (New York, 1992), pp. 19–46, à la p. 20. ‎2. Aristotle’s Prior and Posterior Analytics, A revised text with introduction and commentary by W. D. Ross (Oxford, 1949), 41 b, 6–22 ; et le commentaire de Ross pp. 374–6. ‎3. Aristote, Météorologiques, 376 a 11–24 b 1, 4 ; De Memoria, 452 b 19–20. ‎4. Cité par W. D. Ross, Aristotle’s Prior and Posterior Analytics, p. 375 à partir de Abh. zur Gesch. der Math. Wissenschaften, xviii (1904).

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tains – Avicenne par exemple 1 – évitaient de se compromettre dans les discussions sur l’angle de contingence, qu’ils savaient, à l’époque, sans issue. Or ces discussions, et aussi ce silence, méritent d’autant plus l’attention que l’angle et l’angle de contingence intervenaient dans l’argumentation philosophique. 2 Avec l’angle de contingence, on a combiné deux notions complexes, encore non maîtrisées : l’infiniment petit et la grandeur non-archimédienne, laquelle n’était pas encore conçue. À cela s’ajoute une difficulté supplémentaire, de nature classificatoire : l’angle de contingence, selon sa forme, n’est ni rectiligne, ni curviligne : il est mixtiligne ; mais, selon le mode de sa génération, il se distingue des autres angles mixtilignes puisqu’il est formé non par une corde mais par une tangente. On comprend l’importance historique et épistémique de la recherche sur un tel objet. Cette importance ne tient pas seulement à l’usage que l’on a pu en faire comme contre-exemple mais, bien plus, aux questions soulevées à son propos sur la divisibilité, la continuité, l’homogénéité, la comparabilité, etc., qui toutes portaient sur les limites de la géométrie ancienne et de la géométrie classique. L’histoire de ce problème dans les mathématiques grecques ainsi qu’au xvi e et au xvii e siècle a été maintes fois rédigée avec précision. 3 On sait ainsi que les questions précédentes, et d’autres encore, ont été abordées par Proclus, Simplicius, Jean Philopon, et, plus

‎1. Avicenne n’évoque pas l’angle de contingence dans son mémoire sur l’angle, alors que dans al-Shifāʾ, lors de la discussion de l’atomisme, il écrit : « Parmi leurs arguments (des atomistes) l’existence d’un angle indivisible, celui qu’Euclide a posé le plus petit des aigus» (al-Ṭabīʿiyyāt, 1. al-Samāʿ al-ṭabīʿī, éd. S. Zayed [Le Caire, 1983], livre III, p. 186). Dans son autre livre, al-Mubāḥathāt, toujours à propos de l’atomisme et des arguments des atomistes, il écrit : « Ils ont établi une partie indivisible par des démonstrations ... parmi lesquelles la proposition du troisième livre d’Euclide dans laquelle il a montré l’existence d’un angle plus petit que tous les angles aigus rectilignes» (éd. M. Bīdārfar [Téhéran, 1413/1992], pp. 363–4). Il reste qu’al-Shīrāzī, dans son traité Sur le mouvement du roulement, attribue à Avicenne une étude fautive de l’angle de contingence. Cette étude ne figure dans aucun des traités d’Avicenne sur l’angle que j’ai pu examiner (MS Istanbul, Yeni Cami 221, fol. 18 r) : « Fa-innahu lahu (Ibn Sīnā) maqāla fī al-zāwiya allatī bayna al-muḥīṭ wa-almumāss ». ‎2. Il s’agit notamment de la discussion de l’atomisme par les théologiensphilosophes (al-Mutakallimūn) ; cf. M. Rashed, « Kalām e filosofia naturale», dans Storia della scienza, vol. III : La civiltà islamica, Enciclopedia Italiana (Rome, 2002), pp. 49–72. ‎3. Voir le commentaire de Th. Heath à la proposition III.16, dans The Thirteen Books of Euclid’s Elements, translated with introduction and commentary, 2 e éd. (New York, 1956), vol. II, pp. 39–43 ; ainsi que les commentaires de B. Vitrac à sa traduction des Éléments d’Euclide (Paris, 1990), vol. I, pp. 158–9, 203, 426–7 ; et J. Itard, «Quelques remarques sur la notion d’angle et sur l’angle de contingence », dans L’aventure de la science. Mélanges Alexandre Koyré (Paris, 1964), vol. I, pp. 346–59.

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tard, par Peletier, Clavius, Viète, Galilée, Grégoire de Saint-Vincent, Wallis, Hobbes, parmi bien d’autres. Quelques siècles avant, on rencontre le nom de Campanus 1 et, indirectement, celui d’Oresme. 2 Mais on semble ignorer que ces mêmes questions étaient déjà débattues à la fin du ix e siècle, parfois en termes équivalents, par al-Nayrīzī (865–922), un successeur anonyme de ce dernier, et par d’autres mathématiciens tels que Thābit ibn Qurra, al-Sijzī, Ibn alHaytham, al-Samawʾal, al-Ṭūsī, al-Shīrāzī, al-Fārisī, al-Qūshjī, entre autres. C’est l’histoire de ces derniers mathématiciens, mais aussi de leurs sources, que j’entends esquisser ici sur la base de documents dont la plupart n’étaient pas connus jusqu’ici, afin de mettre en perspective les contributions de leurs successeurs et aussi de décrire l’évolution de ce thème de recherche. En bref, il s’agit cette fois de reconstituer l’un des chapitres de la philosophie des mathématiques en arabe.

I. L’héritage grec en arabe : Euclide, Simplicius et Jean Philopon Les mathématiciens et les philosophes arabes ont rencontré la notion d’angle et celle d’angle de contingence dans la traduction au ix e siècle des Éléments d’Euclide et dans certains commentaires de ce dernier, transmis d’une manière ou d’une autre en arabe. C’est à partir de ce fonds qu’ils ont entamé leur propre recherche. Il s’agit de deux définitions du premier livre des Éléments et de deux autres du

Pour les travaux de Peletier, Clavius, Wallis, et sur l’histoire de l’angle de contingence, c’est Luigi Maierù qui a marqué la recherche moderne. Voir ses importantes contributions : « La polemica fra J. Peletier e C. Clavio circa l’angolo di contatto», dans Atti del Convegno Internazionale : Storia degli studi sui fondamenti della Matematica e connessi sviluppi interdisciplinari, Pisa-Tirrenia, 26–31 marzo 1984 (Luciani, 1989), vol. I, pp. 226–56 ; « John Wallis : ‘Lettura della polemica fra Peletier e Clavio circa l’angolo di contatto»’, dans M. Galluzzi (éd.), Atti del Convegno «Giornate di storia della matematica», Cetraro, 8–12 settembre 1988 (Commenda di Rende, 1991), p. 315–64 ; « ... in Christophorum Clavium De Contactu Linearum Apologia – Considerazioni attorno alla polemica fra Peletier e Clavio circa l’angolo di contatto (1579–1589)», Archive for History of Exact Sciences, 41 (1990) : 115–37. Voir également J. Itard, «L’angle de contingence chez Borelli», Archives internationales d’histoire des sciences, 56–57 (1961) : 201–24 ; S. Rommevaux, « Un débat dans les mathématiques de la Renaissance : le statut de l’angle de contingence», Journal de la Renaissance, vol. IV (2006) : 291–302 ; et F. Loget, «Wallis entre Hobbes et Newton. La question de l’angle de contact chez les Anglais », Revue d’histoire des mathématiques, t. 8, fasc. 2 (2002) : 207–62. ‎1. Cf. Rommevaux, « Un débat dans les mathématiques de la Renaissance», pp. 294–6. ‎2. Voir Itard, «Quelques remarques sur la notion d’angle».

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troisième livre, en plus de la proposition III.16 dans l’édition Heiberg du texte grec (III.15 dans la traduction arabe de Isḥāq-Thābit). Ils ont également eu accès au commentaire de Simplicius des Éléments, au commentaire de Jean Philopon à la Physique d’Aristote (partiellement perdu en grec) et, peut-être, à son commentaire des Seconds Analytiques. Quant au commentaire de Proclus, rien n’indique, autant que je sache, qu’il ait été transmis en arabe. 1. Réflexions grecques sur la notion d’angle

Pour comprendre et situer les contributions des mathématiciens arabes à ce thème, nous ne faisons usage, pour l’essentiel, que des textes qu’ils ont pu consulter. Commençons donc par rappeler les définitions d’Euclide telles qu’elles ont été données dans la traduction d’Isḥāq-Thābit des Éléments. ‫ةيوازلا ةحطسملا يه فارحنا لك دحاو نم نيطخلا نيعوضوملا يف طيسب ٍوتسم نيلصتم ىلع ريغ ةماقتسا نع‬

‫رخآلا‬.

Définition I.8. – Et un angle plan est l’inclinaison de chacune de deux lignes placées dans un plan et qui sont en contact l’une avec l’autre, sans se prolonger. 1 

‫ةرئادلاب‬. ‫ةيوازلاو ةعطق ةرئادلا يه يتلا طيحي اهب طخ ميقتسم سوقو نم طخلا طيحملا‬

Définition III.7. – Et un angle d’un segment de cercle est celui qu’entourent une droite et un arc de la circonférence du cercle. 2 ‫ةيوازلاو يتلا يف ةعطق ةرئادلا يه يتلا ناطيحي اذك()! اهب ناطخ ناميقتسم نالصوي نيب ةطقن ملعت امفيك تقفتا‬

‫ةعطقلا‬. ‫ىلع سوق ةعطقلا نيبو يفرط طخلا ميقتسملا يذلا وه ةدعاق‬

Définition III.8. – Et un angle dans un segment de cercle est celui qu’entourent deux droites qui joignent un point quelconque marqué sur l’arc du segment, et les deux extrémités de la droite qui est la base du segment. 3 La définition I.8, tout particulièrement, fera l’objet de nombreux commentaires. On observe immédiatement que, selon cette définition, l’angle plat ne sera pas considéré comme un angle. Cette conséquence sera ensuite souvent utilisée. On connaît le long commentaire que Proclus donne de cette définition. 4 Si les mathématiciens arabes ignoraient ce dernier texte, ils connaissaient, en ‎1. MS Rabat 1101, fol. 1 v. ‎2. Ibid., fol. 20 v. ‎3. Ibid. ‎4. Procli Diadochi, In Primum Euclidis Elementorum Librum Commentarii, éd. G. Friedlein (Hildesheim, 1967), pp. 121–8 ; Les Commentaires sur le premier livre des Éléments d’Euclide, trad. P. Ver Eecke (Bruges, 1948), pp. 109–17.

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revanche, le commentaire de Simplicius, qui est cité in extenso par alNayrīzī dans son propre commentaire des Éléments. Simplicius commence par énumérer les espèces d’angles – ceux que cite Euclide et ceux qu’il ne cite pas. En fait, à l’exemple de Proclus, il classe les angles selon la forme des lignes qui les entourent et la manière dont elles se rencontrent. C’est ainsi qu’il classe : les angles rectilignes, les angles curvilignes dont il distingue trois types – biconvexes quand les convexités des lignes sont opposées, biconcaves quand les concavités des lignes sont opposées, convexesconcaves quand la convexité d’une ligne s’oppose à la concavité de l’autre. 1 Vient ensuite l’espèce de l’angle corniculaire – rendu en arabe par qarnī – et enfin l’espèce des angles des segments du cercle. Avec cette classification, l’angle corniculaire se trouve introduit dans le lexique des mathématiques arabes. Au cours de ce commentaire Simplicius soulève la plupart des questions déjà débattues à propos de l’angle, et qui seront ensuite discutées pendant quelques siècles ; par exemple : – – – –

à laquelle des catégories aristotéliciennes l’angle appartient-il ? appartient-il à une catégorie ou à plusieurs ? est-il une grandeur ? et donc divisible ? quelle est alors sa place entre les autres grandeurs, telles que la ligne, la surface et le solide ? – les différents angles sont-ils comparables, comme Euclide le laisse entendre ? Simplicius cite ensuite la définition de l’angle déjà attribuée à Apollonius par Proclus. Selon Apollonius, l’angle est un rassemblement (συναγωγή) ou une contraction, «d’une surface ou d’un solide au niveau d’un point en-dessous d’une ligne ou d’une surface bri-

‎1. Voici la classification de Proclus : « Enfin, les angles compris sous des lignes droites et ceux compris sous des circonférences le sont sous des lignes simples. Ces derniers comportent à leur tour des angles de même espèce ; car deux circonférences qui se coupent mutuellement ou se touchent forment des angles, elles aussi, au nombre de trois : l’angle biconvexe lorsque les convexités des circonférences sont à l’extérieur, l’angle biconcave, appelé systroïde, lorsque les concavités sont à l’extérieur, et l’angle mixte de convexe et de concave tel que ceux des lunules. D’autre part, les angles compris sous des lignes droites et des circonférences le sont aussi de deux manières : sous une ligne droite et une circonférence convexe, comme l’angle semi-circulaire, ou sous une ligne droite et une circonférence concave comme l’angle corniculaire. Enfin, tous les angles compris sous deux lignes droites seront appelés rectilignes et donnent lieu à une triple distinction» (Proclus, in Eucl. 127.3–16).

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sée ». 1 Simplicius cite ensuite la définition d’Apollonius selon laquelle l’angle est une grandeur ayant des dimensions qui aboutissent – ainsi que les limites de la grandeur – en un seul point. On a ainsi une définition qui englobe l’angle plan et l’angle solide : l’un a deux dimensions, l’autre en a trois. Simplicius, enfin, définit pour sa part l’angle comme « intermédiaire dans la grandeur» entre ligne et surface pour l’angle plan, et entre surface plane et solide pour l’angle solide. Dans les dernières définitions, comme dans d’autres qu’il expose ensuite, intervient la notion de dimension, et l’angle plan sera intermédiaire entre une grandeur ayant une seule dimension et une autre, qui a deux dimensions. En un mot, si, par son commentaire traduit en arabe, Simplicius a fourni aux lecteurs les principales notions relatives à l’angle et les discussions qui l’ont entouré, il ne s’est toutefois pas arrêté à l’angle corniculaire, qu’il connaissait cependant. L’avait-il évoqué à propos de la proposition III.16 des Éléments ? nous n’avons aucun moyen de le savoir. Tout indique cependant que les questions soulevées par le texte de Simplicius avaient continué à être agitées par la suite. Avicenne (mort en 1037) nous apprend ainsi que Thābit ibn Qurra (826–901) a écrit sur l’angle et l’a fait appartenir à la catégorie de la position. Ce texte ne nous est pas parvenu, mais Avicenne, qui l’avait lu, écrit à son propos : Quant à celui qui considère que l’angle relève de la position, c’est Thābit ibn Qurra, et un groupe d’anciens. Ce qui pour lui a rendu cela nécessaire est que l’angle est produit à partir du rapport des limites de la chose à la chose, ou les parties de ce qui le limite les unes aux autres par rapport aux autres dans les directions, et cela est la position. Donc l’angle appartient à la catégorie de la position.

Selon cette conception de la position, les positions de l’angle sont celles de l’extension – ou de la surface – auxquelles elles se superposent. Ce sont les relations de ces parties les unes aux autres qui définissent la position. Cette conception de nature «topologique» de Thābit ibn Qurra, qui sera autrement développée plus tard par ‎1. « Telles étaient donc les apories, et bien qu’Euclide dise que l’angle est une inclinaison et Apollonius qu’il est le rassemblement d’une surface ou d’un solide au niveau d’un point en-dessous d’une ligne ou d’une surface brisée – car il semble définir ainsi tout angle en général, – nous dirons, nous, à la suite de notre Précepteur [Syrianus d’Alexandrie], que l’angle n’est aucune des choses mentionnées prise pour soi, mais qu’il tire son existence de leur combinaison à toutes, et que c’est pour cela qu’il a mis dans l’incertitude ceux qui ont été portés en faveur de l’une d’elles seulement» (Proclus, in Eucl. 123.14–23).

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Ibn al-Haytham, est celle des mathématiciens engagés dans l’étude des fondements et dans la transformation de la géométrie héritée. 1 Avicenne, qui était au fait de l’ensemble des définitions de l’angle, évoque aussi celle du juriste Abū Ḥāmid al-Isfizārī (milieu x e siècle) : Il a dit : l’angle est une certaine quantité autre que la ligne, la surface et le solide ; mais il est bien une espèce de quantité qui se produit entre deux espèces. L’angle plan se produit entre la ligne et la surface [...], et l’angle solide, aussi, entre la surface et le solide.

Avicenne poursuit : et ainsi, comme si l’angle plan pour lui (Abū Ḥāmid al-Isfizārī) était une surface plane dont la largeur n’a pas été achevée, et l’angle solide était un solide dont la profondeur n’a pas été achevée. 2

Ces vestiges montrent cependant que la discussion de la notion d’angle resurgit constamment depuis la traduction du commentaire de Simplicius jusqu’à Avicenne. On verra plus loin qu’elle se prolongera encore durant quelques siècles. 2. L’angle corniculaire d’Euclide à Jean Philopon

Simplicius, non plus qu’Avicenne dans son Traité sur l’angle, ne s’arrête à l’angle corniculaire, que tous deux avaient évoqué. Celuici a été connu par la proposition III.16 des Éléments : Si une droite est menée selon des angles droits à partir de l’extrémité d’un diamètre du cercle, alors elle sera à l’extérieur du cercle et aucune autre droite ne tombera entre elle et la circonférence ; l’angle du demi-cercle sera plus grand que tout angle aigu rectiligne, et l’angle qu’entourent cette droite et la circonférence sera plus petit que tout angle aigu rectiligne. 3

On observe, ce qu’Ibn al-Haytham avait déjà fait, qu’Euclide ne définit, ni ne nomme, cet angle qui « sera plus petit que tout angle aigu rectiligne », que d’ailleurs il n’évoque dans les Éléments qu’une seule fois. Proclus le baptisera plus tard l’angle « corniculaire (κερατοειδής) » et Ibn al-Haytham « l’angle de tangence (al-tamāss) ». 4 ‎1. On pense ici à Ibrāhīm ibn Sinān, al-Qūhī, al-Sijzī, entre autres. ‎2. Éd. M. Mawāldī, « Risāla fī al-zāwiya li-Ibn Sīnā», Journal of the Institute of Arabic Manuscripts, vol. 42, Part 1 (1968) : 33–82, aux pp. 56–7. ‎3. Heiberg, vol. III, p. 117 ; MS Rabat 1101, fol. 20. ‎4. Ibn al-Haytham écrit dans Sharḥ muṣādarāt Kitāb Uqlīdis (L’Explication des postulats du livre d’Euclide), MS Oxford, Bodleian Hunt. 237, fol. 190 v :

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IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

Or, avec l’énoncé de cette proposition, on constate que la notion de tangence est essentielle à la définition de cet angle, ce qui explique le choix terminologique d’Ibn al-Haytham – «tangence» – et celui d’« angle de contingence » plus tard. Il est tout aussi évident que la notion d’angle « plus petit que tout angle aigu rectiligne » dépend, implicitement au moins, de celle de l’angle en tant que grandeur, ou en tant que quantité, puisqu’elle suppose la comparabilité et la mesure. Ces deux questions seront présentes dans toutes les discussions ultérieures. Euclide démontre l’existence et l’unicité de la tangente, avant d’établir le dernier point de l’énoncé. Mais, pour saisir la difficulté que soulève ce point, procédons d’abord intuitivement. On constate alors qu’il est assez aisé d’ordonner les angles rectilignes, quelle que soit la définition qu’on en donne. On dira que l’angle (OA, OB) est inférieur à l’angle (OA, OC) si le côté OB est à l’intérieur de ce dernier angle (en procédant éventuellement par superposition). On pourra faire de même pour une classe restreinte d’angles mixtilignes qui ont des rectilignes égaux, dont les côtés sont concaves simples, tous orientés dans la même direction. Or une telle démarche n’est pas possible pour des angles quelconques, pour ne pas parler de l’angle de contingence. Ainsi, aux questions de tangence et de grandeur s’ajoutent celles de la comparaison entre les angles – rectiligne, mixtiligne et de contingence -, et de l’existence de l’ordre total et de la continuité. Autant de questions que soulèveront les lecteurs d’Euclide. L’histoire a conservé certaines de leurs lectures. La première, qui est aussi la plus importante, est celle de Proclus, qui s’attaque de front à la question de la grandeur, et aussi à celle de la définition de la notion d’angle. Il écrit : Mais, si l’angle est une grandeur et que toutes les grandeurs homogènes finies ont un rapport l’une avec l’autre, alors tous les angles homogènes,

‫ةثلاثلا دنع‬، ‫ةلاقملا ينعأ‬، ‫سوقلا يه يتلا اهركذ سديلقأ يف لكشلا سماخلا رشع نم هذه‬، ‫ةيوازلاف يتلا طيحي اهب طخ ميقتسم بدحمو‬ ‫نيطخلا‬، ‫ةرئادلا نيبو اهنأ رغصأ نم لك ةيواز ةداح ةميقتسم‬، ‫ةرئادلل يهو ةيوازلا يتلا طيحي اهب طخلا سامملا ةبدحو‬، ‫هركذ طخلل سامملا‬ ‫سامتلا‬. ‫دحاو وهو يذلا ؛هانركذ دقو نكمي نأ ّدحُت نأب لاقي ةيواز‬، ‫اًركذ هنأل مل اهلمعتسي الإ يف عضوم‬، ‫ملو مدقي اهل سديلقأ اًدح الو‬ « L’angle entouré par une ligne droite et la concavité de l’arc est celui qu’Euclide a mentionné dans la quinzième proposition de ce livre, c’est-à-dire le troisième, lorsqu’il a mentionné la droite tangente au cercle ; c’est l’angle entouré par la droite tangente et la concavité du cercle. Il a montré qu’il est plus petit que tout angle aigu rectiligne ; mais Euclide n’en a présenté ni une définition ni un nom ; car il ne l’a utilisé que dans un seul endroit, celui que nous avons mentionné. Or il est possible de le définir en disant : l’angle de tangence».

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au moins ceux dans les plans, auront un rapport l’un avec l’autre ; ainsi, un angle corniculaire aura un rapport avec un angle rectiligne. Or, les grandeurs qui ont un rapport entre elles peuvent se dépasser l’une l’autre si elles sont multipliées ; donc, l’angle corniculaire pourra finalement dépasser l’angle rectiligne ; ce qui est impossible, car il est démontré que l’angle corniculaire est plus petit que tout angle rectiligne. 1

C’est ainsi que Proclus règle la question de la grandeur en posant rigoureusement le problème qui sera débattu par ses successeurs. Jean Philopon, pour sa part, soulève la question de la continuité par un argument souvent repris plus tard, mais de manière différente. La discussion alors engagée portait sur la comparabilité de la droite et de l’arc de cercle, et la question était de savoir si «le plus grand passe au plus petit sans passer par l’égal ». Jean Philopon reconnaît la validité de ce principe et la nécessité de passer par l’égal pour les grandeurs homogènes. Quant aux grandeurs non homogènes, c’est-à-dire celles auxquelles on ne peut pas appliquer la théorie des proportions, il s’explique dans son Commentaire de la Physique : Il n’est pas nécessaire, écrit-il, que, s’il existe le plus grand et le plus petit, entre les choses l’égal existe. En effet, l’angle aigu entouré par une droite et la convexité de l’arc est plus grand que tout angle aigu, et la concavité de l’arc est plus petit que tout angle aigu. Et il n’existe aucun angle entouré par une ligne droite et une ligne circulaire égal à un angle aigu rectiligne ; car, si cela existait, alors la ligne droite se superposerait à la ligne circulaire. En effet, si nous faisons mouvoir une droite sur le diamètre, nous formons un angle entouré par la droite et le demi-cercle, qui est le plus grand, et un angle entouré par une droite et la concavité, qui est le plus petit. L’un des deux angles se forme après l’autre sans qu’il se forme égal à l’angle aigu rectiligne. 2

De même, mais plus longuement, dans son Commentaire des Seconds Analytiques : Si quelqu’un accorde que Bryson a ainsi mené à bien sa construction, il est loisible de lui répondre que le propos selon lequel là où il y a du plus grand et du plus petit que quelque chose, il y en a aussi de l’égal, est vrai dans le cas des choses de même genre, mais que cela n’est plus vrai dans le cas des choses qui ne sont pas de même genre. Car le géomètre montre que, dans le cas du demi-cercle CDB, la droite AC menée perpendiculairement à partir de l’extrémité du diamètre CB tombe nécessairement

‎1. In Eucl. 121.24–122.7. ‎2. Arisṭūṭālīs, al-Ṭabīʿa, tarjamat Isḥāq ibn Ḥunayn, éd. ʿA. Badawī (Le Caire, 1965), p. 783.

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en dehors du cercle ; et que des deux angles produits (i) par la circonférence et le diamètre et (ii) par la droite menée perpendiculairement et la circonférence, je veux dire de l’angle extérieur ACD et de l’angle intérieur DCB, l’angle extérieur est plus petit que tout angle rectiligne aigu et l’angle intérieur plus grand que tout angle rectiligne aigu. Ainsi donc, dans ce cas, bien qu’ayant montré que des angles sont plus grand et plus petit que le même angle rectiligne aigu, nous ne pourrions cependant pas en découvrir d’égal, du fait que les grandeurs ne sont pas de même genre. Car les angles considérés sont supposés provenir d’une droite et d’une circonférence – on les appelle d’ailleurs corniculaires. Et le paradoxe est que, alors que l’angle extérieur peut être augmenté à l’infini et l’intérieur diminué, et que, à rebours, l’angle intérieur peut être augmenté à l’infini et l’extérieur diminué, ni l’angle extérieur, augmenté à l’infini, ne deviendra jamais égal à l’angle rectiligne aigu – mais il sera toujours plus petit que n’importe lequel – ni l’angle intérieur augmenté à l’infini ne sera jamais égal à un angle droit. Nous augmentons l’angle extérieur en traçant des cercles plus petits. Ainsi, si je coupe le diamètre CB au point E, que je coupe la droite CE en deux moitiés au point G et que, avec G pour centre et GC pour intervalle, je trace un cercle dont le demi-cercle est CHE, l’angle extérieur ACH augmente et, derechef, en vertu de ce qu’on a déjà dit, il n’en est pas moins plus petit que tout angle aigu. Ce théorème a en effet été prouvé par le géomètre pour tout cercle (voir fig. 1). Derechef, de la même manière, ayant coupé le diamètre du cercle intérieur, ayant inscrit un cercle plus petit et ayant fait cela à l’infini, j’augmente toujours l’angle extérieur et je diminue l’angle intérieur, mais ni l’angle extérieur, ni l’angle intérieur, ne seront jamais égaux à un angle rectiligne aigu : l’extérieur sera toujours plus petit, l’intérieur toujours plus grand. C’est ainsi que j’augmente l’angle extérieur et que je diminue l’angle intérieur.

Fig. 1

À l’inverse, j’augmente l’angle intérieur et je diminue l’angle extérieur en circonscrivant des cercles plus grands, de la manière suivante. Je prolonge le diamètre CB en ligne droite jusqu’à E et, avec B comme centre et BC comme intervalle, je trace un cercle, dont le demi-cercle est CGE

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(voir fig. 2). Il est clair que le demi-cercle CGE tombera à l’intérieur de la droite AC, du fait qu’il a été prouvé que la droite menée perpendiculairement de l’extrémité du diamètre tombe nécessairement à l’extérieur du cercle. Or, que pas la moindre partie du demi-cercle extérieur CGE ne soit en contact avec une partie du demi-cercle intérieur CDB, c’est clair à partir de ceci : s’il y a contact, menons, à partir du point où ils coïncident, disons H, vers les centres des cercles B et J, les droites HB et HJ. Puis donc que le point J est le centre du demi-cercle intérieur, JH est égale à JC. Derechef, puisque B est le centre du demi-cercle extérieur CGE, BH est égale à BC. Mais BJ et CJ sont égales à JH. Donc HB est égale à BJ et à JH. Par conséquent, du triangle HJB, les deux côtés HJ, BJ sont égaux au côté unique HB, ce qui est impossible. Par conséquent, aucune partie du cercle extérieur ne coïncide avec une partie du cercle intérieur. Donc le cercle extérieur coupe l’angle ACH. Ainsi, en traçant, à l’infini, de la même manière, des cercles extérieurs, je diminue à l’infini l’angle extérieur et j’augmente l’angle intérieur. Mais jamais l’angle intérieur, augmenté, ne deviendra égal à un droit, et toujours, il devient plus grand que tout angle rectiligne aigu. 1 Si donc il a été montré qu’il est possible qu’il y ait du plus grand et du plus petit que la même chose sans qu’il y ait de l’égal à elle, du fait de la dissemblance des grandeurs, c’est ainsi à tort que Bryson a soutenu que, si le polygone circonscrit est plus grand que le cercle et le polygone inscrit plus petit, l’intermédiaire entre l’inscrit et le circonscrit est égal au cercle. Car là encore, les grandeurs sont dissemblables, je veux dire le polygone par rapport au cercle. En sorte qu’ils ne seront pas égaux. 2

Dans le premier commentaire, celui de la Physique, il donne l’exemple de l’angle du demi-cercle et de l’angle de contingence. Il affirme que, si l’on déplace une droite sur le diamètre du cercle, elle forme d’abord avec la circonférence l’angle du demi-cercle, qui est plus grand que tout angle rectiligne aigu, et forme ensuite l’angle de contingence, qui est plus petit que tout angle rectiligne aigu, sans former au cours de son mouvement un angle égal à un angle rectiligne aigu. Dans le Commentaire des Seconds Analytiques, il explicite sa pensée et donne un exposé détaillé où il procède à la division de l’angle de contingence par des cercles, à défaut de la division par des droites. Il commence par relever le caractère paradoxal du phénomène, qui tient au fait que l’angle de contingence peut croître à l’infini et celui du demi-cercle peut décroître à l’infini, et inversement, sans qu’aucun des deux ne devienne un angle rectiligne aigu.

‎1. Voir Fig. 2. ‎2. Jean Philopon, In Analyt. Post. 112.36–114.17, dans Commentaria in Aristotelem Graeca, edidit M. Wallies (Berlin, 1909), vol. XIII, pars III.

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IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

Pour illustrer ce fait, il trace successivement deux figures des cercles emboîtés et tangents en un même point.

Fig. 2

Soit d’abord le cercle CDB, de diamètre CB, tangent au point C à la perpendiculaire AC. On a l’angle de contingence ACD et l’angle du demi-cercle BCD, et on peut appliquer la proposition III.16 des Éléments. Soit un point E sur le diamètre BC ; partageons EC en deux moitiés au point G. Traçons le cercle CHE, de centre G et de demidiamètre GC. Il est tangent au point C à AC. On a ainsi augmenté l’angle de contingence et diminué l’angle du demi-cercle. On réitère le procédé indéfiniment et on trace des cercles emboîtés comme ECH, sans que l’angle de contingence soit égal à un angle rectiligne aigu, et sans que l’angle du demi-cercle soit égal à un angle droit. Ce phénomène paradoxal s’explique, selon Philopon, parce que l’on peut appliquer la proposition III.16 d’Euclide à chacun des cercles. Jean Philopon procède ensuite par l’inverse, en augmentant indéfiniment l’angle du demi-cercle et en diminuant indéfiniment l’angle de contingence. Il aboutit au même résultat. L’inverse de cette argumentation, à savoir qu’il n’est pas nécessaire qu’il y ait l’égal entre le plus grand et le plus petit, sera invoqué de manière récurrente dans les rédactions sur l’angle de contingence, précisément pour nier la continuité. Ainsi Avicenne, au troisième livre du Shifāʾ, écrit : Quant à ce que l’on dit à propos de l’angle mentionné, qu’il est indivisible – alors qu’il est bien divisible – il y a en fait en puissance infiniment d’angles plus petits que lui. La démonstration a été établie qu’il n’y a aucun angle rectiligne plus petit que lui. Mais quand on dit qu’une chose qui n’a pas telle propriété est plus petite que telle chose, cela ne signifie pas qu’il n’y a aucune autre chose plus petite qu’elle. Celui qui a acquis

L’ANGLE DE CONTINGENCE

221

la connaissance des fondements de la géométrie sait que cet angle est divisible à l’infini par les arcs. 1

Un autre argument, non moins important et tout aussi diffusé, qui remonte, semble-t-il, à Pappus, était connu des mathématiciens arabes. Proclus nous apprend en effet que Pappus, dans son Commentaire des Éléments, a montré que les angles égaux à un angle droit ne sont pas tous droits, et qu’un angle curviligne est égal à un angle droit. 2 Le texte grec de Pappus est perdu, et il ne reste de la traduction arabe que la partie du commentaire du livre X des Éléments. Nous ne savons rien de certain sur la connaissance qu’on pouvait avoir des commentaires de Pappus des autres livres des Éléments. ‎1. Al-Shifāʾ, al-Ṭabīʿiyyāt, éd. Zayed, p. 201. ‎2. «D’autre part, Pappus nous a justement rendus attentifs au fait que la réciproque, c’est-à-dire qu’un angle égal à un angle droit est toujours droit, n’est pas vraie, mais que cet angle est nécessairement droit s’il est rectiligne ; que l’on peut cependant montrer aussi un angle curviligne égal à un angle droit. Il est clair qu’un tel angle ne sera plus appelé droit. En effet, nous avons admis l’angle droit dans la section des angles rectilignes en l’établissant sous une ligne droite placée sans inclinaison sur une ligne droite sous-jacente ; de sorte qu’un angle égal à un angle droit n’est pas nécessairement droit s’il n’est pas rectiligne. Imaginons donc deux lignes droites ΑΒ, ΒΓ égales formant l’angle au point Β droit, et soient décrits, sur ces droites, les demi-cercles ΑΕΒ, ΒΖΓ de même centre et égaux de distance. Dès lors, puisque ces demi-cercles sont égaux, ils coïncident l’un avec l’autre, et l’angle compris sous l’arc ΕΒ et la droite ΒΑ est égal à l’angle compris sous l’arc ΖΒ et la droite ΒΓ.

Fig. 3 Ajoutons de part et d’autre l’angle restant compris sous les droites ΑΒ et l’arc ΒΖ, il s’ensuit que l’angle droit entier est égal à l’angle en forme de croissant compris sous les arcs ΕΒ, ΒΖ ; et cet angle en forme de croissant n’est néanmoins pas un angle droit. Si l’angle compris sous les droites ΑΒ, ΒΓ est obtus ou aigu, on montrera de même qu’un angle en forme de croissant lui est égal ; car c’est là la forme des angles curvilignes qui se concilie avec les angles rectilignes, sauf à savoir qu’il faut ajouter l’angle mitoyen compris sous la droite ΑΒ et l’arc ΒΖ pour l’angle droit et l’angle obtus, et le retrancher pour l’angle aigu ; car la droite ΑΒ y coupe l’arc ΒΖ. Nous exposons donc les dessins relatifs à chacune de ces suppositions. Nous avons donc consigné sommairement les choses qui prouvent que tous les angles droits sont égaux entre eux, et qu’un angle égal à un angle droit n’est pas nécessairement un angle droit ; car comment dirait-on qu’un tel angle est droit alors qu’il n’est pas rectiligne ? » (Proclus, in Eucl. 189.12–1914).

222

IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

Cet argument figure cependant dans le commentaire de Simplicius, lequel était connu en arabe. On y lit la démonstration suivante : Supposons l’angle droit ABΓ, et marquons au centre B et avec une distance à volonté deux points sur les lignes AB et BΓ, soit les deux points Δ et E. Traçons à partir des deux centres Δ et Ε et avec les distances ΕΒ et ΔΒ le demi-cercle ΑΖΒ et le demi-cercle ΒΘΓ. Alors, l’angle ΑΒΖ est égal à l’angle ΓΒΘ, car, si les demi-cercles sont égaux, leurs angles sont égaux. Faisons l’angle ΑΒΘ commun, on a l’angle ΑΖΒΘ tout entier égal à l’angle ΑΒΓ. Mais l’angle ΑΒΓ est droit, et l’angle ΑΖΒΘ est en forme de croissant ; donc un angle en forme de croissant est égal à un angle droit. 1

Fig. 4

Al-Nayrīzī écrit à son tour, avant de donner la démonstration rapportée par Simplicius : Les angles égaux à un droit ne sont pas nécessairement droits, à moins que l’on transpose le nom de l’angle aux arcs également ; alors les angles entourés par des arcs sont dits droits par voie de métaphore. 2

II. Les commencements arabes de la réflexion sur l’angle de contingence : Al-Nayrīzī et l’ anonyme de Lahore À partir du ix e siècle, les mathématiciens non seulement connaissaient les Éléments, mais étaient au courant de ces discussions sur l’angle de contingence et, plus généralement, sur la notion d’angle. C’est dans ces conditions qu’ils ont repris à leur compte ces thèmes

‎1. Codex Leidensis 399,1. Euclidis Elementa, éd. R. O. Besthorn et J. L. Heiberg (Copenhague, 1897), pp. 22–4. ‎2. Ibid., p. 22.

L’ANGLE DE CONTINGENCE

223

de recherche et de discussion, jusqu’à ce que l’ensemble fût à nouveau étudié par Ibn al-Haytham et ses successeurs. Le premier de ces mathématiciens, semble-t-il, est al-Nayrīzī (c. 865-c. 922). Dans son Commentaire de la traduction (probablement d’al-Ḥajjāj) des Éléments, il soutient, à propos de la proposition III.15, que l’angle entouré par la perpendiculaire tangente à la circonférence du cercle et celle-ci n’est ni une grandeur, ni un angle rectiligne. Il établit ainsi cette double négation (fig. 5) : Le mathématicien (Euclide) voulait que l’angle entouré par l’arc ΓΑΔ et la perpendiculaire ΔΖ soit plus petit que tout angle aigu, car il n’est pas divisible. S’il était divisible, alors il se trouverait entre l’arc ΓΑΔ et la droite ΔΖ une autre droite, étant donné que la division des angles est par les lignes droites qui les séparent. Mais, puisque l’angle ΚΔΖ n’a pas été séparé, il n’est pas un angle rectiligne, car tous les angles rectilignes se divisent. Il (Euclide) l’a alors nommé par le nom qui s’est imposé à lui en raison de l’autre angle interne. 1 En effet, puisque l’angle ΕΔΖ est droit, qu’il tombe entre la ligne ΓΔ et la perpendiculaire ΔΖ à l’arc ΓΑΔ, et qu’on a séparé l’angle ΚΔΖ qui n’a pas de grandeur, il reste l’angle interne entouré par le diamètre ΓΔ et l’arc ΓΑΔ plus grand que tout angle aigu, car l’angle aigu est celui qui est moindre qu’un angle droit d’un certain autre angle aigu. Étant donné donc que l’angle interne n’est pas moindre qu’un angle droit, [qui est un angle aigu], d’un angle qui a une grandeur, alors le mathématicien (Euclide) a qualifié l’angle interne de plus grand que tout angle aigu. 2

Fig. 5

Ce commentaire d’al-Nayrīzī, accompagné des nombreuses citations qu’il a empruntées aux commentaires de Simplicius et

‎1. «L’angle qu’entourent cette droite et la circonférence», qui est désigné dans le texte grec par l’expression « angle restant», λοιπὴ . Cf. ci-dessus. ‎2. Codex Leidensis 399,1, Livre III, pp. 70–2.

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IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

d’Aghānīs, a constitué le fonds à partir duquel les mathématiciens arabes et latin ont élaboré leur recherche. Témoin de cette dépendance, l’écrit d’un anonyme, un opuscule intitulé Sur l’angle, qui fait partie d’une collection manuscrite copiée à Bagdad en 1159–1162, et donc rédigé avant cette date. 1 Cet auteur examine presque tous les thèmes, déjà rencontrés, relatifs à l’angle de contingence. Il part d’un fait paradoxal : alors que l’on applique aux angles les opérations que l’on applique à la quantité – égalité, inégalité, rapport, division, multiplication, etc. – et qu’on peut donc définir l’angle comme «une quantité ayant une position » (fa-al-zāwiya idhan kammiyya dhāt waḍʿ ), l’angle n’appartient pas pour autant au nombre des grandeurs énumérées par Aristote. 2 Le paradoxe est flagrant : voici un objet géométrique auquel on applique les opérations qu’on applique aux grandeurs, sans qu’il soit compté parmi les grandeurs. Une question s’impose : l’angle est-il une grandeur ? L’auteur commence par rappeler les réponses des anciens, Euclide, Simplicius, Aghānīs, telles que les a rapportées al-Nayrīzī. Selon lui, Euclide ne considérait pas l’angle, dans sa définition par inclinaison, comme une grandeur ; alors que, dans la proposition VI.33 des Éléments, il démontre que « dans les cercles égaux, les angles au centre et les angles inscrits sont dans le rapport des arcs interceptés», et considère par conséquent l’angle comme une grandeur, puisqu’il procède à l’aide de la théorie des proportions. Toujours selon l’auteur, Simplicius voit dans l’angle une grandeur, de même qu’Aghānīs pour qui c’est une grandeur ayant deux dimensions qui aboutissent toutes les deux au même point. L’auteur relève dès le début de l’opuscule la difficulté que soulève la définition de l’angle comme grandeur. D’abord, si on double l’angle droit, la somme n’est pas un angle, d’après la définition I.8 des Éléments ; et de même pour l’angle solide, s’il devient égal à quatre droits. Or une grandeur ne s’annule pas si on la double. D’autre part, l’angle ne vérifie pas la définition 4 du livre V des Éléments. Enfin, l’angle ne satisfait pas non plus la proposition X.1 des Éléments, que vérifient toutes les grandeurs (archimédiennes). Pour établir cela, l’auteur invoque le contre-exemple de l’angle de contingence. Il considère l’angle de contingence ABC et l’angle rectiligne D. Si l’on retranche de D plus que sa moitié, et si du reste on retranche plus que sa moitié, si on réitère continûment cette opération, on ne pourra pas aboutir à un angle plus petit que l’angle ABC mais on aura ‎1. Sur ce manuscrit de Lahore, coll. Nabī Khān, voir R. Rashed, Les mathématiques infinitésimales du ix e au xi e siècle, vol. IV : Méthodes géométriques, transformations ponctuelles et philosophie des mathématiques (Londres, 2002), p. 738. ‎2. Cf. Catégories, 6 ; Physique, 4, ch. 1 à 5 ; Métaphysique Δ, 13, 1020 sq.

L’ANGLE DE CONTINGENCE

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toujours un reste plus grand que celui-ci. Inversement, si on double ABC autant de fois que l’on veut, le résultat sera toujours plus petit que l’angle D. On en conclut que l’ensemble des angles ne vérifie pas la proposition X.1 des Éléments. Mais, à défaut de pouvoir diviser l’angle de contingence par une droite, l’auteur propose de le diviser par une « ligne circulaire» de la même concavité que le cercle initial, procédé que nous avons rencontré chez Jean Philopon et que nous rencontrons dans un corollaire à la proposition III.15, dans certains commentaires des Éléments, comme celui d’al-Abharī (mort en 663/1265 environ). 1 L’auteur anonyme conclut alors : «Il ressort clairement de cela que cette espèce d’angle est qualifiée de la propriété de la quantité». L’auteur propose d’établir par une autre méthode que l’on peut retrancher autant de fois que l’on veut l’angle de contingence de l’angle rectiligne, sans pour autant épuiser ce dernier ; il en conclut que ces deux angles n’appartiennent pas au même genre puisqu’ils ne vérifient pas la proposition X.1 des Éléments. Sur ce point également, les angles diffèrent des grandeurs, puisqu’une partie d’une grandeur est une grandeur de même genre. Ils en diffèrent encore sur un autre point, qu’avait déjà noté Jean Philopon : on peut passer du plus petit

‎1. «Il en ressort clairement (de III.15) que toute droite menée de l’extrémité du diamètre d’un cercle quelconque est tangente au cercle, et nous en venons à tracer par des points infini que l’on suppose sur la droite EC avant ou après son prolongement dans la direction de CD, infini de cercles, dont le demi-diamètre de chacun est de la grandeur de ce qui se trouve de la droite DC entre les points à partir desquels on trace les cercles, et le point D ; et de sorte que la perpendiculaire DG soit perpendiculaire au diamètre de chacun des cercles et que la circonférence de chacun des cercles tombe entre la perpendiculaire DG et la circonférence du cercle AD. Et nous en venons à tracer par des points infini supposés sur la droite DE des cercles infini, dont le diamètre de chacun est de la grandeur de ce qui se trouve de la droite DE entre le point sur lequel est tracé le cercle, et le point D, de sorte que la perpendiculaire DG soit perpendiculaire au diamètre de chaque cercle, et que la circonférence du cercle AD tombe entre la perpendiculaire DG et chaque circonférence de cercle» (Fī al-handasa, MS Téhéran, fols. 43 r-v ; cf. Fig. 5).

‫هيلع هنإف سامي ؛ةرئادلا نأو انل نأ مسرن ىلع‬، ‫ نأ لك طخ ميقتسم جرخ نم فرط رطق يأ ةرئاد اًدومع‬١٥) (‫نابتساو هنم لكشلا‬

‫ةيهانتم فصن رطق لك اهنم ردقب ام‬، ‫ رئاود ريغ‬،‫ لبق هجارخإ وأ دعب هجارخإ يف ةهج ـج د‬،‫ ضرفت ىلع طخ ه ـج‬/ ‫طقن ريغ ةيهانتم‬

‫اهنم‬، ‫ نوكيو دومع د ز اًدومع ىلع رطق لك ةرئاد‬،‫ يتلا مسرن اهيلع رئاودلا نيبو ةطقن د‬1 ‫عقي نم طخ د ـج امو لصتي هب نيب طقنلا‬

‫طيحمو لك ةرئاد اهنم عقي نيب دومع د ز طيحمو ةرئاد ا د؛ نأو مسرن ىلع طقن ريغ ةيهانتم ضرفت ىلع طخ د ه رئاود ريغ ةيهانتم رطق‬ ‫اهنم‬، ‫ نوكيو دومع د ز اًدومع ىلع رطق لك ةرئاد‬،‫لك اهنم ردقب ام عقي نم طخ د ه نيب ةطقنلا يتلا مسرت اهيلع ةرئادلا نيبو ةطقن د‬

‫ةرئادلا‬. ‫ د ز نيبو لك دحاو نم طيحم كلت‬2 ‫طيحمو ةرئاد ا د عقي نيب دومع‬ ‫دومع دومع نيب‬: ‫ نيب‬2. — ‫طقنلا ةطقنلا‬: 1.

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IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

au plus grand sans passer par tous les intermédiaires. Ainsi, l’angle limité par un arc de cercle et une droite, s’il est dans un demi-cercle ou moins qu’un demi-cercle, il est aigu ; et s’il est dans plus d’un demicercle, il est obtus. 1 On passe donc d’un angle aigu à un angle obtus sans passer par l’angle droit. L’auteur anonyme utilise donc la définition V.4 ainsi que la proposition X.1 des Éléments pour montrer à la fois que l’angle rectiligne et l’angle de contingence ne sont pas homogènes, et que l’angle diffère de toutes les grandeurs géométriques. Il poursuit encore plus loin cette comparaison : il compare l’angle à la ligne, à la surface et au solide, en considérant le nombre des dimensions, et en montrant à chaque fois en quoi l’angle ressemble à une grandeur et, surtout, en quoi il en diffère. Il conclut en se demandant si l’angle relève de la catégorie de la quantité. Comme il n’existe pas une unité angulaire – comme l’unité pour les nombres – et comme, en plus, l’angle a une position, il ne peut être considéré comme une quantité discrète. Mais, comme il ne vérifie pas non plus la propriété de l’intersection – à savoir que l’intersection de deux grandeurs homogènes, deux lignes par exemple, est d’une dimension moindre que la grandeur – l’angle ne relève pas non plus de la quantité continue. Tout cela mène l’auteur à conclure dans la perplexité et dans l’indécision : « certains états (de l’angle) entraînent nécessairement qu’il est une grandeur, et d’autres le nient». Ce texte indique donc que, bien avant le xii e siècle, l’étude sur l’angle et l’angle de contingence portait principalement sur la notion de grandeur, et reposait sur la notion de grandeur et sur l’axiome d’Archimède. C’est à cette étude que contribuera Ibn al-Haytham, au xi e siècle. L’étude de l’angle et de l’angle de contingence s’est sans doute poursuivie depuis la fin du ix e siècle. Cependant, l’état de la recherche sur la littérature scientifique arabe pendant cette période, ainsi que la perte d’un nombre considérable de manuscrits, ne nous permettent pas de connaître de manière précise et détaillée les différentes contributions. Un grand mathématicien comme Thābit ibn Qurra (826–901) aurait discuté de l’angle – on a vu que c’est ce qu’affirme plus tard Avicenne dans son Traité sur l’angle. D’ailleurs, la rédaction d’un tel traité par le philosophe comme réponse à ses interlocuteurs témoigne de l’attraction exercée par ces thèmes. Le mathématicien al-Sijzī a, pour sa part, écrit brièvement sur l’angle de contingence. Il affirme en effet dans son Introduction à la science de la

‎1. Euclide, Éléments, III.29.

L’ANGLE DE CONTINGENCE

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géométrie 1 que les angles curvilignes et l’angle de contingence ne sont pas « mesurables», c’est-à-dire que l’on ne peut pas les étudier à l’aide de la théorie des proportions. Dans un autre traité, Pour aplanir les voies en vue de déterminer les propositions géométriques, il rappelle que l’angle de contingence n’est comparable à aucun angle rectiligne. 2 Mais c’est le successeur d’al-Sijzī, Ibn al-Haytham, qui reprendra cette étude de l’angle de contingence.

III. Ibn al-Haytham : la comparaison des infiniment petits Dans son Livre sur la solution des doutes du livre d’Euclide sur les Éléments et l’explication de ses notions, Ibn al-Haytham s’arrête à la proposition III.15 de la traduction arabe, qu’il considère comme une des difficultés (mushkilāt) de la géométrie. Après en avoir cité l’énoncé, il propose une nouvelle démonstration de l’existence et de l’unicité de la tangente menée à l’extrémité du diamètre du cercle. Il discute ensuite plus longuement de l’angle de contingence et de l’angle mixtiligne. Puisque nous venons d’examiner ce qui nous est parvenu des prédécesseurs d’Ibn al-Haytham à ce sujet (et qu’il a sans doute connu), il nous faut à présent dégager les points saillants de sa géométrie, nécessaires à la compréhension de son étude de l’angle de contingence et de l’angle mixtiligne. Le premier point touche à sa conception de la géométrie : nous avons montré ailleurs 3 qu’il fut le premier à introduire systématiquement le mouvement comme notion primitive de la géométrie, afin de pouvoir étudier les transformations des figures géométriques et les relations entre elles. À ce projet il a consacré deux livres, Les connus et L’analyse et la synthèse, ainsi que son Explication des postulats du livre d’Euclide, où il reprend les notions des Éléments d’Euclide pour les fonder à partir de la notion de mouvement. On verra plus loin que, dans son étude sur l’angle de contingence, il procède par rotation et par superposition. Le second point est relatif aux notions de tangente et de tangence. Ibn al-Haytham considère, et cette fois encore personne ne l’avait fait avant lui, le point de contact comme un seul point selon la catégorie de la position, mais comme un point double selon la catégorie de la relation. Il écrit :

‎1. Kitāb al-Madkhal ilā ʿilm al-handasa, MS Dublin, Chester Beatty 965, fol. 8 r. ‎2. Les mathématiques infinitésimales, vol. IV, p. 1104. ‎3. Les mathématiques infinitésimales, vol. II et IV.

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IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

‫طخلاو ميقتسملا ّسامملا ةرئادلل يذلا هركذ سديلقأ يف ردص ةلاقملا ةثلاثلا وه طخ ميقتسم ىقلي ةرئادلا ىلع‬ ‫ةياهن مل َقلي ةرئادلا ىلع ةطقن ريغ كلت‬، ‫هنم اذإو جرخأ اذه طخلا ميقتسملا يف نيَتهجلا اًجارخإ ىلإ ريغ‬، ‫ةطقن اهنم ةطقنب‬ ‫ةفاضإلاب ىدحإ نيَتطقنلا نيَتفاضملا‬، ‫اهيلع عضومو اذه ّسامتلا وه ةطقن ةدحاو عضولاب ناتنثاو‬، ‫ةطقنلا اهنم يتلا اهيقل‬ ‫هيلإ‬. ‫اهيلإ ىرخألاو يه ةياهن طخلا ميقتسملا ةفاضُمو‬، ‫يه ةياهن ةرئادلا ةفاضُمو‬ La droite tangente au cercle qu’Euclide a mentionnée dans le préambule du troisième livre est une droite qui rencontre le cercle en un point de celui-ci par un point de celle-là ; et si l’on mène cette droite dans les deux directions indéfiniment, elle ne rencontre pas le cercle en un point autre que celui sur lequel elle l’a rencontré, et la position de tangence est un seul point par la position et deux par la relation ; l’un de ces deux points relatifs est l’extrémité du cercle et relatif à lui, et l’autre est l’extrémité de la droite et relatif à elle. 1

Or, pour que ces deux points s’identifient en un seul selon la catégorie de la position, ils doivent se rapprocher indéfiniment. C’est dans ce rapprochement que l’infiniment petit intervient tout naturellement. Mais, pour expliquer techniquement cette idée, il a fallu attendre l’invention du calcul différentiel. Le troisième point, tout aussi important, est la conception qu’Ibn al-Haytham se faisait de l’angle. Or il n’ignorait sûrement pas que la définition de l’angle avait fait couler beaucoup d’encre depuis l’antiquité, et que la définition euclidienne n’était pas unanimement admise. 2 À la suite de Thābit ibn Qurra, Ibn al-Haytham développe toute une théorie pour montrer que l’angle appartient bien à la catégorie de la position et non à celle de la quantité. Ses motivations, on le verra, sont directement liées à son désir d’élaborer un discours général sur toutes les espèces d’angle plan. Il commence par définir l’angle plan comme une forme d’une position de surface. Il écrit : ‫رخآلا‬، ‫حطس امهنإف نالعفي يف حطسلا ةروص مّوقتت نم عضو نيطخلا امهدحأ دنع‬. ‫لكف نيطخ ناعطاقتي يف‬ ‫يه فارحنا لك دحاو نم نيطخ نيعوضوم يف طيسب دحاو‬: ‫ةطيسب ةيوازلاف ةطيسبلا‬. ‫هذهو ةروصلا ىّمسُت ةيواز‬ ‫ةرّعقملاو‬. ‫ةيوتسملا دقو نوكت يف حوطسلا ةبّدحملا‬، ‫ةطقن دقو نوكت ةيوازلا ةطيسبلا يف حوطسلا‬. ‫نْيَيِقتلم نيَعطاقتم ىلع‬

Deux lignes qui se coupent dans une surface font dans la surface une forme (ṣūra) qui est constituée à partir de la position (waḍʿ ) des deux lignes, l’une par rapport à l’autre. On appelle cette forme un angle plan. L’angle plan est donc une inclinaison de chacune des deux lignes placées dans une même surface plane, qui se rencontrent ou se coupent en un

‎1. Sharḥ muṣādarāt Kitāb Uqlīdis, MS Oxford, Bodleian Hunt. 237, fol. 181 v. ‎2. Définition I.8, déjà citée.

L’ANGLE DE CONTINGENCE

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point. L’angle plan peut être dans les surfaces planes, et il peut être dans les surfaces concaves et convexes. 1

Pour comprendre ce qu’Ibn al-Haytham entend par « forme d’une position », il faudrait se référer à sa conception du « lieu ». 2 Selon cette conception, en effet, l’angle est une forme invariable définie par les distances entre les points de la surface d’une région de l’espace limitée par deux lignes qui se rencontrent en un point ; c’est la forme d’une étendue. L’usage délibéré de ce langage aristotélicien obéit à une intention précise : l’angle-forme n’est plus l’angle-grandeur, c’est l’angle-étendue. Pour montrer que l’angle n’est pas une grandeur au sens archimédien du terme, Ibn al-Haytham évoque le contreexemple déjà rencontré : l’angle droit une fois doublé, il s’annule ; et l’angle aigu infiniment petit une fois multiplié, le produit dépassera l’angle droit et ne sera pas un angle. Or une grandeur telle que la ligne, la surface, le solide, ..., une fois multipliée, le produit sera une grandeur du même genre. Pour expliquer l’existence, la croissance et la décroissance de l’angle rectiligne, Ibn al-Haytham fait appel à un modèle cinématique : il se donne un segment de droite et prend un point quelconque sur ce segment ; à partir de ce point, il élève une droite inclinée qu’il meut d’un mouvement continu dans l’une des deux directions (le premier segment restant fixe), et constate la décroissance monotone d’un côté et la croissance monotone de l’autre. Voici ce qu’il écrit : ‫ةطقنلا‬، ‫هنم لّيختنو اًطخ رخآ اًميقتسم اًجراخ نم كلت‬، ‫ايهانتم لّيختنو هيلع ًةطقن امفيك تقفتا‬، ‫لّيختن اًطخ اميقتسُم‬

‫ناتيواز ّمث لّيختن اذه طخلا يناثلا اًكّرحتم ىلإ ىدحإ نيَتهجلا لّوألاو‬، ‫ثدحَيف ىلع فيراصت لاوحألا نع هيتبنج‬

‫ىرخألا ّمث ال لازت رغاصتت ةيوازلا يتلا يلت ةهج ةكرحلا‬، ‫ةكرحلا مظاعتتو ةيوازلا‬، ‫اًتباث رَغاصتتف ةيوازلا يتلا يلت ةهج‬، ‫مَظِعلا‬. ‫ةهجلا ريصتو ةيوازلا ىرخألا يف ةياغ‬، ‫رغِصلا ام ماد طخلا اًكّرحتم يف كلت‬، ‫ىلإ نأ يهتنت ىلإ ةياغ‬ ‫ىرغُصلا رهظيف نم‬. ‫تباثلا نوكيو هليم ىلإ ةهج ةيوازلا‬، ‫نوكيو طخلا كِّرحتملا يف هذه لاحلا ًالئامىلع طخلا‬

‫ناتدوجوم ّمث لّيختن طخلا مئاقلا اًكّرحتم ىلإ ةهِجلا ىرخألا الف لازت ةيوازلا‬، ‫هذه لاحلا ّنأ ةيوازلا ةّداحلا ةجِرفنملاو‬ ‫رغاصتت‬. ‫مظاعتت ةيوازلاو ىمظعلا‬، ‫ىرغصلا‬ ‫رغصلا‬، ‫ًةّرمتسم الف دب نأ يهتنت ةكرحلا ىلإ نأ ريصت ةيوازلا يتلا يف ةهج ةكرحلا يف ةياغ‬، ‫ّمث اذإ تلّيخُت ةكرحلا‬ ‫مظِعلا ريصيف طخلا كّرحتملا يف هذه لاحلا ًالئام ىلإ ةهجلا ىرخألا ةلباقملا ةهجلل‬، ‫ريصتو ةيوازلا ىرخألا يف ةياغ‬ ‫اهنم اهديزتو اهمظاعُتو‬، ‫اهيلت ّمث تراص مظعأ‬، ‫ىلوألا تناك رغصأ نم يتلا‬. ‫ىلوألا رهظيو ّنأ ةيوازلا يتلا يلت ةهِجلا‬، ‫اهل‬. ‫طخلا الو ريصت ةيوازلا ىرغصلا ىمظُع ةكرحب طخلا يذلا اهزوحي ّالإ دعب نأ ريصت ةيواسم‬، ‫امّنإ ناك ةكرحب‬ ‎1. Sharḥ muṣādarāt Kitāb Uqlīdis, MS Oxford, Bodleian Hunt. 237, fol. 156 r-v. ‎2. Les mathématiques infinitésimales, vol. IV.

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IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

Nous imaginons une droite finie, nous imaginons un point quelconque de celle-ci et nous imaginons une autre droite issue de ce point ; il se produit en tous les cas deux angles, de part et d’autre. Ensuite, nous imaginons cette deuxième droite en mouvement, dans l’une des deux directions, la première droite étant fixe. L’angle qui est dans la direction du mouvement décroît de plus en plus et l’autre angle croît de plus en plus ; puis l’angle du côté de la direction du mouvement continue à décroître jusqu’à ce qu’il devienne d’une extrême petitesse, tant que cette droite se meut dans cette direction ; et l’autre angle croît et devient extrêmement grand. Dans ce cas, la droite mobile sera inclinée sur la droite fixe, et son inclinaison sera vers le petit angle. Il est évident dans ce cas que l’angle aigu et l’angle obtus existent. Imaginons ensuite la droite élevée en mouvement dans l’autre direction ; alors le petit angle continue à croître et le grand angle à décroître. Si ensuite l’on imagine le mouvement continu, il aboutit nécessairement à ce que l’angle qui est dans la direction du mouvement devienne d’une extrême petitesse et l’autre angle d’une extrême grandeur. La droite mobile dans ce cas sera inclinée dans l’autre direction, opposée à la première direction. Il est évident que l’angle qui était dans la première direction plus petit que l’adjacent, puis est devenu plus grand que lui, et augmente et croît, n’était que par le mouvement de la droite. Le petit angle ne devient le grand angle par le mouvement de la droite qui l’entoure qu’après lui avoir été égal. 1

Ibn al-Haytham poursuit ainsi pour montrer l’existence de l’angle droit lorsque les deux angles deviennent égaux. Quant à l’étude des angles mixtilignes, on verra plus loin qu’Ibn al-Haytham y procède par rotation. On peut se demander comment, par une telle conception, Ibn al-Haytham justifie les opérations appliquées à l’angle rectiligne, et ensuite aux autres angles plans. Pour répondre à cette question, Ibn al-Haytham a recours cette fois encore au langage aristotélicien et à la distinction commune à l’époque entre le « par soi » et le «par accident », langage dans les termes duquel il formule à nouveau la notion de la divisibilité à l’infini qui caractérise toute quantité et lui permettra d’étudier l’angle de contingence. Il distingue entre deux espèces de divisibilité : « par soi », et « par accident». Les grandeurs divisibles par soi sont celles qui sont divisées directement, sans qu’il soit besoin de passer par d’autres grandeurs. Elles ne sont autres que les grandeurs « mesurables », au sens de l’époque, 2 c’est-à-dire soumises ‎1. Sharḥ muṣādarāt Kitāb Uqlīdis, MS Oxford, Bodleian Hunt. 237, fols. 158 v-159 r. On retrouve d’ailleurs cet exemple plus tard chez J. Peletier. Cf. Rommevaux, « Un débat dans les mathématiques de la Renaissance», p. 298. ‎2. Cf. R. Rashed, «Les premières classifications des courbes», Physis, XLII.1 (2005) : 1–64.

L’ANGLE DE CONTINGENCE

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à la théorie des proportions ; ainsi la ligne, la surface, le solide, etc. Ce sont les grandeurs archimédiennes. Les grandeurs divisibles par accident sont celles dont la division est effectuée par l’intermédiaire d’autres. Ainsi, écrit Ibn al-Haytham : ‫تاذلاب كلذو نأ ةيوازلا امّنإ مسقنت اذإ تناك ةحّطسم ماسقناب حطسلا يذلا يه‬، ‫ّنإ ةيوازلا امّنإ مسقنت ضَرعلاب ال‬ ‫حطسلل‬. ‫حطسلاب ينعأ نافنتكُم‬، ‫هيف كلذو ّنأ نيطخلا نيطيحملا ةيوازلاب ةحّطسملا امه ناطيحم‬، ‫ٌةروص‬ L’angle se divise par accident et non par soi, puisque, s’il est plan, il se divise par la division de la surface dans laquelle il est formé, et cela car les deux lignes qui entourent l’angle plan sont celles qui contiennent la surface. 1

Pour étudier toutes les espèces de l’angle – rectiligne, curviligne, mixtiligne, de contingence – Ibn al-Haytham s’efforce de trouver une définition qui les englobe, d’où son recours à la forme de position. Mais sachant pertinemment que les trois dernières espèces ne sont pas « mesurables», et ne sont donc pas des « grandeurs» selon la géométrie euclidienne, il a élaboré une théorie de l’angle qui lui autorise certains calculs, sans passer par la théorie des grandeurs archimédiennes, ni donc s’engager sur la nature de l’angle comme « quantité». Nous avons là un exemple de solution philosophique d’un problème mathématique, lorsque les moyens mathématiques de solution font encore défaut. À l’aide de cette conception de l’angle, Ibn al-Haytham aborde l’angle de contingence et commence par montrer qu’il n’est pas du même genre que l’angle rectiligne. Il écrit que ces deux angles « ne sont pas de même genre et qu’il n’y a pas de rapport entre eux». Notons qu’il ne présente pas cette non-homogénéité comme une simple constatation ou comme un postulat, mais qu’il l’établit en montrant que les angles de contingence forment une suite croissante d’infiniment petits, alors que les angles rectilignes forment une suite décroissante d’infiniment petits, et que les termes de la première sont tous inférieurs aux termes de la seconde. Soit l’angle rectiligne EAB = α. Par division successive en deux moitiés, selon la définition précédente, il forme une suite( d’angles ) rectilignes aigus infiniment petits, soit la suite (Un )n≥1 = 2αn n≥1 . Il forme ensuite une autre suite décroissante des cercles, tous tangents au point A à la perpendiculaire AE. Il prend pour cela sur le demidiamètre DA une suite de points successifs comme centres, et trace des cercles de plus en plus petits ; soit la suite des cercles (Cn )n≥1 . À ‎1.

Sharḥ muṣādarāt Kitāb Uqlīdis, MS Oxford, Bodleian Hunt. 237, fol. 157 v.

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IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

partir de cette suite décroissante de cercles, il forme une suite croissante d’angles de contingence, soit (Cn )n≥1 . En fait, les Cn sont les rayons de courbure des Cn . Il montre enfin que, quel que soit le terme de cette suite croissante, il est plus petit que tout élément de la suite décroissante des angles rectilignes aigus. En effet, soit B un point quelconque de la circonférence du cercle ABC, la droite AB coupe tous les cercles (Cn )n≥1 et engendre une suite décroissante d’angles rectilignes, chacun étant plus grand que tout angle de contingence, puisque celui-ci est inclus dans celui-là, et dans l’ordre. Ibn al-Haytham montre ensuite que, quel que soit l’angle de contingence C, il est plus petit que tout angle rectiligne α ; ou, en d’autres termes : pour tout n ∈ N, si C < α, on a nC < α. Lue un peu trop rapidement, la démarche d’Ibn al-Haytham pourrait être assimilée à celle de Philopon. Il n’en est cependant rien. 1. Le contexte, tout d’abord, est différent. Philopon s’interroge dans le Commentaire de la Physique aussi bien que dans celui des Seconds Analytiques sur la possibilité pour les grandeurs non-homogènes de passer du plus grand au plus petit sans passer par l’égal. L’angle de contingence et l’angle du demi-cercle sont évoqués à titre d’exemple pour illustrer ce problème, et non pas pour eux-mêmes. Ibn al-Haytham s’interroge en mathématicien sur le concept d’angle en général et celui d’angle de contingence en particulier pour, écrit-il, «découvrir la cause (ʿilla) » de ce qui a été établi dans III.16, à savoir pourquoi tout angle rectiligne aigu formé par la perpendiculaire à l’extrémité du diamètre du cercle et une droite quelconque menée du point de contact est plus grand que l’angle de contingence. Philopon et Ibn al-Haytham n’étudient pas le même problème et ne poursuivent pas le même but. 2. Le traitement de la notion d’homogénéité diffère lui aussi. Philopon se borne au cadre aristotélicien selon lequel la nonhomogénéité des lignes simples que sont la droite et le cercle relève d’une ontologie physique, tout au plus physico-mathématique. Philopon ne démontre pas la non-homogénéité de l’angle rectiligne aigu et de l’angle de contingence. Or, tel est précisément le but d’Ibn al-Haytham : établir cette non-homogénéité. Lecteur d’Euclide, il savait que ce dernier a établi dans III.16 l’inégalité entre l’angle de contingence, l’angle rectiligne aigu et l’angle du demi-cercle, sans se préoccuper de la question de l’homogénéité. C’est précisément à cette question qu’Ibn al-Haytham a voulu répondre. La stratégie qu’il conçoit délibérément consiste à comparer les infiniment petits et à montrer rigoureusement que ces deux «grandeurs» (angle de

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contingence et angle rectiligne) ne vérifient pas la proposition X.1 des Éléments. 3. Cette stratégie, on l’a vu, passe par deux suites, l’une décroissante et l’autre croissante, qu’il manie en même temps en montrant que la première majore toujours la seconde. Il procède ainsi par la formation de ces suites d’infiniment petits pour après les comparer entre elles. Plus précisément encore, il compare deux approximations. La première est l’approximation de la tangente par des sécantes, et la deuxième est l’approximation du cercle initial par des cercles qui sont eux-mêmes une approximation du cercle osculateur. Philopon, quant à lui, forme une suite d’angles de contingence et une suite d’angles de demi-cercles complémentaires, et souligne que, lorsque l’une croît indéfiniment, l’autre décroît indéfiniment, mais sans que les termes de l’une ou de l’autre soient égaux à un angle rectiligne aigu, c’est-à-dire sans passer par l’égal. Ces différences entre le philosophe et le mathématicien sont, à l’évidence, la contrepartie opératoire, si l’on veut, de leur conception radicalement différente de la notion de non-homogénéité. Ibn al-Haytham ne s’arrête pas là ; il se demande s’il est possible de diviser l’angle de contingence, pour pouvoir comparer entre eux les angles de contingence. L’idée, déjà rencontrée chez Philopon et dans le corollaire de III.15 du Commentaire des Éléments d’al-Abhārī, est la suivante : l’unicité de la tangente à l’extrémité A du diamètre du cercle, qui définit avec la circonférence du cercle l’angle de contingence, n’empêche pas de faire passer par le point A une suite décroissante de cercles, tous tangents en ce point, et dont chacun définit avec la tangente un angle de contingence. C’est alors qu’Ibn al-Haytham étend le résultat précédemment obtenu : les angles de contingence ne sont pas seulement non homogènes avec les angles rectilignes, mais le sont également entre eux et, de ce fait, incomparables. Il écrit : « ainsi, il n’y a pas de rapport entre les angles entourés par des arcs inégaux ». Notons que, au cours de cette démarche, Ibn al-Haytham procède par division des angles, dans le sens déjà précisé de la divisibilité par accident. Celle-ci assure pourtant que, pour les angles comme pour les grandeurs quelles qu’elles soient, chaque partie d’un angle est un angle de même genre, par accident pour ainsi dire, que ces parties soient ou non comparables. Ensuite, Ibn al-Haytham restreint en quelque sorte la question et se demande si l’on peut déterminer un rapport entre une sous-classe d’angles mixtilignes et les angles rectilignes, à défaut d’un rapport entre tous les angles mixtilignes et ces derniers. Il montre que cela est possible, et que l’on peut même avoir un rapport d’égalité, « si

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IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

chacun des angles est entouré par deux lignes de même genre et deux lignes égales aux deux lignes de l’autre angle ». On peut dans ce cas réduire la mesure de l’angle mixtiligne à celle de l’angle rectiligne. Pour établir ce résultat, Ibn al-Haytham développe l’exemple déjà rencontré chez al-Nayrīzī. Mais, à la différence de ce dernier, il procède par une rotation, et ensuite par une superposition. Il considère deux angles mixtilignes ayant deux rectilignes égaux et ayant leur concavité dans la même direction, et telles que les rectilignes forment un angle aigu. Soit AB = AC les deux rectilignes, cordes des segments ADB et AEC. On a l’angle rectiligne aigu BAC et les deux angles mixtilignes DAB et EAC égaux, puisque les deux segments sont superposables [ ) ; d’où, si on ôte communément l’angle BAE après une rotation (A, BAC [ = EAD [ (Fig. 6). des deux angles DAB et EAC, on a CAE Ainsi, on a un angle mixtiligne égal à un angle rectiligne.

Fig. 6

Ibn al-Haytham parle ensuite, plus généralement, d’un rapport de proportionnalité entre ces angles lors de leur division et de leur multiplication. C’est dire que, même si les angles mixtilignes ne forment pas une « grandeur mesurable», on peut, pour cette sousclasse d’angles mixtilignes, les « mesurer» à l’aide de l’angle rectiligne aigu formé par les rectilignes de ces deux angles mixtilignes. Dans cette étude, Ibn al-Haytham a transformé plusieurs résultats connus de ses prédécesseurs pour donner une nouvelle analyse du problème de l’angle de contingence, analyse qui ne sera égalée que longtemps après. Bien sûr, les successeurs vont s’en inspirer, et les thèmes abordés par le mathématicien du xi e siècle seront repris çà et là, que ce soit dans son sillage ou indépendamment. Pour l’heure, nous pouvons évoquer quelques mathématiciens, en commençant par

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al-Samawʾal (mort en 1175), al-Shīrāzī (1236–1311), Kamāl al-Dīn alFārisī (mort en 1319) et ‘Alā’ al-Dīn al-Qūshjī (1403–1474).

IV. al-Samawʾal, Al-Ṭūsī et al-Shīrāzī : la comparabilité des grandeurs et des figures géométriques 1) Parmi les successeurs d’Ibn al-Haytham qui ont repris l’étude de l’angle de contingence figurent l’algébriste al-Samawʾal ibn Yaḥyā al-Maghribī et Kamāl al-Dīn al-Fārisī. Ce dernier a eu la bonne idée, on le verra plus loin, de réunir plusieurs études sur l’angle, celles d’Ibn al-Haytham, d’Avicenne, d’al-Samawʾal, ainsi qu’un long essai de sa main. L’épître d’al-Samawʾal nous est parvenue annotée par alFārisī. Ces annotations, parfois critiques, nous transmettent, si l’on peut dire, une polémique post mortem : des réponses à al-Samawʾal formulées à un siècle et demi de distance environ. Dans cette épître, al-Samawʾal répond lui-même à un correspondant, qui s’adresse à lui pour qu’il veuille bien arbitrer une discussion agitée à propos de l’angle de contingence. Toute la question est de savoir si cet angle est, ou non, du même genre que l’angle rectiligne. Le correspondant rapporte que l’un des mathématiciens de l’Ouest islamique, un certain Abū Sharīf al-Maghribī, a cru avoir démontré que ces deux angles sont homogènes. Or celui-ci ne fait que reprendre la démonstration d’al-Nayrīzī pour en tirer une conclusion erronée. En effet, après avoir établi l’égalité des deux angles, il obtient comme alNayrīzī l’égalité d’un angle curviligne et d’un angle droit ; ce qui est exact. Mais il ajoute : « Si donc un angle curviligne est du même genre qu’un angle rectiligne, alors l’angle entouré par une droite et un arc est, à plus forte raison, du même genre qu’un angle rectiligne». Faute logique grave qui attire les foudres d’al-Samawʾal et l’incite à rejeter toute la démonstration, y compris la première partie – ce qu’al-Fārisī ne manquera pas de lui reprocher. Or Abū Sharīf al-Maghribī ne considère pas un angle rectiligne quelconque, mais un angle droit. Cette restriction, qu’al-Samawʾal n’a pas notée, a été relevée par al-Fārisī. Le problème sera examiné au siècle suivant par l’astronome et mathématicien Quṭb al-Dīn al-Shīrāzī (voir plus loin). Al-Samawʾal reprend le problème et commence par discuter de la comparabilité de l’angle de contingence et de l’angle rectiligne. Pour entamer cette discussion, il explique d’abord ce qu’il entend par « homogène» ou «comparable». En se référant au cinquième livre des Éléments, il écrit : « La définition de l’homogène selon eux (les géomètres), ce sont les deux dont le plus petit excède le plus grand par

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IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

duplication » ; c’est-à-dire, soit A et B deux grandeurs telles que A < B, A et B sont homogènes si, lorsqu’on double A autant de fois que nécessaire, le résultat excède B. C’est ainsi qu’al-Samawʾal interprète la quatrième définition du livre V des Éléments, la définition du rapport. Mais cette définition ne semble pas convenir à al-Fārisī, qui propose de recourir à la proposition X.1 des Éléments, telle qu’IsḥāqThābit l’ont rendue dans la traduction de l’ouvrage d’Euclide, à savoir : ‫هفصن لعفو‬، ‫هفصن اممو ىقبي رثكأ نم‬، ‫نييواستم لصفو نم امهمظعأ رثكأ نم‬، ‫اذإ ناك نارادقم ناعوضوم ريغ‬

‫عوضوملا‬. ‫اًمئاد هنإف ىقبيس هنم رادقم ام لقأ نم رادقملا رغصألا‬، ‫كلذ‬

Deux grandeurs posées étant inégales, si on sépare de la plus grande plus que sa moitié, du reste plus que sa moitié, et si on procède toujours ainsi, il reste alors une grandeur inférieure à la petite grandeur posée. 1

Rappelons que cette définition a été discutée par des mathématiciens comme Thābit ibn Qurra, al-Qūhī, Ibn al-Haytham, Ibn al-Sarī, 2 et que al-Samawʾal aussi bien qu’al-Fārisī connaissaient sans aucun doute ces débats. Quoi qu’il en soit, de cette définition de l’homogénéité alSamawʾal tire une conclusion négative : si A est un angle de contingence et B un angle rectiligne, A et B ne vérifient pas cette définition, et par conséquent ces deux angles ne peuvent pas être d’un même genre, ni donc comparables. Il examine plus loin la raison qui fait qu’il en est ainsi. Si donc la démonstration de l’homogénéité énoncée par Abū Sharīf al-Maghribī est fausse, al-Samawʾal se tourne vers la démonstration par Ibn al-Haytham de la non-homogénéité, qu’il trouve insatisfaisante. Mais la connaissance qu’il avait de la solution d’Ibn al-Haytham est indirecte ; ce n’est pas, en effet, le livre même d’Ibn al-Haytham qu’il avait lu, mais un exposé donné précisément par Abū Sharīf al-Maghribī. L’attaque qu’il porte contre Ibn al-Haytham a donc manqué son but, ce qui lui a valu de recevoir à son tour les critiques sévères d’al-Fārisī, qui lui reproche d’ignorer le texte d’Ibn al-Haytham. Cependant, cette discussion à distance nous permet de confirmer notre compréhension de la solution d’Ibn al-Haytham. Al-Samawʾal a donc cru à tort qu’Ibn al-Haytham a établi la non-homogénéité de l’angle de contingence et de l’angle rectiligne à l’aide de la seule suite croissante (Cn )n≥1 , et que la croissance s’est opérée par simple duplication des termes. Or nous avons vu qu’Ibn ‎1. MS Téhéran, Malik 3433, folio non numéroté. ‎2. Voir Les mathématiques infinitésimales, vol. II, pp. 498–502.

L’ANGLE DE CONTINGENCE

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al-Haytham forme cette dernière suite à partir des cercles tangents à la perpendiculaire, la suite (Cn )n≥1 , sans procéder aucunement par duplication. De plus, pour établir la non-homogénéité, Ibn al-Haytham s’appuie sur la croissance de la suite (Cn )n≥1 et la décroissance de la suite des angles rectilignes (Un )n≥1 . Ce sont ces erreurs d’interprétation du texte que relève al-Fārisī. Mais, comme al-Samawʾal croyait qu’Ibn al-Haytham avait doublé autant que nécessaire l’angle de contingence, il examine à son tour cette possibilité. Il considère le cas particulier de deux demicercles égaux. Mais al-Samawʾal savait qu’il ne pouvait aller plus loin et généraliser un tel résultat, et n’ignorait pas que le problème de la multiplication de l’angle de contingence et de la comparaison de celui-ci avec l’angle rectiligne reste entier. Confronté à cette difficulté et faute des moyens géométriques de la résoudre, il se pose la question de la comparabilité de deux figures géométriques. Notons d’abord que, par « figure », il entend, tout comme les anciens géomètres, le sens donné par Euclide : la figure « est ce qui est compris par une seule ou plusieurs limites ». Pour al-Samawʾal, ce qui caractérise la figure est moins ses propriétés métriques, que sa forme et sa position. Ainsi, une figure polygonale est caractérisée par sa forme, laquelle est à son tour caractérisée par les angles et non pas par la longueur des côtés ni par l’aire. Deux figures polygonales sont comparables si elles ont des angles égaux et semblablement placés. Elles ont donc la même forme, sans que celle-ci soit relative à l’aire. Comparer deux figures, c’est donc examiner l’égalité de la forme et la similitude de la position. Sans le dire explicitement, à la suite d’Ibn al-Haytham, al-Samawʾal pense l’angle comme appartenant à la catégorie de la position. Deux angles sont égaux s’ils ont la même forme et des positions semblables : les figures qui entourent l’un ont les mêmes positions que les figures qui entourent l’autre. Ainsi, pour ajouter un angle communément à deux angles rectilignes, il faut s’assurer que l’angle ajouté a bien la même position dans les deux cas, la forme étant identique. C’est là que réside la raison de la non-comparabilité entre l’angle de contingence et l’angle rectiligne. C’est là aussi qu’il faut, selon al-Samawʾal, voir la raison de la non-additivité des angles mixtilignes aussi bien que des angles de contingence. On a vu précédemment qu’on ne peut doubler un angle de contingence qu’une fois. C’est par cette réflexion sur la comparabilité des figures qu’alSamawʾal pouvait répondre à la question initiale de la non-homogénéité des deux genres d’angle.

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IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

2) Si al-Samawʾal avait posé le problème de la comparabilité des figures géométriques à partir de celui de l’angle de contingence, Naṣīr al-Dīn al-Ṭūsī (1201–1274) et son élève Quṭb al-Dīn al-Shīrāzī avaient en revanche rencontré le problème de l’angle et de l’angle de contingence alors qu’ils s’interrogeaient sur la comparabilité entre les figures. À la fin de son Astronomie (Nihāyat al-idrāk), al-Shīrāzī soulève la question classique de la comparabilité entre le cercle et la droite, et propose une méthode pour établir cette comparaison : faire rouler un cercle le long d’une droite, sans glissement, de sorte qu’il reste tangent à la droite pendant le mouvement, jusqu’à ce qu’il revienne à sa position initiale. Cette méthode lui permet d’une part de montrer que la circonférence du cercle est égale au segment de droite parcouru et, d’autre part, de comparer une ligne courbe à une droite. Son maître Naṣīr al-Dīn al-Ṭūsī engage la discussion sur la portée et la validité de cette méthode, dans un écrit aujourd’hui perdu mais cité par al-Shīrāzī dans la réponse qu’il lui adresse, réponse intitulée Sur le mouvement de roulement et les rapports entre la plane et la courbe. 1 La discussion porte sur la comparaison d’une courbe et d’une droite, des courbes entre elles, sur la rectification de la courbe, sur les propriétés qui demeurent après rectification, sur la méthode pour établir la comparaison, etc. C’est au sein de ce débat qu’une bonne place est consacrée à l’angle et à l’angle de contingence. Ce dernier problème se trouve donc intégré à titre d’exemple dans une recherche plus générale. Bien qu’il présente un grand intérêt, nous ne reprendrons pas ici cet échange entre les deux mathématiciens, de nature topologique avant la lettre, sur la comparabilité des courbes ; nous nous en tiendrons à ce qui concerne l’angle. Deux questions sont posées, qui touchent directement les méthodes de comparaison : 1° La superposition de deux grandeurs, ou de deux figures, géométriques est-elle une condition nécessaire et suffisante pour établir qu’elles sont proportionnelles, éventuellement égales, ou n’est-ce qu’une condition suffisante ? 2° La similitude entre deux grandeurs – ou deux figures – estelle une condition nécessaire et suffisante pour établir qu’elles sont proportionnelles, éventuellement égales, ou n’est-ce qu’une condition suffisante ? Pour prouver qu’il s’agit seulement d’une condition suffisante, il suffit d’exhiber deux grandeurs – ou figures – égales sans être su-

‎1. MS Istanbul, Yeni Cami, T 221/2. E. Wiedemann, « Beiträge zur Geschichte der Naturwissenschaften. LXXI», dans Aufsätze zur arabischen Wissenschaftsgeschichte, II (Hildesheim, 1970), II, pp. 644-9.

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perposables (première question), ou sans être semblables (seconde question). Al-Ṭūsī avait donné bien des exemples, et al-Shīrāzī a puisé dans l’étude de l’angle. Tout au long de sa discussion, il se réfère au traité, déjà évoqué, d’Ibn al-Haytham, dont il reconnaît volontiers l’influence. Pour répondre à la première question, il reprend l’exemple classique : l’existence d’un angle curviligne égal à un angle droit. Mais il va plus loin et montre, plus généralement, qu’il existe des angles curvilignes égaux à des angles rectilignes non droits. Il écrit que cette égalité entre angles rectilignes et angles curvilignes « n’est pas propre à l’angle droit, ni aux deux demi-cercles, mais est plus générale ». 1 Voici comment il démontre cette généralité : Soit une droite AB et le segment de cercle AHB. Du point B on mène la droite BD = AB suivant un angle quelconque. Deux cas se présentent : BD ne coupe pas l’arc AHB (Fig. 7), DB coupe l’arc AHB (Fig. 8). On a encore plusieurs cas de figure selon la grandeur de l’arc AHB : Ő est un demi-cercle ; alors l’angle ABD est bien un droit si BD • AHB est tangente au cercle (Fig. 7) ; et si BD n’est pas tangente au cercle, alors l’angle ABD est un angle obtus. Cet angle est aigu dans la figure 8. Ő est plus petit qu’un demi-cercle ; alors l’angle ABD est aigu • AHB dans la figure 8, et il peut être aussi bien aigu qu’obtus ou droit dans la figure 7. Ő est plus grand qu’un demi-cercle ; alors l’angle ABD est ob• AHB tus dans la figure 7 et aigu, obtus ou droit dans la figure 8. Traçons BED un segment de cercle semblable au segment AHB, et qui lui soit opposé. Ces deux segments semblables sont égaux puisque AB = BD. Les deux angles ABH et DBE sont donc égaux. Ajoutons dans 7 et retranchons dans 8 communément l’angle DBH. On a [ = HBE [ (cf. Fig. 7 et 8). immédiatement ABD Al-Shīrāzī montre ainsi qu’un angle curviligne est égal aussi bien à un angle droit qu’à un angle rectiligne non droit, et que la superposition n’est pas une condition nécessaire pour établir l’égalité des angles et, plus généralement, des figures géométriques ; ou, comme il écrit : «les deux grandeurs peuvent être égales alors que la superposition est écartée.» 2 Al-Shīrāzī tire une première conséquence de ce résultat : l’égalité entre grandeurs ne dépend pas de l’égalité de leurs positions respectives. Conséquence immédiate de la précédente : l’angle ne peut pas ‎1. Ibid., fol. 12 v : ‎2. Ibid., fol. 4 v :

‫ماع‬. ‫نيترئادلا لب وه‬، ‫لوقأف نإ اذه ريغ صوصخم ةيوازلاب ةمئاقلا الو يفصنب‬: ‫قيبطتلا‬. ‫اذهلو دق ىواستي نارادقملا عم عانتما‬

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IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

Fig. 7

Fig. 8

relever de la catégorie de la position – ce qui incite al-Shīrāzī à reprendre sa définition. L’angle ne relève pas non plus de la catégorie de la quantité puisqu’il ne vérifie ni la définition V.4 ni la proposition X.1 des Éléments, mais il ne relève pas non plus de la catégorie de la relation. Après ces trois négations – et probablement sous l’influence d’Avicenne – al-Shīrāzī propose de définir l’angle comme une configuration (hayʾa) qui se forme pour la grandeur auprès de l’un de ses points ou de l’une de ses lignes en tant que cette grandeur a une ou plusieurs limites jointes en ce point ou en cette ligne sans se prolonger. Tout indique que cette définition a inspiré l’élève d’al-Shīrāzī, Kamāl al-Dīn al-Fārisī, comme on le verra plus loin. Pour répondre à la seconde question, celle de la similitude, alShīrāzī revient à l’examen des Éléments d’Euclide qu’effectue Ibn al-Haytham dans ses deux livres : la Solution des doutes et l’Explication des postulats du livre d’Euclide. Au cours de cet examen, Ibn al-Haytham montre en effet que la similitude entre deux grandeurs n’est pas une condition nécessaire (elle est seulement suffisante) de l’existence de rapports entre elles. Il évoque l’exemple qu’il a lui-même étudié dans plusieurs écrits sur les lunules et sur la quadrature du cercle, à savoir l’égalité des lunules à des triangles : ces figures ne sont pas semblables, et pourtant il existe un rapport entre elles, et même un rapport d’égalité. Pour confirmer cette conclusion d’Ibn al-Haytham, al-Shīrāzī discute de l’angle de contingence et de l’angle rectiligne, en suivant, pour l’essentiel, l’exposé de son prédécesseur. Il examine ainsi les conditions pour que deux angles mixtilignes soient égaux, puis il étudie l’angle de contingence à l’aide de deux suites définies par Ibn al-Haytham, afin de montrer que cet angle et l’angle rectiligne aigu ne sont pas de même genre. Il montre ensuite, cette fois

L’ANGLE DE CONTINGENCE

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encore de la même manière qu’Ibn al-Haytham, que la division de l’angle de contingence par des cercles tangents au même point donne des angles de contingence non homogènes (la raison en est qu’il n’y a pas de rapport entre les lignes qui les entourent). Il conclut ainsi : ‫ةبسن ينعأ ةميقتسملا نيطخلا يتلاو نيب طخلا ؛سوقلاو‬، ‫يهو نأ نيتيوازلا اتسيل نم سنج >دحاو< سيلو امهنيب‬

‫ةمولعم نأل ءازجأ لك‬، ‫ةسوقم الف نكمي نأ مسقنت نيفصنب وأ ىلع ةبسن‬، ‫هذهو ةيوازلا نإو تناك مسقنت طوطخب‬ ‫دحاو نأل اهضعب ميقتسم اهضعبو ريدتسم نألو تاطيحم رئاودلا ةفلتخملا‬، ‫ةدحاو نم هذه اياوزلا تسيل نم سنج‬

‫قباطت‬، ‫قباطتت سيلو نيب ءزج نم طيحم ةرئاد نم رئاودلا نيبو ءزج نم طيحم ةرئاد ىرخأ ريغ ةيواسم اهل‬، ‫تسيل امم‬ ‫بسانتو‬. ‫نيتهباشتم سيلف نيب اياوز سامتلا نم رئاود ةفلتخم ٍواست‬. ‫ال نإ تناك ناسوقلا نيتهباشتم الو نإ اتناك ريغ‬ Les deux angles ne sont pas d’un même genre et n’ont pas un rapport entre eux, j’entends le rectiligne et celui formé par une droite et un arc. Si cet angle se divise par des lignes arquées, il n’est pas possible qu’il se divise en deux moitiés ou selon un rapport connu, puisque les parties de chacun de ces angles ne sont pas d’un même genre, étant donné que les unes sont rectilignes et les autres curvilignes. Or, puisque les circonférences des cercles différents ne se superposent pas, et qu’il n’y a pas de superposition entre une partie de la circonférence de l’un des cercles et une partie de la circonférence d’un autre cercle qui ne lui est pas égal, que les deux arcs soient semblables ou qu’ils ne soient pas semblables, il n’y a donc pas entre les angles de contingence formés à partir des cercles différents égalité et proportionnalité. 1

Al-Shīrāzī rapporte en outre une démonstration de la nonhomogénéité proposée par son maître al-Ṭūsī, 2 ainsi qu’une critique de ce dernier des expressions d’Euclide concernant l’angle. La démonstration est «formelle » et combine les propositions I.9, III.16 et X.1 des Éléments. Pour établir que l’angle de contingence et l’angle rectiligne aigu ne sont pas du même genre, al-Ṭūsī procède par réduction à l’absurde : Supposons en effet que les deux angles sont du même genre et supposons que les propositions d’Euclide sont toutes les trois vraies. L’angle rectiligne ou bien n’est pas divisible en deux parties égales indéfiniment, ou bien il l’est. S’il ne l’est pas, alors on contredit I.9 (couper un angle rectiligne donné en deux parties égales). S’il l’est, on a encore l’alternative suivante : ou bien au terme de la division infinie on aboutit à un angle rectiligne plus petit que l’angle de contingence, ce qui contredit III.16 ; ou bien on n’y aboutit pas, ce qui contredit X.1, puisqu’on a supposé que les deux grandeurs sont

‎1. Ibid., fol. 15 v. ‎2. Ibid., fol. 16 r.

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IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

homogènes. De tout cela on conclut que les deux angles ne sont pas homogènes. Quant à la critique, elle porte sur l’usage – dans III.16 – de « plus petit » et «plus grand » pour les angles qui ne sont pas des grandeurs auxquelles s’appliquent ces termes, sans que soit explicitement proposé un sens de «plus petit » et « plus grand » qui soit approprié aux angles. L’usage que fait Euclide de ces expressions est « impropre». 1

V. Al-Fārisī : une première synthèse Les écrits sur l’angle et l’angle de contingence que nous avons rencontrés jusqu’à présent, à l’exception de ceux d’al-Ṭūsī et d’alShīrāzī, que ce soit en grec ou en arabe, font partie ou bien des commentaires des Éléments d’Euclide, ou bien de ceux d’un des traités d’Aristote. À cela viennent s’ajouter quelques explications au fil des écrits de philosophes, comme dans al-Shifāʾ d’Avicenne, et même de philosophes-théologiens. La seule rédaction indépendante et entièrement consacrée à l’angle que nous connaissions est le traité d’Avicenne, d’ailleurs intitulé Sur l’angle. Avicenne souligne qu’il s’y est inspiré des discussions qu’il a entretenues sur ce thème avec son contemporain Abū Sahl al-Masīḥī. Nous avons déjà noté que, dans ce traité, Avicenne n’étudie pas l’angle de contingence, qu’il évoque plus d’une fois dans al-Shifāʾ ainsi que dans son autre livre, al-Mubāḥathāt. Mais, tandis qu’Avicenne écrivait ces pages en Iran, son éminent

‎1. « Quant au propos d’Euclide et d’autres mathématiciens, ‘nous divisons un angle rectiligne’ et à leur propos selon lequel ‘l’angle entouré par un arc de cercle et la droite qui lui est tangente est plus petit que tout angle aigu rectiligne, et celui qui est entouré par l’arc de cercle et son diamètre est plus grand que tout angle aigu rectiligne’, et autres semblables à cela, alors que la division n’est que pour les grandeurs et non pas pour les positions, et que la petitesse et la grandeur ne sont qu’entre les grandeurs homogènes entre lesquelles il y a un rapport, ceci est une exagération dans l’expression. Or ce qu’on entend par la division de l’angle, c’est mener en lui une ligne, ou des lignes d’inclinaison égale ; et ce qu’on entend par petit et grand pour les angles mentionnés, c’est que le petit tombe à l’intérieur de ce qu’ils appellent grand, et non pas le petit et le grand qui sont entre les grandeurs, lesquelles ont un rapport les unes aux autres» (fols. 18 v-19 r).

‫نيطخلا مهلوقو نإ ةيوازلا يتلا طيحي اهب سوق ةرئادلا طخلاو سامملا‬، ‫نييضايرلا مسقن'' ةيواز ةميقتسم‬: ‫امأف لوق سديلقأ هريغو نم‬ ‫نيطخلا نإو يتلا طيحي اهب سوق ةرئادلا اهرطقو مظعأ نم لك ةداح ةميقتسم ؛``نيطخلا امو هبشأ‬، ‫اهل رغصأ نم لك ةداح ةميقتسم‬

‫ةبسن وهف زوجت مهنم‬، ‫عاضوألا رغصلاو مظعلاو امنإ نوكت نيب ريداقملا ةسناجتملا يتلا اهنيب‬، ‫كلذ عم نأ ةمسقلا امنإ نوكت يف ريداقملا ال يف‬، ‫ةيواستم دارملاو رغصلاب مظعلاو يف اياوزلا ةروكذملا عوقو يتلا‬، ‫ظفللا دارملاو ةمسقب ةيوازلا جارخإ طخ وأ طوطخ تافارحنالا اهل‬. ‫يف‬ ‫ةبسن‬. ‫مظعأ ال رغصلا مظعلاو يذلا نوكي نيب ريداقملا يتلا اهضعبل ىلإ ضعب‬، ‫اهنومسي رغصأ لخاد يتلا اهنومسي‬

L’ANGLE DE CONTINGENCE

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contemporain Ibn al-Haytham discutait en Égypte de ce même sujet, l’angle, dans ses deux livres consacrés aux Éléments d’Euclide – l’Explication des postulats et la Solution des doutes. L’épître d’al-Samawʾal et le texte anonyme de Lahore, ainsi sans doute que d’autres travaux encore à découvrir, montrent la vitalité du sujet au xii e siècle encore. Plus tard, le mathématicien et physicien Kamāl al-Dīn al-Fārisī rédige le premier traité indépendant et entièrement consacré à l’angle jamais écrit par aucun mathématicien. Il confirme et, si l’on peut dire, amplifie une tradition déjà établie par l’écrit anonyme de Lahore. L’importance historique et philosophique de l’événement est patente, mais, pour des raisons de forme, nous nous contenterons dans cette étude de souligner les traits saillants du livre d’al-Fārisī. Le but d’al-Fārisī est clair : reprendre la notion d’angle, dont il dit dans le prologue de son Traité que «rien n’est plus difficile à la compréhension», et celles qui lui sont associées, pour les fonder sur des bases plus solides. Héritier d’Ibn al-Haytham dont il avait commenté certains travaux, mais aussi d’Avicenne, al-Fārisī a élaboré à partir de ces deux traditions une première synthèse sur l’angle et l’angle de contingence. S’il s’est engagé dans un tel chemin, c’est qu’il était porté par une autre tradition, florissante au xiii e siècle, celle des grands mathématiciens comme Naṣīr al-Dīn al-Ṭūsī et Quṭb al-Dīn al-Shīrāzī, qui s’occupaient aussi de philosophie, et notamment de celle d’Avicenne. Élève d’al-Shīrāzī, al-Fārisī se réfère souvent dans ses écrits au maître de son maître : Naṣīr al-Dīn al-Ṭūsī. Le traité d’al-Fārisī se compose de deux parties ; dans la première, al-Fārisī transcrit le traité d’Avicenne, l’écrit d’Ibn al-Haytham qui figure dans la Solution des doutes, l’épître d’al-Samawʾal, qu’il commente, et annonce qu’il ajoute un texte du mathématicien Ibn al-Sarī. La seconde partie est constituée de son propre traité sur l’angle. Tout se passe donc comme si al-Fārisī voulait présenter à son lecteur les matériaux à partir desquels il a élaboré sa propre synthèse. Son traité s’ouvre, comme il se doit, sur la définition de l’angle (il y reviendra plus d’une fois). Il part de la propriété sur laquelle s’accordent tous les géomètres : la divisibilité de l’angle. Mais, conscient des difficultés qui se présentent, il opte pour la distinction déjà opérée par Ibn al-Haytham, mais aussi par Avicenne, entre la divisibilité « par soi » et la divisibilité «par accident», celle dont relève l’angle. C’est la divisibilité de la surface contenue par les deux lignes qui se rencontrent en un point – sans être dans le prolongement l’une de l’autre – et qui forment l’angle. Cette divisibilité est selon une seule dimension : la longueur. L’angle n’est donc pas une quantité, puisqu’il n’est pas divisible « par soi ». Il n’est pas non plus une relation,

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IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

puisqu’il est divisible « par accident ». Trois notions semblent donc nécessaires à la définition de l’angle : deux lignes qui se rencontrent en un point ; la position de ces deux lignes l’une par rapport à l’autre dans la surface ; la configuration spatiale (hayʾa) formée par les deux lignes et la position. Al-Fārisī écrit : ‫ةمسقنم تناكو‬، ‫ةددحتم‬، ‫ادحتي‬، ‫امل تناك ةيوازلا ةئيه ةيبادحنا ةلاح يف حطس ددحتم نيطخب نيلصتم نم ريغ نأ‬ ‫اًضرع ينعأ يف‬، ‫اهاطخ ةيضتقمو ةيهانتل‬، ‫ًالوط ينعأ يف ةهجلا يتلا اهيف دتمي‬، ‫اهددحتب ريغ ةيضتقم يهانتل حطسلا‬

‫دادتمالا عطاقملا ؛امهل ققحمو اهنأ ال مسقنت الإ طخب جرخي نم ةطقن ةيوازلا عطقيو دادتمالا ضرتعملا اميف نيب‬ ‫اهلحم‬. ‫اهيعلض اوأرف اهريدقت بسح ريدقت حطسلا يذلا وه‬،

Puisque l’angle est une configuration convexe qui a lieu dans une surface limitée par des lignes qui se rencontrent sans se confondre, qu’il est limité, divisible, et n’exige pas par sa limitation la finitude de la surface en longueur, c’est-à-dire dans la direction selon laquelle ces deux lignes se prolongent, mais exige sa finitude en largeur, c’est-à-dire dans l’étendue qui les sépare (littéralement : qui les coupe), qu’il est avéré qu’il ne se divise que par une ligne menée de son point (son sommet) et qui coupe l’étendue qui se situe entre ses deux côtés, ils (les géomètres) ont pensé le mesurer suivant la mesure de la surface qui est en son lieu. 1

Cette conception d’al-Fārisī témoigne bien d’une synthèse de l’angle comme « forme de position » (Ibn al-Haytham) et de l’idée de «configuration» (Avicenne), et prolonge ainsi celle d’al-Shīrāzī. Avicenne écrit en effet dans son traité Sur l’angle que le nom d’angle désigne quatre notions : deux lignes, qui ont une configuration (hayʾa) dans leur union, comme les configurations de la forme du triangle, du quadrilatère, de la rectitude, de la courbure ; cette même configuration et la surface contenue par les deux lignes en tant que contenue par elles et en tant qu’elles lui sont extérieures ; et une surface et deux lignes en tant qu’une chose réunie de la surface et des lignes. 2 Trois de ces notions se retrouvent dans la définition d’al-Fārisī, articulées à la définition d’Ibn al-Haytham. Al-Fārisī procède ensuite à la classification de ces configurations selon deux critères à la fois. Le premier vaut pour toutes les figures géométriques : les lignes qui les forment. On a alors les angles rectilignes, curvilignes, les lunules, les mixtilignes, les coniques. Le second critère est particulier aux angles : il porte sur la manière dont les deux lignes limitent la surface – segments du cercle, angle de contingence.

‎1. MS Téhéran, Majlis Shūrā, fols. 93–94. ‎2. Risāla fī al-zāwiya, éd. Mawāldī, pp. 77–8.

L’ANGLE DE CONTINGENCE

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Après avoir défini l’angle et opéré ce classement, al-Fārisī engage l’examen de notions associées à l’angle : homogénéité, mesure, continuité, etc. La première question posée par la notion d’homogénéité est celle de la distinction entre angle rectiligne et angle curviligne, presque aussitôt suivie par la distinction entre angle rectiligne et angle mixtiligne, et particulièrement l’angle de contingence. Al-Fārisī admet avec les mathématiciens qu’angle rectiligne et angle curviligne sont deux genres différents, mais cette différence ne préjuge pas, selon lui, de l’homogénéité entre ces deux angles. L’argument général qu’il invoque, avant de spécifier la question pour les angles, est qu’entre deux figures de différents genres il peut exister un rapport, même si nous ne le connaissons que de manière approchée. Or c’est précisément le cas du rapport entre le diamètre et la circonférence du cercle, qu’il évoque. Peut-être al-Fārisī pensait-il à ce qu’affirme Ibn al-Haytham, que le rapport peut exister même si nous ne pouvons pas le construire. Toujours est-il qu’il insiste sur l’idée selon laquelle il n’est pas nécessaire, pour que deux grandeurs aient un rapport, qu’elles appartiennent au même genre ; inversement, que deux objets peuvent appartenir à un même genre sans qu’il y ait un rapport entre eux : par exemple, l’angle droit et l’angle de contingence appartiennent tous deux au genre «angle plan », mais il n’y a pas de rapport entre eux. Si al-Fārisī réfléchit d’entrée de jeu à cette notion de rapport entre les angles, c’est parce que, d’une part, l’étude de l’angle mène directement à celle de la comparabilité des angles, et donc à celle de l’homogénéité des angles, et que, d’autre part, la définition euclidienne du rapport ne convient pas aux grandeurs non homogènes, et notamment à l’angle de contingence. Il lui faut donc aménager un ensemble de notions qui lui permettent de traiter les questions évoquées en contournant la définition euclidienne. Or c’est précisément ce qu’il va entreprendre. Al-Fārisī commence par observer que la définition euclidienne du rapport entre les grandeurs homogènes, celles qui excèdent les unes les autres par duplication continue, ne s’applique pas aux angles. Cette définition doit en effet vérifier deux conditions : les grandeurs doivent admettre la duplication continue et d’autre part accepter que l’une excède l’autre par duplication ; sinon elles ne seront pas homogènes, comme l’angle de contingence et l’angle rectiligne aigu (ne respectent pas la première condition), et la ligne et la surface (seconde condition). Quant aux surfaces, pour qu’il y ait un rapport entre elles, il faut qu’elles soient limitées et finies de tous les côtés. Les angles ne peuvent donc pas avoir de rapport euclidien en ce sens. Al-Fārisī va alors introduire plusieurs notions nouvelles,

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IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

dont certaines lui sont suggérées par l’algèbre, sur laquelle il a composé un livre substantiel. 1 Il définit d’abord ce qu’il appelle rapport « conventionnel » (iṣṭilāḥiyya), c’est-à-dire rapport établi par convention entre les angles. C’est le rapport entre les arcs des cercles dont les centres sont les sommets des angles. Ce rapport n’est ni « par soi », puisqu’il ne relie pas deux quantités, ni «par accident », puisque les «lieux» – les régions des surfaces déterminées par les configurations – ne se superposent pas. La perspective qui est la sienne dans ce traité est de se placer dans le cercle pour pouvoir comparer les angles rectilignes, considérés comme sections du cercle, entre eux et avec certains angles curvilignes et d’autres angles mixtilignes, comme l’angle de contingence. Pour ce dernier, même si une de ses parties se superpose à un angle droit, il n’y a pas de rapport entre les deux. En effet, et c’est une conséquence de la proposition V.8 des Éléments rappelée par alFārisī, une partie d’une grandeur est de même genre que celle-ci. Or tel n’est pas le cas pour l’angle de contingence et l’angle droit : l’angle de contingence n’est angle que par métaphore. C’est la conclusion d’al-Fārisī. Qu’en est-il du rapport conventionnel entre les angles rectilignes aigus ? La question est vite réglée, puisque la comparaison est entre cordes, c’est-à-dire entre segments de droite. Cette définition du rapport conventionnel permet à al-Fārisī de montrer comment mesurer l’angle rectiligne. Peut-elle opérer plus loin, pour d’autres angles, curvilignes par exemple ? Al-Fārisī montre que c’est possible pour les angles formés par l’intersection d’arcs de cercles égaux, et ceux formés par des sections égales et semblables. Au cours de cette étude, il introduit une nouvelle distinction, entre grandeurs déterminées et grandeurs indéterminées (sayyāla) ; distinction empruntée au langage de l’algèbre. Il conclut ainsi son examen : ‫مئاوق ةبسنكو‬، ‫مئاوق ةبسنك ام ىلإ عبرأ‬، ‫ةرئادلا ينعأ لك عبرأ‬، ‫عاطق هتبسنو ىلإ عيمج‬، ‫ةيوازلا ةميقتسملا نيطخلا‬

‫ناميقتسم ىلعف ّيأ ردق انضرف مسر سوقلا ىلع‬، ‫ةيوازلا نألو نيعلضلا‬. ‫طيحملا سوقلاف ردق‬. ‫سوق عاطقلا ىلإ‬

‫ردقلا كلذكو‬. ‫ةهباشتم هذهف ةيوازلا ةنيعتم‬. ‫ةدحاو نوكل يسقلا‬، ‫امهيفرط تناك ةبسن يسقلا ةموسرملا ىلإ اهترئاد‬،

‫ةيلالهلا كلذكو نإ عطاقت نآزج‬، ‫ةدحاو اهيمسن‬، ‫نإ ناك اهاعلض نيسوق نم نيترئاد نيتيواستم امهاتبدحو يف ةهج‬ ‫رخآلل ينعأ ال‬، ‫تايلالهلا امأف نإ ناك دحأ نيعلضلا ريغ سناجم‬. ‫نم يطيحم نيتعطق ىلع نيتطقن نيترظانتم عطاقت‬

‫ىرخألا اذإ مظع‬، ‫سامتلا نإف سوقلا ةموسرملا ىلع يتياهن امهيعلض ال هباشت‬، ‫نكمي قابطنا امهدحأ ىلع رخآلا ةيوازك‬ ‫نيهجاوتم اياوزلاف يتلا نوكت اهيسق ةرتوملا اهل‬. ‫ارغص كلذكو نإ ناك اًسناجم ناكو امهابيدحت وأ امهاريعقت‬. ‫ناعلضلا وأ‬

‎1. Voir R. Rashed, «Kamāl al-Dīn al-Fārisī», Dictionary of Scientific Biography, vol. 7 (New York, 1973), pp. 212–9.

L’ANGLE DE CONTINGENCE

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‫ةسناجتم يتلاو تسيل كلذك ريغف ةنيعتم رادقألا‬، ‫ةهباشتم ىلع ّيأ ردق ضرف نم]و[ اهاعلض يه ةنيعتم رادقألا‬،

‫رادقألا‬. ‫ةسناجتم مسنلو ىلوألا ةتباث رادقألا ةيناثلاو ةلايس‬. ‫ريغو‬

L’angle rectiligne est une section , son rapport au cercle tout entier, c’est-à-dire à tout quatre droits, est égal à un certain rapport aux quatre droits, et égal au rapport de l’arc de la section à la circonférence. L’arc est la grandeur de l’angle. Mais, puisque les deux côtés sont droits, donc de quelque grandeur nous supposons l’arc tracé à leurs deux extrémités, on a le même rapport des arcs tracés à leur cercle, étant donné que les arcs sont semblables. Cet angle est donc une grandeur déterminée. Il en est de même si ses côtés (de l’angle) sont des arcs de deux cercles égaux, et que les convexités de ces arcs sont dans une même direction – nous les appelons lunules. Il en est de même pour les deux parties des circonférences des deux sections qui se coupent en deux points homologues à la manière des lunules. Mais si l’un des côtés (de l’angle) n’est pas homogène à l’autre, c’est-à-dire que l’un ne se superpose pas à l’autre, comme l’angle de contingence, alors l’arc tracé aux extrémités des deux côtés n’est pas semblable à l’autre, que les côtés deviennent plus grands ou plus petits. Il en est de même si est homogène à l’autre, alors que leurs convexités ou leurs concavités sont opposées. Les angles dont les arcs interceptés sont semblables, quelle que soit la grandeur supposée de leurs côtés, ont donc des grandeurs homogènes, et ceux qui ne sont pas ainsi n’ont pas de grandeurs déterminées et ne sont pas homogènes. Appelons les premiers ceux qui ont des grandeurs fixées, et les seconds ceux qui ont des grandeurs indéterminées. 1

Al-Fārisī donne, pour la première fois, à l’angle de contingence ainsi qu’à d’autres angles mixtilignes et rectilignes le statut de grandeur, afin de répondre à la question de l’homogénéité et à celle de la mesure des angles. 2 Il y a deux genres de grandeur : déterminées et indéterminées. Les angles rectilignes appartiennent au premier genre, alors que l’angle de contingence, ainsi que bien d’autres angles mixtilignes et curvilignes, appartient au second. Les angles qui ont des grandeurs déterminées – disons les angles déterminés – ont tous un rapport entre eux. Quant aux angles qui ont des grandeurs indéterminées – disons angles indéterminés – ils n’ont en général pas de rapports entre eux, et ne sont donc pas homogènes aux angles qui ont des grandeurs déterminées, si toutefois par « rapport » on se réfère à la définition d’Euclide. Il arrive cependant que l’on trouve des angles

‎1. MS Téhéran, Majlis Shūrā, fol. 96. ‎2. Comparer avec la discussion entre Hobbes et Wallis. Cf. Luigi Maierù, «John Wallis : “Lettura della polemica», pp. 339–41 ; et F. Loget, «Wallis entre Hobbes et Newton», pp. 227 sqq.

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IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

indéterminés égaux, et que l’on puisse doubler un angle indéterminé. Al-Fārisī rappelle alors ces deux cas évoqués auparavant. Soit AD = DE et traçons les deux demi-cercles AGD et DHE. Séparons DC = DB et traçons les deux demi-cercles CID et DKB. Les angles ADG et EDH sont égaux. Ôtons-en les angles égaux CDI et BDK ; il reste les angles IDG = KDH, qui sont indéterminés.

Fig. 9

Dans le second exemple, on double l’angle. Soit les deux arcs de deux cercles égaux ; on a l’angle BCD égal au double de chacun des angles BCA et DCA. Al-Fārisī évoque aussi l’exemple donné par al-Samawʾal, pour obtenir le rapport de double entre deux angles indéterminés. Dans ces derniers cas, même si l’on ne dispose pas de « termes » pour désigner ces rapports, on ne peut pas interdire de parler de «rapports» en un certain sens – qui bien entendu n’est pas le sens euclidien – dans la mesure où il y a superposition des configurations. Al-Fārisī est à présent en mesure de donner la raison générale pour laquelle l’angle de contingence n’a de rapport ni à l’angle droit ni à l’angle rectiligne aigu. Il est en effet indéterminé, alors que les deux derniers sont déterminés : dans le premier cas, on a une grandeur indéterminée, tandis que, dans les deux autres, ce sont des grandeurs déterminées. Ainsi, à la fin du xiii e siècle et au début du xiv e siècle, puisque les seules grandeurs reconnues comme telles sont archimédiennes, on ne pouvait que taxer les autres d’indéterminées. Ibn al-Haytham avait établi que ces deux classes d’angles ne sont pas homogènes. Al-Fārisī le rappelle et s’efforce d’en donner la raison en revenant à la nature des grandeurs. Al-Fārisī soulève ensuite la question des angles congruents (almumāthala) : deux angles mixtilignes peuvent-ils être égaux sans être congruents ? Cette question avait déjà été évoquée par son maître lors de l’étude du mouvement de roulement. La « vérité » (ḥaqīqa), de l’angle est, pour al-Fārisī, la configuration et le lieu qu’elle détermine dans la surface. La congruence de deux angles dépend donc de l’union de leurs configurations et de

L’ANGLE DE CONTINGENCE

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celles des lieux. Deux angles non congruents peuvent cependant être égaux. En voici la preuve. Soit AB = BC et AB⊥BC. Traçons deux demi-cercles ADB et BEC, de sorte que l’angle DBE soit égal à un droit. Prolongeons AB jusqu’à G telle que AB = BG, et traçons le demi-cercle BHG de sorte que l’angle EBH soit égal à un droit. Imaginons ensuite que l’arc BEC se déplace d’un mouvement de rotation autour du point de contact B. Au début de son mouvement, il produit un angle contenu par les deux arcs BDA et BEC. Cet angle continue à croître à mesure que le mouvement se poursuit, jusqu’à ce qu’il devienne égal à un angle droit. Il continue à croître par ce mouvement jusqu’à ce que l’angle EBH soit lui aussi égal à un droit, [ + EBH [= ce qui implique qu’il existe un angle égal à deux droits – EBD 2 droits.

Fig. 10

Pour al-Fārisī, il y a congruence lorsqu’il y a superposition des configurations et des lieux. Mais il se peut que des angles soient égaux sans être congruents. C’est dire que la superposition est seulement une condition suffisante de l’égalité des angles, et non pas une condition nécessaire. Si Quṭb al-Dīn al-Shīrāzī pouvait soutenir une telle idée pour les grandeurs, dans le cas des angles, qui n’en sont pas, al-Fārisī se trouve devant l’alternative suivante : qu’il y ait un angle égal à deux droits sans qu’il y ait l’inclinaison – ou la convexité – nécessaire à la conception de l’angle, impose d’admettre que cette inclinaison n’est pas une condition de l’existence de l’angle, ou bien qu’il n’y a pas d’angle. C’est cette dernière branche de l’alternative que choisit al-Fārisī, pour éviter l’inconsistance. Il propose alors de considérer la situation suivante. Soit l’angle de contingence ABE et supposons l’arc qui l’entoure en rotation autour du point de contact en s’éloignant du rectiligne AB et en s’approchant du rectiligne BC. L’angle EBC est plus grand au début du

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IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

mouvement et décroît ensuite, alors que l’angle ABE croît, jusqu’à ce que l’arc devienne tangent au rectiligne dans la position BHG. Ainsi, l’angle qui initialement était plus petit qu’un droit croît continûment pour être égal à un droit, puis, par saut (ṭafra), devient plus grand qu’un droit ; ce qui est impossible. Al-Fārisī explique que l’angle ne subit pas de « saut » en lui-même lors de sa croissance, mais seulement lorsqu’on le compare à ce qui n’est pas de son genre. La croissance continue des choses, écrit-il, «nécessite qu’elles deviennent égales à toutes les grandeurs qui leur sont homogènes, et qu’il y ait des intermédiaires numériques entre leurs grandeurs au commencement du mouvement et lors de son achèvement selon l’ordre naturel». 1 Ici, al-Fārisī recourt au terme saut (ṭafra) qui a connu une longue histoire lors de la discussion du mouvement chez les philosophesthéologiens, les Muʿtazilites. Introduite dans la problématique de l’angle, cette notion déclenchera une discussion animée chez les successeurs d’al-Fārisī. Il poursuit cette étude par celle de l’angle solide, et il est amené à discuter des formes des solides, de leurs surfaces latérales, de leurs courbures, etc. C’est à cette occasion qu’il examine, par exemple, la différence entre l’angle et le sommet du cône, d’une part, et les coupoles, d’autre part. Mais n’allons pas plus loin, pour ne pas allonger cette étude, et aussi pour conclure. Partant des travaux d’Ibn al-Haytham et admettant leurs résultats, al-Fārisī a conçu, à l’exemple d’Avicenne, un traité autonome, intégralement consacré à l’angle. Mais, à la différence du philosophe, le mathématicien a voulu que sa théorie englobe aussi l’angle de contingence, et que son exposé soit démonstratif. Il s’est donc efforcé de forger de nouvelles notions, telles que « angle à grandeur déterminée » et « angle à grandeur indéterminée», et de les agencer en une théorie qu’il pensait apte à éviter les paradoxes rencontrés lors de l’étude de ce thème.

VI. La négation de la continuité : Al-Qūshjī et ses prédécesseurs Parmi les arguments invoqués lors de la discussion de l’angle de contingence figure celui de la négation de la continuité. On se de-

‎1. MS Téhéran, Majlis Shūrā, fol. 99:

‫اهسناجت نوكيو طئاسو ةيددع نيب اهيرادقم يف ءادتبا ةكرحلا‬، ‫دايدزاو ءايشألا ىلع جيردتلا بجوي اهتروريص ةيواستم عيمجل ريداقملا يتلا‬ ‫يعيبطلا‬. ‫اهئاهتناو ىلع بيترتلا‬

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mande alors si l’on peut passer du plus petit au plus grand sans passer par tous les intermédiaires, et notamment l’égal ; ou, dans le présent contexte, si l’on peut passer directement de l’angle aigu à l’angle obtus sans passer par l’angle droit. Plusieurs témoignages indiquent que cette question a été posée assez tôt : ceux de Jean Philopon, de l’auteur anonyme, d’Avicenne dans al-Shifāʾ, et d’al-Fārisī, entre autres. Ainsi, dans un commentaire de Naṣīr al-Dīn al-Ṭūsī des Éléments d’Euclide, un anonyme a intercalé un folio supplémentaire à propos de la proposition III.16. Voici ce qu’on peut y lire : ‫تالاكشإ نيبيو لك دحاو اهنم ىلع مدع زاوج عوقو طخلا ميقتسملا نيب دومعلا جرخملا ىلع‬، ‫يف اذه ماقملا درت ثالث‬ ‫طيحملاو‬. ‫فرط رطقلا‬

‫ميقتسم‬. ‫مسقنت هنأل ول تمسقنا عقول نيب دومعلا طيحملاو طخ‬، ‫اهدحأ نأ ةيوازلا يتلا طيحي اهب دومعلا طيحملاو ال‬:

‫نيطخلا لب يه ةرابع نع‬، ‫لطاب نأل ةيوازلا تسيل ةرابع نع ةبدحلا يتلا يف يتياهن‬، ‫< مدعو ماسقنا ةيوازلا‬...>

‫ةياهنلا باوجلاو نع اذه نأ ماسقنالا ال مزلي نأ نوكي‬. ‫رادقم لكو رادقم لبقي ةئزجتلا ىلإ ريغ‬، ‫حطسلا حطسلاو‬، ‫ريدتسملا نأو ماسقنالا طخلاب ريدتسملا هيف ققحتم‬، ‫طوطخم( )مل ال زوجي نأ نوكي ماسقنالا طخلاب‬: ‫ميقتسملا امِل‬، ‫طخلاب‬

‫ةيوازلا‬. ‫نأب مسرت ةرئادلا ىرخألا ثيحب عقي اهسوق يف طسو هذه‬

‫طخلا الف دب نأ لخدي طخ د ز‬، ‫يناثلا انأ اذإ انتبثأ فرط طخ د ز — ينعأ فرط د — انكرحو‬: ‫لاكشإلاو‬

‫ميقتسم لوخدو طخ‬. ‫ةكرحلاب الف دب نأ عقي نيب دومعلا طيحملاو طخ‬، ‫ةرئادلا هنأل ول لخد طخ د ز‬، ‫ًةعفد يف‬

‫ةعفد‬. ‫د ز ةعفد ؛لاحم هنأل مزلي عطق ةفاسملا‬

،‫ انكرحو طخ د ا ىتح عقي يف جراخ د ز‬،‫ ينعأ فرط د‬،‫ثلاثلا انأ اذإ انتبثأ فرط طخ د ز‬: ‫لاكشإلاو‬

‫ةفاسملا مزلي عوقو‬، ‫ةرفطلاب هنأل ول ققحت ةيمظعألا عطقب عيمج‬، ‫نوكتف ةيواز ا د ه ةداحلا مظعأ نم ةمئاق ز د ه‬

‫ةلوقعم لجألو هنأ مزلي نأ نوكي رغصألا مظعأ نم مظعألا نم‬. ‫طيحملاو ةرفطلاو ريغ‬، ‫طخلا ميقتسملا نيب دومعلا‬ ‫لوقعم‬. ‫ريغ نأ لصي ىلإ ؛مظعألا اذهو ريغ‬

En cet endroit, trois difficultés se présentent, dont chacune montre l’impossibilité qu’une droite tombe entre la perpendiculaire menée à l’extrémité du diamètre et la circonférence. La première est que l’angle entouré par la perpendiculaire et la circonférence ne se divise pas, car, s’il se divisait, alors une droite tomberait entre la perpendiculaire et la circonférence . Mais l’indivisibilité de l’angle est fausse, car l’angle n’est pas la pointe qui est aux extrémités de deux lignes, mais c’est la surface ; or la surface est une grandeur, et toute grandeur est susceptible de partition à l’infini. Et la réponse est qu’il n’est pas nécessaire que la division soit par une droite ; et comme elle n’est pas possible par la droite, la division sera par la ligne circulaire. Et la division par la ligne circulaire s’y trouve réalisée si on trace un autre cercle de sorte que son arc soit au milieu de cet angle. La deuxième difficulté est que, si nous fixons l’extrémité de la droite DG, c’est-à-dire l’extrémité D, et que nous faisons se mouvoir la droite, il faut alors que la droite DG entre d’un coup dans le cercle ; car, si la droite

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IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

DG entre par le mouvement, alors il faut qu’entre la perpendiculaire et la circonférence tombe une droite. Or l’entrée de la droite DG tout d’un coup est impossible, car cela implique de parcourir la distance d’un coup. La troisième difficulté est que, si nous fixons l’extrémité de la droite DG, c’est-à-dire l’extrémité D, et si nous faisons se mouvoir la droite DA jusqu’à ce qu’elle tombe à l’extérieur de DG de sorte que l’angle aigu ADE soit plus grand que l’angle droit GDE, c’est par saut, car, si l’accroissement se réalise en parcourant toute la distance, il est nécessaire que la droite tombe entre la perpendiculaire et la circonférence. Or le saut est inconcevable, tout en étant nécessaire pour que le plus petit soit plus grand que le plus grand sans passer par le plus grand. Ce qui n’est pas intelligible. 1

Fig. 11

Dans un autre traité, anonyme, de nature philosophique et consacré à l’angle, on lit : ‫ةيوازلا الو كش هنأ ضرف رمأ‬، ‫اذإ ضرف كرحت رطقلا روكذملا عم تابث ةطقن سامت عم طيحملا ىلإ فالخ ةهج‬

‫مدعلاو ملو عقي‬، ‫عنام مزلي ةرفطلا يتلا مكحت اهيلع ةهيدبلا نالطبلاب‬، ‫عقاو الو دجوي هل يف دوجولا عفاد الو‬، ‫نكمم لب‬، ‫مدق‬. ‫اهل روصتب يف قيرط عقاولا رثأ لجر الو شمم‬

‫روكذملا الف ةلاحم مهوت نيب هعضو لوألا هعضومو يناثلا ةيواز ةميقتسم نيطخلا‬، ‫هنايب موزللا هنأ املك كرحت طخلا‬:

‫ةفاضم ىلإ ةيوازلا يتلا تناك نيب رطقلا ؛طيحملاو انلقو اهنإ رغصأ نم ةمئاقلا ردقب ةيوازلا يتلا نيب طخلا سامملا طيحملاو‬

‫ةيوازلا‬، ‫نيطخلا الو نكمي ناهربلاب روكذملا نأ نوكت ةيوازلا ةمهوتملا ردقب كلت‬. ‫يتلا ال دجوي اهلثم ةداح ةميقتسم‬ ‫نيطخلا مزليف نم اهتفاضإ ىلإ ةيوازلا ةروكذملا نأ ريصت كلت ةيوازلا مظعأ نم ةمئاقلا‬، ‫لب مظعأ اهنم اهنأل ةميقتسم‬

‫ةمئاقلا نأل اهلوصو اهيلإ فوقوم ىلع نأ فاضي ىلإ ةيوازلا‬، ‫عم اهنأ تناك صقنأ اهنع نودب نأ لصت اميف نيب ىلإ‬ ‫لاحم‬. ‫روكذملا وهو‬، ‫ةروكذملا ردقلا‬ Si on suppose que le diamètre mentionné s’est mu, le point de contact avec la circonférence étant fixe, dans une direction différente de celle de

‎1. MS Hyderabad, Jāmi‘a Osmāniyya 510, fol. 37.

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l’angle – sans doute cette supposition est-elle possible, bien plus, réalisable, et rien n’interdit son existence ni y répugne -, cela implique le saut que le bon sens juge faux et dont il n’y a aucune représentation qui ait laissé la moindre trace sur le chemin de la réalité. Démonstration. Il s’ensuit nécessairement, à mesure que la droite mentionnée se meut, qu’on imagine que, entre sa première position et sa deuxième position, un angle rectiligne soit ajouté à l’angle qui est entre le diamètre et la circonférence. Mais nous avons dit que ce dernier est plus petit que l’angle droit, de la grandeur de cet angle qui est entre la droite tangente et la circonférence, et auquel aucun angle aigu rectiligne n’est égal. Il n’est alors pas possible, par la démonstration mentionnée, que l’angle imaginé soit de la grandeur de cet angle ; mais il est plus grand que lui, car il est rectiligne. De son addition à l’angle mentionné, il s’ensuit nécessairement que cet angle devient plus grand qu’un angle droit – alors qu’il était plus petit que lui – sans passer entre temps par un angle droit, car son passage par celui-ci dépend du fait qu’il faut ajouter à l’angle mentionné la grandeur évoquée. Ce qui est impossible. 1

Ces textes – dont le dernier est certainement tardif – attestent la présence récurrente de cet argument invoqué pour nier la continuité, et ceci pendant bien des siècles. Et, de fait, l’astronome et mathématicien du xv e siècle, ʿAlāʾ al-Dīn al-Qūshjī (1403–1474), reprend cet argument alors largement diffusé parmi les mathématiciens et les philosophes. Il propose la preuve suivante : Soit ABC un cercle de diamètre CD et DG une perpendiculaire à l’extrémité D, tangente à la circonférence en ce point. L’angle ADG est un angle de contingence, et, d’après la proposition III.16 des Éléments, il est plus petit que tout angle rectiligne.

Fig. 12

‎1. Al-Zāwiya al-ḥādda, MS Qum 6356, fol. 66 v.

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IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

Par une rotation de centre D et d’angle CDP dans la direction de B, on mène CD sur PD. L’angle PDA est obtus puisqu’il intercepte un arc plus grand qu’un demi-cercle. On est ainsi passé d’un angle aigu à un angle obtus, sans passer par un angle droit. Pour expliciter son raisonnement, al-Qūshjī rappelle que la tangente est unique, et que toute droite entre celle-ci et la circonférence coupe cette dernière. Il imagine un angle aigu en D et une droite superposée à CD. Il fait se déplacer cette droite sur la circonférence dans la direction de B et forme l’angle CDP. Cet angle, aussi petit soit-il, est toujours plus grand que l’angle de contingence ADG ; ce qui implique que l’angle PDA est obtus. On comprend que la négation de la continuité ne puisse que susciter un débat philosophique, dont on trouve déjà les traces dans le traité d’al-Fārisī ainsi que dans les deux textes précédemment cités qui évoquent l’idée de «saut» (ṭafra) souvent maniée par les philosophes-théologiens, les Muʿtazilites, dans leurs discussions à propos de l’atomisme. Certains, comme al-Naẓẓām (m. 849), affirmaient qu’un corps peut passer d’un lieu à un autre sans passer par le lieu intermédiaire, par saut. Le débat sur l’angle de contingence a remis à l’ordre du jour celui de la continuité et de la discontinuité, comme en témoigne ce traité anonyme sur l’angle que nous venons de citer.

Conclusion Les écrits des mathématiciens arabes sur l’angle de contingence – ceux que nous connaissons – permettent déjà d’établir quelques faits historiques et épistémiques. Ils attestent, d’abord, l’existence d’une tradition de recherche, active et continue, sur ce thème, à partir de la fin du ix e siècle. Les mathématiciens de cette tradition ont élaboré des idées et avancé des thèses dont certaines ont été transmises à leurs successeurs, tels que Campanus, et d’autres retrouvées par eux (Peletier, Clavius, Hobbes, Wallis ...). Intégrer ces écrits à l’histoire de ce problème est nécessaire à deux titres : pour comprendre comment les travaux d’un Euclide, les commentaires d’un Simplicius ou d’un Jean Philopon, ont été reçus par les mathématiciens arabes ; et pour pouvoir situer à leur juste place les contributions de ceux qui ont succédé à ces derniers, qu’il s’agisse des savants latins ou de ceux du xvi e et du xvii e siècle, avant l’intervention de Newton en 1664. Nous serons alors en mesure de nous interroger sur la continuité et la riche complexité d’une recherche mathématique, somme toute techniquement modeste, présente durant deux millénaires. Comment

L’ANGLE DE CONTINGENCE

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comprendre cette présence continue ? Quelle est au juste sa signification ? Depuis Euclide et jusqu’au milieu du xvii e siècle, mathématiciens et philosophes se sont efforcés de répondre à certaines questions, de nature différente, certes, mais enchevêtrées. La plus générale de ces questions, qui d’ailleurs est sous-jacente à toutes les autres, est la suivante : comment concevoir, dans le cadre de l’ontologie mathématique de l’époque – platonicienne ou aristotélicienne – un objet qui se présente comme une grandeur, ou tout au moins comme une quantité, sans pourtant répondre à la définition qui en était donnée. Cette question est implicitement présente dans plusieurs autres, qu’elle détermine ; par exemple : de quelle catégorie relève l’angle de contingence ou, plus généralement, l’angle ? Toutes ces questions ont donné lieu à plusieurs traductions techniques, reprises par les mathématiciens : que doit vérifier une grandeur extensive si elle ne vérifie pas l’axiome d’Eudoxe-Archimède ? Peut-on comparer les objets ou les grandeurs géométriques de genre différent ? Peut-on distinguer, comme le fait al-Fārisī, deux genres de grandeurs ? Peut-on penser la continuité d’une grandeur géométrique quand on passe du plus petit au plus grand, sans passer par tous les intermédiaires et donc par l’égal ? La superposition des grandeurs est-elle une condition nécessaire et suffisante à l’égalité entre elles, ou seulement suffisante ? etc. Ces questions, et bien d’autres encore, se projetaient bien au delà du présent mathématique, celui des seules grandeurs archimédiennes, et s’ouvraient sur l’avenir. Or c’est précisément dans ce hiatus entre les questions et les moyens mathématiques d’y répondre que s’est fait sentir le besoin d’une élucidation philosophique. Une telle situation n’est d’ailleurs pas pour surprendre l’historien des mathématiques : que l’on pense aux débats sur les indivisibles, sur la notion de limite, ou, bien plus tard, sur les notions relatives à la probabilité. Il est clair que ces questions soulevées par les mathématiciens à propos de l’angle de contingence dépassaient largement le cadre étroit de cet objet singulier. Leur rôle était tout aussi important dans bien d’autres chapitres des mathématiques et, plus généralement, c’est sur l’organisation de l’ontologie des objets géométriques qu’elles portaient. On peut voir dans cette polyvalence la raison principale de la multiplicité des réponses et de la survie de ce problème tout au long de tant de siècles, ainsi que de sa disparition avec la naissance du calcul infinitésimal. Rappelons quelques exemples. Nous avons observé que la contribution d’Ibn al-Haytham représente un point saillant dans l’histoire du problème de l’angle de

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IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

contingence, sommet qui ne sera franchi que lorsqu’on commencera à étudier les courbes à l’aide de leurs équations et à traiter de la grandeur des courbures. Ibn al-Haytham, lui, pour pouvoir comparer angle de contingence et angle rectiligne, c’est-à-dire des objets de genre différent, a comparé des suites d’infiniment petits. Or cette comparaison, et les procédés qu’il a dû inventer pour l’établir, étaient tout aussi fondamentaux pour sa propre recherche, d’avant-garde, dans plusieurs autres chapitres : les lunules, la quadrature du cercle, les isopérimètres et les isépiphanes, l’angle solide, la mesure du paraboloïde et de la sphère. C’est sans doute dans ces recherches où il avait développé les mathématiques infinitésimales qu’il faut voir l’origine des thèses et des méthodes à l’œuvre dans son écrit sur l’angle de contingence. Cette même question : peut-on comparer des objets géométriques de genre différent ? traverse encore bien d’autres chapitres. Elle se pose par exemple lors de l’étude du mouvement, comme en témoigne la recherche de Naṣīr al-Dīn al-Ṭūsī et de Quṭb al-Dīn alShīrāzī, sur le mouvement du roulement. Quant à la question de la continuité, c’est l’une des préoccupations majeures des mathématiciens depuis Thābit ibn Qurra, en raison du mouvement massif de recherche sur l’intersection des courbes coniques pour déterminer les racines des équations cubiques et bi-quadratiques. 1 On pourrait évoquer aussi les discussions sur la définition de la notion de grandeur et la généralisation de celle qu’en donne Euclide : que l’on pense à al-Qūhī, à Ibn al-Haytham, à Ibn al-Sarī... 2 L’intérêt porté à l’angle de contingence n’était donc pas l’effet de la singularité de la chose ou de l’usage mathématique qui pouvait en être fait. Il était en fait soutenu par l’intervention dans d’autres chapitres des questions posées à son propos, et aussi par la difficulté à concevoir l’objet « angle ». Si à présent on considère les différentes réponses à ces questions, on observe qu’elles s’organisent toutes, comme du reste celles qui concernent les courbes, 3 autour d’un nombre réduit de notions : grandeur, divisibilité, continuité, homogénéité. Chaque contribution rencontrée combine ces notions, ou quelques-unes d’entre elles, si bien que l’on pourrait représenter l’histoire de ce problème par un tableau à double entrée, où se croiseraient ces notions et les thèses des ‎1. Voir R. Rashed, Les mathématiques infinitésimales du ix e au xi e siècle, vol. III : Ibn al-Haytham. Théorie des coniques, constructions géométriques et géométrie pratique (Londres, 2000) ; et Geometry and Dioptrics in Classical Islam (Londres, 2005). ‎2. Voir Les mathématiques infinitésimales, vol. II. ‎3. Voir Rashed, « Les premières classifications des courbes».

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auteurs. Mais ce tableau ne montrerait pas l’essentiel : les méthodes mises en œuvre pour établir chaque thèse. On en a vu un exemple avec Jean Philopon et Ibn al-Haytham.

DESCARTES ET L’INFINIMENT PETIT Parmi les problèmes récurrents en histoire de la philosophie des mathématiques anciennes et classiques figure celui de la certitude que peut atteindre une connaissance de l’infini, ou qui fait usage de l’infini ou porte sur des processus infinis. L’infini est-il l’objet d’une connaissance rationnelle ? Peut-il être objet d’une démonstration rigoureuse ? Ce problème s’est posé tôt en philosophie et en philosophie des mathématiques, sous des titres et des noms divers. On parle en effet des couples conception et démonstration, imagination et démonstration, compréhension et démonstration. Mais, sous ces appellations différentes, on oppose en fait un acte de l’entendement – et non pas celui d’une quelconque faculté des sens – et la démonstration. Philosophes et mathématiciens s’accordaient sans peine pour dire que ce que l’on peut concevoir ou comprendre peut être objet de démonstration. Mais ce que l’on ne peut ni concevoir ni comprendre, peut-il être l’objet d’une démonstration, et donc accompagné de certitude, ou échappe-t-il à jamais à toute démonstration ? Cette question a été soulevée par les mathématiciens, notamment à propos des processus infinis. Géminus (mort ca. 70 av. J.-C.) l’avait posée à propos de l’asymptote à une hyperbole 1. On démontre rigoureusement que la courbe et l’asymptote se rapprochent continûment sans se rencontrer à l’infini ; mais on ne peut ni concevoir ni comprendre ce comportement asymptotique à l’infini. À la suite de Géminus, Proclus discute longuement de cette question dans son Commentaire du premier livre des Éléments. La question n’a depuis cessé d’être discutée par les mathématiciens et les philosophes, en arabe, en latin, puis dans les langues vernaculaires. On la trouve évoquée par Jacques Peletier, par Montaigne, par Francesco Barozzi, etc.

Paru dans Bollettino di storia delle scienze matematiche, vol. XXXIII, Fasc. 1, 2013, p. 151-169. ‎1. Cf. R. Rashed, « Al-Sijzī et Maïmonide : Commentaire mathématique et philosophique de la proposition II-14 des Coniques d’Apollonius», Archives Internationales d’Histoire des Sciences, n o 119, vol. 37, 1987, p. 263-296 ; Œuvre mathématique d’al-Sijzī. Volume I : Géométrie des coniques et théorie des nombres au x e siècle, Les Cahiers du Mideo, 3, Louvain-Paris, Éditions Peeters, 2004 ; « L’asymptote : Apollonius et ses lecteurs », Bollettino di storia delle scienze matematiche, vol. XXX, fasc. 2, 2010, p. 223-254.

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IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

En mathématiques, elle se pose lorsque l’on traite des courbes et de leur comportement asymptotique, sans disposer encore des moyens de conclure, c’est-à-dire avant l’institution du calcul différentiel. Il fallait pour cela manier les concepts opératoires de la continuité, de la limite et de l’infinitésimal, au moins comme un infiniment petit, sinon comme un infiniment petit d’une quantité variable, c’est-à-dire comme différentiel ; ou, comme le définit le Marquis de l’Hôpital, à la suite de Leibniz : «la portion infiniment petite dont une quantité variable augmente ou diminue continuellement, en est appelée la différence ». Il a fallu attendre le xix e siècle pour que la topologie et l’arithmétique des nombres réels offrent les moyens d’une solution définitive. Descartes, quant à lui, pouvait d’autant moins éviter ce problème des rapports entre démonstration et conception que lui-même avait proposé une nouvelle étude des courbes, ainsi qu’une nouvelle classification de celles-ci. La distinction qu’il a établie entre courbes géométriques et courbes mécaniques a en effet opéré comme un instrument puissant pour tracer la frontière de la géométrie algébrique, et par conséquent pour situer son propre livre, la Géométrie. C’est cette même distinction qui lui permet aussi, en philosophie cette fois, d’opposer les idées claires et distinctes aux idées qui sont seulement claires 1. Descartes, comme on sait, introduit dans ce débat un terme supplémentaire : l’imagination. Quel est au juste le rôle de cette faculté, et quel est son lieu d’intervention ? Là dessus, il s’explique longuement dans les Regulae, et aussi dans les Méditations. Mais entre ces deux livres se placent la Géométrie et la Dioptrique, et entre ces derniers traités et les Méditations, il y a ses recherches sur la cycloïde et sur la spirale logarithmique, c’est-à-dire les deux nouvelles courbes mécaniques. Cette chronologie est importante pour l’histoire de notre problème. Arrêtons-nous d’abord quelque peu sur cette intervention de l’imagination dans le rapport conception / démonstration. Tout au long de ses travaux, Descartes répète avec constance que seul l’entendement connaît. N’est-il pas la faculté des idées claires et distinctes ? Aucune autre faculté de cette psychologie des facultés, y compris la faculté d’imaginer, n’est apte à elle seule à atteindre une véritable connaissance – il faut pour cela qu’elle soit validée par l’entendement. Si l’imagination sensible intervient dans l’acte ‎1. Cf. R. Rashed, «La Géométrie de Descartes et la distinction entre courbes géométriques et courbes mécaniques», dans J. Biard et R. Rashed (éd.), Descartes et le Moyen Âge, Études de philosophie médiévale LXXV, Paris, Vrin, 1997, p. 1-26 ; repris dans Dʾal-Khwārizmī à Descartes. Études sur l’histoire des mathématiques classiques, Paris, Hermann, 2011, p. 195-214.

DESCARTES ET L’INFINIMENT PETIT

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de connaître, c’est comme auxiliaire de l’entendement et en fonction de l’objet de la connaissance, c’est-à-dire selon qu’à cet objet se mêle plus ou moins d’étendue ; ainsi, « dans l’imagination, l’esprit contemple quelque forme corporelle», tandis que « dans l’intellection, il ne se sert que de soi-même » 1 (réponses aux cinquièmes objections). Lisons ce qu’il écrivait dans la douzième règle : On en conclut avec certitude que, si l’entendement traite de questions où il n’y a rien de corporel ou qui ressemble au corporel, il ne peut recevoir aucune aide de ces facultés (les sens, la mémoire et l’imagination) ; au contraire, pour qu’il n’en reçoive point d’entrave, il faut écarter les sens, et dépouiller l’imagination, autant que faire se peut, de toute impression distincte. Mais si l’entendement se propose un objet d’examen qui puisse être rapporté au corps, il faut en former l’idée dans l’imagination, avec autant de distinction qu’il sera possible ; et pour y parvenir plus commodément, c’est la chose elle-même que représente cette idée qu’il convient de montrer aux sens externes. 2

Et d’ailleurs, encore en 1643, il écrivait à Élisabeth que le corps, c’est-à-dire l’extension, les figures et les mouvements, se peuvent connaître par l’entendement seul, mais beaucoup mieux par l’entendement aidé de l’imagination. 3

Il n’en demeure pas moins que le rôle de l’imagination se réduit et que celle-ci s’essouffle lorsque la « réalité objective » de l’idée, réalité qui fait que l’entendement la tient pour objet de connaissance, comprend l’infini ou l’infiniment petit. Descartes rappelait qu’il a besoin d’une « particulière contention d’esprit » pour imaginer ne serait-ce qu’un pentagone, pour ne pas parler du chiliogone, ..., et qu’à partir d’un certain degré de complexité de l’objet, l’imagination devient confuse. De même dans son entreprise de division, elle ne tarde pas non plus à s’épuiser. Pour l’infini, la question est vite réglée, puisqu’il n’intervient pas dans la Géométrie de Descartes, mais seulement en métaphysique. La situation est différente s’il s’agit de l’infiniment petit mathématique : il est en effet bien présent, même si ce n’est qu’en filigrane, lorsque l’on traite des courbes. Quel serait alors le rôle, auxiliaire, de l’imagination dans cette étude ? Descartes, semble-t-il, ne s’explique pas à ce propos, alors qu’il a pourtant rencontré l’infiniment petit déjà en 1619, et, surtout, dans ses recherches postérieures à 1637. Or ce que ne dit pas Descartes importe autant ‎1. Descartes, Œuvres philosophiques, éd. F. Alquié, t. II, p. 832. ‎2. Descartes, Œuvres philosophiques, éd. F. Alquié, t. I, p. 141-142. ‎3. Œuvres de Descartes, publiées par Adam et Tannery (A. T.) III, p. 691.

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IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

que ce qu’il dit. Examinons les lieux où Descartes a rencontré l’infiniment petit.

I Une première rencontre a déjà eu lieu en 1619, lors de l’étude de la loi de la chute des corps, où Descartes procède à l’aide des indivisibles et d’une notion intuitive de la limite. Mais beaucoup plus importante est sa rencontre avec l’infiniment petit lors de ses recherches en anaclastique, avant 1629. Il s’agit d’embraser un corps par des rayons lumineux à une distance donnée, ce qui implique de déterminer la courbe des lentilles – dans le cas de la réfraction – en fonction de la source. Descartes a étudié ce problème d’abord dans les Excerpta Mathematica (de manière gauche), avant de le reprendre dans la Dioptrique, puis dans la Géométrie. C’est pour le résoudre qu’il invente de nouvelles courbes, les ovales. Il veut en effet savoir sur quelle courbe se réfractent des rayons issus d’un point donné, pour parvenir à un point donné. Quant au chemin qui l’a mené à l’invention de ses ovales, Descartes n’en dit mot. Mais ses contemporains et ses successeurs – Fermat, Huygens, Newton, le Marquis de l’Hôpital, le Père Reynaud, etc. – l’ont parfaitement et exactement deviné. Voici ce qu’en dit Fermat en 1638 : On pouvait ensuite chercher la converse de cette proposition et, la propriété de la tangente étant donnée, chercher la courbe à qui cette propriété doit convenir : à laquelle question aboutissent celles des verres brûlants proposés par Monsieur Descartes. 1

Pour le formuler autrement, Fermat veut dire que Descartes a posé le problème d’intégration d’une équation différentielle, reconnaissant ainsi la priorité de son aîné dans la découverte de la méthode de l’inverse des tangentes. Newton et les autres mathématiciens ont abouti à la même conclusion. Entre 1619 et 1629, Descartes avait donc rencontré plus d’une fois l’infiniment petit, sans toutefois s’y arrêter pour expliciter la conception qu’il s’en faisait. Bien plus, avant 1629, il pensait déjà partir des propriétés de la tangente menée à des courbes supposées déterminées, et non pas d’une propriété caractéristique de leurs points,

‎1. Œuvres de Fermat, publiées par Paul Tannery et Charles Henry, Paris, 18911922, t. II, p. 162.

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263

c’est-à-dire d’une propriété obtenue par l’équation, ou par le symptoma d’Apollonius pour les coniques. Même si à cette date il n’était pas encore formellement en possession de la méthode de l’inverse des tangentes, il la pressentait cependant, d’une manière intuitive, lorsqu’il étudiait les ovales. Plus tard, en 1637, la situation est tout autre : il semble bien que Descartes maniait cette méthode pour parvenir à découvrir ses ovales, dont il tenait cependant à ne donner dans sa Géométrie qu’une expression algébrique. Si, cette fois encore, il avance caché, dans sa fameuse lettre à Debeaune du 20 février 1639 il se livre cependant quelque peu, comme on le verra plus loin 1. On s’attendrait donc qu’après 1629 Descartes développe et précise la conception qu’il se faisait de l’infiniment petit lors de son étude des courbes, et notamment des tangentes aux courbes et de l’espace que limitent ces courbes. Or on constate, bien au contraire, que dans les années suivantes, entre 1629 et 1637, il garde le secret et jette un voile encore plus épais sur l’infiniment petit. Pourquoi ? À cela, il y a deux ordres de raisons : mathématiques et philosophiques. Commençons par examiner les premières. C’est dans les années 1628-1629 que Descartes met en chantier le grand projet qui aboutira à la Géométrie. Ce projet est double : élaborer une théorie géométrique des équations algébriques pour ainsi achever un programme lancé six siècles auparavant ; et forger les instruments nécessaires à l’étude des courbes algébriques au moyen de leurs équations. En effet, écrit-il, pour trouver toutes les propriétés des lignes courbes, il suffit de savoir le rapport qu’ont tous leurs points à ceux des lignes droites, et la façon de tirer d’autres lignes qui les coupent en tous ces points à angles droits. 2

Ce qui veut dire que toutes les propriétés des courbes géométriques doivent se déduire de leurs équations, y compris les propriétés qui renferment des infiniment petits, comme celles de la tangente. Quant à l’équation elle-même, elle est formée à partir des proportions exactes. Tout indique que, pour réaliser ce projet, Descartes s’est efforcé d’avancer more algebrico et de mettre entre parenthèses les procédés qui ont recours aux infinitésimaux. Il fallait donc trouver les méthodes permettant de contourner ces derniers là où ils s’imposent, pour ne faire appel qu’à des procédés algébriques finis. Seuls ces procédés nous permettront d’atteindre une connaissance exacte et ‎1. Cf. R. Rashed, « Les ovales de Descartes», Physis, XLII.2, 2005, p. 333-354 ; repris dans Dʾal-Khwārizmī à Descartes, p. 215-235. ‎2. A. T. VI, p. 412-413.

264

IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

assurée, c’est-à-dire claire et distincte. On trouve l’exemple le plus parlant à cet égard dans la méthode des tangentes qu’il expose dans sa Géométrie ; ou, comme l’écrit justement J. Vuillemin : Descartes ne tolère aucune inexactitude dans les équations de la Géométrie ; aussi n’y reçoit-il aucun procédé, même s’il est empiriquement fécond, qui ne soit fondé sur l’intuition claire et distincte d’une entière égalité. Tel est le cas pour sa méthode des tangentes, apparemment libre de tout concept infinitésimal – quoi qu’elle contienne implicitement une théorie de la tangente comme limite de la sécante – et ne reposant que sur l’égalité algébrique des racines. 1

Sur l’importance qu’il accorde à cette méthode, Descartes s’exprime sans détour : « Et j’ose dire que c’est ceci le problème le plus utile et le plus général non seulement que je sache, mais même que j’aie jamais désiré de savoir en géométrie » 2. Déclaration qui n’a rien de rhétorique, mais exprime clairement ce qui fonde son projet : les courbes géométriques désormais définies par leurs équations, ce sont ces dernières qui permettent de connaître leurs propriétés, dont celles des tangentes en chacun de leurs points, et qui en donnent l’allure. Reste donc à inventer une méthode pour déterminer les tangentes et les normales. On comprend sans peine le nombre de commentaires qu’a pu déchaîner cette déclaration de Descartes, ainsi que cette méthode. J’essaierai d’être aussi bref que possible. Dans la Géométrie, où cette méthode apparaît pour la première fois, Descartes place les tangentes en construisant les normales. Il a conçu cette méthode afin d’éviter délibérément le recours aux grandeurs infinitésimales. Il ne procède pas à l’instar de Debeaune, qui travaillait directement sur les tangentes, mais il recourt à la méthode des coefficients indéterminés. Examinons la voie suivie par Descartes en partant de l’exemple de la parabole, qu’il n’avait pas étudié en détail, mais en conservant les notations qu’il avait utilisées pour l’ellipse, selon ses propres termes. 3 On considère une branche (E) de parabole de sommet A et d’axe AG. Soit C un point quelconque de la courbe, dont la projection orthogonale est le point M. On veut trouver la normale à la courbe au point C, soit la droite (PC). Posons PC = s, CM = AB = x, AM = BC = y et PA = v. On a y = rx2 par I.11 des Coniques d’Apollonius.

‎1. J. Vuillemin, Mathématiques et Métaphysique chez Descartes, Paris, PUF, 1960, p. 62. ‎2. A. T. VI, p. 413. ‎3. Ibid.

DESCARTES ET L’INFINIMENT PETIT

C

P

B

y

s

G

265

x

E A

M v

Fig. 1

Par le théorème de Pythagore, on a (Descartes suppose que y ≥ 0 et |v − y| ≤ s) x2 = s2 − (v − y)2

et

y=v−



s2 − x2

d’où y = r(s2 − (v − y)2 ) = r(s2 − v2 ) + 2rvy − ry2 et F(y) = ry2 − (2rv − 1)y − r(s2 − v2 ) = 0.

(*)

Les racines de (*) sont les ordonnées des points de la courbe et elles sont les zéros du polynôme F du second degré. Deux cas se présentent : 1. Le point P est bien le pied de la normale, et l’équation F(y) = 0 admet donc une racine double y0 et le polynôme F est factorisable par (y − y0 )2 ; on a donc, F(y) = r(y − y0 )2 , d’où ry2 − (2rv − 1)y − r(s2 − v2 ) = r(y − y0 )2 . En développant et en identifiant les termes, on détermine la valeur de v, ce qui donne P. C’est ici que Descartes applique la méthode dite des coefficients indéterminés. 2. Le point P n’est pas le pied de la normale à la courbe au point C ; alors l’équation F(y) = 0 a deux solutions distinctes, qui sont les abscisses des deux points C et E, intersections de la courbe (E) et du cercle de centre P et de rayon PC ; ou, comme l’écrit Descartes, «si ce point P est tant soit peu plus proche ou plus éloigné

266

IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

du point A qu’il ne doit, ce cercle coupera la courbe, non seulement au point C, mais aussi, nécessairement, en quelque autre. » 1

C E

P

M

Q A

Fig. 2

C’est alors que Descartes écrit : mais, plus ces deux points C et E sont proches l’un de l’autre, moins qu’il y a de différences entre ces deux racines, et enfin, elles sont entièrement égales, s’ils (les points) sont tous deux joints en un, c’est-à-dire si le cercle, qui passe par C, y touche la courbe CE sans la couper. 2

Dans ce dernier cas, le cercle « touche la courbe sans la couper ». Construire la tangente en un point donné de la courbe géométrique, c’est d’abord construire la normale à la courbe comme le rayon d’un cercle dont le centre est sur l’axe des abscisses et qui coupe la courbe en un point double. Cette méthode pour placer la tangente serait mieux désignée comme « méthode pour déterminer la normale ». Cette méthode vaut pour les courbes définies par des équations algébriques, et elle est elle-même formulée en termes algébriques. À premier vue, elle ne fait donc pas appel à des notions infinitésimales telles que celle d’extrema. On comprend les réticences de Descartes à l’égard de la méthode des tangentes de Fermat qui, selon lui, porterait deux fois atteinte à la pureté algébrique. D’abord, parce qu’elle repose sur la méthode des maxima et des minima et intègre la notion d’adégalité, c’est-à-dire d’égalité à la limite ; ou, comme l’écrit en 1625 ‎1. A. T. VI, p. 417. ‎2. A. T. VI, p. 418 (souligné par nous). Dans son livre devenu classique, Y. Belaval semble faire peu de cas de cette expression lorsqu’il écrit : «... le discriminant de l’équation en x 2 n’est pas une quantité auxiliaire, et Descartes ne l’annule pas par un passage à la limite, simplement, il la pose nulle» (Y. Belaval, Leibniz critique de Descartes, Paris, 1960, p. 304).

DESCARTES ET L’INFINIMENT PETIT

267

Albert Girard, «ce n’est pas à dire égalité, mais approchement de quelque chose» 1. Ensuite parce que Fermat ne semblait pas retenir la distinction entre courbes géométriques et mécaniques, essentielle au fondement de la géométrie algébrique. En effet, tout comme Descartes, il propose sa méthode des tangentes pour les courbes algébriques. Il est cependant aisé de la généraliser aux courbes mécaniques, ce que Fermat ne tardera pas à faire. Déjà en août 1638, il écrit en effet à Mersenne que sa méthode de détermination des tangentes s’applique également aux courbes mécaniques, moyennant un peu de changement. En 1640, Fermat substitue aux ordonnées des courbes, celles des tangentes, et aux arcs des courbes, les longueurs des tangentes trouvées, ce qui lui permettra plus tard de déterminer les tangentes aux courbes mécaniques. Mais, si l’on regarde de plus près la méthode de Descartes, on observe une certaine limitation interne, et aussi la présence plus ou moins clandestine de l’infiniment petit. 1. La méthode n’est applicable que dans un repère orthornormé. 2. Le recours au théorème de Pythagore implique une élévation au carré pour supprimer les radicaux. Dans ce cas, le degré du polynôme F atteint largement celui de la courbe. 3. Lors de la factorisation par (y − y0 )2 , il est nécessaire de procéder à un nombre d’identifications qui excède d’un le degré du polynôme F. 4. À ces limitations internes de nature opératoire vient s’ajouter une difficulté théorique, soulevée par l’expression « toucher sans couper», laquelle ne se distingue ni par sa clarté, ni par sa précision. Descartes voulait-il dire que le cercle sera en contact avec la courbe ? Mais il ne s’explique pas sur cette notion de contact, que les mathématiciens et les philosophes n’ont cessé de discuter depuis l’antiquité. Voulait-il dire que le cercle est confondu avec la courbe au point C, et que la normale au cercle en ce point est aussi normale à la courbe ? Quoi qu’il en soit, Descartes expédie bien vite la question, et c’est d’ailleurs pour cette raison que l’expression « toucher sans couper » a suscité des polémiques nombreuses et fécondes chez ses successeurs (Leibniz et Jean Bernoulli). Telle qu’elle se présente, cette notion de contact en présuppose quelques autres : proximité, voisinage, approximation ..., et donc celle d’une différence infiniment petite. Or cette expression lapidaire, « toucher sans couper», dispense à l’évidence d’évoquer l’infiniment petit et les notions connexes, qui

‎1. A. Girard, L’Arithmétique de Simon Stevin de Bruges, Leiden, 1625, p. 626.

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IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

pourtant sont bien là, mais dissimulées sous l’exposé purement algébrique de Descartes. Reprenons très brièvement la question. On peut affirmer que la méthode des tangentes de Descartes repose principalement sur la propriété du point double, et sur un théorème d’Apollonius, retrouvé et généralisé par lui. Le point double est obtenu par la solution d’une équation quadratique. Quant au théorème d’Apollonius, c’est la proposition V.31 des Coniques : Si l’on mène à l’extrémité d’une droite minimale, menée dans l’une ou l’autre des sections coniques, une droite suivant un angle droit, l’extrémité mentionnée étant celle qui est sur la section conique, alors la droite menée est tangente à la section. 1

Or cette proposition se généralise facilement aux courbes convexes. Mais comment Descartes était-il parvenu à ce théorème, alors qu’il ne connaissait sûrement pas le cinquième livre des Coniques dont il n’avait sans aucun doute reçu aucun écho, comme le confirme l’histoire de la réception de ce livre au xvii e siècle ? Rappelons que, pour établir cette proposition, Apollonius avait eu recours au groupe des propositions I.31 à I.37 du premier livre, qui menait aisément à cette proposition du cinquième livre. Descartes, qui connaissait parfaitement le premier livre des Coniques, a vraisemblablement refait le chemin d’Apollonius, pour ensuite généraliser le résultat. Cela ne posait pour lui pas le moindre problème. On admettra sans peine que Descartes était mieux placé que quiconque pour saisir les limitations de sa méthode, ainsi que la supériorité de celle de Fermat. Il a d’ailleurs concédé à Debeaune que la méthode de Fermat est plus facile à manier lors de l’application et de l’usage, mais laisse sans doute à désirer du point de vue de la rigueur mathématique. Reste donc à savoir pourquoi Descartes tenait tant à sa méthode des tangentes. Il serait tentant mais léger d’invoquer la fierté de l’auteur, ou un trait de caractère du savant. Il s’agit bien plutôt de la ferme volonté d’exclure, et qui plus est à juste titre, tout objet non strictement algébrique et toute opération qui comporte une démarche infinitésimale, lors de l’étude des courbes géométriques. Un tel parti pris obéit

‎1. Apollonius : Les Coniques, tome 3 : Livre V, commentaire historique et mathématique, édition et traduction du texte arabe par R. Rashed, Berlin / New York, Walter de Gruyter, 2008, p. 318.

DESCARTES ET L’INFINIMENT PETIT

269

cette fois encore à deux ordres de raisons : mathématiques et philosophiques. Ces courbes se distinguent en effet de toutes les autres par la simplicité des mouvements qui les engendrent, par la rigueur des équations algébriques qui les définissent et qui caractérisent tous leurs points sans aucune exception, et par la précision des moyens qui permettent de les tracer. Il n’y a aucune approximation ni aucun sous-ensemble de points inaccessibles. Aucune place, donc, pour les objets infinitésimaux ni pour les processus infinitésimaux. On se garde d’introduire de tels objets et de tels processus pour préserver, si l’on peut dire, la pureté algébrique, condition, selon Descartes, de la généralité. En géométrie algébrique on ne traite, selon lui, que de grandeurs algébriques nécessairement finies. Dans ce domaine, l’entendement avance d’un pas assuré et ne traite d’aucune grandeur qu’il ne puisse comprendre. L’entendement ne peut pas concevoir une quantité qui est à la fois différente de zéro et cependant nulle ; il ne peut pas non plus concevoir que deux quantités, dont la différence est infiniment petite, puissent être égales. Telles sont les conditions pour que notre connaissance des propriétés de ces courbes soit claire et distincte, telle est l’exigence philosophique. Ainsi, dans la fameuse controverse qui l’oppose à Fermat, Descartes s’efforce de débarrasser la méthode de ce dernier de l’infinitésimal, et de l’interpréter dans les termes de deux équations algébriques. Il écrit à Mersenne le 3 mai 1638, après avoir repris la méthode de Fermat : au lieu de dire simplement : elles s’égalisent, il fallait dire : elles s’égalisent de telle manière que la quantité à trouver par cette équation soit certes unique, quand on se reporte à la quantité maximale ou bien minimale, mais une quantité unique qui provient des deux qui pourraient être trouvées par la même équation, et qui seraient inégales, si elles étaient rapportées à une plus petite que la plus grande ou plus grande que la plus petite. 1

Il y revient encore une fois en juin de la même année dans une lettre à Hardy, où il écrit : Voilà donc le fondement de la règle, en laquelle il y a virtuellement deux équations, bien qu’il ne soit besoin d’y faire mention expresse que d’une, à cause que l’autre sert seulement à faire effacer ces homogènes. 2

Aussi fallait-il bannir l’infiniment petit, au risque, on l’a vu, que celui-ci s’introduise subrepticement. ‎1. A. T. II, p. 127. ‎2. Ibid., p. 169 sq.

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IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

Une telle position était lourde de conséquences sur les mathématiques cartésiennes. Ainsi, dans cette perspective, on n’allait pas contribuer à la recherche naissante sur la rectification des courbes – ce que justifie Descartes lorsqu’il écrit : car, encore qu’on n’y puisse recevoir aucunes lignes qui semblent à des chordes, c’est-à-dire qui deviennent tantôt droites et tantôt courbes, à cause que, la proportion qui est entre les droites et les courbes n’étant pas connue et même, je crois, ne le pouvant être par les hommes, on ne pourrait rien conclure de là qui fût exact et assuré 1.

Sans doute est-ce pour cette raison que Descartes ne cherchait pas à déterminer la longueur des courbes. Une telle recherche aurait en effet exigé que l’on procède par rectification, c’est-à-dire selon une méthode dont Descartes vient de dire qu’elle dépasse l’entendement humain. Et d’ailleurs, même dans les cas où l’entendement se satisfait d’une connaissance qui n’est que claire, comme celle des courbes mécaniques, il ne procède pas par rectification. Descartes note en effet que la longueur de l’arc de la spirale logarithmique, à partir de son origine jusqu’à son extrémité, est proportionnelle à la longueur de son rayon vecteur de son dernier point. Cependant, il ne montre pas que cette courbe est rectifiable (cf. lettre à Mersenne du 12 septembre 1638). Il ne faudrait toutefois pas se tromper : cette attitude de Descartes n’a rien à voir avec celle des anciens, qui distinguaient courbes et droites, mais c’est l’effet de la conception qu’il se faisait de la connaissance des courbes géométriques et de sa position à l’égard des infinitésimaux – conception et position éminemment positives s’il s’agit de constituer la géométrie algébrique, mais qui ne pouvaient qu’entraver la démarche sur le terrain de l’analyse infinitésimale.

II Mais, si l’infiniment petit n’a pas sa place dans la connaissance claire et distincte, comme celle des courbes géométriques, peutil intervenir dans la connaissance seulement claire, comme celle des courbes mécaniques ? Nous avons montré ailleurs que, si cette connaissance est seulement claire, c’est en raison des mouvements qui engendrent ces courbes, de la nature des équations qui les définissent et du fait que ces équations ne caractérisent pas tous leurs

‎1. A. T. VI, p. 412.

DESCARTES ET L’INFINIMENT PETIT

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points. Ces courbes sont définies par des équations différentielles algébriques 1. C’est aux écrits mathématiques de Descartes postérieurs à 1637 qu’il faut s’adresser pour avoir quelques éléments de réponse. Ayant accompli son grand projet, Descartes, libéré de la puissante contrainte algébrique qu’il venait d’éprouver et sollicité par la recherche mathématique en cours, notamment celle de Roberval et de Fermat, était disponible ; après 1637, il était prêt à retrouver, mais à un tout autre niveau, les questions de sa jeunesse, ainsi que d’autres, relatives aux courbes mécaniques, de même que la méthode de l’inverse des tangentes. Or ses contributions en ce domaine ont été étudiées par Tannery 2 et Milhaud. J. Vuillemin 3 les a analysées en détail, et, plus récemment, Ch. Houzel 4. Tous ont souligné que Descartes y manie l’infinitésimal. Ici, je me bornerai à une seule question, celle de la tangente à la courbe mécanique la plus fameuse au xvii e siècle : la cycloïde. Commençons par quelques brefs rappels. La cycloïde est la courbe décrite par la trajectoire d’un point M de la circonférence d’un cercle de rayon R que l’on imagine rouler, sans glisser, sur un axe Ox, lorsque le cercle fait une révolution complète sur un segment de droite. Le mouvement étant uniforme, alors chaque déplacement du centre du cercle le long d’une droite parallèle à la base est égal à la variation angulaire du cercle 5. Le 27 mai 1638, Descartes envoie à Mersenne sa quadrature d’une arche de cycloïde, mais sa démonstration est incomplète 6. Deux mois plus tard, le 27 juillet, il lui adresse la démonstration complète. L’idée sur laquelle repose cette démonstration est, comme il l’écrit : ... lorsque deux figures ont même base et même hauteur, et que toutes les lignes droites, parallèles à leurs bases, qui s’inscrivent en l’une, sont égales à celles qui s’inscrivent en l’autre à pareilles distances, elles contiennent autant d’espace l’une que l’autre. 7

‎1. Cf. R. Rashed, « La Géométrie de Descartes et la distinction entre courbes géométriques et courbes mécaniques», op. cit. ‎2. P. Tannery, «Pour l’histoire du problème inverse des tangentes», 1904, dans P. Tannery, Mémoires scientifiques, publiés par J. L. Heiberg et H. G. Zeuthen, 1926, vol. 6, p. 457-477. ‎3. G. Milhaud, Descartes savant, Paris, 1921, p. 162 sqq. ; J. Vuillemin, op. cit. ‎4. C. Houzel, «Descartes et les courbes transcendantes», dans J. Biard et R. Rashed (éd.), Descartes et le Moyen Âge, op. cit, p. 27-35. ‎5. On a l’arc NM du cercle égal au segment ON. Si on désigne par t la mesure de l’angle MCN, le point M(x, y) aura pour coordonnées √ x = R(t − sin t) et y = R(1 − cos t) = 2R sin2 2t ; et la cycloïde aura pour équation y(2R − y)dx = y dy. ‎6. A. T. II, p. 135-153. ‎7. A. T. II, p. 261.

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IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

Il poursuit : car toutes les parties d’une quantité étant égales à toutes celles d’une autre, le tout est nécessairement égal au tout ; et c’est une notion si évidente, que je crois qu’il n’y a que ceux qui sont en possession de nommer toutes choses par des noms contraires aux vrais qui soient capables de la nier, et de dire que cela ne conclut qu’à peu près. 1

Le ton est ferme et n’a rien d’approximatif ; pourtant Descartes recourt ici, sans hésiter, aux indivisibles, comme d’ailleurs ses contemporains depuis Kepler et Galilée. Or, pour une telle courbe, le recours à l’infiniment petit ne se limite pas à la quadrature, mais intervient aussi lors de l’étude de la tangente. Et de fait, à peine un mois plus tard, le 23 août, Descartes envoie à Mersenne sa méthode pour, dit-il, «trouver les tangentes des courbes décrites par le mouvement d’une roulette 2 », c’est-à-dire des différentes espèces de cycloïde. Ce texte manifeste la virtuosité de Descartes lorsqu’il adapte la méthode appliquée dans sa Géométrie aux courbes mécaniques. La méthode proposée pour construire la tangente à la cycloïde consiste à déterminer d’abord la normale, comme pour les courbes géométriques. Mais, cette fois, on obtient la normale grâce à l’idée de « centre instantané de rotation ». Selon cette idée, forgée par Descartes, le mouvement du cercle générateur est assimilé, d’une manière infinitésimale, à une rotation à un instant donné ayant pour centre le point de contact du cercle et de la base. Il s’agit donc d’une belle méthode cinématique, que Descartes n’aurait pas acceptée dans sa Géométrie. Pour les courbes mécaniques, on se donne d’autres méthodes et d’autres droits, dont celui de laisser quelque liberté à l’imagination. Arrêtons-nous un peu à la démarche de Descartes. Pour construire la tangente à un point B de la cycloïde, on mène par ce point la parallèle BN à la base DA, coupant le cercle générateur CND en N. On joint N au point de contact D du cercle générateur et de la base. De B on mène la parallèle BO à ND ; alors, BO est la normale cherchée et la perpendiculaire BL est la tangente en B à la courbe. Notons que BL est parallèle à NC car l’angle DNC est droit. Dans la suite de la lettre, Descartes construit de manière analogue la tangente à la cycloïde allongée et la tangente à la cycloïde raccourcie. Il donne ensuite la démonstration de sa méthode, dans

‎1. A. T. II, p. 262. ‎2. A. T. II, p. 308.

DESCARTES ET L’INFINIMENT PETIT

273

C L N

B

O

A

D Fig. 3

laquelle il a recours au concept de centre instantané de rotation. Il écrit : Si on fait rouler un polygone rectiligne, quel qu’il soit, sur une ligne droite, la courbe décrite par l’un de ses points, quel qu’il soit, sera composée de plusieurs parties de cercles, et les tangentes de tous les points de chacune de ces parties de cercles couperont à angles droits les lignes tirées de ces points vers celui auquel le polygone aura touché la base en décrivant cette partie. 1

Dans le cas de l’hexagone considéré par Descartes, on peut donc représenter ceci par la figure suivante :

B

O

O

O

O

O

Fig. 4

La courbe décrite par l’un des sommets du polygone au cours de son roulement est donc formée d’une suite d’arcs de cercles, dont le centre de chacun est le point de contact O du polygone et de la base, autour duquel pivote le polygone. Par conséquent, la normale d’un ‎1. A. T. II, p. 308-309.

274

IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

point B de la courbe est la droite BO, rayon de l’arc du cercle correspondant ; elle passe par le centre de rotation. Toutes les normales à cette courbe passent respectivement par les centres de rotation successifs. B u

C

O BR = 2 BO R

Fig. 5

Descartes poursuit : En suite de quoi, considérant la roulette circulaire comme un polygone qui a une infinité de côtés, on voit clairement qu’elle doit avoir cette même propriété, c’est-à-dire que les tangentes de chacun des points qui sont en la courbe qu’elle décrit doivent couper à angles droits les lignes tirées de ces points vers ceux de la base qui sont touchés par elle au même temps qu’elle les décrit. 1

Descartes justifie ainsi sa démarche : « Or, dit-il, le même arrive à un polygone de cent mil millions de côtés, et par conséquent aussi au cercle. 2 » Si en effet on augmente indéfiniment le nombre des côtés d’un polygone, on obtient à la limite un cercle puisque la longueur de chaque côté tend vers zéro. Autrement dit, le cercle est un polygone régulier dont le nombre des côtés est infini et dont la longueur de chacun est infiniment petite. Ces côtés infiniment petits déterminent la courbure de la courbe par les angles qu’ils forment les uns avec les autres. Dans la suite de cette même lettre, Descartes indique que sa méthode s’applique encore à des courbes générales engendrées par le roulement d’une courbe convexe possédant un centre de symétrie, comme l’ellipse, et donc à certaines courbes géométriques 3. Il rappelle à Mersenne qu’

‎1. A. T. II, p. 309. ‎2. Ibid. ‎3. A. T. II, p. 312.

DESCARTES ET L’INFINIMENT PETIT

275

il faut aussi remarquer que les courbes décrites par des roulettes sont des lignes entièrement mécaniques, et du nombre de celles que j’ai rejetées de ma Géométrie ; c’est pour quoi ce n’est pas merveille que leurs tangentes ne se trouvent point par les règles que j’y ai mises 1.

On observe ainsi que Descartes combine tout naturellement une forte intuition géométrique et un raisonnement de nature infinitésimale. Ce raisonnement et les procédés qu’il manie sont de même nature que ceux mis en œuvre par Archimède et les infinitésimalistes arabes. Tous ces géomètres avaient en effet recours à l’infiniment petit, puisque tous savaient que la tangente est limite de la sécante ; mais Descartes non plus que ses prédécesseurs n’a fait appel explicitement à des notions différentielles. Lui-même a critiqué le recours à des termes tels que « adégaler », et, tout comme pour les anciens, son infiniment petit a toujours une grandeur déterminée qui ne s’annule pas. Si on s’en tient à de telles constatations, on sera tenté d’assimiler Descartes à ses prédécesseurs. C’est d’ailleurs ce que fait Y. Belaval lorsqu’il écrit : Descartes, pour être pleinement entendu, doit être rattaché à la tradition grecque de la démonstration mathématique, qui évitait la considération de l’infini comme échappant à l’évidence rationnelle. 2

Et pourtant nous avons vu qu’il utilise l’infiniment petit sous plusieurs formes. Et, d’ailleurs, renvoyer Descartes aux géomètres grecs ne permet pas d’expliquer son recours à la méthode de l’inverse des tangentes – qui l’attirait lorsqu’il était jeune, et à laquelle il reviendra plus tard. En effet, nous avons vu que, avant 1629, dans les Excerpta Mathematica, pour obtenir une courbe, il pensait partir des propriétés de la tangente menée à cette courbe supposée déterminée, et non point d’une propriété caractéristique des points de la courbe. Ce tournant est capital : même s’il est vrai que Descartes ne possédait pas encore la méthode de l’inverse des tangentes, il l’entrevoyait déjà et en avait l’intuition. En 1637, il est en possession de cette méthode des infinitésimaux, grâce à laquelle il invente ses ovales, comme je crois l’avoir montré 3.

‎1. A. T. II, p. 313. ‎2. Y. Belaval, op. cit., p. 302. ‎3. « Les ovales de Descartes», op. cit.

276

IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

Libéré, comme je viens de le dire, de ses contraintes algébriques, il revient à cette méthode à partir de 1638 dans la fameuse correspondance relative aux problèmes de Debeaune. Il écrit à Debeaune : Je ne crois pas qu’il soit possible de trouver généralement la converse de ma règle pour les tangentes, ni de celle dont se sert Monsieur de Fermat non plus, bien que la pratique en soit en plusieurs cas, plus aisée que la mienne. Mais on en peut déduire a posteriori des théorèmes, qui s’étendent à toutes lignes courbes qui s’expriment par une équation, en laquelle l’une des quantités x ou y n’ait point plus de deux dimensions, encore que l’autre en eût mille ; et je les ai trouvés presque tous en cherchant ci-devant votre deuxième ligne courbe ; ... 1

Rappelons que cette deuxième courbe est une courbe logarithmique, et appartient donc aux courbes mécaniques. Descartes affirme donc que, pour obtenir ladite courbe, il a utilisé la méthode de l’inverse des tangentes, ce que confirme du reste sa solution. Il affirme également que, pour l’heure, il peut recourir à cette méthode dans certains cas, mais pas encore généralement. Il rappelle qu’il l’a également utilisée pour les courbes hyperelliptiques, c’est-à-dire celles définies par l’équation y2 = P(x), où P est un polynôme, et qu’il a cherché a posteriori à résoudre certaines équations différentielles de la forme 2yy ′ = P ′ (x). Il sait donc enfin qu’avec cette méthode il peut étudier des courbes aussi bien géométriques que mécaniques, mais il ne peut dire a priori la nature de la courbe obtenue, et encore moins savoir a priori si cette courbe est ou non solution du problème de Pappus, comme certaines ovales. Je ne m’arrête pas ici à ses solutions des problèmes de Debeaune. Rappelons cependant que ces solutions ont amené Y. Belaval, qui niait que Descartes connût cette méthode des infinitésimaux, à écrire à propos de sa solution du second problème : « Personne ne contestera que Descartes n’invente là une technique pour résoudre un problème d’équation différentielle. 2 » Il poursuit : « Mais ce qui est conforme à son génie inventif, se révèle aussitôt contraire à son génie philosophique : sa philosophie fait obstacle à la considération de l’infinitésimal.» À tout prendre, il ne me semble pas que le problème tienne à la contradiction entre deux génies ; il est ailleurs. On vient de rappeler qu’avec la méthode de l’inverse des tangentes, on peut déterminer aussi bien des courbes géométriques – les ovales par exemple – que des courbes mécaniques – la logarithmique –, sans toutefois pouvoir le dire a priori. Or cette dernière réserve suffit pour

‎1. A. T. II, p. 514. ‎2. Y. Belaval, op. cit., p. 310.

DESCARTES ET L’INFINIMENT PETIT

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Descartes à exclure cette méthode de sa Géométrie, où il pensait obtenir toutes les courbes par ses compas et par la solution du problème de Pappus. La méthode de l’inverse des tangentes en effet n’est pas générale, et ne permet pas non plus de sonder a priori la nature de la courbe obtenue. Le philosophe de la méthode ne pouvait assurément pas l’accueillir dans sa Géométrie, mais n’hésite pas à l’appliquer en dehors d’elle, surtout pour les courbes mécaniques. Il n’y a donc pas la moindre contradiction dans la démarche cartésienne. Il fallait simplement pour étudier les courbes mécaniques que Descartes invente d’autres méthodes, qui s’appliquent à toutes les courbes, même si ces méthodes ne sont pas purement algébriques et ont recours à des notions cinématiques, telles que le centre instantané de rotation. Pour conclure, disons que, si l’infiniment petit intervient dans une connaissance claire et distincte, celle que l’entendement humain peut avoir des objets de la géométrie algébrique, ce n’est que furtivement et sans y être expressément invité ; dans l’exposé, on évite alors les termes qui rappelleraient cette présence forcée (tels ceux qui rappellent l’inverse des tangentes), ou, tout au moins, on s’en tient à des expressions rapides, comme « toucher sans couper». Mais, s’il s’agit d’une connaissance claire seulement, comme celle que nous avons des courbes mécaniques, laquelle est susceptible de degrés et d’imperfections, l’infiniment petit peut intervenir en droit. Dans un cas comme dans l’autre, Descartes évite de discourir positivement de l’infinitésimal. On sait cependant, par son rejet des notions différentielles, comme celle de l’« adégalité» de Fermat, qu’il refuse de considérer l’infinitésimal comme une grandeur tendant vers zéro. On sait aussi que, tant sur le plan ontologique que sur le plan logique, l’entendement ne peut rien dire ni sur l’infiniment grand, ni sur l’infiniment petit ; il ne peut parler que d’« indéfini». Cette position de Descartes n’est nullement hostile à l’infinitésimal. Elle n’est pas non plus contradictoire. À l’opposé de ce qu’on lit parfois, Descartes n’a pas exclu l’infiniment petit, mais, pour des raisons mathématiques aussi bien que philosophiques, il a voulu délimiter le domaine et les modalités de ses interventions. En effet, une connaissance claire et distincte ne peut qu’être exacte et assurée. L’entendement y comprend aussi bien la substance étendue que ses modes, et pense dans sa rigueur la notion de limite. Aussi ne peut-il comprendre l’infinitésimal comme le résultat d’une infinité de divisions réitérées d’une quantité finie. Il ne peut le penser que comme limite, car, s’il est capable d’abstraire cette limite, il est incapable de lui attribuer le statut d’une quantité objective et exacte, c’est-à-dire, pour Descartes, algébrique. Si donc il ne peut être en droit une notion de la géométrie algébrique, l’infinitésimal peut résider ailleurs

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IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

en mathématiques ; non seulement lors de l’étude des courbes mécaniques, mais aussi de celle des courbes qui ne sont pas solution du problème de Pappus et dont l’on ne sait pas dire a priori si elles sont algébriques ou mécaniques. Il est bien là comme limite de la sécante, comme indivisible et, en filigrane, comme l’infiiniment petit d’une grandeur variable. Il ne me semble pas non plus exact de dire que c’est la présence de l’infiniment petit qui rend la connaissance des courbes mécaniques imparfaite : si elle l’est, c’est par sa constitution même, pour les raisons déjà évoquées (les mouvements pour les engendrer, leurs équations (différentielles algébriques), les points non accessibles) ; ce sont ces raisons qui ont exclu ces courbes de la géométrie algébrique (mais nullement de toute la géométrie), mais qui, elles, autorisent, l’intervention de l’infiniment petit. Enfin, pour cerner pleinement et rigoureusement la présence de l’infiniment petit chez Descartes et l’usage qu’il en fait, il faudrait se garder de juger les méthodes de Descartes à l’aune de la méthode infinitésimale de Leibniz, après 1675 – date de son invention du calcul différentiel –, pour ensuite reprocher à Descartes de n’avoir pas mené à bien un projet qui n’était pas le sien. Il n’y a chez Descartes ni le calcul différentiel, ni surtout les algorithmes de ce calcul. En revanche, il y a l’infiniment petit sous plus d’une forme, et à divers niveaux théoriques, comme on l’a vu. Nous sommes à la veille de l’étude réglée de l’infiniment petit, et Descartes est, faut-il le rappeler, le contemporain de Fermat et de Wallis, et le prédécesseur de Leibniz et de Newton.

PHILOSOPHY AND MATHEMATICS: INTERACTIONS

ABSTRACT. — From Plato to the beginnings of last century, mathematics provided philosophers with methods of exposition, procedures of demonstration and instruments of analysis. The unprecedented development of mathematics from one side, and the mathematicians’ appropriation of Logic from the philosophers on the other side threw up two problems with which the philosophers have to contend: (1) Is there still a place for philosophy of mathematics ? (2) To what extent is a philosophy of mathematics still possible ? This article offers some reflexions on these questions, which have preoccupied a good many philosophers and continue to do so.

It must be, to say the least, presumptuous for anyone but a prophet or a magician to claim the ability to forecast the future development of a discipline like philosophy and its relationships with other disciplines such as mathematics. Would not any such projection, in effect, have to presuppose agreement as to what exactly is meant by philosophical discourse and on the precise nature of the knowledge it offers? It would also be necessary to take a comprehensive look at the evolution of mathematics in our own time. But we know that there is no consensus among philosophers on how their discipline should be defined, while a comprehensive survey of the evolution of mathematics must remain out of reach not only because of the sheer volume of technical knowledge it requires, but also because it involves deciding what future research may possibly turn out to be. My aim here is more limited and much more modest. I should like to review, as briefly as possible, the ties that have, throughout history, bound philosophy and mathematics together, and to isolate some constants that are likely to be found in them. This in turn entails identifying periods in history when the philosophy of mathematics was being actively pursued. It is clear that since the dawn of history, no scientific discipline has contributed as much as mathematics has to theoretical philosophy. The ties that exist between philosophy and mathematics are Paru dans Physis, vol. XLVIII, fasc. 1-2, 2011-2014, p. 241-257. A shorter French version appeared in Bulletin of the University of Tokyo Center for Philosophy, vol. 1, 2003, pp. 66-76.

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more numerous and go back further than those with any other discipline. Ever since antiquity mathematics has provided philosophers with core material to reflect upon ; it has furnished them with methods of exposition, reasoning processes, sometimes even appropriate tools for their analyses: from Plato to Husserl, philosophers have often used mathematics, in one way or another, in developing their ideas. The first task they tackled among those mathematics set them was to explain mathematical knowledge itself—by examining its subject matter, its methods and the distinguishing marks of its apodicticity. From beginning to end throughout the history of philosophy, questions continually arise as to the conditions governing mathematical knowledge, its genesis, how far it can be extended, the nature of its certainty, and the particular place it occupies among the other branches of knowledge. Pursuit of such topics, however, was never undertaken by philosophers—the greatest of them at any rate—as the result of spontaneous interest unconnected with what mathematicians were doing. It was always the mathematics of the day that spurred philosophers to renew their engagement with the subject. Moreover, pinnacles of research in philosophy invariably echoed fresh advances in mathematics, which themselves arose especially because of mathematics’ intrinsic need to re-examine its own basic principles, or at least to redefine the foundations of one of its branches. This was just what happened very recently, at the end of the nineteenth century, when it became clear that some remedy must be found for the inadequacy of spatial intuition as a basis for rigorous work in the fields of analysis, algebra or the theory of numbers, and that mathematics needed other foundations not dependent on spatial intuition but capable of supporting rigorous study in these areas. Further particular examples include matters that are still topical such as the question of the foundations of probability theory and the effects it has on philosophy in regard to induction and causality. Central though it may be, this sort of connection is far from exhausting the tally of multiple and complex bonds active in linking the two disciplines together. Jules Vuillemin writes: There exists an intimate connection, albeit less apparent and more uncertain, between pure Mathematics and theoretical Philosophy. The history of Mathematics and Philosophy shows that methodological innovation in mathematics has, on every occasion, repercussions on theoretical philosophy. 1

‎1. J. Vuillemin, La philosophie de l’algèbre, Paris, PUF, 1962, p. 4.

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Examples quite rightly adduced include Platonism and the discovery of irrationals, Descartes’ metaphysics and algebraic geometry, the principle of continuity in the philosophy of Leibniz and infinitesimal calculus ; and finally, more recently, the crisis in set theory and Russell’s first philosophy, the neo-positivists’ “degree of confirmation” and probability theory, among others. The relationship described as “less apparent and more uncertain” takes a variety of forms ranging from collaboration between philosopher and mathematician in working out a method, or even a system of logic—as happened with Eudoxus and Aristotle in the case of the axiomatic method—to the direct application of a mathematical technique like combinatorial analysis to the solution of a metaphysical problem like emanation from the one. But of all the forms that the relationship can assume there is one that has a particular claim on our attention, and this time the credit for it must go to mathematicians and not philosophers: I refer to the doctrines devised by the mathematicians themselves to underpin their own procedures. The circumstances that combined to favour the formation of these theories were most likely to occur when a mathematician working at the cutting edge of the research of his day came up against an insurmountable difficulty resulting from the inadequacy of the available mathematical techniques to the new objects that were part of a future that he was just beginning to glimpse. We have only to think of the different variants of the doctrine of indivisibles identified by the first analysts, the reflexions on the notion of limit before Cauchy, the Bayesian doctrine of “personal belief” maintained by the first probability theorists, and lastly of the debates on the theory of sets before—and even after—its axiomatisation (Brouwer and Zermelo). This relationship in its various shapes and forms, however, goes nowhere near to covering all the links between mathematics and philosophy. There is certainly no question of our making an inventory of them here, nor yet of attempting to offer some pointless a priori definition of them. What I have been suggesting is rather that we should seek to recover them from the shaky ground of the history of mathematics and philosophy, if we want to avoid conferring an eidetic status upon them in the way that certain phenomenologists have done in their writings on the origin of arithmetic or geometry. I shall also restrict myself to three areas of interaction between philosophy and mathematics that have every chance of surviving into the future. The first applies to mathematics as a whole, while the other two are more limited in extent. I

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In the course of the nineteenth century, as a close look at the evidence shows, the ties linking mathematics and philosophy were continuously strengthened precisely because mathematics itself went on developing. Advances were many: in non-Euclidian geometry there was the work of the younger Bolyai for example ; in analysis there was Bolzano among others ; or there were those who, like Dedekind, were concerned with the foundations of arithmetic. It is not however until the second third of the nineteenth century that we witness the establishment of qualitatively different links between philosophy and mathematics. It was at this period that mathematicians engaged in research on the foundations of mathematics thought that algebraic logic could provide them with some means of answering their questions. The logicians, Frege, Peano and Russell among others, treated mathematics as a part of logic, considering that its notions and theories were reducible to logical notions and theories ; or, again, they thought that mathematical notions could be derived from an a priori logical principle by a process of deductive reasoning. These new links between mathematics and logic were the main business of the philosophy of mathematics. The formalistic school (Hilbert and his pupils) embarked on the task of justifying mathematically theories formalised by finitistic means—what is called meta-mathematics. The aim of this research was to answer the criticisms formulated by Brouwer. Hilbert, for his part, never adopted a formalistic position. The intuitionists, Heyting and others, caught up, so to speak, in a sympathetic reaction, could not avoid taking up logical research themselves: intuitionistic logic. In short, the work done by these schools, the well-known polemical exchanges that took place between intuitionists and formalists were an unfailing source of enrichment to the philosophy of mathematics. Still more, the establishment of mathematical logic in the course of these same years strengthened the ties between mathematics and philosophy, albeit at the same time maiming philosophy by detaching logic from it. This historical departure meant that mathematicians could henceforth think out their methods, examine their principles, concepts, foundations, axioms and means of proof and so on, and in this way propound in mathematical terms problems that, up until then, had only been tackled in the terms appropriate to philosophy. The mathematicians’ appropriation of logic from the philosophers had a number of consequences, one of which was to push philosophy towards a form of philosophic logic centred on problems of language and meaning, and it is exactly this that we can see happening in varying degrees from this period onwards. The new relationship between mathematics and philosophy

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threw up two problems with which the philosophers of mathematics have to contend: (a) “Is there still a place for philosophy ?” and (b) “To what extent is a philosophy of mathematics still possible ?” These questions have preoccupied a good many philosophers and continue to do so. In France, for example, they have been debated in the circle of Jules Vuillemin and his friends, all of them successors to a tradition that goes back to Cavaillès and Lautmann. Let us start by taking note of the fact that mathematical thought about mathematics begins after Gödel’s arithmetisation of logic and the integration of semantics with mathematics by Tarski. To be sure, we can pick out certain elements dating from before Gödel and Tarski in the work of Wiener, Löwenheim, Skolem, Herbrand and in material published by a good many others in the period immediately prior to the thirties of the twentieth century. 1 In Gödel’s case the process involves using natural whole numbers, thought of as definable in terms of first-order logic, to encode the variables, formulae, formal proofs, etc. of the formalised theory. This procedure does not bring in semantics, though semantics is none the less involved, hidden in his use of the “liar paradox.” Put another way, in the words of Marcel Guillaume, “Gödel, after resolving a number of technical difficulties, finally arrived at his undecidability theory, by following the natural course of reframing the Liar Paradox arguments, substituting the notion of formal demonstrability for that of truth.” 2 In the second case, Tarski made an object belonging to a theory considered as intuitive correspond to each term of a formalised theory. He considered that he had a representative model of the theory if the formal axioms corresponded to true statements in the intuitive theory. It was a case of prolonging and generalising the procedure followed by the nineteenth-century geometers in demonstrating the non-contradiction of one type of geometry in relation to another, when they established a bilingual vocabulary that allowed them to construct a piece of Euclidean space in the image of a portion of nonEuclidean space. The geometers’ discovery of internal translations like this is without doubt one of the major advances of nineteenthcentury mathematics (Beltrami, Klein and others). Further, it can be

‎1. See for example, T. Skolem, Logico-Combinatorial Investigations in the Satisfiability or Provability of Mathematical Propositions: A Simplified Proof of a theorem by L. Löwenheim and Generalizations of the Theorem, in J. van Heijenoort (ed.), From Frege to Gödel, A Source Book in Mathematical Logic, 1879-1931, Cambridge, Massachusetts/London, Harvard University Press, 1967, pp. 252-263. ‎2. M. Guillaume, Logique mathématique en sa jeunesse, in J.-P. Pier (ed.), Development of Mathematics 1900-1950, Basel/Boston/Berlin, Birhäuser, 1994, pp. 185-367, at p. 242.

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asserted without exaggeration that, along with the developments in algebra, it was upon this ground that the concept of structure arose. The method being applied here is designed to discover the properties of a theory, i.e. of a set of propositions in a language L, from the properties of its models, where a model is defined as a structure of objects that satisfies all the propositions of the theory. But there a problem crops up, referred to as the problem of compactness, by analogy with topology: if the finite parts of a theory have models, has the theory as a whole a model ? The thought process advances in this way, constructing representations of objects with which it can go on to work. What is involved is, then, is the kind of thinking that uses imagination to construct concepts. But this process is not at all like the thinking of the philosopher. The philosopher, as Kant has pointed out, proceeds by means of a comparison of concepts, and his way of thinking does not go so far as to produce representations or schemata. Kant’s transcendental theory of method in fact distinguishes between mathematical knowledge, that is, rational knowledge derived from constructing concepts, and philosophic knowledge, which comes from comparison of concepts. This difference, moreover, brings with it a lot of others that mark the distinction between the two types of knowledge. Here is what Kant has to say on the subject (Critique of Pure Reason): There is indeed a transcendental synthesis [framed] from concepts alone (aus lauter Begriffen), a synthesis with which the philosopher alone is competent to deal ; but it relates only to a thing in general, as defining the conditions under which the perception of it can belong to possible experience. But in Mathematical problems there is no question of this, nor indeed of existence at all, but only of the properties of the objects in themselves, [that is to say], solely in so far as these properties are connected with the concept of the objects. 1

Mathematics proceeds by constructing objects by intuition. Thus, mathematical thought is focused on the image and nothing else. But though there is agreement among mathematicians in regard to representation—an agreement based on the fact that, once all the hypotheses are admitted, a conclusion follows—this masks an intractable bone of contention among philosophers. Now, when we look into its causes, we are inevitably brought back to the problem

‎1. This extract is taken from Section I (The Discipline of Pure Reason in its Dogmatic Employment) of Chapter I (The Discipline of Pure Reason) of the part entitled: Transcendental Doctrine of Method at the End of the Critique of Pure Reason (Engl. trans. K. Smith, London, Macmillan, 1929, p. 580).

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of mathematical ontology, something that was destined to be understood in very different ways. In its earliest form it was represented by the clash between Platonic realism and Aristotelian conceptualism. The question of how to organise ontology, along with all the other problems that are bound up with it, is certainly one that philosophers have to face. It remains very much to the fore, for example, in the discussions that still go on today between the rival options of intuitionism, those that set one version of constructionism against another. The type of philosophy that has embraced the problem is, however, to be distinguished from the philosophy that has become purely linguistic. In fact, while the former cannot avoid involving itself with the history of mathematics, linguistic philosophy generally remains untouched by it. On the other hand, though the mathematician need know nothing about the questions thrown up by linguistic philosophy—as is indeed the case—he cannot remain indifferent to thinking on the organisation of ontology. Finally, the philosopher will not this time be tempted to provide “rational constructs” of the type familiar in analytic philosophy, namely ideal, logical representations of mathematical facts that moreover would not, in the case of significant mathematical facts, correspond to these facts. But what he will do is to seek out the concepts and principles to which the organisation must conform if it is to make sense and apply universally. Mathematics itself can indeed be of assistance in examining certain features of ontological organisation, but never all of them. Rigorous examination of the expressions and lines of reasoning used to establish ontological structure is feasible with regard to some single theory, but never generally. It is thus possible, using mathematical terms, to demonstrate propositions such as: noncontradiction in a system of propositions, completeness in a system of propositions, decidability of the propositions in a system (an algorithm exists that enables every true proposition to be designated as such). But these efforts do not appear to exhaust all the questions posed in regard to ontological organisation, apart from supporting the contention that mathematics is syntax of language, mathematical truth being in that case a logical property within the meta-language. Before we get into a discussion of that sort, suffice it to say that, here again, it is an ontological choice that is being made. I need only mention that Gödel was convinced that he had provided rigorous proof that a syntactical programme is unachievable and that it is impossible to rid ourselves of the idea that mathematical propositions express mathematical “facts” that are endowed with real content. In his study, Is mathematics syntax of language ?, he writes as follows:

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All attempts of analyzing away the given or assumed facts expressed in the axioms of mathematics have failed and must necessarily fail: the axioms demonstrably cannot be replaced by definitions and the rule of substituting of the definiens for the definiendum. If mathematics is reduced to logic (in the sense of the Frege-Russell system), then axioms about the primitive terms of logic must be assumed, some of which are so far from trivial that they are rejected as false or meaningless by many mathematicians. If the mathematical axioms are replaced by syntactical rules, one needs axioms of the same power about the primitive terms of syntax or about abstract or transfinite concepts to be used in the syntactical considerations. 1

Gödel, then, opted for a species of mathematical Platonism that, in turn, reflects his conception of ontological organisation and the difficulty it entails: as Hao Wang puts it himself: He (Gödel) demonstrated only that mathematics is not “syntax”, but we are still a long way from a fairly clear picture of what mathematics is. 2

In other words, Gödel demonstrated that mathematics is not logical syntax of language, but he did not demonstrate a positive assertion of what mathematics is. On the other hand it is clear that the organisation of ontology has nothing in common with axiomatics, a system that proceeds by deduction from a hypothesis. I think that J. Vuillemin is right when he says: Many working mathematicians admit—as did even the ancients—the reality of the objects about which they speak, be they polygons and polyhedrons, or circles and spheres or more abstract structures such as Eudoxus’ system of magnitudes. But such an interpretation is never forced upon us by the axioms themselves, which do not tell us what the elements are. It was left to Greek philosophy to inquire into the nature of the things presupposed by axiomatic systems but not included within them. What are numbers, points and lines ? what kind of existence may be claimed for them ? These are philosophical questions. 3

This intractable set of philosophic questions on the ontology of mathematics as a whole came to be joined by another, more narrowly focused on particular areas and themes, brought about by the ‎1. K. Gödel, Collected Works, vol. III: Unpublished Essays and Lectures, edited by S. Feferman et al., New York/Oxford, Oxford University Press, 1995, pp. 349-350. ‎2. H. Wang, Reflections on Kurt Gödel, Cambridge, Massachusetts/London, MIT Press, 1987, p. 23. ‎3. J. Vuillemin, What are Philosophical Systems ?, Cambridge, 1986, p. 104.

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interaction between different mathematical disciplines. In antiquity it was the interaction between geometry and arithmetic based on integers that prompted the intervention of philosophers to explain notions such as ratio, irrationality, fractions and so on. Later on, the interactions between algebra and geometry and between algebra and arithmetic required the elucidation of the notions of space, curve, angle of contingence, and the constructive demonstration of the impossibility of a solution in integers of certain Diophantine equations. Today we see logic (where the propositions under consideration refer in a sense to “any object”) involved in proving mathematical propositions that deal with curves and algebraic varieties, and being applied to solve particular problems, (Yuri Matiyasevich’s negative demonstration of Hilbert’s tenth problem 1 with the help of recursively enumerable sets being a case in point) or in the employment of computers (i.e. machines that use logic) in solving mathematical problems (such as the four-colour problem, or the discovery of certain Mersenne numbers among others). In each case the procedure involves the organisation of ontologies relating to specific areas, which must then be clarified and described before the important matter of how these separate ontologies come together at a particular point in the history of mathematical research can be addressed. In some instances—the four colour problem is a case in point—the apparently unavoidable use of a computer in the demonstration raises questions as to the status of the sort of proof that no one is in a position adequately to explain. Similar doubt must attach to the status of computer-generated solutions in number theory or in the case of dynamic systems. Such are the very difficult questions that arise because of today’s ever narrower specialisation in mathematics. Philosophical investigations like these will last, if I may say so, as long as mathematics lasts, even if the latter is destined to become purely algorithmic—and we have known since Gödel, that algorithmics will, in any case, never exhaust mathematical thought.

II But there are two other circumstances that conduce to the survival and development of theoretical philosophy. The first is born

‎1. “To devise a process (algorithm) according to which it can be determined in a finite number of operations whether a Diophantine equation is solvable in rational integers.” It would not be until some forty years after its original formulation in 1900 that it would become clear that this was a logical problem.

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of the inadequacy of the technical resources available to mathematicians to the task of revealing the new objects that they can predict rather than perceive as they form on the distant horizon. Take, for example, the situation of those who, before there was any topology, wanted to deal with asymptotic behaviour; or take the plight of those who confronted impossible problems in number theory armed with nothing but the elementary tools provided by Euclidian geometry or polynomial algebra. The second of these circumstances is no less fruitful for the philosopher. It stems from the persistence of an irreducible semantic indeterminacy that is not infrequently encountered when mathematics is applied. The gap that opens up between a mathematical theory and how its meaning is interpreted in effect gives rise to a semantic indeterminacy that stands in inverse proportion to the degree to which the notions to be expressed in mathematical terms have been worked out in theory. Some time ago I was able to distinguish three sorts of applications of mathematics that are not on a par with each other when looked at from this point of view. There is first of all direct application to the data of immediate experience, such as is to be found in Euclid’s Optics, Bradwardine’s dynamics, or the economic theory of Walras or Pareto: this produces a kind of “pure science.” Next comes the application of mathematics to empirical data through some intermediary discipline that is to a greater or lesser extent itself mathematised or considered as such: that then gives “local” theories such as the mechanical schema in Alhazen’s or Descartes’ Optics ; or the static model Tartaglia thought up to explain violent motion ; or again the model devised by Von Neumann and Morgenstern for homo economicus. Finally there is the application of mathematics to well-structured schemas that have been well worked out in theory, initially triggered indeed by experiential data, but already quite independent of experience both in their forms and in their dynamisms. Take Kepler’s laws for example: they in no way describe the “appearances” of planetary motions, i.e. our experience of them. They describe elliptical trajectories that no one has perceived, or will ever come close to perceiving. Kepler’s laws, completely mathematised entities, would later be incorporated in the Newtonian law of attraction (in the sense that they can be derived from it, assuming Newton’s laws of motion). In each of these ways of applying mathematics there is an observable discrepancy between the applied mathematics and its interpretations. Now the less elaborate and the less structured the theoretical schemas based on experience are, the greater the semantic indeterminacy this discrepancy reveals. Be that as it may, in none of these

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situations will there be any question of dispensing with the clarification philosophy can bring. Whenever mathematics is brought to bear in particular on the social sciences, and likewise in some applications of probability calculus, the two situations outlined above have arisen and will continue to crop up at the very least for the next few decades. A single example taken from the use of probability theory will serve to bring these points into sharp focus: it concerns the relationship between causality and conditional probabilities. In fact, it constitutes a good example of the problem I have just been discussing, viz. the discrepancy between mathematical theory and its interpretation and the irreducibility of some degree of semantic indeterminacy that has continued to provide food for thought for mathematicians and philosophers since the end of the seventeenth century. All of them, moreover, view the problem as one of stochastic dependence, which takes us back to conditional probability and Bayes’s theorem. We can throw more light on the problem if we go back to the axiomatic studies of probabilities so that we can examine it in situations where there is a greater degree of syntactical control. We need to see how the notion of stochastic dependence is presented in studies of this kind and what proofs are used to support it. III The need for an axiomatic account emerged at the beginning of the last century, not so much to offer a solution to the paradoxes of probability calculus that Joseph Bertrand for one was so fond of, as to give some account of the new ways in which probability theory was being applied in mathematics and physics and because of the multiplicity and the richness of the results obtained since Laplace. In fact axiomatisation became a watchword after it was launched by Hilbert at the International Mathematical Congress in Paris in 1900, published in 1902, the sixth of his twenty-three Problems of Mathematics. This is what Hilbert said: Research on the fundamental principles of geometry leads us to envisage the following problem: how, on this model, are we to treat the branches of physics in which today mathematics plays a preponderant role ? The branches concerned are, above all others, probability calculus and mechanics. In regard to the axioms of probability calculus, it would seem to me very desirable for them to be discussed at the same time as in mathematical physics. This would facilitate a rigorous and satisfying

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parallel development of the mean value method, and that quite particularly in the kinetic theory of gases. 1

Hilbert thus foreshadowed the growth of a movement barely perceptible at the time but destined to go on expanding for half a century. He himself cites Bohlman (1900). We can add A. Wiman (1900, 1901), and others whose attempts were to follow in quick succession: E. Borel (1905), S. N. Bernstein (1917), R. von Mises (1919), A. Łomnicki (1923), H. Steinhaus (1923), etc. The various axiomatics must all answer two questions which may be expressed as follows: 1. What are the events, i.e., the objects supposed probable ? 2. What type of function on the events would the probability have to be ? The question of the “objects supposed probable” was answered by Boolean algebra and that regarding “type of function” by Borel’s theory of measure, and more specifically by Lebesgue’s theory. These answers which, as everyone knows, were given by A. N. Kolmogorov in 1933, 2 won over the majority of mathematicians ; but that story is not our concern here. Let us note, however, that put in equivalent terms, the task involved is to define, for a set Ω, a σ-algebra of events on Ω that transform it into a measurable space ; the probability will then be nothing else but a positive measure of mass 1. From that date, as Doob states : The theory of probability is concerned with the measure properties of various spaces, and with the mutual relations of measurable functions defined on those spaces. 3

Or again : Probability is simply a branch of measure theory, with its own special emphasis and field of application [...]. 4

This viewpoint marks a definitive advance on Kolmogorov’s axiomatics. There remains however one notion that stands in the ‎1. “Sur les problèmes futurs des mathématiques”, translated into French by M. L. Laugel, in Compte Rendu du Deuxième Congrès International des Mathématiciens, Paris, Gauthier-Villars, 1902, p. 81. ‎2. They appeared in Grundbegriffe der Wahrscheinlichkeitsrechnung, published in 1933 in Ergebnisse der Mathematik, and translated into English in 1950 as The Foundations of the Theory of Probability, Chelsea, N. Y. ‎3. J. L. Doob, Stochastic Processes, London, J. Wiley, 1964, p. 2. ‎4. Ibid., p. V.

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way—as far as semantics is concerned—of reducing probability theory to mathematical analysis, and that is the notion of conditionality, even if this goes back syntactically to the disintegration of measures ; Kolmogorov himself introduced 1 conditional probability starting from the theorem of compound probabilities (and Bayes’s theorem from the theorem of total probabilities). In the expression of the conP(A|B) ditional probability P(B) he assumes that P(B) ̸= 0 ; but it is very difficult to work out the theory in the case, which must inevitably occur, where P(B) can equal zero. This definition of conditional probability, then, gave rise to a difficulty. De Finetti has this to say on the subject: [...] there seems to be no justification for using the compound probability theorem as the definition of conditional probability, and for introducing the restriction P(B) ̸= 0. 2 P(A|B)

Accepting De Finetti’s criticism, we can thus have P(B) = 00 , indeterminate. More generally, in certain probability problems, measures that are not bounded occur, while Kolmogorov’s theory recognises only a restricted measure normed by the condition P(Ω) = 1. The problem can be explained in the following manner: nonbounded measures can be used to calculate conditional probability as the quotient of the values of a non-bounded measure of two sets (the first is contained in the second) and in this way we can obtain rational values not exceeding 1. This is the reason that non-bounded measures can be successfully employed to calculate conditional probabilities ; but, since no justification for the use of these measures is to be found in Kolmogorov’s theory, the theory will need to be generalised. It seems very likely that Kolmogorov himself had such a generalisation in mind ; other mathematicians, like A. Rényi have in their turn tried to tackle it. What Rényi 3 did to generalise Kolmogorov’s theory was precisely to give primacy to the concept of conditional probability and set out the following system of axioms: Let there be Ω, A: σ-algebra on Ω, B ⊂ A. Axiom 1. — P(A | B) ≥ 0 if A ∈ A and B ∈ B. ‎1. Op. cit. in note 10, Engl. trans., p. 6. ‎2. B. de Finetti, Probability, Induction and Statistics, London, J. Wiley, 1972, p. 82. ‎3. A. Rényi, On a New Axiomatic Theory of Probability, « Acta Math. Acad. Sci. Hungaricæ», 6, 1955, pp. 285-334.

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IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

Furthermore, P(B | B) = 1 if B ∈ B. Axiom 2. — Let it be the case that B ∈ any given B, P(A | B) is a measure, that is: if An ∈ A (n = 1, . . .) and Aj Ak = ∅, for j ̸= k (j, k = 1, 2, . . .), we have P

(∞ ∑ n=1

) An | B

=

∞ ∑

P (An | B) .

n=1

Axiom 3. If A ∈ A, B ∈ A, C ∈ B and BC ∈ B, we have P(A | BC) · P(B | C) = P(AB | C). If these three axioms are satisfied, then we have the space of conditional probabilities [Ω, A, B, P(A | B)]. For these mathematicians conditional probability is a basic concept introduced to provide a mathematical solution to a mathematical problem, the problem of non-bounded measures. But there is an element of meaning within this concept that remains indeterminate, and it was this that prompted Rényi to turn himself into a philosopher and write a philosophic dialogue 1 in which he presents an imaginary scientific exchange of letters between Pascal and Fermat, in exactly the style current in the seventeenth century. In the dialogue he justifies his move with a new axiom, which he calls the axiom of objective probability which is, in fact, to use his own words, quite simply “the axiom of causality, according to which all causes which influence a phenomenon together determine exactly the cause of this phenomenon, and the same causes always have the same effects.” 2 Conditional probability, Rényi states, is not fundamentally different from simple probability. As he puts it in his own words, the reason for this is as follows: The probability of any event depends on conditions with respect to which its occurrence or non-occurrence is observed. 3

Now, by his use of the term “conditions” Rényi does not seem to point uniquely to the test category, but to much more than that, to a “generalisation of the principle of causality”:

‎1. A. Rényi, Letters on Probability, Detroit, Wayne State University Press, 1972. ‎2. Ibid., pp. 43-44. ‎3. Ibid., p. 32.

PHILOSOPHY AND MATHEMATICS: INTERACTIONS

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All the circumstances that may, in their totality, influence a phenomenon determine the course of this phenomenon unequivocally; when, however, only a fragment of these circumstances is known, then the course of the phenomenon is not, in general, unequivocally fixed ; but there are many possibilities, each of them having a certain probability. 1

If that is the case, Rényi’s starting point is clear: On the whole, therefore, probabilities are all conditional ; when the conditions are well known and unchanging, they are not mentioned at all. But if the conditions change, that must be considered as well. Thus the expression “conditional probability” is actually a pleonasm, just like the expression “a mortal man”, since it is known that every man is mortal. Still in order to avoid misunderstandings, it is always expedient to speak about conditional probabilities if the conditions are changing. 2

For a probabilist, then, if conditional probability is justified in general terms as a principle of causality, it emerges as a measure of dependence that is subject both to the fact that the causes may change and to the extent of our ability to identify them. It is also hardly surprising that Rényi’s commitment to objectivity cannot quite eliminate the subjective interpretation that lies behind it. We have been able to conclude that it is the notion of conditional probability that prevents our reducing probability calculus to mathematical analysis ; but we have also seen that the same notion, for example in Rényi’s account, comes into its own in solving a technical problem ; finally we have been able to note that the discrepancy between the ability of mathematics to master the concept and the concept’s inherent semantic indeterminacy has forced mathematicians to adopt a philosophical approach in their attempt to achieve a deeper understanding of what is meant by “conditional.” Rényi’s explanation was couched in terms that were too general to be really effective ; and causality is introduced in a way that is so ill-defined as to lose all relevance. So, on two occasions in history about two centuries apart—the first time with Condorcet and Laplace, the second the one we have just been looking at—the question of conditional probability has come up for reasons that were intrinsic to the calculation of probabilities and had nothing to do with interpretation. The problem of the meaning of conditional probability and its interpretation was not really formulated until there was a wish to construct a model for one or

‎1. Ibid., p. 44. ‎2. Ibid., p. 32.

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IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

other decision-making situation ; and the hypotheses of a theoretical nature in regard to the decision-making situation are the very ones that have provided the interpretation with its constituent elements. In the two cases considered here we have been able to see that, of the terminology introduced by Laplace that has survived him, all that remains is inductive behaviour. History is twice witness to a twofold process, despite a difference in the circumstances: the concept of stochastic dependence is first seized upon by conditional probability in the context of purely mathematical research, then changes its shape and in fact all that results is a watered-down version of causality that is very general and, in addition, not time-related. This is what we find in Laplace, Condorcet, Rényi and many others. When it is subsequently applied to a decision-making model, as we find with Condorcet in the eighteenth century and Savage in the twentieth, all that is left is a statistical induction problem. In this case what you get is not information on the relationship between cause and effect but “the degrees of credibility or belief” that guide us in the choices between one decision and another on the basis of the available information. 1 Irreducible semantic indeterminacy is at the very heart of Condorcet’s homo suffragans, of Bernoulli’s Bernoullian man, or of the homo rationalis œconomicus of modern statisticians and economists, each one of which is presented simultaneously as a convenient descriptive hook on which to hang the axiomatics of a decision theory and as the theoretical embodiment of a phenomenon that can accommodate the language of causality. This duality is a common feature in a raft of studies that have followed in the wake of Wald, Neyman and Pearson, von Neumann and Morgenstern, T. Haavelmo, Savage, to name only some. One can well understand recent attempts, such as that made by the philosopher P. Suppes, to introduce time as a variable in formulating the problem of causality. 2 This involves modifying the algebra of events by applying a time index to them that fixes the way in which events succeed one another. This attempt seems again to fall short in so far as it makes use of a pseudo-temporal relationship between two propositions in order to determine the probability which will permit assessment of the validity of a cause without giving any consideration to the theory defining the cause as the cause of a particular effect. It is, in any case, very likely that the endeavour to ‎1. See R. Rashed, « La mathématisation des doctrines informes dans la science sociale», in G. Canguilhem (ed.), La mathématisation des doctrines informes, Paris, Hermann, 1972, p. 73-105 ; Condorcet: Mathématique et Société, Collection «Savoir», Paris, Hermann, 1974. ‎2. P. Suppes, Probabilistic Metaphysics, Oxford, Basil Blackwell, 1984, pp. 222 sqq.

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overcome these difficulties will determine the direction taken by future research on causality and conditional probabilities, as can be seen from the work being done on stochastic processes in which conditionality is combined with time as a variable. In conclusion, it may be asserted, without making prophecies or running the risk of contradiction that the organisation of ontology, semantic indeterminacy, and the interpretations required by mathematical applications will remain among philosophy’s fields of activity ; better still, this particular kind of philosophy is destined to expand and flourish, while all mere philosophic fashions fade away. The philosophy of mathematics can only be approached, in my view, through the history of mathematics or mathematical logic and by no other route.

AVICENNE, «PHILOSOPHE ANALYTIQUE» DES MATHÉMATIQUES Comme ses prédécesseurs grecs et arabes, Avicenne a cherché dans les mathématiques des méthodes d’exposition, des procédés de démonstration et des instruments d’analyse. Comme eux, il s’est employé à éclaircir la connaissance mathématique et à fixer sa place dans l’encyclopédie des savoirs rationnels qu’il voulait constituer. Mais Avicenne appartenait à un âge nouveau des mathématiques, que même ses prédécesseurs les plus proches, comme al-Kindī et al-Fārābī, n’avaient pas connu : les mathématiques et les sciences mathématiques n’avaient depuis deux siècles cessé de s’étendre, de s’enrichir de nouvelles disciplines et de s’approfondir. Avicenne est lui-même contemporain d’Ibn al-Haytham et membre, à Khwārizm 1, de la cour animée par Ibn ʿIrāq et al-Bīrūnī. C’est l’époque où les mathématiciens étendaient les mathématiques hellénistiques au-delà de leurs frontières et créaient de nouvelles disciplines, telles que l’algèbre, la géométrie algébrique élémentaire, l’analyse indéterminée, la géométrie des projections de la sphère, la géométrie sphérique etc. C’est également à cette époque que l’on assiste à la mathématisation systématique des disciplines traditionnelles telles que l’astronomie et l’optique, ainsi que de certaines disciplines pratiques, liées aux héritages et aux transactions en particulier. Avicenne était donc bien l’homme d’un âge nouveau, l’âge de la multiplicité des disciplines mathématiques et de leur spécialisation forcée – spécialisation différente en extension et en compréhension de celle qui s’était déjà opérée à Alexandrie au troisième et au deuxième siècle avant notre ère, et de celle qu’on observe à Bagdad au cours de la seconde moitié du huitième siècle et au début du neuvième siècle. Désormais on distingue entre algébristes et géomètres, entre ceux-là et les astronomes, les astrolabistes, etc. Avec cette nouvelle spécialisation, les mathématiciens se sont emparés des questions qui étaient jusqu’alors

Paru dans Les Études philosophiques, avril 2016-2, p. 283-306. ‎1. Al-Nizāmī al-ʿArūdī al-Samarqandī, Jihār Maqāla, trad. en arabe par ʿA. ʿAzām et Y. al-Khashshāb (Le Caire, 1949), pp. 81 sq. Voir R. Rashed, « Abū Nasr ibn ʿIrāq : ʿindamā kāna al-Amīr ʿāliman (When the Prince was a scientist) », al-Tafahom, 40, 2013, pp. 145-170.

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l’apanage des philosophes, relatives aux fondements des mathématiques et à la théorie de la démonstration, comme l’attestent les écrits de Thābit ibn Qurra, d’Ibrāhīm ibn Sinān, d’al-Qūhī entre bien d’autres. C’est ce nouveau contexte qu’il faut avoir à l’esprit pour traiter du rapport d’Avicenne aux mathématiques. On présume en effet que, dans ce nouveau contexte, les liens entre les disciplines ne sont plus les mêmes (en particulier entre mathématiques et philosophie) et que les lignes de partage entre les spécialités se déplacent. Il est désormais bien moins aisé qu’à l’époque d’al-Kindī d’être à la fois philosophe et mathématicien inventif, et le philosophe entretient avec les nouvelles mathématiques des rapports qui prennent en compte leurs diverses disciplines. Pour traiter d’Avicenne et les mathématiques, on ne peut donc s’en tenir aux généralités, aussi importantes soient-elles, mais il faut partir de la connaissance que celui-ci avait des différents chapitres et de l’usage qu’il en faisait effectivement. Je m’en tiendrai ici à quelques exemples qui ont, me semble-t-il, valeur de preuve, en ce que, sans négliger le vieux problème de l’examen de la connaissance mathématique et de son acquisition, tous révèlent une nouvelle conception des liens entre philosophie et mathématiques : c’est en effet quelque chose comme une philosophie analytique des concepts mathématiques que développe Avicenne. Dans sa somme al-Shifāʾ comme dans d’autres écrits, Avicenne réserve une place substantielle aux sciences mathématiques. Pour ne parler que de cette œuvre, pas moins de quatre livres y sont consacrés aux mathématiques, lesquels contiennent, en la matière, « toutes les sciences des anciens, y compris la musique 1 ». Ainsi, à la différence de ses prédécesseurs comme al-Kindī, Avicenne ne concevait plus les écrits mathématiques comme une nouvelle recherche originale et séparée de l’encyclopédie philosophique, mais comme partie intégrante de cette dernière. Il s’agit, en première approche, de la somme mathématique propédeutique à la physique et à la métaphysique, donc indispensable à la formation du philosophe se devant de maîtriser l’encyclopédie des disciplines rationnelles. Cette somme, en dépit de quelques nouveautés, est traditionnelle, c’est-à-dire hellénistique. L’astronomie, par exemple, est celle de Ptolémée, quand bien même Avicenne, dans la première partie de sa rédaction, abandonne la langue de la corde de l’arc double au profit de celle, toute moderne, des sinus et des cosinus, empruntée à la géométrie sphérique d’al-Būzjānī, d’Ibn ʿIrāq et d’al-Bīrūnī.

‎1. Lettre à Kiyā, dans ʿA. Badawī, Aristū ʿinda al-ʿArab, Koweit, 1978, p. 121.

AVICENNE, « PHILOSOPHE ANALYTIQUE » DES MATHÉMATIQUES

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L’Arithmétique d’al-Shifāʾ est, en gros, celle de néo-pythagoriciens de la tradition de Nicomaque de Gérase. Avicenne y intègre toutefois le théorème de Thābit ibn Qurra sur les nombres amiables, ainsi que la langue et quelques notions de l’algèbre ; à quoi il faut ajouter quelques résultats de l’étude des congruences développée par ses prédécesseurs et ses contemporains. Dans le traité de La Démonstration d’al-Shifāʾ, Avicenne évoque également le théorème d’al-Khāzin sur l’impossibilité de l’équation x3 + y3 = z3 en nombres rationnels, sans toutefois s’arrêter à la toute nouvelle question logique, celle des propositions négatives, dont la démonstration ne se ramène pas rapidement à une réduction à l’absurde 1. Il se réfère également – dans la Métaphysique 2 – à la question traitée par al-Sijzī, celle de la dérivation de toutes les figures à partir du cercle, sans pourtant s’arrêter aux conséquences mathématiques et méthodologiques qu’en tire ce dernier 3. Deux exemples qui indiquent les limites de la connaissance qu’Avicenne pouvait avoir des mathématiques avancées de son temps. Cette connaissance se présente ainsi sous un double aspect, et cela ressort de la lecture de ses différents écrits. Elle est, d’une part, à la fois vaste et multiforme, englobant les disciplines traitées dans les Éléments d’Euclide ; l’Optique de ce dernier ; l’Almageste et les Harmoniques de Ptolémée ainsi que, peut-être, le Livre des Hypothèses ; l’Arithmétique de Nicomaque de Gérase. Mais on note, d’autre part, l’absence des traités des mathématiques avancées de l’époque hellénistique, ceux d’Archimède, d’Apollonius, de Ménélaüs et de Diophante, par exemple, en dépit du fait qu’ils avaient été traduits en arabe et travaillés par les mathématiciens avant Avicenne. Ce choix est délibéré, car Avicenne était sans aucun doute au fait de l’algèbre d’al-Khwārizmī, ainsi que de l’arithmétique indienne et de la théorie des nombres de Thābit ibn Qurra et d’al-Khāzin. Quel usage Avicenne faisait-il donc alors, en philosophie, de ce savoir mathématique ? Si cette question se pose notamment en rela-

‎1. Ibn Sīnā, al-Shifāʾ, al-Mantiq, 5. al-Burhān, éd. A. ʿAfifi, Le Caire, 1956, pp. 194-5. ‎2. Al-Shifāʾ. al-Ilāhiyyāt (1) (La Métaphysique), texte établi et édité par G. C. Anawati et Saʿīd Zayed, revu et précédé d’une introduction par Ibrahim Madkour, Le Caire, 1960, p. 145. ‎3. Voir Toutes les figures sont à partir du cercle, dans R. Rashed, Œuvre mathématique d’al-Sijzī. Volume I : Géométrie des coniques et théorie des nombres au x e siècle, Les Cahiers du Mideo, 3, Louvain-Paris, 2004 et Pour aplanir les voies en vue de déterminer les propositions géométriques dans R. Rashed, Les Mathématiques infinitésimales du ix e au xi e siècle. Vol. IV : Méthodes géométriques, transformations ponctuelles et philosophie des mathématiques, Londres, 2002.

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tion avec son ontologie 1, nous voudrions aborder aujourd’hui deux autres lieux avicenniens de rencontre entre mathématiques et philosophie, lieux « analytiques» comme annoncé en introduction, à savoir : 1. Lorsque le philosophe pense pouvoir résoudre une difficulté mathématique à l’aide de l’analyse des concepts. Avicenne procède dans ce cas par l’élucidation philosophique de la difficulté rencontrée par les mathématiciens anciens et contemporains. C’est ainsi que le philosophe pense venir à bout des difficultés que présente l’étude de l’angle et de l’angle de contingence ou – exemple non moins important – qu’il aborde la mise en œuvre de la méthode d’exhaustion pour résoudre le problème de la quadrature du cercle. 2. Lorsque le philosophe élabore un modèle mathématique pour poursuivre sa recherche en métaphysique, en physique et en logique, à l’occasion, en particulier de ses critiques des thèses infinitistes, de la théorie des grandeurs géométriques et physiques ou de la théorie arithmétique des congruences.

Élucidation philosophique d’un problème mathématique 1. Angle et angle de contingence

1.1. Comment caractériser les concepts d’angle, d’angle mixtiligne, d’angle de contingence etc. tels qu’ils se présentent dans la géométrie d’Euclide ? On n’a cessé de poser cette question, telle quelle ou partiellement, depuis l’antiquité grecque et l’antiquité tardive. Les mathématiciens et les philosophes arabes s’en sont emparés à leur tour, toujours dans le cadre de la théorie des grandeurs euclidiennes. Ainsi, à la fin du x e siècle et au début du siècle suivant, tandis que le mathématicien Ibn al-Haytham tentait en Égypte de répondre à cette question, Avicenne s’efforçait-il de la résoudre dans l’Orient musulman. Mais alors que le mathématicien inventait le premier modèle théorique, qui ne sera dépassé que par Newton quelques siècles plus tard 2, le philosophe se livrait à une tâche interpréta‎1. R. Rashed, « Combinatoire et métaphysique : Ibn Sīnā, al-Ṭūsī et al-Halabī », dans R. Rashed et J. Biard (éd.), Les Doctrines de la science de l’antiquité à l’âge classique, Louvain, 1999, pp. 61-86. ‎2. R. Rashed, « L’angle de contingence : un problème de philosophie des mathématiques », Arabic Sciences and Philosophy, 22.1 (2012), pp. 1-50 ; et Angles et grandeur : d’Euclide à Kamāl al-Dīn al-Fārisī, Berlin, Walter de Gruyter, 2015.

AVICENNE, « PHILOSOPHE ANALYTIQUE » DES MATHÉMATIQUES

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tive : dissiper les obscurités inhérentes à la notion d’angle. Lecteur de Simplicius et de Jean Philopon, travaillant avec Abū Sahl al-Masīhī (lui-même très versé dans les sciences hellénistiques), Avicenne ne pouvait ignorer les débats et controverses où s’étaient affrontés les anciens, et les modernes, à propos de l’angle. Au reste, si Avicenne a opté pour cette démarche d’élucidation, c’est délibérément, car il avait les moyens de discuter en géomètre de la notion d’angle. D’autre part, ce n’est pas là où elle se pose, c’est-à-dire dans la Géométrie d’al-Shifāʾ où il propose une rédaction de la science des Éléments, le troisième livre notamment, qu’Avicenne aborde cette question, mais dans les livres logiques, physiques et métaphysiques de cet ouvrage. C’est donc bien en philosophe qu’il entend étudier l’angle, avec l’intention de trancher un débat qui se poursuivait depuis Proclus au moins à propos de la catégorie – ou des catégories – dont il relève ; et, précisément, c’est dans les Catégories d’al-Shifāʾ qu’il engage cette tâche. Avicenne y recherche une définition suffisamment générale pour englober les deux espèces d’angle, le plan et le solide. Il définit alors l’angle comme une grandeur, miqdār, sans d’ailleurs bien soupçonner les abîmes que recouvre une telle définition. Il écrit : « [...] Il est angle en tant que la grandeur est limitée par deux – ou des – limites qui rencontrent une limite 1 ». Ainsi, l’angle plan est une surface bornée par deux limites, deux lignes, qui se rencontrent en un point, et il a deux dimensions (buʿd), l’une élevée sur l’autre. L’angle solide est un solide limité par des surfaces qui se rencontrent en une ligne. L’angle en tant que grandeur relève donc de la catégorie de la quantité. Cette définition englobe plusieurs éléments : une surface ou un solide ; les limites qui l’entourent ; des points où les lignes se rencontrent pour former l’angle plan ou des lignes où les surfaces se rencontrent pour former l’angle solide, ainsi que les modes de ces rencontres. Ces différents éléments se composent selon une hayʾa, une configuration, qui, elle, détermine l’angle. Ce terme, hayʾa, signifie à la fois une figure et une formation ou une détermination convenable. On parle ainsi de hayʾa al-ʿĀlam - la configuration de l’Univers –, de ʿilm al-hayʾa – l’astronomie comme « science de la configuration (sc. de l’univers)». Le terme peut être rendu par « configuration», « organisation», voire « structure».

‎1. Al-Shifāʾ. al-Madkhal (1), al-Maqūlāt, éd. G. C. Anawātī, M. Khuḍayrī et F. alAhwānī, Le Caire, 1960, p. 213. 7-8.

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IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

Cette configuration, dit Avicenne, comme celle de courbe, rectiligne, triangulaire etc., relève de la catégorie de la qualité. Il écrit : «De même la configuration de l’angle est une qualité 1.» Avicenne soutient en fait dans les Catégories que l’angle relève de deux catégories au moins : la quantité et la qualité. Il est, si l’on peut dire, une organisation qualitative de la quantité ; ou encore une qualité appropriée à la quantité, comme le fait d’être rectiligne, circulaire, etc. Mais, si l’on s’attarde sur la définition de l’angle proposée, on doit encore y adjoindre deux catégories : la position et la relation. L’angle est donc un objet qui appartient à plusieurs catégories à la fois, ce qui le dote d’un mode d’existence plus formel que celui d’un objet qui relèverait d’une seule catégorie. On peut d’ailleurs voir là les raisons pour lesquelles Avicenne définit l’angle comme hayʾa : il veut ainsi structurer ses divers éléments, les unifier et les munir de cette existence formelle 2. Cependant, Avicenne savait mieux que quiconque que l’angle ne vérifie pas la définition euclidienne de la grandeur. Aussi a-t-il dû reprendre sa définition ; c’est ce qu’il fait dans la Métaphysique d’alShifāʾ (Livre V, 9), lorsqu’il examine la notion de définition. Il prend l’exemple de la définition de l’angle aigu et de la catégorie dont il relève. Il distingue donc (à la suite du Stagirite aux livres Z et M de la Métaphysique 3) entre l’existence de l’angle aigu et sa définition. Il montre que, pour établir l’existence de cet angle, on n’a pas besoin de supposer qu’il est une partie d’un autre angle, ni de le comparer à l’angle droit et à l’angle obtus. Il est, écrit-il, «en lui aigu en raison de la position de l’un de ses deux côtés auprès de l’autre 4 ». Mais cette position en tant que telle nous ramène à la catégorie de la relation. En effet, l’inclinaison d’un côté sur l’autre, leur proximité ou leur écart etc., relèvent bien de cette catégorie. Faudrait-il, pour définir l’angle, faire intervenir une troisième catégorie ? La réponse d’Avicenne est que, même si cela « n’indique pas une relation en acte en raison de sa difficulté, il l’indique en puissance en introduisant une relation en acte 5 ». Si donc l’existence de l’angle aigu n’exige pas qu’il soit considéré comme une partie d’un autre angle, qu’en est-il de sa définition ? Comme on ne peut définir une chose par elle-même, on

‎1. Ibid., p. 214. 11. ‎2. Il demeure qu’Avicenne, autant que je sache, n’a pas examiné les conséquences ontologiques et taxinomiques de cette nouvelle position nonaristotélicienne. ‎3. Aristote, Métaphysique Z, 10, 1034b 27 sq. ; Métaphysique M, 8, 1084b 7 sq. ‎4. Avicenne, Al-Shifāʾ. al-Ilāhiyyāt (1) (La Métaphysique), éd. Anawati et Zayed, p. 250. 11-12. ‎5. Ibid., p. 250. 15-16.

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ne peut définir l’angle aigu par lui-même. Avicenne a donc recours à l’angle droit : on dira que l’angle aigu est formé de deux droites qui se rencontrent en un point, et dont l’inclinaison de l’une sur l’autre est plus grande que dans le cas de l’angle droit, où l’une est élevée sur l’autre. Pour justifier ce recours, Avicenne s’explique ainsi :  [...] Il reste donc, nécessairement, que sa définition se fait à l’aide de l’angle droit, qui ne reste pas préservé si l’on incline . C’est comme si l’on disait : l’angle aigu est celui qui procède de deux droites dont l’une s’élève sur l’autre et s’incline plus que la ligne d’un angle droit si ce dernier était réalisé, en sorte qu’il soit plus petit que l’angle droit si celui-ci existait. Et nous n’entendons pas par là que l’angle aigu est en acte objet de comparaison avec un angle droit qui l’excède – car alors, la définition sera fausse –, mais avec un angle droit pourvu de cette détermination . Et l’angle droit pourvu de cette propriété, c’est en tant qu’il est en puissance elle-même en acte puissance qu’il est un angle droit en puissance. Car à la puissance 1 en tant qu’elle est puissance appartient une existence en acte. De fait, il arrive que la puissance soit elle aussi en puissance, à savoir la puissance éloignée de l’acte, puis elle devient en acte puissance prochaine. Ainsi, la puissance prochaine en vue de l’engendrement de l’homme, dans la nourriture, est en puissance, puis, quand elle se transforme en sperme 2, cette puissance prochaine en puissance passe à l’acte, alors même que son acte n’est pas existant 3.

Pour définir l’angle aigu, on le rapporte donc à l’angle droit, non pas en acte absolument, mais par la puissance « elle-même en acte puissance». Cette solution pour le moins intuitive permet à Avicenne de tenir compte, pour définir l’angle aigu, de la catégorie de la relation en même temps que des autres catégories. 1.2. Avicenne a éprouvé le besoin de consacrer à l’angle un écrit indépendant 4. Dans ce mémoire, il commence par examiner systématiquement les différentes doctrines relatives à l’angle, pour ensuite les critiquer et formuler la sienne propre. Il s’agit donc d’un écrit analytique et critique qu’Avicenne a rédigé, comme il le dit lui-même, à la suite de ses entretiens avec Abū Sahl al-Masīhī. Son but est manifeste : élucider, certes, cette notion générale d’angle – plan et

‎1. al-quwwa : lire li-al-quwwa. ‎2. mayyitan : lire maniyyan. ‎3. Avicenne, Al-Shifāʾ, al-Ilāhiyyāt (1) (La Métaphysique), op. cit., p. 251.14-252.5. C’est nous qui soulignons. Voir aussi al-Taʿlīqāt, Edited with Introduction and notes by Seyyed Hossein Mousavian, Téhéran, 2013, p. 95. ‎4. Épître sur l’angle, dans R. Rashed Angles et grandeur, op. cit.

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IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

solide –, mais sans s’arrêter aux diverses espèces étudiées par les géomètres : rectiligne, curviligne, mixtiligne, concave, convexe, etc. Tout se passe comme si, dans ce mémoire, Avicenne avait voulu éviter de reprendre les questions épineuses discutées par ses prédécesseurs et par ses contemporains, celles de l’angle curviligne et de l’angle de contingence. Non qu’il ignorât le sujet, puisqu’il l’évoque à plusieurs reprises lorsqu’il aborde la critique des doctrines atomistes. Dans la Physique d’al-Shifāʾ par exemple, il écrit : Parmi leurs arguments, l’existence d’un angle indivisible, celui qu’Euclide a posé comme le plus petit des aigus 1.

Dans son livre al-Mubāhathāt 2, il évoque également l’angle de contingence dans un contexte semblable mais n’aborde pas ces questions difficiles, se bornant à affiner ses thèses sur l’angle en général. Avicenne commence par énumérer les différentes thèses soutenues par ses prédécesseurs et ses contemporains sur les catégories dont relève l’angle. À cette occasion, il apporte deux témoignages remarquables, l’un à propos de Thābit ibn Qurra (826-901) et l’autre à propos d’Abū Hāmid al-Isfizārī [milieu du x e siècle]. De « celui qui considère que l’angle relève de la position », il écrit : c’est Thābit ibn Qurra de Harrān, et un groupe d’anciens. Ce qui a entraîné cela, c’est que l’angle est engendré à partir du rapport des limites de la chose, ou des parties de sa limite les unes aux autres, dans les directions ; et c’est la position. Par conséquent, l’angle relève de la catégorie de la position 3.

Ce témoignage, d’autant plus précieux que le texte de Thābit ibn Qurra ne nous est pas parvenu, nous informe que les positions de l’angle sont celles de l’étendue – ou de la surface – auxquelles se superposent ses parties. Ce sont les relations de ces parties les unes aux autres qui définissent la position. Le second témoignage est tout aussi important. Avicenne nous apprend en effet que le philosophe Abū Hāmid al-Isfizārī soutenait que

‎1. Al-Shifāʾ, al-Tabīʿiyyāt, 1. al-Samāʿ al-tabīʿī, éd. S. Zayed, Le Caire, 1983, p. 186. 13-14. ‎2. Voir Lettre à Kiya (al-Mubahāthāt), éd. Badawi, p. 171 et al-Mubahāthāt, p. 363364. ‎3. Épître sur l’angle, dans R. Rashed Angles et grandeur, op. cit., p. 188 ; ar. p. 189, 4-7.

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l’angle est une certaine quantité, autre que la ligne, la surface et le solide, mais c’est une espèce de quantité qui est engendrée entre deux espèces. Ainsi, l’angle plan est engendré entre la ligne et la surface, [...] De même, l’angle solide est entre la surface et le corps. 1

Avicenne rejette les deux thèses, celle de Thābit ibn Qurra et (avec humeur) celle d’Abū Hāmid al-Isfizārī. Au second chapitre de son mémoire, Avicenne se livre à l’examen critique des différentes thèses, de manière purement logique, c’est-à-dire sans recourir à la géométrie. Par exemple, pour critiquer la thèse selon laquelle l’angle relève de la catégorie de la qualité, il commence par dénoncer l’affirmation sur laquelle elle repose : l’angle admet similitude et non-similitude. C’est en effet un argument équivoque car, par « similitude et non-similitude », c’est en fait l’égalité et la non-égalité qu’on devrait avoir en vue, or l’on glisse ainsi vers la catégorie de la qualité. Une fois achevé l’examen des cinq thèses, Avicenne est en mesure d’élaborer la sienne propre, ici encore en philosophe analytique. Il part de la définition la plus simple et communément admise : « L’angle est la surface (ou le solide) qui aboutit au point» ; puis il critique cet énoncé et l’enrichit graduellement pour parvenir à sa propre définition. Il commence par le trouver «bon », pour aussitôt remarquer qu’il n’est pas «vrai», car le point en soi n’est évidemment pas l’extrémité de la surface, mais l’extrémité de son extrémité. Force est alors de rectifier la définition pour admettre, dans le cas de l’angle plan, que la surface aboutit à ce qui aboutit au point. On dira alors que l’angle est une surface comprise entre deux extrémités qui aboutissent à une seule extrémité ; ou, plus concrètement, que l’angle est une surface comprise en acte par deux lignes qui se joignent ou qui se touchent. Mais cette nouvelle définition, comme Avicenne le remarque luimême, est équivalente à celle dont il est parti, même si elle est plus explicite et plus claire. Elle n’est donc pas plus satisfaisante, pour deux raisons au moins. D’une part, elle n’est pas assez générale pour valoir pour tous les angles – chacun sait que l’angle solide n’a pas pour extrémité un point, mais une ligne. D’autre part, elle ne permet pas de distinguer l’angle des figures telles que les triangles, les carrés etc., qui elles aussi aboutissent à un point. Il va donc falloir modifier la définition pour qu’elle englobe les deux sortes d’angles, et lui adjoindre une propriété spécifique qui permette de distinguer l’angle des autres figures géométriques. Cette

‎1. Ibid., p. 188 ; ar. p. 189, 10-16.

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IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

démarche amène d’abord Avicenne à critiquer deux autres définitions de l’angle, qu’il finit par écarter. La première, qui évoque celle d’Aghānīs (membre du cercle néoplatonicien de Simplicius), conçoit l’angle comme une grandeur ayant plus d’une dimension, qui aboutit à un point. Avicenne l’écarte : elle conviendrait tout au plus au seul angle plan et n’est donc pas générale. Selon la seconde définition, « l’angle est une surface limitée par une seule ligne qui est déviée en un point 1 ». Avicenne montre qu’elle comporte un ajout tel que, si on l’ôte, on retrouve la première définition. On sous-entend effectivement dans cette seconde définition que « la ligne limite la surface ; donc, ou bien cette ligne est deux lignes unifiées en un point, ou bien réellement une ligne 2 ». Dans une longue discussion sur l’un (al-wāhid), l’unifié (al-muttahid) et l’union (al-ittihād), Avicenne montre que les deux branches de l’alternative sont l’une et l’autre impossibles. En fait, dans cette définition, on ne fait intervenir qu’une seule ligne, mais celle-ci est brisée ; il en résulte deux lignes que l’on unifie en une seule et cette ligne n’est pas une seule ligne, mais bien l’unification de deux lignes. On est donc en présence d’un sophisme. Au cours de cette analyse, Avicenne aborde une dernière question, celle de savoir si le point de l’angle – celui sur lequel se rencontrent les deux lignes – est un seul point ou deux points, c’està-dire un point simple ou un point double. Cette question avait été agitée par les mathématiciens, à l’instar d’Ibn al-Haytham, à propos du point de contact de la tangente 3. Avicenne écrit : Mais, s’il y a deux points, cela est plus évident, et c’est là une opinion à laquelle ont souscrit bien des gens savants. Ils ont alors imaginé qu’il n’est pas possible que les angles soient des points uniques, car il n’est absolument pas possible que le point ait deux côtés : il n’est pas l’extrémité de deux lignes. Ici, nous n’avons pas besoin de prouver la vérité ou la fausseté de cette opinion car, pour connaître cela, il faut davantage d’explications que ce que nous avons 4.

Ainsi, il écarte la question importante de la multiplicité du point de rencontre ou de contact. À l’aide donc d’une analyse conceptuelle et critique, Avicenne s’efforce de déterminer les éléments nécessaires

‎1. 12-13. ‎2. ‎3. ‎4. 2-6.

Épître sur l’angle, dans R. Rashed Angles et grandeur, op. cit., p. 206 ; ar. p. 207, Ibid., p. 206 ; ar. p. 207, 14-15. R. Rashed, « L’angle de contingence », art. cit., et Angles et grandeur, op. cit. Épître sur l’angle, dans R. Rashed Angles et grandeur, op. cit., p. 210 ; ar. p. 211,

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à la définition de l’angle plan en général. Ces éléments sont ceux déjà soulignés dans les Catégories : 1. Deux lignes dont l’union se fait selon une certaine configuration (hayʾa). 2. Cette configuration elle-même. 3. Une surface limitée par les deux lignes qui lui sont extérieures. 4. La surface et les deux lignes comme une entité composée. On a donc quatre éléments inséparables pour définir l’angle plan ; trois d’entre eux appartiennent à la catégorie de la quantité et un seul à la catégorie de la qualité. Ce dernier est précisément la configuration selon laquelle se réunissent les deux lignes, qui, comme toutes les autres configurations, relève de la qualité. En un mot, l’angle en tant qu’angle, c’est-à-dire indépendamment de toute autre détermination, est un objet composé d’une surface comprise par des limites et appartient de ce fait à la catégorie de la quantité. Mais cette limitation s’opère selon une certaine configuration, laquelle appartient à la catégorie de la qualité. Ainsi, le problème traité par Avicenne dans ce texte est en fait celui de la définition d’un objet complexe tel que l’angle, comme on l’a vu précédemment. 1.3. Quant à l’angle de contingence, Avicenne l’évoque dans alShifāʾ et dans al-Mubāhathāt lors de la discussion de la thèse des atomistes. Considérons seulement deux exemples ; l’un porte sur la divisibilité de cet angle et l’autre sur sa comparaison aux autres angles. Contrairement aux atomistes, Avicenne soutient que l’angle de contingence est divisible, non par des droites mais par des arcs de cercle. Il écrit : [...] or il est divisible et il y a en puissance un nombre infini d’angles plus petits que lui. On a, en effet, établi la démonstration qu’il n’y a aucun angle rectiligne aigu plus petit que celui-ci. Mais dire qu’il n’existe aucune chose, ayant une telle propriété, plus petite qu’une telle chose, cela ne prouve pas qu’il n’existe pas du tout une chose plus petite qu’elle. toute personne qui a acquis une connaissance des principes de la géométrie sait que cet angle est divisible indéfiniment par les arcs 1.

Remarquons que cet argument reposant sur la divisibilité par les arcs se trouve déjà chez Jean Philopon 2. ‎1. Al-Shifāʾ, al-Tabīʿiyyāt, 1. al-Samāʿ al-tabīʿī (Physique, III, 5), éd. J. āl Yāsin, Beyrouth, 1996, p. 205. ‎2. R. Rashed, « L’angle de contingence », art. cit., pp. 9-14.

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IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

Avicenne revient à l’angle de contingence lors de la discussion de l’existence de l’égal comme relevant de ce qui admet le plus grand et le plus petit. Il écrit : nous connaissons avec certitude que l’angle rectiligne aigu est plus grand qu’un angle formé par un arc et une droite [l’angle de contingence] et plus petit qu’un autre [l’angle formé par un diamètre et la circonférence], et il est impossible que l’un des angles rectilignes aigus soit égal à l’une et à l’autre sorte. Nous ne disons pas que l’angle rectiligne aigu est plus grand que l’un des deux angles [l’angle de contingence] car l’angle curviligne [de contingence] existe en acte dans celui-là plus l’excédent d’un angle ; tandis que l’autre [celui formé par un diamètre et la circonférence] est plus grand que le rectiligne , car le rectiligne se trouve en lui plus un excédent 1.

Notons que, cette fois encore, la question est traitée par Jean Philopon dans son commentaire des Seconds Analytiques 2. Lors de sa rédaction de la Physique d’al-Shifāʾ, Avicenne était donc au fait des discussions sur l’angle de contingence et connaissait tout au moins celles de Jean Philopon. Fort de ces lectures, Avicenne a consacré un écrit à l’angle de contingence, dont le contenu a été conservé par Qutb al-Dīn al-Shīrāzī. Voici en quels termes al-Shīrāzī rapporte les propos tenus par Avicenne dans cet écrit perdu : On lui doit en effet un traité selon lequel l’angle qui est formé de la circonférence et de la tangente, comme l’angle CAE, n’a pas de quantité, devenant pour lui un angle selon la qualité seulement – car il est à partir du contact de deux lignes par leur inclinaison sur une surface et qui ne se rejoignent pas sur leur prolongement – pour indiquer que l’angle CAB, qui est entre la circonférence et le diamètre, est droit, fixe ; étant donné que, s’il était moindre qu’un droit, alors l’angle CAE aurait une quantité et un rapport à l’angle EAB, qui est droit. Ainsi, si l’angle CAE était dupliqué de nombreuses fois, il serait plus grand que l’angle EAB car, entre les critères des grandeurs dont les unes ont des rapports aux autres, il y a que, si leurs doubles sont multipliés, les unes excéderont les autres. Soit l’angle EAH et que les doubles aient pour nombre I. Si donc on divise l’angle droit EAB par I, on obtient un angle plus petit que l’angle CAE. Ceci est absurde car il est plus petit que tout angle aigu. Ainsi, les doubles de l’angle CAE, même si on les multiplie, n’excèdent pas l’angle EAB ; et s’ils ne l’excèdent pas, ils ne seront pas égaux à une partie ou à une certaine portion de lui, car toute partie ou certaine portion, doublée, sera plus grande que le tout. Mais, puisque, comme autre critère entre ‎1. Physique IV, 5, éd. Yasin, pp. 251-2 ; éd. Zayed, p. 277. ‎2. R. Rashed, « L’angle de contingence », art. cit., pp. 10 sq.

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Fig. 1

deux grandeurs différentes ayant des rapports les unes aux autres, il y a que, si on retranche de la plus grande d’entre elles etc., alors l’angle CAE, s’il avait une quantité, il aurait un rapport à l’angle droit EAB. Si donc on retranche de l’angle EAB plus grand que sa moitié etc., alors l’angle CAB, qui est entre la circonférence et le diamètre, est droit et complet ; et si on prolonge le diamètre du cercle, alors l’angle entre la circonférence et mené du diamètre est aussi droit, pour compléter deux droits. Ce qu’il fallait démontrer. Telle est la somme de ce qu’il a mentionné dans ce traité ; elle est trop évidemment corrompue pour que cela ne se voie pas, et bien plus que ce qu’on peut énumérer. Mais ceci est sans ambiguïté pour un imbécile, pour ne pas parler d’un intelligent. quant à la fausseté de son affirmation selon laquelle l’angle CAE n’a pas de quantité, c’est parce que la sensation le dément, et aussi l’intellect, puisqu’il admet d’être divisé à l’infini par les lignes arquées. Quant à la fausseté de la commensurabilité, c’est par un rien ; nous n’admettons pas, en effet, que, si l’angle CAE avait une quantité, il aurait un rapport à l’angle droit EAB, étant donné que tout ce qui a une quantité n’a pas un rapport à tout ce qui a une quantité ; sinon, la ligne aurait un rapport à la surface, par exemple. Mais ce qui a une quantité a un rapport à ce qui a une quantité, s’il est de son genre. Mais, s’il n’est pas de son genre, alors c’est non. Or la démonstration de la non-homogénéité de l’angle de contingence à un autre s’est présentée plus d’une fois 1.

Avicenne semble s’écarter ici quelque peu de la thèse soutenue dans al-Shifāʾ. On vient d’y lire, en effet, que l’angle de contingence est divisible en puissance à l’infini par les arcs des cercles, et qu’il est donc, en puissance tout au moins, une quantité. Or, dans l’écrit que nous évoquons, Avicenne déclare que l’angle de contingence n’a pas de quantité, mais qu’il n’est angle que selon la qualité. Il propose une ‎1. Voir Angles et grandeur, op. cit. pp. 566-568 ; ar. p. 567, 2-569, 13.

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IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

démonstration dont l’idée principale est que l’angle CAB est droit et que, par conséquent, l’angle de contingence CAE n’a pas de quantité puisque l’angle BAE est, lui aussi, droit. Comme l’avait remarqué al-Shīrāzī, cette démonstration est fautive, de son point de vue selon lequel il existe des grandeurs non archimédiennes non nulles. En fait, Avicenne voulait montrer que l’angle de contingence est une configuration particulière qui, à ce titre, relève de la catégorie de la qualité. Tous ces thèmes développés par Avicenne seront repris par les mathématiciens et les philosophes avicenniens, comme Naṣīr al-Dīn al-Ṭūsī, Qutb al-Dīn al-Shīrāzī, Kamāl al-Dīn al-Fārisī et, bien plus tard, l’astronome al-Khafrī 1 et le philosophe Sadr al-Dīn al-Shīrāzī 2. 2. La quadrature du cercle

L’étude de l’angle de contingence opère un coup de sonde dans la connaissance mathématique d’Avicenne, en révélant comment le philosophe pense pouvoir venir à bout d’une difficulté mathématique armé des seuls moyens de la philosophie. L’analyse logique et critique permet à ses yeux, en identifiant les causes de cette difficulté mathématique, de la dissiper. Dans le cas de l’angle, l’analyse a permis de ramener le problème à celui des grandeurs et des catégories, pour conduire finalement à la notion de l’angle comme «configuration». Cette notion sera ensuite investie par les mathématiciens avicenniens, dont certains, inspirés par les écrits d’Ibn al-Haytham, l’infléchiront vers une théorie de la « configuration» comme ensemble de relations structurées, en liaison avec la mathématisation alhazenienne du concept de lieu 3. Quant à l’angle de contingence, l’analyse n’a pas mené à la solution de la difficulté ; elle n’a fait que l’annuler. Mais Avicenne ne réserve pas cette démarche à l’étude de l’angle et de l’angle de contingence. Il l’ajuste à d’autres problèmes mathématiques, comme celui de la quadrature du cercle, laquelle porte également sur la comparaison des grandeurs non-homogènes. Chacun sait qu’Aristote a abordé ce problème plus d’une fois lors de sa critique des tentatives de quadrature d’Hippocrate de Chio, d’Antiphon et de Bryson. Ammonius, le maître de Simplicius, y revient. Ce dernier écrit : ‎1. Il a écrit un bref commentaire sur l’angle plan (voir ms. Téhéran Majlis Shūrā, Tabatabāʾī 1382). ‎2. Il commente Avicenne dans al-Hikma al-mutaʿāliya, première partie du second volume, publié à Qum en 1379 H., particulièrement la section VIII. ‎3. Traité sur le lieu, dans R. Rashed, Les Mathématiques infinitésimales, op. cit., vol. IV, chap. III.

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Notre maître Ammonius a dit qu’il n’était peut-être pas nécessaire, si cela s’est trouvé être le cas pour les nombres, que cela se trouve être le cas aussi pour les grandeurs. Ce sont des grandeurs non homogènes, en effet, que la droite et l’arc de cercle. « Il n’y a rien», dit-il, « de surprenant, à ce qu’on ne trouve pas de cercle égal à un polygone rectiligne, si du moins cela se trouve être le cas aussi pour les angles. De fait, un angle rectiligne ne saurait être égal ni à l’angle du demi-cercle ni à celui qui est de reste par rapport à l’angle droit, qu’on appelle corniculaire. C’est la raison pour laquelle », dit-il, « ce théorème, qui a fait l’objet des recherches d’hommes si illustres, n’a pas reçu de solution jusqu’à présent, même d’Archimède en personne». Pour ma part, je disais à l’encontre de mon maître que s’il est vrai qu’une lunule – celle sur le côté du carré – peut être carrée (cela a fait l’objet d’une déduction où n’entre pas de faux-semblant) et si la lunule est homogène au cercle du fait qu’elle est composée d’arcs de cercle, qu’est-ce qui empêche que le cercle aussi, pour autant qu’il est en lui, soit carrable ? Mais si la surface de la lunule est dissemblable à celle du cercle en raison des cornes, alors toute lunule sera aussi dissemblable au polygone rectiligne. Mais pourtant, la lunule qui entoure le côté du carré se laisse carrer. Cependant, les angles, ceux du demi-cercle comme les corniculaires, composés les uns comme les autres d’un arc de cercle et d’une droite, sont non seulement non homogènes à l’angle rectiligne, mais ils lui sont même incommensurables. Par conséquent, ce qui est dit n’est pas suffisant, je pense, pour infirmer la découverte de la quadrature 1.

Cette fois encore, pour illustrer la différence entre le style du mathématicien et celui du philosophe, confrontons brièvement l’étude d’Ibn al-Haytham et celle d’Avicenne. Dans son étude, Ibn al-Haytham avait éliminé la singularité du problème en l’intégrant à un domaine plus vaste, celui de la quadrature des lunules, des surfaces et des solides courbes. Pour la quadrature du cercle, il commence par démontrer rigoureusement à l’aide de la méthode d’exhaustion que, pour un cercle de diamètre d inscrit dans un carré d’aire A, il existe un rapport k entre l’aire du cercle et l’aire du carré tel que k = 4π . La difficulté est que ce rapport n’a pas une valeur déterminable. Face à cette valeur transcendante, le mathématicien engage une profonde réflexion sur la question d’existence en mathématiques et sur le rapport entre existence et construction. Bref, pour construire un modèle mathématique de cette quadrature, il commence par déplacer les frontières même du domaine des objets considérés. À son tour, Avicenne, dans son livre sur La démonstration d’al-Shifāʾ, reprend l’exemple de la quadrature du cercle, mais en logicienphilosophe. Fidèle à sa conception de la tâche philosophique, il ne ‎1. Simplicius, In Phys. 59.23-60.7.

312

IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

cherche pas à rectifier la démonstration de Bryson déjà critiquée par Aristote 1, ni à démontrer que cette quadrature est, ou non, possible ; son projet est d’exhiber la cause logique qui a empêché cette preuve de Bryson d’être un syllogisme démonstratif. Dans le style qui est le sien, il commence par évoquer le principe de cette preuve et les principales critiques qui lui ont été adressées. Bryson voulait démontrer que l’aire du cercle est plus grande que l’aire de tout polygone inscrit et plus petite que l’aire de tout polygone circonscrit, pour conclure ensuite que cette aire est égale à celle d’un polygone plus grand que tout polygone inscrit et plus petit que tout polygone circonscrit, et que par conséquent il existe un polygone dont l’aire est égale à celle du cercle 2. Ce qui, évidemment, fait problème dans cette preuve, c’est qu’elle n’établit pas l’existence de ce polygone intermédiaire dont l’aire devrait être égale à celle du cercle. Mais ce n’est pas pour cette raison, semble-t-il, qu’Aristote l’avait dénoncée comme «sophistique » : il lui reprochait de s’appuyer sur des prémisses qui, même si elles sont vraies, ne remplissent cependant pas les autres conditions requises par une véritable démonstration. Pour avoir un syllogisme démonstratif, il faut en effet que les prémisses soient du même genre que ce qu’on cherche à démontrer, c’est-à-dire, en l’occurrence, qu’elles soient géométriques. Or les prémisses de Bryson sont communes à beaucoup d’autres choses : nombres, temps, couleurs, températures etc. Aristote revient à cette critique à plusieurs reprises : dans les Premiers Analytiques II.25, les Seconds Analytiques I.9, les Réfutations sophistiques 11 – autant de textes qu’Avicenne connaissait dans leur traduction arabe. 3 Avicenne émet cependant des réserves sur cette critique et rappelle qu’il suffit de reformuler les prémisses de Bryson pour remédier à ce défaut. Le raisonnement de Bryson, rappelons-le, consiste à considérer le cercle comme un intermédiaire entre les polygones inscrits, en nombre infini en puissance, et les polygones circonscrits, en nombre infini en puissance. Par « intermédiaire », on entend ce qui est plus ‎1. Les Premiers Analytiques, II.25, 69a (pour la quadrature d’Hippocrate de Chio), voir la traduction arabe dans Mantiq Aristū, éd. Badawi, vol. I, p. 310. Les Seconds Analytiques, I. 9, 75b, 36-76a (traduction arabe dans Mantiq Aristū, éd. Badawi, vol. II, pp. 355-358) ; Réfutations sophistiques, 11, 15-30 (traduction arabe dans Mantiq Aristū, éd. Badawi, vol. III, pp. 878-879). ‎2. Oskar Becker, Das mathematische Denken der Antike, Göttingen, Vandenhoeck Ruprecht, 1966, p. 92 ; Thomas L. Heath, A history of Greek Mathematics, vol. I : From Thales to Euclid, Oxford : Clarendon Press, 1965, pp. 223 sq. ; Thomas L. Heath, Mathematics in Aristotle, Oxford, Clarendon Press, 1970, p. 50. ‎3. Mantiq Aristū, ʿA. Badawi, 3 vol., Beyrouth, 1980.

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grand que tous les inscrits et plus petit que tous les circonscrits. Bryson conclut qu’il existe un polygone plus grand que tous les inscrits et plus petit que tous les circonscrits, que donc le cercle et ce polygone ont des aires égales. Or, si de fait le cercle est plus grand que tous les polygones inscrits et plus petit que tous les polygones circonscrits, il n’est pas lui-même un polygone : la borne supérieure d’un ensemble n’est pas toujours son plus grand élément. Avicenne souligne toutefois que, pour que cette démonstration soit valable, il faut supposer que le nombre des polygones – aussi bien inscrits que circonscrits – est infini, à moins que l’on puisse disposer ces polygones en deux suites dénombrables dont les termes soient, en plus, contigus ; ce qui est impossible pour les figures géométriques : Si on suppose que les figures sont des figures déterminées, sans supposer qu’elles sont en nombre infini, les deux intermédiaires (le polygone dont l’aire serait égale à celle du cercle et le cercle) ne seront pas nécessairement égaux ; à moins de disposer ces figures selon un ordre continu (tartīb muttasil), ce qui n’est pas possible pour les figures ; car, pour toute figure que nous supposons plus petite que le cercle, il y a une autre figure plus grande qu’elle et une figure plus petite que le cercle. De plus, il nous est nécessaire que les inscrits et les circonscrits soient des figures en nombre infini. Dès lors, il (Bryson) s’est trompé de deux manières : l’une dans la démonstration et l’autre dans le recherché 1.

Une telle exigence suppose qu’au préalable, comme l’avait souligné Aristote, les termes de la prémisse de Bryson soient géométriques. Mais, pour Avicenne, l’essentiel de l’erreur de la démonstration de Bryson n’est pas là. Si en effet ce dernier s’est trompé, c’est parce qu’il a considéré des choses en nombre infini en puissance et les a posées comme prémisses. Or, ce qui est en puissance, écrit-il, « n’est pas parmi les accidents essentiels des figures, ni parmi les accidents essentiels du genre de la quantité 2 ». Quant à la seconde erreur de Bryson, celle qui touche au recherché, elle est du même genre que la première : le polygone dont l’aire serait égale à celle du cercle n’existe qu’en puissance et nullement en acte, et il est donc inconnu. Les objets géométriques « [...] existent en acte dans l’imagination et l’intellect 3 ». Telles sont, selon Avicenne, les raisons de la difficulté de la quadrature du cercle proposée par Bryson et discutée par Aristote.

‎1. Al-Shifāʾ, al-Mantiq, 5. Al-Burhān, éd. A. ʿAfifi, Le Caire, 1956, p. 176. ‎2. Ibid. ‎3. Ibid.

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IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

Modèles mathématiques et recherches philosophiques Recourir aux arguments mathématiques lors de l’étude des problèmes philosophiques est, comme on sait, une pratique aussi ancienne que la philosophie elle-même. Il suffit de parcourir les ouvrages logiques, mais aussi physiques et métaphysiques, d’Avicenne pour constater que ces arguments s’y présentent, sous différentes formes et à plusieurs niveaux de la réflexion. Ils vont de la simple évocation d’un théorème connu à un calcul de congruences, par exemple, ou encore à l’emprunt ou à la construction d’un modèle mathématique pour étayer une thèse philosophique. C’est cette dernière démarche qui nous intéresse ici. Nous ne considérerons qu’un seul thème : la théorie des grandeurs, avec la critique des thèses infinitistes qui lui est inhérente. Mais, avant d’examiner quelques-uns de ces modèles, rappelons trois traits qui les distinguent et qui expliquent leur portée comme leurs limites. Les modèles, empruntés ou construits, ont été façonnés dans les termes de la géométrie euclidienne, admettant donc le postulat des parallèles et la notion commune : « Le tout est plus grand que la partie. » Mais, à la différence d’Aristote et d’Euclide lui-même, et à la suite des géomètres de son temps, tels al-Qūhī et al-Sijzī, Avicenne n’hésite pas à introduire le mouvement dans ces modèles géométriques. Un second trait caractérise ces modèles lorsqu’il s’agit de problèmes cosmologiques : Avicenne commence par réduire ceux-ci à des problèmes géométriques où intervient l’infini, avant d’élaborer un modèle cinématique pour critiquer les infinitistes. Enfin, lorsqu’il s’agit de l’infini, Avicenne ne considère que son existence et jamais la question de sa mesure – alors que cette dernière question a été abordée, pour la première fois dans l’histoire, par son prédécesseur, le mathématicien Thābit ibn Qurra. Au cours de ces études analytiques et critiques, Avicenne parvient à avancer des arguments valides pour qui s’en tient au cadre de cette géométrie euclidienne. Il faudra attendre les débuts du xix e siècle pour pouvoir montrer ce qui leur fait défaut. On comprend que les successeurs d’Avicenne, et non des moindres puisqu’on y compte Naṣīr al-Dīn al-Ṭūsī, aient repris ces modèles sans rien y trouver à redire ; et lorsque ceux qui sont hostiles à Avicenne, comme Abū alBarakāt al-Baghdādī ou Ibn Ghaylān, avancent des critiques à leur endroit, celles-ci se retournent contre leurs auteurs 1.

‎1. Abū al-Barakāt al-Baghdādī, Kitāb al-Muʿtabar, Hyderabad, 1358, pp. 60 sq. ; Ibn Ghaylān, Hudūth al-ʿālam, éd. M. Mohaghegh, Téhéran, 1998.

AVICENNE, « PHILOSOPHE ANALYTIQUE » DES MATHÉMATIQUES

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Nous allons commencer par examiner deux modèles géométriques avant d’en venir aux modèles cosmologiques. 1. Modèles géométriques

Ces modèles sont fondés, selon Avicenne, sur la superposition de deux droites : l’une est infinie du côté de l’une de ses deux extrémités ; l’autre est cette même droite, mais tronquée d’un segment à partir de l’extrémité où elle est finie. On montre alors, comme l’écrit al-Ṭūsī dans son commentaire des Ishārāt : « [...] l’impossibilité de leur égalité en raison de l’impossibilité de l’égalité de la partie au tout 1 ». Avicenne reprend ce modèle dans la Physique d’al-Shifāʾ 2 et considère une droite AB prolongée indéfiniment du côté de B. On ôte de cette droite un segment AC du côté de son extrémité A. On trace ensuite la droite DE parallèle à AB, avec D à la verticale de C, et on prolonge indéfiniment DE du côté de E.

Fig. 2

On imagine alors que DE est orthogonalement projetée sur AB en faisant coïncider D avec A. Avicenne distingue deux cas : si les deux droites coïncidaient entièrement, on trouverait que le tout (AB prolongée) est égal à la partie (CB prolongée) ; ce qui contredit la notion commune selon laquelle le tout est plus grand que la partie. Second cas : si, au contraire, DE projetée sur AB ne se superposait pas complètement à celle-ci mais en différait du segment AC, alors AB (prolongée) et DE (prolongée) seraient inégales. Or, selon la thèse traditionnelle selon laquelle l’infini ne peut être plus grand qu’un

‎1. Al-Ishārāt wa-al-tanbihāt li-Ibn Sīnā maʿ sharh Nasīr al-Dīn al-Ṭūsī, Qom, 1375, vol. 2, p. 73. ‎2. Al-Shifāʾ, al-Tabīʿiyyāt, 1. al-Samāʿ al-tabīʿī, éd. J. Al Yasin, p. 212.

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IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

autre infini 1, AB et DE sont toutes les deux finies, ce qui contredit l’hypothèse. On conclut qu’une grandeur infinie ne peut pas exister. Or on sait que la notion commune n’est pas valable pour les ensembles infinis. Quant à la thèse traditionnelle selon laquelle l’infini ne peut être plus grand que l’infini, elle avait déjà été critiquée par Thābit ibn Qurra, un siècle au moins avant Avicenne 2. Ou bien ce dernier ignorait l’existence de ce traité, ou bien il l’avait négligé, ne portant que peu d’intérêt à un texte où le concept de l’infini actuel est défendu contre la tradition aristotélicienne. Abū al-Barakāt al-Baghdādī (d. 547 H) critique ce modèle en ces termes : C’est un argument fallacieux, car on l’invoque en faisant se mouvoir la droite et en la tirant de là où elle est la plus courte jusqu’à ce qu’elle se superpose à la première extrémité. Or on ne conçoit pas un mouvement de l’infini, et si on concevait un mouvement pour lui, alors son extrémité se mouvrait avec son ensemble 3.

Cette même critique sera reprise et explicitée par Ibn Ghaylān qui, contrairement à Abū al-Barakāt, attribue ce modèle nominalement à Avicenne. Il écrit : On pourrait en effet placer le point D au point A s’il était possible de faire se mouvoir la droite DE par l’imagination et de la tirer jusqu’à ce que les deux points coïncident. Mais il est impossible de tirer une droite en faisant se mouvoir son commencement sans faire se mouvoir sa fin ; or il n’y a pas de fin pour la droite infinie telle qu’elle se meuve ou ne se meuve pas. Ainsi son commencement ne se meut pas et il n’est donc pas possible de placer le point D au point A. Et ainsi la droite DE ne coïncide pas avec la droite AB. Donc l’impossibilité ne s’ensuit pas nécessairement 4.

L’objection d’Abū al-Barakāt et d’Ibn Ghaylān revient à dire que, pour déplacer une droite, il faut déplacer ses extrémités. La droite DE, prolongée indéfiniment, n’a pas d’extrémité et ne peut donc être déplacée pour être amenée à coïncider avec la droite AB.

‎1. Cette thèse repose sur le petit lemme d’Ammonius : « Il n’existe pas de multitude plus grande que l’infini » ; voir Marwan Rashed, « Thābit ibn Qurra sur l’existence et l’infini : Les Réponses aux questions posées par Ibn Usayyid », dans R. Rashed (ed.), Thābit ibn Qurra. Science and Philosophy in Ninth-Century Baghdad, Berlin, Walter de Gruyter, 2009, pp. 617-673, aux pp. 657-658 n. 28. ‎2. Marwan Rashed, « Thābit ibn Qurra sur l’existence et l’infini », art. cit., pp. 637-638 et 659-660. ‎3. Abū al-Barakāt al-Baghdādī, Kitāb al-Muʿtabar, p 85, 9-11. ‎4. Ibn Ghaylān, Hudūth al-ʿālam, pp. 29. 22-30. 2.

AVICENNE, « PHILOSOPHE ANALYTIQUE » DES MATHÉMATIQUES

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Avicenne propose dans al-Ishārāt un second modèle pour réfuter la thèse des infinitistes. Il écrit : Il faut que tu sois certain qu’une distance ne peut se prolonger ni dans un plein ni dans un vide – si celui-ci existe – à l’infini ; sinon, il serait permis de supposer deux étendues infinies à partir d’un même commencement telles que la distance entre elles ne cesse de croître ; et il est permis de supposer entre elles des distances qui croissent d’une même grandeur ; et il serait permis de supposer entre elles (les deux étendues) ces distances à l’infini ; il y aurait donc la possibilité des accroissements sur un premier écart à l’infini. Mais, puisque chaque accroissement qui existe existe avec ce sur quoi il a été ajouté dans un seul (intervalle) et que, quels que soient les accroissements possibles, il serait possible qu’il y ait une distance qui comprend ce possible, sinon il serait alors possible que ces distances parviennent à une limite à laquelle il ne serait pas possible de rien ajouter. Il serait alors possible qu’il existe ce qui comprend une limite à partir d’un ensemble non limité en puissance 1.

Avicenne conclut donc à l’absurdité. Commentons le texte d’Avicenne 2. Soient les deux droites AB et AC qui représentent les deux grandeurs, d’origine A, prolongées à l’infini, et soient les points Bi et Ci (i = 1, 2, . . .) tels que BB1 = B1 B2 = · · · = Bn−1 Bn = · · · et CC1 = C1 C2 = · · · = Cn−1 Cn = · · · ; alors les droites parallèles BC, B1 C1 , . . . , Bn Cn , . . . ont des accroissements égaux Bi Di (i = 1, 2, . . .). Avicenne affirme que, si les grandeurs infinies existent, alors il existe un intervalle B∞ C∞ composé d’un nombre infini d’accroissements égaux, limité par deux points B∞ et C∞ respectivement sur AB et BC prolongées. On aurait ainsi un nombre infini d’accroissements sur un intervalle fini, ce qui est absurde. Avicenne raisonne ainsi : On a B1 C1 = BC + B1 D1 .. . Bn Cn = BC + n B1 D1 ; puisque les intervalles Bi Di sont égaux, B∞ C∞ = BC +

∞ ∑

Bk Dk .

k=1

‎1. Al-Ishārāt wa-al-tanbihāt, éd. S. Dunia, Le Caire, 1957, vol. 2, pp. 160-164. Voir également le commentaire d’al-Ṭūsī (éd. Qom, pp. 59-60). ‎2. Voir le commentaire d’al-Ṭūsī.

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IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

B∞ C∞ est pour lui un intervalle fini, puisqu’il est fermé, alors que la somme de BC et des intervalles Bi Ci est infinie.

Fig. 3

Avicenne parvient à cette contradiction car il admet l’existence des points extrémités B∞ et C∞ sur AB et BC infiniment prolongées. Il pense alors une droite infinie comme un intervalle fermé, ayant deux extrémités. Ce modèle a été lui aussi critiqué par Abū al-Barakāt et par Ibn Ghaylān. Abū al-Barakāt lui objecte en effet que les accroissements BB1 , B1 B2 , . . . et CC1 = C1 C2 , en nombre infini peuvent bien exister sur les droites AB et AC prolongées, mais les droites BC, B1 C1 , ... ne contiennent jamais qu’un nombre fini d’accroissements ; on ne peut donc pas considérer qu’elles ont une partie finale qui contiendrait une infinité d’accroissements. Voici ce qu’il écrit : [Cet argument] est du genre du premier argument (invoqué pour le modèle précédent) car ces deux droites (AB et AC) ne sont pas ainsi infinies dans l’existence – ni par détermination ni par existence – et leur prolongement à l’infini n’aboutit pas, en se prolongeant dans l’imagination, à une limite telle qu’il ne l’excède pas : il se prolonge et se prolonge

AVICENNE, « PHILOSOPHE ANALYTIQUE » DES MATHÉMATIQUES

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toujours. Mais la largeur augmente et augmente toujours. Mais, autant l’imagination l’élargit longueur après longueur, elle reste finie 1.

La différence entre la position d’Avicenne et celle d’Abū al-Barakāt est qu’Avicenne pense une droite infinie en acte comme ayant deux extrémités, alors que, pour Abū al-Barakāt, il n’y a pas d’extrémités dans l’imagination. En fait, il s’agirait pour lui d’une infinité « en puissance». À son tour, Ibn Ghaylān reprend cet argument, pour commenter la conclusion d’Avicenne selon laquelle il existe un intervalle fini composé d’un nombre infini d’accroissements égaux ; ce qui, selon Avicenne, est impossible. Ibn al-Ghaylān écrit : Cette impossibilité n’était impliquée nécessairement qu’à partir de la supposition de l’existence d’un intervalle (buʿd) qui se prolonge dans un vide ou dans un plein infini, car les autres suppositions ne seraient pas impossibles si on admettait l’existence de l’intervalle infini. Ainsi l’existence de cet intervalle est impossible car ce à partir de quoi s’ensuit l’impossible est impossible 2.

On vient ainsi de voir deux modèles destinés à discuter de la finitude des grandeurs géométriques et à discréditer les thèses infinitistes. Qu’en est-il des grandeurs physiques ? 2. Modèles cinématiques

Dans la Physique d’al-Shifāʾ, Avicenne, après avoir ramené un problème cosmologique à un problème géométrique, soulève, entre autres questions relatives à l’infini, celle de la finitude des grandeurs physiques. On retiendra ici le seul modèle qu’il élabore pour montrer l’impossibilité du mouvement circulaire dans le vide. Commençons par traduire ce texte, avant de le commenter. Avicenne écrit : Il n’est pas possible qu’il y ait dans le vide un mouvement circulaire, et cela car le vide a pour caractère de ne s’arrêter ni de s’anéantir, à moins qu’il y ait au-delà de lui un corps fini ; ce corps l’empêche alors de s’étendre à l’infini. Supposons donc un corps en rotation suivant un cercle ABCD. Supposons que le cercle lui-même est en mouvement et que son centre est I. Supposons, à son extérieur, une rectiligne GE prolongée à l’infini parallèlement à la droite AD, soit dans un vide ou dans un plein ou dans les

‎1. Abū al-Barakāt al-Baghdādī, Kitāb al-Muʿtabar, vol. 2, p. 85. 19-22. ‎2. Ibn Ghaylān, Hudūth al-ʿālam, éd. M. Mohaghegh, p. 29. 2-5.

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IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

deux à la fois. que la droite IC joigne le centre et le point C, qui se déplace en suivant la rotation effectuée. Puisque la droite IC s’élève, perpendiculaire ou comme perpendiculaire, sur AD, dans une direction autre que EG, alors, si on la prolonge à l’infini du côté de C, elle ne rencontre pas EG : le point I est en effet, sans aucun doute, dans une direction qui ne suit pas la ligne 1 EG et telle que tout ce qui pénètre en elle ne parvient pas à celui-ci, sinon la ligne envelopperait le cercle ABCD. Or cela n’a pas été supposé ainsi. Que IC soit une ligne, ou une droite qui ne rencontre pas EG tant qu’elle est dans cette direction jusqu’à ce qu’elle se superpose à la droite AID, puis la dépasse. Elle coupera nécessairement EG. En effet, lorsqu’elle sera dans la direction de EG - qu’elle soit ou non perpendiculaire à AD - alors, si on la prolonge à l’infini, elle coupera nécessairement EG et rencontrera un point de celle-ci. Ce point n’est ni unique ni le seul. Tu peux en effet supposer sur la droite EG de nombreux points que tu joins au centre I par de nombreuses droites, telles que chaque fois la droite IC se superpose à l’une d’elles ; elle sera alors dans la direction du point d’intersection dont cette droite a été issue. Mais, puisque le fait d’avoir cette direction a eu lieu après le fait de ne pas l’avoir eue, il faut que le premier instant du temps d’avoir cette direction sépare les deux temps à la direction d’un point – qu’il soit le point H. Prenons le point K avant le point H et joignons I et K par la droite ILK. Ainsi, la droite CI, lorsqu’au cours de sa rotation elle parvient jusqu’à ce que C vienne au point L, sera alors dans la direction du point K de la droite EG, avant celle du point H. Or on avait dit que H est le premier point de la droite EG que prenait pour direction ; ce qui est absurde. Bien plus, il s’ensuit nécessairement qu’elle est toujours dans direction et toujours dans une direction différente ; ce qui est impossible. Par conséquent, il n’y a pas dans le vide le mouvement circulaire qu’ils ont supposé 2.

Voici comment Avicenne procède : Soit un cercle ABCD, de centre I ; on suppose que I est fixe et que le cercle tourne autour de I, entraînant le point C et le diamètre AD perpendiculaire à IC. On mène une droite EG parallèle à la direction initiale de AD dans le demi-plan déterminé par DA qui ne contient pas C ; on suppose que EG ne rencontre pas le cercle et qu’elle est fixe. Initialement la demi-droite IC (prolongée) ne rencontre pas EG, d’après l’hypothèse, car, si tout rayon du cercle rencontrait EG, cette droite envelopperait complètement le cercle. La situation reste la même au début du mouvement tant que la droite AD n’a pas atteint

‎1. Littéralement intervalle (buʿd) ; en grec : διάστημα. ‎2. Cette traduction a été faite à partir de l’édition (Yasin, p. 159).

AVICENNE, « PHILOSOPHE ANALYTIQUE » DES MATHÉMATIQUES

Fig. 4 1

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Fig. 5

la position perpendiculaire à EG. Mais, lorsque AD a dépassé cette position, la demi-droite IC rencontre nécessairement EG. Avicenne suppose qu’il existe une direction IH, le point H sur EG, qui sépare les directions de IC qui ne rencontrent pas EG de celles qui rencontrent EG. Il en déduit une contradiction car, si K est un point de EG au-delà du point H, la direction IK est atteinte par IC avant IH ; et pourtant IC rencontre EG en K. Ce modèle repose sur l’existence supposée du point H à distance finie, alors que celui-ci est rejeté à l’infini. Il a fallu attendre une autre géométrie pour le savoir. Dans al-Najāt, Avicenne reprend un peu plus longuement cet argument cinématique 2 ; il écrit : Nous disons : soit un mouvement circulaire dans un vide infini, s’il était possible qu’un vide infini existe. Que le corps en mouvement soit comme

1. Figure du texte telle qu’on la trouve dans l’édition. ‎2. Al-Ṭūsī dans son commentaire des Ishārāt reprend ce même modèle, mais en des termes légèrement différents (éd. Qom, p. 73) : « La manière dont on se fait aider par le mouvement est celle fondée sur la supposition d’une sphère telle que l’on mène de son centre un diamètre parallèle à une droite infinie dont il faut qu’il soit dans sa direction après lui avoir été parallèle en raison du mouvement de la sphère. Il s’ensuit nécessairement qu’il se trouve un premier point de la droite que le diamètre a pour direction. Et il est impossible qu’il existe un point que le diamètre a pour direction avant tout ; l’obstacle s’ensuit donc nécessairement. »

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IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

la sphère ABCD, qui se meut autour de son centre . Imaginons dans le vide infini la droite IH. Que la droite EC - à partir du centre jusqu’à un côté de la circonférence – ne rencontre pas la droite IH dans la direction de H, même si elle est prolongée à l’infini. Mais, si la sphère tourne, cette droite [EC prolongée] sera telle qu’elle la [IH ] coupe, la parcoure et s’en sépare. La rencontre et la séparation sont donc nécessairement dans la direction de deux points, qu’ils soient K ou L. Mais le point M est dans sa direction avant le point K. Mais le point K est le premier point de direction ; ce qui est absurde. Mais le mouvement circulaire existe, donc le vide n’est pas infini. 1

Fig. 6

Ainsi, lorsque la sphère tourne, elle entraîne dans sa rotation la droite EC prolongée. Celle-ci sera parallèle à IH avant de cesser de l’être pour la rencontrer en un point et ensuite la couper et la parcourir. Avicenne considère cette fois non pas un cercle, comme dans le texte d’al-Shifāʾ, mais une sphère qui tourne autour de son centre E et une droite infinie. Il envisage en fait deux points, soit H 1 et H 2 , sur IH, tels que les directions EH 1 et EH 2 séparent les parties de EC rencontrant IH de celles qui ne la rencontrent pas (dans les deux sens de parcours de IH, vers I et vers H). Avicenne suppose que ces deux points H 1 et H 2 sont à distance finie. Or ils ne le sont pas. Les fondateurs de la géométrie non-euclidienne dans le premier tiers du xix e siècle (Gauss, Lobatchevski et Bolyai) ont mené un raisonnement parfaitement analogue à celui d’Avicenne mais ont compris que les points H 1 et H 2 sont nécessairement rejetés à l’infini. On appréciera l’intuition forte du philosophe du xi e siècle. ‎1. Al-Najāt, éd. M. Kurdī (1938), p. 123.

AVICENNE, « PHILOSOPHE ANALYTIQUE » DES MATHÉMATIQUES

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Sans cette fois rejeter l’argument d’Avicenne, Abū al-Barakāt s’exclame : «toute cette peine pour admettre qu’il n’y a pas de mouvement dans ce qui est infini, alors qu’on l’admet par ce qui est plus facile que cela !» – ce qu’il expose 1. Quant à Ibn Ghaylān, il formule trois objections dont aucune ne présente rien de bien nouveau : L’un des arguments est que l’existence d’une droite infinie dans un intervalle infini est possible, mais son mouvement n’est pas possible, selon ce que nous en avons mentionné – elle ne peut pas se mouvoir en totalité parce qu’il n’y a pas de totalité. Et, si elle se mouvait, alors sa partie qui se meut serait finie, et ainsi elle aurait une totalité et ne serait donc pas infinie. Si en effet il existait une droite menée du centre de la sphère à l’infini, la sphère étant en train de tourner, alors la droite ne tournerait pas avec elle et la sphère ne s’arrêterait pas à son arrêt. En effet, l’existence du mouvement de la sphère ne s’accorde pas avec le mouvement de cette droite, mais ne se rapporte qu’à ses propres causes ; ainsi, si ses causes s’accomplissent, elle se met en mouvement, sauf si un obstacle s’interpose pour empêcher ce mouvement 2.

Conclusion Les thèmes que nous venons d’examiner illustrent à la fois l’importance et la diversité des rapports entre philosophie théorique et mathématiques dans l’œuvre d’Avicenne. Car l’élucidation philosophique de concepts mathématiques encore opaques ne se confond pas avec une autre démarche, plus traditionnelle, pratiquée elle aussi à l’occasion par le philosophe. Il ne s’agit pas simplement en effet de traiter des fondements des mathématiques et de la nature de leur apodicticité, tâche qui, à l’ère de la spécialisation et de la transformation des mathématiques, a été reprise par les mathématiciens eux-mêmes, tels Thābit ibn Qurra, Ibn Sinān, al-Qūhī, al-Sijzī et Ibn al-Haytham 3, qui l’ont menée plus loin et plus profondément que les commentateurs d’Aristote. C’est dans une autre voie que s’engage ‎1. Abū al-Barakāt al-Baghdādī, Kitāb al-Muʿtabar, p. 61. 2-3. ‎2. Ibn Ghaylān, Hudūth al-ʿālam, p. 30. 13-18. ‎3. R. Rashed, Les Mathématiques infinitésimales du ix au xi siècle. Vol. I : Fondateurs et commentateurs : Banū Mūsā, Thābit ibn Qurra, Ibn Sinān, al-Khāzin, al-Qūhī, Ibn al-Samh, Ibn Hūd (London : al-Furqān, 1996) ; vol. IV : Méthodes géométriques, transformations ponctuelles et philosophie des mathématiques (2002) ; R. Rashed et H. Bellosta, Ibrāhīm ibn Sinān. Logique et géométrie au x e siècle (Leiden : E.J. Brill, 2000) ; R. Rashed, Œuvre mathématique d’al-Sijzī. Volume I : Géométrie des coniques et théorie des nombres au x e siècle, Les Cahiers du Mideo, 3 (Louvain-Paris : Éditions Peeters, 2004).

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IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

Avicenne, en philosophe, qui peut être qualifiée d’épistémique et d’étiologique à la fois. Il s’agira d’élucider logiquement les concepts mathématiques pour parvenir, à l’aide de cette seule analyse, à déterminer la cause des difficultés internes qu’ils contribuent à faire surgir. Cette orientation est encore plus manifeste, et se double d’une tendance « proto-formelle », lorsqu’Avicenne examine des concepts mathématiques plus généraux que celui de l’angle. Ainsi, lorsqu’il aborde un concept comme celui de grandeur, il ne peut éviter de manier lui-même des instruments mathématiques ; de même, c’est avec l’aide des modèles mathématiques qu’il étudie le concept de grandeur infinie. Par « proto-formelle », on qualifie ici une réflexion sur des objets extérieurs à l’empirie, que l’on peut représenter par les seuls moyens des mathématiques, ou même, d’ailleurs, plus généralement encore, d’une combinatoire 1.

‎1. Je crois avoir montré naguère que cette tendance « proto-formelle » sous-tend implicitement l’ontologie de l’émanation d’Avicenne : dans cette ontologie, on peut en effet désigner tous les êtres par des lettres de l’alphabet et procéder ensuite par combinaison. Or c’est précisément cette démarche combinatoire que Naṣīr al-Dīn alṬūsī a fondée et menée à son terme, suivi par d’autres, comme Ibrāhīm al-Halabī. Cf. R. Rashed, « Combinatoire et métaphysique : Ibn Sīnā, al-Ṭūsī et al-Halabī ».

LA MULTIPLICITÉ DES STYLES : LES ISOPÉRIMÈTRES Les historiens des sciences conviennent volontiers que l’une de leurs tâches principales est la reconstitution des traditions scientifiques. La tâche peut sembler aisée, puisque le plus souvent les traditions s’offrent à leurs yeux sous des noms et des titres qui les rendent reconnaissables. Mais, à peine attelés à cette tâche, ils voient se dissiper ce qui n’était qu’une trompeuse apparence : le propre d’une tradition scientifique n’est-il pas en effet de se diversifier et de se recréer au gré de la succession des divers auteurs et du surgissement des questions ? et par là-même de déjouer les tentatives de reconstitution ? C’est afin de décrire et d’analyser ces faits que, au siècle dernier, certains philosophes ont forgé des notions telles que la Denkform pour Cassirer, la «science normale» pour Kuhn, l’épistèmè pour Foucault, etc. G. G. Granger, fort de ses expériences multiples en histoire de l’économie et des nombreuses écoles qui la jalonnent, de sa connaissance des mathématiques sociales depuis Condorcet et de l’apport de la linguistique, a trouvé dans la notion de style un moyen heuristique pour délimiter les traditions, et aussi pour découper au sein d’une seule et même tradition, permettant de saisir le type de rationalité qui caractérise chacune. C’est en effet grâce à la notion de style, qui a fait ses preuves en histoire de la littérature et de l’art, que l’on peut saisir, par delà la variété des formes et les mutations qui modèlent une tradition, ce qui la distingue et marque le sceau de son identité. Reste cependant à entendre cette note certes perceptible, mais fuyante et insaisissable, qui seule permet de mettre en perspective une œuvre individuelle et d’en saisir le sens. On pourra alors distinguer une tradition parmi d’autres, par exemple la tradition des mathématiques des indivisibles parmi les autres traditions des mathématiques infinitésimales au xvii e siècle, ou encore celle des marginalistes entre d’autres traditions aux xix exx e siècles (comme celles de Marx ou d’Alfred Marshall).

Conférence prononcée à l’occasion du colloque consacré à l’étude de la pensée de Gilles-Gaston Granger, co-organisé par Élisabeth Schwartz, David Lefebvre et David Rabouin. Clermont Ferrand, les 16-18 mars 2017.

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IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

C’est aussi par le style que l’on peut isoler les différents courants d’une même tradition (Cavalieri de Roberval dans le premier cas ; Jevons de Walras dans le second), et que, dans une seule et même œuvre, on saisit les traces de différentes traditions. On évite ainsi l’analogie, et le regard global qui écrase les différences pour ne voir que les similitudes. Si l’on se restreint à l’histoire des mathématiques, Granger définit ainsi le style mathématique : Le style nous apparaît ici, d’une part comme une certaine manière d’introduire les concepts d’une théorie et les enchaîner, de les unifier ; d’autre part, comme une certaine manière de délimiter l’apport intuitif dans la détermination de ces concepts 1.

Pour illustrer cette définition, il étudie plusieurs exemples géométriques qu’il désigne par des noms dont chacun incarne un style géométrique : Euclide, Descartes, Desargues, Grassmann. Naturellement, le tout est mené avec précision et talent. Je voudrais aujourd’hui partir de cette définition de Granger pour poser la question de la pluralité des styles. Il s’agit de se demander si une œuvre mathématique fondatrice se distingue par un style unique ou par plusieurs ; et, d’autre part, si l’unité d’un chapitre des mathématiques au cours de son évolution tient à un style ou au produit de plusieurs styles. Je pose donc cette question de la pluralité des styles d’abord au sein d’une seule et même œuvre mathématique, ensuite à travers l’étude d’un même problème au cours des siècles. Comme œuvre, j’ai choisi les Sphériques de Ménélaüs d’Alexandrie ; comme problème, je parlerai des isopérimètres. Comme vous voyez, il s’agit dans les deux cas, d’étudier le cercle et la sphère. Ménélaüs d’Alexandrie – premier siècle A. D. – a rédigé un traité intitulé Les Figures Sphériques, selon le modèle des Éléments d’Euclide, c’est-à-dire en enchaînant les propositions selon un ordre logique rigoureux. Il y étudie la géométrie de la sphère pour elle-même, et non pas seulement dans l’espace ambiant à trois dimensions, comme dans les Éléments. Ménélaüs, à la différence d’Euclide, examine donc les propriétés intrinsèques de la surface sphérique. Il imagine la sphère comme enchâssée dans l’espace ambiant, en s’attachant notamment à ses propriétés de dualité et de polarité, propriétés qui ne caractérisent pas les figures planes. Pour mener cette étude, Ménélaüs admet les axiomes d’Euclide et aussi ses postulats, excepté le cinquième, celui des parallèles. Il adopte les définitions euclidiennes des concepts géométriques – la ‎1. G. G. Granger, Essai d’une philosophie du style, Paris, 1988, p. 20.

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sphère, son centre, ses cercles, ses diamètres, ses pôles, etc., – auxquelles il n’ajoute que trois nouvelles définitions : celles du triangle sphérique, des figures quadrilatères sur la sphère et des angles droits, aigus et obtus sur la sphère. Si on invoque à ce propos la définition de Granger déjà citée, la « manière d’introduire les concepts d’une théorie» est ici bien différente de celle d’Euclide, car, dans cette nouvelle géométrie, la somme des angles d’un triangle sphérique quelconque est plus grande que deux angles droits, les lignes disjointes n’existent pas et deux lignes quelconques se coupent en deux points ; ce n’est certes plus le « style » de la géométrie plane euclidienne, ni non plus celui des livres stéréométriques des Éléments. Du point de vue mathématique, cette géométrie est intimement liée à la géométrie hyperbolique, inventée plus d’un millénaire et demi plus tard, et il a fallu attendre des siècles pour que la géométrie sphérique repose sur un système d’axiomes propres. Si maintenant nous considérons la deuxième partie de la définition de Granger, «une certaine manière de délimiter l’apport intuitif dans la détermination de ces concepts », là encore le style de Ménélaüs s’écarte de celui d’Euclide : en effet, il bannit de la géométrie sphérique le recours à la démonstration par réduction à l’absurde pour ne garder que la démonstration directe, et rejette également la démonstration euclidienne par superposition des figures. En bref, avec la géométrie sphérique de Ménélaüs, nous sommes en présence de la première géométrie non-euclidienne, bâtie à partir de l’axiomatique d’Euclide mais en excluant le postulat des parallèles et deux procédés de démonstration. Peut-on à son propos parler du style euclidien, dégagé avec pertinence par Granger à partir des livres de géométrie plane des Éléments ? Sûrement non. Mais qualifier le style de Ménélaüs de non euclidien serait un peu forcé, dans la mesure où persistent bien des résidus euclidiens. Nous sommes donc en présence d’un mélange de deux styles, une combinaison du style euclidien, et du style non euclidien en attente pour ainsi dire. Il aurait pu s’agir du premier style intuitionniste, si Ménélaüs avait toujours dérivé ses constructions à partir des seules définitions. Or il lui arrive parfois de procéder autrement, comme, par exemple, dans la première proposition de son livre qui porte sur la construction d’un angle égal à un angle donné. À la différence de la majorité des propositions du livre de Ménélaüs sur Les Figures sphériques, cette proposition est prouvée sur la base de la géométrie solide d’Euclide ; il ne s’agit donc pas d’une démonstration de géométrie sphérique. La raison en est que Ménélaüs donne de l’angle une définition euclidienne : l’angle entre deux côtés d’un triangle à un sommet est un angle dièdre formé

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par les deux plans qui contiennent les deux côtés – ce qui lui imposait de commencer par une construction de type euclidien. On ne peut donc parler d’un style unique, mais bien du mixte de deux styles dont le second ne sera parfaitement élaboré que plus tard. Cette combinaison est imposée par la nature de l’objet étudié par Ménélaüs : la sphère, indépendamment de l’espace ambiant. Je passe maintenant au deuxième volet de la question de la pluralité des styles, au problème du style de conceptualisation d’un même objet au cours de l’histoire. J’emprunte cette fois encore mon exemple à la géométrie, pour rester proche des choix de Granger. L’examen du problème des isopérimètres nous permettra de constater la succession de plusieurs styles, qui s’emboitent au cours de la recherche dans un même chapitre mathématique. Plusieurs raisons président à ce choix des isopérimètres : 1. Comme je viens de le dire, ce problème appartient au domaine où Granger a choisi ses exemples. 2. Il renvoie à un problème ancien, comme l’exemple d’Euclide choisi par Granger. 3. C’est un exemple de recherche de valeurs extrémales, d’où sa difficulté. En un mot, il s’agit de montrer que, de tous les domaines du plan ayant un périmètre donné, le cercle – c’est-à-dire le disque – a la plus grande aire ; et que, parmi les solides ayant la même aire totale, c’est la sphère qui a le plus grand volume. Cette recherche des valeurs extrémales intéressait de prime abord les astronomes. Ceux-ci en avaient besoin pour établir la sphéricité du ciel et du corps du monde, pour ainsi montrer l’absolue perfection de leur forme. Les mathématiciens se sont mis à la tâche pour démontrer ces propriétés et établir ce fait cosmologique. D’ailleurs, cette proposition relative au cercle et à la sphère parle directement à l’intuition, de sorte qu’il peut paraître inutile d’en donner une démonstration. Or, « délimiter l’apport intuitif dans la détermination des concepts», comme le dit Granger, s’est avéré une tâche très longue et très difficile. Je vais rapidement esquisser ses réalisations. La question des isopérimètres et des isépiphanes semble en tout cas, durant une longue période de son histoire, liée à la perspective cosmologique : c’est elle qui lui assure pendant des siècles permanence et fécondité. Sa large diffusion est due, sans aucun doute, à sa reprise dans le premier livre de l’Almageste et dans le commentaire qu’en a fait Théon d’Alexandrie.

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Ptolémée présente en effet comme un acquis de la géométrie le résultat suivant : Puisque, parmi les figures différentes ayant leur périmètre égal, celles qui ont plus de côtés sont plus grandes, le cercle est la plus grande des figures planes, la sphère est le plus grand des solides, et le ciel est le plus grand des corps 1.

Il ne donne cependant aucune preuve. Les commentaires de l’Almageste, depuis Théon d’Alexandrie, ne pouvaient plus désormais passer sous silence une telle formule, sans en apporter la preuve. D’autres mathématiciens se sont intéressés à ce problème, comme Héron d’Alexandrie et Pappus d’Alexandrie – dans le cinquième livre de La Collection 2. Deux témoignages – relativement tardifs – concordent pour attribuer l’étude à Zénodore. Le premier est de Théon d’Alexandrie, qui nous dit : Nous allons le prouver d’une manière abrégée, tirée des démonstrations de Zénodore dans son traité des figures isopérimètres (περὶ ἰσομέτρων σχημάτων) 3.

Le second nous vient du commentateur d’Aristote, Simplicius, qui écrit : Il a été démontré, en tout cas avant Aristote, s’il est vrai que celui-ci s’en sert comme d’une vérité démontrée, et par Archimède, et de façon plus détaillée par Zénodore, que parmi les figures isopérimètres celle qui est la plus étendue est, parmi les figures planes, le cercle, et parmi les figures solides, la sphère 4.

On cherchera en vain des traces de l’étude des isopérimètres chez Aristote ou Archimède. Mais Simplicius est d’accord avec Théon pour attribuer à Zénodore la première étude extensive. Ce dernier est, selon toute vraisemblance, postérieur à Archimède et antérieur à Pappus et à Théon, c’est-à-dire qu’il a dû vivre entre le ii e siècle avant

‎1. J. L. Heiberg, Claudii Ptolemaei opera quae extant omnia. I. Syntaxis mathematica, Leipzig, 1898, p. 13, lignes 16-19. ‎2. Cf. traduction de P. Ver Eecke de La Collection mathématique, Paris et Bruges, 1933, t. I, pp. 239 sq. ‎3. Théon d’Alexandrie : Commentaire sur les Livres I et II de l’Almageste. Texte établi et annoté par A. Rome, (n o 72 des Studi e Testi publiés par les bibliothécaires et archivistes du Vatican), 1936, p. 33. ‎4. Simplicii in Aristotelis De Caelo comment., éd. J. L. Heiberg, p. 412, lignes 12-17.

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notre ère et la première moitié du iv e siècle. Le premier (Pappus, première moitié du iv e siècle) cite la première proposition du livre de Zénodore, et le second (Théon, seconde moitié de ce même siècle) résume ce livre. L’imprécision des dates de Zénodore nous empêche cependant de savoir avec certitude si ce dernier avait écrit son traité pour justifier l’affirmation de Ptolémée non encore démontrée. Le texte où Théon rapporte les résultats de Zénodore, ainsi que l’Almageste, étaient connus, dans leur traduction arabe, des mathématiciens et des astronomes de Bagdad au ix e siècle, et ils suscitèrent une nouvelle tradition de recherche géométrique, inaugurée par le philosophe et savant al-Kindī. Ce sont surtout al-Khāzin et Ibn al-Haytham qui représentent les principales figures aujourd’hui connues de cette tradition 1. La lecture et l’analyse de ces deux dernières contributions révéleront la grande distance qui sépare les deux mathématiciens. Al-Khāzin est un mathématicien de la première moitié du x e siècle. Il est connu pour ses écrits en algèbre et en analyse diophantienne entière. Lui aussi part de la citation de Ptolémée, pour écrire toute une étude sur les isopérimètres et les isépiphanes. Il se propose d’établir le résultat de Ptolémée non point à l’aide du calcul, mais par les moyens de la géométrie. L’idée directrice, qui semble parfaitement consciente chez al-Khāzin, est que, parmi toutes les figures convexes d’un type donné (triangle, losange, parallélogramme...), la plus symétrique réalise un extremum pour une certaine grandeur (aire, rapport d’aire, périmètre...). On procède de la manière suivante : on fixe un paramètre et on fait varier la figure en la symétrisant par rapport à une certaine droite. Ainsi, en fixant le périmètre d’un parallélogramme, on transforme ce parallélogramme en un losange, si on le symétrise par rapport à une diagonale ; l’aire augmente dans le processus. À l’aide de plusieurs lemmes, al-Khāzin établit la propriété isopérimétrique des polygones réguliers, avant de passer enfin au théorème sur le cercle. Il montre ensuite à l’aide des polyèdres réguliers la propriété isépiphanique : « De tous les solides convexes ayant la même aire, la sphère est celui qui a le plus grand volume ». Avec al-Khāzin, on assiste donc à deux transformations : l’une est celle de l’objet, l’autre celle du style. Désormais, le cercle n’appartient pas au domaine des figures géométriques planes, mais à une classe de celles-ci : les figures convexes. De même, la sphère appartient à la classe des solides convexes. Le style n’est plus géométrique

‎1. R. Rashed, Les Mathématiques infinitésimales du ix e au x e siècle, Vol. II : Ibn alHaytham, London, Al-Furqān, 1993.

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au sens large, mais il s’infléchit pour porter sur les inégalités nécessaires à la recherche dans la géométrie des domaines convexes. Cette recherche sur les propriétés des figures convexes sera l’un des principaux thèmes de ce chapitre tout au long de son histoire. Un demi-siècle environ plus tard, le mathématicien Ibn alHaytham (mort après 1040) consacre un volumineux traité à ce problème. Ce traité appartient à une série d’ouvrages sur la quadrature des surfaces courbes et la cubature des solides courbes. Le contexte mathématique n’est plus le même : ce sont les propriétés extrémales qui intéressent Ibn al-Haytham et, pour les étudier, il combine les méthodes infinitésimales et celles des projections. Il s’écarte d’emblée de son prédécesseur pour chercher une démonstration « dynamique ». C’est alors qu’il rédige son traité sur les isopérimètres, qui est à l’avant-garde de la recherche mathématique de l’époque, et pour quelques siècles encore. Ibn al-Haytham commence par régler rapidement le cas des figures planes. Tout comme son prédécesseur al-Khāzin, il compare des polygones réguliers de même périmètre, et d’un nombre de côtés différents, et démontre 1. Soient deux polygones réguliers de même périmètre, celui qui a le plus grand nombre de côtés a la plus grande aire. 2. Si un cercle et un polygone régulier ont le même périmètre, alors l’aire du cercle est plus grande que celle du polygone. Contrairement à tous ses prédécesseurs, Ibn al-Haytham utilise la première propriété pour établir la seconde, en considérant le cercle comme limite d’une suite de polygones réguliers ; il utilise les propriétés de la borne supérieure ; c’est en cela que sa démarche est « dynamique». Notons qu’au cours de sa démonstration, il suppose l’existence de la limite – l’aire du disque – ce qui était assuré à partir de La Mesure du cercle d’Archimède. La seconde partie de son traité est consacrée aux isépiphanes. Elle s’ouvre sur dix lemmes qui constituent à eux seuls le premier traité véritable de l’histoire des mathématiques sur l’angle solide, que je passe sous silence ici. Ces lemmes lui permettent en tout cas d’établir les deux propositions suivantes : 1. De deux polyèdres réguliers ayant des faces semblables et des surfaces égales, celui qui a le plus grand nombre de faces a le plus grand volume. 2. Si deux polyèdres réguliers ont pour faces des polygones réguliers semblables, et sont inscrits dans une même sphère, alors celui qui a le plus grand nombre de faces a la plus grande surface et le plus grand volume.

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On observe donc qu’Ibn al-Haytham part des polyèdres réguliers. Les deux propositions que je viens de citer ne s’appliquent alors qu’au cas du tétraèdre, de l’octaèdre et de l’icosaèdre, puisque le nombre des faces d’un polyèdre régulier à faces carrées ou pentagonales est fixé (6 ou 12). L’intention d’Ibn al-Haytham ressort cependant clairement de ce qui précède : à partir de la comparaison entre polyèdres de même aire et d’un nombre différent de faces, établir la propriété extrémale de la sphère ; c’est-à-dire approcher la sphère comme limite des polyèdres inscrits. Mais cette démarche dynamique se heurte manifestement à la finitude du nombre des polyèdres réguliers, et j’avoue que ce fait demeure incompréhensible de la part d’un grand mathématicien, qui connaissait les Éléments d’Euclide mieux que quiconque. Cela dit, cet échec se double d’une grande réussite : la théorie de l’angle solide. Ce traité d’Ibn al-Haytham prend déjà des distances par rapport aux deux styles précédents, cosmologique et géométrique. Bien plus, porté par le courant de ce nouvel esprit, Ibn al-Haytham engage une autre étude sur l’extrémalité. Il compare entre les différentes courbes convexes dans un segment de cercle, en considérant que la longueur de chaque courbe est la borne supérieure des polygones inscrits, pour ainsi ramener la comparaison entre les courbes à celle des polygones. Avec Ibn al-Haytham, on étudie les propriétés extrémales des figures et des solides, auxquelles s’ajoutent désormais celles des courbes. Le style se modifie en conséquence et devient infinitésimaliste, sur des objets convexes. Pour aller plus loin qu’Ibn al-Haytham, il a fallu attendre la fondation et l’essor du calcul différentiel vers l’extrême fin du xvii e siècle et le début du xviii e siècle, ou plus précisément avec les premiers pas du calcul des variations. Le problème isopérimétrique continuera à changer de forme et deviendra celui de trouver une courbe, ou une famille de courbes, qui rend maximale ou minimale une grandeur associée à chacune des courbes d’un ensemble de courbes donné. Tout a commencé en effet par un défi lancé par Jean Bernoulli aux mathématiciens en juin 1696 1 sous une forme qui reproduit le célèbre problème du Brachistone : Connaissant deux points A et B dans un plan vertical, trouver le chemin AMB qu’un mobile parcourt de A à B par vertu de son poids dans le temps le plus court possible.

‎1. Datis in plano verticali duobus punctis A et B, assignare mobili M viam AMB, per quam gravitate sua descendens, et moveri incipiens a puncto A, brevissimo tempore perveniat ad alterum punctum B. Acta Eruditorum, 1696, p. 269.

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Jacques Bernoulli montre en 1697 1 que cette courbe est une cycloïde. De toute évidence, le problème isopérimétrique est bien sur un autre terrain que celui qu’avait investi au début la recherche issue de la question cosmologique. Cette dernière recherche s’était épuisée, on l’a vu, depuis al-Khāzin, et transformée une fois avec Ibn al-Haytham. Avec les Bernoulli, c’est déjà le calcul des variations que leur successeur Euler, puis Lagrange, vont instituer définitivement. Il est vrai que l’étude du problème précédent ainsi que de ceux rencontrés par le calcul naissant des variations a conduit pour chaque problème à des équations différentielles dégagées par Euler. Ce dernier s’est donc efforcé de reprendre les problèmes et d’unifier les méthodes de solution. Ainsi le problème à résoudre apparaît ∫ √ comme celui de déterminer parmi les∫ courbes de longueur L = 1 + y ′ dx, 2 celle pour laquelle la surface y dx est maximale . Il se peut cependant que l’extremum ne soit pas atteint, c’est-à-dire qu’aucune des courbes solutions ne donne l’extremum. La difficulté soulevée par l’existence de l’extremum accompagnera le calcul des variations pendant une longue période de son histoire. Depuis la fin du xvii e siècle et au cours du xviii e siècle, on assiste donc à l’étude du problème isopérimétrique à l’aide des méthodes variationnelles, comme chez Euler, Lagrange... Un retour aux méthodes géométriques a été opéré à partir du début du xix e siècle avec J. Steiner (1796-1863). Ce dernier a conçu une construction géométrique connue sous le titre de la symétrisation de Steiner. On associe à chaque domaine différent du cercle et à une direction de droite un nouveau domaine isopérimètre plus petit. Il s’agit des constructions géométriques au cours desquelles, à partir d’une figure qui n’est pas un cercle, on associe soit une figure de même périmètre mais d’aire plus grande, soit une figure de même aire mais de périmètre plus petit ; l’aire et le périmètre du cercle restant invariables par ces constructions. Steiner en conclut que le théorème est démontré pour le cercle, c’est-à-dire que, parmi les courbes qui enferment une aire donnée, le cercle a le plus petit périmètre. Autrement dit : Soit L le périmètre d’une courbe fermée dans le plan, S l’aire qu’elle renferme, le problème isopérimétrique devient : Déterminer parmi toutes les courbes fermées de longueur L celle qui renferme la plus grande aire, et montrer que la solution est fournie par le cercle.

‎1. Acta Eruditorum, 1697, p. 211. ‎2. Euler, Methodus inveniendi lineas curvas maximi minimive proprietate gaudentes, Lausanne, 1744.

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On définit le déficit isopérimétrique de la courbe par l’inégalité ordinaire : L2 −S≥0 (*) 4π et on montre que l’égalité n’est valable que pour le cercle. Steiner 1 donne cinq démonstrations, mais il suppose chaque fois l’existence d’un extremum. C’est dire qu’il suppose implicitement que, dans l’ensemble des figures isopérimétriques, il en existe une qui a l’aire maximale. Avec Steiner, le problème isopérimétrique, comme le problème isépiphanique, peut être exprimé par des inégalités isopérimétriques comme (*). Le but de sa recherche est de donner des démonstrations élémentaires de ces inégalités sans supposer ni démontrer l’existence d’une figure maximale. Il a atteint ce but en améliorant les inégalités isopérimétriques, c’est-à-dire en montrant qu’au second membre de l’inégalité, où se trouve zéro, peut être substituée une quantité positive en général, et qui ne s’annule identiquement que dans le cas du cercle ou dans celui de la sphère. Par ce procédé, on évite aussi tout recours à la notion de limite, exception faite pour la définition du périmètre, de la surface et du volume des figures. Le style est désormais celui de la géométrie synthétique. À la suite de Steiner, en 1905, F. Bernstein démontre d’autres inégalités, et le mathématicien danois T. Bonnesen publie en 1929 un livre intitulé Problèmes des isopérimètres et des isépiphanes, dans lequel il démontre des inégalités telles que :

(π) L2 −S≥ (R − r)2 , 4π 4 où R et r sont les rayons des plus grands cercles, respectivement circonscrit à et inscrit dans la courbe convexe L. On voit immédiatement que, si R = r, on a l’égalité pour le cercle. Comme on peut le constater, le problème isopérimétrique, en quelque sorte à l’origine du calcul des variations au début du xviii e siècle, est devenu l’objet de la théorie des domaines convexes du plan ou de l’espace, et des courbes convexes 2, à partir de la fin du xix e siècle et au début du siècle suivant. Ainsi, à partir de la fin du xix e siècle, le problème isopérimétrique a changé d’extension :

‎1. J. Steiner : Einfache Beweise der isoperimetrischen Hauptsätzen, Gesammelte Werke, NY, 1971 ; vol. II, pp. 285-308. ‎2. Par « domaine convexe du plan ou de l’espace», on entend l’ensemble des points qui contient, avec deux points quelconques A et B, tout le segment de droite AB. Une courbe convexe fermée est la frontière d’une figure convexe et bornée.

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il consiste désormais à déterminer, parmi toutes les courbes planes fermées de périmètre donné, celle qui renferme la plus grande aire. On pourrait encore suivre ce même problème dans d’autres domaines de la géométrie récente où les inégalités trouvées servent d’une manière ou d’une autre. Cette longue et riche histoire illustre à elle seule les styles rencontrés au cours de la conceptualisation d’un même problème. Pour conclure, il me semble qu’il ressort de l’exemple de Ménélaüs, fondateur de la géométrie sphérique, que la multiplicité des styles est l’effet de la gestation du nouveau style, qui ne peut exister sans l’ancien. Nous avons observé en effet dans cet exemple que le style euclidien, défini à partir de l’axiomatique des Éléments et de la théorie des proportions, était appelé à traiter un nouvel objet qui n’admet pas un postulat pourtant essentiel à la définition de ce style, et qui, par ailleurs, exclut les moyens de conceptualisation de la géométrie euclidienne. Ménélaüs devait donc combiner avec ce style euclidien un autre style, que l’on peut qualifier de proto-intuitionniste. Ce croisement de deux styles n’est d’ailleurs pas rare dans les travaux fondateurs de nouvelles disciplines mathématiques : on peut l’observer dans les Coniques d’Apollonius, l’Optique de Ptolémée, etc. Quant à l’exemple des isopérimètres, il semble que, cette fois, la multiplicité des styles tient à la transformation de l’objet même de la recherche, suscitée par la densité ontologique du cercle et de la sphère, dont les propriétés sont inépuisables. La multiplication des styles – cosmologie, géométrie des figures et des solides convexes, géométrie infinitésimale, calcul différentiel et intégral, géométrie métrique des domaines convexes – est l’effet de l’acquisition d’autres méthodes, forgées à l’occasion d’autres recherches dans d’autres domaines, et qui ont permis de dévoiler de nouvelles couches dans l’épaisseur des objets, le cercle et la sphère. L’élément unificateur de ce chapitre, au-delà de la pluralité des styles et des méthodes, réside dans l’effort constant pour déterminer les propriétés extrémales de certains domaines convexes, et pour élaborer une théorie de ces domaines. Cette longue et riche histoire illustre aussi ce que nous apprenait déjà l’exemple des Sphériques : la multiplicité des styles est le propre d’une recherche mathématique qui porte sur des objets denses et féconds. On pourrait oser dire que l’unicité du style est l’indice de la légèreté, voire de la pauvreté de l’objet. Peut-être est-ce pour cela que Granger a proposé aux philosophes et aux historiens des sciences cet instrument heuristique, qui permet d’épouser cette dialectique complexe entre unicité et multiplicité, qui agite bien des chapitres des mathématiques et des sciences.

DÉMONSTRATION PAR L’ABSURDE OU DÉMONSTRATION DIRECTE : AL-SIJZĪ, SUR L’INCOMMENSURABILITÉ DE LA DIAGONALE AVEC LE CÔTÉ Aḥmad ibn Moḥammed ibn ʿabd al-Jalīl al-Sijzī était un géomètre actif et inventif de la seconde moitié du x e siècle en Iran 1. Outre ses travaux dans les différents chapitres de la géométrie, il a également composé plusieurs écrits en logique philosophique des mathématiques. On lui doit ainsi un traité sur l’analyse et la synthèse, sur l’ars inveniendi, et un mémoire sur la classification des propositions mathématiques à l’aide du couple «conception-démonstration» 2. Il a également écrit un bref mémoire sur l’incommensurabilité de la diagonale avec le côté du carré, dont nous donnons l’editio princeps et la première traduction 3. On pourrait s’étonner qu’un mathématicien du rang d’al-Sijzī, dont le nom est associé aux chapitres les plus avancés de la géométrie de son temps, ait pris le temps de rédiger un mémoire sur la solution d’un problème déjà objet de démonstrations depuis plus d’un millénaire. Les contributions géométriques d’al-Sijzī portaient en effet sur les lieux en surfaces quadratiques, sur la génération des courbes géométriques à partir du cercle, sur le tracé des courbes coniques à l’aide du compas parfait, entre autres chapitres 4. Pourquoi donc s’est-il arrêté à ce problème de l’incommensurabilité de la diagonale avec le côté du carré ? Pour répondre à cette question, on peut examiner deux éléments qui ont assuré à ce problème sa pérennité, depuis l’antiquité grecque jusqu’au x e siècle, et plus tard encore. Rappelons d’abord qu’il représente pour l’historien des mathématiques l’une des premières Paru dans Arabic sciences and philosophy 29 (2019) : 61-85. ‎1. Al-Sijzī était actif en Iran entre les années soixante du x e siècle et le début du xi e siècle. ‎2. Cf. R. Rashed, Les Mathématiques infinitésimales du ix e au x e siècle, vol. IV : Méthodes géométriques, transformations ponctuelles et philosophie des mathématiques, London, 2002 ; p. 690-735, 766-826. Cf. aussi R. Rashed, Œuvre mathématique d’al-Sijzī. Volume I : Géométrie des coniques et théorie des nombres au x e siècle, Louvain-Paris, Éditions Peeters, 2004 ; chapitre III, p. 93-105 et 294-309. ‎3. Cf. plus loin. ‎4. Œuvres mathématiques d’al-Sijzī, op. cit., p. 12-45 et p. 190-209.

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recherches sur les grandeurs irrationnelles et sur la commensurabilité. D’autre part, il offre au philosophe logicien l’un des plus anciens exemples retenus par la tradition des démonstrations mathématiques. Et de fait, lorsqu’on retrace l’histoire de la démonstration per impossibile, on constate que ce problème a été investi d’une valeur paradigmatique depuis Aristote 1. Cependant, s’il s’agit de l’étude des grandeurs irrationnelles, al-Sijzī et ses contemporains n’en étaient plus là : ils n’ignoraient pas que l’étude de ces grandeurs avaient été menée fort loin non seulement par les géomètres, mais aussi par les algébristes qui, depuis al-Māhānī au milieu du ix e siècle, s’efforçaient d’interpréter algébriquement le livre X des Éléments d’Euclide 2. Ce n’est donc pas cette recherche sur les grandeurs irrationnelles qui a incité al-Sijzī à reprendre l’étude de ce problème. Par conséquent, c’est vers la question de la logique philosophique de la démonstration qu’il faut se tourner. Dans le prologue de ce petit mémoire, al-Sijzī rappelle qu’il donne cinq démonstrations, dont trois sont par l’absurde (deux attribuées aux Anciens ; une à la manière des Anciens) et une est directe. Cette distinction entre deux modes de démonstration, établie en logique depuis Aristote, a donc été appliquée par al-Sijzī à ce problème géométrique. Cette application, on le verra, est d’ailleurs le but que se propose d’atteindre al-Sijzī dans ce mémoire. En effet, l’opposition entre preuve directe et preuve par réduction à l’absurde est un thème récurrent des recherches logiques depuis les Analytiques. Dans les Analytiques premiers 3, Aristote compare les deux modes de démonstration ; dans les Analytiques seconds 4, il explique pourquoi la démonstration directe est supérieure à la démonstration par réduction à l’absurde. Par la suite les philosophes n’ont pas cessé de commenter ces textes, comme par exemple Avicenne dans al-Shifāʾ 5. Reste à se demander quand cette distinction a été introduite dans la pratique mathématique, et quand la supériorité de la démonstration directe a été imposée comme norme. Faute des informations historiques qui permettraient de répondre avec certitude à cette ‎1. Aujourd’hui, on donne cet exemple pour expliquer la preuve par réduction à l’absurde. Cf. par exemple J. L. Gardies, Le raisonnement par l’absurde, PUF, Paris, 1982. ‎2. Cette algébrisation avait déjà commencé avec al-Māhānī (fl. 853-66) et bien d’autres ensuite. ‎3. Aristote, Les premiers analytiques, Vrin, Bibliothèque des textes philosophiques, Paris, 1983 ; II. 14, p. 270. ‎4. Aristote, Les seconds analytiques, Vrin, Bibliothèque des textes philosophiques, Paris, 1995 ; II. 26, p. 139. ‎5. Avicenne, Al-Shifāʾ, al-Mantiq, 5. Al-Burhān, éd. A. E. ʿAfifi, rév. Ibrahim Madkour (Le Caire, 1956), p. 244-245.

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question, nous nous contentons d’avancer qu’il en était déjà ainsi bien avant al-Sijzī, et, pour commencer, en algèbre. En effet, cette distinction qu’opérait déjà Abū Kāmil (deuxième moitié du ix e siècle), a ensuite été confirmée par ses successeurs arabes et latins. Une fois distinguées démonstration géométrique et démonstration algébrique, Abū Kāmil multiplie les modes de cette dernière : par induction complète finie, par descente finie, par élimination et par «indication» 1. Toutes ces démonstrations, et d’autres encore, sont constructives. Selon lui, comme le notera un de ses successeurs, al-Samaw’al (mort en 1175), la démonstration directe présente l’avantage de livrer la cause, et donc de répondre à ce qu’on attend d’une véritable démonstration 2. Al-Sijzī s’efforce donc de distinguer ces deux modes de démonstration lors de l’étude de ce problème géométrique. L’occasion lui avait été offerte par un correspondant anonyme qui désirait savoir s’il y avait « d’autres démonstrations de ce problème que les démonstrations des Anciens ». Or nous savons que ces dernières s’effectuaient toutes par réduction à l’absurde. Dans sa réponse, al-Sijzī annonce « qu’il lui a été possible de parvenir à cinq démonstrations, dont l’une est directe et les autres par réduction à l’absurde » 3. Il attribue deux des démonstrations par réduction à l’absurde aux «Anciens », et il en donne lui-même une autre, à la manière des Anciens, c’est-à-dire par l’absurde. Il commence son mémoire par ces trois démonstrations, puis il en vient à la démonstration directe et termine par une démonstration arithmétique, comme s’il voulait confirmer encore davantage la supériorité de la démonstration directe. Ainsi, il commence son exposé par «ce que les Anciens ont dit en cela», sans toutefois identifier ces Anciens dont il ne donne ni le nom ni le titre. Il se contente d’écrire : «Ils ont dit que, si le côté était commensurable avec la diagonale, le pair et l’impair seraient égaux ». Or les Anciens qui ont traité ce problème et dont les écrits ont été transmis dans leur traduction arabe – la langue de travail d’al-Sijzī – appartenaient soit à la tradition euclidienne, soit à la tradition aristotélicienne. Tous ont fondé la démonstration de cette proposition sur la classification pythagoricienne des entiers naturels en pairs et impairs, et ont procédé par réduction à l’absurde. Il va donc falloir ‎1. R. Rashed, Abū Kāmil : Algèbre et analyse diophantienne, Berlin/ New York, Walter de Gruyter, 2012 ; p. 225-239. ‎2. Al-Samaw’al, al-Bāhir en algèbre, (en collaboration avec S. Ahmad). Damas : Presses de l’Université de Damas, 1972 ; p. 187. Édition et nouvelle traduction française, à paraître. ‎3. Voir plus loin.

340

IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

commencer par examiner les démonstrations qu’al-Sijzī attribue aux Anciens, pour tenter de repérer la tradition à laquelle ils appartenaient. D’après al-Sijzī, ces Anciens voulaient démontrer que, « si la diagonale était commensurable avec le côté du carré, alors le pair serait égal à l’impair ». Il rapporte leurs deux démonstrations (1 et 2 ; nous numéroterons à leur suite, 3, 4 et 5, les trois démonstrations d’alSijzī). 1. Soit un carré de côté A et dont la diagonale est B. Al-Sijzī écrit : «Si A était commensurable à B en longueur, alors un nombre pair serait égal à un nombre impair ». Soient C et D les plus petits nombres carrés dans le rapport 2 2 C C =A . Or B2 = 2A2 , donc D =A = 21 et D = 2C. D est donc pair. D B2 B2 Si C était pair, on aurait

C/2 D/2

= 21 .

Or C2 < C et D < D, c’est donc impossible, et par conséquent C est 2 impair. Mais si D est pair, D 2 est multiple de 4. Donc C = 21 D est pair et C est pair. Donc C est pair et impair ; c’est absurde. A et B ne sont donc pas commensurables. 2. La seconde démonstration attribuée par al-Sijzī aux « Anciens » se récrit : Soit A le côté et B la diagonale. S’ils étaient commensurables, «alors le rapport de l’un à l’autre serait le rapport d’un nombre à un nombre. » Il existe donc deux nombres C et D les plus petits dans le C C2 A2 1 2 = A ; donc D = 2C2 . Il est impossible que C rapport D 2 = B2 = 2 et D B et D soient tous les deux impairs, car C2 et D2 le seraient également ; mais D2 est pair. Si C est impair et D pair, alors D2 est multiple de 4 et C2 est pair. Or C est impair, donc C2 est impair. C’est absurde. Il faut donc que C soit impair et D pair, alors C2 est impair et D2 2 C2 A2 1 2 est pair. Or D = C2 . Mais D2 est pair, donc C2 est 2 = B2 = 2 donc D pair. Il est impossible que C2 soit à la fois pair et impair. A et B ne sont donc pas commensurables. Ces démonstrations attribuées aux Anciens reposent toutes les deux sur la théorie des pairs et impairs, et sur les propositions VII. 22 et 27 des Éléments ; et aussi sur X. 5 des Éléments, implicitement pour la première, explicitement pour la seconde. Le lexique est celui de l’ouvrage d’Euclide, et on souligne l’expression «commensurable en longueur (... μήκει) », employée dans la première démonstration. Reste à identifier les Anciens désignés par al-Sijzī. Au nombre des contributions anciennes que connaissait al-Sijzī, il y a tout d’abord les Éléments d’Euclide. Or, dans certaines édi-

DÉMONSTRATION PAR L’ABSURDE OU DÉMONSTRATION DIRECTE 341

tions de cet ouvrage se trouve reproduite une proposition destinée à démontrer que, dans les figures carrées, la diagonale est incommensurable avec le côté. Cette proposition, qui porte le numéro X. 117, est évoquée et commentée par les historiens des mathématiques grecques chaque fois qu’il est question de la découverte de l’incommensurabilité et des premières démonstrations en mathématiques 1. Comme l’autrement qui la suit, cette proposition est prouvée par réduction à l’absurde à l’aide de la théorie du pair et de l’impair. Al-Sijzī en aurait-il eu connaissance et aurait-il pu s’en inspirer ? Or cette proposition ne figure dans aucune traduction arabe des Éléments, non plus que dans aucun commentaire de l’ouvrage d’Euclide venant des mathématiciens arabes. Par ailleurs, I. L. Heiberg, dans son édition du texte grec de ce dixième livre, la renvoie à un Appendice, pour souligner qu’elle a été ajoutée à ce livre 2. Sur son origine et la question de savoir quand elle a été ajoutée, les historiens ne s’accordent pas. Ainsi, par exemple, Th. Heath écrit que cette proposition est « undoubtedly an interpolation, and August and Heiberg accordingly relegate it to an Appendix 3 ». Alors que, selon O. Becker, ce renvoi est «justifié seulement si l’on ajoute qu’il s’agit d’une pièce ancienne et antérieure à Euclide, mais que peut-être Euclide lui-même ou tout au moins ses éditeurs les plus Anciens ont jugée digne d’être pieusement conservée 4 ». W. Knorr conclut pour sa part qu’il s’agit d’une rédaction tardive d’une ancienne proposition 5. On pourrait énumérer encore bien d’autres conjectures. Les chances sont donc infimes pour qu’al-Sijzī ait pu avoir connaissance de cette proposition via la tradition euclidienne. La seconde tradition, celle d’Aristote et de ses commentateurs, al-Sijzī ne l’ignorait sûrement pas. Or le Stagirite cite maintes fois ‎1. On peut citer entre bien d’autres H. Vogt : « Die Entdeckungsgechichte des Irrationalen nach Plato und anderen Quellen des 4. Jahrhunderts», Bibliotheca mathematica (3) 10, 1909-1910 ; p. 97-156, Th. L. Heath : The thirteen books of Euclid’s Elements, vol. III, Books X-XIII and Appendix, New York Dover Publications, 1956 ; et A History of Greek Mathematics, 2 vol., Oxford, 1921, Clarendon Press ; reprod. Oxford, 1965. ; K. von Fritz : «Die Entdeckung der Incommensurabilität durch Hippasos von Metapont», in Grundprobleme der Geschichte der antiken Wissenschaft, 1971, p. 545-575 ; A. Szabó : Les débuts des mathématiques grecques, trad. M. Federspiel, Vrin, Paris, 1977 ; W. Knorr : The evolution of the Euclidean Elements, D. Reidel Publishing Company, Synthese historical Library 15, 1975 ; M. Caveing : La constitution du type mathématique de l’idéalité dans la pensée grecque, t. III, L’irrationalité dans les Mathématiques grecques jusqu’à Euclide, Villeneuve d’Ascq, 1998. ‎2. Euclides, Elementa, Post I. L. Heiberg, edidit E. S. Stamatis, III, El. X, Leipzig, 1972. ‎3. Th. L. Heath : The thirteen books of Euclid’s Elements, vol. III, p. 2. ‎4. O. Becker, cité par A. Szabó, op. cit. p. 233. ‎5. W. Knorr, op. cit.

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IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

cette proposition à titre d’exemple au cours de son argumentation 1. Il le fait dans les Analytiques, et notamment dans les Analytiques premiers où il en discute dans le contexte de l’emploi des figures du syllogisme dans les démonstrations probatoires et dans celles ramenant à l’impossible 2. C’est d’ailleurs dans un contexte lié à celui-ci que se présente l’étude d’al-Sijzī : démonstration directe et démonstration indirecte. Les Analytiques premiers ont été traduits du grec en arabe avant 264/877, et la traduction avait déjà été révisée à cette même date. Elle est due à Tuḍārī (Théodore), que P. Kraus avait identifié à l’évêque de Ḥarrān, Théodore Abū Qurra 3. Mais A. Badawi 4 a contesté cette identification, à partir de l’affirmation de l’ancien biobibliographe alNadīm, qui écrit que ce livre « a été traduit en arabe par Theodorus, et l’on dit qu’il a soumis la traduction à Ḥunaīn, qui l’a révisée 5 ». Or Théodore Abū Qurra est mort en 210/820 et Ḥunaīn ibn Isḥāq est né en 194/809 et mort en 264/877. Tout ce que l’on peut dire est que la traduction a été accomplie par un certain Théodore, et qu’elle a été révisée par le grand helléniste Ḥunaīn avant 877. Voici la traduction arabe du texte d’Aristote qu’al-Sijzī a pu lire 6 : ‫متت امأو سيياقملا يتلا عفرب مالكلا ىلإ لاحملا امنإ متت ةدحاوب نم‬، ‫وهو نّيب نأ سيياقملا ةيمزج لاكشألاب يتلا انركذ‬ ‫لوقن‬. ‫لاكشألا وهف نّيب امم‬، ‫هذه‬

Il est évident que tous les syllogismes probatoires concluent par les figures que nous avons mentionnées. Quant aux figures qui procèdent en ramenant les énoncés à l’impossible, cela se concluera par l’une de ces figures et cela est évident de ce que nous disons.

‫ًامزج امأو بولطملا لوألا هبجوتف ًاطرش اذإ‬، ‫لاحملا امأ بذكلاب هجتنتف‬، ‫لك سيياقملا يتلا نوكت عفرب مالكلا ىلإ‬ ‫ةضيقنلا‬. ‫ضرع ءىش لاحم عضوب‬ Tous les syllogismes qui procèdent en ramenant les énoncés à l’impossible, soit ils l’infèrent par le faux d’une manière probatoire, soit ils prouvent le demandé initial par hypothèse lorsqu’il résulte une chose impossible si on pose la contradictoire.

‎1. Th. L. Heath, Mathematics in Aristotle, Oxford, 1970, p. 22-23. ‎2. Aristote, Premiers analytiques, op. cit. ‎3. P. Kraus, Rivista degli studi orientali, 14, 1932, p. 3. Cf. aussi R. Walzer, « New light on the Arabic translations of Aristotle», in Oriens, Vol. 6, No. 1 (Jun. 30, 1953), pp. 91-142 ; aux pages 99-100. ‎4. A. Badawi, La transmission de la philosophie grecque au monde arabe, Paris, Vrin, 1968 ; et Manṭiq Arisṭū (La logique d’Aristote), Le Caire, 1948, vol. 1, p. 16-17. ‎5. Al-Nadīm, al-Fihrist, éd. R. Tajaddud, Téhéran, 1971, p. 309. ‎6. A. Badawi, Manṭiq Arisṭū (La logique d’Aristote), op. cit., vol. 1, p. 14, p. 23, p. 206207, p. 270. Vol. 2, 26, 139.

DÉMONSTRATION PAR L’ABSURDE OU DÉMONSTRATION DIRECTE 343

‫درفلا‬. ‫لثم هنأ سيل رطقلل علضلاو رادقم كرتشم نم هنأ اذإ عضو كلذ ضرعي نأ نوكي ددعلا جوزلا ًايواسمددعلل‬ ‫كرتشم هنأل‬، ‫درفلل امأو يذلا نّيبتي ًاطرشوهف هنأ سيل رطقلل علضلاو رادقم‬. ‫يذلاو جتني ًامزجوه نأ جوزلا ٍواسم‬ ‫بذكلا‬. ‫بجي نع هضيقن اذه لوقلا‬

Par exemple, la diagonale et le côté sont incommensurables du fait que, si on suppose cela, il en résulte que le pair est égal à l’impair. Quant à ce qui est conclu d’une manière probatoire, c’est que le pair est égal à l’impair. Quant à ce qui est montré par hypothèse, c’est que la diagonale et le côté sont incommensurables, puisque cet énoncé faux découle en raison de sa contradictoire.

Dans le milieu des philosophes et des mathématiciens auquel appartenait al-Sijzī, ce texte faisait partie de la connaissance commune. Mais les Analytiques premiers ont fait l’objet de nombreux commentaires que l’on connaissait à l’époque. Voici ce qu’écrit le biobibliographe contemporain, al-Nadīm : Alexandre l’a commenté jusqu’aux figures catégoriques, deux commentaires dont l’un est plus complet que l’autre ; Themistius a commenté l’ensemble des deux livres, en trois livres ; Philopon a commenté jusqu’aux figures catégoriques ; Qwaīrī a commenté jusqu’aux trois figures également ; Abū Bishr Mata a commenté l’ensemble des deux livres ; il y a également un commentaire d’al-Kindī de ce livre 1.

Ces nombreux commentaires des Analytiques premiers, traduits du grec en arabe ou rédigés directement en arabe par des philosophes comme al-Kindī, étaient en circulation à l’époque d’al-Sijzī. Nous en examinons deux, d’une part pour identifier les anciennes traditions auxquelles appartenaient les deux démonstrations rapportées par al-Sijzī, et d’autre part pour saisir la distinction que les philosophes logiciens établissaient entre les modes de démonstrations. Nous avons donc retenu le commentaire d’Alexandre et celui de Jean Philopon. Dans son commentaire, Alexandre cite en ces termes l’exemple de la diagonale invoqué par Aristote : [...] par exemple la diagonale est incommensurable du fait que les impairs deviennent égaux aux pairs quand on pose qu’elle est commensurable.

Il poursuit :

‎1. Al-Nadīm, al-Fihrist, op. cit., p. 309.

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IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

Lui-même (Aristote) utilise comme exemple de la preuve par l’impossible ce qui se passe dans le cas de la diagonale, en montrant comment, ce qu’il veut établir, celui qui utilise la preuve par l’impossible le prouve. Celui qui prouve de cette manière, en effet, n’infère pas que la diagonale est incommensurable au côté, qui est ce qu’il veut prouver, mais, l’opposé étant posé, à savoir qu’elle est commensurable au côté, il prouve de manière probatoire, par syllogisme, que cela étant posé, les impairs deviennent égaux aux pairs. Cela étant impossible, l’hypothèse est détruite, dont cela était la conséquence, et dans la destruction de cette dernière, son opposé est établi, à savoir que la diagonale n’est pas commensurable au côté (puisque de toute chose, l’un des deux termes de la contradictoire se dit) – ce qui était ce qu’on se proposait au départ. Le syllogisme que les impairs deviennent égaux aux pairs si la diagonale est commensurable au côté est le suivant. Posons une surface carrée ABΓΔ ; soit sa diagonale BΓ. Si donc la diagonale BΓ est commensurable au côté AB, elle aura avec lui un rapport de nombre à nombre. Nous trouvons en effet chez Euclide, au dixième livre des Éléments, la preuve de cela, à savoir : «les grandeurs commensurables ont entre elles un rapport de nombre à nombre» 1. Soit donc, comme la diagonale BΓ au côté BA, le nombre E par rapport au nombre Ζ, et prenons-les les plus petits nombres de ceux qui ont le même rapport qu’eux, premiers entre eux : . «Les plus petits nombres parmi ceux qui ont le même rapport sont premiers entre eux» 2. Cela aussi a été prouvé, au septième livre des Éléments d’Euclide. Sont premiers entre eux les nombres qui sont mesurés seulement par l’unité. Multiplions par lui-même chacun des deux nombres E et Ζ et soit Ι le produit de Η par lui-même et K le produit de Θ par lui-même. Les nombres I et K sont donc carrés et eux aussi sont premiers entre eux. Cela aussi, en effet, a été prouvé au septième livre des Éléments : si deux nombres sont premiers entre eux et que chacun des deux, multiplié par lui-même, donne un certain nombre, les nombres produits à partir d’eux seront eux aussi premiers entre eux 3. Donc, puisque au rapport de la diagonale BΓ au côté AB est égal le rapport du nombre E au nombre Z, et qu’au rapport du nombre E au nombre Z est égal le rapport du nombre H au nombre Θ, au rapport de la diagonale BΓ au côté AB sera aussi égal le rapport du nombre H au nombre Θ. Et par conséquent, au rapport du carré construit sur la diagonale BΓ au carré construit sur le côté AB sera égal, aussi, le rapport du carré construit sur H au carré construit sur Θ. Ces derniers sont I et K. Or le carré construit sur la diagonale est le double du carré construit sur le côté. Donc le nombre I sera aussi le double du nombre K. Donc le nombre I sera pair. Tout nombre double d’un certain nombre est en effet pair, dès lors qu’il se divise en deux parties égales. Mais sa moitié aussi sera paire : des nombres carrés qui se divisent en deux parties égales, en effet, les moitiés aussi sont paires. Le nombre K aussi sera donc pair, étant la moitié du nombre I qui est un ‎1. Il s’agit de Éléments X. 5 ‎2. Cf. Éléments VII. 22 ‎3. Cf. Éléments VII. 27

DÉMONSTRATION PAR L’ABSURDE OU DÉMONSTRATION DIRECTE 345

carré. Mais il est aussi impair : I et K étaient en effet premiers entre eux. Or il est impossible que les nombres pairs soient premiers entre eux. Car les nombres pairs ne sont pas mesurés seulement par la mesure commune de l’unité, ce qui est le propre des nombres premiers. Il faut donc qu’ou bien l’un et l’autre, ou bien l’un des deux nombres, soit impair. Mais nous avions prouvé qu’ils étaient tous les deux pairs en raison de l’hypothèse. Les impairs sont donc égaux aux pairs dès lors qu’on suppose la diagonale commensurable au côté, ce qui est impossible. Dans le cas de cette preuve, donc, le syllogisme a établi que les impairs sont égaux aux pairs, ce qui est faux, tandis que le fait que la diagonale est incommensurable au côté se montre en raison de l’hypothèse. Qu’en effet, si l’on suppose l’opposé de cela, on prouve quelque chose d’impossible au moyen d’une syllogisme, c’est établi par la destruction de l’hypothèse, en vertu du fait qu’il faut que l’un des deux soit vrai. C’est le sens de «en raison de la contradictoire ». Or si, aussi dans le cas de la réduction à l’impossible, il se produit que le syllogisme du faux est probatoire, c’est-à-dire catégorique, et qu’il a lieu au moyen de l’une des trois figures, les syllogismes au moyen de l’impossible aussi, qui font partie des syllogismes par hypothèse, pourraient bien être contenus dans les trois figures 1.

Il est clair qu’ici, comme dans les deux démonstrations des Anciens rapportées par al-Sijzī – notamment la seconde – Alexandre procède par réduction à l’absurde ; par la proposition X. 5 (qu’il note X. 4) des Éléments d’Euclide ; par les propositions VII. 22 et 27 et par la définition VII. 12. Ainsi, la seconde démonstration citée par al-Sijzī et celle d’Alexandre se présentent comme si l’une était un résumé de l’autre, ou l’autre une reprise plus explicite de l’une. À son tour, Philopon revient à cet exemple invoqué par Aristote lors de l’étude logique de la différence entre les syllogismes probatoires et les syllogismes ramenant à l’impossible. Il écrit : Dans les syllogismes au moyen de l’impossible, puisque il n’est pas possible de prouver ce qu’on se propose incontinent (αὐτόθεν), nous le posons comme en hypothèse, puis, prenant sa contradictoire ou son contraire (s’il est sans moyen terme), nous l’établissons de manière catégorique, puisqu’il est entièrement nécessaire, dans de tels cas, que chacun des deux soit vrai ou soit faux ; et ayant trouvé que le faux s’ensuit de ce dernier, puisque donc il est assumé à tort, d’une part nous le nions et, d’autre part, nous établissons avec nécessité, pour finir, l’hypothèse de départ. Voici donc ce qu’il dit : toujours, dans les syllogismes au moyen de l’impossible, le faux co-assumé en vue de la construction de l’impossible

‎1. Alexandre, In Analytica Priora, 259.5-261.28, ed. Wallies, Berlin, 1883.

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IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

est cette chose qui fait l’objet d’un syllogisme catégorique. Cela s’apparente aussi, dit-il, à la pratique du géomètre. Voulant en effet prouver que la diagonale est incommensurable au côté et n’ayant pas de quoi prouver cela directement (ἐξ εὐθείας), il dit que si ceci n’est pas le cas, elle sera obligatoirement commensurable. Mais si elle est commensurable, il en résulte que le même nombre est pair et impair. Comme cela résulte nécessairement une fois que l’on pose que la diagonale est commensurable, d’une part donc il révoque cela, et d’autre part il déduit avec nécessité l’hypothèse de départ, je veux dire celle qui dit qu’elle est incommensurable. Si en effet « commensurable » est faux, il est nécessaire que « incommensurable » soit vrai. Par conséquent, si tout syllogisme au moyen de l’impossible infère le faux de manière catégorique et que tous les syllogismes catégoriques ont été ramenés sous les trois figures, c’est à bon droit qu’on ramènera aussi les syllogismes au moyen de l’impossible sous ces dernières. Nous avons aussi déjà dit, au sujet du reste des syllogismes hypothétiques, comment eux aussi se ramènent sous elles 1.

Il distingue ainsi, du point de vue purement logique, entre une démonstration directe et une démonstration par réduction à l’absurde. Or c’est précisément cette distinction qu’applique le mathématicien al-Sijzī. En effet, après avoir cité les deux démonstrations des Anciens, al-Sijzī donne trois démonstrations qu’il a lui-même inventées : l’une est par réduction à l’absurde, proche de celles des Anciens ; la seconde est une démonstration également par l’impossible, sans reposer sur une théorie du pair et de l’impair ; la troisième est une démonstration directe suivie par un exemple d’une démonstration arithmétique purement directe. Ces démonstrations peuvent être ainsi récrites. 3. Dans la démonstration « proche » de celle des Anciens, al-Sijzī entend démontrer le même énoncé « si la diagonale était commensurable au côté, alors le pair serait égal à l’impair ». Soit A la diagonale du carré et B son côté, on a A2 = 2B2 . Supposons que A et B sont commensurables, il existe donc deux nombres carrés C et D, les plus petits nombres carrés, tels que 2 C =A = 21 ; dans ce premier cas, la démonstration est la même que D B2 celle des Anciens. Al-Sijzī suppose ensuite que C et D sont les plus grands nombres, 2 C carrés, tels que D = A = 21 ; qu’il soit possible d’en trouver deux B2 C E autres, E et G, tels que D = D = G , avec D < C, E < D et G < E. E On peut réitérer le procédé jusqu’à ce que l’on trouve deux nombres ‎1. Jean Philopon, In Aristotelis Analytica Priora Commentaria, p. 251.1-25 ed. Wallies (Berlin, 1905)

DÉMONSTRATION PAR L’ABSURDE OU DÉMONSTRATION DIRECTE 347

carrés les plus petits ; soit les nombres E et G. Le nombre G est alors impair. Mais C et D sont deux carrés, donc E et G le sont aussi. Supposons que E et G soient les deux plus petits nombres carrés obtenus ; E = 2G, donc E est un carré pair et G l’est aussi. Mais on sait que G est impair (on l’a déjà démontré) ; ceci est absurde. A n’est donc pas commensurable avec B. 4. Autrement (1) : Supposons B le côté et A la diagonale ; et supposons qu’ils sont commensurables. 2 On a B2 = 2A2 et A = 21 . B2 Comme B et A sont commensurables, il existe donc deux 2 C = 21 ; donc C = 21 D. nombres carrés C, D tels que D =A B2 C 1 Posons D = E ; 1 est un carré et E est un carré. C = E1 . Or E = 2 et 2 n’est pas un carré ; il est donc impossible que D Donc A et B ne sont pas commensurables. Autrement (2) : 2 C Supposons que A et B sont commensurables et posons D =A = 21 , B2 avec C et D des nombres carrés. Soit un nombre impair dont le carré est E, alors E est impair. C E = G ; E est un carré, donc G l’est aussi. Mais G = 2E, G Posons D est donc un carré pair et sa moitié est aussi paire. Or E est impair ; E est donc pair et impair ; ce qui est impossible. A et B ne sont donc pas commensurables. 5. Démonstration directe. Jusqu’ici, on voulait démontrer l’énoncé : « Si la diagonale était commensurable au côté, alors le pair serait égal à l’impair ». Ce qu’on faisait par réduction à l’absurde. Cette fois, al-Sijzī veut démontrer l’énoncé : « La diagonale est incommensurable au côté». Autrement dit, il faut démontrer que cette proposition est vraie, et donc par une démonstration directe. Pour cela, al-Sijzī a recours directement aux propositions X. 5 à X. 8 des Éléments d’Euclide. Ainsi, dans X. 6, on montre que «les grandeurs dont le rapport les unes aux autres est comme le rapport d’un nombre à un nombre sont commensurables», et la proposition X. 8 est la négation de celle-ci. 2

A B2

Soit B la diagonale, A le côté, et donc B2 = 2A2 . Supposons que = C1 ; 1 est un carré et C est un carré. Mais C = 2 non carré ; le 2

rapport A n’est donc pas le rapport d’un nombre carré à un nombre B2 carré. Or Euclide a démontré que

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IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

[...] les carrés formés à partir des droites dont le rapport les unes aux autres n’est pas comme le rapport d’un nombre carré à un nombre carré, alors leurs côtés ne sont pas commensurables en longueur 1.

Donc A et B sont incommensurables. Autrement. Avec les mêmes notations et les mêmes hypothèses. 2

A = C1 , 1 est un carré et C un nombre carré ; il a donc une racine B2 carrée. √ √ Mais √1C = CC . Soit C = D. Il existe donc entre 1 et C = 2 un nombre entier D. Mais entre 1 et C il n’existe aucun nombre entier ; A et B sont donc incommensurables. Al-Sijzī poursuit en donnant un exemple numérique d’une démonstration directe. Soient c1 , c2 , . . . , cn les carrés des entiers successifs commençant par 1 ; d1 , d2 , . . . , dn les doubles de ces carrés et i1 , i2 , . . . , in les nombres impairs successifs. On a c1 = 1, c2 = 4 = 1 + 2 + 1 = c1 + 2 + i1 , c3 = 9 = 4 + 2 + 3 = c2 + 2 + i2 , c4 = 16 = 9 + 2 + 4 = c3 + 2i3 , et, par induction complète finie, on a cn+1 = cn + 2 + in

(1)

dn+1 = dn + 4 + 2in ,

(2)

et

relation qu’on déduit directement de (1) en multipliant tous les termes par 2. Al-Sijzī a ainsi mis en évidence le rôle de 2 dans la suite des carrés (ils sont congrus à 0, 1 (mod 2)), et celui de 4 dans la suite de leurs doubles (congrus à 0, 2 (mod 4)) 2.

‎1. Euclide, Éléments X. 7, version Isḥāq-Thābit ; ms. Oxford, Firestone, 11 ; folio 103 r. ‎2. Sur le calcul des congruences par les philosophes de l’époque, voir R. Rashed, «Mathématiques et philosophie chez Avicenne», in Etudes sur Avicenne. Dirigées par J. Jolivet et R. Rashed. Collection «Sciences et philosophie arabes - Études et reprises», Paris : Les Belles Lettres, 1984.

DÉMONSTRATION PAR L’ABSURDE OU DÉMONSTRATION DIRECTE 349

Il montre qu’il n’y a aucun terme carré dans la suite (dn )n≥2 . Il détermine ensuite la suite des moitiés des nombres carrés : c1 1 = , 2 2 3 i1 c2 = 2 = m1 + + , m2 = 2 2 2 .. . m1 =

mn+1 = mn + 1 +

in , 2

qui se déduit de (1). À partir de ces lemmes, al-Sijzī forme un tableau pour montrer que, pour A côté du carré et B sa diagonale, si l’on suppose que le carré de A est rationnel en longueur, son double est irrationnel ; donc le 2 carré de B est irrationnel car le rapport A n’est pas égal au rapport B2 d’un nombre à un nombre. Il montre aussi que, si l’on suppose le carré de B rationnel, sa moitié est irrationnelle ; et il écrit pour finir : Nous avons donc montré par la voie des nombres et la nature de leur progression que la diagonale est incommensurable au côté si l’on suppose que l’un d’eux est rationnel.

Appendice 1 : Le traité d’al-Sijzī Ce traité d’al-Sijzī est copié dans un manuscrit de la collection privée Nabī Khan et Obaidur-Rahman Khan, à Lahore. Pour l’histoire de cette collection, voir R. Rashed, Œuvre mathématique d’al-Sijzī, vol. I : Géométrie des coniques et théorie des nombres au x e siècle (Louvain, Paris : Éditions Peeters, 2004) ; chap. III, p. 182 ; et Id., Les Mathématiques infinitésimales du ix e au x e siècle, vol. IV (Londres, 2002) : Méthodes géométriques, transformations ponctuelles et philosophie des mathématiques, p. 738.

Au Nom de Dieu Clément et Miséricordieux Dieu nous assiste

Épître de Aḥmad ibn Moḥammed ibn ʿabd al-Jalīl sur : Le côté n’est pas commensurable à la diagonale Tu as demandé, que Dieu perpétue ton honneur, au sujet de la proposition répandue parmi les Anciens et qu’ils prennent comme exemple au cours de leurs exposés, qui est : « Le côté est incommensurable à la diagonale», s’il est possible de produire de sa validité une démonstration autre que celle qu’ont donnée les anciens géomètres. Et, si c’est possible, laquelle ? J’ai longuement agité ma pensée pour la rechercher et la déterminer, et chaque fois que j’ai abordé une méthode et l’ai méditée, je me suis trouvé orienté vers ce que ceux-là ont donné, jusqu’à ce que Dieu Très Haut m’ait aidé et révélé ce qui m’a permis de donner cinq démonstrations, dont l’une est directe et les quatre autres par la méthode de l’impossible. Je me suis appliqué à les déterminer jusqu’à ce j’aie pu parvenir à autant que possible de démonstrations vraies et convaincantes. Je les confie à cette épître, en commençant par ce qu’ils ont donné et en poursuivant par ce qui est de moi en ceci, pour que cela soit plus complet et plus simple. C’est de Dieu que vient l’assistance. Ce que les Anciens ont dit à ce propos est ce qui suit. Ils ont dit : «Si le côté et la diagonale étaient commensurables, le pair serait alors égal à l’impair ». 1. Posons le côté du carré la droite A et la diagonale la droite B. Je dis : si A et B étaient commensurables en longueur, alors un nombre pair serait égal à un nombre impair. Démonstration. Prenons les deux plus petits nombres carrés selon le rapport du carré de A au carré de B ; soit C et D. Le rapport de C à D sera égal au rapport du carré de A au carré de B. Il est donc nécessaire que l’un des deux soit impair.

‫بر نعأ‬

‫ةلاسر‬ ‫دمحأ نب دمحم نب دبع ليلجلا‬ ‫يف‬ ‫ّنأ‬ ‫علضلا ريغ كراشم رطقلل‬ ‫‪َ،‬تلأس مادأ هللا ‪،‬كزع نع لكشلا يذلا ددرتي اميف نيب ‪،‬ءامدقلا وهو نأ علضلا ريغ كراشم‬

‫‪،‬رطقلل نولثمتيو هب يف ضورع ‪،‬مهمالك لهو نكمي نأ ىتؤي ىلع هتحص ناهربب ريغ ناهربلا يذلا‬ ‫ىتأ هب ءامدق ‪،‬نيسدنهملا نإو نكمأ امف ؟وه‬

‫تلجأف يركف يف هبلط هجارختساو ‪ً،‬اليوط املكف تمجه ىلع قيرط هنم ‪،‬هتلمأتو ينتدجو‬

‫هيف اهجوتم وحن ام ىتأ هب كئلوأ ىلإ نأ ّرسي هللا ىلاعت حتفناو يل هنم ام يننكمأ نأ يتآ هيلع ةسمخب‬

‫‪،‬نيهارب اهدحأ ميقتسملاب ةعبرألاو ىرخألا قيرطب ‪.‬فلخلا دقو ُتلغشأ يسفن يف اهجارختسا ىلإ‬

‫نأ ُتيتأ اهيلع امب نكمأ نم نيهاربلا ةحيحصلا ‪،‬ةعنقملاو انأو اهضيفم يف يتلاسر ‪،‬هذه ًائدتبم امب‬ ‫اوتأ ‪،‬هب ًاعبتموامب يدنع هيف نوكيل كلذ متأ ‪،‬طسبأو هللابو ‪.‬قيفوتلا‬

‫امأ ام تلاق ءامدقلا يف ‪،‬كلذ وهف ‪،‬اذه ‪:‬اولاق ول« كراش علضلا رطقلا ىواسل جوزلا »‪.‬درفلا‬

‫>‪ ‪ و ؛درف اذهو ‪.‬لاحم اسيلف ـج‬

‫د ‪.‬نيدرفب‬

‫ضرفنف ـج ًادرف ود ‪ً،‬اجوز عبرمف ـج درف عبرمو د ‪،‬جوز ةبسنو عبرم ـج ىلا عبرم د ةبسنك‬

‫عبرم ا ىلإ عبرم ب‪ ،‬عبرمو ب فعض عبرم ا‪ ،‬عبرمف د فعض عبرم ـج‪ ،‬وهو ‪،‬جوز هفصنف‬

‫‪،‬جوز عبرمف ـج جوز ‪،‬درفو اذه ‪.‬فلخ‬

‫ا | ب | ـج | د‬ ‫ًاذإف ال دب نم نأ نوكي ـج ًادرف ود ‪ً،‬اجوز عبرمف ـج درف عبرمو د ‪،‬جوز ةبسنو عبرم ـج‬

‫ىلإ عبرم د ةبسنك عبرم ا ىلإ عبرم ب‪ ،‬عبرمو ب فعض عبرم ا‪ ،‬عبرمف د فعض عبرم ـج ‪،2‬‬ ‫فصنو عبرم د ‪،‬جوز عبرمف ـج جوز ‪،‬درفو اذهو ‪.‬لاحم ًاذاف سيل ا ب نيكرتشم ‪ 3‬يف ؛لوطلا‬

‫كلذو ام اندرأ نأ ‪.‬نيبن‬ ‫‪:‬هيف‬

‫>‪ ‪ ‪ عبرم< ب ‪ً،‬اقطنم هفصنف نوكي ريغ قطنم امب انمدق هذه ‪.‬تامدقملا‬

‫ًاذإف دق اّنيب قيرطب ددعلا ةعيبطو اهئامن نأ رطقلا ريغ كراشم علضلل اذإ ضرف امهدحأ ؛ًاقطنم‬

‫كلذو ام اندرأ نأ ‪.‬نّيبن‬

‫ا|ب‬ ‫اذهف رادقملا ام رّسيت ّيل نم ءاطعإ نيهاربلا ىلع نأ رطقلا ريغ كراشم ؛علضلل يلعلو نإ‬

‫تركفت هيف تهجتا ّيل هوجو ريغ ‪،‬هذه ينكل ترصتقا ىلع هذه ةسمخلا لاكشألا يتلا تيتأ ‪،‬اهب‬

‫ذإ اهيف ةيافك ةحودنمو نإ ءاش ‪.‬هللا‬

‫غرف نع اهقيلعت ةنيدمب ملسلا يف ةيماظنلا اهرمع هللا رفغو اهينابل ‪ 6‬يف فصتنم ىدامج ىلوألا‬

‫يف ةنس عبس نيتسمخو ةئامسمخو ‪.‬ةيرجه‬ ‫تّمت ةلاسرلا دمحب هللا ‪.‬هّنمو‬

‫‪: ‎1.‬نوكيف نوكي‬ ‫‪: ‎6.‬اهينابل اهنياب‬

‫‪: ‎2.‬هؤامن هامن‬

‫‪: ‎3.‬انثالاو ينثلاو‬

‫‪: ‎4.‬نانثا نينثا‬

‫‪: ‎5.‬اقطنم قطنم‬

IBN AL-HAYTHAM, IBN SĪNĀ, AL-ṬŪSĪ : ÉGALITÉ OU CONGRUENCE

RÉSUMÉ. – Les mathématiciens et les philosophes arabophones, comme leurs prédécesseurs grecs, ont soulevé plusieurs questions épistémologiques fondamentales. Parmi ces questions figure celle qui porte sur le concept d’égalité et sur celui de congruence des grandeurs géométriques. Mais qu’entendait-on par de tels concepts ? quelle était leur relation à l’idée de mouvement ? Comme les réponses à ces questions combinaient souvent des éléments métriques et d’autres, philosophiques (topologiques), j’ai choisi d’étudier celles d’un mathématicien, d’un philosophe et d’un mathématicien-philosophe.

Les mathématiciens et les philosophes arabophones, comme leurs prédécesseurs grecs, ont soulevé plusieurs questions épistémologiques fondamentales. Par « fondamentales », j’entends ces questions qui mènent à l’examen des principes mêmes de la connaissance mathématique et de son apodicticité. Parmi ces questions figure celle qui porte sur le concept d’égalité et sur celui de congruence des grandeurs géométriques. Pour étudier les réponses proposées, j’ai choisi celles qu’ont apportées trois grandes figures : Ibn al-Haytham ; son contemporain philosophe : Ibn Sīnā ; et un mathématicien héritier des deux à la fois : al-Ṭūsī. Comparer les grandeurs entre elles, c’est pouvoir dire si elles sont égales ou inégales, proportionnelles ou non. Les mathématiciens et les philosophes de l’antiquité s’étaient interrogés sur ces notions et sur ce qui les lie à d’autres, telle que la superposition et la similitude. 1 Mais cette interrogation a pris une tout autre extension lorsqu’ils eurent entre les mains les Éléments d’Euclide et le corpus aristotélicien. C’est en effet à partir de cette lecture que les mathématiciens et les philosophes grecs et arabes ont repris la discussion afin de préciser le sens de ces notions. Il va falloir revenir, au moins rapidement,

Paru dans Arabic Sciences and Philosophy 29 (2) (2019), p. 157-170. ‎1. Cf. notamment : K. von Fritz, «Gleichheit, Kongruenz und Ähnlichkeit in der antiken Mathematik bis auf Euklid», dans Grundprobleme der Geschichte der antiken Wissenschaft (Berlin, 1971), pp. 430–508 ; et aussi O. Becker, «Eudoxos-Studien II : Warum haben die Griechen die Existenz der vierten Proportionale angenommen ? », Quellen und Studien zur Geschichte der Mathematik, Astronomie und Physik, 2 (1933) : 369-87.

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IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

à ces sources pour éclaircir l’histoire de ces concepts. Commençons donc par Euclide, avant de nous arrêter à la Physique d’Aristote. C’est à partir des cinq « notions communes » placées au début des Éléments que les mathématiciens ont engagé la discussion de la notion d’égalité. 1 Ces «notions communes» portent pour l’essentiel sur cette notion d’égalité, et aussi sur celle de superposition. On a alors voulu savoir si l’on peut définir l’égalité entre grandeurs géométriques par la superposition ; ou encore, si la superposition est une condition nécessaire et suffisante de l’égalité. En d’autres termes, inconnus à l’époque, on a voulu savoir si le mouvement de superposition fournit la définition de la congruence. On rencontre cette question (le rapport entre égalité et superposition) chez les plus grands successeurs d’Euclide, comme Apollonius, et notamment au sixième livre des Coniques, ainsi que je l’ai montré 2 ; et, plus tard, d’une manière explicite, chez Ibn al-Haytham. La quatrième « notion commune » porte sur ce qu’on peut nommer « l’égalité-superposition ». Elle s’énonce : « Καὶ τὰ ἐφαρμόζοντα ἐπ᾿ ἄλληλα ἴσα ἀλλήλοις ἐστίν », 3 « celles (les choses) qui se superposent les unes aux autres sont égales les unes aux autres ». Cette « notion commune » a été rendue en arabe dans la traduction des Éléments par al-Ḥajjāj, par « celles qui se superposent les unes aux autres, les unes sont alors égales aux autres », 4 ‫اًضعب اهضعبف ٍواسم ضعبل‬، ‫يتلاو قباطي اهضعب‬. Dans la traduction des Éléments de Isḥāq-Thābit on lit « celles qui ne s’excèdent pas les unes les autres, si les unes se superposent aux autres, alors elles sont égales », 5

‫ةيواستم‬. ‫ضعب يهف‬، ‫يتلاو ال لضفي اهدحأ ىلع رخآلا اذإ قبطنا اهضعب ىلع‬

Si j’ai rappelé ici ces traductions du ix e siècle, c’est parce que les mathématiciens et les philosophes les ont utilisées ensuite, dans leur version arabe ou dans une traduction latine ; c’est aussi pour constater l’accord sur le sens de cette notion, ou, comme l’écrit Th. Heath :

Il semble clair que la Notion Commune, ainsi formulée, est destinée à affirmer que la superposition est une voie légitime pour prouver l’égalité

‎1. Pour la discussion de cette notion par Platon et Aristote, cf. O. Becker, Grundlagen der Mathematik in geschichtlicher Entwicklung (Freiburg/München, 1954), pp. 45–52. ‎2. Apollonius : Les Coniques, tome 4: Livres VI et VII, commentaire historique et mathématique, édition et traduction du texte arabe par R. Rashed (Berlin, 2009), pp. 9–13. ‎3. Euclides, Elementa, vol. I : Libri I-IV, post I. L. Heiberg, edidit E. S. Stamatis (Berlin, 1969), p. 6. ‎4. MS Qum, Marashi 6526, fol. 12 r-v. ‎5. MS Téhéran, Malik 3586, fol. 8 v.

IBN AL-HAYTHAM, IBN SĪNĀ, AL-ṬŪSĪ : ÉGALITÉ OU CONGRUENCE 365

de deux figures qui ont toutes leurs parties respectivement égales, ou, en d’autres termes, pour tenir lieu d’axiome de congruence. 1

Cette « notion commune » se présente comme un critère de l’égalité, et ainsi la superposition sera une condition nécessaire et suffisante de l’égalité entre grandeurs. Mais on sait que cela ne tient pas puisque la converse de cette assertion n’est pas vraie en général, c’est-à-dire qu’elle ne vaut pas pour toutes les grandeurs, et encore moins pour la plupart des angles mixtilignes. C’est ce que Proclus avait déjà souligné. Il y a là deux axiomes qui contiennent toute la méthode du théorème abordé. L’un est que les choses superposables sont égales les unes aux autres – cet axiome est vrai simpliciter et ne demande aucune distinction supplémentaire. L’auteur des Éléments l’utilise dans le cas de la base, de l’aire et des autres angles [lors de la première démonstration de l’égalité des triangles]. Car ces choses, dit-il, du fait qu’elles sont superposables, sont égales. L’autre est que les choses égales sont superposables les unes aux autres – celui-là n’est pas vrai dans tous les cas, mais concerne les choses de même espèce. J’appelle ‘de même espèce’, par exemple, une droite par rapport à une droite, un arc de cercle par rapport à un arc du même cercle, des angles par rapport à des angles contenus par des semblables semblablement disposées. Dans ces cas, les choses données pour égales sont superposables l’une à l’autre. 2

Selon Proclus, en effet, la définition euclidienne de l’égalitésuperposition n’est ni générale ni complète : elle ne vaut, pour ainsi dire, que pour des objets semblables, et la converse n’est pas toujours vraie ; c’est-à-dire que deux grandeurs peuvent être égales sans se superposer, et ainsi sans être congruentes. En fait, ce concept d’égalité-superposition ne fait intervenir aucune notion de grandeur, encore moins de mesure. On se contente de supposer que les formes des figures sont telles que leurs contours, ainsi que les contours de leurs parties, coïncident parfaitement. D’autre part, on suppose l’existence d’un mouvement de déplacement, sans l’évoquer, et encore moins le définir. Enfin, ce concept n’est pas opératoire : pour qu’il le soit, il faut qu’il soit doublé d’un autre concept tel que l’égalité des longueurs, ou celle des aires ou éventuellement des volumes – c’est-à-dire d’un autre concept d’égalité qui s’applique aux grandeurs. Dans I.4 et I.8, Euclide utilise l’égalité-superposition pour établir l’égalité des triangles ; mais, pour ‎1. The Thirteen Books of Euclid’s Elements, translated with introduction and commentary by Th. L. Heath, 2 e éd. (New York, 1956), vol. I, p. 225. ‎2. Proclus, In Eucl. 240.24–241.9.

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IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

vérifier l’égalité des triangles et, plus généralement, celle des polygones, il est amené à démontrer l’égalité des segments et des angles. Il applique un procédé analogue lorsque, au troisième livre, il examine l’égalité des cercles. Cette fois, il utilise l’égalité des diamètres. Ibn al-Haytham, dans ses traités Solution des doutes du livre d’Euclide et Explication des postulats d’Euclide, s’arrête précisément à tous ces problèmes soulevés par le concept d’égalité-superposition. Il met en lumière ce qui n’était qu’implicite dans la pratique d’Euclide luimême, comme dans celle des autres mathématiciens. Ainsi, après avoir considéré les relations entre les « notions communes » exposées dans les Éléments, en d’autres termes, après avoir examiné la structure de l’axiomatique euclidienne, il conclut que ces notions communes portent pour l’essentiel sur celle d’égalité et qu’elles sont des abstractions obtenues de l’expérience sensible faite sur les solides, c’est-à-dire à partir d’une interprétation de l’expérience et d’une généralisation appropriée. Il affirme que ces « notions communes » reposent toutes sur la quatrième, qui doit toutefois être complétée par sa converse. Or Euclide n’avait pas explicitement formulé cette converse. Ainsi, la quatrième « notion commune », celle qui porte sur l’égalité-superposition, devrait désormais être accompagnée de la notion de « l’égalité-similitude» et s’écrire : Les choses qui n’excèdent pas les unes les autres, si les unes se superposent aux autres, alors elles sont égales ; et, inversement, les choses égales et semblables (al-mutasāwiya al-mutashābiha) si l’une d’elles se superpose à l’autre, toute partie de l’une se superpose à la partie homologue qui lui est semblable de l’autre, donc aucune d’elles n’excède l’autre si elle se superpose à l’autre ; elles sont donc égales. 1

Pour Ibn al-Haytham, en effet, l’égalité-superposition ne constitue pas à elle seule la véritable notion d’égalité, à moins qu’elle soit complétée par la notion de l’égalité-similitude. Il écrit par exemple : Le principe (aṣl) de l’égalité, pour toutes les choses égales, n’advient que dans la distinction à partir de la superposition des choses les unes aux autres, si elles ne s’excèdent pas, et aussi la converse, qui est : les choses égales et semblables, si les unes se superposent aux autres, et si chaque partie se superpose à son homologue, elle ne l’excède pas. 2

‎1. Fī ḥall shukūk Kitāb Uqlīdis, MS Istanbul, Université 800, fol. 16 r :

‫ةيواستم ىلعو سكعلا هذه ةيضقلا وه نأ ءايشألا ةيواستملا ةهباشتملا‬، ‫هيلع يهف‬، ‫ءايشألا يتلا ال لضفي اهدحأ ىلع رخآلا اذإ قبطنا‬

‫رخآلا يهف‬، ‫هب سيلف لضفي امهدحأ ىلع رخآلا اذإ قبطنا امهدحأ ىلع‬، ‫رخآلا قبطنا لك ءزج ىلع هريظن هيبشلا‬، ‫اذإ قبطنا اهدحأ ىلع‬ ‫ةيواستم‬. ‎2. Fī ḥall shukūk Kitāb Uqlīdis, MS Istanbul, Université 800, fol. 16 v :

IBN AL-HAYTHAM, IBN SĪNĀ, AL-ṬŪSĪ : ÉGALITÉ OU CONGRUENCE 367

Ibn al-Haytham, en combinant ainsi égalité et similitude et non plus seulement égalité et superposition, voulait d’une part pallier les manques de cette dernière combinaison, et notamment le manque de généralité, et d’autre part doter l’égalité des moyens de s’appliquer aux grandeurs géométriques - ces moyens sont notamment la notion de forme et ceux qu’offre la théorie des proportions, c’est-à-dire une métrique pour les seules grandeurs homogènes. Quand il s’agit des figures, formées de plusieurs grandeurs, et des angles, Aristote avait déjà écrit dans les Seconds Analytiques, 91a, que par «similitude » on entend en fait proportionnalité des côtés et égalité des angles. Rappelons d’abord que, par le mot « choses» dont on use pour traduire l’énoncé des notions communes d’Euclide, Ibn al-Haytham entend les grandeurs géométriques. Il rappelle d’ailleurs que telle était l’intention d’Euclide lui-même. Par «forme », il entend les rapports entre ces grandeurs. C’est grâce à cette notion de forme qu’il combine égalité et similitude, ce qui complète la combinaison entre égalité et superposition, laquelle, nous l’avons vu, n’est nullement générale ni toujours valable. Bien des figures sont en effet égales sans être superposables, comme l’explique Ibn al-Haytham : un triangle et un losange d’aires égales ne sont pas superposables, par exemple, mais « la différence de leurs formes n’empêche pas de juger de leur égalité». [...] car de nombreuses grandeurs peuvent être égales sans que les unes se superposent aux autres, comme les solides. Les volumes des solides peuvent être égaux, et cependant le corps du solide ne se superpose pas au corps du solide. Les aires de nombreuses figures planes peuvent être égales sans que les unes se superposent aux autres, comme le losange et le carré, le triangle rectangle et le triangle à angles aigus, un losange et un autre losange et un triangle à angles aigus et un autre triangle à angles aigus. [...] Cela en raison de la différence de leurs formes. Cependant la différence de leurs formes n’empêche pas de juger de leur égalité, si elles sont égales, car l’égalité n’est que dans leur quantité et la différence de leurs formes n’est que dans leurs qualités. Mais la qualité en tant que forme de la quantité qui est une grandeur ne diminue ni n’augmente celle-ci. 1

‫لضافتت كلذكو سكعلا‬، ‫ضعب اذإ مل‬، ‫لصأو يواستلا يف عيمج ءايشألا ةيواستملا امنإ لصحت يف زييمتلا نم قابطنا ءايشألا اهضعب ىلع‬

.‫هريظن مل لضافتي‬، ‫ضعب قبطناو لك ءزج ىلع‬، ‫وه ءايشألا ةيواستملا ةهباشتملا اذإ قبطنا اهضعب ىلع‬: ‫يذلا‬

‎1. Fī ḥall shukūk Kitāb Uqlīdis, MS Istanbul, Université 800, fol. 17 v :

‫اهتاحاسم عمو كلذ سيلف قبطني‬، ‫ماسجألاك نإف ماسجألا دق ىواستت‬. ‫نأل اًريثك نم ريداقملا دق اواستت الو قبطني اهضعب ىلع ضعب‬ ‫ةثج مسجلا ىلع ةثج مسجلا اًريثكو نم لاكشألا ةحطسملا دق ىواستت الو قبطني اهضعب ىلع ضعب عبرملاك نيعملا عبرملاو مئاقلا اياوزلا‬ ‫[ كلذو فالتخال اهروص الإ نأ فالتخا‬...] ‫ثلثملاو مئاقلا ةيوازلا ثلثملاو داحلا اياوزلا نيعمو نيعمو رخآ ثلثمو داح ثلثمو رخآ داح‬

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IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

Tout indique que la véritable égalité selon Ibn al-Haytham est l’égalité-similitude, la seule qu’il admette. Il dit par exemple explicitement qu’il n’y a de superposition que pour les deux premières grandeurs – lignes et surfaces – et non pour les solides (tout comme Euclide dans la définition XI.10 et dans la proposition XI.27, il n’admet pour les solides que l’égalité-similitude). La question est donc de savoir pourquoi Ibn al-Haytham conserve l’égalité-superposition s’il considère que la véritable égalité est celle de la similitude. Deux raisons à cela. D’une part, l’égalitésuperposition est à la fois valable et commode pour comparer les grandeurs du premier degré, celles qui n’ont qu’une seule dimension, les droites. Explication des postulats d’Euclide : Les rapports apparaissent beaucoup plus pour les droites, car toutes les droites se superposent, et ainsi la grandeur de l’excédent des unes sur les autres apparaît d’une manière évidente. Les autres grandeurs qui restent (i. e. les surfaces et les solides) ne se superposent pas les unes aux autres si elles sont égales, ou si les unes excèdent les autres, ou si les unes sont moindres que les autres. En effet, les solides peuvent être égaux et proportionnels, sans cependant se superposer les uns aux autres, mais leurs surfaces peuvent se superposer. Toutes les surfaces ne se superposent pas non plus les unes aux autres, même si elles sont égales et proportionnelles. 1

Ibn al-Haytham affirme en effet que, parmi les grandeurs homogènes, seules les droites se superposent les unes aux autres ; que la superposition est une condition nécessaire et suffisante de leur égalité et que la théorie des proportions s’y applique d’une manière évidente. Nul besoin, donc, de l’égalité-similitude dans le cas des droites. La seconde raison de conserver l’égalité-superposition est que, dans certains problèmes qui portent sur les surfaces, la superposition peut être une condition suffisante, et non nécessaire, de l’égalité.

‫اهتيفيك سيلو‬. ‫يواستلا اذإ تناك ةيواستم نأل يواستلا امنإ وه يف اهتيمك فالتخاو اهروص امنإ وه يف‬، ‫اهروص ال اهجرخي نع مكح‬

.‫صقني ةيفيكلا نم ثيح يه ةروص نم ةيمكلا يتلا يه رادقم الو ديزي اهيف‬

‎1. Fī sharḥ muṣādarāt Kitāb Uqlīdis, MS Istanbul, Feyzullah 1359, fol. 244 r :

‫ضعب رهظيف‬، ‫َرثكأ نم لجأ ّنأ عيمج طوطخلا ةميقتسُملا قِبَطْنَي اهضعب ىلع‬، ‫ّنإف كلذ ّنأل بسِنلا رهظت يف طوطخلا ةميقتسُملا ًاروهظ‬

‫ضعب‬، ‫ضعب نإو تواست دازو اهضعب ىلع‬، ‫رثكأ سيلو عيمج ريداقملا ةيقابلا قِبَطْنَي اهضعب ىلع‬، ‫رادقِم لضافت اهضعب ىلع ضعب ًاروهظ‬

‫كلذ سيلف قِبَطْنَي اهضعب ىلع ضعب امّنإو امّبر تقباطت اهحوطس‬، ‫ضعب كلذو ّنأ ماسجألا دق ىواستت بسانتتو عمو‬. ‫صقنو اهضعب نع‬ ‫تَبَسانتو‬. ‫طقف حوطسلاو ًاضيأسيل اهعيمج قِبَطْنَي اهضعب ىلع ضعب نإو تواست‬،

IBN AL-HAYTHAM, IBN SĪNĀ, AL-ṬŪSĪ : ÉGALITÉ OU CONGRUENCE 369

Les successeurs d’Ibn al-Haytham, on le verra, ont engagé leurs discussion à partir de ses écrits, ainsi que des écrits d’Avicenne. Avant d’en venir à ces derniers et pour les placer dans leur contexte, arrêtons-nous quelque peu à la tradition philosophique dont relevait Avicenne. Tout semble avoir commencé avec Physique VII.4, où Aristote soulève la question de la comparabilité entre la ligne circulaire et la droite, et particulièrement entre l’arc du cercle et sa corde, lors de son examen de la comparabilité entre les mouvements. Il écrit : Si tout mouvement est comparable et que le corps de même vitesse soit celui qui est mû d’une quantité égale en un temps égal, alors on pourra trouver une ligne circulaire égale à une droite et, bien entendu, plus grande ou plus petite [...]

ce qu’Aristote juge impossible. Un peu plus loin : Mais que devrons-nous dire du cercle et de la droite ? Ce serait absurde de les comparer, si le mouvement circulaire et le mouvement rectiligne n’étaient pas semblables, mais que du coup, nécessairement, l’un fût plus rapide ou plus lent, comme pour des mouvements vers le haut ou vers le bas. 1

Les commentateurs, comme Jean Philopon et Abū al-Faraj ibn al-Ṭayyib, s’arrêteront à ce texte. Voici ce que le premier écrit : Aristote entendait : il est nécessaire que la ligne circulaire soit égale à la droite à partir de l’affirmation selon laquelle le mouvement selon la droite serait égal et coïnciderait au mouvement suivant la ligne circulaire. 2

Il poursuit : Solution : en effet nous pouvons dire que la corde est plus grande qu’un segment de l’arc ou que l’arc est plus grand que sa corde si nous allongeons l’arc. Mais, si nous allongeons l’arc, il sera rectiligne et non plus circulaire. Mais, lorsqu’il est circulaire, il n’est pas égal à la rectiligne et les choses qui ne sont pas semblables ne sont pas proportionnelles. 3

Tous ces textes étaient connus en arabe et ont fourni un thème de réflexion aux philosophes et aux mathématiciens, comme Avicenne et, plus tard, le mathématicien philosophe Naṣīr al-Dīn al-Ṭūsī. ‎1. Aristote, Physique, VII 4, 248a. ‎2. La Physique d’Aristote, traduction de Isḥāq ibn Ḥunayn, éd. A. Badawi (Le Caire, 1965), vol. 2, p. 783. ‎3. Ibid.

370

IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

D’ailleurs cette incomparabilité de la corde et de l’arc, de la droite et de la courbe, est présente derrière l’incomparabilité des angles mixtilignes ; c’est également un élément central de la question de la quadrature du cercle. Dans la Physique d’al-Shifā’, pour examiner ce problème de l’égalité entre droite et courbe, Avicenne reprend le thème de la comparabilité entre grandeurs. Dans ce texte, 1 il procède par quelques distinctions, toutes reprises dans les discussions postérieures. Il commence par distinguer entre comparabilité en acte et comparabilité en puissance. Alors qu’on procède à la comparaison en acte, nécessairement, par la superposition des grandeurs pour juger de l’égalité et de l’inégalité, la comparaison en puissance ne peut se faire, au premier abord tout au moins, par superposition. Ainsi, on peut comparer en acte deux droites, mais non pas un triangle et un carré, et encore moins une courbe et une droite. Quant à la comparabilité en puissance, elle est de deux sortes, comme il ressort de l’exemple précédent. La première peut se réduire, à l’aide d’une transformation, à une comparabilité en acte : ainsi, par la division de la figure du triangle, on peut obtenir des portions qui, composées, forment un carré comparable au carré initial, en acte. La seconde sorte est irréductible, comme la comparabilité de la circulaire et de la rectiligne. Avicenne écrit en effet que ces dernières seraient comparables [...] s’il était possible d’appliquer à la circulaire ce qui peut la changer en rectiligne, elle serait alors telle qu’elle excède la droite ou est moindre qu’elle ou lui est égale en se superposant à elle. Mais, tant qu’elle est circulaire, on ne peut pas lui appliquer cette superposition en acte, même si en puissance c’est possible. 2

Il se peut cependant que, de deux grandeurs qui sont comparables en puissance, on puisse dire si l’une est plus petite que l’autre, mais sans jamais pouvoir parler de leur égalité. Autrement dit, il peut y avoir entre elles une relation d’ordre strict, mais jamais une relation d’ordre total. Le cas se présente lorsque l’on traite de certains angles, par exemple un angle rectiligne aigu et un angle curviligne,

‎1. Al-Shifā’, al-Tabī‘iyyāt, 1. al-Samā‘ al-ṭabī‘ī, éd. S. Zayed, Le Caire, 1983, Livre IV, chap. 5. See R. Rashed, Angles et grandeur : D’Euclide à Kamāl al-Dīn al-Fārisī (Berlin, 2015), p. 224. ‎2. Rashed, Angles et grandeur, p. 227, 1–4:

‫هيلع امف ماد‬. ‫هنع وأ هيواسي قابطنالاب‬، ‫ميقتسملا وأ صقني‬، ‫ول نكمأ نأ لمعي هب ام هريغي ىلإ ةماقتسالا ناكل نوكي ثيحب ديزي ىلع‬ ‫كلذ‬. ‫اًريدتسم سيلف نكمي نأ لمعي هب اذه قابطنالا لعفلاب مهللا الإ ةوقلاب نإ نكمأ‬

IBN AL-HAYTHAM, IBN SĪNĀ, AL-ṬŪSĪ : ÉGALITÉ OU CONGRUENCE 371

mais dont le côté rectiligne se superpose à l’un des côtés de l’angle rectiligne. Les philosophes n’étaient pas les seuls à refuser la comparabilité de la droite et de la courbe ; les mathématiciens ne l’admettaient pas non plus, à défaut d’une théorie de la rectification des courbes. Ainsi Ibn al-Haytham, qui a le plus contribué à la recherche sur la quadrature des figures courbes et sur les lunules, écrit : Mais les lignes circulaires n’ont pas, en effet, de rapport aux lignes droites et elles ne sont pas d’un même genre et les unes n’excèdent pas les autres. Et ce qu’Archimède a mentionné concernant le rapport du diamètre à la circonférence n’est que par approximation et non pas selon l’exactitude. Mais l’incommensurabilité des lignes n’empêche pas la proportionnalité des surfaces. Or nous avons composé un traité sur les figures des lunules dans lequel nous avons montré que, parmi les lunules, il y a ce qui est égal à un triangle rectiligne. 1

Venons-en maintenant à Naṣīr al-Dīn al-Ṭūsī. La Sphère et le cylindre d’Archimède s’ouvre sur deux postulats dont al-Ṭūsī commente le second longuement. Le premier postulat de ce livre est ainsi formulé : De toutes les lignes ayant les mêmes extrémités, la plus courte est la droite.

Le second énonce : Quant aux autres lignes, elles sont inégales lorsque, situées dans un plan et ayant les mêmes extrémités, elles tournent l’une et l’autre leur concavité du même côté et que l’une d’entre elles est ou bien entièrement comprise entre l’autre et la droite ayant les mêmes extrémités qu’elle, ou bien en partie comprise, d’autres parties lui étant communes avec l’autre ligne. La ligne comprise est la plus courte. 2

Dans son commentaire, al-Ṭūsī remarque au préalable qu’un postulat n’est pas en principe objet d’explication ni de commentaire. Néanmoins le deuxième postulat appelle une explication géométrique puisque celle-ci n’a jamais été donnée auparavant. Plusieurs cas se présentent. ‎1. Fī ḥall shukūk Kitāb Uqlīdis, MS Istanbul, Université 800, fol. 167 r :

‫دحاو الو ديزي اهضعب ىلع ؛ضعب يذلاو هركذ سديمشرأ‬، ‫ةبسن اتسيلو نم سنج‬، ‫طوطخلا ةريدتسملا سيل اهل ىلإ طوطخلا ةميقتسملا‬ ‫حوطسلا دقو انك انلمع ةلاقم يف‬. ‫قيقحتلا سيلو عنمي نيابت طوطخلا نم بسانت‬. ‫نم ةبسن رطقلا ىلإ رودلا امنإ وه ىلع بيرقتلا ال ىلع‬ .‫ةيلالهلا انيب اهيف نأ نم تايلالهلا ام نوكي اًيواسم ثلثمل ميقتسم طوطخلا‬، ‫لاكشألا‬ ‎2. Archimède, La Sphère et le Cylindre, éd. et trad. Ch. Mugler (Paris, 1970), p. 11.

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IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

Si la ligne est convexe ou concave, mais composée de nombreuses lignes droites, alors il est facile d’expliquer et de justifier ce postulat. Al-Ṭūsī donne plusieurs exemples. 1 Si tel n’est pas le cas, on doit se demander si on peut comparer en longueur la droite à une courbe, un arc de cercle par exemple ; et même, si on peut comparer en longueur des courbes d’espèces différentes. Les mêmes questions se posent pour les surfaces planes et les surfaces courbes. Plus généralement, le problème est de savoir s’il existe, ou non, un rapport entre des grandeurs d’espèces différentes. Pour répondre à ces questions, al-Ṭūsī introduit la notion de superposition d’une grandeur à une autre, ou, comme il l’écrit pour le cas des courbes et des surfaces convexes : Mais, si le convexe n’est pas composé de lignes droites, et est, au contraire, ou bien un arc de cercle, ou bien une portion de la circonférence d’une section quelconque, ou une autre courbe, nous en disons d’abord : il est notoire que le fait d’être long ou court pour les lignes, bien plus, la grandeur, la petitesse et l’égalité pour toutes les grandeurs, ne se vérifient que par la superposition d’une des deux grandeurs homogènes à l’autre, soit dans l’esprit, soit dans les choses, de sorte que, si l’une n’excède l’autre dans aucune direction, alors l’égalité se vérifie pour elles ; et si l’une excède l’autre, alors la grandeur est vérifiée pour celle qui excède et la petitesse pour celle qu’elle excède, en tant qu’elles sont ainsi. 2

Mais, si la superposition permet de comparer les grandeurs homogènes, qu’en est-il de celles qui ne le sont pas ? La question est donc de savoir si on peut superposer une droite à une courbe – un arc de cercle par exemple – ou une surface plane à une autre, courbe. Nous savons, par les témoignages évoqués ci-dessus, que la question était à nouveau débattue dans la communauté mathématique au xiii e siècle, où deux thèses s’opposaient alors. Selon la thèse traditionnelle, celle que soutenaient la majorité des savants, deux grandeurs non-homogènes, la droite et la courbe par exemple, ne peuvent pas se superposer l’une à l’autre, ce qui interdit de juger de leur coïncidence et donc de leur égalité ou de leur inégalité. Ce serait possible seulement si la droite cessait d’être rectiligne pour devenir une courbe ou, inversement, si la courbe cessait d’être curviligne pour devenir rectiligne. Or, selon les tenants de cette thèse, ceci n’est pas possible : « rectiligne » et « curviligne » ne sont pas des accidents mais des différences spécifiques, c’est-à-dire ‎1. Cf. Kitāb al-kura wa-al-usṭuwāna, taḥrīr al-Ṭūsī, MS Téhéran, Sepahsalar 4727, p. 279 sq. (reproduction photographique dans Naṣīr al-Dīn al-Ṭūsī, Majmū‘a rasā’il riyāḍiyya wa-nujūmiyya, Téhéran, Dānishkāh Āzād Islāmī, 1389). ‎2. Voir R. Rashed, Angles et grandeur, pp. 478–80 ; ar. p. 479, 16–481, 4.

IBN AL-HAYTHAM, IBN SĪNĀ, AL-ṬŪSĪ : ÉGALITÉ OU CONGRUENCE 373

des attributs essentiels qui, au sein du genre « ligne », distinguent deux espèces. Selon cette thèse, donc, comme la superposition est le moyen de juger de l’égalité ou de l’inégalité de deux grandeurs, seules des grandeurs homogènes et semblables sont en fait comparables. Dans ce cas, toute partie de l’une coïncide avec une partie homologue de l’autre et lui est semblable ; elle ne l’excède pas si les grandeurs sont égales, tandis qu’elle l’excède si elles sont inégales. Cette thèse majoritaire, appelons-la la thèse commune, repose manifestement sur deux idées : l’une métrique, l’autre philosophique. La première renvoie à la théorie des proportions et au livre V des Éléments (c’est cette théorie qui fournit un moyen indirect de mesurer les grandeurs homogènes et de les comparer) ; la seconde à la notion de continu, telle qu’elle se présente dans la tradition aristotélicienne. Dans le cinquième livre des Éléments, Euclide définit ainsi le rapport entre deux grandeurs homogènes : Un rapport est une certaine manière d’être de deux grandeurs homogènes entre elles (déf. 3). Deux grandeurs sont dites avoir un rapport entre elles lorsque, ces grandeurs étant multipliées, elles peuvent se surpasser mutuellement (déf. 4). 1

D’autre part, selon les philosophes aristotéliciens, il est impossible qu’une grandeur continue soit formée d’indivisibles. La ligne, par exemple, n’est pas formée de points, car elle est continue, alors que le point est indivisible. Dans ce cas, on peut superposer des parties des lignes – qui sont elles-mêmes des lignes – mais non pas des points. Ce parti pris philosophique n’était cependant pas partagé par tous. Déjà au xi e siècle, Ibn al-Haytham considérait une courbe comme la limite d’un polygone de côtés infiniment petits. Al-Ṭūsī, qui connaissait bien les écrits de ses prédécesseurs, a repris cette idée pour la développer dans le contexte qui nous occupe. Il écrit d’abord d’une manière générale : Il nous suffit ici de simplifier et de supposer, au lieu de la ligne courbe, une ligne composée de nombreuses lignes toutes très petites, de la plus extrême petitesse possible, qui se composent auprès d’angles très voisins, du voisinage le plus extrême possible, de sorte que ni les côtés ni les ‎1. Euclides, Elementa, vol. II : Libri V-IX, post I. L. Heiberg, edidit E. S. Stamatis (Leipzig, 1970), p. 1, 6–9. Cf. MS Téhéran, Malik 3586, fol. 61 v :

‫بسنلا ريداقملا يتلا لاقي نإ نيب اهضعب ضعبو ةبسن يه‬. ‫دحاو بسانتلا وه هباشت‬. ‫ةبسنلا يه ةفاضإ ام يف ردقلا نيب نيرادقم نم سنج‬

‫ضعب‬. ‫يتلا دق نكمي اذإ تفعوض نأ لضفي اهضعب ىلع‬

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IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

angles ne se distinguent dans la sensation, mais c’est comme s’ils étaient la ligne courbe elle-même et qu’il n’y avait entre elles nulle distinction sensible, absolument. Et le jugement, si on vérifie, sera vrai sans conteste, que cette ligne, lorsqu’on la compare à une droite, sera plus longue ou plus petite qu’elle, ou lui sera égale. 1

Ainsi, on peut comparer, avec une certaine approximation, une courbe et une rectiligne, ou deux courbes au moyen de ces rectilignes. Si donc on reprend le problème posé : comparer l’arc et la corde pour montrer que la corde est plus petite que l’arc, on divise l’arc en deux moitiés, puis on joint leurs deux cordes, on réitère la division un nombre innombrable de fois, jusqu’à ce que, écrit al-Ṭūsī, « on obtienne une ligne convexe composée de petites cordes, comme nous les avons décrites, de sorte que celle-ci ne se distingue pas dans la sensation du premier arc. Alors apparaît le jugement que la première corde est plus petite que lui ». 2 Pour les courbes concaves, al-Ṭūsī prend pour ces petits segments les petites tangentes aux points de la courbe et obtient ainsi, écrit-il, «une concave composée de petites droites semblable à l’arc [...] dans la sensation.» À l’encontre de la thèse commune, d’autres ont soutenu que la superposition n’est certes pas une condition nécessaire de l’égalité entre grandeurs, ni de l’inégalité. Deux grandeurs peuvent être égales ou inégales sans qu’il y ait une superposition entre elles. C’est précisément ce qu’Ibn al-Haytham soutenait deux siècles auparavant. 3 Après avoir brièvement rapporté ces thèses soutenues par les mathématiciens de l’époque, al-Ṭūsī énonce la sienne en ces termes : Nous disons : la rectiligne peut se superposer à la circulaire ou à la courbe sans qu’elle cesse d’être droite ou que la courbure s’applique sur elle, et cela si on fait mouvoir la circonférence d’un cercle sur une droite qui lui est tangente, en la faisant rouler sur elle jusqu’à ce qu’elle revienne à son point de départ. Ainsi, le commencement et la fin de la droite sont deux points entre lesquels il y a une droite, et le commencement et la fin de la circulaire un seul point ; et cette droite sera égale à la circonférence de la circulaire, étant donné qu’entre le commencement et la fin de la rectiligne il n’existe pas un point, sans qu’un point de la circulaire lui soit tangent. 4

‎1. ‎2. ‎3. ‎4.

Voir R. Rashed, Angles et grandeur, p. 484 ; ar. p. 485, 4–9. Voir R. Rashed, Angles et grandeur, p. 484 ; ar. p. 485, 18–20. Voir R. Rashed, Angles et grandeur, p. 486 ; ar. p. 487, 15–16. Voir R. Rashed, Angles et grandeur, p. 482 ; ar. p. 483, 3–8.

IBN AL-HAYTHAM, IBN SĪNĀ, AL-ṬŪSĪ : ÉGALITÉ OU CONGRUENCE 375

Mais cette superposition, comme le souligne al-Ṭūsī lui-même, n’est pas celle qui s’effectue entre les grandeurs homogènes, que l’on mène l’une sur l’autre par une simple transformation géométrique. Cette fois, il s’agit d’une superposition cinématique qui, écrit al-Ṭūsī, « n’a pas d’essence stable ni ne se fait en une seule fois, mais [...] se produit progressivement et s’achève dans un temps qui est le temps du mouvement ». 1 Pour al-Ṭūsī, l’homogénéité n’est donc pas une condition nécessaire pour qu’il y ait superposition et égalité. Il montre donc qu’il existe d’autres superpositions que la superposition géométrique, qui, elles, font intervenir le mouvement. Par de telles superpositions, on établit que la ligne circulaire peut se superposer à une droite, sans que la première cesse d’être curviligne et sans que la seconde cesse d’être rectiligne, c’est-à-dire tout en demeurant d’espèces différentes. Pour cette démonstration, il développe l’ancien exemple connu sous le titre de « la roue d’Aristote». 2 Soit le cercle MN et la droite AB. Que le cercle roule sur la droite sans glissement afin de rester toujours tangent tout au long de son parcours. Soit A le point de départ du point M du cercle au début de son mouvement et Q le point de contact du cercle à AB. Si le cercle se meut jusqu’à ce que le point M fasse une révolution complète, le cercle décrit une droite – soit AB – égale à sa circonférence. Au cours de ce mouvement, en effet, le cercle sera tangent en chacun de ses points à un point de la droite AB. On sait que ce mouvement est composé d’une rotation et d’une translation et qu’il engendre une courbe plane transcendante, un arc de cycloïde.

N

M A

Q

B

Al-Ṭūsī trouve dans cette superposition cinématique une condition suffisante pour établir l’égalité d’une figure curviligne et d’une

‎1. Voir R. Rashed, Angles et grandeur, p. 482 ; ar. p. 483, 8–10. ‎2. Th. Heath, Mathematics in Aristotle (Oxford, 1949), pp. 246–8.

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IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

droite. Mais il observe les différences suivantes entre cette superposition et celle qu’on opère entre deux grandeurs homogènes – appelons-la la superposition géométrique. – La superposition géométrique est continue et se réalise tout entière en une seule fois. Elle est condition suffisante pour établir l’égalité entre grandeurs homogènes. – La superposition cinématique est discrète, elle se fait point par point, et donc progressivement dans le temps du mouvement. Elle est condition suffisante pour comparer des grandeurs non homogènes. Al-Ṭūsī énonce indirectement une condition que doit remplir cette dernière superposition : l’existence de la tangente. De plus, dans le cas des courbes concaves, il exige, pour que l’on puisse procéder par superposition, que la tangente existe en tout point de la courbe. C’est avec cette ligne composée de segments de droite infiniment petits, à laquelle on rapporte la ligne initiale, que l’on peut juger de l’égalité ou de l’inégalité d’une courbe et d’une droite. On note toutefois que, à part cette condition de l’existence de la tangente, al-Ṭūsī ne discute d’aucune autre condition de ce modèle du mouvement de roulement ; il ne s’interroge pas non plus sur la valeur exacte de la preuve établie grâce à ce modèle. Il admet simplement que ce mouvement est une superposition et une preuve d’égalité entre courbe et droite. Il admet aussi, implicitement, que les points du cercle se superposent aux points de la droite. Ce sont en effet des points qui coïncident et non pas des parties continues. Or al-Ṭūsī, mathématicien et philosophe, ne pouvait ignorer que cette hypothèse tacite soulève deux questions redoutables : la divisibilité à l’infini, et l’infini actuel ; questions auxquelles il ne s’arrête pas. Peutêtre est-il conscient de ces difficultés lorsqu’il écrit, pour finir : En somme, c’est là une longue recherche, en dehors de ce que nous traitons. Et c’est en effet au philosophe qu’il incombe de la vérifier.

À ma connaissance, aucun philosophe de l’Islam classique n’a répondu à cet appel. Il fallait pour cela attendre Leibniz. Quant aux mathématiciens et astronomes successeurs d’al-Ṭūsī, tels que Quṭb al-Dīn al-Shīrāzī et Kamāl al-Dīn al-Fārisī en particulier, ils ont poursuivi le chemin tracé par al-Ṭūsī, en procédant comme lui par une synthèse entre Ibn al-Haytham et Avicenne.

FERMAT CRITIQUE DE LA GÉOMÉTRIE DE DESCARTES Entre Descartes et Fermat, on connait plusieurs controverses qui les ont opposés après 1637. À cette époque, dans la lettre XXII, Fermat avance un argument solide à l’encontre de l’optique de Descartes. Il lui reproche en effet de soumettre un phénomène instantané, celui de la propagation de la lumière, aux lois du mouvement. De son côté, Descartes critique sévèrement le recours de Fermat à la notion d’« adégalité », empruntée à Diophante, dans sa formulation de sa méthode du maximum et du minimum et de celle de la détermination des tangentes. La critique que Fermat adresse à la Géométrie de Descartes, dont je voudrais parler, est beaucoup moins connue et bien plus tardive. Elle est par ailleurs plus complexe puisque l’un et l’autre ont contribué, chacun à sa manière, à la fondation des commencements modernes de la géométrie algébrique élémentaire. Pour comprendre le sens et la portée de cette critique, il nous faut évoquer le trajet mathématique de Fermat. Il a débuté sa carrière de mathématicien non par l’étude des équations algébriques, mais dans trois domaines à la fois : les lieux géométriques ; les recherches en théorie des nombres et l’analyse diophantienne ; la méthode du maximum et du minimum. En géométrie, comme d’autres à l’époque, il a commencé par la restitution d’anciens textes mathématiques, tels que celle des Lieux plans d’Apollonius, qu’il a engagée en 1629 et achevée en 1636. Dans ce livre, Fermat étudie et développe systématiquement certaines transformations géométriques – homothétie, similitude, inversion et translation –, et il détermine par celles-ci les transformées des droites et des cercles. L’algèbre n’y intervient nulle part, alors que la rédaction aurait pu s’en trouver allégée et plus élégante, comme il le reconnaîtra lui-même plus tard. En 1638, il fera appel à l’algèbre dans son écrit intitulé L’introduction aux lieux plans et solides, Ad locos planos et solidos Isagogè, où, comme il l’écrit, il soumet «cette théorie des lieux plans et solides à une analyse qui lui est propre et particulière, et qui ouvre la voie généralisée pour la recherche des lieux » (III. 15). Ces lieux sont la droite, le cercle et les sections coniques.

Paru dans E. Haffner et D. Rabouin (dir.), L’épistémologie du dedans. Mélanges en l’honneur d’Hourya Benis Sinaceur, p. 251-263, Garnier, 2020.

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IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

Dans L’Isagogè, le projet de Fermat est limpide : trouver les équations des courbes, les équations polynomiales, et seulement celles-ci, entre deux quantités inconnues. Lisons ce qu’il en dit : Toutes les fois que, dans une équation finale, on trouve deux quantités inconnues, on a un lieu, l’extrémité de l’une d’elles décrivant une ligne droite ou courbe. La ligne droite est simple et unique dans son genre ; les espèces des courbes sont en nombre indéfini, cercle, parabole, hyperbole, ellipse, etc. (III. 85).

On n’a d’ailleurs pas tardé à souligner la nouveauté du projet de Fermat dans L’Isagogè et dans un appendice à ce livre, puisque, dans l’éloge que lui consacre le Journal des Savants en février 1665, moins d’un mois après sa mort, voici ce qu’on lit : Une introduction aux lieux, plans et solides ; qui est un traité analytique concernant la solution des problemes plans et solides ; qui avoit été vu devant que M. Descartes eut rien publié sur ce sujet.

Ces quelques lignes situent de façon claire et précise cet écrit de Fermat. L’auteur de l’éloge, probablement Carcavi, souligne qu’il s’agit d’un ouvrage analytique, c’est-à-dire algébrique, rédigé indépendamment de la Géométrie de Descartes – ce qui est incontestable. Ainsi l’historien moderne, Joseph E. Hoffmann, souligne que ce livre contient les idées de base de la géométrie des coordonnées formulées avant que Descartes les ait autrement dites et développées dans sa Géométrie. On remarque donc que Fermat, à la différence de Descartes, n’est pas venu à la géométrie algébrique en commençant par l’étude des équations algébriques à une variable, mais directement, par l’étude des lieux et de leurs équations polynomiales à deux variables. Par ailleurs, tout au moins dans cet écrit et dans ses mémoires rédigés entre 1638 et 1643, Fermat ne tente pas d’élaborer une théorie générale des courbes, contrairement à Descartes dans sa Géométrie. Il ne présente aucun moyen d’isoler a priori les courbes algébriques, ni aucune méthode pour les engendrer et les tracer. Les seules courbes dont il traite sont celles déjà évoquées, même s’il lui arrive de faire allusion à d’autres lieux. C’est bien plus tard que Fermat en vient à l’étude des équations et des courbes algébriques. Il y entre pour ainsi dire par la grande porte, par la voie d’une critique de la classification des équations et des courbes proposée par Descartes dans sa Géométrie. Mais s’attaquer à la classification cartésienne, c’est reconsidérer quelques idées de la

FERMAT CRITIQUE DE LA GÉOMÉTRIE DE DESCARTES

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discipline. La question est de savoir en quel sens une telle démarche pourrait modifier le projet lui-même. La critique de Fermat est exposée dans deux textes d’un ton plutôt polémique. Dans le premier, de loin le plus substantiel, il interpelle les Cartésiens. Du ton et des mots de Fermat, on comprend que Descartes n’était plus ; c’est donc bien après 1650 que Fermat a rédigé ce texte capital : la Dissertation en trois parties. Le second texte est une lettre que Fermat adresse à Digby, en reprenant les mêmes idées que celles de la Dissertation, parfois dans des expressions équivalentes 1. Voici comment il s’adresse aux Cartésiens dans les premières lignes de la Dissertation : Ce peut être un paradoxe que de dire que, même en Géométrie, Descartes n’était qu’un homme ; mais pour le reconnaître, que les plus subtils Cartésiens examinent s’il n’y a pas une imperfection dans la distribution faite par leur maître des lignes courbes en certaines classes ou degrés, et si l’on ne doit pas adopter un classement plus satisfaisant et plus conforme aux véritables lois de l’Analyse géométrique (t. III, p. 109).

À première vue donc, la Dissertation se présente comme un livre contre Descartes. Néanmoins, un examen plus approfondi nous met face au texte où l’impact de la Géométrie de Descartes se fait sentir le plus fortement et le plus massivement. Situation paradoxale ? Nullement, puisque c’est un commentaire critique de certaines idées de Descartes. En bref, c’est un texte écrit en fonction de Descartes et contre lui. Or il arrive dans des cas semblables que l’on attribue davantage pour mieux critiquer et que, de ce fait, en gauchissant les propos critiqués, on fasse que la critique porte à faux. Fermat, semble-t-il, n’a pas su éviter complètement ce piège. Mais il importe bien davantage à notre propos de connaître le destin du projet cartésien, et plus généralement de la géométrie algébrique, une fois entre les mains de Fermat, particulièrement exercées jusqu’ici à l’étude des équations des lieux. J’ai retracé ailleurs les deux projets qui partageaient la recherche en géométrie algébrique depuis al-Khayyām au xi e siècle, jusqu’à Descartes : résoudre les équations à l’aide de l’intersection des courbes, étudier les courbes à l’aide de leurs équations. L’exécution de ces projets a conduit al-Khayyām déjà, et al-Ṭūsī (xii e siècle) surtout, à distinguer entre deux classes d’équations, et à s’interroger sur la possibilité et les moyens de ramener les équations les unes

‎1. Retrouvée par J.E. Hofmann, cette lettre est reproduite et traduite dans Pierre Fermat : La Théorie des nombres, Textes traduits par P. Tannery, introduits et commentés par R. Rashed, Ch. Houzel et G. Christol, Paris, Blanchard, 1999, p. 491-497.

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IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

aux autres. C’est alors qu’on distingua entre les plans et les solides, et qu’on procéda à la réduction des équations biquadratiques aux équations cubiques. On savait donc que les problèmes plans se traduisent en des équations des deux premiers degrés, et que l’équation du second degré se ramène à celle du premier degré à l’aide d’une construction auxiliaire à la règle et au compas 1. On n’ignorait pas non plus que les problèmes solides se traduisent par des équations cubiques et biquadratiques, pour ramener l’équation biquadratique à l’équation cubique, et que la résolution de l’équation cubique se fait par l’intersection de deux courbes du second degré. Viète a proposé une méthode, et Descartes expose un procédé équivalent, dont Fermat affirme que « Descartes l’a usurpé (à Viète) 2 ». ‎1. Au chapitre IV du De Emendatione æquationum, Viète propose une méthode dite « paraplérose climactique». En effet, l’équation x2 + bx = c se ramène à (x + 2b )2 = c−

b2 4

; il s’agit de construire la racine carrée de c − 2

b2 4

, c’est-à-dire la moyenne pro-

portionnelle entre l’unité de longueur et c − b4 . Pour ces équations des deux premiers degrés, il n’y a donc pas la moindre difficulté. ‎2. Pierre Fermat : La Théorie des nombres, p. 495. La méthode de Viète et celle de Descartes reviennent au calcul suivant : Soit x4 + a1 x3 + a2 x2 + a3 x + a4 = 0. Posons x = t −

( t4 +

a1 4

, il vient

a2 −

3a21 8

)

( t2 +

a3 −

a3 a1 a2 + 1 2 8

) t + a4 +

a2 a2 3a41 a1 a3 + 1 − = 0; 4 16 256

soit t4 + at2 + bt + c = 0, avec

a3 a2 a2 3a14 a1 a2 a1 a3 , b = a3 − + 1, c = a4 − + 1 − . 8 2 8 4 16 256 ′ On cherche alors les coefficients u, v, v tels que a = a2 −

3a21

t4 + at2 + bt + c = (t2 + ut + v)(t2 − ut + v ′ ) = t4 + (v + v ′ − u2 )t2 + u(v ′ − v)t + vv ′ . On doit avoir v + v ′ − u2 = a, u(v ′ − v) = b, vv ′ = c ; en supposant u ̸= 0, on a v + v ′ = a + u2 , donc v′ =

1 2

( a + u2 +

b u

) ,

v=

1 2

( a + u2 −

b u

v′ − v =

) et

b , u

vv ′ =

1 4

( (a + u2 )2 −

b2 u2

) = c;

posons u2 = w, on a l’équation en w : w3 + 2aw2 + (a2 − 4ac)w − b2 = 0. La solution de cette équation cubique donne la valeur u2 = w, d’où u et ensuite v et v ′ . Il reste à résoudre deux équations du second degré pour obtenir t. Dans le cas où u = 0, on aurait b = 0 et l’équation s’écrirait (t2 )2 + at2 + c = 0, quadratique en t2 .

FERMAT CRITIQUE DE LA GÉOMÉTRIE DE DESCARTES

381

En tout cela, Fermat admet suivre Descartes et ses prédécesseurs lorsqu’ils distinguent entre les plans, les solides et les sursolides, lorsqu’ils les traduisent par des équations, et enfin lorsqu’ils cherchent une solution à la règle et au compas pour les plans, se servent des sections coniques pour les solides, ou procèdent par des courbes de degré supérieur pour les sursolides ou les linéaires. Fermat pense encore suivre Descartes quand il écrit : De même l’analyste à la façon de Viète ou de Descartes pourra, quoiqu’un peu plus difficilement, ramener l’équation bicubique à la quadratocubique ou, si l’on veut, l’équation du sixième degré à l’équation du cinquième (t. III, p. 110).

Or c’est précisément à ce stade que, tout en suivant Descartes, Fermat s’en sépare. Il écrit : Mais de ce que, dans les cas précités, où il n’y a qu’une seule quantité inconnue, les équations de degré pair s’abaissent aux équations du degré impair immédiatement inférieur, Descartes a affirmé avec confiance (page 323 de la Géométrie qu’il a publiée en français) qu’il en était absolument de même pour les équations renfermant deux quantités inconnues. Car telles sont les équations constitutives de lignes courbes ; or, dans ces équations, non seulement la réduction ou abaissement en question ne réussira pas, comme l’a affirmé Descartes, mais encore les analystes le reconnaîtront impossible (t. III, p. 110-111).

Nous voici bien au vif de la polémique, et par conséquent au cœur de la recherche de Fermat. Celui-ci soutient deux thèses. Il affirme tout d’abord que l’on peut toujours réduire une équation d’une seule variable de degré 2n + 2 à une équation de degré 2n + 1. Il accorde que Descartes a pensé qu’il en est bien ainsi, mais à cette différence près, capitale, que ce dernier aurait cru à tort que la règle est valable aussi pour les équations des courbes algébriques. En d’autres termes, alors inconnus, Descartes aurait confondu anneau principal et anneau factoriel. Or la lecture de la Géométrie ne semble pas donner raison à Fermat. [...] il y a une règle générale, écrit Descartes, pour réduire au cube toutes les difficultés qui vont au quarré de quarré, et au sursolide toutes celles qui vont au quarré de cube, de façon qu’on ne les doit point estimer plus composées 1.

‎1. Éd. Adam-Tannery, t. VI, p. 395-396.

382

IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

À l’évidence, le texte de Descartes se développe en deçà du commentaire qu’en fait Fermat. En revanche, on en trouve plus tard une critique, justifiée cette fois, sous la plume de Jacques Bernoulli, à propos de l’abaissement de la sixième puissance à la cinquième 1. Peut-être Fermat s’est il inspiré de l’affirmation de Descartes pour aller beaucoup plus loin et donner une formulation aussi générale – laquelle, nous le savons, est d’ailleurs inexacte, comme il ressort de la théorie de Galois : le groupe symétrique de degré 2n + 2 ne contient pas en général un sous-groupe de degré 2n + 1. Descartes aurait-il cru que la réduction est possible pour les courbes algébriques, ainsi que l’a soutenu Fermat ? Il semble qu’ici encore celui-ci force quelque peu la pensée de l’auteur de la Géométrie. Voici en effet ce qu’écrit Descartes : [...] qu’ayant construit tous ceux qui sont plans en coupant d’un cercle une ligne droite, et tous ceux qui sont solides en coupant aussi d’un cercle une parabole, et enfin tous ceux qui sont d’un degré plus composés en coupant tout de même d’un cercle une ligne qui n’est que d’un degré plus composée que la parabole ; il ne faut que suivre la même voie pour construire tous ceux qui sont plus composés à l’infini : car, en matière de progressions mathématiques, lorsqu’on a les deux ou trois premiers termes, il n’est pas malaisé de trouver les autres 2.

Non justifiées, les critiques qu’il a formulées ont permis à Fermat de distinguer deux classes d’équations algébriques : celles qui sont « constitutives des lignes courbes », et celles à une seule inconnue. Depuis longtemps préoccupé, nous l’avons vu, par les équations des lieux géométriques, il mobilise cette distinction afin de définir, beaucoup plus nettement que ses prédécesseurs, les courbes par leurs équations. En cela, il contribue à la réalisation du projet cartésien. Fermat affirme ensuite que toute équation de degré 2n + 1 ou de degré 2n + 2 se résout par l’intersection de deux courbes de degré n + 1. Nous sommes là sur la voie qui conduira ensuite à la réciproque du théorème de Bézout pour les courbes. Plus tard, en 1688, Jacques Bernoulli démontre du reste que, pour une équation de degré inférieur ou égal à n2 , deux courbes de degré n suffisent 3 ; et il observe en particulier que les cubiques permettraient de résoudre les équations jusqu’au 9 e degré.

‎1. Jacques Bernoulli, Opera, 1744, vol. II, p. 676-677. ‎2. Éd. Adam-Tannery, t. VI, p. 485. ‎3. Jacques Bernoulli, Animadversio in geometriam cartesianam et constructio quorundam problematum hypersolidorum, Acta Eruditorum, juin 1688, p. 323-330 et voir Opera, vol. I, p. 343 sqq.

FERMAT CRITIQUE DE LA GÉOMÉTRIE DE DESCARTES

383

La méthode proposée par Fermat pour résoudre les équations de degré 2n + 1 ou de degré 2n + 2 s’inspire singulièrement de l’analyse diophantienne. Personne avant lui, à ma connaissance, n’a utilisé les techniques de cette analyse dans la géométrie algébrique. Voici les règles de sa méthode. 1. On ramène l’équation à un degré pair, c’est-à-dire qu’on ramène l’équation de degré 2n + 1 au degré 2n + 2, en multipliant par un facteur linéaire si nécessaire. 2. On fait disparaître le terme du premier degré pour mettre l’équation sous la forme x2n+2 + a1 x2n+1 + · · · + a2n x2 = p,

avec p ̸= 0.

(1)

3. On cherche une expression carrée telle qu’une fois égalée au premier membre de (1) elle amène les plus grandes simplifications du côté des plus grandes puissances de x ; soit x2n+2 + a1 x2n+1 + · · · + a2n x2 = (xn+1 + b1 xn + · · · + bn−2 x3 + an−1 xy)2 . Nous pouvons déterminer les coefficients (b1 , . . . , nn−2 ) de manière à faire disparaître tous les termes jusqu’à xn+2 inclus. Le terme x2n+2 disparaît de lui-même. On prendra ensuite b1 = a21 , 2b2 + b21 = a2 , b3 + b1 b2 = a23 , . . . Simplification faite, le terme de degré le plus élevé qui reste est xn+2 y. Mais, comme x 2 est en facteur, on peut écrire le résultat sous la forme a2n−1 y2 + yPn (x) + Qn+1 (x) = 0, avec P et Q deux polynômes de degré n au plus. C’est l’équation de la première courbe. La seconde courbe de degré n + 1 a pour équation

√ y=

p − Rn (x), x

Rn un polynône de degré n. Les deux courbes sont donc, au moins théoriquement, faciles à construire. Mais il reste à remarquer que, dans l’équation de la première courbe, l’ordonnée de y ne figure qu’au degré 2, et au premier degré dans l’équation de la seconde. D’autre part, d’après le théorème de Bézout, ces deux courbes ont (n + 1)2 points communs ; il y a donc n2 − 1 solutions excédentaires qui ne correspondent pas à des racines de l’équation proposée. Ces solutions coïncident avec le point à l’infini commun aux deux courbes dans la direction de l’axe des y.

384

IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

Nul doute que le procédé qu’utilise ici Fermat est issu de l’analyse diophantienne : il s’agit d’une technique à laquelle il recourt lui-même pour l’élimination des puissances supérieures, comme on peut le lire dans l’Inventum novum. Diophante avait déjà fait appel à ce procédé dans les Arithmétiques : c’est la méthode de la corde 1. Notons cependant qu’à la différence de Diophante, Fermat part d’une équation à une seule inconnue. Le mathématicien de la fin du x e siècle, al-Karajī, procédait lui aussi de cette manière pour extraire la racine carrée d’un polynôme, supposé carré parfait, mais alors que pour lui l’indéterminée y représentait la suite du développement cherché, chez Fermat c’est l’ordonnée d’un point courant d’une courbe. Fermat donne deux exemples pour illustrer la méthode. Il commence par traiter une équation du 6 e degré, et définit deux courbes cubiques pour construire des solutions ; il considère ensuite une équation du 8 e degré et définit des courbes du 4 e degré. Il conclut cette recherche en rappelant le but poursuivi tout au long : On a ainsi la résolution et construction exacte et la plus simple possible des problèmes de Géométrie par des lieux naissant suivant les cas de courbes d’espèces différentes et convenant à ces problèmes. Au reste, l’analyste sera libre de faire varier ces courbes, sauf à rester toujours dans le genre naturel aux problèmes, en résolvant ceux du 8 e et 7 e degré par des courbes du 4 e ; ceux du 10 e et du 9 e, par des courbes du 5 e ; ceux du 12 e et 11 e par des courbes du 6 e et ainsi de suite indéfiniment par une méthode uniforme (t. III, p. 116)

Ce texte important, qui suggère que Fermat voyait plus loin qu’il n’en disait, s’achève sur une critique de Descartes. En bref, la recherche des solutions des équations algébriques se fait à l’aide de l’intersection des courbes, à condition que celles-ci soient du degré le plus petit possible. Mieux encore, le degré de ces courbes croît d’une manière uniforme avec le degré de l’équation. La loi générale est que, pour une équation de degré 2n + 2, le degré de chacune des deux courbes est n + 1. Il reste, dit Fermat, « que l’analyste sera libre de faire varier ces courbes». Même si cette liberté est soumise aux conditions précédentes, il pense, et c’est le point important, que pour « une infinité de cas spéciaux » – dit-il 2 – on peut trouver des courbes de degré bien inférieur. Il en donne pour exemple un problème intimement lié à la géométrie algébrique depuis son commencement : l’insertion des moyennes proportionnelles entre deux grandeurs données. Il s’agit

‎1. Diophante : Les Arithmétiques, Texte établi et traduit par R. Rashed «Collection des Universités de France», 2 vol., Paris, Les Belles Lettres, 1984, t. III. ‎2. T. III, p. 117.

FERMAT CRITIQUE DE LA GÉOMÉTRIE DE DESCARTES

385

cette fois d’insérer un nombre quelconque de moyennes proportionnelles. Le premier exemple invoqué est celui de six moyennes entre deux segments a et b. Fermat avait donc à résoudre l’équation x7 = a 6 b ; il égale les deux membres, toujours selon la même méthode, à x4 y2 b, et obtient les deux courbes x3 = by2 et x2 y = a3 , d’où deux paraboles, faciles à construire. Il poursuit en considérant l’insertion de 12 moyennes, et résout l’équation x13 = a12 b, en égalant les deux membres à x8 y4 b, d’où x5 = y4 b et x2 y = a3 ; il recommence et égale les deux membres à x9 y3 b, d’où x4 = y 3 b

et

x3 y = a4 ;

c’est-à-dire deux courbes du quatrième degré seulement. Il poursuit en discutant de l’insertion de 30, 72, ... moyennes. La méthode est la même, et il la savait générale. Voici comment elle se présente. Pour insérer p moyennes proportionnelles, il faudrait résoudre xp = k, avec k ̸= 0. On peut supposer p un nombre premier, sinon on se ramène, comme l’indique Fermat, à une équation de degré inférieur. Appliquons la même méthode et égalons les deux membres de l’équation à xqr yr ; les exposants sont choisis du degré le moins élevé possible. On a les deux courbes définies par xp−qr = yr

et

1

xq y = k r ,

de degrés respectifs sup(p − q, r) et q + 1. Dans tous les exemples traités par Fermat, p − 1 = 6, 12, 30, 72, est donc le produit de deux entiers successifs q et q + 1, ce qui permet de choisir r = q ; on a alors sup(p − qr, r) = q + 1, degré commun aux deux courbes 1 xq+1 = yq , xq y = k q . Si p − 1 = n2 , on peut prendre q = n − 1 et r = n, ce qui conduit aux courbes d’équations respectives xn+1 = yn

et

xn−1 y = k n , 1

386

IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

de degré n + 1 et n respectivement. Fermat revient alors à sa préoccupation permanente : déterminer le rapport entre le degré de l’équation et celui des courbes. Il pense pouvoir établir que ce rapport peut être aussi grand que l’on veut. Il écrit : il n’y a aucune difficulté pour trouver un procédé permettant de construire un problème dont le degré soit dans un rapport plus grand que tout rapport donné avec le degré des courbes qui servent à le résoudre (t. III, p. 120).

Or, d’après ce qui précède, si p premier de la forme n2 + 1, ce rap2 port est nn++11 . Mais on ignore encore s’il existe une infinité de nombres premiers de cette forme. Fermat justifie cette infinité à l’aide de sa conjecture ; « les nombres obtenus en ajoutant l’unité aux carrés successifs que l’on forme en partant de 2 sont toujours premiers», ν c’est-à-dire que les nombres de la forme 22 + 1 seront premiers. Or 5 on sait depuis Euler que cette conjecture est fausse, puisque 22 + 1 est divisible par 641. On le voit bien, le but de la Dissertation est de trouver des constructions de solutions d’équations algébriques au moyen de courbes de degré le plus petit possible. Fermat a l’espoir que le degré des courbes auxiliaires croît moins vite que le degré de l’équation à résoudre. On est encore loin du théorème de Bézout sur l’intersection des courbes algébriques ; l’étude systématique des courbes algébriques par leur équation n’est pas encore d’actualité. Pour cela, il a fallu attendre les contributions de Cramer et de Bézout en Géométrie algébrique, et celles des frères Bernoulli en Géométrie différentielle. Conclusion Nous venons de suivre brièvement le parcours de Fermat en géométrie algébrique. Reste à nous interroger sur la signification exacte de ce chemin qui mène de la Restitution des Lieux plans à la Dissertation ; peut-être serons-nous alors en mesure de situer la contribution de Fermat dans sa perspective historique. La question est d’autant plus importante qu’on interprète souvent ce trajet dans les termes d’une rencontre entre Apollonius et Viète, entre les Coniques et la Spécieuse. Il est vrai que les premières recherches de Fermat sur les équations des lieux corroborent, à première vue, une telle interprétation, mais celle-ci ne tarde pas à se révéler insuffisante à qui veut comprendre les actes et les visées du mathématicien. Après tout, cette rencontre entre les Coniques et l’algèbre, fondatrice de la géométrique algébrique, s’est déjà produite six siècles auparavant, lorsque les mathématiciens du x e siècle, al-Māhānī, al-Qūhī, Abū al-Jūd ont engagé l’édification de ce nouveau chapitre des mathématiques, systématisé au xi e siècle

FERMAT CRITIQUE DE LA GÉOMÉTRIE DE DESCARTES

387

avec al-Khayyām. Or la contribution de Fermat ne se réduit pas à celle d’al-Khayyām. Je crois avoir démontré que, si rencontre il y eut, ce n’est pas entre Apollonius et Viète, mais ce fut entre trois traditions : une géométrie en renouvellement depuis le xi e siècle, celle qui s’occupait des transformations des lieux des points (droites et coniques notamment) ; l’analyse diophantienne cultivée par les prédécesseurs de Fermat et aussi par lui-même ; et, enfin, les écrits de Descartes, notamment sa Géométrie. C’est donc la confluence de ces trois traditions qui permet d’éclairer le développement de la recherche de Fermat, et d’apprécier le sens qu’elle a pris. Il suffit d’ailleurs d’en oublier une pour ne plus rien comprendre à la contribution du mathématicien. La recherche sur la transformation ponctuelle des lieux, je l’ai montré ailleurs, a commencé bien avant Fermat, dans les écrits d’Ibn al-Haytham en particulier, comme l’atteste son livre : Les Connus. Dans cette nouvelle recherche géométrique, Fermat, tout comme Ibn al-Haytham, voulait penser les objets géométriques non plus comme les figures données une fois pour toutes de la géométrie euclidienne, mais comme des figures engendrées par un, ou plusieurs, mouvements continus, et donc variables. Mais, à la différence de son prédécesseur du xi e siècle, Fermat n’entendait pas développer un chapitre d’une géométrie en renouvellement ; il voulait, au fur et à mesure qu’il avançait, dégager grâce à sa recherche toutes les équations des lieux, des coniques notamment. Or c’est précisément cette orientation qui a préparé ses travaux en géométrie algébrique, c’est-à-dire lorsque, sous l’influence de Descartes, il s’occupe de la théorie des équations et des courbes algébriques ; et cette rencontre avec Descartes a permis à Fermat d’innover dans ce domaine. Il était alors en mesure de jeter un pont entre deux terrains jusque là séparés, pour ainsi faire avancer la réalisation de ce qui était le projet de Descartes. Expliquons-nous. Avant Fermat, nul n’avait mis en rapport l’analyse diophantienne et la géométrie algébrique. Certes, Fermat ne donne pas une interprétation géométrique des méthodes de l’analyse diophantienne. Ainsi, par exemple, une méthode comme celle de la corde, à laquelle il recourt fréquemment et qu’il emprunte aux Arithmétiques de Diophante, n’a chez lui aucun contenu géométrique 1. En revanche, il se sert des méthodes diophantiennes pour poursuivre la recherche en géométrie algébrique, comme nous avons déjà pu le constater. Or, par cette ‎1. La première interprétation géométrique a été donnée par Newton. Il a cependant fallu attendre D. Hilbert et A. Hurwitz en 1890, et H. Poincaré en 1901, pour fonder cette interprétation. Cf. R. Rashed et Ch. Houzel, Les Arithmétiques de Diophante : Lecture historique et mathématique Berlin, New York : Walter de Gruyter, 2013.

388

IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

innovation, il se distingue aussi bien de ses prédécesseurs que de ses contemporains. C’est dire que, tant que les courbes que l’on étudiait algébriquement se réduisaient pour l’essentiel aux seules coniques, rien n’imposait de faire un rapprochement explicite entre géométrie algébrique et analyse diophantienne – c’est précisément la situation d’al-Khayyām et même celle d’al-Ṭūsī. En revanche, les mathématiciens qui s’intéressaient à l’analyse diophantienne en dehors de cette tradition de la géométrie algébrique, soit pour des raisons d’époque, soit par intérêt, ne pouvaient évidemment pas songer à un tel rapprochement. Ils s’intéressaient en fait au développement, soit du calcul algébrique abstrait (Abū Kāmil, al-Karajī, Bombelli, Viète...), soit de la théorie des nombres (al-Khunjandī, al-Khāzin, Fibonacci dans son Liber quadratorum, al-Yazdī...). C’est Descartes qui en fournit les conditions de possibilité : possibilité, en fait, de traiter généralement les équations quel qu’en soit le degré, et de traiter plus clairement et plus algébriquement toute une classe de courbes. C’est donc grâce à Descartes et et à sa théorie des courbes algébriques que Fermat a pu investir les méthodes diophantiennes en géométrie algébrique. Or c’est précisément cet investissement qui lui a permis de mener plus loin que Descartes lui-même la réalisation du projet de celui-ci. Bibliographie Apollonius de Perge, 2008-2009-2010, Coniques, commentaire historique et mathématique, édition et traduction du texte arabe par Roshdi Rashed, Berlin / New York, Walter de Gruyter ; tome 1.1 : Livre I ; tome 3 : Livre V ; tome 2.2 : Livre IV ; tome 4 : Livres VI et VII ; tome 2.1 : Livres II et III. Bernoulli, Jacques, 1744, Opera, 1744, 2 vol., Genève. Bernoulli, Jacques, Animadversio in geometriam cartesianam et constructio quorundam problematum hypersolidorum, Acta Eruditorum, juin 1688, p. 323-330 et voir Opera, vol. I, p. 343 sqq. Diophante, 1984, Les Arithmétiques, Texte établi et traduit par R. Rashed « Collection des Universités de France », 2 vol., Paris Les Belles Lettres. Descartes, René, 1964-1974, Œuvres de Descartes, publiées par C. Adam et P. Tannery, 11 vol., nouvelle présentation en coédition avec le CNRS, Paris Vrin. Fermat, Pierre de, 1891-1896, Œuvres de Fermat, publiées par les soins de MM. Paul Tannery et Charles Henry, vol. 1 (1891), vol. 2 (1894), vol. 3 (1896), Paris Gauthier-Villars. Fermat, Pierre de, 1999, Œuvres de Pierre Fermat I : La théorie des nombres, textes traduits par P. Tannery, introduits et commentés par R. Rashed, C. Houzel, G. Christol, Paris Blanchard. Ibn al-Haytham, « Les Connus », dans R. Rashed, Les mathématiques infinitésimales du ix e au xi e siècle. Volume 4, « Ibn Al-Haytham : Méthodes géométriques, transformations ponctuelles et philosophie des mathématiques », Londres, 2002. Rashed, Roshdi et Houzel, Christian, 2013, Les Arithmétiques de Diophante : Lecture historique et mathématique, Berlin-New York Walter de Gruyter.

MÉNÉLAÜS : UN MATHÉMATICIEN PROTO-INTUITIONNISTE ?

On sait qu’Aristote, dans les Analytiques, distingue deux modes de démonstration : directe, et par réduction à l’absurde ; qu’il souligne la supériorité du premier et affirme qu’ils sont convertibles, c’est-à-dire qu’il est possible de ramener chacun à l’autre. La question logique est d’importance, et les commentateurs n’ont cessé de la reprendre. Mais reste à savoir si les mathématiciens, qui, après tout, sont les premiers concernés, avaient eux aussi établi cette distinction. Or, que ce soit avant le Stagirite, ou après lui, qu’il s’agisse d’Euclide, ou d’Apollonius et d’Archimède, pour ne citer qu’eux, on ne trouve aucune trace d’une réflexion sur ces deux modes de démonstration. Il ne faut voir là ni négligence, ni indifférence : sans doute les mathématiciens trouvaient-ils dans l’axiomatique euclidienne ce dont ils avaient besoin, puisqu’il est toujours possible de revenir aux axiomes et aux postulats au cours d’une démonstration par réduction à l’absurde, surtout lorsqu’il s’agit d’établir l’unicité d’une solution. Autrement dit la méthode synthétique, comme on le constate dans les Éléments d’Euclide, a pratiquement atténué la distinction entre démonstration directe et démonstration par l’absurde en géométrie. Reste une seconde question, logique et historique à la fois : que s’est-il passé lorsque l’axiomatique euclidienne s’est trouvée ébranlée ? Cette question est loin d’être une simple spéculation, puisqu’au premier siècle de notre ère, un mathématicien et astronome, Ménélaüs d’Alexandrie, a exclu de cette axiomatique le postulat des parallèles. Les conséquences de ce rejet sont d’une importance majeure : c’est bien la conception d’une autre géométrie qui se trouve engagée. Ménélaüs a par ailleurs été amené à rejeter la démonstration par l’absurde, ainsi que le principe du tiers exclu, et à élaborer une mathématique proto-intuitionniste. C’est ce que je vais m’efforcer de montrer. L’opus magnum de Ménélaüs s’intitule Les Figures sphériques. Perdu

Conférence prononcée au colloque sur « L’intuitionnisme entre philosophie, mathématique et logique : mutations et histoire longue », Paris, 25-27 octobre 2021.

390

IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

en grec, ce livre a survécu dans ses traductions arabes, et a été à la base de tout un courant de recherche en géométrie 1. Arrêtons-nous d’abord à ce que disaient les mathématiciens qui ont rectifié la traduction arabe du livre de Ménélaüs, au x e siècle. Commençons par lire ce qu’en dit al-Harawī, le mathématicien du x e siècle qui a participé à l’établissement de la traduction arabe des Figures sphériques de Ménélaüs. Il écrit : La voie que Ménélaüs a suivie dans ce livre est merveilleuse ; personne ne l’a trouvée avant lui et rien n’était connu de ses prédécesseurs sur ce sujet. A-t-il senti que cette espèce de science en géométrie est unique en elle-même, et qu’elle a des lois qui lui conviennent et des lemmes qui mènent au but, différents de ceux que l’on veut démontrer en utilisant des lignes droites et en déterminant les plans par leur intersection ?

C’est dire qu’au x e siècle déjà, les mathématiciens étaient pleinement conscients de la nouveauté et de l’originalité de l’ouvrage. Quant à Ménélaüs lui-même, il écrit dans la dédicace à son roi : Ô roi al-Adhyā, j’ai inventé un mode démonstratif, excellent et admirable, à propos des propriétés des figures sphériques, qui atteint de multiples choses qui font partie de ce qui est difficile en cette science, et dont je ne crois pas qu’elles soient venues à l’esprit de quiconque avant moi. J’ai ordonné les prémisses et les démonstrations selon un ordre tel qu’il rendra aisé aux amoureux de la science de s’élever et de parvenir à des sciences universelles et nobles ; et je m’adresse à toi en disant : Ô Roi, sachant que tu seras heureux de connaître le difficile en cette science, et que tu aimes la brièveté, [...].

La lecture du livre confirme bien ce qu’annoncent les propos de Ménélaüs, ainsi que le commentaire d’al-Harawī au x e siècle : la nouveauté du projet et des moyens mis en œuvre pour le réaliser. En effet, Ménélaüs se propose de fonder une nouvelle géométrie de la sphère, une géométrie intrinsèque de la sphère, une géométrie dont on dirait aujourd’hui qu’elle appartient au groupe des géométries neutres. Cette géométrie satisfait à tous les axiomes et postulats d’Euclide, à l’exception du cinquième postulat. À la différence de tous ses prédécesseurs, dont Théodose de Bithynie (−160, −100), qui ont contribué à l’étude des sphériques, Ménélaüs évite dans son traité, à quelques exceptions près, d’appliquer les moyens de la géométrie solide qu’Euclide a élaborés dans les livres stéréométriques des Éléments.

‎1. Les références sont à R. Rashed, Menelaus’ Spherics  : Early Translation and al-Māhānī / al-Harawī’s Version (en collaboration avec A. Papadopoulos), edition, translation and commentary, Berlin, 2017.

MÉNÉLAÜS : UN MATHÉMATICIEN PROTO-INTUITIONNISTE ?

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Mais il cherche toujours à appliquer les procédés de la géométrie sphérique, lesquels, conçus par lui, reposent tous sur les propriétés de la dualité des lignes, c’est-à-dire des grands arcs sur la surface de la sphère, et de leurs pôles. Ces procédés ne sont pas valables dans la géométrie plane d’Euclide. Ainsi, pour fonder la nouvelle géométrie, Ménélaüs a dû procéder à une nouvelle description du mode d’existence des objets géométriques – la sphère, sa surface, les lignes sur la surface, etc. – et opérer par de nouveaux modes de démonstration qui refusent le raisonnement par réduction à l’absurde et le principe du tiers exclu. Venons-en à présent aux Figures sphériques. Cet ouvrage de 91 propositions est en deux livres. Le premier, qui contient 61 propositions, est consacré à la définition et à l’étude du concept central de triangle sphérique. Ménélaüs reprend les résultats et les méthodes de son prédécesseur, Théodose, pour en améliorer aussi bien les énoncés que les démonstrations. Ce n’est pas, bien sûr, dans ce bref exposé que je vais reprendre les résultats obtenus par Ménélaüs dans Les Figures sphériques. Je rappellerai seulement la nouvelle description de son objet, et les principaux concepts qui y interviennent. Ménélaüs étudie les figures sur la surface de la sphère unité : les arcs des grands cercles (ces cercles sont aussi des cercles de la sphère). Par rapport à la géométrie intrinsèque de cette surface, ces cercles sont les lieux des points de la sphère qui sont à une distance (sphérique) fixe du point fixe qui est leur pôle. Le triangle sphérique introduit et défini par Ménélaüs est la figure donnée par trois points non alignés sur la surface de la sphère, joints par trois arcs de grands cercles. Ces trois points sont les sommets du triangle, et les trois arcs, dont chacun est plus petit qu’un demi-cercle (ou égal à un demi-cercle), en sont les côtés. Ménélaüs montre que, dans ce triangle sphérique, la somme des trois angles, non constante, est toujours supérieure à deux angles droits – propriété qui ne vaut évidemment pas dans la géométrie d’Euclide. S’il arrive parfois que les énoncés des propositions de Ménélaüs soient des répliques des propositions d’Euclide, les démonstrations en sont différentes. La raison en est que le plan de la géométrie sphérique est différent, à tous égards, du plan euclidien. Pour décrire les triangles sphériques, Ménélaüs a recours à plusieurs concepts, dont ceux de monotonie et de concavité des distances. En effet, sur les 61 propositions du premier livre des Sphériques, 31 expriment les propriétés de la monotonie. Prenons un exemple qui concerne les coordonnées, en rappelant, pour le rendre évident, la géométrie euclidienne. Soit deux lignes GB et HB, qui font un angle aigu en B (géométrie

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euclidienne, figure de gauche, géométrie sphérique, figure de droite). Soit KL et LM deux segments égaux. On abaisse des points H, K, L, M sur GB les perpendiculaires HG, KS, LI, MO ; et sur HG, les perpendiculaires KU, LP, MN. Les lignes parallèles à GB et à HG représentent un système de coordonnées dans le plan euclidien. Les rapports des projections horizontales aux projections verticales, SI à IO et UP à PN, sont égaux au rapport des distances KL à LM. C’est une propriété fondamentale de la géométrie euclidienne, qui ne s’étend pas à la sphère, sur laquelle il n’y a pas de lignes parallèles.

Dans la figure de droite, au lieu des projections orthogonales, on a des projections centrales à partir du pôle E. On remplace les projections verticales parallèles par ces dernières et les projections horizontales parallèles par des projections selon des petits cercles, qui sont parallèles au grand cercle GB. Ménélaüs démontre que, dans ce cas, SI > IO et NP > UH, et que, au lieu des rapports égaux, on a des inégalités. Ménélaüs affirme ainsi une différence fondamentale entre sa géométrie et la géométrie euclidienne : dans la première, on a un ensemble d’inégalités, alors que dans la géométrie euclidienne, on a un ensemble d’égalités. C’est dire que, dans la géométrie euclidienne, les segments projetés ont la même longueur, alors que dans la géométrie de Ménélaüs, les arcs des grands cercles projetés n’ont pas la même longueur, mais vérifient des inégalités. Ménélaüs, lorsqu’il décrit les lignes sur la sphère, constate que, contrairement à ce qui a lieu dans la géométrie euclidienne, deux lignes quelconques se coupent en deux points. Il souligne aussi la concavité des distances sur la sphère, et démontre (proposition 27) : Soit ABC un triangle sphérique quelconque, D et E sont les deux

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points milieu de AB et BC respectivement. Soit DE l’arc qui joint ces deux points, donc DE > AC . 2

Cette propriété démontrée par Ménélaüs est d’une importance majeure, dans sa géométrie, mais aussi dans la géométrie moderne. On y recourt en effet aujourd’hui pour définir un espace métrique de courbure positive, mais chez Ménélaüs, elle est purement sphérique. Dans la proposition euclidienne correspondante, on a une égalité au . lieu d’une inégalité : DE = AC 2 Ainsi Ménélaüs, pour caractériser les objets de sa géométrie, retient entre autres propriétés : (1) Deux lignes quelconques se coupent nécessairement ; (2) La monotonie ; (3) La concavité. À cela s’ajoute un principe général lorsqu’on passe de la géométrie euclidienne à cette nouvelle géométrie : les égalités sont remplacées par des inégalités. La nouvelle conception des objets géométriques ne pouvait s’accommoder des méthodes de démonstration à l’œuvre dans la géométrie euclidienne. Considérons d’abord le recours au principe du tiers exclu, et prenons l’exemple de la proposition 11 du premier livre de Ménélaüs : Soit ABC un triangle sphérique. Prolongeons l’arc AC jusqu’au point D. On montre :

[ = Aˆ =⇒ AB + BC = Π, BCD [ > Aˆ =⇒ AB + BC < Π, BCD [ < Aˆ =⇒ AB + BC > Π. BCD

À la fin de la démonstration de cette proposition, Ménélaüs écrit : « Parmi les propositions, les propositions convertibles sont comme

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cela » (p. 427). C’est-à-dire :

[ = Aˆ, AB + BC = Π =⇒ BCD [ > Aˆ, AB + BC < Π =⇒ BCD [ < Aˆ. AB + BC > Π =⇒ BCD Or il est possible de démontrer la converse de la même manière que la directe, du fait que, au cours de la démonstration de la proposition directe, on considère tous les cas. Mais, comme le principe du tiers exclu n’est pas admis par Ménélaüs dans les démonstrations, on a besoin de démontrer la converse. Ménélaüs obtient cette preuve en inversant les arguments de la proposition directe. Ménélaüs a souvent recours à cette onzième proposition du premier livre pour en démontrer beaucoup d’autres. On remarque qu’à chaque fois qu’il le fait, c’est pour démontrer des propositions qui sont des répliques sphériques des propositions d’Euclide, où celui-ci fait appel au parallélisme. En effet, cette proposition 11 est une adaptation sphérique de la proposition I. 16 des Éléments, qui n’est pas valable pour la sphère, et qui est la suivante : « Dans un triangle quelconque, si on prolonge les côtés, alors l’angle extérieur est plus grand que chacun des angles intérieurs opposés.» Ménélaüs rejette aussi des procédés de démonstration de la géométrie euclidienne, et notamment la démonstration par réduction à l’absurde, et procède par démonstrations directes et constructives dans la majorité des propositions. Ainsi, au début du second livre où il démontre plusieurs propositions empruntées à Théodose, après avoir modifié les énoncés, il écrit : Nous avons les lemmes dont nous avons besoin (i.e. les 61 propositions du premier livre) ; venons-en maintenant à ce que Théodose a voulu montrer, et démontrons-le donc par un discours universel, sans y admettre l’impossible. Nous montrons donc son erreur et nous rectifions ce qu’il a dégradé. (697)

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Cette critique de Théodose et de sa démonstration par réduction à l’absurde a été remarquée et retenue par les mathématiciens du x e siècle qui menaient la recherche en géométrie sphérique. Ainsi, al-Harawī écrit : Nous le voyons (Ménélaüs) critiquer Théodose dans son livre sur les sphériques (le livre de Théodose), et il considère que la voie qu’il a poursuivie est insatisfaisante, car elle comprend des difficultés et (consiste) à tracer de nombreuses lignes , et qu’il (Théodose) n’a pas tenu compte des propriétés des figures qui ont lieu dans la sphère, je veux dire les états des angles qui sont engendrés par l’intersection des cercles.

Il poursuit : Par ma vie, tout ce qui a été démontré par Théodose dans ce livre, Ménélaüs l’a démontré aisément, et il a tenu à ce que la démonstration soit par la méthode directe, sans utiliser les lignes droites [...].

Pour conclure, rappelons quelques traits de la démarche de Ménélaüs dans son entreprise de fonder cette nouvelle géométrie de la sphère, différente à la fois de celle d’Euclide et de celle de Théodose. Ménélaüs commence par une description du mode d’existence des objets de cette nouvelle géométrie. Il s’agit des propriétés intrinsèques de la surface de la sphère, des lignes des grands cercles tracées sur elle et des angles formés par l’intersection de ces lignes. Entre autres propriétés, il souligne que, sur cette surface, les lignes disjointes n’existent pas : deux lignes quelconques se coupent en deux points ; deux lignes quelconques ayant même point d’origine commencent par diverger, pour ensuite converger à partir d’un certain point, et éventuellement se coupent en un second point ; le point où elles commencent par converger est à la distance d’un quadrant du point initial. Cette propriété de divergence/convergence est essentielle pour en expliquer d’autres, telle que le fait que la somme des angles d’un triangle sphérique est supérieure à deux droits. Plus encore, la proposition euclidienne selon laquelle, étant donné un point extérieur à une droite, on peut tracer par ce point une droite disjointe de la première droite, n’est pas valable dans la géométrie de Ménélaüs, car en géométrie sphérique les lignes sont de grands cercles, et deux grands cercles à la surface de la sphère se rencontrent toujours. Pour mener cette étude, Ménélaüs admet l’axiomatique d’Euclide, à l’exception, nous l’avons dit, du cinquième postulat. Mais, contrairement à Euclide, il ne retient que la démonstration directe et constructive en bannissant toutes les autres. Ainsi, cette première géométrie non-euclidienne se présente comme composant deux styles : l’un, euclidien, l’autre, non euclidien, qui s’imposera

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beaucoup plus tard, lorsque la géométrie sphérique se dotera d’une axiomatique propre. En somme, étant donné le rejet du principe du tiers exclu et du raisonnement par réduction à l’absurde, et le recours dans la majorité des propositions à la démonstration directe et constructive, Les Figures sphériques de Ménélaüs a pu être décrit comme la première contribution mathématique rédigée dans un style intuitionniste. Cela serait tout à fait exact si Ménélaüs avait toujours dérivé ses constructions à partir des seules définitions sphériques. Or il lui arrive parfois de procéder autrement, faute de disposer de l’axiomatique propre à la nouvelle géométrie. Par exemple, pour démontrer la première proposition de son livre, qui porte sur la construction d’un angle égal à un angle donné, c’est à la géométrie solide d’Euclide qu’il a recours. La raison en est que Ménélaüs donne de l’angle une définition euclidienne : l’angle entre deux côtés d’un triangle à un sommet est un angle dièdre formé par les deux plans qui contiennent les deux côtés. Cela lui a donc imposé de commencer son livre de géométrie non euclidienne par une construction de type euclidien. C’est pour cette raison, éminemment historique, que Ménélaüs fut un mathématicien proto-intuitionniste.

AL-SIJZĪ ET MAÏMONIDE : COMMENTAIRE MATHEMATIQUE ET PHILOSOPHIQUE DE LA PROPOSITION II-14 DES CONIQUES D’APOLLONIUS Pendant bien longtemps, l’histoire de la philosophie arabe se limitait à l’histoire de la philosophie des philosophes. Deux classes de problèmes dominaient alors tous les autres : les uns, de nature philosophique, portaient, d’une manière ou d’une autre, sur l’accord entre le savoir philosophique et la connaissance révélée, entre la philosophie et la religion. Les autres, plutôt historiques, avaient notamment pour objet la survivance et les développements des doctrines et des thèmes traditionnels de la philosophie grecque, au sein de la nouvelle philosophie. Certains historiens, il est vrai, n’ont pas manqué d’être plus sensibles aux apports novateurs de cette philosophie en ontologie, en psychologie ou en logique. Mais, pour eux comme pour les autres, son histoire se concentrait sur quelques grands noms : alKindī, al-Fārābī, Ibn Sīnā, Ibn Rushd, Ibn Bājja, etc. Peu à peu cependant, pour des raisons philosophiques aussi bien que sociologiques, le champ de l’historien s’est étendu et ses horizons ont reculé : il a peu à peu intégré la philosophie des théologiens rationalistes, celle des mystiques ‘existentialistes’, et même des juristes logiciens. C’est ainsi qu’il y a un demi-siècle environ, un théologien comme al-Naẓẓām, un mystique comme Ibn ʿArabī, des juristeslogiciens comme Ibn Taymiyya ou Ibn Ḥazm de Cordoue, se sont trouvés accueillis dans la cité philosophique, et, partant, dans l’histoire. Une telle intégration commence à rectifier l’image gauchie que l’on se faisait de cette philosophie, en restituant à leur milieu intellectuel l’activité des philosophes. Mais, s’il est vrai que théologiens, mystiques et juristes-logiciens voient d’ores et déjà leur temps revenir, les savants, et plus précisément les mathématiciens, demeurent encore à l’écart de l’histoire de la philosophie. Si, en effet, on excepte quelques contributions à la philosophie naturelle, on observe que la pensée philosophique de ces savants n’a pas reçu l’attention qu’elle mérite : cette carence renvoie sans doute à la séparation de

Paru dans Archives Internationales d’Histoire des Sciences, n o 119, vol. 37 (1987), p. 263-296.

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fait qui isole les historiens des sciences des historiens de la philosophie, entretenue du reste par la nature même de cette philosophie des savants. Celle-ci, en effet, de souffle souvent très court, thématique et non systématique, d’architecture sommaire, souvent faible, ne présente, comparée aux systèmes métaphysiques des philosophes, que peu d’attraits pour l’historien de la philosophie. Les historiens des sciences arabes, pour leur part, et à quelques rares exceptions près, s’attachent aux problèmes techniques traités par les savants, et s’intéressent beaucoup moins aux thèmes philosophiques abordés ; la grande difficulté syntaxique et lexicale de la langue philosophique ne les y incite d’ailleurs guère. Or, ce parti-pris non seulement fausse la perspective sur les rapports entre la science et la philosophie à cette époque – rapports qui ne sont pas notre objet ici – mais nous prive également d’un moyen efficace de détecter les obstacles devant lesquels ont achoppé les savants. Et de fait l’apport philosophique des savants de ce temps est essentiel à la compréhension de certaines inventions scientifiques, aussi bien qu’à la saisie de l’émergence de nouvelles problématiques philosophiques. Leur contribution philosophique est donc partie intégrante et de l’histoire des sciences et de l’histoire de la philosophie. Nous entendons entreprendre dans quelques études l’histoire de la philosophie des mathématiciens, celle des savants réfléchissant sur leur pratique, et qui n’a pas souvent osé se réclamer de la philosophie. Nous nous en tiendrons ici à un premier exemple, à un thème unique, celui de l’asymptote, et à deux auteurs seulement, al-Sijzī et Maïmonide.

∗∗∗ Dans la proposition 14 du second livre des Coniques, Apollonius se propose de démontrer que les asymptotes et l’hyperbole se rapprochent indéfiniment sans se rencontrer 1. Cette proposition fait évidemment appel à la notion, redoutable, de l’infini. Tout d’abord, l’infini se présente comme objet de connaissance, dans la mesure où il s’agit d’êtres mathématiques dont l’existence implique des processus infinis : c’est en effet le propre de tout comportement asymptotique. Mais l’idée d’infini est également à l’œuvre comme moyen de la connaissance, appelée par les constructions mathématiques infinies, telles que la construction infinie de la suite des distances entre

‎1. Voici l’énoncé de cette proposition : « Les asymptotes et la section, prolongées à l’infini, se rapprochent toujours davantage les unes des autres, et elles en arrivent à un intervalle moindre que tout intervalle donné» ; voir Les Coniques d’Apollonius de Perge, trad. par Paul Ver Eecke (Paris, 1959), 130.

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la courbe et son asymptote : il faut s’assurer que l’on peut toujours réitérer la même construction. Mais, on comprendra sans peine que, ainsi entendue par Apollonius, cette notion de l’infini devait heurter mathématiciens et philosophes. Si en effet les premiers ne pouvaient rester indifférents à une difficulté apparente de la démonstration, principalement liée à l’usage d’une notion jamais clairement dégagée, les seconds, quant à eux, devaient être sensibles à un nouveau problème, qui surgit précisément à cette occasion, et dont les traces persistent au xviii e siècle encore : l’écart entre notre pouvoir de concevoir une propriété et notre capacité de l’établir rigoureusement. Pouvons-nous établir une propriété mathématique que nous sommes incapables de concevoir distinctement ? Il nous faut revenir un peu en arrière pour localiser le commencement de cette interrogation philosophique. Dans les Commentaires sur le premier livre des Éléments d’Euclide, Proclus rapporte la célèbre opinion de Geminius, relative à quelques courbes, dont l’hyperbole. L’hyperbole, écrit-il 1, est à l’égard de la ligne droite et la conchoïde en présence de la ligne droite ; car ces lignes, bien que leur distance diminue continuellement, sont toujours asymptotes, se rapprochent les unes des autres, mais jamais entièrement : fait constituant le théorème le plus paradoxal en géométrie – ὃ καὶ παραδοξότατόν ἐστιν ἐν γεωμετρίᾳ θεώρημα.

Proclus ne commente pas ces propos de Geminius, ni n’élucide ce ‘caractère paradoxal’ ; il semble néanmoins, d’après le contexte, que celui-ci renvoie au statut même de l’infini mathématique. Pour Proclus, en effet, l’infini ne s’établit que dans l’imagination, sans que celle-ci le conçoive ; car l’imagination conçoit et applique en même temps une forme et une limite à ce qui est conçu ; elle arrête l’évolution du phénomène. 2

Comment, dans ces conditions, l’entendement peut-il s’appliquer à l’infini comme objet d’une connaissance démontrable ? Or, selon Proclus, ceci est possible, si l’infini est considéré comme hypothèse et s’il est utilisé en tant que fini dans les démonstrations mathématiques ; ou, pour reprendre ses propres termes,

‎1. Procli Diadochi, In primum Euclidis Elementorum librum commentarii, éd. par G. Friedlein (Leipzig, 1873 ; reproduction Olms, 1967), 177 ; et la traduction de Ver Eecke : Proclus de Lycie, Les Commentaires sur le premier livre des Éléments d’Euclide (Paris, 1948), 144-145. ‎2. Proclus, trad. Ver Eecke, op. cit., 245-246.

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d’autre part, la connaissance raisonnée – διάνοια – d’où proviennent les raisonnements et les démonstrations, ne fait pas usage de l’infini en vue de le connaître car l’infini n’est généralement pas un comportement de la science – mais, adoptant l’infini par hypothèse, elle n’utilise que le fini dans la démonstration. 1

Comme on ne peut cependant éviter le recours à l’infini dans la démonstration de cette proposition d’Apollonius, non plus que dans les propositions analogues, il en résulte le ‘caractère paradoxal’ de ce théorème, si l’on opte pour l’analyse de Proclus. Mais cette difficulté rencontrée par Geminius, puis par Proclus, leur a survécu pour renaître plus tard ; cinq siècles après Proclus, en effet, mathématiciens et philosophes considèrent à nouveau la même proposition, pour en reprendre la rédaction et le commentaire. C’est ainsi qu’en arabe, à notre connaissance, six mémoires consacrés à cette proposition nous sont parvenus : cinq sont conservés en cette langue, et un autre dans une traduction latine de l’arabe 2 ; trois sont l’œuvre des mathématiciens du x e siècle al-Sijzī, al-Qummī et Pseudo-Ibn al-Haytham ; les deux autres ont été composés par le mathématicien du xii e siècle Sharaf al-Dīn al-Ṭūsī 3. Mais, en dépit de l’identité du titre et du sujet, ces mémoires sont animés de visées différentes, et leurs styles sont donc dissemblables. Alors qu’al-Sijzī cherche à fonder la propriété de l’asymptote à une hyperbole sur des bases solides, al-Qummī entend généraliser les résultats d’al-Sijzī, ainsi que la notion d’asymptote, a celle de deux courbes asymptotes. Pseudo-Ibn al-Haytham est, en revanche, bien plus soucieux de la consistance de la démonstration d’Apollonius, et reprend donc l’exposé de l’ensemble du problème. Al-Ṭūsī, enfin, cherche à établir l’équation d’une hyperbole équilatère par rapport à un système d’axes, lequel est précisément constitué par les asymptotes à cette hyperbole. Nous étudions ailleurs les mémoires du Pseudo-Ibn alHaytham, d’al-Qummī 4 et d’al-Ṭūsī. Ici nous nous en tenons au texte d’al-Sijzī, où se manifeste le problème précédemment évoqué.

∗∗∗

‎1. Ibid. ‎2. Voir M. Clagett, Archimedes in the Middle Ages (Philadelphia, 1980), t. IV. ‎3. Voir Sharaf al-Dīn al-Ṭūsī, Œuvres mathématiques. Algèbre et géométrie au xii e siècle, édition, traduction, commentaire par R. Rashed (Paris : Les Belles Lettres, 1986), t. I, cxxviii-cxxxi, 7-10 et 126 ; t. II, 130 sqq. ‎4. « L’asymptote : Apollonius et ses lecteurs », Bollettino di storia delle scienze matematiche, vol. XXX, fasc. 2, 2010, p. 223-254.

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Aḥmad ibn ʿAbd al-Jalīl al-Sijzī est un mathématicien célèbre de la fin du x e siècle. Connu des historiens pour ses seuls titres mathématiques, il n’était pourtant pas indifférent aux problèmes philosophiques que lui suggérait sa propre pratique. Ainsi, outre le mémoire qui nous occupe ici, al-Sijzī est l’auteur d’un authentique texte de philosophie mathématique sur Les méthodes pour déterminer les problèmes géométriques 1 ; lecteur de Proclus, il recopie des fragments de la traduction arabe des Éléments de Physique, inventoriée par les bibliographes anciens, et dont nous avons pu, grâce à lui, confirmer l’existence 2.

‎1. Cf. plus loin. ‎2. En effet, notre connaissance de l’existence d’une version arabe des Éléments de Physique de Proclus reposait jusqu’ici sur le seul rappel du titre du livre par le bibliographe du x e siècle Ibn al-Nadīm (cf. Al-Fihrist, éd. par Reḍā-Tajaddud [Téhéran, 1971], 312). On sait depuis peu que certains théorèmes figurent « dans le Stoicheiôsis Physikê qui se reflète – ou dont une partie se reflète – dans les textes du Ms Haci Mahmud», c’est-à-dire le manuscrit 5683 de cette collection d’Istanbul (cf. S. Pines, Studies in Arabic Versions of Greek Texts and in Medieval Science [Leiden : E.J. Brill, 1986], 287 sqq.) Il s’agit, selon S. Pines, des théorèmes 10, 15, 17, 18, 19 et 21 de la seconde partie du livre de Proclus. Comme on peut le lire dans son Opuscule, le témoignage d’al-Sijzī est venu corroborer l’indication du bibliographe et expliquer la présence des précédents théorèmes : il rappelle en effet le titre mentionné par celui-ci – Kitāb Ḥudūd awā ʾil al-Ṭabīʿīyāt – c’est-à-dire Éléments de Physique, et laisse de plus entendre la destination de ce livre : démontrer par la voie philosophique que toute grandeur est divisible à l’infini. Or, grâce à un texte anonyme (selon G. Endress ce texte serait de Yahyā ibn ʿAdī – +363/974 ; cf. « Yahyā ibn ʿAdī’s Critique of Atomism», in Zeitschrift für Geschichte der arabisch-islamischen Wissenschaften, 1 [1984], 155-179) qui fait partie de l’un des plus anciens manuscrits de la Bibliothèque Nationale (Paris) – un bon nombre de pages sont en effet du x e siècle – de la main d’al-Sijzī selon toute vraisemblance et fréquemment consulté depuis le milieu du siècle dernier, il est possible de montrer que le livre de Proclus a été traduit, en partie tout au moins, en arabe. Dans le manuscrit 2457 du fonds arabe se trouve un texte anonyme intitulé : Tout continu est divisible en des choses qui se divisent toujours à l’infini. Ce texte reproduit la traduction de plusieurs propositions du texte grec de Proclus, tel qu’il nous est parvenu dans la tradition manuscrite grecque (laquelle n’est pas nécessairement la même que celle dont partait la traduction arabe). Ici, nous donnons à titre de preuve la traduction française des fragments grecs traduits en arabe, pour établir définitivement l’existence de cette version arabe du livre de Proclus. Nous mettons entre parenthèses les phrases dont le traducteur a rendu le sens sans les traduire rigoureusement. Quant à ce qui n’a pas été traduit en arabe, nous l’indiquons entre *. Proclus, Eléments de Physique. Déf. I : Sont continues les choses dont les extrémités sont une. Déf. II : Sont contiguës les choses dont les extrémités sont ensemble. Déf. III : Sont successives les choses entre lesquelles il n’y a rien de même genre. § 1. Deux choses indivisibles ne se toucheront pas. Si en effet c’était possible, que les deux indivisibles AB se touchent. Mais les choses qui se touchent sont celles dont les extrémités sont ensemble. * De deux choses indivisibles il y aura donc des extrémités, donc A et B n’étaient pas indivisibles. *

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Il n’est du reste pas rare qu’au cours de ses rédactions mathématiques il relève la portée philosophique d’un résultat ou d’une démarche 1. Un tel intérêt pour les questions philosophiques n’est cependant pas l’apanage d’al-Sijzī ; il est commun aux grands mathématiciens du temps, les prédécesseurs – Ibrāhīm ibn Sinān – aussi bien que les successeurs – Ibn al-Haytham. Aussi ne suffit-il pas à expliquer qu’al-Sijzī ait voulu reprendre la célèbre proposition d’Apollonius. Deux autres raisons se dégagent et s’imposent au cours de l’examen du texte de l’auteur. Aux yeux d’al-Sijzī, cette proposition recouvre une problématique, qu’il évoque dans le langage quelque peu infléchi de la philosophie aristotélicienne arabe. Al-Sijzī semble en effet admettre, à la suite des aristotéliciens arabes 2, que le savoir mathématique, comme tout savoir, peut être caractérisé par le couple § 2. Deux choses indivisibles ne formeront rien de continu. Si en effet c’était possible (soit A et B deux choses indivisibles, et soit à partir des deux une chose continue). Or toutes les choses continues sont d’abord contiguës, ainsi A et B sont contiguës, tout en étant indivisibles ; ce qui est impossible. * Autrement : ... * § 3. (Ce qui est au milieu de deux choses indivisibles, dans un continu, est continu.) Soit en effet AB deux choses indivisibles. Je dis que l’intermédiaire entre A et B est continu. * Si en effet il n’en est pas ainsi *, l’indivisible A est contigu à l’indivisible B, * ce qui est impossible * ; donc l’intermédiaire entre eux est continu. § 4. Deux choses indivisibles ne sont pas successives l’une à l’autre. Soient en effet AB deux choses indivisibles, je dis que A ne sera pas successif à B. Puisqu’en effet il a été montré que l’intermédiaire entre deux choses indivisibles est continu, soit maintenant leur intermédiaire CD et qu’il soit divisé selon E ; alors E est indivisible, * étant intermédiaire entre A et B *. Or sont successives des choses entre lesquelles il n’y a rien du même genre ; donc A et B ne sont pas successifs. § 5. Tout continu est divisible en parties toujours divisibles. Soit en effet AB continu, je dis que AB se divise en parties toujours divisibles. En effet, qu’on le divise en AE et EB. Celles-ci sont maintenant ou bien indivisibles, ou bien toujours divisibles. Si donc d’une part elles sont indivisibles, alors il y aura un continu à partir de choses indivisibles, * ce qui est impossible * ; si d’autre part elles sont divisibles, *qu’on les divise de nouveau en parties, et celles-ci à leur tour. Si d’une part elles sont indivisibles, les parties indivisibles seront continues les unes aux autres ; si d’autre part elles sont divisibles, qu’on les divise elles aussi, et ceci à l’infini. Donc tout continu est divisible en choses toujours divisibles *. ‎1. Voir par exemple son opuscule, Solution d’un problème du livre de Yūḥanna ibn Yūsuf : la division en deux moitiés d’une droite, et l’explication du livre de Yūḥanna à ce propos, Ms BN 2417, ff. 52 v-53 v. ‎2. On peut citer notamment le célèbre philosophe al-Fārābī, prédécesseur d’alSijzī. Voici ce qu’il écrit dans De la démonstration : «Le nom de la science, comme nous l’avons dit précédemment, est donné en général à deux notions, l’une le jugement et l’autre la conception», f. 1 v. Al-Fārābī développe cette doctrine dans ce livre. Ce manuscrit nous a été communiqué par M.A. Hasnaoui. On peut également évoquer les philosophes plus tardifs, comme Avicenne ; cf. Al-Shifāʾ, La Logique, vol. V, éd. par A.E. Affifī (Le Caire, 1952), 51 sqq. Dans sa Réponse aux logiciens, Ibn Taymiyya ré-

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‘conception-taṣawwur/jugement-taṣdīq ; en mathématiques, ce couple est restreint au couple ‘conception / démonstration’, le jugement n’étant qu’un syllogisme démonstratif. À la suite des aristotéliciens encore, al-Sijzī ne reconnaît pour ‘conception’ que celle de l’essence, révélée dans une intuition rationnelle, ou exprimée dans une définition 1. On peut à son propos, comme pour tous, paraphraser le fameux texte des Analytiques Seconds : la conception « montre ce qu’une chose est et la démonstration montre qu’une chose est ou n’est pas attribuée à telle autre » 2. Suivant cette terminologie, la proposition d’Apollonius soulève le problème des affirmations qui sont démontrables tout en étant inconcevables, ou, tout au moins, difficilement concevables. D’autre part, nous le savons, pour établir rigoureusement la proposition d’Apollonius, il faut disposer de concepts et de techniques qu’al-Sijzī mathématicien ne possédait pas encore ; il s’agit des concepts et des moyens de l’analyse. Mais, dans ce cas, l’élucidation philosophique permet au mathématicien de se frayer un sentier en attendant le tracé des chemins mathématiques futurs. Si donc la difficulté mathématique suscite une thématique philosophique, l’explication philosophique s’offre à son tour comme un moyen à la réflexion du mathématicien. Telles sont les deux tâches, mêlées, qui caractérisent complètement la démarche d’al-Sijzī. En premier lieu, il est conduit à une comparaison entre conception et démonstration, destinée à l’établissement d’une typologie des propositions mathématiques, qui lui permettra de cerner ainsi le type exact de la proposition d’Apollonius. Il commence par reconnaître, à la suite des aristotéliciens arabes, deux types extrêmes, dont la confrontation manifeste qu’il ne peut y avoir une conception de tout ce dont il y a démonstration : c’est le cas, précisément, de la proposition d’Apollonius. On peut, d’autre part, saisir l’essence de l’objet d’une proposition, le concevoir, sans recourir à une démonstration : les affirmations vraies et premières en sont autant d’exemples. Entre ces deux types extrêmes se trouvent les autres, intermédiaires ; al-Sijzī dégage alors cette classification des propositions mathématiques : 1. Les propositions concevables directement à partir des principes philosophiques. 2. Les propositions concevables avant qu’il ne soit procédé à leur démonstration. sume d’une manière pertinente cette doctrine des philosophes ; cf. Kitāb al-Radd ʿalā al-manṭiqīyyin (Bombay, 1949), 4 sqq. ‎1. Cf. par exemple al-Fārābī, op. cit. ‎2. Analytiques Seconds, II, 3, 91 a.

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IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

3. Les propositions concevables lorsque l’on forme l’idée de leur démonstration. 4. Les propositions concevables seulement une fois démontrées. 5. Les propositions difficilement concevables, même une fois démontrées. Pour mieux discerner l’ordre sous-jacent selon lequel se succèdent ces cinq types, et ainsi mieux comprendre le principe qui régit la classification d’al-Sijzī, il nous faut examiner les exemples qu’il expose comme illustration de chacun des cas. Ainsi, la proposition : « les choses continues se divisent à l’infini » représente le premier type 1. C’est à l’évidence un emprunt direct, ou par l’intermédiaire de Proclus, à la Physique III 207 b 16, lorsqu’Aristote écrit : « διαιρεῖται μὲν γὰρ εἰς ἄπειρα τὸ συνεχές, « car le continu est divisé à l’infini ». Al-Sijzī conseille à qui veut saisir ce concept de divisibilité à l’infini de tout continu, d’emprunter la voie philosophique, laquelle peut ainsi s’esquisser : à partir de la définition de la contiguïté et de la continuité, on commence par montrer que deux choses indivisibles ne sont pas contiguës, pour ensuite montrer que deux choses indivisibles ne peuvent former une chose continue, et en déduire enfin la proposition évoquée. C’est à l’argumentation de Proclus que se réfère al-Sijzī 2. On peut donc se demander pourquoi al-Sijzī, qui connaissait mieux que quiconque les Éléments d’Euclide, et par conséquent la première proposition du dixième livre, préfère, au lieu de s’y référer, opter pour la voie philosophique, alors que pourtant par ‘chose’ il ne désigne rien d’autre que la notion euclidienne de grandeur. Son choix, pourtant, est délibéré, dicté par le but qu’il poursuit : il s’agit en effet de saisir, à l’aide d’une élucidation philosophique, le concept de divisibilité à l’infini de toute grandeur, et de justifier sa vérité. Cette tâche une fois achevée, l’affirmation devient désormais une vérité première en mathématique, susceptible par conséquent d’engager un raisonnement déductif. Ainsi al-Sijzī déduit-il lui-même immédiatement la divisibilité à l’infini de la ligne, qui est une chose continue. Sa démarche semble donc guidée par l’idée que seule une étude philosophique préalable permet de concevoir et de justifier les affirmations vraies et premières en mathématiques. Le second type de propositions comprend les propositions mathématiques immédiatement concevables, et ceci avant toute démonstration. Il ne s’agit pourtant plus cette fois des axiomes, mais

‎1. Voir le texte d’al-Sijzī, plus loin. ‎2. Proclus, Éléments de Physique, cit.

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des affirmations qui en dépendent directement. Cette consécution est d’ailleurs si immédiate qu’elle permet de les considérer comme des axiomes, tout au moins à nous qui les reprenons dans une nouvelle rédaction. Al-Sijzī en donne trois exemples ; le premier n’est autre que la proposition III-10 des Éléments – deux cercles se coupent en deux points seulement – dont l’affirmation d’évidence est héritée de la tradition. L’intersection de deux cercles est en effet déjà considérée dans 1-1 des Éléments, où Euclide admet comme évidente l’existence des points d’intersection. Mais les commentateurs n’ont pas manqué de dénoncer la faiblesse de cette perspective, et déjà à la fin du x e siècle Ibn al-Haytham écrivait que « Euclide a dit que deux cercles se coupent en un point, mais il n’a pas montré qu’ils se coupent ; il a admis cette propriété sans la démontrer » 1. Plus récemment, Thomas Heath fait une observation analogue, lorsqu’il écrit à propos de l’existence de cette intersection que « Euclid seems to assume it as obvious, although it is not so ...» 2, alors qu’elle exige en fait l’introduction d’un axiome de continuité 3. Tout indique donc qu’al-Sijzī a supposé, à la suite d’Euclide, que l’existence des points d’intersection était évidente, et a alors considéré cette proposition comme quasi-primitive. Et de fait si l’on admettait l’existence des points d’intersection, il ne resterait plus qu’à démontrer, par un raisonnement par l’absurde – à l’exemple d’Euclide – que ces points ne peuvent être plus de deux. Le second exemple d’al-Sijzī est encore plus criant : il s’agit d’une inégalité triangulaire, énoncée et démontrée par Euclide dans 1-20 des Éléments : deux côtés d’un triangle quelconque, de quelque manière qu’ils soient considérés, sont plus grands que le côté restant. Il faut dire qu’il s’agit là du théorème que les Epicuriens ont ridiculisé « en disant qu’il est évident même pour un âne, et qu’il n’exige aucune démonstration» 4. Et les Epicuriens, comme le rappelle Proclus, « prouvent d’ailleurs que ce théorème est tout aussi bien connu par l’âne, parce que, si l’on dispose du fourrage à l’autre extrémité des côtés, l’âne avide de nourriture parcourt un seul côté du triangle, mais non les deux» 5.

‎1. Ibn al-Haytham, De la solution des doutes du livre d’Euclide sur les Éléments et l’explication de ses notions – fī ḥall Shukūk kitāb Uqlīdis fī al-Uṣūl wa sharḥ mā ʿānīh, Bibliothèque de l’Université d’Istanbul, Ms. 800. ‎2. Euclid’s Elements, translated with introduction and commentary by Sir Thomas L. Heath, vol. I (Dover ed., 1956), 235. ‎3. Op. cit., 235-236. ‎4. Proclus, Les Commentaires ..., cit., 275. ‎5. Op. cit.

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IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

Proclus lui-même, dans sa défense d’Euclide, n’a pas nié ce caractère d’évidence ; il a simplement tenté d’en spécifier la nature, lorsqu’il écrit : « il y a lieu de riposter à cela que ce théorème est évident pour les sens, mais ne l’est pas encore d’après le raisonnement scientifique» 1. Le dernier exemple du second type est le suivant : si on augmente la base d’un triangle isocèle, on augmente l’angle sous-tendu par la base. Cette proposition peut être considérée comme un corollaire de 1-25 des Éléments, laquelle est déduite « d’une manière purement logique » 2 de la proposition 1-4. Et c’est précisément à propos de cette dernière que B. Russell écrit «indeed Euclid’s proof is so bad that he would have done better to assume this proposition as an axiom » 3 ; ce que Hilbert n’a pas manqué de faire 4. Le troisième type de propositions comprend celles qui sont concevables seulement quand on entreprend de les démontrer, c’està-dire lorsqu’on en forme l’idée pour engager la réalisation de leur démonstration. Notre connaissance du concept semble donc, d’après al-Sijzī, prendre naissance dans celle de la démonstration. Mais les propositions de ce type, même les plus simples, sont toutefois déjà moins primitives que les précédentes, n’étant pas directement déductibles à partir des axiomes : des constructions géométriques intermédiaires et plusieurs lemmes les en séparent. Comme premier exemple, al-Sijzī prend deux parallélogrammes de même aire, et affirme que si la longueur de l’un excède la longueur de l’autre, alors sa largeur sera plus petite que celle de l’autre ; il est clair que cette proposition fait appel au concept d’égalité des figures, de même aire sans être de même forme. Or ce concept ne se trouve pas défini dans les Éléments – qui sont la référence d’al-Sijzī – mais devait être déduit. Si d’autre part nous considérons, comme, semble-t-il, al-Sijzī, deux parallélogrammes de même aire et également équiangles, alors sa proposition peut être déduite de la proposition VI-14 des Éléments, où Euclide montre que pour deux parallélogrammes ainsi conçus, les côtés qui entourent deux angles égaux sont réciproquement proportionnels. Mais quatre lemmes étaient déjà nécessaires à Euclide pour démontrer la proposition VI-14 elle-même. Le second exemple n’est qu’une généralisation du précédent, pour deux parallélépipèdes de même volume. Al-Sijzī suggère que ces deux solides soient représentés à l’aide de deux morceaux de cire de

‎1. ‎2. ‎3. ‎4.

Op. cit. Euclid’s Elements, cit., 300. B. Russell, Principles of Mathematics (2nd ed., London, 1937), 405. Euclid’s Elements, cit., 249.

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même quantité. Mais, même si ce modèle suggère une représentation de la propriété énoncée, il n’en donne pas une vraie conception : il faut au préalable définir le concept de volumes égaux, et entreprendre la démonstration à l’aide de XI-34 des Éléments, laquelle exige plusieurs lemmes. Le quatrième type comprend les propositions concevables une fois démontrées seulement. À la différence des propositions du précédent type, celles-ci ne sont pas directement déductibles des axiomes, mais ne doivent plus rien à notre intuition des propriétés représentées par les figures. La figure tracée, non plus que le modèle construit – les deux solides en cire, par exemple – ne font plus fonction de support à notre conception de la propriété énoncée. Bien plus, cette dernière est l’effet d’une autre, plus profonde, et requiert par conséquent que soit achevée l’‘analyse’ avant que puisse être saisi le concept de son objet. Al-Sijzī prend pour exemple la proposition I-32 des Éléments : dans tout triangle, la somme des trois angles est égale à deux droits. On sait que cette propriété d’avoir les angles égaux à deux droits participe du concept même du triangle ; ou, selon ce qu’on peut lire dans les Analytiques Seconds, ce qui donc ... est démontré avoir ses angles égaux à deux droits ... c’est ce à quoi, pris comme sujet premier, l’attribut appartient universellement, et la démonstration au sens propre consiste à prouver qu’il appartient universellement à ce sujet. 1

Commentant ce passage, Proclus note que ce fait « appartient au triangle en particulier et de soi, c’est pourquoi Aristote se rapporte à cet exemple vulgaire lorsqu’il considère ce qui est de soi dans ces traités démonstratifs » 2. Mais ce même fait trouve une raison plus profonde dans le célèbre cinquième postulat. Pour les quatre premiers types, les exemples d’al-Sijzī s’ordonnent donc selon le caractère de moins en moins primitif des propositions ; et ce caractère ne traduit pas seulement le degré de dépendance logique à l’égard des axiomes ; il exprime également un élément apriorique de l’évidence des notions correspondant à notre pouvoir d’intuition des propriétés à partir des figures. Aussi le mathématicien croit-il en la possibilité d’améliorer notre conception, par la déduction d’une propriété difficile à concevoir à partir d’une autre qui l’est moins. Telle sera précisément la démarche d’al-Sijzī à propos du cinquième type.

‎1. Analytiques Seconds, I, 4, 74 a. ‎2. Proclus, Les Commentaires ..., cit., 329 ; cf. Friedlein, 384.

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IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

Comme exemple de ces propositions, celles que l’on peut difficilement concevoir même lorsqu’on les a démontrées, al-Sijzī retrouve naturellement la proposition 11-14 des Coniques, celle-là même qui a suscité sa propre interrogation et à laquelle le mémoire est en fait consacré. Mais, cette fois, à la différence des cas précédents, le mathématicien ne se satisfait plus d’une simple illustration par un exemple du type considéré ; il entend bien élucider le concept opaque d’asymptote, afin de mieux concevoir la propriété énoncée et démontrée par Apollonius ; un tel projet revient en fait à rechercher des moyens plus appropriés pour pouvoir parler de l’infini. Mais, plus précisément encore, le mathématicien découvre au cours ce son travail qu’il lui faudra étudier les ‘limites’ finies de suites infinies, ainsi que recourir à des suites qui tendent vers l’infini. C’est en effet inévitable s’il veut décrire le comportement asymptotique ici considéré : ce comportement est conçu depuis l’antiquité d’une manière un peu différente de la nôtre, dans la mesure où l’asymptote est représentée comme limite qu’on ne peut franchir, mais que la courbe approche aussi près que l’on veut. Qu’al-Sijzī ne parle pas ce langage de limites et de convergence, concepts du reste étrangers à cette mathématique, est un fait connu de tous ; mais que ces idées soient enfouies dans le langage géométrique, le texte que nous traduisons ici-même en est plus que le témoin ; c’en est la preuve. Dans notre analyse, nous utiliserons donc délibérément ce langage inconnu d’al-Sijzī et ces moyens conceptuels qui ne sont pas les siens, pour mieux dévoiler ses intentions et localiser les difficultés auxquelles il a pu se heurter. Contrairement à ses devanciers et à ses contemporains, al-Sijzī commence par justifier la propriété énoncée dans 11-14, en la fondant sur une propriété plus primitive qu’elle. La traduction mathématique d’un tel projet le conduit d’abord à tenter de construire par points l’hyperbole, ou une branche de celle-ci. Mais il ne tarde alors pas à être confronté au problème du passage du discret au continu. Reprenons donc le noyau du mémoire, le lemme et le théorème. Soient OX et OY deux droites données, H un point – qui varie – du plan, tel que l’aire du parallélogramme OMHN soit égale à une constante a ′ . Posons x = ON, y = OM, alors on peut écrire

xy =

a′

sin α

=a

Lemme. – Si y [resp. x] tend vers l’infini, alors x [resp. y] tend vers 0.

(1)

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Si H varie dans le plan de telle manière que la condition (1) reste vérifiée, alors H décrit une branche de l’hyperbole dont les asymptotes sont les droites OX et OY. Al-Sijzī applique ce lemme à la démonstration du théorème. Théorème. – Lorsque M s’éloigne indéfiniment sur OY, alors MH tend vers 0 sans que le point H atteigne l’asymptote OY. L’examen des énoncés précédents, ainsi que des démonstrations d’al-Sijzī, permet de dégager les points suivants : 1. Pour établir le passage du discret au continu, al-Sijzī considère une suite quelconque (Hn ) des points H, telle que la suite (yn ) qui lui correspond tende vers l’infini. Ainsi, si on pose x = ay = f(y), la démarche d’al-Sijzī revient à démontrer que limn→∞ f(yn ) = 0. Tout se passe comme si le mathématicien connaissait intuitivement la propriété exprimée par le théorème : soit f : R → R, alors f tend vers l quand y tend vers l’infini, si et seulement si, pour toute suite (yn ) tendant vers l’infini, la suite f(yn ) tend vers l. 2. Cette traduction du problème met en relief les obstacles rencontrés, qui rendent difficilement concevable une propriété cependant bien démontrée. Al-Sijzī sait maintenant que la ‘limite’ d’une suite, lorsqu’elle existe, n’est pas nécessairement atteinte. Ainsi, lorsqu’il démontre que Mn Hn = xn tend vers 0, il démontre également que Hn n’atteint jamais l’asymptote OY ; c’est-à-dire qu’aucun terme xn de la suite n’est égal à zéro, et donc à la limite de la suite. Or c’est là précisément que réside la première raison qui rend le résultat difficile à concevoir au mathématicien du x e siècle.

Mais une seconde difficulté, plus redoutable, est liée à ce que nous pouvons appeler la ‘discontinuité de l’aire’. Soit en effet l’aire (OMn Hn Nn ) = An . Il est évident que An = a ′ . Or xn = Mn Hn tend vers 0 quand n tend vers l’infini ; ce qui implique que le parallélogramme en tant que surface tend – en un certain sens – vers l’asymptote OY. Or, d’après al-Sijzī, l’aire d’une droite est nulle. Il affirme également au cours de sa démonstration que l’on ne peut former une surface –

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IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

d’aire non nulle nécessairement – en utilisant des segments. Rappelons qu’il s’agit pour lui d’un ensemble fini, ou au plus dénombrable, de segments. Il s’ensuit également que

lim aire(OMn Hn Nn ) = a ′ ̸= 0 = aire( lim OMn Hn Nn ) ;

n→∞

n→∞

d’où résulte une difficulté qui, pour al-Sijzī, ne saurait être qu’intrinsèque et essentielle : comment concevoir une propriété pourtant correctement démontrée ? Il est clair que les raisons d’une telle difficulté ne tiennent pas, pour al-Sijzī, à la capacité subjective de représenter l’objet mathématique, mais bien à la méthode de sa construction. Le mathématicien doit commencer par mettre en lumière cette méthode cachée, pour pouvoir parler de l’infini, dans les deux sens précédents au moins, ainsi que pour décrire cette catégorie de comportement asymptotique ; et la fonction du lemme est précisément de mettre à nu cette méthode de construction. On comprend dès lors pourquoi al-Sijzī, contre toute évidence textuelle ou historique, a jugé qu’Apollonius devait connaître ce lemme avant d’énoncer ce théorème. Mais al-Sijzī ne s’arrête ni au lemme, ni au théorème ; il poursuit sa tache de mathématicien en considérant un cas plus général : deux courbes asymptotiques. Quelle que soit l’importance des résultats mathématiques, et surtout de la voie qui a mené à leur découverte, ils ne doivent pas nous dissimuler la modification du statut philosophique du théorème d’Apollonius, et de la problématique qu’il a pu susciter. Et de fait à aucun moment al-Sijzī ne reconnaît à ce théorème ce ‘caractère paradoxal’ que soulignait Geminius, et, après lui, Proclus. Il n’est plus question de scandale ou d’émerveillement, mais d’une simple illustration d’un type de rapport entre le concevable, au sens de l’intelligible, et le démontrable. Al-Sijzī entreprend donc une recherche logique destinée à élaborer la typologie et la classification des propositions précédemment analysées ; entre celles-ci, il est vrai, il voit un clivage qui, pour être compris, semble renvoyer à la distinction entre deux facultés de l’âme. Mais le mathématicien est si bref que son exposé ne nous permet pas de décrire en détail la nature de ce rapport ; nous devons cependant l’identifier. Rappelons encore que, pour al-Sijzī, ‘concevoir’ est un acte discursif qui nous permet d’appréhender le concept : c’est donc un acte de l’entendement. Mais d’autre part, nous l’avons noté, le premier type de propositions ne comprend en fait que les axiomes sur lesquels va s’édifier la connaissance mathématique. Leur conception se fait alors, dit al-Sijzī, « à partir des principes philosophiques », donc à partir des principes eux-mêmes saisis par l’intuition intellectuelle ; les principes philosophiques se comportent à l’égard des axiomes

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mathématiques comme l’intuition intellectuelle à l’égard des principes. En revanche, pour les quatre autres types, la conception est un acte de l’entendement et semble croître en difficulté à mesure que diminue le pouvoir qu’a ce dernier de percevoir intuitivement les propriétés représentées par les figures. Ainsi lorsque nous percevons intuitivement que la somme des angles d’un triangle est égale à deux droits, c’est beaucoup moins à partir de la représentation d’un triangle, que quand nous voyons la somme des longueurs de deux côtés quelconques plus grande que la longueur du troisième. Si la conception, pour le premier type, dépend d’une intuition intellectuelle pure, il apparaît donc que, pour les quatre autres, elle s’opère au moyen d’une intuition intellectuelle, mais à partir des représentations des figures géométriques. Il eût été surprenant qu’une telle problématique échappât aux contemporains d’al-Sijzī, et à ses successeurs. Nous avons déjà observé que les mathématiciens, quant à eux, n’ont pas relâché leur intérêt pour le théorème d’Apollonius. Nous connaissons moins sûrement l’apport des philosophes, et il nous faut attendre les résultats de recherches futures. Il n’en demeure pas moins que la présence de ce problème, ainsi que du théorème d’Apollonius, sous la plume du philosophe du xii e siècle Maïmonide, suggère qu’ils faisaient partie du bagage commun des philosophes, ou tout au moins du savoir de ceux qui étaient informés des travaux mathématiques 1. Mais le témoignage de Maïmonide nous intéresse ici à double titre : d’une part il confirme la survivance de la problématique d’alSijzī ; il nous permet d’autre part de mesurer les modifications que celle-ci a pu subir une fois reprise par les philosophes. Dans sa critique des théologiens rationalistes, Maïmonide leur attribue une thèse selon laquelle tout ce qui est concevable par l’imagination est admis comme possible par l’intellect. À leur encontre, Maïmonide veut démontrer qu’il peut y avoir des choses impossibles, mais qui pourtant sont nécessaires d’après l’imagination, comme par exemple

‎1. Cet intérêt pour les mathématiques n’était pas l’apanage des philosophes aristotéliciens d’Orient, comme al-Kindī, al-Fārābī et Avicenne ; il était également partagé par ceux d’Occident, qui ont directement influencé Maïmonide, comme Ibn Bājja ou Avempace (mort en 1138-39, trois ans après la naissance de Maïmonide). Ainsi, la lecture des travaux d’Ibn Bājja, et notamment de ses résumés des travaux du mathématicien Ibn Sayyed, prouve sa connaissance des mathématiques de son temps, aussi bien que des Coniques d’Apollonius (cf. Sharaf al-Dīn al-Ṭūsī, Œuvres mathématiques, cit., t. I, notes, p. 129). Maïmonide était lui aussi un lecteur des Coniques d’Apollonius, ainsi qu’en témoignent les notes qu’il a rédigées sur certaines propositions de cet ouvrage. Voir Ḥawāshī baʿd Ashkāl Kitāb al-Makhrūṭāt (Gloses sur quelques propositions des Coniques), Ms. Manisa, Genel 1706/6, ff. 26 v-33 v.

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IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

que « Dieu soit un corps ou une puissance car (tant que) rien n’existe pour l’imagination qui ne soit un corps ou une puissance des corps » 1. C’est donc à l’occasion de cette critique que Maïmonide reprend la problématique d’al-Sijzī, dans laquelle il introduit une modification capitale lorsqu’il remplace ‘conception’ par ‘imagination’. Voici sa formulation du problème : Sache qu’il y a certaines choses que l’homme, lorsqu’il les considère par son imagination, ne peut nullement se figurer, et qu’au contraire il trouve aussi impossibles par l’imagination que le serait la réunion des choses contraires ; et cependant, cette chose qu’il est impossible de s’imaginer, on peut établir par la démonstration qu’elle existe et en faire sortir la réalité. 2

Tout comme al-Sijzī, Maïmonide donne comme exemple le théorème d’Apollonius : de même il a été démontré, dans le deuxième livre des Coniques, que deux lignes sont prolongées telles qu’elles aient entre elles au commencement de leur prolongement une certaine distance qui diminue à mesure qu’elles s’éloignent, et l’une se rapproche de l’autre sans qu’elles puissent jamais se rencontrer, quand même on les prolongerait à l’infini, quoique cependant elles se rapprochent à mesure qu’elles s’éloignent. Ceci ne peut pas être imaginé, et ne peut tomber en aucune manière dans le filet de l’imagination. Ces deux lignes sont l’une droite, l’autre courbe, ainsi qu’il y est exposé. Il est donc démontré l’existence de ce qu’on ne peut s’imaginer, et qui ne saurait être saisi par l’imagination, mais lui paraît impossible. 3

Il est donc clair que, à cette substitution près, c’est bel et bien la thèse d’al-Sijzī. Encore faut-il relever que Maïmonide ne reprend pas la classification des propositions mathématiques exposée par son prédécesseur. Pour reprendre cela, revenons, rapidement tout au moins, à ce que Maïmonide entendait par ‘imagination’, ‫لايخلا‬. Dans le Guide des Égarés 4, le sens de ce terme se révèle dans son opposition à l’‘intellect’, ‫لقعلا‬. Selon Maïmonide, l’‘imagination’ ne distingue pas l’homme des animaux ; elle est commune à la plupart des animaux. Bien plus, l’action de l’imagination s’oppose à celle ‎1. Dilālat al-Ḥāʾirīn (Le Guide des Égarés), éd. par Hüseyin Atay, publication de l’Université d’Ankara, n o 93 (Ankara, 1974), 215. Voir également la traduction française de S. Munk (Paris, 1856), 407-410, et la traduction anglaise de M. Friedländer, 2 e édition, 1904 (Dover, 1956), 130-131. ‎2. Op. cit., 214. ‎3. Op. cit., 215. ‎4. Op. cit., 213-214.

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de l’intellect ; alors, en effet, que l’intellect « appréhende les composés, distingue leurs parties, les abstrait et les conçoit selon leur réalité et selon leurs causes », qu’il «distingue la notion générale de la notion particulière», rendant ainsi possible la démonstration, et qu’il « distingue l’attribut d’avec l’attribut accidentel » ; l’imagination n’est, quant à elle, capable d’assumer aucune de ces fonctions. Elle ne « perçoit que l’individuel composé dans son ensemble, tel que le percevraient les sens, ou bien compose les choses qui sont séparées dans la réalité, et compose les unes avec les autres ». L’imagination, poursuit Maïmonide, « ne peut, dans sa perception, se débarrasser en aucune façon de la matière, même quand elle abstrait à l’extrême une forme quelconque ... » 1. À l’évidence, Maïmonide ne fait que reprendre la doctrine des Aristotéliciens arabes, laquelle trouve son origine directe dans le troisième livre du Traité de l’âme (cf. chapitres 10 et 11). Or, le point saillant de cette doctrine, exprimé par Averroès par exemple 2, est précisément l’existence de deux conceptions : une « conception imaginative» ‫ روصت ّيلايخ‬d’après laquelle « les choses imaginées sont conçues en tant qu’individuelles et matérielles», et une « conception discursive» ‫روصت ّيقطن‬, ou «une conception intellectuelle» ‫ « روصت ّيلقع‬qui est une abstraction de toute matière de la notion générale». Il n’est pas nécessaire de s’étendre davantage pour constater que non seulement le problème d’al-Sijzī lui a survécu, mais qu’il s’est trouvé transformé aux mains des philosophes. C’est ainsi en effet que l’opposition entre la conception et la démonstration cède la place au couple imagination-démonstration, lequel, notons-le, est fondé en psychologie ; or la primauté délibérée de l’étude psychologique a détourné l’attention de la recherche logique d’al-Sijzī. Maïmonide ne retient, en fait, que le dernier des cinq types, ou simplement les choses qu’on ne peut pas imaginer mais dont l’existence est établie par la démonstration. On ne sera donc pas surpris, à l’examen des exemples choisis, qu’il s’agisse toujours de «choses infinies ». Si donc, remanié par les philosophes, le problème a gagné en épaisseur métaphysique, c’est aux dépens de cette richesse logique qui avait attiré le mathématicien. Mais il survivra aux mathématiciens et aux philosophes de ce temps, comme en témoignent plusieurs travaux en hébreu ou en latin, à partir de la fin du xiv e siècle, sous l’influence souvent combinée de la version latine du texte arabe anonyme et de l’une ou l’autre version (hébraïque ou latine)

‎1. Op. cit., 214. ‎2. Averroès, Kitāb al-nafs (Livre de l’âme) (Hayderabad, 1947), 55-56.

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du Guide des Egarés 1. Il a également survécu à tous ces commentateurs, comme le prouve l’évocation de Montaigne 2 ou de Voltaire 3, par exemple. Bien plus, on sait que, une fois enrichie et affinée, cette problématique constituera un thème privilégié de la philosophie classique.

‎1. Sur l’influence de De duabus lineis et du Guide des Égarés, particulièrement Livre I, ch. 73, voir M. Clagett, op. cit., 335 sqq. ‎2. Voici ce qu’il écrit (Les essais, Livre II, ch. 12) : «...en la Geometrie (qui pense avoir gagné le haut point de certitude parmy les sciences) il se trouve des démonstrations inévitables subvertissans la vérité de l’expérience : comme Jacques Peletier me disoit chez moy qu’il avait trouvé deux lignes s’acheminant l’une vers l’autre pour se joindre, qu’il vérifiait toutefois ne pouvoir jamais, jusqu’à l’infinité, arriver à se toucher». ‎3. Voir Dialogues philosophiques, VII, 1: « ...N’êtes-vous pas forcé d’admettre les asymptotes en géométrie, sans comprendre comment ces lignes peuvent s’approcher toujours, et ne se toucher jamais ? N’y a-t-il pas des choses aussi incompréhensibles que démontrées dans les propriétés du cercle ? Concevez donc qu’on doit admettre l’incompréhensible, quand l’existence de cet incompréhensible est prouvée ».



Au Nom de Dieu Clément et Miséricordieux.

Opuscule d’Aḥmad b. Muḥammad b. Abd al-Jalīl al-Sijzī sur : comment concevoir les deux lignes qui se rapprochent et qui ne se recontrent pas, si on les prolonge toujours à l’infini, qui ont été mentionnées par l’éminent Apollonius dans son deuxième livre de son ouvrage des Coniques. 1 Aḥmad b. Muḥammad b. ʿAbd al-Jalīl al-Sijzī a dit : j’ai médité la question des deux lignes dont l’une est une droite, et l’autre le pourtour de l’hyperbole ; qu’elles se rapprochent toujours si on les prolonge à l’infini, sans que l’un rencontre l’autre. Ceci est loin de la conception et de la pensée ; et si c’est décrit devant l’un des hommes de science qui pénètrent les subtilités des questions, cela le rend perplexe, et sa raison n’accepterait pas cela, même s’il est philosophe, sans qu’il soit instruit par la preuve géométrique produite par Apollonius. Moi aussi j’étais perplexe au sujet de leur conception, si ce n’est que la vérité de leur démonstration réfute l’erreur et dissipe le trouble de l’âme en la connaissance de cela. Mais, puisque certaines propositions, et leurs principes, sont faciles à concevoir sans qu’on s’arrête à leur démonstration ; que pour d’autres propositions la conception ne se forme que si l’on s’arrête à leur démonstration ; que d’autres sont difficiles à concevoir même si elles sont démontrées ; que pour d’autres la conception ne se forme pas, même si la démonstration les contrôle et les vérifie, comme cette proposition ; et que d’autres sont prêtes à être saisies et conçues par la voie des principes philosophiques, comme par exemple : les choses continues se divisent en des choses, toujours à l’infini ; nous avons alors besoin

‎1. Le texte d’al-Sijzī – jamais établi auparavant – nous est parvenu retranscrit dans quatre manuscrits. Ce seul et même texte a été curieusement signalé par un bibliographe contemporain comme trois œuvres distinctes du mathématicien. Il s’agit des quatre manuscrits suivants 1. Leiden, Or. 14/6 noté ‫ل‬. 2. Columbia University, Or. 45/12 noté ‫ك‬. 3. Astan Quds – Meshed, 5521/3 noté ‫م‬. 4. Reçit – Sulayymanya, 1191/7 noté ‫ا‬. Nous avons montré (L’œuvre algébrique d’al-Khayyām [Alep, 1981], Introduction arabe, p. 21) que le premier manuscrit n’est qu’une copie du xvii e siècle du second. Il ne nous restait donc pour l’établissement du texte que trois manuscrits : 2, 3, 4. Chacun de ces manuscrits comporte ses lacunes propres, ce qui suggère qu’ils émanent de trois traditions manuscrites différentes. On comprendra que ce n’est pas ici le lieu de reprendre la description de ces manuscrits.

‫‪1‬‬

‫و‪-١١-‬م‬ ‫‪-٢٣١‬ك‬

‫لوق دمحأ نب دمحم ‪ 2‬نب دبع ليلجلا يزجسلا ‪ 3‬يف ةيفيك روصت نيطخلا نيذللا‬

‫و‪١-٧٣-‬‬

‫نابرقي الو نايقتلي امهجارخإب اًمئاد ىلإ ام ال ةياهن ‪ ،4‬نيذللا امهركذ سوينولبأ‬ ‫‪ 6‬تاطورخملا ‪7‬‬ ‫لضافلا يف ةلاقملا ةيناثلا نم باتك‬

‫‪5‬‬

‫لاق دمحأ نب دمحم ‪ 8‬نب دبع ليلجلا يزجسلا ‪ :9‬ينإ تنك اًركفتم يف رمأ ‪،‬نيطخلا نيذللا‬

‫‪10‬‬

‫امهدحأ طخ ميقتسم رخآلاو طيحم عطقلا ‪،‬دئازلا امهنأب نابرقي اًمئاد امهجارخإب ىلإ ريغ ةياهنلا ‪،11‬‬

‫ظ‪-١١-‬م‬

‫الو نكمي نأ ىقلي ‪ /‬امهدحأ رخآلا ‪ .12‬اذهو ءيش ديعب نم روصتلا ‪،‬ركفلاو ولو َفِصُو نيب‬ ‫يدي دحأ نم لهأ ملعلا رْوغلاو يف قئاقد رومألا رّيحتل يف كلذ امو لِبَق هلقع — نإو ناك‬ ‫اًفسلفتم — نود ام لدتسي‬

‫‪13‬‬

‫ناهربلاب يسدنهلا يذلا ىتأ‬

‫‪14‬‬

‫اًريحتم يف رمأ ‪، 17‬امهروصت ريغ نأ ةحص ناهربلا امهيلع يفْنَت‬

‫‪.‬كلذ نألو ضعب لاكشألا اهئدابمو ُلْهَس روصتلا‬ ‫أيهتي هروصت ىتح فقوُي‬ ‫اهَضعبو ال أيهتي هروصت‬

‫‪20‬‬

‫‪24‬‬

‫‪19‬‬

‫‪18‬‬

‫هب سوينولبأ ‪ .15‬انأو اًضيأ‬

‫‪16‬‬

‫تنك‬

‫طلغلا بارطضاو سفنلا يف ةفرعم‬

‫نود فوقولا ىلع ناهربلا ‪،‬هيلع اهَضعبو ال‬

‫ىلع ناهربلا ‪،‬هيلع اهَضعبو ٌرِسَع هرّوصت‬

‫نإو ناك ناهربلا هطبضي هققحيو‬

‫‪25‬‬

‫‪21‬‬

‫نإو ماق‬

‫‪22‬‬

‫ناهربلا هيلع ‪،‬‬ ‫‪23‬‬

‫لثم اذه ‪،‬لكشلا اهَضعبو‬

‫‪26‬‬

‫أيهتي‬

‫‪27‬‬

‫هُكْرَد هروصتو قيرطب ئدابملا ةيفسلفلا ‪ ،‬كلذو ‪:‬لثم ءايشألا ‪،‬ةلصتملا اهنإف مسقنت ىلإ‬ ‫تايعيبطلا‬ ‫ءايشأ اًمئاد الب ‪،‬ةياهن جاتحنف ىلإ قرط ةيفسلف ىلع ام هنّيب سلقرب يف دودح لئاوأ‬ ‫‪.‬‬ ‫‪29‬‬

‫‪28‬‬

‫اذإو ناك رمألا ىلع ‪،‬اذه نإف طخلا نم ءايشألا ‪،‬ةلصتملا طخلاف‬ ‫‪: ‎1.‬ةلمسبلا ةصقان ]ا[ بتك اهدعب هبو« »ةيادهلا ]ط[‬

‫]ا[ بتك اهدعب ةمحر« »هللا ح ]ط[‬

‫‪: ‎6.‬سوينولبأ سوينوللبا ]ا[‬

‫‪ ‎8.‬نب ‪:‬دمحم ةصقان ]ا[‬ ‫ةياهن ‪،‬ا[ ]ط‬

‫]ا[‬

‫‪ ‎4.‬لوق ‪: ...‬تاطورخملا ةصقان ]ك[‬

‫‪: ‎3.‬يزجسلا ةصقان‬

‫‪ ‎5.‬نيذللا ‪: ...‬ةياهن ةصقان ]م[‬

‫‪ ‎7.‬نم باتك ‪:‬تاطورخملا نم هباتك يف طورخملا ]م[ نم باتك يف طورخملا ]ط[‬

‫‪: ‎12.‬رخآلا رخآلاب ]ك[‬

‫‪: ‎16.‬اًضيأ ةصقان ]ك[‬

‫‪: ‎22.‬ماق ماقأ ‪،‬ا[ ]ط‬

‫‪: ‎10.‬نيذللا نيذلا ]ك[‬

‫‪: ‎13.‬لدتسي دنتسي ‪،‬ا[ ‪،‬ك ]م‬

‫‪: ‎19.‬هروصت روصت ]ك[ روصتلا اهيلع ‪،‬ا[ ]ط‬

‫اهروصت ‪،‬ا[ ]ط‬

‫‪ ‎2.‬نب ‪:‬دمحم ةصقان ]ا[‬

‫‪: ‎9.‬يزجسلا هبقعي ةمحر« »هللا [ ؟ ]‬

‫‪: ‎15.‬سوينولولبأ سوينوللبا ]م[‬

‫‪30‬‬

‫اًذإ مسقني ىلإ ءايشأ اًمئاد‬

‫‪: ‎17.‬رمأ رومأ ]م[‬

‫‪: ‎14.‬ىتأ اتا ‪،‬ا[ ]ط‬

‫‪: ‎20.‬فقوي فقوت ]ا[ فقت ]ط[‬

‫‪: ‎23.‬هيلع ةصقان ‪،‬م[ ]ط‬

‫‪: ‎11.‬ةياهنلا‬

‫‪: ‎18.‬يفنت يفني‬ ‫‪: ‎21.‬هروصت‬

‫‪: ‎24.‬هروصت اهروصت ]ا[‬

‫‪: ‎27.‬أيهتي ءيهتي ]ا[‬ ‫‪: ‎26.‬اهضعبو يف شماهلا ]ك[‬ ‫‪: ‎25.‬هققحيو هققحتو ]ا[‬ ‫‪: ‎30.‬طخلاف طخلاو ‪،‬ك[ ]م‬ ‫‪: ‎29.‬مسقنت مسقني ]ا[‬ ‫ةيفسلفملا ]ا[‬

‫‪: ‎28.‬ةيفسلفلا‬

418

IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

de voies philosophiques, comme l’a montré Proclus dans les Définitions des Éléments de Physique. S’il en est ainsi, la ligne est en effet parmi les choses continues, et se divise par conséquent en des choses toujours à l’infini. Comme exemple de choses concevables sans démonstration : le cercle coupe le cercle en deux positions seulement ; et : des deux côtés d’un triangle est plus grande que le côté qui reste ; et comme : si on augmente la base du triangle isocèle, on augmente l’angle sous-tendu par la base. Pour les choses dont on ne forme la conception qu’en s’arrêtant à leur démonstration, par exemple : si un parallélogramme est égal à un parallélogramme, et si la longueur de l’un excède la longueur de l’autre, alors la largeur de l’un est moindre que la largeur de l’autre, par la voie de la réciprocité. De même, dans le solide, d’après ce que nous voyons dans la cire, si nous en prenons deux quantités égales, si nous prenons l’une que nous étendons, alors sa largeur sera moindre que la largeur de l’autre, par réciprocité. Quant à la chose dont la conception se forme après sa démonstration, comme l’égalité des trois angles d’un triangle à deux droits, nous avons montré comment le concevoir par la voie de l’analyse dans notre livre sur L’art de faciliter les chemins pour la détermination des propositions géométriques 1 Quant aux choses difficilement concevables, une fois connue la vérité de leur démonstration, ce sont les propriétés des propositions éloignées et difficiles, sans que la nature les rejette ni que la raison les refuse, comme la propriété mentionnée ; jusqu’à ce que se fût trouvé un moment où j’ai recherché les propriétés des deux lignes qui se rapprochent et ne se rencontrent pas, si on les prolonge ; et que j’eusse pénétré le recherché lui-même, c’est-à-dire : comment concevoir les deux lignes qui se rapprochent et ne se rencontrent pas, si on les prolonge toujours à l’infini. Donnons d’abord un lemme, que voici. Lemme. – Parmi les parallélogrammes appliqués à des droites données, égaux à un parallélogramme donné, dont les angles opposés sont égaux aux deux angles opposés de ces parallélogrammes, ceux dont les longueurs sont les plus courtes ont les largeurs les plus longues, et ceux qui ont les longueurs les plus longues ont les largeurs les plus courtes. Et ainsi de suite selon ce mode, à l’infini.

‎1. Ce texte a été publié par A.S. Saīdan dans Rasāʾil ibn Sinān (Kuweit, 1983), 339-372.

‫‪419‬‬

‫‪AL-SIJZĪ ET MAÏMONIDE‬‬

‫الب ‪.‬ةياهن امأو ءيشلا يذلا أيهتي هروصت ‪ 1‬الب ‪،‬ناهرب لثمف ‪ :2‬ةرئادلا عطقت ‪ 3‬ةرئادلا يف نيعضوم‬ ‫‪-٢٣٢‬ك‬

‫‪،‬طقف نيعلضلاو نم لك ثلثم لوطأ نم علضلا ‪،‬يقابلا لثمو ثلثملا يواستملا نيقاسلا ‪ /‬اذإ‬

‫‪4‬‬

‫ديز يف هتدعاق ديزيف يف ةيوازلا يتلا اهرتوت ‪. 5‬ةدعاقلا امأو ءايشألا يتلا ‪ 6‬ال ‪ 7‬أيهتي اهروصت الإ ‪ 8‬عم‬

‫فوقولا ىلع ناهربلا ‪،‬اهيلع ‪:‬لثمف حطسلا يواسملا حطسلل اذإ داز لوط امهدحأ ىلع رخآلا صقني‬

‫‪9‬‬

‫ضرع امهدحأ نع رخآلا ىلع قيرط ‪، 10‬ؤفاكتلا كلذكو يف ماسجألا ىلع ام ىرن ‪ 11‬يف عمشلا اذإ‬ ‫انذخأ ‪ 12‬نيرادقم هنم نييواستم ‪ ،13‬نإف انذخأ امهدحأ هانددمو صقني هضرع نع ضرع رخآلا‬

‫‪.‬ؤفاكتلاب امأو ءيشلا يذلا أيهتي هروصت‬

‫ظ‪١-٧٣-‬‬

‫‪14‬‬

‫دعب ناهربلا هيلع ‪: ،15‬لثمف ةاواسم اياوز ثلثملا ثالثلا‬

‫‪ /‬نيتمئاقل ‪ ،16‬ىلع ام انّيب ةيفيك هروصت ‪ 17‬قيرطب ليلحتلا يف انباتك يف ليهست لبسلا جارختسال لاكشألا‬ ‫ةيسدنهلا‬ ‫‪.‬‬ ‫امأو‬

‫‪18‬‬

‫ءايشألا يتلا نوكي اًرسع‬

‫‪19‬‬

‫اهروصت دعب فوقولا ىلع ةحص ناهربلا ‪،‬اهيلع صاوخف‬

‫لاكشألا ةديعبلا ‪،‬ةبعصلا ريغ هنأ ال رفني هنع عبطلا الو ركني هل‬

‫‪20‬‬

‫‪:‬لقعلا لثم هذه ةيصاخلا‬

‫‪21‬‬

‫؛ةروكذملا ىتح قفتا يل — اتقو نم تاقوألا — >نأ< صحفأ نع صاوخ نيطخلا نيذللا نابرقي‬ ‫الو نايقتلي امهجارخإب ‪ ،22‬تعلطاف ىلع نْيَع بولطملا وهو ةيفيك روصت نيطخلا نيذللا نابرقي الو‬

‫و‪-١٢-‬م‬

‫نايقتلي ‪ /‬امهجارخإب ‪ 23‬اًمئاد ىلإ ام ال ‪.‬ةياهن تأنلو ‪ً 24‬الوأةمدقمب يه ‪.‬هذه‬

‫ةمدقم ‪ :25‬حوطسلا ةيزاوتملا عالضألا ةفاضملا ىلإ طوطخ ةميقتسم ‪،‬ةضورفم ُةيواسملا‬

‫‪26‬‬

‫حطسل ام ضورفم يزاوتم ‪،‬عالضألا نوكت اهاياوز ةلباقتملا ةيواسم يتيوازل كلذ حطسلا‬ ‫‪-٢٣٣‬ك‬

‫نيتلباقتملا ‪ ،27‬اهرصقأف ًالوطاهلوطأ اًضرع اهلوطأو ًالوطاهرصقأ ‪،‬اًضرع كلذكو ىلع اذه ‪ /‬طمنلا‬

‫ىلإ ريغ ‪.‬ةياهنلا‬

‫‪: ‎4.‬اذإ ذا ]ك[‬ ‫‪: ‎3.‬عطقت عطقي ]ا[‬ ‫‪: ‎2.‬لثمف لثم ]م[‬ ‫‪: ‎1.‬هروصت اهروصت ‪،‬ا[ ]ط‬ ‫‪: ‎8.‬الإ ةصقان ‪،‬ا[ ‪،‬ط ]ك‬ ‫‪: ‎7.‬ال ةصقان ‪،‬ا[ ‪،‬ط ]ك‬ ‫‪: ‎6.‬يتلا يتلا اهب ]ا[‬ ‫‪: ‎5.‬اهرتوت اهرتوي ]ا[‬ ‫‪: ‎10.‬قيرط بتك خسان ]ك[ يف شماهلا ةملك »ليبس« اهعمو فرح ءاخلا عم ةراشإلا‬ ‫‪: ‎9.‬صقني صقنم ]ا[‬

‫ىلإ ةملك ‪»،‬قيرط« نمو لمتحملا هنأ دصقي هذهب ةمالعلا نأ اذه ام هدجو يف ةخسن ىرخأ‬

‫‪: ‎11.‬ىرن ىرت ]ا[‬

‫‪: ‎14.‬هروصت‬ ‫‪: ‎13.‬نييواستم نايواستم ]م[‬ ‫‪ ‎12.‬انذخأ ‪:‬نيرادقم ذخأ نارادقم ]م[ ذخا نيرادقم ]ط[‬ ‫‪: ‎17.‬هروصت اهروصت ‪،‬ا[‬ ‫‪: ‎16.‬نيتمئاقل نيتمئاق ‪،‬ا[ ]ط‬ ‫‪: ‎15.‬هيلع اهيلع ‪] [،‬اط‬ ‫اهروصت ‪،‬ا[ ]ط‬ ‫‪ ‎20.‬ركني ‪:‬هل هركني ]م[‬ ‫‪: ‎19.‬اًرسع ةرسع ‪،‬ا[ ‪،‬ط ‪،‬ك ]م‬ ‫‪: ‎18.‬امأو امأف ‪،‬ط[ ‪،‬ك ]م‬ ‫‪،‬ط ]م‬ ‫‪: ‎21.‬ةيصاخلا ةصاخلا ‪،‬ا[ ]ط‬ ‫‪ ‎23.‬تعلطاف ‪: ...‬امهجارخإب ةصقان‬ ‫‪: ‎22.‬امهجارخإب ةصقان ‪،‬ا[ ]ط‬ ‫‪: ‎24.‬تأنلو ىتأنلو ‪،‬ا[ ]ط‬ ‫]م[‬ ‫‪: ‎27.‬نيتلباقتملا نيلباقتملا ]ا[‬ ‫‪،‬ك ]م‬

‫‪: ‎25.‬ةمدقم ةصقان ‪،‬ط[ ‪،‬ك ]م‬

‫‪: ‎26.‬ةيواسملا ةيواسم ‪،‬ا[ ‪،‬ط‬

420

IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

Soit le parallélogramme ABED ; le côté BE est prolongé à l’infini. Séparons de la droite BE, qui n’est pas limitée du côté de E, les droites BH, BK, BM, BS, BC ; et appliquons à chacune de ces droites des parallélogrammes sur l’angle B, dont chacun est égal au parallélogramme ABED, à l’aide de la démonstration de la proposition quarante-trois du premier livre de l’ouvrage des Éléments, et tels que leurs largeurs soient GH, IK, LM, NS, OC .

Fig. 1

Je dis que GH est plus courte que DE, IK est plus courte que GH, LM est plus courte que IK, NS est plus courte que LM, et OC est plus courte que NS. Démonstration. – Puisque l’angle B des deux parallélogrammes BD et BG est le même, et que leurs côtés sont inversement proportionnels, alors le rapport de BE, le plus court, à BH, le plus long, est égal au rapport de GH à ED ; GH est donc plus courte que ED. C’est pour la même raison que IK est plus courte que GH, que LM est plus courte que IK, que NS est plus courte que LM, et OC plus courte que NS. Donc, le point O, par rapport à la droite BC, est plus proche que le point N ; le point N est plus proche que le point L ; le point L est plus proche que le point I ; le point I est plus proche que le point G ; et le point G est plus proche que le point D. Il est clair que la largeur

‫‪421‬‬

‫‪AL-SIJZĪ ET MAÏMONIDE‬‬

‫نكيلف حطس ا ب ه د يزاوتم ‪،‬عالضألا دقو جرخ علض ب ه ىلإ ريغ ‪،‬ةياهن لصفنو نم‬

‫طخ ب ه ‪ 1‬يذلا نم ةهج ه ريغ دودحم طوطخ ‪ 2‬ب ح ب ـك ‪ 3‬ب م ب س ب ـج‪ ،‬فيضنو‬

‫ىلإ لك دحاو نم هذه طوطخلا اًحوطس ةيزاوتم عالضألا ىلع ةيواز ب اًيواسم ‪ُّ 4‬لك دحاو اهنم‬

‫‪5‬‬ ‫حطسل ا ب ه د يزاوتملا عالضألا ناهربب لكشلا ثلاثلا نيعبرألاو نم ةلاقملا ىلوألا نم باتك‬

‫لوصألا ‪ ،6‬نوكتو ‪ 7‬اهضورع ز ح ط ـك ‪ 8‬ل م ن س ع ـج‪.‬‬

‫‪:‬لوقأ نإ ز ح رصقأ نم د ه وط ـك ‪ 9‬رصقأ نم ز ح ول م رصقأ نم ط ـك ون س رصقأ‬

‫نم ل م وع ـج رصقأ نم ن س‪.‬‬

‫ناهرب ‪:‬كلذ نأل ةيواز ب نم يحطس‬

‫امهعالضأو‬

‫‪13‬‬

‫‪،‬ةئفاكتم ةبسنف‬

‫‪14‬‬

‫‪10‬‬

‫بد‬

‫‪11‬‬

‫ب ز ييزاوتملا‬

‫‪12‬‬

‫عالضألا ‪،‬ةدحاو‬

‫ب ه رصقألا ىلإ ب ح لوطألا ةبسنك ز ح ىلإ ه د‪ ،‬ـفز ح‬

‫رصقأ نم ه د‪ ،‬اذهلو ط ـك رصقأ نم ز ح ول م رصقأ نم ط ـك ‪ ،‬ون س رصقأ نم ل م ‪،‬‬ ‫‪16‬‬

‫‪15‬‬

‫‪17‬‬

‫وع ـج رصقأ نم ن س‪ ،‬ةطقنف ع ىلإ طخ ب ـج برقأ نم ةطقن ن ‪،‬هيلإ ةطقنو ن برقأ نم‬ ‫ةطقن ل‪ ،‬ةطقنو ل ‪ 18‬برقأ نم ةطقن ط‪ ،‬ةطقنو ط برقأ نم ةطقن ز‪ ،‬ةطقنو ز برقأ نم ةطقن‬

‫]ا[‬

‫‪ ‎1.‬ب ه‪ :‬ب ‪،‬ا[ ‪،‬ك ]م‬

‫‪: ‎2.‬طوطخ طوطخو ]ا[‬

‫‪: ‎5.‬نيعبرألا نوعبرألا ]م[‬

‫دقو نوكي ]ا[‬

‫‪ ‎6.‬ناهربب ‪: ...‬لوصألا ناهربب لكش ـجم نم ا ]ك[‬

‫‪ ‎8.‬ط ـك‪ :‬ط ل ]ا[‬

‫اهبتك ‪»،‬حطس« مث اهححص اهيلع ]ا[‬

‫‪: ‎13.‬امهعالضأو امهعالضأف ‪،‬ا[ ]م‬ ‫‪ ‎16.‬ط ـك ‪):‬ةيناثلا( ن س ]ا[‬

‫‪ ‎3.‬ب ـك‪ :‬ب ل ]ا[‬

‫‪: ‎4.‬اًيواسم ةيواسم‬

‫‪ ‎9.‬ط ـك ‪):‬ىلوألا( ط ل ]ا[‬

‫‪: ‎7.‬نوكتو‬

‫‪: ‎10.‬يحطس حطس ]م[‬

‫‪ ‎11.‬ب د ب ز‪ :‬ةصقان ]ك[‬

‫‪: ‎12.‬ييزاوتملا يزاوتملا ‪،‬ك[ ]م‬

‫‪ ‎17.‬ون س ‪ ...‬ل م‪ :‬ةصقان ‪،‬ا[ ]ط‬

‫‪ ‎18.‬ةطقنو ل‪ :‬ةصقان ]م[‬

‫‪: ‎14.‬ةبسنف ةبسن ‪،‬ا[ ]ط‬

‫‪ ‎15.‬ط ـك ‪):‬ىلوألا( ط ل ]ا[‬

422

IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

d’un parallélogramme égal au parallélogramme BD ne s’évanouit pas, même si sa longueur, par rapport à la droite BC, est la droite la plus longue que l’on suppose ; ceci ne peut pas avoir lieu. Qu’il en soit ainsi. Que le parallélogramme égal au parallélogramme BD s’identifie à la droite BP ; la droite BP a donc la même mesure que le parallélogramme BD ; le parallélogramme BD est donc composé des parties de la droite BP ; mais on a montré que la surface ne se compose pas de la droite, ni la droite du point. Par conséquent, la largeur d’un parallélogramme égal au parallélogramme BD, même si sa longueur s’étend, ne s’anéantit pas. Ce qu’il fallait démontrer. Après avoir préparé cela, supposons les deux droites AB et BE, sur l’angle B. Soit le point D sur l’hyperbole qui ne rencontre pas les deux droites BE et BA ; alors le pourtour de cette section passe par les points D, G, I, L, N, O. Il se rapproche toujours de la droite BC, à l’infini, en raison de la propriété de ces parallélogrammes, dont les côtés sont inversement proportionnels, sans aboutir à la droite BP ; car, s’il rencontre la droite BP, alors la largeur du parallélogramme égal au parallélogramme BD s’identifie à la droite BP. Mais nous avons montré que les largeurs ne s’évanouissent pas. L’hyperbole ne parvient donc pas à la droite BC, et à mesure qu’elles s’allongent, elles se rapprochent, et ainsi à l’infini. Il est bien vraisemblable qu’Apollonius n’a pas trouvé la propriété de cette proposition, et n’a pas prévu qu’il est possible que deux lignes se rapprochent toujours sans se rencontrer, tant qu’il n’avait pas trouvé cette propriété que nous avons précédemment mentionnée. De même pour une autre propriété de cette proposition, dont la conception mène là où mène la proposition que nous avons mentionnée précédemment. Que les droites BA et BC qui ne rencontrent pas la section embrassent un angle B . La droite EDA a été menée telle que BE soit égale à BA. AE a été divisée en deux moitiés au point D. Menons les droites HN, KM, CL, et posons le produit de NG par GH, de MI

‫‪423‬‬ ‫و‪-٧٤-‬ا‬

‫‪AL-SIJZĪ ET MAÏMONIDE‬‬

‫د‪ٌ ،‬نّيبو هنأ ‪ /‬ال ىشالتي ضرع حطس ٍواسم حطسل ب د‪ ،‬نإو ناك هلوط نم طخ ‪ 1‬ب ـج‬

‫لوطأ طخ ‪،‬ضرُف الو نكمي ‪.‬كلذ‬

‫نإف ‪،‬نكمأ عقيلف حطسلا يواسملا حطسل ب د ‪ 2‬ىلع طخ ب ف‪ ،‬طخف ‪ 3‬ب ف يف‬

‫ةحاسم حطس ب د‪ ،‬حطسف ب د بكرم نم ماسقأ طخ ‪ 4‬ب ف‪ ،‬دقو نيبت ‪ 5‬نأ حطسلا ال‬

‫‪-٢٣٤‬ك‬

‫بكرتي نم طخلا ‪ / 6‬الو طخلا نم ةطقنلا سيلف مدعُي ضرع حطس ٍواسم ‪ 7‬حطسل ب د نإو‬

‫ظ‪-١٢-‬م‬

‫ذإو ‪ 9‬دق انأّطو ‪ 10‬ام انأّطو ‪ ،11‬ضرفنلف ‪ /‬يطخ ا ب ب ه ىلع ةيواز ب‪ ،‬نكتلو ‪ 12‬ةطقن‬

‫لاط ‪،‬هلوط كلذو ام اندرأ نأ نيبن ‪.8‬‬

‫د ىلع طيحم عطقلا دئازلا يذلا ال ىقلي يطخ ب ه ب ا‪ ،‬زوجيف طيحم كلذ عطقلا ىلع طقن‬ ‫د ز ط ل ن ع‪ ،‬برقيف اًمئاد نم طخ ب ـج ىلإ ام ال ةياهن ةيصاخل‬

‫‪13‬‬

‫هذه حوطسلا ةيواستملا‬

‫ةئفاكتملا ‪،‬عالضألا الو يهتني ىلإ طخ ب ف‪ ،‬هنأل ول يقل طخ ب ف عقول ‪ 14‬ضرع حطسلا‬

‫يواسملا حطسل ب د ىلع طخ ب ف‪ ،‬دقو انيب هنأ ال ىشالتت ‪، 15‬اهضورع الف ‪ 16‬يهتني اًذإ طيحم‬ ‫عطقلا دئازلا ىلإ طخ ب ـج‪ ،‬املكو ادادزا ‪ً 17‬الوطادادزا ‪ 18‬اًبرق ىلإ ام ال ‪.‬ةياهن‬

‫رثكأو ينظ هنأ ام دجو سوينولبأ ‪ 19‬هذه ةيصاخلا ‪ 20‬يف اذه ‪،‬لكشلا الو ‪ 21‬قبس هنظ ىلإ هنأ‬

‫نكمي نأ نوكي ناطخ نابرقي اًمئاد الو‬ ‫‪-٢٣٥‬ك‬

‫املف دجو هذه *ةيصاخلا ظَّقَيَت‬

‫‪24‬‬

‫‪22‬‬

‫‪،‬نايقتلي ىتح دجو هذه ةيصاخلا‬

‫نم رمأ هذه ةيصاخلا‬

‫‪25‬‬

‫‪23‬‬

‫يتلا انمدق ؛اهركذ‬

‫‪.‬ةروكذملا ‪ /‬اًضيأو ةيصاخ ىرخأ اذهل‬

‫لكشلا يدؤي اهروصت ام ىدأ ‪ 26‬لكشلا يذلا انمدق ‪.‬هركذ‬

‫نكيلف ناطخلا ناذللا ال نايقلي ‪ 27‬عطقلا ‪ 28‬ب ا ب ـج ناطيحي ةيوازب ب‪ ،‬دقو جرخ طخ‬

‫ه د ا نوكي ب ه لثم‬

‫‪29‬‬

‫ب ا‪ ،‬مسقو ا ه نيفصنب ىلع ةطقن د؛ جرخنو طوطخ ح ن‬

‫‪ ‎1.‬طخ ‪):‬ىلوألا( ةصقان ]ا[‬

‫‪ ‎2.‬ب د‪ :‬د ]م[‬

‫دجن مسرلا ‪،‬يلاتلا وهو ال قفاوي صنلا ةوالع ىلع هنأ ريغ حيحص‬

‫‪ ‎6.‬طخلا نم ‪:‬ةطقنلا ناطخلا طقنلا ]ا[ طخلا نم طقنلا ]ط[‬

‫‪30‬‬

‫ـك م‬

‫‪ ‎3.‬كرت خسان ]م[ اًغارف مسرلل مث ‪،‬هاسن يف ‪،‬ا[ ]ك‬ ‫‪: ‎4.‬طخ هطخب ]ا[‬

‫‪ٍ: ‎7.‬واسم ايواسم ‪،‬ا[ ]ط‬

‫‪: ‎10.‬انأّطو انيطو ‪،‬ا[ ]ط انضرف ]ك[‬ ‫‪: ‎9.‬ذإو ذإف ‪،‬ا[ ]ط‬ ‫هاندرأ ]ا[‬ ‫‪: ‎14.‬عقول عوقول ]ا[‬ ‫‪: ‎13.‬ةيصاخل ةصاخل ]ا[‬ ‫‪: ‎12.‬نكتلو نكيلو ]ا[‬

‫‪: ‎5.‬نّيبت نّيب ‪،‬ا[ ]ط‬ ‫‪ ‎8.‬اندرأ نأ ‪:‬نيبن‬

‫‪: ‎11.‬انأطو انيطو ‪،‬ا[ ]ط‬ ‫‪: ‎15.‬ىشالتت اشالتي ]ا[‬

‫‪: ‎19.‬سوينولبأ‬ ‫‪: ‎18.‬ادادزا دادزا ‪،‬ط[ ]ك‬ ‫‪: ‎17.‬ادادزا دادزا ‪،‬ط[ ]ك‬ ‫‪: ‎16.‬الف الو ]م[‬ ‫‪ ‎22.‬الو‬ ‫‪: ‎21.‬الو امو ‪،‬ا[ ]ط‬ ‫‪: ‎20.‬ةيصاخلا ةصاخلا ‪،‬ا[ ]ط‬ ‫سوينوللبا ]ا[ سوينولبال ]ك[‬ ‫‪:‬نايقتلي الف نايقتلي ]ك[‬

‫‪: ‎25.‬ةيصاخلا ةصاخلا ]ا[‬ ‫‪: ‎29.‬لثم ثلثم ]ا[‬

‫‪ ‎23.‬ةيصاخلا ىلوألا( ‪):‬ةيناثلاو ةصاخلا ‪،‬ا[ ]ط‬ ‫‪: ‎26.‬ىدأ اذا ]ا[‬

‫‪ ‎30.‬ح ن‪ :‬ح ر ]ا[‬

‫‪: ‎27.‬نايقلي نايقتلي ]ا[‬

‫‪: ‎24.‬ظَّقيت طقنب ‪،‬ا[ ]ط‬ ‫‪: ‎28.‬عطقلا عطقلل ]ك[‬

424

IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

C S

K H E

I G

D

B

A

N

M

L

Fig. 2

par IK, de LS par SC, égal à AD par DE. Il est clair que 1 la droite CS est plus petite que la droite KI, que KI est plus petite que HG, et que HG est plus petite que ED, car SL est plus longue que IM, IM est plus longue que GN, et GN est plus longue que DA ; il est clair également que toutes les droites menées au delà 2 des deux points C et L, parallèles à la droite AE, à l’infini, se partagent toujours en deux parties, telles que le produit de chacune d’elles par l’autre soit égal à la droite AD par DE. La droite la plus éloignée du point E est telle que sa partie sur la droite BC soit plus petite que la droite la plus proche. Le pourtour de l’hyperbole que la droite BC ne rencontre pas, passe par ‎1. Ici, comme pour la démonstration d’Apollonius, supposons GN > GH et SL > SC, on a BL > BN ⇒ LC > NH. Mais, GN + GH = HN,

SL + SC = LC

et

GN · GH = SL · SC ;

le plus grand des segments de la seconde somme est supérieur aux segments de la première ; soit LS > GN ; donc BL > BN ⇒ LS > GN

C H

B

LS > GN ⇒ SC < GH.

et

S

G

N

L

Notons qu’al-Sijzī a, sans le dire, fait ici un choix entre deux points possibles sur chaque segment, avec GH < GN, IK < IM... ‎2. Littéralement : sous.

‫‪425‬‬

‫‪AL-SIJZĪ ET MAÏMONIDE‬‬

‫ـج ل لعجنو برض ‪ 1‬لك دحاو نم ن ز ‪ 2‬يف ز ح وم ط يف ط ـك ‪ 3‬ول س يف س ـج اًيواسم‬

‫ـلا د يف د ه‪ٌ ،‬نّيبف نأ طخ ـج س رغصأ نم طخ ـك ط وـك ط رغصأ نم ح ز ‪ ،4‬وح ز* رغصأ‬

‫نم ه د نأل س ل لوطأ نم ط م‪ ،‬وط م لوطأ نم ز ن وز ن لوطأ نم د ا‪ٌ ،‬نّيبو اًضيأ نأ‬

‫طوطخلا ةجرخملا تحت يتطقن ـج ل ةيزاوملا طخل ا ه ىلإ ام ال ‪،‬ةياهن مسقنت ‪ 5‬اًمئاد نيمسقب نوكي‬ ‫برض لك دحاو نم دحأ نيمسقلا يف رخآلا اًيواسم طخل ا د يف د ه‪ .‬دعبألاو نم ةطقن ه نوكي‬

‫مسقلا هنم يذلا ىلع ‪ 6‬طخ ب ـج رغصأ نم ‪،‬برقألا طيحمو عطقلا دئازلا يذلا ال هاقلي ‪ 7‬طخ‬

‫‪: ‎1.‬برض ةصقان ]ك[‬

‫ج ز ‪].‬ا[‬

‫‪ ‎2.‬ن ز‪ :‬ب ز ]ا[‬

‫‪: ‎5.‬مسقنت مسقني ]ا[‬

‫‪ ‎3.‬ط ـك‪ :‬ط ل ]ا[‬

‫‪: ‎6.‬ىلع يلي ‪،‬ا[ ‪،‬ط ]م قوف رطسلا ]ك[‬

‫‪ ‎4.‬ح ز ىلوألا( ‪):‬ةيناثلاو‬ ‫‪: ‎7.‬هاقلي هيقتلي ‪،‬ا[ ]ط‬

426

IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

les points D, G, I, S ; et à mesure qu’il s’allonge, il s’en rapproche. Et le pourtour de la section ne rencontre pas la droite BC. 1 Il peut exister deux courbes qui se rapprochent toujours et ne se rencontrent pas. Que les deux droites BC et BD entourent un angle B. Menons la droite BA, et faisons BC, BA et BD égales ; joignons AC, AD ; partageons chacune d’elles en deux moitiés en E et G ; faisons passer par les deux points E et G deux hyperboles qui ne rencontrent pas la droite BA. Soit les deux sections EQ, GU. Je dis qu’elles ne se rencontrent pas. Et si on les prolonge toujours, elles se rapprochent . Démonstration. – Menons HI, HK, LN et LM parallèles à AC, AD, 2 et qui coupent les deux sections aux points O, U ′ , S et P. Joignons SO, PU ′ . Puisque les deux angles OHS, U ′ LP sont égaux, et que les deux droites OH, HS sont plus longues que les deux droites U ′ L, LP, alors la droite SO sera plus longue que la droite PU ′ . Et de même pour toutes les droites menées du pourtour des sections, et parallèles à la droite SO : celle qui s’éloigne de SO est plus petite que celle qui

‎1. Deux remarques s’imposent ici. Remarque 1. Posons l’angle ABC égal à 2α ; il vient GH = 2GG2 sin α, GN = 2GG1 sin α; d’où GH · GN = 4GG1 · GG2 sin2 α, GH · GN = cte ⇒ GG1 · GG2 = cte, donc G appartient à l’hyperbole, d’après le lemme. H

G₂

B

2α G₁

G

N

Remarque 2. Al-Sijzī a choisi BA = BE. Mais, si BA ̸= BE, les points G, I, S, définis comme précédemment sur une parallèle à AE appartiennent à l’hyperbole. La démonstration se fait à l’aide de triangles semblables, pour se ramener au lemme. En GN GH effet, on a GG et GG rapports constants ; d’où 1

2

GN · GH est constant. GG1 · GG2 Mais, comme GN · GH est constant, on a que GG1 · GG2 est constant. ‎2. HI et LN parallèles à AD ; HK et LM parallèles à AC.

‫‪427‬‬ ‫ظ‪-٧٤-‬ا‬

‫‪AL-SIJZĪ ET MAÏMONIDE‬‬

‫ب ـج زوجي ىلع طقن ‪ /‬د ز ط س املكو ادادزا ًالوطادادزا ‪،‬اًبرق الو ىقلي ‪ 1‬طيحم عطِقلا طخ‬ ‫ب ـج‪.‬‬

‫دقو دجوي ناطخ ‪ 2‬ناينحنم ‪ 3‬نابرقي اًمئاد الو نايقتلي ‪.4‬‬

‫نكيلف اّطخ ‪ 5‬ب ـج ب د ناطيحي ةيوازب ب‪ / ،‬جرخنو طخ ب ا‪ ،‬لعجنو ب ـج ب ا‬

‫‪-٢٣٦‬ك‬ ‫و‪-١٣-‬م‬

‫ب د ةيواستم ‪ /‬لصنو ا ـج ا د‪ ،‬مسقنو لك دحاو امهنم ‪ 6‬نيفصنب ىلع ه ز‪ ،‬زيجنو ىلع يتطقن‬

‫ه ز نيعطق ‪ 7‬نيدئاز ال نايقلي ‪ 8‬طخ ب ا ميقتسملا ‪ ،9‬امهو اعطق‬ ‫‪،‬نايقتلي نإو اجرخأ اًجارخإ ‪ 11‬اًمئاد نابرقي ‪.12‬‬ ‫ناهرب ‪:‬كلذ نأ« جرخن ح ط ح ـك‬

‫‪13‬‬

‫لن‬

‫‪14‬‬

‫لم‬

‫‪15‬‬

‫‪10‬‬

‫ه ق ز ص‪: ،‬لوقأف امهنإ ال‬

‫نييزاوم ـلا ـج ا د ‪ »16‬عطقت‬

‫‪17‬‬

‫نيعطقلا ىلع طقن ع ض س ف‪ ،‬لصنو س ع ف ض‪ .‬نألف يتيواز ع ح س ض ل ف‬ ‫ناتيواستم‬

‫‪18‬‬

‫يطخو ع ح ح س لوطأ نم يطخ ض ل ل ف‪ ،‬نوكي طخ س ع لوطأ نم‬

‫طخ ف ض‪ ،‬كلذكو طوطخلا ةجرخملا نم يطيحم نيعطقلا ‪ ،19‬ةيزاوملا طخل س ع‪ُّ :‬لك‬

‫‪: ‎1.‬ىقلي اقلي ]م[‬

‫نايقلي ]ا[‬ ‫اهيلع ]ا[‬

‫‪: ‎2.‬ناطخ نيطخ ‪،‬ا[ ]ط‬

‫‪: ‎5.‬اّطخ ىطخ ‪،‬ا[ ‪،‬ط ]م‬

‫‪ ‎6.‬لصنو ‪: ...‬امهنم ةصقان ]ك[‬

‫‪: ‎8.‬نايقلي نايقتلي ‪،‬ا[ ‪،‬ك ‪]،‬م اذهو زئاج اًضيأ‬

‫‪،‬ا[ ‪،‬ك ]م‬

‫‪: ‎3.‬ناينحنم نيينحنم ‪،‬ا[ ]ط‬

‫‪: ‎11.‬اًجارخإ ةصقان ‪،‬ا[ ‪،‬ط ]ك‬

‫‪20‬‬

‫ام‬

‫‪: ‎4.‬نايقتلي‬

‫‪: ‎7.‬نيعطق ‪،‬عطق مث اهححص‬

‫‪: ‎9.‬ميقتسملا مسقنملا ]م[‬

‫‪: ‎10.‬اعطق يعطق‬

‫‪: ‎12.‬نابرقي نابرقيف ‪،‬ا[ ‪،‬ط ]م نأ جرخن ‪ ...‬ا د‪ :‬دوصقملا‬

‫نأ« جرخن ح ط اًيزاوم ـلا د وح ـك اًيزاوم ـلا ـج‪ ،‬ول ن اًيزاوم ـلا د‪ ،‬ول م اًيزاوم ـلا ـج»‬

‫‪ ‎13.‬ح ـك‪:‬‬

‫‪ ‎16.‬ا ـج ا د‪ :‬ال د ه ا د ]ا[‬ ‫‪ ‎15.‬ل ‪:‬م ل ن ‪،‬ا[ ]ط‬ ‫‪ ‎14.‬ل ن‪ :‬ل م ‪،‬ا[ ]ط‬ ‫ح ل ]ا[‬ ‫‪: ‎19.‬نيعطقلا يعطقلا‬ ‫‪: ‎18.‬ناتيواستم نييواستم ‪،‬ا[ ‪]،‬ط نيتيواستم ‪،‬ك[ ]م‬ ‫‪: ‎17.‬عطقت عطقي ]ا[‬ ‫]ا[‬

‫‪ُّ ‎20.‬لك ‪:‬ام املك ‪،‬ا[ ‪،‬ط ‪،‬ك ]م دق امهانلصف ىتح حضتي ىنعملا‬

428

IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

Fig. 3

s’en rapproche. Mais nous avons montré que les deux pourtours de la section ne rencontrent pas la droite BA. 1 Donc ils ne se rencontrent pas. Ce qu’il fallait démontrer. Il nous est également possible de tracer cette section, si nous posons deux droites quelconques formant 2 un angle quelconque ; alors l’hyperbole passe par un point quelconque, en vertu de la construction que nous avons mentionnée précédemment, comme si par exemple nous posons les deux droites AB, BE de la première proposition formant 3 l’angle B ; et nous voulons tracer une hyperbole que les deux droites AB, BE ne rencontrent pas, et qui passe par le point D . Complétons le parallélogramme DB, et appliquons aux parties de la droite BP, qui se rapproche, des parallélogrammes égaux au parallélogramme BD. Alors un angle leur sera commun, qui est l’angle B. Appliquons au prolongement de la droite BA des parallélogrammes dont l’un des angles soit égal à l’angle B ; et traçons la section sur les

‎1. Puisqu’elles se placent par hypothèse de part et d’autre de l’asymptote BA. ‎2. Littéralement : selon. ‎3. Littéralement : selon.

‫‪429‬‬

‫‪AL-SIJZĪ ET MAÏMONIDE‬‬

‫دعب هنم وهف رغصأ امم برق ‪،‬هنم دقو انّيب امهنأ ال نايقلي ‪ 1‬طخ ب ا‪ ،‬امهف ‪ 2‬ال ؛نايقتلي كلذو ام‬ ‫اندرأ نأ نّيبن ‪.3‬‬

‫دقو أيهتي ‪ 4‬اًضيأ ‪ 5‬نأ مسرن ‪ 6‬اذه ‪،‬عطقلا اذإ انعضو يأ نيطخ اندرأ ىلع يأ ةيواز نوكت ‪7‬؛‬

‫ىلعف ‪ 8‬يأ ةطقن ‪،‬اندرأ زوجي ‪ 9‬عطقلا دئازلا نم لمعلا يذلا انمدق ؛هركذ نأك ‪ 10‬عضن يطخ ا ب‬

‫ب ه نم لكشلا لوألا ىلع ةيواز ب اندرأو نأ مسرن اًعطق اًدئاز ال هاقلي‬

‫زوجيو ىلع ةطقن د‪.‬‬

‫‪11‬‬

‫اطخ ا ب ب ه‬

‫ممتنلف يزاوتم عالضألا د ب‪ ،‬فيضنو ىلإ ماسقأ طخ ب ف ةبراقتملا اًحوطس ةيواسم‬

‫‪-٢٣٧‬ك‬

‫‪12‬‬

‫حطسل ب د ةيزاوتم ‪،‬عالضألا نوكتف ‪ 13‬ةيواز اهنم ‪ /‬ةكرتشم ‪ ،14‬يهو ةيواز ‪ 15‬ب؛ فيضنو ىلإ‬

‫ةماقتسا طخ ب ا اًحوطس ةيزاوتم ‪،‬عالضألا ًةيواسم ةيواز اهنم ةيوازل ‪ 16‬ب‪ ،‬مسرنو عطقلا ىلع‬

‫‪: ‎1.‬نايقلي نايقتلي ‪،‬ا[ ‪،‬ط ]م‬

‫‪،‬مسرلل يفو ]ك[ دجن اًمسر ال قفاوي صنلا‬

‫‪: ‎2.‬امهف امهم ]ك[‬

‫‪: ‎4.‬أيهتي أيهت ]ا[‬

‫‪: ‎3.‬نّيبن هنايب ‪،‬ا[ ‪،‬ط ]م يف ]م[ كرت خسانلا اًغارف‬ ‫‪: ‎5.‬اًضيأ ةصقان ]ك[‬

‫‪: ‎6.‬مسرن مسري ]ا[‬

‫‪: ‎10.‬نأك انأك‬ ‫‪: ‎9.‬زوجي زاوجل ]ا[‬ ‫‪: ‎8.‬ىلعف ىلعو ‪،‬ا[ ‪،‬ط ]م ىلع ]ك[‬ ‫‪: ‎7.‬نوكت نوكي ]ا[‬ ‫‪: ‎13.‬نوكتف‬ ‫‪: ‎12.‬ةيواسم ةيواستم ]م[‬ ‫‪: ‎11.‬هاقلي هنايقلي ‪،‬ا[ ‪،‬ط ]ك هنافتلي ]م[‬ ‫‪،‬ا[ ‪،‬ط ‪،‬ك ]م‬ ‫‪: ‎14.‬ةكرتشم اكرتشم ]ك[‬ ‫نوكيو ‪،‬ا[ ]ط‬ ‫خسانلا يف شماهلا ]ك[‬

‫‪: ‎15.‬ةيواز ةصقان ]ك[‬

‫‪: ‎16.‬ةيوازل ‪،‬ةيوازلل اهفاضأ‬

430

IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

angles opposés à l’angle B, dans chacun des parallélogrammes mentionnés. Nous traçons ainsi l’hyperbole qui ne rencontre pas les deux droites AB, BE ; ce qu’il fallait démontrer 1. Il nous est également possible de tracer l’hyperbole par la voie de la deuxième proposition. Que les deux droites BA, BC, entourent l’angle B. On mène AE telle que BA soit égale à BE. Partageons AE en deux moitiés au point DD ; menons HN, KM, CL, parallèles à AE ; traçons sur elles des demi-cercles, et menons GO, IP, SU perpendiculaires aux droites parallèles, chacune d’elles étant égale à la droite AD. Alors les points D, C, I, S sont ceux sur lesquels on trace l’hyperbole .

‎1. Notons qu’il s’agit d’une construction par points de l’hyperbole, conséquence de la proposition 43 du livre I des Éléments. Cette conséquence a déjà été donnée dans l’étude du lemme.

‫‪431‬‬

‫‪AL-SIJZĪ ET MAÏMONIDE‬‬

‫اياوزلا ةلباقملا ةيوازل ب نم لك دحاو نم حوطسلا ‪،‬ةروكذملا مسرنف ‪ 1‬عطقلا دئازلا يذلا ‪ 2‬ال ىقلي‬

‫يطخ ‪ 3‬ا ب ب ه؛ كلذو ام اندرأ نأ نّيبن ‪.4‬‬

‫دقو أيهتي ‪ 5‬اًضيأ نأ مسرن عطقلا دئازلا نم قيرط لكشلا ‪:‬يناثلا نكيلف اطخ ب ا ب ـج‬

‫ناطيحي ةيوازب ب‪ ،‬دقو جرخ ا ه‪ ،‬نوكي ‪ 6‬ب ا اًيواسم ـلب ه‪ ،‬مسقنو ا ه نيفصنب ىلع د؛ جرخنو‬

‫ظ‪-١٣-‬م‬

‫ح ن ـك م ـج ل ةيزاوم ـلا ه ‪ 7‬ريدنو اهيلع فاصنأ ‪،‬رئاودلا جرخنو ز ع ط ف س ص ‪ً /‬ةدمعأ‬ ‫ىلع طوطخلا ‪،‬ةيزاوتملا نوكيو ‪ 8‬لك دحاو اهنم اًيواسم طخل ا د‪ ،‬نوكتف ‪ 9‬طقن د ز ط س يه‬

‫يتلا زوجي اهيلع مسر عطقلا ‪.‬دئازلا‬

‫‪: ‎1.‬مسرنف مسرنو ]م[‬

‫نأ ‪:‬نيبن كلذو ام هاندرأ ‪].‬ا[‬ ‫‪: ‎8.‬نوكيو نوكيف ‪،‬ك[ ]م‬

‫‪: ‎2.‬يذلا ةصقان ‪،‬ك[ ]م‬

‫‪: ‎5.‬أيهتي أيهت ]ا[‬ ‫‪: ‎9.‬نوكتف نوكتو ]م[‬

‫‪: ‎3.‬يطخ طخ ]ك[‬

‫‪: ‎6.‬نوكي نوكيف ]م[‬

‫‪ ‎4.‬كلذو ام اندرأ‬

‫‪ ‎7.‬ـلا ه‪ :‬اهل ‪،‬ا[ ‪،‬ط ]م‬

432

IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

Démonstration : AD par DE est égale à NG par GH, c’est-à-dire au carré de GO, et à MI par IK, et à LS par SU. Ce qu’il fallait démontrer 1.

B

Fig. 4

L’opuscule est achevé.

‎1. D est le milieu de AE, d’où DA · DE = DA2 , et, par hypothèse, GO = IP = SU = DA. Il s’ensuit que GO2 = DA2 , et la puissance des points G, I, S par rapport aux cercles successifs donne GP2 = GH · GN,

IP2 = IK · IM,

SU2 = SC · SL,

donc GH · GN = IK · IM = SC · SL = DA · DE, d’où, d’après le second lemme, les points G, I, S sont sur l’hyperbole qui passe par D et admet les droites BE et BA comme asymptotes. Notons qu’al-Sijzī utilise pour la construction de ces points l’intersection d’un cercle et d’une droite.

‫‪433‬‬ ‫و‪-٧٥-‬ا‬

‫‪AL-SIJZĪ ET MAÏMONIDE‬‬

‫‪:‬هناهرب نأ ا د ‪ 1‬يف د ه ‪ٍ /‬واسم ‪ 2‬ـلن ز ‪ 3‬يف ز ح‪ ،‬ينعأ عبرمل ز ع‪ ،‬ـلوم ط ‪ 4‬يف ط ـك‬

‫‪5‬‬

‫ـلول س يف س ص ‪ ،6‬كلذو ام اندرأ نأ نّيبن ‪.8 , 7‬‬

‫مت لوقلا‬

‫‪9‬‬

‫‪ ‎1.‬ا د‪ :‬ا ه ‪،‬ا[ ‪،‬ب ‪،‬ط ]م‬

‫‪ ‎4.‬م ط‪ :‬ل ط ]ك[‬ ‫يناثلا ريغ حضاو ]م[‬

‫يف لصألا‬

‫‪ٍ: ‎2.‬واسم ايواستم ]م[ ايواسم ]ط[‬

‫‪ ‎5.‬ط ـك‪ :‬ط ل ‪،‬ا[ ]ب‬

‫‪ ‎3.‬ن ز‪ :‬ف ز ]م[‬

‫‪ ‎6.‬س ص‪ :‬س ح ]ا[ س ض ‪]،‬ك[ فرحلا‬

‫‪ ‎7.‬ام اندرأ نأ ‪:‬نّيبن ام هاندرأ ]ا[ ام اندرأ هنايب ‪،‬ب[ ‪،‬ط ]م‬

‫‪ ‎8.‬اذه مسرلا ال دجوي‬

‫‪ ‎9.‬دجن اهناكم تمت« »ةلاسرلا ]ا[ اهبقعي يف ]ك[ دمحلاو« هلل هتاولصو ىلع دمحم هلآو ‪»،‬نيرهاطلا يفو‬

‫]م[ دمحلاو« هلل هدحو ىلصو هللا ىلع انديس دمحم هلآو هبحصو نيعمجأ ملسو »اًميلست ]ك[ مت« لوق دمحأ نب دمحم دبع ليلجلا‬

‫يزجسلا يف ةيفيك روصت نيطخلا نيذللا ال نايقلي عطقلا نابارقيو اًمئاد امهجارخإب ىلإ ام ال ةياهن هللو دمحلا ةولصلاو‬ ‫ىلع يبنلا دمحم هلآو نيعمجأ تلمع يف ب ه طمش »ةيدرجدزي ‪].‬ب[‬

L’ASYMPTOTE : APOLLONIUS ET SES LECTEURS Les relations entre mathématiques et philosophie sont multiples et d’origines diverses. Il y a bien entendu la réflexion philosophique sur la connaissance mathématique, son apodicticité et ses fondements. Il y a l’impact des découvertes mathématiques sur l’élaboration des systèmes philosophiques. Il y a les tentatives de résoudre mathématiquement des problèmes philosophiques. Mais il arrive aussi que les mathématiciens se tournent vers la philosophie pour y chercher une solution aux difficultés qu’ils rencontrent. Une telle démarche peut surprendre, mais elle n’est pas rare. Elle est souvent le fait de mathématiciens de premier rang et en avance sur leur temps, qui voient dans l’avenir, mais avec les yeux du présent. Cet écart entre les nouvelles idées et la connaissance mathématique disponible incite en effet le mathématicien à emprunter la voie de la philosophie pour trouver les réponses aux nouvelles questions qu’il se pose. Réponses certes provisoires, dans l’attente que soient forgés les nouveaux moyens et formulés les nouveaux concepts. Que l’on pense aux écrits sur les indivisibles avant l’analyse infinitésimale ; à la métaphysique du calcul infinitésimal avant l’étude rigoureuse de la notion de limite et de celle de convergence ; aux doctrines du probable avant la théorie axiomatique de la probabilité, etc. Aujourd’hui, j’ai pensé traiter brièvement un ancien exemple, qui illustre ce type de rapport entre mathématiques et philosophie. Le second livre des Coniques comporte une théorie des asymptotes à une hyperbole 1. Le mathématicien commence par examiner les propriétés des asymptotes, puis il en vient à celles des sécantes et des tangentes à l’hyperbole, mais toujours en liaison avec l’étude des asymptotes. Cette notion d’asymptote était connue avant Apollonius, mais sous un autre nom ; on la rencontre en effet chez Archimède dans Les Conoïdes et les Sphéroïdes 2, et peut-être apparaît-elle déjà avant. Paru dans Bollettino di storia delle scienze matematiche, vol. XXX, fasc. 2, 2010, p. 223-254. Une première version de cet article a été exposée lors d’un colloque organisé en 2009 à l’Université d’Aix-en-Provence, en hommage à Alain Michel. ‎1. Voir Apollonius : Les Coniques, tome 2.1 : Livres II-III, commentaire historique et mathématique, édition et traduction du texte arabe par R. Rashed, Berlin / New York, 2010. ‎2. αἱ ἔγγιστα dans De la sphère et du cylindre, La mesure du cercle, Sur les conoïdes et les sphéroïdes, texte établi et traduit par Charles Mugler, Paris, Les Belles Lettres, 1971,

436

IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

Mais c’est Apollonius qui lui consacre la première étude systématique et extensive, ainsi qu’au comportement asymptotique de l’hyperbole. Cette nouvelle théorie représente un instrument essentiel dans la géométrie des coniques échafaudée dans l’ouvrage d’Apollonius. Celui-ci y recourt en effet dans les autres livres des Coniques, comme le feront ensuite les mathématiciens, à partir du ix e siècle, dans leurs recherches aussi bien géométriques qu’algébriques : les asymptotes vont représenter un système de repère lors de la traduction géométrique des équations algébriques 1. Cette théorie nouvelle est développée en vingt propositions. Dans les deux premières, Apollonius définit, pour une branche d’hyperbole, deux demi-droites issues du centre de la section et qu’il nomme «asymptotes». Il en étudie les propriétés relativement à la courbe, montre que leurs prolongements sont les asymptotes de la deuxième branche de l’hyperbole et établit leur unicité. Il ressort de ces propositions qu’Apollonius est parvenu à ce concept d’asymptote à une hyperbole au cours de son étude de la notion de diamètre de cette courbe : l’asymptote est la position limite d’un diamètre dont le sommet s’éloigne indéfiniment sur l’hyperbole. C’est sur la proposition II.14 que je voudrais m’arrêter. Mais, pour cela, il faut commencer par rappeler la proposition II.12. Soit une hyperbole dont les asymptotes sont les demi-droites Bu et Bv. Par un point Δ de l’hyperbole on mène deux droites dont l’une coupe Bu en E et l’autre coupe Bv en Z. Par un autre point H on mène les parallèles à ΔE et ΔZ ; elles coupent Bu et Bv respectivement en Θ et K ; on a alors ΔE · ΔZ = HΘ · HK. Notons que, si les droites menées de H et de Δ sont parallèles aux asymptotes, cette proposition, traduite dans un autre langage, conduit à caractériser l’hyperbole rapportées à ses asymptotes (Bu, Bv). Dans ce repère, on a xH = BK = ΘH,

yH = BΘ = KH,

xΔ = BZ = EΔ,

yΔ = BE = ZΔ ;

on a donc xH · yH = xΔ · yΔ , t. I, Sur les conoïdes, Lettre à Dosithée, p. 153, 16 et 27 ; Sur les conoïdes, p. 224, 26. Voir « ἐγγίων » dans Liddell and Scott, A Greek-English Lexicon ; Ch. Mugler, Dictionnaire historique de la géométrie des Grecs, Études et commentaires XXVIII, Paris, 1958, p. 86 et 158. ‎1. Voir R. Rashed et B. Vahabzadeh, Al-Khayyām mathématicien, Paris, 1999 ; et R. Rashed, Sharaf al-Dīn al-Ṭūsī, Œuvres mathématiques. Algèbre et géométrie au xii e siècle, Collection « Sciences et philosophie arabes – textes et études », 2 vol., Paris, Les Belles Lettres, 1986.

L’ASYMPTOTE : APOLLONIUS ET SES LECTEURS

£

437

A

H E B K ¢

Z °

Fig. 1

d’où xy = cte. Il s’agit donc de prendre les asymptotes comme repère et de montrer la constance du produit. Dans la proposition II.14, Apollonius montre que la suite des distances parallèles à une direction donnée, entre les points de l’hyperbole et l’asymptote, décroît, et devient à partir d’un certain rang plus petite que toute distance donnée. Cette proposition a stimulé l’imagination des mathématiciens, qui l’ont amplement commentée. Elle fut également l’objet de la réflexion des philosophes, depuis Proclus jusqu’au xviii e siècle. L’énoncé de la proposition II.14 nous est parvenu sous deux formes. Dans l’édition d’Eutocius des quatre premiers livres des Coniques, on lit : Les asymptotes et la section prolongées à l’infini (εἰς ἄπειρον) se rapprochent toujours davantage les unes de l’autre et elles en arrivent à un intervalle moindre que tout intervalle donné 1.

Selon la traduction arabe d’une ancienne version pré-eutocienne de sept livres des Coniques, on lit :

‎1. Apollonii Pergaei quae graece exstant cum commentariis antiquis, edidit et latine interpretatus est I. L. Heiberg, 2 vol., Leipzig, 1891, 1893 ; repr. Stuttgart, 1974, I, p. 216, 10 ; Les Coniques d’Apollonius de Perge, Œuvres traduites pour la première fois du grec en français, avec une introduction et des notes par Paul Ver Eecke ; nouveau tirage, Paris, Librairie A. Blanchard, 1959, p. 130.

438

IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

u £

H E B K

¢

Z

v Fig. 2

Si on prolonge les asymptotes de la section et la ligne de la section, alors, à mesure qu’elles s’éloignent de l’angle entouré par les asymptotes, elles se rapprochent davantage de la section. Et si on se donne une grandeur quelconque, alors il se trouve entre la section et chacune des asymptotes une autre grandeur plus petite qu’elle 1.

Entre ces deux rédactions, on relève quelques différences : alors que le terme «infini» est présent dans l’édition d’Eutocius, il n’est pas exprimé dans la traduction arabe, plus précise et plus explicite que la première ; comme si dans le texte rendu en arabe on avait tenu à souligner ce que nous pourrions appeler l’aspect fonctionnel. Cette différence tient, selon nous, à Apollonius, qui a repris une première rédaction du livre II, pour en donner une version accréditée, laquelle est parvenue au traducteur arabe. 2 Voici comment il démontre cette proposition. Soit Θ et H deux points pris sur H avec H plus éloigné que Θ du sommet de l’hyperbole. Par Θ et H on mène deux droites parallèles, la première coupe les asymptotes en Z et E, et la deuxième les coupe en Δ et Γ. D’après II.10, on a HΓ · HΔ = ΘE · ΘZ.

(1)

‎1. Voir notre édition des Coniques, tome 2.1 : Livres II-III. ‎2. Apollonius : Les Coniques, tome 1.1 : Livre I, commentaire historique et mathématique, édition et traduction du texte arabe par Roshdi Rashed, Berlin / New York, 2008.

L’ASYMPTOTE : APOLLONIUS ET SES LECTEURS

439

La droite AΘ coupe ΔΓ en Ξ ; on a donc AΞ > AΘ, d’où ΔΞ > ZΘ et par suite ΔH > ZΘ ; (2) de (1) et (2) on déduit HΓ < ΘE ;

M °

N

E H

§

€

A

£

K

Z ¢

B Fig. 3

si donc H s’éloigne, la longueur HΓ diminue. On montre qu’on peut la rendre inférieure à une longueur K donnée. Prenons sur EΘ un point Λ tel que EΛ < K, et par le point Λ menons la parallèle à l’asymptote AE. D’après II.13, cette parallèle coupe H en un seul point ; soit N. On mène, par N, BNM // ZE ; on a donc NM = ΛE, donc NM < K. On peut donc trouver sur H un point auquel correspond une distance aussi petite que l’on veut. Parmi les droites issues de A qui ne rencontrent pas H, les deux asymptotes AB et AΓ sont les plus rapprochées de la section et l’angle BAΓ est le plus petit angle formé par de telles droites. Pour démontrer cette proposition, Apollonius a recours à pas moins de huit propositions des Coniques : 1, 2, 3, 5, 8, 10, 12, 13 du livre II ; et 21, 22, 47 du livre I. Cf. le schéma d’implications, fig. 4, p. 440. Mais, quelles que soient les différences entre les deux rédactions, l’une comme l’autre elles présupposent la continuité de la courbe,

440

IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

II.1

II.2

II.3

I.21 I.22

II.5 II.8

I.47 II.10

II.12

II.13 II.14

Fig. 4

le prolongement à l’infini et la décroissance à l’infini des distances entre la courbe et l’asymptote. Ainsi, en plus de la continuité, Apollonius présuppose deux infinités, celle d’une suite décroissante des distances à partir d’une distance initiale, et une autre, selon l’extrémité. Or ces trois présupposés, nécessaires à la description du comportement asymptotique, sont autant de problèmes puisqu’aucun n’est justifié au préalable ; on n’avait en effet pas encore les moyens de les soumettre à un calcul. On comprend sans peine l’étonnement des mathématiciens. Ainsi Geminus, comme le rapporte Proclus, écrit à propos de quelques lignes, dont l’hyperbole : l’hyperbole est à l’égard de la ligne droite et la conchoïde en présence de la ligne droite ; car ces lignes, bien que leur distance diminue continuellement, sont toujours asymptotes, se rapprochent les unes des autres, mais jamais entièrement : fait constituant le théorème le plus paradoxal en géométrie (ὃ καὶ παραδοξότατόν ἐστιν ἐν γεωμετρίᾳ θεώρημα) 1.

Le paradoxe semble tenir à la présence de cette notion introduite sans définition préalable, l’infini, et à cette notion de distance qui devient à l’infini infiniment petite, sans s’annuler, c’est-à-dire sans devenir égale à zéro.

‎1. Procli Diadochi, In primum Euclidis Elementorum librum commentarii, éd G. Friedlein, Leipzig, 1873 ; reprod. Olms, 1967, p. 177 ; et la traduction de Ver Eecke : Proclus de Lycie, Les Commentaires sur le premier livre des Éléments d’Euclide, Paris, 1948, p. 144-145.

L’ASYMPTOTE : APOLLONIUS ET SES LECTEURS

441

Proclus, pour sa part, écrit dans son Commentaire : l’infini ne s’établit que dans l’imagination, sans que celle-ci le conçoive ; car l’imagination conçoit et applique en même temps une forme et une limite à ce qui est conçu ; elle arrête l’évolution du phénomène 1.

Le mot est prononcé : « la forme », l’infini est dépourvu de forme. Comment l’entendement peut-il alors s’appliquer à l’infini comme objet d’une connaissance démontrable ? Selon Proclus, cette opération est possible si l’infini est considéré comme hypothèse et s’il est utilisé en tant que fini dans les démonstrations mathématiques. Lisons ce qu’il écrit : d’autre part, la connaissance raisonnée (διάνοια) d’où proviennent les raisonnements et les démonstrations, ne fait pas usage de l’infini en vue de le connaître car l’infini n’est généralement pas un comportement de la science – mais, adoptant l’infini par hypothèse, elle n’utilise que le fini dans la démonstration 2.

Et, cependant, la stratégie proposée par Proclus semble inefficace dans le cas qui nous intéresse, celui du comportement asymptotique où l’infini et l’infiniment petit interviennent à la fois dans la description du phénomène et dans les démonstrations. Comment surmonter cette difficulté et comment interpréter II.14 ? Deux questions se posent – l’une, mathématique : comment justifier l’intervention de l’infini à partir d’autres bases ? L’autre est philosophique : peut-on démontrer ce que l’on ne peut concevoir ? À l’heure de la première réactivation de la recherche en géométrie des coniques, au ix e siècle, ces questions incitèrent les successeurs d’Apollonius à isoler la proposition II.14 pour lui consacrer des mémoires indépendants. En adoptant cette forme de rédaction, ils entendaient procéder à une étude mathematico-philosophique qui n’aurait pas trouvé sa place dans un chapitre de géométrie des coniques. Le premier mémoire est l’œuvre d’un de ces mathématiciens qui ont contribué au développement de la recherche sur les coniques : al-Sijzī, à la fin du x e siècle. Le titre du mémoire est éloquent : Comment concevoir les deux lignes qui se rapprochent et ne se rencontrent pas, si on les prolonge à l’infini. Comme il s’agit d’un mémoire indépendant, al-Sijzī, même s’il continue à se référer aux Coniques, ne pouvait conserver l’architechtonique dont II.14 est un élément. Il lui fallait, de plus, s’expliquer sur ‎1. Ibid., trad. Ver Eecke, p. 245-246. ‎2. Ibid.

442

IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

la manière dont il conçoit les deux lignes. Aussi procède-t-il dans ce mémoire selon deux voies : l’une est mathématique, l’autre est logicophilosophique. Exposons-les brièvement. Al-Sijzī entend d’abord expliquer la constance établie dans II.12, c’est-à-dire l’invariance lorsque le point sur l’hyperbole varie. Or on a vu que la raison en est que xH , xΔ , yH , yΔ sont les côtés des parallélogrammes dont on connaît l’aire de chacun. On sait de plus que cette aire est conservée par une transformation affine unimodulaire de l’hyperbole en elle-même. Certes al-Sijzī ne l’aurait pas dit en ces termes, mais il connaissait parfaitement la constance de l’aire. Le mémoire d’al-Sijzī commence par l’établissement du lemme suivant : parmi les parallélogrammes appliqués à des droites données, égaux à un parallélogramme donné, dont les angles opposés sont égaux aux deux angles opposés de ces parallélogrammes, ceux dont les longueurs sont les plus courtes ont les largeurs les plus longues, et ceux qui ont les longueurs les plus longues ont les largeurs les plus courtes. Et ainsi de suite selon ce mode, à l’infini 1.

Commentaire de ce lemme : Soient OX et OY deux droites données, H un point – qui varie – du plan, tel que l’aire du parallélogramme OMHN soit égale à une constante c. Posons x = ON, y = OM, alors on peut écrire xy =

c

sin α

(*)

= a.

Si y [resp. x] tend vers l’infini, alors x [resp. y] tend vers 0. y

H

M · O

N

x

Fig. 5

Si H varie dans le plan de telle manière que (*) reste vérifiée, alors H décrit une branche de l’hyperbole dont les asymptotes sont les droites données. ‎1. R. Rashed, Œuvre mathématique d’al-Sijzī. Volume I : Géométrie des coniques et théorie des nombres au x e siècle, Les Cahiers du Mideo, 3, Louvain-Paris, Éditions Peeters, 2004, p. 298.

L’ASYMPTOTE : APOLLONIUS ET SES LECTEURS

443

Proposition II.14. – Lorsque M s’éloigne indéfiniment sur OY, alors MH tend vers 0 sans que le point H atteigne l’asymptote OY. La démarche d’al-Sijzī consiste à considérer des parallélogrammes de la forme (OMn Hn Nn ), n ≥ 1, puis à passer de ce cas discret au cas continu. Il considère alors la suite (Hn ) des points H telle que la suite (Yn ) qui lui correspond tende vers l’infini. Cette traduction éclaire la difficulté rencontrée à l’époque, et qui rend cette proposition difficile à concevoir : la «limite» d’une suite, lorsqu’elle existe, n’est pas nécessairement atteinte. Al-Sijzī semble avoir deviné cette situation. Ainsi, lorsqu’il démontre que Mn Hn = xn tend vers 0, il démontre également que Hn n’atteint jamais l’asymptote OY ; c’est-à-dire qu’aucun terme xn de la suite, aussi petit soit-il, n’est égal à zéro, et donc égal à la limite de la suite. À cela s’ajoutent d’autres difficultés relatives à la mesure de l’aire. Cette difficulté tient à ce que nous pouvons appeler «la discontinuité de l’aire». Soit en effet l’aire (OMn Hn Nn ) = An . Il est évident que An = c. Or xn = Mn Hn tend vers 0 quand n tend vers l’infini ; ce qui implique que le parallélogramme en tant que surface tend – en un certain sens – vers l’asymptote OY. Or, d’après al-Sijzī, l’aire d’une droite est nulle. Il affirme également au cours de sa démonstration que l’on ne peut former une surface – d’aire non nulle nécessairement – en utilisant des segments. Rappelons qu’il s’agit pour lui d’un ensemble fini, ou au plus dénombrable, de segments. Il s’ensuit également que

lim aire(OMn Hn Nn ) = c ̸= 0 = aire( lim OMn Hn Nn ) ;

n→∞

n→∞

d’où résulte une difficulté qui, pour al-Sijzī, ne saurait être qu’intrinsèque et essentielle : voici une propriété difficilement concevable alors que pourtant elle est correctement démontrée. Il est clair que les raisons d’une telle difficulté ne tiennent pas, pour al-Sijzī, à la capacité subjective de représenter l’objet mathématique, mais bien à la méthode de sa construction. Le mathématicien doit commencer par mettre en lumière cette méthode cachée, pour pouvoir parler de l’infini, dans les deux sens précédents au moins, ainsi que pour décrire cette catégorie de comportement asymptotique ; et la fonction du lemme est précisément de mettre à nu cette méthode de construction. On comprend dès lors pourquoi al-Sijzī, contre toute évidence textuelle ou historique, a jugé qu’Apollonius devait connaître ce lemme avant d’énoncer ce théorème. Le mathématicien du x e siècle se trouve alors confronté à un problème redoutable, qu’il n’est pas armé pour résoudre : quel est le statut des propositions vraies, puisque démontrées, mais que l’entendement ne peut pas concevoir ? Plus grave encore : peut-on se

444

IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

convaincre de l’existence de cet objet mathématique que l’on vient d’établir mais qu’on ne peut concevoir ? Quel sens donner à cette existence ? La voie empruntée par le mathématicien pour approcher ces questions, en l’absence de moyens proprement mathématiques, est celle de la philosophie : on va résoudre philosophiquement un problème mathématique. Al-Sijzī propose alors une classification des propositions mathématiques, dans laquelle la proposition II.14 trouve sa place. La classification est établie en fonction du couple «conception / démonstration». On a successivement : 1. Les propositions concevables directement, c’est-à-dire à partir des principes philosophiques, et qu’il n’y a aucun moyen mathématique de démontrer ; par exemple la divisibilité à l’infini du continu. 2. Les propositions concevables avant qu’il soit procédé à leur démonstration ; c’est-à-dire les propositions immédiatement concevables. Il s’agit des axiomes ou de ce qui peut se réduire à des axiomes. Par exemple : deux cercles se coupent en deux points seulement. 3. Les propositions concevables lorsque l’on forme l’idée de leur démonstration : deux parallélogrammes de même aire, si la longueur de l’un excède la longueur de l’autre, alors sa largeur sera plus petite que celle de l’autre. 4. Les propositions concevables seulement une fois démontrées. Il s’agit des propositions qui ne sont pas directement déductibles des axiomes. Exemple : la somme des angles d’un triangle est égale à deux droits. 5. Les propositions difficilement concevables, même une fois démontrées ; exemple : II.14. Suscitée par les questions posées par l’asymptote, cette recherche mathématique et philosophique d’al-Sijzī a été poursuivie par les mathématiciens aussi bien que par les philosophes. Ainsi le mathématicien al-Bīrūnī, contemporain d’al-Sijzī mais plus jeune que lui, a rédigé un mémoire sur l’asymptote qui ne nous est pas parvenu. Un autre, mathématicien et théologien, plus jeune qu’al-Sijzī, al-Qummī 1, écrit un mémoire sur II.14 dans lequel il opte pour une ‎1. Ibn Kishna al-Qummī est également l’auteur d’un mémoire intitulé : Reprise de certains points du livre al-Kāfī d’al-Karajī (Fī al-radd ʿalā mawāḍiʿ min Kitāb al-Kāfī li-al-Karajī). Al-Qummī reprend dans ce mémoire certains résultats géométriques du

L’ASYMPTOTE : APOLLONIUS ET SES LECTEURS

445

position épistémologiquement neutre et mathématiquement intéressante. Il choisit ainsi d’évacuer de son mémoire les considérations sur l’infini et la question de la légitimité de son usage, qu’il renvoie à ses écrits philosophiques : les spéculations sur l’infini doivent donc être en dehors des mathématiques. D’autre part, comme son mémoire est entièrement consacré à la proposition II.14, il exige qu’il soit auto-suffisant et n’attende pas de son lecteur des connaissances préalables en géométrie des coniques. Seule est requise la connaissance des Éléments d’Euclide. Dans ces conditions, al-Qummī ne pouvait évidemment pas concevoir l’asymptote comme un diamètre de la section dont le sommet est à l’infini. Il commence par expliquer comment déterminer l’hyperbole comme une section plane du cône et l’asymptote comme une droite parallèle à une génératrice du cône dans un plan passant par le centre de la section, parallèle au plan sécant. Il n’utilise au cours de sa démonstration que III.34 des Éléments – la puissance d’un point par rapport à un cercle – XI.16 – si deux plans parallèles sont coupés par un plan, alors leurs intersections sont parallèles – et XI.10 – les angles à côtés parallèles sont égaux. Al-Qummī n’a cependant pas saisi le problème infinitésimal étudié par al-Sijzī, il démontre 1 que la distance d’un point de l’hyperbole à l’asymptote décroît constamment lorsque le point s’éloigne du sommet sur la courbe, mais il ne voit pas que la difficulté à concevoir cette proposition vient de ce que cette distance peut être rendue aussi petite que l’on veut. Mais al-Qummī n’est pas le seul à faire un tel choix. Il existe un traité anonyme faussement attribué au mathématicien al-Ḥasan ibn al-Haytham, où l’auteur emprunte la même voie qu’al-Qummī 2. L’auteur commence par montrer comment engendrer un cône de révolution et obtenir une surface conique. Il explique ensuite comment déterminer une hyperbole comme section plane d’un cône, ainsi que son diamètre transverse, son côté droit et ses ordonnées ; et comment montrer que la courbe est à une branche infinie. Il ne s’agit livre d’al-Karajī : la mesure des aires, les aires des polygones, l’aire de la surface latérale de la sphère, l’aire des surfaces latérales de certains solides, etc. Ce mémoire est précieux à plusieurs titres : c’est le seul témoignage aujourd’hui connu d’un auteur de la fin du x e siècle et du début du xi e siècle relativement au nom d’al-Karajī, à ses dates et à l’authenticité de l’attribution d’al-Kāfi qui lui est faite. Les informations que nous livre ce témoignage sont d’autant plus importantes que tout ceci était, jusqu’à une date récente, objet de débat. Voir R. Rashed, « Al-Karajī», Dictionary of Scientific Biography, vol. 7, New York : Scribner, 1973, p. 240-246. ‎1. Voir plus loin son texte. ‎2. Risāla fī wujūd khaṭṭayn yaqrabāni wa-lā yalqayānihi, édition, traduction et commentaire dans R. Rashed, « Le Pseudo al-Ḥasan ibn al-Haytham : sur l’asymptote», à paraître.

446

IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

pas du cas général, comme chez Apollonius, mais d’une hyperbole équilatère. Ainsi, l’auteur fournit à son lecteur le bagage qui le dispense de revenir aux Coniques et assure à son traité indépendance et auto-suffisance. Il étudie la droite asymptote, qu’il conçoit, à la différence d’Apollonius, comme une droite parallèle à une génératrice du cône dans un plan passant par le centre de la section et parallèle au plan sécant – conception que l’on rencontre déjà chez al-Qummī. L’asymptote est donc une droite qui passe par le centre de l’hyperbole et par l’extrémité de la moitié du côté droit, qui est, dans l’hyperbole équilatère, une partie de la tangente au sommet. Il montre ensuite que cette droite ne rencontre pas la courbe, que la suite des distances, majorée par la distance entre le sommet de la courbe et l’asymptote, est une suite décroissante. Puis il démontre l’unicité de l’asymptote, et montre enfin que, si l’on mène d’un point quelconque entre le sommet de l’hyperbole et son centre une droite parallèlement à l’asymptote, elle se comporte avec l’hyperbole comme l’asymptote. Il démontre ensuite que cette droite ne rencontre pas la courbe, une fois par une preuve directe et une fois par une réduction à l’absurde. On peut récrire la preuve directe ainsi : Soit (AB, AP) un repère, G (x, y) un point de l’hyperbole ; par la propriété fondamentale (le symptoma), on a y2 = (2a + x)x. Soit le point W (X, Y ) sur l’asymptote, on a X = x, Y = x + a, d’où Y2 = (x + a)2 = y2 + a2 , donc Y2 > y2 . La démonstration par réduction à l’absurde se récrit : Supposons que CB rencontre l’hyperbole au point K et menons KP ; on a DP · PA + AC2 = CP2 = PK2 (K sur BC). Mais PK2 = DP · PA (symptoma), donc DP · PA + AC2 = DP · PA ; ce qui est impossible. L’auteur donne ensuite deux démonstrations de la décroissance de la suite des distances entre l’hyperbole et l’asymptote. Voici la transcription de ces démonstrations. Traçons les droites GS et EM ; elles rencontrent l’asymptote en W et I, donc DS · SA = GS2 et DM · MA = ME2 ;

L’ASYMPTOTE : APOLLONIUS ET SES LECTEURS

447

mais DS · SA < DM · MA ⇒ ME > GS

et

MC > SC,

d’où CS + SG < CM + ME.

D

C J A

V

B H

S L

M

N

E

P

U

W

G

O I K

Fig. 6

D’autre part, DS · SA + AC2 = CS2 = SW2 ; mais

(CS + GS) · GW + GS2 = SW2 , d’où

(CS + GS) · GW = AC2 . De même, on montre que (CM + ME)EI = AC2 , donc

(CS + GS) · GW = (CM + ME) · EI, d’où

CS + SG EI = ; CM + ME GW

mais CS + SG < CM + ME ⇒ EI < GW.

d = 1 droit et ˆI = Mais EOI EO = OI,

1 2

ˆ= droit, donc E EI2 = 2EO2

or EI < GW, donc EO < GH.

et

1 2

droit, donc

GW2 = 2GH2 ;

(*)

448

IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

On montre enfin que AJ > GH. De (*) on a CS + SG AC = ; AC GW or CS + SG > AC ⇒ AC = AB > GW

et

AB2 = 2AJ2 ,

GW2 = 2GH2 ,

donc AJ > GH > EO. On peut transcrire ainsi la seconde démontration : LW · GW + SG2 = SW2 = CS2 = DS · AS + AC2 , donc LW · GW + SG2 = DS · AS + AC2 ; mais SG2 = DS · SA ; par soustraction, on a AC2 = AB2 = LW · GW, donc

LW AB = . AB GW

Mais LW > AB, donc AB > GW. On montre également que NI · EI = AB2 , d’où LW · GW = NI · EI, d’où

EI LW = ; NI GW

mais LW < NI ⇒ EI < GW. L’auteur commence par établir deux lemmes pour démontrer que l’asymptote et la courbe prolongées continûment ne se rencontrent jamais : 1. Si on divise un segment [AB] en deux points C et E tels que AC > CB et AE = CB, et si l’on ajoute à [AB] le segment [BD], alors AD · DB = CD2 .

A

E

C

B

D

L’ASYMPTOTE : APOLLONIUS ET SES LECTEURS

449

2. Toute parallèle à l’asymptote menée entre le sommet de l’hyperbole et son centre rencontre l’hyperbole. Il démontre ensuite la proposition : Quelle que soit une distance I ′ entre l’asymptote et l’hyperbole inférieure ou égale à la distance d = AJ, il existe une distance d ′ telle que d ′ = I ′ . Si I ′ = AJ, la proposition est vérifiée. S

C

T J N

B

A

E

O

M L

Y I´

Fig. 7

Si I ′ < AJ, prenons JN = I ′ sur AJ. De N on mène la droite NM parallèle à l’asymptote CB. D’après le lemme 2, la droite NM rencontre l’hyperbole ; qu’elle la rencontre en M. Abaissons de M la perpendiculaire ME sur l’asymptote. On a alors le parallélogramme (N, E), donc JN = ME = I ′ . L’auteur montre ensuite que toute parallèle à l’asymptote se comporte comme une asymptote et que l’asymptote est unique. On voit que cet auteur anonyme, s’il emprunte la même voie quʾal-Qummī, n’a pas commis la même inadvertance et a saisi le problème infinitésimal qu’étudie al-Sijzī. Cette recherche sur II.14 est encore bien active au siècle suivant, le xii e. Ainsi l’algébriste Sharaf al-Dīn al-Ṭūsī y revient à deux reprises, dans son traité Des Équations et dans un mémoire indépendant. Mais il s’agit cette fois de l’étude de l’équation de la courbe dans un repère formé par les asymptotes en vue de la construction des racines des équations. On pourrait citer encore d’autres mémoires consacrés à II.14, comme celui, anonyme, traduit en latin par Jean de Palerme au xiii e siècle 1, ainsi qu’un écrit du philosophe théologien Fakhr al‎1. Marshall Clagett, « A Medieval Latin Translation of a Short Arabic Tract on the Hyperbola», Osiris, 11 (1954), p. 359-385 ; et Archimedes in the Middle Ages, vol. IV :

450

IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

Dīn al-Rāzī (mort en 1209), où, selon ses propres dires 1, il ne recourt qu’aux Éléments d’Euclide. Au xvi e siècle, le mathématicien Francesco Barozzi reprend le même problème dans son Admirandum illud geometricum problema tredecim modis demonstratum. 2 Celui-ci en effet démontre la même proposition, qu’il énonce ainsi : Duas in eodem plano designare lineas alteram rectam, et alteram curuam, quae nunquam adinuicem coincidant, etiam si in infinitum protrahantur : et quanto longius producuntur, tanto sibiinuicem propiores evadant ?

Les philosophes, Montaigne et plus tard Voltaire, continuent d’évoquer ce problème de l’asymptote dans certaines analyses. Ainsi, Montaigne écrit au Livre II des Essais : [...] en la Geometrie (qui pense avoir gagné le haut point de certitude parmy les sciences) il se trouve des démonstrations inévitables subvertissant la vérité de l’expérience : comme Jacques Peletier me disait chez moi qu’il avait trouvé deux lignes s’acheminant l’une vers l’autre pour se joindre, qu’il vérifiait toutefois ne pouvoir jamais, jusqu’à l’infinité, arriver à se toucher 3.

Et Voltaire, porte parole du Stocïen dans le septième des Dialogues Philosophiques : [...] N’êtes-vous pas forcé d’admettre les asymptotes en géométrie, sans comprendre comment ces lignes peuvent s’approcher toujours, et ne se toucher jamais ? N’y a-t-il pas des choses aussi incompréhensibles que

A Supplement on the Medieval Latin Traditions of Conic Sections, Philadelphie, 1980, p. 3361, 335-357. ‎1. Fakhr al-Dīn al-Rāzī, al-Maṭālib al-āliya, éd. A. H. al-Saqā, Beyrouth, 1987, p. 166 : « Apollonius a montré dans son livre Les coniques l’existence de deux lignes qui se rapprochent continûment, sans se rencontrer. Nous avons montré par d’autres moyens établis sur les principes de la géométrie que cela est possible. Si on acceptait que la division soit finie, alors cela serait impossible absolument».

‫نايقتلي نحنو دق انيب هوجوب ىرخأ ةينبم ىلع لوصأ ةسدنهلا‬. ‫نإ سوينولبأ نيب يف باتك »تاطورخملا« دوجو نيطخ نابراقتي اًدبأ الو‬ ‫اًعطق‬. ‫اًيهانتم عنتمال كلذ‬، ‫نكمم ولو ناك لوبق ةمسقلا‬. ‫نأ كلذ‬

‎2. Éd. L. Maierù, CLUEB, Bologne, 1991, p. 57-65. Voir aussi Emilia Florio et Luigi Maierù, «Le dimostrazioni di Francesco Barozzi nell’ Admirandum illud geometricum problema (1586)», Acc. Naz. Sci. Lett. Arti di Modena Memorie Scientifiche, Giuridiche, Letterarie, Cer. VIII, v. XI, 2008, fasc. I. ‎3. Montaigne, Les Essais, Livre II, chapitre 12.

L’ASYMPTOTE : APOLLONIUS ET SES LECTEURS

451

démontrées dans les propriétés du cercle. Concevez donc qu’on doit admettre l’incompréhensible, quand l’existence de cet incompréhensible est prouvée 1.

Mais, alors que ce problème des rapports entre conception et démonstration était examiné par les mathématiciens et les philosophes mathématiciens à propos du comportement asymptotique, un autre problème occupait parallèlement les philosophes mathématiciens depuis le ix e siècle, et que l’on peut désigner par le couple « imagination-démonstration». Dans son livre intitulé Sur la philosophie première, al-Kindī pose le problème des propositions qu’on démontre sans pouvoir en représenter l’objet, c’est-à-dire sans que l’on puisse s’en faire une image dans l’âme. Il prend l’exemple de la proposition : « À l’extérieur du corps de l’univers, il n’y a ni vide, ni plein ». Il écrit : Quant à ce qui n’a pas de matière ni n’est proche de la matière, cela n’est nullement représenté dans l’âme et on ne peut croire que ce le soit. Bien plutôt nous l’admettons en raison de ce qui le nécessite, par exemple quand nous disons : «à l’extérieur du corps de l’univers, il n’y a ni vide ni plein», c’est-à-dire ni vacuité ni corps. Ce propos n’a pas de représentation dans l’âme car « ni vide ni plein» est une chose que le sens ne perçoit pas et qui n’accompagne pas la sensation en telle sorte qu’il y en ait une représentation dans l’âme ou qu’on croie qu’il y a une image : ce n’est qu’une chose que perçoit l’intellect nécessairement en vertu des prémisses qu’on a posées 2.

La représentation dans l’âme (tamāthul) est à partir du sensible. C’est la φαντασία, que l’on pourrait d’ailleurs expliquer à propos des importants travaux d’al-Kindī lui-même en optique. Ses successeurs, comme Maïmonide, rendront d’ailleurs le terme grec par talkhyīl, imagination. Il est clair que l’exemple donné par al-Kindī renvoie indirectement à la notion d’infini, car, s’il y avait vide ou plein à l’extérieur du corps de l’univers, celui-ci serait infini ou entraînerait une infinité d’univers. Or al-Kindī a consacré plus d’un écrit à la démonstration, dans un style mathématique, de la finitude du corps de l’univers ; plus généralement, il montre qu’il n’y a rien en acte qui soit infini.

‎1. Voltaire, Dialogues philosophiques, VII, 1. ‎2. Al-Falsafa al-ūlā, dans R. Rashed et J. Jolivet, Œuvres philosophiques et scientifiques d’al-Kindī. Vol. II : Métaphysique et Cosmologie, Leiden, E.J. Brill, 1998, p. 20 ; ar. p. 21, 13-18.

452

IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

Ce problème « conception-démonstration» ou « imaginationdémonstration » ne cessera d’ailleurs d’être débattu par les successeurs d’al-Kindī, soit dans les traités de logique à l’occasion des lieux des erreurs, comme chez al-Fārābī, soit en métaphysique, à propos de l’opinion des théologiens qui, pourrait-on dire, définissaient les modalités par la conception ou l’imagination : le possible serait l’imaginable ou le concevable ; l’impossible le non-imaginable. C’est d’ailleurs pour critiquer cette doctrine que Maïmonide, dans le Guide des Égarés, intègre l’exemple du comportement asymptotique à ce problème, c’est-à-dire à celui des liens entre imagination et démonstration. Ainsi, il écrit à propos de II.14 : ceci ne peut être imaginé, et ne peut tomber en aucune manière dans le filet de l’imagination. Ces deux lignes sont l’une droite, l’autre courbe, ainsi qu’il y est exposé. Il est donc démontré l’existence de ce qu’on ne peut s’imaginer et qui ne saurait être saisi par l’imagination, mais lui paraît impossible 1.

Pour Maïmonide comme pour al-Kindī, l’imagination se réfère à un objet – individuel et matériel – présumé. Ainsi, le problème « conception-démonstration» a été absorbé par « imaginationdémonstration », problème conçu par al-Kindī. Mais on remarquera sans surprise que les exemples invoqués portent toujours sur des «choses infinies ». Plus tard, avec l’analyse infinitésimale, le comportement asymptotique cesse de poser problème aux mathématiciens. Pour le philosophe, en revanche, le débat sur les rapports entre conception – ou imagination –, et démonstration, ne cessera de s’enrichir et de s’amplifier, détaché de son terrain d’origine, pour devenir un thème de la philosophie classique. Une nouvelle discipline ne tardera pas à s’emparer de ce thème, et à intervenir massivement dans sa formulation : il s’agit de la Dioptrique, à partir de Descartes notamment. Mais c’est une autre histoire. L’exemple de la notion d’asymptote dans les mathématiques classiques illustre une situation rencontrée plus d’une fois en histoire des mathématiques, où la nécessité d’un concept, celle des liens entre les éléments qui le forment, n’apparaît qu’après coup, et où l’échec n’est qu’une étape obligée avant la définition opérationnelle du concept. Apollonius, on l’a vu, fonde une représentation géométrique de l’asymptote et du comportement asymptotique sur des relations de même nature, réunies dans les deux premiers livres des Coniques. La ‎1. Maïmonide, Guide des égarés, éd. Hüseyin Atay, Ankara, 1974 ; reprod. Le Caire, s.d., p. 215.

L’ASYMPTOTE : APOLLONIUS ET SES LECTEURS

453

découverte est importante pour la géométrie des coniques aussi bien que pour la géométrie des coordonnées plus tard. Mais les relations géométriques qu’introduit Apollonius sont impuissantes à justifier les notions de continuité, d’infini et d’infiniment petit, qu’il invoque subrepticement pour décrire le comportement asymptotique. Cet état de choses provoque les protestations de Geminus, et incite Proclus à tenter de contourner verbalement la difficulté. Le géomètre du x e siècle, al-Sijzī, conscient des difficultés, a voulu par son lemme fonder la démonstration d’Apollonius sur une propriété extrinsèque, pour ainsi retrouver le continu à partir du discret et l’infinitude à partir de celle de l’ensemble des entiers. L’échec de cette belle tentative n’apparaîtra qu’après coup, une fois développée la détermination du concept de comportement asymptotique, avec l’invention de la topologie et de l’arithmétique des nombres réels. Cet échec est bien partie intégrante de l’histoire conceptuelle, en ce sens qu’il est indissociable de la tentative de résoudre le problème qu’il soulève, étape nécessaire du progrès dans la découverte des structures conceptuelles. Il en va tout autrement de la contribution d’al-Qummī et de celle du pseudo-Ibn al-Haytham. Leurs lectures n’ont en effet retenu que la technique de la démonstration, qu’ils ont voulu simplifier par un retour à Euclide. Ils ont alors restitué dans son intégralité l’image purement géométrique du comportement asymptotique, perdant en route l’essentiel, à savoir le problème de la continuité et celui du caractère infinitésimal. Ces lectures ignorent également le précieux et positif échec d’al-Sijzī, ainsi que le nouveau thème de la classification des propositions mathématiques élaboré par ce dernier. À tous ces titres, elles appartiennent bien à l’histoire empirique, mais non à l’histoire conceptuelle.

Au Nom de Dieu Clément et Miséricordieux

Épître sur l’explication de l’asymptote 1 Composée par le Shaykh éminent, le Seigneur, le Guide, le Savant Rashīd al-Dīn Abū Jaʿfar Muḥammad ibn Aḥmad ibn Muḥammad ibn Kishna al-Qummī Que Dieu soit miséricordieux avec lui

B-33 r

M-23

Abū al-Badr ʿAbd al-ʿAzīz ibn ʿAlī ʿAbd al-ʿAzīz, que Dieu garde sa gloire, le Commis de l’État, m’a demandé de montrer la possibilité de l’existence de deux lignes qui se rapprochent continûment sans se rencontrer – ce sont les deux lignes signalées dans le second livre du traité des Coniques d’Apollonius –, d’approcher autant que possible la démonstration qui l’établit et de faciliter l’accès à la certitude la plus grande, sans emprunter la voie d’Aḥmad ibn Muḥammad ibn ʿAbd al-Jalīl al-Sijzī (celui-ci a en effet commencé par trouver cette proposition difficile, puis il a cru l’avoir démontrée d’une manière certaine ; il a alors composé | un mémoire indépendant pour l’expliquer, qu’on ne peut lire qu’une fois connu ce qu’Apollonius a mentionné. Et, malgré tout cela, l’homme a commis dans la troisième proposition, bien plus, dans la quatrième également, de ce mémoire, une erreur flagrante, étant donné que, dans les deux propositions, il a considéré égales les droites menées du point B 2. Or il n’avait pas besoin de considérer les cas particuliers pour ce qu’il visait, étant donné que ces droites y mènent, qu’elles soient égales ou inégales. Et les spécialistes s’accordent unanimement pour reconnaître | que, particulariser dans l’exemple de ce problème, alors que l’assertion est générale, est une faute et une négligence). Bien plus, il m’a demandé de présenter des propos qui allient à la brièveté le comble de l’explication, limpide et profondément pénétrante, telle que celui qui l’examine n’ait besoin de rien de ce qu’Apollonius a consigné. J’ai répondu à sa demande et satisfait à sa sollicitation, j’ai résumé ce qu’il demande de la manière la plus claire qui s’est présentée à moi ‎1. Traité établi à partir des manuscrits suivants : Meshed 5521/4, fol. 22-26, noté [M] ; Dublin, Chester Beatty 5255/3, fol. 32 v-37 v, noté [B] ; Le Caire, Dār alKutub 4523, fol. 13 v-15 v, noté [C] ; New York, Columbia Or 45, fol. 237-243, noté [K] ; nous n’avons pas pris en considération le manuscrit de Leiden, Or 14/7, fol. 232-235, qui est une copie de [K]. Sur l’histoire de ces manuscrits voir notamment R. Rashed, Œuvre mathématique d’al-Sijzī, vol. I et Les Catoptriciens grecs, Collection des Universités de France, Paris : Les Belles Lettres, 2000. ‎2. C’est-à-dire qu’al-Sijzī a considéré le cas particulier d’une hyperbole équilatère.

‫ظ‪-٣٢-‬ب‬ ‫ظ‪-١٣-‬ـج‬ ‫‪-٢٢‬م‬ ‫‪-٢٣٧‬ك‬

‫‪1‬‬

‫ةلاسر‬

‫يف‬

‫ةنابإ‬

‫نيطخلا نيذللا نابرقي اًدبأ الو ‪،‬ناتقتلي اهلمع‬

‫خيشلا ّلجألا‬

‫ملاعلا ديشر نيدلا وبأ رفعج دمحم نب دمحأ نب دمحم نب هنشك‬ ‫ةمحر‬ ‫‪4,3,2‬‬ ‫هللا هيلع‬

‫ديسلا مامإلا‬

‫ّيّمُقلا‬

‫ينلأس ّلجألا بختنم ةلودلا ‪ ،5‬وبأ ردبلا دبع زيزعلا نب يلع نب دبع زيزعلا ‪ ،6‬سرح هللا‬

‫هدجم ‪ ،8 , 7‬نأ نيبأ ناكمإ دوجو نيطخلا نيذللا نابُرْقَي ‪ 9‬اًدبأ الو ‪،‬نايقتلي امهو ناطخلا ناموسوملا يف‬ ‫ةلاقملا ةيناثلا ‪ 10‬نم باتك تاطورخملا سوينولبأل ‪ ،11‬بّرقأو َنايبلا يف هقيقحت ةياغ ‪،‬بيرقتلا لّهسأو‬

‫لوصولا ىلإ هنّقيت ةياهن ليهستلا ‪ ،12‬نأو ال نوكي يكلْسَم هيف كلسم دمحأ نب دمحم نب دبع ليلجلا‬ ‫و‪-٣٣-‬ب‬

‫يزجسلا ثيح بعصتسا اذه لكشلا ‪ً،‬الوأ مث دقتعا اًيناث‬

‫‪13‬‬

‫هنأ هنّيب ىلع نيع ‪،‬نيقيلا لمعف ‪/‬‬

‫ةلاسر ةدرفُم يف ‪،‬هحرش ال نكمي عالطإلا اهيلع الإ دعب فوقولا ىلع ام هركذ ‪،‬سوينولبأ عمو اذه‬

‫هلك دقف ّلز ‪ 14‬لجرلا يف لكشلا ثلاثلا ‪ ،15‬لب يف ‪ 16‬عبارلا اًضيأ نم هذه ةلاسرلا ًةّلز ةرهاظ ‪ :‬ذإ‬ ‫دق لمعتسا طوطخلا ةجرخملا نم ةطقن ب‬

‫‪17‬‬

‫ىلإ اذه صيصختلا ذإ هذه طوطخلا يدؤت‬ ‫‪-٢٣‬م‬

‫يف نيلكشلا ‪،‬ةيواستم سيلو اميف هّمؤي‬

‫‪20‬‬

‫‪18‬‬

‫اًرقتفم‬

‫ىلإ ام ‪،‬هموري ًةيواستم تناك وأ ‪ً.‬ةفلتخم دقو‬ ‫‪21‬‬

‫دقعنا عامجإ يوذ ‪ 22‬قيقحتلا ‪ /‬ىلع نأ صيصخت عوضوملا يف لاثمأ هذه ةلأسملا عم مومع مكحلا‬

‫قْرُخ‬

‫‪24‬‬

‫‪19‬‬

‫‪23‬‬

‫‪،‬ةلْفغو لب نأ َدروُأ اًمالك نمضتي عم زاجيإلا اًحرش اًيفاش اًمهفم ةياغ ‪،‬ميهفتلا ال جاتحي‬

‫‪ ‎1.‬مسب هللا نمحرلا ‪:‬ميحرلا بتك اهدعب دمحلا« هلل بر نيملاعلا ةولصلاو ىلع دمحم هلآو هبحصو »نيعمجأ ]ب[‬ ‫‪ ‎2.‬مسب ‪ ...‬هللا ‪:‬هيلع لاق لضافلا دمحم نب دمحأ نب دمحم نب هنشك يمقلا همحر هللا ]ـك[‬ ‫‪:‬هيلع لاق اما دعب دمح هللا ىلاعت هناف ]ـج[‬ ‫]ب[‬

‫‪ ‎4.‬ةمحر هللا ‪:‬هيلع حر ]ب[‬

‫‪ ‎3.‬ةلاسر ‪...‬‬

‫‪ ‎5.‬بختنم ‪:‬ةلودلا بختنملا‬

‫‪ ‎6.‬نب يلع ‪: ..‬زيزعلا اهتبثأ يف شماهلا عم »حص« ]ك[‬

‫‪ ‎7.‬لجألا ‪: ...‬هدجم ضعب يناوخا ]ـج[‬

‫‪: ‎9.‬نابرقي نابراقتي ]ـج[‬

‫‪: ‎10.‬ةيناثلا ‪،‬ةسماخلا مث ححص اهيلع ]ك[‬

‫‪ ‎8.‬سرح هللا ‪:‬هدجم ةصقان ]ك[‬

‫‪: ‎13.‬اًيناث‬ ‫‪ ‎12.‬لهسأو ‪: ...‬ليهستلا ةصقان ]ـج[‬ ‫‪: ‎11.‬سوينولبأل سوينولوبال ‪]،‬ـج[ كلذكو اميف دعب‬ ‫‪: ‎15.‬ثلاثلا ةصقان ]ك[‬ ‫‪ ‎16.‬لب ‪:‬يف لب يفو ]ب[ لب يفو ]ك[ يفو‬ ‫‪ّ: ‎14.‬لز لاز ]ك[‬ ‫ةصقان ]ـج[‬ ‫]ـج[‬ ‫]ك[‬

‫‪ ‎17.‬ب‪ :‬دق أرقت «ب د»‬ ‫‪: ‎20.‬يدؤت يدؤي ]ك[‬

‫اهتبثأ يف شماهلا ]ك[‬

‫‪: ‎19.‬اًرقتفم اًرقفتم‬ ‫‪ ‎18.‬اميف ‪:‬هّمؤي امم هموري ]ـج[ اميف هموري ]ب[‬ ‫‪: ‎23.‬مكحلا‬ ‫‪: ‎22.‬يوذ وذ ]ـج[‬ ‫‪: ‎21.‬ةيواستم ةيواسم ]ـج[‬

‫‪: ‎24.‬قْرُخ قورخ ]ب[‬

456

B-33 v

K-239

C-14 r

B-34 r

IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

et j’ai démontré ce qu’il voulait par la voie la plus facile qui m’est venue à l’esprit : une démonstration bâtie sur | des lemmes qui dispensent de se référer au Livre des Coniques. Venons-en maintenant à ce qui nous préoccupe. Imaginons | un plan que nous appelons le premier plan (P1 ), puis coupons-le par un plan quelconque incliné ou perpendiculaire au premier plan, les deux cas sont permis ; appelons le second plan (P2 ). Soit la droite AB l’intersection des deux plans. Menons ensuite dans le deuxième plan AC perpendiculaire à AB et menons AD quelconque dans le premier plan, perpendiculaire ou non à la droite AB. Supposons sur les droites AC et AD | deux points quelconques, supposons-les C et D, et joignons la droite CD. Supposons sur CD un point quelconque, soit E, partageons AC en deux moitiés en G et joignons EA et EG. Prolongeons ensuite à l’infini les droites DA, EA, EG et EC du côté des points A, G et C, c’est-à-dire imaginons qu’elles ne parviennent pas à une limite qui empêche leur prolongement continuel, d’après ce que les gens de cet art utilisent. Que cette imagination soit valable ou non est une chose dont l’explication se trouve dans nos livres théologiques et dans d’autres | livres. Soit les points W, I, J, K sur des droites et tels que AW soit sur le prolongement de DA, AI sur le prolongement de EA, GJ sur le prolongement de EG et CK sur le prolongement de EC. Imaginons ensuite que la droite EGJ est fixe et que la droite AG tourne dans le deuxième plan autour du point fixe G jusqu’à ce qu’elle revienne à sa position initiale ; et que la droite EAI tourne avec elle, le point E étant fixe. Appelons la droite EAI quand elle se meut de cette manière : la circulaire 1.

‎1. Il s’agit en fait de la génératrice. Une meilleure traduction serait « la rotationnelle», mais on a préféré «la circulaire» pour des raisons évidentes.

‫‪457‬‬

‫‪L’ASYMPTOTE : APOLLONIUS ET SES LECTEURS‬‬

‫رظانلا هيف ىلإ ءيش امم ‪ّ 1‬صن هيلع ‪،‬سوينولبأ هتبجأف ىلإ هتلأسم هتفعسأو ‪،‬هسمتلمب تصخلو‬

‫‪2‬‬

‫هبولطم ‪ 3‬حضوأب قيرط أّيهت ّيل يف ‪،‬لاحلا ُتنهربو ‪ 4‬هَدوصقم رسيأب ليبس قفتا ‪ 5‬يل يف ‪،‬تقولا‬

‫ظ‪-٣٣-‬ب‬

‫اًناهرب ينبني ‪ 6‬ىلع ‪ / 7‬تامدقم ينغت ‪ 8‬نع رظنلا يف باتك ‪.‬تاطورخملا‬

‫ذخأنلف ‪ 9‬اميف نحن هيف ‪،‬نآلا مهوتنف ‪ / 10‬اًحطس هيمسنو حطسلا ‪، 11‬لوألا مث هعطقن ‪ 12‬حطسب‬

‫‪-٢٣٩‬ك‬

‫رخآ امفيك ‪،‬قفتا ًالئامناك ىلع حطسلا لوألا وأ ‪،‬اًمئاق امهيأ ناك زاج ‪ ،13‬هيمسنو حطسلا ‪.‬يناثلا‬ ‫نكيلو لصفلا كرتشملا نيب نيحطسلا‬

‫‪14‬‬

‫طخ ا ب‪ ،‬مث جرخن ا ـج يف حطسلا يناثلا اًمئاق‬

‫‪15‬‬

‫ىلع‬

‫ا ب‪ ،‬جرخنو ا د يف حطسلا لوألا امفيك ‪،‬قفتا اًمئاق ناك ‪ 16‬ىلع طخ ا ب وأ ريغ ‪،‬مئاق ضرفنو‬

‫و‪-١٤-‬ـج‬

‫ىلع يطخ ا ـج ا د‬ ‫ىلع‬

‫‪19‬‬

‫‪17‬‬

‫‪ /‬نيتطقن امفيك ‪،‬اتقفتا امهضرفنلو ـج د‪ ،‬لصنو‬

‫ـج د ةطقن امفيك تقفتا‬

‫‪20‬‬

‫يهو ه‪ ،‬مسقنو ا ـج نيفصنب ىلع ز لصنو ه ا ه ز‪ ،‬مث جرخن‬

‫طوطخ د ا ه ا ه ز ه ـج ىلع اهتماقتسا يف ةهج طقن ا ز ـج ىلإ ريغ‬

‫يهتنت‬ ‫و‪-٣٤-‬ب‬

‫‪22‬‬

‫‪18‬‬

‫طخ ـج د‪ ،‬ضرفنو‬

‫‪21‬‬

‫‪،‬ةياهنلا يأ مهوتن اهنأ ال‬

‫ىلإ ٍدح عنمي اهجورخ اًمئاد ىلع ام هلمعتسي لهأ هذه ةعانصلا ‪ .23‬امأو ‪ :‬له حصي اذه‬

‫مهوتلا مأ ‪،‬ال ٌرمأف دجوي هنايب يف انبتك ‪ 24‬ةيمالكلا اهريغو ‪ 25‬نم ‪. /‬بتكلا‬ ‫نكيلو‬

‫‪26‬‬

‫اهيلع خ ط ي ـك‪ ،‬نكيلو ا خ ىلع ةماقتسا د ا‪ ،‬وا ط ىلع ةماقتسا ه ا‪ ،‬وز ي‬

‫ىلع ةماقتسا ه ز وـج ـك ىلع ةماقتسا ه ـج مث مهوتن نأ طخ ‪ 27‬ه ز ي تباث نأو طخ ا ز رودي‬ ‫يف حطسلا يناثلا لوح ةطقن ز ةتباثلا‬

‫‪28‬‬

‫ىتح دوعي ىلإ ثيح أدتبا ‪،‬هنم روديو هعم طخ ه ا ط‬

‫عم تابث ةطقن ه‪ّ .‬مسنلو طخ ه ا ط دنع هتكرح هذهب ةفصلا ‪. :‬رئادلا‬

‫‪: ‎1.‬امم امب ]ب[‬

‫‪ُ: ‎4.‬تنهربو ُتْبَّهَرَتو ]ك[‬

‫‪: ‎7.‬ىلع نع ]ـج[ ىنتبا ]ك[‬

‫‪: ‎2.‬تصخلو بصخيو ]ك[ تضحلو ]ـج[‬

‫‪ ‎5.‬قفتا يل ‪:‬يف ىلويملا نم يذ ]ب[ قفتا يف ]ك[‬ ‫‪: ‎8.‬ينغت ينغي ‪،‬ب[ ]ك‬

‫‪: ‎3.‬هبولطم هيوطم ]ب[‬ ‫‪: ‎6.‬ينبني ىنتبي ]ب[‬

‫‪: ‎9.‬ذخأنلف ةصقان ‪،‬ـج[ ]ك‬

‫‪: ‎10.‬مهوتنف‬

‫مهوتي ]ب[ بتك اهدعب دعب« دمح هللا »ىلاعت ]ـج[ بتك اهدعب دعب« دمح دمح هللا ةولصلاو ىلع يبنلا دمحم هلآو »نيرهاطلا‬ ‫‪: ‎13.‬زاج ةصقان ]ب[‬ ‫‪ ‎12.‬هعطقن ‪:‬حطسب هطقن حطس ]ب[‬ ‫‪: ‎11.‬حطسلا حطسلا يف ]ب[‬ ‫]ك[‬ ‫‪ ‎17.‬ا ـج ا د‪:‬‬ ‫‪: ‎16.‬ناك ةصقان ]ب[‬ ‫‪: ‎15.‬اًمئاق ةصقان ]ـج[‬ ‫‪ ‎14.‬نيب ‪:‬نيحطسلا امهنيب ]ك[‬ ‫‪: ‎20.‬تقفتا ةصقان ]ـج[‬ ‫‪ ‎19.‬ىلع ـج د‪ :‬هيلع ]ـج[‬ ‫‪: ‎18.‬لصنو جرخنو ]ـج[‬ ‫ا د ا ـج ]ب[‬ ‫‪: ‎23.‬ةعانصلا ةعنصلا ]ب[‬ ‫‪: ‎22.‬يهتنت ىهتني ‪،‬ـج[ ]ك‬ ‫‪ ‎21.‬ىلإ ‪:‬ريغ مث جرخن ىلإ ريغ ‪،‬ـج[ ]ك‬ ‫‪: ‎27.‬طخ ةصقان‬ ‫‪: ‎26.‬نكيلو نكيلوا ]ب[‬ ‫‪: ‎25.‬اهريغو ريغو ]ـج[‬ ‫‪: ‎24.‬انبتك انباتك ]ـج[‬ ‫‪: ‎28.‬ةتباثلا ةيناثلا ‪،‬ب[ ‪،‬ـج ]ك‬ ‫]ـج[‬

458

K-240 M-24 B-34 v

C-14 v

B-35 r

IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

La circulaire trace dans le second plan un cercle de centre G et de diamètre la droite AGC. De même, la circulaire trace dans chacun des plans parallèles au second plan un cercle dont le centre est sur la droite GJ. Menons, par exemple, la droite LM parallèle au diamètre AC, et imaginons que LM tourne en même temps que la circulaire dans un plan (P3 ) parallèle au second plan ; | alors elle trace un cercle dont le centre est L et le demi-diamètre la droite LM. Ainsi la circulaire trace dans les plans | parallèles au second plan des cercles dont les centres sont sur la droite GJ. Elle, c’est-à-dire | la circulaire, trace également dans le premier plan (P1 ) une ligne UNASQ, appelons-la la section. La section est donc infinie, étant donné qu’elle croît continuellement avec l’accroissement de la circulaire 1. Puisque le diamètre AC est perpendiculaire à AB, la droite AB est tangente au cercle tracé dans le deuxième plan (P2 ) ; la circulaire passe donc par un seul point, qui est le point A, de la droite AB ; la droite AB est par conséquent tangente à la section au point A. La droite AB se trouve donc à l’extérieur de la section. Il est évident que le cercle parallèle au second plan (P2 ) – dont le demi-diamètre est la droite LM – coupe la section en deux points ; supposons-les S et N. Joignons la droite SN, alors SN | est parallèle à AB, d’après ce qui a été montré dans la proposition 16 du livre XI des Éléments 2. Prolongeons LM jusqu’à ce qu’elle rencontre EK au point O ; soit le point P le point d’intersection des droites MO et NS. Puisque OP est parallèle à AC et PN parallèle à AB, l’angle OPN est égal à l’angle droit CAB 3, d’après ce qui a été montré dans la proposition | 10 du livre XI des Éléments. Puisque SN est une corde du cercle dont la circonférence passe par les points O, S, M, N et que OPM est le diamètre de ce cercle et est perpendiculaire à la corde SN,

‎1. C’est-à-dire : quand la génératrice, en tournant, devient parallèle au plan P1 , et dans ce cas son point d’intersection avec P1 s’éloigne indéfiniment ; ou, dans le langage d’al-Qummī, si on appelle « génératrices» les segments tels que EA, EN, EU, ces segments vont en croissant quand la droite qui les porte se rapproche de la parallèle à P1 . ‎2. Les intersections AB et SN des plans parallèles sont parallèles. ‎3. Des angles à côtés parallèles sont égaux.

‫‪459‬‬

‫‪L’ASYMPTOTE : APOLLONIUS ET SES LECTEURS‬‬

‫رئادلاف ‪ 2 , 1‬مسري يف حطسلا يناثلا ةرئاد اهزكرم ز طخو ا ز ـج ‪،‬اهرطق كلذكو ‪ 3‬مسري ‪ 4‬رئادلا‬

‫يف لك حطس نم حوطسلا ةيزاوملا حطسلل يناثلا ةرئاد اهزكرم ىلع طخ ‪ 5‬ز ي‪ .‬جرخنلف ىلع‬ ‫‪-٢٤٠‬ك‬

‫قيرط لاثملا طخ ل م اًيزاوم رطقل ا ـج مهوتنلو نأ ل م رودي يف حطسلا يزاوملا حطسلل ‪/‬‬

‫يناثلا عم رئادلا ‪ ،6‬مسريف ‪ 7‬ةرئاد اهزكرم ل‪ ،‬طخو ل م فصن ‪،‬اهرطق ىلعو اذه مسري ُرئادلا يف‬

‫‪-٢٤‬م‬ ‫ظ‪-٣٤-‬ب‬

‫حوطسلا ‪ /‬ةيزاوملا حطسلل يناثلا َرئاود اهُزكارم ىلع طخ ز ي‪ ،‬وهو مسري اًضيأ — ينعأ ‪ / 8‬رئادلا‬ ‫يف حطسلا لوألا — طخ ص ن ا س ق‬ ‫اًمئاد ديزتب ‪ 14‬رئادلا ‪.15‬‬ ‫نألو رطق ا ـج‬

‫‪16‬‬

‫‪10‬‬

‫هّمسنلو‬

‫‪11‬‬

‫‪.‬عطقلا عطقلاف ريغ ‪،‬هانتم ْذإ‬

‫‪12‬‬

‫ديزي‬

‫‪9‬‬

‫‪13‬‬

‫مئاق ىلع ا ب نوكي طخ ا ب اًسامم ةرئادلل ةمسترملا يف حطسلا ‪،‬يناثلا‬

‫رئادلاف ‪ 17‬اًذإ زوجي نم طخ ا ب ىلع ةطقن ةدحاو يهو ةطقن ا‪ ،‬طخف ا ب اًذإ ّسامم عطقلل ىلع‬

‫ةطقن ا‪ ،‬طخف ا ب عقي اًجراخ نم ‪.‬عطقلا‬

‫ٌرهاظو نأ ةرئادلا ةيزاوملا حطسلل يناثلا — يتلا فصن اهرطق طخ ل م — عطقت عطقلا‬

‫ظ‪-١٤-‬ـج‬

‫ىلع ‪،‬نيتطقن امهضرفنلو س ن‪ ،‬لصنو طخ س ن ‪ ،19 , 18‬ـفس ن ‪ٍ / 20‬زاوم ‪ 21‬ـلا ب امك نيبت يف‬ ‫لكش‬

‫ه ـك‬

‫‪22‬‬

‫‪27‬‬

‫وي‬

‫‪23‬‬

‫نم ةلاقم‬

‫ىلع ةطقن ع‪ ،‬نكتلو ةطقن ف ىلع عطاقت يطخ م ع ن س ‪ /،28‬نألف ع ف ٍزاوم‬

‫ـلا ـج‪ ،‬وف ن ٍزاوم‬ ‫و‪-٣٥-‬ب‬

‫‪24‬‬

‫اي نم باتك‬

‫‪25‬‬

‫لوصألا ‪ .26‬جرخنو ل م ىلع هتماقتسا ىتح عقي ىلع‬

‫‪30‬‬

‫ـلا ب‪ ،‬نوكت ةيواز ع ف ن ةيواسم ةيوازل ـج ا ب ‪،‬ةمئاقلا امك نيبت‬

‫يف لكش ‪ /‬ي نم ةلاقم اي نم باتك لوصألا ‪ .32‬نألو س ن ٌرتو يف ةرئادلا يتلا ىلع اهطيحم‬ ‫طقن ع س م ن‪ ،‬وع ف م رطق كلت ‪،‬ةرئادلا وهو‬

‫‪34‬‬

‫‪29‬‬ ‫‪31‬‬ ‫‪33‬‬

‫دومع ىلع رتو س ن‪ ،‬نوكي ف ن لثم‬

‫‪ ‎4.‬يف‬ ‫‪: ‎3.‬كلذكو كلذلو ]ك[‬ ‫‪: ‎2.‬رئادلاف ريادلاو ]ـج[‬ ‫‪ ‎1.‬رئادلا ‪:‬رئادلاف هديارلا ريادل ]ب[‬ ‫‪: ‎7.‬مسريف مسريو ]ـج[‬ ‫‪: ‎6.‬رئادلا ةرئادلا ]ب[‬ ‫‪: ‎5.‬طخ ةصقان ]ب[‬ ‫حطسلا ‪: ...‬مسري ةصقان ]ب[‬ ‫‪: ‎8.‬ينعأ يا ]ك[‬

‫‪ ‎10.‬ص ن ا س ق‪ :‬نام وس ]ك[‬

‫‪: ‎9.‬رئادلا رياودلا ]ـج[‬

‫‪: ‎11.‬همسنلو‬

‫‪: ‎14.‬ديزتب هديزي ]ب[ دّيزت ]ك[ ديازتب‬ ‫‪: ‎13.‬ديزي ديزتي ]ك[‬ ‫‪: ‎12.‬ذإ وا ]ب[‬ ‫هيمسنلو ‪،‬ـج[ ]ك‬ ‫‪ ‎18.‬لصنو‬ ‫‪: ‎17.‬رئادلاف رياودلاف ]ـج[‬ ‫‪ ‎16.‬ا ـج‪ :‬اح ]ك[‬ ‫‪: ‎15.‬رئادلا رياودلا ]ـج[‬ ‫]ـج[‬ ‫‪ٍ: ‎21.‬زاوم‬ ‫‪ ‎20.‬ـفس ن‪ :‬سب ن ]ـج[ س ن ]ب[‬ ‫‪: ‎19.‬طخ ـح ط ]ب[‬ ‫طخ س ن‪ :‬ةصقان ]ـج[‬ ‫‪: ‎24.‬ةلاقم ةصقان ‪،‬ـج[ ]ك‬ ‫‪ ‎23.‬وي‪ :‬ريغ ةحضاو ]ب[‬ ‫‪: ‎22.‬لكش ةصقان ]ـج[‬ ‫ايزاوم ]ـج[‬ ‫‪ ‎27.‬ه ـك‪ :‬ح ـك ]ب[ ـح ل ]ـج[‬ ‫‪: ‎26.‬لوصألا ةصقان ]ك[‬ ‫‪ ‎25.‬نم ‪:‬باتك ةصقان ‪،‬ـج[ ]ك‬ ‫‪ ‎28.‬ن س‪ :‬س ن ]ـج[‬ ‫]ك‬

‫‪ٍ: ‎29.‬زاوم ايزاوم ]ـج[‬

‫‪ ‎32.‬نم باتك ‪:‬لوصألا ةصقان ]ك[‬

‫‪ٍ: ‎30.‬زاوم اًيزاوم ]ـج[‬

‫‪ ‎33.‬ىلع ‪:‬اهطيحم اهطيحم ىلع ]ـج[‬

‫‪: ‎31.‬نيبت نيب ‪،‬ـج[‬

‫‪: ‎34.‬وهو ةصقان ]ـج[‬

460

IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

D P1 P2 X

E

A

C

G

B S L

M

P Z

O

N Q

R

F

T U

I

Y

K W

J

V ø

PN sera égal à PS, d’après ce qu’on a montré dans la proposition 3 du livre III des Éléments 1 ; et le rectangle PO par PM est égal au carré de PN, d’après ce qui a été montré dans la proposition 34 du III des Éléments 2. Menons QTU également parallèle à la droite AB et FTR parallèle à AC ; alors les points F, Q, R, U sont sur le cercle tracé dans un plan parallèle au second plan [P2 ], engendré par le mouvement de la circulaire, et dont le centre est l’intersection des deux droites FTR

‎1. Un diamètre perpendiculaire à une corde passe par le milieu de cette corde. ‎2. Puissance du point P.

‫‪461‬‬

‫‪L’ASYMPTOTE : APOLLONIUS ET SES LECTEURS‬‬

‫ف س امك نيبت ‪ 1‬يف لكش ‪ 2‬ـج ‪ 3‬نم ةلاقم ـج نم لوصألا ‪ ،4‬نوكيو حطس ف ع يف ف م‬

‫لثم عبرم ف ن ىلع ام نيبت ‪ 5‬يف لكش دل نم ةلاقم ـج نم لوصألا ‪ .6‬جرخنو ق ت ص‬

‫اًضيأ ‪ 7‬اًيزاوم طخل ا ب‪ ،‬وش ت ر ‪ 8‬اًيزاوم طخل ‪ 9‬ا ـج‪ ،‬نوكتف طقن ‪ 10‬ش ق ر ص ىلع طيحم‬ ‫ةرئادلا ةمسترملا يف حطسلا يزاوملا حطسلل ‪،‬يناثلا ةثداحلا‬

‫‪-٢٤١‬ك‬

‫عطاقت يطخ ش ت ر ه ز ل ‪ ،13‬وش ت ر‬ ‫‪: ‎1.‬نيبت نيب ]ك[‬

‫‪: ‎2.‬لكش ةصقان ]ك[‬

‫‪14‬‬

‫‪11‬‬

‫نم ةكرح ةرئادلا‬

‫‪12‬‬

‫يتلا اهزكرم ىلع‬

‫اهرطق وهو دومع ىلع رتو ق ت ص عقاولا ‪/‬‬ ‫‪ ‎3.‬ـج‪ :‬رخآ ]ـج[‬

‫‪ ‎4.‬نم ‪:‬لوصألا ةصقان ]ك[‬

‫‪ ‎8.‬وش ت ر‪:‬‬ ‫‪: ‎7.‬اًضيأ ةصقان ]ك[‬ ‫‪ ‎6.‬نم ‪:‬لوصألا ةصقان ‪،‬ب[ ]؟ك‬ ‫‪: ‎5.‬نيبت نيب ]ك[‬ ‫‪: ‎11.‬ةثداحلا ةصقان ]ـج[‬ ‫‪: ‎10.‬طقن ةطقن ]ب[‬ ‫‪ ‎9.‬ا ب ‪: ...‬طخل ةصقان ]ـج[‬ ‫و ش ت ر ه ]ب[‬ ‫‪ ‎14.‬وش ت ر‪:‬‬ ‫‪ ‎13.‬ه ز ل‪ :‬ه ـج‪ ،‬مث بتك اهقوف «ل ي» ]ب[ ر مل ]ك[‬ ‫‪: ‎12.‬ةرئادلا رياودلا ]ك[‬ ‫وش ت ر ه ]ب[‬

462

K-241

M-25 B-35 v

C-15 r B-36 r

IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

et EGL, et dont le diamètre est FTR, qui est perpendiculaire à la corde QTU, qui se trouve | dans le cercle ; et on a TQ égale à TU et le rectangle TF par TR égal au carré de TU. Tout cela a été montré auparavant. Puisque le rectangle TF par TR est égal au carré de TU et le rectangle PO par PM égal au carré de PN, on a le rapport du rectangle TF par TR au rectangle PO par PM – c’est-à-dire le rapport composé de TF à PO et de TR à PM – égal au rapport composé de TD à PD et de TA à PA, car les deux triangles | TFD et TRA sont semblables | aux deux triangles POD et PMA, c’est-à-dire que le rapport du rectangle TD par TA au rectangle PD par PA est égal au rapport du carré de TU au carré de PN. Par permutation, on a le rapport du rectangle TD par TA au carré de TU égal au rapport du rectangle PD par PA au carré de PN. Menons ensuite VW parallèle à la droite AB ; on a également le rapport du rectangle WD par WA au carré de WV égal au rapport du rectangle TD par TA au carré de TU, et égal au rapport du rectangle PD par PA au carré de PN. Partageons ensuite AD en deux moitiés en X et posons le rapport du carré de AX au carré de AB égal au rapport du rectangle PD par PA au carré de PN 1. Joignons la droite XB et prolongeons ensuite les droites PN, TU, WV du côté des points N, U, V ; elles sortent alors de la section ; | . Posons le carré de PZ égal à la somme des carrés de PN et de AB, le carré de TY égal | à la somme des carrés de TU et AB et le carré de WΩ égal à la somme des carrés de WV et AB. Alors on a nécessairement le carré de PZ plus grand que le carré de PN, le carré de TY plus grand que le carré de TU et le carré de WΩ plus grand que le carré de WV. La droite PZ est donc plus longue que la droite PN, TY est plus longue que TU et WΩ est plus longue que WV. Les points Z, Y, Ω sont donc à l’extérieur de la section et il ne fait aucun doute qu’ils sont ainsi.

‎1. Ceci définit le point B.

‫‪463‬‬

‫‪L’ASYMPTOTE : APOLLONIUS ET SES LECTEURS‬‬

‫‪،‬اهيف نوكيو ت ق لثم ت ص‪ ،‬حطسو ت ش يف ت ر ‪ 1‬لثم عبرم ت ص ‪ ،3 , 2‬لك كلذ‬

‫دق قبس ‪.‬هنايب‬

‫نألو حطس ت ش يف ت ر لثم عبرم ت ص‪ ،‬حطسو ف ع يف ف م لثم عبرم ف ن‪،‬‬

‫نوكت ةبسن حطس ت ش يف ت ر ىلإ حطس ف ع يف ف م — ينعأ ةبسنلا ةفلؤملا نم ‪ 4‬ت ش‬

‫‪5‬‬

‫ىلإ ف ع‪ ،‬نمو ت ر ه ‪ 6‬ىلإ ف م — ةيواسم ‪ 7‬ةبسنلل ‪ 8‬ةفلؤملا نم ت د ‪ 9‬ىلإ ف د ‪ ،10‬نمو‬ ‫‪-٢٥‬م‬ ‫ظ‪-٣٥-‬ب‬

‫ت ا ىلإ ف ا‪ ،‬نأل يثلثم ‪ /‬ت ش د ت ر ا ناهبشي ‪ / 11‬يثلثم ‪ 12‬ف ع د ‪ 13‬ف م ا‪ ،‬ينعأ ةبسن‬

‫حطس ت د يف ت ا‬

‫ىلإ حطس‬

‫‪14‬‬

‫‪15‬‬

‫ف د يف‬

‫‪16‬‬

‫ف ا ةبسنك عبرم ت ص ىلإ عبرم ف ن‪،‬‬

‫‪:‬ليدبتلابو نوكت ةبسن حطس ت د يف ت ا ىلإ عبرم ت ص ةبسنك حطس ف د يف ف ا ىلإ‬

‫عبرم ف ن ‪ .17‬مث جرخن ث خ‬

‫ىلإ عبرم خ ث ةبسنك حطس‬

‫‪18‬‬

‫‪20‬‬

‫ف ا ‪ 23‬ىلإ عبرم ف ن‪.‬‬

‫اًيزاوم طخل ا ب‪ ،‬نوكيف اًضيأ ةبسن حطس خ د‬

‫تد‬

‫‪21‬‬

‫يف ت ا‬

‫‪22‬‬

‫‪19‬‬

‫يف خ ا‬

‫ىلإ عبرم ت ص‪ ،‬ةبسنكو حطس ف د يف‬

‫مث مسقن ا د نيفصنب ىلع ض لعجنو ةبسن عبرم ا ض ىلإ عبرم ا ب ةبسنك حطس ف د‬

‫‪24‬‬

‫يف ف ا ىلإ عبرم ف ن لصنو طخ ض ب مث جرخن طوطخ ف ن ت ص خ ث ىلع اهتماقتسا‬ ‫و‪-١٥-‬ـج‬ ‫و‪-٣٦-‬ب‬

‫يف ةهج طقن ن ص ث يهف جرخت نم‬

‫ا ب َعبرمو ت ظ ‪/‬لثم يعبرم‬ ‫ًةرورض ُعبرم ف ذ‬

‫‪28‬‬

‫‪27‬‬

‫‪25‬‬

‫‪.‬عطِقلا ‪ /‬لعجنو عبرم ف ذ لثم ‪ /‬يعبرم ف ن‬

‫‪26‬‬

‫ت ص ا ب َعبرمو خ غ لثم يعبرم خ ث ا ب نوكيف‬

‫َمظعأ نم عبرم ف ن‪ُ ،‬عبرمو ت ظ َمظعأ نم عبرم ت ص‪ُ ،‬عبرمو‬

‫خ غ َمظعأ نم عبرم خ ث‪ ،‬نوكيف طخ ف ذ لوطأ نم ف ن وت ظ لوطأ نم ت ص‪،‬‬

‫وخ غ لوطأ نم خ ث‪ ،‬طقنف ذ ظ غ ةجراخ نع ‪، 29‬عطقلا ال كش يف اهنوك ‪.‬كلذك‬

‫‪ ‎1.‬يف ت ر‪ :‬ح ب ر ]ب[‬

‫‪ ‎2.‬لك ‪ ..‬ت ص‪ :‬ةصقان ]ـج[‬

‫‪ ‎3.‬يف ت ر لثم عبرم ت ص‪:‬‬

‫بتك ًالوأ يف« ف ع لثم عبرم ف ق‪ »،‬مث برض اهيلع ملقلاب بتكو يف شماهلا «ت ر لثم عبرم ب س» ]ب[‬

‫‪ ‎6.‬ت ر ه‪ :‬ت ر ]ك[ ت ز ]ـج[‬ ‫‪ ‎5.‬ت ش‪ :‬ب ش ر ]ك[‬ ‫‪ ‎4.‬ت ش ‪ ...‬ةفلؤملا ‪:‬نم ةصقان ]ب[‬ ‫‪ ‎10.‬ف د‪:‬‬ ‫‪ ‎9.‬ت د‪ :‬ت ر ]ك[ ت ز ]ـج[‬ ‫‪: ‎8.‬ةبسنلل ةبسنل ]ـج[‬ ‫‪: ‎7.‬ةيواسم ةيواسملا ‪،‬ـج[ ]ك‬ ‫‪: ‎12.‬يثلثم ةصقان ]ـج[‬ ‫‪ ‎13.‬ف ع د‪ :‬ف ع ق ]ب[‬ ‫‪: ‎11.‬ناهبشي ناهبشلا ]ب[‬ ‫ف ن ]ب[‬ ‫دعق ]ك[‬

‫‪ ‎14.‬ت ا‪ :‬ب ا ]ب[‬

‫‪ ...‬ف ن‪ :‬ةرركم ]ب[‬

‫‪ ‎21.‬ت د‪ :‬ت ذ ]ـج[‬

‫‪: ‎15.‬حطس ةصقان ]ـج[‬

‫‪ ‎18.‬ث خ‪ :‬ب ح ]ـج[‬

‫‪: ‎16.‬يف ح ]ب[‬

‫‪ ‎19.‬خ د‪ :‬ـج د ]ـج[‬

‫‪ ‎22.‬ت د يف ت ا‪ :‬ق د ف ب ا ]ب[‬

‫‪ ‎17.‬ليدبتلابو‬

‫‪: ‎20.‬حطس ةصقان ]ب[‬

‫‪ ‎23.‬ف ا‪ :‬ف ]ب[ ب ا ]ـج[‬

‫‪ ‎26.‬ف ن‪:‬‬ ‫‪: ‎25.‬نم اًريثك ام اهبتك ‪»،‬ىف« نلو ريشن اهيلإ اميف دعب ]ب[‬ ‫‪ ‎24.‬ف د‪ :‬ا ف د ]ـج[‬ ‫‪ ‎28.‬ف ذ‪ :‬ف ن ]ك[‬ ‫ةصقان ]ك[‬ ‫‪: ‎29.‬نع نم ]ـج[‬ ‫‪ ‎27.‬يعبرم ىلوألا( ‪):‬ةيناثلاو عبرم ]ـج[‬

464

K-242

B-36 v

M-26

C-15 v

IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

Puisque le rapport du carré de AX au carré de AB est égal au rapport du rectangle PD par PA au | carré de PN, et que le carré de AX plus le rectangle PD par PA est égal au carré de PX 1, d’après ce qui a été montré dans la proposition 6 du livre II des Éléments, on a donc le rapport du carré de PX à la somme des carrés de AB et de PN, c’està-dire le carré de PZ, égal au rapport du carré de AX au carré de AB ; le rapport de la droite AX à la droite AB est donc égal au rapport de la droite PX à la droite PZ. On a donc montré que le rapport de TX à TY, aussi bien que le rapport de WX à WΩ, sont égaux au rapport de AX à AB. La droite XB, | si on la prolonge, passe donc par les points Z, Y, Ω et ne rencontre continuellement pas la section, et la certitude est donc acquise que les points Z, Y, Ω sont à l’extérieur de la section. Par réduction à l’absurde, nous disons : si elle la rencontre, qu’elle la rencontre au point V, et menons la droite VW parallèle à la droite AB. On a donc le rapport du carré de WX au carré de WV égal au rapport du carré de AX au carré de AB, en raison de la similitude des triangles AXB et WXV. Mais nous avons montré que le rapport du carré de AX au carré de AB est égal au rapport du rectangle PD par PA au carré de PN ; et que le rapport du rectangle PD par PA au carré de PN est égal au rapport du rectangle WD par WA au carré de WV. Le rapport du carré de WX au carré | de WV est donc aussi égal au rapport du rectangle WD par WA au carré de WV ; le carré de WX est donc égal au rectangle WD par WA, le tout égal à la partie, ce qui est impossible. La droite XB ne rencontre donc pas la section si on la prolonge continuellement. Mais, puisque SN a été partagée en deux moitiés en P et qu’on a ajouté à sa longueur, sur le prolongement, NZ, on a le rectangle SZ par ZN plus le carré de PN égal au carré de PZ. Mais le carré de PZ est égal à la somme des carrés de PN et de AB ; le rectangle SZ par ZN plus le carré de PN est donc égal au carré de AB plus le carré de PN. Ôtons le carré de PN commun, il reste le rectangle SZ par ZN égal au carré de AB ; et d’après cela QY par YU est égal au carré de AB ; le rectangle SZ par ZN est donc égal au rectangle QY par YU. Le rapport de SZ à QY est donc égal au rapport de UY à | NZ. Mais

‎1. On a PA = PX − AX et PD = PX + AX ⇒ PA · PD = PX2 − AX2 .

‫‪465‬‬

‫‪L’ASYMPTOTE : APOLLONIUS ET SES LECTEURS‬‬

‫نألو ةبسن عبرم ا ض ىلإ عبرم ا ب ةبسنك حطس ف د يف ف ا ىلإ ‪ /‬عبرم ف ن‪،‬‬

‫‪-٢٤٢‬ك‬

‫عبرمو ا ض عم حطس ف د يف ف ا لثم عبرم ف ض امك نيبت يف لكش و نم ةلاقم ‪ 1‬ب‬ ‫نم ‪ 2‬باتك ‪ 3‬لوصألا ‪ ،4‬نوكت ةبسن عبرم ف ض ىلإ عيمج يعبرم ‪ 5‬ا ب ف ن ينعأ عبرم ف ذ‬ ‫ةبسنك عبرم ا ض ىلإ عبرم ‪ 6‬ا ب‪ ،‬ةبسنف طخ ا ض ىلإ طخ ‪ 7‬ا ب ةبسنك طخ ف ض‬

‫ىلإ طخ ف ذ‪ ،‬ىلعو اذه ‪ 9‬نيبت‬ ‫ظ‪-٣٦-‬ب‬

‫‪10‬‬

‫نأ ةبسن ت ض ىلإ ت ظ ةبسنو خ ض ىلإ خ غ اًضيأ‬

‫‪8‬‬

‫‪11‬‬

‫ةبسنك ا ض ىلإ ا ب‪ ،‬طخف ض ب ‪ /‬اذإ ‪ 12‬جرخ زاج ىلع طقن ذ ظ غ الو يقالي عطِقلا ‪،‬اًمئاد‬

‫ذإ دق لصح نيقيلا نْوكب ‪ 13‬طقن ذ ظ غ ةجراخ نع ‪.‬عطقلا‬

‫فلخلابو لوقن ْنإ هيقل هقليلف ىلع ةطقن ث‪ ،‬جرخنلو طخ ث خ اًيزاوم طخل ا ب ‪،14‬‬

‫نوكتف ةبسن عبرم خ ض ىلإ عبرم خ ث ةبسنك عبرم ا ض ىلإ عبرم ا ب‪ ،‬هباشتل يثلثم‬

‫ا ض ب خ ض ث‪ ،‬دقو انيب نأ ةبسن عبرم ا ض ىلإ عبرم ا ب ةبسنك حطس ف د يف ف ا‬

‫ىلإ عبرم ف ن نأو< ةبسن حطس ف د يف ف ا ىلإ عبرم ف ن ‪ >15‬ةبسنك حطس خ د‬ ‫‪-٢٦‬م‬

‫خا‬

‫‪17‬‬

‫ىلإ عبرم‬

‫‪18‬‬

‫‪ /‬خ ث‪ ،‬ةبسنف عبرم خ ض‬

‫‪19‬‬

‫‪16‬‬

‫يف‬

‫ىلإ عبرم خ ث ةبسنك حطس خ د يف خ ا‬

‫ىلإ عبرم خ ث ‪،‬اًضيأ عبرمف ‪ 20‬خ ض لثم حطس خ د يف خ ا — لكلا لثم ءزجلا — اذه ‪،‬لاحم‬ ‫طخف ض ب ال عقي ىلع عطقلا اذإ جرخ ‪. 21‬اًمئاد‬

‫سذ‬

‫نألو‬

‫‪25‬‬

‫‪22‬‬

‫س ن مسُق نيفصنب ىلع ف‪ ،‬ديزو يف هلوط ىلع هتماقتسا ن ذ ‪ ،23‬نوكي حطس‬

‫يف ذ ن عم عبرم ف ن لثم عبرم ف ذ‪ ،‬عبرمو ف ذ لثم يعبرم‬

‫‪26‬‬

‫‪24‬‬

‫ف ن ا ب‪،‬‬

‫حطسف س ذ يف ذ ن عم عبرم ف ن لثم عبرم ا ب عم عبرم ف ن‪ ،‬طقسب>و XP, et XPZ et XTY sont des triangles semblables, d’où TY > PZ.

(1)

D’autre part, on a TX2 − AX2 > PX2 − AX2 , d’où TA · TD > PA · PD ; mais on a vu que TA · TD PA · PD = , TU2 PN2 d’où TU > PN ;

(2)

d’après (1) et (2), on a TY + TU > PZ + PN

(T milieu de UQ)

TY + TQ > PZ + PS

(P milieu de NS),

et donc QY > SZ ; or SZ · ZN = QY · YU, d’où YU < ZN. ø Y Z B

U

V

N W P T

A X D

S Q

‎2. Sous-entendu : les Éléments d’Euclide. ‎3. Notons qu’al-Qummī, après avoir établi la décroissance continuelle des distances de la courbe à l’asymptote, omet de démontrer que cette distance peut devenir plus petite que toute quantité donnée.

‫‪467‬‬ ‫ظ‪-١٥-‬ـج‬ ‫‪-٢٤٣‬ك‬ ‫ظ‪-٣٧-‬ب‬

‫‪L’ASYMPTOTE : APOLLONIUS ET SES LECTEURS‬‬

‫ةبسنك ص ظ ىلإ ‪ /‬ن ذ‪ ،‬طخو س ذ رصقأ نم طخ ق ظ‪ ،‬طخف ص ظ ‪ /‬رصقأ نم طخ‬

‫ن ذ‪ ،‬ىلعو اذه طخ ث غ ‪ /‬رصقأ نم طخ ص ظ‪ ،‬هذهو طوطخلا ‪،‬ةيزاوتم دعُبلاف ‪ 1‬نيب طخ‬ ‫ض ب نيبو عطِقلا صقانتي اًمئاد الو ‪،‬ىنفي طخف ‪ 2‬ض ب طخو عطقلا ‪ 3‬نابرقي اًدبأ الو ‪.‬نايقتلي‬ ‫دقف ناب نم ‪،‬مهلوصأ رهظو نم ‪،‬مهنيناوق ُناكمإ ‪ 5‬دوجو نيطخلا نيذللا نابرقي اًدبأ الو‬

‫نايقتلي ‪ ،4‬اذهو يهنُي ‪. 6‬اندصقم‬

‫‪: ‎3.‬عطقلا ىقلعلا ]ب[‬ ‫‪: ‎2.‬طخف طخب ]ب[‬ ‫‪: ‎1.‬دعبلاف دقنلاف ]ب[‬ ‫‪: ‎6.‬يهني ىهتنم ‪،‬ـج[ ]ك‬ ‫‪: ‎4.‬ناكمإ ةصقان ]ك[‬ ‫ةصقان ]ـج[‬

‫‪ ‎5.‬دقف ‪: ...‬نايقتلي‬

LE PSEUDO AL-ḤASAN IBN AL-HAYTHAM : SUR L’ASYMPTOTE Dans la proposition 14 du second livre des Coniques 1, Apollonius démontre que l’asymptote et l’hyperbole prolongées à l’infini se rapprochent continûment l’une de l’autre sans jamais se rencontrer. Cette proposition a frappé l’imagination et a été l’objet de commentaires mathématiques et philosophiques pendant deux millénaires environ. Ce n’est cependant qu’au cours du dernier demi-siècle que l’on a commencé à s’intéresser à l’histoire de ces commentaires. Tout a commencé par les travaux que Marshall Clagett a consacrés à la traduction latine, par le mathématicien de la cour de Frédéric II, Jean de Palerme, d’un commentaire arabe anonyme de cette proposition II.14. Marshall Clagett a édité cette traduction et en a fait un commentaire historique et mathématique 2. Gad Freudenthal, à son tour, a étudié la traduction hébraïque de ce texte latin, ainsi que l’impact qui fut le sien – joint à celui du Guide des Égarés – sur la tradition hébraïque 3. L’auteur de ces pages a lui-même établi, traduit et commenté quelques travaux des mathématiciens et philosophes arabes relatifs à cette proposition. Or les auteurs de ces commentaires, comme d’ailleurs certains mathématiciens anciens, ont été principalement intrigués par l’indétermination sémantique d’une proposition au demeurant si bien Paru dans R. Fontaine, R. Glasner, R. Leicht et G. Veltri (éd.), Studies in the History of Culture and Science. A Tribute to Gad Freudenthal, Leiden / Boston, Brill, 2011, p. 7-41. ‎1. Cette proposition est parvenue dans l’édition d’Eutocius et dans la traduction arabe des sept livres des Coniques avec quelques légères variantes. Sur cette question, voir Apollonius : Les Coniques, tome 2.1: Livres II et III, commentaire historique et mathématique, édition et traduction du texte arabe par R. Rashed, Berlin / New York, Walter de Gruyter, 2010. ‎2. Marshall Clagett, « A Medieval Latin Translation of a Short Arabic Tract on the Hyperbola», Osiris, 11 (1954), p. 359-385 ; et Archimedes in the Middle Ages, vol. IV : A Supplement on the Medieval Latin Traditions of Conic Sections, Philadelphie, 1980, p. 3361, 335-357. ‎3. Gad Freudenthal, « Maimonides’ Guide of the Perplexed and the Transmission of the Mathematical Tract «On Two Asymptotic Lines » in the Arabic, Latin and Hebrew Medieval Traditions», Vivarium, 26 (1988), p. 113-140 : repr. dans Robert S. Cohen et Hillel Levine (éd.), Maimonides and the Sciences, Boston Studies in the Philosophy of Science, vol. 211, Kluwer Academic Publishers, 2000, p. 35-56.

470

IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

démontrée. La proposition II.14, il est vrai, repose sur trois notions, toutes nécessaires à la description du comportement asymptotique de la courbe, mais dont aucune n’était dotée à l’époque – et pour longtemps encore – d’une définition opératoire. Ces notions sont : l’infini, l’infinitésimale et les continuités 1. On comprend donc que cette proposition II.14 ne pouvait laisser indifférents ni les mathématiciens ni les philosophes. Voici en effet une proposition bien établie, mais à l’aide de notions non rigoureusement définies. Face à cette situation, Geminus qualifie II.14 de « théorème le plus paradoxal en géométrie » 2. Pour dénouer ce paradoxe, Proclus opte quant à lui pour une stratégie philosophique, en justifiant la présence de l’infini comme fini dans la démonstration 3. Les choses ensuite en sont, semble-t-il, restées là, jusqu’à la réactivation de la recherche sur la géométrie des sections coniques à partir du milieu du ix e siècle, avec les Banū Mūsā et Thābit ibn Qurra. De la proposition II.14 des Coniques, on connaît, pour l’heure, sept commentaires en arabe, auxquels il faut ajouter le texte qui a été traduit en latin par Jean de Palerme, ainsi que l’étude, au xvii e siècle, de Francesco Barozzi, récemment publiée par Luigi Maierù 4. Ces commentaires sont successivement dus à al-Sijzī – seconde moitié du x e siècle et début du siècle suivant –, al-Qummī – jeune contemporain de ce dernier –, et al-Bīrūnī – également jeune contemporain d’al-Sijzī. L’algébriste Sharaf al-Dīn al-Ṭūsī leur succède un peu plus tard, et s’arrête à deux reprises à cette proposition. À cela s’ajoute un commentaire de Muḥammad ibn al-Haytham (un homonyme d’al-Ḥasan ibn al-Haytham que l’on a

‎1. R. Rashed, «Al-Sijzī et Maïmonide : Commentaire mathématique et philosophique de la proposition II-14 des Coniques d’Apollonius», Archives Internationales d’Histoire des Sciences, n o 119, vol. 37 (1987), p. 263-296 ; traduction anglaise « Al-Sijzī and Maimonides : A Mathematical and Philosophical Commentary on Proposition II-14 in Apollonius’ Conic Sections », dans R.S. Cohen et H. Levine (éd.), Maimonides and the Sciences, p. 159-172. On trouvera une nouvelle édition du texte d’al-Sijzī dans R. Rashed, Œuvre mathématique d’al-Sijzī. Volume I : Géométrie des coniques et théorie des nombres au X e siècle, Les Cahiers du Mideo, 3, Louvain-Paris, Éditions Peeters, 2004, p. 87-105 et 293-308. Voir également Sharaf al-Dīn al-Ṭūsī, Œuvres mathématiques. Algèbre et géométrie au xii e siècle, Collection « Sciences et philosophie arabes – textes et études», 2 vols., Paris, Les Belles Lettres, 1986, t. I, p. cxxviii-cxxxii et t. II, p. 189-135. ‎2. Procli Diadochi, In primum Euclidis Elementorum librum commentarii, éd G. Friedlein, Leipzig, 1873 ; reprod. Olms, 1967, p. 177 ; et la traduction de Ver Eecke : Proclus de Lycie, Les Commentaires sur le premier livre des Éléments d’Euclide, Paris, 1948, p. 154-155. ‎3. R. Rashed, Œuvre mathématique d’al-Sijzī, vol. I, p. 93. ‎4. Éd. L. Maierù, CLUEB, Bologne, 1991. p. 57-65. Voir aussi Emilia Florio et Luigi Maierù, «Le dimostrazioni di Francesco Barozzi nell’ Admirandum illud geometricum problema (1586)», Acc. Naz. Sci. Lett. Arti di Modena Memorie Scientifiche, Giuridiche, Letterarie, Cer. VIII, v. XI (2008), fasc. I.

LE PSEUDO AL-ḤASAN IBN AL-HAYTHAM : SUR L’ASYMPTOTE

471

jusqu’à une date récente confondu avec lui 1) et un commentaire du théologien et philosophe Fakhr al-Dīn al-Rāzī. Par leur prestige et par leur diversité, ces noms montrent l’intérêt intense et constant porté par les mathématiciens et les philosophes de la tradition arabe à la proposition II.14 des Coniques d’Apollonius. Il ne s’agissait pas pour chacun d’entre eux de se contenter d’en évoquer l’exemple à l’occasion d’un exposé doctrinaire, comme le fit Maïmonide 2, mais de rédiger un petit traité intégralement consacré à la démonstration de cette proposition II.14. Parmi ces commentaires, celui d’al-Sijzī joue un rôle central. C’est en effet lui qui engage la recherche, et c’est contre lui que certains commentateurs vont la poursuivre. L’étude d’al-Sijzī est à la fois mathématique et philosophique. Pour asseoir la notion d’infini sur une base solide, il commence par démontrer le lemme suivant : Parmi les parallélogrammes appliqués à des droites données, égaux à un parallélogramme donné, dont les angles opposés sont égaux aux deux angles opposés de ces parallélogrammes, ceux dont les longueurs sont les plus courtes ont les largeurs les plus longues, et ceux qui ont les longueurs les plus longues ont les largeurs les plus courtes. Et ainsi de suite selon ce mode, à l’infini 3.

L’idée d’al-Sijzī est donc de passer par le cas discret, qui est calculable, avant d’en venir au cas de la courbe continue. Idée intéressante, mais qui dresse d’autres obstacles, que nous avons discutés ailleurs 4. Cependant al-Sijzī ne s’arrête pas là : il élabore une classification des propositions mathématiques à l’aide du couple « démonstration / conception », pour donner un statut logique aux propositions de la catégorie de II.14. Il y a les propositions conçues directement, et qu’il n’y a aucun moyen mathématique de démontrer ; il y a celles qu’on conçoit avant qu’il soit procédé à leur démonstration ; il y a celles conçues lorsque l’on forme l’idée de leur démonstration ; il y a celles conçues seulement une fois démontrées ; enfin, il y a les propositions difficilement concevables, même une fois démontrées, et c’est à ces dernières qu’appartient II.14 5. Le problème philosophique sous-jacent, et explicité par cette classification, est celui de la possibilité de démontrer ce que l’on ne peut pas concevoir. Or ce problème ne tardera pas à s’articuler sur ‎1. Voir plus loin. ‎2. R. Rashed, «Al-Sijzī et Maïmonide : Commentaire mathématique et philosophique de la proposition II-14 des Coniques d’Apollonius». ‎3. R. Rashed, Œuvre mathématique d’al-Sijzī, vol. I, p. 298. ‎4. Ibid., p. 101-103. ‎5. Ibid., p. 97.

472

IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

un autre, soulevé par al-Kindī dans son livre Sur la Philosophie première. Ce dernier avait en effet posé le problème des propositions qu’on démontre rigoureusement sans pouvoir en représenter l’objet, c’està-dire sans que l’on puisse s’en faire une image dans l’âme. Il s’agit cette fois du couple « démonstration / imagination» 1. C’est précisément ce que Maïmonide reprendra plus tard dans le Guide des Égarés lors de sa critique des théologiens (mutakalimūm) qui définissaient la modalité par l’imagination. Mais Maïmonide intègre l’exemple de II.14 pour illustrer ce problème 2. Al-Qummī, en fonction d’al-Sijzī mais aussi contre lui, compose un commentaire de II.14, qu’il voulait auto-suffisant et épistémologiquement neutre 3. Il n’exigeait donc de son lecteur aucune connaissance préalable des Coniques d’Apollonius. Dans son mémoire, il explique tout ce qu’il faut savoir sur le cône et l’hyperbole et ne fait appel qu’aux propositions des Éléments d’Euclide, notamment celles du livre XI, en évitant, contrairement à al-Sijzī, tout recours aux Coniques. C’est là, semble-t-il, un choix de simplicité et d’économie, car, pour établir II.14, Apollonius a recours à trois propositions du livre I de son ouvrage, et à neuf propositions du livre II. D’autre part, pour assurer la neutralité épistémologique, Al-Qummī rejette la notion d’infini en dehors du champ des mathématiques, c’est-à-dire qu’il la renvoie à ses propres livres en théologie philosophique (Kalām). Mais al-Qummī n’est pas le seul à faire un tel choix. Il existe un traité anonyme, faussement attribué au mathématicien al-Ḥasan ibn al-Haytham, où l’auteur emprunte la même voie qu’al-Qummī. Il qualifie cette voie de « claire et facile », dans la mesure où, tout en connaissant les Coniques, on n’y procède que par les Éléments. Ce traité appartient à la collection manuscrite n o 4523 de Dār al-Kutub (Le Caire), fol. 15 v-20 r, où il apparaît sous le titre : Risāla fī wujūd khaṭṭayn yaqrabāni wa-lā yaltaqiyāni, Traité sur l’existence des deux lignes qui se rapprochent sans se rencontrer. Or ce traité pose un sérieux problème d’attribution. Le texte est anonyme, mais le copiste a écrit dans le colophon : «On comprend de ses expressions qu’il est la composition d’Ibn al-Haytham» ; affirmation aussi ambiguë que gratuite. Or on sait depuis peu 4 qu’il existe deux « Ibn al-Haytham », contempo‎1. Al-Falsafa al-ūlā, dans R. Rashed et J. Jolivet, Œuvres philosophiques et scientifiques d’al-Kindī. Vol. II : Métaphysique et Cosmologie, Leiden, E.J. Brill, 1998, p. 20 ; ar. p. 21, 13-18. ‎2. Maïmonide, Guide des égarés, éd. Hüseyin Atay, Ankara, 1974 ; reprod. Le Caire, s.d., p. 210-211. ‎3. Voir R. Rashed, « L’asymptote : Apollonius et ses lecteurs», à paraître. ‎4. R. Rashed, Les mathématiques infinitésimales du ix e au x e siècle. Vol. II : Ibn alHaytham, London, al-Furqān, 1993.

LE PSEUDO AL-ḤASAN IBN AL-HAYTHAM : SUR L’ASYMPTOTE

473

rains, que les biobibliographes ont identifiés et dont ils ont confondu les écrits : le fameux mathématicien al-Ḥasan ibn al-Haytham d’une part, et le philosophe de Bagdad Muḥammad ibn al-Haytham d’autre part. À supposer donc que l’affirmation du colophon soit fondée, elle ne nous dit pas de quel Ibn al-Haytham il s’agit, et le copiste ne donne aucune indication sur son modèle qui puisse nous éclairer. Quoi qu’il en soit, les biobibliographes récents, sans examen supplémentaire, ont attribué ce traité au mathématicien al-Ḥasan ibn al-Haytham, induisant ainsi les historiens en erreur 1. Or ce traité n’est certainement pas d’al-Ḥasan ibn al-Haytham. En effet, une fois établie rigoureusement la liste de ses écrits, on n’y relève ni le titre de cet écrit, ni même un titre qui s’en rapprocherait. D’autre part, on ne doit à al-Ḥasan ibn al-Haytham que très peu de commentaires. Lorsqu’il lui arrive d’en rédiger, c’est pour dissiper un doute ou pour corriger une proposition, ou encore pour développer une nouvelle théorie ; par exemple lorsqu’il commente les Éléments, les lemmes des Banū Mūsā aux Coniques, etc. C’est en effet aux chercheurs qu’il s’adressait, et non pas aux débutants. Enfin, il est difficilement concevable qu’al-Ḥasan ibn al-Haytham, en son temps le meilleur connaisseur de la géométrie des sections coniques, et sans rival dans sa connaissance des Coniques (il en a restitué le huitième livre), ait fait l’impasse sur l’ouvrage d’Apollonius pour revenir aux Éléments d’Euclide dans un commentaire de II.14. Mais, si al-Ḥasan ibn al-Haytham n’est pas – et il ne peut l’être – l’auteur de ce traité anonyme, quel est cet auteur ? Dans l’état actuel de nos connaissances, il est impossible d’apporter une réponse vraisemblable et justifiée à cette question. Nous savons seulement que l’intérêt porté à cette proposition II.14 ne se bornait pas à la société des mathématiciens ; les philosophes l’ont eux aussi commentée, ce qui étend considérablement le champ des auteurs possibles. Nous savons par exemple que le philosophe Muḥammad ibn al-Haytham, familier des mathématiques et des sciences, a écrit un mémoire sur ce sujet, dont il évoque lui-même le titre dans la liste autobiographique de ses écrits 2. Or Muḥammad ibn al-Haytham nous a habitués à des commentaires de ce type, animés d’une évidente intention didactique.

‎1. J’ai été moi aussi victime de cette illusion, jusqu’à ce que mes recherches me mènent aux écrits mathématiques d’Ibn al-Haytham. Je l’ai rectifiée lors de l’édition et de la traduction des écrits d’Ibn al-Haytham. Cf. Les mathématiques infinitésimales, vol. II, p. 19, n. 71. ‎2. Voir Ibn Abī Uṣaybiʿa, ʿUyūn al-anbāʾ fī ṭabaqāt al-aṭibbāʾ, éd. N. Riḍā, 1965, p. 555 (Maqāla fī intizāʿ al-burhān ʿalā anna al-qiṭʿ al-zāʾid wa-al-khaṭṭayn allādhāni lā yalqayānihi yaqrabāni abadan).

474

IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

On sait également que le fameux théologien et philosophe (mort en 1209) Fakhr al-Dīn al-Rāzī a écrit un traité semblablement intitulé 1. Selon ses propres dires, il a procédé dans ce traité à l’aide des Éléments uniquement, c’est-à-dire de la même façon qu’al-Qummī et l’auteur de ce traité anonyme. Mais tout ceci ne suffit pas à fonder une conjecture ni à attribuer le traité anonyme à Muḥammad ibn al-Haytham ou à Fakhr al-Dīn al-Rāzī. On observe seulement que la proposition II.14 a été commentée à plusieurs reprises par les philosophes : ces deux derniers, qui lui ont consacré chacun un traité, et Maïmonide, qui l’évoque dans le Guide. Plus tard et sous d’autres climats, d’autres vont l’évoquer, comme Montaigne et Voltaire. Peut-être faut-il chercher la raison de cet attrait exercé par la proposition II.14 dans l’exemple qu’elle offre d’une connaissance certaine de ce qui échappe à l’imagination, exemple qui apporterait de l’eau au moulin des théologiens et des déistes. Le traité anonyme est sans doute l’un des commentaires les plus développés de II.14. L’auteur multiplie délibérément les démonstrations des principaux lemmes, et il lui arrive de donner, après une démonstration directe, une autre démonstration, par l’absurde cette fois. Son but déclaré est de démontrer l’existence d’une droite asymptote à l’hyperbole, et l’unicité de celle-ci. Il entend établir des démonstrations «faciles » et « claires » à l’aide des Éléments d’Euclide, et notamment des livres VI et XI. Cette fois encore on perçoit, même si elle n’est pas explicitée, l’intention didactique. L’auteur commence par montrer comment engendrer un cône de révolution et obtenir une surface conique. Il explique ensuite comment déterminer une hyperbole comme section plane d’un cône, ainsi que son diamètre transverse, son côté droit et ses ordonnées ; et comment montrer que la courbe est à branche infinie. Il ne s’agit pas du cas général, comme chez Apollonius, mais d’une hyperbole équilatère. Ainsi, l’auteur fournit à son lecteur le bagage qui le dispense de revenir aux Coniques et assure à son traité indépendance et auto-suffisance. Il étudie la droite asymptote, qu’il conçoit, à la différence d’Apollonius, comme une droite parallèle à une génératrice du cône dans un plan passant par le centre de la section et parallèle

‎1. Fakhr al-Dīn al-Rāzī, al-Maṭālib al-ʿāliya, éd. A. H. al-Saqā, Beyrouth, 1987, p. 166 : « Apollonius a montré dans son livre Les coniques l’existence de deux lignes qui se rapprochent continûment, sans se rencontrer. Nous avons montré par d’autres moyens établis sur les principes de la géométrie que cela est possible. Si on acceptait que la division soit finie, alors cela serait impossible absolument».

‫نايقتلي نحنو دق انيب هوجوب ىرخأ ةينبم ىلع لوصأ ةسدنهلا نأ‬. ‫نإ سوينولبأ نيب يف باتك »تاطورخملا« دوجو نيطخ نابراقتي اًدبأ الو‬

‫اًعطق‬. ‫اًيهانتم عنتمال كلذ‬، ‫نكمم ولو ناك لوبق ةمسقلا‬. ‫كلذ‬

LE PSEUDO AL-ḤASAN IBN AL-HAYTHAM : SUR L’ASYMPTOTE

475

au plan sécant – conception que l’on rencontre déjà chez al-Qummī. L’asymptote est donc une droite qui passe par le centre de l’hyperbole et par l’extrémité de la moitié du côté droit, qui est, dans l’hyperbole équilatère, une partie de la tangente au sommet. Il montre ensuite que cette droite ne rencontre pas la courbe, que la suite des distances, majorée par la distance entre le sommet de la courbe et l’asymptote, est une suite décroissante. Puis il démontre l’unicité de l’asymptote, et montre enfin que, si l’on mène d’un point quelconque entre le sommet de l’hyperbole et son centre une droite parallèlement à l’asymptote, elle se comporte avec l’hyperbole comme l’asymptote. Il démontre ensuite que cette droite ne rencontre pas la courbe, une fois par une preuve directe et une fois par une réduction à l’absurde. On peut récrire la preuve directe ainsi : Soit (AB, AP) un repère, G(x, y) un point de l’hyperbole ; par la propriété fondamentale (le symptoma), on a y2 = (2a + x)x. Soit le point W (X, Y ) sur l’asymptote, on a X = x, Y = x + a, d’où Y2 = (x + a)2 = y2 + a2 , donc Y2 > y2 . La démonstration par réduction à l’absurde se récrit : Supposons que CB rencontre l’hyperbole au point K et menons KP ; on a DP · PA + AC2 = CP2 = PK2 (K sur BC). Mais PK2 = DP · PA (symptoma), donc DP · PA + AC2 = DP · PA ; ce qui est impossible. L’auteur donne ensuite deux démonstrations de la décroissance de la suite des distances entre l’hyperbole et l’asymptote. Voici la transcription de ces démonstrations. Traçons les droites GS et EM ; elles rencontrent l’asymptote en W et I, donc DS · SA = GS2 et DM · MA = ME2 ; mais DS · SA < DM · MA ⇒ ME > GS et MC > SC, d’où CS + SG < CM + ME. D’autre part,

476

IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

D

C J A

V

N

U

B H

S

L

G

M P

W

O

E

I K

DS · SA + AC2 = CS2 = SW2 ; mais

(CS + GS) · GW + GS2 = SW2 , d’où

(CS + GS) · GW = AC2 . De même, on montre que (CM + ME)EI = AC2 , donc

(CS + GS) · GW = (CM + ME) · EI, d’où

CS + SG EI = ; CM + ME GW

mais CS + SG < CM + ME ⇒ EI < GW.

d = 1 droit et ˆI = Mais EOI EO = OI,

1 2

ˆ= droit, donc E

EI2 = 2EO2

et

1 2

droit, donc GW2 = 2GH2 ;

or EI < GW, donc EO < GH. On montre enfin que AJ > GH. De (*) on a CS + SG AC = ; AC GW or CS + SG > AC ⇒ AC = AB > GW et AB2 = 2AJ2 ,

GW2 = 2GH2 ,

donc AJ > GH > EO.

(*)

LE PSEUDO AL-ḤASAN IBN AL-HAYTHAM : SUR L’ASYMPTOTE

477

On peut transcrire ainsi la seconde démontration : LW · GW + SG2 = SW2 = CS2 = DS · AS + AC2 , donc LW · GW + SG2 = DS · AS + AC2 ; mais SG2 = DS · SA ; par soustraction, on a AC2 = AB2 = LW · GW, donc

LW AB = . AB GW

Mais LW > AB, donc AB > GW. On montre également que NI · EI = AB2 , d’où LW · GW = NI · EI, d’où

LW EI = ; NI GW

mais LW < NI ⇒ EI < GW. L’auteur commence par établir deux lemmes pour démontrer que l’asymptote et la courbe prolongées continûment ne se rencontrent jamais : 1. Si on divise un segment [AB] en deux points C et E tels que AC > CB et AE = CB, et si l’on ajoute à [AB] le segment [BD], alors AD · DB = CD2 . A

E

C

B

D

2. Toute parallèle à l’asymptote menée entre le sommet de l’hyperbole et son centre rencontre l’hyperbole. Il démontre ensuite la proposition : Quelle que soit une distance I ′ entre l’asymptote et l’hyperbole inférieure ou égale à la distance d = AJ, il existe une distance d ′ telle que d ′ = I ′ . Si I ′ = AJ, la proposition est vérifiée. Si I ′ < AJ, prenons JN = I ′ sur AJ. De N on mène la droite NM parallèle à l’asymptote CB. D’après le lemme 2, la droite NM rencontre

478

IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

S

C

T J

A

N

B

E

O

M L

Y I′

l’hyperbole ; qu’elle la rencontre en M. Abaissons de M la perpendiculaire ME sur l’asymptote. On a alors le parallélogramme (N, E), donc JN = ME = I ′ . L’auteur montre ensuite que toute parallèle à l’asymptote se comporte comme une asymptote et que l’asymptote est unique. On vient de résumer les principales étapes de cet écrit anonyme. On trouvera ici l’editio princeps de celui-ci ainsi que sa première traduction. Cette édition critique a été faite à partir du seul manuscrit connu de ce texte. Ce manuscrit a été transcrit en écriture naskhī. Le copiste ne comprenait manifestement pas le contenu du traité et a commis beaucoup de fautes. Il a également omis de tracer les figures.

TRAITÉ SUR L’EXISTENCE DE L’ASYMPTOTE

Au nom de Dieu Clément et Miséricordieux

Traité sur l’existence de l’asymptote 1 Son auteur écrit : après avoir rendu grâces à Dieu le Très-Haut, et bénédiction sur Son Bien Aimé le Prophète élu ; avant d’entreprendre cela, il faut que nous indiquions des lemmes solides et des propositions coniques. Parmi ce qu’il faut introduire, il y a les définitions du début du onzième des Éléments. Puis suivront la première proposition de ce livre, la seconde, puis la troisième, la quatrième et la cinquième ; et enfin la proposition dont l’énoncé est : par un point d’un plan, on ne peut pas élever deux perpendiculaires dans une même direction 2. Ensuite la quatorzième proposition, puis la huitième, puis la onzième, puis la dix-huitième, et enfin la dix-neuvième. C’est sur tout cela qu’on s’arrêtera, sur les solides des Éléments.

On suppose ensuite le triangle CAE, dont l’angle A est droit et dont la droite AC est égale à la droite AE ; menons la perpendiculaire AB. Il est clair que les deux triangles ABC, ABE sont égaux et semblables. Si nous imaginons les deux extrémités de la droite AB fixes dans leur position, et si on fait tourner le triangle ABC dans la direction de E jusqu’à ce qu’il revienne à sa position initiale, alors la droite BC tout entière décrit la surface d’un cercle dont le centre est le point B et dont le demi-diamètre est BC, car BC, dans son mouvement, forme toujours avec la droite AB un angle droit ; et le mouvement de la droite BC est dans un plan, comme on l’a montré 3 dans la cinquième proposition ; le point B est fixe, il est donc le centre du cercle [16 r] tracé par la droite BC. Le triangle ABC, dans son mouvement, peut se superposer au triangle ABE, car il lui est égal et semblable. La droite CE en entier est alors le diamètre du cercle et le plan du cercle est perpendiculaire au plan du triangle ABC, comme on l’a montré dans la dix-huitième proposition. La droite AB est en effet perpendiculaire au plan du cercle et le plan du triangle passe par la droite AB. AC décrit donc une surface conique de sommet le point A et de base le cercle de centre B.

‎1. Litt. : des deux lignes qui se rapprochent et qui ne se rencontrent pas. ‎2. Éléments, XI.13. ‎3. Litt. : comme nous l’avons montré. Il recourt à cette expression plusieurs fois.

‫ظ‪١٥-‬‬

‫ةلاسر‬

‫يف دوجو نيطخ نابرقي الو نايقتلي‬

‫لاق ‪:‬اهفنصم اّمأ دعب دمحلا هّلل ‪،‬ىلاعت ةالصلاو ىلع هبيبح يبنلا ‪،‬ىفطصملا َلبقف عورشلا يف‬

‫كلذ ال دب نأ ريشن ىلإ تامدقم ةمسجم لاكشأو ‪:‬ةيطورخم‬

‫نمف ةلمج ام بجي هُميدقت موسر لوأ ةيداحلا ةرشع ‪ 1‬نم باتك لوصألا‪ ،‬مث ولتي لكشلا لوألا‬

‫اهنم مث يناثلا مث ثلاثلا مث عبارلا مث ‪،‬سماخلا مث لكشلا يذلا ‪:‬هاوعد ال موقي ىلع حطس دحاو‬

‫ىلع ةطقن هنم نادومع يف ةهج ةدحاو مث لكشلا عبارلا ‪،‬رشع مث لكشلا نماثلا مث لكشلا يداحلا‬

‫رشع مث نماثلا رشع مث عساتلا ‪.‬رشع اذهف عيمج ام فَقوي هيلع نم تامسجملا نم باتك ‪.‬لوصألا‬

‫مث ضرفُيل ثلثم ـج ا ه‪ُ ،‬ةيواز ا هنم ‪،‬ةمئاق طخو ا ـج لثم طخ ا ه‪ ،‬جرخنو دومع ا ب‪.‬‬

‫ٌنّيبف نأ يثلثم ا ب ـج او ب ه نايواستم ‪.‬ناهباشتم اذإف انمهوت يفرط طخ ا ب نْيمزال ‪،‬امهَعْضَو‬

‫دقو ريدأ ثلثم ا ب ـج ىلإ ةهج ه‪ ،‬ىلإ نأ عجري ىلإ عضوملا يذلا أدب ‪،‬هنم لكف طخ ب ـج‬

‫مسري حطس ٍةرئاد اهُزكرم ةطقن ب فصنو اهرطق ب ـج؛ نأل ب ـج يف لاح هتكرح ال لازي‬

‫طيحي عم طخ ا ب ةيوازب ؛ةمئاق نوكت>و< ةكرح طخ ب ـج يف ‪،‬حطس امك انّيب يف لكشلا‬

‫و‪١٦-‬‬

‫‪،‬سماخلا ةطقنو ب ةتباث يهف زكرم ةرئادلا يتلا اهمسري ‪ /‬طخ ب ـج‪.‬‬

‫نوكيو ثلثم ا ب ـج يف هتكرح دق قباطي ثلثم ا ب ه‪ ،‬هنأل ٍواسم هل هيبشو ‪،‬هب نوكيو‬

‫عيمج طخ ـج ه رطق ‪،‬ةرئادلا نوكيو حطس ةرئادلا اًمئاق ىلع حطس ثلثم ا ب ـج ىلع اياوز ‪،‬ةمئاق‬ ‫امك انيب ‪ 2‬يف لكشلا نماثلا ‪، 3‬رشع نوكل طخ ا ب ]نوكي[ اًدومع ‪ 4‬ىلع حطس ‪،‬ةرئادلا حطسو‬

‫ثلثملا زئاج ‪.‬هيلع ـفا ـج ‪ 5‬مسري اًحطس ‪،‬اًيربونص هُسأر ةطقن ا هُتدعاقو ةرئادلا يتلا اهزكرم ب‪.‬‬

‫‪: ‎1.‬ةرشع رشع‬ ‫‪: ‎4.‬اًدومع دومع‬

‫‪: ‎2.‬انيب ينعي امك ‪،‬نيُب نلو ريشن ىلإ اهلثم اميف دعب‬

‫‪ ‎5.‬ـفا ـج‪ :‬او ـج‬

‫‪: ‎3.‬نماثلا رشع رشاعلا‬

482

IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

Prolongeons AC dans la direction de C jusqu’en K, abaissons la perpendiculaire KU sur le prolongement de AB et prolongeons-la jusProlongeons AC dans la direction de C jusqu’ en K, abaissons la perpendicuqu’au I sur le prolongement la droite AE. Il au estpoint clair, d’après lairepoint KU sur le prolongement de AB etde prolongeons-la jusqu’ I sur le ce qui précède, que la droite KI est le diamètre d’un cercle décrit prolongement de la droite AE. Il est clair, d’ après ce qui précède, que la droitepar la droite au moyen dudécrit mouvement ; U sera le KI est leKU diamètre d’ un cercle par la droitedu KUtriangle au moyen ABC du mouvement centre de ce cercle. du triangle ABC ; U sera le centre de ce cercle. A

E I

B

C

U

D

K

De même, on montre que toutes les droites parallèles à la droite CB, et comprises entre les deux droites AB et AC, et toutes celles qui les prolongent, peuvent décrire des cercles est perpendiculaire au plan du triangle ABC. Ces cercles ont pour demidiamètres ces droites parallèles, et les centres de ces cercles se situent sur la droite qui prolonge la droite AB. Les droites AB et AC peuvent être prolongées à l’infini ; la surface décrite par la droite AC et son prolongement peut donc augmenter continûment.

Menons ensuite du point C ou d’un autre point de la droite AC ou de son prolongement la perpendiculaire CD à IK, et élevons sur cette droite CD un plan perpendiculaire au plan du triangle ABC au moyen de la proposition 18 du livre ; qu’il coupe la surface conique suivant la ligne CM. Appelons la ligne GCM, hyperbole, et appelons la droite CD, son diamètre. Comme la surface conique peut être prolongée continûment, l’hyperbole peut aussi être prolongée continûment, si on prolonge le segment CD et si on prolonge le plan perpendiculaire à CD. Retraçons la figure avec ses lettres, marquons le point G sur l’hyperbole 1 et menons la perpendiculaire DG sur le plan du triangle ABC. Le prolongement de ce plan rencontre la droite GD, ou ce qui la prolonge, comme on l’a montré précédemment ; qu’il la rencontre en D.

‎1. Litt. : section ; que nous rendons désormais par «hyperbole».

‫‪483‬‬

‫‪TRAITÉ SUR L’EXISTENCE DE L’ASYMPTOTE‬‬

‫جرخُنو ا ـج يف ةهج ـج ىلإ ـك‪ ،‬جرخنو ‪ 1‬دومع ـك ص >ىلع< طخلا يذلا ىلع ةماقتسا‬

‫ا ب‪ ،‬هجرخنو ىلإ ةطقن ط نم طخلا يذلا ىلع ةماقتسا طخ ا ه‪ .‬نّيبف اّمم ‪ 2‬انّيب ُلبق نأ طخ‬

‫ـك ط نوكي َرطقةرئادلا يتلا اهمسري طخ ـك ص ةكرحب ثلثم ا ب ـج‪ ،‬نوكيو ص زكرم ‪.‬ةرئادلا‬

‫كلذكو نيبت نأ ّلك طوطخلا ةيزاوملا طخل ـج ب ‪ ،3‬يتلا اميف نيب يطخ ا ب ا ـج امو‬

‫لصتي ‪،‬اهب هلعل ‪ 4‬مسري رئاود ةمئاق ىلع حطس ثلثم ا ب ـج‪ ،‬نوكتو طوطخلا ةيزاوتملا فاصنأ‬ ‫اهراطقأ ُزكارمورئاودلا نوكت ىلع طخلا لصتملا طخب ا ب‪ ،‬اطخو ‪ 5‬ا ب ا ـج نكمي امهجارخإ‬

‫‪6‬‬

‫ىلإ ريغ ‪.‬ةياهنلا حطسلاف يذلا همسري طخ ا ـج امو لصتي هب ىلع ةماقتسا نكمي هتدايز ‪.‬اًمئاد‬

‫مث جرخُن نم ةطقن ـج وأ نم ‪ 7‬اهريغ >ىلع< طخ ا ـج امو لصتي ‪،‬هب ىلع ‪،‬هتماقتسا دومع‬

‫ـج د ىلع ط ـك‪ ،‬ميقنو هيلع اًحطس اًمئاق ىلع حطس ثلثم ا ب ـج ىلع ةيواز ةمئاق لكشلاب نماثلا‬

‫‪8‬‬

‫رشع ]نيبنو[ نم ةلاقملا ‪9‬؛ عطقيلف ‪ 10‬يربونصلا ىلع طخ ـج م‪ّ .‬مسنلو طخ ز ـج م عطِقلا دئازلا ‪،11‬‬

‫يمسنو طخ ـج د ‪.‬هرطق امكف نأ حطسلا يربونصلا نكمي نأ جرخي ‪، 12‬اًمئاد عطِقلاف ‪ 13‬اًضيأ نكمي‬ ‫نأ جرخي اًمئاد جارخإب طخ ـج د جارخإو حطسلا مئاقلا ىلع ـج د‪.‬‬ ‫ديعنو ةروصلا اهفورحب ملعتنو ةطقن ز‬

‫‪14‬‬

‫ىلع ‪،‬عطقلا جرخنو اهنم دومع د ز ىلع حطس ثلثم‬

‫ا ب ـج‪ .‬امو لصتي طيسبب حطسلا وهف ىقلي ‪ 15‬طخ ز د ‪ 16‬امو لصتي ‪،‬هب امك انيب ‪ُ.‬لبق هقليلف‬

‫‪17‬‬

‫ىلع د‪.‬‬

‫‪: ‎1.‬هجرخنو جرخنو‬

‫‪: ‎5.‬اطخو طخو‬ ‫‪: ‎9.‬ةلاقملا ةلاوحلا‬ ‫عطقلاو‬

‫‪: ‎2.‬امم امع‬

‫‪ ‎3.‬ـج ب‪ :‬ا‬

‫‪: ‎4.‬هلعل ريمضلا ركذم دوعي ىلع »لك«‬

‫‪ ‎8.‬نماثلا ‪:‬رشع رشاعلا‬ ‫‪ ‎7.‬ـج وأ ‪:‬نم ـج ا نمو‬ ‫‪: ‎6.‬امهجارخإ اهجارخا‬ ‫‪: ‎13.‬عطقلاف‬ ‫‪: ‎12.‬جرخي جرخت‬ ‫‪: ‎11.‬دئازلا ريادلا‬ ‫‪: ‎10.‬عطقيلف عطقنلف‬

‫‪ ‎14.‬ز‪ :‬دق أرقت ز نود ـج‬

‫‪: ‎15.‬ىقلي قلي‬

‫‪ ‎16.‬ز د‪ :‬ـج د‬

‫‪: ‎17.‬هقليلف هاقليف‬

484

IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

Je dis que, si on prolonge GD, cette droite coupe l’hyperbole dans l’autre [16 v] direction, ; elle sera partagée en deux moitiés par la perpendiculaire au plan du triangle ABC. S A E

H C

B

G I

U

D

K M

Démonstration : Menons de D une droite parallèle à la droite EC ; soit KUI. Elle coupe les droites AI, AK, AU aux points I, K, U. Le cercle de centre U et de demi-diamètre KU est donc perpendiculaire au plan du triangle ABC, comme on l’a montré précédemment ; or DG est perpendiculaire au plan du triangle, donc la droite DG est dans le plan du cercle et dans le plan de l’hyperbole ; c’est l’intersection des deux plans. Prolongeons GD jusqu’à la circonférence du cercle et le pourtour de la section ; qu’elle les rencontre au point M. Il est impossible que la droite GD passe par le point C, puisque le point C est sur la circonférence du cercle de demidiamètre BC et que des deux cercles sont parallèles, car la droite BU est perpendiculaire à ces deux plans, d’après la proposition 14 du livre . Les points G, M, I, K sont donc sur la circonférence du cercle de demi-diamètre UK et le diamètre IK coupe la corde GDM perpendiculairement ; il la partage donc en deux moitiés.

Retraçons la même figure et menons de C une perpendiculaire au plan du triangle ABC. Je dis qu’elle est tangente à l’hyperbole.  : En effet, si elle ne lui était pas tangente, elle la couperait en P ; la droite PC est donc à l’intérieur du cône. Mais la droite PC a rencontré la droite AC dans la surface du cône en C ; si on prolonge PC dans la direction de C, elle coupe la droite AC, et ce prolongement est à l’extérieur de la surface du cône et ne revient

‫‪485‬‬ ‫ظ‪١٦-‬‬

‫‪TRAITÉ SUR L’EXISTENCE DE L’ASYMPTOTE‬‬

‫‪:‬لوقأف هنإ ‪ 1‬اذإ جرخأ ىلع هتماقتسا يقل عطقلا نم ةهجلا ‪، /‬ىرخألا هفّصنيو ‪ 2‬دومعلاىلع حطس ثلثم ا ب ـج‪.‬‬

‫‪:‬هناهرب نأ جرخُن اهنم ‪ 3‬اًطخ اًيزاوم طخل ه ـج‪ ،‬نكيلو ـك ص ط ‪ ،4‬يقاليو طوطخ ا ط‬

‫ا ـك ا ص ىلع طقن ط ـك ‪ 5‬ص‪ ،‬ةرئادلاف يتلا اهزكرم ص فصنو اهرطق ـك ص ةمئاق ىلع حطس‬

‫ثلثم ا ب ـج امك انيب ‪ُ،‬لبق دو ز دومع ىلع حطس ‪،‬ثلثملا طخف د ز يف حطس ةرئادلا يفو حطس‬

‫‪،‬عطقلا وهف لصف كرتشم ‪،‬نيحطسلل جرخنف ز د ىلع هتماقتسا ىلإ طيحم ةرئادلا طيحمو ‪.‬عطقلا‬

‫امهقليلو ‪ 6‬ىلع ةطقن م الو نكمي نأ رمي ةطقنب ـج ‪ 7‬نأل ةطقن ـج ىلع طيحم ةرئادلا يتلا فصن‬ ‫اهرطق ب ـج‪ ،‬ناترئادلاو ‪،‬ناتيزاوتم نأل طخ ب ص دومع ىلع امهيحطس ‪ ،8‬كلذو عبارلاب رشع‬

‫نم ةلاقملا ‪ ،10‬طقنف ز م ط ـك ىلع طيحم ةرئادلا يتلا فصن اهرطق ص ـك‪ ،‬اهرطقو‬ ‫عطقي رتو ز د م ىلع اياوز ‪،‬ةمئاق وهف هعطقي ‪. 12‬نيفصنب‬

‫‪11‬‬

‫‪9‬‬

‫ط ـك‬

‫ديعنو ‪،‬ةروصلا جرخنو نم ـج اًدومع ‪ 13‬ىلع حطس ثلثم ا ب ـج‪.‬‬

‫‪:‬لوقأف هنإ ّسامم ‪.‬عطقلل‬

‫كلذو هنأ ول مل هّسامي هعطقيلف ىلع ف‪ ،‬طخف ف ـج لخاد ‪،‬طورخملا دقو ىقال طخ ا ـج‬

‫ميقتسملا ىلع طيسب طورخملا ىلع ـج‪ ،‬وهف نذإ اذإ جرخأ يف ةهج ـج عطاقي طخ ا ـج عقيو اًجراخ‬

‫نع طيسب ‪،‬طورخملا سيلف عجري يقالي ‪،‬عطقلا نكل ةطقن ف تملعت ىلع عطقلا ىلع ريغ ةطقن ـج‪،‬‬

‫‪ ‎4.‬ـك ص ط‪:‬‬ ‫‪: ‎3.‬اهنم يأ نم د‬ ‫‪: ‎2.‬هفصنيو فصننو‬ ‫‪: ‎1.‬هنإ ريمضلا دوعي ىلع ز د‬ ‫‪: ‎8.‬امهيحطس‬ ‫‪ ‎7.‬ـج ‪):‬ةيناثلا( م‬ ‫‪: ‎6.‬امهقليلو امهاقليلو‬ ‫‪ ‎5.‬ـك ص‪ :‬ص ـك‬ ‫ـك ل ص ط‬ ‫‪: ‎12.‬هعطقي عطقي‬ ‫‪: ‎11.‬اهرطقو رطقو‬ ‫‪: ‎10.‬ةلاقملا ةلاوحلا‬ ‫‪ ‎9.‬عبارلاب ‪:‬رشع عساتلاب‬ ‫امهحطس‬ ‫‪: ‎13.‬اًدومع دومع‬

486

IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

pas rencontrer l’hyperbole ; mais le point P est marqué sur l’hyperbole en un autre point que C ; on a mené de P la perpendiculaire au plan du triangle ABC, CP est donc perpendiculaire à CD et CD partage l’hyperbole en deux moitiés au point C ; CP, si on la prolonge, rencontre donc l’hyperbole et la partage en deux moitiés au point C, d’après ce qui précède ; elle rencontre donc le pourtour de la section, encore une fois ; or nous avons montré qu’elle ne peut pas le rencontrer encore une fois. Ceci est impossible. La droite CP est donc tangente à l’hyperbole. Ce qu’il fallait démontrer 1. Retraçons la figure avec les mêmes lettres, c’est-à-dire la figure de l’hyperbole et celle du triangle ABC. Prolongeons la droite CD et la droite AI dans la direction de C ; qu’elles se rencontrent au point S. Nous appelons la droite CS le diamètre transverse, le point H qui sépare la droite CS en deux moitiés, le centre de l’hyperbole et le point C le sommet de l’hyperbole. Si on prend la droite CP égale à la moitié du diamètre transverse, on l’appelle la moitié du côté droit. Marquons alors sur le pourtour de l’hyperbole le point G quelconque et abaissons la perpendiculaire GD sur le plan du triangle ABC. Je dis que le produit de SD par DC [17 r] est égal au carré de GD. Démonstration : Menons la droite KUI parallèlement à la droite CE. L’angle B est droit et la droite AB est égale à BE ; l’angle AEB est donc un demi-droit, je veux dire que l’angle interne AID est un demi-droit et que l’angle IDS est droit. Il reste l’angle ISD égal à un demi-droit. La droite DI est donc égale à la droite DS ; de même la droite CD est égale à la droite DK et le point G est sur la circonférence du cercle dont le demi-diamètre est la droite UK. Mais on a mené de ce point la perpendiculaire GD au diamètre du cercle, donc le produit de ID par DK, c’est-à-dire le produit de SD par DC, est égal au carré de GD.

‎1. Dans le plan de l’hyperbole, toute droite perpendiculaire à l’axe CD et qui coupe l’hyperbole en un point, la recoupe en un deuxième point ; le milieu de ces deux points est un point sur l’axe. Exemple : M, G, D ; si M vient en C, les trois points se confondent en C. Il en est de même pour N, D ′ , N ′ . P C N′

G

D′ D

N

M

‫‪487‬‬

‫‪TRAITÉ SUR L’EXISTENCE DE L’ASYMPTOTE‬‬

‫جرخأو اهنم دومع ىلع حطس ثلثم ا ب ـج‪ ،‬ـفـج ف ‪ 1‬دومع ىلع ـج د‪ ،‬ـجو د فصني عطقلا‬

‫ىلع ةطقن ـج‪ ،‬ـفـج ف اذإ جرخأ ىلع هتماقتسا ىقلي عطقلا هفصنيو ‪ 2‬ىلع ةطقن ـج امب ‪،‬قبس وهف‬ ‫ىقلي طيحم عطقلا ةرم ‪،‬ىرخأ دقو انيب هنأ ال نكمي نأ هاقلي ةرم ‪،‬ىرخأ كلذو ‪،‬لاحم نإف طخ‬

‫ـج ف ّسامم ؛عطقلل كلذو ام اندرأ نأ ‪.‬نيبن‬

‫ديعنو ةروصلا ‪،‬اهفورحب ينعأ ةروص عطقلا ثلثمو ا ب ـج‪ ،‬جرخنو طخ ـج د طخو ا ط‬

‫يف ةهج ـج ايقتليلو ‪ 3‬ىلع ةطقن س‪ ،‬يمسنو طخ ـج س بناجُملا ‪ ،4‬ةطقنو ح ‪ — 5‬ةلصافلا طخل‬

‫ـج س نيفصنب — زكرم ‪،‬عطقلا ةطقنو ـج َسأر عطقلا اذإو لعُج طخ ـج ف اًيواسم فصنل‬

‫بناجملا ‪ 6‬ىمسي فصن علضلا ‪، 7‬مئاقلا ملعتنلو ىلع طيحم عطقلا ةطقن ز ٍذئنيح ‪ ،8‬فيك ‪،‬تعقو‬

‫جرخنلو اهنم دومع ز د ىلع حطس ثلثم ا ب ـج‪.‬‬

‫‪:‬لوقأف نإ برض س د يف د ـج ‪ /‬لثم عبرم ز د‪.‬‬

‫و‪١٧-‬‬

‫ناهرب ‪:‬كلذ اّنأ جرخُن طخ ـك ص ط ‪ 9‬اًيزاوم طخل ـج ه‪ ،‬ةيوازف ب ‪،‬ةمئاق طخو ا ب لثم‬

‫ب ه‪ ،‬ةيوازف ا ه ب فصن ‪،‬ةمئاق ينعأ ةيواز ا ط د ةلخادلا فصن< ‪>،‬ةمئاق ةيوازو ط د س‬ ‫‪،‬ةمئاق ىقبت ةيواز ط س د فصن ‪،‬ةمئاق طخف د ط لثم طخ د س‪ ،‬كلذكو طخ ـج د لثم‬

‫طخ د ـك‪ ،‬ةطقنو ز ىلع طيحم ةرئادلا يتلا‬

‫‪10‬‬

‫فصن اهرطق طخ‬

‫‪11‬‬

‫ص ـك‪ .‬دقو جرخ‬

‫‪12‬‬

‫اهنم‬

‫دومع ز د ىلع رطق ‪،‬ةرئادلا برضف ط د يف د ـك‪ ،‬ينعأ برض س د يف د ـج لثم عبرم ز د‪.‬‬

‫ـج‬

‫‪ ‎1.‬ـفـج ف‪ :‬وهف‬

‫‪: ‎2.‬هفصنيو فصنيو‬

‫‪: ‎6.‬بناجملا بناجلا‬

‫‪: ‎10.‬يتلا ىلا‬

‫‪: ‎7.‬علضلا علاطلا‬

‫‪: ‎11.‬طخ طخب‬

‫‪: ‎3.‬ايقتليلو ايقليلو‬

‫‪ٍ: ‎8.‬ذئنيح ح‬

‫‪: ‎12.‬جرخ حرص‬

‫‪: ‎4.‬بناجملا بناجلا‬

‫‪ ‎5.‬ح‪:‬‬

‫‪ ‎9.‬ـك ص ط‪ :‬ـك ل ص ظ‬

488

IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

Et par la même démonstration nous montrons que toute perpendiculaire menée du pourtour de l’hyperbole au plan du triangle ABC tombe sur le diamètre de l’hyperbole, et est telle que le produit de la droite tout entière – composée du diamètre transverse et de la droite séparée par la perpendiculaire au diamètre à partir du pourtour de l’hyperbole au-delà du sommet de l’hyperbole – par la droite séparée par la perpendiculaire, est égal au carré de la perpendiculaire 1. Toute perpendiculaire menée du pourtour de l’hyperbole au plan du triangle ABC est dans le plan de l’hyperbole. Puisque le plan de l’hyperbole est perpendiculaire au plan du triangle, elle est donc aussi dans le plan de l’hyperbole. Et ces droites forment un angle droit avec le diamètre de l’hyperbole. Toutes ces perpendiculaires sont donc parallèles, et on les appelle les ordonnées. Par conséquent, l’hyperbole, son diamètre transverse, la moitié de son côté droit et ses ordonnées sont dans un plan. Ce qu’il fallait démontrer.

Maintenant que nous avons montré comment trouver l’hyperbole, son diamètre transverse, la moitié de son côté droit et ses ordonnées, et que nous avons montré que l’hyperbole se prolonge indéfiniment, je dis que la droite qui joint le centre de l’hyperbole et l’extrémité de la moitié de son côté droit est asymptote. Supposons que l’hyperbole soit UAK, son diamètre AP, son diamètre transverse AD, son centre le point C, son côté droit AB. Joignons CB. Je dis que CB est asymptote à l’hyperbole AK. D

C J V

U

N

L

A

B S M P

H G

W E

O

I K

‎1. La démonstration faite pour G est valable pour tout autre point de l’hyperbole : SD · DC = GD2 .

‫‪489‬‬

‫‪TRAITÉ SUR L’EXISTENCE DE L’ASYMPTOTE‬‬

‫لثمبو اذه نايبلا نيبن ‪ 1‬نأ ّيأ دومع جرخ نم طيحم عطقلا ىلإ حطس ثلثم ا ب ـج عقي‬

‫ىلع رطق ‪،‬عطقلا نوكيو برض طخلا هعيمج — بكرملا نم بناجملا ‪ ،2‬طخلايذلا هلصفي‬

‫دومعلا نم رطق عطقلا امم يلي سأر عطقلا — يف طخلا يذلا هلصفي دومعلا نم ‪،‬رطقلا اًيواسم‬ ‫عبرمل ‪.‬دومعلا‬

‫عيمجو ةدمعألا يتلا جرخت ‪ 3‬نم طيحم عطقلا ىلإ حطس ثلثم ا ب ـج نوكت يف حطس ‪.‬عطقلا‬ ‫نأل حطس عطقلا مئاق ىلع حطس ‪،‬ثلثملا وهف اًضيأ يف حطس ‪،‬عطقلا هذهو طوطخلا طيحت‬

‫‪4‬‬

‫عم رطق عطقلا اياوزب ‪ 5‬ةمئاق يهف ةيزاوتم ىمستو طوطخ ‪.‬بيترتلا عطقلاف ‪،‬هبناجمو فصنو هعلض‬ ‫>طوطخوىلع< يتطقن و ‪ 3‬ط نألف ثلثم ا ب ـج >مئاق 10‬يفال< نالازي ‪ 12‬نابراقتي‬

‫املك ‪. 13‬ادتما‬

‫ديعنف ةروصلا اهفورحب ملعتنو ىلع عطق ا ـك يتطقن ه ز‪ ،‬جرخُنو امهنم يدومع ز ح ه ع ىلع‬

‫طخ ـج ب‪ ،‬امو لصتي هب نمو ةطقن ا دومع ا ي‪.‬‬

‫‪:‬لوقأف نإ دومع ا ي لوطأ نم دومع ز ح‪ ،‬نإو ز ح لوطأ نم ه ع‪.‬‬

‫‪: ‎1.‬امهنم اهنم‬ ‫‪ ‎4.‬ـح س و‪ :‬ـج س ه‬

‫طخلا‬ ‫نالوزي‬

‫‪: ‎2.‬نايقلي نايقتلي‬ ‫‪ ‎5.‬ـج س‪ :‬ح س‬

‫‪ ‎9.‬ـك‪ :‬د ـك‪ ،‬لادلاو ةلمهم‬ ‫‪: ‎13.‬املك لك‬

‫‪ ‎3.‬و‪ :‬اهبتك ف‪ ،‬ق وأ و‪ ،‬نلو ريشن اهيلإ اميف دعب‬ ‫‪: ‎8.‬طخ‬ ‫‪ ‎7.‬ز س‪ :‬ةسومطم‬ ‫‪: ‎6.‬نوكيف نوكي‬

‫‪ ‎10.‬د ف ‪):‬ىلوألا( د ن‬

‫‪ ‎11.‬ـج ب‪ :‬ـج ل‬

‫‪: ‎12.‬نالازي‬

492

IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

Démonstration : Faisons passer par les deux points E et G les deux droites GS et EM, en ordonnées au diamètre ; qu’elles rencontrent la droite CB en deux points, W et I. Le produit de DS par SA est donc égal au carré de GS, comme on l’a démontré précédemment. Le produit de DM par MA est égal au carré de EM et le produit de DS par SA est plus petit que le produit de DM par MA. La droite ME est donc plus grande que la droite GS et la droite MC est plus grande que la droite SC. La droite CSG tout entière [18 r] est donc plus petite que la droite CME tout entière. De même, AD a été partagée en deux moitiés en C, et on l’a augmentée de AS ; donc le produit de DS par SA, plus le carré de AC, sont égaux au carré de CS, d’après la sixième proposition du II des Éléments. Mais CS est égale à SW ; si on pose une seule droite les deux droites CS et SW, la droite CW tout entière sera partagée en deux moitiés en S et en deux parties différentes en G. Le produit de la droite CSG tout entière par GW, plus le carré de GS, sont donc égaux au carré de SW. Mais on avait le produit de DS par SA plus le carré de AC égaux au carré de SW, qui est égal au carré de GS plus le carré de AC, ce qui est égal au produit de la droite CSG tout entière par GW, plus le carré de GS. Il reste la droite CSG tout entière, par GW, égale au carré de AC. De même, nous montrons que le produit de la droite CME tout entière par EI est égal au carré de AC. Le produit de la droite CSG, la première, tout entière, par GW, la quatrième, est donc égal au produit de la droite CME, la deuxième, tout entière, par EI, la troisième. Le rapport de la droite CGS, la première, tout entière, à la droite CME tout entière, est donc égal au rapport de EI à GW, d’après la proposition 16 du livre 6 d’Euclide. Mais la droite CSG tout entière est plus petite que la droite CME tout entière. La droite EI est donc plus petite que la droite GW ; l’angle O du triangle EOI est droit et l’angle I est un demi-droit. Il reste l’angle E un demi-droit. La droite EO est donc égale à la droite OI. De même la droite GH est égale à la droite HW. La droite EI peut donc le double du carré de EO, la droite GW peut le double du carré de GH et la droite EI est plus petite que la droite GW ; la droite EO est donc plus petite que la droite GH. De même, nous montrons que, parmi toutes les perpendiculaires ou leurs prolongements, abaissées du pourtour de l’hyperbole sur CB, celle qui est la plus proche du sommet de l’hyperbole est plus grande que celle qui s’en éloigne. Je dis que la perpendiculaire AJ, abaissée du sommet de l’hyperbole sur la droite CB, est la plus grande des perpendiculaires mentionnées.

‫‪493‬‬

‫‪TRAITÉ SUR L’EXISTENCE DE L’ASYMPTOTE‬‬

‫ناهرب ‪:‬كلذ اّنأ زيجُن ىلع يتطقن ه ز يطخ ز س ه م ‪ 1‬ىلع بيترتلا ىلإ ‪،‬رطقلا نايقليو‬

‫‪2‬‬

‫طخ ـج ب ىلع يتطقن و ط ُبرضف د س يف س ا ُلثم عبرم ز س ‪ ،3‬امك قبس ‪،‬هنايب برضو‬

‫د م يف م ا لثم عبرم ه م‪ ،‬برضو د س يف س ا رغصأ نم برض د م يف م ا‪ ،‬طخف م ه مظعأ‬ ‫و‪١٨-‬‬

‫نم طخ ز س‪ ،‬طخو م ـج لوطأ نم طخ س ـج‪ ،‬عيمجف طخ ـج س ز ‪ /‬رغصأ نم عيمج‬

‫طخ ـج م ه ‪ .4‬اًضيأو ا د فصُن ىلع ـج ديزو هيف ا س‪ ،‬برضف د س يف س ا عم عبرم ا ـج‬ ‫لثم عبرم ـج س لكشلاب سداسلا نم ةيناث لوصألا‪ .‬ـجو س لثم س و‪ ،‬اطخو ‪ 5‬ـج س س و‬

‫اذإ العج طخك دحاو ريصي عيمج طخ ـج و ‪ ،6‬دقو فصُن ىلع س فلوخو ىلع ز‪ ،‬برضف عيمج‬ ‫طخ ـج س ز يف ز و عم عبرم ز س لثم عبرم س و‪ ،‬دقو ناك برض د س يف س ا ‪ 7‬عم‬ ‫عبرم ا ـج ‪ 8‬عبرمك س و برضن[ و س و س نم س ا] يواسملا عبرمل ز س ‪ 9‬عم عبرم ا ـج‬

‫لثم برض عيمج طخ ـج س ز ‪ 10‬يف ز و عم عبرم ز س ىقبيف[ برض د س نم س ا] عبرمو‬ ‫س ا ىقبي عيمج طخ ـج س ز يف ز و َلثم عبرم ا ـج‪.‬‬

‫كلذكو نّيبن نأ برض عيمج طخ ـج م ه يف ه ط عبرمك ا ـج‪ .‬برضف عيمج طخ ـج س ز‬

‫لوألا يف ز و عبارلا ُلثم برض عيمج طخ ـج م ه يناثلا يف ه ط ‪.‬ثلاثلا نوكتف ةبسن عيمج طخ‬ ‫ـج ز س‬

‫‪11‬‬

‫لوألا ىلإ عيمج طخ ـج م ه‬

‫‪12‬‬

‫ةبسنك ه ط ىلإ ز و لكشب وي نم و نم ‪.‬سديلقأ‬

‫عيمجو طخ ـج س ز ‪ 13‬رصقأ نم عيمج طخ ـج م ه‪ ،‬طخف ه ط رغصأ نم طخ ز و‪ ،‬ةيوازو ع‬ ‫نم ثلثم ه ع ط ‪،‬ةمئاق ةيوازو ط فصن ‪،‬ةمئاق ىقبتف ةيواز ه َفصن ‪،‬ةمئاق طخف ه ع لثم طخ‬

‫ع ط‪ .‬كلذكو نوكي طخ ز ح لثم طخ ح و ‪ ،14‬طخف ه ط ىوقي ىلع فعض عبرم ه ع طخو،‬طخو ه ط رصقأ نم ز و‪ ،‬طخف ه ع رصقأ نم ز ح‪.‬‬

‫كلذكو نيبن نأ عيمج ةدمعألا ةعقاولا نم طيحم عطقلا ىلإ ـج ب امو لصتي ‪:‬هب ُبرقألا‬

‫اهنم ىلإ سأر عطقلا مظعأ نم دعبألا ‪.‬هنع‬

‫‪:‬لوقأو نإ دومع ا ي ‪ 15‬عقاولا نم سأر عطقلا ىلإ طخ ـج ب مظعأ ةدمعألا ‪.‬ةروكذملا‬

‫طخو‬

‫‪ ‎1.‬ه م‪ :‬ه ع‬

‫حسز‬ ‫حون‬

‫‪: ‎2.‬نايقليو نايقتليو‬

‫‪ ‎6.‬ـج و‪ :‬ـج س‬

‫‪ ‎7.‬س ا‪ :‬س و ا‬

‫‪ ‎11.‬ـج ز س‪ :‬ـج س و‬

‫‪ ‎15.‬ا ي‪ :‬ب ا ى‬

‫‪ ‎3.‬ز س‪ :‬د س‬

‫‪ ‎8.‬ا ـج‪ :‬ا ح‬

‫‪ ‎12.‬ـج م ه‪ :‬ح م ه‬

‫‪ ‎4.‬ـج م ه‪ :‬ح م ه‬

‫‪: ‎5.‬اطخو‬

‫‪ ‎13.‬ـج س ز‪ :‬ـج س ا‬

‫‪ ‎14.‬ح و‪:‬‬

‫‪ ‎9.‬ز س‪ :‬ظ م‬

‫‪ ‎10.‬ـج س ز‪:‬‬

494

IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

En effet, on a montré que le produit de la droite CSG tout entière par GW est égal au carré de AC ; le rapport de la droite CSG tout entière à AC est donc égal au rapport de AC à GW. Or la droite CSG tout entière est plus grande que AC. La droite AC, qui est égale à la droite AB, est donc plus grande que GW ; le carré de AB est égal au double du carré de AJ et le carré de GW est égal au double du carré de GH. La droite JA est donc plus grande que la droite [18 v] GH et GH est plus grande que la droite EO. Ces perpendiculaires sont des distances ; la droite est donc asymptote à l’hyperbole. Ce qu’il fallait démontrer. Nous montrons aussi d’une autre manière que la perpendiculaire EO est plus petite que la perpendiculaire GH, et cela parce que le procédé est le même. Prolongeons les ordonnées au tracé de l’hyperbole de l’autre côté, jusqu’aux deux points L et N. D’après ce que l’on a montré précédemment, la droite LS est plus petite que la droite NM et la droite SW est plus petite que la droite MI, la droite LW tout entière est donc plus petite que la droite NI tout entière et la droite LG, partagée en deux moitiés au point S, est augmentée de la droite GW. Par conséquent, le produit de LG par GW, plus le carré de SG, sont égaux au carré de SW, qui est égal au carré de SC. Si tu suis la première manière dans ce chapitre, on montre que le produit de LG par GW est égal au carré de AC et que le produit de NE par IE est égal au carré de AC. Le produit de LG par WG est donc égal au produit de NE par EI. Le rapport de LG à NE est donc égal au rapport de EI à GW. Mais la droite LG est plus petite que la droite NE. La droite EI est donc plus petite que la droite GW. La perpendiculaire EO est donc plus petite que la perpendiculaire GH. Ce qu’il fallait démontrer. On le montre encore d’une autre manière. Retraçons la même figure de l’hyperbole avec ses lettres et ses lignes, et prolongeons AB jusqu’en V d’une égale à AB ; joignons CV et prolongeonsla. D’après ce qu’on a montré précédemment, la droite CV ne rencontre pas l’hyperbole du côté AS. Prolongeons WS, IM jusqu’en L et N, du côté de la droite CV ou de son prolongement. La droite NM est donc plus grande que la droite LS et ME est plus grande que SG ; la droite NE tout entière est donc plus grande que la droite LG tout entière. On montre que la droite LG est partagée en deux moitiés en S et en deux parties inégales en G. Le produit de LW par GW plus le carré de SG sont égaux au carré de SW, c’est-à-dire au carré de CS, qui est égal au produit de DS par SA, plus le carré de AC. Le produit de LW par GW, plus le carré de SG, sont donc égaux au produit de DS par SA, plus le carré de AC. Mais le carré de SG est égal au produit de DS par SA. Retranchons le produit

‫‪495‬‬

‫‪TRAITÉ SUR L’EXISTENCE DE L’ASYMPTOTE‬‬

‫كلذو هنأ دق نابتسا نأ برض عيمج طخ ـج س ز يف ز و لثم عبرم ا ـج‪ ،‬نوكتف ةبسن‬

‫عيمج طخ ـج س ز ىلإ ا ـج ةبسنك ا ـج ىلإ ز و‪ ،‬عيمجو طخ ـج س ز مظعأ نم ا ـج‪ ،‬طخف‬ ‫ا ـج يواسملا طخل ا ب مظعأ نم ز و‪ ،‬عبرمو ا ب لثم فعض عبرم ا ي‪ ،‬عبرمو ز و لثم‬

‫ظ‪١٨-‬‬

‫فعض عبرم ز ح ‪ ،1‬نوكيف طخ ي ا مظعأ نم طخ ‪ /‬ز ح ‪ ،2‬زو ح مظعأ نم طخ ه ع‪ .‬هذهو‬

‫ةدمعألا يه ‪،‬داعبألا طخلاف عطقلاو ال نالازي نابراقتي ؛اًدبأ كلذو ام اندرأ ‪.‬هنايب‬

‫نّيبنو اًضيأ نأ دومع ه ع رغصأ نم دومع ز ح هجوب رخآ كلذو نأ ريبدتلا ‪.‬دحاو‬ ‫جرخُنو طوطخ بيترتلا ىلإ طخ عطقلا نم ةهجلا ىرخألا ىلإ يتطقن ل ن اميف قبس هنايب‬

‫نوكي طخ ل س رغصأ نم طخ ن م ‪ ،3‬طخو س و رغصأ نم طخ م ط‪ ،‬عيمجف طخ ل و‬ ‫رغصأ نم عيمج طخ ن ط ‪ ،4‬طخو ل ز َفِّصُن ىلع ةطقن س‪ ،‬ديزو هيلع طخ ز و‪ ،‬برضف‬

‫ل ز يف ز و عم عبرم س ز لثم عبرم س و يواسملا عبرمل س ـج‪ .‬اذإف َتكلس ‪ 5‬هجولا لوألا‬

‫يف ‪،‬بابلا نّيبت نم كلذ نأ برض ل ز ‪ 6‬يف ز و لثم عبرم ا ـج‪ ،‬نأو برض ن ه ‪ 7‬يف ط ه‬

‫لثم عبرم ا ـج‪ ،‬برضف ل ز ‪ 8‬يف و ز لثم برض ن ه ‪ 9‬يف ط ه‪ ،‬نوكتف ةبسن ل ز ‪ 10‬ىلإ ن ه‬

‫‪11‬‬

‫ةبسنك ه ط ىلإ ز و‪ ،‬طخو ل ز رغصأ نم طخ ن ه ‪ ،12‬طخف ه ط رغصأ نم طخ ز و‪ ،‬دومعف‬

‫ه ع ‪ 13‬رغصأ نم دومع ز ح؛ كلذو ام اندرأ ‪.‬هنايب‬

‫هنّيبنو اًضيأ هجوب ‪:‬رخآ ديعنف ةروص عطقلا هفورحب ‪،‬هطوطخو جرخنو ا ب ىلإ خ‬

‫‪14‬‬

‫لثم‬

‫ا ب‪ ،‬لصنو ـج خ‪ ،‬هجرخنو ىلع ‪.‬هتماقسا اميف انمّدق هَنايب نوكي طخ ـج خ ال ىقلي عطقلا نم‬

‫ةهج ا س جرخنو يطخ و س ط م ىلإ ل ن نم >ةهج< طخ ـج خ امو لصتي ‪،‬هب طخف ن م‬ ‫مظعأ نم طخ ل س مو ه نم س ز ‪ ،15‬عيمجف طخ ن ه مظعأ نم عيمج طخ ل ز‪ .‬نّيبنو نأ‬

‫طخ ل ز دق َفِّصُن ىلع س فلوخو ىلع ز‪.‬‬

‫برضف ل و يف ز و عم عبرم س ز لثم عبرم س و‪ ،‬ينعأ عبرم ـج س يواسملا برضل‬

‫د س يف س ا عم عبرم ا ـج‪ ،‬برضف ل و يف ز و عم عبرم س ز ٍواسم برضل د س يف س ا‬

‫عم عبرم ا ـج‪ .‬نكل عبرم س ز لثم برض د س يف س ا‪ .‬يقلنف برض د س يف س ا عبرمو‬

‫‪ ‎1.‬ز ح‪ :‬ز ن‬

‫‪ ‎2.‬ز ح ‪):‬ىلوألا( ل م‬

‫‪ ‎3.‬ن م‪ :‬ل م‬

‫‪ ‎4.‬ن ط‪ :‬م ط‬

‫‪: ‎5.‬تكلس‬

‫‪ ‎10.‬ل ز‪ :‬ل و‪،‬‬ ‫‪ ‎9.‬ن ه‪ :‬ز ط‬ ‫‪ ‎8.‬ل ز‪ :‬ل ف‬ ‫‪ ‎7.‬ن ه‪ :‬ز ط‬ ‫‪ ‎6.‬ل ز‪ :‬ا و‬ ‫تلكش‬ ‫‪ ‎14.‬خ‪ :‬ح‪ ،‬كلذكو اميف يلي‬ ‫‪ ‎13.‬ه ع‪ :‬ع‬ ‫‪ ‎12.‬ن ه‪ :‬ن ط‬ ‫‪ ‎11.‬ن ه‪ :‬ز ط‬ ‫كلذكو اميف يلي‬ ‫‪ ‎15.‬س ز‪ :‬س د‬

496

IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

de DS par SA et le carré de SG . Il reste le carré de AC, qui est égal au carré de AB, égal au produit de LW par GW. Le rapport de LW à AB est donc égal au rapport de AB à GW. Mais la droite LW est plus grande que la droite AB ; la droite AB est donc plus grande que la droite GW. On montre également que le produit de NI par EI est égal au carré de AB. Le produit de LW par GW est donc égal au produit de NI [19 r] par EI, et le rapport de LW à NI est égal au rapport de EI à GW. Mais la droite LW est plus petite que la droite NI. La droite EI est donc plus petite que la droite GW. On a ainsi montré que, parmi les perpendiculaires, c’est-à-dire les distances entre le pourtour de l’hyperbole et son asymptote, celles qui sont plus proches du sommet de l’hyperbole sont plus grandes que celles qui s’en éloignent.

Par conséquent, l’hyperbole et la droite qui joint le centre de l’hyperbole et l’extrémité de son côté droit, à mesure qu’on les prolonge, se rapprochent ; mais nous avons montré qu’elles ne peuvent pas se rencontrer et nous avons montré comment il est possible de les prolonger continûment. C’est cela que nous avons eu l’intention de démontrer, de la manière la plus facile et la plus claire, et par des démonstrations différentes, tendant ainsi à l’extension, de sorte qu’on ne s’en tienne qu’à six livres des Éléments. Quant à l’éminent Apollonius, il a montré cette proposition au moyen de références à son livre sur les Coniques. Nous recherchons son intention, au moyen de ce que nous avons atteint dans ce traité, c’est-à-dire que, si on suppose une grandeur quelconque qui n’est pas supérieure à la perpendiculaire menée du sommet de l’hyperbole à son asymptote, nous pouvons prolonger l’asymptote et l’hyperbole jusqu’à ce que soit égale à cette grandeur. Nous introduisons pour cela deux lemmes. Premier lemme : On divise la droite AB en C ; soit AC la plus grande de ses deux parties. On veut l’augmenter d’un excédent BD, de sorte que le produit de AD par DB soit égal au carré de CD. A

E

C

B

D

Posons CE égal à CB et faisons de sorte que AE par BD soit égal au carré de CB. Je dis que le produit de AD par DB est égal au carré de CD.

‫‪497‬‬

‫‪TRAITÉ SUR L’EXISTENCE DE L’ASYMPTOTE‬‬

‫س ز ‪ ،16‬ىقبي عبرم ا ـج يواسملا عبرمل ا ب َلثم برض ل و‬

‫‪17‬‬

‫يف ز و ةبسنف ل و ىلإ ا ب‬

‫ةبسنك ا ب ىلإ ز و‪ ،‬طخو ل و مظعأ نم طخ ا ب‪ ،‬طخف ا ب مظعأ نم طخ ز و‪.‬‬

‫كلذكو نّيبن نأ برض ن ط ‪ 1‬يف ه ط لثم عبرم ا ب‪ ،‬نوكيف برض ل و يف ز و َلثم‬

‫و‪١٩-‬‬

‫برض ن ط ‪ / 2‬يف ه ط‪ ،‬نوكتف ةبسن ل و ىلإ ن ط ‪ 3‬ةبسنك ه ط ىلإ ز و‪ ،‬طخو ل و رغصأ‬ ‫نم طخ ن ط ‪ ،4‬طخف ه ط رغصأ نم طخ ز و‪.‬‬

‫نيبتو نم كلذ نأ ةدمعألا — ينعأ داعبألا ةعقاولا نم طيحم عطقلا ىلإ طخلا يذلا ال عقي‬

‫ىلع عطقلا — ُّلك ام ‪ 5‬برق اهنم ىلإ سأر عطقلا ُمظعأ اّمم َدُعَب ‪.‬هنع‬

‫عطقلاف ‪ ،6‬طخلاو لصاولا نيب زكرم عطقلا فرطو فصن هعلض ‪،‬مئاقلا امّلك اّدتما >ابُرق< ‪.7‬‬

‫دقو انّيب هنأ ال نكمي امهؤاقتلا انيبو فيك نكمي امهدادتما ‪،‬اًمئاد كلذف ام اندصق هنايب لهسأب هجو‬

‫هحضوأو نيهاربب ةفلتخم ىلع ليبس ‪،‬ةعسوتلا ثيحب ال فقوتي الإ ىلع تس ‪ 8‬تالاقم نم باتك‬ ‫لوصألا‪.‬‬

‫امأو لضافلا سوينولبأ ‪ 9‬دقف نّيب اذه لكشلا رومأب ريشت ىلإ هباتك يف تاطوطخملا‪ ،‬نحنو مورن‬

‫هدصق رومأب عجرت ‪ 10‬ىلإ ام هانبصأ يف هذه ‪،‬ةلاسرلا وهو هنأ اذإ ضرف رادقم ام سيل مظعأب نم‬

‫دومعلا جرخملا نم سأر عطقلا ىلإ طخلا ميقتسملا يذلا ال عقي ‪،‬هيلع اننكمأ هجارخإ >عطقلاوامهنيب اًيواسم كلذل ‪.‬رادقملا مّدقنف ‪ 11‬ىلع كلذ ‪:‬نيتمدقم‬

‫ةمدقملا ‪:‬ىلوألا طخ ا ب مسُق ىلع ـج‪ ،‬مظعأو هيمسق ا ـج‪ .‬ديرن نأ ديزن‬

‫ةدايزك ب د ريصي اهب برض ا د يف د ب لثم عبرم ـج د‪.‬‬

‫‪12‬‬

‫هيف ةدايز‬

‫لعجنف ـج ه لثم ـج ب رّيصنو ا ه يف ب د لثم عبرم ـج ب‪.‬‬

‫‪:‬لوقأف نإ برض ا د يف د ب لثم عبرم ـج د‪.‬‬

‫‪ ‎16.‬س ز‪ :‬س ا‬

‫‪ ‎3.‬ن ط‪ :‬ل ه‬

‫‪ ‎17.‬ل و‪ :‬ل ز‪ ،‬كلذكو اميف يلي‬

‫‪ ‎4.‬ن ط‪ :‬ل ه‬

‫‪ ‎5.‬لك ‪:‬ام املك‬

‫‪: ‎8.‬تس ةتس‬ ‫لصألا ريغ ةحضاو قايسلاو يضتقي ام انتبثأ‬ ‫‪: ‎12.‬ديزن ديزي‬ ‫‪: ‎11.‬مدقنف مدقيف‬ ‫عجري‬

‫‪ ‎1.‬ن ط‪ :‬ن ه‬

‫‪: ‎6.‬عطقلاف عطقناف‬

‫‪ ‎2.‬ن ط‪ :‬ز ه‬

‫‪: ‎7.‬ابرق ةملكلا يف‬

‫‪: ‎9.‬سوينولبأ سوينولوبا‬

‫‪: ‎10.‬عجرت‬

498

IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

Démonstration : Le produit de AE par BD est égal au carré de CB. Prenons le double de DB par BC, commun. On a le double-produit de DB par BC égal au produit de DB par BE, puisque BC est égale à CE. Le produit de AE par DB plus le produit de EB par BD sont donc égaux au double-produit de DB par BC, plus le carré de BC. Mais le produit de AE par BD, plus le produit de EB par BD, sont égaux au produit de AB par BD. Si nous ajoutons 1 le carré de BD, commun, il vient le produit de AB par BD plus le carré de BD, [19 v] c’est-à-dire le produit de AD par DB, égaux au double-produit de CB par BD, plus les deux carrés de CB et de BD. Mais les deux carrés de CB et de BD, plus le double-produit de CB par BD, sont égaux au carré de CD ; le produit de BD par DA est donc égal au carré de CD. Ce qu’il fallait démontrer. Deuxième lemme : Retraçons la figure de l’hyperbole, ses lignes et ses lettres. Je dis que, pour toute droite menée entre l’hyperbole et l’asymptote, parallèlement à l’asymptote, comme la droite IE, si on la prolonge et si on prolonge l’hyperbole, alors toutes deux se rencontrent.

Démonstration : Si elles ne se rencontrent

D

C N I la droite AB. Mais la droite AB a rencontré la droite NIE ; la droite LME rencontre donc B A la droite NIE. Qu’ elle la rencontre en E. La droite NIE ne rencontre pas l’ hyperbole. La droite LE rencontre donc l’ hyperbole avant E de rencontrer la droite NIE. Qu’ elle rencontre L M l’ hyperbole au point M. Mais le produit de DL par LA est égal au carré de NL, et le carré de NL est égal au carré de LE, du fait Démonstration : Si ne se rencontrent que la droite NE est parallèle à la droite CB. Orelles le produit de DL par LA, c’ est-pas, alors prolongeons à-dire le carré de LM, l’ avonsqu’elle montré rencontre précédemment, est égal au la comme droite nous EI, pour la droite AC, au point N ; posons carré de LE. Le pluslepetit est égalde au plus Ce égal qui estau absurde. produit DL grand. par LA carréLa dedroite NL, comme nous l’avons NI rencontre donc l’montré hyperbole, elle lalarencontre au point E. C’ est ce que nous de L la droite LME dans proposition précédente. Menons voulions. en ordonnée ; elle est donc parallèle à la droite AB. Mais la droite AB

a rencontré la droite NIE ; la droite LME rencontre donc la droite NIE. Qu’elle la rencontre en E. La droite NIE ne rencontre pas l’hyperbole. La droite LE rencontre donc l’hyperbole avant de rencontrer la droite NIE. Qu’elle rencontre l’hyperbole au point M. Mais le produit de DL ‎1. Litt. : si nous prenons.

‫‪499‬‬

‫‪TRAITÉ SUR L’EXISTENCE DE L’ASYMPTOTE‬‬

‫ناهرب ‪:‬كلذ نأ برض ا ه يف ب د لثم عبرم ـج ب‪ ،‬ذخأنف فعض د ب يف ب ـج‬

‫‪،‬اًكرتشم برضف ‪ 1‬د ب يف ب ـج نيترم لثم برض د ب يف ب ه‪ ،‬نأل ب ـج لثم ـج ه‪،‬‬

‫برضف ا ه يف د ب برضو ه ب يف ب د لثم برض د ب يف ب ـج نيترم عم عبرم ب ـج‪،‬‬

‫برضو ا ه يف ب د برضو ه ب يف ب د لثم برض ا ب يف ب د‪ .‬اذإف انذخأ عبرم ب د‬

‫ظ‪١٩-‬‬

‫‪،‬اًكرتشم راص برض ا ب يف ب د عم عبرم ب د‪ / ،‬ينعأ برض ا د يف د ب‪َ ،‬لثم برض‬ ‫ـج ب يف ب د نيترم يعبرمو ـج ب ب د اعبرمو< ـج ب ب د برضو ـج ب يف ب د‬ ‫>نيترم لثم عبرم ـج د‪ ،‬برضف ب د يف د ا ‪ 2‬لثم عبرم ـج د؛ كلذو ام اندرأ ‪.‬هنايب‬ ‫ةمدقملا ‪:‬ةيناثلا ديعن ةروص عطقلا هطوطخو ‪.‬هفورحب‬

‫‪:‬لوقأف هنإ ّيأ طخ جرخ اميف نيب عطقلا نيبو طخلا يذلا ال عقي ‪،‬هيلع اًيزاوم طخلل يذلا‬

‫ال عقي ىلع عطقلا لثم طخ ط ه‪ ،‬هنإف اذإ جرخأ جرخأو هعم عطقلا ‪.‬ايقتلا‬

‫ناهرب ‪:‬كلذ هنأ اذإ مل نكي اًيقتلم انإف جرخن طخ ه ط ىقليل طخ ا ـج ‪ 3‬ىلع ةطقن ن‪،‬‬

‫لعجنو برض د ل يف ل ا لثم عبرم ن ل‪ ،‬امك اّنيب لكشلاب يذلا لبق ‪،‬اذه جرخنو نم ل ل م ه‬ ‫ىلع ‪،‬بيترتلا وهف ٍزاوم طخل ا ب‪ ،‬طخو ا ب دق ىقال طخ ن ط ه‪ ،‬طخف ل م ه ىقلي طخ‬ ‫ن ط ه‪ .‬هقليلو ‪ 4‬ىلع ه‪ .‬طخو ن ط ه ‪ 5‬ال ىقلي ‪.‬عطقلا طخف ل ه ىقلي عطقلا لبق هتاقالم طخل‬

‫‪: ‎1.‬برضف برضيف‬

‫نهطه‬

‫‪ ‎2.‬د ا‪ :‬د ب‬

‫‪ ‎3.‬ا ـج‪ :‬ا ح‬

‫‪: ‎4.‬هقليلو هاقليلو‬

‫‪ ‎5.‬ن ط ه‪:‬‬

500

IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

par LA est égal au carré de NL, et le carré de NL est égal au carré de LE, du fait que la droite NE est parallèle à la droite CB. Or le produit de DL par LA, c’est-à-dire le carré de LM, comme nous l’avons montré précédemment, est égal au carré de LE. Le plus petit est égal au plus grand. Ce qui est absurde. La droite NI rencontre donc l’hyperbole, elle la rencontre au point E. C’est ce que nous voulions. Revenons maintenant à la figure de l’hyperbole, avec ses lettres et ses lignes, et menons la perpendiculaire AJ sur CB. Supposons que la droite I ′ n’est pas plus grande que la droite AJ. Je dis que l’hyperbole et son asymptote peuvent être prolongées jusqu’à ce que la distance entre elles devienne égale à la droite I ′ . S C

A

J N

T B

E

O

M L

Y I′

Démonstration : Si la droite I’ est égale à la perpendiculaire AJ, elle est donc ce que l’on cherche. Si elle ne lui est pas égale, elle est plus petite qu’elle. Séparons la droite JN, égale à la droite I’, et menons du point N une droite parallèle à la droite CB ; soit NM. Si on la prolonge et si on prolonge l’hyperbole, elles se rencontrent, comme on l’a montré dans la proposition précédente. Que la droite NM rencontre l’hyperbole en M. Menons, de M, la droite ME, perpendiculaire à CB, ou à son prolongement. La surface est alors un parallélogramme ; [20 r] la droite NJ est donc égale à la droite ME. Mais la droite NJ est égale à la droite I’. La droite ME, qui est la distance entre l’hyperbole et son asymptote, est donc égale à la droite I’. C’est ce que nous avions l’intention de montrer. Nous disons que toute droite menée parallèlement à l’asymptote de l’hyperbole, et qui rencontre AC du côté de C, comme la droite SO, se comporte avec l’hyperbole comme la droite CE.

‫‪501‬‬

‫‪TRAITÉ SUR L’EXISTENCE DE L’ASYMPTOTE‬‬

‫ن ط ه ىقليف عطقلا ىلع ةطقن م‪ .‬برضو د ل يف ل ا لثم عبرم ن ل‪ ،‬عبرمو ن ل لثم عبرم‬

‫ل ه‪ ،‬نوكل ‪ 1‬طخ ن ه يزاوي طخ ـج ب‪ ،‬برضو ‪ 2‬د ل يف ل ا‪ ،‬ينعأ عبرم ل م‪ ،‬امك انيب‬ ‫‪،‬لبق ُلثم عبرم ل ه‪ُ ،‬رغصألا يواسي ‪َ،‬مظعألا اذه فلخ ‪ ،3‬طخف ن ط ىقلي ‪،‬عطقلا هاقليف ىلع‬

‫ه ‪4‬؛ كلذو ام ‪.‬اندرأ‬

‫ْدِعُنلو نآلا َةروص عطقلا هفورحب ‪،‬هطوطخو جرخُنو دومع ا ي ىلع ـج ب ضرفنو طخ ظ‬

‫سيل مظعأب نم طخ ا ي‪.‬‬

‫‪:‬لوقأف نإ عطقلا طخلاو يذلا عقي هيلع نكمي امهجارخإ ىلإ نأ ريصي دعبلا امهنيب اًيواسم‬

‫طخ ظ ‪.5‬‬

‫ناهرب ‪:‬كلذ هنأ نإ ناك طخ ظ اًيواسم ‪ 6‬دومعل ا ي‪ ،‬وهف ‪،‬بولطملا نإو مل نكي اًيواسم‬

‫‪7‬‬

‫هل وهف رغصأ ‪،‬هنم لصفنلو طخ ي ن اًيواسم ‪ 8‬طخل ظ جرخنو نم ةطقن ن اًطخ يزاوي طخ‬

‫ـج ب وهو ن م‪ ،‬وهف اذإ ‪،‬جرخأ جرخأو ‪،‬عطقلا ‪،‬ايقتلا امك انيب يف لكشلا يذلا لبق ‪:‬اذه قليلو‬

‫‪9‬‬

‫طخ ن م عطقلا ىلع م‪ ،‬جرخُنو نم م طخ م ه ‪ 10‬اًدومع ىلع ـج ب امو لصتي ‪،‬هب حطسف ن ه‬

‫و‪٢٠-‬‬

‫يزاوتم ‪. /‬عالضألا طخف ن ي ٍواسم طخل م ه‪.‬‬

‫نكل طخ ن ي ٍواسم طخل ظ‪ ،‬طخف م ه — وهو دعُب ام نيب عطقلا طخلاو يذلا ال عقي‬

‫هيلع — ٍواسم طخل ظ؛ كلذو ام اندصق ‪.‬هنايب‬

‫‪:‬لوقنو نإ لك طخ جرخي اًيزاوم طخلل يذلا عقي ىلع ‪،‬عطقلا ىقلي ا ـج يف ةهج ـج‪َ ،‬لثم‬

‫طخ س ع‪ ،‬نوكي همكح مكحك طخ ـج ه عم ‪.‬عطقلا‬ ‫‪: ‎1.‬نوكل نوكيف‬

‫‪ ‎5.‬ظ‪ :‬ط‪ ،‬كلذكو اميف يلي‬ ‫واسم‬

‫‪: ‎9.‬قليلو ايقليلو‬

‫‪: ‎2.‬برضو برضف‬ ‫‪: ‎6.‬اًيواسم واسم‬

‫‪: ‎3.‬فلخ تبتك اًراصتخا فه‬

‫‪: ‎7.‬اًيواسم واسم‬

‫‪ ‎10.‬جرخنو ‪ ...‬م ه‪ :‬ةرركم‬

‫‪ ‎4.‬ه‪ :‬س‬

‫‪ ‎8.‬اًيواسم ىلوألا( ‪):‬ةيناثلاو‬

502

IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

Démonstration : Les perpendiculaires menées du pourtour de l’hyperbole à la droite SO rencontrent la droite CE, comme les deux perpendiculaires NJT et LYO ; et NJ est aussi perpendiculaire à CE ; de même LY. La perpendiculaire LY est plus petite que la perpendiculaire NJ, selon ce qui précède ; et la perpendiculaire YO est égale à la perpendiculaire JT. La perpendiculaire LYO tout entière est donc plus petite que la perpendiculaire NJT tout entière. On montre de même que, parmi toutes les perpendiculaires abaissées du pourtour de l’hyperbole à la droite SO, celles qui sont le plus près du sommet de l’hyperbole sont plus grandes que celles qui s’en éloignent ; et que la droite SO ne peut pas rencontrer l’hyperbole, car elle est parallèle à la droite CB, qui ne rencontre pas l’hyperbole. On montre, à partir de cela, que la droite CB, qui ne rencontre pas l’hyperbole, est la plus proche parmi les droites qui ne rencontrent pas l’hyperbole, et qu’il n’existe aucune droite plus proche qu’elle, qui ne rencontre pas l’hyperbole. C’est ce que nous avions l’intention de montrer. Le traité est achevé. On comprend de ses expressions qu’il est la composition d’Ibn al-Haytham. Que Dieu lui accorde miséricorde. Qu’il nous fasse profiter de lui et de ses sciences. Grâces soient rendues à Dieu seul.

‫‪503‬‬

‫‪TRAITÉ SUR L’EXISTENCE DE L’ASYMPTOTE‬‬

‫ناهرب ‪:‬كلذ نأ ةدمعألا يتلا جرخت نم طيحم عطقلا ىلإ طخ س ع ىقلتو طخ ـج ه لثم‬

‫يدومع ن ي ت ‪ .1‬ل ث ع ‪2‬؛ نوكي ن ي ‪ 3‬اًضيأ اًدومع ىلع ـج ه‪ ،‬كلذكو ل ث ‪ ،4‬دومعو‬ ‫ل ث رغصأ نم دومع ن ي ‪ 5‬امك ‪،‬قبس دومعو ث ع لثم دومع ي ت ‪ ،6‬عيمجف دومع ل ث ع‬

‫‪7‬‬

‫رغصأ نم عيمج دومع ن ي ت ‪ 8‬كلذكو نيبُن نأ عيمج ةدمعألا ةعقاولا نم طيحم عطقلا ىلإ طخ‬

‫س ع‪ُّ :‬لك ام ‪َ 9‬بُرَق اهنم ىلإ سأر عطقلا مظعأ امم وه دعبأ هنم نم سأر ‪،‬عطقلا طخو س ع‬

‫ال نكمي نأ ىقلي ‪،‬عطقلا هنأل ٍزاوم طخل ـج ب يذلا ال ىقلي ‪.‬عطقلا نيبتيو نم كلذ نأ طخ‬

‫ـج ب يذلا ال عقي ىلع عطقلا وه برقأ ‪،‬طوطخلا يتلا ال ىقلت‬

‫‪10‬‬

‫طخ برقأ هنم َريغ ٍقالم ؛عطقلل كلذو ام اندصق ‪.‬هنايب‬

‫‪،‬عطقلا الو نكمي نأ نوكي‬

‫تمت ‪.‬ةلاسرلا مهفُيو نم اهتارابع اهنأ فيلأت نبا ‪، 11‬مثيهلا همحر ‪،‬هللا انعفنو هب همولعبو دمحلاو‬

‫هلل ‪.‬هدحو‬

‫‪ ‎1.‬ن ي ت‪ :‬ن د ب‬

‫‪ ‎2.‬ل ث ع‪ :‬ل ت ع‬

‫‪ ‎6.‬ي ت‪ :‬د و ت‬ ‫‪ ‎5.‬ن ي‪ :‬ز و‬ ‫لت‬ ‫‪ ‎10.‬يتلا ال ‪:‬ىقلت يذلا ال ىقلي‬ ‫‪ ‎9.‬لك ‪:‬ام املك‬

‫‪ ‎3.‬ن ي‪ :‬ن و‬

‫‪ ‎7.‬ل ث ع‪ :‬ا ت ع‬ ‫‪: ‎11.‬نبا نب‬

‫‪ ‎4.‬ل ث ىلوألا( ‪):‬ةيناثلاو‬ ‫‪ ‎8.‬ن ي ت‪ :‬ذ و ف‬

LA NOTION DE SCIENCE OCCIDENTALE La science classique est européenne et ses origines sont directement lisibles dans la science et dans la philosophie grecques : cette doctrine – une fois n’est pas coutume en histoire de la philosophie et de la science – a survécu intégralement à tous les conflits d’interprétation, pourtant multiples au cours des deux derniers siècles. Les philosophes, sans exception ou presque, l’ont admise comme postulat destiné à caractériser globalement la Raison Classique. Kant aussi bien que Comte, les néo-Kantiens aussi bien que les néopositivistes, Hegel aussi bien que Husserl, les hégéliens et les phénoménologues aussi bien que les marxistes, tous reconnaissent en ce postulat la base de leurs interprétations de la modernité classique. On cite, jusqu’à nos jours encore, les noms de Bacon, Descartes et Galilée, dont on retranche parfois le premier, auxquels, selon les cas, on en ajoute bien d’autres, comme autant d’étapes dans la reprise d’une marche interrompue par les siècles de décadence, comme autant de marques sur le chemin d’un retour révolutionnaire à la science et à la philosophie grecques. Retour que tous ont compris à la fois comme la recherche d’un modèle et la redécouverte d’un idéal, ainsi qu’en témoignent les métaphores platonicienne et archimédienne par lesquelles un Brunschvicg et un Koyré caractérisent les modes d’existence de la science classique. On pourrait imputer cette unanimité des philosophes à leur démarche de dépassement des données historiques immédiates, à leur souci de radicalité, à leur effort pour saisir, selon la description de Husserl, « le phénomène originel (Urphänomen) qui caractérise l’Europe au point de vue spirituel » ; et, par conséquent, on pourrait s’attendre que la situation de ceux qui sont aux prises directes avec les faits de l’histoire des sciences soit tout autre. Or il n’en est rien : ce même postulat, les historiens des sciences l’adoptent comme point de départ de leurs travaux et, surtout, de leurs interprétations. À cet égard, entre Poggendorff, Rosenberger, Dühring, Gerland d’une part et Duhem de l’autre, en histoire de la physique, les différences sont infimes ; de même qu’entre Tannery, Cantor et Bourbaki en histoire des mathématiques. Qu’ils fassent, donc, de l’avènement de la

Paru dans Human Implications of Scientific Advance, ed. E.G. Forbes (Edinburgh, 1978), p. 45-54.

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science classique le produit d’une rupture avec le Moyen-Age, qu’ils défendent, à l’opposé, la thèse d’une continuité sans rupture ni coupure, qu’ils adoptent – c’est le cas le plus fréquent – une position éclectique, la majorité des historiens s’accordent pour reconnaître plus ou moins implicitement le même postulat. Aujourd’hui, en dépit des travaux de Woepcke, Suter, Wiedemann, Luckey..., pour l’histoire de la science arabe, et, tout récemment, du Dictionary of Scientific Biography, en dépit de l’œuvre de Needham pour l’histoire de la science chinoise, les travaux effectifs des historiens reposent sur une conception fondamentalement identique. Bien plus : alors que, depuis peu, le concept même d’histoire des sciences et les méthodes de la discipline sont devenus objets de controverse et de critique, internalistes et externalistes, continuistes et discontinuistes, sociologues de la science et analystes de concepts conviennent tacitement pour laisser la précédente doctrine hors du débat et, par suite, à l’abri du doute. On retrouve donc la même représentation : dans sa modernité aussi bien que dans son historicité, la science classique apparaît finalement comme l’œuvre de la seule humanité européenne ; plus encore, c’est par elle essentiellement que l’on définit cette humanité. Seules les activités scientifiques de l’humanité européenne, en effet, son objet d’histoire. Il arrive, il est vrai, que l’on reconnaisse aux autres humanités une certaine pratique scientifique ; celle-ci demeure néanmoins en dehors de l’histoire, ou bien y est intégrée au seul titre de ses apports aux sciences essentiellement européennes ; ces apports n’étant que des suppléments techniques qui ne modifient nullement la configuration intellectuelle ou l’esprit de ces dernières. L’image donnée de la science arabe constitue une excellente illustration de cette démarche : il s’agit d’un conservatoire du patrimoine grec, transmis tel quel, ou enrichi de quelques innovations techniques, aux héritiers légitimes de la science antique. Dans tous les cas, mal intégrée à l’histoire des sciences, l’activité scientifique extérieure à l’Europe fait l’objet d’une certaine ethnographie de la science dont la traduction universitaire n’est autre que l’orientalisme. La portée de cette doctrine, on le sait, ne se borne pas au domaine de la science, de son histoire et de sa philosophie : on sait quel usage en a été fait au xix e siècle ; on sait aussi qu’elle est au centre d’un débat qui, du reste, porte aujourd’hui le même nom qu’hier : celui du modernisme et de la tradition. En effet, comme au xviii e siècle en Europe, dans certains pays méditerranéens et asiatiques à la recherche de leur identité, la science qualifiée d’européenne est assimilée au modernisme dans le conflit qui oppose les Anciens et les Modernes. En tant qu’historien, lorsqu’il s’interroge sur la notion de

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science occidentale, l’historien des sciences ne pose pas seulement un problème de sa discipline ; il peut aussi contribuer à répondre à une question de notre temps. Disons le sans tarder : notre propos ici n’est pas de redresser des torts, ni d’opposer à la science qualifiée d’européenne une prétendue science orientale. Il s’agit pour nous simplement de comprendre ce que signifie la détermination européenne du concept de la science classique, de saisir les raisons et de mesurer la portée de cette spécification pour le moins géographique, anthropologique sans doute, d’un phénomène dont la définition exige nécessairement l’universalité. À cette fin, nous esquisserons d’abord l’histoire même de cette notion de science européenne, dont tout indique qu’elle est issue d’origines diverses et hétérogènes ; en la confrontant ensuite, ainsi que la doctrine qu’elle désigne, avec les faits de l’histoire des sciences, nous serons en mesure d’estimer sa portée. Pour des raisons évidentes, nous ne pouvons prétendre ici à un exposé exhaustif, encore moins définitif. Nous nous contenterons de poser le problème et d’avancer quelques hypothèses, en apportant d’ailleurs ces deux restrictions à notre étude : la seule science non européenne considérée est celle qui fut produite par des peuples divers, par des savants de croyances et de religions différentes, mais qui tous écrivirent leur science principalement, sinon exclusivement, en arabe ; quant aux doctrines d’histoire des sciences, nous citerons le plus souvent celles des historiens des sciences en France.

∗∗∗ La notion de science européenne est déjà présente dans les travaux des historiens et des philosophes du xviii e siècle. Elle assure alors deux fonctions différentes, mais qui ne sont pas sans lien : moyen de définir la modernité dans un débat dogmatique qui se prolonge au xviii e siècle, elle est aussi un élément constitutif d’une diachronie naïve dont les visées demeurent polémiques et critiques. Dans le débat sur les Anciens et les Modernes engagé auparavant, savants et philosophes, en effet, se référaient pour définir la modernité à la science où on combine raisonnement et expérience : la préface du Traité du vide et, d’une certaine manière De la Recherche de la Vérité, tentaient ainsi de démontrer la supériorité des modernes dès le xvii e siècle 1. L’induction historique, ou prétendue telle, entendait donner à ce débat dogmatique sa détermination concrète, et rendre ainsi contraignante la supériorité des Modernes. C’est d’ailleurs là une des

‎1. Pascal : Œuvres complètes, Paris, 1963, p. 231. Malebranche : De la Recherche de la Vérité, Paris, 1910, vol. I, p. 139.

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raisons, et non des moindres, pour lesquelles l’histoire des sciences fut introduite sur la scène du xviii e siècle. Mais déjà on assimilait l’Occident à l’Europe, déjà on opposait à la « sagesse orientale » la philosophie naturelle de l’Occident post-newtonien : tel Montesquieu dans les Lettres Persanes (1721) 1. Outre ce rôle critique et polémique dans un débat continu et à rebondissements, la notion de science occidentale assumait alors une fonction dans l’élaboration de l’histoire comme diachronie de l’esprit humain. Elle intervenait pour marquer une étape de son mouvement progressif, mouvement réglé à la fois par un ordre cumulatif et par une perte continue des erreurs acquises. Telle est, schématiquement décrite, la représentation d’un Fontenelle, d’un d’Alembert, ou d’un Condorcet. Lorsque ce dernier par exemple, comme bien d’autres ensuite, désigne la modernité en avançant les noms de Bacon, de Galilée et de Descartes, c’est pour marquer le passage de la Huitième Époque à la Neuvième époque du Tableau historique 2 d’une humanité dont l’avenir se confond avec un devenir indéfini des Lumières. La science classique est européenne et occidentale dans la seule mesure où elle représente une étape dans la succession continue et normée d’une seule et même individualité : l’humanité. Pour un Fontenelle, un d’Alembert ou un Condorcet, il serait donc absurde de lire dans les seules science et philosophie grecques les origines de la science classique, dont la qualification d’Européenne ne renvoie à aucune anthropologie, mais simplement à la coïncidence d’une histoire empirique et d’une histoire idéale, vérité de la première. De cette conception, le Discours Préliminaire de l’Abbé Bossut à l’Encyclopédie Méthodique offre une illustration, limitée, certes, à l’histoire des sciences. Le postulat de départ de ce tableau historique du progrès des sciences exactes, divisé en trois périodes, où se mêlent conjectures, prétendus faits, et faits, est que « tous les peuples considérables de l’Ancien Monde ont aimé et cultivé les Mathématiques. Les plus distingués en ce genre sont les Chaldéens, les Égyptiens, les Chinois, les Indiens, les Grecs, les Romains, les Arabes, etc. ; dans les temps modernes, les nations occidentales d’Europe » 3. La science classique est européenne et occidentale parce que, écrit l’Abbé Bossut, « les progrès que les nations occidentales de l’Europe ont faits dans les sciences, de-

‎1. Montesquieu : Œuvres complètes, Paris, 1964. Voir les Lettres 104 et 135, et plus particulièrement la Lettre 97. ‎2. N. Condorcet : Esquisse d’un tableau historique des progrès de l’esprit humain, Paris, 1966, p. 201. ‎3. Encyclopédie méthodique, Paris, 1784, p. iii.

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puis le xvi e siècle jusqu’à nos jours effacent tellement ceux des autres peuples…» 1. Ainsi formulée au xviii e siècle, la notion de science occidentale changea de nature et d’extension au tournant du xix e siècle. En un mot, avec ce qu’au siècle dernier Edgar Quinet appelait «Renaissance orientale» 2, c’est-à-dire l’orientalisme, la notion se trouvait complétée de la dimension anthropologique qui jusqu’alors lui manquait. Cette renaissance orientale a en effet fini par jeter sur la science en Orient un discrédit auquel l’histoire par les langues donnait un support prétendument scientifique. S’il est vrai que la conception du xviii e siècle survivait encore çà et là, et particulièrement chez les historiens de l’astronomie, dès les premières années du xix e siècle les matériaux et les notions de l’orientalisme ont le plus contribué à la constitution des thèmes historiques des différentes philosophies. En Allemagne aussi bien qu’en France en effet, les philosophes de tendances diverses misent sur l’orientalisme, pour des motifs différents, certes, mais selon une représentation identique : l’Orient et l’Occident ne s’opposent pas comme lieux géographiques, mais comme positivités historiques ; cette opposition ne se limite pas à une période de l’histoire, mais renvoie pour ainsi dire à l’essence de chaque terme. On peut rappeler à cet égard les Leçons sur la Philosophie de l’Histoire, ainsi que d’autres ouvrages de Hegel 3, comme on peut également évoquer le Du Pape 4 de Joseph de Maistre. À cette époque encore, comme on le voit avec le philosophe de la Restauration aussi bien que plus tard chez les Saint-Simoniens, apparaissent les thèmes d’« appel de l’Orient », de « Retour à l’Orient», qui traduisent la réaction contre la science et plus généralement contre le Rationalisme. Mais c’est avec l’avènement et l’essor de l’école philologique allemande que l’on a cru doter la notion de science occidentale du support scientifique, et non plus seulement philosophique, qui jusque-là lui faisait défaut. On connaît, en effet, l’importance de cette école pour l’ensemble des disciplines historiques ; on sait moins bien, pour l’heure, comment s’est opérée son influence sur l’histoire des sciences ; tout indique cependant que cette influence ne fut pas seulement directe, mais indirecte, grâce à l’extension de cette école en mythologie et

‎1. Op. cit., p. XLV. ‎2. Titre donné par E. Quinet à un chapitre du Génie des religions, 1841. ‎3. Hegel : Leçons sur la Philosophie de l’Histoire, trad. fr. par J. Gibelin, Paris, 1963, pp. 82 sqq. Hegel : Leçons sur l’Histoire de la Philosophie, trad. fr. par J. Gibelin, Paris, Coll. Idées, vol. II, pp. 19-21. ‎4. Joseph de Maistre, Du Pape, Lyon, 1884, pp. 487 sqq., par exemple.

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en études religieuses. En tout cas, dès le départ, les travaux de Friedrich von Schlegel et de F. Bopp, notamment, ont placé l’historien dans une situation nouvelle : son objet constitue désormais une totalité irréductible, quant au mode d’être et à la nature de ses éléments ; sa méthode lui impose à présent de comparer entre totalités analogues quant à leurs structures et à la fonction qu’elles assurent. Pour Schlegel en 1808, comme pour Max Müller plus tard, le modèle de l’historicité est l’histoire naturelle, et la grammaire comparée joue, dans les sciences du langage, le rôle de l’anatomie comparée. Cette méthode conduit alors Schlegel à distinguer deux classes de langues : les langues flexionnelles, indo-européennes, et les autres. Les premières sont « nobles », les secondes moins parfaites ; le sanscrit, et, par conséquent, l’allemand, considéré comme la plus proche de celleci, est « une langue systématique et parfaite dès sa première origine » ; c’est « la langue d’un peuple non composé de brutes, mais d’intelligence claire » 1. Rien de surprenant à cela : avec l’avènement de l’école allemande en effet, nous sommes déjà sur le terrain du classement des mentalités. Ni von Schlegel, ni Bopp, ni plus tard Jacob Grimm, n’auraient disconvenu avec Guillaume von Humboldt lorsqu’il voit dans la langue l’âme d’une nation, son génie propre, sa Weltanschauung. Tout est désormais en place pour que s’effectue le passage de l’histoire des langues à l’histoire par les langues. Notons d’abord que c’est grâce à la philologie comparée et en étroit rapport avec elle que se développe, vers le milieu du siècle, avec A. Kuhn et Max Müller en particulier, l’étude comparée des religions et des mythes. Le classement des mentalités se perfectionne. C’est à partir de ces doctrines et de cette période que s’élabore l’une des plus importantes tentatives pour fonder d’une manière prétendument scientifique la notion de science occidentale et européenne. Déjà présent dans un ouvrage de synthèse de Christian Lassen, ce projet prend toute son extension, en France cette fois, dans l’œuvre d’Ernest Renan. Le but déclaré d’Ernest Renan consistait à faire «pour les langues sémitiques ce que Bopp a fait pour les langues indo-européennes» 2. ‎1. Fr. Schlegel : Essai sur la langue et la philosophie des Indiens, trad. fr. de A. Mazure, Paris, 1837. Rappelons que les deux classes flexionnelle et non flexionnelle, selon Schlegel, «épuisent complètement tout le domaine du langage», p. 51. D’après Schlegel, les langues sémitiques ne sont pas flexionnelles, car la structure flexionnelle, à partir des racines est, selon l’auteur, empruntée par ces langues, pp. 54-61. Quant aux langues indo-germaniques, «il fallait l’intelligence la plus claire et la plus pénétrante», car elles expriment «les plus hautes notions de la pensée pure et universelle, ainsi que l’entier linéament de la conscience», p. 79. ‎2. E. Renan : Histoire générale et système comparé des langues sémitiques, Paris, 1863, p. IX.

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Sa tâche revenait en réalité à mettre à profit toute la littérature consacrée à la philologie et à la mythologie comparées, pour parvenir à une description pour ainsi dire eidétique de l’esprit sémitique et de ses manifestations dans l’histoire. Or, pour Renan comme pour Lassen 1, Aryens et Sémites se partagent, à eux seuls, la civilisation : l’historien n’a donc plus qu’à apprécier d’une manière différentielle et comparative leurs contributions respectives. C’est donc désormais la notion de race qui constitue le support de l’historiographie. Mais par « race», on entendait simplement l’ensemble « des aptitudes et des instincts reconnaissables seulement grâce à la linguistique et à l’histoire des religions» 2. C’est donc en dernière analyse pour des raisons qui tiennent aux langues sémitiques que les Sémites, contrairement aux Indo-Européens, n’avaient, et ne pouvaient avoir, ni philosophie, ni science. « La race sémitique, écrit Renan, ne se reconnaît presqu’exclusivement qu’à des caractères négatifs : elle n’a ni mythologie, ni épopée, ni science, ni philosophie, ni fiction, ni art plastique, ni vie civile » 3. Les Aryens, quelle que soit leur origine, définissent à la fois l’Occident et l’Europe. Dans un tel contexte, Renan, qui par ailleurs a combattu tous les miracles, en a quand même conservé un : le « Miracle Grec» 4. Quant à la science arabe, elle est, écrit Renan, E. Renan suit la vision et les expressions des linguistes allemands. Ainsi écrit-il, p. 18 : «L’unité et la simplicité, qui distinguent la race sémitique, se retrouvent dans les langues sémitiques elles-mêmes. L’abstraction leur est inconnue ; la métaphysique impossible. La langue étant le moule nécessaire des opérations intellectuelles d’un peuple, un idiome presque dénué de syntaxe, sans variété de construction, privé de ces conjonctions qui établissent entre les membres de la pensée des relations si délicates, peignant tous les objets par leurs qualités extérieures, devait être éminemment propre aux éloquentes inspirations des voyants et à la peinture de fugitives impressions, mais devait se refuser à toute philosophie, à toute spéculation intellectuelle». On lit un peu plus loin (p. 22) : « On peut dire que les langues ariennes comparées aux langues sémitiques, sont les langues de l’abstraction et de la métaphysique, comparées à celles du réalisme et de la sensibilité». ‎1. Ch. Lassen : Indische Alterthumskunde, Leipzig, 1847, vol. I, pp. 414 sqq. Voir par exemple p. 415 : « Auch die Philosophie gehört den Semiten nicht, sie haben sich, und zwar nur die Araber, bei den Philosophen der Indogermanen eingemiethet. Ihre Anschauungen und Vorstellungen beherrschen ihren Geist zu sehr, als dass er sich zum Festhalten des reinen Gedankens ruhig erheben und das allegemeine und nothwendige von seiner eigenen Individualität und deren Zufälligkeiten trennen könnte». ‎2. Renan, op. cit., pp. 490-491. ‎3. Renan, op. cit., p. 16. ‎4. G. Milhaud cite ainsi Renan : En fait de miracle, « il y en a un dans l’histoire, M. Renan le disait ces jours-ci au banquet de l’Association des Études Grecques, c’est la Grèce Antique. Oui, 500 ans environ avant J.-C., acheva de se dessiner dans l’humanité un type de civilisation si parfait, si complet, que tout ce qui avait précédé rentra dans l’ombre. C’était vraiment la naissance de la raison et de la liberté».

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«un reflet de la Grèce, combiné avec des influences de la Perse et de l’Inde » 1 ; en bref, la science arabe est un reflet aryen. À cette tradition les historiens de la science n’ont pas seulement emprunté leur représentation de l’occidentalité de la science, mais aussi des méthodes pour décrire et commenter l’évolution de la science. Ils se sont ainsi attachés à découvrir les concepts et les méthodes de la science, à suivre leur genèse et leur propagation grâce à l’analyse philologique des termes et à partir des textes dont ils disposaient. De même que l’historien des mythes et celui des religions, l’historien des sciences doit donc également être philologue. Ainsi, représentations et méthodes sont désormais disponibles pour donner à la notion de science occidentale un fondement anthropologique. Telle est, en France, la situation d’un Tannery, d’un Duhem, d’un Milhaud par exemple, qui tous ont emprunté à Renan sa représentation, souvent même ses propres termes 2. Cette anthropologie a, par ailleurs, permis de déduire une série de conséquences qui lui ont survécu alors même qu’une bonne partie des historiens l’avaient abandonnée. Si, en effet, certains historiens la prennent encore aujourd’hui à leur compte, la majorité, tout en conservant ses conséquences, l’ont finalement laissé tomber dans l’oubli. Or, on peut ainsi énoncer ces conséquences : 1) De même que la science en Orient n’a pas laissé de traces sérieuses dans la science grecque, la science arabe n’a pas non plus laissé de traces sérieuses dans la science classique. Dans les deux cas, la discontinuité était telle que le présent ne pouvait plus se reconnaître dans son passé dépassé. 2) La science postérieure à la science grecque dépend étroitement de celle-ci. Selon Duhem, « la science arabe n’a fait que reproduire les enseignements qu’elle avait reçus de la science grecque » 3. De manière générale, Tannery rappelle que plus on examine les savants hindous ou arabes, « plus ils apparaissent comme dépendant des Grecs ... [et] ... bien inférieurs à leurs devanciers sous tous les rapports » 4.

G. Milhaud : Leçons sur les origines de la science antique, Paris, 1893, p. 306. Voir aussi : E. Renan : Souvenirs d’enfance et de jeunesse, Paris, 1883, p. 59. ‎1. E. Renan : Nouvelles considérations sur le caractère général des peuples sémitiques, Paris, 1859, p. 89. ‎2. Voir par exemple P. Duhem : Le système du monde, vol. II, p. 126, où il parle des « tendances réalistes de l’imagination arabe». ‎3. P. Duhem : op. cit., p. 125. ‎4. P. Tannery : La géométrie grecque, Paris, 1887, p. 6.

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3) Alors que la science occidentale, aussi bien à son origine qu’à l’ère de sa modernité classique, s’intéresse aux fondements théoriques, la science orientale, même dans sa période arabe, se définit essentiellement par ses visées pratiques ; elle s’oppose donc à la première comme la science d’un artisan qui essaie de dominer les règles de son art s’oppose à la connaissance du philosophe devenu savant. 4) La marque distinctive de la science occidentale, à ses origines grecques aussi bien qu’à sa renaissance moderne, est sa conformité aux exigences de la rigueur ; au contraire, la science orientale en général, et arabe en particulier, se laisse entraîner par les règles empiriques et les méthodes de calcul, en ne vérifiant pas le bien-fondé de chaque pas de sa démarche. Idée qu’illustre parfaitement le cas de Diophante : comme mathématicien, disait Tannery, « Diophante est à peine grec » 1. Mais lorsqu’il compare les Arithmétiques de Diophante à l’algèbre arabe, Tannery écrit que celle-ci « ne s’élève d’ailleurs nullement au-dessus du niveau atteint par Diophante » 2. 5) L’introduction des normes expérimentales qui, selon les historiens, distingue globalement la science hellénistique de la science classique, est l’œuvre de la seule science occidentale 3. C’est donc à la science occidentale seulement que l’on doit et le concept, et l’expérimentation. Telles sont les conséquences de cette notion de science occidentale, élaborée au xviii e siècle comme élément d’une simple diachronie, fondée au xix e siècle sur une anthropologie. S’il arrive que leurs origines soient oubliées, ces conséquences demeurent encore vivaces dans les travaux des philosophes et des historiens, et particulièrement lorsqu’il s’agit de la science classique. À cette idéologie, nous n’allons pas en opposer une autre. Nous nous proposons simplement de confronter certains de ses éléments aux faits de l’histoire des sciences, en commençant par l’algèbre pour conclure sur le problème crucial des rapports entre mathématiques et expérimentation.

∗∗∗ Pas plus que les autres sciences arabes l’algèbre n’a échappé aux précédentes caractérisations : visées pratiques, allure calculatoire, absence d’exigence de rigueur. C’est précisément ce qui permettait à Tannery d’écrire que cette algèbre n’est pas parvenue au niveau

‎1. ‎2. ‎3. 1893, p.

P. Tannery : op. cit., p. 5. P. Tannery : op. cit. Voir par exemple G. Milhaud : Leçons sur les origines de la science antique, Paris, 301.

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atteint par Diophante. C’est aussi, semble-t-il, ce qui, encore récemment, a autorisé Bourbaki à exclure de fait la période arabe lorsqu’il retrace l’évolution de l’algèbre. Il va de soi que nous n’aborderons pas ici la discussion de thèses litigieuses – et pour nous erronées – telles que l’existence d’une théorie algébrique dans les Arithmétiques de Diophante, ou encore l’existence d’une algèbre géométrique, reconnue comme telle, chez les Grecs ; nous limiterons donc notre étude à la question de l’occidentalité de l’algèbre classique. N’a-t-on pas souvent affirmé, depuis Condorcet et Montucla, jusqu’à Bourbaki, en passant par Nesselman, Zeuthen, Tannery, Klein, pour ne citer que quelques noms, que l’algèbre classique est l’œuvre de l’Ecole Italienne, achevée par Viète et par Descartes ? Ne continue-t-on pas, hier Milhaud, Dieudonné aujourd’hui, à faire remonter à Descartes le commencement de l’histoire de la géométrie algébrique ? 1 La rédaction historique du mathématicien est, à cet égard, significative : entre la préhistoire grecque de la géométrie algébrique et Descartes, Dieudonné ne trouve qu’un vide qui, loin de faire peur, est idéologiquement rassurant. En dehors de ces cas exemplaires, Bourbaki et Dieudonné par exemple, il arrive, certes, que des historiens citent alKhwārizmī, sa définition de l’algèbre et sa résolution de l’équation quadratique, mais c’est généralement pour réduire l’algèbre arabe à son initiateur. Or, cette restriction est grave et fait tort à l’histoire de l’algèbre. Celle-ci en effet ne se présente pas comme une simple extension de l’algèbre d’al-Khwārizmī, mais principalement comme une tentative de dépassement théorique et technique de cette dernière. Plus encore, ce dépassement n’est pas la résultante d’une somme d’œuvres individuelles, mais pour ainsi dire l’effet de véritables traditions, à l’époque actives. La première de ces traditions avait conçu le projet précis d’arithmétiser l’algèbre héritée d’al-Khwārizmī et de ses successeurs immédiats ; la seconde, pour surmonter l’obstacle de la résolution par radicaux des équations du 3 e et du 4 e degré, avait, dans une première étape, formulé pour la première fois une théorie géométrique des équations, pour changer ensuite de point de vue et étudier les courbes connues au moyen de leurs équations, autrement dit pour engager explicitement les premières recherches en géométrie algébrique. Le schéma traditionnel de l’histoire de l’algèbre ne serait donc, dans ces conditions, qu’un simple mythe historique ; la preuve en sera fournie par le rappel de quelques faits. La première tradition, nous l’avons dit, avait pour projet d’arithmétiser l’algèbre héritée. Ce programme théorique fut inauguré à la

‎1. Il s’agit de G. Milhaud : Descartes savant, Paris, 1921 et de J. Dieudonné : Cours de géométrie algébrique, Paris 1974, vol. I.

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fin du x e siècle par al-Karajī, et se trouve ainsi résumé par l’un de ses successeurs, as-Samawʾal (mort en 1175) : « Opérer sur les inconnues comme les arithméticiens opèrent sur les connues » 1. L’orientation est claire, et l’exécution s’ordonne selon deux étapes complémentaires : d’une part, appliquer d’une manière systématique les opérations de l’arithmétique élémentaire aux expressions algébriques ; d’autre part, considérer les expressions algébriques indépendamment de ce qu’elles peuvent représenter pour pouvoir ainsi leur appliquer les opérations jusque-là réservées aux nombres. Cependant, on le sait, un programme ne se définit pas par ses seules visées théoriques, mais aussi par les difficultés techniques auxquelles il doit faire face et qu’il s’agit de résoudre. L’une des plus importantes fut l’extension du calcul algébrique abstrait. À ce stade, les mathématiciens des xi e et xii e siècles ont obtenu des résultats que l’on persiste injustement à attribuer aux mathématiciens des xv e et xvi e siècles. Parmi ces résultats, on peut citer : l’extension de la notion de puissance algébrique à son inverse après qu’eut été définie d’une manière claire la puissance zéro ; la règle des signes en toute généralité ; la formule du binôme et les tableaux des coefficients ; l’algèbre des polynômes et, surtout, l’algorithme de la divisibilité ; l’approximation des fractions entières par des éléments de l’algèbre des polynômes 2. Dans un deuxième temps, les algébristes entendaient appliquer cette même extension du calcul algébrique aux expressions irrationnelles algébriques. La question d’al-Karajī était : « comment opérer au moyen de la multiplication, de la division, de l’addition, de la soustraction et de l’extraction des racines sur les quantités irrationnelles ? ». C’est pour répondre à cette question que les mathématiciens ont donné, pour la première fois, outre les résultats mathématiques, une interprétation algébrique de la théorie contenue dans le Livre X des Éléments ; or, ce livre était tenu aussi bien par Pappus que, beaucoup plus tard, par un mathématicien de l’importance d’Ibn al-Haytham (Alhazen latin), comme un livre de géométrie, à cause de la traditionnelle séparation foncière – chez Aristote aussi bien que chez Euclide – entre grandeurs continues et grandeurs discontinues. Avec l’école d’al-Karajī, on parvient donc à une meilleure connaissance de la structure des nombres réels algébriques. Les travaux de cette tradition des algébristes ont, de plus, ouvert la voie à de nouvelles recherches en théorie des nombres et

‎1. As-Samawʾal : Al-Bāhir en Algèbre, éd. par S. Ahmad et R. Rashed. ‎2. Voir les travaux de Woepcke, l’édition par Anbouba d’al-Badiʾ d’al-Karajī, et nos différentes études sur l’histoire de cette école d’algébristes.

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en analyse numérique 1. Si l’on s’arrête à l’analyse numérique, par exemple, on peut affirmer qu’après avoir renouvelé l’algèbre par l’arithmétique, les mathématiciens des xi e et xii e siècles ont aussi opéré un mouvement de retour à l’arithmétique pour trouver, dans certains chapitres de celle-ci, le prolongement appliqué de la nouvelle algèbre. Il est vrai que les arithméticiens prédécesseurs des algébristes des xi e et xii e siècles extrayaient les racines carrées et cubiques et disposaient des formules d’approximation pour les mêmes puissances. Mais, à défaut du calcul algébrique abstrait, ils ne pouvaient généraliser ni leurs résultats, ni leurs méthodes, ni leurs algorithmes. Avec la nouvelle algèbre, la généralité du calcul algébrique devenait constituante d’un chapitre d’analyse numérique qui n’était jusqu’alors qu’une somme de procédés, sinon de recettes. C’est au cours de ce double mouvements qui s’établit entre l’algèbre et l’arithmétique que les mathématiciens des xi e et xii e siècles ont atteint des résultats encore attribués à tort aux mathématiciens des xv e et xvi e siècles. Ainsi, la méthode dite de Viète pour la résolution des équations numériques, la méthode dite de Ruffini-Horner, des méthodes générales d’approximation et en particulier celle que D. T. Whiteside désigne sous le nom d’al-Kāshī-Newton, enfin, la théorie des fractions décimales. En plus des méthodes, qu’ils voulaient itératives et susceptibles de conduire d’une manière récursive aux approximations, les mathématiciens des xi e et xii e siècles formulèrent encore de nouveaux procédés de démonstration comme l’induction complète, telle qu’on la trouve toujours au xvii e siècle. Ils engagèrent également de nouveaux débats logico-philosophiques concernant par exemple la classification des propositions algébriques et le statut de l’algèbre par rapport à la géométrie. Ce sont leurs successeurs, enfin, qui posèrent plus tard le problème du symbolisme. C’est dire que des conceptions, des méthodes et des résultats attribués à Chuquet, Stifel, Faulhaber, Scheubel, Viète, Stevin..., sont bien l’œuvre de cette tradition de l’école d’al-Karajī, qui du reste était connue des mathématiciens latins et hébreux. Nous venons de voir que parmi les concepts élaborés par les algébristes arithméticiens dès la fin du x e siècle se trouve celui de polynôme. Cette tradition de l’algèbre comme « arithmétique des inconnues », selon l’expression même de l’époque a, par conséquent, frayé la voie à une autre traditon algébrique, inaugurée par alKhayyām (xi e s.), et renouvelée à la fin du xii e siècle par Sharaf al-Dīn al-Ṭūsī. Alors que le premier a formulé pour la première fois

‎1. R. Rashed : L’extraction de la racine n-ième et l’invention des fractions décimales, in Archive for the History of Exact Sciences, vol. 18, n o 3, 1978, pp. 191-243.

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une théorie géométrique des équations, le deuxième a, de manière décisive, marqué les débuts de la géométrie algébrique. Les prédécesseurs immédiats d’al-Khayyām, il est vrai, tels alBīrūnī, al-Māhānī, Abu al-Jūd..., avaient déjà pu, contrairement aux mathématiciens alexandrins et, précisément, grâce au concept de polynôme, ramener des problèmes de solides à des équations du 3 e degré. Mais c’est avec al-Khayyām 1 que se trouvent pour la première fois posées ces questions encore impensées ; peut-on ramener des problèmes de droites, de plans, de solides, à des équations de degré correspondant, d’une part, et, d’autre part, classer l’ensemble des équations de 3 e degré pour chercher, à défaut d’une solution par radicaux, des solutions réglées au moyen de l’intersection de courbes auxiliaires ? Pour répondre à ces deux questions parfaitement délimitées, al-Khayyām est amené à formuler la théorie géométrique des équations de degré inférieur ou égal à 3. Son successeur, alṬūsī, ne tarda pas à changer de point de vue : loin de s’astreindre aux figures géométriques, il pense désormais en termes de relations fonctionnelles et étudie les courbes au moyen des équations. Si avec al-Ṭūsī 2 les solutions des équations sont encore obtenues au moyen de courbes auxiliaires, il reste que, dans chaque cas, l’intersection de ces courbes est démontrée algébriquement, au moyen de leurs équations. Point capital, car l’usage systématique de ces démonstrations introduit dans la pratique des instruments, déjà à la disposition des mathématiciens, analystes pour ainsi dire, du x e siècle : transformations affines, étude des maxima des expressions algébriques à l’aide de ce qu’on reconnaîtra plus tard comme la dérivée, étude de la borne supérieure et de la borne inférieure des racines. C’est au cours de ces études et en appliquant ces méthodes qu’al-Ṭūsī saisit l’importance du discriminant de l’équation cubique, et donne localement la formule dite de Cardan, telle qu’elle se trouve exposée dans l’Ars-Magna. Enfin, sans nous étendre davantage sur les résultats obtenus, nous pouvons dire que, tant au plan des résultats qu’à celui du style, nous nous trouvons avec al-Khayyām et al-Ṭūsī en plein dans ce domaine dont on a toujours affirmé qu’il fut ouvert par Descartes. Or, exclure ces deux traditions, celle des arithméticiens et celle des géomètres, et aussi analystes avant la lettre, de l’histoire de l’algèbre, les isoler de cette histoire par une mise à l’écart que l’on tente arbitrairement de justifier en invoquant les visées pratiques et calculatoires, l’absence d’exigence de rigueur, voilà ce qui permet

‎1. F. Woepcke : L’algèbre d’Omar Alkhayyāmī, Paris, 1851. ‎2. R. Rashed : Résolution des équations numériques et algèbre : al-Ṭūsī-Viète, in Archive for the History of Exact Sciences, vol. 12, n o 3, pp. 244-290.

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d’écrire l’histoire de l’algèbre classique comme l’œuvre de la Renaissance, aboutissant, selon l’expression de Tannery, à la «révolution cartésienne ». L’occidentalité de l’algèbre apparaît donc comme le résultat d’une interprétation oblique ou d’une histoire tronquée, parfois même des deux à la fois.

∗∗∗ Parmi les disciplines mathématiques, l’algèbre n’est ni un cas unique, ni un exemple privilégié. À des degrés divers, trigonométrie, géométrie, déterminations infinitésimales, sont autant d’illustrations de la précédente analyse. Plus généralement, l’optique, la statique, la géographie mathématique et l’astronomie n’y font pas non plus exception. Ainsi en histoire de l’astronomie les travaux récents, parfois en cours, rendent manifestement caduque, sinon erronée, la manière dont Tannery comprend les astronomes arabes et les interprétations qu’il en donne 1. Mais comme nous nous sommes fixé la tâche d’examiner la doctrine de l’occidentalité de la science classique, nous nous en tiendrons à une composante essentielle de cette doctrine : l’expérimentation. N’a-t-on pas en effet souvent marqué le clivage entre les deux moments de la science occidentale – la période grecque et la Renaissance – par l’introduction des normes expérimentales ? Sans doute l’accord massif des philosophes, historiens et sociologues de la science s’arrête-t-il là ; et de fait les divergences ne tardent pas à apparaître dès qu’ils s’efforcent de définir le sens, la portée et les origines de ces normes expérimentales. Ainsi les origines sont-elles liées dans un cas au courant du platonisme augustinien, dans un autre à la tradition chrétienne, et particulièrement au dogme de l’incarnation, dans un troisième aux ingénieurs de la Renaissance, dans un quatrième au Novum Organum de F. Bacon, dans un cinquième enfin à Gilbert, Harvey, Kepler, Galilée 2. Quelques attitudes parmi d’autres, qui se superposent, s’enchevêtrent et se contredisent, mais convergent toutes sur un point : l’occidentalité des nouvelles normes. De cette position dominante, quelques historiens et philosophes s’écartent néanmoins, et déjà au xix e siècle, pour ramener à la période arabe les origines de l’expérimentation : tels Alexandre von Humboldt en Allemagne, et Cournot en France 3. Il est difficile ‎1. Il s’agit en particulier de la traduction par Carra de Vaux du texte «Les sphères célestes selon Nasīrū Eddīn Attūsī, intégrée par Tannery aux Recherches sur l’histoire de l’astronomie ancienne, Paris, 1883, App. VI, pp. 337-361. ‎2. Cette position est illustrée par l’hégélien Alexandre Kojève : L’origine chrétienne de la science moderne, in Mélanges Alexandre Koyré, vol. II, Paris, Hermann, 1964, pp. 295-306. ‎3. A. A. Cournot : Considérations sur la marche des idées et des événements dans les temps modernes, Paris, Vrin, 1973, pp. 42-43.

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d’analyser correctement les origines ou les commencements de l’expérimentation dans la mesure où manque, en fait, une histoire des réseaux des différentes traditions et des différents thèmes auxquels appartient cette notion. Peut-être est-ce en écrivant une telle histoire, avant toute histoire du terme lui-même, que l’on pourra rendre compte de la multiplicité d’emplois et des équivoques de la notion d’expérimentation. Deux histoires plus particulièrement mais encore, il faut l’avouer, non écrites, sont nécessaires à cette analyse ; l’histoire des rapports entre science et art, et celle des liens entre mathématiques et physique. Tant que ces histoires, pour le moins, n’auront pas été rédigées, la question des origines des normes expérimentales demeurera indécidable et objet de controverse. Nous pouvons donc tout au plus avancer quelques hypothèses et invoquer quelques faits, qui cependant suffiront déjà à montrer que la doctrine de l’occidentalité de la science classique ne tient pas compte de l’histoire objective. Avec l’histoire des rapports entre la science et l’art, nous sommes en effet en mesure de comprendre quand, pourquoi et comment il fut admis qu’une connaissance peut procéder à la fois par des démonstrations apodictiques et par les règles d’une pratique, et qu’une connaissance possède le statut d’une science alors même qu’elle est conçue dans ses possibilités de réalisation pratique dont le but lui est extérieur. Or, l’atténuation de l’opposition traditionnelle entre science et art semble bien être l’œuvre de l’ensemble des courants intellectuels de la période arabe. Un fait sans doute est frappant : qu’il s’agisse des traditionalistes musulmans, des théologiens rationalistes, des savants en différents domaines et même des philosophes de la tradition hellénistique, tels qu’al-Kindī ou al-Fārābī, tous ont, d’une manière ou d’une autre, contribué à l’affaiblissement de la différenciation traditionnelle entre la science et l’art. Ce trait global est, par ailleurs, sans doute à l’origine du jugement non moins global de certains historiens sur l’esprit pratique et l’imagination réaliste des savants arabes. Il reste que ce nouveau rapport entre science et art lève tout obstacle à l’introduction des règles de l’Art aussi bien que de ses instruments dans l’objet de la science et, plus encore, dans la déduction du raisonnement. En bref, une connaissance peut dès lors être scientifique sans qu’elle se conforme ni au schéma aristotélicien, ni au schéma euclidien. Cette nouvelle conception du statut de la science a promu à la dignité de connaissance scientifique des disciplines qui relevaient traditionnellement du domaine de l’art : l’alchimie, surtout au sens de Rhazès, la médecine, la pharmacologie, la musique, la lexicographie par exemple. Mais quelle que soit cependant l’importance de cette nouvelle conception des rapports entre la science et l’art, elle ne pouvait tout au plus conduire

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qu’à l’extension de la recherche empirique et à une notion diffuse de l’expérimentation. Et de fait, on assiste alors à la multiplication et à l’usage systématique des procédés empiriques : classifications des botanistes et des linguistes, par exemple, expériences de contrôle des médecins et des alchimistes, observations cliniques et diagnostic comparé des médecins. Mais il fallait attendre que s’établissent de nouveaux rapports entre mathématiques et physique pour qu’une telle notion, diffuse, de l’expérimentation, se vît conférer la dimension qui la détermine : une composante à la fois systématique et réglée de la preuve. C’est essentiellement en optique, avec Alhazen, que l’on constate l’émergence de cette nouvelle dimension. Chacun sait qu’avec Alhazen nous avons définitivement rompu avec l’optique comme géométrie de la vision. On sait également que l’expérimentation est bien une catégorie de la preuve. On sait enfin que les successeurs d’Alhazen, al-Fārisī par exemple, ont adopté les normes expérimentales dans leurs recherches optiques, ainsi dans celles relatives à l’arc-en-ciel. Il faut à présent nous demander ce qu’Alhazen entend par expérimentation. Nous trouverons chez Alhazen autant de sens à ce mot et autant de fonctions assurées par l’expérimentation que de rapports entre les mathématiques et la physique. La simple fréquentation des textes d’Alhazen nous indique que le vocable et ses dérivés – expérimenter, expérimentation, expérimentateur – appartiennent à plusieurs systèmes superposés, que la seule analyse philologique risque de ne pas discerner. Mais, si l’on s’attache d’abord au contenu plutôt qu’à la forme lexicale, on distinguera plusieurs types de rapports entre mathématiques et physique, qui permettent de repérer les fonctions correspondantes de la notion d’expérimentation. Les rapports entre mathématiques et physique s’établissent en effet selon plusieurs modes qui, s’ils ne sont pas thématisés par Alhazen, sont sous-jacents à son œuvre et en permettent l’analyse 1. Pour l’optique géométrique, dont la réforme est le fait d’Alhazen lui-même, l’unique rapport entre mathématique et physique est un isomorphisme de structure. Grâce à sa définition du rayon lumineux, en particulier, Alhazen a pu concevoir les phénomènes de la propagation, y compris le phénomène important de la diffusion, de telle manière qu’ils épousent parfaitement la géométrie. Plusieurs montages expérimentaux sont alors inventés pour assurer le contrôle technique des propositions déjà contrôlées sur le plan

‎1. Voir les travaux de Wiedemann, M. Nazïf Schramm, Sabra, et les nôtres sur Alhazen et al-Fārīsī. G. Sarton : The incubation of western culture in the Middle East, Washington, 1951, pp. 27-29.

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linguistique par la géométrie. Ainsi par exemple les expériences destinées à éprouver les lois et les règles de l’optique géométrique. Le retour, même rapide, aux travaux d’Alhazen, atteste en outre deux faits importants, et souvent insuffisamment soulignés : tout d’abord, certaines expériences d’Alhazen ne sont pas simplement destinées à contrôler des assertions qualitatives, mais aussi à obtenir des résultats quantitatifs ; en second lieu, l’appareillage conçu par Alhazen, varié et, pour l’époque, complexe, ne se réduit pas à celui des astronomes. En optique physique, on rencontre un autre type de rapports entre mathématiques et physique et, par suite, un deuxième sens de l’expérimentation. Sans opter pour une théorie atomistique, Alhazen, pour les besoins de sa propre réforme de l’optique géométrique, affirme que la lumière ou, comme il écrit, « la plus petite des lumières», est un être matériel, extérieur à la vision, qui se meut dans un temps, change de vitesse suivant les milieux, suit le chemin le plus aisé et diminue en intensité en fonction de sa distance à la source. L’intervention des mathématiques s’effectue à ce stade par l’entremise des analogies établies entre les schémas du mouvement d’un corps grave et ceux de la réflexion et de la réfraction. Autrement dit, les mathématiques sont introduites dans l’optique physique par l’intermédiaire des schémas dynamiques du mouvement des corps graves, eux-mêmes supposés déjà mathématisés. C’est précisément cette mathématisation préalable des notions d’une doctrine physique qui a permis qu’elles fussent transférées sur le plan d’une situation expérimentale. Que cette situation soit de nature très approximative, et n’assure qu’une fonction essentiellement indicative, elle n’en a pas moins fourni un plan d’existence à des notions syntactiquement structurées, mais sémantiquement indéterminées : tel le schéma des mouvements du projectile d’Alhazen, repris d’une certaine manière par Kepler et par Descartes. Un troisième type d’expérimentation, non pratiqué par Alhazen lui-même mais rendu possible par sa propre réforme et par ses découvertes en optique, apparaît au début du xiv e siècle, chez son successeur al-Fārisī. Les rapports instaurés entre mathématiques et physique visent, dans ce cas, à construire un modèle ; et par conséquent à réduire systématiquement et au moyen de la géométrie la propagation de la lumière dans un objet naturel à sa propagation dans un objet fabriqué. Il s’agit donc de définir, pour la propagation, entre l’objet naturel et l’objet fabriqué, des correspondances analogiques véritablement assurées d’un statut mathématique. Ainsi le modèle de la sphère massive en verre, remplie d’eau, pour l’explication de l’arc-en-ciel. L’expérimentation a donc ici pour fonc-

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tion de réaliser les conditions physiques d’un phénomène que l’on ne peut étudier ni directement, ni complètement. À ces trois types d’expérimentation, on pourrait en joindre deux autres, dont l’examen nous engagerait à détailler l’exposé, et que nous passerons donc ici sous silence. Notons simplement qu’en dépit des fonctions différentes qu’ils assurent, les trois types d’expérimentation étudiés se présentent tous, à la différence de l’observation astronomique traditionnelle, non seulement comme un moyen de contrôle, mais comme fournissant un plan d’existence à des notions syntactiquement structurées. Dans les trois cas, il s’agit pour le savant de situations où il entend réaliser lui-même physiquement son objet, pour pouvoir le penser ; en un mot, c’est un moyen pour réaliser physiquement un objet de pensée non réalisable auparavant. Ainsi, dans l’exemple le plus élémentaire de la propagation rectiligne, Alhazen ne considère pas n’importe quelle fente d’une chambre noire, mais des fentes déterminées selon des rapports géométriques déterminés, pour réaliser le plus exactement possible son concept de rayon. Or, la réforme d’Alhazen aussi bien que les normes expérimentales requises comme partie intégrante de la preuve ont survécu à l’auteur. D’Alhazen à Kepler, puis au xvii e siècle, l’axe généalogique est, en effet, établi. On voit cette fois encore que la doctrine de l’occidentalité de la science classique conduit, et d’une manière aussi évidente qu’en algèbre, à tronquer par des choix qu’il faut bien qualifier d’idéologiques, l’histoire objective.

∗∗∗ Pour conclure, rappelons quelques points : 1) La doctrine de l’occidentalité de la science classique, dégagée au xviii e siècle pour édifier une diachronie de la Raison Universelle, doit à l’Orientalisme du xix e siècle l’image que nous lui connaissons aujourd’hui : on pensait alors pouvoir déduire d’une anthropologie que la science classique est européenne, et que ses origines sont directement lisibles dans la science et dans la philosophie grecques. 2) L’opposition entre l’Orient et l’Occident, d’une part sous-tend la critique de la science et du rationalisme en général ; d’autre part, écarte, en droit comme en fait, de l’histoire des sciences, la production scientifique en Orient. Pour la science écrite en arabe, on a invoqué son absence de rigueur, son allure calculatoire et ses visées pratiques pour justifier cette non-intégration effective à l’histoire des sciences. De plus, dépendant étroitement de la science grecque, incapables, enfin, d’introduire les normes expérimentales, les savants de cette période se trouvent finalement relégués au rôle de gardiens consciencieux du musée hellénistique. Cette image de la science

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arabe, si elle s’est atténuée au cours de ce siècle, et particulièrement ces vingt dernières années, persiste cependant dans l’idéologie de l’historien. 3) Confrontée aux faits, cette doctrine révèle son mépris des données historiques et sa fertilité en interprétations idéologiques ; sont en effet admises comme évidences des notions qui soulèvent bien plus de problèmes qu’elles n’en résolvent. Ainsi la notion de Renaissance scientifique, alors que dans plusieurs disciplines tout indique qu’il n’y eut, tout au plus, qu’une réactivation. Ces pseudo-évidences ne tardent pas à devenir les bases conceptuelles d’une philosophie ou d’une sociologie de la science, ainsi que le point de départ d’élaborations théoriques en histoire des sciences, comme le montrent des tentatives très récentes. Il nous reste à nous demander, sans optimisme excessif, si le moment n’est pas venu d’abandonner toute caractérisation anthropologique de la science classique et de renoncer à ses traces encore vivaces dans la rédaction de l’histoire, de rendre au métier d’historien des sciences l’objectivité qu’il requiert, de cesser d’importer clandestinement et de véhiculer des idéologies incontrôlées, de se défendre contre toutes les tentatives réductionnistes, d’où qu’elles viennent, qui favorisent les ressemblances aux dépens des différences, de se garder d’une histoire à coups de miracles – grec chez la plupart, et, récemment, arabe chez Sarton, – bref, si le moment n’est pas venu d’écrire l’histoire sans recourir aux fausses évidences dont les motivations nationalistes ou nationalitaires sont à peine voilées. Condition de toute élaboration théorique en histoire des sciences, la neutralité de l’historien n’est pas une valeur éthique a priori ; elle ne peut être que le produit d’un travail patient, que n’abusent pas les mythes engendrés par le couple Occident-Orient. Il est donc avant tout nécessaire de bouleverser la périodisation partout admise en histoire des sciences. Une nouvelle périodisation, différentielle, rompra avec l’histoire générale de la science, et refusera une identification non fondée entre temps logique et temps historique. Elle intégrera sous le même vocable d’algèbre classique ou d’optique classique par exemple, des travaux qui s’étendent du x e au xvii e siècle ; elle nivellera par conséquent non seulement la notion des sciences classiques, mais aussi celle de la science médiévale, notion dont les éléments sont hétérogènes et se placent à des niveaux divers. Les sciences classiques se révèleront alors ce qu’elles n’ont jamais cessé d’être ; le produit de la Méditerranée, non pas comme telle, mais comme foyer d’échanges de toutes les civilisations au centre et à la périphérie de l’Ancien Monde. C’est alors seulement que l’historien des sciences pourra contribuer à éclaircir un débat qui occupe plu-

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sieurs pays de cet ancien monde, et qui est au centre de leurs cultures d’aujourd’hui, le débat sur le modernisme et la tradition.

LA PÉRIODISATION DES MATHÉMATIQUES CLASSIQUES La dichotomie « médiéval – moderne » a dominé, et domine encore, l’historiographie des mathématiques au même titre que celle des autres sciences. Elle s’offre comme l’instrument indispensable au découpage des périodes, et ainsi comme l’un des pivots de la constitution de la diachronie des mathématiques. On comprend dès lors que, pour toutes les parties engagées dans le fameux débat, encore vivace, sur les concepts et les méthodes de l’histoire des sciences, ce soit une donnée inéluctable. Rien donc de plus naturel que d’examiner cette dichotomie à l’occasion d’un hommage à la pensée d’Alexandre Koyré. N’était-il pas de ces rares historiens qui ont le plus contribué à la discipline, tout en s’interrogeant sur ses méthodes et sur ses concepts ? N’a-t-il pas voulu, en historien des sciences, mais aussi de la philosophie, saisir l’avènement de « la pensée moderne » et de « la science moderne », comme il aimait lui-même le dire ? Dans les écrits des historiens des mathématiques, cette célèbre opposition entre « médiéval » et « moderne » n’est pas simplement destinée à jalonner les étapes d’une chronologie ; mais, délibérément ou non, les auteurs l’invoquent afin de désigner deux positivités mathématiques distinctes. Peu importe alors que « les mathématiques modernes » soient représentées comme un dépassement radical des mathématiques médiévales, ou comme un développement naturel de celles-ci, ou, enfin, dans la continuité directe des mathématiques hellénistiques, en sautant pieds joints par-dessus les mathématiques médiévales. Mais, quelque parti que l’on prenne, on ne tardera pas à se trouver confronté à des difficultés majeures. La première surgit de la diversité des sens du mot « médiéval » ; a-t-on le droit, en effet, de désigner de ce même mot les mathématiques latines aussi bien que byzantines ou arabes, pour ne retenir qu’elles ? Il n’est du reste pas rare que l’historien, sans formuler explicitement cette question, commence pourtant par l’esquiver en retraçant tour à tour l’histoire de ces trois mathématiques. Mais comme alors il ne peut, ni en droit ni en fait, supposer un trait génériquement commun aux mathématiques médiévales, la dichotomie s’écroule d’elle-même, et, du même coup, le découpage proposé. Bien plus redoutable est la question que

Paru dans History and Technology, 1987, vol. 4, p. 449-454.

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suscite l’emploi du terme «médiéval» quand il s’agit de la même mathématique : on cherchera en vain les raisons.qui justifient cet usage pour Léonard de Pise et non pour Luca Pacioli, par exemple ; ou pour al-Karajī à la fin du x e siècle et non point pour al-Yazadī au début du xvii e siècle. Apparemment d’ordre méthodologique, de telles questions s’avèrent donc à la fois historiques et épistémologiques ; et, pour mieux éclairer cette dichotomie, il nous faut connaître plus sûrement les composantes des mathématiques médiévales et appréhender dans chaque cas les traits essentiels. Ce sont, précisément, certains de ces aspects que je me propose d’esquisser ici, dans le seul cas des mathématiques écrites en arabe entre le ix e et le xvii e siècle. Revenons donc à Bagdad au début du ix e siècle. Le mouvement de traduction des grandes compositions mathématiques hellénistiques est à son apogée. Deux caractères de cette entreprise, insuffisamment soulignés, sont pourtant de première importance : les traductions sont conduites par des mathématiciens, souvent de premier ordre, comme Thābit ibn Qurra, par exemple ; elles sont suscitées par la recherche la plus avancée de l’époque. C’est donc un grand moment d’expansion en arabe des mathématiques hellénistiques. Or c’est précisément à cette période, et dans ce milieu – celui de l’Académie (Maison de la Sagesse) de Bagdad – qu’al-Khwārizmī rédige un livre dont le sujet aussi bien que le style sont nouveaux. Dans ces pages, on voit pour la première fois surgir l’algèbre comme discipline mathématique distincte et indépendante. L’évènement fut crucial, et perçu comme tel par les contemporains, tant pour le style de cette mathématique que pour l’ontologie de son objet, et, surtout, la richesse des possibilités qu’elle offrait désormais. Le style, en effet, est à la fois algorithmique et démonstratif. Il a fallu, en outre, concevoir un être mathématique suffisamment général pour recevoir des déterminations de genres différents, mais doué, d’autre part, d’une existence indépendante de ses propres déterminations ; chez al-Khwārizmī déjà, l’objet algébrique renvoie aussi bien à un nombre rationnel qu’à une quantité irrationnelle ou à une grandeur géométrique. D’ores et déjà avec cette algèbre on entrevoit l’immense potentialité dont disposeront les mathématiques à partir du ix e siècle : l’application des disciplines mathématiques les unes aux autres. En d’autres termes, si l’algèbre, en raison de son style et de la généralité de son objet, a rendu ces applications possibles, celles-ci, par leur nombre et la diversité de leur nature, ne cesseront de modifier la configuration des mathématiques après le ix e siècle. Les successeurs d’al-Khwārizmī entreprennent progressivement l’application de l’arithmétique à l’algèbre, de l’algèbre à l’arithmétique, de l’une et de l’autre à la trigonométrie, de l’algèbre à la théorie

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euclidienne des nombres, de l’algèbre à la géométrie, de la géométrie à l’algèbre. Ces applications furent toujours les actes fondateurs de nouvelles disciplines, ou tout au moins de nouveaux chapitres. C’est ainsi que se constitueront en effet l’algèbre des polynômes, l’analyse combinatoire, l’analyse numérique, la résolution numérique des équations, la nouvelle théorie élémentaire des nombres, la construction géométrique des équations. À cela, nous devrions ajouter d’autres conséquences, telles la séparation de l’analyse diophantienne entière de l’analyse diophantienne rationnelle, devenue un chapitre à part entière de l’algèbre sous le titre de « l’analyse indéterminée». À partir du ix e siècle, le paysage mathématique n’est donc plus le même : il se transforme, et ses horizons reculent. Tout d’abord, on assiste à l’extension de l’arithmétique et de la géométrie hellénistiques. Théorie des coniques, théorie des parallèles, théorie euclidienne des nombres, méthodes archimédiennes pour la mesure des aires et des volumes, problèmes isopérimétriques : tous ces domaines deviennent objet d’étude pour les mathématiciens les plus prestigieux – Thābit ibn Qurra, al-Qūhī, Ibn al-Haytham, entre autres – qui parviennent, par de profondes recherches, à les développer dans le même style que leurs devanciers. D’autre part, au sein de ces mathématiques hellénistiques elles-mêmes, on aménage des régions non hellénistiques ; c’est grâce aux méthodes algébriques en effet qu’on a pu étudier les premières fonctions arithmétiques, ainsi que les séries des nombres figurés, en promouvant un nouveau secteur dans la théorie euclidienne des nombres. Si enfin on ajoute à cette extension sur le même terrain et à la création de nouvelles régions les disciplines qui viennent d’être fondées et que nous avons déjà évoquées, on voit se dessiner le nouveau paysage mathématique. Une analyse plus détaillée permettra de montrer que les relations entre les anciennes disciplines ne sont plus les mêmes, et que bien d’autres groupements se sont opérés. Prenons par exemple le livre X des Eléments. Ouvrage de géométrie pour Euclide, Pappus, ou même Ibn al-Haytham, il devient à partir de la fin du x e siècle un livre d’algèbre qui traite, si l’on use d’un autre langage, des extensions algébriques finies du corps des rationnels. Tout aussi importante que cette modification du paysage mathématique : l’introduction d’un nouveau type de démonstration, inconnu auparavant, la démonstration algébrique. Même si, en effet, la démonstration géométrique de type euclidien ou archimédien demeure dominante, la démonstration algébrique s’impose dans plusieurs chapitres, comme l’algèbre des polynômes, l’analyse combinatoire, la nouvelle théorie des nombres. C’est d’ailleurs à cette seule

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IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

démonstration que l’on recourait pour justifier les algorithmes des résolutions algébriques ou numériques des équations. D’autres techniques de première importance ont vu le jour en cette même période ; l’examen de l’analyse locale, par exemple, nous permettra de mieux caractériser cette mathématique. Pour comprendre l’émergence du point de vue local, commençons par rappeler la contribution d’al-Khayyām au xi e siècle. Dans son Algèbre, il aboutit à deux résultats fondamentaux : la solution de tous les problèmes du troisième degré par l’intersection de deux courbes du second degré fondant par là le chapitre sur la construction des équations ; et un calcul géométrique, pour mener à bien ses démonstrations. Le choix d’une longueur-unité et l’adoption du langage arithmétique distinguent bien ce calcul géométrique. Cependant, tout comme ses devanciers, al-Khayyām ne considère que les propriétés globales des objets qu’il étudie. Au xii e siècle, un successeur d’al-Khayyām, al-Ṭūsī, s’impose une contrainte supplémentaire : démontrer l’existence du point d’intersection de deux courbes dont l’abscisse détermine la racine positive demandée. C’est donc tout naturellement que le mathématicien fut conduit à poser les problèmes de localisation et de séparation des racines, et à traiter des conditions de leur existence ; problèmes pour la solution desquels il fut amené à définir la notion de maximum d’une expression algébrique, et à s’efforcer de trouver concepts et méthodes pour la détermination des maxima. Non seulement cette démarche entraîna-t-elle al-Ṭūsī jusqu’à l’invention de notions et de méthodes qui ne furent baptisées que plus tard – telle la dérivée – mais elle lui imposa de changer le mode d’approche : pour la première fois, que je sache, il découvre la nécessité de procéder localement. Tels sont les principaux traits de ces mathématiques. Il faudrait encore rappeler, pour être complet, les deux obstacles qui ont ralenti leur progression, en freinant notamment l’expansion de l’analyse locale : le manque d’audace dans l’usage des nombres négatifs comme tels, alors qu’ils n’étaient pas encore définis ; et la faiblesse du symbolisme. Questions qui précisément deviendront par la suite objet de préoccupation pour les mathématiciens. Si l’on souscrit à l’analyse précédente, alors rien ne permet de classer en des ères distinctes les travaux qui ont vu le jour à partir du ix e siècle, et ceux qui furent accomplis plus tard, jusqu’au début du xvii e siècle. Tout suggère en effet qu’il s’agit là globalement de la même mathématique. Il suffit pour s’en convaincre de se livrer à quelques comparaisons, entre les écrits d’As-Samawʾal, par exemple, en algèbre et en calcul numérique, et ceux de Simon Stevin ; entre les résultats d’al-Fārīsī en théorie des nombres et ceux de Descartes ;

LA PÉRIODISATION DES MATHÉMATIQUES CLASSIQUES

529

entre les méthodes d’al-Ṭūsī pour la résolution numérique des équations et celle de Viète. Si d’autre part nous faisons abstraction des travaux d’al-Khwārizmī, d’Abū Kāmil, d’al-Karajī, entre autres, comment comprendre non seulement l’œuvre de Léonard de Pise et celle des mathématiciens italiens mais aussi les mathématiques plus tardives du xvii e siècle ? La rupture avec cette mathématique n’a pas été nécessairement soudaine, et elle ne s’est pas opérée simultanément dans toutes les disciplines. D’autre part, les lignes de clivage contournent rarement les auteurs, mais traversent souvent leurs œuvres. C’est ainsi que la nouvelle théorie des nombres ne commence pas, comme on a pu l’affirmer, avec l’emploi des méthodes algébriques par Descartes et Fermat, lesquels, en procédant ainsi, ne faisaient que retrouver les résultats d’al-Fārisī. Bien au contraire, on peut saisir les débuts de cette nouvelle théorie dans l’application des méthodes purement arithmétiques, c’est-à-dire lorsque vers 1640 Fermat invente la « descente infinie» et entreprend l’étude de certaines formes quadratiques. C’est donc au sein même de l’œuvre de Fermat, et aux environs de 1640, qu’a lieu cette rupture. Il en va tout autrement pour le chapitre sur la construction géométrique des équations, entamé par al-Khayyām, poursuivi par al-Ṭūsī, enrichi par Descartes, et repris par bien d’autres mathématiciens jusqu’à la fin du siècle, voire jusqu’au milieu du siècle suivant. Il est manifeste en tout cas que les frontières entre ces différentes périodes sont floues et s’enchevêtrent, et que d’ailleurs les époques nettement définies n’existent, selon l’expression d’Alexandre Koyré, « que dans les manuels scolaires.» C’est à partir de la première moitié du xvii e siècle que se trament les enchevêtrements et que se localisent les principales ruptures. L’analyse historique et épistémologique, qui, bien entendu, prend en compte les mathématiques arabes, ainsi qui l’usage qui en était fait en latin, aboutit à l’élaboration d’une configuration mathématique cohérente entre le ix e et les débuts du xvii e siècle. Mais le découpage de cette configuration, et donc de cette période, ne peuvent s’accommoder du cadre de la dichotomie entre « médiéval » et «moderne ». Celle-ci apparaît finalement comme un emprunt, inadéquat, à l’histoire politique, laquelle est doublement décalée par rapport à l’histoire des mathématiques. Le seul découpage qui tienne compte des faits historiques eux-mêmes ne peut être que différentiel.

MATHÉMATIQUES TRADITIONNELLES DANS LES PAYS ISLAMIQUES AU XIX e SIÈCLE : L’EXEMPLE DE L’IRAN Un postulat semble dominer la réflexion sur l’introduction de la science moderne et sa diffusion dans les pays de civilisation islamique. Il est en effet sous-entendu, sinon affirmé, que toute activité scientifique avait disparu de ces pays, et que la science moderne a donc été semée sur un sol vierge. Ce postulat, conjugué à un autre dont nous avons montré la fausseté ailleurs et selon lequel la science classique est occidentale, est au fondement de l’idéologie historique de la science et de sa place dans les pays islamiques : pour les intellectuels de ces pays, la science définira la modernité, en s’opposant de front et exclusivement à une culture traditionnelle. C’est d’ailleurs pour dépasser ce prétendu divorce que certains traditionalistes ont penché vers une interprétation pragmatiste de la science. Or, ce postulat non seulement est inexact, nous le montrerons, mais fausse la perspective en empêchant une vision claire et juste du phénomène de l’introduction et de la diffusion de la science dans les pays islamiques au cours des deux derniers siècles. Il occulte en effet un aspect d’importance, mais nullement étudié : la survivance et la continuité d’une recherche d’origine traditionnelle, qui aurait pu constituer une véritable structure d’accueil pour l’acquisition et la diffusion de la science moderne. Notons que cette recherche scientifique s’effectuait encore parfois en arabe, c’est-à-dire dans la langue de la science traditionnelle, sans pourtant être l’apanage des seuls pays arabes, comme l’Égypte et la Syrie, puisqu’on la rencontre en Turquie, en Inde aussi bien qu’en Iran, par exemple. Pour ne pas nous perdre dans les généralités, nous nous proposons de montrer sur un exemple : 1. L’existence de cette recherche ; 2. sa capacité à servir de structure d’accueil à la science importée et ainsi son pouvoir d’intégration de celle-ci ; 3. son utilité pour celui qui veut comprendre l’histoire des sciences avant le xv e siècle.

Paru dans E. Ihsanoglu (éd.), Transfer of Modern Science and Technology to the Muslim World, Istanbul, 1992, p. 393-404.

532

IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

Entre les centres d’activité scientifique du monde islamique, Ispahan était au début du xix e siècle au nombre des plus importants et des plus rayonnants. Je me limiterai donc à ce foyer, et à l’un des mathématiciens qui y séjournaient, pour illustrer les thèses précédentes. Je veux parler d’un certain Mīrza ʿAlī Muḥammad b. Muḥammad b. Husayn al-Aṣfahānī [1800-1876]. Ce savant s’intéressait aussi bien à la musique qu’aux mathématiques. Il a composé en persan un livre sur La division d’une sphère par les plans, un autre sur Les propriétés des nombres, et un ouvrage en chimie. Ce même mathématicien est l’auteur de deux autres livres que nous mentionnerons incessamment. Examinons-les de plus près. C’est al-Aṣfahānī qui, en 1824, a composé un livre intitulé La complétion des fontaines, très vraisemblablement dans l’intention de parachever un traité d’arithmétique du xvii e siècle, composé par Muḥammad ibn Bakr al-Yazdī. Le livre d’al-Aṣfahānī se présente sous la forme d’un manuscrit autographe, et n’avait jamais été examiné jusqu’à présent. Il est consacré aux vingt-cinq équations de degré inférieur ou égal à trois, et s’intègre donc directement à la tradition d’al-Khayyām [1048-1131], et, surtout, de Sharaf al-Dīn al-Ṭūsī [deuxième moitié du xii e siècle]. Le sous-titre du livre d’al-Aṣfahānī ne laisse aucune ambiguïté sur le projet qui l’anime : « détermination de vingt-cinq problèmes des problèmes algébriques, dont six sont célèbres et les autres non mentionnés ». C’est dire qu’al-Aṣfahānī n’était pas encore au courant de la solution par radicaux de l’équation cubique, qui remontait pourtant à trois siècles déjà, et que sa connaissance en ce domaine ne dépassait pas celle de ses prédécesseurs du xii e siècle. C’est donc sur la base de ce savoir mathématique qu’il engage sa propre recherche. Poussons notre examen plus en détail pour mesurer la distance parcourue. Al-Aṣfahānī commence par une classification de ces vingt-cinq équations algébriques des trois premiers degrés. Il retient pour unique critère le nombre des monômes ; on a par conséquent six équations binômes, douze trinômes, quatre quadrinômes – un membre d’un terme égal à un membre de trois termes –, et enfin trois quadrinômes – chaque membre de l’équation contenant deux termes. Soulignons qu’al-Aṣfahānī non seulement part de la simple connaissance des mathématiciens du xii e siècle ; mais il use aussi de la même langue, et son style est analogue au leur : il écrit en arabe, sans recourir au symbolisme algébrique pourtant inventé depuis deux siècles, et déjà devenu la langue des mathématiques. Dans son livre, il traite, à la suite des mathématiciens anciens 1) la résolution numérique des équations algébriques, 2) l’équation cubique ; ce que nous allons reprendre.

MATHÉMATIQUES TRADITIONNELLES DANS LES PAYS ISLAMIQUES 533

Al-Aṣfahānī commence par exposer une méthode de résolution numérique des équations. Cette méthode dépend de la propriété importante du point fixe. Aucun document connu des mathématiques écrites pendant la période classique ne révèle un recours à cette méthode fondamentale. Et pourtant nous pensons qu’al-Aṣfahānī nous indique là une voie de recherche dans l’histoire des mathématiques entre le xii e et le xv e siècle. Pour comprendre rigoureusement cette méthode exposée par al-Aṣfahānī, il nous faut au préalable introduire quelques concepts de lui inconnus, et un langage qu’il ignorait complètement. Soit f(x) une fonction numérique continue sur un intervalle fermé borné K ⊂ R, alors si f(K) ⊆ K, l’équation f(x) = x

(1)

admet une solution au moins, dans K.

Fig. 1

On montre en effet [figure 1] que la diagonale Δ qui est le graphe de la fonction y = x, et le graphe C de la fonction y = f(x), ont au moins un point commun (x, y) ; c’est-à-dire que y0 = x0

et

y0 = f(x0 ),

d’où x0 = f(x0 ), ce qui montre bien l’existence d’une racine x, au moins, de l’équation (1). Soit f une fonction numérique sur un intervalle fermé borné K, et supposons que la fonction f vérifie la condition suivante : il existe

534

IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

h, 0 ≤ h < 1, tel que

∀x, y ∈ K;

|f(x) − f(y)| ≤ h|x − y|.

(2)

On vérifie immédiatement que la fonction est continue. On peut dans ce cas obtenir un résultat plus fort que le résultat précédent, et souvent appelé : Théorème du point fixe. – L’équation (1) a une racine et une seule dans K. Soit en effet x0 et x0′ deux racines de l’équation (1) – il en existe au moins une – alors on a, d’après (2), |x0 − x0′ | = |f(x0 ) − f(x0′ )| ≤ h|x0 − x0′ |, avec 0 ≤ h < 1. Si x − x0′ 6= 0, on obtient |x0 − x0′ | < |x0 − x0′ | ; ce qui est absurde. Donc x0 = x0′ . Voici l’idée importante, déjà vue par al-Aṣfahānī : il existe alors un algorithme simple qui permet de calculer une valeur approchée de la racine unique x0 , avec le degré de précision voulu. On forme par récurrence une suite (xn )n>1 d’éléments de K de la façon suivante : 1. x1 est en principe un élément absolument arbitraire de l’intervalle fermé borné K ; 2. xn = f(xn−1 ), pour n > 1. 3. On montre que la suite (xn ) ainsi formée converge 1 vers la racine unique x0 de l’équation (1). Dans tout ce qui suit, supposons, à la manière d’al-Aṣfahānī, que f est contractante dans un intervalle fermé borné K tel que f(K) ⊂ K. ‎1. La suite (xn ) est en effet une suite de Cauchy. Pour m, n ∈ N tels que m < n, on a

|xn − xm | = |f(xn−1 − f(xm−1 )| < h|xn−1 − xm−1 | ≤ h2 |xn−2 − xm−2 | ≤ · · · ≤ hm−1 |xn−m+1 − x1 | ≤ 2hm−1 b, b étant la borne supérieure de K. Comme 0 ≤ h < 1, on trouve que

lim |xn − xm | ≤ lim 2hm−1 b = 0

n→∞ m→∞

m→∞

(avec n > m).

(xn ) est donc une suite de Cauchy ; elle est par conséquent convergente. Sa limite x0′ appartient de plus à K, K est supposé fermé borné. On montre ensuite que x0′ = limn→∞ xn = x0 . En effet, si on passe à la limite dans les deux membres de l’égalité xn+1 = f(xn ), on obtient

x0′ = lim xn+1 = f( lim xn ) = f(x0′ ) ; n→∞

n→∞

x ′ est donc une racine de (1). Comme x0 est l’unique racine de cette équation, on a alors le résultat.

MATHÉMATIQUES TRADITIONNELLES DANS LES PAYS ISLAMIQUES 535

Fig. 2

Si maintenant f est croissante et convexe ou concave, alors si x1 > x0 [x1 < x0 respectivement] la suite (xn ) est décroissante [croissante respectivement]. C’est-à-dire que les (xn ) forment des valeurs approchées par excès [par défaut respectivement] [voir figures 2 et 3]. Mais si f(x) est décroissante et convexe ou concave, alors, quel que soit le point initial x1 , et si on a xn > x0 , on aura xn+1 < x0 et réciproquement. La sous-suite x2n+1 converge en décroissant vers x0 tandis que la suite x2n converge en croissant vers x0 . Si en revanche x1 est choisi plus petit que x2 , c’est la réciproque qui a lieu [voir figures 4 et 5]. Bien entendu, dans la pratique les valeurs exactes de xn ne peuvent généralement pas être calculées, et en fait la suite (xn ) est remplacée par une autre (xn′ ). Avant de décrire cette suite, plaçonsnous dans le cas de la figure 2, c’est-à-dire le cas où f est concave croissante. Dans ce cas, (xn′ ) est formée par l’application de l’algorithme suivant : 1. x1′ est arbitraire, plus grand que x0 . 2. On suppose xn′ −1 calculé et x0 < xn′ −1 < xn′ −2 . On prend

yn = f(xn′ −1 ).

On a yn < xn′ −1 ; la partie de la courbe C à droite de la droite x = x0 est au-dessus de Δ. Si on peut calculer yn , on prend xn′ = yn , sinon on choisit xn′ tel que x0 ≤ xn′ < yn < xn′ −1 . On obtient ainsi une suite

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IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

Fig. 3

décroissante bornée inférieurement par x0 . Donc xn′ converge vers x0′ ≥ x0 . On voit facilement que x0′ = x0 . Lemme d’al-Aṣfahānī. – Soit K = [a, b] un intervalle fermé borné dans R+ ; alors, si a > 1, la fonction y = f(x) = x1/3 est contractante dans K. En effet, supposons x1 < x2 ; x1 , x2 ∈ K. Posons 1/3

y 1 = x1

et

1/3

y2 = x2 ,

ce qui donne x2 − x1 = y32 − y31 = (y2 − y1 )(y21 y1 y2 + y22 ) > (y2 − y1 ) 3a2 , d’où

|f(x1 ) − f(x2 )| = |y1 − y2 |
x2 . Mais, comme a > 1, on a h = 3a1 2 < 1. Lemme 2 d’al-Aṣfahānī. – Soit l une fonction croissante contractante de coefficient h, et g : x 7→ cx + d une fonction affine croissante, c’est-à-dire que c est positif. Alors, si hc < 1, f = l ◦ g est croissante contractante de coefficient h. Il est évident que f est croissante. On montre qu’elle est contractante ; on a

|f(x) − f(y)| = l(g(x)) − l(g(y)) ≤ h|g(x) − g(y)| = hc|x − y| ;

MATHÉMATIQUES TRADITIONNELLES DANS LES PAYS ISLAMIQUES 537

Fig. 4

Fig. 5

alors, si hc < 1, le lemme est démontré. Exemple d’al-Aṣfahānī. – Résoudre l’équation x3 + 210 = 121 x,

x ∈ R+ .

On écrit cette équation sous la forme équivalente : x = (121x − 210)1/3 = f(x). La fonction l : x 7→ x1/3 est croissante concave contractante dans tout intervalle K = [a, b] ⊂ R+ , avec a > 1 (lemme 1 et les propriétés connues de l). La fonction f est croissante concave, comme on peut aisément le démontrer en dérivant. Déterminons un intervalle K dans lequel f est contractante. Il suffit, d’après les lemmes 1 et 2, de

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IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

déterminer h tel que :

√ c’est-à-dire a >

121 < 1, 3a2 121 3

=

11 √

3

. D’autre part, il faut avoir 121a − 210 > 0,



d’où a > 210/121. Il suffit donc de prendre a > 11/ 3. Il faut alors choisir b tel que f([a, b]) ⊂ [a, b]. On vérifie que l’image de K = [7, 11] par f est contenue dans K. On peut alors appliquer le précédent algorithme. Al-Aṣfahānī prend x1′ = 11 d’où y2 = f(x1′ ) = (1121)1/3 . Il prend une valeur approchée par défaut de y0 , soit 10,3 ; il trouve f(10,3) = (1036,3)1/3 < 10,3 ; il prend alors x2′ = 10,3 et y3 = f(x2′ ) = (1036,3)1/3 . Il prend ensuite une valeur approchée de y3 par défaut, soit 10,1 ; on trouve f(10, 1) = (1012,1)1/3 < 10,1 ; il prend alors x3′ = 10,1 et ainsi de suite. Les premiers termes de cette suite sont x1′ = 11 > x2′ = 10,3 > x3′ = 10,1 > · · · Notons qu’al-Aṣfahānī choisit la valeur 11 d’une manière quelque peu différente. Au lieu de la fonction f, il considère une fonction qui la majore, à savoir g(x) = (121 x)1/3 ; et cherche une racine de la nouvelle équation x = g(x), ce qui assure que x1 = 11 > x0 , x0 est la racine cherchée. À elle seule, cette méthode algorithmique montre le niveau mathématique atteint par les savants d’Ispahan dans les années vingt du xix e siècle. Nous ne savons certes pas s’il s’agit là d’une invention d’al-Aṣfahānī ou d’un emprunt qu’il aurait fait à un ancien mathématicien, entre le x e et le xv e siècle. Mais, même si tel était le cas, il lui fallait une certaine familiarité avec la recherche mathématique pour saisir le phénomène exprimé par la précédente méthode. Mais, ce procédé, fondé sur le point fixe, n’est pas le seul résultat important que l’on trouve dans le livre d’al-Aṣfahānī. On y rencontre également une application de la méthode dite de Ruffini-Horner, pour la solution des équations algébriques. Nous avons montré très rigoureusement que le mathématicien du xii e siècle Sharaf al-Dīn al-Ṭūsī non seulement a formulé cette méthode algorithmique qui

MATHÉMATIQUES TRADITIONNELLES DANS LES PAYS ISLAMIQUES 539

portera les noms de deux mathématiciens, l’un anglais, Horner, l’autre italien, Ruffini, mais qu’en outre il a tenté d’en donner une justification. Al-Aṣfahānī connaissait, de toute évidence, ce procédé, qu’il applique comme méthode d’approximation. Il réintroduit alors les fractions décimales, avec le signe décimal. C’est dire qu’il a voulu extraire de la méthode d’al-Ṭūsī tout ce que celle-ci était susceptible de donner. Al-Aṣfahānī obtient, partiellement au moins, d’autres résultats importants. Ainsi il a recours aux nombres négatifs. Il semble connaître, dans certains cas de l’équation cubique 1, les relations entre les cœfficients et les racines : x3 + c = bx. À l’exemple d’al-Ṭūsī, il s’attache au problème de la séparation des racines des équations algébriques. Mais, au lieu de développer les moyens analytiques enfouis dans l’œuvre de son prédécesseur, il étudie arithmétiquement la variation de la fonction polynôme correspondante, et s’efforce de déterminer les intervalles où se trouvent les racines. En fait, il applique implicitement le célèbre théorème des valeurs intermédiaires. Le fait épistémologique le plus intéressant qui se dégage de cette œuvre est que ce mathématicien, manifestement peu au fait du développement de sa discipline au xviii e siècle, est parvenu, en partant de ses prédécesseurs du xii e siècle, à quelques résultats analogues à ceux qu’avaient trouvés les mathématiciens des xvii e-xviii e siècles ; et cela non point grâce aux moyens de l’analyse, mais par l’étude arithmétique des fonctions polynômes. Ce résultat, à notre sens capital, dessine une autre voie du développement des mathématiques, qui n’a pas abouti. Mīrza ʿAlī Muḥammad al-Aṣfahānī n’était pas un savant isolé. Il appartenait bien à une école où œuvraient d’autres savants, comme Mīrza Muḥammad ʿAlī ibn Ismāʾīl al-Bīrjandī al-Aṣfahānī. Les membres de cette école n’écrivaient pas seulement en arabe, mais aussi en persan. Nous avons ainsi relevé que Mīrza ʿAlī a écrit deux autres livres en persan, l’un sur la division d’une sphère par des plans, l’autre en théorie des nombres. L’exemple iranien montre qu’au début du xix e siècle il existait bien une activité scientifique indépendante de la science européenne, ou mieux encore, de la science impériale, transmise par l’avancée des armées et la circulation des marchandises et des capitaux des empires coloniaux. On pourrait évoquer bien d’autres exemples, de part

‎1. Sharaf al-Dīn al-Ṭūsī, Œuvres mathématiques. Algèbre et géométrie au xii e siècle, texte établi et traduit par R. Rashed, Les Belles Lettres (Paris, 1986), Tome I, pp. 11825.

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IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

et d’autre du monde islamique, pour illustrer un phénomène semblable : en Egypte par exemple, ou en Inde, pour s’en tenir à ces deux pays. Dans ces différents cas, on poursuivait toujours la recherche mathématique sur des problèmes fournis par les prédécesseurs du xii e siècle ; on parvenait à de nouveaux résultats, comme on a pu le voir avec al-Aṣfahānī. Il va sans dire que cette recherche ne représentait pas la partie avancée de la science du xix e siècle, qu’elle se situait bien en retrait, et était condamnée, à plus ou moins brève échéance, à céder la place à la science victorieuse. La célèbre « décadence» scientifique évoquée à propos du monde islamique n’est nullement synonyme de vide ; elle ne signifie pas l’absence de toute recherche ou la disparition de cet esprit de recherche : elle reflète le recul à un rang subalterne, par rapport à la science en marche, d’une recherche dont les produits sont alors réduits à un phénomène « provincial », en marge et sans impact sur la vie de la science du temps. C’était donc une recherche isolée tant au plan paradigmatique qu’au plan linguistique. Tel est donc le statut de la production scientifique de l’école d’Ispahan. Mais, en dépit de ce « provincialisme », cette école, comme ses analogues, aurait pu jouer le rôle d’un cadre d’accueil, non point au simple transfert de la nouvelle science, mais à sa véritable implantation dans la société iranienne, et dans sa langue nationale. Un savant comme al-Aṣfahānī était bien placé pour accueillir cette nouvelle science, non à partir de ses seules applications, mais eu égard à son aspect le plus profond et le plus fondateur, c’est-à-dire la recherche théorique et fondamentale ; il aurait pu ainsi pallier une fameuse carence de la science impériale : il faut en effet rappeler que celle-ci est parvenue aux pays dominés par le biais de ses applications militaires, médicales, hydrauliques, agronomiques, etc., et rarement sous ses aspects théoriques. On constate chez les savants de ces pays, comme Mīrza ʿAlī, un fort penchant pour acquérir, dès que l’occasion le permettait, quelques résultats de la nouvelle science, les plus directement liés à leurs propres recherches. Comme on sait, al-Aṣfahānī a rédigé un livre sur les « logarithmes des sinus ». Cependant, cette structure d’accueil de la nouvelle science n’a jamais été pensée comme telle, pour des raisons sociologiques et politiques qui ne sont pas notre propos ici ; elle a laissé la place à l’adoption sans nuances de pâles modèles de ce qui est utilisé ailleurs. Pour comprendre l’introduction de la science impériale et les problèmes soulevés par son transfert et par son intégration dans les pays islamiques, il semble donc nécessaire, comme l’enseigne l’exemple iranien, de connaître la science traditionnelle encore en vigueur au xix e siècle, ses idéaux, ses paradigmes, ses écoles et ses

MATHÉMATIQUES TRADITIONNELLES DANS LES PAYS ISLAMIQUES 541

institutions. Cette connaissance est indispensable à la compréhension du phénomène du transfert de la science, de ses particularités et de son échec relatif. Elle permet également de repenser les données d’un débat idéologique omniprésent dans le monde islamique, entre modernisme et tradition. La tradition ne peut se définir, ainsi que notre exemple l’a montré, comme une attitude contre la science : la recherche scientifique était bel et bien une dimension de cette tradition. Quant à la modernité, que souvent on assimile à la science, elle représente en fait non point la science, mais l’une des idéologies qui dérivèrent de celle-ci au cours du xix e siècle. Nous avons vu enfin combien cette connaissance peut utilement contribuer à l’histoire des sciences avant le xvi e siècle.

SCIENCE CLASSIQUE ET SCIENCE MODERNE À L’ÉPOQUE DE L’EXPANSION DE LA SCIENCE EUROPÉENNE Il y a un siècle, on aurait confié le problème qui nous préoccupe ici – le transfert de la science européenne en dehors des frontières de l’Europe – aux anthropologues et, selon le cas, aux orientalistes, sans penser faire appel aux historiens des sciences. Plus récemment, dans les années cinquante, les économistes, ceux qui s’intéressaient à la célèbre question du développement économique, ont réactivé cette problématique sans recourir à l’histoire des sciences. Mais les historiens des sciences eux-mêmes sont restés dans une parfaite indifférence à ce sujet, qui pourtant relève de leur discipline. Quelles sont donc les raisons de cette indifférence ? Quels services peut rendre l’histoire des sciences à l’examen d’une problématique de notre temps ? Est-il possible de parler d’histoire des sciences appliquée ? Je ne pourrai sans doute pas répondre à toutes ces questions, mais je tenterai d’en élucider quelques-unes. Notons pour commencer que, si notre problème fut d’abord renvoyé aux anthropologues et aux orientalistes, c’est en raison d’une situation objective de la science elle-même, d’une conception alors dominante de son histoire, et d’une idéologie admise par la quasitotalité des historiens. C’est un tel contexte qui, en partie tout au moins, permet de comprendre la position du problème aujourd’hui. La situation objective touche à la constitution de la science moderne à partir de Newton et de ses successeurs. Cette science est européenne en ce sens qu’elle s’est élaborée et développée en Europe de l’Ouest et nulle part ailleurs. D’autre part, par ses intentions unitaires, ses visées d’application, son organisation institutionnelle et la philosophie qu’elle a pu susciter, cette science moderne, ou européenne, se distingue très nettement de la science classique qui fut cultivée entre le ix e et le xvii e siècle : on comprend immédiatement que le terme « transfert» ne s’applique pas dans le même sens à ces deux périodes de la science. Si maintenant on en vient à l’histoire des sciences telle qu’on la conçut à l’époque, elle oscille entre deux pôles : l’histoire

Paru dans P. Petitjean, C. Jami et A. M. Moulin (éds), Science and Empires, Boston Studies in the Philosophy of Science, Kluwer Academic Publishers, 1992, p. 1930.

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des successions des savants et des résultats accumulés – comme en témoigne l’exemple de Montucla en histoire des mathématiques – et une philosophie du progrès, comme celle de Condorcet, ou du développement, comme chez Auguste Comte plus tard. Selon la première perspective, le transfert de la science européenne n’apporte rien à l’histoire des disciplines, et selon la seconde, il se trouve simplement en dehors de l’histoire, puisque l’humanité est considérée comme un tout en fait représenté par le peuple le plus avancé, c’est-à-dire les états modernes d’Europe ; ou parce que les autre peuples n’ont pas encore connu « l’état positif ». Quant à l’idéologie, enfin, nous voulons parler de l’idéologie de l’occidentalité de la science en général, tant classique que moderne. Elle a abouti à l’unification sous le vocable d’occidental des différentes étapes historiques de la science. Comme démarche théorique, démonstrative et expérimentale, la science serait le fait de l’humanité européenne ; bien plus, c’est elle qui, aux dires de Husserl par exemple, définit cette humanité du point de vue spirituel. Toutes les autres positivités historiques seraient alors également étrangères à la science, et la marginalité de leur contribution n’est nullement contingente, mais bien essentielle. Or tous ces éléments ont contribué à détourner l’historien du problème du transfert de la science européenne, mais aussi à surdéterminer en quelque sorte le sens de ce transfert chez les anthropologues et les orientalistes. Il fut alors conçu comme un déplacement valorisé d’un produit occidental, étranger par sa nature aussi bien que par son histoire à ses destinataires. Le second postulat admis par les auteurs est que ce transfert s’opérait sur un terrain vierge, dans un vide scientifique, grâce aux différents vecteurs des Empires, missions, commerçants, armées, etc. Ce serait alors, selon un terme célèbre, un élément de l’« acculturation». Ce sont de telles idées, qui, me semble-t-il, ont fait germer chez certains auteurs l’ambition de forger un modèle universel pour représenter ce phénomène de transfert. Rien n’empêcherait en effet, dans un tel esprit, de mettre au pied d’égalité les différentes périodes et les divers pays, puisque l’élément unificateur est essentiellement négatif. Nous allons nous arrêter à ces idées qui dominent la représentation du phénomène du transfert de la science moderne, à la lumière d’autres exemples et d’autres résultats de l’histoire des sciences. Nous verrons se dessiner une variété de situations qu’il serait trompeur de confondre en une vision unique. Je m’en tiendrai ici à deux situations exemplaires, représentées respectivement par l’Iran et l’Égypte – en insistant sur le cas égyptien – deux pays de l’ancien monde, et qui appartiennent au vaste ensemble que l’on sait.

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L’exemple iranien Le postulat du vide non seulement est inexact, mais il interdit une vision claire et juste de l’introduction et de la diffusion de la science européenne, notamment dans les pays qui avaient le plus contribué à la constitution et au développement de la science classique. Ce postulat occulte en effet un aspect important mais nullement étudié : la survivance et la continuité d’un enseignement, parfois même d’une recherche, d’origine traditionnelle. La question se formule alors en ces termes : comment s’est faite la rencontre entre une science encore dans l’état où elle était quelques siècles auparavant, et la science moderne ? Le savant traditionnel était-il le mieux équipé pour épouser la science moderne ? C’est là, de toute évidence, la question de la structure d’accueil de la nouvelle science. Pour éviter les généralités, venons-en tout de suite à l’exemple iranien, pour nous limiter successivement à l’un des foyers culturels du xix e siècle : la ville d’Ispahan ; et à l’un des savants de ce foyer : Mīrzā ʿAlī Muḥammad al-Asfahānī [1800-1876]. Celui-ci a composé en arabe, en 1824, c’est-à-dire dans la langue de la science traditionnelle, un livre de mathématiques. Ce livre est présenté par l’auteur lui-même comme le complément d’un autre traité rédigé par un mathématicien du début du xvii e siècle – al-Yazdī. Or, pour compléter ce livre du xvii e siècle, al-Asfahānī poursuit les recherches des mathématiciens des xi e et xii e siècles en algèbre, comme al-Khayyām et Sharaf al-Dīn al-Ṭūsī, sur les vingt-cinq équations algébriques des trois premiers degrés. Al-Asfahānī n’était manifestement pas au courant de la résolution par radicaux de l’équation cubique, et sa connaissance en ce domaine ne dépassait pas celle de ses prédécesseurs du xii e siècle. C’est donc sur la base de ce savoir mathématique qu’il avait rédigé ses propres recherches. Il commence par exposer une méthode de résolution numérique des équations algébriques, qui dépend explicitement de la propriété importante du point fixe. AlAsfahānī considère d’abord la fonction f(x) = x. L’idée importante qu’il a conçue est la suivante : il existe un algorithme simple qui permet de calculer une valeur approchée de la racine, avec le degré de précision voulu. Il démontre alors deux propositions : (1) La fonction y = f(x) = x1/3 est contractante sur un intervalle fermé borné [a, b] ⊂ R si a > 1 ; (2) si l est une fonction croisante contractante de coefficient h, et g une fonction affine croissante, g(x) = cx + d, alors si hc < 1, f = l ◦ g est croissante contractante de coefficient h. Mais ce procédé, fondé sur le point fixe, et ces propositions, ne sont pas les seuls résultats que l’on trouve dans le livre d’al-Asfahānī. On y rencontre également une application de la méthode dite de

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Ruffini-Horner, pour la résolution numérique des équations algébriques. Il réintroduit les fractions décimales, avec le signe décimal, pour poursuivre l’approximation par cette méthode. Il obtient encore d’autres résultats, tels que le recours aux nombres négatifs, les relations entre les coefficients et les racines. À l’exemple de son prédécesseur du xii e siècle, al-Ṭūsī, il étudie la séparation des racines des équations algébriques. Mais, au lieu de développer les moyens analytiques enfouis dans l’œuvre de son prédécesseur, il étudie arithmétiquement la variation des fonctions polynômes, et s’efforce de déterminer les intervalles où se trouvent les racines. Il applique, en fait, implicitement, le célèbre théorème des valeurs intermédiaires. Sans insister davantage sur les résultats obtenus par al-Asfahānī, relevons le fait épistémologique le plus intéressant qui se dégage de cette œuvre : ce mathématicien est parvenu, en partant de ses prédécesseurs du xii e siècle, à quelques résultats analogues à ceux que démontrèrent les mathématiciens des xvii e-xviii e siècles ; non point, comme eux, grâce à l’analyse, mais au moyen de l’étude arithmétique des fonctions polynômes. Tout se passe comme si son intention était de dégager une théorie arithmétique pour ces fonctions. Al-Asfahānī n’était ni le seul savant, ni un mathématicien isolé ; il appartenait bien à une école où œuvraient d’autres savants, comme al-Birjandī. Les chercheurs de cette école écrivaient ou bien dans la langue de la science traditionnelle, l’arabe, ou en persan. Al-Asfahānī a lui-même écrit deux autres livres en persan : l’un sur la division de la sphère par des plans, l’autre en théorie des nombres. On voit donc par cet exemple iranien qu’au début du xix e siècle, il existait bien une activité scientifique indépendante de la science européenne. Et ce cas de l’école d’Ispahan n’est pas unique : on en rencontre de semblables en Turquie aussi bien qu’en Inde, en Tunisie ou en Égypte. Il va sans dire que cette recherche ne représentait pas une partie à la pointe de la science du xix e siècle, mais qu’elle se situait bien en retrait, condamnée à disparaître à brève échéance pour céder la place à la science victorieuse. Mais la fameuse «décadence» scientifique qu’il est de coutume d’évoquer à propos de l’un ou l’autre des pays de civilisation islamique n’est nullement synonyme de néant ; elle ne peut en tout cas signifier l’absence de toute recherche ou l’anéantissement de cet esprit de recherche : elle reflète le recul à un rang subalterne, par rapport à la science en marche, d’une recherche paresseuse dont les produits étaient réduits à un phénomène « provincial», en marge et sans impact sur la vie de la science du temps, recherche isolée tant sur le plan paradigmatique que sur le plan linguistique. Tel est donc le statut de la production scientifique de l’école d’Ispahan et de ses analogues. Mais, en dépit de

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ce « provincialisme », une telle école aurait pu jouer, dans un transfert réfléchi sinon planifié, le rôle d’un cadre d’accueil et non point de simple déplacement de la science moderne. Elle aurait pu agir dans le sens de la « naturalisation » de la nouvelle science, ou tout au moins des sciences mathématiques, dans la société iranienne et dans la langue nationale. Un mathématicien comme al-Asfahānī était des mieux placés pour accueillir cette nouvelle science, non seulement à partir de ses applications, mais de son point de vue le plus fondateur, c’est-à-dire la recherche théorique et fondamentale. On observe du reste chez des savants comme ce dernier un vif penchant à acquérir, dès que l’occasion le permettait, quelques résultats de la nouvelle science, les plus directement liés à leurs propres recherches. C’est ainsi qu’al-Asfahānī a lui-même rédigé un livre sur «les logarithmes des sinus». Le postulat du vide n’est pas seulement inexact ; bien plus, la « science moderne », ce produit européen, n’était point si étrangère, ni par sa nature, ni par ses origines qui s’enracinent dans la science classique, aux savants de bien des pays – lorsqu’il s’agit des sciences mathématiques, notamment. La vraie question, pour qui s’interroge sur le transfert de la science européenne, n’est plus celle de son déplacement dans un vide ; elle est de savoir si cette structure d’accueil de la nouvelle science avait été pensée comme telle, et utilisée, ou si elle avait été écartée, en raison d’une idéologie de la modernité par exemple. Nous allons considérer la réponse apportée à ces questions dans l’Égypte du début du xix e siècle.

L’exemple égyptien Commençons par noter que la situation de l’Égypte sur ce plan – comme c’était le cas pour les autres pays de domination ottomane – était bien moins florissante que celle de l’Iran. On observe, certes, que certains esprits curieux poursuivaient l’étude des mathématiques et de l’astronomie, telles qu’elles se présentaient dans les anciennes contributions, ou plutôt dans leurs commentaires tardifs. Mais l’existence de l’Université d’al-Azhar au Caire a permis d’assurer l’enseignement et la recherche dans les disciplines linguistiques, juridiques et théologiques. Nous verrons bientôt que les membres de cet enseignement traditionnel vont fournir l’essentiel du corps des enseignants, qui servira à superposer à cet enseignement un autre, moderne et concurrent. C’est dire que les tenants de la science classique, même sous sa forme dégradée, loin de s’opposer à ce nouvel enseignement, seront les médiateurs de son introduction, et, en

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quelque sorte, du transfert. À ce phénomène à première vue paradoxal s’en ajoute un autre : ce n’est pas avec les armées impériales que la science moderne est parvenue en Égypte, mais lors de la création de l’État moderne et national. Autant d’éléments qui contredisent les schémas proposés pour le transfert et la diffusion de la science européenne. Le cas de l’Égypte au début du xix e siècle est exemplaire, en raison de la succession, à quelques années d’intervalle, de deux événements capitaux : l’expédition française de Bonaparte, et la fondation de l’État moderne par Muhammad Ali. Je rappellerai simplement ici que Bonaparte a associé à l’expédition militaire une expédition scientifique, qu’il a fondé, une fois achevée sa campagne d’Égypte, l’Institut d’Égypte, qui comprenait parmi ses membres Monge, Fourier, Berthollet, Geoffroy Saint-Hilaire,... ; que cet Institut se composait de quatre sections : mathématiques, physique (au sens du xviii e siècle) ; économie politique ; littérature et arts. Dans l’arrêté de sa fondation, on lit que « cet établissement aura principalement pour objet : (1) le progrès et la propagation des lumières en Égypte ; (2) la recherche, l’étude et la publication des faits naturels, industriels et historiques de l’Égypte ; (3) de donner son avis sur les différentes questions pour lesquelles il sera consulté par le gouvernement » 1. L’Institut possédait une bibliothèque, fréquentée par certains notables égyptiens. Mais la grande majorité de ces derniers, selon les témoignages de l’époque, restaient indifférents à la nouvelle science, si ce n’est peut-être qu’ils prenaient une certaine conscience du retard scientifique et technique déjà accumulé, en proportion avec le retard militaire dont ils venaient de mesurer les conséquences. Quant à Bonaparte, il «proposa à l’Institut l’étude des questions qui presque toutes appartenaient à l’ordre des sciences appliquées. Il considérait l’Institut comme un conseil technique ayant pour mission de renseigner le gouvernement, c’est-à-dire lui-même » 2. Les sources multiples dont nous disposons – dont le monumental La Description d’Égypte – montrent que les travaux de cet Institut, importants pour l’histoire, la géographie, l’archéologie..., n’ont aucunement contribué au transfert de la science moderne en Égypte. Autrement dit, les retombées scientifiques de l’expédition, en Égypte même – qui se résument peut-être dans la prise de conscience du retard scientifique, par certains intellectuels comme Hasan al-ʿAttar et al-Jabartī – sont

‎1. Henri Dehérain, « L’Égypte turque – Pachas et mameluks du xvi e au xviii e siècle – L’expédition du Général Bonaparte», dans Gabriel Hanotaux, Histoire de la nation égyptienne, Paris, 1934, tome V, p. 533. ‎2. Op. cit. p. 536.

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incomparablement plus minces que ses conséquences sociales. Mais cette expédition a eu un résultat indirect important : populariser en France, chez les Saint-Simoniens notamment, l’attrait de l’Égypte. En un mot, pour l’expédition l’Égypte représentait un terrain de fouille, et il n’y a pas lieu de parler de transfert là où il n’y avait ni offre, ni demande, de science. Et du reste, le cas de l’Égypte à cet égard ne semble pas être unique. La lecture des Archives de la Commission scientifique du Mexique suggère bien qu’il n’y avait pas davantage de transfert, mais que le Mexique représentait un champ de recherche géologique, minéralogique, géographique, anthropologique et atmosphérique. Quoi qu’il en soit, dans le cas de l’Égypte le transfert n’a commencé qu’avec le premier État national et moderne. En effet, quelques années après l’évacuation de l’armée française, on assiste, avec la formation de l’État de Muhammad Ali, à la première tentative de modernisation économique et scientifique. C’est à ce moment seulement que s’est créée la demande de la technologie européenne, et, par voie de conséquence, de la science européenne. Nous ne pourrions ici reprendre l’histoire de ce mouvement, encore moins celle de l’Égypte pour un peu plus de trois quarts de siècle ; nous voulons seulement souligner quelques uns des principaux traits. En premier lieu, ce transfert, nécessité par une politique de développement économique et militaire, a exigé une réforme radicale du système éducatif. C’est ainsi qu’au système traditionnel alors en vigueur, on a superposé un système moderne, qui déclassait inévitablement le précédent, sans le supprimer, mais, au contraire, en en tirant profit. Ce nouveau système, qui devait fournir à l’armée et à l’État le cadre technique et administratif dont ils avaient besoin, recrutait le gros de ses sujets parmi ceux qui avaient déjà été éduqués dans le système traditionnel. Le transfert n’était donc pas un acte, ni une suite d’actes ponctuels, mais concernait le système éducatif dans sa totalité. En effet, le nouvel État, qui avait le monopole de l’activité économique, recherchait la formation d’une puissance militaire substantielle et d’une administration efficace. Muhammad Ali, avec l’aide des militaires, des ingénieurs, des médecins..., et même des ouvriers européens, et notamment des saint-simoniens, a créé les écoles spécialisées : écoles militaires, navales, vétérinaires ; écoles de médecine, d’administration, de comptabilité, etc., c’est-à-dire celles qui étaient liées directement à l’armée et à l’administration. Il a également créé des écoles importantes pour l’armée et l’industrie militaire et civile : École polytechnique avec ses diverses sections – mines, ponts et chaussées, centrale – école de chimie, école des arts industriels, école agronomique, etc. Il a en outre créé un observatoire et une

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bibliothèque. Lorsque par exemple on s’arrête aux matières enseignées à l’école polytechnique après sa fondation définitive en 1836, on y trouve les disciplines de l’époque : géométrie supérieure, algèbre supérieure, trigonométrie, géométrie descriptive, géométrie analytique, calcul différentiel et intégral, mécanique, physique, géodésie, statistique, astronomie, etc. Mais, pour fournir à ces écoles des élèves capables de suivre un tel enseignement, l’État a dû alors créer deux types d’écoles, primaires et préparatoires, et enfin un conseil de l’Instruction Publique, qui contrôlait et orientait ce nouveau système éducatif, conçu pour «naturaliser» la technologie et la science modernes. Mais, lorsqu’on y regarde de plus près, on constate que les écoles primaires étaient en fait une version renouvelée des écoles primaires du système traditionnel ; on y rencontre les mêmes disciplines linguistiques et religieuses que celles enseignées à l’université traditionnelle d’al-Azhar, en plus de l’arithmétique, de la géométrie, et de la géographie. À ce degré, le système traditionnel était présent dans le nouveau non seulement par ses disciplines et ses livres, mais aussi par son personnel : les instituteurs étaient choisis parmi ceux qui avaient achevé leurs études dans le système traditionnel. Dans les écoles préparatoires, on enseignait en plus des langues, la géométrie – le livre de Legendre – l’arithmétique, l’algèbre, la géographie, l’histoire et le dessin. En 1841 on ajoute l’enseignement du français, qui devenait de ce fait la première langue européenne enseignée dans les écoles secondaires. Il est clair que ce programme des écoles primaires et préparatoires est un programme de transition entre le système traditionnel et un enseignement moderne. Le recrutement des élèves – tout au moins au début –, et l’organisition des écoles, se modelaient sur les pratiques alors en usage dans l’armée. L’ensemble du système était très lourd et bureaucratique. Quoi qu’il en soit, on voit bien que le système traditionnel non seulement a survécu au système moderne, mais lui a servi de support : disciplines, livres, personnel enseignant, et, plus encore, quelques figures importantes du mouvement de transfert au sens étroit. Plusieurs membres de ce système traditionnel se sont en effet employés à la correction et à la traduction de livres européens, et ont composé des lexiques techniques à l’aide de la terminologie de la science classique ; ils furent élèves des grandes écoles – médecine, polytechnique – et d’autres furent envoyés en mission à l’étranger. En bref, le transfert a exigé l’élaboration d’un nouveau système éducatif, qui a trouvé ses assises dans l’ancien, lequel s’est trouvé déclassé, scientifiquement mais aussi socialement, par lui. Second trait de ce transfert : il s’est effectué d’emblée dans la langue nationale. On n’a pas, comme dans la tradition coloniale, im-

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posé une langue européenne pour l’enseignement scientifique, mais on a commencé par introduire un système de traduction orale avant la formation du cadre local. Ce parti pris a provoqué dès le départ un mouvement d’arabisation des traités et des manuels, ainsi que l’édition de lexiques et de dictionnaires. Pour assurer cette arabisation, on a eu recours à deux moyens : la fondation d’une école destinée à former les traducteurs, et les missions d’étudiants à l’étranger. L’école de traduction, dite «école des langues », a été fondée en 1835. La doctrine qui présidait à sa création est ainsi formulée par le chef de l’État lui-même : « tout ce qui est utile dans les systèmes occidentaux a été écrit par leurs auteurs ; si on le traduit, on peut le suivre». Cette école s’organisait alors en quatre sections, qui désignent bien les buts visés : mathématiques ; médecine et physique ; littérature, histoire et géographie ; et, finalement, turc. Le programme ne comportait pas seulement les langues – notamment l’arabe et le français – mais aussi des éléments de mathématiques, d’histoire, de géographie. Plusieurs membres de cette école (professeurs et étudiants) étaient issus du système traditionnel, et plusieurs de ses anciens élèves seront de grands traducteurs, voire de grandes figures intellectuelles de la génération suivante – comme Rifāʿa al-Ṭahṭāwi. Les missions étaient multiples, mais essentiellement dans les domaines scientifiques et techniques. On peut recenser une mission en Italie en 1813, sept missions en France, en 1818, 1826, 1832, 1844, 1845, 1847, 1848 ; on a même fondé à Paris une école égyptienne pour former ces missionnaires. On a envoyé des missions en Angleterre et en Autriche – 1829, 1845, 1847, 1848 – et même une mission au Mexique. La coutume voulait que chaque élève, à son retour, rendît en arabe un livre étranger dans sa spécialité. La totalité des livres scientifiques traduits étaient destinés à l’enseignement des futurs ingénieurs, médecins, chimistes... Ainsi, pour les livres mathématiques, on trouve La Géométrie descriptive de Monge, la Géométrie de Legendre, l’Algèbre de Mayer, la Géométrie descriptive de Duschenes. Un troisième trait de ce transfert est le choix pragmatique et appliqué qui y présidait. L’examen des disciplines enseignées, des livres traduits, des objets des missions, montre assez que l’on avait délibérément opté pour les disciplines appliquées, ou pour celles qui leur sont étroitement liées. Même lorsque l’on introduisait l’enseignement d’autres disciplines, c’était en rapport avec les disciplines appliquées, selon leurs besoins de formation. De sorte que le transfert vise bien davantage les techniques industrielles et militaires, la santé..., que les sciences elles-mêmes. Ainsi, parmi les livres traduits, plusieurs traitent de géométrie descriptive, mais aucun de

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théorie des nombres, pour ne citer qu’un exemple. Bien des ouvrages touchent directement aux applications industrielles. Le quatrième trait remarquable de ce transfert est qu’il s’est effectué sans la recherche ; c’est-à-dire qu’on visait les effets de cette science plus que les moyens de la produire. Sur le plan institutionnel d’abord, alors qu’on a fondé, selon le modèle français, dans les premières décennies du xix e siècle, différentes écoles d’ingénieurs, de médecine, de pharmacie etc., on n’a pas songé à créer une seule institution académique consacrée à la recherche. Cet état de choses a eu plusieurs conséquences, qui toutes mènent à l’absence de traditions scientifiques nationales, et à l’instauration d’une certaine dépendance scientifique permanente à l’égard des pays d’Europe. La traduction concrète d’un tel état de choses était qu’un jeune savant, productif au cours de son séjour de formation en Europe, réduisait ou, en fait, arrêtait, toute recherche, à son retour. Ce même savant, toujours faute d’institutions de recherche, n’aura pas de successeur. Donnons un exemple, parmi tant d’autres, celui de la biographie d’un astronome égyptien, Maḥmūd al-Falakī. Professeur à l’école polytechnique au Caire à partir de 1834, il a été envoyé en mission en Europe. Pendant son séjour, il publie dans les Mémoires des différentes Académies – belge, française... – plusieurs recherches sur le calendrier et le champ magnétique de la terre. Durant les quelques années qui ont suivi son retour en Égypte, il poursuit ses recherches dans le prolongement de celles qu’il avait engagées en Europe, trace la première carte astronomique et topographique d’Égypte, observe l’éclipse du 18 juillet 1860. Il s’intéresse ensuite aux études qui n’avaient pas de rapport avec l’astronomie – géographie et météorologie. Devenu deux fois ministre, il n’a pas laissé d’élèves. Mais, en dépit de cet obstacle majeur, et qui a contribué à empêcher la fondation d’une véritable cité scientifique, on assiste à un début de « naturalisation» de la science : l’organisation militaire de l’enseignement cède la place à une organisation civile, le corps enseignant est constitué en majorité de nationaux, l’arabisation progresse et se perfectionne. Telle est la situation à la veille de l’occupation par les Britanniques en 1882, qui donna un brutal coup d’arrêt à ce mouvement ; mais ceci est une autre question 1. En dépit des différences, les deux exemples évoqués ici montrent bien que, pour comprendre l’introduction de la science européenne et les problèmes soulevés par son transfert et son intégration, il semble

‎1. La plupart des écoles ont été fermées, l’enseignement est devenu rare et payant, et le programme des écoles visait à former des fonctionnaires du gouvernement (voir séance du 24 décembre 1894 à l’Assemblée Nationale).

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nécessaire de connaître la science traditionnelle, qui était encore en vigueur au xix e siècle, ses idéaux, ses paradigmes, ses écoles et ses institutions ; ainsi que le système d’enseignement traditionnel qui avait formé l’élite. On est alors en mesure de repenser non seulement le transfert de la science européenne, mais également un débat idéologique qui lui était lié, connu sous les termes de modernisme et tradition. Enfin, l’exemple égyptien a montré que le transfert n’était pas l’œuvre des empires coloniaux, mais qu’il a eu lieu, en quelque sorte, contre eux : c’était l’État national, dans la langue nationale. Les obstacles, en partie imputables à une conception pragmatique de la science, ont sans doute affaibli sa « naturalisation », en rendant le destin du transfert incertain.

Bibliographie Mirzā ʿAlī Muḥammad b. Muḥammad b. Ḥusayn al-Asfahānī, La complétion des fontaines, Ms Université de Téhéran n o 3552 ; voir également Roshdi Rashed, Sharaf al-Dīn al-Ṭūsī, Œuvres mathématiques. Algèbre et Géométrie au xii e siècle, Collection « Sciences et philosophie arabes - textes et études », Paris : Les Belles Lettres, 1986 ; vol. 1, p. 118 sq. Gabriel Hanotaux, Histoire de la nation égyptienne, Paris, 1931-4, Tomes I-V. Gilbert Delanoue, Moralistes et hommes politiques musulmans dans l’Égypte du xix e siècle, 2 tomes, Institut Français d’Archéologie Orientale du Caire, 1982. Aḥmad ʿIzzat ʿAbd al-Karīm, Taʾrikh al-Taʿlim fī ʿaṣr Muḥammad ʿAlī, Maktaba al-Nahda, Le Caire, 1938. Henry Laurens, Les origines intellectuelles de l’expédition d’Égypte, L’orientalisme islamisant en France (1698-1798), éd. Isis, Istanbul/Paris, 1987. Lord Lloyd, Egypt since Cromer, Macmillan, 1933, tome I. ʿAlī Mubārak, Ḥayātī, Maktaba al-Adāb, Le Caire, 1989. Ibrāhīm Hilmī ʿAbd al-Rahmān, « Mahmūd al-Falakī », in Ismāʾīl bi-munāsaba murūr khamsīn ʿammān ʿala wafātihi, Dār al-Kutub, Le Caire, 1945, p.331– 347. M. Sabry, L’Empire égyptien sous Ismaïl, Paris, 1983. Angelo Sammarro, Histoire de l’Égypte moderne. Le règne du Khédive Ismaïl, Le Caire, 1937, Tome II. Jamāl al-Shayāl, Taʾrikh al-tarjama fī Miṣr fī ʿahd al-ḥamla al-faransiyya, Dār alFikr al-ʿArabi, Le Caire, 1950. Jamāl al-Shayāl, Rifā ʿa Rāfiʾ al-Tahtāwī, Dār al-Maʿarif, coll. Nawābigh al-Fikr al-ʿArabi 24, Le Caire, 1958. Jamāl al-Shayāl, Al-ḥarakāt al-islāḥiyya wa marākiz al-thaqāfa fi al-sharq al-islāmī alḥadīth, Le Caire, 1959. Rifāʿa Rāfiʿ al-Tahtāwī, Al-ʿamāl al-kāmila, éd. M. Umāra, al-Muʿassasa alʿArabiyya li-Dirāsāt wa al-Nashr, Beyrouth, 1973. C. F. Volney, Œuvres, I, II, « Voyage en Égypte et en Syrie », Paris, 1825.

MODERNITÉ CLASSIQUE ET SCIENCE ARABE En 1936, E. Husserl écrit dans le style que l’on sait : Il est bien connu que l’humanité européenne accomplit en elle-même à la Renaissance un retournement révolutionnaire : elle se tourne contre les modes d’existence qui étaient jusque-là les siens, ceux du Moyen-Age, elle les déprécie, elle veut se donner une nouvelle forme de liberté 1.

Par «Renaissance», le philosophe désigne ici moins le concept manié par les milieux littéraires et humanistes italiens du xv e siècle, ou tel qu’on le rencontre plus tard dans les écrits d’Érasme, lié au renouvellement de l’éducation et de la religion ; qu’un concept lié à la science et à la philosophie qui lui est intimement attachée, c’està-dire un concept qui prend son sens à la fin du xvi e siècle et au xvii e siècle. Ce concept apparaît donc ici associé à la science classique, et doté d’une double prétention : arme de combat, et moyen d’explication, ou tout au moins de description. Arme de combat, les savants du xvii e siècle aussi bien que les philosophes y eurent recours pour marquer leurs distances, réelles ou imaginaires, avec les anciens, et promouvoir leur propre contribution : que l’on pense à Bacon, Descartes ou Galilée. Moyen de description sinon d’explication, le terme de « Renaissance», comme le laisse bien entendre Husserl, n’est pas là pour désigner une périodisation somme toute conventionnelle, mais pour décrire un moment de ce mouvement de libération intellectuelle de l’Europe s’arrachant à l’ignorance et à la superstition. Mais la déclaration de Husserl n’est pas en discordance avec son époque : d’autres philosophes et historiens croyaient tout aussi fermement que « Renaissance», «Réforme», « Révolution scientifique», sont les instruments les plus aptes à décrire la modernité classique. Presque partout admise, cette opinion s’enracinait pourtant bien loin : au xviii e siècle d’abord, où elle servit à introduire la notion de progrès indéfini – comme chez William Wotton en Angleterre et

Paru dans C. Goldstein et J. Ritter (éds), Mathématiques en Europe, MSH, 1996, p. 68-81. ‎1. E. Husserl : La crise des sciences européennes et la phénoménologie transcendantale, tr. par G. Granel, Paris 1976, p. 12.

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Fontenelle en France ; au xix e siècle ensuite, où elle revêt, avec le Romantisme Allemand, la dimension anthropologique qu’elle ne possédait pas auparavant. Mais, quelles qu’en soient les sources, cette croyance pose la question centrale des origines et du développement de la modernité classique, fondamentalement liée à la science et à sa philosophie. Mais, derrière cette unanimité apparente, cette croyance était en fait déjà fortement menacée, ébranlée sous les coups d’un homme du même camp, c’est-à-dire lui-même sous l’influence de l’école philologique allemande : Pierre Duhem. Je rappelle pour mémoire qu’en raison de sa philosophie des sciences, mais aussi des options religieuses et politiques qui étaient les siennes, Pierre Duhem était plus que bien d’autres sensible à une certaine continuité historique, ainsi qu’à l’attrait du Moyen-Age. Aussi fait-il remonter cette modernité classique au xiv e siècle, chez les Latins. Cette thèse a ensuite été combattue par des historiens des idées et des sciences comme C. H. Haskins, A. Koyré, G. Sarton, etc. Elle l’a été aussi, mais autrement, dans les travaux exceptionnels d’Annalisa Meier. Plus récemment, Marshall Clagett a tenté d’équilibrer la balance. Mais, de ce débat, et des efforts fournis par bien d’autres savants au cours de ce siècle, il est clairement apparu que des concepts tels que «Renaissance», « Réforme», « Révolution Scientifique », ne peuvent pas rendre compte des faits accumulés ; et, dans la formation de la science classique, le xiv e siècle s’est vu quelque peu éclipsé par les xii e-xiii e siècles, où les Latins se sont mis à s’approprier la science hellénistique, et la science arabe – c’est-à-dire en fait trois siècles avant la « Renaissance ». La périodisation politique ou culturelle des historiens se révèle donc inadéquate lorsqu’il s’agit de la compréhension et de l’analyse de la modernité classique. D’autre part, la science arabe, absente, au moins en personne, de ce débat, se trouve invoquée au titre des traductions latines faites à partir de ses œuvres. Ainsi, cette grande absente n’a pourtant jamais cessé d’être là. C’est précisément cette dernière question que je voudrais reprendre ici, c’est-à-dire celle de la science arabe (non plus limitée à ses seules traductions latines) et de la science classique. Mon but est le suivant : examiner ce que la connaissance de la science arabe peut apporter à une meilleure compréhension à la fois épistémologique et historique de la science classique. Deux traits caractérisent celle-ci, que nous considérerons ici : la nouvelle rationalité mathématique, et la dimension expérimentale comme catégorie de la preuve. Ce n’est pas un philosophe comme Husserl que j’invoquerai à

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présent, mais un simple barbier, le barbier de Bagdad qui s’exprime ainsi dans Les Mille et une Nuits 1 : ..., et vous avez en ma personne le meilleur barbier de Bagdad, un médecin expérimenté, un chimiste très profond, un astrologue qui ne se trompe point, un grammairien achevé, un parfait rhétoricien, un logicien subtil, un mathématicien accompli dans la géométrie, dans l’arithmétique, dans l’astronomie et dans tous les raffinements de l’algèbre ; un historien qui sait l’histoire de tous les royaumes de l’Univers. Outre cela, je possède toutes les parties de la philosophie ; j’ai dans ma mémoire toutes nos lois et toutes nos traditions, je suis poète, architecte...

Non seulement, on le voit bien, les mathématiques occupent une place de choix dans l’Encyclopédie du savoir populaire dans les grandes villes de ce temps, mais l’algèbre y figure « en personne », avec ses raffinements. Or le barbier se fait ici l’écho de classifications des sciences bien plus savantes, celles du philosophe du x e siècle al-Fārābī, d’Avicenne au siècle suivant, parmi bien d’autres, qui, contrairement à d’autres classifications grecques ou hellénistiques, accueillent une nouvelle discipline, indépendante, et lui confèrent un titre propre : l’algèbre. La popularité des mathématiques, leur diffusion et le rôle privilégié de l’algèbre sont donc des traits de ce que l’on convient d’appeler la science arabe. Poursuivons brièvement ici la genèse des principaux traits de ces mathématiques arabes. Pour cela, revenons à Bagdad au début du ix e siècle. L’entreprise de traduction des grandes compositions mathématiques hellénistiques est à son apogée, et présente deux caractéristiques frappantes : les traductions sont l’œuvre de mathématiciens, souvent de premier ordre, et elles sont suscitées par la recherche la plus avancée de l’époque. Cette recherche elle-même n’a pas été animée par les seuls intérêts théoriques, mais aussi par les besoins de la nouvelle société, en astronomie, en optique, en arithmétique, dans le domaine des instruments de mesure, etc. Le début du ix e siècle est donc un grand moment d’expansion en arabe des mathématiques hellénistiques. Or c’est précisément à cette période, et dans ce milieu – celui de la « Maison de la Sagesse » à Bagdad – que Muḥammad ibn Mūsā al-Khwārizmī rédige un livre dont le sujet et le style sont nouveaux. C’est dans ces pages en effet que surgit pour la première fois l’algèbre comme discipline mathématique distincte et indépendante. L’événement fut crucial, et perçu comme tel par les contemporains, tant pour le style de cette mathématique que

‎1. Les Mille et une Nuits, trad. A. Galland, ed. Garnier-Flammarion, [I, pp. 426-7].

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pour l’ontologie de son objet, et, plus encore, la richesse des possibilités qu’elle offrait désormais. Le style est à la fois algorithmique et démonstratif, et, d’ores et déjà, avec cette algèbre, on entrevoit l’immense potentialité qui imprégnera les mathématiques à partir du ix e siècle : l’application des disciplines mathématiques les unes aux autres. En d’autres termes, si l’algèbre, en raison de son style et de la généralité de son objet, a rendu ces applications possibles, cellesci, par leur nombre et la diversité de leur nature, ne cesseront de modifier la configuration des mathématiques après le ix e siècle. Une nouvelle rationalité mathématique vient ainsi de voir le jour ; elle caractérisera, pensons-nous, les mathématiques, et plus généralement la science, classiques. Les successeurs d’al-Khwārizmī entreprennent progressivement l’application de l’arithmétique à l’algèbre, de l’algèbre à l’arithmétique, de l’une et de l’autre à la trigonométrie, de l’algèbre à la théorie euclidienne des nombres, de l’algèbre à la géométrie, de la géométrie à l’algèbre. Ces applications furent toujours les actes fondateurs de nouvelles disciplines, ou tout au moins de nouveaux chapitres. Ainsi verront le jour l’algèbre des polynômes, l’analyse combinatoire, l’analyse numérique, la résolution numérique des équations, la nouvelle théorie des nombres, la construction géométrique des équations. D’autres effets résulteront de ces multiples applications, comme la séparation de l’analyse diophantienne entière de l’analyse diophantienne rationnelle, devenue un chapitre à part entière de l’algèbre, sous le titre de l’« analyse indéterminée ». À partir du ix e siècle, le paysage mathématique n’est donc plus le même : il se transforme, ses horizons reculent. On assiste tout d’abord à l’extension de l’arithmétique et de la géométrie hellénistiques : théorie des coniques, théorie des parallèles, études projectives, méthodes archimédiennes pour la mesure des aires et des volumes courbes, problèmes isopérimétriques, transformations géométriques : tous ces domaines deviennent objet d’étude pour les mathématiciens les plus prestigieux – Thābit ibn Qurra, al-Qūhī, Ibn Sahl, Ibn al-Haytham, entre autres – qui parviennent, par de profondes recherches, à les développer dans le même style que leurs devanciers, ou en le modifiant lorsque cela s’impose. D’autre part, au sein de ces mathématiques hellénistiques elles-mêmes, on aménage des régions non hellénistiques. C’est ce paysage nouveau, avec sa langue, ses techniques et ses normes, qui, de proche en proche, deviendra celui de la Méditerranée. Prenons-en deux exemples : l’analyse diophantienne rationnelle et l’analyse diophantienne entière. L’émergence de l’analyse indéterminée, ou, comme on la nomme

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aujourd’hui, de l’analyse diophantienne, comme chapitre distinct de l’algèbre, remonte aux successeurs d’al-Khwārizmī, et notamment à Abū Kāmil, dans son livre écrit vers 880, traduit en latin au xii e siècle, et en hébreu, en Italie, au xv e siècle. Abū Kāmil entend donc dans son Algèbre ne plus s’arrêter à un exposé dispersé, mais donner un exposé plus systématique, où apparaissent, outre les problèmes et les algorithmes de solution, les méthodes. Abū Kāmil, il est vrai, traite dans une dernière partie de son Algèbre, de 38 problèmes diophantiens du second degré et des systèmes de ces équations, quatre systèmes d’équations linéaires indéterminées, d’autres systèmes d’équations linéaires déterminées, un ensemble de problèmes qui se ramènent aux progressions arithmétiques, et une étude de celles-ci 1. Cet ensemble répond au double but fixé par Abū Kāmil : résoudre des problèmes indéterminés, et d’autre part résoudre par l’algèbre des problèmes traités alors par les arithméticiens. Notons que c’est dans l’Algèbre d’Abū Kāmil que l’on rencontre pour la première fois dans l’histoire – à ma connaissance – une distinction explicite entre des problèmes déterminés et des problèmes indéterminés. Or l’examen de ces 38 problèmes diophantiens non seulement reflète cette distinction ; il montre en outre que ces problèmes ne se succèdent pas au hasard, mais selon un ordre indiqué en filigranne par Abū Kāmil. Les vingt-cinq premiers relèvent ainsi tous d’un seul et même groupe, pour lequel Abū Kāmil donne une condition nécessaire et suffisante pour déterminer les solutions rationnelles positives. Soit par exemple x2 + 5 = y 2 . Abū Kāmil ramène le problème à celui de partager un nombre somme de deux carrés en deux autres carrés, qu’il résout. Les techniques de solution d’Abū Kāmil montrent qu’il sait que, si l’une des variables peut être exprimée comme fonction rationnelle de l’autre, ou, plus généralement, en d’autres termes, si l’on peut avoir un paramétrage rationnel, on a toutes les solutions ; alors qu’en revanche si la somme nous conduit à une expression dont le radical est incontournable, on n’a aucune solution. En d’autres termes, inconnus d’Abū Kāmil, une courbe du second degré ne possède aucun point rationnel, ou est birationnellement équivalente à une droite. Le second groupe est constitué de treize problèmes qu’il est impossible de paramétrer rationnellement ; ou, cette fois encore dans ‎1. Cette partie occupe les folios 79 r-110 v du manuscrit Kara Mustafa Pacha n o 379, à Istanbul.

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un langage inconnu d’Abū Kāmil, ils définissent tous des courbes du genre 1, comme par exemple le problème x2 + x = y2 , x2 + 1 = z2 . qui définit une quartique gauche, courbe de A3 de genre 1. Un demi-siècle après, un autre algébriste donne à l’analyse diophantienne rationnelle une extension jamais atteinte auparavant : il s’agit d’al-Karajī. Celui-ci marque un point important en histoire de l’algèbre, en formulant la notion de polynôme et le calcul algébrique sur les polynômes. En analyse diophantienne rationnelle, al-Karajī, à la différence de ses prédécesseurs – de Diophante à Abū Kāmil – ne donne plus de listes ordonnées des problèmes et de leurs solutions, mais il organise son exposé autour du nombre des termes dont se compose l’expression algébrique, et de la différence entre leurs puissances. Il considère par exemple successivement ax2n ± bx2n−1 = y2 ,

ax2n + bx2n−2 = y2 ,

ax2 + bx + c = y2 .

Ce principe d’organisation sera d’ailleurs emprunté par ses successeurs. D’autre part, il mène plus loin la tâche amorcée par Abū Kāmil, qui consiste à dégager autant que possible les méthodes pour chaque classe de problèmes. Signalons simplement le problème x2 + a = y2 , x2 − b = z2 , qui définit une courbe de genre 1 dans A3 . Les successeurs d’al-Karajī ont tenté d’avancer sur le chemin par lui tracé ; mais je ne m’étendrai pas davantage sur cette question de l’analyse diophantienne rationnelle en arabe, pour revenir au commencement et au développement de l’analyse diophantienne entière. Au x e siècle, on assiste pour la première fois à la constitution de l’analyse diophantienne entière, ou nouvelle analyse diophantienne, grâce à l’algèbre sans doute, mais aussi contre elle. On a en effet abordé l’étude des problèmes diophantiens, en exigeant d’une part d’obtenir des solutions entières, et d’autre part de procéder par démonstrations du type de celles d’Euclide dans les livres arithmétiques des Éléments. C’est cette combinaison explicite – pour la première fois dans l’histoire – du domaine numérique restreint aux entiers positifs interprétés comme segments de droites, de techniques algébriques, et de l’exigence de démontrer dans le pur style euclidien, qui a permis le

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commencement de cette nouvelle analyse diophantienne. La traduction des Arithmétiques de Diophante a fourni à ces mathématiciens, on le comprendra, moins des méthodes que certains problèmes de théorie des nombres qui s’y trouvaient formulés, et qu’ils n’hésitèrent pas à systématiser et à examiner pour eux-mêmes, contrairement à leur prédécesseur alexandrin. Tels sont par exemple les problèmes de représentation d’un nombre comme somme de carrés, les nombres congruents, etc. Ainsi, les mathématiciens du x e siècle, comme al-Khāzin, ont étudié les triangles rectangles numériques, et les problèmes des nombres congruents. Al-Khāzin donne le théorème des nombres congruents d’une manière équivalente à celle-ci 1 : Soit a un entier naturel donné, les conditions suivantes sont équivalentes : 1. le système x2 + n = y2 , x2 − n = z2 admet une solution ; 2. il existe un couple d’entiers (m, n) tels que m2 + n2 = y2 , 2mn = a. Dans ces conditions, a est de la forme 4uv(u2 − v2 ). C’est dans cette tradition que l’on a également engagé l’étude de la représentation d’un entier comme somme de carrés. Ainsi, al-Khāzin consacre plusieurs propositions de son mémoire à cette étude. Ce sont également ces mathématiciens qui, les premiers, ont posé la question des problèmes impossibles, tels que le premier cas du théorème de Fermat. Ce problème n’a cessé, malgré tout, de préoccuper les mathématiciens, qui, plus tard, ont énoncé l’impossibilité du second cas, x4 + y4 = z4 . La recherche sur l’analyse diophantienne entière ne s’est pas arrêtée avec ses initiateurs de la première moitié du x e siècle. Bien au contraire, leurs successeurs la reprennent ensuite, dans le même esprit d’abord. Au terme de cette évolution, on voit croître de plus en plus le recours aux moyens purement arithmétiques dans l’étude des équations diophantiennes. ‎1. R. Rashed : Entre arithmétique et algèbre. Recherches sur l’histoire des mathématiques arabes, Paris, 1984, p. 212.

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À travers cet exemple de l’analyse diophantienne, j’ai voulu montrer par une illustration comment l’algèbre conçue avec alKhwārizmī fut centrale pour la fondation et la transformation de cette nouvelle discipline. La dialectique entre algèbre et arithmétique a permis, nous l’avons vu, de fonder l’analyse diophantienne rationnelle comme partie de l’algèbre ; ainsi désormais, d’al-Karajī à Euler, un traité d’algèbre important comprend un chapitre sur l’analyse diophantienne rationnelle. D’autre part, nous avons assisté à la naissance de l’analyse diophantienne entière, destinée à répondre aux exigences de la démonstration. Nous avons enfin vu surgir avec ces disciplines les éléments d’une nouvelle rationalité mathématique, qui admet l’infinité des solutions comme solution véritable, qui permet de différentier entre plusieurs types d’infinité de solutions – les identités et le nombre infiniment grand – et de considérer positivement l’impossibilité, c’est-à-dire la solution impossible comme objet de construction et de démonstration 1. Or tous ces traits sont précisément ceux de l’analyse diophantienne classique, telle qu’elle fut conçue et pratiquée au xvi e siècle par Bachet de Méziriac et Fermat. Ce dernier invente vers 1640 la méthode de la descente infinie 2, qui à son tour renouvellera la discipline ; ceci est une autre histoire. Mais on peut s’interroger : à cette continuité épistémologique pour ainsi dire correspond-il une certaine continuité historique, et laquelle ? Plus concrètement, Bachet de Méziriac est-il, au début du xvii e siècle, une création ex nihilo ? Arrêtons-nous quelque peu à cette question, qui intéresse notre propos ici. Ma réponse consistera simplement à rappeler une figure, celle du plus important des mathématiciens du Moyen-Age latin et la source de bien des écrits de la Renaissance : Fibonacci, alias Leonardo Pisano. Fibonacci, qui a résidé à Bougie (1170-après 1240) et voyagé en Syrie, en Égypte et en Sicile, était en rapport avec l’Empereur Frédéric II et sa cour. Cette cour comprenait des arabisants, qui s’occupaient de mathématiques arabes, comme Jean de Palerme, ou simplement des arabophones qui s’y connaissaient en mathématiques, comme Théodore d’Antioche. Or Fibonacci a écrit en analyse diophantienne le Liber Quadratorum, que les historiens des mathématiques tiennent à juste titre comme la plus importante contribution du Moyen-Age latin en théorie des nombres, avant celles de Bachet de Méziriac et de Fermat. Le but de ce livre, de l’aveu même de Fibo-

‎1. R. Rashed : op. cit., p. 195 sqq. ‎2. J. Itard : Essais d’histoire des mathématiques (réunis et introduits par R. Rashed), Paris, 1984, pp. 229-234.

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nacci, est de résoudre ce système x2 + 5 = y 2 , x2 − 5 = z 2 , proposé par Jean de Palerme. Or il ne s’agit pas de n’importe quelle question d’analyse diophantienne, mais d’un problème qui apparaît en personne, à plusieurs reprises, dans les travaux d’al-Karajī et de bien d’autres. Plus généralement, les principaux résultats exposés dans le Liber Quadratorum sont ou bien ceux obtenus des mathématiciens arabes des x e-xi e siècles, ou très proches de ceux-ci ; et, bien plus, ils s’inscrivent dans un contexte mathématique identique : la théorie des triplets pythagoriciens. Cette conclusion proposée ici n’est nullement nouvelle ; un éminent historien dont l’admiration pour Fibonacci ne souffre aucun doute l’a déjà avancée : je veux parler de Gino Loria, qui écrit : S’il semble difficile de nier que Léonard de Pise a été conduit aux recherches qui viennent d’être résumées par l’exemple de Muḥammed ibn Ḥosein (lire al-Khāzin), sa dépendance à l’égard de celui-ci apparaît encore moins douteuse quand il s’agit de la section suivante du Liber Quadratorum, laquelle traite des «nombres congruents».

Le Liber Quadratorum appartient donc bien à cette tradition des mathématiciens du x e siècle qui ont conçu l’analyse diophantienne entière. Le cas de Fibonacci et de l’analyse diophantienne n’est pas unique, bien qu’exemplaire compte tenu du niveau atteint. Ce mathématicien qui, vu d’amont, serait une figure des mathématiques arabes des ix e-xi e siècles, est bien un savant des xv e-xvii e siècles des mathématiques latines, vu d’aval. Nous venons de voir sur cet exemple que la modernité scientifique classique prend ses racines au ix e siècle, et qu’elle s’est développée jusque tard dans le xvii e siècle : c’est ainsi que l’analyse diophantienne rationnelle se prolonge jusqu’au xviii e siècle, alors que l’analyse diophantienne entière subit une nouvelle révolution au milieu du xvii e siècle. Nous avons vu également que cette modernité est de langue arabe à ses débuts, qu’elle a été transmise par le latin, l’hébreu et l’italien, avant de s’engager dans de nouvelles recherches significatives ; que son noyau rationnel, enfin, s’est formé dans l’algèbre, et que ses conditions de possibilité sont inhérentes à la nouvelle ontologie fournie par cette discipline. Nous sommes, avec cette description, bien loin de l’attitude globale dominante, et le terme « Renaissance» paraît pour le moins inadéquat à rendre compte des faits.

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Venons-en à présent au deuxième trait de la modernité scientifique classique, je veux parler des normes expérimentales comme normes de la preuve. Pour le dire en bref, l’atténuation du clivage entre science et art, et le changement des rapports entre les deux termes dans la civilisation islamique, autrement plus urbanisée que celles qui la précédaient, a eu pour principal effet l’extension de la recherche empirique, et la genèse d’une notion diffuse de l’expérimentation. Et de fait, l’usage systématique des procédés empiriques se multiplie alors : classifications des botanistes et des linguistes, par exemple ; expériences de contrôle des médecins et expériences des alchimistes ; observations cliniques et diagnostic comparé des médecins. Mais il fallait attendre que s’établissent de nouveaux rapports entre les mathématiques et la physique pour qu’une telle notion, encore diffuse, de l’expérimentation, se vît confier la dimension qui la détermine : une composante, à la fois systématique et réglée, de la preuve. Cette conception ne pouvait qu’être nouvelle, et ne devait pas se confondre avec celle de l’observation contrôlée, ni même mesurée, en astronomie. Il faut cette fois aménager le plan d’existence même des phénomènes examinés. Or c’est en optique qu’une telle conception a d’abord vu le jour, avant d’être élaborée en mécanique ; elle émerge sous cette forme pour la première fois dans l’œuvre d’Ibn al-Haytham, notamment dans son livre L’Optique, traduit en latin au xii e siècle, et en italien plus tard. Réédité par Risner au xvi e siècle, c’était le livre de référence pour tous les savants au Moyen-Age, aussi bien que pour Kepler, Descartes et Malebranche, parmi bien d’autres, par la suite 1. Mais, pour comprendre l’émergence de cette nouvelle norme et de cette nouvelle pratique, rappelons très brièvement le projet d’Ibn al-Haytham. Celui-ci poursuit dans l’ensemble de ses écrits la réalisation d’un programme de réforme de la discipline, qui l’a précisément amené à reprendre tour à tour les différents domaines : optique, optique météorologique, catoptrique, miroirs ardents, dioptrique, sphère ardente, optique physique. L’acte fondateur de cette réforme consistait à faire clairement le départ entre les conditions de propagation de la lumière et les conditions de la vision des objets. Elle a conduit d’une part à doter d’un support physique les règles de la propagation – il s’agit d’une analogie mathématiquement assurée entre un modèle mécanique du mouvement d’une balle solide lancée

‎1. Sur les travaux optiques d’Ibn al-Haytham, voir nos Mathématiques et optique : recherches sur la pensée scientifique en arabe, Variorum, Londres, 1992 ; et Géométrie et Dioptrique au x e siècle. Ibn Sahl, al-Qūhī et Ibn al-Haytham, Paris, 1993.

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contre un obstacle, et celui de la lumière – et d’autre part, à partout procéder géométriquement, et par expérimentation. L’optique n’a plus le sens qu’elle revêtait naguère chez les Grecs : une géométrie de la perception. Elle comprend désormais deux parties : une théorie de la vision, à laquelle sont également associées une physiologie de l’œil et une psychologie de la perception, et une théorie de la lumière, à laquelle sont liées une optique géométrique et une optique physique. Cette réforme a abouti, entre autres, à l’émergence de problèmes neufs, jamais posés auparavant, comme par exemple l’examen de la lentille sphérique et du dioptre sphérique, non seulement en tant qu’instruments ardents, mais en tant qu’instruments optiques, en dioptrique. Elle a aussi abouti à la création d’une nouvelle pratique d’investigation – et du nouveau lexique qui lui est associé – celle de l’expérimentation. Mais, qu’entend Ibn al-Haytham par « expérimentation » ? Nous trouverons chez Ibn al-Haytham autant de sens à ce mot, et autant de fonctions assurées par l’expérimentation, qu’il y a de rapports entre les mathématiques et la physique. Ceux-ci s’établissent en effet selon plusieurs modes qui, s’ils ne sont pas thématisés par Ibn al-Haytham, sont sous-jacents à son œuvre, et en permettent l’analyse. Pour l’optique géométrique, dont la réforme est le fait d’Ibn alHaytham, l’unique rapport entre mathématiques et physique est un isomorphisme de structures. Grâce à sa définition du rayon lumineux, en particulier, Ibn al-Haytham a pu concevoir les phénomènes de la propagation y compris le phénomène de la diffusion, de telle manière qu’ils épousent parfaitement la géométrie. Plusieurs montages expérimentaux sont alors inventés pour assurer le contrôle technique des propositions déjà contrôlées sur le plan linguistique par la géométrie. Ainsi par exemple les expériences destinées à éprouver les lois et les règles de l’optique géométrique. La lecture des travaux d’Ibn al-Haytham atteste en outre deux faits importants : tout d’abord, certaines expériences d’Ibn al-Haytham ne sont pas simplement destinées à contrôler des assertions qualitatives, mais aussi à obtenir des résultats quantitatifs ; en second lieu, l’appareillage conçu par Ibn al-Haytham, varié, et pour l’époque, complexe, ne se réduit pas à celui des astronomes. En optique physique, on rencontre un autre type de rapports entre mathématiques et physique, et, par suite, un deuxième sens du terme « expérimentation ». L’intervention des mathématiques s’effectue à ce stade par l’entremise des analogies établies entre les schémas du mouvement d’un corps grave et ceux de la réflexion et de la réfraction. Autrement dit, les mathématiques sont introduites dans l’optique physique par l’intermédiaire des schémas dynamiques du

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mouvement des corps graves, eux-mêmes supposés déjà mathématisés. C’est précisément cette mathématisation préalable des notions d’une doctrine physique qui a permis qu’elles fussent transférées sur le plan d’une situation expérimentale. Provisoire, certes, cette situation n’en a pas moins fourni un plan d’existence à des notions syntactiquement structurées, mais sémantiquement indéterminées : tel le schéma des mouvements du projectile d’Ibn al-Haytham, repris par Kepler et Descartes. Un troisième type d’expérimentation, non pratiquée par Ibn alHaytham lui-même, mais rendue possible par sa propre réforme et par ses découvertes en optique, apparaît à la fin du xiii e siècle chez son successeur al-Fārisī : les rapports instaurés entre mathématiques et physique visent, dans ce cas, à construire un modèle ; par conséquent, à réduire systématiquement, au moyen de la géométrie, la propagation de la lumière dans un milieu naturel à sa propagation dans un objet fabriqué. Il s’agit donc de définir, pour la propagation, entre l’objet naturel et l’objet fabriqué, des correspondances analogiques véritablement assurées d’un statut mathématique : ainsi le modèle de la sphère massive en verre, remplie d’eau, pour l’explication de l’arc-en-ciel. L’expérimentation a donc ici pour fonction de réaliser les conditions physiques d’un phénomène que l’on ne peut étudier ni directement, ni complètement. À ces trois types d’expérimentation, on pourrait en joindre d’autres. Retenons simplement que, en dépit de la différence des fonctions qu’elles assurent, les trois types d’expérimentation que nous venons d’étudier se présentent toutes, à la différence de l’observation, et même de l’observation astronomique traditionnelle, non seulement comme moyen de contrôle, mais comme fournissant un plan d’existence à ces notions syntactiquement structurées. Il s’agit dans ces trois cas de situations où le savant entend réaliser lui-même physiquement son objet, pour pouvoir le penser ; c’est, en un mot, un moyen de réaliser physiquement un objet de pensée non réalisable auparavant. Or, la réforme d’Ibn al-Haytham aussi bien que les normes expérimentales requises comme partie intégrante de la preuve en physique, ont survécu à l’auteur. D’Ibn al-Haytham à Kepler, puis aux autres savants du xvii e siècle, l’axe généalogique est ainsi établi. Sur ce terrain également, la connaissance de la science arabe est nécessaire à la compréhension de la modernité classique ; elle permet de saisir l’introduction des normes expérimentales, mais aussi de mieux situer l’apparition tard dans le xvii e siècle d’une autre dimension encore voilée de l’expérimentation : la recherche de la précision. Pour conclure, rappelons donc les deux points centraux de cet

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exposé. Nous avons vu d’abord que les nouvelles possibilités offertes par l’algèbre étaient à l’origine d’une nouvelle stratégie et d’une nouvelle rationalité. Cette stratégie est inhérente au développement de l’algèbre elle-même après al-Khwārizmī, et dans ses rapports avec les autres disciplines mathématiques. Stratégie qui consiste, en algèbre, à exhiber de plus en plus les structures et les opérations, et, dans ses rapports avec les autres disciplines, à engager cette dialectique d’application que nous avons évoquée. Quant à la nouvelle rationalité, elle s’appuie sur une nouvelle ontologie de l’objet mathématique qui rend possible ce qui ne l’était pas auparavant : un seul et même objet est susceptible d’une détermination géométrique et d’une détermination arithmétique à la fois ; un problème peut avoir une infinité de solutions vraies ; une solution approchée est une solution vraie ; une solution impossible est aussi une solution vraie ; une même opération peut s’appliquer à des objets différents sans aucune justification supplémentaire, etc. Nous avons également assisté à l’émergence de la nouvelle conception de la preuve en physique, et nous avons vu comment on admet désormais que le plan d’existence d’un objet physique n’est plus son plan « naturel», mais simplement celui de son montage expérimental. Cette nouvelle rationalité, qui peut se dire en bref algébrique et expérimentale, et qui caractérise la modernité classique, a été fondée, nous l’avons dit, entre le ix e et le xii e siècles, par les savants dispersés entre l’Espagne musulmane et les confins de la Chine, mais qui tous écrivaient en arabe. L’appropriation de cette nouvelle rationalité par les savants a commencé au xii e siècle, et une nouvelle émulation verra le jour à partir du xvi e siècle, donnant lieu à des perfectionnements. Il paraît donc indispensable, pour qui veut comprendre la modernité classique, de rompre avec cette périodisation tracée par les historiens, fondée sur un lien causal entre les événements de l’histoire politique, religieuse et littéraire de la Renaissance, et ceux de la science. Il faut donc retrouver les véritables trajectoires, et abandonner les légendes qui ont pu induire en erreur des esprits aussi grands que celui de Husserl.

L’HISTOIRE DES SCIENCES ENTRE ÉPISTÉMOLOGIE ET HISTOIRE Les choses humaines, nul ne l’ignore, ne sont pas faites pour durer ! Pour moi, le moment est venu de prononcer ma leçon terminale, et de prendre congé de l’Université de Tokyo. Comment apporter une conclusion à ces années si diverses tant par le contenu que par le niveau de l’enseignement qui y fut professé ? Résumer son contenu serait fastidieux, et, du reste, impossible dans le temps qui m’est imparti. Il m’a semblé plus conforme à cette circonstance de reprendre l’une des interrogations qui n’ont cessé d’animer ces leçons, et la recherche qui les avait préparées. L’une des préoccupations qui les ont nourries porte précisément sur l’objet enseigné, sa place et les méthodes employées. Qu’est-ce que cette discipline qui, tout au long de sa vie, et notamment à partir du xviii e siècle où elle a vu le jour comme activité indépendante, relève à la fois de l’épistémologie et de l’histoire ? Que l’on pense à Condorcet, aussi bien dans son Esquisse que dans ses Éloges Académiques, à Auguste Comte et au rôle de l’histoire des sciences dans le Cours de Philosophie Positive ; que l’on se rapproche de notre temps en évoquant par exemple J. Needham : l’histoire des sciences est-elle vraiment une discipline, et quelle est au juste sa place entre épistémologie et histoire ? La première partie de la question – s’agit-il bien d’une discipline ? – se règle vite : telle qu’elle se présente aujourd’hui dans les écrits de ceux qui s’en réclament, l’histoire des sciences est un domaine d’activité, et nullement une discipline. Elle est en effet dépourvue du principe unificateur qui lui fournirait le pouvoir et les moyens d’exclure : un domaine d’activité n’exclut point, mais s’enfle indéfiniment par ajouts successifs ; c’est une rubrique désignée par une étiquette, et non une discipline caractérisée par une définition opératoire. Ainsi, en histoire des sciences, les différentes doctrines se juxtaposent, s’opposent à partir d’options dogmatiques et exclusives, voire de pétitions de principe. Selon certains – la grande majorité d’ailleurs – l’histoire des sciences se présente comme une histoire des idées au sens banal du terme, une histoire des mentalités ; pour

Conférence terminale prononcée à l’Université de Tokyo le 19 mars 1997 ; publiée dans Historia scientiarum, 7.1 (1997), p. 1-10.

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d’autres, en revanche, beaucoup plus rigoureux et plus avertis, c’est celle des concepts scientifiques, de leur formation, leur développement et leur rectification. Pour d’autres encore, historiens d’origine, les concepts et leur nature importent peu, et l’histoire des sciences serait l’histoire d’une production culturelle au même titre que celle de la peinture ou de la religion. Citons encore ceux pour qui ce serait une sorte de psychologie sociale des acteurs scientifiques, et ceux qui font de l’histoire des sciences une sociologie empirique, telle qu’elle s’est développée notamment aux États-Unis après la Seconde Guerre Mondiale : une sociologie des groupes, des laboratoires, des institutions. La liste n’est nullement close, et cette diversité va en s’amplifiant, non pas en raison d’une nécessité interne de la recherche en histoire des sciences, mais plutôt sous l’effet de l’importation successive des vues et des méthodes des disciplines sociales, et des modes qui s’y succèdent. Cette multiplicité croissante a tout l’air d’une fuite en avant, qui épargnerait l’examen de la seconde partie de la question : quelle est la place de l’histoire des sciences entre épistémologie et histoire ? Or cette question, ainsi laissée dans l’ombre, nous force, bon gré mal gré, à nous prononcer sur l’objet de l’histoire des sciences. Toute la difficulté, et elle est considérable, est de pouvoir dire de quoi l’historien des sciences fait l’histoire, sans formuler un choix arbitraire, et sans imposer une méthodologie, empirique ou transcendantale. C’est pour éviter ces écueils qu’il m’a semblé opportun de partir, selon une formule célèbre, « des choses mêmes », c’est-à-dire des œuvres de science et des traditions dans lesquelles elles s’intègrent. On nous accordera sans peine que toute œuvre de science appartient au moins à une tradition, souvent à plusieurs, qu’elles soient ou non de nous connues, et relativement à laquelle elle prend son sens. C’est dire qu’on ne comprendra rien aux créations individuelles, aussi révolutionnaires soient-elles, si on ne les enchâsse pas dans les traditions qui les ont vu naître. Si, par « œuvre de science », on entend un résultat établi selon les normes précises de la preuve et consigné dans un texte ou réalisé dans un objet ou un instrument, nous donnerons pour l’heure à « tradition » le sens vague que l’on donne à ce terme, qui a l’avantage de ne point isoler l’œuvre de science de la communauté à laquelle appartient le savant qui la conçoit. Commençons par considérer cette notion de tradition. Les historiens des sciences, quelle que soit leur obédience, accordent volontiers que l’une de leurs tâches essentielles est la reconstitution de ces traditions scientifiques. Mais les voies suivies pour parvenir à cette fin divergent et se ramifient. Et, de fait, une partie du débat méthodologique en histoire des sciences renvoie à

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cette diversité des conceptions de la tradition et de sa nature. À première vue, l’entreprise peut sembler aisée et presque immédiate : les traditions ne s’offrent-elles pas le plus souvent sous des noms, des titres, des institutions, des réseaux assurant l’échange des informations et des hommes entre des pôles, des centres, des lieux et des formes d’apprentissage ? Les traditions seraient alors immédiatement reconnaissables : on parlera de la tradition de la théorie des nombres euclidienne, du Wasan japonais, de la tradition de l’école algébrique italienne au xvi e siècle, de la physique quantique anglaise dans les années vingt ou des mathématiques bourbakistes. Certes, il y a quelques exceptions, mais elles confirment la règle ; je pense par exemple à la tradition – ou les traditions – alexandrine qui trouve son aboutissement dans l’œuvre de Diophante, et dont pourtant nous ignorons tout. Comment ne pas être tenté de décrire ces faits bien repérables : les hommes, les titres, les institutions ? Et de fait, c’est cette tendance qui domine une bonne partie des rédactions historiques, lesquelles se présentent sous divers noms : histoire des idées, histoire sociale des sciences, etc. Il reste que, si l’on ne se satisfait pas d’une simple description empirique, le statut d’une tradition n’est facile ni à cerner, ni à établir. Comment peut-on isoler une tradition, lui assigner un commencement et une fin, tracer ses frontières, sans procéder par une coupure arbitraire dans la totalité indéfiniment mobile de l’histoire vivante ? Que peut fonder l’unité d’une tradition alors que celle-ci évolue au cours du temps ? Pourquoi se constitue-t-elle et pourquoi cesse-t-elle ? et à quel régime pourrait obéir son existence ? À ces questions, il n’y a, semble-t-il, aucune réponse a priori. Avec la simple description, l’historien n’est pourtant qu’au début de son labeur. À peine s’est-il attelé à la tâche de reconstitution que l’illusion se dissipe : l’apparente simplicité s’évanouit, et toutes les données empiriques – noms, titres, etc. – s’avèrent impuissantes à délimiter une tradition en dominant toutes ses ramifications. Essayons de préciser cela, en décrivant les étapes marquantes dans un travail d’histoire des sciences. Au premier stade, il incombe à l’historien de restituer une œuvre de science – un théorème mathématique, un résultat physique, une observation astronomique, une expérience biochimique, etc. – dans sa matérialité : il doit examiner les inscriptions, les tablettes, les papyrus, les textes manuscrits, les textes imprimés ; il lui faut refaire les expériences, refaçonner les objets, si nécessaire ... Toutes ces démarches concourent à la reconstitution de la tradition textuelle, d’abord ; de la tradition technique ... ; en un mot, de la tradition « objectale ». Sans être, dans bien des cas, indépendante du contenu même de l’œuvre de science, cette recherche

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requiert cependant des compétences autres que le savoir scientifique, celles qui relèvent des différentes disciplines historiques : archéologie, codicologie, paléographie, philologie, histoire des techniques, etc. Ce niveau d’analyse est indispensable, mais il n’est pas suffisant : on est bien loin, dans cette reconstitution, d’avoir épuisé l’œuvre de science. Seuls nous sont connus son authenticité textuelle et technique, les réseaux au long desquels elle circule, le contexte social au sein duquel elle a été conçue et composée. Tous ces éléments, importants sans aucun doute, ne nous éclairent cependant pas sur sa place dans la science à laquelle elle appartient. Plus grave encore, nous ne serions pas, à ce stade, en mesure de percevoir les clivages qui peuvent marquer l’œuvre d’un seul et même savant. Pour fixer ces remarques, considérons à titre d’exemple l’œuvre arithmétique de Fermat. P. Tannery et Ch. Henry ont reconstitué la tradition textuelle de cette œuvre ainsi que les réseaux des échanges qui se sont noués autour d’elle, et on pourrait encore affiner et multiplier les enquêtes sur le contexte social de l’œuvre. Mais reste encore à cerner la place de Fermat en arithmétique. S’agit-il de l’œuvre d’un algébriste, de la tradition de Viète par exemple, en théorie des nombres ? ou d’une œuvre qui appartiendrait plus tard à la géométrie algébrique, comme le soutient A. Weil ? ou simplement d’une première théorie arithmétique ? Or j’ai pu montrer que l’œuvre de Fermat n’est pas d’un seul tenant, et qu’une ligne de clivage la scinde en deux, autour des années 1640. Une partie de l’œuvre arithmétique appartient bien, en effet, à la tradition des algébristes, alors qu’une autre relève de l’analyse diophantienne entière. Deux mathêseis, et non plus une seule mathesis, sont bien nécessaires pour éclairer l’œuvre arithmétique de Fermat, deux traditions conceptuelles, dont l’une remonte, via Bachet de Méziriac, aux algébristes, tandis que l’autre, à la suite des travaux des mathématiciens comme al-Khāzin, repris dans le Liber Quadratorum de Fibonacci, renouvelle la théorie des nombres grâce à l’invention, pour la première fois, d’une méthode arithmétique de démonstration : la «descente infinie ». Si donc on veut situer historiquement l’œuvre arithmétique de Fermat, il nous faut passer à un autre niveau d’analyse, et s’attacher cette fois à la reconstitution de la tradition conceptuelle. Le cas de Fermat est bien loin d’être rare. Il semble même être le cas le plus fréquent, notamment pour les savants qui ont pu modifier le cours de leur science : Descartes en géomètrie algébrique par sa distinction séminale entre « courbes géométriques» et « courbes mécaniques», Ampère en physique quand il a renoncé à l’explication de l’électromagnétisme par le magnétisme pour opter pour le chemin inverse, Fresnel quand il a défendu contre la

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conception dominante la nécessité des vibrations transversales, c’està-dire perpendiculaires au rayon – pour ne prendre que quelques exemples anciens de la science française. Comme historien, l’historien des sciences ne peut donc faire l’économie de la reconstitution de cette tradition – ou de ces traditions – conceptuelle, c’est-à-dire de ce travail épistémologique. D’autres obstacles ne manquent pas de se dresser sur ce parcours et qui trouvent leur origine, pour l’essentiel, dans une dialectique entre une multiplicité croissante et une stabilité fondamentale. Un résultat général s’impose à nous après l’étude de nombreuses traditions : une œuvre de science d’une certaine envergure ne pourrait être expliquée dans les termes d’une seule tradition conceptuelle, même pas celle à laquelle cette même œuvre a contribué le plus, et d’autre part, une tradition conceptuelle de quelque importance se distingue par une certaine stabilité, malgré la diversité des auteurs et des apports. Deux nécessités un peu paradoxales semblent dominer la marche de la tradition conceptuelle : épuiser toutes les possibilités logiques inscrites dans le type de rationalité instauré d’une part, réformer cette même rationalité et ses moyens pour rendre compte des nouveaux faits inexplicables dans le cadre de ceux-ci. Comme exemples, il suffit de réfléchir sur la tradition archimédienne en mathématiques infinitésimales, la tradition euclidienne en théorie des parallèles, etc. Mais à ces obstacles, il faut encore ajouter la question du «style» scientifique qui, derrière cette multiplicité, par delà la variété des formes et les transformations qui modèlent la tradition, la distingue et scelle son identité. Ce «style» ne reflète pas seulement la rationalité dominante, mais également des procédés rhétoriques d’exposition, tels que le langage utilisé, le symbolisme, les représentations graphiques, etc. Toute la difficulté est d’isoler ce « style », tâche indispensable pour pouvoir mettre en perspective une œuvre de science, individuelle ou collective, et par là-même en exprimer le sens. Cette démarche phénoménologique semble inévitable si l’on veut investir la tradition de son rôle ordonnateur : elle dégage l’enchaînement des travaux qui la tissent. Ces deux termes, tradition «objectale» – dont la tradition textuelle est une partie – et tradition conceptuelle, semblent traduire concrètement la question de la place de l’histoire des sciences entre histoire sociale et épistémologie. Comme élément d’une tradition « objectale», l’œuvre de science est un produit matériel et culturel, un produit des hommes en un lieu et en un temps. Il incombe à l’historien, comme l’aurait conseillé K. Marx, de rechercher les conditions sociales et matérielles de cette production. Mais, en tant que partie de la tradition conceptuelle, cette œuvre appelle aussi une analyse de

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sa structure conceptuelle qui en dégage le sens, lequel permettra de délimiter la notion même de tradition. Certes, il se pourrait que cette traduction de notre question initiale l’appauvrisse, mais elle semble susceptible de nous protéger contre deux écueils : la réduction de l’histoire des sciences à une pure analyse épistémologique comme chez bien des éminents contemporains, ou, plus encore, à une philosophie de l’histoire comme chez A. Comte ; et, deuxième risque, son assimilation à l’histoire d’un quelconque domaine culturel, pratique courante chez les historiens. La difficulté demeure cependant entière si l’on ne précise pas davantage ce que l’on entend par une tradition conceptuelle à laquelle appartient une œuvre de science. Cette dernière question a-t-elle le même sens pour toutes les disciplines scientifiques ? L’œuvre de science appartient-elle à une tradition conceptuelle, ou à plusieurs ? Ces questions, parmi bien d’autres, se posent immédiatement, et nous conduisent nécessairement à nous interroger sur cette notion d’œuvre de science, et à nous demander ce qui la distingue de toute autre production sociale des œuvres culturelles. Il n’est pas rare que, pour répondre à cette question, le philosophe invoque une conception de la certitude et de la preuve. Quoique parfaitement légitime, nous abandonnons ici cette voie qui pourrait paraître, à tort, dogmatique. Il est aussi fréquent que l’historien sollicite l’opinion du savant dont il s’occupe concernant des traits distinctifs d’une œuvre de sciences. Il peut alors avoir une réponse historique à cette question épistémique, alors qu’il n’obtient en fait qu’une réponse idéologique. Il arrive enfin que, confronté à cette question, l’historien des sciences réfléchi avance deux types de distinction de nature historique et épistémique. La première sépare deux modes de savoir : pour définir une œuvre de science, il la distingue d’une œuvre de proto-science. La seconde distinction, beaucoup moins forte, isole plusieurs formes d’une œuvre de science, et aide à comprendre cette marche cumulative, nécessaire et universelle, autant que les caractères propres à la science. L’exemple qu’on invoque le plus volontiers pour illustrer la première distinction est celui de Galilée en mécanique ; quant à la seconde, il suffit de rappeler les nombreux exemples qui l’illustrent : celui de Lebesgue en théorie de l’intégration, de Kolmogorov en théorie des probabilités, etc. Il est clair que, l’une comme l’autre, ces deux distinctions sont destinées à rendre compte de l’émergence des nouvelles formes des œuvres de science ; mais, alors que la première est en quelque sorte «créationiste» et s’attache aux formes initiales absolument, la seconde est «transformationiste» et traite des nouvelles formes à partir

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des anciennes. Arrêtons-nous donc à la première distinction, dont l’importance est si capitale pour notre propos. La distinction entre proto-scientifique et scientifique s’offre comme une distinction exclusive qui domine l’histoire des sciences tout entière. Cette opposition est toujours entendue comme historique et logique à la fois. Le proto-scientifique précéderait toujours logiquement et historiquement le scientifique ; et la rupture radicale entre les deux aurait été accomplie pour l’essentiel au xvii e siècle. Cette opposition permettrait par conséquent de distinguer une œuvre de science de toute autre qui prétend traiter du même objet. À y regarder de plus près, on ne tardera pas à accorder un fond de vérité à cette distinction, même si les rapports entre proto-scientifique et scientifique sont beaucoup plus variés et complexes, à la fois logiquement et historiquement. Commençons par soustraire en quelque sorte les mathématiques à cette opposition exclusive, et cela pour une raison contingente : rien de proto-mathématique ne nous est parvenu, et les seules pièces de proto-mathématiques appartiennent aux mathématiques : les indivisibles, les considérations sur la notion de limite au xviii e siècle, les doctrines objectives et subjectives de la probabilité avant la théorie axiomatique, etc. Dans les autres disciplines scientifiques, le terme « proto-scientifique» semble couvrir au moins quatre modes de savoir différents. Sont proto-scientifiques aussi bien la physique d’Aristote que le contractualisme social au xviii e siècle, le darwinisme social au siècle suivant, la physique sociale de Quetelet, l’optique d’Euclide, le marginalisme d’un Jevons, d’un Walras ou d’un Pareto ; ainsi que le modèle balistique d’un Tartaglia, l’homo suffragans de Condorcet, l’homo bernoullien des économistes, etc. Ces exemples révèlent de façon flagrante la variété des statuts de «proto-scientifique», puisque les réalités que ce terme désigne ne peuvent ni en droit ni en fait être confondues sous un même vocable. Ainsi, la physique aristotélicienne, comme le contractualisme social, sont proto-scientifiques, au sens d’une doctrine systématique, que l’on veut cohérente, de l’expérience vécue : celle du déplacement, ou celle du vote dans une assemblée. Le darwinisme social, aussi bien que la physique sociale, sont proto-scientifiques si l’on entend par là une science annexée à un domaine autre que celui de son origine. L’optique d’Euclide et les contributions marginalistes sont protoscientifiques au sens d’un savoir « pur », produit par l’application en quelque sorte directe des mathématiques à des doctrines de l’expérience vécue : la vision directe ou la distribution des biens. Enfin les modèles d’un Tartaglia en balistique, d’un Condorcet en sciences sociales ou d’un Von Neumann en économie sont proto-scientifiques au

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titre d’une application indirecte des mathématiques, à l’aide des analogies avec une tierce discipline mathématisée ou considérée comme telle, à une doctrine de l’expérience vécue. On voit bien que les savoirs proto-scientifiques non seulement sont multiples, mais, pour la plupart, liés à d’autres sciences, qui portent sur d’autres objets que les leurs. Deux conséquences s’imposent donc : les critères d’une œuvre de science diffèrent nécessairement de tous les critères de ces savoirs proto-scientifiques et, d’autre part, la notion de tradition éclate à la fois du point de vue de la diachronie et du point de vue de la synchronie. Commençons par examiner la question des critères, puisqu’ils interdisent de traiter l’objet de science non seulement comme celui d’une proto-science, ou pré-science, mais aussi comme l’objet de toute autre production culturelle. Nous avons vu que le savoir proto-scientifique est toujours lié à une expérience vécue, et donc particulière. Mais il ne faut cependant pas se tromper : la doctrine ou la philosophie élaborée ne se borne pas à exprimer d’une manière directe le contenu de cette expérience, et ne procède pas par la mise en correspondance brutale d’un concept et d’un événement, ou d’une proposition et d’un donné, mais bien d’une proposition et d’une autre proposition ; c’est-à-dire par la mise en correspondance de deux rapports de concepts. C’est en ce sens que l’on peut dire que les données de l’expérience vécue sont médiatisées. La tâche linguistique de systématisation, les dénominations que l’on rencontre toujours chez les auteurs de ces doctrines, sont l’instrument de cette médiatisation. C’est dire que les données de l’expérience vécue ne constituent qu’un point de départ, et qu’il faut la médiatisation pour parvenir à la constitution de la doctrine. Rappelons à cet égard que la doctrine aristotélicienne du mouvement n’est nullement formée de propositions directement liées à l’expérience sensible du mouvement de déplacement, mais seulement à celles qui concernent la correspondance de « l’acte de ce qui est en puissance en tant que tel » avec les propositions relatives aux «natures déterminées» et à l’ordre cosmologique ; de même que la doctrine sociale de J.-J. Rousseau ne concerne pas la pratique vécue du suffrage, mais lie une conception du pacte social à celle du suffrage comme déclaration de la volonté générale. C’est finalement grâce à cette médiatisation et à la transcendance qu’elle assure par rapport aux données que l’on introduit l’autre critère : la cohérence, que le philosophe veut sévère. Cette cohérence renvoie d’ailleurs en même temps à la consistance logique et à l’action architechtonique. À cette médiatisation et à cette recherche de la consistance logique et de la perfection architechtonique, il faudrait ajouter un

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dernier critère, en respect duquel cette doctrine de l’expérience vécue peut progresser : les amendements successifs, destinés à épuiser les données d’une expérience particulière dans un exposé toujours plus cohérent : que l’on pense aux amendements des tenants de l’impetus pour la doctrine aristotélicienne du mouvement. En bref, médiatisation, transcendance, consistance logique et action architechtonique, progrès par amendements successifs, tels sont les critères du savoir produit par une phénoménologie pour encadrer les événements – la doctrine d’Aristote ou de J.J. Rousseau par exemple – ou par une confiscation, c’est-à-dire la restriction d’une phénoménologie initialement destinée à un autre univers que celui pour lequel l’explication est entreprise – la physique sociale ou le darwinisme social. Un premier type d’application des mathématiques à cette doctrine de l’expérience consiste à vouloir substituer directement et complètement les relations mathématiques aux notions de cette doctrine : c’est l’exemple de l’optique d’Euclide, du marginalisme walrasien : dans ce cas, les mathématiques ne sont qu’un langage. Le second type d’application subordonne, en revanche, la substitution des relations mathématiques à l’entremise d’une tierce discipline, dominée par la connaissance mathématique ou considérée comme telle. Les correspondances analogiques entre les deux disciplines sont les moyens de mathématiser la doctrine de l’expérience même : c’est la méthode des modèles. Les savoirs proto-scientifiques sont donc multiples, et, de plus, ils ne se valent pas : leurs visées, leurs pouvoirs explicatifs, leurs contrôles syntactiques et techniques diffèrent, même si tous ont pour point de départ l’une des doctrines de l’expérience vécue, soumise aux critères précédemment exposés. Ces savoirs ne peuvent donc avoir les mêmes rapports avec la science future. Il est vrai, on l’a souvent affirmé, que celle-ci se fait contre ceux-là, en brisant avec eux ; mais cette rupture n’a pas dans tous les cas la même portée. Même si elle s’opère toujours, au plus profond, contre la dite doctrine de l’expérience vécue et les critères de son fonctionnement, ses voies ne cessent ensuite de diverger. Ainsi, l’optique géométrique d’Ibn al-Haytham, si elle a rompu avec toutes les doctrines de ses prédécesseurs, c’est dans la mesure où il a séparé les conditions de la propagation de la lumière de celles de la vision, pour ne considérer dans le premier cas que des entités matérielles – « les plus petites parties de lumière » –, qui ne conservent plus que des propriétés que l’on peut contrôler géométriquement et expérimentalement, abandonnant ainsi toutes les qualités sensibles autres qu’énergétiques. Cette rupture profonde, puisqu’elle a permis d’introduire une nou-

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velle catégorie de la preuve en optique et plus généralement en physique – la preuve expérimentale – ne s’est pas opérée sur le même mode avec la perspective d’Euclide et avec la doctrine de la vision d’Aristote. De même en mécanique : Galilée a pu, le premier, séparer à l’intérieur des doctrines du mouvement ce qui relève de la cinématique de ce qui relève de la dynamique, pour ne considérer que les relations entre les positions des entités matérielles dans le temps. Ces entités ne revêtent plus que les propriétés susceptibles d’être contrôlées géométriquement et expérimentalement, excluant ainsi toutes les qualités sensibles autres que celle de la résistance au mouvement. Cette rupture profonde ne s’est pas consommée avec la doctrine aristotélicienne au même titre qu’avec celle de l’impetus, celles des calculateurs d’Oxford et de Paris, ou les modèles d’un alQūhī et d’un Tartaglia. Cette diversité des rapports avec la science future impose à l’épistémologue non seulement de différencier entre les traditions conceptuelles des différents savoirs proto-scientifiques, mais bien plus, elle lui donne les moyens de les ordonner et de les hiérarchiser. Or, c’est cette possibilité qui est l’apanage des œuvres de proto-science, comparées aux autres œuvres culturelles qui s’offrent à l’historien. Autant dire que la science future dicte un principe d’ordre, une notion de distance, pour user d’une métaphore, qui aide à situer les savoirs proto-scientifiques. Mais ce privilège des œuvres de proto-science ne s’affirme pas aux dépens de l’historien : bien au contraire, il opère en sa faveur, car la distinction entre ces traditions conceptuelles lui permet de mieux repérer, dans un amas souvent informe, les traditions textuelles et techniques qui les sous-tendent ; il est ainsi en mesure de poser toutes les questions d’histoire sociale nécessaires pour comprendre leur formation, leur développement, et l’interaction des différents facteurs sociaux et idéologiques qui ont pu assurer la constance de leur formulation. La rupture avec les doctrines de l’expérience vécue, et, du même coup, avec les critères de leur élaboration, a lieu grâce à une conception d’un objet qui renferme une norme opératoire et judicatoire. Non seulement le savoir produit est investi d’une puissance d’accumulation, mais il ne peut effectivement réaliser cette accumulation que grâce à une rectification constante de sa compréhension ; or c’est dans ces actes de rectification qu’apparaissent de nouvelles formes. C’est pourquoi dans la connaissance scientifique, si l’on ne pense que par concepts tout faits, on peut dire que continuités et discontinuités sont inscrites les unes dans les autres. Ces discontinuités sont parfois appelées «révolutions» et désignent le passage d’une théorie à l’autre : de la mécanique de Galilée et de Newton à la Relativité

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restreinte ; de celle-ci, de l’électrodynamique et de la thermodynamique continuiste à la théorie des quanta. Il s’agit de l’émergence des nouvelles formes de la même science, qui chaque fois redéfinissent son objet, sans toutefois le remplacer par un autre différent, comme c’était le cas pour la connaissance proto-scientifique. Dans cette succession discontinue des formes, l’ancienne se présente comme un cas approché de la nouvelle, mais exprimable dans la langue de celle-ci. C’est pour ainsi dire le nouveau qui donne la raison, les conditions de validité de l’ancien : celui-là inclut celui-ci, comme un cas approché. L’émergence des nouvelles formes n’annule plus les anciennes : elle les rectifie et les intègre. Dans ces conditions, la notion de tradition conceptuelle se modifie profondément. La meilleure preuve en est le style de sa mort. Dans la pré-science, les traditions conceptuelles meurent assassinées ; là, elles meurent de l’épuisement de leurs propres possibilités. Cette différence, à mes yeux capitale, manifeste, semble-t-il, que les questions et les problèmes qui ont présidé à leur naissance sont internes à la science ; ou, que, tout au moins, on a pu leur faire épouser complètement son langage. Aussi chaque tradition peut-elle parler la langue de l’autre, et toutes peuvent être traduites dans la langue de lointains successeurs. On peut traduire la langue de la tradition alhazenienne en optique dans celle de la tradition newtonienne, ce qui est impossible pour l’optique euclidienne. Et on peut traduire la langue des deux premières traditions dans celle de Fresnel plus tard, etc. Cette traduction n’est pas seulement dans la diachronie de la science victorieuse, mais elle vaut également dans la synchronie. Évoquons à ce propos l’exemple de deux traditions contemporaines rivales : celle du calcul des fluxions engagée par Newton, et celle du calcul différentiel fondée par Leibniz. Malgré la célèbre controverse et ce qui sépare les styles – le premier est géométrique, le second algorithmique – chacune peut parler le langage de l’autre, et toutes deux sont traduisibles dans la langue standard de l’analyse. Ce trait fondamental n’est pas propre aux seules mathématiques, mais il est commun à tous les savoirs scientifiques, même ceux dont les objets sont phénoméno-techniques, selon l’expression de G. Bachelard. Avec la science, grâce à une certaine clôture épistémologique qui la caractérise, la notion de tradition conceptuelle s’affranchit bien davantage que dans la pré-science de la tradition « objectale » correspondante. Le rôle des éléments exogènes non seulement devient minime, mais, surtout, se trouve contrôlé, lors de la constitution des modèles théoriques et de la démonstration de leur validité. La surveillance linguistique et technique protège contre les Dieux cachés. Cette indépendance ne diminue en rien le rôle de la tradition

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«objectale», bien au contraire. Si la tradition conceptuelle nous indique avec précision les composantes temporelles et humaines de la tradition « objectale», celle-ci, pour être établie, exigerait que fussent entrepris des travaux qui permettent de comprendre la formation de la communauté des savants, les modes de leur apprentissage, le choix du développement et ses rythmes, etc. ; c’est-à-dire tous les éléments matériels et sociaux qui ont installé le cadre de la tradition conceptuelle, et qui sont susceptibles d’éclairer ses rythmes, sa diffusion ..., mais nullement les systèmes de concepts et les preuves de leur validité. Sans aucun doute, le choix des investissements et les affectations de ressources, la formation des savants et la multiplicité des compétences, la stratification de leur communauté, les idéologies sociales aussi bien que les idéologies scientifiques, entre bien d’autres facteurs, peuvent expliquer les controverses lorsque les faits ne sont pas parfaitement établis ni les preuves rigoureusement menées ; ils éclairent également les conflits d’interprétation qui accompagnent presque toujours le passage à l’application, l’avancement inégal de différentes disciplines, etc., sans pour autant pouvoir nous informer sur la constitution des modèles théoriques valides. C’est à l’histoire des sciences, semble-t-il, que revient en propre cette dernière tâche ; c’est elle qu’elle doit définir si elle veut se constituer comme véritable discipline. Les travaux sur la tradition «objectale», dont l’historien des sciences ne peut sans aucun doute se passer, relèvent d’autres spécialités soumises à d’autres critères, et qui vont de l’archéologie à la psychologie sociale en passant par la codicologie aussi bien que l’économie, entre autres. Entre tradition objectale et tradition conceptuelle, les différences ne renvoient pas seulement aux objets et aux méthodes ; elles s’enracinent bien plus profondément, dans la nature même de leur nécessité. Peut-être est-ce là d’ailleurs que réside la source de tous les conflits et de toutes les controverses, ou, si l’on préfère les expressions toute faites, la raison du clivage entre «internalistes et externalistes », adeptes de l’« histoire sociale » et historiens des sciences. La tradition objectale en effet traite, pour le dire vite, de nos actions : des combinés psychologiques, sociaux et historiques, des êtres là et maintenant, bref, des faits contingents. La formation d’une académie, le fonctionnement d’un grand centre de recherche, l’organisation d’un laboratoire, les modes de transmission du savoir, le support matériel du texte, l’affectation des ressources, l’appartenance sociale du savant, son profil psychologique, etc., sont autant de faits contingents. Même si la psychologie, la sociologie, l’économie ... peuvent y repérer quelque nécessité, il n’y en a aucune dans leurs rapports aux faits de la science. En revanche, c’est bien à leur caractère de nécessité que ces faits doivent d’être re-

L’HISTOIRE DES SCIENCES ENTRE ÉPISTÉMOLOGIE ET HISTOIRE 581

connaissables. Tel est le cas d’un théorème mathématique, d’une loi physique, etc. C’est du reste pour cela qu’un fait objectal n’est pas susceptible d’être vrai ou faux, tandis que pour le fait conceptuel le caractère de nécessité est aussi un critère de vérité. On comprend dès lors que toute vocation globalisante soit condamnée par avance à l’échec théorique. C’est ainsi qu’aujourd’hui la tentation florissante – et naïve – d’étendre l’histoire sociale à la tradition conceptuelle ressemble comme une sœur à l’ambition d’étendre la psychologie à la logique : celle-ci a naguère abouti au fameux «psychologisme» qui a déclenché les foudres de philosophes comme Kant, Husserl ou Cavaillès ; celle-là ne manquera pas d’aboutir à l’« historicisme», c’est-à-dire à la voie la plus sûre vers l’irrationalisme. Bien plus, la thèse de l’extension de l’histoire sociale ne peut se défendre ellemême, car elle sera à son tour de l’ordre de la contingence, et le cercle vicieux sera fermé. D’autre part, si l’on veut qu’elle soit possible, il faut évacuer de la science la valeur de vérité et la distinction entre le vrai et le faux. À l’inverse, étendre l’histoire conceptuelle à la tradition objectale mène à une « histoire pure», à une philosophie de l’histoire. Or tout le problème de l’histoire des sciences, en quoi se résume au reste toute sa difficulté, tient à cela : la production des faits de la science, bien déterminés comme production des hommes et résultats de leurs actions, dépasse comme effet les conditions contingentes de son avènement, et les transcende pour s’en distinguer par ses caractères de nécessité. En bref et en clair, tout le problème est de savoir comment dans la contingence émerge le nécessaire. L’historien des sciences se révèle alors ce qu’il a toujours tenté d’être : ni un « critique des sciences», à l’exemple d’un critique d’art ; ni un historien, au sens où on entend un spécialiste de l’histoire sociale ; ni un philosophe, comme les philosophes des sciences, mais bien simplement un phénoménologue des structures conceptuelles, de leur genèse et de leurs filiations, au sein des traditions conceptuelles toujours en transformation.

CONCEPTUAL TRADITION AND TEXTUAL TRADITION: ARABIC MANUSCRIPTS OF SCIENCE Islamic manuscripts have received intensive and renewed interest over the last five decades. During that period, institutes specifically concerned with manuscripts have been established, and collections of manuscripts have been organised and classified. An example is the Iranian Collection. The institutes are both public and private, such as Al-Furqān Islamic Heritage Foundation, which is hosting our meeting today. Yet despite these commendable and important endeavours, the condition of Islamic manuscripts remains bewildering to students and observers alike. Although the Islamic tradition has the richest and largest manuscript heritage which has been preserved, it has been the least studied, edited or even indexed. This contradiction still prevails in the field of Islamic manuscripts. The road is still long and the trail is rugged. My purpose here, however, is not to investigate the reasons for this contradiction and its continuation. I have only mentioned this state of affairs at the outset to draw attention to the fact that such a contradiction becomes more serious when we look in particular at the tradition of scientific and mathematical manuscripts. Scientific tradition has not enjoyed the same good fortune as have the traditions of religion and literature. Religious institutes and educational centres have trained and graduated scholars who took care of the tradition in their field of interest, pacing due attention to it and bringing some of it to light. Scientific tradition has not been so fortunate. There are other reasons to speak in particular about Arab scientific manuscripts. I shall mention a few of these here. When we look at the manuscript of mathematics and science produced by Islamic civilisation we see that they include contributions from ancient civilisations, as well as innovative research. The literature contains both what has reached us from ancient civilisations including the Greek, the Indian, the Persian, and the Syriac, and discoveries made from the beginning of the second century AH. Paru dans Y. Ibish (éd.), Editing Islamic Manuscripts on Science, Proceedings of the Fourth Conference of al-Furqān Islamic Heritage Foundation (London 29th-30th November 1997), London : al-Furqān, 1999, p. 15-51.

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IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

This is the first characteristic of the tradition of mathematical, scientific, and philosophical texts that distinguishes it from those of religion and literature. Muslim scholars were aware of this difference when they distinguished between ancient and modern science. The second characteristic of scientific tradition was its unified language. Scientific works were written mainly in Arabic. This was the case not only in Arabic-speaking countries but also in countries where different languages were spoken. Arabic was the language of science from Samarkand to Granada including places as far apart as Khurasan and Sicily. When a scientist became nostalgic and wrote in his mother tongue, particularly Persian, as did al-Nasawī and Naṣīr al-Dīn al-Ṭūsī, he would soon re-write his work in Arabic. This was what al-Bīrūnī meant by stressing that Arabic was the language of science in his time It is no exaggeration to say that with the beginning of the third century AH there was a language of science, and that this language was Arabic. Arabic in turn acquired a universal dimension. It was no longer a language of a single people or of a single nation, but the language of different peoples and various nations. It was no longer the language of a specific culture but of rational knowledge, whether scientific or philosophical. The third characteristic of the scientific manuscript tradition is closely connected to the universality of the science that evolved and developed within the Islamic civilisation. The fact that science was written in only one language meant that for the first time in history science was universal in its development and its availability. We cannot gain knowledge of texts of the scientific tradition without knowing what has been translated of this tradition into Latin, Hebrew, Greek Byzantine, Italian and other languages. This short overview shows us the historical, technical and linguistic difficulties that faced those wanting to study and edit scientific manuscripts. Talking about difficulties can be protracted and diversified, eventually leading us to the question of the relationship between the textual tradition and the conceptual tradition, and the method required for understanding them both and their relationship to each other. In many cases we discover a text when we attempt to write the history of scientific thought. Often we may not be able to write the history of scientific thought without a thorough knowledge of the history of the text. This close link between the textual and the conceptual traditions stood in the way of the editing of many scientific manuscripts. To solve this problem, at least in part, we first have to study the textual tradition. Scholars endeavouring to edit and study scientific texts have

CONCEPTUAL TRADITION AND TEXTUAL TRADITION

585

been faced with various types of textual tradition. I shall first list these types of texts, then discuss them very briefly. They are: 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7.

The The The The The The The

absent text. hidden text. truncated text. summarised or abridged text. complete text in a unique manuscript. complete text in multiple manuscripts. master copy or the author’s manuscript.

In all these types of manuscript, with the exception of the last, we have to differentiate between a text translated from Greek or another language, and one written in Arabic. We also have to consider which is the most effective way of approximating the original text and its authenticity if this is at all possible.

The absent text It may seem unusual to start our discussion of scientific manuscripts considering those which are, despite investigation, still virtually lost or at least yet to be discovered. However, we cannot avoid it: we have lost so many that are vita1 to the understanding and recording of the history or the scientific tradition. For example, the Arabic translation of Ptolemy’s Optica has been lost, and all we are left with is the Latin translation of the Arabic text. We have lost too the book of arithmetic by al-Khwārizmī; all that remains is a muddled Latin translation. Also, al-Kindi’s book on De Causis Diversitatum Aspectus is lost, and we only have the Latin translation. Obviously we cannot overlook these books if we want to understand the achievements made in astronomy, mathematics and optics since the beginning of the third century AH, whether in the East or in the West. In this respect, we are fortunate to have Latin translations of some of the texts. The sad fact remains, however, that so many important books have been lost. Naturally our discussion will have to be restricted to those texts whose trails are able to follow in one way or another and that we have knowledge of. Our discussion will therefore be restricted to certain types of texts while others will be ignored. (a) The first type of absent text is one of which we have an edition, commentary or translation in another language. An example of this type is Banū Mūsā’s treatise in the third century AH on the measurement of plane and spherical figures. The treatise has rightly

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IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

been considered as one of the most important books to be written in the field of analytical mathematics since the time of Archimedes, almost one thousand years earlier. In this book, Banū Mūsā presented in Arabic an extensive piece of research in that branch of mathematics which has been the basis for teaching and research both in the East and in the West. There is evidence that the book was in circulation amongst mathematicians until the sixth century AH. It then disappeared completely, immediately after Naṣīr al-Dīn al-Ṭūsī had produced an edition of it. How did this happen? A new form of literary writing that was known as the “edition” of scientific and literary texts appeared in the sixth century AH, for reasons that I do not intend to go into. This form of writing reached its peak in mathematics in the works of Naṣīr al-Dīn al-Ṭūsī, Ibn Abī Jarrāda and others. Among these was an edition made by Naṣīr al-Dīn al-Ṭūsī of Banū Mūsā’s book, which was added to collections entitled “The Intermediaries”. These books were intended for training students in the study of astronomy. Thus, the edition of Banū Mūsā’s book by al-Ṭūsī became a widely circulated textbook, with many copies. This edition with other books from The Intermediaries, remained one of the books taught in schools and educational centres. The widespread availability of this edition led to neglect of the original. Banū Mūsā’s book fell into oblivion and was rejected by copyists. Those researching the manuscript tradition will be faced with the following problem: from the legitimacy point of view they should have seen the original to be able to examine the edition. The edition can only be evaluated in comparison with the original work when its veracity can be judged. In reality, however, we have to start from the edition to get to the original. The matter here goes much further the tradition of texts because of the important role played by Banū Mūsā’s text in the history of that branch of mathematics. It has inspired and been studied by master mathematicians such as Thābit ibn Qurra, al-Māhānī and Ibn al-Haytham. How then can we approach an absent text in these circumstances? This should be the aim of the researcher who wants to edit a manuscript tradition. The editor does not have many options. First of all he should establish exactly what Naṣīr al-Dīn al-Ṭūsī himself meant by edition, and what his method was. Was an edition in the sixth century AH an interpretation of the original text, rewriting it using its very words or was it producing a summary of it, or was it something else? When we can establish what al-Ṭūsī meant by an edition we will be able to assume what he would have included in or omitted from the text. Naṣīr al-Dīn al-Ṭūsī did not take the trouble

CONCEPTUAL TRADITION AND TEXTUAL TRADITION

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to answer this question, and no one else took it upon himself to do so, despite the importance of the matter to all those engaged in the study of the manuscript tradition. Obviously, in these circumstances we have no option but to start researching the manuscript tradition of Naṣīr al-Dīn al-Ṭūsī’s text in order to determine the relationship of his edition to the original text. Here we will be faced with many difficulties. The first of these will be the need to list and enumerate edition manuscripts. In fact, the available indices of Islamic manuscripts are nothing more than lists of their titles. Moreover, these are far from being comprehensive. However, assuming that such listing is at all possible, we will not be able to obtain copies of manuscripts, particularly of those kept in Muslim countries. It is only with a great deal of effort that we have been able to obtain twenty-five manuscripts of al-Ṭūsī’s versions. These are sufficient to enable us to write the history of the textual tradition of al-Ṭūsī’s versions and to draw the family tree of manuscript tradition. To do this we have followed a method that has been established for three decades. The method was inspired by developments made after examination of Latin and Greek texts, in addition to what we have acquired from the disciplines developed in Islam to study the Hādith (the narrative related to the deeds and utterances of the Prophet Muḥammad) and the science of testimony criticism, in order to take into consideration specific characteristics of the Arabic and Islamic tradition. This could be the subject of another lecture; I shall not go into it now. The study of the history of manuscripts cannot be undertaken without also learning about the conceptual tradition, that is, Archimedian mathematical concepts and their development in the third century AH, in order to determine what is sound, what is good, what is weak and what should be excluded from the manuscript tradition. The study is summarised in the family tree of Fig. 1, p. 588. This was an initial step, which assured us of the authenticity of al-Ṭūsī’s edition and provided a point of departure for our endeavour. Nevertheless, it did not bring us any closer to the absent text. We needed to find other traces of Banū Mūsā’s work or, in other words, other witnesses who had actually seen the original book. After two decades of investigation our efforts have been rewarded. We have discovered two propositions from Banū Mūsā’s work quoted by an unknown author in the sixth century AH. These were in a unique manuscript which was part of the Hyderabad Manuscripts in India and had not been studied before. We can now compare part of the original text with al-Ṭūsī’s edition.

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IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

Fig. 1. R. Rashed, Les mathematiques infinitesimales, vol. 1, p. 31

We can draw two conclusions from that comparison. The first conclusion concerns the relationship of the edition to the original work, and the second concerns the general issue of that literary form of writing which flourished in the 6th century AH, that is, the edition of scientific works. Some people might question the results of that comparison and might even reject it altogether on the grounds that it was based on only two propositions. Assuming that their objection is valid (and I do not think it is) we have then to refer to the Latin version of Banū Mūsā’s book on which research and teaching in medieval Europe were based. There are two Latin translations of Banū Mūsā’s book—a poor translation by Plato of Tivoli and an accurate one by Gerard of Cremona. However, Gerard did miss out a proposition on mechanical or ingenious devices which was probably too difficult for him to understand. So now it is possible to compare the translation of Gerard with, on the one hand, the edition of al-Ṭūsī and, on the other, the two propositions of the Hyderabad manuscript. This comparison demonstrates quite clearly that the translation by Gerard of Cremona was word for word and also that al-Ṭūsī’s edition did not deviate from the structure of the original work or change the structure of the author’s mathematical proof in the slightest, nor did he add his own words to those of Banū Mūsā. All al-Ṭūsī did was to summarise the work by leaving out introductory paragraphs in which Banū Mūsā explained his aims. He also left out repetitions and phrases that did not seem to add to the meaning or to be necessary for the proof. The aim of the edition was to present an eloquent and

CONCEPTUAL TRADITION AND TEXTUAL TRADITION

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summarised text for teaching purposes. Al-Ṭūsī’s method was to recompose long sentences by using connecting articles and omitting common phrases for formulating a proof, such as: ”I say, for example, quod erat demonstrandum (which was to be demonstrated)” and similar phrases. He was true to the meaning of the text, keeping to its ways of expression without being restrained by them. As a result of these comparisons we were able to deduce the absent text. We could get an idea of it without actually laying our hands on it. We could talk about it and learn about its influence. This was actually our objective. We can even retranslate the Latin version into Arabic now that we are familiar with the vocabulary, expressions and mathematical style of Banū Mūsā. (b) The second type of absent text is one which we have only in part in an edition or in a translation. For the sake of consistency we will stay with Banū Mūsā and also particularly with al-Ḥasan ibn Mūsā who had been widely acclaimed as a mathematical genius. Al-Ḥasan ibn Mūsā wrote a book on the ellipse that became one of the most important works in mathematics to be written in the third century AH. In this book he explored a hitherto untried method of researching conic sections that led him to discover a whole new field, a field that his successes did not hesitate to explore further. It was the field of affine transformations. Thābit ibn Qurra, a disciple of al-Ḥasan ibn Mūsā, was inspired by this book and talked about it with due reverence. The book also inspired Ibrāhīm ibn Sinān, a grandson of Thābit ibn Qurra, and it was mentioned by Aḥmad ibn Muḥammad ibn ʿAbd al-Jalīl al-Sijzī in the late 4th century AH. However, we know no more about this book other than its title. Its disappearance made it impossible to write the history of conic sections, a topic that was at the forefront of mathematical research A breakthrough came only when we discovered a Hebrew translation of the work of Abū al-Qāsim Aṣbagh ibn al-Samḥ, an Andalusian mathematician who was born in Cordoba, lived in Granada and died in 426 AH. He quoted part of al-Ḥasan ibn Mūsā’s book in his own book, The Grand Book of Geometry, which is one of the many that have been lost. Qalonymos Ibn Qalonymos in the early 14th century AD rescued part of Ibn al-Samḥ’s book by translating it into Hebrew under the title A Treatise on Cylinders and Conic Sections, which included 21 propositions. Fortunately, the translated part contained what lbn al-Samḥ had copied from al-Ḥasan ibn Mūsā. The question now is, how can we discover the text of al-Ḥasan ibn Mūsā through the Hebrew version of a text written by Ibn al-Samḥ? We are faced with

«Si le double de l’aire du cercle ABC n’est pas égal à la surface de la demi-sphère ABCD, alors il est ou bien plus petit qu’elle ou bien plus grand qu’elle».

(4) Si non fueril duplum embadi circuli ABC equale superficiei medietatis spere ABCD, tunc sit duplum eius aut minus superficie medietatis spere ABCD aut maius ea.

(3) Dico ergo quod embadum superficiei medietatis spere ABCD est duplum embadi superficiei circuli ABC. quod sic probatur. «Je dis donc que l’aire de la surface de la demi-sphère ABCD est le double de l’aire de la surface du cercle ABC ; ce qui est ainsi prouvé».

(2) Verbi gratia. sit medietas spere BCAD, et maior circulus qui cadit in ea sit circulus ABC, et punctum D sit polus huis circuli. «Exemple : soit BCAD une demisphère, ABC le plus grand cercle qui se trouve en elle, et le point D le pôle de ce cercle».

‫اهنم‬. ‫نأ نوكب لقأ اهنم امإو نأ نوكب رثكأ‬

‫اًيواسم ةحاسمل حطس فصن ةرك ا ب ـج د امإرهف‬

‫نإف مل نكب فعص ةحاسم حطس ةرئاد ا ب ـج‬

‫نأ‬... ‫هناهربو‬

،‫ا ب ـج د فعض ةحاسم حطس ةرئاد ا ب ـج‬

‫نإ ةحاسم حطس وأ( )طيسب فصن ةرك‬: ‫لوقأف‬

‫ةرئادلا‬. ‫ا ب ـج ةميظع عقت اهيف ةطقنو د بطف هذه‬

‫ةرك ةرئادو‬، ‫كلذ نكيلف ا ب ج د فصن‬: ‫لاثم‬

‫حطس فصن ةركلا ريدتسملا فعض حطس ةرئادلا‬ ‫اهتدعاق‬. ‫ةميلظعلا يتلا يه‬

‫لك فصن ةرك نإف ةحاسم هحطس وأ( )هطيسب فعض‬ ‫اهيف‬. ‫ةحاسم حطس ةرئادلا ةميظعلا يتلا عقن‬

(1) Embadum superficiei omnis medietatis spere est duplum embadi superficiei maioris circuli qui cadit in ea. «L’aire de la surface de toute demi-sphère est le double de l’aire de la surface du plus grand cercle qui se trouve en elle ».

«Si le double de la surface du cercle ABC n’est pas égal à la surface de la demi sphère».

‫نإف مل نكب فعض حطس ةرئاد ا ب ـج اًيواسم حطسل‬ ‫ةركلا‬. ‫فصن‬

«Soit donc ABCD une demisphère, son grand cercle ABC qui se trouve en elle et qui est sa base, et D son pôle».

‫ةرك ةرئادو ا ب ـج‬، ‫نكيلف ا ب ـج د فصن‬ ‫اهبطق‬. ‫اهتدعاق ود‬، ‫ةميظع عقت اهيف يهو‬

«La surface latérale d’une demisphère est le double de la surface du grand cercle qui est sa base».

III RÉDACTION D’AL-ṬŪSĪ

II TEXTE ARABE PROBABLE À L’ORIGINE DE I

I TRADUCTION DE GÉRARD

Tab. 2. R. Rashed, Les mathématiques infinitésimales, vol. 1 pp- 12-13, 24-25

Il arrive que le traducteur latin ne retienne que l’un des deux termes «embadum» et «superficies». Al-Ṭūsī a enlevé la deuxième partie pour aller directement à l’alternative.

Cette phrase a été éliminée par alṬūsī.

La seule différence est que dans le texte (III) le grand cercle est la base de la demi-sphère, ce qui est sous-entendu dans (I, II).

On constate que le sens est conservé et que l’expression d’al-Ṭūsī est un peu plus courte.

REMARQUES

590 IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

(6) Cum ergo fiet in medietate spere ABCD corpus compositum ex portionibus piramidum columnarum, cuius basis sit superficies circuli ABC et cuius caput sit punctum D, et ponetur ut corpus non tangat medietatem spere EHIK. «Si on inscrit dans la demi-sphère ABCD un solide composé de portions de cônes cylindriques [latin : segments de cônes] montées les unes sur les autres, dont la base est le cercle ABC et dont le sommet est le point D, sans qu’il touche la demi-sphère EHIK.»

«Que le double de l’aire du cercle ABC soit d’abord plus petit que l’aire de la surface de la demisphère ABCD, si cela est possible ; et que l’aire du double de la surface du cercle ABC soit égale à l’aire de la surface d’une demisphère ABCD soit la demi-sphère EHIK».

(5) Sit ergo in primis duplum embadi circuli ABC minus embado superficiei medietatis spere ABCD, si fuerit illud possibile. Et sit duplum embadi circuli ABC equale superficiei medietatis spere minoris medietate spere ABCD. que sit medietas spere EHIK.

I TRADUCTION DE GÉRARD

.‫ه ح ط ـك‬- ‫ةرك‬

‫ةرئاد ا ب ـج هسأرو ةطقن د ثيجم ال سامي فصن‬

‫ضعب هتدعاق‬، ‫تاطورخم نيطاسألا بكرم اهضعب ىلع‬

‫اذإف لمع يف فصن ةرك ا ب ـج د مسجم نم عطق نم‬

.‫ نكيلو فصن ةرك ـه ح ط ـك‬،‫ةرك ا ب ـج د‬

‫تحاسمل حطس فصن ةرك لقأ نم فصن‬$ ‫اًيواسم‬

‫؛كلذ نكيلو فعض ةحاسم حطس ةرئاد ا ب ـج‬

«Si comme nous l’avons décrit, on inscrit dans la demi-sphère ABCD un solide dont la base est le cercle ABC et dont le sommet est le point D, sans qu’il touche la demi-sphère EHIK».

.‫فصن ةرك ـه ح ط ـك‬

‫— هتدعاق ةرئاد ا ب ـج هسأرو ةطقن د ثيحب ال سامي‬

‫اذإ لمع يف فصن ةرك ا ب ـج د مسجم — امك انفصو‬

«Qu’il soit d’abord plus petit qu’elle, et qu’il soit égal à la surface d’une demi-sphère plus petite que la demi-sphère ABCD, soit la demi-sphère EHIK».

.‫ةرك ـه ح ط ـك‬

‫ وهو فصن‬،‫ةرك رغصأ نم فصن ةرك ا ب ـج د‬

‫هنم نكيلو اًيواسم حطسل فصن‬، ‫نكيلف اًلوآ رغصأ‬

‫نكيلف اًلوأ فعض ةحاسم حطس ةرئاد ا ب ـج لقأ‬ ‫ نإ نكمأ‬،‫نم ةحاسم حطس فصن ةرك ا ب ـج د‬

III RÉDACTION D’AL-ṬŪSĪ

II TEXTE ARABE PROBABLE À L’ORIGINE DE I

Identique. Al-Ṭūsī a simplement remplacé «composé ... autres» par «comme nous l’avons décrit», pour éviter la répétition. C’est, semble-t-il, un des motifs qui ont incité à la «rédaction».

Les deux textes sont les mêmes, à cette différence près qu’al-Ṭūsī a substitué les pronoms aux sujets, et a écarté la formule «si cela est possible», sous-entendue dans l’exposé. Ce sont ces différences stylistiques qui distinguent la «rédaction» de ce paragraphe.

REMARQUES

CONCEPTUAL TRADITION AND TEXTUAL TRADITION 591

Soit l’angle donné, l’angle ABC ; prenons sur ses deux droites deux grandeurs égales, soit BE et BD et cela, en prenant le point B pour centre et en traçant avec leur distance, le cercle DLE. Menons la droite DB jusqu’à L. Qu’il soit d’abord plus petit qu’un droit. Élevons BG perpendiculaire à la droite DL, traçons la droite EG et prolongeons-la jusqu’à H sans poser qu’elle ait une limite déterminée.

Sit itaque angulus ABG in primis minor recto. Et accipiam ex duabus lineis BA, BG duas quantitates equales, que sint quantitates BD, BE. Et revolvam super centrum B et cum mensura longitudinis BD circulum DEL. Et extendam lineam DB usque ad L. Et protraham lineam BZ erectam super lineam LD orthogonaliter. Et lineabo lineam EZ et extendam ipsam usque ad H. Et non ponam linee ZH finem determinatum.>

I TRADUCTION DE GÉRARD

‫ الو لعجن هل ةياغ‬،‫ّطخنو ّطخ ـه ز هذفننو ىلإ ح‬ ‫ةدولحم‬.

‫نيننمئاق‬، ‫حرخنو ب ز موقي ىلع طخ د ل ىلع نيتيواز‬

‫ةمنأق‬. ‫ نكتلو اًلّوأ ّلقأ نم‬.‫جرخنو طخ د ب ىلإ ل‬

.‫نأب ذختن ةطقن ب اًزكرم ريدنو امهدعبي ةرئاد د ل ـه‬

‫ةمناق‬. ‫ نكتلو اًلوأ لقأ نم‬،‫نكتلف ةيوازلا ا ب ـج‬

‫نكتلف ةيوازلا ةضورفملا ةيواز ا ب ـج؛ ذخأنو نم‬ ‫ كلذو‬،‫اهيطخ نيرادقم نييواستم امهو ب ـه ب د‬

Soit l’angle ABC ; qu’il soit d’abord plus petit qu’un droit. Prenons sur les droites BA et BC deux grandeurs égales BD et BE. Traçons à partir du centre B et avec leur distance, le cercle DEL, et menons DB jusqu’à L ; élevons BG perpendiculaire à LD, joignons EG et prolongeons-la jusqu’à H sans qu’il y ait une extrémité.

‫ةياغ‬. ‫لصنو ـه ز هجرخنو ىلإ ح ال ىلإ‬

،‫ ميقنو ب ز اًدومع ىلع ل د‬،‫جرخنو د ب ىلإ ل‬

،‫نييواستم مسرنو ىلع زكرم ب امهدعببو ةرئاد د ـه ل‬.

‫ذخأنو نم يطخ ب ا ب ـج يرادقم ب د ب ـه‬

III RÉDACTION D’AL-ṬŪSĪ

II TEXTE ARABE PROBABLE DE LA PROPOSITION 18

Al-Ṭūsī et Gérard sont si proches que l’on a l’impression que le début de la citation a été reproduit d’une manière un peu lâche par l’Anonyme. Ainsi dès les premiers mots, on lit dans la version latine et dans la rédaction d’al-Ṭūsī que l’on commence par considérer un angle aigu. Cette expression se présente plus loin dans la citation. D’autre part, les deux premières rappellent les côtés de l’angle «Et accipiam ... equales», alors que dans le texte cité, on lit seulement «ses deux lignes». Mais ces différences n’altèrent en rien la certitude qu’il s’agit bien du même texte.

REMARQUES

592 IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

Et accipiam de linea ZH equale medietati diametri circuli, quod sit linea ZQ. Quando ergo ymaginamus quod linea ZEH movetur ad partem puncti L et punctum Z adherens est margini circuli in motu suo et linea ZH non cessat transire super punctum E circuli DEL et ymaginamus quod punctum Z non cessat moveri donec fiat punctum Q super lineam BZ, oportet tunc ut sit arcus qui est inter locum ad quem pervenit punctum Z et inter punctum L tertia arcus DE; cuius demonstratio est: Prenons sur la droite GH égale au demi-diamètre du cercle, soit GO. Si nous imaginons que la droite GO se meut en suivant la circonférence du cercle dans la direction de L, que le point G reste sur la circonférence du cercle dans son mouvement, et que la droite GEH continue à passer par le point E du cercle DEL, et si nous imaginons que le point G continue à se mouvoir jusqu’à ce que le point O vienne sur la droite BG, dès lors il s’ensuit que l’arc qui est entre la position à laquelle a abouti le point G et le point L est le tiers de l’arc DE.

I TRADUCTION DE GÉRARD

.‫ نيبو ةطقن ل يه ثلث سوق د ـه‬7 ‫تهتنا هيلإ ةطقن ز‬

‫يذلا نيب عضوملا يذلا تهتنا هيلإ ةطقن ز نيبو ةطقن ل‬ .‫وه ثلث سوق د ـه‬

‫ ذئنيح بجو نأ نوكي سوقلا‬،‫ةطقن ع ىلع طخ ب ز‬

Séparons de GH, GO égale au demi-diamètre du cercle. Si nous imaginons que GH se meut dans la direction du point L et que le point G reste sur la circonférence dans son mouvement, que la droite GEH, dans son mouvement, continue à passer par le point E du cercle DEL et si nous imaginons que le point G continue à se mouvoir jusqu’à ce que le point O vienne sur la droite BG, il faut alors que l’arc entre la position à laquelle a abouti le point G et le point L, soit le tiers de l’arc DE. L’angle qui intercepte cet arc est le tiers de l’angle DBE.

.‫ةيوازلاو يتلا اهرتوت هذه سوقلا ثلث ةيواز د ب ـه‬

6 ‫بجو ٍذئنيح نأ نوكت سوقلا يتلا نيب عضوملا يذلا‬

‫ انمهوتو ةطقن‬،‫لازي ّرمي ىلع ةطقن ـه نم ةرئاد د ـه ل‬ ،5 ‫ ىتح ريصت ةطقن ع ىلع طخ ب ز‬4 ‫ز ال لازت كرحتت‬

‫> انمهوتو ةطقن ز ال لازت كرحتن ىتح ريصت‬،‫د ـه ل‬

‫طخو ز ـه ح ال لازي كرحتي ىلع ةطقن ـه نم< ةرئاد‬

‫ىلإ ةيحان ل ةطقن>و< ز ةمزال طيحمل ةرئادلا يف اهتكرح‬

‫ ىلإ ةيحان ةطقن ل ةطقنو ز‬1 ‫انمهون نأ ز ح كرحتي‬ ‫ يف هتكرح ال‬3 ‫ةمزال طيحملل يف اهتكرح طخو ز ـه ح‬

‫ةرئادلا اذإف‬. ‫لصفنو نم ز ح ز ع لثم فصن رطق‬

‫ةرئادلا وهو‬، ‫ذخأنو نم طخ ز ح لثم فصن رطق‬ ‫ اذإف انمهوت نأ َّطخ ز ع كرحتي ىلع طيحم ةرئادلا‬.‫ز ع‬

III RÉDACTION D’AL-ṬŪSĪ

II TEXTE ARABE PROBABLE DE LA PROPOSITION 18

:‫ ز‬7. ‫نيع‬.

‫يذلا نيذلا‬: 6.

‫كرحتي كرحي‬: 1. ‫ ياز‬:‫ ز ـه ح‬3.

‫ طيحم ةرئادلا‬:‫ طخ ب ز‬5.

‫كرحتت لازن كرحتب‬: ‫ لازن‬4.

‫ةرئادلا طخل اب ياز‬: ‫ طيحمل‬2.

Apparat critique du texte II :

Ici al-Ṭūsī, mis à part quelques variantes négligeables, reprend le texte des Banū Mūsā, que Gérard rend littéralement. Il omet seulement une expression, à la suite de «ad partem puncti L», pour dire «sur la circonférence du cercle» — ‫ىلع طيهم ةرئادلا‬. Notons qu’al-Ṭūsī écrit ‫ ثلث‬... ‫ةيوازلاو‬ ‫ ةيواز د ب ـه‬qui manque dans la citation et dans la version latine.

REMARQUES

CONCEPTUAL TRADITION AND TEXTUAL TRADITION 593

594

IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

many intermediaries and many languages, making it very complicated. In such cases, the role of the conceptual tradition in researching the textual tradition becomes more important. Our method was to start by investigating the history of conic sections in the middle of the third century AH, that is, before Hilāl ibn Hilāl al-Ḥimsī completed the translation of the first four books of the Treatise on Conic Sections by Apollonius. We then investigated what Thābit ibn Qurra, a disciple of al-Ḥasan ibn Mūsā, said on the subject, in order to determine what he had quoted from al-Ḥasan ibn Mūsā. We followed this by a linguistic investigation into the original Arabic words for which we have the Hebrew equivalent, particularly since the terminology of conic sections was formalised at a later stage after Apollonius’s work had been translated. To sum up, we had to restructure the book in order to distinguish between the authentic and the foreign. We also had to scrutinise the language of the text in order to determine what had remained the language of the third century AH and what had been introduced at a later period. Cercle

Ellipse – définition bifocale

Ellipse – section plane

Identification

Cordes et flèches

Calcul d’un diamètre

Aire de l’ellipse

Fig. 3. R. Rashed, Les mathématiques infinitésimales, vol. 1, p. 891

There are other categories of absent texts, apart from those we have already mentioned, which are no less relevant to the research into the textual tradition. I say this only to remind you of their exis-

CONCEPTUAL TRADITION AND TEXTUAL TRADITION

595

tence: to discuss them would take more time than we are permitted here. Among these categories are absent texts of which only a complementary work by a later author has reached us. An example of this category is a book written by Abū al-ʿAlāʾ ibn Sahl in the 4th century AH in which he dealt with certain mathematical problems, analysing them geometrically without going back to write the synthesis 1. At a later stage al-Shannī wrote the synthesis of the problems which Ibn Sahl had analysed. Ibn Sahl’s book has been lost, but we have al-Shannī’s article which has paved the way to understanding the analytical method used by Ibn Sahl and to reconstituting the contents of his book, even though the words are not his. There are also texts whose authors themselves admitted had been lost. An example is Ibn Sinān’s work on the measurement of parabola. He revised and corrected his original work, and then wrote another treatise on the subject, drawing attention to the loss of the first 2. The discovery of the first treatise would be of importance to those who wanted to follow up the development of the mathematical thinking of Ibn Sinān. Fortunately, we have recently found the treatise lost by Ibn Sinān in the middle of the 4th century AH and it has helped us understand the criteria for editing mathematical texts in that period. Following this brief review we may now move on to deal with a different type of text, the hidden text.

2. The hidden text One text may hide another, either intentionally or accidentally. The hidden text twill not then be ascribed to its actual author but to the author of the text obscuring it. In such instances, there would be a great deal of confusion and guesswork either in the area of the textual tradition or the conceptual tradition and in the history of both. There are many cases of the unintentional hiding of texts; sometimes it was caused by errors made by copyists and bookbinders, but there were also other reasons. Some cases of the intentional hiding of texts have been due to plagiarism. There were also other commercial reasons. This will be a protracted and difficult subject, the discussion of which has not yet ‎1. R. Rashed, Géométrie et dioptrique au x e siecle: Ibri SahL a-Qūhī et Ibn alHaytham, Paris, Les Belles Lettres, 1993. ‎2. R. Rashed, Les mathématiques infinitésimales du ix e au x e siècle. Vol. 1: Fondateurs et commentateurs: Banū Mūsā, Thābit ibn Qurra, Ibn Sinān, al-Khāzin, al-Qūhī, Ibn al-Samḥ, Ibn Hūd (London, al-furqān Islamic Heritage Foundation, 1996), Chap. III.

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IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

begun. I shall mention a single example to show how serious the matter is. Aḥmad ibn ʿĪsā, in the tenth century AD, wrote a book on optics entitled Optics and Burning Minors. This book has been copied several times, including once in Hebrew characters. When reading it we should remember that its linguistic style is very old. This was the conclusion reached by the German scholar Krause, who was one of the compilers of the indexes of Istanbul Manuscripts. He therefore thought that the book belonged to the middle of the third century AH. Most historians who have examined the book without due care have agreed with Krause. This was the situation before we discovered several texts written by Abū Isḥāq al-Kindī which had been included in Ibn ʿĪsā’s book. The problem came to a head when we recently discovered a lengthy book by al-Kindī which had been unknown for several centuries, entitled Rectification of Errors and Difficulties due to Euclid’s Optics. In this book al-Kindī put forward for the first time in history a critical explanation of Euclid’s optics. Comparing Ibn ʿĪsā’s book with that of al-Kindī made us realise without the slightest doubt that Ibn ʿĪsā had copied at least one fifth of al-Kindi’s work without mentioning the latter’s name, saying only: “... philosophers and Euclid among them...” 1 Close examination indicated that Ibn ʿĪsā’s book also included other texts taken from al-Kindi’s works, particularly important parts of his book De Causis Diversitatum Aspectus, which was the first book on the subject in Arabic and has not yet been found. Only the Latin translation has survived. In this way Ibn ʿĪsā’s book concealed many works by al-Kindī and kept them hidden for more than one thousand years. We know how much Arab critics of the past were concerned about plagiarism, particularly in the field of poetry. Research into the problem of plagiarism has played an important role in the development of criticism of poetical and literary texts. Obviously we now have a duty to investigate the plagiarism of scientific texts in order to develop a method of researching the tradition of scientific manuscripts. We have actually started to research this subject in our critical editing of books on optics written in the third century AH, ‎1. R. Rashed, Œuvres philosophiques et scientifiques d’al-Kindī, Vol 1: L’Optique et la Catoptrique (Leiden, E.j. Brill, 1997)-I was able to determine The sources of Ibn Īsā’s compilation, to edit it, to translate one third of into French, and to comment on it. The complete edition, French translation and Commentary is forthcoming. See also: R. Rashed and J. Jolivet, Métaphysique et Cosmologie (Leiden, E.J. Brill, 1998), vol. II, XIIL: 243.

CONCEPTUAL TRADITION AND TEXTUAL TRADITION

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either translated from Greek or written in Arabic, and to pursue the appropriate method with the aim of uncovering hidden texts.

3. The truncated text In the textual tradition many books have come down to us incomplete. Paragraphs or sheets and, in some cases, parts of or complete chapters are missing. Often these omissions occurred during the process of copying. There could be various reasons for this which we will not enter into here. This was the case in al-Kindi’s book On Rays, Ibn Sahl’s treatise On Burning Instruments and al-Qūhī’s book On the Art of the Astrolabe by Demonstration. These are some of the most important works written in their respective fields. Al-Kindi’s book was the first in Arabic on burning mirrors 1, and in it he built on the work of his predecessors such as Anthemius of Tralles, revising his theories and adding his own contributions. Ibn Sahl’s book 2 was the first in the history of optics in which a geometrical theory of optical lenses and Snell’s law of refraction were formulated. Al-Qūhī’s book 3 was also the first in the history of mathematics to study geometrical projection as a branch of mathematics. These are only a few examples, to which we may add many other books of the first order written by Ibn al-Haytham in astronomy and Ibrāhīm ibn Sinān on shadow instruments. Clearly these truncated texts represented the core and substance of all Arabic mathematical writings, so those who aim to study scientific manuscript tradition must study them well. These texts can be classified according to the type of truncation and the possibility of restoration. The first type of truncation is where part or parts of the text itself have been severed. An example is al-Kindi’s book On Rays in which he expounded for the first time in Arabic his theory on burning mirrors. It is worth noting that the book was the beginning of a movement to research catoptrics. Only one copy of this text was known in Patna, India which had been copied in Cairo in 890 AH. The manuscript was torn in many places and difficult to understand. It was therefore not greeted with the interest it deserved, and it became a target for unjustifiable criticism until we edited it with other manuscripts by al-Kindī on optics. It then became clear that the first part omitted from the manuscript was from the seventh line onwards

‎1. R. Rashed, L’Optique et la Catoptrique, pp. 360-422. ‎2. R. Rashed, Géométrie et dioptrique au x e siécle, p. cxxxviii, text on p. 1-52. ‎3. R. Rashed, ibid., p. cxxxvii, text on p. 65-82.

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IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

(photo 4.1, 4.2). The copyist realised that this part was missing and left the rest of the page blank. The second part omitted was between proposition no 15 and the last proposition, no. 16. In this instance too the copyist noticed there was a part missing and left a gap (photo of the manuscript 5-1 and photo of the editing 5-2). The missing part covered the end of one proposition and the beginning of the next, and misled researchers into thinking that the two propositions were one. Before editing al-Kindi’s manuscript we were fortunate to discover the Arabic translation of the text of Anthemius of Tralles. This helped us to fill a large part of the first gap. We suggested in the course of our study of the conceptual tradition of optics that a paragraph should be written to fill the second gap. It was only two months after the publication of our book on the works of al-Kindī in optics that we learned by coincidence of the existence of another manuscript, of the same text, on rays. It was part of a private collection whose owner was kind enough to send me a photocopy of the manuscript in colour and on glossy paper. This is the oldest Arabic scientific manuscript. It was copied in Shawwāl in 290 AH, approximately three decades after al-Kindī died. At the end of the manuscript there is written, in different handwriting, the following, “a copy of which was made in my handwriting in Dhū al-Qaʿda in 890 AH, having prayed to God to give its owner a long life, written by ʿUmar ʿAbd al-ʿAziz al-Fayyūmī”. We realised then that the manuscript we were researching must have been copied from that manuscript. On comparison it is apparent that the latter must have been copied from the former. The reason for taking out the missing part became clear: a page had been lost from the first part of the book. We were able to restore a large pan of it and also another page which was lost just before the end of the book. It became obvious that the loss of the two sheets from the old manuscript happened before 890 AH. This example shows in an experimental way, if we can use this expression, the close connection between the textual tradition and the conceptual tradition in our attempt restore a text as closely as possible to its original form. The second type of truncation of texts may happen as a result of pulling sheets off the manuscript without paying attention to the consistency of the text. This could be done intentionally for various reasons. For example, the book on burning instruments by Abū alʿAlāʾ ibn Sahl, a scientist of the 4th century AH, is considered, as I have already mentioned, to be one of the most important works written in Arabic on optics and particularly on the theory of refraction. It

CONCEPTUAL TRADITION AND TEXTUAL TRADITION

Fig. 4.1. MS Rajab, fol. 2

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IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

Fig. 4.2. MS Patna, fol. 2

CONCEPTUAL TRADITION AND TEXTUAL TRADITION

Fig. 5.1. MS Patna, fol. 34

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IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

Fig. 5.2. R. Rashed, L’Optique et la Catoptrique, p. 415

CONCEPTUAL TRADITION AND TEXTUAL TRADITION

Fig. 5.3. R. Rashed, L’Optique et la Catoptrique, p. 417

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IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

is impossible to understand what Ibn al-Haytham achieved without first knowing what Ibn Sahl did in that field. We have only one manuscript of Ibn Sahl’s treatise, in the handwriting of Aḥmad ibn Jaʿfar al-Ghundijānī and provided with vowel points by ʿAlī ibn Yaḥyā al-Maghribī, the son of the well-known astronomer. The manuscript consisted of twenty-six sheets. It reached us in a disordered and truncated way. We first had to rearrange the sheets, to be able to discover the theoretical structure of Ibn Sahl’s treatise. The sheets have been rearranged in the following way: 1 v → [14 r-16 v] → [13 r-v] → [2 r-12 v] → [17 r-26 v]. The first gap was between 1 v and 14 r, the second between l6 v and 13 r. It became obvious that 10 sheets had been pulled off the manuscript. These sheets had not been pulled off haphazardly. They contained the author’s discussion of ellipsoidal and parabolic mirrors. Therefore it seems that pulling them off was an intentional act by a reader fascinated by the two types of mirror. He did not realise, or perhaps notice, that these sheets also contained another mathematical question, namely the continuous drawing of these two conic sections. Study of the conceptual tradition enabled us to know what had been pulled off, its place in the text and also its scientific contents. What remained for us to do was to go back to the textual tradition in order to authenticate what we had discovered through our examination of the conceptual tradition, and to ascertain if we were right or wrong. The study of manuscripts by using this method becomes a scientific investigation subject to experiment and verification. We had then to go back to various collections of manuscripts to search for the works of lbn Sahl and treatises dealing with burning mirrors. We were lucky enough to find another text from a philosophical collection in the Ẓāhiriyya Damascus Collections that enabled us to fill the first gap. We established that the Damascus manuscript was part of Ibn Sahl’s book in the handwriting of Ibn al-Murakhkham, a Baghdadi judge of the 6th century AH. The third type of truncated text may be traced back to an incident which happened during the time of copying and was afterwards forgotten. An example of this type is a book Abū Sahl al-Qūhī on The Art of the Astrolabe by Demonstration which we have already mentioned and which is considered to be one of the first books to research geometrical projections as such. We know of only one manuscript of this book which is at the University of Leiden. Many chapters of the second part of the book were lost, and a large part of proposition 6 of the second chapter of the second part was also missing. The book be-

CONCEPTUAL TRADITION AND TEXTUAL TRADITION

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longed to a mathematical collection of the most important scientific collections, although it was copied at a later period. The collection was copied in the seventeenth century AD in Amsterdam for a particular reason. At that time the Dutch orientalist, Golius, became interested in Arabic scientific manuscripts, as did many other European orientalists. Golius was a professor of mathematics in Holland and one of the scholars who corresponded with Descartes. He contributed very actively to the collection of Arabic scientific manuscripts and their transfer to Holland, borrowing manuscripts that he could not buy. He asked an Arab who was then living in Holland to copy them. Some people from the Orient refused to sell their manuscripts to him but agreed to lend them. Among the manuscripts shipped to Holland was the well-known Leiden Collection, which included many highly valuable scientific and mathematical manuscripts. We have established irrefutable evidence that the original manuscript, which was returned to its owners in Syria, is now at Columbia University as part of the Smith Collection. The collection included al-Qūhī’s book which disappeared after being copied in Amsterdam. We therefore had no means of referring to the original copy in order to fill the gaps and to rectify the damage done to the manuscript when parts of it were removed. Our method of filling gaps is based on a number of tasks. Firstly, a thorough and careful examination of the scientific or mathematical conceptual tradition must be carried out to determine which parts are missing and what they contained, in order that they can be rewritten. Secondly, the language of the existing part of the text and of other works of the author must be carefully studied to familiarise ourselves with his vocabulary. The style of the author and the way he structured his sentences and phrases is carefully scrutinised with a view to making the formulation of new phrases as close as possible to his own wording and style. Thirdly, works of the author’s successors are perused to locate any quotations or comments that might help us perfect the writing of the added part, while at the same time remaining objective and cautious 1. The fourth type of truncated text is the one in which parts have been lost. We have already seen an example of this in al-Qūhī’s book of which many chapters of the second part were lost. There are many other examples: for instance, the first three books of the Arabic translation of The Art of Algebra by Diophantus, translated by Qusṭā ibn

‎1. R. Rashed, ibid., p. cxxxvii-cxxxviii.

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IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

Lūqā have been lost 1. The second and third parts of Ibrāhīm ibn Sinān’s book on shadow instruments have also been lost. However, the two cases are very different. Qusṭā ibn Lūqā translated seven chapters of Diophantus’ book on numerical problems and called them The Art of Algebra. When we found this translation more than twenty-five years ago, there were only four chapters left. Fortunately , the well-known mathematician of the late tenth century AD, Abū Bakr al-Karajī, summarised the first four chapters in his book Al-Fakhrī, and al-Samawʾal al-Maghribī of the filth century AH quoted some of the questions in the first three chapters. Also, Abu Jaʾfar al-Khāzin referred to an important question in the third chapter. These works were of great help to us in determining the questions dealt with in the first three chapters that had been removed from Diophantus’ book. The Greek text of the same chapters, which was not undistorted, was also of use to us. Finally, by reading the works of one of the commentators of alKarajī we were able to demonstrate beyond any doubt that the first three chapters were removed in the seventeenth century AD 2. The same commentator also provided us with a number of paragraphs taken from Qusṭā ibn Lūqā’s translation of the first three books. The Greek version, albeit with some distortion, is still in existence. We also have the commentary by al-Karajī and the quotations by alKhāzin, al-Samawʾal and the commentator I have already mentioned. We still have the larger part of the translation, too, that is, the remaining four chapters. These chapters give us a precise knowledge of the content of the missing part, its structure and linguistic style. We could even rewrite that part if we wanted to. In other words, thanks to the conceptual tradition and the Greek and Arabic textual tradition, it has become possible to know what is missing and to rewrite it if necessary. We have now given a number of examples of this method. The matter is completely different as far as the second example of this type of truncated texts is concerned. Ibrāhīm ibn Sinān’s treatise on shadow instruments is an example of this type: the book was written in three parts, of which the whole of the third part and most of the second part are missing. All we know about the missing parts is what was said by the author himself in his introduction to

‎1. Diophante, Les Arithmétiques, texte établi et traduit par R. Rashed, 2 vols, Paris, Les Belles Lettres, 1984. ‎2. R. Rashed, “Notes sur la version arabedes trois premiers livres des Arithmétiques de Diophante, et sur le problème 1.39,” Historia Scientiarum, 4-1 (1994), p. 39-44.

CONCEPTUAL TRADITION AND TEXTUAL TRADITION

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his book and what was written afterwards by Ibn al-Haytham when criticising a question in the missing part. In a case like this we do not have much hope of coming closer to the author’s text because of the extreme scarcity of the textual tradition. Here we have come to a dead end, unless we are fortunate enough one day to discover another copy of a manuscript of the text or of its commentaries.

4. The summarised or abridged text In some cases a copyist would interfere with the text to abridge or summarise it. In this situation we face a problem which was encountered by scholars of the Ḥadīth, namely, the problem of whether it is permissible to summarise the Ḥadīth, and the conditions under which this can be done while maintaining its validity For example, we learn from al-Ḥāfiẓ ibn Ḥajar in his book Sharḥ al-Nukhba that As regards summarising the Ḥadīth, the majority of people consider it permissible, on condition that it is done by a man of learning, because he will remove from the Ḥadīth only what has no relevance to what he has decided to retain. Thus, its significance will not be altered nor its eloquence distorted: the remaining text and the part omitted will be two predicates, or the stated will cover the omitted. On the other hand, a man of no learning could omit what is relevant—for example, cases of exception.

I have quoted Ibn Ḥajar to demonstrate the importance of the matter for the scholars of the Ḥadīth. Naturally, we would be expected to raise the same question when we aim to establish a new discipline to study the tradition of scientific Arabic texts. The question is whether it is permissible to consider the text valid and authoritative after it has been summarised or abridged by a copyist. For at least two reasons the matter is more difficult in the field of the tradition of scientific manuscripts than it is in the field of the Ḥadīth. Firstly, in the Ḥadīth we have a science of testimonies criticism to differentiate between those who are authorities on the subject and those who are less so, between men of learning and others of lesser stature. Also, the abridgement as explained by Ibn Ḥajar and others had been restricted to the wording of the Ḥadīth. It is different when we come to scientific manuscripts. Up till now no attention has been given to establishing a science of testimonies criticism for the study of copyist and their areas of specialisation. What makes the matter more difficult is the fact that the copyists were not all of the same class or profession as had been the case in medieval

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IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

Europe. Among the copyists there are outstanding mathematicians such as al-Sijzī and Ibn al-Haytham, mathematicians of lesser calibre, such as Qādi Zādeh and Muḥammad ibn Sartāq al-Marāghī; judges, such as Ibn al-Murakhham, whom I have already mentioned; Sufis, such as al-Mawla Dāwūd al-Qayṣarī al-Qarmānī, and clerks of the diwan (government departments) with training in mathematics, such as Muṣṭafā Ṣidqī. There are also people who had no knowledge about what they were copying. For the time being, until a science of testimonies criticism for the study of copyists has been established, we have to be very careful. The second reason for the matter being more difficult in the field of the tradition of scientific manuscripts is that mathematical and scientific texts, unlike the Ḥadīth, were written in technical language, with very little attention paid to the art of good style. They contained many tables and geometrical drawings, which made summary or abridgement different and difficult. Before making a judgement in this matter we can look at an example from a book by Sharaf al-Dīn al-Ṭūsī in the fifth century AH On Equations 1. This book by al-Ṭūsī was the most important work in Arabic on algebra and algebraic geometry and the most difficult to understand. The author reviewed in his book what he had inherited from his predecessors on the theory of algebraic equations, in order to perfect and verifies it. He followed the method of his predecessors to attain its utmost potential. Al-Ṭūsī also achieved what his predecessors had not attempted: in his book he arrived at the Ruffini-Horner method of the numerical solution of algebraic equations, and he wrote a complete theory to justify his method. He formulated his theory without resorting to symbols. He also came near to the beginning of mathematical analyses and arrived at concepts and conclusions which historians have claimed were innovations of mathematicians of the seventeenth century AD. We looked for al-Ṭūsī’s book, but all we could find was a unique manuscript at the India Office in London which was copied in 1198 AH (1784 AD). The manuscript was in the handwriting of one of the Hyderabad copyists who had copied several mathematical and astronomical manuscripts. We hesitated for a long time about editing this difficult manuscript because of its late date and the possibility of its containing material that was not in its original version. After many years we finally managed to obtain the original version from which the manuscript at the India Office was copied. The original was a

‎1. R. Rashed, Sharaf al-Dīn al-Ṭūsī, Œuvres mathèmatiques. Algèbre et géométrie au xii e siècle, 2 vols., Paris, Les Belles Lettres, 1986.

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manuscript written in the eighth century AH: the first sheets were missing so the author had remained unknown. We also found another paragraph in a manuscript at the Library of Venice. It then became possible to edit that difficult text, which we have now done. The text started as follows: My aim in this book is to provide a summary of the art of algebra and muqabala, to revise what has reached me of the words of the most distinguished philosopher, Sharaf al-Dīn al-Muẓaffar ibn Muḥammad al-Ṭūsī, and to abridge his text. I have left out the tables that be drew on the calculation and solution of the problems, as they were far from being natural and they were long and tedious. I also verified the method of deducing questions by Takht (dust table) and combined the way of solving problems with proofs, calling it equations.

It would be a serious matter if what this unknown person was saying was true, particularly since we know nothing about him, not even whether he was a man of learning or not. In such a case we had to investigate the extent of his summary and determine whether this unknown author was capable of undertaking it. To answer this question we had to compare this manuscript of al-Tūsī’s book with his other works, both mathematically and linguistically. Al-Ṭūsī wrote another treatise, On the Two Asymptote Lines, and he dealt with the same subject in his book On Equations. Comparison of these two texts was therefore important to reveal how much was summarised: it demonstrated beyond any doubt that they contained the same mathematical propositions and even, in most cases, the same expressions and phrases. It became evident that our unknown copyist was largely following the words of Sharaf al-Dīn al-Ṭūsī, copying his mathematical propositions and their proofs. How could it be otherwise! A careful examination of the structure of al-Ṭūsī’s text, the sequence of its chapters (including premises needed by alṬūsī afterwards), the investigation of equations of conic sections and their performance, and the classification of equations and their solution, led us to the conclusion that our unknown copyist was not able to summarise or revise any of these topics The comparison of parts of the texts with other parts—in other words, internal criticism of the text—revealed clearly that all our unknown copyist did was to copy what al-Ṭūsī had written. It seems that he omitted al-Ṭūsī’s introduction, in which he explained his purpose and method. We have deduced this because al-Ṭūsī’s book starts straightaway with mathematical propositions, without an introduction, even though it is one of the longest works in Arabic algebra in particular and in mathematics generally. Al-Ṭūsī’s tables established for the

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IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

numerical solution of equations have definitely been omitted by the copyist, thus making the book impossible for researchers to understand. Al-Ṭūsī always provided numerical tables for every equation and explained how to devise tables appropriate for equations. It is very difficult to think of this book without the tables omitted by the unknown copyist (cf. Fig. 6 and 7, pp. 611 and 612). Evidently, internal criticism of a text will have to be based on the date of the text and at the same time on the history of mathematical thinking. This is important in discovering how much has been abridged and how to avoid the dangers of abridgement, and why it is necessary in this case to reconstruct the tables and replace the omissions so as to achieve the closest approximation to the original text. The editor of a text should himself be cognisant of the vocabulary, expert in the exact meaning of the words used and able to understand sufficiently the subject matter and the purpose of the book.

5. The complete text in a unique manuscript In many cases we have a principal text which was not transcribed by the author of the text but from a missing original. This raises questions about the validity of the text and its veracity: do we accept the manuscript as it is, as an authoritative source of the text, and what are the conditions we have to consider in order to challenge its validity. To appreciate the importance of the matter we have only to remember that among those unique copy texts are the following: the texts of Thābit ibn Qurra On the Measurement of a Cylinder and Its Sections which was one of the most important works in mathematical analysis; al-Khāzin’s commentary on the first chapter of Ptolemy’s Almagest (he was also one of the founders of Arabic mathematical analysis); Abū Kāmil Shujāʿ ibn Aslam’s book on algebra, and other books by Ibn al-Haytham, al-Khayyām and others. This means that if we challenge the validity of unique copy manuscripts, we might reject many of the most important scientific books. On the other hand, if we accept their validity without much examination and scrutiny we may be wrong. This is a matter worthy of attention and investigation which has not yet been adequately debated. The following criteria apply in the case of unique copy manuscripts: 1. The book should be listed by authors of books of al-Ṭabaqāt (bibliographers) or earlier scholars. 2. There is another textual tradition such as a commentary, edition or other corroborating text.

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Fig. 6. R. Rashed, Sharaf al-Dīn al-Ṭūsī, Œuvres mathématiques, t. 1, p. cxxiv

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Fig. 7. Ms Khuda-Bakhsh 2928, fol.1r ; repr. in Sharaf al-Dīn al-Ṭūsī Œuvres Mathématiques, t. 1, p. xvi

CONCEPTUAL TRADITION AND TEXTUAL TRADITION

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3. There is a translation or translations of the text done at a relatively early time into languages such as Persian or Latin. 4. The text and the development of his thesis should be similar in style to that used by the author in his other books. 5. The linguistic style of the text should be the same as that used by the author in other writings. These criteria, and others, definitely require intensive research. There are several types of unique copy manuscripts, for instance: 1. The text is supported by another text – that is, the indirect textual tradition. An example of this is the text by Thābit ibn Qurra, which we have already mentioned and which was edited by Ibn Abī Jarrāda in the 6th century AH. When we compare the texts, it becomes clear that the manuscript is genuine. 2. The text has been translated. An example of this are the Latin and Hebrew translations of a book by Abū Kāmil Shujāʿ ibn Aslam on algebra. Both the translations represent indirect copying, proving the validity of the text and aiding its critical editing. 3. The author used part of the book in another of his works. For example, Omar al-Khayyām wrote a treatise On the Quadrant of a Circle which exists as a unique manuscript in the Collection of Tehran University 1. Al-Khayyām borrowed some parts of his own treatise and used them in his algebraic books. In this way, plagiarism of scientific texts helps us to demonstrate the authenticity of the text and prove its veracity. This happened in the case of al-Kindi’s book On the Rectification of Errors and Difficulties due to Euclid’s Optics, which was quoted by Ibn ʿĪsā without mentioning al-Kindi’s name.

6. The complete text in multiple manuscripts This is the case with many texts. Some have survived in very few manuscripts and others in scores. Editing these texts requires their classification according to their family tree, their original root, their branches and their various copies. The editing process cannot begin without knowing this family tree and the textual tradition. Here, the editor should avoid falling into the trap, as many have done, of

‎1. R. Rashed and B. Vahabzadeh, Al-Khayyām mathématicien, Paris, Librairie Blanchard, 1999, p. 113, text on pp. 238-267.

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IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

thinking that the age of a manuscript is proof of its validity and authenticity. There are many examples that disprove this belief, such as the manuscript by Kamāl al-Dīn al-Fārisī on amicable numbers. Even though it was copied less than a decade after the death of its author it is of worse quality than other manuscripts of a later date. Also, the manuscript of al-Khayyām’s treatise on algebra, the Vatican manuscript, is the most inferior of the manuscripts of that text despite its relative age: it is one of the oldest copies of the text. Classification of the various copies of a manuscript is not to be taken lightly, particularly when these are numerous. First, we have to establish the differences between manuscripts of the same text and how they differ, listing the deficiencies of each copy. We must recognise the fact that differences and even deficiencies do not all have the same significance. Grammatical errors in writing numbers, for example, were widely common among mathematicians of the third century AH but were never a hindrance to understanding the text, nor did they constitute a deficiency. In fact, grammatical errors in general were common in scientific and mathematical texts. The question is, what are the most important differences between manuscripts on which we can base our classification when all that we possess is criticism of the texts themselves, that is, without recourse to external factors which might not be available to us in many cases. These external factors might be the date of the transcription, the identity of the copyist, the level of his knowledge, the quality of the copy from which he transcribed, and so on. Undoubtedly the most important differences are those which resulted from the copyist’s negligence. These are unintentional discrepancies and spontaneous errors, such as leaving out one or more sentences, missing out two or more letters, or omitting two or more numerical figures of a mathematical text. If we can assess what each manuscript is lacking compared to another, then we can use the following rules for classification: 1. If a manuscript is missing sentences, letters, numbers, or figures that are not missing in another manuscript, we cannot consider the former to be the only original manuscript of the latter. 2. Manuscripts that belong to the same family tree will all be missing the sentences, letters, forms, and figures that are missing in any one of them. 3. Manuscripts which are missing sentences, letters, or figures which are also missing in manuscripts belonging to a different family tree should be considered copies of different originals, made either at the same time or consecutively.

CONCEPTUAL TRADITION AND TEXTUAL TRADITION

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We have followed these evident principles for the classification of manuscripts. We now have to establish tables to enumerate what some manuscripts are missing compared to others, and also the common errors and so on. It is advisable to use a computer for this work if the number of manuscripts becomes too great for conventional methods to be effective.

7. The master copy or the author’s manuscript This is the easiest case. The textual tradition will be edited by tracing grammatical errors, additions and other alterations that may have been introduced to the text when it was copied from the master copy, if indeed it was. In this short review we can come to several conclusions of which we will mention only two. The first constitutes a prerequisite for all those who work with the textual tradition. They must have a strong relationship with the conceptual tradition. Until recently, text was considered to be a ’living organism’, to be copied for the purpose of research and learning. Scientific thought, its development and its decline has frequently influenced this ’living organism’ which, in is turn, has often influenced the content and form of scientific thought. In a nutshell, we believe that the textual tradition and the conceptual tradition are inseparable. This must be so. The second conclusion is vital for future development if we are to accomplish what we are working towards. We must develop certain branches of knowledge vital for the study of the textual tradition. These include a science of testimonies criticism, which will study the identity, methods and standing of copyists, the history of education and its institutions in Islamic cities, and also philology and its history. These, and other branches of knowledge, will help to lay down scientific foundation necessary for research in both the textual tradition and the conceptual tradition.

COMMUNAUTÉ SCIENTIFIQUE ET TRADITION NATIONALE DE RECHERCHE Recenser le nombre des universités et des centres de recherche, rappeler le nombre des ingénieurs, des chimistes, des médecins, etc., tout cela est bien nécessaire pour connaître la masse scientifique d’un pays ou d’une nation. Importantes sans aucun doute, ces données quantitatives ne nous permettront cependant pas de connaître la « communauté scientifique» de ce pays ou de cette nation. Un assemblage de scientifiques, quel qu’en soit le nombre et celui des institutions où ils se trouvent, ne forme pas nécessairement une cité scientifique, encore moins une communauté scientifique – «c’est si l’on veut une agrégation mais non pas une association », comme disait Rousseau, dans Du Contrat Social, Livre I, chapitre 5. La preuve en est, tous ces pays qui se sont donné des universités et des centres, nombreux et beaux, sans pourtant que l’on puisse y reconnaître une authentique communauté scientifique. Il arrive en effet que certains sociologues, formés à la science sociale américaine, identifient assemblage et communauté, confusion que les sociologues de la tradition d’un Weber, d’un Simmel, d’un Durkheim ou d’un Marx rejettent sans hésitation. Pour parler d’une communauté, il faut en effet préciser les critères et les facteurs qui font d’un groupement, petit ou grand, une communauté consciente de l’être et de se distinguer des autres. Pour la communauté scientifique, la tâche est loin d’être facile. Nous nous intéresserons seulement aux critères et aux facteurs qui renvoient à la science et à son histoire. Parler d’une communauté scientifique ne peut se faire sans parler de la recherche scientifique elle-même. Une communauté scientifique existe lorsqu’existe une tradition nationale de recherche, dans laquelle elle trouve aussi bien son existence que les attributs qui la distinguent. Enlevée la tradition nationale de recherche, il ne restera plus qu’une masse d’enseignants, un agglomérat de techniciens, etc., de formation aussi hétérogène que disparate. Quant à la tradition nationale de recherche, lorsqu’elle existe, elle est aisément repérable aux noms des savants, aux titres de leurs œuvres, aux thèmes qu’ils ont développés, aux innovations théoriques et techniques qu’ils ont

Conférence prononcée en 2002 à l’Université des Émirats arabes unis.

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promues. Tout le problème du développement scientifique réside dans le pouvoir de créer une telle tradition de recherche, facteur d’intégration des groupes de savants et de la création d’une communauté scientifique. Pour illustrer ce que je viens de soutenir, je prendrai trois exemples empruntés à l’histoire des sciences dans cette région du monde ; le premier remonte au ix e siècle, à Bagdad ; le second est du xix e siècle, au Caire. Le troisième est de la première moitié du xx e siècle, également au Caire. La confrontation de ces deux exemples nous aidera peut-être à poser la question. Mais avant d’évoquer ces exemples, il faudrait commencer par rappeler quelques éléments de l’histoire. D’abord, il convient de distinguer entre « science classique», «science moderne » et « science industrielle ». La science classique s’est développée entre le ix e siècle et la première moitié du xvii e siècle. Elle a d’abord été cultivée dans les centres urbains de l’Islam et en arabe. Les traductions latines des œuvres des savants de l’Islam et la recherche que certains engageaient dans le même style (Fibonacci en mathématiques, par exemple) faisaient en quelque sorte partie intégrante de cette science classique. C’est à la fin du xvi e siècle et au cours de la première moitié du siècle suivant que fut réactivée cette science, qui commençait à s’essouffler dans son lieu d’origine. Cette science était essentiellement celle d’une langue dominante, d’abord l’arabe, puis plus tard le latin, cultivée dans les centres urbains. La « science moderne », elle, est européenne. On peut dater en gros son commencement avec Newton et ses successeurs au xviii e siècle, sinon plus tard encore. Par « européenne», j’entends que cette science a été cultivée et développée en Europe de l’Ouest et nulle part ailleurs. Cette science moderne se distingue de la science classique par une ambition unitaire beaucoup plus forte. Newton lui-même est le premier à avoir tenté de trouver une explication unitaire à la fois de la mécanique, de l’optique et du magnétisme. Ses successeurs à partir de D’Alembert et jusqu’à Maxwell approfondissent, étendent et transforment ce projet. Or cette même ambition a exigé de nouvelles formes de collaboration entre les savants de différentes spécialités. Cette science moderne, à la différence de la science classique, n’est pas celle d’une langue dominante. Outre le latin, trois langues au moins s’imposent : l’italien, l’anglais, le français, et même, à un moindre degré, l’allemand (Euler, Gauss ...). De plus, cette science se distingue de la science classique par les formes d’organisation qui sont les siennes. Le modèle du Museum d’Alexandrie était depuis longtemps dépassé. Ceux de la « Maison de la Sagesse»

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de Bagdad ou de la « Maison de la Science » du Caire, auxquels il faut joindre les écoles religieuses – al-Nizamyya ou al-Mustanṣiryya ou même al-Azhar –, les observatoires et les hôpitaux, ne suffisaient plus. Il fallait de véritables centres de recherche, avec leurs laboratoires – tel était précisément le rôle des Académies au xviii e siècle ; il fallait aussi des écoles consacrées à l’enseignement des sciences, ainsi que des écoles destinées à leur application. Celles-ci sont devenues nécessaires en raison même d’un autre caractère de la science moderne, à savoir un renforcement de la dimension appliquée, à vocation utilitaire. Il ne faut cependant pas se laisser abuser : cette application n’était dans une première période qu’à l’état de souhait. Il fallut en effet attendre la chimie, l’électromagnétisme et la thermodynamique, entre autres, avant que ce vœu d’application devînt effectif. Enfin, cette science moderne se distingue de la science classique par la nouvelle exigence de propager les normes de la science et l’information scientifique, c’est-à-dire la science comme culture, ce qui n’était pas le cas auparavant. C’est alors que l’on voit surgir bien plus qu’auparavant les philosophies scientifiques, non pas seulement celles des savants, qui existaient déjà auparavant, mais bien celles des philosophes (D’Alembert, Hume, Kant ...) ; c’est alors également que l’histoire des sciences se constitue comme discipline et que se composent les Encyclopédies Scientifiques, etc. Cette philosophie scientifique était devenue indispensable à « l’homme des Lumières». Dans ces conditions, la notion même de communauté scientifique, sa formation ainsi que son impact, ne sont plus les mêmes que dans la science classique. C’est une autre conception de l’enseignement et de la recherche qui voit le jour. Pour le dire en bref, l’un comme l’autre ne pouvait plus se faire sans l’intervention du pouvoir, de l’État. Or c’est précisément cette science que les nouveaux États du début du xix e siècle se sont efforcés d’acquérir. On évoque à ce propos l’exemple de l’Égypte et celui du Japon. Dans un cas comme dans l’autre, l’État national était manifestement motivé par des intérêts stratégiques, militaires aussi bien qu’économiques. Mais l’exemple de l’Égypte témoigne que l’État seul ne pouvait suffire à la « naturalisation » de la science moderne. Il fallut aussi une forme de volontarisme des acteurs, non seulement des militaires, mais aussi des élites politiques, des milieux économiques et aussi des savants formés. Au milieu du xix e siècle en Égypte, ce volontarisme des acteurs, à quelques rares exceptions près (al-Ṭahṭāwī, ʿAlī Mubārak) a fait singulièrement défaut. La perte du pouvoir de décision, avec la domination coloniale, a fait le reste. On y reviendra. La « science industrielle », celle des sociétés industrielles avancées qui produisent et consomment la science à un degré élevé, se

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caractérise par une industrialisation de la recherche ; j’entends par là non seulement le développement des applications scientifiques à l’industrie ou le développement de la recherche industrielle comme telle, mais aussi le fait que la recherche scientifique elle-même s’élabore dans des institutions et des laboratoires (CNRS, CERN, etc.) euxmêmes devenus l’objet d’un processus d’organisation et de gestion relevant des pratiques les plus communes de la gestion industrielle. La notion de « communauté scientifique » revêt alors un sens bien différent de celui que l’on rencontrait avec la science moderne. De plus, les objets mêmes de cette nouvelle science sont, de par leur propre définition, fortement dépendants des techniques sophistiquées, et on a pu les définir à juste titre comme «phénoméno-techniques», c’està-dire des objets dont la production exige parfois non seulement la collaboration de nombreuses spécialités scientifiques, mais aussi techniques, et dont le coût dépasse souvent la capacité financière d’un seul pays de taille moyenne. Cette science est à langages multiples, mais à dominante anglaise. De cette esquisse rapide on peut dégager plusieurs leçons générales, avant d’en venir à nos exemples. Première leçon : l’induction historique montre que, quelle que soit la science – classique, moderne ou industrielle – celle-ci n’a pu s’établir et se développer sans que soient d’abord créées les institutions qui lui sont propres, puis la professionnalisation du métier de savant et enfin l’application de la science. Même si ces termes n’ont pas exactement le même sens pour les trois moments de la science, les étapes sont à chaque fois indispensables. Institutionnaliser, c’est créer les institutions où la recherche scientifique peut s’effectuer : Maison de la Sagesse, Observatoires, Hôpitaux, Bibliothèques, Écoles ..., à Bagdad, au Caire, à Samarcande, etc. Académies d’abord puis Universités à Londres, Paris, Berlin, Milan, Saint-Petersbourg. Quant à la science industrielle, on ne connaît que trop les grandes et nombreuses institutions. Les institutions scientifiques ont souvent dû défendre leur existence face à d’autres structures bien établies et de multiples pouvoirs : politiques, religieux, économiques. La professionnalisation : la recherche est admise comme profession. Le traducteur d’al-Maʿmūn, son astronome, les membres de la Maison de la Sagesse, les membres de la cour d’Aḍūd al-Dawla à Bagdad, etc., appartenaient à des groupes de professionnels rétribués. Il en est de même pour Leibniz à la Cour de Hanovre. Dans les Académies, cette récompense prend la forme d’un système de jetons de présence, plus régulier. Plus tard, le chercheur devient un professionnel salarié, et on ne voit plus guère cette espèce de savant amateur

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qu’étaient encore un Descartes ou un Fermat. La communauté scientifique s’est développée sur la base de spécialisations toujours plus nombreuses et avec un personnel dont les noms et les titres reçoivent la sanction de plus en plus étroite de longues études. En ce sens, la recherche est devenue un métier parmi d’autres, inscrit et reconnu dans le système de production. Deuxième leçon que l’on puisse induire de l’histoire : il y a des cultures et des sociétés mieux préparées que d’autres à accueillir et, a fortiori, à s’approprier la science moderne. Il s’agit notamment des sociétés héritières d’une longue histoire en science classique. Mais cette potentialité reste vaine si elle n’est pas volontairement réactivée. Troisième leçon : qu’il s’agisse de la science classique, moderne ou industrielle, chaque fois il y a des centres et des périphéries, mais jamais une égalité dans le développement. Les centres de la science classique sont Bagdad, Le Caire, Cordoue, Samarcande, avant de se déplacer à Bologne, Padoue, Venise puis à Paris et à Londres ; aujourd’hui nombreux sont aux États Unis, en Europe et au Japon. Quatrième leçon : qu’elle soit classique, moderne ou industrielle, jamais la science n’a été un objet que l’on déplace d’une société à une autre. Bien plus, il n’y a pas de diffusion de la culture scientifique d’une société à une autre – par traduction, déplacement des savants, etc. – sans qu’ait été préalablement créée l’infrastructure indispensable. Jamais l’Europe n’aurait pu tirer parti des connaissances scientifiques au commencement de la révolution industrielle si, d’un côté, on n’avait pas généralisé l’éducation élémentaire, et, d’un autre côté, diffusé la culture technique, par une multitude de moyens. Jamais une société ne s’est approprié la science sans se construire elle-même ses propres traditions de recherche. Pour illustrer cette thèse, à mes yeux fondamentale, relative à la communauté scientifique et aux traditions nationales de recherche, je prendrai deux exemples : celui de Bagdad pour la science classique ; l’autre du Caire pour la science déjà industrielle. Faute de temps, je sauterai pieds joints par dessus l’introduction de la science moderne en Égypte et son échec relatif.

I Revenons à Bagdad au début du ix e siècle, et observons que le mouvement de traduction des textes n’est pas à ses débuts, mais amorce sa seconde période, qui le mènera à son apogée. De la pre-

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mière, il ne reste que quelques vestiges 1, parfois un titre ; ainsi, on connaît par al-Nadīm l’existence d’une ancienne traduction de l’Introduction de Théon à l’Almageste. Mais ces vestiges ne permettent pas de forger une image fidèle de cette activité de traduction ; ils attestent simplement qu’il s’agissait d’initiatives individuelles. Au cours de la seconde période, d’importance incomparable, et qui nous occupe ici, la traduction s’intègre désormais à une activité bien plus vaste, qui pourrait être désignée sous le titre évocateur d’« institutionnalisation de la science». Ce mouvement, progressif, commence par gagner les disciplines récemment créées et directement liées à la nouvelle société, à son organisation et à son idéologie : science du langage, jurisprudence, théologie, histoire, herméneutique, etc. À partir du milieu du viii e siècle, de nouvelles questions linguistiques, herméneutiques, théologiques, juridiques, etc. surgissent ; le nombre des savants et des écrits en ces domaines s’accroît considérablement, la spécialisation s’accentue de plus en plus, et on assiste à l’émergence d’écoles rivales, marquées par une professionnalisation de plus en plus reconnue 2. Or, les sciences de l’héritage hellénistique, et notamment les sciences mathématiques, ne sont touchées par ce mouvement qu’à Bagdad, et au ix e siècle. Une étude plus détaillée montrerait que l’intérêt porté à l’héritage grec est, pour une part, lié à cette activité de recherche dans les disciplines islamiques. Les anecdotes connues de tous, à propos des spécialistes en ces disciplines, comme le linguiste al-Khalīl, en sont une bonne illustration 3. On comprend dès lors qu’il fallut attendre le ix e siècle pour que ce mouvement attînt les sciences de l’héritage hellénistique. On comprend aussi qu’à Bagdad, à cette époque, l’entreprise de traduction portait sur plusieurs disciplines à la fois – médecine aussi bien que géométrie et astronomie – et ne se

‎1. Les anciens bibliographes comme al-Nadīm évoquent une « ancienne traduction » – naql qadīm – de certains livres scientifiques. Ainsi al-Nadīm parle d’une ancienne traduction de l’Almageste, comme d’une ancienne traduction de l’Introduction de Théon. Cf. al-Fihrist, éd. R. Tajaddud, Téhéran, 1971, pp. 327-328. ‎2. Il suffit de rappeler ici les écoles de grammairiens et de linguistes au deuxième siècle de l’Hégire – celle d’al-Baṣra et celle d’al-Kūfa notamment – leur apparition et les positions sociales tenues par leurs représentants aussi bien à la cour de Bagdad que chez les notables de la société. Il en est de même pour les juristes, les historiens, etc. ‎3. Ce linguiste du deuxième siècle de l’Hégire était à la fois fondateur de la prosodie arabe, et de la lexicographie. Il était également théoricien de la musique et arithméticien. Il a eu recours à l’analyse combinatoire pour résoudre le problème de composition d’un dictionnaire de l’arabe ; il s’est en même temps préoccupé de recherche en arithmétique. Cet exemple montre comment la recherche dans les sciences mathématiques s’articule aux disciplines islamiques.

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restreignait pas, comme on a pu l’écrire, à la médecine et à l’astrologie, c’est-à-dire aux disciplines qui présentent un intérêt pratique. On ne saurait suffisamment insister sur l’erreur de perspective dont procède une telle limitation. Mais, pourquoi l’institutionnalisation de la science de l’héritage hellénistique s’est-elle engagée à ce moment et en ce lieu ? Deux raisons doivent être envisagées, dont la première est connue de tous : l’existence d’une demande sociale. Toutes les études sur le passage du grec à l’arabe relatent faits et anecdotes qui montrent que califes et mécènes ont fondé bibliothèques et observatoires, et qu’ils ont gracieusement encouragé la traduction et la recherche. Mais, ce que l’on ne dit jamais, c’est que dans ces nouvelles institutions on ne rencontre pas simplement des individus, mais aussi des groupes, des équipes pour ainsi dire, parfois rivaux et en compétition. Ces groupes, et les positions sociales créées pour la traduction et la recherche, ont servi de moyen d’intégration des sciences hellénistiques dans la cité scientifique en cours de constitution et d’expansion. Rappelons pour mémoire que la célèbre Maison de la Sagesse (Bayt al-ḥikma) de Bagdad réunissait des astronomes comme Yaḥyā ibn Manṣūr, des traducteurs comme al-Ḥajjāj ibn Maṭar traducteur d’Euclide et de Ptolémée –, des mathématiciens comme al-Khwārizmī. Un autre groupe, également lié à cette Maison de la Sagesse, celui des trois frères et savants Banū Mūsā, comprenait le traducteur d’Apollonius Hilāl ibn Hilāl al-Ḥimṣī, ainsi que le traducteur et éminent mathématicien Thābit ibn Qurra. On sait, enfin, que des savants se regroupaient autour de Ḥunayn et al-Kindī, entre autres. Cette organisation de la traduction éclaire l’un de ses traits les plus marquants à l’époque : son aspect massif. Et de fait, en quelques décennies, on a traduit trois fois les Éléments d’Euclide, deux fois l’Almageste de Ptolémée, ainsi que les autres livres d’Euclide et de Ptolémée ; et les Coniques d’Apollonius. Au cours de ce siècle ont été également traduits plusieurs traités d’Archimède, sept livres des Arithmétiques de Diophante, des travaux de Héron d’Alexandrie et de Pappus, parmi d’autres. Massive, la traduction n’est cependant ni systématique, ni ordonnée selon un ordre de difficulté croissante, ou encore selon la succession historique des auteurs grecs. Autant dire que l’entreprise de traduction n’obéissait pas à un projet préalablement conçu. Ce serait néanmoins une erreur de croire que l’on traduisait au hasard des textes retrouvés. Plusieurs histoires rapportées par les traducteurs du temps eux-mêmes témoignent bien au contraire qu’il s’agissait d’une tâche délibérée : on choisissait le texte à traduire, et on re-

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cherchait les manuscrits de ce texte 1. Tous ces aspects, traduction massive, sans ordre et pourtant délibérément organisée, sont liés à la seconde raison, qui explique pourquoi, à Bagdad et au début du ix e siècle, se développa l’institutionnalisation des sciences de l’héritage hellénistique. Insuffisamment soulignée bien que flagrante, cette seconde raison est l’intime connexion qui unit la traduction à la recherche : celle-ci, selon les cas, précède la traduction elle-même ou lui est contemporaine, ou bien encore se trouve plus ou moins indirectement suscitée par la traduction d’un autre texte dans un domaine voisin. Lorsqu’à cette époque on traduisait des textes scientifiques, ce n’était pas pour écrire l’histoire des sciences, mais pour rendre disponibles en arabe les textes nécessaires à la formation des chercheurs, ou encore à la poursuite de la recherche. Ainsi, la traduction d’Archimède devait permettre les études sur la mesure des aires et des volumes, mais n’était nullement destinée à contribuer à la rédaction de l’histoire de ce chapitre ni au commentaire du texte d’Archimède. Si nous insistons sur cet aspect, c’est qu’il a pesé sur le choix des textes à traduire et orienté la méthode et le style de la traduction. En d’autres termes, l’ordre sous-jacent au choix des livres à traduire et à la succession des traductions ne prend son sens qu’en référence aux activités de recherche du temps. Du coup s’éclaire un quatrième trait de la traduction scientifique : elle est souvent le fait de chercheurs de premier rang, tels Ḥunayn, Thābit ibn Qurra, Qusṭā ibn Lūqā, etc., qui, on le devine déjà, étaient aussi des savants parfaitement experts en grec. S’il est vrai que la traduction scientifique a été massivement faite directement du grec sans l’intermédiaire du syriaque, c’était cependant l’œuvre de savants également soucieux du sens ; si bien que son aspect littéral pourrait dissimuler une certaine interprétation, voire une correction du texte. On vient de voir que la communauté scientifique s’est construite à la fin du ix e siècle à travers la recherche et, en quelque sorte, par la recherche. À aucun moment on n’a essayé de « mimer » un quelconque modèle, mais on a opté pour une voie sui generis. Les étapes de cette formation se sont ainsi succédées : une recherche originale dans les disciplines islamiques, génératrice à la fois d’un milieu et d’un public, ainsi que des nouveaux besoins aussi bien que les moyens nécessaires – linguistiques par exemple – pour aller

‎1. Un exemple célèbre à cet égard est la recherche délibérée par Ḥunayn ibn Isḥāq de La Démonstration de Galien. Cf. Diophante, Les Arithmétiques, édition et traduction par R.Rashed, Les Belles Lettres, Paris, 1984, t. III, pp. xxiv-xxv, note 44.

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plus loin. On ne comprendra rien à la formation de la cité scientifique au ix e siècle si on néglige cette recherche dans les disciplines sociales. Le mouvement d’appropriation de l’héritage hellénistique, avec cette entreprise massive de traduction, était lui-même indissociable d’une recherche originale, c’est-à-dire dotée de ses questions et de ses thèmes propres. On assiste d’emblée à la formation de nouvelles traditions inconnues des savants grecs traduits : la tradition algébrique ; la tradition géométrique nouvelle où l’on compose ce qui auparavant était séparé, c’est-à-dire une géométrie infinitésimale et une géométrie de position ; une nouvelle tradition dans la recherche en astronomie où l’on réunit une astronomie more geometrico et une astronomie d’observation, etc. Ce ne sont pas ces nouvelles traditions de recherche qui ont initié la formation de la communauté, mais elles ont été les facteurs de son intégration durant quatre siècles au moins.

II Je vais à présent franchir les siècles pour m’arrêter quelque peu au début du xix e siècle avant de passer au siècle suivant. Je commencerai par évoquer l’exemple de l’Égypte à sa sortie des moyens-âges Ottoman et Mameluk, c’est-à-dire lors de la première tentative de modernisation économique, militaire et scientifique. C’est à ce moment que le nouvel État, pour des raisons stratégiques, militaires et économiques, décide d’importer la science moderne, c’est-à-dire la science et la technologie européennes du xix e siècle. Il n’est pas possible, on le comprendra, de reprendre ici l’histoire de ce mouvement, encore moins celle de l’Égypte sur un peu plus de trois quarts de siècle. Je me bornerai à souligner quelques-uns des principaux traits de ce mouvement de transfert. En premier lieu, ce transfert, nécessité par une politique de développement économique et militaire, a exigé une réforme radicale du système éducatif. C’est ainsi qu’au système traditionnel alors en vigueur, on a superposé un système moderne, qui déclassait inévitablement le précédent, sans le supprimer, mais, au contraire, en en tirant profit. Ce nouveau système, qui devait fournir à l’armée et à l’Etat le cadre technique et administratif dont ils avaient besoin, recrutait le gros de ses sujets parmi ceux qui avaient déjà été éduqués dans le système traditionnel. Le transfert n’était donc pas un acte, ni une suite d’actes ponctuels, mais concernait le système éducatif dans sa totalité. En effet, le nouvel Etat, qui avait le monopole de l’activité économique, recherchait la formation d’une puissance militaire sub-

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stantielle et d’une administration efficace. Muḥammad ʿAlī, avec l’aide des militaires, des ingénieurs, des médecins..., et même des ouvriers européens, et notamment des saint-simoniens, a créé les écoles spécialisées : écoles militaires, navales, vétérinaires ; écoles de médecine, d’administration, de comptabilité, etc., c’est-à-dire celles qui étaient liées directement à l’armée et à l’administration. Il a également créé des écoles importantes pour l’armée et l’industrie militaire et civile : école polytechnique avec ses diverses sections – mines, ponts et chaussées, centrale – école de chimie, école des arts industriels, école agronomique, etc. On a en outre créé un observatoire et une bibliothèque. Lorsque par exemple on s’arrête aux matières enseignées à l’école polytechnique après sa fondation définitive en 1836, on y trouve les disciplines de l’époque : géométrie supérieure, algèbre supérieure, trigonométrie, géométrie descriptive, géométrie analytique, calcul différentiel et intégral, mécanique, physique, géodésie, statistique, astronomie, etc. Mais, pour fournir à ces écoles des élèves capables de suivre un tel enseignement, l’Etat a dû alors créer deux types d’écoles, primaires et préparatoires, et enfin un conseil de l’Instruction Publique, qui contrôlait et orientait ce nouveau système éducatif, conçu pour «naturaliser» la technologie et la science modernes. Mais, lorsqu’on y regarde de plus près, on constate que les écoles primaires étaient en fait une version renouvelée des écoles primaires du système traditionnel ; on y rencontre les mêmes disciplines linguistiques et religieuses que celles enseignées à l’université traditionnelle d’al-Azhar, en plus de l’arithmétique, de la géométrie et de la géographie. À ce degré, le système traditionnel était présent dans le nouveau non seulement par ses disciplines et ses livres, mais aussi par son personnel : les instituteurs étaient choisis parmi ceux qui avaient achevé leurs études dans le système traditionnel. Dans les écoles préparatoires, on enseignait en plus des langues, la géométrie – le livre de Legendre – l’arithmétique, l’algèbre, la géographie, l’histoire et le dessin. En 1841 on ajoute l’enseignement du français, qui devenait de ce fait la première langue européenne enseignée dans les écoles secondaires. Il est clair que ce programme des écoles primaires et préparatoires est un programme de transition entre le système traditionnel et un enseignement moderne. Le recrutement des élèves – tout au moins au début –, et l’organisition des écoles, se modelaient sur les pratiques alors en usage dans l’armée. L’ensemble du système était très lourd et bureaucratique. Quoi qu’il en soit, on voit bien que le système traditionnel non seulement a survécu au système moderne, mais lui a servi de support : disciplines, livres, personnel enseignant, et, plus encore, quelques figures importantes du mouvement de transfert au sens

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étroit. Plusieurs membres de ce système traditionnel se sont en effet employés à la correction et à la traduction de livres européens, et ont composé des lexiques techniques à l’aide de la terminologie de la science classique ; ils furent élèves des grandes écoles – médecine, polytechnique – et d’autres furent envoyés en mission à l’étranger. En bref, le transfert a exigé l’élaboration d’un nouveau système éducatif, qui a trouvé ses assises dans l’ancien, lequel s’est trouvé déclassé, scientifiquement mais aussi socialement, par lui. Second trait de ce transfert : il s’est effectué d’emblée dans la langue nationale. On n’a pas, comme dans la tradition coloniale, imposé une langue européenne pour l’enseignement scientifique, mais on a commencé par introduire un système de traduction orale avant la formation du cadre local. Ce parti pris a provoqué dès le départ un mouvement d’arabisation des traités et des manuels, ainsi que l’édition de lexiques et de dictionnaires. Pour assurer cette arabisation, on a eu recours à deux moyens : la fondation d’une école destinée à former les traducteurs, et les missions d’étudiants à l’étranger. L’école de traduction, dite «école des langues », a été fondée en 1835. La doctrine qui présidait à sa création est ainsi formulée par le chef de l’Etat lui-même : « tout ce qui est utile dans les systèmes occidentaux a été écrit par leurs auteurs ; si on le traduit, on peut le suivre». Cette école s’organisait alors en quatre sections, qui désignent bien les buts visés : mathématiques ; médecine et physique ; littérature, histoire et géographie ; et, finalement, turc. Le programme ne comportait pas seulement les langues – notamment l’arabe et le français – mais aussi des éléments de mathématiques, d’histoire, de géographie. Plusieurs membres de cette école (professeurs et étudiants) étaient issus du système traditionnel, et plusieurs de ses anciens élèves seront de grands traducteurs, voire de grandes figures intellectuelles de la génération suivante – comme Rifʿā al-Ṭahṭāwī . Les missions étaient multiples, mais essentiellement dans les domaines scientifiques et techniques. On peut recenser une mission en Italie en 1813, sept missions en France, en 1818, 1826, 1832, 1844, 1845, 1847, 1848 ; on a même fondé à Paris une école égyptienne pour former ces missionnaires. On a envoyé des missions en Angleterre et en Autriche – 1829, 1845, 1847, 1848 – et même une mission au Mexique. La coutume voulait que chaque élève, à son retour, rendît en arabe un livre étranger dans sa spécialité. La totalité des livres scientifiques traduits étaient destinés à l’enseignement des futurs ingénieurs, médecins, chimistes... Ainsi, pour les livres mathématiques, on trouve La Géométrie descriptive de Monge, la Géométrie de Legendre, l’Algèbre de Mayer, la Géométrie descriptive de Duschenes. Un troisième trait de ce transfert est le choix pragmatique et

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appliqué qui y présidait. L’examen des disciplines enseignées, des livres traduits, des objets des missions, montre assez que l’on avait délibérément opté pour les disciplines appliquées, ou pour celles qui leur sont étroitement liées. Même lorsque l’on introduisait l’enseignement d’autres disciplines, c’était en rapport avec les disciplines appliquées, selon leurs besoins de formation. De sorte que le transfert vise bien davantage les techniques industrielles et militaires, la santé..., que les sciences elles-mêmes. Ainsi, parmi les livres traduits, plusieurs traitent de géométrie descriptive, mais aucun de théorie des nombres, pour ne citer qu’un exemple. Bien des ouvrages touchent directement aux applications industrielles. Le quatrième trait remarquable de ce transfert est qu’il s’est effectué sans la recherche ; c’est-à-dire qu’on visait les effets de cette science plus que les moyens de la produire. Sur le plan institutionnel d’abord, alors qu’on a fondé, selon le modèle français, dans les premières décennies du xix e siècle, différentes écoles d’ingénieurs, de médecine, de pharmacie etc., on n’a pas songé à créer une seule institution académique consacrée à la recherche. Cet état de choses a eu à ce stade plusieurs conséquences, qui toutes mènent à l’absence de traditions scientifiques nationales, et à l’instauration d’une certaine dépendance scientifique permanente à l’égard des pays d’Europe. La traduction concrète d’un tel état de choses était qu’un jeune savant, productif au cours de son séjour de formation en Europe, réduisait ou, en fait, arrêtait, toute recherche, à son retour. Ce même savant, toujours faute d’institutions de recherche, n’aura pas de successeur. Donnons un exemple, parmi tant d’autres, celui de la biographie d’un astronome égyptien, Maḥmūd al-Falakī. Professeur à l’école polytechnique au Caire à partir de 1834, il a été envoyé en mission en Europe. Pendant son séjour, il publie dans les Mémoires des différentes Académies – belge, française... – plusieurs recherches sur le calendrier et le champ magnétique de la terre. Durant les quelques années qui ont suivi son retour en Egypte, il poursuit ses recherches dans le prolongement de celles qu’il avait engagées en Europe, trace la première carte astronomique et topographique d’Egypte, observe l’éclipse du 18 juillet 1860. Il s’intéresse ensuite aux études qui n’avaient pas de rapport avec l’astronomie – géographie et météorologie. Devenu deux fois ministre, il n’a pas laissé d’élèves. Mais, en dépit de cet obstacle majeur, et qui a contribué à empêcher la fondation d’une véritable cité scientifique, on assiste à un début de « naturalisation» de la science : l’organisation militaire de l’enseignement cède la place à une organisation civile, le corps enseignant est constitué en majorité de nationaux, l’arabisation progresse et se perfectionne. Telle est la situation à la veille de l’occupation

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par les Britanniques en 1882, qui donna un brutal coup d’arrêt à ce mouvement ; mais ceci est une autre question 1. Quoi qu’il en soit, cette expérience de Moḥammed ʿAlī était elle-même victime de deux illusions, qui malheureusement vont se reproduire plus tard dans bien des pays en développement. La première illusion consiste à viser les effets de la science sans se donner les moyens de l’élaborer et de construire à la fois une forte structure de recherche et l’infrastructure de la culture scientifique et technique de la société tout entière. Traduction de la première, la seconde illusion fait croire que l’on peut se dispenser de la recherche fondamentale.

III Le dernier exemple que je voudrais évoquer est celui de l’Égypte dans la première moitié du xx e siècle ; je le ferai à travers la carrière d’un savant, ʿAlī Mustafa Musharafa (1898-1950). Élève de l’École Normale dont il sort en 1917, il fut envoyé en Angleterre pour poursuivre ses études. Il commence par obtenir un B. Sc. en mathématiques en 1920. Dans une lettre du 6 janvier 1918, l’élève de Nottingham College à Londres compare les niveaux respectifs de l’enseignement reçu en Égypte et de celui de Londres, et écrit à propos de l’examen de l’”Interscience” : Quant aux mathématiques, pour ces deux divisions, elles sont très faciles et n’excèdent le baccalauréat seconde partie égyptien que de peu ; quant à la partie théorique de la physique, elle est du même niveau que celui de l’École normale en Égypte, alors que la partie pratique excède quelque peu le niveau égyptien. Il en est de même pour la chimie.

Témoignage précieux, et le moins que l’on puisse dire est que l’enseignement en Égypte préparait alors cette génération à poursuivre des études de niveau international. Quoi qu’il en soit, Musharafa obtient son Ph. D. trois ans après, en 1923 ; il retourne en Égypte, à l’École Normale, puis repart, afin de soutenir son D. Sc. en 1924, c’est-à-dire à 26 ans. L’œuvre proprement scientifique de Musharafa s’étend sur 27 ans, entre 1922 et 1949, et se signale d’emblée par deux traits : réduite en nombre – une vingtaine d’articles en tout – elle a été conduite d’une manière continue, malgré ‎1. La plupart des écoles ont été fermées, l’enseignement est devenu rare et payant, et le programme des écoles visait à former des fonctionnaires du gouvernement. Voir séance du 24 décembre 1894 de l’Assemblée Nationale.

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les tâches administratives, les devoirs de l’homme public, et même l’isolement imposé par la seconde guerre mondiale. Mon but est ici de montrer les effets de l’absence de tradition nationale de recherche, d’une part sur la formation de la communauté scientifique, en dépit de la présence d’écoles et même d’une université ; et d’autre part sur la prise de conscience par Musharafa de cette situation et son effort pour y remédier. Pour cela, j’examinerai avec quelques détails la vie scientifique de Musharafa, laquelle se divise en deux périodes : la période anglaise et celle qui suivit son retour en Égypte. Les premiers travaux de Musharafa, c’est-à-dire les recherches qu’il a effectuées pour obtenir son Ph. D. et son D. Sc., portent sur la physique quantique du jour. Durant trois ans, entre 1922 et 1925, il étudie l’effet Stark et l’effet Zeeman. Il publie ses résultats dans le Philosophical Magazine et dans les Proceedings of the Royal Society. L’examen de ces mémoires permet de situer le jeune chercheur : il participait activement à la recherche sur la physique en Angleterre sous la direction de Wilson et de Richardson, et il étudiait des problèmes qui, sans être de pointe, étaient récents. La frange la plus avancée était alors représentée par les travaux de Bose, Einstein, de Broglie et Schrödinger. Toujours dans cette tradition britannique, et sous l’influence de son professeur, O. W. Richardson, Musharafa s’occupe des conditions quantiques des systèmes dégénérés, et publie en 1925 dans les Proceedings of the Royal Society, un mémoire intitulé « On the Quantum Dynamics of Degenerate Systems». Dans ce mémoire, il parvient à une intuition intéressante, à savoir que les systèmes dégénérés correspondent à un nombre quantique supposé, mais non connu, ou que le mécanisme de dégénérescence est lié à des nombres quantiques demi-entiers. La découverte de Spin donnera plus tard la véritable explication. Sans nous étendre davantage sur les recherches de Musharafa durant cette période, et sans nous arrêter aux résultats par lui obtenus, nous pouvons dire qu’il appartenait à la tradition de la physique quantique britannique et qu’il avait pris une part active et brillante aux travaux de cette école. Mais à aucun moment Musharafa n’a été tenté de poursuivre sa carrière de physicien en Angleterre – il est vrai que nous sommes avant l’ère du brain drain. On le retrouve donc en Égypte, comme maître de conférences à l’École Normale. Il est ensuite nommé Professeur associé de mathématiques appliquées à la Faculté des Sciences, que l’on venait à peine d’inaugurer. Il y sera l’année suivante promu au rang de Professeur, alors qu’il n’avait que 28 ans. Cette promotion fut une affaire scientifico-politique et administrative, où sont intervenues plusieurs

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personnalités – entre autres le célèbre physicien Niels Bohr et le leader du mouvement national Saʿad Zaġlūl. Sur le plan scientifique, Musharafa amorce une seconde période, celle de son installation scientifique en Égypte. Mais désormais il jouera des rôles multiples et divers, difficiles à démêler, mais dont la résultante dressera le portrait d’un réformateur. Intéressons-nous d’abord à Musharafa physicien. Le trait le plus significatif de cette période, trait qui ne cessera de s’accentuer au cours des années, est que Musharafa s’est consacré de plus en plus à la recherche des modèles simples pour représenter les propriétés de la matière ramenées à l’électricité positive, à l’électricité négative, et à la radiation. Son but principal semble avoir été de rendre compte de la dualité onde-corpuscule par un effet de perspective (propriété des transformations de Lorentz) qui s’applique aussi bien à la forme des corpuscules et des ondes qu’à leurs propriétés électro-magnétiques, données par les équations de Maxwell. Commençons par esquisser la démarche de Musharafa avant de nous interroger sur son sens. Les points de départ de Musharafa semblent être les suivants : La différence fondamentale entre matière et radiation, écrit-il, devrait être celle de la vitesse relative. Ainsi une entité matérielle, vue à partir d’un système en mouvement avec une vitesse inférieure à celle de la lumière, peut être décrite comme un groupe d’électrons, protons, etc. Mais la même entité matérielle vue à partir d’un système en mouvement avec la vitesse de la lumière sera décrite comme radiation. Or, ce premier point de départ de Musharafa n’est qu’une explicitation des propriétés des transformations de Lorentz. C’est la même ligne de pensée, d’après Musharafa, qui devrait permettre de formuler les équations de Maxwell en électrodynamique, pour donner une double interprétation. La traduction technique de cette conception revient à trouver un ou plusieurs tenseurs, et un paramètre variable des équations de Maxwell, de sorte que, lorsque l’on donne au paramètre la valeur de la vitesse de la lumière, les tenseurs seraient identifiés aux quantités physiques décrivant la radiation ; et que lorsqu’on attribue au paramètre une valeur moindre que celle de la vitesse de la lumière, les tenseurs seraient identifés à des quantités décrivant la matière. Si donc on veut résumer en un mot le but de Musharafa, on peut dire qu’il s’agit de représenter dans les termes de la physique classique la dualité entre corpuscules et ondes. Il ramène, comme on vient de l’indiquer, cette dualité à une question de référentiel, c’est-àdire à une transformation des systèmes de référence en mouvement. Entre 1929 et 1931, Musharafa publie deux mémoires dans les

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Proceedings of the Royal Society, et une note dans Nature, pour établir ces idées. La différence la plus marquante entre les travaux de cette période et ceux de la précédente réside dans la recherche d’un modèle général, modèle du monde, où il étend sa représentation de la dualité onde / corpuscule à toute matière et à toute radiation. Dans les années vingt-cinq, il s’appliquait en revanche à la résolution de problèmes précis. Faut-il imputer cette nouvelle orientation, en partie tout-au-moins, à la situation quelque peu solitaire qui était la sienne en Égypte ? Est-elle le signe annonciateur d’une certaine marginalité ? Pour ne pas donner une réponse hâtive à ces questions, il nous faut d’abord poursuivre la carrière scientifique de Musharafa. On observe un certain ralentissement de ses activités de recherche entre 1932 et 1942. Au cours de cette décennie, il fait paraître dans les Proceedings of the Mathematical and Physical Society of Egypt qu’il venait de créer en 1936 un article sur « Les équations de Maxwell et la vitesse variable de la lumière», dans lequel il montre que les ondes peuvent être considérées comme ayant une fréquence variable, proportionnelle à la vitesse de la lumière ; muni de cette donnée, il s’interroge sur ses précédents modèles. En 1939, il fait paraître une étude sur la musique égyptienne, et en 1942 il rédige un article sur le principe d’indétermination et les lignes de l’univers. Il s’agit en fait d’un exercice concernant le rapport entre les relations d’indétermination de Heisenberg, et les propriétés de l’espace-temps. On aurait pu penser que le ralentissement de ses recherches, ajouté aux responsabilités administratives et scientifiques qu’il assume et au tumulte de la seconde guerre mondiale, marquerait le déclin, voire la fin, de la carrière scientifique du chercheur. Or il n’en est rien. C’est en pleine guerre en effet que Musharafa commence à écrire des mémoires d’une haute tenue scientifique. Ces écrits montrent qu’il s’intéressait alors à la théorie unifiée. Rappelons pour mémoire que c’est à partir des années 1920 qu’Einstein, Weyl et d’autres avaient tenté l’unification de l’électromagnétisme et de la gravitation. Ces efforts n’ont cependant pas abouti : ces deux formes d’interaction semblaient alors réticentes à l’unification. Mais les travaux de Kaluza et de Klein montrèrent que l’on peut obtenir une description unifiée de la gravitation et de l’électromagnétisme, à condition de supposer que l’espace-temps dans lequel se trouve la matière n’a pas trois dimensions d’espace et une dimension de temps, comme il était couramment admis, mais qu’une, ou plusieurs, dimensions d’espace supplémentaires existent, qui ne sont pas apparentes. Cette théorie de Kaluza-Klein est restée en sommeil pendant plus de trois décennies, jusqu’à son intégration récente dans la théorie de la

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supergravité. Or, c’est cette théorie qui, pendant sa période de sommeil, fut à l’origine des derniers travaux de Musharafa. En 1944, il publie dans les Proceedings égyptiens une étude sur la projection conique généralisée à un espace à n dimensions dont il aura besoin plus tard. Six mois après, c’est un mémoire sur une métrique définie positive dans la théorie de la relativité restreinte, où il interprète les transformations de Lorentz comme une rotation dans un espace à 5 dimensions. À peine douze mois plus tard – décembre 1945 – il publie un mémoire sur la métrique de l’espace et les équations du mouvement d’une particule chargée. Dans ce mémoire, il cherche à formuler une métrique d’espace-temps telle que l’on puisse formuler les équations du mouvement d’une particule chargée comme géodésique. Notons que cette métrique est obtenue par une modification purement formelle, à une légère généralisation près, de celle de Riemann. Trois ans plus tard – septembre 1948 – Musharafa reprend ce dernier mémoire, et cherche à inclure une propriété fondamentale de la physique nucléaire : le défaut de masse dans les systèmes de particules (l’effet tunnel). Ce dernier mémoire est publié dans le Philosophical Magazine ; Musharafa y suppose que la force nucléaire est d’origine électrique. Erreur bien normale à une époque où règnait encore un grand flou sur la nature des forces nucléaires (les travaux de Yukawa en 1935 n’étaient pas encore très diffusés). C’est trois mois avant sa mort que Musharafa accomplit son dernier acte scientifique : une note publiée par Nature sur le défaut de masse, le 15 octobre 1949. Le parcours scientifique de Musharafa nous montre dans une première étape le jeune savant membre de l’école anglaise ; puis, dans une seconde période, après son retour en Égypte, il poursuit une recherche d’un niveau toujours aussi élevé, mais en fait isolée. C’est l’absence d’une tradition nationale qui a, en quelque sorte, condamné ce savant d’une stature tout-à-fait internationale à un certain isolement. L’effet de cet isolement peut être qualifié de façon quelque peu paradoxale : il est dû à un certain excès d’originalité, qui renvoie précisément au manque de tradition nationale. À son retour en Égypte, Musharafa, nous l’avons vu, s’occupait en même temps de la physique mathématique et de la phénoménologie de la physique nucléaire. Une tradition nationale lui aurait très vraisemblablement imposé un choix. Mais il n’en demeure pas moins que cette marginalité ne l’a pas empêché de retrouver les problèmes actuels. Quelques années à peine après son retour en Égypte, Musharafa s’est donc trouvé confronté au problème de la tradition scientifique nationale, sa consolidation et son développement. Cette question, qui tendra de plus en plus à éclipser toutes les autres dans l’es-

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prit du savant, renvoie manifestement à deux origines. La première est interne à la science, et à son nouvel esprit scientifique. Cette science dont les objets sont, selon l’expression célèbre de Bachelard, « phénoméno-techniques », exigeait des laboratoires de plus en plus grands et coûteux, une autre division du travail scientifique et une nouvelle organisation de la cité scientifique : l’existence d’une communauté nationale identifiée par des noms, des titres, et des problèmes, est en effet la condition de possibilité de la poursuite d’une recherche efficace. La seconde origine du problème de la tradition scientifique nationale qui préoccupa Musharafa tient aux conditions propres à l’Égypte. Tous les courants du mouvement national, on le sait, s’accordaient sur l’importance de la science, et, plus généralement, de l’éducation, pour recouvrer l’indépendance et engager un développement de type capitaliste. Mais cette idéologie communément partagée recouvrait néanmoins des conceptions bien différentes. Pour les uns – souvent juristes de formation – la science et l’éducation ont été conçues dans le sillage de la Philosophie des Lumières ; pour les autres, on reconnaît l’une ou l’autre variante du Saint-Simonisme. Dans ce dernier cas, la science fut conçue comme à la fois appliquée et instrumentale, c’est-à-dire la science de l’ingénieur du xix e siècle et du début du xx e siècle. La position de Musharafa est bien différente. Si la science est un pouvoir, celui-ci réside dans la maîtrise de la recherche fondamentale. Le souci de cette recherche ne devait pas incomber au seul État, mais aussi aux industriels, selon le modèle anglais. Les écoles d’application qu’ils créent constitueraient à la fois un «marché» de la science et les moyens de sa transmission sociale. Jamais avant cette génération on n’a autant insisté en Égypte sur la recherche fondamentale, ainsi que sur l’importance de la dimension théorique qu’il faut acquérir en même temps que l’on réalise les applications. Plusieurs raisons à cette attitude : la mutation opérée par la science contemporaine du rapport entre théorie et application ; le développement capitaliste et industriel entre les années 20 et 50, et notamment après les années 30 ; le constat de l’échec de la tentative faite au xix e siècle à l’époque de Muḥammad ʿAlī. Citons sur ce dernier point Musharafa lui-même, lorsqu’il écrit non sans quelque amertume : Il nous faut souligner à cet égard les efforts sincères dispensés au cours de la première moitié du siècle précédent en vue de la renaissance de la vie scientifique en Égypte à l’époque de feu Muḥammad ʿAlī le Grand. On sait qu’il a fourni un effort gigantesque pour ressusciter les sciences entre nous, qu’il a envoyé des missions dans les pays d’Europe, et qu’il a effectivement réussi à former un nombre estimable de savants égyptiens. Si ce mouvement s’était étendu et propagé, alors notre présent scienti-

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fique aurait été bien meilleur que ce qu’il est aujourd’hui, et j’aurais pu parler de notre avenir scientifique d’une autre manière, comme pouvant s’appuyer sur un présent prestigieux. Mais les circonstances ont voulu que le feu allumé s’éteigne, et ainsi la vie scientifique en Égypte au début du xx e siècle est identique à celle du début du xix e siècle, et tout se passe comme si on avait ajouté un siècle supplémentaire à notre sommeil scientifique, et comme si nous nous étions mus pour revenir là où nous avons commencé.

Ce diagnostic sévère, que Musharafa partageait avec d’autres avant lui, comme le théologien et réformateur Muḥammad ʿAbdu par exemple, gomme cependant une différence non négligeable. Contrairement à ce qui avait lieu au début du xix e siècle, des spécialistes ont été formés, des écoles sont instituées – notamment l’École Normale –, les livres sont traduits. Musharafa lui-même, pour défendre plus tard le projet de la création de l’Académie des Sciences, évoque les noms de quelques chercheurs égyptiens, comme Osman Ghaleb (1845-1920) en biologie, Muḥammad al-Falakī en géodésie, géographie, et d’autres applications de l’astronomie, auxquels on peut ajouter quelques autres comme Ismail al-Falakī (mort en 1901), en astronomie. Quoi qu’il en soit, c’est précisément cet héritage qui nous aidera, en partie tout au moins, à comprendre quelle formation reçut la génération de Musharafa, avant de joindre l’Angleterre pour se préparer à la recherche ; il nous permettra ainsi de saisir le développement du projet de la modernisation scientifique de l’Égypte. Les moyens conçus pour la réalisation de ce projet peuvent être évoqués sous les titres suivants : institutions scientifiques, histoire des sciences, bibliothèque scientifique arabe, culture scientifique et diffusion de celle-ci, science appliquée et industrie. Sur le terrain des institutions, Musharafa a pris une part active à la direction de la Faculté des Sciences, et a agi pour la création de la société égyptienne de mathématiques et de physique en 1936, avec la publication de ses Proceedings, et de l’Académie égyptienne des Sciences en 1945. La démarche de Musharafa à cet égard s’inscrit rigoureusement dans un courant directement lié au mouvement national de création des universités et des sociétés. Rappelons pour mémoire la société entomologique en 1907, l’Université privée en 1908, la réorganisation, en 1917, de la société géographique (fondée en 1875), la société des agronomes en 1918, celle des ingénieurs en 1919, la société médicale également en 1919, la société zoologique en 1928, la société chimique en 1928, la société pharmaceutique en 1930, etc. Toutes avaient pour but de développer et de diffuser leurs disciplines respectives, de défendre leur communauté, et patronaient à cette fin des publications plus ou moins régulières.

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Dans l’esprit de Musharafa, l’Académie égyptienne des Sciences était davantage axée sur la recherche. Il la concevait en fait dans la tradition de l’Institut d’Égypte (fondé en 1859). Mais, alors que celui-ci était à dominante philologique et historique, l’Académie sera destinée aux sciences uniquement. Fondée pour encourager la recherche, c’est également la recherche qui justifie sa fondation. Musharafa évoque ainsi l’accélération de celle-ci depuis la re-fondation de l’Université en 1925, et le nombre de 500 articles publiés par les seuls chercheurs de la Faculté des Sciences sur deux décennies – 1925/1945. Notons que, sur ces 500 articles, 200 au moins ont été publiés dans des revues britanniques, et 150 dans d’autres revues étrangères. Enfin, Musharafa a également œuvré pour la création du «conseil de la recherche », qui préfigurait le Centre National de la Recherche, créé en 1956. Rien d’étonnant du reste si la «Commission de Physique», ainsi que le Laboratoire National de Physique, dont le rôle fut ensuite essentiel, étaient composés de compagnons de Musharafa, comme M. Nazif, aussi bien que de ses élèves, comme Muḥammad Mukhtār. Cet intérêt porté à la recherche, dans un projet de modernisation scientifique, caractéristique de cette période, a conduit à concevoir un autre moyen, à la fois pour asseoir la recherche et pour stimuler la modernisation. Il s’agit de l’histoire des sciences. Voici d’abord ce qu’écrivait à ce propos Musharafa lui-même : Les nations civilisées doivent avoir une culture scientifique liée à l’histoire de leur pensée scientifique ... Notre vie scientifique en Égypte a besoin de rejoindre notre passé et d’acquérir ainsi une force, une vie, et une contrainte. En Égypte, nous transmettons la connaissance des autres, puis nous la laissons flottante sans lien avec notre passé et sans contact avec notre terre ; c’est une marchandise étrangère, étrangère par ses traits, étrangère par ses mots, étrangère par ses concepts. Si l’on évoque les théories, on les associe à des noms étrangers dont on ne reconnaît presque pas les traits ; si on exprime les concepts, c’est par des mots qui font peur, qui font fuir la pensée et qui troublent l’imagination. Il faut changer cet état de choses ; il faut d’abord publier les livres scientifiques composés par les Arabes et traduits par les Européens, comme les livres d’al-Khwārizmī et d’Abū Kamil en algèbre et en arithmétique, les livres d’Ibn al-Haytham en physique et les livres d’al-Buzjānī, d’alBīrūnī et d’al-Batānī, et d’autres, bien nombreux, d’entre les leaders de la pensée scientifique et les grands chercheurs... En second lieu, il faut prendre soin de rendre hommage à nos anciens savants et chercheurs, et cela sera une incitation pour nous à les imiter et à suivre leurs pas...

Rappelons également que Musharafa a assisté au deuxième Congrès International d’Histoire des Sciences, qui se tenait à

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Londres en 1930. Ainsi, l’histoire des sciences n’est pas invoquée pour elle-même, comme discipline autonome, mais comme un moyen de promouvoir la modernisation scientifique, en fournissant un grand passé à un présent médiocre, en vue d’un avenir meilleur. L’histoire des sciences ne devait pas seulement procurer des modèles à suivre, mais également doter d’une légitimité la place à prendre dans la cité de la science contemporaine. Dans ces conditions, le pire était possible : l’apologie. Il n’en fut rien. Cette voie a conduit en revanche à la création de la profession en Égypte. Musharafa lui-même, en collaboration avec son jeune collègue Muḥammad Mūrsī, établit et commente l’Algèbre d’al-Khwārizmī, avec une introduction historique. Ce travail honorable, réalisé en 1939, est suivi d’une contribution à la commémoration du millénaire d’Ibn al-Haytham, par un modeste article sur les travaux mathématiques du savant. Mais déjà un autre physicien, M. Nazif, avait publié en 1927 un livre sur l’histoire de la physique des origines jusqu’à la relativité et la physique quantique. C’était à l’origine un cours professé à l’École Normale. Tout en restant assez modeste, la partie consacrée à la science arabe est non négligeable. D’autres travaux suivront, dont certains d’une très haute tenue scientifique, comme par exemple les deux volumes consacrés par Nazif à l’œuvre optique d’Ibn al-Haytham. Ce travail magistral a été suivi d’un autre de la même fibre sur l’optique d’al-Fārīsī, et d’un autre encore sur l’histoire de la dynamique. D’autres chercheurs se sont intéressés à l’histoire de la médecine, de l’alchimie, de la pharmacopée. En 1949, on fonde la Société égyptienne d’Histoire des Sciences, ainsi que son Journal. Dans l’esprit de Musharafa, ce projet consiste en la fondation d’une tradition nationale de recherche, en physique et en mathématiques notamment, et en la création et l’organisation de la communauté des mathématiciens et des physiciens. Les principaux moyens nécessaires à la réalisation d’un tel projet sont, selon Musharafa et ses collègues :

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les institutions de recherche scientifique ; l’arabisation de la science et de son enseignement ; la création d’une bibliothèque scientifique arabe ; la culture scientifique et sa diffusion au niveau de la société tout entière ; 5. l’enseignement et la recherche en histoire des sciences, notamment l’héritage scientifique arabe, pour jeter un pont culturel et idéologique vers le passé ; 6. la création de liens entre recherche appliquée et industrie.

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Les deux exemples précédents montrent ce que beaucoup savent déjà, notamment : 1. Il n’y a pas un « transfert» de la science, mais seulement une «appropriation» de celle-ci. Cette appropriation ne se fait que grâce à la fois au pouvoir politique et à un volontarisme des acteurs, c’està-dire de l’État et des élites économiques, politiques, militaires et scientifiques. Sans ces deux facteurs, il n’y aura pas d’appropriation de la science elle-même, mais seulement des institutions scientifiques de façade. La science n’est pas, et n’a jamais été, un isolat dans les structures sociales. Or, dans bien des pays arabes, la communauté scientifique qui émerge à peine demeure isolée des structures politiques et économiques. Les hommes au pouvoir continuent à voir dans les savants ou bien des fonctionnaires exécuteurs ou bien d’éventuels perturbateurs. 2. L’appropriation de la science s’opère au prix de la formation et du développement de traditions nationales de recherche ; ce qui exige non seulement que l’on consacre de lourds investissements à la création des institutions et à la formation des hommes, mais aussi que l’on consolide les transformations scientifiques de la société ; c’est-à-dire qu’il faut mettre en œuvre tous les moyens pour que la science devienne une composante essentielle de la culture. 3. Cela ne peut se faire sans une arabisation systématique et de qualité de l’enseignement scientifique. 4. Les éléments du programme de Musharafa et de ses contemporains sont encore loin d’être réalisés. Il suffit pour l’heure de les réaliser. 5. Tout cela mène à la conclusion, simple, que voici : il faut commencer par soutenir matériellement et scientifiquement les institutions dans les pays arabes qui vont dans cette direction d’appropriation de la science. C’est à partir de celles-ci qu’il faudrait commencer.

HISTORY OF SCIENCE AT THE BEGINNING OF THE 21th CENTURY Dear colleagues, Ladies and Gentlemen, Rare are the colloquia which, like ours, have the advantages of date and of place at the same time. That our meeting should be held at the turn of the century is an event which deserves to be emphasized ; that it should be held at the turn of the millennium makes it virtually unique. In this regard, our colloquium has a definite symbolic value, since it ends one period and begins another. It is true that the history of science, in all its forms and in all its specialties, has never been as prosperous as during the twentieth century, and particularly in the course of its second half. This prosperity is everywhere attested: in the new domains conquered, in the number of valuable works published, in the number of teaching and research positions created, in that of institutions founded, and of specialised journals launched, and of collections published... In other words, we can say without any exaggeration that what has been done throughout the last five decades outweighs everything we owe to the last two centuries. As far as the place we are meeting is concerned, this is also a first, in two senses. It is the first colloquium held in a country of ancient culture which is neither Mediterranean nor Asiatic. It is also the first colloquium on the history of science which is not hosted by an industrial country of the North. Our presence here is by no means the effect of pure circumstance ; it is the effect of an evolution of the discipline, and also of dominant ideas. Thus, date and place are invested with great symbolic importance, which invites us, quite naturally, to ask ourselves without complacency about our discipline, what it has achieved and what remains to be accomplished. Such an examination is all the more necessary in that the prevailing impression is one of incessant and increasing dispersion, and that the profession of “historian of science” is progressing more rapidly than the discipline itself:

Inaugural Lecture: “History of Science and Diversity at the Beginning of the 21st Century”, in Juan José Saldaña (éd.), Science and Cultural Diversity, Proceedings of the XXIst International Congress of History of Science (Mexico City, 7-14 July 2001), Mexico, 2003, vol. I, p. 15-29.

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a singular situation, the consequences of which are uncertain and unpredictable at the least. Before we begin this questioning, however, it is appropriate to recall the principal achievements of this past century ; those which, since the middle of the last century, have sketched the landscape of the history of science. These contributions are distributed among several themes: methods, new fields investigated, and new relations established. At the turn of the 19th century, and especially in the first decades of the 20th, historians of science discovered the full importance of textual research, and the necessity of retracing the textual tradition of each scientific writing examined. To a large extent, this new task imposed itself as an effect of the development of the historical and philological disciplines, which were themselves influenced by the German school of philology. This research on textual traditions brought to the history of science a host of auxiliary disciplines and historical techniques—paleography, codicology, philology, etc.—and it ended up as a definite achievement of the discipline, represented yesterday by Hultsch, Tannery, Heiberg..., and attested today by the work on the translation of Archimedes by William of Moerbeke and those on the work of Newton, Leibniz, Euler and, more recently, by the studies devoted to the writings of Einstein, among others. And yet, symmetrically, as it were, these achievements, to which we must add much other accumulated wealth which we will mention further on, did not take long to raise the problem of the gap between history and prehistory of sciences, which in turn gave rise to many other issues concerning scientific change. Such are the questions raised by the famous methodological debate which began in the sixties. In this debate, which was salutary, the goals went far beyond the questions raised. The historians who participated in it wished, in fact, to break with purely descriptive history, spontaneous history, the “history-novel” of scientists and their facts, and with history as the eclectic sum of people and facts. These were the first attempts to reflect on the discipline as such. In the life sciences, it was Georges Canguilhem who lead the reflection ; in astronomy, mechanics, and physics, it was G. Bachelard, A. Koyré, and above all T. Kuhn, among many others. This debate interested those sociologists who, whether Weberians or Marxists, wished to give the history of science the social dimension it was lacking, by returning to institutions or social behaviors. In any case, this undertaking of methodological reflection, which in essence could not but remain unfinished, allowed the beginning of the first genuine effort to elucidate the discipline. In addition to these methodological achievements, we must men-

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tion all the new fields to which we have laid claim. In the first place, the goal was to extend the history of sciences further back in time, thanks to the integration of Egypt and of Babylon. It was the work of Thureau-Dangin and Neugebauer, in particular, that allowed this extension, at the same time as it incited historians to re-think the notion of “origin”, and to situate Greek science differently. The other field was the rectification of the representation of Medieval science: research on medieval Latin science was renewed, and scientific contributions which had until then been held to be peripheral were somewhat better integrated. Such was the case, in diverse degrees and in different modalities, with science in Arabic, Chinese, and Sanskrit ; yet the view of these sciences as peripheral was to be long-lived, since it has not yet been abandoned. This task was accomplished by entire schools, some of which are associated with the names of J. Needham, A. Youschkevitch, P. Duhem, A. Maier, and M. Clagett. Other fields were soon added to these newly-claimed domains, which opened the field of investigation of the discipline still further. The history of social sciences, the history of the diffusion of science from the centers of production towards the periphery, the history of institutions and of the great scientific laboratories, the history of applications, etc., today belong to the history of science, as is shown by the work presented at the various colloquia. In these conditions, we will no doubt see the modification of the relations between the history of science and much other historical research, such as the history of philosophy and of technology. In view of such diversity, not to say dispersion, we cannot avoid raising the question of the discipline itself, which was brought up in the course of the great methodological debate, only in order to be subsequently forgotten. Today, thanks to the work accomplished in the course of the preceding decades—Ch. Gillespie’s D. S. B., and R. Cohen’s immense collection of Boston Studies, among others—the question may be formulated in the following way: what is this discipline which, throughout its existence, and particularly from the 18th century on, when it was born as an independent discipline—deals both with epistemology and with history ? Whether we think of Condorcet, in his Sketch or in his Academic Eulogies ; or of August Comte and the role of the history of science in his Course of Positive Philosophy ; or whether we come closer to our time, and bring up J. Needham, for instance: is the history of science really a discipline, and what is its true place between epistemology and social history ? The first part of the question—is it really a discipline? can be disposed of quickly. As it presents itself today in the works of those who

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claim allegiance to it, the history of science is a domain of activity, and not by any means a discipline. Indeed, it lacks the unifying principle which could provide it with the means and the power to exclude ; for a domain of activity does not exclude, but is indefinitely distended by successive additions. It is a heading designated by a label, not a discipline characterised by a genuine definition. Thus, in the history of science, the various doctrines are juxtaposed and opposed on the basis of dogmatic and exclusive options, and even petitio principii. According to some, the history of science presents itself as a history of ideas, or a history of mentalities ; for others, by contrast, it is a history of scientific concepts ; their formation, their development, and their rectification. For still others, who were originally historians, concepts and their nature had little importance, and the history of science is the history of a cultural production, in the same sense as that of painting or religion. Let us also cite those for whom it is a kind of social psychology of scientific actors, and those who make of the history of science an empirical sociology, such as has been developed particularly in the United States after the Second World War: a sociology of groups, laboratories, and institutions. This list is by no means closed, and this diversity continues to increase, not because of some internal necessity of research in the history of science, but rather as an effect of the successive importation of the views and methods of the social disciplines, and the trends that succeed one another therein. This growing multiplicity has all the appearance of blind progress, which might spare us the examination of the second part of the question: what is the place of the history of science between epistemology and social history ? But if we thus leave this question in the shadows, it will force us, whether we like it or not, to make up our minds about the object of the history of science. The difficulty—and it is considerable—is to be able to say in what sense the historian of science practices history, without formulating an arbitrary choice, and without imposing a methodology, be it empirical or transcendental. It was in order to avoid these shoals, upon which the methodological debate had run aground, that it seemed to me appropriate to start, in according with a well-known phrase, “from the things themselves” ; that is, from works of science and the traditions within which they are integrated. It will easily be granted that every work of science belongs to at least one tradition, and often to many—whether or not they are known to us—relatively to which it takes on its meaning. This means that we cannot understand anything about individual creations, however revolutionary they may be, unless we insert them within the

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traditions which witnessed their birth. If, by “work of science”, we understand a result established in accordance with the precise norms of proof and consigned within a text, or realised within an object or an instrument, we shall for the moment give the word “tradition” the vague meaning attributed to this term, which has the advantage of not isolating the work of science from the community to which the scientist who conceives it belongs. Let us begin by considering this notion of tradition. Historians of science, of whatever obedience, are quite willing to admit that one of their essential tasks is the reconstitution of scientific traditions. Yet the paths they follow in order to reach this goal are divergent and ramified. In fact, part of the methodological debate in the history of science refers to this diversity of conceptions of tradition and its nature. At first glance, the undertaking may seem easy and almost immediate: don’t traditions most frequently present themselves under names, titles, institutions, and networks which ensure the exchange of information and human beings between poles, centers, places, and forms of learning ? In this case, traditions would be immediately recognisable: we would speak of the tradition of the Euclidean theory of numbers, of the Japanese Wasan, of the tradition of the Italian algebraic school of the sixteenth century, of British quantum physics of the twenties, or of Bourbakian mathematics. To be sure, there are some exceptions, but they confirm the rule: I am thinking, for instance, of the Alexandrian tradition—or traditions— which finds its summit in the work of Diophantes, and of which, nevertheless, we are completely ignorant. How could we fail to be tempted to describe such easily-identifiable facts as men, titles, and institutions ? In fact, it is this tendency which dominates a large part of historical writings, which present themselves under different names: history of ideas, social history of science, etc. Nevertheless, if we are not satisfied with a simple empirical description, the status of a tradition is not easy either to delimit or to establish. How are we to isolate a tradition, assign to it a beginning and an end, and trace its borders, without proceeding by an arbitrary cut within the indefinitely mobile totality of living history ? Who can found the unity of a tradition, which is constantly evolving through time ? Why is it constituted, and why does it cease ? What system of rules might its existence obey ? There is, it seems, no a priori response to these questions. With simple description, the historian is only at the beginning of his labor. No sooner has he hitched himself to the task of reconstitution than the illusion is dissipated. The apparent simplicity evaporates, and all empirical data—names, titles, etc.—proves impo-

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tent to delimit a tradition while dominating all its ramifications. Let us try to be more precise, by describing the principal stages in a work of the history of science. At the first stage, the historian must restore a work of science—a mathematical theorem, a physical result, an astronomical observation, a biochemical experiment, etc.— in all its materiality. He must examine inscriptions, tablets, papyri, manuscript texts, and printed texts ; he must redo experiments, and re-fabricate objects, if necessary... All these procedures contribute, in the first instance, to the reconstitution of the textual tradition, as well as of the technological tradition... ; in a word, of the “objectal” tradition (relatively to the notion of object in general). Although in many cases, this research is not independent of the very contents of the work of science, it requires competencies other than scientific knowledge: those which deal with the various historical disciplines, such as archaeology, codicology, paleography, philology, the history of technology, etc. This level of analysis is indispensable, but it is not sufficient: in such a reconstitution we are still far from having exhausted the work of science. All that is known to us at this stage is its textual and technical authenticity, the networks along which it circulates, and the social context in which it was conceived and composed. All these elements are no doubt important, but they do not enlighten us with regard to its place within the science to which it belongs. Even more seriously, at this stage we would not be in a position to perceive the cleavages which may mark the work of one and the same scientist. In order to consolidate these remarks, let us consider the example the arithmetical work of Fermat. P. Tannery and Ch. Henry have reconstituted the textual tradition of this work, as well as the networks of exchange which developed around them, and investigations of the work’s social context could be still further refined and multiplied. Yet Fermat’s place within arithmetic still remains to be determined. Is his work that of an algebrist, for instance in the tradition of Vieta, or a specialist in the theory of numbers ? Or else, does such work later belong to algebraic geometry, as is held by A. Weil ? Finally, was it simply the first arithmetical theory? I have shown elsewhere that Fermat’s work does not have only one aspect, and that it is split in two by a line of cleavage, around the 1640s. One part of his arithmetical work does indeed belong to the tradition of the algebrists, whereas another part has to do with Diophantean integer analysis. Two mathêseis, and no longer one single mathêsis, are thus necessary to shed light on Fermat’s arithmetical work ; two conceptual traditions, one of which goes back via Bachet de Mézirac to the algebrists, whereas the other, in the wake

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of the work of mathematicians like al-Khāzin, taken up in Fibonacci’s Liber Quadratorum, renews the theory of numbers, thanks to the invention, for the first time, of an arithmetical method of demonstration: the “infinite descent”. If, therefore, we wish to situate Fermat’s arithmetical work historically, we must shift to another level of analysis, and direct our attention this time to the reconstitution of the conceptual tradition. The case of Fermat is far from being rare; in fact, it even seems to be the most common scenario, especially for scientists who modify the course of their science. To take only a few old examples from French science, this was done by Descartes in algebraic geometry, with his seminal distinction between “geometrical curves” and “mechanical curves” ; by Ampère in physics, when he renounced the explanation of electromagnetism by magnetism, in order to opt for the opposite path ; and by Fresnel, when, against the dominant conception, he defended the necessity of transverse vibrations ; that is, vibrations which are perpendicular to the ray. As a historian, the historian of science can thus not allow himself the luxury of failing to reconstitute this conceptual tradition—or traditions—in other words, of carrying out this epistemological work. Other obstacles do not fail to arise along this way, which have their essential origin in the dialectic between increasing multiplicity and fundamental stability. After the study of numerous traditions, one general result imposes itself upon us: a work of science of some stature cannot be explained in terms of one single conceptual tradition, not even that to which this same work has contributed the most. Moreover, a conceptual tradition of some importance is distinguished by a certain stability, in spite of the diversity of authors and of contributions. Two somewhat paradoxical necessities seem to dominate the progress of a conceptual tradition: to exhaust all the logical possibilities inscribed within a given type of rationality, on the one hand ; and, on the other, to reform this rationality and its means, in order to account for the new facts inexplicable within its framework. As examples, suffice it to reflect upon the Archimedean tradition in infinitesimal mathematics ; the Euclidean tradition in the theory of parallels, etc. To such obstacles, however, we must also add the question of the scientific “style” which, behind such multiplicity and beyond the variety of forms and the transformations which mould a tradition, distinguish it and place a seal upon its identity. This “style” reflects not only the dominant rationality, but also rhetorical procedures of exposition, such as the type of language used, symbolism, graphical representations, etc. The difficulty consists in isolating this “style”, which task is indispensable for placing an individual or collective work of science in perspective, and

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thereby expressing its meaning. This phenomenological procedure seems inevitable if we wish to invest the tradition with its role as an ordering principle, bringing out the interconnection of the works out of which it is woven. These two terms: “objectal” tradition—of which textual tradition is a part—and conceptual tradition, seem concretely to translate the question of the place of the history of science between social history and epistemology. As an element of “objectal” tradition, the work of science is a material and cultural product ; a product of men in a specific place and a time. As K. Marx would have advised, it is incumbent upon the historian to seek out the social and material conditions of this production. As a part of the conceptual tradition, however, this work also calls for an analysis of its conceptual structure, able to bring out its meaning, which will allow us to delimit the very notion of tradition. It might, of course, turn out that such a translation of our initial question may impoverish it. However it does seem susceptible of protecting us against two hazards: the reduction of history to pure epistemological analysis, such as it is for many of our eminent contemporaries ; or else, even more, to a philosophy of history like that of A. Comte. The second risk is its assimilation to the history of any cultural domain, a practice which is current among historians. Yet the difficulty remains intact if we do not further specify what we mean by a conceptual tradition, to which a work of science belongs. Does this last question have the same meaning for all the scientific disciplines ? Does the work of science belong to one conceptual tradition, or to several ? These questions, among many others, emerge immediately, and they lead us necessarily to question ourselves about this notion of a work of science, and to ask ourselves what distinguishes it from all other social production of cultural works. It is not uncommon that, in order to respond to this question, the philosopher may invoke a conception of certainty and of proof. Although this is perfectly legitimate, we will here abandon this path, which might—albeit wrongly—appear dogmatic. It is also common for the historian to ask the opinion of the scientist who is the object of his study, with regard to the distinctive features of a work of science. There can then seem to be a historical response to this epistemic question, whereas in fact it receives only an ideological response. Finally, it may happen that when he is confronted with this question, the reflective historian of science may advance two types of distinction, historical and epistemic in nature. The first separates two modes of knowledge: in order to define a work of science, he distinguishes it from a work of proto-science. The second distinction, which is much less powerful, isolates several forms of a work of sci-

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ence, and helps us to understand this cumulative march, necessary and universal, as much as those of its characters which are proper to science. The example most frequently invoked is that of Galileo in mechanics ; with regard to the second, suffice it to recall the numerous examples which illustrate it: that of Lebesgue in the theory of integration, of Kolmogorov in the theory of probabilities, etc. It is clear that in both cases, such distinctions are intended to account for the emergence of new forms of the work of science ; but whereas the former is “creationist”, and concentrates absolutely on initial forms, the second is “transformationist”, and deals with new forms on the basis of the old ones. Let us therefore pause over this first distinction, the importance of which is fundamental for our purposes. The distinction between proto-scientific and scientific presents itself as an exclusive one, which dominates the entire history of science. This opposition is always understood as simultaneously historical and logical. The proto-scientific always precedes the scientific, both logically and historically ; and the radical break between the two is supposed to have been essentially accomplished in the seventeenth century. As a result, this opposition supposedly allows us to distinguish a work of science from all others which claim to deal with the same object ; this is the doctrine the most commonly accepted. When we look more closely, we shall not hesitate to attribute a grain of truth to this distinction, even if the relations between proto-scientific and scientific are much more varied and complex, both logically and historically, and even if the seventeenth century had not exactly the role attributed to it. Let us begin by subtracting, as it were, mathematics from this exclusive opposition, for a contingent reason: nothing proto-mathematical has come down to us, and the only evidence we have of proto-mathematics already belongs to mathematics: indivisibles ; considerations on the notion of limits in the eighteenth century ; objective and subjective doctrines of probability prior to axiomatic theory, etc. In the other scientific disciplines, the term “proto-scientific” seems to cover at least four different types of knowledge. Aristotle’s physics is proto-scientific, as is the social contractualism of the eighteenth century ; the social Darwinism of the following century, and the social physics of Quetelet ; the optics of Euclid ; the marginalism of a Jevons, a Walras or a Pareto ; as well as the ballistic model of a Tartaglia, Condorcet’s homo suffragans, the economists’ homo bernoulliensis, etc. These examples flagrantly reveal the variety of the status of the “proto-scientific”, since the realities designated by this term cannot be jumbled together under the same denomination, either de iure or de facto. Thus, Aristotelian physics, like social contractualism,

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is proto-scientific in the sense of a systematic doctrine, intended to be coherent, of lived experience: that of displacement or that of voting in an assembly. Social Darwinism and social physics are proto-scientific if we understand by this a science which is annexed to a domain other than that of its origin. Euclid’s optics, and the marginalist contributions, are proto-scientific in the sense of a “pure” knowledge, produced by the application—direct, as it were—of mathematics to doctrines of lived experience, whether direct vision or the distribution of goods. Finally, the models of Tartaglia in ballistics, Condorcet in social science, or Von Neumann in economics, are proto-scientific in the sense of an indirect application of mathematics, with the help of analogies with a third discipline which is mathematicised or considered to be such, to a doctrine of lived experience. We can easily see that proto-scientific knowledge is not only multiple, but is also, for the most part, linked to other sciences which deal with objects other than theirs. Two consequences therefore impose themselves: the criteria of a work of science necessarily differ from all the criteria of such proto-scientific knowledge ; moreover, the notion of tradition splits apart, both from the point of view of diachrony and from the point of view of synchrony. Let us begin by examining the question of criteria, since they prevent us from dealing with the object of science not only like that of a proto-science, or a pre-science, but also like the object of all other cultural production. We have seen that proto-scientific knowledge is always linked to an experience which is lived, and therefore particular. Yet we must not be deceived: the doctrine or philosophy thus elaborated is not restricted to expressing the contents of this experience directly, and it does not proceed by placing in brute correspondence a concept and an event, or a proposition and a datum, but a proposition and another proposition. That is to say, it proceeds by placing in correspondence two relations between concepts. It is in this sense that we may say that the data of immediate experience are mediated. The linguistic task of systematisation, and the denominations which we always encounter in the authors of such doctrines, are the instruments of this mediation. In other words, the data of lived experience constitute only a starting-point, and mediation is required in order to achieve the constitution of a doctrine. In this regard, let us recall that the Aristotelian doctrine of motion is by no means made up of propositions directly linked to the sensible experience of the movement of displacement, but only to those which concern the correspondence of “the act of what is potentially as such” with propositions relative to

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“determined natures” and to the cosmological order. Likewise, the social doctrine of J.-J. Rousseau does not concern the lived practice of suffrage, but links a conception of the social contract to that of suffrage as the declaration of the general will. In the last analysis, it is thanks to this mediation, and to the transcendence it insures with regard to the data, that we introduce the other criterion: coherence, which philosophers hold must be severe. This coherence refers, moreover, simultaneously to logical consistency and to architectonic action. To this mediation and search for logical consistency and architectonic perfection, we should add another criterion, with regard to which this doctrine of lived experience may progress: the successive amendments, intended to exhaust the data of a particular experience in an ever-more-coherent exposition. One thinks of the amendments carried out by the partisans of impetus for the Aristotelian doctrine of motion. To sum up: mediation, transcendence, logical consistency and architectonic action, progress by successive amendments: such are the criteria of knowledge produced by phenomenology in order to provide a framework for events—the doctrine of Aristotle or of Rousseau, for example—or by confiscation, that is, the restriction of a phenomenology initially intended for another universe than that for which the explanation is undertaken—as in social physics or social Darwinism. The first type of application of mathematics to this doctrine of experience consists in the will directly and completely to replace its notions by mathematical structures ; this is the example of Euclid’s optics, and of Walrasian marginalism. In this case, mathematics are only a language. The second type of application, by contrast, subordinates the substitution of mathematical structures to the intercession of a third discipline, which is dominated by mathematical knowledge, or else considered to be so. Analogical correspondences between the two disciplines are the means to mathematise the doctrine of experience itself: this is the method of models. Proto-scientific knowledge is thus multiple ; moreover, not all its instances are of equal value. Their goals, their explanatory powers, their syntactic and technical controls differ, even if all of them have as their point of departure one of the doctrines of lived experience, subject to the criteria we set forth previously. Such instances of knowledge thus cannot have the same relations with future science. It is true, as has often been affirmed, that science is made in opposition to these instances of knowledge, by breaking with them ; but this break does not have the same significance in every case. Even if, at the deepest level, it always takes place against the

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above-mentioned doctrine of lived experience and the criteria of its operation, its paths subsequently never cease diverging. Thus, Ibn al-Haytham’s geometrical optics broke with all the doctrines of his predecessors, it is in so far as he separated the conditions of the propagation of light from those of vision, in order to consider, in the first instance, only material entities—“the smallest parts of light”—which retain only those properties which may be geometrically and experimentally controlled, thus abandoning all sensible qualities other than the energetic ones. Yet this profound break, which allowed the introduction of a new category of proof in optics, and more generally in physics—experimental proof—did not take place in the same way with Euclid’s optics and with Aristotle’s doctrine of vision. Likewise in mechanics: Galileo was the first scientist able to separate, within the doctrines of motion, what falls under the domain of kinematics from what falls under dynamics, in order to consider only the relations between the positions of material entities within time. These entities now took on only those properties susceptible of being controlled geometrically and experimentally, thus excluding all sensible qualities other than those of resistance to movement. This profound break was not carried out with regard to Aristotelian doctrine as much as to the doctrine of impetus, the doctrines of the calculators of Oxford and Paris, or the models of al-Qūhī and Tartaglia. This diversity of relations between proto-science and future science obliges the epistemologist not only to differentiate among the conceptual traditions of the various proto-scientific instances of knowledge, but, more importantly, it gives him the means to order and to hierarchise them. It is this possibility which is the privilege of works of proto-science, compared to the other cultural works which present themselves to the historian. In other words, future science dictates a principle of order, and a notion of distance, to use a metaphor, which helps to situate proto-scientific knowledge. Yet this privilege of works of proto-science is not affirmed at the historian’s expense: quite the contrary, it operates in his favor, for the distinction between these conceptual traditions allows him better to spot, within an often formless mass, the textual and technical traditions which underlie them. Thus, he is in a position to ask all the socialhistorical questions necessary to understand their formation, their development, and the interaction of the various social and ideological factors which have insured the constancy of their formulation. The break with the doctrines of lived experience, and, at the same time, with the criteria of their elaboration, takes place thanks to a conception of an object which contains an operatory and judicatory norm. Not only is the knowledge produced invested with

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an accumulative power, but it can effectively realize this accumulation only by means of a constant rectification of its comprehension ; and it is in these acts of rectification that new forms appear. This is why in scientific knowledge, if we think only by ready-made concepts, we may say that continuities and discontinuities are inscribed within one another. Such discontinuities are sometimes called “revolutions”, and they designate the passage from one theory to another: from the mechanics of Galileo and of Newton to special Relativity ; from the latter, from electrodynamics and from continuist thermodynamics to the theory of quanta. We have here the emergence of new forms of the same science, which redefine their object each time, without, however, replacing it with a different one, as was the case for proto-scientific knowledge. In this discontinuous succession of forms, the old form presents itself as an approximate case of the new one, yet which is expressible in the language of the latter. It is, so to speak, the new form which explains the old form, and specifies its conditions of validity. The former includes the latter, as an approximate case. The emergence of new forms no longer cancels out the old ones ; it rectifies and integrates them. In these conditions, the notion of conceptual tradition is profoundly modified. The best proof of this is the style of its death. In pre-science, conceptual traditions are assassinated ; here, they die by the exhaustion of their own possibilities. This difference—in my view fundamental—seems to show that the questions and problems which presided over its birth are internal to science ; or, at the very least, that it has been possible to make them adopt its language completely. Thus, each tradition can speak the language of the other, and all can be translated into the language of distant successors. In optics, the language of the Alhazanian tradition may be translated into that of the Newtonian tradition, which is impossible for Euclidean optics ; and the language of the first two traditions may later be translated into that of Fresnel, etc. Such translation is not only in the diachrony of victorious science, but it is also valid in synchrony. Let us mention the example of two rival contemporary traditions: that of the calculation of flux begun by Newton and that of differential calculus, founded by Leibniz. Despite the famous controversy, and the distance which separates their styles— the former is geometrical, the latter algorithmic—each can speak the other’s language, and both are translatable into the standard language of analysis. This fundamental feature is not proper only to mathematics, but is common to all scientific knowledge, even that which, according to the expression of G. Bachelard, are phenomenotechnical. With science, thanks to a certain epistemological closure which

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characterises it, the notion of conceptual tradition is liberated to a much greater degree than in the pre-science of the corresponding “objectal” tradition. The role of exogenous elements not only becomes minimal, but above all it is controlled, upon the constitution of theoretical models and the demonstration of their validity. Linguistic and technical surveillance protects us against Hidden Gods. This independence by no means diminishes the role of the “objectal” tradition: quite the contrary. If the conceptual tradition precisely indicates the temporal and human constituents of the “objectal” tradition, the latter, in order to be established, requires the undertaking of work which would allow us to understand the formation of the community of scientists, their modes of learning, their choice of which sectors to develop and at what rhythms, etc.; in other words, all the material and social elements which have established the framework of the conceptual tradition. These elements may illuminate the rhythms and the diffusion of the conceptual tradition, but they cannot shed light on systems of concepts and the proofs of their validity. To be sure, the choices of investment and allocation of resources, the training of scientists and the multiplicity of competencies, the stratification of their community, social ideologies as well as scientific ideologies, among many other factors, may explain controversies when the facts are imperfectly established and proofs not rigorously carried out. They also shed light on the conflicts of interpretation which almost always accompany the passage to application, the unequal development of different disciplines, etc. ; but they cannot inform us about the constitution of valid theoretical models. This last task is, so it seems, the particular duty of the history of science; it is this task that it must define if it wants to constitute itself as a genuine discipline. Work on the “objectal” tradition, which the historian of sciences can probably not do without, falls under other specialties, subject to other criteria, which range from archaeology to social psychology, via codicology and economics, among others. The differences between the objectal tradition and the conceptual tradition lie not only with objects and methods, but they are much more deeply rooted in the very nature of their necessity. Perhaps, moreover, it is here that resides the source of all the conflicts and controversies, or, if one prefers ready-made expression, the reason for the chasm between “internalists” and “externalists”, or the adepts of “social history” and historians of science. The objectal tradition deals, in a word, with our actions: with psychological, social, and historical events, with things which are here and now ; in brief, with contingent facts. The formation of an academy, the functioning of a great research center, the organisation of a laboratory, the modes of trans-

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mission of knowledge, the material support of texts, the allocation of resources, the scientist’s social affiliations, his psychological profile, etc., are all so many contingent facts. Even if psychology, sociology, economics, and so on, can identify a kind of necessity in them, there is none in their relations to the facts of science. Conversely, it is to this very necessity that these facts owe their recognisability. Such is the case for a mathematical theorem, a physical law, etc. It is for this reason, moreover, that an objectal fact is not liable to be true or false, whereas for the conceptual fact its character of necessity is also a criterion of truth. We can thus understand that every globalising vocation is condemned in advance to theoretical defeat. Thus, today, the flourishing temptation to extend social history to the conceptual tradition resembles like two grains of sand the ambition to extend psychology to logic: not long ago, the latter resulted in the famous “psychologism” which unleashed the fury of philosophers like Kant, Husserl, and Cavaillès ; the former did not fail to result in “historicism”. What is more, the thesis of the extension of social history cannot itself be defended, for it in turn will be of the order of contingency, and the vicious circle will be closed. Besides, if we wanted this thesis of social history to be possible, we would have to evacuate from science its truth-value, and the distinction between true and false. Conversely, to extend conceptual history to the objectal tradition leads to a “pure history”, or a philosophy of history which is no longer a history of science. Yet the whole problem of the history of science, to which all its difficulty is reduced, consists in this: the production of the facts of science, quite determinate as the production of human beings and the results of their actions, transcends, as an effect, the contingent conditions of its advent ; and this production transcends these conditions in order to distinguish itself from them by its necessary character. In a nutshell, the whole problem consists in knowing how necessity emerges from contingency. The historian of science then reveals himself to be what he has always tried to be: neither a “science critic”, in the sense of an art critic ; nor a historian, in the sense in which we understand a specialist in social history ; nor a philosopher, like the philosophers of science ; but simply a phenomenologist of conceptual structures, of their genesis and of their affiliations, in the midst of conceptual traditions which are always in transformation. Today more than ever, this self-awareness seems to me necessary if we want the history of science to be constituted as a genuine discipline, instead of being a mere domain of activity. Also today, we must construct a new discipline, as necessary as it is legitimate, simultaneously with the history of science, but independently from it: that of social research on the sciences. Such independence is

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the guarantee that both the history of science and social research on the sciences may be formed as true disciplines, which deal with the cultural phenomenon of science.

GREEK INTO ARABIC: TRANSMISSION AND TRANSLATION Historians of Arab science and philosophy, of whatever school, unanimously acknowledge the importance of the translation into Arabic of the Greek heritage. They know that to ignore this fact is to understand nothing of the emergence and development of these disciplines in Arabic, and subsequently, in Latin. This is not at all surprising: familiarity with the actual evolution of these areas of Islamic civilisation is what enables us to measure the impact of the Greek heritage—or, at the very least we need only rely on historical accounts and ancient biobibliographers such as Ibn Isḥāq al-Nadīm. 1 We discover (even indirectly) from historical accounts of Greek science and philosophy just how extensively the Greek heritage was translated into Arabic. If the Arabic translations of Greek writings were to be neglected, a considerable quantity of the Greek heritage and a precious means of understanding it would be lost. Some of these writings are no longer extant in Greek or at best are only partially extant and now exist solely in the Arabic version. Study of the commentaries by Arab scholars and the progress they made in the disciplines covered by these writings constitutes an altogether better method of appreciation and of situating the contributions of their Greek predecessors in the history of a given discipline: Diocles, Apollonius, Ptolemy, Diophantus, Alexander of Aphrodisias, to name but a few. Although the exceptional breadth of this phenomenon of scientific and philosophical transmission and its importance in the history of science and of philosophy are universally recognised, it has still not received anything like the attention it deserves. There are numerous texts still to be dealt with, and studies to be undertaken Paru dans James E. Montgomery (éd.), “Arabic Theology, Arabic Philosophy. From the Many to the One : Essays in Celebration of Richard M. Frank”, Orientalia Lovaniensia Analecta 152, Leuven-Paris, Peeters, 2006, p. 157-196. ‎1. Ibn Isḥāq Al-Nadīm, Kitāb al-Fihrist, ed. R. Tajaddud, Teheran, 1971, in particular the Seventh Chapter: p. 299-360, and p. 417-425. English translation by B. Dodge, The Fihrist of al-Nadīm, New York, 1970. One of the earliest studies, now a classic, is Max Meyerhof, Von Alexandrien nach Bagdad. Ein Beitrag zur Geschichte des philosophischen und medizinischen Unterrichts bei den Arabern, in: Sitzungsberichte der Preussischen Akademie der Wissenschaften (Phil.-hist. Klasse) (1930), p. 389-429.

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to investigate them thoroughly. Moreover, a change of perspective is required if this research is to follow more fruitful paths. Such a change is now beginning to take place, and it should be applied to methods as well as topics of research. Study of the transmission of the Greek heritage into Arabic from a purely philological angle— as is most often the case—is the surest route to losing sight of the essential points, which are: the motives behind the translation; the extension of its meaning; and the manifold forms it assumed. The examination of this phenomenon solely with a view to the restoration of those Greek writings which were totally or partially lost is to ignore its evolution completely. Once these studies, however legitimate and often locally important, have been generalised, they tend to become the trees which obscure the wood: that is, as soon as they are applied as the method of describing the evolution of the Greek into Arabic translation movement. Some recent research on this phenomenon has endeavoured to rectify this perspective. 1 We will attempt to present and examine this endeavour here.

Transmission and Translation: Locating The Problem 1. Towards a New Approach

It is, then, a matter of no little urgency that the prevailing idea of transmission and translation be discarded forthwith and to that end two widely recognised elementary facts should be mentioned. Firstly, the new Muslim state encompassed the majority of the Hellenistic world: we are therefore talking about one people, but a people whose language and religion differed widely. They received as their heritage a body of knowledge, technical subjects and institutions—elements of a social and economic heritage connected with technical as much as institutional history. However, at the heart of this heritage, there is a body of what might be described as ‘dormant’ texts, as well as elementary instruction, notably in theology, astrology, alchemy or medicine. Secondly, this heritage is one among

‎1. R. Rashed, Problems of the Transmission of Greek Scientific Thought into Arabic: Examples from Mathematics and Optics, in: History of Science 27 (1989), p. 199-209 ; reproduced in: Optique et Mathématiques: Recherches sur l’histoire de la pensée scientifique en arabe (Variorum Collected Studies Series), Aldershot: Ashgate, 1992, Article no. I. See also D. Gutas, Greek Thought, Arabic Culture. The Graeco-Arabic Translation Movement in Baghdad and Early ʿAbbāsid Society (2nd-4th/8th-10th centuries), London – New York, 1998; J.L. Kraemer, Humanism in the Renaissance of Islam. The Cultural Revival during the Buyid Age, Leiden, 1992 2.

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many which stemmed from different horizons (chiefly Persian, Sanskrit and Syriac). To ignore these facts is to neglect the important role played by practice, learning, technical subject matter and institutions in the circulation of knowledge; consequently the question of transmission would very soon be reduced to one of mere translation, whereby the Greek heritage would exist only in the form of books. In other words, one runs the risk of missing those things which are to be uncovered by sifting through the following branches of learning: elementary geometry, logistics, agronomy, hydrostatics, metrology—branches of learning destined later to become part of fully-fledged disciplines, or simply part of practical geometry. Obviously, this alone cannot explain the emergence and the development of science and philosophy in the new Islamic culture: nevertheless, it constitutes an important part of it. It is not uncommon, however, for the act of translation to be presented as passive and scholarly, carried out in the same style, no matter what the subject. According to this presentation, there would be a translator (often a physician) with a knowledge of Greek who would translate Greek writings belonging to various disciplines not necessarily within his competence, haphazardly, depending on circumstances and the luck of the draw. Translation from Greek is thus a matter of pot-luck, subject to no constraints with regard to choice of book, or freedom to translate. Briefly then, if we adhere to this often tacit assumption, translators would have translated what they happened upon to the best of their abilities: and this would have been scholarly translation, since translated texts were used solely for teaching. Moreover, since at the time (according to this account) translation only required knowledge of Greek (if not Syriac), then the style of these translations would be uniform. Such a description of transmission followed by translation is transformed into dogma, one that we encounter from time to time, particularly amongst modern biobibliographers. 1 If we are to believe its creeds, translation would be the first stage of a ‘law’ consisting of three stages succeeding one another logically and historically; first, translation for the acquisition of Greek science and philosophy; then in a second phase, assimilation of the knowledge thus acquired, before passing to the third stage: creative production. This naïve dogma arises from the same assumptions as the previous one: the consideration of translation as nothing other than a desire for acculturation.

‎1. See for example F. Sezgin, Geschichte des arabischen Schrifttums, V, Leiden, 1974, p. 25 ff.

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Both the dogma and the premises on which it is predicated take several things for granted of which only two will be discussed here. The first is the concomitance of translation and innovation which has not been sufficiently emphasized. However, such concomitance obtains, to give just a few examples, in optics and catoptrics with alKindī, in the geometry of conics with al-Ḥasan b. Mūsā and his pupil Thābit b. Qurra (d. 901), and in numbers’ theory with the latter. As we shall see, the phenomenon of concomitance unavoidably raises long-forgotten questions of the close relationship between translation and research, and the form which the translation takes, as well as its audience. The second thing which is taken for granted is related to the established but rarely discussed hypothesis of the strong bond of continuity between scientific and philosophical research in Antiquity and Late Antiquity, and the research which developed in Arabic. However this continuity had at best an infrequent effect and appears to have been both fragile and paradoxical. 2. Cultural Transmission, Intellectual Transmission

At an institutional level, there is the question of the arabicisation of the administration and of the organs of power, that is, the Dīwāns. 1 We have previously demonstrated that the arabicisation and the evolution of the Dīwān gave rise to the translation of logistics and encouraged research for its own ends. This in turn contributed to the conception of a non-Hellenistic discipline (i.e. algebra) with al-Khwārizmī. We have also shown how the culture of the Dīwān, so necessary for the training of a paper-based bureaucracy, created a social stratum whose linguistic and literary requirements as well as the demands of logistics, algebra and geometry, amongst other disciplines, stimulated both translation and innovative research. 2 It is therefore true that at this level, as in other sectors such as architecture and agronomy, a certain continuity is discernible. However, the situation is quite different when we turn to scientific research and philosophy. Whilst it is true to say that such research was ‎1. R. Rashed, Les recommencements de l’algèbre aux xi e et xii e siècles, in: The Cultural Context of Medieval Learning, ed. J.E. Murdoch and E.D. Sylla, Dordrecht, 1975, p. 3360 ; reproduced in Entre arithmétique et algèbre. Recherches sur l’histoire des mathématiques arabes (Sciences et philosophie arabes – Études et reprises), Paris, 1984, p. 43-70, particularly p. 64 ff. ‎2. Abu l-Wafāʾ Al-Buzjānī’s book The Arithmetical Requirements of the Kuttāb (secretaries, administrators and bureaucrats), the ʿUmmāl (prefects, tax-collectors) and others belongs to this tradition: see the edition of A.S. Saidan, ʿIlm al-Ḥisāb al-ʿArabī, I, Amman, 1971.

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very unusual and had vanished completely in both Alexandria and Byzantium, 1 in the Ninth Century, in Arabic, we witness a genuine scientific and philosophical renaissance, the foundations of which— linguistic, historical, philosophical and theological—had been solidly laid in the Eighth Century. In short, Alexandria and Byzantium, as well as all the other cities of the known world (oikumenê), constituted a ‘dormant library’ for the new scientific community, a library rich in ancient manuscripts from Antiquity and Late Antiquity. All historical accounts are in agreement on this. 2 However, the absence of continuity at this level raises two intimately linked questions, only one of which concerns us at present. How are we actually to account for a renaissance which had been effected by leapfrogging centuries back to Apollonius and Aristotle, for example? What are the links between the transmission of the Greek heritage (and its translation in particular) and this renaissance? It is only really in the light of this scientific and philosophical renaissance that the issue of translation can be fully understood, for this is precisely the link which seems to provide the most efficacious means of understanding it. The transmission of the Greek heritage into Arabic followed principally, but not exclusively, two paths which are complementary, for all their unequal importance and difference in nature. The first, as yet little explored, although familiar to historians of society and culture, is the one referred to earlier, that of professions, technical subjects, and institutions; in other words, the techniques, organisations and ideologies of the ancient citizens and inhabitants of the Greek-speaking Mediterranean that assured both their material and social existence. This first path is that of the transmission of the Dīwān translated into Arabic under Hisham b. ʿAbd al-Malik (724-743); 3 it is also the path taken by the processes of practical geometry and logistics, and by disciplines such as medicine, alchemy,

‎1. J. F. Haldon, Byzantium in the Seventh Century: The Transformation of a Culture, Cambridge, 1990 ; H.D. Saffrey, Le chrétien Jean Philopon et la survivance de l’école d’Alexandrie au vi e siècle, in: Revue des Études Grecques 67 (1954), p. 396-410 ; L.G. Westerink, Anonymous Prolegomena to Platonic Philosophy, Amsterdam, 1962. ‎2. R. Rashed, Les mathématiques infinitésimales du ix e au x esiècle. Vol. I: Fondateurs et commentateurs: Banū Mūsā, Thābit ibn Qurra, Ibn Sinān, al-Khāzin, al-Qūhī, Ibn al-Samḥ, Ibn Ḥūd, London, 1996, p. 142. See also Tamara M. Green, The City of the Moon, Leiden, 1992. Al-Masʿūdī’s description in Murūj al-Dhahab (ed. C. Barbier de Meynard et M. Pavet de Courteille, revised by Ch. Pellat, II, Beirut, 1966, p. 391-396, § § 13891398) shows that any traces of Hellenism in Ḥarrān around the Third Century Hegira are essentially religious. ‎3. Al-Nadīm, Fihrist, p. 303.

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astrology, agronomy, the military arts and architecture. To this category belong treatises on elementary logic and theology which were necessary for religious teaching as it was conceived in Nestorian and Jacobite monasteries. 1 It is along this ‘natural’ path, (‘natural’ because it had been followed by Hellenised peoples for a thousand years), that we can see the translations of scientific texts in circulation. The second path, much narrower, but better known, is that of the scholarly translation of philosophical and scientific writings from Antiquity and Late Antiquity. This path is distinguished from its predecessors in the history of translation, including Latin and Syriac, by its magnitude. 2 It would be unrealistic to believe that these two trajectories were self-contained and mutually exclusive. Various indicators point convincingly to the contrary, and future research will no doubt identify many intermediary stages that will allow us to discern all the more clearly this social phenomenon of heritage in transmission and translation. It is sufficient for the moment to identify one general and incontrovertible characteristic: the translation movement went hand in hand with the unification, arabicisation and islamicisation of the Muslim empire and its administration. 3. Scholarly Transmission: One Legend, Several Truths

The second path was, to all extents and purposes, officially ‘opened up’, if we are to believe the legend, by a dream of the mighty Caliph al-Maʾmūn. According to this legend, the Caliph dreamed he was engaged in conversation with Aristotle. The ancient biobibliographer al-Nadīm, having been told this episode, wrote: This dream was one of the most definite reasons for the output of books. Between al-Maʾmūn and the Byzantine Emperor there was correspondence, for al-Maʾmun had sought aid opposing him. Then he wrote to the Byzantine emperor asking his permission to obtain a selection of old scientific [manuscripts] stored and treasured in the Byzantine country. After first refusing, he complied with this. Accordingly, al-Maʾmūn sent

‎1. One might consider the iconic figure of the Patriarch Timothy, who collaborated on the translation of the Topics of Aristotle from Syriac into Arabic which was commissioned by the Caliph al-Mahdī: see S.P. Brock, Two Letters of the Patriarch Timothy from the Late Eighth Century on Translations from Greek, in: Arabic Sciences and Philosophy 9 (1999), p. 233-246. See also J. Van Ess, Theologie und Gesellschaft im 2. und 3. Jahrhundert Hidschra. Eine Geschichte des religiösen Denkens im frühen Islam, III, Berlin-New York, 1992, p. 22-28. ‎2. H. Hugonnard-Roche, Les traductions du grec en syriaque et du syriaque en arabe, in: J. Hamesse and M. Fattori (edd.), Rencontres de cultures dans la philosophie mediévale, Louvain-la-Neuve, 1990, p. 131-147.

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forth a group of men, among whom were al-Ḥajjāj ibn Maṭar; Ibn alBaṭrīq; Salmān, the director of the Bayt al-Ḥikmah; and others besides them. They brought the books selected from what they had found. Upon bringing them to him [al-Maʾmūn], he ordered them to translate [the manuscripts], so that they made the translation. It is said that Yūḥannā ibn Māsawayh was one of those who went to the Byzantine country. 1

Al-Nadīm next recalls that the imperial model was imitated by many others. Similarly, the Banū Mūsā, protégés of al-Maʾmūn, sent the famous translator Ḥunayn b. Isḥāq (d. 877) to the ‘Byzantine country’ and he returned ‘with rare books and unusual compositions, about philosophy, geometry, music, arithmetic and medicine’. 2 According to another version, it seems that one of the Banū Mūsā, the eldest (Muḥammad [d. 873]), had been part of an expedition to the Byzantine empire. 3 Several other historical sources describe missions sent to Byzantium, to Alexandria, and to the monasteries at the heart of the ancient Hellenistic world, in search of Greek manuscripts on science and philosophy, right through the Ninth Century and even later. For all the legendary character of al-Maʾmūn’s dream, it vividly captures how contemporary historians and biobibliographers appreciated that this translation movement was qualitatively different from any other which preceded it. It is this difference that we too must appreciate. a. The Renaissance in Research

Ancient historians were aware that the translation movement came into being well before the reign of al-Maʾmūn (r. 813-833). To be more precise, before this period two stages of a preliminary phase can be discerned. A few fragments commented on by the biobibliographers tell us that translators had already been employed under the Umayyads. Witness the grandson of the founder of the dynasty, Khālid b. Yazīd (d. after 704) who asked one Stephanus to translate certain books on alchemy from Coptic and Greek. Al-Nadīm comments on this account in the following terms: it was ‘the first translation in Islam from one language into another’. 4 This evidence has recently been challenged, but it at least has the merit of showing that ancient historians of the period emphasized the interest taken in

‎1. ‎2. ‎3. ‎4.

Al-Nadīm, Fihrist, p. 303-304, in the translation of Dodge, Fihrist, p. 584. Al-Nadīm, Fihrist, p. 304, in the translation of Dodge, Fihrist, p. 584. Ibn Khallikān, Wafayāt al-Aʿyān, ed. Iḥsān ʿAbbās, I, Beirut, 1978, p. 313. Al-Nadīm, Fihrist, p. 303. See also p. 419.

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translation by the scholars of this period and had assigned a special role to Khālid b. Yazīd. 1 Another testimony, from the same al-Nadīm, serves to corroborate the first: this is the moment when, under the reign of the Caliph Hisham b. ʿAbd al-Malik, the Dīwān was translated from Greek into Arabic. It is also at this time when, under the reign of his father and on the advice of Khālid b. Yazīd, that currency was struck in Arabic and no longer in Greek; this is how Ibn al-Athīr and al-Nuwayrī report it. 2 A further testimony, in the same vein, confirms that at the end of the same century (the Seventh), Māsarjawayh translated a medical compendium by Ahrun into Arabic. 3 These scraps, for such they are, indicate that the transition to the arabicisation of the Dīwāns in particular, that is of the administration and its texts, coincided with certain translations undertaken as a result of individual initiatives, as a response to immediate practical needs. Other scraps, of indeterminate date, but which can very probably be situated between this period and the beginning of the next dynasty (the ʿAbbasid), point to the existence of translations, particularly in astronomy: for example Theon of Alexandria’s translation of the Introduction to the Almagest, described by al-Nadīm as an ‘ancient translation’ (naql qadīm). Arabicisation, which had already made considerable progress, continued to advance with the beginning of the ʿAbbasid dynasty. In addition, a political programme of monumental works was underway, as a result of the very displacement of the seat of the Empire and burgeoning urbanisation. Translation could not but increase and become more widespread. One name epitomizes this movement—that of the second ʿAbbasid Caliph al-Manṣūr (754-775). Ancient historians agree in emphasizing the personal interest which al-Manṣūr took in astrology. 4 When he decided to found the new capital, Baghdad, he instructed astrologers to calculate the astral chart and to determine the most favourable moment to start work. Here we come across the names of Abū Sahl b. Nawbakht, Ibrāhīm al-Fazārī, Māshāʾallāh. The Caliph also summoned workers, artisans, experts on the law and geometers from various provinces, as many

‎1. M. Ullmann, Khālid ibn Yazīd und die Alchemie. Eine Legende, in: Der Islam 55 (1978), p. 181-218. ‎2. Al-Nūwayrī, Nihāyat al-ʾArab fī Funūn al-ʾAdab, ed. M. Al-Ḥīnī, Cairo, 1984, p. 223-224 ; Ibn Al-Athīr, Al-Kāmil fī l-Tārīkh, ed. C.J. Tornberg, Beirut, 1965-1967 (= Leiden, 1851-1871). ‎3. Al-Nadīm, Fihrist, p. 355. ‎4. Al-Masʿūdī, Murūj al-Dhahab, IV, Beirut, 1991, p. 333.

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as were necessary for the realisation of this colossal project. 1 Let us dwell a while on this information. Abū Sahl b. Nawbakht is not only an astrologer; he is also a mutakallim—that is, a theologian-philosopher. In a text written in his hand, described by al-Nadīm, he presents a kind of legendary history of science, in which he sees its origins, both epistemological and historical, in Babylonian-Persian astrology. 2 Was this doctrine intended to justify the practice of astrology in which the Caliph himself believed? However, even this task required a true knowledge of astronomy and especially the composition of astronomical tables, or zījs. Al-Fazārī (second half of the Eighth Century) was not just a simple astronomer, but was also a mathematician. He composed and edited a zīj, but also wrote on astronomical instruments (astrolabes and sundials), something which required a solid knowledge of stereographical projections. It therefore seems possible that this group of astrologer-astronomers, accompanied by other geometers, could have carried out all the necessary surveys for the foundation of Baghdad, as well as calculating its astral chart. New requirements came to light and form part of the backdrop, stimulating a particular programme of research: the composition of zījs, the exact representation of a sphere on a plane and so on. Although the disappearance of texts drastically deprives us of the sources that would have allowed us to evaluate this nascent research, there are definitely clues that alert us to a change in the climate. Al-Manṣūr could have received an Indian delegation containing an astronomer, in the presence of al-Fazārī to whom he could have given an Indian zīj. Al-Fazārī, along with Yaʿqūb b. Ṭāriq, could have been charged with adapting it into Arabic. A dubious story? Perhaps, but one which paints a picture of how one imagines the era to have been. 3 Another report (equally late—dating from 330/941), from a certain al-Akhbārī, as told by the historian al-Masʿūdī, also describes the interest that al-Manṣūr had in astrology, and that he was attended by Abū Sahl b. Nawbakht and al-Fazārī (as well as ʿAlī b. ʿĪsā, the astrolabe expert, and the youngest of the group by far).

‎1. According to Al-Nūwayrī: ‘He (al-Manṣūr) wrote to every country to ask that they send artisans and masons and he decreed that eminent, honest and just men, educated in jurisprudence and geometry, should be chosen’ (Nihāyat al-ʿArab, XXII, p. 90). ‎2. Al-Nadīm, Fihrist, p. 299-300. ‎3. For a similar case, see Al-Jāḥiẓ, Kitāb al-Bayān wa-l-Tabyīn, ed. ʿA.M. Hārūn, I, Cairo, s.d., p. 88-93. French translation of the passage: M. Aouad – M. Rashed, “L’exégèse de la Rhétorique d’Aristote: Recherches sur quelques commentateurs grecs, arabes et byzantins,” in: Medioevo 23 (1997), p. 43-189 (p. 89-91).

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We read that al-Manṣūr ‘is the first Caliph for whom books in foreign languages were translated into the Arabic language’. 1 AlAkhbārī mentions some titles in translation, including the Almagest, the Elements, and Nicomachus of Gerasa’s Arithmetical Introduction. He further writes that ‘all the ancient texts in Greek, Byzantine, Pahlavi, Persian and Syriac’ had been translated for him and ‘that they [the books] had been distributed among people who had examined them and who were very keen to acquaint themselves with the knowledge which they contained. 2 Whatever the historical value of this late evidence, it does reflect the opinions of those who came after the reign of al-Manṣūr. Translations were commissioned at the behest of the sovereign, but in the background there was a certain amount of research requiring the translation of particular works, and accelerated arabicisation demanded the institution of a new library fit for an Empire which stretched from India to the Atlantic. And what are we to do with the books mentioned by al-Akhbārī? As far as the Almagest is concerned, nothing actually contradicts the accuracy of the information; in fact, it is corroborated by a passage from al-Nadīm, according to which al-Manṣūr’s vizier, Khālid b. Barmak, instructed the preliminary translation, and which, on being found unsatisfactory, was later corrected at his behest. 3 Perhaps this is the translation in question. By contrast, the Arithmetical Introduction by Nicomachus was translated at first from Syriac, by Ḥabīb b. Bihrīz. However, he ‘translated several books for al-Maʾmūn’, 4 that is to say at least forty years later—which makes the evidence possible but improbable. We would also have to postulate a translation earlier than al-Ḥajjāj’s first translation of Euclid’s Elements, yet there is no other information available to confirm the existence of such a thing. The question therefore remains open. The involvement of political power in soliciting translation from Greek and other languages; the establishment in Arabic of a library fit for the new world, a consequence, at least in part, of the continued arabicisation of the State and of culture for over a century and a half; the response to the needs of research: these were the imperatives to which translation had to respond at the end of the first phase and at the beginning of the second. Several ancient translations, until recently unknown, must have belonged to this intermediary phase. We also know that al-Kindī possessed a translation of Archimedes’s Measurement of the Circle which differed from the later translation based on ‎1. ‎2. ‎3. ‎4.

Al-Masʿūdī, Murūj al-Dhahab, IV, Beirut, 1991, p. 333. Al-Masʿūdī, Murūj al-Dhahab, IV, Beirut, 1991, p. 333. Al-Nadīm, Fihrist, p. 327. Al-Nadīm, Fihrist, p. 304.

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a Greek manuscript. 1 Al-Kindī was also familiar with a translation of Euclid’s Optics that was different to the one which has come down to us and which was most probably made before to this one. And finally, an ancient translation of the beginning of Mechanical Paradoxes by Anthemius of Tralles 2 has just been discovered. The diversity of texts translated is striking: Euclid’s Optics, Archimedes’s Measurement of the Circle, works by Anthemius of Tralles. One could add other treatises. But as far as our actual knowledge goes, these are relatively short texts, but linked nonetheless to research, as we shall see. As for the translations, they are literal and rely on a terminology that would later be heavily revised during the second phase of translation (see below). b. Institution and Profession: The Age of the Academies

This movement gathered momentum and accelerated into a second phase, during which translation became both institution and profession. Al-Maʾmūn’s dream not only heralds its inception, but imbues it with meaning. Even at its apogee, at the beginning of the Abbasid dynasty, the first phase of the translation movement cannot be confused with its successor, be it in terms of the number of translations, the diversity of texts translated, or the technical competence and increased specialisation of the translators. Translation became a scientific profession as well as an institution. There are various reasons for this transformation which began at the time of alMaʾmūn and would burgeon with his successors. One reason which is often overlooked is the change in the encyclopaedia of knowledge: between the middle of the Eighth Century and the middle of the Ninth, there emerged various disciplines directly linked to the new society, its ideology and its organisation. For example, different fields of research were inspired by the need to have access to sacred texts and their interpretation. And so a whole spectrum of linguistic disciplines appeared, ranging from ethnolinguistics to lexicography based on actual phonological research and on combinatorial procedures thanks to al-Khalīl b. Aḥmad, they included grammar and philology. 3 Let us also keep in mind the development of the Kalām, a philosophical-theological science, with multiple schools and their

‎1. R. Rashed, Al-Kindī’s Commentary on Archimedes’ The Measurement of the Circle, in: Arabic Sciences and Philosophy 3 (1993), p. 7-53. ‎2. Les catoptriciens grecs, I: Les miroirs ardents, edited and translated with commentary by R. Rashed, Paris, 2000, p. 343-359. ‎3. R. Rashed, Entre arithmétique et algèbre, p. 253-257.

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various diversifications. 1 We should also note, for example, the different branches of history and the birth of the use of critical analysis as applied to evidence; the development of the hermeneutic sciences, especially that of the Qurʾan; the diverse logical and juridical sciences necessary for research into Islamic law, and so forth. Add to this algebra itself, as well as other disciplines born of practical needs and the administration of the Empire. The encyclopaedia of knowledge is therefore very different to that of Late Antiquity: al-Fārābī will later outline its contents in his Classification of the Sciences. 2 If the new encyclopaedia reflects these disciplines and their diversity, as well as the culture of the time, it also points to a development which can be perceived from reading Ṭabaqāt works (‘the classes of scholars’) as well as ancient biobibliographies: a growth in specialisation. A scholar would belong principally to a profession, or sometimes two complementary professions, such as mutakallim (theologian-philosopher) and scholar of law. However, within the profession itself, a scholar would belong to one school or another: Kufa and Basra for example, for grammarians; Basra and Baghdad for theologian-philosophers. 3 These new disciplines, and the everincreasing number of their specialists, constituted an audience with its own demands. The theologian-philosopher wanted to know more about philosophy, logic and even statics and physics, and wanted to understand them better. 4 The requirements of religion (determination of the direction of Mecca and the hours of prayer in such a vast empire) required new knowledge in astronomy. Progress in medical science was also needed to meet the demand for medicine in urban centres. Administrators of the Dīwān and private secretaries (a calling which grew into a true profession) 5 were the incumbents of positions ‎1. R. M. Frank, The Science of Kalām, in: Arabic Sciences and Philosophy 2.1 (1992), p. 7-37; J. Van Ess, Frühe Muʿtazilitische Häresiographie, Wiesbaden, 1971. For an insight into the extent of the diversification of thought, see Al-Shahrastānī, Livre des religions et des sectes, translation with introduction and notes by D. Gimaret and G. Monnot, Leuven, 1986. ‎2. Al-Fārābī, Iḥsāʾ al-ʿUlūm, ed. ʿUthmān Amīn, Cairo, 1968 3. ‎3. From the outset these differences have been perceived as decisive. For the two fields mentioned, see Abū Saʿīd Al-Anbārī, Al-Inṣāf fī Masāʾil al-Khilāf bayna lNaḥwīyīn al-Baṣrīyīn wa-l-Kūfīyīn, Beirut, 1987, and Abū Rashīd Al-Nīsābūrī, Al-Masāʾil fī l-Khilāf bayna l-Baṣrīyīn wa-l-Baghdādīyīn, ed. M. Ziyāda and R. Al-Sayyid, Beirut, 1979. ‎4. For example, Abū l-Hudhayl and his nephew al-Naẓẓam: see M.A. Abū Rīda, Ibrāhīm b. Sayyār al-Naẓẓām wa-Arāʾu-hu l-Kalāmīya al-Falsafīya, Cairo, 1946; A. Dhanani, The Physical Theory of Kalām. Atoms, Space and Void in Basrian Muʿtazili Cosmology, Leiden,1994. ‎5. See for example Ibn Qutayba, Adab al-Kātib, ed. A. Faʿūr, Beirut, 1988; AlJahshiyārī, Kitāb al-Wuzarāʾ wa-l-Kuttāb, Beirut, s.d.

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which required command of a reasonably extensive general culture. In short, a wide audience for the disciplines and culture translated mainly from Greek and Persian was thus created. We also find a certain number of ‘cultural’ works among the books translated, dealing with topics such as the moral pronouncements of philosophers 1 or the interpretation of dreams. 2 It is not long, in this second phase of the movement, before we see the institutionalisation of both translation and the Greek heritage. Facts and anecdotes abound, informing us that caliphs, viziers, princes, the wealthy, and even certain scholars, founded libraries and observatories and encouraged translation and research. 3 However, it has not been sufficiently emphasised that these new institutions housed not only individuals, as had previously been the case, but also groups, teams, often rivals and competitors. 4 Thus there were plenty of opportunities for the integration of the Greek heritage in the new scientific city. Take, for example, the House of Wisdom (Bayt al-Ḥikma) founded by al-Maʾmūn in Baghdad. It housed astronomers such as Yaḥyā b. Abi Manṣūr, translators such as al-Ḥajjāj b. Maṭar—who translated Euclid’s Elements and Ptolemy’s Almagest—and mathematicians such as al-Khwārizmī. Later we encounter, in another group linked to the same foundation, the three Banū Mūsā brothers, mathematicians and astronomers who financed and promoted translation; the translator of Apollonius, Hilāl b. Hilāl al-Ḥimṣī and the translator and mathematician, Thābit b. Qurra. We also know that groups of translators and scholars were formed around the Banū Mūsā, al-Kindī and Ḥunayn b. Isḥāq, to name but a few: other specialist groups worked in the same way in mosques, observatories and even hospitals. The manner in which translation was carried out at this time reveals two related features of an especial importance. Conducted on a grand scale, it was not solely limited to writings with a practical aim; it quite often happens that translations from the first phase or even those from the beginning of the second phase were redone. Euclid’s Elements was translated three times: the Almagest at least three

‎1. For example, Ḥunayn b. Isḥāq’s translation of The Testament of Plato for the Education of the Young in: L. Cheikho, Traités philosophiques anciens, Beirut, 1911. ‎2. For example, Ḥunayn b. Isḥāq’s translation of the Book of Dreams by Artemidorus of Ephesus: see the critical edition by Toufic Fahd, Damascus, 1964. ‎3. M.G. Balty-Guesdon, Le Bayt al-Ḥikma de Bagdad, in: Arabica 39 (1992), p. 131-150; Y. Eche, Les bibliothèques arabes publiques et semi-publiques en Mésopotamie, en Syrie et en Égypte au Moyen-Âge, Damascus, 1967. ‎4. Ancient bibliographers report conflicts between al-Kindī (and his collaborators) and the Banū Mūsā (and their group), for example.

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times, and so on. The act of revising a translation was a response to changing criteria within the practice of translation. Translation became the work of individual members of schools and of competitive groups; the criteria for translation were no longer the same; the translator was no longer what he was during the first phase, but was doubly trained, both in languages and in philosophy and the sciences. But before we explain this evolution and ask who was translating, how he translated and why he did so, let us start by noting that translation did not follow any didactic order (from the easiest to the most difficult books), nor did it follow the chronological order of the Greek authors. There was certainly no predetermined plan that guided translation, though this is not to say that it was done haphazardly, in response to the discovery of books to be translated. Several contemporary accounts indicate on the contrary that works were chosen for translation before searching for the manuscripts required for the establishment of the text. Thus, Ḥunayn b. Isḥāq decided to translate Galen’s On Demonstration before embarking on a search for manuscripts. 1

‎1. The following is an autobiographical account by Ḥunayn b. Isḥāq of his search for a manuscript of Galen’s On Demonstration: ‘He [Galen] composed this work in fifteen books. His aim was to show the way forward in the matter of proofs. This was also Aristotle’s aim in Book IV of the Organon. To date, none of our contemporaries has managed to obtain a complete set of this work, even though Jibrīl took great pains over his search, as did I in my zealous quest for this work in Mesopotamia, throughout Syria, Palestine and Egypt, even as far as Alexandria. I found nothing, except at Damascus where I discovered about half of the work, but it was incomplete and the books were not in any order. However Jibrīl discovered several books of this work, which were not the ones that I had found’. We can deduce from this account that searches took place not only in Byzantium, but throughout the whole of the ancient empire; that Alexandria, amongst other places, was visited in the search for Greek manuscripts; that the manuscript of such an important work as this was found in serendipitously in Damascus; that the translators themselves travelled independently of the great manuscript expeditions, such as the one dispatched by al-Maʾmūn; and finally that our knowledge of the translation movement from Greek into Syriac and Arabic is still not really adequate. These conclusions are confirmed by another account. Yaḥyā (Yūḥannā) b. al-Biṭrīq, a member of the famous expedition sent by the Caliph al-Maʾmūn to Byzantium in search of Greek manuscripts, recounts how he was commanded by the Caliph to go in search of the manuscript of the Sirr al-Asrār (Secret of Secrets): ‘the translator Yūḥannā b. al-Biṭrīq said: I visited every temple where the philosophers had hidden their secrets; I visited every great ascetic, made wise by knowledge, thinking that he might have in his possession the object of my quest, until I came to the temple that Asclepius had had constructed. There I met a pious and devout ascetic, a man of surpassing knowledge and penetrating intelligence. Having made him aware of my goodwill towards him, I stayed as his guest and treated him with guile until I got him to entrust me with the books which were in his temple. Among them I found the book I had been looking for, the object of my quest which

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The same situation occurred when the Banū Mūsā wanted to have Apollonius’s Conics translated. 1 These features of the second phase of translation reveal a phenomenon that has gone unnoticed for too long: the close relationship between translation on a grand scale and active and innovative research. It is this relationship in particular which interests us here. c. An Ideal Translator: The Travels of Ḥunayn b. Isḥāq

Before we examine this relationship, let us dwell a while on the training of this new generation of translators who were to transmit the essence of the Greek philosophical and scientific heritage right through the Ninth Century and especially during its second half. In contrast to the majority of their predecessors, these translators were neither enlightened amateurs familiar with an ancient language nor members of a profession (physicians or alchemists) capable of rendering into an approximate Arabic one of the books of their discipline. We are now confronted with true professionals, both in linguistic competence and scientific knowledge. The paragon, one might argue, was the famous Ḥunayn b. Isḥāq. 2 The account of his biography that has come down to us is of great interest: this colourful piece of literature, whether it be genuine or legendary, highlights the ideal characteristics of the new profession. (However, everything leads us to believe that this idealised journey bears more than a passing resemblance to historical reality.) A Christian Arab (Nestorian) born in 808 of a pharmacist father in Ḥīra; his travels began in Basra, where we see him perfecting his Arabic; he knew that the language of translation was not that of everyday use. His choice of Basra lies behind the legend that he met one of the greatest Arabic linguists: al-Khalīl b. Aḥmad. 3 In the story of his life, this legend is both initiatory and emblematic: his mentor in Arabic was none other than al-Khalīl b. Aḥmad himself. We next meet him in Baghdad, the scene

I coveted’ (Fontes Graecae Doctrinarum Politicarum Islamicarum, ed. A. Badawi, Cairo, 1954, p. 69). ‎1. R. Rashed, Les mathématiques infinitésimales du ix e au x e siècle. Vol. III: Ibn alHaytham, Théorie des coniques, constructions géométriques et géométrie pratique, London, 2000, Chapter 1. ‎2. See G. Bergsträsser, Ḥunain b. Isḥāq über die Kunde syrischer und arabischer Galen-Übersetzungen, in: Abhandlungen für die Kunde der Morgenländischen Gesellschaft, 1925. See also G.C. Anawati and A.Z. Iskandar, Ḥunayn ibn Isḥāq, in: Dictionary of Scientific Biography, XV, Supplement 1 (1978), p. 230-248. ‎3. ‘He [Ḥunayn b. Isḥāq] stayed there for some time and his master in Arabic was al-Khalīl b. Aḥmad’: Ibn Abī Uṣaybiʿa, ʿUyūn al-Anbāʾ fī Ṭabaqāt al-Aṭibbāʾ, ed. N. Riḍā, Beirut, 1965, p. 257 and 262.

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of his scientific education proper, where he also studied medicine under the aegis of one of the greatest doctors of the time: Yūḥannā b. Māsawayh. It is here that our hero met his destiny. Banished by Ibn Māsawayh from his circle, Ḥunayn started his education afresh. This is the third stage. He went to one of the centres of Hellenism to perfect his knowledge of Greek—whether it was in the Byzantine empire or Alexandria, the biographers are unsure. He reappears a few years later, in Baghdad, reciting verses of Homer 1 by heart: symbolically, such mastery of Greek is most certainly a corollary to al Khalīl’s earlier tutoring in Arabic. Three distinct stages, therefore, and all necessary for the training of the new type of translator: henceforth a translator-scholar, one who knew Greek, Arabic, Syriac and the sciences. These important requirements find an echo in two facts. Firstly, science in translation was still a living science. In fact we will see later that translation was not carried out in order to rewrite the history of a scientific dsicipline, but rather actively to pursue a practical programme of research. Secondly, henceforth one of the tasks of the translator was to contribute to the development of scientific Arabic. This demanded linguistic research proper and in turn required an education and training similar to that received by Ḥunayn b. Isḥāq. Ḥunayn then spent the rest of his life translating Greek medical works as well as several books of philosophy, some of which were required by the medical curriculum. During the course of this life of translation (the quality of which is universally acknowledged) he embarked on a programme of research into scientific Arabic. He is credited with translating one hundred and twenty-nine works, with two thirds being in Syriac and a third in Arabic. The disproportionate number of works in Syriac reflects the composition of the medical community at the time, and hence the nature of the demand. As most physicians were of Syriac origin and as they continued to hold positions as court physicians, so they were the ones who commissioned the majority of translations for practical or research purposes. 2 And in fact, where historical records provide the names of those who commissioned translations, we find Bakhtīshūʿ b. Jibrāʾīl, Salmawayh, Dāʾūd, and Yūḥannā b. Māsawayh, all of whom were Syriac physicians; and the Banū Mūsā, who were cultivated mathematicians. Ḥunayn b. Isḥāq also composed several medical works, as well as being a practising physician, in addition to a number of

‎1. Ibn Abī Uṣaybiʿa, ʿUyūn al-Anbāʾ, p. 258. ‎2. See H. Hugonnard-Roche, L’Intermédiaire syriaque dans la transmission de la philosophie grecque à l’arabe: le cas de l’Organon d’Aristote, in: Arabic Sciences and Philosophy 1 (1991), p. 187-209.

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books on Arabic grammar and lexicography. 1 In order to comprehend the enormity of this output, let us note a second feature: the organization of translation and research into teams. There was a whole school organized around Ḥunayn, including his son Isḥāq, his nephew Ḥubaysh and ʿĪsā b. Yaḥyā, as well as the copyists al-Aḥwal and al-Azraq. 2 This new type of translator, as we can see, is distinct not merely because of the exigencies of the linguistic and scientific training to which he responded, but also by his new tasks: research into both scientific Arabic as well as science. A gradual and latent transformation occurred as the century advanced, in embryo from the time of Ḥunayn b. Isḥāq: the change from translator-scholar to scholartranslator. This is the gulf which separates Ḥunayn from Thābit b. Qurra (d. 901). d. Third Phase: From Translator-Scholar to Scholar-Translator

Thābit b. Qurra is one of the greatest mathematicians not only of Islam but of all time. He began life as a moneychanger. His mother tongue was Syriac, and he learned Greek and Arabic sufficiently well to translate works of astronomy, mathematics and philosophy. It was for his talents and linguistic knowledge that Muḥammad b. Mūsā, upon returning from a search for manuscripts in the Byzantine Empire, ‘discovered’ him in his native town Ḥarrān (or in the nearby village of Kafr Tūtha) and brought him to Baghdad with him. Welcomed by Muḥammad b. Mūsā into his own home, he received instruction in mathematics under the aegis of the three brothers and especially the youngest, al-Ḥasan, a mathematician of genius. Once his education was complete, Thābit b. Qurra translated a considerable number of Greek treatises on mathematics, including Archimedes’s The Sphere and the Cylinder, the last three books (now lost in Greek) of Apollonius’s Conics and Nicomachus of Gerasa’s Arithmetical Introduction. He also revised numerous translations—Euclid’s Elements and Ptolemy’s Almagest, among many others. Thābit b. Qurra also composed numerous works in astronomy and mathematics of such great importance that his sterling work as a translator almost pales into insignificance by comparison. Between the translator-scholar such as Ḥunayn and the scholartranslator in the manner of Thābit, there is a whole ‘intermediate’

‎1. Ibn Abī Uṣaybiʿa mentions amongst his writings a book on grammar (Kitāb fī l-naḥw) and a book on the classification of names of simple medicines (Kitāb fī asmāʾ al-adwiya al-mufrada ʿalā ḥurūf al-muʿjam) (ʿUyūn al-Anbāʾ, p. 273). ‎2. Ibn Abī Uṣaybiʿa, ʿUyūn al-Anbāʾ, p. 260 and 270.

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category, made up of eminent translators whose scientific training was as wide as it was deep: Ḥunayn’s own son, Isḥāq b. Ḥunayn (d. 911) and Qusṭā b. Lūqā (d. beginning of the Tenth Century), among many others. Nonetheless, with this new phase of translation there was a noticeable change in educational requirements and in the criteria used in translating, and there was a major reinforcement of the links between scientific and philosophical research and translation. As we have remarked of Thābit, these are the very factors which fostered activities previously unheard of: the revision of ancient translations or those done by non-specialists.

Translation and Research: A Multiple Dialectic If we ignore scientific and philosophical research, we will certainly fail to understand the Greek into Arabic translation movement. For this is what informed the choice of books translated, and drove its evolution. This statement does not arise from any of our own postulates; nor is it an eidetic extrapolation from the act of translation, but rather from historical reality. This statement is not a hypothesis of our own devising, nor is it an insight derived from the act of translation but from history. We will therefore select some examples from different disciplines, in order to illustrate and to clarify as far as possible the dialectic of translation and research. The plethora of material and, of course, the limits of our own competence dictate our choice: we will limit ourselves principally to optics, geometry and arithmetic. 1. Concomitance and Transcendence: Optics and Catoptrics

Let us begin in a truly empirical fashion by listing the titles of major Greek works on optics and catoptrics translated into Arabic, along with their Arab translators. 1. Euclid’s Optics was translated at least twice into Arabic; once before the middle of the Ninth Century. Al-Kindī composed a critical commentary on it at the beginning of his own research into optics. 1 2. Ptolemy’s Optics. The Greek original has been lost. The Arabic translation, most probably not produced before the end of the ‎1. R. Rashed, Le commentaire par al-Kindī de l’Optique d’Euclide: un traité jusqu’ici inconnu, in: Arabic Sciences and Philosophy 7.1 (1997), p. 9-57.

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Ninth Century, is also lost. There remains only the Latin translation of the Arabic version, which was carried out by the Emir Eugene of Sicily. 1 From the documents available today, it seems that this work, and particularly the Fifth Book on refraction, came quite late in the development of optics, that is, during the Tenth Century (as part of the research conducted by al-ʿAlāʾ b. Sahl in particular). The Catoptrics attributed to Euclid. It has been shown that fragments exist in Arabic, especially in a Ninth Century work written by Qusṭā b. Lūqā. 2 Diocles’s Burning Mirrors: only two propositions have been quoted by Eutochius. 3 The work is no longer extant in Greek, and we only have an Arabic translation, 4 which is relatively early if we are to judge by the vocabulary. Anthemius of Tralles’s Burning Mirrors (Mechanical Paradoxes). The extant Greek text is incomplete. This work was translated twice, perhaps three times, into Arabic; the first time before the middle of the Ninth Century, the second time rather later. At least one of the Arabic versions seems complete. 5 Burning Mirrors and the Abridged Conics. This is an Arabic translation of a lost Greek book, by one Dtrūms, according to the Arabic transcription, who has yet to be identified. 6 The Bobbio Fragment on burning mirrors. There is no trace of this text in Arabic. 7

To this list can be added some titles of lesser importance, such as Hero of Alexandria’s Catoptrics, fragments of which have survived in Arabic in an early translation. 8 Such is the sum total of the texts on optics and catoptrics. Some conclusions are immediately obvious. The essential Greek works were known and translated into Arabic, some texts more than once. This is what we mean when we describe the translation phenomenon as large scale and multiple. Indeed, several treatises were translated ‎1. A. Lejeune, L’Optique de Claude Ptolémée dans la version latine d’après l’arabe de l’émir Eugène de Sicile, Leuven, 1956. ‎2. R. Rashed, Œuvres philosophiques et scientifiques d’al-Kindī. Vol. I: L’Optique et la catoptrique, Leiden, 1996, Appendix 2, p. 541-645. ‎3. R. Rashed, Les catoptriciens grecs, First Part. ‎4. R. Rashed, Les catoptriciens grecs, p. 21. ‎5. R. Rashed, Les catoptriciens grecs, Appendix, p. 343-359. ‎6. R. Rashed, Les catoptriciens grecs, Chapter 2, p.155-213. ‎7. R. Rashed, Les catoptriciens grecs, Chapter 4, p. 272 ff. ‎8. Various writings in this tradition survive in Arabic: the Pseudo-Euclidean On Mirrors, for example.

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into Arabic before the middle of the Ninth Century, and from the middle of that same century they were both studied and subjected to scientific scrutiny. For example, al-Kindī commented in minute detail on Euclid’s Optics and the work of Anthemius of Tralles. 1 Moreover, it should not be assumed that the order of the translations conformed to the order outlined above; in fact the order which they followed was the order in which research was conducted. But before we discuss this point, let us begin by noting the differences between the two phases of translation, in order to distinguish the different criteria used. Anthemius of Tralles provides us with a good test-case. It is certain that the first translation of Anthemius’s Mechanical Paradoxes was carried out before the middle of the Ninth Century, right at the moment, it would seem, when research on burning mirrors was being conducted in Arabic. The works of al-Kindī and Qusṭā b. Lūqā in this area dispel any doubt on this point. Detailed examination of this translation reveals it to be literal, employing an archaic vocabulary long since abandoned even by al-Kindī himself. The second translation benefits from research which had in fact been undertaken, not only because it opts for a more exact and consistent lexicon, but also for an improved syntax, resulting in a more readable text. 2 The difference between the two different types of translation did not go unnoticed at the time, even if its historical significance did. It is not by chance that in the Ninth Century and later the question of different styles of translation was raised. Al-Kindī debated the matter and his contemporary, the learned philosopher al-Jāḥiẓ, discussed it also. 3 We need only refer to al-Kindī’s letter to a correspondent who had not understood Ptolemy’s description of an instrument in the Fifth Book of the Almagest: You have asked me, O brother, may you be praised again and again!, to describe to you the instrument mentioned by Ptolemy at the beginning of Book Five of the Almagest, since you have doubts about the description he gives of this instrument and its use. Now, your doubts do not arise from a fault in his exposition, but from the difficulty of the arrangement of his words, because he was such a learned and literate man that he was above and beyond observing the custom of the majority of people in the

‎1. R. Rashed, L’optique et la catoptrique d’al-Kindī. ‎2. See Appendix 1 for an illustration of this. ‎3. Al-Jāḥiẓ, Kitāb al-Ḥayawān, ed. ʿAbd Al-Salām Hārūn, I, Cairo, 1938-1945, p. 75 f. Cf. Abū Ḥayyan Al-Tawḥīdī, Kitāb al-Imtāʿ wa-l-Muʾānasa, ed. A. Amin and A. Al-Zayn, reproduction of the Būlāq edition, s.d., p. 112, 115-116, 121. See also Muhsin Mahdi, Language and Logic in Classical Islam, in: Logic in Classical Islamic Culture, ed. G.E. Von Grunebaum, Wiesbaden, 1970, p. 51-53.

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use they make of words; so much so that comprehending the arrangement of his words is difficult, even if the meaning is clear to those who undertake to translate his books from Greek into Arabic—the difficulty in the arrangement of the words is the reason why they are difficult for the translator to understand. Also, out of fear of conveying their own ideas instead of the meaning of his [Ptolemy’s] words, and of allowing themselves to be seduced into making an error over conveying its true essence, they have been constrained to recreate the same order in Arabic, and to write in Arabic what each successive word means. In order to keep themselves free from error, the translators have been incessant in pondering, pursuing and disengaging the meanings they have obtained from this book. But not all of those who translated these books have been equally successful—only the most assured and those skilled enough in Greek not to lose two things at once: knowledge of the meanings of the book and the exactness of its words. In fact, those who try to interpret the sense of what they are translating, without understanding this sense, commit two faults simultaneously: they lose the meanings and they lose the words. And this is prejudicial to anyone who examines their translation in order fully to comprehend some of the insights of the author of the work. If, on the other hand, the translators capture for him the word as it is, even if it is difficult for him to comprehend, they allow him to comprehend the author’s thoughts, even if they are only arrived at with much effort. 1

This very important text describes for us, in the language of the day, the nature of translation from Greek into Arabic and discusses the two principal styles which we have identified. In addition to lexical difficulties, it is syntactical difficulties which predominate. Both features are the mark of a specialised language (in this case, astronomy). There are in fact two styles of translation: that of the translator who proceeds word by word, running the risk of losing the sense; that of the translator-scholars who attempt first to grasp the sense of the ideas; of this group, only those who are ‘assured and skilled in Greek’ succeed in not committing any errors. In the absence of this accomplishment (i.e. the style of Ḥunayn, Isḥāq and such), al-Kindī prefers the word by word approach. The historical import of these reflections is clear, even if it is not pointed out by al-Kindī, himself in permanent contact with both types of translators. In fact, whereas the first phase of translation was often carried out in response to the needs of research in its infancy, the second was generally linked to research which was already well ‎1. Al-Kindī, Risāla fī Dhāt al-Ḥalaq, MS Paris, Bibliothèque nationale, no. 2544, fol. 56-60.

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IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

advanced. Al-Kindī and his contemporary Ibn Lūqā are good examples for catoptrics. Being in possession of the first Arabic version of Mechanical Paradoxes, al-Kindī wrote a whole treatise on burning mirrors, 1 which was not only a critique of the numerous weakness of the Anthemius text, but included a host of new results. Ibn Lūqā was also engaged on research into catoptrics 2 and composed a treatise on burning mirrors. This is the period when most of the Greek treatises on mirrors were translated into Arabic, as a rigorous study of the vocabulary demonstrates. The progress in research made by alKindī and his successors led to a slightly paradoxical result: on the one hand it acted as an incentive to produce a better translation of Mechanical Paradoxes, which would then be used by al-Kindī’s successors such as Ibn ʿĪsā (a minor author); 3 on the other hand, the role of the translated Greek texts was eventually relegated to being solely of historical value. Even if at the beginning of the Tenth Century scholars such as ʿUṭārid and Ibn ʿĪsā took an interest in them, by the end of the century, for Ibn Sahl, his contemporaries and successors they remained but a faint memory. Burning mirrors represented only one chapter in Hellenistic optics. There was, for example, also optics proper: that is, the geometric study of perspective and optical illusions; catoptrics, which is the geometric study of the reflection of visual rays on mirrors; meteorological optics in which atmospheric phenomena such as the halo and the rainbow are studied. These are the divisions which al-Fārābī cites in his Classification of the Sciences. To the geometrical disciplines we must also add the theories of vision which characterized the activities of physicians and the treatises of philosophers. In all these areas, the Greek heritage was transmitted according to the model which has already been analysed for burning mirrors. Historical research is not yet able to tell us which ideas on optics were transmitted by medical practice before the end of the Eighth Century. By contrast, towards the end of this period and during the first half of the Ninth Century, we encounter opthalmological research undertaken by physicians such as Jibrāʾīl b. Bakhtīshūʿ (d. 828/829) 4 and after him Yūḥannā b. Māsawayh. This was of sufficient interest for Ḥunayn b. Isḥāq to compose for the medical community a compendium in which he presented the contents of Galenic

‎1. ‎2. ‎3. ‎4.

R. Rashed, L’optique et la catoptrique d’al-Kindī. R. Rashed, L’optique et la catoptrique d’al-Kindī, Appendix II. R. Rashed, L’optique et la catoptrique d’al-Kindī, Appendix III, p. 647-701. Al-Nadīm, Fihrist, p. 354-355.

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writings on the anatomy and physiology of the eye. 1 Ḥunayn also translated the pseudo-Galenic treatise, On the Anatomy of the Eye. 2 Did research into, and the practice of, ophthalmology stimulate the study of optics and catoptrics? This seems plausible, even if it is still too early to say. In any case, it is around this time that most of the principal Greek works on optics and catoptrics were translated—Euclid, Theon, Hero—(Ptolemy’s Optics, in all probability, was not translated until the end of the century). The history of Arabic optics as inheritor of Greek optics (and Greek optics alone), was therefore essentially concerned with amending and critically revising its inheritance. It is significant that in the middle of the Ninth Century, Euclid’s Optics was not only available, but already the object of revision. We now know that, at this time, there was not one but two translations of the Optics. One of them exists in several manuscripts, and it often departs from the text of the two Greek versions known today, even in passages as fundamental as the preliminary definitions. This Arabic translation is the one which two mathematicians, Naṣīr al-Dīn al-Ṭūsī and Ibn Abī Jarrāda would comment on in the Thirteenth Century. The second translation is at least as old as the first, since alKindī used it in the middle of the Ninth Century. The identification of this version profoundly alters our conception of the textual history of Euclid’s Optics as traced by Heiberg and which has been the subject of recent debate. In a nutshell, Heiberg distinguished between the Optica Genuina (Vind. phil.gr.103) and the version he christened as ‘by Theon’, of which the oldest manuscript is the Vat. gr. 204. However, scholarship (W. Knorr, for instance) thought itself quite recently in a position to contradict this and to affirm that the text which Heiberg attributed to Theon (Vat. gr. 204) should be identified as Euclid’s, with the Optica Genuina considered a later development of the version by Theon. However if we take account of the two Arabic versions, we are able to go one step further and demonstrate that there were not only two, but four, independent textual traditions of Euclid’s Optics, and this leads us to conclude that none of these traditions preserved the correct version of Euclid’s text.

‎1. See his two books Daghal al-ʿAyn (The Disorder of the Eye) and Fī Maʿrifat Miḥnat al-Kaḥḥālīn (On Knowledge of the Test of Oculists). See M. Meyerhof and C. Prüfer, Die Augenheilkunde des Juhana ben Masawaih, in: Der Islam 6 (1915), p. 217-256 and especially M. Meyerhof, The Book of the Ten Treatises on the Eye ascribed to Ḥunain ibn Isḥāq (809-877 AD), Cairo: Imprimerie Nationale, 1928, p. 11-12. ‎2. M. Meyerhof, The Ten Treatises, p. 18 ff.; P. Sbath and M. Meyerhof, Livre des questions sur l’œil de Honain ibn Ishaq, in: Mémoires présentés à l’Institut d’Égypte 36, Cairo, 1938.

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IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

Al-Kindī devoted to Euclid’s Optics the first critical commentary we are aware of. The title of his book explains his intention in the clearest possible terms: Rectification of the Errors and Difficulties due to Euclid in his Book The Optics. But this book was preceded by another by alKindī: On the Diversity of Perspectives. Although lost in Arabic, this text has been translated into Latin as Liber de Causis Diversitatum Aspectus (De Aspectibus). The first quarter is devoted to the justification of the rectilinear propagation of rays of light using geometric propositions concerning shadows and the passage of light through slits. In this way, al-Kindī develops some comments in the prologue to the second version of Euclid’s Optics, which Heiberg attributed to Theon. Whether or not this attribution is well founded matters little here. It is more important to bear in mind that in the middle of the Ninth Century at least the prologue, if not the whole piece, was known in Arabic. In the second part of De Aspectibus, al-Kindī reviews the principal doctrines of vision known since antiquity, before finally adopting the doctrine of emission, with a few amendments. This discussion shows that at the very least al-Kindī was acquainted with his predecessors’ theories of vision. In the last part of De Aspectibus, he studies the phenomenon of reflection and establishes the equality of the angles formed by a direct ray and a reflected ray with the perpendicular to the mirror at the point of incidence. The demonstration is not only geometric but is also based on experiment. ‘Proof based on experiment’ belongs to a traditional language, traces of which can be found in the prologue of the Optics attributed to Theon and which was to be profoundly rearticulated at the beginning of the Eleventh Century by Ibn al-Haytham. This brief survey of the contents of De Aspectibus is intended to demonstrate both the type of research being carried out in optics in the middle of the century as well as the distance separating it from Euclidean optics in the strict sense, which constituted the basis of its reception. In fact, it was only when De Aspectibus was finished that al-Kindī wrote his critical commentary of Euclid’s Optics. The chronology of al-Kindī’s writings on optics is clear: his critical commentary on Optics came after his own contribution in this area. This order explains, in part at least, the thinking that informs his critical commentary. Al-Kindī examines Euclid’s definitions and propositions one after the other, in the light of his own results; he integrates criticisms he had already made of Euclid during the course of the preparation of his book, corrects what appears to him to be inexact, suggests other proofs which seem better to him, and attempts in his own way, and to the best of his abilities, to reveal the underlying ideas.

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Al-Kindī’s optical works and his works on burning mirrors are an outstanding example of the concomitance of research and translation of the Greek heritage. They also demonstrate the impossibility of reconstructing either the conceptual or the textual tradition of optics, without detailed and scrupulous scrutiny of the Arabic versions. There are other examples besides al-Kindī in the Ninth Century. Qusṭā b. Lūqā, one of his collaborators and colleagues, was also interested in optics and catoptrics. He in his turn composed a treatise (though later, circa the 870s), entitled On the Causes of the Diversity of Perspectives Produced by Mirrors. 1 It deals with research into catoptrics, investigation of which reveals that Ibn Lūqā was familiar with Euclid’s Optics as well as the Catoptrics attributed to him. In Chapter Ten, Ibn Lūqā seems to use the first proposition of the Catoptrics and again in Chapter Twenty-Two, traces of propositions 7, 16, and 19 from the same book can be identified. In the following chapter, we find proposition 2 from the Catoptrics, and in Chapter Twenty-Eight, proposition 5. While these references do not prove that Ibn Lūqā had in his hands an Arabic translation of the Catoptrics, they do strongly suggest that he had access to a source, at present unknown, which contained certain propositions in the book. The second important treatise bequeathed to us from Greek optics is that of Ptolemy. We are sadly short of information when it comes to the dates and context of this lost translation. Al-Kindī’s De Aspectibus has been thought to contain several passages ‘which were manifestly inspired by expositions to be found in Eugene’s version’ 2 (i.e. the Latin translation from Arabic): this would make al-Kindī a terminus ante quem for the Arabic translation. But this does not seem correct to us. As we have shown, the prologue of the recension attributed to Theon 3 adequately accounts for what is to be found in the De Aspectibus. At present, the first evidence we have of the translation into Arabic of Ptolemy’s Optics is quite late, towards the end of the Tenth Century, in the version of ʿAlāʾ b. Sahl. 4 As conjecture is our only recourse, we propose that this translation was done at the end of the Ninth or at the beginning of the Tenth Century. We further propose that the translation of this book was deemed desirable when research on refraction with lenses developed in both optics and in catoptrics, as the works of Ibn Sahl testify. It is not by accident, ‎1. R. Rashed, L’optique et la catoptrique d’al-Kindī, Appendix II. ‎2. A. Lejeune, L’Optique de Claude Ptolémée, p. 29. ‎3. R. Rashed, Le commentaire par al-Kindī de l’Optique d’Euclide. ‎4. R. Rashed, Géometrie et dioptrique au x e siècle: Ibn Sahl, al-Qūhī et Ibn al-Haytham, Paris, 1993. English translation; Geometry and Dioptrics in Classical Islam: Ibn Sahl al-Qūhī and Ibn al-Haytham, London, 2004.

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then, that Ptolemy’s Book Five held Ibn Sahl’s attention. But for as long as we remain ignorant of the date of translation, any such statements, including our own, remain purely conjectural. Whatever the case, it remains true that progress in Arabic optics, with Ibn Sahl and Ibn al-Haytham (d. after 1040), meant that such translations came to be regarded as merely of historical interest and were but rarely salvaged from textual ‘ship-wreck’. In geometrical optics, we have seen how the various phases of the translation movement emerged. These phases, though easily recognisable, multiplied and overlapped each other. We can also notice a certain type of translation, a type which might be called in medias res insofar as it was directly linked to a programme of research and followed its development. Anthemius and Euclid were translated in tandem with the research conducted by al-Kindī, Qusṭā b. Lūqā and others. In turn, the progress of these studies brought about the retranslation of these self-same texts. In the case of the timing of the translation of Ptolemy’s work, all the evidence suggests that it had to wait for the study of refraction to be underway. 2. Translation and Re-Reading: The Case of Diophantus

We will now turn to another type of translation, which cannot possibly be confused with the previous type insofar as in this instance translation was definitely not concomitant with research, but followed on from it after a certain period of time, and was carried out in order to enrich an active and fruitful programme of research already underway. This time, translation resembles the masterly recovery of an ancient text, which was to be reactivated and somehow re-interpreted in a way in which it was not initially intended to be read. Furthermore, with this type of translation, there was naturally neither revision nor any second translation: Diophantus’s Arithmetica is a perfect illustration. Diophantus of Alexandria, probably active in the Second Century, though there is no certainty over this point, composed an arithmetical compendium in thirteen books, probably modelled on Euclid’s Elements. Diophantus’s intention in his work is clear, and is stated explicitly in the preface of the first book: the construction of an arithmetical theory, ἀριθμητικὴ θεωρία. The basic elements of this theory are integer numbers considered as multitudes of units, μονάδων πλῆθος, and fractional parts as fractions of magnitudes. These constituent elements of the theory are present not only ‘in person’, but also as types of numbers. The term εἶδος, translated into Arabic as nawʿ and later into Latin as species, cannot be rendered in the sense

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of ‘power of the unknown’. In the Arithemetica, this idea deals equally and without distinction with indeterminate plurality and the power of a number of any plurality, i.e. one that is provisionally indeterminate. This last number is the ‘unsaid’ number (ἄλογος ἀριθμός). To get a better idea of this notion of ‘species’, it must be remembered that Diophantus refers to three ‘species’ of number: the line number, the plane number and the solid number. These species engender all other species which must ultimately be named after them. Thus the squaresquare, the square-square-square, the square-cube are all squares; the cubo-cubo cube is a cube. In other words, derivative species are only possible by composition, and the power of each must necessarily be a multiple of 2 or 3. In the Arithemetica, for example, when problems are set out, there is nothing to the power of 7, nor yet to the power of 5. In fact, the idea of a polynomial is quite absent. Thus, the composition of Diophantus’s work becomes clear: it treats of combinations of these species, one with another, under specific constraints, and using elementary arithmetical operations. Resolution of a problem involves trying to pursue it in each case ‘up to the point where there remains one species on both sides’. 1 Diophantus’s Arithmetica is not a book of algebra, contrary to what one often reads, but an arithmetical treatise proper where one might look, for example, for two square numbers whose sum is a given square. The second explanation which suggests itself concerns a work written during the reign of the Caliph al-Maʾmūn, between 813 and 833: al-Khwārizmī’s Algebra. It is in this book that algebra was conceived for the first time as an autonomous discipline. Al-Khwārizmī, having defined basic terms and operations, studies algebraic equations of the first and second degree, together with associated binomials and trinomials, and the application of algebraic procedures to numbers and to geometric magnitudes, then finishes his book with indeterminate problems of the first degree. These problems are posed in algebraic terms and resolved using algebraic concepts. Al-Khwārizmī’s successors, especially Abū Kāmil, carried out research into the chapter on indeterminate analysis as an integral part of algebra. 2 It is during the course of this research into indeterminate analysis as a chapter of algebra that Qusṭā b. Lūqā translated seven books

‎1. See our edition: Diophante: Les Arithmétiques, Livres V, VI, VII, Paris, 1984, p.103. ‎2. R. Rashed, Combinatorial Analysis, Numerical Analysis, Diophantine Analysis and Number Theory, in: Encyclopedia of the History of Arabic Science, ed. R. Rashed, II, London – New York, 1996, p. 376-417 (= Analyse combinatoire, analyse numérique, analyse diophantienne et théorie des nombres, in: Histoire des sciences arabes, éd. R. Rashed, II, Paris, 1997, p. 55-91).

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of the Arithmetica: the first three correspond to the first three of the Greek version; the following four are lost in Greek; and Books 4, 5 and 6 in the Greek version do not seem to have been translated into Arabic. These two preliminary explanations allow us to pose the problem of the translation of the Arithmetica. We are here concerned with a discipline, which was definitely not Hellenistic, but which had been established for half a century; a discipline one of the divisions of which dealt with indeterminate analysis. On the other hand we have a work (the Arithmetica) dealing with problems which, having been translated in terms of this new discipline, would become a part of it. However, this interpretation was not within the powers of any ordinary translator who happened to come along. Qusṭā b. Lūqā, the translator of the Arithmetica, had grasped the usefulness of Diophantus’s book for research in this new discipline and in particular the section devoted to indeterminate analysis. It was he who provided the first algebraic—and anachronistic—reading of the Arithmetica. One can imagine without too much difficulty the impact of such a reading on the research programme and also on translation. Before we begin our examination of these consequences, let us say a few words about the translator. Qusṭā b. Lūqā was a Greek Christian from Baalbek, who, according to al-Nadīm, was a good translator and knew Greek, Syriac and Arabic well. 1 Again according to the ancient biobibliographers, he was summoned to the capital, Baghdad, to participate in the Greek translation movement: he was there around the year 860. He therefore belonged to that slightly later generation of translators who, by virtue of cultural heritage and training, possessed an elaborate and polished terminology in many different areas of learning (among the different lexica at his disposal, algebra was foremost). He also belonged to the category of professional translator-scholars, who were drawn from different scientific disciplines, and therefore were well qualified to discern the meaning of the works which they were translating. The title of the works translated by Qusṭā which have come down to us reveal a wide range of skills, including ‘minor astronomy’ (Autolycus’s Heliacal Settings; Theodosius’s Habitations, Of Day and Night, and Spherics; Aristarchus’s On the Sizes and Distance of the Sun and Moon). They also include Hero of Alexandria’s Baroulchos; Archimedes’s The Sphere and the Cylinder; Alexander’s commentary on De Generatione et Corruptione, as well as part of his commentary on the Physics. To these should be added Hypsicles’s Books XIV and XV, both added to Euclid’s Elements. ‎1. Al-Nadīm, Fihrist, p. 304.

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Qusṭā seems therefore mainly to have translated books on mathematics and philosophy, subjects to which he had also contributed writings of his own. This then was how Qusṭā b. Lūqā, with all the attendant skills of the translator-scholar, tackled the Arithmetica, sometime around the 870s. His translation is distinguished by its obvious algebraic look. It is as if Diophantus, in the eyes of the translator-scholar, were al-Khwārizmī’s successor, and spoke his language. It is precisely al-Khwārizmī’s lexicon which Qusṭā mines to express mathematical entities and operations in Arabic. We can discern Ibn Lūqā’s interpretative bias in his choice of lexicon: his Arithmetica is a work of algebra. It is a bias that was to be long-lived: it is to be found in the work of Thomas Heath 1 and can still be found today. Ibn Lūqā’s choice is obvious from the very translation of the title of the work. Instead of Arithmetical Problems, προϐλήματα ἀριθμητικά, which we find in the colophons of certain books as al-Masāʾil al-ʿAdadīya, the title is translated as The Art of Algebra, Fī Ṣināʿat al-Jabr. The original terms are also translated into terms used by algebraists, despite the inevitable semantic difference. The expression (ἄλογος ἀριθμός) was translated by Ibn Lūqā as ‘thing’ (cosa, res) that is ‘the unknown’ of the algebraists. This was a key concept in Diophantus’s arithmetical theory, designating the provisionally indeterminate number which would necessarily be so at the end of the solution—a concept which caused modern translators such as Ver Eecke much embarrassment, who translates it as ‘arithme’. The successive powers of this entity (δύναμις, κύϐος, etc.) are also translated using algebraic terms: māl (‘square’), kaʿb (‘cube’), etc. Ibn Lūqā translates the term πλευρά; into Arabic as jidhr (‘square root’), further marking the distinction between his own usage and that of Diophantus. Operations are also ‘algebraised’. So, when Diophantus formulates the first operation: προσθεῖναι τὰ λείποντα εἴδη ἐν ἀμφοτέροις τοῖς μέρεσιν (‘add species subtracted to the two members’), Ibn Lūqā translated this by a single noun: al-jabr, the very word from which the discipline takes its name. In the same way, when Diophantus writes ἀφελεῖν τὰ ὅμοια ἀπὸ τῶν ὁμοίων, (‘take like away from like’), Ibn Lūqā also translates this formula with a single word used by algebraists to describe this very operation: al-muqābala. After further investigation, we come to the conclusion that ‘algebraisation’ is a deliberate and systematic choice.

‎1. See T. Heath, Diophantus of Alexandria: A Study in the History of Greek Algebra, Cambridge, 1885.

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However this did not work for all of Diophantus’s vocabulary and Ibn Lūqā was obliged to invent new terms and expressions, some of them to translate Diophantus’s own terms for describing methods of resolution. He coined his own term when he translated ἡ διπλὴ ἰσότης, a concept dear to Diophantus, as al-musāwāt al-muthannāh, or ‘double equality’, which has all the semantic appearance of a Greek mathematical expression. In order to translate expressions of philosophical origin used by Diophantus, such as γένος, εἶδος, οἰκεῖον, φύσις, μέθοδος, Ibn Lūqā, himself a translator of philosophical opuscules, borrows the by then canonical lexicon of this discipline. Thus, Diophantus’s Arithmetica was translated using insights gained from al-Khwārizmī’s Algebra. This translation is clearly distinct from the tradition of burning mirrors and optics; it is also distinct from the translation of Euclid’s Elements and Ptolemy’s Almagest. The question remains: what were the reasons for this translation and what inspired the translator to make this choice? The answer lies in the examination of the fate of the translation, and this will perhaps lead to a better understanding of the transmission of this part of the Greek heritage. Initial research in Arabic into indeterminate analysis (today known as Diophantine analysis) had most probably been undertaken immediately after al-Khwārizmī. We have already noted that, in the last part of his book on algebra, al-Khwārizmī tackled some indeterminate problems. But there is nothing to indicate that he was interested in indeterminate equations per se, and in any case, indeterminate analysis did not actually appear in his work. The place it later occupied in Abū Kāmil’s book, written around 880, its level of understanding, 1 and the references to other mathematicians who had worked in this area since al-Khwārizmī (whose writings are no longer extant), as well as the references to their own terminology, leave no doubt—Abū Kāmil was not the first, nor was he the only successor of al-Khwārizmī to have been actively engaged in the study of indeterminate equations. The conditions ripe for interest in Diophantus’s Arithmetica can be said to have come into existence during half a century. On the other hand, read in the light of the new algebra, exactly as Ibn Lūqā would have read it, the Arithmetica falls right into place among works in progress on indeterminate analysis. The Arithmetica could even have given a boost to the development of this chapter in the history of mathematics, later described as: fī l-istiqrāʾ. The impact

‎1. Rashed, Entre arithmétique et algèbre. Recherches sur l’histoire des mathématiques arabes. Collection «Sciences et philosophie arabes - Études et reprises», Paris : Les Belles Lettres, 1984.

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of the Arithmetica on Arab algebraists was thus more of the order of extension rather than innovation. 3. Translation as a Vector of Research: The Case of Apollonius’s Conics

We have examined two traditions of translation: translation concomitant with, and in the same area as, current research and translation subsequent to a programme of research, which eventually integrated the work translated into what was (initially) a different tradition. There were three styles of translation: translation by ‘amateur’ translators, translation by professionals and translation by scholars—this latter style became increasingly dominant as the century progressed. But these traditions and styles were not exclusive: sometimes translation was not stimulated by one research programme alone, but by a whole range of activities, some of which did not properly speaking belong to the domain of the work translated. The work would in this case have been translated in furtherance of research into a cognate discipline as much as into other, fully or partly, established disciplines. An example of such a situation can be found in the translation of Apollonius’s Conics. The study of conic sections, of course, represents Hellenistic geometric research at an advanced level. Apollonius’s Conics has been considered the most difficult mathematical work to have been inherited from antiquity. It comprises the sum total of knowledge of conic curves and surfaces produced by geometry since Euclid, Aristeus the Elder, and so on, which was then enriched by Apollonius’s own masterly contribution, especially in the last three books. This treatise would remain the most complete on this subject right up to at least the Eighteenth Century. Only seven of the original eight books remain: the eighth was lost quite early on, perhaps before Pappus 1 in the Third-Fourth Century. The remaining seven all survive in Arabic translation. The Greek text available is the one edited by Eutochius in the Sixth Century, comprising only the first four books. Furthermore, at the beginning of the second half of the Ninth Century, mathematicians were dealing with problems requiring conic sections: problems posed in astronomy and optics (parabolic, ellipsoidal and conic mirrors); the determination of the area and volume of surfaces and curved solids, and such. One has only to read a list of the works of al-Kindī, al-Marwarrūdhī, al-Farghānī and the Banū Mūsā to be convinced. Al-Farghānī had recourse to conic sections in order to present the first demonstrative dissertation on ‎1. Rashed, Les mathématiques infinitésimales, III, Chapter 1.

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the theory of stereographical projections necessary for the astrolabe. More important still is the trend of nascent research at the time, one which continued to develop throughout the century: from the Banū Mūsā on, there was a simultaneous interest in the geometry of conics and the measurement of curved surfaces and volumes. Thus the second of the three Banū Mūsā brothers, al-Ḥasan, came to write a treatise of enormous importance on the generation of elliptical sections and the measurement of their areas. 1 Al-Ḥasan devised a theory of the ellipse and elliptical sections by following a different method to that of Apollonius (the bifocal method). He considered the properties of the ellipse, as well as the different types of elliptical sections, as a plane section of a cylinder. According to the account of his own brothers, al-Ḥasan composed his treatise without any real knowledge of Apollonius’s Conics. He only had at his disposal a faulty copy which he could neither have translated nor understood. Moreover, the method he followed is further proof, if proof were needed, of this account. It is easy to understand the interest shown in the Conics; there was a general desire in all quarters to see the work translated, but then it became urgent to study this branch of geometry. The Banū Mūsā set about finding a translatable copy of Apollonius’s work and after al-Ḥasan’s death, his brother Aḥmad discovered in Damascus a copy of the Eutocius edition of the first 4 books. This is the decisive step which led to the translation of the seven books. Such an undertaking was not within the competence of any ordinary translator. It was originally the task of a team which had been set up, before it was taken in hand, this time by a scholar-translator: Thābit b. Qurra. He it was who translated the last three books: the most difficult, and according to Apollonius, the most original. He it was, most probably, who collaborated with the two surviving Banū Mūsā brothers, Aḥmad and Muḥammad, in the revision of the translation of the whole work. There is no doubt that this was the work of a team, particularly since it is known that other translators, such as Hilāl b. Hilāl al-Ḥimṣī, participated in the translation. 2 Nevertheless, the undertaking remained very much a work of scholar-translators, with Thābit b. Qurra and the Banū Mūsā brothers acting at the very least as revisers. Supervised as it was by inventive scholars of the highest calibre, it should therefore not be confused either with ordinary translation or that of translator-scholars. Of course, as with the latter, this translation does indeed render into Arabic a Greek text perfectly

‎1. Rashed, Les mathématiques infinitésimales, I. ‎2. Rashed, Les mathématiques infinitésimales, III.

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understood and perfectly mastered. But this also confers a certain heuristic value on the work, in that translation by scholar-translators is a genuine means of discovery and of reorganizing knowledge. It takes on this new role because, of all the different types of translation, this is the one which is the most closely linked to research. To illustrate this new function, let us examine the work of Thābit b. Qurra, starting with his book On the Sections of the Cylinder and its Lateral Surface. 1 In possession of the Conics, the collection of the seven translated books, in a sense he took another look at al-Ḥasan b. Mūsā’s book. Apollonius’s Conics served as a model for the elaboration of a new theory of the cylinder and its plane sections; his master’s book provided him with the means for learning about geometric projections and transformations, which he in turn developed. In fact, Thābit b. Qurra was the first to take the step of considering the cylindrical surface as a conic surface and the cylinder as a cone with a summit projected to infinity in a given direction. He begins the work by defining the cylindrical surface, then the cylinder, just as Apollonius in the Conics first defined the conic surface, then the cone. Thābit then follows the same sequence as Apollonius when making his definitions: axis, generator, base, right or oblique cylinder. If we examine the first propositions in Thābit’s book, we can see that this pattern is continued. 2 The Conics served as his model for the elaboration of his new theory of the cylinder, and it is to this end that he developed the study of geometric transformations. The incentive to translate the Conics, then, was embedded in the research led by al-Ḥasan b. Mūsā and his pupil Thābit b. Qurra. However, this research programme was not the only one being conducted at the time. Thābit and his contemporaries were also busy with geometric constructions using conics: notably the two means and the trisection of an angle. Astronomermathematicians, such as al-Farghānī, had recourse to conics in the study of projections, in order to draw up a rigorous theory for the figure of the astrolabe. One might be led to think that the translation of the Conics is a special case, in view of the advanced level of geometry it contains. Obviously the level is significant, but this is not the main reason. Thābit b. Qurra also translated a book of neo-Pythagorean arithmetic: Nicomachus of Gerasa’s Arithmetical Introduction, 3 and this was

‎1. Rashed, Les mathématiques infinitésimales, I, p. 458-673. ‎2. Rashed, Les mathématiques infinitésimales, I. ‎3. Nicomachus of Gerasa, Introduction arithmétique, ed. W. Kutsch, Beirut, 1958.

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IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

at a much lower level. Once again, all indications point to this translation being a part of this scholar-translator’s research: in his famous theorem, 1 he elaborated what might be termed a descriptive statement made by Nicomachus into the first theory of amiable numbers. Thābit actually arrived at the devising of his new theory not only via Nicomachus, but also via the arithmetical books of the Elements. But given that a vast scientific culture was necessary in order for such research to be carried out, it only really grew and spread with the formation of the scientific city and its institutions. One of the means of this formation was, conversely, translation. Once more, thanks to research carried out at the time, the translation of the Greek heritage advanced not only in material terms (i.e. one more text was added to the corpus), but also in terms of comprehension. Furthermore, the criteria of a good translation continued to evolve, which accounts precisely for the massive movement of retranslation and revision of translated works. In other words, retranslation and revision became two defining features of the Greek into Arabic translation movement. This is why Euclid’s Elements was translated three times, with the last version being revised once more. The same is true for the Almagest and for some of Archimedes’s writings, as well as some works on optics, for example. In fact, revision eventually became the norm, from the moment when al-Kindī revised some of the translations done by Qusṭā b. Lūqā and Thābit b. Qurra revised some of Isḥāq b. Ḥunayn’s.

4. Ancient Evidence of the Translation-Research Dialectic: The Case of the Almagest Despite its highly technical character, the translation of the Conics does in fact more or less reflect the general situation. It is a concrete illustration of the reasons underlying the act of translation, of those which caused it to be taken up again and of those which ultimately brought about the revision of the translation. Give or take a few differences, which may be imputed to the nature and objects, as well as the requisite apodictic quality of the discipline, the same situation obtained in the other mathematical sciences, in alchemy and in medicine. For example, it was the same for astronomy too, as the situation obtained for the context of the translation of the magnum opus of ancient astronomy—the Almagest. Ibn al-Ṣalāḥ, the erudite

‎1. F. Woepcke, Notice sur une théorie ajoutée par Thābit ben Qorrah à l’arithmétique spéculative des Grecs, in: Journal Asiatique 4 (1852), p. 420-429.

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scholar of the Twelfth Century, gives us a valuable account of this when he writes: There were five versions of the Almagest, in various languages and translations; a Syriac version which had been translated from the Greek, a second version translated from Greek to Arabic by al-Ḥasan b. Quraysh for al-Maʾmūn, a third version translated from Greek to Arabic by alḤajjāj b. Yūsuf b. Maṭar and Halyā b. Sarjūn, also for al-Maʾmūn, a fourth version translated from Greek to Arabic by Isḥāq b. Ḥunayn for Abū alṢaqr b. Bulbul—we have Isḥāq’s original in his own hand—and a fifth version revised by Thābit b. Qurra from the translation of Isḥāq b. Ḥunayn. 1

In the course of about a half century, we encounter at least three translations of the Almagest, plus a revision by one of the most prestigious mathematicians and astronomers of the age. During the Ninth Century, the whole corpus of Greek astronomy, with a few exceptions, was translated into Arabic. Equally significant is the fact that the two decades of the reign of al-Maʾmūn witnessed the production of two translations of the Almagest. This remarkable fact can only be understood within the context of an ongoing research project. This project was described by an eminent astronomer of the day, Ḥabash al-Ḥāsib. Ḥabash begins by describing the state of research in astronomy before al-Maʾmūn. He notes that certain astronomers, without having ‘produced a clear demonstration or a true deduction thereof’, had posited a few principles and claimed to have attained great wisdom in knowledge of the sun, the moon and the stars. 2 Ḥabash is silent on the identity of these astronomers and their works. According to him, things remained like this until the time of alMaʾmūn, at which point progress was made on the verification and comparison of different astronomical tables which had already been translated into Arabic: the Indian astronomic table (zīj al-Sindhind), the astronomical table of Brahmagupta (zīj al-Arkand), the Persian astronomical table (zīj al-shāh), the ‘Greek canon’, or Ptolemy’s easy tables, as well as ‘other zījs’. This verification of the results from different

‎1. R. Morelon, Eastern Arabic Astronomy between the Eighth and the Eleventh Centuries, in: Encyclopedia of the History of Arabic Science, ed. R. Rashed, I, London – New York, 1996, p. 22 (= R. Morelon, L’astronomie arabe orientale entre le viii e et le xi e siècle, in: Histoire des sciences arabes, éd. R. Rashed, I, Paris, 1997, p. 37); Ibn Al-Ṣalāḥ, Zur Kritik der Koordinatenüberlieferung im Sternkatalog des Almagest, ed. P. Kunitzsch, Göttingen, 1975, p. 155.12-18 (Arabic text). ‎2. Ḥabash Al-Ḥāsib, al-Zīj al-Dimashqī, MS Berlin no. 5750, fol. 70r: wa-qad waḍaʿa ṣinf min al-nās li-dhālika uṣūlan wa-ʾddaʿū fī maʿrifat al-shams wa-l-qamar walkawākib ʿilman ʿaẓīman lam yaʾtū ʿalay-hi bi-burhān wāḍīḥ wa-lā qiyās ṣaḥiḥ.

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IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

astronomical tables gave rise to the following statement: ‘each one of these zījs is sometimes correct and sometimes strays from the path of truth’. 1 Who conducted this early research? Ḥabash does not specify, but we do know that such activity had begun much earlier, with al-Fazārī, Yaʿqūb b. Ṭāriq and many others during the reign of alMaʾmūn. Whatever the truth, it is after this process of verification and consequent to such a negative finding that al-Maʾmūn commanded Yaḥyā b. Abi Manṣūr al-Ḥāsib to revert to the base of the astronomical tables and gather together the astronomers and scholars of his time to collaborate on research into the fundamentals of this science, with the aim of rectifying it, given that Ptolemy had established the proof that it is not impossible to comprehend what the astronomers were trying to find out. 2

The mathematician and astronomer Yaḥyā b. Abi Manṣūr alḤāsib did what al-Maʾmūn ordered him to do. He and his colleagues took as their base text the Almagest and began, in Baghdad, to observe the movement of the sun and the moon at various times. After the death of Yaḥyā b. Abi Manṣūr, al-Maʾmūn ordered another astronomer, Khālid b. ʿAbd al-Malik al Marrwarrūdhī, this time in Damascus, to conduct the first continuous observation in history (over one entire year) of the movement of the sun and the moon. 3 It was during this period of active research in astronomy that Ptolemy’s Almagest was translated twice. The same kind of analysis can be applied to the other disciplines linked to astronomy, such as research into sundials and the translation of Diodorus’s Analemma, or spherical geometry and the translation of Menelaus’s famous work. Analysis such as this not only enables us to understand the modalities of the translation movement, but also allows us to predict its end—the point at which inherited science was overtaken by new research results and methods. This did not occur at the same time across all disciplines, however, though for a good number of them it happened at the turn of the century.

‎1. Ḥabash Al-Ḥāsib, al-Zīj al-Dimashqī, fol. 70r: kull wāḥid min hā yuwāfiqu lṣawāb aḥyānan wa-yabʿudu ʿan minhaj al-ḥaqq aḥyānan. ‎2. Ḥabash Al-Ḥāsib, al-Zīj al-Dimashqī, fol. 70r; fa-lammā waqafa ʿalā dhālika amara Yaḥyā b. Abī Manṣūr al-Ḥāsib bi-l-rujūʿ ilā aṣl kutub al-nujūm wa-jamaʿa ʿulamāʾ ahl hādhihi l-ṣināʿa wa-ḥukamāʾ ahl zamāni-hi li-yataʿāwanū ʿala l-baḥth ʿalā uṣūl hādhā l-ʿilm wa-l-qaṣd li-taṣḥiḥi-hi idh kāna Baṭlamiyūs al-Qālūdhī qad aqāma l-dalīl ʿalā anna dark mā yuḥāwilu ʿilmu-hu min ṣināʿat al-nujūm ghayr mumtaniʿ. ‎3. Ḥabash Al-Ḥāsib, al-Zīj al-Dimashqī, fol. 70v.

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A Programmatic Conclusion Although fundamental works exist in this domain, 1 the question of the transmission of the Greek scientific and philosophical heritage into Arabic has still not been fully settled. These fundamental works can, with a few exceptions, be classified under the following headings: philology, philological archaeology, history. Philological research deals with the problems of lexicon and syntax created by translation into Arabic. Philological archaeology seeks to identify the real or ‘virtual’ Greek text lying behind the Arabic text, based on the postulate that lexical diffusion reflects conceptual diffusion. Historical research examines the impact of a translated text on the philosopher-scientists of classical Islam. Given that history and philology are necessary, any study of translation which invokes their authority should also consider the motivations and reasons for the translation as well as the choice of translator. This task requires us to look beyond al-Kindī, the ‘first philosopher of the Arabs’, to the theologian-philosophers (al-mutakallimūn) who preceded him or who were his contemporaries. As the example of Abū Sahl b. Nawbahkt, Abū l-Hudhayl and al-Naẓẓām (among many others) illustrates, 2 they were receptive, highly critical patrons interested in metaphysics, physics, biology and logic, in order to develop a deliberately rational discourse of their own. Al-Kindī himself had discovered in the writings of the Aristotelian Neoplatonic tradition a discipline which provided not only the basis of a rational discourse acceptable to all, but one which also lent itself to mathematical argument. 3 In all likelihood, this self-same milieu of theologian-philosophers will one day provide the key to understanding the reasons for the preliminary stages of the enormous philosophical translation movement as well as their selection of works within the corpus of writings which is the Aristotelian Neoplatonic tradition.

‎1. See M. Steinschneider, Die arabischen Übersetzungen aus dem Griechischen, Graz, 1889; ʿA. Badawī, Al-Turāth al-Yūnānī fī l-Ḥaḍāra al-Islāmīya, Cairo, 1946; ʿA. Badawī, La Transmission de la philosophie grecque au monde arabe, Paris, 1968; R. Walzer, Arabische Übersetzungen aus dem Griechischen, in: Miscellanea Medievalia 9 (1962), p. 179-195. ‎2. M.A. Abū Rīda, Ibrāhīm b. Sayyār al-Naẓẓām, Cairo, 1946; R.M. Frank, The Science of Kalām, Arabic Science and Philosophy, 2 (1), 7, 1992. J. Van Ess, Theologie und Gesellschaft im 2. und 3. Jahrhundert Hidschra. Eine Geschichte des religiösen Denkens im frühen Islam. De Gruyter, Berlin und New York 1991–1997. ‎3. R. Rashed, Al-Kindī’s Commentary on Archimedes’ The Measurement of the Circle.

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IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

Appendix Anthemius wrote:

τοῦ Η σημείου μεταξὺ τῆς χειμερινῆς ἀκτῖνος καὶ τῆς ἰσημερινῆς ὡς νοουμένου ὡσανεὶ κατὰ τὴν διχοτομίαν τῆς ὑπὸ ΕΒΓ γωνίας καὶ ἐκϐληθείσης τῆς ΗΖ ὡς ἐπὶ τὸ Θ σημεῖον 1 We read in the first translation: ‫ جرخُيلو طخ‬.‫ءاوتسالا اهنأك ةعطاق طسو ةيواز ه ب ـج‬، ‫لعفُيلو ةمالع ح ًةطساو نيب عاعشلا يوتشلا عاعشو‬

.‫ح ز ىلإ ةمالع ط‬

... make the sign Η in the middle between the ray of the winter solstice and the equinoctial ray, as if it cuts the middle of the angle ΕΒΓ. Draw a straight line ΗΖ up to point Θ 2

The translator translates the Greek νοεῖσθαι as faʿala (to do) which is, to say the least, maladroit. In the unlikely scenario that he wanted to avoid a form of the verb wahama (to imagine, to conceive of) he could have opted for jaʿala or kāna. Note also his use of ʿalāma (sign), for the Greek σημεῖον, a rendering which was already quite rare by the Ninth Century, though it is encountered from time to time. Let us examine the second translation of this same phrase: .‫ جرخنو ح ز ىلإ ةطقن ط‬.‫نكتلو ةطقن ح يف طسولا امم نيب يطخ ب ه ب ـج ىلع فصن ةيواز ه ب ـج‬ Let the point J be in the middle, between two straight lines BE (the line of the winter solstice) and the straight line BΓ (the equinoctial line), on the half angle EBΓ. Extend ΗΖ to point Θ. 3

Both the lexicon and the syntax of the second translation is more in keeping with Arabic usage and the language of geometrical optics. Let us pursue this example a bit longer. The Greek text continues thus:

ἐὰν τοίνυν κατὰ τὴν θέσιν τῆς ΗΖ εὐθείας νοήσωμεν ἐπίπεδον ἔσοπτρον, ἡ ΒΖΕ ἀκτὶς προσπίπτουσα πρὸς τὸ ΗΖΘ ἔσοπτρον λέγω ὅτι ἀνακλασθήσεται ἐπὶ τὸ Α σημεῖον 4 ‎1. Les catoptriciens grecs, p. 350, 10-15. ‎2. Anthemius, Fī Sināʿat al-Marāyā l-Muḥrīqa, in: Rashed, Les catoptriciens grecs, p. 287.7-9. ‎3. Ibn ʿĪsā, Kitāb al-Manāẓir wa-l-Marāyā l-Muḥrīqa, in: Rashed, L’optique et la catoptrique d’al-Kindī, p. 677.1-2. ‎4. Les catoptriciens grecs, p. 350.14-17.

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The early translator rendered this into Arabic as: ‫ طخ ح ز ميقتسملا اًعقوم عاعشلل يذلا هلئالد ب ز ه ىلع‬/ ‫ىتمف ام نحن انمهوت ةآرم تاذ حطس ٍوتسم يف عضوم‬ .‫ معزأ هنأ فطعُي اًعجار ىلع عضوم ا‬،‫ةآرم ز ح ط‬

So when we conceive of a mirror with a plane surface positioned on a straight line HZ, the place for a ray of light with signs BZE on a mirror ΗΖΘ, I claim that it is reflected onto position A. 1

Observe that the expression fa-matā mā naḥnu tawahhamnā is somewhat over-elaborate and does not appear to be entirely in keeping with Arabic syntax; it would be better to write fa-matā tawahhamnā. In the same way, it is more correct to use the preposition ʿalā instead of fī. The rest of the sentence is no better: after al-mustaqīm it should run wakānat mirʾāt Zāʾ-Ḥaʾ-Ṭāʾ mawqiʿan li-shuʿāʿ dalāʾilu-hu Bāʾ-ZāʾHāʾ, faaqūl inna-hu yanʿakis ilā mawḍiʿ Alif. In this instance a literal translation has had a negative effect, and the use of the phrase dalāʾilu-hu Bāʾ-Zāʾ-Hāʾ is archaic, and was to be abandoned by later translators. In the same way ʿaṭafa rājiʿan for ‘reflect’ begins to disappear in the Ninth Century. Finally the use of azʿamu (I opine, I claim) instead of aqūlu (I say) for λέγω does not appear in translations from the middle of the Ninth Century. In the second translation, the second phrase runs: ‫ هنإف نوكي عاعش ب ز ه اذإ عقو ىلع ةآرم ح ز ط عجري‬،‫نإف انمهوت اًحطس اًيئارم اًعوضوم عضوم طخ ح ز ط‬

،‫ىلإ ةطقن ا‬

If we imagine the surface of a mirror positioned on a straight line ΗΖΘ, then if the ray of light BΖE falls on the mirror ΗΖΘ, it returns to point A. 2

This translation is less literal and whilst it does not adhere exactly to the letter of the Greek text (always supposing that we are dealing with exactly the same text, which is far from certain), it does convey the meaning in proper Arabic, using correct vocabulary and syntax.

‎1. Les catoptriciens grecs, p. 287.9-12. ‎2. Ibn ʿĪsā, Kitāb al-Manāẓir wa-l-Marāyā l-Muḥrīqa, in: Rashed, L’optique et la catoptrique d’al-Kindī, p. 677.2-4.

A. YOUSCHKEVITCH HISTORIEN DES MATHÉMATIQUES ARABES Que l’on me permette tout d’abord d’évoquer un souvenir personnel. Nous nous trouvions réunis par le philosophe et arabisant Roger Amaldez vers les années quatre-vingts ; ce dernier demande à l’éminent historien comment il a appris l’arabe. A. Youschkevitch, avec sa rigueur bien connue, lui répondit en ces termes : « Je ne connais pas l’arabe, mais j’ai eu quelques idées en histoire des mathématiques». Permettez-moi d’ajouter « et heureusement ». A. Youschkevitch n’est pas un orientaliste, bon ou mauvais, mais simplement un historien des mathématiques qui a pu, grâce à ces «quelques idées», accomplir pour l’histoire des mathématiques arabes ce qu’aucun autre avant lui, à l’exception de Woepcke, Suter et Luckey, n’avait réalisé. Mieux encore, c’est à A. Youschkevitch que l’on doit le premier exposé synthétique des mathématiques arabes. Mais, avant de nous pencher sur ces «quelques idées », rappelons que la contribution d’A. Youschkevitch aux mathématiques arabes se compose de cet exposé systématique inclus dans son histoire des Mathématiques au Moyen-Âge, des commentaires d’al-Khayyām et d’al-Kāshī, d’une histoire de la théorie des parallèles, du chapitre « Géométrie » dans l’Encyclopédie d’histoire de la science arabe – tous en collaboration avec B. Rozenfeld ; de plusieurs articles sur les déterminations infinitésimales, et de plusieurs articles sur les mathématiciens arabes. Dans tous ces écrits. A. Youschkevitch se livrait à un travail synthétique, à partir des écrits publiés depuis un siècle et demi dans les langues européennes, travail fondé sur des intuitions fortes et justes. En bref et en clair, c’est avec A. Youschkevitch que commencent à s’élaborer de véritables rédactions historiques sur les mathématiques arabes. Mais ce travail de rédaction restera en partie inexpliqué si d’une part on ignore ces «quelques idées» auxquelles A. Youschkevitch faisait référence, et si par ailleurs on néglige sa contribution en tant que professeur. C’est lui qui a incité plusieurs de ses élèves à s’engager

Paru dans Mémorial Adolf Youschkevitch, édité par Serguei S. Demidov et Roshdi Rashed, Archives internationales d’histoire des sciences, vol. 58, n os 160-161, juin-décembre 2008, p. 9-13

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IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

dans la recherche sur les sciences mathématiques arabes : je pense entre autres à nos collègues Rozenfeld, Rojanskaya, al-Dabbagh, ..., et à tous ces chercheurs qui ont construit l’une des écoles les plus distinguées en histoire des sciences. C’est dire qu’A. Youschkevitch a donné pour la première fois un statut institutionnel à l’enseignement et à la recherche en histoire des mathématiques arabes. L’impact de l’œuvre d’A. Youschkevitch ne se limitait ni à Moscou, ni à l’Union soviétique de l’époque. Pour nous en tenir à l’écho qu’elle reçut en France, il suffit de comparer la première rédaction du chapitre sur l’histoire des sciences arabes, et la seconde rédaction faite par lui dans L’Histoire générale des sciences, sous la direction de René Taton. Son intervention a, à l’époque, réveillé plusieurs historiens des sciences «de leur sommeil idéologique », pour ainsi dire, en leur brossant des mathématiques arabes un tableau qui non seulement leur était inconnu, mais allait à l’encontre des préjugés et des jugements simplistes et faux hérités du xix e siècle, et particulièrement de l’école philologique allemande. Il est temps à présent d’en venir à ces «quelques idées» qui animaient A. Youschkevitch en histoire des mathématiques. Pour A. Youschkevitch, une partie substantielle de l’histoire des sciences est l’étude de la transmission de l’« information scientifique ». Par « information scientifique», il entend l’« ensemble des connaissances scientifiques d’une collectivité donnée, à une époque donnée, exposées verbalement, par écrit ou imprimées et conservées sous forme de documents ou dans la mémoire des hommes » 1. Ainsi, l’information scientifique ne contient pas seulement les documents et les inventions, mais aussi tous les moyens de leur diffusion. C’est en ce sens qu’A. Youschkevitch écrit que « l’histoire des sciences contient aussi une certaine information scientifique spécifique » 2. Or, pour A. Youschkevitch, aussi loin que l’on remonte dans l’histoire des sociétés, on constate que celles-ci ont toujours procédé à l’organisation de l’information scientifique et à sa transmission. Or, celui qui dit « transmission » entre sociétés ou civilisations, dit aussi pouvoir d’absorber l’information transmise. Pour étudier les mécanismes d’un tel phénomène, il va falloir introduire une méthode comparative, une histoire comparée des sciences, pour ainsi dire. Dans cette histoire, écrit A. Youschkevitch, « peuvent servir d’exemple les mêmes pays arabes aux viii e et ix e siècles, la Russie ‎1. A. Youschkevitch, «Histoire des sciences et civilisations», XII e Congrès International d’Histoire des Sciences. Colloques. Textes des rapports, Volume publié par le Centre International de Synthèses (Revue de Synthèse. 3 e série, n os 49-52; tome LXXXIX). Paris. Albin Michel. 1968. 15-26. à la 16. ‎2. Id.

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au début du xviii e siècle, le Japon au milieu du xix e siècle, etc.» 1. On comprend le projet d’A. Youschkevitch d’écrire une histoire des mathématiques au Moyen-Âge, où il considère aussi bien les mathématiques arabes, chinoises, indiennes, ou latines. Et d’ailleurs derrière ce groupement, on perçoit un arrière-fond qui vient de Marx : l’analogie entre les modes de production asiatique, c’est-à-dire une économie où se mêlent des éléments féodaux et des éléments de servage. C’est peut-être sur ce point que A. Youschkevitch suit l’analyse marxiste. Revenons à ce pouvoir d’absorber ou d’assimiler l’information scientifique transmise. Selon A. Youschkevitch, ce pouvoir renvoie à « la structure et au type de la science, ainsi qu’à la manière de son exposition », ainsi qu’à son mode de diffusion. C’est précisément sur ces deux niveaux que la science arabe, selon A. Youschkevitch, se distingue d’autres sciences qui en étaient contemporaines. Commençons par le mode de diffusion. Ce qui est sans précédent dans le cas de la science arabe, selon A. Youschkevitch, est la transmission écrite, via la traduction, et la nature multinationale de ce processus. Écoutons ce qu’il écrit à ce propos : La création d’une littérature scientifique traduite devint non seulement le procédé le plus efficace permettant d’éliminer la barrière linguistique entre les civilisations existantes, mais elle permit aussi d’établir le lien entre les civilisations des siècles passés. Auparavant, on ne tentait pas d’éliminer cette barrière ; les Grecs, par exemple, n’en éprouvaient aucune nécessité. Les traductions des œuvres scientifiques commencèrent au Proche et au Moyen Orient, ce à quoi a contribué la composition multinationale des intellectuels locaux. Dès la fin du viii e siècle, le travail des traducteurs connut une grande envergure grâce au soutien régulier des khalifes de Bagdad et des hauts dignitaires 2.

Pour A. Youschkevitch, la science arabe est la première science « multinationale» ou « internationale », à l’échelle de l’époque. Elle l’est – ajouterai-je dans mon langage – autant par ses sources que par ses développements et prolongements. Même si, pour l’essentiel, ses sources sont hellénistiques, elles comprennent aussi des écrits syriaques, sanscrits et persans. Les poids de ces différents apports ne sont certes pas tous égaux, mais il n’en demeure pas moins que cette multiplicité fut riche de conséquences sur la genèse de la science arabe ; et même lorsqu’on évoque les mathématiques, qu’on peut qualifier sans risque d’être démenti d’ « héritières» de la science grecque,

‎1. Id., 23. ‎2. Id., 19-20.

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IV. MATHÉMATIQUES ET PHILOSOPHIE

le retour aux autres sources s’impose à qui veut vraiment comprendre. Venons-en à présent à la « structure et au type de la science », une fois déterminé ce pouvoir d’assimilation de l’information transmise. C’est ici de nouveau que A. Youschkevitch trouve la raison de la différence entre la science gréco-arabe, d’une part, et les sciences indienne et chinoise, d’autre part. Il commence par constater le fait suivant : Ainsi, les travaux scientifiques grecs et arabes n’ont été traduits ni en sanscrit ni en chinois. Les œuvres chinoises, de même, n’ont pas été traduites en sanscrit, ni les œuvres indiennes en langue chinoise. Dans les pays arabes, les œuvres indiennes et chinoises n’ont pas été traduites. Il en a été ainsi même à l’époque où les contacts entre les pays islamiques, l’Inde et la Chine, étaient particulièrement intenses 1.

N’allons pas croire cependant que A. Youschkevitch ignorait les traductions arabes à partir du sanscrit, ni l’effet qu’elles ont eu sur le développement de l’astronomie arabe. C’est lui-même qui souligne cet impact des astronomes de l’Inde. Il ne faut pas imaginer non plus qu’il refusait toute influence de la Chine. Il a cru pouvoir l’affirmer – à tort cette fois – pour l’œuvre d’al-Kāshī ; mais il s’est rétracté sur ce point, à la suite de mes travaux sur al-Samawʾal. Ce que A. Youschkevitch voulait sans doute souligner par une formulation aussi radicale est le fait suivant : comparé à l’impact de la science grecque, celui de la science indienne est local, et celui de la science chinoise, s’il existe, est marginal. Cette faiblesse de la transmission scientifique, selon A. Youschkevitch, en reflète une autre : celle de la communication scientifique elle-même. La véritable raison de ce phénomène ne réside pas, selon A. Youschkevitch, dans les difficultés techniques de la traduction, mais dans la différence entre structures de pensée scientifique. Voici ce qu’il écrit : Ainsi, les énoncés laconiques, incomplets et dépourvus de démonstrations, des règles de résolution des problèmes et le système de leur arrangement dans les livres de mathématiques chinois et indiens ne pouvaient satisfaire les savants des pays islamiques. La traduction en langue arabe de tels livres n’avait pas de sens sans un remaniement radical et des commentaires détaillés. Il était plus facile d’inclure dans la littérature scientifique arabe divers nouveaux faits, propositions, algorithmes, ce qui d’ailleurs se faisait. D’autre part, l’axiomatique et la structure déductive des œuvres mathématiques grecques, ainsi que leur niveau élevé d’abstraction, assimilées dans les sciences des pays islamiques, étaient

‎1. Id., 22.

A. YOUSCHKEVITCH – HISTORIEN DES MATHÉMATIQUES ARABES 699

étrangers à la science de l’Inde et de la Chine ; là encore, on n’utilisait que certains éléments particuliers provenant de la très riche réserve de connaissances accumulées par les civilisations grecques et arabes 1.

Ici, la thèse de A. Youschkevitch peut avoir des supports historiques et théoriques. C’est en des termes à peu près analogues qu’al-Bīrūnī s’exprimait déjà au xi e siècle, à partir d’une connaissance approfondie des mathématiques et des sciences de l’Inde. S’arrêter à cette thèse risque cependant de nous faire manquer une richesse propre à la science chinoise et à celle de l’Inde. Il faudrait donc tenter de saisir dans une description phénoménologique ce que chacune contient de spécifique. A. Youschkevitch n’a pas manqué d’engager une telle recherche dans son livre. Mais déjà cette analyse nous montre où A. Youschkevitch place la science arabe, et quels sont les points pour ainsi dire stratégiques qui méritent toute l’attention de l’historien : ce dernier devant suivre le développement des idées et des méthodes de la science, c’est en quelque sorte une histoire conceptuelle qu’il faudrait entreprendre. Mais derrière l’historien dont je viens d’évoquer la mémoire, il y avait l’homme. Il me suffit de rappeler à présent que A. Youschkevitch avait survécu au régime de Staline, et qu’il a toujours allié la prudence au courage. Ce dédain de la lâcheté, j’aimerais bien en témoigner personnellement ici, pour avoir eu moi-même l’occasion de l’éprouver. Si je dois qualifier A. Youschkevitch, sans complaisance envers la mémoire de l’ami défunt, je dirai que c’était un homme de lumières, profondément laïque et ne respectant que les seules valeurs rationnelles, méprisant le racisme, le nationalisme, et tous les aveuglements idéologiques. Il était attaché aux valeurs de la science dont il écrivait l’histoire.

‎1. Id., 23.

OTTO NEUGEBAUER 1899-1990 Parmi les historiens des sciences, il y a la classe, peu nombreuse, de ceux qui laissent derrière eux une œuvre fondatrice à jamais incontournable. Ces bâtisseurs de cathédrales façonnent en effet patiemment un édifice qui s’impose tant par les nouvelles perspectives de recherche qu’il ouvre que par sa composition architechtonique. Otto Neugebauer était bien de cette classe d’historiens. Avec un égal talent, il a renouvelé la recherche en histoire des mathématiques et en histoire de l’astronomie mathématique. Cette contribution magistrale est aujourd’hui achevée, et le moment est venu de s’interroger sur la conception qu’Otto Neugebauer se faisait de l’histoire des sciences, et donc de sa propre pratique. La question, semble-t-il laissée dans l’ombre, est d’autant plus importante que celui-ci adoptait souvent une attitude ferme et émettait des jugements tranchants lorsqu’il s’agissait de la pratique de certains historiens des sciences. Pour tenter d’apporter une réponse à cette question, commençons par accompagner le jeune Otto Neugebauer dans son voyage de Graz à Göttingen, où il arrive à 23 ans pour préparer sa thèse de doctorat en mathématiques, et aussi sa carrière de mathématicien. Or Göttingen était alors (dans les années vingt du siècle dernier) l’un des grands centres de recherche mathématique et physique. En mathématiques, on trouve, à côté de Hilbert qui allait bientôt se retirer, Emmy Noether et son groupe, dont faisaient partie Van der Waerden, Grell, etc. ; ainsi que Courant et ses élèves, Landau, etc. On y rencontre aussi quelques prestigieux visiteurs comme Paul Alexandrov. À Göttingen, comme dans les autres centres de recherche mathématique, on discutait ferme de la crise des fondements des mathématiques. Rappelons que le monde mathématique venait alors d’accomplir une révolution intellectuelle, au terme de laquelle le concept de l’infini actuel s’était trouvé intégré comme concept légitime. Mais déjà on s’était heurté aux antinomies de la théorie des ensembles, qui menaçaient les assises mêmes de la raison. Face à cette menace, mathématiciens, logiciens et philosophes multipliaient

Paru (en collaboration avec Lewis Pyenson) dans Revue d’histoire des sciences, tome 65-2, juillet-décembre 2012, p. 381-394.

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les entreprises de sauvetage. Partout les débats faisaient rage entre formalistes et intuitionnistes. À Göttingen, Hilbert avait énoncé son fameux programme à l’aide du concept d’axiomatisation. En bref, Otto Neugebauer résidait dans l’un des centres de recherche mathématique les plus prestigieux, à une époque héroïque où les grands mathématiciens se penchaient sur les fondements de la discipline : Hilbert, Zermelo, Hausdorff, etc. en Allemagne ; Lebesgue, Picard, Borel... en France ; Kuratowski, Lusin, Alexandrov, Kolmogorov etc. en Union Soviétique. En Allemagne encore, et non loin de Göttingen, à Francfort, Max Dehn, Hellinger etc. engageaient dans un séminaire prestigieux une recherche historique en mathématiques, à laquelle prit part Toeplitz. Enfin, un ancien de l’Université de Göttingen devenu Professeur à Fribourg, Edmund Husserl, tentait en philosophe de résoudre ce même problème, à l’aide d’un programme typiquement philosophique. Présent à Göttingen, côtoyant ces grands savants allemands et étrangers, le jeune Neugebauer ne pouvait ignorer tous ces débats et travaux. Or c’est rapidement et dès ce moment qu’il opte pour l’histoire des mathématiques. Si l’on considère sa formation commencée à Graz, et poursuivie à Munich et surtout à Göttingen, on attendrait que son choix porte sur l’histoire des mathématiques récentes, par exemple la théorie des ensembles, analytiques et projectifs ; ou, à défaut, la théorie des fonctions, ou l’algèbre moderne, etc. Mais le choix de Neugebauer fut tout autre et avait de quoi surprendre : les mathématiques les plus anciennes possible, c’est-à-dire les mathématiques in statu nascendi. Pourquoi ? Les débats sur les fondements fournissent, en partie tout au moins, la réponse à cette question. Neugebauer, jeune mathématicien se trouvant propulsé dans la cour des génies mathématiques, a cherché un autre moyen d’aborder ces mêmes débats sur les fondements. Trop indifférent à la philosophie pour être tenté par une solution à la Husserl, ou à la Russell, c’est la voie « génétique» ou, plus précisément encore, « archéo-logique», qu’il a choisi d’emprunter. Réfléchir sur les fondements des mathématiques, c’est, selon lui, étudier chaque fois « la genèse », les actes de fondation, die Entstehungen. Aussi doit-on commencer, écrit-il, par « die Entstehung des Zahlbegriffes und seiner Entwicklung» ; ou encore «Zur Enstehung des Sexagesimalsystems », etc. C’est vers l’Égypte, d’abord, et ensuite vers Babylone, que Neugebauer s’est tourné dans sa quête des actes de fondation ; mais il lui fallait maîtriser les moyens linguistiques de ce retour. Or se trouvaient à Göttingen deux maîtres de l’égyptologie : Kurt Sethe et Hermann Kees. Tout était donc prêt pour que Neugebauer engage sa Dissertation inaugurale.

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Avant d’en venir à cette thèse que Neugebauer soutint en 1926, rappelons qu’à cette période, en Allemagne comme en Autriche, les philosophes et les logiciens étudiaient les fondements logiques des mathématiques et les fonctions du symbolisme dans la formulation logique, ainsi que dans la représentation du monde (Husserl, Cassirer, les néo-positivistes de Berlin et de Vienne). Dans cette Dissertation inaugurale intitulée Die Grundlagen der ägyptischen Bruchrechnung, soutenue précisément devant Courant, Sethe et Kees, Neugebauer commence par remarquer : Aussi, les mathématiques des derniers siècles ont vécu une grande transformation ; leur « arithmétisation» a fait de grands progrès et les recherches sur leurs fondements logiques sont entrées dans une phase décisive. Ces deux lignes directrices ont aiguisé notre regard pour décortiquer le noyau conceptuel des propositions et des opérations mathématiques. 1

De cette description de la recherche mathématique contemporaine, le jeune historien tire des conséquences intéressant sa propre profession, et écrit : Il est clair que l’histoire aussi bien, et surtout celle des débuts – Anfänge – des mathématiques, doit tendre à ceci : reconnaître le rapport qu’entretiennent les concepts qui dans le développement historique tel qu’il est donné sont les primordiaux, avec ceux qui, d’après les conceptions modernes, doivent occuper cette place d’un point de vue purement logique. 2

Dans cette histoire conceptuelle, Neugebauer entend revenir aux Anfänge des mathématiques pour identifier les concepts qui demeurent primordiaux tout au long de l’histoire, et saisir leurs rapports avec les concepts les plus récents, qui occupent la même position logique. L’historien doit donc repérer, sous les contingences des développements historiques, les nécessités logiques immanentes : il s’agit donc d’un autre procédé pour éclaircir les débats sur les fondements. C’est à ce stade de sa démarche que Neugebauer écrit : La comparaison de toutes ces idées dont nous sépare un développement aux nombreuses péripéties, et qui a duré des millénaires, procure un grand plaisir, d’autant plus qu’en dépit du chassé-croisé entre la formation de concepts clairs et la submersion sous un schématisme algorithmique se manifeste, encore et toujours, la puissance de la nécessité logique – Die Macht logischer Notwendigkeit 3. ‎1. Die Grundlagen der ägyptischen Bruchrechnung, Göttingen, 1926, p. 1. ‎2. Ibid. ‎3. Ibid.

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Selon cette conception de l’histoire des mathématiques, l’historien peut lire les concepts anciens à la lumière de ceux des mathématiques récentes, dans la mesure où tous sont investis de la même nécessité logique. Il ne s’agit nullement de considérer que les différentes phases historiques sont simultanées, ou de lire les concepts modernes dans les anciens. Neugebauer rappelle d’ailleurs à cet égard deux exigences : À côté de l’exigence voulant qu’on ne considère pas toutes les phases d’un processus comme si elles étaient simultanées ou équivalentes pour notre compréhension, écrit-il, s’est fait jour la seconde exigence : se prémunir autant que possible du danger consistant à transférer de manière non critique des concepts et des représentations modernes qui nous sont coutumiers sur des données de l’Antiquité. 1

C’est au nom de ces exigences qu’il critique «les constructions arbitraires », je cite, de M. Cantor et F. Hultsch. Les débats sur les fondements des mathématiques ont incité le jeune Neugebauer à étudier die geschichtlichen Grundlagen des Mathématiques – les fondements historiques de la mathématique – et à élaborer une conception archéo-logique. Il va de soi qu’une telle perspective historique impose une multiplicité de tâches : elle exige d’une part de combiner mathématiques et philologie et, d’autre part, de mener conjointement une histoire objectale (étude des documents, tablettes, textes, etc.) et une histoire conceptuelle. Par ailleurs – ainsi l’exigeaient les différentes tendances intellectuelles, les différentes écoles philosophiques allemandes et autrichiennes de l’époque – Neugebauer a accordé une attention toute particulière au rôle de la notation et aux symboles. Il écrit un peu plus tard : The history of all branches of science gives us ample evidence that the introduction of a proper notation exercised the deepest influence on subsequent development ; chemistry and mathematics are typical examples. There is no doubt that the development of Babylonian mathematics and astronomy was mainly due to the existence of a very flexible numerical notation. 2

Cette importance de la notation, il la montre également pour les mathématiques égyptiennes. Il explique que c’est le caractère additif de la notation qui est le moyen principal du calcul ; bien plus, si l’on peut reconnaître l’indice d’un système multiplicatif, c’est le caractère ‎1. Ibid. ‎2. « On a special use of the sign ‘zero’ in cuneiform mathematical texts », in Journal of the American Oriental Society, vol. 61, n o 4, p. 213.

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additif de la notation qui est déterminant. Vingt-cinq ans après sa thèse (en 1951) il revient sur les résultats obtenus dans celle-ci et écrit : There are two major results which we obtain from the study of Egyptian Mathematics. The first consists in the establishment of the fact that the whole procedure of Egyptian mathematics is essentially additive. The second result concerns a deeper insight into the development of computation with fractions. 1

Pour le dire autrement, il montre que le calculateur égyptien calculait dans le demi-corps des rationnels positifs, s’appuyait sur certaines propriétés des nombres telles que la parité, le fait d’être premier ou composé, la divisibilité dans ce demi-corps, la proportionnalité arithmétique, la règle des deux fausses positions, etc. Il montre plus tard que le calculateur babylonien travaille dans le demianneau des nombres positifs exprimables en écriture sexagésimale finie. Il est clair que, si Neugebauer a choisi de commencer par les mathématiques égyptiennes, ce n’est pas affaire de circonstances. Il s’agit d’un choix délibéré, qui porte sur les mathématiques les plus archaïques qui nous soient parvenues. La conception que Neugebauer se faisait de l’histoire des mathématiques, comme il le répète à plusieurs reprises, est donc essentiellement mathématique ; plus encore, c’est aux mathématiciens qu’elle s’adresse. Aussi voit-il dans le livre de F. Klein, Entwicklung der Mathematik in 19. Jahrhundert (Berlin, 1926-1927), l’idéal de la rédaction en histoire des mathématiques 2, alors qu’il assène cette sévère critique au livre de M. Cantor, Vorlesungen über die Geschichte der Mathematik (Leipzig, 1880-1908) : I always felt its total lack of mathematical competence as well as its moralizing and anecdotal attitude seriously discredited the history of mathematics in the eyes of mathematicians, for whom, after all, the history of mathematics has to be written. 3

Mais il va de soi que Neugebauer, avec la grande culture qu’il avait accumulée depuis sa formation en Autriche et dans l’Allemagne de Weimar, ne pouvait réduire cette histoire à un simple commentaire de documents. ‎1. The Exact Sciences in Antiquity. Reprinted, New York : Dover, 1969, p. 73. ‎2. Il écrit dans «Humanism and History of Mathematics», in National Mathematics Magazine, vol. XI, 1936, n o 1, p. 23 : « The work by Klein ‘Lectures on the development of Mathematics in the nineteenth century’ shows as does none other what the historical view in this sense can mean for mathematics». ‎3. « A notice of ingratitude», Isis 47 (1956), p. 58.

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On peut donc voir dans la thèse de 1926 la première réalisation d’un projet dont l’ampleur ne tardera pas à se faire jour : il ne s’agit pas moins que de la totalité du champ des mathématiques anciennes, égyptiennes et babyloniennes. C’est selon la même conception de l’histoire des mathématiques que Neugebauer publie, à partir de 1927 et à un rythme forcené, de nombreuses études majeures. Son Zur Entstehung des Sexagesimalsystems paraît en 1927 1, où il discute à la fois de l’apparition de la notation de position et du rapport entre la métrologie et la formation du système sexagésimal. En 1928 paraît son article « Zur Geschichte des Pythagoräischen Lehrsatzes » 2. Le rythme s’accélère encore entre 1928 et 1935, où, à côté d’articles publiés principalement dans Quellen und Studien zur Geschichte der Mathematik, Astronomie und Physik (revue fondée par lui, J. Stenzel et O. Toeplitz), il fait paraître son Vorgriechische Mathematik et, en 1935, commence à publier Mathematische Keilschrift-Texte (Berlin, 1935-1937). Dans tous les travaux rédigés durant cette période, Neugebauer confirme et développe la même conception de l’histoire des mathématiques, en appuyant de plus en plus l’histoire conceptuelle sur l’histoire des textes. Mais, étant donné que ces textes sont des tablettes numériques en argile et des papyri récupérés par les archéologues au gré de leurs fouilles, conservés dans les musées au hasard des acquisitions et souvent détruits au cours des guerres, Neugebauer ne pouvait fonder son commentaire que sur la structure mathématique des textes. Il a d’ailleurs conçu une méthode destinée à de tels commentaires, à l’aide de l’analyse diophantienne. Jusqu’en 1935, la recherche de Neugebauer porte essentiellement sur l’histoire des mathématiques, sa discipline d’origine. S’il lui arrive alors de rencontrer l’histoire de l’astronomie, c’est à la fois exceptionnel et indirect. Pendant cette période, en effet, il ne consacre qu’un seul titre à l’astronomie. Après 1935, il commence à publier quelques études liées à l’astronomie, sur le calendrier, la chronologie, la détermination de la distance entre Rome et Alexandrie par Héron 3. Mais tout ceci n’est que le prélude à une recherche massive sur l’histoire de l’astronomie, qui a abouti quelques décennies plus tard à une transformation radicale de la configuration de l’histoire de l’astronomie mathématique ancienne : il suffit pour s’en convaincre de citer les volumes magistraux History

‎1. Zur Entstehung des Sexagesimalsystems, Abhandlungen der Gesellschaft der Wissenschaften in Göttingen, Mathematisch-Physikalische Klasse, 1928, 45–48. ‎2. Publié dans Nachrichten von der Gesellschaft der Wissenschaften zu Göttingen, Mathematisch-Physikalische Klasse, 1928, 45-48. ‎3. «Über eine Methode zur Distanzbestimmung Alexandria-Rom bei Heron», Kongelige Danske Videnskabernes Selskab, Historisk-filologiske Meddelelser XXVI, 2 (København, 1938) p. 1-26 + 5 tableaux ; et II, XXVI, 7 (1939) p. 1-11.

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of ancient mathematical Astronomy (Berlin, 1975), Astronomy and History, selected papers (New York, 1983), et son livre en collaboration avec N. Swerdlow sur Copernic. Pourquoi ce nouveau choix ? Avant de nous interroger sur sa conception de l’histoire de l’astronomie et sur les raisons de ce choix, rappelons quelques conséquences des recherches de Neugebauer en histoire des mathématiques dans le Proche Orient ancien. Dans la génération qui précède celle de Neugebauer, la recherche sur les mathématiques et l’astronomie du Proche Orient ancien était prospère. On évoquera par exemple les travaux de F. Kugler et de E. F. Weidner sur l’astronomie babylonienne. D’autre part, T. E. Peet venait – en 1923 – de donner une nouvelle édition du papyrus Rhind et le Professeur de Neugebauer, K. Sethe, venait de publier coup sur coup, en 1919 et en 1920, deux études sur les mathématiques égyptiennes, etc. Cependant, la plupart de ces études sur les sciences au Proche Orient relèvent davantage de l’érudition que de l’histoire des sciences. Il suffit de lire ce que ces historiens des sciences écrivent alors sur la science en Orient. D’autre part, à la fin du xix e siècle et au début du xx e siècle, un certain « panbabylonisme » envahit l’histoire des sciences de l’antiquité, qui d’ailleurs laissera des traces (comme par exemple chez S. Gandz) et n’épargnera pas Neugebauer lui-même lorsqu’il parle de Diophante ou d’al-Khwārizmī, par exemple, dans le livre qu’il adresse à un public plus large : The exact sciences in Antiquity. 1 Ce qui en revanche distingue Neugebauer et les historiens de sa génération, comme Thureau-Dangin, c’est qu’ils abandonnent le mythe du «miracle grec » et de la création ex nihilo de la science grecque, pour donner aux travaux des anciens mathématiciens, égyptiens et babyloniens, leur place dans l’histoire des sciences mathématiques. Ce n’est pas seulement en érudit que Neugebauer a transcrit, traduit et commenté un nombre considérable de tablettes et de papyri, mais en authentique historien des sciences, en avançant prudemment certaines hypothèses sur leur rapport à la science hellène, notamment. Mais il va plus loin encore et exploite tous les résultats obtenus pour proposer une nouvelle périodisation des mathématiques et de l’astronomie anciennes. Voici ce qu’il écrit : ..., it is clear that the Greeks ascribed the discovery of knowledge which was well known to their neighbors in the Near East to definite names like Thales or Pythagoras. The investigation of this alleged early history of Greek mathematics, combined with the extant Oriental material, shows conclusively the fictitious character of the Greek tradition. 2

‎1. Op. cit. ‎2. «History of Mathematics», in Collier’s Encyclopedia, 1950, p. 268-273 ; cf. p. 271.

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Une fois dénoncée cette image d’Épinal que les Grecs donnaient d’eux-mêmes, il poursuit : Greek mathematics is divided into two almost independant streams : (1) the highly scientific mathematics of which Euclid’s Elements and the works of Archimedes are representative and, (2) the unsophisticated and more applied mathematics which is the direct continuation of Oriental tradition. 1

La raison de ce clivage que Neugebauer introduit entre ce qu’il désigne ailleurs sous le nom de «mathématiques scientifiques », ou théoriques, et mathématiques « pré-scientifiques», est l’émergence du concept de démonstration. En 1963, il écrit : For Greek mathematics the picture now becomes quite clear. It hardly needs emphasis that one can forget about Pythagoras and his carefully kept secret discoveries. It is also clear that a large part of the basic geometrical, algebraic, and arithmetical knowledge collected in Euclid’s Elements have been known for a millennium and more. But a fundamentally new aspect was added to this material, namely the idea of general mathematical proof. It is only then that mathematics in the modern sense came into existence. Parallel with the development of modern axiomatic mathematics it became clear that the discovery of «irrationals» by Theaetetus and Eudoxus caused the transformation of intuitively evident arithmetical and algebraic relations into a strictly logical geometric system. From this moment the theoretical branch of Greek mathematics severed all relations with the ultimately Mesopotamian origins of mathematical knowledge. 2

En invoquant ces deux noms, ceux de Théétète et d’Eudoxe, à l’occasion de la preuve de l’irrationalité, Neugebauer voulait sans doute souligner que ce sont ces deux mathématiciens qui ont, à l’occasion de ce problème, dépassé pour la première fois la simple preuve arithmétique aussi bien que la démonstration par la géométrie plane. Il s’agit cette fois d’une véritable démonstration, fondée sur la théorie des proportions et reposant sur les grandeurs en général, connaissables ou non, que l’on rencontrera plus tard dans le cinquième livre des Éléments. Avec ces mathématiciens débute la géométrisation de l’ensemble des mathématiques, et aussi son «axiomatisation». Neugebauer a été amené à ces conclusions, non par une certitude a priori, mais grâce à ses travaux de recherche sur les documents. Encore faudrait-il montrer comment, en ce lieu et en ce temps, des ‎1. Ibid. ‎2. « The survival of Babylonian methods in the Exact Sciences of Antiquity and Middle Ages», in Astronomy and History, selected essays, New York, 1983, p. 159.

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mathématiques restées jusque là «pré-scientifiques», essentiellement constituées de procédés de calcul – d’algorithmes, dirait-on aujourd’hui – sont devenues une théorie démontrée (scientifique). Or une telle question, qui n’a cessé de préoccuper les historiens des mathématiques, renvoie à une analyse préalable : il faudrait expliquer que les objets des mathématiques ont acquis un degré d’abstraction tel que l’édification logique d’un système de vérités est non seulement possible, mais nécessaire. Une telle explication pourrait à son tour ramener à l’histoire de la philosophie, à la manière des historiens de Francfort déjà évoqués. Neugebauer, semble-t-il, s’interdisait d’emprunter un tel chemin. Pour l’histoire de l’astronomie mathématique, Neugebauer a suivi un chemin parallèle pour aboutir à une conclusion semblable. Il écrit : « But for the scientific main stream, the Babylonian influence ends for Greek mathematics in the fifth century BC and for astronomy with Menelaos and Ptolemy in the first and second century AD. » 1 Venons-en à présent à l’histoire de l’astronomie. Nous avons noté que Neugebauer y consacre de plus en plus d’études après 1935, pour s’y vouer presque exclusivement au bout d’un certain temps. Pourquoi ce changement de cap vers la fin des années trente ? On rapporte deux versions, non contradictoires, de Neugebauer lui-même. Selon la première, assez générale, il lui a fallu faire l’histoire de l’astronomie ancienne pour poursuivre ses recherches en histoire des mathématiques anciennes. Cet intérêt est d’ailleurs présent dans ses écrits comme « The astronomical origin of the Theory of conic sections », de 1947 2. La seconde version nous est transmise par N. Swerdlow : While working on the mathematical cuneiform texts for Mathematische Keilschrift-Texte, he also considered it efficient to write the account of the astronomical cuneiform texts, principally ephemerides in the form of arithmetic functions for computing lunar and planetary phenomena 3.

Quelle qu’en soit d’ailleurs la raison, Neugebauer, dans la deuxième période de sa vie, porte l’essentiel de son effort sur l’histoire de l’astronomie. Mais, ici encore, sa conception du travail de l’historien reste fondamentalement la même, étant donné la définition que lui-même donne de l’astronomie. Il entend en effet par là l’astronomie mathématique, ou, comme il l’écrit : « We shall here call

‎1. Ibid. p. 160. ‎2. Astronomy and History. Selected Essays. New York : Springer. 1983, p. 295-297. ‎3. N. M. Swerdlow : « Otto E. Neugebauer (26 May 1899–19 February 1990) », Proceedings of the American Philosophical Society, 137 (1993), 139-165.

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«astronomy» only those parts of human interest in celestial phenomena which are amenable to mathematical treatment ». 1 Dans ces conditions, l’étude de l’astronomie ancienne est donc intimement liée aux mathématiques anciennes, ou, comme il l’écrit : « ... the progress of astronomy depends entirely on the mathematical tools available». 2 On doit donc distinguer cette étude de celle de la cosmologie et de celle des applications de l’astronomie en astrologie, etc. Neugebauer ajoute une distinction, entre astronomie scientifique et astronomie pré-scientifique. Alors que le terme « scientifique » qualifie les mathématiques dotées du concept de démonstration, en astronomie il définit une discipline débarrassée de tout argument qui ne soit pas exclusivement fondé sur les observations, et sur les conséquences mathématiques qui s’ensuivent des hypothèses initiales, relatives au caractère fondamental des mouvements célestes considérés. 3 L’astronomie scientifique ne commence donc guère avant Hipparque et Ptolémée, et notamment lorsqu’on conçoit la trigonométrie sphérique. Si telle est sa conception de l’astronomie, quelle sera la démarche de l’historien ? Neugebauer répond à cette question dans des pages importantes qu’il a rédigées pour préfacer la réimpression de l’Histoire de l’Astronomie ancienne de Jean-Baptiste Delambre 4. L’admiration qu’il porte au livre et à son auteur est sincère : on peut y lire ce que lui-même attend du travail de l’historien. Il écrit d’abord : This classic in the history of scholarship owes its outstanding position to the fact that its author was a professional astronomer and that he worked almost exclusively from original sources. The scale of his achievement, the penetration into technical details combined with insatiable delight in numerical computation, makes one marvel that one life span could suffice for Delambre’s historical work, not to mention his equally voluminous astronomical production. 5

Partir des documents originaux, refaire tous les calculs, examiner tous les détails mathématiques et astronomiques, voilà les conditions préalables à tout travail en histoire de l’astronomie mathématique. À la suite de ce travail préparatoire, « one will often find a penetrating analysis, or perhaps supported by a numerical table or an evolution

‎1. « The History of ancient Astronomy : Problems and Methods », in Astronomy and History. Selected Essays., op. cit., p. 35 ‎2. Ibid., p. 35-36. ‎3. Ibid., p. 43-44. ‎4. J. B. Delambre : Histoire de l’Astronomie ancienne, reprinted from the 1817 edition, Johnson Reprint Corporation, New York and London, 1965. ‎5. Ibid., p. ix.

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of accuracy, or perhaps some reference to unpublished or since ignored documents ... ». 1 Dans ce travail d’analyse et de commentaire, « ..., the reader will see how much real insight oneself and one’s students are deprived by the dense cloud of philosophy and sociology of science ». 2 La méthode que l’historien doit rigoureusement respecter exige qu’il s’attaque à « ...the whole structure and significance of specific problem, together with its difficulties and the struggle to overcome them ...». 3 Lorsqu’il parle du livre de Delambre, c’est donc sa propre conception de l’histoire de l’astronomie mathématique que dévoile Neugebauer, et, plus généralement, sa vision de l’histoire des sciences. Histoire pour ainsi dire internaliste, où ni la philosophie ni l’histoire sociale n’ont leur place. Il ne reste qu’à compléter l’information recueillie depuis 1817 – date de la publication du livre de Delambre – et à intégrer les résultats obtenus par Neugebauer luimême en histoire de l’astronomie de l’Orient ancien. Reste enfin à rectifier l’image que donne Delambre de l’astronomie de Ptolémée, ainsi que quelques autres jugements qu’il émet. Le livre de Delambre est comme le miroir sur lequel Neugebauer reflète sa vision de l’histoire de l’astronomie, fidèle aussi à sa conception de l’histoire des mathématiques : pour étudier la structure et la signification des problèmes déterminés, on doit articuler une histoire conceptuelle à celle des textes, et aussi combiner une analyse technique – mathématique et astronomique – et une analyse philologique de la théorie, sans jamais faire l’économie des calculs. En procédant ainsi, avec les moyens sûrs que Neugebauer a pu acquérir, on atteint chaque fois les actes de fondation des mathématiques et de l’astronomie. Neugebauer montre par exemple comment les astronomes babyloniens sont parvenus à l’idée de considérer un phénomène périodique compliqué comme le résultat d’un nombre d’effets périodiques dont chacun est d’un caractère plus simple que le phénomène initial. Cette méthode, vraisemblablement inventée pour la théorie de la lune, est devenue un acquis de l’astronomie mathématique. De même, ces anciens astronomes sont parvenus, comme l’écrit Neugebauer, « ... in the nucleus, the idea of «perturbations», which is so fundamental to all phases of the development of celestial mechanics, where it spread into very branches of exact science». 4

‎1. Ibid., p. ix-x. ‎2. Ibid., p. x. ‎3. Id. ‎4. « The History of ancient Astronomy : Problems and Methods », Astronomy and History. Selected Essays., op. cit. p. 47.

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La somme considérable des recherches que Neugebauer a consacrées à l’histoire de l’astronomie a abouti à ce monument historique en trois volumes, History of Ancient Mathematical Astronomy, dont l’analyse exigerait bien des pages. Avec cette conception de l’astronomie et cette indifférence à l’égard de la philosophie, Neugebauer ne pouvait considérer le second livre des Hypothèses de Ptolémée que comme « une triste affaire ». 1 Nous savons cependant que la critique qu’Ibn al-Haytham (mort après 1040) a faite de ce livre est à l’origine de deux projets majeurs en astronomie mathématique. Le premier est celui dʾal-Ṭūsī, et de ses collaborateurs et successeurs. Il a fallu attendre Neugebauer pour reconnaître ce projet et son importance, restée inaperçue d’historiens comme Carra de Vaux et Tannery. Neugebauer a tracé pour ses élèves, et pour les élèves de ses élèves, le programme de recherche à engager, et, avec la grande générosité qui était la sienne, les a aidés à résoudre les problèmes techniques posés. Le second projet est celui d’Ibn al-Haytham lui-même, qui élabore une cinématique céleste en introduisant la variable temps et en développant la géométrie sphérique nécessaire à cette cinématique. 2 On voit bien l’importance d’une telle étude pour l’histoire de l’astronomie. Pour finir, la conception que Neugebauer se faisait de l’histoire des sciences, la rigueur qu’il attendait, pourrait donner l’impression d’un choix quelque peu positiviste. Mais l’immense culture de l’homme le gardait de tout positivisme comme elle le protégeait du dogmatisme. Voici ce que lui-même écrit : I do not believe that there is any single approach to the history of science which could not be replaced by very different methods of attack ; only trivialities permit but one interpretation. I must confess still more : I cannot even pretend to be complete in the selection of topics essential for our understanding of ancient astronomy, nor do I wish to conceal the fact that many of the steps which I myself have taken were dedicated by mere accident. 3

‎1. Il écrit en effet : « The second book of the «Planetary Hypotheses» is a rather sad affair». Il poursuit : « Also the mathematical part of the discussion is trivial» ; A History of Ancient Mathematical Astronomy. Berlin : Springer, 1975 ; p. 922. ‎2. Voir R. Rashed : Les Mathématiques infinitésimales du ix e au x e siècle. Vol. V : Ibn al Haytham : Astronomie, géométrie sphérique et trigonométrie, Londres, al-Furqān Islamic Heritage Foundation, 2006 ; et « The Celestial Kinematics of Ibn al-Haytham», Arabic Sciences and Philosophy, 17, 1, 2007, p. 7-55. ‎3. «The History of ancient Astronomy : Problems and Methods», in Astronomy and History. Selected Essays, op. cit., p. 34.

FOUNDING ACTS AND MAJOR TURNING-POINTS IN ARAB MATHEMATICS Classical mathematics is neither homogeneous nor all of one piece. Some chapters in its development go back as far as Greek mathematics. We have only to think, for example, of plane geometry, the geometry of cones or the geometry of spheres. Others are rooted in Arab mathematics, embracing the algebraic disciplines and work on geometrical transformations. Finally, yet other developments, such as infinitesimal calculus took place in Europe in the seventeenth century. What we can say without fear of contradiction, however, is that the distinctive characteristic of this classical mathematics is that it is ‘algebraic and analytical’. The question that remains is precisely when and how this distinctive characteristic saw the light of day, that is, how this algebraic-analytical reasoning arose and how it developed. The foundations for this new type of rationality came from a number of separate initiatives without which it could neither have emerged nor become established. This article will restrict itself to the initiatives attributable to Arab mathematicians that were what I shall call ‘founding acts’ in this new rationality. Other such advances followed in Italian mathematics—the introduction of imaginary quantities— others again came with Viète and Descartes—the invention of a fully worked out system of symbolic representation—and the same period, which I call the age of the ‘liberation of the infinite’, brought yet more. Recent historical studies have now placed beyond doubt, it seems clear, something that people had always suspected was true: that over at least five centuries it was above all in the lands of Islam and in the Arabic language that intensive and fruitful mathematical research took place. Between the eighth and the fourteenth centuries research in mathematics had been conducted by figures such as al-Khwārizmī, Thābit ibn Qurra, Ibn al-Haytham, al-Khayyām, and others, but also by dynasties of scholars who engaged in genuine team-work within Paru dans J. Z. Buchwald (éd.), A Master of Science History: Essays in Honor of Charles Coulston Gillispie, Archimedes 30. New Studies in the History and Philosophy of Sciences and Technology, Dordrecht / Heidelberg / London / New York Springer, 2012, p. 253-271.

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established schools. There were the Banū Mūsā, and the Banū Karnīb dynasties, for example; the Nizāmiyya of Baghdad, the schools of Marāgha, Samarkand among many others. This high-level research was, as one might expect, cumulative, diversified, and sometimes revolutionary. It was certainly cumulative, in that it was constantly enriching the inheritance left by the ancient mathematicians, essentially Greek and Hellenistic, with further progress in all the fields in which they had worked; but it was also cumulative in the sense that it had not taken long for it to become organised into traditions in which each succeeding generation had constantly added its own discoveries to the knowledge acquired by its predecessors. Diversification resulted from the fact that the research saw advances in many areas unknown to the ancients whose development completely redefined both the organisation and the extent of the fields covered by the mathematical sciences. This is observable in algebra, algebraic geometry, combinatorial analysis, Diophantine analysis as a whole, and trigonometry, among other branches. Finally, it was sometimes revolutionary in breaking ancient taboos and in devising new procedures: treating irrational quantities arithmetically, changing the criteria for admissible geometrical constructions, treating geometrically algebraic algorithms as well as those of quadratic interpolation, explicitly introducing movement in geometry, etc. A full picture of this scientific activity, or, at the very least, an account of some of the chapters in its development involves writing its history in sufficient detail to show when it began, what conditions made its beginning possible, how it was organised, what obstacles sprang up in its path, and when it came to an end. The only way to answer all these questions and to produce an epistemological history of this kind is, it seems to me, to try to combine the history of the concepts with that of the texts. It is to precisely this kind of history that I have devoted myself over the past four decades. While it is, of course, impossible for me to summarise that work here, I should like in this account to concentrate briefly on the beginnings of this research activity, that is to say, on the ideas and concepts on which it is founded, before going on to examine how these ideas and concepts were renewed, or, in other words, how research of this same kind began to be taken up again. My aim is not to rewrite the history of this research movement, but to attempt what I might call a phenomenological description of it designed to capture what these beginnings really meant and how far their influence extended. This exercise will help to make clear just where this mathematical research stands in relation to the mathematics of the ancient world and that of the modern era, that is, how

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it relates to Archimedes, Apollonius, Menelaus, etc., on the one hand, and to Descartes, Fermat, Cavalieri, etc., on the other. 1. A fact that does not receive the emphasis it should is that mathematical research in Arabic began in a manner that can perhaps most appropriately be described as paradoxical. The very process of translating Euclid’s Elements and Ptolemy’s Almagest provided the opportunity to make the first complete break with the Hellenistic tradition. Put another way, deviation from the Hellenistic mathematics went hand in hand with the learning of it. It was a colleague in the Baghdad Academy of al-Hajjāj, the translator of Euclid and Ptolemy, al-Khwārizmī who, putting the translation of the Elements to good use, was responsible for the first break. This event took place in the course of the first third of the ninth century, when al-Khwārizmī developed a new discipline: algebra. It was a founding act in several respects, new in its assumptions, in the aims it put forward, in the language it forged, and new in the mathematical possibilities it opened up. 1 It is worth reminding ourselves that in this first book of algebra al-Khwārizmī had a precise end in view that was clearly formulated as such: to develop a theory of equations solvable by radicals, to which arithmetical and geometrical problems alike could be reduced, and which could thus be applied to calculation, trade, inheritances, land-surveying, and so on. The mathematicians who preceded him as well as his contemporaries in the field, no matter what their languages, formulated their equations in response to the problems they set themselves, whereas al-Khwārizmī, by contrast, started from the equations, that is, from the theory which enabled him to derive and classify them. And there was no limit to the number of problems, whether arithmetical or geometrical, that could be reduced to them. Thus in the very first part of his book, al-Khwārizmī began by defining the primitive terms of his theory, which, by reason of the limitations imposed by the method of resolution by radicals and by his own level of expertise in the field, were necessarily confined to equations of the first two degrees. The primitive terms were: the unknown—the ‘thing’ (the variable quantity in question)—its square, the positive rational numbers, the rules of elementary arithmetic, equality. The principal concepts that he introduced next were the first degree equation, the second degree equation, ‎1. By ‘founding act’ I do not in any sense mean a symbolic founding gesture or some manifestation of purely subjective significance, but a genuine project whose constituent elements show themselves progressively as the project itself is followed through.

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the associated binomials and trinomials, normal form, algorithmic solution and the geometrical proof of the algorithm. Al-Khwārizmī was, in effect, concerned to establish each time by means of a geometrical proof that the algorithm was sound and that it was an effective way of reaching the result. In the course of this presentation he takes care to justify the arithmetical treatment of quadratic irrational quantities and to demonstrate geometrically that such treatment is valid. It emerges clearly from this brief account that what was new in alKhwārizmī’s procedure was of a theoretical and not of a technical nature. From a technical standpoint, his book does not in fact reach the level achieved by Diophantus’ Arithmetica. The theoretical innovation in al-Khwārizmī’s algebra lies in the fact that the equation idea is not invoked in the course of the solution of problems, but is a primitive notion stemming from primitive terms whose combination has the potential to produce all possible equations. But this conceptual break with traditions—Babylonian, Greek, Indian, or whatever—has roots that run still deeper, that draw upon a new mathematical ontology, and also on a new epistemology. The central concept of algebra—the unknown or the ‘thing’—does not in fact designate, as according to traditional ontology it had to, a particular existent, but an object that may equally well be numerical or geometrical. In other words, the subject-matter of the new discipline consists neither in geometrical figures nor rational numbers; and the properties that this discipline is deemed to study are not those of measure any more than they are those of position and shape. Its object is something new and is not defined negatively: the mathematical entity finds itself invested with a new meaning, for it is now an entity general enough to admit of several definitions, both geometrical and arithmetical. This original indeterminacy is itself pregnant with logical possibilities, ready to be called into being as and when the means are discovered for studying the object from one viewpoint and/or another. In other words the algebraic object conceived by al-Khwārizmī cannot be obtained by abstraction from particulars; no more can it be arrived at by approximate imitation of a form or idea. There is nothing either Aristotelian or Platonic about the new ontology; it is, as it were, formal and, as such, no doubt the first to be met with in the history of mathematics. Its impact on mathematics, and thereafter on philosophy, was to be considerable, as can be seen from the work of the mathematician al-Karajī and the philosopher al-Fārābī, for example. It is because algebra is conceived as a science that we can speak of it as an epistemic innovation. Like every mathematical science, it is apodictic, and it has in common with art that its ends lie outside

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itself, in that it is intended to resolve arithmetical and geometrical problems. Algebra does not fit the Aristotelian-Euclidean pattern. Finally, the new apodictic discipline is also algorithmic. True enough, the algorithm used in the solution of a problem must itself submit to geometrical proof. If in fact the solution is thought of as no more than a procedure for reaching a result, it follows that this procedure must be justified geometrically, i.e. in a different mathematical language. It was in this respect that al-Khwārizmī broke with all earlier traditions and contemporary practice in algorithmic mathematics. What made the conception of a sui generis mathematical science like this possible was, it can be confirmed, the formal and combinatorial choice that led to the establishment of an a priori classification of equations. The choice was made in stages, as follows: 1st determine a finite set of discrete elements (the number, the ‘thing’ (the unknown), and the square of the ‘thing’); 2nd using these elements resort to a combinatorial analysis so as to obtain a priori all the possible equations; 3rd following the theory, isolate from among the possible cases, those which match the criteria laid down by it. On this principle, out of the eighteen equations he found, al-Khwārizmī retained the six canonical ones, thereby avoiding both redundancy and repetition. The a priori classification of possibilities, which, along with the other features just listed, gives the general shape of the beginning of algebra, also defines an entire area of classical mathematics that would go on expanding. So it was, that by breaking away from the Hellenistic style of mathematics, and indeed from that of all other mathematics that could be known at the time, algebra came into being. But an authentic beginning can be identified as such on the one hand by the conceptual and textual tradition that it inaugurates, and on the other by the further breaks with existing practice that it goes on to provoke. In this case the tradition is embodied in the names of the mathematicians and in the titles of their works. In the wake of al-Khwārizmī, successors who would build on his work came thick and fast; for one thing, they began to extend the scope of algebraic reckoning much further than he had done, for another, to integrate rational Diophantine analysis into algebra, and finally to formulate the proofs of the algorithms more rigorously in the language of Euclidean geometry. Names that may be picked out from among the other mathematicians associated with these advances are those of Ibn Turk, Thābit ibn Qurra, Sinān ibn al-Fatḥ, and above all Abū Kāmil. To this last we owe the first treatise on algebra to include a chapter on rational Diophantine analysis. This book was also well known

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through its translation into Latin and into Hebrew, and from the fact that Fibonacci borrowed from it. Other breaks with tradition, or, if preferred, other ‘fresh starts’ prompted by the new way of looking at mathematical science are already embryonic in the new possibilities opened up by groundbreaking ideas and founding acts. With al-Khwārizmī’s algebra it in fact became possible to apply the disciplines to each other: arithmetic to algebra, algebra to arithmetic, algebra to geometry, algebra to trigonometry, and so on. Every one of these applications led to fresh developments in mathematics and, as a result, to redrawing the map of the mathematical continent. As part of this process, the application of arithmetic to algebra made possible the conception of the algebra of polynomials in the old sense, that is, the algebra of the elements of the ring Q[x, 1/x]. This particular ‘fresh start’ was the work of al-Karajī (end of the tenth century) and his successors, like al-Samawʾal ibn Yaḥyā, and we have dubbed it the ‘arithmetisation’ of algebra, because it was this step that made it possible. Arithmetisation led to an unprecedented development in abstract algebraic reckoning, which extended to irrational quantities of which there was now an infinite multiplicity of kinds. Combinatorial analysis figured among other means that were forged for this purpose. It was precisely this pattern of polynomial reckoning that inspired a new approach to the use of decimals and the invention of decimal fractions. The persistent difficulty with which Al-Karajī had to contend was in applying the Euclidean divisibility algorithm to polynomials. But the only invertible elements in the ring Q[x, 1/x] are the monomials. Al-Karajī therefore divided a polynomial by a monomial, not by a polynomial. In order to surmount this difficulty his twelfth-century successor al-Samawʾal came up with the idea of continuous division, which thus entailed approximation (a limited development). This extension of algebra involved still deeper research on rational Diophantine analysis by introducing a new classification according to forms (linear, quadratic, cubic). It was, too, in accordance with this algebra, but also in reaction to it, that mathematicians such as al-Khujandī, al-Khāzin, Abū al-Jūd, al-Sijzī, etc. conceived and developed the entire Diophantine analysis. They often began by studying numerical right-angled triangles, before raising a lot of other problems, including Fermat’s theorem for n = 3, 4. Their choice of numerical right-angled triangles and problems of a similar kind can be explained by two considerations: the limited nature of the domain of solution by whole numbers, and, above all, the new requirements upon which they insisted viz. the

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need to offer Euclidean-style proofs and to justify the algorithms for solving Diophantine equations in Euclidean terms. In this domain there are at the same time signs of an important change of direction to be seen in the search for purely arithmetical proofs, particularly with the help of congruencies. The application of algebra to number theory enabled new proofs to be offered in areas already worked over, such as the theory of amicable numbers (Kamāl al-Dīn al-Fārisī), but it also allowed mathematicians to conquer new territory: the study of elementary arithmetical functions, sum and number of divisors. Again, it was in connection with algebra, and more especially with the development of abstract algebraic reckoning, that a discipline never before conceived in Hellenistic mathematics was built up: combinatorial analysis. It was in fact entirely for the benefit of algebraic reckoning that al-Karajī established the binomial theorem and Pascal’s triangle. Explicitly combinatorial interpretation is to be found in the work of a good many mathematicians, in particular that of Naṣīr al-Dīn al-Ṭūsī. Combinatorial analysis, applied to the various branches of linguistics, number theory, proportion theory, as well as to philosophy was explicitly founded on two ideas that, in the majority of subject-areas, distinguished the forms of thought of the period: classifying a priori all possible forms, or all the elements of a finite set of discrete possibilities. This is the path followed in fields as diverse as lexicography, prosody, cryptanalysis (code-breaking), and mathematics, among others. But pari passu with the arithmetisation of algebra the foundations were being laid for another programme—its geometrisation. Two advances provided the impetus for this new programme. The first, achieved by several tenth-century mathematicians beginning with alMāhānī, consisted of translating the problems of solid geometry into cubic equations. The second, which was repeated a number of times in the tenth century, involved the resolution of cubic equations by the intersection of several conic curves (al-Qūhī, Abū al-Jūd, etc.); this latter exercise picked up on what had, furthermore, been a doubly negative situation: no one had yet managed to solve cubic equations by radicals, nor were the means available for justifying the algorithm employed to solve certain forms of cubic and of biquadratic equation, because those particular solutions cannot be constructed with a ruler and compasses. There were also several other advances that all tended in the same direction. The first was made by al-Qūhī, who devised a theory for cubic equations equivalent to that which used areas for plane equations. Al-Khayyām was the scholar who worked out the first geometrical theory of cubic equations starting from a classification

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of all possible forms, a method that necessarily excluded equalisation to zero; then a classification according to the curves involved in the solution of equations. Finally, with Sharaf al-Dīn al-Ṭūsī barely half a century after al-Khayyām, came the analytic change of emphasis in the theory, occasioned by the new requirement to prove the existence of positive roots. With these last two, we are now in the presence of the first elementary research in algebraic geometry. 2. Scarcely three decades after al-Khwārizmī, the Baghdad mathematicians launched themselves upon new conquests, this time armed with an ampler knowledge of the heritage left by the Greeks. The research on which they had embarked had in effect given rise to a whole industry dedicated to translating great numbers of Greek books into Arabic, works such as Apollonius’ Conics and his Cutting Off of a Ratio, Archimedes’ Measurement of a Circle and On the Sphere and the Cylinder, the eighth book of Pappus’ Synagoge, the Spherics of Theodosius and of Menelaus. From the ninth century onwards three mutually linked research traditions are to be identified: infinitesimal geometry, conical geometry and spherical geometry. There still remains the problem of identifying which particular initiatives were the new founding acts that distinguished each of these traditions and led the inheritors of Hellenistic mathematics to develop the areas of study concerned. The advances in question, it seems to me, can be summed up under the following two headings: first of all, ‘punctual transformation’ and next ‘continuous movement’. Let us now examine them in order. In the course of certain of their proofs Archimedes and also Apollonius make use of punctual transformations. In On Conoids and Spheroids Archimedes has recourse to orthogonal affinity. Apollonius, particularly in Plane Loci, probably makes use of some transformations. This said, Archimedes’ book was never translated into Arabic, and all we know about that of Apollonius is what Pappus tells us. Neither Apollonius’ book nor Pappus’ statements reached the Baghdad mathematicians. The sole exception is the sixth book of the Conics in which Apollonius follows a proto-transformational approach in so far as he seeks to determine the conditions for two conic sections to be superposable—that is to say, homothetic or similar—with the help of symptomata (properties that characterise each of the three conic sections), without, however, taking any interest in the actual nature of the punctual transformations themselves. All these reasons point to the conclusion that punctual transformations did not, as such, form part of the heritage passed on via translation. Now this historical fact finds confirmation in the way the concept of punctual transformations was treated by the Arab mathematicians: for

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modern mathematicians, they are not simply something brought into the course of proofs, but loom up more and more as conceptual elements in the science of geometry. From the middle of the ninth century onwards, as advances continued to be made in the subject, study ceased to be confined to figures, but extended to their transformations and the relationships that existed between them. Now it is exactly this that we begin to notice in the work of the three Banū Mūsā brothers, their pupil and collaborator Thābit ibn Qurra, the astronomer-mathematician al-Farghānī (in his book al-Kāmil), and many others also. Their successors made a massive investment in this domain, so, at the end of the tenth century al-Sijzī, borrowing a generic name (al-naql) from Thābit ibn Qurra, dubbed the subject ‘punctual transformation’. The effective foundation of this subject area came some decades later when Ibn al-Haytham conceived a whole new geometrical discipline mainly aimed at studying the elements in a figure that remained invariable when all the rest changed; he called this discipline ‘the knowns’. This, then, was the second ‘founding act’ of Arab mathematics: the introduction of punctual transformations not just as part of proofs but as a geometrical concept in their own right. This advance, unlike the one that marked the foundation of algebra, was not the result of action by a single individual, but the outcome of several scholars’ work in different fields at the same time, these fields being infinitesimal geometry and the ‘science of projection’, as the ancient mathematicians and bio-bibliographers called it. This founding act goes back in particular to the Banū Mūsā and especially to the youngest of the three brothers, al-Ḥasan, along with their pupil Thābit ibn Qurra, and to the astronomer-mathematician al-Farghānī. The discovery was repeatedly demonstrated, confirmed and developed in greater depth in the following centuries, as can be seen from the work of al-Bīrūnī and Ibn al-Haytham in the eleventh century. The key to our understanding of how it arose lies in the interest in the geometry of cones first generated by the translation of the Conics of Apollonius. Let us turn first to al-Farghānī and the ‘science of projection’. One of the first disciplines born, so to speak, from this founding act was the ‘science of projection’ (ʿilm al-tasṭīḥ). This emerged towards the middle of the eleventh century. There is nothing surprising in that: it was, after all, in this century that astronomy experienced a rise never equalled since the second century. Astronomers were continuously engaged in the translation of Greek works and some Sanskrit texts as well, but were also submitting the theories and calculations they read in them to critical examination.

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It was indeed this rise in astronomical research that precipitated the detachment of the field of projections from astronomy to become a branch of geometry, even if its main application still remained in astronomy, or rather in astronomical instruments. Al-Farghānī played an essential part in this transfer by his insistence on placing the procedures employed by the astronomers for the exact representation of a sphere on a sound geometrical footing. As far as we know, he was the first to impose such a condition. These were procedures used in the drawing of geographical maps and in the construction of astronomical instruments such as the astrolabe. Now providing a firm geometrical basis for procedures entails being able to demonstrate a knowledge of the domains involved. Everything points to the fact that if al-Farghānī was in a position to recognise the need to underpin existing methods, it was because of his very recently acquired knowledge of Apollonius’ Conics. Though it is true that Apollonius himself does not deal with projections in his treatise, we do however know that propositions 4 and 5 of the first book of the Conics answer a particular question concerning the intersection of a conic surface and a plane. Now with the aid of these propositions al-Farghānī was able to offer the following proof: Let there be a circle of diameter AG, the tangent to this circle at G and any chord BC. The projections from pole A of the points B and C on the tangent are respectively I and K. I

G

K

C

B

A

Fig. 1

[ = ACB [ (inscribed angles) and AGB [ = AKG [ (which have Then AGB [ therefore the same complement BAG); [ = AKG [ ACB

(1)

d. [ = KIA CBA

(2)

and

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Put a different way, these results may be interpreted in the following manner: Let GB and CG be the respective heights of the triangles GAK and GAI, so that AG2 = AB·AK = AC·AI; thus in the inversion τ of pole A and of power AG2 , we get I = τ(C)

and

K = τ(B).

And, according to (1) and (2) the points B, C, I, K belong to a circle that is invariant in inversion τ. Even if al-Fargānī had not formulated the concept of inversion, it remains true that he had recognised the transformation of a circle into a straight line and that, in this transformation, the extremities of the chord and of the segment are on a circle that is invariant. This lemma in fact comes down to saying: the conic projection from pole A, on to the tangent diametrically opposite, of a chord, is a segment of the tangent such that the extremities of the chord and of the segment are on an invariant circle in the inversion τ from the same pole A, which transforms the given circle into the tangent straight line. With the help of this lemma, al-Farghānī established that the projection of a sphere, having as its pole the point A on the sphere, on to a plane tangent to the point diametrically opposite, or on to a plane parallel to this plane, is a stereographic projection. There is no space here to follow the developments that took place in this field from the time of al-Farghānī up to that of Ibn ʿIrāq and al-Bīrūnī. To appreciate how much ground had been covered since al-Farghānī, it will be enough to mention only some of the topics studied by al-Qūhī and Ibn Sahl in the course of the second half of the tenth century. These two examined conic projection from a point on the axis or outside the axis of a sphere, cylindrical projection in a direction parallel or not parallel to the axis of a sphere, and obtained a good many new and important results that used to be attributed to later mathematicians. And this was not all; in this field mathematicians like al-Qūhī, Ibn Sahl, Ibn ʿIrāq among others thought out new procedures for proofs and forged a new language. To give an example, when al-Qūhī proves the following property, that, with every circle drawn on to a sphere and whose plane does not contain the pole, the stereographic projection associates a circle in the plane of projection, and the inverse, he uses proposition I. 5 of the Conics in which Apollonius studies the section of a cone with a circular base, in the case in which the base plane and the secant plane are antiparallel. Al-Qūhī resorts to the technique of rabattement to allow constructions in plane geometry. In this way his proofs are made up of comparisons of ratios, projections and rabat-

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tements; in other words, he makes use of traditional techniques, and others that are non-traditional, i.e., projective. The language employed is likewise mixed: the vocabulary that belongs to the theory of proportions is mingled with terms that from then on are used to refer to projective concepts. In the tenth century a new field of geometry, for which Ptolemy’s Planisphærium was no more than a very distant ancestor, was already beginning to open up, one which would go on to be enriched by successive generations. 3. Another application for punctual transformations that we see developing is in the drawing of conic curves. The problem presented by them probably goes back to the time when geometry was first brought into the study of sundials and burning-mirrors. On the other hand, we can be quite certain that a number of factors contributed to the renewal of interest in the drawing of conic curves. There was the revival of astronomical research for one thing, the resumption of research on burning mirrors, and, later on, on lenses for another, and finally, from the ninth century, the emergence of the theory of cubic equations. Never, before the ninth century, had the quest for effective procedures for drawing these curves been so intensive, so manysided, and so uninterrupted. From the tenth century, entire treatises, or chapters within them, were devoted to this question, which consequently took on a variety of separate aspects. Many celebrated mathematicians interested themselves in it, men like Ibrāhīm ibn Sinān, al-Khāzin, al-Qūhī, Ibn Sahl, al-Sijzī, al-Bīrūnī among others. Methods of drawing using points were put forward, then methods of continuous drawing for which mechanical instruments, like the famous ‘perfect compasses’, were invented, or other, optical, procedures. Now all these methods, theoretical or technical, rest on one or another affine punctual transformation, and sometimes even on a projective transformation, as in the work of Ibn Sinān. This research gave rise to a question no one had previously thought of: would it be possible to obtain conic curves from a circle, that is, by the transformation of a circle, and so use the circle in drawing conic curves? This question, which had been implicit in the writings of Ibn Sinān and Abū al-Wafāʾ al-Būzjānī, was spelt out in full by al-Sizjī, a mathematician working in the second half of the tenth century. Here again everything began with the youngest of the Banū Mūsā, al-Ḥasan, and his pupil Thābit ibn Qurra. Before he had got hold of a translation of Apollonius’ Conics, al-Ḥasan had made a study of the ellipse and its properties, as a plane section of a cylinder, and also the various types of elliptic sections. Unlike Apollonius, he pro-

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ceeded by the bifocal method and referred to the ellipse significantly as ‘an elongated circular figure’ 1. He shows then that this figure can be obtained from a circle by orthogonal affinity, which is a contraction (or, as the case may be, a dilatation) according as the ratio of the major axis to the minor axis is less than (or, as the case may be, more than) one. His pupil Thābit ibn Qurra, for his part, started from a detailed knowledge of Apollonius’ Conics. He began by demonstrating the following proposition: The plane sections of two cylinders on circular bases, with the same axis and of the same height are homothetic, the centre of homothesis being their common centre situated on the axis and the ratio of homothesis being the ratio of the diameters of the base circles 2. Thābit next proved the proposition introduced by al-Ḥasan. It was thus possible to draw an ellipse from a circle with rigorous accuracy, using points. But what of the parabola and the hyperbola? This was a question that Thābit ibn Qurra’s grandson, Ibrāhīm ibn Sinān lost no time in raising and, with the help of a circle, he drew every point of a parabolic section. As for the hyperbola, Ibrāhīm ibn Sinān drew that with the help of a circle and a projective transformation designed to transform the circle into a hyperbola whose straight side was equal to the transverse diameter. For Ibrāhīm ibn Sinān to raise, as a general question, the problem of drawing conic sections from circles by means of points was neither contingent nor circumstantial. The title of his book, On the drawing of the three conic sections, is a programme in itself. On the other hand, a much greater interest than hitherto in the study of geometrical transformations was a necessary precondition for conceiving the project and formulating the question in the first place. Besides, we have only to look at Ibn Sinān’s works, such as his Sundials or his Anthology of Problems to gather how frequently transformations were being used 3. Now this was an interest that went on growing after Ibn Sinān. In the course of the second half of the century al-Sijzī wrote a treatise whose title perfectly reflects its intention: All figures are based on the circle 4, in which he explicitly goes back to his predecessor’s book and as it were generalises it. ‎1. R. Rashed, Les Mathématiques infinitésimales du ix e au x e siècle. Vol. I : Fondateurs et commentateurs : Banū Mūsā, Thābit ibn Qurra, Ibn Sinān, al-Khāzin, al-Qūhī, Ibn al-Samh, Ibn Hūd, London, al-Furqān Islamic Heritage Foundation, 1996, chap. I. ‎2. Ibid., chap. II. ‎3. An edition of these treatises, with (French) translation and commentary is contained in R. Rashed and H. Bellosta, Ibrāhīm ibn Sinān. Logique et géométrie au x e siècle, Leiden, E.J. Brill, 2000 ‎4. Edited with (French) translation and commentary in R. Rashed, Œuvre mathématique d’al-Sijzī. Vol. I: Géométrie des coniques et théorie des nombres au x e siècle, Les Cahiers du Mideo, 3, Louvain-Paris, Éditions Peeters, 2004.

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But during the course of the tenth century, particularly owing to the requirements to be met in the construction of geometrical problems on the one hand, and the solution of cubic equations by the intersection of conic curves on the other, it was no longer enough to draw these curves by means of points. Henceforward it was necessary to make sure of the continuity of the curves in order to be able to discuss the existence of the points of intersection. The reasons for dissatisfaction were not merely theoretical; there were other, technical reasons too, arising from the making of patterns for parabolic and elliptical burning-mirrors, plane-convex and biconvex lenses, as well as the manufacture of astrolabes and dials. Two contemporaries, Ibn Sahl and al-Qūhī, invented instruments for carrying out continuous drawing, and the entire body of mathematicians working in this area was engaged in the study of these geometrical instruments and in the problems involved in the continuous drawing of curves. AlSijzī was among their number, and himself wrote a dissertation on the perfect compasses 1. Thus everything was now in place for the production of the first treatise entirely devoted to the methods of drawing conic curves: drawing by points and continuous drawing. This was the purpose of al-Sijzī’s book bearing the title, The Description of the Conic Sections 2. But the introduction of procedures for continuous drawing brings with it the notion of movement in geometry. Punctual transformations were, as we have seen, used during proofs, and, this being so, transformations and continuous movement lay at the root of this new phase of the geometry of conics, which mathematicians such as, for example, Kamāl al-Dīn ibn Yūnus (1156-1248) and his pupils, and Athīr al-Dīn al-Abharī (d. 1265) were to go on enriching until the end of the thirteenth century 3. 4. Punctual transformations, or continuous movement associated with punctual transformations, alike characterised the founding acts of the new and the revival of the old fields of study in geometry from the middle of the ninth century onwards. This is what we have just seen with ‘The science of projection’ and ‘The drawing of the conic curves’. Advances in three other areas also illustrate the point: geometrical constructions, the theory of parallels, and, lastly, infinitesimal geometry.

‎1. See R. Rashed, Geometry and Dioptrics in Classical Islam, London, al-Furqān, 2005, chap. V. ‎2. Edited with (French) translation and commentary in R. Rashed, Œuvre mathématique d’al-Sijzī, vol. I. ‎3. See R. Rashed, Geometry and Dioptrics in Classical Islam, chap. V.

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The legacy to which the mathematicians of the period had fallen heir—particularly after the translation of the Burning-mirrors of Diocles 1 and Eutocius’ Commentary on Archimedes’ On the Sphere and the Cylinder—included the construction of certain problems in solid geometry: the two means, the trisection of an angle, Archimedes’ straight line, to name only some. To these problems they had added a good many others, and, in particular, they had produced a multiplicity of new constructions. We know that numerous mathematicians had revisited the problem of the trisection of an angle and the construction of a regular heptagon. But they, in contrast to the ancients, had been quick to modify the very criterion for the construction of a solid problem. They had banished transcendent curves as a construction procedure, and kept only the conic curves. This last construction became admissible for the same reasons as construction by means of ruler and compasses for problems in plane geometry. It should be emphasised, however, that the introduction of this new criterion was also due to the need to respond to what the algebraists were doing, since they were beginning to translate problems in solid geometry into cubic equations, as is evident from the work of al-Māhānī at the end of the ninth century. And it was precisely this new criterion that enabled the piecemeal studies of a scattering of particular examples to be brought together under a single heading. But these studies resorted to transformations, and particularly to similarity. Take, for example, the problem of the regular heptagon: you start by constructing one of the triangles whose angles are related according to one or other of the following patterns: (1, 2, 4), (1, 5, 1), (1, 3, 3), (2, 3, 2), before transforming it in order to inscribe it in the circle 2. In short, it was thanks to conic sections and transformations that this new field of study came to exist as such. The application of the theory of conic sections by both geometers and algebraists led to a number of developments within the theory itself. The tenth-century mathematicians thus subjected the properties of the harmonic division of conics to closer examination. Ibn Sahl even wrote a dissertation on the subject. His younger contemporary, al Sijzī, embarked on a new topic of study: plane sections and their classification. It was not until the time of Fermat and his successors in the eighteenth century that the matter was ‎1. Les Catoptriciens grecs. I : Les miroirs ardents, edited with (French) translation and commentary by R. Rashed, Collection des Universités de France, published under the patronage of the Association Guillaume Budé, Paris : Les Belles Lettres, 2000. ‎2. Les Mathématiques infinitésimales du ix e au x e siècle, vol. III: Ibn al-Haytham. Théorie des coniques, constructions géométriques et géométrie pratique, London, al-Furqān, 2000.

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taken any further. No less important are the contributions made by mathematicians of the eleventh century: Ibn al-Haytham in Egypt and ‘Abd al-Rahmān ibn Sayyid in Andalusia. Both were engaged in generalising the classic problem: given two magnitudes, find two other magnitudes such that all four are in continuous proportion. This problem is translatable into a cubic equation which algebraists solved using the intersection of two conic curves. Ibn al-Haytham— according at least to al-Khayyām—generalised this problem using four magnitudes between two given magnitudes, which leads to an equation of the fifth degree that is solved by the intersection of a conic and a cubic. Everything points, then, to the fact that Ibn alHaytham had available to him a method analogous to that used by Fermat in his Dissertation tripartite. The true generalisation, however, is that of ‘Abd al-Rahmān ibn Sayyid. According to Ibn Bājja, he wrote a paper on the theory of conics in which he dealt with the intersection of a non-plane surface and a conic surface, that is, in the general case, on left-handed curves. Ibn Bājja recalls that Ibn Sayyid solved the problem of two means in this way ‘for as many straight lines as one wishes between two straight lines, in continuous proportion, and by this route he divided an angle in no matter what numerical proportion’. This problem would not be raised for a second time, we may note, until Jacques Bernoulli (1654-1705) did so. Other developments that should be mentioned include work on the optical properties of conics, a field of study revived by al-Kindī and generalised by Ibn Sahl and Ibn al-Haytham. There can be no doubt that the theory of parallels constitutes one of the fundamental elements of the geometry of the period. Mathematicians like Thābit ibn Qurra, al-Khāzin, Ibn al-Haytham, al-Khayyām, Nasīr al-Dīn al-Ṭūsī, among others, had given it their attention. In two successive monographs, which formed the basis for future research, Thābit ibn Qurra intentionally introduced the notion of continuous movement in defining the concept of equidistance between parallels 1. Finally, transformations were employed on a massive scale in a vast domain that may be called ‘infinitesimal geometry’, or ‘infinitesimal mathematics’, and that includes the measurement of the areas of curved surfaces and curved solids, isoperimetric and isepiphanic problems, the solid angle, the study of the variations of functional expressions such as trigonometric functions. ‎1. R. Rashed and Ch. Houzel, ‘Thābit ibn Qurra et la théorie des parallèles’, Arabic Sciences and Philosophy, 15. 1, 2005, pp. 9-55, reprinted in R. Rashed (ed.), Thābit ibn Qurra. Science and Philosophy in Ninth-Century Baghdad, Scientia Graeco-Arabica, vol. 4, Berlin / New York, Walter de Gruyter, 2009.

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Let us direct our attention to the most time-honoured of the examples that have just been cited, the measurement of areas and volumes. Research in this domain had effectively died out after Archimedes, and the first steps in its revival had to wait until the ninth century with al-Kindī and the Banū Mūsā, the effect, no doubt, of the first meeting of its kind between the Archimedean tradition and that of Apollonius. This meeting did not take place in an intellectual vacuum, but in a milieu well-informed about the algebra of al-Khwārizmī and his successors. Now the Bānū Mūsā and their pupil Thābit ibn Qurra, who had been the first to engineer this encounter between the two traditions, directed their research along two channels which constantly branched out in new directions and developed in increasing depth: arithmetisation that was much more substantial and systematic than before; more deliberate and more frequent use of punctual transformations. To find a rapid illustration of the approaches involved, we need look no further than Thābit ibn Qurra’s method of determining the area of a parabolic segment. He began by setting out twenty-one lemmas of which eleven were arithmetic. These arithmetic lemmas concerned the summation of the numerous arithmetic progressions. He next proved four lemmas on the sequences of segments, using the arithmetic lemmas. It was those sequences of segments that he used to work out the necessary majoration. From these lemmas Thābit ibn Qurra undertook the calculation of the area of a parabolic portion. He would go on to employ this arithmetically based approach in the calculation of the volume of the paraboloid of revolution. Later on, Ibn al-Haytham would use it to determine the volume of the paraboloid generated by the rotation of a parabola round its ordinate 1. He also began with arithmetic lemmas in which he calculated progressions of the powers of whole numbers, i.e., the sums Pn the i i=1 k for i = 1, 2, 3, 4; and arrived at a general rule using the somewhat archaic procedure of complete induction. He then went on to prove the following double inequality n n X X  2  2 8 (n + 1)2 − k2 ≤ (n + 1)5 ≤ (n + 1)2 − k2 . k=1

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k=0

But al-Ḥasan ibn Mūsā and Thābit ibn Qurra called on transformations in demonstrating other areas of different kinds of plane sections of a right cylinder and of an oblique cylinder, the area of an ellipse and the area of elliptical segments. ‎1. Les Mathématiques infinitésimales du ix e au x e siècle, vol. II : Ibn al-Haytham, London, al-Furqān, 1993.

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Fig. 2

In this exercise, the mathematicians’ principal recourse was to orthogonal affinities, to homothesis, and to the composition of these transformations; and they showed that such composition preserved the areas. This approach, founded on punctual transformations, was to be adopted by the successors of the Banū Mūsā and Thābit ibn Qurra, who sought to reduce the number of lemmas. In this spirit, Ibrāhīm ibn Sinān (909/946), wrote a short treatise re-examining the measurement of the parabola 1. Ibn Sinān’s central idea, which he was anxious to prove first of all, was this: that the proportionality of areas remains invariant in affine transformation. Then all he needed were two lemmas of a single proposition to complete the study. Proposition 1. — Let there be two convex polygons A = (A0 , A1 , . . . , An ) and B = (B0 , B1 , . . . , Bn ). Project points A1 , A2 , . . . , An−1 on to A0 An parallel to An−1 An at points A1′ , A2′ , . . . , An′ −1 = An and points B1 , B2 , . . . , Bn−1 on to B0 Bn parallel to Bn−1 Bn at points B1′ , B2′ , . . . , Bn′ −1 = Bn . If An′ −2 An A0 A1′ = · · · = = λ, B0 B1′ Bn′ −2 Bn and

A1 A1′ An−1 An = ··· = = μ, B1 B1′ Bn−1 Bn

‎1. An edition of this work with (French) translation and commentary is to be found in Les Mathématiques infinitésimales du ix e au x e siècle, vol. I.

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then

tr. (A0 , An−1 , An ) tr. (B0 , Bn−1 , Bn ) = . p. (A0 , A1 , . . . , An ) p. (B0 , B1 , . . . , Bn ) In this proposition, Ibn Sinān proceeds with the aid of transformation T as defined in the terms of the proposition. This is an affine transformation. Ibn Sinān shows that it preserves the ratios of the areas in the case of the triangles and the polygons. The second proposition is expressed as follows: Proposition 2. — The ratio of the areas of two portions of a parabola is equal to the ratio of the areas of the two triangles associated with them. In this proposition, Ibn Sinān shows that the affine transformation preserves the ratio of the area of a portion of a parabola to that of an associated triangle, and the ratio of their homologues. The underlying property is in fact the preservation of the area ratios (even curvilinear areas) by affine transformation. For that, Ibn Sinān used Archimedes’ axiom to show that it is possible to inscribe in a parabolic portion a polygon whose area differs as little as may be wished from that of the parabola. This being established, the calculation of the ratio of the area of a parabolic portion to that of the associated triangle no longer requires an infinitesimal approach, but only the fact that the ratio does not depend on the portion under consideration; and this was what Ibn Sinān established in the third proposition. Proposition 3. — The area of a parabolic portion is four thirds of the area of the triangle associated with it. Thus Ibn Sinān’s strategy for improving his grandfather’s proof and reducing the number of propositions from twenty one to just three, is based on a combination of affine transformations and infinitesimal methods. Punctual transformations and continuous movement were, from the middle of the ninth century and throughout the tenth, among the main founding elements of the different chapters of geometry. In order to understand how geometry developed in this period, it is essential to appreciate the part played by these two elements in the advances that led to the establishment of the separate subject areas. The presence of these notions, which more and more often intervened in their work, could not help raising new questions for the mathematicians, and confronting them with new tasks. How could the role of either one of them be made legitimate? How could the notion of movement be admitted in the terms of propositions and in proofs, when it had never been defined? These two questions, which

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are clearly connected, raised another just as important: if from now on the business of mathematicians was to be the relationships between figures, their transformations and their movements, was it not time to rethink the notion of ‘place’ and space? The question of place could no longer be allowed to remain in the shadows; and it was quite equally impossible to continue to preserve the Aristotelian topos, the place-envelope. These questions began to emerge at the end of the tenth century, as certain of al-Sijzī’s writings attest, before becoming, with Ibn al-Haytham, food for reflexion and invention. Let us, very briefly, turn our attention just to the question of continuous movement. The attitude of Platonist geometers, dictated as it was by the Theory of Ideas, resulted in their outlawing de jure any consideration of movement in the elements of geometry; the attitude of Aristotelian geometers was the same, because of their doctrine of abstraction. The truth, however, may be that their stance was due less to their commitment to a particular ontology than to the fact that the kind of geometry that essentially concerned the study of figures had no great need for the notion of movement. Even when the need for movement made itself felt, albeit very slightly, it is not unusual to find it being avoided de jure, only to be brought in surreptitiously, or unintentionally. Is not this Euclid’s position in the Elements? He avoids movement, but admits it in disguise by resorting to superposition. Superposition in fact necessarily involves displacement, even if the change of place is only in the mind’s eye. And when he defines a sphere, we are conscious that, so to speak despite himself, he is opening the door to movement. Outlawing movement, however, remained the order of the day for a long time to come. We may call to mind alKhayyām’s criticism of the use Ibn al-Haytham made of movement in his attempt to prove the fifth postulate 1. It is not the same thing to resort to movement de facto, without concerning oneself about the legitimacy of its use. By saying nothing at all on the question of legitimacy, one avoids contradicting received opinion—hence the success achieved alike by the ancient geometers and those of the ninth and tenth centuries through what we might call their practical, not to say pragmatic use of movement and transformations. In any case, this was the dominant position among the

‎1. R. Rashed and B Vahabzadeh, Al-Khayyām mathématicien, Paris, Librairie Blanchard, 1999. English version : Omar Khayyam. The Mathematician, Persian Heritage Series n o 40, New York, Bibliotheca Persica Press, 2000 (without the Arabic texts).

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geometers in antiquity who were concerned with curves, be they transcendent or algebraic; just as it was later that of Archimedes in both his Conoids and Spheroids and his Spirals, and of Apollonius in his Conics, etc. During the ninth and tenth centuries movement and transformations came to be used more and more. It is something else again to include movement among the primitive terms of geometry. That would be to take a positive attitude in regard to movement and its role in definitions and proofs. But such an approach requires a reconfiguration of the concepts of geometry or at the very least a certain number of them. They need to be rethought in terms of movement, and the notion of geometrical ‘locus’ must be looked at afresh. Now, for an adaptation of this kind, there obviously needed to be new bases, a new and distinct discipline and a different methodology. Ibn al-Haytham was the first to my knowledge to have attempted this reorganisation by conceiving the discipline of the ‘knowns’, by working out an ars analytica and reformulating the notion of ‘geometrical locus’ 1. After him further attempts of this kind would have to wait until the second half of the seventeenth century, and in particular for Leibniz’s analysis situs. There are other founding acts in other geometrical disciplines: the combination of spherical geometry and trigonometry to do away with Menelaus’ theorem, for example. Later on there would be many others: Descartes’ invention of symbolism, the introduction of imaginary quantities, exact representation. The same is true of other branches of mathematics: decimal arithmetic, the classification of mathematical propositions (Ibn Sinān, al-Samawʾal), the technique of analysis and synthesis, and, more generally, the philosophy of mathematics. In a word, in all these fields the principal founding acts of classical mathematics are to be discovered. It would not be until the Italian algebraic school in the sixteenth century, Descartes’ Géométrie, Fermat’s Diophantine analysis, and also the infinitesimal geometry of the eighteenth century, that other founding acts would take place, which, along with those we have just picked out, shaped the beginnings of modern mathematics, and, in consequence, the formation of the new rationality.

‎1. See Les Mathématiques infinitésimales du ix e au x e siècle, vol. IV : Méthodes géométriques, transformations ponctuelles et philosophie des mathématiques, London, 2002.