Scepticisme et religion: constantes et évolutions, de la philosophie hellénistique à la philosophie médiévale [Multilingual ed.] 250356545X, 9782503565453

Dans le langage commun, le scepticisme apparaît comme l'opposé de la religion. Cette opposition est le produit d�

770 114 1MB

French, Italian, Spanish Pages 300 [301] Year 2016

Report DMCA / Copyright

DOWNLOAD FILE

Polecaj historie

Scepticisme et religion: constantes et évolutions, de la philosophie hellénistique à la philosophie médiévale [Multilingual ed.]
 250356545X, 9782503565453

Table of contents :
Sommaire
Remerciements
Préface
La Critique De Carnéade Sur La Divination
De L’epochè Sceptique à L’epochè Transcendantale : Philon D’alexandrie Fondateur Du Fidéisme
Le Platonisme De Plutarque De Chéronée Entre Scepticisme, Théologie Et Métaphysique
« Le Dieu Est La Cause La Plus Active » : Sextus Empiricus Contre La Théologie Dogmatique
Religion Et Piété Sceptiques Selon Sextus Empiricus
Ne Pas Dire Le Principe : Usage Sceptique Et Usage Théologique De La Négation*
L’appropriation Des Arguments Néoacadémiciens Par Lactance
Más Allá Del Pensamiento. El Escepticismo Epistemológico De Gregorio De Nisa
Scepticisme Et Religion Dans Le Contra Academicos D’augustin
Le Scepticisme De La Nouvelle Académie Et La Réflexion D’augustin Sur La Légitimité Du Croire : Le De Utilitate Credendi
Errore, Assenso E Fede. La Critica Dello Scetticismo Accademico Nell’enchiridion Di Agostino
Scepticisme Et Prescience Divine, De Saint Augustin à Jean De Salisbury
L’amour Consciencieux De La Créature Pour Dieu. Héritages Anciens Et Postérité Doctrinale Du Scepticisme De Jean Gerson
Bibliographie
Index Locorum
Présentation Des Contributeurs

Citation preview

Scepticisme et religion Constantes et évolutions, de la philosophie hellénistique à la philosophie médiévale

monothéismes et philosophie Collection créée par Carlos Lévy et dirigée par Gretchen Reydams-Schils

Scepticisme et religion Constantes et évolutions, de la philosophie hellénistique à la philosophie médiévale

Études réunies et éditées sous la direction de Anne-Isabelle Bouton-Touboulic et Carlos Lévy

H

F

Actes du Colloque international organisé par « Ausonius », UMR 5067, Université Bordeaux Montaigne et « Rome et ses Renaissances », E.A. 4081, Université ParisSorbonne, à Bordeaux, du 20 au 22 juin 2013, publiés avec le concours de l’Institut Universitaire de France.

© 2016, Brepols Publishers n.v., Turnhout, Belgium All rights reserved. No part of this publication may be reproduced, stored in a retrieval system, or transmitted, in any form or by any means, electronic, mechanical, photocopying, recording, or otherwise, without the prior permission of the publisher.

D/2016/0095/124 ISBN 978-2-503-56545-3 Printed on acid-free paper.

SOMMAIRE

Remerciements Préface Anne-Isabelle Bouton-Touboulic et Carlos Lévy

vii 9

La critique de Carnéade sur la divination Anna Maria Ioppolo

41

De l’epochè sceptique à l’epochè transcendantale : Philon d’Alexandrie fondateur du fidéisme Carlos Lévy

57

Le platonisme de Plutarque de Chéronée entre scepticisme, théologie et métaphysique Mauro Bonazzi

75

« Le dieu est la cause la plus active » : Sextus Empiricus contre la théologie dogmatique Emidio Spinelli

89

Religion et piété sceptiques selon Sextus Empiricus Stéphane Marchand

103

Ne pas dire le principe : usage sceptique et usage théologique de la négation Brigitte Pérez-Jean

119

L’appropriation des arguments néoacadémiciens par Lactance Gábor Kendeffy

137

Sommaire

Más allá del pensamiento. El escepticismo epistemológico de Gregorio de Nisa Jesús Hernández Lobato

157

Scepticisme et religion dans le Contra Academicos d’Augustin Anne-Isabelle Bouton-Touboulic

171

Le scepticisme de la Nouvelle Académie et la réflexion d’Augustin sur la légitimité du croire : le De utilitate credendi Isabelle Bochet

193

Errore, assenso e fede. La critica dello scetticismo accademico nell’Enchiridion di Agostino Giovanni Catapano

219

Scepticisme et prescience divine, de saint Augustin à Jean de Salisbury Christophe Grellard 235 L’amour consciencieux de la créature pour Dieu. Héritages anciens et postérité doctrinale du scepticisme de Jean Gerson Alice Lamy 253 Bibliographie

269

Index locorum

287

Présentation des contributeurs

297



REMERCIEMENTS

Ce volume a bénéficié du soutien de l’Institut Universitaire de France, ainsi que de l’aide du Conseil Régional d’Aquitaine. Nos remerciements vont également à Xavier Gheerbrant pour sa relecture attentive et à MinJun Huh, qui a bien voulu établir l’index locorum après avoir relu les indications bibliographiques.

PRÉFACE Anne-Isabelle Bouton-Touboulic et Carlos Lévy

De Pyrrhon à Philon « Le problème de la religion des philosophes est un des plus ardus de ceux qui se posent aux historiens de la religion grecque. Quels sont ses rapports avec la religion populaire ? Et d’abord est-il légitime de parler d’une “religion des philosophes” ? Dans l’affirmative, quelle importance faut-il lui accorder ? Doit-on admettre que “le destin d’une religion est le fait d’une foule” et que par conséquent “les conceptions religieuses de la littérature […] n’agirent guère sur la vie de la religion grecque” ? Ou au contraire, faut-il penser que les historiens des religions ont eu trop souvent tendance à sous-estimer l’apport des philosophes dans la religion de leur peuple, et qu’en ce qui concerne les Grecs, en particulier, il se pourrait que l’évolution de leurs croyances religieuses fût plus largement tributaire de l’influence des philosophes qu’on ne l’a longtemps cru ? »1. C’est par ces lignes que Daniel Babut commençait son précieux petit livre consacré à La religion des philosophes grecs. De Thalès aux Stoïciens, un ouvrage qui n’a pas eu la réception qu’il méritait et qui pourtant eut le mérite rare de proposer une synthèse allant des Présocratiques aux Stoïciens. Il n’est pas question ici de refaire ce que Daniel Babut a déjà fait, et bien fait. Nous souscrivons en particulier à sa lumineuse conclusion, soulignant chez tous les philosophes grecs «  l’impossibilité de rompre tout lien avec la religion populaire, comme aussi de se confondre avec celle-ci  »2. Bien plus modestement, nous allons tenter de définir la place du doute dans cette tension entre le désir de ne pas se couper Babut 1974, 5. Babut 1974, 207.

1 2

ANNE-ISABELLE BOUTON-TOUBOULIC & CARLOS LÉVY

de la tradition et la volonté de ne pas se fondre dans le conservatisme religieux du peuple, incapable aux yeux des philosophes de se livrer à une réflexion critique sur ses pratiques. Remarquons tout d’abord, après tant d’autres, que la certitude négative, autrement dit l’athéisme, eut une certaine fortune en tant qu’accusation polémique, et Socrate en fut la plus illustre victime, mais que très rares furent ceux qui s’assumèrent comme athées. Diagoras de Mélos, dont la tête fut mise à prix par les Athéniens vers 415 av. J.-C. pour avoir critiqué les mystères d’Éleusis et ainsi détourné beaucoup de gens de l’initiation, reste une figure bien imprécise3. Plusieurs témoignages l’accusent d’avoir nié l’existence des dieux et de s’être livré à des actes sacrilèges, mais la base théorique sur laquelle il agissait ainsi reste pour le moins incertaine. En effet, à en croire Philodème, citant Aristoxène, il avait exprimé son profond respect pour le divin dans des poèmes écrits en l’honneur d’Arianthe d’Argos et de Nicodore de Mantinée4. Peut-être s’agissait-il d’œuvres de circonstance ou ­peut-être y eut-il dans une vie très longue un épisode qui détermina son incroyance, en tout cas, il demeura comme le symbole même de l’athéisme, condamné pour des raisons et à des niveaux très divers par l’immense majorité des philosophes. Dans le De natura deorum5, Cicéron donne, au sujet du thème qu’il va traiter, une doxographie tripartite distinguant la majorité des philosophes, qui affirment l’existence des dieux, de ceux, comme Protagoras, qui en doutent, ou des athées déclarés représentés par Diagoras et par Théodore de Cyrène. Dans les faits, la cité avait tendance à considérer que douter c’était déjà nier, comme le montre l’exemple de Protagoras, qui fut exilé, nous est-il dit, pour avoir écrit ceci au début de son livre sur les dieux6 : « Touchant les dieux, je ne suis pas en mesure de savoir ni s’ils existent, ni s’ils n’existent pas, pas plus que ce qu’ils sont quant à leur aspect. Trop de choses nous empêchent de le savoir : leur invisibilité et la brièveté de la vie humaine ». Cicéron qui reproduit le début de cette citation ajoute que l’exil de Protagoras dut avoir un effet fortement dissuasif, «  puisque l’expression d’un simple doute n’avait pu échapper au châtiment »7.

Sur Diagoras de Mélos, voir l’article qui lui est consacré par Luc Brisson et Maroun Aouad, 1994. 4 Voir sur cette question Aouad-Brisson 1994, 754‑755. 5 Nat. deor. I, 2. 6 Diog. L. IX, 51. Traduction Goulet-Cazé 1999. 7 Nat. deor. I, 63, trad. Auvray-Assayas 2002. 3



Préface

Dans le peu que nous savons des Présocratiques, malgré la masse des travaux qui leur sont consacrés, la personnalité philosophique de Xénophane présente un intérêt particulier. Sa dénonciation de l’anthropomorphisme des représentations divines, sa relativisation des croyances religieuses en fonction des nations, permettent de comprendre qu’il ait été présenté comme une sorte de théiste avant la lettre. Cicéron est allé dans ce sens, en expliquant que ce philosophe avait été le seul à condamner la divination tout en affirmant l’existence des dieux8, mais surtout en faisant de lui, à partir de sa pensée de l’indéfini, de l’apeiron, une sorte de panthéiste. Ainsi dans le Lucullus9, la doxa de Xénophane est rédigée en ces termes : l’univers est un et immuable, il est dieu, sans commencement, éternel, de forme sphérique. Le latin présente ici une ambiguïté : et id esse deum neque natum umquam et sempiternum, conglobata figura. Comment faut-il comprendre esse deum ? Y a-t-il là l’affirmation de l’existence d’un dieu unique, ou s’agit-il d’un dieu supérieur à tous les autres dieux, comme le laisserait entendre l’affirmation selon laquelle Dieu serait « le plus grand chez les dieux et les hommes, et qui n’est semblable aux mortels ni par la forme ni par la pensée »10 ? On remarquera, sans que cela ait valeur de preuve, que dans la présentation critique que fait Sextus Empiricus de la pensée de Xénophane, dont il dit qu’il avait été loué en maint endroit par Timon, le principal disciple de Pyrrhon, on ne trouve aucune mention des dieux. Xénophane est à ses yeux le penseur qui «  a soutenu dogmatiquement une opinion qui va contre les préconceptions des autres humains, à savoir que le tout est un, que le dieu est confondu avec toutes choses et qu’il est sphérique, impassible, immuable et rationnel »11. Cette parfaite rationalité de Dieu permet de dépasser l’image d’un Xénophane qui aurait construit une théologie à partir de la critique de l’image homérique des dieux. Il y a chez lui à la fois une pensée forte de l’immanence, les prémisses de l’identification de la divinité à la raison universelle, mais aussi le scepticisme quant à la possibilité pour l’être humain d’accéder à la vérité12. Cela le distingue de Diu. I, 5. Sur Xénophane, voir Schäfer 1996. Luc. 118. 10 Frg. B 23 D.K. Trad. Dumont 1988 modifiée. La traduction des fragments des Présocratiques est, en règle générale, celle de Dumont. 11 Sext. Emp., H.P. I, 225 : ἐδογμάτιζε δὲ ὁ Ξενοφάνης παρὰ τὰς τῶν ἄλλων ἀνθρώπων προλήψεις ἓν εἶναι τὸ πᾶν, καὶ τὸν θεὸν συμφυῆ τοῖς πᾶσιν, εἶναι δὲ σφαιροειδῆ καὶ ἀπαθῆ καὶ ἀμετάβλητον καὶ λογικόν· ὅθεν καὶ ῥᾴδιον τὴν Ξενοφάνους πρὸς ἡμᾶς διαφορὰν ἐπιδεικνύναι. Trad. Pellegrin 1997. 12 Voir en particulier le frg. B 29 D.K. 8 9



ANNE-ISABELLE BOUTON-TOUBOULIC & CARLOS LÉVY

la doctrine stoïcienne qui adviendra quelques siècles plus tard et dont il semble proche, par ailleurs, sur beaucoup de points. Pour les Stoïciens, c’est la rationalité du monde qui est garante de la vérité des sensations, tandis que, pour Xénocrate, les sens sont faibles et l’usage qu’en fait le sujet de la connaissance neutralise les éléments de vérité dont ils peuvent parfois être porteurs. Nous ne nous attarderons pas ici sur la critique héraclitéenne des rites religieux. Héraclite connaissait la pensée de Xénophane, il la critiquait sur plusieurs points et il a pu être sensible au décalage entre, d’une part, l’audace de certaines positions théoriques et, d’autre part, la discrétion quant aux formes que prenait le culte des dieux dans la cité, notamment les cultes à mystères qui ont pu lui apparaître comme le comble de l’irrationalité. Un passage de la Vie de Coriolan de Plutarque présente à cet égard un intérêt particulier. Il y est dit en effet que, selon Héraclite, la plupart des choses divines nous échappent, car l’apistia les chasse loin de nous13. La traduction d’apistia par « absence de foi » est à la fois inévitable et dangereuse, car elle fait intervenir un terme auquel notre langage donne un sens qui ne pouvait être celui du philosophe d’Éphèse. Ce qu’il veut dire, vraisemblablement, c’est que même lorsque la vérité du monde est offerte, par le monde lui-même ou par celui qui le révèle, elle demeure littéralement incroyable, en tout cas pour la foule. Celle-ci se rassure, en quelque sorte, en adorant des dieux qui ressemblent à des humains, alors que la réalité du divin est tout autre. Néanmoins, entre les croyances populaires et la doctrine philosophique du feu, principe créateur et organisateur du monde, Héraclite jette des passerelles, par exemple, dans son interprétation de la foudre qui lui permet de mettre en relation ce principe avec la représentation de Zeus14. En agissant ainsi, Héraclite a ouvert une voie qui sera celle du stoïcisme et de son usage de l’allégorie, qui culminera avec le stoïcisme impérial, et notamment avec Cornutus. Plus généralement, il définissait un problème qui va profondément marquer l’histoire de la philosophie, celui de la relation entre la connaissance rationnelle, scientifique du monde et celui des mystères, voire du mysticisme. Chez Empédocle aussi la lutte contre l’anthropomorphisme populaire est véhémente, comme le montre le fragment que voici15 : Plutarque, Coriolan 38. Frg. B 64 D.K. Trad. Dumont 1988. 15 Frg. B 134 D.K. 13 14



Préface

Car Dieu n’a ni le chef ni les membres d’un homme ; Deux branches ne poussent pas non plus sur son dos, Il n’a ni pieds, ni genoux prompts, ni génitoires : Il n’est qu’un pur esprit, sacré et ineffable, Dont les promptes pensées parcourent le cosmos Tout entier.

On sait que chez lui, l’aspect scientifique et l’aspect mystique seront à la fois articulés et contrastés à travers l’existence de deux ouvrages d’inspiration, au moins en apparence radicalement différente, le poème De la Nature et les Purifications16. Dans le premier, le poète explique la naissance du monde à travers l’existence de deux principes opposés, l’Amour et la Haine, seules réalités immortelles, alors que les dieux doivent se contenter, si l’on peut dire, de la longévité. Les Purifications, elles, décrivent l’âme dans ses réincarnations jusqu’à sa délivrance. À vrai dire, l’opposition traditionnelle entre les deux œuvres est de plus en plus contestée, notamment à partir de l’idée qu’elle est construite sur des concepts actuels, n’ayant aucun correspondant exact dans la pensée de l’époque d’Empédocle. Bien plus, c’est l’existence de deux poèmes distincts qui est maintenant mise en cause, à partir du constat qu’elle n’est garantie que par Diogène Laërce17, autrement dit par un témoignage de caractère tardif. Quoi qu’il en soit, on ne peut contester que pour Empédocle, qui aime à s’attarder sur la description d’un âge d’or primitif, la seule divinité adorée était Cypris – l’Amitié, comme l’explique Porphyre – bien éloignée des dieux de la mythologie traditionnelle et des cultes sanglants qui leur étaient consacrés18. Imaginait-il un parcours cyclique, un retour vers cette sagesse primitive ? Avait-il trouvé une conciliation entre son naturalisme et son mysticisme, si tant est que ces mots aient eu chez lui un sens approchant de celui que nous leur donnons  ? Peut-on parler d’une «  synthèse  » empédocléenne  ? Rien de tout cela n’est impossible, mais nous ne disposons pas d’assez éléments pour donner à ces hypothèses le degré souhaitable de probabilité. Il faudrait, pour être moins incomplet, dire quelques mots de Démocrite et de sa doctrine de la religion comme issue de la crainte, thèse

16 Pour une présentation générale de l’auteur et de son œuvre, voir l’introduction d’Inwood 1992. 17 Voir Diog. Laërce VIII, 51‑77. 18 Voir le frg. B 128 D.K., transmis par Porphyre, De abst. II, 21, 1‑4.



ANNE-ISABELLE BOUTON-TOUBOULIC & CARLOS LÉVY

que Lucrèce reprendra avec une puissance admirable19. Pour autant, la responsabilité de cette terreur dans laquelle vit l’humanité n’incombe pas aux dieux. Il y a en effet chez Démocrite une forme de théodicée20 : Les dieux accordent aux hommes tous les biens, à présent comme autrefois, et toutes les choses qui sont mauvaises, nuisibles et non-bénéfiques, ils renoncent aujourd’hui comme autrefois, à les donner aux hommes. Mais ce sont eux, qui d’eux-mêmes se précipitent sur elles par aveuglement de l’intellect et par ignorance.

Un peu comme chez Épicure, la nature donne aux êtres humains des sensations qui sont toutes vraies et leur montre la voie du bonheur en leur indiquant, dès la naissance la recherche du plaisir comme voie unique. Ces dons, ils les dilapident en projetant leurs opinions sur ces données naturelles. Il y a chez Démocrite une volonté de double purification  : purification de l’image des dieux en les débarrassant de tous les éléments projectifs, fruits des angoisses humaines ; purification de l’être humain lui-même qui, en se libérant de ces terrifiants fantasmes, parvient à découvrir sa véritable nature. Il serait tout simplement ridicule de prétendre donner en si peu de pages une image quelque peu vraisemblable de la position de Socrate et de Platon à l’égard de la religion. Nous essaierons simplement ici de mettre en évidence quelques attitudes, quelques concepts à partir desquels la Nouvelle Académie a pu construire sa critique de la religion, mais il faut aussitôt ajouter qu’elle visait bien moins les pratiques que l’interprétation intellectualisante qui en était donnée par le stoïcisme. De toute évidence, par ses gestes et par ses discours, Socrate tenait à apparaître comme un citoyen respectueux des croyances de la religion populaire. Son attitude à leur égard ne changea jamais comme le montrent les épisodes célèbres qui marquèrent la fin de sa vie, et notamment le rappel à Criton du coq qu’il devait à Esculape. Il n’est pas nécessaire non plus de rappeler sa dévotion à l’oracle de Delphes. Dans le même temps, et sans qu’il y ait là nécessairement une contradiction, Socrate a constamment cherché à dépasser le cadre rigide des pratiques religieuses de la cité, non pas en les modifiant, car il n’en avait ni les moyens ni le désir, mais en intériorisant et en intellectualisant ses croyances et ses attitudes. Daniel Babut rappelle fort opportunément à ce sujet la fin du 19 Sur Empédocle, Démocrite et Lucrèce, voir Sedley 1998. Sur les principes de la pensée de Démocrite, voir Morel 1996. 20 Frg. B 175 D.K.



Préface

Phèdre 279b, où Socrate suggère à son compagnon de faire une prière aux divinités locales avant de se mettre en route, leur formulant des demandes qui apparaissent comme les prémisses de ce que seront les paradoxes des Stoïciens21 : « Puissé-je tenir pour riche l’homme sage ! Puisse l’abondance de mes biens être de la mesure voulue pour que nul autre homme, sinon le tempérant, ne soit capable ni de les emporter ni de les emmener ». Expliquer la richesse, et les contradictions, de l’attitude de Socrate à l’égard de la religion par une « vivante synthèse »22 de toutes les tendances philosophiques qu’il connaissait laisse entière la question du pourquoi de cette synthèse. Il conviendrait peut-être de définir une position plus explicitement dynamique. Comme tout ce qui relève de la doxa, la religion populaire est contradictoire, parfois erratique, propice à toutes les interprétations erronées et mystifications qu’Euthyphron incarne si bien dans le dialogue qui porte son nom. Toutefois, rien n’est possible en matière de progrès intellectuel et spirituel si l’on ne garde pas le contact avec ce point d’ancrage qui est absolument nécessaire pour que s’effectue le départ vers la transcendance. Socrate, nous le voyons très bien dans la fameuse digression du Théétète 176b, ne conçoit « l’assimilation à Dieu dans la mesure du possible » que comme un départ « une fuite ». Dieu est doublement présent dans ce processus, à la fois comme composante doxastique des croyances erronées du dèmos et comme modèle, comme refuge ultime de celui qui cherche à s’en libérer. Parce que l’âme est incarnée, elle ne peut pas être d’emblée étrangère au monde des doxai. Parce que sa vraie patrie est ailleurs, elle a pour vocation de le fuir. Entre l’enracinement dans le sensible et la fuite libératrice, le concept de dieu est le sas par lequel s’effectue nécessairement tout passage. Que Socrate l’utilise comme symbole de cet ailleurs vers lequel il aspire à aller ne l’empêche pas de chercher à apparaître comme un citoyen bon et pieux, non par hypocrisie, mais de manière à ne jamais perdre de vue le processus dans sa totalité. Cette pensée de la totalité en matière de religion et de théologie, Platon paraît l’avoir modifiée sensiblement, dans un sens plus aristocratique et plus intellectualiste à la fois. En particulier, comme le dit fort bien Paul Vicaire23, « l’attitude de Platon restera toujours condescendante, méfiante, si ce n’est franchement critique, à l’égard des devins et de leur art ». L’exception permanente par rapport à cette défiance fut l’oracle de Sur les paradoxes stoïciens dans la littérature latine, voir Demanche 2013. Babut 1974, 74. 23 Voir Vicaire 1970. 21 22



ANNE-ISABELLE BOUTON-TOUBOULIC & CARLOS LÉVY

Delphes, pour lequel il éprouva toujours un profond respect. Bien sûr, il est difficile, voire impossible de décider avec certitude ce qui revient au maître et ce qui fut l’œuvre du disciple. Qu’il y ait une continuité dans la critique de la mythologie traditionnelle et des formes populaires de la religiosité, cela ne peut être contesté. Mais la formalisation de la théologie à travers la systématisation idéaliste de l’expression de la perfection divine dut probablement beaucoup à l’apport proprement platonicien. Dans le même temps, cette rigueur systématique (la définition des tupoi peri theologias) apportée à la démonstration de la bonté, de la sagesse et de l’omniscience divines, en un mot de la perfection divine, a pour conséquence quelque peu paradoxale l’idée que l’être humain ne peut accéder qu’à une connaissance approximative, tout au plus probable de la nature divine. Il est impie de croire que les dieux ne se mêlent pas des affaires d’ici-bas24, mais il est tout aussi impie de croire que l’on peut connaître leur nature et leurs desseins. Tout au plus peut-on avoir dans ce domaine des probabilités, comme celle qui est énoncée au début du Timée. Cette inaccessibilité résiste à l’exégèse et tout particulièrement à l’exégèse allégorique, ce qui n’empêche pas Platon de plaider avec vigueur pour le maintien de la tradition, gardienne d’au moins une partie de la vérité sur les dieux. Pour autant, il réclame quand même dans le Charmide une autorité de contrôle sur la divination, afin d’empêcher qu’elle ne fût détournée par des charlatans. D’une manière plus générale, l’idée d’une providence anthropocentrique est étrangère à Platon, et son idée de la parfaite bonté de Dieu exclut l’idée d’une relation personnelle avec les individus. De ce point de vue, la systématisation des Lois à la fois préserve le continuum indispensable avec la religion de la cité et donne au lien avec les dieux la généralité qui préserve d’un lien personnel et affectif fort, perçu comme une dérive. À proprement parler, il n’y a pas de doute concernant les dieux et la religion chez Platon. Les dieux existent, la religion de la cité ne peut être ignorée, méprisée. En revanche, tout ce qui concerne les dieux doit être épuré de croyances parasitaires, projectives, venues se greffer sur la seule voie d’accès à la transcendance qui soit immédiatement donnée à l’être humain. Et c’est pourtant dans la tradition de Platon qu’est apparue pour la première fois une pensée du doute qui sera comme la matrice de tous les scepticismes relatifs aux croyances religieuses. Comment cela a-t-il été possible ?

Rep. II, 365d.

24



Préface

Écartons tout d’abord la tentation facile d’imaginer une influence de Pyrrhon et de ses disciples immédiats. Les études les plus récentes ont fait litière de l’interprétation du pyrrhonisme originel comme étant une pensée du doute25. Elles ont d’une certaine manière réhabilité le témoignage cicéronien nous présentant Pyrrhon comme un dogmatisme de l’indifférence absolue. En matière de religion, les quelques témoignages fiables qui nous sont parvenus, ceux de Timon, nous montrent un Pyr­ rhon participant passivement aux cultes de la cité et se laissant même hisser à la dignité de grand-prêtre, à la grande satisfaction de ses concitoyens qui lui témoignèrent leur reconnaissance. Refuser ces cultes et cette dignité, c’eût été leur accorder une forme d’être, alors que pour le philosophe d’Élis, ils n’étaient que des formes parmi d’autres de l’universel apparaître. On remarquera l’utilisation métaphorique de la religion, lorsque Timon compare son maître à Apollon, faisant de lui le dieu de la révélation non pas de ce que les choses sont, mais de leur inexistence ontologique. L’attitude de la Nouvelle Académie se situait à l’opposé de l’apparence. Elle doit être comprise comme l’adaptation de la pensée platonicienne à une situation nouvelle, née de l’apparition à l’époque hellénistique de deux doctrines qui pouvaient paraître ressusciter deux cauchemars platoniciens. L’épicurisme ramenait avec une vigueur toute nouvelle la figure haïe de Platon. Quant au stoïcisme, son utilisation de l’allégorie pour l’interprétation des mythes, dans le cadre d’un immanentisme absolu, rappelait ces sophoi que Platon critique au début du Phèdre pour leur obstination à vouloir rationaliser en quelque sorte dans l’abstrait les représentations populaires des dieux. De l’attitude d’Arcésilas à l’égard de la religion, nous ne savons que bien peu de chose. Les dieux étaient présents dans son langage, et comment aurait-il pu en être autrement, comme le révèle l’anecdote rapportée par Stobée26 ?  Ayant vu un jeune homme suivre l’enseignement des philosophes avant d’avoir suivi l’éducation traditionnelle, il avait dit que les fruits magnifiques de Démèter ne conviennent pas immédiatement aux enfants et qu’il faut qu’ils goûtent auparavant le lait de leur mère. Plus intéressant, Eusèbe de Césarée nous apprend qu’il aimait à répéter le vers d’Hésiode27 dans lequel le poète dit que les dieux ont caché aux hommes le sens de la vie. Étrangement cependant, alors que le texte Voir notamment l’ouvrage pionnier de Conche 1973. Ecl. IV, 1, 92, p. 28, 9 Hensefr. 12 Mette. Sur cet aspect de la Nouvelle Académie, voir Lévy 1993, 148. 27 Les travaux et les jours, 42. 25 26



ANNE-ISABELLE BOUTON-TOUBOULIC & CARLOS LÉVY

des manuscrits hésiodiques semble à cet endroit parfaitement sûr, le mot bion est remplacé par noon, l’esprit, dans la transcription du vers tel qu’aimait à le répéter l’Académicien28. Il semble donc qu’il ne se contentait pas de décrire la finitude humaine, aussi bien en ce qui concerne la raison que les sens, mais qu’il la mettait en relation avec le dessein des dieux. Un témoignage beaucoup plus tardif exprime bien plus explicitement, peut-être même un peu trop explicitement, cette idée. En effet, Épiphane, écrivain chrétien du ive siècle, attribue à Arcésilas l’idée que la vérité est accessible aux dieux, non aux hommes. A-t-il ainsi donné sa propre interprétation de la philosophie de l’epochè ? Disposait-il d’informations qui ne nous sont pas parvenues ? Il nous est évidemment impossible de le savoir. De Carnéade, en revanche, il ne nous est parvenue aucune affirmation de ce genre. Sa démarche fut exclusivement dialectique. Elle prenait comme prémisses les dogmes épicuriens et stoïciens, pour en tirer des conclusions absurdes à partir desquelles ses adversaires étaient au moins implicitement invités à revenir à la case départ. Pour ne prendre que l’exemple le plus célèbre, celui de ses sorites antistoïciens29, la méthode est simple. Il s’agit de partir d’une affirmation vraisemblable, mais présentée comme vraie par l’adversaire dogmatique, pour aboutir à une conclusion inacceptable. En voici une illustration : Le soleil et la lune sont des dieux et les Grecs pensent que le premier est Apollon, la seconde Diane. Mais si la lune est une déesse, Lucifer et les autres planètes seront aussi au nombre des dieux ainsi que, en conséquence, les étoiles fixes. Et pourquoi l’arc-en-ciel ne serait-il pas mis au rang des dieux ? Il est beau, en effet, et c’est à cause de sa belle apparence, dont on tient l’explication pour merveilleuse, qu’Iris est, dit-on, fille de Thaumas. Et si l’arc-en-ciel est de nature divine, que feras-tu des nuages ?

Autre méthode de mise en contradiction, celle appliquée au dogme stoïcien de la providence, faisant de l’univers « la maison commune des hommes et des dieux », dans laquelle tout serait fait pour favoriser l’être humain. Il s’agit alors de montrer, par des exemples particulièrement frappants, la réalité d’un monde inhospitalier, dans lequel l’injustice triomphe bien plus souvent que la vertu. Le brio de cette dialectique carnéadienne dissimule une faiblesse, ou en tout cas une difficulté, que l’on pourrait résumer par la question : « et Eusèbe, P.E. XIV, 4, 15. Nat. deor. III, 51, trad. Auvray-Assayas 2002. Voir Couissin 1941.

28 29



Préface

après ? ». Une fois que l’atomisme et l’immanentisme ont été écartés, leur discours sur les dieux ayant été disqualifiés. Deux réponses implicites peuvent être dégagées. La première est la réaffirmation du conservatisme religieux. Le même Cotta qui, se faisant le porte-parole de Carnéade, s’acharnera à déconstruire le système théologique stoïcien, tient à préciser auparavant ce qu’il en est : Pour ma part, je les défendrai toujours et je les ai toujours défendues ; jamais les discours de qui que ce soit, savant ou ignorant, ne me feront abandonner les croyances que j’ai héritées de mes ancêtres sur le culte des dieux immortels. Mais quand il s’agit de religion, mes maîtres sont Tibérius Coruncanius, Publius Scipion, Publius Scévola, tous trois grands pontifes, et non pas Zénon, ou Cléanthe ou Chrysippe30.

Cette position était-elle celle de Carnéade, ou doit-elle être interprétée comme la volonté d’un aristocrate romain de ne pas trop choquer en développant la dialectique carnéadienne ? Disons que ce que nous savons de l’attitude de Socrate et de Platon à l’égard de la religion nous permet de penser que Cotta ne s’est pas aventuré dans des considérations purement personnelles. Sur le plan théorique, la seule conclusion que l’on peut tirer à la lecture du De natura deorum est celle du caractère erroné des affirmations dogmatiques, épicuriennes et stoïciennes en tout cas, relatives aux dieux. Reste une hypothèse qui n’a été ni critiquée, ni même explorée, à savoir la transcendance platonicienne. Elle demeure comme une orientation possible, à vérifier, alors même qu’elle inspirait la dialectique anti-dogmatique. L’apparition du moyen platonisme viendra actualiser cette possibilité, non pas en oblitérant le scepticisme, mais en lui donnant un prolongement pour ainsi dire naturel dans la transcendance31. Le Commentaire du Théétète32, malgré les incertitudes qui subsistent quant à sa date, met bien en évidence le processus de transition entre la philosophie du doute absolu et celle de l’effort pour s’assimiler à Dieu. Par un étrange synchronisme, c’est plus ou moins à ce moment que Philon d’Alexandrie effectue le passage entre le Dieu des philosophes et celui, personnel et révélé, de la Bible. Désormais, dans la culture occidentale, à partir du ive siècle, le scepticisme ne s’exprimera plus qu’avec, en arrière-plan, à moins Nat. deor. III, 5. Voir Opsomer 1998 et Bonazzi 2003. 32 Voir Bonazzi 2003. 30 31



ANNE-ISABELLE BOUTON-TOUBOULIC & CARLOS LÉVY

que ce ne soit au premier plan, le Dieu dont ni Platon, ni Aristote, ni Pyrrhon, n’avaient entendu parler.

Philosophie sceptique et foi dans le christianisme antique et médiéval Cependant, les relations entre scepticisme et foi dans le christianisme antique et médiéval ne sont ni univoques ni uniformes. Elles dépendent bien sûr de l’intérêt de chaque auteur pour le scepticisme, mais aussi de son degré d’information relatif aux sources dont il dispose. En outre, sur une aussi longue période, on peut se demander si la façon de penser l’articulation entre la foi chrétienne et le scepticisme change complètement ou si l’on retrouve certains invariants qui seraient transmis parmi les auteurs chrétiens, de l’Antiquité au Moyen Âge. Sur la base de quelles traditions textuelles se fait une telle transmission ? Il est certain enfin que le statut du christianisme n’est pas le même dans le monde intellectuel et culturel de l’Antiquité tardive et dans celui du Moyen Âge, ce qui ne manque pas d’infléchir son rapport au scepticisme. Tout d’abord, le statut épistémologique de la foi, comme le montrent dans ce volume les contributions d’Isabelle Bochet et de Giovanni Catapano, semble défier la zètèsis sceptique, et inversement, la foi elle-même semble a  priori mal s’accommoder d’une recherche perpétuellement ouverte. De plus, la « piété sceptique » qui ne s’accompagne d’aucune « adhésion dogmatique », comme le rappellent ici Emidio Spinelli et Stéphane Marchand, semble bien étrangère à la foi, en prônant une vie «  sans conviction  » (adoxastôs)33, même si elle définit une «  théologie élémentaire de l’habitude  », selon l’expression d’Emidio Spinelli. Comme l’avait souligné T. Penelhum, à propos de la Renaissance, il y a ainsi un paradoxe à l’usage fidéiste du scepticisme à des fins religieuses, qui aboutit à la croyance, là où le sceptique antique visait l’absence de croyance pour préserver son ataraxie34. Plus globalement, la question de la relation entre foi chrétienne et raison philosophique est aussi ancienne que le christianisme, qui se conçoit dans l’Antiquité comme nouvelle philosophie (philosophie « barbare » 33 Laquelle n’est pas synonyme d’une vie « sans assentiment » donné aux affections nécessaires de l’imagination. Cf. Sextus Empiricus, HP I, 13. 34 Paradoxe souligné par Penelhum 1983, 297, qui définit le phénomène qu’Érasme, Montaigne et Bayle représentent comme étant l’assimilation de la foi et de l’attitude sceptique.



Préface

ou melior philosophia), destinée à apporter une connaissance que les philosophes païens cherchaient en vain35, ou bien au contraire détentrice d’une vérité qui défie la sagesse des païens, et est « folie » à leurs yeux (1 Cor. 1, 17‑25). Mais à cet égard, la situation des Sceptiques, critiques des philosophies dogmatiques, est singulière, et les chrétiens ont adopté envers eux deux attitudes différentes : soit utiliser leur puissance critique au service d’une réfutation des autres philosophies antiques, en en faisant une propédeutique à la foi chrétienne, soit les rejeter comme étant hostiles par principe à toute idée de foi. Entre ces deux pôles, de multiples combinaisons furent possibles. Dans le premier cas, émerge l’idée d’une sorte d’alliance objective entre christianisme et scepticisme contre la prétendue sagesse païenne36. L’incarnation historique de cette alliance – même provisoire – entre religion de la Révélation et scepticisme peut être nommée fidéisme  ; elle trouve sa première réalisation chez le Juif Philon d’Alexandrie, comme le montre ici la contribution de Carlos Lévy ; parmi les auteurs chrétiens antiques, on en trouve la trace chez Arnobe, rhéteur africain de la fin du iiie siècle, qui fut aussi le maître de Lactance. Dans son Aduersus nationes, en particulier au livre II, consacré à réfuter les philosophies païennes, Arnobe, lecteur de Cicéron37, se plaît à rabaisser les prétentions de la raison humaine devant la grandeur du créateur38, lequel est au-delà de toute connaissance39. Un passage du livre II semble d’ailleurs préfigurer l’argument pascalien du pari40. Notons qu’Arnobe influença Huet à la Renaissance et qu’il était bien connu de Bayle41. Un autre auteur africain, probablement de la première moitié du iiie siècle, Minucius Felix, met en scène un dialogue dont le protagoniste païen, Caecilius, est proche des positions défendues par le pontife Cotta dans le De natura deorum III de Cicéron, qui proclame son attachement au mos maiorum en matière religieuse, en même temps que ses doutes sur Rm. 1, 19‑23 ; cf. Maia Neto 1995, XI. Ceux que J. R. Maia Neto (1995, XIII) désigne comme étant à la Renaissance et au xviie siècle des « Sceptical fideists » (Montaigne, Charron, La Mothe Le Vayer), pour lesquels la relation du scepticisme au christianisme est « externe et séquentielle ». 37 Le Bonniec 1984. 38 Adu. nat. II, 60. 39 Adu. nat. III, 18, 1 : Neque enim ueri aliquid scire tanta in re possumus aut suspicionibus indagare, quas esse apud nos liquet instabiles, lubricas et uanorum similitudines somniorum. ; 19, 3 : Vnus est hominis intellectus de Dei natura certissimus, si scias et sentias nihil de illo posse mortali oratione depromi. 40 Adu. nat. II, 4. Voir Le Bonniec 1974, 204. 41 Floridi 2010, 271. 35 36



ANNE-ISABELLE BOUTON-TOUBOULIC & CARLOS LÉVY

les rationes alléguées pour le légitimer42. On a voulu voir dans le point de vue du personnage de Caecilius l’expression d’un scepticisme prolongeant les vues de Favorinus d’Arles, ou, plus récemment, celle d’un scepticisme académique plus contemporain de Minucius43. Le Dialogue s’achève en tout cas sur la conversion au christianisme de Caecilius, induite par le discours de son adversaire chrétien Octauius. L’opposition entre scepticisme et foi chrétienne est ici présentée comme irréductible, pour des raisons à la fois religieuses et épistémologiques. Le premier des auteurs chrétiens Africains, Tertullien – qui avait sans doute eu connaissance d’Énésidème par Soranus44 – accusa de son côté la procacitas de l’Académie de renverser toute connaissance possible45, prolongeant ainsi la critique adressée par Lucullus aux Néoacadémiciens46. Selon Tertulien, «  il n’est pas permis, non, il n’est pas permis de révoquer en doute les relations des sens, de peur qu’on ne les accuse d’infidélité jusque dans la personne du Christ  »47  ; l’Africain se plaît par ailleurs à souligner la dissonance des philosophes, en fustigeant les recherches sans fin : « Le chrétien, lui, n’a pas besoin de longs discours pour s’éclairer sur cette matière. La précision marche toujours avec la certitude ; il ne lui est pas permis de chercher plus qu’il ne doit découvrir48. » Au début du ive siècle, l’évêque Eusèbe de Césarée, proche de l’empereur Constantin, témoigne de la richesse de son information doxographique quant au scepticisme : au livre XIV de la Préparation Évangélique, il évoque les principaux représentants à la fois de la Nouvelle Académie Cf. Nat. deor. III, 5, cité supra, n. 30. Cf.  pour cette dernière thèse, Opsomer 1998, 264, critiquant Beaujeu 20023, LXXXI, et Baehrens 1915. 44 Soranus est nommé en De anima 6, 6 (éd. Waszink 1954, CCL 2, 789). Cf. ed. comm. Waszink 1947, 10. 45 De anima 17, 11 : « Tu détruis tout le fondement de la vie ; tu troubles l’ordre universel de la nature ; tu aveugles la Providence de Dieu lui-même, qui a placé à la tête de toutes ses œuvres pour les comprendre, les habiter, les distribuer et en jouir, les sens, maîtres trompeurs et infidèles ? » (tr. A.-E. de Genoude 1852) (Totum uitae statum euertis, omnem naturae ordinem turbas, ipsius Dei Prouidentiae excaecas, qui cunctis operibus suis intelligendis incolendis dispensandis fruendisque fallaces et mendaces dominos praefecerit sensus ? (CCL 2, 805)). 46 Cf. Cicéron, Luc. 31. 47 De anima 17, 13 (CCL 2, 806) : Non licet, non licet nobis in dubium sensus istos deuocare, ne in Christo de fide eorum deliberetur. 48 De anima 2, 7 (CCL 2, 785) : Christiano autem paucis ad scientiam huius rei opus est. Nam et certa semper in paucis et amplius illi quaerere non licet quam quod inueniri licet. 42 43



Préface

et du néopyrrhonisme. Mais cette présentation a un but essentiellement apologétique : elle s’intègre dans un projet global d’examen des principales écoles philosophiques grecques visant à montrer qu’on doit leur préférer le Dieu chrétien et « la vérité même »49. Bien que d’autres auteurs chrétiens de la fin de l’Antiquité mentionnent, avec plus ou moins de connaissance réelle50, les Sceptiques, ils ne manifestent pas pour autant un grand intérêt à leur égard. De fait, comme l’a souligné C.  B. Schmitt, dans le christianisme antique, seuls deux auteurs en Occident ont véritablement porté leur attention sur le scepticisme, Lactance et Augustin ; ils l’ont fait d’une part dans le cadre d’une nouvelle élaboration du concept de sagesse, précisément en rapport avec la religion pour Lactance, et avec la foi pour Augustin (dont le projet d’intellectus fidei laisse place à la recherche et à la raison, mais pas au doute). Par ailleurs, ce projet passait par la lecture critique de Cicéron, identifiant précisément cette quête de la sagesse à la philosophie néoacadémicienne. Lactance se sert des Académiciens pour détruire toute l’entreprise de la philosophie païenne, Augustin, pour absorber le platonisme dans le christianisme. Tous deux portent leur réflexion sur le plan épistémologique – même si les considérations éthiques y sont liées  ; cela n’était pas réellement le cas avec Minucius Felix, critique de la tuta dubitatio académicienne (Octauius 13, 5), et qui considérait qu’il y a « du vrai dans l’incroyable et du mensonge dans le vraisemblable »51. Selon  C.  B. Schmitt, ce sont là deux voies d’interprétation chrétienne du scepticisme  ; l’une fidéiste, l’autre pas52. Gábor Kendeffy montre ici qu’on peut se demander si Lactance est vraiment fidéiste, contrairement à Arnobe, qui l’est réellement ; il est difficile de dire en revanche qu’Augustin le soit, lui qui s’émerveille des possibilités de la raison humaine. Mais l’Hipponate place la certitude du côté de la foi et de l’illumination divine, et le rôle que joue l’assentiment dans son concept de foi rend précisément celui-ci antinomique avec le scepticisme. Il prétend cependant réfuter le scepticisme à l’aide de la raison,

P.E. XIV, 1, 3. Jérôme distingue bien Platon des Academici noui  qu’il sait suivis par Cicéron (Ep. 133, 1) ; ce n’est pas le cas d’Isidore (Etym. VIII, 6, 11 ; cf. Floridi, 2010, 272), lequel connaît la Nouvelle Académie essentiellement par Lactance. Cf. Faes de Mottoni 1981. 51 Octauius 14, 4 : nescientes inesse et incredibili uerum et in uerisimili mendacium. 52 Schmitt 1972, 28. 49 50



ANNE-ISABELLE BOUTON-TOUBOULIC & CARLOS LÉVY

selon une démarche que Descartes assumera53. Augustin fut aussi le promoteur, pour les Médiévaux, d’une image de dogmatisme négatif attachée au scepticisme néoacadémicien – image qu’avait déjà propagée avant lui les Néopyrrhoniens : l’Académicien serait celui qui affirme l’impossibilité de savoir. En outre, Augustin associe le doute sceptique au désespoir (et non à l’ataraxie, comme le veut le néopyrrhonisme), ce que proclamera également Pascal, et il fait ainsi du scepticisme une option existentielle insoutenable, eu égard non seulement à la vie ici‑bas, mais au salut dans l’au-delà. Toutefois, Augustin ignore Pyrrhon et le néopyrrhonisme. De fait, la distinction entre Académiciens et Pyrrhoniens se perd peu à peu en Occident54, et les seconds tendent à disparaître des écrits en latin. Si Aulu-Gelle distingue encore ces deux traditions sceptiques, le chrétien Minucius Felix mentionne le nom de Pyrrhon, mais il faut noter que celui-ci apparaît uniquement dans la bouche du chrétien Octauius, non dans les propos du païen Caecilius55 ; Pyrrhon n’est plus présent chez les auteurs latins postérieurs, tels Lactance ou Augustin. Il en va différemment du côté grec, chez des Pères du ive siècle (tel Grégoire de Nazianze), comme ensuite chez Stobée56, de même que chez les philosophes néoplatoniciens d’Alexandrie, Jean Philopon ou Agathias57. Il faut donc tenir compte de la progressive perte d’information en Occident concernant les principaux témoins grecs du scepticisme antique (Diogène Laërce, Vit. IX, et Sextus Empiricus), entre la fin de l’Antiquité et le retour des textes grecs en Italie au début du XVe siècle58. Les Academica ne rencontrent qu’un écho limité, et un texte comme l’Octauius a quant à lui disparu entre le ve et le xvie siècle59. De plus, on n’a pas de trace réelle du pyrrhonisme au Moyen Âge en Occident, et la traduction latine des Hypotyposes Pyrrhoniennes an53 Cf. Maierù et Valente, 2008, 48‑49, et pour les autres références sur cette question, voir Bouton-Touboulic 2013 ; voir aussi Bermon 2001. Pour une comparaison de Descartes avec Sextus Empiricus, voir Williams 2010. 54 Naya 2008, 145. 55 Avec les Néoacadémiciens : Arcesilas quoque et Carneades et Pyrrho et omnis Academicorum multitudo deliberet (Octauius, 38, 5). 56 Stobée, Anth. IV, 53, 28 (Wachsmuth-Hense). Cf. Floridi 2010, 285. 57 Agathias, au vie siècle, parle des « éphectiques » Pyrrhon et Sextus (Historiarum Liber II, 129B, PG 88, 1394). 58 Cf. Schmitt 1983. 59 Les manuscrits le présentent comme étant le dernier livre de l’Aduersus nationes d’Arnobe.



Préface

térieure à 1300 ne semble pas avoir eu d’écho60. La partie orientale de l’Empire en revanche demeurera beaucoup plus ouverte à la tradition (néo)pyrrhonienne, comme le montrent les informations sur Énésidème, conservées au ixe siècle par le patriarche Photius, ou encore le renouveau de la critique envers les Sceptiques de la part d’auteurs byzantins au xive siècle, qui voient en Pyrrhon un ennemi commun de la foi ; reprenant pour le scepticisme l’image de la maladie qui se répand dans l’Église, Theodore Metochites retrouve ainsi les propos autrefois tenus par Grégoire de Nazianze associant « Sextus et Pyrrhon » à l’hérésie d’Arius (comme en témoigne l’Oratio 21, composée en 379)61. On peut supposer de même une meilleure connaissance des sources sceptiques grecques chez les philosophes arabes et juifs du Moyen Âge ; ainsi Judah Halevi (xiie siècle), lui-même influencé par le philosophe arabe Al-Ghazzali, fait usage du scepticisme contre l’aristotélisme, et ce en faveur de la foi religieuse62. Ainsi, le Moyen Âge a principalement eu affaire à des textes qui concernent la tradition académicienne du scepticisme, en outre essentiellement lue à travers le prisme (déformant) de la patristique. Rares sont ceux en Occident qui, tel Guillaume de Malmesbury, ou Henri de Gand (xiiie siècle)63, ont eu directement accès aux Académiques de Cicéron, même si certains, tel Jean de Salisbury, reconstruisent le probabilisme de Cicéron à travers ses autres œuvres64. Il faut donc d’abord faire le constat d’une part que le Moyen Âge connaît peu le scepticisme antique, et d’autre part qu’il le connaît surtout par des médiations65. Outre les œuvres d’Augustin (Contra Academicos, Diu.  Quaest. 83, De Trinitate, Ciu. Dei), ces auteurs peuvent disposer d’autres ouvrages de Cicéron, ainsi que de divers éléments chez d’autres auteurs antiques66. Malgré tout, contrairement à ce qui a pu être longtemps affirmé, il y a bien eu développement d’un scepticisme médiéval67. Mais quelles formes de scepti60 Perler 2006, 16. Selon Perler, cette traduction anonyme n’est pas attribuable à Niccolà da Reggio comme on l’a cru. Mais il y en avait trois manuscrits, ce qui n’est pas négligeable (et les manuscrits grecs originaux s’en sont perdus). 61 PG 37, 684. Cf. Schmitt 1983, 235. 62 Floridi 2010, 274. 63 On peut supposer qu’Henri connaît les Academica directement. Cf.  Schmitt 1983, 227. 64 Grellard 2013, 7‑16. 65 Maierù et Valente 2008, 39. 66 Sénèque, Ep. 88, 44 ; Quintilien, Inst. or. XII, 1, 35. 67 Cf. Perler 2006 ; Grellard 2013b.



ANNE-ISABELLE BOUTON-TOUBOULIC & CARLOS LÉVY

cisme se développent au Moyen Âge et quel rapport entretiennent-elles avec la foi ? Comme l’a relevé C. B. Schmitt68, il existe certes des « nativ medieval traditions  » de doute et d’anti-intellectualisme qui se développent dans les mouvements mystiques et accentuent l’idée de la foi et de la dépendance par rapport à Dieu ; c’est le cas d’Hughes de Saint Victor au xiie siècle. De façon analogue, à la Renaissance, les cercles du « catholicisme évangélique » seront « le véritable lieu où s’est pensée la possibilité d’un fidéisme sceptique »69. D. Perler a souligné récemment la double racine du développement sceptique au Moyen Âge, qui ne repose pas seulement sur la discussion des anciens écrits sceptiques, mais tout autant sur la discussion de thèses anti-sceptiques70 et de la conception aristotélicienne du savoir. En effet, durant l’époque médiévale, l’image du scepticisme s’enrichit aussi et l’intérêt pour cette philosophie s’accroît grâce à la lecture et aux commentaires d’écrits d’Aristote (les Seconds Analytiques et la Métaphysique) qui rapportent des arguments contre la possibilité de la connaissance, et dont la lecture favorise l’assimilation des Présocratiques aux Académiciens71 ; ce processus se réalise durant le xiiie siècle. L’intérêt pour des questions épistémologiques connaît ainsi un renouveau au xive siècle, avec Jean Buridan72 et Nicolas d’Autrécourt, le seul « à avoir défendu une approche authentiquement sceptique de la philosophie »73, et qui fut condamné pour ses positions en 1347. Cet intérêt pour le scepticisme, de la part de Nicolas d’Autrécourt, ne va pas sans réserve à l’égard de l’épistémologie sceptique ; ainsi, dans sa seconde Lettre à Bernard d’Arezzo, il argue contre la remise en cause de tous les témoignages : « Comment les Apôtres étaient sûrs que le Christ a souffert sur la Croix… »74, retrouvant ainsi l’argument employé par Tertullien dans le De anima75. 1983, 228. Naya 2008, 145. 70 Perler 2006, 19, souligne ce paradoxe. 71 Grellard 2011a, 12‑13. 72 Jean Buridan (Quaestio III : utrum metaphysica sit omnium scientiarum certissima, In Metaphysicen Aristotelis Quaestiones argutissimae, Paris, 1518, fos 4r‑5r) ; réf. Schmitt 1983, 228. 73 Cf. Floridi 2010, 276. Sur cette réfutation, voir Maieru et Valente 2008, 57‑65. La position d’Autrécourt vis-à-vis du scepticisme est aussi discutée par Thijssen 2000, 199‑223. 74 Nicholas of Autrecourt, His Correspondence with Master Giles & Bernard of Arezzo, ed. De Rijk 1994, 54. Cf. De Negroni 2008, 95‑97. 75 De anima 17, 13 (CCL 2, 806). 68 69



Préface

Quant à l’adhésion revendiquée aux thèses du scepticisme antique, le Moyen Âge n’en présente que de très rares cas – évidemment limités aux thèses de la Nouvelle Académie ; ainsi est-il de l’humaniste anglais Jean de Salisbury, qui veut concilier les positions académiciennes de Cicéron et la critique du scepticisme professée par les Pères de l’Église. Ce scepticisme s’identifie donc à une position de prudence épistémologique, où l’accent est mis sur le rôle de la modestia, également dotée d’une valeur religieuse ; il s’agit d’un « scepticisme régulé et limité aux choses qui ne nous apparaissent pas clairement »76 ; or, à ses yeux, parmi ces certitudes à l’abri du doute se trouve précisément celles de la foi. Il ne s’agit pas ici de rabaisser la raison, comme chez Arnobe, mais d’adopter la seule attitude philosophique conforme à la volonté divine, qui fut celle de dissimuler la vérité aux hommes – un châtiment77 qui a pour conséquence la diaphônia des écoles philosophiques antiques. On est loin de la position de Raban Maur assimilant sans guère de nuance les Sceptiques aux hérétiques78. Mais ce scepticisme « local » de Jean s’oppose à un scepticisme « universel », selon les termes de Christophe Grellard ; il y a donc toujours une figure sceptique extrême à laquelle s’opposer. Cette figure extrême peut d’ailleurs être simplement celle des Sceptiques antiques eux-mêmes, qui outrepassent ainsi un doute qui serait conciliable avec la foi, et pour ainsi dire, marginal. Ainsi, dans un texte attribué à Bède79, et probablement antérieur au xiiie siècle, l’auteur de l’article « Dubitare » des Sententiae, commentant une phrase tirée des Catégories d’Aristote (De singulis dubitare non est inutile), professe qu’un doute circonscrit, opposé au doute universel des Académiciens et des Pyrrhoniens, peut être utile80. Cette sentence d’Aristote est d’ailleurs reprise à son compte par Abélard lui-même, qui s’interroge dans le prologue du Sic et non sur la dissonantia entre les Pères ; il professe en ce cas un doute limité, car douter conduit à la « recherche » qui mène elle-même à la « connaissance » (percipere) de la vérité ; ce qu’il accompagne de la citation de Grellard 2013b, 48. Il est à noter que Pascal soulignera cette concordance entre la faiblesse de l’homme, due au péché originel, et les contradictions mises à jour par les Pyrrhoniens (Pensées, 434, Brunschvicg). 78 Cf. Maierù et Valente 2008, 44. 79 Selon Maierù et Valente, il s’agit d’un auteur anonyme « pas antérieur » au xiiie siècle (2008, 47). 80 Dubitare de utraque parte contradictionis propter rationes probabiles ad dubitandum urgentes, est ualde utile. (Sententiae, PL 90, 990C). Mais le doute est exclu en matière de foi, sauf à être infidelis. L’auteur reprend le terme aporètikoi en se référant explicitement à Aulu-Gelle, NA XI, 5, 6. 76 77



ANNE-ISABELLE BOUTON-TOUBOULIC & CARLOS LÉVY

Mtt. 7,  7, Quaerite et inuenietis81, celle-là même qu’Augustin emploie contre les Académiciens dans son premier Dialogue de Cassiciacum. Le Moyen Âge connaît aussi un usage du scepticisme à des fins polémiques, comme chez Jean de Salisbury, qui est animé d’une volonté de renouvellement pédagogique contre un enseignement scolastique figé, imprégné d’aristotélisme. De même, Henri de Gand recourt à des arguments sceptiques dans le cadre d’une théorie de l’illumination d’obédience augustinienne, et demande au début de sa Summa : « Peut-on savoir quelque chose ? »82. Mais ce « scepticisme chrétien » (l’incapacité de la raison naturelle qui doit s’en remettre à la grâce et à la foi) fera l’objet de la critique de Jean Duns Scot83, considérant que la position d’Henri de Gand est en réalité plus proche du point de vue sceptique – et donc à ce titre, fausse – que du point de vue augustinien. L’accusation de scepticisme sert ainsi à discréditer l’adversaire84. De fait, malgré l’existence d’un usage propédeutique et chrétien du scepticisme, la possibilité d’une opposition radicale est toujours présente ; on se rappelle ainsi la formule de Luther, répondant à Érasme, dans son De seruo arbitrio, que « l’Esprit Saint n’est pas sceptique »85, au nom de la certitude de la foi. De même, au Moyen Âge, Guillaume de Saint Thierry (fin xie-début xiie siècle) s’était opposé à la définition de la foi proposée par Abélard comme aestimatio rerum quae non uidentur. Cette querelle sur le terme d’aestimatio vient de ce que, pour Abélard, l’aestimatio est un « acte d’assentiment épistémologiquement neutre » selon les termes de Christophe Grellard ; pour Guillaume en revanche, cette notion renvoie à « une opinion non contrainte et de la sorte injustifiée », à l’inverse de la foi, caractérisée par « la certitude et la contrainte de l’assentiment »86. On retrouve ainsi l’opposition augustinienne entre opinari et credere orchestrée dans le De utilitate credendi. Mais ces polémiques ne visent pas la foi chrétienne, elles restent comme on le voit dans le cadre fixé par celle-ci, et l’on peut dire pour le Moyen Âge ce que C. B. Schmitt avait affirmé à propos de la Renais81 Abélard, Sic et Non, ed. Boyer et McKeon 1976‑1977, 103, 330‑104, 340. Cf. Maierù et Valente 2008, 46‑47. 82 Henri de Gand, Sur la possibilité de la connaissance humaine, éd. Demange 2013, 59. 83 Ordinatio I, dist. 3, pars 1, q. 4 (Vat. III, 132, 5‑134, 2). 84 Cf. Grellard 2011a ; Demange 2013, 45. 85 Cf. Penelhum 1983, 295. Schmitt, 1983, 233. 86 Guillaume de Saint Thierry, Disputatio adu. Petrum Abaelardum, PL 180, col. 249.



Préface

sance, à l’encontre d’une idée longtemps reçue : « le scepticisme est utilisé plutôt pour savoir si un homme peut atteindre la connaissance par des moyens naturels ou pas, et non pas […] utilisé pour discréditer la religion87 ». Ainsi, le scepticisme ne signifie pas nécessairement à cette époque une attitude antireligieuse ; selon les termes de Christophe Grellard, « au Moyen Âge et à la Renaissance, le scepticisme est bien davantage lié au fidéisme qu’à l’athéisme »88. Le fidéisme, qui donne à la foi seule la tâche de conduire à la vérité, au mieux en lui subordonnant l’activité philosophique89, a pu connaître des formes plus ou moins strictes, selon que la raison était incluse à un moment donné dans ce processus. Après l’éclatement de la « crise pyrrhonienne » étudiée par Popkin, Pascal est au xviie siècle le « modèle d’un processus dialectique unissant doute et croyance »90, pour lequel le pyrrhonisme permet de montrer notre « impuissance de prouver »91, tandis qu’il n’y a de « certitude » que de la foi. Bien différente fut la position ambiguë d’un auteur comme Bayle, qui, dans son « Éclaircissement sur les Pyrrhoniens », proclame les arguments de ces derniers impuissants contre la foi, issue de la Révélation, qui est d’un autre ordre que celui de la raison ; mais c’est là d’une certaine manière séparer foi et raison, pour reconnaître à cette dernière un espace propre, autonome92, dans le mouvement inverse de celui opéré par Minucius Felix au iiie siècle, où foi et raison devaient agir de concert en matière religieuse, en étant éclairées par la Révélation93.

Présentation des contributions Anna Maria Ioppolo traite d’un des aspects les plus surprenants de la doctrine stoïcienne, à savoir la croyance de ces philosophes en la divination, qui leur avait valu les sévères critiques du Néoacadémicien Carnéade. Comment un système qui fondait tout sur la rationalité du Schmitt 1983, 229. Grellard 2013b, 13. 89 Naya 2008. 90 Naya 2008, 142. 91 Pascal, Pensées 395, Brunschvicg. 92 Selon Bayle, « la nacelle de Jésus Christ n’est point faite pour voguer sur cette mer orageuse, mais pour se tenir à l’abri de cette tempête au port de la foi » (« Éclaircissement que ce qui a été dit du pyrrhonisme dans ce dictionnaire, ne peut point préjudicier à la religion », éd. Bost et Mc Kenna 2010, 63). 93 Valgiglio 1973, 249. 87 88



ANNE-ISABELLE BOUTON-TOUBOULIC & CARLOS LÉVY

monde a-t-il pu défendre les pratiques des devins ? Pour Chrysippe, les dieux dans leur absolue bonté ne pouvaient pas refuser à l’être humain, seul être rationnel avec eux de connaître au moins quelques aspects de l’avenir. Face à cette position dogmatique, la Nouvelle Académie, reprenant à sa manière la stratégie de Platon dans le Gorgias, s’était efforcée de montrer que la divination n’ayant pas d’objet ne pouvait pas prétendre au statut de technè. La riposte stoïcienne se fondait sur l’analyse critique du concept de hasard, lequel ne signifiait pas pour eux, à la différence de ce que pensaient les Épicuriens, l’absence de causalité, mais une causalité extrêmement complexe dans laquelle était insérée la liberté humaine. D’où l’importance dans leur pensée de la sumpatheia, autrement dit de la solidarité de tous les éléments du monde. C’est dans cette interaction que le stoïcisme a trouvé la justification de la divination, alors que Carnéade exigeait, pour accepter de la valider, l’existence d’un lien causal indiscutable entre le signe et l’événement. Mauro Bonazzi part du constat que la recherche actuelle a souligné la place du scepticisme dans la pensée de Plutarque, non pas en opposition avec son platonisme, mais en articulation avec celui-ci. Il s’agit donc de préciser comment cette association à première vue paradoxale a été réalisée. Plutarque n’ignore rien de la différence entre scepticisme pyrrhonien et scepticisme néoacadémicien, sur lequel il a lui-même écrit. Mauro Bonazzi met en évidence le fondement empiriste que pouvait avoir le pyrrhonisme pour un Platonicien, alors qu’Arcésilas et ses successeurs de la Nouvelle Académie avaient défini la suspension du jugement, l’epochè non seulement comme une critique de l’empirisme mais aussi comme une ouverture possible vers le dualisme et l’intelligible. Dans des textes comme le De frigido ou le De sera numinis uindicta, Plutarque définit ce que Mauro Bonazzi appelle son « scepticisme métaphysique », autrement dit une attitude de questionnement critique sur le monde de la sensation qui aboutit à une aperception prudente de la réalité intellectuelle et divine, puisqu’il attribue au divin les caractéristiques que Platon avait dit être celles des Formes. Bonazzi, en opposition à Babut, conteste que l’on puisse parler du « fidéisme » de Plutarque, arguant du fait que ce concept repose sur une opposition entre la raison et la foi qui n’existe pas chez le philosophe de Chéronée. Carlos Lévy dit sa surprise devant le silence sur Philon dans les textes qui prétendent établir l’histoire et la structure du concept de fidéisme. L’analyse critique des études actuelles sur celui-ci montre que, dans l’esprit de chercheurs comme T. Penelhum ou S. Giocanti, il est lié au néopyr­rhonisme et aux débats inhérents à la Réforme et à la Contre-Ré-



Préface

forme. Or, lorsqu’on tient compte d’une diachronie plus longue, les choses apparaissent différemment. En règle générale, les Sceptiques païens ont essayé de concilier, d’une part, le doute intellectuel sur l’existence de Dieu et sur sa nature et, d’autre part, l’acceptation au moins passive des rites liés à la religion de la cité. Avec Philon, il en est tout autrement. D’une manière générale, il exprime une attitude de réprobation à l’égard des Sceptiques, toutes catégories confondues. Chez lui, à l’isosthénie des Sceptiques, liée à l’opposition des contraires, se substitue l’hypersthénie, le déséquilibre radical entre l’absolue puissance de Dieu et le néant de la créature humaine. L’epochè, terme qu’au demeurant il n’emploie qu’une fois dans une œuvre gigantesque, n’est pas la libre décision d’un sujet doutant de l’attitude qu’il doit adopter, mais un acte mimétique par lequel un être humain se situe, à son infime niveau, dans la position d’immobilité qui est celle de la puissance divine. Philon emprunte des arguments au scepticisme, mais il n’est jamais lui-même Sceptique. Il apparaît donc comme celui qui a le premier défini les grands axes de ce que sera le fidéisme. Emidio Spinelli étudie essentiellement deux textes sextiens, le début du livre III des Hypotyposes Pyrrhoniennes et les §  13‑194 du livre IX de l’Aduersus Mathematicos. Trois buts sont assignés à cette recherche : reconstituer le tissu conceptuel de la critique sextienne de la théologie ; faire une enquête de caractère doxographique pour identifier les philosophes visés ; étudier la stratégie caméléonesque de Sextus, qui s’appuie tantôt sur un auteur tantôt sur un autre pour mener à bien son travail de sape. Sa méthode se caractérise par deux principes. À la différence de ses prédécesseurs de la Nouvelle Académie, il ne s’attarde pas dans des critiques de détail, préférant attaquer à la base les édifices dogmatiques. Par ailleurs, sa critique des croyances théologiques laisse intactes les croyances religieuses qui n’intègrent pas un arsenal théorique. Il s’agit donc bien de définir une théologie de l’habitude, autrement dit une théologie passive et non-dogmatique, aboutissant à admettre sans jamais entrer dans des affirmations catégoriques l’existence des dieux, la vénération qui leur est due et leur intérêt pour le monde. Cela n’empêche pas Sextus, bien au contraire, de mener une rude bataille contre les dogmatiques, dont il dénonce la diaphônia, autrement dit les désaccords incessants, la propeteia, leur rage d’affirmer à tout bout de champ, et leur absence d’attention pour ce qui va à l’encontre de leurs dogmes. C’est ainsi que l’épicurisme est utilisé par Sextus contre le stoïcisme pour montrer que tout effort de théodicée se heurte à l’évidence d’un monde au moins partiellement inhospitalier. Stéphane Marchand étudie les trois textes, HP I 23‑24 ;



ANNE-ISABELLE BOUTON-TOUBOULIC & CARLOS LÉVY

III, 2 ; AM IX, 49, dans lesquels Sextus définit l’attitude à l’égard des lois de la cité, et en particulier à l’égard de la religion. Deux buts sont définis : préciser comment caractériser la position personnelle du sceptique sur cette question et tester la validité et la cohérence de cette position par rapport au concept de piété. D’une manière générale, le scepticisme a tenté de réfuter l’argument de l’apraxie, lequel pouvait prendre une forme radicale (le Sceptique n’arrivera pas à se nourrir, à se déplacer, etc.) ou une forme plus complexe (le Sceptique ne pourra par rester sceptique dans un environnement complexe comme peut l’être celui d’une société humaine). Pour Sextus, la piété à l’égard des dieux est isolable de la décision concernant leur existence. Ce n’est pas parce que le sceptique suspend son assentiment sur la question de l’existence des dieux qu’il sera nécessairement impie. Trois relations possibles sont définies à partir de cette position : le fidéisme, la stratégie libertine (fuir la possible répression d’ordre moral), enfin l’indifférentisme (ni compréhension de la spécificité de dieu, ni dissimulation de l’athéisme). Les deux premières ne manquent pas d’intérêt intrinsèque mais doivent être écartées dans le cas de Sextus. Son indifférentisme doit être compris dans le cadre d’une société polythéiste qui demande une adhésion religieuse moins forte que dans le monothéisme. Sextus donne peu d’éléments pour comprendre en profondeur sa solution. Il apparaît toutefois que la piété du sceptique est avant tout une obligation sociale bien comprise. La contribution de Brigitte Jean-Pérez présente deux aspects étroitement liés. Dans une première partie elle étudie, à travers le cas de Maxime de Tyr notamment, la montée du thème de l’ineffabilité de Dieu dans le moyen platonisme. Ce thème est constitutif d’une théologie négative caractérisée par l’accumulation d’adjectifs formés avec l’a- privatif, mais il n’a pas encore à cette époque la rigueur systématique qu’il aura dans le néoplatonisme plotinien qui installe à la source de la procession universelle « un principe absolument ineffable, nommé symboliquement l’Un ou le Bien ». Il s’agit donc d’évaluer l’importance exacte du thème non seulement chez Maxime de Tyr, mais également chez Philon d’Alexandrie, Alcinoos, etc. Or, cette même époque médioplatonicienne est celle où, en particulier chez Diogène Laërce et Sextus Empiricus, se construit la représentation d’un Pyrrhon lui aussi « aphasique », qui aurait considéré que le silence – perçu soit comme l’absence de parole soit comme l’absence de toute affirmation – était la seule réponse adéquate à l’indifférence d’un monde régi par le principe d’isosthénie, autrement dit de parfaite égalité des contraires. La montée d’un même thème dans des mondes intellectuels absolument différents est donc au cœur de cette recherche.



Préface

Si la rencontre du monothéisme et du scepticisme s’est faite avec Philon d’Alexandrie au début de notre ère, elle ne tarde pas à trouver des échos chez les premiers auteurs chrétiens, qui donnent à celle-ci bien des aspects, de la confrontation à l’utilisation, de la réfutation à l’appropriation. C’est cette diversité d’approches, en même temps que la permanence de cette rencontre au fil du temps, qui ressort des contributions consacrées dans ce volume au christianisme antique et médiéval. Ainsi, Gábor Kendeffy étudie de quelle manière et dans quel dessein, Lactance, auteur latin témoin du tournant constantinien, s’est approprié les arguments anti-académiciens. Il examine de façon nuancée la position du Cicero christianus dans le De opificio Dei et dans les Institutions divines (en particulier ses livres III, V et VI, avec l’emploi, en ces deux derniers, consacrés au thème de la justice, de l’antinomie carnéadienne). Le premier ouvrage « n’utilise pas d’arguments sceptiques pour qualifier des choses incompréhensibles comme telles », affirme Gábor Kendeffy, et il ne recourt pas de façon significative au vocabulaire du probable ; et au livre III des Institutions divines, la dépréciation des capacités intellectuelles de l’homme, « ne découle pas d’une argumentation sceptique, mais d’une anthropologie dogmatique », laquelle réserve à Dieu la connaissance des choses qui échappent à nos sens ; la sagesse à laquelle l’homme peut parvenir est un mélange de science, due à l’âme, d’origine céleste, et d’ignorance, due au corps, d’origine terrestre. Le De opificio met l’accent sur le fonctionnement providentiel de l’âme et du corps, le livre III des Institutions divines, sur la vanité de la philosophie et sur le caractère conflictuel du rapport entre l’âme et le corps. Mais ces différences ne permettent pas de parler d’une contradiction ou d’incohérence ; en effet, les deux ouvrages distinguent les questions claires, accessibles à la sensation, et celles qui, échappant à nos sens, sont obscures ; mais seules les Institutions divines emploient les arguments sceptiques pour ce faire. De même, Gábor Kendeffy nuance l’épithète de «  fidéiste  », depuis longtemps accolée à Lactance94, dès lors que celui-ci n’a pas été amené à nier la possibilité d’une connaissance purement intellectuelle grâce aux arguments sceptiques. Pour Lactance, l’Académie sceptique sert uniquement à mettre en évidence les contradictions entre les différents doctrines philosophiques et leurs incohérences internes, « tout en étant incapable d’en découvrir la cause et d’y remédier ». C’est à un tout autre espace linguistique et mental, chez un Père grec « cappadocien » de la seconde moitié du ive siècle, Grégoire de Schmitt 1972, 26.

94



ANNE-ISABELLE BOUTON-TOUBOULIC & CARLOS LÉVY

Nysse, que Jesús Hernández Lobato applique son enquête, afin de savoir si «  scepticisme et religion  » forment nécessairement «  deux polarités dichotomiques qui s’affrontent et s’excluent mutuellement  ». Or, Jesús Hernández Lobato fait apparaître au contraire toute la perméabilité qui peut exister entre les deux. Il montre dans quelle mesure la théologie négative ou apophatique, qui se développe dans le christianisme lui-même, peut être considérée comme une modalité chrétienne du scepticisme épistémologique. En ce sens, il prolonge le questionnement de Brigitte Jean-Pérez sur le lien entre scepticisme et théologie négative dans la philosophie grecque. Grégoire de Nysse établit une opposition entre les étants et l’Être ultime, éternel et incréé, opposition qui place ce dernier bien au-delà non seulement des premiers, mais même au-delà de notre entendement et de notre capacité de conceptualisation. C’est cette opposition majeure qui « donne à la philosophie de Grégoire un caractère profondément sceptique », lequel s’appuie d’ailleurs sur saint Paul. Ce scepticisme est relié à une philosophie du langage faisant de celui-ci le produit exclusivement humain d’une convention et le « miroir déformant et trompeur  » qui filtre notre perception de la réalité, annonçant ainsi les réflexions de Wittgenstein dans ses Recherches philosophiques. Le langage, comme la pensée, relève en effet de la « brèche ontologique et épistémologique fondamentale » entre le « diastémique » et l’« adiastémique ». Si le langage ne donne pas d’accès à l’Être, on peut se demander cependant s’il existe aux yeux de Grégoire une voie d’accès qui conduise l’homme à une connaissance certaine des choses qui sont réellement. L’exégèse allégorique des sandales de Moïse dans l’épisode biblique du buisson ardent (Ex. 3, 5) met en évidence le fait que pour Grégoire, connaître signifie oublier ce que nous croyons connaître. « L’expérience mystique conduisant à la connaissance de ce qui est », conclut Jesús Hernández Lobato, est un « processus négatif » visant à faire taire le bruit de nos pensées, pour laisser advenir cette « musique silencieuse » qu’écoutera Saint Jean de la Croix. La position augustinienne sur le scepticisme, dont l’influence au Moyen Âge sur cette question fut majeure, mérite qu’on s’y attarde, de par sa complexité et l’évolution qu’elle connaît. Trois contributions lui sont ainsi consacrées, depuis le Contra Academicos, première œuvre d’Augustin conservée, et fondement de sa réflexion sur le scepticisme de la Nouvelle Académie), en passant par le De utilitate credendi (391), où la question du statut épistémologique du « croire » est centrale, jusqu’à l’Enchiridion (aussi intitulé De fide et spe et caritate) tardif, contemporain du livre XIX de la Cité de Dieu (421‑422), et qui intervient donc



Préface

après la réflexion du De Trinitate. Ce sont là trois points de vue distincts permettant d’appréhender les différentes facettes de l’opposition qu’Augustin établit entre religion chrétienne et scepticisme, opposition à ses yeux irréductible sur le fond, mais qui s’énonce selon des modalités différentes, et de façon plus ou moins tranchée selon les contextes et la visée de l’œuvre considérée. La première de ces contributions est intitulée « Scepticisme et religion dans le Contra Academicos » ; Anne-Isabelle Bouton-Touboulic y étudie la place que tient la religion dans la réfutation du scepticisme dans ce Dialogue de jeunesse d’Augustin, daté de 386. Elle relève tout d’abord que, contrairement à ce qu’avait pu faire Minucius Felix dans son Octauius, qui répondait au De natura deorum III de Cicéron, Augustin ne vise pas le paganisme en la personne des Académiciens. Quant à la religion chrétienne, dans ce premier Dialogue de Cassiciacum, sa présence explicite n’est pas aussi massive qu’elle le sera dans des œuvres ultérieures, si l’on considère par exemple le faible nombre des citations bibliques, malgré la citation-clé de Mtt. 7, 7 (Quaerite et inuenietis) ; en outre, c’est davantage un jeu à trois qui s’établit sur le plan religieux, où la secte manichéenne, véritable repoussoir dogmatique, est également très présente, le doute sceptique étant précisément d’abord dirigé contre elle, selon une instrumentalisation dont témoignera également le De utilitate credendi, comme il ressort de la contribution suivante d’Isabelle Bochet. Augustin marque bien cependant qu’il existe à ses yeux une opposition irréductible entre scepticisme et religion chrétienne, en se plaçant essentiellement sur le terrain épistémologique, mais aussi spirituel et éthique ; son propre parcours autobiographique lui fait assimiler le scepticisme à un dogmatisme négatif synonyme de desperatio ueri. Anne‑Isabelle Bouton-Touboulic étudie ensuite le lexique religieux de cette œuvre, qui s’avère souvent classique (avec l’emploi des termes comme mysteria, sacra ou numen) – tandis que le mot religio désigne ici la religion de type « fidéiste » de l’enfance ; elle montre comment Augustin opère une réduction de la philosophie néoacadémicienne au platonisme dogmatique, et, métaphoriquement, de celui-ci à des « mystères » initiatiques transmis jusqu’à Plotin, et révélés au grand jour par la religion chrétienne, qui assume ainsi le rôle d’unique philosophie faisant prévaloir le monde intelligible. Si la religion chrétienne échappe à la « probabilité de la vie humaine » (C. Acad. III, 13), c’est qu’elle est du côté de la certitude, liée à l’autorité que représente le Fils, « puissance et sagesse de Dieu  » (1 Cor. 1,  24), incarnée dans l’Histoire. On assiste ainsi à un renversement épistémologique fondamental, consistant à mettre la



ANNE-ISABELLE BOUTON-TOUBOULIC & CARLOS LÉVY

certitude du côté de l’ « autorité » divine du Christ, tout en affirmant sa « confiance » en la raison humaine. Or, l’horizon de cette certitude est précisément constitué par un univers de signes : signe qui caractérise la « représentation cataleptique », dont l’existence est récusée par la Nouvelle Académie, signe de l’illumination personnelle vécue par Augustin à la lecture des Libri Platonicorum, signes du « dogmatisme ésotérique » prétendument donnés par Carnéade, puis par Cicéron, autant de signes dont la valeur épistémologique est précisément refusée par les Sceptiques, Néocadémiciens tout autant que Néopyrrhoniens d’ailleurs. Isabelle Bochet jette une nouvelle lumière sur le De utilitate credendi, un traité quelque peu postérieur au Contra Academicos et explicitement dirigé contre les manichéens (« Le scepticisme de la Nouvelle Académie et la réflexion d’Augustin sur la légitimité du croire : le De utilitate credendi »). Elle examine la manière dont le scepticisme de la Nouvelle Académie, encore une fois porté par Cicéron, y influence paradoxalement la réflexion d’Augustin sur l’acte de croire et sa légitimité. Elle met en exergue l’articulation intellegere-credere-opinari forgée par Augustin, et elle montre comment celui-ci utilise ici la philosophie néoacadémicienne à titre propédeutique à la vraie religion, pour lutter contre les prétentions dogmatiques manichéennes, partagées par le destinataire Honoratus. Il y a ainsi une volonté de « faire table rase » pour une enquête sur la « vraie religion ». Dans cette méthode revendiquée par Augustin, son propre itinéraire intellectuel et spirituel joue encore une fois un rôle majeur. Le probabilisme cicéronien est ainsi annexé à la défense du credere contre toute temeritas, comme le souligne Isabelle Bochet. Cette dimension propédeutique et apologétique aura une grande postérité, mais les convergences avec Cicéron – pas seulement dans les Academica – ne vont pas sans distorsions. Isabelle Bochet s’interroge pour finir sur l’évolution d’Augustin depuis cet ouvrage – où il semble faire bon accueil aux arguments sceptiques – jusqu’à l’Enchiridion, où le scepticisme est rejeté comme incompatible avec la foi chrétienne. C’est précisément en étudiant la logique sous-jacente à l’Enchiridion que Giovanni Catapano prolonge cette enquête sur l’épistémologie augustinienne de la foi (« Errore, assenso e fede. La critica dello scetticismo accademico nell’Enchiridion di Agostino »). Giovanni Catapano étudie deux loci, où les deux principales thèses sceptiques, définies comme telles par Augustin depuis le Contra Academicos (« Rien ne peut être connu avec certitude – au moins en philosophie », et « Le sage ne donne son assentiment à rien ») sont explicitement confrontées à la religion chrétienne ; ces deux loci se trouvent en Cité de Dieu XIX, 18, et dans l’En-



Préface

chiridion, 17‑22, composé vers 421‑442, qui opère, selon lui, la « mise en lumière des motifs épistémologiques » pour lesquels le scepticisme est incompatible avec la foi chrétienne. Augustin se sépare en effet des Académiciens, non seulement à propos du statut de l’erreur, qui n’est pas nécessairement un peccatum, mais aussi sur la question de la légitimité de l’assentiment, nulle aux yeux des Académiciens, pour qui « tout est incertain » selon les termes d’Augustin ; même celui qui approuve une chose vraie du moment qu’elle est douteuse, erre. Giovanni Catapano mène une analyse serrée d’Ench. 7, 20, y repère l’énoncé de sept thèses sceptiques, et s’emploie à montrer qu’aucune d’entre elles n’est acceptée par Augustin. C’est le cas également concernant l’assentiment : pour un chrétien, le juste « vit de la foi » (Hab. 2, 4) et la foi est impossible sans l’assentiment (De spiritu et praedestinatione sanctorum) ; de plus, il y a selon Augustin des vérités dont on peut être certain, ainsi qu’une certitude de la foi qui ne se fonde pas sur l’évidence. En fait, tout dépend de l’autorité avec laquelle une chose est crue sans être vue ; l’assentiment n’est pas une erreur s’il est garanti par une autorité certaine, c’est-à-dire, divine. Ainsi, Augustin détache l’assentiment de la certitude  : je peux tenir simplement quelque chose pour vrai tout en sachant que c’est incertain, si j’en ai conscience et que j’ai des motifs de tenir cela pour vrai ; l’acte de croire est alors libre de toute erreur. La thèse sceptique qui définit l’erreur comme assentiment donné aux choses incertaines est donc elle aussi réfutée, conclut Giovanni Catapano. Avec la contribution de Christophe Grellard (« Scepticisme et prescience divine, de saint Augustin à Jean de Salisbury ») consacrée à Jean de Salisbury, nous entrons de plain-pied dans le Moyen Âge ; et même si l’auteur étudié passe pour celui qui, parmi les Médiévaux, a véritablement revendiqué un point de vue sceptique, nourri du probabilisme cicéronien, Christophe Grellard nous rappelle que nous avons changé de monde, et quitté l’Antiquité, en ce que pour Jean, au xiie siècle, c’est désormais un « cadre culturel chrétien » qui forme nécessairement « l’horizon de sa réflexion ». La gageure semble d’autant plus grande que Jean cherche à concilier un « scepticisme cicéronien » avec la critique augustinienne du scepticisme, Augustin étant probablement sa principale source d’information sur la tradition sceptique. Dans une perspective fidéiste donc, Jean distingue un scepticisme cicéronien, promouvant l’inquisitio ueritatis – que Christophe Grellard définit comme un scepticisme « local », « s’accommodant d’un ensemble d’objets qui sont au-delà de tout doute raisonnable » – d’un scepticisme « universel » – toutes choses seraient inconnaissables – qu’il rejette.



ANNE-ISABELLE BOUTON-TOUBOULIC & CARLOS LÉVY

L’auteur examine une question qui n’a jusqu’à présent guère retenu l’attention, celle de la réception par le Moyen Âge d’un des loci où Augustin établit explicitement un lien entre scepticisme et incroyance. Il s’agit, en Ciu. Dei, V, 9, de la critique de la position antifataliste de Cicéron, lequel reprend dans le De fato la critique anti-stoïcienne de la divination par Carnéade ; Anna Maria Ioppolo a souligné dans sa contribution que Carnéade refuse d’attribuer même à Apollon la « connaissance des futurs contingents », et Christophe Grellard montre à son tour dans un premier temps comment Augustin récuse précisément la thèse de la négation de la prescience divine, en l’assimilant à une position de négation de la nature divine, qu’il attribue à l’Académicien Cotta dans le De natura deorum, pour la réduire à une forme d’incroyance. Dans un second temps, il s’interroge sur la réception de cette polémique augustinienne au Moyen Âge. Or, il s’avère qu’elle ne trouva d’écho que chez Jean de Salisbury, d’une part dans l’Entheticus de dogmate philosophorum, poème didactique rédigé vers 1150, d’autre part, dans le Policraticus (1159). Christophe Grellard analyse la réponse de Jean, en montrant comment elle correspond à une forme de scepticisme, entendu comme offrant la possibilité toujours ouverte d’une enquête sur des sujets non évidents, y compris ceux qui relèvent de questions théologiques, telles que celles du hasard, du libre arbitre et de la Providence. Jean s’efforce de faire prévaloir ce point de vue dans la solution qu’il propose, pour défendre jusqu’au bout l’idée de liberté humaine face à la prescience divine. Cette « recherche du probable » s’achève cependant sur une reconnaissance des limites de la raison humaine, et conduit à une profession d’humilité. Enfin, Alice Lamy nous invite à l’étude d’une figure singulière, peu étudiée relativement à la question du scepticisme, et qui marque la transition entre le Moyen Âge tardif et le premier humanisme (« L’amour consciencieux de la créature pour Dieu. Héritages anciens et postérité doctrinale du scepticisme de Jean Gerson  »). Jean Gerson, qui fut chancelier de l’Université de Paris, représente une figure théologique centrale dans la période d’incertitude du Grand Schisme d’Occident (1378‑1417). Alice Lamy examine la genèse, les sources et les influences de la notion de certitudo moralis élaborée par Gerson, afin de définir la place de ce dernier dans l’histoire du scepticisme. Jean Gerson fut sans doute influencé par l’interprétation que Jean de Salisbury donna d’Augustin et de Cicéron. La certitudo moralis, comme son nom l’indique, ne vise pas tant à répondre à des difficultés d’ordre épistémologique, qu’à venir en aide aux affres de la conscience humaine  ; influencé par Jean Buridan et Pierre d’Ailly, Gerson élabore à propos de la question



Préface

du contingent une « certitude probable » qui ne peut prétendre à l’infaillibilité du vrai. Gerson récuse ainsi la scrupulosité excessive, critique qui rejoint peu ou prou celle de l’apraxie néocadémicienne. Alice Lamy examine ensuite l’illustration de cette certitudo moralis dans l’éthique marchande, une forme de « morale de l’expérience » qui manifeste la « pensée sceptique » de Gerson. Enfin, elle étudie de façon nouvelle la postérité doctrinale de cette certitudo, d’une part chez Johannes Nider, un dominicain allemand contemporain, proche de Gerson, qu’il cite en cherchant à définir la conscience, le doute, le scrupule (dans son Consolatorium timoratae conscientiae) ; d’autre part, deux siècles plus tard, dans le contexte de la casuistique jésuite, chez le théologien anglais Anthony Terill (1623‑1679), promoteur d’un probabilisme moral. Ainsi, conclut Alice Lamy, sans vouloir supprimer l’idée de risque inhérent au statut de créature, Gerson défend l’idée de choix moraux que l’homme peut réaliser dans la sérénité.



LA CRITIQUE DE CARNÉADE SUR LA DIVINATION Anna Maria Ioppolo

Dans le De diuinatione de Cicéron, Quintus, porte-parole de la doctrine stoïcienne de la divination, s’exclame : « Que Carnéade cesse donc de railler (comme le faisait d’ailleurs Panétius) demandant si Jupiter avait ordonné que le cri de la corneille se fît entendre à gauche, celui du corbeau à droite  »1. Cette phrase exprime l’irritation des Stoïciens face aux critiques de Carnéade vis-à-vis de la théorie stoïcienne de la divination. Mais Carnéade avait argumenté contre tous les aspects du système philosophique stoïcien, de la gnoséologie à l’éthique et à la doctrine des dieux, et ne pouvait donc pas ne pas attaquer la doctrine stoïcienne de la divination. En effet, les Stoïciens attribuaient une grande importance à la divination qu’ils donnaient comme preuve de la loi de la causalité universelle, de la fatalité et de l’existence des dieux. Ils argumentaient de la divination à la fatalité et de la divination à l’existence des dieux. Chrysippe avait écrit deux livres sur la divination, un livre sur les oracles et un livre sur les rêves2. Et, en général, tous les maîtres stoïciens jusqu’à Posidonius, à la seule exception de Panétios de Rhodes, étaient de grands partisans de la divination3. Comme on sait, Carnéade, en contrefaisant Cicéron, Diu. I, 12 ; cf. 23. Cicéron, Diu. I, 6 (SVF, II 1187). 3 Ibid. : Panaetius, nec tamen ausus est negare uim esse diuinandi, sed dubitare se dixit. Cicéron, Luc. 107 : « Panétius […] dit qu’il doute d’une chose tenue pour très certaine par tous les philosophes de la même école sauf lui : la vérité des réponses faites par les haruspices, des auspices, des oracles, des songes, des prophéties. Panétius en cette matière suspend son jugement. » ; cf. aussi Diogène Laërce, Vit. VII, 149. Cicéron le cite comme un opposant de l’astrologie dans Diu. II, au point que l’on se demande si les argumentations antiastrologiques rapportées dans le iie livre doivent être attribuées à Carnéade ou à Panétios, voire à Cicéron lui-même. En faveur de la thèse selon laquelle la source est Carnéade, dont dépend aussi Panétios, cf. Ioppolo 2002. 1 2

Anna Maria Ioppolo

le célèbre dicton « s’il n’y avait pas eu de Chrysippe il n’y aurait pas eu de Stoa » transformé en « s’il n’y avait pas eu de Chrysippe il n’y aurait pas eu de Carnéade »4, déclarait ouvertement qu’il élaborait une stratégie dialectique visant à démolir la philosophie de Chrysippe. Dans cette communication, je ne traiterai ni de la critique de Carnéade contre l’astrologie, dont je me suis occupée amplement ailleurs, ni de la critique contre l’argument qui affirme l’existence des dieux à partir de la divination. Mon objectif est d’analyser la polémique de Carnéade contre la prétention stoïcienne selon laquelle la divination serait une τέχνη, en limitant l’examen des argumentations contre la théorie stoïcienne de la causalité et de la fatalité5 aux références strictement nécessaires à éclaircir l’argumentation de fond. Les sources principales d’informations sur cet aspect de la polémique de Carnéade sont le De divinatione et le De fato de Cicéron. Je prendrai donc en considération les paragraphes de ces deux œuvres qui renvoient certainement à Carnéade, soit parce qu’il y est cité explicitement, soit parce qu’ils représentent une critique directe contre les positions de Chrysippe. Le De divinatione, qui représente le témoignage le plus étendu de la critique de Carnéade, est structuré sur le schéma de la discussion des thèses contraires, comme le déclare Cicéron lui-même6 : dans le premier livre, Quintus, le frère de Cicéron, présente la doctrine stoïcienne de la divination et, dans le deuxième, Cicéron lui-même, qui joue le rôle des Académiciens sceptiques, la réfute7. Chrysippe définissait la divination comme «  la faculté (uim) de connaître, d’observer, d’expliquer les signes que les dieux montrent aux hommes ». Et il expliquait que « le devoir de la divination est de prévoir (praenoscere) quelles dispositions ont les dieux envers les hommes, Cf. Diogène Laërce, Vit. VII, 183 ; IV, 62. J’ai traité ces thèmes dans Ioppolo 2002 et 2007. 6 Diu. I, 7 : ut diligenter etiam atque etiam argumenta cum argumentis comparemus. 7 On se demande à qui appartient la critique contre la divination du deuxième livre, étant donné que la doctrine de la divination du premier livre contient aussi des aspects et des arguments propres à Posidonios auquel, pour des raisons chronologiques évidentes, Carnéade n’aurait pas pu répliquer. Le De diuinatione se réfère à une phase du développement de la Stoa qui va jusqu’à Posidonios, lequel était un défenseur acharné de la mantique et de l’astrologie. On ne doit pas non plus négliger le fait que Cicéron a réélaboré la critique de manière personnelle comme l’attestent ses souvenirs, les anecdotes et les histoires tirées de l’anecdotique romaine qu’il a insérés dans son traité. Schofield 1986, 52, observe : « this deluge of examples permits Cicero to indulge his skill as a story teller […] The reader may be forgiven for feeling sometimes that the real point of Diu. I is simply that it gives him the opportunity to do so ». 4 5



La critique de Carnéade sur la divination

de quoi ils les avertissent par ces signes, de quelle manière on peut remédier aux mauvais présages et les expier (quemadmodum procurentur ac expientur) »8. Il démontrait la foi absolue en la divination en recourant à la doctrine de la providence divine et en expliquant que les dieux, étant infiniment bons, ne pouvaient pas refuser aux hommes un don aussi précieux que la mantique. « Si les dieux n’existent pas, il n’existe pas non plus la divination (μαντική), qui est la science (ἐπιστήμη) qui observe et interprète les signes que les dieux fournissent aux hommes. N’existent plus non plus l’inspiration, l’astrologie, la divination, la prédication onirique, mais il est absurde de supprimer un aussi grand nombre de choses dans lesquelles tous les hommes croient et donc les dieux existent  »9. L’appel au consensus omnium a surtout une valeur rhétorique puisque ce ne sont pas seulement les Académiciens sceptiques mais aussi les Épicuriens qui niaient la divination10. Néanmoins, Chrysippe soutenait que la divination pouvait être démontrée aussi bien logiquement en faisant appel aux κοιναὶ ἔννοιαι et à la doctrine de la πρόνοια, qu’empiriquement en se fondant sur l’évidence des succès des prédictions des devins. Cicéron déclare dès le début du premier livre du De diuinatione sur quel allié il s’appuie pour réfuter la doctrine stoïcienne, en affirmant « je me demande en effet quel jugement il convient de porter sur la divination, prenant en considération de nombreux et subtils arguments avancés par Carnéade contre les Stoïciens  »11. Et, ponctuellement, dans le deuxième livre, il introduit l’objection de fond que Carnéade adressait contre la théorie stoïcienne (me mouet illud quod in primis Carneades quaerere solebat). Nous savons par Diogène Laërce que Chrysippe définissait la divination un art, une τέχνη, sur la base de l’évidence du succès 8 Ibid. II, 130 (SVF, II 1189) : uim cognoscentem et uidentem et explicantem, quae a dis hominibus portendantur ; officium autem esse eius praenoscere, dei erga homines mente qua sint quidque significent, quemadmodumque ea procurentur atque explicentur. Sextus Empiricus, Adu. Math. IX, 132 (SVF, II 1018) : « science qui observe et explique les signes que les dieux envoient aux hommes ». 9 Sextus Empiricus, Adu. Math. IX, 132 : ἄτοπον δέ γε τοσοῦτο πλῆθος πραγμάτων ἀναιρεῖν πεπιστευμένων ἤδη παρὰ πᾶσιν ἀνθρώποις. A travers cette expression, les Stoïciens entendaient se référer aux κοιναὶ ἔννοιαι, comme le souligne Obbink 1992,  212 n. 64. 10 Cf. Diogène Laërce, Vit. X, 135 (Epicur. fr. 395 Us.) ; Cicéron, Diu. I, 5 : « seul Xénophane de Colophon, tout en affirmant l’existence des dieux, a entièrement rejeté la divination, les autres, à l’exception d’Épicure qui, sur la nature des dieux, ne dit que des pauvretés, l’ont admis » ; cf. I, 87 : « Seul Épicure est d’un avis différent ». Pour la critique philosophique des Épicuriens, cf. Nat. deor. I, 55‑56. 11 Diu. I, 7 : etenim nobismet ipsis quaerentibus quid sit de diuinatione iudicandum, quod a Carneade multa acute et copiose contra Stoicos disputata sint.



Anna Maria Ioppolo

des résultats (διά τινας ἐκβάσεις)12. Les Stoïciens définissaient, en général, la τέχνη comme « un système de compréhensions exercées en même temps pour une finalité utile »13. La technique se distingue de la science à cause de la solidité et de l’immuabilité des καταλήψεις qui, chez le sage, sont stables et inébranlables puisque l’hégémonique du sage est qualifié par la science. Dans ce sens, la science n’est le propre que du sage qui, pour les Stoïciens, est aussi le seul devin véritable14. La technique procède systématiquement avec méthode parce qu’elle se fonde sur un système de compréhensions, ou, plus exactement, de « théorèmes ». Les Stoïciens définissaient la divination comme « la prédiction et le pressentiment des choses que l’on considère comme l’effet du hasard »15. Puisque c’est une technique, la divination tire ses théorèmes ou principes par induction de la régularité constante de conjonctions entre des signes déterminés et des événements déterminés. Elle interprète donc par conjecture les faits nouveaux sur la base de liens empiriques avec les faits du passé, et non pas sur la base de liens logiques16. En effet, ce sont les succès passés obtenus par la divination qui fournissent les raisons de l’attente de succès futurs.

Cf.  Diogène Laërce, Vit. VII, 149 (SVF, II 1191)  : καὶ αὐτὴν καὶ τέχνην ἀποφαίνουσι διά τινας ἐκβάσεις. 13 Cf.  Philon, De congressu erud. gratia 141, vol.  III, 105,  5 Wendland (SVF, II 95), qui distingue la τέχνη de l’ἐπιστήμη sur la base de la nature des καταλήψεις qui, chez le sage, sont solides et inébranlables à cause de la qualité de l’hégémonique. Chrysippe modifie la définition que Zénon donne de la représentation comme τύπωσις parce que si la représentation est une empreinte, la mémoire et les techniques seraient éliminées, cf.  Sextus Empiricus, Adu.  Math. VII, 373. A  leur tour, les Stoïciens reprochent aux Académiciens sceptiques de détruire les arts, puisqu’ils veulent démolir la représentation cataleptique (cf. Cicéron, Luc. 22). Sur la polémique stoïco-académique sur les arts, cf. Lévy 2009, 93‑106. 14 Stob. II, 67, 13 (SVF, III 654). 15 Diu. I, 9  : id est de diuinatione, quae est earum rerum quae fortuitae putantur praedictio atque praesensio. Dans II, 13, la définition est rapportée sans le putantur. On en a conclu que la définition de I, 9 appartiendrait à Posidonios, source du premier livre, lequel aurait introduit le putantur à l’appui du concept stoïcien de hasard pour mieux faire face à la critique de Carnéade. Toutefois, comme nous le verrons, Chrysippe avait déjà expliqué le « hasard » en utilisant les mêmes termes que Posidonios : c’est pourquoi, ce n’est pas sur la base de cet argument que l’on peut conclure que Cicéron ne disposait pas dans le deuxième livre d’une source appropriée pour réfuter la doctrine de la divination du premier livre, comme le supposent certains interprètes. 16 Cf. Diu. I, 34, où la divination artificielle est distincte de la divination naturelle : Est enim ars in iis, qui nouas res coniectura persequuntur, ueteres obseruatione didicerunt. Carent autem arte ii qui non ratione aut coniectura obseruatis ac notatis signis, sed concitatione quadam animi aut soluto liberoque motu futura praesentiunt, quod et somniantibus saepe contingit et non numquam uaticinantibus per furorem. 12



La critique de Carnéade sur la divination

Si la divination est une τέχνη – objecte Carnéade –, elle doit avoir son propre domaine de compétence et son propre objet. Mais à quels objets se réfère la divination ? Ce ne sont pas les choses que l’on perçoit par les sens parce que les objets sensibles ne constituent pas l’objet de la divination mais des sens. Encore moins les objets des arts, comme la médecine ou la musique, parce qu’au chevet d’un malade on n’appelle pas un devin mais un médecin et pour enseigner à jouer de la cithare ou de la flûte on appelle un musicien et non pas un haruspice. Le même raisonnement s’étend aux autres disciplines, de l’astronomie aux mathématiques, à la philosophie, à la politique. Puisqu’il n’existe donc aucune capacité divinatoire ni au sujet des choses sensibles ni de celles du ressort des différentes techniques, ni de celles de la philosophie – qu’elles concernent l’éthique ou la logique – ou de celles de la politique, quel est l’objet de la divination ? Ou bien il concerne la totalité du savoir, mais le raisonnement nous a montré qu’il n’en est pas ainsi ou bien on ne parvient pas à trouver un domaine qui se réfère à sa compétence17. Il est intéressant de remarquer que Carnéade annule la prétention de la divination à être une τέχνη, en suivant le même procédé dialectique adopté par Platon dans le Gorgias. A Gorgias qui soutient que l’objet de son art ce sont « les discours », Socrate réplique que ceux-ci ne constituent pas l’objet propre à la rhétorique puisque toutes les techniques ont comme objet les discours qui se rapportent à leur domaine de compétence18. Le fait que Cicéron soit en train de rapporter jusqu’ici la critique de Carnéade contre la prétention stoïcienne selon laquelle la divination est un art, est également confirmé par d’autres indices. L’avertissement conclusif «  prends-y donc garde, même si je t’accordais, ce que je ne ferai jamais, que la divination est possible  »19 rappelle l’avertissement que lance Carnéade à Chrysippe dans le De fato à propos des théorèmes astrologiques : « Veille, Chrysippe », de même que la citation ironique du proverbe qui affirme « qui prévoira bien, je le nommerai le meilleur devin »20 sied bien à l’attitude souvent moqueuse de Carnéade à l’égard des subtilités dialectiques de Chrysippe21. En effet, étant donné que la Cf. Diu. II, 9‑12. Cf. Platon, Gorgias 449e. Bien entendu, on peut ne pas partager la légitimité et la validité de la réfutation de Socrate, cf. Ioppolo 1985, 160. 19 Diu. II, 131 : Vide igitur ne, etiamsi diuinationem tibi esse concessero, quod numquam faciam. 20 Diu. II, 12 : Vide igitur, ne nulla sit diuinatio, cf. De fato, 12. 21 Cf. l’ironie de Carnéade à propos de la réponse de Chrysippe au sophisme du sorite in Cicéron, Luc. 93. 17 18



Anna Maria Ioppolo

divination n’a pas d’objet propre, mais que tous les experts dans les arts conjecturent sur leur art, le meilleur devin est celui qui sait conjecturer mieux que l’expert sur le développement des événements futurs, mieux que le médecin sur la maladie ou mieux qu’un général sur la guerre. Mais les Stoïciens insistent sur le fait que la divination est un savoir technique parce que, comme les autres techniques, elle se fonde sur des « conjectures ». La divination ne diffère donc pas des autres techniques comme la médecine, la météorologie, l’agronomie qui, bien qu’ignorant les causes, sont en mesure de prévoir avec une certaine approximation qu’étant donné un certain signe un événement déterminé se produira. Déjà dans le premier livre, Quintus, porte-parole de la doctrine stoïcienne, avait rapproché la divination artificielle de la science, c’est-àdire « des phénomènes qui, bien qu’appartenant à un genre différent, sont toutefois proches de la divination  »22. En effet, les Stoïciens distinguaient la prophétie de la prévision purement humaine, comme par exemple celle de la météorologie qui prévoit des phénomènes qui auront lieu pour des causes naturelles. Ils ne soutenaient donc pas que prévoir, sur la base de certains indices, l’imminence des vents ou des pluies, bien que de tels événements soient fortuits, pût être ramené à la divination23. Les événements que les devins prévoient sont ceux qui peuvent être prévus sur la base de l’observation d’une série de régularités constantes fondées sur la « répétabilité » des faits, mais qui sont considérés imprévisibles sur la base des liens causaux. Je ne demande pas non plus pourquoi (cur), puisque je comprends ce qui advient (quid eueniat intellego). […] Il me suffit que la chose soit, bien que j’en ignore la raison (cur quidque fiat)24.

A l’appui de leur thèse, les Stoïciens se servaient d’une analogie très efficace entre la divination et un phénomène indiscutable comme celui que l’aimant exerce sur le fer, qui ne peut être nié bien qu’on ne sache pas en expliquer les causes25. Contrairement aux autres arts qui conjecturent soit par la technique (arte) soit par le raisonnement (ratione) soit par l’expérience (usu) soit par l’hypothèse (coniectura), il ne reste donc à la divination – objecte Carnéade – rien d’autre que « la prophétie des Cf. Diu. I, 13. Cf. Diu. I, 111. 24 Ibid., I, 15‑16 : non quaero cur, quoniam, quid eueniat, intellego. 25 Cf. Diu. I, 86. 22 23



La critique de Carnéade sur la divination

événements fortuits que nulle science, nulle sagesse ne permettent de prévoir »26. Les res fortuitae sont justement les choses dont on ignore les causes et qui ne dépendent que du hasard (quae in fortuna positae sunt)27. Mais Carnéade conteste le fait que les res fortuitae puissent être l’objet de la divination et il insiste : Qu’entendez-vous donc quand vous dites qu’une chose est arrivée par hasard, par fortune, par accident, par événement, si ce n’est qu’elle aurait pu arriver ou ne pas arriver, ou arriver autrement  ? Or comment peut-on prévoir et prédire ce qui n’est dû qu’à la fortune capricieuse ou à l’aveugle hasard ? […] Peut‑on prévoir qu’une chose arrivera, lorsqu’il n’existe aucune cause assignable pour qu’elle arrive28 ?

Pour comprendre la position stoïcienne, il est nécessaire de rappeler au préalable que Chrysippe entendait la notion de hasard dans un sens très particulier : ce que nous appelons « hasard » n’est autre que la cause cachée à l’esprit humain, étant donné « qu’il n’existe aucun mouvement sans cause »29. De son côté, Carnéade pouvait répliquer aisément que nier l’existence du hasard et dire que tout se produit par décret du hasard implique de graves conséquences. En premier lieu, la nécessité de changer la définition de la divination comme « le pressentiment des choses fortuites », laquelle ne peut plus être maintenue30. Du reste, « si tout a lieu par décret du hasard à quoi me sert la divination ? »31. Bref, ou bien le hasard existe et l’avenir ne peut être prévu, ou bien si tout se produit par l’œuvre du hasard, la divination, qui est la prévision des événements fortuits, ne subsiste pas. En outre, si Chrysippe s’obstine à maintenir l’interdépendance étroite entre le hasard et la divination, il doit aban26 Ibid., II, 14 : Quae est igitur aut ubi uersatur fortuitarum rerum praesensio, quam diuinationem uocas ? Quae enim praesentiri aut arte aut ratione aut usu aut coniectura possunt, ea non diuinis tribuenda putas, sed peritis. Ita relinquitur ut ea fortuita diuinari possint quae nulla nec arte nec sapientia prouideri possunt. 27 Ibid. 28 Diu. II, 15 : Potestne igitur earum rerum, quae nihil habent rationis quare futurae sint, esse ulla praesensio ? Quid est enim aliud fors, quid fortuna, quid casus, quid euentus, nisi cum sic aliquid cecidit, sic euenit, ut uel aliter cadere atque euenire potuerit ? Quomodo ergo id quod temere fit, caeco casu et uolubilitate fortunae, praesentiri et praedici potest ? ; 17 : Qui potest prouideri quicquam futurum esse quod neque causam habet ullam neque notam cur futurum sit ?. 29 Aetius, Plac. I, 29, 7 (SVF, II 996) : τὸ γὰρ ἀναίτιον ὅλως ἀνύπαρκτον εἶναι καὶ τὸ αὐτόματον. 30 Diu. II, 19. 31 Ibid., 20.



Anna Maria Ioppolo

donner la prétention selon laquelle les hommes peuvent s’autodéterminer, comme le prétend Chrysippe lui-même32. Pour défendre le concept stoïcien de hasard, Chrysippe avait à maintes reprises eu recours à de nombreux exemples. En particulier, il avait attaqué la position de certains philosophes indéterministes qui soutenaient les mouvements spontanés de l’âme, en les accusant de forcer la nature33. Dans ce but, il recourait à l’exemple du dé et du fléau de la balance : dont les chutes ou les inclinations, tantôt d’un côté, tantôt de l’autre, ne se font pas sans quelque cause ou différenciation (ἄνευ τινὸς αἰτίας καὶ διαφορᾶς), soit qu’elle les affecte totalement elles‑mêmes, soit qu’elle porte sur ce qui leur est extérieur (ἢ περὶ αὐτὰ πάντως ἢ περὶ τὰ ἔξωθεν γινομένης). Car, d’une façon générale, l’absence de cause est contraire à la réalité comme l’est le hasard et dans ces prétendues facultés adventices imaginées par certains, il y a des causes cachées (αἰτίας ἀδήλους), qui interviennent en sous-main en dirigeant notre impulsion d’un coté ou de l’autre sans que nous nous en apercevions (trad. Babut)34.

L’analogie entre la chute du dé et l’inclinaison de la balance et les impulsions de l’âme dans un sens ou dans l’autre montre comment les mouvements ne sont pas déterminés uniquement par des facteurs causaux internes mais aussi par le concours des circonstances externes, bien que ces facteurs multiples échappent à notre observation35. C’est justement en tant que causes ἄδηλοι, obscures, qu’ils provoquent des résultats différents dans le comportement des dés et des balances. De même, ce sont des causes obscures qui œuvrent et dirigent nos impulsions dans un sens ou dans l’autre. Or, selon la théorie causale de Chrysippe, les événements que les devins prévoient ne sont pas prévisibles par le moyen de liens causaux, 32 Cf. De fato 11, et Long 1982, 170 sq. Cf. aussi Sextus Empiricus, Adu. Math. V, 5 ; Plotin, Enn. III, 1, 5 et Augustin, De ciu. Dei V, 191, 25‑34. 33 J’ai commenté en détail ce texte dans Ioppolo 2012, 197‑222. 34 Plutarque, De Stoic. rep. 23, 1045Β-C : Πρὸς τούτους ὁ Χρύσιππος ἀντιλέγων, ὡς βιαζομένους τῷ ἀναιτίῳ τὴν φύσιν, ἐν πολλοῖς παρατίθησι τὸν ἀστραγάλον καὶ τὸν ζυγὸν καὶ πολλὰ τῶν μὴ δυναμένων ἄλλοτ’ ἄλλας λαμβάνειν πτώσεις καὶ ῥοπὰς ἄνευ τινὸς αἰτίας καὶ διαφορᾶς ἢ περὶ αὐτὰ πάντως ἢ περὶ τὰ ἔξωθεν γινομένης· τὸ γὰρ ἀναίτιον ὅλως ἀνύπαρκτον εἶναι καὶ τὸ αὐτόματον. Ἐν δὲ ταῖς πλαττομέναις ὐπ’ ἐνίων καὶ λεγομέναις ταύταις ἐπελεύσεσιν αἰτίας ἀδήλους ὑποτρέχειν καὶ λανθάνειν ἡμᾶς ἐπὶ θάτερα τὴν ὁρμὴν ἀγούσας. Et Plutarque conclut : Ταῦτα μὲν οὖν ἐν τοῖς γνωριμωτάτοις ἐστὶ τῶν ὑπ’ αὐτοῦ πολλάκις εἰρημένων. 35 L’exemple reprend l’exemple plus célèbre du cylindre et du cône qui est présenté par Cicéron dans le De fato (41‑43) : cf. Ioppolo 1994, 4511‑4523.



La critique de Carnéade sur la divination

justement parce qu’ils impliquent différentes influences qui incluent les actions et les décisions humaines36. Pour cette raison, ils appartiennent à la catégorie des res fortuitae, dont les causes échappent au contrôle humain. Du reste, le fait que Chrysippe soutînt la théorie causale selon laquelle des effets différents requièrent des causes différentes37, est confirmé dans la théorie des climats rapportée par Cicéron dans le De fato. Dans le contexte d’une discussion sur la contagio rerum dans laquelle il avait traité, dans la partie désormais perdue, de la position de Posidonius, il expose également l’opinion de Chrysippe qui pose un lien causal entre la nature du lieu et les propensions naturelles et psychiques des habitants sur la base de la doctrine de la sympathie universelle, de la contagio rerum. Chrysippe affirmait que les différences entre les natures des lieux impliquent des différences dans les prédispositions naturelles des hommes au point que l’air subtil fait en sorte que les habitants de l’Attique sont plus fins que les habitants de Thèbes où l’air est épais38. Et il concluait en observant que les différences entre les natures des hommes « telles que certains aiment ce qui est doux, d’autres ce qui a un peu d’amertume, certains sont voluptueux, d’autres colériques, ou cruels, ou présomptueux » dérivent de causes différentes39. L’affirmation de Chrysippe selon laquelle les différentes natures des hommes doivent être ramenées à des causes différentes parmi lesquelles l’influence des astres se fonde sur la conception du cosmos selon laquelle les parties agissent de manière dynamique les unes sur les autres. Le lien de sympathie explique comment à une action dans n’importe quelle partie du cosmos correspond une réaction dans une partie même très lointaine. En effet, le cosmos est un corps unitaire constitué non pas d’éléments adjacents, mais unifié par une seule ἕξις comme le sont les corps formés sur la base de l’unification40. Il reste uni par le mouvement tensionnel du pneuma qui se meut Cf. Bobzien 1998, 175. Cf. Bobzien 1998, 41. 38 Cicéron, De fato 7 : « Athènes jouit d’un air subtil : c’est ce qui fait, croit-on, la finesse des Athéniens : il est épais à Thèbes, aussi les Thébains sont-ils gras et forts. Ce n’est pourtant pas cet air subtil qui fera de quelqu’un l’auditeur de Zénon au lieu d’en faire celui d’Arcésilas ou encore de Théophraste. » (trad. Yon). 39 Ibid., 8 : « Mais pourtant, puisqu’il y a dans les tempéraments des différences qui font que les uns aiment ce qui est sucré, d’autres ce qui est amer ; que les uns sont sensuels, d’autres emportés, ou cruels, ou orgueilleux, d’autres éloignés de ces vices  ; puisque, dit-il, il y a tant de distance d’une nature à l’autre, quoi d’étonnant que ces dissemblances proviennent des causes différentes ? (quid mirum est has dissimilitudines ex differentibus causis esse factas) ? » (trad. Yon). 40 Sextus Empiricus, Adu. Math IX, 78 ; 80. 36 37



Anna Maria Ioppolo

simultanément vers l’intérieur et vers l’extérieur en maintenant ensemble toute chose dans laquelle il est présent, puisque c’est un mouvement de lui-même vers lui-même41. Cela signifie que le pneuma ne se meut pas avec un mouvement de translation mais avec un mouvement qui est la propagation d’un état de tension en un medium continuel42. C’est donc la sympathie universelle qui, en vertu de la tension que le pneuma transmet aux corps, rend contigus non seulement et nécessairement des corps en contact entre eux, mais aussi des corps distants les uns des autres43. C’est ce qu’atteste, par exemple, le phénomène des marées dont les flux et les reflux sont déterminés par la lune qui montre comment il existe une affinité naturelle entre des choses distantes entre elles44. Dans le De diuinatione, Carnéade conteste le fait que l’on puisse ramener à la sympathie universelle la relation d’un certain signe et la prédiction d’un événement déterminé qui ne soit pas le fruit de quelque lien causal direct : Par quelle affinité naturelle, par quel concert, par quel secret accord, et, pour parler comme les Grecs, par quelle sympathie les fissures de ce foie se rapportent-elles à mes petits profits, et ces profits au ciel, à la terre, à l’univers entier45 ?

Chrysippe, Antipater, Posidonius doivent avoir honte lorsqu’ils soutiennent qu’une force consciente et divine répandue dans tout l’univers guide dans le choix de la victime, car le choix est dû à un facteur fortuit, comme les faits eux-mêmes le démontrent46. Et on ne peut se justifier en ramenant la divination à l’observation constante sur la base de laquelle au signum A a toujours correspondu l’eventus B, en expliquant que l’important est ce qui s’est produit et non la raison de ce qui s’est produit :

Cf. SVF, II 442 ; 450‑3 et Sambursky 1959, 29 s. Cf. Sambursky 1959, ibid. 43 Cf.  Alexandre d’Aphrodise, De mixtione 223, 34‑6 Bruns (SVF, II 441). Les critiques ne partagent pas tous le fait que le concept de συμπάθεια soit présent dans le stoïcisme ancien, mais ce dernier joue un rôle important dans l’explication du fonctionnement du pneuma comme facteur de cohésion du cosmos ; cf. Todd 1976, 188 et 216‑7. Cf. aussi Lapidge 1989, 1383‑1384. 44 Cicéron, Diu. II, 34. 45 Ibid. 46 Cf. Diu. II 35‑36. 41 42



La critique de Carnéade sur la divination

« comme s’il était digne d’un philosophe de ne pas rechercher la cause pour laquelle une chose a lieu ! »47. Nous savons grâce à Diogénien que Chrysippe, en se servant de l’existence du destin pour affirmer la divination, soutenait dans le Περὶ Εἱμαρμένης que « les prédictions des devins ne pourraient pas être vraies si tout n’était pas embrassé par le destin »48. Toutefois, bien que centrant son argumentation en faveur de la divination sur le postulat du déterminisme, il n’expliquait pas l’existence de la divination par le moyen du déterminisme, mais utilisait ce dernier comme un argument favorable. Du reste, bien que tout soit réglé par la loi inviolable du destin, cela n’implique pas que le futur de l’univers doive nécessairement être prévisible par l’esprit humain49. En effet, le nombre de variables impliquées peut dépasser les capacités humaines de calcul. Ce n’est pas un hasard si Chrysippe insiste sur la constatation selon laquelle les prophéties des devins ont du succès parce qu’elles dérivent de l’observation constante de liens inaltérables dans la nature, tels qu’un signe A est toujours suivi d’un événement B et qu’un signe A1 d’un événement B1 et ainsi de suite, au point qu’en observant le signe A2 on peut prédire par conséquent que l’événement B2 se produira. L’art divinatoire s’est constitué à partir de la nuit des temps après que, suite à une longue observation et à la manifestation de certains présages, il se produisait toujours des événements identiques50. Du reste, « le monde a été formé dès l’origine de façon qu’à tel événement déterminé tel signe servît de présage annonciateur, qu’il faille le chercher dans les entrailles, dans le vol des oiseaux, dans les fulgurations, dans les prodiges, dans les astres […] Quand on a bien observé ces signes, on ne se trompe pas souvent, et quand la conjecture qu’ils inspirent est fausse et l’interprétation défectueuse, l’erreur ne vient pas d’eux, c’est à l’ignorance des interprètes qu’elle est imputable »51. Donc, les devins, « s’ils Cf. ibid. II, 46. Le destin se manifeste suivant une loi selon laquelle tout événement est déterminé par un événement précédent qui en est la cause et est, à son tour, la cause d’un événement qui le suit. « C’est ainsi qu’il n’est rien arrivé qui ne dût arriver, et qu’il n’arrivera rien dont la nature ne contienne déjà les causes efficientes » (Diu. I, 125) ; cf. SVF, II 913. 49 Cf. Hankinson 1988, 139. 50 Cf. Diu. I, 25 ; 109 : quae enim extis, quae fulgoribus, quae portentis, quae astris praesentiuntur, haec notata sunt obseruatione diuturna ; cf. aussi 127. 51 Ibid., 118 : Ita a principio inchoatum esse mundum, ut certis rebus certa signa praecurrerent, alia in extis, alia in auibus, alia in fulgoribus, alia in ostentis, alia in stellis, alia in somniantium uisis, alia in furentium uocibus. Ea quibus bene percepta sunt, ii non saepe falluntur ; male coniecta maleque interpretata falsa sunt non rerum uitio, sed interpretum inscientia. 47 48



Anna Maria Ioppolo

n’aperçoivent pas les causes elles-mêmes, aperçoivent du moins les signes, les indices qui en manifestent la présence (signa causarum et notas) »52. De manière cohérente avec cette conception de la divination, Chrysippe proposait une formulation des théorèmes astrologiques qui, bien qu’en en conservant la vérité, n’impliquait pas sa nécessité. Et c’est justement sur la structure logique des théorèmes divinatoires que Carnéade attaque la prétention de la divination à être une τέχνη, comme l’atteste Cicéron dans le De fato : En effet, s’il y a une divination, de quelles vérités d’expérience procèdet-elle ? J’appelle vérités d’expérience (percepta) ce qu’en grec on nomme théorèmes (θεωρήματα).

Comme exemple d’un théorème divinatoire, Cicéron choisit un théorème astrologique53 : « Si Fabius est né au lever de la Canicule, Fabius ne mourra pas dans la mer. »54. Il est impossible d’exposer ici la controverse complexe qui oppose Chrysippe et Diodore Cronos sur le possible dans laquelle Cicéron insère la discussion sur la vérité des théorèmes astrologiques, ou entrer dans le vif du problème logique ouvert par la solution proposée par Chrysippe. Qu’il suffise de dire que Chrysippe n’admet pas que le théorème astrologique soit exprimé par un conditionnel qui rattache l’antécédent au conséquent par un lien causal nécessaire. Il prétend que le théorème soit exprimé sous la forme d’une conjonction négative indéfinie : non pas de cette manière : « si quelqu’un est né au lever de la Canicule, il ne mourra pas dans la mer », mais plutôt : « il n’y a personne qui soit né au lever de la Canicule et qui doive mourir dans la mer »55.

En brisant le lien de nécessité entre l’antécédent et le conséquent du conditionnel, Chrysippe voulait nier le fait que la naissance au début Cicéron, Diu. I, 127. Je me suis déjà amplement attardée sur le fait que Chrysippe a traité d’astrologie dans son analyse des différenets branches de la divination, in Ioppolo 2002. 54 De fato 12  : Sint igitur astrologorum percepta huiusmodi  : si quis uerbi causa oriente Canicula natus est, in mari non morietur. Vigila, Chrysippe, ne tuam causam, in qua tibi cum Diodoro, ualente dialectico, magna luctatio est, deseras. […] Si Fabius oriente Canicula natus est in mari non morietur. 55 De fato 15. Cicéron ne peut s’empêcher de commenter : « Comme il en prend plaisamment à son aise  ! De peur d’abonder dans le sens de Diodore, il enseigne aux Chaldéens comment ils doivent formuler leurs notions ». 52 53



La critique de Carnéade sur la divination

de la Canicule soit la causa naturalis du fait que Fabius ne puisse pas mourir en mer. Mais il est tout aussi clair que Carnéade prétend l’obliger à admettre qu’il existe en revanche un lien nécessaire. Si la divination est une τέχνη, ses principes doivent expliquer le lien constant et la régularité qui rattachent certains signes à certains événements. La distinction entre causes et signes des événements permet à Chrysippe d’accueillir comme vrais les théorèmes divinatoires, car ils affirment des liens empiriques, mais ne lui permettent pas de leur attribuer une force de nécessité telle qu’elle puisse supprimer la possibilité de l’événement contraire56, car ils n’expriment pas de liens causaux. Mais s’il en est ainsi et donc si le signe ne révèle que l’événement et n’a rien à voir avec sa cause57, Carnéade attaque la prétention de la divination à être une τέχνη. Et c’est en revenant au De diuinatione que l’on peut compléter l’attaque de Carnéade contre les théorèmes de la mantique. L’ignorance des causes, l’accent mis sur la longue observation des faits et sur le succès des résultats sur lesquels se fonde la divination permettent à Carnéade d’utiliser jusqu’au fond la critique que dans le Gorgias Socrate avait adressée à la rhétorique en tant que ἐμπειρία, à savoir l’accusation d’être une contrefaçon de la technique, justement parce qu’elle se limite à enquêter sur le « quoi » et non pas sur le « pourquoi », générant ainsi de la croyance58. Ayant comme objet les choses fortuites, la divination se prête aisément à être réfutée par l’argumentation de Platon qui oppose la rhétorique en tant que ἐμπειρία, fondée sur des procédés causaux, et la τέχνη comme connaissance des causes. Comme la rhétorique, la divination ne peut pas, elle non plus, expliquer la nature de son objet, ni encore moins de ses propres procédés. Elle se fonde sur le lien régulier entre les signes et les événements prédits mais ne sait rien dire au sujet du lien causal entre signe et événement signifié, bref, elle n’explique pas comment ni pourquoi certains signes sont les signes de certains événements59. 56 Donini 1974, 343, 349, remarque que les propositions de la mantique sur lesquelles, dès le début, est centrée la discussion, « Crisippo le accetta come vere, ma nega che la loro verità comporti la necessità ». Il cite à cet égard De fato 13 : neque necesse fuisse Cypselum […] et il fait observer que le cas de Cypselus est identique à celui de Fabius : « Cipselo avrebbe potuto non essere tiranno di Corinto nonostante l’esatta predizione dell’oracolo […] la predizione vera non svela alcuna causa naturale, e una predizione può essere intesa male ». 57 Cf. Cicéron, Diu. I, 127‑128. 58 Cf. Platon, Gorgias 465a. 59 Cicéron, Diu. II, 33 : Haec obseruari certe non potuerunt, ut supra docui. Sunt igitur artis inuenta, non uetustatis, si est ars ulla rerum incognitarum. Lévy 1997, 340, en commentant Diu. II, 33, remarque justement : « on n’a pas prêté suffisamment d’atten-



Anna Maria Ioppolo

Du reste, insiste Carnéade, « Si je demande à Chrysippe la cause de ces différents phénomènes, jamais ce grand défenseur de la divination ne les attribuera au hasard, mais il nous en donnera des explications naturelles. Rien ne peut se faire sans cause, et rien ne se fait qui ne puisse se faire »60. En effet, Chrysippe soutenait que les événements que les devins prévoient peuvent être causalement nécessaires, mais qu’ils sont épistémologiquement inconnaissables pour la capacité humaine qui n’est pas en mesure de parcourir toute la chaîne causale jusqu’à atteindre l’événement : seul l’esprit divin peut connaître le lien de toutes les causes alors qu’aux hommes n’est permise que la connaissance des signes61. L’apparition de la Canicule n’est pas la cause du climat, mais son signe62. Toutefois, les Stoïciens, en définissant le destin comme « l’ordre et la série des causes, tel que toute cause enchaînée à une autre qui la précède produit à son tour un effet », précisent que « rien n’aura lieu dont les causes destinées à produire justement cet effet ne soient pas déjà présentes dans la nature »63. Mais s’il en est ainsi, Carnéade ne concède pas aux Stoïciens le droit de traiter les signes divinatoires comme de simples signes. En effet, pour prédire un événement, il est nécessaire qu’il ait sa cause dans des causes naturelles placées avant, c’est-à-dire que la cause doit déjà exister ab aeterno, au point qu’il n’y a pas de différence entre la connaissance d’un événement passé et la prédiction d’un événement futur. Carnéade conteste qu’il existe des causes naturelles posées dès l’éternité, et donc nécessaires, qui ont déterminé l’événement. Ainsi, Apollon non plus n’aurait pu prédire le parricide d’Œdipe, étant donné que l’événement n’était pas prédisposé dans l’ordre naturel par une série de causes.

tion à une phrase par laquelle Cicéron critique l’haruspicine : les signes de celle-ci, dit-il, “ont été découverts en vertu d’une technique, et non en vertu d’une longue tradition d’observations, s’il existe une technique des choses inconnues” […] donc cette divination ne résulte pas comme les autres artes d’une série d’observations, elle crée elle-même son objet et elle est donc par rapport à une véritable ars dans la même situation que l’hallucination par rapport à la représentation d’un objet réel ». 60 Diu. II, 61. 61 Diu. I, 127. 62 Cf. ibid., 130. 63 Ibid., 125 : nihil est futurum cuius non causa id ipsum efficientes natura contineat. Les Stoïciens ajoutent que « de là naît la possibilité d’observer et de noter quel événement suit ordinairement, je n’oserais dire toujours, telle ou telle cause ».



La critique de Carnéade sur la divination

C’est en effet chose bien différente, qu’une cause naturelle détermine de toute éternité un futur vrai, ou que, même sans éternité naturelle, ce qui doit arriver puisse être conçu comme vrai. C’est pourquoi Carnéade disait qu’Apollon lui même ne pouvait prédire les événements à venir, sinon ceux dont les causes étaient contenues dans la nature, de telle sorte qu’ils devaient nécessairement arriver. […] Ainsi, même le passé, quand il n’a resté aucun signe qui en gardât la trace, n’était pas, à son avis, connu d’Apollon : encore moins l’avenir. Car c’était en définitive en connaissant les causes efficientes de chaque fait (causis enim efficientibus quamque rem cognitis), que l’on pouvait savoir par voie de conséquence64 ce qui devait arriver. Donc Apollon n’avait pu faire de prédiction sur Œdipe, aucune cause n’étant donnée d’avance dans la nature pour laquelle il fût nécessaire qu’il tuât son père, ni rien prédire de ce genre65.

L’ironie de Carnéade est particulièrement mordante parce qu’elle déclasse Apollon au rôle d’un devin qui n’a plus un objet sur lequel exercer son art. Puisque la connaissance des causes n’est le propre que de Dieu, alors qu’aux hommes n’est concédée que la connaissance des signes, puisqu’il n’existe pas de causes naturelles efficientes, il en existe encore moins les signes. Donc, non seulement Apollon ne pourrait pas connaître un événement passé dont il ne resterait pas de signes, mais encore moins pourrait-il prédire un événement futur dont les causes n’existent pas encore. Les Stoïciens – insiste Carnéade – devraient expliquer quelle cause contenait en elle-même l’efficience, en tant qu’insérée dans l’ordre naturel, si bien que Philoctète fut abandonné à Lemnos avant qu’il eût été effectivement mordu par le serpent66. Pour les Stoïciens, la cause du fait que Philoctète devait être abandonné sur l’île de Lemnos était contenue dans l’enchaînement fatal de toutes les causes selon une nécessité naturelle. C’est pourquoi, qu’un tel fait se serait produit était vrai dès l’éter Hamelin 1978, 33 : denique, par voie de conséquence. De fato 32‑33 : Multum enim differt, utrum causa naturalis ex aeternitate futura uera efficiat, an etiam sine aeternitate naturali, futura quae sint, ea uera esse possint intellegi. Itaque dicebat Carneades ne Apollinem quidem futura posse dicere nisi ea, quorum causas natura ita contineret, ut ea fieri necesse esset […] Ita ne praeterita quidem ea, quorum nulla signa tamquam uestigia extarent, Apollini nota esse censebat ; quanto minus futura, causis enim efficientibus quamque rem cognitis posse denique sciri quid futurum esset. Ergo nec de Oedipode potuisse Apollinem praedicere nullis in rerum natura causis praepositis, cur ab eo patrem interfici necesse esset, nec quicquam eius modi. Quid enim spectans deus ipse diceret Marcellum eum, qui ter consul fuit, in mari esse periturum ? Erat hoc quidem uerum ex aeternitate, sed causas id efficientis non habebat. 66 Cf. De fato 36‑37. 64 65



Anna Maria Ioppolo

nité parce que c’était établi dès l’éternité par des causes fatales. Carnéade réplique que c’est l’évaluation attentive de la blessure pestilentielle de Philoctète qui amène à la cause de la blessure, c’est-à-dire à la morsure du serpent, parce que c’est celle qui est la plus proche et la plus rattachée au résultat. Mais si la vraie cause est celle qui est propior et cum exitu iunctior, Carnéade démontre que l’abandon de Philoctète n’a trouvé sa cause qu’après que la morsure et la blessure se sont vérifiées, parce que ces deux événements sont aussi ceux qui sont les plus proches du résultat et qui y sont étroitement liés. Et ce n’est donc que post euentum que l’on connaît la cause, à savoir l’explication du fait que Philoctète a été abandonné par ses compagnons sur l’île de Lemnos. Carnéade oppose clairement aux causae naturales et antecedentes ­stoïciennes les causae fortuito antegressae : Carnéade descend à l’Académie ; et ce n’est pourtant pas sans cause (sine causis). Mais il y a une différence entre les causes accidentelles (inter causas fortuito antegressas) et les causes renfermant en elles-mêmes une efficacité naturelle (inter causas cohibentis in se efficientiam naturalem)67.

Ces dernières sont celles qui, à cause de l’enchaînement éternel de toutes les causes, se présentent dans la nature de manière telle qu’elles déterminent nécessairement les effets, alors que les causes fortuites ne sont pas inhérentes à l’ordre naturel et ne dépendent donc pas d’autres causes antérieures mais apparaissent de manière fortuite. Elles interviennent de manière imprévisible en rompant la trame nécessaire des événements, sans que leurs effets soient prédéterminés et donc nécessaires68. Puisque les causes fortuites ne sont pas inhérentes à la nature et à l’ordre du monde, elles ne peuvent donc pas être prévues à l’avance mais ne sont découvertes qu’a posteriori, post euentum. C’est l’événement lui-même, et non pas des causes posées auparavant, qui révèle la cause qui l’a déterminé. Mais s’il en est ainsi, la prétention stoïcienne selon laquelle la divination est un art est réfutée tant par ses principes, parce qu’il ne peut y avoir aucune prévision des événements qui n’ont aucune raison de se produire, que par son objet : « Il n’y a rien de plus opposé à la règle et à l’ordre que le hasard, et je doute que Dieu même sache ce qui arrivera fortuitement »69, même Apollon, le plus célèbre inspirateur d’oracles du monde de l’Antiquité ! De fato 19, cf. aussi 28. Ibid. 19 et 28 : fortuitae sunt causae quae efficiant ut uere dicatur. 69 Cf. Diu. II, 18‑19, qui montre un parallélisme étroit avec De fato 32‑33. 67 68



DE L’EPOCHÈ SCEPTIQUE À L’EPOCHÈ TRANSCENDANTALE : PHILON D’ALEXANDRIE FONDATEUR DU FIDÉISME Carlos Lévy

Je commencerai par quelque chose qui pourrait être amusant si cela ne démontrait encore une fois à quel point les catégories préétablies peuvent faire obstacle à la recherche, même et peut-être surtout dans les publications les plus prestigieuses. L’article « Skepticism and Fideism » de Terence Penelhum, paru dans The Skeptical Tradition, en 1983, article qui est considéré, dans le monde anglo-saxon en tout cas, comme une étude de référence sur la question, commence par une citation de Hume, tirée de ses Dialogues sur la religion naturelle : « Être un philosophe sceptique est, chez un homme de lettres, la première et la plus essentielle étape pour devenir un chrétien profond et fervent1. » Le personnage qui tient ce propos chez Hume s’appelle précisément Philon, ce qui aurait pu suggérer à Penelhum d’aller voir ce qu’il en était chez l’Alexandrin. Il n’en fut évidemment rien et on pourrait dire la même chose de l’article de S. Giocanti, Histoire du fidéisme, histoire du scepticisme, paru dans la Revue de synthèse en 19982 et consacré essentiellement à la critique de la position de Popkin, sur laquelle nous aurons à revenir. Quant à Popkin ipsissimus, il écrit ceci que je cite dans la traduction de Christine Hivet3  : «  Florissant jusqu’aux environs de 200 av. J.-C., date approximative de Sextus Empiricus, le mou1 D. Hume : « To be a philosophical Sceptic is, in a man of letters the first and most essential stop towards being a sound believing Christian  », cité par  Penelhum 1983, 319 et 1984. 2 Giocanti, 1998, 193‑210. 3 Popkin 1995, XI  : «  The Pyrrhonian movement flourished up to about 200 A.D., the approximate date of Sextus Empiricus, and flourished mainly in the Medical community around Alexandria is an antidote to the dogmatic theories, positive and negative, of the medical groups ».

Carlos Lévy

vement pyrrhonien fut surtout influent dans la communauté médicale d’Alexandrie, où il joua le rôle d’antidote face aux théories dogmatiques positives et négatives avancées par les autres écoles médicales », bel exemple de cécité face à une évidence, à savoir la présence à Alexandrie d’un Juif fervent, contemporain et utilisateur d’Énésidème, lequel, au ier siècle av. J.-C., donna au scepticisme antique sa forme définitive, celle-là même qui grâce à la médiation de Sextus Empiricus, devint une composante essentielle de la pensée occidentale. Or les conséquences de cet « oubli », sont évidemment bien fâcheuses. Je les résumerai, en fait, par une question : le fidéisme est-il, comme le veut la vulgate scientifique actuelle un phénomène défini chronologiquement et philosophiquement, par l’articulation, à une époque précise, la Renaissance et l’époque moderne, entre cette forme non unique de scepticisme, qu’est la pensée de Sextus Empiricus, et cette forme non unique de monothéisme qu’est le catholicisme, ou bien s’agit-il d’une articulation plus essentielle entre les monothéismes et les scepticismes dans leurs formes diverses ? Il n’est pas question de prétendre traiter ici tous les problèmes liés au fidéisme. Je vais partir d’une question qui, à ma connaissance n’a jamais été explorée, à savoir l’interrogation sur la pertinence de l’application du concept de fidéisme à Philon d’Alexandrie, premier témoin des tropes d’Énésidème, je ne me lasserai jamais de le répéter, et premier monothéiste à s’être intéressé au scepticisme, autrement dit à s’y être opposé et à en avoir fait usage tout à la fois, ce qui me paraît légitimer une étude attentive de sa position. C’est précisément ce que je me propose de faire ici. J’analyserai d’abord la construction du concept de fidéisme, avant de dire ce qui selon moi permet d’inclure Philon dans cette catégorie et de préciser ce qui fait sa singularité par rapport à d’autres penseurs catalogués comme fidéistes.

Le scepticisme antique et la religion Je ne m’attarderai pas ici sur l’attitude des Sceptiques anciens à l’égard de la religion, non que cela soit nécessairement sans rapport avec le sujet, mais parce que le cadre de cette étude ne me permet pas de pousser l’exploration en ce sens aussi loin que je le souhaiterais. Je m’arrêterai simplement sur un fragment où il nous est dit que la cité d’Elis, sa cité, nomma Pyrrhon au sacerdoce suprême et décida qu’en hommage à ce citoyen si peu contrariant tous les philosophes seraient désormais exemptés d’im-



DE L’EPOCHÈ SCEPTIQUE À L’EPOCHÈ TRANSCENDANTALE

pôts4. Pour un esprit contemporain, le fait que l’on nomme grand-prêtre quelqu’un qui niait l’existence même d’un sens du monde et qui prétendait se libérer de tout affect paraîtra passablement extravagant. Il faut cependant tenir compte de deux considérations, l’une générale, l’autre plus particulière à Pyrrhon lui-même. On peut dire, de manière globale, que dans le cadre de la cité antique, ce qui importait avant tout, c’était l’orthopraxie, autrement dit le fait d’accomplir des actes et de tenir des discours en conformité avec les croyances religieuses de la cité. Nul n’allait se préoccuper d’évaluer la profondeur de votre croyance ni même de savoir si vous en aviez une. A cela s’ajoute, dans le cas de Pyrrhon, le fait que sa doctrine de l’acceptation totalement passive du monde lui interdisait toute interrogation sur les dieux et la religion. En effet, selon lui, sur de tels sujets, comme sur tous les autres, il n’était possible que de tenir des discours contradictoires, de force égale, isosthéniques. En revanche, la cité était là, avec ses institutions, ses cultes, qu’il fallait accepter tels quels, l’essentiel étant d’éviter le trouble que pourrait semer dans l’esprit la mise en cause de ce qui existait. Pyrrhon devint donc grand-prêtre de sa cité, et il y a tout lieu de penser qu’il exerça cette fonction de manière exemplaire, se gardant bien de changer quoi que ce soit à la tradition dans laquelle il s’insérait, non qu’il la crût vraie, mais parce que la mettre en question eût ruiné cette apathie à laquelle il aspirait. Se révolter, prétendre remplacer un pouvoir par un autre, eût été une forme pratique de dogmatisme, tout aussi nuisible que le dogmatisme théorique. En ce qui concerne l’Académie d’Arcésilas, de Carnéade et de leurs successeurs immédiats, nous n’avons aucun témoignage qui permette d’affirmer que le culte des Muses ou d’Apollon y fût pratiqué, silence qui permet toutes les interprétations5. Le témoignage d’Épiphane faisant d’Arcésilas une sorte de premier fidéiste, puisqu’il aurait affirmé que la vérité appartenait à Dieu seul, est hautement suspect6, il n’a été pris en compte par personne, même si un élément plus sûr parmi les fragments, je veux parler du vers 42 des Travaux et des jours, que le scholarque aimait à répéter en le transformant, contient une forme de transcendance7. La Nouvelle Académie, 4 Antigon. ap. Diog. Laërce IX, 64 = Fragment 11 Decleva Caizzi 1981. Sur le pyrrhonisme dans sa relation au pouvoir et à la religion, voir Bett 2000, Lévy 2003, Perin 2010. 5 Sur le culte des Muses chez les philosophes, voir Boyancé 1937. Sur le problème général de la religion chez les philosophes grecs, voir Babut 1974. 6 Épiphane, frg. 15 Mette. 7 Le vers d’Hésiode, T. et J., v. 42 était : Κρύψαντες γὰρ ἔχουσι θεοὶ βίον ἀνθρώποισιν, mais Arcésilas remplaçait βίον par νόον. Sur le témoignage d’Épiphane, voir Lévy 1993, 148.



Carlos Lévy

née selon moi de l’exacerbation des virtualités sceptiques du platonisme dans le contexte des grands dogmatiques hellénistiques, introduisit une nouveauté importante par rapport à l’attitude de Pyrrhon. Elle applique à la question des dieux une dialectique serrée, dont il ne semble pas qu’elle ait existé avant elle. Nous en avons un témoignage très élaboré dans le De natura deorum de Cicéron. Dans le dernier livre, l’Académicien Cotta systématise les interrogations et les critiques qu’il a puisées dans son école, non sans avoir affirmé auparavant, ce qui ne semble pas avoir beaucoup intéressé les commentateurs8 : « Moi, j’ai toujours défendu ces vues et je les défendrai toujours. La croyance sur le culte des dieux immortels que j’ai reçue de mes ancêtres, jamais personne, savant ou ignorant, ne pourra par son discours me la faire abandonner. En fait, quand il s’agit de religion, mes maîtres sont Ti. Coruncanius, Publius Scipion, Publius Scévola, tous trois grands pontifes, et non Zénon ou Cléanthe ou Chrysippe. » L’attitude néoacadémicienne, telle qu’elle est en tout cas formulée par Cotta – et il est sûr que le problème réside dans l’identité romaine du locuteur – associe donc le doute intellectuel et l’orthopraxie : nous ne savons pas si les dieux existent, quels ils sont, s’ils gouvernent les hommes et s’ils s’occupent des hommes, mais cela ne doit pas détourner de la religion de la cité. Il y a là ce qu’on pourrait appeler un dogmatisme pratique de la tradition, s’articulant avec une attitude intellectuelle de remise en cause de tout dogmatisme intellectuel. Le néopyrrhonisme né d’une scission de la Nouvelle Académie, ne semble pas avoir divergé sur le fond de celle-ci en ce qui concerne la fidélité à la religion de la cité. La mise en évidence du caractère contradictoire des croyances et des dogmes n’empêche nullement les disciples d’Énésidème d’affirmer que le sceptique vivra en conformité avec les lois et les croyances religieuses de sa cité, car ce serait du dogmatisme que de prétendre par une décision intellectuelle renverser une réalité factuelle, qu’il suffit d’accueillir dans une sereine indifférence. On peut donc dire que le scepticisme païen antique, toutes orientations confondues, et sans pour autant négliger d’évidentes différences, se caractérise par une position dont la logique se définit par la prise en compte de deux réalités : d’une part le désaccord des êtres humains, et tout particulièrement des philosophes, sur l’existence des dieux, leur nature et leur pouvoir, d’autre part l’existence partout de lieux de culte et de Cicéron, DND III, 5 : ego uero eas defendam semper semperque defendi, nec me ex ea opinione, quam a maioribus accepi de cultu deorum inmortalium, ullius umquam oratio aut docti aut indocti mouebit. Sed cum de religione agitur, Ti. Coruncanium P. Scipionem P. Scaeuolam pontifices maximos, non Zenonem aut Cleanthen aut Chrysippum sequor. 8



DE L’EPOCHÈ SCEPTIQUE À L’EPOCHÈ TRANSCENDANTALE

pratiques liés à la religion, qu’il convient d’accepter sans prétendre prononcer à leur égard des jugements de vérité. Y a‑t-il là quelque chose qui pourrait être considéré comme une forme de pré-fidéisme ? Le concept même de fidéisme est actuellement si lié à un moment de l’histoire chrétienne que l’on hésite à poser cette question. Reste que, dès l’Antiquité, apparaît en milieu sceptique l’idée que, si les constructions conceptuelles de la théologie, comme toutes les autres, peuvent et doivent être critiquées, pour autant la religion, c’est-à-dire les pratiques religieuses, représentent un domaine face auquel la raison doit se taire. Il n’y a certes pas de foi, au sens que nous donnons à ce terme, ni dans le pyrrhonisme ni dans la Nouvelle Académie, mais l’acceptation par la raison de l’existence d’une sorte de domaine réservé, à propos duquel elle est invitée à admettre qu’elle n’a rien à dire. On peut même se demander si l’attitude religieuse traditionnelle n’est pas le paradigme sur lequel s’est construite l’attitude du sceptique, au moins dans la mouvance pyrrhonienne. Participer à la vie du monde sans pour autant s’y investir, définir une orthopraxie qui ne soit pas une orthodoxie, les ressemblances existent. Timon a exprimé cela dans des vers qui sont bien connus des spécialistes du pyr­ rhonisme, dans lesquels il compare son maître Pyrrhon à un dieu d’une sérénité absolue, promenant, tel le soleil, sur toute la terre la sphéricité d’un esprit que rien ne vient perturber. Dans le livre qu’il a consacré à la relation entre le scepticisme et le fidéisme, T. Penelhum a soigneusement distingué deux types : le fidéisme qu’il appelle « conformiste », celui d’Érasme, de Montaigne, de Bayle, caractérisé par l’importation du modèle sceptique de conformité aux apparences à l’intérieur de la foi chrétienne, et le fidéisme « évangélique », qu’il affirme être celui de Pascal et de Kierkegaard, lesquels ne font que puiser dans le scepticisme quelques arguments pour désespérer de la raison humaine9. Disons que le scepticisme antique a déjà fait preuve, ou semble avoir fait preuve, car nous ne possédons qu’une partie infime des textes, d’un conformisme à l’égard de la religion traditionnelle qui ne sera pas sans conséquence sur l’attitude d’un Montaigne dans son Apologie.

De quelques interprétations contemporaines Il est impossible s’agissant du fidéisme de ne pas évoquer l’œuvre de R. H. Popkin, qui a tant fait pour la diffusion de ce concept, défini par Pour la définition de ces deux orientations, voir Penelhum 1983, 14‑17.

9



Carlos Lévy

lui comme signifiant qu’il est impossible d’atteindre à aucune vérité indubitable sans le recours à au moins des éléments de la foi. La thèse centrale est, on le sait, que le nouveau scepticisme pyrrhonien est né de la crise théologique de la Réforme et que loin de se limiter au champ que prétendait lui assigner la Contre-Réforme, il s’est répandu dans d’autres domaines de la pensée. « En généralisant les tendances sceptiques implicites des crises religieuse, humaniste et scientifique pour en faire une crise pyrrhonienne absolue, l’aimable Apologie de Montaigne porta le coup de grâce à l’ensemble du monde intellectuel.  »10. Pour Popkin, et cela lui a été reproché11, le scepticisme de la Renaissance ne présente pas de caractère qui lui soit vraiment propre, il s’agit d’une adaptation du scepticisme grec, essentiellement le néopyrrhonisme, au contexte né des guerres de religion, adaptation beaucoup plus remarquable par ses conséquences, autrement dit par la dynamique créée, que par sa capacité d’innovation. Le scepticisme apparaît donc ainsi comme une arme polémique, Popkin dit même que « l’arsenal pyrrhonien était une excellente source de munitions lorsqu’il s’agissait de détruire l’adversaire ; il offrait aussi la base d’une théorie fidéiste sur laquelle la Contre-Réforme française pourrait s’appuyer »12. La critique de Popkin par S. Giocanti comporte plusieurs aspects13, dont le plus important me semble être celui-ci  : le sceptique des xvie et xviie siècles, dit-elle, contrairement à ses prédécesseurs antiques ne cherche ni la certitude objective ni la certitude subjective, ni la vérité ni même la vraisemblance du pithanon. Sa finalité serait, toujours selon elle, de pouvoir établir une éthique dans un monde accepté comme étant définitivement incertain. « La foi et les vérités de la foi chrétienne bornent le discours philosophique et lui servent en quelque sorte de gardefou ». Elle va même jusqu’à parler d’une « indifférence à l’égard de la religion », qu’elle oppose à l’enthousiasme manifesté par Montaigne à l’égard de la philosophie sceptique. L’Apologie de Raymond Sebond serait pour l’auteur des Essais un moyen de ne pas parler de religion. La conséquence qu’elle en tire est le recentrage du concept de fidéisme autour d’un doute caractéristique de l’esprit humain, abstraction faite de toute considération théologique. Le philosophe sceptique s’arroge le Popkin 1995, trad. Hivet, 94. Voir Brahami 1998, 304  : «  Le livre de Popkin passe donc sous silence la croyance, parce qu’il n’a vu ni la différence théorique entre le scepticisme antique et le scepticisme moderne, ni la différence entre le scepticisme et le fidéisme ». 12 Popkin 1995, 55. 13 Voir infra, n. 3. 10 11



DE L’EPOCHÈ SCEPTIQUE À L’EPOCHÈ TRANSCENDANTALE

droit de ne plus s’occuper de religion, toutefois, et c’est là pour le moins problématique, il cherche à tracer le chemin «  d’une éthique susceptible de disposer un homme dépourvu de principes fiables, de dogmes incontestables et de vérités inébranlables, à supporter l’adversité. » On pourrait objecter à S.  Giocanti que le Dieu chrétien tel qu’elle le perçoit, ressemble un peu-beaucoup aux dieux de la théologie épicurienne. Il est perché quelque part là haut, laisse les hommes agir et surtout philosopher à leur guise, ne se soucie d’intervenir en rien, permet à la philosophie d’être la seule à pouvoir définir une éthique. En d’autres termes, rien du Dieu d’Abraham, Dieu d’Isaac, Dieu de Jacob, invoqué avec tant de véhémence par Pascal, sans doute absent sous cette forme des Essais, mais présent dans quantité de références à la religion qu’il conviendrait d’étudier de manière plus approfondie. C’est précisément cette interprétation trop philosophique et, pour tout dire, trop laïcisante qui est rejetée par Penelhum, lequel établit, non sans subtilité, une sorte de système d’équivalences entre la foi et le scepticisme. Pour lui, la foi n’est pas un simple bornage de l’activité philosophique, elle est la condition même de l’exercice de la raison14. La foi permet à la pensée sceptique de se déployer, et l’activité sceptique ne peut se déployer que dans la foi que parce que l’une et l’autre reposent sur un sentiment d’insatisfaction par rapport au monde tel qu’il est, l’une et l’autre recommandent une attitude de détachement par lui, détachement qui constitue, dans le cas de la religion, un aspect de l’engagement dans la transcendance, et dans celui du scepticisme, une fin en soi. Penelhum parle d’« images en miroir » et l’idée est assurément intéressante.

Philon, le scepticisme, la religion Singularité de la position philonienne Disons d’emblée que les «  solutions  » proposées par les sceptiques païens en matière de religion étaient inacceptables telles quelles dans une perspective monothéiste. Lorsque Dieu est une personne qui s’adresse à chaque être humain, il ne peut être question, au moins en principe, d’ignorer cette parole en disant que l’on ne peut savoir si elle est vraie ou fausse, et en se contentant de suivre passivement les cérémonies du culte, même si évidemment cette tentation est très présente dans le mo Penelhum 1983, 295.

14



Carlos Lévy

nothéisme aussi. En principe, la Révélation monothéiste aurait dû pulvériser le scepticisme. De deux choses l’une en effet. Ou on l’accepte et il n’est plus possible de dire que tout est obscur et contradictoire, ou on la refuse et l’on a au moins une certitude négative. Les choses sont, en réalité, beaucoup plus compliquées, comme nous allons le voir. Si l’on tente d’appliquer à Philon le concept de fidéisme, on rencontre un premier obstacle qui fait son originalité par rapport à tous les penseurs catalogués comme fidéistes, à savoir son hostilité déclarée à l’égard de la tradition sceptique. On peut discuter de la nature exacte du fidéis­ me de Montaigne, pour ne prendre que cet exemple, on ne peut pas contester son adhésion, au moins provisoire à la tradition pyrrhonienne. Même chose en ce qui concerne Hume et la Nouvelle Académie. Il y a une différence fondamentale entre Philon et les penseurs catalogués par Popkin comme fidéistes. Pour eux, le paganisme ne représente plus un danger, le conflit se situant à l’intérieur même du christianisme. L’articulation fidéiste se fait alors entre un scepticisme perçu comme un élément purement culturel et une foi chrétienne transcendant la raison philosophique. Pour Philon, au contraire, il y a une forme de continuum identitaire entre le système sceptique et le paganisme. La philosophie est le point culminant de cette paideia. En tant que Juif, il peut se servir des arguments sceptiques, il ne peut pas se présenter comme sceptique, bien plus il doit donner de lui-même l’image de quelqu’un qui est hostile moins au scepticisme qu’aux Sceptiques. Par ailleurs, il est évident que la seconde des catégories de Penelhum, celle des fidéistes évangéliques, si on la prend à la lettre, ne peut convenir à Philon qui, non seulement n’a pas connu le Christ, mais chez qui l’aspiration messianique était pour le moins discrète. Il restera néanmoins à rechercher si, malgré les différences évidentes, Philon n’est pas plus proche de Pascal que du « conformisme » de Montaigne. Philon et les Sceptiques Philon ne cache donc pas son hostilité à l’égard des Sceptiques. Dans le De fuga15 l’image négative du Sceptique apparaît d’une manière qui demande à être précisée. Il y est identifié à deux figures pour lesquelles Philon n’éprouve aucune sympathie, Ismaël et le sophiste. Plus exactement, c’est dans l’exégèse allégorique du personnage d’Ismaël qu’il fait intervenir ces référents tirés du monde de la philosophie. Commentant Fug. 129 et 209. Les traductions proposées sont, avec parfois des modifications, celles de l’OPA. 15



DE L’EPOCHÈ SCEPTIQUE À L’EPOCHÈ TRANSCENDANTALE

Gen. 16.12, où il est dit au sujet du fils aîné d’Abraham : « celui-là sera un onagre d’homme, sa main contre tous, la main de tous contre lui, il s’établira à la face de tous ses frères », il commente16 : « Cela révèle le dessein du sophiste qui est excessivement sceptique et prend plaisir aux controverses ». A priori, rien ne prouve que σκεπτικός ait ici un sens technique et qu’il faille le référer aux deux orientations que l’histoire de la philosophie a retenues comme constitutives du scepticisme ancien. En fait, il faut comparer ce texte avec Quaest. Gen. III, 33, où dans son commentaire du même passage, Philon procède en deux temps. Tout d’abord, se référant précisément à la sauvagerie d’Ismaël, il précise que celui-ci est le sophiste, fils du vaste savoir et de la sagesse (probablement πολυμαθεία et σοφία dans le texte originel17). Puis, commentant l’agressivité du fils aîné d’Abraham, Philon ajoute : Ainsi ceux qu’on appelle à présent Académiciens ou Sceptiques18 refusent de poser fermement leurs règles et leurs opinions et ne (soutiennent) pas plus celles-ci que celles-là ; en effet, il (leur) paraît (bon) de philosopher en criblant de leurs flèches ceux qui appartiennent à toutes les sectes et on les nomme habituellement des querelleurs, car ils attaquent dès l’abord, protégeant et surveillant le domaine de la secte, de façon à ne pas être pris par l’adversaire. Pourtant tous sont apparentés et frères en quelque sorte du même sein, rejetons d’une mère unique, la philosophie. C’est pour cela que (l’Écriture) dit : « il habitera face à tous ses frères ». En effet, l’Académicien et l’aporétique se sont vraiment opposés solidement aux sectes, invectivant ce qui est en chacune, contre quoi ils portent des décisions.

Malheureusement, nous ne possédons que la version arménienne de ce texte, si bien que des incertitudes demeurent. La première mention des « sceptiques » ne fait pas vraiment problème, dans la mesure où l’on traduit ainsi un mot arménien qui signifie « chercheurs ». La seconde Fug. 209  : σοφιστοῦ γὰρ βούλημα τοῦτο τὸ λίαν σκεπτικὸν ἐπιμορφάζοντος καὶ λόγοις χαίροντος ἐριστικοῖς. οὗτος καὶ πάντας βάλλει τοὺς ἀπὸ τῶν μαθημάτων, ἰδίᾳ τε ἑκάστῳ καὶ κοινῇ πᾶσιν ἐναντιούμενος, καὶ βάλλεται πρὸς ἁπάντων, εἰκότως ἀμυνομένων ὡς ὑπὲρ οἰκείων ἐκγόνων ὧν ἔτεκεν αὐτῶν ἡ ψυχὴ δογμάτων. 17 C’est une des deux leçons proposées par les manuscrits. Erivan 2056 et 2102 donnent l’équivalent arménien de « sophisme », leçon retenue par l’édition OPA Mercier-Petit. Il nous semble que le sens de « sagesse » évite le pléonasme sans pour autant conduire à l’invraisemblance, puisqu’il est dit plus loin que les Sceptiques sont fils eux aussi de la philosophie. 18 Trad. J.-P. Mahé, OPA, modifiée sur un point : nous ne voyons pas, en effet, ce que pourrait signifier « l’Académicien et l’Indicible ». 16



Carlos Lévy

est plus complexe, puisque le terme arménien correspondant signifie «  non-affirmants  », ce que l’on peut comprendre de différentes manières, mais pour lequel je retiens une suggestion qui nous a été faite par E. Spinelli : « aporétiques ». La question de savoir pourquoi Philon utilise ces deux termes différents fait encore l’objet de débats19. L’explication la moins improbable est que les Néo-pyrrhoniens, tout en privilégiant l’appellation de « sceptiques », aimaient à souligner que d’autres appellations étaient possibles : « éphectiques », « aporétiques », « Pyr­ rhoniens »20. Il est donc vraisemblable que Philon a pris tout simplement acte de cette variété et qu’il a voulu donner à son lecteur deux modes d’identification de ce même groupe, le plus important étant le fait qu’il précise qu’il parle de contemporains, ce qui, pour peu qu’on prenne cette affirmation à la lettre, restreint considérablement le nombre de possibles. Depuis le livre de J. Glucker, il est maintenant admis que la Nouvelle Académie cessa d’exister institutionnellement avec le départ pour Rome de son dernier scholarque, Philon de Larissa, et que, par la suite, on ne trouve plus de trace d’école qui aurait repris le flambeau du scepticisme platonicien21 Nous sommes en terrain plus sûr dans Congr. 52, où le problème d’une langue qui n’est pas le grec ne se pose pas. Trois degrés d’humanité y sont définis, dont les «  sceptiques  » occupent le dernier22. En premier vient Israël, à qui il appartient de voir le meilleur, l’Être qui est réellement ; puis, ceux qui contemplent et admirent la régularité du ciel sensible ; en dernier viennent les σκεπτικοί, dont il nous est dit qu’au lieu de s’attacher à connaître ce que la nature comporte de plus puissant dans l’ordre du sensible ou de l’intelligible, « ils consument leur temps en raisonnements sophistiques et pointilleux et ne font qu’ergoter »23. Il n’est pas certain qu’il faille voir ici une allusion précise au scepticisme comme orientation philosophique. Le mot σκεπτικοί désigne ici tous ceux – philosophes sceptiques probablement compris – qui privilégient les arguties verbales aux recherches de fond et qui ne sont que des « vendeurs de paroles » (λογοπῶλαι), néologisme qui traduit bien la confusion entre l’image du σκεπτικὸς et celle du sophiste à qui la tradition platonicienne a depuis le début reproché son avidité. Op. cit., p. 70. Voir Sextus, HP I 7. 21 Voir Glucker 1978. 22 Sur ce texte, voir Nikiprowetzky 1977, 187. 23 Congr. 52 : περὶ μικρὰ μέντοι σοφίσματα τριβόμενοι καὶ γλισχρολογούμενοι. 19 20



DE L’EPOCHÈ SCEPTIQUE À L’EPOCHÈ TRANSCENDANTALE

On peut donc affirmer que la figure du philosophe sceptique, qu’il se rattache à l’Académie ou à l’orientation néo-pyrrhonienne, est présente dans le corpus philonien, mais de manière à la fois évanescente et critique. L’impression qui se dégage de l’analyse de ces passages est que Philon connaît le sens technique de σκεπτικός, mais qu’il hésite à le faire sien et que l’adhésion forte aux sens antérieurs de ce terme empêchent qu’il ne parle le langage d’Énésidème. Pourquoi donc se sent-il à ce point étranger à une tradition philosophique par laquelle il a été de toute évidence fortement influencé ? Nous voyons à cela trois raisons : – loin de percevoir ces Sceptiques comme une réalité philosophique autonome, et parce que sa pensée fonctionne selon des modèles typologiques et allégoriques, il les voit comme un avatar de la sophistique, que sa culture platonicienne rend paradoxalement plus présente à son esprit que les débats, plus récents, qui ont eu lieu à l’intérieur de la Nouvelle Académie et dans la mouvance pyrrhonienne. « Sophiste » est chez lui le mot qui désigne tous ceux qui font un mauvais usage du savoir et du langage ; la sophistique elle-même lui apparaît non pas comme une réalité intrinsèquement perverse, mais bien comme la perversion d’un désir légitime de savoir inhérent à l’esprit humain. Le scepticisme c’est donc le désir de savoir lorsqu’il devient auto-référentiel, lorsqu’il tourne à vide ; – l’idée centrale de toute la pensée philonienne est constituée par un dipôle, maintes fois affirmé, à savoir la mise en relation du néant de l’être humain avec l’absolue transcendance de Dieu24. Voici ce que l’Alexandrin fait dire à Moïse25  : «  Lorsque je m’aperçois que je suis “terre et cendre”, ou chose plus vile encore s’il en est, alors j’ose te rencontrer, devenu tout petit, jeté dans la poussière, réduit au point de n’avoir même plus l’apparence de l’être ». Affirmer le néant de l’esprit humain, sans lui opposer la toute-puissance divine, c’est encore tenter d’exister, de manière indirecte, et même perverse, par la non-existence. Pour Philon, c’est ce que fait le philosophe sceptique, et c’est précisément ce qu’il ne veut pas faire lui-même. Ce n’est sans 24 Voir en particulier Sacr. 56  : μεμνημένος γὰρ τῆς ἰδίου περὶ πάντα οὐδενείας μεμνήσῃ καὶ τῆς τοῦ θεοῦ περὶ πάντα ὑπερβολῆς. 25 Her. 29 : καὶ ἐπειδὰν « γῆν καὶ τέφραν » καὶ εἴ τι ἐκβλητότερον ἐμαυτὸν αἴσθωμαι, τηνικαῦτα ἐντυγχάνειν σοι θαρρῶ, ταπεινὸς γεγονώς, καταεβλημένος εἰς χοῦν, ὅσα εἴς γε τὸ μηδ’ ὑφεστάναι δοκεῖν ἀνεστοιχειωμένος. καὶ τοῦτό μου τὸ πάθος τῆς ψυχῆς ἐστηλογράφησεν ἐν τῷ ἐμῷ μνημείῳ ὁ ἐπίσκοπος Μωυσῆς.



Carlos Lévy

doute pas par hasard que dans le De ebrietate, 98, Moïse est appelé τὸν σκεπτικὸν καὶ ἐπίσκοπον τῶν πραγμάτων («  celui qui examine et surveille les choses »), iunctura que l’on ne retrouve chez aucun autre auteur26. Or, dès sa naissance, le pyrrhonisme avait développé la thématique du double regard, que l’on trouve par exemple chez Timon, le fidèle disciple de Pyrrhon, lorsqu’il fait regretter à Xénophane de ne pas avoir possédé le regard permettant de discerner la contradiction dans les choses27. Cette thématique du regard structurellement duel (ἀμφοτερόβλεπτος), capable de percevoir deux réalités contraires, mais incapable de permettre la vision de la Vérité, se trouve transposée chez Philon dans un tout autre contexte, celle opposant l’oudeneia du créé à la toute-puissance du Créateur. Il n’y a pas d’isosthénie, d’égalité parfaite des contraires, mais ce qu’il faudrait appeler une hypersthénie, un déséquilibre hyperbolique de puissance entre le Créateur et la créature créée. C’est donc dans ce contexte hypersthénique qu’il faut replacer les concepts fondamentaux du scepticisme, et d’abord l’epochè. De l’epochè sceptique à l’epochè transcendantale Je ne reviendrai pas ici sur la manière dont Philon utilise les tropes d’Énésidème de l’epochè sceptique, pour démontrer que l’esprit humain est par lui-même incapable d’arriver à quelque vérité que ce soit, même lorsqu’il bénéficie des bienfaits de l’éducation28. Je reste persuadé que l’Alexandrin reste proche de sa source et que l’attitude actuelle qui consiste généralement à ne prendre en compte que la version sextienne des tropes, parce qu’elle est plus ordonnée et donc plus claire pour un lecteur contemporain, est fondamentalement erronée. Dans une relation à celle-ci dont il nous faudra examiner les modalités, il y a ce que l’on peut appeler une epochè transcendantale – même si Philon parfois utilise le verbe, et jamais le nom, sans doute trop connoté philosophiquement – qui est celle de l’être qui comprend qu’il y a une limite pour ainsi dire naturelle à son entendement, celle fixée par les logoi de Dieu. C’est ce que nous pouvons lire dans Post. 18 : Voir également Ebr. 202 et Her. 279. Voir Sext. Emp. H.P. I, 223, frg. 59 Di Marco 1989. L’adjectif ἀμφοτερόβλεπτος, comme le souligne Di Marco à la page 247, a ici un sens actif et non passif. L’erreur de Xénophane fut, aux yeux de Timon, d’avoir eu une pensée à vocation moniste. 28 Sur l’évaluation de la version philonienne des tropes, voir Lévy 2005a. 26 27



DE L’EPOCHÈ SCEPTIQUE À L’EPOCHÈ TRANSCENDANTALE

Le sage souhaite connaître le Souverain de l’Univers, et quand il marche sur le chemin qui passe par la science et la sagesse, il rencontre d’abord des logoi divins, auprès desquels il fait une première halte et, bien résolu à poursuivre le reste du chemin, il suspend sa marche (λόγοις μὲν προεντυγχάνει θείοις παρ’ οἷς προκαταλύει, τρέπεσθαι δὲ τὴν ἄλλην ἐγνωκὼς ἐπέχεται). Car les yeux de sa pensée se sont ouverts et il a vu de façon plus pénétrante qu’il s’est préparé en athlète à la poursuite d’un objet difficile à capturer qui recule toujours, se retire au loin et laisse ses poursuivants en arrière en mettant entre eux et lui une distance infinie (ἀπείρῳ τῷ μεταξὺ διαστήματι).

Cette suspension de la marche, qui est donc la métaphore de la suspension de la recherche est gnoséologique, mais aussi métaphysique et éthique. S’arrêter lorsqu’on s’approche de Dieu implique que l’on va chercher à devenir comme lui, autrement dit immobile, et que l’on ne se laissera pas emporter par la dynamique des désirs29. La dimension mimétique que l’on rencontre au moins dans certains aspects de la pensée hellénistique, ainsi lorsque le sage stoïcien apparaît comme la reproduction à l’identique du logos universel dans des limites temporelles précises, est à la fois préservée et subvertie. Le sage philonien s’arrête auprès des logoi divins, qui sont comme la garde du souverain, se gardant bien de prétendre aller plus loin. Il y a également là une différence fondamentale entre Philon et les Sceptiques. Ceux-ci ne prennent en compte que le sujet et considèrent la suspension du jugement comme un acte libre de rétention de l’assentiment. Chez Philon, il en est autrement, car c’est Dieu qui par la force mimétique de son immuabilité retient, freine le mouvement. Le sujet est retenu, comme cela est dit en Post. 28 : De même, à mon avis, que ce qui est tordu est redressé par une règle droite, de même ce qui est en mouvement est retenu et arrêté (ἐπέχεταί τε καὶ ἵσταται) par la force de celui qui se tient immobile.

La suspension gnoséologique du jugement n’est donc pour Philon qu’un aspect d’une attitude existentielle générale de rétention qui renvoie toujours en dernière instance à l’hypersthénie divine. Nous avons vu ce qu’il en est chez le sage, chez qui cette rétention se fait volontairement par imitation de Dieu. Mais, ceux qui ne sont pas sages sont eux-mêmes tenus en bride par Dieu qui peut le leur rappeler à l’occa Sur ce point, cf.  notamment Deus 22  : τί γὰρ ἂν ἀσέβημα μεῖζον γένοιτο τοῦ ὑπολαμβάνειν τὸν ἄτρεπτον τρέπεσθαι ; 29



Carlos Lévy

sion de la manière la plus brutale, comme c’est le cas en Somn. II, 294, où appliquant la métaphore platonicienne du cocher ailé à la relation entre l’homme et Dieu, il dit que celui-ci « leur passant le frein, tirant avec force sur les rênes jusque là flottantes (τὸ κεχαλασμένον τῶν ἡνιῶν ὀπίσω βίᾳ τείνας), resserrant les muselières, leur rappellera à coups de fouet et d’aiguillon que sa puissance est absolue et qu’ils l’avaient oubliée à cause de la bonté et de la douceur, comme le font les mauvais serviteurs ». Dans une lettre à Atticus, datée du 27 au 28 août 45, Cicéron raconte avec une remarquable minutie comment il en est venu à choisir des expressions comme adsensionem adhibere ou encore sustinere se ab omni adsensu pour exprimer la suspension du jugement, telle qu’elle a été pensée par les Néoacadémiciens. Il explique qu’il a d’abord pensé à choisir le verbe inhibere, ajoutant qu’il y a renoncé lorsqu’il s’est aperçu que, dans le langage des marins, il désigne non l’immobilité mais le fait de ramer à contrecourant. Dans un tel contexte, la suspension du jugement est autoréférentielle, elle n’a aucun référent métaphysique, elle constitue une modalité de la faculté d’assentiment dont il est dit par Cicéron que, pour les Stoïciens, elle ne dépend que de nous-mêmes30. Il n’existe donc qu’un seul sujet, une seule personne véritable, et c’est Dieu. Il reste à déterminer comment s’effectue l’articulation entre, d’une part, cette rétention de caractère transcendantale, dont la traduction philosophique pourrait être le κατὰ τὸ δυνατόν platonicien31, imposant à l’être humain dans son imitation de Dieu des limites pour ainsi dire statutaires, et, d’autre part, l’epochè des sceptiques Néopyrrhoniens et Néoacadémiciens qui se présente comme étant libre de tout présupposé métaphysique. On notera que le mot epochè ne connaît qu’une occurrence chez Philon, ce qui est en soi remarquable quand on sait que le verbe, lui, est employé près de cent fois32. Il est probable qu’il a cherché à éviter un terme qui était, encore plus que le verbe, emblématique du scepticisme. Son unicité même donne à ce passage une signification particulière, qu’il convient d’étudier avec soin. 30 Lib. Ac. I, 40‑41 : Sed ad haec quae uisa sunt et quasi accepta sensibus assensionem adiungit animorum, quam esse uult in nobis positam et uoluntariam. La Nouvelle Académie reprit les éléments de la psychologie stoïcienne, mais en les subvertissant dialectiquement, c’est-à-dire en montrant que le bon usage de l’assentiment ne pouvait résider que dans sa suspension. 31 Théétète 176b. 32 Très précisément quatre-vingt dix-sept fois, avec des sens très différents qui diluent en quelque sorte l’acception purement sceptique du terme.



DE L’EPOCHÈ SCEPTIQUE À L’EPOCHÈ TRANSCENDANTALE

Il s’agit donc du commentaire allégorique du sacrifice d’Isaac33. Au moment où l’enfant s’inquiète de savoir où est l’agneau pour l’holocauste, Abraham lui répond : « Dieu se pourvoira » et ils découvrent un bélier qui s’était pris les cornes dans un buisson. Philon explique que cet animal représente l’epochè, parce que « la meilleure victime c’est l’immobilité et la suspension du jugement sur les points où les preuves font totalement défaut », et il ajoute : « on peut déclarer seulement ceci : “Dieu verra”. L’univers lui est connu, il l’éclaire d’une lumière très éclatante, à savoir lui-même. Le monde créé ne peut déclarer rien d’autre : sur lui sont répandues d’épaisses ténèbres, et dans les ténèbres il est prudent de rester tranquille ». Dans ce passage, et rappelons qu’il s’agit du seul texte où Philon utilise le terme epochè, celle-ci n’a pas une signification humaine, mais divine. Abraham la découvre littéralement comme don de Dieu, alors que lui-même arrive au sacrifice sans elle. Plus exactement, le patriarche fait preuve d’epochè en disant « Dieu se pourvoira », mais c’est Dieu lui-même qui donne tout leur sens à ses paroles en les acceptant comme substitut du sacrifice d’Isaac et qui en fournit une représentation visuelle, dans l’interprétation allégorique de Philon, par l’image du bélier empêtré dans un buisson. D’une manière générale, cet animal représente dans le corpus philonien la dynamique de l’âme, sa ὁρμή qui peut soit se mettre au service de la raison soit devenir passion incontrôlable. Empêtré dans le buisson, il perd son autonomie, qui est cependant l’autonomie non d’un sujet humain, mais celle d’une bête à demi-sauvage. Le buisson lui-même, qui est désigné, au § 133, par un hapax dans le corpus philonien : ἐν φυτῷ Σαβέκ, ne peut pas ne pas faire penser, malgré cette singularité, au buisson du Sinaï. Un peu plus loin, en effet, dans le même traité34, Philon montre Moïse allant vers le buisson ardent – le terme de βάτος est employé pour désigner celui-ci – avec l’intention d’apprendre quelles sont les causes ultimes, mais c’est Dieu qui précisément va faire que l’interrogation de Moïse s’arrête comme s’était arrêtée celle d’Isaac : « Il est déjà sur le point de s’engager à fond dans un labeur sans résultat et vain quand il en est déchargé par la compassion et la prévoyance du Dieu sauveur universel, qui a rendu de son sanctuaire l’oracle suivant : “Ne t’approche pas d’ici” ; ce qui revient à dire : N’entreprends pas une telle investigation, car ce travail exige une minutie et un goût de l’activité qui dépassent les possibilités humaines ». Fug. 136. Fug. 161 sq.

33 34



Carlos Lévy

L’épisode du buisson ardent agit donc comme une explicitation, voire comme un dépassement du sacrifice, esquissé, inabouti d’Isaac. Dans celui-ci, Dieu ce manifeste par un miracle, mais il ne parle pas, tandis que sur le Sinaï Dieu use de son Verbe pour imposer à Moïse la limite que ni lui ni aucun autre homme ne devra jamais franchir. Le sceptique, au contraire, est celui qui, parce qu’il n’a pas accès à la Révélation, continue une quête que Philon juge être stérile. En revanche, les patriarches et Moïse sont la preuve de la puissance de la raison humaine lorsqu’elle admet la limite que Dieu lui a assignée. La théologie de Philon est généralement qualifiée de négative, et cela se justifie par le fait que, pour lui, la raison humaine est incapable d’appréhender l’être de Dieu. Néanmoins, elle peut aller jusqu’à ses logoi et ce n’est pas rien. Moïse est représenté en sage stoïcien, qui « pense qu’il faut retrancher et supprimer de l’âme toute la partie irascible, car ce qu’il aime, ce n’est pas la modération dans les passions, mais l’absence totale de passions » (Leg. III, 19). Ailleurs, il dit que le législateur s’est proposé une seule tâche, un seul but, celui d’extirper les maladies de la pensée. Une telle puissance dans la maîtrise de soi est-elle concevable sans une forme d’accès à la connaissance ? Sur ce point, la position philonienne est plus complexe qu’on ne le croit. Il ne conteste pas l’existence en l’être humain d’un désir de science, en revanche il n’a pas de mots assez durs pour condamner (Ebr. 166) « la stupidité totale, quand l’esprit se croit capable de délibérer de lui-même sur ses intérêts, ou de donner son assentiment à des apparences de toutes sortes, comme si elles avaient en elles une vérité solide, puisque la nature humaine est absolument incapable de trouver la certitude après examen ou de choisir telles choses comme vraies et conformes à ses intérêts et de fuir telles autres comme fausses et causes de dommages ». Comme Arcésilas, il pense que l’homme vit dans les ténèbres, mais à la différence du fondateur de cette orientation sceptique, il affirme explicitement que la lumière existe en Dieu qui éclaire le monde. Le passage du scepticisme au moyen platonisme, qui existe aussi en milieu païen, comme le montre notamment le Commentaire du Théétète35, s’effectue chez l’Alexandrin par l’intermédiaire de la transcendance biblique. Rendons donc à Philon ce qui appartient à Philon. « Le pyrrhonisme sert à la religion », dit Pascal, et c’est très précisément ce que Philon a le premier perçu, mis en application. Avec une stupéfiante clairvoyance, il a tout de suite compris comment il pouvait mettre au service de la Révélation ces tropes qu’un philosophe encore bien peu connu à cette Voir Bastianini-Sedley 1995.

35



DE L’EPOCHÈ SCEPTIQUE À L’EPOCHÈ TRANSCENDANTALE

époque avait élaborés pour renouveler la pensée d’un Pyrrhon que Cicéron avait un peu trop vite rangé parmi les penseurs oubliés, tombés en déshérence36. « Le pyrrhonisme sert à la religion », non les Pyrrhoniens. Si Pascal éprouva une certaine fascination pour les libertins, Philon, lui, ne ressent que mépris pour les Sceptiques, toutes catégories confondues, dans lesquels il ne voit que la perversité de l’affirmation d’une supériorité, d’une prétention à l’être reposant sur le non-savoir. En mettant le double regard sceptique au service non de la contradiction des apparences, mais de l’opposition entre le néant de la créature humaine et l’absolue puissance divine, Philon a gardé la structure, mais il en a radicalement transformé le sens. S’il est vrai qu’il n’a que bien peu de points communs avec ce que Penelhum a appelé « le fidéisme conformiste », il a été le concepteur de ce que le même chercheur a désigné comme étant « le fidéisme évangélique » et qu’il serait urgent d’appeler « le fidéisme biblique ».

Fin. II, 35 : nam Pyrrho, Aristo, Erillus iam diu abiecti.

36



LE PLATONISME DE PLUTARQUE DE CHÉRONÉE ENTRE SCEPTICISME, THÉOLOGIE ET MÉTAPHYSIQUE Mauro Bonazzi

Plutarque et le scepticisme La relation entre le Platonicien Plutarque et le scepticisme a stimulé depuis toujours des interprétations divergentes. Tandis que John Dillon avait affirmé que le scepticisme n’avait pas d’importance pour les Platoniciens1, plus récemment un grand nombre des spécialistes ont en revanche insisté sur son intérêt pour le scepticisme ; et quelqu’un est allé jusqu’à défendre une interprétation sceptique, partiale ou globale, de Plutarque : partiale dans le cas de ceux qui ont envisagé une phase sceptique (au début ou à la fin de sa carrière)2, globale comme par exemple Daniel Babut qui avait repéré dans une forme de scepticisme fidéiste le sens véritable de la philosophie de Plutarque (nous reviendrons sur cette interprétation)3. En somme, l’importance de la confrontation avec le scepticisme est sûre : mais faut-il en conclure que Plutarque était sceptique ? Oui et non. Dans mon exposé je me propose de revenir sur ce problème en défendant une interprétation partiellement différente de celle des ces éminents spécialistes. Je m’efforcerai de montrer qu’on peut parler de scepticisme à propos de Plutarque, mais à condition que soit clairement établi de quel scepticisme il s’agit. Il faut en somme qu’il soit clair qu’il s’agit d’une forme de scepticisme originale, qui ne doit pas être confondue avec les autres types de scepticisme en circulation entre les siècles hellénistiques et la première époque impériale. Si l’on peut parler du scepticisme à pro Dillon 19962, 43. 2 Au début : Schroeter 1911, 1, 5, 41 ; à la fin : Glucker 1978, 276. 3 Babut 1994, 549‑581 ; 2007, 63‑98. 1

Mauro Bonazzi

pos de Plutarque, il faut aussi qu’on ne confonde pas son scepticisme et celui de la tradition hellénistique, académicienne et pyrrhonienne. C’est un point fondamental qui nous peut aider à mieux comprendre le platonisme impérial dans ses liaisons dangereuses avec le scepticisme et la théologie4.

Un problème à la fois historique et philosophique Le problème de la relation entre Plutarque et le scepticisme est à la fois théorique et historique, parce qu’une discussion du scepticisme dans le platonisme impérial implique nécessairement une prise de position sur l’Académie hellénistique d’Arcésilas, Carnéade et Philon. Parmi les spécialistes qui ont défendu une interprétation sceptique de Plutarque (ou, en tout cas, qui n’ont pas nié une compatibilité possible entre le scepticisme et Plutarque), on remarque la tendance à parler d’une influence du scepticisme académique5. Mais cela n’est pas correct : voilà un premier point qu’il faut clarifier. Ce qui est en discussion, ce n’est pas une interprétation académisante du platonisme, mais plutôt une interprétation platonisante de l’Académie. Naturellement, cette lecture aussi pose des problèmes, parce que parler d’une interprétation platonisante du scepticisme pourrait suggérer que le scepticisme est englobé dans un système, le système du platonisme, qui ne réserve plus aucune importance au scepticisme. J’essaierai de montrer que c’est tout le contraire. Mais, tout d’abord, il faut reconstruire l’interprétation du scepticisme académique proposée par Plutarque. Le catalogue de Lamprias (c’est-à-dire ce qui était censé être une liste des ouvrages de Plutarque éditée par son fils) nous apprend que Plutarque a consacré plusieurs traités à l’Académie hellénistique et, évidemment, au scepticisme. Dans le contexte du platonisme impérial, qui se caractérise par un mépris du scepticisme, cette attention est remarquable. Malheureusement, tous ces ouvrages ont été perdus  ; mais les titres sont déjà intéressants et éloquents. Particulièrement importants sont à ce propos les traités 63 et 64 dans la liste de Lamprias : Sur le fait que l’ Académie issue de Platon est une et Sur la différence entre les pyrrho Pour une analyse systématique du problème, je renvoie à Bonazzi 2015. Qu’on pense par exemple au titre de Opsomer 1998, In Search of the Truth. Academic Tendencies in Middle Platonism. Voir aussi Tarrant 1985 et les études déjà mentionnées de Babut. 4 5



Mauro Bonazzi

pos de Plutarque, il faut aussi qu’on ne confonde pas son scepticisme et celui de la tradition hellénistique, académicienne et pyrrhonienne. C’est un point fondamental qui nous peut aider à mieux comprendre le platonisme impérial dans ses liaisons dangereuses avec le scepticisme et la théologie4.

Un problème à la fois historique et philosophique Le problème de la relation entre Plutarque et le scepticisme est à la fois théorique et historique, parce qu’une discussion du scepticisme dans le platonisme impérial implique nécessairement une prise de position sur l’Académie hellénistique d’Arcésilas, Carnéade et Philon. Parmi les spécialistes qui ont défendu une interprétation sceptique de Plutarque (ou, en tout cas, qui n’ont pas nié une compatibilité possible entre le scepticisme et Plutarque), on remarque la tendance à parler d’une influence du scepticisme académique5. Mais cela n’est pas correct : voilà un premier point qu’il faut clarifier. Ce qui est en discussion, ce n’est pas une interprétation académisante du platonisme, mais plutôt une interprétation platonisante de l’Académie. Naturellement, cette lecture aussi pose des problèmes, parce que parler d’une interprétation platonisante du scepticisme pourrait suggérer que le scepticisme est englobé dans un système, le système du platonisme, qui ne réserve plus aucune importance au scepticisme. J’essaierai de montrer que c’est tout le contraire. Mais, tout d’abord, il faut reconstruire l’interprétation du scepticisme académique proposée par Plutarque. Le catalogue de Lamprias (c’est-à-dire ce qui était censé être une liste des ouvrages de Plutarque éditée par son fils) nous apprend que Plutarque a consacré plusieurs traités à l’Académie hellénistique et, évidemment, au scepticisme. Dans le contexte du platonisme impérial, qui se caractérise par un mépris du scepticisme, cette attention est remarquable. Malheureusement, tous ces ouvrages ont été perdus  ; mais les titres sont déjà intéressants et éloquents. Particulièrement importants sont à ce propos les traités 63 et 64 dans la liste de Lamprias : Sur le fait que l’ Académie issue de Platon est une et Sur la différence entre les pyrrho Pour une analyse systématique du problème, je renvoie à Bonazzi 2015. Qu’on pense par exemple au titre de Opsomer 1998, In Search of the Truth. Academic Tendencies in Middle Platonism. Voir aussi Tarrant 1985 et les études déjà mentionnées de Babut. 4 5



Le platonisme de Plutarque de Chéronée

niens et les académiciens. Les deux titres, pris ensemble, montrent quelle était la stratégie de Plutarque : en soulignant les différences entre le scepticisme académicien et le scepticisme pyrrhonien, défendre la compatibilité entre la philosophie de l’Académie hellénistique et la tradition qui provient de Platon. Certains textes tirés des œuvres que nous avons, et en particulier la discussion sur Arcésilas dans le Contre Colotès, aident à mieux clarifier la thèse de Plutarque6. D’un côté, il y a le scepticisme des Pyrrhoniens. Qu’est-ce que ce type de scepticisme ? C’est la conclusion nécessaire à laquelle est condamnée toute forme d’empirisme : Ils [les Épicuriens] précipitent d’eux-mêmes toute réalité dans l’impossibilité d’en parler (αὐτοὶ καταβάλλουσιν εἰς ἀφασίαν πάντα πράγματα). […] En effet, l’égalité de traitement qu’ils accordent par hypothèse à tous nos objets de croyance nous en éloigne plutôt qu’elle ne nous amène à donner notre confiance aux objets qui défient la raison (ἡ γὰρ ἱσότης ἣν ὑποτίθενται πᾶσι τῶν νενομισμένων ἀφίστησι μᾶλλον ἢ προστίτησι τοῖς παραλόγοις τὴν πίστιν. (Adu. Col. 1123D ; trad. Boulogne et alii.).

Le traité Contre Colotès a pour cible, c’est bien connu, l’épicurisme. Une critique souvent adoptée (et confirmée ici par l’adoption des termes aphasia et isotès) vise précisement à conclure que l’épicurisme mène directement au pyrrhonisme7. Et si le pyrrhonisme peut être considéré à la fois comme une version radicale du scepticisme et comme le débouché de l’épicurisme, c’est évidemment à partir de la conviction que les deux philosophies partagent la même base empiriste. C’est pour cette raison, parce qu’il a considéré seulement l’aspect sensible des choses, que Pyrrhon est arrivé au scepticisme radical, c’est-à-dire à un scepticisme à base empiriste. En somme, aussi étrange que cela puisse paraître, le pyrrhonisme aussi est considéré comme une philosophie empiriste. Ou mieux, le pyrrhonisme est la seule forme possible d’empirisme, tandis que l’épicurisme est une version incohérente de la même position, dans la mesure où, à la différence des Pyrrhoniens, les Épicuriens n’acceptent pas les conséquences qui dérivent de cette approche. Le cas de l’Académie est tout à fait différent, parce que c’est justement dans la bataille contre l’empirisme qu’on trouve un élément distinctif de l’Académie. Dans le cas de l’Académie, l’epochè (le mot-clef Sur ce point voir maintenant Bonazzi 2012 et Lévy 2013. Voir aussi Quaest. conu. 651F.

6 7



Mauro Bonazzi

du scepticisme ancien) prend donc un sens différent. L’epochè, la célèbre doctrine de la suspension du jugement d’Arcésilas et des autres Académiciens, est l’outil dialectique qui permet d’éviter de tomber dans des conclusions aussi paradoxales que celles des empiristes : Et s’il est possible sur ces sujets de suspendre son jugement, il n’est pas impossible non plus de le faire sur le reste, du moins si l’on vous suit, vous qui pensez qu’une sensation ne l’emporte pas le moins du monde sur une autre sensation, ni une représentation imagée sur une autre représentation image. (1124 A-B, trad. Boulogne et alii).

L’epochè est en somme une réplique dialectique à la théorie épicurienne de la connaissance. C’est parce qu’il prend au sérieux, comme critère de la connaissance, la doctrine d’Épicure selon laquelle toutes les sensations sont vraies qu’Arcésilas doit refuser de donner son assentiment à toutes les sensations et, par conséquent, doit suspendre son jugement. L’epochè, en somme, est la seule réponse possible à une approche empiriste. En développant une lecture dialectique de l’epochè, Plutarque a donc réussi à souligner la différence entre la philosophie de l’Académie d’Arcésilas et le pyrrhonisme : l’Académie est autre chose que le scepticisme radical du pyrrhonisme, parce que le scepticisme radical (c’est-à-dire le pyrrhonisme) est la conséquence de l’empirisme, tandis qu’ Arcésilas est précisement l’adversaire principal de l’empirisme. Donc la philosophie d’Arcésilas est différente du pyrrhonisme, dont témoigne déjà la différence de valeur que les uns (Épicure et Pyrrhon) et l’autre accordent à l’epochè : si pour les empiristes (Épicuriens et Pyrrhoniens), l’epochè est la conséquence inévitable d’une philosophie qui n’a plus rien à dire – on pense à l’aphasia de 1123D –, pour Arcésilas, elle devient quelque chose d’autre, la prévention devant les sensations, la prévention de celui qui sait qu’il faut se méfier des sens : Dans ces conditions, loin d’être, comme se l’imagine Colotès, un « mythe » […] la théorie de la suspension du jugement est une attitude et une disposition d’adultes qui s’efforcent de préserver l’infaillibilité, n’abandonnent pas le jugement aux sensations si décriées et instables et ne partagent pas non plus l’erreur de ces individus qui affirment que les phénomènes offrent une garantie pour ce qui n’est pas visibile, alors qu’ils voient que règnent sur ce point, au sein des phénomènes, l’absence de confiance et l’absence de clarté (Adu. Col. 1124B, trad. Boulogne et alii.).



Le platonisme de Plutarque de Chéronée

Jusqu’ici on pourrait être d’accord avec l’interprétation de Plutarque. Mais Plutarque ne s’arrête pas là ; il va plus avant8 : ce qui est caractéristique de l’Académie hellénistique, ce n’est pas seulement l’approche dialectique et antiempiriste, mais aussi une ouverture au dualisme entre le sensible et l’intelligible. Voilà le thème de fond de tout le traité Contre Colotès, qui se développe à partir de l’opposition qu’on pourrait résumer dans la formule « ou platonisme ou épicurisme ». Plus précisément, la structure argumentative du traité est la suivante : 1. l’empirisme affirme que seules les choses sensibles existent et que c’est seulement grâce aux sens que nous connaissons ; 2. l’empirisme rend la vie impossible (parce que les choses sensibles paraissent sans aucune stabilité et que les sens donnent des informations contradictoires) ; 3. mais nous vivons ; 4. donc l’empirisme est faux ; 5. donc il y a quelque chose d’autre au-delà des choses sensibles et des sensations, et la connaissance est d’une certaine manière possible. Or, dans la mesure où la philosophie des Académiciens implique une polémique contre l’empirisme des Épicuriens et dans la mesure où leur philosophie n’empêche pas de vivre (c’est le sens de la discussion de l’apraxia), il devient clair que les Académiciens aussi sont proches du platonisme : 1. ou le scepticisme radical ou le platonisme ; 2. mais pas le scepticisme ; 3. donc le platonisme ; 4. mais Arcésilas et les Académiciens hellénistiques ne sont pas d’accord avec le scepticisme dans le sens où le sont Épicuriens et Pyrrhoniens. Ils sont plutôt les adversaires de ce type de scepticisme ; 5. la conclusion est qu’ils sont aussi liés au platonisme. Que telle est la thèse de Plutarque, cela est confirmé par le célèbre texte sur les prédécesseurs d’Arcésilas : Notre Épicurien semble avoir été atteint plus que de raison par la réputation d’Arcésilas, qui en ce temps-là était le plus prisé des philosophes. Il Je développe cette lecture dans Bonazzi 2012.

8



Mauro Bonazzi

dit qu’Arcésilas ne soutenait rien qui fût propre, mais qu’aux ignorants il inculquait l’idée et l’opinion contraires […] Pourtant, Arcésilas était si loin d’affectionner la réputation d’introduire du nouveau, ou de s’approprier quelque chose qui appartenait aux anciens, que les sophistes de son temps l’ont accusé d’avoir dérobé ses doctrines de la suspension du jugement et de l’insaisissabilité à Socrate, Platon, Parménide et Héraclite, qui n’en avaient pas besoin  ; mais lui les restituait, pour ainsi dire, afin de leur donner plus de force, à des hommes fameux. En son nom, grâces en soient rendues à Colotès et à quiconque soutient que le discours de l’Académie est venu à Arcésilas de plus haut (Adu. Col. 1121F-1122A ; nous traduisons).

Ce qui est vraiment important est la mention de quatre grands prédécesseurs, qui fournit un contexte à l’interprétation d’Arcésilas. Les chapitres précédents du traité avaient déjà offert des analyses détaillées de la pensée de Parménide, Socrate et Platon (qui avaient été objet de l’attaque de Colotès). Et à chaque fois, ce qui distingue ces philosophes dans l’interprétation de Plutarque est le dualisme métaphysique, que Parménide avait introduit, que Socrate avait adopté et que Platon a mené à sa perfection (1114C)9. Le même discours, d’ailleurs, vaut aussi pour Héraclite, dont la philosophie n’est pas analysée dans le Contre Colotès, parce que Colotès ne l’avait pas attaqué : selon Plutarque, Héraclite aussi est un des dualistes les plus importants de la tradition philosophique grecque10. De plus, il vaut la peine de remarquer que la même liste apparaît aussi à la fin de la section – ce qui confirme la finesse du style argumentatif de Plutarque : et là, le lien n’est pas établi avec Arcésilas, mais avec un autre Académicien éminent, qui n’a aucun lien avec le scepticisme hellénistique, Xénocrate (1124E). Le parallèle ne saurait être plus clair. De toute évidence, même d’un point de vue historique, la philosophie de l’epochè d’Arcésilas est rapprochée du platonisme. Selon Plutarque, donc, ce qui caractérise proprement la tradition de l’Académie hellénistique n’est pas seulement la bataille contre l’empirisme (qui par ailleurs justifie la reprise de la part des Platoniciens de l’époque impériale d’arguments hellénistiques), mais aussi un dualisme à la fois implicite et clair. Clairement, cette interprétation n’implique pas une dépendance passive à l’égard de l’Académie hellénistique. Tout au contraire, elle signifie plutôt une intégration de celle-ci dans la tradition du platonisme. Il ne s’agit en somme pas d’une interprétation Isnardi 1988. Voir Mansfeld 1992, 278‑295.

9

10



Le platonisme de Plutarque de Chéronée

académisante du platonisme, mais d’une interprétation platonisante de l’Académie.

Le scepticisme métaphysique de Plutarque Arrivé à ce point, ou pourrait toutefois observer qu’il n’y a plus d’espace pour le scepticisme. Certes, dans les écrits polémiques anti-épicuriens (et anti-stoïciens), on trouve la critique de la sensation et de l’empirisme : mais à elle seule, elle n’implique pas une interprétation scepticisante de Plutarque. On peut parler de reprise, d’adaptation, d’utilisation d’arguments sceptiques, mais pas d’une adhésion au scepticisme, parce que, dans le système dualiste qui est propre à Plutarque, la simple polémique anti-empiriste n’exclut pas que la connaissance soit possible à un autre niveau, en l’occurrence au niveau intelligible. L’affirmation qui conclut la discussion de Socrate dans le traité Contre Colotès est à cet égard exemplaire : Quant au raisonnement qui infère que les sensations ne sont pas exactes ni parfaitement fiables, il ne fait pas disparaître le fait que chacune des réalités nous apparaît. Cependant, bien que pour nos actions nous nous servions des sensations conformément à ce qui nous apparaît, ce même raisonnement ne nous autorise pas à nous fier à elles comme si elles étaient entièrement vraies et infaillibles. Car si la nécessité et le besoin s’en contentent comme d’un point de départ, faute de mieux, la connaissance scientifique que l’âme philosophique aspire à acquérir sur chaque sujet, les sensations ne la détiennent pas (ἣν δὲ ποθεῖ φιλόσοφος ψυχὴ λαβεῖν ἐπιστήμην περὶ ἑκάστου καὶ γνῶσιν οὐκ ἔχουσι. Adu. Col. 1118B ; trad. Boulogne et alii).

Critiquer les sens, cela ne veut pas dire nécessairement qu’on est sceptique. Des considérations analogues valent également pour un autre ordre de problèmes, sur lesquels Pierluigi Donini a attiré l’attention depuis longtemps11. Les spécialistes qui avaient défendu une interprétation scepticisante (ou académisante) de Plutarque avaient en effet insisté sur des textes tels que la conclusion du De primo frigido, dans laquelle Plutarque semble épouser in propria persona l’epochè : Donini 1986, 205‑214.

11



Mauro Bonazzi

Ces arguments, Favorinus, compare-les à ceux qui ont été formulés par d’autres. Et s’ils ne le cèdent ni ne l’emportent nettement en vraisemblance sur ces derniers, envoie alors promener les opinions, en estimant que suspendre son jugement, quand les choses sont obscures, est plus philosophique que de donner son assentiment12.

Ce qui est en discussion ici n’est pas tant la faiblesse de la sensation qu’un problème scientifique et, par conséquent, les limites de la connaissance scientifique. Mais, contrairement à ce qui peut apparaître à première lecture, les choses ne changent pas  : la conclusion du De primo frigido ne contraste pas avec l’interprétation platonisante de l’Académie, parce que l’argument de Plutarque, un argument tout à fait platonicien, est que toute tentative d’éclairer un problème à partir de la seule réalité sensible est inévitablement destinée à l’échec, dans la mesure où elle n’est pas capable de prendre en considération d’une façon adéquate les principes qui comptent vraiment, c’est-à-dire les principes intelligibles. La suspension du jugement n’est pas valide dans un sens absolu, mais porte encore une fois sur le monde sensible  : c’est la seule conclusion cohérente qui reste à disposition de tous ceux qui veulent aborder les problèmes obscurs de la nature à partir d’une approche seulement naturaliste, tandis que le vrai philosophe sait qu’il faut toujours remonter aux vrais principes, c’est à dire aux principes intelligibles. Ce que le passage du De primo frigido révèle, en somme, c’est la conscience du métaphysicien, du vrai Platonicien, qui sait que l’analyse scientifique ne peut pas résoudre les problèmes qui relèvent de l’intelligible et du divin13. Lorsqu’il est question de la réalité sensible, la position de Plutarque semble donc claire. Comme il le dit dans le De primo frigido, pour trouver la connaissance, il faut remonter aux principes intelligibles (946F, 948C). Pour un Platonicien, cette référence aux principes intelligibles n’est pas surprenante. Mais c’est justement au niveau des principes intelligibles que les problèmes commencent : on peut en effet remarquer que le vrai problème, le problème de la connaissance, loin d’avoir été résolu, a simplement été déplacé sur un autre plan. Polémiquant contre Épicure (et le même discours vaut aussi à propos du stoïcisme et de toute philosophie empiriste), Plutarque a montré que la vraie connaissance ne porte pas sur le sensible, mais sur l’intelligible, 12 De primo frig. 955A (trad. Babut) : ταῦτ᾿, ὦ Φαβωρῖνε, τοῖς εἰρημένοις ὑφ᾿ ἐτέρων παράβαλλε· κἄν μήτε λείπηται τῇ πιθανότητι μήθ᾿ ὑπερέχῃ πολύ, χαίρειν ἔα τὰς δόξας, τὸ ἐπέχειν ἐν τοῖς ἀδήλοις τοῦ συγκατατίθεσθαι φιλοσοφώτερον ἡγούμενος. 13 Donini 1986, 213.



Le platonisme de Plutarque de Chéronée

en l’occurrence la vraie réalité divine de l’être. La question se pose alors de savoir s’il est possible d’avoir une connaissance des premiers principes telle qu’elle peut garantir l’épistèmè. Voilà une question qui semble aller de soi, mais il n’en est rien. C’est justement sur ce point que Plutarque se révèle être un témoin très attentif à la difficulté du problème. À première lecture, en effet, on pourrait penser que la situation est claire, de sorte qu’elle ne laisse aucune place pour le doute. À plusieurs reprises, dans des textes d’une importance capitale (du De Iside et Osiride au De animae procreatione et De E apud Delphos, pour ne mentionner que les plus importants), Plutarque souligne la structure dualiste de la réalité et insiste sur la coïncidence entre l’être intelligible et l’être divin, en attribuant à ce dernier les caractéristiques que Platon avait attribuées aux Idées  : dans un certain nombre de textes, il recense les propriétés fondamentales de Dieu, en le présentant comme éternel, incréé, incorruptible, immuable, et ailleurs il explique comment, grâce à la médiation des êtres mathématiques, le monde sensible participe de la perfection de l’intelligible. Il semble donc qu’il n’y ait pas de place pour le doute au niveau intelligible. Mais il n’en est pas ainsi, parce que, à côté des ces affirmations résolues, le discours de Plutarque, lorsqu’on arrive à traiter de la réalité intelligible et divine, se caractérise par la prudence, la précaution et l’équilibre, comme si une connaissance exhaustive de cette réalité divine était interdite aux hommes14. Le témoignage le plus éloquent, à ce propos, est le début du De Iside, un des traités « programmatiques » de la philosophie doctrinale de Plutarque : Sans doute, Cléa, les gens sensés doivent-ils demander aux dieux tous les biens : mais par-dessus tout nous les prions, eux et eux seuls, d’accorder à notre recherche, dans la mesure où l’homme peut y atteindre, la connaissance de leur propre nature (Πάντα μέν, ὦ Κλέα, δεῖ τἀγαθὰ τοὺς νοῦν ἔχοντας αἰτεῖσθαι παρὰ τῶν θεῶν, μάλιστα δὲ τῆς περὶ αὐτῶν ἐπιστήμης ὅσον ἐφικτόν ἐστιν ἀνθρώποις μετιόντες εὐχόμεθα τυγχάνειν παρ’ αὐτῶν ἐκείνων). Car l’homme ne saurait rien recevoir de plus important, la grâce divine rien octroyer de plus magnifique que la vérité. Tout ce que les hommes demandent, le dieu le leur donne, sauf l’intelligence et la pensée, dont il ne leur accorde qu’une part de jouissance. Le divin ne doit ni sa félicité à l’argent et à l’or, ni sa puissance au tonnerre et à la foudre, mais bien à la connaissance et à la pensée (ἐπιστήμῃ καὶ φρονήσει). […] La quête de la vérité, j’entends : de la vérité qui concerne Voir par ex. Ferrari 1996, 372.

14



Mauro Bonazzi

les dieux, est par suite aspiration au divin. Sa révélation, elle l’obtient par l’étude et la recherche, dont la pratique sanctifie davantage que toute lustration, que tout service sacerdotal et complaît tout particulièrement à cette déesse que tu sers, déesse sage entre toutes et vraiment philosophe, dont l’affinité particulière avec le savoir et la science semble bien attestée par le nom (διὸ θειότητος ὄρεξίς ἐστιν ἡ τῆς ἀληθείας μάλιστα δὲ τῆς περὶ θεῶν ἔφεσις, ὥσπερ ἀνάληψιν ἱερῶν τὴν μάθησιν ἔχουσα καὶ τὴν ζήτησιν, ἁγνείας τε πάσης καὶ νεωκορίας ἔργον ὁσιώτερον, οὐχ ἥκιστα δὲ τῇ θεῷ ταύτῃ κεχαρισμένον, ἣν σὺ θεραπεύεις ἐξαιρέτως σοφὴν καὶ φιλόσοφον οὖσαν, ὡς τοὔνομά γε φράζειν ἔοικε παντὸς μᾶλλον αὐτῇ τὸ εἰδέναι καὶ τὴν ἐπιστήμην προσήκουσαν. De Iside 351C ; trad. Froidefond).

Ces affirmations, placées au début du traité, sont fondamentales. Il ne s’agit pas simplement de reconnaître la supériorité du divin par rapport aux hommes, parce que cette supériorité consiste, dans un sens tout à fait platonicien, dans la possession de la connaissance – une connaissance dont les hommes sont donc privés par nature ; si le principe divin est par essence intellect et connaissance, et si les hommes sont inférieurs au dieu, ce qui en résulte, c’est que cette infériorité vaut précisement au niveau de la connaissance15. La faiblesse humaine émerge tout d’abord dans l’incapacité d’avoir une connaissance convenable des principes divins et intelligibles. Ce qui reste pour les êtres humains, c’est simplement de continuer à investiguer, sans prétendre avoir tout compris : Du reste, c’est ici l’occasion ou jamais de nous souvenir de l’Académie pour écarter une confiance excessive (τὸ ἄγαν τῆς πίστεως) et pour nous contenter, comme étant sur un terrain glissant, de garder notre équilibre dans cette question de l’infinité (De def. or. 430F-431A  ; trad. Flacelière).

L’accent est toujours mis sur la recherche, jamais sur la possession ; et ce qui est important est une attitude marquée par la précaution, l’εὐλάβεια, pour utiliser une terme décisif du vocabulaire de Plutarque. On pourrait, bien entendu, critiquer Plutarque en l’accusant d’être incohérent, d’osciller entre les deux extrêmes (incompatibles) du doute et du dogmatisme. Mais il est peu probable que ces critiques soient légitimes. Il serait plus pertinent de noter que les oscillations de Plutarque nous permettent d’introduire une nouvelle forme de « scepticisme », 15 Cf. aussi De Iside 382F-383A. Voir aussi Bonazzi 2008 à propos de la conclusion du De E, où la célébration de la puissance divine va avec la reconnaissance de la faiblesse humaine – ἀσθένεια étant le dernier mot du traité.



Le platonisme de Plutarque de Chéronée

qu’on pourrait appeler « métaphysique » d’après la formule de Pierluigi Donini16 : une forme de « scepticisme » qui dépend du dualisme sans pourtant aboutir à des conclusions dogmatiques  ; un scepticisme qui, loin de se réduire à la simple critique des prétentions de la sensation, se distingue plutôt par la conscience que, même à propos de l’intelligible et du divin, on ne peut avoir le dernier mot. Aussi bizarre que cela puisse paraître, cette nouvelle forme de scepticisme ne manque pas d’éléments intéressants. En particulier, il faut remarquer un renversement intéressant par rapport à ce que nous considérons aujourd’hui comme le « scepticisme ». Pour nous, le scepticisme consiste dans l’adhésion à une épistémologie qui implique l’impossibilité d’aller au-delà de la sensation, ce qui empêche d’avoir un vrai contact avec la réalité. Pour Plutarque, c’est le contraire : ce sont les thèses ontologiques – et notamment le dualisme – qui fondent les thèses épistémologiques. Comme nous l’avons remarqué, l’analyse de la réalité a dévoilé une structure complexe, sur deux niveaux (un niveau divin, transcendant, parfait, l’autre sensible et imparfait). Et le point décisif est que, dans la mesure où nous sommes assujettis au second niveau, nous n’avons qu’un accès partiel au premier. Grâce à l’intelligence, les hommes peuvent aller au-delà de l’expérience sensible et comprendre par opposition les caractères constitutifs de la vraie réalité. Cela va de soi. Mais, dans la mesure où nous arrivons à comprendre la distance qui nous sépare du dieu intelligible, nous comprenons dans le même temps que toute connaissance sur ce point est hors de portée, parce que la vraie réalité intelligible et divine échappe a une compréhension exhaustive. Un élément de compréhension supplémentaire vient d’une confrontation avec un des plus éminents spécialistes de Plutarque, Daniel Babut17. Fort de sa compétence remarquable, l’historien français avait à son tour insisté sur l’importance du moment sceptique dans la pensée de Plutarque et, en essayant d’individuer la spécificité de ce scepticisme par rapport à la tradition sceptique grecque, il avait résumé la position de Plutarque en termes de « fidéisme » : le scepticisme de Plutarque serait la conséquence de l’impasse dans laquelle est tombée la raison humaine, une impasse qui peut être dépassée seulement grâce à la foi ou à la croyance religieuse, dont Plutarque pour la première fois affirme l’autonomie18. Toutefois, l’interprétation de Babut pose problème, Donini 1986, 213. Voir supra, note 3. 18 Voir Amatorius 765B. 16 17



Mauro Bonazzi

parce que dans le contexte culturel du monde ancien, l’opposition entre raison et foi n’a pas de sens19. Tout au contraire, pour Plutarque et pour les autres Platoniciens, métaphysique et théologie coïncident  : il faut donc parler non pas d’opposition entre raison et foi, mais plutôt d’alliance : s’il est vrai que la philosophie aboutit à la théologie, il n’est pas moins vrai qu’il n’y a pas de théologie qui ne soit pas en même temps philosophie. La notion de « scepticisme métaphysique » nous permet de trouver une explication alternative plus solide aux aspects de la pensée de Plutarque que Babut avait soulignés avec tant de pertinence. Certes, une fois admis que Dieu constitue le plus haut niveau de réalité, Plutarque affirme aussi que le plus haut niveau de réalité n’est pas pleinement connaissable. Mais, contrairement à ce que pense Daniel Babut, cela ne signifie pas pourtant l’abandon de la raison : les écrits de Plutarque sont riches d’affirmations très fortes et dogmatiques sur la réalité divine  ; ce sont des vérités qu’il prétend pouvoir argumenter et qu’il n’accepterait pas de mettre en doute. Donc il n’est pas pertinent de parler de fidéisme. Il s’agit d’une autre question  : ce qu’il importe à Plutarque de souligner est la conscience que ces vérités qu’on parvient à atteindre, en même temps qu’elle sont atteintes, restent de fait toujours au-delà de notre pleine compréhension : dit autrement, il n’est pas question de dépassement de la raison  ; il est question de reconnaître le caractère incomplet, limité ou – mieux encore – asymptotique de notre connaissance20. La connaissance la plus haute de la réa­lité à laquelle nous pouvons parvenir ne peut jamais épuiser l’infinie richesse du premier principe intelligible et divin. À ce propos on a pu parler, à juste titre, de vérité dévotionnelle, c’est-à-dire d’une vérité qui au moment même où elle affirme quelque chose, reconnaît aussi ses limites et sa faiblesse – c’est la faiblesse épistémologique des hommes par opposition à la puissance cognitive divine21. Voilà ce en quoi consiste l’essentiel du « scepticisme métaphysique » et ce qui fait l’intérêt de la position de Plutarque : une position dualiste selon laquelle la reconnaissance de la dimension divine et intelligible s’accompagne de la reconnaissance de la faiblesse épistémologique des êtres humains, et donc de la nécessité de la recherche (qui est le sens étymologique du terme skepsis). Voir récemment Frazier 2008 et Van Kooten 2012. Frazier 2008, 260. 21 Ingenkamp 1985, 39‑40. 19 20



Le platonisme de Plutarque de Chéronée

Le platonisme selon Plutarque L’adoption de la notion de «  scepticisme métaphysique  » contribue donc, et d’une façon décisive, à éclaircir la position philosophique de Plutarque – pas seulement les idées qu’il a défendues in propria persona, mais aussi le sens profond de sa « thèse unitariste », qu’on a discutée au début. En effet, grâce à cette notion, la position de Plutarque face au scepticisme devient plus claire. Si on veut parler de « scepticisme » à propos de Plutarque, il faut toujours préciser qu’il s’agit d’une attitude très différente du scepticisme dont on parle habituellement, qu’il soit celui de l’Académie hellénistique ou celui du pyrrhonisme. Il y a chez Plutarque une conscience des limites de la connaissance humaine, mais cette conscience n’aboutit pas à la conviction qu’on ne peut rien connaître – au contraire, l’analyse de la réalité dans laquelle nous sommes plongés nous permet de comprendre un certain nombre de choses, du dualisme entre le sensible et l’intelligible à la puissance divine. Et cela s’applique aussi à sa reconstruction de la tradition académicienne et platonicienne. Même si le Contre Colotès ne le dit pas expressement, il est clair que c’est dans le termes du «  scepticisme métaphysique  » qu’il faut entendre l’interprétation dualiste de l’Académie hellénistique proposée par Plutarque  : c’est évidemment grâce à cette notion qu’il peut défendre la compatibilité de l’Académie d’Arcésilas avec le platonisme. Bien plus, l’analyse croisée des textes du Contre Coloètes et de ceux dans lesquel Plutarque parle in propria persona nous aide à comprendre qu’il ne s’agissait pas de la seule Académie hellénistique  : la bataille contre l’empirisme, le dualisme et l’eulabeia par rapport au divin et à l’intelligible sont les éléments constitutifs de toute la tradition qui remonte à Platon et dans laquelle Plutarque se reconnaissait. Le sens d’une célèbre et très débattue prise de position qu’on lit au début du De sera num. uind., dans lequel il est question de la délicate question de la providence divine, devient clair et prend alors une valeur programmatique : Ainsi, donc, prenons pour point de départ le foyer des nos pères, je veux dire ce respect du divin pratiqué par les philosophes de l’Académie, et renonçons à l’ambition impie de traiter ces questions en connaisseurs ; étant de simples hommes, tenter d’approfondir ces problèmes des dieux et des démons, c’est pire que parler musique sans compétence ou stratégie sans expérience militaire ; c’est ressembler aux ignorants qui tentent de s’assimiler la science des spécialistes à coups de conjectures, d’hypothèses et de vraisemblances (πρῶτον οὖν ὥσπερ ἀφ’ ἑστίας ἀρχόμενοι πατρῴας τῆς πρὸς τὸ θεῖον εὐλαβείας τῶν ἐν Ἀκαδημείᾳ φιλοσόφων τὸ μὲν



Mauro Bonazzi

ὡς εἰδότες τι περὶ τούτων λέγειν ἀφοσιωσόμεθα. πλέον γάρ ἐστι τοῦ περὶ μουσικῶν ἀμούσους καὶ πολεμικῶν ἀστρατεύτους διαλέγεσθαι τὸ τὰ θεῖα καὶ τὰ δαιμόνια πράγματα διασκοπεῖν ἀνθρώπους ὄντας, οἷον ἀτέχνους τεχνιτῶν διάνοιαν ἀπὸ δόξης καὶ ὑπονοίας κατὰ τὸ εἰκὸς μετιόντας. De sera 549E-F ; trad. Klaerr – Vernière).

La conscience du clivage qui sépare les hommes du monde intelligible, et l’attitude de circonspection respectueuse envers le divin (εὐλάβεια) et de recherche constituent le chiffre profond de la tradition académique, le fil rouge qui traverse son histoire riche d’oscillations et péripéties. C’est donc la notion de scepticisme métaphysique (qui comprend la polémique contre l’empirisme, le dualisme et l’eulabeia) qui est le plus petit dénominateur commun de la tradition de Platon ; voilà, en toute probabilité, quelle aurait été la thèse générale du traité Sur le fait que l’ Académie issue de Platon est une. Une thèse qui n’est pas trop éloignée de Platon, dans la mesure où dans les dialogues aussi, on trouve une tension semblable entre la perfection du niveau intelligible et divin et les aspirations cognitives des êtres humains.



« LE DIEU EST LA CAUSE LA PLUS ACTIVE » : SEXTUS EMPIRICUS CONTRE LA THÉOLOGIE DOGMATIQUE Emidio Spinelli

Le thème théologique Ce thème se prête particulièrement bien à une analyse, critique et souvent vraiment destructrice, du point de vue du néo-pyrrhonisme antique. En effet, il existe au moins deux lieux du corpus des écrits de Sextus Empiricus1 dans lesquels ce dernier attaque ce que nous pourrions définir, par des termes à la fois synthétiques et philosophiquement engagés, comme les « doctrines théologiques » les plus importantes avancées par les dogmatiques combattus dans le domaine sceptique. Il s’agit en premier lieu des paragraphes, peu nombreux mais très denses, consacrés au thème qui nous intéresse au début du troisième livre des Esquisses Pyrrhoniennes (précisément PH III 1‑12) et, ensuite, de l’analyse – parallèle il est vrai, mais que son approche ou sa richesse de données rendent très différente et donc en aucun cas superposable sic et simpliciter au texte des Esquisses – de la « théorie dogmatique des dieux » dans la longue section initiale du Contre les physiciens (à savoir : M IX 13‑194). Dans le bref espace de ma contribution, je ne prétends pas pouvoir examiner de manière exhaustive et satisfaisante ces deux lieux sextiens (encore moins toucher, voire effleurer la vexata quaestio de la chronologie relative des écrits de Sextus). Je devrai donc inévitablement effectuer En réalité, il en existe d’autres, particulièrement intéressants si l’on veut explorer la position néo-pyrrhonienne sur les questions religieuses, comme, par exemple, certains passages du dixième trope (PH I 145‑163) ou la section sur les opinions dogmatiques en conflit à l’égard des notions du divin et de la pitié religieuse dans PH III 218‑228. Toutefois, je ne m’en occuperai pas ici, quitte à les citer parfois pour renforcer les conclusions atteintes au sujet des Esquisses Pyrrhoniennes. 1

Emidio Spinelli

un choix et limiter mon analyse à la section «  théologique  » des Esquisses, avec la conviction que celle-ci contient un matériel dogmatique important et offre en même temps des arguments pyrrhoniens certainement originaux et d’une grande efficacité polémique2. En voulant indiquer, de manière schématique mais claire, les étapes que je suivrai, je pourrais indiquer trois objectifs principaux : 1. reconstruire le tissu conceptuel et textuel dans lequel Sextus insère son attaque contre la notion de divinité, en faisant néanmoins ressortir, bien que de manière synthétique, la « solution  » particulière, disons-le tout de suite pragmatique et « situationnelle », qu’il revendique pour son mouvement philosophique ; 2. identifier, de manière doxographiquement fiable et avec le plus de précision possible, les cibles historiques qu’il attaque, en développant des contre-argumentations de dérivation pyrrhonienne liées à une utilisation raffinée et consciente des outils polémiques garantis notamment par les cinq tropes d’Agrippa ; 3. montrer un des exemples les plus clairs de la stratégie « caméléontique » de Sextus, toujours prêt, dans le domaine théologique aussi, à exploiter de manière parasitaire et disserendi causa des théories ou des doctrines dogmatiques afin d’en démolir d’autres, opposées et tout aussi radicales, dans le seul but de renforcer chez le lecteur la « force égale » ou ἰσοσθένεια de λόγοι en conflit qui devrait l’amener d’abord à la « suspension de l’assentiment » (ἐποχή), puis à lui ouvrir la voie vers « la tranquillité » ou « absence de troubles » (ἀταραξία : voir PH I 8-10), au moins et certainement dans les questions concernant le domaine des opinions dogmatiques (ἐν τοῖς δοξαστοῖς : PH I 25, par exemple).

Contre la physique dogmatique Il vaut la peine de commencer en décrivant le contexte argumentatif des Esquisses, dans lequel Sextus insère son analyse polémique des idées dogmatiques sur la divinité qu’il a l’intention de démolir.

Sur le thème de l’attitude religieuse des Pyrrhoniens, voir aussi la contribution et les considérations critiques de Stéphane Marchand dans ce volume, infra, p. 103-117. 2



Sextus Empiricus contre la théologie dogmatique

Nous nous trouvons dans la première partie du livre III des Esquisses Pyrrhoniennes, consacrée jusqu’au paragraphe 167 à l’examen critique des doctrines physiques avancées par les dogmatiques. L’analyse répond dans ce cas aussi aux exigences de brièveté rappelées dès les paragraphes initiaux du texte. Il me semble opportun de citer directement les paroles de Sextus puisqu’elles servent, de manière claire et préliminaire, à expliquer au lecteur la modalité suivant laquelle s’effectuera la confrontation avec les thèses adverses et nous aident donc à présenter sous un jour approprié l’approche synthétique qui caractérise également les paragraphes « théologiques » qui nous intéressent : En ce qui concerne la voie sceptique, nous en traiterons sous forme d’esquisse dans le présent ouvrage, en ayant tout d’abord dit ceci : de rien de ce qui sera dit nous n’assurons qu’il est complètement comme nous le disons, mais pour chaque chose nous faisons en historien [ἱστορικῶς] un rapport conformément à ce qui nous apparaît sur le moment [PH I 4, tr. Pellegrin 1997, 53].

En affrontant la partie physique de la philosophie, Sextus ajoute toutefois une précision importante. L’attaque visera les thèses fondamentales qui soutiennent la physique dogmatique, et non pas les doctrines spécifiques qui la caractérisent, suivant une méthode qui avait déjà été introduite précédemment (voir surtout PH II 84). Il s’agit d’une méthode polémique importante et illustrée à maintes reprises avec efficacité par Sextus3, surtout parce qu’elle est en nette contradiction à ses yeux avec la manière opposée de procéder de l’Académie sceptique. Elle est illustrée ultérieurement et défendue en détails – ainsi que louée comme «  beaucoup plus technique  » (πολλῷ τεχνικώτερον) et «  beaucoup plus élégante artistiquement  » (πολλῷ χαριέστερον)4 dans le passage parallèle de M IX 1‑3. En effet, dans ce dernier, à travers des images tirées du monde militaire (par exemple celle du siège), Sextus spécifie comment de telles attaques ne visent pas tant à toucher des éléments de détail ou périphériques d’un système dogmatique consacré à l’explication de la φύσις, mais plutôt à en démolir les 3 Outre notre passage, voir M IX 1‑3 et PH II 84 ; voir aussi M VIII 337 ; XI 257 ; I 40 et Decleva Caizzi 1992, 287‑289. 4 Bett 2015, 41, rappelle l’attention portée sur cet adjectif qui, en décrivant la stratégie de l’attaque pyrrhonienne montre « an unusual appeal to broadly aesthetic considerations » ; toutefois, Bett soutient également (41, n. 19) que l’absence de la métaphore militaire dans PH III 1 « seems designed to allow that there are other subjects to discuss besides principles ».



Emidio Spinelli

principes fondamentaux et les éléments essentiels. C’est donc cela qui devient la cible des critiques sextiennes  : en effet, suivant un principe d’«  économie occamiste  », il faut concentrer le feu de la polémique contre les fondements de l’édifice dogmatique, car seul leur renversement sera la garantie de l’écroulement de tous les autres aspects théoriques qui reposent sur elles. De manière cohérente avec cette approche du problème, le premier thème choisi est celui qui est lié à la détermination des principes (ἀρχαί) de la réalité5, que la doxographie antique tendait à présenter comme l’objet spécifique des enquêtes physiologiques de l’École de Milet (et sans doute encore avant, avec une anti-datation à Homère dont il reste des traces chez Sextus aussi : cf. M IX 4). Pour simplifier ultérieurement le thème à traiter, Sextus accueille donc une nette bipartition des principes en matériels et actifs6, qui est ramenée à l’accord d’une majorité anonyme de penseurs (§ 2 : « la plupart des penseurs », οἱ πλείους). La lecture du passage parallèle du Contre les physiciens nous apprend quelque chose de plus, à savoir que cette bipartition avait été proposée par ceux qui s’étaient le plus soigneusement occupés de physique, ou, mieux, par les meilleurs d’entre eux (voir respectivement : « ceux qui […] semblent avoir classé avec le plus d’exactitude les principes de l’univers », M IX 4, qui sont « les meilleurs d’entre les physiciens », M IX 12). Bien que la bipartition en soi soit une sorte de lieu commun, amplement répandu et dont on peut reconstruire la présence déjà chez Platon et Aristote7, on ne peut nier le fait qu’elle fut particulièrement exploitée dans le milieu stoïcien8. Devant commencer sa réfutation, Sextus choisit de s’occuper des principes actifs9, dont le poids spécifique en physique est majeur et qui répondent donc mieux à son exigence de démolir les fondements de cette discipline.

5 La préoccupation de Mates 1996, 289, qui propose de traduire ἀρχαί par sources plutôt que par principles « because that word nowadays usually refers to propositions, not things or events », me semble discutable. 6 L’ordre semble être inversé (actifs/matériels) dans la traduction de Pellegrin 1997, 357. 7 Cf. surtout Hankinson 1995, 237. 8 Cf. Diogène Laërce VII 134 ; Sénèque, Ep. 65, 2 et bien sûr M IX 11 (= SVF II 301) ; voir aussi Pellegrin 1997, 357, n. 3. 9 Le terme technique utilisé ici est δραστικός (considéré comme équivalent de l’ἐνεργητικὸν αἴτιον dans PH III 13) ; dans M IX 4, le terme est en revanche δραστήριος, alors que dans M IX 12 on trouve l’expression équivalente ποιητικός.



Sextus Empiricus contre la théologie dogmatique

Sur la divinité : la « solution sceptique » En structurant l’analyse polémique de la question, Sextus paraît relativement indépendant par rapport à la tradition de son ἀγωγή10, sans doute parce qu’il est plus proche d’une vulgata doxographique que l’on retrouve également dans les schémas d’Aëtius11. En effet, il se laisse guider par une sorte d’opinio communis, c’est-à-dire par ce que pense « la plupart » (οἱ πλείους), et arrête son enquête sur ce que l’on peut imaginer de plus actif et de plus productif : la divinité12. Il faut tout de suite dire que l’inflexion physique donnée au rôle et à la fonction de la divinité permet d’identifier le plan véritable sur lequel jouera Sextus. En effet, bien loin de proposer une sorte d’argument du pari « à la Pascal »13, il visera uniquement ce que nous pourrions définir, en recourant à une distinction proposée par Julia Annas14, comme les « croyances théologiques » (theological beliefs). Celles-ci sont profondément enchevêtrées les unes aux autres chez les penseurs dogmatiques – encore une fois, je crois, surtout chez les Stoïciens – et ce sont elles qu’il a à l’esprit quand il aborde la structuration physique du cosmos. Il laisse en revanche de côté – parce que soustraites à la critique et, même, comme nous le verrons tout de suite, presque justifiées et justifiables, au moins d’un point de vue véritablement sceptique – les « croyances religieuses » (religious beliefs). Bien que productive sur le plan exégétique, une telle distinction semble créer une duplicité de perspectives que l’on ne peut attribuer qu’avec une grande prudence à la position pyrrhonienne15. En effet, elle peut être accusée d’avoir cédé aux beliefs ou δόγματα uniquement dans le sens premier et très faible de δόγμα identifié (et approuvé) par Sextus dans PH I 13, c’est-à-dire Au sens de « dogme » selon lequel, plus communément, certains disent qu’un dogme est le fait d’accepter une chose déterminée (car le sceptique donne son assentiment aux affects qui s’imposent à lui à travers Cf. Barnes 1990, 2654, n. 172. Sur cette question, voir surtout Runia 1996, 572. 12 Au début du § 2 il y a aussi la seule occurrence du verbe σκοπέω présente dans les Esquisses Pyrrhoniennes. 13 Sur cette question, voir Bett 2015, 53 et 64‑65 ainsi que Thorsrud 2011, 92. 14 Cf. Annas 2011, surtout 76 ; voir aussi Long 2006, 116. 15 Pour certaines objections contre la position de Annas et contre quelques observations semblables de Sihvola 2006 et Knuuttila-Sihvola 2000, cf. Bett 2015, 55‑57 ; Thorsrud 2011, 93‑94 avance lui aussi quelques critiques. 10 11



Emidio Spinelli

une impression [τοῖς γὰρ κατὰ φαντασίαν κατηναγκασμένοις πάθεσι] ; par exemple il ne dira pas, alors qu’il a chaud ou qu’il a froid, « il me semble que je n’ai pas chaud ou que je n’ai pas froid ») (tr. Pellegrin 1997, 61).

Le discours devient donc plus complexe et la « religiosité » de Sextus doit sans doute être évaluée en l’insérant dans un cadre plus vaste, dans lequel ramener également ses critiques théologiques16. À la lumière de ces considérations et de l’orientation particulière de l’analyse proposée au début du Contre les physiciens, la précision que Sextus apporte avant de lancer son attaque (à savoir : ἐκεῖνο προειπόντες, suivant un caveat que nous avons déjà rencontré en lisant PH I 4) paraît moins étrange et excentrique. Il ressent donc l’exigence d’éclaircir l’attitude que le vrai sceptique adopte dans le domaine religieux et qui semble aboutir à une forme extrêmement simplifiée de religiosité ou, si l’on veut, de « théologie élémentaire de l’habitude ». À ses yeux, celleci est sans doute soustraite aux contradictions dont sont victimes dans ce domaine aussi tous ses adversaires dogmatiques, tant les philosophes de profession que les soi-disant hommes de la rue, étymologiquement « idiots »17. Cette « théologie élémentaire de l’habitude » se ramène entièrement à l’acceptation (le verbe utilisé est, de manière significative, κατακολουθέω), passive, acritique et, de toute manière, non dogmatique (comme le rappelle l’adverbe ἀδοξάστως), de trois caractéristiques – existence, obligation de vénération et providentialité – traditionnellement liées au concept de divinité par ce que Sextus appelle tout simplement βίος. Sans entrer ici dans le détail d’une question qui mériterait un plus grand espace, je me limite à rappeler que, lorsque Sextus en appelle au βίος comme critère auquel conformer l’attitude sceptique, il le fait en ayant toujours à l’esprit le caractère «  commun  », c’est-à-dire κοινός (dans le sens quasi synonymique de produit de l’habitude ou συνήθεια, aussi bien comportemental que linguistique, dirais-je) de ce βίος. Pour être encore plus précis, Sextus entend ainsi spécifier, contre toute accusation d’inactivité (ἀνενεργησία ou ἀπραξία), que le sceptique peut lui aussi vivre (et vivre de manière cohérente) s’il s’en remet à la βιωτικὴ τήρησις (tout à fait étrangère à toute imposition théorétique forte, parce que littéralement ἀφιλόσοφος, comme on peut le lire également dans le M XI 16 Si cela est vrai, il est difficile d’accepter les conclusions catégoriques et négatives de Bett 2015, 65‑66 ; voir aussi les observations de Pellegrin 1997, 359, n. 1 et de Bailey 2002, 192‑193. 17 Sur cette caractéristique de la critique de Sextus, voir aussi Thorsrud 2011, 95 et 101‑103.



Sextus Empiricus contre la théologie dogmatique

165) c’est-à-dire à une forme tout à fait spéciale d’expérience, d’observation empirique, voire d’« observance comportementale »18. La meilleure façon de comprendre à fond cette attitude spéciale (et sans doute unique dans le panorama philosophique de l’Antiquité) défendue dans PH III 2 est en premier lieu d’éviter tout préjugé hâtif et donc de ne pas la considérer négativement comme une forme d’hypocrisie, de dissimulation rusée ou d’habile compromis «  caméléontique », dictée par la peur d’être la victime d’accusations d’impiété voire d’athéisme19. Si on veut s’efforcer de comprendre la raison pour laquelle Sextus affirme (certainement en ayant à l’esprit, comme on l’a déjà rappelé, le caveat habituel selon lequel il le fait ἀδοξάστως) au préalable qu’en suivant sans soutenir d’opinion les règles de la vie quotidienne nous disons qu’il existe des dieux, nous révérons les dieux et nous affirmons qu’il exercent une providence ; mais contre la précipitation des dogmatiques nous disons ce qui suit (tr. Pellegrin 1997, 359).

Deux points doivent être clairs  : avant tout, nous devons rappeler, comme nous le lisons dans notre passage, que tous ses efforts s’adressent exclusivement contre la προπέτεια (ou « précipitation ») de tous les dogmatiques (qu’ils soient philosophes ou hommes communs) qui, au lieu de persévérer de manière ininterrompue, comme le font uniquement les Pyrrhoniens, dans la recherche d’une issue dans les questions théo18 Plus en général, sur la notion de τήρησις, voir Spinelli 2008. Pour enrichir le tableau de cette option pyrrhonienne particulière, on peut certainement tirer des éléments utiles de la lecture du passage parallèle de M IX 49 (où Sextus insiste de nouveau sur le fait que sa polémique porte uniquement sur les jugements théologiques rapides des dogmatiques, qu’il refuse parce qu’ils sont prononcés ὅσον ἐπὶ τῇ φιλοσόφῳ ζητήσει) : sur ce passage, voir également les considérations de Bett 2015, dont les conclusions semblent toutefois extrêmement (et probablement souvent de manière illégitime) critiques à l’égard de la cohérence argumentative de Sextus. En revanche, les justifications de la position sextienne qu’offre Thorsrud 2011, qui tente de montrer « that the skeptics piety is sincere insofar as it arises from religious experience – the crucial difference is that the skeptic’s religious experience does not cause him to have any beliefs » (97, n. 8), semblent plus prudentes et partageables ; voir aussi les observations de Marchand dans ce volume, infra, p. 104-107. 19 Si l’on peut discuter sur le caractère plus ou moins conformiste (une sorte de «  halfhearted conformism  » pour Penelhum 1983, 296‑297) de la position pyrrhonienne présentée ici, je ne crois pas que l’on puisse en revanche l’étiqueter comme consciemment « opportuniste », comme le soupçonne Mates 1996, 289 ; sur cette question, et dans une direction semblable, cf. aussi Barnes 1997, 85‑86 ; Bailey 2002, 193 et Bett 2015, 55‑56 et 59‑60. Pour la défense de Sextus contre les accusations possibles, comme par exemple l’absence de franchise ou la tromperie intentionnelle, cf. maintenant surtout Thorsrud 2011.



Emidio Spinelli

logiques, embrassent une solution théorique ou se retranchent derrière la négation absolue de l’existence même des dieux. Sur ce plan, dans le tumulte des opinions discordantes, on ne peut qu’exhorter à la prudence (et sans doute éviter aussi de manière consciente toute offense contre les dieux et les hommes20) et, même, exploiter tous les instruments polémiques, comme nous le verrons tout de suite, pouvant servir à révéler ou, si nécessaire, à construire une équivalence de thèses ou d’opinions opposées et incapables d’imposer une vérité irréfutable sur le problème de la divinité. En second lieu, et je dirais surtout, les affirmations d’hommage pragmatique aux coutumes religieuses doivent elles aussi être entendues à la lumière d’assomptions plus générales de responsabilité éthique de la part des Pyrrhoniens. Dans ce sens, il est sans doute opportun de rappeler un des rares lieux dans lequel Sextus argumente à fond en faveur de la légitimité d’une « éthique sceptique » en mesure de guider nos choix, sans toutefois devoir céder aux contraintes théoriques du dogmatisme moral. Il s’agit d’un passage très célèbre (PH I 23‑24), où est décrite en détail la structure quadruple qui, sur la toile de fond de l’adhésion à τὸ φαινόμενον, permet au sceptique de mener son existence « en observant les règles de la vie quotidienne sans soutenir d’opinions  » (κατὰ τὴν βιωτικὴν τήρησιν ἀδοξάστως βιοῦμεν). Parmi les quatre aspects qui représentent dans ce texte la charpente de cette « observance comportementale », outre les conditionnements « naturels » liés d’une part à la « conduite de la nature » (ὑφήγησις φύσεως) et, de l’autre, à la « nécessité de nos affects » (ἀνάγκη παθῶν) et sans préjudice du rôle positivement utile reconnu à l’« apprentissage des arts » (διδασκαλία τεχνῶν), « la tradition des lois et des coutumes » (παράδοσις νόμων τε καὶ ἐθῶν) émerge au premier plan. Afin d’identifier le domaine de référence de cette catégorie d’action et d’éliminer toute possibilité d’équivoque sur l’espace d’interaction humaine qu’elle implique21, Sextus recourt à un exemple ancré dans la pratique religieuse et donc typique, non pas tant d’une pensée théologique abstraite que d’une pensée bien plus concrète (et justement quotidienne, presque évidente, dirais-je, à cause du sentiment culturel et cultuel répandu dans le monde païen22). En effet, il précise que « par la tradition des lois et des coutumes nous considérons Sur ce point, voir surtout Bett 2015, 54. Sur cette question, voir aussi Thorsrud 2011, 109, n. 22. 22 Annas 2011 insiste particulièrement sur cet aspect historique et presque « sociologique », caractéristique de l’ancienne considération à l’égard des usages religieux. 20 21



Sextus Empiricus contre la théologie dogmatique

la piété (τὸ εὐσεβεῖν), dans la vie quotidienne, comme bonne et l’impiété (τὸ ἀσεβεῖν) comme mauvaise » (PH I 24, tr. Pellegrin 1997, 69). Le lien entre l’énonciation programmatique (mais «  sans soutenir d’opinion ») de ces règles d’engagement moral dans les paragraphes initiaux du premier livre des Esquisses et l’acceptation répétée de croyances religieuses « normales » qui, comme on l’a vu, chapeautent l’analyse des théories théologiques dogmatiques bien plus complexes et dangereuses, rentre donc dans le cadre beaucoup plus vaste d’une justification philosophique de l’agir sceptique23. Bref, personne, même lorsqu’il s’agit d’attitudes religieuses, ne peut se sentir le dépositaire de la vérité absolue ni ne peut donc se présenter comme le champion dogmatique d’un « art de la vie » présumé supérieur. En effet, nous réglons tous notre conduite sur la base non pas de valeurs objectives inexistantes, mais sur ce qui, chaque fois, nous paraît bon ou mauvais et donc aussi sur la base de ce qui nous semble, ici et maintenant, religieusement acceptable, selon le milieu culturel dans lequel nous vivons et œuvrons. Pour Sextus, la prémisse nécessaire de la « théologie élémentaire de l’habitude » dont nous nous occupons se structure donc comme une forme particulière de consensus et d’acceptation du cours du monde, mais sans l’angoisse qui dérive de la présomption à saisir, sur le plan théorétique, la véritable nature du divin et (pourrions-nous ajouter, en anticipant des considérations que nous retrouverons dans la partie conclusive de ma contribution) à connaître, au sens fort et absolu du terme, le tout aussi véritable dessein rationnel qui gouverne la réalité.

Au cœur de l’attaque sceptique Après cette précision préliminaire sur l’attitude religieuse quotidienne et orientée pragmatiquement des Pyrrhoniens, Sextus, suivant un mode d’exposition typique de son style polémique24, commence à proposer ses objections à l’égard des argumentations véritables qui avaient été avancées par les dogmatiques pour soutenir à la fois la notion et l’existence ou la subsistance effective de la divinité.

23 Pour quelques remarques intéressantes sur les caractéristiques d’un agir sceptique, mais sans opinions, dans le domaine religieux aussi, cf. également Thorsrud 2011, 103‑110 ; pour une approche plus générale, je renvoie à Spinelli 2005, ch. 6. 24 Voir aussi Bett 2015, 44.



Emidio Spinelli

La première vague de critiques antidogmatiques (§§  2‑3) exploite le trope de la διαφωνία25 qui, il ne faut jamais l’oublier, est une «  une dissension indécidable, aussi bien dans la vie quotidienne que parmi les philosophes » (PH I 165). Cette dissension montre comment il n’existe aucun accord parmi les dogmatiques sur aucune des caractéristiques qui devraient être propres au concept de divinité : aucun accord sur la substance (corporelle ou incorporelle ?), ni sur la forme (anthropomorphe ou non ?), ni, enfin, sur le lieu (à l’intérieur ou à l’extérieur de l’univers ? Ou, plutôt, dans aucun lieu ?). Les paragraphes 4 et 5 font barrage à la tentative – de « saveur » épicurienne (voir par exemple Épicure, Ep. Men. 123), mais plus amplement partagée (par les Stoïciens eux-mêmes, cf. DL VII 147 et sans doute aussi, au sens large, par « tous les hommes » : cf. M IX 33)26 – d’en fixer la « prénotion commune » en insistant sur au moins deux « accidents » fondamentaux  : l’incorruptibilité et la béatitude. L’argumentation de Sextus suit deux voies distinctes. La première, au lieu de s’appuyer sur les objections déjà soulevées dans PH II 228, repose sur un raisonnement utilisé explicitement ailleurs pour nier le caractère connaissable du concept de « bien »27 : pour connaître les accidents d’une réalité x (qu’il s’agisse de la divinité, de τὸ ἀγαθόν ou, plus banalement, de Dion, d’un cheval ou d’une vache, cela est indifférent), il faut d’abord en avoir compris l’essence. En revanche, la deuxième objection exploite de nouveau le « désaccord indécidable » qui existe dans le domaine dogmatique au sujet de l’identification correcte de ce qui est « bienheureux », en mettant l’une après l’autre respectivement une thèse sans doute stoïcienne (« est-ce le fait d’agir selon la vertu et de prévoir les choses qui sont ordonnées à soi ») et une thèse épicurienne (« ou d’être inactif, c’est‑à‑dire n’avoir aucune affaire soi-même et ne s’occuper de rien pour un autre »)28. Du reste, même si on veut concéder le point qui vient d’être contesté, à savoir la possibilité de concevoir ὁ θεός, il faut admettre que la persistance de la discordance d’opinions dogmatiques montre que même 25 Ce trope est utilisé de nouveau plus loin, dans PH III 218‑219, ce qui confirme l’utilisation massive de la part de Sextus de la tropologie d’Agrippa : cf. aussi Bett 2015, 45. 26 Sur la question de l’identité des anonymes qui se cachent derrière le φασί de Sextus, cf. Long 2006, 114, n. 2. 27 Cf. PH III 173‑174 et M XI 37‑39. 28 Tr. Pellegrin 1997, 361. Pour des doutes sur la paternité de la thèse stoïcienne, cf. Long 2006, 116‑118 ; pour la position épicurienne, voir aussi PH III 219.



Sextus Empiricus contre la théologie dogmatique

son existence est quelque chose dont l’évidence ne s’impose pas à tout le monde sans discussion (§ 6). Et on ne peut pas non plus offrir une « démonstration  » de cette existence présumée par le moyen de quelque autre réalité. En effet, comme on peut le lire aux §§ 7‑8, si cette dernière est évidente, l’existence même d’un dieu le sera elle aussi29  ; si, en revanche, elle n’est pas évidente, il faut admettre, encore une fois en exploitant un des modes d’Agrippa, que la démonstration risque de tomber dans l’impasse d’un recul tendant à l’infini.

Contre la théodicée… Après avoir mis en crise l’existence même de la divinité, Sextus affronte un des chevaux de bataille de la théologie dogmatique, principalement mais pas exclusivement stoïcienne : à savoir le thème de la providence. L’argumentation sextienne reprend30 des objections anti-stoïciennes formulées dans le domaine épicurien31. En effet, il veut dégager le terrain de toute théorie théologiquement forte sur l’ordre providentiel présumé imposé à la réalité par la divinité et donc combattre de manière définitive – par des arguments différents et philosophiquement plus solides par rapport aux tentatives anti-leibniziennes postérieures, plus heureuses et littérairement plus attrayantes, comme celles du Candide de Voltaire – tout postulat plus ou moins voilé à l’appui de la théodicée dogmatique. Dans ce sens, et en hommage à l’habilité sceptique, déjà rappelée et célébrée, à construire des oppositions inconciliables entre les différentes thèses de ses adversaires, Sextus, afin d’équilibrer e contrario une théorie providentialiste radicale comme (je le répète) devait l’être à ses yeux surtout celle des Stoïciens, trouve une aide très solide dans un autre argument, qui plonge clairement ses racines dans la conception épicurienne de la divinité32. Si l’on veut ici Pour cette conclusion, cf. PH II 117 et 169. Il est difficile de dire s’il le fait après une lecture directe ou par l’intermédiaire d’une source académico‑sceptique, comme le supposait Schmid 1961, 786 ; mais voir aussi infra, n. 31. 31 Cf.  justement le témoignage parallèle de Lactance  : frg. 374 Usener. Pellegrin (1997, 363, n. 3) renvoie également à Lucr. DRN, V 195sq., en refusant toutefois une paternité épicurienne trop rigide. En revanche, à mon avis, c’est justement et seulement l’utilisation parasitaire d’un matériel épicurien qui peut rendre compte de manière appropriée des intentions polémiques de Sextus dans ces paragraphes : voir Spinelli 2015. Plus généralement sur le témoignage de Lactance voir enfin Althoff 1999 et Penwill 2004. 32 Voir aussi Annas 2011, 84, n. 26. 29 30



Emidio Spinelli

rappeler un seul passage, particulièrement clair dans sa brièveté, qui confirme la proximité théorique de la position d’Épicure avec les intentions polémiques de Sextus, il convient probablement de lire la première des Maximes Capitales : L’être bienheureux et incorruptible n’a pas lui même de préoccupations et n’en cause pas chez autrui, de sorte qu’il n’éprouve ni accès de colère ni complaisances. C’est en effet chez un être faible que l’on trouve cela [Morel 2011, 106].

Cette considération épicurienne de la divinité comme un être non seulement incorruptible mais surtout dont la béatitude est directement proportionnelle à son désintérêt envers les vicissitudes de notre monde et donc totalement étrangère à tout soin ou à toute préoccupation providentialiste, peut être temporairement exploitée par Sextus, sans, bien entendu, qu’il l’accueille en propre33, pour construire « caméléontiquement », dans les paragraphes 9‑12 de notre texte, une anti-théodicée et prégnante et ironique. Celle-ci représente un unicum dans le corpus sextien (sans, surtout, aucun parallèle dans la section bien plus ample sur les dieux dans le Contre les physiciens) et il vaut donc la peine d’en retracer au moins les traits essentiels34. Celui qui admet la πρόνοια divine est placé face à une alternative nette35. La divinité exerce son pouvoir providentiel – et tourné vers le bien, pourrions-nous ajouter – : ou sur toutes les choses (1) ou sur certaines seulement (2). La première voie est toutefois barrée par un contre-exemple factuel très fort (§ 9) : l’existence du mal dans le monde – admise par les partisans d’un ordre providentiel de la réalité36. L’analyse de la deuxième al Voir aussi Thorsrud 2011, 96 et 102, n. 15. Sur tout le témoignage, cf. avant tout Gigante 1981, 110‑111, qui rappelle correctement les mérites qu’il faut reconnaître dans ce cas à Giorgio Pasquali, auquel « è toccato di aprire la via metodica di utilizzare il materiale dossografico che si rinviene in Sesto ». 35 Pour une illustration complète du schéma de division que l’on peut tirer du passage de Sextus, cf. Runia 1996, 565, qui renvoie utilement à des témoignages à la fois parallèles, comme par exemple Épictète, Diss. I, 12, 3 et Ps.-Galien Hist. Phil. 16 (= Dox. gr. 608‑609), et « excentriques », comme par exemple Némésius, De nat. hom. 43, 126, 22 Morani. 36 Je crois qu’il faut identifier derrière le λέγουσιν les « philosophes de profession » – sans doute encore une fois stoïciens, comme le ferait supposer l’insistance sur la large diffusion de la κακία – plutôt que les « people in general », comme le soutiennent Annas-Barnes 20002, 145, n. 15. 33 34



Sextus Empiricus contre la théologie dogmatique

ternative (§§ 10‑11), en mettant en discussion le rayon d’action étroit de l’action providentielle, donne lieu à un quadrilemme37, dont les cornes et les réfutations respectives peuvent être schématisés ainsi : La divinité, par rapport à la réalité : a. veut et peut agir | | b. non, parce que le mal subsiste !

veut mais ne peut pas | | alors elle est faible

peut mais ne veut pas | | alors elle est envieuse

ne veut ni ne peut | | elle est envieuse et faible

Les conclusions énoncées dans la section (b) du schéma sont toutes incompatibles avec une vision vraiment pieuse de la divinité – comme le rappelle le paragraphe conclusif (§ 12 : et nous avons ici, de manière significative, la présence du verbe ἐπιλογιζόμεθα), à travers une allusion explicite à l’impiété contradictoire de toute thèse théologique étroite affirmée fortement38 et, implicitement, par un rappel à la forme différente de piété (ou εὐσέβεια) plus « normale », quotidienne et pragmatiquement efficace, que nous avons vu tranquillement accueillie et réalisée par le véritable Pyrrhonien. Les soi-disant solutions théoriques dogmatiques rendent donc insoutenable, aux yeux de Sextus, la thèse de départ d’un soin providentiel du monde de la part de la divinité. L’existence du principe causal suprême, non seulement ne peut pas être saisie de manière évidente et « phénoméniquement » directe, mais ne peut pas non plus être démontrée indirectement, c’est-à-dire à partir de ce qu’elle devrait effectuer ou porter à terme39. 37 Dans la forme logique aussi, cette objection semble imiter polémiquement des structures argumentatives typiquement stoïciennes, comme celle de ratio, voire « pentalemmatique  », ramenée de manière explicite à Chrysippe, Diogène de Babylone et Antipater de Tarse, et enregistrée par Cicéron (Diu. I, 82‑84) pour démontrer l’existence de la divination, à partir de l’existence des dieux. 38 Cf. l’occurrence de l’adverbe διαβεβαιωτικῶς ; sur le caractère « provocateur » de cette objection sextienne, cf. aussi Thorsrud 2011, 95. Rappelons en outre que l’on trouve des argumentations semblables chez Aëtius : voir par exemple plac. I, 7, 10 et les observations de Runia 1996, 571‑572. 39 Pour ce genre de critique, qui attaque la compréhensibilité d’une activité, qu’il s’agisse de science ou d’art (dans notre cas, du « gouvernement du monde »), en montrant l’inexistence de ses effets présumés, voir aussi M XI 188, 197s. et PH III 243.



Emidio Spinelli

Mais rien n’empêche que l’on puisse remplacer la faiblesse de la démonstration, même sur le plan religieux, par l’attitude sceptique, empirique et contingente, dans le monde et pour le monde40.

40 La traduction de cet article en français est due à Tomaso Berni Canani. Cette intervention est publiée dans le cadre des recherches liées à la réalisation du projet PRIN 2009.



RELIGION ET PIÉTÉ SCEPTIQUES SELON SEXTUS EMPIRICUS Stéphane Marchand 

Pour Mahaut

Parce que le scepticisme est une philosophie sans thèse, il peut recevoir une pluralité d’interprétations parfois contradictoires. À  propos du scepticisme, un malentendu est toujours possible  : aujourd’hui autant des créationnistes que des évolutionnistes, des athées que des philo‑ sophes chrétiens utilisent le scepticisme pour des buts diamétralement opposés. À ce titre, poser la question de la relation entre scepticisme et religion est une bonne occasion pour lever, autant que faire se peut, cer‑ taines indéterminations propres au corpus sceptique. En ce qui concerne Sextus Empiricus, trois textes abordent la ques‑ tion de la religion et de la piété sceptiques. Dans les Esquisses Pyrrhoniennes (PH) I 23‑24, Sextus explique que le Sceptique n’est pas inactif contrairement à ce que prétendent les dogmatiques, qu’il agit en suivant les phénomènes c’est-à-dire qu’il vit selon « les règles de la vie quoti‑ dienne » parmi lesquelles celle « de suivre la tradition des lois et des coutumes qui fait que nous considérons la piété, dans la vie quotidienne, comme bonne et l’impiété comme mauvaise  »1. Cette position se re‑ trouve en PH III 2 en préliminaire de l’enquête physique sur les dieux : «  en suivant sans soutenir d’opinions les règles de la vie quotidienne nous disons qu’il existe des dieux, nous révérons les dieux et nous affir‑ mons qu’ils exercent une providence… » ; elle est répétée, enfin, dans le livre I du Contre les physiciens (AM IX), 49 : « suivant les coutumes

J’utilise la traduction de Pierre Pellegrin (Pellegrin 1997) pour PH, et je traduis le Contre les Physiciens (AM IX‑X). 1

Stéphane Marchand

traditionnelles et les lois, il [sc. le Sceptique] dit que les dieux existent et il s’applique à les servir et les respecter »2. Le propos de cet article est d’interroger cette position en deux temps : 1. Quelle est l’intention de Sextus quand il parle de la religion et de la piété sceptiques ? Comment caractériser la position per‑ sonnelle du Sceptique sur cette question ? 2. Une fois formulée une hypothèse sur cette intention, reste à tes‑ ter la validité et la cohérence de cette position en relation avec le concept de piété. La piété sceptique est-elle possible ?

La place de la religion dans le néo-pyrrhonisme Pourquoi sonder l’intention réelle du sceptique, comme si ce qu’il di‑ sait ne suffisait pas pour connaître sa position ? Cette question se répète fréquemment pour l’interprétation du scepticisme du fait de l’aspect dé‑ fensif et critique des textes sceptiques. Dans ses œuvres, Sextus favorise l’exposé spécial du scepticisme, c’est-à-dire la critique du dogmatisme. De ce fait, l’interprétation de la position sceptique est problématique : il y a toujours un espace pour le jeu interprétatif, du fait de la prudence de Sextus, mais aussi de la structure même du scepticisme, défini comme une faculté (δύναμις, PH I, 8), une voie (ἀγωγὴ, PH I, 7) plutôt que comme une école (αἵρεσις, PH I, 16‑17). Les positions sceptiques portent une part d’indétermination qui est cohérente avec la structure non thétique de cette philosophie. La question de la piété ne fait pas exception ici : Sextus ne produit aucune théorie sur la piété sceptique ; il ne saurait y avoir de περὶ εὐσεβείας sceptique, ni de définition précise de la piété et de la religion sceptiques. Un problème de théologie ou de philosophie de l’action ? En PH I 23‑24, la question de la piété sceptique est introduite au sein d’un argument concessif permettant d’expliquer comment, sans avoir d’opinion, le Sceptique peut agir, en réponse à l’objection de l’inaction, l’ἀπραξία. Cette objection a été déclinée selon plusieurs versions3. Une version radicale consiste à montrer que le Sceptique n’est pas capable de 2 Voir aussi PH III, 219 sq., qui expose les désaccords dogmatiques sur « la piété et le service des dieux » mais n’évoque pas la question de la piété sceptique. Sur ces textes, voir l’article d’E. Spinelli dans le présent volume. 3 Cf. Vogt 2010.



Religion et piété sceptiques selon Sextus Empiricus

vivre, ni d’effectuer les actions minimales nécessaires à la vie humaine : aller quelque part, boire, manger, sentir, penser,… sont des actions qui requièrent, selon cette objection, d’avoir des croyances. Mais l’exemple de la piété dépasse le cadre de cette version radicale de l’ἀπραξία. Contre cette dernière, les deux premières règles (la conduite de la nature et la nécessité des affects) suffiraient. Les deux dernières règles (tradition des lois et des coutumes, apprentissage des arts) montrent bien plutôt comment le sceptique peut vivre une vie d’homme normal dans une cité, avec un métier, etc. Pour cette raison, elles répondent probablement à une autre objection qui dénonce une contradiction entre les principes sceptiques et la vie sociale, laquelle supposerait l’acceptation de certaines règles, certaines normes sociales ou techniques. La réponse de Sextus montre donc que l’action sceptique n’est pas réductible à un pur mécanisme pathologique, et permet des réac‑ tions plus élaborées que des actions réflexes, ou de pures répétitions. Le sceptique est capable d’agir dans un environnement complexe, dans un monde où il y a des croyances, des cultes, des valeurs qui dictent le comportement de la majorité des hommes. Selon Sextus, le sceptique est capable de s’insérer dans le monde sans pour autant partager ces croyances dogmatiques. À la différence du dogmatique, il ne suivra pas les normes sociales parce qu’il considère qu’elles sont vraies ou justes, mais parce qu’elles reposent sur un usage et une tradition. Dans la troi‑ sième règle de l’action « selon la tradition des lois et des coutumes » (τὸ δὲ ἐν παραδόσει νόμων τε καὶ ἐθῶν), c’est donc la παράδοσις qui importe, le fait que ces normes se soient transmises dans le temps, et constituent une tradition au sens propre dont la légitimité repose sur l’usage du passé4. Qu’en est-il de la piété  ? En PH I, 24, la piété est simplement un exemple de cette capacité du sceptique à agir en suivant « la tradition des lois et des coutumes ». Dans ce passage, elle n’a pas d’autre valeur, et aurait pu être remplacée par un autre exemple, comme celui du tyran du Contre les moralistes (AM XI, 162 sq.). Dans les deux cas, il s’agit de montrer comment le sceptique peut accomplir des actions qui sont tradi‑ tionnellement pensées à partir d’une motivation dogmatique fondée sur une croyance. La solution de Sextus consiste à montrer que le sceptique peut se régler sur autre chose pour agir, en se réglant sur les phénomènes et les attitudes des autres hommes à partir de l’observation empirique5. Cf. Corti 2009, 82. Cf. Spinelli 2008, 30 sq.

4 5



Stéphane Marchand

La spécificité de la piété apparaît néanmoins lorsque ce texte est mis en regard avec ceux du troisième livre des Esquisses Pyrrhoniennes et du premier livre du Contre les physiciens, qui servent tous deux de prélimi‑ naire aux développements physiques sur les dieux. Il ne s’agit plus alors de donner un exemple, mais de prévenir une objection particulière liée à la question des dieux et de leur existence : avant de parcourir l’ensemble des arguments pour et contre l’existence des dieux qui aboutiront à la suspension du jugement, Sextus précise que cette suspension n’a aucune incidence sur la piété sceptique. La piété constitue donc un problème isolable pour le scepticisme, qui demandera une réponse circonstanciée. On trouve chez Aristoclès, par exemple, une accusation générale d’immoralisme sous laquelle pourrait être logée celle d’impiété : Il faut considérer ceci : quel citoyen, quel juge, quel conseiller, quel ami, ou finalement quel homme serait un pareil individu  ? Devant quels forfaits reculerait-il, lui qui ne regarde rien comme vraiment mal ou honteux, juste ou injuste  ? Car qu’on n’aille pas dire que ces gens-là craignent les lois et les châtiments, avec l’insensibilité et l’ataraxie dont ils se targuent6.

Cette critique ne porte pas spécifiquement sur la religion ou la piété sceptique, mais plus généralement sur l’immoralisme pyrrhonien censé découler de l’apathie et de l’ataraxie érigées comme valeurs sceptiques. Même si Aristoclès critique une forme plus radicale de scepticisme que celui prôné par Sextus Empiricus, on peut aisément imaginer qu’une critique de ce type pourrait porter contre Sextus Empiricus quand bien même ce dernier adoucit l’apathie en métriopathie. En ce qui concerne la piété, l’objection consisterait à montrer que suspendre son jugement sur l’existence des dieux revient, d’un point de vue éthique, à refuser leur existence, puisque selon certains dogmatiques « si les dieux n’existent pas, la piété n’existe pas »7. Il semble donc assez naturel de penser que la suspension du jugement sur l’existence des dieux amène à ne pas res‑ pecter les dieux, du moins à oublier de les respecter. Pour cette raison Sextus doit prévenir l’objection qui rabat la posi‑ tion sceptique sur celle des philosophes athées comme ceux décrits en 6 Aristoclès de Messine ap. Eusèbe de Césarée, Praeparatio Euangelica XIV, 18, 18 (trad. des Places, Cerf, 1987) ; voir aussi à propos de Pyrrhon, Aristoclès, ap. Eusèbe, PE, XIV, 18, 27 (= Decleva Caizzi T. 23) : « il parla mal de tous, des dieux comme des hommes ». 7 AM IX, 123.



Religion et piété sceptiques selon Sextus Empiricus

AM IX 51‑58 : Évhémère, Prodicos, Diagoras, Critias, Théodore, Prota‑ goras et Épicure8. La réponse de Sextus va montrer la différence entre le point de vue pratique et le point de vue théologique : ce n’est pas parce que le Sceptique suspend son jugement sur l’existence des dieux (de fait Sextus dit que « pas davantage les dieux existent qu’ils n’existent pas » en AM IX, 50 et 59) qu’il est nécessairement impie. Par conséquent, il est possible de poser, d’abord qu’il n’y a pas de théorie explicite de la piété sceptique ; ensuite, que dans les passages qui abordent la question de la piété sceptique, Sextus ne se contente pas de répondre à l’objection de l’inaction, mais répond aussi à l’accusation d’impiété  ; enfin que la réponse de Sextus repose sur une distinction entre approche théologique et approche pratique de la piété. Trois relations possibles entre scepticisme et religion En quoi la réponse sceptique est-elle indéterminée ? Dans un contexte dialectique, il est possible de dégager plusieurs interprétations de cette réponse qui dessinent trois relations possibles entre scepticisme et reli‑ gion. D’abord l’interprétation « fidéiste » ; cette dernière affirme que non seulement Sextus dit ce qu’il pense lorsqu’il expose la piété sceptique, mais qu’il produit une compréhension originale de ce que devrait être la piété. Vient ensuite l’interprétation « libertine » : la position de Sextus correspondrait à une « stratégie d’écriture » au sens de Léo Strauss. Le sceptique produirait cette réponse pour se mettre à l’abri d’une menace politique (comme celle qui, selon la légende, frappa Protagoras9). Se‑ lon cette interprétation, plutôt que de reconnaître son athéisme, Sex‑ tus donnerait une réponse de pure convenance. Enfin, l’interprétation « indifférentiste » : les textes sur la piété sceptique n’expriment ni une compréhension de la spécificité de dieu comme objet de connaissance, ni 8 Dans le De Pietate, Philodème décrit comme des athées « ceux qui disent qu’il est impossible de savoir s’il existe des dieux », de la même façon que « ceux qui disent ouvertement que les dieux n’existent pas » et « ceux qui semblent clairement refuser leur existence » (P. Hercul. 1428 col. XV. 1‑8 in Henrichs 1974, voir aussi Obbink 1989, 189‑190). 9 AM IX, 55  ; sur le procès pour impiété de Protagoras et sa fuite d’Athènes, cf. Protagoras T. 1‑3, édités par M. Bonazzi in Pradeau (dir.) 2009 et les p. 46‑47 qui rappellent le caractère hypothétique de ces événements. Il est intéressant de noter que ce type d’interprétation a été fait pour l’épicurisme  : Posidonius accuse Épicure de participer aux cultes traditionnels uniquement pour éviter une persécution politique (cf. e.g. Cicéron, De natura deorum I, 123 et les références indiquées par Obbink 1992, 185‑186).



Stéphane Marchand

une stratégie de dissimulation d’un athéisme. Selon cette interprétation, la position de Sextus ne saurait donc être ramenée à ces positions mo‑ dernes de compréhension de la piété et de la religion sceptiques. Quand bien même personne ne défendrait explicitement, dans la lit‑ térature critique, les deux premières interprétations, il est intéressant de les développer, ne serait-ce que pour expliciter, par différence, la position de Sextus Empiricus. La lecture fidéiste (i) est directement liée au développement du chris‑ tianisme, et plus généralement du monothéisme10. Cette interprétation trouve dans le texte de Sextus Empiricus une compréhension authentique de la piété. Sextus, en quelque sorte, anticiperait Pascal : la piété ne sau‑ rait commencer par une compréhension de Dieu, elle est d’abord portée par des gestes. Corréler l’attitude du croyant à une connaissance ou à une certitude théorétique concernant l’essence de Dieu, ou même son exis‑ tence, est une façon de ne pas la comprendre. Selon cette interprétation, la piété ne dépend pas de la croyance (épistémique), au contraire c’est la croyance (religieuse) qui dépend de la piété. En distinguant la question de la croyance épistémique et de celle de la piété, Sextus préparerait le terrain pour la compréhension de la spécificité de la croyance religieuse. Pour puissante que soit cette interprétation, il n’est pas vraisemblable que ce soit le sens du texte de Sextus. Le statut concessif de la réponse de Sextus suffit pour reconnaître que la piété n’est pas un objet privilégié pour le scepticisme néo-pyrrhonien. Sextus ne parle de la piété que parce qu’il y est contraint par une situation argumentative particulière ; cette réponse n’exprime pas le cœur de la position sceptique, ni une compré‑ hension de la nature éminente de Dieu ou des dieux. Certes les dieux sont des objets fondamentaux, ce qui explique que l’attaque sceptique commence par eux pour que tout l’édifice s’écroule11. Mais ces objets n’appellent pas pour Sextus un mode de compréhension particulier comme le suppose l’approche fidéiste. De ce point de vue, les dieux sont des objets physiques comme les autres, au même titre que le temps, la cause, etc. que Sextus traite avec la même méthode dans les pages qu’il consacre à la physique12. Que le fidéisme trouve dans le scepticisme de Sextus un énoncé pertinent pour penser la piété et in fine la foi n’est qu’un exemple de plus de la fécondité herméneutique de l’usage du scep‑ Il y a, en effet, un usage apologétique des arguments sceptiques chez Philon d’Alexandrie, cf. Bréhier 1907, 209‑210 ; et la contribution de C. Lévy, supra, p. 57-73. 11 Cf. Bett 2013, 159‑160 pour l’intérêt de Sextus pour les « foundational ques‑ tions ». 12 Cf. Sihvola 2006, 89. 10



Religion et piété sceptiques selon Sextus Empiricus

ticisme, indépendamment de la vraisemblance historique de cette lec‑ ture13. Contrairement à l’interprétation précédente, la lecture « libertine » (ii) peut trouver en AM IX, 49 un semblant d’appui textuel. Sextus dit, en effet, que le Sceptique sera « plus en sécurité » (ἀσφαλέστερος) que les autres philosophes, parce qu’il est du côté de la loi et de la coutume. On pourrait donc interpréter cette attitude comme étant commandée par la volonté de se mettre en sécurité, de donner des gages à la pression sociale qui commande d’être pieux. L’argument est en réalité assez elliptique14 : entre l’annonce de l’en‑ quête sur la question de l’existence des dieux et l’énoncé selon lequel le Sceptique est plus en sécurité, il y a un saut, et savoir à quoi renvoie cette sécurité n’est pas évident. Chez Sextus, l’adjectif ἀσφαλής désigne d’or‑ dinaire la sécurité épistémique, l’absence d’erreur15, et une compréhen‑ sion possible pourrait être de penser que Sextus renvoie ici comme sou‑ vent à l’idée que le Sceptique est en sécurité parce qu’il ne se trompe pas. Mais une compréhension politique de l’adjectif, plus cohérente avec le contexte, est possible en partant du sens du terme chez Épicure16. Ce der‑ nier distingue, en effet, deux types de sécurité17. Il y a celle qui est assurée par « la puissance solidement établie et l’aisance matérielle »18 et qui reste vaine si elle ne s’accompagne pas d’une libération des peurs liées aux « choses d’en haut » (Maxime Capitale 13). Mais la véritable sécurité, ou comme le dit Épicure « la plus pure des sécurités – εἰλικρινεστάτη… ἀσφάλεια » est celle « qui vient de la tranquillité, à distance des foules (ἐκ τῆς ἡσυχίας καὶ ἐκχωρήσεως τῶν πολλῶν) »19, celle que procure la phi‑ losophie épicurienne en rectifiant entre autres les conceptions erronées que les hommes se font des dieux et de leur pouvoir sur leur destinée. En contexte épicurien, cette sécurité ne se limite donc pas à une sécurité Sur la relation entre le scepticisme et le fidéisme, cf. Popkin 1995 ; Penelhum 1983 ; pour une critique de la réduction du scepticisme moderne au fidéisme par Popkin, cf. Giocanti 1998. 14 Pour une recension des interprétations possibles de cet argument, cf. Bett 2015. 15 Cf. e.g. AM VII, 151 ; VIII, 300. 16 Cf.  Thorsrud 2011, n.  1. Chez Épicure, voir Max.  Cap. VII (τὴν ἀνθρώπων ἀσφάλειαν), XIII (τὴν κατ᾿ἀνθρώπους ἀσφάλειαν), XIV (τῆς ἀσφαλείας τῆς ἐξ ἀνθρώπων γενομένης). 17 Cf. Roskam 2007, 38‑39. 18 Trad. Morel. Dans ce sens, cf. l’emploi du terme par Plutarque dans le Contre Colotès 1124D. 19 Dans ce sens, cf. Philodème, De pietate, Pars I, éd. Obbink, col. 75, 2152 où on retrouve la formule τῆν ἑαυτῶν παρὰ τῶν πολλῶν. 13



Stéphane Marchand

épistémique, elle suppose aussi une certaine relation vis-à-vis de la socié‑ té qui fait que l’épicurien, sans être complètement coupé de la société, est dans sa communauté d’amis à l’abri de la foule et de ses passions20. Concernant l’affirmation selon laquelle le Sceptique est « plus en sécu‑ rité », il me semble plus intéressant de considérer que Sextus pense ici à ce sens plus particulier de la sécurité qui implique effectivement une réflexion sur l’inclusion sociale du philosophe dans une société composé d’hommes qui ont des croyances. Si on prend en considération cet aspect « politique » de la question religieuse, on constate en effet que la position épicurienne a été inter‑ prétée comme une forme dissimulée d’athéisme, comme en témoigne d’ailleurs Sextus : Et Épicure, selon certains, admet les dieux pour le peuple, mais il ne les admet en rien pour la nature des choses21.

En refusant l’action providentielle des dieux, les Épicuriens ont donc pu être considérés comme des athées22. L’argument de Sextus sur la sécurité pourrait donc être le suivant : même si l’interprétation de l’épicurisme comme un athéisme est un contresens, le fait qu’on ait pu le comprendre comme un athéisme met le philosophe épicurien en péril, contrairement à la sécurité qu’il est censé apporter, il est exposé à la vindicte de la foule par son anti-conformisme23. La mention de la sécurité en AM IX, 49 ne correspond donc pas à une stratégie d’écriture. Il s’agit plutôt de répondre à l’objection d’impiété en montrant que le sceptique sera plus en sécurité que les philosophes qui prétendaient offrir la plus grande sécurité, les Épicuriens. D’un point de vue sceptique, l’erreur des Épicuriens est d’être allés à l’encontre des 20 Pour cette raison, pour la Max.  Cap. XIV (τῆς ἀσφαλείας τῆς ἐξ ἀνθρώπων γενομένης) nous retenons la compréhension « la sécurité parmi les hommes » (cf. Balaudé 1994 et Morel 2011) et non « la sécurité contre les hommes ». Sur l’articulation entre la communauté civique et la communauté formée par l’amitié épicurienne, cf. Morel 2007. 21 AM IX, 58. Voir aussi Cicéron, De natura deorum I, 85 et III, 1. Sur cette ques‑ tion, voir Obbink 1989. 22 En PH III, 10 Sextus relate par exemple l’argument selon lequel «  s’il [sc. le dieu] ne veut ni ne le peut [sc. exercer sa providence], c’est qu’il est méchant et faible, ce qui est paroles impies sur le dieu ». Sur cet argument, Knuuttila, Sihvola 2000, 132 sq. et Spinelli 2015, 4e partie. 23 On pourrait ici m’objecter que le Sceptique est menacé par la même réduc‑ tion à l’athéisme ; mais précisément, la réponse néo-pyrrhonienne de Sextus Empiricus constitue une réponse claire à ce type d’attaque pour défaire le lien entre scepticisme et athéisme.



Religion et piété sceptiques selon Sextus Empiricus

traditions. Au contraire, le philosophe sceptique, dans ses actions du moins, suit l’usage commun et ne déroge pas aux pratiques sociales de sa communauté ; il est plus en sécurité que l’Épicurien car l’ἐποχή sur la question théorique de l’existence des dieux n’a aucune incidence sur son comportement religieux24. S’agit-il d’une dissimulation ou d’un double jeu  ? Pas nécessaire‑ ment  ; rien dans les textes ne permet d’attester d’une persécution ou d’une censure du scepticisme sur ce sujet, tout au plus pourrait-on parler d’une pression argumentative à laquelle le Sceptique répond25. Ensuite, contrairement à ce que suppose ce type d’interprétation, tout est clair dans la position prise par le Sceptique qui ne dissimule pas qu’il obéit aux lois et aux coutumes non pas parce qu’il croirait en leur valeur, mais tout simplement parce qu’elles se sont imposées comme lois et coutumes. La mesure de l’obéissance du Sceptique n’est jamais tue, jamais dissimulée. Il faut donc se résoudre à prendre Sextus au pied de la lettre sans lui prêter des intentions qu’il n’a pas, sans chercher à sonder ses intentions cachées, et se demander ce que signifie cette position indifférentiste visà-vis de la religion. La position indifférentiste (iii) de Sextus n’est pas l’expression d’un mensonge ou d’une stratégie de dissimulation mais d’une indifférence au sens où la question de la religion n’affecte pas le cœur de la position ; elle ne lui est pas essentielle. Si la piété sceptique ne tient que par les lois et les coutumes, cela signifie qu’elle est strictement conditionnée à un ensemble de conditions sociales et culturelles qui sont propres à 24 La position des Épicuriens sur cette question est cependant bien plus nuancée que celle décrite ici et comporte plus de points communs que Sextus ne le reconnaît. En effet, à côté d’une réforme de la piété populaire (que l’on trouve dans les vers célèbres du livre V du DNR de Lucrèce, 1198‑1203), il y a aussi une reconnaissance épicurienne du culte et des usages traditionnels comme le souligne Festugière 1997, 86‑92. Voir notam‑ ment le fgt Us. 387 (apud Philodème, De la piété) : « quant à nous sacrifions pieusement et avec décence aux jours convenables, et accomplissons tous les autres actes de culte conformément aux usages (κα[ὶ τ]ἆλλα πάντα πράττωμεν [κα]τὰ τοὺς νόμους)  », voir aussi Épicure, Sur la piété et le culte populaire qui demande au sage « d’honorer les rites religieux qui sont les tiens [sc. en tant que philosophe], en profitant des plaisirs de la chair (s’ils conviennent) mais aussi en te pliant aux lois » (P. Oxy. 215, col. 2, l. 3‑9 : τιμ̣[ᾶ]ν | αὐτὴν τὴν θεωρίαν σεαυ|τοῦ ταῖς συγγενέσιν κατὰ | σάρκα ἡδοναῖς, αἵ ποτ’ ἄν | καθήκωσιν, ἀλλά ποτε̣  | καὶ τῆι τῶν νόμων συμπε|ριφορᾷ χρωμένου σοῦ ; je traduis le texte donné par Obbink 1992, voir aussi Obbink 1984) ; pour une compréhension légèrement différente de ce passage, voir cependant Delattre, Pigeaud 2010, 119‑120. 25 Bett (2015), dans son analyse d’AM IX 13‑194, montre que les dieux ne sont pas des objets comme les autres pour Sextus et que, pour cette raison, ce dernier insiste clairement sur la suspension du jugement pour qu’on ne croie pas qu’il refuse l’existence des dieux.



Stéphane Marchand

Sextus, mais qui sont secondaires par rapport à la logique de la position sceptique26. Dans la mesure où Sextus écrit et vit dans une société où il faut se conduire pieusement pour y tenir un rôle, avoir une existence sociale, travailler, etc., il faut adopter cette attitude pour vivre selon le modèle de la vie quotidienne. La formulation de PH I, 24 est d’ailleurs intéressante à cet égard ; Sextus ne décrit pas ce qu’est la piété, mais la proclame comme une valeur : « la piété est bonne, l’impiété mauvaise », tout en rappelant que cette valeur n’est adoptée que d’un point de vue phénoménal et relatif, c’est-à-dire relativement à ce qui apparaît dans la vie quotidienne, sans lui attribuer de valeur objective. Une fois établi le cadre de cette interprétation, il faut essayer de son‑ der la consistance de cette approche originale de la piété, déliée de toute croyance.

Qu’est-ce que la piété sceptique ? L’enchaînement argumentatif de PH I 23‑24 invite à une approche prag‑ matique de la piété ; du point de vue du scepticisme, le problème de la piété est celui d’une action sans croyance. En montrant dans quelle me‑ sure nous pouvons avoir un comportement pieux sans avoir de croyance, Sextus invite à penser à nouveaux frais l’idée d’une « vie sans croyance ». Les gestes de la piété En quoi consiste cette compréhension pragmatique et empiriste de l’action ? De la même manière que le Sceptique agit, et même parle, en suivant la voie toute tracée des hommes qu’il observe dans la vie quo‑ tidienne, pour la piété, il s’agira de dire que le Sceptique participe à la religion de sa Cité ou de sa communauté en imitant ses concitoyens. Les raisons dogmatiques qui poussent ses congénères à agir importent peu au Sceptique ; il lui suffit de suivre la norme telle qu’elle est définie par la communauté à laquelle il appartient, en laissant reposer la charge dog‑ matique de la croyance sur les autres. Il ne s’agit donc pas d’une adhésion aux valeurs de la religion, mais d’une imitation empirique qui ne relève en rien de la conviction reli‑ gieuse, mais d’un acte social. Cette solution semble, de prime abord, assez naturelle dans la mesure où Sextus parle ici de la piété, c’est-à-dire avant Pour un rapprochement avec la position académicienne, cf. Knuuttila, Sihvola 2000, 137‑138. 26



Religion et piété sceptiques selon Sextus Empiricus

tout d’un comportement religieux, et pas de théologie. De ce point de vue, il n’y a donc pas de différence entre l’action politique, l’apprentissage d’une technique (qui constituent d’autres exemples d’actions possibles sans opinion selon Sextus), et la piété religieuse. Cette précision doit être prise en compte dans la discussion récente sur le degré et la force de la croyance en contexte polythéiste : selon J. Annas, ce contexte implique‑ rait un niveau de croyance beaucoup plus faible que dans le monothéisme et expliquerait que Sextus conçoive un Sceptique religieux sans contra‑ diction. Dans la mesure où une société polythéiste reconnaît l’existence d’une pluralité de dieux (et même de dieux auxquels on ne croit pas) sans qu’il y ait contradiction entre ces dieux, la reconnaissance polythéiste du dieu X n’est pas contradictoire avec la reconnaissance du dieu Y, ce qui n’est évidemment pas le cas lorsque l’on affirme l’existence d’un Dieu unique27. Une telle lecture fait donc de la piété sceptique un cas parti‑ culier d’action impliquant une croyance compatible avec le scepticisme. Le contexte de PH I, 23‑24, cependant, ne permet pas de donner un statut particulier à la question de la piété. Que la position de Sex‑ tus puisse être remise en cause comme incohérente d’une manière gé‑ nérale au nom d’une philosophie de l’action qui montrerait la nécessité d’avoir une croyance pour agir, c’est un autre problème ; ce qui importe ici, c’est la réduction sceptique de la religion à la piété, c’est-à-dire à un ensemble d’actes pieux sans rapport avec la croyance ou l’incroyance. Le Sceptique accomplit les gestes de la piété de la société dans laquelle il vit parce qu’il vit comme tout le monde, en suivant les phénomènes et la vie quotidienne. S’il se singularise, ce n’est pas par son comportement, du moins pas par son comportement extérieur. Il faut donc, comme le dit AM IX, 49, servir et respecter les dieux suivant les coutumes tradition‑ nelles, c’est-à-dire suivre les gestes et les rites de la religion populaire, de la religion civique, ou de la religion de la communauté à laquelle on appartient. On ne peut donc attendre ni prescription, ni description des rites de la piété, puisque cette solution suppose d’accepter en droit tous les rites, tous les gestes, pourvu qu’ils entrent dans le cadre des « lois et des coutumes ». La piété sceptique est donc une variable conditionnée par l’état de la société et de la culture dans lequel le Sceptique vit. Les mots de la piété Sextus donne cependant des exemples qui dépassent le strict cadre de l’action. Ces exemples ne décrivent pas seulement des attitudes mais Annas 2011, voir aussi la discussion dans Thorsrud 2011.

27



Stéphane Marchand

impliquent des énoncés typiquement dogmatiques, comme « les dieux existent » (PH I, 23‑24 ; III, 2 ; AM IX, 49) et même « ils exercent une providence » (AM IX, 49 ; III, 2). N’y a-t-il pas là un retour du dogmatisme ou de la croyance, puisqu’il ne s’agit pas au sens strict d’un comportement mais d’un discours, et même d’une affirmation  ? Contrairement aux «  expressions sceptiques  », ces affirmations ne semblent pas réduites à des apparences relatives : Sextus ne dit pas « les dieux paraissent exister » ou « il semble que les dieux exercent une pro‑ vidence », mais bien « les dieux existent »28. Ces exemples constituent donc un cas particulier dans le lexique sceptique, puisqu’ils mobilisent des énoncés typiquement dogmatiques (parce qu’ils portent sur des objets obscurs, et parce qu’ils ont la forme d’énoncés purement dogmatiques). Pourtant Sextus ne voit aucune contradiction entre ces énoncés et sa propre position. Et, en effet, la contradiction peut être évitée à condition d’avoir une compréhension pragmatique de ces énoncés : si nous les envisageons uniquement sous l’angle de l’attitude et des dispositions qu’ils impliquent et non comme l’expression d’une opinion29. De quelle attitude s’agit-il ? Deux compréhensions sont possibles : on peut considérer qu’il ne s’agit que d’une attitude extérieure : le Scep‑ tique se contenterait de prononcer les mêmes mots que les croyants de manière purement extérieure, en suspendant en son for intérieur son ju‑ gement sur l’objet de la croyance. Cette interprétation limite l’acte de langage à une pure répétition formelle des mots du croyant, comme un perroquet bien dressé30. Cette interprétation n’est pas si éloignée, dans le contexte de la croyance religieuse, de ce que j’ai appelé l’interpréta‑ tion libertine. Il s’agirait simplement de donner des gages à une pres‑ Sur la relativisation des expressions sceptiques, cf. PH I, 207. On pourrait ob‑ jecter que quand il dit « en suivant sans soutenir d’opinions les règles de la vie quoti‑ dienne, nous disons qu’il existe des dieux, nous révérons les dieux, et nous affirmons qu’ils exercent une providence » (PH III, 3), Sextus veut dire « il me semble que les dieux existent  » en utilisant le verbe être approximativement à la place du verbe pa‑ raître (cf. PH I, 135) Mon interprétation suppose ici qu’il n’est pas nécessaire de faire intervenir ce caveat parce que son argument s’appuie non pas sur l’expérience subjective de l’existence d’un dieu ou d’une providence, mais sur l’observation selon laquelle les hommes vivent et agissent en suivant certains usages et certaines traditions, notamment religieuses. Ce qui m’apparaît phénoménalement, ce n’est donc pas l’existence des dieux ou d’une providence, mais le fait que les hommes croient à l’existence des dieux ou d’une providence. 29 Pour une comparaison entre Sextus et Austin sur les actes de langage, cf. Corti 2009, chap. 2. 30 Sur cette compréhension, cf. Glidden 1994. 28



Religion et piété sceptiques selon Sextus Empiricus

sion sociale en répétant avec la majorité une leçon bien apprise. Mais une autre interprétation reste possible : on peut considérer que cette at‑ titude extérieure dépasse les mots proférés, et qu’elle inclut un ensemble de gestes, d’attitudes et même une éthique. Affirmer que le Sceptique dit que les dieux existent ou qu’il y a une providence, signifierait que le Sceptique agit de la même façon que l’homme pieux, en respectant les mêmes normes morales et religieuses que celles du croyant. Là encore ce modèle peut s’appuyer sur la reconnaissance sceptique de la valeur de l’expérience dans laquelle s’est sédimentée la seule chose qui vaille d’un point de vue sceptique : des attitudes, des dispositions, des actions légi‑ timées par le temps passé et leur transmission séculaire plus que par des raisons qui prétendraient les fonder. Le choix entre ces deux interprétations comporte une part d’indéci‑ dable : s’agissant de la conviction intérieure, on peut dire ce que disait Gassendi à propos d’Épicure : « seul celui qui scrute les cœurs et les reins peut savoir et le dire »31. Et il est vrai que Sextus donne peu d’éléments pour penser cette attitude. Néanmoins, si on regarde les exemples don‑ nés par Sextus, et notamment la présence de l’affirmation de l’existence de la providence dans ces actes de langage, il semblerait que Sextus ait à l’esprit une attitude qui ne se résume pas à une simple répétition for‑ melle et extérieure d’un credo. En effet, l’affirmation de l’existence de la providence renvoie à un véritable comportement cohérent avec l’exis‑ tence d’une providence. Sextus Empiricus pourrait reprendre ici d’ail‑ leurs un lieu commun de l’anti-épicurisme sur la négation épicurienne de la providence32 : la croyance dans la providence n’implique pas simple‑ ment la physique, mais aussi l’éthique. L’homme qui croit dans la pro‑ vidence agit avec confiance et respect vis-à-vis du monde et de la Cité, il ne saurait céder au désespoir. Pour un sceptique, dire qu’il y a une provi‑ dence, c’est renvoyer au consensus social selon lequel ce type d’attitude est meilleur qu’un autre, c’est renvoyer à un ensemble d’actions comme s’il y avait une providence33. Là encore la comparaison avec la philosophie épicurienne s’impose : là où les Épicuriens adoptent des positions philosophiques dogmatiques (affirmation de l’existence des dieux ; refus de la providence), les scep‑ tiques suspendent leur jugement  ; là où les Épicuriens proposent une Gassendi 2006, IV, 4, 2, t. II, p. 23. Cf.  Fgt Us. 368, notamment Plotin, Ennéades  II, 9, 15 où la négation épicu‑ rienne de la providence laisse place à la satisfaction égoïste du plaisir. Sur l’accusation d’athéisme portée contre les Épicuriens, cf. Spinelli 2015. 33 Cf. e.g. Marc-Aurèle, Pensées II, 11. 31 32



Stéphane Marchand

réforme de l’attitude religieuse (critique de la piété populaire, critique de la croyance en la providence), les Sceptiques affirment suivre les lois et les coutumes. Les phénomènes, la vie quotidienne et notre rapport empirique à elle dictent au Sceptique un ensemble de comportements et lui permettent d’agir comme tout le monde, en reprenant des atti‑ tudes qui reposent sur des convictions dogmatiques sans en reprendre les croyances34. Quel type de croyant est le Sceptique ? Une dernière objection peut être faite à Sextus : la piété ne suppose-t-elle pas une certaine force de conviction ? Si la Bible met en garde contre une forme d’adhésion tempérée (Dieu «  vomit les tièdes  »35), c’est parce qu’on peut douter qu’elle suffise à produire l’action pieuse. Dans quelle mesure peut-on prétendre avoir une action efficace sans détermination, sans croyances et opinion fortes qui justifient un engagement36 ? Dans ce contexte, la question de la nature des croyances religieuses envisagées par Sextus est intéressante. En effet, cette objection est liée à une représentation de la religion comme impliquant des croyances fortes, un credo clairement énoncé, non négociable qui serait au fondement de la plupart de nos actions. En contexte religieux, il est probable que l’ad‑ hésion décrite par Sextus ne soit pas suffisante, précisément parce qu’elle désinvestit le champ de la conviction et de l’obéissance aux dogmes pour investir celui d’une obéissance d’un autre ordre, l’obéissance aux phéno‑ mènes et à la vie quotidienne37. L’action pieuse dogmatique serait réser‑ vée au croyant déterminé, c’est-à-dire à l’homme qui déterminera son action en fonction de son adhésion à une série de dogmes. 34 Sur cette valeur de l’expérience comme guide de la vie sceptique, je me permets de renvoyer à Marchand 2015. 35 Cf. Penelhum 1983, 293 qui cite l’Apocalypse de Jean III, 15 : « Je sais quelles sont vos œuvres ; que vous n’êtes ni froid ni chaud. Que n’êtes vous ou froid ou chaud ! » (trad. de Sacy). 36 Il me semble que c’est la question que pose Pascal dans le fgt 525 (Lafuma) des Pensées : « Montaigne a tort. La coutume ne doit être suivie que parce qu’elle est cou‑ tume, et non parce qu’elle soit raisonnable ou juste, mais le peuple la suit par cette seule raison qu’il la croit juste. Sinon il ne la suivrait plus quoiqu’elle fût coutume, car on ne veut être assujetti qu’à la raison ou à la justice. La coutume sans cela passerait pour ty‑ rannie, mais l’empire de la raison et de la justice n’est non plus tyrannique que celui de la délectation. Ce sont les principes naturels à l’homme ». 37 Cf. PH I, 230 où Sextus décrit le mode de persuasion qui touche le Sceptique comme «  ne pas résister mais suivre simplement sans forte inclination ni penchant, comme on dit qu’un enfant est persuadé par son pédagogue ».



Religion et piété sceptiques selon Sextus Empiricus

C’est à ce niveau précisément que se situe la limite de la piété scep‑ tique, et la critique sceptique de la religion. Si être religieux c’est avoir ce type d’engagement, alors l’homme religieux est précisément un dogma‑ tique qui cherche à vivre en accord avec un ensemble de thèses, à en faire un guide pour la vie, déterminant des valeurs, et partant une conduite d’action disponible pour toute situation. Le fait que la piété sceptique soit une pragmatique donne la mesure de l’engagement sceptique dans les actions pieuses : son engagement sera lié à la part de nécessité portée par les lois et les coutumes ; et cette nécessité n’est pas nécessairement à comprendre comme une contrainte physique à la manière de l’ordre du tyran d’AM XI, 164, mais plutôt comme une obligation sociale bien comprise38.

38 Je remercie Anne-Isabelle Bouton-Touboulic et Carlos Lévy pour leur invitation au colloque de Bordeaux auquel je n’ai malheureusement pas pu assister. Je remercie Syl‑ via Giocanti et Emidio Spinelli pour leurs remarques et leurs critiques.



NE PAS DIRE LE PRINCIPE : USAGE SCEPTIQUE ET USAGE THÉOLOGIQUE DE LA NÉGATION* Brigitte Pérez-Jean

La notion d’ineffable, d’indicible, souvent reliée à l’expression d’une théologie dite négative, lorsqu’il s’agit dans le platonisme de l’Un ou du principe, renvoie aussi, du côté de l’inutilité du langage, à l’aphasia, une notion bien présente dans certains développements du Scepticisme antique. Dans la uia negationis, l’impossibilité de connaître et de dire est une reconnaissance de la transcendance, comme le montre le corpus réuni par Festugière dans La révélation d’Hermès Trismégiste, pour l’hermétisme comme pour le platonisme du iie siècle1. Chez les Sceptiques, l’usage de la négation ou de l’alpha privatif recouvre évidemment bien d’autres enjeux. Nous nous interrogerons ici sur la possibilité d’un basculement entre une posture sceptique et une posture théologique, articulée autour de l’expression ou du langage. Le terme théologie doit s’entendre dans un sens assez large dans l’expression anachronique de « théologie négative » ; il s’agit de la connaissance de l’essence ultime qui peut être appelée l’Un ou le premier principe ou dieu avec ou sans majuscule, avec ou sans article. Dans le corpus dit médioplatonicien, mais aussi dans les papyrus magiques ou dans les documents gnostiques, comme chez Plotin, se trouve une abondance d’adjectifs en alpha privatif, aoratos, anonomastos, arrhétos, agnostos, plus rarement akatonomastos2, qui indiquent une tendance de la sensibilité religieuse de l’époque. Cette pratique consistant à nier au moyen des adjectifs en alpha privatif n’est pas sans doute exactement ce qu’on ap* Je remercie Frédéric Fauquier pour sa relecture et ses suggestions dans le domaine des platonismes. 1 Cf. Sorabji 2004, 329‑336. 2 Sur l’emploi de ce terme chez Celse et Philon, voir Whittaker 1983, 303‑304.

Brigitte Pérez-Jean

pellera en latin, puis dans les langues modernes, la uia negatiua ou uia negationis, mais cela en représente une première tendance. S’interroger sur les rapports entre une posture théologique, une « proto-théologie négative » et une posture sceptique met en cause les relations complexes du platonisme et du scepticisme qui ont été considérées selon plusieurs problématiques historiques. La question du Platon sceptique  est au cœur du scepticisme de la Nouvelle Académie, avec la formule emblématique d’Ariston de Chio sur Arcésilas « Platon par devant, Pyrrhon par derrière et Diodore (Cronos) au milieu ». Face à la question posée dès l’Antiquité de savoir si Platon est sceptique selon le témoignage controversé d’Énésidème rapporté par Sextus en Esquisses Pyrrhoniennes  I, 222, Mauro Bonazzi3 a récemment proposé de refermer le dossier du Platon pyrrhonien avec l’argument principal que Timon, Pyrrhon, puis Enésidème et Sextus Empiricus s’accordent pour considérer Platon comme « une partie de la tradition Académicienne » et lui dénient ainsi tout lien avec le scepticisme. Cette mise au point n’épuise pourtant pas la problématique de la relation entre scepticisme et platonisme4. L’influence de la Nouvelle Académie sur les auteurs du moyen platonisme dans le domaine épistémologique a pu être minimisée, comme si le rejet du scepticisme par Antiochus d’Ascalon dans sa version stoïcisante de la pensée de l’Académie au Ier siècle av. J.C. en avait tari la veine sceptique. Mais de nombreuses recherches récentes sur Favorinus, Plutarque, Numénius relèvent chez ces auteurs, et d’autres encore, des influences de l’Académie sceptique malgré la disparition de l’institution5 ; en particulier, l’édition du papyrus contenant un Commentaire anonyme au Théétète de Platon présente un débat mené avec les éléments proprement épistémologiques de l’Académie sceptique6. D’autres recherches ont mis en évidence la place dans le débat des tendances pythagorisantes du platonisme des premiers siècles de notre ère. Celles-ci devaient concurrencer la ligne sceptico-académique à partir de thèses dogmatiques d’écrits pseudo-pythagoriciens et aboutir aux positions théologiques complexes

Bonazzi 2011. Voir par exemple Lévy 1993. M.  Bonazzi a lui-même exposé le débat antique sur le scepticisme de Platon dans l’Académie et dans le platonisme (Bonazzi 2003) et ici même avec Plutarque. 5 Opsomer 1998. Pour l’ensemble des références, voir Machuca 2011, 236‑237 et 240‑241. 6 Opsomer 1998, 34‑47 ; Tarrant 2012. 3 4



USAGE SCEPTIQUE ET USAGE THÉOLOGIQUE DE LA NÉGATION

du platonisme de Plutarque, alors même qu’il n’était pas indifférent au scepticisme7. Par ailleurs, la question de l’influence du scepticisme sur le néoplatonisme a été bien étudiée. W. Kühn8 montre comment Plotin tout en restant un fervent partisan du platonisme a « fait le point » sur le scepticisme qui avait pu déstabiliser ses prédécesseurs, à partir de la question de la « connaissance de soi ». R. Wallis9 a montré comment la doctrine plotinienne du Nous apparaît comme une réponse aux objections des sceptiques représentées par le livre II des Esquisses Pyrrhoniennes de Sextus et le livre I de son Contre les logiciens (AM VII). Bien que les critiques réunies par Sextus soient héritées de la polémique d’Arcésilas et de Carnéade contre la théorie stoïcienne de la représentation compréhensive, de fait toute théorie de la connaissance dite « sensualiste » doit se heurter aux objections qui frappent toute théorie plaçant les objets de la connaissance en dehors du sujet connaissant. C’est pourquoi la théorie du Nous plotinien suppose que les objets du Nous ne peuvent être extérieurs à lui et qu’elle contredit la lecture médioplatonicienne du Timée selon laquelle les formes sont des pensées du dieu et sont placées en dehors du Démiurge. Ainsi l’Ennéade V, 5 qui démontre que le Nous contient toute réalité et toute vérité constitue une réfutation des Sceptiques. On notera toutefois que la représentation des Sceptiques comme destructeurs de la philosophie, dans la réfutation des auteurs néoplatoniciens n’est pas exempte de confusions et d’erreurs, en particulier dans une assimilation entre la position sceptique, le « sensualisme » de Protagoras et le flux universel qui trouve son origine dans le Théétète10. Dominic O’Meara montre aussi que Plotin, essentiellement dans les traités V, 5 et V, 3 où Bréhier avait relevé des arguments sceptiques, utilise ces arguments pour réfuter les théories de la connaissance qui sont fondées sur la perception sensible ou qui séparent le sujet de l’objet de la pensée  ; le scepticisme est ainsi chez Plotin un moyen d’introduire un platonisme dogmatique et l’auteur compare cette stratégie de passage du scepticisme au dogmatisme aux positions d’Augustin et de Descartes. Mais ce qui nous intéresse principalement est le rapprochement fait entre la structure du discours sceptique en particulier dans le livre I Voir la mise au point de Bonazzi 2012 sur le « scepticisme » de Plutarque. Kühn 2009. 9 Wallis 1987, 911‑954. 10 Bonazzi 2003, 39‑52 ; Pérez-Jean 2005, 10. 7 8



Brigitte Pérez-Jean

des Esquisses et celle du discours plotinien sur l’ineffable. « En parlant de l’ineffable », écrit O’Meara, « nous parlons de nos affections et non de l’ineffable comme une réalité en soi exactement comme les sceptiques expriment leurs affections sans faire d’affirmations sur les choses ellesmêmes. »11 Dès lors, nous voudrions ici non pas poser la question des rapports entre scepticisme et platonisme en termes d’influence d’une pensée sur une autre, mais tenter un rapprochement entre les deux pensées autour du thème de la voie négative, en précisant que la présence de langage théologique chez les philosophes retenus concerne à la fois l’ontologie et la théologie12. Il ne s’agira donc pas du scepticisme en général et de la théologie négative proprement néoplatonicienne, mais bien d’une posture théologique et d’une posture sceptique, à partir d’un auteur de l’époque du dit médioplatonisme13 chez lequel on trouve une expression possible de la voie négative  : Maxime de Tyr et sa Dialexis 11, l’une des conférences à sujet théologique qui eut la plus grande postérité. Le titre retenu par la tradition – Qu’est-ce que le dieu selon Platon ? – présente la conférence comme une tentative d’élucider la position platonicienne sur la divinité. Or on constate à la lecture que cet enjeu herméneutique n’a de sens que relativement à une question plus générale sur la nature de la divinité. On peut résumer ainsi les premiers chapitres de cette longue dissertation ou conférence : Le jugement sur lequel tous les peuples s’accordent, à savoir l’existence d’un dieu père et roi et d’une pluralité de dieux qui seraient ses enfants, est partagé par Platon14. Cependant la logique platonicienne permet de dépasser les apparences trompeuses du sensible qui confèrent au dieu une représentation limitée et partielle. L’exercice proprement philosophique, compris comme concentration de l’intellect, permet d’échapper à la dispersion du sensible et de retrouver la nature de l’intelligible. Il ne faudrait cependant pas croire que cet exercice spirituel de concentration donne un accès direct à la divinité, une intuition de son essence. Il semble bien que l’âme humaine ne puisse se passer de discursivité, et l’exercice de la diairèsis, bipartition des réalités afin de cerner au plus O’Meara 2000, 251. Mortley 1986b, 13‑15. 13 Sur les difficultés à définir le médioplatonisme, voir Donini 2010, 287. 14 Pour l’argument du consentement universel, voir Cicéron DND II, 4, même si l’ouvrage porte sur la nature des dieux selon les philosophes, et Sextus AM IX 61‑74. 11 12



USAGE SCEPTIQUE ET USAGE THÉOLOGIQUE DE LA NÉGATION

juste la nature de la divinité, vient prendre le relais de l’expérience intellective15.

Dans les chapitres 7 à 9, Maxime donne la parole à Platon (sans le nommer), puis commente la parole du messager de l’Académie : «  Où, dans tout cela, devons-nous placer le dieu  ? Dans l’agrégat  ? Mieux vaut se taire. Reste donc à faire monter le dieu par la raison comme à l’Acropole et à l’ériger dans l’intellect lui-même, le commandant suprême. Mais là encore je vois une distinction : une sorte d’intellect a pour nature de penser sans pour autant le faire, alors que l’autre pense effectivement. Mais ce dernier n’est pas encore parfait à moins qu’on ne lui ajoute le fait de penser toujours, de penser toutes choses et non différentes choses à différents moments ; ainsi le plus parfait sera celui qui pense toujours, toutes choses, en même temps. 9. Si tu veux, représente-toi comme ceci ce que nous disons : l’intellect divin par la vision, l’intellect humain par la parole. Le rayon de l’œil, en effet, possède une très grande acuité, tirant la perception de l’objet vu de manière concentrée, tandis que l’activité de la parole est comme un long cheminement. Ou plutôt comme cela : représente-toi l’intellect divin à la manière de la course circulaire du Soleil qui observe toute la surface de la Terre de manière concentrée, et l’intellect humain à la manière de la marche du Soleil qui parcourt tour à tour les différentes parties de l’univers. » C’est cet intellect divin que le messager de l’Académie nous présente comme père et géniteur du Tout. Son nom il ne le dit pas, car il ne le sait pas. Sa couleur il ne la dit pas, car il ne l’a pas vue. Sa taille, il ne la dit pas, car il ne l’a pas touchée ; voilà des choses naturelles, comprises par la chair et par l’œil. Le divin, lui, est invisible par les yeux, indicible par la voix, intouchable par la chair, inaudible par l’ouïe, mais c’est seulement par ce qui dans l’âme est le plus beau, le plus pur, le plus intellectif, le plus léger, le plus vénérable qu’il est visible, en raison de leur similitude, et audible, en raison de leur parenté, se présentant concentré à une compréhension concentrée. De même, donc, si l’on désire voir le soleil, on ne cherche pas à le saisir par l’ouïe, et si on aime l’harmonie musicale, on ne la poursuit pas par les yeux ; mais c’est la vue qui aime les couleurs et l’ouïe les sons. Eh bien ! De même aussi c’est l’intellect qui voit et qui entend les intelligibles.

Dieu apparaît comme intellect en acte, la pointe au sommet de tous les êtres, qui pense éternellement et instantanément dans l’unicité de Fauquier et Pérez-Jean 2014, Introduction Dial. 11.

15



Brigitte Pérez-Jean

l’intellection la totalité du réel. Ainsi cet intellect divin, dont on peut proposer des images toujours inadéquates car toujours sensibles, est-il présenté, grâce à Platon, au moyen de l’articulation entre plusieurs théologies  : une théologie négative – il n’est rien de sensible, il n’a pas de couleur, etc. ; une théologie de l’éminence – il est parent avec ce qui est le plus beau dans l’âme – et une théologie de la causalité – il est source de ce qui est beau. Le chapitre 11 poursuit en effet : Si tu désires apprendre dès aujourd’hui sa nature, comment la décrire ? « Le dieu est beau et la plus éclatante des belles choses, mais il n’est pas un beau corps, mais ce à partir de quoi la beauté s’écoule vers le corps, ce n’est pas non plus une belle prairie, mais ce à partir de quoi la prairie est belle ; et la beauté d’un fleuve, de la mer, du ciel et des dieux célestes, toute cette beauté s’écoule de là, d’une source intarissable et pure. Pour autant que chaque chose y a part, elle est belle, stable, préservée ; pour autant qu’elle s’en éloigne, elle est laide, fragile, sujette à la ruine. » Si ces mots sont suffisants, tu as une vision du dieu.

Cette expérience d’une transcendance de l’intellect, au-delà certes non de toute réalité, car Maxime n’est pas néoplatonicien, mais au-delà du sensible, passe par un dénuement spirituel progressif, réservé, de toute évidence, à une élite intellectuelle. Quant à ceux qui n’en font pas partie, l’expérience de l’organisation cosmique, permet de donner des traces et une idée de ce qu’est ce dieu (c. 12). L’expression de la théologie négative n’est donc qu’une composante de la définition recherchée par Maxime et elle est à nouveau présentée comme une alternative dans la suite : Si ces mots sont suffisants, tu as une vision du dieu. S’ils ne le sont pas, sous quelle image te le représenter ? Eh bien, considère, s’il te plaît, qu’il n’a ni grandeur, ni couleur, ni forme, ni aucun autre attribut de la matière ; mais comme si un beau corps était caché à la vue par un tas de vêtements bigarrés et que l’amoureux le déshabillait pour le voir clairement, de la même façon maintenant, déshabille-le et supprime par la raison cette enveloppe et les obstacles qui viennent de la vue, et tu verras ce qui reste, l’objet même tel que tu le désires.

Ce sont particulièrement les trois termes niés dans cette phrase, «  ni grandeur, ni couleur, ni forme  »16 qui ont été rapprochés de séries comparables chez Philon, Justin, Origène (et d’abord par Festugière Mήτε μέγεθος, μήτε χρῶμα, μήτε σχῆμα triade qui renvoie à la formule du Phèdre 247c6‑7 : ἡ γὰρ ἀχρώματός τε καὶ ἀσχημάτιστος καὶ ἀναφὴς οὐσία ὄντως οὖσα. 16



USAGE SCEPTIQUE ET USAGE THÉOLOGIQUE DE LA NÉGATION

de textes hermétiques) pour être considérés comme d’origine néopythagoricienne17, les trois termes que l’on retrouve dans l’Ennéade  I, 6, Sur le beau. La Dialexis11 de Maxime est donnée comme un exemple de l’expression de la uia negatiua dès La révélation d’Hermès Trismégiste avec une liste des textes standard de la voie négative pour le médioplatonisme : Alcinoos, Apulée, Celse, Numénius, Maxime. Considérons seulement Apulée commentant la phrase du Timée 28c : Platon estime qu’il y a trois principes des choses : Dieu, la matière – inachevée, non façonnée et que ne distingue ni forme, ni marque de qualité – et les formes des choses, qu’il appelle encore « idées ». Ce qu’il pense de Dieu, c’est qu’il est incorporel. Il est un, dit-il, « infini », créateur et artisan de toutes choses, bienheureux et source de bonheur, excellent, sans aucun besoin, fournisseur de toutes choses. Il l’appelle être céleste, innommé, ineffable et, comme il le dit lui-même, «  invisible, inflexible » ; il est difficile de découvrir sa nature et, si on l’a découverte, impossible de la révéler au grand nombre. Voici les termes de Platon : « il est difficile de découvrir Dieu et, quand on l’a découvert, impossible de le révéler au grand nombre »18.

Dans le De deo Socratis, il ajoute à propos du père des dieux incorporels, « qui est le souverain maître et l’auteur de toutes choses, dégagé de tous les liens de la sensibilité et de l’activité sans être jamais astreint à l’exercice d’aucune fonction » : à quoi bon entreprendre de le définir, quand Platon avec sa célèbre éloquence, avec sa dialectique digne des dieux immortels, ne cesse pas de proclamer, qu’il y a dans cet être un excès de grandeur incroyable et ineffable, tel qu’aucune espèce de discours, vu l’indigence du langage humain, ne peut l’embrasser même imparfaitement19 ?

Comme Apulée, Maxime a recours au moyen de l’alpha privatif, qui eut une longue tradition d’usage dans la philosophie et la théologie antiques, mais n’est que la marque linguistique d’une position de théologie négative pure. Par ailleurs, comme Maxime, Alcinoos, dans le Didaskalikos, ne s’en tient pas à la seule voie négative et distingue trois manières de concevoir dieu, celle de l’abstraction, celle de l’analogie, celle de l’éminence : Whittaker 1969, 116. De Platone, V, 190‑191. 19 De deo Socratis, III, 124. 17 18



Brigitte Pérez-Jean

Dieu est ineffable et saisissable seulement par l’intellect, comme nous l’avons dit, parce qu’il n’est ni genre, ni espèce, ni différence spécifique, qu’il n’est même sujet d’aucun accident et qu’il n’est ni mal, car il est impie de dire pareille chose, ni bien, car il serait tel par participation à autre chose, et précisément à la bonté, ni une chose indifférente, car cela n’est pas conforme à la notion que nous avons de lui, ni une chose douée de qualité, car il est étranger à la qualité et sa perfection n’a pas été réalisée par une qualité, ni une chose privée de qualité, car il ne se trouve pas manquer d’une qualité qui lui reviendrait ; il n’est ni la partie de quelque chose, ni un tout qui possède des parties, ni identique à quelque chose, ni différent, car il n’a reçu aucun accident en vertu de quoi il puisse être séparé des autres choses, enfin il n’est ni moteur, ni mû. Voilà donc la première manière de concevoir dieu, celle par abstraction de ces choses, comme on arrive à concevoir le point par abstraction du sensible, en concevant la surface, puis la ligne et enfin le point. La deuxième manière de concevoir dieu est celle qui se fait par analogie : le soleil est avec la vision et avec les objets visibles dans le rapport que voici : il n’est pas lui-même la vue mais il permet à la vue de voir et aux objets visibles d’être vus. C’est dans le même rapport que se trouve le premier intellect avec l’intellection qui est dans l’âme et avec les objets intelligés : il n’est pas la même chose que l’intellection, mais il lui donne la faculté de concevoir, et aux objets intelligés, celle d’être conçus, en éclairant la vérité qu’ils renferment. La troisième manière de concevoir dieu est celle-ci : on contemple d’abord le beau qui réside dans les corps, puis on passe à la beauté de l’âme, de là au beau dans les mœurs et dans les lois, et puis au vaste océan du beau ; après quoi on conçoit le bien lui-même et ce qui est au premier chef aimable et désirable, pareil à une lumière brillante qui éclaire le chemin que gravit ainsi l’âme ; avec lui on saisit aussi dieu du fait que celui-ci l’emporte par son éminence dans l’ordre de tout ce qui a valeur20.

Or il se rencontre quelque difficulté à définir en termes de uia negatiua cette « première manière de concevoir dieu » selon le Didaskalikos. Les deux termes associés à la théologie négative dans le platonisme tardif sont apophasis, que l’on peut traduire par «  négation  » et aphairesis, par «  abstraction  ». Le concept d’apophasis (négation) terme ancien dans la pensée grecque, est opposé par Aristote à la kataphasis (l’assertion) dans le De interpretatione 17a-18b et les dernières lignes du traité (23a-24b) se demandent en quoi ils sont contraires. Chez Aristote par ailleurs apophasis est mis en relation avec deux autres concepts, aphairesis et steresis ; la question est de savoir si l’aphairesis est une forme de la Alcinoos, Didaskalikos X, 165.

20



Scepticisme et Religion : Constantes et évolutions, de la Philosophie Hellénistique à la Philosophie Médiévale, edited by Anne-Isabelle Bouton-Touboulic, and Carlos Lévy, Brepols Publishers, 2016. ProQuest Ebook Central, http://ebookcentral.proquest.com/lib/ybp-ebookcentral/ Created from ybp-ebookcentral on 2020-03-27 10:02:55.

USAGE SCEPTIQUE ET USAGE THÉOLOGIQUE DE LA NÉGATION

négation. L’aphairesis joue un rôle chez Platon, mais ce ne sont pas les mêmes concepts d’aphairesis. On doit donc se demander si ces Médioplatoniciens se réfèrent à Platon ou à Aristote21. La notion d’aphairesis est-elle épistémologique ou métaphysique ? Depuis l’ouvrage de Festugière, a été mis en évidence le rôle de l’abstraction mathématique dans la constitution du concept, en raison du rôle de Speusippe et des néopythagoriciens, abstraction mathématique ou géométrique dont il y a une trace dans les textes d’Alcinoos et de Maxime. Nous suivrons l’avis de R.  Mortley22 qui a montré, à la suite de J.  Whittaker parlant d’un «  usage théologique de la conception géométrique du point  »23, que pour le médioplatonisme, l’aphairesis ne doit pas être comprise à partir de la notion mathématique de l’abstraction géométrique de la surface à la ligne de la ligne au point. L’abstraction est ici une procédure négative qui consiste à retirer tous les attributs possibles de l’être. Par comparaison avec la uia negatiua proprement néoplatonicienne, telle qu’elle est exposée par exemple par Ph. Hoffmann24, on ne trouve dans les textes médioplatoniciens qu’une ombre, qu’un avant‑goût … Il faut, en premier lieu, remarquer que chez les auteurs du moyen platonisme, ce n’est pas le Parménide qui est au centre de l’enseignement et de la réflexion, et en particulier la série de négations de la fin de la première hypothèse de la seconde partie du dialogue, mais bien plutôt la phrase du Timée 28c : τὸν μὲν οὖν ποιητὴν καὶ πατέρα τοῦδε τοῦ παντὸς εὑρεῖν τε ἔργον καὶ εὑρόντα εἰς πάντας ἀδύνατον λέγειν· trouver le fabricant et le père de l’univers exige un effort et lorsqu’on l’a trouvé, il n’est pas possible d’en parler à tout le monde (traduction Luc Brisson).

Origène rend compte des limites de la formule du Timée lorsqu’on ne la tronque pas, comme cela se fera plus tard, en omettant les termes εἰς πάντας « à tout le monde »25. Par ailleurs, ces témoignages ne sont pas

21 Whittaker 1969, 119 ; Mortley1986a, 135‑141 ; Mortley 1986b, 18 ; Helmig 2012, passim. 22 Mortley 1986a, 134‑135. 23 Whittaker 1969, 118. 24 Hoffmann 1997. 25 Origène, Contre Celse, VII 43 : ἄρρητον μὲν καὶ ἀκατονόμαστον οὔ φησιν αὐτὸν εἶναι ῥητὸν δ’ ὄντα εἰς ὀλίγους δύνασθαι λέγεσθαι.



Scepticisme et Religion : Constantes et évolutions, de la Philosophie Hellénistique à la Philosophie Médiévale, edited by Anne-Isabelle Bouton-Touboulic, and Carlos Lévy, Brepols Publishers, 2016. ProQuest Ebook Central, http://ebookcentral.proquest.com/lib/ybp-ebookcentral/ Created from ybp-ebookcentral on 2020-03-27 10:02:55.

Brigitte Pérez-Jean

toujours exempts de contradiction  : par exemple, P.  Donini26 a relevé chez Albinos /Alcinous une incohérence dans l’expression de l’ineffable et démontré qu’il y a une contradiction, dans le chapitre X du Didaskalikos et dans le passage cité ici, entre l’attribut d’ineffable et la série des attributs qu’on peut interpréter comme des prédicats positifs servant à définir les rapports de causalité entre dieu et le monde. C’est véritablement la pensée de Plotin qui constitue un tournant dans la formulation de la théologie négative avant Proclus et Damascius. Ph. Hoffmann montre bien que Plotin fait une véritable démonstration de « l’indicibilité du Premier principe conséquence de son incognoscibilité »27 et nous renvoyons donc à son étude. Le Platonicien Plotin ne se serait jamais revendiqué lui-même comme néoplatonicien (on sait que le terme a été créé au xviiie)28. Mais il ouvre une perspective nouvelle par rapport au platonisme de son époque. On peut se référer à la définition « au sens strict » du néoplatonisme par J. Trouillard29, à partir de quatre critères : 1) « reconnaître comme source d’une procession universelle un principe absolument ineffable, nommé symboliquement l’Un ou le Bien » ; 2) « admettre à l’origine de toute pensée une sorte de coïncidence mystique, tout aussi inexprimable avec ce centre universel » ; 3) considérer que « l’effort philosophique consiste à rejoindre par le circuit dialectique cette racine éternelle de l’âme, sans aucune confusion d’essence ni abolition du sujet spirituel » ; 4) et que « l’économie générale du système repose sur une certaine exégèse du Parménide ». « Plotin », écrit F. Fauquier, « est le premier à présenter caractères de manière systématique et cohérente  : le statut du principe, transcendant et source de toute réalité est intimement lié à une profonde méditation sur la seconde partie du Parménide, en particulier sur la première hypothèse. La lecture du texte platonicien est indissociable d’une pratique ou d’une méthode théologique : la première hypothèse du Parménide développe la seule méthode convenable principe, à savoir la théologie négative. »30. Les acquis de Plotin sont fondamentaux pour l’interprétation du Parménide, même si comme l’écrit Saffrey31, Plotin se réfère d’abord à la Lettre II pour la doctrine des trois hypostases, puis au Donini 2010, 290. Hoffmann 1997, 343. 28 Fauquier 2013. 29 Encyclopedia universalis XII, 1985, 1097b. 30 Fauquier 2008, 252. 31 Proclus, Théol. plat, Tome II, LXXXVIII. 26 27



Scepticisme et Religion : Constantes et évolutions, de la Philosophie Hellénistique à la Philosophie Médiévale, edited by Anne-Isabelle Bouton-Touboulic, and Carlos Lévy, Brepols Publishers, 2016. ProQuest Ebook Central, http://ebookcentral.proquest.com/lib/ybp-ebookcentral/ Created from ybp-ebookcentral on 2020-03-27 10:02:55.

USAGE SCEPTIQUE ET USAGE THÉOLOGIQUE DE LA NÉGATION

Timée et à la République et enfin au Parménide. On remarquera enfin à la suite des spécialistes de Plotin, que les nombreuses références à la première hypothèse du Parménide dans les Ennéades se rapportent essentiellement à la négation : du lieu, de l’essence, de la connaissance et du nom32. Ainsi, par comparaison avec la uia negationis néoplatonicienne à proprement parler, trouve-t-on dans le médioplatonisme une méthode33, mais qui n’a pas une valeur absolue dans la mesure où l’être n’est jamais nié. Par conséquent, le contre-balancement de trois formes de théologie nous conduit à nous demander si le sens des théologies affirmatives n’est là que pour contrecarrer la possibilité d’une interprétation sceptique de la négation. Si l’on ne peut rien dire du principe, faut-il suspendre son assentiment à son propos ? Repérer des traces du principe dans le sensible est un moyen d’en signifier l’existence, et donc d’échapper au spectre sceptique ; mais s’en tenir à la voie négative ouvre la possibilité d’un refus de s’engager dans une connaissance toujours inexacte. La voie négative peut en effet apparaître comme une ouverture possible à une forme de scepticisme. Bien des sectes ont été rapprochées du scepticisme comme en témoigne le livre I des Esquisses où Sextus s’acharne à montrer les différences entre la conduite de vie sceptique et les philosophies dites voisines. On s’intéressera dès lors à l’usage d’une forme de la négation dans le scepticisme, plus particulièrement à l’emploi de l’alpha privatif dans le cadre de l’aphasie pyrrhonienne. À la différence de la position médioplatonicienne, le refus de dire ou de parler n’implique pas une saturation de la capacité cognitive ; l’aphasie pyrrhonienne ne nourrit pas la représentation d’une transcendance ou d’un au-delà, elle s’en tient seulement, selon les interprétations que l’on en propose, à l’impossibilité de la connaissance ou à l’indétermination de l’objet sans poser pour autant sa transcendance par rapport à nos propres catégories. L’expérience de l’indétermination ne projette pas vers un au-delà, elle se suffit à ellemême. De la tradition pyrrhonienne, laquelle s’étend du ive siècle av. J.-C. jusqu’au iie siècle ap. J.-C., nous ne retiendrons ici ni le scepticisme de l’Académie ni l’empirisme médical. Quant à la pensée de Sextus Empiricus, principal représentant de ce qu’on a pu appeler le néopyrrhonisme,

Charrue 1993, 59‑84 ; Fauquier 2008, 256, n. 1245. Mortley 1986b, 32 : la méthode négative a été comprise et débattue depuis Aristote et Euclide, mais dans le médioplatonisme, le néopythagorisme ou le gnosticisme, on n’a pas beaucoup plus qu’une idée sur les limites du langage et l’on n’a pas affaire à une « méthode négative ». 32 33



Scepticisme et Religion : Constantes et évolutions, de la Philosophie Hellénistique à la Philosophie Médiévale, edited by Anne-Isabelle Bouton-Touboulic, and Carlos Lévy, Brepols Publishers, 2016. ProQuest Ebook Central, http://ebookcentral.proquest.com/lib/ybp-ebookcentral/ Created from ybp-ebookcentral on 2020-03-27 10:02:55.

Brigitte Pérez-Jean

E. Spinelli en traite ici même34, et puisque Sextus définit lui-même les limites du langage pyrrhonien dans les Esquisses (HP I, 187‑209), il ne saurait assumer la position de l’aphasie comme silence et absence de discours. Il a par ailleurs récemment été soutenu que le langage a pour Sextus une dimension pragmatique et ne traduit pas l’essence de la réalité35.  C’est par conséquent sur la pensée de Pyrrhon que nous mettrons l’accent, sachant que l’époque de Maxime est à peu près celle où les versions de Sextus et de Diogène Laërce définissent le scepticisme, sur la base d’une interprétation de la pensée de Pyrrhon. Il faut donc en revenir encore au témoignage de son disciple Timon texte considéré désormais comme la clé de la pensée de Pyrrhon (= T 53 Decleva Caizzi)36. Ce résumé de la philosophie de Pyrrhon par Timon est rapporté par Aristoclès, philosophe péripatéticien, et cité par Eusèbe dans sa Préparation évangélique XIV 18, 1‑4 (= T 53). « Il est avant tout nécessaire de mener une recherche sur notre propre connaissance. En effet, si nous sommes ainsi faits que nous ne connaissons rien, ce n’est pas la peine d’examiner le reste. Il y a eu aussi parmi les Anciens des gens qui ont choisi cette formule et Aristote a argumenté contre eux. Pyrrhon d’Élis aussi a défendu avec force une position de ce genre. Il [Pyrrhon] n’a rien laissé par écrit, mais son disciple Timon dit que quiconque veut atteindre le bonheur doit considérer ces trois questions : D’abord quelle est la nature des choses (ὁποῖα πέφυκε τὰ πράγματα), deuxièmement de quelle façon devons-nous être disposés à leur égard (τίνα χρὴ τρόπον ἡμᾶς πρὸς αὐτά), enfin quel résultat en obtiendront ceux qui sont ainsi disposés (τί περιέσται τοῖς οὕτως ἔχουσι) ? Il dit donc que dit (φησιν αὐτὸν ἀποφαίνειν) que les choses sont également indifférentes, indéterminées et indécises (ἐπ᾽ ἴσης ἀδιάφορα καὶ ἀστάθμητα καὶ ἀνεπίκριτα), que pour cette raison (διὰ τοῦτο) nos sensations et nos opinions ne sont ni vraies ni fausses. C’est pourquoi donc (διὰ τοῦτο οὖν) il ne faut même pas leur faire confiance, mais être sans opinions, sans penchants et sans ébranlements (ἀδοξάστους καὶ ἀκλινεῖς καὶ ἀκραδάντους εἶναι) et dire de chaque chose que “pas plus elle est qu’elle n’est pas, ou qu’à la fois elle est et n’est pas, ou que ni elle est ni elle n’est pas” (ὅτι οὐ μᾶλλον ἔστιν ἢ οὐκ ἔστιν ἢ καὶ ἔστι καὶ οὐκ ἔστιν ἢ οὔτε ἔστιν οὔτε οὐκ ἔστιν). Et à coup sûr pour ceux qui ont une telle dis34 Pour une analyse des termes de négation, abstraction et privation chez Sextus, voir Mortley1986a, 149‑153. 35 Corti 2009. 36 Pérez-Jean 2012.



Scepticisme et Religion : Constantes et évolutions, de la Philosophie Hellénistique à la Philosophie Médiévale, edited by Anne-Isabelle Bouton-Touboulic, and Carlos Lévy, Brepols Publishers, 2016. ProQuest Ebook Central, http://ebookcentral.proquest.com/lib/ybp-ebookcentral/ Created from ybp-ebookcentral on 2020-03-27 10:02:55.

USAGE SCEPTIQUE ET USAGE THÉOLOGIQUE DE LA NÉGATION

position, il s’ensuivra, dit Timon, d’abord l’aphasie, ensuite l’ataraxie, et selon Énésidème le plaisir. »

Ce texte a donné lieu à de forts débats et à de nombreuses études, parmi lesquelles nous retiendrons l’analyse que R. Bett37 en a donnée sous le titre « Pyrrhon le non-sceptique » en attribuant à Pyrrhon la thèse dite de l’indétermination. La réponse à la question « quelle est la nature des choses » est qu’elles sont « également adiaphora, astathmèta, anepikrita  ». Il existe deux lectures des adjectifs  en alpha privatif  : la lecture métaphysique et la lecture épistémologique (c’est une chose de parler de la nature des choses et une autre de parler de notre capacité ou incapacité à la saisir), deux lectures ensuite appelées « subjective » et « objective ». La lecture épistémologique conduit à traduire les adjectifs de la série par des termes s’achevant (du moins en français ou en anglais) en -ible ou en -able ou -ibile en italien, au lieu d’employer les termes « indifférentes, indéterminées et indécises » adaptés à la lecture métaphysique. On a discuté ensuite la relation entre les deux lectures du premier lemme et le deuxième, à savoir l’interprétation à donner au lien διὰ τοῦτο : « c’est pourquoi (διὰ τοῦτο), ni nos sensations ni nos opinions ne disent la vérité ou mentent ». Avec la lecture métaphysique, la thèse sur la nature des choses est la base de l’autre assertion et non sa conséquence ; l’idée que nos sensations et opinions ont une valeur véritative présuppose justement la thèse que les choses sont indéterminées dans leur nature ou quelque chose de très proche. Les contributions récentes sur Pyrrhon se répartissent en lecture objective ou subjective du passage38. Puisque nos sensations et opinions ne sont ni vraies ni fausses, « nous ne devons pas leur faire confiance », dit Timon, et l’attitude que nous devons avoir est décrite par une autre série d’adjectifs en alpha privatif (ἀδοξάστους καὶ ἀκλινεῖς καὶ ἀκραδάντους εἶναι) : ce sont des termes que les Néopyrrhoniens n’emploient pas et ce passage a, selon les spécialistes, de bonnes chances de ne pas avoir été déformé par les initiatives personnelles de Timon. Mais la suite du texte pose de plus grandes difficultés. Nous devons dire « à propos de chaque chose, qu’elle n’est pas plus qu’elle n’est pas, ou à la fois est et n’est pas, ou ni n’est ni n’est pas ». 37 Sur ce texte très discuté, voir surtout Decleva Caizzi 1981, 218‑234, Bett 1994, 137‑181, Brunschwig 1994, 1997b, 1999 ; Bett 2000, 14‑43 ; Svavarsson 2010, 41‑50. 38 Voir Svavarsson 2004, 271, n. 34 et 2010, 56, n. 23.



Scepticisme et Religion : Constantes et évolutions, de la Philosophie Hellénistique à la Philosophie Médiévale, edited by Anne-Isabelle Bouton-Touboulic, and Carlos Lévy, Brepols Publishers, 2016. ProQuest Ebook Central, http://ebookcentral.proquest.com/lib/ybp-ebookcentral/ Created from ybp-ebookcentral on 2020-03-27 10:02:55.

Brigitte Pérez-Jean

Que signifie pas plus ? L’article fondateur de Ph. De Lacy39 a accrédité l’idée que Sextus et Pyrrhon peuvent avoir utilisé le οὐ μᾶλλον en des sens différents et qu’il existe un usage courant illustré par l’emploi de tous les jours, la formule non philosophique « Scylla n’existe pas plus que la Chimère » (D. L. IX 75). En HP I, 188‑191, Sextus montre que la formule « pas plus F que non F » revient à dire « pourquoi F plutôt que non F » et elle exprime la suspension du jugement. Mais pour Pyrrhon, elle n’a pas forcément le même sens. En réalité dans la langue cou­rante ce οὐ μᾶλλον aussi bien que οὐδὲν μᾶλλον (en rien plus) devait être compris comme « x n’est pas à un plus grand degré F que non F », ou bien que les propositions « x est F » et « x n’est pas F » sont vraies au même degré. Timon et D. L. (IX 76 = T 54) concordent sur le fait que x n’est pas plus F que non F. Si les choses comme le dit Pyrrhon sont indéterminées dans leur nature, on n’a aucune raison de suspendre son jugement sur la question de savoir si telle chose donnée est F ou non F40. Οὐ μᾶλλον doit se lire comme « pas à un plus grand degré que » comme dans l’usage courant, c’est-à-dire que les deux prédicats F et non F s’appliquent à x précisément au même degré (qui peut être à 100%, ou pas du tout ou quelque autre degré). La suite du texte « à la fois est et n’est pas » et « ni n’est ni n’est pas » est à examiner dans sa relation avec le lemme qui précède le pas plus que. Deux lectures sont possibles : soit les deux derniers lemmes sont des ajouts, des équivalents au premier : on obtient trois parties dans la phrase ; soit il y a quatre parties : on dit dans ce cas que chaque chose « pas plus » 1. est, que 2. n’est pas, ou 3. à la fois est et n’est pas, ou 4. ni n’est ni n’est pas. Dans cette seconde lecture, on dit que la possibilité que la chose soit F, la possi­bilité qu’elle soit non F, la possibilité qu’elle soit les deux et celle qu’elle n’en soit aucun, chacune d’elles n’obtient pas plus que n’importe laquelle des autres. La raison pour laquelle dans ce texte sont ajoutés les deux lemmes (3) « à la fois est et n’est pas » et (4) « ni n’est ni n’est pas » est que la formule « pas plus est que n’est pas » admet en elle-même que les deux possibilités « est F » et « n’est pas F » soient toutes les deux vraies ou De Lacy 1958. Bett 2000, 33.

39 40



Scepticisme et Religion : Constantes et évolutions, de la Philosophie Hellénistique à la Philosophie Médiévale, edited by Anne-Isabelle Bouton-Touboulic, and Carlos Lévy, Brepols Publishers, 2016. ProQuest Ebook Central, http://ebookcentral.proquest.com/lib/ybp-ebookcentral/ Created from ybp-ebookcentral on 2020-03-27 10:02:55.

USAGE SCEPTIQUE ET USAGE THÉOLOGIQUE DE LA NÉGATION

toutes les deux fausses, et donc ne reflète pas suffisamment l’indéfinité exprimée des choses ; l’ajout des deux lemmes nous empêche réellement de dire quoi que ce soit de défini sur quoi que ce soit. Cette seconde lecture est cohérente avec la thèse de l’indétermination énoncée au départ et avec l’inférence immé­diate de cette thèse sur les sensations et opinions. Nous ne reviendrons pas ici sur la question du sens de la formule οὐδὲν μᾶλλον chez Sextus et Diogène  Laërce et c’est davantage sur le terme d’aphasia à la fin du texte que portera la comparaison entre Pyrrhon et le néopyrrhonisme dans la mesure où c’est l’usage de l’aphasia qui nous parait pouvoir être mis en rapport avec l’usage théologique de la négation. Ἀφασία semble ne pas pouvoir signifier ici absence de discours ou mutisme, qui est le sens courant, puisque l’on vient de dire « ce que nous devons dire » sur les choses. Toutefois l’ἀφασία n’est pas elle-même l’attitude exprimée par les formules à adopter (dire de toute chose que « pas plus elle est qu’elle n’est pas, ou qu’à la fois elle est et n’est pas, ou que ni elle est ni elle n’est pas »), mais le résultat de cette attitude comme l’indique l’emploi du futur. Les commentateurs ont insisté sur cet écart entre les discours à tenir sur chaque chose ou mallon, etc. et l’aphasia, que cet écart soit temporel ou logique ou psychologique. Dans ce cas, la non-assertion est, elle, exprimée par les termes précédemment analysés ou mallon, etc. et par ailleurs ce n’est pas le même type de non-assertion que celui de Sextus. L’aphasia de Pyrrhon n’est pas l’aphasia de Sextus, terme parfois traduit par non-assertion. Dans les Esquisses, les paragraphes consacrés à l’aphasia (I, 192‑193) viennent immédiatement après ceux qui concernent les formules proprement sceptiques et le ou mallon. « L’aphasia (aphasie ou non assertion) », écrit Sextus, « est le renoncement (ἀπόστασις) à la phasis (assertion) prise au sens large, laquelle subsume, comme nous le disons, l’affirmation et la négation ; de sorte qu’est aphasie cette disposition passive qui est nôtre et en vertu de laquelle nous disons ne rien affirmer positivement et ne rien dénier. C’est pourquoi il est clair que nous adoptons l’aphasia non pas avec cette idée que les choses sont de nature à susciter totalement l’aphasia, mais pour manifester que nous, à l’instant présent où nous la proférons, nous sommes affectés de cette disposition dans le cas particulier de tels et tels de nos objets d’enquête »41. Les contrastes avec le pyrrhonisme tardif, même si sur le point final de l’ἀταραξία la différence est minime, montrent que Pyrrhon n’adopte pas l’attitude du néopyrrhonisme de l’ἐποχή, mais tient une position Brunschwig 1997, 309.

41



Scepticisme et Religion : Constantes et évolutions, de la Philosophie Hellénistique à la Philosophie Médiévale, edited by Anne-Isabelle Bouton-Touboulic, and Carlos Lévy, Brepols Publishers, 2016. ProQuest Ebook Central, http://ebookcentral.proquest.com/lib/ybp-ebookcentral/ Created from ybp-ebookcentral on 2020-03-27 10:02:55.

Brigitte Pérez-Jean

«  métaphysique  »  : la réalité est de manière inhérente indéterminée. Sa prescription que nous devons éviter les opinions est fondée sur cette thèse. Il nous conseille d’employer des termes qui reflètent le caractère indéfini des choses. Contrairement à l’ἐποχή tardive qui nous prescrit de nous abstenir de décrire les choses, Pyrrhon nous impose une forme de discours qui ne définit pas les caractères des choses mais exprime la thèse que les choses n’ont aucune caractéristique définie42. Ainsi, dans le médioplatonisme, la négation est orientée par une expérience spirituelle comme un signe vers l’au-delà ; elle est comprise non comme privation mais comme excès, tandis que dans le scepticisme de Pyrrhon, on peut dire que la négation est sans orientation, elle est l’expérience d’une indétermination qui n’invite pas à se projeter dans un arrière-monde mais présence au présent sans filtre et intermédiaire cognitif. On pourrait objecter au rapprochement que nous avons proposé de faire entre ineffabilité, incognoscibilité et aphasie pyrrhonienne qu’il ne s’agit pas, dans le texte d’Aristoclès, de dire ou ne pas dire le principe, puisqu’il s’y agit des pragmata. Nous ne pouvons pas définir sur la base de ce texte ce que pourraient être ces pragmata pour Pyrrhon et sans doute pas assurer qu’il puisse s’y agir de dieu ou de la cause la plus active. Pouvons‑nous pour autant assurer qu’il ne puisse pas s’agir de la divinité ou de la cause par excellence ? Par ailleurs, lorsqu’il s’agit de croyances, de dogmata, devons-nous distinguer entre les croyances religieuses ordinaires et les croyances religieuses philosophiques  ? Devons-nous distinguer entre croyances religieuses et croyances théologiques  ? La question a été souvent posée pour Sextus et il semble qu’il y a bien pour Sextus au moins deux sortes de dogmata43 et qu’il puisse toujours trouver comme planche de salut l’observance des choses de la vie44. Récemment H. Thorsrud45 a défendu l’idée d’une piété sceptique qui rejette la prémisse de la nécessité de la croyance pour la piété. Il se demande si l’objection d’insincérité est une instance de l’objection d’apraxia. Si Sextus en AM IX et HP III propose de suspendre son jugement sur les conceptions universelles du divin, le sceptique peut avoir des croyances religieuses. Si la croyance religieuse grecque a des implications théologiques, les croyances sont bien des dogmata. Sur la question de la provi Conche 1994 et Lévy 2008. HP I, 13. 44 Parmi les quatre parties qui constituent la βιωτικὴ τήρησις, l’observance de la vie quotidienne de HP, I, 23, se trouve la « tradition des lois et des coutumes », où l’on placera la religion. 45 Thorsrud 2011. 42 43



Scepticisme et Religion : Constantes et évolutions, de la Philosophie Hellénistique à la Philosophie Médiévale, edited by Anne-Isabelle Bouton-Touboulic, and Carlos Lévy, Brepols Publishers, 2016. ProQuest Ebook Central, http://ebookcentral.proquest.com/lib/ybp-ebookcentral/ Created from ybp-ebookcentral on 2020-03-27 10:02:55.

USAGE SCEPTIQUE ET USAGE THÉOLOGIQUE DE LA NÉGATION

dence divine et de l’objection que peut constituer, pour la conception traditionnelle des dieux, l’existence du mal, H. Thorsrud soutient qu’affirmer ou infirmer les croyances religieuses ordinaires suppose la référence à des dieux agents effectifs et que cela même rend les croyances religieuses dogmatiques selon les standards sceptiques. Qu’en est-il pour Pyrrhon ? Il était prêtre de sa cité. Il existe un témoignage de Timon qui fait allusion à un discours de vérité «  sur la nature du divin et du bien » attribuable à Pyrrhon et qui constitue une grande difficulté pour les commentateurs46. Dans la mesure où la démarche de Pyrrhon n’est pas doublée d’un arsenal d’attaques contre les croyances dogmatiques, il nous semble qu’il peut échapper à l’objection d’insincérité, en pratiquant l’observance des lois et coutumes religieuses, tout en maintenant que la divinité, la cause ou le principe sont indéterminés dans leur nature.

T 62 Decleva Caizzi : Sextus AM XI, 20 cite des vers des Indalmoi ; voir Decleva Caizzi 1981, 255‑262 ; Brunschwig 1995, 281‑287 ; Brunschwig 1997a, 305. 46



Scepticisme et Religion : Constantes et évolutions, de la Philosophie Hellénistique à la Philosophie Médiévale, edited by Anne-Isabelle Bouton-Touboulic, and Carlos Lévy, Brepols Publishers, 2016. ProQuest Ebook Central, http://ebookcentral.proquest.com/lib/ybp-ebookcentral/ Created from ybp-ebookcentral on 2020-03-27 10:02:55.

Scepticisme et Religion : Constantes et évolutions, de la Philosophie Hellénistique à la Philosophie Médiévale, edited by Anne-Isabelle Bouton-Touboulic, and Carlos Lévy, Brepols Publishers, 2016. ProQuest Ebook Central, http://ebookcentral.proquest.com/lib/ybp-ebookcentral/ Created from ybp-ebookcentral on 2020-03-27 10:02:55.

L’APPROPRIATION DES ARGUMENTS NÉOACADÉMICIENS PAR LACTANCE Gábor Kendeffy

Introduction : la conception du plan providentiel de Dieu en arrière-plan du rejet de la philosophie La visée principale de Lactance dans les Institutions divines est de montrer aux païens cultivés et aux chrétiens cultivés de foi encore instable que tous les fléaux affligeant les chrétiens pendant les persécutions ne sont que les instruments de la providence divine. En créant sa propre version de la doctrine des deux voies, il caractérise le fonctionnement de la providence comme une ruse divine qui consiste d’un côté, à fournir toutes les choses réellement avantageuses (c’est-à-dire les vertus), accompagnées de choses apparemment désavantageuses (c’est-à-dire, de souffrances temporelles) et, de l’autre, à proposer toutes les choses réellement désavantageuses (c’est-à-dire les vices) accompagnées des choses apparemment avantageuses. De ces juxtapositions ou conjonctions, il résulte que tant les biens que les maux réels donnent l’apparence contraire1. Une innovation lactancienne de la doctrine des deux voies est de dire que la voie menant aux Enfers a, selon les dispositions des victimes visées, plusieurs ramifications (deuerticula), dont l’une a été ouverte pour ceux qui sont enclins à la philosophie, le faux-semblant de la sagesse2. À titre d’exemple, la ruse divine fait passer d’un côté la folie pour sagesse et, de l’autre, la sagesse pour folie – démarches décrites aux yeux de Lactance par l’Apôtre respectivement au verset 9 de 1 Cor. 3 (« En effet, la sagesse de ce monde est folie devant Dieu ; car il est écrit : “Je prendrai les sages 1 Inst. VI, 4, 3‑6 (ed. E. Heck et A. Wlosok, Berolini et Novi Eboraci, 2009). Cette édition est également utilisée pour les livres suivants : I-II, 2005 ; III-IV, 2007 ; V, 2009 ; VII, 2011. 2 Inst VI, 7, 2‑7 ; 7,1‑2. Pour un exposé détaillé, voir Kendeffy 2010, 40.

Scepticisme et Religion : Constantes et évolutions, de la Philosophie Hellénistique à la Philosophie Médiévale, edited by Anne-Isabelle Bouton-Touboulic, and Carlos Lévy, Brepols Publishers, 2016. ProQuest Ebook Central, http://ebookcentral.proquest.com/lib/ybp-ebookcentral/ Created from ybp-ebookcentral on 2020-03-27 10:02:55.

Gábor Kendeffy

dans leurs ruses” »)3 et au verset 21 de 1 Cor. 20‑21 (« Car le monde, avec sa sagesse, n’ayant pas connu Dieu dans la sagesse de Dieu, il a plu à Dieu de sauver les croyants par la folie de la prédication »)4. Pour essayer de déterminer de quelle manière et dans quel dessein Lactance s’est approprié des arguments et des démarches néoacadémiciennes, dans ce qui suit nous traitons premièrement de la position épistémologique et de la méthodologie dans son opuscule encore crypto-chrétien, L’ouvrage du Dieu créateur, puis, nous nous concentrerons sur le rôle des arguments épistémologiques de l’Académie sceptique dans la réfutation de la philosophie païenne, au livre III des Institutions, et sur la fonction de l’emploi des discours de Carnéade contre et pour la justice dans les livres V et VI, pour finalement dresser une comparaison entre L’ouvrage du Dieu créateur et les Institutions divines en matière de position épistémologique.

La position de Lactance envers le scepticisme dans le De opificio Dei La possibilité de la connaissance humaine et les illusions sensorielles Lactance, prenant une position ressemblant à celle d’Épicure, nie que les sens puissent nous tromper au sens strict et affirme que l’intelligence (mens) peut toujours corriger les informations « fausses » acquises par nos sens, parce que les causes certaines de celles-ci peuvent être retracées5. Il souligne qu’une des raisons pour lesquelles la représentation ne reflète pas correctement l’objet est le « relâchement de l’intentio » (attention, effort, concentration) de l’âme, une activité qui peut être régularisée et corrigée. C’est uniquement à propos de ce problème que l’apologiste mentionne les Académiciens dans cet ouvrage, pour s’en distinguer. Le traité divise les objets de recherche en général – et pas seulement ceux de sa recherche actuelle – en deux classes : celle des questions abordables, claires, compréhensibles (aperta, comprehensibilia) et celle des Inst. III, 3, 15‑16. Inst. IV, 2, 3 ; V, 12, 3‑4 et 7‑13. Pour les deux versets, voir Inst. V,15, 8. Pour l’analyse de ces références, voir Monat 1982, 72‑74, et Kendeffy 2011. 5 Opif. 9, 1‑4 (éd. M.  Perrin, «  Sources Chrétiennes  », 213‑214, Paris 1974). Il admet quand même la possibilité des illusions sensorielles dans le cas où les organes sensoriels sont affectés par une maladie. Pour les sources éventuelles, voir Perrin 1981, 104‑108, et Faes de Mottoni 1982, spéc. 343‑348. 3 4



Scepticisme et Religion : Constantes et évolutions, de la Philosophie Hellénistique à la Philosophie Médiévale, edited by Anne-Isabelle Bouton-Touboulic, and Carlos Lévy, Brepols Publishers, 2016. ProQuest Ebook Central, http://ebookcentral.proquest.com/lib/ybp-ebookcentral/ Created from ybp-ebookcentral on 2020-03-27 10:02:55.

L’appropriation des arguments néoacadémiciens par Lactance

questions obscures, incompréhensibles (obscura, incomprehensibilia)6. La première division inclut des problèmes relatifs aux fonctionnements visibles du corps, accessibles à l’expérience. Le deuxième groupe comporte des questions concernant soit les fonctionnements corporels internes et invisibles7 soit celui de l’âme8. Dans les deux cas, Lactance dénote le plus fréquemment l’objet de la recherche par le terme ratio : c’est la connaissance de la ratio corporis, la ratio animae, ou les rationes de tels ou tels organes ou membres qui est en question. Pour mieux cerner la position épistémologique du traité De opificio Dei, il est indispensable de préciser la signification du terme dans ce contexte. Quand l’auteur parle de la ratio corporis et la considère comme compréhensible, il pense sans doute au fonctionnement extérieur du corps9. Concernant soit le corps entier, soit telle ou telle partie du corps, il se sert de ce terme dans le sens de finalité10, effet, mode de fonctionnement11 ou même structure12. Il emploie les mots effectus13, officium14, utilitas15 comme synonymes de ratio. L’expression hominis ratio signifie, si l’on considère le contexte, la « destination », la « finalité », la « vocation » et l’« engagement » de l’homme16, elle partage donc dans une large mesure son sens avec l’expression sacramentum hominis17. Tout cela indique qu’en parlant de tel ou tel organe ou membre visible, ce qu’il juge compréhensible, ce ne sont ni leur substance ni leurs causes efficientes, mais leurs effets, leur rôle dans les activités humaines, leurs fonctionnements ou les modalités de leurs fonctionnements. En examinant les organes internes, ce sont non seulement leur substance et leurs causes efficientes, mais aussi leurs effets, leur rôle dans les activités humaines, leurs fonctionnements ou les modalités de leurs fonctionnements qu’il considère dans la plupart des cas Cf. Inst. III, 6, 5‑6. Opif. 14, 1. 8 Opif. 4, 7 ; 16, 1 ; 17, 1. 9 Opif. 1, 16. 10 Opif. 11, 10. 11 Opif. 11, 18 ; 13, 1. 12 Opif. 13, 6. 13 Opif. 14, 2. 14 Opif. 6, 8 ; 14, 5 ; 14, 6 ; 14, 9. 15 Opif. 8, 1. 16 Opif. 19, 9 ; 19, 10. 17 Opif. 19, 8‑9 (deux occurrences). Cf. Loi 1964, où, à notre avis, la connotation téléologique de cette locution n’est peut-être pas assez soulignée. 6 7



Scepticisme et Religion : Constantes et évolutions, de la Philosophie Hellénistique à la Philosophie Médiévale, edited by Anne-Isabelle Bouton-Touboulic, and Carlos Lévy, Brepols Publishers, 2016. ProQuest Ebook Central, http://ebookcentral.proquest.com/lib/ybp-ebookcentral/ Created from ybp-ebookcentral on 2020-03-27 10:02:55.

Gábor Kendeffy

comme incompréhensibles18. Néanmoins, dans certains cas, il admet que même dans ce domaine, il y a certaines questions dont la ratio n’est pas obscure, mais alors, ce sont seulement la finalité ou le fonctionnement des organes qu’il juge clairement connaissables19. En ce qui concerne l’expression ratio mentis, elle se réfère bien à la substance de l’esprit, mais le théologien juge cette dernière incompréhensible20. Il faut souligner finalement que cet ouvrage, à la différence des Institutions, commencées peu de temps après, n’utilise pas d’arguments sceptiques pour qualifier des choses incompréhensibles comme telles. Le « probabilisme » du De opificio Dei Tout en niant la possibilité de comprendre les choses qui échappent à nos sens et les causes cachées des phénomènes de la nature, l’auteur de l’opuscule anthropologique évoque la démarche académicienne ou cicéronienne de la comparaison probabiliste des positions philosophiques : il examine et compare les réponses données à diverses questions anthropologiques pour essayer de les ranger selon leur niveau de probabilité. Il fait cette démarche à plusieurs reprises à l’égard du fonctionnement des parties invisibles du corps et concernant l’activité de l’âme et de l’intelligence. A titre d’exemple, concernant la question de savoir où l’ « esprit  » (mens) peut être localisé, il juge la doctrine qui opte pour son emplacement dans le cerveau et celle selon laquelle l’esprit est disséminé par le corps entier « plus vraisemblable » (ueri similior) que celle qui le place dans la poitrine21. Parfois, il se garde d’adhérer à quelque position, même pour la juger probable (comme au sujet de la définition de l’âme22 ou concernant la question de savoir si les passions particulières peuvent être liées ou non aux organes internes précis23), et il lui arrive d’attribuer le même degré de probabilité à deux opinions contradictoires, comme en ce qui concerne la question de savoir si l’âme se divise en parties rationnelle et vivifiante24. A travers la terminologie probabiliste, on peut déceler les principes théologiques et anthropologiques qui déterminent Opif. 14, 5‑6 ; 15, 3. Opif. 11, 10 ; 12, 1. 20 Opif. 16, 1. Cf. Cicéron, Fin. V, 40, et le commentaire de Perrin 1974 (SC 213) pour le passage. 21 Opif. 15, 1‑3. 22 Opif. 17, 2‑9. 23 Opif. 14, 4‑7. 24 Opif. 18, 1‑3. 18 19



Scepticisme et Religion : Constantes et évolutions, de la Philosophie Hellénistique à la Philosophie Médiévale, edited by Anne-Isabelle Bouton-Touboulic, and Carlos Lévy, Brepols Publishers, 2016. ProQuest Ebook Central, http://ebookcentral.proquest.com/lib/ybp-ebookcentral/ Created from ybp-ebookcentral on 2020-03-27 10:02:55.

L’appropriation des arguments néoacadémiciens par Lactance

le classement des thèses différentes. Ces principes semblent motiver Lactance aussi dans les cas où il ose qualifier une position particulière de fausse, comme celle d’Empédocle, pour lequel l’âme consiste dans l’air gelé25, ou celles selon lesquelles l’âme se propage par l’engendrement corporel26. Quand il déconseille à son lecteur d’accepter en tant que probable l’opinion d’Aristoxène qui a défini l’âme comme le mélange harmonieux des composants corporels (caue ne umquam ueri simile putaueris), on a l’impression que le mode d’expression probabiliste est plutôt un élément décoratif et qu’au fond, Lactance juge cette thèse simplement fausse en raison de sa position anthropologique « dogmatique ». Plus un sujet touche à la doctrine de la providence divine, plus sûrement le théologien ose formuler une opinion affirmative, comme concernant l’origine27 et le destin de l’âme28. Ainsi, tout en considérant la substance de l’âme comme incompréhensible, il tient pour certaine (intelligimus) l’immortalité de celle-ci sans avoir recours à aucun argument29.

Le rôle de l’héritage sceptique dans l’argumentation du livre III des Institutions divines Le cadre de l’argumentation L’apologiste lui même fait remonter sa conviction selon laquelle les doctrines des philosophes sont folles, non pas aux arguments sceptiques, mais à l’Écriture Sainte, en faisant allusion sans doute à 1 Cor. 3, 1930. Pour lui, les philosophes païens n’avaient pas tort de chercher la vérité, étant donné que le désir de la vérité est inspiré par Dieu, mais ils ne savaient pas « où et avec quelle attitude spirituelle » (ubi et qua mente)31 elle est à chercher. Par conséquent, c’est exclusivement pour convaincre les lecteurs visés, plus sensibles à la jonglerie rhétorico-dialectique qu’au langage simple de l’Écriture32 que l’apologiste utilisera des arguments Opif. 17, 6. Opif. 19, 1‑4. 27 Opif. 19, 4‑6. 28 Opif. 19, 10. 29 Opif. 17, 1. 30 Inst. III, 1, 10. 31 Inst. III, 1, 7. Cf. III, 1,9‑10. 32 Le rapprochement de la philosophie et de la rhétorique fait partie de la stratégie rhétorique de Lactance contre la première. Voir Inst. III, 1, 10 ; III, 1, 13 ; V, 1, 14. 25 26



Scepticisme et Religion : Constantes et évolutions, de la Philosophie Hellénistique à la Philosophie Médiévale, edited by Anne-Isabelle Bouton-Touboulic, and Carlos Lévy, Brepols Publishers, 2016. ProQuest Ebook Central, http://ebookcentral.proquest.com/lib/ybp-ebookcentral/ Created from ybp-ebookcentral on 2020-03-27 10:02:55.

Gábor Kendeffy

philosophiques – parmi lesquels les arguments sceptiques jouent un rôle éminent – en tant que témoignages fournis par la philosophie même en faveur de sa propre incompétence33. Le propos fondamental du livre III des Institutions (De falsa sapientia) est de démolir la philosophie païenne dans les trois domaines : logique, physique, éthique34. Pour la logique, discipline considérée tout à fait inutile pour la vie, l’auteur ne daigne même pas la réfuter. La première déclaration anthropologico-épistémologique (DAE1) Dans le domaine de la philosophie naturelle, la ligne principale de l’argumentation est constituée par une confrontation du dogmatisme et du scepticisme de l’Académie, c’est-à-dire par une disputatio in utramque partem, démarche d’origine néoacadémicienne au cours de laquelle l’argumentation est dirigée d’abord contre le dogmatisme, puis contre le scepticisme, représenté ici par Arcésilas, non pour réfuter pas à pas les positions particulières, mais pour démolir la discipline tout entière35. Il s’agit d’un débat mis en œuvre avec des parties plus ou moins imaginaires  : selon l’une, tout est possible à connaître, selon l’autre, tout est incompréhensible36. La critique du dogmatisme commence par une déclaration anthropologico-épistémologique  positive  : aucun des jugements de la philosophie naturelle ne peut relever de la connaissance (scientia), mais tous représentent plutôt l’opinion (opinatio), parce que (1) c’est seulement à Dieu qu’une science interne et intellectuelle appartient  et que (2) l’homme, emprisonné dans le corps, ne peut avoir qu’une connaissance qui vient de l’extérieur, par l’intermédiaire des sens qui sont d’ailleurs donnés par la providence divine justement pour permettre cette connaissance extérieure : Scientia ab ingenio uenire non potest, ne cogitatione comprehendi ; quia in seipso habere propriam scientiam, non hominis, sed Dei est. Mortalis autem natura non capit scientiam, nisi quae ueniat extrinsecus. Idcirco enim oculos, et aures, et caeteros sensus patefecit in corpore diuina solertia, ut per eos aditus scientia permanaret ad mentem37.

35 36 37 33 34

Inst. III, 1, 12. Cf. Gigon 1979, 196‑213, et Faes de Mottoni 1982, 352‑377. Inst. III, 3, 3-6 Inst. III, 5, 5‑6. Inst. III, 3, 2‑3. Cf. Inst. IV, 24, 3.



Scepticisme et Religion : Constantes et évolutions, de la Philosophie Hellénistique à la Philosophie Médiévale, edited by Anne-Isabelle Bouton-Touboulic, and Carlos Lévy, Brepols Publishers, 2016. ProQuest Ebook Central, http://ebookcentral.proquest.com/lib/ybp-ebookcentral/ Created from ybp-ebookcentral on 2020-03-27 10:02:55.

L’appropriation des arguments néoacadémiciens par Lactance

L’argument du désaccord, le motif du juge et celui du maître L’argument sceptique basé sur le désaccord entre les différentes écoles philosophiques, associé au nom d’Arcésilas, ne sert qu’à mettre en relief la situation qui résulte de la méconnaissance de cet aspect épistémique de la condition humaine38. La combinaison des éléments d’une conviction théologique positive et ceux de la tradition académicienne dans la partie « sceptique » de la disputatio in utramque partem dans le domaine de la philosophie naturelle se manifeste clairement par l’explication psychologique de l’attitude dogmatique de la plupart des philosophes : il n’y avait personne qui, descendu du ciel sur lequel ils font leurs conjectures, pourrait réfuter ou rejeter (coarguere, redarguere) leurs erreurs39. En vérité – dit Lactance, Dieu les rejette (redarguit), même s’il semble somnoler40. Plus loin, en

renvoyant au domaine de la philosophie naturelle, il affirme que «  […]  personne ne descend du ciel pour mettre un terme à leurs différends et pour juger laquelle de leurs opinions est la plus véritable »41.

A première vue, cette critique semble s’appuyer seulement sur la constatation que les philosophes croient ne pas prendre de risque en formant des jugements sur les choses du ciel en supposant qu’il n’y a personne qui connaisse cette région et puisse les confronter à la vérité. Pour autant, la terminologie judiciaire, de même que la mention de la possibilité théorique que quelqu’un puisse descendre du ciel et la phrase citée ci-dessus font penser également à Dieu comme à un juge qui donne cette fois son jugement non sur la vérité ou sur la fausseté de telles ou telles propositions, mais sur le choix erroné des philosophes qui s’est porté sur un domaine de recherche qui leur est interdit. En revanche, dans le domaine de la philosophie morale, Lactance encouragera les chrétiens à s’adresser avec lui au juge « qui décidera nos questions, qui nous donnera des préceptes salutaires, et nous inspirera une sagesse pure et tranquille »42. Cela veut dire qu’au sujet des causes obscures de la nature, le rejet divin ne porte pas directement sur la valeur de vérité des doctrines des philosophes, mais sur le fait même qu’ils se prononcent sur les choses dont la recherche leur est interdite, tandis qu’à propos des Inst. III, 4, 1‑11 ; III, 9,1‑3. Cf. III, 2, 9 ; III, 13, 1‑3. Pour les sources, voir Faes de Mottoni 1982, 356‑357. 39 Inst. III, 3, 5 ; III, 3, 12‑16. 40 Inst. III, 3, 16 ; 1 Cor. 3, 19‑20. 41 Inst. III, 20, 7. 42 Inst. III, 8,1. 38



Scepticisme et Religion : Constantes et évolutions, de la Philosophie Hellénistique à la Philosophie Médiévale, edited by Anne-Isabelle Bouton-Touboulic, and Carlos Lévy, Brepols Publishers, 2016. ProQuest Ebook Central, http://ebookcentral.proquest.com/lib/ybp-ebookcentral/ Created from ybp-ebookcentral on 2020-03-27 10:02:55.

Gábor Kendeffy

problèmes d’éthique, la doctrine et la vie de Christ servent comme une sorte de critère de vérité. Car en lisant le terme de « juge » (iudex, en grec kritès), il est très difficile de ne pas penser au critère de la vérité que Cicéron a appelé iudicium, en traduisant le grec kritèrion43. Lactance emploie l’argument du désaccord et le jugement académicien sur les écoles philosophiques également pour invalider les qualifications laudatives de la philosophie données par Cicéron et Sénèque : parens uitae, magistra morum, inuentrix legum, dux uitae (Cicéron)44, recta ratio uiuendi, honeste uiuendi scientia, ars rectae uitae agendae (Sénèque)45. Aux éloges de Cicéron, il oppose aussi les passages d’allure académicienne du même Cicéron sur le désaccord et sur l’échec des écoles philosophiques et sur sa propre ignorance46. On peut dire qu’en discutant l’emploi de ces expressions, il revendique des attributs divins (parens uitae) ou christologiques (magistra morum, dux uitae), tout comme il a revendiqué pour le Christ, nous venons de le voir, l’attribut de iudex en réinterprétant le concept du critère de vérité. Dans le livre IV, Lactance applique les mots magister47 et dux48, employés par Cicéron pour la philosophie, au Christ incarné. Or, si on lit ensemble les livres IV et VI, il devient évident que c’est sur la voie menant au ciel que le Christ guide les vrais chrétiens, en endurant par avance tous les souffrances qu’ils puissent endurer49. Arguments contre les Académiciens Dans le deuxième temps de la confrontation, l’argument anti-sceptique auquel l’auteur semble attacher la plus grande importance consiste à dire qu’à partir des représentations corporelles, l’être humain peut parvenir à des compétences pratiques nécessitées par nos besoins existentiels et continuellement corrigées sur la base de l’expérience, c’est-à-dire d’un savoir quotidien (scientia communis), montrant ce qui est avantageux et ce qui est désavantageux50. Ici, Lactance semble puiser dans l’argu Lib. Ac. I, 30. ; Luc. 19 ; 27 ; 33 ; 114 ; 142. Inst. III, 13, 11 ; III, 14, 10‑21. 45 Inst. III, 15, 1‑7. 46 Inst. III, 15, 15‑21. 47 Inst. IV, 24, 19 ; IV, 26, 25. Pour le terme doctor comme attribut du Christ, voir Inst. IV, 14, 8 ; IV, 16, 4 ; IV, 24, 1 ; IV, 24, 7 ; IV, 24, 15. 48 Inst. IV, 24, 19. 49 Inst. VI, 3, 16. 50 Inst. III, 5, 1‑5. Cf. III, 6, 18‑19. 43 44



Scepticisme et Religion : Constantes et évolutions, de la Philosophie Hellénistique à la Philosophie Médiévale, edited by Anne-Isabelle Bouton-Touboulic, and Carlos Lévy, Brepols Publishers, 2016. ProQuest Ebook Central, http://ebookcentral.proquest.com/lib/ybp-ebookcentral/ Created from ybp-ebookcentral on 2020-03-27 10:02:55.

L’appropriation des arguments néoacadémiciens par Lactance

mentation dogmatique de Lucullus, inspiré par Antiochus, dans le Lucullus de Cicéron, selon laquelle toutes les compétences (artes, technai) impliquent des assentiments donnés à des impressions compréhensives (uisa comprehensa, phantasiai katalèptikai)51. Puis, il argumente contre le scepticisme en jugeant contradictoire de qualifier de sagesse un état de l’esprit qui n’implique aucune connaissance52. Finalement, il dirige contre les sceptiques l’argument classique fondé sur la contradiction inhérente à la proposition « je ne sais rien »53. La deuxième déclaration anthropologico-épistémologique (DAE2) En conclusion du débat mis en œuvre entre les philosophes de la nature «  dogmatiques  » (physici) et les «  sceptiques  », parties plus au moins imaginaires, Lactance fait une deuxième déclaration anthropologico-épistémologique. Pour ce qui concerne les parties singulières du débat, Lactance constate que toutes deux sont à blâmer pour avoir fait une généralisation inconsidérée : les Académiciens à partir d’un nombre modeste des choses qui sont en effet incompréhensibles (incomprehensibilia), les physici à partir des choses claires (aperta)54. Il décrit la sagesse à laquelle l’homme peut parvenir comme un mélange de la science, due à l’âme d’origine céleste, divine et d’ignorance, due au corps, de provenance terrestre, ou quasiment diabolique55. Cette déclaration semble de prime abord contredire à certains égards celle – également de caractère anthropologico-épistémologique – qu’on a trouvée plus haut. Tandis que la première déclaration (DAE1) a souligné que ce n’est pas au moyen de notre pensée, mais au moyen de la sensation, c’est-à-dire à travers le corps, qu’on peut accéder à une connaissance, une connaissance extérieure, la seconde (DAE2) vient d’attacher la même connaissance extérieure et sensorielle à une âme d’origine céleste, en associant l’ignorance au corps, qualifié ici comme étant d’origine terrestre ou même diabolique. Comment est-il possible d’exalter la connaissance sensorielle en lui attribuant une origine divine, et en même temps de juger le corps comme mauvais et d’origine diabolique ?

53 54 55 51 52

Luc. 38. Inst. III, 5, 5. Inst. III, 5, 7. Inst. III, 6, 5‑6. Inst. III, 6, 1‑3.



Scepticisme et Religion : Constantes et évolutions, de la Philosophie Hellénistique à la Philosophie Médiévale, edited by Anne-Isabelle Bouton-Touboulic, and Carlos Lévy, Brepols Publishers, 2016. ProQuest Ebook Central, http://ebookcentral.proquest.com/lib/ybp-ebookcentral/ Created from ybp-ebookcentral on 2020-03-27 10:02:55.

Gábor Kendeffy

Nusquam ne igitur sapientia est ? Immo uero inter ipsos fuit : sed nemo uidit. Alii putauerunt, sciri posse omnia ; hi sapientes utique non fuerunt ; alii nihil, ne hi quidem sapientes fuerunt ; illi, quia plus homini dederunt ; hi, quia minus  : utrisque in utramque partem modus defuit. Vbi ergo sapientia est ? Vt neque te omnia scire putes, quod Dei est, neque omnia nescire, quod pecudis. Est enim aliquod medium, quod sit hominis, id est scientia cum ignoratione conjuncta et temperata. Scientia in nobis ab animo est, qui oritur e caelo ; ignoratio a corpore, quod est e terra : unde nobis et cum Deo, et cum animalibus est aliqua communitas56.

D’abord, ces deux déclarations ont des fonctions argumentatives différentes : la DAE1 sert dans la section de l’in utramque partem disputatio à attaquer le dogmatisme qui exagère nos capacités cognitives, tandis que la DAE2 a pour but de préparer une conclusion équilibrée, tirée de l’opposition du dogmatisme et du scepticisme. Elles sont en accord l’une avec l’autre sur plusieurs points : (1) toutes les deux permettent à l’homme une sorte de connaissance  ; (2) chacune la fait remonter d’une certaine façon à Dieu ; la DAE1 lie cette connaissance, précisée ici comme sensorielle, à la providence, tandis que la DAE2 l’associe à l’âme qualifiée comme étant d’origine divine  ; 3) ni l’une ni l’autre n’accordent à l’homme – mais uniquement à Dieu – une connaissance relative aux choses qui échappent à nos sens. La comparaison des deux déclarations nous laisse donc penser que Lactance considère la cognition sensorielle, quoiqu’exécutée par le corps, comme une activité de l’âme, assignée à l’homme par la providence divine. D’où découle l’idée paradoxale que l’homme ne peut répondre à sa vocation céleste qu’à travers sa nature terrestre, cette idée impliquant qu’un savoir d’origine céleste, divine, appartenant à l’âme, qui est mis en opposition avec le corps, quasiment diabolique, s’acquiert quand même par l’intermédiaire du corps. A  notre avis, ce paradoxe ne comporte pas de véritable contradiction. Car, premièrement, chez Lactance, au niveau de l’anthropologie, il ne s’agit pas d’un dualisme radical opposant une entité produite par Dieu et une autre créée par le Diable. Le conflit – qui est en même temps une association (societas) – se déroule entre une chose qui est née, qui a été insufflée par Dieu dans le corps en tant qu’une émanation divine, et une autre entité qui est simplement créée, fabriquée par Dieu en tant qu’un instrument à travers lequel le Diable peut à la fois séduire et tourmenter

Inst. III, 6, 1‑3.

56



Scepticisme et Religion : Constantes et évolutions, de la Philosophie Hellénistique à la Philosophie Médiévale, edited by Anne-Isabelle Bouton-Touboulic, and Carlos Lévy, Brepols Publishers, 2016. ProQuest Ebook Central, http://ebookcentral.proquest.com/lib/ybp-ebookcentral/ Created from ybp-ebookcentral on 2020-03-27 10:02:55.

L’appropriation des arguments néoacadémiciens par Lactance

l’homme57. Deuxièmement, aux yeux de Lactance la Révélation même a été donnée pour les sens par le Fils incarné et l’une des raisons principales de l’Incarnation est le fait que l’homme ne peut avoir qu’une connaissance externe58. En outre, Lactance, partisan d’un utilitarisme eschatologique, semble concevoir la connaissance de la Révélation, avantageuse pour le salut humain, comme la continuation des expertises pratiques, qualifiées de science (scientia) dans la première déclaration59. On voit donc que chez Lactance, la dépréciation des capacités intellectuelles, tout comme des résultats et des efforts de la philosophie païenne, ne découle pas d’une argumentation sceptique, mais d’une anthropologie dogmatique qui considère les capacités intellectuelles de l’homme insuffisantes pour la connaissance des causes obscures des changements naturels, tout en n’attribuant à cette sorte de connaissance aucun rôle dans les relations entre l’homme et Dieu. A cet égard, Lactance est proche d’Arnobe de Sicca60. L’utilisation de l’argument du désaccord contre la philosophie morale Pour Lactance, l’éthique est la seule partie de la philosophie à avoir de l’importance pour un chrétien. Touchant la vie réelle, elle est plus risquée que la physique, mais en même temps, elle est plus facile à étudier que celle-ci, parce qu’elle procède de l’expérience et peut être en permanence testée et corrigée par la pratique quotidienne61. Il n’empêche que notre auteur ne constate pas moins de désaccord en ce domaine que dans celui de la philosophie naturelle. Pour montrer à la fois la cause de ce désaccord et l’issue de l’impasse, Lactance emploie la version « dynamique » de l’argument du désaccord, utilisant le paradoxe que constitue le fait de choisir le sage, paradoxe qu’il a pu trouver chez Cicéron62. Après avoir énuméré les réponses les plus importantes à la question du bien suprême, il se place lui-même et ses lecteurs dans la situation de l’étudiant de philosophie qui n’est pas en mesure de choisir un maître sage, parce que, 57 Voir par exemple : De ira 10, 43 (éd. Chr. Ingremeau, « Sources Chrétiennes », 289, Paris, 1982) ; 13,13 ; Opif. 1, 11 ; 8, 3 ; Inst. I, 11, 42 ; II, 1, 15 ; VI, 1, 2 ; II, 12, 1 ; II, 17, 9 ; IV, 5, 9 ; VII, 14, 13‑14 ; Epit. 50, 3 (ed. E. Heck et A. Wlosok, Stuttgartiae et Lipsiae in aedibus Teubneri, 1994). 58 Inst. IV, 24, 3. 59 Cf. l’usage à la fois quotidien et eschatologique des mots comme utilitas et salus en De ira 13, 15. 60 Arnobe, Aduersus nationes 2, 7‑12. 61 Inst. I, 7, 1‑3. 62 Voir Cicéron, Luc. 8‑9 ; 115‑117. Cf. Kendeffy 1995, 115‑124.



Scepticisme et Religion : Constantes et évolutions, de la Philosophie Hellénistique à la Philosophie Médiévale, edited by Anne-Isabelle Bouton-Touboulic, and Carlos Lévy, Brepols Publishers, 2016. ProQuest Ebook Central, http://ebookcentral.proquest.com/lib/ybp-ebookcentral/ Created from ybp-ebookcentral on 2020-03-27 10:02:55.

Gábor Kendeffy

pour ce faire, il faudrait qu’il le soit lui-même63. Cette analyse d’inspiration cicéronienne et académicienne est immédiatement suivie – au commencement du chapitre suivant – de l’appel à se tourner vers un iudex véritable qui montre l’issue de l’impasse épistémologique64. La position de Cicéron dans le Lucullus et celle de Lactance dans les Institutions se ressemblent, tout en étant différentes. D’un côté, les deux auteurs soulignent que les partisans des écoles philosophiques s’appuient pratiquement sur l’autorité des scholarques. De l’autre, ils diffèrent dans leurs positions épistémologiques. Le philosophe romain, fier de ne pas « croire » quelqu’un, veut ne pas cesser de chercher la vérité sans aucun préjugé (avec la méthode de l’in utramque partem disputatio), afin de trouver, sinon le vrai, du moins le probable65. En revanche, le «  Cicéron chrétien  » emploie l’argument du désaccord, non pour inviter à rejeter toute sorte d’autorité, mais pour préparer son lecteur à accepter au lieu d’une autorité humaine, l’autorité divine, au lieu d’un maître humain, le maître divin. L’utilisation de l’argumentation carnéadienne contre la justice dans les Institutions divines Le livre V (« De la justice ») vise en grande partie à montrer pour quelles raisons Dieu a voulu que les justes, c’est-à-dire les sages, apparaissent fous aux yeux des païens. Il admet que « la justice par sa nature propre, a une certaine ressemblance avec la folie66  » et que, en conséquence, l’  «  erreur  » de ceux qui tiennent les chrétiens pour fous «  n’est pas due au hasard » (non sine causa decipi)67. C’est pour soutenir cet énoncé d’abord par un « témoignage humain » (testimonium humanum) qu’il mentionne les discours carnéadiens contre et pour la justice, évoqués par Philus et Laelius dans le livre III du De republica de Cicéron. Le discours de Philus reçoit une place dominante tant dans le résumé que dans l’évaluation de la disputatio, évidemment parce que c’est ce discours qui est propre à illustrer la thèse mentionnée. C’est aussi la raison pour laquelle Lactance a du mal à faire la différence entre Carnéade et le Carnéade de Inst. III, 7, 5‑10. Inst. III, 8,1‑2. 65 Luc. 7. 66 Inst. V, 14. 67 Inst. V, 17, 1. Les sections en italiques sont empruntées à la traduction de Pierre Monat (Lactance, Institutions divines, Livre V, t. I et II (1973), « Sources Chrétiennes », 203‑204). 63 64



Scepticisme et Religion : Constantes et évolutions, de la Philosophie Hellénistique à la Philosophie Médiévale, edited by Anne-Isabelle Bouton-Touboulic, and Carlos Lévy, Brepols Publishers, 2016. ProQuest Ebook Central, http://ebookcentral.proquest.com/lib/ybp-ebookcentral/ Created from ybp-ebookcentral on 2020-03-27 10:02:55.

L’appropriation des arguments néoacadémiciens par Lactance

Philus68. De ce discours, Lactance nous a conservé un développement dont les thèses sont les suivantes  : (a) il n’y a pas de justice naturelle (ius naturale) ; (b) les gens, donc, motivés par leur nature, suivent leurs propres intérêts ; (c) par conséquent, ou il n’y a pas de justice du tout, ou bien elle est identique à la folie69. Nous pouvons insérer dans ce développement à titre de conclusion additionnelle le jugement attribué précédemment par l’apologiste à Philus selon lequel (d) par conséquent, seul un imbécile (demens) pourrait préférer la vie d’un homme juste, accablé de mépris et d’atrocités extrêmes, à celle d’un homme injuste jouissant de l’estime publique et de toutes sortes de biens70. Les points principaux du jugement que Lactance porte sur ce développement sont les suivants : (1) Carnéade (dans son discours négatif ?) a senti (sensit) quelle est la nature de la justice – impliquant, selon les exemples donnés dans le discours de Philus, l’innocence ainsi que le fait de préférer le bien d’autrui au sien ; (2) il n’a jamais vraiment cru que le juste est un fou71 ; cependant, (3) il n’a pas perçu profondément (parum alte perspexit) que la justice n’est pas une sottise ; par conséquent, (4) il n’a pas vu la raison pour laquelle la justice semble l’être ; (5) il a donc voulu montrer que la vérité reste cachée dans l’obscurité, pour défendre son « dogme » (decretum) selon lequel « rien ne peut être connu » (nihil percipi posset)72. L’apologiste même révèle les raisons pour lesquelles, selon lui, Carnéade n’a pas perçu profondément que la justice n’est pas une sottise : 1) le philosophe académicien n’a pas connu la vocation (sacramentum) de l’homme, c’est-à-dire qu’il ne savait pas que la vertu recevra la béatitude éternelle comme récompense après la vie terrestre ; il pensait donc que « la vertu doit être recherchée pour elle-même » (expetendam esse sua causa)73 ; 2) il ne savait pas pourquoi la justice, inséparable de la sagesse, semble nécessairement être un sottise74. La réponse de Lactance à cette question est que « Dieu a voulu que la vertu fût cachée sous la masque de la folie pour que le mystère de sa vérité et de sa religion demeurât secret (uirtutem ipsam Deus sub persona stultitiae uoluit esse Voir Inst. V, 17, 14. Inst. V, 16, 3. 70 Inst. V, 12, 5‑6. 71 Inst. V, 17, 9. 72 Inst. V, 17, 9. Les sections en italiques sont empruntées à la traduction de Pierre Monat. 73 Inst. V, 17, 15‑16. Ces propositions peuvent interprétées aussi comme se référant à la position de Laelius. 74 Inst. V, 18, 1‑4. 68 69



Scepticisme et Religion : Constantes et évolutions, de la Philosophie Hellénistique à la Philosophie Médiévale, edited by Anne-Isabelle Bouton-Touboulic, and Carlos Lévy, Brepols Publishers, 2016. ProQuest Ebook Central, http://ebookcentral.proquest.com/lib/ybp-ebookcentral/ Created from ybp-ebookcentral on 2020-03-27 10:02:55.

Gábor Kendeffy

celatam, ut mysterium ueritatis ac religionis suae esset arcanum), afin de confondre la vanité et l’erreur de ces religions et de cette sagesse de la terre qui se rehaussent bien trop et se complaisent en elles-mêmes, enfin, pour que grâce à cette difficulté le chemin fût très étroit, qui conduit à la suprême récompense de l’immortalité (ut proposita denique difficultate, angustissimus trames ad immortalitatis praemium sublime perduceret) ». L’ignorance qui est en arrière-plan de ce discours de Carnéade porte donc sur la volonté divine, c’est-à-dire sur le mode de fonctionnement de la providence divine qui est la logique des deux voies, impliquant une ruse divine75. Pour illustrer le point (c) Philus fournit quelques exemples, dont celui du marchand au courant du vice de sa marchandise qui peut soit sagement le cacher soit le révéler follement ([exempla] minora)76 ou celui du naufragé qui se trouve devant le dilemme d’arracher sagement la planche de salut à son compagnon de fortune ou bien de l’épargner follement (maiora)77. On peut dire que les personnages figurant dans ces exemples servent de préfigurations aux saints chrétiens, innocents et prêts à préférer le bien d’autrui à leurs propres intérêts, avec la différence que ces derniers pratiquent non seulement la justice entre les êtres humains, mais aussi celle qui se réfère à Dieu78. De même, le mode de vie jugé dans le point (d) comme susceptible d’être choisi seulement par un homme délirant est exactement celui que les chrétiens choisissent pour eux-mêmes. On peut donc dire que ce volet de l’antinomie carnéadienne sert pour l’apologiste comme une préfiguration de l’attitude des persécuteurs qui tiennent les chrétiens – les justes – pour fous79. Il met en évidence que l’attitude des persécuteurs procède nécessairement de l’ignorance de la Révélation divine. La partie destructive de la disputatio carnéadienne permet donc à Lactance de mettre en évidence l’absence de fondement de la moralité païenne. On peut tirer la même conclusion du raisonnement de l’apologiste dans le livre VI contre la définition de la vertu consistant à servir les intérêts de la patrie. Ici, il utilise, sans l’indiquer, l’argumentation de Philus pour affirmer que, sans connaître les préceptes principaux de la loi divine, c’est-à-dire ceux de la religion et de la miséricorde (équivalent Inst. V, 18, 11. Cf. Inst. IV, 2, 3. Voir Loi 1974/1975, 80‑82. Inst. V, 16,5. 77 Inst. V, 16, 9‑10 ; Inst. V, 16, 10. 78 Voir Inst. V, 18, 12. 79 Voir aussi Inst. V, 12, 6. 75 76



Scepticisme et Religion : Constantes et évolutions, de la Philosophie Hellénistique à la Philosophie Médiévale, edited by Anne-Isabelle Bouton-Touboulic, and Carlos Lévy, Brepols Publishers, 2016. ProQuest Ebook Central, http://ebookcentral.proquest.com/lib/ybp-ebookcentral/ Created from ybp-ebookcentral on 2020-03-27 10:02:55.

L’appropriation des arguments néoacadémiciens par Lactance

de l’équité mentionné plus haut), les êtres humains, pourvu qu’ils s’efforcent de suivre la justice, identifieront les intérêts (utilitates) du peuple – et les lois dans lesquelles ils se manifestent – à la vraie justice80. En ce qui concerne le discours de Laelius, l’apologiste n’en cite qu’un seul passage dans le livre V. Les idées qu’il nous transmet soit directement soit indirectement sont les suivantes : (a) il y a une justice naturelle  et en même temps divine81  ; b) la vertu obtient en général, mais pas forcément, la bonne « réputation » (honor) comme récompense ; (c) elle veut cette dernière, mais ne l’exige pas vraiment, parce que l’homme juste est heureux même si sa vertu est privée de récompense extérieure82. Selon Lactance, la cause pour laquelle Laelius n’a pas pu défendre la justice est que, faute de connaître les Écritures, il n’était pas conscient que la justice dans son sens inter-humain (l’équité – aequitas) découle de la vraie religion (religio), c’est-à-dire de la justice dans son sens religieux, qui consiste à reconnaître et à adorer le vrai Dieu, ainsi qu’à connaître la récompense éternelle qu’il rendra pour la vie juste83. On peut dire que ce volet de l’antinomie carnéadienne, représenté par le discours de Laelius, préfigure partiellement l’attitude des vrais chrétiens, qui endurent toutes les souffrances possibles, y compris leur stigmatisation comme fous. L’analogie est partielle en deux sens. De prime abord, c’est justement la composante fondamentale qui manque à ce faux-semblant « Laelien » du chrétien, c’est-à-dire la vraie religion, impliquant la connaissance de la récompense divine. Deuxièmement, comme l’argumentation empruntée au discours de Philus dans le livre VI le met en relief, la vertu païenne, privée de vrais fondements, est incapable de dépasser les limites conceptuelles de l’intérêt national, pour acquérir une référence universelle84. Pour l’apologiste, ces deux discours, deux volets de l’antinomie carnéadienne, ne partagent aucune proposition vraie, mais tous les deux contiennent une partie de la vérité qui manque à l’autre ; ainsi, d’un côté (a) Philus a raison de dire que la vertu n’est pas une récompense suffisante pour elle-même, mais, de l’autre côté, (b) Laelius maintient à juste titre que le juste devient heureux et (c) qu’il y a une justice naturelle. Ils Inst. VI, 9, 6‑8. Voir Ingremeau 2003, 43‑52. Voir Inst. VI, 8, 6‑10. Lactance cite de manière laudative un passage du discours de Laelius, sans le lier à ce personnage, sur la loi divine universelle et éternelle comme la source de la vraie justice (rep. III, 33). Voir Ingremeau 2003. 82 Inst. V, 18, 4‑6. 83 Inst. V, 14, 6‑15, 20. 84 Inst. VI, 9, 6‑8. Voir Heck 1978, 171‑184. 80 81



Gábor Kendeffy

partagent les présuppositions (fausses selon l’apologiste) que (a) la vertu n’a nulle récompense après la vie terrestre ; et (b) qu’elle a pratiquement elle-même comme seule récompense (avec, peut-être, la réputation, comme Laelius suppose) – présuppositions portant sur la nature et le fonctionnement de la providence divine, révélée par l’Écriture Sainte. Ils ont aussi en commun l’ignorance portant sur l’aspect religieux de la justice et sur la priorité et le rôle fondateur de ce dernier par rapport à l’aspect inter-humain. L’antinomie carnéadienne permet donc à Lactance d’exprimer la contradiction inhérente à l’éthique païenne entre deux idées, celle de la justice naturelle (ius naturale) et celle de l’autarcie de la vertu. Le rôle assigné au scholarque néo-académicien consiste à inciter les païens qui partagent la langue conceptuelle de celui-ci à dépasser cette contradiction en découvrant la source de la justice naturelle dans la vraie religion ; celle-ci consiste d’un côté à reconnaître théoriquement et pratiquement Dieu en tant que son père, et de l’autre, à avoir une confiance ferme dans la béatitude éternelle comme récompense divine de la vertu. Les références à la disputatio évoquée par Cicéron ont pour fonction apologétique de montrer que la morale païenne est un faux-semblant de la morale chrétienne et de pousser le lecteur vers le vrai.

Position épistémologique dans L’ouvrage du Dieu créateur et dans les Institutions divines On a pu constater plusieurs différences entre les déclarations et les accents des deux ouvrages à l’égard des questions épistémologiques. Pour autant, nous pensons, à la différence de B. Faes de Mottoni85, que dans ces deux ouvrages, la position épistémologique et l’attitude envers la Nouvelle Académie sont dans les grandes lignes les mêmes. 1) Nous avons vu l’opuscule prendre partie «  dogmatiquement  » dans la question de la fiabilité de la perception sensorielle, tandis que les Institutions ne disent rien d’explicite à ce propos. Pour autant, la solution de l’opuscule, servant à faire valoir le plan providentiel aussi dans ce domaine, peut très bien s’intégrer dans la position optimiste de Lactance à l’égard des activités et des sciences pratiques et s’harmonise parfaitement aussi avec la deuxième déclaration dite anthropologico-épistémologique qui accentuait elle aussi la possibilité de la connaissance Voir Faes de Mottoni 1982.

85



L’appropriation des arguments néoacadémiciens par Lactance

(scire) sensorielle ainsi que le caractère providentiel du mécanisme de la sensation. 2) L’Ouvrage du Dieu créateur se passe des arguments sceptiques pour qualifier des choses incompréhensibles comme telles, tandis que l’œuvre principale les emploie. Cependant, comme on l’a vu, l’utilisation de ces arguments ne sert pas dans les Institutions à prouver, mais plutôt à illustrer la thèse, épaulée par la DAE1 1, selon laquelle les choses qui échappent à notre expérience ne peuvent pas être comprises. 3) Par ailleurs, c’est seulement dans les Institutions que l’apologiste invoque des arguments précis contre les Académiciens86. Cela s’explique par la différence entre les intentions de l’auteur  : L’Ouvrage du Dieu créateur vise principalement à défendre le caractère providentiel du fonctionnement de l’âme et du corps – tandis que le livre III de l’ouvrage principal de Lactance est consacré à montrer la vanité de la philosophie. 4) Les deux ouvrages font la même distinction entre les questions (au moins potentiellement) claires, accessible à la sensation et celles qui, échappant à nos sens, sont obscures87. Cet accord implique une attitude commune envers l’Académie sceptique, même si les accents sont mis ailleurs. 5) Dans le traité anthropologique, Lactance, procède à une démarche de comparaisons sur le plan de la « probabilité » dans le domaine des choses inaccessibles aux sens – c’est à dire incompréhensibles – tandis que dans les Institutions, il rejette la recherche des causes cachées, ne mentionne pas et surtout ne pratique pas cette méthode. A  notre avis, la différence doit être précisée. Premièrement, comme nous l’avons montré par l’analyse de l’usage du terme ratio, ce n’est pas sur les causes cachées du fonctionnement du corps et de l’âme, mais sur les fonctionnements, les finalités et les effets des fonctionnements invisibles que les comparaisons « probabiliste » se concentrent. La différence d’accent est due aux approches différentes de la providence dans les deux ouvrages. Dans l’opuscule consacré à affirmer la providence divine sous l’aspect de l’anthropologie, Lactance a ressenti le besoin de mener une enquête pour trouver les réponses les plus tenables aux questions anthropologiques, tandis que dans l’ensemble des Institutions, il met l’accent sur le caractère conflictuel de la symbiose de l’âme avec le corps. Quant au livre III de cette œuvre, le propos consistant à anéantir la philosophie entière n’a exigé de l’auteur ni d’avoir recours ni de Voir Faes de Mottoni 1982, 366. Opif. 15, 5 ; Inst. III, 6‑56.

86 87



Gábor Kendeffy

faire référence à cette démarche. Néanmoins, quand l’apologiste argue contre le scepticisme d’Arcésilas en faisant référence à l’astronomie, à la médecine, à l’agronomie et enfin à toutes les artes, la possibilité de comparaison des propositions et des prévisions sur le plan de la probabilité n’est pas théoriquement exclue.

Conclusion La position épistémologique de Lactance est loin de celle de l’Académie sceptique. Comme nous l’avons vu, l’apologiste a confiance dans la connaissance basée sur les données sensibles et ce ne sont pas les arguments des Académiciens qui l’ont amené à nier la possibilité d’une connaissance purement intellectuelle. Il ne confesse pas non plus un fidéisme arnobien, mais voit la source de la connaissance vraie dans la révélation par l’Écriture Sainte, interprétée littéralement. L’utilisation des arguments sceptiques s’insère dans la stratégie qui consiste à lutter contre le paganisme au moyen de ses propres armes. Ces « armes » incluent évidemment de nombreuses pensées des philosophes « dogmatiques », dont Platon, Aristote, les Stoïciens, Cicéron, ou même Épicure et Lucrèce. L’apologiste va jusqu’à dire que toute la vérité est dispersée, répandue (ueritas sparsa) parmi les philosophes, mais qu’aucun d’eux n’était capable de comprendre la totalité cohérente de la doctrine vraie88. En constatant cela, lui‑même se distingue des Académiciens qui s’efforcent de réfuter toutes les écoles pour les diffamer et les tourner en ridicule. Michel Perrin tient Lactance pour un représentant tardif de la doctrine enseignée par les apologistes grecs du deuxième siècle qui considère le christianisme comme la vraie philosophie89. Nous modifierions cette proposition en disant que pour notre apologiste, la doctrine chrétienne est la vraie philosophie, au sens où elle est le vrai par rapport à la philosophie qui est un faux-semblant. Cependant, nous dirions que dans la pensée de Lactance les démarches sceptiques ont une place spéciale parmi les armes prises aux philosophes. Pour l’apologiste, les Académiciens ne représentaient aucune parcelle de la vérité dispersée qui soit susceptible d’être décrite sous la forme d’une proposition individuelle, mais ils représentaient l’aspect logique de cette vérité. Ils lui semblent mettre en relief non seulement les Inst. VII, 7, 1‑4. Perrin 1981, 455‑459.

88 89



L’appropriation des arguments néoacadémiciens par Lactance

contradictions parmi les doctrines différentes, mais aussi l’incohérence interne de chacune, tout en étant incapables d’en découvrir la cause et d’y remédier.



MÁS ALLÁ DEL PENSAMIENTO. EL ESCEPTICISMO EPISTEMOLÓGICO DE GREGORIO DE NISA Jesús Hernández Lobato

El binomio escepticismo y religión, tan manoseado a lo largo de los siglos, parece remitirnos a dos polaridades dicotómicamente enfrentadas y mutuamente excluyentes. Este breve artículo plantea, sin embargo, una pregunta esencial, casi propedéutica : ¿ es posible reconciliar de algún modo los dos términos de dicha oposición  ? ¿  Existe una síntesis que supere y a la vez englobe la aparente fractura entre la tesis de la religión y la antítesis del escepticismo ? ¿ Existe, en definitiva, algo así como un « escepticismo religioso » o una « religiosidad escéptica », capaz de disolver las aporías que separan ambos polos, acaso artificialmente enfrentados ? Este trabajo tratará de dilucidar hasta qué punto la teología negativa o apofática esbozada desde los albores mismos del cristianismo y extensamente desarrollada por los llamados padres de la Iglesia puede caracterizarse con todo rigor como una modalidad cristiana de escepticismo epistemológico. Nuestro análisis tomará como referencia la obra de Gregorio de Nisa (c. 335-post 394), uno de los pensadores más originales y lúcidos de la Antigüedad tardía1.

El fundamento ontológico del pensamiento de Gregorio de Nisa Todo el pensamiento de Gregorio de Nisa se asienta sobre una neta distinción ontológica : por un lado, el Ser (τὸ ὄντως ὄν, « lo que es realmen1 Los textos griegos citados en este artículo están tomados de las distintas ediciones que conforman la serie Gregorii Nysseni Opera (en adelante GNO) de Brill. Las traducciones son todas mías.

Jesús Hernández Lobato

te »), la médula misma de la realidad, el ser sin atributos, la vida plena y verdadera que subyace a todo lo creado ; por el otro, los entes (τὰ ὄντα), es decir, los seres concretos, cambiantes, dimensionales y efímeros que meramente existen, en el sentido más etimológico del verbo : están en pie ahí afuera (ex-sisto). El primer nivel ontológico sólo puede corresponder al Ser último, eterno e increado, que, en rigor, no es un ser o ente más (ni siquiera el más perfecto de todos los entes), sino el ser mismo, lo no manifestado, el ser profundo de todas las cosas, inextenso, no sujeto a cambio e intemporal, que permea, abraza y sostiene cuantos entes existen. Todos los seres temporales y diastémicos (esto es, extensos dimensionalmente) que nos rodean – incluidos, claro está, nosotros mismos – no son más que apariencias superficiales, formas fugaces de lo eterno e informe, máscaras del ser, ilusiones, φαντάσματα. En la medida en que tales entidades individuales – τὰ ὄντα – no se pueden identificar con « lo que de verdad es » (τὸ ὄντως ὄν, el ser mismo de las cosas), es justo denominarlas « el no-ser » (τὸ μὴ ὄν), en una suerte de ecuación paradójica : τὰ ὄντα (« los seres ») = τὸ μὴ ὄν (« el no-ser »). Ni qué decir tiene que el conocimiento de esas entidades superficiales y variopintas que tendemos a identificar tout court con la realidad no es más que una ilusión (φαντασία) de nuestra percepción sensorial e intelectual, dado que nada desprovisto de ser puede constituir un verdadero objeto de conocimiento. No obstante, la torpeza y las limitaciones inherentes a nuestro entendimiento insisten en confundir el mundo efímero, dimensional e inconsistente de las formas (los seres) con aquello que es realmente (el Ser). De ahí que el no-ser pueda en rigor definirse como « lo que nuestra ilusoria subjetividad intelectiva considera que es » (τὸ τῇ καταληπτικῇ φαντασίᾳ νομισθὲν εἶναι)2. El primer paso hacia el conocimiento de la verdad consiste, consecuentemente, en salir de dicho error. El propio Gregorio lo explica con gran precisión en este jugoso pasaje (Vit Moys 2, 23‑25) : 23. Ésta es, a mi parecer, la definición de la verdad  : el no engañarse en la aprehensión de lo que es (τὸ μὴ διαψευσθῆναι τῆς τοῦ ὄντος κατανοήσεως). El error es, por lo tanto, cierta ilusión (φαντασία τις) relativa al no-ser (περὶ τὸ μὴ ὂν) que se genera en nuestro entendimiento, como si poseyera alguna sustancia aquello que no existe (ὡς ὑφεστῶτος τοῦ μὴ ὑπάρχοντος) ; la verdad, por el contrario, es la segura aprehensión de lo que es realmente (ἡ τοῦ ὄντως ὄντος ἀσφαλὴς κατανόησις). Así, sólo después de que uno haya meditado durante mucho tiempo en la quietud del recogimiento tan elevadas cuestiones, aprehenderá con dificultad Vit Moys 2, 234.

2



EL ESCEPTICISMO EPISTEMOLÓGICO DE GREGORIO DE NISA

qué es lo que es verdaderamente (τὸ ὄν), lo que posee el ser (τὸ εἶναι ἔχει) por su propia naturaleza, y qué es el no-ser (τὸ μὴ ὄν), lo que únicamente es en apariencia (ὃ ἐν τῷ δοκεῖν μόνον ἐστὶν εἶναι) pero que, por sí mismo, no posee sino una naturaleza carente de sustancia (ἀνυπόστατον). 24. A mi juicio, lo que el gran Moisés, instruido en aquella manifestación divina, hubo de comprender entonces es que ninguna de las otras cosas, tanto las que son captadas por la percepción sensorial (ὅσα τε τῇ αἰσθήσει καταλαμβάνεται) como las que son contempladas por el pensamiento (ὅσα κατὰ τὴν διάνοιαν θεωρεῖται), posee una sustancia real (τῷ ὄντι ὑφέστηκε), salvo únicamente la trascendentísima esencia y causa del todo (πλὴν τῆς ὑπερανεστώσης οὐσίας καὶ αἰτίας τοῦ παντός), de la que el todo pende (ἀφ’ ἧς ἐξῆπται τὸ πᾶν). 25. Pues si el pensamiento ve alguna otra cosa en los seres (ἐν τοῖς οὖσιν), la razón, sin embargo, no acierta a vislumbrar en ninguno de ellos aquella desvinculación (τὸ ἀπροσδεές) del otro que le permitiría existir más allá de su participación en el ser (ᾧ δυνατόν ἐστι δίχα τῆς μετουσίας τοῦ ὄντος εἶναι). Pero lo que permanece siempre igual a sí mismo, sin aumento ni disminución, lo inamovible a toda transformación ya sea a mejor o a peor (pues es ajeno a lo peor y no tiene nada que sea mejor), lo que no precisa de nada externo a él, lo único deseable, participado por todo pero no disminuido por la participación de los que en él participan : eso es verdaderamente lo-que-es-en-realidad (τοῦτό ἐστιν ἀληθῶς τὸ ὄντως ὄν) y la aprehensión de eso (ἡ τούτου κατανόησις) es el conocimiento de la verdad (ἡ τῆς ἀληθείας γνῶσις).

La imposibilidad del conocimiento y las limitaciones de lo discursivo El final de este pasaje nos conduce directamente al segundo gran problema filosófico del Niseno : la cuestión del conocimiento de la verdad (ἡ τῆς ἀληθείας γνῶσις). Gregorio ha comenzado por definir la verdad en términos puramente negativos y humanos : la verdad equivale a no errar al discernir qué es realmente (τὸ μὴ διαψευσθῆναι τῆς τοῦ ὄντος κατανοήσεως) y qué es únicamente en apariencia, ya que sólo lo que es en sí mismo, lo real, puede constituirse en legítimo objeto de conocimiento. El problema es que el Ser, lo que las cosas son realmente más allá de las máscaras de la forma, es por su propia definición incognoscible : « Pues lo que es realmente es la vida verdadera, pero ello es inaccesible al conocimiento » (Τὸ γὰρ ὄντως ὂν ἡ ἀληθής ἐστι ζωή. Τοῦτο δὲ εἰς ἐπίγνωσιν ἀνέφικτον)3. Vit Moys 2, 235.

3



Jesús Hernández Lobato

La vida verdadera (ἡ ἀληθὴς ζωή), que, como acabamos de ver, es sinónimo del Ser (τὸ ὄντως ὄν), está no sólo por encima de nuestras percepciones sensoriales (ἣ ὑπὲρ ὀφθαλμόν τέ ἐστι καὶ ἀκοὴν […]), sino también – y aquí reside la principal innovación del Capadocio – muy por encima de nuestro entendimiento ([…] καὶ διάνοιαν), de nuestra capacidad de conceptualizar e interpretar la realidad, en definitiva, de todo lo que denominamos conocimiento4. Tal es la incapacidad de nuestro pensamiento conceptual para aprehender el ser profundo de las cosas, la vida omnipresente e inmanifiesta, que hasta podemos utilizarlo como criterio de exclusión : si algo nos resulta comprensible, eso es que, sin duda alguna, ese algo pertenece al mundo del no-ser, al reino falaz de la forma y la apariencia : « en consecuencia, si la naturaleza que da la vida trasciende el conocimiento, cuanto se puede comprender cognitivamente no es vida en modo alguno » (Εἰ οὖν ὑπερβαίνει τὴν γνῶσιν ἡ ζωοποιὸς φύσις, τὸ καταλαμβανόμενον πάντως ζωὴ οὐκ ἔστιν)5. Así pues, la radical distinción ontológica entre el Ser y los seres comporta, a su vez, una profunda y doblemente negativa brecha epistemológica, que dota a la filosofía del Niseno de un cariz profundamente escéptico  : lo que es resulta incognoscible ; lo cognoscible no es. No es, pues, de extrañar que Gregorio se complazca en hacer suyas las palabras de San Pablo : « Si alguien cree que conoce algo, eso es que aún no lo conoce como debe conocerlo » (Εἴ τις δοκεῖ ἐγνωκέναι τι, οὔπω ἔγνω καθὼς δεῖ γνῶναι)6. Lo único que está a nuestro alcance conocer es lo que los entes parecen, no lo que son en realidad, dado que nuestro propio conocimiento y los instrumentos de los que éste se vale – el lenguaje (lógos) y la conceptualización (epínoia) – pertenecen ellos mismos al mundo de los entes y, como tales, sólo sirven para pensar lo diastémico, lo extenso en el tiempo y el espacio. Esta visión de lo lingüístico se opone frontalmente a la de su adversario teológico, Eunomio, quien, convencido del origen divino del lenguaje, no dudaba en atribuirle la capacidad de aprehender la esencia última (ousía) de Dios y de las cosas7. Dado el propósito del presente artículo, merece la pena detenerse a examinar siquiera brevemente la filosofía del lenguaje del Niseno, uno de los aspectos más originales y 4 Así lo afirma el padre capadocio en Cant 11 (GNO VI, 336), donde nos habla de una « vida que está más allá de los ojos, del oído y del pensamiento » (τὴν ζωήν, ἣ ὑπὲρ ὀφθαλμόν τέ ἐστι καὶ ἀκοὴν καὶ διάνοιαν). 5 Vit Moys 2, 235. 6 Cant 11 (GNO VI 320, 20 y 326, 19), citando 1 Cor 8, 2. 7 Sobre la postura filosófica de Eunomio y los orígenes de su controversia con Basilio y Gregorio cf. Zupi 2007, 219‑283.



EL ESCEPTICISMO EPISTEMOLÓGICO DE GREGORIO DE NISA

rabiosamente contemporáneos de su pensamiento8. Centraremos nuestro análisis en tres puntos fundamentales, que condensan y articulan las principales aportaciones del capadocio a este respecto. El lenguaje es una invención humana de carácter convencional En primer lugar, Gregorio afirma categóricamente la paternidad exclusivamente humana del lenguaje (Eun 2,  281)  : «  Dios es el artífice de las cosas, no de las meras palabras » (θεὸς πραγμάτων ἐστὶ δημιουργός, οὐ ῥημάτων ψιλῶν). El conocimiento y el lenguaje no son más que invenciones – tremendamente útiles pero imperfectas – del ser humano, actividades (enérgeiai) propias de nuestra especie, como la agricultura o la navegación. Como tales, no existían antes de que el primer hombre fuese creado ; como tales, desaparecerán sin dejar huella con el último aliento de la humanidad : El uso de los verbos y de los nombres (ἡ δὲ τῶν ῥημάτων τε καὶ ὀνομάτων χρῆσις) se conoció por primera vez tras la creación de los seres humanos, dotados por Dios de la capacidad discursiva (τῇ λογικῇ δυνάμει). […] Pues no era verosímil que el uso de la palabra (τοῦ λόγου τὴν χρῆσιν) estuviese operativo (ἐνεργεῖσθαι) con anterioridad a la creación de sus usuarios (πρὸ τῆς τῶν κεχρημένων κατασκευῆς), del mismo modo que la agricultura no lo estuvo antes de los agricultores ni la navegación antes de los navegantes ni ninguna otra actividad de la vida (οὐδὲ ἄλλο τι τῶν κατὰ τὸν βίον ἐνεργουμένων) antes de que la vida estuviese constituida9.

Esta desmitificación del lenguaje y del conocimiento como instancias meramente humanas y, en consecuencia, imperfectas y perecederas hunde sus raíces en la teología paulina. Para el apóstol de los gentiles, lenguaje, profecía y conocimiento, herramientas rudimentarias y parciales del ser humano en su intento de aprehender la escurridiza realidad, desaparecerán con él al final de los tiempos, cuando ya sólo el Amor de Dios, única realidad sustancial, subsista : « El amor no pasa nunca. Las profecías desaparecerán. Las lenguas cesarán. El conocimiento desaparecerá. Pues parcial es nuestro conocimiento y parcial nuestra profecía. Mas cuando llegue lo perfecto, desaparecerá lo parcial » (1 Cor. 13, 8‑10).

8 Sobre la teoría del lenguaje de Gregorio cf. Canévet 1983, 31‑81 y Zupi 2007, 313‑386. El texto fundamental a este respecto es el segundo libro de su Contra Eunomium, traducido y analizado en un reciente volumen colectivo (Karfíková 2007). 9 Eun 2, 163 y 166.



Jesús Hernández Lobato

Así pues, para Gregorio el lenguaje es una invención humana y, en consecuencia, estrictamente convencional : ni natural ni mucho menos divina. Al sustentarse sobre una asociación signo/cosa arbitraria, mudable y diferente en cada código, los nombres nada pueden revelarnos de la esencia última de lo que designan, sino únicamente de los procesos mentales que han guiado y favorecido dicha asociación. La finalidad del lenguaje es, en definitiva, eminentemente práctica  : a él se debe el progreso material y cultural del género humano. Tratándose de una invención nuestra, la visión que nos ofrece de la realidad es, sin embargo, siempre sesgada y subjetiva. No es un cristal diáfano hacia ninguna parte, sino más bien un espejo deformante y engañoso10, que filtra nuestra percepción de la realidad circundante, sin que solamos apercibirnos de su inevitable presencia mediadora. Como Wittgenstein11, Gregorio desea ayudar a la mosca a salir de la botella, comenzado por revelarle la existencia misma de esa ubicua e inadvertida barrera y las esclavitudes que comporta su infranqueable mediación. El lenguaje es diastémico y sólo puede expresar lo diastémico En segundo lugar, Gregorio afirma que tanto el lenguaje (lógos) como la conceptualización a que nuestro pensamiento somete a la realidad (epínoia) pertenecen al orden de lo diastémico, esto es, lo extenso en el espacio o en el tiempo. Gregorio acaba de este modo con la tradicional separación entre el orden de lo sensible y el de lo inteligible, al englobar no sólo la fisicidad del lenguaje sino también la inmaterialidad del pensamiento dentro de una misma esfera : la de lo diastémico. Para el Capadocio, la única brecha ontológica y epistemológica verdaderamente operativa es la que separa lo diastémico de lo adiastémico. Los conceptos y los objetos, las palabras y las cosas, las sensaciones y los pensamientos, pertenecen, por lo tanto, a un mismo orden ontológico. Así pues, la noción de diástēma resulta capital para comprender la filosofía del Niseno. Podríamos definirlo siguiendo a Scot Douglass como « the gap, the interval, the space, the inescapable horizontal extensions of both space and time12 ». Es, en definitiva, lo que diferencia al Ser increado de los entes creados :

Cf. 1 Cor 13, 12. Investigaciones filosóficas 1, 309. 12 Douglass 2005, 6. Sobre la noción de diástēma cf. et Mateo-Seco 2010 s. v. 10 11



EL ESCEPTICISMO EPISTEMOLÓGICO DE GREGORIO DE NISA

Pues grande e infranqueable es la brecha que, cual muralla, mantiene separada de la esencia creada (πρὸς τὴν κτιστὴν οὐσίαν) a la naturaleza increada (ἡ ἄκτιστος φύσις). […] La primera se coextiende (συμπαρεκτείνεται) con cierta extensión dimensional (διαστηματικῇ τινι παρατάσει), quedando así encerrada en el tiempo y en el espacio (καὶ χρόνῳ καὶ τόπῳ περιειργομένη) ; la segunda trasciende toda noción de dimensión (πᾶσαν διαστήματος ἔννοιαν), eludiendo nuestras ansias de saber por más lejos que lancemos la mente13.

Lenguaje y pensamiento, como todo fenómeno perteneciente a la esfera de lo creado, sólo pueden existir si hay separación, intervalo, diferencia : entre un interlocutor y el otro (distancia física o espacio por el que se propaga el sonido), entre el significante y lo significado (distancia semiótica), entre un significante y otro (oposiciones paradigmáticas), entre un significado y otro (oposiciones semánticas), entre la percepción sensorial y su conceptualización inteligible, entre ambas y la cosa percibida o conceptualizada, etc. Anticipándose en más de mil años a Saussure y Derrida, Gregorio define el lenguaje como un sistema de intervalos, oposiciones y diferencias14. Por si esto fuera poco, el sagaz teólogo capadocio constata que las palabras y los pensamientos se forman, se despliegan y se desvanecen dentro de otro gran diástēma, igualmente infranqueable : el tiempo. Así pues, fuera de lo diastémico, no hay lugar para el lenguaje, no hay espacio para el pensamiento (Eun 2, 214) : « donde la separación resulta inconcebible, se reconoce con seguridad lo compacto, y lo que es totalmente compacto no admite mediación de la voz ni del discurso » (ὅπου δὲ διάστασις οὐκ ἐπινοεῖται, τὸ συνημμένον πάντως ὁμολογεῖται, τὸ δὲ διὰ πάντων συνημμένον φωνῇ καὶ λόγῳ οὐ μεσιτεύεται). Por ese motivo, en Dios no existe lenguaje, sólo presencia. El lenguaje es, de hecho, la antítesis misma de la presencia, su acta de defunción : donde hay lenguaje, no hay presencia ; donde hay presencia, no existe el lenguaje. El hombre recurre al lenguaje para invocar un objeto perdido o un deseo inaprehensible. La palabra es un fetiche que sustituye a la realidad por un sistema autosuficiente de simulacros, que, acaso sin pretenderlo, alejan irremisiblemente el objeto que se proponen capturar. La re-presentación lingüístico-conceptual equivale, en ese sentido, a una suerte de « ausentación » de la realidad, una pérdida o distanciamiento involuntario del objeto designado en beneficio del signo designante. Eun 2, 69‑70. Sobre la dimensión «  postmoderna  » del pensamiento de Gregorio de Nisa cf. Mosshammer 1990, Laird 2001 y Ludlow 2007. 13 14



Jesús Hernández Lobato

Como bien nos recuerda Lacan15 : « la cosa debe perderse para poder ser representada […] Si no se puede tener la cosa (el objeto perdido) se la mata, al simbolizarla por medio de la palabra […] La palabra es el asesinato de la cosa ». Dado que, como acabamos de ver, la razón y el pensamiento discursivo forman parte de las realidades extensas o diastémicas, sólo pueden aportar « conocimiento » sobre realidades afines, esto es, igualmente dominadas por el diástēma. El problema es que, como sabemos, dichas realidades son por definición ilusorias, meras apariencias de ser relegadas a la efímera esfera de la forma. Precisamente por eso, en palabras de San Pablo, « ahora vemos a través de un espejo, en enigma. […] Ahora conozco de un modo parcial » ; únicamente cuando se hayan disuelto las cadenas de lo diastémico al final de los tiempos, podremos ver « cara a cara » ; sólo entonces « conoceré como soy conocido »16. Lo inextenso, informe e intemporal, el Ser profundo de todas las cosas, el ser sin atributos, resulta sencillamente impensable mediante nuestras herramientas estrictamente diastémicas de conceptualización de lo real : Pues no era de esperar que la conceptualización de los procesos racionales (τὴν τῶν λογισμῶν ἐπίνοιαν) tuviese tal poder como para hacernos sobrepasar los límites de nuestra naturaleza, alcanzar lo inasible y abarcar con nuestro conocimiento (τῇ ἡμετέρᾳ γνώσει περιλαμβάνειν) aquello para cuya comprensión no existe acceso alguno (ὧν οὐκ ἔστιν ἔφοδος εἰς κατανόησιν)17.

Llegado a este punto, Gregorio de Nisa bien pudiera suscribir la célebre sentencia final del Tractatus Logico-Philosophicus wittgensteiniano : «  Wovon man nicht sprechen kann, darüber muss man schweigen  » (« Sobre lo que no podemos hablar debemos guardar silencio »). No en vano : Nada de lo creado puede salir fuera de sí mismo mediante la visión intelectiva (διὰ τῆς καταληπτικῆς θεωρίας), sino que permanece continuamente encerrado dentro de sí y, mire lo que mire, se ve a sí mismo […] Por más que uno se esfuerce por sobrepasar la concepción dimensional (τὴν διαστηματικὴν ἔννοιαν) en la contemplación de los seres (ἐν τῇ τῶν ὄντων θεωρίᾳ), jamás la sobrepasa. Pues en todo objeto conceptual que Apud Dor 2000, 104‑105. Todos los textos entrecomillados corresponden a 1 Cor 13, 12. 17 Eun 2, 195. 15 16



EL ESCEPTICISMO EPISTEMOLÓGICO DE GREGORIO DE NISA

le va saliendo al paso (παντὶ γὰρ τῷ εὑρισκομένῳ νοήματι) siempre contempla al mismo tiempo la dimensionalidad (διάστημα) inherente a la comprensión de la sustancia de lo concebido (συγκαταλαμβανόμενον τῇ ὑποστάσει τοῦ νοουμένου διάστημα), ya que la dimensionalidad (τὸ δὲ διάστημα) no es otra cosa que la propia creación18.

El lenguaje es predicativo En tercer y último lugar, Gregorio se da cuenta de que el lenguaje es por su propia naturaleza predicativo : no dice el qué sino sus atributos. El ser, por definición, carece de ellos, por lo que se ve condenado a permanecer implícito en todo acto de habla, sin ser jamás plenamente aprehendido por el propio lenguaje al que sirve de sustento : Una cosa es pensar el ser (περὶ τοῦ ὄντος νοεῖν) y otra cosa es pensar lo que es posible contemplar a propósito del ser (περὶ τοῦ ἐπιθεωρουμένου τῷ ὄντι). Junto a todo nombre que se predique sobre la naturaleza divina se sobreentiende sin excepción el « es » (τὸ ἐστὶ πάντως συνυπακούεται), como, pongamos por caso, « justo », « incorruptible », « inmortal », « ingenererado » y cualquier otra cosa que se diga ; y si por caso no acompañara al vocablo ese verbo, el pensamiento del que profiere y del que escucha completa invariablemente al nombre con el « es », hasta el punto de que, si éste no se le pusiera al lado, la denominación caería en el vacío19.

El ser permanece impensado e impensable bajo un denso manto de predicaciones y atributos. Es el «  es  » incomprensible y escurridizo que presupone y sostiene todo ulterior acto de habla. Pretender conocer algo real haciendo predicaciones sobre los entes que nos rodean (ya se trate de afirmaciones caprichosas o empíricamente contrastadas) es engañarse sobre la esencia misma de lo real, que reside siempre más allá de toda predicación posible. Por otra parte, intentar conceptualizar lingüísticamente lo que es, esto es, decir el ser, es tarea imposible y vana, dado que hablar equivale a predicar atributos o determinaciones y, como bien explica Gregorio con un ingenioso juego de palabras, lo determinante del ser (ἴδιον δὲ γνώρισμα τῆς θείας φύσεως) es precisamente no admitir determinación alguna, esto es, situarse por encima de toda determinación (τὸ παντὸς ὑπερκεῖσθαι γνωρίσματος) :

Eccl (GNO V, 412, 6‑14). Eun 3, 5, 56‑57.

18 19



Jesús Hernández Lobato

Pero, puesto que lo divino es por naturaleza dador de vida, y la determinación distintiva (ἴδιον … γνώρισμα) de la naturaleza divina es el estar más allá de toda determinación (τὸ παντὸς ὑπερκεῖσθαι γνωρίσματος), aquel que considere que Dios es una de las entidades determinadas y como tales cognoscibles (τῶν γινωσκομένων τι), desviándose, como si dijéramos, de lo que realmente es (ἀπὸ τοῦ ὄντως ὄντος) hacia lo que nuestra ilusoria subjetividad intelectiva considera que es (πρὸς τὸ τῇ καταληπτικῇ φαντασίᾳ νομισθὲν εἶναι), aquél, lógicamente, no tiene vida20.

Así pues, lo único que podemos conocer son predicaciones sobre las cosas, no las cosas en sí mismas. El proceder de lenguaje es, por tanto, meramente heurístico, tentativo21. En resumen : dado que el Ser es incognoscible y lo único que está al alcance de nuestro pensamiento es la falacia de la forma y la apariencia, que carece de entidad real (sólo posee apariencia de realidad), nada se puede conocer mediante las vías del lenguaje y la razón. El hombre, por lo tanto, sólo puede aspirar a conocer que desconoce lo único real, lo verdaderamente importante : lo que las cosas son en sí mismas, el « yo soy » y el « esto es » implícitos en todo acto de habla, es decir, el significado profundo – siempre inexpreso – del verbo « ser ».

Más allá del pensamiento. El conocimiento como proceso negativo Ante el desolador panorama de este profundo escepticismo epistemológico, sólo cabe formularse una pregunta : ¿ existe alguna vía de acceso (al margen de las ya desenmascaradas) que conduzca al ser humano a un conocimiento cierto de lo que las cosas son realmente ? ¿ Queda, en definitiva, alguna puerta abierta al Ser ? La respuesta a estas cuestiones bien podría esconderse en un interesante – aunque generalmente inadvertido – pasaje de la Vida de Moisés, una de las obras capitales del teólogo niseno. Se trata de un comentario a la famosa escena de Éxodo 3, 5, en la que Moisés, al intentar aproximarse a examinar más de cerca esa extrañísima zarza que arde sin consumirse, oye de pronto la voz de Yahvé, que le advierte con aspereza : « No te acerques ; quítate las sandalias de los pies, porque el lugar que pisas es tierra sagrada ». Vit Moys 2, 234. Cf. Zupi 2007, 337‑346.

20 21



EL ESCEPTICISMO EPISTEMOLÓGICO DE GREGORIO DE NISA

Las sandalias de Moisés han merecido muy distintas interpretaciones entre los padres de la Iglesia. En un primer momento, Gregorio las compara con las « túnicas de pieles » (Gn 3, 21) elaboradas por Dios para tapar la desnudez de Adán y Eva justo antes de su expulsión definitiva del jardín del Edén : De aquella luz aprendemos qué debemos hacer para permanecer dentro de los rayos de la luz verdadera, y que a los pies calzados (δεδεμένοις ποσίν) no les es posible correr hacia aquella altura, en la que se contempla la luz de la verdad (τὸ φῶς τῆς ἀληθείας), a menos que se despoje (περιλυθείη) a los pies del alma del revestimiento muerto y terrenal de las pieles que envolvieron al principio nuestra naturaleza, cuando por haber desoído la voluntad divina fuimos desnudados. Y así, habiendo hecho eso, llegará consecutivamente el conocimiento de la verdad, que se nos revelará por sí misma : pues el conocimiento de lo que es (ἡ γὰρ τοῦ ὄντος ἐπίγνωσις) es una purificación de las asunciones sobre lo que no es (τῆς περὶ τὸ μὴ ὂν ὑπολήψεως καθάρσιον)22.

Pero, ¿ en qué consisten esas vestiduras de piel de las que tenemos que desprendernos para volver a vislumbrar la luz de la verdad  ? ¿  Cuál es el cambio significativo que nos ha legado el primer pecado de nuestros padres, para que nos esté vedado el acceso al Paraíso, esto es, a nuestra comunión originaria con Dios y sus creaturas ? ¿ De qué están hechas realmente las pesadas vestiduras de Adán ? Los padres de la Iglesia han ofrecido diversas respuestas a tan espinosa pregunta. Orígenes, por ejemplo, optaba por un planteamiento bastante sencillo, según el cual, las túnicas de piel simbolizarían las ataduras de nuestra carne mortal, que encadenan el alma impidiéndole fundirse con su creador23. La respuesta de Gregorio, en comparación, se nos atoja más compleja y matizada, al entroncar directamente con sus sutiles disquisiciones ontológicas, antropológicas y epistemológicas24. Según mi propuesta de análisis, las sandalias de Moisés representarían para el Capadocio aquello que debemos quitarnos de encima para acceder a un conocimiento místico de lo que es realmente, de la verdad latente y silenciosa bajo el cambiante océano de la apariencia : Vit Moys 2, 22. Cf. Simonetti 1962. 24 Sobre los distintos matices semánticos que adopta la metáfora de la túnica de pieles en los pasajes de la obra de Gregorio en los que aparece, cf. Daniélou 1944, 52‑65 y 1967. Sólo en Cant 11 (GNO VI, 327, 8‑330, 17) se la vuelve a poner en relación con el motivo de los pies descalzos de Moisés. 22 23



Jesús Hernández Lobato

Antaño Moisés inmerso en esa realidad, ahora cualquiera que, siguiendo su ejemplo, se despoje a sí mismo (ἑαυτὸν ἐκλύων) del revestimiento terrenal (τῆς γηΐνης … περιβολῆς) y contemple la luz emanada de la zarza (esto es, el rayo que resplandece sobre nosotros a través de esta carne plagada de espinas, que es, según dice el Evangelio, la luz verdadera y la verdad), alguien – digo – que haya pasado ese trance, se vuelve desde entonces capaz de bastarles a los demás para su salvación25.

No en vano, la elección léxica del pasaje pone de manifiesto un sutil nexo metafórico con las sandalias de Moisés : el verbo ἐκλύων, traducido aquí por « despojarse », remite de inmediato al λῦσαι del relato bíblico (λῦσαι τὸ ὑπόδημα ἐκ τῶν ποδῶν σου, «  quítate las sandalias de los pies »)26, procedente de la misma raíz. De acuerdo con la argumentación de Gregorio, nuestras sandalias terrenales, esas « túnicas de pieles » que impiden nuestro acceso al Ser, son « tanto las cosas que son captadas por la percepción sensorial (ὅσα τε τῇ αἰσθήσει καταλαμβάνεται) como las que son contempladas por el pensamiento (καὶ ὅσα κατὰ τὴν διάνοιαν θεωρεῖται)  »27. En otras palabras, es el conocimiento engañoso y falaz que nos proporcionan los sentidos y el entendimiento lo que nos impide contemplar la única realidad verdadera : la desnudez del Ser informe e inmutable que subyace a la desconcertante plétora de los seres aparentes. Las palabras, los pensamientos y las percepciones no sólo se nos revelan incapaces de suministrarnos un conocimiento verdadero de lo que es : son, más bien, el principal obstáculo para alcanzarlo. Mediante esta interpretación alegórica de las sandalias de Moisés, Gregorio nos describe la experiencia mística conducente al conocimiento de « lo que es » como un proceso negativo. No se trata de una actividad humana, como el lenguaje, la agricultura o la pesca. De hecho, no implica hacer nada ; antes bien, exige dejar de hacer lo que hacemos habitualmente, silenciar el griterío incesante de nuestros pensamientos para escuchar con atención la oscuridad del Ser, desprovista de palabras28. Para Gregorio, el conocimiento del Ser – el único conocimiento real  – no consiste en la pura aprehensión de una nueva noción racional o en la adquisición de otra unidad de conocimiento que se pueda agregar a la Vit Moys 2, 26. Ex 3, 5. 27 Vit Moys 2, 24. 28 Como es bien sabido, Gregorio describe el ascenso místico como un paradójico avance desde la luz hacia la creciente oscuridad de lo incognoscible. Sobre la metáfora de la « tiniebla luminosa » cf. Mateo-Seco 2010 s. v. « darkness ». 25 26



EL ESCEPTICISMO EPISTEMOLÓGICO DE GREGORIO DE NISA

información sobre el mundo que tenemos almacenada, pues el Ser no es una mera entidad, ni siquiera la más grande de ellas. Conocer el Ser no significa en absoluto conocer algo : se trata, más bien, de des-conocer lo que hemos conocido, dejar a un lado el conocimiento, olvidar los seres existentes a fin de captar el puro acto de ser que los sustenta y que – desprovisto de determinaciones y atributos – subyace a todos ellos. Para Gregorio, a diferencia de la anagnórisis platónica, conocer significa olvidar lo que creemos conocer, en lugar de recordar lo que supuestamente conocimos en su día. De hecho, la propia idea de supresión marca de un modo muy significativo toda su reflexión sobre el conocimiento : « pues el conocimiento de lo que es » – afirma en Vit Moys 2, 22 – « es una purificación (καθάρσιον) de las asunciones sobre lo que no es », es decir, el conocimiento verdadero nace de la expurgación de las engañosas percepciones de la mente y los sentidos, de las máscaras sensoriales y conceptuales que ocultan con sus juegos de ilusiones la inefable desnudez del Ser. Este conocimiento ciego, que únicamente se alcanza en la esclarecedora oscuridad desprovista de palabras y de pensamientos, se halla muy cerca de la idea del « maestro interior » sugerida por Agustín de Hipona en su célebre De magistro, su peculiar respuesta al desafío epistemológico tardoantiguo respecto a la incognoscibilidad final de todas las cosas. Para Gregorio, el Ser asemeja a esa « música callada » que escuchaba San Juan de la Cruz en sus deliquios místicos29, una música que resuena sin cesar en lo más profundo de nosotros mismos. Si somos incapaces de percibir su embriagadora melodía, ello se debe únicamente al ruido invasivo y atronador con el que nos bombardean nuestros pensamientos y percepciones. Sólo si nos despojamos de las torpes sandalias del lenguaje humano, comenzaremos a distinguir en el abismo de nuestra ignorancia esa Palabra muda e informe que habita la oscuridad intemporal de lo incognoscible.

Cántico espiritual 14, 3.

29



SCEPTICISME ET RELIGION DANS LE CONTRA ACADEMICOS D’AUGUSTIN Anne-Isabelle Bouton-Touboulic

Il peut sembler surprenant de vouloir étudier les relations entre scepticisme et religion dans le Contra Academicos, tant ce premier Dialogue philosophique d’Augustin, réfutation du scepticisme de la Nouvelle Académie, semble à première vue discret quant à son adhésion à la foi catholique, si on le compare non seulement à des œuvres ultérieures, mais même à d’autres Dialogues de Cassiciacum (le De beata uita et le De ordine). On n’y trouve ainsi que deux allusions bibliques explicites, au Nouveau Testament1, et l’on se rappelle que son ami Alypius, qui avait participé aux entretiens, n’avait pas voulu ensuite voir figurer le nom du Christ dans ces Dialogues2. Il convient donc d’examiner la pertinence de cette première impression, en recherchant les traces non seulement de la religion chrétienne, mais aussi d’autres religions ou courants religieux, à travers la présence du lexique religieux. La faible thématisation de la religion doit être rapportée à l’objet du Dialogue et aux adversaires qu’il vise (à savoir les Néoacadémiciens), pour mesurer par exemple ce qui sépare le Contra Academicos de la stratégie frontale adoptée face à un adversaire sceptique par Minucius Felix dans son Octauius, dont la dimension apologétique est, il est vrai, nettement marquée. A  cet égard, il faut relever que ces deux ouvrages font écho à deux œuvres différentes de Cicéron : les Academica pour Augustin, le De natura deorum pour Minucius. Mais si 1 1 Cor. 1, 24 en C. Acad. II, 1 et Mtt. 7, 7, ibid. II, 3, 9. Le texte et la traduction du C. Acad. sont ceux de notre édition-traduction à paraître en 2017 dans la « Bibliothèque Augustinienne ». La traduction des autres textes d’Augustin est issue, sauf mention contraire, de cette même collection. 2 Conf. IX, 7.

Anne-Isabelle Bouton-Touboulic

l’objet du Contra Academicos est très largement épistémologique, quel statut épistémologique Augustin réserve-t-il précisément à la religion ? Enfin, je me propose de voir quels sont les traits qui, au-delà du lexique religieux, définissent la religion chrétienne dans le Dialogue, et en quoi ils s’avèrent incompatibles avec les conceptions qui sont celles des traditions sceptiques antiques, c’est-à-dire non seulement la philosophie de la Nouvelle Académie, qu’Augustin connaît par Cicéron, mais aussi le néopyrrhonisme, principalement représenté par Sextus Empiricus3.

La religion des autres J’étudierai donc pour commencer ce que j’appellerai la « religion des autres  », en notant au préalable qu’Augustin se garde bien d’assigner une quelconque forme de religion aux Sceptiques qu’il vise. La «  religion des autres », c’est d’abord plutôt le manichéisme, secte qui fut longtemps celle d’Augustin lui-même, et dont il vient de se détacher, après y avoir entraîné ses amis, en particulier le destinataire de l’œuvre, Romanianus. Ainsi, le manichéisme est qualifié de superstitio dans les deux prologues de l’œuvre4 ; c’est contre celui-ci qu’Augustin veut lutter dans l’âme de Romanianus, en lui promettant de lui envoyer par la suite une disputatio de religione5 qui annonce le De uera religione, composé vers 3906. Dans la configuration des obstacles à la découverte de la vérité énumérés par Augustin, le « désespoir de trouver la vérité », autrement dit le dogmatisme négatif, y est assimilé au scepticisme académicien ; et 3 Et ce, même si Augustin ne semble pas avoir eu accès aux œuvres de ce dernier (Schmitt 1972, 30 ; O’Daly 2001, 159). Nous considérons en effet que certains de ces concepts peuvent éclairer les ressorts d’une telle incompatibilité. 4 C. Acad. I, 3 : ipsa [philosophia] me penitus ab illa superstitione, in quam te mecum praecipitem dederat, liberauit. ; et C. Acad. II, 8. 5 C. Acad. II, 8 : si quid superstitionis in animum reuolutum est, eiecietur profecto, uel cum tibi aliquam inter nos disputationem de religione misero uel cum praesens tecum multa contulero. 6 On notera l’ajout alors de l’adjectif uerus dirigé à la fois contre le paganisme et le manichéisme. La locution uera religio, qui de manière significative, paraît absente des textes païens, se trouve déjà chez Tertullien, s’adressant aux païens (Apol. 24, 2)  : qui mendacium colentes ueram religionem ueri Dei non modo neglegendo, quin insuper expugnando, in uerum committitis crimen uerae irreligiositatis ; puis, chez Minucius Felix, Octauius 1, 5 et 38, 7, où elle est opposée à la superstitio et à l’impietas (cohibeatur superstitio, impietas expietur, uera religio reseruetur, éd. Beaujeu, « CUF », 2002 (1964)), et l’on sait quel usage en fera Lactance.



SCEPTICISME ET RELIGION DANS LE CONTRA ACADEMICOS D’AUGUSTIN

le présent Dialogue est censé prémunir Romanianus contre ce désespoir7. L’autre obstacle majeur réside dans le manichéisme8, qui fait ainsi figure de dogmatisme, contre lequel l’arme du doute sceptique s’est avérée efficace dans l’histoire intellectuelle d’Augustin, telle qu’il la retrace dans les Confessions. Mais ici, c’est l’ouvrage annoncé du De uera religione, ou une autre discussion de vive voix avec Romanianus, qui auront pour fonction de chasser de son esprit la « superstition » manichéenne. Que telle ne soit pas la fonction attribuée au Contra Academicos ne signifie pas l’absence d’allusions antimanichéennes dans la suite du Dialogue9. Quant à la religion romaine, que Cicéron définissait comme le « culte des dieux »10, elle n’est pas remise en cause dans la légitimité que les Académiciens sceptiques pouvaient lui reconnaître, telle qu’elle ressort par exemple du discours du grand pontife Cotta au livre III du De natura deorum  : la religion de la cité rendue vénérable par le mos maiorum11. On trouve au contraire, au livre I du Contra Academicos, dans la bouche de Licentius, un disciple d’Augustin et l’un des protagonistes du Dialogue, considéré comme « avocat » des Académiciens, une attaque de la divination, que représente l’hariolus Albicerius ; ce devin, qui sévissait à l’époque à Carthage, était capable de retrouver des objets perdus ou de lire dans les pensées. Or, de façon dialectique, pour réfuter la définition stoïcienne de la sagesse comme «  science des choses humaines et divines »12, Licentius propose de donner le nom de sage à cet Albicerius ignorant et débauché, ce que refuse évidemment Trygetius, 7 En revanche, Romanianus s’est assez souvent montré hostile aux Académiciens, contrairement à Augustin lui-même, un temps séduit par cette philosophie (cf. C. Acad. II, 23). 8 Mais Romanianus a déjà manifesté son « doute » et ses interrogations au sujet du manichéisme ; cf. C. Acad. II, 8 : quamuis a nobis iam quaerens dubitansque discesseris. 9 Les allusions au manichéisme dans cette œuvre ont été étudiées par Faller 2008, 83‑87. 10 Nat. deor II, 8 (ed. Ax, Stuttgart, 1980 (1933)) : religione id est cultu deorum. Scheid 2010, XXIX, définit la religion romaine comme « une série de pratiques sans croyance, donc permettant toutes les croyances et tous les débats » ; id., 2013, 183 ; 211. 11 Nat. deor. III, 5 : ut opiniones, quas a maioribus accepimus de dis immortalibus, sacra caerimonias religionesque defenderem […] nec me ex ea opinione, quam a maioribus accepi de cultu deorum immortalium, ullius umquam oratio aut docti aut indocti mouebit. Cotta n’admet pas la prétention stoïcienne à expliquer cette religion par des arguments philosophiques. Voir Brunt 1986, 191 ; Lévy 1992, 580‑581. Cf. aussi son écho chez le païen Caecilius dans l’Octauius 6, 1 : Cum igitur aut fortuna certa aut incerta natura sit, quanto uenerabilius ac melius antistites ueritatis maiorum excipere disciplinam, religiones traditas colere. 12 C. Acad. I, 16.



Anne-Isabelle Bouton-Touboulic

qui rapproche ces actions d’autres types de divination, artificielle ou naturelle (haruspices, augures, astrologues, interprétation des songes)13. Notons que chez Cicéron, l’Épicurien Velléius, attaquant la divination stoïcienne, inclut aussi les harioli dans les types de divination attachés à la défense stoïcienne du destin14, qui font plonger dans la superstitio. Si Trygetius semble ultimement rapporter les dons d’Albicerius à l’inspiration de démons dotés de facultés sensorielles développées, et ainsi viser la démonologie15, il reste donc qu’Augustin reprend à son compte, par l’intermédiaire de Licentius, la critique sceptique de la divination. Augustin ne perd donc pas son temps ici à dénoncer les cultes païens16, contrairement à ce qu’avait pu faire Minucius Felix, mettant en scène plus d’un siècle auparavant, en un temps où le christianisme n’était pas encore devenu la religion de l’Empire, la défense de cette religion, attaquée par des tenants du mos maiorum païen, s’inspirant abondamment du scepticisme17 ; une telle dénonciation serait hors de propos dans le Contra Academicos, dès lors que le terrain choisi est celui de la réfutation philosophique, sur le plan même du probable. Cependant, imaginant un procès contre un jeune homme coupable d’adultère, qui serait défendu par Cicéron, Augustin s’emploie à dénoncer le recours à la morale subjective du probabile, qui va, d’après lui, à l’encontre des principes d’éducation des jeunes gens et des mores chers à l’Arpinate18 ; c’est sur le terrain de la moralité – terrain d’ailleurs souvent choisi par les adversaires des sceptiques19 – qu’il prétend mettre Cicéron en contradiction avec son adhésion à la Nouvelle Académie. Il récuse également le refus académicien d’errare (synonyme de donner son assentiment de C. Acad. I, 18. Nat. deor. I, 55 : quanti autem haec philosophia aestimandast, cui tamquam aniculis, et his quidem indoctis, fato fieri uideantur omnia. Sequitur μαντική uestra, quae Latine diuinatio dicitur, qua tanta imbueremur superstitione si uos audire uellemus, ut haruspices augures harioli uates coniectores nobis esse colendi. C’est dans ce même traité (II, 72) qu’on retrouve d’ailleurs l’opposition entre superstites et religiosi, fondée sur leur étymologie respective. 15 C. Acad. I, 21. 16 Ce qu’il fait abondamment ailleurs. Les formes et les enjeux de sa critique de la religion romaine, qui trouve son acmè dans la Cité de Dieu, sont analysés par Mandouze 1958. 17 Sur l’identification de ces adversaires « sceptiques », voir Opsomer 1998, 264, qui y voit des Académiciens contemporains de Minucius Felix, contre les thèses de Baehrens (1915) et de Beaujeu (1964) renvoyant à Favorinus. 18 C. Acad. III, 35 : Te, te consulo, Marce Tulli : de adulescentium moribus uitaque tractamus, cui educandae atque instituendae omnes litterae tuae uigilauerunt. 19 Voir le références données par Opsomer 1998, 245. 13 14



SCEPTICISME ET RELIGION DANS LE CONTRA ACADEMICOS D’AUGUSTIN

façon inconsidérée) qui laisserait ouverte la possibilité de peccare20, distinction qu’il considère comme le paravent de tous les « homicides, parricides et sacrilèges »21. Il va jusqu’à user de l’expression liquet deierare per omne diuinum22 (« je peux en jurer par tous les dieux ») – ce qu’il regrettera dans les Révisions23. Dans celles‑ci, composées quarante ans après ce Dialogue, c’est sous le signe du combat, et non plus du rapprochement entre la foi et la doctrine platonicienne24, que le rapport à ces philosophes est envisagé, comme il le déclare : Me déplaisent également les louanges que j’ai accordées à Platon, aux Platoniciens, aux Académiciens, louanges qu’il ne fallait pas donner à des impies, surtout à ceux contre les grandes erreurs desquels il faut défendre la doctrine chrétienne25.

Ces philosophes seront donc renvoyés à leur qualification religieuse (impii) du point de vue chrétien. Dans le Contra Academicos en revanche, Augustin déplace le champ du sacré païen au domaine de la philosophie ; quoique de façon métaphorique, c’est bien en des termes connotant les « mystères »26 à protéger des profanes qu’il conçoit la philosophie platonicienne  ; celle-ci, reposant sur l’opposition entre monde sensible et monde intelligible, aurait été, selon son interprétation singulière, tenue éloignée des « profanes »27 par des Néoacadémiciens secrètement dogmatiques. Tout ce vocabulaire religieux (il est question aussi des Platonis adyta28) ne correspond pas simplement à une métaphore usuelle29  ; il contribue à déplacer l’enjeu de ce qui serait pour l’adversaire de l’ordre du religieux et du sacré sur le terrain philosophique, ter20 C. Acad. III, 35 : nisi forte in totum aliud esse dictum errare, aliud peccare seque illis praeceptis egisse, ne erremus, peccare autem nihil magnum esse duxisse. 21 C. Acad. III, 36. 22 C. Acad. III, 35. 23 Retract. I, 1, 4. 24 Posé comme programme à la fin du Dialogue (C. Acad. III, 43). 25 Retract. I, 1, 4 : Laus quoque ipsa, qua Platonem uel Platonicos seu Academicos philosophos tantum extuli, quantum impios homines non oportuit, non immerito mihi displicuit. Praesertim contra quorum errores magnos defendenda est christiana doctrina. 26 C. Acad. III, 38 : Haec et alia huius modi mihi uidentur […] esse seruata et pro mysteriis custodita. 27 Ibid. III, 40 : Sed quia hoc tamquam profanis nec fas nec facile erat ostendere. 28 Ibid. III, 41. 29 On le trouve employé au sujet de Platon par le Néoplatonicien Proclus, Théologie platonicienne, I, 1. Plotin qualifia aussi Porphyre de « hiérophante » (Vita Plot. 15, 5).



Anne-Isabelle Bouton-Touboulic

rain qu’Augustin prétend ensuite avoir été occupé par la religion chrétienne30. En effet, l’una uerissimae philosophiae disciplina aurait été en quelque sorte assumée par le christianisme et sa diffusion s’est appuyée sur l’Incarnation31. Cette assimilation se réflète également dans l’interprétation de Jn. 18, 36 (Regnum meum non est de hoc mundo), qu’il donne dans le De ordine, en y voyant la distinction entre monde sensible et monde intelligible32. Le terme mysteria, présent dans le Lucullus 60, a pu nourrir précisément les spéculations d’Augustin sur le « dogmatisme ésotérique »33 des Académiciens. L’histoire de l’Académie devient ainsi celle d’une sorte de « culte à mystères ».

Lexique du religieux Mysteria, sacra Or, le terme de mysteria fait également partie des termes employés par Augustin se rapportant à la religion chrétienne, et en l’occurrence aux Écritures. Ainsi, le prologue du livre II, alors qu’il vient de faire allusion aux prières qu’il adresse, en faveur de Romanianus, à « la vertu et à la sagesse même du Dieu Très Haut » : « Qu’est-ce là d’autre, ajoute-t-il, sinon celui que les mystères nous présentent comme le Fils de Dieu ? »34. Cette interrogation vise peut-être les manichéens, qui interprètent les deux termes « vertu » et « sagesse » de 1 Cor. 1, 24 comme correspondant à deux lieux (le soleil et la lune) « habités » par le Fils de Dieu35. 30 Nous rejoignons ici les analyses de Valgiglio (1973, 248‑249, cité par Opsomer 1998, 262) au sujet de Minucius Felix : pour les chrétiens, religion et philosophie occupent le même espace. 31 C. Acad. III, 42. 32 De ord. I, 32. Interprétation récusée en Retract. I, 3, 2. 33 Cf.  Cicéron, Luc. 60 (trad. Kany-Turpin, Paris, 2010). Voir Lévy 1978, 345  ; Bouton-Touboulic 2009, 112‑113. 34 C. Acad. II, 1 : Oro autem ipsam summi Dei Virtutem atque Sapientiam. Qui est enim aliud, quam mysteria nobis tradunt Dei Filium ? Allusion aussi à 1 Cor. 1, 24 en Beata uita 4, 33 (éd. Doignon, BA 4/1, 1986). 35 C. Faustum XX, 2 (trad. Poujoulat-Raulx modifiée) : « nous croyons que le Père habite la lumière la plus élevée, la lumière principale, celle que Paul lui-même appelle inaccessible ; que le Fils réside dans notre lumière secondaire et visible, et puisqu’il est lui-même double, comme l’Apôtre le reconnaît en disant que le Christ est la vertu de Dieu et la sagesse de Dieu, nous croyons que sa vertu habite dans le soleil et sa sagesse dans la lune (qui quoniam sit et ipse geminus, ut eum Apostolus nouit, Christum dicens esse Dei uirtutem et Dei sapientiam ; uirtutem quidem eius in sole habitare credimus, sapien-



SCEPTICISME ET RELIGION DANS LE CONTRA ACADEMICOS D’AUGUSTIN

La seconde citation se trouve elle aussi dans ce même prologue du livre II, hors de l’échange dialogué proprement dit36, confirmant l’idée que ce n’est pas sur le terrain religieux qu’Augustin souhaite réfuter les Académiciens, même si c’est pour des raisons « religieuses » qu’il y est conduit. Cette citation de Mtt. 7, 7 (quaerite et inuenietis)37 est rapportée par Augustin à la découverte de la vérité, et directement opposée par lui au doute académicien ; il existe selon lui en effet l’espoir d’une connaissance possible de cette vérité dans la philosophie, qui soit aussi sûre que la connaissance des « certitudes arithmétiques ». Cette pétition de principe repose donc sur une parole qu’il faut croire (credere), parole dont Augustin ne saurait être le seul garant, mais qui repose sur la parole du Christ38. On trouve enfin, à l’issue de l’oratio perpetua d’Augustin, à deux reprises, l’expression sacra nostra, notamment dans la célèbre déclaration d’intention solennelle, où, pour ce qui est de la recherche grâce à « la raison la plus subtile », Augustin exprime sa confiance (confido) de trouver chez les Platoniciens ce qui n’est pas contraire à « nos textes sacrés » (sacra nostra), alors que ces sacra sont opposées à la « philosophie de ce monde »39. Religio vs superstitio Quant au terme de religio lui-même, présent à trois reprises dans le Contra Academicos40, Augustin en a proposé ailleurs deux définitions, rapportiam uero in luna (CSEL 25/1, 536)) ». Cf. Faller 2008, 85‑86 ; et sur ces conceptions, voir Decret 1978, I, 309 et 319‑320. 36 Voir la remarque en ce sens de Bammel 1993, 11 : c’est seulement dans les passages les plus personnels ou autobiographiques qu’on trouve des allusions à la foi chrétienne. 37 Les versets de Mtt. 7, 7‑8 joueront un rôle majeur dans les Confessions, ouvrant et clôturant celles-ci. 38 Comme le prouve l’épanorthose qui précède la citation biblique ; C. Acad. II, 8 : « Mais à présent […] prenez garde et n’allez pas croire que vous savez quelque chose, à moins de l’avoir appris, comme vous savez que la somme d’un, deux, trois et quatre ensemble font dix. Mais gardez vous aussi de penser que dans la philosophie, ou bien vous ne connaîtrez pas la vérité, ou bien qu’elle ne peut être connue de cette manière. Croyez-moi, ou plutôt, croyez Celui qui a dit “cherchez, et vous trouverez” ». 39 C. Acad. III, 42 : Non est ista huius mundi philosophia, quam sacra nostra meritissime detestantur ; allusion à Col. 2, 8 (Augustin doit se référer à une version latine particulière de ce verset, qui comporte le démonstratif huius dans la locution elementa huius mundi ; cf. Fuhrer 1997, 453‑454). La « philosophie de ce monde » ainsi rejetée désigne les philosophies stoïcienne et épicurienne. 40 C. Acad. II, 5 ; II, 8 ; III, 13.



Anne-Isabelle Bouton-Touboulic

tées à deux étymologies différentes : l’une serait issue de religare, l’autre de religere, comme le voulait Cicéron41. La première, présente dans un texte plus proche de notre Dialogue, met en relief l’idée de ce qui « relie » notre âme à Dieu, grâce à la lumière intérieure, sans l’intermédiaire d’aucune créature à honorer42. L’autre, bien plus tardive puisqu’elle se présente vers 417 dans la Cité de Dieu, indique qu’il s’agit de « choisir ou plutôt de rechoisir » (eligere uel potius religere) – « car nous l’avions perdu par notre négligence » – Dieu comme fin des biens. Or, cette signification est bien présente d’une certaine manière dans la première apparition de ce terme au sein d’un passage à la fois fondamental et délicat du Contra Academicos  ; il s’agit de choisir de nouveau, mais au terme d’un choix réfléchi, la religion à laquelle on est attaché ; toutefois, l’idée d’un lien (religare), qui procède d’une illumination intérieure n’est pas absente non plus de ce qui constitue le premier récit autobiographique de la lecture par Augustin des libri quidam pleni des Néoplatoniciens : Je revenais à la hâte tout entier vers moi-même. Je me retournai cependant pour regarder, je l’avoue, comme chemin faisant, en direction de cette religion qui fut implantée en nous dans notre enfance et qui nous a imprégnés jusqu’à la moëlle ; mais en réalité, c’est bien elle qui m’attirait à elle à mon insu. Aussi, titubant, me hâtant, hésitant, je m’emparai de l’Apôtre Paul43.

Il convient d’abord de souligner la distinction qui est faite entre les arguments et les écrits de Paul – sans parler des doctrines néoplatoniciennes, et cette « religion » de son enfance, « implantée » en lui ; à cet égard, le texte est proche d’un passage tiré du De utilitate credendi : 41 Ciu. Dei X, 3 : « En le choisissant ou plutôt en le rechoisissant (car nous l’avions perdu par notre négligence), et en le rechoisissant donc – d’où vient, dit-on, le mot de religion – nous tendons vers lui par notre amour. » (Hunc eligentes uel potius religentes (amiseramus enim neglegentes) – hunc ergo religentes, unde et religio dicta perhibetur, ad eum dilectione tendimus). Cf. chez Cicéron, l’étymologie de religiosi à partir de relegere (« passer en revue » ce qui se rapporte au culte des dieux) : qui autem omnia quae ad cultum deorum pertinerent diligenter retractarent et tamquam relegerent, sunt dicti religiosi ex relegendo (Nat. deor. II, 72). 42 De uera religione 111 : ad unum Deum tendentes, et ei uni religantes animas nostras, unde religio dicta creditur, omni superstitione careamus ? Cf. déjà cette étymologie chez Lactance, Inst. diu. IV, 28, 3 : Nomen religionis a uinculo pietatis esse deductum, quod hominem sibi Deus religauerit et pietate constrinxerit. 43 C. Acad. II, 5 : Prorsus totus in me cursim redibam. Respexi tamen, confiteor, quasi de itinere in illam religionem, quae pueris nobis insita est et medullitus inplicata ; uerum autem ipsa ad se nescientem rapiebat. Itaque titubans properans haesitans arripio apostolum Paulum.



SCEPTICISME ET RELIGION DANS LE CONTRA ACADEMICOS D’AUGUSTIN

Quel motif me fit, pendant près de neuf ans, mépriser la religion que mes parents avaient implantée en moi dès mon enfance et suivre ces hommes [les manichéens], si ce n’est de les entendre affirmer que nous étions dominés par une superstition et que l’on nous imposait de croire avant de réfléchir, tandis qu’eux ne pressaient personne de croire sans avoir au préalable démêlé et tiré au clair la vérité44 ?

Cette superstitio dénoncée par les manichéens est liée à la foi de l’enfance – celle de sa mère en l’occurrence. Or, cette déclaration trouve aussi un écho dans le prologue à teneur autobiographique du De beata uita, où il est question d’une sorte de « crainte superstitieuse de nature puérile » (superstitio quaedam puerilis) qu’Augustin a dû abandonner pour adhérer au manichéisme, et qui l’empêchait de se livrer à la recherche (inquisitio). Il décida alors d’ajouter foi à ceux qui enseignent plutôt qu’à ceux qui ordonnent45. Cela signifie l’abandon d’une certaine forme de foi, qualifiée par les manichéens de superstitio, terme qu’Augustin reprend donc à son compte en 386. L. Pizzolato voit en celle-ci une « religiosité fidéiste, hostile à l’esprit critique, présente dans le catholicisme africain »46. Le mouvement dirigé contre celle-ci, et par lequel il se redresse et « disperse cette obscurité » s’explique selon P. Courcelle par l’« appétit rationaliste  » d’Augustin47. En tout cas, c’est là peut-être l’une des clés de son refus du fidéisme, et de sa position singulière à l’égard du scepticisme dans le christianisme antique48. Peut-on pourtant réduire la religio, dans ce passage du Contra Academicos, à la superstitio puerilis du De Beata uita ? Pas nécessairement, car dans le premier Dialogue, la religion n’apparaît pas seule, elle est accompagnée de la lecture de saint Paul et forme donc un dyptique avec un pôle relevant des rationes. Mais elle attire Augustin à son insu – elle est liée à l’intériorité, à sa mémoire d’enfant.

44 Vt. cred. 2 : Quid enim me aliud cogebat, annos fere nouem, spreta religione quae mihi puerulo a parentibus insita est, homines illos sequi ac diligenter audire ; nisi quod nos superstitione terreri, et fidem nobis ante rationem imperari dicerent, se autem nullum premere ad fidem, nisi prius discussa et enodata ueritate ? 45 Beata uita 2, 4 : Nam et superstitio quaedam puerilis me ab ipsa inquisitione terrebat, et ubi factus erectior illam caliginem dispuli mihique persuasi docentibus potius quam iubentibus esse cedendum. Notons qu’une partie des manuscrits porte credendum au lieu de cedendum (cf. BA 4/1, 1986, 56). 46 Cf. Pizzolato 1987, 58‑59. 47 Courcelle 19682, 65. 48 Cf. Schmitt 1972, 28.



Anne-Isabelle Bouton-Touboulic

Croyance et religion Le De utilitate credendi Ce lien entre l’enfance et la croyance est nettement posé, on l’a vu, dans le De utilitate credendi, composé fin 391. Comme son nom l’indique, cet ouvrage veut montrer le caractère indispensable du « croire » dans la vie en général et il en fait même une instance épistémologique au cœur de toute forme de connaissance. Augustin y distingue soigneusement l’intelligence, la croyance et la «  témérité  » de l’opinion49  ; la deuxième instance est axiologiquement ambivalente : il existe une croyance digne d’approbation (probanda) – celle qui s’accompagne d’intelligence et celle qui se fie à une autorité légitime, tandis que la uitiosa credulitas consiste à se figurer savoir ce que l’on ignore50. Ainsi, pour se soumettre à leur parents et les aimer d’une pietas partagée, les enfants doivent croire qu’il s’agit bien de leurs parents, aucune autre forme de savoir ne leur est accessible51 ; de même, au livre I des Confessions, Augustin imagine son infantia grâce à des témoignages relevant du credere, faute d’avoir un quelconque souvenir de celleci52. En ce domaine, renoncer à croire à l’autorité du témoignage de quelqu’un (la mère ou la nourrice), c’est faire fi de la pietas ; décider (statuere) de ne rien croire dès lors qu’on ne peut en « avoir une saisie certaine » (tenere perceptum, expression qui renvoie à l’assentiment à la « représentation compréhensive » stoïcienne), c’est ne rien laisser d’intact dans toute la société humaine – grief traditionnellement adressé aux sceptiques. C’est sur ces fondements préalables, et dans la continuité de cette défense et illustration du credere, qu’intervient la considération de la religion, définie ici comme « le fait d’honorer Dieu et de l’atteindre par l’intelligence  »53. Augustin procède par une comparatio de minoribus ad maiora  : En ces matières, plus qu’en toute autre de la vie courante

49 Vt. cred. 25 : Intellegere et opinari impliquent l’acte de credere ; mais credere n’implique pas intelligere ; et il n’y a pas de « faute » (culpa) à croire quelque chose si l’on comprend que ce n’est pas comme la savoir. 50 Voir sur ce point I. Bochet, infra, p. 209. 51 Vt. cred. 26. 52 Conf. I, 9. 53 Vt. cred. 27 : Cum de religione, id est, cum de colendo atque intelligendo Deo agitur. La seconde partie de la définition excède le cadre de la religion civique romaine ; et ibid. 34 : Deum quaerendum Deoque seruiendum.



SCEPTICISME ET RELIGION DANS LE CONTRA ACADEMICOS D’AUGUSTIN

(comme faire du commerce, de la culture, se marier, élever ses enfants54), les sots que nous sommes doivent obéir aux sages afin de se libérer de l’emprise de la sottise. Il faut d’autant plus suivre un maître que la matière est difficile à discerner (dignoscere). La religion, domaine des res diuinae, est à la fois distincte des res humanae, et en même temps rattachée à la vie de tous les jours, pour ce qui est de s’en remettre à l’autorité d’un sage (sapiens), puisque la plus haute autorité est l’autorité divine. Si la religion relève de la croyance aux yeux d’Augustin – ce en quoi il se distingue des Néopyrrhoniens qui adoptent, au même titre qu’une autre manifestation des lois et des coutumes, une piété sans croyance55, cette croyance religieuse est en outre idéalement destinée à se transformer en intelligence ; c’est ce que montre la quaestio 48 du De Diuersis Quaestionibus 83, puisque parmi les trois genres de credibilia distingués, les credibilia qui concernent les diuinae res peuvent être ensuite compris – à condition de posséder un « cœur pur ». C’est cet horizon du passage de la croyance à l’intelligence, et la « confiance » en un tel passage, qui est proclamé au terme du Dialogue ; de même, dans le prologue du livre II, « celui » (Dieu) dont Romanianus a été l’instrument, Augustin dit l’avoir conçu jusqu’alors « par la foi » (fides) – seul exemple dans le Dialogue de ce terme dans un tel contexte chrétien – sans l’avoir encore « compris » « par la raison »56. On trouve également cette idée d’une nécessaire certitude, à la fin du livre V des Confessions, au moment du tempus dubitationis d’Augustin, quand il doute de tout, Academicorum more ; il se détache alors des manichéens, et ne veut pas non plus se fier à une philosophie certes plus satisfaisante intellectuellement, mais qui ne comporte pas le nom du Christ  ; la position d’attente qu’il adopte alors consiste à se fier à la religion reçue de ses parents, et à être «  catéchumène dans l’Église catholique  ». En apparence, cette dernière attitude n’est pas éloignée de celle décrite par Sextus intégrant la piété à l’« observation de la vie quotidienne » (βιωτικὴ τήρησις)57, mais la différence fondamentale est 54 Ibid. Notons que selon Cicéron, au contraire, ce type d’actions n’exige que de « suivre le probable », et non d’avoir une connaissance certaine (Luc. 109). 55 C’est-à-dire sans dogma, sans assentiment donné aux choses qui n’apparaissent pas. Cf. Burnyeat 1983, 129. 56 C. Acad. III, 43 : ita enim iam sum affectus, ut quid sit uerum non credendo solum sed etiam intellegendo apprehendere impatienter desiderem ; et II, 4 : Cuius autem minister fueris, plus adhuc fide concepi quam ratione comprehendi. 57 Attitude qui ne saurait relever d’un conformisme insincère. Voir Marchand, supra, p.  111, et Thorsrud 2011, qui défend contre «  l’objection d’insincérité  » l’idée



Anne-Isabelle Bouton-Touboulic

qu’Augustin conçoit cette attitude comme une position d’attente avant l’illumination d’une certitude intellectuelle, qui lui permettrait de « diriger sa course »58. La Cité de Dieu Cette appartenance du domaine de la religion à celui de la croyance réapparaîtra au livre XIX de la Cité de Dieu, dans un passage relayant la doxographie morale exposée par Varron dans son De philosophia, et la differentia propre à la Nouvelle Académie pour qui « tout est incertain » (incerta sunt omnnia). Mais la cité de Dieu « rejette sans réserve un tel doute comme de la folie »59 ; et l’Hipponate d’énumérer ensuite toutes les formes de connaissance recevables par la religion chrétienne : celle-ci admet la certissima scientia « réduite » (parua) (cf. 1 Cor. 13, 9) ; elle se fie à la représentation sensible quand il y a euidentia, car ce serait « une erreur encore plus misérable » de se défier systématiquement des sens ; cette dernière pointe, dirigée contre les sceptiques60, a été en quelque sorte annoncée et illustrée par la fabula des deux voyageurs dans le livre III du Contra Academicos. Cette fabula est en effet destinée à récuser la valeur pratique du probabile, traduction cicéronienne du pithanon que Carnéade avait opposé au grief d’apraxia. Or, aux yeux d’Augustin, bien qu’il évite l’assentiment, ce probabile ne protège pas de l’erreur61, terme auquel il donne une résonance métaphorique : car l’un des voyageurs de cette fabula a décidé de ne se fier à personne (nulli credere) ; l’autre est « trop crédule » (nimis credulus62), mais il se fiera aux indications d’un paysan et arrivera à destination, tandis que le premier, suivant finalement d’une piété sceptique sans croyance d’aucune sorte (ni théologique, ni relevant des croyances religieuses ordinaires). 58 Conf. V, 25 : Statui ergo tamdiu esse catechumenus in catholica ecclesia mihi a parentibus commendata, donec aliquid certi eluceret, quo cursum dirigerem. 59 Ciu. Dei XIX, 18 : omnino ciuitas Dei talem dubitationem tamquam dementiam detestatur. Augustin admet cependant in fine par élimination un domaine où le doute est permis : celui des choses que nous n’avons perçues ni par les sens ni par la raison ni par l’Écriture sainte ni par des témoins qu’il n’est pas absurde de croire. 60 Ibid. : creditque sensibus in rei cuiusque euidentia, quibus per corpus animus utitur quoniam miserabilius fallitur, qui numquam putat eis esse credendum. 61 Ce que ni Carnéade ni les Stoïciens ne récusent (Cic., Luc. 103 : propterea quod multa falsa probabilia sint) ; cf. Burnyeat 1983, 123. La définition académicienne de l’erreur est rappelée en C. Acad. III, 32 : « Se trompe en effet, disent-ils, tout homme qui approuve une chose non seulement fausse, mais même douteuse, bien qu’elle soit vraie ». 62 Le credulus ne fait pas ici l’objet d’un jugement explicitement négatif (vs Vt. cred. 22‑23, où la distinction est nettement posée entre credere et credulum esse ; cf. § 26 : la uitiosa credulitas consiste à se figurer savoir ce que l’on ignore).



SCEPTICISME ET RELIGION DANS LE CONTRA ACADEMICOS D’AUGUSTIN

le « probable » (en l’occurrence, un brigand qui a l’allure d’un cavalier et qui le trompe par un fausse indication), « erre » sans fin dans la forêt63. Ne pas être dans l’erreur ne dépend pas seulement d’une attitude subjective (refuser son assentiment à une représentation), mais le hasard (casus, terme répété deux fois) y a aussi sa part, et dans la recherche de la vérité, Augustin privilégie le fait d’atteindre son but. Or, le texte de la Cité de Dieu établit lui aussi un passage de cette « confiance » (credere) dans les sens – pour les objets qui se présentent avec évidence64 – à la « croyance » dans les Écritures, c’est-à-dire à la foi (fides)65, qui permet de marcher « sans hésitation » (sine dubitatione) dans l’exil de cette vie66. Dans son magnum opus, Augustin définit classiquement la religion en termes de culte civique, mais c’est celui d’une cité hors les murs et hors du temps : la cité céleste « sait » (il emploie le verbe nosse) qu’il y a un seul Dieu à servir et que lui seul doit être servi par la seruitus – qu’on appelle en grec latreia – dans une fidelis pietas. En cet unique domaine, la dissensio avec la cité terrestre est nécessaire et il ne peut y avoir de religionis leges communes avec cette cité. De manière générale, la Cité de Dieu est aussi une réfutation en règle de toute forme d’idéologie religieuse païenne (y compris la théologie tripartite de Varron)67. L’opposition au scepticisme y est donc formulée en des termes nettements plus religieux que dans le Contra Academicos, même si le motif épistémologique d’une telle opposition demeure primordial, comme on vient de le voir. Probabile sequi et credere Pour Augustin donc, croire est un mode de connaissance dont on ne peut se passer68. D’après le De utilitate credendi, les Néoacadémiciens C. Acad. III, 34. Sur la signification de cet épisode, voir Marchand 2013, 48‑50. L’évolution d’Augustin l’a même conduit à parler de scientia pour les sens et pour le témoignage d’autrui ; cf. De Trin. XV, 12, 21 ; Ep. 147, 8, datée de 413 ; ibid. 21 : le travail de l’esprit garantit la qualité de la perception sensible. 65 TeSelle (2002a, 120) rappelle que fides fonctionne en latin comme substantif de credere. 66 Ciu Dei XIX, 18 : habens de rebus, quas mente atque ratione comprehendit, etiamsi paruuam propter corpus corruptibile, quod adgrauat animam [cf. Sap. 9, 15] (quoniam, sicut dicit Apostolus, ex parte scimus), tamen certissimam scientiam, creditque sensibus in rei cuiusque euidentia, quibus per corpus animus utitur, quoniam miserabilius fallitur, qui numquam putat eis esse credendum ; credit etiam scripturis sanctis et ueteribus et nouis, quas canonicas appellamus unde fides ipsa concepta est, ex qua iustus uiuit [cf. Hab. 2, 4] ; per quam sine dubitatione ambulamus, quamdiu peregrinamur a Domino. 67 Mandouze 1958, 199. 68 Conf. VI, 7, dans un contexte animanichéen. 63 64



Anne-Isabelle Bouton-Touboulic

sceptiques eux-mêmes ne peuvent supprimer la croyance : dans les matières qui relèvent d’une science (disciplina), c’est peut-être possible, mais pas « dans le reste de la vie » (in alio uitae actu)69. En ce domaine, le fait de « suivre le probable », attitude adoptée par les Néoacadémiciens70, impliquerait aussi selon Augustin un credere71 – via la réduction qu’il opère de probare à credere72 – de sorte que les Néoacadémiciens « veulent sembler ne rien savoir, plutôt que ne rien croire ». Ainsi, ils ne combattraient pas la fides, mais uniquement la scientia. Existe-t-il vraiment, demande finalement Augustin, dans les « affaires humaines » (res humanae) des gens qui condamnent à la fois la scientia et la fides ? La bipartition de l’existence humaine en deux champs (disciplina vs alius uitae actus) recouvre donc la distinction épistémologique scientia / fides (laquelle est comprise comme un savoir conscient de sa part d’ignorance)  ; cette fides à laquelle est reconduite le probabile sceptique sera évidemment susceptible d’accueillir la religion chrétienne dans la suite du De utilitate credendi. Qu’en est-il dans le Contra Academicos ? Nulle fides n’est ici attribuée aux Académiciens. C’est le cas en revanche à propos de leurs adversaires stoïciens, qui ont montré « cette pernicieuse confiance dans les corps » (fides illa corporum perniciosa)73. Comme dans le De utilitate cependant, on trouve trace d’une dichotomie analogue attribuée à Carnéade, dichotomie qui n’est pas attestée par ailleurs74 et qui doit permettre à Augus69 Vt. cred. 25  : Caetera duo improbanda genera nihil credunt, et illi qui uerum quaerunt cum desperatione inueniendi, et illi qui omnino non quaerunt. Et hoc dumtaxat in rebus ad aliquam pertinentibus disciplinam. Nam in alio uitae actu, prorsus nescio quo pacto possit homo nihil credere. Quamquam in illis etiam qui se in agendo probabilia sequi dicunt, scire potius nihil posse, quam nihil credere, uolunt uideri. 70 Voir aussi C. Acad. III, 1 : sed quoniam uel lateret obruta uel confusa non emineret [ueritas], ad agendam uitam id eum sequi, quod probabile ac uerisimile occurreret. 71 Voir Bochet, infra, p. 207, soulignant que, dans ce passage, Augustin évite précisément de parler d’assentiment (assentiri) ; et selon Catapano, infra, p. 230, n. 29, probare ou adprobare et assentiri sont employés de façon synonymique dans le C. Acad. pour désigner le fait de « donner son assentiment ». 72 Comme il le déclare explicitement dans des œuvres plus tardives : De spiritu et littera 54 ; Ench. 20 : At si tollatur assensio, fides tollitur ; quia sine assensione nihil creditur ; De praedestinatione sanctorum 5. Fuhrer (1997, 380) considère que ce rapprochement est implicite dès le C. Acad. (III, 31) et montre que credere assume la fonction tenue par le συγκατατίθεσθαι dans la gnoséologie stoïcienne (1999). 73 C. Acad. III, 39. Et Trygetius, hostile aux Académiciens, se reproche d’avoir donné « avec confiance son assentiment à l’adversaire sur un point non nécessaire ». La fides est associée à un assentiment donné à la légère. 74 Voir Fuhrer, 1997, 145 ; Long & Sedley (III, 69) 2001, 46, le rapprochent de la stratégie de Hume (Enquête sur l’entendement humain, section XII, Deuxième partie).



SCEPTICISME ET RELIGION DANS LE CONTRA ACADEMICOS D’AUGUSTIN

tin de mettre le scholarque académicien en difficulté : dans les choses qui relèvent de la philosophie, aucune scientia n’est accessible à l’homme, et le reste – où « règne cette lumière quotidienne et vulgaire » – n’intéresserait pas les philosophes75. Pourtant, en ce dernier domaine précisément, Carnéade est présenté comme obligé de reconnaître la rerum euidentia et de dire « s’il est un homme ou une fourmi »76. Il faut relever par ailleurs qu’en s’appuyant sur une telle bipartition, Augustin structure sa propre réfutation, déclinée d’abord selon le champ philosophique (physique, morale et logique) pour montrer que des vérités certaines y sont accessibles77), et attaquant ensuite le probabile comme critère d’action, comme on l’a vu. Religion vs probabilitas Malgré le continuum ainsi relevé entre croyance et religion, cette dernière présente les traits d’une certitude qui la distingue des autres objets de credere78, car elle relève de la Vérité révélée. Chez un Sceptique comme Sextus Empiricus en revanche, la piété « est considérée comme bonne » selon la « tradition des lois et des coutumes » qui fait partie de « l’observation de la vie quotidienne » (βιωτικὴ τήρησις), au même titre que la « conduite de la nature », la « nécessité de nos affects » et « l’apprentissage des arts », et ne comporte pas plus de conviction dogmatique79. Qu’en est-il de l’articulation entre religion et domaine de la vie quotidienne chez Augustin ? 75 C.  Acad. II, 11  ; ibid. III, 22  : Hic euigilauit Carneades et circumspexit rerum euidentiam : Dicamus ea nos nescire quae inter philosophos inquiruntur ; caetera ad nos non pertinere, ut si in luce titubauero quotidiana et uulgari, ad illas imperitorum tenebras prouocem, ubi soli quidam diuini oculi uident. Cf. aussi Ciu. Dei XIX, 1. 76 C.  Acad. III, 22. Cf.  Sextus Empiricus, AM VII, 160 (éd. Bury 2006, 86), selon lequel, pour Carnéade, le critère ne peut pas être séparé des « affections produites par l’évidence » des sens ; et pour la reconnaissance d’évidences telles que « c’est un homme » par les (Néo)pyrrhoniens, voir id., AM VIII, 316, et Diogène Laërce, IX, 103. 77 C. Acad. III, 23‑30. 78 Voir Ep. 147, 4 (CSEL 44, 281‑282) : restat ut tantummodo credatur uel non credatur. Sed si diuinarum Scripturarum, earum scilicet quae canonicae in Ecclesia nominantur, perspicua firmatur auctoritate, sine ulla dubitatione credendum est. Aliis uero testibus uel testimoniis, quibus aliquid credendum esse suadetur, tibi credere uel non credere liceat, quantum ea momenti ad faciendum fidem uel habere uel non habere perpenderis. 79 Sextus Empiricus, HP I, 24 : « par la tradition des lois et des coutumes, nous considérons la piété, dans la vie quotidienne, comme bonne et l’impiété comme mauvaise ; par l’apprentissage des arts, nous ne sommes pas inactifs dans les arts que nous acceptons. Mais nous disons tout cela sans soutenir d’opinion (ἀδοξάστως). » (tr. Pellegrin 1997, 69). Sur la valeur morale de cette « observance », voir Spinelli 2008, 40‑41.



Anne-Isabelle Bouton-Touboulic

Sur ce point, un passage du Contra Academicos attire notre attention : Augustin vient de saisir au vol – comme s’ils constituaient un omen – les propos d’Alypius, qui a comparé les Académiciens à Protée ; ceux-ci en effet se dérobent à toute saisie, et seule l’indication d’une « divinité » (numen) permet de les appréhender ; elle seule aussi, ajoute-t-il, pourrait montrer la vérité80. Augustin prend au pied de la lettre cette déclaration pour la diriger contre les Académiciens : Tu as dit en effet, aussi brièvement que religieusement, que seul quelque dieu pouvait montrer à l’homme ce qu’est le vrai. Aussi n’ai-je rien entendu dans notre discussion de plus agréable, de plus profond, de plus probable, et si, comme je veux le croire, ce dieu est présent, de plus vrai […] Mon ami le plus proche est d’accord avec moi non seulement sur la probabilité attachée à la vie humaine, mais aussi sur la religion elle‑même, ce qui est le signe le plus évident d’un véritable ami, s’il est vrai que l’amitié a été définie très justement et très saintement comme un accord sur les choses divines et humaines accompagné de bienveillance et d’amour81.

On est d’abord frappé par le caractère vague de cette religio, définie seulement par le fait qu’un numen82 viendra montrer la vérité, même si le contexte mythologique, qui renvoie à la nymphe Cyréné, favorise une telle dénomination. C’est la révélation divine qui résout in fine les questions posées par la Nouvelle Académie. Mais quand, dans une objection fictive, les Néoacadémiciens demandent ensuite : « qui nous montrera la vérité ? », Augustin dit explicitement qu’il ne veut pas lutter avec eux sur ce point, du moment que ceux-ci sont d’accord sur la nécessité de 80 C. Acad. III, 11 : et quasi speculum quoddam in Proteo illo animaduerti oportere, qui traditur eo solere capi, quo minime caperetur, inuestigatoresque eius numquam eundem tenuisse nisi indice alicuiusmodi numine. Quod si assit et illam nobis ueritatem, quae tantum curae est, demonstrare dignetur, ego quoque uel ipsis inuitis, quod minime reor, illos superatos esse confitebor. 81 Ibid. III, 13 : Etenim numen aliquod aisti solum posse ostendere homini, quid sit uerum, cum breuiter tum etiam pie. Nihil itaque in hoc sermone nostro libentius audiui, nihil grauius, nihil probabilius et si id numen, ut confido, assit, nihil uerius. Mecum enim familiarissimus amicus meus non solum de probabilitate uitae humanae uerum etiam de ipsa religione concordat, quod est ueri amici manifestissimum indicium, si quidem amicitia rectissime atque sanctissime definita est rerum humanarum et diuinarum cum beniuolentia et caritate consensio. On note l’inversion de l’ordre des adjectifs (« choses humaines et divines ») par rapport à celui adopté par Cicéron (Laelius 20), ce qui traduit l’idée d’un progrès du plan humain au plan divin. 82 Rare occurrence non négative de ce terme numen qui désigne en général chez Augustin les dieux païens (ou la divinité pour les manichéens).



SCEPTICISME ET RELIGION DANS LE CONTRA ACADEMICOS D’AUGUSTIN

« consentir à la vérité » (consentire ueritati)83. Dans la distinction probabile/uerum, le vrai est l’apanage de la divinité et renvoie à la religion, tandis que le terrain de la discussion présente relève du probable. Cette séparation, reconduite à la distinction entre res diuinae et res humanae, tend donc à soustraire la religion au domaine du probable ; la probabilitas uitae humanae84 diffère de la βιωτικὴ τήρησις des Néopyrrhoniens, qui inclut précisément la piété.

Une religion chrétienne empreinte de signes La religion à laquelle Augustin marque son adhésion dans ce Dialogue se définit aussi par un certain nombre de traits, qui s’opposent directement aux conceptions sceptiques, et qui reposent en grande partie sur un système de signes. Providence et ordre caché Dans le Contra Academicos, la Providence est l’une des modalités majeures de la définition du Dieu chrétien85. Son existence est affirmée principalement d’abord dans les prologues, c’est-à-dire hors espace de discussion ; elle y est posée dès le seuil comme étant hors de doute : « car si la divine Providence s’étend jusqu’à nous, ce dont il ne faut nullement douter, crois-moi, ton sort est nécessairement ce qu’il est »86. Et selon le De utilitate credendi, « si la Providence divine ne préside pas aux affaires humaines, il n’y a pas à se mettre en peine de religion »87. Le De ordine répondra plus précisément à la question de l’existence du mal en tentant de résoudre, grâce au concept d’ « ordre caché », l’alternative d’un dieu 83 C. Acad III, 12 : Sed quis eam demonstrabit ? inquiunt. Vbi ego cum illis non curabo certare ; satis mihi est, quod iam non est probabile nihil scire sapientem. 84 Cette probabilitas renvoie à l’idée développée précédemment, selon laquelle il leur semble, à lui et à Alypius, que le sage connaît la sagesse. Selon Fuhrer 1997, 282, l’expression désigne « ce qui est probable dans la vie humaine » ; pour Catapano (éd. 2005, 342), elle signifie « la probabilité propre à la vie humaine ». 85 C’est le cas déjà dans l’Octauius, qui ne comporte ni le nom du Christ, ni allusion à la liturgie. Augustin a toujours cru dans l’existence et la Providence de Dieu malgré le dissensus des philosophes entre eux (Conf. VI, 7‑8). 86 C. Acad. I, 1 : Nam si diuina Prouidentia pertenditur ad nos, quod minime dubitandum est, mihi crede, sic tecum agi oportet, ut agitur. 87 Vt. cred. 34 : Si enim Dei prouidentia non praesidet rebus humanis, nihil est de religione satagendum.



Anne-Isabelle Bouton-Touboulic

soit méchant soit négligent88, dilemme exploité par Sextus au livre III des Hypotyposes, lequel conclut pour sa part que l’affirmation dogmatique de la Providence divine est incompatible avec la piété89. Pour Augustin, en revanche, ce que le vulgaire appelle « fortune » est régi par un occultus ordo : « dans les événements, nous n’appelons hasard que ce dont la raison et la cause sont secrètes90. » Cette « vérité » de l’ordre caché est délivrée par « les oracles des très fécondes doctrines », c’est-à-dire par les Écritures saintes91. Or, un tel « ordre caché » ferait typiquement partie, du point de vue de Sextus Empiricus, de la catégorie des choses « obscures par nature », qu’on ne peut saisir que par un signe indicatif (dont Sextus ruine l’affirmation), défini ainsi : « celui qui n’a pas été observé avec évidence en même temps que son signalé, mais signifie ce dont il est signe à partir de sa nature et de sa constitution propre, comme les mouvements du corps sont signes de l’âme92. » Dans le Contra Academicos, quel est le signe qui accrédite cet ordre caché ? C’est le propre parcours spirituel d’Augustin, dont l’illumination est précisément relatée dans sa soudaineté : l’incredibile incendium (adjectif répété trois fois) à la lecture des Livres des Néoplatoniciens, et surtout l’apocalypse de la philosophiae facies qu’il a expérimentée93. Pour Augustin, ces événements, qui relaient les signes des écritures philosophiques et bibliques, relèvent des «  signes intentionnels  »  (signa data) d’origine divine. L’histoire personnelle devient signe, de même que l’histoire du salut, selon une lecture rétrospective et téléologique. En effet, après avoir retracé l’histoire de l’Académie et de la philosophie jusqu’à son époque, il déclare : « après bien des siècles et bien des dissensions fut enfin épuré, je crois, l’unique enseignement d’une philosophie parfaitement vraie94. » De ord. I, 1 ; cf. Bouton-Touboulic 2004, 263‑266. HP III, 9‑12. Voir Spinelli, supra, p. 101. 90 C. Acad. I, 1 : Etenim fortasse quae uulgo fortuna nominatur occulto quodam ordine regitur. De même, le second prologue affirme que, pour lutter contre « les tempêtes de la fortune », il faut implorer le secours divin « en toute dévotion et en toute piété » (II, 1). Le début du livre III, discutant du secours que la fortune peut apporter pour parvenir à la sagesse, évoque, comme exemple, l’aide d’une aliqua occultior potentia pour traverser la mer Égée. 91 C. Acad. I, 1 ; et II, 4, à propos du rôle de minister de la Providence joué par Romanianus à l’égard d’Augustin. 92 Sextus Empiricus, HP II, 101 ; AM VIII, 154‑158 ; Diogène Laërce IX, 97. 93 C. Acad. II, 6. Voir Dross 2010, 201‑202. 94 Ibid. III, 42 : multis quidem saeculis multisque contentionibus, sed tamen eliquata est, ut opinor, una uerissimae philosophiae disciplina. 88 89



SCEPTICISME ET RELIGION DANS LE CONTRA ACADEMICOS D’AUGUSTIN

Quant à sa thèse du « dogmatisme ésotérique », elle est à ses yeux soutenue par le fait que les Néoacadémiciens auraient laissé un signe (signum) de leur véritable thèse à la postérité et à ceux qui pouvaient les comprendre, afin de tenir éloignés les profanes. Quel est ce signum ? Il résiderait dans l’emploi du terme uerisimile (sic) par Carnéade, c’està-dire en réalité par Cicéron95, terme qui révélerait une référence à la vérité même96. Cette présence du signum s’étend aussi à son sens strictement épistémologique, à propos des signes propres à la représentation vraie97. L’existence même de signes qui s’offrent au déchiffrement des hommes implique d’ailleurs l’existence d’une Providence divine98. Auctoritas-ratio On a vu le lien entre la croyance et l’autorité99, mais le couple auctoritas-ratio, thématisé par Augustin pour la première fois dans le Contra Academicos100 est l’un des lieux-clés de l’opposition entre religion et scepticisme. Ce sont bien les exigences de sa raison qui ont détourné Augustin du manichéisme, quand il y a reconnu « une téméraire promesse de science » se gaussant de la credulitas101. Cependant, cette prise de conscience ne se traduit pas chez lui par l’adoption de l’épochè, mais par la croyance « assurée » en l’autorité du Christ, qui n’est affirmée qu’à la fin du Dialogue102. Ainsi, c’est d’abord à partir de la seule raison qu’il veut conduire toute la discussion du Dialogue, mais il prend soin de discréditer les autorités humaines qui pourraient servir la partie 95 Ibid. III, 40 : Sed quia hoc tamquam profanis nec fas nec facile erat ostendere, reliquerunt posteris et quibus illo tempore potuerunt signum quoddam sententiae suae. 96 Sur la pertinence d’une telle interprétation, voir Lévy 1992, 289‑290. 97 C. Acad. II, 11, formulation synthétique de la représentation compréhensive définie par Zénon : Quod breuius planiusque sic dicitur, his signis uerum posse comprehendi, quae signa non potest habere quod falsum est. Cf. Cicéron, Luc. 34 : proprium in communi signo notari non potest. 98 Cette opposition du doute sceptique à la religion chrétienne sera également explicitement posée en De Trin. XV, 21 à propos de ce qu’enseignent les sens corporels : le ciel et la terre, les êtres qu’ils renferment, « dans la mesure où leur créateur a voulu nous les faire connaître », ce qui renvoie à l’idée d’une Providence. 99 Une autorité est indispensable à une adhésion correcte à la religion (cf. ut. cred. 21). 100 C. Acad. III, 43 : Nulli autem dubium est gemino pondere nos impelli ad discendum auctoritatis atque rationis. 101 Conf. VI, 7 : illic temeraria pollicitatione scientiae credulitatem inrideri. 102 C. Acad. III, 43 : Mihi ergo certum est nusquam prorsus a Christi auctoritate discedere ; non enim reperio ualentiorem.



Anne-Isabelle Bouton-Touboulic

adverse. De fait, il inverse les positions, en imputant aux interlocuteurs défendant le point de vue académicien une révérence marquée à l’égard de Cicéron, alors que la philosophie de l’Arpinate lui faisait préférer la raison à l’autorité103. Ainsi, au livre I, c’est Licentius, partisan de la Nouvelle Académie, qui recourt à l’argument d’autorité en s’appuyant sur Carnéade, puis sur Cicéron, pour faire admettre ses thèses à son interlocuteur Trygetius ; ce dernier conteste le titre de sage donné à Cicéron, ou déclare du moins ne pas tout « approuver » chez lui104. Cette critique s’énonce clairement comme une revendication de liberté dans l’exercice de la philosophie105. Une telle « libération » est saluée par Augustin106, qui présente ainsi sa propre réfutation comme une entreprise menée par la raison, sans tenir compte de l’autorité des Academici, au premier rang desquels se trouve Cicéron107. Là encore, il pratique contre ses adversaires une forme de retorsio108, et il le fait au nom de la distinction entre l’autorité divine et l’autorité humaine, telle qu’il la pose dans le De ordine109. L’histoire Or, la «  certitude  » attachée à cette autorité divine vient en particulier de ce qu’elle s’est manifestée dans l’histoire110 : selon « une sorte de clémence envers la multitude des hommes », « l’autorité de l’intellect divin » agissant non seulement par des « préceptes », mais aussi par des « faits », a donné aux âmes la possibilité de « rentrer en elles-mêmes », et de « regarder la patrie » – même sans en passer par le « conflit des

103 Cicéron, Nat. deor. I, 10 : Non enim tam auctoritatis in disputando quam rationis momenta quaerenda sunt. ; et Luc. 60 ; ibid. 8 pour la revendication de la liberté attachée à la philosophie néoacadémicienne. 104 C. Acad. I, 8 : Etsi concedam, inquit, esse sapientem, non omnia tamen eius probo. 105 Ibid. I, 9 : iam enim libertate, in quam maxime nos uindicaturam se philosophia pollicetur, iugum illud auctoritatis excussi. L’image du « joug » de l’autorité est reprise par Alypius (ibid. II, 30). Cf. Lütcke 1968, 157. 106 Ibid. I, 24. 107 Ibid. II, 30 ; III, 14 ; III, 35. 108 Comme l’atteste l’enseignement qu’il dit avoir trouvé dans l’Hortensius : il faut chérir la sagesse en elle-même et non telle doctrine particulière ; cf. Conf. III, 8. 109 Cf. De ord. II, 27 : Auctoritas autem partim diuina est, partim humana, sed uera, firma, summa ea est, quae diuina nominatur. 110 On sait que Sextus Empiricus juge aussi « incohérente » la « partie historique » de la grammaire (y compris pour l’exposé des choses vraies et qui sont arrivées), qui ne comporte aucun critère de vérité (AM I, 263‑269 ; tr. Dalimier in Pellegrin 2002).



SCEPTICISME ET RELIGION DANS LE CONTRA ACADEMICOS D’AUGUSTIN

discussions philosophiques »111. Cette inscription dans l’histoire est ce qui assure aux yeux d’Augustin la propagation effective de l’enseignement platonicien des deux mondes. Or, la connaissance historique relève elle-même du credere112, et elle joue un rôle primordial dans la religion chrétienne, comme le montre le De uera religione : Pour embrasser cette religion, le point essentiel est l’histoire et la prophétie de la manière dont la providence divine réalise dans le temps le salut du genre humain, en le restaurant et le renouvelant pour la vie éternelle. Celle-ci crue, l’esprit sera, par un genre de vie accordé aux préceptes divins, purifié et rendu apte à percevoir les réalités spirituelles qui n’ont ni passé ni avenir, mais qui sont toujours identiques à elles-mêmes113.

On observe ici la concordance avec le classement des credibilia dans les 83 Questions. L’histoire, illustration de la Providence divine, est objet d’une croyance et cette croyance joue un rôle propédeutique et de purification de l’esprit, avant la « saisie » (percipere), à titre de connaissance certaine, des réalités spirituelles. La religion aménage donc ce passage du croire (qui porte sur un objet absent, aux sens comme à la pensée, et qui se nourrit de signes comme l’explicitera l’Epistula 147114) au comprendre.

Conclusion Le Contra Academicos ne délivre pas d’exposé détaillé concernant la doctrine de la religion chrétienne ; il dessine en revanche les linéaments, for111 C. Acad. III, 42 : nisi summus Deus populari quadam clementia diuini intellectus auctoritatem usque ad ipsum corpus humanum declinaret, atque submitteret, cuius non solum praeceptis, sed etiam factis excitatae animae redire in semetipsas, et respicere patriam, etiam sine disputationum concertatione potuissent. 112 Elle ne relève ni de la perception immédiate (l’« autopsie » en est quasiment absente), ni de l’introspection conduisant à la découverte des intelligibles. Cf. Ligota 1997, 157. 113 De uera religione 13 : Huius religionis sectandae caput est historia et prophetia dispensationis temporalis diuinae prouidentiae, pro salute generis humani in aeternam uitam reformandi atque reparandi. Quae cum credita fuerit, mentem purgabit uitae modus diuinis praeceptis conciliatus, et idoneam faciet spiritualibus percipiendis, quae nec praeterita sunt, nec futura, sed eodem modo semper manentia. 114 Ep. 147, 8 (éd. Goldbacher, CSEL 44, 281) : Constat igitur nostra scientia ex uisis rebus et creditis : sed in iis quae uidimus uel uidemus, nos ipsi testes sumus ; in his autem quae credimus aliis testibus mouemur ad fidem, cum […] dantur signa uel in uocibus, uel in litteris uel in quibusque documentis, quibus uisis non uisa credantur.



Anne-Isabelle Bouton-Touboulic

tement reliés à l’expérience intellectuelle et spirituelle d’Augustin, d’une inscription de la religion chrétienne dans le champ de la connaissance. Celle-ci suppose une Vérité déjà révélée, mais qu’Augustin espère aussi retrouver par le moyen de la raison. Un telle conjonction heurte à la fois la distinction entre le religieux et le philosophique assumée par le scepticisme, en même temps que le refus de ce dernier d’affirmer dogmatiquement une vérité. Croyance, autorité divine du Christ et Providence gouvernent cette conception de la religion, en s’appuyant sur un système de signes dont la portée est précisément récusée par les Sceptiques. L’herméneutique, qui s’étend même à l’histoire de la philosophie, vient ici étayer une « confiance » (confido) tout à la fois épistémologique et sotériologique, opposée au «  probable  » académicien, qui résulte du seul travail de la raison. Le Contra Academicos inaugure ainsi les attaques contre le probable menées au nom de la croyance certaine. Ce qu’Augustin impute à la Nouvelle Académie, ce n’est plus l’attachement à la religion païenne, comme le faisait Minucius Felix, c’est d’entraver, par le doute, la réalisation intellectuelle de ce « lien » avec le divin, qu’il cherche à obtenir en recourant pour sa part à une interprétation dogmatique de la philosophie platonicienne, relue à la lumière du néoplatonisme. Cette opposition irréductible au scepticisme, qui se manifeste encore dans les œuvres tardives, contribue à définir fondamentalement ce qu’est la religion chrétienne aux yeux d’Augustin.



LE SCEPTICISME DE LA NOUVELLE ACADÉMIE ET LA RÉFLEXION D’AUGUSTIN SUR LA LÉGITIMITÉ DU CROIRE : LE DE UTILITATE CREDENDI Isabelle Bochet

Le De utilitate credendi est le premier traité dans lequel Augustin s’efforce de montrer longuement qu’il est légitime de croire. Dans cet ouvrage ré‑ digé en 391, peu après son ordination presbytérale, Augustin s’adresse à Honoratus, un ami resté manichéen, « qui se moquait de la discipline de la foi catholique, sous prétexte qu’on ordonnait aux hommes de croire, au lieu de leur enseigner par des arguments très assurés (certissima ra­ tione), ce qui était vrai »1 La visée du traité est à la fois protreptique et antimanichéenne : Augustin cherche à conduire son ami à la foi catho‑ lique, tout en répondant aux critiques des manichéens à l’égard de la foi. Deux indices suggèrent d’emblée une influence possible des Academica de Cicéron sur le traité : d’une part, Augustin insiste sur la crise scep‑ tique qu’il a traversée, lorsqu’il explique à son ami la manière dont il est passé du manichéisme à la foi chrétienne2 ; d’autre part, il s’adresse à un ami cultivé avec lequel il a fait ses études à Carthage3 et il n’hésite pas à faire de nombreuses allusions à leur culture commune4, notamment à leur lecture de Cicéron5. L’hypothèse n’a jamais été vraiment appro‑ fondie, même si plusieurs études mentionnent, de façon ponctuelle, une référence possible aux Academica : étrangement, la thèse d’A. Hoffmann, Augustins Schrift « De utilitate credendi ». Eine Analyse, ne fait aucune Cf. Retr. I, 14, 1. Cf. Vt. cred. 20. 3 Cf. Vt. cred. 16. 4 Cf. Vt. cred. 10 (mentions de Virgile, Lucrèce et Épicure) ; 13 (allusions à Aris‑ tote, à Archimède, à Épicure et aux problèmes d’interprétation de Virgile). 5 Cf. Vt. cred. 16 (mention des discours de Cicéron) et 25 (allusion aux Catili­ naires). 1 2

Isabelle Bochet

référence aux Academica6 ; en revanche, O. Gigon relève que le ton d’Au‑ gustin est proche de celui des Academica et qu’Augustin fait référence à la discussion du Lucullus sur le probabile7 ; G.  Kendeffy8 étudie, pour sa part, la manière dont Augustin reprend et transforme la présentation cicéronienne de l’argument de diaphonie dans le De utilitate credendi. Mon intention est donc d’examiner la manière dont le scepticisme de la Nouvelle Académie influence la réflexion d’Augustin sur le croire et sur sa légitimité dans le De utilitate credendi : je m’interrogerai en pre‑ mier lieu sur la manière dont Augustin présente son propre itinéraire et sur la relation de ce développement autobiographique avec la méthode adoptée dans le traité ; j’étudierai en second lieu, en les comparant aux Academica, la manière dont Augustin définit et articule entre eux opi­ nari, credere et intelligere et les arguments par lesquels il montre l’utilité de croire ; j’établirai en conclusion l’originalité de ce rapport aux Acade­ mica, en comparant le De utilitate credendi à l’Enchiridion dans lequel Augustin réfute brièvement les Académiciens.

Les développements autobiographiques et la méthode choisie « Le flot de mes pensées emportait mes suffrages vers les Académi‑ ciens… » Le prologue contient déjà quelques indications autobiographiques  : il s’ouvre et se clôt en évoquant la quête commune de vérité d’Augustin et d’Honoratus – quête dont Augustin souligne l’extrême difficulté9 à partir de sa propre expérience – et en insistant sur la temeritas des ma‑ nichéens dans leur critique de la foi catholique10, temeritas à laquelle les deux amis se sont laissés prendre en raison même de leur ardent désir de vérité, mais aussi et surtout de la prétention de leur jeunesse. Ces deux notations ne sont pas sans échos dans l’œuvre de Cicéron, qui associe la recherche de la vérité au refus de la temeritas : dans son exposé, à l’inté‑ rieur du Lucullus, Cicéron, après avoir dit qu’il brûlait du désir de dé‑ Comme le manifeste l’index de l’ouvrage (1991, 486). Gigon 1985, 142‑143 et 154. 8 Kendeffy 1995, 115‑124. 9 Cf. Vt. cred. 1 ; 4. 10 Cf. Vt. cred. 2 ; 4. 6 7



DE UTILITATE CREDENDI : SCEPTICISME ET RÉFLEXION SUR LA LÉGITIMITÉ DU CROIRE

couvrir le vrai11, explique que « rien n’est plus opposé de [sa] conception de la gravité du sage que l’erreur, la légèreté, la témérité »12 ; la temeritas consiste en effet à approuver des choses fausses ou inconnues, parce que « l’assentiment et l’approbation se précipitent pour devancer la connais‑ sance et la perception »13. Augustin revient au thème de la temeritas en conclusion de la pre‑ mière partie du De utilitate credendi, dans un développement qui com‑ porte à nouveau des notations autobiographiques. Augustin a montré comment les critiques des manichéens à l’égard de l’Ancien Testament viennent de leur prétention à le lire indépendamment de la tradition14 ; il conclut en notant : « Ce qui est sûr, c’est qu’en présence de n’importe quels livres, il n’est rien de plus téméraire (or à cette époque, en vrais enfants, nous l’étions) que de ne faire nul cas des commentateurs qui déclarent bien les connaître et pouvoir les expliquer à leurs élèves, mais d’aller en demander le sens à des hommes qui, pour un motif inconnu, ont déclaré une guerre sans merci à ceux qui les ont composés et rédi‑ gés »15 ; ce qui s’applique à la lecture des ouvrages d’Aristote ou de la Géométrie d’Archimède vaut sans aucun doute de la lecture des Écritures. Une telle application du concept de temeritas n’est certes pas celle qui se dégage des Academica, qui en déduisent plutôt la nécessité de suspendre son assentiment ; elle n’est pas néanmoins complètement étrangère à la perspective cicéronienne, car la condamnation de la temeritas est aussi chez Cicéron «  le rejet de toute tentation pour l’individu de s’ériger lui-même en critère, en valeur absolue » au mépris du mos maiorum16. Ce que condamne Cicéron dans les Academica, c’est de s’en remettre à l’autorité du premier venu, sans s’être informé des divers avis et sans être capable d’en juger par soi-même17 ; il précise dans le De natura deorum que, « dans une discussion philosophique, on doit accorder de l’impor‑ Cf. Luc. 65‑66 ; 7. J’utilise la traduction de J. Kany-Turpin (GF, 2010). Luc. 66 : nihil est enim ab ea cogitatione, quam habemus de grauitate sapientis, errore leuitate temeritate diiunctius ; 108. 13 Lib.  Acad. I, 45  :  cognitioni et perceptioni assensionem approbationemque prae­ currere. 14 Cf. Vt. cred. 5‑10. 15 Vt. cred. 13 : Sed nihil est profecto temeritatis plenius, quae nobis tunc pueris inerat, quam quorumque librorum expositores deserere, qui eos se tenere ac discipulis tradere posse profitentur, et eorum sententiam requirere ab his, qui conditoribus illorum atque auctoribus acerbissimum nescio qua cogente causa bellum indixerunt. J’utilise la traduction de J. Pé‑ gon en la modifiant si nécessaire (BA 8, 1951). 16 Lévy 1992, 630 et 633‑634. 17 Cf. Luc. 8‑9. 11 12



Isabelle Bochet

tance aux arguments fournis par la raison bien plus qu’à l’autorité  », mais il demeure que « l’autorité de ceux qui se posent en maîtres nuit bien souvent à ceux qui veulent apprendre, car ils cessent de juger par eux-mêmes, ils tiennent pour acquis ce qu’ils voient décidé par celui à qui ils font confiance »18. Le rejet cicéronien de la temeritas va donc de pair avec la défiance à l’égard de l’autorité, mais non avec son exclusion, si on en juge par le livre III du De natura deorum19 ; l’usage qu’en fait Augustin dans le De utilitate credendi en infléchit le sens. Le développement autobiographique le plus important du traité est ce‑ lui dans lequel Augustin expose l’itinéraire qui l’a mené du manichéisme à la foi catholique. On y retrouve l’insistance sur l’aspiration à la vérité qui habitait alors Augustin et dont Honoratus a été le témoin, mais aussi sur les dispositions nécessaires pour la chercher : Augustin ne mentionne plus la nécessité d’exclure toute temeritas, mais il insiste sur la méthode à adop‑ ter pour trouver le vrai, une méthode à « tenir d’une autorité divine ». Je vais tâcher de te raconter l’itinéraire que j’ai suivi à la recherche de la vraie religion, dans les dispositions que je viens de montrer nécessaires à une telle recherche. À peine vous eus-je quittés pour passer la mer que je me trouvai irrésolu et embarrassé, ne sachant ni quoi tenir, ni quoi abandonner. Cette irrésolution augmentait de jour en jour, depuis que j’avais entendu cet homme, qu’on nous présentait, tu le sais, comme venu du ciel pour tirer au clair tout ce qui nous troublait, et que j’avais reconnu en lui, à part une certaine éloquence, un homme tout comme les autres. Une fois installé en Italie, je me mis à réfléchir et à me de‑ mander sérieusement, non pas si je resterais dans la secte où je regrettais d’être tombé, mais quelle méthode je devrais suivre pour trouver le vrai, après lequel, tu le sais mieux que personne, j’aspirais avec amour. Sou‑ vent il me semblait introuvable et, dans sa force, le flot de mes pensées emportait mes suffrages vers les Académiciens. Souvent, au contraire, réfléchissant selon mes moyens à la vivacité, à la sagacité, à la perspica‑ cité de l’esprit humain, je me disais que, si la vérité lui échappait, c’était seulement parce que lui échappait la méthode même de la recherche et que cette méthode, précisément, il fallait la tenir d’une autorité divine20. Nat. deor. I, 10 : non enim tam auctoritatis in disputando quam rationis momenta quaerenda sunt. Quin etiam obest plerumque iis, qui discere uolunt, auctoritas eorum, qui se docere profitentur ; desinunt enim suum iudicium adhibere, id habent ratum, quod ab eo, quem probant, iudicatum uident. J’utilise la traduction de C. Auvray-Assayas 2002. 19 Cf. Nat. deor. III, 7. 20 Vt. cred.  20  ; trad. Pégon corrigée en consultant celle de Mandouze 1968, 279‑280. 18



DE UTILITATE CREDENDI : SCEPTICISME ET RÉFLEXION SUR LA LÉGITIMITÉ DU CROIRE

Augustin distingue l’irrésolution qui était la sienne après avoir enten‑ du Faustus – il ne savait « ni quoi tenir, ni quoi abandonner » – et la séduction qu’exerce sur lui la pensée des Académiciens, lorsqu’il se met à réfléchir : autre est son état d’incertitude et son embarras, consécu‑ tifs à sa déception après la rencontre de Faustus, autre la tentation de se rallier au scepticisme de la Nouvelle Académie21 ; sur ce dernier point, d’ailleurs, les Confessions sont plus explicites que le De utilitate credendi, car elles précisent qu’Augustin «  refusait absolument  » de confier le soin de son âme aux Académiciens, «  parce qu’ils ignoraient le nom salutaire du Christ »22. Mais le De utilitate credendi indique clairement l’hésitation qui est celle d’Augustin sur la capacité de l’esprit humain à trouver le vrai et le déplacement qui s’opère : ce qui importe, c’est de trouver la méthode de la recherche du vrai. On peut s’étonner de voir Augustin affirmer ici, sans transition, sa conviction qu’il « fallait tenir cette méthode d’une autorité divine » : une conviction issue certaine‑ ment de son éducation chrétienne (qu’il a rappelée précédemment à Honoratus23). La suite du texte précise comment Augustin a pu recon‑ naître quelle était l’autorité divine à laquelle se confier, mais non sans mentionner les graves dissensions à ce sujet, d’une façon qui rappelle à nouveau l’importance donnée par les Academica au dissensus des philo‑ sophes. Restait à chercher quelle était cette autorité, alors que, au milieu de dis‑ sensions si graves, chacun la promettait. J’avais donc devant moi une forêt inextricable où je répugnais fort à m’engager, pendant que, sans répit, le désir de trouver le vrai agitait mon âme. Cependant je me déta‑ chais de plus en plus de ceux que j’avais désormais résolu de quitter. Au milieu de dangers aussi graves, il ne me restait plus qu’à supplier la Pro‑ vidence divine, avec des larmes et des accents dignes de pitié, de me venir en aide. Je le faisais de tout mon cœur. Déjà, plusieurs développements de l’évêque de Milan m’avaient donné le désir, mêlé de quelque espoir, d’entreprendre de nombreuses recherches sur cet Ancien Testament que les critiques entendues, comme tu le sais, nous avaient fait prendre en horreur. J’avais décidé de rester catéchumène dans l’Église à laquelle m’avaient confié mes parents jusqu’au moment où j’aurais découvert ce que je voulais ou bien me serais convaincu qu’il n’y avait plus à chercher. 21 Cf. Testard 1958, I, 83, n. 4 ; mais il est excessif de parler de « sa résolution ou plutôt ses résolutions de scepticisme ». 22 Cf. Conf. V, 25. 23 Cf. Vt. cred. 2 : religione quae mihi puerulo a parentibus insita erat.



Isabelle Bochet

Qui aurait pu m’enseigner m’aurait trouvé alors parfaitement ouvert et enclin à recevoir son enseignement24.

La supplication de la Providence divine est présentée par Augustin comme le seul moyen qu’il voyait de surmonter de « si graves dissen‑ sions » sur l’autorité à laquelle se fier. C’est cette attitude, qui s’appa‑ rente déjà à celle de la confessio25, qui le dispose à recevoir un enseigne‑ ment : déjà, il reconnaît l’inanité des critiques manichéennes à l’égard de l’Ancien Testament en écoutant les sermons d’Ambroise, mais il laisse entendre en même temps sa déception de ne pas avoir trouvé alors un maître capable de l’enseigner. Faut-il voir ici une allusion à son regret de n’avoir pu interroger Ambroise, comme il l’aurait souhaité26 ? Certaine‑ ment, mais il n’est sans doute pas fortuit qu’apparaisse ainsi le défaut de tout maître humain : le seul vrai maître est le Christ, comme l’établira la fin du traité27 et comme Augustin l’a déjà montré dans le De magistro28. On s’est souvent étonné de ne trouver dans ce récit aucune mention de la lecture des Platoniciens29. Mais la mention des Platoniciens ne s’imposait nullement dans un traité adressé à un ami manichéen  ; on comprend qu’Augustin ait choisi d’arrêter le récit de son itinéraire à la rencontre d’Ambroise30. L’essentiel était de montrer à Honoratus com‑ ment il avait pu abandonner le manichéisme. Le récit d’Augustin est né‑ cessairement adapté à la situation de son interlocuteur et marqué par le désir de le voir passer à son tour du manichéisme à la foi catholique ; la conclusion du développement le marque sans équivoque : Si donc toi aussi tu retrouves en toi, depuis longtemps, ces dispositions et ce même souci de ton âme, s’il te semble avoir été suffisamment ballo‑ té et que tu veuilles en finir avec les épreuves de ce genre, prends la voie que t’offre la doctrine catholique qui, du Christ lui-même, est passée par les apôtres pour parvenir jusqu’à nous et, de là, passera à la postérité31. Vt. cred. 20 (trad. Pégon corrigée, en consultant celle de Mandouze). Cf.  Bochet 2004, 123 et 130‑132. Courcelle (19682,  279) note qu’Augustin adopte ici un ordre inverse de l’ordre chronologique  : selon Conf., l’influence d’Am‑ broise a précédé le retour à la prière. 26 Cf. Conf. VI, 3‑4. Cf. Mandouze 1968, 282, n. 2. 27 Cf. Vt. cred. 33‑35. 28 Cf. Mag. 45‑46. Voir Kendeffy 1995, 119. 29 Cf. Hoffmann 1997, 178‑180. 30 Cf. Mandouze 1968, 282, n. 4. 31 Vt. cred. 20. 24 25



DE UTILITATE CREDENDI : SCEPTICISME ET RÉFLEXION SUR LA LÉGITIMITÉ DU CROIRE

On peut néanmoins s’étonner, si telle est la visée de ce développement autobiographique, de voir Augustin insister sur sa tentation sceptique et sur ce qui lui a permis de la dépasser. Cette insistance est à mettre en re‑ lation avec la méthode choisie par Augustin pour persuader Honoratus de l’utilité de croire. La méthode choisie Augustin, dans la seconde partie du traité, se met en quête de la vraie religion avec Honoratus en faisant table rase de toute connaissance en la matière : Suppose que jamais encore personne ne nous ait parlé religion. La chose et l’entreprise sont pour nous toute nouvelles. Nous aurons, ce me semble, à chercher des maîtres en religion, s’il en est. Imagine que nous en ayons trouvé, les uns sont d’un avis, les autres d’un autre, chacun dési‑ reux, avec leurs avis partagés, d’entraîner tout le monde à sa suite […]32

Le but d’Augustin est de faire tomber les préventions d’Honoratus, qui pourrait penser qu’Augustin va «  le renvoye[r] à des fables  » et « l’oblige[r] à croire inconsidérément (temere) »33. La méthode s’appa‑ rente à celle de Cicéron dans le De natura deorum. Dans le livre III, Cot‑ ta à qui Balbus demande pourquoi il veut être instruit par lui, alors qu’il vient d’affirmer que nul ne peut extirper sa conviction sur l’existence des dieux qui « se fonde sur l’autorité des ancêtres »34, répond : Parce que j’entre dans ce débat comme si je n’avais jamais entendu parler des dieux immortels, comme si je n’avais jamais réfléchi à cette ques‑ tion. Accueille-moi comme un élève débutant (rudem), novice, et en‑ seigne-moi ce que je te demande35.

La fiction est assumée comme telle de part et d’autre, afin de radicaliser l’interrogation et l’examen critique : « ne t’ai-je pas dit que nous de‑ 32 Vt. cred. 15 : Puta nos adhuc neminem audisse cuiuspiam religionis insinuatorem. Ecce res noua est a nobis negotiumque susceptum. Quaerendi sunt, credo, huius rei, si ulla est, professores. Fac nos repperisse alios aliud opinantes et diuersitate opinionum ad se quemque trahere cupientes ; cf. 19. 33 Cf. Vt. cred. 14 : Num te ad fabulas mitto ? Num aliquid cogo te temere credere ? 34 Cf. Nat. deor. III, 7. 35 Ibid. : Tum Cotta ‘Quia sic adgredior’, inquit, ‘ad hanc disputationem, quasi nihil umquam audierim de dis immortalibus, nihil cogitauerim ; rudem me et integrum discipu­ lum accipe et ea, quae requiro, doce’.



Isabelle Bochet

vions chercher comme des ignorants (rudes)36 ? », rétorque Augustin à son interlocuteur fictif qui estime déjà savoir où il faut chercher la vérité. L’insistance d’Augustin sur la diversité des opinions en présence est à rapprocher du Lucullus, dans lequel Cicéron exploite systématique‑ ment le dissensus pour relativiser les opinions, qu’il s’agisse de physique, d’éthique ou de logique37 et inviter à la suspension de l’assentiment. De façon similaire, on note encore qu’Augustin multiplie les réserves et se garde d’affirmer : « notre âme, captive de l’erreur et de la déraison où elle est plongée, cherche une voie, s’il en est, vers la vérité » ; « la vraie religion, s’il en est une… » ; « des maîtres de religion, s’il en est… » ; « les saints mystères, s’il en est… »38. Il introduit des fortasse : « … la sa‑ gesse en quoi justement d’ailleurs consiste peut-être la vraie religion » ; « sur la religion la plus sainte, peut-être (je parle comme si l’on pouvait encore en douter)… »39. Augustin insiste aussi sur la difficulté des ques‑ tions abordées : la question de l’âme est « très obscure », comprendre comment l’insensé peut découvrir le sage est un « problème très ardu », « une difficulté si monstrueuse »40. Cotta souligne, pour sa part, dans le De natura deorum, combien la question de la nature des dieux « est obscure et combien il est difficile d’en rendre compte »41 et Cicéron re‑ marque, dans les Academica, que « toute connaissance est entravée par de nombreuses difficultés »42. Le critère du plus grand nombre et de la renommée qu’Augustin in‑ troduit à titre d’hypothèse comme critère pour discerner où se trouve la vraie religion est aussitôt récusé comme invalide par son interlocu‑ teur fictif : « c’est le petit nombre qui possède la vérité »43. Le critère est récusé de façon similaire par Cotta qui s’adresse ainsi à Balbus dans le De natura deorum : « Un autre argument de poids, selon toi, c’est 36 Vt. cred. 16 : Nonne dixeram paulo ante, ut quasi rudes quaereremus ?. Cf. Kendef‑ fy 1995, 118. 37 Cf. Luc. 117 ; 134 ; 142‑143. 38 Vt. cred. 14 : animam nostram dico errore ac stultitia inretitam et demersam uiam, si qua est, quaerere ueritatis ; animae igitur causa uel solius uel maxime uera, si qua est, religio constituta est ; 15, cité supra, n. 32 ; 23 : si qua sunt sancta secreta. 39 Vt. cred.  14  :  donec adipiscatur percipiatque sapientiam, et fortasse ipsa est uera religio ; 17 : et tamen religionem fortasse sanctissimam, adhuc enim quasi dubitandum sit loquor. 40 Vt. cred. 14 : et obscurissimum esse confiteor ; 28, cité infra, n. 45 ; 29 : tam immani difficultati. 41 Cf. Nat. deor. III, 93. 42 Luc. 7 : Etsi enim omnis cognitio multis est obstructa difficultatibus. 43 Vt. cred. 16 : At enim apud paucos quosdam est ueritas.



DE UTILITATE CREDENDI : SCEPTICISME ET RÉFLEXION SUR LA LÉGITIMITÉ DU CROIRE

que l’opinion concernant les dieux est universelle et s’affermit chaque jour davantage. Vous admettez donc que des questions si importantes soient tranchées par des ignorants, vous surtout qui les déclarez insen‑ sés »44. À la fin du traité, lorsqu’il s’agit d’examiner non plus s’il faut croire, mais à quelle autorité se fier, Augustin revient sur le dissensus de ceux qui se présentent comme sages et il s’interroge sur la possibilité pour l’insen‑ sé de reconnaître le sage : Ceci soulève un problème très ardu : comment nous autres, les insensés, pourrons-nous découvrir le sage ? Sans doute, presque personne n’ose revendiquer ouvertement ce titre, mais la plupart le font d’une façon détournée. Et pourtant, si diverses sont leurs opinions sur les connais‑ sances mêmes en quoi consiste la sagesse que, de deux choses l’une : ou bien aucun d’eux n’est sage, ou bien un seul l’est, exclusivement. Mais quel est-il  ? Comment l’insensé qui est à sa recherche pourra-t-il le distinguer et le reconnaître clairement ? C’est ce que je ne vois pas du tout45. »

Cicéron expose le même dilemme  : l’ignorant est incapable de juger à bon escient qui est sage  ; «  c’est par excellence à un sage, semblet-il, qu’il appartient de décider qui est sage  »46. Il montre également comment celui qui veut devenir sage devrait nécessairement ne choisir qu’un seul sage, puisqu’il règne un « désaccord extrême » entre eux tous : Imagine que quelqu’un veuille devenir sage, mais ne le soit pas encore : quel système, quelle école choisira-t-il ? Quel que soit son choix, ce ne sera pas celui d’un sage. Mais supposons-le divinement doué : qui, par‑ mi ces physiciens, gagnera son approbation ? En choisir plus d’un, il ne pourra pas. […] Voyons seulement qui il approuvera sur les principes des Nat. deor. III, 11 : Graue etiam argumentum tibi uidebatur, quod opinio de dis inmortalibus et omnium esset et cottidie cresceret : placet igitur tantas res opinione stultorum iudicari, uobis praesertim, qui illos insanos esse dicatis ? Il y a là une allusion au paradoxe stoïcien selon lequel tous ceux qui ne sont pas des sages sont des insensés (Cic., Par. 4). 45 Vt. cred.  28  : Hic rursus oritur difficillima quaestio. Quonam enim modo stulti sapientem inuenire poterimus, cum hoc nomen, tametsi nemo fere audeat palam, plerique tamen ex obliquo sibi uindicant, cum de rebus ipsis, quarum cognitione constat sapientia, ita inter se dissentiant, ut aut nullum eorum, aut certe unum necesse sit esse sapientem ? Sed quinam iste sit, cum ab stulto requiratur, quo pacto queat dinosci plane atque percipi, omnino non uideo. 46 Luc. 9 : statuere enim qui sit sapiens uel maxime uidetur esse sapientis. 44



Isabelle Bochet

choses, les éléments dont l’univers se compose. Il règne à ce sujet un dé‑ saccord extrême parmi les grands hommes47.

Autant dire qu’il est impossible à l’insensé de devenir sage, puisqu’il n’a aucun moyen de déterminer à qui se fier, faute d’être lui-même déjà sage. Mais alors que Cicéron s’en tient à ces apories qui confortent son scep‑ ticisme, Augustin ne les introduit que pour les dépasser dans le dialogue qu’il mène avec son interlocuteur fictif. Dans un premier temps (§ 14‑19), il se contente de montrer que, dans la recherche de la vraie religion, l’Église catholique constitue « un point de départ excellent pour la recherche », ce qui ne préjuge en rien de sa vérité48 : l’adhésion du grand nombre, si elle ne peut valoir comme critère de vérité, est un indice à ne pas mépri‑ ser, car rien n’exclut que la masse des ignorants, si elle est elle-même in‑ capable de discerner le vrai, ait pu suivre l’autorité du petit nombre de ceux qui connaissent le vrai49. Après avoir exposé son propre itinéraire et engagé Honoratus à prendre, à son exemple, « la voie qu’offre la doc‑ trine catholique  » (§  20), Augustin montre pourquoi il est légitime de croire (§ 21‑27), avant d’établir que l’autorité à suivre est celle du Christ (§ 28‑35). Le choix d’arguments sceptiques empruntés à Cicéron permet donc à Augustin de radicaliser son questionnement et d’aller au devant des objections d’Honoratus : il réfute ainsi par avance toute accusation de temeritas. Il n’est pas fortuit qu’Augustin fasse constamment référence à cette accusation que l’on pourrait leur adresser50, s’ils ne mènent pas leur enquête de façon méthodique et approfondie. Il s’efforce donc de mon‑ trer qu’il n’y a rien d’inconsidéré à croire, contrairement au jugement des manichéens ou à l’opinion des académiciens51. Luc. 117 : Finge aliquem nunc fieri sapientem, nondum esse ; quam potissimum sententiam [melius] eliget disciplinam ? Etsi quamcumque eliget insipiens eliget ; sed sit ingenio diuino : quem unum e physicis potissimum probabit ? Nec plus uno poterit. […] Tantum de principiis rerum e quibus omnia constant uideamus quem probet ; est enim inter magnos homines summa dissensio. 48 Vt. cred. 19 : exordium quaerendi opportunissimum ; cf. 15. 49 Cf. Vt. cred. 16. 50 Cf. Vt. cred. 16 ; 24 : Sed, inquis, nonne erat melius, rationem mihi redderes, ut ea quocumque me duceret, sine ulla sequerer temeritate ? ; temeritatis exemplum ; 30 : quid est, unde me a credendo ueluti a temeritate reuocet ? ; 31 : primum quaerendum ab his, ubi sit ratio quam pollicebantur, ubi obiurgatio temeritatis, ubi praesumptio scientiae ; an firmum aliquid superaedificabit ratio tua fundamento temeritatis ? ; quod illis cum deridendum et plenum temeritatis uidetur, profecto ut Christo credamus. Voir aussi 25 et 32. 51 Cf. Vt. cred. 32. 47



DE UTILITATE CREDENDI : SCEPTICISME ET RÉFLEXION SUR LA LÉGITIMITÉ DU CROIRE

La légitimité de l’acte de croire Mon but n’est pas d’analyser l’ensemble de l’argumentation d’Augustin pour justifier qu’il est utile de croire, mais d’en retenir quelques éléments qui manifestent une influence ou une discussion des Academica. Credere et probabilia sequi L’expression probabilia sequi, que l’on trouve dans le § 25 du traité, fait sans aucun doute référence à la présentation par Cicéron du probabi‑ lisme de Carnéade52. La manière dont Augustin introduit la thèse car‑ néadienne et en tire parti pour montrer qu’il est légitime de croire mé‑ rite d’être analysée de près. Augustin procède pas à pas. Dans un premier temps, il distingue cinq catégories de personnes en matière de religion, les unes dignes d’éloge – celles qui ont trouvé et celles qui cherchent avec ardeur et droiture –, les autres à désapprouver et à condamner – celles qui « opinent », c’està-dire qui estiment savoir ce qu’elles ne savent pas, celles qui ne cherchent pas de manière à trouver ou qui ne veulent pas chercher sans pour autant avoir trouvé. Il distingue, en un second temps, trois attitudes intellec‑ tuelles : intelligere, credere et opinari, qu’il définit et dont il montre la valeur respective et les relations. Il revient alors, en un troisième temps, aux cinq catégories énoncées au point de départ, afin d’examiner la place du credere en chaque cas – c’est là qu’intervient le rapprochement avec le probabilisme de Carnéade. Il peut alors conclure que, dans la majorité des cas, croire ne relève en rien de l’irréflexion propre à ceux qui opinent (a temeritate opinantium). L’examen méthodique de la valeur des trois attitudes intellectuelles retenues  : intelligere, credere et opinari vise à déterminer le jugement moral à porter en chaque cas. Si intelligere ne peut jamais être mauvais – même lorsqu’il s’agit de comprendre comment on peut tuer un enne‑ mi sans prendre soi-même de risque, pourvu du moins qu’on ne le désire pas53  –, opinari est au contraire toujours condamnable, car s’imaginer savoir ce que l’on ne sait pas empêche de l’apprendre ou conduit à mé‑ connaître la différence entre ce qui est objet de savoir rationnel et ce qui est objet de croyance. Seule, donc, varie la valeur du credere : car, s’il est condamnable de croire quelque chose qui ne convient pas à propos de Dieu ou même à propos d’un homme, il n’y a en revanche aucune faute Cf. Gigon 1985, 154. Cf. Vt. cred. 25. Peu de textes de la littérature ancienne affirment aussi résolu‑ ment la neutralité du savoir par rapport à l’éthique (Gigon 1985, 155). 52 53



Isabelle Bochet

à croire un témoignage historique – par exemple, sur la conjuration de Catilina –, « si on comprend que ce n’est pas le savoir ». Augustin peut alors conclure en montrant à la fois la distinction et les relations entre ces trois concepts limitrophes : Ainsi donc, comprendre est affaire de raison, croire d’autorité, opiner d’erreur. Mais comprendre ne va jamais sans croire, de même qu’opi‑ ner ; tandis que croire n’est pas toujours comprendre et opiner ne l’est jamais54.

Tout l’intérêt de l’analyse est de mettre en lumière la position intermé‑ diaire de l’acte de croire : si l’on se place à un point de vue épistémo‑ logique, la croyance, en matière historique par exemple, n’a certes pas le statut du savoir purement rationnel, mais elle n’est pas pour autant réductible à l’opinion ; si l’on se place à un point de vue gnoséologique, croire est une composante de toute forme de connaissance, qu’elle soit fondée ou illusoire. Augustin, muni de ces définitions et de ces analyses, revient aux cinq catégories de personnes qu’il a distinguées, afin de déterminer quelle place y tient ou non la croyance et afin d’en examiner la valeur. Nous trouvons en premier la catégorie de ceux qui ont le bonheur de croire à la vérité elle-même (ipsi ueritati credere) et, en second, celle de ceux qui, cherchant avec zèle et amour la vérité, croient à l’autorité (auc­ toritati). Dans ces deux catégories, croire est digne d’éloge (laudabiliter creditur). En ce qui concerne la première des catégories mauvaises, c’està-dire celle de ceux qui se figurent (opinantur) savoir ce qu’ils ne savent pas, il s’agit assurément d’une crédulité mauvaise (uitiosa credulitas). Ceux des deux dernières catégories ne croient rien (nihil credunt) : ni ceux qui cherchent le vrai sans espoir de le trouver, ni ceux qui ont com‑ plètement renoncé à le chercher. Mais pareille attitude n’est possible qu’à l’égard d’une matière d’enseignement car, dans la conduite de la vie, je ne vois vraiment pas comment un homme pourrait ne rien croire (ni­ hil credere). D’ailleurs même ceux qui disent qu’en agissant, ils suivent le probable (probabilia sequi), veulent se donner l’air de ne pouvoir rien savoir, plutôt que de ne pouvoir rien croire (nihil credere). Qui, en effet, ne croit pas ce qu’il approuve ? Ou bien comment ce qu’ils suivent est-il probable, s’il n’est pas approuvé ? (Quis enim quod probat non credit ? 54 Vt. cred. 25 : Quod intellegimus igitur, debemus rationi, quod credimus, auctorita­ ti, quod opinamur, errori. Sed intellegens omnis etiam credit, credit omnis et qui opinatur. Non omnis qui credit intellegit. Nullus qui opinatur intellegit.



DE UTILITATE CREDENDI : SCEPTICISME ET RÉFLEXION SUR LA LÉGITIMITÉ DU CROIRE

Aut quomodo est illud quod sequuntur, si non probatur, probabile ?) Ainsi les adversaires de la vérité peuvent se classer en deux catégories : ceux qui s’en prennent au savoir seulement, non à la foi (fidem), et ceux qui condamnent l’un et l’autre. Mais de ces derniers, s’en rencontre-t-il réel‑ lement dans la vie ? Encore une fois, je l’ignore. Ceci soit dit pour nous faire comprendre que nous pouvons garder la foi (retenta fide) aux choses que nous ne saisissons pas encore (nondum comprehendimus), sans tomber sous le coup de l’accusation de témérité qui touche ceux qui opinent (a temeritate opinantium). En effet ceux qui disent qu’on ne doit rien croire sinon ce que nous savons (nihil esse credendum nisi quod scimus) visent seulement à éviter la dénomination d’opinion (nomen opinationis), ce qui, il faut le reconnaître, est immoral et pitoyable. Mais, s’ils considèrent attentivement la profonde différence qu’il y a entre estimer que l’on sait et croire, en étant ébranlé par une au‑ torité (credat aliqua auctoritate commotus), ce que l’on comprend qu’on ne sait pas, ils se rendront compte que cette dernière attitude échappera au grief d’erreur comme à celui d’inhumanité et d’orgueil55.

Au premier abord, trois catégories de personnes seulement croient, puisqu’il n’y a aucune place faite à la croyance en ceux qui cherchent le vrai en désespérant de le trouver et en ceux qui ne le cherchent pas du tout. Mais, en fait, il n’en est rien, car il n’est guère possible de ne rien croire lorsqu’on agit. C’est ici qu’Augustin reprend, en les transposant, des analyses de Cicéron dans les Academica. Dans l’objection d’Augustin : « dans la conduite de la vie, je ne vois vraiment pas comment un homme pourrait ne rien croire », on recon‑ naît, à peine transposée, l’objection adressée aux Académiciens par les Stoïciens  : «  vous dites que l’activité serait en toute chose impossible au cas où, par refus d’assentir, on n’approuverait rien. Car il faut tout d’abord avoir une représentation dans laquelle l’assentiment est in‑ clus56.  » À l’objection introduite par Augustin, fait suite aussitôt une réponse directement inspirée par la thèse de Carnéade, telle qu’il l’a luimême comprise à partir des indications de Cicéron57 : ils « disent qu’en Ibid. (trad. Pégon modifiée). Luc. 108 : Alterum est quod negatis actionem ullius rei posse in eo esse qui nullam rem adsensu suo conprobet. Primum enim uideri oportet, in quo sit etiam adsensus. 57 Cf. C. Acad. III, 40. Comme l’a montré C. Lévy en confrontant les interpréta­ tions de Carnéade données par Clitomaque et par Métrodore et en analysant les Aca­ demica, la position de Carnéade est plus complexe (cf.  Lévy 1980 et 1992, 266‑276  ; voir aussi Ioppolo 2008). Je m’en tiendrai ici à l’interprétation de Carnéade retenue par Augustin  : autrement dit, à la présentation qu’en donne Clitomaque, qui correspond à l’interprétation privilégiée par Cicéron, même si affleure, çà et là, dans les Academi­ 55 56



Isabelle Bochet

agissant, ils suivent le probable (probabilia sequi) ». Selon Cicéron, en effet, aux dires de Clitomaque, L’affirmation : « le sage suspend son assentiment » a deux sens. Selon le premier, le sage n’assentit absolument à rien. Selon le second, il s’abs‑ tient, quand il donne une réponse d’admettre ou de dénier tel ou tel point : il ne nie donc ni n’affirme quelque réalité. Puisqu’il en est ainsi, il a pour règle de ne jamais donner son assentiment, mais il maintient le second sens : en ne suivant que la probabilité (sequens probabilitatem), en quelque occasion qu’elle se présente à lui ou lui fasse défaut, il peut donc répondre « oui » ou « non ». Comme nous sommes d’avis que celui qui, au sujet de toutes choses, s’abstient d’assentir se meut néan‑ moins et agit, il reste non seulement un genre de représentations qui nous incitent à agir, mais aussi, lorsqu’on nous demande un avis pour ou contre, des réponses que nous pouvons donner en suivant seulement de telles représentations, mais sans assentiment. Ce ne sont pourtant pas toutes les représentations de ce genre qui sont approuvées (adprobari), mais seulement celles auxquelles rien ne fait obstacle58.

Autrement dit, Carnéade reconnaît que l’action exige de «  suivre la probabilité » lorsque « rien ne lui fait obstacle », mais tout en main‑ tenant la suspension de l’assentiment. Ce qu’Augustin interprète en di‑ sant que les Académiciens « veulent se donner l’air de ne pouvoir rien savoir, plutôt que de ne pouvoir rien croire ». Ce faisant, il est conscient de proposer une terminologie étrangère aux Academica. Il justifie donc le glissement de probabilia sequi à credere, en introduisant les maillons manquants du raisonnement : approuver (probat) suppose de croire (cre­ dit) ; n’est « probable » (probabile) que ce que l’on approuve (probatur). Mais quel sens faut-il donner au probabile carnéadien59 selon les Academica  et dans quelle mesure Augustin trahit-il ou non la pensée de Carnéade par cette association de probare à credere ? C. Lévy a bien montré notre difficulté à interpréter de façon juste le terme probabile en raison de la compréhension moderne du probable60. L’ambiguité du terme probare qui « signifie à la fois “démontrer” et “trouver bon”, “ap‑ prouver” » nous éclaire sur la signification complexe de probabile, qui ca, une autre interprétation selon laquelle, aux dires de Carnéade, « il arrive au sage de conjecturer » (Luc. 112 ; cf. Lévy 1992, 272‑273). 58 Luc., 104. 59 Sur l’apport de Cicéron à la thèse de Carnéade, voir Lévy 1992, 284‑290. 60 Cf. Lévy 1992, 276‑277.



DE UTILITATE CREDENDI : SCEPTICISME ET RÉFLEXION SUR LA LÉGITIMITÉ DU CROIRE

allie des facteurs rationnels et subjectifs61. L’exemple donné par Cicéron lui-même peu auparavant confirme cette approche : si le sage s’embarque pour une courte distance, avec un bon pilote et une mer tranquille, il lui « paraît probable qu’il arrivera sain et sauf »62. Comme le note C. Lévy, « ce probabile est certes un sentiment subjectif, mais il exprime dans la conscience du sujet tous les facteurs physiques et humains qui définissent la probabilité objective, statistique »63. Augustin, en affirmant que celui qui suit le probable « veut paraître ne pouvoir rien savoir, plutôt que ne pouvoir rien croire », ne trahit donc vraisemblablement pas la pensée de Carnéade. Il faut noter, de plus, qu’Augustin choisit consciemment le terme pro­ bare et non le terme assentiri – qu’il n’utilise à aucun moment du traité –, et cela sans doute dans le souci de respecter la terminologie cicéronienne. De fait, dans les Academica, si Lucullus associe l’assentiment à l’appro‑ bation, comme s’il s’agissait de termes quasi équivalents pour traduire le grec συγκατάθεσις64, Cicéron lui-même, quand il expose la pensée de Carnéade selon Clitomaque, fait un emploi distinct des deux termes : le sage, explique-t-il, « suit souvent des représentations probables, qui ne sont ni comprises, ni saisies, ni susceptibles d’assentiment (probabilia non comprehensa neque percepta neque adsensa), mais vraisemblables, car s’il ne les approuvait pas (nisi probet), il le paierait de sa vie »65. Si l’as‑ sentiment est à associer à la « représentation compréhensive » au sens que les Stoïciens donnent à cette expression66, l’ap­probation concerne plutôt la « représentation probable et sans empêchement » qui pousse à l’action67. En associant le terme credere à l’expression probabilia sequi, Augus‑ tin introduit implicitement des degrés divers de la croyance : autre est la croyance donnée à la vérité que l’on comprend, autre celle qu’on donne à Ibid. 287 et 285. Cf. Luc. 100 : probabile uideatur se illuc uenturum esse saluum. 63 Lévy 1992, 285. 64 Cf. Luc. 37 : nunc de adsensione atque adprobatione, quam Graeci συγκατάθεσιν uocant, pauca dicemus ; 39 ; il s’agit de néologismes forgés par Cicéron (cf. Lévy 1992, 245‑246). 65 Luc. 99 : Etenim is quoque qui a uobis sapiens inducitur multa sequitur probabilia non conprehensa neque percepta neque adsensa sed similia ueri, quae nisi probet omnis uita tollatur. 66 Cf. Luc. 145. 67 Cf. Luc. 101 : Quaecumque res eum sic attinget ut sit uisum illud probabile neque ulla re impeditum, mouebitur. 61 62



Isabelle Bochet

l’autorité, autre encore celle que l’on donne au probable, autre enfin celle que l’on donne à l’opinion et qui mérite le nom de « crédulité »68. Il en résulte que les Académiciens eux-mêmes sont à ranger parmi « les ad‑ versaires de la vérité […] qui s’en prennent au savoir seulement, non à la foi » ; quant à ceux qui condamnent à la fois la scientia et la fides, on peut douter de leur existence ! Il en résulte une quasi-universalité de la fides, si l’on comprend le terme au sens très large qu’Augustin lui confère ici. Augustin peut alors conclure son analyse en montrant que « la foi donnée aux choses que nous ne saisissons pas encore » échappe à l’accu‑ sation de temeritas, car elle est absolument distincte de la simple « opi‑ nion » : croire quelque chose en se fiant à une autorité, tout en étant conscient qu’on ne le sait pas, est tout autre chose que se figurer que l’on sait. Autrement dit, Augustin maintient un rejet radical de l’opinari, qui relève de la temeritas et qu’il qualifie d’immoral (turpe ac miserrimum) : « l’opinion et la témérité » correspondent précisément, selon Cicéron, à ce que Carnéade a eu le mérite d’arracher de nos âmes, en en arrachant l’assentiment69. Augustin, en revanche, se garde bien de préciser ici sa pensée quant à la suspension de l’assentiment (adsensio) prônée par les Académiciens. Mais il introduit, entre ce qui est « saisi » (comprehen­ dimus) et l’opinion (opinantium), la foi (fides) de celui qui se fie à une autorité, dans la conscience des limites de son propre savoir ; et cela, en tirant parti de la nécessité, reconnue par Carnéade, de « suivre la pro‑ babilité ». L’argumentation par les conséquences Pour persuader Honoratus de l’utilité de croire, Augustin utilise une ar‑ gumentation ex consequentibus qui est familière à Cicéron : il s’agit d’une « preuve fondée sur des conséquences inacceptables »70. Comme le note W. Görler, il ne s’agit pas d’une véritable démonstration par l’absurde, car ce n’est pas une « preuve obtenue par l’impossibilité du contraire », si on admet telle thèse ; la conséquence ultime de la thèse supposée n’est pas strictement impossible : elle est seulement moralement inacceptable et suscite donc chez le lecteur le souhait qu’il n’en soit pas ainsi. Augustin développe les conséquences inacceptables qui advien‑ draient si l’on excluait de croire. Une première occurrence de l’argument apparaît dans le § 23. Augustin, qui vient de montrer par une analyse de La crédulité est un défaut (uitium), mais non la foi (cf. Vt. cred. 22‑23). Cf. Luc. 108. 70 Selon l’expression de Görler (2008, 50), qui en donne de nombreux exemples. 68 69



DE UTILITATE CREDENDI : SCEPTICISME ET RÉFLEXION SUR LA LÉGITIMITÉ DU CROIRE

vocabulaire qu’il y a une grande différence entre credulus et credens71, expose les conséquences inacceptables qui adviendraient si on admet‑ tait que « croire et être crédule sont également des défauts, tout comme s’enivrer et être un ivrogne » : Si l’on tient cela pour certain, on ne peut à mon avis avoir aucun ami. Car s’il est immoral de croire quelque chose, ou bien celui qui croit son ami agit de façon immorale, ou bien je ne vois pas comment celui qui ne croit en rien son ami, peut lui donner ou se donner à soi le nom d’ami72.

L’alternative est ruineuse : soit elle aboutit à l’immoralité de l’amitié, soit elle vide l’amitié de toute substance ; dans l’un et l’autre cas, elle ruine la possibilité de l’amitié. Augustin ne poursuit pas le raisonnement : il va de soi qu’on ne peut admettre pareille conséquence. Il suppose d’ailleurs la réponse suivante de l’interlocuteur  : «  Tu vas sans doute me dire  : “Je t’accorde qu’il faut parfois croire quelque chose ; mais explique-moi comment, en matière de religion, il n’est pas immoral de croire avant de savoir” »73. Autrement dit, il est acquis, à partir de cet exemple, qu’on ne peut exclure absolument de croire, même s’il demeure incertain que la croyance soit légitime en matière de religion. Dans le Laelius, Cicéron souligne, de façon un peu différente, le lien entre la fides et l’amicitia : il part de l’exemple du tyran pour montrer comment en excluant « toute foi », « toute confiance dans une affection durable », on exclut néces‑ sairement toute amitié. Qui pourrait souhaiter une telle vie ? Qui donc, au nom des hommes et des dieux, voudrait être pourvu large‑ ment de toutes les ressources, vivre dans l’abondance de toutes choses, mais à condition de n’aimer personne et de n’être aimé par personne ? Telle est la vie des tyrans ; elle exclut toute foi (fides), toute tendresse, toute confiance (fiducia) dans une affection durable ; tout y est toujours inquiétude et soupçon ; l’amitié n’y trouve aucune place74. Cf. Vt. cred. 22. Vt. cred. 23 : Quid ? Si enim et credere et credulum esse uitiosum est, quemadmo­ dum et ebrium et ebriosum esse ? Quod qui certum existimat, nullum mihi habere posse amicum uidetur. Si enim turpe est aliquid credere, aut turpiter facit, qui amico credit, aut nihil amico credens quomodo amicum uel ipsum uel se appellet, non uideo. 73 Ibid. : Hic fortasse dicas : concedo aliquid aliquando esse credendum. Nunc expedi, quomodo in religione turpe non sit credere antequam scire. 74 Lael. 52 : Nam quis est, pro deorum fidem atque hominum ! qui uelit, ut neque diligat quemquam nec ipse ab ullo diligatur, circumfluere omnibus copiis atque in omnium rerum abundantia uiuere ? Haec enim est tyrannorum uita nimirum, in qua nulla fides, 71 72



Isabelle Bochet

Dans les deux cas, l’exclusion de la fides ne peut qu’aboutir à la suppres‑ sion de toute amitié, ce qu’on ne peut admettre. Augustin développe à nouveau un mode d’argumentation similaire après avoir montré, comme nous l’avons vu, qu’il est possible de croire, sans tomber pour autant sous l’accusation de temeritas75. C’est comme s’il voulait confirmer la conclusion à laquelle il est parvenu, par la néga‑ tive : en faisant apparaître les conséquences désastreuses d’une exclusion de la croyance dans l’existence humaine. De proche en proche, il montre que cela conduirait à la mise en cause de tout lien familial et donc de toute société humaine. De fait, «  si l’on ne doit pas croire ce qu’on ne sait pas », comment les enfants obéiront-ils à leurs parents, s’ils ne peuvent être assurés que ceux-ci sont bien leurs parents ? S’il est évident qu’ils ne peuvent que s’en remettre au témoignage de la mère pour croire qu’un tel est leur père, on ne peut même pas exclure qu’il ait pu y avoir, au moment de la naissance, substitution d’un enfant à un autre, de telle sorte que celle qui se présente comme leur mère ne le soit pas en réalité : là encore on ne peut que s’en remettre au témoignage des sages-femmes ou des nourrices76. Pourtant, remarque Augustin, nous croyons, et sans la moindre hésita‑ tion, tout en reconnaissant que nous ne pouvons pas savoir. Sinon ne voit-on pas que l’amour familial, ce lien sacré de l’humanité, serait pro‑ fané par un orgueil criminel77 ?

Augustin radicalise encore son hypothèse : à supposer même qu’il y ait eu erreur ou tromperie et que le fils rende donc ses devoirs filiaux à ceux qu’il croyait à tort ses parents, comment pourrait-on l’en accuser  ? et comment ne pas juger sévèrement, à l’opposé, «  un fils qui refuserait d’aimer ceux qui sont sans doute ses vrais parents, par crainte d’en ai‑ mer de faux  ?  »78. La fiction permet de montrer à quelles aberrations on aboutit si on récuse la foi au témoignage d’autrui. Augustin peut donc conclure : « L’on trouverait quantité d’exemples montrant qu’ab‑ nulla caritas, nulla stabilis beneuolentiae potest esse fiducia, omnia semper suspecta atque sollicita, nullus locus amicitiae. 75 Cf. Vt. cred. 25. 76 Cf. Vt. cred. 26. 77 Ibid. : Credimus tamen et sine ulla dubitatione credimus, quod sciri non posse confi­ temur. Quis enim non uideat pietatem, nisi ita sit, sanctissimum generis humani uinculum, superbissimo scelere uiolari ? 78 Ibid.



DE UTILITATE CREDENDI : SCEPTICISME ET RÉFLEXION SUR LA LÉGITIMITÉ DU CROIRE

solument aucune société humaine ne saurait subsister sans dommage si nous décidions de ne rien croire que nous ne puissions saisir en toute évidence »79. Cicéron montre, de façon très similaire, comment la mise en cause du lien familial ne peut qu’aboutir à la destruction de la vie en société. Ainsi écrit-il à Atticus, qui lui avait fait part de son affection pour sa petite fille, que sans cet amour naturel que l’on éprouve pour ses enfants, « il n’y aurait pas d’affection entre les hommes ; et sans une telle affection, au‑ cune vie en société ne serait possible »80. Cicéron argumente, à plusieurs reprises et dans des contextes différents, en montrant les conséquences inacceptables pour la société humaine de telle ou telle attitude. Si l’on estime, par exemple, avoir des devoirs à l’égard de ses proches, mais non à l’égard de ses concitoyens, on « rompt toute association civile » ; plus largement, même, ne pas reconnaître ses devoirs à l’égard des étrangers également, « c’est détruire la société du genre humain et, avec elle, sup‑ primer la bienfaisance, la libéralité, la bonté, la justice… »81. C’est encore la même conséquence qu’envisage Cicéron dans le De natura deorum, si l’on pense que « les dieux ne se préoccupent nullement des affaires humaines » : « je ne sais », écrit-il, « si, en faisant disparaître la piété envers les dieux, on ne ferait pas également disparaître la bonne foi, le lien social du genre humain et la vertu par excellence, la justice82. » Ainsi, Augustin, à l’instar de Cicéron, met en garde contre toute af‑ firmation qui aboutirait à dissoudre le lien social : qu’il s’agisse du lien familial, de l’amitié, de la vie en société ou, plus largement, du lien sacré de l’humanité. En soulignant que la fides est essentielle à la vie en société, Augustin reprend encore une thèse cicéronienne, mais il établit un lien, qui n’est guère établi par Cicéron, entre l’approche éthique et l’approche épistémologique de la fides. Pour Augustin, le rôle de la fides au principe de la vie en société doit logiquement conduire à admettre qu’il est légi‑ time de croire quelque chose sur l’autorité de quelqu’un.

79 Ibid. : Multa possunt adferri, quibus ostendatur nihil omnino humanae societatis incolume remanere, si nihil credere statuerimus, quod non possumus tenere perceptum. 80 Att.  VII, 2,  4  : Filiola tua te delectari laetor et probari tibi φυσικὴν esse τὴν πρὸς τὰ τέκνα. Etenim si haec non est, nulla potest homini esse ad hominem naturae adiunctio ; qua sublata uitae societas tollitur. Exemple cité par Görler 2008, 57. 81 Off. III, 28. 82 Nat. deor. I, 3‑4 : haut scio, an pietate aduersus deos sublata fides etiam et societas generis humani et una excellentissuma uirtus iustitia tollatur.



Isabelle Bochet

La place donnée au commouere dans le discernement de l’autorité à suivre S’il est un point sur lequel Augustin, loin de prolonger la pensée de Ci‑ céron, s’oppose directement à lui dans le De utilitate credendi, c’est sur la place à donner au commouere dans le discernement de l’autorité à suivre. Il n’y a, à première vue, aucun moyen donné à l’ignorant pour recon‑ naître le sage auquel se fier : l’aporie est indépassable, semble-t-il, selon Cicéron ; il n’en est pas de même pour Augustin. Cicéron admet certes qu’il peut être « ému », comme tout homme, par un discours sur la beauté morale, mais il refuse de faire de cette émo‑ tion le principe de son acquiescement. Il prend donc Lucullus à partie : Croyez-vous que j’entende ces discours et d’autres, innombrables, sans en être ému ? Je suis aussi ému que toi, Lucullus, ne me crois pas moins homme que toi. La seule différence, c’est que toi, quand tu es profondé‑ ment ébranlé (commotus), tu acquiesces, assentis (adsentiris), approuves (adprobas), tu veux que la chose soit sûre, appréhendée (comprehensum), perçue (perceptum), ratifiée, ferme, définitive, et aucun raisonnement ne peut t’en chasser ni te faire reculer ; moi, au contraire, je pense que rien n’est tel que, si j’ai assenti (adsensus sim), je risque souvent d’assentir (adsentiar) à quelque chose de faux, puisqu’il n’existe aucun critère dis‑ tinguant le vrai du faux, d’autant moins que les jugements de ta fameuse dialectique sont nuls et non avenus83.

Les erreurs des sens et de la dialectique, que Cicéron a précédemment opposées au discours de Lucullus84, conduisent en effet à affirmer que « rien ne peut être saisi » et donc à suspendre son assentiment85, quoi qu’il en soit de la force de l’émotion. Comme l’a remarqué C. Lévy86, la critique académicienne présuppose la mise en doute de la Providence qui garantit pour les Stoïciens la vérité des représentations : l’affirmation de la Providence n’est pour Cicéron qu’une «  conjecture hasardeuse87  » (opinandi temeritatem). Pour Augustin, au contraire, la foi en « la Providence, [qui] préside aux choses humaines », est la condition même de la recherche de la reli‑ Luc. 141. Cf. Luc. 79‑98. 85 Cf. Luc. 78. 86 Cf. Lévy 1992, 218‑223. 87 Cf. Luc. 86‑87 ; à comparer aux affirmations de Lucullus en Luc. 30. 83 84



DE UTILITATE CREDENDI : SCEPTICISME ET RÉFLEXION SUR LA LÉGITIMITÉ DU CROIRE

gion88 : la beauté du monde et la quête de Dieu qui habite l’intime de la conscience humaine suggèrent qu’il doit y avoir aussi des signes donnés par Dieu aux hommes pour leur permettre de reconnaître l’autorité à la‑ quelle se fier. Or les insensés sont dans l’incapacité de reconnaître le sage par la pure raison, faute d’être déjà purifiés. L’attachement des insensés au sensible, qui les empêche d’adhérer à la vérité intelligible, requiert qu’ils soient touchés dans leur sensibilité89. Les deux moyens utilisés par la Providence pour manifester l’autorité à suivre répondent à cette exi‑ gence : les miracles étonnent et frappent les sens ; le grand nombre des croyants et la transformation de leur manière de vivre suscitent l’admi‑ ration. Ainsi « les hommes ébranlés par l’autorité » (commotorum auc­ toritate hominum90) peuvent la suivre et « prendre appui sur elle comme sur un échelon solide pour s’élever vers Dieu »91. Cette présentation confère à la foi à une autorité un statut intermé‑ diaire : elle est le moyen pour être purifié et pouvoir ainsi accéder à la connaissance de la vérité par la raison. La fides correspond de la sorte à la médiation du Christ, « Sagesse de Dieu pure, éternelle, immuable », qui s’est abaissée jusqu’à « assumer la condition humaine »92. Ainsi, comme l’a remarqué J. S. O’Leary93, « l’utilité pédagogique de la foi est doublée d’une nécessité salvifique ». Augustin tire donc parti des argumentations de Cicéron, en les trans‑ formant si nécessaire : le rapprochement qu’il établit entre credere et pro­ babilia sequi lui permet d’affirmer que les Académiciens eux-mêmes ne récusent pas la place de la croyance dans l’existence humaine ; en appli‑ quant l’argumentation ex consequentibus à l’exclusion de toute croyance, il établit la nécessité de la fides pour le lien social. Mais, à la différence de Cicéron dans les Academica, il reconnaît la légitimité du rôle donné 88 Cf. Vt. cred. 34 : Si enim Dei prouidentia non praesidet rebus humanis, nihil est de religione satagendum. 89 Cf. ibid. : In quo genere nihil est populis aptius et omnino stultis hominibus quam id, quod sensibus admouetur. 90 Cf. Vt. cred. 33 : Quem quoniam, ut dictum est, intellegere ratione non facile est, oportebat quaedam miracula ipsis oculis admoueri, quibus utuntur stulti multo quam mente commodius, ut commotorum auctoritate hominum prius uita moresque purgarentur et ita rationi accipiendae habiles fierent. On remarque la récurrence de mouere et de ses composés dans les § 33‑34 ; voir aussi § 20. 91 Cf. Vt. cred. 34 : quo uelut gradu certo innitentes adtollamur in Deum. 92 Cf. Vt. cred. 33 : quid potuit indulgentius et liberalius diuinitus fieri, quam ut ipsa Dei sincera, aeterna, incommutabilisque sapientia, cui nos haerere oportet, suscipere homi­ nem dignaretur ? 93 O’Leary 1982, 48.



Isabelle Bochet

au commouere dans le discernement de l’autorité à suivre en matière de religion.

Conclusion La place donnée par Augustin à sa phase sceptique dans la présentation qu’il fait de son itinéraire à Honoratus n’est donc en rien fortuite. Elle éclaire la méthode adoptée dans le traité : Augustin utilise des arguments empruntés aux Academica afin de conduire son ami à faire table rase de ses préjugés manichéens et à mener une enquête sur la vraie religion exempte de temeritas. Le scepticisme est donc utilisé ici comme méthode pour rejeter les opinions erronées ; mais il est aussitôt dépassé, puisque l’échec de la découverte du vrai est attribué à un problème de méthode : Augustin et Honoratus ont fait fausse route en ne reconnaissant pas le rôle nécessaire de l’auctoritas en matière de religion. En tirant parti du probabilisme de Carnéade et de l’argument ex consequentibus, Augustin montre que les Académiciens eux-mêmes doivent admettre la place né‑ cessaire de la croyance dans l’existence humaine. On peut s’étonner de voir Augustin utiliser à ce point les Academica dans le De utilitate credendi, alors qu’il présente la réfutation du scep‑ ticisme des Académiciens comme un préalable nécessaire à la foi, dans l’Enchiridion. Dans ce traité, en effet, après avoir brièvement présenté la position des Académiciens, il rappelle qu’il a dû écrire trois volumes pour les réfuter après sa conversion, « afin de briser l’obstacle que leur opposi‑ tion lui créait comme sur le seuil »94. Comment croire en effet, tant que l’on est dans le « désespoir de trouver le vrai » (inueniendae desperatio ueritatis) et que l’on estime devoir «  suspendre tout assentiment  »95, afin d’éviter l’erreur ? Augustin souligne ici, ce qu’il ne fait nulle part dans le De utilitate credendi, que la foi est un assentiment (adsensio) : « si l’on supprime l’assentiment, on supprime la foi, puisqu’il n’y a pas de foi sans assentiment (si tollatur assensio fides tollitur, quia sine assensione nihil creditur) ». Cicéron lui-même, dans les Academica, établit ce rap‑ port entre fides et assensio96. Comment expliquer alors qu’Augustin fasse Ench. 20 : ne impedimento nobis essent quae tanquam in ostio contradicebant. Cf. ibid. : Apud illos ergo error omnis putatur esse peccatum, quod uitari non posse contendunt nisi omnis suspendatur assensio. 96 Cf. Lib. Acad. I, 41 (qui présente la position de Zénon) : ad haec quae uisa sunt et quasi accepta sensibus assensionem adiungit animorum, quam esse uult in nobis positam et uoluntariam. Visis non omnibus adiungebat fidem sed is solum quae propriam quandam 94 95



DE UTILITATE CREDENDI : SCEPTICISME ET RÉFLEXION SUR LA LÉGITIMITÉ DU CROIRE

silence sur ce point dans le De utilitate credendi et choisisse, à l’opposé, d’utiliser les arguments des Académiciens présentés par Cicéron ? Si les thèses des Académiciens ont été pour lui un obstacle à la foi, n’est-il pas paradoxal d’utiliser certains de leurs arguments pour persuader Honora‑ tus d’adhérer à la foi catholique ? La Lettre 1 à Hermogenianus, rédigée peu après le Contra Acade­ micos, suggère une première réponse. Elle fait référence à la thèse du dogmatisme ésotérique de la Nouvelle Académie97, qu’Augustin expose déjà à la fin du Contra Academicos : confrontés au succès des doctrines matérialistes professées par les Stoïciens, les Académiciens ont préféré « occulter la vérité »98 et proposer « une méthode adaptée aux circons‑ tances pour extirper des erreurs profondément enracinées »99. Augustin précise également que, dans son ouvrage contre les Académiciens, il les a « imités, plutôt que mis en déroute »100. Ces indications peuvent éclai‑ rer la méthode qu’il adoptée dans le De utilitate credendi : son but était en effet, en premier lieu, d’« extirper les erreurs profondément enraci‑ nées » d’Honoratus, qui était toujours manichéen ; imiter les Acadé‑ miciens était alors pertinent pour susciter, chez son correspondant, une quête de la vérité qu’il pensait à tort avoir trouvée chez les Manichéens. Il s’agissait là d’un préalable indispensable avant de l’inviter à adhérer à la foi catholique. La manière dont Augustin présente son itinéraire dans les Confessions confirme cette hypothèse : sa crise sceptique apparaît en effet à Monique comme « un état d’incertitude et de flottement, par lequel [il] devait passer pour aller de la maladie à la santé, avec un intervalle de danger plus aigu, une sorte d’accès que les médecins appellent critique »101 ; au‑ trement dit, comme un passage nécessaire à traverser pour retrouver la santé. Rien d’étonnant alors à ce qu’Augustin cherche à tirer parti de son propre itinéraire dans le De utilitate credendi pour faire passer Honora‑ tus du manichéisme à la foi catholique : il cherche à susciter en lui « un haberent declarationem earum rerum quae uiderentur. Voir aussi Luc. 128 : Quaeret igi­ tur haec et uester sapiens et hic noster, sed uester ut adsentiatur credat adfirmet, noster ut uereatur temere opinari praeclareque agi secum putet si in eius modi rebus ueri simile quod sit inuenerit. 97 Sur cette thèse, voir Hadot 2010 ; Lévy 1978 et 2005b ; Bermon 2011. 98 Cf.  Ep.  1, 1  : Contra huius modi homines opinor ego illam utiliter excogitatam occultandi ueri artem atque rationem. 99 Ibid. : id, quod eradicandis altissimis erroribus pro tempore accommodatum fuit. 100 Ibid. : Quare potius eos imitatus sum, quantum ualui, quam expugnaui. 101 Conf. VI, 1.



Isabelle Bochet

état d’incertitude et de flottement », afin de le libérer de ses convictions manichéennes et de ses préjugés à l’égard de l’Église catholique. Le scep‑ ticisme des Académiciens est ainsi utilisé comme une propédeutique à la vraie religion. L’influence de Lactance, enfin, a pu inciter Augustin à une telle uti‑ lisation des arguments des Académiciens : le livre III des Institutions di­ vines tire parti des Academica et du De natura deorum pour mettre en évidence l’insuffisance et le caractère conjectural de toutes les doctrines philosophiques ; et cela, afin de montrer que la vérité ne peut venir que de Dieu seul et de « l’unique sagesse véritable et céleste »102 qui est in‑ connue des philosophes. Or Augustin a certainement lu et utilisé les Institutions divines pour rédiger le De uera religione, dont la composi‑ tion précède de peu le De utilitate credendi103. On peut en outre déceler une influence de Lactance dans une phrase comme celle-ci  : «  L’âme demeure dans l’erreur et la déraison jusqu’à ce qu’elle ait atteint et acquis la sagesse, en quoi justement consiste peut-être la vraie religion104 » ; car le but de Lactance dans les Institutions divines est de montrer qu’il n’y a de vraie sagesse que dans la vraie religion. Il ne faudrait pas, toutefois, assimiler la méthode d’Augustin dans le De utilitate credendi à celle de Lactance105. En insistant sur le caractère fictif de sa démarche, Augustin sous-entend qu’il ne partage pas le scepticisme de la Nouvelle Académie, pas plus qu’il ne partage le pessimisme de Lactance sur les capacités de la raison humaine : il ne met pas en cause « la vivacité, la sagacité, la pers‑ picacité de l’esprit humain », mais seulement la justesse de la méthode employée pour chercher la vérité106. Si toutes ces raisons expliquent pourquoi Augustin a pu utiliser le scepticisme de la Nouvelle Académie comme propédeutique à la vraie religion dans le De utilitate credendi, il reste à se demander pourquoi Au‑ gustin a changé d’avis et pourquoi il a jugé nécessaire, par la suite, de ré‑ futer directement le scepticisme : notamment à l’occasion de l’exposé de la foi chrétienne qu’il propose dans l’Enchiridion. On peut penser qu’il a perçu l’équivoque d’une telle utilisation du scepticisme de la Nouvelle Académie : s’il était possible de montrer la nécessité de la croyance en Cf. Diu. inst. III, 15 : in hac unica et uera et caelesti sapientia. Cf. Bochet 2004, 371‑385. 104 Vt. cred. 14, cité supra, n. 39. 105 Augustin et Lactance s’opposent sur la manière de se rapporter aux Academica, comme l’a indiqué Schmitt 1972, 23‑33. 106 Vt. cred. 20. 102 103



DE UTILITATE CREDENDI : SCEPTICISME ET RÉFLEXION SUR LA LÉGITIMITÉ DU CROIRE

tirant parti du probabilisme de Carnéade, il était en revanche impossible d’affirmer la certitude de la foi chrétienne sans réfuter la suspension de l’assentiment prônée par la Nouvelle Académie, à partir du moment où il définissait le credere comme le fait de donner son assentiment dans le De spiritu et littera107.

Cf. Spir. et lit. 54 : Quid est enim credere nisi consentire uerum esse quod dicitur ?

107



ERRORE, ASSENSO E FEDE. LA CRITICA DELLO SCETTICISMO ACCADEMICO NELL’ENCHIRIDION DI AGOSTINO Giovanni Catapano

Scetticismo accademico e cristianesimo secondo Agostino : due luoghi testuali Nelle opere di Agostino, il tema dello scetticismo viene trattato, com’è noto, soltanto in relazione alla posizione degli Accademici1. Agostino sembra non conoscere altre forme di scetticismo filosofico se non quelle riconducibili a pensatori quali Arcesilao, Carneade, Filone di Larissa e il loro portavoce latino, Cicerone2. Sin dal suo primo scritto giunto sino a noi, il dialogo Contra Academicos3, egli riassume il punto di vista accademico in due tesi fondamentali4, di cui la seconda è considerata come conseguenza della prima :

Cfr. ad es. Cary 2007. Egli pare ignorare totalmente sia lo scetticismo pirroniano sia quello neo-pirroniano, dei cui esponenti neppure i nomi compaiono mai nei suoi scritti (il Sextus philosophus menzionato in Retractationes II, 42 è non è l’Empirico ma il Pitagorico). 3 Cfr. Agostino, Contra Academicos II, 11 (ed. Green, CCL 29, 24) : Nam et Academicis placuit nec homini scientiam posse contingere earum dumtaxat rerum, quae ad philosophiam pertinent [=S1], – nam cetera curare se Carneades negabat – et tamen hominem posse esse sapientem sapientisque totum munus […] in conquisitione ueri explicari ; ex quo confici, ut nulli etiam rei sapiens adsentiatur [=S2] ; erret enim necesse est, quod sapienti nefas est, si adsentiatur rebus incertis [=S5]. Et omnia incerta esse [=S6] non dicebant solum uerum etiam copiosissimis rationibus adfirmabant. 4 Per comodità, elenco qui, in versione latina, tutte e sette le tesi nelle quali Agostino, nel Contra Academicos e nell’Enchiridion, articola la Academicorum sententia  : (S1)* = nihil percipi/comprehendi/sciri potest ; (S2) = nulli rei sapiens assentitur / nulli rei est assentiendum / omnis assensio suspendenda est ; (S3) = error omnis est peccatum ; (S4) = error maxima culpa est sapientis ; (S5) = errat quisquis assentitur incertis ; (S6)* = omnia incerta sunt ; (S7) = similitudo ueri et falsi indiscreta est. (S1) e (S6) si equivalgono. 1 2

Giovanni Catapano

(S1) niente può essere conosciuto con certezza (perlomeno in filosofia), e quindi (S2) il sapiente non dà il proprio assenso a nulla.

All’interno del vastissimo catalogo agostiniano, ho presente solamente due luoghi in cui queste tesi siano messe esplicitamente a confronto con la religione cristiana5. Il primo luogo è il libro XIX del De ciuitate dei, dove la posizione della città di Dio (ossia della Chiesa) in merito al fine ultimo dell’uomo è paragonata a quella delle scuole filosofiche antiche classificate secondo i criteri proposti da Varrone nel De philosophia. Nel cap. 186, Agostino asserisce che la ciuitas dei esecra assolutamente come follia (tamquam dementiam) il dubbio neo-accademico secondo cui tutto è incerto (equivalente di S1). Essa possiede, al contrario, una certissima scientia delle cose che si comprendono con la mente e la ragione, benché questa scientia sia limitata (parua) a causa del corpo corruttibile che è di ostacolo alla conoscenza razionale. La città di Dio inoltre dà credito ai sensi corporei, perché chi reputa di non doversi mai fidare di essi sbaglia in maniera ancor più miseranda. Infine, essa crede anche alle Scritture canoniche ; da queste trae origine (concepta est) la fede stessa, grazie alla quale vive l’uomo giusto (secondo il celebre versetto del profeta Abacuc citato nelle epistole paoline). Fatta salva la fede, i cristiani ritengono legittimo invece dubitare di cose che essi non abbiano afferrato né con i

5 Un numero considerevole di studiosi ritiene che già il Contra Academicos avesse come scopo implicito quello di giustificare la legittimità per così dire epistemologica dell’atto di fede cristiano. Cfr.  la letteratura menzionata in Catapano 2006a, 2‑3. In quell’articolo sostengo una tesi diversa, ossia che lo scopo del Contra Academicos fosse giustificare la sensatezza della ricerca filosofica. Sul rapporto tra scetticismo e religione nel Contra Academicos, si veda ora il saggio di Anne-Isabelle Bouton-Touboulic contenuto nel presente volume, supra, p.  171-192. Per un’analisi puntuale dell’opera, cfr. Schlapbach 2003 ; Fuhrer 1997 ; Catapano 2005. 6 Agostino, De ciuitate dei XIX, 18 (ed. Dombart-Kalb, CCL 48, 685‑686) : Quod autem adtinet ad illam differentiam, quam de Academicis nouis Varro adhibuit, quibus incerta sunt omnia [=S6], omnino ciuitas dei talem dubitationem tamquam dementiam detestatur, habens de rebus, quas mente atque ratione comprehendit, etiamsi paruam propter corpus corruptibile, quod adgrauat animam (quoniam, sicut dicit apostolus, ex parte scimus [1 Cor. 13,  9]), tamen certissimam scientiam, creditque sensibus in rei cuiusque euidentia, quibus per corpus animus utitur, quoniam miserabilius fallitur, qui numquam putat eis esse credendum ; credit etiam scripturis sanctis et ueteribus et nouis, quas canonicas appellamus, unde fides ipsa concepta est, ex qua iustus uiuit ; per quam sine dubitatione ambulamus, quamdiu peregrinamur a domino ; qua salua atque certa de quibusdam rebus, quas neque sensu neque ratione percepimus neque nobis per scripturam canonicam claruerunt nec per testes, quibus non credere absurdum est, in nostram notitiam peruenerunt, sine iusta reprehensione dubitamus.



LA CRITICA DELLO SCETTICISMO ACCADEMICO NELL'ENCHIRIDION DI AGOSTINO

sensi né con la ragione, che le Scritture canoniche non abbiano rivelato e che nessun testimone attendibile abbia riferito. Il secondo luogo si trova nel trattato De fide et spe et caritate, meglio noto come Enchiridion, la cui composizione risale agli anni 421‑422 ed è quindi coeva a quella del libro XIX del De ciuitate Dei7. È sul passo contenuto nell’Enchiridion che vorrei soffermarmi, perché in esso il confronto con gli Accademici è meno sbrigativo e mette maggiormente in luce i motivi epistemologici per cui il loro scetticismo, secondo Agostino, è incompatibile con il cristianesimo. Il passo in questione è costituito dal capitolo vii, paragrafo 20 : Nescio sane utrum eiusmodi etiam errores – cum homo de malo homine bene sentit, qualis sit nesciens : aut pro eis quae per sensus corporis capimus occurrunt similia, quae spiritu tanquam corpore uel corpore tanquam spiritu sentiuntur (quale putabat esse apostolus Petrus quando se existimabat uisum uidere, repente de claustris et uinculis per angelum liberatus) ; aut in ipsis rebus corporeis lene putatur esse quod asperum est, aut dulce quod amarum est, aut bene olere quod putidum est, aut tonare cum rheda transit, aut illum esse hominem cum sit alius quando duo simillimi sunt, quod in geminis saepe contigit (unde ait ille : Gratusque parentibus error [Virgilio, Aen. X, 392]) – et cetera talia etiam peccata dicenda sint. Nec quaestio nodosissima, quae homines acutissimos Academicos torsit, nunc mihi enodanda suscepta est, utrum aliquid debeat sapiens approbare, ne incidat in errorem si pro ueris approbauerit falsa, cum omnia, sicut affirmant, uel occulta sint uel incerta [=S6]. Vnde tria confeci uolumina initio conuersionis meae, ne impedimento nobis essent quae tanquam in ostio contradicebant : et utique fuerat remouenda inueniendae desperatio ueritatis quae illorum uidetur argumentationibus roborari. Apud illos ergo error omnis putatur esse peccatum [=S3], quod uitari non posse contendunt nisi omnis suspendatur assensio [=S2]. Errare quippe dicunt eum quisquis assentitur incertis [=S5] : nihilque certi esse in hominum uisis [=S6] propter indiscretam similitudinem falsi [=S7], etiam si quod uidetur forte sit uerum, acutissimis quidem sed impudentissimis conflictibus disputant. Apud nos autem iustus ex fide uiuit [Hab. 2, 4 ; Rm. 1, 17 ; Gal. 3, 11 ; Hbr. 10, 38]. At si tollatur assensio fides tollitur, quia sine assensione nihil creditur. Et sunt uera, quamuis non uideantur, quae nisi credantur, ad uitam beatam quae non nisi aeterna est, non potest perueniri. Cum istis uero utrum loqui debeamus ignoro, qui non solum uicturos in aeternum sed in praesentia se uiuere nesciunt : immo nescire se dicunt, quod nescire non possunt. Neque enim quisquam sinitur nescire se uiuere, quandoquidem si non uiuit non potest aliquid uel nescire : quoniam non solum scire, uerum etiam nescire, Sull’Enchiridion, cfr. la sintesi di TeSelle 2002b.

7



Giovanni Catapano

uiuentis est. Sed uidelicet non assentiendo quod uiuant, cauere sibi uidentur errorem, cum etiam errando conuincantur uiuere : quoniam non potest qui non uiuit errare. Sicut ergo nos uiuere non solum uerum sed etiam certum est, ita uera et certa sunt multa, quibus non assentiri absit ut sapientia potius quam dementia nominanda sit8.

La valutazione morale dell’errore nell’Enchiridion Il passo appena citato si trova all’interno di una sezione dell’Enchiridion dedicata all’errore, che va dal § 17 al § 22. L’atto di errare viene definito da Agostino come « reputare vero ciò che è falso o falso ciò che è vero, o tenere una cosa certa per incerta o una incerta per certa, falsa o vera che sia »9. In quanto tale, l’errore è sempre un male, anche se può essere un male maggiore o minore a seconda della materia più o meno grave su cui ci si sbaglia10 e anche se a volte l’errore può risultare utile, come capitò ad Agostino quando, sbagliando strada a un bivio, evitò un agguato tesogli dai donatisti11. Pur essendo comunque un male, l’errore talvolta può non essere un peccato o, se lo è, lo è in misura estremamente piccola e lieve. Ciò accade quando non ci si allontana dalla via che conduce a Dio e al suo regno, cioè dalla fede in Cristo operante mediante la carità12. Un esempio tratto dalla Scrittura è quello dell’apostolo Pietro, il quale, secondo la narrazione degli Atti degli apostoli (12,9), mentre un angelo lo liberava dal carcere in cui era rinchiuso non credeva reale quello che gli stava succedendo e pensava di avere una visione. Di parere contrario sono gli Accademici, ai quali viene attribuita la tesi (S3) per cui ogni errore è un peccato. Nel Contra Academicos, al qua Agostino, Enchiridion 20 (CCL 46, 60‑61). Agostino, Enchiridion 17 (CCL 46, 57) : cum aliud non sit errare quam uerum putare quod falsum est falsumue quod uerum est, uel certum habere pro incerto incertumue pro certo, siue falsum siue sit uerum. 10 Cfr. Agostino, Enchiridion 19 (CCL 46, 60) : Nam ipse per se ipsum error aut magnum in re magna aut paruum in re parua, tamen semper est malum. Quis enim nisi errans malum neget approbare falsa pro ueris, aut improbare uera pro falsis, aut habere incerta pro certis uel certa pro incertis ? 11 Cfr. Agostino, Enchiridion 17. 12 Cfr. Agostino, Enchiridion 21 (CCL 46, 61) : In quibus autem rebus nihil interest ad capessendum dei regnum utrum credantur an non, uel utrum uera siue sint siue putentur, an falsa, in his errare, id est aliud pro alio putare, non arbitrandum est esse peccatum, aut si est, minimum esse atque leuissimum. Postremo, qualecumque illud et quantumcumque sit, ad illam uiam non pertinet qua imus ad deum, quae uia fides est Christi quae per dilectionem operatur. 8 9



LA CRITICA DELLO SCETTICISMO ACCADEMICO NELL'ENCHIRIDION DI AGOSTINO

le Agostino rinvia in Ench. vii, 20, era stata citata un’affermazione di Cicerone (=S4) secondo cui l’errore rappresenta anzi la maxima culpa per un sapiente13 ; il che equivale a dire che a nulla la sapienza è così contraria e opposta quanto all’errore, e che chi commette errore non è sapiente, visto che il sapiente è per definizione impeccabile. Una prima differenza tra la dottrina cattolica, che Agostino intende esporre nell’Enchiridion, e la posizione degli Accademici concerne dunque la valutazione morale dell’errore : per gli Accademici esso è sempre colpevole e assolutamente incompatibile con la virtù della sapienza, mentre per Agostino, che cerca di interpretare il punto di vista cristiano, ci sono casi in cui l’errore non costituisce una colpa o comunque il commetterlo non reca pregiudizio alle qualità morali della persona14. La legittimità dell’assenso Una divergenza più radicale tra scetticismo accademico e cristianesimo riguarda la legittimità dell’assenso. Per gli Accademici, l’unico modo di evitare il peccato costituito dall’errore è sospendere l’assenso in qualunque caso. Il loro ragionamento, nella ricostruzione di Agostino, poggia su due premesse : (S5) erra chiunque dia il proprio assenso a una cosa incerta ; (S6) ogni cosa è incerta.

Notiamo che (S6) per gli Accademici coincide con (S1), ed essi la giustificano in base alla tesi (S7) per cui vero e falso sono così simili tra loro da non essere nettamente distinguibili. Il Contra Academicos15 collega (S7) alla definizione della rappresentazione catalettica fornita dallo stoico Zenone. Secondo Zenone, poteva essere com-presa solo quella rappre13 Agostino, Contra Academicos I, 7 (ed. Green, CCL 29, 7) = Cicero, Hortensius, fr. 107 Grilli  : Vbi hoc, inquit [Trygetius], Cicero dixit  ? – Et Licentius  : Quis ignorat eum adfirmasse uehementer nihil ab homine percipi posse [=S1] nihilque remanere sapienti nisi diligentissimam inquisitionem ueritatis, propterea quia, si incertis rebus esset assensus, etiamsi fortasse uerae forent, liberari errore non posset [=S5], quae maxima est culpa sapientis [=S4] ? 14 Sulla concezione agostiniana dell’errore, cfr. Keeler 1933 ; Quadri 1934 ; O’Daly 2002. 15 Agostino, Contra Academicos  II, 14 (CCL 29, 26)  : Quod cum Zeno rude ac nouum intulisset contenderetque nihil percipi posse, nisi quod uerum ita esset, ut dissimilibus notis a falso discerneretur, neque opinationem subeundam esse sapienti atque id Arcesilas audiret, negauit huius modi quicquam posse ab homine reperiri [=S7àS1] neque illi opinionis naufragio sapientis committendam esse uitam. Vnde etiam conclusit nulli rei esse adsentiendum [=S2].



Giovanni Catapano

sentazione che presentasse caratteristiche tali da poterla distinguere dal falso. Ma nessuna rappresentazione, obiettava Arcesilao, è in grado di esibire caratteristiche del tutto dissimili da quelle delle rappresentazioni false. Dunque nessuna rappresentazione o apparenza (in latino uisum) può essere indubitabilmente riconosciuta come vera, e quindi com-presa. In altre parole, tutto è incerto (S6) ovvero nulla può essere conosciuto con certezza (S1). Da ciò gli Accademici deducevano la necessità della sospensione dell’assenso, dato che per loro valeva il principio (S5), ossia che erra non solo chi approva una cosa falsa, ma anche chi approva una cosa dubbia, per quanto sia vera16. La tesi della sospensione universale dell’assenso (=S2) pone il sapiens accademico in netta contrapposizione con il suo corrispettivo cristiano, lo iustus. Il giusto, infatti, vive ex fide, ma è proprio la fides a diventare impossibile qualora venga meno l’assenso. Senza assenso, osserva infatti Agostino, non si crede nulla. Come egli dirà nel De praedestinatione sanctorum17, credere non è nient’altro che pensare con assenso. Nel De spiritu et littera18, egli aveva similmente affermato che credere nel contenuto di una proposizione p è dare il proprio consenso (consentire, qui sinonimo di assentiri) al fatto che p è vera. La proibizione accademica dell’assenso implica perciò la proibizione del credere, e quindi del fondamento stesso della religione cristiana. Non c’è da sorprendersi, di conseguenza, se nell’Enchiridion troviamo una condanna senza appello dello scetticismo accademico. Ad Agostino qui preme soprattutto respingere (S2), e per farlo egli prende a bersaglio una delle due premesse da cui (S2) deriva, cioè (S6), che corrisponde alla tesi scettica dell’universale akatalepsía (=S1). Egli intende mostrare che esistono verità di cui invece si può essere certi, e indica ad esempio il fatto stesso di vivere. Persino chi dice di non sapere 16 Agostino, Contra Academicos  III, 32 (CCL 29, 54)  : An de illo errore aliquid quaerimus, quem dicunt penitus euitari, si in nulla rem animum declinet assensio ? ‘Errat enim’, inquiunt, ‘quisquis non solum rem falsam sed etiam dubiam, quamuis uera sit, approbat [=S5]. Nihil autem quod dubium non sit inuenio [=S6]’ ». 17 Agostino, De praedestinatione sanctorum 5 (PL 44, 962‑963)  :  Quis enim non uideat, prius esse cogitare quam credere ? Nullus quippe credit aliquid, nisi prius cogitauerit esse credendum. Quamuis enim raptim, quamuis celerrime credendi uoluntatem quaedam cogitationes anteuolent, moxque illa ita sequatur, ut quasi coniunctissima comitetur ; necesse est tamen ut omnia quae creduntur, praeueniente cogitatione credantur. Quanquam et ipsum credere, nihil aliud est, quam cum assensione cogitare. Non enim omnis qui cogitat, credit  ; cum ideo cogitent plerique, ne credant  : sed cogitat omnis qui credit, et credendo cogitat, et cogitando credit. 18 Agostino, De spiritu et littera 54 (ed. Urba-Zycha, CSEL 60, 211) : Quid est enim credere nisi consentire uerum esse quod dicitur ?



LA CRITICA DELLO SCETTICISMO ACCADEMICO NELL'ENCHIRIDION DI AGOSTINO

se sta vivendo, in realtà può saperlo benissimo, perché anche il non sapere (inteso come non essere certi, e quindi dubitare) è possibile solo a un essere che vive. In questo caso la preoccupazione accademica di evitare l’errore sospendendo l’assenso viene messa in ridicolo, perché il presunto errore che si commetterebbe dando l’assenso al fatto che si è vivi confermerebbe la verità di questo fatto stesso, dato che solo un essere vivente può errare. Possiamo dunque essere assolutamente certi che è vero il fatto che siamo vivi. Agostino termina Ench. vii, 20 affermando che, analogamente, ci sono molte altre cose vere e certe, non dare l’assenso alle quali sarebbe un atto meritevole del nome di dementia anziché di sapientia. Il libro XV del De trinitate (risalente con ogni probabilità allo stesso torno di tempo dell’Enchiridion) aggiunge come esempi il voler essere felici, il non voler errare, il sapere queste cose e il sapere di saperle ; anche lì si rimanda il lettore al Contra Academicos per una confutazione della tesi accademica dell’impossibilità di conoscere con certezza la verità19.

Agostino, De trinitate XV, 21 (ed. Mountain-Glorie, CCL 50/A, 491‑493)  : Intima scientia est qua nos uiuere scimus ubi ne illud quidem Academicus dicere potest : ‘Fortasse dormis et nescis et in somnis uides’. Visa quippe somniantium simillima esse uisis uigilantium quis ignorat ? Sed qui certus est de suae uitae scientia non in ea dicit : ‘Scio me uigilare’, sed : ‘Scio me uiuere’. Siue ergo dormiat siue uigilet, uiuit. Nec in ea scientia per somnia falli potest quia et dormire et in somnis uidere uiuentis est. Nec illud potest Academicus aduersus istam scientiam dicere : ‘Furis fortassis et nescis’, quia sanorum uisis simillima sunt etiam uisa furentium, sed qui furit uiuit. Nec contra Academicos dicit : ‘Scio me non furere’, sed : ‘Scio me uiuere’. Numquam ergo falli nec mentiri potest qui se uiuere dixerit scire. Mille itaque fallacium uisorum genera obiciantur ei qui dicit : ‘Scio me uiuere’. Nihil horum timebit quando et qui fallitur uiuit. Sed si talia sola pertinent ad humanam scientiam, perpauca sunt nisi quia in unoquoque genere ita multiplicantur ut non solum pauca non sint, uerum etiam reperiantur per infinitum numerum tendere. Qui enim dicit : ‘Scio me uiuere’, unum aliquid scire se dicit. Proinde si dicat : ‘Scio me scire me uiuere’, duo sunt. Iam hoc uero quod scit haec duo tertium scire est. Sic potest addere et quartum et quintum et innumerabilia si sufficiat. Sed quia innumerabilem numerum uel comprehendere singula addendo uel dicere innumerabiliter non potest. Hoc ipsum certissime comprehendit ac dicit, et uerum hoc esse et tam innumerabile ut uerbi eius infinitum numerum non possit comprehendere ac dicere. Hoc et in uoluntate certa similiter aduerti potest. Quis est enim cui non impudenter respondeatur, forte falleris, dicenti : ‘Volo beatus esse’ ? Et si dicat : ‘Scio me hoc uelle et hoc me scire scio’, iam his duobus et tertium potest addere quod haec duo sciat ; et quartum quod haec duo scire se sciat, et similiter in infinitum numerum pergere. Item si quispiam dicat : ‘Errare nolo’, nonne siue erret siue non erret, errare tamen eum nolle uerum erit ? Quis est qui huic non impudentissime dicat : ‘Forsitan falleris’, cum profecto ubicumque fallatur, falli se tamen nolle non fallitur. Et si hoc scire se dicat, addit quantum uult rerum numerum cognitarum et numerum esse perspicit infinitum. Qui enim dicit : ‘Nolo me falli et hoc me nolle scio et hoc me scire scio’, iam etsi non commoda elocutione potest hinc infinitum numerum ostendere. Et alia reperiuntur quae aduersus Academicos ualeant qui nihil ab homine sciri posse contendunt. Sed modus adhibendus est praesertim quia opere isto non hoc suscepimus. Sunt inde libri tres nostri primo nostrae conuersionis tempore scripti, 19



Giovanni Catapano

Nell’Enchiridion, dunque, gli Accademici vengono criticati sia per la loro tesi secondo cui ogni errore è un peccato (=S3), sia soprattutto per la loro tesi secondo cui bisogna sospendere sempre l’assenso (=S2). Mentre (S3) in linea di principio è ammissibile per un cristiano, purché si riconosca che vi sono errori che non compromettono la fede, (S2) è al contrario del tutto inaccettabile dal punto di vista del cristianesimo, proprio perché cancella la possibilità di avere fede. Agostino respinge (S2) confutando una delle premesse da cui gli Accademici la derivavano, (S6) ovvero (S1), cioè la tesi per cui tutto è incerto e nulla può essere conosciuto con certezza.

La certezza delle verità di fede e il suo fondamento Ammettiamo ora che la confutazione operata da Agostino sia efficace e, mettendoci su un piano logico, chiediamoci quale risultato abbia ottenuto. Se resta intatta l’altra premessa da cui (S2) deriva, ossia se si mantiene con gli Accademici il principio (S5) secondo cui erra chi dà l’assenso a cose incerte, se ne conclude che non sempre l’assenso dovrà essere sospeso, ma solo di fronte a cose incerte ; dinanzi alle verità che si possono effettivamente conoscere con certezza, invece, esso potrà e anzi dovrà essere dato. Questa era anche la conclusione a cui era pervenuto il Contra Academicos20 : una volta mostrato, perlomeno in maniera probabile, che il sapiente conosce con certezza qualche cosa (se non altro, la sua stessa sapienza), non c’è motivo di negare che egli dia ad essa il proprio assenso. Quindi, stando all’esempio fatto nell’Enchiridion, si potrà e dovrà dare l’assenso al fatto che si vive, e ad altre verità indubitabili come questa. Ma tale risultato basta per giustificare la legittimità della fede nel suo specifico contenuto cristiano  ? Per rispondere affermativamente a tale interrogativo, bisogna assumere che il cristiano dia il suo assenso di fede solo a verità certe. Se infatti desse il suo assenso di fede a cose magari anche vere, però non certe, in base a (S5) commetterebbe un errore. La negazione di (S2) mediante la confutazione soltanto di (S6)/(S1) semquos qui potuerit et uoluerit legere lectosque intellexerit, nihil eum profecto quae ab eis contra perceptionem ueritatis argumenta multa inuenta sunt permouebunt. 20 Agostino, Contra Academicos III, 30 (CCL 29, 53) : Quid autem amplius desiderem, nihil habeo, si iam probabile est nonnihil scire sapientem. Non enim alia causa ueri simile uidebatur eum assensionem sustinere debere, nisi quia erat ueri simile nihil posse conprehendi [=S1]. Quo sublato – percipit enim sapiens uel ipsam, ut iam conceditur, sapientiam – nulla iam causa remanebit, cur non assentiatur sapiens uel ipsi sapientiae.



LA CRITICA DELLO SCETTICISMO ACCADEMICO NELL'ENCHIRIDION DI AGOSTINO

bra dunque impegnare Agostino a sostenere che le verità della fede cristiana sono riconosciute dal cristiano come certe. Nel paragrafo successivo dell’Enchiridion21, Agostino in effetti dichiara che tenere cose incerte per certe appartiene al genere di errori che vanno annoverati tra i mali di questa vita e sono invece estranei alla fede vera e certa (ueram certamque) mediante la quale tendiamo alla beatitudine eterna. La fede, dunque, non tiene-per-certe cose incerte, perché questo sarebbe un errore. Se essa è certa, vuol dire che tiene-per-certe cose che lo sono realmente. Che le verità di fede per Agostino siano certe non vuol dire però che per lui siano evidenti. In Ench. 20 infatti egli afferma che esistono verità necessarie alla salvezza, le quali vanno credute pur non essendo viste : « Ci sono cose vere, per quanto non si vedano (quamuis non uideantur), senza credere nelle quali è impossibile giungere alla vita felice, che non è se non eterna ». Tali verità non potrebbero essere legittimamente credute come certe se fossero incerte, eppure esse non sono evidenti, non vengono « viste » né dagli occhi del corpo né da quello della mente. Pensiamo, ad esempio, alla morte e alla risurrezione di Cristo, o alla risurrezione finale dei morti : eventi non più o non ancora visibili, come Agostino stesso spiega nella lettera 12022. 21 Agostino, Enchiridion 21 (CCL 46, 61‑62)  :  Qui errores, etiam si peccata non sunt, tamen in malis huius uitae deputandi sunt, quae ita subiecta est uanitati ut approbentur hic falsa pro ueris, respuantur uera pro falsis, teneantur incerta pro certis. Quamuis haec ab ea fide absint per quam ueram certamque ad aeternam beatitudinem tendimus, ab ea tamen miseria non absunt in qua adhuc sumus ; nullo modo quippe falleremur in aliquo uel animi uel corporis sensu, si iam uera illa atque perfecta felicitate frueremur. 22 Agostino, Epistula 120, 9 (ed. Daur, CCL 31/B, 149)  : Et uisibilium quidem rerum praeteritarum, quae temporaliter transierunt, sola fides est, quoniam non adhuc uidenda sperantur, sed facta et transacta creduntur, sicut est illud, quod Christus semel pro peccatis nostris mortuus est (1 Pt. 3,18) et resurrexit nec iam morietur et mors ei ultra non dominabitur (Rm. 6,9‑10). Ea uero, quae nondum sunt, sed futura sunt sicut nostrorum spiritalium corporum resurrectio, ita creduntur, ut etiam uidenda sperentur ; sed ostendi modo nullo possunt modo. Nella qu. 48 del De diuersis quaestionibus octoginta tribus, Agostino distingue tre generi di credibilia in relazione all’intellegere, vale a dire al « vedere » con la mente : le cose che sempre si credono e mai si comprendono, come i fatti storici ; le cose che si comprendono non appena si credono, come le verità matematiche ; le cose che prima si credono e poi si comprendono, come le verità teologiche, che richiedono una previa purificazione del cuore. Credibilium tria sunt genera. Alia sunt quae semper creduntur et numquam intelleguntur, sicut est omnis historia temporalia et humana gesta percurrens ; alia quae mox ut creduntur intelleguntur, sicut sunt omnes rationes humanae uel de numeris uel de quibusque disciplinis ; tertium quae primo creduntur et postea intelleguntur, qualia sunt ea quae de diuinis rebus non possunt intellegi nisi ab his qui mundo sunt corde, quod fit praeceptis seruatis, quae de bene uiuendo accipiuntur (Agostino, De diuersis quaestionibus octoginta tribus 48 ; ed. Mutzenbecher, CCL 44/A, 75). In base a questa classificazione agostiniana, possiamo dire che le verità di fede appartengono



Giovanni Catapano

Secondo Agostino esiste dunque una certezza, come quella della fede, che non è basata sull’evidenza. La visione, del resto, per Agostino non è il fondamento della fede, ma ne è il fine : la fede tende per sua natura alla visione23, però si basa su qualcos’altro. E su che cosa, esattamente ? La risposta agostiniana standard a questa domanda, com’è noto, è che la fede si basa sull’autorità24. Chiamiamo p uno stato di cose di cui io non ho l’evidenza. Ebbene, io posso credere p – cioè, secondo la definizione di credere data nel De spiritu et littera25, acconsentire al fatto che p sia vero – basandomi sul fatto che p mi viene detto da una fonte (chiamiamola A) che ha auctoritas in materia, ossia che è talmente attendibile e affidabile che sarebbe irragionevole per me non credere ad essa. Io credo p senza averne l’evidenza perché ho validi motivi per fidarmi di A che mi dice p. Credo p, insomma, perché credo ad A. Nel caso della fede cristiana, A  è rappresentata principalmente (anche se non esclusivamente) dalle Scritture, come abbiamo visto nel De ciuitate dei26. Se le Scritture sono credibili, cioè autorevoli, allora io posso credere ciò che esse dicono, cioè aver fede nella verità del loro contenuto. Lasciamo da parte la questione della credibilità delle Scritture, che Agostino si impegna a sostenere con vari argomenti in diversi scritti, e domandiamoci in che senso, dal punto di vista di Agostino, i contenuti che le Scritture propongono alla fede dei credenti possano essere considerati certi. Si potrebbe infatti pensare che essi siano tutt’al più probabili e degni di essere seguiti nella condotta di vita. Proprio lo scetticismo accademico poteva offrire ad Agostino la nozione di probabile o ueri simile inteso come ciò che permette di fare delle scelte pratiche senza bisogno di dare il proprio assenso a livello teorico, ossia senza supporre che si tratti di una cosa vera e senza ritenere di saperla27. Questa nozione sembrerebbe adatta a salvaguardare la specificità del credere rispetto allo soprattutto al primo e al terzo genere, cioè rientrano tra le cose che sono credute senza essere, o poter essere, viste. 23 Cfr. Agostino, Epistula 120, 8 (ed. Daur, CCL 31/B, 149) : Sic igitur homo fidelis debet credere, quod nondum uidet, ut uisionem et speret et amet. 24 TeSelle 2007, 715 riassume efficacemente la risposta agostiniana in questi termini : « La fede è basata sull’autorità di qualcuno che è in grado di garantire il contenuto di ciò che è detto ». Sulla nozione agostiniana di auctoritas, cfr. il classico studio di Lütcke 1968 e la sintesi di Lütcke 1994. Sui concetti di credere e di fides, cfr. le rispettive voci scritte da Eugene TeSelle per l’Augustinus-Lexikon (TeSelle 2002a e 2002c). 25 Vedi supra la nota 18. 26 Vedi supra la nota 6. 27 Si veda al riguardo Agostino, Contra Academicos II, 26 (CCL 29, 32) : Id probabile uel ueri simile Academici uocant, quod nos ad agendum sine adsensione potest inuita-



LA CRITICA DELLO SCETTICISMO ACCADEMICO NELL'ENCHIRIDION DI AGOSTINO

scire, ed essere conforme alla distinzione tra credere, intellegere e opinari formulata da Agostino nel De utilitate credendi28. In quel trattato, egli aveva definito l’intellegere come il vedere una cosa con la mente grazie a una ragione certa (certa ratione), e aveva posto la differenza tra credere e opinari nel fatto che chi opinatur ritiene di sapere (scire) quel che in realtà non sa, mentre chi crede senza comprendere sa di non sapere quel che crede. Di fronte a un fatto storico del lontano passato (ad esempio il modo in cui si comportò Cicerone durante la congiura di Catilina), del quale è impossibile avere l’evidenza razionale, è corretto l’atteggiamento di chi lo crede in base a un’autorità, avendo la consapevolezza di non saperlo, mentre è erroneo l’atteggiamento di chi si illude di saperlo effettivamente. Il credere, quindi, in questo caso include la consapevolezza di non sapere ; quando tale consapevolezza viene meno e il credere pretende di essere scire, il credere si trasforma in quell’atto sempre erroneo che è l’opinari. Si potrebbe essere tentati di concluderne che l’autentico credente, per evitare che la sua fede degeneri nell’opinari, si astenga dal dare il proprio assenso a ciò che crede e assuma come oggetto del suo credere non il certum ma il probabile. Tale conclusione però confligge con l’affermazione dell’Enchiridion secondo la quale sine assensione nihil creditur. Non è mia intenzione esaminare qui se Agostino abbia o no cambiato idea sulla natura del credere re. Sine adsensione autem dico, ut id quod agimus non opinemur uerum esse aut nos [nos Fuhrer 1997, Catapano 2005 & 2006b ; non Green] id scire arbitremur, agamus tamen. 28 Agostino, De utilitate credendi 25 (ed. Zycha, CSEL 25/1, 31‑32)  : Tria sunt item uelut finitima sibimet in animis hominum distinctione dignissima : intellegere, credere, opinari. Quae si per se ipsa considerentur, primum semper sine uitio est, secundum aliquando cum uitio, tertium numquam sine uitio. Nam intellegere magna et honesta uel etiam diuina, beatissimum est. Intellegere autem superflua, nihil nocet, sed fortasse discere nocuit, cum tempus necessariorum occuparent. Ipsa etiam noxia non intellegere, sed facere aut pati miserum est. Non enim si quis intellegat, quomodo possit inimicus sine suo periculo occidi, intellegentia ipsa, a cupiditate reus est. Quae si absit, quid innocentius dici potest ? Credere autem tunc est culpandum, cum uel de deo indignum aliquid creditur uel de homine facile creditur. In ceteris uero rebus si quis quid credit, si se id nescire intellegat, nulla culpa est. Credo enim sceleratissimos coniuratos uirtute Ciceronis quondam interfectos. Atqui id non solum nescio, sed etiam nullo pacto me scire posse certo scio. Opinari autem duas ob res turpissimum est. Quod et discere non potest, qui sibi iam se scire persuasit, si modo illud disci potest, et per se ipsa temeritas non bene adfecti animi signum est. Nam etiamsi hoc ipsum, quod de Cicerone dixi, scire se quisquam arbitratur, quamquam nihil eum inpediat a discendo, quia res ipsa nulla scientia teneri potest, tamen quod non intellegit multum interesse, utrum aliquid mentis certa ratione uideatur, quod intellegere dicimus, an famae uel litteris credendum posteris utiliter commendetur, profecto errat, neque quisquam error turpitudine caret. Quod intellegimus igitur, debemus rationi, quod credimus, auctoritati, quod opinamur, errori. Sed intellegens omnis etiam credit, credit omnis et qui opinatur. Non omnis qui credit intellegit ; nullus qui opinatur intellegit.



Giovanni Catapano

durante i trent’anni che separano il De utilitate credendi dall’Enchiridion29. Mi limito semplicemente a osservare che qualche cambiamento sembra essere intervenuto successivamente almeno nella terminologia di Agostino, se osserviamo ad esempio la lettera 147 (nota come De uidendo deo), composta verso il 41330. Pur mantenendo ferma la distinzione tra credere e vedere, nel De uidendo deo viene meno l’opposizione tra credere e sapere, nel senso che la scientia viene ora considerata come composta di cose sia viste sia credute, con l’unica differenza che per le cose viste noi stessi siamo i testimoni, mentre per le credute altri sono i testimoni o le testimonianze. Se questi altri testimoni però sono idonei, noi possiamo dire di « sapere » anche quello che crediamo senza veder29 Isabelle Bochet, che cordialmente ringrazio, mi ha fatto notare che è solo con il De spiritu et littera (412) che Agostino inizia ad associare esplicitamente il credere al dare il proprio assenso. L’associazione della fede all’assenso è legata alla tematica antipelagiana del De spiritu et littera, e in particolare al tentativo di Agostino di mostrare che la fede da un lato è in nostro potere, in quanto dipendente dalla volontà (di cui il consenso è opera), dall’altro è un dono di Dio, in quanto la volontà si determina a credere sotto l’effetto di un’azione persuasiva operata da Dio. A un intento analogo risponde il De praedestinatione sanctorum. Il nesso istituito tra fede e assenso ha obbligato Agostino a respingere totalmente lo scetticismo accademico. Nel De utilitate credendi, invece, egli aveva accostato il probabilia sequi degli Accademici al credere, come Bochet ha ben mostrato nel suo intervento pubblicato in questo volume : Quamquam in illis etiam qui se in agendo probabilia sequi dicunt, scire potius nihil posse quam nihil credere uolunt uideri. Quis enim quod probat non credit ? Aut quomodo est illud quod sequuntur, si non probatur, probabile ? (Agostino, De utilitate credendi 25 ; ed. Zycha, CSEL 25/1, 33). Va tuttavia osservato che la riconduzione operata nel De utilitate credendi del probabilia sequi accademico al probare e quindi al credere potrebbe essere interpretata come una critica della nozione di « probabile » inteso come ciò che può stimolare ad agire senza assenso (vedi supra la nota 27) : Agostino potrebbe voler dire che in realtà anche in quest’ambito una qualche forma di approvazione ovvero di assenso è indispensabile, contrariamente a quanto gli Accademici pretendono (probare o adprobare e adsentiri sono sinonimi, almeno nel Contra Academicos, come si può vedere confrontando le rispettive voci nel glossario contenuto in Catapano 2005, 380 e 385). Dal passo sopra citato del De utilitate credendi, comunque, si evince solamente che per Agostino il probare è indisgiungibile dal credere ; resta aperta la questione se possa darsi un credere senza probare. Secondo Fuhrer 1999, 201‑203, Agostino pone implicitamente il credere in relazione all’adsentiri sin dal Contra Academicos, assegnando al credere la funzione del συγκατατίθεσθαι stoico. Sul concetto di credere nei primi scritti agostiniani, cfr. la monografia di Löhrer 1955. 30 Agostino, Epistula 147 (De uidendo deo), 8 (ed. Goldbacher, CSEL 44, 281‑282) : Constat igitur nostra scientia ex uisis rebus et creditis. Sed in his, quae uidimus uel uidemus, nos ipsi testes sumus, in his autem, quae credimus, aliis testibus mouemur ad fidem, cum earum rerum, quas nec uidisse nos recolimus nec uidemus, dantur signa uel in uocibus uel in litteris uel in quibusque documentis, quibus uisis non uisa credantur. Non autem inmerito scire nos dicimus non solum ea, quae uidimus aut uidemus, uerum et illa, quae idoneis ad quamque rem commoti testimoniis uel testibus credimus. Porro si scire non incongruenter dicimur etiam illud, quod certissimum credimus, hinc factum est, ut etiam recte credita, etsi non adsint sensibus nostris, uidere mente dicamur.



LA CRITICA DELLO SCETTICISMO ACCADEMICO NELL'ENCHIRIDION DI AGOSTINO

lo. Quando l’autorità del testimone è solida, ciò che si crede in base ad essa è certo, al punto tale che si può dire di saperlo. Considerazioni simili vengono svolte, in polemica con gli Accademici, anche nel libro XV del De trinitate31. Tutto sembra dipendere, dunque, dalla qualità dell’auctoritas sulla base della quale si crede una cosa pur non vedendola. Affinché il credere non sia erroneo secondo il criterio stabilito da (S5), per cui sbaglia chi dà il proprio assenso a cose incerte, bisogna che l’auctoritas sia indubitabile, ossia che vi sia l’assoluta certezza che quanto essa dice non è falso. Ma quale auctoritas è davvero in grado di soddisfare questo requisito, se non quella divina ? Solo Dio infatti non può né sbagliarsi né mentire. L’auctoritas umana, invece, come Agostino ha affermato sin dal De ordine32, plerumque fallit. Nessuna autorità umana può essere considerata infallibile : per quanto qualcuna abbia dato prova di essere veritiera, è sempre lecito dubitare che anche questa volta essa dica il vero. Pertanto, se credere lo stato-di-cose-non-evidente p implica dare il proprio assenso a p, e se dare il proprio assenso a p non è un errore solo se p non è incerto (=S5), e se p non è incerto solo se è affermato da un’auctoritas A di cui si può essere assolutamente certi, e se si può essere assolutamente certi solo di un’auctoritas divina, ne segue la conclusione che credere p non è un errore se, e solo se, A è divina.

La differenza fra tenere per certo e tenere per vero Nel caso delle verità di fede, la conclusione che abbiamo testé raggiunto sembrerebbe plausibile da un punto di vista cristiano : la certezza di tali verità, e quindi la legittimità del crederle, ha per fondamento il carattere divino dell’autorità che le rivela. Il credere, però, non ha per oggetto solo le verità della fede cristiana e non si basa soltanto sull’autorità di 31 Agostino, De trinitate XV, 21 (ed. Mountain-Glorie, CCL 50/A, 493) : Absit etiam ut scire nos negemus quae testimonio didicimus aliorum  ; alioquin esse nescimus Oceanum ; nescimus esse terras atque urbes quas celeberrima fama commendat ; nescimus fuisse homines et opera eorum quae historica lectione didicimus ; nescimus quae quotidie undecumque nuntiantur et indiciis consonis constantibusque firmantur ; postremo nescimus in quibus locis uel ex quibus hominibus fuerimus exorti, quia haec omnia testimoniis credidimus aliorum. Quod si absurdissimum est dicere, non solum nostrorum uerum etiam et alienorum corporum sensus plurimum addidisse nostrae scientiae confitendum est. 32 Agostino, De ordine II, 27 (ed. Doignon, BA 4/2, 242‑244) : Auctoritas autem partim diuina est, partim humana, sed uera, firma, summa ea est, quae diuina nominatur. […] Humana uero auctoritas plerumque fallit.



Giovanni Catapano

Dio.  Che ne è di quelle autorità umane sulla base delle quali noi crediamo, secondo gli esempi che Agostino stesso fa33, che quell’uomo e quella donna siano i nostri genitori, o che quella persona ci sia realmente amica, o che Cicerone abbia sventato la congiura di Catilina, o che esista la città di Alessandria d’Egitto che non abbiamo mai visitato ? Mi pare francamente difficile ipotizzare che l’autore dell’Enchiridion ritenga che credere cose del genere costituisca di per sé un errore, e che quindi egli condivida la conclusione che abbiamo appena tratto dal ragionamento precedente34. Se invece assumiamo, più verosimilmente, che tale conclusione non rifletta il suo pensiero, allora non ci resta che dedurne che in realtà egli non accetta come universalmente valido il principio accademico (S5), secondo cui è sempre un errore dare il proprio assenso a cose incerte. Perché allora nell’Enchiridion egli non sottopone a critica (S5) ? Il motivo potrebbe essere il fatto che la fede di cui sta parlando in quel luogo non è una fede generica, bensì è quella cristiana, il cui contenuto, essendo basato sull’autorità divina delle Scritture, è per Agostino non solo vero ma anche assolutamente certo. Il credente cristiano, nell’ottica agostiniana, dà il proprio assenso di fede a cose certe in quanto divinamente rivelate, perciò la sua fede non è un caso di assenso dato a cose incerte. Ma se ci si sposta ad esempio nell’ambito più ampio della vita e delle relazioni sociali, risulta chiaro che il principio (S5) non è valido, perché in quell’ambito ci sono molte cose, come l’affetto degli altri, che è legittimo e persino giusto credere pur non avendone la certezza. Questa è la posizione espressa da Agostino non solo nel De utilitate credendi, ma anche nel De fide rerum quae non uidentur35, che probabilmente è poco distante cronologicamente dall’Enchiridion. Un’ultima osservazione è necessaria per cogliere correttamente la prospettiva dell’Enchiridion. Il giusto assenso implicato da una fede come quella che rende possibile l’amicizia, in cui non è possibile essere Cfr.  ad es. Agostino, De utilitate credendi 23‑26  ; Confessiones  VI, 7  ; De fide rerum quae non uidentur 2‑4 ; Sermo 214/A (Dolbeau 1), 4‑5. 34 Vedi ad es. il testo citato infra nella nota 35. 35 Agostino, De fide rerum quae non uidentur, 3‑4 (ed. Van Den Hout, CCL 46, 4) : Certe enim, si rebus non uisis credere non debemus, quandoquidem et nondum certius probatis amicorum cordibus credimus et cum ea malis nostris bona probauerimus, etiam tunc eorum erga nos beneuolentiam credimus potius quam uidemus. Nisi quia tanta fides est, ut non incongruenter quibusdam oculis eius nos iudicemus uidere quod credimus, cum propterea credere debeamus, quia uidere non possumus. Si auferatur haec fides de rebus humanis, quis non attendat, quanta earum perturbatio et quam horrenda confusio subsequatur ? 33



LA CRITICA DELLO SCETTICISMO ACCADEMICO NELL'ENCHIRIDION DI AGOSTINO

assolutamente certi dei sentimenti degli altri, dev’essere inteso per Agostino semplicemente come un tenere per vero, secondo la definizione del De spiritu et littera36, e non anche come un tenere per certo. Tenere per certa una cosa incerta è infatti sempre un errore, anche a giudizio di Agostino. Se dare il proprio assenso a qualche cosa significasse necessariamente tenerla per certa, allora avrebbero ragione gli Accademici a vietare come erroneo in qualunque caso l’assenso dato a cose incerte. Ammettendo come legittimo l’assenso dato a cose incerte in determinati casi, Agostino invece svincola l’assenso dalla certezza, mostrando implicitamente che l’atto di tenere una cosa per vera è distinto, e a volte può essere separato, dall’atto di tenere quella cosa per certa. Io posso tenere p per vero, pur essendo consapevole che p non è certo. Se vi è tale consapevolezza, e se i motivi per tenere p per vero sono fondati, l’atto di credere è libero dall’errore sul piano soggettivo, anche se resta esposto all’errore sul piano oggettivo, qualora p in realtà sia falso. Se invece p è vero, allora nel crederlo non vi è alcun errore da nessun punto di vista, e quindi il principio (S5) va respinto. Coinvolgendo in ultima analisi anche (S5), la critica agostiniana dello scetticismo accademico nell’Enchiridion tocca dunque tutte le tesi in cui tale scetticismo si esprimeva, nessuna esclusa.

Vedi supra la nota 18.

36



SCEPTICISME ET PRESCIENCE DIVINE, DE SAINT AUGUSTIN À JEAN DE SALISBURY Christophe Grellard

La tradition sceptique au Moyen Âge est connue principalement, pour ne pas dire exclusivement, par l’intermédiaire de la critique qu’en fait Augustin1. De la sorte, on retrouve, chez un certain nombre de phi‑ losophes et de théologiens (en particulier franciscains), une démarche similaire à celle d’Augustin, à savoir à la fois une critique du scepticisme académicien, réduit à l’affirmation d’une thèse : rien ne peut être connu avec certitude, et l’usage ponctuel d’arguments sceptiques dans le but d’exhiber les limites de la raison et de faire une place à la foi2. De ce fait, le scepticisme est largement intégré à une perspective de type plus ou moins fidéiste, avec toutes les nuances que suppose le terme. Le scep‑ ticisme n’est presque jamais rapporté à l’irréligion ou à l’incroyance3. Il ne semble y avoir qu’une exception, l’accusation lancée par Bernard de Clairvaux contre Abélard, lequel réduirait, à la manière des Académi‑ ciens, la foi à l’opinion4. Il y a pourtant un texte d’Augustin qui semble établir un lien entre scepticisme et impiété, c’est le chapitre 9 du livre V de la Cité de Dieu, dans lequel Cicéron est accusé d’avoir nié la prescience divine et porté atteinte à la nature même de la divinité. Contre toute at‑ tente, ni le texte d’Augustin, ni les ouvrages de Cicéron incriminés ne semblent avoir été sérieusement considérés au Moyen Âge, de sorte que la réflexion sur la prescience divine se développe dans un cadre différent. 1 Sur la critique augustinienne du scepticisme, voir notamment Catapano 2006, Bermon 2009, Bouton‑Touboulic 2009 ; sur la diffusion du scepticisme au Moyen Âge, voir Grellard 2011a et Grellard 2013a. 2 Voir Porro 1994. 3 Voir la mise en garde générale de C. B. Schmitt, dans Schmitt 1972, 5‑6. 4 Voir Grellard 2012.

Christophe Grellard

Il y a pourtant un philosophe au moins, qui revient sur la question de la prescience dans une perspective sceptique. Il s’agit de Jean de Salisbury (ca. 1120‑1180) qui, sans se référer explicitement ni à Augustin ni à Ci‑ céron, situe sa réflexion dans l’horizon de cette dispute. Par un singulier renversement, il va s’efforcer de concilier une approche sceptique de la prescience tout en maintenant le scepticisme dans le cadre d’une forme de fidéisme. Je commencerai donc par examiner le paratexte que consti‑ tue le texte mentionné de la Cité de Dieu pour la réflexion de Jean de Salisbury, avant d’étudier comment ce dernier cherche à retrouver, à par‑ tir d’éléments disparates, un Cicéron compatible avec son christianisme.

Portrait du sceptique en incroyant : Cicéron et la prescience divine selon Augustin Le livre V de la Cité de Dieu cherche à montrer que l’établissement des royaumes relève de la divine providence. Dans cette perspective, Augus‑ tin commence par rejeter l’idée que le fatum, comme ordre nécessaire des causes (omnium conexio seriesque causarum), pourrait être à l’origine de l’élévation et de la chute des régimes politiques5. Une première sé‑ quence argumentative, qui couvre le huit premiers chapitres, rejette l’idée de fatum, en particulier dans sa version astrologique, en s’ap‑ puyant implicitement sur les arguments de Cicéron dans le De fato et le De diuinatione. Mais au chapitre 9, par une sorte de renversement, Augustin introduit explicitement la figure de Cicéron : celui-ci a nié la science des événements futurs (scientia futurorum) pour préserver la li‑ berté humaine. C’est cette opposition exclusive entre prévision et liberté qu’Augustin veut rejeter6. Augustin ouvre le chap. 9 par une reconstruction générale de la thèse de Cicéron  : ce dernier cherche à réfuter le fatalisme astrologique des Stoïciens, et le moyen de parvenir à cette fin c’est la négation de la di‑ vination entendue comme scientia futurorum. Ce qui est important pour Augustin, ce n’est pas tant la négation de la prédiction réalisée par l’homme, puisqu’il vient lui-même de critiquer l’astrologie, mais l’extension de cette critique à Dieu. Même si Augustin ne le dit pas expli‑ citement, il a sans doute en tête ici les passages du De fato (§13 et 33) où Carnéade nie la connaissance des futurs contingents par Apollon, ainsi Voir Rordorf 1974. Voir Pic 1997.

5 6



Scepticisme et prescience divine, de saint Augustin à Jean de Salisbury

que la réfutation du syllogisme de Chrysippe (dans Diu. II, 104‑105)7. Cette extension se réalise à un double niveau : d’une part la prescience divine elle-même, d’autre part les prophéties envoyées par Dieu. Rappe‑ lons que le terme même de prophetia n’apparaît pas chez Cicéron mais relève du vocabulaire chrétien. Augustin peut donc opposer les connais‑ sances certaines du futur, permises par le vrai Dieu (omnis prophetia luce clarior), aux prédictions des dieux païens, qui ne peuvent aller au-delà d’oracles incertains (quaedam oracula, quae facile possunt refelli). Cicé‑ ron a donc raison de critiquer les astrologues, mais il a tort de généraliser cette critique en excluant la prescience divine, au point finalement que la position des stoïciens est, en un sens, préférable (tolerabilior) à celle de Cicéron. On arrive, en effet, ici, au cœur de l’accusation : la position de Cicéron est une folie des plus manifestes (insania apertissima), qui le rapproche de l’insipiens des Psaumes, qui dit dans son cœur que Dieu n’est pas8. On a sans doute ici l’une des premières occurrences du pa‑ radigme de l’insipiens comme blasphémateur sacrilège, voire comme in‑ croyant. Néanmoins, il reste, pour Augustin, à établir plus précisément le lien entre la folie de Cicéron et celle de l’insipiens. La démonstration procède en deux temps : en premier lieu, Augustin met au jour l’inten‑ tion générale de la démarche cicéronienne ; puis, en second lieu, il expli‑ cite l’argumentation de Cicéron contre la prescience pour en révéler les motifs et les ressorts9. Le point important de l’argumentation augustinienne est la réduc‑ tion de la position de Cicéron à celle de Cotta (présenté explicitement comme un athée : Cotta qui nullam diuinam naturam esse contendit)10. Ne pouvant nier explicitement l’existence d’une nature divine, Cicéron s’est réfugié par prudence derrière une figure littéraire. On a donc une sorte de glissement de Cicéron à l’insipiens et de l’insipiens à Cotta qui révèle comment la négation de la prescience conduit à la négation de la nature divine. Augustin ne cherche pas à justifier son interprétation du De natura deorum. En revanche, il lui faut contourner l’affirmation fi‑ nale de Cicéron au livre III, qui affirme préférer la thèse de Balbus à celle de Cotta. La preuve de la dissimulation de Cicéron, c’est la négation de 7 Sur le problème de la divination chez Cicéron, voir Schofield 1986, Lévy 1992, 589‑622 ; sur la présence de Cicéron chez Augustin, voir l’ouvrage classique de Testard, 1958. 8 Ps,  14, 1. Pour l’analyse du contexte vétéro-testamentaire, voir Caquot 1959. Pour une mise en perspective plus large, Weltecke 2010. 9 Ciu. V, 9 (CCL 47, éd. Dombart-Kalb, 136, 1‑138, 75). 10 Ciu. V, 9, p. 136, 20‑21.



Christophe Grellard

la scientia futurorum qu’il porte en son nom propre dans le De diuinatione11. C’est donc là le nœud du problème. Dans un second temps, Augustin précise, en effet, l’argumentation de Cicéron contre l’idée de prédiction. Cicéron nie la science du futur afin de pouvoir rejeter le destin et sauvegarder la liberté. L’idée sousjacente, c’est que la science du futur n’est possible que s’il y a un ordre causal déterminé (ordo certus) de sorte que l’identification d’une cause permet de déduire de façon infaillible son effet. Comme le montre bien le résumé inspiré par Fat. 40 que propose Augustin, c’est la dimension éthique qui est au centre de la réflexion cicéronienne. Si toute chose est soumise à la fatalité, plus rien n’est en notre pouvoir et l’ordre éthico-po‑ litique est ruiné : Mais si l’ordre des causes est déterminé, par lequel advient tout ce qui advient, toutes les choses qui adviennent, dit-il, adviennent selon le des‑ tin. Mais s’il en est ainsi, rien n’est en notre pouvoir, et il n’y a nul arbitre de la volonté. Or, si nous le concédons, dit-il, toute la vie humaine est subvertie, c’est en vain que l’on établit des lois, c’est en vain que l’on emploie réprimandes, éloges, blâmes et encouragements, et il n’y plus nulle justice pour récompenser les bons et instituer des punitions pour les mauvais. Donc, afin que ces conséquences indignes, absurdes et per‑ nicieuses ne soient pas appliquées aux affaires humaines, il ne veut pas qu’il y ait de prescience des futurs12.

L’animus religiosus doit donc choisir l’un des deux membres d’une alter‑ native exclusive : soit la liberté, soit la prescience. La liberté de la volonté, en effet, introduit de l’indétermination dans l’ordre des causes et une telle indétermination interdit une science au sens propre. De la sorte, la prévision divine peut échouer et les choses se produire autrement que Dieu ne les a prévues : S’il y a un arbitre de la volonté, toutes les choses n’adviennent pas par le destin ; si toutes les choses n’adviennent pas par le destin, il n’y a pas un ordre déterminé de toutes les causes ; s’il n’y a pas un ordre déterminé 11 Par exemple, Diu. II, 101‑109 ; 148‑150. Sur les rapports entre scepticisme et religion chez Cicéron, voir Lévy 1992, 541‑587 ; Brunt 1989, 190‑196 ; Turpin 1983. 12 Ciu. V, 9, p. 137, 41‑50 : Si autem certus est ordo causarum, quo fit omne quod fit, fato, inquit, fiunt omnia quae fiunt. Quod si ita est, nihil est in nostra potestate nullumque est arbitrium uoluntatis ; quod si concedimus, inquit, omnis humana uita subuertitur, frustra leges dantur, frustra obiurgationes laudes, uituperationes exhortationes adhibentur, neque ulla iustitia bonis praemia et malis supplicia constituta sunt. Haec ergo ne consequantur indigna et absurda et perniciosa rebus humanis, non uult esse praescientiam futurorum.



Scepticisme et prescience divine, de saint Augustin à Jean de Salisbury

de toutes les causes, il n’y a pas non plus un ordre déterminé des choses pour la prescience divine, ces choses ne pouvant advenir sans causes an‑ técédentes et efficientes ; si l’ordre des choses pour la prescience divine n’est pas déterminé, toutes les choses n’arrivent pas tel qu’il a prévu qu’elles arriveraient ; mais si toutes les choses n’arrivent pas tel qu’il a été prévu qu’elles arriveraient, il n’y a pas, dit-il, de prescience de tous les futurs pour Dieu13.

Toute l’argumentation cicéronienne tourne donc autour de cet ordo certus causarum, que Cicéron préfère rejeter, reléguant ainsi la prescience divine des faits contingents du côté de la simple opinion. Si Augustin crédite Cicéron dans sa démarche d’un souci du bien commun qui le pousse à faire le choix de la liberté (Ipse itaque ut uir magnus et doctus et uitae humanae plurimum ac peritissime consulens ex his duobus elegit liberum uoluntatis arbitrium), il n’en considère pas moins cette solu‑ tion comme sacrilège et impie (istos sacrilegos ausus atque impios). De fait, nier la prescience divine, c’est refuser l’idée d’un Dieu providentiel, ce qui revient à nier l’existence de Dieu au sens plein du terme. Dieu ne peut être dépourvu de l’infaillibilité et de l’omniscience. En un sens, Augustin semble rabattre implicitement les Académiciens Cotta et Ci‑ céron du côté des Épicuriens qui défendaient l’existence de dieux indif‑ férents14. En refusant la prescience à Dieu, les Sceptiques le dépouillent du moyen de gouverner le monde, et n’agissent donc pas différemment de ces Épicuriens qu’ils accusent pourtant d’athéisme15. Loin de la vision du scepticisme comme préparation au platonisme, et par là comme adjuvant possible à la vraie religion, ce chapitre de la Cité de Dieu présente, à travers Cicéron, le scepticisme comme un adversaire, conscient ou non, de la religion, dans la mesure où il nie la prescience, et par là la providence, divines. Il ne s’agit sans doute pas d’incroyance au sens propre du terme, mais de mécréance, de mauvaise croyance qui se répercute au niveau des pratiques : « Or, on vit mal si l’on n’a pas une croyance correcte à propos de Dieu »16. Néanmoins, il s’agit d’une 13 Ciu. V, 9, p.  138, 68‑75  : Si est uoluntatis arbitrium, non omnia fato fiunt  ; si non omnia fato fiunt, non est omnium certus ordo causarum ; si certus causarum ordo non est, nec rerum certus est ordo praescienti Deo, quae fieri non possunt, nisi praecedentibus et efficientibus causis ; si rerum ordo praescienti Deo certus non est, non omnia sic ueniunt, ut ea uentura praesciuit ; porro si non omnia sic ueniunt, ut ab illo uentura praescita sunt, non est, inquit, in Deo praescientia omnium futurorum. 14 Voir Nat. deor. I, 45 & 51. 15 Nat. deor. I, 85. 16 Ciu. V, 10, p. 141, 50 : Male autem uiuitur, si de Deo non bene creditur.



Christophe Grellard

occurrence indéniable d’un lien putatif entre scepticisme et impiété qui se joue sur une question particulièrement importante pour le dogme chrétien, à savoir celui de la prescience. La critique augustinienne fait en effet clairement ressortir que dans ce nouveau paradigme, la divinité ne peut pas être pensée sans une potestas qui englobe la prescience et la providence. La critique de Cicéron est donc un élément important dans le passage d’une conception païenne à une conception chrétienne de la divinité.

La réception médiévale : Jean de Salisbury et le paratexte augustinien Dans la mesure où c’est principalement par l’intermédiaire d’Augustin que le scepticisme fut connu au Moyen Âge, il faut se demander quelle fut la réception de cette lecture polémique des rapports entre scepticisme et religion. Or, contre toute attente, la récolte (sous réserve d’un inventaire plus systématique) est assez maigre. On ne trouve aucune mention de cette querelle chez les érudits carolingiens, au ixe siècle, comme Loup de Ferrières ou Hadoardus, qui connaissaient à la fois la Cité de Dieu et les trois ouvrages de Cicéron utilisés par Augustin17. Tout se passe comme si la réflexion sur les rapports entre prescience et liberté était saturée par l’élégante solution proposée par Boèce dans la Consolation de Philosophie18. Or, Boèce, s’il connaît indubitablement Cicéron (en particulier le De fato) et Augustin, ne fait aucune allusion à cette querelle, ni à la dimension sceptique de l’attitude qui n’attribuerait à Dieu qu’une opi‑ nion, et non une science, du futur (attitude qui est rapidement refusée comme sacrilège, nefas)19. Si l’on se tourne du côté du commentaire de la Cité de Dieu produit au xive siècle par Nicolas Trevet et Thomas Wa‑ leys, la glose sur le chapitre qui nous intéresse s’avère peu éclairante20. Le commentaire se contente de paraphraser Augustin et d’exposer briève‑ ment le contenu du De natura deorum. Or si Velleius et Balbus sont cor‑ 17 Sur Loup de Ferrières, voir Holtz 1998, Stofferahn 2010 ; sur Hadoardus, Bee‑ son 1948, Bischoff 1961. 18 Voir Marenbon 2005, 21‑54. 19 Boèce, Consol. V, 3, § 6 et 26. 20 Sacre pagine professorum ordinis predicatorum Thomas Valois et Nicolai Triueth in libros beati Augustini de ciuitate dei Commentaria, Mayence, 1473. Sur Nicolas Trevet et Thomas Waleys, voir Smalley 1960, respectivement 58‑65 et 88‑100. Sur ce commentaire de la Cité de Dieu, voir Smalley 1960, 88‑101, Visser 2011, 22‑23.



Scepticisme et prescience divine, de saint Augustin à Jean de Salisbury

rectement identifiés comme étant respectivement Épicurien et Stoïcien, Cotta n’est rattaché à aucune tradition philosophique. Il est simplement indiqué que Velleius et lui nient l’existence de Dieu21. Cet ouvrage ne pouvait donc guère contribuer à la réflexion médiévale sur les rapports entre scepticisme et religion. On trouve, en revanche, un écho du texte augustinien chez Jean de Salisbury au xiie siècle. Or, s’il s’inscrit nettement dans un horizon phi‑ losophique augustinien, Jean de Salisbury se veut aussi un sectateur de Cicéron qu’il prend pour modèle du scepticisme modéré qu’il reven‑ dique. Au demeurant cependant, sa connaissance de Cicéron reste assez limitée : il a connu de façon certaine le De officiis et les Tusculanes, peutêtre une partie du De finibus, mais il n’a probablement connu ni les Academica, ni les trois œuvres qui nous intéressent ici, De natura deorum, De diuinatione, et De fato22. C’est au moyen du matériau disponible à la fois dans les ouvrages qu’il connaissait et dans les résumés critiques d’Augus‑ tin qu’il s’est efforcé de reconstruire une démarche more Academicorum. Un premier état de sa pensée sur la question du statut de la religion chez Cicéron apparaît dans l’Entheticus de dogmate philosophorum, un poème didactique rédigé autour de 1150. Jean de Salisbury s’y montre presque exclusivement tributaire d’Augustin. Décrivant en une trentaine de vers la philosophie de Cicéron, il consacre un tiers de son propos au problème de la nature divine et du fatum : Mais ce doute il a coutume de l’approuver comme un dogme. Or, puisque la nature des dieux l’angoisse, il arrive au point de douter finalement de ce qu’il pense être Dieu, de la façon dont la liberté de l’arbitre peut être en harmonie avec le destin, car si le destin subsiste, celle-ci périt. Il ne sait pas comment le hasard et le destin qui lui est opposé peuvent s’accorder. Pour cela, il avertit les devins de tenir leur langue. Car l’igno‑ rance de la vérité oppresse le genre humain et ne permet pas de voir les vérités dans la clarté du jour. Si ces vérités se montrent par hasard, elles apparaissent obscures dans les nuées, et ne se libèrent pas pleinement de la suspicion du faux. Il croit que Dieu seul sait ce qui arrivera ; mais ce 21 Ibid. (édition non foliotée) : In hoc capitulo is reprobat beatus augustinus opinionem ciceronis qui uolens improbare stoicos ponentes fatum prout fatum est series causarum in tantum errauit ut negaret a deo prescientiam futurorum secundum libro secundo de diuinacione et peius multo errauit quam stoici […] Et idcirco Cicero in libris de natura deorum uolens odium declinare introducit alios de hac materia disputantes et opiniones suas defendentes quarum una fuit deos non esse. Vnde hic sciendum quod in primo libro de natura deorum Cicero inducit duas partes disputantes de natura deorum scilicet Velleio epicratum [sic] reprobantem deos esse, Cottam etiam qui negauit deos. 22 Voir Grellard 2013a et Grellard 2013b.



Christophe Grellard

que celui-ci établit, lui-même ne le sait pas, mais cependant il approuve le fait qu’il existe23.

Ce texte n’atteste aucune connaissance précise de l’œuvre cicéronienne. En revanche, il s’inscrit indubitablement dans le cadre interprétatif fixé par Augustin, tout en cherchant à la modifier à la marge. Se plaçant dans le cadre d’une philosophie du doute, Cicéron en vient à douter de la nature de Dieu (dubitet quid putet esse Deum). Ce doute est suscité par l’incompatibilité du fatum et du libre arbitre. Dans cette perspec‑ tive, la critique de l’astrologie est justifiée, et renvoyée à l’ignorance du vrai qui marque la nature peccamineuse de l’homme, incapable de voir clairement la vérité. Cette idée d’une vision partielle de la vérité (qui est d’ordre divin) est l’un des éléments moteurs du scepticisme de Jean, comme on le verra. L’écart avec le texte d’Augustin intervient après ce rappel, comme si l’ignorance indépassable du vrai pouvait excuser en partie Cicéron24. En premier lieu, et contre toute évidence, Jean soutient que Cicéron ne nie pas la prescience divine (Scire deum solum credit uentura), même si cette prescience reste absolument inaccessible à l’homme. Comme le laisse supposer le verbe statuere, le Cicéron de Jean admet qu’il y a une providence divine, même si cette providence est inconnais‑ sable. En second lieu, et c’est le plus important, Jean rejette l’accusation d’incroyance formulée par Augustin : Cicéron approuve le fait que Dieu existe. On peut voir dans cette formule une interprétation de la fin du De natura deorum : Cicéron, tout en soulignant qu’il n’y a pas d’arguments démonstratifs en faveur de l’existence de Dieu, n’en reconnaît pas moins la probabilité de cette thèse25. Sans être tout à fait christianisé, Cicéron est néanmoins lavé de l’accusation d’impiété et de sacrilège, puisqu’il ne nie pas l’existence de Dieu. Dans ce texte sont ainsi présents de façon inchoative tous les éléments qui vont permettre à Jean de Salisbury de 23 Jean de Salisbury, Entheticus, v. 1218‑1229 (ed. and tr. Van Laarhoven 1987, 185) : Sed tamen hic dubium dogma probare solet. / Transiit huc tandem cum se natura deorum / angeret, ut dubitet, quid putet esse Deum / qualiter arbitrii libertas consona fato / exstet, nam fatumque repugnans / nescit ; ob hoc uates ora tenere monet. / Nam genus humanum premit ignorantia ueri / nec sinit in claro cernere uera die / quae si forte patent, obscura nube uidentur / nec falsi plene suspicione carent. / Scire Deum solum credit uentura ; sed ipsum quid statuat nescit sed tamen esse probat. Sur ce texte, voir Tilliette 1999. 24 Même si Jean de Salisbury n’y fait pas allusion explicitement ici, il y a un débat médiéval récurrent sur la capacité des païens à accéder à la vérité, et par là, à faire leur salut. Voir Capéran 1934, Marenbon, 2015. 25 Cicéron, Nat. deor. III, 95. Néanmoins, il n’est pas certain que Jean ait connu ce texte directement.



Scepticisme et prescience divine, de saint Augustin à Jean de Salisbury

développer une réponse de type sceptique au problème de la prescience dans le cadre culturel chrétien qui forme l’horizon de sa réflexion. Dans le Policraticus, «  publié  » en 1159, Jean de Salisbury se re‑ vendique d’un scepticisme académicien à forte connotation fidéiste26. Le scepticisme que Jean veut promouvoir s’accommode donc d’un en‑ semble d’objets qui sont au-delà de tout doute raisonnable et qui servent de point de départ à l’examen ultérieur des choses. De fait, selon Jean, si toutes les choses étaient également inconnaissables, il n’y aurait aucune recherche possible de la vérité. Or, son scepticisme cicéronien repose sur cette inquisitio ueritatis. Dans l’esprit de Jean, la défense de la certitude des principes de la sensation, de la raison et de la foi, vise à la fois à écarter le scepticisme universel, et à rendre possible un scepticisme local. Jean considère que la première forme de scepticisme a été réfutée aussi bien par Cicéron que par les Pères de l’Église, au premier rang desquels Au‑ gustin. Et c’est dans la perspective qu’ils ont ouverte qu’il prétend s’ins‑ crire. Il faut, ponctuellement, savoir se faire sceptique conformément à une seconde forme de scepticisme : Néanmoins, Cicéron lui-même atteste qu’il a été transformé en l’un de ceux qui doutent de chacune des choses que les sages peuvent mettre en question ; et notre Augustin ne les persécute pas, puisqu’il a fréquem‑ ment utilisé dans ses œuvres la retenue des Académiciens et il rapporte plusieurs sujets ouverts au doute que les autres, disputant avec plus de confiance et de témérité, ne semblent pas mettre en question. En effet, il me semble que nul ne parle de façon plus sûre que celui qui est circons‑ pect envers ses mots au point de ne pouvoir tomber dans la fausseté27.

Se faire sceptique ici signifie accepter un débat contradictoire fondé sur la confrontation d’arguments probables, dans le but de faire ressortir la vérité. Et un tel débat est légitime sur tous les sujets qui ne peuvent être tranchés de façon manifeste par l’autorité des sens, de la raison ou de la foi. Or, le domaine ainsi ouvert au scepticisme est bien plus large que l’on pourrait s’y attendre et inclut un certain nombre de questions théo‑

Voir Grellard 2013b, en particulier, 85‑106. Jean de Salisbury, Policraticus VII, 2 (ed. Webb 1909, vol. 2, p. 98, 9‑17) : Verumtamen ad illos qui de singulis dubitant quae sapienti faciunt quaestionem, Cicero seipso teste transiuit ; nec eos noster Augustinus persequitur, cum et ipse in operibus suis Achademico temperamento utatur frequentius et sub ambiguitate proponat multa quae alii confidentius nec magis temerarie disputanti non uiderentur habere quaestionem. Michi tamen non uidetur quisquam eo loqui securius qui ita circumspectus est in uerbo ne prolabi possit ad falsa. 26 27



Christophe Grellard

logiques. Jean propose en effet un catalogue de questions susceptibles d’être mises en doute : Mais il y a des sujets de doute à propos desquels le sage n’est persuadé par l’autorité ni de la foi, ni des sens, ni des preuves rationnelles et qui du point de vue opposé sont appuyés par des preuves fermes. Parmi ces questions se trouvent celles qui portent sur la providence, la substance, la quantité, la force, l’efficacité et l’origine de l’âme, à propos du destin et des inclinations naturelles, du hasard et de la volonté libre28.

On le voit, donc, la question de la providence, ainsi que celles du hasard et du libre arbitre sont des questions qui relèvent de l’enquête sceptique. Cela signifie qu’elles ne peuvent être tranchées ni par la raison, ni par la foi, et qu’elles peuvent faire l’objet d’un examen in utramque partem qui débouchera éventuellement sur une solution probable. C’est précisément à ce type d’enquête qu’est soumis le problème de la prescience aux chapitres 20 à 22 du livre II du Policraticus. Ce livre II est principalement une critique de l’astrologie divinatoire qui était lar‑ gement pratiquée dans les cours princières du xiie siècle29. C’est dans ce cadre que Jean est amené à examiner l’opposition entre libre-arbitre et prescience divine. Le point de départ de son analyse, au chapitre 20, est la critique des astrologues qui imposent la fatalité parce qu’ils craignent de devoir supprimer les dispositions divines s’ils ne garantissent pas la nécessité des événements. Contre les astrologues, Jean souligne l’orgueil qu’il y a à vouloir s’approprier la science des futurs que Dieu a réservée à sa puissance, et le danger éthique que représente l’idée de fatalité qui conduit à la desperatio. Ce balancement des thèses opposées le conduit à reprendre la position classique développée par Boèce au cinquième livre de la Consolation de Philosophie pour soutenir que la science divine (pas plus que la science humaine) ne modifie la nature des choses30. Ce n’est donc pas la prescience qui rend l’événement nécessaire. Néanmoins, à la fin du chapitre, pour préserver l’imputabilité des actions à l’homme, Jean de Salisbury, Policraticus VII, 2 (ed. Webb 1909, vol. 2, p. 98, 17‑23) : Sunt autem dubitabilia sapienti quae nec fidei nec sensus aut rationis manifestae persuadet auctoritas et quae suis in utramque partem nituntur firmamentis. Talia quidem sunt quae quaeruntur de prouidentia, de substantia quantitate uiribus efficacia et origine animae, de fato et facilitate naturae, casu et libero arbitrio. 29 Boudet 2006, 163‑174. 30 Policraticus II, 20 (éd. K. S. B. Keats-Rohan 1993, p. 118, 20‑21) : Verum sicut series rerum Dei prouidentiam non immutat, sic et aeterna dispositio rerum naturam non perimit. Marenbon 2005, 28‑37. 28



Scepticisme et prescience divine, de saint Augustin à Jean de Salisbury

Jean se sent obligé d’introduire de façon explicite une thèse qui permette de ménager un espace à la liberté humaine, à savoir qu’il y a des possibles non réalisés : Autrement aucune injustice ne condamnera l’homme, puisque la faute sera renvoyée non à lui mais à son créateur. C’est pourquoi il y a des pos‑ sibles qui ne seront jamais futurs, mais si pour la raison qu’ils n’advien‑ dront pas, ils ne le pouvaient, on ne les appellerait jamais des possibles31.

C’est cette thèse qui relance l’analyse au chapitre 21 puisque s’il y a des possibles non réalisés, cela signifie ou bien que Dieu peut savoir ce qu’il ne sait pas, ce qui remet en cause l’immutabilité divine, ou bien que quelque chose peut advenir alors que Dieu l’ignore, ce qui remet en cause son omniscience, et par là sa faculté de prescience : Si en effet les choses qui ne sont pas ni ne seront peuvent être, assuré‑ ment ou bien Dieu peut savoir ce qu’il ne sait pas, ou bien quelque chose peut advenir alors qu’il l’ignore32.

Si Dieu peut savoir ce qu’il ne sait pas encore, il ne sait pas quel possible sera réalisé, mais une fois ce possible réalisé, il le saura et sa science aura augmenté. La première partie de l’argumentation contre cette thèse re‑ jette l’idée de mutabilité en Dieu : la science immuable ne peut ni croître ni décroître. Il faut donc rejeter l’idée de variabilité en Dieu sous peine de remettre en cause son existence. La preuve a fortiori proposée ici s’ap‑ puie sur la prescience que les païens reconnaissent à leurs dieux, et qui ne peut donc pas échapper au Dieu véritable : Car si nous admettons que cette science est variable, malgré l’objection de Jacques (1, 17), il y a en lui de la variation et l’ombre de la vicissi‑ tude, et le Père de lumière cesse d’exister si lui échappe ce qu’il a connu à l’avance. Cette erreur assurément n’a pas été jugée digne d’être admise par les païens à propos non pas de leurs dieux mais de leurs démons, eux qui niaient que la rivière Styx pût être traversée par les dieux, disant qu’elle devait être vénérée par tous et qu’il était tout à fait illicite qu’elle 31 Policraticus II, 20, p. 119, 45‑49 : Alioquin hominem nulla iniustitia condemnabit, cum culpa non in eum sed in ipsius retorqueatur auctorem. Possibilis itaque sunt quae numquam futura sunt, quae si quia non erunt euenire non possent, nequaquam possibilia dicerentur. 32 Policraticus II, 21, p. 120, 7‑9 : Si enim quae non sunt nec erunt esse possunt, profecto aut Deus potest scire quod non scit, aut eo ignorante potest aliquid euenire.



Christophe Grellard

soit traversée par les êtres célestes. En effet, l’oubli ne peut pas échoir aux esprits des êtres célestes33.

Jean peut ainsi conclure qu’il y a une thèse probable sur laquelle tout le monde s’accorde (mais qu’il remettra en cause par la suite), c’est que, de deux contradictoires, Dieu sait lequel adviendra et lequel n’adviendra pas. Ceci concédé, la plupart des savants refusent l’idée que le savoir di‑ vin soit ouvert à la possibilité (Dieu peut savoir ou ne pas savoir ce qui arrivera) de peur d’introduire mutabilité et impuissance en lui. Dans une deuxième partie de son argumentation, Jean examine donc la thèse op‑ posée soutenue également par plusieurs savants. Un argument permet de sauver l’immutabilité divine en soutenant à la fois que le point de départ du cours de la nature est préfixé de façon éternelle et que la possibilité qu’une chose advienne ne dépend pas de Dieu, mais de la facilitas rerum, la contingence des choses qui sont en mouvement : Mais suppose que Dieu, puisque plusieurs l’admettent, puisse savoir ce qu’il ne sait pas, ce n’est pas pour cette raison que l’on peut persuader qu’il est muable, lui dont la science ne croît ni ne décroît, puisque cela seul peut être vrai dans la nature des choses qu’il a préfixé au commen‑ cement par le décret de sa stabilité. […] Cette possibilité d’advenir n’est pas attribuée de façon convenable à la fragilité de celui qui n’est pas mû, mais à l’inconstance des choses qui peuvent être mues lorsque leur na‑ ture ne s’y oppose pas34.

Réinvestissant les solutions de Boèce et Abélard, Jean de Salisbury pro‑ pose de déconnecter la science divine immuable de ses objets de connais‑ sance qui sont muables35. Mais la solution proposée par Jean n’explique ni comment une science immuable peut porter sur le muable, ni com‑ 33 Policraticus II, 21, p. 120, 19‑25 : Quod si eam uariabilem esse recipimus, Iacobo reclamante, iam apud eum est uariatio et uicissitudinis obumbratio, et pater luminum esse desistit si elabitur quod praenouit. Hoc equidem nec gentilium error circa sua non tam numina quam daemonia dignabatur admittere, qui Stigiam paludem diis peruiam esse negabant, dicentes eam omnibus uenerandam et usquequaque illicitam a caelestibus praeteriri. 34 Policraticus II, 21, p. 120, 30‑121, 41 : Sed esto ut Deus, quoniam hoc plerique recipiunt, possit, dum tamen, si fieri potest, positione aut coniunctione non pecces, scire quod non scit, non ob hoc eum esse mutabilem quis conuincit cuius scientiae non decedit aliquid uel accedit, cum illud solum in rerum natura uerum esse contingat quod ille ab initio stabilitatis suae puncto praefixit. Haec ipsa quoque possibilitas eueniendi non leuitati ipsius qui non mouetur, sed rerum facilitati quae natura non indignante moueri possunt, conuenienter ascribitur. 35 Sur Boèce et Abélard, voir Marenbon 2005, respectivement, 32‑33 et 71‑76.



Scepticisme et prescience divine, de saint Augustin à Jean de Salisbury

ment la providence peut être compatible avec la contingence. Jean sou‑ met donc à nouveau à l’examen la thèse probable à laquelle il est parve‑ nu : la raison divine crée un monde transitoire régi par la providence. C’est l’occasion de revenir sur la question du fatum et d’opposer les po‑ sitions des Stoïciens et des Épicuriens. Les premiers soumettent toutes choses à la nécessité pour préserver l’immutabilité de la science divine, tandis que les seconds rejettent toute disposition providentielle, mais leur erreur est symétrique, puisqu’ils soumettent toutes choses soit à la nécessité, soit au hasard36. Jean propose donc une voie moyenne. Il y a bien une disposition immuable des choses muables, mais dans la mesure où la providence est dans un état d’éternité immuable, elle délie toutes les choses muables des liens de la nécessité : La disposition des choses muables est donc immuable, et l’état im‑ muable de la providence éternelle contient le cours de toutes les choses muables. Mais alors qu’elle-même ne peut pas quitter son état d’éternité, elle délivre la série des choses contingentes de tout lien de nécessité37.

Jean précise un peu plus loin ce qu’il entend par là : la nécessité ne se situe pas au niveau du conséquent, mais de la conséquence (l’inférence prise comme un tout), ce qui est une reprise manifeste de l’idée boé‑ cienne d’une nécessité conditionnée : les choses sont contingentes par elles-mêmes, mais nécessaires au regard providentiel de Dieu qui a dis‑ posé les lois de la nature. Jean est-il tiré d’affaire, et est-il parvenu à faire tenir ensemble mu‑ tabilité du créé et immutabilité de la science divine ? Rien n’est moins sûr, et la discussion repart au chapitre 22 à partir de la double thèse des possibles non réalisés et de la contingence du monde. Si quelque chose que Dieu a prévue doit ne pas advenir, il faut en conclure que sa dispo‑ sition se trompe. Si des deux membres possibles d’une contradictoire, Dieu ne peut pas prévoir celui qui arrivera, alors sa science n’est qu’une opinion susceptible de se tromper, ce que la foi refuse. Si, en revanche, il détermine l’avènement nécessaire de l’un des possibles, l’autre possible 36 Policraticus II, 21, p. 124, 126‑131 : Vnde Stoicus omnia necessaria credit, timens euacuari posse scientiam immutabilem. Et contra Epicurus eorum quae eueniunt nichil prouidentiae ratione dispositum, ne forte necessitatem mutabilibus rebus inducat, opinatur. Pari ergo errore desipiunt, cum alter casui, alter necessitati uniuersa subiciat. 37 Policraticus, II, 21, p. 124, 131‑135 : Mutabilium igitur rerum dispositio immutabilis est, et aeternae prouidentiae immutabilis status omnium mutabilium continet cursum. Cum uero ipsa ab aeternitatis suae statu moueri non possit, contingentium seriem ab omni nexu necessitatis absoluit.



Christophe Grellard

était impossible et il faut admettre que du possible suit l’impossible, ce que la logique refuse38. Face à cet embarras qui oppose la foi et la raison, Jean commence par plaider en faveur du premier membre de l’alterna‑ tive en soutenant d’abord qu’il faut préférer l’irrationalité à la perfidie, et ensuite en soulignant qu’il n’y a pas consensus des sages pour refuser que du possible suit l’impossible. A  cette occasion, Jean convoque les Académiciens et la théorie du probable pour soumettre cette affirmation à l’examen critique et au doute : S’il n’y a pas d’autre méthode évidente, je préfère douter de chaque chose avec les Académiciens que, par une pernicieuse imitation de la science, poser à la légère des limites à ce qui est inconnu ou caché, sur‑ tout quand le monde presque tout entier s’opposera à mon assertion39.

Il n’y a pas de consensus entre les sages sur la liste des inférences valides. Il faut donc rejeter cette partie de l’alternative et adhérer à la foi en sou‑ tenant que Dieu ne se trompe pas. Une fois ceci rappelé, Jean cherche à défendre en même temps que Dieu ne peut pas se tromper et qu’une chose prévue peut ne pas arriver. S’inspirant probablement de la dis‑ tinction boècienne entre prouidentia (la providence hors du temps) et praeuidentia (la prévoyance), Jean estime que des praeuisa peuvent ne pas arriver et que certaines choses peuvent ne pas être praeuisa : Par cette méthode, je sors de tes pièges en disant que la providence ne peut pas se tromper, mais que la chose qui a été prévue peut ne pas ar‑ river. Mais je sais ce que tu as l’habitude d’inférer. Il est donc possible qu’elle ne soit pas prévue. Jusqu’où iras-tu ? Donc, dis-tu, malgré l’ob‑ jection de Philosophie, il est possible que ne soit pas ce qui est et que n’ait pas été ce qui a été, et celles qui sont déjà passées peuvent être révo‑ quées de sorte qu’elles ne furent pas. Assurément, je ne contrains pas la puissance infinie de Dieu par les lois de ma petite raison et de ma petite science, ni ne lui impose une limite qu’il n’a pas40. 38 Policraticus, II, 22, p. 125, 4‑126, 10 : Instas tamen dicens, nisi euenerit aliquid quod praeuidit, illud certa significatione complectens forte lapidem recasuram in terram fallitur dispositio. Quia ergo lapis non recidere potest, iubes me de duobus eligere quorum neutrum communiter approbatur, ut uel fatear prouidentiam posse falli, quod fides abhorret, uel, quod absonum est, ex possibili impossibile consecutione uera consentiam euenire. 39 Policraticus II, 22, p. 126, 28‑31 : Malo cum Academicis, si tamen alia uia non pateat, de singulis dubitare quam perniciosa simulatione scientiae quod ignotum uel absconditum est temere diffinire, praesertim in quo assertioni meae fere totus aduersabitur mundus. 40 Policraticus II, 22, p. 127, 45‑53 : Hac ergo uia tendiculas tuas egredior ut dicam prouidentiam falli non posse, rem tamen quae praeuisa est posse non euenire. Sed quid in-



Scepticisme et prescience divine, de saint Augustin à Jean de Salisbury

Il est donc possible, sans que la providence se trompe, qu’une chose ad‑ vienne autrement qu’elle n’était prévue, de sorte que l’on sauvegarde à la fois la logique et la foi. Malheureusement, cette position suppose l’ac‑ ceptation d’une thèse forte, à savoir la révocabilité du passé. Ainsi, en allant le plus loin possible dans la défense de l’idée qu’il y a des possibles non réalisés et que le monde contingent échappe en partie à la néces‑ sité des dispositions divines, Jean retrouve, indirectement et peut-être involontairement, la thèse que Cicéron attribue à Carnéade dans le De fato, selon laquelle les dieux n’ont pas de connaissance des événements futurs volontaires (ou contingents) mais uniquement de ceux qui sont nécessaires41. Jean n’accepte pas explicitement la thèse de la révocabilité du passé, puisqu’il préfère en appeler à l’incompréhensibilité divine. Quoiqu’il en soit, il est parvenu à la thèse probable que du point de vue de l’éterni‑ té divine, la providence est infaillible, mais du point de vue de la tem‑ poralité humaine, la prévoyance divine peut être limitée par la liberté humaine. Il semble ainsi reprendre à son compte la thèse attribuée par Augustin à Cicéron. Cette thèse, Jean s’efforce de montrer qu’elle n’est pas incompatible avec la foi (ce qui est une condition nécessaire de sa vraisemblance). Certains textes scripturaires attestent que ce que Dieu a prévu peut ne pas arriver et ce qu’il n’a pas prévu peut arriver, quoique rien de ce qui arrive n’échappe au regard de la providence. En effet, Dieu laisse le choix, de sorte que son jugement n’est pas définitif : Quoi d’étonnant donc, si celui qui peut tout, peut aussi ne pas avoir prévu ce qu’il prévoit, puisque il est manifeste à la foi que les choses qui ont été prévues peuvent ne pas arriver, et celles qui n’ont pas été prévues peuvent arriver, même si elle ne peuvent pas arriver hors du regard de la providence. En effet, Isaïe (1, 19, 20) : si vous voulez m’écouter et suivre mes préceptes, vous mangerez les biens de la terre, mais si vous ne le voulez pas et si vous provoquez ma colère, l’épée vous dévorera car c’est la bouche du Seigneur qui a parlé. En disant d’un côté « si voulez » et de l’autre « si vous ne voulez pas », il promet une peine ou une récom‑

ferre consueueris scio. Ergo possibile est eam non esse praeuisam. Quo ultra progrederis  ? Ergo, inquis reclamante philosophia, et quod est non esse et quod fuit possibile est non fuisse, et quae iam praeterierunt reuocari possunt ne fuerint. Equidem infinitam potentiam Dei scientiolae et ratiunculae meae legibus non coarto, nec ei finem quem non habet impono. Sur la distinction boècienne, voir Consol. V 6, 16‑17. 41 Cicéron, Fat. 31‑33. Rappelons que Jean de Salisbury n’a probablement pas connu ce texte de Cicéron.



Christophe Grellard

pense non en raison d’un jugement irrétractable du destin ou de Dieu, mais en raison du mérite de chacun42.

Jean va donc réaffirmer sa thèse : la contingence échappe à la prévision divine, de sorte que la providence peut ne pas avoir prévu un événement. Plus précisément, Jean soutient deux thèses : en premier lieu, cum multis, il soutient que si quelque chose est prévu par la providence de Dieu, cela arrivera, et si cela n’arrive pas, alors cela n’a pas été prévu par la provi‑ dence ; en second lieu, probabiliter, il soutient aussi une thèse qui n’est pas incompatible avec la première : si une chose peut ne pas arriver (si elle est contingente), alors elle peut ne pas avoir été prévue. C’est cette thèse probable que Jean place sous le patronage de la méthode académi‑ cienne : Ainsi, peut-être, quand l’effet de la providence n’est pas réalisé, ce qui est futur peut ne pas se produire et peut aussi ne pas avoir été prévu. Cependant, comme on l’a dit, je ne diminue pas, par l’audace de mon enquête, l’omnipotence divine, ni ne prescrit quelque mesure à son immensité. Mais je pense, avec beaucoup d’autres, que si Dieu a prévu quelque chose, cela arrivera, et si cela n’arrive pas, il ne l’a pas prévu. De là, on peut du moins conclure avec probabilité que si quelque chose peut ne pas arriver, cela peut aussi ne pas avoir été objet de prévoyance. En effet, ce qui suit de là de façon véridique, la Vérité même le sait, et la raison première évalue pleinement et parfaitement la connexion des arguments. Cependant, l’Académie ancienne concède au genre humain la permission de défendre à bon droit tout ce qui lui semble probable43.

42 Policraticus II, 22, p. 131, 164‑174 : Quid ergo mirum si ille qui omnia potest, et quae praeuidit, non praeuidisse potest, cum constet fidei quod ea quae praeuisa sunt non euenire possunt et quae non praeuisa sunt euenire, nec tamen citra conspectum prouidentiae ualeant euenire ? Ait enim Ysaias : Si uolueritis ambulare in praeceptis meis et audieritis me, bona terra comedetis. Quod si nolueritis et me ad iracundiam concitaueritis, gladius deuorabit uos ; quia os Domini locutum est. Ecce quia liberum hic seruatur arbitrium, dum « si uolueritis » et « si nolueritis » dicens in utramque partem, non ex iudicio irretractabili fatoue Dei sed ex merito singulorum omnibus poenam uel praemium repromittit. 43 Policraticus II, 22, p. 133, 229‑134, 239 : Sic forte, dum prouidentiae non impletur effectus, quod futurum est et non euenire potest, potest etiam non fuisse praeuisum. Non tamen, ut praedictum est, inuestigationis audacia omnipotentiam minuo aut immensitati eius quamcumque praescribo mensuram. Hoc autem cum multis sentio quia, si quid Deus prouidit (ms. S., praeuidit éd.), eueniet, et si non euenerit, non prouidit. Vnde probabiliter ad minus colligitur quia, si potest non euenire, potest etiam non fuisse praeuisum. Quid enim ex quo ueraciter consequatur, ipsa ueritas nouit, iuncturam que rationum plene et perfecte primitiua ratio pensat. Hanc autem humano generi indulget Academia antiqua licentiam ut, quicquid unicuique probabile occurrit, suo iure defendat. Je suis la leçon du



Scepticisme et prescience divine, de saint Augustin à Jean de Salisbury

Jean s’efforce donc de défendre jusqu’au bout l’idée que la liberté hu‑ maine est possible parce qu’il y a des possibles non réalisés qui rendent faillible toute prévoyance, sans que cela ne remette en cause la provi‑ dence divine. Le dernier mot de Jean sur la providence est néanmoins un aveu d’échec ou du moins d’ignorance44.

Conclusion J’ai tenté de faire résonner l’écho médiéval d’un moment de la contro‑ verse antipaïenne de la patristique. La critique de Cicéron par Augustin, sur la question de la puissance divine, est en effet un exemple rare du lien possible entre scepticisme et incroyance ou impiété. Pourtant, le Moyen Âge a été peu attentif à ce texte d’Augustin. Et l’un des rares philosophes à en faire l’horizon de sa réflexion, Jean de Salisbury, en modifie profon‑ dément la portée. Tout en reprenant le questionnement d’Augustin et de Cicéron sur le fatum, et sur la compatibilité de la prescience et de la liberté, Jean de Salisbury, par une série de glissements successifs, en vient à soutenir une position qui n’est pas très éloignée de celle de Cicéron. Conscient, sans doute, de l’audace qu’il y a à défendre une thèse reje‑ tée comme impie, voire athée, par Augustin, Jean prend soin de préciser qu’il ne souhaite pas limiter la puissance divine, mais qu’il revendique le droit accordé par les Académiciens de chercher le probable. De fait, tous ces chapitres sont traversés par un appel récurrent au scepticisme qui affirme ce droit. La question de la prescience fait partie des problèmes sur lesquels l’homme ne peut pas parvenir à une connaissance du vrai, connu de Dieu seul. La recherche du probable est donc légitime, si elle s’accompagne de la reconnaissance de son ignorance, et si elle conduit à honorer la majesté divine. On a donc affaire ici à un domaine où la recherche rationnelle d’une solution révèle les limites de la raison et in‑ cite à l’humilité face à la vérité divine. Par un singulier retournement, la question de la prescience fait apparaître la nécessité de la pratique scep‑ tique dans le domaine de la théologie. De la sorte, le fidéisme apparaît comme l’horizon indépassable de la forme médiévale du scepticisme. manuscrit de Soissons qui est probablement le manuscrit personnel de Jean, selon les recherches en cours de Patricia Stirnemann. 44 L’aveu d’échec apparaît au chap. 26, où Jean compare la question de la pro‑ vidence à l’hydre dont les têtes, une fois coupées, repoussent. Voir Policraticus  II, 26, p. 146, 78‑80 : Dum in prouidentia unius querelae molestiam perimis, uelut Ydrae praeciso capite plurium subcrescunt capita quaestionum.



Scepticisme et Religion : Constantes et évolutions, de la Philosophie Hellénistique à la Philosophie Médiévale, edited by Anne-Isabelle Bouton-Touboulic, and Carlos Lévy, Brepols Publishers, 2016. ProQuest Ebook Central, http://ebookcentral.proquest.com/lib/ybp-ebookcentral/ Created from ybp-ebookcentral on 2020-03-28 10:10:21.

Scepticisme et Religion : Constantes et évolutions, de la Philosophie Hellénistique à la Philosophie Médiévale, edited by Anne-Isabelle Bouton-Touboulic, and Carlos Lévy, Brepols Publishers, 2016. ProQuest Ebook Central, http://ebookcentral.proquest.com/lib/ybp-ebookcentral/ Created from ybp-ebookcentral on 2020-03-28 10:10:21.

L’AMOUR CONSCIENCIEUX DE LA CRÉATURE POUR DIEU. HÉRITAGES ANCIENS ET POSTÉRITÉ DOCTRINALE DU SCEPTICISME DE JEAN GERSON Alice Lamy

Introduction Jean Gerson, jeune chancelier de l’Université de Paris dès 1395, est une figure théologique centrale de la transition mouvementée entre l’ère scolastique finissante et le premier humanisme, dominée par le grand Schisme d’Occident (1378‑1417)1. Devant la gravité des crises doctrinale et spirituelle et face aux âmes désemparées des fidèles dans leurs décisions et leurs actions, Jean Gerson devient un directeur de conscience innovant2. Les chrétiens ne doivent pas céder à l’angoisse et à l’égarement de leur raison, ni à l’incapacité d’agir par culpabilité : ils doivent au contraire apprendre à exercer leur certitude civile, c’est-à-dire à mesurer le risque moral des situations quotidiennes pour décider sereinement et agir au mieux, sans chercher l’idéal de la perfection vertueuse. Cette étude3 se propose de montrer comment la genèse théologique de la certitudo moralis4 gersonienne, dans ses croisements complexes avec 1 En 1378, les corps électifs ecclésiastiques se déchirent et se divisent. Ils élisent successivement à Rome le pape italien Urbain vi et le pape français Clément vii, qui se retire en Avignon, faute de ne pouvoir s’installer à Rome. Martin v est le pape de la réunification en 1417. Les chrétiens ne savent pas à quel pape se soumettre. 2 Pour une réflexion sur l’activité pastorale comme gouvernement des âmes dans les sermons de Jean Gerson, voir Grellard 2014. 3 Cette étude n’aurait pu voir le jour sans l’aide précieuse d’Anne-Isabelle Bou‑ ton-Touboulic, de Carlos Lévy, pour penser la continuité entre le scepticisme ancien et le Moyen Âge, et de Christophe Grellard, qui m’a suggéré le sujet de cette recherche dans ses grandes orientations. Tous trois ont généreusement effectué les relectures nécessaires à cette publication. Qu’ils en soient infiniment remerciés. 4 Pour les références complètes, les occurrences et les notions afférentes au scepti‑ cisme gersonien, Grosse 1990, 83, Die erste Stufe von Gersons Gewissentrost, 6, Die Certi­

Scepticisme et Religion : Constantes et évolutions, de la Philosophie Hellénistique à la Philosophie Médiévale, edited by Anne-Isabelle Bouton-Touboulic, and Carlos Lévy, Brepols Publishers, 2016. ProQuest Ebook Central, http://ebookcentral.proquest.com/lib/ybp-ebookcentral/ Created from ybp-ebookcentral on 2020-03-28 10:10:21.

Alice Lamy

l’épistémologie, l’éthique et le mysticisme et dans sa postérité jusqu’ici peu étudiée5, contribue à définir la position singulière de Gerson dans l’histoire du scepticisme6, où la conscience humaine plus que la raison est mise à l’épreuve, moins dans ses capacités cognitives que dans sa force d’amour pour un Dieu dont elle veut honorer les desseins de ses justes actions ici-bas. Nous caractériserons d’abord la teneur épistémique, éthique et mys‑ tique de la certitude gersonienne dans sa réception épistémologique médiévale du scepticisme de la Nouvelle Académie et de l’éthique aris‑ totélicienne, dominée sans doute par ses lectures de Jean Buridan et de Pierre d’Ailly. Nous montrerons alors que la certitudo moralis occupe une fonction pratique chez tous les chrétiens, en prenant l’exemple des acti‑ vités marchandes. Nous décrirons enfin son rayonnement et sa postérité chez Johannes Nider, contemporain colonais proche de Jean Gerson et chez Anthony Terill (Bonville), casuiste jésuite anglais du xviie siècle.

La triple valeur épistémique, éthique et mystique de la certitude gersonienne Le probabilisme médiéval de Jean Gerson : l’émergence du doute à propos de la connaissance et de l’incertitude à propos de l’action La présence du scepticisme ancien au Moyen Âge7 demeure difficile à étudier, tant la diffusion des sources disponibles à l’époque est irrégu‑ tudo moralis, note 198, 202, Probabilitas, 58, Dubium, 60. Les principales œuvres de Jean Gerson citées par Grosse 1990 et Schüssler 2003, où figurent le concept de certitude, sont : P. Glorieux (éd.), Jean Gerson, L’œuvre magistrale iii (87‑105), Paris/Tournai, 1963, Jean Gerson, L’œuvre française vii (292‑339), Paris, 1967, Jean Gerson, L’œuvre spirituelle et pastorale viii (399‑422), Paris, 1971, Jean Gerson, L’œuvre doctrinale ix (423‑491), Paris, 1973. Pour le texte latin, voir Joannes Gersonii Opera omnia, novo ordine digesta et in V tomos distributa, éd. Louis-Ellie Dupin, Antverpiae, sumptibus Societatis, 1706. 5 Schüssler 2009, reconnaît à juste titre l’importance de Guillaume d’Auvergne dans la construction doctrinale de la certitudo moralis, sans mentionner toutefois son ori‑ gine mystique cistercienne héritée du xiie siècle. Schüssler omet la tradition sceptique au Moyen Âge et ses modes de diffusion, et en particulier ce que Jean Gerson doit explicite‑ ment à Jean Buridan et à Pierre d’Ailly, dans le domaine de l’épistémologie et de l’éthique. Il n’examine pas non plus la portée de la certitude gersonienne aux siècles ultérieurs. 6 Burger 1986, Kantola 1994, Pasnau 1997, Popkin 2003, Perler 2006, Lagerlund 2010. 7 Pour les reconstructions textuelles et doctrinales décrivant l’appropriation mé‑ diévale de la démarche sceptique à partir du fonds philosophique antique, voir Grellard 2004, 2007, 2011.



Scepticisme et Religion : Constantes et évolutions, de la Philosophie Hellénistique à la Philosophie Médiévale, edited by Anne-Isabelle Bouton-Touboulic, and Carlos Lévy, Brepols Publishers, 2016. ProQuest Ebook Central, http://ebookcentral.proquest.com/lib/ybp-ebookcentral/ Created from ybp-ebookcentral on 2020-03-28 10:10:21.

HÉRITAGES ANCIENS ET POSTÉRITÉ DOCTRINALE DU SCEPTICISME DE JEAN GERSON

lière et brouillée. Les Esquisses Pyrrhoniennes de Sextus Empiricus, tra‑ duites en latin après la construction des programmes universitaires sur la philosophie d’Aristote, sont peu lues et ne sont pas enseignées. La lecture des Academica Priora de Cicéron, mais aussi de plusieurs autres textes antiques8 est un peu plus fréquente, mais largement tributaire des interprétations croisées de Lactance et surtout d’Augustin. D’un côté, les Médiévaux voient dans l’ignorance socratique présentée par Lac‑ tance le caractère vain et destructeur d’une démarche sceptique qui n’a aucune prétention ni capacité à connaître Dieu, pas plus que les phéno‑ mènes et les lois de la nature. D’un autre côté, sous l’influence d’Augus‑ tin, les Médiévaux mesurent l’intérêt méthodologique de la démarche sceptique dans l’usage de la dialectique et dans le traitement des erreurs, qu’ils appliquent surtout à l’étude critique de la sensation, instable et changeante. Il faut en effet dépasser celle-ci pour déterminer la connais‑ sance et s’élever à la dimension intelligible de l’âme humaine. Au-delà de toute spéculation, se tiennent la vérité et l’amour divins. Ainsi, le rapport médiéval au scepticisme reste ambivalent : celui-ci trouble les penseurs de cette époque, car il comporte le risque de renon‑ cer à la vérité. Toutefois, ils lui reconnaissent une profonde utilité pro‑ pédeutique, pour évaluer certains jugements et pour tenter d’accéder à l’intelligible9. Gerson élabore son scepticisme à partir de sources très diverses : Aris‑ tote, Augustin, Cicéron. Il y a certainement chez lui une profonde em‑ preinte des interprétations de Cicéron et d’Augustin données par Jean de Salisbury et Pétrarque. En effet, tandis que la démarche sceptique appartenant à la tradition aristotélicienne avive l’engouement épistémo‑ logique des Médiévaux pour définir les meilleures conditions d’accès à un haut degré de certitude dans le statut des sciences, Jean Gerson aban‑ donne progressivement, jusqu’à son retrait définitif à Lyon où il meurt en 1429, la conception d’une connaissance abstraite et savante de Dieu s’appuyant sur la raison, ce qui est précisément là une conséquence du scepticisme théologique hérité d’Augustin et de Lactance. Pourtant, Jean Gerson élabore aussi sa posture sceptique complexe, peut-être grâce 8 Lévy 1992. Sénèque, Ep. 88, 44, Quintilien, I.O., xii, 1, 35, Aulu-Gelle, Noctes Atticae, xi, 5, etc. Les Médiévaux connaissent aussi certains traits présocratiques du scep‑ ticisme par la fréquentation des Seconds Analytiques et de la Métaphysique d’Aristote. 9 Jean de Salisbury présente une authentique posture sceptique (Grellard 2014, et supra, p. 235-251). Les Médiévaux, conformément à la tradition parisienne du xive siècle et à la théologie anglaise de la même époque, sont aussi très impliqués dans la réflexion sur la connaissance du vrai et s’engagent dans les premières interrogations sur le statut des sciences par l’étude du probabilisme. Voir Grellard 2014.



Scepticisme et Religion : Constantes et évolutions, de la Philosophie Hellénistique à la Philosophie Médiévale, edited by Anne-Isabelle Bouton-Touboulic, and Carlos Lévy, Brepols Publishers, 2016. ProQuest Ebook Central, http://ebookcentral.proquest.com/lib/ybp-ebookcentral/ Created from ybp-ebookcentral on 2020-03-28 10:10:21.

Alice Lamy

à ses lectures de Jean Buridan10, puis de Pierre d’Ailly, et semble prendre part, même de façon implicite, à la nouvelle fortune des débats médié‑ vaux11 sur la question du contingent. Cet objet central du probabilisme concerne à la fois la philosophie naturelle (avec la récurrence de phé‑ nomènes non nécessaires) et l’éthique (avec la récurrence et la variété des actions humaines, en raison d’une certaine imprévisibilité du libre arbitre). Cette question a pour conséquence d’affaiblir le niveau de cer‑ titude et de relativiser l’infaillibilité du vrai. Dans le domaine moral12 toutefois, cette certitude probable qui n’atteint pas toujours la vérité, exige, à partir de Jean Buridan, des procédures discursives propres, qui conduisent le maître parisien à établir trois types d’évidence (logique et infaillible, relative et conforme au cours de la nature, éthique enfin, ins‑ pirée de la certitude probable thomiste et exposée à l’erreur). Ces dernières se retrouvent, de façon très dérivée, dans les distinc‑ tions du De consolatione theologiae, où Gerson établit trois types de certitude : surnaturelle (qui exclut la dimension de la vérité logique bu‑ ridanienne), naturelle (qui inclut la teneur logique de la certitude buri‑ danienne) et morale ou civile. La certitude surnaturelle et théologique garantit une foi infaillible et se manifeste sous trois formes. La première est la claire et intuitive connaissance des âmes bénies au paradis, la se‑ conde touche à la connaissance prophétique révélée, la troisième est une certitude surnaturelle et incontestable de la foi qui est basée sur l’auto‑ rité de Dieu. Dans le De vita spirituali animae (iii, 97), Gerson soutient que la connaissance des premiers principes doit être stabilisée par la lu‑ mière et la loi divine. La certitude naturelle peut être contestée, même si le cours naturel des choses semble infaillible. Gerson évoque alors une troisième sorte de certitude, la certitude morale ou civile, propre à l’action dont l’intention est pure et qui s’accompagne d’anxiété et de scrupule, qu’il convient de maîtriser individuellement pour effectuer se‑ reinement ses choix13. Si l’Éthique à Nicomaque est souvent citée, c’est plutôt à la suite de Buridan14, que Gerson développe, dans son contexte casuistique et pas‑ Grellard 2014. Grellard 2011, 2014. 12 Robert 2012. 13 La gouvernance pastorale permet précisément de gérer les scrupules et de les ré‑ soudre par la certitude morale. 14 Gerson emploie dans le paragraphe 13 du De contractibus (ix, 452) l’unique oc‑ currence dans son œuvre de certitudo probabilis en se rapportant à l’exercitio logicorum, dont fait sûrement partie Thomas d’Aquin, mais aussi Buridan. 10 11



Scepticisme et Religion : Constantes et évolutions, de la Philosophie Hellénistique à la Philosophie Médiévale, edited by Anne-Isabelle Bouton-Touboulic, and Carlos Lévy, Brepols Publishers, 2016. ProQuest Ebook Central, http://ebookcentral.proquest.com/lib/ybp-ebookcentral/ Created from ybp-ebookcentral on 2020-03-28 10:10:21.

HÉRITAGES ANCIENS ET POSTÉRITÉ DOCTRINALE DU SCEPTICISME DE JEAN GERSON

toral, la subjectivité du probable, qui inscrit tous les actes extérieurs dans leur intime conformité aux choix intérieurs. Les degrés de certitude gersoniens font peut-être aussi écho à la double évidence établie par l’évêque de Cambrai dans ses Questiones super primum Sententiarum, Questio circa prologum15 : la première évi‑ dence est un assentiment certain qui ne peut absolument pas conduire à l’erreur (la foi en fait partie), la seconde évidence est conditionnée par l’intervention et le miracle divins. Sa pensée probabiliste se trouve exprimée dans deux uniques allu‑ sions aux Académiciens : Socrates et ceteri Academici dans le De vita spiri­ tuali (iii, 97), à propos de la stabilité des savoirs, uniquement accessibles en suivant la loi divine, et Socrates, Carneades et Cicero dehinc posteriores aliqui dans le De consolatione theologiae (ix, 449), à propos de la certi‑ tude surnaturelle. Le ton se fait plus nerveux et ne manque pas de rappeler l’unique référence plutôt vague dans les Sentences de Pierre d’Ailly aux Acade­ mici, réprouvés par Augustin. L’évêque de Cambrai se contente d’op‑ poser deux opinions extrêmes16 : celle des Académiciens au sens large, selon lesquels aucune vérité ne peut être posée comme évidente, et celle d’Augustin (croisée sûrement de la position lactancienne), qui refuse la première. Pierre d’Ailly mentionne une troisième voie, celle de Thomas Bradwardine, selon lequel toute vérité peut nous apparaître comme évi‑ dente tant qu’elle se conforme au cours naturel des choses (naturaliter), et qui pourrait constituer une variante de l’évidence relative burida‑ nienne (selon laquelle la vérité est garantie, pourvu que la nature suive le cours régulier qu’on lui connaît). Gerson s’emporte contre les erreurs intolérables de « Socrate et des autres Académiciens » à propos de la sensation changeante que l’on ne peut connaître, – et que les Médiévaux ont pleinement investie de leurs spéculations à la suite d’Augustin –, au sujet de l’impossibilité d’une vé‑ rité en l’homme. Dieu seul au contraire est assez stable pour fonder une connaissance. Si les Académiciens la refusent dans l’action morale, ils 15 Art. i, Brinzei, 137 (P.  d’Ailly, Questiones super primum, tertium et quartum librum sententiarum, I, Principia et questio circa prologum, M. Brinzei (éd.), Turnhout, 2013) : Vnde dico quod duplex est evidentia : quaedam est evidentia absoluta, […] alia est evidentia conditionata. 16 Art. ii, Prima conclusio, Brinzei 2013, 139  : Vnde advertendum est quod circa hunc articulum due fuerunt opinione extreme : una Academicorum, ponentium quod nulla veritas possit nobis esse evidens, quam opinionem reprobat Augustinus ; alia fuit quorum­ dam presumptuosorum philosophorum asserentium quod omnis veritas potest naturaliter nobis esse evidens.



Scepticisme et Religion : Constantes et évolutions, de la Philosophie Hellénistique à la Philosophie Médiévale, edited by Anne-Isabelle Bouton-Touboulic, and Carlos Lévy, Brepols Publishers, 2016. ProQuest Ebook Central, http://ebookcentral.proquest.com/lib/ybp-ebookcentral/ Created from ybp-ebookcentral on 2020-03-28 10:10:21.

Alice Lamy

doivent abandonner toute tentative rationnelle pour lutter en faveur du bien et contre le mal. Gerson fait ici passer le terme sentire du domaine de la sensation au domaine théologique de l’assentiment : si ces Acadé‑ miciens « sentaient » bien ce qu’ils avaient à faire, dans leur conster‑ nante confession d’ignorance, ils sentiraient à quel point Dieu constitue le seul recours. Dans le second passage, Socrate, associé cette fois à Carnéade et Ci‑ céron, est fustigé avec un certain sarcasme pour avoir institué une science qui est de ne rien savoir17. Aucune certitude, surnaturelle ou naturelle n’aurait lieu d’être, poursuit Gerson. Surtout, le chancelier évoque une méthode qui encourage à traiter, sur un même plan et de façon égale en valeur, toutes les parties en présence. La méthode critiquée ici peut contribuer à expliquer pourquoi, de façon très différente des sources augustiniennes et lactanciennes, Gerson confond largement les anciens Académiciens, Socrate et Platon, avec les nouveaux, dont Carnéade est un représentant et même Cicéron, dont la position doctrinale n’est pas directement connue par Gerson. Dans son De ciuitate Dei, viii, 3, Augustin présente Socrate comme ridiculisant les ignorants qui s’imaginent savoir. Au chapitre 4, Augustin mentionne également la méthode de Socrate, qui dissimule sa science ou son opi‑ nion, au point que ses disciples les plus éminents établissent leur pensée sur des valeurs opposées, le plaisir ou la vertu. Pour Gerson, l’ignorance propédeutique de Socrate est comprise comme une position doctrinale indécise qui rejetterait la vérité. Il l’in‑ clut dans la suspension de l’assentiment adoptée par la Nouvelle Acadé‑ mie décrite dans le Contra Academicos, ii, 5, 11‑12. Selon les Néoaca‑ démiciens, contre Zénon, la vérité ne peut être reconnaissable qu’à des critères indiscutables que la représentation cataleptique n’a pas. Dès lors, le sage, ne devant rien croire, ne doit rien faire non plus, ce qui suscite l’indignation de tous. Les Académiciens voient au contraire la grandeur et la fin du sage dans cette suspension de l’assentiment et dans ce proba‑ bilisme (inducto quodam probabili). Gerson nourrit cette indignation d’une influence lactancienne. Lac‑ tance en effet, paraphrasant le De Republica de Cicéron, dans les Ins­ titutions divines v, 15,  3‑5, critique Carnéade, qui, à quelques heures d’intervalle, soutient, puis ne soutient plus les fondements de la justice. Il précise encore que finalement, cela revient au même, car cette justice que conçoivent Platon et Aristote ne se trouve pas sur terre. Peut-être Sénèque, Ep. 88, 44 :  Academici, qui nouam induxerant scientiam, nihil scire.

17



Scepticisme et Religion : Constantes et évolutions, de la Philosophie Hellénistique à la Philosophie Médiévale, edited by Anne-Isabelle Bouton-Touboulic, and Carlos Lévy, Brepols Publishers, 2016. ProQuest Ebook Central, http://ebookcentral.proquest.com/lib/ybp-ebookcentral/ Created from ybp-ebookcentral on 2020-03-28 10:10:21.

HÉRITAGES ANCIENS ET POSTÉRITÉ DOCTRINALE DU SCEPTICISME DE JEAN GERSON

faut-il voir ainsi dans l’association de Socrate à Carnéade un rejet18 plus profond des Platonici et y lire l’anti-platonisme tenace de Gerson, no‑ tamment à propos des quiddités platoniciennes séparées19. Gerson considère finalement que ne rien savoir revient à se vouer à l’inaction. Or, précisément, l’argument de l’apraxie néo-académicienne, qui converge curieusement avec la lutte contre la scrupulositas, lui permet d’introduire la certitude morale. En effet, la dimension pratique de celleci cultive chez le Chrétien le principe du mouvement qui lui vient de son Créateur. Agir au mieux, c’est refuser l’indolence, l’indistinction entre le bien et le mal, c’est aussi lutter contre des scrupules qui vont à l’en‑ contre du projet divin en paralysant des créatures, destinées finalement à assumer leur vie et leur mouvement20. La teneur mystique des démarches sceptiques médiévales qui émergent dans la casuistique de Jean Gerson : le trouble de l’homme pécheur (xiie‑xiiie siècle) Les affres souvent injustifiées et irrationnelles de la conscience morale, que la pensée sceptique gersonienne entend décrire, puis combattre dans ses excès, s’inscrivent dans une autre tradition médiévale de l’assenti‑ ment, la mystique cistercienne. Le xiie siècle est l’âge d’or de l’examen spirituel dans l’assentiment à Dieu et l’obéissance à la foi. Une topique méditative sur la condition de l’homme pécheur est largement répandue par Saint Bernard et Guil‑ laume de Saint-Thierry. Saint Bernard, dans son commentaire du Can­ tique des Cantiques (37, 10)21, invite à pratiquer la Considération, qui relève d’une exigence supérieure à la raison et qui ne s’acquiert pas avec les méthodes épistémiques. L’homme pécheur doit rejoindre en luimême un état ou disposition qui le conduise à suspendre son adhésion à ce qu’il croit savoir, et qui lui permette de s’orienter avec droiture dans ses actions. 18 Gerson évoque cependant une fois Socrate de façon isolée pour louer sa mé‑ thode, à propos de la certitude d’une bonne vision, dans la tradition de la discretio spiri­ tuum. Boland 1959. 19 Kaluza 1988. 20 Là encore, la position gersonienne est à nuancer (Regulae mandatorum (ix, 434, 8), 97). En effet, si le péché ne peut jamais être totalement écarté, il faut chercher à le neutraliser, en discernant le pire de l’acceptable dans l’action morale. Dans le doute, il faut choisir la part la plus sûre de la situation, s’orienter vers le péché potentiel le moins grave. En cas de risque moral trop élevé, Gerson préconise la suspension de l’action. 21 Brague 1993.



Scepticisme et Religion : Constantes et évolutions, de la Philosophie Hellénistique à la Philosophie Médiévale, edited by Anne-Isabelle Bouton-Touboulic, and Carlos Lévy, Brepols Publishers, 2016. ProQuest Ebook Central, http://ebookcentral.proquest.com/lib/ybp-ebookcentral/ Created from ybp-ebookcentral on 2020-03-28 10:10:21.

Alice Lamy

Le chancelier retient de Saint Bernard l’impossible séparation qui s’établit entre l’âme et Dieu, jusqu’à créer, au-delà de la vie, de la mort et de toutes les vicissitudes, la certitude d’un miracle, celui de l’amour et du bien22. De plus, Guillaume de Saint-Thierry, dans le Miroir de la foi, décrit la difficulté de l’homme pécheur, prêt à trébucher sur le lent chemin des progrès de la foi, en proie à une raison charnelle et méfiante qui attaque (ratio […] que impugnat) et une raison qui résiste (ratio que repugnat), capable de supprimer le doute et d’accorder son assentiment à l’autorité divine23. Les cisterciens ne constituent pas la source doctrinale de la scrupulo­ sitas ni même de la certitudo moralis du chancelier, mais ils soulignent la genèse de la tension spirituelle inhérente à la créature, perçue positive‑ ment par Guillaume et largement remise en cause par Gerson. Selon Gerson en effet, « nous devons avoir suspectes toutes choses auxquelles nostre volunté est inclinée avec quelque impétuosité et véhé‑ mence24 », pour autant, il faut assumer les limites de ses actions. Pour‑ vu qu’elles reflètent l’intention des cœurs et l’amour consciencieux du Créateur, elles doivent être assumées comme suffisamment justes et non comme parfaitement bonnes : Bienheureux est celluy qui tousiours est pavide est craintif, ayant paour avoir moins fait qu’il ne doibt, proveu touteffois qu’il observe qu’il n’en face trop25.

22 J. Gerson, De vita spirituali animae (iii, 97), 127 : inter tot fluctus humanae fra­ gilitatis et vicissitudinis incertissimae potest dicere aliquis cum Apostolo : certus sum quod nec mors nec vita, etc. me separabit a charitate Dei quae est in Christo Jesu. […] pulchre declarat Bernardus super Cantica [Sermones in Cantica, sermo 23], super illo : introduxit me rex in cubiculum suum : cogita si potes et quantum potes ; tu hic esse miraculum grande fateberis. Dans les pages qui suivent, l’accent d’exaltation mystique est encore très présent lorsqu’il envisage la possibilité de l’action chrétienne bonne et raisonnable. Guillaume d’Auvergne, Thomas d’Aquin et Bonaventure sont conjointement cités,  136, avant la mention de Socrates et ceteri Academici (137) qui se trompent de façon intolérable dans leur scepticisme, car ils ne glorifient pas Dieu. La critique de ce trait académicien s’en‑ racine dans les références mystiques évoquées et ne se situe pas seulement sur le plan épistémologique. Pour les citations de Saint Bernard, qu’il faut imiter en tous points, De praeparatione ad missam (ix, 425, 39). 23 Guillaume de Saint-Thierry, Deux traités sur la foi, 20‑21 (Le miroir de la foi, L’énigme de la foi, M.-M. Davy (éd.), Paris, 1959, 43). 24 J.  Gerson, De Remediis contra pusillanimitatem, Suppléments, 537 a, ch. viii, 395. 25 J. Gerson, De Remediis contra pusillanimitatem, Suppléments, 398.



Scepticisme et Religion : Constantes et évolutions, de la Philosophie Hellénistique à la Philosophie Médiévale, edited by Anne-Isabelle Bouton-Touboulic, and Carlos Lévy, Brepols Publishers, 2016. ProQuest Ebook Central, http://ebookcentral.proquest.com/lib/ybp-ebookcentral/ Created from ybp-ebookcentral on 2020-03-28 10:10:21.

HÉRITAGES ANCIENS ET POSTÉRITÉ DOCTRINALE DU SCEPTICISME DE JEAN GERSON

Laquelle scrupulosité n’est point bonne, mesmement quant quelcun forme et forge en soy scrupule et conscience quasi continuelle et inces‑ sable de toutes leurs venièles et legieres faultes. […] De ce peult advenir, s’il ne oste telz scrupules desordonnez que ce qui premièrement n’estoit pas péché de soy, sera fait péché par scrupule de conscience. Car tout ce qui est contre conscience est aussi péché. […] Certainement l’aucteur de grace, Dieu, ne veult point habiter en telle conscience inquiète et troublée26.

Citant Augustin, Gerson rappelle que même si l’on agit mal, la volonté nous appelle à imiter Dieu, à chercher la conformité avec le projet divin27. Bien plus, dans ce même passage du De remediis contra pusillanimi­ tatem, Gerson rappelle que l’homme, par le scrupule, prétend se substi‑ tuer à Dieu, par ses faux jugements sur ce qui relève du péché mortel ou non28. Il se méprend sur les fonctions de la loi divine et de la loi natu‑ relle29. Seule la loi divine peut agir sur la volonté humaine et son activité intérieure, pour passer de l’opinion à la certitude. Sous l’influence de Guillaume d’Auvergne30 et de ses prédécesseurs, Jean Gerson propose des exercices de la conscience innovants31 pour aider l’âme à lutter contre ses scrupules. Il croise ainsi le regard des mystiques avec l’héritage médiéval scolastique, selon lequel le scrupule est un état d’agitation anxieux exagéré de l’âme, causé par l’idée d’une insuffisance religieuse ou morale selon le sujet. Gerson reprend aussi la définition sco‑ lastique de l’opinion : un acte d’assentiment à la vérité d’une proposition, accompagné de la crainte de l’erreur. Si cette crainte32 excède les raisons qui justifient cette crainte, cela devient un scrupule. L’émergence du scru‑

26 La nature inappropriée d’une conscience scrupuleuse est maintes fois soulignée par Gerson, dans le cadre de la confession en particulier et des jugements erronés sur ses propres actes, considérés à tort comme des péchés mortels : De Remediis contra pusillani­ mitatem, Suppléments, 537 a, ch. v, 393, 394, 397. Voir aussi L’œuvre française (vii, 382), 930. 27 J. Gerson, De vita spirituali animae (iii, 97), 125. 28 J. Gerson, Regulae mandatorum (ix, 434, 4), 96. 29 J. Gerson, De vita spirituali animae (iii, 97), 162‑165. De consolatione theologiae (ix, 449), 233. 30 Guillaume d’Auvergne, De Fide, p. 14, ch. III, De legibus, ch. I, 20. 31 Grosse 1990. 32 L’influence de Pierre d’Ailly est profonde sur ce point, via Grégoire de Rimini (Sentences i). L’adhésion et le véritable acte de foi ne connaissent pas la crainte. Le terme formido qui traverse tout le livre i des Sentences, est un élément essentiel de l’évidence et le critère distinctif principal entre la foi, qui est sans crainte, et l’opinion, qui est l’adhé‑ sion avec crainte. Brinzei 2013, 223, 235.



Scepticisme et Religion : Constantes et évolutions, de la Philosophie Hellénistique à la Philosophie Médiévale, edited by Anne-Isabelle Bouton-Touboulic, and Carlos Lévy, Brepols Publishers, 2016. ProQuest Ebook Central, http://ebookcentral.proquest.com/lib/ybp-ebookcentral/ Created from ybp-ebookcentral on 2020-03-28 10:10:21.

Alice Lamy

pule aurait alors pour origine les différentes calamités traversées par le siècle précédent, de la peste aux guerres en passant par le grand Schisme.

Un usage de la certitudo moralis in moralibus : l’éthique marchande La pensée sceptique de Jean Gerson cultive la morale de l’expérience et occupe un rôle croissant dans la pratique de l’action individuelle sereine, pour s’étendre plus encore dans la vie spirituelle quotidienne des Chré‑ tiens, jusque dans les justes échanges, économiques et marchands33. Le Schisme remet en question la valeur décisionnaire des experts ec‑ clésiastiques. De la même façon, dans le domaine économique, le com‑ merçant se doit de rechercher les conseils des théologiens et les juristes compétents, mais il n’a pas à connaître l’impression d’ensemble des ex‑ perts ou l’opinion dominante. Sans pacte légal, ajoute encore Gerson, c’est toujours au forum conscientiae de trancher sur la juste condition des crédits d’argent, en fonction de la variété des cas et des intentions et selon la loi de l’amitié et de la bienveillance34. Gerson évoque le cas de deux prêtres dont l’un ga‑ gnerait justement par ses activités le même gain qu’un autre aurait acquis par simonie. Ce sont bien les intentions respectives des deux hommes qui déterminent l’action juste : Il est manifeste de voir ici combien l’intention et la direction du cœur sont opérantes dans l’action, de sorte que l’on pourrait facilement éviter la simonie par un gain ici-bas égal ou plus grand que par la simonie qui est damnée35.

Sur ces sujets, Jean Gerson, comme les casuistes des siècles suivants qui le mentionnent, cite fréquemment l’adage d’Augustin, selon lequel il faut 33 La tradition de l’éthique marchande dans les investigations des traits sceptiques médiévaux existe déjà depuis Albert le Grand, mais trouve en Gerson un nouveau souffle avec la certitudo moralis et ses accents mystiques. 34 De Contractibus, (ix, 452, 15), 393 : Vtrum sine pacto committeretur usura, saltem in foro conscientiae distinguendum esset pro varietate casuum et intentionum. Constat enim quod recipiens mutuum teneretur per legem amicitiae et benevolentiae suo mutuanti quam amicabilem benevolentiam potest intendere et exspectare ille qui mutuum dat. 35 De Contractibus, (ix, 452, 15), 404 : Vbi manifestum est quantum operetur inten­ tio et directio cordis, ut aliquis evitare possit faciliter simoniam cum pari seu majori lucro temporali quam per damnatam simoniam.



Scepticisme et Religion : Constantes et évolutions, de la Philosophie Hellénistique à la Philosophie Médiévale, edited by Anne-Isabelle Bouton-Touboulic, and Carlos Lévy, Brepols Publishers, 2016. ProQuest Ebook Central, http://ebookcentral.proquest.com/lib/ybp-ebookcentral/ Created from ybp-ebookcentral on 2020-03-28 10:10:21.

HÉRITAGES ANCIENS ET POSTÉRITÉ DOCTRINALE DU SCEPTICISME DE JEAN GERSON

s’emparer de ce qui est certain et laisser l’incertitude, qui inquiète les consciences de nombreux hommes, en particulier les plus simples et les plus timorés, et les rend inopérants, en les abandonnant à la perplexité36. Toutefois, la juste loi existe et il faut s’en remettre le plus possible au législateur37 qui seul est en mesure de fixer le bon prix des choses, indé‑ pendamment des affections variées et corrompues des hommes. Plus pré‑ cisément, la pensée (cognitio) morale, afin d’avoir une pleine intelligence des situations, doit reconnaître ce qui relève du droit purement positif et ce qui relève de la loi divine et naturelle38. L’éthique marchande gersonienne ne semble pas présente dans les écrits des siècles suivants, peut-être du fait de la nature quelque peu oc‑ casionnelle de ces passages, écrits dans l’urgence de l’Histoire, et desti‑ nés à soutenir une population qui doit continuer à vivre au quotidien, dignement et religieusement, malgré le schisme, au sein d’actions indi‑ viduelles suffisamment libres et justes, dans les foyers, comme chez les marchands et les prélats39.

36 De Contractibus, (ix, 452, 12), 400 : in hac materia et similibus moralibus dictum Augustini : tene certum et dimitte incertum, conscientias multorum, praesertim simplicium et timoratorum scrupulis variis inquietat, molestat et in perplexitatem quamdam trahit, additur sequens propositio. 37 De Contractibus, (ix, 452, 19), 395. 38 De Contractibus, (ix, 452, 16), 404 : Ad habendum vero planam hujus propositio­ nis intelligentiam, necessaria est cognitio quid sit de jure pure positivo, quid de jure divino et naturali. Voir aussi (ix, 452, 17), 405. 39 Johannes Nider est un lecteur contemporain et assidu de Jean Gerson. Réforma‑ teur dominicain allemand des années 1400, engagé contre les hérétiques de Bohême à la même période que le chancelier, il ne se réfère pas à lui dans son Tractatus de Contractibus mercatorum, mais suit plutôt la tradition scolastique d’Albert le Grand, Thomas d’Aquin et Jean Duns Scot, qui tentent de définir le rôle pragmatique, marchand, économique et gestionnaire de l’Église, au sein d’une société en plein développement des échanges. Nider reprend cependant implicitement les préceptes gersoniens selon lesquels, dans les transactions, l’intention et l’intuition du vendeur et de l’acheteur sont primordiales : les affaires ne peuvent avoir lieu que si l’un et l’autre acteur ont arrêté un juste prix, en réu‑ nissant plusieurs critères de choix (coût du travail, de la production, etc.), et en écartant clairement le doute d’une estimation erronée.



Scepticisme et Religion : Constantes et évolutions, de la Philosophie Hellénistique à la Philosophie Médiévale, edited by Anne-Isabelle Bouton-Touboulic, and Carlos Lévy, Brepols Publishers, 2016. ProQuest Ebook Central, http://ebookcentral.proquest.com/lib/ybp-ebookcentral/ Created from ybp-ebookcentral on 2020-03-28 10:10:21.

Alice Lamy

Rayonnement et postérité doctrinale de la certitudo moralis : l’exemple de J. Nider et de J. P. Anthony Terill Avec la Réforme40, les critères clairs et contrôlables qui doivent éprouver la vérité de la foi religieuse pour une exégèse correcte de la Bible sont au centre de spéculations approfondies, dès le xve siècle pour les théologiens comme Johannes Nider, qui, dans le Consolatorium timorate conscentie venerabilis fratris Johannis Nyder, cite quatorze fois Jean Gerson comme une autorité en matière de théologie morale41. Dans la Tertia pars, Nider cherche à définir en propre la conscience, le scrupule (considéré comme la nature de la maladie spirituelle), le doute. Deux siècles plus tard et dans le contexte religieux de la casuistique jésuite, Anthony Terill (Bonville) (1623‑1676), théologien, professeur de théologie scolastique au sein de plusieurs universités italiennes, puis à Liège, est un brillant défenseur du probabilisme. Son Fundamentum totius theologiae moralis, seu Tractatus de conscientia probabili fait auto‑ rité en son temps. Parmi ses sources foisonnantes (à chaque argument sont cités six ou sept noms avec leurs œuvres et de façon assez récurrente, Suarez et Wendrockius), figurent vingt références42 à Gerson. Le nom du chancelier apparaît cependant toujours placé après celui de Johannes J. Savonarole, prédicateur dominicain italien (1452‑1498), ne cite pas le chance‑ lier, même dans les passages où il recourt à la prophétie (Compendio di rivelazioni : testo volgare e latino e Dialogus de veritate prophetica, Angela Crucitti (éd.), Roma, 1974. Ses références s’appuient principalement sur la Métaphysique III, 1005b d’Aristote et la Mé­ taphysique IV, 6 de Thomas d’Aquin. 41 Chapitres vii, xii, xiii, xiv, xvii, xviii, xix, xx, xxi, xxv (Tertia pars), de l’édition incunable de son traité (non paginé) (Consolatorium timorate conscentie vene­ rabilis fratris Johannis Nyder, Paris, J. Petit, 1500). Nider tient Gerson en haute estime, ch. vii : Parisiensium Magistri Johannes de Gersono cum suis declarationibus […] animad­ vertenda est conclusio cancelarii, ch. xxv, à propos des péchés, véniel comme mortel  : pro finali conclusione huius tractatus notandum est predictum cancellarium, il effectue une synthèse très efficace des lois divine et naturelle de Gerson décrites dans les paragraphes 18 et suivants du De contractibus et du De vita spirituali (corollaires 7‑10), en présentant une lex multiplex (ch. xxi), eterna/prima, naturalis hominum, divina hominum, privata, positiva, civilis temporalis, civilis spiritualis, charitas. 42 Terillo, A., R. P, Fundamentum totius theologiae moralis, seu Tractatus de conscientia probabili, J. M. Hovii (éd.), Leodii, 1668. L’ouvrage s’ouvre sur une préface qui présente les intentions de l’auteur, puis mentionne
un index Questionum de conscien­ tia probabili, de trente-et-une questions, lesquelles forment le corps entier de l’ouvrage et se développent comme de véritables petits traités autonomes de casuistique. Questio 12 De discrimine synderesis et conscientiae, 13 Vtrum ultimum conscientia dictamen sit certum et evidens, 21 Vtrum liceat sequi quamcumque ex partibus contradictionis aeque probabilibus ?, 22 Vtrum opinio dictans usum partis minus tute et directe minus probabilis esse licitum sit authentice probabilior opposita, où il est cité huit fois, 23 Vtrum in praxi liceat sequi opinionem minus probabilem minus tutam ?, 26 Vtrum sententia benigna sit 40



Scepticisme et Religion : Constantes et évolutions, de la Philosophie Hellénistique à la Philosophie Médiévale, edited by Anne-Isabelle Bouton-Touboulic, and Carlos Lévy, Brepols Publishers, 2016. ProQuest Ebook Central, http://ebookcentral.proquest.com/lib/ybp-ebookcentral/ Created from ybp-ebookcentral on 2020-03-28 10:10:21.

HÉRITAGES ANCIENS ET POSTÉRITÉ DOCTRINALE DU SCEPTICISME DE JEAN GERSON

Nider, dans les dernières références aux Antiqui, parmi lesquels une place prépondérante est accordée à Augustin, Saint Bernard et Thomas d’Aquin. Gerson constitue ainsi une source doctrinale importante, mais indirecte, surtout connue du prédicateur allemand et de Gabriel Biel (1425‑1495), prédicateur à Mayence. Fort de ses sources principalement dominicaines sur Gerson, Terill cite intégralement le passage sur les trois types de certitude du De prae­ paratione ad missam (ix, 425) rapporté une fois par Biel43, ainsi que le De contractibus (ix, 452, 13) mentionné par Nider44, où la certitude pro‑ bable est considérée comme suffisante pour éviter le péché mortel. Dans cette question 22 et à la même page45, Terill inscrit pour programme, en marge, les termes de Gerson : Probabilis certitudo sufficit in moralibus ad licite operandum. Il paraphrase la suite du texte (ix, 452) : Capite 13 citat [Joannes Nyder] Gersonem ex quo in tractatu de contractibus probat […], et expose les conclusions de Nider (chapitre xiv) : face à des opinions contraires et tant que la sainte Écriture n’est pas remise en cause, le chré‑ tien contentus esse debet certitudine morali. Par sa conclusion46 : Ecce major probabilitas de honestate operis, unde­ cumque tandem derivetur ex mente Gersonis, Gabrielis et communi Docto­ rum illius aevi consensu, est moralis certitudo, sufficiens ad excusandum a peccato, Terill nous montre à quel point le concept de certitude morale, attribué aujourd’hui au seul Gerson47, traverse l’histoire doctrinale du probabilisme jusqu’au xviie siècle. conformior Sacris Canonibus quam Sententia rigida ?, 28 Quantum roboris habeant ra­ tiones adversariorum ?, et 31 Vtrum sententia benigna animarum saluti expediat ?. 43 Cf. Gabrielis Biel, Collectorium circa quattuor libros Sententiarum, Libri quarti pars secunda, dist. 15‑22, ed. Wilfridus Werbeck, Udo Hofmann, Tübingen, dist. 16, qu.3, EE 2‑15, p. 417. Ce passage est également cité par Nider au chapitre xiv. 44 Nider cite trois fois ce passage aux chapitres xii puis xiii et xviii : Verba sunt pene per totum Cancellarium in tractatu de contractibus. 45 C’est-à-dire 347. 46 Qu. 22, 76, 347. 47 Terill (Qu. 22, 358) évoque une seule fois dans son œuvre, de façon très vague, la filiation entre l’opinion probable de Pierre d’Ailly et la certitude morale de Jean Ger‑ son : Petrus Alliacensis, quondam Gersonis Magister […] in quaestione super Sententiarum aperte indicat opinionem probabilem sufficere ad formandam conscientiam. Cette mention semble difficile à exploiter ni même repérable littéralement dans les Sentences de Pierre d’Ailly. Le probabilisme de l’évêque de Cambrai, établi sur un mode rationnel et ter‑ ministe, s’inscrit dans l’héritage plus global du projet ockhamiste (et scotiste dans une moindre mesure) d’une théologie comme science. Cette conception ockhamiste étant très éloignée des aspirations gersoniennes, qui prennent leur sens dans l’expérience et l’action morale, la reprise de Pierre d’Ailly par le chancelier de Paris n’a pu être que très



Scepticisme et Religion : Constantes et évolutions, de la Philosophie Hellénistique à la Philosophie Médiévale, edited by Anne-Isabelle Bouton-Touboulic, and Carlos Lévy, Brepols Publishers, 2016. ProQuest Ebook Central, http://ebookcentral.proquest.com/lib/ybp-ebookcentral/ Created from ybp-ebookcentral on 2020-03-28 10:10:21.

Alice Lamy

Bien plus, Terill intègre pleinement deux aspects importants de la certitudo moralis dans les positions profondes de la bienveillance ca‑ suistique jésuite48. Il reconnaît d’abord l’importance gersonienne des hautes facultés de l’âme. Le jésuite anglais insiste sur l’importance de la syndérèse pour guider avec droiture la conscience et obliger les appétits à se soumettre49. À la question 13, il cite l’avis des Summistae omnes, dont fait partie Gerson, selon lesquels l’intellect doit être moralement certain pour effectuer des actions justes. Deuxièmement, il souligne l’inscrip‑ tion de la certitudo moralis dans l’expérience et dans l’extension de la materia fidei à la materia morum. Terill précise50 qu’en matière de foi, comme en matière de mœurs, la certitudo ou certa probabilitas doit être suivie, de l’avis de tous, contemporains comme Anciens : Nider et Gerso audacter utuntur hoc argumento tamquam a fortiori ad probandum quod in materia morum licitum sit sequi minus tutam. Verba illorum citabun­ tur quaest. sequ.. Le jésuite anglais affirme51, en reprenant littéralement Gerson, mais en soutenant qu’ils sont nombreux à le dire : idem licere in materia morum quod in materia fidei constat licere. Il finit par en faire dériver son expression propre : la certitudo in moralibus. parcellaire sur ce point. Si l’éthique aristotélicienne est mentionnée, elle n’aboutit pas à une réflexion suivie sur la dimension pratique du contingent. La conscientia erronea est évoquée au livre iv des Sentences (éd. Jean Petit, Paris, 1508, f° 211ra-vb), mais pour spécifier que la créature n’est pas obligée à l’impossible rationaliter. Le terme de certitudo n’est pas fréquent, bien que soigneusement étudié en rapport avec la foi, dans une di‑ mension rationnelle et en comparaison avec l’opinio (Brinzei 2013, 231 sq.) et la scientia (Prima questio circa prologum, art. ii, Brinzei 2013, 192‑195). Cependant, l’évocation de Terill provient peut-être, de façon très indirecte, du livre i des Sentences, prima questio circa prologum, art. iii, où Pierre d’Ailly cite Grégoire de Rimini, selon lequel par ex‑ périence, après de nombreuses raisons probables (rationes probabiles), les connaissances stables de la science ne sont pas compromises ; de même, les fidèles utilisent de telles raisons probables sans corrompre leur foi. Brinzei 2013, 230‑231. Les raisons probables permettent de soupçonner une mauvaise action, en stabilisant le degré de crainte et en réduisant le doute, même si elles ne conduisent ni à l’assentiment ni à une issue vertueuse pour l’action humaine. Cela dépend des tempéraments (Grégoire cite Aristote, Éthique à Nicom. vii). 48 Voir Terill, 570, mentionnant Vasquez citant Gerson. Voir aussi le long passage cité par Terill, qu. 33, 602, avec en marge : Gerson probat benignam sententiam saluti animarum esse utilem. Audi etiam Gersonem libro de vita spirituali lect. 4 coroll. 12 de utilitate opinionum probabilium contrariarum mirabiliter in hunc modum discurentem. Terill fait un usage singulier de Gerson, pour alimenter la casuistique jésuite. À la fin de la longue citation, Terill conclut : Hujusque Gerson, qui non minus eleganter quam nervose concludit, sententiam benignam saluti animarum esse utilissimam. 49 Qu. 12, 171 : dico cum Gersone 3. Parte, tractatu de Vita spirituali, sect. 4, coroll. 3. 50 Qu. 21, 306. 51 Qu. 23, 411.



Scepticisme et Religion : Constantes et évolutions, de la Philosophie Hellénistique à la Philosophie Médiévale, edited by Anne-Isabelle Bouton-Touboulic, and Carlos Lévy, Brepols Publishers, 2016. ProQuest Ebook Central, http://ebookcentral.proquest.com/lib/ybp-ebookcentral/ Created from ybp-ebookcentral on 2020-03-28 10:10:21.

HÉRITAGES ANCIENS ET POSTÉRITÉ DOCTRINALE DU SCEPTICISME DE JEAN GERSON

De même, il donne une nouvelle orientation jésuite à la certitude morale perçue comme un excès de probabilité, et veut démontrer que l’opinio benigna est moralement certaine : Hic excessus probabilitatis fundat moralem certitudinem humano modo loquendo […] expresse docent [Antiqui, Nyder et Gerson] majorem pro­ babilitatem esse certitudinem moralem. At opinio benigna certo est multo probabilior rigida, ergo humano modo est moraliter certa52.

En deux siècles de spéculation probabiliste, les sources gersoniennes de la certitudo moralis ont donc activement circulé pour se fondre dans les différentes doctrines de la théologie morale et pastorale, jusqu’à provo‑ quer par endroits une certaine dépossession du concept authentique de Gerson53. Pourtant, la pensée de Terill pénètre les authentiques inten‑ tions gersoniennes, la direction des cœurs vivants, dévoués à leur Dieu et affrontant les trajectoires chaotiques de leur Histoire. Nider (ch. xii) affirme qu’en matière de morale et d’action humaine, il ne faut pas cher‑ cher la démonstration, Terill, quant à lui54, souligne que du point de vue purement réflexif, la certitude directe de l’homme est imparfaite, mais qu’au regard de son honnêteté dans les choix qu’elle définit pour l’action, elle est la perfection même.

Conclusion La pensée sceptique de Gerson, dans sa teneur complexe originaire, épis‑ témique, pratique et mystique, jusque dans les valeurs qu’elle a offertes à la postérité, traduit pleinement la conviction que tout homme peut mo‑ biliser ses propres ressources délibératives grâce à son amour conscien‑ cieux pour son Créateur. La présence active de la créature au monde comporte des risques, car toute vie terrestre a ses péchés. Pour autant, les choix doivent se faire dans la sérénité et non dans les affres du scrupule, car seul Dieu juge et oblige, et nul n’est en mesure de reconnaître la pure perfection de l’action morale ou la réalité même de la Bonté voulue par Qu. 22, 391. Qu. 26, 519 : Major autem probabilitas est moralis certitudo ut praeter Recentiores unanimiter tradunt. Antiqui Gabriel, Angelus, Antonimus, Nider, Gerson, aliique allati qu. 22 ergo hoc axioma locum non habet nisi per modum consilii, quando utraque contra­ dictionis pars est directe certo probabilis. 54 Qu. 22, 391. 52 53



Scepticisme et Religion : Constantes et évolutions, de la Philosophie Hellénistique à la Philosophie Médiévale, edited by Anne-Isabelle Bouton-Touboulic, and Carlos Lévy, Brepols Publishers, 2016. ProQuest Ebook Central, http://ebookcentral.proquest.com/lib/ybp-ebookcentral/ Created from ybp-ebookcentral on 2020-03-28 10:10:21.

Dieu : Deus neminem obligat ad impossibile (sentence attribuée à saint Jérôme et citée par Nider, ch. xx). L’amour absolu des créatures pour Dieu parvient aux plus beaux résultats ici-bas  : la chance d’une certitude dans l’acte suffisamment bon. Le désir moral, si ardent soit-il, doit renoncer à tout effet super‑ latif et consentir à l’asymétrie spirituelle, du Ciel à la Terre. L’Homme consciencieux agit, Dieu s’en contente et il pardonne.

Scepticisme et Religion : Constantes et évolutions, de la Philosophie Hellénistique à la Philosophie Médiévale, edited by Anne-Isabelle Bouton-Touboulic, and Carlos Lévy, Brepols Publishers, 2016. ProQuest Ebook Central, http://ebookcentral.proquest.com/lib/ybp-ebookcentral/ Created from ybp-ebookcentral on 2020-03-28 10:10:21.

BIBLIOGRAPHIE

Sauf mention contraire, les textes classiques sont cités d’après les éditions/traductions de la « Collection des Universités de France », et les textes patristiques dans les collections des « Sources Chrétiennes » (SC) et de la « Bibliothèque Augustinienne » (BA). Les exceptions à cette règle figurent dans la bibliographie. Althoff, J. (1999) : « Zur Epikurrezeption bei Laktanz », dans T. Fuhrer, M. Erler (in Zusammenarbeit mit K. Schlapbach) Hrsg., Zur Rezeption der hellenistischen Philosophie in der Spätantike, Akten der 1. Tagung der Karl-und-Gertrud-Abel-Stiftung vom 22.-25. September 1997 in Trier, Stuttgart, 33-53. Amata, B. (1989) : « Dubbio e certezza in Arnobio di Sicca », dans E. A. Livingstone éd., Studia Patristica 21, 217‑245. Annas, J. (2011) : « Ancient Scepticism and Ancient Religion », dans B. Morison, K. Ierodiakonou éds, Episteme, etc. : Essays in Honour of Jonathan Barnes, Oxford, 74‑88. Annas, J., Barnes, J. tr. (2000²) : Sextus Empiricus : Outlines of Scepticism, Cambridge. Aouad, M., Brisson, L. (1994) : « Diagoras de Mélos », dans R. Goulet (1994), 750‑757. Auvray-Assayas, C. (2002) : Cicéron, La nature des dieux, Paris. Babut, D. (1974) : La religion des philosophes grecs. De Thalès aux Stoïciens, Paris. — (1994) : « Du scepticisme au dépassement de la raison. Philosophie et foi religieuse chez Plutarque », dans Id., Parerga. Choix d’articles de Daniel Babut (1974-1994), Lyon, 549-581.

Scepticisme et Religion : Constantes et évolutions, de la Philosophie Hellénistique à la Philosophie Médiévale, edited by Anne-Isabelle Bouton-Touboulic, and Carlos Lévy, Brepols Publishers, 2016. ProQuest Ebook Central, http://ebookcentral.proquest.com/lib/ybp-ebookcentral/ Created from ybp-ebookcentral on 2020-03-28 10:10:21.

Bibliographie

— (2007) : « L’unité de l’Académie selon Plutarque. Notes en marge d’un débat ancien et toujours actuel », dans M. Bonazzi, C. Lévy, C. Steel éds, A Platonic Pythagoras. Platonism and Pythagoreanism in the Imperial Age, Turnhout, 63‑98. Baehrens, W. (1915) : « Literarhistorische Beiträge III. Zu Minucius Felix », Hermès 50, 456‑463. Bailey, A. (2002) : Sextus Empiricus and Pyrrhonean Scepticism, Oxford. Balaudé, J.-F. (1994) : Épicure. Lettres, maximes, sentences, Paris. Bammel, C. P. (1993) : « Pauline Exegesis, Manichaeism and Philosophy in the early Augustine », dans L. R. Wickham, C. P. Bammel éds, assisté de E. C. D. Hunter, Christian Faith and Greek Philosophy in Late Antiquity, Essays in tribute to G. C. Stead, Leiden/New York/Köln, 1‑25. Barnes, J. (1990) : « Pyrrhonism, Belief and Causation. Observations on the Scepticism of Sextus Empiricus  », Aufstieg und Niedergang der Römischen Welt II/36, 4, Berlin/New York, 2608‑2695. — (1997) : « The Beliefs of a Pyrrhonist », dans M. F. Burnyeat, M. Frede éds, The Original Sceptics : A Controversy, 58‑91. Bastianini, G., Sedley, D. éds, (1995) : Commentarium in Platonis « Theaetetum », dans Corpus dei Papiri Filosofici Greci e Latini, testi e lessico nei papiri di cultura greca e latina, III, Florence, 227‑562 et 615‑648. Beeson, Ch. (1948) : « Lupus of Ferrieres and Hadoard », Classical Philology 43, 190‑191. Bénatouïl, Th. (1997) : Le scepticisme, Paris. Bermon, E. (2001) : Le Cogito dans la pensée de saint Augustin, Paris. — (2009) : « Contra Academicos vel de Academicis (Retract. I, 1) : saint Augustin et les Academica de Cicéron », dans A.-I. Bouton éd., Une Tradition sceptique : la réception des Academica de Cicéron dans l’ Antiquité, journée d’études du 23 janvier 2008, Bordeaux, Revue des Études Anciennes 111, 75‑93. — (2011)  :  «  L’idée d’une doctrine secrète des Nouveaux Académiciens  », dans S. Lancel et alii éds, Saint Augustin. Lettres 1‑30, BA 40/A, Paris, NC 2, 521‑523. Bett, R. (1994) : « Aristocles on Timon on Pyrrho : the Text, its Logic and its Credibility », Oxford Studies in Ancient Philosophy 12, 137‑181. — (1997) : Sextus Empiricus, Against the Ethicists, Oxford. — (2000) : Pyrrho, his Antecedents, and his Legacy, Oxford. — éd., (2010) : The Cambridge Companion to Ancient Scepticism, New York. — (2013) : « A Sceptic Looks at Art (but not Very Closely) : Sextus Empiricus on Music », International Journal for the Study of Skepticism 3/3, 155‑181. — (2015) : « God (M IX.13‑194) », dans K. Algra, K. Ierodiakonou éds, Sextus Empiricus and Ancient Physics, Cambridge, 33‑73. — (à paraître) : « Against the Physicists on Gods (M. IX, 13‑194) », Proceedings of the 2007 Symposium Hellenisticum.



Scepticisme et Religion : Constantes et évolutions, de la Philosophie Hellénistique à la Philosophie Médiévale, edited by Anne-Isabelle Bouton-Touboulic, and Carlos Lévy, Brepols Publishers, 2016. ProQuest Ebook Central, http://ebookcentral.proquest.com/lib/ybp-ebookcentral/ Created from ybp-ebookcentral on 2020-03-28 10:10:21.

Bibliographie

Bischoff, B. (1961) : « Hadoardus and the Manuscripts of Classical Authors from Corbie », dans S. Prete éd., Didascaliae, Studies in honor of Anselm M. Albareda, Prefect of the Vatican library, presented by a group of American scholars, New York. Bobzien, S. (1998) : Determinism and Freedom in Stoic Philosophy, Oxford. Bochet, I. (2004) : « Le Firmament de l’Écriture ». L’herméneutique augustinienne, Paris. Boland, P. (1959)  : The Concept of «  Discretio Spirituum  » in John Gerson’s « De Probatione spirituum » and « De Distinctione verarum visionum a falsis », Washington. Bonazzi, M. (2003) : Academici e Platonici. Il dibattito antico sullo scetticismo di Platone, Milan. — (2008) : « L’offerta di Plutarco. Teologia e filosofia nel De E apud Delphos (capitoli 1‑2) », Philologus 152, 205‑211. — (2011) : « A Pyrrhonian Plato ? Again on Sextus on Aenesidemus on Plato », dans E. Machuca éd., New Essays on Ancient Pyrrhonism, Leiden/Boston, 11‑26. — (2012) : « Plutarch On the Difference between the Pyrrhonists and the Academics », Oxford Studies in Ancient Philosophy 43, 271‑298. — (2015) : En quête des Idées. Platonisme et philosophie hellénistique d’ Antiochus à Plotin, Paris. Bost H., Mc Kenna, A. éds, (2010) : Les « Éclaircissements » de Pierre Bayle. Édition des « Éclaircissements » du Dictionnaire historique et critique et études, Paris. Boudet, J.-P. (2006) : Entre science et nigromance. Astrologie, divination et magie dans l’Occident médiéval (xiie‑xve siècle), Paris. Bouton-Touboulic, A.-I. (2004) : L’ordre caché. La notion d’ordre chez saint Augustin, Paris. — (2009) : « Augustin lecteur de Cicéron dans le Contra Academicos », dans ead. éd., Une tradition sceptique : Les Academica de Cicéron et leur réception antique, Actes de la journée d’études du 23 janvier 2008, Bordeaux, Revue des Études Anciennes 111/1, 95‑114. — (2013) : « Scepticism – (up to Descartes) », dans K. Pollmann, W. Otten éds, The Oxford Guide to the Historical Reception of Augustine, vol. 3, Oxford, 1205‑1208. Boyancé, P. (1937) : Le culte des Muses chez les philosophes grecs, Paris. Boyer, B. B., McKeon, R. éds, (1977) : Abélard, Sic et Non, Chicago/London. Brague, R. (1993) : Saint Bernard et la philosophie, Paris. Brahami, F. (1998)  :  «  L’articulation du scepticisme religieux et du scepticisme profane dans l’Histoire du scepticisme d’Érasme à Spinoza, de Richard H. Popkin », Revue de synthèse 119, 293‑305. Bréhier, É. (1907) : Les idées philosophiques et religieuses de Philon d’ Alexandrie, Paris.



Scepticisme et Religion : Constantes et évolutions, de la Philosophie Hellénistique à la Philosophie Médiévale, edited by Anne-Isabelle Bouton-Touboulic, and Carlos Lévy, Brepols Publishers, 2016. ProQuest Ebook Central, http://ebookcentral.proquest.com/lib/ybp-ebookcentral/ Created from ybp-ebookcentral on 2020-03-28 10:10:21.

Bibliographie

Brunschwig, J. (1994) : « Once again on Eusebius on Aristocles on Timon on Pyrrho  », dans J.  Brunschwig éd., Papers in Hellenistic Philosophy, Cambridge, 212‑223. — (1995)  :  «  Le titre des Indalmoi de Timon  : d’Ulysse à Pyrrhon  », dans J. Brunschwig éd., Études sur les philosophies hellénistiques : épicurisme, stoïcisme, scepticisme, Paris, 271‑287. — (1997a)  :  «  L’aphasie pyrrhonienne  », dans C.  Lévy, L.  Pernot éds, Dire l’évidence, Paris, 297‑320. — (1997b)  :  «  Pyrrhon  », dans M.  Canto-Sperber et alii éds, Philosophie grecque, Paris, 466‑472. — (1999) : « The Beginnings of Hellenistic Epistemology », dans K. Algra éd., The Cambridge History of Hellenistic Philosophy, Cambridge, 241‑250. — et P. Pellegrin tr. (2001) : Long, A. A., Sedley, D. N., Les philosophies hellénistiques, III : Les Académiciens. La renaissance du pyrrhonisme, Paris, « GF » (éd. originale : 1987). Brunt, P. A. (1989) : « Philosophy and Religion in the Late Republic », dans M. Griffin, J. Barnes éds, Philosophia togata. Essays on Philosophy and Roman Society, Oxford, 174‑198. Burger, C. (1986) : Aedificatio, fructus, utilitas : Johannes Gerson als Professor der Theologie und Kanzler der Universität Paris, Tübingen. Burnyeat, M. (1983) : « Can the Skeptic live His Skepticism ? », dans M. Burn­ yeat éd., The Skeptical Tradition, Berkeley/Los Angeles/London, 117‑148 (paru dans M. Schofield et alii éds, Doubt and Dogmatism, Studies in hellenistic Epistemology, Oxford, 1980). Bury, R. G. tr. (2006) : Sextus Empiricus, Against the Mathematicians (3 vols.), Loeb Classical Library, Londres/Cambridge (Ma) (première impression : 1935). Canévet, M. (1983) : Grégoire de Nysse et l’herméneutique biblique. Étude des rapports entre le langage et la connaissance de Dieu, Paris. Capéran, L. (1934) : Le problème du salut des infidèles, Toulouse. Caquot, A. (1959)  :  «  Sur une désignation vétéro-testamentaire de “l’insensé” », Revue de l’histoire des religions 155, 1-16. Cary, Ph. (2007) : « Scettici, scetticismo », dans A. D. Fitzgerald éd., Agostino : dizionario enciclopedico, édité par L. Alici et A. Pieretti, Roma, 1252‑1254. Catapano, G. éd., (2005) : Agostino, Contro gli Accademici, texte latin, introduction, traduction, notes et apparat, Milan. — (2006a) : « Quale scetticismo viene criticato da Agostino nel Contra Academicos ? », Quaestio. Annuario di storia della metafisica 6, 1‑13. — (2006b) : Aurelio Agostino, Tutti i dialoghi : Contro gli Accademici – La vita felice – L’ordine – Soliloqui – L’immortalità dell’anima – La grandezza dell’anima – Il libero arbitrio – La musica – Il maestro, testo latino a fronte, introduzione generale, presentazioni ai dialoghi e note di G. Catapano, Traduzioni di M. Bettetini, G. Catapano, G. Reale, Milano.



Scepticisme et Religion : Constantes et évolutions, de la Philosophie Hellénistique à la Philosophie Médiévale, edited by Anne-Isabelle Bouton-Touboulic, and Carlos Lévy, Brepols Publishers, 2016. ProQuest Ebook Central, http://ebookcentral.proquest.com/lib/ybp-ebookcentral/ Created from ybp-ebookcentral on 2020-03-28 10:10:21.

Bibliographie

Charles, S. (2008)  :  «  Introduction. Le scepticisme à l’âge classique  : enjeux et perspectives  », Philosophiques 35/1, 161‑169, , consulté le 11 novembre 2015. Charrue, J.-M. (1993) : Plotin lecteur de Platon, Paris. Conche, M. (1973/1994) : Pyrrhon ou l’apparence, Villers-sur-Mer, (republié à Paris, PUF, 1994). Corti, L. (2009) : Scepticisme et langage, Paris. Couissin, P. (1941) : « Les sorites de Carnéade contre le polythéisme », Revue des Études Grecques 54, 43‑57. Courcelle, P. (1968²) : Recherches sur les Confessions de Saint Augustin, Paris. Daniélou, J. (1944) : Platonisme et théologie mystique. Essai sur la doctrine spirituelle de Saint Grégoire de Nysse, Paris. — (1967) : « Les tuniques de peau chez Grégoire de Nysse », dans G. Müller, W. Zeller éds, Glaube, Geist, Geschichte. Festschrift für Ernst Benz zum 60. Geburtstage am 17. November 1967, Leiden, 355‑367. Daur, K. D. éd., (2009) : Augustinus, Epistulae 101‑139, Corpus Christianorum Series Latina 31/B, Turnhout. Decleva Caizzi, F. (1981) : Pirrone Testimonianze, Napoli. — (1992) : « Sesto e gli scettici », Elenchos 13, 279‑327. Decret, F. (1978) : L’ Afrique manichéenne (ive‑ve siècles), t. 1 : étude historique et doctrinale, Paris. De Lacy, Ph. H. (1958) : « Οὐδὲν μᾶλλον and the Antecedents of Ancient Scepticism », Phronesis 3, 59‑71(repris dans Essays in Ancient Greek Philosophy, Albany, 1971, 593‑606). Delattre, D., Pigeaud, J. (2010) : Les Épicuriens, Paris. Demanche, D. (2013) : Provocation et vérité, Paris. Demange, D. tr. (2013) : Henri de Gand, Sur la possibilité de la connaissance humaine. Paris, « Translatio ; Philosophies Médiévales ». De Negroni, B. (2008)  : «  Scepticisme et fidéisme  », Cahiers philosophiques 115, 95‑97. De Rijk, L. M. éd. (1994) : Nicholas of Autrecourt, His Correspondance with Master Giles & Bernard of Arezzo, édition critique avec introduction et traduction anglaise, Leiden/New York/Köln. Dillon, J. (19962 ) : The Middle Platonists, Londres. Dombart, B., Kalb, A. éds, (1955) : Sancti Aurelii Augustini, De Ciuitate Dei contra paganos Libri  XXII,  Corpus Christianorum Series Latina 47 (Libri I-X)-48 (Libri XI-XXII), Turnhout. Donini, P. L. (1973) : « Crisippo e la nozione del possibile », Rivista di Filologia e di Istruzione classica 101, 333‑351. — (1986)  :  «  Lo scetticismo academico, Aristotele e l’unità della tradizione platonica secondo Plutarco », dans G. Cambiano éd., Storiografia e dossografia nella filosofia antica, Turin, 203‑214.



Scepticisme et Religion : Constantes et évolutions, de la Philosophie Hellénistique à la Philosophie Médiévale, edited by Anne-Isabelle Bouton-Touboulic, and Carlos Lévy, Brepols Publishers, 2016. ProQuest Ebook Central, http://ebookcentral.proquest.com/lib/ybp-ebookcentral/ Created from ybp-ebookcentral on 2020-03-28 10:10:21.

Bibliographie

— (2011) Commentary and Tradition. Aristotelianism, Platonism, and Post-Hellenistic Philosophy, M. Bonazzi éd., Berlin/New York. Dor, J. (2000) : Introducción a la lectura de Lacan. El inconsciente estructurado como lenguaje, Barcelone. Douglass, S. (2005) : Theology of the Gap. Cappadocian Language Theory and the Trinitarian Controversy, New York. Dross, J. (2010), Voir la philosophie. Les représentations de la philosophie à Rome, Paris. Dumont, J.-P. (1988) : Les Présocratiques, Paris. Ellies du Pin, M. L. (1706) : Johannis Gersonii Omnia Opera, Appendix 1, Petri de Alliaco, Cardinalis Cameracensis, De falsis Prophetis, Tractatus ii, vol. 1, col. 588, Antwerp. Evans, E. éd., (1969)  : Aurelii Augustini Opera, Pars  XIII, 2, Enchiridion ad Laurentium de fide et spe et caritate, Corpus Christianorum Series Latina 46, Turnhout, 49‑119. Faes de Mottoni, B. (1981)  :  «  Isidoro di Siviglia e gli Accademici  », dans G. Giannantoni éd., Lo scetticismo antico, Naples, 393‑414. — (1982)  :  «  Lattanzio e gli Academici  », Mélanges de l’École Française de Rome. Antiquité 94, 335‑377. Faller, S. (2008) : « Lebensgeschichtliche Anhaltspunkte in Augustins Contra Academicos  », dans Th.  Fuhrer éd., Die christlich-philosophischen Diskurse der Spätantike. Texte, Personen, Institutionen. Akten der Tagung vom 22.-25. Februar 2006, am Zentrum für Antike und Moderne der Albert-Ludwigs-Universität Freiburg, Stuttgart, 81‑97. Fauquier, F. (2008) : Exégèses néoplatoniciennes de la première hypothèse du Parménide, thèse soutenue à l’Université de Paris I, sous la direction de Luc Brisson. — (2013) : « Y a t-il du nouveau chez les néoplatoniciens ? », dans L. Echalier, Ch. Guérin, S. Luciani, B. Pérez-Jean éds, QVID NOVI ? Vivre, penser et dire la nouveauté, Montpellier, 425‑444. Ferrari, F. (1992) : « Il problema della trascendenza nell'ontologia di Plutarco », Rivista di Filosofia Neoscolastica, 88, 363-389. Festugière, A.-J. (1990) : La révélation d’Hermès Trismégiste IV : Le Dieu inconnu et la gnose, Paris. — (1997) : Épicure et ses dieux, Paris. Frazier, F. (2008)  :  «  Philosophie et religion dans la pensée de Plutarque. Quelques réflexions autour des emplois du mot πίστις », Études platoniciennes 5, 41‑62. Fuhrer, Th. (1997) : Augustin, Contra Academicos (uel De Academicis) Bücher 2 und 3. Einleitung und Kommentar, Berlin/New York.



Scepticisme et Religion : Constantes et évolutions, de la Philosophie Hellénistique à la Philosophie Médiévale, edited by Anne-Isabelle Bouton-Touboulic, and Carlos Lévy, Brepols Publishers, 2016. ProQuest Ebook Central, http://ebookcentral.proquest.com/lib/ybp-ebookcentral/ Created from ybp-ebookcentral on 2020-03-28 10:10:21.

Bibliographie

— (1999)  :  «  Zum erkenntnistheoretischen Hintergrund von Augustins Glaubensbegriff », dans Th. Fuhrer, M. Erler éds, Zur Rezeption der hellenistischen Philosophie in der Spätantike. Akten der 1. Tagung der Karl-und Gertrud-Abel-Stiftung vom 22‑25 September 1997 in Trier, Stuttgart, 191‑211. Gigante, M. (1981) : Scetticismo e epicureismo. Per l’avviamento di un discorso storiografico, Naples. Gigon, O. (1979) : « Lactantius und die Philosophie », dans A. M. Ritter éd., Kerygma und Logos : Beiträge zu den geistesgeschichtlichen Beziehungen zwischen Antike und Christentum. Festschrift für Carl Andresen zum 70. Geburtstag, Göttingen, 196‑213. — (1985) : « Augustins De utilitate credendi », dans C. Schaüblin éd., Catalepton. Festschrift Bernhard Wyss, Basel, 138‑157. Giocanti, S. (1998) : « Histoire du fidéisme, histoire du scepticisme », Revue de synthèse 119/2‑3, 193‑210. Glidden, D.  K. (1994)  :  «  Parrots, Pyrrhonists and Native Speakers  », dans S. Everson éd., Language, New York, 129‑148. Glorieux, P. éd., (1963/1967/1971/1973) : Jean Gerson, L’œuvre magistrale iii (87‑105), Paris/Tournai, 1963 ; id., L’œuvre française vii (292‑339), Paris, 1967 ; id., L’œuvre spirituelle et pastorale viii (399‑422), Paris, 1971 ; id., L’œuvre doctrinale ix (423‑491), Paris, 1973. Glucker, J. (1978) : Antiochus and the Late Academy, Göttingen. Goldbacher, A. éd., (1903) : Sancti Aurelii Augustini Hipponiensis Episcopi Epistulae, Pars III (Ep. 124‑184A), Corpus Scriptorum Ecclesiasticorum Latinorum, Vindobonae/Lipsiae. Görler, W. (2008) : « Perturbatio uitae, si ita sit, atque officiorum omnium consequatur. À propos d’un mode d’argumentation cicéronien », Revue de Métaphysique et de Morale 57, 45‑60. Goulet-Cazé, M.-O. dir., (1999) : Diogène Laërce. Vies et Doctrines des Philosophes illustres, Paris. Goulet, R. éd., (1994) : Dictionnaire des philosophes antiques, Paris, t. 2. Green, W. M. éd., (1970) : Sancti Aureli Augustini Contra Academicos, De beata uita, De ordine ; De Magistro, K. D. Daur éd. ; De Libero arbitrio, W. M. Green éd., Corpus Christianorum Series Latina 29/2, Turnhout. Grellard, Ch. (2004) : « Comment peut-on se fier à l’expérience ? Esquisse d’une typologie des réponses médiévales au scepticisme », Quaestio 4, 113‑135. — (2007) : « Scepticism, Demonstration and the Infinite Regress Argument (Nicholas of Autrecourt and John Buridan) », Vivarium 42/2‑3, 328‑342. — (2011a)  :  «  Academicus  », dans I.  Atucha, D.  Calma, C.  König-Pralong, I. Zavaterro éds, Mots médiévaux offerts à Ruedi Imbach, Turnhout, 7‑18. — (2011b) : « Peut-on connaître quelque chose de nouveau ? Variations médiévales sur l’argument du Ménon », Revue Philosophique 1, 37‑66.



Scepticisme et Religion : Constantes et évolutions, de la Philosophie Hellénistique à la Philosophie Médiévale, edited by Anne-Isabelle Bouton-Touboulic, and Carlos Lévy, Brepols Publishers, 2016. ProQuest Ebook Central, http://ebookcentral.proquest.com/lib/ybp-ebookcentral/ Created from ybp-ebookcentral on 2020-03-28 10:10:21.

Bibliographie

— (2012) : « Scepticisme et incroyance. La querelle entre Pierre Abélard et Guillaume de Saint-Thierry sur le statut de la foi », Citeaux 63, 245‑262. — (2013a) : « La seconde acculturation chrétienne de Cicéron : la réception des Académiques du ixe au xiie siècle », Astérion 11. < http://asterion.revues.org/2350>, consulté le 24 juillet 2013. — (2013b) : Jean de Salisbury et la Renaissance médiévale du scepticisme, Paris. — (2014) : « Le sermon comme exercice de casuistique chez Jean Gerson », Revue des Sciences philosophiques et théologiques 98, 457‑477. — (2015)  : «  Probabilisme et approximation du vrai au xive siècle  », dans J.‑Ph. Genet dir., La vérité. Vérité et crédibilité : construire la vérité dans le système de communication de l’Occident (xiiie‑xviie siècle), Paris, 65‑79. Grosse, S. (1990)  : Heilsungewissheit und Scrupulositas im späten Mittelalter, Studien zu Johannes Gerson und Gattungen der Frömmigkeitstheologie seiner Zeit, Tübingen. Hadot, P. (2010) : Études de patristique et d’histoire des concepts, Paris, 88‑95 (Compte-rendu des conférences données à l’École Pratique des Hautes Études en 1968‑1969). Hamelin, O. (1978) : Sur le « De fato », Paris. Hankinson, R. J. (1988) : « Stoicism, Science and Divination », Apeiron 21 (suppl. vol.), 123‑160. — (1995) : The Sceptics, London/New York. Heck, E. (1978) : « Iustitia civilis-iustitia naturalis : à propos du jugement de Lactance concernant les discours sur la justice dans le De republica de Cicéron », dans J. Fontaine, M. Perrin éds, Lactance et son temps. Recherches actuelles, actes du IVe Colloque d’Études Historiques et Patristiques (Chantilly 21‑23 septembre 1976), Paris, 171‑184. Heck, E., Wlosok, A. éds, (1994) : Lactantius, Epitome Divinarum Institutionum, Stuttgartiae et Lipsiae. — éds, Lactantius, Diuinarum Institutionum libri septem – Berolini et Novi Eboraci  ; libri I-II (2005)  ; libri III-IV (2007)  ; libri V-VI (2009)  ; liber VII, appendix, indices (2011). Helmig, Chr. (2012) : Forms and Concepts. Concept Formation in the Platonic Tradition, Berlin/Boston. Henrichs, A. (1974) : « Die Kritik der stoischen Theologie im PHerc. 1428 », Cronache ercolanesi 4, 5‑32. Hoffmann, A. (1991) : Augustins Schrift « De utilitate credendi ». Eine Analyse, Münster. — (1997) : « “Ich will Dir zeigen, welchen Weg ich genommen habe… ”. Zur Funktionalisierung der eigenen Vita in Augustins Schrift De utilitate credendi », dans B. Czapla, T. Lehmann, S. Liell éds, Vir bonus dicendi peritus. Festschrift für Alfons Weische, Wiesbaden, 165‑180.



Bibliographie

Hoffmann, Ph. (1997)  :  «  L’expression de l’indicible dans le néoplatonisme grec de Plotin à Damascius », dans C. Lévy, L. Pernot éds, Dire l’évidence, Paris, 335‑390. Holtz, L. (1998) : « L’humanisme de Loup de Ferrières », dans C. Leonardi éd., Gli Umanesimi medievali, Firenze, 200‑213. Ingenkamp, H. (1985) : « Luciano e Plutarco : due incontri con il divino », Annali della Facoltà di Lettere e Filosofia di Siena 6, 29-45. Ingremeau, Ch. (2003) : « Lactance et la justice du livre V au livre VI des Institutions divines », dans J.‑Y. Guillaumin, S. Ratti éds, Autour de Lactance : Hommages à Pierre Monat, Paris, 43‑52. Inwood, B. (1992) : The Poem of Empedocles, Toronto. Ioppolo, A. M. (1985) : « Vlastos e l’elenchos socratico », Elenchos 6, 151‑162. — (1994) : « Il concetto di causa nella filosofia ellenistica e romana », Aufstieg und Niedergang der Römischen Welt II, 36/7, 4491‑4545. — (2002) : « L’astrologia nel De fato di Cicerone », dans A. Pérez Jiménez, R. Caballero éds, Homo Mathematicus. Actas del Congreso Internacional sobre Astrólogos Griegos y Romanos, Benalmádena, 8‑10 de Octobre 2001, Malaga, 227‑248. — (2007) : « La critica di Carneade al concetto stoico di causa in Cic. De Fato 31‑37 », Lexis 25, 103‑119. — (2008) : « Arcésilas dans le Lucullus de Cicéron », Revue de Métaphysique et de Morale 57, 21‑44. — (2012) : « Chrysippus and the Action Theory of Aristo of Chios », dans R. Kamtekar éd., Virtue and Happiness : essays in honour of Julia Annas, Oxford Studies in Ancient philosophy, suppl. vol., Oxford, 197‑222. Isnardi Parente, M. (1988) : « Plutarco contro Colote », in I. Gallo éd., Aspetti dello stoicismo e dell'epicureismo in Plutarco, Ferrara. Kaluza, Z. (1988) : Les querelles doctrinales à Paris : nominalistes et réalistes aux confins du xive et du xve siècle, Bergamo. Kany-Turpin, J. tr., (2010) : Cicéron, Les Académiques, Academica, introduction par P. Pellegrin, Paris. Kantola, I. (1994) : Probability and Moral Uncertainty in Late Medieval and Early Modern Times, Helsinky. Karfíková, L., Douglass, S., Zachhuber, J. éds, (2007) : Gregory of Nyssa : Contra Eunomium  II. An English Version with Supporting Studies, Leiden/ Boston. Keats-Rohan, K. S. B. éd., (1993) : Iohannes Sarresberiensis, Policraticus I-IV, Corpus Christianorum Continuatio Medievalis 117, Turnhout, 1993. Keeler, L. W. (1933) : « St. Augustine on the Problem of Error », Thought 8, 410‑430. Kendeffy, G. (1995) : « Un argument sceptique chez Cicéron et saint Augustin », Acta Classica Universitatis Debreceniensis 31, 115‑124.



Bibliographie

— (2010) : « Lactantius on the Function of the Two ways », dans J. Baun et alii éds, Studia Patristica 46, Leuven/Paris/Walpole Ma, 39‑44. — (2011) : « Velamentum stultitiae : 1 Cor 1 : 20 f. and 3 : 19 in Lactantius’ Divine Institutes », dans J. Ulrich, A-Chr. Jacobsen, D. Brakke éds, Invention, Rewriting, Usurpation. Discursive Fights over Religious Traditions in Antiquity (Early Christianity in the Context of Antiquity – Vol. 11), Frankfurt am Main/Berlin/Bern/Bruxelles/New York/Oxford/Wien, 57‑70. Knuuttila, S., Sihvola, J. (2000) : « Ancient Scepticism and Philosophy of Religion », dans J. Sihvola éd., Ancient Scepticism and the Sceptical Tradition (Acta Philosophica Fennica 66), Helsinki, 125‑144. Kühn, W. (2009) : Quel savoir après le scepticisme ? Plotin et ses prédécesseurs sur la connaissance de soi, Paris. Lagerlund, H. (2010) : Rethinking the history of skepticism : the missing medieval background, Leiden. Laird, M. (2001) : «“Whereof We Speak” : Gregory of Nyssa, Jean-Luc Marion and the Current Apophatic Rage », The Heythrop Journal, 42, 1-12. Lapidge, M. (1994) : « Stoic Cosmology and Roman Literature : First to Third Centuries A. D.  », Aufstieg und Niedergang der Römischen Welt  II, 36/3, 1379‑1429. Le Bonniec, H. (1984) : « L’exploitation apologétique par Arnobe du De natura deorum de Cicéron », dans R. Chevallier éd., Présence de Cicéron. Hommage au R. P. M. Testard. Actes du colloque des 25‑26 septembre 1982, Paris, « Caesarodonum » 19 bis, 89‑101. —(1974) : « “Tradition de la culture classique” : Arnobe témoin et juge des cultes païens », Bulletin de l’ Association Guillaume Budé 2, 201‑222. Lévy, C. (1978) : « Scepticisme et dogmatisme dans l’Académie : l’“ésotérisme” d’Arcésilas », Revue des Études Latines 56, 335‑348. — (1980) : « Opinion et certitude dans la philosophie de Carnéade », Revue belge de philologie et d’histoire 58, 30‑46. — (1992) : Cicero Academicus. Recherches sur les Académiques et sur la philosophie cicéronienne, Rome. — (1993) : « La Nouvelle Académie a-t-elle été anti-platonicienne ? », dans M. Dixsaut éd., Contre Platon I : Le platonisme dévoilé, Paris, 139‑156. — (1997) : « De Chrysippe à Posidonius : variations stoïciennes sur le thème de la divination », dans J. G. Heintz éd., Oracles et prophéties dans l’ Antiquité. Actes du Colloque de Strabourg 15‑17 juin 1995, Paris, 321‑343. — (2003) : « La question du pouvoir dans le pyrrhonisme », dans S. Franchet d’Espèrey, V. Fromentin, S. Gotteland, M. Roddaz éds, Fondements et crises du pouvoir, Bordeaux, 47‑56. — (2005a) : « Deux problèmes doxographiques chez Philon d’Alexandrie : Posidonius et Énésidème », dans A. Brancacci éd., Philosophy and Doxography in the Imperial Age, Florence, 79‑102.



Bibliographie

— (2005b) : « L’Académicien et le Cynique : Augustin et la négation de l’altérité », Pallas 69, 195‑205. — (2008a) : Les scepticismes, « Que-sais-je ? », Paris. — (2008b) : « La conversion du scepticisme chez Philon d’Alexandrie », dans F. Alesse éd., Philo of Alexandria and Post-Aristotelian Philosophy, Leiden, 103‑120. — (2009) : « Le scepticisme et les arts, de Pyrrhon à Énésidème », dans F. Le Blay éd., Transmettre les savoirs dans les mondes hellénistique et romain, Rennes, 93‑106. — (2010) : Devenir dieux. Désir de puissance et rêves d’éternité chez les Anciens. Textes réunis et présentés par C.  Lévy, précédé d’un entretien avec J. Scheid, Paris, xv-xxxix. — (2013) : « Plutarque juge et partie : à propos des débats entre l’Académie, le Jardin et le Portique », Aitia. Regards sur la culture hellénistique au xxe siècle 3. Ligota, Chr. (1997) : « La foi historienne : histoire et connaissance de l’histoire chez s. Augustin », Revue d’Études Augustiniennes 43, 111‑171. Löhrer, M. (1955)  : Der Glaubensbegriff des hl. Augustinus in seinen ersten Schriften bis zu den Confessiones, Einsiedeln/Zürich/Köln. Loi, V. (1964) : « Per la storia del vocabolo “sacramentum” : “sacramentum” in Lattanzio », Vigiliae Christianae 18/2, 85‑107. — (1974/1975) : « Il termine arcanum e la disciplina dell’arcano nelle testimonianze di Lattanzio », Annali della Facoltà di Lettere, Filosofia e Magistero dell’Università di Cagliari 37, 71‑89. Long, A. A. (1982) : « Astrology : Arguments Pro and Contra », dans J. Barnes, J. Brunschwig, M. Burnyeat, M. Schofield éds, Science and Speculation. Studies in Hellenistic Theory and Practice, Cambridge, 1982, 165‑192 (rééd. dans id., 2006, From Epicurus to Epictetus. Studies in Hellenistic and Roman Philosophy, Oxford, 128‑153). — (2006) : « Scepticism about Gods », dans id., From Epicurus to Epictetus. Studies in Hellenistic and Roman Philosophy, Oxford, 114‑127. Long, A. A., Sedley, D. N. (2001) : Les philosophies hellénistiques, III : Les Académiciens. La renaissance du pyrrhonisme, Paris, « GF », traduction française par J. Brunschwig et P. Pellegrin (éd. originale : Cambridge, 1987). Ludlow, M. (2007) : Gregory of Nyssa, Ancient and (Post)modern, Oxford. Lütcke, K. H. (1968) : « Auctoritas » bei Augustin. Mit einer Einleitung zur römischen Vorgeschichte des Begriffs, Stuttgart/Berlin/Köln/Mainz. — (1994)  :  «  Auctoritas  », dans C.  Mayer éd., Augustinus-Lexikon 1, Basel, 498‑510.



Bibliographie

Machuca, D. (2011) : « Ancient Skepticism : Overview », Philosophy Compass 6/4, 234‑245. Maia Neto, J. R. (1995) : The Christianization of Pyrrhonism : Scepticism and Faith in Pascal, Kierkegaard, and Shestov, « Archives Internationales d’histoire des idées » 144, Dordrecht/Boston/London. Maierù, A., Valente, L. (2008), « Scetticismo e criticismo nel Medioevo », dans M. De Caro, E. Spinelli éds, Scettticismo. Una vicenda filosofica, Roma. Mandouze, A. (1958) : « Saint Augustin et la religion romaine », Recherches Augustiniennes 1, 187‑223. — (1968) : Saint Augustin. L’aventure de la raison et de la grâce, Paris. Mansfeld, J. (1992) : Heresiography in Context. Hippolytus’ Elenchos as a source for Greek Philosophy, Leyde. Marchand, S. (2013) : « Les Academica dans le Contra Academicos : détournement et usage du scepticisme académicien par saint Augustin », Astérion 11, , consulté le 24 juillet 2013. —(2015)  : « Sextus Empiricus, scepticisme et philosophie de la vie quotidienne », Philosophie antique, n°15, 91‑119. Marenbon, J. (2005)  : Le temps, l’éternité et la prescience de Boèce à Thomas d’ Aquin, Paris. — (2015) : Pagans and Philosophers : The Problem of Paganism from Augustine to Leibniz, Princeton. Mateo-Seco, L. F., Maspero, G. eds. (2010) : The Brill Dictionary of Gregory of Nyssa, Leiden-Boston. Mates, B. éd., (1996) : The Skeptic Way : Sextus Empiricus’s Outlines of Pyrrhonism, Oxford. Mette, H. (1984) : « Zwei Akademiker heute : Krantor von Soloi und Arkesilaos von Pitane », Lustrum 26, 7‑94. Monat, P. (1982) : Lactance et la Bible, Paris. Mountain, W. J., Glorie, Fr. éds, (1968) : Sancti Aurelii Augustini, De Trinitate Libri I-XII, De Trinitate Libri XIII-XV, 2 vols, Corpus Christianorum Series latina 50‑50/A, Turnhout. Morel, P.-M. (1996) : Démocrite et la recherche des causes, Paris. — (2007) : « Les communautés humaines », dans P.-M. Morel, A. Gigandet éds, Lire Épicure et les épicuriens, 167‑186. — tr. (2011) : Épicure. Lettres, maximes et autres textes, Paris. Mortley, R. (1986a) : From Word to Silence, 1. The Rise and Fall of Logos, « Chapter VII. Thinking Negatively : The Foundations of the Via Negativa », Paper 7. , consulté le 20 mai 2013. — (1986b)  :  From Word to Silence, 2. The Way of Negation, Christian and Greek, « Chapter I. The Middle Platonists, The Mathematicians, and the Gnostics », Paper 2. , consulté le 20 mai 2013.



Bibliographie

Mosshammer, A. (1990) : « Disclosing but not Disclosed : Gregory of Nyssa as Deconstructionist », dans H. R. Drobner, C. Klock éds, Studien zu Gregor von Nyssa und der christlichen Spätantike, Leiden. Mutzenbecher, A. éd., (1975) : Augustinus, De diuersis quaestionibus octoginta tribus. De octo Dulcitii quaestionibus, Corpus Christianorum Series latina 44/A, Turnhout. Naya, E. (2008) : « Le “coup de Talon” sur l’impiété : scepticisme et vérité chrétienne au xvie siècle », Les Études philosophiques 2/85, 141‑160. Nikiprowetzky, V. (1977) : Le commentaire de l’Écriture chez Philon d’ Alexandrie, son caractère et sa portée. Observations philologiques, Leiden. Obbink, D. (1984) : « P. Oxy. 215 and Epicurean religious θεωρία », dans Atti xvii Congresso internazionale di Papirologia (Napoli, 19‑26 Maggio 1983), Napoli, 607‑619. — (1989) : « The Atheism of Epicurus », Greek, Roman and Byzantine Studies 30/2, 187‑223. — (1992) : « “What all men believe – must be true” : Common Conceptions and “consensio omnium” in Aristotle and Hellenistic Philosophy », Oxford Studies in Ancient Philosophy 10, 193‑231. O’Daly, G. (2001) : « The response to skepticism and the mechanisms of cognition », dans E. Stump, N. Kretzmann éds, The Cambridge Companion to Augustine, 159‑170. — (2002) : « Error, falsitas », dans C. Mayer éd., Augustinus-Lexikon 2, Basel, 1092‑1098. O’Leary, J. S. (1982) : « En lisant le De utilitate credendi de saint Augustin », dans id. éd., La croyance, Paris, 29‑49. O’Meara, D. (1990) : « Le problème du discours sur l’indicible chez Plotin », Revue de théologie et de philosophie 122, 145‑156. — (2000) : « Scepticism and Ineffability in Plotinus », Phronesis 45, 240‑251. Opsomer, J. (1998) : In Search of the Truth. Academic Tendencies in Middle Platonism, Bruxelles. Pasnau, R. (1997) : Theories of Cognition in the Later Middle Ages, Cambridge. Pellegrin, P. tr., (1997) : Sextus Empiricus. Esquisses pyrrhoniennes, Paris. — dir., (2002) : Sextus Empiricus. Contre les professeurs, introd. glossaire et index P. Pellegrin ; tr. C. Dalimier, D. et J. Delattre, B. Pérez, Paris. Penelhum, T. (1983)  :  «  Skepticism and Fideism  », The Skeptical Tradition, dans M. Burnyeat éd., Berkeley/Los Angeles/London, 287‑319. — (1984) : God and Skepticism : A Study in Skepticism and Fideism, Dordrecht/ Boston/Lancaster. Penwill, J. (2004)  :  «  Does God Care  ? Lactantius v. Epicurus in the De ira Dei », Sophia 43, 23‑43. Pérez-Jean, B. (2005) : Dogmatisme et scepticisme. L’héraclitisme d’Énésidème, Lille.



Bibliographie

— (2012) : « Pyrrhon d’Élis », dans R. Goulet éd., Dictionnaire des Philosophes antiques, Vb, Paris, 1749‑1771. Pérez-Jean B., Fauquier F. (2014) : Maxime de Tyr, Choix de conférences, Philosophie et religion, Paris. Perin, C. (2010) : The Demands of Reason : An Essay on Pyrrhonian Scepticism, Oxford. Perler, D. (2006) : Zweifel und Gewissheit. Skeptische Debatten in Mittelalter, dans V.  Klostermann éd., «  Philosophische Abhandlungen  » 92, Frankfurt am Main. Perrin, M. (1981) : L’Homme antique et chrétien. L’anthropologie de Lactance, 250‑325, « Théologie Historique » 59, Paris. Pic, A. (1997) : « Saint Augustin et l’impiété de Cicéron : Étude du De Civitate Dei, V, 9 », dans E. A. Livingston éd., Studia Patristica 33, Leuven, 213‑220. Pizzolato, L. F. (1987) : « Il Beata uita o la possibile felicità nel tempo », L’opera letteraria di Agostino tra Cassiciacum e Milano. Agostino nelle terre di Ambrogio (1‑4 ottobre 1986), Palermo, 31‑112. Popkin, R. H. (1979) : The History of Scepticism from Erasmus to Spinoza, Berkeley. — (1995) : Histoire du scepticisme d’Erasme à Spinoza, tr. Ch. Hivet, Paris. Porro, P. (1994)  :  «  Sinceritas veritatis. Sulle trace di un sintagma agostiniano », Augustinus 39, 413‑430. Pradeau, J.-F. dir. (2009) : Les sophistes : fragments et témoignages. I. De Protagoras à Critias, Paris. Quadri, G. (1934) : Il pensiero filosofico di s. Agostino con particolare riguardo al problema dell’errore, Firenze. Reifferscheid, A. éd., (1875)  : Arnobii Aduersus Nationes Libri  VII, Corpus Scriptorum Ecclesiasticorum Latinorum 4, Vindobonae/Lipsiae. Robert, A. (2012) : « L’idée de logique morale aux xiiie et xive siècles », Médiévales 63, 27‑46. Rordorf, W. (1974) : « Saint Augustin et la tradition philosophique anti-fataliste. À propos de civ. Dei 5, 1‑11 », Vigiliae Christianae 28, 190‑202. Roskam, G. (2007) : Live unnoticed (Λάθε βιώσας) : on the vicissitudes of an Epicurean doctrine, Leiden/Boston. Runia, D. (1996) : « Atheists in Aëtius : Text, Translation and Comments on De placitis I 7.1‑10 », Mnemosyne 49, 542‑576. Sambursky, S. (1959) : Physics of the Stoics, London. Schäfer, C. (1996) : Xenophanes von Kolophon : ein Vorsokratiker zwischen Mythos und Philosophie, Stuttgart. Scheid, J. (2013) : Les dieux, l’État et l’individu. Réflexions sur la religion civique à Rome. Paris. Schlapbach, K. (2003) : Augustin Contra Academicos (vel De Academicis) Buch 1, Einleitung und Kommentar, Berlin/New York.



Bibliographie

Schmid, W. (1961)  : s. v. Epikur, dans Reallexikon für Antike und Christentum V, col. 681‑819. Schmitt, C. B. (1972) : Cicero scepticus. A Study of the Influence of the Academica in the Renaissance, The Hague. — (1983), « The Rediscovery of Ancient Skepticism in Modern Times », The Skeptical Tradition, dans M.  Burnyeat éd., Berkeley/Los Angeles/ London, 225‑251. Schofield, M. (1986) : « Cicero for and against Divination », The Journal of Roman Studies 76, 47‑65. Schroeter, J. (1911) : Plutarchs Stellung zur Skepsis, Greifswald. Sedley, D. N. (1998) : Lucretius and the Transformation of Greek Wisdom, Cambridge. Sihvola, J. (2006) : « The Autonomy of Religion in Ancient Philosophy », dans V. Hirvonen, T. Holopainen, M. Tuominen éds, Mind and Modality : Studies in the History of Philosophy in Honour of Simo Knuuttila, Leiden, 87‑99. Simonetti, M. (1962) : « Alcune osservazioni sull’interpretazione origeniana di Genesi 2, 7 e 3, 21 », Aevum 36, 370‑381. Smalley, B. (1960) : English Friars and Antiquity in the Early Fourteenth Century, Oxford. Sorabji, R. (2004) : The Philosophy of the Commentators 200‑600 AD. A Sourcebook, Vol. 1, Psychology (With Ethics and Religion), London. Spinelli, E. (1995), Sesto Empirico, Contro gli etici, « Elenchos » 24, Napoli. — (2005) : Questioni scettiche. Letture introduttive al pirronismo antico, Roma. — (2008)  :  «  Sextus Empiricus, l’expérience sceptique et l’horizon de l’éthique », Cahiers Philosophiques 115, 29‑45. — (2015) : « Senza teodicea : critiche epicuree e argomentazioni pirroniane », dans D. De Sanctis, E. Spinelli, M. Tulli, F. Verde éds, Questioni epicuree : epistemologia, fisica, etica e le loro tradizioni, Sankt Augustin, 213-234. Stofferahn, S. (2010) : « Knowledge for its own sake ? A practical humanist in the Carolingian age », The Heroic Age 13. , consulté le 19 juin 2013. Svavarsson, S. H. (2004) : « Pyrrho’s Undecidable Nature », Oxford Studies in Ancient Philosophy 27, 249‑295. Svavarsson, S. H. (2010) : « Pyrrho and Early Pyrrhonism », dans R. Bett éd., The Cambridge Companion to Ancient Scepticism, New-York, 36-57. Tarrant, H. (1985) : Scepticism or Platonism ? The Philosophy of the Fourth Academy. Cambridge. Taussig, S. tr. (2006) : Gassendi, P., Vie et mœurs d’Épicure, Paris, (première édition : 1647). TeSelle, E. (2002a)  :  «  Credere  », dans C.  Mayer éd., Augustinus-Lexikon 2, Basel, 119‑131.



Bibliographie

— (2002b) : « Fide, spe et caritate (De -) », dans C. Mayer éd., Augustinus-Lexikon 2, Basel, 1323‑1330. — (2002c) : « Fides », dans C. Mayer éd., Augustinus-Lexikon 2, Basel, 1333‑1340. — (2007) : « Fede », dans A. D. Fitzgerald éd., Agostino : dizionario enciclopedico, ed. it. a cura di L. Alici e A. Pieretti, Roma, 713‑718. Testard, M. (1958) : Saint Augustin et Cicéron, I. Cicéron dans la formation et dans l’œuvre de saint Augustin, II. Répertoire des textes, Paris, 2 vols. Thijssen, J.  M.  M.  H. (2000)  :  «  The Quest for Certain Knowledge in the Fourteenth Century  : Nicholas of Autrecourt against the Academics », dans J. Sihvola éd., Ancient Scepticism and the Sceptical Tradition, « Acta Philosophica Fennica » 66, Helsinki, 199‑223. Thorsrud, H. (2011) : « Sextus Empiricus On skeptical Piety », dans Diego E. Machuca éd., New Essays on Ancient Pyrrhonism, Leiden/Boston, 91‑111. Tilliette, J.-Y. (1999) : « Jean de Salisbury et Cicéron », Helmantica 50, 697‑710. Todd, R. B. (1976) : Alexander of Aphrodisias on Stoic Physics. A Study of De Mixtione with Preliminary Essays, Text, Translation and Commentary, Leyde. Trouillard, J. (1985) : «  Néo-platonisme  », Encyclopaedia Universalis, 12, 1097-1098. Trapp, M. B. (1994), Maximus Tyrius Dissertationes, Stuttgart/Leipzig. Turpin, J. (1983) : Doute et croyance chez Cicéron. Étude des rapports de la philosophie et de la religion du De Republica au De Fato, thèse de doctorat soutenue à l’Université de Paris IV, Paris. Urba, C. F., Zycha, J. éds, (1913) : Sancti Aureli Augustini Opera, Sect. VIII, Pars I, De peccatorum meritis et remissione et de baptismo parvulorum ad Marcellinum libri tres ; De spiritu et littera ; De natura et gratia ; De natura et origine animae libri IV ; Contra duas epistulas Pelagianorum libri IV, Corpus Scriptorum Ecclesiasticorum Latinorum 60, Vindobonae/Lipsiae. Valgiglio, E. (1973)  :  «  Tra scetticismo filosofico e tradizionalismo religioso (C. Aurelio Cotta in Cicerone e Cecilio Natale in Minucio Felice) », Rivista di Studi Classici 21, 234‑255. Van den Hout, M. P. J. éd., (1969) : Aurelii Augustini Opera, Pars XIII, 2, De fide rerum inuisibilium, Corpus Christianorum Series Latina 46, Turnhout, 1‑19. Van Kooten, G. (2012) : « A non-fideistic interprétation of pistis in Plutarch’s writings : the harmony between pistis and knowledge », dans L. R. Lanzillotta, I. Muñoz Gallarte éds, Plutarch in the Religious and Philosophical Discourse of Late Antiquity, Leyde, 215‑233. Van Laarhoven, J. éd. et tr., (1987), Iohannes Sarresberiensis, Entheticus de dogmate philosophorum : Entheticus Maior et Minor, Studien und Texte zur Geistesgeschichte des Mittelalters 17, Leiden, 3 vols. Vial, M. (2006) : Jean Gerson, théoricien de la théologie mystique, Paris.



Bibliographie

Vicaire, P. (1970) : « Platon et la divination », Revue des Études Grecques 83, fasc. 396‑398, 333‑350. Visser, A. (2011) : Reading Augustine in the Reformation. The Flexibility of Intellectual Authority in Europe, 1500‑1620, Oxford. Vogt, K. M., (2010) : « Scepticism and Action », dans R. Bett (éd.), The Cambridge Companion to Ancient Scepticism, Cambridge, 165-180. Waszink, J. H. éd., (1954) : Q. S. Fl. Tertulliani, De anima, Corpus Christianorum Series Latina 2, Turnhout, 779‑869. — éd., (1947) : Q. S. F. Tertulliani De anima. Édition avec traduction et commentaire, Amsterdam. Webb, C. C. J. éd., (1909) : Ioannis Sarresberiensis Policratici siue de Nugis curialum et uestigiis philosophorum libri VII, Oxford, 2 vols. Weltecke, D. (2010) : Der Narr spricht : Es ist kein Gott. Atheismus, Unglauben und Glaubenszweifel vom 12. Jahrhundert bis zur Neuzeit, Frankfurt am Main. Whittaker, J. (1969) : « Neopythagoreanism and Negative Theology », Symbolae Osloenses, XLIV, 109‑125 (repris dans Studies in Platonism and Patristic Thought, London, 1984, article IX). Williams, M. (2010)  :  «  Descartes’ Transformation of the skeptical Tradition », dans R. Bett éd., The Cambridge Companion to Ancient Scepticism, 299‑313. Zupi, M. (2007) : Incanto e incantesimo del dire. Logica e/o mistica nella filosofia del linguaggio di Platone (Cratilo e Sofista) e Gregorio di Nissa (Contro Eunomio), Roma. Zycha, J. éd., (1891) : Sancti Aurelii Augustini Opera, sect. VI, pars 1, De utilitate credendi  ; De duabus animabus  ; Contra Fortunatum  ; Contra Adimantum ; Contra epistulam fundamenti ; Contra Faustum, Corpus Scriptorum Ecclesiasticorum Latinorum 25/1, Vindobonae.



INDEX LOCORUM

Pour chaque œuvre, la pagination renvoie d’abord aux seules mentions de celle-ci, puis à des passages spécifiques. Abélard, Sic et Non (éd. Boyer et McKeon), 103, 330-104, 340 : p. 28. Aetius, Placita philosophorum, I, 7, 10 : p. 101, n. 38 ; I, 29, 7 (SVF, II 996) : p. 47, n. 29. Agathias, Historiarum Liber, II, 129B (PG 88, 1394) : p. 24, n. 57. Alcinoos, Didaskalikos, p. 125-126 ; X : p. 128 ; X, 165 : p. 126, n. 20. Alexandre d’Aphrodise, De mixtione, 223 (34-36 Bruns = SVF, II 441) : p. 50, n. 43. Anonyme, In Theaetetum, p. 19 ; p. 72 ; p. 120. Antigone de Caryste, ap. Diogène Laërce IX, 64 (= Test. 11 Decleva Caizzi) : p. 59, 4. Aristote, De interpretatione, 17a-18b : p. 126 ; 23a-24b : p. 126. — Éthique à Nicomaque, p. 256 ; VII : p. 266. — Métaphysique, p. 26, p. 255, n. 8 ; III, 1005b : p. 264, n. 40. — Seconds Analytiques, p. 26 ; p. 255, n. 8. Arnobe, Aduersus nationes, II, 4 : p. 21, n. 40 ; II, 7-12 : p. 147, n. 60 ; II, 60 :

p. 21, n. 38 ; III, 18, 1 : p. 21, n. 39 ; III, 19, 3 : p. 21, n. 39. Augustin, Confessions, p. 173 ; p. 180 ; p. 197 ; p. 198, n. 25 ; p. 215 ; I, 9 : p. 180, n. 52 ; III, 8 : p. 190, n. 108 ; V : p. 181 ; V, 25 : p. 182, n. 58, p. 197, n. 22 ; VI, 1 : 215, n. 101 ; VI, 3-4 : p. 198, n. 26 ; VI, 7 : p. 183, n. 68, p. 189, n. 101 ; VI, 7 : p. 232, n. 33 ; VI, 7-8 : p. 187, n. 85 ; IX, 7 : p. 171, n. 2. — Contra Academicos, p. 25 ; p. 28 ; p. 34 ; p. 35-36 ; p. 171 & n. 1 ; p. 172-175 ; p. 177 ; 178-179 ; 181 ; p. 183-184 ; p. 184, n. 71 ; p. 186 ; p. 188-189 ; p. 191-192 ; p. 215 ; p. 219 & n. 4 ; p. 220, n. 5 ; p. 222-223 ; p. 225-226 ; p. 230, n. 29 ; I : p. 173 ; I, 1 : p. 187, n. 86, p. 188, n. 90-91 ; I, 3 : p. 172, n. 4 ; I, 7 [= Cicéron, Hortensius, frg. 107 Grilli] : p. 190, n. 108 ; I, 8 : p. 190, n. 104 ; I, 9 : p. 190, n. 105 ; I, 16 : p. 173, n. 12 ; I, 18 : p. 174, n. 13 ; I, 21 : p. 174, n. 15 ; I, 24 : p. 190, n. 106 ; II, 1 : p. 176, n. 34 ; II, 4 : p. 181, n. 56, p. 188, n. 91 ;

Index locorum

— De magistro, p. 169 ; p. 198 ; 45-46 : p. 198, n. 28. — De ordine, p. 171 ; p. 176 ; p. 190 ; p. 231 ; I, 1 : p. 188, n. 88 ; I, 32, p. 176, n. 32 ; II, 27 : p. 190, n. 109, p. 231, n. 32. — De praedestinatione sanctorum, p. 224 ; p. 230 ; 5 : p. 184, n. 72. — De spiritu et littera, p. 216 ; p. 230, n. 29 ; p. 228 ; p. 233 ; 54 : p. 184, n. 72, p. 217, n. 107, p. 224 & n. 18. — De Trinitate, p. 25 ; p. 35 ; XV : p. 231 ; XV, 12, 21 : p. 183, n. 64, p. 225 ; XV, 21 : p. 189, n. 98, p. 225, n. 19, p. 231, n. 31. — De uera religione, p. 172 ; p. 191 ; p. 216 ; 13 : p. 191, n. 113 ; 111 : p. 178, n. 42. — De utilitate credendi, p. 34 ; p. 35 ; p. 36 ; p. 178 ; p. 180 ; p. 184 ; p. 193-197 ; p. 212 ; p. 214-216 ; p. 229-230 ; p. 230, n. 29 ; p. 232 ; 1 : p. 194, n. 9 ; 2 : p. 179, n. 44, p. 194, n. 10, p. 197, n. 23 ; 4 : p. 194, n. 9 & n. 10 ; 5-10 : p. 195, n. 14 ; 10 : p. 193, n. 4 ; 13 : p. 193, n. 4, p. 195, n. 15 ; 14 : p. 199, n. 33, p. 200, n. 38-40, p. 216, n. 104 ; 14-19 : p. 202 ; 15 : p. 199, n. 32, p. 200, n. 38 ; 16 : p. 193, n. 3 & 5, p. 200, n. 36 & n. 43, p. 202, n. 4850 ; 19 : p. 199, n. 32, p. 202, n. 48 ; 20 : p. 193, n. 2, p. 198, n. 24 & 31, p. 202, p. 213, n. 90, p. 216, n. 106 ; 21-27 : p. 202 ; 22 ; p. 209, n. 71 ; 22-23, p. 196, n. 20 : p. 182, n. 62, p. 208, n. 68 ; 23 : p. 200, n. 23, p. 209, n. 72-73 ; 23-26 : p. 232, n. 33 ; 24 : 202, n. 50 ; 80 ; 25 : p. 180, n. 49, p. 184, n. 69, p. 193, n. 5, p. 202, n. 50, p. 203, n. 53, p. 204, n. 54, p. 210, n. 75, p. 229, n. 28, p. 230, n. 29 ; 26 : p. 180, n. 51, p. 182, n. 62, p. 210, n. 76-79 ; 27 : p. 180, n. 53 ; 28 : p. 200, n. 40, p. 201, n. 45 ; 28-35 : p. 202 ; 29 : p. 200, n. 40 ; 32 : p. 51, p. 202,

II, 5 : p. 177, n. 40, p. 178, n. 43 ; II, 6 : p. 188, n. 93 ; II, 8 : p. 172, n. 4 & n. 5, p. 173, n. 8, p. 177, n. 38, p. 177, n. 40 ; II, 11 : p. 185, n. 75, p. 189, n. 97, p. 219, n. 3 ; II, 11-12 : p. 258 ; II, 14 : p. 223, n. 15 ; II, 23 : p. 173, n. 7 ; II, 26 : p. 228, p. 27 ; II, 30 : p. 190, n. 105, p. 190, n. 107 ; III : p. 182 ; III, 1 : p. 184, n. 70 ; III, 11 : p. 186, n. 80 ; III, 12 : p. 187, n. 83 ; III, 13 : p. 35, p. 177, n. 40, p. 186, n. 81 ; III, 14 : p. 190, n. 107 ; III, 22 : p. 185, n. 75, p. 185, n. 76 ; III, 23-30 : p. 185, n. 77 ; III, 30 : p. 226, n. 20 ; III, 31 : p. 184, n. 72 ; III, 32 : p. 182, n. 61, p. 224, n. 16 ; III, 34 : p. 183, n. 63 ; III, 35 : p. 174, n. 18, p. 175, n. 20 & n. 22, p. 190, n. 107 ; III, 36 : p. 175, n. 21 ; III, 38 : p. 175, n. 26 ; III, 39 : p. 184, n. 73 ; III, 40 : p. 175, n. 27, p. 189, n. 95, p. 205, n. 57 ; III, 41 : p. 175, n. 28 ; III, 42 : p. 176, n. 31, p. 177, n. 39, p. 188, n. 94, p. 191, n. 111 ; III, 43 : p. 175, n. 24, p. 181, n. 56, p. 189, n. 100 & n. 102. — Contra Faustum, XX, 2 (CSEL 25/1, 536), p. 176, n. 35. — De beata uita, p. 171 ; p. 179 ; 2, 4 : p. 179 ; 4, 33 : p. 176, n. 34. — De ciuitate Dei, p. 25 ; p. 34 ; p. 174, n. 16 ; p. 178 ; 182-183 ; p. 228 ; p. 236 ; p. 239-240 ; p. 240, n. 20 ; V : p. 236 ; V, 9 : p. 38, p. 235, p. 237, n. 9-10 ; V, 9 : p. 48, n. 32, p. 238, n. 12 ; V, 9, p. 239, n. 13 ; V, 10 : p. 239, n. 16 ; VIII, 3 : p. 258 ; X, 3 : p. 178, n. 41 ; XIX : p. 220221 ; XIX, 1 : p. 185 ; XIX, 18 : p. 36, p. 182, n. 59-60, p. 183, n. 66, p. 220, n. 6. — De diuersis quaestionibus 83, p. 25 ; p. 191 ; quaestio 48 : p. 181, p. 227, n. 22. — De fide rerum quae non uidentur, 2-4 : p. 232, n. 33 ; 3-4 : p. 232, n. 35.



Index locorum

n. 32-33 & 35 : p. 198, n. 27 ; 33 : p. 213, n. 90, p. 213, n. 92 ; 33-34 : p. 213, n. 90 ; 34 : p. 180, n. 53, p. 187, n. 87, p. 213, n. 88-89, p. 213, n. 91 ; 52 : p. 209, n. 74. — Enchiridion (= De fide et spe et caritate), p. 34 ; p. 36 ; p. 184 ; p. 194 ; p. 214 ; p. 216, p. 221 ; p. 221, n. 7 ; p. 223-237 ; p. 229 ; p. 230 ; p. 232233 ; 20 : p. 37, p. 223 ; 17 : p. 222, n. 9 & 11 ; 17-22 : p. 37, p. 222 ; 19 : p. 222, n. 10 ; 20 : p. 214, n. 94-5, p. 219, n. 4, p. 221, p. 222, n. 8, p. 227 ; 21 : p. 222, n. 12, p. 227, n. 21. — Epistula 1, p. 215 ; 1, 1 : p. 215, n. 98 ; 120, 8 : 228, n. 23 ; 120, 9 : p. 227, n. 22 ;147 (De uidendo deo) : p. 191 ; 147, 8 : p. 183, n. 64 ; 147, 4 : p. 185, n. 78 ; 147, 8 : p. 230, p. 230, n. 30 — Retractationes, I, 1, 4 : p. 175, n. 23 & 25 ; I, 3, 2 : p. 176, n. 32 ; I, 14, 1 : p. 193. — Sermo, 214/A (éd. Dolbeau 1), 4-5 : p. 232, n. 33. Apulée, De Platone et dogmate eius, V, 190-191 : p. 125, n. 18. — De deo Socratis, III, 124 : p. 125, n. 19. Aulu-Gelle, Nuits Attiques, XI, 5 : p. 27, n. 80, p. 255, n. 8 ; XI, 6 : p. 27, n. 80.

— Nouveau Testament, Matthieu, 7,7 : p. 26, p. 35, p. 177, p. 171, n. 1 ; 7, 7-8 : p. 177, n. 37 ; Jean, 18, 36 : p. 176 ; Actes des Apôtres, 12, 9 : p. 222 ; Épître aux Romains 1, 17 : p. 221 ; Première Épître aux Corinthiens, 1, 17-25 : p. 21 ; 1, 24 : p. 35, p. 171, p. 176 & n. 34 ; 3, 9 : p. 137 ; 3, 19 : p. 141 ; 3, 19-20 : p. 143, n. 40 ; 3, 20-21 : p. 138 ; 6, 9-10 : p. 227, n. 22 ; 8, 2 : p. 160, n. 6 ; 13, 8-10 : p. 161 ; 13, 9 : p. 182, p. 220, n. 6 ; 13, 12 : p. 162, n. 10, p. 164, n. 16 ; Épître aux Galates, 3, 11 : p. 221 ; Épître aux Colossiens : 2, 8 : p. 177, n. 39 ; Épître aux Hébreux, 10, 38 : p. 221 ; Première épître de Pierre, 3, 18 : p. 227, n. 22 ; Apocalypse de Jean, 3, 15 : p. 116, n. 35. Gabriel Biel, Collectorium circa quattuor libros Sententiarum, Libri quarti pars secunda, dist. 15-22, dist. 16, qu. 3, EE 2-15 (éd. Werbeck et Hofmann, 1973, 417) : p. 265, n. 43. Boèce, Consolation de Philosophie, p. 240 ; V, 3, 6 et 26 : p. 240, n. 19 ; V : p. 244 ; V, 6, 16-17 : p. 248, n. 40. Buridan, Jean, In Metaphysicen Aristotelis Quaestiones argutissimae, Quaestio III (éd. de 1518), fol. 4r-5r : p. 26, n, 72.

Pierre Bayle, « Éclaircissements » du Dictionnaire historique et critique, (Bost et Mc Kenna 63) : p. 29, n. 92. Ps. Bède, Sententiae siue axiomata philosophica ex Aristotele, PL 90, 990C : p. 27 et n. 80. Bernard de Clairvaux, Sermones super Cantica Canticorum, 37, 10 : p. 259. Bible, p. 151 ; p. 154. — Ancien Testament, Genèse, 16.12 : p. 65 ; 3, 21 : p. 167 ; Exode, 3, 5 : p. 34 ; p. 166, p. 168, n. 26 ; Habaquq, 2, 4 : p. 37, p. 221 ; Psaumes, 14, 1 : p. 237, n. 8.

Cicéron, Academica, p. 25 ; p. 36 ; p. 171 ; p. 193-195 ; p. 197 ; p. 200 ; p. 203 ; p. 205, n. 57 ; p. 206-207 ; p. 213-214 ; p. 216 ; p. 241 ; Lib. Ac. I, 30 : p. 144, n. 43 ; 40-41 : p. 70, n. 30 ; 41 : p. 214, n. 96 ; 45 : p. 195, n. 13 ; p. 255. — Catilinaires, p. 193. — De diuinatione, p. 42 ; p. 42, n. 7 ; I : p. 42, n. 7 ; p. 53 ; p. 236 ; p. 238 ; p. 241 ; I, 5 : p. 43, 10 ; I, 6 (SVF, II 1187/ T 137 Alesse) : p. 41, n. 2-3 ; I, 7 : p. 42, n. 6 ; p. 43, n. 11 ; I, 9 : p. 44, n. 15 ; I, 12 : p. 41 ; n. 1 ; I, 13 : p. 46, n. 22 ; I, 15-16 : p. 46, n. 24 ;



Index locorum

I, 25 : p. 51, n. 50 ; I, 34 : p. 44, n : 16 ; I, 82-84 : p. 51, n. 48 ; I, 82-84 : p. 101, n. 37 ; I, 86 : p. 46, n. 25 ; Diu. I, 87 : p. 43, n. 10 ; I, 109 : p. 51, n. 50 ; I, 111 : p. 46, n. 23 ; I, 118 : p. 51, n. 51 ; I, 125 : p. 54, n. 63 ; I, 127 : p. 51, n. 50 ; p. 52, n. 52, p. 54, n. 61 ; I, 130 : p. 54, n. 62 ; II : p. 41, n. 3 ; II, 9-12 : p. 45, n. 17 ; II, 12 : p. 45, 20 ; II, 13 : p. 44, n. 15 ; II, 14 : p. 47, n. 26 & 27 ; II, 15 : p. 47, n. 28 ; II, 18-19 : p. 56, n. 69 ; II, 19 : p. 47, n. 30 ; II, 20 : p. 47, n. 31 ; II, 33 : p. 53, n. 59 ; II, 34 : p. 50, n. 44-45 ; II, 35-36 : p. 50, n. 46 ; II, 46 : p. 51, n. 47 ; II, 61 : p. 54, n. 60 ; II, 101-109 : p. 238, n. 11 ; II, 104-105 : p. 237-238 ; II, 130 (SVF, II 1189) : p. 43 ; n. 8 ; II, 131 : p. 45, n. 19 ; II, 148-150 : p. 238, n. 11. — De fato, p. 38 ; p. 42 ; p. 236 ; p. 241 ; p. 249 ; 7 : p. 49, n. 38 ; 8 : p. 49, n. 39 ; 11 : p. 48, n. 32, p. 52 ; 12 : p. 45, n. 20, p. 52, n. 54 ; 13 : p. 53, n. 56, p. 236, p. 237 ; 15 : p. 52, n. 55 ; 19 : p. 56, n. 67 & n. 68 ; 28 : p. 56, n. 67 & n. 68 ; 31-33 : p. 249, n. 41 ; 32-33 : p. 55, n. 65, p. 56, n. 69 ; 33 : p. 236-237 ; 36-37 : p. 55, n. 66 ; 40 : p. 238 ; 41-43 : p. 48, n. 35. — De finibus bonorum et malorum, p. 241 ; II, 35 : p. 73, n. 36. — De natura deorum, p. 38 ; p. 60 ; p. 171 ; p. 195 ; p. 200 ; p. 216 ; p. 237 ; p. 240-242 ; I, 2 : p. 10, n. 5 ; I, 10 : p. 190, n. 103, p. 196, n. 18 ; I, 3-4 : p. 211, n. 82 ; I, 45 : p. 239, n. 14 ; I, 51 : p. 239, n. 14 ; I, 55 : p. 174, n. 14 ; I, 55-56 : p. 43, n. 10 ; I, 63 : p. 10, n. 7 ; I, 85 : p. 110, n. 21 ; I, 85 : p. 239, n. 15 ; I, 123 : p. 107, n. 9 ; II, 4 : p. 122 ; II, 8 : p. 173, n. 10 ; II, 72 : p. 174, n. 14, p. 178, n. 41 ; III : p. 21, p. 35, p. 173, p. 196, p. 199, p. 237 ; III,

1 : p. 110, n. 21 ; III, 5 : p. 19, 30, p. 22, n. 42, p. 60, n. 8, p. 173, n. 11 ; III, 7 : p. 196, n. 19, p. 199, n. 34 & n. 35 ; III, 11 : p. 201, n. 44 ; III, 51 : p. 18, n. 29 ; III, 93 : p. 200, n. 41 ; III, 95 : p. 242, n. 25. — De officiis, p. 241 ; III, 28 : p. 211, n. 81. — De republica, p. 258 ; III, p. 148 ; III, 33 : p. 151, n. 81. — Epistulae ad Atticum, VII, 2, 4 : p. 211, n. 80 ; XIII, 21, 3 : p. 70.  — Hortensius, frg. 107 Grilli : p. 190, n. 108. — Laelius, p. 209. — Lucullus, p. 148 ; p. 194 ; p. 200 ; 7 : p. 148, p. 200, n. 42 ; 8-9 : p. 147, n. 62, p. 195, n. 17 ; 9 : p. 201 ; 19 : p. 144, n. 43 ; 22 : p. 44, n. 13 ; 27 : p. 144, n. 43 ; 30 : p. 212, n. 87 ; 31 : p. 22, n. 46 ; 33 : p. 144, n. 43 ; 34 : p. 189, n. 97 ; 37 : p. 207, n. 64 ; 38 : p. 51 ; 60 : p. 176, p. 176 ; 39 : p. 207, n. 64 ; 65-66, 7 : p. 195, n. 11 ; 66 : p. 195, n. 12 ; 78 : p. 212 ; 79-98 : p. 212, n. 84 ; 6-87 : p. 212, n. 87 ; 93 : p. 45, n. 21 ; 99 : p. 207, n. 65 ; 100 : p. 207, n. 62 ; 103 : p. 182, n. 61 ; 104 : p. 206, n. 58 ; 107 : p. 41, n. 3 ; 108 : p. 205, p. 208, n. 69 ; 109 : p. 181 ; 112 : p. 205, n. 57, p. 206, n. 57 ; 114 : p. 144, n. 43 ; 145 : p. 207, n. 66 ; 115-117 : p. 147, n. 62 ; 117 : p. 200, n. 37, p. 202, n. 47 ; 118 : p. 11, n. 11 ; 128 : p. 214, n. 96 ; 134 : p. 200, n. 37 ; 141 : p. 212, n. 83 ; 142 : p. 144, n. 43 ; 142-143 : p. 200, n. 37 ; 145 : p. 207, n. 66. — Tusculanes, p. 241. Corpus Hermeticum, p. 119. D’Ailly, Pierre, Questiones super libros Sententiarum, p. 257 ; l. IV (éd. Jean Petit, 1508), f°. 211ra-vb : p. 266, n. 47 ; Questiones super primum, tertium et quartum librum



Index locorum

sententiarum, I, Principia et questio circa prologum, Prima questio, circa prologum, art. I (éd. Brinzei 2013, p. 137) : p. 257, n. 15 ; art. II, Prima conclusio (Brinzei, p. 139) : p. 257, n. 16 ; Prima quaestio, circa prologum, art. II (Brinzei, p. 192-195) : p. 266, n. 47 ; Prima quaestio, circa prologum, art. III (Brinzei, p. 230231) : p. 266, n. 47. Démocrite, frg. B 175 D.K. : p. 14, n. 20. Diogène Laërce, Vitae philosophorum, IV, 62 : p. 42, n. 4 ; VII, 134 : p. 92, n. 8 ; VII 147 : p. 98 ; VII, 149 (SVF II, 1191) : p. 41, n. 3, p. 44, n. 12 ; VII, 183 ; VIII, 51-77 : p. 13, n. 17 ; IX : p. 24 ; IX, 75 : p. 132 ; IX, 76 : p. 132 ; IX, 97 : p. 188, n. 92 ; IX, 103 : p. 185, n. 76. Diogénien, ap. Eusèbe, P.E., IV, 2, 14 (=SVF II, 939) : p. 51. Jean Duns Scot, Ordinatio I, dist. 3, pars 1, q. 4 (Vat. III, 132, 5-134, 2) : p. 28, n. 83.

XIV, 18, 27 (=Test. 23 Decleva Caizzi) : p. 106, n. 6 ; XIV, 18, 1-4 : p. 130. Ps. Galien, De historia philosophica,16 (= Dox. gr. 608-609) : p. 100, n. 35. Pierre Gassendi, Vie et mœurs d’Épicure IV, 4, 2 (Taussig 2006, II, 23) : p. 115, n. 31. Jean Gerson De consolatione theologiae (éd. Glorieux, 1973), p. 256 ; IX, 449 : p. 157. — De contractibus, (éd. Glorieux, 1973) IX, 452, 13 : p. 256, n. 14, p. 265 ; IX, 452, 15 (éd. Glorieux, 393) : p. 262, n. 34 ; IX, 452, 15, (400) : p. 263, n. 36 ; IX, 452, 15, (404) : p. 262, n. 35 & n. 38 ; IX, 452, 17, (405) : p. 263, n. 38 ; IX, 452, 19, (395) : p. 263, n. 37. — De praeparatione ad missam, (éd. Glorieux, 1973) IX, 425, 39 : p. 260, n. 22, p. 265. — De remediis contra pusillanimitatem, Suppléments, 537 a, ch. V, 393, 394, 397 : p. 261, n. 26 ; 537 a, ch. VIII, 395 : p. 260, n. 24 ; 398, p. 260, n. 25. — De vita spirituali animae, (éd. Glorieux 1963), III, 97 : p. 256, p. 257, p. 260, n. 22 ; III, 97, (162-165) : p. 261, n. 29. — Regulae mandatorum, (éd. Glorieux, 1973), IX, 434, 4, (96) : p. 261, n. 28. Grégoire de Nazianze, Oratio, 21 : p. 25. Grégoire de Nysse, — Contre Eunome, 2, 163 : p. 161, n. 9 ; 166, n. 9 ; 2, 214 : p. 163 ; 2, 281 : p. 161 ; 3, 5, 56-57 : p. 165, n. 19. — Homélies sur l’Ecclésiaste, (GNO V, 412, 6-14) : p. 165, n. 18. — Homélies sur le ‘Cantique des cantiques’, 11 (= GNO VI, 327, 8-330, 17) ; GNO VI, 336 : p. 160, n. 4 ; GNO VI 320, 20 et 326, 19 : p. 160,

Empédocle, frg. B 134 D.K. : p. 12, n. 14 ; frg. B 128 D.K. (=Porphyre, De abst. II, 21, 1-4.) : p. 13, n. 18 ; — De la Nature, p. 13. — Purifications, p. 13. Épictète, Diss. I, 12, 3 : p. 100, n. 35. Épicure : frg. 395 Usener (Diogène Laërce, Vit. X, 135) : p. 43, n. 10 ; frg. 368 Usener (Plotin, Ennéades, II, 9, 15) : p. 115, n. 32. — Lettre à Ménécée, 123 : p. 98. — Maximes Capitales, I : p. 100 ; VII : p. 109 ; XIII : p. 109 ; XIV : p. 109, p. 110. — Sur la piété et le culte populaire, P. Oxy. 215, éd. Obbink 1992, col. 2, l. 3-9 : p. 111, n. 24. Épiphane de Salamine, Panarion 3, 29 (= Arcésilas, frg. 15 Mette): p. 59, n. 6. Eusèbe de Césarée, Praeparatio Euangelica, XIV, 1, 3 : p. 23, n. 49 ; XIV, 4, 15 : p. 18, n. 28 ; XIV, 18 : p. 106 ;



Index locorum

7 : p. 141, n. 31 ; III, 1, 10 : p. 141, n. 30 ; III : p. 33, p. 138, p. 141, p. 153 ; III, 1, 9-10 : p. 141, n. 31 ; III, 1, 10 : p. 142, n. 32 ; III, 1, 12 : p. 142, n. 33 ; III, 1, 13 : p. 142, n. 32 ; III, 2, 9 : p. 143, n. 38 ; III, 3, 2-3 : p. 143, n. 37 ; III, 3, 3-6 : p. 142, n. 35 ; III, 3, 5 : p. 143, n. 39 ; III, 3, 12-16 : p. 143, n. 39 ; III, 3, 15-16 : p. 138 ; III, 3, 16 : p. 143, n. 40 ; III, 4, 1-11 : p. 143, n. 38 ; III, 5, 1-5 : p. 145, n. 50 ; III, 5, 5 : p. 145, n. 52 ; III, 5, 5-6 : p. 142, n. 36 ; III, 5, 7 : p. 145, n. 53 ; III, 6, 1-3 : p. 145, n. 55, p. 146, n. 56 ; III, 6, 5-6 : p. 139, n. 6, p. 145, n. 54, p. 153, n. 87 ; III, 6, 18-19 : p. 145, n. 50 ; III, 7, 5-10 : p. 148, n. 63 ; III, 8,1 : p. 143, n. 42 ; III, 8,1-2 : p. 148, n. 64 ; III, 9,1-3 : p. 143, n. 38 ; III, 13, 1-3 : p. 143, n. 38 ; III, 13, 11 : p. 144, n. 44 ; III, 14, 10-21 : p. 144, n. 44 ; III, 15 ; p. 216, n. 102 ; III, 15, 1-7 : p. 144, n. 45 ; III, 15, 15-21 : p. 144, n. 46 ; III, 20, 7 : p. 143, n. 41 ; IV : p. 144 ; IV, 2, 3 : p. 138, p. 150 ; IV, 5, 9 : p. 147, n. 57 ; IV, 14, 8 : p. 144, n. 47 ; IV, 16, 4 : p. 144, n. 47 ; IV, 24, 1 : p. 144, n. 47 ; IV, 24, 3 : p. 143, n. 37, p. 147, n. 58 ; IV, 24, 7 : p. 144, n. 47 ; IV, 24, 15 : p. 144, n. 47 ; IV, 24, 19 : p. 144, n. 47 & n. 48 ; IV, 26, 25 : p. 144, n. 47 ; IV, 28, 3 : p. 178, n. 42 ; V : p. 33, p. 138, p. 148, p. 151 ; V, 1, 14 : p. 142, n. 32 ; V, 12, 3-4 : p. 138 ; V, 12, 5-6 : p. 149, n. 70 ; V, 12, 6 : p. 150, n. 79 ; V, 12, 7-13 : p. 138 ; V, 14 : p. 148, n. 66 ; V, 14, 6-15, 20 : p. 151, n. 83 ; V, 15, 3-5 : p. 258 ; V, 15, 8 : p. 138, n. 4 ; V, 16, 3 : p. 149, n. 69 ; V, 16, 5 : p. 150, n. 76 ; V, 16, 9-10 : p. 150, n. 77 ; V, 16, 10 : p. 150, n. 78 ; V, 17, 1 : p. 148, n. 67 ; V, 17, 9 : p. 149, n. 71 & n. 72 ; V, 17, 14 : p. 149, n. 68 ; V, 17, 15-16 : p. 149, n. 73 ;

n. 6 ; GNO VI, 327, 8-330, 17 : p. 167, n. 24. — Vie de Moïse, p. 166 ; 2, 22 : p. 167, n. 22, p. 169 ; 2, 23-25 : p. 158-159 ; 2, 24. : p. 168, n. 27 ; 2, 26 : p. 168, n. 25 ; 2, 69-70 : p. 163, n. 13 ; 2, 195 : p. 164, n. 17 ; 2, 234 : p. 158, n. 2, p. 166, n. 20 ; 2, 235 : p. 159, n. 3 ; p. 160 ; n. 5. Grégoire de Rimini, Sentences I, p. 261, n. 32. Guillaume d’Auvergne, De Fide, p. 14, ch. III : p. 261, n. 30. — De legibus, ch. I, 20 : p. 261, n. 30. Guillaume de Saint-Thierry, Disputatio adu. Petrum Abaelardum, PL 180, col. 249 : p. 28, n. 86. — Le miroir de la foi, p. 260 ; 20-21 (éd. Davy, 43) : p. 260, n. 23. Henri de Gand, Summa (quaestiones ordinariae), art. I, qu. 1 (Vtrum contingat hominem aliquid scire) (éd. Demange), 59 : p. 28, n. 82. Héraclite, frg. B 64 D.K. : p. 12, n. 14. Hésiode, Les travaux et les jours, v. 42 : p. 17, n. 27 ; p. 59, n. 7. Hume, Enquête sur l’entendement humain, section XII, deuxième partie : p. 184, n. 74. Isidore de Séville, Etymologiae, VIII, 6, 11 : 23, n. 50. Jérôme, Epistulae, 133, 1 : 23, n. 50. Lactance, De ira Dei, 10, 43 (éd. Ingremeau) : p. 147, n. 57 ; 13,13 : p. 147, n. 57 ; 13, 19 sq. (= frg. 374 Usener) : p. 99, n. 31. — Epitomè, 50, 3 (éd. E. Heck et A. Wlosok), p. 147, n. 57. — Institutions divines, p. 153 ; p. 216 ; I, 7, 1-3 : p. 147, n. 61 ; I, 11, 42 : p. 147, n. 57 ; II, 1, 15 : p. 147, n. 57 ; II, 12, 1 : p. 147, n. 57 ; II, 17, 9 : p. 147, n. 57 ; III, p. 216 ; III, 1,



Index locorum

Nicolas Trevet et Thomas Waleys, In libros beati Augustini de ciuitate dei Commentaria, p. 240 ; p. 241, n. 21. Nider, Johannes, Consolatorium timoratae conscientiae, p. 38 ; p. 138-139 ; p. 264 ; VII : p. 264, n. 41 ; XII : p. 264, n. 41, p. 265, n. 44, p. 267 ; XIII : p. 264, n. 41, p. 265, n. 44 ; XIV : p. 264, n. 41, p. 265, n. 43 ; XVII : p. 264, n. 41 ; XVIII : p. 264, n. 41, p. 265, n. 44 ; XIX : p. 264, n. 41 ; XX : p. 264, n. 41, p. 268 ; XXI : p. 264, n. 41 ; XXV : p. 264, n. 41. — Tractatus de contractibus mercatorum (éd. Reeves et Shuman, 1966), p. 263, n. 39.

V, 18, 1-4 : p. 149, n. 74 ; V, 18, 4-6 : p. 151, n. 82 ; V, 18, 11 : p. 150, n. 75 ; VI : p. 33, p. 138, p. 144 ; VI, 1, 2 : p. 147, n. 57 ; VI, 3, 16 : p. 144, n. 49 ; VI, 8, 6-10 : p. 151, n. 81 ; VI, 9, 6-8 : p. 151, n. 80 & n. 84 ; VII, 7, 1-4 : p. 154, n. 88 ; VII, 14, 13-14 : p. 147, n. 57. — De opificio Dei : p. 33 ; p. 152 ; 1, 11 : p. 147, n. 57 ; 1, 16 : p. 139, n. 9 ; 4, 7 : p. 139, n. 8 ; 6, 8 : p. 139, n. 14 ; 8, 1 : p. 139, n. 15 ; 8, 3 : p. 147, n. 57 ; 9, 1-4 : p. 138, n. 5 ; 11, 10 : p. 139 ; 11, 18 : p. 139, n. 11 ; 13, 1 : p. 139, n. 11 ; 13, 6 : p. 12 ; 14, 1 : p. 139 ; 14, 2 : p. 139, n. 13 ; 14, 5 : p. 139, n. 14 ; 14, 6 : p. 139, n. 14 ; 14, 9 : p. 139, n. 14 ; 15, 5 : p. 153, n. 87 ; 16, 1 : p. 139, n. 8 ; 17, 1 : p. 139, n. 8, p. 141, n. 29 ; 17, 6 : p. 141, n. 25 ; 18, 1-3 : p. 141, n. 24 ; 19, 1-4 : p. 141, n. 26 ; 19, 4-6 : p. 141, n. 27 ; 19, 8-9 : p. 139, n. 17 ; 19, 9 : p. 139, n. 16 ; 19, 10 : p. 139, n. 16, p. 141, n. 28. Lucrèce, De rerum natura, V, 195sq : 99, n. 31 ; V, 1198-1203 : p. 111, n. 24. Luther, De seruo arbitrio, p. 28.

Origène, Contre Celse, VII, 43 : p. 127, n. 25. Parménide, p. 128. Pascal, Pensées 395 (éd. Brunschvicg), p. 29, n. 91 ; 434, B : p. 27, n. 77 ; 525 (Lafuma) : p. 116, n. 36. Philodème, De pietate, Pars I (éd. Obbink 1996), col. 75, 2152 : p. 109, n. 19 ; Pars I, (éd. Obbink 1996), col. 31, 880-882 (=frg Usener 387) : p. 111, n. 24 ; P. Hercul. 1428 (éd. Henrichs 1974), col. 15, 1-8 : p. 107, n. 8. Philon d’Alexandrie, De congressu eruditionis gratia, 52 : p. 66, n. 23 ; 141, vol. III, 105, 5 (éd. Wendland =SVF, II 95) : p. 44, n. 13. — De ebrietate, 98 : p. 68 ; 202 : p. 68, n. 26 ; 166 : p. 72. — De fuga et inuentione, 129 : p. 64, n. 15 ; 136 : p. 71 ; n. 33 ; 161 sq. : p. 71 ; n. 34 ; 209 : p. 64, n. 15, p. 65, n. 16. — De posteritate Caini, 18 : p. 68-69 ; 28 : p. 69. — De sacrificiis Abelis et Caini, 56 : p. 67, n. 24. — De somniis, II, 294 : p. 70.

Marc-Aurèle, Ad se ipsum, II, 11 : p. 115, n. 33. Maxime de Tyr, Dialexis, 7-9 : p. 123 ; 11 : p. 122, p. 125, p. 122 ; 11-2 : p. 124. Minucius Felix, Octauius, p. 35 ; p. 171 ; 1, 5 : p. 172, n. 6 ; 13, 5 : p. 23 ; 14, 4 : p. 23 ; 38, 5 : p. 24, 55 ; 38, 7 : p. 172, n. 6. Montaigne, Essais II, 12 (=Apologie de Raimond Sebond) : p. 61. Némésius, De natura hominis (éd. Morani), 43, 126, 22 : p. 100, n. 35. Nicolas d’Autrécourt, Correspondance (éd. De Rijk), 54 : p. 26, n. 74.



Index locorum

— Legum allegoriae, III, 19 : p. 72. — Quaestiones in Genesim, III, 33 : p. 65. — Quis rerum diuinarum heres sit, 29 : p. 67, n. 25 ; 279 : p. 68, n. 26. — Quod Deus sit immutabilis, 22 : p. 69, n. 29. Platon — Charmide, p. 16. — Euthyphron, p. 15. — Gorgias, p. 30 ; 449e : p. 45, n. 18 ; 465a : p. 53, n. 58. — Lois, p. 16. — Parménide, p. 127 ; p. 129. — Phèdre, 247c6-c7 : p. 124, n. 16 ; 279b : p. 15. — République, p. 129 ; II, 365d : p. 16, n. 24. — Théétète, 176b : p. 15 ; p. 70 ; n. 31 ; p. 121. — Timée, p. 16 ; p. 120 ; p. 129 ; 28c : p. 125 ; p. 127. Plotin, Ennéades, p. 129 ; I, 6 : p. 125 ; III, 1, 5 : p. 48, n. 32 ; V, 3 : p. 120 ; V, 5 : p. 121. Plutarque, Vitae parallelae, Coriolanus, 38 : p. 12. — Aduersus Colotem, p. 80 ; p. 81 ; p. 87 ; 1114C : p. 80 ; 1118B : p. 81 ; 1121F-1122A : p. 80 ; 1123D : p. 77-78 ; 1124 A-B : p. 78 ; 1124D : p. 109, n. 18. — Amatorius, 765B, p. 85. — De animae procreatione, p. 83. — De defectu oraculorum, p. 84. — De E apud Delphos, p. 83. — De Iside et Osiride, p. 83 ; 351C : p. 84 ; 382F-383A : p. 84. — De primo frigido, p. 30 ; p. 81-82 ; 946F : p. 82 ; 948C : p. 82 ; 955A : p. 82 ; n. 12. — De sera numinis uindicta, p. 30 ; 549E-F : p. 88. — De stoicis repugnantibus 23, 1045ΒC : p. 48, n. 34. — Sur la différence entre les pyrrhoniens et les académiciens, p. 76-77.

— Sur le fait que l’Académie issue de Platon est une, p. 76 ; p. 88. Porphyre, Vita Plotini, 15, 5 : p. 175, n. 29. Proclus, Théologie platonicienne, I, 1 : p. 175, n. 29. Protagoras, ap. Diogène Laërce, IX, 51 (frg. 80 B4 D.K.) : p. 10, n. 6 ; T. 1-3, trad. Bonazzi in Pradeau 2009 (D.K. 74 A1-A3) : p. 107, n. 9. Quintilien, Institutio oratoria, XII, 1, 35 : p. 25, n. 66, p. 255, n. 8. Saint Jean de la Croix, Cantique spirituel, p. 169, n. 29. Jean de Salisbury, Entheticus de dogmate philosophorum, p. 38 ; p. 241 ; v. 1218-1229 (éd. Van Laarhoven, 185) : p. 242, n. 23. — Policraticus, p. 38 ; p. 243 ; II, 20 (éd Keats-Rohan, p. 118, 20-21) : p. 244, n. 30, p. 245, n. 31 ; II, 20-22 : p. 244 ; II, 21 (p. 120, 7-9) : p. 245, n. 32, (p. 120, 19-25) : p. 246, n. 33, (p. 120, 30-121, 41) : p. 246, n. 34, (p. 124, 126-131) : p. 247, n. 36, (p. 124, 131-135) : p. 247, n. 37 ; II, 22 (p. 125, 4-126, 10) : p. 248, n. 38, (p. 126, 28-31) : p. 248, n. 39, (p. 127, 45-53) : p. 248, n. 40, (p. 131, 164-174) : p. 250, n. 42 (p. 133, 229-134, 239) : p. 250, n. 43 ; II, 26 (p. 146, 78-80) : p. 251, n. 44 ; VII, 2 (éd. Webb 1909, vol. 2, p. 98, 9-17) : p. 243, n. 27 ; (p. 98, 17-23) : p. 244, n. 28. Savonarole, Jérôme, Compendio di rivelazioni (éd. A. Crucciti), p. 264, n. 40. Sénèque, Lettres, 65, 2 : p. 92, n. 8 ; 88, 44 : p. 25, n. 66, p. 255, n. 8, p. 258, n. 17. Sextus Empiricus, Aduersus Mathematicos, I, 40 : p. 91, n. 3 ; I, 263-269 : p. 190, n. 110 ; V, 5 : p. 48, n. 32 ; VII : p. 121 ; VII, 151 : p. 109, n. 15 ; VII, 160 : p. 185, n. 76 ; VII,



Index locorum

III, 173-174 : p. 98, n. 27 ; III, 218219 : p. 98, n. 25 ; III, 219 : p. 98, n. 28 ; III, 219 sq. : p. 104, n. 2 ; III, 218-228 : p. 89, n. 1. Stobée, Eclogæ, II, 67, 13 (=SVF, III 654) : p. 44, n. 14 ; IV, 1, 92, p. 28, 9 Hense (= Arcésilas, frg. 2 Mette) : p. 17, n. 26 ; IV, 53, 28 (éd. Wachsmuth-Hense) : p. 24, n. 56.

373 : p. 44, n. 13 ; VIII, 154-158 : p. 188, n. 92 ; VIII, 223 (=SVF, II 442) : 50, n. 41 ; VIII, 300 : p. 109, n. 15 ; VIII, 316 : p. 185, n. 76 ; VIII, 337 : p. 91, n. 3 ; IX : p. 100, p. 104, p. 134 ; IX, 1-3 : p. 91 & n. 3 ; IX, 2 : p. 92 ; IX, 4 : p. 92 & n. 9 ; IX, 11 (= SVF II 301) : p. 92, n. 8 ; IX, 12 : p. 92 & n. 9 ; IX, 13194 : p. 31, p. 89, p. 111, n. 25 ; IX, 33 : p. 98 ; IX, 49 : p. 32, p. 95, n. 18, p. 103, p. 109, p. 110, p. 113-114 ; IX, 50 : p. 107 ; IX, 51-58 : p. 107 ; IX, 55 : p. 9 ; IX, 58 : p. 110, n. 21 ; IX, 59 : p. 107 ; IX, 61-74 : p. 122 ; IX, 78 : p. 49, n. 40 ; IX, 80 : p. 49, n. 40 ; IX, 123 : p. 106, n. 7 ; IX, 132 (=SVF, II 1018) : p. 43, n. 8 et 9 ; XI, 20 : p. 135 ; XI, 37-39 : p. 98, n. 27 ; XI, 162 sq. : p. 105 ; XI, 164 : p. 117 ; XI, 165 : p. 94-95 ; XI, 188, 197 sq. : p. 101, n. 39 ; XI, 257 : p. 91, n. 3 ; — Hypotyposes Pyrrhoniennes, p. 24 ; p. 90 ; p. 91 ; p. 96 ; p. 106 ; p. 121122 ; p. 255 ; I : p. 129 ; I, 4 : p. 91, p. 94 ; I, 7 : p. 66, n. 20, p. 104 ; I, 8 : p. 104 ; I, 8-10 : p. 90 ; I, 13 : p. 20, n. 33, p. 93-94, p. 134, n. 43 ; I, 16-17 : p. 104 ; I, 23-24 : p. 31, p. 96, p. 103, p. 104, p. 112-114 ; I, 24 : p. 97, p. 105, p. 112, p. 185, n. 79 ; I, 25 : p. 90 ; I, 135 : p. 28 ; I, 145-163, p. 89, n. 1 ; I, 165 : p. 98 ; I, 187-209 : p. 130 ; I, 188-191 : p. 132 ; I, 192-193 : p. 133 ; I, 207 : p. 114, n. 28 ; I, 222 : p. 120 ; I, 225 : p. 10, n. 11 ; I, 230 : p. 116, n. 37 ; II : p. 121 ; II, 84 : p. 91 & n. 3 ; II, 101 : p. 188, n. 92 ; II, 117 : p. 99, n. 29 ; II, 169 : p. 99, n. 29 ; II, 228 : p. 98 ; III : p. 31, p. 134, p. 188 ; III, 1 : p. 91, n. 4 ; III, 1-12 : p. 89 ; III, 2 : p. 93, n. 12, p. 95, p. 103, p. 114 ; III, 3 : p. 114, n. 28 ; III, 9-12 : p. 188, n. 89 ; III, 10 : p. 110, n. 22 ; III, 13 : p. 92, n. 9 ; III, 167 : p. 91 ;

Terill, Anthony, Fundamentum totius theologiae moralis, seu Tractatus de conscientia probabili (éd. Hovius, 1668), p. 264 ; qu. 12 : p. 264-265 ; 12, 171 : p. 266, n. 49 ; qu. 13 : p. 264-266 ; qu. 21 : p. 264-265 ; qu. 21, 306 : p. 266, n. 50 ; qu. 22, 347 : p. 265, n. 45-46 ; qu. 22, 358 : p. 265, n. 47 ; qu. 22, 391 : p. 267, n. 52 & 54 ; qu. 23 : p. 264-265 ; qu. 23, 411 : p. 266, n. 51 ; qu. 26 : p. 264-265 ; qu. 26, 519 : p. 267, n. 53 ; qu. 28 : p. 264-265 ; qu. 31 : p. 264-265, n. 42. Tertullien, De anima, 2, 7 (CCL 2, 785) : p. 22, n. 48 ; 6, 6 (CCL 2, 789) : p. 22, n. 44 ; 17, 11 (CCL 2, 805) : p. 22, n. 45 ; 17, 13 (CCL 2, 806) : p. 22, n. 47, p. 26, n. 75. — Apologeticum, 24, 2 : p. 172, n. 6. Thomas d’Aquin, Métaphysique, IV, 6 : p. 264, n. 40. Timon de Phlionte, ap. Sextus Empiricus, HP, I, 223, (frg. 59 Di Marco, 1989) : p. 68, n. 27.  Varron, De philosophia, p. 182 ; p. 220. Virgile, Aeneis, X, 392 : p. 221. Voltaire, Candide, p. 99. Wittgenstein, Recherches philosophiques, p. 34 ; I, 309 : p. 162, n. 11. — Tractatus Logico-Philosophicus, p. 164. Xénophane de Colophon, frg. B 23 D.K. : p. 11, n. 10 ; frg. B 29 D.K. : p. 11, n. 12.



PRÉSENTATION DES CONTRIBUTEURS

Isabelle Bochet est chercheur au CNRS (Institut d’études augusti‑ niennes) et auteur de divers ouvrages : Saint Augustin et le désir de Dieu (1982), « Le Firmament de l’Écriture ». L’herméneutique augustinienne (2004), Augustin dans la pensée de Paul Ricœur (2004) ; elle collabore à la publication des œuvres de saint Augustin dans la collection de la Biblio‑ thèque Augustinienne : La Cité de Dieu (1993), La doctrine chrétienne (1997), Les Commentaires sur les Psaumes (2009‑2014). Mauro Bonazzi enseigne l’histoire de la philosophie antique à l’Uni‑ versité de Milan. Il s’intéresse à la pensée politique grecque et à l’his‑ toire du platonisme, sceptique et métaphysique. Parmi ses publications : I sofisti, Roma, Carocci 2001 ; Il Platonismo, Turin, Einaudi, 2015 ; À la recherche des Idées. Platonisme et philosophie hellénistique d’Antiochus à Plotin, Paris, Vrin, 2015. Anne-Isabelle Bouton-Touboulic est Professeur de langue et littéra‑ ture latines à l’Université de Lille (Centre Halma, CNRS UMR 8164), membre junior honoraire de l’Institut Universitaire de France. Elle est spécialiste de saint Augustin et de la réception des philosophies an‑ ciennes dans l’Antiquité tardive. Elle est l’auteur de L’ordre caché. La notion d’ordre chez saint Augustin (Paris, Institut d’études augustiniennes, 2004), Une tradition sceptique  : la réception des Academica de Cicéron dans l’Antiquité (éd., REA, 111, 2009, No  1), Dire le vrai (Bordeaux 2012, coéd. F. Daspet). Elle prépare actuellement pour la collection de la « Bibliothèque Augustinienne » l’édition-traduction du Contra Academicos de saint Augustin.

Présentation des contributeurs

Giovanni Catapano est professeur associé d’histoire de la philosophie médiévale à l’Université de Padoue. Ses recherches concernent surtout la pensée d’Augustin, sur lequel il a publié les monographies : L’idea di filosofia in Agostino (Padoue 2000), Il concetto di filosofia nei primi scritti di Agostino (Rome 2001) et Agostino (Rome 2010). Il a traduit en italien certains Dialogues d’Augustin, parmi lesquels le Contra Academicos (Mi‑ lan 2005). Christophe Grellard est Directeur d’études à l’École Pratique des Hautes Études où il occupe la chaire « Histoire des philosophies et des théologies de l’Occident médiéval latin » et membre junior de l’Insti‑ tut universitaire de France. Il travaille sur la réception et la transforma‑ tion médiévale du scepticisme, ainsi que sur la question de l’hétérodoxie au Moyen Âge. Ses dernières publications incluent Jean de Salisbury et la r­enaissance médiévale du scepticisme, Paris, Les Belles Lettres, 2013 et De  la certitude volontaire. Débats nominalistes sur la foi à la fin du Moyen Âge, Paris, Publications de la Sorbonne, 2014. Jesús Hernández Lobato est enseignant-chercheur en Lettres Clas‑ siques à l’Université de Salamanque. Docteur en philologie latine (Sa‑ lamanque) et en Civilisation de l’Humanisme et de la Renaissance (Flo‑ rence) ; Licencié en Lettres Classiques, Beaux Arts, Hébreu et Théorie Littéraire. Parmi ses publications : Vel Apolline muto. Estética y poética de la Antigüedad tardía, Bern, 2012 ; El Humanismo que no fue. Sidonio Apolinar en el Renacimiento, Bologne, 2014 ; The Poetics of Late Latin Literature (édité avec Jaś Elsner), Oxford, sous presse. Anna Maria Ioppolo est Professeur émérite d’histoire de la philosophie ancienne à l’Université Sapienza de Rome et Senior research fellow à la Scuola Superiore di Studi Avanzati de la Sapienza. Elle est spécialiste de philosophie hellénistique et l’auteur de nombreuses publications sur le stoïcisme antique et le scepticisme académique. Parmi ses travaux : Aristone di Chio e lo stoicismo antico (1980), Opinione e scienza. Il dibattito tra Stoici e Accademici nel terzo e secondo secolo a.C. (1986), La testimonianza di Sesto Empirico sull’Accademia scettica (2009), Dibattiti filosofici ellenistici (2013). Gábor Kendeffy (1962) est Maître de conférences à l’université Károli Gáspár à Budapest. Il est l’auteur de plusieurs travaux sur la philosophie des Pères de l’Église Latins, dont deux monographies de langue Hon‑



Présentation des contributeurs

groise, l’une sur l’influence de la philosophie sceptique sur les Pères de l’Église (1999), l’autre sur le dualisme de Lactance (2006). Alice Lamy est enseignante de lettres classiques au lycée Hélène Bou‑ cher à Paris et membre permanent de l’ea 4081-« Rome et ses renais‑ sances » (Université Paris-Sorbonne). Ses travaux portent sur l’histoire des sciences au Moyen Âge (ontologie des êtres quantitatifs et mathéma‑ tiques) et sur la diversité des savoirs universitaires dès le début du xiiie siècle. Elle s’intéresse aussi à la diffusion du platonisme dans l’Europe médiévale (Paris, Oxford, Prague) induite par les lectures cosmolo‑ giques du Timée. Carlos Lévy est Professeur émérite de littérature et philosophie romaines à l’Université de Paris-Sorbonne (Paris IV). Ses recherches portent sur la philosophie hellénistique et romaine (particulièrement Cicéron), sur Philon d’Alexandrie et sur la présence de la philosophie antique dans la pensée contemporaine. Ses principales publications sont Cicero Academicus, Rome, 1992 ; Philon d’Alexandrie et le langage de la philosophie, (éd.) Turnhout, 1998 ; Foucault et la philosophie antique, éd. en collabo‑ ration avec L. Jaffro et F. Gros, Paris 2003 ; Les scepticismes, Paris, 2008. Il est membre correspondant de l’Institut de France et membre de l’Aca‑ démie de Milan (Instituto Lombardo). Stéphane Marchand est PRAG à l’ENS de Lyon (IHRIM UMR 5317), où il enseigne les humanités numériques et la philosophie ancienne. Ses recherches portent sur le scepticisme antique ; il a publié en 2013 avec F. Verde le volume Épicurisme et Scepticisme (Università Sapienza Edi‑ trice) ainsi que des articles sur les effets politiques du scepticisme (« Sex‑ tus Empiricus  : les effets politiques de la suspension du jugement  », Elenchos, 2014) ou l’écriture sceptique («  Sextus Empiricus’ Style of Writing  », in D.  Machuca (éd.), New Essays on Ancient Pyrrhonism, Brill, 2011). Brigitte Pérez-Jean, professeur de langue et littérature grecques à l’Uni‑ versité Paul-Valéry à Montpellier, est membre de l’E.A. 4424 C.R.I.S.E.S. (http://crises.upv.univ-montp.  3.fr). Elle a publié plusieurs  ouvrages dans le domaine de la philosophie antique, en particulier sur le scepti‑ cisme. Elle a récemment traduit en collaboration avec Frédéric Fauquier un choix de Conférences de Maxime de Tyr (« La roue à livres », Belles Lettres, 2014).



Présentation des contributeurs

Emidio Spinelli est professeur d’Histoire de la philosophie ancienne à l’Université de Rome « La Sapienza ». Il s’est occupé de plusieurs sujets de philosophie ancienne (penseurs préplatoniciens, tragédie grecque, Socrate/socratiques/historiographie socratique contemporaine, Platon, les Stoïciens, Épicure et son école, papyri littéraires et philosophiques), tout en se concentrant surtout sur le scepticisme néo-pyrrhonien. Ré‑ cemment, il a travaillé aussi sur la philosophie de Hans Jonas.

